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ŒUVRES

DE

BLAISE PASCAL

PENSEES II

CHARTRES, IMPRIMERIE DURAND

rue Fulbert, 9

V

LES

GRANDS ÉCRIVAINS

DE LA FRANCE

NOUVELLES ÉDITIONS

A LA MEME LIBRAIRIE

Reproduction en piiototypie du Manuscrit des Pensées de Blaise Pascal. N" 9202 fonds français de la Bibliothèque Natio- nale (Paris) avec le texte imprime en regard et des notes, par M. Léon Drunsciivicg, docteur es lettres, professeur agrégé au lycée Henri IV. Un volume in-folio (45 X 32) compre- nant environ 260 planches en phototypie et 260 pages de texte et variantes : 200 fr.

Les Provinciales. Édition des Grands Écrivains de la France publiée par INI. Prosper Faugère. 2 volumes in-S", brochés. . i5 fr.

Pensées et Opuscules, publiés avec une introduction, des notices, des notes et deux fac-similés du manuscrit des Pensées, par M. Léon Brunsciivicg. 3" édition, i volume petit in-i6, cartonné 3 fr. 5o

Provinciales, lettres I, IV et XIII, et extraits. Nouvelle édition complétée, publiée avec une introduction, des notes et un appen- dice, par M. F. Brunetière, de l'Académie française. i vol. petit in- 16, cartonné i fr. 80

Pascal, par M. E. Boutroux. membre de l'Institut (Collection des Grands Ecrivains français). i vol. in- 16, broché. . 3 fr.

PENSÉES

DE

BLAISE PASCAL

///

NOUVELLE EDITION

COLLATIONNÉE SUR LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE

ET PUBLIÉE AVEC VyE INTRODUCTION ET DES NOTES

LEON BRUNSCHVICG

Professeur de Philosophie au Lycée Henri IV

TOME DEUXIEME

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET C"'

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1904 "^

Tous droits réservés. ■^ | j ^

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PENSÉES

SECTION II

(suite)

36i] 82

Imagination. C'est cette partie décevante dans l'homme', cette maîtresse" d'erreur et de fausseté % et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ; car elle serait règle infaillible * de vérité, si elle l'était infaillible du mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle^ne donne aucune marque de sa qualité\ marquant du même caractère le vrai et le faux.

82

Cf. B., 8 bis; C, 24; P. R., XXV, 4, 7, 8, 10, 11, 12, i4 ; Bos., I, n, 3, 10, II, i4, 16, 17, 27; Faug., II, 47; Hat., III, 3; Mol., I, 76; MicH., 601.

1 . [Cause de tous les.]

2. [Pièce.]

3. [Si insigne fourbe] et [de la plus insigne.] Correction de la Copie qui se retrouve dans l'édition de 1670 : que ron appelle fantaisie et opinion.

4- Infaillible, deux fois en surcharg'e.

5. [Est quelque.]

6. [imprimant sur la même marque les opinions vraies et fausses. C'est elle qui] a le grand don.

PENSÉES. Il l

2 PENSÉES.

Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages ; et c'est parmi eux que rimagination a le grand don de persuader les hommes. La raison a beau crier, elle ^ ne peut mettre le prix aux choses ^

Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature *. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses* malades % ses riches.

1. [Met.]

2. [Elle juge souverainement du bien, du vrai, du juste.] Cf. l'ex- pression de Montaigne (I, 4o) : « Nostre opinion donne prix aux choses. » La Rochefoucauld : « Il faut que la raison et le bon sens mettent le prix aux choses. » (Réflexions diverses, xiii.)

3. Tout ce fragment est plein de souvenirs de Montaigne : « On s'apperceoit ordinairement, aux actions du monde, que la fortune, pour nous apprendre combien elle peult en toutes choses, et qui prend plaisir à rabattre notre presumption, n'ayant peu faire les malhabiles sages, elle les faict heureux, à l'envy de la vertu... » (III, 8). « Au de- mourant rien nemedespite tant en la sottise que de quoy elle se plaist plus que aulcune raison ne se peult raisonnablement plaire. C'est malheur que la prudence vous deffend de vous satisfaire et fier de de vous, et vous renvoyé tousiours mal content et craintif ; l'opiniastreté et la témérité remplissent leurs hostes d'esjouïssance et d'asseurance. C'est aux plus malhabiles de regarder les aultres hommes par dessus l'espaule, s'en retournants tousiours du combat pleins de gloire et d'alaigresse ; et, le plus souvent encores, cette oultrecuidance de langage et gayeté de visage leur donne gaigné, à l'endroict de l'assistance, qui est communément foible et incapable de bien juger et discerner les vrais advantages. L'obstination et ardeur d'opinion est la plus seure preuve de bestise : est-il rien certain, résolu, desdai- gneux, contemplatif, grave, sérieux, comme l'asne ? » (Ibid.')

4. [Sages.] De malades à sages ; et rien en marge.

5. Mont. Apol. : « Combien en a rendu de malades la seule force de l'imagination ? Nous en voyons ordinairement se faire saigner, pur- ger et medeciner, pour guarir des maulx qu'ils ne sentent qu'en leur discours. ».

Ir

SECTION II. 3

ses pauvres ; elle fait croire, douter, nier la raison* ; elle^ suspend les sens, elle les fait sentir ; elle a ses fous et ses sages ; et rien ne nous dépite davantage que de voir^ qu'elle remplit ses * hôtes d'une ^ satisfac- tion bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autre- ment à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire ^. Ils regardent les gens avec empire ; ils disputent avec hardiesse et confiance ; les autres, avec crainte et défiance ; et cette gaîté de vi- sage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants, tant les sages imaginaires ont de^ faveur auprès des juges de même nature " . Elle ne peut rendre sages les fous ; mais elle les rend heureux, à l'envi de la raison qui ne peut^ rendre ses amis que mi- sérables, l'une les couvrant de gloire, l'autre de honte.

Qui dispense la réputation ? qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante?'"

1. Dans V Apologie de Raymond Sebond Montaigne nous fait « veoir combien nostre raison est flexible à toutes sortes d'images. » Cf. fr. 274.

2. [Fait agir] les sens ; elle suspend son.]

3. [Que ceux qui ne sont.]

4. [Sectateurs.]

5. [Joie.]

6. Plaire, en surcharge.

7. [Sympathie avec]

8. [On s'aperçoit ordinairement.]

9. [Que les rendre.]

10. Pascal avait écrit : [Quel pouvoir exerce-t-elle sur les âmes, sur les corps! Combien de malades lui sont redevables de la santé, combien de sains de la maladie ! [Combien de maladies guéries, combien de santés

4 PENSEES.

Toutes les richesses de la terre insuffisantes sans son consentement * !

Ne diriez-vous pas que ce^ magistrat, dont la vieil- lesse vénérable impose le respect à tout un peuple, se gouverne par une * raison pure et sublime, et qu'il * juge des choses dans^ leur nature sans s'arrêter à de vaines circonstances qui ne blessent que l'ima- gination des faibles ? voyez-le entrer dans un sermon*' il apporte un zèle tout dévot, renforçant^ la soli- dité de sa raison par ^ l'ardeur de sa charité ® ; le voilà prêt à l'ouïr avec un respect'*" exemplaire. Que le prédicateur" vienne à paraître, que la nature lui ait donné une voix enrouée et un tour dévisage bizarre *% que son barbier Fait mal rasé, si le hasard l'a encore ' barbouillé de surcroît, quelque grandes '* vérités qu'il

altérées! combien.] Il a barré cette plirase inspirée d'exemples rap- portés par Montaigne (I, 20), et il y a le pressentiment de la théo- rie moderne sur la suggestion hypnotique et sur les maladies nerveuses.

1. Première rédaction qui prépare et explique la seconde: [Combien de richesses inutiles à celui qui s'imagine n'en avoir pas assez ! Je ne sais d'où vient que le plus grand homme.]

2. [Sénateur] dont la [mine a une gravité qui] impose.

3. Une, en surcharge.

4. Qu'il, en surcharge.

5. Page 362 du manuscrit. [Le fond, sans.]

6. Pascal avait d'abord écrit [dans une église]; c'est peut-être ce qui explique l'emploi de dans, qui d'ailleurs au xvii*^ siècle était encore usité nous mettons aujourd'hui à.

7. [L'égalité.]

8. [La] charité [de sa foi.]

9. Le voilà à exemplaire, en surcharge.

10. [Plein et sincère.]

1 1. [Monte [ait la barbe mal faite.]

12. Que son h rasé, surcharge. ï3. [Choses] qu'il Iprononce.]

SECTION II. S

annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur.

Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large ' qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque ^ de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n'en sauraient soutenir la pensée sans^ pâlir et suer\

Je ne veux pas rapporter tous ses effets.

' Qui ne sait que la vue de chats, de rats, Técra-

1 . [Que le chemin qu'il occupe en marchant à son ordinaire, quelque sûrement soutenue qu'elle soit.]

2. [Je mets ea fait que.]

3. [Suer et.]

4- Pascal avait recueilli ces exemples dans VApologie de Raymond Sebond : « Qu'on loge un philosophe dans une cage de menus filets de fer clair-semez, qui soit suspendue au hault des tours Nostre-Dame de Paris ; il verra, par raison évidente, qu'il est Impossible qu'il en tumbe ; et si ne se sçauroit garder (s'il n'a accoustumé le mestier des couvreurs) que la veue de cette haulteur extrême ne l'espovante et ne le transisse : car nous avons assez afifaire de nous asseurer aux galeries qui sont en nos clochiers, si elles sont façonnées à iour, encores qu'elles soient de pierre ; il y en a qui n'en peuvent pas seulement porter la pensée. Qu'on iecte une poultre entre ces deux tours, d'une grosseur telle qu'il nous la fault à nous promener dessus, il n'y a sagesse phi- losophique de si grande fermeté qui puisse nous donner courage d'y marcher comme nous ferions si elle estoit à terre... Les médecins tiennent qu'il y a certaines complexions qui s'agitent, par aulcuns sons et instruments, jusques à la fureur. I en ay veu qui ne pouvoient ouïr ronger un os soubs leur table, sans perdre patience ; et n'est gueres homme qui ne se trouble à ce bruit aigre et poignant que font les limes en raclant le fer ; comme, à ouïr mascher près de nous, ou ouïr parler quelqu'un qui ayt le passage du gosier ou du nez empesché, plusieurs s'en esmeuvent iusques à la cholere et la haine. ». Cf. dans le livre 1, l'Essai xx : de la force de l imagination : « Nous tressuons, nous tremblons, nous paslissons, et rougissons aux secousses de nos imaginations. »

5. Les deux paragraphes suivants en surcharge.

6 PENSÉES.

sèment d'un charbon \ etc., emportent la raison hors des gonds^^Le tonde voix impose aux plus sages, et change un discours et un poème de force ^

L'affection ou la haine changent la justice de face. Et combien un avocat bien payé par avance trouve- t-il plus juste la cause qu'il plaide " ! combien son geste hardi la fait-il paraître" meilleure aux juges, dupés par cette apparence I Plaisante raison qu'un vent manie, et* à tout sens '' !

Je rapporterais * presque toutes les actions des hommes ^ qui ne branlent presque que par ses se-

1 . [Le son d'une vis [le son que tait.]

2. [Un son fait grincer les dents.]

3. « On m'a voulu faire accroire qu'un homme, que touts nous aultres François cogfnoissons, m'avoit imposé en me recitant des vers qu'il avoit faicts ; qu'ils n'estoient pas tels sur le papier qu'en l'air, et que mes yeulx en feroient contraire iugement à mes aureilles : tant la prononciation a de crédit à donner prix et façon aux ouvrages qui passent à sa mercy. » (/6id..)

4. « Vous recitez simplement une cause à l'advocat : il vous y res- pond chancellant et doubteux ; vous sentez qu'il luy est indiffèrent de prendre à soustenir l'un ou l'aultre party : l'avez vous bien payé pour y mordre et pour s'en formaliser, commence il d'en estre intéressé, y a il escbauffé sa volonté ? sa raison et sa science s'y eschauffent quand et quand ; voylà une apparente et indubitable vérité qui se présente h son entendement ; il y descouvre une toute nouvelle lumière, et le croit à bon escient, et se le persuade ainsi. » (/èjd.)

5. [Plus.]

6. [Serv/ce.]

7. Montaigne avait employé vis-à-vis du jugement une expression semblable : « Vrayement il y a bien de quoy faire une si grande feste de la fermeté de cette belle pièce qui se laisse manier et changer au bransie et accident d'un si legier vent 1 « (Ibid.)

8. Pascal avait écrit cette phrase immédiatement après celle-ci : je ne veux pas rapporter tons ses effets.

9. [Qui n'agissent presque que.]

SECTION II. 7

cousses. Car la raison a été obligée de céder, et* la plus sage prend pour ses principes ceux que l'ima- gination des hommes a témérairement introduits en chaque lieu. ''"'

[Qui voudrait ne suivre que la raison serait fou au jugement du commun des hommes ^ Il faut juger au jugement de la plus grande partie^ du monde. Il faut, puisqu'il lui a plu, travailler tout le jour et se fati- guer, pour des biens '* reconnus pour imaginaires, et quand ^ le sommeil nous a délassés des fatigues de notre raison, ilfautincontinentseleveren sursaut pour aller courir après les fumées et ® essuyer les impressions de cette maîtresse du monde. Yoilkun des principes d'erreur, mais ce n'est pas le seul./^'homme a eu bien raison d'allier du vrai au faux, quoique dans cette paix l'imagination ait bien amplement l'avantage ; car dans la guerre elle l'a bien plus : jamais la raison ne surmonte^ l'imagination alors que l'imagination dé- monte souvent tout à fait la raison de son siège.]

*Nos magistrats ont bien connu' ce mystère '^

1 . [Prend pour Jes principes.]

2. Cf. fr. 4i4 ■• « Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n'être pas fou. »

3. [Des hommes.]

!^. [imaginaires [Quoiqu'imaginaires.]

5. [La raison [la nature] nous a délassés des [impressions] de notre [imagination et mis dans un calme admiraJbie.]

6. [Suivre.]

7- [Jamais [tout.]

8. A la page 869 du manuscrit.

9. [Cela.]

10. Pour l'emploi remarquable de ce mot, cf. La Rochefoucauld: « La gravité est un mystère du corps Inventé pour cacher les défauts de l'esprit. » (^Max., 207).

8 PENSÉES.

Leurs robes rouges, leurs hermines \ dont ils s'em- maillottent en chats fourrés % les palais oii ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n'avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n'eussent des bon- nets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde qui ne peut ré- sister à cette montre si authentique. S'ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés ; la majesté de ces sciences serait assez véné- rable d'elle-même. Mais n'ayant que des sciences imaginaires, il faut qu'ils prennent ces vains instru- ments qui frappent l'imagination à laquelle ils ont affaire ; et par là, en effet, ils s'attirent le respect \ Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu'en effet leur* part est plus essen- tielle, ils s'établissent par la force, les autres par gri-

mace

1. [Toute leur cbatourrure.] Souvenir d'un fameux chapitre de Rabelais : Pantagruel, V, ii.

2. [Font trembler le peuple en qui l'imagination abonde : ils ne peuvent pas croire qu'un homme qui n'a pas de soutane soit aussi grand médecin; les eschevins sont en habit court ; mais la pompe des rois est encore plus éclatante [étonnante.] Ces réflexions ont été reprises et développées en marfje. Nous lisons pom/)e et non pourpre; d'ailleurs la suite des idées l'exijje (cf. le paragraphe suivant).

3. <( Qu'il oste son chapperon, sa robe et son latin, qu'il ne batte pas nos aureilles d'Aristote tout pur et tout crud : vous le prendrez pour l'un d'entre nous, ou pis. » (^Mont., TU, 8.)

4. [Force.]

5. Pascal dit dans un autre fray^ment : « Quand la force attaque la grimace, quand un simple soldat prend le bonnet carré d'un pre- mier président, et le fait voler par la fenêtre » (Fr. 3io.)

SECTION II. 9

C est ainsi que nos rois n'ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas' masqués d'habits extraordinaires pour paraître tels ; mais ils se sont ac- compagnés de gardes", de hallebardes. Ces trognes armées qui n'ont de mains et de force que pour eux, les trompettes etles tambours qui marchent au-devant, et ces légions qui les ^ environnent, font trembler les plus fermes ; ils n'ont pas l'habit seulement, ils ont la force . Il faudrait avoir une * raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand " Seigneur environné, dans son superbe sérail, de quarante mille janissaires *.

Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat^

I . [Couverts.]

3. [De troupes, de forces.]

3. [Suivent.]

f^. [Imagination.]

5. [Turc au milieu de] son sérail [et].

6. Cf. ce que dit Pascal lui-ujème (fr. 807) : « Le chancelier est grave et revêtu d'ornements, car son poste est faux et non le roi : il a la force, il n'a que faire de l'imagination. Les juges, médecins, etc. n'ont que l'imagination », et le fragment 3o8 : « La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d'officiers, et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompa- gnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur, parce qu'on ne sépare point dans la pensée leurs personnes d'avec leurs suites, qu'on y voit d'ordinaire jointes. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu'il vient d'une force naturelle ; et de viennent ces mots : « Le caractère de la Divinité est empreint sur son visage, etc ». Ce fragment est intéressant à rap- procher du passage que nous commentons, parce qu'il montre com- ment par l'intermédiaire de la coutume (nous dirions de l'association des idées), la force qui est effective peut donner naissance à la vanité de l'imagination, et comment se concilient les deux puissances que Pascal oppose ici.

7. [Le bonnet.]

10 PENSEES.

en soutane et le bonnet en tête, sans une ' opinion' avantageuse de sa suffisance \

L'imagination 'dispose de tout ; elle fait la beauté, la justice °, et le bonheur, qui est le tout du monde. Je voudrais de bon cœur voir le livre italien, dont je ne connais que le titre % qui vaut lui seul bien des livres: Dell' opinione regina del mondo\ J'y souscris sans le connaître, sauf le mal, s'il y en a.

Voilà à peu près ^ les effets de cette faculté trom- peuse qui semble nous être donnée exprès pour nous induire à une erreur nécessaire. Nous en avons bien d'autres principes. Les impressions anciennes ne sont pas seules capables de nous abuser' : les char- mes de la nouveauté ont le même pouvoir". De viennent toutes les disputes des hommes", qui se

1. [Prévention.]

2. De [science.]

3. Suffisance avait au xvii« siècle un sens favorable qu'il n'a plus aujourd'hui. Cf. Mol. : Mariage forcé, 6 : « Homme de suffisance, homme de capacité. »

i. [Fait.] La Copie corrige, (comme écrit l'édition de 1670) : l'opi- nion, afin de mieux préparer le titre du livre italien. Le rapprochement de l'imag-ination et de l'opinion semble d'ailleurs inspiré à Pascal par Charron : De la sagesse, I, xvi.

5. [Le bien.]

6. Qui... livres surcharge.

7. On ne sait à quel ouvrage Pascal fait allusion : on a seulement signalé un traité de Carlo Flosi qui a un titre à peu près semblable ; mais la date, sinon de l'ouvrage, du moins des exemplaires connus, est de presque trente ans postérieure à la mort de Pascal.

8. [La nature.]

g. \La nouveauté a ses] charmes.

10. Tacite avait dit : omne ignolum pro magnifico. La Bruyère dira de même : « Deux choses toutes contraires nous préviennent également, l'habitude et la nouveauté. » (Des Jugements.^

11. [Les uns reprenant les autres [exposés.]

SECTION II. il

reprochent ou de suivre leurs fausses impressions de l'enfance, ou de courir témérairement après les nouvelles. Qui tient le juste milieu? Qu'il paraisse, et qu'il le prouve. Il n'y a principe, quelque naturel qu'il puisse être, même depuis l'enfance, [on ne] fasse passer pour une fausse impression, soit de l'instruction, soit des sens'.

^ Parce, dit-on, que avez cru^ dès l'enfance qu'un coffre était vide lorsque vous n'y voyez rien, vous avez cru le vide possible ; c'est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume \ qu'il faut que la science corrige. Et les autres disent : Parce qu'on vous a dit dans l'Ecole qu'il n'y a point de vide, on a corrompu votre sens commun, qui le comprenait si nettement avant cette mauvaise impression, qu'il faut corriger en recourant "" à votre première nature\ »

I. « Que cette raison, qui se manie à nostre poste, trouvant tou- siours quelque diversité et nouvelleié, ne laisse chez nous aulcune trace apparente de la nature ; et en ont faict les hommes, comme les parfumiers de l'huile ; ils l'ont sophistiquée de tant d'argumentations et de discours appelez du dehors qu'elle en est devenue variable et particulière à chascun, et a perdu son propre visage, constant et uni- versel. » (Mont., III, 12.)

3. Page 870 du manuscrit.

3. [Voir des coffres] vides.

A. Qu'il faut... corrige en surcharge.

5. [a la] nature.

6. Pascal se souvient de ses recherches et de ses polémiques sur le vide. La première thèse est commune à la scolastique et à Descartes qui, invoquant, l'une « le sens commun des physiciens », l'autre l'évidence rationnelle, croient pouvoir établir a priori l'impossibilité du vide. L'autre thèse a été celle de Pascal : la négation des vues artificielles et le retour à l'observation directe de la nature nous conduisent à admettre le vide, sinon comme réel, du moins comme possible. « Mais, Monsieur, je vous laisse à juger, lorsqu'on ne voit rien, et que tes

13 PENSÉES.

Qui a donc trompé? les sens ou TinsU-uction' ?

Nous avons un autre principe d'erreur, les mala- dies: elles nous gâtent le jugement et le sens "; et si les grandes l'altèrent sensiblement, je ne doute pas que les petites n'y fassent impression, à leur proportion \

Notre propre intérêt est encore un merveilleux instrument pour nous^ crever les yeux agréablement. Il n'est pas permis au plus équitable homme du monde d'être juge en sa cause ; j'en sais qui, pour ne pas tomber dans cet amour-propre, ont été les plus injustes du monde à contre-biais '" : le moyen sûr de

sens n'aperçoivent rien dans un lieu, lequel est mieux fondé, ou de celui qui affirme qu'il y a quelque chose, quoiqu'il n'aperçoive rien, ou de celui qui pense qu'il n'y a rien, parce qu'il ne voit aucune chose. » (Lettre de Pascal à M. Le Pailleur. OEuvres, éd. Lahure, t. III, p. 56).

I. Mont., Apol. : « Si c'est un enfant qui iuge, il ne sçait ce que c'est; si c'est un scavant, il est préoccupé. » De Vinstruclion suit par- fois, comme dit Charron dans la Préface du livre de la Sarjesse, la « prévention acquise «.

3. Cf. Mont., Apol. : « Ceulx qui onl la iaunisse, ils voient toutes choses iaunastres et plus pasles que nous. »

3. « Et ne fault pas douljter, encores que nous ne le sentions pas, que si la fiebvre continue peult altérer nostre ame, que la tierce n'y apporte quelque altération selon sa mesure et proportion... Si ma santé me rid et la clarté d'un beau jour, me voylà honneste homme; si j'ay un cor qui me presse l'orteil, me voylà renfrongné, mal plaisant et inaccessible. » (Mont., Apol.')

4. [Avoir crevé.]

5. Havet a fort heureusement rappelé à ce propos le passajje suivant de Balzac : « J'ai vu de ces faux justes deçà et delà les monts. J'en ai vu qui, pour faire admirer leur intégrité, et pour obliger le monde de dire que la faveur ne peut rien sur eux, prenaient l'intérêt d'un étranger contre celui d'un parent ou d'un ami, encore que la raison fût du côté du parent ou de l'ami. Ils étaient ravis de faire perdre la cause qui leur avait été recommandée par leur neveu ou par leur cousin germain ; et le plus mauvais office qui se pouvait rendre à une bonne afTiiire était une semblable recommandation. Lorsque plu-

SECTION II. 13

perdre une affaire toute juste était de la leur faire recommander par leurs proches parents.

La justice et la vérité sont deux pointes si subtiles, que nos instruments sont trop mousses pour y tou- cher exactement '. S'ils y arrivent, ils en écachent la pointe, et appuient tout autour, plus sur le faux que sur le vrai.

[L'homme est donc si heureusement fabriqué qu'il n'a" aucun principe du vrai etplusieurs excellents du faux. Voyons maintenant combien... Mais la plus puissante cause de ces erreurs est la guerre qui est entre les sens et la raison.]

370] 83

// faut commencer par le chapitre des paissan-

sieurs compétiteurs prétendaient aune même cliarge, ils la demandaient pour celui qu'ils ne connaissaient point, et non pas pour celui qu'ils jugeaient digne. » (^Aristippej Disc. M.) La Bruyère a repris cette même pensée : « Il se trouve des juges auprès de qui la faveur, l'autorité, les droits de l'amitié et de l'alliance, nuisent à une bonne cause, et qu'une trop grande affectation de passer pour incorruptibles expose à être injustes. » (De quelques usayes.^ Renan, qui s'attribue ce travers dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse, rapporte le mot qui lui fut dit par un de ses amis : « Je vais vous faire quelque mauvais trait ; par impartialité, vous voterez pour moi. »

1 . [ils brisent.] La troisième Provinciale contient une application de cette pensée à la censure prononcée contre Arnauld : « Il ne faudrait rien pour rendre cette censure hérétique. La vérité est si délicate que, pour peu qu'on s'en retire, on tombe dans l'erreur; mais cette erreur est si déliée que, pour peu qu'on s'en éloigne, on se trouve dans la vérité. Il n'y a qu'un point imperceptible entre cette proposition et la foi » (Ed. Faug., I, 61.)

2. [Aucune touche.]

83

Cf. B.,i3; C, 29; Bos., I, vni, 9; Faug., II, 47; Hav., III, 19; Moi., I, 76; MicH., Coi.

14 PENSÉES.

ces trompeuses \ L'homme n'est qu'un sujet plein d'erreur ^ naturelle et ineffaçable sans la^ grâce \ Rien ne lui montre la vérité. Tout l'abuse ; ces deux principes de vérités, la raison et les sens, outre qu'ils manquent chacun de sincérité, s'abusent réci- proquement l'un l'autre". Les sens abusent la raison par de fausses apparences " ; et cette même piperie qu'ils apportent à la raison, ils la reçoivent d'elle à leur tour : elle s'en revanche. Les passions de l'âme en troublent les sens et leur font des impressions fausses^ Ils mentent et se trompent à ^envi^

Mais outre ces erreurs qui viennent par accident et par le manque d'intelligence, avec ses facultés hé- térogènes...

I. En margfe. Ce fragment suit immédiatement dans le manus- crit le frag-ment qui précède. Pascal est amené par le cours de son développement à des conclusions importantes qu'il se proposait de mieux mettre en lumière, en en faisant le début de son chapitre. La transposition pourrait être faite, comme le demande M. Michaut, mais dans une restauration de V Apologie, non dans une édition des fragments posthumes.

a. [Et d'ignorance.]

3. Grâce en surcharge.

4. \ll n'a point de prise pour saisir la vérité quand elle viendra à lui; mais.]

5. La phrase suivante en marge.

6. [Elle ne peut les croire et les suivre.] 'j. [Et cette même piperie que les sens.]

8. Mont., Apol. : « Cette mesme piperie que les sens apportent à nostre entendement, ils la receoivent à leur tour; nostre arae parfois s'en revenche de mesme : ils mentent et se trompent h l'envy. » Cf. Charron, Sagesse^ ch. x, par. 6 : « Que les sens soient faux ou non, pour le moins il est certain qu'ils trompent, voire forcent ordi- nairement et le discours et la raison, et en eschange sont trompez par elle... ces parties principales, outils essentiels de la science, se trom- pent l'un l'autre. »

SECTION II. IS

137] 84

L'imagination grossit les petits objets jusqu'à en remplir notre âme, par une estimation fantastique ; et, par une insolence téméraire, elle amoindrit les grands jusqu'à sa mesure, comme en parlant de Dieu*.

142] 85

Les choses qui nous tiennent le plus, comme de cacher' son peu de bien^ ce n'est souvent presque

84

Cf. B., 355; P. R., ull., XXV, 12; Bos., I, vi, i5; Faug., I, 200; Hav., III, 11; Mol., I, 84; Mich., SaS.

1. Mont., Apol. : « Il m'a tousiours semblé qu'à un homme clires- tien cette sorte de parler est pleine d'indiscrétion et d'irrévérence : « Dieu ne peult mourir. Dieu ne se peult desdire ; Dieu ne peult faire cecy ou cela. » le ne treuve pas bon d'enfermer ainsi la puissance divine soubs les loix de nostre parole : et l'apparence qui s'offre à nous en ces propositions, il la faudroilt représenter plus reveremment et plus religieusement. » Cf. I, 56 ; et Charron, Sagesse, II, v, 23 et Discours chrétiens, I, De la divinité. C'est une grande règle de piété suivant Port^Royal de parler de Dieu divinement, et non humai- nement. « Il est bien difficile, écrit Jacqueline Pascal dans une lettre à sa sœur, de parler de Dieu comme de Dieu. » Pascal tire de la façon dont les Evangiles ont parlé de Dieu une preuve de leur authen- ticité. (Cf. fragments 798 et 799.)

85

Cf. B.,329; C, 280; P. R., XXIX, 9; Bos., I, vm, 59; Faug., 1,199; Hav., V, 18; Mot., I, 85; Mich., 356.

2. [Sa nécessité.]

3. M. ^lichaut remarque qu'il pourrait y avoir dans cette réflexion un souvenir des embarras d'argent dont Pascal a eu à souffrir, pen- dant les années i653-i654, lorsqu'il était en relation constante avec le duc de Roanne? et le chevalier de Méré.

16 PENSÉES.

rien * ; c'est un néant que notre imagination grossit en montagne: un autre fait découvrir sans peine.

en montagne: un autre tour d'imagination nous le

49] 86

[Ma fantaisie me fait haïr un croasseur^ et un qui souffle en mangeant^ ; la fantaisie a grand poids ; que profiterons-nous de là. »^ que nous suivrons ce poids à cause qu'il est naturel ? Non ; mais que nous y résisterons'...]

269] 87

iste magno conatu magnas nugas dixerit^.

1. « L'aysance donc et l'iiuli^jence despendent de l'opinion d'un chascun. » Mont., I, liO.

86 Cf. B., 90; G., 116; Faug., I, 236; Mol., I, 85 et II, 364; Mich., 127.

2. Conjecture ingénieuse et vraisemblal)le de M. Salomon Relnach qui a le premier examiné le fragment autographe ; les Copies avaient passé le mot, qui devait en effet être plutôt deviné que lu.

3. Allusion au passage de Montaigne qui avait déjà inspiré le long développement sur l'imagination: « à ouïr mascher près de nous, ou ouïr parler quelqu'un qui ayt le passage du gosier ou du nez empesché, plusieurs s'en esmeuvent iusques à la cholere et la haine « (^Apolofjie, cf. note du fr. 80).

4. Ajoutons: à cause qu'il est de fantaisie. La fantaisie, comme le sentiment, se manifeste en nous par une impulsion irréfléchie, d'ap- parence instinctive ; mais elle correspond à une association artificielle, et c'est pourquoi, loin de la suivre comme une loi fondée en niature, il convient de savoir y résister.

87

Cf. B., 3i/i ; Faug., II, 4o3 ; Mien., 55i et g^i.

5. Mont. III, I : « Personne n'est exempt de dire des fadaises, le malheur est de les dire curieusement. » Suit le vers de Térence (/ieaut. III, V, 8).

SECTION II. 17

583. Quasi qiiidquam infelicius sit homine cui sua figmenta dominant ur\ (Plin.)

169] 88

Les enfants qui s'effrayent du visage qu'ils ont barbouillé, ce sont des enfants ; mais le moyen que ce qui est si faible, étant enfant, soit bien fort étant plus âgé" ! On ne fait que cbanger de fantaisie ; tout ce qui se perfectionne par progrès ^ périt aussi par progrès, tout ce qui a été faible ne peut jamais être absolument fort. On a beau dire: il est crû, il est changé ; il est aussi le même.

8] 89

La coutume est notre nature '* : qui s'accoutume à

1. La citation de Pline, II, 7, est extraite de l'Apologie de Ray- mond Sebon, elle est précédée des lignes suivantes : « C'est pitié que nous nous pipons de nos propres singeries et inventions :

Quod finxere, timent [Lucain, I, 486.]

comme les enfants qui s'effroyent de ce mesme visage qu'ils ont bar- bouillé et noircy à leur compaignon ». Sénèque écrit d'autre part : « Ce que tu vois arriver aux enfants, cela nous arrive aussi à nous, qui ne sommes que des enfants un peu plus grands : ceux qu'ils aiment, auxquels ils sont accoutumés, avec qui ils ont joué, dès qu'ils les voient masqués, ils sont épouvantés. » (^Lettre XXIV.)

88

Cf. B., 4o4; C, 378; Faug., II, 88; H.4v., XXIV, 96 et XXIV, ç^Obis; Mol., I, 85 ; Mich., 4i5.

2. « Ce qui commence à naistre ne parvient iamais iusque à per- fection d'estre » (Mont. Apol.) .

3. [Finit d'être.]

89

Cf. B., 20G; C, /n6; Faug., II, 169; Hav., XXV, 91; Mol., I, 98; Mich., 9.

4. Le rôle de la coutume est nettement indiqué dans ces fragments :

PENSÉES. II 2

18 PENSÉES.

la foi, la croit, et ne peut plus' ne pas craindre l'enfer, et ne croit autre chose". Qui saccoutume à croire que le roi est terrible..., etc. Qui doute donc que, notre âme étant accoutumée à voir nombre, espace, mouvement, croie cela et rien que cela^^

aCg] 90

Quocl crebro videl non miratur, eliamsi cur fiai nescil ; quod ante non viderit, id si evenerit, oslentam esse censet. (Cic. \)

423] 91

Spongia solis. Quand nous voyons un effet

une croyance est à l'origine possible, au même titre que d'autres croyances ; l'habitude, en augmentant la force de cette croyance, la rend prédominante, puis exclusive ; par suite elle apparaît comme nécessaire, elle devient Inliérente à notre nature.

1. M. Molinier donne même; la leçon ne pas nous semble à la fois plausible sur le manuscrit, et conforme au sens.

2. Cf. fr. 3o8 : « La coutume de voir les rois... Et le monde, qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu'il vient d'une force naturelle. »

3. Cf. le fragment 233 (le Parî) au milieu duquel celui-ci est comme enclavé : « Notre âme est jetée dans le corps elle trouve nombre, temps, dimensions ; elle raisonne là-dessus, et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre chose.

90

Cf. B.,-3i4; C, A06 et loG; Faug., II, /|o3 ; Mien,, 55o.

4. Passage de Cicéron de Divin., II, 22 cité par Montaigne (II, xxx), qui le fait suivre de ces réflexions : « Nous appelons contre nature ce qui advient contre la coustume : rien n'est que selon elle, quel qu'il soit. Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous l'erreur et l'estonnement que la nouvelleté nous apporte. »

Cf. B., 369; C, 326; Bos., I, VI, 2a; Faug., 1, 200; Hat., III, i6; Mol., 1, 127 ; Mich., 687.

SECTION II. 19

arriver toujours de même, nous en concluons une nécessité naturelle, comme qu'il sera demain jour, etc. '. Mais souvent la nature nous dément, et ne s'assujettit pas à ses propres règles.

92

i63J

Qu est-ce que nos principes naturels, sinon nos principes accoutumés ^ et dans les enfants ceux qu'ils ont reçus de la coutume de leurs pères, comme la chasse dans les animaux .^^

Lne différente coutume nous ' donnera d'autres principes naturels, cela se voit par expérience \- et

I. Comme l'a expliqué Havet, les spongia soUs sont les taches du soleil. Pascal y voit un commencement d'obscurcissement pour le soleil, et en tire cette conclusion que le soleil pourrait s'éteindre malgré la confiance que l'habitude nous a donnée dans la perpétuité de sa lumière.

""'b^.^ 1ii'';3 •%;''•?■' r'^T' •'',^?^' '' "' '9; F.ca.,II, ,3r ; «AT., 111, ti^ .Mol., I, 96; MicH., 898.

2. « Les communes imaginations que nous trouvons en crédit autour de nous, et infuses en nostre ame parla semence de nos pères Il semble que ce soyent les générales et naturelles. ,. (Mont. I 22 )

3. Le signe tracé par Pascal permet de conjecturer nous, aussi bien que en lu par les précédents éditeurs, et qui est bien moins satisfaisant.

4. L expérience inverse est aussi invoquée par Montaigne : « Ceux qu. ont essayé de r'adviser les mœurs du monde, de mon temps, par de nouvelles opinions, reforment les vices de l'apparence; ceulx de 1 essence, ds les laissent là, s'ils ne les augmentent: et l'augmenta- tion y est a craindre ; on se seiourne volontiers de tout aultre bien- taire sur ces reformations externes, arbitraires, de moindre coust et de plus grand mérite ; et satisfaict on à bon marché, par là, les aultres vices naturels, consubstantiels et intestins. Regardez un peu comment s en porte nostre expérience: il n'est personne, s'il s'escoute, qui ne descouvre en soy une forme sienne, une forme maistresse, qui luicte contre l'institution, et contre la tempeste des passions qui luv sont contraires. >, (Ess., III, 11.) Pascal va d'ailleurs le reconnaître. On voit

20 PENSÉES.

s'il y en a d'ineffaçables à la coutume', il y en a aussi de la coulume contre la nature, ineffaçables^ à la nature, et à une seconde coutume. Cela dépend de la disposition.

195] 93

Les pères craignent que l'amour naturel des en- fants ne s'efface ; quelle est donc cette nature, sujette à être effacée ? la coutume est une seconde nature, qui détruit la première^. Mais qu'est-ce que nature.^ pourquoi la coutume n'est-elle pas natu-

la fidélité minutieuse aA'ec laquelle Pascal se proposait d'exposer les idées de Montaigne, tenant compte des exceptions que Montaigne signalait à sa thèse favorite sur la toute-puissance de la coutume.

1. A la coutume j en surcharge.

2. [il une seconde coutume.]

93

Cf. B., /iv; C, C7; P. R., XXV, i5; Bos., T, vi, 19; Faug., II, 182; Hav., III, i3; Mol., I, 96; Mien., 426.

3. « L'accoustuniance est une seconde nature et non moins puis- sante. » (Montaigne, III, x). Pascal se souvient aussi de l'Essai De la couslarnc, I, 22. « En somme, à ma fantasie, il n'est rien qu'elle ne face, ou qu'elle ne puisse; et avecques raison l'appelle Pindarus, à ce qu'on m'a dict : « la royne et emperiere du monde k. Celuy qu'on rencontra battant son père, rcspondit que c'estoit la coustume de sa maison ; que son père avoit ainsi battu son ayeul ; son ayeul, son bisayeul ; et, montrant son fils, cettuy-ci me battra quand il sera venu au terme de l'aage ie suis : et le père, que son fils tirassoit et sabouloit emmy la rue, luy commanda de s'arrester à certains huis, car luy n'avoit traisné son père que iusque là; que c'estoit la borne des iniu- rieux traictements héréditaires, que les enfants avoient en usage de faire aux pères, en leur famille... Les loix de la conscience, que nous disons naistre de nature, naissent de la coustume. » Cf. le cha- pitre où Charron avait repris et développé ces vues de Montaigne : (^Sagpssej II, viii.) Voltaire, dans ses Remarques de 1778, note que Pascal devance ici la doctrine empiriste, et il écrit : « Cette idée a été adojjtée par Locke. »

SECTION II. 21

relie? J'ai grand'peur que cette nature ne soit elle- même qu'une première coutume, comme la coutume est une seconde nature ^ .

^7] 94

La nature de l'homme est tout nature, omne ani- mal-.

Il n'y a rien qu'on ne rende naturel ; il n'y a na- turel qu'on ne fasse perdre.

Première Copie 870] 94 bis

L'homme est proprement omne animal.

*44i] 95

^La mémoire, la joie sont des sentiments ; et

1. En retournant la formule d'Aristote, Pascal s'est trouvé donner la formule la plus claire et la plus profonde de la doctrine évolution- niste à laquelle Lamarck devait donner droit de cité dans la science, près de cent cinquante ans après Pascal.

94 Cf. B., 36o; C, 817; Faug., II, i3i ; Hav., XXV, 83; Mol., I, 68 ; MicB., 119.

2. L'expression omne animal (signifiant d'ailleurs toute espèce d'animal et non pas comme l'entend Pascal ici, entièrement animal) se retrouve deux fois dans la Vulgate. Gen., VII, i^: Ipsi el omne animal secundum genus smim; Ecclésiastique: XIII, ig : Omne animal diligit simile sibi ; sic et omnis homo proximum sibi. C'est sans doute d'un rapprochement entre l'homme et l'animal que Pascal se souvient en rappelant l'expression latine.

94 bis Cf. C, 327; Faug., II, i3i note; ^Iigh., gig.

95 Cf. B., 366; C, 323; Faug., I, 2i3; Hav., VIII, 7; Mol., Il, i/ja ; MicH., 769.

3. Les Copies donnent le titre: Sentiment.

22 PENSEES.

même les propositions géométriques deviennent sentiments, car la raison rend les sentiments naturels et les sentiments naturels s'eflacent par la raison \

*20l] 96

Lorsqu'on est accoutumé à se servir de mauvaises raisons pour prouver des effets delà nature, on ne veut plus recevoir les bonnes lorsqu'elles sont décou- vertes. L'exemple qu'on en donna fut la circulation du sang, pour rendre raison pourquoi la veine enfle au-dessous de la ligature ^

3] 97

La chose la plus importante à toute la vie, est le

1. Cette réflexion ne s'entend que si l'on se souvient du sens très spécial que Pascal donnait aux expressions qu'il emploie ici. La rai- son, c'est la culture de l'intelligence, ce qu'il appelle ailleurs Vins- truetion (fr. 72) ; le sentiment, c'est ce qui nous paraît être l'objet d'une intuition immédiate (fr. 282). Or tout ce qui nous fait plaisir, tout ce qui nous revient dans la mémoire, jusqu'aux propositions géo- métriques, tout cela nous croyons le sentir immédiatement, et nous le regardons comme fondé en nature ; mais, comme cela est évident pour les propositions géométriques, ce prétendu sentiment naturel a une origine rationnelle et artificielle ; inversement, la raison peut faire disparaître les sentiments naturels.

96

Cf. B.,390; C, 357; Faug,, I, 2o3; Hav., XXV, 121; Mol., 11, i/i3 ; Mien., 43^1.

2. C'est probablement l'horreur du vide qui est ici la mauvaise raison à laquelle pense Pascal. Harvey nous apprend en effet qu'on lui opposait, pour expliquer l'afflux de sang au-dessous de la ligature, l'horreur du vide, concurremment avec la douleur et la chaleur (Ûe rnolu cordis et sanguinis in animalibus, Cap. xi).

97 Cf. B., 3Gi ; C, 3i8; P. R., XXIV, 8; Dos., I, vi, /( ; Faug., II, 5G Hat., III, 4; Mol., I, 118; Micu., i5.

SECTION II. 23

choix du métier: le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, soldats, couvreurs '. C'est un excel- lent couvreur, dit-on ; et, en parlant des soldats : Ils sont bien fous, dit-on : et les autres au con- traire. Il n'y a rien de grand que la guerre ; le reste des hommes sont des coquins". A force d'ouïr louer en l'enfance ces métiers, et mépriser tous les autres, on choisit^; car naturellement on aime la vérité, et on hait la folie : ces mots nous émeuvent ' : on ne pèche qu'en l'apphcation". Tant est grande la force de la coutume, que de ceux que la nature n'a faits qu'hommes, on fait toutes les conditions des hommes® ; car des pays sont tous de maçons, d'autres tous de soldats, etc. Sans doute que la nature n'est pas si uniforme. C'est la coutume qui fait donc cela, car elle contraint la nature ; et quelquefois ^ la nature la surmonte, et relient l'homme dans son instinct, malgré toute coutume, bonne ou mau- vaise.

I. [Et tant est grande la force de la coutume que.]

3. Au xv!** siècle, coquin a le sens de gueux : « Je pensais lors estre le plus grand seigneur de la troupe, et à la fin je me trouvai le plus coquin. » Montluc, Mém.j t. I, p. 48. « Coquin, c'est un men- diant volontaire, qui haleine ordinairement les cuisines que les latins appellent coquinas. Pasquier, Rech., VIII, p. 718, apud Llttré. C'est le sens Pascal l'emploie lui-même : « Grâce pour les grands, grâce pour les coquins. » (fr. 925.)

3. On choisit, en surcharge.

4. Ces mots nous émeuvent, en surcharge.

5. Cf. fr. 38o : «Toutes les bonnes maximes sont dans le monde; on ne manque qu'à les appliquer. »

6. [Néanmoins il faut pour réussir que la nature et la coutume.]

7. [Elle ne peut néanmoins point faire [pas faire.]

24 PENSEES.

6i] g8

La prévention induisant en erreur. C'est une chose déplorable de voir tous les hommes ne ' déli- bérer que des moyens, et point de la fin. Chacun songe comme il s'acquittera de sa condition ; mais pour le choix de la condition, et de la patrie, le sort nous le donne.

C'est une chose pitoyable, de voir tant de Turcs, d'hérétiques, d'infidèles, suivre le train de leurs pères, par cette seule raison qu'ils ont été prévenus chacun que c'est le meilleur ; et c'est ce qui déter- mine chacun à chaque condition, de serrurier, soldat, etc.

C'est par que les sauvages n'ont que faire de la Provence ^ .

i^i] 99

Il y a une différence universelle et essentielle entre les actions de la volonté et^ toutes les autres.

98

Cf. B., 89; C, ii5; Faug., II, 55; Hat., XXV, 80; Mol., I, 85; Mien., i64.

I. [Point.]

3. Celte dernière phrase s'explique comme un souvenir de Mon- taigne : « C'est par l'entremise de la coustume que cliascun est con- tent du lieu nature l'a planté ; et les sauvages d'Escosse n'ont que faire de la Touraine, ny les Scythes, de la Thessalie. » (I, 22.)

99

Cf. B., 332 ;C., 283; P. R.,ult., XXV, 10; Bos.,I, vi, i3; Faug.,I, 223; Hav., III, 10; Mot., II, iSg note et I, 196; Mich., S/jS.

3. [Celles.]

SECTION II. 23

La volonté ' est un des principaux organes de la créance ; non qu'elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses, selon la face par on les regairde. La volonté qui se plaît à l'une plus qu'à l'autre % détourne l'esprit de considérer les qualités de celles qu'elle n'aime pas à voir; et ainsi l'esprit, marchant d'une pièce avec la volonté^, s'arrête à regarder la face qu'elle aime : et ainsi il en juge par ce qu'il y voit \

Manuscrit petit in-S" de Sainte- Beuve] loo

^Amour-propre . La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est de n'aimer que soi et de ne considérer que soi^ Mais que fera-t-il ? il ne saurait

1. [Aide.]

3. [Empêche.]

3. Expression de Montaigne : « le fois coustumierement entier ce que ie fois, et marche tout d'une pièce. » (III, ii.)

4- La volonté s'oppose à l'esprit, c'est-à-dire à l'intelligence propre- ment dite ; le sens Pascal prend ce mot est assez différent de l'usage ordinaire, comme de l'usage de Descartes qui attribuait le jugement à la volonté. La volonté n'est pas une faculté abstraite de choix ; elle est déterminée par son contenu, elle est un intérêt pra- tique, un désir. Or l'intérêt et le désir ne se prononcent pas directe- ment sur la question de vérité ; mais ils décident de la direction de l'attention qui, à son tour, entraîne le jugement.

lOO

Cf. Bos., I, V, 8; Faug., II, 50; Hav., II, 8; Mol., I, 129; Mien., 975.

5. Faugère a eu communication du manuscrit petit in-8^. Sainte- Beuve possédait également une copie de ce morceau dans le manus- crit de l'Histoire littéraire de Port-Royal, qui est aujourd'hui à la Bibliothèque de l'Histoire du protestantisme. Dom Clémencet en fait, comme le P. Desmolets (Introd. p. xx), un ouvrage séparé de Pascal : Réflexions sur l'amour-propre et ses effets.

6. Ce fragment appelle naturellement la comparaison avec le célèbre développement de La Rochefoucauld : « L'amour-propre est l'amour

26 PENSÉES.

empêcher que cet objet qu'il aime ne soit plein de défauts et de misères : il veut être grand, et il se voit petit ; il veut être heureux, et il se voit misérable ; il veut être parfait, et il se voit plein d'imperfections ; il veut être l'objet de l'amour et de l'estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. 'Cet embarras il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus crimi- nelle passion qu'il soit possible de s'imaginer ; car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts". Il dési- rerait de l'anéantir, et, ne pouvant la détruire en

de soi-même et de toutes choses pour soi... Il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs pour en tirer ce qui lui est propre. » (Maximes, 583.)

1. Cf. le traité de Nicole de la Connaissance de soi-même le sou- venir de Pascal est perpétuellement présent, en particulier le cha- pitre II de la première partie: « Comment les hommes allient l'inclina- tion qu'ils ont à se regarder en tout avec celle qu'ils ont à éviter la vue d'eux-mêmes. »

2. Comparer les trois sermons que Bossuet a écrits pour le Dimanche de la Passion, les deux premiers sur ce texte de saint Jean : « Si je vous dis la vérité, pourquoi refusez-vous de me croire ? » le troisième sur ce texte : « Le monde ne peut pas vous hair ; et il me hait parce que je rends témoignaj^e de lui, que ses œuvres sont mauvaises. » (S< Jean, VII, ■y.) Ce dernier sermon. Sur la haine des hommes pour la vérité, commence ainsi : « Les hommes, presque toujours injustes, le sont en ceci principalement que la vérité leur est odieuse, et qu!ils ne peuvent souffrir ses lumières. Ce n'est pas qu'ils ne pensent tous avoir de l'amour pour elle... mais lorsque ce même éclat, qui ravit nos yeux, met au jour nos imperfections et nos défauts, et que la vérité, non contente de nous montrer ce qu'elle est, vient à nous manifester ce que nous sommes; alors, comme si elle avait perdu toute sa beauté en nous découvrant notre laideur, nous commençons à la hair, et ce beau miroir nous déplaît à cause qu'il est trop Hdcle. »

SECTION II. -27

elle-même, il la détruit, autant qu'il peut, dans sa connaissance et dans celle des autres ; cest-à-dire qu'il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et qu'il ne peut souffrir qu'on les lui fasse voir, ni qu'on les voie.

C'est sans doute un mal que d'être plein de dé- fauts ; mais c'est encore un plus grand mal que d'en être plein et de ne les vouloir pas reconnaître, puis- que c'est y ajouter encore celui d'une illusion volon- taire. Nous ne voulons pas que les autres nous trom- pent ; nous ne trouvons pas juste qu'ils veuillent être estimés de nous plus qu'ils ne méritent : il n'est donc pas juste aussi que nous les trompions et que nous voulions qu'ils nous estiment plus que nous ne méritons.

Ainsi, lorsqu'ils ne découvrent que des imperfec- tions et des vices que nous avons en effet, il est visible qu'ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause ; et qu ils nous font un bien, puisqu'ils nous aident à nous délivrer d'un mal, qui est l'ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas être fâchés qu'ils les connaissent, et qu'ils nous méprisent : étant juste et qu'ils nous connaissent pour ce que nous sommes, et qu'ils nous méprisent, si nous sommes méprisables.

Voilà les sentiments qui naîtraient d'un cœur qui serait plein d'équité et de justice. Que devons-nous donc dire' du nôtre, en y voyant une disposition

I. Donc dire est la leçon de dom Glémencet ; Faujjère donne dire donc.

28 PENSÉES.

toute contraire ? car n'est-il pas vrai que nous haïs- sons la vérité et ceux qui nous la disent', et que nous aimons qu'ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d'eux autres que nous ne sommes en effet ?

En voici une preuve qui me fait horreur. La reli- gion catholique n'oblige pas à découvrir ses péchés indifféremment à tout le monde : elle souffre qu'on demeure caché à tous les autres hommes ; mais elle en excepte un seul, à qui elle commande de découvrir le fond de son cœur, etde se faire voir tel qu'on est". Il n'y a que ce seul homme au monde qu'elle nous ^ ordonne de désabuser, et elle l'oblige à un secret inviolable, qui fait que celte connaissance est dans lui comme si elle n'y était pas. Peut-on s'imaginer

1. Cf. Nicole: « Le principe génénil de l'amour-propre, c'est qu'on ne peut rien condamner en nous par un mouvement d'équité et de justice. Ainsi, dès lorsque quelqu'un fait voir qu'il ne nous approuve pas en tout, on lui attache l'idée de prévention, de jalousie, ou quelque autre encore moins favorable » (ibid., i''^ part., ch. v).

2. Bossuet : « Quelque front qu'aient les pécheurs, le péché est tou- jours timide et honteux. C'est pourquoi qui médite un crime, médite pour l'ordinaire une excuse : c'est surprise, c'est frag-Ulté, c'est une rencontre imprévue ; il se cache ainsi à lui-même plus de la moitié de son crime. Dieu lui suscite un censeur charitable, qui, perçant toutes ses défenses, lui fait sentir que c'est par sa faute, et lui ôtant tous les

vains prétextes, ne lui laisse que son péché avec sa honte Si la

vérité se rend odieuse, c'est principalement dans la fonction dont je parle. Les pécheurs, toujours superbes, ne peuvent endurer qu'on les reprenne, quelque véritables que soient les reproches, ils ne man- quent point d'artifices pour les éluder; et après ils se tourneront contre vous : c'est pourquoi le g^rand saint Grégoire les comparait à des hérissons. » Ibid.

3. Dom Clémencet donne oblUje qui semble une erreur de copie, amenée par le verbe suivant.

SECTION II. 29

rien de plus charitable et de plus doux ? Et néan- moins la corruption de l'homme est telle qu'il trouve encore de la dureté dans cette loi ; et c'est une des principales raisons qui a fait révolter contre l'Eglise une grande partie de l'Europe.

Que le cœur de l'homme est injuste et déraison- nable, pour trouver mauvais qu'on l'oblige de faire à l'égard d'un homme ce qu'il serait juste, en quel- que sorte, qu'il fît' à l'égard de tous les hommes ! Car est-il juste que nous les trompions?

11 y a différents degrés dans cette aversion pour la vérité ; mais on peut dire qu'elle est dans tous en quelque degré, parce qu'elle est inséparable de l'amour-propre. C'est cette mauvaise délicatesse^ qui oblige ceux qui sont dans la nécessité de reprendre les autres, de choisir tant de détours et de tempéra- ments pour éviter de les choquer. Il faut qu'ils dimi- nuent nos défauts, qu'ils fassent semblant de les excuser, qu'ils y mêlent des louanges et des témoi- gnages d'affection et d'estime. Avec tout cela, cette médecine ne laisse pas d'être amère à l'amour- propre. Il en prend le moins qu'il peut, et toujours

1. Dom Glémencel supprime qu'il fît.

2. Le mot est expliqué par Nicole dans le Traité de la connaissance de soi-même, 3<^ part., chap. xi. Défauts qu'il faut éviter pour donner la liberté aux autres de nous dire leurs sentiments : « Il ne faut que deux ou trois rencontres de cette nature pour s'attirer la réputation de déli- catesse, et pour passer dans l'esprit de ceux qui nous connaissent, pour gens qui n'aiment pas qu'on leur parle librement. Or, dès que cette impression est formée, c'est une barrière invincible contre la vérité. Chacun a ses prétextes pour s'exempter de le dire à des gens si déli- cats. » Cf. Du moyen de conserver la paix avec les hommes, 2^ part., ch. I.

30 PENSÉES.

avec dégOLit, et souvent même avec un secret dépit contre ceux qui la lui présentent.

Il arrive de que, si on a quelque intérêt d'être aimé de nous, on s'éloigne de nous rendre un office qu'on sait nous être désagréable ; on nous traite comme nous voulons être traités : nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe.

C'est ce qui fait que chaque degré de bonne for- tune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parce qu'on appréhende plus de blesser ceux dont l'aflection est plus utile et l'aversion plus dangereuse. Un prince sera la fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien^ Je ne m'en étonne pas : dire la vérité est utile h celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu ils servent ; et ainsi, ils n'ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.

Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordi- naire dans les plus grandes fortunes ; mais les moindres n'en sont pas exemptes, parce qu'il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes.

I. « C'est avec raison, dit Nicole, que l'on plaint les grands et les princes de ce que leur grandeur fait que la vérité n'ose appi'ocher d'eux, et qu'ils passent ainsi toute leur vie dans l'illusion. Mais cer- tainement on n'a guère moins sujet de plaindre sur ce point la plupart de ceux qui sont en quelque considération dans le monde. Car s'ils ne sont princes par naissance, ils se font princes par humeur» (Jbid., ch. \i).

SECTION II. 31

Ainsi la vie humaine n'est qu'une illusion perpé- tuelle ; on ne fait que s'entre-tromper et s'entre- flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L'union qui est entre les hommes n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie : et peu d'amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion. L'homme n'est donc que déguisement, que men- songe et hypocrisie, et en soi-même et à l'égard des autres \ Il ne veut pas qu'on lui dise la vérité, il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et delà raison, ont une racine naturelle dans son cœur.

io3] 101

Je mets en fait que, si" tous les hommes savaient ce qu'ils disent^ les uns des autres, il n'y aurait pas quatre amis dans le monde ; cela paraît par les querelles que causent les rapports indiscrets qu'on en fait quelquefois* [Je dis bien plus, tous les hommes seraient...]

1 . « Nous sommes si accoutumés à nous dé|yuiser aux autres, qu'enfin nous nous dég^uisons ù nous-mêmes. » (La Rochefoucauld, Maximes, 119)

lOI

Cf. B., /109; C, 385; Bos., I, ix, Go; Falg., I, 210; Hat., VI, 67 ; Mol., I, 123; Micu., 2G8.

2. [On avait dit.]

3. [L'un de Vautre.]

4. Le dénoûment du Misanthrope est comme la traduction scénique de cette observation.

32 PENSÉES.

137] 102

Il y a des vices qui ne tiennent à nous que par d'autres, et qui, en ôtant le tronc, s'emportent comme des branches.

227] 103

L'exemple de la chasteté d'Alexandre n'a pas tant fait de continents que celui de son ivrognerie a fait d'intempérants'. Il n'est pas honteux de n'être pas aussi vertueux que lui, et il semble excusable de n'être pas plus vicieux que lui. On" croit n'être pas tout à fait dans^ les vices du commun des hommes, quand on se voit dans les vices de ces grands hommes ; et cependant on ne prend pas garde qu'ils sont en cela du commun des hommes. On tient à eux par le bout par ils tiennent au peuple '" ; car

Cf. B., 33i; C, 280; P. R., XXIX, 10; Bos., I, ix, i/,; Faug., I, 209 ; Hat., VI, 11; Mol., I, ii(5; Micii., 3^3,

103

Cf. B., Aoi ; C, 375; P. R,, XXIX, 28; Bos., I, ix, 33; Faug,, I, 211; Hav., VI, 3o; Mol., I, 112; Mien., /|8i.

1. Pascal oppo.se la délicatesse avec laquelle Alexandre traita la femme et les Ijlles de Darius, et les accès de fureur causés chez lui par l'ivresse, qui l'entraînètent à tuer Clitus et furent sans doute la cause de sa mort. Cf. les allusions de Montaig^ne : II, 19, et II, i.

2. [Fait.]

3. [Ceux] des hommes, quand on [se voit assisté dans ses vices par] ces grands hommes.

4- Au peuple, c'est-à-dire au commun des hommes. La Bruyère a reproduit cette réflexion, en l'appliquant non plus aux grands hommes, mais aux grands de la cour, par opposition aux gens sans naissance. « Le fond, encore une fois, dit-il en parlant de la cour, y est le même que dans les conditions les plus ravalées ; tout le bas, tout le faible et

SECTION II. 33

quelque élevés qu'ils soient, si sont-ils unis aux moindres des hommes par quelque endroit. Ils ne sont pas suspendus en l'air, tout abstraits* de notre société. Non, non ; s'ils sont plus grands que nous, c'est qu'ils ont la tête plus " élevée ; mais ils ont les pieds aussi bas que les nôtres. Ils y sont tous à même niveau, et s'appuient sur la même terre ; et par cette extrémité ils sont aussi abaissés que nous, que les plus petits*, que les enfants, que les bêtes.

io3] 104

Quand notre passion nous porte à faire quelque chose, nous oublions notre devoir : comme on aime un livre, on le lit, lorsqu'on devrait faire autre chose. Mais, pour s'en souvenir, il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait ; et lors on s'excuse sur ce

tout l'indigne s'y trouvent. Ces hommes si grands ou par leur nais- sance, ou par leur faveur, ou par leurs dignités, ces têtes si fortes et si habiles, ces femmes si polies et si spirituelles, tous méprisent le peuple, et ils sont peuple. » Et il ajoute, en montrant lui-même les deux sens le mot peuple peut être pris : (c Qui dit le peuple dit plus d'une chose : c'est une vaste expression, et l'on s'étonnerait de voir ce qu'elle embrasse, et jusques elle s'étend. Il y a le peuple qui est opposé aux grands : c'est la populace et la multitude ; il y a le peuple qui est opposé aux sages, aux habiles et aux vertueux : ce sont les grands comme les petits. » (Des Grands.^

1. Littré rapproche de cette expression un passage de La Mothe- Le Vayer : « Les choses immortelles, universelles, abstraites de la matière. » La Bruyère emploie le mot d'une façon absolue dans le portrait de Théocrine : « II est abstrait, dédaigneux, et il semble tou- jours rire en lui-même de ceux qu'il croit ne le valoir pas » ÇDes ouvrages de l'esprit, 25).

2. [Haute.]

3. [Du peupie.]

104 Cf. Faug., I, 177; Hav., XXV, I ; Mol., I, ^6 ; Mich., 3C6.

PENSÉES. II 3

34 PENSÉES.

qu'on a autre chose à faire, et on se souvient de son devoir par ce moyen.

i34] Ï05

Qu'il est difficile de proposer une chose au juge- ment d'un autre, sans corrompre son jugement par la manière de la lui proposer 1 Si on dit : Je le trouve beau ; je le trouve obscur, ou autre chose semblable, on entraîne l'imagination à ce jugement, ou on l'irrite au contraire ' . Il vaut mieux ne rien dire ; et alors il juge selon ce qu'il est, c'est-à-dire selon ce qu'il est alors, et selon que les autres circon- stances dont on n'est pas auteur y auront mis. Mais au moins on n'y aura' rien mis; si ce n'est que ce silence n'y fasse aussi son effet, selon le tour et l'm- terprétation qu'il sera en humeur de lui donner, ou selon qu'il le conjecturera des mouvements et air du visage, ou du ton de la voix, selon qu'il sera physio- nomiste : tant il est difficile de ne point démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt, tant il en a peu de ferme et stable !

38i] 106

En sachant la passion dominante de chacun, on

105

Cf. B., 3.9; C.,270; p. R., XXIX, 39; Bos.,1, IX, 42; Faug., II, 54 Hav., VI, 39; Mol., 1, 39; MicH., 340.

1. Cf. fr. 57.

2. [Peut-être.]

106 Cf. B.,419; C, 393; P. R., XXXI, 21; Bos., I, X, i/,; Faug., I, 25i Hav'., VII, l4; Mol., I, UG ] MiCH., 610.

SECTION II.

3S

est sûr de lui plaire ; et néanmoins chacun a ses fantaisies, contraires à son propre bien, dans l'idée même qu'il a du bien ; et c'est une bizarrerie qui met hors de gamme*.

127] 107

Lustravit lampade terras'. Le temps et mon humeur' ont peu de liaison : j'ai mes brouillards et mon beau temps au dedans de moi^ ; le bien, et le mal de mes affaires même, y fait peu. Je m'efforce quelquefois de moi-même contre la fortune ; la gloire de la dompter me la fait dompter gaîment : au lieu

1. Cf. Montaigne : « Et est impossible de voir deux opinions sem- blables exactement, non seulement en divers hommes, mais en mesme homme à diverses heures. « (III, i3.) «Le caprice de notre humeur, a dit La Rochefoucauld, est encore plus bizarre que celui de la for- tune. » Çilax., 45.)

107

Cf. B., 335; C, 286; P. R., dl., XXXI, 20; Bos., I, ix, 5o Faug I 200; Hav., VI, 47; Mol., I, Sg ; Micb., 324. ' '

2. Mont., II, I : « Et se meuvent nos humeurs avecques les mou- vements du temps :

Taies sunt hominum mentes, quali pater ipse luppiter auctiferas lustravit lumine terras. »

Et ApoL: a L'air mesme et la sérénité du ciel nous apporte quelque mutation, comme dict ce vers grec, en Cicero

Taies sunt hominum mentes quali pater ipse. luppiter auctiferas lustravit lampade terras. »

Les vers grecs appartiennent à l'Odyssée d'Homère (xviii, i35). Charron les cite également (De la Sagesse, liv. I, ch. xiv, § 11).

3. [iV'ont rien de.]

4- « La mutation d'air et de climat ne me touche point ; tout ciel m'est un ; le me suis battu que des altérations internes que ie produis en moy. » (Mont., III, ix.)

36 PENSÉES.

que je fais quelquefois le ' dégoûté dans la bonne fortune.

io8

Quoique les personnes n'aient point d'intérêt à ce qu'elles disent, il ne faut pas conclure de absolu- ment qu'ils ne mentent point ; car il y a des gens qui mentent simplement pour mentir.

Quand on se porte bien, on admire comment on pourrait faire si on était malade ; quand on l'est, on prend médecine gaîment : le mal y résout ; on n'a plus les passions et les désirs de divertissements et de promenades, que la santé donnait, et qui sont incompatibles avec les nécessités de la maladie ; la nature donne alors des passions et des désirs con- formes à l'état présent ^ Il n'y a que les craintes, que

1. [Difficile.]

108

Cf. B., 390; C, 359; P. R., XXIX, 27; Bos.,I, «, 32; Faug., T, 196; Hat., VI, 29; Mol., I, n8; Mich., 44o.

log

Cf. B., 365; C, 32i ; P. R., XXIX, i5; Bos., 1, ix, 19 et I, vu, 5 ; Faug., I, 19^1 et II, 43; Hav., VI, i6et IV, 6; Mol., I, m et J, 112; Mich., 754 et 765.

2. Ces réflexions sur les maladies paraîtraient au premier abord empruntées à l'expérience personnelle de Pascal ; pourtant c'est à Montaigne, plus encore qu'à lui-même, que Pascal songeait en les écrivant: « Plusieurs choses nous semblent plus grandes par imagi- nation que par effet : i'ay passé une bonne partie de mon asge en une parfaicte et entière santé... cet estât... me faisoit trouver si horrible la considération des maladies, que quand ie suis venu à les expéri- menter, i'ay trouvé leurs poinctures molles et lasches au prix de ma

SECTION II. 37

nous nous donnons nous-mêmes, et non pas la nature, qui nous troublent', parce qu'elles joignent à l'état 011 nous sommes les passions de l'état nous ne sommes pas.

La nature nous rendant toujours malheureux en tous états, nos désirs nous figurent un état heureux, parce qu'ils joignent à l'état nous sommes les plaisirs de l'état nous ne sommes pas ; et, quand nous arriverions à ces plaisirs, nous ne serions pas heureux pour cela, parce que nous aurions d'autres désirs conformes à ce nouvel état".

crainte... Lors de ma santt^ je plaignois les malades beaucoup plus que ie ne me trouve à plaindre, quand l'en suis. » (II, 6.) Ailleurs : « le les avois conceues, par imagination, si insupportables, qu'à la vérité, ie n'avois plus de peur, queienV av treuvé de mal. » (II, 3~.) Et encore : « l'ai treuvé que sain i'avois eu les maladies beaucoup plus eu horreur que lors que ie les ay senties. L'alaigresse ie suis, le plaisir et la force, me font paroistre l'aultre état si disproportionné à celuy là, que par imagination ie grossis ces incommoditez de la moitié, et les conceoy plus poisantes que ie ne les treuvé quand ie les ay sur les espaules. » (I, xix.) La Bruyère a généralisé cette ré- flexion : « Il y a des maux effroyables et d'horribles malheurs l'on n'ose penser, et dont la seule vue fait frémir. S'il arrive que l'on y tombe, l'on se trouve des ressources que l'on ne se connaissait point, l'on se roidlt contre son infortune, et l'on fait mieux qu'on ne l'espé- rait. » (La Bruyère, De l'Homme.)

1. Le Manuel d'Eplctète contient cette maxime célèbre : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu'ils ont sur les choses. » (V.)

2. Malgré l'autorité des éditeurs qui depuis Bossut. ont divisé ce fragment en deux pensées, il nous semble que cette seconde remarque est à la fois l'inverse et le complément de la remarque précédente. Quand nous sommes heureux, nous ne savons comment nous suppor- terions le malheur ; quand nous sommes malheureux, nous croyons que nous serions heureux par le plaisir. Deux illusions nées de la même cause: nous projetons nos désirs actuels dans un état futur, qui exclut ces désirs. Cf. le développement de Nicole, Pensées diverses, WWU ; Ce qui nous trompe en comparant les avantages des conditions. La Roche-

38 PENSÉES.

Il faut particulariser cette proposition générale...

69] IIO

Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents, et l'ignorance de la vanité des plaisirs absents causent l'inconstance.

65] III

Inconstance. On croit toucher des orgues ordi- naires, en touchant l'homme'. Ce sont des orgues à la vérité, mais bizarres, changeantes, variables [dont les tuyaux ne se suivent pas par degrés con- joints. Ceux qui ne savent toucher que les ordinaires] ne feraient pas d'accords sur celles-là. Il faut savoir sont les [marches]^.

foucauld rencdiitre à peu près la conclusion de Pascal dans cette maxime : « On n'est jamais ni si lieureux ni si malheureux qu'on s'imagine. » (il/ax. ^9.)

IIO

Cf. B., 31 ; C, 40; P. R., XXXI, 16; Bos., I, ix, 48; Faug., 1, 191 ; Hav., VI, 45; Mol., 1, 47; Mich., 196.

Cf. B., i5; C, 33; Fadg., I, 191 ; Hav., XXV, 118; Mol., 1,38; Micu., i85.

1. La métaphore est de Montaigne, dans VEssal intitulé de V In- constance de nos actions (II, i) : « ...Gomme il se veoid du jeune Ca- ton : qui en a touché une marche, a tout touché ; c'est une harmonie de sons tres-accordants, qui ne se peult desmentir. » Marche signifie exactement touche du clavier des orgues.

2. Marches, qui est le mot de Montaigne (ou loiicltes que propose M. Michaut dans le même sens), nous semble nécessaire pour com- pléter l'idée de Pascal : dans un orgue les tuyaux se suivent dans un ordre régulier, de telle sorte que nous savons exactement la note qui correspond h une touche déterminée. Quand nous touchons le

SECTION II. 39

67] 112

Inconstance. Les choses ont diverses qualités, et l'âme diverses inclinations \ car rien n'est simple de ce qui s'offre à l'âme, et l'âme ne s'offre jamais simple à aucun sujet ; de vient qu'on pleure et qu'on rit d'une même chose '\

79] "3

^Inconstance et bizarrerie. Ne vivre que de son travail, et * régner sur le plus puissant Etat du monde, sont choses très opposées ; elles sont unies dans la personne du Grand Seigneur des Turcs ^

cœur humain, il n'en est plus de même ; il n'y a pas de loi régulière, et n'importe quelle note peut nous répondre selon le moment et les circonstances.

112

Cf. B., i5; C, 33; P. R., XXIX, 35; Bos., I, u, Sg; Faug., I, 191 ; Hav., VI, 36; Mol., I, 131; Mich., 191.

I. « Certes, c'est un subiect merveilleusement vain, divers et ondoyant, que l'homme. » (Mont., I, i.)

a. Souvenir de V Essai de Montaigne qui a pour titre : Comme nous pleurons et rions d'une mesme chose : « Nous avons poursuyvi avecques résolue volonté la vengeance d'une iniure, et ressenti un singulier con- tentement de la victoire ; nous en pleurons pourtant. Ce n'est pas de cela que nous pleurons ; il n'y a rien de changé : mais nostre ame regarde la chose d'un aultre œil, et se le représente par un aultre visage ; car chaque chose a plusieurs biais et plusieurs lustres. » (I, 87. Charron avait déjà imité ce passage dans un chapitre de la Sagesse intitulé Inconstance (I, 38).

113

Cf. B., 5; C, 17; F.4UG., II, 335; Hav., XXV, 102; Mol., I, laS ; Mich., 235.

3. [Gagner sa vie et.]

4. [Être.]

5. Suivant une tradition dont on retrouve la trace dans VÉmile,

40 PENSÉES.

iio] 114

La diversité est si ample que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, éternuers... On distingue des fruits les raisins, et, entre eux tous, les muscats' et puis Condrieu", et puis Desargues ^ et puis cette ente. Est-ce tout.»^ en a-t-elle jamais pro- duit deux grappes pareilles ? et une grappe a-t-elle deux grains pareils .►^ etc. *.

vers la fin du livre III. M. Havet a sig^nalé un passage de Guillaume Postel qui dès i56o met en garde contre cette légende : « Et n'est pas ainsi que disent quelques-uns, qu'il laboure, puis envoie une poire ou autre fruit à un beschia, et lui donne mille écus. » (De la Répu- blique des Turcs, 5^ partie.) L'exemple choisi donnerait à supposer que la légende est née d'une confusion avec la cérémonie chinoise, l'empereur laboure la terre une fois par an.

114

Cf. B., 536; C, 287; Faug., I, 189 et I, 257; Hat., XXV, 63; Mol., I, 47 ; MicH., 290.

1. Je conserve avec Faugère la lecture de la Copie. Molinier et Mlchaut lisent on les appelle que je ne retrouve pas dans le manuscrit.

2. On connaît l'effet du « cartaut.de muscat » dans les Plaideurs (Act II, se. xi); m. Michaut cite ces vers de Grasset (La Chartreuse') :

Et donnerait, je le parie L'histoire, les héros, les dieux Et toute la mythologie Pour un quartaut de Condrieux.

3. Desargues, qui était Lyonnais, avait sa maison de campagne à Condrieu.

4. Mont., II, xxxviij sub fine : « Et ne feut iamais au monde deux opinions pareilles, non plus que deux poils, ou deux grains : leur plus universelle qualité, c'est la diversité et III, xm : « Il n'est aulcune qualité si universelle, en cette image des choses que la diversité et la variété. » Cette pensée contient déjà en germe la théorie leibni- zienne des indiscernables : il n'y a pas deux choses dans la nature qui soient identiques. Leibniz raconte lui-même qu'un jour, se trou- vant dans les jardins de la duchesse Sophie, il mit l'assistance au défi de lui montrer deux feuilles qui n'eussent entre elles quelque différence.

SECTION II. il

Je ne saurais juger d'une même chose exacte- ment de même ; je ne puis juger de mon ouvrage en le faisant ; il faut que je fasse comme les peintres, et que je m'en éloigne ; mais non pas trop. De com- bien donc? devinez.

73] "5

Diversité. La théologie est une science, mais en même temps combien est-ce de sciences ! Un homme est un suppôt' : mais si on l'anatomise, sera-ce la tète, le^ cœur, l'estomac, les veines, chaque veine, chaque portion de veine, le sang, chaque humeur du sang?

Une ville, une campagne de loin est une ville et une campagne ; mais, à mesure qu'on s'approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de four- mis, à l'infini: tout cela s'enveloppe sous le nom de campagne.

394] 116

Pensées. Tout est un, tout est divers. Que de natures en celle de l'homme ! que de vocations ! et

115

Cf. B., 19; C, 38; Faug,, I, 189; Hav., XXV, 63; Mol., I, ^8 ; Mien., 198.

1. Suppôt, c'est-à-dire unité substantielle. Cf. Deseartes : «Encore que l'Homme et Socrate ne soient pas deux divers suppôts. » Lettre du 21 avril i64i, traduite par Clerseiier. Leibniz emploie encore l'ex- pression : « L'âme et le corps composent un même suppôt, ou ce qu'on appelle une personne. » Théodicée, I, Sg.

3. [Bras.]

42 PENSÉES.

par quel hasard chacun prend d'ordinaire ce qu'il a ouï estimer! Talon bien tourné*.

8i] 117

Talon de soulier. Oh I que cela est bien tourné ! que voilà un habile ouvrier ! que ce soldat est hardi I Voilà la source de nos incHnations, et du choix des conditions. Que celui-là boit bien ! ^ que celui-là boit peu ! ; voilà ce qui fait les gens sobres et ivrognes, soldats, poltrons, etc.

423] „8

Talent principal, qui règle tous les autres.

ii6

Cf B., 48; C, 08; Faug., Il, 55; Hav., XXV, 8o bis: Mol., 1, 86 MicH., 624. '

I. Y aurait-il excès de subtilité à rappeler que cet exemple du talon de soulier ne serait pas pris absolument au hasard? Les Solitaires de Port-Royal s'astreig^nirent à des travaux manuels ; quelques-uns, M. de la Petitière par exemple, firent des souliers pour les religieuses. (Sainte-Beuve. Port-Royal, 5-= /-dit., tome II, p. 235.) « On sait, au reste, dit ailleurs Sainte-Beuve, la réponse du chanoine Boileau, digne frère du satirique, à un jésuite qui soutenait que Pascal lui-même avait fait des souliers : « Je ne sais pas s'il a fait des souliers, mais convenez, mon Révérend Père, qu'il vous a porté de fameuses bottes. » (Jbid., tome I, p. 5oo, note.)

117

Cf B.,9; c, 22; Faug,, II, 55; Hat., XXV, 80 1er- Mol., I, 86 ; MicH., 281. J J )

a. [Qu'iis.]

118

^^1^' ^^.'j,^' ^'"; ^^"'^' '' ^^'J; H*^-. XXV, 129; Mol., II, i36 MicH., 683.

SECTION II. 43

433] iig

La nature s'imite' : une graine, jetée en bonne ^ terre, produit; un principe, jeté^ dans un bon es- prit, produit : les nombres imitent l'espace, qui sont de nature si différente*.

Tout est fait" et conduit par un même maître : la racine, les branches, les fruits^; les principes, les conséquences".

iig

Cf. B., 378; C, 33C; Faug., I, 203; Hav., XXV, 65; Mol,, I, 127; MicH., 720.

I. « On comprendra mieux, écrit Ravaisson, l'intérêt que Pascal dut attacher à l'idée de l'imitation, si l'on se rappelle que sa théorie des sections coniques, ouvragée de sa jeunesse, admiré de Descartes et de Leibnitz, et dut se trouver déjà en germe toute sa manière de comprendre les mathématiques, paraît avoir été fondée sur cette con- ception, mise en avant par le profond g-éomètre Desargues, que les propriétés d'une figure compliquée peuvent être considérées comme des modifications et ressemblances d'une figure plus simple ; que, par exemple, la section conique qui est l'ellipse n'est qu'une perspective du cercle que le cône a pour base ; théorie d'après laquelle le secret des mathématiques serait, comme l'est celui de la nature, telle que l'ont con- çue Aristote, Goetlie, Geoffroy Saint-Hilaire, la métamorphose ; théorie d'universelle similitude, avant pour fond une idée d'identité radi- cale. y> (Philosophie de Pascal, Rev. des Deux Mondes i5 mars 1887.)

3. Bonne, en surcharge.

3. [Ea r] esprit.

4- Epigraphe de l'ouvrage de Cournot, De l'ori/jine et des limites de la correspondance entre l'algèbre et la géométrie. Cf. Conclusion, p. 397. « Les nombres et l'étendue figurée manifestent à leur manière les mêmes idées fondamentales dont le type est dans la théorie générale de l'ordre, ce qui nous met sur la vole du sens voilé, mais profond, de ce mot de Pascal: « La nature s'imite... » (Voir aussi Gouturat, de l'Infini mathématique, 1896, p. 176).

5. [Par.]

6. Cf. Montaigne : « L'humeur qui succela racine d'un arbre, elle se faict tronc, feuille et fruict. » (Apol.)

7. La source de cette pensée doit être cherchée dans le chapitre 67

44 PENSÉES.

l43] I20

[Nature diversifie et imite', artifice imite et diver- sifie ^]

423] 121

La nature recommence toujours les mêmes choses : les ans, les jours, les heures ; les espaces, de même, et les nombres sont bout à bout à la suite l'un de l'autre. Ainsi se fait une espèce d'infini et d'éter-

de la Théologie naturelle de Raymond Sebon : « Comparaison de l'homme avec les choses de la seconde marche... (comme arbres, plantes et herbes.) D'un bien petit grain qui est quasi tout par tout semblable à soy-mesme, au moins qui ne reçoit nulle différence remarquable ; nous voyons tant de diverses choses estre produites : les racines, le tronc, l'escorce, la moelle, les branches, les feuilles, les fleurs et les fruicts... Tout ainsi qu'entre nous celuy qui entreprend une besongne par ordre et par prudence, la conduit sans violence jusques au but et fin parfaite de son intention : ainsi les arbres à la mode d'un bon ouvrier produisent proportionnellement l'une chose après l'autre... » De Raymond Sebon conclut que tout est fait et conduit par un même maître : « Car veu que nous lisons en l'opération des arbres la conduite et le progrez tout pareil à celui que fait nostre intelligence, et qu'ils n'ont pas en eux un particulier entendement qui les guide : il faut sans doute que celuy-là et non autre dresse leurs opérations qui nous a donné l'entendement que nous auons. » (Ch. Sg.)

I20

Cf. B., 333; C, 28/1 ; Faug., I, 126; Mol., Il, i5i ; Mich., 35o.

1. [Hasard.]

2. M. Dimier a finement commenté cette opposition dans ses Prolé- gomènes à l'esthétique : « Dans la nature la variété fait le fond : ses symétries et ses ressemblances ne sont qu'une illusion jetée sur une diversité essentielle. Du pareil et du même, au contraire, variés seule- ment par des mélanges convenables, se constituent les ouvrages de l'art. » ÇRevue de Métaphysique et de Morale, 1900, p. ^^3).

Cf. B., 870; C, 327; Faug., T, 201; Hav., XXV, 9; Mol., I, 127; Mich., 6(jo.

SECTION II. d5

nel ; ce n'est pas qu'il y ait rien de tout cela qui soit infini et éternel ; mais ces êtres terminés se multi- plient infiniment'. Ainsi il n'y a, ce me semble, que le nombre qui les multiplie "^ qui soit infini.

38l] 122

Le temps guérit les douleurs et les querelles, parce qu'on change ' : on n'est plus la même per- sonne ; ni l'offensant, ni l'offensé, ne sont plus eux-mêmes. C'est comme un peuple qu'on a irrité, et qu'on reverrait après deux générations ; ce sont encore* les Français, mais non les mêmes.

437] 123

Il ° n'aime plus cette personne qu'il aimait il y a

1. Cf. la formule de Leibniz: « La considération de l'infini vient de celle de la similitude » (^Nouveaux essais, 1. II, ch. xvii,§ 2).

2. Qui les multiplie, en surcbarge.

Cf. B., 418; C, 398 ; P. R., XXIX, /,2 ; Bos., I, «, 45; Faug., I, 190; Hat., VI, 42; Mol., I, 122; Mich., 607.

3. L'expression se retrouve, comme l'a remarqué M. Gidel, au début de la Jeune Veuve :

Sur les ailes du Temps la tristesse s'envole Le Temps ramène les plaisirs. Entre la veuve d'une année Et la veuve d'une journée, La différence est grande. On ne croirait jamais Que ce fût la même personne.

La Fontaine (Fables, liv. VI, fab. xxi.)

4. [Des.]

123 Cf. B.,371; C, 828; Faug., I, 191; Hat., XXV, 67; Mol., I, 47; Mich., 699.

5. [Ne l'aime.]

46 PENSÉES.

dix ans. Je crois bien : elle n'est plus la même, ni lui non plus ; il était jeune et elle aussi ; elle est tout autre ^ Il l'aimerait peut-être encore, telle qu'elle était alors.

430] 124

Non seulement nous regardons les choses par d'autres côtés", mais avec d'autres yeux: nous n'avons garde de les trouver pareilles \

398] 125

Contrariétés. L'homme est naturellement* cré- dule, incrédule; timide, téméraire^

1. « Ce n'est pas merveille si le voylà devenu aultre, par aultres circonstances contraires » (Mont., II, i).

124

Cf. B., 371 ; C, 328; Faug., I, 190; Hav., XXV, /, ; Mol., I, 67 ;

MiCH., 681.

2. Mont., II, I : « le donne à mon ame tantost un visage, tantost un aultre selon le costé ie la couche. » Apol. : « Les subjects ont divers lustres et diverses considérations ; c'est de que s'engendre principalement la diversité d'opinions : une nation regarde un subiect par un visage, et s'arreste à celuy-là ; l'aultre par un aultre. »

3. Mont., III, II : « Il fault accommoder mon histoire à l'heure ; ie pourray tantost changer, non de fortune seulement, mais aussi d'intention. C'est un contre roole de divers et muables accidents, et d'imaginations irrésolues, et quand il y escliet, contraires ; soit que ie sois aultre moi mesme, soit que ie saisisse les subiects par aultres cir- constances et considérations. »

125 Cf. B., 4G; C, 67; Faug., II, 89; Hav., VIII, i5 et XXV, 116; Mol., I, 68 ; Mien., 621.

4. [Plein de.]

5. Au chapitre de la Présomption, Charron note v deux vices con- traires, qui sont ordinaires en la condition humaine, l'un et plus con-

SECTION II. 47

8i] 126

Description de l'homme : dépendance, désir d'in- dépendance, besoin.

79] "7

Condition de l'homme : inconstance', ennui, in- quiétude.

469] 128

L'ennui qu'on a de quitter les occupations 011 Ton s'est attaché : un homme vit avec plaisir en son ménage ; qu'il voie une femme qui lui plaise, qu'il joue cinq ou six jours avec plaisir, le voilà misé- rable s'il retourne à sa première occupation. Rien n'est plus ordinaire que cela.

sume une légèreté... et trop grande facilité à croire et recevoir tout ce qu'on leur propose... l'autre vice contraire est une sotte et auda- cieuse témérité de condamner et rejeter, comme fausses, toutes choses que l'on n'entend pas. » (^Sagesse, I, xi, 6.)

126

Cf. B., 37; C, 45; Faug., II, 79; Hav., XXV, 81 ; Mol.,I, 67; Mich., 23o.

127

Cf. B., 6; C, 19; Bos., I, is, iG; Faug., II, 4i ; Hav., VI, 43; Mol., I, 89 ; Mich., 217.

I. Cf. Montaigne, II, i : « Ce que nous avons à cette heure pro- posé, nous le changeons tantost, et tantost encores retournons sur nos pas : ce n'est que bransle et inconstance, » et III, iv : « Nature pro- cède ainsi, par le bénéfice de l'inconstance », etc. Charron consacre dans sa « générale peinture de l'homme >> un court chapitre à l'In- constance. (De la Sagesse, I, xxxviii.)

128

Cf. B., 27; C, 45; Faog., II, 42; H.^v., XXV, 79; Mol.,I, G3 ; Mich.,

838.

48 PENSÉES.

*Uo] 129

Notre nature est dans le mouvement' ; le repos entier est la mort.

*485] 130

Agitation^. Quand un soldat se plaint de la peine qu'il a, ou un laboureur, etc., qu'on les mette sans rien faire.

^1] 131

Ennui. Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être^ dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide*. Incon- tinent il sortira du fond de son âme' l'ennui, la

12g

Cf. B., 3G6; C, 822; Faug., I, igB ; Hav., XXV, 7.; Mol., I, m ;

MicH., 746.

I. « Nostre vie n'est que mouvement. » (Montaigne, III, xui.) Cf. II, VIII : « Estre consiste en mouvement et action. »

130

Cf. C, 199; C, 10 ; Faug., II, 43 ; Hav., XXV, 26 bis; Mol., I, 61 ; MicH., 856.

3. Mont., III, 8 : « L'agitation et la chasse est proprement de notre gibbier. »

131 Cf. B., 359; C, 3x5; Faug., II, 42; Hat., XXV, 26; Mol., I, 61 ;

MiCH., 121.

3. [Abandonné.]

4. Phrase en surcharge.

5. [Vn sujet [un.]

SECTION II. 49

noirceur*, la tristesse ^ le chagrin, le dépit, le déses- poir ^

2i] 132

César était trop vieil, ce me semble, pour s'aller amuser à conquérir le monde ; cet amusement était bon à Auguste ou à Alexandre, c'étaient des jeunes gens, qu'il est difficile d'arrêter, mais César devait être plus mûr \

I. [Vne.]

3. [Le dépit.]

3. Montaigne s'exprime de même dans l'Apologie : « Car de naist la source principale des maulx qui le pressent : péché, maladie, irré- solution, trouble, desespoir », et encore : « Nous avons pour nostre part l'inconstance, l'irrésolution, l'incertitude, le dueil, la superstition, la solicitude des choses à venir, voire aprez nostre vie, l'ambition, l'ava- rice, la ialousie, l'envie, les appétits desreglez, foreenez et indompta- bles, la guerre, le mensonge, la desloyauté, la detraction et la curio- sité. » Bossuet écrit dans le Traité de la concupiscence (chap. xi) : « L'homme n'a plus trouvé dans lui-même que ce qu'il peut avoir sans Dieu ; c'est-à-dire l'erreur et le mensonge, l'illusion, le péché, le désordre de ses passions, sa propre révolte contre la raison, la tromperie de son espérance, les horreurs de son désespoir affreux, des colères, des jalousies, des aigreurs envenimées contre ceux qui le trou- blent dans le bien particulier qu'il a préféré au bien général, que personne ne peut nous ôter que par nous-mêmes, et qui seul suffît à tous. » Enfin La Bruyère a repris cette pensée dans une réflexion qui paraîtra bien faible à côté de celle de Pascal : « L'homme semble quel- quefois ne pas se suffire à soi-même : les ténèbres, la solitude le troublent, le jettent dans des craintes frivoles et dans de vaines erreurs ; le moindre mal alors qui puisse lui arriver est de s'ennuyer. » (De l'Homme.')

13a

Cf. B., i4; C, 32; P. R., XXXI, i4; Bos., I, ix, 47; Faug., I, 211 , Hav., VI, 44; Mol., I, 63; Mich., 46.

4- Cette réflexion répond à un passage de Montaigne. « Je le

trouve un peu plus retenu et considéré en ses entreprinses qu'Alexandre :

car celuy-cy semble rechercher et courir à force les dangiers, comme

un impétueux torrent qui choque et attaque sans distinction et sans

PENSÉES. II 4

SO PENSÉES.

83] 133

' Deux visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier, font rire ensemble par leur ressemblance.

21] 134

Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admi- ration par la ressemblance des ^ choses dont on n'ad- mire point les originaux !

chois tout ce qu'il rencontre... Aussi estoit il embesoignt^ en la fleur et première chaleur de son ame ; César s'y prinst estant desia meur et bien advancé... » (II, xxxiv.) César était le héros, non seu- lement de Montaigne, mais aussi de Méré ; c'est à Méré surtout que Pascal pense, lorsqu'il montre la vanité d'un César ou d'une Cléopâtre. Cf. dans le Cinquième discours sur le commerce du monde le passage Méré sacrifie à César « ce jeune conquérant » d'Alexandre dont il dit : « Je m'étonne qu'une dame de nos jours, qui avait tant de goût et d'esprit l'eût choisi pour son galant. » La Bruyère a répliqué à Pascal : « César n'était point trop vieux pour penser à la conquête de l'uni- vers ; il n'avait point d'autre béatitude à se faire que le cours d'une belle vie et un grand nom après sa mort ; fier, ambitieux, et se portant bien comme il faisait, il ne pouvait mieux employer son temps qu'à conquérir le monde. Alexandre était bien jeune pour un dessein si sérieux, il est étonnant que dans ce premier âge les femmes ou le vin n'aient plus tôt rompu son entreprise. » (Des Jugements.) Ajoutons qu'Alexandre est mort à trente-trois ans, comme le rappelle Mon- taigne (I, xix), et César à cinquante-six. Quant à Auguste il avait dix-huit ans à la mort de César, trente-deux ans lorsque la bataille d'Actium lui assura l'empire du monde romain.

133

Cf. B., 5; C, 17; Bos., I, s, Sg; Faug., I, 206; Hav., VII, 38; Mol., I, 85; Mien., 282.

1. Titre ajouté par la première Copie: Vanité.

134 Cf. B., 8 bis; C, 28; Bos., I, i, 3i ; Faug., I, 206; Hat., VII, 3i ; Mol., II, i5o; Mien., .'i.'i.

2. Molinier lit de.

SECTION II.

81

349] 135

Rien ne nous plaît que le combat, mais non pas la victoire : on aime à voir les combats des ani- maux, non le vainqueur acharné sur le vaincu ; que voulait-on voir, sinon la fin de la victoire ? et dès qu'elle arrive, on en est saoul. Ainsi dans le jeu, ainsi dans la recherche de la vérité : on aime à voir, dans les disputes, le combat des opinions : mais, de contempler la vérité trouvée, point du tout ; pour la faire remarquer avec plaisir, il faut la faire voir naître delà dispute, De même, dans les passions, il y a du plaisir à voir deux contraires se heurter ; mais, quand l'une est maîtresse, ce n'est plus que brutalité. Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses . Ainsi , dans les comédies , les scènes contentes sans crainte' ne valent rien, ni les extrêmes misères sans espérance, ni les amours brutaux, ni les sévérités âpres.

Peu de chose nous console parce que peu de chose nous afflige ^

135

Cr B., /.o.; C, 376; P. R XXIX, .9; Bos., I, ,x, 34; Faug., I, .o5 ; Hav., VI, 3i ; Mol., I, 60; Mich., 622. > > ?

I. Sans crainte en surcharge.

136

Cf. B., Sbis; C 23; P. R XXIV, n; Bos., I, .x, 25; F..ug., I, 2i5; Hav., VI, 22 6w; Mol., I, Go; Mich., 55. ' ' >

2. Pascal emprunte à Montaigne cette réflexion : « Peu de cliose

52 PENSÉES.

Première Copie 267] 137

Sans examiner toutes les occupations particu- lières, il suffit de les comprendre sous le divertisse- ment.

4oi] 138

Hommes naturellement couvreurs ' et de toutes vocations, hormis en chambre ^

**i39] 139

^Divertissement* . Quand je m'y suis mis quel-

nous divertit et destourne ; car peu de chose nous tient. » (III, iv, de la Diversion.)

137

Cf. C, 478; Faug,, II, 86; Mol., II, 65; Mich., gSS.

138

Cf.B., 462 ; G., 269; Faug., II, 56; Hav., III, ii ; Mol.,I, 119; Mich., 63i.

1. Allusion à l'exemple du frag-ment 97 : « C'est un excellent cou- vreur, dit-on. » Naturellement, c'est-à-dire qui se croient appelés par la nature à être couvreurs. C'est Montaigne qui a, semble-t-il, attiré l'attention de Pascal sur les couvreurs que la coutume a guéris du vertige dont ne peuvent se défendre les philosophes. (Cf. dans l'Apo- lofjie de Raymond Sebond, le passage cité en note du fr. 80.)

2. Cette vocation, qui serait de rester en chambre, est décrite dans les premières lignes du fragment suivant.

139

Cf.B., 53; C, 76; P. R., XXVI, i, aetS; Bos., I, vu, i, 2et3; Faug., II, 3i; Hav., IV, 2; Mol., I, 49; Mich., 335.

3. Port-Royal avait tiré de ces fragments sur le Divertissement un chapitre sur la misère de l'homme remanié et complété par le duc de Roannez ou par Nicole, et qui fournit le type de l'édition telle qu'on l'avait projetée en second lieu. (Cf. Introduction, p. vi, sqq.). Voici

SECTION II. 33

quefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines ' oii ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre ^ d'oii naissent tant de querelles, dépassions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient ^ d'une seule chose, qui est de ne savoir pas^ demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savait

les paragraphes ajoutés au début : « Rien n'est plus capable de nous feire entrer dans la connaissance de la misère des hommes que de considérer la cause véritable de l'agitation perpétuelle dans laquelle ils passent leur vie.

« L'àme est jetée dans le corps pour y faire un séjour de peu de durée. Elle sait que ce n'est qu'un passage à un voyage éternel, et qu'elle n'a que le peu de temps que dure la vie pour s'y préparer. Les nécessités de la nature lui en ra^-issent une très grande partie. Il ne lui en reste que très peu dont elle puisse disposer. Mais ce peu qui lui reste l'incommode si fort et l'embarrasse si étrangement, qu'elle ne songe qu'à le perdre. Ce lui est une peine insupportable d'être obligée de vivre avec soi et de penser à soi. Ainsi tout son soin est de s'oublier soi-même, et de laisser couler ce temps si court et si précieux sans réflexion, en s'occupant des choses qui l'empêchent d'y penser.

« C'est l'origine de toutes les occupations tumultuaires des hommes, et de tout ce qu'on appelle divertissement ou passe-temps, dans lesquels on n'a, en effet, pour but que d'y laisser passer le temps sans le sentir, ou plutôt sans se sentir soi-même ; et d'éviter, en per- dant cette partie de la vie, l'amertume et le dégoût intérieur qui accompagnerait nécessairement l'attention que l'on ferait sur soi-même durant ce temps-là. L'àme ne trouve rien en elle qui la contente ; elle n'y voit rien qui ne l'afflige, quand elle y pense. C'est ce qui la con- traint de se répandre au dehors, et de chercher dans l'application aux choses extérieures à perdre le souvenir de son état véritable. Sa joie consiste dans cet oubli ; et il suffit, pour la rendre misérable, de l'obliger de se voir et d'être avec soi» (cf. fr. 171).

!x. [Misère de l'homme.]

1. Et les peines en surcharge.

2. [Sur la mer] j'ai découvert.

3. D'une seule rhose^ qui est en surcharge.

4. [Vivre.]

54 PENSÉES.

demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer' ou au siège d'une place. On- n'achètera une charge à larmée si cher ^ que parce qu'on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les di- vertissements des jeux que parce qu'on ne peut de- meurer chez soi avec plaisir*.

Mais quand j'ai pensé de plus près", et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir la raison ^ j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel ' de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pen- sons de près^

I . [ Voir une ville étrangère ou aller chercher du poivre.] 3. [N'irait point se laisser [n'irait pas.]

3. [Pour aller tous les ans se faire blesser et assommer.]

II. [C'est pour éviter ce mal insupportable qu'on achète des charges pour, etc. Mais que. [Toutes les peines qu'on souffre ne viennent donc que de cela seulement qu'on ne sait pas demeurer chez soi en repos et en [avec plaisir.] « Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls : de le jeu, le luxe, la dissipation, le vin, les femmes, l'ignorance, la médisance, l'envie, l'oubli de soi-même et de Dieu. » (La Bruyère, De l'Homme.')

5. [j'ai trouvé.]

6. C'est-à-dire la raison de la cause de tous nos malheurs, ce pour- quoi les hommes s'exposent aux agfitations et aux périls, au lieu de rester dans la chambre.

7. Naturel en surcharge.

8. [Au lieu.] Addition de l'édition de 1670 : « Je ne parle que de ceux qui regardent sans aucune vue de religion. Car il est vrai que c'est une des merveilles de la religion chrétienne de réconcilier l'homme avec soi-même, en le réconciliant avec Dieu ; de lui rendre la vue de soi-même supportable, et de faire que la solitude et le repos soient plus agréables à plusieurs que l'agitation et le commerce des hommes. Aussi n'est-ce pas en arrêtant l'homme dans lui-même qu'elle produit tous ces effets merveilleux : ce n'est ^u'en le portant jusqu'à

SECTION II. oo

Quelque condition qu'on se figure, si l'on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir', la royauté est le plus beau poste du monde, et cependant qu'on s'en "imagine, accompagné de toutes les satis- factions qui peuvent le toucher, s'il est sans divertis- sement, et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est', cette félicité languissante ne le sou- tiendra point, il tombera par nécessité dans les vues '* qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévi- tables ; de sorte que, s'il est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux, et [plus] mal- heureux que le moindre de ses ^ sujets, qui joue et qui se divertit®.

Dieu, et en le soutenant dans le sentiment de ses misères par l'espé- rance d'une autre vie, qui doit entièrement l'en délivrer.

« Mais pour ceux qui n'ag-issent que par les mouvements qu'ils trouvent en eux et dans leur nature, il est impossible qu'ils subsistent dans ce repos, qui leur donne lieu de se considérer et de se voir, sans être incontinent attaqués de chagrin et de tristesse. L'homme qui n'aime que soi ne haït rien tant que d'être seul avec soi. Il ne re- cherche rien que pour soi, et ne fuit rien tant que soi : parce que, quand il se voit, il ne se voit pas tel qu'il se désire, et qu'il trouve en soi-même un amas de misères inévitables et un vide de biens réels et solides qu'il est incapable de remplir. »

I. [Qu'on s'imagine un roi.]

3. SvUepse qui s'explique naturellement par la première rédaction de Pascal.

3. Cette félicité... point en surcharge.

4. [Des maladies.]

5. [Officiers, quelque peu de fortune qu'il ait, s'il est à la chasse ou au jeu [ou s'il joue arec quelque bonheur. L'unique bien des hommes consiste donc à être divertis de penser à leur condition ou par une occu- pation qui les en détourne, ou par quelque passion aimable et nouvelle qui les occupe, ou par le jeu, la danse [la chasse, quelque spectacle atta- chant, enfin ce qu'ils appellent divertissement. Et de vient que.]

6- Dans ses Remarques de 1778 ^ oltaire lui-même avait rapproché

56 PENSÉES.

' De vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recher- chés ; ce n'est pas qu'il y ait en effet du bonheur, ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner au jeu ", ou dans le lièvre qu'on court : on n'en voudrait pas s'il était offert^; ce n'est pas cet usage mol et paisible, et qui nous laisse pensera notre malheureuse condition, qu'on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit.

Raisons pourquoi on aime mieux la chasse que la prise '.

de ces fragments les vers de son poème : De l'égaillé des conditions (1734):

« Etre heureux comme un roi ! » dit le peuple hébété ; Hélas, pour le bonheur que fait la majesté ? En vain sur ses grandeurs un monarque s'appuie ; 11 gémit quelquefois, et bien souvent s'ennuie

Mais, comme on l'a remarqué, dans l'épître xc (1751), il se ravise ; il est vrai qu'il s'adresse à Frédéric :

Biaise Pascal a tort, il en faut convenir ;

Ce pieux misanthrope, Heraclite sublime.

Qui pense qu'ici-bas tout est misère et crime,

Dans ses tristes accès ose nous maintenir

Qu'un roi que l'on amuse, et même qu'un roi qu'on aime,

Dès qu'il n'est plus environné.

Dès qu'il est réduit à lui-même. Est de tous les mortels, le plus infortuné. Il est le plus heureux s'il s'occupe et s'il pense.

1. A la page 210 du manuscrit.

2. [On a'aurait pas.]

3. [Ce n'est pas cette possession languissante.]

4. En marge. Mont., Apol. : « Il ne fault pas trouver estrange si gents désespérez de la prinse n'ont pas laissé d'avoir plaisir à la

SECTION II. 37

De vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement : de vient que la prison est un supplice si horrible ; de vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible : et c'est enfin le plus grand sujet' de félicité de la condition des rois, de [ce] qu'on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toutes sortes de plaisirs.

^ Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi, et l'empêcher de penser à lui ; car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense.

Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux ; et qui ceux font sur cela les phi- losophes, et qui^ croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu'ils ne voudraient pas avoir acheté, ne con- naissent guère notre nature. Ce lièvre ne nous garan- tirait pas de la vue de la mort et des misères, mais la chasse qui nous ^ en détourne " nous en garan- tit. Et ainsi ^..

chasse. » Et ce passage, déjà cité en note du fr. i3o : « L'agitation et la chasse est proprement de notre gibbier. » (Ilï, 8.) Cf. Char- ron : « Le monde est une eschole d'inquisition : l'agitation et la chasse est proprement de nostre gibier ; prendre ou faillir à la prinse, c'est autre chose. » (^Sagesse, liv. I, ch. xiv, p. 8.)

1. [Du bonheur.]

2. Ce paragraphe en marge.

3. [MépriseDt.] 4- [Empêche.]

5. Dans le manuscrit gui nous en détourne est écrit entre misères et nous en rjarantit.

6. [Ces philosophes sottement nous disent que les rois ne sont pas heureux parce que les choses qu'ils possèdent ne.] La reprise du développement, marquée par un signe de renvoi, se retrouve plusbns: Et ainsi, quand on leur reproche (page Sg, ligne 17).

38 PENSEES.

Le conseil qu'on donnait à Pyrrhus, de ' prendre le repos qu'il allait chercher par tant de fatigues, re- cevait bien des difficultés ^

[Dire à un homme qu'iP vive en repos, c'est lui dire qu'il vive heureux '' ; c'est lui conseiller ^ d'avoir une condition tout heureuse et laquelle il puisse considérer à loisir®, sans y trouver sujet

1. [vivre en.]

2. [Et ne fut pas digne.] « Quand le roy Pyrrhus entreprenoit de passer en Italie, Cineas, son sajje conseiller, luy voulant faire sentir la vanité de son ambition : « Eh bien ! sire, luy demanda 11, i\ quelle fin dressez-vous cette grande entreprinse ? Pour me faire maistre de l'Italie, respondit il soudain. Et puis, suyvit Cineas, cela faict?

le passeray, dict l'aultre, en Gaule et en Espaigne. Et aprez ?

le m'en iray subjuguer l'Afrique ; et enfin, quand i'auray mis le monde en ma subiection, je me reposeray et vivray content et à mon ayse. Pour Dieu ! sire, rechargea lors Cineas, dictes moy à quoy il tient que vous ne soyez dez à présent, si voulez, en cest estât ? pour- quoy ne vous logez vous dez cette heure vous dictes aspirer, et vous espargnez tant de travail et de hazard que vous iectez entre deux ? » (Montaigne, I, 42.) Montaigne a pris ce dialogue dans Plu- tarque (Vie de Pyrrhus). On le retrouve chez Rabelais, liv. I, ch. xxm et chez Boileau, i""^ Épître. Voici enfin comment Port-Royal éclaircit et développe ce passage : « C'est pourquoi, lorsque Cineas disait à Pyrrhus, qui se proposait de jouir du repos avec ses amis après avoir conquis une grande partie du monde, qu'il ferait mieux d'avancer lui-même son bonheur en jouissant dès lors de ce repos sans l'aller chercher par tant de fatigues, il lui donnait un conseil qui recevait de grandes difficultés et qui n'était guère plus raison- nable que le dessein de ce jeune ambitieux. L'un et l'autre supposait que l'homme se pût contenter de soi-même et de ses biens présents sans remplir le vide de .son cœur d'espérances imaginaires, ce qui est faux. Pyrrhus ne pouvait être heureux ni devant ni après avoir conquis le monde. Et peut-être que la vie molle que lui conseillait son ministre était encore moins capable de le satisfaire que l'agitation de tant de guerres et de tant de voyages qu'il méditait. »

3. [Soit]

4. [Dire à un.]

5. Page 20g du manuscrit.

6. A loisir en surcharge.

SECTION II. 59

d'affliction'. Ce n'est donc pas entendre la nature. Aussi les hommes qui sentent naturellement leur condition n'évitent rien tant que le repos, il n'y a rien qu'ils ne fassent pour chercher le trouble. Ce n'est pas qu'ils n'aient un instinct qui leur fait con- naître que la vraie béatitude...] La vanité, le plaisir de le montrer aux autres ".

^ [Ainsi on se prend mal pour les blâmer ' ; leur faute n'est pas en ce qu'ils cherchent le ° tumulte, s'ils ne le cherchaient que comme un divertissement; mais le mal est qu'ils le recherchent comme si la pos- session des choses qu'ils recherchent les devait rendre véritablement heureux, et c'est en quoi on a raison d'accuser leur recherche de vanité : de sorte qu'en tout cela et ceux qui blâment et ceux qui sont blâ- més n'entendent la véritable nature de l'homme.]

Et ainsi, quand on leur reproche que ce qu'ils re- cherchent avec tant d'ardeur ne saurait les satisfaire, s'ils répondaient, comme ils devraient le faire s'ils y pensaient bien, qu'ils ne recherchent en cela qu'une occupation violente et impétueuse qui les dé- tourne de penser à soi, et que c'est pour cela qu'ils se proposent un objet attirant qui les charme et les attire avec ardeur, ils laisseraient leurs adversaires sans repartie. Mais ^ ils ne répondent pas cela, parce

1. [C'est lui conseiller.]

2. Cette dernière ligne en marge.

3. Ce paragraphe, d'une main étrangère.

4- [Mais on a quelque raison, en ce que les hommes eux.]

5. [Divertissement, empêchement.]

6. [En croyant comme ils font qu'ils seront ensuite dans un heureux repos, ils se donnent du cœur à se faire battre.]

60 PENSÉES.

qu'ils ' ne se connaissent pas eux-mêmes ; ils ne savent pas que ce n'est que la chasse, et non pas la prise, qu'ils recherchent ^

La danse : il faut bien penser l'on mettra ses pieds. Le gentilhomme croit sincèrement que la chasse est un plaisir grand et un plaisir royal ; mais son piqueur n'est pas de ce sentiment-là \

Ils s'imaginent que, s'ils avaient obtenu cette charge, ils se reposeraient ensuite avec plaisir, et ne sentent pas la nature insatiable de leur cupidité ; ils croient chercher sincèrement le repos, et ne cherchent en effet que l'agitation*.

Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l'occupation au dehors \ qui vient du ressentiment de leurs misères continuelles® ; et ils ont un autre instinct secret \ qui reste de la " grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n'est en effet que dans le

1 . [Sont trompés eux-mêmes et qu'ils ont d'autres principes ; ils croient que ce qu'ils cherchaient est capable de les satisfaire; mais dans la vérité on ne combat que [l'objet qu'ils s'imaginent et non pour le [avoir [et non pour celui qu'ils ont en effet et qui se cache et se dérobe à leur vue dans le fond de leur cœur ; car.]

2. Montai jjne avait déjà remarqué que « de touts les plaisirs que nous cofifiioissons, la poursuitte mesme en est plaisante : l'entreprinse se sent de la qualité de la chose qu'elle regarde ; car c'est une bonne portion de l'effect, et consubstantielle. » (I, 19.)

3. Paragraphe en marg-e.

4. Paragraphe en marge.

5. [Et comme ils sont.]

6. [Et de la nature corrompue.]

7. Qui reste h nature, surcharge.

8. Nature [sacrée.]

SECTION II. Cl

repos, et non pas dans' le tumulte; et de ces deux instincts contraires, il se forme en eux un pro- jet confus", qui se cache à leur vue dans le fond de leur âme, qui les porte à tendre au repos par l'agita- tion, et à se figurer toujours que la satisfaction qu'ils n'ont point leur arrivera, si% en surmontant quel- ques difficultés qu'ils envisagent, ils peuvent s'ou- vrir par la porte au repos.

Ainsi s'écoule toute la vie : on cherche le repos en combattant quelques obstacles ; et si on les a sur- montés, le repos devient insupportable*; car, ou l'on pense aux misères qu'on a, ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même assez à l'abri de toutes parts, l'ennui, de son autorité pri- vée % ne laisserait pas de sortir du fond du cœur, il a des racines naturelles, et de remphr l'esprit de son venin.

"^ Ainsi l'homme est si malheureux, qu'il s'en- nuierait même sans aucune cause d'ennui', par l'état propre de sa complexion ; et il est si vain, qu'étant plein de mille causes essentielles d'ennui,

I. [La recherche.]

3. Qui se cache... âme en surcharge.

3. [Après avoir.]

4. [Par l'ennui qu'il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte. Nulle condition n'est heureuse sans bruit et sans divertissement, et toute condition est heureuse tandis qu'on jouit de quelque divertissement. Mais qu'on juge quel est ce bonheur qui consiste à être divarti de penser à soi '.]

5. ^lont., Apol. : « ... Et de son auctorité privée, à cett' heure le chagrin prédomine en moy, à cett' heure l'alaigresse. »

G. Page 217 du manuscrit. Paragraphe d'une main étrangère. 7. Les mots suivants sont une surcharge de Pascal qui avait d'abord écrit : [par sa propre complexion.]

62 PENSÉES.

la moindre chose, comme' un billard et une balle ^ qu'il pousse, suffisent pour le divertir*.

'Mais, direz-vous, quel objet a-t-il en tout cela ' ? Celui de se vanter demain entre ses amis de ce qu'il a mieux joué qu'un autre. Ainsi, les autres suent dans leur cabinet pour montrer aux savants qu'ils ont résolu une question d'algèbre « qu'on n'aurait pu trouver jusqu'ici : et tant d'autres s'exposent aux derniers périls pour se vanter ensuite d'une place qu'ils auront prise, et aussi sottement, à mon gré ; et enfin ' les autres se tuent pour remarquer toutes ces choses, non pas pour en devenir plus sages, mais seulement pour montrer qu'ils les savent, et ceux-là sont les plus sots de la bande \ puisqu'ils le sont

I. [Vn chien] la correction est autographe.

3. [Un lièvre.]

3. [D'où vient que cet homme qui a perdu son fils unique depuis peu de mois et qui était tout est accablé de procès et de querelles et du souci d-affaires importantes qui le rendaient tantôt si chagrin, n'y pense plus à présent. Ne vous en étonnez pas ; il est tout occupé à savoir par pas- sera ce sanglier que ses chiens poursuivent. Il n'en faut pas davantage pour chasser tant de pensées importantes. Voilà l'esprit de ce maître du monde tout rempli de ce seul souci.] (Importantes p.'est écrit qu'à moitié et on pourrait également compléter le mot par importunes, qui offrirait encore un sens satisfaisant, moins adapté cependant h l'allure de la phrase.)

4- Page i33 du manuscrit.

5. [Le divertissement. Car quel objet a celui-ci qui se tue à la chasse aujourd'hui sinon] de se vanter demain entre ses amis [de ce sanglier qu'il aura pris. Et un] autre sue en [son] cabinet pour montrer aux savants une question [de chiffres qu'il aura résolue, et tant d'autres se font blesser en une campagne pour se vanter l'hiver des dangers qu'il a courus, aussi sottement.]

6. [Impénétrable à tout autre.]

7. Enfin en surcliarp-e.

8. [Car puisqu'ils ne laissent.]

SECTION II. 63

avec connaissance, au lieu ' qu'on peut penser des autres qu'ils ne le seraient plus, s'ils" avaient cette connaissance.

Tel homme passe sa vie'^ sans ennui, en jouant tous les jours peu de chose. Donnez-lui tous les matins l'argent qu'il peut gagner chaque jour, à la charge qu'il ne joue point: vous le rendez malheu- reux. ^ On dira peut-être que c'est qu'il cherche l'amusement du jeu, et non pas le gain. Faites-le donc jouer pour rien, il ne s'y échauffera pas et s'y ennuiera. Ce n'est donc pas l'amusement seul qu'il recherche "' : un amusement languissant et sans pas- sion l'ennuiera. Il faut qu il s'y échauffe et qu'il se pipe lui-même, en s'imaginant qu'il serait heureux de gagner ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui donnât à condition de ne point jouer, afin qu'il se forme un sujet de passion, et qu'il excite*' sur cela son désir, sa colère ', sa crainte, pour l'ohjet qu'il s'est formé, comme les enfants qui s'effrayent du visage qu'ils ont barbouillé*.

^ D 011 vient que cet homme, qui a perdu depuis

3. [Que les autres.]

3. [Le [savaient qu'ils le sont.]

4. [Heureusement avec]

5. [li.]

6. La fin de la phrase en surcharge. [Ses passions sur cela pour ne point sentir passer le temps pour empêcher l'eauui de se répandre, et la misère de paraître à sa pensée.]

7. [Pour l'objet.]

8. Cf. fr. 88.

9. [L'homme, sans divertissement, quelque heureux qu'on l'imagine, séchera de chagrin et d'ennui [les conditions [et l'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le divertir, le voilà heureux.]

64 PENSÉES.

peu de mois son fils unique, et qui\ accablé de procès et de querelles, était ce matin si troublé, n'y pense plus maintenant ? Ne vous en étonnez point : il est tout occupé à voir par passera ce sanglier que les " chiens poursuivent ^ avec tant d'ardeur de- puis six heures. Il n'en faut pas davantage*. L'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux 23endant ce temps-là ; et l'homme, quelque heureux qu'il soit, s'il n'est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement ^ qui empêche l'ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n'y a point de joie ; avec le divertissement il n'y a point de tristesse. Et c'est aussi ce qui forme le bonheur des personnes ** de grande condition qu'ils ont un nombre de personnes qui les divertissent, et qu'ils ont le pouvoir de se maintenir en cet état.

^Prenez-y garde. Qu'est-ce autre chose d'être sur- intendant, chancelier, premier président, sinon

1 . [jetait ce matin si troublé.]

2. [Limiers.]

3. Avec... heures surcharg'e. 4- [Pour reléguer.]

5. [Sera chagrin et malheureux.]

6. Page 217 du manuscrit.

7. Ecrit d'une main étrangère, avec corrections de Pascal à la première rédaction : [Car pour parler selon la vérité des diverses condi- tions des hommes, ceux que nous appelons de grande qualité comme un] surintendant [un] chancelier [un] premier président [ije sont autre chose que des personnes qui ont] dès le matin un grand nombre de gens [chez eux pour les entretenir de diverses affaires dès à leur réveil et] ne leur laisser une heure en la journée [pour] penser à eux-mêmes.

SECTION II. 65

d'èlre en une condition l'on a dès le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée ils puissent penser à eux-mêmes ? Et quand ils sont dans la disgrâce et qu'on les renvoie à leurs maisons des champs, ils ne manquent ni de biens', ni de domestiques pour les assister dans leur besoin, ils ne laissent pas d'être misérables et abandonnés, parce que personne ne les empêche de songer à eux.

" [Le divertissement est une chose si nécessaire aux gens du monde qu'ils sont misérables '' sans cela * ; tantôt un accident leur arrive, tantôt ils pensent à ceux qui leur peuvent arriver, ou même quand ils n'y penseraient pas et qu'ils n'auraient aucun sujet de chagrin, l'ennui de son autorité privée ne laisse pas de sortir du fond du cœur il a une racine naturelle et [de] remplir tout' l'esprit de son venin ^]

1. [Pour leur nourriture et leur logement.]

2. Ce dernier paragraphe est écrit d'une main étrangère, et corrig-é par Pascal qui a fini par le rayer après l'avoir utilisé dans le cours de son développement.

3. [En.]

4- [Car quand même ils ne penseraient pas] [ou ils pensent aux misères de leurs conditions ou [ce qui les porte dans l'ennui.]

5. Tout surcharge autographe.

6. Havet a relevé sur ce fragment les commentaires de Nicole, curieux par leur diversité : « Nicole s'appuie sur ces idées de Pascal dans son traité de la Connaissance de soi-même, chap. i: « C'est ce qui « a donné lieu à un grand esprit de ce siècle de faire voir dans un « excellent discours que ce désir d'éviter la vue de soi-même est la « source de toutes les occupations tumultuaires des hommes, et sur- ce tout de ce qu'ils appellent divertissement; qu'ils ne cherchent en « tout cela qu'à ne penser point à eux, qu'il suffit pour rendre un « homme misérable de l'obliger d'arrêter la vue sur soi, et qu'il n'y « a point de félicité humaine qui la puisse soutenir. Qu'ainsi l'homme

PENSÉES. ji ;;;

66 PENSÉES.

iio] 140

[Cet homme si affligé de la mort de sa femme et de son fds unique, qui a cette grande querelle qui le tourmente, d'où vient qu'à ce moment il n'est pas triste, et qu'on le voit si exempt de toutes ces pensées pénibles et inquiétantes ? Une faut pas s'en étonner * ; on vient de lui servir une balle, et il faut qu'il la rejette à son compagnon, il est occupé à la prendre

« sans la grâce est un {jrand supplice à lui-même, qu'il ne tend qu'à « se fuir, qu'il se rejjarde en quelque sorte comme son plus grand « ennemi, et qu'il fait consister son bonheur ù s'oublier soi-même, et « à se noyer dans cet oubli. » Plus loin cependant (chap. m), il n'adopte pas sans réserve ce que dit Pascal, que l'ennui qui accable ceux qui ont été dans de grandes places, quand on les réduit à vivre en repos dans leur maison, vient de ce qu'ils se voient trop, et que personne ne les empêche de songer à eux. « Peut-être que c'est une « des causes de leur chagrin ; mais ce n'est pas la seule. C'est aussi « parce qu'ils ne se voient pas assez, et qu'il y a moins de choses « qui renouvellent l'idée de leur moi », etc. Mais dans sa lettre au marquis de Sévigné (Cf. Pièces justificatives, p. ccli), Nicole combat très vivement le fond même de ce qu'il appelait tout à l'heure un excellent discours : « Il suppose, dans tout le discours du divertissement « ou de la misère de riiomme, que l'ennui vient de ce que l'on pense à « soi, et que le bien du divertissement consiste en ce qu'il nous ôte « cette pensée. Cela est peut-être plus subtil que solide... Le plaisir « de l'àme consiste à penser, et à penser vivement et agréablement. « Elle s'ennuie sitôt qu'elle n'a plus que des pensées languissantes... « C'est pourquoi ceux qui sont bien occupés d'eux-mêmes peuvent « s'attrister, mais ne s'ennuient pas. La tristesse et l'ennui sont des « mouvements différents... M. Pascal confond tout cela... » Voir aussi Traité de l'Education d'un Prince, i'" pari., ch. xxxviii.

140

Cf. B., 32G; C, 277; Fauo., II, 37 noie; Hav,, IV, 2 note; Mol., I, 57; Mien., 285.

I. [II voit venir] une balle.

SECTION II. 67

à la chute du toit, pour gagner une chasse*; com- ment voulez-vous qu'il pense à ses affaires, ayant cette autre affaire à manier ? Voilà un soin digne d'occuper cette grande âme, et de lui ôter toute autre pensée de l'esprit. Cet homme, pour con- naître l'univers, pour juger de toutes choses, pour régir tout un Etat, le voilà occupé et tout rempli du soin de prendre un Hèvre. Et s il ne s'abaisse à cela et veuille toujours être tendu, il n'en sera que plus sot, parce qu'il voudra s'élever au-dessus de l'hu- manité, et il n'est qu'un homme, au bout du compte, c'est-à-dire capable de peu et de beaucoup, de tout et de rien : il est ni ange ni bête, mais homme ^]

23] 141

Les hommes ^ s'occupent à suivre une balle et un lièvre ; c'est le plaisir même des rois.

*i46] 14a

Divertissement. La dignité royale n'est-elle pas assez grande d'elle-même, pour celui qui la possède,

I. Terme du jeu de paume d'où est venue cette expression chasse morte, synonyme de coup perdu (Litlré).

3. On verra dans le célèbre frag^ment 358 quel parti Pascal a tiré de cette expression, qu'il avait rencontrée dans Montaijjne et dans Balzac.

141 Cr. B., 9; C, 23 Faub., II, /, i; Mol., I, 03; Mich., !iS.

3. [Songent.]

142

Cf. B., 58; C, 82; P. R., XXVI, 1 ; Bos., I, m, i; Faug., II, 38;Hav., IV, 3; Moi,, I, Gi; Mich., 365.

68 PENSÉES.

pour le rendre heureux par la seule vue de ce qu'il est? faudra- t-il le divertir de cette pensée, comme les gens du commun? Je vois bien que c'est rendre un homme heureux de le divertir de la vue de ses misères domestiques pour remplir toutes ses pensées du soin de bien danser ; mais en sera-t-il de même d'un roi, et sera-t-il plus heureux en s'attachant à ces vains amusements qu'à la vue de sa grandeur'? et quel objet plus satisfaisant pourrait-on donner à son esprit? ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie, d'occuper son âme à penser à ajuster ses pas à la cadence d'un air, ou à placer adroitement une barre ^ au lieu de le laisser jouir en repos ^ de la contemplation de la gloire majestueuse qui l'envi- ronne ? Qu'on en fasse lépreuve, qu'on laisse un roi tout seul, sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l esprit, sans compagnie *, penser à lui tout à loisir : et l'on verra qu'un roi sans diver- tissement est un homme plein de misères. Aussi on évite cela soigneusement, et il ne manque jamais d'y

1. « La plupart des plus grands rois, après avoir rendu leurs sujets heureux, ne pensent guère qu'à se voir en de beaux palais richement ineui)lés et sur des jardins agréables , à goûter la bonne chère et la musique, avec les plus belles femmes de leur temps, à se divertir, à jouer, H chasser, à la comédie, dans les bals et dans les ballets. » (Méré, de l'Esprit, p. 55.)

2. Balle serait peut-être plus attendu, car le jeu de balle est l'exemple choisi ailleurs par Pascal ; mais il y avait aussi un jeu qui consistait à jeter une barre, et il n'y a donc pas lieu de rectifier, comme fait M. Michaut, ce qui a été écrit sous la dictée de Pascal.

3. En repos, surcharge. 4- [Et sans divertissement.]

i

SECTION II. 69

avoir auprès des personnes des rois ' un grand nom- bre de gens qui " veillent à faire succéder le diver- tissement à leurs affaires \ et qui observent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux\ en sorte qu'il n'y ait point de vide ; c'est- à-dire qu'ils sont environnés de personnes ^ qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu'il sera* misérable, tout roi qu'il est, s'il y pense.

Je ne parle point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens, mais seulement comme rois'.

217I 143

Divertissement. On charge les hommes, dès l'enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l'honneur de leurs amis. On les accable d'affaires \ de l'appren- tissage des langues et d'exercices, et on leur fait entendre qu'ils ne sauraient être heureux sans ' que

1 . [Pour.]

2. [Sont.]

3. [Pour remplir.] f\. [Pour faire.]

5. [Admirablement soigneuses.]

6. [Bien.]

7. Port-Royal développe et généralise cette réserve. (Cf. la note du fr. iSg, page 54, 8).

143 Cf. B., 59;C.,82 ; P. R., XXVI, i; Bos., I, tii, 1; Faug., II, 81; Hav., IV, i; Mol., 1,56; Mich., 46o,

8. [Atia qu'ils soient tellement occupés à toutes ces pensées qu'ils ne songent pas.]

9. SaiiSj en surcharge.

70 PENSÉES.

leur santé, leur honneur, leur fortune et celles de leurs amis soient en bon état, et' qu'une seule chose qui manque les rendrait malheureux". Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tra- casser dès la pointe du jour^ Voilà, direz-vous, une étrange manière de les rendre heureux ! Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheu- reux? — Comment ! ce qu'on pourrait faire ? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins ; car alors "" ils se verraient, ils penseraient^ à ce qu'ils sont, d'oii ils" viennent, oii ils vont ; et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner. Et c'est pourquoi, après leur avoir tant préparé d'affaires, s'ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l'employer a se divertir, à jouer, et à s'occuper toujours^ tout entiers.

Que le cœur de l'homme est creux et plein d'or- dure ^'

429] 144

J'avais passé longtemps dans l'étude des sciences

1. Et, en surcharge.

2. Mont., I, 38, De la solitude : « Nos affaires ne nous clonnoient pas assez de peine; prenons encores, à nous tormenter et rompre la teste, de ceulx de nos voisins et amis. »

3. [Et s'ils ont quelque relâche.] tx. [La pensée de ce que.]

5. [B'où ils.]

6. [Sont.]

7. Toujours, en surcharge.

8. Cette phrase en marge.

144

Cf. B., 374; C, 332; P. R., XXIX, 2F ; Bos., I, 11, 26; Faug., I, 190 Hav., VI, 23; Mol., I, laS; Micu., 708.

SECTION îl. 71

abstraites : et le peu de communication ' qu'on en peut avoir m'en avait dégoûté. Quand j'ai com- mencé l'étude de l'homme, j'ai vu que ces sciences abstraites ne sont pas propres à l'homme, et que je m'égarais plus de ma condition en y pénétrant que les autres en les ignorant. J'ai pardonné aux autres d'y peu savoir; mais j'ai cru trouver au moins bien des compagnons en l'étude de l'homme, et que c'est la \Taie étude qui lui est propre ". J'ai été trompé ; il y en a encore moins qui l'étudient que la géométrie. Ce n'est que manque de savoir étudier cela qu'on cherche le reste : mais n'est-ce pas que ce n'est pas encore la science que l'homme doit avoir, et qu'il lui est meilleur de s'ignorer pour être heureux ?

no] 145

[Une seule pensée nous occupe, nous ne pouvons pensera deux choses à la fois ; dont bien nous prend, selon le monde, non selon Dieu^.l

1. Expression familière à Pascal. Cf. lettre du 26 janvier i648 : « J'aurais pour cela besoin de la communication de personnes savantes et de personnes désintéressées. » Ici le mot est pris au sens absolu, pour sig-nifier le peu de personnes avec qui on peut communiquer. Saint Cyran écrivait de A incennes à Arnauld : « Le principal me manque qui est la communication », et Méré définira l'honnêteté : « Cette science est proprement celle de l'homme, parce qu'elle consiste à vivre et à se communiquer d'une manière humaine et raison- nable. » (De la vraie Honnêteté, dise. I, p. 6.)

2. « Bref c'est la vraye science de l'homme. » (Charron, Préface de la Sagesse.^ « La vraye science et la vraye estude de l'homme, c'est l'homme. » (/rf., préface du Premier livre.)

145 Cf. Facg., II, 37 (note); Hav., IV (note) ; Moi., I, 58; Mich., 286.

3. Opposition qui est déjà dans Montaigne : « Nous n'avons garde

72 PENSEES.

41 146

L'homme est visiblement fait pour penser ; c'est toute sa dignité ' ; et tout son mérite et tout son devoir est de penser comme il faut. Or l'ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fm.

Or k quoi pense le monde ? jamais à cela ; mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c'est qu'être roi, et qu'être homme.

382] 147

Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous vou- lons vivre dans l'idée des autres d'une vie imagi- naire, et nous nous efforçons pour cela de paraître ^

d'estre cents de bien selon Dieu ; nous ne le sçaurions estre selon nous « (III, 9). Voir le fragment 906. Nicole écrit dans ses Pensées diverses, LVII : « La raison des faux jugements que l'on fait est que l'on a deux règles pour juger des choses. Cela est bon, dit-on, selon le monde, mais mauvais selon Dieu. »

146

Cf. B, 358; G, 3i5; P, R, IX, i ; Bos, II, xvii, 64 ; Faug.,ÏI, 86; Hat., XXIV, 53; Mol., I, 72; Micii., 17.

1. [Cependant.] Cf. fr. 347 ^t 365.

147 Cf. B., 419; P. R., XXIV, i; Bos., V, i; Hav., II, i ; Mol., I, 87; MicH., 611.

2. « Moy, ie tiens que ie ne suis que chez moy; et de cette aultre mienne vie, qui loge en la cognoissance de mes amis, à la con- sidérer nue et simplement en soy, ie sens bien que ie n'en sens fruict

SECTION II. 73

Nous travaillons incessamment à embellir et con- server notre être imaginaire, et négligeons le véri- table'. Et" si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir, afin d'attacher ces vertus-là à notre autre être, et les détacherions plutôt de nous pour les joindre à l'autre ; nous serions de bon cœur poltrons pour en acquérir la réputation d'être vail- lants ^ Grande marque^ du néant de notre propre être, de n'être pas satisfait de l'un sans l'autre, et d'échanger souvent l'un pour 1 autre ! Car qui ne mourrait pour conserver son honneur', celui -là serait infâme.

ni iouïssance que par la vanité d'une opinion fantastique. » (Mont., II, XYi.) Cf. Nicole : « il [l'homme] ne se reg^arde pas moins selon un certain être qu'il a dans l'imagination des autres que selon ce qu'il est effectivement, » etc. (De la Connaissance de sol-même, i""*^ part., cli. iv).

1. « Qui que ce soit, ou art, ou nature, qui nous imprime cette condition de vivre par la relation à aultruy, nous faict beaucoup plus de mal que de bien : nous nous defraudrons de nos propres utilitez, pour former les apparences à l'opinion commune; il ne nous chault pas tant quel soit notre estre en nous et en effect, comme quel il soit en la cognoissançe publique » (Mont., III, ix). Charron a reproduit ce passage: « Nous ne vivons que par relation à aultruy. Nous ne nous soucions pas tant quels nous soyons en nous en effet et en vériti^, comme quels nous soyons en la cognoissance publique, tellement que nous nous defaudrons souvent, et nous privons de nos commodités et biens, et nous nous geliennons pour former les apparences à l'appa- rence commune » (De la Sagesse, I, xxxvi, 4).

2. [Nous serions bien fâchés d'avoir] la tranquillité.

3. « De toutes les resveries du monde, la plus receue et la plus universelle est le soing de la réputation et de la gloire, que nous espousons iusques à quitter les richesses, le repos, la vie et la sanlé, qui sont bien effectuels et substantiaux, pour suyvre cette vaine image et cette simple voix qui n'a ni corps ni prinse » (Mont., I, 4i)-

4. [De Ja.] 5 [Serait.]

74 PENSÉES.

4i6] 148

Nous sommes si présomptueux que nous vou- drions être connus de toute la terre, et même des gens qui viendront quand nous ne serons plus ; et nous sommes si vains, que^ l'estime de cinq ou six personnes qui nous environnent, nous amuse et nous contente".

83] 149

Les villes par oii on passe, on ne se soucie pas d'y être estimé ; mais, quand on y doit demeurer un peu de temps, on s'en soucie. Combien de temps faut-il ? un temps proportionné à notre durée vaine et chétive.

49] 150

La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme

X48

Cf. B., 45; C, 45;P.R., XXIV, 7 ; Bos., I, r, 5; Faug., I, 208; Hat., II, 5; Mol., I, 88; Mich., 672.

1. « Nous clierchons notre bonheur hors de nous-mêmes, et dans l'opinion des hommes que nous connaissons flatteurs, peu sincères, sans équité, pleins d'envie, de caprices et de préventions. Quelle bizarrerie! » (La Bruyère, De l'Homme.^

2. [iVous nous.]

149

Cf. B., 8; C, 21 ; P. R., XXIV, 10; Bos., I, 7,7; Faug., I, 208; Hav,, II, 7; Mol., I, 89; Micu., 288.

150

Cf. B., 36o;C.,3iC; P. R., XXIV, 5; Bos., I, v; Faug., I, 208; Hav., II, 3; Mol., I, 88; Micu., 12^.

SECTION II. 73

qu'un soldat, un goujat, un cuisinier, uncrocheteur* se vante et veut avoir ses admirateurs ; et les philo- sophes mêmes en veulent ; et ceux qui écrivent contre veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit ' : et ceux qui les lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu ; et moi qui écris ceci, ai peut-être cette envie ^ ; et peut-être que ceux qui le liront...

69I 151

La gloire. L'admiration gâte tout dès l'enfance : Oh ! que cela est bien dit ! oh I qu'il a bien fait ! qu'il est sage ! etc. *.

Les enfants de Port-Royal, auxquels^ on ne donne

1. « Goujat, valet d'armée. Cf. La Fontaine, Matrone d'Ephèse:

Mieux vaut goujat debout qu'empereur couronné.

Crocheteur, portefaix qui fait usage de crochets. Cf. Régnier, Satire \ :

Et qu'il n'est crocheteur ni courtaud de boutique Qui n'estime à vertu l'art sa main s'applique.

Et Balzac, le Barbon : « Il n'a écrit que pour la lie de Romulus et pour les crocheteurs du marché de Rome. » (Littré.)

2. C'est une pensée de Cicéron, dans le plaidoyer pour Archias, que Pascal a connue par Montaigne : « Car, comme dict Cicero, ceulx raesmes qui la [la gloire] combattent, encores veulent ils que les livres qu'ils en escrivent portent au front leur nom, et se veulent rendre glorieux de ce qu'ils ont mesprisé la gloire. » (^Essais, liv. I, ch. xLi : De ne communiquer sa gloire.) Tacite dit également : « Chez les sages mêmes la passion de la gloire est la dernière dont ils se défont. » (Hist., IV, 6.)

3. Cf. Montaigne : III, ix : De la vanité. « Il n'en est, à l'ydven- ture, aulcune plus expresse que d'en escrire si vainement. »

151 Cf. B., 19; C, 38; Fauc, I, aoi ; Hat., XXV, 66; Moi, I, 86;Micu., 196.

4. [Le talon de soulier.]

5. [Nous.]

76 PENSEES.

point cet aiguillon d'envie et de gloire', tombent dans la" nonchalance ^

75] 152

Orgueil'. Curiosité n'est que vanité: le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler ' ; au- trement on ne voyagerait pas sur la mer, pour ne jamais en rien dire, et pour le seul plaisir de voir, sans espérance d'en jamais communiquer.

*49] i53

Du désir d'être estimé de ceux avec qui on est^.

1. « Qui est-ce qui voudrait courir seul aux jeux olympiques? ôtez réinulation, vous ôtez la gloire, vous ôtez l'éperon à la vertu. » (Du A air, La philosophie morale des Sloïques, éd. i6o3, p. 3o.)

2. [Par] sans doute parusse.

3. Havet a judicieusement rappelé à ce propos le conseil de M. de Saci à Fontaine : « Quand il y avait quelque i)ien dans quel- qu'un de ces enfants, il me conseillait toujours de n'en point parler et d'étoufFer cela dans le secret : « Si Dieu y a mis quelque bien, disait-il, « il l'en faut louer, et garder le silence, se contentant de lui en rendre dans le fond du cœur sa reconnaissance. » (Sainte-Beuve, Port-Royal, édit., t. III, p. 45o.)

152

Cf. B., 27; C, 45; P. R., XXIV, 9; Bos., I, v, 6; Faug., I, 208; IIav., 11, G; Mol., I, 90; Mich., 211.

4. Le titre d'une main étrangère.

.'). Pascal avait lu dans Montaigne (I, 38) ces vers de Perse (^Sal., 1,23):

Usque adeone Scire tuum nihil est nisi le scire lioc sciai aller.

153 Cf. B., 36o; C, 817; P. R., XXIV, 4; Bos,, I, v, 2; F.^ug., I, 209: Hav., II, 2 bis; XXV, 122; Mol., I, 90; Micu., 124.

6. « Nous voulons que l'on nous trouve et sente partout, que l'on nous estime et tout ce que nous estimons. « Charron, Sagesse, 1, x.\.kv.

SECTION H. 77

L'orgueil nous tient d'une possession si naturelle au milieu de nos misères, erreurs, etc. ; nous perdons encore la vie avec' joie, pourvu qu'on en parle".

Vanité : jeu, chasse, visite, comédies, fausse per- pétuité de nom\

2 3] lô',

[Je n'ai point d'amis votre avantage]'.

Il] 155

Un vrai ami est une chose si avantageuse, même pour les plus grands seigneurs, afin qu'il dise du bien d eux, et qu'il les soutienne en leur absence même, qu'ils doivent tout faire pour en avoir '. Mais qu'ils

1. Correction de Pascal au texte dicté qui portait : et les joies.

2. « Nous consentons peut-estre d'eschapper à la vie, mais non à la vanité. » (Ibid.^ I, xxxvi, 3.)

3. Souvenir du chapitre de Charron sur la ^ anité (^Sagesse, I, xxxvi) : a Nous desirons estre louez aprez nostre mort ; quelle plus grande vanité ? » 3). Le paragraphe 5 signale la ^ anité de la comédie, et le par. 6 celle des visites : « Quelle vanité et perte de temps aux visites, salutations, accueils et entretiens mutuels ! » etc. Cf. Nicole, Pensées diverses, XXX: ]'anité, assaisonnement de la plu- part des choses.

154

Cf. MicH., 02, note.

4. Ces mots, barrés dans le manuscrit, s'expliquent par le fragment qui suit ; voir l'application fort importante que Pascal en fait aux Apôtres (^Fragment, 798).

155 Cf. B., 35'i; G., 3io ; Bos., I, ix, 58; Faug., I, 19J; Hav., VI, 55 ; Mol., II, i52; Mien., 22.

5. La Bruyère a développé cette pensée : c Un homme en place doit aimer son prince, sa femme, ses enfants, et après eux les gens

78 PENSÉES.

choisissent bien ; car, s'ils font tous leurs efforts pour des sots, cela leur sera inutile, quelque bien qu'ils disent d'eux ; et même ils n'en diront pas du bien, s'ils se trouvent les plus faibles \ car ils n'ont pas d'autorité ; et ainsi ils en médiront par compa- gnie.

83] 156

Ferox gens, nullam essevitam sine arrnis rail'. Ils aiment mieux la mort que la paix ; les autres aiment mieux la mort que la guerre.

Toute opinion peut être préférable à la vie, dont l'amour paraît si fort et si natureP.

d'esprit... Quels petits bruits ne dissipent-ils pas? quelles histoires ne réduisent-ils pas à la fable et à la fiction? Ne savent-ils pas justifier les mauvais succès par les bonnes intentions ; prouver la bonté d'un dessein et la justesse des mesures par le boniieur des événements ; s'élever contre la malignité et l'envie pour accorder à de bonnes entreprises de meilleurs motifs ; donner des explications favorables à des apparences qui étaient mauvaises; détourner les petits défauts, ne montrer que les vertus, et les mettre dans leur jour ; semer en mille occasions des faits et des détails qui seront avantageux, et tourner le ris et la moquerie contre ceux qui oseraient en douter ou avancer des faits contraires?... » {Des Grands.')

1. [Manque.]

156

Cf. B., 8; C, 20; P. R., XXIX, 38; Bos., I, ix, .',1; Faug., I, 210 ; Hav., Y!, 3S; Mol., I, 86; Micu., 2'40.

2. [Gioi're.] On lit dans Montaigne : « Caton, consul, pour s'asseurer d'aulcunes villes en Espaigne, ayant seulement interdict aux habitants d'icelles de porter les armes, grand noml)re se tuèrent : ferox gens, nullam vitam rati sine armis esse » (I, 4o). La citation est de Tite-Live, XXXIV, 17.

3. « Toute opinion est assez forte pour se faire espouser au pri.x de la vie. » (Mont., I, 4o.)

SECTION II. 79

•442] i57

Contradiction: mépris de notre être, mourir pour rien, haine de notre être.

2i] Î58

Métiers. La douceur de la gloire est si grande \ qu'à quelque objet qu'on l'attache, même à la mort, on l'aime ^

*44o] 159

Les belles actions cachées sont les plus estima- bles^: quand j'en vois quelques-unes dans l'histoire comme page 18V, elles me plaisent fort ; mais enfin

157

Cf. B., 40; C, 67; Faug., II, 89; Moi., I, C- Micii., 7C1.

158

Cf. B., 9; C, 23; P. R., XXIV, 2; Bos., I, v, i ; Falg., I, 209; Hav., II, I bis; Mol., I, 88; Mich., 45.

I. [Puisque.]

a. [Qui y tient.]

159

Cf. B., 366; C, 322; P. R., ult., XXIX, 25; Bos., I, n, 21; Faug., I, 2o5;Hat., VI, 18; Mol., I, 87; Mien., 748.

3. « La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde. » (La Rochefoucauld, Max., 216.)

4. « On est porté à croire, dit Havet, que Pascal renvoie ici h la page i84 de l'édition des Essais de Montaijjne dont il se servait. Je trouve en effet ù la page i84 de l'édition de i635 en un volume in- folio (celle que Mlle de Gournay a dédiée au cardinal de Richelieu), des traits qui paraissent être ceux que Pascal avait en vue : « Cette « belle et noble femme de Sabinus, patricien romain, pour l'interest « d'aultruy supporta seule sans secours, et sans voix et gémissement, « l'enfantement de deux iumeaux. Un simple garsonnet de Lacede-

80 PENSÉES.

elles n'ont pas été tout à fait cachées, puisqu'elles ont été sucs ; et quoiqu'on ait fait ce qu'on ait pu pour les cacher, ce peu par oii elles ont paru gâte tout ; car c'est le plus beau, de les avoir voulu cacher'.

lôg] 160

L'éternuenient absorbe toutes les fonctions de rame, aussi bien que la besogne" ; mais on n'en tire pas les mêmes conséquences contre^ la grandeur de

« mone ayant desrobbé un regnard..., et l'ayant mis sous sa cappe, « endura plustost qu'il luy eust rongé le ventre que de se descouvrir. « Et un aultre, donnant de l'encens à un sacrifice, se laissa brusler « iusques à l'os par un charbon tumbé dans sa manche, pour ne trou- « bler le mystère... » (I, xl.) Voil;\ trois belles actions cachées, et pas assez cachées pourtant au gré de Pascal. Voir encore Mont., III, X : « A mesure qu'un bon eflect est plus esclatant, ie rabbats de « sa bonté le sour.pecon en quoy i'entre, qu'il soit produict plus pour « estre esclatiuit que pour estre bon ; estalé, il est à demi vendu. Ce « actions ont bien plus de grâce, qui eschappent de la main de « l'ouvrier, nonchalamment et sans bruict, et que quelque honneste « homme choisit aprez et r'esleve de l'umbre, pour les poulser en « lumière à cause d'elles mesmes. »

1. C'était la règle que Pascal s'était imposée à lui-même dans ses actions de charité (cf. la Vie écrite par Mme Périer, apud Opuscules et Pensées de Pascal, Hachette, 1897, p. 29).

160 Cf. B., An ; C, 387; Faug., 1, i(j3; IIav., XXV, 5; Mol., I, /,0 et 1, Itb; MicH., 38^.

2. La première Copie corrige: le plaisir. Allusion à un passage de Montaigne (111, v) qui se termine ainsi : « Le sommeil suffoque et supprime les Facultez de nostre ame : la besongne les absorbe et dissipe de mesme ; certes, c'est une marque non seulement de nostre corruption originelle, mais aussi de nostre vanité et desformité. » Au début de VEssai suivant, Montaigne écrit : « Me demandez-vous d'où vient cette coustume de bénir ceulx qui esternuent ?... Parce qu'il [l'éler- nument] vient de la teste et est sans blâme, nous luy faisons cet hon- neste recueil. »

3. [L'homnie.]

SECTION II. 81

riiomme, parce que c'est contre son gré. Et quoi- qu'on se le procure, néanmoins c'est contre son gré qu'on se le procure ; ce n'est pas en vue de la chose même, c'est pour une autre fin* : et ainsi ce n'est pas une marque de la faiblesse de l'homme, et de sa servitude sous cette action.

■Il n'est pas honteux à l'homme de succomber sous la douleur, et il lui^ est honteux de succomber sous le plaisir. Ce qui ne vient pas de ce que la dou- leur nous vient d'ailleurs, et que nous recherchons le plaisir ; car on peut rechercher la douleur, et y succomber à dessein \ sans ce genre de bassesse ^ D'oii vient donc qu'il est glorieux à la raison de suc- comber sous l'effort de la douleur, et qu'il lui est honteux de succomber sous l'effort du plaisir *^.^ c'est que ce n'est pas la douleur qui nous tente et nous attire ; c'est nous-mêmes qui volontairement la choisissons et voulons la faire dominer sur nous ; de sorte que nous sommes maîtres de la chose ; et en cela c est l'homme qui succombe à soi-même ; mais, dans le plaisir, c'est l'homme qui succombe au plaisir. Or il n'y a que la maîtrise et l'empire qui fasse la gloire, et que la servitude qui fasse [la] honte.

1. Addition ultérieure.

2. [D'oii vient qu'il] n'est pas honteux à l'homme [de succomber sous le plaisir.]

3. [Lui] en surcharge.

4- A dessein en surcharge.

5. La phrase suivante à la marge.

6. [Mais.]

PENSÉES. II 6

82 PENSÉES.

79] 161

Vanité. Qu'une chose aussi visible qu'est la vanité du monde soit si peu connue que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c'est une sottise de chercher les grandeurs, cela est admi- rable I

487] 162

Qui voudra connaître à plein la vanité de l'homme n'a qu'à considérer les causes et les effets de l'amour. La cause en est un je ne sais quoi (Corneille)', et les effets en' sont effroyables. Ce je ne sais quoi^, si peu de chose qu'on ne peut le reconnaître, re- mue toute la terre, les princes, les armées, le monde entier.

161

Cf. B., 5; G., 17; Bos., I, is, Ga ; Faug., I, 207; Hav., VI, 59; Mol., I, 63 ; Mien., 222.

162

Cf. B., 197; C, 9; Bos., I, IX, 46; Faug., I, 207; Hav., VI, 43 bis \ Mol., I, 89; MicH., 862.

I. Voir Médée, II, 6 :

Souvent je ne sais quoi qu'on ne peut exprimer Nous surprend, nous emporte, et nous force d'aimer.

Rodogune, I, 5 : Les âmes

S'attachent l'une à l'autre et se laissent piquer Par ces je ne sais quoi qu'on ne peut expliquer.

On avait discuté le je ne sais quoi dans l'entourag-e de Mme de Sablé, témoin cette pensée de l'abbé d'Ailly : « Ces mots de sympathie, de je ne sais quoi, de qualités occultes, et mille autres, ne signifient rien » (V. Cousin, Madame de Sablé, i854, p- 86; cf. p. 95).

a. En surcharge.

3. [Qu'on en peut.]

SECTION II. 83

Le nez de Cléopâtre* : s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé.

79] 163

Vanité. La cause et les effets de l'amour : Cléo- pâtre.

Première Copie 90] 163 bis

[Rien ne montre mieux la vanité des hommes que de considérer quelle cause et quels effets de l'amour ; car tout l'univers en est changé : le nez de Cléopâtre.]

23] 164

Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit et dans le divertis- sement, dans la pensée de l'avenir.»^ Mais, ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher dennui ; ils sentent alors leur néant ^ sans le connaître : car

I. Le nom de Cléopâtre n'est pas prononcé tout à fait au hasard. Cléopâtre était l'héroïne de Méré, comme César était son héros. (Cf. en particulier le discours des Agréments, p. 127.)

163 Cf. B., i3; C, 3o ; Faug., I, 207; Mol., I, 89; Mich., 219.

163 bis Cf. C, 116; Faug., I, 286; Mol., I, 89; Mich., 888.

164

Cf. B., 9; C, 23; Bos., I, 11, 62; Faug., II, Ai ; Hav., VI, âg bis ; Mol., I, 63; Mich., 47.

a. [Qu'ils ne connaissent.]

84 PENSÉES.

c'est bien être ' malheureux que d'être dans une ^ tristesse insupportable ^ aussitôt qu'on est réduit à se considérer, et à n'en être point diverti.

4i5] 165

Pensées. In omnibus requiem qaœsivi'". Si notre condition était véritablement heureuse, il ne nous faudrait pas divertir d'y penser pour nous^ rendre heureux.

78] i65 bis

Si notre condition était véritablement heureuse, il ne faudrait pas nous divertir d'y penser.

142] 166

Divertissement^. La mort est plus aisée à

1 . [Dans le néant que d'être en telle condition que [en une condition si malheureuse.]

2. [Dernière.]

3. Insupportable, en surcharge.

165

Cf. B., 404; C, 2o3; P. R., XXIX, 20; Bos., I, ix, 25; Faug., 11,42; Hav., VI, 22; Mol., I, 60; MicH., 665.

4. Ecclésiastique, XXIV, 1 1 : Et omnium excellentium et humilium corda virtute calcavi : et in his omnibus requiem quœsivi, et in hereditate Domini morabor.

5. [Réjouir.]

165 bis Cf. B., 21 ; C, 4o; Bos., ix, 25; Faug., II, 42 note; Mien., 199. .

166

Cf. B., 59; C, 82; P. R., XXXI, 3; Bos., ï, ix, 61 ; Faug., II, 4o ; Hav., VI, 58; Mol , I, 58; Mich., 354-

6. Ce titre général est un souvenir de Montaigne : L'Essai IV du livre m est intitulé de la Diversion ; les idées sont déjà celles que Pascal reprend dans les fragments qui précèdent.

SECTION IL 80

supporter sans y penser, que la pensée de la mort sans péril ' .

27] 167

Les misères de la vie humaine ont fondé tout cela ; comme ils ont vu cela, ils ont pris le divertissement ^

I . Voici ce qu'on trouve dans Montaigne d'une part : « ie trouve par expérience que c'est plustost l'impatience de l'imagination de la mort qui nous rend impatients de la douleur, et que nous la sentons doublement griesve de ce qu'elle nous menace de mourir. « (I, 4o). Cf. I, 17 : « Tant de gents qui, de l'impatience des poinctures de la peur, se sont pendus, noyez et précipitez, nous ont bien apprins qu'elle est encores plus importune et plus insupportable que la mort. » Et d'autre part : « le me plonge, la teste baissée, stupidement dans la mort, sans la considérer et recognoistre. » (Cf. III, xii et Charron, Sagesse, I, xxxix, 9.) La même idée se trouve exprimée par Méré : « La crainte de la mort est plus sensible que la mort même. » (^Max. 76); ce qui, d'ailleurs, est une traduction de Publius Syrus :

Mortem timere crudelius est quam mori.

La Rochefoucauld a développé à son tour ce Heu commun sous diffé- rentes formes, par exemple (^Max. 21): « Ceux qu'on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort qui n'est en effet que la cra-nte de l'envisager : de sorte qu'on peut dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le ban- deau est à leurs yeux. » Cf. la Maxime 5o^, la dernière du livre, sur la fausseté du mépris de la mort, qui est comme le couronnement du livre des Maximes. On trouve enfin dans La Bruyère deux variantes de cette pensée : « La mort n'arrive qu'une fois, et se fait sentir à tous les moments de la vie : il est plus dur de l'appréhender que de la souffrir. C'est plus tôt fait de céder à la nature et 'de craindre la mort, que de faire de continuels efforts, s'armer de raisons et de ré- flexions, et être continuellement aux prises avec soi-même, pour ne la pas craindre. » (De l'Homme.)

167

Cf. B., 2; C, i5; Faug., II, /ii ; Mol., I, 58; Mich., 65.

3. Mont., III, IV : « Quand les médecins ne peuvent purger le catharre, ils le divertissent et desvoyent à une aultre partie moins dangereuse : le m'apperceois que c'est aussi la plus ordinaire recepte aux maladies de l'ame : on luy faict peu chocquer les maulx de droit

86 PENSÉES.

I2i] i68

^Divertissement. Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux ^ de n'y point penser \

lai] 169

Nonobstant ces misères, il veut être heureux, et

fil ; on ne luy en faict ny soutenir ny rabattre l'attaincte, on la luy faict décliner et gauchir. (De la diversion). »

168

Cf. B., 53; C, 75; P. R., XXVI, 4; Bos., I, tu, 4; Faug., II, 89; Hav., IV, 5; Mol., I, 58; Mien., 3io.

1 . [Les hommes, pour se.]

2. [Pour se rendre heureux] en surcharge.

3. Port-Royal fait suivre cette phrase du développement suivant, qui termine le chapitre sur la Misère de l'homme et qui en fait, dans l'esprit des éditeurs, un tout littérairement et moralement achevé : « C'est tout ce qu'ils ont pu inventer pour se consoler de tant de maux. Mais c'est une consolation bien misérable, puisqu'elle va non pas à guérir le mal, mais à le cacher simplement pour un peu de temps, et qu'en le cachant elle fait qu'on ne pense pas à le guérir véritablement. Ainsi, par un étrange renversement de la nature de l'homme, il se trouve que l'ennui, qui est son mal le plus sensible, est en quelque sorte son plus grand bien, parce qu'il peut contribuer plus que toutes choses à lui faire chercher sa véritable guérison, et que le divertissement, qu'il regarde comme son plus grand bien, est en effet son plus grand mal, parce qu'il l'éloigné plus que toute chose de chercher le remède à ses maux. Et l'un et l'autre sont une preuve admirable de la misère et de la corruption de l'homme, et en même temps de sa grandeur ; puisque l'homme ne s'ennuie de tout, et ne cherche cette multitude d'occupations, que parce qu'il a l'idée du bonheur qu'il a perdu : lequel, ne trouvant point en soi, il le cherche inutilement dans les choses extérieures, sans se pouvoir jamais contenter, parce qu'il n'est ni dans nous, ni dans les créatures, mais en Dieu seul. » (XXVI, li.)

i6g Cf. B., 53; C, 75; Faug., II, 42; Mol., I, 58; Mien., 3ii.

SECTION II. 87

ne veut être qu'heureux, et ne peut ne vouloir pas l'être ; mais comment s'y prendra-t-il? Il faudrait, pour bien faire, qu'il se rendît immortel ; mais, ne le pouvant, il s'est avisé de s'empêcher d'y pen- ser*.

Première Copie 53] 170

Divertissement. Si l'homme était heureux, il le serait d'autant plus qu'il serait moins diverti, comme les saints et Dieu. Oui ; mais n'est-ce pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertis- sement ? Non ; car il vient d'ailleurs et de dehors ; et ainsi il est dépendant, et partant, sujet à être troublé par mille accidents qui font les afflictions inévitables".

1. « Le but de nostre carrière, c'est la mort; c'est l'obiect néces- saire de nostre visée : si elle nous effroye, comme est il possible d'aller un pas sans fiebvre ? Le remède du vulgaire, c'est de n'y penser pas : mais de quelle brutale stupidité luy peult venir un si grossier aveuglement? » (Mont., I, 19.) La Rochefoucauld : « Il faut éviter de l'envisager [la mort] avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire qu'elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s'empêcher de la considérer; mais tout homme qui la sait voir telle qu'elle est, trouve que c'est une chose épouvantable. » (Frag- ment de la maxime 5o4-)

170

Cf. G.,75; P. R., XXIX, 12; Bos., I, IV, 16; Faug., II, 4o ; Hav., VI, i3; Mol., I, 58; Mich., 886.

2. Dans Montaigne lui-même, et il est inutile de dire combien il en a être frappé Pascal avait rencontré la critique du diver- tissement : « Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent ; de mort, nulles nouvelles : tout cela est beau ; mais aussi, quand elle arrive ou à eulx, ou à leurs femmes, enfants et amis, les surprenant en dessous ou à descouvert, quels torments, quels cris, quelle rage et quel de-

88 PENSÉES.

79] 171

Misère. La seule chose qui nous console' de nos misères est le divertissement, et cependant c'est la plus grande de nos misères ; car c'est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre " insensiblement. Sans cela, nous serions dans l'ennui, et cet ennui nous pousse- rait à chercher un moyen plus solide d'en sortir ; mais le divertissement nous amuse, et nous fait arri- ver insensiblement à la mort^

21] 172

^Nous ne nous tenons jamais au temps présent ^ Nous anticipons l'avenir comme trop lenl*^ à Aenir,

sespoir les accable? vistes vous jamais rien si rabbaissé, si chang'é, si confus? Il y fault pourveoir de meilleure heure : et cette nonchalance bestiale, quand elle pouvoit loger en la teste d'un homme d'enten- dement, ce que ie treuve entièrement impossible, nous vend trop cher ses denrées. » (I, xix.)

171

Cf. B., 198 ; C, 99 ; Bos., I, vu, 3 ; Faug., II, t,o ; Hav., II, 4 ; Mol., I, 69 ; MicH., 2 iC.

1. De nos miscres, en surcharge.

2. Nous dirions aujourd'hui nous fait perdre.

3. Cf. le développement de Port-Royal pour son chapitre xxvi, que nous avons cité en note du fragment 189, page 53.

172

Cf. B., i.S; C, 3i; P. R., XXIV, 12; Bos., I, vi, 5; Faug., II, 43 ; Hav., III, 5; Mol., I, iio; Mich., 42.

4. [Le temps qui nous a portés jusqu'ici par sa succession continuelle nous a plus accoutumés au branle que.]

5. [iVous appelons l'avenir [le passé.]

6. [Ou rappelons.]

SECTION II. 89

comme pour hâter son cours : ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt' : si im- prudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres ' et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que^ nous songeons k ceux qui ne sont rien, et échappons* sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordi- naire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afllige ; et s'il nous" est agréable, nous regrettons de le voir échapper. ?sous tâchons de le soutenir par lavenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps nous n'avons aucune assurance d'ar- river.

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à lavenir. Nous ne pen- sons^ presque point au présent ; et, si nous y pen- sons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul

I. [L'avenir, et voyons.]

3. [Et qui sont [et sommes si imprudents que.]

3. Si vains que, en surcharge.

4. Echapper j employé comme actif n'était plus guère usité au xviie siècle, que dans le sens d'éviter. Aussi la Copie corrige-t-elle laissons échapperj mais au ivi^ siècle échapper s'emploie avec le com- plément direct dans le sens de laisser échapper : « Ce lévrier n'es- chappoyt ni lièvres ni renards devant lui. » (Rabelais apud Littré). Cf. Montaigne : « Qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et eschapper. »

5. [Plaît.]

6. [Presque jamais.]

90 PENSÉES.

avenir est notre fin \ Ainsi^ nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre; et^ nous disposant toujours à être heureux', il est inévitable que nous ne le soyons jamais °.

1. Pascal s'est souvenu du troisième cliapitre du I^'' livre dea Essais, qui débute ainsi : « Ceulx qui accusent les hommes d'aller tousiours béants aprez les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens présents et nous rasseoir en ceulx là, comme n'ayants aulcune prinse sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs, s'ils osent appeler erreur chose à quoy nature mesme nous achemine pour le service de la continuation de son ouvrage : nous impriment, comme assez d'aultres, cette imagination faulse, plusialouse de nostre action que de nostre science.

« Nous ne sommes iamais chez nous ; nous sommes tousiours au delà : la crainte, le désir, l'espérance, nous eslancent vers l'advenir, et nous desrobbent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. »

La Bruyère a dit également : « La vie est courte et ennuyeuse ; elle se passe toute à désirer. L'on remet à l'avenir son repos et ses joies, à cet âge souvent les meilleurs biens ont déjà disparu, la santé et la jeunesse. Ce temps arrive, qui nous surprend encore dans les dé- sirs : on en est là, quand la fièvre nous saisit et nous éteint ; si l'on eût guéri, ce n'était que pour désirer plus longtemps. » (La Bruyère, De l'Homme.^ Enfin on connaît le vers de Voltaire auquel renvoyait déjà Condorcet :

Nous ne vivons jamais, nous attendons la vie.

2. [Notre.]

3. [Jamais nous ne pouvons jouir d'une heure.] 4- fWous ne le sommes.]

5. On trouve dans les Lettres à Mlle de Roannez (VIII, olim. 7) une transposition religieuse de ces remarques psychologiques : « Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu. C'est nos pensées doivent être principalement comptées. Cependant le monde est si inquiet, qu'on ne pense presque jamais à la vie présente et à l'instant l'on vit; mais à celui l'on vivra. De sorte qu'on est toujours en état de vivre à l'avenir, et jamais de vivre maintenant. »

SECTION 11. 91

137] 173

Ils disent que les éclipses présagent malheur, parce' que les malheurs sont ordinaires, de sorte qu'il arrive si souvent du mal, qu'ils devinent sou- vent : au lieu que s'ils disaient qu'elles présagent bonheur, ils mentiraient souvent. Ils ne donnent le bonlieur qu'à des rencontres du ciel rares ; ainsi ils manquent peu souvent à deviner".

*77] 174

Misère. Salomon^ et Job ont le mieux connu et le mieux parlé de la misère de l'homme : l'un le plus heureux, et 1 autre le plus malheureux ; l'un connaissant la vanité des plaisirs par expérience, 1 autre la vérité des maux.

173 Cf. B., 337; C, 280; Favg , I, 210; Hav., XXV, i3; Mol., I, ii4;

MiCH., 325.

I . [Qu'elles sont ordinaires et.]

3. C'est l'exemple que la Logique de Port-Royal reprend, pour illus- trer le sophisme post hoc ergo propter hoc : « Que s'il arrive quelquefois des g-uerres, des mortalités, des pestes et la mort de quelque prince après des comètes ou des éclipses, il en arrive aussi sans comètes et sans éclipses ; et d'ailleurs ces effets sont si généraux et si communs, qu'il est bien difficile qu'ils n'arrivent tous les ans en quelque endroit du monde : de sorte que ceux qui disent en l'air que cette comète menace quelque grand de la mort, ne se hasardent pas beaucoup. » (Troisième partie, ch. XIX, sect. 3.)

174

Cf. B., 196; C, 7; P. R., XXVIII, 45; Bos , II, xvn, 58; Faug., II, 79; Hat., XXIV, 48; Mol., I, 68; Mich., 2i5.

3. C'est-à-dire, pour Pascal, l'auteur de V Ecclésiasle .

92 PENSÉES.

2i] 174 bis

Misère. Job et Salomon.

43i] 175

Nous nous connaissons si peu que plusieurs pen- sent aller mourir quand ils se portent bien ; et plu- sieurs pensent se porter bien quand ils sont proches de mourir, ne sentant pas la fièvre prochaine, ou l'abcès prêt à se formera

229] 176

Gromwell allait ravager toute la chrétienté ; la famille royale était perdue, et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. Rome même^ allait trembler sous

174 bis Cf. B., 20; C, lio; Faug., II, 79; MicH., hi.

175

Cf. B., 38o; C, SSq; Faug., I, 199; Hav., XXV, 8; Mol., I, 43; MicH., 717.

1. Pascal se souvient ici d'un passagfe de Montaigne : « Combien a la mort de façons de surprinse ?

Quid quisque vitet, nunquam homini satis Gautum est in lioras !

le laisse à part les fiebvres et les pleurésies, » etc. (I, 19).

176

Cf. B., 3o3; C, 2G3 ; P. R., XXIV, i4; Dos., I, ti, 7; Faug., I, i85 ; Hav., ill, 7; Mol., I, ii5; Mich., 485.

2. Même en surcharge.

SECTION II. 93

lui : mais ce petit gravier s'étant mis là, il est mort, sa famille abaissée', tout en paix, et le roi rétabli'.

73] 177

[Trois hôtes.] Qui aurait eu l'amitié du roi d'An- gleterre \ du roi de Pologne et de la reine de Suède, aurait-il cru manquer de retraite et d'asile au monde?

49] 178

Macrobe : des innocents tués par Hérode*.

I. [Et.]

3. Olivier Cromwell est mort en septembre i658 (d'une fièvre maligne et non de la gravelle, fait remarquer Havet). Son fils Richard lui succéda comme protecteur, mais il ne garda le pouvoir que quelques mois ; en mai 1660 Monk fit rendre le trône au fils de Charles i®"". Le fragment a été écrit au plus tôt en mai 1660.

177

Cf. B., 19; C, 38; P. R., XXIX, 34; Bos., I, ix, 38; Faug., I, 187; Hat., VI, 35; Mol., I, ii3; Mich., 2o5.

3. Charles i^"" fut décapité, comme on sait, en 16^9 ; la reine Christine abdiqua en i654- Quant au roi de Pologne, Jean Casimir, il fut dépossédé de son royaume en i656, mais il le reprit dans le cours même de l'année ; c'est probablement, comme le remarque Havet, en i656 que ce fragment a été écrit. Pascal inaugure le thème des Rois en exil que \oltaire a développé d'une façon si brillante et qui est un lieu commun de la littérature contemporaine. Ces trois noms que réunit Pascal sont rapprochés également par La Roche- foucauld dans des Réflexions diverses, XVII : Des événements de ce siècle.

178 Cf. B., i64; C, 194; Faug., 11,384; Mol., II, i4; Mich., i3o.

4. « Cum audisset Interpueros quos in Syria Herodes rex Judœorum intra bimatum jussit interfici, filium quoque ejus occisum, ait Mallem Herodis porcus esse quam Jilius . » (Saturnales, IV, 4, p- n)-

94 PENSÉES.

Première Copie Sg^) 179

Quand Auguste eut appris qu'entre les enfants qu'Hérode avait fait mourir au-dessous de l'âge de deux ans, était son propre fils, il dit qu'il était meilleur d'être le pourceau d'Hérode, que son fds\ Macrobe, livre II, Sat., chap. iv.

*Mi2] 180

Les grands et les petits ont mêmes accidents, et mêmes fâcheries, et mêmes passions ; mais l'un est au haut de la roue, et l'autre près du centre, et ainsi moins agité par les mêmes mouvements ^

179

Cf. C, 3G5; Faug., II, 384;Hav., XXV, 198; Mol., II, i4; Mich., gôB.

1. Un motanalog'ue se retrouve dans la vie de Diog'ènele Cynique: « Ayant remarqué à Mégare que les moutons y étaient gras et cou- verts de bonne laine au lieu que les enFants y étaient presque tous nus : « J'aimerais mieux, dit-il, être mouton que fils d'un Mégarien. » (Traduction de Racine, Ed. Mesnard, t. V, p. 5i6.)

180

Cf. B., 379 ; C, 339 ; P. R., XXIX, 35 ; Bos., I, iv, 3i ; Faug., I, 187 ; Hav., VI, 28 ; Mol., I, n3; Mien., 766.

2. Pascal s'est souvenu de Montaigne : « Les âmes des empereurs et des savatiers sont iecteesamesme moule : considérants l'importance des actions des princes, et leur poids, nous nous persuadons qu'elles soient produictes par quelques causes aussi poisantes et importantes ; nous nous trompons: ils sont menez et ramenez en leurs mouvements par les mesmes ressorts que nous sommes aux nostres ; la mesme raison, qui nous faict tanser avecques un voisin, dresse entre les princes une guerre ; la mesme raison, qui nous faict fouetter un laquay, tumbant en un roy, luy faict ruyner une province ; ils veulent aussi legierement que nous, mais ils peuvent plus ; pareils appétits agitent un ciron et un éléphant. » (^Apol.)

SECTION II. 95

67] 181

Nous sommes si malheureux que nous ne pou- vons prendre plaisir à une chose qu'à condition de nous fâcher si elle réussit mal ' ; ce que mille choses peuvent faire, et font, à toute heure. [Qu/]' aurait trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point ; c'est le mouvement perpétuel.

*44o] X82

Ceux qui, dans de fâcheuses affaires, ont toujours bonne espérance, et se réjouissent des aventures heureuses, s'ils ne s'affligent également des mau-

181

Cf. B., i5; C, 33; P. R., XXIX, 36; Bos., I, ix, 66; Faug., I, igi ; Hat., VI, 63; Mol., I, m; Mich., 189.

1. Dans une lettre qui paraît écrite à Domat vers 1661, Pascal condamne cette disposition chez ses amis de Paris : « Ils croient rendre service à Dieu en murmurant contre les empêchements, comme si c'était une autre puissance qui suscitât leur piété, et une autre qui donnât vigfueur à ceux qui s'y opposent. C'est ce que fait l'esprit propre. Quand nous voulons par notre propre mouvement que quel- que chose réussisse, nous nous irritons contre les obstacles, parce que nous sentons dans ces empêchements ce que le motif qui nous fait agir n'y a pas mis, et nous y trouvons des choses que l'esprit propre qui nous fait agir n'y a pas formées. »

2. Le mot manque dans le manuscrit.

3. C'est-à-dire que l'idéal proposé ici est aussi incompatible avec les conditions de l'activité humaine que l'idéal de la perpétuité est incompatible avec les conditions du mouvement terrestre.

182

Cf. B., 365; C, 32ii ; Faug., I, 19/,; Hat., XXV, G; Mot., I, 124 ; Mich., 7^6.

96 PENSÉES.

vaises, sont suspects d'être bien aises de la perte de l'affaire ; et sont ravis de trouver ces prétextes d'es- pérance pour montrer qu'ils s'y intéressent, et cou- vrir par la joie qu'ils feignent d'en concevoir celle qu'ils ont de voir l'affaire perdue \

27I 183

Nous courons sans souci dans le précipice ^ après que nous avons mis quelque chose devant nous '^ pour nous empêcher de le voir\

1 . Cette pensée subtile semble compléter la précédente, en répondant h une exception qu'elle présente. Que faut-il penser de ceux qui sont toujours disposés à prendre le bon côté des choses et à faire contre mauvaise fortune bon cœur ? Tant qu'on reste dans les conditions humaines, leur conduite ne veut être interprétée que comme une marque de disslniulatl<jii et d'intérêt secret.

183

Cl. B., 80; C, io5; P. R,, I, i; Bos., II, n, i; Faug., II, 18; Hav., IX, 5; Mol., I, iG; Micii., 06.

2. [Pourvu qu'il y ait.]

3. [Qui] nous [empêche.]

4. [Et si.]

SECTION III

29] 184

Lettre* pour porter à rechercher Dieu.

Et puis le faire chercher chez les philosophes, pyrrhoniens et dogmatistes, qui travaillent celui qui les recherche.

409] 185

La^ conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur', est de mettre la ^ religion dans l'esprit par les raisons, et dans le cœur par la grâce; mais de la vouloir mettre dans l'esprit et dans le cœur par la force et par les menaces, ce n'est pas y mettre

184

Cf. B., i; C, i3; Faug., II, Sgo; Hav., XXV, 108 bis; Mol., II, 6i ; MicH., 72.

1. [De.]

185

Cf. B., 82; C, 107; Bos., II, XVII, 4; Faug., II, 178; Hat., XXIV, 3 ; Mol., 11,60; MicH., 652. ' ' / '

2. [Religion.]

3. Qui dispose... douceur en surcharge.

4. [Vérité.]

PENSÉES. Il 7

98 PENSÉES.

la religion, mais la terreur, ierrorem poilus qaam religionem ' .

142] 186

Ne, si terrerentur et non docerentar, improha quasi dominatio videretur {Auq. Ep. /i8 ou 49"). IV tom : Contra mendaciuin ad Consentium^ .

37] 187

Ordre. Les hommes ont mépris pour la reli- gion ; ils en ont haine, et peur qu'elle soit vraie. Pour guérir cela, il faut commencer ^ par montrer

1. Cf. le développement de Grotius contre les Mahométans auxquels il reproche leur prosélytisme belliqueux : Ha ui nihil armis obtendere possint, nisi solam religionem, quod maxime est irreligiosum. Nam cultus Dei nullus est, nisi ab animo volente procédât. Vohnlas autemdocendo et suadendo elicitur, non minis, non vi » (De verit. rcl. christ., VI, 7).

186

Cf. B., 3iG; C, 3oo; Faug., II, ici; Mich., 367.

2. [SiJ.-C.]— Il s'agit de la lettre 48 selon l'ancien ordre ; elle est au tome II de l'édition de Bâle sous ce titre : De vi corrigendis hœreticis contra Donatistas, Epistola ad Vincentium : « Si enim terre- rentur, et non docerentur, improba quasi dominatio videretur. Rursus

docerenlur, et non terrerentur, vetustate consuetudinis obdurati ad capessendam viam salutis plgrius moverentur. »

3. Renvoi probable à l'édition de Saint-Augustin publiée à Bâle en 1628; le tome IV s'ouvre par deux opuscules: De mendacio ad Consentium liber mus, Contra mendacium ad eumdem liber unus.

187

Cr B., 3; C, i5; P. R., XXVIII, 38; Bos., II, xth, 36; Faug., II, 387; Hat., XXIV, 26; Mol., 11, 03; Mich., 69.

4. Commencer était dans la première rédaction le début du frag- ment.

SECTION l\l. 99

que la religion n'est point contraire à la raison \ vénérable, en donner respect ; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu'elle fût vraie ; et puis montrer qu'elle est vraie. Vénérable, parce qu'elle a bien connu l'homme; aimable, parce qu'elle promet le vrai bien '\

427]

188

Il faut, en tout dialogue et discours ^ qu'on puisse dire à ceux qui s'en offensent : de quoi vous plai- gnez-vous ?

25 189

Commencer par plaindre les incrédules, ils sont assez malheureux par leur condition ; il ne les fau- drait injurier qu'au cas que cela servît, mais cela leur nuit\

1. [Ensuite qu'eUe est au.]

2. « Il y a deux choses dans les vérités de notre relif^ion une beauté divine qui les rend aimables et une sainte majesté qui les rend vénérables. » (Xle Provinciale.)

188

""'^L'^":-'''' ^''''■^ '' '''■' H-. XXIV, 95; Mol., II, ,53;

3. [Qu'il y ait.]

189

^'^'a^.-' ^?i ^'J"^' ^°^' "' ^^"74; Faug., 11,38-- Hat XXIV 3 bis; Mol., II, 62 ; Mich., 56. ' ' ' '

4. Pascal faisait peut-être allusion au fameux livre du père Garasse contre qui saint Cyran avait engagé une polémique : la Doctrine cu- rieuse des Beaux Esprits de ce temps, les athéistes sont traités per- pétuellement de bélîtres, déjeunes veaux, etc. Cf. Introd, p lxxx

joo PENSÉES.

63] 190

Plaindre les athées qui cherchent \ car ne sont-ils pas assez malheureux? - invectiver contre ceux qui en font vanité.

io4] ^9'

Et celui-là se moquera de l'autre? qui se doit moquer ? et cependant, celui-ci ne se moque pas de l'autre, mais en a pitié.

46i] *9*

Reprocher à Miton de ne point se remuer, quand Dieu le reprochera ^

190

Cf. B., 78; C, io4; FxuG., H, .9; Mou, II, 6.; Mich., 173. I. Car... malheureux, en surcharge.

191 Cf. Faug., I, 291; Mol., II, 116; M.CH., 271.

192 Cf. B., 65:; C, .50; F.uG., II, 225 note; Hav., XXV, 9^ 1er; Mol.,

I, 16; Mich., 818. 0 C'est-à-dire puisque, comme le guando latin Puisque Dieu le repr'ocher plus ta^d, il est bon, dans l'intérêt de Miton lu.-meme c^ e reprocher dès maintenant. M. Michaut propose de ponctuer autre- mrReprocker à Milan de ne pas se remuer. Quand Dœu lerepr<. 71... La coniecture est ingénieuse; mais rien n';f ^-./-^.'^^ manuscrit que le fragment soit inachevé. - Arnauld écnvait à samt S :n dan's la lettre'où il le prie « de le recevoir sous sa condu, >^ « Je suis obligé de me reprocher h moi-même, at,n que Je us-Gnns e ::;: repr^he pas un jour, , la face de ses -.es, que j'a. retenu tant de temps la vérité en injustice » {Lettre du M dec. iG38).

SECTION III. 101

39] 193

Quicl fiet hominibus qui minima contemnunt, ma- jora non credunt ' ?

Première copie 209] 194

... Qu'ils apprennent au moins quelle est la reli- gion qu'ils combattent, avant que de la combattre. Si cette religion se vantait d'avoir une vue claire de Dieu, et de la posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui la montre avec cette évidence". Mais puisqu'elle dit au contraire que les hommes sont dans les ténèbres et dans l'éloignementde Dieu, qu'il s'est caché k leur connaissance, que c'est même le nom qu'il se donne dans les Ecritures, Deus abs- conditus ^ ; et enfin, si elle travaille également à éta- blir ces deux choses, que Dieu a étabh des marques sensibles dans l'Eglise pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement, et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu'il ne sera

193

Cf. B., 420; C, Sgô ; Faug., II, 4o3 ; Mich., 97.

1. Cf. Charron, Sagesse j II, v, 6: « L'esprit Immain n'est capable que des choses médiocres, méprise et dédaigne les petites, s'étonne et se transit des grandes. »

194

Cf. C, 419; P. R., I, i; Bos., II, il, i; Faug., II, 5; Hav., IX, i ; Mol., I, I ; Mich., 898.

2. Cf. Sect. VIII, et particulièrement fr. 556 et 585.

3. Vere tu es Deus absconditus, Deus Israël salvator^ Isaïe, XLV, l5. Cf. fr. 242.

102 PENSEES.

aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la négligence ils font profession d'être de cher- cher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre, puisque cette obscurité ils sont, et qu'ils objec- tent à l'Eglise, ne fait qu'établir une des choses qu'elle soutient, sans toucher à l'autre, et établit sa doctrine, bien loin de la ruiner?

Il faudrait, pour la combattre, qu'ils criassent qu'ils ont fait tous leurs efforts pour chercher partout, et même dans ce que l'Eglise propose pour s'en instruire, mais sans aucune satisfaction. S'ils parlaient de la sorte, ils combattraient à la vérité une de ses prétentions. Mais j'espère montrer ici qu'il n'y a personne raisonnable * qui puisse parler de la sorte, et j'ose même dire que jamais personne ne l'a fait. On sait assez de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s'instruire, lorsqu'ils ont employé quelques heures à la lecture de quelque livre de l'Ecriture, et qu'ils ont interrogé quelque ecclésias- tique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d'avoir cherché sans succès dans les livres " et parmi les hommes. Mais, en vérité, je leur dirai' ce que j'ai dit souvent, que cette négligence n'est

I. Littré cite un autre exemple de personne suivi d'un qualificatif : « Cela me console un peu de ce larcin oiî personne de bon sens ne peut reconnaître mon ouvrage. » (J.-7. Rousseau, Lettre à Lalliaud, l'y mars 1769.)

3. A la page a 10 de la Première copie.

3. Lecture de la copie : dirais.

SECTION III. 103

pas supportable. Il ne s'agit pas ici de l'intérêt léger de quelque personne étrangère, pour en user de cette façon ; il s'agit de nous-même, et de notre tout.

L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est'. Toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit être notre dernier objet.

Ainsi notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite ; et c'est pourquoi, entre ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence de ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s'en ins- truire, à ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser ^

Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute, qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui n'épargnant rien pour en sortir, font de cette recher- che leurs principales et leurs plus sérieuses occu- pations.

^Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à

1. Cf. le fr. 319.

2. Cf. Section IV et en particulier fr. 957.

3. A la pa^e 211 de la Première copie.

104 PENSEES.

cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu'ils ne trouvent pas eux-mêmes les lumières qui les en persuadent, négligent de les chercher ailleurs, et d'examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité cré- dule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles- mêmes, ont néanmoins un fondement très solide et inébranlable, je les considère d'une manière toute différente * .

Cette négligence en une afiaire oij il s'agit d'eux- mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit ; elle m'étonne et m'épou- vante, c'est un monstre pour moi ; je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle"; j'en- tends au contraire qu'on doit avoir ce sentiment par un principe d'intérêt humain et par un intérêt d'amour-propre ; il ne faut pour cela que voir ce que voient les personnes les moins éclairées.

Il ne faut pas avoir l'âme fort élevée pour com- prendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu'enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre dans peu d'années dans l'horrible néces- sité d'être éternellement ou anéanti ou malheureux.

Il n'y a rien de plus réel que cela ni de plus ter- rible. Faisons tant que nous voudrons les braves ;

1. Voir fr. ig^j bis (i).

2. Voir fr. 194 bis (2).

SECTION III. lOo

voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde'. Qu'on fasse réflexion dessus et qu'on dise ensuite s'il n'est pas indubitable qu'il n'y a' de bien en cette vie qu'en l'espérance d'une autre vie, qu'on n'est heureux qu'à mesure qu'on s'en approche, et que, comme il n'y aura plus de malheurs pour ceux qui avaient une entière assurance de l'éternité, il n'y a point aussi de bonheur pour ceux qui n'en ont aucune lumière.

C'est donc assurément un grand mal que d'être dans ce doute ; mais c'est au moins un devoir indis- pensable de chercher, quand on est dans ce doute : et ainsi celui qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble et bien malheureux et bien injuste ; que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que ce soit de cet état même qu'il fasse le sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier une si extravagante créature^.

peut-on prendre ces sentiments.^ quel sujet de joie trouve-t-on à n'attendre plus que des misères sans ressource * .^^ quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables % et comment se peut-il faire que ce raisonnement se passe dans un homme raisonnable ?

I. Cf. fr. 210.

3. Page 213 de la Première copie.

3. \oir fr. ig4 bis (3).

4- Voir fr. ig^ bis (4).

5. Ces dernières lignes se retrouvent dans les papiers de Doniat qui les avait copiées ; Faugère les a publiées parmi les Pensées de Domat.

106 PENSEES.

« Je no sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, nique moi-même; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses ; je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, et ne se connaît non plus que le reste, je vois ces effroyables' espaces de l'univers qui" m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de celte vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'en un autre de toute l'éternité qui m'a précédé et de toute celle qui me suit^ Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m'enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour. Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir, mais ce que j'ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter.

« Comme je ne sais d'oij je viens, aussi je ne sais je vais ; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage ; voilà mon état, plein de faiblesse et d'in- certitude ; et de tout cela, je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à cher-

1. CF. fr. 206: « Le silence éternel de ces espaces infinis m'ef- fraie. »

2. A la pagfe 2i3 de la Première copie.

3. Cf. fr. ao5.

SECTION III. 107

cher ce qui doit m'arriver. Peut-être que je pour- rais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes ; mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher, et après, en traitant avec mé- pris ceux qui se travailleront de ce soin, je veux aller sans prévoyance et sans crainte, tenter un si grand événement, et me laisser mollement* conduire à la mort, dans l'incertitude de l'éternité de ma con- dition future. )) (Quelque certitude qu'ils eussent, c'est un sujet de désespoir plutôt que de vanité)'.

^Qui souhaiterait d'avoir pour ami un homme qui discourt de cette manière? qui le choisirait entre les autres pour lui communiquer ses affaires .^^ qui aurait recours à lui dans ses afflictions .^^ Et enfin à quel usage de la vie on le pourrait destiner ?

En vérité, il est glorieux à la religion d'avoir pour ennemis des hommes si déraisonnables % et leur op- position lui est si peu dangereuse, qu'elle sert au contraire à l'établissement de ses vérités ; car la foi chrétienne ne va presque qu'à établir ces deux choses : la corruption de la nature, et la rédemption de Jésus- Christ"; or, je soutiens que s'ils ne servent pas à montrer la vérité de la rédemption par la sainteté de leurs mœurs, ils servent au moins admirablement à

1. L'expression vise les libertins, particulièrement peut-être Montaigne qui « ne pense qu'à mourir lâchement et mollement par tout son livre ». (fr. 63.)

2. La parenthèse est transcrite en marge sur la Copie qui reproduit, habituellement, l'aspect du manuscrit original.

3. A la page ai4 de la Première copie.

4. CF. fr. 194 bis (5), 194 ter (i).

5. Cf. fr. 533.

108 PENSEES.

montrer la corruption de la nature par des senti- ments si dénaturés*.

Rien n'est si important à l'homme que son état^ rien ne lui est si redoutable que l'éternité ; et ainsi, qu'il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril d'une éternité de misères, cela n'est point naturel : ils sont tout autres à l'égard de toutes les autres choses, ils craignent jusqu'aux plus légères, ils les prévoient, ils les sentent ; et ce même homme qui passe tant de jours et de nuits dans la rage et dans le désespoir pour la perte d'une charge ou pour quelque ofFense imaginaire à son honneur, c'est celui-là même qui sait qu'il va tout perdre par la mort, sans inquiétude et sans émotion ^ C'est une chose '' monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes \ C'est un enchantement Mncom-

1. Cette pensée est développée dans les fragments 200, 201 et 202 ; elle est interprétée dans la section VIII (fr. 556-568).

2. Voir fr. ig^ ter^ 2.

3. Voir fr. 194 bis (6). Cf. La Bruyère : « D'où vient que les mêmes hommes qui ont un flegme tout prêt pour recevoir indiffé- remment les plus grands désastres s'échappent, et ont une bile inta- rissable sur les plus petits inconvénients ? Ce n'est pas sagesse en eux qu'une telle conduite, car la vertu est égale et ne se dément point : c'est donc un vice ; et quel autre que la vanité, qui ne se réveille et ne se recherche que dans les événements il y a de quoi faire parler le monde et beaucoup à gagner pour elle, mais qui se néglige sur tout le reste? (De l'Homme.^

4. A la page 2i5 de la Première copie.

5. Voir fr. igd his (7); 19/i fer (3) ; 197, et 198.

6. Enchantement est pris dans son sens original : incantation, mi- racle.

SECTION III. 109

préhensible, et un assoupissement surnaturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause.

Il faut qu'il y ait un étrange renversement ' dans la nature de l'homme pour faire gloire ' d'être dans cet état, dans lequel il semble incroyable qu'une seule personne puisse être. Cependant l'expérience m'en fait voir en si grand nombre que cela serait surprenant, si nous ne savions que la plupart de ceux qui s'en mêlent se contrefont et ne sont pas tels en effet ^ ; ce sont des gens qui ont ouï dire que les belles manières du monde consistent à faire ainsi l'emporté ^ ; c'est ce qu'ils appellent avoir secoué le joug, et qu'ils essayent d'imiter. Mais il ne serait pas

1. L'expression se retrouve dans le fr. 198. Cf. fr. .828.

2. Tournure conforme à l'usage général du xvii^ siècle, et de Pascal lui-même: « Pour moi, écrivait-il à la reine Christine, n'étant pas sous le premier de vos empires, je veux que tout le monde sache que je fais gloire de vivre sous le second. »

3. « L'athéisme estant une proposition comme desnaturee et mon- strueuse, difficile aussi et malaysee d'establir en l'esprit humain, pour insolent et desreglé qu'il puisse estre, il s'en est veu assez, par vanité et par fierté de concevoir des opinions non vulgaires et reformatrices du monde, en affecter la profession par contenance ; qui, s'ils sont assez fols, ne sont pas assez forts pour l'avoir plantée en leur con- science. » (Mont., Apol.)

4- \oir fr. 194 6's (8). A oici un passage de Bossuet qui éclaire cette acception du mot emporté : « Nous les voyons, ces emportés, qui se plaisent à faire les grands par leurs licences, qui s'imaginent s'élever bien haut au-dessus des choses humaines par le mépris des lois, à qui la pudeur même semble une faiblesse indigne d'eus parce qu'elle montre dans sa retenue quelque apparence de crainte. » Sermon de 1669 sur le Jugement dernier. Cf. Massillon : « Combien de maisons à demi-éteintes voient tous les jours finir dans les débauches et dans la santé ruinée d'un emporté toute l'espérance de leur postérité et toute la gloire des titres qu'une longue suite de siècles avait amassés sur leur tète. » (Sermon pour le vendredi de la 3" semaine du carême.)

110 PENSÉES.

difficile de leur faire entendre combien ils s'abusent en cherchant par de l'estime. Ce n'est pas le moyen d'en acquérir, je dis même parmi les per- sonnes du monde qui jugent sainement des choses et qui savent que la seule voie d'y réussir est de se faire paraître honnête, fidèle, judicieux et capable de servir utilement son ami, parce que les hommes n'aiment naturellement que ce qui peut leur être utile. Or, quel avantage y a-t-il pour nous à ouïr dire à un homme' qu'il a donc secoué le joug, qu'il ne croit pas qu'il y ait un Dieu qui veille sur ses actions, qu'il se considère comme seul maître de sa conduite, et qu'il ne pense en rendre compte qu'à soi-même ^ ? pense-t-il nous avoir porté par à avoir désormais bien de la confiance en lui et en attendre des consolations, des conseils et des secours dans tous les besoins de la vie ^ ? prétendent-ils nous avoir bien réjoui, de nous dire qu'ils tiennent que notre âme n'est qu'un peu de vent et de fumée, et encore de nous le dire d'un ton de voix fier et content .►^ Est-ce donc une chose à dire gaîment .►^ et n'est-ce pas une chose à dire tristement, au con- traire, comme la chose du monde la plus triste ''? ^ S'ils y pensaient sérieusement, ils verraient

1. La copie qui nous a conservé ce fragment porte : à ouïr dire à un homme qui nous dit (ju'il a secoué ; il y a manifestement confusion entre deux tournures successives que devait contenir le manuscrit : ouïr un homme qui nous dit qu'il a, et ouïr dire à un homme qu'il a.

2. Voir fragment ig^ bis (g).

3. Voir fragment 194 bis (10) et 196.

4. Voir fr. 194 bis (l l).

5. A la page 3 16 du manuscrit.

SECTION III. m

que cela est si mal pris, si contraire au bon sens, si opposé à l'honnêteté et si éloigné en toutes manières de ce bon air ' qu'ils cherchent, qu'ils seraient plutôt capables de redresser que de corrompre ceux qui auraient quelque inclination h les suivre. Et en effet, faites-leur rendre compte de leurs sentiments et des raisons qu'ils ont de douter de la religion ; ils vous diront des choses si faibles et si basses, qu'ils vous persuaderont du contraire ; c'était ce que leur disait un jour fort à propos une personne : si vous continuez à discourir de la sorte, leur disait-il, en vérité vous me convertirez" ; et il avait raison, car qui n'aurait horreur de se voir dans des senti- ments où l'on a pour compagnons des personnes si méprisables ?

Ainsi ceux qui ne font que feindre ces sentiments seraient bien malheureux de contraindre leur naturel pour se rendre les plus impertinents des hommes ^ S'ils sont fâchés dans le fond de leur cœur de n'avoir pas plus de lumière, qu'ils ne le dissimulent pas : cette déclaration ne sera point honteuse ; il n'y a de honte qu'à n'en point avoir. Rien n'accuse davantage une extrême faiblesse d'esprit que de ne pas con-

1. Voir fr. 19^ bis (la) et igi ter (li). Dans le Discours des agré- ments : Méré fait une dissertation sur le bon air : « Le bon air qui me semble très difficile est tout à fait nécessaire aux agréments, et c'est même une espèce d'agrément que le bon air : car il plaît toujours. »

2. Voir fr. 194 bis (i3). Havet voit dans ce trait l'original du mot attribué à Duclos : « Ils en feront tant qu'ils me feront aller à confesse. »

3. Cf. Montaigne, Apologie: «Hommes bien misérables et escer- vellez, qui tasehent d'estre pires qu'ils ne peuvent. »

112 PENSÉES.

naître quel est le malheur d'un homme sans Dieu ' : rien ne marque davantage une mauvaise disposition du cœur que de ne pas souhaiter la vérité des pro- messes éternelles ; rien n'est plus lâche que de faire le brave contre Dieu ^ Qu'ils laissent donc ces im- piétés à ceux qui sont assez mal nés pour en être véritablement capables ; qu'ils soient au moins hon- nêtes gens s'ils ne peuvent être chrétiens, et qu'ils reconnaissent enfin qu'il n'y a que deux sortes de personnes qu'on puisse appeler raisonnables ; ou ceux qui servent Dieu de tout leur^ cœur parce qu'ils le connaissent, ou ceux qui le cherchent de tout leur cœur, parce qu'ils ne le connaissent pas*.

Mais pour ceux qui vivent sans le connaître et sans le chercher, ils se jugent eux-mêmes si peu dignes de leur soin, qu'ils ne sont pas dignes du soin des autres, et qu'il faut avoir toute la charité de la religion qu'ils méprisent, pour ne les pas mépriser jusqu'à les abandonner dans leur folie ^ Mais, parce que cette religion nous oblige de les regarder tou- jours, tant qu'ils seront en cette vie, comme capa- bles de la grâce qui peut les éclairer, et de croire qu'ils peuvent être dans peu de temps plus remplis de foi que nous ne sommes, et que nous pouvons au contraire tomber dans l'aveuglement oii ils sont,

1. Voir fr. 194 bis (i4)-

2. Voir fr. 194 6/s (i5). Cf. Montaigne: « que peult on imaginer plus vilain que d'estre couard à l'endroict des hommes, et brave à l'endroict de Dieu ? » (II, 18).

3. A la page 217 de la Première copie.

4. Voir fr. 194 ter (5) et 267.

5. Voir fr. 194 6is(i6 et 17).

SECTION III. 113

il faut faire pour eux ce (|ue nous voudrions qu'on fît pour nous si nous étions à leur place*, et les appeler à avoir pitié d'eux-mêmes, et à faire au moins quelques pas pour tenter s'ils ne trouveront pas de lumières. Qu'ils donnent à cette lecture quelques-unes de ces heures qu'ils emploient si inu- tilement ailleurs : quelque aversion qu'ils y appor- tent, paut-ètre rencontreront-ils quelque chose, et pour le moins ils n'y perdront pas beaucoup ; mais pour ceux qui y apporteront une sincérité parfaite et un véritable désir de rencontrer la vérité, j'espère qu'ils auront satisfaction, et qu'ils seront convaincus des preuves d'une religion si divine, que j'ai ramas- sées ici, et dans lesquelles j'ai suivi à peu près cet ordre...

**2o5] 194 bis

_ . (I)

[On doit avoir pitié des uns et des autres ; mais on doit avoir pour les uns une pitié qui naît

I. Voir fr. 194 bis (18).

194 bis

Cf. B., 436; C, 399; Faug., II, 30; MicH., li'4Ô. (Pour les éditions BossuT, Havet, Molimer, voir, s'il y a lieu, à chaque paragraphe). La page 3o5 du manuscrit (complétée par la page 221 de la copie) con- tient une série de courtes notes, jetées sans ordre aucun, remarquables parce qu'elles nous ouvrent un jour sur les procédés de travail familiers à Pascal. Au sortir de sa méditation, il marquait d'un mot ou d'un trait saillant le souvenir et la place de chacun des paragraphes qui devaient entrer dans le développement de sa préface; le plus souvent, à mesure qu'il les avait utilisées, il barrait ces notes, quelques-unes sont dictées ; nous les indiquons par un astérisque. On trouvera dans le commentaire du fragment 194 l'indication des renvois.

(0

Cf. Mol., I, 16.

114 PENSÉES.

de tendresse, et, pour les autres, une pitié qui naît de mépris.]

(**2)

[Je ne prends point cela par système, mais par la manière dont le cœur de Thomme est fait non par un zèle de dévotion et de détachement, mais par un principe purement humain, et par un mouvement d'intérêt et d'amour-propre, et parce que c'est une chose qui nous intéresse assez pour nous en émouvoir, d'être assurés qu'après tous les maux de la vie, une mort inévitable, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement dans peu d'années... dans l'horrible nécessité...]

(**3)

[Il est sans doute qu'il n'y a point de bien sans la connaissance de Dieu, qu'à mesure qu'on en approche' on est heureux, et que le dernier bonheur est de le connaître avec certitude, qu'à mesure qu'on s'en éloigne on est malheureux, et que le dernier malheur serait la certitude du contraire.

C'est donc un malheur que de douter, mais c'est un devoir indispensable de chercher dans ce doute ;

Cf. ^loL., 16. Lignes autofjr;iplies dispersi^es à travers la page lia iiiaiiuscrit. La Première copie donne à la page 217 le coinpiémeiit de ce fragment, ;\ partir du mot amour-propre.

GP. Mol., I, i55 et I, i5.

I. Qu'on en approclie : addition autographe au texte dicté.

SECTION III. 113

et ainsi, celui qui doute et qui ne cherche pas, est tout ensemble malheureux et injuste; que s"il est avec cela gai et présomptueux, je n'ai point de terme pour qualifier une si extravagante créature.]

(4) [Quel sujet de joie, de ne plus attendre que des misères sans ressources ! quelle consolation, dans le désespoir de tout consolateur !]

(5) Mais^ ceux-là mêmes qui semblent les plus opposés à la gloire de la religion n'y seront pas inu- tiles pour les autres ; nous en ferons le premier argu- ment, qu'il y a quelque chose de surnaturel : car un aveuglement de cette ^ sorte n'est pas une chose natu- relle ; ' et si leur fohe les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par rhorreurd'un^ exemple si déplorable et d'une fohe si digne de compassion.

(6) Est-ce qu'ils sont si fermes qu'ils soient insen-

Gf. Mol., I, i5.

(5) Cf. Bos., II, XVII, 8; Hav., XXIV, 8 bU Mol., I, 3ii.

1. [...Us ne seront pas inutiles.]

2. [Nature.]

3. [Ainsi.]

4. [si.]

(6) Cf. Mol., I, 43.

H6 PENSÉES.

sibles à tout ce qui les touche ? éprouvons-le dans la perte des biens ou de l'honneur : quoi ! c'est un enchantement...

(7) Cependant il est certain que l'homme est si dénaturé qu'il y a dans son cœur une semence de joie en cela.

(8)

[Les gens de cette sorte sont académistes, éco- liers \ et c'est le plus méchant caractère d'homme que ie connaisse.]

(9)

Le bon air va à n'avoir pas de complaisance, et

(7)

Cf. Mol., I, i5.

(8) Cf. Mol., I, i6.

I. Ecoliers, c'est-à-dire imitateurs des belles manières dont ils ont entendu parler. Académistes, c'est-à-dire sceptiques de parti pris. Le mot se retrouve employé comme synonyme de libertin, dans cette phrase curieuse de Saint-Simon que cite Littré : « Avec un extérieur austère, il {liarley ftW) était aussi parfaitement débauché et aussi ouvertement qu'un jeune académiste ». Sainte-Beuve cite un passage d'une lettre de saint Gyran à Arnauld d'Andilly se retrouve ce mot A'' Académislc , mais plutôt comme synonyme A'' Académicien : « Je vous avoue que vos langages et vos tempéraments que vous donnez aux paroles, je dis les Académistes, ne s'accordent point avec l'élo- quence des pensées, des actions et des mouvements que donne la vérité divine à celui qui la connaît et qui l'aime » (Port-Royal, édit., t. II, p. 2o).

(9)

Cf. Hav., XXV, i35; Mol., II, 88.

SECTION III. 117

la bonne piété à avoir complaisance pour les autres.

(-10)

[Le beau sujet de se réjouir, et de se vanter, la tête levée en cette sorte : Donc, réjouissons-nous, vivons sans crainte et sans inquiétude, et attendons la mort puisqu'il est incertain, et nous verrons alors ce qu il arrivera de nous... Je n en vois pas la conséquence] \

(")

Est-ce une chose à dire avec joie'.^ c'est une chose qu'on doit donc dire tristement.

Cl2)

Cela n'est point du bon air.

(i3) Vous me convertirez.

(10)

Cf. Moi., I, i5.

I. M. Molinier imprime: Donc réjouissons-nous ; je n'en vois pas la conséquence, puisqu'il est incertain ; et nous verrons alors ce qui arrivera de nous. M. Michaut lit : attendons le reste, puisqu'il est incertain, et nous verrons alors ce qui arrivera de nous. Je n'en vois pas la consé- quence. »

00

Cf. Mol., I, i6.

a. [Et si nous avons un aussi profond.] (13)

Cf. Mol., II, 8o.

118 PENSEES.

[N'en être pas fâché et ne pas aimer à... est un effet de faiblesse d'esprit, et non* de malice dans la volonté.]

(•.5)

[Est-ce courage à un homme mourant, d'aller ^ dans la faiblesse et dans l'agonie, affronter un Dieu tout-puissant et éternel ?]

(•,6)

[Cela montre qu'il n'y a rien à leur dire : non par mépris, mais parce qu'ils n'ont pas le sens com- mun ; il faut que Dieu les touche.]

(•■7) [Il faut bien ctre dans la religion qu'ils mépri- sent, pour ne les pas mépriser.]

(•i8) [Que je serais heureux, si j'étais en cet état, qu'on

(I4)

I. Non lecture douteuse.

(i5)

Cf. Bos., II, .xvii, 85 ; Hav., XXIV, 45 ; Mol.

, I, i5.

2. Mourant, d'aller en surcharge.

(i6) Cf. Mol., I, i6.

(17) CF. Mol., I, i6.

(i8) Cf. Mol., I, i5.

SECTION III. 119

eût pitié de ma sottise, et qu'on eût la bonté de m'en tirer malgré moi !]

(19)

N'est-ce pas assez qu'il se fasse des miracles en un lieu, et que la Providence pairaisse sur un peuple ?

Première Copie 317] 194 ter

(I)

Je leur demanderais s'il n'est pas vrai qu'ils véri- fient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu'ils combattent, qui est que la nature de l'homme est dans la corruption ' .

(=)

Rien n'est important que cela, et on ne néglige que cela.

(3)

C'est tout ce que pourrait faire un homme qui serait assuré de la fausseté de cette nouvelle; encore

(ï9) Cf. Hav., XXV, i34; Mol., II, 88.

194 ter

Cf. C, 433; Faug., II, 20; Mich., 445. Pour rédition Molinier, voir à chaque paragraphe.

(0

Cf. Mol., I, 253.

I. Cf. fr. 202.

Cf. Mol., I, 16.

(=»)

Cf. Mol., I, 16.

(3)

120 PENSEES.

ne devrait-il pas être dans la joie, mais dans l'abat- tement.

(^)

Il ne faut pas dire de cela que c'est une marque de raison.

(5) Les trois conditions'.

Première Copie 217] 195

Avant que d'entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve nécessaire de représenter l'in- juslice des hommes qui vivent dans l'indifférence de chercher la vérité d'une chose qui leur est si impor- tante et qui les touche de si près.

De tous leurs égarements, c'est sans doute celui qui les convainc le plus de folie et d'aveuglement, et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premières vues du sens commun ^ et par les sentiments de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n'est qu'un instant, que l'état

(4)

Cf. Mol., I, 17.

(5) Cf. Mol., I, 17.

I. Ces trois conditions sont décrites dans le fragment 25" : « Il n'y a que trois sortes de personnes, les unes qui servent Dieu, l'ayant trouvé; les autres qui s'emploient à le chercher, ne l'ayant pas trouvé; les autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouvé. »

Ï95 Cf. C, 637; P. R., I, i; Faig., II, i5; IIav., IX, 2; Mol., I, 12; Mien., 8gf).

3. A la pa^je 218 de la Première copie.

SECTION III. t21

de la mort est éternel, de quelque nature qu'il puisse être, et qu'ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l'état de cette éternité, qu'il est impossible de feiire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vérité de ce point qui doit être notre dernier objet.

Il n'y a rien de plus visible que cela et qu'ainsi, selon les principes de la raison, la conduite des hommes est tout à fait déraisonnable, s'ils ne pren- nent une autre voie. Que l'on juge donc là-dessus de ceux qui vivent sans songer à cette dernière fin de la vie, qui se ladssent conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude, et, comme s'ils pouvaient anéantir l'éternité ' en en détournant leur pensée, ne pensent à se rendre heu- reux que dans cet instant seulement.

Cependant cette éternité subsiste, et la mort, qui la doit ouvrir et qui les menace à toute heure, les doit mettre infailhblement dans peu de temps dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux, sans qu'ils sachent laquelle de ces éternités leur est à jamais préparée".

Voilà un doute d'une terrible conséquence. Ils sont dans le péril d'une éternité de misères ; et sur cela, comme si la chose n'en valait pas la peine, ils négligent d'examiner si c'est de ces opinions que le peuple reçoit avec une facilité trop crédule, ou de

I. Voir la variante fr. igS bis. 3. Voir fr. 194 bis (3).

1-2-2 PENSEES.

celles qui, étant obscures d'elles-mêmes, ont un fon- dement très solide quoique caché. Ainsi ils ne savent s'il y a vérité ou fausseté dans la chose, ni s'il y a force ou faiblesse dans les preuves ; ils les ont devant les yeux, et ils refusent d'y regarder, et dans cette ignorance ils prennent le parti de faire tout ce qu'il faut pour tomber dans ce malheur au cas qu'il soit, d'attendre à en faire l'épreuve à la mort, d'être cepen- dant fort satisfaits en cet état, d'en faire profession et enfin d'en faire vanité. Peut-on penser sérieuse- ment à l'importance de cette affaire sans avoir hor- reur d'une conduite si extravagante ?

Ce repos dans cette ignorance est une chose mon- strueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie', en la leur représentant à eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie. Car voici comme raison- nent les hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont et sans recher- cher d'éclaircissement. « Je ne sais », disent-ils...

Première Copie 221] 195 bis

[Notre imagination nous grossit si fort le temps présent, à force d'y faire des réflexions continuelles, et amoindrit tellement l'éternité, manque d'y faire

I. Expression de Montaigne : « Le remède du vulgaire, c'est de n'y penser pas; mais de quelle brutale stupidité Juy peull venir un si grossier aveuglement (I, 19).

195 bis

Cf. C, '|33; P. R., XXIV, i3; Bos., I, vi, G; Faug., II, 20 ; Hav., III, G; Mol., 1, 84; Micu., i'i5 (28).

SECTION III. 123

réflexion, que nous faisons de l'éternité un néant, et du néant une éternité ; et tout cela a ses racines si vives en nous, que toute notre raison ne peut nous en défendre, et que...]

4i3] 196

Les gens manquent de cœur; on n'en ferait pas son ami\

Première Copie 191] 197

D'être insensible à ^ mépriser les choses intéres- santes, et devenir insensible au point qui nous inté- resse le plus.

65] 198

La sensibilité de l'homme aux petites choses et l'insensibiHté^ pour les grandes choses *, marqued'un étrange renversement.

196

Cf. B., 385; C, 34;; pArc, I, 261 ; Hat., XXV, 117; Moi., II, ii5;

MiCH., 660.

1. Cf. fr. 3o : « Je hais également le bouffon et Fenflé ; on ne ferait son ami ni de l'un ni de l'autre. »

197

Cf. C, i; Faug., II, 38i ; Mol., I, 17; Mich., 895.

2. Mont., III, v: « L'application aux legieres choses nous retire des iustes. »

198

Cf. B., 36i ; C, 3i8; P. R., I, i ; Faug., II, 19; Mol., I, iG ; Mich., 182.

3. Lecture de la Première copie: aux plus grandes choses.

4. Charron avait écrit, commentant un passage de l'Evangile selon saint Mathieu (XXIII, 38 sqq.) : « Je leur dis ce que dit le Sauveur à

124 PENSÉES.

Première Copie 223] igg

Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns et les autres avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour '. C'est l'image de la condition des hommes.

6i] 200

Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n'ayant plus qu'une heure pour l'ap- prendre, cette heure suffisant, s'il sait qu'il est donné, pour le faire révoquer, il est contre nature qu'il em- ploie cette heure-là, non à s'informer si l'arrêt est donné, mais à jouer au piquet. Ainsi, il est surna- turel que l'homme, etc. "; c est un appesantissement

gens de pareil esprit : 0 hypocritse excolantes cuUcem et camelum degluUenles qui minima curatis, (jraviora spernitis. » (De la Sagesse, II,

ni, 9)

199

Cf. c, 435; P. R., ult., XXVIII. 20; Bos , I. vu, G; Facg., II, 23 ; Hav., IV, 7; Moi., I, i54 ; MicH., goi.

I. La dernière phrase a été ajoutée dans la Copie, vraiseinblal)le- meat en vue de l'impression.

Cf. B., 79; C, io5; P. R., 1, i ; Bos., II, 11, i; F.^ug., II, 18; Hav., XI, 4; MoL-, I, i5; Mich., i65.

3. Il est aisé de suppléer la phrase que Pascal laisse en suspens : (7 est surnaturel que l'homme passe sa vie à se divertir, sans se soucier du jugement qui est tout proche ; car, comme il le dit plus bas : Si on doit donner huit jours on doit donner toute la vie. Tout homme qui vit est

SECTION m. lâo

de la main de Dieu. Ainsi, non seulement le zèle de ceux qui le cherchent prouve Dieu, mais l'aveugle- ment de ceux qui ne le cherchent pas.

Première Copie 226] 201

Toutes les objections des uns et des autres ne vont que contre eux-mcmes, et point contre la religion Tout ce que disent les impies. . .

Première Copie 35o] 202

[' Par ceux qui sont dans le déplaisir de se voir sans foi, on voit que Dieu ne les éclaire pas; mais les autres, on voit qu'il y a un Dieu qui les aveugle.]

489] 203

Fascinatio nugacitatis". Afin que la passion ne

à la veille de mourir. Remarquez que contre nature dans le pre- mier exemple devient surnaturel dans le second ; Pascal interprète l;i dérogation à la loi de la nature comme l'effet d'une cause supérieure à la nature.

201 Cf. C, 438; Faig., II, 167 ; Mich., 911.

202

Cf. C, Soi ; Faug., II, 283; ^Lch., gii.

1. En marge de la Copie.

203 Cf. B., 191; C, I ; Faug., I, 23o; Mol., I, i5i; Mich., 872.

2. Sag., IV, 12. N'y a-t-il pas un souvenir de la lettre écrite par Arnauld à saint Cyran pour le prier de le recevoir sous sa con- duite, lettre mémorable que devaient connaître les amis de Port- Royal : « Je suis demeuré tant d'années dans une perpétuelle léthargie voyant le bien et ne le faisant pas ; et j'ai reconnu par une misé- rable expérience, la vérité de cette parole du Saint-Esprit : fascinatio

126 PENSÉES.

nuise point, faisons comme s'il n'y avait que huit jours de vie '.

*C3] 204

Si on doit donner huit jours de la vie, on doit donner cent ans.

!iç)i\ 204 bis

Si on doit donner huit jours, on doit donner toute la vie.

67] 205

Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée" dans l'éternité précédente et suivante, le petit espace que je ^ remplis et même que je vois, abîmé dans l'infmie immensité des espaces quej ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et m'étonne de me

nugacitalis obscurat bona »? (Arnauld, Œuvres, 1775, t. I, p. 2). Lancelot écrit clans ses Mémoires sur saint Cyran : « Il savait qu'il y a dans l'àme de l'iionime, une niaiserie qui l'ensorcelle, fascinatio nuga- citalis, comme dit l'Ecriture, qui fait que, quelque séparé qu'il soit, il s'occupe de lui-même, se multiplie et se divise, et que souvent il est moins seul que s'il était au milieu d'une multitude » (t. II, p. 106, apud Sainte-Beuve, Port-Royal, édit., t. II, p. 83).

1. Réflexion écrite au crayon par Pascal, recopiée d'une autre main.

204 Cf. li., 78; G., 10/4; Faug., 11, 27G; Micii., 170,

204 bis

Cf. D., i3i; C, 18',; Faug., I, 23o; Mol., I, i5/» ; Micii., 87/I.

205

Cf B., 20; C, 39; Faug., I, 22/i; Hav., XXV, iC; Moi., I, !n ; Mich.

188.

2. [Par.]

3. [Vois et que je.]

SECTION III. 127

voir ici plutôt que là, car il n'y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors : qui m'y a mis? par l'ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi ? Memoria hospitis unius cliei prœtereuntis\

Première Copie loi] 206

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie '\

*23] 207

Combien de royaumes nous ignorent !

I . En marge dans le manuscrit. Quoniam spcs impii tancjuam lanugo est, quœ a vento toUilur ; et tanquam spuma gracilis quœ a procella dis- pergitur ; et tanquam fumus qui a vento diffusas est: et tanquam memo- ria hospitis unius diei prastereuntis. Sagesse, V, xv.

206

Cf. C, iSg; Faug., I, 224 ; Hat., XXV, 17 bis; Mol., I, lu ; MicH.,889.

3. Ce cri pénétrant est d'un savant et d'un chrétien. Pour le géo- mètre l'univers oÉFre l'image de l'infinité et de l'éternité : il semble participer ainsi aux attributs de la divinité. Mais le Dieu du chvétien est un être moral, il est « sensible au cœur ». Or cet univers infini est « muet » (fr. ôgS), il est destitué de toute vie morale, il ne parle pas au cœur et il ne témoigne pas de Dieu. Ce monde qui emplit l'esprit du savant est comme un désert pour celui qui clierche Dieu. A la parole de Pascal il convient d'opposer la célèbre pensée de Kant qui exprime le sentiment contraire, la satisfaction de l'être capable de comprendre l'univers, d'unir sa destinée individuelle au sort du monde entier, égalée à la révélation de la loi morale qui l'élève à Dieu : « Deux choses remplissent l'âme d'une admiration et d'un respect toujours renaissants et qui s'accroissent à mesure que la pensée y revient plus souvent et s'y applique davantage : le ciel étoile au-dessus de nous, la loi morale au dedans. » (^Critique de la Raison pratique. Conclusion.^

207

Cf. B., 8 bis; C, 23; Faug., I, 22!,; Hav , XXV, 17 ; Moi., I, /ii ; MicH., 5!i.

128 I^ENSÉES.

/I9] 208

Pourquoi ma connaissance est-elle bornée ? ma taille? ma durée à cent ans plutôt qu'à mille? Quelle raison a eue la nature de me la donner telle, et de choisir ce nombre plutôt qu'un autre, dans rinfmilé desquels il n'y a pas plus de raison de choisir l'un que l'autre, rien ne tentant plus que l'autre ?

i63] 209

Es-tu moins esclave, pour être aimé et flatté de ton maître? Tu as bien du bien, esclave; ton maître te flatte, il te battra tantôt \

63] 210

Le dernier acte" est sanglant, quelque belle que

208

Cf. B.,89; C, ii5; Faug., I, 225; IIav., XXV, iG bis; Mol., I, /i3 ;

MiCH., 125.

209

Cf. R., 179; C, 211; Faug., I, 235; Hav., XXV, 28; Mol., IJ, 121; Mien., iJg'i.

I. Apostrojjlie au libertin qui s'est fait l'esclave du plaisir ; il se vante d'être flatté par un uiaître, qui inévitablement le quittera.

Cf. B., 8o;C., io5; P. R., XXIX, W; Dos., II, ivii, Gy ; Faig., I, 21/1 Hav., XXIV, 58; Mol., I, 11/,; Micii., 171.

2. Montai^pie avait dit: le bonlieur ne se doit « iamais attribuer à riionnne qu'on ne lui ayt veu iouer le dernier acte de sa comédie, et sans double le plus difficile » (I, xviii); et ailleurs il reparle ainsi de la mort : « Cette partie n'est pas du roole de la société, c'est l'acte ù un seul personnage. » (III, ix.)

SECTION III. 129

soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour' jamais.

63] 211

Nous sommes plaisants de nous reposer dans la société de nos semblables, misérables comme nous", impuissants comme nous : ils ne nous aideront pas ; on mourra seul. Il faut donc faire comme si on était seul ^ et alors*, bâtirait-on des maisons super- bes, etc. "? on cliercherait la vérité sans hésiter ; et, si on le refuse, on témoigne estimer plus l'estime des hommes, que la recherche de la vérité.

229] 212

Ecoulement. C'est une chose horrible de sentir écouler tout ce qu'on possède '

6

1. [L'éternité.]

211

Cf. B., 77; C, io3; P. R., VIII, i; Faug., II, 19; Hat., XIV, i; Mol., I, ii4 ; MicH., 179.

2. [On mourra seul.]

3. Et alors sans hésiter en surcharge.

4. [acb] peut-être achèterait-on.

5. \ a-t-il dans cet exemple un souvenir de la lettre autrefois écrite à Mme Périer pour détourner M. Périer du « dessein de sa maison ? » La lettre signée de Pascal et de sa sœur Jacqueline se ter- minait ainsi : « Nous te prions d'y penser sérieusement, de t'en résoudre et de l'en conseiller de peur qu'il arrive qu'il ait bien plus de prudence et qu'il, donne bien plus de soin et de peine au bâtiment d'une maison qu'il n'est pas obligé de faire qu'à celui de cette tour mystique, dont tu sais que saint Augustin parle dans une de ses lettres, qu'il s'est engagé d'achever dans ses entretiens. » (5 nov. 16A8.)

Cf. B., 395; C, 367; P. R., XXVIII, 16; Bos., II, xvn, 18; Faug., II, 80; Hav., XXIV, 16 bis; Mol., I, i53; Mich., 492.

6. « C'est ainsi que ie fonds, et eschappe à moy », dit Montaigne,

PENSÉES. II 9 .

130 PENSÉES.

63] "3

Entre nous, et l'enfer ou le ciel, il n'y a que la vie entre deux, qui est la chose du monde la plus fra- gile.

49] "*

Injustice. - Que la présomption soit jomte a la misère, c'est une extrême injustice ^

437] "5

Craindre la mort hors du péril, et non dans le péril ; car il faut être homme '

parlant des infirmités de sa vieillesse, et plus loin: « I' ^^J^ «^f bander l'ame, pour lui faire sentir co,n.ne elle s'escoule. » (HI, i3.)

,B.,„.C.,.o3;P.R.,I,^;F.u«.,II,i8;H.v.,IX,3;Mo..,I,

iC; Mien., 176.

214

Cf. B., 559; C, 3.6; F...., Il, 80; M". I. ■"■■»""• "'■

:: SlttLin de Pascal et tr,„scrl.i.«éd,ate»e.. a.-dessous par une main étrangère.

Cr.B.,38.;C.. 3.,;F..».. ."'.l-.H-, XXV.58., Mo..l,«;

MicH., 735.

p„„r l'épreu.e 'l" i-U™»"' ""■^ """:„ ^f l'a c„rpUssa„. cou.al

b:;ar,et:,i::,t^::rL^^^^^^^^^^^^^^

et ensuite tout fort. » (Fr. 800.)

man. Guerrier]

SECTION III. ^^^

2l6

Mort soudaine seule à craindre, et c'est pourquoi les confesseurs demeurent chez les grands.

" 217

C'est un héritier qui trouve les titres de sa maison- dira-t-il : peut-être qu'ils sont faux? - et nédi-

gera-t-il de les examiner? 27]

218

Cachot \ - Je trouve bon qu'on n'approfondisse pas 1 opmion de Copernic ^ : mais ceci ; il importe à

216

Cf. Fxro., I, .,i; H..., XXV, Sg ; Mo., I, ^3; M.ch., 965. 217

parti. Dans son fragment sur l'/n/?/)/ ;i 1 j « pcis, pris

autour de la terre et D.ll , 7 ^ " "mouvement des astres

il ne perd Îa^a 'de . "^""'"'' '" "°'"^ '^^"^ -^ ^-^t^ «^

théories de TvcToR Z '^^«°^=*"-^'- de Galilée, s'en tient au. maintenir aprèf '^."' ''""' °" ^^^^' ^^^^ -" P«-bJe de

i-ere .^oel. a Quand on discourt humainement du meuve-

132 PENSÉES.

toute la vie de savoir si l'âme est mortelle ou immor- telle. 73] 219

Il est indubitable que, que l'âme soit mortelle ou immortelle, cela doit mettre une différence entière dans la morale \ Et cependant les philosophes ont conduit leur morale indépendamment de cela : ils déhbèrent de passer une heure'.

ment ou de la stabilité de la terre, tous les phénomènes du mouve- ment'etdes rétrogradations des planètes, s'ensuivent parfaitement des hypothèses de Ptolémée, de Tycho, de Copernic et de beaucoup d'autres qu'on peut faire, de toutes lesquelles une seule peut être véritable. Mais qui osera faire un si grand discernement, et qui pourra, sans danger d'erreur, soutenir l'une au préjudice des autres? >> (OEavres, éd. Lahure, t. III, p. 16.)

2ig Cf B 356- C 312; P. R., XXIX, 43; Bos., II, xvn, 69; Faug., Il, 94 ;'Hav.', XXIV, 57 ter; Mol., I, 172 ; Mich., 200.

I Dans un 'article remarquable : La morale ancienne et la morale moderne M. V. Brochard écrit: « Enfin, et plus que tout le reste, ce qui creuse un abîme entre les deux morales, c'est que, dans la marche grecque, l'idée de l'immortalité ou de la vie future ne joue aucun rôle. Il ne pouvait en être autrement puisque le problème essentiel, on doit même aller jusqu'à dire le problème unique, est celui du bonheur, entendons le bonheur terrestre et dans les conditions de la vie présente... Il n'est pas exagéré de dire que la morale telle qu'on l'enseigne le plus souvent aujourd'hui repose tout entière sur la croyance h la vie future. Cette croyance disparue, elle s'effon- drerait. » {Bévue philosophique, janvier 1901.)

2. « La mort est moins à craindre que rien, s'il y avait quelque chose de moins que rien :

Malto... mortem minus ad nos esse putandam Si minus esse potest, quam quod nihil esse videmus. Elle ne vous concerne ni mort, ni vif: vif, parce que vous estes ; mort, parce que vous n'estes pas... que vostre vie finisse, elle y est toute. L'utilité du vivre n'est pas en l'espace : elle est en l'usage. » (Mont., I, 19.)

SECTION III. 133

Platon, pour disposer au christianisme*.

489] 220

Fausseté des philosophes qui ne ' discutaient pas l'immortalité de l'âme ; fausseté de leur dilemme dans Montaigne ^

63] 221

Les athées doivent dire des choses parfaitement claires ^ : or il n'est point parfaitement clair queTâme soit matérielle.

1. Allusion à un passag^e de Grotius. De Verit. Relig. chr. , IV, XI : « Plato, de Republica II, quasi praescius, ait, ut vere justus exhi- beatur, opus esse ut virtus ejus omnibus ornamentis spolietur, ita ut ille habeatur ab aliis pro sceleste, illudatur, suspendatur denique. Et certo summœ patientae exemplum ut exstaret, aliter obtineri non poterat. » Ailleurs (II, 2), Grotius invoque le mythe de Er, fils d'Arménios, pour prouver que Platon admettait la résurrection.

220 Cf. B., 197; C, 8; Faug., II, 98; Hat., IX, 6; Mol., I, 171; Mich.,

867.

2. [Pensaient.]

3. Pascal fait allusion à ce passage de VApologie : « Les philosophes ... ont ce dilemme tousiours en la bouche, pour consoler nostre mor- telle condition : « Ou l'ame est mortelle, ou immortelle : Si mortelle, elle sera sans peine ; Si immortelle, elle ira s'amendant. » Montaigne lui-même indique la fausseté : « Ils ne touchent iamais l'aultre branche: « Quoy, si elle va en empirant? » et laissent aux poètes les menaces des peines futures ; mais par ils se donnent un beau ieu. Ce sont deux omissions qui s'offrent à moy souvent en leurs discours. »

221 Cf. B., 79; C, io4: P.R., XXVIII, 19; Bos.,II, ivn, iç);Fkvg., I, 321; Hav., XXIV, 98; Mol., I, 172 ; Mich., 172.

4. [Mais.] « J'exigerai de ceux qui vont contre le train commun et les grandes règles, qu'ils sussent plus que les autres, qu'ils eussent des raisons claires, et de ces arguments qui emportent conviction. » (La Bruyère, Des esprits forts. ^

134 PENSÉES.

4l6] 222

Athées. Quelle raison ont-ils de dire qu'on ne peut ressusciter? quel ' est plus difficile, de naître ou de ressusciter, que ce qui n'a jamais été soit, ou que ce qui a été soit encore ? est-il plus difficile de venir en être que d'y revenir ? La coutume nous rend l'un facile, le manque de coutume rend l'autre impos- sible^ : populaire façon déjuger!

Pourquoi une vierge ne peut-elle enfanter ? une poule ne fait-elle pas des œufs sans coq? qui les distingue par dehors d'avec les autres ? et qui nous a dit que la poule n'y peut former ce germe aussi bien que le coq^ ?

45] 223

* Qu'ont-ils à dire contre la résurrection, et contre l'enfantement de la Vierge? qu'est-il plus difficile.

Cf. B.,^fi3; C, 262; Faug., 11,323; Hav., XXIV, 20 his; Mol., II, 16 ; MicH., 668.

1. Quel était encore employé en ce sens au xvii^ siècle. Cf. Rotrou (Venceslas, II, 2).

Quel des deux voulez-vous, ou mon cœur, ou ma cendre ?

2. Cf. les fragments sur la coutume. Sect. II, 89-98.

3. Havet a rapproché de ce fragment un texte de Tertullien : « Miraris haeci Et gallina sortita est de suo parire » (^Adversus Valen- tinianos, 10).

223

Cf. B., 117; C, i/,3; P. R., XXVIII, 22; Dos., II, xvii, 22 ; Faug., II, 323; Hav., XXIV, 28; Mol., II, 17; Mich., ii3.

4. Titre de la Première copie: Fondement de la religion. Réponse aux objections.

SECTION III. 133

de produire un homme ou un animal, que de le reproduire ? et s'ils n'avaient jamais vu une espèce d animaux, pourraient-ils deviner s'ils se produisent sans ' la compagnie les uns des autres ^ ?

4o3] 224

Que je hais ces sottises, de ne pas croire l'Eucha- ristie', etc. ! si l'Evangile est vrai, si Jésus-Christ est Dieu *, quelle difficulté y a-t-il ?

61] 225

Athéisme marque de force d'esprit % mais jusqu'à un certain degré seulement*.

I. Pascal avait écrit d'abord : sans compagnie.

3. C'est la question à laquelle répond la notion moderne de la par- thénogenèse. — Cf. Nicole, Pensées diverses, XMI : difficile à juger de ce qui est possible ou impossible.

224

Cf. B., 81 ; C, 107 ; Faug., II, 373; Hav., XXV, 53; Mol., II, 17; MicH., 638.

3. Dans une lettre à Mlle de Roannez (V, olim, 2), Pascal parle de l'Eucharistie comme du secret « le plus étrange et plus obscur. ».

4. « Il n'est pas plus difficile au Fils de Dieu de faire que son corps soit dans l'Eucharistie, en disant : Ceci est mon corps, que de faire qu'une femme soit délivrée de sa maladie en disant : Femme, tu es délivrée de la maladie. » (Bossuet, Exposition de la doctrine catho- lique.')

225 Cf. B., 78; C, loi; Faug., I, 221; Hat., XXIV, loi ; Mol., I, 172;

MiCH., 166.

5. En même temps que de Charron, Pascal se souvient peut-être, pour s'y opposer, de la formule employée par le P. Garasse : « Cette maxime des athéistes vient de stolidité d'esprit » ^Doctrine curieuse des Beaux Esprits, liv. IV, sect. XX).

6. Le P. Desmolets a publié pour la première fois cette pensée, en la modifiant d'une façon singulière : « Quelquefois, écrit Victor Cousin,

136 PENSÉES.

35] 226

Les impies, qui font profession de suivre la rai- son, doivent être étrangement forts en raison. Que disent-ils donc^? ne voyons-nous pas, disent-ils, mourir et vivre les bêtes comme les hommes, et les Turcs comme les Chrétiens ? ils ont leurs cérémo- nies, leurs prophètes, leurs docteurs, leurs saints, leurs religieux, comme nous, etc. Cela est-il con- traire à l'Écriture.»^ ne dit-elle pas tout cela^^

Desmolets, faute de comprendre Pascal ou n'osant lui imputer des énorraités, lui attribue des pensées bien vagues. Desmolets (p. 809.) Mémoires de littérature et d'histoire, tome V : « Athéisme, mangue « de force d'esprit, mais jusqu'à un certain point seulement. » On ne voit pas bien ce que cela signifie. Pascal a écrit de sa propre main, et en caractères très lisibles (ms. p. 61): Athéisme, marque de force « d'esprit, mais jusqu'à un certain degré seulement. C'est-à-dire que c'est force d'esprit de rejeter l'existence de Dieu au nom de la raison, pourvu qu'ensuite on l'accepte des mains de la révélation. Pascal est tout entier. Desmolets n'a pas osé le montrer tel qu'il est, et Bos- sut, reculant également devant le vrai et devant le faux, ne redresse ni ne maintient la citation de Desmolets: il la supprime. » (V. Cousin, Rapport sur les Pensées, partie.) Charron avait été plus loin que Pascal dans son traité des Trois Vérités : « Cette espèce d'athéisme, première, insigne, formée et universelle, ne peut loger qu'en une âme extrêmement forte et hardie. Illi robur (xs et triplex circa pectus erai) forcenée et maniacle. Certes il semble bien qu'il faut autant et peut-être plus de force et de roideur d'âme à rebuter et résolument se dépouiller de l'appréhension et créance de Dieu comme à bien et constamment se tenir ferme à lui. » (f*^ Vérité. 3"= chap.) La Bruyère conclut au contraire : « L'esprit fort, c'est l'esprit faible. » (^Des esprits forts. ^

226 Cf. B., 77; C, loa; P. R., XXVIII, i5 ; Bos., II, xvii, 18 ; Faug., II, i46; Hav., XXIV, lO; Mol., I, 323; Mich., 57.

1. Le fragment commençait d'abord ici.

2. Réflexion ajoutée en marge. Havet cite parmi les passages aux- quels songe Pascal les réflexions de VEcclésiaste (III, 18, 29); les

SECTION III. 137

Si VOUS ne vous souciez guère de savoir la vérité, en voilà assez pour vous laisser en repos ; mais si vous désirez de tout votre cœur de la connaître, ce n'est pas assez: regardez au détail. C'en serait assez pour une question de philosophie ; mais ici il va de tout'. Et cependant, après une réflexion légère de cette sorte, on s'amusera, etc. Qu'on s'informe de cette religion même si elle ne rend pas raison de cette obscurité ; peut-être qu'elle nous l'apprendra.

39] 227

Ordre par dialogues. Que dois-je faire .►^ Je ne vois partout qu'obscurités. Croirai-je que je ne suis rien ? croirai-je que je suis Dieu ?

Toutes choses changent et se succèdent. Vous vous trompez, il y a... ^

43] 228

Objection des athées : Mais nous n'avons nulle lumière.

déclarations de l'Évangile selon saint Mathieu sur les faux prophètes (VII, i5), sur la confusion de l'ivraie et du bon grain (XIII, 3o).

1. Cf. fr. 194.

227

Cf. B., i; C, i3; Faog., II, 889; Hat., XXV, 109; Mol., II, 61; MicH., 71.

2. Faugère et M. Michaut comprennent dans le même fragment que ces deux paragraphes le fragment 2^4 qui suit immédiatement dans le manuscrit, et qui contient également une esquisse de dialogue. Mais, comme ce dernier fragment porte sur un tout autre point de la discussion, il est possible de maintenir la séparation établie par Havet et Molinier.

228 Cf. B., 128; C, 1^9 ; Faug., II, i55 ; Mich., 109.

138 PENSÉES.

Première Copie 319] 229

Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et je ne vois partout qu'obscu- rité. La nature ne m'offre rien qui ne soit matière de doute et d'inquiétude ; si je n'y voyais rien qui marquât une Divinité, je me déterminerais à la né- gative' : si je voyais partout les marques d'un Créa- teur, je reposerais en paix dans la foi ; mais, voyant trop pour nier et trop peu pour m'assurer, je suis en un état à plaindre, et j'ai souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient, elle le marquât sans équivoque ; et que, si les marques qu'elle en donne sont trompeuses ^ elle les supprimât tout à fait ; qu'elle dit tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre^ ; au lieu qu'en l'état je suis, igno- rant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne con- nais ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connaître est le vrai bien, pour le

22g

Cf. C, 429; p. R., VIII, 1; Bos., II, VII, i; Faug., II, n8; I, 226; Hav., XIV, 2; XXV, 18; Mol., I, 169; II, 67; Mich., 900.

I. Ce mot, pris comme substantif, avait au xvii^ siècle un sens absolu qu'il n'a plus aujourd'hui. Voir les exemples cités par Littré, en particulier Bossuet : « On apprend (par la pénitence^ : à dire non, à dire je ne puis plus, à payer le monde de négatives sèches et vigou- reuses. » (Sermons, Vérit. convers., i) et Saint-Simon : « Le chance- lier pétillait, interrompait, faisait des négatives sèches », 3i5, 3i3. 3. La Copie répète [qu']elle les supprimât.

3. Voltaire a rapproché de ces mots les vers de Corneille {Heraclius, IV, IV) :

Que veux-tu donc, nature, et que prétends-tu faire ? De quoi parle à mon cœur ton murmure imparfait ? Ne me dis rien du tout, ou parle tout à fait.

SECTION III. 139

suivre : rien ne me serait trop cher pour l'éter- nité.

Je porte envie à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d'un don duquel il me semble que je ferais un usage si différent'.

17] 230

Incompréhensible que Dieu soit, et incompréhen- sible qu'il ne soit pas : que l'âme soit avec le corps, que nous n'ayons point d'âme; que le monde soit créé, qu'il ne le soit pas, etc. ; que le péché originel soit", et qu'il ne soit pas ^

1. Le dernier paragraphe a été publié isolé par les éditeurs mo- dernes. Ainsi présenté, il pouvait être interprété comme un aveu de Pascal, se désespérant de se sentir abandonné delà grâce et condamné à vivre hors de la foi. Mais la Copie qui nous l'a conservé en fait manifestement la suite du paragraphe précédent, et de toute évidence le fragment tout entier développe les objections des Athées. La phrase est placée par Pascal dans la bouche du libertin, et la véritable portée en est déterminée par là.

230

Cf. B., 420; C, 395; Faug., II, 181; Hav., XXIV, 97; Mol., I, 3i5; MicH., 3i.

2. Soit, en surcharge.

3. Pascal énonce quatre thèses et quatre antithèses, quatre antino- mies, comme dira Kant. Il importe de remarquer qu'il y a une diffé- rence essentielle entre l'incompréhensibilité des thèses et l'incom- préhensibilité des antithèses. Les thèses sont intrinsèquement incompréhensibles ; nous ne pouvons concevoir par raison ni l'exis- tence de Dieu, ni l'union de l'âme et du corps, ni la création du monde, ni le péché originel. Les antithèses sont incompréhensibles en fait, parce que des effets nous sont donnés dans la nature qui ne peuvent s'expliquer si l'on n'admet Dieu, l'âme, la création, le péché. Nous avons des témoignages visibles et palpables de ces réalités dont la raison nous refuse une conception claire. Or, entre la raison et le

140 PENSÉES.

8] 231

Croyez-vous qu'il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties? Oui. Je vous veux donc faire voir une chose infinie et indivisible'. C'est un point ^ se mouvant partout d'une vitesse infinie ; car il est un * en tous lieux et est tout entier en chaque endroit.

Que cet effet de nature', qui vous semblait im-

fait, en philosophie comme en physique, Pascal n'hésite pas ; c'est pourquoi, s'élevant au-dessus des objections de la raison qui réclame en vain l'évidence, et s'appuyant sur la foi, il conclura à la vérité des thèses, non justifiées directement par une affirmation rationnelle, mais fondées indirectement sur une double négation.

231

Cf. B., 206; C, 417; Bos., II, XVII, 3; Fahg., II, 170; Hav., XXIV, 2; Mol., I, 3i4; Mien., 18.

1. [Vne image de Dieu en son immensité]. Le début de la phrase en surcharge.

2. [Remuant.]

3. Un, en surcharge.

4. Les réflexions contenues dans le traité inachevé De l'esprit géo- métrique expliquent comment Pascal peut donner à cet exemple la valeur d'un fait naturel. Les deux infinis existent objectivement ; il est possible d'en réaliser la combinaison dans un mi^bile qui serait infini- ment petit et qui aurait une vitesse infiniment grande ; même en géo- métrie, Pascal retrouve cette vérité fondamentale pour lui, que le fait concret est supérieur ;i la raison abstraite. Cf. fr. 430 et la Logique de Port-Royal (IV, i). Voltaire avait critiqué cette pensée lors de sa publication, et il est assez curieux que Condoroet ait consacré cette critique, en citant ce fragment parmi ceux qu'il convient de suppri- mer par égard à la mémoire de Pascal. Pourtant la conception de Pascal se retrouve à titre de conception, il est vrai, et non comme « effet de nature » dans l'esprit des savants contemporains : '< Si nous réduisons la masse sur laquelle agit une force donnée, si petite qu'elle soit, à sa limite zéro ou en termes mathématiques, à l'infini-

SECTION III. lil

possible auparavant, vous fasse connaître qu'il peut y en avoir d'autres que vous ne connaissez pas en- core. Ne tirez pas cette conséquence de votre appren- tissage, qu'il ne vous reste rien à savoir ; mais qu'il vous reste infiniment à savoir.

4a5] a3a

Le mouvement infini : le point qui remplit tout, le moment de repos': infini sans quantité, indivi- sible et infini ^

3] 233

Infini rien ^ Notre âme est jetée dans le corps, elle trouve nombre, temps, dimensions ;

ment petit la conséquence est que la « chose » (si dans ce cas nous pouvons parler d'une chose) est, non pas ici ni mais partout. » (Stallo, La matière et la physique moderne, p. laS). Cf. Couturat, L'infini mathématique, p. 299 : « Le plan infini est, à certains égards, analogue à un point, c'est pour ainsi dire un point immense. »

232

Cf. B., 878; C, 83o ; Facg., Il, 170 note; Mien., 694.

1. Les copies lisent : mouvement en repos.

2. Résumé de l'exemple développé au fragment précédent : si un point se meut avec une vitesse infinie, il remplit tout et son mouve- ment qui est infini et qui pourtant demeure indivisible équivaut au repos.

233

Cf. B., 201; C, 409; P. R., VIT, I, 2; XXVIII, 69; Bos., II, m, i, 4, 5; Faug., II, 168; Hat., X, I et X, I bis; Moi., I, i46; Mich., 6. Cf. Appendice.

3. Ce titre devait rappeler à Pascal l'idée fondamentale de tout le développement : le fini comparé à l'infini devient exactement égal à rien.

142 PENSÉES.

elle raisonne là-dessus, et appelle cela nature, néces- sité ', et ne " peut croire autre chose.

L'unité jointe à l'infini ne l'augmente de rien, non plus qu'un pied à une mesure infinie'; le fini s'anéantit en présence de l'infini, et devient un pur néant*. Ainsi notre esprit devant Dieu ; ainsi notre justice devant la justice divine ^ Il n'y a pas si grande disproportion entre notre justice et celle de Dieu, qu'entre l'unité et l'infinie II faut que la justice de Dieu soit énorme comme sa miséricorde ; or, la jus- tice envers les réprouvés est moins énorme et doit

1. Cette nature est un produit de l'habitude, cette nécessité est née d'une rencontre accidentelle entre l'âme et une substance hétérogène telle que le corps. Ce n'est pas Kant que Pascal annonce ici, car la nécessité pour Kant a un fondement dans les lois intérieures de l'es- prit, c'est Hume et c'est Stuart Mill, ce sont les conclusions les plus hardies de cet empirisme que Voltaire avait déjà signalé chez Pascal, en lui comparant Locke. (Cf. fr. 89).

2. [Veut.]

3. Conséquence nécessaire de la définition mathématique de l'infini : 00 -h a = 00 comme 00 a ;= 00 ; ce qui permet d'égaler a à 00 00 , c'est-à-dire à o.

4. Après néant Pascal avait immédiatement écrit : Nous connaissons. C'est ensuite qu'il est revenu sur ce paragraphe pour montrer à quelle conséquence d'ordre religieux l'esprit est conduit par un principe tout mathématique.

5. Cf. Spinoza : Inlellectus et voluntas, qui Dei essentiam constituè- rent, a nostro intellectu et voluntate loto cœlo diffère deberent, nec in ulla re prœterquam in nomine convenire passent : non aliter scilicet quam interse conveniunt canis, siqnum cœleste, et canis, animal latrans (^Ethique, p. I, p. XVII, Sch.).

6. La Première copie renverse la proportion en vue de l'édition de Port-Royal (Cf. l'observation d'Urbain dans le Bulletin des Humanistes français, i5, séance du 12 mai 1897). Mais Pascal veut faire accepter la disproportion morale de la justice humaine et de la justice divine : il la montre moindre que la disproportion mathématique de l'unité et de l'infini devant laquelle il faut bien que la raison s'incline.

SECTION III. 143

moins choquer que la miséricorde envers les élus'. Nous connaissons qu'il y a un infini, et ignorons sa nature ; comme nous savons qu'il est faux que les nombres soient finis, donc il est vrai qu'il y a un infini en nombre ^ ; mais nous ne savons ce qu'il est : il est faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair^ : car, en ajoutant l'unité, il ne change point de nature ; cependant c'est un nombre, et tout nombre est pair ou impair (il est vrai que cela s'entend de tout nombre fini). Ainsi on peut bien connaître qu'il y a un Dieu sans savoir ce qu'il est *.

1. On retrouve la même doctrine chez tous les Chrétiens (cf. Bos- suet, Disc, sur l'Histoire universelle, part. II, chap. i, et un sermon de Saurin cité par Havet, Second sermon sur le renvoi de la Con- version). La justice envers les réprouvés a une cause, quoique choquante pour la raison et pour la justice de l'homme, c'est le péché du pre- mier homme et le jugement de Dieu qui, dit Bossuet, « regarde tous les hommes comme un seul homme ». La miséricorde de Dieu qui « de deux hommes également coupables, sauve celui-ci et non pas celui-là, sans aucune vue de leurs œuvres » (comme s'exprime Pascal lui-même à la fin de la lettre sur les Commandements de Dieu), est le mystère par excellence, parce qu'elle n'a pas de cause naturelle ou rationnelle.

2. Cf. Réflexions sur V Esprit géométrique : « Toutes les fois qu'une proposition est inconcevable, il faut en suspendre le jugement, et ne pas le nier k cette marque, mais en examiner le contraire ; et si on le trouve manifestement faux, on peut hardiment affirmer la première, tout incompréhensible qu'elle est. »

3. Cf. Descartes : « Nous ne nous embarrasserons jamais dans les dis- putes de l'infini, d'autant qu'il serait ridicule que nous, qui sommes finis, entreprissions d'en déterminer quelque chose, et par ce moyen le supposer fini, en tâchant de le comprendre; c'est pourquoi nous ne nous soucierons pas de répondre à ceux qui demandent si la moitié d'une ligne infinie est infinie, et si le nombre infini est pair ou non pair » (^Principes de la philosophie, I, xxvi).

4. Charron, dans le chapitre v du i'"' livre des Trois Vérités: Dis- cours de la Cognoissance de Dieu, oppose aux Athées « l'autorité de nature qui dicte à tous et un chacun des hommes qu'il y a un Dieu », mais leur accorde en même temps « qu'il n'y a aucune démonstration

144 PENSÉES.

N'y a-t-il point une vérité substantielle, voyant tant de choses vraies qui ne sont point la vérité même ^ ?

" Nous connaissons donc l'existence et la nature du fini ^ parce que nous sommes finis et étendus comme lui. Nous connaissons l'existence de l'infini* et ignorons sa nature, parce ° qu'il a étendue comme nous, mais non pas des bornes comme nous. Mais nous ne connaissons ni l'existence ni la nature de Dieu, parce qu'il n'a ni étendue ni bornes ^

Mais par la foi nous connaissons son existence ; par la gloire nous connaîtrons^ sa nature. Or, j'ai déjà montré qu'on peut bien connaître l'existence d'une chose, sans connaître sa nature*.

suffisante pour expliquer ce que c'est que Dieu... les efifects montrent bien qu'il y a une cause, encore qu'ils n'enseignent pas assez qu'est-ce que cette cause. »

1. Cette phrase est dans le manuscrit en marge des paragraphes précédents.

2. [Mais.]

3. [Mais.]

4. [Dieu.]

5. [Que nous avons rapport à lui par l'étendue et disproportion avec lui par les limites.]

6. « Connaître une cliose, c'est la définir, borner, savoir ses con- frontations, son étendue, ses causes, ses fins, ses commencements, son milieu, sa fin, son fondement, son bord. Or n'y a-t-il rien plus con- traire à l'infinité que ces choses? Il n'y a donc rien plus contraire h l'infini que d'être connu. Il faudrait être infini et être Dieu pour con- naître Dieu. » (Les Trois Vérités, I, v.)

7. Nous connaîtrons, en surcharge. La foi est l'adhésion de l'homme à ce qui dépasse l'homme, l'affirmation d'une existence qu'il ne comprend pas; la gloire, méritée par la foi, transporte l'âme immor- telle dans le rayonnement de Dieu et dans la jouissance de la lumière.

8. Le manuscrit porte un renvoi au verso de la main de Pascal : Tourner. La suite est à la page 4 du manuscrit.

SECTION III. i4g

Parlons maintenant selon les lumières naturelles. S il y a un Dieu, il est infiniment incompréhen- sible, puisque, n'ayant ni parties ni bornes, il n'a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ' ce qu'il est, ni s'il est ; cela étant, qui osera entreprendre de résoudre cette question.^ ce n est pas nous, qui n'avons aucun rapport à lui.

Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une rehgion dont ils ne peuvent rendre raison .^ Ils dé- clarent, en l'exposant au monde, que c'est une sot- tise, stultitiam^ \ et puis, vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas ! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole : c'est en manquant de preuves qu'ds ne manquent pas de sens '. Oui ; mais en- core que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les ôte de blâme de la produire sans raison, cela

1. [S'il est.]

2. Tout le développement jusqu'à Dieu est ou n'est pas a été ajouté plus tard par Pascal au bas de la page 4.

3. Saint Paul, I, Cor. ,1,19, Quia in Dei sapientia [non cognovit mundus, non cognovit mundus per sapientiam Deum, placuit Deo per stultitiam prœdicationis salvos facere credentes. Montaigne a traduit le passage dans V Apologie : « Car, comme il estescript : le destruiray la sapience des sages, et abbatray la prudence des prudents : est' le sage ? est l'escrivain ? est le disputateur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas abesty la sapience de ce monde ? Car, puisque le monde n'a point cogneu Dieu par sapience, il luy a pieu par l'ignorance et simplesse de la prédication, sauver les croyants. » C'est peut-être k cette tra- duction que Pascal emprunte le mot abêtir, dont il se servira dans la suite de ce fragment, et que Montaigne avait déjà employé pour son propre compte dans l'Apologie : « Il nous fault abestir," pour nous assagir. »

4. [Dans cette infinie.]

PENSEES.

II - 10

446 PENSÉES.

n'excuse pas ceux qui la reçoivent. Examinons donc ce point, et disons : Dieu est, ou il n'est pas. Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infmi qui nous sépare. Il se joue un jeu', à l'extrémité de cette dis- tance infinie, il arrivera croix ou pile. Que gage- rez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux.

Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n'en savez rien. Non ; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier ^

Oui ; mais il faut parier ; cela n'est pas volon- taire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc? Voyons. Puisqu'il faut choisir', voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre: le vrai et le bien, et deux choses ' à engager : votre

1. Souvenir de l'Apologie: « C'est aux chrestiens une occasion de croire que de rencontrer une chose incroyable ; elle est d'autant plus selon raison qu'elle est contre l'humaine raison. » Montaigne ne pensait-il pas lui-même au fameux passage de TertuUien (de Carne Christi, no 5)? Bossuet le traduit en ces termes: «Le Fils de Dieu est ressuscité ; je le crois d'autant plus que selon la raison humaine il paraît entièrement impossible. » (Sermon sur la vertu de la croix de Jésus-Christ, ap. Droz, op. cit., p. 3o2.)

2. Souvenir d'un argument de Montaigne : « Prenez le plus fameux party, iamais 11 ne sera si seur, qu'il ne vous faille, pour le deffendre, attaquer et combattre cent et cent contraires partis : vaull il pas mieux se tenir hors de cette meslee » (Apol).

3. [Votre.]

4. Le vrai et le bien, et deux choses, en surcharge.

SECTION III. 147

raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude : et votre nature * a deux choses à fuir : l'er- reur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, puisqu û faut nécessairement choisir en choisissant l'un que l'autre. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ' ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien \ Gagez donc qu'il est, sans hésiter. Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop. Voyons \ Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gager ; mais s'il y en avait trois à gagner, il ' faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité déjouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer, de

1. Et votre nature jusqu'à la misère, en surcharge.

2. [Voyons, si vous prenez] croix que Dieu est [et que vous perdiez, que perdez...]

3. Rien en comparaison de l'infini, et rien absolument comme le dira Pascal au terme de son développement ; mais pour celui qui n'est pas sûr que l'infini existe, ce rien est encore trop. Nous empruntons à une note inédite sur le pari que M. Louis Couturat a bien voulu nous communiquer le tableau des cas différents que Pascal envisage succes- sivement. Deux grandeurs sont à considérer, les chances de gain (ou probabilité proprement dite) et les enjeux. Le produit du gain espéré par les chances qu'on a de l'obtenir définit l'avantage ou Vespérance mathématique du joueur. Voici le tableau du premier cas:

Dieu est Dieu n'est pas.

Probabilité. . . . J_

3 2

Enjeux oo o

Avantages. ... oo 4- [Quand.] 0. Renvoi à la page 7 du manuscrit.

O

148 PENSÉES.

ne pas * hasarder votre vie pour en gagner trois à un jeu 011 il y a un pareil hasard de perte et de gain^ Mais il y a une éternité de vie et de bonheur^ ; et cela étant, quand il y aurait une infinité de hasards dont

1. [Jouer.]

2. En traduisant suivant le système qu'on vient d'indiquer les termes de la proposition de Pascal, on obtient le tableau suivant :

Dieu est Dieu n'est pas.

Probabilité. ...

2 2

Enjeux 2,3 i

^ 3 I

Avantages. . . . i,

3 2

Ce tableau ne rend pas compte de la distinction que Pascal fait entre vous pourriez et il faudrait. Peut-être convient-il d'ajouter une condition que Pascal n'exprime pas, mais qu'il aurait présente à la pensée ; c'est que les deux vies, c'est-à-dire la double durée de vie, <i gagner sont aléatoires, tandis que la vie à risquer est certainement exposée ; l'enjeu de l'alternative : Dieu n'est pas ne serait donc pas soumis à la probabi- lité ; il reste en tout état de cause égal à l'unité ; il est donc équilibré par l'espérance de gagner deux vies, surpassé par celle d'en gagner trois. En d'autres termes, avec une chance sur deux de gagner, on peut ris- quer un pour avoir deux, mais cela n'est que possible, car dans l'équi- libre absolu des partis l'attitude contraire est également raisonnable. Avec une chance sur deux de gagner il faut risquer un pour gagner trois, hasarder une vie pour avoir une existence d'une durée triple, car alors l'équilibre est rompu en faveur du pari : « Trois vies à gagner avec une chance de gain sur deux en valent une et demie ; si donc nous ne payons que d'une vie le billet qui peut nous en faire gagner trois, nous serons plus riches de la moitié d'une en prenant ce billet qu'en ne le prenant pas. » (Lachelier, Notes sur le pari de Pascal, Revue Philosophique, juin igoi, p. 627).

3. Tableau :

Probabilité. Enjeux.

AvAîNTAGES.

Dieu

est

Dieu

n'est pas.

1

j

2

2

00

I

00

(ou encore i d'après la 2

note précédente).

SECTION III. 149

un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux, et vous ' agiriez de mau- vais sens, e'tant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu d'une infinité' de ha- sards il y en a un pour vous, s'il y avait une infinité de ' vie infiniment heureuse à gagner'. Mais il y a ici

I. [Auriez tort de.]

3. [Lien.]

3. MM. Dugas et Riquier (Rev. Phil, sept. 1900) et M. Lachelier ont signalé avec raison l'incohérence apparente de cette phrase que Port-Royal avait supprimée. Pascal veut reproduire en la transposant dans le calcul de l'infini la double hypothèse, d'un pari qu'il serait seu- lement possible de faire, les chances étant exactement égales des deux côtés, et d'un pari qu'il serait nécessaire de faire, auquel il ne serait pas raisonnable de se refuser, parce qu'il y a un parti mathématique- ment plus avantageux que l'autre, et dans la proportion de trois à deux. La première alternative se comprend sans peine ; on risque une vie de bonheur pour une éternité de bonheur, avec une chance de gain parmi une infinité de hasards; de part et d'autre est l'unité multipliée par l'infini. Nous retrouvons l'équilibre des partis. Com- ment l'équilibre se déplace-t-il dans la seconde alternative qui semble reproduire les termes de la première ? Le texte ne permet qu'une interprétation : il faut distinguer, avec M. Lachelier, « l'éternité de vie et de bonheur », et « l'infinité de vie infiniment heureuse ». Dans le premier cas Pascal nous promettait l'infinie durée d'un bonheur fini; il y ajoute dans le second cas l'infinité de ce bonheur lui-même : Ce nouvel infini fait exactement ce que faisait tout à l'heure la troi- sième vie, il s'adjoint comme un lot supplémentaire aux conditions strictement équitables du pari et rend nécessaire pour la raison ce qui n'était que possible et indifférent. Il semble donc qu'encore ici pour avoir la pensée vraie de Pascal 11 faille apporter quelques cor- rections à l'expression littérale de ces cas de pari. Voici en effet ce que nous donne le tableau rigoureusement dressé :

Dieu est Dieu n'est pas.

Chances i op

Enjeux 2,3, i

Avantages. ... 2,3, 00 00.

Or selon Pascal l'espérance de la première alternative est dans le premier cas égal à l'espérance de la seconde, quelque peu supérieure dans le deuxième, infiniment supérieure dans le dernier. Il est donc

ISO PENSEES.

une infinité de vie infiniment heureuse à gagner', un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte ^ et ce que vous jouez est fini ^. Cela ôte tout parti^ : partout est l'infini, et il n'y a point infi-

certain qu'il faut faire intervenir dans la première colonne un second coefficient de qualité s'ajoutant au coefficient de durée, et qui y introduise l'infini. Nous aurions finalement pour la troisième hypo- thèse un rapport tel que -^ Ce rapport d'ailleurs donne-t-il une espérance mathématique qui soit infinie? ou ne faut-il pas dire, en toute rigueur, que l'espérance est seulement indéterminée ? (Riquier, Le pari sur Dieu, Revue Occidentale, sept. 1901.) En fait, pour Pascal, la forme mathématique du problème ne fait que fournir une base à une intuition métaphysique de l'infini. Cf. fr. 798 : « La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité » et la distinction établie par Spinoza entre l'infinité simple des attributs et l'infinie infinité de la substance.

1. [Et autant de hasard de gain.]

2. [Cela ôte tout.]

3. Voici enfin le tableau définitif:

Dieu est Dieu n'est pas.

Chances i n

Enjeux 00 i

Avantages. ... 00 n.

4- Ote est deux fois dans le manuscrit. Nous nous croyons sûr de notre lecture, et nous la substituons à la leçon des Copies : cela est tout parti (dans le sens de tout réparti). Cela supprime tout partage et toute probabilité ; il n'y a point de parti, comme Pascal avait d'abord écrit deux lignes plus bas, puisque le fini s'anéantit devant l'infini. Nous devions par la règle des partis risquer notre vie pour l'enjeu fini de trois vies, à supposer chance égale de perte et de gain; nous devions risquer notre vie pour une infinie durée de bonheur infini, à supposer une seule chance de gain sur une infinité. Voici mainte- nant la thèse définitive ; nous y réunissons les avantages des deux hypo- thèses provisoires, en les multipliant l'un par l'autre : nous hasardons une vie finie pour une infinité de vie infiniment heureuse, et il y a pareil hasard de gain et de perte, puisque de part et d'autre l'igno- rance est supposée absolue ; le postulat du pari de Pascal est, comme il a soin de l'indiquer dans les considérations préliminaires, un scep- ticisme irrémédiable et universel ; le libertin n'a pas la moindre rai- son pour affirmer son athéisme, le chrétien n'a pas la moindre raison pour affirmer sa religion. (Cf. Appendice.)

SECTION III. iSl

nité de hasards de perte contre celui de gain, il n'y a point ' à balancer, il faut tout donner. Et ainsi \ quand on est forcé à jouer, il faut ^ renoncer à la rai- son pour garder " la vie, plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à ^ arriver que la perte du néant. *

Car il ne sert de rien de dire qu'il est incertain si on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde, et que l'infinie distance qui est entre la certitude de ce qu'on ^

I. [De parti.]

3. Ainsi, en surcharge.

3. [Avoir.]

4- [Choisir.]

5. Prêt à dans le sens de sur le point de (cf. fr. ^71) comme l'em- ploie La Fontaine (^Fables, III, 12) :

L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.

6. Ainsi la vie éternelle et l'anéantissement final sont pour Pascal deux événements également probables, et cette égalité même est la clé du pari : de ce qu'il est impossible de prouver avec certitude que la reli- gion n'est pas, il est possible de croire qu'elle est, et le refus systé- matique de rien affirmer devient un parti aussi risqué que l'affirmation elle-même.

7. [Hasarde.] Pascal a corrigé par s'expose (et non expose, comme a écrit Port-Royal) afin de bien marquer le caractère et la portée de l'objection : il s'agit non de la quantité de ce qu'on expose, mais du fait même que l'on expose, c'est-à-dire que l'on hasarde quelque chose d'effectif pour un gain éventuel, que l'on passe du plan de la réalité dans le plan du simple possible, ou comme disent les métaphysiciens de l'être au non-être. Or de l'être au non-être, d'une quantité finie à rien, il y a une distance infinie, de telle sorte que l'équilibre serait rétabli entre les partis, et l'hésitation légitime: un infini incertain n'est pas plus que le fini certain. Mais l'objection n'a de valeur que si le choix nous était donné entre jouer et ne pas jouer ; or Pascal nous interdit cette hypothèse, puisque l'athéisme lui paraît une néga- tion aussi aventureuse que l'affirmation, et de conséquences pratiques non moins graves. Nous ne sommes pas vis-à-vis de Dieu comme l'homme qui se demande s'il viendra ou non s'asseoira la table de jeu; nous nous y trouvons assis, force nous est de suivre les lois du jeu.

152 PENSEES.

s'expose, et V incertitude de ce qu'on gagnera, égale le bien fini qu'on' expose certainement, à l'infini, qui est incertain ^ Cela n'est pas ; aussi tout ^joueur ha- sarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement * le fini, sans pécher contre la raison ". Il n'y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu'on s'expose et l'incertitude du gain ; cela est faux. Il y a, à la vérité ^ infinité entre la cer- titude de gagner et la certitude de perdre \ Mais l'in- certitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu'on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte ; et de vient que, s'il y a ^ au- tant de hasards d'un côté que de l'autre, le parti est à jouer égal contre égal ; et ^ alors la certitude de ce qu'on s'expose est égale à l'incertitude du gain : tant s'en faut qu'elle en soit infiniment distante. Et ainsi, notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder " à un jeu oii il y a pareils ha- sards de gain que de perte, et l'infini à gagner. Cela est démonstratif ; et si les hommes sont capables de

1. [Hasarde.]

2. [iV'est.]

3. [Jeu.]

4. [L'infini.]

5. Sans pécher contre la raison, en surcliarge.

6. A la vérité, en surcharge.

7. l L'incertitude est ce qui fait démontrer [au parti qui détermine notre [et qui répartira.]

8. [Des.]

9. [Ainsi.]

10. [L'infini à gagner.]

11. [Autant.]

SECTION III. 153

quelque vérité, celle-là l'est. *Je le confesse, je l'avoue. Mais encore n'y a-t-il point moyen de voir le dessous du ^eu? Oui, rÉcriture, et le reste, etc.

Oui ; mais j'ai les mains liées et la bouche^ muette ; on me force à parier, et je ne suis pas en liberté ; on ne me relâche ' pas, et* je suis fait d'une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse ?

Il est vrai. Mais apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez, [ne vient que du défaut de vos passions] °. Travaillez donc, non pas à ^ vous convaincre par l'augmentation des preu- ves de Dieu, mais par la diminution de vos pas- sions. Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le chemin ; vous voulez vous guérir de l'infi- délité, et vous en demandez le remède : apprenez de ceux^ qui ont été liés comme vous, et qui parient main- tenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce che- min que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par oïi ils ont commencé : c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire

1. Renvoi à la page 4, en marge. [Mais.]

2. [Sans.]

3. Renvoi à la page 8 du manuscrit. 4- [Vous ne pouvez croire.]

5. Pascal a rayé, par erreur sans cloute, ces derniers mots, en rayant la phrase suivante : [Vous ne renversez [renverseriez pas la raison en croyant, puisqu'on est obligé à croire ou à nier.]

6. [Chercher.]

7. A la page 4 du manuscrit.

154 PENSÉES.

des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira \ Mais c'est ce que je crains. El pourquoi ? qu'avez-vous à perdre ? Mais pour vous montrer que cela y mène, c'est que cela diminuera les passions, qui sont vos grands obstacles, etc. ^ Fin de ce discours. Or, quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti "^ Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami'', sincère, véritable \ A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans

I. Port-Royal n'avait pas osé reproduire ce mot; Victor Cousin qui l'a publié le premier l'a accompagné du commentaire éloquent que l'on connaît : « Quel langage ! Est-ce donc le dernier mot de la sagesse humaine ? La raison n'a-t-elle été donnée à l'homme que pour en faire le sacrifice, et le seul moyen de croire à la suprême intelligence est-il, comme le veut et le dit Pascal, de nous abêtir "i Comme si, lorsqu'on a hébété l'homme, il en était plus près de Dieu. » Victor Cousin exagère sans doute la pensée de Pascal : Pascal demande au libertin le sacrifice qui n'est capable de le mener ni à la science ni au bonheur, qui n'est en définitive qu'une somme de pré- jugés. S'abêtir j c'est renoncer aux croyances auxquelles « l'instruction » et l'habitude ont donné la force de la nécessité naturelle, mais qui sont démontrées par le raisonnement même, impuissantes et vaines. S'abêtir^ c'est retourner à l'enfance pour atteindre les vérités supé- rieures qui sont inaccessibles à la courte sagesse des demi-savants. « Rien n'est plus conforme à la raison que ce désaveu de la raison » : la parole de Pascal est d'un croyant, elle n'est pas d'un sceptique.

2. Renvoi à la marge de la page 7.

3. Le manuscrit porte une virgule.

4- Ce n'est pas l'idéal chrétien que Pascal définit, c'est l'idéal de l'honnête homme dans le monde. Or cet idéal le libertin y aspire en vain ; il reconnaît que le moi est haïssable, il le « couvre » par un sentiment de bienséance sociale, de convenance mondaine, mais pour arriver à le supprimer, il faut se donner un point d'attache en dehors de l'humanité, et c'est pourquoi le christianisme seul donne l'honnêteté véritable, faite d'humilité, de sincérité, de fidélité. Cf. fr. 55o : « J'essaie d'être juste, véi-itabJe, sincère, et fidèle à tous les hommes. »

SECTION III. loo

les délices : mais n'en aurez-vous point d'autres ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie ; et qu'à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain, et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour la- quelle vous n'avez rien donné.

fi] (( Oh! ce discours me transporte, me ravit, etc., etc. »

Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu il est fait par un homme qui s'est mis à ge- noux auparavant et après, pour prier cet Etre infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre pour votre propre bien et pour sa gloire ; et qu'ainsi la force s'accorde avec cette bassesse \

i3o] 234

S'il ne fallait rien faire que^ pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion ; car elle n'est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l'in-

I. La force du discours s'accorde avec la soumission de l'homme qui s'agenouille. Bassesse est pris au sens absolu, et pour ainsi dire scientifique : dans un Fragment relatif aux usagées du baromètre, Pascal emploie ainsi ce mot de bassesse : « Il y a un certain deg^ré de hauteur et un certain degré de bassesse que le mercure n'outre- passe presque jamais. » (3"^ section, Ed. Laliure, t. III, p. iSa).

234

Cf. B., 3ii ; C, 294 ; P. R., XXXI, i5 ; Bos., I, vm, 10 ; Faug., 11, 178 et I, 317; Hat., XXIV, 88 et V, 9 bis; Mol., I, i55 eti, 121 ; Mien., 33i.

3. [De.]

Io6 PENSEES.

certain, les voyages sur mer, les batailles ! Je dis donc qu'il ne faudrait rien faire du tout, car rien n'est certain ; et qu'il y a plus de certitude à la religion, que non pas * que nous voyions le jour de demain : car il n'est pas certain^ que nous voyions demain, mais ilest certainement possible que nous ne le voyions pas. On n'en peut pas dire autant de la religion. Il n'est pas certain qu'elle soit ; mais qui osera dire qu'il est certainement possible qu'elle ne soit pas.»^ Or, quand on travaille pour demain, et pour l'incertain, on agit avec raison ; car on doit travailler pour l'in- certain, par la règle des partis qui est démontrée^.

Saint Augustin a vu qu'on travaille pour l'incertain, sur mer, en bataille, etc. ^ ; mais il n'a pas vu la règle des partis % qui démontre qu'on le doit. Montaigne a

1. [Qu'il soit demain jour.]

2. [Qu'il soit] demain [/our.]

3. Allusion à la démonstration du fr. 233.

4- Havet cite ce passage d'un sermon : « Que des choses sup- portent les voleurs pour leur iniquité, les marchands pour leur ava- rice, traversant les mers, confiant aux vents et aux tempêtes leur corps et leur âme, abandonnant ce qui est à eux, courant à l'in- connu !» Et M. Pichon, dans une étude remarquable sur Lactance donne ce texte du De utUitate credendi : Nihil omnino societatis humanœ incoliime rémunère si nihil credere statueriinus quod non possumus lenere perceptum (xii, 36) en le rapprociiant d'Arnobe ÇAdv. Nat., II, 8): Estne operis in vila negotiosum aliqiiod atque actiiosum genus quod non Jîde prœeunte suscipiant, sumant atque aggrediantur auctores ? (Naviga- teurs, marchands, etc. ») (Cf. Pichon, Lactance, p. 5i.)

5. Sur cette expression voir l'usage dutriangle arithmétique pour déter- miner les partis qu'on doit faire entre deux joueurs qui jouent en plusieurs parties : « Dans le cas les joueurs décident d'interrompre le jeu, le règlement de ce qui doit leur appartenir doit être tellement propor- tionné à ce qu'ils avoient droit d'espérer de la fortune, que chacun d'eux trouve entièrement égal de prendre ce qu'on lui assigne, ou de conti- nuer l'aventure du jeu : et cette juste distribution s'appelle le parti. »

SECTION III. 137

VU qu'on s'offense d'un esprit boiteux', et que la coutume peut tout^ ; mais il n'a pas vu la raison de cet effet.

Toutes ces personnes ont vu les effets, mais ils n'ont pas vu les causes ^ ; ils sont à l'égard de ceux qui ont découvert les causes comme ceux qui n'ont que les yeux à l'égard de ceux qui ont l'esprit ; car les effets sont comme sensibles, et les causes sont visibles seulement à l'esprit*. Et quoique ces effets-là se voient par l'esprit, cet esprit est à l'égard de l'esprit qui voit les causes comme les sens corporels à l'égard de l'esprit.

A67] 235

Rem viderunt, causam non viderunt^.

65] 236

Par les partis, vous devez vous mettre en peine de

1. Cf. Essais, III, 8, passage déjà commenté par Pascal au fr. 80.

2. Thèse commentée par Pascal au fr. 29^, et discutée au fr. SaS.

3. [Et quoique.]

4. [lis S023t.]

235

Cf. B., io3; C, i3o; Mich., 839.

5. Pascal avait d'abord pensé à écrire non [sciverunt]. Cf. Saint Augustin, Contr. Jul. Pclag., IV, 60: Remvidit, causam nescivit ; il parle de Cicéron qui aurait dénoncé la misère de l'homme au 3"^ livre de la République, sans en connaître la cause c'est-à-dire le péché ori- ginel. — L'antithèse se trouve aussi dans Montaigne mais avec une toute autre intention : « Ils laissent les choses, et courent aux causes. Plaisants causeurs! La cognoissance des causes touche seulement celuy qui a la conduicte des choses. » (HI, xi.)

236

Cf. B., 78; C, io4; P. R., XXVIII, i8 ; Bos., 11, ivii, 19; Faug., II, 173; Hat., XXJV, 17; Mol., I, i53; Mien., 180.

158 PENSÉES.

rechercher la vérité, car si vous mourez sans adorer le vrai principe, vous êtes perdu. Mais, dites- vous, s'il avait voulu que je l'adorasse, il m'aurait laissé des signes de sa volonté. Aussi a-t-il fait; mais vous les négligez. Cherchez-les donc : cela le vaut bien.

63] 237

Partis. Il faut vivre autrement dans le monde selon ces diverses suppositions' : Si on pouvait y être toujours ; s'il est sûr qu'on n'y sera pas long- temps ^ et incertain si on y sera une heure : cette der- nière supposition est la nôtre.

*C3] 238

Que me promettez-vous enfin (car dix ans est le parti) ^ sinon dix ans d'amour-propre, à bien essayer

237

Cf. B., 78; C, io3; p. R., XXVIII, 17; Bos,, II, svii, 18; Faug., II, 172; Hav., XXIV, i6 ter; Mol., I, i53; Mich,, 169.

1. Ces diverses suppositions étaient d'abord au nombre de 5, et c'est pourquoi Pascal a laissé subsister le chiffre 5 pour désigner celle qui est devenue définitivement la seconde. Voici comment étaient présentées les quatre premières que Pascal a barrées en écrivant en gros : faux. i. S'il est sûr qu'on y sera toujours; 2. S'il est incertain si on y sera toujours ou non; 3. S'il est sûr qu'on n'y sera pas toujours, mais qu'on soit assuré d'y être longtemps; 4- S'il est certain qu'on n'y sera pas toujours et incertain qu'on n'y sera pas longtemps [si on y sera lony- temps.]

2 . [Mais. ]

238

Cf. B,, 78; C, io3; Faug., II, 174 ; Hat., XXV, 92 ; Mol., I, i54; Mien., 178.

3. Parenthèse en surcharge.

SECTION III. 159

de plaire sans y réussir, outre les peines certaines?

a35] 239

Objection. Ceux qui espèrent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour contrepoids la crainte de l'enfer.

Réponse. Qui a plus de sujet de craindre l'enfer, ou celui qui' est dans l'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de damnation, s'il y en a ; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu'il y a un^ enfer, et dans l'espérance d'être sauvé, s'il est?

4i] 240

J'aurais bientôt quitté les plaisirs, disent-ils, si j'avais la foi. Et moi, je vous dis : Vous auriez bientôt la foi, si vous aviez quitté les plaisirs \ Or, c'est à vous à commencer. Si je pouvais, je vous don- nerais la foi "^ ; je ne puis ^ le faire, ni partant éprouver

239

Cf. B., 393 ; C, 362; p. R., VII, 2; Bos., II, m, 5; Faug., II, 174 ; Hav., X, 2; Mol., I, i53.

1. [ignore] s'il y a un [Dieu.]

2. [Dieu.]

24O

Cf. B., 422; C, 397; P. R., VII, 2; Bos., II, m, 5; Faug., II, 181 ; Hav., X, 3; Mol , I, i53; Mich., 99.

3. Saint Augustin expose à maintes reprises ce principe, par exem- ple : « Tu veux voir. Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. Songe donc d'abord à purifier ton cœur. » « Quand vous aurez fui les ténèbres des passions fumeuses, vous verrez la lumière » (Voir VAugustinas de Jansénius, tome II, liv. prélim., ch. vu).

4. [Vous.]

5. [Éprouver.]

160 PENSÉES.

la vérité de ce que vous dites. Mais vous pouvez bien quitter les plaisirs et éprouver si ce que je dis est vrai.

485] 241

Ordre. J'aurais bien plus de peur de me trom- per, et de trouver que la religion chrétienne soit vraie, que non pas de me tromper en la croyant vraie ' .

241

Cf. B., igi ; C, I ; P. R., XXVIII, ko ; Bos., II, svn, 36; Faug., II, 887 Hav., XXIV, 26 1er; Mol., II, 64; Mien., 854.

I. Cette pensée résume la dialectique préliminaire à V Apologie : le libertin est » retourné j), il avait surtout peur de se tromper en croyant la religion vraie, maintenant il a peur de se tromper en la croyant fausse, et de trouver par la suite qu'elle est vraie. Le lecteur de Pascal désire que la religion soit vraie ; il s'agit de lui prouver qu'elle l'est en effet.

SECTION III. IGl

APPENDICE POUR LE FR . 333.

Pascal avait lu la Théologie naturelle de Raymond Sebon ; il y avait trouvé une démonstration qui remplit trois chapitres, 66, 67 et 68. Le premier a pour titre : Chaque chose doit naturellement pourchasser son bien et éviter son dommage. Sebon appuie ce principe sur des exemples empruntés aux éléments, aux arbres et aux plantes : « Puis donc que l'homme est du nombre des choses naturelles et la plus noble d'entre elles, d'autant plus il est obligée à obéir et à suivre ce com- mandement exprez de nature et à se prévaloir à son utilité, bien et proufit, en tant qu'il est en lui, des forces et facultez qui lui ont esté données... Il s'ensuit donc par nécessité, veu que outre les autres animaux, il a l'entendement et la volonté, et que ces pièces le font homme, qu'il est tenu naturellement d'en user à son proufit et avantage, c'est-à-dire pour s'acquérir le plus qu'il peut de joie, de liesse, d'espérance, de consolation, de paix, de repos et de con- fiance... »

Le second chapitre tire de ce principe la règle de ce que l'homme a à croire ou à mescroire quant à son salut : « Il n'y a point de doute, parce que nous venons de dire, que l'homme ne soit tenu d'accepter, d'affirmer et de croire celle-là, qui lui apporte plus d'utilité, de com- modité, de perfection et de dignité, en tant qu'il est homme, par laquelle il peult engendrer en soi du contentement, de la consolation, de l'espérance, de la confiance, de la sûreté, et en esloigner le de- plaisir et le desespoir : et par conséquent qu'il doit embrasser celle qui est plus aimable et plus désirable de sa nature, et en laquelle il y a plus d'estre et plus de bien. où, s'il faict au rebours, il abuse contre soi-mesrae de son entendement, il renverse entièrement la règle générale de la nature, il combat et soi mesme et l'ordre universel des choses : puisque, toutes les aultres créatures inférieures em- ployent leurs forces et moyens à leur bien et advantage, cestuy cy s'en acquiert sa ruyne et le desespoir : et à la vérité il a son enten- dement merveilleusement dépravé et corrompu : voire il ne mérite point d'estre appelé homme, puisqu'il combat l'homme. Or, s'il me

PENSÉES. II 11

162 PENSEES.

tlict qu'il n'y a pas d'apparence qu'il croye ce qu'il n'entend pas, et qu'il advoue pour véritable ce de quoy il ne veoit pas la raison, veu (|u'à ce compte il pourroit bien prendre le mensonge pour la certi- tude : ie luy respond, que son ijrnorance ne luy peult servir d'excuse, et que ceste seule intention d'approuver ce qui est à son proufit et à son utilité, luy sert d'une suffisante et iuste occasion de croire : attendu que ce que nous faisons selon la reig^le de nature ne nous peult estre imputé à faulte, et nostre intellig^ence faict son devoir et le proufit de soy et de la volonté, toutes fois et quantes qu'elle con- sent à ce qui est son fjrand bien, et à ce qui est entièrement con- traire à la ruyne de l'homme : voire elle est obligée d'en user ainsi, parce qu'elle ne nous a esté donnée que pour nostre service et com- modité ; ainsi il nous doibt suffire de nous ioindre tousiours à la part qui est de nostre costé et à nostre advantage, bien que nous ne sça- cliions pas comme elle est. Car s'il nous advenoit de choisir le con- traire et la privation de nostre bien, nous logerions et recevrions chez nous nostre ennemi qui en déplacerait ceulx qui font pour nous ; nous serions adversaires et traîtres à nous mesmes, et en bon escient in- sensés tresdignesd'estre haïs et chasties par toutes les aultres créatures. Aussi c'est un signe évident que l'homme est possédé par son ennemy mortel, quand il ne veult pas croire ce qui luy est de plus advan- tageux ; par un ennemi qui tyrannise sa volonté et son entendement, et qui les tient lies et garrotes estroitement pour les empescher de faire leur devoir, et pour les renger par contrainte à employer leurs effets au dommage de leur maistre, à sa ruine contre tout ordre de nature. »

Ce second chapitre devait être cité presque intégralement, car il peut avoir suggéré à Pascal l'idée de ce mouvement tournant qui était nécessaire pour donner force probante à l'argument du pari. Ray- mond Sebon prend soin d'écarter toute question de certitude ou de vérité : l'intelligence de l'homme est traitée comme une faculté pra- tique, utilitaire, et ce serait là, suivant l'auteur de la Théologie naturelle, la destination même que la nature lui a donnée. Cette vue hardie, que Schopenhauer a réintroduite dans la philosophie moderne, était propre, nous semble-t-il, à faire impression sur Pascal et fi rete- nir son attention sur les conséquences que Sebon en tire au chapitre 68 : l'usage de la règle précédente par divers exemples. Pour exemple : « on nous propose. Il y a un Dieu : il nous faut soudain imaginer son con- traire. Il n'y a point de Dieu, et puis assortir ces choses l'une à l'autre, pour veuir laquelle d'elles convient plus à l'estre et au bien, et

SECTION m. 4^3

laquelle y convient le moins. Or celle-là, Il y a un Dieu, nous pie- sente une essence infinie, un bien incompréhensible : car Dieu est tout cecy. Le contraire, // n'y a point de Dieu, apporte avec soy pri- vation d'un estre infiny, et d'un infiny bien. A ce compte, par leur comparaison, il y a autant à dire entre elles, qu'il y a entre le bien et le mal. Passant outre, accommodons les à l'homme. La première luy apporte de la fiance, du bien, de la consolation et de l'espérance ; la seconde, du mal et de la misère, il croira donc et recevra, par nostre reigle de la nature, celle qui est et meilleure de soi et plus proufîtable pour lui ; et refusera celle qui est reietable d'elle-même, et qui lui apporterait toutes incommoditez : aultrement il abuserait de son intel- ligence, et s'en servirait à son dam ; ce qu'il ne peut ny ne doibt faire en tant qu'il est homme. Mais quel bien pourrait-il espérer de croire que Dieu ne fust pas ? quel fruict en pourrait il recueillir ? » Et Raymond Sebon conclut : « Par quoi il est tenu de croire que Dieu est » ajoutant : « Nature mesme le lui commande et ne peut faillir de l'en croire : car il est certain... que toute obligation natu- relle nous pousse à la vérité, non au mensonge. Voilà la manière de convier à la fois les mescreants, d'apprendre à l'homme d'affirmer ce qu'il n'entend point et de renforcer et roidir nos entendemens à croire plus ferme'. »

Ces dernières lignes sont particulièrement significatives ; en nous montrant à quel point Raymond Sebon avait conscience de la portée qu'il attribuait à son argument, elles font prévoir le détour qui don- nera une valeur apologétique à l'argument du pari, le levier de l'in- térêt qui soulèvera celui qui ne veut pas se remuer et conduira jus- qu'à l'affirmation pratique celui qui renonce à toute conception théorique, à toute certitude rationnelle.

Raymond Sebon de son côté connaissait-il Arnohe ") avait-il été frappé du passage du livre contre les Nations Bayle a retrouvé l'origine du pari de Pascal .:> « Ce père, écrit Bayle, avoue aux païens que les promesses de Jésus-Christ ne peuvent être prouvées, puis- qu'elles regardent un bien à venir ; mais il ajoute qu'entre deux choses incertaines il vaut mieux choisir celle qui vous donne des espérances, que celles qui ne vous en donnent point. On verra plus

I. Nous reproduisons la traduction de Montaigne. Ces pages avaient déjà été citées par M. Droz dans son Étude sur le scepticisme ae Pascal (p. 71). M. Droz avait également insisté sur le rapport de l'argument à des personnalités telles que Miton ou Méré.

104 PENSÉES.

clairement la forme de cette raison dans les paroles originales : Sed îpse (Christus) qux poUicctur non probat. Ita est. Nulla cnim ut dixi futurorum polest cxisterc comprobatio. Cum ergo hxc sit conditio futuro- riim, ut teneriet comprehcndi nullius possit anticipationis attractu ; nonne purior ralio est ex duobus inccrtis et in ambigua expcctatione pcndentibus id potius credere quod aliquas spes fcrat quam omnino quod nuUas ? In illo enim pericuU nihil est, si quod dicitur imminere cassuinfiat acvacuum; in hoc damnum est maximum, id est salutis amissio, si quum tempus advenerit, aperiatur non fuisse mendaciumK »

L'hvpothèse n'a rien d'invraisemblable à en juger par les nombreux passages des premiers apologistes, de saint Augustin en particulier, que Raymond Sebon imite ou reproduit sans prévenir. Si le texte d'Arnobe a eu quelque part dans l'argument du pari, l'érudition de Raymond Sebon, bien plus considérable que celle de Pascal, expli- querait plus naturellement cette relation.

Mais Arnobe et Raymond Sebon ne rendraient pas compte de l'argument, tel qu'il est développé par Pascal ; non seulement la démonstration est renouvelée par la précision et la rigueur qu'y apporte un géomètre de génie, mais il y a autre chose dans le pari de Pascal qu'une alternative spéculative. Il a été vécu par Pascal, non pour son propre compte certes, mais pour le compte de l'homme qui a été l'objet de sa plus vive admiration et que sa charité impérieuse associe étroitement à sa propre vie : Pascal s'adresse au chevalier de Méré, et il applique à la lettre ses maximes sur Vart d'agréer: « Quoiqu'on veuille persuader, il faut avoir égard à la personne à qui on en veut, dont il faut connaître l'esprit et le cœur, quels principes il accorde, quelles choses il aime ; et ensuite remarquer, dans la chose dont il s'agit, quels rapports elle a avec les principes avoués, ou avec les objets délicieux par les charmes qu'on lui donne. » Le secret du pari, qui est aussi le secret des fausses interprétations et des discussions vaines auxquelles il a donné heu, c'est qu'il est une arme forgée à l'intention et sur le modèle d'un cer- tain esprit. Il s'agit d'une âme à conquérir, et que Pascal veut péné- trer par il la sait pénétrable. Pascal avait connu le chevalier de

I. IF, !^. Cf. I, 53.

SECTION m. 163

Méré par le duc de Roannez. Peut-être le duc de Roannez a-t-il inspiré rargument du Pari lorsqu'au lendemain de la découverte for- tuite de la cyeloïde il engagea Pascal à montrer aux athées « qu'il en savait plus qu'eux tous en ce qui regarde la géométrie et ce qui est sujet à la démonstration ; et qu'ainsi s'il se soumettait à ce qui regarde la foi, c'est qu'il savait jusques devaient porter les démonstra- tions... * »; peut-être est-ce de ce conseil que Pascal se souvenait lorsqu'il écrit « qu'ainsi la force s'accorde avec cette bassesse ». En tout cas Pascal n'a jamais cessé de voir le chevalier de Méré, de discuter avec lui les choses de la vie et de la religion. Dans la querelle des Provinciales Méré devient comme l'arbitre ; et c'a été le triomphe de Pascal d'assurer aux Jansénistes contre les décisions des autorités ecclésiastiques l'appui des honnêtes gens ; c'est vraisemblablement lui, « l'homme sans religion » auquel Pascal annonce et promet le mi- racle 2. Maintenant Méré n'est plus le témoin, il est l'enjeu même du combat. Voilà pourquoi Pascal s'agenouille dans sa cellule d'ascète ; rappelant les années il rêva la gloire des inventions scientifiques, les plaisirs mondains, le jeu en particulier, le séduisirent, il s'humilie dans le sentiment de son double égarement ; mais il veut du moins que l'expérience de ces erreurs soit efficace pour le service de la foi, il prie Dieu d'accorder à son repentir la conversion qui est à la fois la plus désirable et la plus difficile, la conversion de celui qui a renoncé à toute certitude religieuse, à tout espoir de béatitude éter- nelle, pour vivre dans les limites étroites de la raison naturelle et de l'honnêteté mondaine.

Alors Pascal se souvient de ses anciennes conversations avec Méré, de l'intérêt qu'il prenait aux difficultés sur l'infini 3, des scan- dales intellectuels qu'il rencontrait à chaque pas dans les mathéma- tiques, et auxquels Pascal fait allusion, selon toute vraisemblance dans ce passage du fragment sur les Deux Infinis : « Trop de vérité nous étonne ; j'en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte 4 il reste zéro » ; c'est de ces souvenirs qu'il tire un point de départ pour l'argumentation du pari. De même que le zéro arithmétique est le néant de toute grandeur, que le néant demeure néant quelle que

1. Marguerite Périer,apudFaugère, Lettres et opuscules, etc., p. 458.

2. Recueil d'Utrecht, 17^0, p. 3oo.

S.t^oir les passages d'une lettre à Fermât du 29 juillet iG54, des Réflexions sur l'Esprit géométrique, et d'une lettre de Méré lui-même, cités dans les notes du fr. i et du fr. 72.

ifi6 pp:nsées.

soit la somme que l'on prétende en retrancher, de même, « l'unité jointe il l'infini ne rau(juiente de rien, non plus qu'un pied à une mesure infinie » ; toute quantité finie équivaut exactement à rien en comparaison de l'infini : Infini-rien. Pascal se souvient encore du pro- blème que lui avait posé Méré, pour la répartition des enjeux au cas la partie aurait été interrompue. Cette question qui avait été pour Pascal l'occasion de jeter les bases du calcul des probabilités, avait été pour Méré un prétexte à se proclamer mathématicien avec une suffisance qui amusait Leibniz: « Vous avez écrit sur mes inventions, écrivait-il à Pascal, aussi bien que M. Hughens, M. de Fermât, et tant d'autres qui les ont admirées*. » Pascal n'a pas oublié cette lettre, de cette tentative hardie de faire rentrer la religion dans le cadre des inventions que Méré s'attribue et pour lesquelles il s'admire tant lui-même.

Qu'on ne soit donc pas choqué de voir les vérités de la foi ainsi trans- posées dans le vocabulaire du jeu, Pascal parle la langue de son inter- locuteur ; il propose de parier sur l'existence de Dieu et sur l'immortalité de l'âme, mais c'est à un joueur. Un scepticisme radical et universel est la condition du pari ; mais c'est le scepticisme de Méré, non celui de Pascal. Méré, qui est le pur disciple de Montaigne, n'est pas de ceux qui nient brutalement au nom d'une méthode autoritaire, car ils seraient rationalistes et optimistes; la négation absolue serait encore une certi- tude, Méré se l'interdit autant que l'affirmation elle-même. Il est donc placé entre deux incertitudes; malgré lui sa façon de vivre est une façon

I. Voici exactement ce que pensait Pascal: « J'admire bien davan- tage, écrit-il à Fermât, la méthode des parties que celle des dés: j'avais vu plusieurs personnes trouver celle des dés, comme M. le chevalier de Méré, qui est celui qui m'a proposé ces questions, et aussi M. de Roberval ; mais M. de Méré n'avait jamais pu trouver la juste valeur des parties, ni de biais pour y arriver : de sorte que je me trouvais seul qui eusse connu cette proportion. » Lettre du 29 juillet l654, éd. Lahure, t. III, p. 220. Mlton n'était-il pas mathématicien comme Méré ? Le manuscrit 2^988 (f. fr.) de la Bibliothèque nationale contient une lettre qu'il attribue à Miton. La date est du 27 décembre i656. Miton fait une discrète allusion à la seconde conversion de Pas- cal : « Je n'aurais pas à présent, s'excuse-l-il, troublé le repos de votre solitude. » Mais il s'agit d'un problème dont Miton lui avait déjà soumis une solution et pour lequel il lui adresse une nouvelle démons- tration dans l'espoir qu'il la jugera « légitime ».

SECTION 111. 167

de parier ; il faut doue, puisqu'il est au jeu, qu'il observe les règles du jeu, qu'il se laisse éclairer par la lumière naturelle ; il lui doit ces inventions dont il s'émerveillait jadis, il va la retrouver, appliquée cette fois à une partie dont la béatitude éternelle est l'enjeu. Il faut renoncer à la raison, ou se laisser conduire par la force invincible du calcul jusqu'à recevoir d'un cœur soumis la discipline de l'Église. Que Méré plie les genoux, qu'il dise des messes, qu'il prenne de l'eau bénite, et l'honnêteté véritable, dont il n'a que les apparences, lui apparaîtra dans sa réalité ; le dessous du jeu, qui se laisse voir aux élus de Dieu, deviendra manifeste à ses yeux. Le pari ne sera même plus un pari, tant le risque de perdre diminue, tant le bien hasardé se réduit au néant ; le pessimisme auquel aboutit la philo- sophie de ^léré, et dont Miton sou ami faisait si nettement profession, achève la victoire que le scepticisme avait commencée ; si la vie dans le monde est misérable autant qu'elle est mauvaise, celui-là seul est heureux qui a eu la force de « se remuer », qui est devenu capable de juger la nature de l'homme avec les clartés que Dieu peut donner. La démonstration ainsi comprise ne saurait être érigée en méthode d'apologétique universelle ; encore moins est-elle le remède désespéré au- quel Pascal aurait eu recours pour dompter la révolte de son esprit et l'incliner sous le joug de l'Eglise. Mais Pascal a écrit : « Il faut avoir ces trois qualités: pyrrhonien, géomètre, chrétien soumis » ; il prend un homme qui est pyrrhonien et qui se vante d'être géomètre, il lui fait voir que géométriquement doit sortir du pyrrhonisme la troisième qualité, comme la suite nécessaire des deux autres. Celui qui sait douter il faut, démontrer il faut, saura aussi se soumettre il faut. En d'autres termes un pyrrhonien géomètre doit être un chrétien soumis, telle est la formule qui nous paraît donner le sens de l'argu- ment et mesurer la portée du pari.

A vrai dire nous ne savons si l'argument fut présenté à Méré, soit sous sa forme écrite, soit dans une conversation ; et nous n'avons pas à rechercher l'accueil que lui aurait fait Méré. Une remarque em- pruntée aux Œuvres Postliumes du Chevalier, est pourtant intéressante à relever ici : Méré reproche à César de rebattre « volontiers une même pensée, sans qu'elle serve à son sujet, comme ce qu'il dit en quatre ou cinq endroits, qu'on se persuade aisément ce qu'on souhaite ' ». Et il ajoute : « Je ne sais même si cette maxime est bien certaine, et

1. De la Vraie Honnêteté^ 2' discours.

168 PENSEES.

je croirais aussitôt que plus on désire une chose, et plus on a de peine à s'en assurer. » Sans exagérer la portée de cette boutade, nous pouvons présumer que Méré et Miton auraient eu quelque peine à prendre l'attitude à laquelle Pascal les pressait de se plier ; ils n'étaient pas assez détachés de la vérité, conçue au moins comme idéal, ni assez désespérés de ne pouvoir l'atteindre ; ils n'étaient pas aussi scep- tiques, aussi pessimistes surtout que les supposait Pascal, toujours prêt à interpréter une thèse ou un homme dans un sens absolu ; ils se seraient « roidis contre ».

Nous ne pouvons pas décider non plus si l'argument du pari eût été incorporé à l'ApoZogie que Pascal méditait d'écrire. Dans le compte rendu que Filleau de la Chaise et Etienne Périer nous ont transmis de la conférence tenue à Port-Royal il n'y est fait aucune allusion. D'autre part M. Lanson qui le juge, comme nous, « destiné à faire effet sur quelque géomètre libertin * », doute que Pascal eût fait rentrer de pareilles considérations dans le cadre de son ouvrage. Et à coup sûr il serait « étrange » que le pari formât le centre et comme le noyau de l'apologie pascalienne, le procédé de démonstration serait un peu trop simpliste, et pour parler avec M. Lanson « assez grossier » ; mais si l'on pense que V Apologie devait être (comme les Provinciales se sont trouvées le devenir), divisée en plusieurs actes paraissent des personnages différents, et disposée en quelque sorte sur plusieurs plans, il paraît naturel d'admettre que le pari devait intervenir au seuil de VApolocjie proprement dite, en dehors d'elle, si on veut, et pourtant y introduisant : il marque le moment le libertin qui, jusque-là, résistait à toutes les démonstrations purement abstraites, se détourne des plaisirs du monde, accepte la discipline des habitudes catholiques, pour ouvrir enfin son cœur à la lumière que Dieu seul peut envoyer. Le libertin, auquel s'adresse le pari, n'est-il pas visé dans les longs fragments qui nous sont parvenus et dont on a voulu faire la préface générale de l'ouvrage^? N'est-ce pas lui que Pascal devait mettre en scène comme il avait mis en scène dans les premières Provinciales le Jésuite ou le T/iomJs/e, témoin ces titres de fragments : « Ordre par dialogues, objections des athées, conversation ^. » Si l'argument du pari est avant tout un effort d'adaptation psychologique pour amener certaines âmes

1. Art. Pascal de la Grande Encyclopédie (p. 29 6).

2. Fr. 194 et 19.5.

3. Fr. 237, 228, 391.

SECTION III. 169

au contact de la religion, nous n'avons pas de raison pour écarter l'hy- pothèse suivant laquelle Pascal se proposait de suivre à travers une des parties de son Apologie le lent progrès de cette adajHation, et de donner ainsi une place au pari.

m

Port-Royal ne nous semble pas avoir trahi l'intention de Pascal lorsqu'il a publié la plus grande partie de l'argument dans le cha- pitre VII des Pensées, sous ce titre : Qu'il est plus avantageux de croire que de ne pas croire ce qu'enseigne la Religion chrétienne. Fort judi- cieusement aussi les premiers éditeurs out été au-devant des scrupules du lecteur, et ils ont cherché à prévenir les fausses interprétations qu'ils prévoyaient, en le préparant par un Avis qui souligne la portée restrictive et pour ainsi dire nominative de la démonstration: « Pres- que tout ce qui est contenu dans ce chapitre ne regarde que certaines sortes de personnes qui, n'étant pas convaincues des preuves de la Religion, et encore moins des raisons des athées, demeurent en un état de suspension entre la foi et la fidélité. L'auteur prétend seule- ment leur montrer par leurs propres principes, et par les simples lumières de la raison, qu'ils doivent juger qu'il leur est avantageux de croire, et que ce serait le parti qu'ils devraient prendre, si ce choix dépendait de leur volonté. D'où il s'ensuit qu'au moins en attendant qu'ils aient trouvé la lumière nécessaire pour se convaincre de la vérité, ils doivent faire tout ce qui les y peut disposer, et se dégager de tous les empêchements qui les détournent de cette foi, qui sont prin- cipalement les passions et les vains amusements. »

Si justifiée qu'elle fiât, la précaution devait rester inutile. Dès 1671 parut, dans un livre de forme moitié sérieuse, moitié plaisante, un dialogue consacré à la discussion de V Apologie de Pascal. L'auteur anonyme, l'abbé de ^ illars, prend vivement à partie Pascal qu'il appelle Paschase : « Taisez-vous, Paschase, je perds j)atience de vous entendre traiter la plus haute de toutes les matières, et appuyer la plus importante vérité du monde, et le principe de toutes les vérités, par une idée si basse et si puérile, par une comparaison du jeu de croix et pile plus capable de faire rêver que de persuader, et par un raisonnement si défectueux, et appuyé sur des fondements incertains, et peut-être entièrement faux... J'avais ouï dire que vous étiez si grand ennemi des casuistes relâchés ; d'où vient que non seulement vous ne condamnez pas le jeu, mais que vous voulez faire dépendre

ITfl PENSEES.

la i-eli{jion et lu divinité du jeu de croix et pile*. » Bayle trouve sans doute que « cette réfutation est faible et ne mérite pas d'être exami- née » ; mais il la cite tout au long-, et nul doute qu'il l'ait fait agréer sans peine de ses innombrables lecteurs du wiii^ siècle. C'est par les lecteurs de Bayle surtout que l'argument du pari s'est trouvé trans- formé en une Petite Apolofjie qui apparaît désormais comme la réduc- tion des Pensées, et qui en prend peu à peu la place Apologie rendue populaire par le raccourci saisissant de l'argumentation, par l'autorité scientifique, parle génie littéraire de Pascal, mais populaire aussi parce que cette transposition familière et mondaine d'une démonstration religieuse prêtait à la réplique et au sarcasme ^. Cette substitution, qui conduit à considérer l'argument comme un tout séparé, ramenait inévi- tablement l'esprit à la préoccupation que Pascal suppose écartée par un accord préalable avec son interlocuteur: la préoccupation de vérité intrinsèque. C'est ainsi que l'entendent des réflexions attribuées à Fontenelle, et Locke se trouve visé en même temps que Pascal pour avoir fait place à l'idée d'un pari dans son Essai sur l'Entendement humain". C'est ainsi que l'interprète Craig dans la bizarre doctrine suivant laquelle la vérité de la religion diminue en quelque sorte à mesure que le temps s'écoule et qu'on est plus éloigné des origines''. C'est ainsi que Laplace fait rentrer l'argument de Pascal dans le cadre du calcul des probabilités : « Il suffit de représenter par les numéros de l'urne tous les nombres possibles de vies heureuses, ce qui rend le nombre de ces numéros infinis, et d'observer que si les témoins trompent, ils ont le plus grand intérêt pour accréditer leur mensonge, à promettre une éternité de bonheur. L'expression de la probabilité de leur témoignage devient alors infi- niment petite. En la multipliant par le nombre infini de vies heureuses promises, l'infini disparaît du produit qui exprime l'avantage résultant

1. De la Délicatesse, 1C71, p. 354, sqq. Il est juste d'ajouter que Bayle fait aussi mention du Traité de Religion contre les Athées, les Déistes et les Nouveaux Pyrrhoniens, 1677. L'auteur, le P. Mauduit, y reprend la thèse de Pascal dont il vante l'efficacité pratique.

2. Voltaire, qui ne plaisante pas en pareille matière, est effarouché par la désinvolture de Pascal : « Cet article, écrit-il, paraît un peu indécent et puéril : cette idée de jeu, de perte et de g^ain, ne convient point à la gravité du sujet. » (Remarques de 1778).

3. Livre II, ch. xxi, § 70.

4. Cf. l'Iieokigia" Christianœ princij)ia niathematica, 1699.

SECTION III. 171

de cette probabililt', ce qui détruit l'argument de Pascal'. » Et d'autre part si on arrive, comme le fait Lescœur, à justifier la dialec- tique du pari, c'est en invoquant un postulat du même ordre, en montrant le christianisme tellement entouré de {ifaranties historiques et morales, tellement enraciné dans la nature de l'iiomme que le fardeau de la preuve incombe à celui qui le nie ^.

Mais, à prendre ainsi la question, le pari en tant que pari n'a plus qu'une importance secondaire : l'essentiel est de savoir quel est le fondement de l'hypothèse sur laquelle il porte, et aussi de quel droit Pascal choisit, entre tant de conceptions diverses, l'unique doctrine chrétienne pour l'opposer au scepticisme. S'il faut absolument engager sa vie dans une alternative, n'y a-t-il qu'une seule alternative : on l'Eglise ou le néant? Accordons que l'affirmation libre nous engageons notre volonté tout entière et notre personnalité morale, soit à la base de toute certitude ; encore faudrait-il, comme le demande M. Renouvier, « élargir le pari », c'est-à-dire le dégager du lien étroit que Pascal avait établi entre l'acceptation nécessaire d'une réalité morale et la soumission à l'Eglise catholique, en faire un procédé général pour l'établissement de vérités sripérieures et retrouver ainsi une position voisine de celle que Rousseau avait adoptée dans la Profession de foi du Vicaire Savoyard ^.

Enfin la critique va plus loin : elle n'objecte pas seulement à Pascal que l'alternative est arbitrairement choisie entre une série d'alternatives également plausibles, elle lui conteste l'existence même de l'alternative. Pour se décider entre deux partis, il faut qu'ils soient tous deux possibles : qui nous garantit que la béatitude éternelle est chose possible? On invoquera que la notion n'implique pas contradic- tion ; mais la pensée moderne ne voit plus dans cette possibilité logique qu'une forme vide, elle refuse d'y chercher un point de départ vers la vérité ; c'est sur le modèle du réel qu'elle imagine le possible, car l'expérience du réel peut seule donner quelque valeur positive à la notion de possibilité *. En définitive c'est Ji la critique

1. Essai philosophique sur les probabilités. Œuvres, tome \ II, p. 88.

2. De l'ouvrage de Pascal contre les athées, i85o.

3. Cf. Philosophie analytique de l'histoire, liv. XIV, cli. iv ((. IV, p. 65, sqq.).

4- ^'oir à ce sujet la magistrale dissertation de iNI. Lachelier à laquelle nous devons beaucoup pour le commentaire et pour l'histoire du pari. Revue Philosophique, juin 1901.

172 PENSÉES.

de Kant que rurgument du pari vient se heurter, parce qu'il implique une sih-ie de postulats métaphysiques que cette critique a dévoilés et rendus désormais impossibles.

Qu'on se reporte en efl'et au texte de Pascal. L'argument est rigou- reux au point de vue mathématique : nous sommes obligés de parier, le gain et la perte sont également incertains; la seule grandeur dont la raison puisse faire état est la grandeur des enjeux. Il est irrépro- chable au point de vue moral : car il n'est pas juste de dire que Pascal nous propose un calcul ordinaire d'intérêts (comme fait par exemple La Bruyère dans le paragraphe des Esprits forts il résume et affaiblit l'argument du pari); Pascal nous demande le sacrifice de tous nos intérêts sensibles, en vue d'une transformation totale de l'être qui nous obtienne, avec la vertu, la lumière et la béatitude ; il nous somme de tout subordonner à l'intérêt moral, l'homme ne connaît pas une forme plus haute de désintéressement. Cette dialec- tique de la raison et de la volonté aurait donc une force invincible si elle trouvait en elle-même son point de départ, c'est-à-dire si elle s'adressait, comme Pascal le prétend, à un sceptique effectif, sans faire appel cl aucune donnée préalable, à aucune certitude venue d'ailleurs. Or en est-il bien ainsi? Le sceptique doit choisir entre les plaisirs de la yie et la béatitude de l'éternité. L'expérience lui suffit pour con- cevoir, certains ou incertains, les plaisirs de la vie; mais la béatitude de l'éternité, comment appartiendra-t-elle jamais à une nature telle que la sienne ? Pour se représenter la chose comme possible, pour que le mot même de béatitude ait un minimum de sens, il faut que le moi ne consiste pas tout entier dans les manifestations particulières par lesquelles il apparaît aux autres et il s'apparaît à lui-même, il faut qu'il résiste à l'analyse qui le dépouille peu à peu de toutes les qualités qu'il s'attribuait comme proprement siennes. « Qu'est-ce que le moi? demande Pascal lui-même ? Comment aimer le corps ou l'âme sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent '. » Ou il n'y a pas de lien entre la personne que je suis aujourd'hui et l'être que Dieu appellera un jour à la félicité des élus, et toute possibilité de vérité religieuse disparaît ; ou, par delà les qualités changeantes qui semblent le constituer, le moi demeure une substance identique, permanente.

I. l'r. 323.

SECTION III. 173

qui est la base de son individualité dans le monde et qui est aussi le siège de la vie éternelle dans l'autre. En un mot, pour que notre sceptique entende seulement les termes de l'argument que présente Pascal, il faut qu'il consente à parler le langage de la métaphysique substantialiste, c'est-à-dire qu'il professe une de ces doctrines de phi- losophie dont Pascal a si superbement rejeté le concours. A plus forte raison faut-il qu'il parle le langage du dogmatisme ontologique, lors- qu'il invoque l'Être infini qui sert de garant à l'immortalité de l'àme : il ne suffit pas au sceptique que l'homme ne puisse pas trancher le problème de l'existence de Dieu, il lui apparaît qu'il ne peut même pas poser le problème, parce qu'il ne sait pas d'où il attribuerait à ses concepts la capacité de porter l'existence et comment de pures notions pourraient soudain être revêtues de l'être. Bref Pascal, qui est si profondément et si essentiellement dogmatique, s'est fait illu- sion sur son propre scepticisme ; il ne s'est pas rendu aussi pyrrhonien qu'il se l'imaginait. Ou plutôt, il s'adressait dans une civilisation chré- tienne à des hommes qui avaient reçu une éducation chrétienne : la dialectique du pari devait rencontrer, pour s'y appuyer, le reste de ce premier état que la corruption du péché n'avait pas tout à fait effacé, dont le sacrement du baptême avait réveillé le souvenir ; elle devait ouvrir la voie au repentir, et peut-être devenir le véhicule mystérieux de la grâce qui seule pourvoit à tout: Deus est qui operatur velle et perficere.

SECTION lY

*2o6] 242

Préjace de la seconde partie : Parler de ceux qui ont traité de cette matière ^

J admire avec quelle hardiesse ces personnes en- treprennent de parler de Dieu^. En adressant leurs discours aux impies, leur premier chapitre est de prouver la Divinité par les ouvrages de la nature'.

242

Cf. B., 4o5; C, 38o; P. R., XX, i; Bos., II, sv, i; Faug., II, ii3 ; Hat., XXII, 2 ; Mol., I, 187; Mich., lili-j.

1. Développement correspondant au fragfment 62. : ((Préface de la 1'''^ partie. Parler de ceux qui ont traité de la connaissance de soi- même... » Les deux frag^ments figurent sur la luème page du manu- scrit, ils ont être dictés en même temps.

2. La ponctuation que nous suivons nous semble indiquée par le manuscrit. M. Mlchaut préfère ponctuer ainsi : parler de Dieu, en adressant leurs discours aux impies. Leur premier chapitré...

3. Sur les difficultés qu'a soulevées ce début, voir les Pièces justifi- catives, p. CLXxvi, et Nicole : Discours contenant en abrégé les preuves actuelles de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme : a II y en a d'abstraites et de métaphysiques, comme j'ai dit, et je ne vois pas qu'il soit raisonnable de prendre plaisir à les décrier. » La preuve de l'existence de Dieu par l'ordre de la nature a été introduite dans la philosophie occidentale par Socrate. Cicéron dans le De Natura

176 PENSÉES.

Je ne m'étonnerais pas de leur entreprise s'ils adres- saient leurs discours aux fidèles, car il est certain [que ceiixy qui ont la foi vive dedans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n'est autre chose que l'ouvrage du Dieu qu'ils adorent. Mais pour ceux en qui cette lumière s'est éteinte, et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces personnes desti- tuées de foi et de grâce, qui, recherchant de toute leur lumière tout ce qu'ils voient dans la nature qui les peut mener à cette connaissance, ne trouvent qu'obscurité et ténèbres ; dire à ceux-là qu'ils n'ont qu'à voir la moindre des choses qui les environnent, et qu'ils verront Dieu à découvert, et leur donner, pour toute preuve de ce grand et important sujet, le cours de la lune et des planètes, et prétendre avoir achevé sa preuve" avec un tel discours, c'est leur don- ner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles ; et je vois par raison et par expé- rience que rien n'est plus propre à leur en faire naître le mépris.

Ce n'est pas de cette sorte que l'Ecriture, qui con- naît mieux les choses qui sont de Dieu, en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché ; et que, depuis la corruption de la nature, il les a

deorum, Sénèque dans le De Beneficus l'ont développée amplement, et elle est reprise par Fénelon du point de vue chrétien, par Bernardin de Saint-Pierre du point de vue déiste. Pascal la trouvait plus parti- culièrement chez les trois apologistes dont il se proposait de parler ici : Raymond Sebon, Charron et Grotius. Cf. fr. 556.

I. Ces mots ne sont pas dans le manuscrit.

3. Correction ; la phrase écrite d'abord sous la dictée de Pascal était : [PrÉtend de l'avoir achevée sans preuve.]

SECTION IV. 177

laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sor- tir que pau' Jésus-Christ, hors duquel toute commu- nication avec Dieu est ôtée : Nenio novit Patrem, nisi Filius, et cui voluerit Filias revelare\

C'est ce que l'Ecriture nous marque, quand elle dit en tant d'endroits que ceux qui cherchent Dieu le trouvent". Ce nest point de cette lumière qu'on parle, comme le jour en plein midi. On ne dit point que ceux qui cherchent le jour en plein midi, ou de leau dans la mer. en trouveront ; et ainsi il faut bien que lévidence de Dieu ne soit pas telle dans la nature ; aussi elle nous dit ailleurs : Vere ta es Deus absconditus'\

Première copie 254] 243

C'est une chose admirable que jamais auteur ca- nonique ne s'est servi de la nature pour prouver Dieu. Tous tendent à le faire croire \ David, Salo-

1. Omnia mihi tradita sunt a Pâtre meo. Et nemo novit Filium, nisi Pater : neque Patrem quis novit, nisi Filius, et cui voluerit Filius révé- lera. Matth., XI, 27.

2. Petite et dabitur vobis : quserite, et invenietis : pulsate, et aperietur vobis. Matth., MI, 7.

3. CF. fr. 194, 5i8 et 585.

243

Cf. C, 470; Bos., II, III, 3; Faug., II, 116; H.w., X, 6; Mol., I, 3i3; MicH., 926.

4. A le faire croire, mais non à le prouver. Pascal connaît le Psaume XVIII, Cœli enarrant gloriam Dei ; il reproduit à diverses reprises la conception de saint Paul qui fait de la nature l'image de la grâce. Mais il se refuse à y voir des preuves, au sens philosophique du mot; il oppose avec netteté la croyance d'ordre pratique et la démonstration d'ordre spéculatif, le Glauben et le Wissen, suivant

PE.NSÉES. II 12

178 PENSÉES.

mon, etc., jamais n'ont dit : Il n'y a point de vide, donc il y a un Dieu'. Il fallait qu'ils fussent plus habiles que les plus habiles gens qui sont venus depuis, qui s'en sont tous servis. Gela est très consi- dérable.

29] 244

Eh quoi î ne dites-vons pas vous-même que le cieP et les oiseaux prouvent Dieu ? Non. Et votre religion ne le dit-elle pas ? Non^ Car en- core que cela est* vrai en un sens pour quelques âmes^ à qui Dieu donne cette lumière, néanmoins cela est faux à l'égard de la plupart.

les expressions employées par Kant dans un passage célèbre de la seconde préface de la Critique de la raison pure spéculative.

I. Grotius, V. R. C, I, VII : « Neque vero singula tantum ad peculiarem suum finem ordinantur, sed et ad communem Univers! ; ut apparet in aqua, quae contra naturam sibi propriam sursum move- tur, ne inani interposito hiet Universi compages : ita facta ut continua partium coliaesione semet sustineat. »

244

Cf. B., i; C, i3; Faug., Il, 889; Hav., XXV, 200; Mol., I, 3i/i ; MiCH., 71 (avec le fr. 227, voir la note du fr. 227).

a. Pascal vise ici les démonstrations traditionnelles dont il retrou- vait le développement au début du traité de Grotius (I, vu).

3. [Au contraire.]

4- Au xvii<^ siècle l'usage est de construire encore que avec le sub- jonctif, et Pascal s'y conforme : « Encore qu'ils soient fort opposés h ceux qui commettent des crimes » (^VIII^ Prov.^. Au xvi'^ siècle on trouve des exemples de l'indicatif. Littré cite ces vers de la Boétie (478) :

Encor qu'Homère est le premier compté, De s'arrêter les autres n'ont eu garde.

5. [Que.]

SECTION IV. 179

17] 245

Il y a trois moyens de croire : la raison', la cou- tume ^ l'inspiration. La religion chrétienne, qui seule a la raison, n'admet pas pour ses vrais enfants ceux qui croient sans inspiration ; ce n'est pas qu'elle exclue la raison et la coutume, au contraire ; mais il faut ouvrir son esprit^ aux preuves, s'y' con- firmer^ par la coutume, mais s'offrir par les hu- miliations aux inspirations, qui seules peuvent faire le vrai et salutaire effet : Ne evacuetur crux Christi^.

245

Cf. B., 1,20; C 394; P. R., XXVIII, 59; Bos., II, xTii, 62; Faug., II, 177; Hav., XXIV, ia; Mol., II, 58; Mich., 33. ' - .

I. Au début de V Apologie, Montaigne s'exprime ainsi : « PSous ne nous contentons point de servir Dieu d'esprit et d'ame ; nous luy debvons encores, et rendons, une révérence corporelle ; nous appli- quons nos membres mesmes, et nos mouvements, et les choses externes à l'honorer : il en fault faire de mesme, et accompaigner nostre foy de toute la raison qui est en nous. »

3. [La révéJat/ofl.j Le terme de révélation que Pascal avait employé d'abord s'oppose nettement à la raison et la coutume ; pour- tant il a préféré le mot d'inspiration,fc'est sans doute qu'il lui a paru caractériser mieux la source intérieure qui vivifie la foi ; la révélation est un fait, elle émane d'une autorité extérieure ; pour avoir son effi- cacité, pour engendrer le salut, elle demande l'inspiration du cœur

3. [a le.]

A- [Disposer.]

5. La machine, en ôtant les obstacles, permet quelquefois cette transformation totale de l'àme qui paraît d'abord impossible.

6. I Cor. I, 17. Non enim misit me Christus baptizaresed evangelizare : non in sapientia verbi, sed ut non evacuetur crux Christi. Pascal, en même temps qu'à saint Paul, pense au commentaire que saint Augu'stin a donné dans son livre de La Nature et de la Grâce, écrit contre Pe- lage : « La crois du Christ est devenue vaine, si l'on dit qu'il est possible de parvenir à la justice et à la vie éternelle en croyant au Dieu

180 PENSÉES.

35] 246

Ordre. Après la lettre qu'on doit chercher Dieu faire la lettre d'ôter les obstacles, qui est le discours de la machine ' , de préparer la machine, de chercher par raison".

25] 247

Ordre. Une lettre ^ d'exhortation à un ami pour

qui a fait le ciel et la terre, et de remplir sa volonté en vivant bien, sans être pénétré de la foi en la passion du Christ et en sa résurrec- tion. » Jansénius, Augustlnus, tome I, liv. III, cli. xxiv, cite ce passage et en fait le thème principal du jansénisme.

246

Cf. B,, a; C, i5; Faug., II, 891 ; Hav., X, 10; Mol., II, 62 ; Mien.,

(52.

1. Pascal avait déjà employé cette expression d'une façon remar- quable dans le passage suivant du Discours sur les Passions de l'Amour : « L'on a ôté mal à propos le nom de raison à l'amour, et on les a opposés sans un bon fondement, car l'amour et la raison n'est qu'une même chose. C'est une précipitation de pensées qui se porte d'un côté sans bien examiner tout, mais c'est toujours une raison, et l'on ne doit et on ne peut pas souhaiter que ce soit autrement, car nous serions des machines très désagréables. » La machine, c'est la partie de notre être qui est soustraite à l'autorité de la raison et qui agit en vertu des lois qui lui sont propres, c'est notre corps considéré comme semblable aux automates construits par l'industrie. Le mécanisme cartésien avait au xvii^ siècle répandu et popularisé la conception de l'automatisme corporel, et la doctrine des animaux-machines avait répandu et popu- larisé l'expression de machine.

2. Les obstacles, c'est le double libertinage de la vie et de la pen- sée. Préparer la machine h recevoir la foi, c'est prendre l'attitude et pratiquer les œuvres du chrétien, c'est quitter les plaisirs et chasser les passions. Chercher par raison, c'est se guérir du scepticisme en comprenant la relation que la raison soutient avec la foi.

247

Cr. B., I ; C, i4; Faug., II, Sgo ; Hat., X, 9; Mol., II, G2 ; Micu., 61.

3. [Où un ami dit.]

SECTION IV. 181

le porter à chercher. Et il répondra : mais à quoi me servira de chercher ? rien ne paraît. Et lui ré- pondre : ne désespérez pas. Et il répondrait qu'il serait heureux de trouver quelque lumière, mais que, selon cette religion même, quand il croirait ainsi, cela ne lui servirait de rien, et qu'ainsi il aime autant ne point chercher'. Et à cela lui ré- pondre : la machine '.

25] 248

Lettre qui marque l'utilité des preuves par la ma-' chine. La foi est différente de la preuve : l'une est humaine, l'autre est un don de Dieu. Justus ex Jîde vivit^ : c'est de cette foi que Dieu lui-même met dans le cœur*, dont la preuve est souvent l'instru-

I. Cette objection n'est pas seulement celle des libertins, elle est aussi celle des catholiques non jansénistes contre l'interprétation jan- séniste du christianisme. La doctrine de la grâce, entendue à la rigueur, ne laisse pas d'espoir à l'homme, puisque c'est à Dieu de prendre l'initiative et d'accomplir en ses élus le miracle de la foi. Les incrédules accordent à Pascal que son dogme est vrai ; s'ils ne peuvent croire pourtant, c'est que Dieu ne les a pas prédestinés au salut. Et c'est en ce sens que les adversaires du jansénisme lui reprochaient de favoriser la mollesse et l'indifférence des libertins. (Cf. une curieuse lettre de Mme de Choisy à la comtesse de Mauves, déc. i655, citée en note du fr. 781.)

3. M. Droz a signalé un développement de ces thèses de Pascal dans le traité de Mcole : De la soumission à la volonté de Dieu, en par- ticulier le ch. vit de la Première partie : « Si l'on n'a pas encore les sentiments que l'on doit, il ne faut pas laisser de faire ce que l'on doit. »

248

Cf. B., 2; C, il; Faug., II,3i)i ; Hav., X, i i ; Mol., II, fjj ; Mich , 58.

3. Saint Paul, Bom., I, 18 et Gai., III, 11. 4- [Qui tait.]

182 PENSÉES.

ment, fuies ex auditu^ ; mais cette foi est dans le cœur, et fait dire^ non scio, mais credo^.

a65] 24g

C'est être superstitieux \ de mettre son espérance dans les formalités ; mais c'est être superbe, de ne vouloir s'y soumettre.

90] 250

Il faut que l'extérieur soit joint à l'intérieur pour obtenir^ de Dieu; c'est-à-dire que l'on se mette à genoux, prie des lèvres, etc., afin que l'homme or- gueilleux, qui n'a voulu se soumettre à Dieu, soit maintenant soumis à la créature ^ Attendre de cet

1. Ergo fides ex auditu, auditus aatem per verbum Christi. Rom., X, 17.

2. [Credo.]

3. Dans V Apologie, Montaigne rapproche un texte de saint Augustin (r/(? Ordlne, II, 16) : Mellus scltur Deus nesclemlo, et un texte de Tacite (de Mor. German., XXXIV) : Sanctlus est ac reverenllùs de actls deo- rum credere, quant sclre.

249

Cf. B., 179; C, 212 ; P. R., XXVIII, 67 ; Bos., II, xvii, 5o; Faug., II, 3/19; Hav., XXIV, 4o; Mol., II, 102; Mich., 538.

4. [D'espérer quelque [le salut par les,]

250

Cf. Faug., II, 35o; Hav., XI, 3 bis; Mot., II, 5o ; Mich., 253.

5. Pascal emploie obtenir dans un sens absolu, comme il emploie obtention au fr. 5i4. Cf. Duclos : « Pour obtenir du peuple, il vaut mieux exagérer ses prétentions que de les borner » (OEuv., t. II, p. 167).

6. Créature s'oppose ici à homme, c'est ce qui resterait de l'homme si on en retranchait tout ce qui porte la marque de Dieu. Cf. Bour- daloue : « Qu'est-ce que leur \'\e. [des mondains]. .. un assujettissement

SECTION IV. 183

extérieur le secours est être' superstitieux, ne vouloir pas le joindre à l'intérieur est être superbe.

45 1] 251

Les autres religions, comme les païennes ^ sont plus populaires \ car elles sont en extérieur ; mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle ' serait plus proportionnée aux habiles ; mais elle ne servirait pas au peuple. La seule rehgion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d'extérieur et d'intérieur ^ Elle élève le peuple à l'intérieur, et abaisse les superbes à l'extérieur; et n'est pas parfaite sans les deux^ car

servile à la créature, c'est-à-dire au caprice, à la vérité, à la légèreté, à l'infidélité même ? » (^Carême, Sur la paix chrétienne.^

1. [Idolâtre.]

251

Cf. B., no; C, i35; P. R., Il, 3; Bos., II, it, 3; Faug., II, S^g ; Hav., XI, 3 ; Mol., I, 290; Mich., 792.

2. Comme /es païennes surcharge.

3. Car... extérieur surcharge.

4. Intellectuelle doit être entendu, non pas au sens restreint qu'on donne aujourd'hui quand on oppose l'intelligence au sentiment ou à la volonté, mais comme synonyme de spirituel. Il s'oppose à corporel, comme chez Descartes : « Préparer les esprits des lecteurs à consi- dérer les choses intellectuelles et les distinguer des corporelles » (/?ép. aux 3^* obj., I, trad. du duc de Luynes).

5. a La chrétienté comme au milieu a bien le tout tempéré, le sen- sible et l'externe avec l'insensible et l'interne, servant Dieu d'esprit et de corps, et s'accommode aux grands et aux petits. » (Charron, Sagesse, II, v, 16.)

6. Application du principe pascalien : « Les deux raisons contraires. Il faut commencer par : sans cela on n'entend rien, et tout est héré- tique ; et même, à la fin de chaque vérité, il faut ajouter qu'on se souvient de la vérité opposée. » (Fr. 667.)

184 PENSÉES.

il faut que le peuple entende l'esprit de la lettre, et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre.

igS] 252

Car il ne faut pas se méconnaître : nous sommes automate' autant qu'esprit; et de vient que ^'ins- trument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule ^ démonstration. Combien y a-t-il peu de cho- ses démontrées ! Les preuves ne convainquent que l'esprit^ ; la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues " ; elle incline l'automate, qui en- traîne l'esprit sans qu'il y pense. Qui a démontré qu'il sera demain jour, et que nous mourrons .^^ et qu'y a-t-il de plus cru ? C'est donc la coutume qui nous en persuade ® ; c'est elle qui fait tant de chré- tiens ', c'est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. (Il y a la foi reçue dans le

252

Cf. B., A25 et 325 ; C, 899 ; P, R., VII, 3 ; XXVIII, 68 ; Bos,, II, m, 6 ; II, svii, 62 ; Faug., II," 174 ; Hav., X, 8 et XXIV, 52 ; Mol., I, 116; II, lio; Mien., i2/|.

1. Exactement synonyme de machines. La Bruyère a décrit l'homme qui est plus automate qu'esprit : « Le sot est automate, il est machine, il est ressort : le poids l'emporte, le fait mouvoir, le fait tourner, et toujours, et dans le même sens, et avec la même égalité, il est fixé et déterminé par sa nature, et j'ose dire par son espèce. » (De Ihomme.^

2. Depuis nous sommes automates en surcharge.

3. Seule en surcharge.

4. Réflexion en surcharge.

5. La fin de la phrase en surcharge.

6. Cf. fr. 280.

7. Cf. fr. 98, 6i5 et Charron : Sagesse, II, v, 9 : « L'on est circoncis, haptisé, juif et chrétien, avant que l'on sache que l'on est homme. ))

SECTION IV. iS5

baptême aux Chrétiens de plus qu'aux païens ' .) Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois ~ l'esprit a vu est la vérité, afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance, qui nous échappe à toute heure ; car d'en avoir toujours les preuves présentes, c'est trop d'affaire. Il faut acquérir une créance plus facile, qui est celle de l'habitude, qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire^ les choses, et inchne toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction, et que l'automate est incliné à croire le contraire, ce n'est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces : l'esprit, par '* les raisons, qu'il suffit d'avoir vues une fois en sa vie '" ; et l'automate, par la coutume, et en

1. Parenthèse en marge.

2. [Nous avons.]

3. [Toutes.]

4- [Démonstrations.]

5. Dans une lettre du 5 novembre l648 écrite en commun par Biaise et Jacqueline Pascal, on trouve la même distinction, mais faite entre l'esprit et la grâce (et non entre l'esprit et la coutume). Ils écrivent à Mme Périer et se plaignent qu'elle ne mette pas assez de différence entre les choses dont elle parle « et celles dont le siècle parle, puisqu'il est sans doute qu'il suPfit d'avoir appris une fois celles-ci et de les avoir bien retenues, pour n'avoir plus besoin d'en être instruit, au lieu qu'il ne suffit pas d'avoir une fois compris celles de l'autre sorte, et de les avoir connues de la bonne manière, c'est-à- dire par le mouvement intérieur de Dieu, pour en conserver la connais- sance de la même sorte, quoique l'on en conserve bien le souvenir ». Cf. Descartes : « Gomme je crois qu'il est très nécessaire d'avoir bien compris une fois en sa vie les principes de la métaphysique, ;\ cause que ce sont ceux qui nous donnent la connaissance de Dieu et de notre âme, je crois aussi qu'il serait très nuisible d'occuper souvent son entendement à les méditer... mais que le meilleur est de se con-

186 PENSÉES.

ne lui permettant pas de s'incliner au contraire. In- clina cor meum, Deas\

La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues, sur tant de principes, lesquels il faut qu'ils soient toujours présents, qu'à toute heure elle s'assoupit ou s'égare, manque d'avoir tous ses principes présents. Le sentiment n'agit pas ainsi : il agit en un intant, et toujours est prêt à agir. Il faut donc ^ mettre notre foi dans le sentiment ; autrement elle sera toujours vacillante.

169] 253

Deux excès ^ : exclure la raison, n'admettre que la raison.

i63] 254

'^ Ce n'est pas une chose rare qu'il faille reprendre

tenter de retenir en sa mémoire et en sa créance les conclusions qu'on en a une fois tirées... » (^Lettre à la princesse Elisabeth, 18 juin 1643.)

1. Inclina cor meum in testimonia tua, et non in avaritiam (^Psaumes GXVIII, 36).

2. [Faire.]

253 Cf. B., 84; C, iio; P. R., V, 6; Bos., II, vi, 3; Faug., 11,348; Hay., XIII, 7; Mol., II, 59; MicH,, /,i6.

3. La Copie corrige : « Ce sont deux excès également dangereux, d'exclure la raison, de n'admettre que la raison » pour en faire la conclusion du fr. 273.

254 Cf. B., 84; G., m; Faug., II, 349; Hav., XIII, 5 6/* et XXV, 40 rejeté; Mol., II, 47; MiCH., 396.

4. [C'est.]

SECTION IV. 187

le monde de trop de docilité ; c'est un vice naturel comme l'incrédulité et aussi pernicieux. Supersti- tion.

398] 355

La piété est différente de la superstition.

Soutenir la piété jusqu'à la superstition, c'est la détruire.

Les hérétiques nous reprochent cette soumission superstitieuse; c'est faire ce qu'ils nous reprochent*.

Impiété, de ne pas croire l'Eucharistie, sur ce qu'on ne la voit pas".

Superstition ^ de croire des propositions, etc.

Foi, etc.

344] 256

Il y a peu de vrais Chrétiens, je dis même pour la foi : il y en a bien qui croient, mais par supersti-

255

Cf. B.,83; C, iio; Bos., II, vi, 3; Faug., II, 349; II, 3/17; Hav., XIII, 5; XXV, i83; Mol., II, Sg ; II, 17 et II, 126; Mich , f328.

I. Faugère a relevé dans la Première copie ces compléments: « que d'exiger cette soumission dans les choses qui ne sont pas ma- tière de soumission. »

3. Commentaire: « sur ce qu'on n'y voit Jésus-Christ; car on ne le doit point voir, quoiqu'il y soit. »

3. « De croire que des propositions sont dans un livre, quoiqu'on ne les y voie pas (parce qu'on doit les y voir si elles y sont). » Ces additions (comme on le voit par celles des fr. 253 et 272) étaient faites en vue de la publication ; mais le fragment n'a pas été compris dans l'édition de Port-Royal.

«56

Cf. B., 82; C, 109; Faug., II, 35o ; Hav., XXV, 47; Moi., II, 46; MicB., 5i5.

188 PENSÉES.

tion ; il y en a bien qui ne croient pas, mais par libertinage : peu sont entre deux '.

Je ne comprends pas en cela ^ ceux qui sont dans la véritable piété de mœurs ^ et tous ceux qui croient par un sentiment du cœur.

6i] 257

'Il y a trois sortes de personnes : les unes qui ser- vent Dieu, l'ayant trouvé ; les autres qui s'emploient à le chercher, ne l'ayant pas trouvé ; les autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouvé. Les ^ pre-

1. Cette pensée est loin d'être claire. Tout d'abord, en ne se rap- porte pas à lirais chrétiens, mais à l'idée indéterminée d'hommes qui y est contenue. Parmi les hommes, les uns croient mais par excès de docilité (fragment 354), sans rien mettre dans leur foi de leur vie intérieure, de leur cœur ; les autres ne croient pas mais par liberti- nage, c'est-h-dire par un défaut de docilité qui est lié au dérèglement des mœurs. Quel est ce peu qui est entre les deux? Ce sont les chré- tiens, à la fois dégagés de toute superstition et de tout libertinage, qui ont réfléchi sur la religion, qui soumettent leur esprit, parce que la raison leur a montré qu'il était raisonnable de désavouer la raison.

2. Cela se rapporte non pas au peu qui est entre les deux, mais aux deux catégories extrêmes, dans lesquelles ne sont compris ni les incrédules qui ne sont pas libertins, qui cherchent Dieu et ne de- meurent dans le doute que parce que la grâce leur manque, « ceux du milieu, malheureux et raisonnables », comme il est dit au fragment suivant; ni 3" les chrétiens qui croient sans raisonnement, mais sans superstition, parce qu'ils ont la « connaissance » du cœur (voir les fragments 282 et 384).

3. Ceux-[ià] croient par.

257

Cf. B., 78; C, io4; P. R., XXVIII, 67; Bos., II, xvu, Gi ; Faug., II, 182; IIav., XXIV, 5o; Mol., I, i55; Mich., 167.

4. Il n'y a [que deux sortes de personnes raisonnables.] Pascal a négligé de barrer la négation dont la suppression est devenue indis- pensable dans la nouvelle rédaction.

5. iDeux.]

SECTION IV. 189

miers sont raisonnables et heureux, les derniers sont fous et malheureux, ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

**i63] 258

Unusquisque sibi Deiim fingit ^ . Le dégoût.

4i] 259

Le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu'il ne veut pas songer : ne pensez pas aux passages du Messie, disait le Juif à son fils. Ainsi font les nôtres souvent ; ainsi se conservent les fausses religions, et la vraie même, à l'égard de beaucoup de gens.

Mais il y en a qui n'ont pas le pouvoir de s'empê- cher ainsi de songer, et qui songent d'autant plus qu'on l'aura défendu. Ceux-là se défont des fausses religions, et de la vraie même, s'ils ne trouvent des discours solides.

258

Cf. B., 394 ; C, 3(35; Mich., 897.

I. Cette ligne latine résumait sans doute pour Pascal le chapitre sur les faux dieux du Livre de la Sagesse. En particulier : Et cum labore vano Deum fingit de eodem luto, ille qui paulo ante de terra fac- tus fuerat..., X\, 8. Homo enim fecit illos [nationum Deos] : et qui spiritum mutuatus est, is finxit illos. Nemo enim sibi siniilem homo poterit Deum fingere, XV, 16.

259

Cf. B., 422; C, 397; Faug., I, 2s8; Hav., XXV, 20; Moi., I, i55 ; Mich., 98.

190 PENSÉES.

278] 260

Ils se cachent dans la presse ^ , et appellent le nom- bre à leur secours ^ Tumulte^

L'autorité. Tant s'en faut que d'avoir ouï-dire une chose soit la règle de votre créance, que vous ne devez rien croire sans vous mettre en l'état comme si jamais vous ne l'aviez ouï.

C'est le consentement de vous à vous^-même, et la voix constante de votre raison, et non des autres, qui vous doit faire croire.

Le croire est si important ! Gent^ contradictions seraient vraies ^

260

Cf. B., 3i3; G., l,ob; Faug., I, 291 et II, 35i ; Hav., XXV, 49; Mol., II, loi et II, 1/12 ; MicH., 56o et 56i.

1. Cf. fr. 98 1. Chose curieuse, l'expression est reprise dans la Lo- (jique de Port-Royal k l'éloge des personnes sages qui « fuient de se présenter en face et de se faire envisager en particulier, et tâchent plutôt de se cacher dans la presse pour n'être pas remarquées, afin qu'on ne voie dans leurs discours que la vérité qu'elles proposent. » (III« partie, ch. i, immédiatement avant le passage sur Pascal qui évitait le je.)

2. « Il y a du malheurd'en estre là, que la meilleure touche de la vérité ce soit la multitude des croyants, en une presse les fols sur- passent de tant les sages en nombre. » (Mont., III, .x^i).

3. L'expression se retrouve dans la Lettre de Pascal h M. le Pail- leiir, faisant allusion aux divergences des partisans du plein : « Ce n'est pas dans cet embarras, dans ce tumulte qu'on doit la chercher [la vérité]. » (QEuures, éd. Lahure, t. III, p. 61.)

4. Vous en surcharge.

5. [Absurdités.]

6. S'il n'y avait pas de règle pour la croyance, cent choses contra- dictoires entre elles pourraient être vraies en même temps.

SECTION IV. 191

Si l'antiquité était la règle de la créance, les anciens étaient donc sans règle ? Si le consentement général ' , si les hommes étaient péris ^ ?

Fausse humilité ^, orgueil.

Levez le rideau. Vous aurez beau faire ; si faut-il ou croire, ou nier, ou douter. N'aurons nous donc pas de règle ^ ? Nous jugeons des animaux qu'ils font bien ce qu'ils font^ N'y aura-t-il point une règle pour juger des hommes ?

Nier, croire, et douter bien, sont à l'homme ce que le courir est au cheval.

Punition de ceux qui ^ pèchent, erreur '.

1. L'expression se trouve dans Charron : « Le plus grand argument de la Térité, c'est le général consentement du monde. » (Sajresse, I, XVI, 3.)

2. Si le consentement général était la règle, que serait-il arrivé si /es hommes étaient péris ? Pascal vise ici les critères externes de la vérité, autorité et consentement universel, qui étaient acceptés par la scolastique et que Descartes condamne définitivement.

3. Cf. fr. gSi. Cette /ausse humilité consiste à ne pas vouloir juger par soi-même, à se retrancher derrière le jugement des autres ; au fond, c'est de l'orgueil ;' c'est de peur de douter, de se tromper, d'être con- vaincu d'erreur, qu'on renonce à faire usage de sa pensée propre, à faire son devoir d'homme. Cf. Montaigne : « Il est certaine façon d'humilité subtile, qui naist de la presumption. » (II, 37.) Dans un discours sur la Perfection des Arts, André Chénier, qui ne con- naissait pas le fragment, applique précisément à Pascal cette anti- thèse : « Homme arrogant et orgueilleux sous les formules de l'humi- lité, indigné qu'aucun mortel se crût permis de secouer son joug qu'il voulait porter lui-même. » (^Œuvres inédiles, Revue de Paris, i5 oct. 1899, p. 676.)

4. [Les animaux.]

5. [Ne jugerons-nous point des hommes?]

6. [Cherchent.]

7. Réflexion en marge.

192 PENSÉES.

270] 261

^ Ceux qui n'aiment pas la vérité prennent le pré- texte de la contestation en la multitude de ceux qui la nient ; et ainsi leur erreur ne vient que de ce qu'ils n'aiment pas la vérité ou la charité, et ainsi ils ne s'en sont pas excusés.

S!\!i] 262

Superstition et concupiscence.

Scrupules, désirs mauvais.

Crainte mauvaise : crainte, non celle qui vient de ce qu'on croit Dieu, mais celle de ce qu'on doute s'il est ou non^ La bonne crainte vient de la foi, la

261

Cf. B., 82; C, 108; Faug., II, 35i; Hav., XXV, 48; Mol., I, 323; MicH., 557.

1. [La vérité.] Cf. fr. 384 et 902.

262

Cf. B., 471; C, 271; P. R., XXVIII, 6/1; Bos., II, XVII, 67; Faug., I, 280; Hav., XXIV, 47; Mol., II, Scj ; Mich., 695.

2. Si la fin de ce fragment est très claire, il n'en est pas de même des lignes du début. A quoi tend le parallèle établi entre la superstition et les scrupules d'une part, la concupiscence et les désirs mauvais, de l'autre? sans doute à cette conclusion qu'il y a place, à l'intérieur de la religion, pour un excès qui est symétrique de la concupiscence et des désirs mauvais, en ce sens qu'il est aussi une exaltation de la passion humaine. La religion ordonne de craindre un Dieu, tandis que la superstition nous fait craindre en nous séparant de lui, et pour ainsi dire contre lui, comme s'il devait être cause du mal Charron insiste longuement sur les rapports de la superstition et delà crainte : « Il n'y a rien qui fasse plus belle mine, et prenne plus de peine à res- sembler la vraie piété et religion, mais qui lui soit plus contraire et ennemi que la superstition... La religion aime et honore Dieu, met

SECTION IV. 193

fausse crainte vient du doute. La bonne crainte, jointe à 1 espérance, parce qu'elle naît de la foi, et qu'on espère au Dieu que l'on croit ; la mauvaise, jointe au désespoir, parce qu'on craint le Dieu auquel on n'a point de foi. Les uns craignent de le perdre ; les autres craignent de le trouver'.

109] 263

Un miracle, dit-on, a-ffermirait ma créance. On le dit quand on ne le voit pas ^ Les raisons qui, étant vues de loin, paraissent borner notre vue^ mais quand on y est arrivé, on commence à voir en- core au delà ; rien n'arrête la volubilité de notre esprit. Il n'y a point, dit-on \ de règle qui n'ait quel- que exception, ni de vérité si générale qui n'ait quelque face par 011 elle manque. Il suffît ^ qu'elle

l'homme en paix et en repos, et loge en une âme libre, franche et généreuse ; la superstition trouble et effarouche l'homme, et injurie Dieu, apprenant à le craindre avec horreur et effroi, se cacher et s'en- fuir de lui, s'il est possible, c'est maladie d'âme faible, vile et peu- reuse. » (^Sagesse, II, v, g.) Et Charron ajoute cette citation de saint Augustin (Cité de Dieu, VI, 9) qui paraît avoir inspiré direc- tement Pascal : Varro ait Deum a religioso vereri^ a superstitioso tiineri. Cf. id. Les Trois Vérités, I, 12, sub fine.

I. Voir les chapitres de Jansénius sur la crainte (^Auguslinus, de Grat. Chr. Salv., tit. V, ch. xxi-xxxiv.)

263

Cf. B., 340; C, 298; P. R., XXVm, 49;Bos.,II, svn, 44; Faug., II, 282; Hav., XXIV, 34; Mol., I, 821; Mich., 288.

a. [Mais quand.] Cf. fr. 470.

3. [On les.]

4. Dil-on en surcharge.

5. [Qu'il y ait.]

PENSÉES. II 13

194 PENSÉES.

ne soit pas absolument universelle \ pour nous don- ner sujet d'appliquer l'exception au sujet présent, et de dire : cela n'est pas toujours vrai ; donc il y a des cas 011 cela n'est pas. Il ne reste plus qu'à montrer que celui-ci en est ; et c'est à quoi on est bien mala- droit ou bien malheureux si on ne trouve quelque jour.

loA] 264

On ne s'ennuie point de manger et dormir ^ tous les jours, car la faim renaît, et le sommeil ; sans cela on s'en ennuierait. Ainsi, sans la faim des choses spirituelles, on s'en ennuie : faim de la justice, béa- titude huitième ^

A09] 265

La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais

I. On sait quelle importance Kant a donnée dans son système de morale à l'universalité du devoir et avec quel soin il a disting-ué cette universalité rigoureuse, exclusive de toute exception, et la simple généralité qui permet à l'homme, tout en reconnaissant la loi, de l'atténuer en sa faveur et pour une fois.

264 Cf. Faug., I, 216; Hav., XXV, 70; Mol., II, Go; Mich., 278.

3. Et dormir en surcharge.

3. La béatitude huitième est ainsi énoncée dans l'Evangile de saint Mathieu : Beati qui persecutionem paliuntur propter justiliam : quoniam ipsorum est regnum cœlorum (V, 10). La béatitude quatrième parle de la faim de la justice : Beati qui esuriunt et sitiuntjustitiam: quoniam ipsi salurabuntur (V, 6).

265

Cf. B., 84; C, m; P. R., V, 7; Bos., II, vi, 4; Faug., II, Sig ; Hav., XIII, 8; Mol,, II, 57; Mich., G5o.

SECTION IV.

195

non pas le contraire de ce qu'ils voient ; elle est au- dessus, et non pas contre.

^^5] 266

^ Combien les lunettes nous ont-elles découvert d'astres qui n étaient point pour nos philosophes d'au- paravant ! On entreprenait franchement l'Écriture sainte sur le grand nombre des étoiles, en disant : Il n'y en a que mille vingt-deux, nous le savons \

Il y a des herbes sur la terre : nous les voyons. De la lune on ne les verrait pas. Et sur ces herbes des poils ; et dans ces poils de petits ani- maux; mais après cela, plus rien. 0 présomp- tueux! — Les mixtes sont composés d'éléments; et les éléments, non. 0 présomptueux, voici un trait déhcat ^ Il ne faut pas dire qu'il y a ce qu'on ne voit pas. Il faut donc dire comme les autres, mais ne pas penser comme eux \

266

o6 et XX\, 3; Mol., I, 197 et I, 126; M.ce., \^o. ^ ' ' ^'

1. 1022, c'est le chiffre donné par le catalogue de Ptolémée qui résume la science astronomique de l'antiquité.

2. L'expression se retrouve au début du fragment sur les deux in- rinis. j 2 »

3. Cette pensée fait évidemment partie d'un dialogue : nous avons du pour en rendre intelligible la lecture, y pratiquer des divisions qui ne figurent pas dans le manuscrit. L'interlocuteur imaginaire de Pascal soutient la thèse du fini : Pascal remarque combien c!tte thèse en apparence toute simple et fondée sur la nécessité naturelle de s'ar- rêter quelque part que la philosophie a tant de fois invoquée depuis Anstote, suppose de présomption métaphysique, puisqu'elle prèfe à 1 homme la faculté d'atteindre les éléments absolus des choses. Il faut

ml'lT '"'" '' ''" 'ï"' '' 1"'°" "^ -'^ P- "'--te pas ; mais le géomètre a une autre pensée de derrière la tête (Cf. fr. 336)!

196 PENSÉES.

2^7] 267

La dernière démarche de la raison est de recon- naître qu'il y a une infinité de choses qui la sur- passent ' ; elle n'est que faible, si elle ne va jusqu'à connaître cela.

Que si les choses naturelles la surpassent, que dira- t-on des surnaturelles ?

161] 268

" Soumission. Il faut savoir douter 011 il faut, assurer il faut, et se [soumettre] il faut^ Qui ne fait ainsi n'entend pas la force de la raison \ Il y [en] ^ a qui faillent contre ces trois principes, ou en

267

Cf. B., 8/,; G., m; P. R., V, i ; Bos., I, ix, 34; F\ug., I, 2o5:Hav., XIII, i; Mol., II, 67; Mich., 621.

1. [Elle est faible si elle ne va là. Même dans les choses.]

268

Cf. B., 81; C, 107; P. R., V, 2; Dos., II, VI, i; Faug., II, 8^7; Hav., XIII, 2; Mol., II, 57; Micu., 388.

2. [Miscell.]

3. Pascal avait d'abord éeiit : « Il faut [avoir ces trois qualités pyrrhonien, géomètre, chrétien soumis; et elles s'accordent et ce tem- pèrent en doutant où\ il faut, [en assurant] il faut [en] se soumettant. » Pascal a corrig-é les mots nécessaires pour rétablir la nouvelle rédac- tion, sauf souinellant qu'il fallait remplacer par soumettre. La Copie ajoute : « pyrrhonien, g^éomètre, chrétien ; doute, assurance, soumis- sion. »

4- Cf. la Réponse de Pascal au P. Noël : « Nous réservons pour les mystères de la foi, que le Saint-Esprit lui-même a révélés, cette soumis- sion d'esprit qui porte notre croyance à des mystères cachés aux sens et à la raison. » (OEavres, éd. Lahure, t. III, p. i3.)

5. En n'est pas dans le manuscrit.

SECTION IV. 197

assurant tout comme démonstratif, manque de se con- naître en démonstration ; ou en doutant de tout, manque de savoir oii il faut se soumettre ; ou en se soumettant en tout, manque de savoir il faut ju- ger*.

247] 269

Soumission et usage de la raison, en quoi consiste le vrai christianisme ^

4o6] 270

Saint Augustin " : la raison ne se soumettrait ja-

1. Cliarron en faisant de Vaniverselle et pleine liberté de l'esprit, la seconde disposition à la sagesse, en posant que « le vrai office de l'homme, son plus propre et plus naturel exercice, sa plus digne occupation est de juger », réserve « les vérités divines qui nous ont été révélées, lesquelles il faut recevoir humblement avec toute humi- lité et soumission, sans entrer en division ni discussion ». De la sagesse, II, 2.

26g

Cf. B., 81: C, 107; Faug.,11, 3^7 ; Hav., XIII, 2 bis, et XXV, 182; Mol., II, 67 ; Mich., 620.

2. «Je me ploie et je me captive sous les paroles magistrales du Sau- veur Jésus: dans celles que j'entends, j'y vois des instructions admi- rables ; dans celles que je n'entends pas, j'y adore une autorité infail- lible. Si je ne mérite pas de les comprendre, elles méritent que je les croie; et j'ai cet avantage dans son école, qu'une humble soumission me conduit h l'intelligence plutôt qu'une recherche laborieuse. » Bos- suet, Sermon sur la Loi de Dieu, i^^ point.

270

Cf. B., 82: C,, 108; P. R., V, 4; Bos., II, vi, 2; Faug., II, 3^8; Hav,, XIII, 4; Mol., II, 69; Mich., 646.

3. La référence est donnée par la Logique de Port-Royal, en même temps que le commentaire de ce fragment : « Que si l'on compare ensemble les deux voies générales qui nous font croire qu'une chose est, la raison et la foi, il est certain que la foi suppose toujours

198 PENSEES.

mais, si elle ne jugeait qu'il y a des occasions elle doit se soumettre. Il est donc juste qu'elle se sou- mette, quand elle juge qu'elle se doit soumettre '.

i65] 271

La Sagesse nous envoie à l'enfance : Nisi efficia- miiii sicul parvuli\

3i4] 272

Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce dé- saveu de la raison \

quelque raison ; car, comme dit saint Augustin clans sa Lettre cxxii, et en beaucoup d'autres lieux, nous ne pourrions pas nous porter ?i croire ce qui est au-dessus de notre raison, si la raison même ne nous avait persuadés qu'il y a des choses que nous faisons bien de croire, quoique nous ne soyons pas encore capables de les comprendre : ce qui est principalement vrai à l'égard de la foi divine, parce que la vraie raison nous apprend que Dieu étant la vérité même, il ne peut nous tromper en ce qu'il nous révèle de sa nature ou de ses mys- tères. » (Quatrième partie, ch. xii.)

1. Addition de la i'^^ Copie: et qu'elle ne se soumette pas quand elle juge qu'elle ne doit pas le faire.

271

Cf. B., 3i; C, 47; Faug., II, i35; Hav., XXV, 86; Mol., I, 32i ; Mien., /405.

2. Matth., XVIII, 33: Nisi conversi fueritis, et efficiamini sicut parvuli, non intrabitis in regnum cœlorum. Ce texte est familier à Port-Royal. Saint-Cyran en fait dans ses lettres de fréquents commentaires à l'usage des grands à qui pesaient parfois la rigueur de la confession et « la soumission totale au directeur ». Il est à noter que Bacon l'avait appliqué à la méthode inductive, qui nous apprend à nous faire petits enfants devant la nature et à nous soumettre à elle pour mieux la vaincre.

272 Cf. B., 8/1; C, iio; P. R., V, 6; Bos., II, vi, 3; Faug., Il, 348; Hav., XIII, 6; Mol., II, 69; Mich., 467.

3. Addition de la Première copie en vue de réditlon de Port-Royal :

SECTION IV. 199

3i3] 273

*Sion soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux et de surnaturel ; si " on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.

i3o] 274

Tout notre raisonnement se réduit à céder au sen- timent.

Mais la fantaisie est semblable et contraire ' au sentiment, de sorte qu'on ne peut distinguer entre ces contrcdres. L'un dit que mon sentiment est fan- taisie, l'autre que' sa fantaisie est sentiment. Il fau- drait avoir une règle ; la raison s'offre, mais elle est ployable à tous sens % et ainsi il n'y en a point.

« Dans les choses de la foi, et rien de si contraire à la raison qui le sépare de la raison dans ce qui n'est pas de foi », pour relier le fra{j- ment au 2 53 qui a été également modifié.

273

Cf. B.,8a; C, 108; P. R., V, 3 ; Bos., II, vi, 2; Faug., II, 348; Hav., XIII, 3; Mol., II, 58; Mich., 453.

I. Ecrit d'abord au crayon.

3. [Notre religion.]

274

Cf. B., 329; C, 380; P. R., XXXI, 6; Bos., I, x, 4; Faug., I, 224 ; Hav., VII, 4; Mol., II, i43; Mich., 333.

3. Semblable par son caractère irréfléchi, irrationnel, immédiat; contraire par ce que le sentiment est une vue naturelle, profonde et vraie, tandis que la fantaisie née du hasard de l'association est arti- ficielle, superficielle et fausse. Cf. Nicole, Pensées diverses, LUI : Sentiment, fantaisie, raisonnement, raisonnailîerie.

4. [Ma.]

5. Mont., Apol. : « l'appelle tousiours raison cette apparence de discours que chascun forge en soy : cette raison, de la condition de

200 PENSÉES.

P. /?. (1678) xxviii] 275

Les hommes prennent souvent leur imagination pour leur cœur ; et ils croient être convertis dès qu'ils pensent à se convertir.

2<^ Man. Guerrier] 276

M. de Roannez disait : Les raisons me viennent après, mais d'abord la chose m'agrée ou me choque sans en savoir la raison, et cependant cela me cho- que par cette raison que je ne découvre qu'ensuite. Mais je crois, non pas que cela choquait par ces rai- sons qu'on trouve après, mais qu'on ne trouve ces raisons que parce que cela choque *.

laquelle il y en peult avoir cent contraires, autour d'un mesme subiect, c'est un instrument de plomb et de cire, along^eable, ployable, et accommodable à touts biais et à toutes mesures ; il ne reste que la suffisance de le sçavoir contourner. «

275

Cf. Bos., II, XVII, 62; Faug., I, 229; Hav., XXIV, 5i ; Mol., II, i/ii ; MicH., 983.

276 Cf. Faug., I, 177; Hav., XXV, 56; Mol., II, i/i3; Mich., 9G/1.

I. On voit par cet exemple comment les pensées naissaient ciiez Pascal à l'occasion des incidents de sa vie ordinaire. Cette réflexion met en lumière l'influence de nos sentiments cachés sur les raison- nements auxquels nous les rapportons après coup ; c'est une applica- tion à un cas particulier de la maxime de la Rochefoucauld : L'esprit est toujours la dupe du cœur. Ajoutons que la science contemporaine a confirmé par de curieuses expériences la vérité de cette remarque ; une personne à qui l'on a sugjjféré pendant le sommeil hypnotique d'exécuter un acte déterminé à son réveil, l'exécute en effet et trouve, pour justifier cet acte commandé, des raisons parfois subtiles. On trouve dans les pensées de Domat publiées par Faugère cette réflexion qui est peut-être l'écho d'une conversation avec Pascal : « Nous n'agis- sons pas par raison, mais par amour, parce que ce n'est pas l'esprit qui

SECTION IV. 20i

8] 377

Le cœur a ses raisons', que la raison ne connaît point"; on le sait en mille choses. Je dis que le cœur aime- l'être universel^ naturellement, et soi- même naturellement, selon qu'il s'y adonne ; et il se durcit contre l'un ou l'autre, à son choix. Vous avez rejeté l'un et conservé l'autre : est-ce par raison que vous vous aimez ?

8] 278

C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison : voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au cœur% non à la raison ^

agit, mais le cœur qui gouverne ; et toute la déférence qu'a le cœur pour l'esprit est que s'il n'agit pas par raison, il fait au moins accroire qu'il agit par raison (XX). » M. Droz cite dans son excellente Etude sur le scepticisme de Pascal (p. 52) cette phrase de Bayle : « Le cœur ne se voulant point rendre fait que l'esprit, qui est ordinairement sa dupe, cherche des armes pour se maintenir. » (^Pensées sur la Comète, § i8i)

277

Cf. B., 207; C, 4i8; P. R., XXVIII, 5i ; Bos., II, xvn, 5; Faug., II, 172; Hav., XXIV, 5; Mol., II, i4o; Mich., ii.

1. [Le cœur [on.]

2. Que la raison ne connaît point en surcharge.

3. [Naturellemeat.]

4. [Quand il s'y adonne.]

278

Cf.B., 207; C, 4i8; P. R., XXVIII, 5i; Faug, II, 172; Hat., XXIV, 5; Mol., II, il\o; Mich., i3.

5. « Dieu sensible au cœur, voilà votre bienheureux état. Je n'ai jamais vu une telle parole, mais elle est aussi de M. Pascal. » Lettre de Mme de Sévigné à Mme de Guitaut, 29 oct. 1612.

6. La doctrine exposée par Pascal dans la fin de ces fragments se retrouve chez M. de Barcos, neveu de Saint-Cyran : « Consentir sim-

202 PENSEES.

143] 279

La foi est un don de Dieu ; ne croyez pas que nous disions que c'est un don de raisonnement'. Les au- tres religions ne disent pas cela de leur foi^; elles ne donnaient que le raisonnement pour y arriver, qui n'y mène pas néanmoins ^

plement à une vérité et avouer une chose dont on est persuadé, est une action qui appartient à l'entendement, lequel est seulement capable de vérité ou d'erreur, et non de bonté ou de malice. Mais la fin que Dieu demande de nous et par laquelle nous sommes chrétiens, vient principalement du cœur et est toujours accompagnée d'amour et d'af- fection envers Dieu, et sa vérité qui est lui-même. Ce que saint Paul nous apprend quand il dit : Corde credilur ad justitiam. C'est donc par le cœur que nous croyons comme il faut, et que nous acquérons la vraie justice et la vraie piété, dont la foi est le fondement. Toute autre manière de croire qui n'est pas accompaj^née au moins de quelque commencement d'amour, est inutile pour le salut, et dépend plus de la lumière de l'esprit que de la bonté du cœur, et elle n'est point capable d'approcher l'homme de Dieu, ni de le rendre fidèle. » (^Expli- cation du sjm6o/c publiée en 1701, p. i5.) M. Droz cite d'autre part ces lignes de Saint-Cyran : « Il n'y a point d'autre moyen de com- prendre Dieu en ce monde que par le silence de la langue et le res- sentiment du cœur. » (Œuvres chrétiennes et spirituelles, t. II, 1. 7^, p. 33) et ce passage de M. de Saci : « Je souhaite que Dieu vous fasse comprendre par un sentiment du cœur plus que par la pensée de l'es- prit que c'est lui qui est le père. » (Lettres chrétiennes et spirituelles, vol. II, t. III, lettre 5o, p. 600. Cf. Etude sur le scepticisme de Pascal, p. 113.)

279

Cf. B., 345; C, 299; Faug., II, 178; Hav., XXV, 4o; Mol., II, 56; MicH., 35g.

1. Cf. Domat : « Il est impossible d'avoir des démonstrations de la vérité de notre religion, car il arriverait deux choses : l'une que tout le monde l'embrasserait, l'autre qu'il n'y aurait pas de foi qui est la voie par laquelle Dieu a voulu nous unir à lui » (Pensées, XVIII).

2. [Et cependant.]

3. On sait avec quelle vivacité, dès i646, Pascal avait pris parti contre les doctrines du frère Saint-Ange qui prétendait démontrer

SECTION IV. 203

489] 280

Qu'il y a loin de la connaissance de Dieu à l'ai-

mer

63] 281

Cœur, instinct, principes'.

**i9i] 282

Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur; c'est de cette der- nière sorte que nous connaissons les premiers prin- cipes, et c'est en vain que le raisonnement % qui n'y a point de part ^ essaye de les combattre. Les pyr-

par le raisonnement les vérités de la foi. Et cependant aux yeux de Port-Royal, il était encore suspect de faire trop grande la part du raisonnement. Il effraie M. Rebours, en lui disant : « que l'on pou- vait, suivant les principes mêmes du sens commun, démontrer beau- coup de choses que les adversaires disent lui être contraires, et que le raisonnement bien conduit portait à les croire, quoiqu'il les faille croire sans l'aide du raisonnement. » (Lettre du 26 janv. i648.)

280

Cf. B., i85; C, 217; Faug., I, 280; Hav,, XXV, 21; Mol., II, 60; MicH., 868.

281

Cf. B., 78; Faug., II, 178; Mich,, 170.

1. Mots écrits les uns au-dessous des autres, en marg^e du fra{jment 287 à côté d'une ligne brisée ^ qui était peut-être destinée à les joindre.

282

Cf. B., 38; C, 58; P. R., XXVIII, i3; Bos., II, i, i et II, xvii, 77 ; Faug., II, 108 et II, 352; Hav., VIII, 6; Mol., I, i56 et I, i58 ; Mien., 420.

2. [La raison.] La correction est autographe.

3. [Veut.]

204 PKNSEES.

rhoniens, qui n'ont que cela pour objet, y travaillent inutilement ; nous savons que nous ne rêvons point, quelque ' impuissance nous soyons de le prouver par raison ; cette impuissance ne conclut autre que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incerti- tude de toutes nos connaissances, comme ils le pré- tendent. Gar^ la connaissance des premiers prin- cipes, comme qu'il y a^ espace, temps, mouvement, nombres, [est] '* aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements '" nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son dis- cours. Le cœur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace, et que les nombres sont infinis ; et la rai- son démontre ensuite ^ qu'il n'y a point deux nom- bres carrés Mont l'un soit double de l'autre. Les prin- cipes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi inutile ^ et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ces premiers prin- cipes, pour'' vouloir y consentir, qu'il serait ridicule que le cœur demandât k la raison un sentiment de

I . [Défaut de raison que nous ayons.] 3. [Nos connaissances sont.]

3. [Un] espace [un] temps.

4. Le manuscrit donne sont qui n'a pas été corrigé lorsque Pascal a substitué la connaissance à nos connaissances.

5. [Tirent des suppositions qu'on a faites.]

6. [Que Je carré de l'hypoténuse.]

7. [Qui soient.]

8. [Cette impuissance.] Q. [Les suivre.]

SECTION IV. 20o

toutes les propositions qu'elle démontre, pour vou- loir les recevoir.

Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humi- lier la raison \ qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment ! Mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement.

Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la reli- gion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés. Mais [à]" ceux qui ne l'ont pas, nous ne pouvons la donner que par rai- sonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi ' n'est qu'hu- maine, et inutile pour le salut*.

59] 283

L'ordre : conlre robjection que VEcritare n'a pas

1. De qui à tout en surcharge.

2. à n'est pas dans le texte écrit sous la dictée de Pascal.

3. La foi a été ajouté par Pascal en relisant.

II. Arnauld dans son Apologie pour saint Cjron (IV<^ part. , art. XYI) cite cette parole remarquable qu'il lui a entendu dire : « Les plus grandes vérités de la religion catholique ne font qu'éblouir l'esprit, lorsqu'on les recherche, ainsi que l'on fait souvent, comme l'objet d'une curieuse et stérile spéculation « (OEuvres, éd. de Lausanne, t. XXIX, p. 36i).

283

Cf. B., lâyiC, 187; P. R., XXXl, 2C; Bos., I, x, 19; Faug., II, 265 ; Hav., vit, 19; Mol., I, 190; MicH., i5G.

206 PENSÉES.

(Tordre^ Le cœur a son ordre ; l'esprit a le sien, qui est par principe et démonstration, le cœur en a un autre ". On ne prouve pas qu'on ^ doit être aimé, en exposant d'ordre les causes de l'amour : cela serait ridicule ''.

Jésus-Christ, saint Paul ont l'ordre de la charité, non de l'esprit " ; car ils voulaient échauffer, non instruire*^ : Saint Augustin de même^ ; cet ordre con- siste principalement à la digression sur chaque point qu'on rapporte à la fin, pour la montrer toujours ^

485] 284

Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples

1. Le litre était d'abord simplement : l'ordre.

2. « Le cœur a son langagfe comme l'esprit a le sien, et cette expression du cœur fait souvent les plus grands effets. » (Méré, Con- versation, I, 261.)

3. Qu'on [aime.]

[\. Amor ordinem nescit, a dit saint Jérôme (^Lettre à Chromatias sub fine'), que Montaigne cite. (III, 5.) « Quelqu'un disait à une dame : « Que t'aut-il que je fasse pour vous persuader que je vous aime ? Il me faut aimer, lui dit-elle, et je n'en douterai pas. » (Méré, Discours de l'Esprit, I, 25).

5. Pour l'ordre de l'esprit voir le frag. 61.

6. Vauvenargues a précisé cette antithèse dans cette maxime : « Les conseils de la vieillesse éclairent sans échauffer, comme le soleil de l'hiver. » Max., 159.

7. M. Droz a retrouvé l'origine de ce fragment dans l'avertisse- ment qu'Arnauld d'Andilly a placé en tète des Œuvres chrétiennes et spirituelles, de Saint-Gyran. Saint-Cyran « à l'imitation de saint Paul et de saint Augustin, a beaucoup plus suivi l'ordre du cœur, qui est celui de la charité, que non pas l'ordre de l'esprit, parce que son dessein n'a pas été tant d'instruire que d'échauffer l'âme. » (^Etude sur le scepticisme de Pascal, p. 878.)

8. \oir l'introduction, p. lvi.

284 Cf. B., i85; C, 217; P. R., VI, 2; Bos., II, ti, G; Fauc, II, 177 Hav., XIII, 10; Mol., II, 56; Mien., 855.

SECTION IV. 207

croire sans raisonner: Dieu leur donne l'amour de soi et la haine d'eux-mêmes, il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais * d'une créance utile et de foi, si Dieu n'incline le cœur ; et on croira dès qu'il l'inclinera ; et c'est ce que David connaissait bien, lorsqu'il disait : Inclina cor mewn, in...

447I 285

La religion est proportionnée à toutes sortes d'es- prits ; les premiers s'arrêtent au seul établissement ; et cette reKgion est telle que son seul établissement est suffisant pour en prouver la vérité. Les autres vont jusques aux apôtres. Les plus instruits vont jusqu'au commencement du monde. Les anges la voient encore mieux, et de plus loin.

*48i] 286

Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments, c'est parce qu'ils ont une disposition intérieure toute sainte, et que ce qu'ils entendent dire de notre reli- gion y est conforme. Ils sentent qu'un Dieu les a faits" ; ils ne veulent aimer que Dieu ; ils ne veulent

1. D'une... de foi en surcharge.

285

Cf. B., 466; C, 265; P.R., XXVIII, 13; Bos., II, xxvii, 17; Facc, II, 179; H.\Y., XXIV, i5 61s; Mol., II, 82; MiCH., 779.

286

Cf. B., i85; C, 217; P.R., VI, 3; Bos., II, vi, 7; F.,.ug., II, i76;H.*v., XIII, II ; Mot., II, 55; Mich., 8i3.

2. [ils n'aiment que Dieu.]

208 PENSEES.

haïr qu'eux-mêmes. Ils sentent qu'ils n'en ont pas la force d'eux-mêmes, qu'ils sont incapables d'aller à Dieu, et que si Dieu ne vient à eux ils sont incapa- bles d'aucune communication avec lui. Et ils enten- dent dire dans notre religion qu'il ne faut aimer que Dieu, et ne haïr que soi-même, mais qu'étant tous corrompus, et incapables de Dieu, Dieu s'est fait homme pour s'unir à nous. II n'en faut pas davan- tage pour persuader des hommes qui ont cette dis- position dans le cœur, et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.

**483] 287

Ceux que nous voyons Chrétiens sans la connais- sance des prophéties et des preuves ne laissent pas d'en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent parle cœur, comme les autres en jugent par l'esprit \ C'est Dieu lui-même qui les incline à croire ; et ainsi ils sont très efficacement persuadés".

287

Cf. B., 18C; C, 217; p. R.,VI, /,; Bos., II, vi, 8; Faug.,II, 179; IIav., XIIl, 12 ; Mol., Il, 55; Mich., 8/17.

1. [On dira que cette manière d'en juger n'est pas certaine et que c'est en la suivant que les hérétiques et les infidèles s'égarent.]

2. [On répondra que [les hérétiques et [les infidèles disent la même chose; mais je réponds à cela que nous avons des preuves que Dieu im- prime [incline véritablement]... de ceux qui l'aiment [qu'il aime à croire la religion chrétienne et que les infidèles n'ont aucune preuve de ce qu'ils disent, et ainsi nos propositions étant semblables dans les termes elles diffèrent en ce que l'une est sans aucune preuve et l'autre est très solide- ment prouvée.] Ce paragfraphe a été rayé par Pascal et remplacé par la courte plirase qui termine le premier paragraphe. Il est à remarquer que sous la dictée de Pascal, et sans doute par erreur, on avait écrit d'abord ceux qui l'aiment, et que Pascal a corrigé ceux qu'il aime. A

SECTION IV. 209

J'avoue bien qu'un de ces Chrétiens qui croient sans preuves n'aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle qui en dira autant de soi' : mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce " fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu'il ne pût le prouver lui-même.

Car Dieu ayant dit dans ses prophéties (qui sont indubitablement prophéties) que dans le règne de Jésus-Christ il répandrait son esprit sur les nations, et que les fils, les filles et les enfants de l'Eglise pro- phétiseraient, il est sans doute que l'esprit de Dieu est sur ceux-là, et qu'il n'est point sur les autres.

48i] 288

Au lieu de vous plaindre de ce que Dieu s'est caché, vous lui rendrez grâces de ce qu'il s'est tant découvert : et vous lui rendrez grâces encore ^ de ce qu'il ne s'est pas découvert aux sages superbes, in- dignes de connaître un Dieu si saint.

cette correction se rattachent les mots écrits en marge par Pascal et raves : [eorum qui amant. Dieu incline le cœur de ceux qu'il aime, Deus in- clinât cor eorum, celui qui l'aime, celui qu'il aime.] Dans la distinction entre ces deux tournures de prononciation semblable se trouve con- tenue toute la doctrine janséniste, Dieu prévenant l'homme dans l'amour, au lieu d'être prévenu par lui, et c'est ce qui avait attiré l'attention de Pascal. Cf. fr. 5i3.

1. Qui en dira autant de soi, addition autographe de Pascal.

2. [Chrétien.]

288

Cf. B., 198; C, 4; P. R., XVIII, 16 et ult. sïvm, 26; Bos., II, sm, 8 et II, xvn, 21; Faug., II, 179; Hav., XXIV, 19; Mol., I, 820; MicH., 842.

3. De ce en surcharge.

PENSÉES. n 14

210 PENSÉES.

Deux sortes de personnes connaissent : ceux qui ont le cœur humilié, et qui aiment la bassesse, quel- que * degré d'esprit qu'ils aient, haut ou bas ; ou ceux qui ont assez d'esprit pour voir la vérité, quel- que opposition qu'ils y aient.

Première Copie 258] 289

Preuve. La religion chrétienne, par son établissement \ si fortement, si doucement, étant si contraire à la nature. La sainteté, la hauteur et l'humilité d'une âme chrétienne. 3" Les merveilles de l'Ecriture sainte. Jésus-Christ en particu- lier. — 5" Les apôtres en particulier. Moïse et les prophètes en particulier. Le peuple juif. 8" Les prophéties. 9" La perpétuité : nulle reli- gion n'a la perpétuité. - 10° La doctrine, qui rend raison de tout. 11° La sainteté de cette loi. 12° Par la conduite du monde.

Il est indubitable qu'après cela on ne doit pas refuser, en considérant ce que c'est que la vie, et que cette religion, de suivre l'inclination de la suivre, si elle nous vient dans le cœur ; et il est certain qu'il n'y a nul lieu de se moquer de ceux qui la suivent.

I. [Esprit gu'iis.]

28g

Cf. C, 474; Bos., II, IV, 12; Faug., II, 3G4; Hav., XI, la; Mol., I, 3io; Mien., gSy.

9. La Copie écrit en marge pour la correclion de la phrase : par elle-même établie.

SECTION IV. 211

^8i] 290

Preuves de la religion : Morale Doctrine

Miracles Prophéties Figures.

290

Cf. B., 19G; C, 7; Faug., II, 3G4; Mol., I, 3io; Mich., 8^5.

SECTION V

2gi

Dans la lettre De Vinjustice^ peut venir la plaisan- terie des aînés qui ont tout : Mon ami, vous êtes

agi Cf B., 3; C, i5; Faug., II, 393; Hav., XXV, no; Mol., II, Gs ;

MiCH., 69.

I. D'après cette indication, la partie de l'Apologfie qui concerne le fondement de la justice devait être traitée par lettres ; il ne nous est pas dit par quel lien ces lettres se rattachaient à l'ensemble du sujet. Cependant, si on ose former une conjecture, il est possible que Pascal y visait l'objection que le libertin tire naturellement contre la doctrine janséniste des principes de la justice humaine, à savoir que la récom- pense des élus et le châtiment des damnés sont égiilement iniques, puisque la grâce a été arbitrairement donnée aux uns et refusée aux autres. Or Pascal nie que la justice humaine puisse juger la justice divine, car la justice humaine est impuissante à se justifier : « notre justice s'anéantit devant la justice divine. » Alors les mystères de la prédestination et de la grâce n'ont plus rien de choquant pour nous, puisque nous avons renoncé à mesurer les choses divines avec nos moyens humains de comprendre. En montrant que seuls les Chrétiens atteignent à la véritable raison des institutions humaines, Pascal a en quelque sorte retourné la situation : la justice vraie n'est pas dans l'humanité, c'est en Dieu que nous pouvons espérer de la trouver.

214 PENSÉES.

de ce côté de la montagne; iP est' donc juste que votre aîné ait tout.

Pourquoi me tuez-vous.*^

79, i2i] aga

Il demeure au delà de l'eau.

23] 293

Pourquoi me tuez-vous ^? Eh quoi ! ne de- meurez-vous pas de l'autre côté de l'eau .►^ Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin \ et cela serait injuste de vous tuer de la sorte ; mais puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave, et cela est juste.

69] 294

"Sur quoi la fondera-t-iP, l'économie du monde

I. [Faut que.] 3. [Juste.]

292 Cf. B., 5; C, 18; Faug., II, 892; Mich., 321.

293

Cf. B., i4; G., 32; Bos., I, ix, 3; Faug., II, 392; Hav., VI, 3; Mol., I, 99 ; Micu., 52.

3. [Parce que vous] demeurez [de l'autre.] l\. [Mais.]

294

Cf. B., iC; C, 35; P. R., XXV, 5 et 6; Bos , I, 11, 8 et 9 ; I, 11, i5 ; Faug., II, 126; Hav., III, 8; Mol., I, 91 ; Mich., igS.

5. Avant ce fragment le manuscrit laisse voir les dernières lignes d'un développement qui est rayé : [en voit la vanité, et lors il s'en débarrasse; il est donc utile de i'aibuser.] Pascal avait d'abord continué : Sur quoi la fondera-t-il ? sera-ce sur ? En barrant le début, il a ajouté l'économie du mondCj et il n'a pas rayé la.

6. La fin de la phrase en surcharge.

SECTION V. 213

qu'il veut gouverner' ? Sera-ce sur le caprice de cha- que particulier? quelle confusion! Sera-ce sur la justice? il l'ignore.

Certainement s'il la connaissait, il n'aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes " : que chacun suive les mœurs de son pays ^ ; l'éclat de la véritable équité aurcdt^ assujetti tous les peuples, et les législateurs n'auraient pas pris pour modèle, au heu de cette jus- tice constante, les fantaisies et les caprices des" Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les Etats du monde et dans tous les temps, au heu® qu'on ne

1. [Sera-ce sur la véritable justice, il ne. [Qu'il confesse franchement que si ce n'est sur la vérité ni la justice [force juste (force sans injus- tice [et comment peut la force se régler sur l'essentielle [sur la justice qu'il ignore.]

2. « Car c'est la règle des règles et générale loy des loix, que chas- cun observe celle du lieu il est » (Mont., I, 22). Cf. III, ix : « Non par opinion, mais en vérité, l'excellente et meilleure police est, à chacune nation, celle soubs laquelle elle s'est maintenue : sa forme et commodité essentielle despend de l'usage. »

3. [La véritable.] Dans ce fragment Pascal s'est constamment souvenu de Montaigne : « Au demourant, si c'est de nous que nous tirons le règlement de nos mœurs, à quelle confusion nous reiectons nous ? car ce que nostre raison nous y conseille de plus vraysembiabie, c'est généralement à chascun d'oi)eïr aux lois de son pais, comme porte l'advis de Socrates, inspiré, dict il, d'un conseil divin ; et par que veult elle dire, sinon que nostre debvoir n'a autre règle que for- tuite ? La vérité doibt avoir un visage pareil et universel : la droicture et la justice, si l'homme en cognoissoit qui eust corps et véritable essence, il ne l'attacheroit pas à la condition des coustumes de cette contrée, ou de celle-là ; ce ne seroit pas de la fantasie des Perses ou des Indes que la vertu prendroit sa forme. Il n'est rien subiect à plus continuelle agitation que les loix... » (^Apol.)

^. [Communiqué.]

5. [Allemands, [Gascons et] Allemands, [et des Indiens.]

6. [Qu'aujourd'hui.]

216 PENSÉES.

voit rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité, en changeantde climat. Trois degrés d'éléva- tion du pôle renversent toute la jurisprudence \ un méridien décide de la vérité^; en peu d'années de possession, les lois fondamentales changent; le droit a ses époques', l'entrée de Saturne au Lion nous marque l'origine d'un teV crime. Plaisante justice^ qu'une rivière borne! Vérité au décades® Pyrénées, erreur au delà".

Ils confessent que la justice n'est pas dans ces cou- tumes, mais qu'elle réside dans les lois naturelles, connues en tout pays\ Certainement ils le soutien- draient opiniâtrement, si la'' témérité du hasard qui a semé les lois humaines^** en avait rencontré au moins une qui fût universelle ; mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes^* s'est si bien diversifié qu'il n'y en a point'^

1 . [Et la vertu d'un.]

2. [Plaisante justice que.]

3. [Depuis que Saturne est entré.] li. [Droit.

5. [Que le trajet d'une] rivière [rend injuste [criminelle.]

6. [Monts.]

7. « Quelle bonté est ce, que je veoyois hier en crédit, et (leni;iiii ne l'estre plus ; et que le traiect d'une rivière Paict crime ? Quelle vérité est ce que ces montaijjfnes bornent, mensonge au monde qui se tient au delà. » Ibid. (Cf. Voltaire, Dialogues philosophiques, 2«dial.)

8. [Mais ils sont si. [Mais.]

9. [Fortune.]

10. A la pa{re 365 du manuscrit. [Avait permis gu'] au moins une [fût] universelle.

11. [a bouleversé.]

13. [De générale.] « Mais ils sont plaisants, quand, pour donner quelque certitude aux loix, ils disent qu'il y en a auculnes fermes, per- pétuelles et immuables, qu'ils nomment naturelles, qui sont empreintes

SECTION V. 217

Le larcin, l'inceste, le meurtre des' enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses ^ Se peut-il rien de plus plaisant, qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure ^ au delà de l'eau, et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui?

Il y a sans doute des lois naturelles; mais cette belle raison* corrompue a tout corrompu^; Nihil amplius nostrum est; quod nostrum dicimus, artis est^. Ex senatus consultis et plebiscitis crimina exer-

en l'humain genre par la condition de leur propre essence ; et de celles-là, qui en fait le nombre de trois, qui de quatre, qui plus, qui moins : signe que c'est une marque aussi doubteuse que le reste. Or ils sont si desfor- tunez(car comment puis-je nommer cela, sinon desfortune, que d'un nombre de loix si infiny, il ne s'en rencontre pas au moins une que la fortune et témérité du sort ayt permis estre universellement receue par le consentement de toutes les nations?), ils sont, dis-ie, si misé- rables, que de ces trois ou quatre loix choisies, il n'y en a une seule qui ne soit contredicte et desadvouee, non par une nation, mais par plusieurs. » (Ibid.) Cf. l'Entretien avec M. de Saci.

1. [Péres.]

2. « Il n'est chose en quoy le monde soit si divers qu'en coustumes et loix : telle chose est icy abominable, qui apporte recommandation ailleurs, comme en Lacedemone la subtilité de desrobber; les mariages entre les proches sont capitalement deffendus entre nous, ils sont ail- leurs en honneur... le meurtre des enfants, meurtre des pères... il n'est rien en somme si extrême qui ne se trouve receu par l'usage de quelque nation. » (Ibid.) Pascal a^ait lu également dans Charron : « Combien y a-t-il de livres, de disputes, d'opinions contraires en la science des loix et des polices? \ a-t-il chose si vitieuse, difforme et condamnée en un lieu, fust-ce perfidie, larrecin, inceste, parricide qu'elle ne soit licite, voire légitime en un autre ? » Lvs Trois 1 ériics, II, 13 ; Cf. Sagesse, III, lo.

3. [a l'autre.]

4. [Dogmatisante.]

5. [Elle a tout examiné et gâté.]

6. « Il est crovable qu'il y a des loix naturelles, comme il se veoid ez aultres créatures : mais en nous elles sont perdues ; cette belle

218 PENSEES.

centur\ Ut ol'un vitlis, sic nimc legibas laboramas^. ^ De cette confusion arrive que l'un dit^ que l'es- sence de la justice est l'autorité du législateur, l'autre la commodité du souverain", l'autre la coutume pré- sente*; et c'est le plus sûr: 'rien, suivant la seule raison, n'est juste de soi ; tout branle avec le temps ^ La coutume fait toute l'équité, par cette seule rai- son' qu'elle est reçue; c'est le fondement mystique de son autorité*". Qui la ramène à son principe,

raison humaine s'ingerant par tout de maistriser et commander, brouillant et confondant le visagfe des choses, selon sa vanité et inconstance; nihil itaquc ampliiis nostrum est ; quodnostriimdico, artis est. » (Jhid.^ La citation latine est empruntée à un passag^e de Cicéron (de Fin., V, 21) qui, rétabli avec sa vraie ponctuation, a un sens directement opposé : Sed virtutem ipsam [natura] inchoavit : nihil am- plius. Itaque nostrum est (quod nostrum dico, artis est) ad ea prin- cipia, quae accepimus, consequentia exquirere...

1. Sen., Ep. 95, ap. Mont., III, i, Cf. fr. 363 et 363.

2. Mont., III, i3 : « Nous avons en France plus de loix que tout le reste du monde ensemble, et plus qu'il ne fauldroit à rejîfler touts les mondes d'Epicurus. » Suit la citation de Tacite (Ann., III, 25).

3. [Les uns.]

4. [Qu'il n'y a aucune.]

5. « Protajroras et Ariston ne donnoient aultre essence à la iustice des loix, que l'auctorité et opinion du législateur ; et que, cela mis à part, le bon et l'honneste perdoient leurs qualitez, et demeuroient des noms vains de choses indifférentes : Thrasymachus, en Platon {Rep. I, 338) estime qu'il n'y a point d'aultre droict que la commodité du supérieur. » (^Apol.)

6. « Et de ce que tiennent aussi les cyrenaïques, qu'il n'y a rien de iuste de soy ; que les coustumes et loix forment la iustice. » (Essais, III, XIII.)

7. [Rien n'est juste [plus juste de soi ; le temps,] Charron avait déjà reproduit le mot de Montaigne (Sarjesse, II, viii, 2).

8. [Les lois.]

9. [Qu'elles sont.]

10. Expression ironique, empruntée d'ailleurs à Montaigne. « Or les loix se maintiennent en crédit, non parce qu'elles sont iustes, mais parce qu'elles sont loix : c'est le fondement mystique de leur aucto-

SECTION V. 219

l'anéantit. Rien n'est si fautif que ces lois qui re- dressent les fautes ; qui leur obéit parce quelles sont justes', obéit à la justice qu'il imagine, mais non pas à l'essence de la loi : elle est toute ramassée" en soi ; elle est loi, et rien davantage. Qui voudra en exa- miner le motif le trouvera si faible et si léger, que, s'il n'est accoutumé à contempler les prodiges de l'imagination humaine, il admirera qu'un siècle lui ait tant acquis de pompe et de révérence. L'art de f^onder^ bouleverser les Etats*, est"" d'ébranler les coutumes établies \ en sondant jusque dans leur

rité, elles n'en ont point d'aultre ; qui bien leur sert... Il n'est rien si lourdement et largement faultier, que les loix ; ni si ordinairement. Quiconque leur obéît parce qu'elles sont iustes, ne leur obéît pas iusteraent par il doibt. » (III, xiii.) Cf. Apol. « Les loix prennent leur auctorité de la possession et de l'usage ; il est dangereux de les ramener à leur naissance ; elles grossissent et s'annoblissent en roulant, comme nos rivières ; suyvez les contremont iusques à leur source, ce n'est qu'un petit sourgeon d'eau à peine recognoissable, qui s'enorgueillit ainsin et se fortifie en vieillissant. \ eoyez les anciennes considérations qui ont donné le premier bransle à ce fameux torrent, plein de dignité, d'horreur et révérence; vous les trouverez si legieres et si délicates, que ces gents icy, qui poisent tout et le ramènent à la raison, et qui ne receoivent rien par auctorité et à crédit, il n'est pas merveille s'ils ont leurs iugements souvent très esloingnez des iuge- mentspublicques. »

1. [Ne leur.]

2. Ramassée en surcharge.

3. Fronder, surcharge. Fronder est ici le diminutif de boule- verser. Cf. Scarron : « Rincy, méprisant la soupe de village, entame un pain, le trouve dur et trop rassis, en fronde un abricotier voisin. » (Lett. Œuv., I, 3iO, apiid Littré). Retz explique par un motdeBachau- monl l'origine de l'application qui a été faite de la métaphore à l'op- position politique, et qui est demeurée dans la langue.

4. [Est [et de fronder.]

5. [De reproduire [rechercher les lois fondamentales.]

6. [Pour.]

220 PENSÉES.

source', pour marquer leur défaut d'autorité et de justice". Il faut, dit-on, recourir aux lois fonda- mentales et primitives de ^Etat^ qu'une coutume injuste a abolies \ C'est un jeu sûr pour tout perdre ; rien ne sera juste à cette balance". Cependant le peuple prête aisément" l'oreille à ces discours \ Ils secouent le joug^ dès qu'ils le reconnaissent® ; et

1. [Leur manque] d'autorité.

2. [EJJes.] I^a plirase suivante en surcharge.

3. [Pour.]

4. On, ce sont les Parlementaires. Cf. le discours du président Le Coig-neux dans la conférence d'août 161^7: « Sous couleur de res- pecter la coutume, on changeait la loi fondamentale de l'Etat » (^apud Sainte-Aulaire, Histoire de la Fronde, i^e éd., t. I, p. i6i). Le i3 août x6^8 le duc de Valençay promet, au nom de Mazarin, de « rap- peler bientôt toutes les anciennes lois de la monarchie que le malheur des temps et la corruption des siècles avaient injustement violées. »

5. Cette pensée de Pascal va rejoindre directement le fameux passage des Mémoires du cardinal de Retz. (Ed. Feuillet, t. I, p. 294.) « Il [le Parlement] groncl-d sur l'édit du tarif; et aussitôt qu'il eut seu- lement murmuré, tout le monde s'éveilla. On chercha, en s'éveillant, comme à tâtons, les lois, on ne les trouva plus. L'on s'effara, l'on cria, l'on se les demanda, et, dans cette agitation, les questions que les explications firent naître, d'obscures qu'elles étaient et vénérables par leur antiquité, devinrent problématiques, et de là, à l'égard de la moitié du monde, odieuses. Le peuple entra dans le sanctuaire ; il leva le voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on peut dire, tout ce que l'on peut croire du droit des peuples et de celui des rois, qui ne s'accordent jamais si bien ensemble que dans le silence. La salle du palais profana ces mystères. »

6. A la page 366 du manuscrit.

7. [Les...]

8. [Quand.]

9. Expression de Montaigne au début de l'Apologie : « Le vulgaire... aprez qu'on luy a mis en main la hardiesse de mespriser et contre- rooller les opinions qu'il avoit eues en extrême révérence... il iecte tantost aprez ayseement en pareille incertitude toutes les aultres pièces de sa créance... et secoue, comme un ioug tyrannique, toutes les impressions qu'il avoit receues par l'auctorité des loix ou révérence de l'ancien usage. » Cf. fr. 19;^.

SECTION V. 221

les' grands en profitent à sa ruine, et à celle de ces curieux examinateurs" des coutumes reçues^. C'est pourquoi le plus sage des^ législateurs disait que, pour le bien des^ hommes, il faut souvent les piper '^ ; et un autre bon politique : Cum verita- tem qua liheretur ignoret, expedit quod fallatur ' . Il ne faut pas qu'il sente la vérité de l'usurpation \ elle a été introduite autrefois sans raison, elle est de-

1. [Pnxjces.]

2. [Du fondement] des coutumes reçues [et des lois fondamentales d'autrefois.] Association de mots qui se trouvent dans Montaigne (III, II): « Ils examinent curieusement les conséquences. »

3. Port-Royal avait tiré de ce long fragment deux courts extraits. L'un sur les variations de la justice, l'autre contre la Fronde, qui commence à L'art de bouleverser et qui se termine parla condamnation des curieux examinateurs des coutumes reçues. Il avait ajouté, en guise de conclusion, une réflexion qui a passé de dans toutes les éditions, sauf celle de M. Molinier : « Mais, par un défaut contraire, les hommes croient pouvoir faire avec justice tout ce qui n'est pas sans exemple. »

4- [Politiques.]

5. [Peuples.]

6. Platon que Bossuet appellera de même le plus sage des philo- sophes— : « il dit tout destrousseement, en sa Republique « que pour le proufit des hommes, il est souvent besoing de les piper. » (Mont. Apol.) Charron rappelle ce souvenir dans la Sagesse (III, II, 9).

7. Souvenir d'une citation que fait Montaigne d'après saint Augustin. (C(<é de Dieu, I\ , 27.) « Voicy l'excuse que nous donnent, sur la considération de ce subject, Scevola, grand pontife, et ^ arron, grand théologien en leur temps : « Qu'il est besoing que le peuple ignore beaucoup de choses vrayes, et en croye beaucoup de faulses : Cum. veritatem, qua liberelurj inqairat ; credatur ei expedire, quodfallitur. » (^Apol.^ Comme le fait remarquer Havet, Montaigne attribue à Varron une réflexion ironique de saint Augustin : « Prœclara religio que confugi at liberandus infirmas, et cum veritatem, qua liberetur, inquirat, credatur ei expedire quod fallitur. »

8. [De telle coutume] introduite autrefois sans raison [il est main- tenant] devenu raisonnable [de l'observer.]

222 PENSÉES.

venue raisonnable ; il faut la faire regarder comme * authentique, éternelle, et^ en cacher le commence- ment si on ne veut qu'elle ne prenne bientôt fin.

73] 295

Mien, tien^. Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants*; c'est ma place au soleil. Voilà le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre ^

1. [Eternelle sans origine.]

2. [Sans] commencement.

295

Cf. B., i9;C.,38; P. R., XXXI, 26; Bos., I, ix, 53; Faug., I, 18G; Hav., VI, 5o; Mol., I, io3 ; Mich., 2o3.

3. « Platon escrit que la cité est bien heureuse et bien ordonnée on n'entend point dire : « Cela est mien, cela n'est pas mien. » (Plutarque, Préc. du mariage, XX, trad. Amyot). Cf. Régnier, Sat. VI, ii5 :

Lors du tien et du mien, naquirent les procès.

Voir aussi La Fontaine (Fables, VI, 20) et Boileau (SaL XI, 168).

4. [Voilà le commencement et l'image.]

5. Le texte de cette pensée est assez incohérent ; cela paraît tenir, d'après l'examen du manuscrit, à ce que Pascal aurait en écrivant ajouté à sa première phrase : ce chien est à moi, qui était d'abord suivie de celle-ci : voilà le commencement, un second membre : c'est ma place au soleil. L'incohérence disparaîtrait si l'on substituait au chien le mot coin ; mais l'auteur de cette très ing^énieuse conjecture, M. Salomon Reinach, a le premier reconnu qu'en l'état du manu- scrit l'éditur ede Pascal n'avait pas le droit d'opérer une telle substi- tution. — Quant au fond, Chateaubriand y a vu avec raison le germe des idées développées par Rousseau dans le Discours sur l'inégalilé des conditions humaines : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épar- gnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le

SECTION V. 223

67] 296

Quand il est question de juger si on doit faire la guerre et tuer tant d'hommes*, condamner tant d'Espagnols à la mort, c est un homme seul qui en juge, et encore intéressé : ce devrait être un tiers indifférente

4o6] 297

\erljuris ^ . Nous n'en avons plus : si nous en avions , nous ne prendrions pas pour règle de justice de*

fossé, eût crié k ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne. » Mais il faut prendre garde aussi que ce rapprochement ne nous entraîne à forcer la pensée de Pascal : Rousseau s'indigne contre une injustice préméditée ; Pascal constate une nécessité sociale ; pour lui la propriété n'est pas de droit absolu, mais elle est liée à la condition humaine, puisque les plus misé- rables commettent cette « usurpation » de vivre et d'avoir leur place au soleil. Il est à noter que cette pensée figure dans l'édition de Port-Royal.

296

Cf. B., 16; C, 35; Bos., I, ix, 12; Faug., I, 187; Hat., VI, 9; Mol., I, 99 ; MicH., 190.

1. Condamner... mort ajouté à la marge au cravon.

2. Celte pensée profonde, que Pascal jette ici en passant et par manière de boutade, contient le principe de l'arbitrage international qui a déjà reçu de notre temps d'éclatantes consécrations et qui est appelé à transformer le cours de la civilisation.

297 Cf. B., 33; C, ig; Faug., II, 129; Mol., I, 98; Mien., 645.

3. « La iustice en soy, naturelle et universelle, est aultrement réglée, et plus noblement que n'est cette aultre iustice spéciale, nationale, contraincte au besoing de nos polices. Veri iuris germanœque iustitiœ solidam et expressam effigiem nullam tenemus ; ambra et imagi- nibus utimur. » (Montaigne, III, i.)La citation latine est de Cicéron, de OJJiciis III, 17, Charron l'avait reprise dans la Sagesse (III, v, 3.)

4. [Faire.]

22i PENSÉES.

suivre les mœurs de son pays. C'est que ne pou- vant^ trouver le juste, on a trouvé le fort, etc.

169] 298

Justice, force. Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi'. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite \ parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste '.

La justice est sujette à dispute ; la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a con- tredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire" que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

i651 299

Les seules règles universelles sont les lois du pays

1. [FaiJ'e] le juste [fort.]

298

Cf. B., 3G bis; C, 55; Bos., I, ix, 9; Faug., II, i34 ; Hav., VI, 8; Mol., I, 100 ; Mich., 4ii.

2. [Si la justice était.]

3. [Par les] méchants.

4. [Mais la justice.]

5. [Croire.]

299 Cf. B., 3i ; C, /17; Bos., 1, ix, 7 et 8 ; Faug., II, i34; Hav., VI, 7; Mol., I, 100; ^lICll., Z|o4.

SECTION V. 223

aux choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D'oii vient cela ? de la force qui y est. Et de vient que les rois, qui ont la force d'ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres.

Sans doute, l'égalité des biens est juste ; mais', ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à^ la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien.

453] 300

(( Quand le fort armé possède son bien^, ce qu'il possède est en paix\ »

Aag] 301

^Pourquoi suit-on la pluralité.^ est-ce à cause qu'ils ont plus de*^ raison.»^ non, mais plus de force.

Pourquoi suit-on les anciennes lois et anciennes opinions.^ est-ce qu'elles sont les plus saines.^ non,

1. Le début du paragraphe en surcharge.

2. A, en surcharge.

300 Cf. Faug., II, i34; Mol., II, i53; Mich., 8o3.

3. [Son bien sera.]

4. S. Luc, XI, 21 : Cum forlis arinatus ciistodit atrium suuin, in pace sunt ea quœ possidet.

301

Cf. B.,38i; C.,3/io; Bos., I, vm, 5; Faug., II, i33; Hav., V, 4; Mol., I, ICI ; Mich., 711.

5. Les Copies donnent en titre : Force.

6. De en surcharge.

PENSÉES. n 13

226 PENSÉES.

mais elles sont^ uniques, et nous ôtent la racine de la diversité ".

**44i] 302

... C'est l'effet de la force, non de la coutume; car ceux qui sont capables d'inventer sont rares ; les plus forts en nombre ne veulent que suivre, et refusent la gloire à ces inventeurs qui la cherchent par leurs inventions : et s'ils s'obstinent à la vouloir obtenir, et à mépriser ceux qui n'inventent pas, les autres^ leur donneront des noms ridicules, leur don- neraient des coups de bâton. Qu'on ne^ se pique donc pas de cette subtilité, ou qu'on se contente en soi-même.

142] 303

La force est la reine du monde, et non pas l'opi- nion \ Mais l'opinion est celle qui use de la

1. [Les.]

2. Voir au fr. 878 (section XIV) l'application que Pascal fait de ce principe au pouvoir civil et au pouvoir religieux.

30a

Cf. B., 33; C, 3o; P. R., XXXI, 11; Bos., I, vm, 30; Faug., I, 2i3; Hav., y, 19; MoL.,I, io3; Mich., 758.

3. Leur... ridicules, addition de la main de Pascal.

4. Se pique donc pas de cette subtilité, correction de Pascal qui avait d'abord dicté : [qu'on ne change donc rien].

303

Cf. B., 335; C, 287; Faug., I, 3i3; Hav., XXIV, 91; Mol., I, 83;

Mich., 355.

5. Nous introduisons dans ce fragment des tirets que les éditeurs précédents ont jugés inutiles ; mais, comme ils n'ont pas expliqué la

SECTION V. 227

force'. C'est la force qui fait l'opinion: la mol- lesse est belle, selon notre opinion: pourquoi? parce que qui voudra danser sur la corde sera seuP ; et je ferai une cabale' plus forte, de gens qui diront que cela n'est pas beau *.

269] 304

Les cordes qui [attachent] ' le respect des uns envers les autres, en général, sont cordes de nécessité ; car il faut qu'il y ait différents degrés \ tous les hommes voulant dominer, et tous ne le pouvant pas, mais quelques-uns le pouvant.

Figurons-nous donc que nous les voyons commen-

pensëe de Pascal, nous ne savons quel sens ils lui donnaient. La seconde phrase nous semble en contradiction à la fois avec celle qui précède et avec celle qui suit : il faut donc qu'elle soit une objec- tion à la première affirmation, objection à laquelle il est ensuite répondu.

1. [Contre.]

2. Souvenir d'Épictète, Diss., III, 12 : « Se promener sur la corde est chose difficile et dangereuse. Faut-il me promener sur la corde? »

^ 3. Pascal qui emploie ailleurs (fr. 6'|2) le mot au sens technique l'avait déjà pris dans son acception vulgaire pour désigner Port-Royal lui-même : « Vous soutenez que Port-Royal forme une cabale secrète pour ruiner le mystère de l'Incarnation. » (Seizième Provinciale.)

4. MM. Molinier et Michaut lisent séant.

304

^m' ^Î^L^v/°°' P,"!' ^' "' ^^; ^^'''•^•' I' '82; Hav., VI, 62 ; Moi., I, 83; MicH., 5i8. ' > .

5. [Ce qui] attache. En remplaçant ce par les cordes, Pascal n'a pas corrigé le verbe. M. Molinier lit gu'a«ac/(e j mais il semble qu'il faille avec M. Michaut conserver l'ancien texte. Le respect est, non cause, mais effet du lien qui est fondé sur la nécessité ; cordes de nécessité veut dire : cordes nées de la nécessité. Cf. le dernier paragraphe de ce fragment.

6. [Mais puisque.]

228 PENSÉES.

cer à se former. Il est sans doute qu'ils se battront jusqu'à ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et qu'enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois déterminé, alors les maîtres, qui ne veulent pas que la guerre continue, ordon- nent que la force qui est entre leurs mains succé- dera' comme il leur plaît ; les uns la remettent à l'élection des peuples, les autres à la succession de naissance, etc.

Et c'est l'imagination commence à jouer son rôle. Jusque-là le pouvoir force le fait : ici c'est la force qui se tient par l'imagination en un certam parti, en France des gentilshommes, en Suisse des roturiers, etc.

Ces' cordes qui attachent donc le respect à tel et à tel en particuUer, sont des cordes d'imagination'.

305

Les Suisses s'offensent d'être dits gentilshommes',

I. [Won aux plus vertueux.]

3. [Liens.]

3 II faut qu'il y ait une hif^rarcliie entre les hommes, il faut que je respecte quelqu'un ; mais qui respeeterai-je ? c'est ce que la nécessité ne suffît pas h déterminer. Elle m'impose, à moi sujet, le devoir du respect, comme condition de la paix sociale ; elle ne donne k per- sonne le droit au respect ; ce droit ne peut être établi qu'arbitraire- ment par l'imagination, et la coutume finit par lui donner une apparente nécessité, dont le peuple est dupe. Et il est bon qu'il soit dupe si, apercevant la fragilité des liens d'imagination, il était tenté de briser en même temps les liens de nécessité.

305

Cf. B., iti; C, ?,;; Bos., I, vm, 9; Fvug., I, i85 ; Hav., V, 8; Mol., I, 99 ; Mi<:ii., li'i.

4. Quoique Voltaire dans ses Remarques de 1 778 accuse Pascal d'être

SECTION V. i20

et prouvent leur roture de race pour être jugés dignes des grands emplois.

167] 306

Comme les duchés et royautés et magistratures * sont réelles^ et nécessaires cause de ce que la force règle tout), il y en a partout et toujours; mais parce que ce n'est que fantaisie qui fait qu'un tel ou tel le soit, cela n'est pas constant, cela est sujet à varier, etc.

283] 307

Le chancelier est grave et revêtu d'ornements, car son poste est faux ; et non le roi : il a la force, il n'a que faire de l'imagination. Les juges, méde- cins, etc., n'ont que l'imagination ^

très mal informé à cet égard, il confirme le fait par ces mots : « Il faut même à Bâle renoncer à sa noblesse pour entrer dans le Sénat. » Cf. Essais sur les mœurs, ch. sur la Noblesse. M. Gidel cite une note d'un contemporain de Pascal, secrétaire des commandements de la reine Christine, Urbain Chevreau : « Dans quelques royaumes et dans quelques républiques un noble n'est point déshonoré par le com- merce, et dans certaines villes d'Allemagne, pour être reçu premier magistrat, on est obligé de justifier sa roture de quatre ou cinq races de père et de mère. » (Chevrœana, p. SSg.)

306

Cf. B., 397; G., 371; Faug., II, i35; Hav., VI, 62 bis; Mol., I, !i5;

MiCH., 407.

I. Et marjistratures en surcharge.

3. Réelles, c'est-à-dire donnant un pouvoir réel.

307 Cf. B., 33; C, 39; Faug,, II, 91 note; Hat., III, 3 bis; Mol., I, 83; MicH., 58o.

3. Cf. fr. 82.

230 PENSÉES.

*8i] 308

La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d'officiers, et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la ter- reur, [fait] ' que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime^ dans leurs sujets le respect et la terreur, parce qu'on ne sépare point dans la pensée leurs personnes d'avec leurs suites, qu'on y voit d'ordinaire jointes. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu'il vient dune force naturelle ; et de viennent ces mots : Le caractère de la Divi- nité ^ est empreint sur son visage, etc. '"

308

Cf. B., 6; C, 19; Bos., I., vm, 8; Faug., I, 182 ; Hav., V, 7; Mol., 1, 82 ; Micu., 22g.

I. Font a été écrit sous la dictée de Pascal. Cf. Mont., III, vm : « Ce que i'adore inoy inesnae aux roys, c'est la foule de leurs adora- teurs : toute inclination et soubmission leur est deue, sauf celle de l'en- tendement ; ma raison n'est pas duicte à se courber et fléchir, ce sont mes g-enoux. » Et dans le même Essai : « Les sens sont mes propres et premiers iufjes, qui n'apperceoivent les choses que parles accidents externes: et n'est pas merveille, si, en toutes les pièces du service de nostre société, il y a un si perpétuel et universel meslange de cerimo- nies et apparences superficielles ; si que la meilleure et plus effectuelle part des polices consiste en cela. C'est tou.siours h l'homme que nous avons affaire, duquel la condition est merveilleusement corporelle. »

3. [Dans ceux qui ont.]

3. L'expression se trouve dans Montaigne : « Le créateur a laissé en ces haults ouvrages le cliaractere de la divinité. » Cf. Bossuet : « Elle porte le caractère de la main de Dieu. » Disc, sur l'Hist. univ., II, i3 (Cf. Littré). Voir le fr. 44 1.

4. Pascal qui a suivi de près la Fronde parlementaire se rappelait-il ces mots Cconsignés dans le Journal publié en 16^9) d'une harangue du premier président de la Cour des Aides Jacques Amelot au prince

SECTION V. 231

'78] 309

Justice. Comme la mode fait l'agrément*, aussi fait-elle la justice.

i63] 310

Roi et tyran.

de Gonti ? « Dieu ue leur [aux princes] avait pas donné seulement la conduite de la terre... mais il avait encore imprimé dans leurs visages une certaine majesté qui les élève au-dessus du commun des hommes, et qui les fait respecter. Qu'ils devaient prendre garde de ne pas effacer cette image et ce caractère... » (^Histoire du temps, p. 44)-

309

Cf. B., 19; C, 37; Bos., I, is, 5; Faug., Il, iSa; Hav., VI, 5; Mol., 1, g6 ; MicH , 2oi.

I. Cf. Discours sur les passions de l'amour. « Il y a un siècle pour les blondes, un autre pour les brunes, et le partage qu'il y a entre les femmes sur l'estime des unes ou des autres fait aussi le partage entre les hommes dans un même temps sur les unes et sur les autres. La mode même et les pays règlent souvent ce que l'on appelle beauté. C'est une chose étrange que la coutume se mêle si fort de nos pas- sions. » Par cette expression : la mode et les pays, on voit que Pascal distingue la mode qui varie avec les années et la coutume qui varie avec les pays. On sait quel parti un sociologue contemporain, M. Tarde, a tiré dans les lois de l'Imitation de cette distinction entre la coutume qui est une imitation des ancêtres, une propagation de l'habitude à travers les générations dans le temps, et la mode qui est une imita- tion des contemporains, une propagation de l'habitude à travers les peuples dans l'espace. L'attrait de la nouveauté fait l'agrément de la mode ; mais le respect de l'antiquité et de la stabilité s'attachent à la coutume qui prend ainsi une sorte de valeur morale ; la coutume paraîtra plus facilement juste que la mode. Cependant il y a des modes pour les idées, qui font concevoir la justice de telle façon par- ticulière ou de telle autre, et ainsi Pascal complète ses réflexions précédentes sur la toute-puissance de la coutume.

310

Cf. B., 412; C, 389; Faug., I, 234; H.^v., XXV, 206; XXIV, 90 bis; XXV, 119 et XXV, 22; Mol., I, 109; I, 121 et I, io4 ; Mich., 392.

232 PENSÉES.

J'aurai aussi mes pensées de derrière la tête.

Je prendrai garde à chaque voyage.

Grandeur d'établissement, respect d'établisse- ment '.

Le plaisir des grands est de pouvoir faire des heureux .

Le propre de la richesse est d'être donnée libéra- lement ^

I. Ces lignes sont peut-être des notes en vue des Discours sur la condition des Grands: ils sont en tout cas commentés dans le déve- loppement que nous en a conservé Nicole. L'homme qui a été pris par erreur pour le roi de l'île inconnue « songeait, en même temps qu'il recevait ces respects, qu'il n'était pas ce roi que ce peuple cher- chait, et que ce royaume ne lui appartenait pas. Ainsi il avait une double pensée : l'une par laquelle il agissait en roi, l'autre par laquelle il reconnaissait son état véritable, et que ce n'était que le hasard qui l'avait mis en la place il était. Il cachait cette dernière pensée, et il découvrait l'autre. C'était par la première qu'il traitait avec le peuple, et par la dernière qu'il traitait avec soi-même ». (i^"" discours^ Il traitait avec le peuple comme s'il avait été un roi légitime, tandis qu'avec lui-même il se considérait comme un tyran. (Pour cette distinction, cf. le fr. 336). La ligne suivante : « Je prendrai garde à chaque voyage » n'est-elle pas également une indication pour les Discours, l'esquisse des recommandations que le personnage introduit par Pascal devait se faire à lui-même? Enfin les mots « Grandeur d'établissement, respect d'établissement » sont lon- guement expliqués dans ce premier Discours : « Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer cer- tains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse S)nt de ce genre. Aux grandeurs d'établissement, nous leur devons des respects d'établissement, c'est-à-dire certaines cérémonies exté- rieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque réalité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. » Cf. le Traité de la Grandeur de Nicole, en particulier !■"« part., ch. iv.

3. Cf. 3^ Discours: « Ce n'est point votre force et votre puis-

SECTION V. 233

Le propre de chaque chose doit être cherché. Le propre de la puissance est de protéger.

Quand la' force attaque la grimace, quand un simple " soldat ' prend le bonnet carré d'un premier président, et le fait voler par la fenêtre \

*i64] 310 bis

Obéissance de fantaisie".

427] 3"

L'empire fondé sur ^ l'opinion et l'imagination

sance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prétendez donc point les dominer par la force, ni les traiter avec dureté. Con- tentez leurs justes désirs ; souIa}jez leurs nécessités ; mettez votre plaisir à être bienfaisant, avancez-les autant que vous le pourrez, et vous agirez en vrai roi de concupiscence. »

1. [Grimace.]

2. Simple en surcharge.

3. [Fait voler par.]

4. Souvenir de la Satire Ménippée. « Il n'y a ni bonnet quarré, ni bourrelet que je ne fasse voler. » Passage de la harangue du sieur de Rieux, cité par M. Molinier. Quand la force attaque la gri- mace, elle fait bien voir que la puissance de la grimace est empruntée et tout imaginaire, mais en même temps elle excède sa puissance propre, qui est de protéger, et c'est pourquoi l'ordre de la société est détruit.

310 bis

5. Note que nous avons retrouvée au verso de la page i63 est le fragment 3iO. « Un autre tour d'imagination dans ceux qui ont fait les lois vous aurait rendu pauvre : et ce n'est que cette rencontre du hasard qui vous a fait naître, avec la fantaisie des lois favorables à votre égard, qui vous met en possession de tous ces biens. » (i^'' Dis- cours.^

3"

Cf. B., 370 ; C, 827 ; Bos., I, vm, 6 ; Faug., II, i33 ; Hav., V, 5 ; Mol., I, 83; MicH., 697.

6. L'opinion et en surcharge.

231 PENSÉES.

règne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire : celui de la force règne toujours. Ainsi l'opinion est comme la reine du monde, mais la force en est le tyran * .

Première copie 366] 312

La justice est ce qui est établi ; et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu'elles sont établies ^

1. A comparer cette conclusion avec les deux assertions, l'une du fr. l5 : « Eloquence qui persuade par douceur, non par empire, en tyran, non en roi », l'autre du fr. 3o3 : « La force est la reine du monde, et non pas l'opinion », il semble que la distinction pascalienne entre roi et tyran, qui s'y trouve impliquée, ait subi quelque variation dans l'application. La force, qui est ici le tyran, est considérée ailleurs comme la reine, et l'empire de l'opinion qui est doux et volontaire deviendrait dans le domaine de l'éloquence une tyrannie. Mais Pascal lui-même fournit aisément la solution de la difficulté : « La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu'on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites : devoir d'amour à l'agrément ; devoir de crainte à la force ; devoir de créance à la science. » (Fr. 332.) L'éloquence, qui emporte par l'agrément la créance due à la science seule, qui fait aimer au lieu de faire comprendre, est donc tyrannique. Quant à la force, elle est la reine du monde, en ce sens que son pouvoir est effectif, essentiel, par opposition à la vanité du respect fondé sur la coutume ; mais elle est le tyran si l'empire du monde doit être la domination des cœurs, le consentement volontaire des gouvernés aux gouvernants.

312

Cf. G., 323; Bos., I, ii, 6; Faug., II, i32; Hav., VI, 6; Mot., I, 96; MicH., 948.

2. « En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? parce qu'il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler. » (^Second Discours sur la condition des Grands.)

SECTION V. 233

a44] 313

Opinions du peuple saines. Le plus grand des maux est les guerres civiles ^ ; elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites, car tous diront qu'ils méritent ; le mal à craindre d'un sot, qui succède par droit de naissance, n'est ni si grand, ni si sûr".

161] 314

Dieu a créé tout pour soi, a donné puissance de peine et de bien pour soi.

Vous pouvez l'appliquer à Dieu ou à vous. Si à Dieu, 1 Evangile est la règle. Si à vous, vous tiendrez la place de Dieu. Comme Dieu est environné de gens pleins de charité, qui lui demandent les biens de la charité qui sont en sa puissance, ainsi...

313

Cf. B., 35; C, 52; Bos., I, tih, 4; Facq., I, 179; Hw., V, 3; Mol , I, 106.

I. Pascal avait été témoin de la Fronde; il se souvient en outre de ce que Montaigne a écrit des guerres civiles. « Mais est-il quelque mal en une police, qui vaille estre combattu par une drogue si mor- telle ? Non pas, disait Favonius, l'usurpation de la possession tyran- nique d'une republique. Platon, de mesme, ne consent pas qu'on face violence au repos de son pais, pour le guarir, et n'accepte pas l'amen- dement qui trouble et bazarde tout, et qui couste le sang et ruyne des citoyens ; establissant l'office d'un homme de bien, en ce cas, de laisser tout là. » (Essais, III, xi.) Cf. Descartes, Disc, de la Méth., part. II.

3. Charron : « Tout remuement et changement des lois, créances, coutumes et observances est très dangereux, et qui produit toujours plutôt mal que bien, il apporte des maux tout certains et présents pour un bien à venir et incertain (Sagesse, III, viii, 2).

314 Cf. B., lui; C, 388; Falc, I, 38o ; Hav., XXV, ng; Mich., 38.j.

236 PENSEES.

Connaissez-vous donc et sachez que vous n'êtes qu'un roi de concupiscence, et prenez les voies de la concupiscence*.

23i] 315

Raison des effets. Cela est admirable : on ne veut pas que j'honore un homme vêtu de^ brocatelle et suivi de sept ou huit laquais ! Eh quoi ! il me fera donner les étrivières, si je ne le salue; cet habit, c'est une force. C'est bien de même qu'un cheval bien enharnaché a l'égard d'un autre ! Montaigne est plaisant de ^ ne pas voir quelle différence il y a, et d'admirer qu'on y en trouve, et d'en demander la raison. « Devrai, dit-il, d'où vient'*, etc. »

1. Le développement de ces lig^nes nous a encore été conservé par Nicole dans les Discours sur la condition des Grands. « Dieu est envi- ronné de gens pleins de charité qui sont en sa puissance : ainsi il est proprement le roi de la charité. Vous êtes de même environné d'un petit nombre de personnes, sur qui vous régnez en votre manière. Ces gens sont pleins de concupiscence. Ils vous demandent les biens de la concupiscence ; c'est la concupiscence qui les attache à vous. Votre royaume est de peu d'étendue ; mais vous êtes égal en cela aux plus grands rois de la terre : ils sont comme vous des rois de concupiscence. C'est la concupiscence qui fait leur force, c'est-à-dire la possession des choses que la cupidité des hommes désire » (3^ Discours).

315

Cf. B., 33; C, 5o; Bos., 1, vm, i4; Faug., I, 221 ; Hav., V, i3 ; Mol., I, ici) ; MicH., tigti.

2. [ Velours.] Brocatelle a-t-il été préféré comme souvenir de Montaigne?» Certes les perles et le brocadel y confèrent quelque chose, et les tiltres et le train. » (III, 3).

3. [S'en.]

k- Le passage de Montaigne auquel il fait allusion est au k'i'^ cha- pitre du livre I^"". De l'ineqaalité qui est entre nous : « A propos de l'es-

SECTION V. 237

a3a] 316

Opinions du peuple saines. Etre brave' n'est pas trop vain ; car c'est montrer qu'un grand nom- bre de gens travaillent pour soi ; c'est montrer par ses cheveux qu'on a un valet de chambre, un parfu- meur, etc. ; par son rabat, le fil, le passement, etc. Or, ce n'est pas une simple superficie, ni un simple harnais ^ d'avoir plusieurs bras. Plus on a de bras, plus on est fort. Etre brave est * montrer sa force.

timation des hommes, c'est merveille que, sauf nous, aulcune chose ne s'estime que par ses propres qualitez : nous louons un cheval de ce qu'il est vigoureux et adroict... non de son harnois ; un lévrier de "sa vistesse, non de son collier; un oyseau, de son aile, non de ses longes et sonnettes : pourquoy de mesme n'estimons-nous un homme par ce qui est sien ? Il a un grand train, un beau palais, tant de crédit, tant de rente ; tout cela est autour de luy, non en luy. » Ce passage de Montaigne rappelle à son tour un fragment d'Epictète : « Le cheval ne dit pas au cheval : Je vaux mieux que toi..., j'ai des brides d'or et de beaux harnais, mais je suis plus rapide » (^apud Stobée, Floril, IV, gS).

316

Cf. B., 35 ; G., 02 ; Bos., I, vm, i3 ; Faug., I, 179 ; Hav., V, 12 ; Mol., I, loG; MicH., 5oi.

1. Brave j c'est-à-dire de mise recherchée et raffinée. Cf. Boursault (Esope à la Cour, III, 5) : « J'ai loué cet habit pour paraître un peu brave » ; et Molière (Amour méd., I, i) : « Est-ce que tu es jalouse de quelqu'une de tes compagnes que tu vois plus brave que toi A la fin des Précieuses Ridicules, Jodelet qui avait fait montre de ses che- veux et de son rabat s'écrie, lorsqu'on donne l'ordre de le dépouiller : « Adieu! notre braverie » (Scène 16).

2. Ce n'est ni une simple apparence, ni un ornement emprunté, comme le harnais du cheval, qui appartient au propriétaire. (Allusion au passage de Montaigne cité en note du fragment précédent.)

3. M. Michaut lit c'est.

238 PENSEES,

4o6] 317

' Le respect est : Incommodez-vous. Cela est vain en apparence, mais très juste ; car^ c'est dire : Je m'incommoderais bien si vous en aviez besoin, puisque je le fais bien sans que cela vous serve. Outre que le respect est pour distinguer les grands : or, si le respect était d'être en fauteuil, on respecte- rait tout le monde, et ainsi on ne distinguerait pas ; mais, étant incommodé, on distingue fort bien^

83] 317 bis

Vanité. Le respect signifie : Incommodez-vous.

79. 121] 318

Il a quatre laquais.

P. R. XXIX, 4i] 319

Que l'on a bien fait de distinguer les hommes par l'extérieur, plutôt que par les qualités intérieures I

317

Cf. B, 3i; G., /i7;Bos., I, vm, 12; Faug., I, i84; Hav., V, ii; Mol. I, 108; MicH., 644.

1 . Les Copies donnent en titre : Raisons des effets.

2. De c'est dire à si le respect était, surcharge.

3. Cf. Nicole, de la Grandeur, Part. \ , ch. v.

317 bis Cf. B., 8; C , 21 ; Faug., I, i85 note; Mich., 235.

318

Cf. B., 5; C, 18; Faug., I, i84 note; Mich., ai8.

319 Cf. Bos., I, VIII, 7; Faug., 1, i84; IIav., V, G; Mol., I, 108; Mich., 984.

S|ECTION V. 239

Qui passera de nous deux? qui cédera la place à l'autre ? Le moins habile ? mais je suis aussi habile que lui, il faudra se battre sur cela*. Il a quatre la- quais', et je n en ai qu'un : cela est visible : il n'y a qu'à compter: c'est à moi à céder, et je suis un sot si je le conteste. Nous voilà en paix par ce moyen ; ce qui est le plus grand des biens.

83] 320

On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est delà meilleure maison.

Portefeuille Vallant, t. M, fol. 56.] 320 bis

^Les choses du monde les plus déraisonnables de- viennent les plus raisonnables à cause du dérégle-

1. Cf. le Discours sur la condition des Grands. (( M. N. est un plus grand géomètre que moi; en cette qualité il veut passer devant moi : je lui dirai qu'il n'y entend rien. La géométrie est une gran- deur naturelle ; elle demande une préférence d'estime ; mais les hommes n'y ont attaché aucune préférence extérieure. Je passerai donc devant lui; et l'estimerai plus que moi, en qualité de géomètre. »

2. Les dernières lignes de cette pensée ressemblent à la fin du frag- ment 820 bis. Cela donnerait à croire que la pensée a été rédigée par les éditeurs de Port-Royal avec les mots de l'autographe : « Il a quatre laquais. »

320

Cf. B., 8 ; C, 21 ; Bos., I, thi, 10 ; Faug., I, 178 note ; Hav., V, gnote; MicH., 334.

320 bis Cf. Fai:g., I, 177; Hav., V, 9 note; Mol., I, gi ; Mich., 974.

3. Cette pensée figure dans un Recueil de Pensées de Pascal qui ont été conservées parmi les papiers du D"" Vallant ÇBibl. Nat. 170^9 f. fr.). Toutes les pensées transcrites appartiennent bien à Pascal; d'ailleurs Nicole a reproduit tout le fragment dans le Traité de la Grandeur, f^ partie, chap. v (avec quelques « arrangements » de détail), et il écrit en marge : Cette pensée est de M. Pascal.

240 PENSÉES.

ment des hommes. Qu'y a-t-il de moins raisonnable que de choisir, pour gouverner un Etat, le premier fils d'une reine P l'on ne choisit pas pour gouverner un bateau celui des voyageurs qui est de meilleure maison'. Cette loi serait ridicule et injuste. Mais parce qu'ils le sont et le seront toujours, elle devient raisonnable et juste, car qui choisira-t-on, le plus vertueux et le plus habile ? Nous voilà incontinent aux mains, chacun prétend être ce plus vertueux et ce plus habile. Attachons donc cette qualité à quel- que chose d'incontestable. C'est le fils aîné du roi; cela est net, il n'y a point de dispute. La raison ne peut mieux faire, car la guerre civile est le plus grand des maux.

*444] 321

Les enfants étonnés voient leurs camarades res- pectés ^

397] 322

Que la noblesse est un grand avantage, qui, dès

1. Cette pensée se trouve dans les Mémorables de Xénophon, et peut-être Pascal l'avait-il recueillie de la bouche de Méré qui la cite : « Il me vient dans l'esprit ce que disait Socrate ou Platon que ceux qui s'embarquent dans un voyage de long cours, ne prennent pas les mieux établis pour les conduire, et qu'ils jettent les yeux sur le plus excellent pilote « (De la vraie honnêteté, i^r Disc).

321

Cf. B,, 254; G., 471; Faug., II, 96 note; Mich., 776.

2. [respectueux',]

322 Cf. B., 3Gbis\ C, 56; P. R., XXIX, 7; Bos., I, vui, 16; Faug., I, 184 Hav., V, i5; Mol., I, 100; Mien., 027.

SECTION V. 241

dix-huit ans, met un homme en passe*, connu et respecté, comme un autre pourrait avoir mérité à cinquante ans ; c'est trente ans gagnés sans peine.

Première copie 875] 323

Qu'est-ce que le moi"?

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis pour me voir? non, car il ne pense pas à moi en particulier : mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, laime-t-il ? non, car la petite vérole qui tuera la beauté sans tuer la personne fera qu'il ne l'aimera plus.

Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi? non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même ^ est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme .i^ et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puis- qu'elles sont périssables? car aimerait-on la substance

1. Métaphore tirée du jeu de mail. Cf. Mme de Sévigné : « Nous songeons tous les jours à lui dans ce mail, et avec quelle bonne grâce il irait en passe en deux coups et demi » ap. Littré.

323

Cf. C, 333 ; P. R., ulL, XXIX, i4 ; Bos., I, vm, 18 et I, is, 60 ; Faug., I, 196 ; Hav., V, 17 ; Moi., I, 122 ; Mich., 960.

2. Moi. Pour bien entendre la portée de ce fragment, il faut noter que Pascal définit ici le moi vu du dehors, notre individualité dans sa relation avec les autres individualités. Or, l'essence du moi ne peut être qu'intime, et c'est pourquoi le bien véritable de l'homme sera l'Etre, à la fois indépendant de l'individu, et pourtant intérieur à lui (^Voir fragment 483).

3. Même: ajouté ultérieurement à la Copie.

PENSÉES. II 16

242 PENSÉES.

de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? cela ne se peut et serait in- juste. On n'aime donc jamais personne, mais seu- lement des qualités'.

Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices ^ car on n'aime personne que pour des qualités empruntées.

221] 324

Le peuple a les opinions très saines : par exem- ple :

i" d'avoir choisi le divertissement et la chasse plutôt que la poésie^ ; les demi-savants s'en moquent, et* triomphent à montrer là-dessus la folie du^ monde, mais par une raison qu'ils ne pénètrent pas on a raison" ;

d'avoir distingué les hommes par le dehors, commepar la noblesse ou le bien ; le monde triomphe encore à montrer combien cela est déraisonnable ;

1. Ce fragment n'était pas dans l'édition de 1670; en le publiant, Port-Royal supprime le titre, et remplace le dernier paragraphe par une pensée de conciliation : « Ou, si on aime la personne, il faut dire que c'est l'assemblag-e des qualités qui l'ait la personne. »

2. On, c'esten particulier Moutaig-ne : « Pourquoi... n'estimons-nous un homme par ce qui est sien ?... Mesurez le sans ses eschasses ; qu'il mette à part ses richesses et honneurs ; qu'il se présente en chemise » (T, 42 ; cf. note du fr. 3i5).

324

Cf. B., 37; C, 55; P. R., XXI V, G; Bos., I, vm, i5 ; Faug., I, 176; Hav,, V, 14; Mol., I, io5; Mien., /iOS.

3. Cf. Section II, fr. iSg-i^S.

4. [Montrent.]

5. [Peuple.]

6. Fr. 168-171.

SECTION V. 243

mais cela est très raisonnable cannibales se rient d'un enfant roi' ;

De s'offenser pour avoir reçu un soufflet, ou de tant désirer la gloire ; mais cela est très souhaitable, à cause des autres biens essentiels qui y sont joints, et un homme qui a reçu un soufflet sans s'en res- sentir est accablé d'injures et de nécessités ;

4" Travailler pour l'incertain ; aller sur la mer ; passer sur une planche".

i34] 325

Montaigne a ^ tort : la coutume ne doit être suivie

1. Addition à la rédaction primitive, qui est un souvenir de Mon- taigne, parlant d'une visite que firent des sauvages en Europe : « Ils feurent à Rouan du temps que le feu roy Charles neufviesme y estoit. .. Quelqu'un... voulut savoir d'eulx ce qu'ils y avoient trouvé de plus admirable... Ils dirent qu'ils trouvoient en premier lieu fort estrange que tant de grands hommes portant barbe, forts et armez, qui estoient autour du roy (il est vraysemblable qu'ils parloient des Souisses de sa garde) se soubmissent à obeïr à un enfant, et qu'on ne choisissoit plus- tost quelqu'un d'entre eulx pour commander. » (I, 3o.)

2. Voir le développement de cette idée au fr. aS^.

325

Cf. B., 327; C, 277; P. R , ult., XXIX, 5i; Bos., I, ix, 43 et 11 ; Faug., II, i3o; Hav., VI, 4o ; Mol , I, 96; Mich., 336.

3. La publication de ces premières lignes a toute une histoire. Victor Cousin reproduit dans son Rapport sur les Pensées de Pascal (2<' partie, édit. des études sur Pascal, p. i63) un passage intéres- sant d'une lettre écrite par Louis et Biaise Périer à leur mère : « Nous avons parlé à M. Arnauld de la Pensée de Montaigne, en lui montrant les endroits de Montaigne qui ont rapport à cela. Voici comme il l'a corrigée : Montaigne n'a pas tort quand il dit que la coutume doit être suivie dès qu'elle est coutume, etc., pourvu qu'on n'étende pas cela à des choses qui seraient contraires au droit naturel ou divin. Il est vrai, etc.

« Gomme M. Arnauld est toujours fort occupé et qu'il n'a pas eu

244 PENSÉES.

que parce qu'elle est coutume \ et non parce qu'elle soit ^ raisonnable ou juste ; mais le peuple la suit par cette seule raison qu'il la croit juste. Sinon, il ne la suivrait plus, quoiqu'elle fût coutume ; car on ne veut être assujetti qu'à la raison ou à la justice. La coutume, sans cela, passerait pour tyrannie; mais' l'empire de la raison et de la justice n'est pas non plus tyrannique que celui de la délectation : ce sont les principes naturels à l'homme.

^11 serait donc bon qu'on obéît aux lois et cou- tumes, parce qu'elles sont lois ^ ; qu'il sût qu'il n'y en a aucune vraie et juste à introduire, que nous n'y connaissons rien, et qu'ainsi il faut seulement suivre les reçues : par ce moyen, on ne les quitte- rait jamais. Mais le peuple n'est pas susceptible de cette doctrine; et ainsi, comme il croit que la vé- rité se peut trouver, et qu'elle est dans les lois et coutumes, il les croit et prend leur antiquité comme

le loisir de beaucoup examiner cela, si mon frère pouvait se donner la peine d'y penser un peu, il y aurait encore assez de temps pour recevoir la réponse avant qu'on imprime. »

Port-Royal donne ce début : « Montaigne a raison : la coutume doit être suivie dès qu'elle est coutume, et qu'on la trouve établie, sans examiner si elle est raisonnable ou non ; cela s'entend toujours de ce qui n'est point contraire au droit naturel ou divin. Il est vrai que le peuple ne la suit que par cette seule raison qu'il la croit juste... »

I. [Mais.]

3. Raison.

3. [La justice.]

4- [Le peuple.]

5. [Par on ne se révolterait jamais, mais on ne s'y voudrait peut-être pas soumettre, on chercherait toujours la vraie.]

SECTION V. 24o

une preuve de leur vérité (et non de leur seule ' au- torité" sans^ vérité). Ainsi il y obéit; mais il est sujet à se révolter dès qu'on lui montre qu'elles ne valent rien ; ce qui se peut faire voir de toutes, en les regardant d'un certain côté.

*7o] 326

Injustice. Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n'y obéit qu'à cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi il lui faut dire en même temps qu'il y faut obéir parce qu'elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs, non pas parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs. Par là, voilà toute sédition préve- nue si on peut faire entendre cela, et [ce] que [c'es^]* proprement que la définition de la justice.

i5i] 327

Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle, qui est le vrai siège ° de

1. Seule en surcharge.

2. [Volontaire.]

3. [Raison.]

326

Cf. B., 30; C, Sg ; Bos., I, ix, 10; Faug., II, i3o; Hav., VI, io bis; Moi., I, 98; MicH., 197.

4. Le manuscrit porte, écrit sous la dictée de Pascal : et que propre- ment que la définition.

327

Cf. B., 3i; C, 47; P. R., XXIX, i; Bos., I, ti, 25; F.^ug, I, 180; Hay., III, 18; Mot., I, 126; MicH., 870.

5. Le manuscrit ne nous semble pas autoriser la leeon sagesse qu'a proposée M. Molinier ; nous sommes d'ailleurs confirmés dans notre

246 PENSEES.

l'homme'. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent; la première est la pure ignorance natu- relle oii se trouvent tous les hommes en naissant, l'autre extrémité est celle arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien et se

opinion par le texte de Montaigne, dont Pascal s'est inspiré de tl-ès près dans les derniers Fragments de cette Section : « Il se peult dire, avecques apparence, qu'il y a ignorance abécédaire qui va devant la science : une aultre doctorale, qui vient aprez la science ; ignorance que la science feict et engendre, tout ainsi comme elle desfaictet destruict la première. Des esprits simples, moins curieux et moins instruicts, il s'en faict de bons chrestiens, qui, par révérence et obéis- sance, croyent simplement, et se maintiennent soubs les loix. En la moyenne vigueur des esprits et moyenne capacité, s'engendre l'erreur des opinions ; ils suyvent l'apparence du premier sens, et ont quelque tiltre d'interpréter h niaiserie et bestise que nous soyons arrestez en l'ancien train, regardants à nous qui n'y sommes pas instruicts par estude. Les grands esprits, plus rassis et clairvoyants, font un aultre genre de biencroyants; lesquels, par longue et religieuse investigation, pénètrent une plus profonde et abstruse lumière ez Escriptures, et sentent le mystérieux et divin secret de nostre police ecclésiastique ; pourtant en veoyons nous aulcuns estre arrivez à ce dernier estage par le second, avecques merveilleux fruict et confirmation, comme à l'extrême limite de la chrestienne intelligence, et iouïr de leur victoire avecques consolation, actions de grâces, reformation de mœurs, et grande modestie. Et en ce reng n'entends ie pas loger ces aultres qui, pour se purger du souspeçon de leur erreur passée, et pour nous asseurer d'eulx, se rendent extrêmes, indiscrets et iniustes à la con- duicte de nostre cause, et la tachent d'infinis reproches de violence. Les paisans simples sont honnestes gents ; et honnestes gents, les phi- losophes, ou, selon que nostre temps les nomme, des natures fortes et claires, enrichies d'une large instruction de sciences utiles : les mestis, qui ont desdaigné le premier siège de l'ignorance des lettres, et n'ont peu joindre l'aultre (le cul entre deux selles, desquels ie suis et tant d'aultres), sont dangereux, ineptes, importuns; ceulx-cy troublent le monde. Pourtant, de ma part, ie me recule tant que ie puis dans le premier et naturel siège, d'où ie me suis pour néant essayé de partir » (^Essais, liv. I, ch. liv). Cf. Charron, Sagesse, I, xni, i. I . [Il y a des âmes fortes qui.]

SECTION V. 247

rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis* ; mais c'est une ignorance savante qui se connaît ^ Ceux d'entre deux\ qui sont sortis de l'igno- rance naturelle \ et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante", et font les entendus; ceux-là troublent le monde, et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde ; ceux-là le méprisent et sont mépri- sés. Ils jugent mal de toutes choses, et le monde en juge bien.

aSi] 328

Raison des effets. Renversement continuel du pour au contre.

Noue avons donc montré^ que l'homme est vain, par l'estime qu'il fait des choses qui ne sont point essentielles; et toutes ces opinions sont détruites. Nous avons montré ensuite que toutes ces opinions

1. La fin de la phrase en surcharge.

2. [Et se montre.[ « L'ignorance qui se sçait, qui se iuge et qui se condamne, ce n'est pas une entière ignorance » (ApoL). Cf. Nicolas de Cusa, de Docta ignorantia, et particulièrement le premier chapitre M. Jovy a signalé des textes tels que celui-ci : Tanto quis doctior eril, quanto se magis sciveril ignorantem.

3. Expression que Montaigne applique aux historiens : « Ceulx d'entre deux (qui est la plus commune façon) nous gastent tout »

(II, X).

4. Naturelle en surcharge.

5. [Le monde eu est plein.]

328

Cf. B., 34; C, 5i; Bos., I, vm, i; Faug., I, 219; Hav., V, s bis; Mol., I, 107; MiCH., 497.

6. M. Michaut imprime démontré.

248 PENSÉES.

sont très saines, et qu'ainsi, toutes ces vanités étant très bien fondées, le peuple n'est pas si vain qu'on dit ; et ainsi nous avons détruit l'opinion qui détrui- sait celle du peuple.

Mais il faut détruire maintenant cette dernière pro- position, et montrer qu'il demeure toujours vrai que le peuple est vain, quoique ses opinions soient saines : parce qu'il n'en sent pas la vérité elle est, et que, la mettant elle n'est pas, ses opinions sont toujours très fausses et très mal saines *.

282] 329

Raison des effets. La faiblesse de l'homme^ est la cause de tant de beautés qu'on établit ^ comme de * savoir bien^ jouer du luth ^

1. Eadem quœ populus, sed non eodem modo, nec eodem proposito faciet sapiens, citation que Charron développe dans son Traité de la Sagesse, II, viii, 2. L'origine de cette citation est dans un fragment des Exhortations de Sénèque que Lactance nous a conservé (Institt., III, i5). Charron substitue populus à luxuriosi et à imperiti.

329 Cf. B., 36; C, 52; Faug., I, 220; Mol., I, 109; Mich., /igg.

2. [Fait.]

3. Au sens fort d'établissement artificiel, de pure convention sociale.

4. [Ne point.]

5. Pascal avait d'abord écrit ne point savoir: il a ensuite corrigé pour faire correspondre la seconde partie de sa phrase à la première : c'est une beauté de savoir bien jouer du luth. Mais la seconde phrase ne s'explique que par cette première rédaction : ce qui est un mal, c'est de ne point savoir jouer du luth.

6. Cf. Montaigne : « C'est un tesmoignage merveilleux de la foi- blesse de nostre iugement, qu'il recommande les choses par la rareté

SECTION V. 249

Ce n'est un mal qu'à cause de notre faiblesse.

79l 330

La puissance des rois est fondée sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde ' a pour fondement la faiblesse, et ce fondement-là est admi- rablement sûr ; car il n'y a rien de plus [sûr] ^ que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé, comme l'es- time de la sagesse ^

ou nouvelleté, ou encores, par la difficulté, si la bonté et utilité n'y sont ioinctes » (I, 54)-

330

Cf. B., 7; C, 19; Bos., I, vui, 8; Faug., I, 178; Hat., V, 7 bis; Mol., I, 83; MicH., aa3.

I . [Est plus fondée.]

3. Pascal a écrit : rien de plus que cela.

3. Les fragments qui précèdent permettent d'interpréter cette pensée, qui au premier abord est singulièrement obscure. La puissance des rois est fondée sur la raison, car le peuple qui a des opinions saines reconnaît la nécessité d'un maître qui assure la paix de la société et sur la folie, en ce sens que le peuple croit qu'un individu déterminé a plus de droit qu'un autre à être le maître, qu'une supé- riorité naturelle et intrinsèque légitime sa puissance. Et la folie est un fondement plus sûr que la raison : car si on savait seulement qu'il est nécessaire d'avoir un roi, cela n'empêcherait pas qu'on ne disputât, puisque chacun voudrait être ce roi ; et si, comme cela était raison- nable, on décidait de donner la royauté au plus sage, on disputerait pour savoir quel est le plus sage. Mais la faiblesse du peuple, persuadé par l'imagination que la naissance donne droit à la royauté, est un fondement admirablement sûr pour la puissance des rois, et c'est grâce à cette faiblesse que la paix de la société est maintenue. Au verso de la page est cette pensée, quelques mots écrits par Pascal se lisent encore, mais ce ne sont que des fragments mutilés : « Vous avez tant... point, et vous devez... comme Adam (?) le spirituel. »

2o0 PENSEES.

l37]

331

On ne s'imagine Platon et Aristote qu'avec de grandes robes de pédants'. C'étaient des gens hon- nêtes et, comme les autres, riant avec leurs amis; et, quand ils se sont divertis à faire leurs Lois et leur Politique, ils l'ont fait en se jouant^ ; c'était la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie, la plus philosophe était de vivre simplement et tran- quillement'. S'ils ont écrit de politique, c'était comme pour régler un hôpital de fous ; et s'ils ont fait semblant d'en parler comme d'une grande chose, c'est qu'ils savaient que les fous à qui ils parlaient pensaient être rois et empereurs. Ils entraient dans leurs principes pour modérer leur folie au moins mal qu'il se pouvait.

331

Cf. B., 33o; C, 280;?. R., XXXI, 27; Bos., I, vni et I, ix, 55; Faug., 11,96; Hav., VI, 52; Mol., I, 118; MicH.,34i.

1. Pédant a ici son sens professionnel, c'est le pédagogue en costume. Cf. Malebranche : « Je ne parle pas ici de pédant à longue robe, la robe ne peut pas faire le pédant. Montaigne qui a tant d'ad- version pour la pédanterie pouvait bien ne porter jamais robe longue, mais il ne pouvait pas de même se défaire de ses propres défauts. »

2. Pascal avait lu dans VApologie de Montaigne ce passage qui d'ailleurs interprète à faux un texte de Plutarque (De Stoïcorum re- purjuanliis, XXIV) : « Gbrysippus disoit que ce que Platon et Aristote avoient escript de la logique, ils l'avoient escript par ieu et par exer- cice ; et ne pouvoit croire qu'ils eussent parlé à certes d'une si vaine matière. » Cf. Méré (Discours de la conversation) : « Ces auteurs qu'on trouve si graves ne l'étaient pas toujours, comme on le croirait par leurs écrits. »

3. Cf. Montaigne : « Toute la gloire que le prétends de ma vie, c'est de l'avoir vescue tranquille » (II, xvi).

%

SECTION V. 251

67] 332

La' tyrannie consiste au désir de domination, universel et hors de son ordre.

Diverses chambres ^ de forts, de beaux ^ de bons esprits, de pieux, dont chacun règne chez soi, non ailleurs ; et quelquefois ils se rencontrent, et le fort et le beau se battent, sottement, à qui sera le maître l'un de l'autre ; car leur maîtrise est de divers genre. Ils ne s'entendent pas, et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force : elle ne fait rien au royaume des savants * ; elle n'est maîtresse que des actions extérieures ^

Tyrannie. ... Ainsi ces discours sont faux ® et tyranniques : Je suis beau, donc on doit me crain- dre. — Je suis fort, donc on doit m'aimer. Je suis...

La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu'on ne peut avoir que par une autre. On rend dif-

332

Cf. B., i5 et 16; C, 34; P. R., XXIX, 87; Bos., I, iv, 4o et i3; Faug., I, 188; Hav., VI, 87 et VI, 10; Mol., I, 102 ; Mich., 192.

I. [Corruption de la nature paraît.]

3. Chambre, au sens au xv^ siècle dans les Pays-Bas on parlait de Chambres de rhétorique, et par allusion peut-être aux diverses Chambres du Parlement. Port-Royal imprime classes.

3. De beaux en surciiarg'e.

4. Cf. la lettre à la reine Christine (iGSa) et le fragment 798 sur les différents ordres de grandeur.

5. [Ainsi ces discours sont faux.] La pensée a été reprise sur une autre feuille de papier qui a été collée à la même page du recueil.

6. Et tyranniques en surcharge.

252 PENSÉES.

férents devoirs aux différents mérites : devoir d'amour à l'agrément ; devoir de crainte à la force ; devoir de créance à la science ^ .

On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d'en demander d'autres. Et c'est de même être faux et tyrannique de dire: Il n'est pas fort, donc je ne l'estimerai pas ; il n'est pas habile, donc je ne le craindrai pas.

*'i4o] 333

N'avez- VOUS jamais vu des gens qui, pour se plaindre du peu d'état que vous faites d'eux, vous étalent l'exemple de gens de condition qui les esti- ment ? Je leur répondrais à cela : Montrez-moi le mérite par vous avez charmé ces personnes, et je vous estimerai de même^.

1. L'injustice de la tyrannie est expliquée de la manière suivante dans les Discours sur la condition des Grands : « Il n'est pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime ; mais il est nécessaire que je vous salue. Si vous êtes duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois à l'une et à l'autre de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que mérite votre qualité de duc, ni l'estime que mérite celle d'honnête homme. Mais si vous étiez duc sans être hon- nête homme, je vous ferais encore justice ; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l'ordre des iiommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d'avoir pour vous le mépris intérieur que méri- terait la bassesse de votre esprit. Voilà en quoi consiste la justice de ces devoirs. Et l'injustice consiste à attacher les respects naturels aux grandeurs d'établissement, ou à exiger les respects d'établissement pour les grandeurs naturelles. » (2^ Discours.') Cf. Nicole, Pensées diverses, VIII: Respects exigibles et non exigibles.

333

Cf. B., 368; P. R., XXIX, 8; Bos., I, vm, 17; Faug., I, 2o4;Hav., V, 16; Mol., II, i5o; Mich., 751.

2. Cf. le second Discours sur la condition des Grands : « Si, étant

SECTION V. 233

aSa] 334

Raison des effets. La concupiscence' et la force sont les sources de toutes nos actions : la concu- piscence fait les volontaires; la force, les involon- taires.

23i] 335

Raison des effets. Il est donc vrai de dire que" tout le monde est dans l'illusion : car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est oii elle n'est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point oii ils se figurent : il est vrai qu'il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.

duc et pair, vous ne vous contentiez pas que je me tinsse découvert devant vous, et que vous voulussiez encore que je vous estimasse, je vous prierais de me montrer les qualités qui méritent mon estime. Si vous le faisiez, elle vous est acquise, et je ne pourrais vous la refuser avec justice ; mais si vous ne le faisiez pas, vous seriez injuste de me la demander, et assurément vous n'y réussiriez pas, fussiez-vous le plus grand prince du monde. » Cf. Nicole, Pensées diverses, IX: Connaître le mérite avant que de l'estimer.

334

Cf. B., 36; C, 52; P. R., XXIV, 4; Bos., Il, svn, 70; Facg., I, 220; Hav., XXIV, 61 ; Mol., I, io5; Mich., 5oo.

I. [Est la source de.]

335

Cf. B., 34; C, 5i; P. R., XXI, 10; Bos., I, tiii, 2; Faug., I, 219; Hav., V, 2 ter; Mol., I, 107; Mich., 496.

2. Les premiers mots en surcharge.

254 PENSÉES.

23l] 336

Raison des effets. Il faut avoir une pensée de derrière', et juger de tout par là, en parlant cepen- dant comme le peuple \

^3»] 337

Raison des effets. Gradation. Le peuple honore les personnes de grande naissance. Les demi-habiles les méprisent, disant que la naissance n'est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple, mais par la pensée de derrière. Les dévots qui ont plus de zèle que de science les méprisent, malgré cette considé- ration qui les fait honorer par les habiles, parce qu'ils en jugent par' une nouvelle lumière que la piété

336

^K?' ^^,'.^' ^'' ^*"''' ^' 220; Hav., XXIV, 90; Mol., I, 200 MiCH., ItgS. ' '' '

1. Cf. fr. 3 10.

2. Réflexion suggérée par Charron : « Je veux bien que l'on vive, que l'on parle, l'on fasse comme les autres et le commun ; mais non que l'on juge comme le commun, voire je veux que l'on juge le com- mun. » (De la Sagesse, liy. II, ch. 11, second paragraphe, intitulé : Juger de tout). Dans ses Portraits littéraires, Sainte-Beuve a signalé une lettre de Méré qui rapporte une conversation avec la Rochefou- cauld. L'auteur des Maximes s'y exprime ainsi : « Nous devons quel- que chose aux coutumes des lieux nous vivons, pour ne pas choquer la révérence publique, quoique ces coutumes soient mauvaises ; mais nous ne leur devons que de l'apparence ; il faut les en payer et se bien garder de les approuver dans son cœur, de peur d'offenser la raison universelle qui les condamne. » (La Rochefoucauld. OEuvres éd. Gilbert, t. I, p. 898.)

337

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3. [Vn principe nouveau de] la piété.

SECTION V. 235

leur donne. Mais les chrétiens parfaits les honorent par ' une autre lumière supérieure ". Ainsi se vont les opinions succédant du pour au contre, selon qu'on a de lumière.

8i] 338

Les* vrais chrétiens obéissent aux folies* néan- moins ; non pas qu'ils respectent les folies, mais l'ordre de Dieu, qui, pour la punition des hommes, les a asservis à ces fohes " : Oinnis creatura suhjecta estvanitati. Liberabitur^ . Ainsi saint Thomas' explique

1. Un autre [principe plus inférieur.]

2. C'est ce que Pascal explique dans les Discours sur la condition des grands ; il accorde au riche qu'il se « distingue un peu de cet homme qui ne posséderait son royaume que par l'erreur du peuple ; parce que Dieu n'autoriserait pas cette possession et l'obligerait à y renoncer, au lieu qu'il autorise la vôtre » (i'^'' Discours).

338

Cf. B., 5; G., 17; Faug., II, 353; Hav., XXV, io3; Mol., II, 53; MicH., 327.

3. [Sages néanmoins y.]

4. Aux folies en surcharge.

5. C'est la doctrine que Pascal exposait dans la Quatorzième Pro- vinciale : « Rendre à chacun ce qu'on lui doit, honneur, tribut, sou- mission ; obéir aux magistrats et aux supérieurs, même injustes, parce qu'on doit toujours respecter en eux la puissance de Dieu qui les a établis sur nous. » Cf. la Pensée LXXXIII des Pensées diverses Nicole développe, avec des expressions empruntées à Pascal, cette thèse : La Religion chrétienne attache sans erreur la justice à la force. (Essais de Morale, t. M, p. 292.)

6. « Vanitati enim creatura subjecta est non volens, sed propter eum qui subjecit eani in spe quia et ipsa creatura liberabitur a servitute cor- ruptionis, in libertatcm glorise jiUorum Dci. » Rom., VIII, 20-21. La première ligne de saint Paul est elle-même un souvenir de l'Ecclé- siaste : Idcirco unus est interitus hominis et jumentorum... et nihil habet homo jumento amplius : cuncta subjacent vanitati (lll, 19).

n. Dans son commentaire sur l'épître de saint Jacques. ^ oici le

2S6 PENSEES.

le lieu de saint Jacques sur la préférence des riches, que, s'ils ne le font dans la vue de Dieu, ils sortent de l'ordre de la religion.

lieu auquel Pascal fait allusion : Jac.^ II, i : « Mes frères, ne faites point entrer en l'acception de personnes la foi en la gloire de N. S. J.-G. Car s'il entre dans votre assemblée un homme avec un anneau d'or et une robe blanche, et qu'il y entre aussi un pauvre avec un méchant habit, si vous faites attention à celui qui est richement vêtu, et que vous lui disiez : Toi, prends ici ce siège d'honneur, tandis que vous dites au pauvre : Toi, reste debout, ou assieds-toi au-dessous de mon marchepied, est-ce qu'en vous-mêmes vous ne faites une différence de jugement, et est-ce que vous ne vous êtes faits des juges de pensées iniques ? » La Logique de Port-Royal rappelle à son tour le commentaire de saint Thomas : « Saint Thomas croit que c'est ce regard d'estime et d'admiration pour les riches qui est con- damné sévèrement par l'apôtre saint Jacques, lorsqu'il défend de donner un siège plus élevé aux riches qu'aux pauvres dans les assem- blées ecclésiastiques ; car ce passage ne pouvant s'entendre à la lettre d'une défense de rendre certains devoirs extérieurs plutôt aux riches qu'aux pauvres, puisque l'ordre du monde, que la religion ne trouble point, souffre ces préférences, et que les saints mêmes les ont pratiquées, il semble qu'on doive l'entendre de cette préférence inté- rieure qui fait regarder les pauvres comme sous les pieds des riches, et les riches comme étant infiniment élevés au-dessus des pauvres. » (Première partie, ch. x.)

SECTION VI

222J 339

Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête' (car ce n est que l'expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir l'homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute".

339

Cf. B., 39; C, 60; p. R., XXIII, i; Bos., I, iv, 2; Faug., II, 83; Hav., I, 2; Mol., I, 72; Mien., /1G9.

1 . [Corps.]

2. Port-Royal ajoute: « C'est donc la penst^e qui fait l'être de l'homme, et sans quoi on ne le peut concevoir. » Il est superflu de faire remarquer que c'est une conception cartésienne : « Je pouvais feindre, dit Descartes, dans le Discours de la Méthode, que je n'avais aucun corps. Je me considérai moi-même comme n'ayant point de mains, point d'yeux, point de chair, point de sang'. « i''^ Médit. Mais par le fait même de cette fiction, j'exi.ste en tant qu'être pensant. La pensée est l'essence de l'homme. Havet a même signalé un texte posthume de Descartes dont les expressions sont presque semblables à celles de Pascal (il ne fut publié d'ailleurs qu'en 1701) : « Il m'a été nécessaire, pour me considérer simplement tel que je me sais être, de rejeter toutes ces parties ou tous ces membres qui constituent la machine humaine, c'est-à-dire il a fallu que je me considérasse sans bras, sans jambes, sans tête, en un mot sans corps. » (Recherche de la Vérité par la Lumière naturelle.)

PENSÉES. II 17

2.j8 pensées.

Première Copie 87 bis] 339 bis

Qu'est-ce qui sent du plaisir en nous? est-ce la main? est-ce le bras? est-ce la chair? est-ce le sang? on verra qu'il faut que ce soit quelque chose d'im- matériel.

*20l] 340

La machine d'arithmétique fait des effets* qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux; mais elle ne fait rien qui" puisse faire dire qu'elle a de la volonté, comme les animaux.

339 bis

Cf. C, 57 ; P, R., XXIII, 2 ; Bos., I, iv, 2 ; Fauq., II, 83 ; Mol., I, 72 ; Micii., 883.

340

Cf. B., Sgi; C, 35o; Bos., suppl., I; Faug., I, 228; IIav., XXV, C7 ; Mol., Il, K'ig; Mich., /iSg.

I. Voici ces effets décrits dans le privilège accordé le 22 mai iG^g Il la machine arithmétique de Pascal : « Louip, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, etc. ; salut. Notre très-cher et bien-amé le sieur Pascal nous a fait remontrer qu'à l'imitation du sieur Pascal, son père, notre conseiller en nos conseils, et président en notre cour des aides d'Auvergne, il aurait eu, dès ses plus jeunes années, une inclination particulière aux sciences mathématiques, dans lesquelles, par ses études et ses observations, il a inventé plusieurs choses, et particulièrement une machine, par le moyen de laquelle on peut l'aire toutes sortes de supputations, additions, soustractions, multiplications, divisions, et toutes les autres règles arithmétiques, tant en nombres entiers que rompus, sans se servir de plume ni jetons, par une méthode beaucoup plus simple, plus facile à apprendre, plus prompte à l'e.vé- cution, et moins pénible à l'esprit que les autres façons de calculer qui ont été en usage jusqu'à présent ; et qui, outre ces avantages, a celui d'être hors de tout danger d'erreur qui est la condition la plus importante de toutes dans les calculs. » 2. \ la page 202 du nKinnscrlt.

SECTION VI. 2S9

*30i] 341

L'histoire du brochet et de la grenouille de Liancourt : ils le font toujours, et jamais autrement, ni autre chose d'esprit*.

229] 342

Si un animal faisait par esprit ce qu il fait par instinct, et s'il parlait par esprit ce qu'il parle par instinct, pour la chasse, et pour avertir ses cama- rades que la proie est trouvée ou perdue, il parlerait

341

Cf. B., Sgi; C, Sôy ; Faug., I, 2o3 ; Hav., XXV, 2 bis; Mol., II, i^g; MicH., i3G.

I. On ne connaît pas autrement l'histoire à laquelle Pascal fait allusion. On soupçonne seulement qu'elle était destinée il défendre « l'esprit des bêtes » contre les partisans de l'automatisme. Le duc de Liancourt, après une jeunesse brillante et orageuse, avait été ramené à la religfion par sa femme, il était devenu un des plus fermes sou- tiens de Port-Royal : ce fut même lui qui, pour avoir logé chez lui un janséniste, l'abbé Bourzeis, essuya le refus d'absolution qui devint le point de départ de l'affaire des Provinciales. Fontaine nous le repré- sente opposant son expérience de chasseur au cartésianisme d'Arnauld : « J'ai là-bas deux chiens qui tournent la broche chacun leur jour. L'un, s'en trouvant embarrassé, se cacha lorsqu'on l'allait prendre, et on eut recours à son camarade pour tourner en sa place. Le camarade cria, et fit signe de sa queue qu'on le suivît : il alla dénicher l'autre dans le grenier et le houspilla. Sont-ce des horloges ? dit-il à M. Arnauld qui trouva cela si plaisant qu'il ne put s'empêcher d'en rire. » Pascal répondrait à un récit semblable de Liancourt par le second des arguments invoqués par Descartes dans la V'' partie du Discours de la Méthode : la raison est un instrument universel ; l'instinct est spécial, il correspond à une habitude particulière de la machine.

342

Cf. B., 37 bis; C, 5; ; Faug., I, 2o3 ; II.^t., XXV, 11 ; Mol., II, i^S MiCH., ig3.

260 PENSÉES.

bien aussi pour des choses il a plus d'affection, comme pour dire : Rongez cette corde qui me blesse, et oià je ne puis atteindre\

Première Copie S'y bis] 343

Le bec du perroquet qu'il essuie, quoiqu'il soit net.

Première Copie 89] 3^4

Instinct et raison, marques de deux natures ^

I. Le fragment doit avoir pour but de répondre <i une objection présentée par un adversaire des animaux-machines, un chasseur comme le duc de Liancourt, contre le premier argument cartésien, à savoir que les animaux n'ont point de langage. Les ciiiens de chasse ont une façon de parler entre eux. ÎMais ce langage, réplique Pascal, ne tra- duit pas une pensée véritable ; autrement ils seraient capables d'ex- primer ce qui devrait leur tenir le plus au cœur. S'ils ne le peuvent pas, c'est qu'il n'y a point d'universalité dans le langage des bêtes, et il n'y a pas universalité, il n'y a pas d'esprit.

343 Cf. C, 57; Faug., I, 2G0; Hav., XXV, 7.'i; Mol., I, 47; Mich., 882.

344

Cf. C, 60; Faug., I, 223; Hav., XXV, i5; Mol., I, 67; Mich., 88i.

a. Ce court fragment est susceptible de deux interprétations : la première, et la plus générale, est expliquée par Pascal lui-même dans son Fragment de Préface pour le Traité du Vide : « N'est-ce pas traiter indignement la raison de l'homme, et la mettre en parallèle avec l'instinct des animaux, puisqu'on en ôte la principale différence, qui consi,ste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l'instinct demeure toujours dans un état égal La seconde se réfère au titre du fragment SgS : « Instinct, Raison », et au fragment 896 : « Deux choses instruisent l'homme de toute sa nature : l'instinct et l'expérience. » Dans ces fragments, Pascal entend par instinct le souvenir de la perfection originelle, l'aspiration au vrai et au bien dont les constatations de V expérience ou les argu- ments de la raison montrent la vanité, h'instinct et la raison seraient ainsi les marques des deux natures qui coexistent dans l'homme même.

SECTION VI. 261

*a7o] 345

La raison nous commande bien plus impérieu- sement qu'un maître ; car en désobéissant à lun on est malheureux, et en désobéissant à l'autre on est un sot.

169] 346

Pensée fait la grandeur de l'homme ' .

63] 347

//. 3. L'homme^ n'est qu'un roseau, le plus faible

345

Cf. B. 397; C, 371; Bos., I, IX, 2; Faug., I, 21a; Hav.,VI, 2; Mol., II, i43 ; MicH. , 552.

346

Cf. B., 395; C, 367; F.\UG., II, 83; Mol., I, 70; Micii., 4i8.

I. Mont., III, III : (C Le méditer est un puissant estude et plein, à qui sçait se taster et employer vigoureusement : i'aime mieux forger mon ame que la meubler. Il n'est point d'occupation ny plus faible, ny plus forte, que celle d'entretenir ses pensées, selon l'ame que c'est ; les plus grandes en font leur vacation, quibus vivere est cogi- tare : aussi l'a nature favorisée de ce privilège, qu'il n'y a rien que nous puissions faire si longtemps, ny action à laquelle nous nous adonnions plus ordinairement et facilement. C'est la besongne des dieux, dict Aristote, de laquelle naist et leur béatitude et la nostre. » Le Discours sur les passions de l'amour commence par ces mots : « L'homme est pour penser. »

347

Cf. B., 100; C, 129; P. R., XXIII, 6; Bos., I, iv. G; Faug., II, 84; Hat., I, 6; Mol., I, 70; Mich., 17^.

3. Les signes H. 3 paraissent ultérieurement ajoutés. On peut conjecturer que H est l'indication du titre Homme, et 3 le numéro du chapitre ou du paragraphe. Cf. fr. 72, et l'indication du fr. 693.

262 PENSÉES.

de la nature ; mais c'est un roseau pensant. 11 ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffît pour le tuer'. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble' que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui ; l'univers n'en sait rien.

^ Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de qu'il faut nous relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Tra-

1. Souvenir de Montaigne : « C'est tousiours l'homme, foible, cala- miteux et misérable... un souffle de vent contraire... un signe, une brouee matiniere, suffisent h le renverser et porter par terre. » Apol.

2. [Puisque.] Noble, c'est-à-dire d'un genre plus élevé. Cf. fr. •7o3 : « Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits ; car il connaît tout cela, et soi ; et les corps, rien. » Cette pensée qui portera pour les siècles l'empreinte du génie de Pascal a pourtant son origine dans une suggestion de Raymond Sebon : « Il y a une autre manière de différer spéciale et particulière à l'homme qui ne se prend pas comme l'autre pour avoir, mais pour cognoistre qu'on a. . . L'homme a reçeu de son créa- teur non seulement l'excellence sur le reste, mais encore la suffisance de l'appercevoir. Il n'a pas seulement plus de dignité et de noblesse, mais en outre il le sçait et le cognoist et cognoist que les autres créa- tures ont ce défaut de ne se pouvoir pas cognoistre et que luy seul est capable de le faire » (^Théologie naturelle, ch. g3). Montaigne avait fait allusion à cet argument dans l'Apologie et l'avait réfuté : « Qui luy a scellé ce privilège ? Qu'il nous monstre lettres de cette belle et grande charge. » On trouvera un piquant commentaire dans ce pas- sai'e de la Vie et l'esprit de M. de Tillemont : « Il demandait quelque- fois à de jeunes enfants qui gardaient des vaches comment de si gros animaux se laissaient conduire par eux qui étaient si petits. Il tâchait ensuite de leur faire comprendre par qu'il fallait donc qu'il y eût en eux quelque chose de plus noble et de plus élevé qu'en ces bêtes, et que c'était leur âme ; qu'elle était plus excellente que le soleil, et que tout ce qu'il y a de plus beau au monde. » (Troncbai, apud Sainte-Beuve, Port-Royal, édit., t. IV, p. 23.)

3. Ce second paragraphe est donné seulement par les copies.

SECTION VI. 263

vaillons donc à bien penser' : voilà le principe de la morale.

i65] 348

Roseau pensant. Ce n'est point de l'espace que je dois chercher ma dignité, mais c'est du règlement Me ma pensée. Je n'aurai pas davantage en possédant des terres : par l'espace \ l'univers me comprend et m'engloutit comme un point ^ ; par la pensée, je le comprends".

SgS] 349

Immalérlalité de l'âme. Les philosophes qui ont dompté leurs passions, quelle matière l'a pu faire ^?

1. « Il faut s'attacher principalement à bien penser. » (Méré, Œuvres, t. I, p. 263.)

348

Cf. B., 39; C, 60; Faig., II, 84; Hav., I, 6 bis; Mol., I, 70; Mien., 399-

2. Du règlement en surcharge.

3. Par l'espace en surcharge.

4. [Au.]

0. Pascal oppose ici le sens propre et le sens figuré du mot com- prendre. Matériellement mon individu est une partie de l'univers ; mais spirituellement ma pensée s'étend à l'univers. Je suis contenu dans l'univers, et l'univers est contenu en moi. C'est cette oppo- sition qui résume tout le problème philosophique de la connaissance.

349 Cf. B., 4i; C, 60; Fauc, II, 94 ; Hav., XXV, 3i ; Mol., I, 17; Mica. 620.

6. Charron montre à diverses reprises comment les philosophes ont triomphé des passions, en particulier dans la Sagesse (II, i, 10), il loue l'impassibilité « forte, noble et glorieuse » des Sages guidés par la raison. Les Sages, ce sont les Stoïciens. Ils enseignaient que

264 PENSÉES.

255] 350

Stoïques. Ils concluent qu'on peut toujours ce qu'on peut quelquefois, et que, puisque le désir de la gloire fait bien faire à ceux qu'il possède quelque chose, les autres le pourront bien aussi. Ce sont des mouvements fiévreux, que la santé ne peut imiter.

Epictète conclut de ce qu'il y a des chrétiens con- stants, que chacun le peut bien être*.

les images, et les tendances irrationnelles qui sont associées à ces imajjes, n'ont de pouvoir sur nous qu'autant que nous leur donnons notre assentiment. Or nous sommes absolument libres de notre juge- ment, entièrement libres par suite de nous abandonner à nos passions ou de faire de notre être un système harmonieux dont les passions sont exclues. Aussi, quoique les Stoïciens fussent matérialistes puis- qu'ils considéraient l'âme et Dieu même comme un feu subtil, la mo- rale stoïcienne, aux yeux de Pascal, atteste l'immatérialité de l'âme par cela qu'elle atteste l'indépendance de la volonté interne vis-à-vis des tendances issues du monde extérieur.

350

Cf. R., 62 ; G, 87 ; P. R., XXI, i ; Bos., II, i, i ; Faug., II, 92 ; Hav., VIII, 4; Moi., I, 175; MicH., 535.

1. Voici le passage auquel Pascal fait allusion : « Qu'est-ce qui fait qu'on a peur du tyran? ses gardes, dites-vous, et leurs épées, ses valets d'antichambre, et ceux qui repoussent les personnes qui veulent péné- trer jusqu'à lui. Pourquoi donc un enfant, si vous l'amenez devant le tyran entouré de ses gardes, n'a-t-il pas peur? Est-ce parce qu'il ne comprend pas ce qu'il voit? Mais si un homme comprenant bien qu'il y a des gardes, et qu'ils ont des épées, se présente devant le tyran pour cela même, désirant la mort pour quelque raison particulière, et cherchant quelqu'un qui la lui procure sans qu'il s'en donne la peine, celui-là aura-t-il peur des gardes? Alais ce qui fait peur en eux est précisément ce qu'il désire. Et si un autre se présente, qui n'ait envie ni de mourir ni de vivre, mais qui soit prêt à l'un ou à l'autre suivant l'occurrence, qui l'empêchera de se présenter sans crainte ? Rien sans doute. Maintenant supposez un homme détaché de la fortune comme celui-là de la vie, déttiché aussi de ses enfants et de sa femme, amené

SECTION VI. 263

369] 351

Ces grands efforts d'esprit, l'âme touche quel- quefois, sont choses elle ne se tient pas ; elle y saute seulement, non comme sur le trône, pour tou- jours ; mais pour un instant seulement '.

par je ne sais quelle folie ou quel désespoir à tenir pour indifférent de conserver tout cela ou de le perdre. De même que des enfants qui jouent avec des coquilles s'intéressent vivement au jeu, mais ne se soucient pas des coquilles, supposez que cet homme ne fasse non plus aucun cas de la matière sur laquelle il s'exerce, et ne s'attache unique- ment qu'à bien jouer le jeu qu'il a h jouer : est le tyran alors, sont les gardes, sont les épées qui pourront faire peur à un tel homme ? Si on peut entrer dans ces sentiments par un transport furieux, ou comme les Galiléens par la force de la coutume, ne pourra- t-on pas par le raisonnement et la démonstration se pénétrer de ces vérités? » (Epictète, Entreliens lY^ vu.) Ce sont les chrétiens qu'Epic- tète désigne par ce mot galiléens.

351

Cf. B., 43o; C, 4oi; P. R., XXXI, 20; Bos., I, i, i2;Faug.,I, i83; Hav., VII, 12; Mol., I, 44; Mich., 549.

I. Mont., II, II : « Quand nous arrivons à ces saillies stoïques... qui ne juge que ce sont boutées d'un courage eslancé hors de son giste? » et surtout le début de l'essai De la vertu. « le treuve par expé- rience qu'il y a bien à dire entre les boutées et saillies de l'ame ou une résolue et constante habitude : et veois bien qu'il n'est rien que nous ne puissions, voire iusques à surpasser la Divinité mesrae, dict quelqu'un, d'autant que c'est plus de se rendre impassible, de soy, que d'estre tel, de sa condition originelle, et iusques à pouvoir ioindre à l'imbecilité de l'homme une resolution et asseurance de Dieu ; mais c'est par secousses : et ez vies de ces héros du temps passé, il y a quelques fois des traicts miraculeux, et qui semblent de bien loing surpasser nos forces naturelles ; mais ce sont traicts, à la vérité ; et est dur à croire que de ces conditions ainsin eslevees, on en puisse teindre et abbruverl'arae en manière qu'elles lui deviennent ordinaires et comme naturelles. Il nous escheoit à nous mesmes, qui ne sommes qu'avortons d'hommes, d'eslancer parfois nostre anie, esveillee par les discours ou exemples d'aultruy, bien loing au delà de son ordinaire :

266 PENSEES.

459] 352

Ce que peut la vertu d'un homme ne se doit pas mesurer par ses efforts, mais par son ordinaire *.

AaS] 353

Je n'admire point l'excès d'une vertu, comme de

mais c'est une espèce de passion, qui la poulse et agite, et qui la ravit aulcunement hors de soy ; car, ce tourbillon franchi, nous veoyons que, sans y penser, elle se desbande et relasche d'elle-niesme, sinon iusques à la dernière touche, au moins iusques à n'estre plus celle ; de façon que lors, à toute occasion, pour un oyseau perdu, ou un verre cassé, nous nous laissons esmouvoir à peu prez comme l'un du vulgaire. Sauf l'ordre, la modération et la constance, i'estime que toutes choses soient faisables par un homme bien manque et défaillant en gros. A cette cause, disent les sages, il fault, pour iuger bien i\ poinct d'un homme, principalement contrerooller ses actions commu- nes et le surprendre en son à touts les jours. » (II, xxix.) Pascal avait également lu dans Charron : « Ces grandes et esclatantes eslevations et efforts de vertu qui se trouvent en auscuns philosophes Stoïciens et Epicuriens qui cherchent, morguent et gourmandent les dangers, les douleurs, la nécessité, la mort sont plustôt saillies, excès et accès d'anies esmues, fieureuses, malades et auscunement inhumaines qu'ac- tions rassises et meures d'ànies bien formées et bien nées, sans façon ni artifice. » (^Les Trois Vérités, II, xi. Cf., Sagesse, II, m, i5.)

352 Cf. B., 383; C, 343; P. R., XXIX, 24 ; Bos., I, ix, 3o;Faug.,I, 191 ; Hav., VI, 27; Mol., I, 44; MicH., 742.

I. Son ordinaire, expression employée par Montaigne dans le pas- sage cité au fragment précédent. « Un faict courageux ne doibt pas conclure un homme vaillant; celuy qui le seroit bien à poinct, il le seroit tousiours et à toutes occasions. » (Mont., II, i). « Le prix de l'ame ne consiste pas à aller hault, mais ordonneement : sa grandeur ne s'exerce pas en la grandeur, c'est en médiocrité. » (/rf.,

m. II.)

353

Cf. B., 372; C, 33o; P. R., XXIX, 19; Bos., I, ix, 24; Faug., I, 192 Hav., VI, 21; Mol., I, 44; Mien., 693.

SECTION VI. 267

la valeur, si je ne vois en même temps l'excès de la vertu opposée, comme en Epaminondas, qui avait l'extrême valeur et l'extrême bénignité '. Car', autre- ment, ce n'est pas monter, c'est tomber ^ On ne

I. Ce jugement est emprunté à Montaigne qui célèbre Epaminondas dans son essai Des plus excellents hommes. « L'ancienneté iugea qu'à espelucher par le menu touts les aultres grands capitaines, il se treuve en chascun quelque spéciale qualité qui le rend illustre : en cettuy cy seul, c'est une vertu et suffisance pleine partout et pareille, qui, en touts les offices de la vie humaine, ne laisse rien à désirer de soy, soit en occupation publique ou privée, ou paisible, ou guerrière, soit à vivre, soit à mourir grandement et glorieusement : ie ne cognois nulle ny forme ny fortune d'homme que ie regarde avecques tant d'honneur et d'amour. » (II, xxxvi.) Dans le premier chapitre du livre III, Montaigne revient sur cet éloge : « l'ay aultrefois logé Epaminondas au premier rang des hommes excellents, et ne m'en desdis pas. lusques montoit il la considération de son particulier debvoir ? qui ne tua iamais homme qu'il eust vaincu ; qui, pour ce bien inestimable de rendre la liberté à son pais, faisoit conscience de tuer un tyran, ou ses complices, sans les formes de la iustice ; et qui iugeoit meschant homme, quelque bon citoyen qu'il feust, celuy qui, entre les ennemis et en la battaille, n'espargnoit son amy et son hoste. Voylà une ame de riche composition : il marioit aux plus rudes et violentes actions humaines la bonté et l'humanité, voire mesme la plus délicate qui se treuve en l'eschole de la philosophie. Ce courage si gros, enflé, et obstiné contre la douleur, la mort, la pauvreté, estoit ce nature, ou art, qui l'eust attendry iusques au poinct d'une si extrême douceur et debonnaireté de complexion ? Horrible de fer et de sang, il va fracassant et rompant une nation invincible contre tout aultre que luy seul ; et gauchit, au milieu d'une telle meslee, au rencontre de son hoste et de son amy. A rayment celuy commandoit bien à la guerre, qui luy faisoit souffrir le mors de la bénignité, sur le poinct de sa plus forte chaleur, ainsin enflammée qu'elle estoit, et toute escumeuse de fureur et de meurtres. C'est miracle de pouvoir mesler à telles actions quelque image de iustice ; mais il n'appar- tient qu'à la roideur d'Epaminondas d'y pouvoir mesler la doulceur et la facilité des mœurs les plus molles et la pure innocence. » On comprend la vive impression qu'une telle page a produite sur Pascal.

3. [De se porter vers une extrémité.]

3. [D'aller vers une exirémité ce n'est.]

268 PENSEES.

montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en louchant les deux à la fois, et remplis- sant tout l'entre-deux ' . Mais peut-être que ce n'est qu'un soudain mouvement de l'ame " de l'un à l'autre de ces extrêmes, et qu'elle n'est jamais en eiîet qu'en un point, comme le tison de feu^ Soit, mais au moins cela marque l'agilité de l'âme, si cela n'en marque l'étendue.

83] 354

La nature de l'homme n'est pas d'aller toujours, elle a ses allées et venues.

La fièvre ^ a ses frissons et ses ardeurs ° ; et le froid montre aussi bien la grandeur de l'ardeur de la fièvre que le chaud même.

Les inventions des hommes de siècle en siècle vont de même. La bonté et la malice du monde en géné- ral en est de même : Plerumque gratœ principibas vices ^.

1. Sur l'entre-deux de Pascal voir le développement très brillant de Sainte-Beuve et l'application qu'il en fait à saint François de Sales. {Port-Royal, édit., t. I, p. a^Q.)

2. [Tantôt un.]

3. [ikTais.] Les copies ajoutent : qu'on tourne. On sait qu'en vertu de la persistance desimaj^es sur la rétine, il suffit qu'un tison enflammé fasse plus de dix tours à la seconde pour représenter à l'œil une circon- férence de feu. La succession rapide produit l'illusion de la simulta- néité.

354 Cf. B,, 7; C, 20; Faug.,I, 2o3; Hav., XXIV, 89; Mol., I, 43; Mien., 236.

4. Mont., Apol. : « Les fiebvres ont leur chauld et leur froid. »

5. [Le flux et le reflux.]

6. « Ce sont délices aux princes, c'est leur feste, de se pouvoir

SECTION VI. 269

aJi] 355

L'éloquence continue ennuie.

Les princes et les rois jouent quelquefois ; ils ne sont pas toujours sur leurs trônes, ils s'y ennuient : la grandeur a besoin d être quittée pour être sentie': la continuité dégoûte en tout", le froid est agréable pour se chauffer.

La nature agit par progrès^, itas et redihis. Elle

quelquefois ti'avestir et desmeltre à la façon de vivre basse et popu- laire :

Plerumque gratae principibus vices,

Mundaeque parvo sub lare pauperum

Cœnae, sine aulaeis et ostro Sollicitam eiplicuere frontem.

Il n'est rien si erapeschant, si degousté que l'abondance» (Mont., I, 43.) Pascal a reproduit le premier vers (vers i3 de l'ode d'Horace, III, xxix), d'après la citation de Montaigne qui substitue principibus à divitibus.

355 Cf. B., txoi ; C, 370; P.R., XXXI, 18; Bos., I, 11, 19; Faug., I, 2^7; I, 202; Hav., VI, 46; XXIV, 89 bis; Mol., I, 61; I, 128; Mica., 538.

1. Cf. Montaigne, III, vu : De l'incommodité de la grandeur : « Elle se ravalle quand il luy plalst. » « Le plaisir d'un roi qui mérite de l'être est de l'être moins quelquefois, de sortir du tliéâtre, de quitter le bas de saye et les brodequins et de jouer avec une personne de confiance un rôle plus familier. » (La Bruvère, du Souverain ou de la République.^

2. « La satiété engendre le desgoust. » (Mont., II, xv.)

3. « Dans les concerts on use de prélude, et on finit par les tons les plus approchants du silence. C'est que le cœur et l'esprit tiennent cela des instructions de la nature, qui se conduit insensiblement et par des progrès insensibles. » (Méré, œuvres, t. II, p. 16.) A considérer ce que nous appellerions aujourd'hui l'évolution de l'individu ou du monde, Pascal pense que cette évolution ne s'accomplit pas néces- sairement dans un sens unique. Ce qui est tout à fait remarquable ici, c'est que la vue pénétrante de Pascal rejoigne, par delà les théo- ries d'un prvigrès uniforme et continu qui ont eu tant de faveur au

270 PENSÉES.

passe el revient", puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais, etc.

Le flux delà mer se fait ainsi, le soleil semble mar- cher ainsi :

169] 356

La nourriture du corps est peu à peu. Plénitude de nourriture et peu de substance ^

aa5] 357

Quand on veut poursuivre les vertus jusqu'aux extrêmes départ et d'autre ^ il se présente des vices

xviii^ siècle et dans la première moitié du xix", les conceptions des évolutionistes contemporains. Pour M. Herbert Spencer l'évolution universelle est soumise à la loi du rythme; de même, parmi les pen- seurs qui ont étudié les conditions des transformations des sociétés, quelques-uns arrivent à cette conclusion que l'évolution sociale est susceptible de regrès aussi bien que de progrès.

1. « Le monde va et vient, croît et décroît, change en connais- sance, apprend et désapprend tous les jours. » (Charron, Les Trois Vérités, I, 5.)

Cf. B., 323; C, /lo/i; Faug., I, 223; Hat., XXV, 12/i; Mol,, II, iSg; Micu., /il 3.

2. Ces derniers mots ont un sens clair : si on mange trop, on ne s'assimile presque rien. Il faut procéder avec lenteur, pour se fortifier véritablement. Cf. Montaigne : « Que nous sert-il d'avoir la panse pleine de viande, si elle ne digère, si elle ne se transforme en nous 1* » (I, ./,.)

357 CI'. H., .'106; C, 38i; Faug., 1, i83; Hav., XXV, 62; Mol., I, 45; Micii., 471.

3. Mont., I, i4 : « La vaillance a ses limites, comme les aultres vertus ; lesquelles franchies, on se trouve dans le train du vice : en ma- nière que par chez elle on se peult rendre à la témérité, obstination et folie, (pii n'en sf-ait bien les bornes, malaisées en vérité à choisir sur

SECTION V[. 271

qui s'y insinuent insensiblement, dans leurs routes insensibles, du côté ' du petit infini ; et il s'en pré- sente, des vices, en foule du côté du grand infini, de sorte qp'on se perd dans les vices ", et on ne voit plus les vertus ^ On se prendà la perfection même\

437] 358

L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bete".

leurs confins. » Et I, 29 : « Nous pouvons saisir la vertu de façon qu'elle en deviendra vicieuse, si nous l'embrassons d'un désir trop aspre et violent... l'iminoderation vers le bien mesme, si elle ne m'offense, elle m'estonne, et me met en peine de la baptizer. »

1. [De la.]

2. [Au lieu de suivre.]

3. On ne comprend pas exactement à quoi s'appliquent ces notions de petit injîni et de grand infini, \oici pourtant un essai d'interpréta- tion. Poursuivre les vertus de part et d'autre, c'est-à-dire dans la direc- tion des deux infinis à la fois, c'est sans doute les poursuivre dans leur plus petit détail et en même temps dans leur plus vaste étendue. Comment les vices sortent-ils de cette poursuite ? Soit par exemple la vertu de la justice. Celui qui veut être juste à la rigueur et dans les moindres circonstances de la vie, en arriverait insensiblement ù deve- nir indifférent au sort de ceux que sa justice atteint, peu charitable et parfois même cruel. Celui qui aspire à faire rég-ner partout la jus- tice universelle n'est-il pas amené, d'autre part, à intervenir dans les affaires des autres, à entreprendre la réforme de la société, etc. ? et voici l'ambition avec le cortège de vices qu'elle entraîne.

4. En marge.

358 Cf. B., 372; C, 329; P. R., ult., XXXI, 2i; Faug., I, i83; Hav., VII, i3; Mol., 1, 67; Mich., 70'!.

5. Cette réflexion qui figure également dans une première rédac- tion du fragment i4o paraît inspirée à Pascal par la fin du dernier chapitre des Essais qui forme comme la profession de foi philoso- phique de Montaigne : « ^loy, qui ne manie que terre à terre, hais cette inhumaine sapience qui nous veult rendre desdaigneux et ennemis de la culture du corps ; l'estime pareille iniustice, prendre à contrecœur les voluptez naturelles, que de les prendre trop à cœur le hais qu'on

272 PENSEES.

^27] 359

Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contrepoids de deux vices opposes, comme nous demeurons debout^ entre deux vents contraires^ : ôtez un de ces vices, nous tombons dans l'autre ^

nous ordonne d'avoir l'esprit aux nues, pendant que nous avons le

corps à table Il n'est rien si beau et légitime que de faire bien

l'iiouirae et deuraent ; ny science si ardue que de bien et naturelle- ment soavoir vivre cette vie Pour moy doncques, j'ayme la vie, et

la cultive, telle qu'il a pieu à Dieu nous l'octroyer l'accepte de

bon cœur et recognoissant ce que nature a faict pour moy ; et m'en agrée et m'en loue. On faict tort à ce grand et tout puissant Donneur

de refuser son don, l'annuller et desfigurer Ils veulent se mettre

hors d'eulx, et eschapper à l'homme ; c'est folie ; au lieu de se trans- former en anges, ils se transforment en bestes ; au lieu de se haulser, ils s'abbattent. Ces humeurs transcendentes m'effrayent, comme les lieux haultains et inaccessibles. » (III, xiii.) Cf. le passage de Balzac, cité en note du fr. 4i2, et d'autre part ce texte cité par M. Delboulle {Revue de la Société d'histoire littéraire, année 1898, p. 828 : « Socrates... jugea bien que ce qui estoit premièrement nécessaire à l'homme c'estoit de savoir bien faire l'homme, de peur qu'en voulant faire l'ange il ne fist enfin la beste. » La phrase est d'Artus Thomas, commentaire sur la Vie d'Apollonius, traduite par Vigenère, I, 86, édit. 1611.

359 Ci. B., 371; C, 328; Faug., I, 209; Hav., XXV, 12; Mot., I, 44; Mien., 700.

1. Nous dcincnrons debout, en surcharge.

2. La Rochefoucauld a dit : « Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons entrent dans la composition des remè- des : la prudence les assemble et les tempère, et elle s'en sert utile- ment contre les maux et la vie. » (A/. 182.) Il donnera lui-même plus d'une explication : « Les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires : l'avarice produit quelquefois la prodigalité, et la prodiga- lité l'avarice ; on est souvent ferme par faiblesse et audacieux par timidité. )> (M. 11.)

3. Montaigne: «Nous appelons sagesse la difficulté de nos humeurs,

SECTION VI. 273

374] 360

Ce que les Stoïques proposent est si difficile et si vain !

Les Stoïques posent : Tous ceux qui ne sont point au haut degré de sagesse sont également fous' et vicieux, comme ceux qui sont à deux doigts dans l'eau ^

le desgoust des choses présentes ; mais, à la vérité, nous ne quittons pas tant les vices, comme nous les changeons, et, à mon opinion, en pis. n (III, II). Cf. La Rochefoucauld : « Il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l'une est presque toujours l'établissement de l'autre. » (A/. 10.)

360

Cf. B., 62; C, 86; P. R., XXI, i; Bos., II, i, i ; Faug., II, cj3 ; Hav., XXV, i36; Mol., I, 176 ; Mich., 6o3.

1. Et vicieux, en surcharge.

2. « Il y en a qui se noient à deux doigts d'eau », écrit Charron (^Sagesse, III, xxxvii, 2). Cette comparaison devait être reprise pas Pascal, contre le paradoxe de la morale stoïcienne déjà combattu par Montaigne, II, 11 : « que celuy qui a franchi de cent pas les limites, ne soit de pire condition que celuy qui n'en est qu'à dix pas, il n'est pas croyable. » La vertu est un absolu, une diathhse ; elle n'est par susceptible de degrés, et celui qui n'a pas la vertu, en est totalement privé, comme ceux qui font une chute au bord de l'eau ou au bord d'un précipice tombent également, que l'écart qui amène leur chute soit très petit ou soit très grand. Cette métaphore stoïcienne se retrou- vera dans la doctrine chrétienne de la voie étroite^ à laquelle Pascal adhère si fortement. Il fautajoutercependant que les stoïciens finirent par admettre que dans la multitude des fous (et qui étaient à peu près tous les hommes puisqu'ils ne pouvaient décider s'il y avait eu depuis Hercule un sage véritable), il y avait lieu de faire des distinctions ; sans être parvenu à la vertu, on pouvait accomplir un certain progrès vers la vertu, et la théorie de ce progrès prit avec le temps de plus en plus d'importance dans la morale stoïcienne.

PENSÉES. II 18

274 PENSÉES.

Première Copie 65] 361

Le souverain bien. Dispute du souverain bien. Ut sis contentas temetipso et ex te nascentibus bonis \ Il y a contradiction, car ils conseillent enfin de se tue^^ Oh! quelle vie heureuse, dont on se délivre comme de la peste ^ !

361

Cf. C, 87; Faug., II, 96; Hav., XXV, 33; Mol., I, 174; Mich., 887.

1. Hue ergo cogitationes tuae tendant, hoc cura hoc opta, omnia alla vota deo remissurus, ut contentas sis temet ipso et ex te nascenti- bus bonis. Quae potest esse félicitas propior? (Sénèque, Lettre, XX, 8 de Hœr. Pelag. V. i.) Jansénius, dansunautre chapitre il dénonce la « superbe philosophique et pélagienne », rappelle la supériorité que Sénèque attribue au sage sur Dieu : « unde hortatur alibi ut honno contentas sit semet ipso et ex se nascentibus bonis. » Cette citation va re- joindre ce que Pascal connaissait de l'idéal stoïcien parEpictète et Du Vair, et aussi par Montaigne : « La vertu se contente de soy, sans disciplines, sans paroles, sans effects » et plus loin : « ie ne laisse pas, en pleine iouïssance de supplier Dieu, pour ma souveraine requeste, qu'il me rende content de moy mesme et des biens qui naissent de moy. » (I, 38.) Cf. Charron, Sagesse, IV, vi.

2. Pascal avait lu le chapitre des Essais (II, m) Montaigne résume la lettre 70 de Sénèque qui est une longue apologie du suicide. Les Stoïciens considéraient que le suicide était toujours permis : « Les Stoïciens disent que c'est vivre convenablement à la nature, pour le sage, de se despartir de la vie, encores qu'il soit en plein heur, s'il le faict opportunément. » Le suicide était même recom- mandé lorsqu'il s'agissait de rendre service à sa patrie, de se soustraire à un crime, à la pauvreté, à la maladie ou à la folie. Cette théorie n'était pas pour les Stoïciens incompatible avec l'optimisme, parce qu'ils étaient panthéistes : l'harmonie intérieure de l'homme qui défi- nissait le bonheur du sage est une partie et une image de l'harmonie cosmique, et la mort réunit l'homme au monde dont Dieu est l'âme. Le souvenir de Montaigne s'unit ainsi dans l'esprit de Pascal à celui de Jansénius pour condamner du point de vue de l'expérience et du monde, comme du point de vue de la religion, le naturalisme des Stoïciens.

3. 0 vitam scilicct beatissiinam sapientis, qua ut fruatur mortis quœrit auxilium. (Jansénius, De statu purœ nalurse, II, viii.)

SECTION VI. 273

397] 362

Ex senatus-consultis et plebiscitis\.. Demander des passages pareils".

2i4] 363

'^ Ex senatus-consultis et plebiscitis scelera exer- centur. Sen., 588 \

Nihil tam absurde dici potest quod non dicatur ab aliquo philosophorum. Divin ^

362

Cf. F.4DG., I, 3o5 ; Hav., Prov., 298 et 299; Mol., Prov., ni; Mich., 625.

1. « Le sag^e Dandainis, oyant reciter les vies de Socrates, Pytha- goras, Diogenes, les iug-ea grands personnages en toute aultre chose mais trop asservis à la révérence des loix : pour lesquelles auctoriser et seconder, la vraye vertu a beaucoup à se desmettre de sa vigueur originelle ; et non seulement par leur permission plusieurs actions vicieuses ont lieu, mais encore à leur suasion : ex senatas consultis plebisquescitis scelera exercentur. (Mont., III, i. La citation latine est de Sénèque, Ep. 90.) Cf. Charron, SagessCj I, xxxvii, 7 et le fr. 294-

2. Ce fragment est enclavé dans le fr. 921 qui contient une série de réflexions relatives à la querelle des Provinciales. Il nous semble que les passages pareils, ce sont ceux des fragments suivants, empruntés à Montaigne. Nous reproduisons les passages de Montaigne qui les commentent, et qui expliquent l'intérêt que Pascal y avait trouvé.

363

Cf. B.,3i4; C, 3i4; C, ^oC; Faug., II, 402; Hav., XXV, 201 ; Mol., I, 171 ; MicD., 458.

3. [Nihil turpius est.]

4. Cf. fr. précédent.

5. [Sen] « Elle [la philosophie] a tant de visages et de variété, et a tant dict, que touts nos songes et resveries s'y treuvent ; l'humaine ftintasie ne peult rien concevoir, en bien et en mal, qui n'y soit ; nUùl tam absurde dici polest, quod non dicatur ab aliquo philosophorum. » Mont., Apol. La citation est de Gicéron, de Divin, II, 58. Cf. Des-

276 PENSÉES.

Qaibusdam destinalis senteiillis consecrati quœ non probant cogantur defendere. Cic'.

Ut omnium rerum sic litterarum quoqae intempe- rantia laboramus. Seiiec^

Id maxime qaemqae decet, quod est ^ cujusqae saum maxime''. Sen. 558.

Hos natura modos primum dédit ° . Georg.

cartes, Disc, de la méth., II : « Ayant appris dès le collège qu'on ne saurait rien imaginer de si étrange et si peu croyable qu'il n'ait été dit par quelqu'un des philosophes. »

I. « La liberté doncques et gaillardise de ces esprits anciens pro- duisoit, en la piiilosophie et sciences humaines, plusieurs sectes d'opi- nions différentes ; chascun entreprenant de iuger, et de choisir, pour prendre party. Mais à présent que les hommes vont touts un train, qui certis quibusdatn destinalisque senteniiis addicti et consecrati sunt, ut etiain, quœ non probant, cogantur defendere..., on ne regarde plus ce que les monnoyes poisent et valent, mais chascun à son tour les rece- vra selon le prix que l'approbation commune et le cours leur donne. » (Mont. Apol.) La citation est de Cicéron, Tusc, II, 2.

3. « En aulcune chose l'homme ne sçait s'arrester au poinct de son besoing... il se taille de la besongne bien plus qu'il n'en peult faire, et bien plus qu'il n'en a affaire, estendant l'utilité du sçavoir, autant qu'est sa matière : ut omnium rcrum, sic litterarum quoque intemperantia laboramus ; et Tacitus a raison de louer la mère d'Agricola, d'avoir bridé en son fils un appétit trop bouillant de science. » Mont., III, XII. La citation (Sénèque, Ep. 106) se retrouve chez Charron {Sagesse, III, xii, i3.)

3. [Suum.j

4. « La voye de la vérité est une et simple ; celle du proufit particulier, et de la commodité des affaires qu'on a en charge double, ineguale et fortuite. l'ay veu souvent en usage ces libériez contrefaictes et arti- ficielles, mais le plus souvent sans succez : elles sentent volontiers leur asne d'^Esope, lequel, par émulation du chien, veint à se iecter tout gayement, à deux pieds, sur les espaules de son maistre ; mais autant que le chien recevoit de caresses, de pareille feste, le pauvre asne en receut deux fois autant de bastonnades : id maxime quemque decet, quod est cuiusque suum maxime. » (Mont., III, i. La citation est deCic. de OJJ. I, 3i.)

5. Montaigne fait l'éloge des « nations » qu'on appelle « barbares»

SECTION VI. 277

Paucis opus est litteris ad bonam mentem^. Si qiiando turpe non sit', tamen non est non tiirpe quuni id a multitudine laudetur^.

Mihi sic usas est, tibi ut opus est Jacto,fac. Ter*.

395] 364

Rarwn est enim ut satis sequisque vereatur\ Tôt circa unum caput tumulluantes deos^ .

et qui ne connaissent rien de notre civilisation : « Combien trouveroit il [Plalon\ la republique qu'il a imaginée, esloingnee de cette perfec- tion

Hos natnra modos prlmum dedil, » (I, 3o. Citation de \irgile, Georg., II, 20.)

I. « Il ne nous fault guère de doctrine pour vivre à notre ayse : et Socrates nous apprend qu'elle est en nous, et la manière de l'y trouver et de s'en ayder. Toute cette nostre suffisance, qui est au delà de la naturelle, est à peu prez vaine et superflue ; c'est beaucoup si elle ne nous charge et trouble plus qu'elle ne nous sert : paucis opus est litteris ad mentem bonam. » (Mont., III, xii. La citation est de Sénèque, Ep. 106 ; elle a été reprise par Charron, Sagesse, III, xiv, 16.)

3. [Non.]

3. « Est-ce raison de faire despendre la vie d'un sage, du iugement des fols?... Ego hoc iudico, si quando turpe non sit, tamen non esse non turpe, quum id a multitudine laudetur. » Mont., II, xvi (Citation de Cicéron, de Fin., II, i5).

4. « le ne me mesle pas de dire ce qu'il fault faire au monde, d'aultres assez s'en meslent, mais ce que i'y fois.

Mihi sic usus est : tibi, ut opus est facto, face. » Mont. I, xxvii. Le vers cité est de Térence : Heautont., I, i, 28.

364

Cf. B., 3i/i; Faug., II, /,o/,; MicH., 583.

5. [Sen.] « La plus grande chose du monde, c'est de savoir estre à soy... qu'il se flatte et se caresse, et surtout se régente, respectant et craignant sa raison et sa conscience, si bien qu'il ne puisse sans honte bruncher en leur présence. Rarum est enim ut satis se quisque verea- tur. » (Mont., I, xxxvni.) La citation est de Quintilien, X, 7 ; elle a été reprise par Charron, Sagesse, III, vi, 6.)

6. « Nous entraisnons tout avecques nous ; d'où il s'ensuit que nous

278 PENSEES.

Nihil turpias quam cognitioni assertionem prœcar- rere. Cic\

Necmepudet, ut istos,fateri nescire quid nesciam^. Melius non incipient^.

229] 365

Pensée. Toute la dignité de l'homme est en la pensée. Mais qu'est-ce que cette pensée.»^ Qu'elle est sotte ' !

La pensée est donc une chose admirable et incom- parable par sa nature. Il fallait qu'elle eût d'étranges

estimons grande chose nostre mort, et qui ne passe pas si ayseement, ny sans solenne consultation des astres ; tôt circa umim caput tumul- tuantes deos. » (Mont. II, xiii.) La citation est de Sénèque le Rhéteur, Suasor., I, 4- Cf. Charron, Sagesse, I, xl, 3.

1. « Oyez les régenter ; les premières sottises qu'ils mettent en avant, c'est au style qu'on establit les religions et les loix. Nihil est turpius, quam cognitioni et perceptioni assertionem approbationenique prœciirrere... L'affirmation et l'opiniastreté sont signes exprez de bestise. » (!Moiit., III, xiii. La citation est tirée des Académiques, 1, XIII, 45.)

2. « C'est par manière de devis que ie parle de tout, et de rien par manière d'advis, nec me pudet, ul istos, fateri nescire quid nesciam : ie ne serois pas si hardy à parler, s'il m'appartenoit d'en estre creu. >) (Mont., III, xi. La citation est de Cicéron, Tusc, I, 25.)

3. « le fuys les complexions tristes et les hommes hargneux, comme les empestez ; et aux propos que ie ne puis traicter sans interest et sans esmotion, ie ne m'y mesle, si le debvoir ne m'y force : melius non incipient quam desinent. » (Mont., III, x.) La citation est de Sé- nèque (Ep., 72), traduite plus loin par Montaigne lui-même De combien il est plus aysé de n'y entrer pas, que d'en sortir 1 »

365

Cf. B., 394; C. 365; P. R., IX, 2; Bos., II, ivii, 64; Faug., II, 85; Hav., XXIV, 53 bis; Mol., I, 73; Mich., 491.

4. Le titre et le premier paragraphe ont été écrits postérieurement au second qui commençait ainsi : Lu pensée est une chose.

SECTION VI. 279

défauts pour être méprisable ; mais elle en a de tels que rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature ! qu'elle est ' basse par ses défauts I

79l 366

^L'esprit de ce souverain juge du monde n'est pas si indépendant, qu'il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait^ autour de lui Ml ne faut'' pas le bruit d'un canon pour empêcher ses pensées : il ne faut que le bruit d'une girouette ou d'une poulie*^. Ne vous étonnez pas s'il ne raisonne pas bien à présent, une mouche bourdonne à ses oreilles" ; c'en est assez pour le rendre incapable de bonconseiP. Si vous voulez qu'il puisse trouver la

\Faible.

366

Cf. B., i4; C.,3i;P. R., XXV, 9; Bos., I, vi, 12; Faug., 11,53; Hav., III, 9; Mol., I, io; Mich., 22/1.

2. [La souveraine intelligence de] ce [monarque de l'univers se trou- ble.]

3. [Dans Je voisinage.]

4. « Ce ne sont pas seulement les fiebvres, les bruvages, et les grands accidents qui renversent nostre iugement, les moindres choses du monde le tournevirent. » (Mont., Apol.)

5. [Que Je bruit d'une girouette, cloche ou.]

6. [Pour interrompre.]

7. [il n'en faut pas davantage ; attendez qu'elle soit loin de lui pour lui parler ; sa raison n'est pas en liberté, chassez la mouche qui bour- donne à ses oreiJJes.] Cf. Montaig-ne : « l'ay l'esprit tendre et facile à prendre l'essor : quand il est empesché à part soy, le moindre bour- donnement de mouche l'assassine. » (III, xiii.)

8. Bon conseil, c'est-à-dire décision sage. Cf. Régnier, Elégie I :

Et quel sage conseil en mon âme puis-je prendre i* Et Corneille, Cinna, IV, 4 :

Hélas ! de quel conseil est capable mon âme ?

280 PENSEES.

vérité', chassez cet animal qui tient sa raison en échec et trouble cette puissante intelligence qui gouverne les villes et les royaumes. Le plaisant dieu que voilà ! 0 ridicolosissimo eroe !

83] 367

La puissance des mouches : elles gagnent des batailles ^ empêchent notre âme d'agir, mangent notre corps ^.

433] 368

Quand on ^ dit que le chaud n'est que le mouve-

1. [il n'en faut pas davantage pour tenir] sa raison en échec et trou- bler cette puissante intelligence [qui se rend [il ne saura trouver la vérité si vous ne la chassez,]

367

Cf. B., G; G., i8; Faug., XXV, 120; Mol., I, /»o; Mich., 289.

2. « Qu'on descouple mesme de nos mouches aprez, elles auront et la force et le courage de le dissiper [l'homme]. De fresclie mémoire les Portugais assiégeants la ville de Tamiy, au territoire de Xiatine, les habitants d'icelle portèrent sur la muraille grand'quantité de ruches, de quoy ils sont riches ; et avec du feu chassèrent les abeilles si visvement sur leurs ennemis, qu'ils abandonnèrent leur entreprinse ne pouvants soutenir leurs assaults et piqueures: ainsi demeura la vic- toire et liberté de leur ville à ce nouveau secours. » (Mont., Apol.)

3. « Quant à la force, il n'est animal au monde en butte de tant d'offenses, que l'homme : il ne nous fault point une baleine, un élé- phant et un crocodile, ny tels aultres animaux, desquels un seul est capable de desfaire un grand nombre d'hommes ; les pouils sont suffi- sants pour faire vacquer la dictature de Sylla : c'est le desieusner d'un petit ver, que le cœur et la vie d'un grand et triumphant empe- reur. » (/6j(/.)

368

Cf. B., 374; G , 332; Faug., I, 201 ; Hav,, XXV, 10; Mol., II, 1^9; MicH., 719

4. On, c'est Descartes. D'une part. Descartes fait consister la pensée uniquement dans la réflexion consciente, et il est ainsi amené

SECTION VI. 281

ment de quelques globules, et la lumière le conatus recedendi que nous sentons, cela nous étonne. Quoi ! que le plaisir ne soit autre chose que le ballet des esprits ? Nous en avons conçu une si différente idée ! et ces sentiments-là nous semblent si éloignés de ces autres que nous disons* être les mêmes que ceux que nous leur comparons ! Le sentiment du feu, cette chaleur qui nous affecte d'une manière tout autre que l'attouchement, la réception du son et de la lumière, tout cela nous semble mystérieux, et cependant cela est grossier comme un coup de pierre. Il est vrai que la petitesse des esprits qui

à attribuer au corps toutes les fonctions de l'homme qui ne portent pas la marque de cette réflexion, il est passif plutôt qu'actif, comme les différentes espèces de sensations. D'autre part tout ce qui est matériel se réduit pour lui au mouvement, et il est amené ainsi à tenter une explication purement mécaniste des sensations. Toutes les sensations dérivent donc d'un choc primitif, et les différences de nature que nous croyons discerner entre elles, se réduisent à des dif- férences de gfrandeur et de rapidité. Le conatus recedendi est la force centrifuge dont sont animés « tous les corps qui se meuvent en rond pour s'éloigner des corps autour desquels ils se meuvent. » (^Les Prin- cipes de la Philosophie. Partie III, ch. 54)- Les esprits animaux sont « des parties du sang très subtiles et qui se meuvent très vite, car, dit Descartes, ce que je nomme ici des esprits ne sont que des corps ». (^Traité des Passions, !•'<' partie, art. X.) La science moderne semble avoir confirmé cette vue cartésienne suivant laquelle les différents sens seraient des modifications et des raffinements du toucher pri- mitif; en revanche, le passage des conditions physiologiques de la sensation au sentiment que nous en prenons et qui la constitue en tant que fait de conscience, semble être demeuré tout à fait mystérieux malgré l'affirmation de Pascal. Du point de vue scien- tifique au moins, le progrès aurait consisté à considérer comme une énigme ce que Descartes croyait pouvoir poser comme une solution.

I. La Copie donne en marge qu'on nous dit, qui serait en effet mieux attendu.

282 PENSÉES.

entrent clans les porcs touche d'autres nerfs, mais ce sont toujours des nerfs touchés.

420] 369

La mémoire est nécessaire pour toutes* les opéra- tions de la raison ^

**i42] 370

[Hasard donne les pensées, et hasard les ôte ; point d'art pour conserver ni pour acquérir ^

369

Cf. B., 368; C, 32^,; Faug., I, 223; Hay., XXV, ih; Mot., II, 1^2;

MiCH., 079.

1. Toutes en surcharge.

2. Pour concevoir la portée de cette remarque, il faut se référer à la doctrine cartésienne. Selon Descartes les moments du temps étaient réellement indépendants les uns des autres ; à chaque moment du temps correspondait une création nouvelle du monde, et des vérités nécessaires qui sont pour Descartes des créatures de Dieu. Dès lors, il n'y a aucune garantie pour que la proposition reconnue vraie à un moment donné le soit encore à un autre moment, ni même pour qu'elle ait subsisté telle quelle dans l'esprit. Il n'y a donc de certi- tude absolue que dans l'intuition immédiate, dans l'évidence. Mais l'évidence est inhérente aux seules idées simples. C'est pourquoi Descartes recommandera, dans toute démonstration complexe, de par- courir aussi rapidement que possible les différentes étapes de la déduction afin de se rapprocher autant qu'il se peut de l'unité de l'intuition et de se mettre en garde contre les défaillances et les surprises de la mémoire. Par ces quelques mots, on voit Pascal voulait en venir : si la mémoire est nécessaire à toutes les opérations de la raison, il faut dire que la raison « loge son ennemi avec elle », et que toutes ses opérations sont ainsi frappées d'incertitude et mena- cées d'erreur.

370

Cf. B., 333; C, 28.',; Faug., I, 216; Hav., XXIV, 92 et VI, 48 note; Mol., I, 42; MicH., 35 1.

3. « Mon ame me desplaist, de ce qu'elle produict ordinairement ses

SECTION VI. 283

Pensée échappée, je la voulais écrire: j'écris, au lieu, qu'elle m'est échappée.] [Digression] *.

i46] 371

[Quand j'étais petit, je serrais mon livre : et parce qu'il m'arrivait quelquefois de... ^ en croyant l'avoir serré, je me défiais...]

437] 372

En écrivant ma pensée elle m'échappe ^ quelque- fois*; mais cela me fait souvenir de ma faiblesse, que j'oublie à toute heure ; ce qui m'instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tends qu'à connaître mon néant.

plus profondes resveries, plus folles et qui me plaisent le mieulx, à l'improuven et lorsque ie les cherche moins, lesquelles s'esvanouissent soubdain, n'ayant sur le champ les attacher. » (Montaigne, III, 5.)

1. Ce dernier mot est dicté; il est suivi dans le manuscrit de deux lignes écrites d'une main étrangère et qui n'ont pas été déchiffrées.

371

Cf. Faug., I, 300 note; Mien., 862.

2. M. Faugère comble la lacune par les mots me tromper qu donnent en effet le sens de la remarque de Pascal. Ce souvenir d'en- fance ne laisse pas d'être intéressant parce qu'il nous indique à quel point était naturel chez Pascal l'esprit de défiance et de scrupule qui devait l'amener au jansénisme, et que le jansénisme ne pouvait encore que développer.

372

Cf. B.,369; C, 324; P. R., XXVIII, 35; Bos., I, u, 5i ; Faug., I., 216; Hav., VI, 48; Mol., I, 42; Mich., 783.

3. [Mais.]

4. [Mais... j'apprends au moins de là] ma faiblesse.

28i PENSÉES.

137] 373

Pyrrhonisme. J'écrirai ici mes pensées sans ordre, et* non pas peut-être dans une confusion sans dessein : c'est le véritable ordre, et qui marquera toujours mon objet par le désordre même. Je ferais ^ trop d'honneur à mon sujet, si je le traitais avec ordre, puisque je veux montrer qu'il en est inca- pable ^

**8i] 374

Ce qui m'étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement; et chacun suit sa condition, non pas parce qu'il est bon en effet de la suivre puisque la mode en est, mais^ comme si chacun savait certaine- ment où est la raison et la justice ^ On se trouve déçu à toute heure ; et, par une plaisante humilité, on croit que c'est sa faute, et non pas celle de l'art.

373

Cf. B., 33o; C, 280; P. R., XXXI, 37; Bos., I, vm, i et I, 11, 55 ; Faug., II, 96; Hav., VI, I ; Mol., I, 167; Mich., 3/41.

1. El en surcharge

2. [Honneur.]

3. Mont., III, v: « No.stre vie est partie en folie, partie en pru- dence: qui n'en escript que reveerement et régulièrement, il en laisse en arrière plus de la moitié. »

374 Cf. B., 8; C, 21; P. R., XXV, i; Bos., I, ti, i ; Faug., II, 98; Hav.» III, i; Mol., I, t^l ; I, 169; Mich., aaS.

4. De non pas à mais addition en marge de la main de Pascal.

5. Cf. fr. 297 sqq.

SECTION VI. 28o

qu'on se vante toujours d'avoir \ Mais il est bon qu'il y ait tant de ces gens-là au monde, qui ne soient pas pyrrhoniens, pour la gloire du pyrrhonisme, afin de montrer que l'homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu'il est capable de croire qu il nest pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable, et de croire^ qu'il est, au contraire, dans la sagesse naturelle.

Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a qui ne sont point pyrrhoniens : si tous l'étaient, ils auraient tort\

iio] 375

*[J'ai passé longtemps de ma vie en croyant qu'il y avait une justice % et en cela je ne me trompais pas ; car il y en a, selon que Dieu nous l'a voulu révéler. Mais je ne le prenais pas ainsi, et c'est en quoi je me trompais ; car je croyais que notre jus- tice était essentiellement juste® et que j'avais de quoi la connaître et en juger. Mais je me suis trouvé tant

1. Cf. fr. 425.

2. De croire, ajouté par Pascal à ce qu'il avait dicté.

3. C'est-à-dire qu'ils auraient tort de dénoncer la faiblesse et la présomption de l'espèce humaine, puisque tous les hommes se seraient élevés à ce qui est pour eux la sagesse suprême.

375

Cf. B., 326; C, 332; P. R., XXIX, éd. 1GG9, p. 293': Faug., II, 129; Mol., I, 94; Mich., 283.

4- C'est cette pensée qui a été retranchée de l'édition déjà impri- mée des Pensées (Cf. Pièces justificatives, p. clxii et p. clxxviii.)

5. [Mais déjà j'ai tant changé [croyais.]

6. La fin de la phrase en surcharge.

280 PENSÉES.

de fois en faute de jugement droit, qu'enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J'ai vu tous les pays et hommes changeants ; et ainsi, après bien des changements de jugement touchant la véri- table justice', j'ai connu que notre nature n'était qu'un continuel changement, et je n'ai plus changé depuis; et si je changeais, je confirmerais mon opinion.

Le pyrrhonien Arcésilas qui redevint dogma- tique ^]

*83] 376

Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que par ses amis ; car la faiblesse de l'homme paraît bien da-

I. [Je n'ai plus changé.]

3. En redevenant dogmatique, Arcésilas aurait prouvé par son revi- rement même l'inconstance de l'esprit humain et la fragilité de toute philosophie, fût-ce du scepticisme lui-même. Maintenant est-il vrai qu'Arcésilas était redevenu dogmatique ? L'avait-il été ? Il avait quitté l'école de Tliéophraste pour celle de Crantor, et il succéda à Cratès dans la direction de l'Académie qui devint avec lui une école de dia- lectique négative, tournée en particulier contre le dogmatisme de Zenon le Stoïcien. En ce sens Arcésilas devint pyrrhonien : Platon par devant, Pyrrhon par derrière, telle était la devise attribuée à la Nouvelle Académie. Mais ce scepticisme lui-même a-t-il fini par n'être qu'une apparence, ne recouvrait-il pas une doctrine mystérieuse réservée aux initiés? C'est ce que semble insinuer une allusion de Cicéron dans les Académiques (II, xviii, 60), et ce que développe, avec trop de précision peut-être, saint Augustin dans un texte du Contra Aca- demicos (I, xvii, 38) qui aura sans doute renseigné Pascal. La cri- tique moderne fait sur cette tradition les réserves les plus justifiées, (df. Brochard, Les Sceptiques grecs, p. Ii4, sqq.)

376

Cf. B., 9; C, 22; Bûs., I, VI, 2; Faug., II, 98; Hav., III, 2 ; Mol., I, 1C9 ; MicH., 2^1 .

SECTION VI. 287

vantage en ceux qui ne la connaissent pas qu'en ceux qui la connaissent*.

437] 377

Les discours d'humilité sont matière d'orgueil aux^ gens glorieux, et d'humilité aux humbles. Ainsi ceux du pyrrhonisme sont matière d'affirmation aux affîrmatifs^; peu parlent de l'humilité humble ment; peu, de la chasteté chastement ; peu, du pyr- rhonisme en doutant \ Nous ne sommes que men-

I. « L'ignorance qui se sçait, qui se juge, et qui se condamne, ce n'est pas une entière ignorance ; pour l'estre, il fault qu'elle s'ignore soy-mesme. » (Mont., ApoL). Cf. fr. 827.

377

Cf. B., 368; C.,336; P. R., XXIX, 16; Bos., I, ix, 20; Faug., I, 207; H.4.V., VI, 17; Mol., I, 116; MicH., 732.

3. [SuperÈes ef.]

3. Mont., Apol. : « Quiconque imaginera une perpétuelle confes- sion d'ignorance, un iugemeiit sans pente et sans inclination, à quel- que occasion que ce puisse estre, il conceoit le pyrrhonisme. l'ex- prime cette fantasie autant que ie puis, parce que plusieurs la trouvent difficile à concevoir, et les aucteurs niesmes la représentent un peu obscurément et diversement. »

4. « le veois les philosophes pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur générale conception en aucune manière de parler ; car il leur fauldroit un nouveau langage : le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies ; de façon que, quand ils disent : « le double », on les tient incontinent à la gorge, pour leur faire avouer qu'au moins assurent et sçavent ils cela, qu'ils doub- tent » (Mont., Apol.'). Cf. le commentaire qui nous est rapporté dans Ventretien avec M. de Saci : « Il [Montaigne] met toutes choses dans un doute universel et si général, que ce doute s'emporte soi- même, c'est-à-dire s'il doute, et doutant même de cette dernière sup- position, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos, s'opposant également à ceux qui assurent que tout est incertain et à ceux qui assurent que tout ne l'est pas, parce qu'il ne veut rien assurer. C'est dans ce doute qui doute de soi et dans cette

288 PENSÉES.

songe*, duplicité, contrariété, et nous cachons et nous déguisons à nous-mêmes ^

109] 378

Pyrrhonisme. L'extrême esprit est accusé de folie \ comme l'extrême défaut ; rien que la médio- crité n'est bon. C'est la pluralité qui a établi cela, et qui mord quiconque* s'en échappe par quelque bout que ce soit. Je ne m'y obstinerai pas, je consens bien qu'on m'y mette, et me refuse d'être au bas bout, non parce qu'il est bas, mais parce qu'il est bout ;

ignorance qui s'ignore, et qu'il appelle sa maîtresse forme, qu'est l'es- sence de son opinion, qu'il n'a pu exprimer par aucun terme positif. »

1. [Fausseté.] Omnis homo mendax, Rom., III, 4-

2. Cf. la fin du fr. 100, et la maxime de la Rochefoucaud citée en note.

378

Cf. B., 470; C, 276; P. R., ult., XXIX, 21; Bos., I, IX, 17; Faug., II, 99; Hav., VI, i4; Mol., I, ii5; Mien., 281.

3. « De quoy se faict la plus subtile folie, que de la plus subtile sagesse ? Comme des grandes amitiez naissent des grandes inimitiez : des sautez vigoreuses, les mortelles maladies: ainsi des rares et visves agitations de nos âmes, les plus excellentes manies et plus destrac- quees ; il n'y a qu'un demi tour de cheville à passer de l'un i\ l'aultre. Aux actions des hommes insensez, nous veoyons combien proprement la folie convient avecques les plus vigoreuses opérations de nostre ame. Qui ne seait combien est imperceptible le voisinage d'entre la folie avec les gaillardes eslevations d'un esprit libre, et les effects d'une vertu suprême et extraordinaire ? Platon dict les melanchoiiques plus disciplinables et excellents : aussi n'en est-il point qui ayent tant de propension à la folie » (Mont., ApoL). Cf. Charron, De la Sagesse, liv. I, eh. XIV, part. i5. On lit dans la Rochefoucauld: « La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse. » (Ed. i665, i34, supprimée depuis); et l'on sait qu'une école d'aliénistes contemporains, l'école de Moreau de Tours, a repris la même thèse : le génie est une névrose, et il y a une parenté étroite entre le génie et la folie.

4. [Veut.]

SECTION VI. 289

car je refuserais de même qu'on me mît au haut'. C'est sortir de Thumanité que de sortir du milieu. La grandeur de lame humaine consiste à savoir s'y tenir '; tant s'en faut que la grandeur soit à en sortir, qu'elle est à n'en point sortir ^

*67] 379

Il n'est pas bon d'être trop libre; il n'est pas bon

d avoir toutes les nécessités *.

i4i] 380

Toutes les bonnes maximes sont dans le monde ;

1. « Nous secouons icy les limites et dernières elostures des sciences, ausquelles l'extrémité est vicieuse, comme en la vertu. Tenez vous dans la route commune ; il ne fait pas bon estre si subtil et si fin... le vous conseille en vos opinions et en vos discours, autant qu'en vos mœurs et en toute aultre chose, la modération et l'attrempance » (^Ibid.). LaBruyère exprime dans un ordre différent de considéra- tions, une pensée analogue : « Tienne qui voudra contre de si grandes extrémités ; je ne veux être, si je le puis, ni malheureux, ni heureux : je me jette et me réfugie dans la médiocrité » (Des biens de Fortune).

2. [Non à en savoir.]

3. « Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rengent au modèle commun et humain avecques ordre, mais sans miracle, sans extravagance. » (Montaigne.)

379

Cf. B., i5; C, 33; Faug., I, 228; Hav., XXV, 72 ; Mol,, I, 4i ; Mich , 186. '

4- C'est-à-dire tout ce qui est nécessaire à la vie. Littré cite ce passage de Bossuet : « Ceux qui le plaignaient [l'homme qui criait malheur à Jérusalem], ceux qui le maudissaient, ceux qui lui don- naient ses nécessités, n'entendirent jamais de lui que ces terribles paroles. » Disc, sur l'Hist. aniv., II, 8.

380 Cf. B., 33i ; G., 382 ; P. R., XXIX, i3 ; Bos., I, .1, i ; Faug., I, 2o5 ; I, 187 ; Hav., VI, I ; VI, I bis; Mol., II, 25i ; I, io3; Mien., 349.

PENSÉES. II 19

290 PENSÉES.

on ne manque qu'à les appliquer'. Par exemple, on ne doute pas qu'il ne faille exposer sa vie pour dé- fendre le bien public ; mais pour la religion, point.

Il est nécessaire qu'il y ait de l'inégalité parmi les hommes, cela est vrai ; mais cela étant accordé, voilà la porte ouverte, non seulement à la plus haute do- mination, mais à la plus haute tyrannie.

Il est nécessaire de relâcher un peu l'esprit ; mais cela ouvre la porte aux plus grands débordements ". Qu'on en marque les limites. Il n'y a point de bor- nes dans les choses : les lois y en veulent mettre ^, et l'esprit ne peut le souffrir^.

83] 381

Si on est trop jeune, on ne juge pas bien ' ; trop vieil, de même.

Si on n'y songe pas assez % si on y songe trop, on s'entête, et on s'en coiffe.

I. Cf. fr. 97 : « on ne pêche qu'en l'application. » 3. Débordement commençait à s'employer d'une façon absolue. Cf. Corneille, Ciiina, V, 2 :

Pour ses d<îborclements, j'en ai chassa Julie.

3. Les lois... mettre en surcharge.

4. « Il est malaysé de donner bornes à nostre esprit » (Mont. Apol.^ Pascal avait lu aussi dans un Discours de Balzac adressé ;\ Des- cartes : « C'est ôter dans la morale les bornes que la raison y a mises pour marquer la différence de chaque chose » (^Troisième Discours).

381

Cf. B., 5; G., 18; P. R., XXV, 3; Bos., I, vi, 2; Faug., II, 76; Hav., III, 2 bis; Mol., I, 4o ; Micii., 38i.

5. Si c'est un enfant qui iuge, il ne sçait que c'est. » (Mont., Apol.). « Tandis qu'on est jeune, on ne juge sainement de rien » (Méré, OEuvres, t. I, p. 24o).

6. M. Havet conjecture ici une lacune : « Il n'est pas vrai qu'on

SECTION VI. 291

Si on considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait, on en est encore tout prévenu; si trop longtemps après, on [^']*y entre plus.

Ainsi les tableaux vus de trop loin et de trop près ; et il n'y a qu'un point indivisible" qui soit le véritable lieu : les autres sont trop près, trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l'assigne dans l'art de la peinture : mais dans la vérité et dans la morale, qui l'assignera^.»^

433] 382

Quand tout se remue éffalement, rien ne se remue

s'entête et qu'on s'encoiffe en n'y songeant pas assez. » Nous devions soumettre cette opinion au lecteur ; il nous semble pourtant que les natures primesautières et ardentes s'eng-ouent aisément et s'obstinent dans leur goût, parce qu'elles ne considèrent pas assez les objets et ne réfléchissent pas suffisamment à leurs imperfections. La ponctuation du manuscrit doit donc être suivie ici, comme l'a fait déjà observer ^I. Molinier.

1. Pascal a écrit : on y entre.

2. Indivisible en surcharge.

3. Pascal avait lu dans VApologie ces réflexions qui terminent la partie est exposée la diversité des impressions sensibles : « Au de- mourant, qui sera propre à iuger de ces différences ? Comme nous disons, aux débats de la religion, qu'il nous fault un iuge non attaché H l'un ny à l'aultre party, exempt de choix et d'affection ; ce qui ne se peult parmy les chrestiens : il advient de mesme en cecy : car s'il est vieil, il ne peult juger du sentiment de la vieillesse, estant luy mesme partie en ce débat ; s'il est ieune, de mesme ; saiu, de mesme ; de mesme malade, dormant et veillant : il nous fauldroit quelqu'un exempt de toutes ces qualitez, à fin que, sans préoccupation de juge- ment, il iugeast de ces propositions comme à luy indifférentes ; et, à ce compte, il nous fauldroit un iuge qui ne feust pas. » Cf. fr. ii/J.

382

Cf. B., 378 ; C, 337 ; P. R., XXIX, 22 ; Bos., I, 11, 37 ; Faug., I, 192 ; Hat., VI, 24; Mol., I, 90; Mich., 721.

292 PENSÉES.

en apparence', comme en un vaisseau. Quand tous vont vers le débordement, nul n'y ^ semble aller ; celui qui s'arrête fait remarquer l'emportement ^ des autres, comme un point fixe.

43i] 383

Ceux qui sont dans le dérèglement * disent à ceux qui sont dans l'ordre que ce sont eux qui s'éloignent ^ de la nature, et ils la croient suivre : comme ceux qui sont dans un vaisseau croient que ceux qui sont au bord fuient. Le langage est pareil de tous côtés. Il faut avoir un point fixe ^ pour en juger. Le port juge ceux qui sont dans un vaisseau ; mais oii prendrons- nous un port dans la morale ^ ?

1. Pascal avait écrit d'abord : Quand tout se remue, rien ne se remue; on voit qu'en se relisant il a renoncé à cet effet de style, qui était aelieté au prix de la clarté.

2. [Va.]

3. A propos de ce ternie emportement, Littré cite cette remarque du P. Bonheurs : « Nous avons vu naître ce mot sans que nous sachions précisément qui en est l'auteur. Il naquit durant les guerres civiles; et on ne le prit d'abord que pour un mouvement et un trans- port de colère. » Pour le sens général il est employé ici, voir le fr. 19/i et la note au mot emporté, supra., p. 109.

383

Cf. B., 377; C, 33G; P. R., XXIX, 32, Bos., I, u, 4; Faug., I, 192; Hat., VI, 4; Mol., I, 96; Mich., 714.

4. Bourdaloue emploie également ce mot au sens absolu : « N'en- tend-on pas dire sans cesse que tout est renversé dans le monde, que le dérèglement y est général, qu'il n'y a ni âge, ni sexe, ni état qui en soit exempt? » Pensées, t. I, p. i36, ap. Littré.

5. De la nature et ils la croient suivre, surcharge.

6. [Comme le port.]

7. M. Lanson rapprociie de ce fragment un chapitre des entretiens d'Epiclète (II, xi) Epictète proposa comme « le commencement

SECTION" VI. 293

339] 384

Contradiction ' est une mauvaise marque de vérité. Plusieurs choses certaines sont contredites ; plusieurs fausses passent sans contradiction. Ni la contradic- tion n'est marque de fausseté, ni l'incontradiction n'est marque de vérité.

343] 385

Pyrrhonisme. Chaque chose est ici vraie en partie, fausse en partie. La vérité essentielle n'est pas ainsi : elle est toute pure et toute vraie ^ ; ce mélauge

de la philosophie Tinvention d'une certaine régule, comme la balance pour les corps pesants ou le cordeau pour les corps droits ou courbes... Il y a une règle... pourquoi ne la cherchons-nous pas et ne la trou- vons-nous pas » ?

384 Cf. B., 82; C, 109; P. R., XXXI, i3; Bos., I, vi, 28 ; Faug., T, 2i5 ; Hav., III, 17; Mol., I, 822; MicH., ASg.

1. Est une mauvaise, surcharge. Sur la première copie on lit la correction suivante : Contradiction est une mauvaise marque de fausseté. La rédaction de Pascal crée en effet une équivoque. Marque de vérité veut dire moyen de discerner le vrai, et non pas comme plus bas, signe positif de vérité. D'autre part la contradiction n'est pas la contradiction logique, régie par le principe d'identité, mais Je dé- menti de fait, la négation opposée à l'affirmation. Ainsi entendue, la contradiction ne saurait constituer, aux yeux de Pascal, un critérium delà vérité. Cf. fr. 260, 261 et 902.

385

Cf. B., 225; C, 271; Bos., II, i et 53; Faug., II, 97; Hav., VI, Go; Mol., I, 168 ; MicH., 592.

2. « La voye de la vérité est une et simple. » (Montaigne, III, I.) « Toute cette justice usuelle et de pratique n'est point vraiment et parfaitement justice, et l'humaine nature n'en est pas capable non plus que de toute autre chose en sa pureté » (Charron, Sagesse, III,

V, 4).

294 PENSEES.

la déshonore et l'anéantit. Rien n'est purement vrai ; et ainsi rien n'est vrai, en' l'entendant du pur vrai. On dira qu'il est vrai que ' l'iiomicide est mauvais ; oui, car nous connaissons bien le mal et le faux'. Mais que dira-t-on qui soit bon.»^^ la chasteté ? ^e dis que non, car le monde finirait. Le mariage ? non : la continence vaut mieux ^ De ne point tuer.^^ non, car les désordres seraient horribles, et" les méchants tueraient tous les bons ^ De tuer? non, car cela détruit la nature. Nous n'avons ni vrai ni bien qu'en partie, et mêlé de mal et de faux*.

1. [Prenant le.]

2. [L'adultère.]

3. « C'est une maladie naturelle à l'homme de croire qu'il possède la vérité directement... au lieu qu'en effet il ne connaît naturellement que le mensonge, et qu'il ne doit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui paraît faux. » Réflexions sur l'Esprit cjéamétrique . Les exemples que cite ici Pascal à l'appui de sa thèse sont empruntés à une conception de la vie morale qui rappelle celle d'Aristote : la vertu est un juste milieu entre des extrêmes qui sont des vices. Seulement Aristote admettait une vertu qui n'était pas susceptible d'excès, et c'était précisément la contemplation de la vérité. Pour un pyrrhonien, cette vertu spéculative est une chimère.

4- « Choisissons la plus nécessaire et plus utile [ac/Jon] de l'immaine société ; ce sera le mariage : si est ce que le conseil des saincts trouve le contraire party plus honneste. » (Mont., III, i.)

5. Cf. au fr. gSi, l'application de cette maxime à la morale relâ- chée des Casuistes.

6. [L'on tuerait.]

7. Réponse anticipée à l'interprétation de l'Evangile fondée sur ce préce[)le : ne résiste pas au méchant, que Tolstoï a rendue célèbre de nos jours.

8. Cf. Montaigne : II, xx. « Nous ne rjoustons rien de pur. La foi- blesse de nostre condition faict que les choses, en leur simplicité et pureté naturelle, ne puissent pas tumber en nostre usage. »

SECTION VI. 293

38i] 386

Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours; et si* un artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui rêverait toutes les nuits, douze heures durant, qu'il serait artisan.

Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis, et agités par ces fan- tômes pénibles', et qu'on passât tous les jours en diverses occupations, comme quand on fait voyage, on souffrirait presque autant que si ' cela était véri- table, et on appréhenderait le dormir, comme on appréhende le réveil quand on craint d'entrer dans de tels malheurs en effet \ Et en effet il ferait '" à peu près les mêmes maux que la réalité.

Mais parce que® les songes sont tous différents, et qu'un môme se diversifie, ce qu'on y voit affecte bien moins que ce qu'on voit en^ veillant, à cause de la continuité, qui n'est pourtant pas si continue et égale qu'elle ne change aussi, mais moins brusque-

386

Cf. B., 4i8; C , 392; P. R., XXI, 17; Bos., I, vi, 20; Faug., II, 10 note; Hav., III, li; Mol., I, 168; Mich., 608.

1. [On.]

2. Et qu'on... voyage en surcharge.

3. [On.]

4. La phrase suivante en surcharge.

5. [Presque.]

6. [Le sommeil change de fantaisie.]

7. [Etfet.]

296 PENSEES.

ment \ si ce n'est rarement, comme quand on voyage ; et alors on dit : Il me semble que je rêve ; car la vie est un songe un peu moins inconstant ^

no] 387

^ [11 se peut faire qu'il y ait de vraies démonstra-

1. Si ce n'est... voyage surcharge.

2. « Ceux qui ont apparié nostre vie à un songe, ont eu de la rai- son, à l'adventure, plus qu'ils ne pensoient. Quand nous songeons, nostre arae vit, agit, exerce toutes ses facultez, ne plus ne moins que quand elle veille ; mais si plus mollement et obscurément, non de tant, certes, que la différence y soit comme de la nuict à une clarté visve; ouy, comme de la nuict à l'umbre : elle dort, icy elle sommeille ; plus et moins, ce sont tousiours ténèbres, et ténèbres cimmeriennes. Nous veillons dormants, et veillants dormons. le ne veois pas si clair dans le sommeil ; mais quant au veiller, ie ne le treuve iamais assez pur et sans nuage : encores le sommeil, en sa profondeur, endort par fois les songes ; mais nostre veiller n'est iamais si esveillé qu'il purge et dissipe bien à poinct les resveries, qui sont les songes des veillants, et pires que songes. Nostre raison et nostre ame recevant les fantaisies et opinions qui luy naissent en dormant, et auctorisant les actions de nos songes de pareille approbation qu'elle faict celles du iour, pour- quoy ne mettons nous en doubte si nostre penser, nostre agir, est pas un aultre songer, et nostre veiller quelque espèce de dormir ? » (Mont. Apol.^ Pour le dogmatisme antique l'objet perçu dans la veille avait une réalité intrinsèque, tandis que l'objet du rêve était imaginaire. Il suffisait au scepticisme de montrer que nous ne pouvons démontrer que nous ne rêvons pas dans notre prétendu état de veille, pour en tirer une conclusion ruineuse pour le dogmatisme. Aussi Descartes se servira-t-il d'un semblable argument pour nier la réalité immédiate du monde extérieur. Mais en même temps la doctrine cartésienne per- mettra de distinguer d'une autre façon la réalité perçue des illusions du rêve : les rêves sont incohérents tandis que l'objet de la pensée normale forme un système cohérent; la réalité, selon la formule de Leibniz, est un ensemble de rêves bien liés, et c'est ce qu'indique déjà Pascal, quoiqu'à vrai dire il insiste surtout sur le côté négatif de la thèse.

387

Cf. B., 326; C, 276; Fai'g., II, 98; Mol., I, 171; Mich., 284.

3. Le fragment est mutilé dans le manuscrit, les premiers mots se trouvent dans la copie seulement.

SECTION VI. 297

tions ; mais cela n'est pas certain. Ainsi, cela ne montre autre chose, sinon qu'il n'est pas certain que tout soit incertain*, à la gloire du pyrrhonisme^]

33] 388

Le bon sens. Ils sont contraints de dire : Vous n'agissez pas de bonne foi ; nous ne dormons pas, etc. Que j'aime à voir cette superbe raison humiliée et suppliante ^' Car ce n'est pas le lan- gage d'un homme à qui on dispute son droit et qui le défend les armes et la force à la main. Il* ne s'amuse pas à dire qu'on n'agit pas de bonne foi, mais il punit cette mauvaise foi par la force.

73] 389

L'Ecclésiaste montre que l'homme sans Dieu est

1. [Tant le pyrrhonisme. [univ... [puissant.]

2. Dans l'Entretien avec M. de Saci, Montaigne est présenté comme le pur pyrrhonien : « Il y détruit insensiblement tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour établir le con- traire avec une certitude de laquelle seule il est ennemi, mais pour faire voir seulement que, les apparences étant égales de part et d'autre, on ne sait asseoir sa créance. » CF. Apol. : «Ils se sont réservé un merveilleux advantage au combat, s'estant deschargez du soin de se cou- vrir : il ne leur importe qu'on les frappe, pourveu qu'ils frappent ; et font leurs besongues de tout. »

388

Cf. B., lit; C, 33; Faug., II, i35; Hav., XXV, 36; Moi., I, 170; MicH., 5o.

3. « Je vous avoue, Monsieur, que je ne puis voir sans joie dans cet auteur la superbe raison si invinciblement froissée par ses propres armes. » (^Entretien avec M. de SacL^

4. [Ne dira pas.]

389

Cf. B., 21; C, /,o; Faug., II, i35; Hav., XXV, 37; Mol., I, iSg ; MicH., 306.

298 PENSÉES.

dans l'ignorance de tout', et dans un malheur iné- vitable ; car c'est être malheureux que de vouloir^ et ne pouvoir. Or il veut être heureux, et assuré de quelque vérité ; et cependant il ne peut ni sa- voir, ni ne désirer point de savoir. Il ne peut même douter.

447] 390

Mon Dieu ! que ce sont de sots discours : Dieu aurait-il fait le monde pour le damner .►^ demanderait- il tant de gens si faibles ? etc. Pyrrhonisme est le remède à ce mal^ et rabattra cette vanité *.

1. Pascal se réfère en particulier au verset 17 du cliap. viii : « Et j'ai compris que l'homme ne peut trouver la raison d'aucun des ouvrages divins qui sont sous le soleil ; et plus il aura travaillé pour trouver, moins il aura trouvé : le sage eiit-il dit qu'il connaît, il ne pourra trouver. »

2. [Sans.]

390

Cf. B., 466; C, 265; Faug., II, 99; Hav., XXV, 34; Mol., I, 3i5 ; MiCH., 780.

3. Pascal vise ici les plus fortes objections qu'on puisse faire, du point de vue rationaliste, au christianisme et surtout au jansénisme. Dieu est-il juste quand il destine tant de créatures à la damnation alors qu'il leur a refusé la force nécessaire au salut ? Mais juger de la justice de Dieu, c'est supposer qu'on possède une définition de la jus- tice absolue ; voilà la vanité que rabat le pyrrhonisme ; le pyrrhonisme empêche l'homme de se soulever contre Dieu.

4- Pascal se souvient de V Apologie de R. Sebond : « Le moyen que ie prends pour rabattre cette frénésie, et qui me semble le plus propre, c'est de froisser et fouler aux pieds l'orgueil et l'humaine fierté ; leur faire sentir l'inanité, la vanité et deneantise de l'homme ; leur arracher des poings les chestives armes de leur raison ; leur faire baisser la teste et mordre la terre soubs l'autorité et révérence de la maiesté divine. » Cf. l'Enlrelicn avec M. de Saci.

SECTION VI. 299

4a3] 391

Conversation. Grands mots : la Religion, je la

nie'.

Conversation. Le p^Trhonisme sert à la Reli- gion ^

197] 392

^Contre le pyrrhonisme . [...C'est donc une chose étrange qu'on ne peut définir ces choses sans les obscurcir \ jNous en parlons en toute sûreté.] Nous supposons que tous les conçoivent de même

391

Cf. B., 369; C, 326; Faug., II, 160; Hav., XXV, Va bis; Mol., I, 174; MicH., 685.

1. Les copies lisent : Grands mots à la religion, je la nie. La lec- ture que nous donnons a été déjà proposée par M. Molinier.

2. Cf. le jugement de Montaigne sur le pyrrhonisme : « Combien, et aux loix de la religion, et aux loix politiques, se trouvent plus dociles, et aysez à mener, les esprits simples et incurieux, que ces esprits surveillants et paidagogues des causes divines et humaines ! Il n'est rien en l'humaine invention il y ayt tant de verisirailitude et d'utilité. » (Apol.J.

392

Cf B., 3; bis ; C, 67 ; P. R., XXXI, 5 ; Bos., II, vi, 21 ; Faug., II, 107; Hav., III, i5; Mol., I, 170; Mich., 427.

3. [Ordre.]

4. [Éclaircir.] «C'est ce que la géométrie enseigne parfaitement. Elle ne définit aucune de ces choses, espace, temps, mouvement, nombre, égalité, ni les semblables qui sont en grand nombre, parce que ces termes-là désignent si naturellement les choses qu'ils signi- fient, à ceux qui entendent la langue, que l'éclaircissement qu'on en voudrait faire apporterait plus d'obscurité que d'instruction. » ÇRé- Jlexions sur l'Esprit géométrique.^

300 PENSEES.

sorte ; mais nous le supposons bien gratuitement, car nous n'en avons aucune preuve. Je vois bien qu'on applique ces mots dans les mêmes occasions, et que toutes les fois* que deux hommes voient un corps changer de place, ils expriment tous deux la vue de ce même objet par le même mot, en disant, l'un et l'autre, qu'il s'est mû; et^ de cette confor- mité d'application on tire une puissante conjecture d'une conformité d'idées : mais cela n'est pas abso- lument convaincant \ de la dernière conviction, quoiqu'il y ait bien à parier pour rafTirmative, puis- qu'on sait' qu'on tire souvent les mêmes consé- quences de suppositions^ différentes".

Cela suffit pour embrouiller au moins la matière, non que cela éteigne absolument la clarté naturelle qui nous assure de ces choses \ les académiciens auraient gagé^; mais cela la ternit, et trouble les

I . [Qu'un corps change] de place [nous disons tous qu'il se remue.] 9. Cette conformité d'application [fournit bien.] 3. De la dernière à puisqu'on sait en surcharge. /(. [Qu'en bonne logique [que des choses vraies et fausses se tirent sou vent les mêmes conséquences.]

5. [Contraires.]

6. Nous ne nous entendons jamais sur les choses, mais sur l'expres- sion des choses ; car les hommes communiquent par le langage, et non directement par la pensée. Or l'expression est un rapport de signe à chose signifiée, et c'est évidemment courir le risque de se tromper que de conclure de l'identité du signe à l'identité de la chose signi- fiée. Un quiproquo peut se prolonger longtemps avant d'être dissipé : il n'est donc pas contradictoire d'imaginer un quiproquo assez bien réglé pour qu'il ne puisse jamais être éclairci, et cela suffit aux scep- tiques.

7. [Mais cela la ternit.]

8. C'est-à-dire auraient parié. Voici comment la Logique de Port- Royal expose la différence des académiciens et des pyrrhoniens : « Les

SECTION VI. 301

dogmatistes, à la gloire de la cabale pyrrlionienne, qui consiste à cette ambiguïté ambiguë, et dans* une certaine obscurité" douteuse, dont nos doutes ne peuvent ôter toute la clarté, ni nos lumières natu- relles en chasser toutes les ténèbres ^

*i57] 393

* C'est une plaisante chose à considérer, de ce qu'iP y a des gens dans le monde qui, ayant renoncé à toutes les lois de Dieu et de la nature, s'en sont fait eux-mêmes auxquelles ils obéissent exactement, comme par exemple les soldats de Mahomet ^ les voleurs, les hérétiques, etc.". Et ainsi les logiciens.

uns se sont contentés de nier la certitude en admettant la vraisem- blance, et ce sont les nouveaux académiciens : les autres, qui sont les pyrrlioniens, ont même nié cette vraisemblance, et ont prétendu que toutes choses étaient é(jalement obscures et incertaines. » (4° partie, cil. i^"".) Cf. Montaigfue, Apologie de R. Sebond.

1. [Vn certain jour sombre.]

2. [Que nos lumières naturelles ne sauraient éclaircir à plein.]

3. Au verso de ce fragment le titre i. La Raison et la fin d'une phrase barrée [d'une chose et [de cette nature. Dieu est le commencement et la fin. Eccl. Eccli.] (Cf. Apocal. XXI, 6, Ego sum A et Cl : inidum et finis') .

393

Cf. B., iio; C, 387; P.R., XXXI, 19; Bos., I, u, 62 ; Hav., VI, ig ; Mol., I, 99; MicH., 38o.

4. Ecrit par Mme Périer.

5. Expression conforme à l'usage du xvn*' siècle : « Ce n'est pas tant la mort qui me trouble que de ce qu'il est ficheux d'être pendu. » (Molière, M. de Pourceaugnac^ III, 2.) Le fragment commençait d'abord par : Il y a des gens.

6. [Etc.]

7. « Le roi Philippus feit un amas des plus meschants hommes et incorrigibles qu'il peut trouver, et les logea tous en une ville qu'il leur feit bastir, qui en portoit le nom : j'estime qu'ils dressèrent, des

302 PENSÉES.

Il semble que leur licence doive être sans aucunes bornes, ni barrières, voyant qu'ils en ont^ franchi tant de si justes et de si saintes.

8] 394

Tous leurs principes sont vrais, des pyrrhoniens, des stoïques, des athées, etc. Mais leurs conclusions sont fausses, parce que les principes opposés sont vrais aussi.

**489] 395

Instinct, Raison'. Nous avons une impuissance de prouver, invincible à tout le dogmatisme. Nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le pyrrhonisme".

vices mesmes, une contexture politique entre eulx, et une commode et iuste société. » (Montaigne. III, iv). « Si j'avais, écrit \ oltaire à d'Alerabert, des citoyens à persuader de la nécessité des lois, je leur ferais voir qu'il y en a partout, même au jeu, qui est un commerce de fripons ; même chez les voleurs. » Les logiciens qui sont assi- milés aux janissaires et aux voleurs, ce sont les sceptiques qui sont des raisonneurs à outrance : seulement s'ils acceptent les lois du raison- nement, c'est provisoirement et afin de montrer que tout raisonnement supposant des principes admis sans démonstration est arbitraire et incertain.

1. [Tant.]

394

Cf. B., 358; C, Si'.; Faug., II, 192; Hav., XXV, 29; Moi., I, 178 Micu., 20.

395

Cf. B., 19G; C, 7; P. R., XXI, 2 ; Bos., II, i, 2; Faug., II, 99; Hav.,

Vlll, g; Mol., I, lOg; Micii., 8G0.

2. Cf. fr. 344 : « Instinct et raison, marques de deux natures. »

3. La première phrase a été écrite, la seconde phrase a été dictée par Pascal.

SECTION VI. 303

273] 396

Deux choses instruisent l'homme de toute sa na- ture : l'instinct et l'expérience '.

i65] 397

La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misé- rable.

C'est donc être misérable que" de [se] connaître misérable ; mais cest être grand que de connaître qu'on est misérable.

394] 398

Toutes ces misères-là mêmes prou vent sa grandeur^ ; ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé '\

396

Cf. B., 67 ; C, 68 ; Bos., I, iv, 10 ; Fauc, I, 22G ; Hav., I, 10 bis; Mol., I, 38; Mice., 5C2.

1. L'instinct semble être l'aspiration au bien, souvenir de notre perfection primitive ; l'expérience est la connaissance de notre misère et de notre chute.

397

Cf. B., 4o; C, 60; P. R., XXIII, 3; Bos., I, iv, 3; Faug., 11,82; Hav., I, 3 ; Mol., I, 71 ; Mich,, 4oo.

2. [D'être] remplacé par de connaître.

398

Cf. B., 4o; C, Go; P. R., XXIII, 3; Bos., I, iv. 3; Faug., II, 82; Hav., I, 3; Mol., 1,71; Mich., G22.

3. [Et toutes ces grandeurs prouvent.]

4. Allusion à Persée, fr. ^09 et 4iO.

304 PENSÉES.

Première copie 2 2 5] 399

On n'est pas misérable sans sentiment : une mai- son ruinée ne l'est pas ; il n'y a que l'homme de mi- sérable : Ego vir videns * .

75] 400

Grandeur de Vhomme. Nous avons une si grande idée de l'ame de l'homme, que nous ne pouvons souffrir" d'en être méprisés, et de n'être pas dans l'es- time d'une ame ; et toute la félicité des hommes con- siste dans cette estime \

439] 401

Gloire. Les bêtes ne s'admirent point. Un che- val n'admire point son compagnon ; ce n'est pas qu'il n'y ait entre eux de l'émulation à la course, mais c'est sans conséquence ; car, étant à l'étable, le plus pesant et plus mal taillé n'en cède pas son avoine à

399

Cf. C, i33; Faug., II, 82; Hat., XXV, 82; Mol., I, 72; Mich., 907.

1. Début du troisième chapitre des Lamentations de Jérémie : Ego vir videns paupertatem meam in virga indignationis ejus. Me minavit, et adduxit in tenebras, et non in lucem.

400

Cf. B., 9- ; C, 9 ; P. R., XXIII, 5 ; Bos., I, iv, 5 ; Faug., II, 80 ; Hav., I, 5; ^IoL.,I, GG;MicH., 312.

2. [D']ètre.

3. Cf. fr. i48.

401

Cf. B.,37/,;C., 33i; P. R., u/<., XXXI, 25 ; Bos.,I,i, i5; Faug,,I,2o4; IIav., Vil, i5; Moi., I, 87; Mien., 70(3.

SECTION VI. 30o

l'aulre, comme les hommes veulent qu'on leur fasse. Leur vertu se satisfait d'elle-même ' .

4o5j 40a

Grandeur de l'homme dans sa concupiscence même, d'en avoir su' tirer un règlement admirable, et d'en avoir fait un tableau de la charité ^

419] 403

Grandeur. Les raisons des effets^ marquent la

1. Cf. fr. 36l et les notes. Port-Royal éclaircit ainsi les deux der- nières lignes: et II n'en est pas de même parmi les hommes; leur vertu ne se satisfait pas d'elle-même ; et ils ne sont point contents, s'ils n'en tirent avantage contre les autres. »

402

Cf. B., 45;C.,65; Faug., I, 220; H.^v., XXIV, 80 ter ; Mol., I, io4 ; MicH., 64 1.

3. [Faire.]

3. Cette pensée de Pascal est longuement et ingénieusement déve- loppée par Nicole, dans un chapitre du Traité de la Grandeur (^Pre- mière partie, ch. vi) : Que la cupidité prend dans le monde la place de la charité pour remplir les besoins des hommes, et que c'est l'ordre poli- tique qui la règle, et qui l'applique au service des hommes. « Quelle charité serait-ce que de bâtir une maison tout entière pour un autre, de la meubler, de la tapisser, de la lui rendre la clé à la main? la cupidité le fera gaîraent... Il a donc fallu un art pour régler la cupi- dité, et cet art consiste dans l'ordre politique, qui la retient par la crainte de la peine, et qui l'applique aux choses qui sont utiles à la société. » Cf. le Traité de la charité et de l'amour -propre.

403

Cf. B., 37 6is; C, 67; Faug., I, 220; H.w., XXIV, 8o6is; Mol., I, ici; MicH., 670.

4. Voir les derniers fragments de la section Y (SaS-SSy) qui définissent le fondement de Vordre politique.

PENSÉES. II 20

30r. PENSEES.

grandeur de l'homme, d'avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre * .

Première copie 355] 404

La plus grande bassesse de l'homme est la recherche de la gloire, mais c'est cela même qui est la plus grande marque de son excellence ; car, quelque pos- session qu'il ait sur la terre, quelque santé et commo- dité essentielle qu'il ait, il n'est pas satisfait, s'il n'est dans l'estime des hommes. Il estime si grande la rai- son de l'homme, que, quelque avantage qu'il ait sur la terre, s'il n'est placé avantageusement aussi dans la raison de l'homme, il n'est pas content. C'est la plus belle place du monde, rien ne le peut détourner de ce désir, et c'est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l'homme.

Et ceux qui méprisent le plus les hommes, et les égalent aux bêtes, encore veulent-ils en être admirés et crus, et se contredisent à eux-mêmes par leur propre sentiment^; leur nature, qui est plus forte

I. Cf. Charron : « Le désir d'honneur et de gloire, et \a queste de l'approbation d'autrui est une passion vicieuse, violente, puissante, de laquelle a été parlé en la passion d'ambition ; mais très utile au public, à contenir les hommes en leur devoir, à les éveiller et échauffer aux telles actions, témoignage de la faiblesse et insuffisance humaine, qui à faute de bonne monnaie emploie la courte et la fausse. » (^Sagesse,

I, LX.)

404

Cf. C, 471 ; P. R., XXIII, 5; Bos., I, iv, 5; Faug., II, 80; Hat., I,

5 bis ; Mol., I, 67 ; Mich., 927.

3. « Veoyons les dernières paroles d'Epicurus, et qu'il dicten mou- rant, elles sont grandes, et dignes d'un tel philosophe, mais si ont elles quelque marque de la recoinmendation de son nom, et de cette humeur qu'il avait descriee par ses préceptes. » (Mont. II, .\vi.)

SECTION YI. 307

que tout ' , les convainquant de la grandeur de l'homme plus fortement que la raison ne les convainc de leur bassesse.

73] 405

Contradiction^. Orgueil, contrepesant ^ toutes les misères: ou il cache ses misères ; ou, s'il les dé- couvre, il se glorifie de les connaître \

Première copie 267] 406

L'orgueil contrepèse et emporte ^ toutes les

1. Nous empruntons la note suivante à M. Droz(^Étade sur le scepti- cisme de Pascal, 1886, p. 211) : « La « nature, qui est plus forte que tout », cela est peut-être emprunté à Grégoire de Nazianee, Second discours sur la paix, p. i : « fj cpû^'.;, r^i oùîiv p'.ato'xEsov. » Grégoire de ISaziance était un des auteurs favoris de M. Hermant, qui en a même traduit quelques ouvrages. »

405

Cf. B., 21; C, Ao; P. R, XXIV, 3; Bos., I, v, 2 ; Faug., II, 89; Hav., II, 2; Mol., I, 9o;MicH., 201.

2. L'emploi de ce verbe est peut-être chez Pascal une réminiscence de ses écrits scientifiques : « Il faudrait toujours un même poids pour contrepeser l'eau. » Equilibre des liqueurs, I.

3. [Désir de vérité, justice.]

4. « O malheur de l'homme, ce qu'il y a de plus épuré, de plus sublime, de plus vrai dans la vertu, devient naturellement la pâture de l'orgueil ! Et à cela quel remède, puisqu'encore on se glorifie du remède même ? En un mot, on se glorifie de tout, puisque même on se glorifie de la connaissance qu'on a de son indigence et de son néant ; et que les retours sur soi-même se multiplient jusqu'à l'infini. » (Bossuet. Traité de la Concupiscence, ch. xxiii.)

406

Cf. C, iyS; Bos., II, svn, 10; Faug., II, 86; Hav., XXIV, 10 bis; Mol., 1, 90; MicH., 984.

5. Contrepeser c'est faire équilibre; emporter c'est déplacer l'équi-

308 PENSÉES.

misères'. Voilà un étrange monstre, et un égarement bien visible : le voilà tombé de sa place, il la cherche avec inquiétude ; c'est ce que tous les hommes font, voyons qui l'aura trouvée.

i4i] 407

Quand la malignité^ a la raison de son côté, elle devient fière, et étale la raison en tout son lustre.

libre, en faisant pencher le plateau de la balance. Cf. Amyot : « Démostliène, l'ayant soupesée, s'esmerveilla du poids qui estoit grand, et demanda combien de poids elle emportoit ; et Harpelus en se riant lui répondit : elle t'emportera vingt talents. » \ie de Démos- thhnej 36, apud Littré.

1. «La presumption est nostre maladie naturelle et originale. La plus calamiteuse et fragile de toutes les créatures, c'est l'homme et quand et quand la plus orgueilleuse. » (Mont., Apol.^ Cf. Char- ron : « Ce sont deux choses que se heurter et empescher, que misère et orgueil, vanité et présomption : voilà une estrangement monstrueuse nature que l'homme. » (^SagessCj I, préface au chap. xxxvi.)

407

Cf. B., 33i; C, 282; P.R., XXIX, 11 ; Bos., I, 11, i5 ; Faug., I, aog ; Hav., VI, 12; Mol., I, 124; MicH., 346.

2. La malignité, c'est d'une façon générale l'esprit mauvais, la nature pervertie par l'égoïsme. Or le fond de cette malignité, c'est l'orgueil ; aussi tout lui est-il occasion d'orgueil, la force d'abord quand la raison est de son côté, et la faiblesse aussi : l'homme qui n'a pas réussi à vaincre la nature, s'en fait un titre de gloire, comme s'il recouvrait par son indépendance, et devenait plus grand en se soustrayant à la loi de Dieu. Cette interprétation serait éclairée par ce passage de Bossuet : « L'orgueil dont nous parions consiste dans une certaine fausse force, qui rend l'âme indocile et fière, et ennemie de toute crainte ; et qui, par un amour excessif de sa liberté, le fait aspirer à une espèce d'indépendance : ce qui est cause qu'elle trouve un certain plaisir particulier à désobéir, et que la défense l'irrite. » (^Traité de la Concupiscence, eh. xiv.)

SECTION VI. 309

Quand l'austérité ou le choix sévère n'a pas réussi au vrai bien, et qu'il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par ce retour.

i34] 408

Le mal est aisé, il y en a une infinité ; le bien presque unique * ; mais un certain genre de mal est aussi difficile à trouver que ce qu'on appelle bien, et souvent on " fait passer pour bien à cette marque ce mal particulier ^ Il faut même une grandeur extraor- dinaire d'âme pour y arriver, aussi bien qu'au bien*.

408

Cf. B., 328; C, 378; Bos., I, II, 64; Faug., I, igS; Hav., VI, Ci; Mot., I, 88; MicH., SSy.

I. [il arrive souvent.] « Les Pytliag'oriciens, dit Montaigne, font le bien certain et finy, le mal infiny et incertain. Mille routes desvoyent du blanc, une y va. » (^Essais, I, ix, cf. Charron, Sagesse, III, IX, 4) Saint-Cyran écrit {Lettres Spirituelles, LVI) : « Il y a mille moyens de nous perdre et il n'y a qu'un pour nous sauver, qui est l'humilité. »

3. [Le.]

3. La fin du fragment en surcharge.

4. Mont. : « Nos forces ne sont plus capables de les ioindre [les anciens] en ces parties vicieuses qu'aux vertueuses ; car les unes et les aultres partent d'une vigueur d'esprit qui estoit sans comparai- son plus grande en eulx qu'en nous : et les âmes, à mesure qu'elles sont moins fortes, elles ont d'autant moins de moyen de faire ny fort bien ny fort mal. » (I, xlix) Et ailleurs: « le veois, non une action, ou trois, ou cent, mais des mœurs, en usage commun et receu, si farouches, en inhumanité surtout et desloyauté, qui est pour moy la pire espèce des vices, que ie n'ay point le courage de les concevoir sans horreur ; et les admire, quasi autant que ie les déteste : l'exercice de ces meschancetez insignes porte marque de vigueur et force d'ame, autant que d'erreur et desreglement. » (III, ix.) Cf. fr. 225.

310 PENSEES.

167] 409

La grandeur de l'homme. La grandeur de l'homme est si visible qu'elle' se tire même de sa misère. Car ce qui est nature aux animaux, nous l'appelons misère en l'homme ^ ; par nous reconnaissons que sa nature étant aujourd'hui pareille à celle des animaux, il est déchu d'une meilleure nature, qui lui était propre autrefois. Car qui se trouve malheureux de n'être pas roi, sinon un roi dépossédé ' ^ Trouvait-on Paul Emile ^ malheureux de n'être plus consul ? Au contraire, tout le monde trouvait qu'il était heureux de l'avoir été, parce que sa condition n'était pas de l'être tou- jours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n'être plus roi, parce que sa condition était de l'être toujours, qu'on trouvait étrange de ce qu'il suppor- tait la vie^ Qui" se trouve malheureux de n'avoir qu'une bouche ? et qui ne se trouvera malheureux de n'avoir qu'un œil.^* On ne s'est peut-être jamais avisé

409

Cf. B., /,o; C, 61; p. R., XXIII, k; Bos., I, iv, 4; Faug., II, 81; Hav., I, /i; Moi., I, 71; MicH., 38i.

1. Est si visible quelle en surcharge.

2. [Ce n'est pas.]

3. [Quand.] à- [Est-il.]

5. Souvenir de Montaigne: <e Paulus iEmilius respondit à celuy que ce misérable roy de INIaeedoine, son prisonnier, lui envoyait pour le prier de ne le mener pas en son triomphe : « Qu'il en face la requeste à soy niesme. » (I, xix.) L'anecdote est empruntée à Cicé- ron (^Tiisculanes, V, 4o) et à Plutarque (Vie de Paul-Emile, ch. xvii.)

6. [Est] n. \Et un.]

SIECTION VI. 311

de' s'affliger de n'avoir pas trois yeux, mais on n'est inconsolable de n'en point avoir ^

83] 410

Persée, roi de Macédoine, Paul Emile. On repro- chait à Persée, de ce qu'il ne se tuait pas.

47] 4"

Malgré la vue de toutes nos misères, qui nous tou- chent, qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève.

1] 412

Guerre intestine de l'homme entre la raison et les passions ^

I. [Se fâcher.]

3. Cf. Spinoza : « Sic etiam videmus qiiod nemo miseretur infantis, propterea quod nescit loqui, ambulare, ratiocinari et quod denique tôt annos quasi sui inscius vivat. At si plerique adulti, et unus aut alter infans nascerentur, tum unumquemque misereret infantum, quia tum ipsam infantiam, non ut rem naturalem et necessariam, sed ut naturae vitium seu peccatum consideraret » (Ethique, Part. \ ,Prop.\l,Scholie^.

410

Cf. B-, 5; C, 17; Faug., I, 235 et II, 82 note; Hav., I, 4 bis; Mot., I, 72 ; MicH., 233.

411

Cf. B., 36i; C, 3i8; P. R., XXIV, 6; Bos., I, v, 4;. Faug., II, 81; Hav., II, 4; Mol., I, 66; Mich., 120.

412

Cf. B., 358; C, 3i5; P. R., IX, 8; Bos., II, ivn, 68; Faug., II, 79; Hav., XXIV, 57; Mol., I, 82; Mich., 2.

3. « De qui pensez-vous, écrit Balzac dans une page célèbre, que soient celles-ci ? ces [paroles] : Nous sommes composés de deu.\ en-

312 PENSÉES.

S'il n'avait que la raison sans passions...

S'il n'avait que les passions sans raison...

Mais ayant l'un et l'autre', il ne peut être sans guerre, ne pouvant avoir paix avec l'un qu'ayant guerre avec l'autre: ainsi "^ il est toujours divisé et contraire à lui-même.

489] 413

Cette guerre intérieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu la paix se sont partagés en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer^ aux passions et devenir dieux ; les autres ont voulu renoncer à la raison et devenir bêtes brutes : Des ^

nemis qui ne s'accordent jamais : la partie sublime de notre âme est toujours en guerre avec la partie inférieure, l'homme est fait d'un Dieu et d'une bête qui sont attachés ensemble. Si vous devinez l'auteur de ces quatre lignes, je vous estimerai aussi grand usage que ceux qui pré- dirent la naissance du roi Sapor. » ^Dissertation au R. P. Domandre, de Saint-Denis^

1. Etre sans guerre, ne pouvant en surcharge dans le manuscrit.

3. M. Micliaut donne aussi.

413

Cf. B., 197 ; C, 8 ; P. R., XXI, 2 ; Bos., II, 1, 2 ; Faug., II, 91 ; Hat., VIll, 8; Mol,, I, 176; Mich., 865.

3. [A la.]

4. Pascal avait d'abord écrit Barreaux, il ajoute le des, ce qui tendrait à prouver que Pascal ne le connaissait qu'indirectement. Tallemant signale des Barreaux allant passer à Saint-Cloud la semaine sainte pour faire, disait-il, son carnaval « avec Miton, grand joueur » et il nous indique ainsi comment le nom de Des Barreaux vient sous la plume de Pascal. Tallemant ajoute : « il prêche l'athéisme partout il se trouve... Bien loin de s'amender en vieillissant (Des Barreaux était en 1602) il fit une chanson il y a :

« Et par ma raison je butte A devenir bête brute. »

SECTION VI. 313

Barreaux. Mais ils ne l'ont pu, ni les uns ni les autres ; et la raison demeure toujours, qui' accuse la bassesse et l'injustice des passions, et qui trouble le repos de ceux qui s'y abandonnent ; et les passions sont toujours vivantes dans ceux qui y veulent re- noncer.

483] 414

Les hommes sont si nécessairement^ fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n'être pas fou\

201] 415

La nature de l'homme se considère en deux ma- nières : l'une selon sa fin\ et alors il est grand et

1. [Trouble le repos de ceux qui s'abandonnent.]

414

Cf. B., 197; C, 9; Bos., snppl., 10; Faug., I, 180; Hat., XXIV, 71 ; Mol., I, 118; MicH., 848.

2. Nécessairement en surcharge.

3. Souvenir de Montaigne : « Il fault avoir un peu de folie, qui ne veult avoir plu.s de sottise, disent et les préceptes de nos maistres, et encores plus leurs exemples » (III, ix) ; et ailleurs: « toute sapience est insipide, qui ne s'accommode à l'insipience commune. » (III, m.) On cite encore ce mot d'Antonio Ferez: Sois plutôt fou avec tous que sag-e tout seul ; si tous sont fous, tu n'y perdras rien ; mais si tu restes sage tout seul, ta sagesse passera pour folie, » qu'on peut rapprocher des maximes de la Rochefoucauld : « C'est une grande folie de vou- loir être sage tout seul » (aSi) et: « Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit » (209).

415

Cf. B., 47; C, 68; Bos., 1, iv, 10; Faug , II, 92; Hav., I, 10; Mol., I, 38; MicH., 442.

4. [L'autre seion.]

nil PENSEES.

incomparable ; l'autre selon la multitude, comme on juge de la nature du cheval et du chien, par la mul- titude', d'y voir la course et animum arcendi^ ; et alors l'homme est abject et vil. Et voilà les deux voies qui en font juger diversement et qui font tant disputer les philosophes.

Car l'un nie la supposition de l'autre ; l'un dit : Il n'est pas à cette fin ; car toutes ses actions^ y ré- pugnent; l'autre dit^: Il s'éloigne de la fin quand il fait ces basses actions.

i6i] 416

A. P. R, Grandeur et misère. La misère^ se concluant de la grandeur, et la grandeur de la misère, les uns ont conclu la misère d'autant plus qu'ils

1. M. Gidel et M. Michaut proposent habitude d'y voir. M. Le Goupils, ancien professeur de rhétorique au lycée de Rouen, m'a donné l'interprétation grammaticale de la phrase. D'y voir la course tombe directement sur on jucje (Cf. Corneille, Cid, III, i :

Je mérite la mort, de mériter sa haine. Et Molière, Sganarelle

J'avais tout cru perdu, de crier de la sorte.) L'opposition de layjn et de la multitude est l'opposition de la nature idéale, conforme à la véritable destinée de l'être, et de la nature réelle, conforme à la valeur effective du plus grand nombre des êtres. Cette dualité de sens se retrouve aujourd'hui dans le mot normal. L'homme normal, c'est tantôt l'homme moyen, et tantôt l'homme qui est exactement ce qu'il devrait être.

2. Animum arcendi semble désigner l'instinct du chien de garde.

3. [S'en éloignent.] l\. [U ne fait pas.]

416

Cf. B., 40; C, (5G; P. R., \XI, /. ; Bos., II, i, /, et 5 ; Faug., II, 83; Hav., VIII, i3; Mol., I, C5 ; Micu., 887.

5. [Tirant.]

SECTION VI. 315

en ont pris pour preuve la grandeur, et les autres concluant la grandeur avec d'autant plus de force qu'ils l'ont conclue de la misère même, tout ce' que les uns ont pu dire pour montrer la grandeur n'a servi que d'un argument aux autres pour conclure la misère ", puisque c'est être d'autant plus misérable qu'on est tombé de plus haut ; et les autres \ au con- traire. Ils se sont portés les uns sur les autres par un cercle sans fin : étant certain qu'à mesure que les hommes ont de lumière, ils trouvent et grandeur et misère en l'homme. En un mot, Ihomme connaît qu'il est misérable : il est donc misérable, puisqu'il l'est ; mais il est bien grand \ puisqu'il le connaît.

47] 417

Cette duplicité ' de l'homme est si visible, qu'il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes. Un

1. [Qu'ils ont.]

2. « Il est bien vraiment misérable. Mais ce qui r'engrège encore son mal et enchérit sa misère, c'est qu'il est tout plein du désir du contraire : car il désire tant qu'il peut son bien aise, la béatitude, l'immortalité, ce désir lui être planté au cœur, de nature même, dont il ne peut se défaire. » (Cliarron, Discours I de la Rédemption du monde.)

3. [Se servant des premiers.] 4- [De connaître.]

417

Cf. B., 36o;C., 817; P. R., III, i3; Bos., II, v, 5;Faug., II, 81; Hav., XII, 8; Mol., I, a84; Mich., 122.

5. Duplicité est pris au sens propre ; formé de deux natures. Cf. Âmyot : « Toutefois qu'il y ait encore quelque duplicité et meslange en l'âme mesnie, et quelque diversité de nature et différence entre la partie raisonnable et l'irraisonnable. » De la vertu morale, apud Littré. Dans l'examen de Cinna, Corneille parle de la « duplicité de lieu ».

316 PENSEES.

sujet simple leur paraissait incapable de telles et si soudaines variétés d'une présomption démesurée à un horrible abattement de cœur * .

335] 418

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur". Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur^ sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre. Mais il est très avantageux de lui représenter l'un et l'autre.

* Il ne faut pas que l'homme croie qu'il est égal aux bêtes, ni*^ aux anges, ni qu'il ignore l'un et l'autre, mais qu'il sache l'un et l'autre ^

I. « Cette variation et contradiction qui se veoid en nous, si sou- ple, a faict que aulcuns nous songent deux âmes, d'aultres deux puis- sances, qui nous accompaignent et ag-itent chascune à sa mode, vers le bien l'une, l'aultre vers le mal ; une si brusque diversité ne se pouvant bien assortir à un subiect simple. » (^Essais, liv. II, ch. i.) Un philosophe matérialiste du xviii" siècle, La Mettrie, après avoir rapporté la légende sur le vertige de Pascal (l'hallucination constante d'un abîme à gauche), ajoute : « Grand homme d'un côté, il était à moitié fou de l'autre. La sagesse avait chacun leur département ou leur Lobe séparé par la faux. De quel côté tenait-il si fort attaché à MM. de Port-Royal ? » (^L'homme-machine .')

418

Cf. B., 45; C.,65; P. R., XXIII, 7;Bos., 1, iv, 7; Faug.,11,85; Hat., 1, 7; Mol., I, 68; Mich., 607.

3. Sans... grandeur, en surcharge.

3. [Mais il ne peut être.]

4. Ce second paragraphe est une addition, ou une variante, donnée par les copies.

5. La seconde copie corrige : qu'il croie qu'il est érjal aux anges.

G. Cf. Bossuet : « Il ne faut pas permettre à l'homme de se mé-

SECTION VI. 317

*444] 419

Je ne souffrirai* point qu'il se repose en l'un, ni en l'autre, afin qu'étant sans assiette et sans repos...

*442] 420

S'il se vante, je l'abaisse ; s'il s'abaisse, je le vante ; et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible ^

487] 421

Je blâme également, et ceux qui prennent parti

priser tout entier, de peur que, croyant avec les impies que notre vie n'est qu'un jeu règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs... Tout est vain en l'homme, si nous regardons ce qu'il donne au monde ; mais, au contraire, tout est important si nous considérons ce qu'il doit à Dieu. Encore une fois tout est vain, si nous regardons le cours de sa vie mortelle ; mais tout est précieux, si nous contemplons le terme elle aboutit. » (^Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre.^

419

Cf, B., 254; C, 470; Faug., Il, 96; Moi., I, 70; Mich., 774.

1. [Pas.]

420

Cf. B., 48; C.,68; P. R., XXI, 4; Bos., II, i, 4; Faug., II, 89; Hav., VIII, i4; Moi., I, 70; Mich., 760.

2. Cf. Bossuet. : « O mort I nous te rendons grâces des lumières que tu répands sur notre ignorance ! Toi seule nous convaincs de notre bassesse, toi seule nous fais connaître notre dignité. Si l'homme s'estime trop, tu sais déprimer son orgueil ; si l'homme se méprise trop, tu sais relever son courage ; et pour réduire toutes ses pensées à un juste tempérament, tu lui apprends ces deux vérités... » {Sermon sur la mort, 1662.)

421

Cf. B., 19G; G., 7; Bos., I, IV, 9; Faug., II, 19; lUv., I, 9; Mol., I,

74; Micu., 8G0.

318 PENSÉES.

de louer l'homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir ; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant.

63] 422

Il est bon d'être lassé et fatigué par l'inutile recherche du vrai bien, afm de tendre les bras au Libérateur ' .

Première Copie 45] 423

Contrariétés. Après avoir montré la bassesse et la grandeur de l'homme. Que l'homme maintenant s'estime son prix ; qu'il s'aime, car il y a en lui une nature capable de bien ; mais qu'il n'aime pas pour cela les bassesses qui y sont. Qu'il se méprise, parce que cette capacité est vide ; mais qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu'il se haïsse, qu'il s'aime : il a en lui la capacité de connaître la vérité et d'être heureux ; mais il n'a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante.

Je voudrais donc porter l'homme à désirer d'en

422

Cf. B., 3Gi; G., 3i8; Faug., II, 9G ; Hav., XXV, 33 bis; Mol., I, 17/i ;

MlCH., 1G8.

I. Cf. fr. i84 : « Lettre pour porter à rechercher Dieu. Et puis le faire chercher chez les philosophes, pyrrhoniens et dog'raatistes, qui travaillent celui qui les recherche. » Et fr. 787 : « Ainsi je tends les bras à mon Libérateur. »

423

Cf. C, 05; P. R., XXIII, 8; Bos., I, i^ S; Faug., II, 90; Hav., I, S;

Mol., I, 73.

SECTION VI. 319

trouver, à être prêt, et dégagé de passions, pour la suivre il la trouvera, sachant combien sa con- naissance s'est obscurcie par les passions ; je vou- drais bien qu'il haït en soi la concupiscence qui le détermine d'elle-même, afin qu'elle ne l'aveuglât point pour faire son choix, et qu'elle ne l'arrêtât point quand il aura choisi.

487] 424

Toutes ces contrariétés, qui semblaient le plus m'éloigner de la connaissance, delà' religion, est ce qu'il m'a"' le plus tôt conduit à la véritable.

424

Cf. B., 196; C, 7; P. R., III, li; Bos., II, iv, 5; Falg., II, 1^6; Hav., XII, 9; Mol., I, 285; Mich., 861.

1. [Vraie.]

2. [Y.]

SECTION VII

377] 425

Seconde partie. Que l'homme sans la foi ne peut^ connaître' le vrai bien, ni la justice. Tous les hommes recherchent d'être heureux; cela est sans exception; quelques différents moyens qu'ils y em- ploient, ils tendent tous à ce but^. Ce qui* fait que

425

Cf. B., 65; C, 91; P. R., XXI, i et III, 7; Bos., II, i, i et II, v. 3; Faug., II, 121; Hav., VIII, 2; Mot., I, i43; Mich., 6o5.

1. [Ni.]

2. [m.]

3. C'est l'opinion commune de Jansénius et de Montaigne : « Veris- sima est illa sententia beatam vitani omnes velle. » (^Aucjustimis , De Statu purse naturœ, liv. II, ch. 7) « Toutes les opinions du monde en sont là, que le plaisir est nostre but ; quoiqu'elles en prennent divers moyens ; aultrement on les chasseroit d'arrivée ; car qui escouteroit celuy qui, pour sa fin, establiroit nostre peine et mesaise ?.. Quoy qu'ils dient, en la vertu mesme, le dernier but de nostre visée, c'est la volupté. » (Essais, I, 19). Méré dit de même que « chacun veut être heureux. » (Disc, de la Conversation, p. i5.)

4- [OiJige] les uns [d'aller.]

PENSÉES. II 21

32â PENSÉES.

les uns vont à la guerre, et que les autres n'y vont pas, est ce même désir, qui est dans tous les deux, accompagné de difTérentcs vues^ La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hom- mes, jusqu'à ceux qui vont se pendre.

Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point tous visent continuellement. Tous se plaignent^ : princes, sujets; nobles, roturiers; vieux, jeunes; forts, faibles; savants, ignorants; sains, malades'; de tous pays, de tous ^ les temps, de tous âges et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle et si uni- forme ^ devrait bien'^ nous convaincre de notre im- puissance d'arriver au bien par nos efforts \ Mais l'exemple nous instruit peu : il n'est jamais si* par- faitement semblable, qu'il n'y ait quelque' délicate différence ; et c'est de que nous attendons que

1 . [je n'écris ces lignes et on ne les lit que parce que je me procure plus [on y trouve plus de satisfaction qu'à [on ne],

2. Tous se plaignent en surcharge. Cf. du Vair: « La voix commune de tous les hommes qui vivent, n'est-ce pas une plainte continuelle de leur misère et infortune?» (^La Sainte Philosopliicj éd. i6o3, p. i3.)

3. [vicieux, vertueux ; fous, sages, bons.] 4- [Ages.]

5. [De l'impuissance des hommes.]

6. Bien en surcharjje.

•y. [Mais quand vient l'occasion dont nous l'attendons à présent, qui bien que très conforme à cette autre qui n'a point satisfait celui à qui elle a réussi à son gré.]

8. [Exactement.]

9. [Petite.]

SECTION VII. 323

notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme' en l'autre'. Et ainsi ^ le présent ne nous satisfaisant jamais, l'expérience* nous pipe, et de malheur en malheur, nous mène jusqu'à la mort, qui en est un comble éternel.

Qu'est-ce donc que nous crie cette ^ avidité et cette impuissance, sinon qu'il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu'il essaye ® inutilement de remplir de tout ce qui l'environne, recherchant des choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infmi ne peut être rempli que par un objet' infini et immuable, c'est-à- dire que par Dieu même.^^

1. [Elle l'a été dans.]

2. « Nous prenons toujours de nouveaux desseins, espérant que les derniers réussiront mieux ; et partout notre espérance est frustrée. » Bossuet. Sermon sur la loi de Dieu.

3. [L'expérience.]

4- Port-Royal, suivi par Havet, a substitué à expérience espé- rance, qui peut sembler au premier abord plus naturel et mieux attendu. Cependant si on réfléchit, c'est bien expérience qui est la véritable leçon. Elle est d'ailleurs deux fois dans le manuscrit, et la correction doit être écartée. Pascal veut dire en effet que l'expérience, ou l'épreuve, qui devrait nous convaincre, nous trompe parce que nous l'interprétons toujours de manière à y trouver quelque motif d'espérer mieux à l'avenir. Et ainsi nous sommes à la fois et malheu- reux dans le présent et incapables de tirer profit de notre expérience : « La raison, dit Montaigne, a tant de formes que nous ne scavons à laquelle nous prendre : l'expérience n'en a pas moins ; la conséquence que nous voulons tirer de la conférence des événements est mal seure, d'autant qu'ils sont tousiours dissemblables. » (III, i3.)

5. [impuissance.]

6. A la page 878 du manuscrit.

7. [Éternel et.]

324 PENSÉES.

^ Lui seul est son véritable bien^ et depuis qu'il l'a^ quitté c'est une chose étrange, qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait été capable de lui en tenir la place : astres, ciel, terre*, éléments ^ plantes, choux, poireaux ^ animaux \ insectes, veaux, serpents, fiè- vre*, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste^

1 . [C'est le.]

2. [Mais.]

3. [Perdu.]

A. Cf. Montaigne, Apologie, et en particulier ce qu'il dit de Platon : « Ailleurs, en ces mesmes livres, il faict le monde, le ciel, les astres, la terre, et nos âmes, dieux. »

5. D'après Grotius. De Verit. Rcl. Chr., IV, 5 : « Vetustiorfuitcultus astrorum et qiiœ elementa dicimus, ignis, aqu3S, aëris, terrœ. »

6. D'après Juvénal (xx, g) :

Porrum et cèpe nefas violare et frengere morsu. O sanctas gentes quibus haec nascuntur in hortis Numina !

7. [Bœufs,] Cf. Montaigne : « J'eusse encores plustot suyvi ceulx qui adoroient le serpent, le chien et le bœuf » (Apol.^ ; et aussi Grotius, t6id., IV, 6.

8. Le culte de la fièvre est cité par Montaigne (Apologie')^ et par Grotius (IV, 7) qui renvoie en note à Gicéron, de Legibus, 11 : Nam sseva illa Febrim, Impudentiain et similia omitlam. Pascal avait égale- ment lu dans les Entretiens d'Epictète ce fragment de dialogue : « J'oubliais qu'il faut te rendre hommage comme à la fièvre et à la bile, comme à Rome on a élevé un autel à la fièvre. » (I, xix.)

9. Voir Grotius, IV, 3. Cf. Corneille, Polyeucte, V, 3 :

Des crimes les plus noirs vous souillez tous vos dieux ;

Vous n'en punissez point qui n'ait son maître aux cieux ;

La prostitution, l'adultère et l'inceste,

Le vol, l'assassinat, et tout ce qu'on déteste.

C'est l'exemple qu'à suivre offrent vos immortels. On connaît enfin le développement de Bossuet : « On adorait jus- qu'aux bptes et jusqu'aux reptiles. Tout était Dieu, excepté Dieu même, et le monde que Dieu avait fait pour manifester sa puissance semblait être devenu un temple d'idoles. Le genre humain s'égara jusqu'à adorer ses vices et ses passions ; et il ne faut pas s'en étonner. Il n'y avait point de puissance plus inévitable ni plus tyrannique que la leur. » (^Discours sur l'Histoire universelle, II« partie, ch. m).

SECTION Vil. 3"2o

Et depuis qu'il a perdu le vrai' bien, tout' égale- ment peut lui paraître teP, jusqu'à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble \

Les uns le cherchent dans^ l'autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés '. D'autres, qui en ont en effet plus approché, ont considéré qu'il est nécessaire que le bien universel, que tous les hommes désirent, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peu- vent être possédées que par un seul, et qui, étant partagées, aflligentplus leur possesseur, par le manque de la partie qu'[i/] n'[a]^ pas, qu'elles ne le contentent par la jouissance de celle* qu'elles lui apportent \ Ils ont compris que le vrai bien devait être tel que tous pussent le posséder à la fois, sans diminution et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré'". Et leur raison est que" ce désir étant naturel

1. \ rai surcharge.

2. [Lui en peut]

3. [Que trouble, paix ; richesse, pauvreté ; science, ignorance ; oisiveté, travail ; estime, obscurité].

4. [Aussi 2a vérité [Toutes les choses [Tous les sujets ils recher- chent leur bien sont aussi bien contre les principes de la raison même, car il est bien évident que.]

5. [La grandeur, dans.]

6. [Suivant l'un des trois principes de la corruption ou deux à la lois ou tous trois ensemble.] Cf. fr. 78.

7. Ils n'ont pas dans le manuscrit.

8. [Avec ce défaut.]

9. Leoon, d'ailleurs plausible, des Copies et des éditeurs : qui lui appartient.

10. C'est une qualité essentielle du souverain bien, dit Pascal dans son écrit sur la Conversion du pécheur « qu'il ne puisse lui être ôté sans son consentement ».

1 1 . [Peut être dans les.]

326 PENSEES.

à riiommc, puisqu'il est nécessairement dans tous, et qu'il ne peut pas ne le pas avoir' ; ils en con- cluent ^..

Première Copie igS] 426

La vraie nature étant perdue, tout devient sa na- ture; comme, le véritable bien étant perdu, tout de- vient son véritable bien.

465] 427

L'homme ne sait^ à quel rang se mettre; il est visiblement égaré, et tombé de son vrai lieu sans le pouvoir retrouver; il le cherche partout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impé- nétrables.

*444] 428

Si c'est une marque de faiblesse, de prouver* Dieu

I. [La nature n'aurait pas donné ce désir à l'homme.] 3. [U est certain.]

426

Cf. C.,5; Faug., II, i3i; Hat., XXV, 8/,; Mol., I, 08; Micu., 897.

427

Cf. B., 195; C, 6; P. R., XXI, 4; Bos., II, 1, /i ; Faug., II, 87; Hav , VIII, 12; Mol , I, G6; Mich., 82/1.

3. [où] se mettre [ni à quel]

428

Cf. B., 354; C, 471; Bos., II, m, 3; Faut.., II, iiG; IIav., X, 7; Mol., 1, 3i4 ; Mich., 77G.

4. [Cela.]

SECTION VII. 327

par la nature, n'en méprisez point l'Écriture'; si c'est une marque de force davoir connu ces contra- riétés, estimez-en l'Ecriture ^

33] 429

^Bassesse de l'homme, jusques * à se soumettre aux bêtes, jusques à les adorer ^

317] 430

A. P. R. '' (Commencement, après avoir expliqué ï incompréhensihilitéy . Les grandeurs et les mi- sères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous en- seigne et qu'il y a quelque grand principe de gran-

I. Cf. fr. 242 et 344- 3. Cf. fr. 434 et 43o.

42g

Cf. B., i5;C., 33; Faug, II, 89 ; Hav., XXV, 28; Mol., I, 67; Mien., 49.

3. Titre donné par les Copies: Misère.

4. [Avoir.]

5. Grotius, \. R. C, I\, 6; Ilhid vero indignissiniain quod et ad bcsliarum cultiiin delapsi sunt homines, .'Egyptii prxsertim.

430

Cf. B., G9 et 121 ; C, c)5 et 1^7 ; P. R., III, i, 2, 3, 10, 11, i3 ; XVIII, 'i ; IV, i; XXVIII, 66; Bos, II, T, I, 2,5, 12; 11, XVII, 60; II, siii, I ; Faug., II, i52 ; II, 1^7 ; Hat., XII, i, 2, 3, 4, 5, 30 ; XX, I ; Mol , 1, 27! ; 1, 285 ; I, 278 ; 1, 3i6 ; Mich., 147. .

6. A Port-Royal, comme au fr. 4i6; vraisemblablement ces lettres indiquent les notes rédijjées en vue de la conférence Pascal expose le plan de son ouvra^je (Cf. Piec. justif., p. clxx.vii et cxcix.) Cette indication se trouve répétée deux fois, à la page 32 1 et à la page 57 du manuscrit, ce qui permet de rétablir l'unité du fragment.

7. Renvoi au fr. 4iC, qui lui aussi est précédé du signe A. P. R.

328 PENSEES.

deur en l'homme, et qu'il y a un grand principe de misère. 11 faut donc' qu'elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés.

Il faut que, pour rendre l'homme heureux, elle lui' montre qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé de l'aimer ; que notre vraie félicité est d'être en lui, et notre unique mal d'être séparé de lui ; qu'elle recon- naisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l'aimer ; et qu'ainsi nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et nos concupiscences nous en détournant, nous sommes pleins d'injustice. Il faut qu'elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu'elle nous enseigne les remèdes à nos impuissances, et les moyens d'obtenir ces re- mèdes ^ Qu'on examine sur cela toutes les religions* du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.

Sera-ce les philosophes, qui nous proposent pour tout bien les biens qui sont en nous ? Est-ce le vrai bien.^' ont-ils trouvé le remède à nos maux.!^ est-ce avoir guéri la présomption de l'homme que de l'avoir mis à l'égal de Dieu^? Ceux qui nous ont égalés

1. Donc en surcharge.

2. [Apprenne.]

3. [U faut [et c'est.] Ix. [Et les sectes.]

5. [Est-ce apporter.]

6. Montaigne rapporte clans IMpo/of/fV « ce sot tiltre qu'Aristote nous preste « de dieux mortels » [Cic, de Fin., II, lo], et ce iugement deChrysippus », que « Dion estoit aussi vertueux que Dieu » [Plut., de coinni. nolit., xxx] ; « et mon Seneca recognoist, dict-il, que Dieu

SECTION Vil. 329

aux bêtes, et' les mahométans qui nous ont donné les plaisirs de la terre pour tout bien, même dans l'éternité, ont-ils apporté le remède à nos concu- piscences"? Quelle religion nous enseignera donc à guérir ' l'orgueil et la concupiscence ? Quelle religion enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses, les remèdes qui les peuvent guérir, et le moyen d'obtenir ces remèdes ?

Toutes les autres religions ne l'ont pu. Voyons ce que fera la^ Sagesse de Dieu :

N'attendez pas, dit-elle ^ ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formés, et qui puis seule vous apprendre qui vous êtes. Mais vous

luy a donné le vivre, mais qu'il a de soy le bien vivre... que le sage a la fortitude pareille à Dieu, mais en l'humaine foiblesse, par il le surmonte. Il n'est rien si ordinaire que de rencontrer des traicts de pareille témérité : il n'y a aulcun de nous qui s'ofFense tant de se veoir apparier à Dieu, comme il faict de se veoir déprimer au reng des aultres animaulx. » Cf. Jansénius, de Hœresl Pelagiana, lib. V, cap. 1 et 2.

1 . [Nous ont déclarés incapables de toute comparaison [communication divine.]

2. « C'est pourquoi les sages du monde, voyant l'homme d'un côté si grand, de l'autre si méprisable, n'ont su ni que penser ni que dire d'une si étrange composition. Demandez aux philosophes pro- fanes ce que c'est que l'homme ; les uns en feront un Dieu ; les autres en feront un rien ; les uns diront que la nature le chérit comme une mère et qu'elle en fait ses délices ; les autres, qu'elle l'expose comme une marâtre, et qu'elle eu fait son rebut. Et un troisième parti, ne sachant plus que deviner touchant la cause de ce grand mélange, répondra qu'elle s'est jouée en unissant deux pièces qui n'ont nul rapport, et ainsi que par une espèce de caprice, elle a formé ce pro- dige qu'on appelle l'homme. » (Bossuet, Sermon sur la mort, 1662).

3. [JVotre] orgueil et [notre] concupiscence.

4. [Notre.]

5. [0 hommes.]

330 PENSEES.

n'êtes plus' maintenant en l'état je vous ai for- més". J'ai créé l'homme saint, innocent, parfait; je l'ai rempli de lumière et d'intelligence; je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L'œil de riiomme voyait alors la majesté de Dieu^ Il n'était pas alors dans les ténèbres qui l'aveuglent, ni dtms la mortalité et dans les misères qui l'affligent \ Mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption ; il a voulu se rendre centre de lui-même, et indépendant de mon secours^; il s'est soustrait de ma domination ; et, s'égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même, je l'ai abandonné à lui; et, révoltant les créatures, qui lui étaient sou- mises^ je les lui ai rendues ennemies : en sorte qu'au- jourd'hui l'homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi, qu'à peine lui restc-t-il une lumière confuse de son auteur : tant toutes ses connaissances ont été éteintes ou troublées !

1. Maiiilcnant en surchargée.

2. ]Je vous ai créés saints.]

3. [Mais il n'a pu supporter.]

4. A la page 3i8 du manuscrit.

5. « Il y a un désir d'indépendance gfravé dans le fond de l'âme, et caché dans les replis les plus cachés de la volonté, par lequel elle se plaît à n'être qu'à soit, et à n'être point soumise à un autre, non pas même à Dieu. Si nous n'avions point cette inclination, nous n'aurions point de difficulté à remplir ses commandements ; l'homme eût rejeté sans peine ce désir d'indépendance lorsqu'il le conçut pour la pre- mière fois : étant visible qu'il n'a désiré autre chose dans son péché, sinon de n'être plus dominé de personne, puisque la seule défense de Dieu qui avait la domination sur lui, devait l'empêcher de commettre le crime qu'il a commis. » Disc, de la Réformalion de l'homme intérieur par Jansénius. (Trad. Arnauld d'Andilly. partie, de l'orgueil.)

6. [Elles se.]

SECTION VII. 331

Les sens, indépendants de la raison, et souvent maî- tres de la raison, l'ont emporté à la recherche des plaisirs. Toutes les créatures ou l'aflligent ou le ten- tent, et dominent sur lui, ou^ en le soumettant par leur force, ou en le charmant par leur douceur, ce qui est une domination plus terrible et plus impérieuse".

Voilà l'état les hommes sont aujourd'hui. Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence, qui est devenue leur seconde nature.

De* ce principe que je vous ouvre, vous pouvez reconnaître la cause de tant de contrariétés qui ont étonné tous les hommes, et qui les ont partagés en^ de si divers sentiments. " Observez maintenant tous les mouvements de grandeur et de ^ gloire que l'épreuve de tant de misères ne peut étouffer, et voyez ' s'il ne faut pas que la cause en soit en une autre nature ^

I. [Ou par leur force ou par.]

3. Sur la tyrannie de la douceur, cf. fr. l5.

3. [Cette loi.]

4- [Tant de divisions.]

5. [Suivez.]

6. [Bien.]

■j. [Si on peut.]

8. Ce sont les termes mêmes que Pascal employait dans l'Entretien avec M. de Saci pour parler de la vérité de l'Evangile : « C'est elle qui accorde les contrariétés par un art tout divin, et, unissant tout ce qui est de vrai et chassant tout ce qui est de faux, elle en fait une sagesse véritablement céleste s'accordent ces opposés, qui étaient incompatibles dans ces doctrines humaines. Et la raison en est que ces sages du monde placent les contraires dans un même sujet ; car l'un attribuait la grandeur à la nature et l'autre la faiblesse à cette même

332 PENSÉES.

^ A. P. R. pour demain {Prosopopée). C'est en vain, ô hommes, que vous cherchez dans vous- mêmes le remède à vos misères". Toutes vos lu- mières ne peuvent arriver qu'à connaître que ce n'est point dans vous-mêmes que vous trouverez ni la vé- rité ni le bien. Les philosophes vous l'ont promis, et ils n'ont pu le faire. Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est [votre véritable état]^ Comment auraient-ils donné des remèdes à vos maux, qu'ils n'ont pas seulement connus ") Vos maladies principales sont l'orgueil*, qui vous soustrait de' Dieu, la concupiscence qui vous attache à la terre% et ils n'ont fait autre chose qu'entretenir au moins l'une de ces maladies. S'ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n'a été que pour exercer votre superbe :

nature, ce qui ne pouvait subsister ; au lieu que la foi nous apprend à les mettre en des sujets différents : tout ce qu'il y a d'infirme appar- tenant à la nature, tout ce qu'il y a de puissant appartenant à la grâce. \ oilà l'union étonnante et nouvelle que Dieu seul pouvait enseigner et que lui seul pouvait faire, et qui n'est qu'une image et qu'un effet de l'union ineffable de deux natures dans la seule personne d'un Homme-Dieu. »

1. A la page 821 du manuscrit.

2. [vous n'y trouverez que cette vérité ne peut vous [doit vous servir.]

3. [Je suis la seule qui peux vous apprendre ces choses, et quel est votre véritable bien, et je les enseigne à ceux qui m'écoutent. Les livres que j'ai mis entre les mains des hommes les découvrent bien nettement, mais je n'ai pas voulu que cette connaissance tût si ouverte. J'apprends aux hommes ce qui les peut rendre heureux. Pourquoi refusez-vous de m'ouïr? Ne cherchez pas de satisfaction dans la terre, n'espérez rien des hommes ; votre bien n'est qu'e Dieu, et la souveraine félicité consiste à connaître Dieu, à s'unir à lui pour jamais dans l'éternité. Votre devoir est de l'aimer de tout votre cœur. Il vous a créés...]

4- [Et la concupiscence.]

5. [La basse dépendance de la.]

6. [Or les remèdes aux maux l'orgueil sont l'humilité et.]

SECTION YIl. 333

ils VOUS ont fait penser que vous lui étiez semblables et conformes par votre nature. Et ceux qui ont* vu la vanité de cette prétention vous ont jetés dans l'autre précipice ", en vous faisant entendre que votre nature était pareille à celle des betes^ et vous ont portés à chercher votre bien dans les concupiscences qui sont le partage des animaux. Ce n'est pas le moyen de vous guérir de vos injustices \ que ces sages n'ont point connues. Je puis seule vous faire entendre qui vous êtes, à... ^

Adam, Jésus-Christ ^

Si on vous unit à Dieu, c'est par grâce, non par nature. Si on vous abaisse, c'est par pénitence, non par nature.

Ainsi cette double capacité...

Vous n'êtes pas dans l'état de votre création.

Ces deux états étant ouverts, il est impossible que vous ne les reconnaissiez pas. Suivez vos mouvements, observez-vous vous-mêmes, et voyez si vous n'y trou- verez pas les caractères vivants de ces deux natures.

1. A la page 333 du manuscrit.

2. Le premier précipice est celui que Jansénius décrivait en des termes dont Pascal paraît bien se souvenir : « Amisso pondère humi- litatis quo humana infirmitas deorsum premitur, in altissima quœque praecipitia vente vanitatis abreptus est. » (De Hœresi Pelagiana, YI,

XIX.)

3. [Les uns vous ont égalé à Dieu, et par nature, les autres vous ont assi- milé aux bêtes par nature et.]

4. [Vous deviez bien... moi seule puis vous annoncer [apprendre que vous [qu'on ne.]

5. En marge les mots suivants qui ont été rayés : [Je ne demande pas de vous une créance aveugie.]

6. Cf. fr. 033.

334 PENSÉES.

Tant de contradictions se trouveraient-elles dans un sujet simple?

Incompréhensible. Tout ce qui est incom- préhensible ne laisse pas d'être* : Le nombre infini. Un espace infini, égal au fini".

Incroyable que Dieu s'unisse à nous. Cette considération n'est tirée que de la vue de notre bassesse. Mais si vous lavez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi, et reconnaissez que nous sommes en eflet si bas, que nous sommes par nous-mêmes incapables de ^ connaître si ^ sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je vou- drais savoir d'où " cet animal, qui se reconnaît si fai- ble, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il® sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sait pas ce

1. Ct-'. 43o bis et fr. 233. La Logique de Porl-Royal reprend !a thèse de Pascal : « Il faut remarquer qu'il y a des choses qui sont incompréhensibles dans leur manière, et qui sont certaines dans leur existence. On ne peut concevoir comment elles peuvent être, et il est certain néanmoins qu'elles sont. » (IV, i.)

2. L'emploi du nombre infini et l'ég'alité de l'infini au fini sont des allusions à la Géométrie des indivisibles de Cavelieri et de Roberval, qui conçoit une figure finie comme la somme d'une infinité d'éléments. Par exemple Pascal définit la somme des ordonnées comme «la somme d'un nombre indéfini de rectangles faits de chaque ordonnée avec chacune des petites portions égales du diamètre, dont la somme est certainement un plan, qui ne diffère de l'espace du demi-cercle que d'une quantité moindre qu'aucune donnée. » Cf. La Logique de Port-Royal, IV, i : « C'est par cette diminution infinie de l'étendue qu'on peut prouver ces problèmes qui semblent impossibles dans les termes : trouver un espace infini égal h un espace fini, etc. »

3. A la page 325 du manuscrit.

4. [iVous sommes incapables de Dieu.]

5. [L'on prend l'assurance.]

6. [iVe] sait ce qu'il est lui-même.

SECTION VII. 33S

qu'il est lui-même ; et, tout troublé delà vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de ' sa communication.

Mais je voudrais lui demander " si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime en le connais- sant ; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se ren- dre connaissable et aimable à lui, puisqu'il est natu- rellement capable d'amour et de connaissance. Il est sans doute qu'il connaît au moins qu'il est, et qu'il aime ^ quelque chose. Donc, s'il voit quelque chose dans les ténèbres oii il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelque rayon de son essence, ne sera-t-il pas capable de" le connaître et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira se communiquer à nous ? Il y a donc sans doute une présomption insupporta- ble dans ces sortes de raisonnements, quoiqu'ils pa- raissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confes- ser que, ne sachant" de nous-mêmes qui nous som- mes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu.

Je n'entends pas que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends pas vous assujettir avec tyrannie; je ne prétends pas aussi

1. [S'unir à lui.]

2. [S'iJ n'est pas] capable d'amour et de connaissance. La seconde rédaction en surcharge.

3. [Des] choses si peu aimables, pourquoi il ne pourra pas connaître Dieu qui est le.]

4. [Aimer.]

5. [Rien] de nous-mêmes, nous ne pouvons.

336 PENSÉES.

VOUS rendre raison de toutes choses. Et pour accor- der ces contrariétés, j'entends vous faire voir claire- ment, par des preuves convaincantes, des marques divines en moi, qui vous convainquent de ce que je suis', et m'attirent autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser ; et qu'ensuite vous croyiez sans "... les choses que je vous enseigne, quand vous n'y trouverez autre sujet de les refuser, sinon que vous ne pouvez par vous-mêmes connaître si elles sont ou non.

^ Dieu ' a voulu racheter les hommes, et ^ ouvrir le salut à ceux qui le cherchaient ^ ; mais les hommes s'en rendent si indignes '' qu'il est juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause de leur endur- cissement, ce qu'il accorde aux autres par une misé- ricorde qui ne leur est pas due\ S'il eût voulu sur- monter l'obstination des plus endurcis, il l'eût pu, en se découvrant si manifestement à eux qu'ils n'eus- sent pu douter de la vérité de son essence \ comme il paraîtra au dernier jour, avec un tel éclat de fou-

1. De e< m'attirent jusqu'à refuser, en marjje.

2. Je lis dans le manuscrit sans, Pascal a renoncera cette tour- nure et a oublié de barrer l'adverbe. La Copie complète : sans hésiter. Faugère donne sûrement et M. Molinier sciemment, qui ne sont ni l'un ni l'autre très satisfaisants, et que je ne puis retrouver dans le manuscrit.

3. A la page 826 du manuscrit.

4. [Ayant.]

5. [Produire.]

6. [N'a pas.]

7. [Et si injustes.]

8. [lis n'est donc pas juste, [il est conforme à la raison qu'il a voulu que sa vérité ne fût pas.]

9. [Mais.]

SECTION VII. 337

dres et un tel renversement de la nature, que les * morts ressusciteront, et les plus aveugles le verront. Cenest pas en cette sorte qu'il a voulu paraître^, dans son avènement de douceur ; parce que tant d'hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu'ils ne veulent pas^. Il n'était donc pas juste qu'il parût d'une manière manifestement divine, et absolument capable de convaincre tous les hommes ; mais il n'était pas juste aussi qu'il vînt d'une manière ^ si cachée, qu'il ne pût être reconnu de ceux qui le cher- cheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaite- ment connaissable à ceux-là ; et ainsi, voulant pa- raître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère'' sa connaissance, en sorte qu'il a donné des marques ^ de soi visibles ' à ceux qui le cherchent, et ^ non à ceux qui ne le cherchent pas. Il y a assez de lumière pour ceux qui ' ne désirent que de voir, et assez d'obscurité pour ceux qui'" ont une disposition contraire ".

1. [Plus.]

2. [C'est dans une.]

3. [Rechercher.] 4- [Capable de.]

5. A la page o-j du manuscrit et avec ce titre: A Port-Royal pour demain.

6. [VisiWes.]

7. [Aux uns.]

8. [invisible] à ceux.

9. [Veulent voir.]

10. [Ne désirent] [n'ont pas.]

1 1 . [En quoi Dieu se rend.]

PENSÉES. Il 22

338 PENSÉES.

47] 430 bis

Tout ce qui est iucompréhensible ne laisse pas d'être.

Première copie 220] 431

Nul autre n'a connu que l'homme est la plus excel- lente créature. Les uns, qui ont bien connu la réa- lité de son excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentiments bas que les homme sont na- turellement d'eux-mêmes ; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, ont traité d'une superbe ridicule ces sentiments de grandeur, qui sont aussi naturels à l'homme.

Levez vos yeux vers Dieu, disent les uns ; voyez celui auquel vous ressemblez, et qui vous a fait pour l'adorer. Vous pouvez vous rendre semblable à lui ; la sagesse vous y égalera, si vous voulez le suivre'. (( Haussez la tête, hommes libres », dit Epictète". Et les autres lui disent : Baissez les yeux vers la terre,

430 bis

Cf. B., 118; C, i/i4 ; Faug., II, i/ignote; Mien., iiG.

431

Cf., G. 43i; P. R., II, 5; III, 1 ; Bos., II, iv, 4; Faug., II, it,i ; Hav., XI, 4 bis; Mol., I, 289 ; Mien., 901.

1. C'est la conclusion d'Epictète, suivant l'entretien avec M. de Saci : «que l'homme peut parFaitement... connaître Dieu, l'aimer, lui obéir, lui plaire, se guérir de tous ses vices, acquérir toutes les vertus, se rendre saint ainsi et compagnon de Dieu. »

2. RéHexion en marge de la Copie, empruntée aux Entretiens,

I, XVIII.

SECTION VII. 339

chétif ver que vous êtes, et regardez les bêtes dont vous êtes le compagnon.

Que deviendra donc l'homme.»^ sera-t-il égal à Dieu ou aux bêtes? quelle effroyable distance ! Que serons-nous donc.»^ qui ne voit par tout cela que l'homme est égaré, qu'il est tombé de sa place, qu'il la cherche avec inquiétude, qu'il ne la peut plus retrouver.^ Et qui l'y adressera donc ? les plus grands hommes ne l'ont pu.

4a5] 432

Le pyrrhonisme est le vrai ' : car, après tout, les hommes, avant Jésus-Christ, ne savaient oii ils en étaient, ni s'ils étaient grands ou petits. Et ceux qui ont dit l'un ou l'autre n'en savaient rien, et devi- naient sans rEiison et par hasard ; et même ils erraient toujours, en excluant l'un ou l'autre \

Qaod ergo ignorantes, quœritis, religio annunlial vobis ^

43a

Cf. B.,376; C.,^ 334; Bos., II, xvn, i ; Faug., II, 100; Hat , XXIV, i; Mol., II, 30; MicH., 695.

1. Mont., Apol: « tout ce que nous veoyons sans la lampe de sa grâce, ce n'est que vanité et folie. » Cf. Entretien avec M. de Saci : « Â.insi ces deux états qu'il fallait connaître ensemble pour voir toute la vérité, étant connus séparément, conduisent nécessairement à l'un de ces deux vices, l'orgueil et la paresse, sont infailliblement tous les hommes avant la grâce, puisque, s'ils ne demeurent dans leurs désordres par lâcheté, ils en sortent par vanité. »

2. Réminiscence du discours de saint Paul à l'Aréopag-e : Prœte- riens, et videns simulacra vestra, invcni et aram in qua scriptum erat : iGNOTO DEO. Quod ergo ignorantes colitis, hoc ego annuntio vobis. Act. Apost., XVII, 23.

3. Victor Cousin a fait de cette affirmation la clé de son interpré-

340 PENSÉES.

A65] 433

Après avoir entendu toute la nature de lliomme. II* faut, pour faire qu'une religion soit vraie, qu'elle ait connu notre nature ". Elle doit avoir connu la

tation de Pascal : « Comprenez bien cette sentence décisive. Pascal ne dit pas : Il y a du vrai dans le pyrrhonisme, mais : Le pyrrho- nisme est le vrai. Et le pyrrhonisme n'est pas le doute sur tel ou tel point de la connaissance humaine, c'est le doute universel, c'est la négation radicale de tout pouvoir naturel de connaître. » (Préface de la Seconde Edition du Rapport sur les Pensées de Pascal, Etudes sur Pascal, p. 42). Mais, comme le remarque M. Droz (^Etude sur le Scepticisme de Pascal, p. i83), le conteste, que Victor Cousin cite pourtant à l'appui de sa thèse, lui répond suffisamment : le pyrrhonisme serait le vrai si l'homme ne devait attendre la vérité que de la philo- sophie ; avant Jésus-Christ les sceptiques avaient donc raison contre tous les dogmatiques de l'antiquité. C'est îdéjà ce que Balzac avait dit à la fin du premier discours du Socrate chrétien : « Com- ment eussent-ils pu trouver la vérité qu'ils cherchaient, puisqu'elle n'était pas encore née?... Cette vérité n'est autre que Jesus-Curist, et c'est ce Jesus-Christ qui a fait cesser les doutes et les irrésolu- tions de l'Académie, qui a même assuré le pyrrhonisme. Il est venu arrêter les pensées vagues de l'esprit humain et fixer ses raisonnements en l'air. Après plusieurs siècles d'agitation et de trouble, il est venu faire prendre terre à la philosophie, et donner des ancres et un port à une mer qui n'avait ni fond ni rive, etc. » (Cité par Havet). Ainsi se justifie le mot de Vinet : on a dit que le scepticisme « fait Pascal chrétien ; il serait peut-cHre plus vrai de dire que le christianisme l'a rendu sceptique ». M. Droz rappelle ce mot, et le corrobore par un passage intéressant de M. Singlin : c Avant l'incarnation du (Christ, les plus sages d'entre les hommes qui ont voulu se mêler d'éclairer les autres, tels qu'ont été les philosophes païens, n'ont été proprement, pour user des termes de notre Evangile, que des guides aveugles qui, conduisant d'autres aveugles, sont tombés tous ensemble dans la fosse. » ^Instructions chrétiennes sur les Mystères, t. I, p. 720.)

433

Cf. B., 109; G,, i3i; P. R., II, a; Bos., II, iv, 2; Faug , II, iltx ; Hav., XI, 2 bis; Mol., I, 279; Migh., 828.

1. [En] faut [trouver la raison].

2. Cette phrase en marge.

SECTION VII. 341

grandeur et la petitesse, et la raison de l'une et de l'autre. Qui la connue, que la chrétienne ?

357] 434

Les' principales forces des p^Trhoniens, je laisse les moindres", sont : que nous n'avons aucune cer- titude de la vérité de ces principes, hors la foi et la révélation^, sinon en [ce]* que nous les sentons natu- rellement en nous. Or ce sentiment naturel n'est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque^ n'y ayant point de certitude, hors la foi, si l'homme est créé par un Dieu " bon, par un démon méchant",

434

Cf. B., 48 ; C, 69 ; P. R., XXI, i, /, ; III, 5, 6, 8 ; Bos., II, i, 4 ; II, v, 3, 4; II, xvn, 23; Facg., II, 100; II, i58; Hav , VIII, i ; Mol., I, 161 ; I, 292 ; Mien., 536.

1. L'édition de Port-Royal contient ce paragraphe d'introduction : « Rien n'est plus étrange, dans la nature de l'homme, que les contra- riétés qu'on y découvre à l'égard de toutes choses. Il est fait pour connaître la vérité ; il la désire ardemment, il la cherche ; et cepen- dant, quand il tâche de la saisir, il s'éblouit et se confond de telle sorte, qu'il donne sujet de lui en disputer la possession. C'est ce qui a fait naître les deux sectes de pyrrhoniens et de dogmatistes, dont les uns ont voulu ravir à l'homme toute connaissance de la vérité, et les autres tâchent de la lui assurer ; mais chacun avec des raisons si peu vraisemblables, qu'elles augmentent la confusion et l'embarras de l'homme, lorsqu'il n'a point d'autre lumière que celle qu'il trouve dans sa nature. »

2. [Est] que [ces principes].

3. Hors la foi et la révélation, en surcharge. 4- Mais en que.

5. [La nature peut nous les avoir donnés faux et que puisque hors la foi on n'est point assuré [mais on peut dire ou qu'on est créé au hasard et que les principes sont ou.]

6. [Véritable.]

7. « Je supposerai donc, non pas que Dieu, qui est très bon et qui est la souveraine source de vérité, mais qu'un certain mauvais génie,

342 PENSÉES.

OU à l'aventure', il est en doute si ces principes nous sont donnés ou véritables, ou faux, ou incer- tains — selon notre origine ^ De plus, que personne n'a d'assurance, hors de la foi^ s'il veille ou s'il dort, vu que durant le sommeil on croit veiller aussi fermement que nous faisons ; on * croit voir les espaces, les figures, les mouvements ; on sent' couler le temps, on le mesure ; et enfm on agit de même qu'éveillé ; de sorte que, la moitié de la vie se pas- sant en sommeil, par notre propre aveu, où, quoi qu'il nous en paraisse, nous n'avons aucune idée du vrai, tous nos sentiments étant alors des illusions, qui sait ^ si cette autre moitié de la vie oii nous pen-

non moins rusé et trompeur que puissant a employé toute son indus- trie à me tromper. » (Descartes, Première méditation.)

1 . [Suivant que ces principes peuvent être [qui ne voit que suivant [selon un de ces.]

2. Cf. Entretien avec M. de Saci : « Et puisque nous ne savons que par la seule foi qu'un Etre tout bon nous les a donnés véritables, en nous créant pour connaître la vérité, qui saura sans cette lumière, si, étant formés à l'aventure, ils ne sont pas incertains, ou si, étant formés par un être faux et méchant, il ne nous les a pas donnés faux afin de nous séduire ? montrant par que Dieu et le vrai sont insépa- rables, et que si l'un est ou n'est pas, s'il est certain ou incertain, l'autre est nécessairement de même. »

3. Hors de la foi, en surcliarg-e. « Il me semble bien à présent que ce n'est pas avec des yeux endormis que je regarde ce papier... Alais en y pensant soigneusement, je me ressouviens d'avoir souvent été trompé en dormant par de semblables illusions ; et en m'arrètant sur cette pensée, je vois si manifestement qu'il n'y a point d'indices cer- tains par l'on puisse distinguer nettement la veille d'avec le som- meil que j'en suis tout étonné, et mon étonnement est tel qu'il est presque capable de me persuader que je dors. » (Descartes, Première méditation.')

A. [Voit.]

5. [Fuir.]

6. iDonc.l

SECTION VII. 343

sons veiller n'est pas un autre sommeil un peu dif- férent du premier', dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir ^ ?

[Et qui doute que, si on rêvait en compagnie, et que par hasard les songes s'accordassent, ce qui est assez ' ordinaire, et qu'on veillât en solitude^, on ne crût les choses renversées ^►^ Enfin, comme on rêve souvent qu'on rêve, entassant un songe ' sur l'autre, ^la vie n'est elle-même qu'un songe*, sur lequel les autres sont entés, dont nous nous éveillons à la mort, pendant laquelle nous avons aussi peu les principes du vrai et du bien que pendant le sommeil naturel': ces différentes pensées qui nous y agitent'^ n'étant peut-être que des illusions, pareilles à l'écoulement du temps et aux " vaines fantaisies de nos songes ?J

Voilà les principales forces de part et d'autre.

1. [En lequel au songe, sont [qui doute.]

2. Cf. Bossuet, Sermon sur la mort, 1662 : « ...je doute quelquefois avec Arnobe, si je dors ou si je veille : Vigilemus aliquando, an i[jsum vigilare, quod dicitur, somni sit perpetui portio. Je ne sais si ce que j'ap- pelle veiller n'est peut-être pas une partie un peu plus excitée d'un sommeil profond ; et si je vois des choses réelles, ou si je suis seule- ment troublé par des fantaisies et par de vains simulacres. » (^Premier point.)

3. Assez, en surcharge.

4. [Qu'on croirait.]

5. [En quoi.]

6. [Dans.]

7. [il se peut aussi bien faire [ne se peut-il faire que cette moitié de la vie nous pensons veiller est.]

8. Sur lequel... entés, en surcliarge.

9. [Tous les écoulements du temps, de la vie et les divers corps que nous sentons] ne sont.

10. [Ne sont.]

11. [imaginations.]

344 PENSEES.

Je laisse les ' moindres, comme les discours que font^ les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume', de l'éducation, des mœurs des pays, et les autres choses semblables qui, quoiqu'elles entraî- nent la plus grande partie des hommes communs qui* ne dogmatisent que sur ces vains fondements, sont renversés par le moindre souffle des pyrrho- niens ^ On n'a qu'à voir leurs livres, si l'on n'en est pas assez persuadé; on le deviendra bien vite, et peut- être trop.

Je m'arrête à l'unique fort des dogmatistes, qui est ^ qu'en parlant de bonne foi et sincèrement, on ne peut douter des principes naturels \ Contre quoi les pyrrhoniens opposent en un mot ^ l'incertitude de notre origine, qui enferme celle de notre nature^ ;

1. [Niaiseries.]

2. [Contre.]

3. [Des préventions.]

4- Ne... que, en surcharge.

5. La phrase suivante, en surcharge.

6. [Que de bonne toi.]

7. Cette thèse est développée avec une vivacité qui a faire im- pression sur Pascal dans un chapitre des Entretiens d'Epictète, inti- tulé Contre les Epicuriens et les Académiciens : « Il est impossible que l'homme perde entièrement les sentiments humains... Quelle abomi- nation ! Avoir reçu de la nature des mesures et des règles pour con- naître la vérité, et ne pas se donner la peine de les appliquer à ce qui s'en écarte. » (II, xx.)

8. En un mot, surcharge.

9. Nouvelle allusion à l'argument cartésien du malin génie. Nos principes naturels sont-ils vrais ? nous avons une inclination natu- relle à le croire ; mais cette inclination n'a de valeur que si l'auteur de notre nature n'a pas voulu nous tromper. C'est la véracité divine qui seule nous permet de nous confier à nous-mème, d'admettre la réalité du monde extérieur et la vérité de la science mathématique. Seulement, pour Descartes, la véracité divine peut être démontrée par

SECTION VII. 345

à quoi les dogmatistes sont encore à répondre depuis que le monde dure.

'Voilà la guerre ouverte entre les hommes, oii il faut que chacun prenne parti, et se range néces- sairement ou au dogmatisme, ou au pyrrhonisme. Car" qui pensera demeurer neutre sera pyrrhonien par excellence^; cette neutralité est* l'essence de la cabade: qui n'est pas contre eux est excellemment pour eux [en quoi paraît leur avantage]. Ils ne sont pas pour eux-mêmes ; ils sont neutres, indifférents, sus- pendus à tout, sans s'excepter.

Que fera donc l'homme en cet état ? Doutera-t-il de tout.'^ doutera-t-il s'il veille, si on le pince, si on le brûle' .^doutera-t-il s'il doute.'^ doutera-t-il s'il est ^^^ On n'en peut venir ; et je mets en fait qu'il n'y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. La nature soutient' la raison impuissante, et l'empêche d'ex- travaguer ^ jusqu'à ce point.

la métaphysique, et le cloute est ainsi rationnellement levé au sein de la métaphysique. Pour Pascal la foi et le sentiment seuls nous mènent à Dieu, parce que seuls ils viennent de Dieu.

1. Pag-e 258 du manuscrit. [Qui voudra s'éclairer plus au long des pyrrhoniens, voir leurs livres, il en sera bientôt persuadé et peut-être trop.]

2. Cette phrase avait été barrée et remplacée en marge par celle-ci : La neutralité qui est le parti des sages est le plus ancien dogme de la cabale pyrrhonienne ; ensuite Pascal l'a rayée pour rétablir son premier texte.

3. [Puisque.]

4. [Leur] essence.

5. [S'il sent du mal.]

6. Allusion à l'argument de saint Augustin (de Trinil.^ X, lo), qui est devenu avec Descartes le CogiLo ergo sum. Cf. les Réjlexions sur l'Esprit géométrique.

7. [a défaut de] la raison, et.

8. M. Droz remarque l'analogie de l'expression avec celles dont se sert Descartes dans le Discours de la méthode, il relève « les extra-

8iG PENSEES.

Dira-t-il donc', au contraire, qu'il possède cer- tainement la vérité, lui qui, si peu qu'on le pousse, ne peut en montrer aucun titre, et est^ forcé de lâcher prise ?

Quelle chimère est-ce donc que l'homme? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction ^ quel prodige ' I Juge de toutes choses, imbécile ver de terre ; dépositaire du vrai, cloaque ° d'incertitude et d'erreur ; gloire et rebut de l'univers.

Qui démêlera cet embrouillement**? La nature confond les pyrrhoniens \ et la raison confond les

valantes opinions des sceptiques... Il semble qu'à moins d'être extra- vagant on ne peut douter... » (Cf. Etude sur le scepticisme de Pascal, 1887, p. i58, note.)

1. ]>lussi.]

2. [Obligé.]

3. [Quel paradoxe.]

4. Bossuet : « 0 Dieu ! qu'est-ce donc que l'homme ? Est-ce un pro- dige i* Est-ce un composé monstrueux de choses incompatibles ? ou bien est-ce une énigme inexplicable ? » (^Sermon pour la profession de Mme de La Vallière, 1675.)

5. Cf. Ronsard :

Bref ils t'ont fait la cloaque d'erreur.

6. Ce terme d'embrouillement se retrouve chez Bossuet : « On a à craindre des embrouillements sur l'affaire. » (^Lettres sur le quiétisme). [Certainement cela passe le dogmatisme et pyrrhonisme et toute la philosophie humaine. L'homme passe l'homme. Qu'on accorde donc aux pyrrhoniens ce qu'ils ont tant crié : que la vérité n'est pas de notre portée ni de notre gibier, qu'elle ne demeure pas en terre, qu'elle est domestique du ciel, qu'elle loge dans le sein de Dieu, et que l'on ne la peut connaître qu'à mesure qu'il lui plaît de la révéler. Apprenons donc de la vérité incréée et incarnée notre véritable nature, on ne peut être pyrrhonien ni académicien sans étouffer la nature ; on ne peut être dogmatique par la force de [sans renoncer à la raison. On conclut [Qu'est-ce donc ? On ne peut éviter en cherchant la vérité par la raison d'entrer en une de ces trois sectes [éviter une de ces trois sectes ni.]

7. [Et les académiciens.]

SECTION VII. 347

dogmatiques. Que deviendrez- vous donc, ô hommes qui cherchez * quelle est votre véritable condition par votre raison naturelle? \ ous ne pouvez fuir une de ces^ sectes, ni subsister dans aucune ^

Connaissez donc, superbe*, quel paradoxe vous êtes à vous-même. Humiliez-vous, raison impuis- sante ; taisez-vous, nature imbécile ° : apprenez que l'homme passe infiniment l'homme, et® entendez de votre maître votre condition véritable que vous ignorez. Ecoutez Dieu.

Car enfin, si l'homme n'avait jamais été cor- rompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance ; et si l'homme n'avait jamais été que corrompu, il n'aurait aucune idée ni de la vérité ni de la béatitude. Mais, malheureux que nous sommes, et plus que ^ s'il n'y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur, et ne pouvons y arriver ; nous sentons

I. [La vérité [votre véritable.] 3. [Trois.]

3. Cf. Bossuet, Sermon sur la mort, 1662 : « Demandez aux philo- sophes profanes ce que c'est que l'homme : les uns en feront un Dieu, les autres un rien ; les uns diront que la nature le chérit comme une mère, et qu'elle en fait ses délices ; les autres, qu'elle l'expose comme une marâtre et qu'elle en fait son rebut ; et un troisième parti, ne sachant plus que deviner touchant la cause de ce mélange, répondra qu'elle s'est jouée en unissant deux pièces qui n'ont nul rapport, et ainsi que par une espèce de caprice, elle en a fait ce prodige qu'on appelle l'homme... » (^Second point. ^

4. [Que rbomme.]

5. [Sachez.]

6. [Apprenez [connaissez.]

7. Page 361 du manuscrit. [jV'esf-ii donc pas clair comme le jour que la condition de l'homme est double? Certainement] si l'homme.

8. [Si nous étions malheureux simplement.]

348 PENSÉES.

une image de la vérité, et ne possédons que le men- songe ; incapables d'ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes ' malheureusement déchus ' !

Chose étonnante, cependant, que le mystère le plus éloigné de notre connaissance ^, qui est celui de la* transmission du péché', soit^ une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes ! Car il est sans doute qu'il n'y a rien qui^ choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent inca- pables d'y participera Cet écoulement ne nous" paraîtpas seulement impossible, il nous semble même très injuste ; car qu'y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté, pour un péché il'° paraît avoir si peu de part, qu'il est commis six mille ans avant qu'il fût en être ? Gertai-

I. [a présent.]

1. \Concevons donc que la condition de l'homme est double. Concevons donc que l'homme passe infiniment l'homme, et qu'il était inconcevable à lui-même sans le secours de la foi. Car qui ne voit que sans la connais- sance de cette double condition de la nature, on était dans une ignorance invincible de la vérité de sa nature ?]

3. [Soit.]

4- [Corruption.]

5. [Sans lequel.]

6. (Celui.) ■y. [Blesse.]

8. [Cela ne nous.]

g. [Est pas seulement inconcevable.] lo. [a si peu.]

SECTION VII. 349

nement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine : et cependant, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous', nous sommes incom- préhensibles à nous-mêmes". Le nœud' de notre condition" prend ses replis et ses tours" dans cet abîme®; de sorte que l'homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère nest inconcevable à l'homme".

1. [L'homme est] incompréhensible à [lui-même.]

2. [De sorte qu'il est beaucoup plus aisé de le concevoir que de con- cevoir la condition de l'homme sans cette connaissance et qu'ainsi [de sorte qu'il [que l'homme ne peut se connaître que par un mystère incon- cevable [est lui-même un prodige [une merveille plus incompréhensible que le mystère incompréhensible par lequel seul il peut comprendre sa nature. C'est.]

3. [Qui.]

4- [y est caché.]

5. Dans cet abîme, en surcharge.

6. La métaphore est dans Montaigne : « Le nœud qui debvrolt atta- cher nostre iugement et nostre volonté, ... ce debvroit estre un nœud pre- nant ses replis et ses forces, non pas de nos considérations, de nos rai- sons et passions, mais d'une estreincte divine et supernaturelle. » (ApoL)

7. ^ oici comment Bossuet, dans son Sermon pour la profession de Mme de LaValUère, répond à la question posée en termes si semblables à ceux de Pascal : « Nous avons expliqué l'énig-me. Ce qu'il y a de si grand dans l'homme est un reste de sa première institution ; ce qu'il y a de si bas, et qui paraît si mal assorti avec ses premiers principes, c'est le malheureux effet de sa chute. Il ressemble à un édifice ruiné qui, dans ses masures renversées, conserve encore quelque chose de la beauté et de la grandeur de son premier plan. Fondé dans son origine sur la connaissance de Dieu et sur son amour, par sa volonté dépravée il est tombé en ruine ; le comble s'est abattu sur les mu- railles, et les murailles sur le fondement. Mais qu'on remue ces ruines, on trouvera dans les restes de ce bâtiment renversé et les traces de ces fondations, et l'idée du premier dessein, et la marque de l'archi- tecte. L'impression de Dieu reste encore, en l'homme, si forte qu'il ne peut la perdre, et tout ensemble si faible qu'il ne peut la suivre, si bien qu'elle semble n'être restée que pour le convaincre de sa faute et lui faire sentir sa perte... »

330 PENSÉES.

' [D'où il paraît que Dieu', voulant nous rendre^ la difficulté de notre être inintelligible à nous mêmes, en a caché le nœud si haut, ou, pour mieux dire, si bas, que nous ^ étions bien incapables d y arriver', de sorte que ce n'est pas par les superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la rai- son, que nous pouvons véritablement nous connaître.

[Ces ' fondements, solidement établis sur l'autorité inviolable de la^ religion, nous font connaître qu'il y a deux' vérités de foi également constantes: l'une, que'' l'homme dans'" l'état de la création ou dans celui de la grâce est élevé au-dessus de toute la nature ' ' , rendu comme semblable à Dieu, et participant de sa divinité, l'autre qu'en l'état de la corruption et de péché, iV est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes.

[Ces deux propositions sont'' également fermes et certaines. L'Ecriture nous les déclare manifestement,

1. Page 262 du manuscrit. [Certainement Dieu aurait pu nous ôter à nous-mêmes.]

2. [Pensant réserver à lui seul le droit de [qui seul pouvait nous in- struire nous-mêmes, en a caché le nœud dans la chose du monde la plus.]

3. [a nous-mêmes.] k- [JVe pouvions pas.]

5. [jamais.]

6. [Vérités inébranlables] solidement [établies.]

7. [Foi.]

8. [Articles [point de.]

9. [Tout dans la nature est [l'homme est le plus grand des ouvrages de la nature, que tout est fait pour lui et lui pour Dieu, et Vautre.]

10. [La création a été.\

11. De rendu h divinité, surchargée.

12. [il été.]

13. [Aussi.]

SECTION VII. .331

lorsqu'elle dit en quelques lieux : Delicise meœ esse cuni JîUis hominum ' . Ejfundam spiritum meum super omnem carneni' . DU estis^, etc., et qu'elle dit en d'autres: Omnis carofœnum', Homo assimilatus est jumentis insipientibas, et similis factus est iUis\ Dlri in corde meo de jiliis hominum, Eccl. IIP.

[Par il paraît clairement que l'homme', parla grâce, est^ rendu comme semblable à Dieu et parti- cipant de sa divinité, et que sans la grâce il est comme semblable aux bêtes brutes.]

373] 435

® Sans ces divines connaissances, qu'ont pu faire les hommes, sinon, ou s'élever dans le sentiment

I. Prov., Mil, 3o : Cum eo eram cuncta componens : et delectabar prr singulos dies, ludens coram eo omni tempore ; (3i) hidens in orbe terra- rum : et delicias meœ, esse cum Jiliis hominum.

3. Joël, II, 28 : Et erit post hoc : Ejjundam spiritum meum super omnem carnem : et prophetabunt fdii vestri, et filise vestrx : senes vestri somnia somniabunt, et juvenes vestri visiones videbunt. Cf. Isaïe, XLIV, 3.

3. DU estis, surcharge. Psaume LXXXI, 6 : Egodixi, DU estis, et filii Excelsi omnes.

4. Isaïe, XL, 6: Vox dicentis: Clama. Et dixi : Quid clamabo? Omnis caro fœnum, et omnis gloria ejus quasi flos agri.

5. Psaume XLMII, i3 : Et homo, cum in honore esset, non intel- lexit : comparatus est jumentis insipientibus, et similis factus est illis. Cf. ibid., 28.

6. Verset 18 : Dixi in corde meo de Jiliis hominum, ut probaret eos Deus, et ostenderet similes esse bestiis.

7. [En ce qu'il est capable de la grâce de Jésus-Cbrist.]

8. [Capable d'être.]

435 Cf. B., 106; C, i3i ; P. R., III, i', et 22; Bos., Il, y, 5, 11; Faug.,II, i36 ; Hav., XII, 1 1 ; Mol., I, 282 ; Mich , 602.

9. Lne croix en tète [Wous pouvons marcher sûi'ement à la clarté de ces célestes lumières, et après avoir.]

352 PENSÉES.

intérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s'abattre dans la vue de leur faiblesse présente * ? Car, ne voyant pas la vérité entière, ils n'ont pu arriver à^ une parfaite vertu. Les uns considérant la nature comme incorrompue, les autres comme irré- parable, ils n'ont pu fuir, ou l'orgueil, ou la paresse, qui sont les deux sources de tous les vices ; ' puis- qu'[t75] ne [peuvent]'' sinon, ou s'y abandonner^ par lâcheté, ou en sortir par l'orgueil. Car, s'ils connais- saient l'excellence de l'homme, ils en ignoraient la corruption ; de sorte qu'ils évitaient bien la ^ paresse, mais ils se perdaient dans ^ la superbe ; et s'ils reconnaissaient l'infirmité de la nature, ils en igno- raient la dignité : de sorte qu'ils pouvaient bien éviter ^ la vanité, mais c'était en se précipitant dans ^ le désespoir'". De viennent les diverses sectes des

1. [Que pouvaient-ils, sinon suivre une de ces routes, égarés et ne voyant jamais? [dans leur impuissance de voir la vérité entière 7 [Ou con- naissant [S'ils connaissaient la dignité de notre condition, ils en ignoraient la corruption ; ou, [en connaissant [s'ils en connaissent l'infirmité, ils en ignoraient l'excellence; et suivant l'une ou l'autre de ces routes, qui leur faisait voir la nature, ou comme interrompue, ou comme irréparable, ils se perdaient ou dans la superbe, ou dans le désespoir, selon qu'ils consi- déraient, et ainsi ce qu'ils voyaient de vérité était [ne voyant de vérité que confondue avec l'erreur, ils manquaient de vertu. Ainsi s'ils.]

2. [La] vertu.]

3. La fin de la phrase en marge. 4- Il ne peut, dans le manuscrit.

5. [Lâchement.]

6. [Lâcheté.]

7. [L'orgueil]

8. [L'orgueil.]

9. [L'abattement.]

10. Cf. Entretien avec M. de Saci : « L'un remarquant quelques traces de sa première grandeur, et ignorant sa corruption, a traité la nature comme saine et sans besoin de réparateur, ce qui le mène au comble

SECTION VII. 333

stoïques et des épicuriens ; des dogmatistes et des académiciens, etc.

La seule religion chrétienne a pu ' guérir ces deux vices, non pas " en chassant l'un par l'autre, par la sagesse de la terre, mais en chassant l'un et l'autre, par la simplicité de lEvangile. Car elle apprend aux justes, qu'elle élève jusqu'à la participation de la divinité même, qu'en ce sublime état ils portent encore la source de ^ toute la corruption, qui les rend durant toute la vie " sujets à l'erreur, à la misère, à la mort, au péché ; et elle crie aux plus impies qu'ils sont capables de la grâce de leur Rédempteur. Ainsi ^ donnant à trembler [à] ceux qu'elle justifie, et ' consolant ceux qu'elle condamne, elle tempère ^ avant tant de justesse la crainte avec l'espérance, par cette double capacité qui est com-

de la superbe ; au lieu que l'autre, éprouvant la misère présente et ignorant la première dignité traite la nature comme nécessairement infirme et irréparable ce qui le précipite dans le désespoir d'arriver à un véritable bien, et de dans une extrême lâcheté. Ainsi ces deux états qu'il fallait connaître ensemble pour voir toute la vérité, étant connus séparément, conduiront nécessairement à l'un de ces deux vices, l'orgueil et la paresse. »

1. [Enseigner de.]

2. [De chasser] l'un par l'autre [comme] la sagesse de la terre, mais [de chasser] l'un et l'autre par la [sagesse.]

3. Jusqu' en surcharge.

4. [Toute] la source de [la] corruption.

5. Page 874 du manuscrit [Esclaves.]

6. [Faisant] trembler [les uns] ; puis ceux qu'elle. Pascal a négligé d'ajouter d lorsqu'il a remplacé faisant par donnant.]

7. [Espérance aux autres.]

8. [Toutes choses] avec tant de justesse [par cette capacité commune à tous et de la grâce et du péché, qu'elle intimide l'élévation ainsi qu'elle Élève [grandeur et sainteté des justes et qu'elle console l'humiliation des autres [ceux qu'elle humilie par cette double capacité.]

PENSÉES. II 23

3oi PENSÉES.

mune à tous et de la grâce et du péché', qu'elle abaisse infiniment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans désespérer ; et qu'elle" élève ^ infini- ment plus que l'orgueil de la nature, mais sans enfler ^ : faisant bien voir " par qu'étant seule exempte d'erreur et de vice, il n'appartient qu'à elle et d'instruire et de corriger les hommes.

Qui peut donc refuser à ces célestes lumières de les "^ croire et de les adorer ? Car n'est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des caractères ineffaçables d'excellence? et n'est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure ^ les effets de notre déplorable condition ? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion mons- trueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu'il est impossible de résister* ?

244] 436

Faiblesse. Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien ; et ils ne sauraient avoir de titre pour montrer qu'ils le possèdent par justice.

1. [C'est donc elle seule qui apprend [donne la vérité et la vertu en préservant d'erreur [et qui donne le vrai principe de vivre, qui humilie sans abattre [désespoir.]

2. Infiniment à nature en surcharge.

3. [Et qui donc peut seul nous instruire et nous corriger en vérité.]

4. Par là... vice surcharge.

5. [Seule.]

6. [Voir.]

7. [La vérité.]

8. [Et que la [car en.]

436 Cf. B., 7; G., 20; P. R., XXV, i3; Bos., I, vi, i8; Faug., II, 88; IIav., III, 1 2 ; Mol, I, (jf) ; Micu, 5i3.

SECTION VII. 3,^

car ils n'ont que la fantaisie des hommes, ni force pour le posséder sûrement. Il en est de même de la science, car la maladie lôte'. Nous sommes inca- pables et de vrai et de bien.

4i5] 436 bis

Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien ; et ils n'ont ni titre pour le posséder jus- tement, ni force pour le posséder sûrement ; de même la science, les plaisirs. Nous n'avons ni le vrai, ni le bien.

487] 437

Nous souhaitons la vérité, et ne trouvons en nous^ qu'incertitude.

Nous recherchons le bonheur, et ne trouvons que misère et mort.

Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur, et sommes incapables ni de certitude ni de bonheur. Ce désir nous est laissé, tant pour nous punir, que pour nous faire sentir d'où nous sommes tombés \

1. [Et donc nous n'aurons ai le vrai.]

436 bis

Cf. B., 464; C, 203; Bos , I, vi, 18; Faug., II, 88; Mich., 666.

437

Cf. B., 195 ; C, 6 ; P. R., XXI, 2 ; Bos., II, i, 2 ; Faug., II, 88 ; Hat., VIII, 6; Mol., I, 296; Mich., 858.

2. [Que ténèbres ou mensonges.]

3. M. Molinier donne la leçon effondrés.

336 PENSÉES.

485] 438

Si l'homme n'est fait pour Dieu, pourquoi n'est- il heureux qu'en Dieu ' ? si l'homme est fait pour Dieu, pourquoi est-il si contraire à Dieu?

277] 439

Nature corrompue. L'homme n'agit" point par la raison, qui fait son ôtre^

Première copie SSa] 440

La corruption de la raison paraît par tant de dif- férentes et extravagantes mœurs ; il a fallu que la vérité soit venue, afin que l'homme ne véquît plus en soi-même.

438

Cf. B., 195; G., 6; P. R., XXI, 3; Bos., II, i, 3; Fauc, II, 90; Hav., VIII, n ; Mor.., I, C8; Mich., 853.

1. Souvenir de saint Augustin : «Tu nous as faits pour toi, et notre cœur est dans l'inquiétude jusqu'à ce qu'il se repose en toi. » (^Confes- sions, I, I.)

439

Cf. B.,3oi; C, 523; Faug., II, 79; Hav., XXV, 37; Mol., I, 68; MicH., 5O7.

2. [Plus.]

3. La raison fait l'être de l'iionime, selon Pascal, mais en principe, dans l'état de nature absolu, c'est-à-dire avant la chute de la créature. La raison était alors toute droite ; depuis elle est pervertie et aban- donnée. — La Rochefoucauld a dit : « Nous n'avons pas assez de force pour suivre toute notre raison. » (Max., 62.)

440 Cf. C, 307; Faug., II, i58; Hat., XXV, 90; Mol., I, a85 ; Mien., 9/IG.

SECTION Vil. 357

Première Copie a 56] 441

Pour moi, j'avoue qu'aussitôt que la religion chrétienne découvre' ce principe, que la nature des hommes est corrompue et déchue de Dieu, cela ouvre les yeux à voir partout le caractère ^ de cette vérité ; car la nature est telle, qu'elle marque par- tout un Dieu perdu, et dans l'homme, et hors de l'homme, et une nature corrompue.

487] 442

^La vraie nature de l'homme, son vrai bien, et la vraie vertu, et la vraie religion, sont choses dont la connaissance est inséparable.

75] 443

Grandeur, misère \ A mesure qu'on a de

441

Cf. C, iya; P. R., III, i4; Bos., II, v, 5; Faug., II, i58; Hav., XII, 10; Mol., I, 387; MicH., 938.

1. « Qui découvre mieux la faiblesse humaine que la religion ? » (Charron, De la Sagesse, livre I, ch. xxxvii.)

2. Au sens original d'empreinte et de marque. Cf. Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies : « Vous seul avez pu créer mon âme ; vous seul pouvez... y réimprimer votre portrait effacé, c'est-à-dire Jésus-Christ mon Sauveur, qui est votre image et le carac- tère de notre substance. » (Ch. iv.) Cf. fr. 3o8.

442

Cf. B,, 193 ; C, '4; P. R., II, 3; Bos., II, iv, 3; Faug., II, i4i ; Hav., XI, 2; Mol., I, 379; MicH,, 863.

3. Fragment écrit d'abord au crayon, et repassé à l'encre.

443

Cf. B., 356; C, 3i3; Faug., 11,86; Mol., I, 65; Mich., 308.

4. [Deux natures.]

338 PENSÉES.

lumière, on découvre plus de grandeur et plus de bassesse dans l'homme. Le commun des hommes * ; ceux qui sont plus élevés, les philosophes : ils étonnent le commun des hommes ; les chrétiens : ils étonnent les philosophes.

Qui s'étonnera donc de voir que la religion ne fait que connaître à fond ce qu'on reconnaît d'autant plus qu'on a plus de lumière?

45] 444

Ce que les hommes, par leurs plus grandes lu- mières, avaient pu connaître, cette religion l'ensei- gnait à ses enfants.

Première copie 877] 445

Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel ; vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes, sapient'ms est hominibas^ ; car, sans cela, que dira- t-on qu'est l'homme .»^ Tout son état dépend de ce point imperceptible ; et comment s'en fût-il aperçu

1 . [Les philosophes.]

444 Cf. B., 118; C, 194; Faug., II, 369; Hav., XXV, 52; Mol., I, 290; MicH., ii3.

445 Cf. C, 335; P. R., III, 9; Bos., Il, v, 4; Faug., Il, 106; Hav., XII, 7; Mol., I, 293; MicH., gBS.

2. I, Cor., 25 : Quia quod stultiim est Dei, sapienlius est hominibus ; et quod injirmum est Dei, fortius est hominibus.

SECTION YII. 3o9

par sa raison, puisque c'est une chose contre la rai- son, et que sa raison, bien loin de l'inventer par ses voies, s'en éloigne quand on le lui présente ' ?

**a67] 446

Du péché originel. Tradition ample' du péché ori- ginel selon les juifs.

Sur le mot de la Genèse, vni : la composition du cœur de l'homme est mauvaise dès son enfance. R. Moïse Haddarschan : Ce mauvais levain est mis dans l'homme dès l'heure il est formé".

Massechet Succa : Ce mauvais levain a sept noms* dans l'Ecriture ; il est appelé mal, prépuce, immonde, ennemi, scandale, cœur de pierre, aquilon : tout cela signifie la malignité qui est cachée et empreinte dans le cœur de l'homme ^

I. « C'est aux chrestiens une occasion de croire, que de rencon- trer une chose incroyable; elle est d'autant plus selon raison, qu'elle est contre l'humaine raison : si elle estoit selon raison, ce ne seroit plus miracle. » (Mont., Apol.)

446

Cf. B., 142; C, 172; Faug., II, 206; Hat., XXV, i44; Mol., I, 297; MicH., 546.

3. i4mp/e addition autographe de Pascal au titre écrit sous sa dictée.

3. Ce fragment nous a conservé les notes dictées d'après le Pugio Fidei, partie, dist. II, ch. vi ; De peccalo originali, de miiltipUci denominatione et effectibus ejiis. 2) : « Vocatur namque fomes sive originale peccatum, plasma velfigmentum malum. Unde R. Moseh Haddarschan dicit in Bereschit rabbe super illud Gènes. \III, v. 21 : Quoniam figmentum cordis hominis malum ab adolescentia vel a pueritia sua. »

4. Dans l'Écriture, il est appelé addition autographe de Pascal.

5. « Legitur quoque in Massechet Succa... Tradidit R. Esra quod septem nomina habet figmentum malum. Suivent les citations dont Pascal

360 PENSÉES.

Misdrach Tilllm dit la même chose, et que Dieu déli- vrera la bonne nature de l'homme de la mauvaise*.

Cette malignité se renouvelle tous les jours con- tre l'homme, comme il est écrit Ps. xxxvn: « L'im- pie observe le juste, et cherche à le faire mourir ; mais Dieu ne l'abandonnera point. » Cette malignité tente le cœur de l'homme en cette vie, et l'accusera en l'autre. Tout cela se trouve dans le Talmad^.

Misdrach Tillim sur le Ps. iv : a Frémissez, et vous ne pécherez point » : Frémissez, et épouvantez votre concupiscence, et elle ne vous induira point à pé- cher. Et sur le Ps. XXXVI : « L'impie a dit en son cœur : Que la crainte de Dieu ne soit point devant moi )) ; c'est-à-dire, que la malignité naturelle à l'homme a dit cela à l'impie ^

Misdrach el Kohelet. « Meilleur est l'enfant pau- vre et sage que le roi vieux et fol qui ne sait pas pré- voir l'avenir. » L'enfant est la vertu, et le roi est la

traduit le nom caractéristique : mahirn (Gen., VIII, 21) ; prœputium {Deiitér.j X, 16) ; immundum (Psalm., LI, 12) ; inimicum (Prov.^ XXV, 21) ; scandaluin (Isaïe, LVII, i4) ; Cor lapidis (Ezéch., XXXVI, 26) ; Aquilorum (Joël, II, 20) : « id est fijjmentum malum quod est latens et stans in corde hominis. » (F. p. 1^6^.)

I. Addition en marge de la main de Pascal.

3. « Dixit \Risch Lakis] fifjmentum hominis quotidie nititur contra eum et quœrit mortificare ipsum, sicut dicitur Psal. XXXVII, v. 32 : Impius observât justum, et quaerit ipsum mortificare... Dominus non derelinquct illum in manibus ejus... Dixit R. Jonathan : Figmentum malum instiyat hominem in sœculo isto et testatur contra ipsum in saeculo futuro, sicut dictum est Proverb XXIX, v. 21. »

3. « De prœdicta materia etiam legitur in Misdrasch Tillim super illud Psal. IV, vers. 5 : Fremite et non peccabitis... Scriptum quoque est super hanc eamdam materiam in Psalm. XXXVI, v. 2. Dixit culpa- bili impio in medio cordis mei non sit timor Del coram oculis ejus... quod culpahilis, id est : fiymentum malum dixit impio. »

SECTION VII. 361

malignité de l'homme'. Elle est appelée" roi, parce que tous les^ membres lui obéissent, et vieux, parce qu'il est dans le cœur de l'homme depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse : et fol, parce qu'il conduit l'homme dans la voie de [perdilion] '* qu'il ne prévoit point".

La même chose est dans Misdrach Tillim.

Bereschit Rabba sur le Ps. xxxv : « Seigneur, tous mes os te béniront, parce que tu délivres le pauvre du tyran » : Et y a-t-il un plus grand tyran que le mauvais levain.»^ Et sur les Prov. xxv : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger » ; c'est-à-dire, si le mauvais levain a faim, donnez-lui du pain de la® sagesse, dont il est parlé Prov., ix : et s'il a soif, donnez-lui de l'eau dont il est parlé Is., lv\

I . [La vieille ; elle est appelée le vieux.]

a. [La vieille [le vieux.]

3. [Hommes.]

4- Le manuscrit porte condition ; le fragment ayant été dicté, il est légitime de soupçonner une erreur que Pascal aurait laissé échapper en relisant, et d'écrire avec Faugère perdition.

5. « Id idem quoque habetur in Midrasch Kohelet super illud Eccle- siastœ IV, V. i3 : Melior est puer pauper et sapiens quam rex senex et stultus sive insipiens, qui nescit cavere in posterum. Puer pauper et sapiens Est Jîgmentum bonum... Quam rex senex, et insipiens : Hoc est figmentum malum. Et cur vocat id regem : qui a omnes obediunt illi. Et ob quam non vocat id seneni quia copulatur homini atque conjun- gitur ab infantia ejus usque ad senectutem ipsius. Et quare vocat id insipientem ! Quia docet hominem viam malam quam riescit... Adhuc legitur in Midrasch Tillim super Psalm. IX. »

6. [Loi.]

7. « Et ipsum est de quo ait Daniel Psal. XXXV, v. 10 : Omnia ossa mea, Domine, dicunt, quis sicut tu ? Eripiens pauperem, vel humilem a validiore, pauperem scilicet et inopem a direptore suo. Dixit R. Acha, Et numquid direptor aliquis est major quam Jîgmentum

362 PENSEES.

M'isdrach Tillim dit la même chose ; et que l'Ecri- ture en cet endroit, en parlant de notre ennemi, en- tend le mauvais levain : et qu'en lui \donnant\ * ce pain et cette eau, on lui assemblera des charbons sur la tête^

Misdrach el Kohelel, sur VEccL, ix : « Un grand roi a assiégé une petite ville. » Ce grand roi est le mauvais levain, les grandes machines dont il l'en- vironne sont les tentations, et il a été trouvé un homme sage et pauvre qui l'a délivrée, c'est-à-dire la vertu ^

Et sur le Ps. xli : « Bienheureux qui a égard aux pauvres \ »

Et sur le Ps. Lxxvni : « L'esprit s'en va et ne re- vient plus )) ; d'oli quelques-uns ont pris sujet d'er- rer contre l'immortalité ^ de l'âme ; mais le sens est que cet esprit est le mauvais levain, qui s'en va avec

malum? Et super ipso dicit Salonio, Prov. XXXV, v. 21. Si esuriat hostis tuus, ciba illum pane, id est pane legls de quo dictum est Prov. IX, V. 5. Venite, cibate cum pane meo, etc. Si fuerit sitiens, pota illum aquis, aquis scilicet legis, de quibus dictum est. Ecc. LY, v. I »

I. Donnant n'est pas dans le manuscrit.

3. Commentaire de R. Samuel sur le passage précité {Prov. XXV) : « De fiffmento malo loquitur Scriptura... Dixlt R. Samuel : Si steterit contra te figmentum malum pasce Ipsum pane legis... quia prunas susci- ples super caput ejus. »

3. « In Mlsdrascli Kohelet taliter scriptum est super illud Ecclesiastœ, IX, V. i4 ; Civitas parva est, et venit ad eam rex inagnus et circum- dedit eam. Hoc cstfujmentum malum... Et aedificavit contra eam muni- tiones mag^nas. Hx sunt insidise et circumvcntiones, slve obsidiones in gyro. Et inventus est in ea vir pauper sapiens, hoc est Jîgmenlum malum. »

4- Vers I : « Beatus intelligens ad pauperem. »

5. Le manuscrit porte, écrit sous la dictée de Pascal, les mortalités.

SECTION VII. 363

l'homme jusqu'à la mort, et ne reviendra point en la résurrection*.

Et sur le Ps. cm", la même chose.

Et sur le Ps. xvi\

38i] 447

Dira-t-on que pour avoir dit que la justice est par- tie de la terre, les hommes aient connu le péché ori- ginel? — Nemo ante obitum beatus est* ; c'est-à-dire

1. ^ ers. Sg : « Spiritus vadens et non rediens... Opinati sunt quidem dicen tes hine quod mortui non erunt vlventes. . . Sed hoc est figmentum malum quod vadit cum homine in hora mortis ejus, et non revertetur cum ipso in hora qua mortui résurgent. »

2. Verset i4 : « Quoniam ipse novit figmentum nostrum. »

3. Verset 2 : « Dixi Domino meus es tu : Bonitas mea nihil ad te. » Les Copies ajoutent ce titre : Principes des Rabbins. Deux Messies.

447

Cf. B., 419; C, 393 ; Faug., II, ici; Hav., XXV, 35 ; Mol., I, 296; MicH., 609.

4. Le chapitre 18 du Premier Livre des Essais, intitulé : Qu'il ne faull iuger de nostre heur qu'âpre: la mort, débute par ces vers d'Ovide (Métamorphoses, III, i35) :

Scilicet ultima semper Exspectanda dies homini est ; dicique beatus Ante obitum nemo supremaque funera débet. Montaigne dit ailleurs : « Aristote, qui remue toutes choses, s'enquiert sur le mot de Solon que « Nul avant mourir ne peult estre dict heu- reux » si celuy la mesme qui a vescu, et qui est mort à souhait, peult estre dict heureux si sa renommée va mal, si sa postérité est misérable. Pendant que nous nous remuons, nous nous portons par préoccupation il nous plaist ; mais estant hors de l'estre, nous n'avons aucune communication avec ce qui est : et serait meilleur de dire k Solon que iamais homme n'est donc heureux puisqu'il ne l'est qu'aprez qu'il n'est plus » (1, 3). Pascal avait lire également dans VAugustinus (de Statu naturse lapsœ, lib. II, ch. i)un fragment de V Hortensius de Cicé- ron, cité d'après saint Augustin : « En punition de crimes commis,

364 PENSÉES.

qu'ils aient connu qu'à la mort la béatitude éternelle et essentielle commence?

*44o] 448

[Miton] ' voit bien que la nature est corrompue, et que les hommes sont contraires à l'honnêteté ; mais il ne sait pas pourquoi ils ne peuvent voler plus haut.

*l^^2] ' 449

Ordre. Après la corruption, dire : il est juste que tous ceux qui sont en cet état le connaissent, et^ ceux qui s'y plaisent, et^ ceux qui s'y déplaisent ; mais il n'est pas juste que tous voient la rédemp- tion*.

dans une vie antérieure, les hommes subissaient un supplice analogue à celui qu'avaient imaginé des bandits étrusques ; ils attachaient des vivants à des morts, et c'est de la même fanon que nos âmes sont attachées à nos corps. »

448

Cf. B., 366; G , 832; Faug., I, igB ; Hav., XXV, 92 bis; Mol., I, 298; MicH., 7^7.

1. Le fragment a été dicté, sans doute à un domestique qui a écrit Marton. M. Faugère a rétabli la vraie leçon.

449 Cf. B., 255; C.,'171; Bos., II, xvii, 10; Faug., II, SSg ; Hav., XXIV, 10 1er; Mol., II, 64; Mich., 769.

2. Et surcharge.

3. El surciiarge.

fi. [Mais.] Cf. fr. 43o : « Il n'était donc pas juste qu'il parût d'une manière manifestement divine, et absolument capable de con- vaincre tous les iiommes. »

SECTION Vil. 365

65] 450

Si l'on ne se connaît plein de superbe, d'ambition, de concupiscence, de faiblesse, de misère et d'injus- tice, on est bien aveugle. Et si, en le connaissant', on ne désire d'en être délivré, que peut-on dire d'un homme... ?

Que peut-on donc avoir que de l'estime pour une religion qui connaît si bien les défauts de l'homme, et que du désir pour la vérité d'une religion qui y promet" des remèdes si souhaitables?

*467] 451

Tous les hommes ^ se haïssent naturellement^ l'un l'autre. On s'est servi comme on a pu de la concu- piscence " pour la faire servir au bien public ® ; mais ce n'est que [feinte] ' et une fausse image de la cha- rité ; car au fond ce n'est que haine.

450

Cf. B., 35o;C., 3o4; P. R, II, i3;Bos.,II, iv, 11; Faug., II, 17 ; Hav., XI, 11; Mol., I, 285 ; Mich., 184.

1. En le connaissant surcharge.

2. [De si heureux.]

451

Cf. B., 108; C, 128 ; Bos., suppl., 19; Faug., I, 226; Hav., XXIV, 80; Mol., I, io5; Mich., 833.

3. [iVaisse22t.]

4- [Les uns les autres.]

5. [Voulant.]

6. Cf. fr. ^02 et 4o3.

7. Le manuscrit donne feindre^ mais le fragment ayant été dicté, il est vraisemblable qu'il y a lieu d'écrire feinte, comme ont fait Fau- gère, Havet et ^I. Molinier. M. Mlcliaut conserye feindre.

366 PENSÉES.

^^9] 452

Plaindre les malheureux n'est pas contre la con- cupiscence ; au contraire, on est bien aise d'avoir à rendre ce témoignage d'amitié, et à s'attirer la répu- tation de tendresse, sans rien donner \

A65] 453

On a ^ fondé et tiré de la concupiscence des règles admirables de police, de morale et de justice ; mais dans le fond, ce vilain fond de l'homme, cefigmentuni malam^, n'est que couvert : il n'est pas ôté*.

452

Cf. B., 3G9; C, 32/,; p. R., XXIX, 33; Bos., I, iï, 37; Faug., I, 2o5 ; Hav., VI, 34; Mol., I, io5; Mich., 738.

1. La Rochefoucauld a exprimé sous trois formes différentes une pensée analogue : « Dans l'adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons quelque chose qui ne nous déplaît pas. « (i""*^ édit., suppri- mée dans les suivantes.) « Nous nous consolons aisément des disgrâces de nos amis, lorsqu'elles servent à signaler notre tendresse pour eux. » (!'■<' édit. et les suiv.). « Il y a souvent plus d'orgueil que de bonté à plaindre les malheurs de nos ennemis : c'est pour leur faire sentir que nous sommes au-dessus d'eux que nous leur donnons des marques de compassion. » (5*^ édit.)

453

Cf. B., io8; C, i33; Bos., su/jpL, 19; Faug., I, 226; Hav., XXIV, 81; Mol., I, io5 ; Mich., 828.

2. [Fait.]

3. Psaume Cil, i3: Quomodo miseretur pater JiUorum, misertus est Dominus lunenlibus se, i4, quoniam ipse cognovit Jïgmentum nostruin : recordatus est quoniam pulvis suinus. Cf. les commentaires des Rabbins recueillis par Pascal au fr. 446.

4. Pascal se souvenait de la définition que Miton donnait de l'honnêteté ; c'est un « amour-propre bien réglé ». Nicole s'est ins- piré de ces conceptions de Pascal dans son traité de la Civilité chré- tienne ÇEssais de Morale, t. II, p. u6 sqq.)

SECTION VII. 367

67] 454

Injustice. Ils ' n'ont pas trouvé d'autre moyen de satisfaire la concupiscence^ sans faire tort aux autres.

75] 455

Le moi^ est haïssable: vous, Miton, le couvrez, vous ne l'ôtez pas pour cela ; vous êtes donc tou- jours haïssable. Point, car en agissant, comme nous faisons, obligeamment pour tout le monde, on

454

Cf. B., 21; C, io; Faug., II, i3o; Mol., I, io4; Mich., 187.

1. Ils s'interprète, ce nous semble, par le rapprochement avec les fragments 45 1, ^Ô2, 453 et 455 ; ce sont les honnêtes gens suivant le monde, qui ont prétendu servir leur concupiscence dans les bornes de la justice humaine.

2. [Et de ne pas.]

455

Cf. B ,35o; C, 3o5 ; P. R., XXIX, 18; Bos., I, ix, 128; Faug., I, 197; Hav., VI, 20; Mol., I, 128; Mich., 207.

3. Port-Royal ajoute ce commentaire : « Le mot moi dont l'auteur se sert dans la pensée suivante ne signifie que l'amour-propre. C'est un terme dont il avait accoutumé de se servir avec quelques-uns de ses amis. » Et la Logique de Port-Royal reprend cette pensée : « Feu M. Pascal, qui savait autant de véritable rhétorique que personne en ait jamais su, portait cette règle [de ne point de parler de soi] jusques à prétendre qu'un honnête homme devait éviter de se nommer et même de se servir des mots de je et de moi, et il avait accoutumé de dire à ce sujet que la piété chrétienne anéantit le moi humain et que la civilité humaine le cache et le supprime. » (III, 19.) C'était un précepte de Vhonncteté suivant Méré et Miton, de ne point dire je, mais on. D'autre part Saint-Cyran commande : « \e dites jamais mien, mais nôtre. » (^Lettres II, xvi.) En apparence les deux formules se ressemblent j mais Pascal marque la différence.

368 PENSÉES.

n'a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu'il est injuste, qu'il se fait centre du tout, je le haïrai toujours.

En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi, en ce qu'il se fait centre du tout ; il est in- commode aux autres, en ce qu'il les veut asservir: car chaque moi est l'ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l'incommodité, mais non pas l'injustice* ; et ainsi vous ne le rendez^ pas aimable à ceux qui en haïssent l'injustice : vous ne le rendez aimable qu'aux injustes, qui n'y trouvent plus leur ennemi ; et ainsi vous demeurez injuste et ne pouvez plaire qu'aux injustes^.

229] 456

Quel dérèglement de jugement, par lequel il n'y a personne qui ne se mette au-dessus de tout le reste du monde, et qui n'aime mieux son propre bien*^, et la durée de son bonheur, et de sa vie, que celle de tout le reste du monde I

1. [Ce qui.]

2. Aimable [gu'à.]

3. « L'homme, de sa nature, pense hautement et superbement de lui-même et ne pense ainsi que de lui-même : la modestie ne tend qu'à faire que personne n'en souffre ; elle est une vertu du dehors, qui règfle ses yeux, sa démarche, ses paroles, son ton de voix, et qui le fait agir extérieurement avec les autres comme s'il n'était pas vrai qu'il les compte pour rien. » (La Bruyère, de l'Homme.^

456 Cf. B., 898; G., 363; Faug., I, i85; Hav., XXV, 2; Mol., 1,48; Mien.,

m.

4. [Que celui.]

SECTION VII. 369

4o2] 457

Chacun est un tout à soi-même, car, lui mort, le' tout est mort pour soi". Et de vient que chacun croit être tout à tous ^ Il ne faut pas juger de la nature selon nous, mais selon elle.

ii5] 458

(( Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie : libido senliendi, libido sciendi, libido domi- nandi*. » Malheureuse la terre de malédiction que

457

Cf. B., 370; C, 327; Faug., I, 226; Hat., XXV, 19; Mol., I, 128; MicH., 637.

1. Le, en surcliarjje.

2. « Nous entraisnons tout avecques nous ; d'où il s'ensuit que nous estimons g^rande chose nostre mort. » (Mont., II, xiii.) Cf. fr. 304-

3. L'expression de tout à tous, au sens Pascal l'emploie, signifie exactement le contraire de ce qu'elle signifie dans le fameux passage de saint Paul : Omnibus omnia factus sum, ut omnes facerem salvos (J adCor.j IX, 22). L'Apôtre se considère comme un moyen tout entier employé au salut d'autrui ; l'homme se pose naturellement, suivant Pascal, comme l'unique fin de tous les autres individus.

458

Cf. B., 333; C, 284; P. R., XXVIII, 48; Bos., XVII, 43; Faug., I, 232; Hav., XXIV, 33; Mol., II, 45; Mich., 297.

4. Quoniam omne quod est in mundo concnpiscentia carnis est, et con- cupiscentia oculorum, et superbia vilœ : quœ non est ex Pâtre, sed ex mundo. Pascal traduit ici un verset de la première Epître de saint Jean (II, 16) qui est devenu le point de départ d'une riche littérature reli- gieuse. Saint Augustin l'a longuement développé dans les Confessions et dans le Traité de la véritable religion, traduit par Antoine Arnauld. Jansénius, dans le discours sur la Réforme de l'Homme intérieur,

PENSÉES. Il 2i

370 PENSÉES.

ces trois' fleuves de feu embrasent plutôt qu'ils n'ar- rosentM Heureux ceux qui, ctant^ sur ces fleuves, non pas* plongés, non pas entraînés, mais immo- biles, mais ^ affermis ; non pas debout, mais assis dans une assiette basse et ^ sûre, d'oii ils ne se relèvent pas avant la lumière, mais \ après s'y être reposés en paix, tendent la main à celui qui les doit élever, pour les faire tenir debout et fermes dans les porches de la sainte Hiérusalem, l'orgueil ne pourra plus les combattre et les abattre ; et qui cependant pleurent, non pas de voir écouler toutes les choses ^ périssables que les torrents entraînent, mais ^ dans le souvenir de leur chère patrie, de la Hiérusalem céleste, dont ils '" se souviennent sans cesse dans la longueur de leur exil" !

que la traduction d'Arnauld d'Andilly répandit parmi les amis de Port- Royal, et dans son Aiigustinus (de Statu naturœ lapsae, II, vni), se trouvent les expressions latines reprises par Pascal : libido excellendi au lieu de doininandi. Bossuet enfin dans le Traité de la concu- piscence.

1. Trois en surcharge.

2. [Malheureuse Babylone.]

3. [Assis.]

l^. [Dedans, mais.]

5. [ilssis.] Leçon des Copies : immobilement affermis; lecture de M. JMoiinier : immobiles et tout affcrnds.

0. [Humble.]

"j. Ce second mais s'oppose à la négation contenue dans la phrase: ne se relèvent pas avant la lumière.

8. Périssables, en surcharge.

g. [De voir.]

10. [Sont bannis.]

11. M. Faugère a rapproché ce fragment de la paraphrase que saint Augustin a écrite sur le psaume CXXXVI : Super jlumina Babylonis, lllic sedimus etjlevimus, cum recordaremus Sion.

SECTION YIl. 371

85] 459

Les fleuves de Babylone coulent, et tombent et entraînent ' .

0 sainte Sion, tout est stable et rien ne tombe " !

Il faut s'asseoir sur les fleuves, non sous ou dedans, mais dessus ; et non debout, mais assis : pour être humble, étant assis, et en sûreté, étant dessus. Mais nous serons debout dans les porches de Hiérusalem ^

Qu'on voie si ce plaisir est stable ou coulant : s'il passe, c'est un fleuve de Babylone '.

85] 460

Concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, orgueil, etc. H y a trois ordres de choses : la chair, l'esprit, la volonté. Les charnels sont les riches, les rois ; ils ont pour l'objet le corps. Les

459

Cf. Facg., I., 23i; Hav., XXIV, 3S bis ; Mol., II, 46; Mich., 2^.

1. Ibid. « Flumina Babylonis sunt omnia quœ hic amantur et transeunt. »

2. Ibid. « 0 Sancta Sion ubi totum stat et nihil fluit. »

3. Dans le commentaire cité par Faug^ère (ch. iv), on lit ces lignes : « Sedeamus super flumina Babylonis, non infra flumina Baby- lonis : talis sit humilitas nostra ut nos non mergat. Sede super flumen, noli in fluminibus, noli sub flumine ; sed tamen sede humilis... In alriis ergo Jérusalem stantes erant pedes nostri. »

4. Ibid. « Si auteni non est certus et videt fluere unde jjaudet, fluvius Babylonius est. »

460 Cr. Faug.,II, 333; Hav., XXV, i8i ; Mol. II, ',5; Mien., 247.

372 PENSÉES.

curieux et savants : ils ont pour objet l'esprit. Les sages : ils ont pour objet la justice \

Dieu doit régner sur tout, et tout se rapporter à lui. Dans les choses de la chair, règne proprement^ la concupiscence; dans les spirituelles, la curiosité proprement; dans la sagesse, l'orgueil proprement. Ce n'est pas qu'on ne puisse être glorieux pour les biens ou pour les connaissances, mais ce n'est pas le lieu de l'orgueil : car, en accordant à un homme qu'il est savant, on ne laissera pas de le convaincre qu'il a tort d'être superbe '. Le lieu propre à la su- perbe est la sagesse, car on ne peut accorder à un homme qu'il s'est rendu sage, et qu'il a tort d'être glorieux ; car cela est de justice. Aussi Dieu seul donne la sagesse ; et c'est pourquoi : Qui gloriatur, in Domino glorietur*.

275] 461

Les trois concupiscences ont fait trois sectes, et

1. Cf. le développement du fr. 798.

2. Proprement^ en surcharge.

3. Commentaire d'un texte de Clcéron (de NaL. deor., II, 36) que Pascal avait trouvé dans l'Apologie de Montaigne, et dans VAugustinus de Jansénlus il est longuement commenté (Z)e hœrcsi Pelagiana, \l, 18) : In virUile vero glorianiur : quod non contingeret, si id donuin a Deo, non a nobis haberemus. Ce texte s'oppose uaturelleineut au verset de l'Ecriture qui termine le fragment.

4. /?< qui'inadniodum scriptum est : [Jér., IX, 28] qui gloriatur, in Do- mino glorietur, I, Cor., I, 3i. Le texte de saint Paul est commenté, en particulier, par Jansénius (^lUscours sur la Béforinalion de l'Homme intérieur, chap. ni.)

461

Cf. B., Cj; C, 87; Faug., II, 92; Hav., VIII, 5; Mot., I, 17G; Mien., 5G4.

SECTION Vil. 373

les philosophes n'ont fait autre chose que suivre une des trois concupiscences * .

47] 462

Recherche du vrai bien. Le commun des hommes met le bien dans la fortune et dans les biens du dehors, ou au moins dans le divertissement. Les philosophes ont montré la vanité de tout cela, et l'ont mis ils ont pu " .

191] 463

\Contre les philosophes qui ont Dieu sans Jésus- Christ.]

Philosophes. Ils croient^ que Dieu est seul digne

1. D'après le sens que Pascal donne au mot philosophe dans un très grand nombre de frag^ments, il apparaît que la concupiscence propre aux philosophes est moins la curiositt^ que l'orjj^ueil. Les Stoïciens se sont « perdus dans la présomption de ce que l'on peut » ; et en rapportant à leurs propres forces l'effort de leur sagesse, ils se sont révoltés contre Dieu. La Rochefoucauld émet un jugement semblable : « Les philosophes, et Sénèque sur tous, n'ont point ôté les crimes par leurs préceptes : ils n'ont fait que les employer au bâtiment de l'orgueil. » (3/ax., supprimée. Ed. Gilbert, 63g.)

462

Cf. B., 35g; C, 3iG; F.vug., II, g5; Hav., XXV, 82 bis; Mol., I, i-!i ;

MiCH., 118.

2. Fragment écrit d'abord au crayon.

463

Cf. B., Gi ; C, 85; P. R., XXIX, 4o ; Bos., II, xvn, 71 ; F.^ug., II, 90 ; H.w., XXIV, 61 bis; Mol., I, 172; Mich., ^21.

3. Dieu [et ne l'aimeat pas]. S'ils se sentent. Port-Royal fait commencer ainsi ce fragment : « Les Platoniciens, et même Epiclète et ses sectateurs croient... »

374 PENSÉES.

d'être aimé et admiré, et ont désiré d'être aimés et admirés des hommes^ ; et ils ne connaissent pas leur corruption. S'ils se sentent pleins de sentiments pour l'aimer et l'adorer, et qu'ils y trouvent leur joie prin- cipale, qu'ils s'estiment bons, à la bonne heure. Mais s'ils s'y trouvent répugnants, s'[ils] n[ont] ^ aucune pente qu'à se vouloir établir dans l'estime des hommes , et que, pour toute perfection, ils fassent^ seulement que ^, sans forcer les hommes, ils '" leur fassent trouver le bonheur à les aimer, je dirai que cette perfection est horrible ^ Quoi ! ils ont connu Dieu, et n'ont pas désiré uniquement que les hommes l'aimassent, mais que les hommes s'arrêtassent à eux ' I Ils ont voulu être l'objet du bonheur volontaire des hommes !

a5i] 464

Philosophes . Nous sommes pleins de choses qui Hous jettent au dehors.

Notre instinct nous fcdt sentir qu'il faut chercher

1 . [ils se trouvent pleins.]

2. Le manuscrit porte s'il n'a.

3. [Que ce soit.] 4- [Les hommes.]

5. [Trouvent leur joie.]

6. [Que c'est ôter à Dieu.]

7. CF. Jansénius: «Quld enim egerunt tanto disputationuni inipelu Philosophi hujus mundi maxime que Stoïci, nisi ut hominem ipsum sibl repudiato omni sive Del sive alterius adjutorio, ad omnem virtu- tem, sapientiam, felicitateraque sufficere persuadèrent ? » de Hœresi Pelarjiana, Y, i. Voir également de Natura lapsa II, 12 : AJJeclas omnis nonpotesl sine peccalo hserere in créature.

464

Cf. B., 61; C, 86; Bos., II, i, i ; Faug., II, 94 ; Hav., VIII, 3; Mol., I, 174 ; MicH., 627.

SECTION YII. 37o

notre bonheur hors de nous ; nos passions nous poussent au dehors, quand même les objets ne s'of- friraient pas ' pour les exciter ; les objets du dehors nous tentent d'eux-mêmes et nous appellent, quand même nous n'y pensons pas. Et ainsi les philosophes ont beau dire : retirez-vous en vous-mêmes ^ vous y trouverez votre bien ; on ne les croit pas, et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots.

48i] 465

Les^ Stoïques disent: rentrez au dedans de vous- mêmes ; c'est vous trouverez votre repos : et cela n'est pas vrai.

Les autres disent : sortez en dehors : recherchez le bonheur en vous divertissant et cela n'est pas vrai : les maladies viennent.

Le bonheur n'est ni hors de nous, ni dans nous ; il est en Dieu\ et hors et dans nous.

197] 466

Quand Epictète^ aurait vu parfaitement bien® le

1. Pour les exciter, surcharge.

2. [On ne.]

465

Cf. B., 196; C, 8; Bos , I, iv, 9; Faug., II, gS ; Hav., I, 9 bis; Mol., I, 74; MicH., 84 1.

3. [Uns.]

4. [Et D'est ni.]

466

Cf. B., 61; C.,85; Faug.,II, 3i5; H.u'., XXV, 43; Mol., II, 20; Mien., 428.

5. [Vous.]

6. [La lumière.]

376 PENSÉES.

chemin, il dit aux hommes : vous en suivez un faux ; il montre que c'en est un autre, mais il n'y mène pas. C'est celui de vouloir ce que Dieu veut ; Jésus-Christ seul y mène : Via ' , verilas '\ Les vices de Zenon même^

i6i] 467

Raison des effets''. Epictète. Ceux qui disent: Vous avez mal à la tête '. . . ; ce n'est pas de même. On est assuré de la santé et non pas de la justice ; et en erfet la sienne était une niaiserie.

1. Dans un sermon prêché à Metz vers i653 sur la Loi de Dieu, Bossuet cite ce mot de saint Augustin Ipsa via ad te venit, « la voie même est venue à nous, car le Sauveur Jésus est la voie ».

2. Saint Jean, XIV, 6: Dicit ei Jcsus: Ego sum via, et veritas, et vita: Nemo venit ad Patrem, nisi per me. Epictète a eu, comme avait d'abord écrit Pascal, la lumière; mais pour arriver au but, 11 ne suffit pas de voir le chemin, il faut la force de le parcourir, et pour cela, ce n'est pas assez de le montrer : la volonté est nécessaire, et elle vient de Dieu.

3. Addition de la copie. Les vices de Zenon témoignent de l'im- puissance du stoïcisme à assurer la vertu et le bonheur. D'ailleurs si les vices de Zenon font allusion aux anecdotes que Pascal a pu trouver dans Montaigne sur Zenon, il faut avouer que l'expression est singu- lièrement dure. Zenon a vécu au milieu du monde grec, comme Socrate ; mais rien dans sa vie ne semble avoir démenti sa doctrine.

467 Cf. B., 37; C, 54; Faug,, I, 21G; Mol., I, 109; Mich., Sgo.

4. Cf. fr. 334, 335, 336, 337.

5. Allusion à un passage des Entretiens, IV, 6, que Pascal résume ainsi, fr. 80: « Epictète demande bien plus fortement : Pourquoi ne nous fâchons-nous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu'on dit que nous raisonnons mal, ou que nous choisissons mal. Ce qui cause cela est que nous sommes bien certains que nous n'avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux; mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai. »

SECTION VIT. 377

Et cependant il la croyait démonstrative en disant : (( Ou en notre puissance ou non\ » Mais il ne s'aper- cevait pas qu'il n'est pas en notre pouvoir de régler le cœur, et il avait tort de le conclure de ce qu'il y avait des chrétiens ^

465] 468

Nulle autre religion n'a proposé de se haïr. Nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïs- sent ^ et qui cherchent un être véritablement aimable * . Etceux-là% s'ils n'avaient jamais ouï parler de la reli- gion d'un Dieu humilié, l'embrasseraient inconti- nent.

*I25] 469

Je sens que je puis n'avoir point été, car le moi

1. (( Quand donc il se présentera à nous quelque objet, afin que nous ne nous en troublions point comme d'un bien ou d'un mal, regfardons si c'est chose qui soit en notre puissance ou non. » (Du Vair, La philosophie morale des Sloïqiies, éd. i6o3, p. il\). Du Vair emploie encore la même expression, p. 16. C'est la première pensée du manuel d'Epictète.

2. Cf. fr. 35o : « Epictète conclut de ce qu'il y a des chrétiens constants que chacun le peut être. » Voir en note le passage des Entreliens, IV, 7, qui est visé par Pascal.

468

ce. B., iio; C, i36; P. R., II, 4; Bos., II, iv, 4; Faug., II, 1^2; Hav., XI, 4; Mol., I, 289; Mich., 825.

3. [Et qui cherchent hors d'eux].

4. [Mais.]

5. [JV'ayanJ.]

469

Cf. B., 53; C, 75; Bos., I, iv, 11; Falg., II, 17G; IIw., I, 11; Mol., I, ii5 ; Mich,, 32i.

378 PENSÉES.

consiste dans ma pensée ; donc moi qui pense n'aurais point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé ; donc je ne suis pas un être nécessaire'. Je ne suis pas aussi "éternel, ni infini ; mais je vois bien qu'il y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini ^

483] 470

Si j'avais vu un miracle, disent-ils, je me con- vertirais^. — Comment assurent-ils qu'ils feraient ce qu'ils ignorent .^ ils s'imaginent que cette conversion consiste en une adoration qui se fait de Dieu comme un commerce et une conversation telle qu'ils se la figurent. La conversion véritable consiste à ^ s'anéantir devant cet être universel qu'on a irrité tant de fois.

1. Cf. Nicole : « Je sens que je suis infiniment plus noble que cette matière ; je la connais, et elle ne me connaît point ; et néanmoins je sens en même temps que je ne suis pas éternel. » (Discours de l'Existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme.)

2. [Infini.]

3. « II y a quarante ans que je n'étais point, et qu'il n'était pas en moi de pouvoir jamais être, comme il ne dépend pas de moi, qui suis une fois, de n'être plus. J'ai donc commencé, et je continue d'être par quelque chose qui est hors de moi, qui durera après moi, qui est meilleur et plus puissant que moi. Si ce quelque chose n'est pas Dieu, qu'on me dise ce que c'est. « (La Bruyère, Des Esprits forts.)

470

Cf. B., i85; C, 217; P. R., VI, i ; Bos., II, ri, 5; Faug., II, 282; Hav., XIII, 9; Mol., 11,49; MiCH., 846.

fl. Cf. fr. 263. Peut-être est-ce un souvenir de la conversation que le Recueil d'Utrecht nous rapporte entre Pascal et l'homme sans religion, et Pascal aurait formellement affirmé l'approche du miracle (p. 3oo).

5. [S'humilier.]

SECTION VII. 379

et qui peut vous perdre Icgitimement à toute heure ; à reconnaître qu'on ne peut rien sans lui, et qu'on n'a mérité rien de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connaître qu'il y a une opposition invincible entre Dieu et nous, et que, sans un médiateur, il ne peut y avoir de commerce.

*2U1 471

Il est injuste qu'on s'attache à moi, quoiqu'on le fasse avec plaisir et volontairement ; je tromperais ceux à qui j'en ferais naître le désir', car je ne suis la fin de personne et n'ai pas de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir"? et ainsi 1 objet de leur attachement mourra. Donc% comme je serais cou- pable de faire croire une fausseté, quoique je la per- suadasse doucement, et qu'on la crût avec plaisir, et qu'en cela on me fit plaisir, de même, je suis cou- pable de me faire aimer. Et si j'attire les gens à s'at-

471 Cf. B., igi; C, 5; P. R., XXVIII, 56; Bos., II, ivii, ig ; Faug., I, 198; Hat., XXIV, 39 ter; Mol., II, /ii ; Mich., 5i4.

1. Cf. le déyeloppement de Nicole dans le Traité de la Civilité chrétienne, chap. 11 ÇEssais de morale, t. II, p. 120): « Il y a une injustice toute visible à vouloir être aimé », etc.

2. Il est nécessaire de remarquer que prêt à n'indique pas une disposition morale, comme plus loin dans le même fragment. Il signifie près de. (^ oir fr. 233 supra p. i5i). Cf. La Fontaine, Fables, III, 12 :

L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage et Corneille, Attila, I, 2 :

Ln grand destin commence, un grand destin s'achève, L'Empire est prêt à choir, et la France s'élève.

3. Faugère ponctue : l'objet de leur attachement mourra donc. Comme je serais...

•"^^0 PENSÉES.

tacher à moi', je dois averlir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu'ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m'en revînt ; et, de même, qu'ils ne doivent pas s'attacher à moi; car il faut qu'ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu, ou à le chercher".

1. MM. Molinier et Micliaut ponctuent : je suis coupable de me faire aimer, et si j'attire les gens... Pourtant 11 y a bien deux idées dis- tinctes: lo je suis coupable de me faire aimer. Si j'attire les gens à s'attacher à moi, je leur demande de se défendre contre ce mensonge dont je me serais rendu coupable.

2. Le manuscrit ne donne qu'une copie de cette pensée, et ajoute cette note qui paraît être de la main de Domat : « MllePérier a l'ori- {,Mnal de ce billet. » Mlle Périer est Gilberte Pascal; dans la Vie de Biaise Pascal, elle cite ce billet qui lui a livré le secret delà con- duite de son frère à son ég^ard. Dans l'édition de Port-Royal, moi et je sont partout remplacés par nous. Port-Royal aurait-il voulu appliquer à Pascal lui-même la maxime de Pascal : Le moi est haïs- sable? ou a-t-il voulu généraliser le principe d'action qui est ici indi- qué, et accroître ainsi la portée de la pensée? Mais puisqu'il s'agit ICI non du moi qui se fait injustement le centre de tout, mais du moi qui s'efface devant Dieu, et se condamne à disparaître, c'est bien le lieu de dire moi. Et, d'autre part, ce qui rend ces lignes si touchantes et si pénétrantes, c'est qu'elles ne constituent pas un pré- cepte d'édification, elles sont comme une profession de foi, se peint l'àme ardente de Pascal, se faisant scrupule de la très vive affection que lui portaient les siens, et luttant contre elle afin de ne pas em- piéter sur le domaine réservé à Dieu. Dans VHistoire de l'abbaye de Port-Royal (t. IV, p. 467), le docteur Besoigne publie sur Pascal une page qu'il est intéressant de reproduire ici; car il est très probable que nous sommes en présence d'une source originale que l'auteur copie sans la citer, vraisemblablement d'un fragment inédit de la Vie écrite par Mme Perier : « Personne n'a jamais été plus digne d'être aimé ; et personne n'a jamais su mieux aimer et ne l'a pratiqué mieux que lui. Mais sa tendresse était toujours réglée sur les principes du christianisme, que la raison et la foi lui mettaient devant les yeux. Ainsi elle n'allait jamais jusqu'à ce qu'on appelle attache du cœur. Il distinguait deux sortes de tendresse, l'une sensible, l'autre raisonnable. Il n'estimait que la seconde, et ne trouvait de mérite que dans celle-là. Elle consiste selon

SECTION Vil. 381

Première Copie 179] 472

La volonté propre' ne se satisfera jamais, quand elle aurait pouvoir de tout ce qu'elle veut ; mais on est satisfait dès l'instant qu'on y renonce ^ Sans elle,

lui à prendre part ;i tout ce qui arrive à nos amis, en toutes les manières que la raison éclairée par la religion veut que nous y pre- nions part, au dépens de notre commodité, de nos biens, de notre liberté et même de notre vie, si c'est un sujet qui le mérite : ce qui se rencontre toujours, quand il s'agit de servir le prochain pour Dieu, qui doit être l'unique fin de toute la tendresse des chrétiens. « Lu « cœur est dur, disait-il, quand il connaît les intérêts du prochain et « qu'il résiste à l'obligation qui le presse d'y prendre part ; et au « contraire un cœur est tendre, quand tous les intérêts du prochain « entrent en lui facilement par tous les sentiments que la raison veut « qu'on ait les uns pour les autres en semblables rencontres ; qu'on « se réjouit, quand il faut se réjouir ; qu'on s'afflige, quand il faut <f s'affliger. » Voilà par il bannissait de l'amitié non seulement l'attache, mais encore l'amusement: « parce que la charité n'ayant « que Dieu pour fin, ne peut s'attacher qu'à lui seul, ni s'arrêter à « rien qui l'amuse ; sachant qu'il n'y a point de temps à perdre, et « que Dieu, qui voit et juge tout, nous fera rendre compte de tout ce « qui dans notre vie ne sera pas un nouveau pas pour avancer dans « la voie de la perfection. »

472

Cf. C, 211 ; P. R., XXMII, 55; Bos., II, xvn, ig; F.vug., I, 227; Hav., XXIV, 39; Mol., II, 4i ; Mica., 8f)3.

1. La volonté propre, au sens pélagien du mot, c'est la volonté qui vient de nous par opposition à la grâce qui vient de Dieu ; c'est ici pour Pascal, et par analogie, semble-t-il, avec l'amour- propre^ la volonté qui s'attache à nous. Ces deux sens sont liés l'un à l'autre dans la doctrine du jansénisme: par suite du péché originel notre volonté est dépravée, son développement spontané la fait égoïste et tyrannique.

2. Cf. cette formule de Schopenhauer : « Chacun est heureux quand il est toutes choses, et malheureux quand il n'est plus qu'un individu. » Le monde comme volonté et comme représentation, Suppl- eh. XXX (trad. Burdeau, t. IIl, p. i83).

382 PENSÉES.

on ne peut être malcontent ; par elle, on ne peut être content'.

*i67J 473

Qu'on s'imagine un corps plein de membres pen- sants.

*2G5j Ix-ik

Membres. Commencer par là. Pour régler l'amour qu'on se doit à soi-même, il faut s'imaginer un corps plein de membres pensants, car nous sommes membres du tout, et voir comment chaque membre" devrait s'aimer, etc..

1. Pascal paraît se souvenir d'un long parallèle de Raymond Sebon : « Nous tenons donc deux fondements entièrement contraires, l'un de tout mal, l'autre de tout bien... L'un qui est l'amour de Dien rend votre volonté commune, universelle et communicable; l'autre, qui est l'amour de nous, la rend singulière, propre, privée, toute à nous- mêmes... l'un fait notre volonté reposée, pacifique et aimable; celle de nous la rend trouble, farouche et querelleuse... L'un la met en toute liberté, hors de la sujétion des créatures, et lui donne entière maîtrise sur elle ; l'autre la met en prison captive, et la soumet à toutes les choses qui lui sont inférieures. » Cf. Domat : « Il n'y a que deux voies pour se rendre heureux et content : l'une de remplir tous nos désirs, l'autre de les borner à ce que nous pouvons posséder. La première est impossible en cette vie ; ainsi c'est une folie d'entre- prendre de se contenter en ce monde par cette voie. » (Pensée XLIII.J

473

Cf. B., i8i; C, 2i3; Faug., II, 878 note; Mich., l,io.

474

Cf. B., 180; G., 2i3; P. R., uH., XXIX, 4 ; Bos., Il, xvu, 70; Faug., II, 377; Hat., XXIV, 60; Mol., II, 3C ; Mich., 539.

2. Membre eu surcharge.

SECTION YII. 383

365] 475

Si les pieds et les mains avaient une volonté par- ticulière, jamais ils ne seraient dans leur ordre qu'en soumettant cette volonté particulière à la volonté première qui gouverne le corps entier. Hors de là, ils sont dans le désordre et dans le malheur ; mais en ne voulant que le bien du corps, ils font leur propre bien.

199] 476

Il faut n'aimer que Dieu et ne haïr que soi \ Si le pied avait toujours ignoré qu'il appartînt au corps, et qu'il y eût un corps dont il dépendit, s'il n'avait eu que la connaissance et l'amour de soi, et qu'il vînt à connaître qu'il appartient à un corps duquel il dépend, quel regret, quelle confusion de sa vie passée, d'avoir été inutile au corps qui lui a

475

Cf. B., 182; G., 3i5; P. R., u?(., XXIX, 6; Faug., II, 877 ; Hav.,XXIV,

60; Mol., II, 36; Mich., 5'a2.

476

Cf. B., 1S2; G., 2i5; Bos., II, xvii, 70; Faug., II, 38o; Hav., XXIV, 60 6w; Mol., II, Sg; Mien., 482.

I. (c Secernunt civitates duas amores duo, terrenam scilicet amor sui usque ad contemptum Dei, cœlesteni vero amor Dei usque ad contemptum sui » (Saint Augustin, de Civit. Dei, XIV, 28. Dans la Théologie naturelle de Raymond Sebon, Pascal avait lu de longs développements logiques et symétriques sur l'amour et la haine de Dieu, sur l'amour et la haine de nous (Ch. 1 70-1 "3) : « L'amour de Dieu se rapporte à sa haine comme à son opposite et à la haiue de nous, comme ù sa chère compagne. »

384 PENSÉES.

influé la vie, qui l'eût anéanti s'il l'eût rejeté et sé- paré de soi, comme il se séparait de lui I Quelles prières d'y être conservé I et avec quelle soumission se laisserait-il gouverner à la volonté qui régit le corps, jusqu'à consentir à être retranché s'il le faut! ou il perdrait sa qualité de membre ; car il faut que tout le monde veuille bien périr pour le corps, qui est le seul pour qui tout est\

8] 477

Il est faux que nous soyons ^ dignes que les autres nous aiment, il est injuste que nous le voulions. Si nous naissons raisonnables, et indifférents, et con- naissant nous et les autres, nous ne donnerions

1. Saint Paul, I Cor., XII, 5 : « Si le pied vient à dire : Puisque je ne suis pas la main, je ne suis plus du corps, ne sera-t-il plus du corps pour cela ? » Gomme le fait remarquer Havet, la comparaison se trouve déjà dans Epictète : « Si je considère le pied, je dirai que sa nature est d'être propre ; mais si je le prends comme pied, et non comme détaché du reste, ce pourra être son devoir d'entrer dans la boue, ou de marcher sur des épines, ou même de se faire couper dans l'intérêt du tout. Autrement il ne serait plus le pied. » (^Entretiens, II, 5). La comparaison est essentiellement conforme à l'esprit de la phi- losophie stoïcienne. Le monde est un vaste animal dont Dieu est l'âme ; l'unité de l'organisme est l'image et le produit de l'harmonie universelle. Notre devoir est de nous comporter vis-à-vis de l'univers comme la partie vis-à-vis du tout. Totum hoc quo continemur, et unum est et dcus ; et socii sumus ejus et membra (Sen., Ep., XCII, 3o). Voir aussi Marc-Aurèle, VIII, 34- Pi'i" delà le stoïcisme enfin l'ana- logie remonte jusqu'à Socrate ; l'amitié de deux frères est comparée à l'affection mutuelle que se portent les deux mains ou les deux pieds ou les deux yeux ^Mémorables, II, m, 8).

477 Cf. B., 2oG;C., 417; P. R., IX, 5 et C ; Bos., II, xvu, G7 ; Faug., II, 171; Hav., XXIV, 56; Mol., II, 89; Micir., 1!,.

2. [Plus.]

SECTION VII. 385

point cette inclination à notre volonté. Nous naissons pourtant avec elle ; nous naissons donc injustes, car tout tend à soi. Cela est contre tout ordre : il faut tendre au général ; et la pente vers soi est le com- mencement de tout désordre, en guerre, en police, en économie, dans le corps particulier de l'homme. La volonté est donc dépravée.

Si les membres des communautés naturelles et civiles tendent au bien du corps, les communautés elles-mêmes doivent tendre à un autre corps plus général, dont elles sont membres. L'on doit donc tendre au général. Nous naissons donc injustes et dépravés.

*48i] 478

Quand nous voulons penser à Dieu, n'y a-t-il rien qui' nous détourne, nous tente dépenser ail- leurs ? Tout cela est mauvais et avec nous.

7] 479

S'il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui, et non les créatures passagères. Le raisonnement des im- pies, dans la Sagesse, n'est fondé que sur ce qu'il n'y a point de Dieu. Cela posé, dit-il, jouissons

478

Cf. B,, 194; G., 4;P. R., IX,4; Bos., II, ivn, 66; Faug., I, 228; Hav., XXIV, 55; Mol., I, 294; Mich., 844-

479

Cf. B., 357; C, 3i4; P. R., IX, 3; Bos., II, ivii, 65; Faug., II, i43; Hav., XXIV, 54; Mol., II, 42; Mich., 18.

PENSÉES. II 2o

386 PENSÉES.

donc des créatures \ C'est le pis aller. Mais s'il y avait un Dieu à aimer, il n'aurait pas conclu cela, mais bien le contraire ; et c'est la conclusion des sages : Il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures.

Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais, puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu, si nous le connaissons, ou de le chercher, si nous l'ignorons. Or nous sommes pleins de concupiscence ; donc nous sommes pleins de mal; donc nous devons nous haïr nous-mêmes, et tout ce qui nous excite à autre attache que Dieu seul.

199] 480

Pour faire que les membres soient heureux, il faut qu'ils aient une volonté et qu'ils la conforment au corps ^

161] 481

Les exemples des morts généreuses de Lacédémo-

1. Sag. II, 6, Venite ergo et fruamnr bonis quœ sunt, et utaniur creatura tanquam injuventute celeriter.

480

Cf. B., i8i; B., 2i3; Fauc, II, 38o ; Hav., XXIV, (jo ter; Mol., II, Sg ; Micii., ^(33.

2. Fragment d'abord écrit au crayon.

481

Cf. B., 178; G., 210; P. R, ait., XXVIII, 3i; Faug., I, 227; Hav., WIV, Aj; Mol., II, 38; Micii., 3yi.

SECTION VU. 387

mens et autres ne nous touchent guère ; car qu'est- ce que cela nous apporte? Mais l'exemple de la mort des martyrs nous touche ; car ce sont nos mem- bres '. Nous avons un Hen commun avec eux ; leur résolution peut former la notre, non seulement par l'exemple, mais parce qu'elle a peut-être mérité la nôtre. Il n'est rien de cela aux exemples des païens : nous n'avons point de Haison à eux: comme on ne devient pas riche pour voir un' étranger qui l'est, mais bien pour voir son père ou son mari qui le soient.

149] 482

Morale. Dieu ' ayant fait le ciel et la terre, qui ne sentent point le bonheur de leur être, il a voulu faire des êtres qui le connussent, et qui composas- sent un corps de membres peasants. Car nos mem- bres ne sentent point le bonheur de leur union, de leur admirable inteUigence, du soin que la nature a d'y influer les esprits, et de les faire croître et durer. Qu'ils seraient heureux s'ils le sentaient, s'ils le voyaient ! Mais il faudrait pour cela qu'ils eussent intelhgence pour le connaître, et bonne volonté pour consentir à celle de l'âme universelle. Que si.

1. Rom.Xll, 5 : Multi umm corpus sumus in Christo, singuli autem aller allerius membra.

2 . [Homme.]

482

378, Hav., XXIV, 09; Mol., II, 37; MicH., 368.

3. [il voulu faire.]

388 PENSÉES.

ayant reçu l'intelligence, ils s'en servaient à retenir en eux-mêmes la nourriture, sans la laisser passer aux autres membres, ils seraient non seulement injustes, mais encore misérables, et se haïraient plutôt que de s'aimer ; leur béatitude, aussi bien que leur devoir, consistant à consentir' à la conduite de l'âme entière à qui ils appartiennent, qui les aime mieux' qu'ils ne s'aiment eux-mêmes.

agi 483

Être membre, est n'avoir de vie, d'être et de mou- vement que par^ l'esprit du corps et pour le corps.

Le membre séparé, ne voyant plus le corps auquel il appartient, n'a plus qu'un être périssant et mou- rant ; cependant il croit être un tout, et ne se voyant point de corps dont il dépende, il croit ne dépendre que de soi, et veut se faire centre et corps lui-même. Mais n'ayant point en soi de principe de vie, H ne fait que s'égarer, et s'étonne dans l'incertitude de son être', sentant bien qu'il n'est pas corps, et

I. [Aux]. ...

a Mieux, en ce sens que l'âme aime les membres parce qu ils con- courent à la vie totale de l'être, ce qui est leur véritable destinée ; c'est pourquoi l'amour de l'âme pour les membres est, relat.vement à ces membres eux-mêmes, plus légitime et plus profond que ne peut l'être l'attachement égoïste à leur conservation ou à leur développe- ment indépendant du tout.

483 Cf. B., .8, ; C, 2.4; P. R., XXIX, 3; Bos., II xvn, 70; F*.o II, 379; Hat., X\IV, 59 bis et XXIV, 69 ter; Mol., II, 87; M.c..., 367.

3. [Le] corps.

4. [voyant.]

SECTION VII. 389

cependant ne voyant point qu'il soit membre d'un corps. Enfin, quand il vient à se connaître, il est comme revenu chez soi, et ne s'aime plus que pour le corps; il plaint ses égarements passés.

Il ne pourrait pas par sa nature aimer une autre chose, sinon pour soi-même et pour se l'asservir*, parce que chaque chose s'aime plus que tout. Mais en aimant le corps, il s'aime soi-même, parce qu'il n'a d'être qu'en lui, par lui et pour lui : qui adhœret Deo unus spiritas est^.

Le corps aime la main ; et la main, si elle avait une volonté, devrait s'aimer de la même sorte que l'âme l'aime. Tout amour qui va au delà est in- juste ^

Adhaerens Deo unas spiritas est. On s'aime, parce qu'on est membre de Jésus-Christ ; on aime Jésus- Christ, parce qu'il est le corps dont on est membre. Tout est un, l'un est en l'autre, comme les trois Personnes \

I. [jnajs.]

3. I. Cor., VI, 17.

3. Addition en marge.

4. M. Boutroux a donné de ces lignes un commentaire remarquable dans une conférence sur la Psychologie du mysticisme : « Vous vous rappelez le mot de Gœthe : « Alors se développe en toi la puissance de « l'âme, et tu entends l'esprit parler à l'esprit. » C'est cette communi- cation directe des esprits à travers les corps sous l'action de Dieu, qui est le rêve du mysticisme. Pascal en a bien rendu l'idée par ces mots très simples et, si je ne me trompe, très riches de sens : « Tout « est un, l'un est l'autre, comme les trois personnes. » La Trinité chrétienne est précisément l'expression de cette union propre aux personnes, la distinction des consciences subsiste, au sein d'une étroite et parfaite communauté. » (Revue Bleue, i5 mars 1902, p. 324).

390 PENSÉES.

419] 484

Deux lois suffisent pour régler toute la République chrétienne, mieux que toutes les lois politiques '.

II 3] 485

La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de cher- cher un être véritablement aimable, pour l'aimer. Mais, comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous ^ et cela est vrai d'un chacun de tous les hommes. Or il n'y a que l'Etre universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous*: le bien universel est en nous, est nous-même, et n'est pas nous.

484

Cf. B., iS-î; g , 2i5; P. R., XXVIII, 11; Bos., II, xvii, 17 ; Faug., II, 378; Hat., XXIV, i5; Mol., II, 42; Mich., 677.

1. « Un docteur de la loi, d'entre les Pharisiens, voulant tenter Jésus, lui demanda : Maître, quels sont les grands préceptes de la loi ? Jésus lui répondit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée. Voilà le plus grand et le premier des préceptes. Le second, semblable au premier, est celui- ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes comprennent toute la loi et les prophètes ». Matth., XXII, 35. Cf. Marc, XII, 28.

485

Cf. B., 3.37; C, 289; P. R., u/(., XXVIII; Bos., II, xvu, 49; Faug,, I, 228; Hav., XXIV, 39 bis; Mol., II, 4i; Mich., 29^.

2. De et cela à or en surcharge.

3. Inlerrogatus autem a Pharisœis : Quando venit regnum Dei ? res- pondens eis, dixit : Non venit regniim Dei cum observatione : neque dicent : Ecce hic, aut illic. Ecce enim regnum Dei intra vos est. Luc, VI, 20 et 31.

SECTION VII. 391

3a5] 486

La dignité de l'homme consistait, dans son inno- cence, à user et dominer sur les créatures, mais aujourd'hui à s'en séparer et s'y assujettir ^

335] 487

Toute religion est fausse, qui^ dans sa foi, n'adore pas 'un Dieu comme principe de toutes choses, et qui, dans sa morale, n'aime pas un seul Dieu comme objet ^ de toutes choses.

2"^ Man. Guerrier] 488

. . . Mais il est impossible que Dieu soit jamais la

486

Cf. B.,407; C, 382; p. R., XXVIII, 2; Bos., Il, ivii, 12; Faug., II, 35o ; Hav , XXIV, 11 bis; Mol., I, 297; Mich., 477.

1. En marge les sens, titre pour le fragment 28 qui est écrit sur la même page du manuscrit.

487

Cf. B., iSg, C, 235; P. R., XXVII, l^■, Bos., II, xvi, 3; Faug., II, 259; Hav., XXIII, 4; Mol., I, 280; Mich., 609.

2. Dans sa foi en surcharge.

3. Un en surcharge.

4. C'est-à-dire que toutes choses doivent avoir Dieu pour objet. C'est le sens Bossuet emploie le mot dans des passages tels que les suivants : « Toi qui étais pour l'éternité et pour un objetimmortel. » (Prof, de foi de Mad. de la Vallière.) « L'éternité se présentait à ses yeux comme le digne objet du cœur de l'homme. » (^Or. fun. de Michel le Tellier.^

488

Cf. Faug., I, 286; Hav., XXV, 78 et Proo., 293; Mol., I, 3i5; Mich., 973.

392 PENSÉES.

fin, s'il n'est le principe*. On dirige sa vue en haut, mais on s'appuie sur le sable : et la terre fondra, et on tombera en regardant le ciel.

557] 489

S'il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout, tout par lui, tout pour lui. Il faut donc que la vraie religion nous enseigne à n'adorer que lui et à n'aimer que lui. Mais, comme nous nous trouvons dans l'impuissance d'adorer" ce que nous ne"con- naissons pas, et d'aimer autre chose que nous, il faut que la religion qui instruit de ces devoirs nous instruise aussi de ces impuissances, et qu'elle nous apprenne aussi les remèdes. Elle nous apprend que, par un homme, tout a été perdu, et la liaison rompue entre Dieu et nous, et que, par un homme, la liaison est réparée.

Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu, et il est si nécessaire, qu'il faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste \

1 . Cf. l'écrit de Pascal sur la Conversion dapécheur : « Elle [/'dme] fait d'ardentes prières à Dieu pour obtenir de sa miséricorde que, comme il lui a plu de se découvrir à elle, il lui plaise de la conduire à lui et lui faire connaître les moyens d'y arriver. Car comme c'est à Dieu qu'elle aspire, elle aspire encore à n'y arriver que par des moyens qui viennent de Dieu même, parce qu'elle veut qu'il soit lui-même son chemin, son objet et sa dernière fin. »

489

Cf. B., io5; C, i3o;P. R., III, i; Bos., II, v, i; Fauo., II, iW;Hav., XII, 6; Mol., I, 280; Mich., 808.

2. [Et d'aimer.

3. Après avoir défini la doctrine intégfrale de la religion, fondée sur le péché originel et sur la rédemption, Pascal pose avec netteté

SECTION VII. 393

90] 490

Les hommes, n'ayant pas accoutumé de former le mérite, mais seulement le récompenser oii ils le trouvent formé, jugent de Dieu par eux-mêmes'.

455] 491

La ^ vraie religion doit avoir pour marque d'obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste, et cependant aucune ne l'a ordonné : la nôtre l'a fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l'impuis- sance ; la nôtre l'a fait. Elle doit y avoir apporté les

l'alternative la plus profonde que le christianisme puisse soulever : puisque l'homme est séparé de Dieu qui est son principe et sa fin, suivant la nature et suivant la raison, c'est qu'un crime a été commis. Le coupable est Dieu ou l'homme ; et comme il est contradictoire à l'essence divine que ce soit Dieu, il faut donc que ce soit l'homme ; le péché originel est nécessaire pour justifier Dieu.

490

Cf. Faug., II, 384; Hav., XXV, 107; Mol., I, 294; Mich., 256.

I . Les hommes considèrent la justice divine comme devant donner une sanction des actions humaines, proportionnellement au mérite de chacun. Mais la justice de Dieu consiste à former le mérite, c'est-à- dire à accorder la grâce qui entraînera le salut. Elle s'exerce non pas postérieurement, mais antérieurement à notre existence ; elle n'est pas distributive et régulatrice ; elle est créatrice et constitutive. Cf. cette phrase de Du Guet dans une lettre citée par Sainte-Beuve: « Quand nous aimons, nous supposons un bien ; quand Dieu aime, il le produit » (Port-Royal, S^éd., t. V, p. 118).

491

Cf. B., 108; C, i34; P. R., II, i; Bos., II, iv, i ; Faug., II, i44; Hat., XI, i; Mol., I, 279; Mich., 8o4.

3. [Plus.]

394 PENSÉES.

remèdes': l'un est la prière. Nulle religion n'a demandé à Dieu de l'aimer et de le suivre ^

II] 492

Qui ne hait en soi son amour-propre, et cet ins- tinct qui le porte à se faire Dieu ^ est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n'est si opposé à la justice et à la vérité ? car il est faux que nous méritions cela ; et il est injuste et impossible d'y arriver, puisque tous demandent la même chose. C'est donc une matiifeste injustice oîi nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire, et dont il faut nous défaire *.

Cependant aucune religion n'a remarqué que ce

1 . [Le nôtre l'a fait : les couvents des Religieuses, cette foule de péni- [feijfs, Philon juif.] L'allusion à Pliilon le juif est expliquée au fr. 724.

2. Cf. l'Ecrit sur la conversion du Pécheur : « Elle se résout de con- former à ses volontés le reste de sa vie ; mais comme sa faiblesse naturelle, avec l'habitude qu'elle a aux péchés elle a vécu, l'ont réduite dans l'impuissance d'arriver à cette félicité, elle implore de sa miséricorde les moyens d'arriver à lui, de s'attacher à lui, d'y adhérer éternellement... »

492

Cf. B., 357; C. 3i3; P. R , IX, 7; Bos., II, xvn, C7 ; Faug., II, i/,3; Hav., XXIV, 56 6(5; Mol., II, ko; Mich., 24.

3. « Tous les hommes en général ayant secoué le joug de cette vérité et cette volonté toute-puissante, se plaisent d'abord à être maîtres d'eux-mêmes, et chacun d'eux désire ensuite, s'il est possible, d'être seul maître de toutes les autres. Ainsi l'homme violant toutes les règles de la raison et de la nature, veut irriter la toute-puissance divine ; et au lieu qu'il n'y ait que Dieu seul qui doive dominer sur toutes les âmes, et dont la domination soit utile et salutaire, l'homme, dit excellemment saint Augustin (Tract. 43 in Joan.), veut tenir la place de Dieu, tant pour soi que pour les autres, autant qu'il lui est pos- sible. :■) (Jansénius, Discours sur la Réformation de l'homme intérieur ^ ch. III.)

4. El dont il faut nous défaire., en surcharge.

SECTION VII. 39o

fût un péché, ni que nous y fussions nés, ni que* nous fussions obligés d'y résister, ni n'a pensé à nous en donner les remèdes,

465] 493

La \Taie religion enseigne nos devoirs, nos im- puissances : orgueil et concupiscence" ; et les remèdes : humilité, mortification \

Première Copie aSa] 494

Il faudrait que la véritable religion enseignât la grandeur, la misère, portât à l'estime et au mépris de soi, à l'amour et à la haine.

65] 495

Si c'est un aveuglement surnaturel de vivre sans chercher ce qu'on est, c'en est un ^ terrible de vivre mal, en croyant Dieu.

1. [Dieu.]

493

Cf. B., 109; G., ï34; Faug., II, i4i ; Hav., XXV, 87 ; Mol., I, 279; MicH., 822.

2. Orgueil et concupiscence, surcharge.

3. Humilité, mortification, surcharge.

494

Cf. C, 445; Bos., II, xvii, 9; Faug., II, i42 ; Hat., XXIV, 9 bis; Mol., I, 279; MicH., 920.

495

Cf. B., 359; G, 3i6; P. R., IX, 9 ; Bos., II, svn, 68; Falg, I, 226 ; Hat., XXIV, 57 bis; Mol., I, 16; Mich., iBi.

4. [Horrible.]

396 PENSÉES.

4ia] 496

L'expérience nous fait voir une différence énorme entre la dévotion et la bonté ' .

♦327] 497

^ Contre ceux qui sur la confiance de la miséricorde de Dieu demeurent dans la nonchalance, sans faire de bonnes œuvres. ^ Comme les deux sources'de nos péchés sont l'orgueil et la paresse, Dieu nous a dé- couvert deux qualités en lui pour les guérir : sa misé- ricorde et sa justice. Le propre de la justice est d'abattre l'orgueil, quelque saintes que soient les œuvres, et non intres in judicium'" , etc. ; et le propre

496

Cf B., 179; C, 312; Faug., I, 207; Hav., XXV, 67; Mol., II, 100,

MlCH., 669.

1. « Ruineuse instruction à toute police, et bien plus dommageable qu'ingénieuse et subtile, qui persuade aux peuples la religieuse créance suffire seule, et sans les mœurs, ît contenter la divine iustice ! L'usage nous faict veoir une distinction énorme entre la dévotion et la con- science. » (Montaigne. Essais, III, xii.) Cf. Domat : « Aujourd'hui la dévotion et la vertu sont choses Fort différentes. » (Pensée XLII.)

497 Cf. B., 402; C, 376; P. R , XXVIII, 46; Dos., II, xvn, 42; Faug., II, 376; Hav., XXIV, 32; M.GH., 48i.

2. Ecrit par Mme Périer.

3. [La justice de Dieu et sa miséricorde sont deux choses [qualités que Dieu BOUS fait voir en lui pour opposer aux deux sources de tous les péchés des hommes qui sont l'orgueil et la paresse.] La justice [comfcat] l'orgueil et la miséricorde [combat] la paresse.

4- Ps. CXLII, 2 : Et non intres in judicium cum servo tuo : quia non justijicabitiir in conspcctu tua omnis vivons.

SECTION VII. 397

de la miséricorde est de combattre la paresse en invi- tant aux bonnes œuvres, selon ce passage : « La miséricorde de Dieu invite à pénitence' » ; et cet autre des Ninivites : « Faisons pénitence, pour voir si par aventure il aura pitié de nous^ » Et ainsi tant s'en faut que la miséricorde autorise le relâchement, que c'est au contraire la qualité qui le combat for- mellement; de sorte qu'au lieu de dire : S'il n'y avait point en Dieu de miséricorde, il faudrait faire toutes sortes d'efforts pour la vertu ; il faut dire, au contraire, que c'est parce qu'il y a en Dieu de la miséricorde, qu'il faut faire toutes sortes d'efforts.

94] 498

'Il est vrai qu'il y a de la peine, en entrant * dans

1. Rom., Il, 4 : a An divitias bonitatis ejus, et patientise, et longani- mitatis contemnis ? ignoras quoniam benignitas Dei ad pœnitentiam te adducit ?

2. Jonas, III, 9 : Quis scit si convertatur et ignoscat Deus : et rêver- tatar a furore irœ suœ, et non peribimus ?

498

Cf. Bos., II, xTii, 72; Faug., II, 180; Hav., XXIV, 6 1er; Mol., II, 49; MicH., 35g.

3. Ce fragment est-il une première rédaction d'une lettre à made- moiselle de Roanaez ? En tout cas les extraits qui nous sont parvenus s'en rapprochent singulièrement : « Il est bien assuré qu'on ne se détache jamais sans douleur. On ne sent pas son lien quand on suit volontairement celui qui entraîne, comme dit saint Augustin ; mais quand on commence à résister et à marcher en s'éloignant, on souffre bien ; le lien s'étend et endure toute la violence ; et ce lien est notre propre corps, qui ne se rompt qu'à la mort. » (Du 24 sept. i656, II, olim. 4)-

4. En entrant, en surcharge.

398 PENSÉES.

la piété ; mais cette peine ne vient pas de la piété qui commence d'être en nous, mais de l'impiété qui y est encore. Si nos sens ne s'opposaient pas à la péni- tence, et que notre corruption ne s'opposât pas à la pureté de Dieu, il n'y aurait en cela rien de pénible pour nous. Nous ne souffrons qu'à proportion que le vice, qui nous est naturel, résiste à la grâce sur- naturelle ' ; notre cœur se sent déchiré entre des efforts contraires ; mais il serait bien injuste ^ d'im- puter cette violence à Dieu qui nous attire, au lieu de l'attribuer au monde qui nous retient. C'est comme un enfant ^ que sa mère arrache d'entre les bras des voleurs \ doit aimer, dans la peine qu'il souffre, la violence amoureuse et légitime de'^ celle qui procure sa liberté, et ne détester que la violence impétueuse et tyrannique de ceux qui le retiennent injustement ^ La plus cruelle guerre que Dieu puisse faire aux hommes en cette vie est de les laisser sans cette guerre qu'il est venu apporter. « Je suis venu apporter la guerre \ » dit-il ; et, pour instruire de

I. [Nous souffrions dans la violence que fait.]

3. [De se plaindre.]

3. [Qui se plaindrait de la.]

4- [Ne] doit [pas blâmer la.]

5. [La mère.]

6. « Car je lui voudrais dire qu'elle se souvienne que ces inquiétudes ne viennent pas du bien qui commence d'être en elle, mais du mal qui y est encore et qu'il faut diminuer continuellement ; et qu'il faut qu'elle fasse comme un enfant qui est tiré par des voleurs d'entre les bras de sa mère, qui ne le veut point abandonner ; car il ne doit pas accuser de la violence qu'il souffre, la mère qui le retient amoureu- sement, mais ses injustes ravisseurs. » (Ibid.)

n. Math., X, 34 : Non vcni pacem mittere, sed gladium.

SECTION VII. 399

cette guerre : « Je suis venu apporter le fer et le feu*. )) Avant lui le monde vivait dans cette fausse paix '\

107] 499

Œuvres extérieures. Il n'y arien de si périlleux que ce qui plaît à Dieu et aux hommes ; car les états qui plaisent à Dieu et aux hommes ont une chose qui plaît à Dieu, et une autre qui plaît aux hommes ; comme la grandeur de sainte Thérèse : ce qui plaît à Dieu est sa profonde humilité dans ses révélations ; ce qui plaît aux hommes sont ses lu- mières. Et ainsi on se tue d'imiter ses discours, pensant imiter son état, et partant d'aimer ce que Dieu aime, et de se mettre en l'état que Dieu aime.

Il vaut mieux ne pas jeûner et en être humilié, que de jeûner et en être complaisant. Pharisien, publicain ^

Que me servirait de m'en souvenir, si cela peut également me nuire et me servir, et que tout dépend de la bénédiction de Dieu, qu'il ne donne qu'aux choses faites pour lui, et selon ses règles et dans ses

I. [Et son plus grand désir est qu'il embrasse.] Luc, XII, ^9 : Ignemveni mittere in lerram, et quidvolo nisi utaccendatur?

3. « Il faut donc se résoudre à souffrir cette guerre toute sa rie : car il n'y a point ici de paix. « Jésus-Christ est venu apporter le cou- teau, et non pas la paix. » (/6id.). Cf. fr. g^Q-

499 Cf. Faug., I, a33; Hav., XXV, 127; Mol., Il, 5o; Mich., 376.

3. Allusion à la célèbre parabole qui est dans l'Evangile de saint Luc, XVIII, 9-14.

400 PENSÉES.

voies, la manière étant ainsi aussi importante que la chose, et peut-être plus, puisque Dieu peut du mal tirer du bien, et que sans Dieu on tire le mal du bien ?

Première Copie 256] 500

L'intelligence des mots de bien et de mal*.

*i57] 501

Premier degré : être blâmé en faisant mal, et loué en faisant bien. Second degré : n'être ni loué ni blâmé.

349] 50a

Abraham ne prit rien pour lui, mais seulement pour ses serviteurs ^ ; ainsi le juste ne prend rien pour soi du monde, ni des applaudissements du monde ; mais seulement pour ses passions, desquelles il se sert comme maître, en disant à l'une : Va, et :

500

Cf. C, 478; Faug , II, i58; Mol., I, 298; Mich., 980.

1. Dixil autem serpens ad mulierem... et erilis sicut dii, scientes bonum et inalum. (Gen., XII, 4-5). Cf. fr. 553 sub fine.

501

Cf. B , 374'; C, a65; Faug , I, 226; Hav., XXV, laS ; Mol., I, 87 ; Micu., 382.

502

Cf. B., 353 ; C, 3o8 ; Faug., II, 376 ; Hav., XXV, io4 ; Mol., II, 4? ; Mich., 525.

2. Allusion à la fin du chapitre xiv de la Genèse : Abraham reFuse les richesses du roi de Sodome, « afin qu'il ne dise pas : J'ai enrichi Abraham » ; mais il accepte « ce que les jeunes gens ont mangé, et la part des hommes qui sont venus avec lui, Aner, Escoi et Mambré ».

SECTION VII. 401

Viens. Sub te erit appetitus tuus\ Ses passions ainsi dominées sontvertus : l'avarice, lajalousie, la colère ; Dieu même se les attribue"", et ce sont aussi bien vertus que la clémence, la pitié, la constance, qui sont aussi des passions. Il faut s'en servir comme d'esclaves ^, et, leur laissant leur aliment, empêcher que lame n'y en prenne : car quand les passions sont les maîtresses, elles sont vices, et alors elles donnent à l'âme de leur aliment, et l'âme s'en nour- rit et s'en empoisonne.

265] 503

Les philosophes ont consacré les vices, en les met- tant en Dieu même ^ ; les chrétiens ont consacré les vertus.

I. Genèse, IV, 7 : « (Dieu s'adresse à Gain) Sin autem maie [egeris], statim in foribus peccatum aderit ? sed sub te appetitus ejus, et tu domi- naberis illius.

3. Cf. en particulier Exode, XX, 5 : Ego sum Dominas Deus tuus fortis, zelotes, visitans iniquitatem patrum injilios, in tertiam et quartam generationem eoruni qui oderunt me.

3. [Mais.]

503

Cf. B., 183; C, 3i5; Faug., II, g3 ; Hav , XXV, 3o; Mol., I, 291 ; MicH., 54i.

4. Dans l'Apologie, Montaigne reproche « à l'ancienneté... d'avoir attribué la divinité non seulement à la foy, à la vertu, à l'honneur, concorde, liberté, victoire, pieté, mais aussi à la volupté, fraude, mort, envie, vieillesse, misère, à la peur, k la fiebvre... Puisque l'homme desiroit tant de s'apparier à Dieu, il eult mieulx faict, dict Cicero [Tusc, I, 2] de ramener à soy les conditions divines et les attirer ça bas, que d'envoyer hault sa corruption et sa misera ». Cf. le développement de Grotius sur le même sujet ; il rappelle l'ivresse de Bacchus, la conduite impie de Romulus envers son frère, de Jupi- ter envers son père, et il termine ainsi : « Il n'est pas nécessaire de consacrer le vice pour le faire aimer. » (F. R. C, IV, 4)

PENSÉES. Il

402 PENSÉES.

90] 504

^ Le juste agit par foi ^ dans les moindres choses : quand il reprend ses serviteurs, il souhaite leur con- version par l'esprit de Dieu, et prie Dieu de les corriger, et attend autant de Dieu que de ses répré- hensions, et prie Dieu de béniT ses corrections. Et ainsi aux autres actions.

107] 505

Tout nous peut être mortel, même les choses faites pour nous servir ; comme, dans la nature, les murailles peuvent nous tuer, et les degrés nous tuer, si nous n'allons avec justesse.

Le moindre mouvement importe à toute la nature ; la mer entière change pour une pierre^. Ainsi, dans

504

Cf. Faug., II, 37C; Hav., XXV, 54; Mol., II, 47; Mich., 5o4.

1. Ce fragment est préet^dé dans le manuscrit de quelques lignes barrés qui «étaient la fin d'un paragraphe dont le commencement nous manque (les jambages de la ligne précédente sont encore visibles) : privation de l'esprit de Dieu. Et ses actions nous trompent à cause de la parenthèse ou interruption de l'esprit de Dieu en lui, et s'en repent en son affliction. M. Michaut Fait de ces lignes la fin du fragment qu'il relie de la façon suivante : « Et ainsi aux autres actions, provenant de l'esprit de Dieu. »

2. Juslus ex fide vivit (Rom., I, 17 ; Galat., III, 11). Cf. fr. 248.

505

Cf. Bos., suppi, i8; Faug., I, 234; Hav., XXIV, 79; Mol., I, 45 et II, i52 ; Mich., 276.

3. Une pierre qui tombe dans l'eau devient en effet le centre d'une ondulation qui, à parler suivant la rigueur mathématique, se propage ;\ l'infini. La réflexion scientifique ne fait ici que préparer une vérité d'ordre religieux. Mais la conception de la nature que Pascal résume d'une façon si concise n'en est pas moins remarquable par elle-même j

SECTION VII. 403

la grâce, la moindre action importe par ses suites à tout. Donc tout est important.

En chaque action, il faut regarder, outre l'action \ notre état présent, passé, futur, et des autres à qui elle importe, et voir les liaisons de toutes ces choses. Et lors on sera bien retenu.

433] 506

Que Dieu ne nous impute pas nos péchés, c'est- à-dire toutes les conséquences et suites de nos péchés, qui sont effroyables', des moindres fautes, si on veut les suivre sans miséricorde !

429] 507

Les mouvements de grâce, la dureté de cœur, les circonstances extérieures^.

elle se rattache à la doctrine cartésienne des tourbillons qui rend toutes les parties de l'univers solidaires l'une de l'autre, et elle annonce les infiniment petits de Newton et de Leibniz. Cf. Théo- dicée : f* partie, § 9 : « L'univers, quel qu'il puisse être, est tout d'une pièce, comme un océan ; le moindre mouvement y étend son effet ;i quelque distance que ce soit. » Charron avait écrit : « Toutes choses, tant petites soient-elles, sont pièces de ce grand bâtiment de l'univers. Il n'y a chose si mince, menue et chétive à nos yeux, qui ne regarde, ne serve à l'état et perfection, à la tenue de tout ce monde... la goutte d'eau, la feuille d'arbre, le poil de notre tête, leur remuement est le remuement de tout l'univers. » Trois Vérités, I, ix, 6. I. [Ce qui.]

506 Cf. B., 375; C, 337; MicH., 723.

2. [Si on en.]

507

Cf. B., 379; C, 338; Faug , II, 369; Hav., XXV, 187; Mol., II, i25 ; MicH., 712.

3. Toute âme chétienne est partagée entre les mouvements de grâce

404 PENSÉES.

A53] 508

Pour faire d'un homme un saint, il faut bien que ce soit la grâce ; et qui en doute ne sait ce que c'est que saint et qu'honune^

4i6] 509

Philosophes. La belle chose de crier à un homme qui' ne se connaît pas, qu'il aille de lui- même à Dieu I Et la belle chose de le dire à un homme qui se connaît^ !

qu'elle reçoit de Dieu, par les mérites du Rédempteur, et la dureté de cœur, inhérente à la nature corrompue ; les circonstances extérieures interviennent, qui sont le témoignage de la Providence divine, et qui souvent sont décisives. Ainsi, dans la vie de Pascal, l'accident d'Etienne Pascal qui amena en i646 la conversion de toute la famille était interprété comme l'action directe de la Providence.

508

Cf. B., 458; C, 257; Faug., I, 222 ; Hav., XXIV, 74 ; Mol., II, 125 ; MicH., 796.

1. Cette opposition entre l'humanité et la grâce est la doctrine fondamentale du Jansénisme : « Est-ce qu'il n'apparaît pas, dit Jan- sénius, à quel point par son propre poids et sa propre pente la nature tombe dans le vice, et combien il lui faut d'aide pour en être déli- vrée ? » Augustinus (de Nat. lapsa, H, 3). Au contraire les ennemis de la grâce sont ceux qui « déclarent la nature humaine libre, de façon à ne pas chercher de libérateur, saine, de façon à rendre le libérateur inutile » (Saint Aug., Ep. 35, cité dans V Augustinus, t. II, liv. I, ch. i).

509

Cf. B., 61; C, 85; Faug., 11,96; Hav., XXV, 82; Mol., I, 176; Mich., 673.

2. Se connaît [Wen.]

3. Un homme qui se connaît, se connaît par même incapable d'atteindre Dieu par les seules forces de sa nature.

SECTION Vil. 40o

27I 510

L'homme n'est pas digne de Dieu, mais il n'est pas incapable d'en être rendu digne.

Il est indigne de Dieu de se joindre à l'homme misérable ; mais il n'est pas indigne de Dieu de le tirer de sa misère.

47] 5"

Si on veut dire que l'homme est trop peu pour mériter la^ communication avec Dieu, il faut être bien grand pour en juger.

390] 512

^Elle est toute le corps de Jésus-Christ, en son patois \ mais il ne peut dire qu'elle est tout le corps

510

Cf. B., 120; C, 147; Bos., suppL, 21 ; Faug., II, i56; Hat,, XXIV, 83; Mol., 11,21; MicH., 68.

511

Cf. B., 118; C, i44; Bos., suppL, 20; Faug., II, i5G; H.vv., XXIV, 81 bis; Mol., I, 3i5; Mich., 117.

1. [Compagnie et l'amitié.]

512

Cf. Faug , II, 872 ; Hav., XXV, 190; Mol., II, 129; Mich., 6i6.

2. La première phrase est en surcharge.

3. Qu'est-ce qui parle ainsi en son patois? Ce point n'a pas encore élé éclairci ; mais M. Couture a découvert l'origine de la théorie que Pascal discute. Elle est exposée dans les lettres de Descartes au P. Mesland que Clerselier possédait à cette époque et fit connaître à divers correspondants, en particulier à Dom Robert Desgabets qui

406 PENSÉES.

de Jésus-Christ'. L'union de deux choses^ sans changement ne fait point qu'on puisse dire que l'une devient l'autre : ainsi l'âme étant unie au corps, le feu au bois, sans changement; mais il faut chan- gement qui fasse que. la forme de l'une devienne la forme de l'autre, ainsi l'union du Verbe àl'homme^

en fit l'orijjine de son système (voir Descartes, Lettres, Ed. Adam et Tannery, t. IV, p. 171 sqq. et Lemaire, dom Robert Desgabels, 1902, p. 100 sqq.). C'est indirectement, par une interprétation écrite, que Pascal eut connaissance de cette théorie, dont il est possible qu'il ignorât le véritable auteur; car Descartes avait vivement recommandé le secret sur ce point. Voir les articles décisifs de M. Couture parus en novembre et décembre 1898 dans le Bulletin théologiqiie, scienti- fique et littéraire de l'Institut catholique de Toulouse, et réunis en une brochure publiée à Paris, chez Lecoffre : Commentaire d'un frag- ment de Pascal sur l'Eucharistie. Cf. la lettre de Nicole contre l'in- terprétation plùlosophique de l'Eucharistie (^Essais de morale, t. VIII, p. 2i3, éd. 1733): « ils [les Pères] n'ont jamais pensé à cette autre unité chimérique qui fait un même corps de plusieurs portions de matière unies à la même âme... » Plus loin, p. 217, il ajoute, parlant d'un contradicteur qu'il ne nomme pas et qui doit être Desgabets (Cf. Lemaire, op. cit., p. I23) : « Vous pouvez y ajouter que feu M. Pascal qu'il cite comme approbateur de ces principes philosophiques à l'égard de l'étendue en était si étrangement éloigné que quand il voulait donner un exemple d'une rêverie qui pouvait être approuvée par entêtement, il proposait d'ordinaire l'opinion de Descartes sur la matière et sur l'espace. » Voir le fr. 77.

1. Comme le fait remarquer M. Couture, l'interprète de Descartes essaie de traduire dans son système la formule du concile de Trente : per conservationem panis et vini conversioncm Jîeri totius substantiœ panis in substantiam corporis Christi et totius substantiee vini in substantiam sanguinis ejus. Mais l'interprétation du totius est encore équivoque : associée à l'âme de Jésus-Christ, l'hostie devient tout entière le corps de Jésus-Christ, mais elle ne devient pas ce corps tout entier, puisque d'autres corps peuvent être associés à cette âme. Il n'est donc pas satisfait à la condition de réciprocité qui est impliquée dans la trans- substantiation.

2. De deux choses, en surcharge.

3. L'incarnation du Verbe transforme en Jésus la substance de l'humanité; il est le type de la transsubstantiation mystérieuse. L'as-

SECTION VII. 407

Parce que mon corps sans mon âme ne ferait pas^ le corps d'un homme, donc mon âme unie à quelque matière que ce soit, fera mon corps ^ 11 ne distingue la condition nécessaire d'avec la condition suffisante : l'union est nécessaire, mais non suffi- sante : le bras gauche n'est pas le droit. L'impéné- trabilité est une propriété des corps ^. Identité de

sociation de l'âme et du corps, que Deseartes propose comme exemple, ou l'association de deux substances matérielles telles que le feu et le bois, n'a au contraire rien de mystérieux ; c'est une juxtaposition qui n'altère nullement l'intégrité de substance. Il est donc illégitime de ramener l'Eucharistie à un phénomène naturel.

1. [Vn.]

2. Ce passage ne peut être éclairci que par les citations de Des- cartes : « Ce mot de corps est fort équivoque ; car quand nous parlons d'un corps en général, nous entendons une partie déterminée de la matière, ...en sorte qu'on ne saurait ...changer aucune particule de cette matière que nous ne pensions par après que le corps n'est plus tota- lement le même ou idem numéro. Mais quand nous entendons le corps d'un homme, nous n'entendons pas une partie déterminée de matière, ni qui ait une grandeur déterminée, mais seulement nous entendons toute la matière qui est ensemble unie avec l'âme de cet homme... Enfin, quelque matière que ce soit, et de quelque quantité ou figure qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit unie avec la même âme raison- nable, nous la prenons toujours pour le corps du même homme. » (Lettre du 9 fév. i645, éd. Adam, t. IV, p. 167.)

3. La réponse de Pascal à la distinction proposée par Descartes consiste à admettre les deux significations du corps que Descartes a énumérées, mais à montrer que la seconde ne dispense pas de la pre- mière. Sans doute l'identité de l'âme est nécessaire à l'identité du corps humain, mais elle ne suffit pas pour constituer l'identité de ce corps en tant que corps. « Nous ne pensons pas, écrit Descartes, que celui qui a un bras ou une jambe coupée, soit moins homme qu'un autre. » Il ne s'ensuit pourtant pas, répond Pascal, que les différentes parties du corps se confondent les unes avec les autres. Descartes définit le corps animé par une condition extrinsèque, l'union avec l'âme; mais c'est une conception toute relative qui ne supprime pas les propriétés intrinsèques de la matière, et en particulier l'impéné- trabilité. En revenant à ces propriétés, nous voyons réapparaître les difficultés propres au mystère de la transsubstantiation.

408 PENSEES.

numéro au regard du même temps exige l'identité de la matière. Ainsi si Dieu unissait mon âme à un corps à la Chine, le même corps, idem numéro, serait à la Chine ; la même rivière qui coule est idem numéro que celle qui court en même temps à la Chine \

lai] 513

^Pourquoi Dieu a établi la prière. Pour communiquer à ses créatures la dignité de la causalité.

1. Voici la thèse de Descartes: « Le corps de J.-C. étant mis en la place du pain, et venant d'autre air en la place de celui qui envi- ronnait le pain, la superficie qui est entre cet air et le corps de Jésus- Christ demeure eadem numéro qui était auparavant entre d'autre air et le pain, parce qu'elle ne prend pas son identité numérique de l'identité des corps dans lesquels elle existe, mais seulement de l'iden- tité ou ressemblance des dimensions : comme nous pouvons dire que la Loire est la même rivière qui était il y a dix ans, bien que ce ne soit plus la même eau, et que peut-être aussi il n'y ait plus aucune partie de la même terre qui environnait cette eau » (J6irf., p. l65). Pascal marque le défaut de la comparaison; Descartes conclut des conditions de l'identité à travers le temps aux conditions de l'identité pour un même temps; ce qui donne des conséquences absurdes: on conçoit que mon âme soit unie à mon corps à Paris, puis à un corps en Chine, mais non pas à la fois; autrement il faudrait admettre l'identité des corps ; je serais le même qui serais en même temps à Paris et en Chine, la rivière serait la même qui coulerait en même temps en France et en Chine. Encore une fois il faut sortir des lois naturelles et du cours ordinaire des choses pour concevoir l'Eu- charistie. (Voir VAppendice de la Section XIII, t. III, p. ag^).

513

Cf. Faug., II, 383 et II, 382 ; Hav., XXV, 55; XXV, 55 bis et XXV, 197; Mol., II, 127 et II, 238; Mich., 3og.

2. La première ligne de la page 121 porte ces mots rayés : « J'ai reçu de Mademoiselle la présidente Pascal la somme de quatre cents livres. »

SECTION VII. 409

Pour nous apprendre de qui nous tenons la vertu.

Pour nous faire mériter les autres vertus par travail.

(Mais pour se conserver la prééminence, il donne la prière à qui il lui plaît.)'.

Objection : Mais on croira qu'on tient la prière de soi.

Gela est absurde : car, puisque, ayeint la foi, on ne peut pas avoir les vertus, comment aurait-on la foi ? y a-t-il pas plus de distance de l'infidélité à la foi que de la foi à la vertu ? "

Mérite, ce mot est ambigu ^

1. La parenthèse est une addition en marge. Cf. Lettre sur les commandements de Dieu : « Les pauvres de la grâce ne manquent jamais du pouvoir d'obtenir, s'ils demandent ; reste donc nécessaire- ment qu'ils manquent quelquefois de ce pouvoir spécial de demander. » Dans des extraits d'un écrit de Pascal sur la grâce que dom Clé- mencet nous a conservés dans son Histoire littéraire (inédite) de Port- Royal, on lit ces lignes : « Il est question de savoir laquelle des deux volontés, savoir de la volonté de Dieu ou de la volonté de l'homme, est la maîtresse, la prédominante, la source, le principe et la cause de l'autre. » Bossuet a développé à son tour cette interprétation de saint Augustin dans sa Défense de la tradition et des Saints Pères contre Richard Simon. Voir en particulier liv. \ I, ch. x : « Saint Augustin sentait donc déjà ce grand secret, qu'il a depuis si bien expliqué contre les Péla- giens, que la prière, par laquelle on nous donne tout, est elle-même donnée » et au liv. X le ch. x intitulé : On prouve par la prière que la prière vient de Dieu.

2. La doctrine de la prière est capitale dans le Jansénisme; la prière est à la fois la marque décisive de la bonne- volonté dans la créature, l'effet de la grâce du Libérateur, et l'aveu par la créature de la nécessité de grâces nouvelles pour que la bonne volonté passe à l'acte, pour que la foi devienne vertu.

3. L'homme a mérité le Rédempteur; mais il v a ambiguïté, car il poarrait se rapporter ce mérite alors qu'il s'agit uniquement des mé- rites de Jésus-Christ.

410 PENSÉES.

Meruit hahere Redemptorem \

Mer ait iam sacra membra tangere ^

Digno tam sacra membra tangere^.

Non sum dignus '.

Qui mandicat indignas^.

Dignas est accipere ^

Dignare me.

Dieu ne doit que suivant ses promesses. Il a pro- mis d'accorder la justice aux prières, jamais il n'a promis les prières qu'aux enfants de la promesse \

Saint Augustin a dit formellement que les forces seraient ôtées au juste ^ Mais c'est par hasard qu'il

1. Office du Samedi Saint.

2. Office du Vendredi Saint.

3. Hym. Vexilla régis.

4. Luc, VII, 6: Jésus autem Ibatcum illis. Et cumjam non longe esset a dama, misil ad eum centurio amicos, dicens: Domine, noli vexari: Non enim sum dignus ut sub tectum meum intres.

5. I. Cor., XI, 29: Qui enim manducat et bibit indigne, judicium sibi manducal et bibit.

6. Apoc, IV, II: Dignas es Domine Deus noster accipere gloriam, et honorem, et virtutem: quia tu creàsti omnia.

7. Expression de saint Paul (Rom., IX, 8). Les fils de la promesse s'opposent aux fils de la chair. C'est à ceux-là seuls que s'appliquent les paroles de l'Evangile sur lesquelles Pascal insiste dans le fragment suivant: « demandez et vous obtiendrez ».

8. Cette doctrine est rappelée et commentée par Pascal dans la Lettre sur 1rs Commandements de Dieu. Voici un extrait significatif: « II arrive que chacun de nous sait quelquefois entreprendre, faire « et accomplir une bonne œuvre, et quelquefois ne le sait pas; quel- ce quefois il y sent de la délectation, et quelquefois il n'en sent point : « afin d'apprendre que ce n'est point par notre puissance, mais par le « don de Dieu, que nous savons et que nous sentons cette délecta- « tion, et qu'ainsi nous soyons guéris de la superbe, et que nous « sachions combien véritablement il est dit que le Seigneur donnera la « délectation, et que notre terre donnera son fruit. » (Aug. , lib. II, De peccat. mcrit., cap. wn.) « N'est-il pas visible que dans ce pas-

SECTION VII. 4H

Ta dit ; car il pouvait arriver que roccasion de le dire ne s'offrît pas. Mais ses principes font voir que, l'occasion s'en présentant, il était impossible qu'il ne le dît pas, ou qu'il dît rien de contraire. C'est donc plus d'être forcé à le dire, l'occasion s'en offrant, que de l'avoir dit, l'occasion s'étant offerte' : l'un étant de nécessité, l'autre de hasard. Mais les deux sont tout ce qu'on peut demander.

495] 514

(( Opérez votre salut avec crainte ^ »

Preuves de la prière : Petenti dabitar^. Donc, il

sage saint Aug-ustin établit une sorte d'Impuissance l'on se trouve d'accomplir quelque bonne œuvre, puisqu'il dit que cette délectation ne nous est pas toujours présente, afin que nous apprenions à ne point nous élever? ce qui ne serait pas véritable, si nous avions le pouvoir prochain de l'accomplir. »

1. L'occasion s'étant offerte, en surcharge. L'expression se retrouve dans une dissertation sur les Paroles du Concile de Trente (Second moyen) : « Encore que personne ne parlât de cette erreur, les Pères n'auraient pas laissé de la condamner, si l'occasion s'en fût offerte. »

514 Cf. MicH. 881.

2. Cum meta et tremore salutem vestram operamini (Philipp., II, 13). Cf. Lettre sur les commandements de Dieu : « Vous voyez que par ces nou- veaux dogmes les justes ne doivent plus avoir de crainte ni d'espé- rance qu'en eux-mêmes. Aussi ils interprètent ce passage : « Opérez votre salut avec crainte, » c'est-à-dire avec crainte de ne pas bien user des grâces ; et non pas avec crainte que Dieu vous quitte. Ce sont leurs termes, comme vous le savez ; et partant cette crainte est fondée sur ce que l'on peut, par sa volonté, user bien de ce pouvoir ; au Heu que saint Paul la fonde sur ce que c'est Dieu qui opère lui- même en nous ce vouloir, et il opère ce vouloir, non pas suivant la disposition de notre volonté, mais suivant sa propre bonne volonté. »

3. Petite et dabitur vobis : quœrite et invenietis: pulsate et aperietur. Math., Vil, 7.

412 PENSÉES.

est en notre pouvoir de demander. Au contraire du... : il n'y est pas, puisque l'obtention qui le prie- rait n'y est pas ; car puisque le salut n'y est pas, et que l'obtention y est, la pfière n'y est pas*.

Le juste ne devrait donc plus espérer en Dieu, car^ il ne doit pas espérer, mais s'efforcer d'obtenir ce qu'il demande ^

'^Concluons donc que, puisque l'homme est ini- quité maintenant depuis le premier péché, et que Dieu ne veut pas que ce soit par qu'il ne s'éloigne pas de lui, ce n'est que par un premier effet qu'il ne s'éloigne pas ^

1. Exposé de la doctrine janséniste : la prière donne le salut ; donc, puisque le salut dépend de Dieu et non de l'homme, il faut que la prière soit au pouvoir de Dieu et non de l'homme. Pour demander, il faut avoir obtenu déjà : l'obtention, c'est l'obtention de la prière. L'initiative de Dieu est déjà dans la prière qui semble aller vers lui ; il est la fin parce qu'il est d'abord le principe.

2. [L'obstacle.]

3. « Se peut-il rien de plus contraire au sens commun et à la vérité? Leur crainte ne serait pas seulement détruite, mais encore leur espé- rance; car puisqu'on n'espère pas des choses certaines, ils n'espére- ront pas la continuation de ce secours, puisqu'il leur est certain; leur espérance ne sera pas aussi d'obtenir ce qu'ils demandent, puisque cela est encore certain. Quel sera donc l'objet de leur espérance, sinon eux-mêmes, de qui ils espéreront le bon usag;e d'un pouvoir qui leur est assuré ? » ibid.

4- A la pag-e /iQÔ du manuscrit.

5. Telle est suivant Pascal la doctrine de saint Augustin c'est ce qu'il établit dans tous ses livres, et particulièrement dans tout celui De la correction et de la grâce, et presque dans tout celui Du don de la persévérance j dont ce trait suffit : « Car, afin que nous ne nous éloi- gnions point de Dieu (il montre que cela ne peut nous être donné que de Dieu), cela n'est plus en aucune sorte dans les forces du libre arbitre. Cela a été dans l'homme avant sa chute ; et cette liberté de la volonté a paru dans l'excellence de cette première condition dans

SECTION VII. 413

Donc, ceux qui s'éloignent n'ont pas ce premier sans lequel' on ne s'éloigne pas de Dieu, et ceux qui ne s'éloignent pas ont ce premier effet. Donc, ceux qui étaient possédés quelque temps de la grâce par ce premier effet, cessent de prier, manque de ce premier effet.

Ensuite Dieu quitte le premier en ce sens... ^.

les anges, qui, lorsque le diable est tombé avec les siens, sont demeurés fermes dans la vérité, et ont mérité de parvenir à une assurance éternelle. Mais après la chute de l'homme, Dieu a voulu qu'il n'appartînt plus qu'à sa grâce que l'homme s'approchât de lui, et qu'il n'appartînt plus qu'à sa grâce que l'homme ne se retirât point de lui. » Ibid. Cf. Jansénius, de Gratia Chr. Salv., III, 19: Quomodo Deus neminem deseril, nisi deseraliir.

I. [n] ne s'éloigne pas.

a. Voici l'explication de cette ligne interrompue : « Il se conclut nécessairement, qu'encore qu'il soit vrai en un sens que Dieu ne laisse jamais un juste, si le juste ne le laisse le premier, c'est-à-dire que Dieu ne refuse jamais sa grâce à ceux qui le prient comme il faut, et qu'il ne s'éloigne jamais de ceux qui le cherchent sincèrement : il est pourtant vrai en un autre sens que Dieu laisse quelquefois les justes avant qu'ils l'aient laissé, c'est-à-dire que Dieu ne donne pas toujours aux justes le pouvoir prochain de persévérer dans la prière, ou, ce qui est la même chose, la grâce avec laquelle rien n'est plus nécessaire pour prier effectivement» Lettre sur les commandements de Dieu ; c(. passim. Il semble que ce soit en vue de la Lettre sur les commandements de Dieu que Pascal a rédigé ces lignes très difficiles à déchiffrer.

Ce texte est écrit sur une feuille qui a été ajoutée au manuscrit en 1864 avec une copie du ^lémorial et un fragment de lettre que voici : « De Paris, le vendredi 6 juin i653, je viens de recevoir votre lettre était celle de ma sœur, que je n'ai pas eu loisir de lire et de plus je crois que cela serait inutile [étant]. »

Au verso: « Ce n'est qu'un abrégé par table pour votre intelligence :

Déclaration de l'état de son bien au 3i décembre i65i. Effets non liquidés.

5 7293. 4

Il lui est par les

Il lui est par moi, savoir... parce que je l'ai reçu. »

414 PENSÉES.

ii5] 515

Les élus ignoreront leurs vertus, et les réprouvés Éj

la grandeur de leurs crimes : Seigneur, quand t'avons-nous vu avoir faim, soif, etc. ?'

*442] 516

Rom., III, 97 : Gloire exclue : par quelle loi? des œuvres? non, mais parla foi^ Donc la foi n'est pas en notre puissance comme les œuvres de la loi, et elle nous est donnée d'une autre manière.

63] 517

Consolez-vous : ce n'est pas de vous que vous devez l'attendre % mais au contraire, en n'attendant rien de vous, que vous devez l'attendre.

515

Cf. B., 333; G., 286; P. R., XXVIII, 33; Bos., II, xvii, 33; Faug., II, 329; Hav., XXIV, 23; Mol., II, 26; Mich., 298.

1. Cf. Matth., chap. xxv : Tune respondebant el justi, dicentes: Domine, quando te vidimus esurientem et paviinus te : silientem, et dedi- mus tibi potum? (87). Et ceux qui sont à gauche, les réprouvés: Tune respondebunt ei, et ipsi, dicentes : Domine quando te vidimus esurientem, aut sitientem, aut hospitem, aut nudum, aut infirmum, aut in carcere et non ministravin^us tibi? (44).

516

Cf. B., 379; C, 338; Faug., II, 178; Hav., XXV, i38 ; Mol., II, 56; Mich., 76/i.

2. Ubi est ergo gloriatio tua? Exelusa est. Per quam legem? Facto- rum? Non, sed per legem Jidei.

517

Cf. B., ioi;C., 129; Faug., Il, 3^ ; Hav., XXV, 209, 4; Mol., II, 3i ; Mich., 177.

3. La jji'àce de Jésus-Clirist.

SECTION VII. 41S

*io3] 518

Toute condition et nnême les martyrs ont à crain- dre, par l'Ecriture'.

La peine du purgatoire la plus grande est l'incer- titude du jugement. Deus absconditus \

43] 519

Joh., vin : Multi crediderunt in eum. Dicebat ergo Jésus: Si manseritis . . . , vere mei discipuli eritis, et VERITAS LiBERABiT VOS. ResponderuTit : Semen Abrahse sumus, etnemini servimus unquam ^.

518

Cf. MicH., 272.

1. A la fin de la Lettre sur les commandements de Dieu, Pascal expose les « sujets de crainte qui doivent animer continuellement les saints » et après avoir rappelé l'abandonnement de saint Pierre : « C'est en cette sorte que tous les hommes doivent toujours s'humilier sous la main de Dieu en qualité de pauvres, et dire comme David : Seigneur, je suis pauvre et mendiant. Certainement il ne parlait pas des biens de la fortune, car il était roi ; il ne parlait pas aussi des biens de la grâce, car il était prophète et juste. En quoi consistait donc la pauvreté de cet homme si abondant, sinon en ce qu'il pouvait perdre à toute heure son abondance, et qu'il n'était pas le maître de la conserver ? » Cf. IV" Provinciale : « Les plus saints doivent toujours demeurer dans la crainte et le tremblement, quoiqu'ils ne se sentent coupables d'aucune chose, comme saint Paul dit de lui-même. »

2. iSouvelle application du verset d'Isaie, xlv, i5 (Cf. fr. 194 242 et 585.

519

Cf. B., iig et 420 ; C, 3g/| ; Faug., II, 829 ; Hav., XXV, loi ; Mol., II, 48; MicH., io3.

3. Dicebat ergo Jésus ad eos qui crediderunt ei Judœos : Si vos mane- ritis in sermone meo, vere discipuli mei eritis (3i) et cognoscetis veri- latem^ et veritas liberavit vos (32). Responderunt ei : Semen Abrahss

416 PENSÉES.

Il y a bien de la dilTérence entre les disciples et les vrais disciples. On les reconnaît en leur disant que la vérité * les rendra libres -^ car s'ils répondent qu'ils sont libres et qu'il est en eux de sortir de l'esclavage du diable ", ils sont bien disciples, mais non pas vrais disciples.

85] 520

La loi n'a pas détruit la nature ; mais elle l'a ins- truite ^ ; la grâce n'a pas détruit la loi ; mais elle la fait exercer \

La foi reçue au baptême est la source de toute la vie des chrétiens, et des convertis.

sumus, et nemini servivimus unquam : quomodo ta dicis : Liberi estis ? (33).

1. [Délivrera.]

2. Respondit ei Jésus: Amen, amen dico vobis : quia omnis qui fac'U peccalum, servus est peccati (34)..- Si ergo vos filius liberaverit, vere liberi eritis (2>&) . Les Pélagiens ne sont donc pas les vrais disciples.

520

Cf. Bos., II, XVII, 74; Faug., I, 281; Hav., XXIV, 63 et XXV, 12G ;

Mol., Il, 57; MicH., 2^5.

3. Mais elle l'a instruite, surcharge. Quid ergo dicemus? lex pec- calum est? Absit. Sed peccatum non cognovi, nisi per legem: nam con- cupiscentiam nesciebam, nisi lex dicerct, non concupisces (^Rom., ^ II, 7). « La loi est venue avant le médecin, pour que la malade qui se croyait en bonne santé, se reconnût malade » (Jansénius, Augustinus. De Gratia Christi Salvatoris, I, vu).

4. [La gloire.] Rom., III, 3i : Legem ergo destruimus per Jidem? Absit, scd legem statuimus. Cf. l'Augustinus, De Gr. Chr. Salv. : «La grâce nous fait aimer la loi ; mais la loi elle-même sans la grâce ne fait de nous que des pécheurs. » (III, xi.) « L'amour est l'accomplis- sement de la loi » (IV, v).

SECTION Vil. 417

4a3] 5ai

La grâce sera toujours dans le monde et aussi la nature de sorte qu'elle est en quelque sorte na- turelle. Et Eiinsi toujours il y aura des pélagiens, et toujours des * catholiques, et toujours combat ; parce que la première naissance fait les uns, et la grâce de la seconde naissance fait les autres.

409] Saa

La loi obligeait à ce qu'elle ne donnait pas ^ La grâce donne ce à quoi elle oblige \

521

Cf. B., 369; C, 326; p. R., XXVIII, 4; Bos., II, ivn, i3; Faog., I, aoi ; Hav,, XXIV, 12 ter; Mol., II, 120; Mich., 689.

I. [Chrétiens.]

522

Cf. B., 428; C, 400; Facg., II, 369; Hav., XXV, 5i; Mol., II, 67; Mich., 653.

3. Pascal, cite à la fin de la Dissertation sur les commandements de Dieu, ces textes de saint Augustin : « 0 homme 1 reconnais dans le précepte ce que tu dois ; dans la correction, que c'est par ton vice que tu ne le fais pas ; et dans la prière, d'où tu peux en avoir le pou- voir ! (A.ug., De corrept., cap. m). Car la loi commande, afin que l'homme, sentant qu'il manque de force pour l'accomplir, ne s'enfle pas de superbe, mais étant fatigué, recoure à la grâce, et qu'ainsi la loi l'épouvantant le mène à l'amour de Jésus-Christ. (Aug., De per- fect. respons. et ratiocin. XI., cap. v.) » Cf. la thèse développée si longuement par Jansénlus : « La loi n'a pas été donnée avec le pou- voir de vivifier, mais pour montrer aux pécheurs leurs péchés ; la loi fait le péché. » (^Augustinus, de Gratia Christi Salvatoris, liv. I, ch. VII, sqq.)

3. Cf. saint Augustin, apud Jansénius, ibid., III, 16: « Gratia vero efficit ut non tantum velimus, sed possimus, non nostris viribus llberi arbitrii, sed Liberatoris auxilio. » « Jésus, le débonnaire Jésus, il plaint nos misères ; mais il les soulage ; ceux qu'il instruit, 11 les porte. » (Bossuet, Sermon sur la loi de Dieu, Metz, vers i653.)

PENSÉES. II 27

4i8 PENSÉES.

A5] 523

Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam' ; et toute la morale en la concupiscence et en la grâce.

/lo5] 524

Il n'y a point de doctrine plus propre à l'homme que celle-là, qui l'instruit de sa double ^ capacité de recevoir et de perdre la grâce, à cause du double péril il est toujours exposé, de désespoir ou d'orgueil.

48i] 525

Les philosophes ne prescrivaient point des senti- ments proportionnés aux deux états.

523

Cf. B., 117; G., 1^3; Bos., II, xvii, t,; Faug, II, 869; Hav., XXIV, 4; Mol., I, 296 et II, loi ; Mich., 107.

1. Cf. fr. 43o. M. Droz a rapproché de ce fragment un pas- sage de Saint-Gyran, Œuvres chrétiennes et spirituelles, tome IV, 2* part., p. 87 : « Le grand secret et l'abrégé de la religion chré- tienne consiste à savoir la différence qu'il y a entre la grâce d'Adam et celle de Jésus-Christ... La grâce d'Adam le mettait en sa propre conduite ; mais la grâce de Jésus-Christ nous met en la conduite de Dieu. » (Cf. Etude sur le scepticisme de Pascal, p. 69). Mais l'Adam auquel pense ici Pascal n'est pas, semble-t-il, l'Adam de la grâce, l'Adam d'avant le péché, qui est dans l'état de la nature pure, c'est l'Adam d'après le péché, l'Adam de la concupiscence, qui est dans l'état de la nature déchue.

524

Cf. B., 177; C, 209; P. R., III, 19; Bos., II, V, 9; Fauq., II, iMt ; Hav., XII, i6; Mol., I, 289; Mich., 643.

2. Double en surcharge.

525

Cf. B., 196; C, 5; P. R., III, 20; Bos., II, v, 10; Faug., II, 91 ; Hav., XII, 17; Mol., I, 284 ; Mich., 840.

SECTION VII. 419

Ils inspiraient des mouvements de grandeur pure, et ce n est pas l'état de l'homme.

Ils inspiraient des mouvements de bassesse pure, et ce n'est pas l'état de l'homme *.

Il faut des mouvements de bassesse % non de nature, mais de pénitence ^ non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut ^ des mouve- ments de grandeur \ non de mérite, mais de grâce*, et après avoir passé par la bassesse \

1. C'est une idée fondamentale de l'Entretien avec M. de Saci que non-seulement les philosophes se sont partag-és en dog'matiques et sceptiques, entre stoïciens et épicuriens, mais que du point de vue purement humain il est impossible de concilier ces deux thèses qui doivent représenter pourtant chacune la moitié de la vérité. La philosophie montre la nécessité de la synthèse, et elle est incapable de l'opérer elle-même. La religion seule peut allier ce que pour l'homme purement homme, il est à la fois nécessaire et impossible d'unir. Elle seule transforme la bassesse par le contact de la gran- deur, et la grandeur par le contact de la bassesse : « Il arrive que l'un, connaissant le devoir de l'homme et ignorant son impuissance, se perd dans la présomption, et que l'autre connaissant l'impuissance et non le devoir, il s'abat dans la lâcheté ; d'où il semble que puisque l'un est la vérité l'autre est l'erreur, l'on formerait en les alliant une morale parfaite. Mais, au lieu de cette paix, il ne résulterait de leur assemblage qu'une guerre et qu'une destruction générale : car l'un établissant la certitude, l'autre le doute, l'un la grandeur de l'homme, l'autre sa faiblesse, ils ruinent la vérité aussi bien que la fausseté l'un de l'autre. De sorte qu'ils ne peuvent subsister seuls à cause de leurs défauts, ni s'unir à cause de leurs oppositions, et qu'ainsi ils se brisent et s'anéantissent pour faire place à la vérité de l'Évangile. »

2. Non de nature surcharge.

3. Non... mais surcharge.

4. [Allier.]

5. [Mais.

6. [Non.]

7. Proinde virtus qua hic, ubi superbiri potest, non superbiatur, in infirmitate perficitur (Saint Augustin, contra Jul. Pelag., IV, 11, 1 1). Cf. le commentaire de Bossuet : « Si nous n'avions que de la fai-

420 PENSÉES.

393] 526

La misère persuade le désespoir, l'orgueil persuade la présomption. L'incarnation montre à l'homme la grandeur de sa misère, par la grandeur du remède qu'il a fallu.

4i6] 527

La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l'orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de Jésus- Christ fait le milieu, parce que nous y trouvons et Dieu et notre misère.

467] 528

Jésus-Christ est un Dieu dont on s'approche sans orgueil, et sous lequel on s'abaisse sans déses- poir.

blesse, nous serions toujours abattus, et si nous n'avions que de la force, nous deviendrions superbes et insupportables. » ri^'^uxtme semon

pour le jour de Pâques.)

526

Cf B 177; C, ^or, P. R-, III, iG et 17; Bos., II, v, 7 et 8; Faug., II, i45; Hav., XII, ih; Mol., I, 289; Mich., G19.

527 Cf. B., 86; G., 1.3; P. R., XX, 2 ; Bos., II, ïv, 2 ; Faug., II, 3i5;HAy., XXil, 5'; Mol., I, ihi ] Mich., O7/1.

528 Cf B, 108; C, i33;P.R.,«/(., XIV, 7; Bos., II, x, 4 ; Faug., II, 3i4 ; ilAv'., XVII, 7; Mol, II, 2/4; MicB., 83i.

SECTION VII. 421

a65] 529

. . . Non pas un abaissement qui nous rende inca- pables de bien, ni une sainteté' exempte du mal.

429] 530

Une personne me disait un jour qu'il avait une grande joie et confiance en sortant de confession. L'autre me disait qu'il restait en crainte. Je pensai, sur cela, que de ces deux on en ferait un bon, et que chacun manquait en ce qu'il n'avait pas le sentiment de lautre. Gela arrive de même souvent en d'autres choses".

i4i] 531

Celui qui sait la volonté de son maître ^ sera battu

529

Gf B., 177; C, 309; p. R., III, 18; Bos., II, V, 9; Faug., II, i45 ; Hat, XII, i5; Mol., I, 289; Mich., 587.

I . [Qui nous rende incapables.]

530 Cf B., 38i ; C, 3io; P. R , XXVIII, ii ; Bos., II., xvii, 4o ; Faug., I, 23G; Hat., XXIV, 3o; Mol., I[, 60; Mich., 713.

3. Application toute pratique d'une conception qui pour Pascal est le fondement de la vérité dans l'ordre philosophique comme dans l'ordre religieux. (Cf. fr. 863.)

531

Cf. B., 332; C, 283; Faug., II, 37^; Hat., XXV, itji; Mol., I, 196 ; Mich., 3^7.

3. Dans un écrit de Pascal sur la Distinction entre la possibilité et le pouvoir, le pouvoir de connaissance est ainsi expliqué : « On voit que les chrétiens qui sont instruits de la loi de Dieu, ont par cette con- naissance, un pouvoir de l'accomplir, qui n'est pas commun à ceux qui en sont privés, puisque, connaissant la volonté de leur maître, il ne dépend plus que de leur consentement d'y obéir. »

422 PENSÉES.

de plus de coups, à cause du pouvoir qu'il a par la connaissance\ Qui justus est, justifîcetur adhuc^, à cause du pouvoir qu'il a par la justice. A celui qui a le plus reçu, sera le plus grand compte demandé, à cause du pouvoir qu'il a par le secours.

4i] 532

L'Ecriture a pourvu de passages pour consoler toutes les conditions, et pour intimider toutes les conditions.

La nature semble avoir fait la même chose par ses deux infinis, naturels et moraux ^ : car nous aurons toujours du dessus et du dessous, de plus habiles et de moins habiles, de plus élevés et de plus misé- rables \ pour abaisser notre orgueil, et relever notre abjection.

1. Luc, XII, 47 : Ills autem servus qui cognovit voluntatem domini, sui, et non prœparavit, et non fecit secundum voluntatem ejus, vapulabit multis (48) ; qui autem non cognovit, et fecit digna plagis, vapulabit pau- cis. Cf. fr. 897.

2. Qui nocet, noceat adhuc : et qui in sordibus est, sordescat adhuc : et qui juslus est, justijicetur adhuc : et sanctus, sanctificetur adhuc. Apocal., XXII, II.

532

Cf. B., hi-j; G., 391 ; Faug., II, i/i5; Hav., XXV, 88 ; Mol , I, igS ;

MiCH., 10 1.

3. Il faut entendre les deux infinis naturels et les deux infinis moraux : les deux infinis naturels sont décrits de la façon que l'on sait, au frajjment 72 ; pour les infinis moraux, voir le fr. 357 " *' '' se présente des vices qui s'y insinuent insensiblement, dans leurs routes insensibles, du côté du petit infini ; et il s'en présente, des vices, en foule du côté du grand infini, de sorte qu'on se perd dans les vices, et on ne voit plus les vertus. »

4- [Pour nous abaisser, et nous relever.]

SECTION VII. 423

447] 533

Commimitiim cor\ saint Paul, voilà le caractère chrétien. Albe vous a nommé \ je ne vous connais plus, Corneille, voilà le caractère inhumain. Le caractère humain est le contraire.

142] 534

Il n'y a que deux sortes d'hommes : les uns justes, qui se croient pécheurs ; les autres pécheurs, qui se croient justes.

41 535

' On a bien de l'obhgation à ceux qui avertissent

533

Cf. B., 46G; C, 266; Faug., I, î6o; Hat., XXV, 75 ; Mol., II, 49; MicH., 781.

I. La copie corrigée : circumcidentes cor, afin de retrouver la circon- cision du cœur selon saint Paul. L'expression de Pascal est plutôt, comme le remarque Havet, un souvenir des Psaumes L, 19 : « Sacri- Jicium Dec spirilus contribulatus, cor contrilum et humillatum Deus non despicies. »

3. Albe vous a nommé, en surcharge. Allusion à la célèbre scène d'Horace (II, 3) ; le jeune Horace représente le caractère inhumain, Curiace l'humanité, l'honnêteté. Il y a un troisième ordre, qui est supérieur, c'est l'humilité chrétienne.

534

Cf. B., 337; G., 289; Faug., I, 222; Hat., XXV, 71; Mol., II, 44; MicH., 358.

535

Cf. B, 207; C, 4i8; Faug., II, 171; Hat., XXV, 38; Mol., I, i34 ;

MiCH., 7.

3. Cette pensée avait été écrite par Pascal à la suite du frafi^ment sur le Pari ; à la suite des additions à ce fragment dont Pascal a cou- vert la page 4 du manuscrit, elle s'y trouve comme enclavée.

424 PENSÉES.

des défauts, car ils mortifient ; ils apprennent qu'on a été méprisé, ils n'empêchent pas qu'on ne le soit à l'avenir, car on a bien d'autres défauts pour l'être. Ils préparent l'exercice de la correction et l'exemption d'un défaut.

aSa] 536

L'homme est ainsi fait, qu'à force de lui dire qu'il est un sot, il le croit ; et, à force de se le dire à soi- même, on se le fait croire^ ; car l'homme fait lui seul une conversation intérieure, qu'il importe de bien régler : Corrumpunt bonos mores colloqula prava^. Il faut se tenir en silence autant qu'on peut, et ne s'entretenir que de Dieu, qu'on sait être la vérité ; et ainsi on se la persuade à soi-même.

' Le christianisme est étrange. Il ' ordonne à

4i2] 537

' Le christianisme est ( l'homme de reconnaître qu'il est vil, et même abo-

536

Cf. B., 36; C, 53; P. R., XXVIII, 53; Bos., II, xvii, .',7; Faug , I, 217; Hav., XXIV, 37 ; Mol., I, (J9 ; Micii., 5o2.

I. Pascal décrit ce qu'en langage moderne on appellerait le passage de la suggestion à l'auto-suggestion.

3. NolUeseduci: Corrumpunt mores colloquia mala (I Cor., XV,33)j au témoignage de saint Jérôme (Lettre 83), saint Paul cite un vers de Ménandre. Cf. fr. 6 : « On se gâte l'esprit et le sentiment par les conversations. »

537

Cf. B., 177; C, 209; P. R., III, i5; Bos., II, v, 7; Faug., II, i45 ; Hat., XII, i3; Mol., I, 288; Mich., 658.

3. Les copies donnent ce titre : Le Christianisme. 4- [Fait reconnaître.]

SECTION VII. 425

minable, et lui* ordonne de vouloir être semblable k Dieu. Sans un tel contrepoids, cette élévation le rendrait horriblement vain, ou cet abaissement le rendrait terriblement abject".

aoa] 538

Avec combien peu d'orgueil un chrétien ^ se croit- il uni à Dieu ! avec combien peu d'abjection s'égale- t-il aux vers de la terre !

La belle manière de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux !

i46] 539

Quelle différence entre un soldat et un chartreux, '' quant à l'obéissance? car ils sont également obéis-

1. [Fait.]

2. « La religfion, écrit Charron, est en la connaissance de Dieu et de soi-même... son office est d'élever Dieu au plus haut de son eifort, et baisser l'homme au plus bas, l'abattre comme perdu ; et puis lui fournir les moyens de se relever, lui faire sentir sa misère et son rien, afin qu'en Dieu seul il mette sa confiance et son tout. » {Sa- gesse^ II, V, i4.)

538 Cf. B., 178; C, 210; P. R., III, 21; Bos,, II, V, 2; Faug., II, 377; Hav., XII, 19; Mol., II, ig; Mich., hh'-i-

3. [Dit-il qu'il est.]

539 Cf. B., 177; G., 210; P. R.,XXVIII, 54; Bos., II, xvu, 48 ; Faug , I, 2i/i; Hav., XXIV, 38; Mol., I, 112; Mich., 366.

4. Le chartreux est le type du religieux. Cf. ce passage de l'in- terrogatoire de M. Le Maître par Laubardemont : « Tant s'en faut que ledit sieur de Saint-Cyran lui ait parlé de détruire les Ordres Religieux qu'au contraire il lui avait témoigné qu'il serait extrême- ment aise que Dieu eût donné à lui Répondant vocation pour être Chartreux, ou pour être Religieux dans quelque autre Religion réformée. » (Recueil d'Utrecht, 1740, p. i3.)

426 PENSÉES.

sants et dépendants, et dans des' exercices égale- ment pénibles. Mais le soldat espère toujours devenir maître, et aie le devient jamais, car les capitaines et princes mêmes sont toujours esclaves et dépendants ; mais il l'espère toujours, et travaille toujours à y venir ; au lieu que le chartreux fait vœu de n'être jamais que dépendant. Ainsi ils ne différent pas dans la servitude perpétuelle, que tous deux ont toujours, mais dans l'espérance, que l'un a toujours, et l'autre jamais.

99] 540

L'espérance que les Chrétiens ont de posséder un bien infini est mêlée de jouissance ^ effective aussi bien que de crainte ; car ce n'est pas comme ceux qui espéreraient un royaume, dont ils n'auraient rien, étant sujets ; mais ils espèrent la sainteté, l'exemption d'injustice, et ils en ont quelque chose.

4"] 541

Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable ^

I. [Choses.]

540 Cf. Faug., I, 23o; Hav., XXV, 78; Mou, II, 5i ; Mich., 265. .

3. Effective, aussi bien que de crainte en marge.

541

Cf. B , 178; G., 210; P. R., III, 21 ; Bos., II, v, 11; Faug., Il, 876; Hav., XII, 18; Moi.., 11,52; M.ch., 657.

3. « Il n'y a rien de si aimable qu'un homme qui ne s'aime point,

etc. » Nicole, Traité de l'Education d'un Prince, 1''^ parlie. ch. xxvi.

SECTION VII. 427

8] 54a

Il n'y a que la religion chrétienne qui rende l'homme aimable et heureux tout ensemble. Dans riionnèteté*, on ne peut être aimable et heureux ensemble'.

265] 543

Préface. Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si imphquées, qu'elles frappent peu ; et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que pen- dant l'instant qu'ils voient cette démonstration ; mais une heure après ils craignent de s'être trompés.

Quod curiositate cognoverunt superbia amiserunt^.

542

Cf. Faug., II, 172 ; Hav., XXV, 39 bis; Mol., I, Sog ; Mien., 12.

1 . [il faut] être [ou haïssable ou malheureux.]

2. L'honnêteté, c'est le règlement de la concupiscence. Or la con- cupiscence demeure, que nous ne pouvons sacrifier sans nous rendre malheureux, que nous ne pouvons satisfaire sans nous rendre haïs- sables, comme avait écrit d'abord Pascal. Cf. fr. 455 : « Le moi est haïssable, etc. »

543

Cf. B., 85; C, 112; P. R., XX, 2; Bos., II, iv, 2; Faug, II, ii4 ; Hav., X, 5; Mol., I, iSg; Mich., b!^l^.

3. Réminiscence de saint Augustin : Quod curiositate invenerunt superbia perdiderunt (sermon CXLI.) Cf. Contra Jul. Pelag., IV, m, 17. Havet indique un développement de Bossuet sur le même texte. Après avoir parlé des poètes, Bossuet ajoute : « Il en est de même des autres, qui, enflés de leur vaine philosophie, parce qu'ils seront ou physiciens, ou géomètres, ou astrologues, croiront exceller en tout, et soumettront à leur jugement les oracles que Dieu envoie au monde

428 PENSÉES.

C'est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire sans Jésus-Christ, qui est de communiquer' sans médiateur avec le Dieu qu'on a connu sans médiateur ; au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.

Première Copie aSS] 544

Le Dieu des Chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l'âme qu'il est son unique bien ; que tout son repos est en lui, qu'elle n'aura de joie qu'à l'aimer; et qui lui fait en même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent, et l'empêchent d'aimer Dieu de toutes ses forces. L'amour-propre et la concupiscence, qui l'arrêtent, lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir qu'elle a ce fonds d'amour-propre qui la perd, et que lui seul la peut guérir.

39] 545

Jésus-Christ n'a fait autre chose qu'apprendre aux

pour le redresser : la simplicité de l'Ecriture causera un dégoût extrême à leur esprit préoccupé : et autant qu'ils sembleront s'ap- procher de Dieu par l'intelligence, autant s'en éloigneront-ils par leur orgueil : Qiianlum propinqiiaverant intclligentia, tantum superbia reces- serunt, dit saint Augustin. Voilà ce que fait dans l'homme la philoso- phie, quand elle n'est pas soumise à la sagesse de Dieu ; elle n'engen- dre que des superbes et des incrédules. » (^Traité de la Concupiscence, eh. XVIII.)

I. Sans médiateur j en surcharge.

544

Cf. C.,iGfj; P. R.,XX, 2; Bos., II, sv, 2; Faug., II, 35 '4 ; Hav., XXII, 4 ; Mol., I, ilxi ; Micu., 928.

545

Cf. B., 12O; C , i64; P. R., XIII, 7; B09., II, u, 10; Faug., II, 3i5; Hav., XVI, 8; Mol., II, 21; Mich., 76.

SECTION VII. 429

hommes qu'ils s'aimaient eux-mêmes, qu'ils étaient esclaves, aveugles, malades, malheureux et pécheurs ; qu'il fcillait qu'il les délivrât, éclairât, béatifiât et guérît ; que cela se ferait en se haïssant soi-même, et en le suivant par la misère et la mort de la croix.

485] 546

* Sans Jésus-Christ, il faut que l'homme soit dans le vice et dans la misère ; avec Jésus-Christ, l'homme ^ est exempt de vice et de misère. En lui est toute notre vertu et toute notre félicité. Hors de lui, il n'y a que vice, misère, erreurs ^ ténèbres, mort\ désespoir.

i5i] 547

'^ Dieu par Jésus-Christ^. Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ. Sans ce Médiateur, est ôtée toute communication avec Dieu ; par Jésus-Christ, nous connaissons Dieu. Tous ceux qui ont prétendu

546

Cf. B., 198 ; G., 10 ; P. R., XX, 2 ; Bos., II, xv, 2 ; Faug., II, 3i6 ; Hat., XXII, 9; Mol., II, 19; Mien., 857.

I. [Jésus-Christ est toute notre vertu et toute notre félicité.]

3. [Ne peut être ni.] .3. [Mort.]

4. Mort en surcharge.

547

Cf. B., 85; C, III ; Bos., II, xt, 2; Faug., II, 3i6; Hav., XXII, 7; Mol., II, 18; MicH., 369.

5. Titre au verso.

G. [On.]

430 PENSÉES.

connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n'a- vaient que des preuves impuissantes. Mais pour prouver Jésus-Christ, nous avons les prophéties, qui sont des preuves solides et palpables. Et* ces prophé- ties étant accomplies, et prouvées véritables par l'é- vénement, marquent la certitude de ces vérités, et partant, la preuve de la divinité de Jésus-Christ. En lui et par lui, nous connaissons donc Dieu. Hors de et sans l'Ecriture, sans le péché originel, sans Médiateur nécessaire promis et arrivé, on ne^ peut prouver absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine ni bonne morale. Mais par Jésus-Christ et en Jésus-Christ, on prouve Dieu, et on enseigne^ la morale et la doctrine. Jésus-Christ est donc le véri- table Dieu des hommes*.

Mais nous connaissons en même temps notre mi- sère, car ce Dieu-là n'est autre chose que le Répara- teur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaître Dieu qu'en connaissant nos iniquités ; aussi ceux qui ont connu Dieu sans connaître leur misère ne l'ont pas glorifié, mais s'en sont glorifiés. Quia non'' cognovit per sapienliam plaçait Deo per slulli- tiam prsedicationis salvos facere^.

1. [J.-C]

2. [Fait que s'égarer.]

3. On enseigne en surcharge. 4- [Et il n'y en a pas d'autre.]

5. [Placujt.]

6. I Cor., I, 21. Nam quia in Dei sapientia non cognovit mundus per sapienliam Deum : plaçait Deo per stultitiam prsedicationis salvos facere credentes. Cf. fr. a 33.

SECTION VII. 431

*49i] 548

Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous- mêmes que par Jésus-Christ ; nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus-Christ'. Hors de Jésus- Christ, nous ne savons ce que c'est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous- mêmes.

Ainsi, sans l'Ecriture, qui n'a que Jésus-Christ pour objet, nous ne connaissons rien, et ne voyons qu'obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature .

374] 549

Il est non seulement impossible, mais inutile de connaître Dieu sems Jésus-Christ. Ils ne s'en sont pas éloignés, mais approchés ; ils ne se sont pas abais- sés, mais...

Qao quisquam optimus est, pessimus, si hoc ipsum, quod optimus est, adscribat sibi.

548

Cf. B., 199; C, 10; P. R.,XX, 2; Bos., II, IV, 2; Faig., II, SitiHav., XXII, 8; Mol., II, 19; Mich., 880.

I. [Notre vie.]

549

Cf. B., 86; G., ii3; Faug., II, 3i6; Hav., XXV, 178; Mol., II, 20; Mich., 6o4.

432 PENSÉES.

io4] 550

J'aime la pauvreté, parce qu'il l'a aimée \ J'aime les biens, parce qu'ils^ donnent le moyen d'en assis- ter les misérables. Je garde fidélité à tout le monde, je [ne] ^ rends pas le mal à ceux qui m'en font ; mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne, l'on ne reçoit pas de mal ni de bien de la part des hommes*. J'essaie d'être juste, véritable, sincère, et fidèle à tous les hommes ; et j'ai une tendresse^ de cœur pour ceux à qui Dieu m'a uni® plus étroite- ment ; et soit que je sois seul, ou à la vue des hom- mes, j'ai en toutes mes actions la vue de Dieu qui les doit juger, et à qui je les ai toute consacrées.

Voilà quels sont mes sentiments, et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui^ les a mis en moi et qui, d'un homme plein de faiblesses, de misères, de concupiscence, d'orgueil et d'ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de sa grâce, à laquelle toute la gloire en est due, n'ayant de moi que la misère et l'erreur.

550

Cf. Bos., suppL, 6; Faug., I, 2/,3; Hav., XXIV, Cg ; Mol., II, 34; Micu., 270.

I. Précédé d'une croix [j'aime tous les hommes comme mes frères parce qu'ils sont tous rachetés.] 3. [Me.]

3. Ne n'est pas dans le manuscrit.

4. [Je garde fidélité et justice.]

5. [Particulière.]

6. [D'une manière particulière et quand on... n'est pas... [puisqu'il ne faut.]

•y. [a fait de] moi fun.]

SECTION VII. 433

467] 551

Dignior plagis^ qiiam osculis non timeo quiaamo.

Sépulcre de Jésas-Christ. Jésus-Christ était ^ mort, mais vu, sur la croix. Il est mort et ^ caché dans le sépulcre ^ .

Jésus-Christ n'a été enseveli que par des saints.

Jésus-Christ n'a fait aucuns miracles au sépulcre.

Il n'y a que des saints qui y entrent.

C'est Jésus-Christ prend une nouvelle vie, non sur la croix.

C'est le dernier mystère de la Passion et de la Rédemption.

551

Cf. B., 108; C, i34; MicH., 83o.

1. Expression empruntée au texte de saint Luc que Pascal traduit au fr. 53 1 : qui [servus] non cognovit [voluntatem domini sui] et fecit digna plagis, vapiilabit paucis (XII, 48). N'y a-t-il pas aussi un souvenir de ce texte de saint Augustin. « Si non amas, time ne pereas.. »? De sancta virginitate, 38, apud Jansénius, Augustinus, de Grat. Chr. Salv., V, XXII.

552

Cf. B., 33G; G., 288; Faug., II, 343; Hav., XXV, 209, 5; Mol,, II, 32; MicH., 307.

2. Mort mais en surcharge.

3. Mort et, en surcharge.

4. Cf. l'Écrit de Mademoiselle Jacqueline Pascal sur le mystère de la mort de Notre Seigneur J. C. : « XXVIII. Je vois Jésus mort en trois lieux différents: à la croix, à la vue de tout le monde ; descendu de la croix au milieu de ses amis, et dans le tombeau dans une entière solitude ; et en ces trois lieux il est également mort. » (Faugère, Lettres et opuscules de la famille Pascal, i845, p. 167).

PENSÉES. II 28

43i PENSÉES.

[Jésus-Christ enseigne vivant, mort, enseveli, res- suscité.]

Jésus-Christ n'a point eu se reposer* sur la terre qu'au sépulcre.

Ses ennemis n'ont cessé de le travailler qu'au sépulcre.

87] 553

Le Mystère de Jésus ~. Jésus ^ souffre* dans sa passion les tourments que lui font les hommes ; mais dans l'agonie il souffre les tourments qu'il se donne à lui-même ; turbare semetipsum" ; c'est un supplice d'une main non humaine, mais toute-puissante, car il faut être tout-puissant pour le soutenir.

Jésus cherche quelque consolation au moins dans ses trois plus chers amis et ils dorment ; il les prie de soutenir^ un peu avec lui, et ils le laissent avec

1. (Qu'à.]

553 Cf. Faug., II, 338; Hav., XXV, 209, 112, ii3, ni, ii5;Mol., II, 27; II, 44; I, 98; II, 29; I, 117; II, 32; Mien., 248.

2. Le Mystère de Jésus défie tout commentaire. Nulle part peut- être n'éclate d'une façon plus profondément touchante le caractère unique et incomparable du christianisme : la concentration autour d'une personne réelle des sentiments les plus élevés et les plus uni- versels qu'il y ait dans le cœur de l'homme, l'esprit de renoncement et l'esprit de charité.

3. [S'offre]

A- [L'agonie, la.]

5. Jcsus ergo, ut vidit eam plorantem, et Judœos, qui vénérant cum ea, plorantes, infremuit spirltu, et turbavit selpsum (Joan., XI, 33).

6. Soutenir : traduction littérale de la Vulgate : Tristis est anima mea usque ad inorteni : sustinele hic et vigilale mecum. Matth., XXVI, 38. Marc, XIV, 34.

SECTION VII. 43S

une négligence entière, ayant si peu de compassion* qu'elle ne pouvait seulement^ les empêcher de dor- mir un moment. Et ainsi Jésus était délaissé seul à la colère de Dieu.

Jésus est seul dans la terre, non seulement qui ressente et partage sa peine, mais qui la sache : le ciel et lui sont seuls dans cette connaissance.

Jésus est dans un jardin, non de délices comme le premier Adam, il se perdit et tout le genre humain, maiis dans un de supplices, il s'est sauvé et tout le genre humain.

Il souffre cette peine et cet abandon dans l'horreur de la nuit.

Je crois que Jésus ne s'est jamais plaint que cette seule fois ; mais ^ alors il se plaint comme s'il n'eût plus pu contenir sa douleur excessive : Mon âme est triste jusqu à la mort.

Jésus cherche de la compagnie et du soulagement de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble \ Mais il n'en reçoit point, car ses disciples dorment.

Jésus ^ sera en agonie jusqu'à la fin du monde ; il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.

Jésus au milieu de ce délaissement universel et de ses amis choisis pour veiller avec lui, les trouvant dormant, s'en fâche à cause du péril ils exposent.

1. [Qu'iis ne.]

2. [Assister.]

3. [Qu:]

4. La fin du paragraphe en surcharge.

5. [Est.]

436 PENSEES.

non lui, mais eux-mêmes, et les avertit de leur propre salut et de leur bien avec une tendresse cordiale pour eux pendant leur ingratitude, et les avertit que l'es- prit est prompt et la chair infirme \

Jésus, les trouvant encore dormant, sans que ni sa considération ni la leur les en eût retenus, il a la bonté de ne pas les éveiller, et les laisse dans leur reposa

Jésus prie dans l'incertitude de la volonté du Père, et craint la mort ; mais, l'ayant connue, il va au- devant s'offrir à elle : Eamus^. Processit (Joannes)^.

Jésus a prié les hommes, et n'en a pas été exaucé.

Jésus, pendant que ses disciples dormaient, a opéré leur salut. Il l'a fait à chacun des justes pendant qu'ils dormaient, et dans le néant avant leur naissance, et dans les péchés depuis leur naissance.

^11 ne prie qu'une fois que le calice passe et encore^ avec soumission, et deux fois qu'il vienne s'il le faut \

I. Et venll ad discipulos suos : et invcnit eos dormientes, et dicit Petro : Sic non potuistis una hora vigilare mecum ? Vigilate, et orale ut non intretis in tentationem. Spiritiis quidem promptus est, caro aiitem infirma. Matth., XXVI, 4o-4i.

a. Et venit iterum, et invenit eos dormientes; erant enim oculi eorum gravati. Et relictis illis, iterum abiit, et oravit tertio, eumdem sermonem dicens. Matth., XXVI, 43-44-

3. Surgite, eamus: ecce appropinquavit qui me Iradet. Matth., XXVI, 46.

4. XVIII, 3 : Jésus itaque scicns omnia, quœ Ventura erant super eum processit, et dixit eis : Quam quxritis.

5. [Dans saint Mathieu.]

6. Encore en surcharge.

7. Pater mi, si possibilc est, transcal a me calix iste, verumlamen non sicut ego volo, scd sicut tu. Matth., XXVI, 39. Pater mi, si non potest hic calix transire nisi bibam illum, fiât voluntas tua (^ibid., 42, cf. 44).

SECTION VII. 437

Jésus dans l'ennui.

'Jésus, voyant tous ses amis endormis et tous ses ennemis vigilants, se remet tout entier à son Père.

Jésus ne regarde pas dans Judas" son inimitié, mais Tordre de Dieu qu'il aime, et l'avoue, puisqu'il rappelle ami'.

Jésus s'arrache d avec ses disciples pour entrer dans l'agonie : il faut s arracher de ses plus proches et des plus intimes pour l'imiter.

Jésus étant dans l'agonie et dans les plus grandes peines, prions plus longtemps".

Nous implorons la miséricorde de Dieu, non afin qu'il nous laisse en paix dans nos vices, mais afin qu'il nous en délivre \

Si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, oh ! qu'il leur faudrait obéir de bon cœur ! La néces- sité et les événements '^ en sont infailliblement.

1. Les deux paragraphes suivants en surcharrje.

2. [Sa malice.]

3. Dixitque illi Jésus : Amicc, ad quid venisti? Matth., XXVf, 5o. If. La suite à la page 89 du niauuscrlt. El factus in agonia, pro-

lixius orabat. Luc, XXII, 43.

5. Cette réflexion, et la suivante qui, dans le manuscrit, se trou- vent ainsi au milieu du Mystère de Jésus, ne semblent pourtant pas en faire partie intégrante ; peut-être étaient-elles déjà écrites au haut de la page 89, lorsque Pascal y écrivit la suite de ses méditations sur le mystère, ou bien ce seraient deux maximes, suggérées à Pascal par le mystère qu'il médite, et qu'il note en passant pour s'en faire l'appli- cation à lui-même.

6. La Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies débute par ces mots : « Seigneur, dont l'esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui êtes tellement miséricordieux que non seulement les prospérités, mais les disgrâces mêmes qui arrivent à vos élus sont les effets de votre miséricorde. » Cf. Lettre à M"^ de Roannez (III, autrefois 5) : « L'essence du péché consistant à avoir une volonté

II 28.

438 PENSEES.

Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouvé'.

Je pensais à toi dans mon agonie, j'ai versé telles gouttes de sang pour toi.

C'est me tenter plus que t'éprouver, que de penser si tu ferais bien telle et telle chose absente : je la ferai en toi si elle arrive.

Laisse-toi conduire à mes règles, vois comme j'ai bien conduit la Vierge et les saints qui mont laissé agir en eux.

Le Père aime tout ce que je fais.

Veux-tu qu'il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu donnes des larmes ?

C'est mon affaire que la conversion : ne crains point, et prie avec confiance comme pour moi.

Je te suis présent par ma parole dans l'Ecriture, par mon esprit dans l'Eglise et par les inspirations, par ma puissance dans les prêtres, par ma prière dans les fidèles.

Les médecins ne te guériront pas" car tu mour- ras à la fin. Mais c'est moi qui guéris et rends le corps immortel.

opposée à celle que nous connaissons en Dieu, il est visible, ce me semble, que, quand il nous découvre sa volonté par les événements, ce serait un péché de ne s'y pas accommoder. »

1. Cf. V écrit sur la conversion du pécheur: «Il n'y a rien de plus aimable que Dieu., et il ne peut être ôté qu'à ceux qui le rejettent, puisque c'est le posséder que de le désirer, et que le refuser c'est le perdre. »

2. « J'ai éprouvé la première, écrit à Pascal sa sœur Jacqueline au lendemain de la seconde conversion, que la santé dépend plus de Jésus-Clirist que d'IIippocrate, et que le régime de l'àme g'\iérit le corps si ce n'est que Dieu veuille nous éprouver et nous fortifier par nos infirmités. » (Lettre du K) janvier i655).

SECTION Vil. 439

Souffre les chaînes et la servitude corporelle : je ne te délivre que de la spirituelle à présent.

Je te suis plus un ami que tel et tel : car j'ai fait pour toi plus qu'eux, et ils ne souffriraient pas ce que j'ai souffert de toi et ne mourraient pas pour toi dans le temps de tes infidélités et cruautés, comme jai fait et comme je suis prêt à faire et fais dans mes élus et au Saint-Sacrement.

Si tu connaissais tes péchés, tu perdrais cœur.

Je le perdrai donc. Seigneur, car je' crois leur malice sur votre assurance.

Non, car moi, par qui tu 1 apprends, t en peux guérir, et ce que je te le dis est un signe que je te veux guérir. A mesure que tu les expieras, tu les connaîtras, et il te sera dit: Vois les péchés qui te sont remis. Fais donc pénitence pour tes péchés ca- chés et pour la malice occulte de ceux que tu connais.

Seigneur, je vous donne tout^

Je t'aime plus ardemment que tu n'as aimé tes souillures, ut immundus pro luto.

Qu'à moi en soit la gloire et non à toi, ver et terre. Interroge ton directeur, quand mes propres paroles

1. [Vous.]

2. « Jésus meurt tout nu. Cela m'apprend à me dépouiller de toutes choses. » C'est le i6^ paragraphe de VEcrit de Jacqueline Pascal sur le mystère de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ : « Il fut fait en conséquence d'un billet de chaque mois que la mère Agnès lui avait envoyé selon l'usage de Port-Royal (i65i). » De ces pensées, qui furent conservées à Port-Royal et qu'on eut même un instant l'idée de joindre aux Pensées de Biaise Pascal, ce seul passage peut être comparé au Mystère de Jésus. ^lais il était utile de les rappeler, car il est vraisemblable que le Mystère de Jésus a une origine analogue à celle des Méditations de Jacqueline.

I

440 PENSÉES.

te sont occasion de mal, et de vanité ou curiosité.

' Je vois mon abîme d'orgueil, de curiosité, de concupiscence. Il n'y a nul rapport de moi à Dieu, ni à Jésus-Christ juste. Mais il a été fait péché par moi : tous vos fléaux sont tombés sur lui. Il est plus abominable que moi, et, loin de m abhorrer, il se tient honoré que j'aille à lui et le secoure.

Mais il s'est guéri lui-même, et me guérira à plus forte raison.

Il faut ajouter mes plaies aux siennes, et me joindre à lui, et il me sauvera en se sauvant. Mais il n'en faut pas ajouter à l'avenir.

Eril'is slcut dii sclentes boiiiim et malum'^ . Tout le monde fait le dieu en jugeant : Cela est bon ou mauvais; et s'affligeant ou se réjouissant trop des événements.

Faire les'' petites choses comme grandes, à cause de la majesté de Jésus-Christ qui les fait en nous, et qui vit notre vie ; et les grandes comme petites et aisées, à cause de sa toute-puissance.

90] 554

Il me semble que Jésus-Christ ne laisse toucher que ses plaies après sa résurrection : Noli me lan- f/ere\ Il ne faut nous unir qu'à ses souffrances.

1. Page 99 du manuscrit.

2. Gen., III, 5. Cf. fr. 5oo.

3. [Grandes.]

554 Cf. Fal-g., II, 3a8; Hav., XXV, 298 et 209; Mol., II, 33; Mich., 253.

'j. [Sed.] Joan., XX, 17 : Dicit ei Jésus: Nolime tangere, nondum rnim ascendi ad Pat rem meum.

SECTION VII. 441

Il s'est donné à communier comme mortel en la Cène, comme ressuscité aux disciples d'Emmaûs. comme monté au ciel à toute l'Eglise.

107] 555

Ne te compare point aux autres, mais à moi'. Situ ne m'y trouves pas, dans ceux 011 tu te compares, tu te compares à un abominable. Si tu m'y trouves, compare-t'y. Mais qu'y compareras-tu .►^ sera-ce toi, ou moi dans toi.^ Si c'est toi, c'est un abominable ". Si c'est moi, tu compares moi à moi ^ Or je suis Dieu en tout.

Je te parle et te conseille souvent, parce que ton conducteur ne te peut parler; car je ne veux pas que tu manques de conducteur.

Et peut-être je le fais à ses prières, et ainsi il te conduit sans que tu le voies. Tu ne me chercherais pas si tu ne me possédais.

Ne t'inquiète donc pas.

555

Cf. Facg., I, 233; Hat., XXV, 209, 7 et XXV, aog, 6; Moi., II, 33; MicH., 277.

I. [ils ne sont pas.]

3. N'y a t-il pas un souvenii' d'un passade de saint Augustin [in. Ps. 121] que cite Jansénius (c/c Natiira lapsa, IV, 11): « Qui sibi placet stulto homini placet quia stultus est ipse qui sibi placet. Solus seeurus placet qui Deo placet » ?

3. « Propter Deum enim amat amicum qui Dei araorem amat in amico. » (Saint Augustin, contra Faustum, XX, 78, apud Jansénius, ibid., II, XVI.)

1

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4 4 "6

TABLE DES MATIERES

PENSÉES

Pages.

Section II (sui/e) i

Section III 97

Appendice pour le fr. 233 161

Section IV 176

Section V 2i3

Sectio VI 267

Section VII 32 1

CHARTRES. IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBEHT.

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3 1901

190A t. 2

Pascal, Biaise Pensées

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