#. :K ,?4 Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/phnomnesphys01mage HÉNOMÈNES PHY ES A VIE. i. Imp. de Moquet et Hauquelin, r. de la Harpe, 90. 0 PHÉNOMÈNES PHYSIQUES DE LA VIE. LEÇONS PROFESSÉES AU COLLEGE DE FRANCE PAR M. MAGENDIE, MEMBRE DE l'iNSTITUT DE FRANCE. <8> TOME PREMIER. <23> A PARIS, CHEZ J.-B. BAILLIERE, LIBRAIRE DE l' ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE, RUE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, 17. A LONDRES,CHEZ H. BAILLIERE, 219, REGENT STREET, 1842 4 ■ ■ LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES PHYSIQUES DE LA VIE. COLLEGE DE FRANCE. PREMIERE LEÇON. Messieurs , L'étude des fonctions du système nerveux a fait l'objet du semestre qui vient de s'écouler. Nous nous sommes bornés à passer en revue divers phénomènes appréciables à nos sens et à nos expériences, phénomènes désignés généralement sous le nom de vitaux, sans chercher à les ratta- cher aux lois qui régissent les corps inertes. Quels rapports en effet aurions-nous pu établir entre la contractilité de la fibre vivante, et la simple élasti- M 1 (0) cité des corps inorganiques? Il n'y a aucune analo- gie entre ces propriétés. Si nous nous en sommes tenus à la rigoureuse observation des faits , c'est que nous pensons que toutes ces théories que de- puis tant de siècles, l'esprit humain s'est plu à en- tasser, ne servent qu'à enrayer la marche de la science , qu'à fatiguer inutilement la mémoire. Vous avez pu voir toutefois que l'étude expérimen- tale des phénomènes vitaux n'est pas sans intérêt, môme sous le point de vue thérapeutique , puisque nous pouvons reproduire sur l'animal vivant la plupart des troubles pathologiques que l'homme malade présente à notre observation. Je me propose dans ce semestre d'étudier avec vous cet autre ordre de phénomènes essentielle- ment distincts des phénomènes vitaux, et qui, soumis aux lois générales de la physique , devien- nent accessibles à nos explications. Je sais que certains esprits pourront appeler au- dacieuse l'idée de rattacher les lois qui président au jeu de nos organe, aux mêmes lois qui régis- sent les corps inanimés; mais, pour être neuve, celte vérité n'en est pas moins incontestable. Pré- tendre que les phénomènes de la vie sont entière- ment distincts des phénomènes généraux de la nature , c'est professer une erreur grave, c'est s'opposer aux progrès ultérieurs de la science. Aussi je crois que ce serait un grand perfection- nement que de fonder l'enseignement de la phy- sique vitale proprement dite. On est loin de ces questions aujourd'hui , et pourtant combien de procédés utiles dans le traitement des maladies n ) sont dus à l'application sur l'homme de ces lois générales de la physique et de la chimie ! Je ne puis concevoir comment on peut soutenir l'idée qu'enlre les lois qui régissent les corps vivants et celles qui règlent les corps inertes, il existe une ligne de dé- marcation qu'il n'est pas permis de franchir. Il est vrai qu'il en est des raisons malheureusement trop péremptoires : ainsi les hommes les plus savants en médecine sont souvent étrangers aux notions les plus simples de physique, et par cela môme ils sont peu disposés à attacher à cette science l'impor- tance qui lui appartient, je dis plus ils en sont incapables. Aussi, je ne puis trop le répéter, l'étude de la physique est indispensable pour ce- lui qui ne veut point se laisser guider par une rou- tine aveugle, et qui désire se rendre compte de l'ensemble, des phénomènes que présente l'écono- mie vivante. Le corps de l'homme possède les propriétés gé- nérales des corps ; qu'il soit doué ou privé de sa vie, n'est-il pas soumis comme eux aux lois de la pesanteur , à l'influence de la chaleur de la lumière , de l'humidité ? Gomme eux il est divisible, étendu, impénétrable. Si vous prenez chacune des parties qui le composent, les tissus solides, les liquides et l'ensemble des organes, par- tout vous retrouverez les propriétés générales de la matière, toutes nos parties ne sont corporelles qu'à cette condition. Le corps de l'homme possède encore ces pro- priétés secondaires qui n'appartiennent pas a tous les corps de la nature, mais qui sont parlicu- .c 8 } liéres à chacun : ainsi les propriétés d'un solide ne sont pas celles d'un liquide, celles d'un liquide ne sont pas celles d'un gaz. Entrons dans quelques considérations moins générales, et la vé- rité de cette proposition deviendra évidente. Pre- nons pour exemple l'élasticité. Tous les organes de l'économie sont élastiques; une artère dis- tendue dans le sens de sa longueur ou de sa largeur, reprend sa forme et son volume quand la distension vient à cesser. Et ne croyez pas que les phénomènes que vous voyez sur un tissu privé de vie, se passent autrement sur un animal vivant,* car sur celui-ci l'élasticité du tube artériel non seule- ment existe, mais elle est plus visible et plus pro- noncée. Voici un poumon distendu par une in- sufflation artificielle : au moment où j'ouvre le ro- binet adapté à la trachée-artère, le gaz s'échappe en sifflant, et l'organe s'affaisse sur lui-même. Qu'y a-t-il de vital dans ce phénomène? Quelle au- tre propriété que l'élascité a été mise en jeu? Le tissu pulmonaire, tissu éminemment élastique^ a réagi sur l'air qui le distendait et l'a chassé de sa cavité, aussitôt que celui-ci a trouvé une issue. Observez ce qui arrive sur l'homme vivant pen- dant l'acte respiratoire; la dilatation et le resserre- ment du thorax sont tellement liés à l'élasticité du poumon, que quand celle-là vient à diminuer, la dyspnée et d'autres accidents apparaissent immé- diatement. C'est à ce défaut d'élasticité dans les organes qu'il faut rapporter en partie chez le vieil- lard cette décrépitude et cette atrophie générale des tissus. C'est aussi par cette propriété élastique C 9 ) du poumon qu'on explique la forme voûtée du diaphragme, et son affaissement aussitôt que la cavité thoracique communique avec l'air extérieur, car alors le tissu pulmonaire revient sur lui-même par le mécanisme que je vous ai exposé. Supposez un malade atteint de pneumonie d'un seul côté : le premier phénomène qui vous frappera dans la manière dont s'exécute la respiration, c'est l'inéga- lité avec laquelle se dilate chaque côté de la poitri- ne^ et ce seul signe physique suffira pour vous fai- re prononcer qu'il existe une lésion de l'organe pulmonaire. Une autre conséquence de l'existence de l'élas- ticité dans les corps vivants, c'est la production du son. Vous savez qu'un son ne peut se produire dans un corps non élastique. Ainsi toute espèce de son, de bruit développé dans l'économie est un phénomène physique, indépendant des lois vitales, et dont la physique seule peut nous donner l'ex- plication. Comment voulez-vous maintenant , si vous êtes étranger à cette science, vous rendre compte de ces variétés si nombreuses de sons qui viendront frapper votre oreille dans l'exploration des divers organes? Lisez le magnifique ouvrage de Laënnec sur l'auscultation, à peine vous y trou- verez quelques indications physiques, et cepen- dant tout ce qui a rapport à l'auscultation n'est que de la physique modifiée par la conformation et la structure de nos tissus. Vous pourrez appren- dre à distinguer les divers râles, à les rattacher aux lésions dont ils révèlent l'existence, mais, sans le secours des lois physiques, jamais vous (10) n'aurez sur ces questions-là de véritables notions scientifiques. Et n'y a-t-il pas dans l'organisation de l'homme un admirable appareil destiné à pro- duire le son ? L'organe de la voix est l'instru- ment de musique par excellence, qui l'emporte de beaucoup sur tout ce que l'art musical a imaginé de plus parfait dans la confection des divers instru- ments. Vous verrez un homme parler, et vous ne chercherez point, vous physiologiste, à expliquer par quel mécanisme la voix est formée! Ces bruits si variés que l'on produit avec les lèvres, l'action de siffler, par exemple, le gargouillement que font entendre les liquides quand on se gargarise, le parler à voix basse, que sais-je enfin, toutes ces nuances si multipliées dans les sons que l'homme fait entendre, toutes sont du domaine de la physi- que. Un chirurgien reconnaît une fracture au pe- tit frémissement que perçoit sa main quand elle imprime des mouvements à l'os brisé. Que se passe- t-il alors? La surface élastique de chaque fragment venant à frotter l'une contre l'autre produit des vi- brations, d'où résulte ce bruit particulier qu'on appelle crépitation. Le cœur dans l'état sain ou dans l'état patholo- gique produit des bruiîs normaux ou anormaux, dont la physique seule peut nous donner l'expli- cation. Vous connaissez tous ce double son, ce tic- tac du cœur; or, vous ne pouvez concevoir sa pro- duction sans un double choc , mais ce choc contre quoi s'exerce-t-il? Oh! c'est ici que les hypothèses se trouvent accumulées en grand nombre; car pour se rendre compte de ce phénomène on a plutôt ( 11 consulté des idées théoriques que les lois delà physique. Ainsi , les uns expliquent ce double bruit par le choc du sang lancé contre les parois du cœur; d'autres, par le jeu des valvules qu'ils comparent à des soupapes mobiles, etc. Eh bien! vous verrez , quand nous nous occuperons de l'étude des bruits du cœur , qu'en adaptant une soupape dans l'inté- rieur d'un tuyau élastique, nous aurons beau faire arriver sur elle une ondée de liquide , projetée rapidement avec une seringue , jamais nous ne pourrons obtenir un son. Plongez votre main dans de l'eau , et heurtez-la vivement , vous ne produi- rez point un bruit. Et comment en serait-il autre- ment, puisque la physique nous apprend qu'une condition essentielle au choc, c'est le contact subit de deux corps; or, si ce contact existe déjà, jamais vous n'aurez de bruit de choc. Quand, au contraire, le cœur vient frapper contre la paroi thoracique , ainsi que nous vous le démontrerons, celle-ci étant sonore, vous devrez avoir un son, car vous trouvez réunies les conditions les plus fa- vorables à sa formation. Si maintenant vous étudiez ces bruits de râpe, de lime, de soufflet , ainsi qu'on les appelle , que dans certaines circonstances on entend dans le cœur et les gros vaisseaux, la prolongation du son ne vous permet plus de les attribuer à un simple choc, comme le tic-tac dont nous parlions, et vous verrez qu'ils se développent sous l'influence d'un frottement. La physique expérimentale nous mon- trera qu'il est dès conditions particulières où un ( 12) liquide , traversant avec rapidité un vaisseau à parois élastiques , produit des sons semblables à ceux que l'on observe sur l'homme malade. Tou- tefois on ne peut expliquer ces divers bruits de frot- temens d'une manière aussi précise que les bruits de choc , car si l'on peut calculer ce qui arrive quand deux corps solides se heurtent d'après leur masse et d'après la vitesse avec laquelle ils se meu- vent , il n'en est plus de même pour des courants de liquide. L'expérience nous apprend ce qui se passe quand deux billes d'ivoire viennent à se cho- quer , tandis qu'elle ne nous apprend rien , ou presque rien, sur les bruits que peuvent produire des liquides, traversant des tuyaux dont les parois sont élastiques. Vous ne serez donc point surpris qu'on n'ait pas appliqué à l'étude de ces phéno- mènes , dans l'appareil circulatoire., les lois de la physique, puisque ces lois sont encore inconnues. J'ai fait un assez grand nombre d'expériences pour éclaircir ces questions encore obscures, et je vous ferai part des résultats que j'ai obtenus. La transmission, de même que la production tlu son , est un phénomène tout physique , et qui mé- rite d'appeler l'attention spéciale du médecin et du physiologiste. En effet, cette transmission du son à travers des corps élastiques , fournit , dans cer- tains cas, les indications les plus précieuses et les plus positives. Le chirurgien veut-il reconnaître si un os a été dénudé au fond d'une plaie, s'il existe un calcul dans la vessie, il introduit un instru- ment explorateur, et le simple frémissement, trans- mis à sa main par le choc de son instrument, lui révèle la nature du corps qu'il a heurté. Les vi- brations sont un phénomène entièrement physique; car, si au lieu d'employer une tige métallique , il se fût servi d'une tige en gomme élastique, un son tout différent aurait été produit. Ce n'est pas seulement sous le rapport de l'é- lasticité que nos tissus ressemblent aux corps bruts de la nature; comme ceux-ci ils sont poreux, c'est- à-dire, qu'au moyen de petits espaces , de petits per- tuis qui pénètrent dans la profondeur de leur sub- stance, ils peuvent livrer passage à des corps plus subtils. C'est sur cette propriété que sont fondées les principales fonctions de la peau. Par quel mé- canisme s'opère la transformation du sang veineux en sang artériel? ne faut-il pas que l'air atmos- phérique, introduit dans le poumon, traverse la membrane fine qui le sépare du liquide qu'il doit vivifier? Supposez, en effet, que le tissu pulmo- naire cesse d'être poreux et perméable , ainsi qu'on l'observe dans certaines maladies; vous connais- sez d'avance quels accidents devront en résulter. C'est en vertu de cette même porosité que les bois- sons que vous prenez avec vos aliments passent dans les veines, et sont ainsi transportées dans le tor- rent de la circulation. Savoir que les corps vivants sont poreux, et sa- voir que cette porosité exerce une notable influence durant la vie,c'est une découverte toute récente,quî a été long-temps contestée. Et pourtant ce phéno- mène est des plus simples à démontrer. J'ai été moi-même, plusieurs années avant que d'oser abor- der l'idée qu'une membrane vivante put se laisser ( U ) pénétrer par les liquides avec lesquels on les met en contact; car on pensait généralement que les choses se passaient tout différemment sur un tissu doué ou privé de la vie. On nous disait : La peau, les membranes séreuses, muqueuses , en un mot, toutes les surfaces du corps, sont criblées d'une foule de petits orifices, qui ne sont que les ramifications capillaires des vaisseaux lymphatiques. Ces petites bouches sont douées d'une intelligence en harmo- nie avec l'importance de leurs fonctions. Ainsi , une substance nuisible à l'économie vient-elle à se présenter, l'orifice se ferme et lui refuse l'entrée; cette substance, au contraire, est-elle convenable, l'orifice s'ouvre et la laisse pénétrer. C'est sous l'influence de semblables doctrines que je com- mençai à étudier les phénomènes de l'absorption. Eh bien ! je parvins à démontrer par des expérien- ces nombreuses et des discussions sans fin , toute la futilité de semblables rêveries. 11 y a vingt ans , personne ne doutait que le système lymphatique ne fût l'agent exclusif de l'absorption, et mainte- nant chacun sait que toute substance acide ou alkaline, utile ou délétère, est absorbée aussitôt qu'elle est mise en contact avec nos tissus. Il n'y a donc là qu'un phénomène d'imbibition, et tout ce qu'on a dit de l'intelligence des pores n'est qu'un roman aujourd'hui suranné. Vous voyez donc que si l'on doit étudier sépa- rément les phénomènes vitaux sous le nom de phy- siologie vitale, il se passe dans les corps vivants d'autres phénomènes, qui sont essentiellement du domaine de la physique, et qu'elle seule peut nous expliquer. Il y a plus , l'étude de ces phénomènes physiques nous fournit peut-être plus d'applica- tions thérapeutiques et d'explications pathologi- ques , que les phénomènes vitaux , enveloppés quant à la théorie de l'obscurité la plus complète. C'est ainsi que sur un animal vivant nous pouvons , après avoir appliqué sur divers de ses tissus un agent vénéneux., empêcher, suspendre, rendre plus active ou plus lente l'action du poison ; car dans ce cas, nous avons affaire à un simple phénomène physique dont nous possédons la théorie ; mais il ne nous est point donné de modifier ainsi à notre &rà la sensibilité exaltée ou abolie dans un omane ou tout autre phénomène vital. Ainsi , messieurs ,• que votre esprit se pénètre de cette vérité fondamentale , tout n'est pas vital dans les phénomènes de la vie, bon nombre d'en- tr'eux sont essentiellement et exclusivement; phy- siques.. Et comme ces derniers interviennent dans nos fonctions les plus importantes. C'est à la phy- sique qu'il faut demander les moyens de les con- naître et de les apprécier. C'est là îe genre d'étude auquel nous nous livre- rons durant le semestre qui s ouvre aujourd'hui. DEUXIÈME LEÇON. , Messieurs, L'un des préjugés }es plus fâcheux qui aient régné et qui régnent encore dans la médecine , c'est de supposer que tout être vivant, animal ou végétal, est soumis à des lois indépendantes de celles qui gouvernent les autres corps de la na- ture. C'est là une erreur tellement grossière, qu'elle n est réellement pas digne dune sérieuse réfutation. Et cependant , combien de praticiens instruits et honorables prétendent encore aujour- d'hui qu'il n'y a rien de commun entre l'étude de la médecine et J'étude des lois physiques! Dans le semestre qui vient de s'écouler, nous avons passé en revue les principaux phénomènes vitaux dont le corps de l'homme est le théâtre, mais nous n'avons pu que constater des faits par la voie ex- périmentale ; car, pour les expliquer, je confesse hautement mon ignorance. Si je sais par quel mé- canisme une membrane se laisse imbiber par un liquide , je cherche en vain ce qui fait que la fibre musculaire se contracte ou que le nerf est sensible. Vous avez vu que tous nos tissus sont doués des propriétés générales de la matière, car ils sont étendus, impénétrables, divisibles... et même pour prouver que la matière est divisible à l'infini, .(17) c'est dans les corps vivants que le physicien vient puiser des exemples. Quelles sont ces traces odorantes que le gibier, en fuyant, laisse après lui, que le nez du chien sait si bien retrouver? des particules matérielles échappées du corps de l'a- nimal poursuivi. Vous avez donc là encore l'ap- plication des lois physiques.. Et cependant quelle direction en général un jeune homme donne-t-il à ses études en médecine? Il s'occupe d'anatomie, de pathologie; il suit les cliniques; enfin, il devient médecin, peut-être même un jour professeur, et comme il est étran- ger aux sciences physiques , il est fort indulgent sous ce rapport pour les autres. Quant à nous, nous voulons vous diriger dans le sens du perfection- nement de la médecine ; or, la médecine ne peut se perfectionner sans des connaissances positives sur les grands phénomènes de la nature. Car si certaines lois sont communes aux corps vivants et inertes, comment pourrez- vous expliquer ce qui se passe dans l'économie animale , tant que vous ignorerez les lois qui régissent la matière brute? Pour pouvoir affirmer qu'il se passe, ou qu'il ne se passe pas dans notre corps des phénomènes explicables par les lois de la physique , il faut avant tout les connaître , ces lois. Qu'un homme comme Berzelius vienne me dire que l'estomac n'est point une cornue, qu'il ne s'y passe rien de chimi- que, rien de physique pendant l'acte de la diges- tion , certes une semblable assertion sera d'un grand poids à mes yeux. Mais que quelqu'un qui n'est point apte à prononcer en semblable matière, ( et cette pratique ne peut être que fort avantageuse, car on aspire en même temps et le sang et le poison qu'il tient en dissolution. Mais si la plaie est profonde, la succion, loin de donner issue à l'agent vénéneux, l'emprisonnera pour ainsi dire au milieu des par- ties molles, car ne s'exerçant que sur une surface voisine de ia peau, elle rapprochera les lèvres de la solution de continuité. Aussi dans ce cas le vi- rus sera facilement absorbé! C'est par un méca- nisme parfaitement analogue à la succion qu'agis- sent les ventouses. Que se passe-t-il quand vous appliquez une ventouse sur une blessure produite par une arme empoisonnée? Vous faites le vide c'est-à-dire que la surface qu'elle recouvre se trouve soustraite à là pression atmosphérique , et ( 48 ) comme les parties plus profondes sont toujours soumises à cette même pression , il s'en suit que les liquides se trouvent aspirés du centre à la su- perficie. Mais remarquez que la ventouse est sur- tout utile en suspendant la circulation capillaire à la circonférence de la plaie , car si l'on n'a pu prévenir l'imbibition du virus , du moins on s'op- pose à son transport par les vaisseaux sanguins. L'emploi de ce moyen est donc très rationnel ; toutefois je me bâte d'ajouter qu'il n'offre pas une certitude complète. Si en effet la blessure était profonde, qu'elle eût été faite par un animal dont les dents canines sont très longues, tel que le loup, par exemple, vous aurez beau alors suspendre par l'application d'une ventouse la circulation à la su- perficie du derme , les vaisseaux profonds seront toujours traversés par un courant sanguin , et ils pourront absorber et transporter au loin le prin- cipe délétère. Ainsi donc à la rigueur on peut se contenter d'une ventouse pour la morsure d'une simple vipère, car le virus n'est point assez actif pour compromettre la vie du malade : mais s'il s'agissait d'un animal dont le venin fût plus actif, le médecin devrait recourir à la cautérisation , seul moyen de détruire avec certitude jusqu'au moindre atome de l'agent septique. Je me rappelle avoir été chargé il y a quelques années par l'académie des sciences d'examiner un moyen proposé comme une sorte de spécifique contre la morsure des animaux venimeux. C'était une petite pierre verte, insoluble, qu'un voyageur enaitde rapporter des Indes où elle jouit d'une (49) grande célébrité. Voici les expériences dont je fus témoin. Ce monsieur ayant fait mordre par une vipère plusieurs lapins , me dit : si maintenant je touche avec la pierre la blessure de ces animaux, je vais neutraliser les effets du poison et prévenir le développement d'accidents consécutifs. Je lui fis observer que pour que l'expérience fût plus con- cluante, il fallait d'abord examiner ce qui allait arriver aux lapins en ne leur faisant rien. Nous attendîmes donc. Mais quelle ne fut pas la surprise du voyageur de voir que ces animaux n'éprou- vaient pas le moindre effet de la morsure de la vi- père? Il convint avec la meilleure foi du monde qu'il s'en était laissé imposer par de trompeuses apparences , et il resserra sa petite pierre après avoir répété sur d'autres lapins la même expé- rience sans avoir vu se développer chez aucun les moindres accidents. Vous voyez avec quelle réserve on doit se pro- noncer sur l'efficacité de tel ou tel remède. Si le reptile eût été irrité , que la saison eût été plus chaude, il est probable que la morsure aurait été suivie de symptômes d'empoisonnement, que l'ap- plication de la petite pierre n'aurait pu ni prévenir ni combattre. Supposons maintenant que vous êtes appelé auprès d'une personne qui vient d'être mordue par un animal venimeux, quelle première indica- tion avez- vous à remplir? Puisqu'on ne peut pas toujours savoir exactement jusqu'à quelle profon- deur la dent a pénétré dans les tissus, il faut d'a- bord empêcher le transport du virus en appli- ( £< quant une ligature au-dessus de la blessure. C'est ce que font instinctivement les ouvriers qui tra- vaillent dans la foret de Fontainebleau ; quand ils ont été mordus par une vipère, ils serrent très fortement avec leur mouchoir le membre au-dessus du point où il a été blessé. La circulation veineuse se trouvant ainsi interceptée , l'imbibition locale s'effectue il est vrai , mais le poison ne peut être transporté vers le cœur. Une fois donc la liga- ture appliquée , il faut détruire avec le caus- tique ou le. fer. incandescent tous les tissus que la dent de l'animal a touchés , car il peut se faire que déjà une partie de l'agent vénéneux ait pénétré par voie.d'imhibition. Faisons maintenant sur ranimai vivant l'application des principes que je viens de vous énoncer. J'enfonce dans la patte de ce lapin une petite allumette enduite d'extrait alcoolique de noix vo- mique, observons ce qui va se passer. Comme la substance vénéneuse est. solide, et que les vais- seaux avec lesquels elle se trouve en contact sont peu nombreux , il faut du temps pour qu'elle soit dissoute et transportée dans le torrent de la circu- lation. Voilà les premiers symptômes qui apparais- sent, les membres offrent de la rigidité. Si je serre fortement la cuisse avec une ligature, aussitôt, vous le voyez , les accidents sont suspendus. En effet, j'intercepte la circulation , et j'empêche le poison imbibé d'être transporté vers le système nerveux. Mais ce n'est pas tout, il faut maintenant détruire les tissus que le virus a touchés ; aussi vous voyez qu'avec un pinceau imbibé d'acide sulfurique, je (51 ) cautérise tout le trajet de la plaie par laquelle j'ai introduit l'allumette empoisonnée. Si l'expérience a été bien faite, je peux maintenant couper la liga- ture, et la circulation pourra se rétablir sans dan- ger pour Tanimal. (Au moment où M. Magendie ôte la ligature , l'animal est pris de convulsions té- taniques et tombe sans mouvement sur la table, on le croit mort). Il parait, continue le profes- seur , que nous n'avons pas détruit avec le caus- tique tout le poison déposé dans la blessure , ou que déjà une trop grande partie était passée dans les veines ; je vais séparer le membre du tronc afin d'examiner l'état des parties. ( La dou- leur produite par la section de la patte rappelle à lui l'animal qui se redresse aussitôt, et cherche à s'échapper). Je sui§ bien aise de cet incident, re- prend M. Magendie qui partage l'hilarité de l'au- ditoire , car cela me fait songer que j'ai omis de vous indiquer l'amputation du membre blessé comme moyen de prévenir l'absorption du virus. C'est là sans doute une ressource extrême, mais il est des circonstances où il faut y avoir recours , ce sont celles où l'on n'a point d'autre moyen à sa disposition, et où l'agent délétère est très actif. Vous avez peut-être entendu parler de cet homme qui faisait métier de montrer des serpents pour de l'argent, et qui fut mordu un jour à la main par un serpent à sonnette, animal essentiellement ve- nimeux. Il ne se trouva là que des personnes igno- rantes qui firent appliquer des sangsues et des ca- taplasmes au lieu d'attaquer directement le prin- cipe virulent , et cet homme succomba en peu d'instants. Sa femme continua d'exercer le même ( 52 ) métier, d'autant plus que 1 accident arrivé à son mari avait acquis au serpent une célébrité qu'elle savait exploiter à son profit. Le même animal ayant mordu peu de temps après au doigt le domestique qui le faisait voir, cette femme, instruite par l'ex- périence du premier accident n'hésita pas à cou- per aussitôt avec un tranchet le doigt qui venait d'être blessé, et prévint ainsi le développement d'accidents qu'elle savait être mortels. Plus heu- reux que son maître , le domestique en fut quitte pour une légère mutilation. Vous vous rappelez quelles conséquences théra- peutiques nous avons déduites de l'étude de l'ab- sorption pour les différents tissus de l'économie vi- vante. Mais il est des circonstances locales qui peuvent empêcher Timbibition desliquides,et il est un fait sur lequel je dois appeler votre attention. Quand vous voulez mettre à nu le réseau vasculaire du chorion , il n'est pas indifférent d'employer tel ou tel procédé pour enlever la couche épidermi- que. Je me rappelle qu'un jour que je faisais des expériences en public sur l'absorption , je versai sur la neau de l'animal de l'eau bouillante afin de produire une phlyctène , et de mettre le derme à nu. Ayant donné issue à la sérosité, j'appliquai sur la surface dénudée la substance que je voulais faire absorber , mais je ne vis rien qui annonçât son passage dans le torrent de la circulation. J'expérimentai avec l'acide prussique , et les ré- sultats furent complètement négatifs. Alors en exa- minant la peau , je m'aperçus que son tissu avait été racorni; et en quelque sorte désorganisé par le ( 53 ) contact de l'eau bouillante, que les vaisseaux ca- pillaires avaient été oblitérés , et je compris alors comment l'absorption n'avait pu s'effectuer. Il en est à peu près de même des frictions am- moniacales. Elles produisent, il est vrai, unevési- cation très rapide , mais elles altèrent aussi le ré- seau vasculaire sous-épidermique , et dès lors les conditions d'imbibition et d'absorption sont moins favorables. Certaines altérations organiques delà peauetdes autres tissus se traitent par les caustiques, tels que le sublimé , la pâte arsenicale , le nitrate acide de mercure, etc.; mais il faut, dans l'emploi de pareils moyens , une grande circonspection et une con- naissance approfondie des lois qui président à l'absorption. Avez -vous affaire à des surfaces modifiées , à des tissus transformés dans lesquels il n'y a plus de circulation capillaire, vous pouvez sans danger y porter le caustique. Mais si de pa- reilles applications étaient faites sur une surface saine , sur un tissu bien organisé où l'absorption se fait régulièrement, vous pouvez voir se dévelop- per les accidents les plus formidables. L'histoire de la chirurgie mentionne plus d'un empoisonne- ment produit de cette manière. L'étude du méca- nisme physique de l'absorption pourra seule vous faire éviter de semblables écueils qui compromet- tent tout à la fois et la vie du malade et la répu- tation du médecin. M. SIXIÈME LEÇON Messieurs , Un événement déplorable s'est passé ces jours derniers dans un de nos grands hôpitaux. On pra- tiquait l'amputation du bras dans l'articulation scapulo-humérale à raison d'une grave brûlure ; le malade est mort subitement au moment où le chirurgien venait de terminer le premier lam* beau. Je ne connais point ce fait dans ses détails, et je n'ai point d'ailleurs à vous en entretenir. Mais il a été dit, et les journaux ont répété, que ce malade avait succombé à l'introduction accidentelle de l'air dans les veines. Cette intro- duction étant un phénomène entièrement phy- sique, le physicien seul peut en rendre raison et s'opposer à ses conséquences presque toujours funestes. Avertis par cet accident si triste, et pour la victime et pour l'opérateur, vous sentez de quelle importance il est pour un chirurgien qui peut re- douter un semblable malheur,d'êire en mesure d'y remédier, et d'avoir à sa disposition les moyens propres à porter au malade de prompts secours. Maistelïe est la rapidité avec laquelle la mort sur- vient que souvent tous les efforts de l'art sont im- puissants; toutefois le chirurgien ne doit point né- gliger d'y avoir recours,* car quels que soient les résultats, il aura la consolation d'avoir épuisé pour ( 55 ) • sauver son malade toutes les ressources que la science mettait à sa disposition. Ce fait du reste n'est point unique dans les fastes de la chirurgie. Un homme qu'on n'accusera ni de maladresse, ni de défaut d'expérience, Dupuytren, faisait sur un jeune homme l'extirpation d'une tu- meur volumineuse, située dans le voisinage de la clavicule. Dans la succession des divers niouve- mens de l'instrument , il ouvrit la veine sous-cla- vière, à ce que je crois, et à l'instant même le malade s'agita violemment en -s' écriant : Ah ! mon Dieu, je me meurs ! puis il perdit connaissance. Au même moment Dupuytren entendit dans la poi- trine un sifflement étrange , et croyant avoir ou- vert la plèvre, il appliqua sur la plaie un tam- pon de charpie , afin de prévenir une nouvelle introduction de l'air dans la cavité thorachique. Ce fut en vain qu'il jeta de l'eau au visage du ma- lade, qu'il lui fit respirer du vinaigre , de l'éther , tous moyens propres à faire cesser la syncope, le ma- lade expira. A l'ouverture du corps on reconnut que la plèvre n'avait point été intéressée, mais on trouva une notable quantité d'air dans les cavités droites du cœur et dans le système veineux sanguin. Comme des phénomènes de cette nature appar- tiennent exclusivement aux lois de la physique , et comme ils se rapprochent de l'objet actuel de nos études, je me propose dans cette leçon de vous entretenir de l'entrée accidentelle de l'air dans les veines. Fidèle à la marche que j'ai adoptée, je pro- céderai dans l'examen de cette question par la voie expérimentale. . ( 56 ) Je viens de mettre à découvert sur ce chien la veine jugulaire externe. Vous voyez que ce vais- seau est animé d'un double mouvement, il se gonfle et s'affaisse alternativement, suivant que l'animal accélère ou ralentit ses mouvements respiratoires. Ce flux et ce reflux du courant sanguin dans l'in- térieur de la veine n'est qu'un phénomène de pure mécanique; car, de même que l'air pénètre dans la trachée artère quand la poitrine se dilate, de même Je sang est poussé par la pression atmosphérique dans l'intérieur delà cavité thoracique. Supposez maintenant que cette veine est coupée en travers et que son orifice reste béant, l'air entrera clans sa cavité par le même mécanisme qu'il pénètre dans la trachée. Pourquoi donc dans la saignée l'air ne s'introduit-il pas par l'ouverture qu'a faite la lan- cette? parce que les parois du vaisseau divisé sont minces et flexibles , et s'appliquant l'une contre l'autre , à la manière d'une soupape, elles empê- chent l'entrée de l'air atmosphérique. Si vous supposez le tuyau veineux constitué par des pa- rois inflexibles, comme on l'observe dans l'ossifica- tion des artères , alors à chaque inspiration l'air pénétrera librement par l'ouverture artificielle que vous aurez pratiquée. C'est ainsi que, par une dis- position anatomique dont vous vous expliquez fa- cilement les avantages , la nature a formé la tra- chée artère de cerceaux cartilagineux qui maintien- nent toujours ce conduit ouvert. Si au contraire la trachée était molle et membraneuse comme l'œ- sophage , elle s'affaisserait au moment de l'inspi- ration, et l'air ne pénétrerait pas dans les bron- ( 57 ) clies. Vous concevez maintenant comment il peut se faire que dans une opération chirurgi- cale , une veine placée au milieu d'un tissu squirreux ou endurci , et y adhérant de toute part, ne puisse s'affaisser sous la pression de l'air, et alors elle se trouve dans les conditions d'un tuyau inflexible. C'est ce qui arrive quelquefois quand on saigne un cheval, au moment où l'on soulève l'orifice du vaisseau divisé pour l'embrasser avec la peau dans une ligature. C'est aussi ce que l'on peut produire à volonté sur un animal , soit en soulevant avec la pince la paroi d'une veine, soit en y introduisant une sonde; car alors on substitue à un tuyau flexible un tuyau à parois résistantes. Etudions maintenant les effets de cette entrée accidentelle de l'air dans les veines. Bichat dans vingt endroits de ses ouvrages répète qu'il suffît qu'une seule bulle d'air pénètre dans le torrent circulatoire pour que la mort arrive; car, dit-il , le système sanguin a des propriétés vitales en rapport avec certaines conditions du sang , et si par malheur il s'y mêle un fluide qui ne soit plus en harmonie avec ces propriétés , aussitôt l'ani- mal succombe. Mais malheureusement cette théo- rie fondée sur les propriétés vitales, est en- tièrement fausse; car on peut impunément faire pénétrer une assez grande quantité d'air dans les veines d'un animal, pourvu qu'on ait la précau- tion de ne l'introduire que lentement et pour ainsi dire, bulle à bulle, afin qu'il ait le temps de se diviser dans le sang. Faisons cette expérience de- vant vous. - ; ( 38 ) Après avoir lié le bout supérieur de la veine jugulaire de cet animal, afin de prévenir l'écou- lement du sang, j'incise le vaisseau, puis j'in- troduis dans l'ouverture que je viens de pratiquer, la canule d'une petite seringue pleine d'air. Je pousse lentement le piston, et déjà, vous le voyez, une certaine quantité d'air a été injectée sans que l'animal s'en aperçoive Donc, l'opinion de Biehat sur les effets de l'introduction d'une bulle d'air dans le sang est complètement erronée. Je dis plus , j'ai la certitude expérimentale que la même chose se passe chez l'homme ; il m'est arrivé plusieurs fois en injectant divers liquides dans les veines d'un malade d'y voir pénétrer en môme temps quelques bulles d'air. Or, je n'ai point eu la moindre in- quiétude sur les conséquences de cette introduc- tion , car elle s'effectuait lentement , et je savais par mes épreuves sur les animaux qu'elle n'aurait point de suites fâcheuses. Il est même tel animal dont le système vasculaire peut admettre des quan- tités considérables d'air, sans que les fonctions en éprouvent un trouble notable. Faisant avec M. Du- puy des expériences à l'école vétérinaire d'Alfort, j'ai pu injecter dans les veines d'un cheval plus de quarante litres d'air avant que l'animal succombât à l'énorme distension des vaisseaux, produite par l'accumulation de ce fluide élastique. Si maintenant j'injecte dans la jugulaire de ce chien, qui vient de nous servir à notre première expérience, l'air renfermé dans cette petite se- ringue, mais en ayant soin de le faire pénétrer rapidement et en masse ? que va-t-il se passer? ( M» ) Vous le voyez : l'animal se débat violemment, il pousse des cris aigus, il va périr. Remarquez que ce n'est pas la force avec laquelle l'air a été poussé, qui a occasionné la mort; car il a fallu que l'ani- mal fit une forte inspiration pour qu'il pût pénétrer dans les cavités droites du cœur. Ouvrons mainte- nant la poitrine, afin de constater les lésions que nous devons rencontrer. Le cœur est tellement gonflé qu'il distend énormément le péricarde,* cette enveloppe fibro-séreuse est si intimement appli- quée sur la face externe de l'organe qu'elle em- brasse, que c'est à peine si je peux l'inciser avec la pointe de mon scalpel. Les parois du cœur sont distendues comme celles d'une vessie qu'on vient d'insuffler, mais ce gonflement porte spécialement sur les cavités droites- car les cavités gauches sont presque vides. Et, en effet, il doit en être ainsi quand la mort est aussi rapide, l'air n'a pas encore eu le temps de passer à travers le pou- mon pour pénétrer dans le système artériel. Quel est l'état du sang renfermé dans le côté veineux „ du cœur ? il s'offre à vous sous la forme d' ne écume légère, résultat de son mélange intime avec l'air. A la couleur près, on dirait des œufs { Guet- tés. C'est à l'agitation brusque et rapide de l'air et du sang dans le ventricule , pendant la systole et la diastole du cœur qu'il faut rapporter ce fré- missement vibratoire , ces craquements que per- çoit l'oreille appliquée sur la région précordiale , un instant après l'introduction de l'air dans les veines et qui en est le signe caractéristique. Il est une circonstance importante à noter , (60 ) quant à l'introduction accidentelle de l'air; elle ne se fait pas aussi facilement pour toutes les vei- nes. On peut établir en principe que, plus une veine est éloignée de l'organe central de la circu- lation , moins il y a de chances pour que l'air y pé- nètre éventuellement. C'est ainsi que jamais cet accident ne survient chez l'homme, à la suite de la saignée du bras , et que la veine jugulaire droite y est plus exposée que la gauche, à cause de la différence dans la longueur des sous-cla- vières, etc. Je vais répéter l'expérience que vous venez de voir sur un autre animal; seulement, au lieu d'in- jecter moi-même l'air dans le système vasculaire, je le laisserai pénétrer naturellement dans la veine, et pour cela il me suffit d'introduire dans ce vais- seau une sonde en gomme élastique. En effet , je substitue des parois résistantes à des parois flexi- bles, et un orifice béant à un tube à soupape. Ob- servez ce qui se passe. A chaque inspiration un peu forte, vous entendez l'air entrer en sifflant, et à chaque expiration il ressort mousseux. Vous pou- vez même, en appliquant l'oreille sur la poitrine, distinguer ce bruit singulier dont je vous ai expli- qué le mécanisme et la formation. Encore quel- ques instants et l'animal aura succombé. Ne peut-on pas, au lieu de rester ici simple spectateur, l'empê- cher de périr? Oui , pourvu toutefois qu'une trop grande quantité d'air n'ait point déjà pénétré dans le système circulatoire. Si, après avoir adapté la canule de ma seringue à l'orifice de la sonde, je viens à faire le vide, vous voyez qu'à chaque coup ( 61 ) de piston j'aspire une certaine partie du sang ren- fermé dans les cavités droites , et ce sang sort spu- meux par suite de son mélange intime avec l'air. Vous avez un moyen bien facile de vous assurer s'il en existe encore dans l'oreillette ou le ventricule; il vous suffit d'appliquer l'oreille sur le thorax, afin de reconnaître si vous entendez encore le frémisse- ment caractéristique. Je ne distingue plus aucun bruit; aussi l'animal paraît moins agité, et je suis persuadé qu'il survivra à notre expérience. Fai- sons maintenant à l'homme l'application de ces principes. Supposez que , pendant le cours d'une opération faite dans le voisinage de la clavicule , il y ait malheureusement entrée accidentelle de l'air dans la veine, que devrez-vous faire pour sauver le malade ? suspendre aussitôt l'opération , introduire une sonde dans le vaisseau divisé, et aspirer avec une seringue , ou au besoin avec la bouche , tout l'air que vous pourrez retirer. Il n'y a pas à hésiter en semblable circonstance , car vous savez que les accidents sont produits par la distension du cœur, et ce n'est qu'en donnant is- sue sans retard au gaz raréfié qui dilate ses ca- vités , que vous avez la chance d'arracher le ma- lade à une mort prompte et inévitable. En présence de semblables phénomènes, je crois inutile d'insister davantage sur la nécessité d'en- visager les éludes physiques comme une branche importante de l'éducation médicale. C'est pour avoir été étranger à ces connaissances , que des chirurgiens très habiles et du plus grand savoir ont pu rester témoins inutiles du spectacle déchi- ( 62 ) rant d'un homme qui meurt à la suite d'accidents dont il était possible d'éloigner les conséquences désastreuses. Messieurs , une grande et importante règle pra- tique ressort des faits et des explications que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer. Toutes les fois qu'une opération chirurgicale peut amener accidentellement ou nécessairement la lésion des gros troncs veineux, ou simplement des veines voi- sines du cœur , le chirurgien doit se prémunir des instruments propres à aspirer dans le cœur l'air qui aurait inopinément pu y pénétrer. SEPTIÈME LEÇON. Messieurs, ! Il est un certain nombre de maladies qui se transmettent par la voie de contagion; l'examen de cette transmission rentre naturellement dans le cercle de nos études sur l'imbibition. En effet, on ne peut concevoir un semblable pbénomène qu'en admettant l'existence d'une substance morbide qui, émanée du corps d'un individu malade, est ca- pable de développer le même mal sur un individu sain. Or, aucune substance solide, liquide ou ga- zeuse ne peut pénétrer dans l'économie vivante par une autre voie que celle de l'absorption, quelle que soit d'ailleurs la surface où celle-ci s'effectue. Et comme ces maladies se transmettent , non pas par des influences à distance, mais bien par le contact direct, soit du malade luir-même , soit des matières qui lui ont appartenu , il faut bien de- mander aux lois physiques l'explication du méca- nisme de ce mode de transmission. Telle est la question qui doit nous occuper aujourd'hui. Mais avant de nous engager dans cette recher- che , il n'est pas sans intérêt de bien spécifier quelles sont les maladies réellement contagieuses, car il en est un certain nombre qui, réputées telles, ne le sont assurément pas. Ouvrez notre Code ( 64 ) sanitaire. N'est-ce pas une chose affligeante de voir que ces questions , essentiellement du ressort de la médecine , ont été résolues par des hommes étrangers à cette science , et que notre législa- tion médicale repose encore sur les assertions les plus erronées? Ainsi la loi reconnaît cinq mala- dies contagieuses et elle punit de mort tout indi- vidu qui viendrait à enfreindre les règlements qu'elle a tracés pour prévenir leur introduction. Eh hien! sur ces cinq maladies, quatre au moins devraient être rayées de la liste. Vous voyez quelles conséquences déplorables découlent de semblables lois; aussi je n'hésite pas à regarder comme ur- gente et indispensable une révision complète de notre Code sanitaire. Jetons un rapide coup-d'œil sur ces maladies, et discutons les principaux argu- ments sur lesquels on sJappuie pour prouver leur nature contagieuse. Typhus. Lors de la désastreuse retraite de Rus- sie, l'armée française décimée par un typhus meur- trier venait d'atteindre nos frontières. L'épouvante qu'inspirait aux populations cette maladie que l'on considérait alors comme contagieuse , fit pren- dre toutes les mesures qu'on supposait propres à prévenir l'invasion du -fléau ; des commissions médicales parcouraient le pays , formulaient des instructions , des cordons sanitaires étaient dis- posés de distance en distance, et cependant le typhus avançait, partout il moissonnait de nom- breuses victimes , bientôt même il sévit au milieu de la capitale. C'est alors que nos hôpitaux encom- brés ne purent suffire au nombre des militaires ( 65 ) que la maladie frappait; car celle-ci semblait se jouer des précautions que Ton imaginait pour se mettre à l'abri de ses atteintes. Qu'est-il résulté de cet ensemble de faits, de cette série de tristes résul- tats ? c'est qu'aujourd'hui personne ne viendrait proposer la formation de cordons sanitaires. En ef- fet, on sait d'une manière positive dans quelles cir- constances et par quelles voies le typhus se trans- met. Ce n'est point, comme on l'avait cru, par le contactdes vêtements, du linge, des tissus laineux, ayant touché le corps d'un individu affecté, que la maladie se communique , mais c'est par la voie de la respiration. Supposons un nombre quel- conque de personnes atteintes de typhus , renfer- mées dans une salle peu spacieuse, dont l'air n'est point facilement renouvelé, vous pouvez impuné- ment les toucher ; mais si vous respirez au mi- lieu de cette atmosphère chargée de particules animales, provenant de l'exhalation pulmonaire et de la transpiration cutanée , c'est alors que vous courez de grandes chances de contracter la mala- die. J'ai vu des étudiants en médecine, au sortir de l'hôpital où ils étaient venus une seule fois suivre ma visite , frappés par le fléau , succomber en peu de jours, sans jamais l'avoir transmise dans leur habitation. Ainsi j'admets volontiers un principe contagieux dans le typhus , mais je nie le mode de transmission indiqué par la loi. Car, d'une part, celle-ci ne prévoit point le transport de miasmes dé- létères par l'air atmosphérique, et, d'une autrepart, l'expérience a prouvé qu'on peut en toute sécurité toucher les malades, pourvu toutefois que l'épi- ( 66 ) derme cutané soit intact. Mais sachez que, si mal- heureusement vous aviez à la peau quelques exco- riations, rien ne s'opposerait à l'imbibition du principe contagieux, et les accidents les plus gra- ves ne tarderaient pas à se développer. Quant à la question de transmission des maladies par l'air atmosphérique , nous y reviendrons plus tard , en traitant de la perméabilité de nos tissus pour les gaz et les vapeurs. J'ai voulu seulement vous faire constater ici ce phénomène, afin que vous pussiez saisir le mécanisme par lequel s'opère la contagion. Choléra, J'ai vu et étudié cette maladie dans diverses contrées, je l'ai observée sous toutes les formes, j'ai traité plus de mille cholériques en ville et à lliôpital , je puis dire que ma conviction est pleine et entière à l'égard de son mode de trans- mission. Je n'ai jamais rien vu qui pût me faire soupçonner que le choléra fût contagieux, soit par le contact médiat ou immédiat, soit même à la manière du typhus. Je sais que quelques personnes professent des opinions différentes. Mais, je le ré- pète, j'ai vécu pendant plus de six mois jour et nuit au milieu de la maladie, l'observant dans toutes ses phases, j'ai fait à ce sujet de nombreuses expérien- ces; aussi je suis profondément convaincu que, dans aucune circonstance, le choléra ne se transmet par voie de contagion. Si j'avais à donner ma voix comme député sur une loi sanitaire, je voterais, en toute sécurité de conscience, pour qu'on rayât cette maladie du nombre des maladies contagieuses. Fièvre jaune. On la voit rarement en Europe; mais on l'a très bien étudiée sur les lieux où elle se- (67 ) vit habituellement, et son histoire est aujourd'hui parfaitement connue. On sait que cette maladie ne se gagne pas d'homme à homme , ni de malade à individu sain, mais qu'elle se transmet par le fait de l'infection et du dégagement dans l'atmos- phère de matières animales en putréfaction. Nous ferons à ce sujet des expériences. Vous verrez que quelques atomes de ces matières suffisent pour développer chez l'animal vivant tous les symptô- mes principaux qui caractérisent la fièvre jaune. Un des phénomènes les plus constants qu'on ob- _ serve dans cette maladie, surtout lorsqu'elle doit avoir une terminaison funeste , c'est le vomisse- ment de matières noires. Eh bien ! si vous intro- duisez dans le système sanguin d'un chien quelques gouttes d'eau ayant séjourné sur des débris de pois- son ou de viande dans un état de fermentation putride , vous voyez l'animal présenter une acti- vité singulière; bientôt la fièvre s'allume, il se couche, refuse des aliments et vomit des quantités énormes de ces matières noires qui constituent un phénomène si caractéristique. On sait aussi que dans toutes les circonstances où la fièvre jaune se développe , l'air a été vicié et corrompu par le dégagement de produits animaux putréfiés. C'est ainsi qu'il n'est pas rare de la voir éclater lors- qu'un bâtiment chargé de morue , ayant échoué dans le voisinage d'une ville ; les marchandises entassées exhalent dans l'atmosphère des miasmes infects. Qu'on jette à la mer ces matières corrom- pues, et bientôt la maladie disparaîtra. Ainsi, quand la cause qui produit et entretient la fièvre jaune est parfaitement connue, il suffit de s'en ga- (68) rantir pour n'avoir rien à redouter de ce terrible fléau; il n'en est pas de môme du choléra, car nous ignorons complètement les circonstances qui fa- vorisent son développement. Ce que j'ai dit de cette dernière maladie, je le répéterai aussi pour la fièvre jaune : celle-ci doit être rayée du cadre des maladies contagieuses admises par notre lé- gislation actuelle. Lèpre, A voir l'accueil qu'un lépreux reçoit à son arrivée dans un hôpital, le soin avec lequel on l'examine, l'intérêt que nous mettons à le faire peindre , les nombreux curieux qui s'empressent de le visiter, en ne soupçonnerait pas que la loi punit de mort quiconque est convaincu d'avoir communiqué avec un individu aussi intéressant. Et (elle est pourtant la rigueur de notre Code sa- nitaire qui compte la lèpre au nombre des cinq maladies contagieuses. Le bon sens public a fait juslice chez nous d'une législation ridicule et bar- bare; mais elle n'en existe pas moins et pourrait d'un instant à l'autre être remise en vigueur. Quant à la lèpre qui règne dans les pays chauds , il parait qu'on isole encore les malheureux qui en sont at- teints, et que la contagion inspire toujours la même frayeur. Comme je ne l'ai point observée dans ces contrées-là, je n'ai point d'opinion bien arrêtée à cet égard , bien que je sois porté à penser que l'on a beaucoup exagéré les motifs d'après lesquels elfe est supposée contagieuse. Peste. De toutes les maladies réputées trans- missibles , celle-ci exige de notre part l'exa- men le plus attentif et le plus consciencieux; car son caractère meurtrier inspire partout l'épou- ( 69 ) vante et l'effroi. Si, comme on l'affirme, elle était susceptible de se transmettre par le linge, les vê- tements , la laine, les peaux d'animaux , que sais- ie enfin, par toute cette série de substances qu'in- dique notre code sanitaire, nous serions les pre- miers à applaudir aux mesures rigoureuses de notre législation. Envisagée sous le point de vue médical et scientifique, la nature contagieuse de la peste est-elle bien démontrée? C'est par une tradition qui remonte jusqu'aux temps les plus bar- bares , que cette maladie est considérée comme pouvant se propager par voie de contagion; mais alors les sciences physiques et chimiques étaient encore au berceau,- l'art d'interroger la nature à l'aide des expériences était à peu près inconnu. C'est donc par une. sorte d'instinct de conser- vation plutôt que par des faits bien observés qu'on est arrivé à regarder la peste comme contagieuse. Le fléau apparaissait-il dans quelque endroit? un effroi général s'emparait des populations voisines ; chacun s'empressait de fuir, et si quelqu'un était assez téméraire pour communiquer avec les lieux infectés, la société le repoussait et l'isolait comme un membre dangereux. Ainsi la peur seule pro- nonçait sur le caractère de la maladie , et la peur, vous le savez, n'a pas des idées bien nettes. Je me défie autant du médecin enthousiaste qui s'ex- prime en termes chaleureux, que de celui qui rai- sonne en tremblant sur une question de mort. Il faut donc avant tout, dans les questions graves, du calme et du sang-froid ; il faut être habitué aux expériences délicates pour rechercher ces atomes m. 5 (70) fugitifs et imperceptibles j propres à transmettre une maladie, il faut enfin ne se laisser dominer ni par la crainte de l'opinion , ni par un respect aveu- gle pour d'anciens préjugés. J'ai visité la plupart de nos villes à lazaret, et parmi les médecins attachés à ces localités, il en est qui ne croient pas à la contagion de la peste. Mais ils se gardent bien démettre publi- quement une semblable opinion f car ils se feraient le plus grand tort pour leur clien telle. Si à Marseille ou à Toulon un praticien venait à nier la nature contagieuse de cette terrible maladie , il n'y aurait qu'un cri unanime de réprobation, car avant tout le public a peur , et il aime mieux qu'on prenne trop de précautions, fussent-elles très oné- reuses, que de paraître en négliger quelqu'une. Je- tons un rapide coup dceii sur les mesures sanitaires adoptées dans les lazarets français ou autres. L'idée fondamentale sur laquelle repose la po- lice médicale de ces établissements est celle-ci : la peste ne se transmet que par le contact, l'air at- mosphérique ne peut servir de voie de transport au principe contagieux. \ous pourrez à la rigueur entrer dans la chambre d'un pestiféré , mais on a eu préalablement soin de vous revêtir d'un ac- coutrement assez bizarre. Ainsi, après vous être affublé d'un grand domino en taffetas gommé, d'un masque et d'un gant de la même étoffe, vous pou- vez approcher du lit du malade, vous pouvez même le toucher, pourvu qu'il n'y ait pas contact immé- diat de votre main ; mais si malheureusement votre peau venait à effleurer la sienne, ou seule- -rt- ( "M )' ment quelqu'un des vêtements qui lui appartien- nent, oh î alors vous devez inévitablement être at- teint de la maladie. Telle est la base de la doctrine sur la contagion de la peste, et tout dans les laza- rets est sur ce pied-là. Ainsi vous passez entre deux haies formées par des ballots de laine , vous pouvez les considérer sans danger, bien que de petites parcelles de laine chassées par le vent vol- tigent dans l'air et s'arrêtent sur votre visage ou vos vêtements. Mais, vous dit le gardien, si par malheur votre habit venait à frôler quelqu'un des ballots en suspicion, vous seriez un homme perdu. Et en effet, le règlement veut qu'aussitôt le capitaine du lazaret s'empare de votre personne et vous fasse garder isolé pendant, tout le temps qu'on peut re- douter le développement de la maladie. Une fois les balles de coton et de laine déposées dans le lazaret, comment s'assurer qu'elles ne renferment pas le germe de la peste ? Voici l'é- preuve à laquelle on les soumet. Un portefaix plonge son bras au milieu d'une balle, l'y agite en tous sens, puis il le retire et la referme soigneu- sement. Telle est la manœuvre dont je fus té- moin, alors le gardien ajouta : Si dans quinze jours cet homme n'a pas la peste, c'est une preuve que la balle n'est pas infectée. Quoi de plus ridicule , je vous le demande , que cette ma- nière de procéder ? Comment , parce qu'un homme a pu plonger impunément sa main au mi- lieu d'une balle de coton , on sera en droit de con- clure qu'aucun germe contagieux n'y est déposé ? Et d'ailleurs pourquoi refuser à l'air atmosphé- ■ . ( 72 ) rique la propriété de transmettre ces atomes im- perceptibles y quand nous voyons se propager par cette voie le principe contagieux du typhus, de la variole ? Aussi, remarquez qu'il n'y a pas exemple qu'un de ces portefaix ait jamais été atteint de la peste pour avoir mis ainsi son bras en contact avec des tissus suspects. Je me rappelle qu'étant à Marseille un de ces hommes eut au doigt un léger furoncle ; déjà tout le lazaret était en émoi , déjà l'on croyait à l'invasion du redoutable fléau : heureusement que le furoncle guérit sans consé- quences fâcheuses , et peu à peu l'alarme se dis- sipa. Aussi, dans Fétat actuel de la science, il est t impossible de savoir au juste quel est le véritable caractère de la peste. Toutefois , s'il est vrai que des germes contagieux puissent s'attacher à du coton ou à de la laine, il est de toute évidence que les procédés qu'on emploie pour constater leur présence sont essentiellement défectueux. D'abord telle doit être la ténuité du miasme délétère qu'il faudrait, pour le trouver examiner brin à brin chaque fdament des tissus suspects. Ensuite , par quelle singulière exception à toutes les lois connues de limbibition, la peau protégée par son ■ enveloppe épidermique jouirait-elle de facultés absorbantes aussi énergiques, tandis que la sur- face pulmonaire en serait complètement dépour- vue? Voilà qui est opposé à tout ce qu'enseignent l'expérience et le raisonnement. Ainsi donc pour résumer, il est impossible d'admettre que la peste soit contagieuse par le seul contact sur la peau ; soit d'un individu malade à ( 73 ) un individu sain, soit au moyen de substances intermédiaires qui seraient dépositaires du prin- cipe morbide. Tant que Tépiderme sera intact , il n'y aura pas d'imbibition. C'est par l'ab- sorption pulmonaire qu'en général les miasmes pénètrent dans l'économie ; aussi avons - nous recours dans nos laboratoires aux fumigations de chlore pour détruire les matières animales sus- pendues dans l'air atmosphérique. Autrefois on brûlait des substances aromatiques, afin de chas- ser les miasmes contagieux ; or vous savez que ce moyen est tout-à-fait insignifiant ; maintenant dans nos lazarets on emploie d'autres procédés aussi inefficaces que les fumigations odorantes, et qui, au lieu d'agir sur la peste? n'agissent que sur l'imagination effrayée. Si, le règlement du fameux lazaret de Marseille à la main, nous énumérions toute les règles, les pra- tiques absurdes qu'il contient, toutes les assertions bizarres et dignes d'un autre temps , vous seriez confondus qu'en 1 836 , dans un pays où les scien- ces physiques brillent du plus vif éclat, où elles por- tent partout la lumière et le positif, le commerce , l'armée, la marine, les voyageurs restent soumis à des mesures sévères, coûteuses, souvent nuisibles, presque toujours absurdes et dignes enfin de l'é- tat de barbarie dont nous avons la prétention d'être sortis. Mais le temps ne nous permet pas d'entrer dans cette discussion , bien que je n'en connaisse pas de plus digne de l'attention des médecins et des gouvernements. HUITIEME LEÇON. Messieurs > Vous avez vu que des cinq maladies que la loi désigne comme essentiellement contagieuses ,. il en est quatre, le typhus, le choléra, la fièvre jaune et la lèpre, dont tout médecin éclairé nie positive- ment la contagion. Quant à la peste, je vous ai fait part de mes doutes. Supposer que le principe contagieux se communique par rimbibition de 1'épiderme, à l'exclusion de l'absorption pulmo- naire , c'est un paradoxe que repousse une saine physiologie. Comme d'ailleurs cette opinion ne repose sur aucune expérience directe , et qu'elle est enveloppée d'un nuage de préjugés que la peur épaissit encore , il est de toute nécessité qu'un nouvel examen vienne éclairer cette ques- tion délicate. M. Clot-Bey, en Egypte, qui vient de vivre et d'exercer son art au milieu d'une peste meurtrière, nie qu'elle soit contagieuse, et M. Brayer , médecin honorable qui a vécu long-temps à Ccnstantinople, en est revenu, emportant la conviction intime que cette maladie ne peut se transmettre de l'homme malade à l'homme sain. Il résulte de la sévérité même des lois sanitaires ( (0 ) que le plus souvent elles ne sont pas exécutées. Voyez en effet ce qui est arrivé lors de la der- nière épidémie de choléra à Paris. Si on eût voulu recourir aux précautions indiquées par le code , prendre des mesures d'isolement , suspendre les communications , séparer violemment les ma- lades de leurs familles , on eût bouleversé la ca- pitale. C'est surtout dans les ports de mer que ces mesures dites sanitaires sont exécutées dans toute leur rigueur, caries rapports par terre sont beau- coup plus difficiles à suspendre. Au retour d'un voyage dans le nord de l'Angleterre où j'avais été étudier le choléra, je passai par Bou- logne; me trouvant en soirée avec divers person- nages de la ville , on me raconta qu'on y avait tiré à boulet sur un bâtiment étranger qui avait voulu pénétrer dans le port sans avoir été soumis préa- lablement aux .mesures sanitaires. Je leur dis alors : « Messieurs, si quelqu'un doit vous ap- « porter le choléra, c'est moi; car j'arrive à l'ins- k tant des lieux où il sévit, et même les vête- « ments que j'ai sur moi sont ceux que je por- « tais en visitant les malades. Ainsi nous som- « mes tous compromis pour la quarantaine. » Comme chacun avait intérêt à se taire, on ne répandit point cette nouvelle-là ; mais on me re- commanda plus de discrétion , m'assurant que ma personne ne serait pas en sûreté dans la ville , si ce bruit venait à circuler. On ne peut nier que certaines maladies n'aient le fatal privilège de se transmettre par voie de con- tagion ; telles sont la variole ; la rage et la syphi- ( 76) lis, etc. Les conditions physiques de cette trans- mission sont bien connues , mais l'agent spécial destiné à servir de germe reproducteur de la ma- ladie a constamment échappé à notre investiga- tion. Comment le pus qui s'écoule d'une ulcération vénérienne a-t-il la propriété, quand il est dé- posé sur une surface où il peut être absorbé , de donner lieu au développement ultérieur de la syphi- lis ? Le chimiste le plus habile n'a pu nous dire en quoi la suppuration du chancre diffère du pus fourni par une ulcération de nature non spécifique. Les parties par lesquelles on con- tracte la maladie vénérienne sont dans les con- ditions les plus favorables pour l'imbibition du principe virulent , car elles ne sont protégées que par un épidémie très-mince et elles sont parcou- rues par de nombreux vaisseaux sanguins. Ajou- tez à cela que dans l'acte du coït tout concourt à favoriser l'absorption du virus ; la tempé- rature élevée et l'humidité des parties génitales, les frictions que les organes sexuels exercent l'un contre l'autre sont autant de circonstances pro- pres à accélérer l'imbibition. On a proposé différents moyens pour se préser- ver de la syphilis. Telle est cette poudre , dans laquelle entre de la chaux pulvérisée, que l'on trouve chez_ certains apothicaires , et dont il suffit , dit-on , de se saupoudrer le gland pour pouvoir ensuite se livrer sans danger à un coït impur. Il y a quelques années qu'un médecin à Paris annonça avoir découvert une poudre ( 77 ) propre à prévenir la contagion, et voici sur quelles expériences il s'appuyait pour prouver son efficacité. Ayant voulu montrer qu'il était apte à contracter la maladie vénérienne, il s'ino- cula du virus avec une lancette et un chancre se développa. Après s'être guéri , il se couvrit le gland d'une légère couche de sa poudre , puis ayant cherché à s'inoculer avec une lancette du pus virulent, il ne se développa aucun phénomène d'infection. Comme la recette de cette poudre n'a pas été publiée, j'ignore sa composition , mais il est probable qu'il y entrait quelque sub- stance analogue à la chaux. Que se passe-t-il dans une pareille circonstance? Voilà une sur- face d'imbibitiôn que vous recouvrez d'une cou- che solide, avide d'eau et de matière animale comme toutes les substances alcalines , puis vous pénétrez avec une lancette dans les tissus sous- épidermiques; mais la pointe de l'instrument a d'abord traversé la couche pulvérulente , elle a du être essuyée , et le virus par conséquent n'a pas pu arriver jusqu'au réseau vasculaire du cho- rion. Voilà l'explication du phénomène. Toute substance capable de modifier la porosité de l'é- piderme , s'oppose à la perméabilité et à l'imbibi- tion de la peau. Vous concevez maintenant com- ment l'application sur une surface absorbante d'une poudre alcaline peut prévenir l'absorption , et ainsi être avantageuse dans les cas de coït douteux. On a encore conseillé des lotions avec une foule de substances telles que l'eau de Cologne, le chlore, (78) une solution légère de deuto-ehlorure de mercure ou de nitrate d'argent cristallisé, l'acide hydro- chlorique faible, le chlorure d'oxide de sodium, etc. Tous ces moyens agissent d'une manière analogue ; car en modifiant la couche épidermique ils ren- dent plus difficile l'imbibition du virus vénérien. Mais bien qu'ils puissent exercer une certaine in- fluence , ils sont loin de donner une certitude complète; aussi le moyen le plus sûr de prévenir l'infection est encore de s'abstenir. La gale est du nombre des maladies qui se trans- mettent par le contact immédiat de 1'épiderme. Ce n'est plus ici un virus qui communique le mal, mais un insecte dont on peut avec la loupe constater la présence et suivre les traces. Et ici , l'inocu- lation sera encore d'autant plus facile que la couche épidermique sera moins épaisse. Il suffit pour se préserver de l'insecte , d'éviter le contact de l'in- dividu affecté , et encore arrive-t-il très-souvent qu'on touche impunément un galeux , car il faut un certain temps pour que l'insecte pénètre et se loge dans l'épiderme. Quant à la variole, la rougeole, la scarlatine, etc., le mécanisme de leur transmission rentre littéra- lement dans ce que nous avons déjà exposé; aussi ne nous y arrêterons-nous pas. Nous vous avons dit que le phénomène de l'ab- sorption d'un poison se composait de deux périodes bien distinctes : imbibition d'abord, puis trans- port de la matière imbibée. Aujourd'hui personne ne doute que le système veineux ne soit l'agent de cette absorption. C'est un fait si simple et si pal- .(79) pable qu'il n'est plus permis d'eu douter. Si , au lieu d'agir sur de petits vaisseaux , vous étudiez le phénomène sur des vaisseaux d'un plus gros calibre , vous pouvez suivre toutes les phases de l'absorption : vous voyez la substance traverser les parois de la veine, suivre les courants san- guins, et être immédiatement entraînée vers les centres nerveux. Nous allons répéter devant vous cette expérience, afin qu'il ne reste dans votre es- prit aucun doute sur le mécanisme de ce fait fon- damental. Je mets à nu la veine jugulaire d'un chien , et après l'avoir disséquée dans une partie de sa lon- gueur , je la sépare des tissus sous-jacents en pla- çant une carte sous sa partie moyenne. Ainsi isolé, le vaisseau ne communique que par son bout su- périeur avec les capillaires et par l'inférieur avec l'organe central de la circulation. Voici de la tein- ture de noix vomique que j'ai fait préalablement chauffer un peu afin de favoriser sou imbibition , et avec l'extrémité d'un tube je dépose quelques gouttes de la liqueur sur la circonférence de la veine. La carte disposée en gouttière au-dessous du vaisseau empêche la substance vénéneuse d'être en contact avec les tissus divisés, et par conséquent ceux-ci ne peuvent l'absorber. Vous voyez que les effets du poison sont lenis à se manifester ; car déjà cinq minutes se sont écoulées, et l'animal n'éprou- ve rien encore. Et comment en serait-il autrement, puisque la substance, au lieu d'être en contact avec de nombreux vaisseaux capillaires, ne communique qu'avec une seule veine ? Voici les symptômes ( 80 ) .d'empoisonnement qui se déclarent; eh bien! je puis les arrêter en liant le vaisseau par ses deux extrémités. En effet, vous le voyez, l'animal redevient calme à. l'instant. Voilà une expérience capitale qui prouve évi- demment que les veines peuvent absorber ■ et ce que je viens de faire pour la jugulaire , je pour- rais également le répéter pour tout autre vaisseau, Tarière carotide , par exemple. Examinons main- tenant l'ëtat de la veine sur laquelle nous ve- nons d'expérimenter. Ses parois ont perdu leur couleur naturelle pour prendre celle de la subs- tance qui les a pénétrés. Si vous touchez de l'extrémité du doigt la face interne du vais- seau , vous reconnaissez , en l'approchant de vos lèvres , la saveur amère de la noix vomique. Il y a donc eu passage de la liqueur de l'extérieur à l'intérieur de la veine. L'empoisonnement a été produit ici comme dans le cas où l'on injecte di- rectement une substance vénéneuse dans le système sanguin; seulement , au lieu de l'introduire au moyen d'une ouverture artificielle , nous l'avons fait pénétrer à travers les porosités naturelles du vaisseau. Je ne parle pas ici des vaisseaux lymphatiques, car vous savez qu'ils ne sont pas parcourus comme les veines par des courants réguliers , et que leur rôle dans l'absorption doit être à peu près nul. Voici un fait curieux que j'ai eu l'occasion d'observer. Sur le cheval dont je vous ai parlé, chez lequel nous injectâmes 30 litres d'air, nous trouvâmes à l'ou- verture du corps le système lymphatique énorme- ( 81 ) ment distendu par de la lymphe. Il paraîtrait que cette pression considérable que supportait le sang dans les artères et les veines avait retenti sur le système lymphatique, et produit ce phénomène singulier que nous observions. Pour compléter ce qui a rapport à cette ab- sorption , examinons quelques faits de pathologie qui s'y rattachent et qui sont des expériences tou- tes faites sur l'homme. Vous connaissez ces infil-* trations œdémateuses qui surviennent dans le cas de difficulté de la circulation , quand l'influence du cœur a diminué d'énergie 9 ou que quelqu'obsta- cle mécanique s'oppose au libre retour du sang. Toute la théorie des hydropisies générales ou partielles repose sur le grand phénomène de l'absorption veineuse. On doit à M. Bouillaud plusieurs applications à la pathologie de ces faits physiologiques. Quand les membres infé- rieurs sont seuls œdémateux, vous trouverez le plus souvent un obstacle au cours du sang dans la veine crurale ; tantôt ce sont des cail- lots fibrineux oblitérant sa cavité , tantôt une tumeur développée dans le voisinage du vaisseau et comprimant ses parois. Qu'arrive-t-il dans ce cas ? Le sang séjourne de proche en proche jus- qu'au réseau capillaire, et comme l'exhalation arté- rielle continuant à se faire , l'absorption ne peut plus s'effectuer, il en résulte une accumulation de sérosité dans les mailles du tissu cellulaire. C'est ainsi que dans le cas d'oblitération de la veine porte, l'ascite se développe par suite du séjour dans (82) l'abdomen de la sérosité péritonéale qui ne peut être résorbée. On a parlé dans ces derniers temps , et l'on a traité dans des ouv rages de l'œdème du cerveau; mais on a souvent confondu sous ce nom et pris pour un état pathologique la sécrétion naturelle du liquide céphalo-rachidien. Le véritable œdème du cerveau consiste dans une accumulation de sé- rosité dans le parenchyme même de la pulpe ner- veuse, ou dans la cavité des ventricules de l'or- gane. On conçoit qu'un obstacle au cours du sang qui revient au cœur, que des concrétions dans les sinus de la dure-mère puissent produire cette hydropisie cérébrale. Quand alors on ouvre les ventricules, ou qu'on coupe par tranche le tissu du cerveau , on voit ruisseler sous le scalpel un liquide aqueux semblable à celui qu'on rencontre à l'état normal dans le tissu cellulaire sous-ara- chnoïclien. DE L'EXHALATION. Nous n'avons envisagé jusqu'à présent l'imbi- bition que comme s' effectuant de l'extérieur à l'intérieur des vaisseaux; mais il est aussi des phénomènes qui se passent en sens inverse, et c'est à ceux-ci qu'on a donné le nom d'exhala- tion. En effet, des liquides renfermés dans des ca- naux veineux ou artériels peuvent pénétrer à tra- vers les porosités de leurs parois de la face interne à la face externe de ces conduits. C'est ( 83 ). ainsi que dans l'état ordinaire il s'exhale par le poumon une certaine quantité de liquide qui se transforme promptement en vapeur , et s'échappe pendant l'expiration. Il se passe dans l'organe pulmonaire une véritable exhibition, 11 y a certaines substances qui, introduites dans le sang, ne peuvent y séjourner long-temps et sont très-promptement rejetées au-dehors. Tel est, par exemple, l'éther. Il en est de même du camphre et du phosphore ; car à peine ils sont passés dans le torrent circulatoire , que déjà vous constatez leur présence dans la transpiration pul- monaire. Nous vous parlerons aussi de cette imbibition qui se passe de dehors en dedans et de dedans en dehors, et que M. Dutrochet a désignée sous le nom d'endosmose et d'exosmose. Ce n'est, ainsi que nous vous le démontrerons , qu'une imbibition à double courant. Bien qu'elle n'ait pas en physiologie une aussi grande importance qu'on aurait d'abord cru; bien qu'elle ne dévoile pas le principe vital , ainsi que l'avait pensé M. Dutrochet , cependant à son étude se rattachent certaines applications qui peuvent jeter quelque lumière sur l'exercice de plusieurs fonctions de l'économie. C'est seulement sous ce dernier point de vue que nous l'envisage- rons. NEUVIÈME LEÇON. Messieurs , Je vous disais dans notre dernière réunion que le phénomène de l'imbibition s'exerce aussi du dedans au dehors. C'est d'après cette loi générale que les corps des animaux, les végétaux et même les tissus inertes laissent échapper dans certaines conditions physiques les liquides dont ils sont pé- nétrés. Qu'arrive- 1 — il quand vous placez une éponge humide au milieu d'un air sec dont la température est assez élevée? Bientôt elle se dessèche par suite de l'évaporation de l'eau em- prisonnée dans ses mailles. Eh bien! ce phéno- mène de l'éponge dont les pores livrent passage à un liquide, est aussi l'histoire de tous nos tissus; car une des conséquences de la vie, c'est le mou- vement continuel des fluides à travers les diffé- rents parenchymes. Ces deux grandes fonctions auxquelles on a donné le nom d'absorption et d'exhalation ne sont autre chose pour nous que l'imbibition s'effectuant tantôt du dehors au de- dans, tantôt du dedans au dehors. Sans elle il n'y a pas d'existence végétale ou animale possible. Toutefois le phénomène de l'exhalation n'est pas aussi apparent dans les êtres qui, comme les mam- mifères, ont la peau revêtue d'un appareil qui ' ( 85 ) s'oppose à ce passage des fluides. Car de même que l'épiderme empêche l'imbibition , de même aussi il est un obstacle puissant à 1'exbibition. Voyez ce qui arrive à ces malheureux, dont toute la superficie du corps a été brûlée par la déflagra- tion de la poudre à canon. Bien que les organes intérieurs soient intacts, qu'il n'y ait point de bles- sures graves , ils doivent inévitablement succom- ber. La principale cause de cette terminaison fatale est sans doute que la peau est partout dépouillée de son épidémie. Il en est de même pour certains animaux qui sont normalement dans les condi- tions d'un homme à qui on a enlevé la couche épidermique. Tels sont les batraciens dont la peau est remarquable par une disposition particulière; en effet, au lieu d'épiderme, elle n'est protégée que par une mucosité analogue à celle qui recouvre les membranes muqueuses. Aussi ces animaux ne peuvent-ils vivre dans un air sec et chaud; car les liquides qu'ils contiennent s'évaporent, et leur corps se dessèche à la manière d'une éponge. Cette circonstance vous explique pourquoi ils recherchent si constamment l'humidité. C'est ainsi qu'après une pluie abondante les cra- pauds, trouvant dans l'état hygrométrique de l'at- mosphère des conditions favorables de vitalité, quittent leurs retraites humides pour vaquer aux besoins de la génération. Ces nécessités-là sont communes à tous les êtres; car il n'en est aucun qui puisse vivre hors de certaines conditions phy- siques déterminées. Puisque, malgré l'épiderme qui le revêt, notre corps est le siège d'une évaporation m. . 6 (86) continuelle , pourquoi ne se dessèche-t-il pas? Parce que les liquides que nous buvons rempla- cent ceux que nous perdons sans cesse par la trans- piration cutanée et pulmonaire ; la soif nous sert de guide pour entretenir l'équilibre. Il y a dans l'histoire des maladies, des faits qui viennent vous démontrer que l'exhalation s'exerce dans la profondeur de certains organes. Vous sa- vez que, surtout dans l'été, les yeux des cadavres au bout de vingt-quatre ou trente-six heures , s'af- faissent, deviennent ternes et ridés à leur surface. Que s'est-il passé là ? Tout ce qu'il y avait d'a- queux dans les milieux de l'œil a traversé les po- rosités des membranes , et , arrivé au contact de Pair atmosphérique , s'est transformé en vapeur. Et ne croyez pas que ce soit là un phénomène uni- quement cadavérique. Toutes les personnes qui ont observé le terrible choléra asiatique, ont été frappées de la physionomie effrayante des ma- lades. Des individus qui remplissaient encore une partie des actes les plus importants de la vie animale et intellectuelle, offraient des yeux ternes, vides et contractés comme ceux d'un cadavre déjà avancé. Il est impossible d'exprimer ce qu'un semblable aspect a de hideux et d horrible. Pourquoi dans l'état de santé l'œil ne s'affaisse- t-il pas? Parce que la nature emploie des procédés mécaniques pour remédier à l'évaporation de ses humeurs. Le système circulatoire, cette merveil- leuse machine hydraulique qui fonctionne inces- samment au sein de tous nos tissus, a pour objet d aller verser du liquide là où il en manque. Si ( m ) vous empêchez le courant sanguin destiné à ali- menter l'exhalation d'arriver à un organe, celui-ci ne tarde pas à s'affaisser et à se dessécher. Or , dans le choléra, le symptôme le plus générai et le plus constant est l'absence complète de toute circulation. Le pouls ne bat plus; les artères sont vides y le doigt appliqué sur la carotide ne perçoit pas le plus léger frémissement. L'œil s'affaisse donc chez le cholérique parce que cet organe ne reçoit plus de sang pour remplacer les humeurs qui, soumises toujours aux lois physiques, s'im- bibent et s'évaporent? Je n'ai trouvé aucune trace de courant sanguin dans l'artère brachiale que j'avais ouverte, et tout me porte à croire que la carotide se trouvait dans les mômes conditions. Et d'ailleurs l'expérience démontre qu'il y a une sécrétion très active dans l'intérieur du globe ocu- laire. C'est ainsi qu'en faisant l'opération de la cataracte, il arrive quelquefois aux chirurgiens de faire sortir, au lieu du cristallin , toutes les hu- meurs de l'œil, et celles-ci ne tardent pas à se re- produire. Encore un mot sur ces phénomènes d'évapora- tion. Si vous examinez un cadavre peu d'instants après le décès, vous trouvez les membranes du rachis distendues et rénitentes , et si vous y plon- gez votre instrument, un jet de liquide s'échappe à l'instant. Laissez-vous s'écouler plusieurs jours , pourvu que les conditions dévaporation soient fa- vorables, comme dans les grandes chaleurs, vous rencontrez ces membranes vides et affaissées. Eh bien ! ce qui arrive aux humeurs de l'œil arrive ( 88 ) par le même mécanisme au liquide céphalo-ra- chidien. Partout il y a nécessité d'imbibition pour réparer les pertes que font les organes; partout il y a renouvellement des fluides de l'économie. Il faut maintenant que vous soyez témoins de quelques preuves expérimentales de ces faits. Je pourrais injecter dans les veines d'un animal une certaine quantité d'eau , et au bout de quelques heures vous verriez ]a partie aqueuse du sang s'é- chapper sous forme de vapeurs par l'exhalation pulmonaire. Mais il nous faudrait trop de temps pour pouvoir faire cette expérience. Je préfère choisir des substances odorantes et volatiles, qui ne sont pas aptes à séjourner long -temps dans l'é- conomie ni à faire partie intégrante de nos or- ganes. Tels sont surtout l'éther, le camphre et le phosphore. Quand vous ajoutez de l'éther à un lavement, vous reconnaissez bientôt, dans l'air expiré du malade, l'odeur caractéristique de cette substance. Direz -vous avec quelques médecins que dans ce cas les particules odorantes montent de proche en proche depuis le rectum jusqu'à la bouche, en parcourant toutes les sinuosités du tube intestinal? Ce serait une grave erreur. L'é- ther est transporté dans le torrent de la circulation, et comme il ne peut y faire un long séjour , il s'échappe par la voie de la respiration qui est tou- . jours ouverte au passage des liquides. Faisons cette expérience devant vous ; car un fait qui frappe nos yeux reste mieux dans la mémoire que toutes les paroles possibles. J'injecte dans le rectum d'un chien une petite ( 89 ) . quantité d'éther. Quelques secondes à peine se sont écoulées, et déjà ceux de vous qui m'entourent reconnaissent l'odeur de cette substance dans lair expiré. L'animal est chancelant et paraît disposé à dormir, ce qu'il faut attribuer aux propriétés enivrantes de Féther, que les courants sanguins ont emporté vers le cerveau. Dans de semblables circonstances , vous observeriez chez l'homme la même ivresse. Analysons rapidement ce qui se passe dans cette expérience. Comme phéno- mènes physiques, vous avez une imbibition à la surface de la muqueuse du rectum, et une ex- hibition à travers les vaisseaux capillaires du pou- mon. Quant aux effets physiologiques de l'éther,sur le système nerveux/je n'ai pas la prétention de les expliquer , et ce serait rendre un éminent service à la science que de soulever le voile qui les couvre. J'ai fait dissoudre deux grains de phosphore dans quatre onces d'huile; quand j'expose à l'air cette liqueur , vous voyez qu'il s'en élève des va- peurs blanches. Si maintenant j'introduis cette substance dans le système circulatoire d'un ani- mal vivant, il n'y aura pas de combustion pro- duite tant que l'huile phosphorée sera en contact avec le sang : mais aussitôt qu'arrivée à la surface du poumon, elle se trouvera en rapport avec l'air atmosphérique, vous verrez s'échapper par les narines un nuage épais et blanchâtre. Quand on fait l'expérience dans l'obscurité , l'animal lance en expirant des flots de lumière. Le chien que nous venons d'enivrer par l'introduction dans son économie d'une certaine quantité d'éther est dans ( 90 ) des conditions très favorables pour cette nouvelle expérience ; car sa sensibilité est fort émoussée. La veine jugulaire de ranimai étant mise à nu, j'injecte dans sa cavité un gros à-peu -près de cette huile phosphorée. Vous devez voir sortir par la gueule du chien des vapeurs blanches. Je n'aper- çois rien encore. Cette expérience m'a pourtant réussi constamment, et j'ignore pourquoi ses effets se font si long-temps attendre. Peut-être la quan- tité de phosphore est-elle trop peu considérable ; il se passe ici quelque chose que je ne comprends pas; nous répéterons dans la prochaine séance cette même expérience, et j'espère que nous serons plus heureux. Quoi qu'il en soit, l'animal périra néces- sairement, car bien que l'huile soit un corps très innocent, elle ne saurait à cause de sa viscosité se réduire en parcelles assez déliées pour traverser les vaisseaux capillaires du poumon. Ceux-ci s'ob- struent et la circulation s'arrête. Je voulais vous dire quelque chose de certains phénomènes qui sont liés à la disposition physique de l'épidémie. Nous avons vu que la présence de cette couche inorganique est un obstacle puissant à l'absorption cutanée. Pourquoi ces phlyctènes que produit l'application d'un vésicatoire ou de leau bouillante conservent - elles pendant plusieurs jours la sérosité qui les remplit? Parce que la face interne de 1'épiderme qui forme cette vésicule est presque imperméable. C'est ainsi que si vous rem- plissez d'eau un morceau de peau disposé en forme de sac, lépiderme étant en dehors, vous voyez peu à peu ce liquide séparer Tépiderme du cho- (91 ) rion, s'accumuler dans l'intervalle, et produire ainsi mécaniquement une véritable phlyctène, qui persis- tera plusieurs jours sans se vider. Si au contraire vous retournez le sac de manière que l'eau se trouve ,en contact avec la face externe de l'épiderme , alors l'évaporation est très rapide. Ainsi les deux faces de Tépiderme sont loin de jouir d'une égale perméabi- lité. Ce phénomène est fort curieux et se rattache sans doute à une disposition anatomique encore inconnue , qu'il serait important de soumettre à une étude spéciale. Ainsi je regarde le phénomène de l'exhalation comme essentiellement physique , et je le place sur la même ligne que l'imbibition. Les tissus vi- vants se dessécheraient à la manière d'une éponge si la circulation ne venait sans cesse verser dans leurs parenchymes de nouveaux fluides destinés à remplacer ceux qui s'échappent par l'évaporation. Je regrette de ne pouvoir m'étendre d'avantage sur un sujet aussi riche en applications physiolo- giques et thérapeutiques ; mais il me reste à traiter d'autres questions plus neuves dans la science, et qui nécessiteront de ma part des développements plus approfondis. DE L'ENDOSMOSE. M. Dutrochet ayant placé une vessie remplie d'un certain liquide dans un autre liquide de na- ture différente s'aperçut que, d'après la composi- tion diverse de ces liquides, tantôt celui qui était renfermé dans la poche membraneuse sortait de sa ( 92 ) cavité à travers ses parois , tantôt au contraire , c'était celui qui se trouvait placé à l'extérieur qui pénétrait dans la vessie. Le premier de ces phéno- mènes il l'appela exosmose , le second endos- mose. Voici un de ces instruments appelés endos- mo-mètre. Il se compose d'un long tube de verre , élargi en entonnoir par l'une de ses extrémités. Son orifice le plus grand est bouché par une mem- brane; le tube est gradué et destiné à indiquer la descente ou l'ascension du liquide. Le petit ap- pareil est supporté sur un trépied placé dans un vase d'une capacité indéterminée. Si vous remplissez d'alcool cet endosmomètre , et que vous mettiez de l'eau dans le vase où il est plongé , vous ne tardez pas à voir s'élever la co- lonne de liquide du tube. Donc une partie de l'eau a passé à travers la membrane pour aller trouver l'alcool. Si vous faites l'expérience autre- ment, que vous mettiez en dehors l'alcool, et à l'intérieur l'eau , le phénomène se passe en sens inverse , et la colonne baisse par suite de la sortie du liquide contenu. Ainsi, dans le premier cas, il y a endosmose , dans le second, exosmo^e. Telle n'est point pourtant l'expression littérale de ce qui se passe dans cette expérience; car en même temps qu'un des liquides entre dans l'appareil, une petite quantité de l'autre en sort, de sorte que j'aimerais mieux appeler ces phénomènes une un- bibition à double courant. On peut dire en règle générale que c'est la liqueur la plus visqueuse qui attire la liqueur la moins visqueuse. Mais je le répète, il y a toujours double passage simultané, (93) variable seulement par son intensité. On avait cru d'abord que c'était là une découverte qui devait changer la face de la physiologie , et donner l'ex- plicaiion de tout ce qu'il y a d'inconnu et de mys- térieux dans notre organisation; mais jusqu'ici on ne voit point que ees espérances se soient réalisées. En eftet, c'est plutôt par l'abus de l'application de ces phénomènes à l'étude des fonctions des ani- maux et des végétaux , que par des considérations réellement utiles , qu'on a fait jouer à cet endos- mose un rôle important. Quoi qu'il en soit, son étude offre de l'intérêt, - et nous reprendrons ce sujet dans notre prochaine réunion. DIXIÈME LEÇON. Messieurs , Avant de reprendre l'étude de l'endosmose , je dois revenir sur une expérience que nous avons faite dans la séance dernière, et qui, à ma grande surprise, nous a complètement manqué. Vous vous rappelez que, voulant prouver la réalité de certains phénomènes de l'exhalation pulmonaire, j'avais injecté dans le rectum d'un chien une so- lution d'éther, et que bientôt cette substance s'é- tait retrouvée dans l'air expiré. Ayant ensuite in- troduit de l'huile phosphorée dans la veine jugu- laire du même animal , nous n'avions point vu sortir par ses narines ces vapeurs blanches phos- phoreuses que je vous avais annoncées. Ce défaut de réussite dans cette circonstance nous a involon- tairement conduits à la découverte d'un fait fort re- marquable sous le rapport de ce qui se passe de phy- sique dans l'économie vivante. Vous savez en effet que la vapeur d'éther dissout la vapeur de phos- phore. Eh bien! ces deux substances, portées par le torrent circulatoire dans le tissu pulmonaire, ont réagi Tune sur l'autre comme dans un appareil de chimie, et c'est cette réaction mutuelle qui nous ex- plique cette absence de vapeurs dans l'air expiré. Ce phénomène s'accorde avec un autre fait qui ( 95 ) m'a été communiqué hier par M. Dumas; le voici. L'hydrogène phosphore, qui détonne quand on le met en contact avec l'air atmosphérique , perd cette propriété quand on le mélange avec de la vapeur d'éther. Je vais répéter sur un autre ani- mal l'expérience de l'exhalation du phosphore par les narines j et cette fois, je puis vous prédire en toute sécurité qu'elle réussira. J'injecte en effet dans la veine jugulaire de ce chien une petite quantité de la même huile phosphorée dont nous nous sommes servis, et vous voyez des nuages de fumée s'échapper par la transpiration pulmonaire. Comment en serait-il autrement ? Nous n'avons plus ici de léaction chimique, pro- duite par la vapeur-éthérée. Nous pouvons reproduire artificiellement avec un appareil cette dissolution par Féther du phosphore dans le parenchyme pulmonaire. Voici deux petites soucoupes : dans l'une je fais évapo- rer de i'éther, dans Tautre de l'huile phosphorée. A peine je les ai recouvertesdune même cloche que les deux suhstances réagissent l'une sur l'autre; et les nuages d'acide phosphoreux , dissouts par la va- peur d'ether , disparaissent. C'est là l'expérience telle que je la conçois dans le poumon; elle vient mettre dans un nouveau jour ce que je vous disais de la nécessité d'étudier les phénomènes physiques de la vie. 11 serait cu- rieux de mettre en présence de semblables résul- tats, ces personnes qui ne voient rien de chimique dans les êtres vivants î quelles lois vitales pour- raient-elles invoquer pour interpréter un fait de ( 96 ) cette nature? Sans doute avec de l'imagination on peut faire des rêves, des suppositions ingénieuses; mais il n'appartient qu'à la science expérimentale de donuer des explications exactes et rigoureuses. Je reviens à l'endosmose. Nous avons vu ce qui se passe, quand deux liquides ne sont séparés l'un de l'autre que par une cloison membraneuse. Je regarde ces phénomènes d'endosmose et d'exdos- mose comme ayant beaucoup d'analogie avec l'imbibition et l'exhalation; toutefois leur méca- nisme est loin d'être bien connu. Un mathémati- cien célèbre , M. Poisson , a bien voulu exercer son talent à donner une théorie physique de ces phénomènes; mais je doute qu'on puisse ainsi en dévoiler complètement la nature, et rattacher leur explication à des formules algébriques. Il me pa- raît impossible dans l'état actuel de la science, de se rendre compte de certaines modifications du phénomène, tels que celui-ci : un endosmo-mètre rempli d'alcool est plongé dans de l'eau. Vous voyez d'abord la colonne de liquide monter dans le tube; mais si vous ajoutez un peu d'acide sulfurique , soit à l'eau, soit à l'alcool , aussitôt le phénomène s'arrête. Aussi, M. Dutrochet appelle-t-il cet acide V ennemi de l'endosmose. Mais pourquoi cette sub- stance a-t-ellé la propriété de s'opposer au passage des liquides à travers les membranes ? Quel est le mécanisme de cette singulière action ? Nous vous avons dit pourquoi l'œil d'un cada- vre s'affaise ; vous savez que les humeurs, péné- trant à travers les porosités des membranes arri- vent au contact de l'air et s'évaporent. Voici main- (97) tenant un œil humain que j'ai placé dans de l'eau pure où il a séjourné plusieurs heures; au lieu d'être flasque et mou , il a évidemment augmenté de volume et de consistance. Pourquoi cette diffé- rence ? C'est en vertu des lois de l'endosmose. Re- marquez toutefois que dans ce cas il est probable qu'il y a eu double courant , et qu'une partie des humeurs de l'œil a passé dans le liquide ambiant en même temps que celui-ci pénétrait dans l'organe. Or , ces phénomènes que vous observez après la mort s'effectuent pendant la vie par un méca- nisme identique. Ainsi , dans certaines maladies du globe oculaire, les humeurs affluent et s'accu- mulent dans sa cavité; ses membranes sont vio- lemment distendues au point que l'œil peut se crever en faisant entendre une explosion sembla- ble à la détonation d'un pistolet d'un assez gros calibre. Un semblable phénomène ne peut dépen- dre de l'afflux du sang sous l'influence de la cir- culation. Le cœur en effet n'a point assez d'énergie pour pouvoir par sa seule force d'impulsion vain- cre la résistance de membranes aussi fortes que la sclérotique ou la cornée. Mais si vous faites at- tention que sur l'œil vivant il peut y avoir des phénomènes d'endosmose, et que plus les hu- meurs seront dans des conditions d'absorption , plus elles attireront de liquides ambiants , vous vous expliquerez facilement des résultats d'une intensité aussi prodigieuse. Un coin de bois en- foncé dans la masse d'un rocher peut en s'imbi- bant la faire éclater. Ceci est donc une question importante sous le rapport des topiques qu'on ( 98 ) place sur l'œil; car au lieu de se borner à toucher la conjonctive, ils peuvent, physiquement par- lant, pénétrer dans l'organe. Les parties consti- tuantes du globe oculaire nous offrent par leur dis- position des conditions particulières d'endosmose et d'exdosmose. Ainsi l'humeur aqueuse est sé- parée du cristallin par la membrane capsulaire; cette même membrane est en contact par sa partie postérieure avec le cristallin et l'humeur vitrée. N'est-ce pas là un double appareil? l'humeur vitrée elle-même n'est-elle pas divisée en une multitude de cloisons par les replis de sa membrane qui se réfléchit en tout sens ? Ce serait là un sujet fort curieux de recherches. M. Bourjot Saint-Hilaire m'a dit s'être assuré que quand on met en contact avec de l'eau le cristallin, on voit cette lentille se gonfler et se fendiller, cequi rappelle ces espèces de cataractes étoilées. Ne serait-il pas possible d'arriver un jour à expliquer le mécanisme de la formation de ces cataractes par le phénomène de l'endosmose, et de faire pénétrer par voie d'imbibition des substances capables de rendre au cristallin sa transparence ? L'endosmose s'exerce dans l'état de repos comme dans l'état de mouvemens. Si vous faites passer un liquide à travers un vaisseau ou une mem- brane disposée en tuyau, qui sera elle-même plongée dans un liquide de nature différente , il se fera une double imbibition de dehors en dedans, et de dedans en dehors. Il y a long- temps qu'en faisant des expériences , je me suis ( 99 ) aperçu de ce phénomène auquel j'avais d'abord attaché peu d'attention. Mais ce mode d'imbibition est digne du plus haut intérêt ; car dans l'économie vivante , c'est surtout par des vaisseaux traver- sés par des courants sanguins que se passe cet en- dosmose. Voici une expérience que j'ai faite pour mon- trer ce phénomène de l'imbibition à double courant. Vous prenez un œuf et vous enlevez avec précaution une partie de la coquille de ma- nière à mettre à nu sa première membrane. Ensuite vous placez cet œuf dans un vase conte- nant un peu d'alcool, après avoir percé son extrémité libre d'un trou qui vous permettra d'observer ce qui va se passer. Vous voyez-là les résultats dune double imbibition; car par l'in- fluence de l'endosmose l'alcool a traversé la membrane pour aller se combiner avec l'albumine qui est coagulé , et qui s'échappe par l'ouverture faite à l'œuf : dune autre part cet albumine est sorti à travers la membrane pour se mêler à l'ai- coool renfermé dans le vase ; aussi vous voyez cet alcol trouble et offrant des flocons blanchâtres albumineux en suspension. Nous reviendrons encore sur l'étude de ces phénomènes qui sont en général peu connus et qui néanmoins méritent à plus d'un titre de fixer l'attention des physiologistes et des médecins. ONZIÈME LEÇON. Messieurs , Vous savez que l'acide suif uri que a la propriété de s'opposer au passage des liquides à travers les cloisons membraneuses qui les séparent; aussi l'a- t-on appelé l'ennemi de l'endosmose. Il est des cas néanmoins où cet acide est susceptible de s'imbiber. Voici un œuf que j'ai plongé par un de ses bouts, dans de l'acide sulfurique étendu d'eau; il y a eu dissolution de l'enveloppe calcaire, et la pellicule membraneuse s'est ainsi trouvée mise à nu. Eb bien ! vous voyez que l'albumine s'est coa- gulée et qu'elle n'est plus alkaline, puisqu'elle rou- git le papier de tournesol avec lequel je la mets en contact. Il faut donc que l'acide sulfurique se soit imbibé, au moyen d'un véritable endosmose, à travers la membrane. Il n'est donc pas aussi hos- tile à l'endosmose qu'on le dit. Il résulte des faits assez nombreux que nous vous avons exposés en dernier lieu , que le corps de l'homme et des animaux en général, estle siège de déplacements de liquides particuliers, indépendants du grind mouvement circulatoire. C'est surtout dans des conditions pathologiques qu'il importe de bien apprécier le rôle important que jouent ces li- ( 101 ) quides transportés sous l'influence de lois essen- tiellement physiques. Supposons le cas le plus simple , une contu- sion reçue sur une partie quelconque du corps. Vous savez qu'à cette contusion succède un chan- gement de couleur à la peau, d'abord limité à l'endroit où a eu lieu la percussion ; en un mot, il y a ecchymose. A quoi tient ce premier phéno- mène? A l'extravasation du sang dans le tissu cel- lulaire sous l'influence de l'action du cœur. Cette influence du cœur sur la circulation capillaire est un fait démontré , et dont il est impossible de douter aujourd'hui. Une fois ce premier phénomène produit , que se passe-t-il dans une contusion? Le sang sorfi des vaisseaux contus ne reste pas où il a été déposé; bientôt ses matières colorantes , jaune et rouge , se répandent circulairement dans toutes les direc- tions, à travers les parties circonvoisines. Il n'y a là qu'une simple imbibition. Le sang ne se meut plus dans les canaux vasculaires , mais bien dans les porosités des tissus. Il n'y a pas jusqu'à la piqûre d'une sangsue qui ne vous montre le phénomène dont nous nous occupons , non pas dans toute son extension , mais du moins dans ses principaux caractères. Au point qui correspond à l'incision triangulaire de la morsure , l'épiderme a été divisé , le derme attaqué, le réseau vascuiaire coupé, et ranimai aspire le sang qui sort des capillaires sous l'in- fluence du cœur. Mais une partie de ce sang n'est pas aspirée , il s'échappe dans le tissu cellu- m. 7 ( *02 ) laire, il se trouve en contact avec les membranes, et s'imbibe. De là, la production de ce cercle bleuâtre autour de la piqûre centrale ; de là , ces nuances diverses de coloration qui forment des zones circulaires, qui persistent pendant quelque temps. Aussi le médecin prévoyant ne doit -il jamais faire appliquer des sangsues sur le visage ou sur la poitrine d'une femme du monde qui tient à sa beauté. Voici un autre phénomène qui se rattache à ces lois d'imbibition. Un individu a une difficulté de circulation quelconque dans une des principales veines d'un membre, et en même temps ce membre se gonfle , devient œdémateux par suite de la séro- sité infiltrée dans le tissu cellulaire. Dans cette circonstance le rôle joué par le système vasculaire comme moyen de transport du liquide séreux, est presque nul; car c'est de proche en proche, de cellule en cellule , que s'opère ce mouvement de translation par le mécanisme de l'imbibition. Si par un moyen mécanique quelconque vous don- nez une issue au liquide, vous le voyez s'écou- ler au dehors à travers l'ouverture que vous avez pratiquée, comme une liqueur s'échappe d'un ton- neau par le robinet qui lui livre passage. C'est ainsi que , dans les cas d'hydropisies générales dépendantes d'une affection organique du cœur, la peau est quelquefois énormément distendue par la sérosité dont les tissus sont pénétrés; si alors , au lieu de recourir à des frictions insignifiantes , si vous pratiquez de petites incisions dans les points les plus déclives des membres , le liquide ( 103) infiltré s'échappe peu à peu , les tissus se dégor- gent, et vous pouvez prolonger ainsi l'existence cle votre malade. On voit des phénomènes de ce genre dans des localités plus restreintes. Les hydropisies en- kystées sont des collections de liquides enveloppés dans des espèces de vessies membraneuses. La nature de ces liquides est importante à bien con- naître; car souvent ils ont une viscosité telle, qu'ils ne peuvent s'écouler à travers la canule dont on se sert pour faire la ponction. Rien n'est plus rare que la guérison spontanée de ces tumeurs enkys- tées ; le plus souvent, au contraire , elles augmen- tent lentement de volume, et finissent par causer la mort par suite de la gêne qu'elles apportent aux principales fonctions de ia vie. Nous trouvons réunies là toutes les conditions physiques de l'en- dosmose ; car nous voyons une vessie remplie d'un liquide, et plongée elle-même au milieu d'autres liquides de nature différente. Remarquez aussi que ces tumeurs sont d'autant moins susceptibles de se terminer par guérison , que la liqueur qu'elles renferment est plus visqueuse. C'est en ayant égard à ces considérations physiques que je me suis ha- sardé quelquefois à tenter la cure radicale de ces kystes, en modifiant ïa nature du fluide sécrété par leur face interne. Il y a deux ou trois ans que je reçus dans mes salles, à l'Hôtel-Dieu , une femme ayant une tumeur de cette espèce dévelop- pée dans l'ovaire. Son volume très considérable gênait, la respiration et la digestion ; chaque jour la malade dépérissait, aussi était-elle venue à l'hô- ( m ) pital plutôt pour y mourir que dans l'espoir d'ob- tenir une guérison complète. Je lui demandai si elle serait résolue à courir les cbances d'une opéra- tion , et , sur sa réponse affirmative , je procédai de la manière suivante : Je fis une ponction exploratrice qui donna issue à un liquide visqueux qui coulait en filant à travers la canule du trois-quart. La tumeur vidée, j'injec- tai dans sa cavité du vin cbaud étendu de moi- tié de son volume d'eau , et après l'y avoir laissé séjourner quelques instants, j'en fis sortir la plus grande partie. Mais, par suite sans doute de l'excitation physiologique produite par l'injec- tion, la tumeur se remplit avec une promptitude extrême , et le surlendemain elle avait repris son premier volume. Je fis une autre ponction , mais ce liquide de nouvelle formation s'écoula beau- coup plus librement , car il était beaucoup moins visqueux que le précédent. La tumeur reparut encore par suite d'une nou- velle exhalation séreuse, mais peu à peu elle s'af- faissa et finit par disparaître. La malade sortit guérie de l'hôpital. Quel but m'étais-je proposé en faisant une in- jection irritante dans la cavité du kyste? Je vou- lais modifier sa surface exhalante de manière que le liquide sécrété devint moins visqueux, et que les phénomènes d'imbibilion s'effectuant à travers les vaisseaux situés dans l'épaisseur des parois de la tumeur fût résorbé. Je ne pourrais affirmer que dans cette circonstance c'est ainsi que les choses se sont passées , mais c'est d'après ces données ( 105 ) physiques que j'ai risqué cette tentative, et obtenu ces heureux résultats. Depuis cette époque j'ai répété sur deux autres malades la même expérience. Chez l'une , j'ai ob- tenu le même succès , mais chez la seconde la tu- meur s'est reproduite malgré les ponctions multi- pliées que j'ai faites, et j'ai été obligé de l'aban- donner à elle-même. L'hydrocèle mérite d'être envisagée sous le rap- port physique. La tunique vaginale ne forme-t-elle pas une sorte de sac susceptible de se laisser im- biber par ses deux faces ? 11 est difficile de dire pourquoi la sérosité s'accumule dans la cavité de la membrane , et y séjourne au lieu de s'imbiber de proche en proche dans le tissu cellulaire. Quelle est la cause physique de ce phénomène ? Je l'i- gnore ; elle devrait être recherchée. Par l'injec- tion d'un vin alcoholisé , vous changez le mode d'exhalation de la membrane qui sécrète alors une sérosité coagulable et susceptible de s'organiser. De là, ces adhérences , qui unissent les deux feuillets de la tunique séreuse , quand la guérison est opérée. Un excellent moyen d'accélérer la gué- rison est de donner issue par une seconde ponc- tion au liquide qui s'épanche après l'injection cu- ra tive. Il y a d'autres phénomènes plus difficiles à ex- pliquer dans l'économie animale. Examinez ce qui se passe dans un phlegmon , à la suite de cet en- semble de phénomènes qu'on est convenu d'ap- peler inflammation , expression impropre et bi- zarre ; car il n'y a là ni flamme ni combustion, ( '106 ) et le seul rapprochement raisonnable qu'on puisse établir , c'est l'élévation comparative de la tem- pérature. Après donc cette série de modifications dans la circulation capillaire ; ces altérations dans la sécrétion 7 il arrive un moment où une matière albumineuse se dépose dans les aréoles du tissu cellulaire. De solide et d'opaque qu'elle était , elle devient bientôt liquide , et acquiert tous les caractères du véritable pus. Ainsi elle s'offre à vous sous l'aspect d'une sérosité lac- tescente , tenant en suspension une grande quan- tité de globules albumineux. Eh bien ! chose sin- gulière , ce pus peut séjourner très long-temps dans le foyer de l'abcès sans s'imbiber dans les tissus voisins, et il reste emprisonné dans un point limité y jusqu'à ce qu'une ouverture naturelle ou artificielle lui permette de s'épancher au-dehors. Il y a quelques cas néanmoins ou l'inflammation phlegmoneuse se termine par résolution , et alors on ne peut douter que cette résorption de la ma- tière purulente ne s'effectue par suite de son im- bibition dans les tissus. Pourquoi donc dans cer- taines circonstances ce pus reste-t-il localisé, tandis que dans d'autres il passe à travers les porosités des membranes ? Cela dépend certainement des pro- priétés physiques et des liquides , et des tissus au sein desquels ils sont épanchés , propriétés qui ne nous sont pas assez connues. Remarquez aussi que dans ces cas où le pus se fait jour au-dehors , c'est en partie par Fimbibition successive de ce liquide dans le tissu cellulaire, que la peau se trouve peu à peu pénétrée de sa couche profonde ( )0T ) vers sa couche superficielle , qu'elle s'amincit, et qu'enfin elle se perfore. Dans les tumeurs anévrysmales le sang épanché est disposé par couches concentriques plus ou moins denses suivant la place qu'elles occupent. Les caillots placés au centre du kyste sont les plus mous , mais à mesure qu'on s'approche de sa cir- conférence , ils deviennent de plus en plus consis- tants. A quoi tient cette différence ? Evidemment à ce que la partie aqueuse du sang s'est imbibée à travers les parois de la tumeur dans le tissu cel- lulaire. Il se développe fréquemment sur le trajet des tendons des petites tumeurs qu'on appelle gan- glions ; ce sont de petits sacs remplis de matières ' visqueuses et albumineuses , véritables appareils d'endosmose déposés au milieu de nos tissus. Quand on peut parvenir par une forte pression à les rompre, on change leurs rapports avec la mem- brane qui leur servait d'enveloppe, et le liquide, s'imbibant dans les parties voisines, ne tarde pas à être résorbé. Vous n'ignorez pas que le traitement des hy- dropisies est tout-à-fait empirique , et ne repose sur aucune base certaine. Ainsi chaque médecin a sa formule, Fun la saignée, un autre les purgatifs, un autre les diurétiques; ceux enfin qui veulent con- cilier les opinions, emploient ces divers moyens réu- nis. Eh bien! ces hydropisies, je vous l'ai déjà dit, sont en grande partie sous la dépendance des lois physiques; ainsi on peut à volonté les produire sur l'animal vivant , en déterminant] des conditions ( 108 ) d'exhalation supérieures à celles de l'absorption.' Tout obstacle apporté à la circulation veineuse a pour conséquence l'infiltration séreuse des par- ties dont les vaisseaux oblitérés étaient chargés de rapporter le sang vers le cœur. Mais il est des hydropisies qui ne peuvent être attribuées à ces causes mécaniques; ainsi certaines ascites se pro- duisent, bien que le système de la veine porte n'offre aucune altération appréciable. Ce serait un objet d'étude attrayant et neuf tout à la fois , que de rechercher avec soin la composition du sang dans ces cas d'infiltration séreuse , indépendante d'un obstacle mécanique à la circulation. Déjà en étudiant la composition de l'urine, on l'a trouvée chargée d'albumine. Cette observation est fort intéressante , mais il faudrait aller plus loin. Croyez-vous qu'il soit indifférent pour le main- tien de l'équilibre entre l'absorption et l'exhalation, que le sang qui parcourtnos vaisseaux soit plus ou moins visqueux, ou bien, au contraire, que l'élé- ment aqueux y soit plus ou moins prédominant ? Examinez ce qui se passe quand on injecte de l'eau dans les veines d'un animal, après lui avoir ôté préalablement une certaine quantité de sang. Outre les effets mécaniques qui en résultent, cette modification dans la composition du sang est cu- rieuse en elle-même; car à mesure qu'on le remplace par de l'eau, les allures et les instincts de l'animal sont changées. Ainsi , de criard et agité qu'il était , il devient tranquille. C'est même d'après ces résultats obtenus chez les ani- maux, que j'ai été conduit à essayer ce moyen ( 109) chez l'homme atteint de la rage. Je n'ai jamais , il est vrai , été assez heureux pour sauver un hydrophobe, mais je suis plusieurs fois parvenu à calmer cette exaltation excessive à laquelle il est en proie , et qui se traduit au dehors par les actes les plus furieux et les plus désordonnés. Ce n'est pas beaucoup pour l'issue définitive , puisque la mort est inévitable; mais au moins j'ai eu la conso- lation de rendre calmes et paisibles ces derniers instants, qui n'offrent le plus souvent qu'une suc- cession d'accès horribles, pour lesquels a été créée l'énergique expression de rage. Telle est en effet l'exaltation du système nerveux, que l'homme hy- drophobe n'est sensible ni à l'acide prussique, ni à l'opium , ni en un mot à l'action des substances les plus vénéneuses, même injectées dans les veines. C'est ce que j'ai constaté par de nombreuses ex- périences. En injectant ces diverses substances dans les veines de l'homme, les parois du vaisseau qui sert à faire l'expérience , changent de couleur et d'as- pect par suite de limbibition qui s'opère à tra- vers leurs porosités. Vous savez en effet que les tissus animaux sont modifiés dans leurs propriétés physiques , quand ils s'imbibent avec tel ou tel liquide. Ainsi la cornée devient opaque aussitôt qu'un fluide quelconque est interposé entre ses la- melles. Il y a un autre fait curieux qui résulte de l'in- jection de l'eau dans le système vasculaire d'un animal. Celui-ci peut être tellement gonflé, qu'il ne peut fléchir ses membres, ni leur faire exé- ( 110 ) cuter le moindre mouvement sans une difficulté affreuse. Ce phénomène s'explique aisément par les modifications qu'éprouvent les vaisseaux sanguins; vous savez en effet qu'un tuyau flexible, fortement distendu par un liquide, devient droit, rigide, et qu'il faut un effort assez considérable pour lui don- ner une courbure. Ce sont des résultats mécaniques de la disten- sion des vaisseaux par les liquides. Nous voyons souvent des modifications analogues chez des per- sonnes pléthoriques , et souvent aussi les prati- ciens ne se doutent guère du genre d'accidents auxquels ils veulent remédier. Etudions donc avec persévérance et attention la physique vitale ; elle nous fournira des données importantes que nous demanderions en vain à la médecine. DOUZIÈME LEÇON. Messieurs > Ces phénomènes d'imbibition qui se remarquent dans tous les tissus et tous les parenchymes, sont surtout faciles à constater dans les êtres qui n'ont pas de système vasculaire proprement dit. Ainsi les zoophytes, dont le corps ne représente qu'une sorte de membrane disposée en sac , constituent tin véritable appareil d'exhalation et d'absorption. Il y aurait une série de recherches générales fort intéressantes à faire sur cette imbibition dans l'é- conomie vivante; car c'est à elle que se rattachent de nombreuses questions d'anatomie pathologique. Ainsi ces collections, ces épanchements de quel- que nature qu'ils soient, ces fausses membranes qui se développent à la surface des membranes séreuses , ces produits accidentels si variables par leur siège et leur composition , toutes ces ques- tions en un mot ne doivent-elles pas être envisa- gées sotis un point de vue physique? Voyez ce qui arrive dans cette maladie si commune qu'on ap- pelle pneumonie; la simple transpiration pulmo- naire est suspendue; il se dépose, soit dans le ( 112 ) tissu cellulaire, soit dans les lobules mêmes de l'or- gane, des matières nouvelles qui ne s'y rencontrent pas dans l'état sain. De là cette transformation du tissu aérien du poumon en une substance com- pacte, qu'on a grossièrement comparée au paren- chyme du foie. Bientôt les aéroles du tissu pul- monaire sont infiltrées d'une matière purulente , et alors vous avez ce degré qu'on désigne sous le nom d'hépatisation grise. Qui peut douter que, dans cette série de phénomènes , l'imbibition ne joue un rôle important? Voyez encore ce qui arrive dans ces nombreuses altérations du tissu osseux, et surtout dans la trans- formation dite lardacêe , criant sous le scalpel, La circulation n'y existe plus, et cependant ces tumeurs grossissent , elles s'altèrent ; bientôt les points na- guère les plus durs deviennent mous et fluctuants. Ce sont bien encore les matériaux du sang que vous trouvez épanchés dans le parenchyme de l'os; or, par quelle voie autre que l'imbibition ont-ils pu y pénétrer? Dans ce qu'on désigne sous le nom de tumeurs blanches, il n'y a presque plus de cir- culation , aussi ce sont les médications propres à favoriser l'imbibition , qu'il faut choisir de préfé- rence. Pourquoi dans les caries des vertèbres, le pus va-t-il fuser au loin , tandis que celui du vé- ritable phlegmon reste dans le lieu où il s'est for- mé? C'est que leurs propriétés physiques sont loin d'être les mêmes. Dans la carie vertébrale le pus est moins visqueux, plus séreux que dans le phleg- mon; il est chargé de flocons blanchâtres , et en- traine avec lui un détritus albumineux. Je ne ( 113 ) doute pas que ces modifications , dans les pro- priétés physiques de la matière purulente , ne jouent le principal rôle dans ce transport d'un lieu à un autre , à travers les lamelles du tissu cellulaire. Il n'est personne qui n'ait eu l'occasion d'ob- server ces curieux phénomènes qu'on désigne sous le nom de métastases. Un abcès développé dans un point disparaît tout-à-coup, et vous retrouvez du pus dans un organe souvent éloigné. Est-ce le même pus qui a abandonné le lieu où il était primitivement déposé , pour aller se fixer en un autre ? Il faudrait qu'on cherchât à suivre son trajet, et à trouver quels peuvent être ses moyens de transport. Mais ce fait, bien qu'il ne puisse être expliqué , n'en existe pas moins, et l'on sait, par exemple, de toute antiquité, que les lésions de la tête s'accompagnent fréquemment d'abcès au foie. Voici un chien dans les veines duquel j'ai in- jecté, il y a trois jours, environ trois livres et demie d'eau. L'animal avait d'abord paru bien supporter cette injection , mais il a succombé deux heures après. Cette mort rapide est un fait curieux à noter; car vous vous garderiez bien d'injecter dans le sys- tème vasculaire d'un homme, proportion gardée, une quantité aussi considérable d'eau, sous peine de voir survenir de graves accidents. Le liquide introduit de cette manière dans lesveines, ne séjourne pas long- temps dans le système circulatoire; mais , d'après les lois de l'imbi bition , il s'exhale par les voies les plus faciles, Or, le poumon étant le plus favorable- (•414 ) ment disposé pour cette sorte d'élimination, c'est surtout par cette voie que la nature se débarrasse de l'excès d'eau dans l'économie. Aussi , voit-on s'échapper un nuage épais de la gueule de l'animal; mais comme tout le liquide n'a pas le temps de se transformer en vapeurs, une partie se montre sous la forme d'une mousse légère. Un phénomène as- sez singulier, que je n'avais point encore observé, m'a été offert par ce chien; en effet , une demi- heure avant de mourir, tout son corps était cou- vert d'un liquide abondant provenant, m'a-t-on dit, de la transpiration cutanée. Voyons maintenant s'il s'est fait quelque épanchement dans les ca- vités séreuses. Cavité abdominale. Le petit bassin contient une petite quantité d'un liquide séreux , légèrement coloré en rouge. Il est probable que si nous n'en rencontrons pas davantage, c'est que, depuis trois jours que l'animal a succombé , la sérosité a eu le temps de s'imbiber dans les tissus voisins. Les in- testins et les autres viscères sont pâles et décolorés; on dirait qu'ils ont macéré pendant long-temps dans de l'eau. Cavité thoracique. La plèvre est extrêmement humide et paraît imprégnée de sérosité ; mais je ne vois point d'épanchement de liquides dans sa cavité. Le diaphragme nous offre une particularité qui mérite de fixer notre attention : il a perdu sa couleur rosée de muscle ; il est parsemé de taches bleuâtres et livides, provenant d'un épan- chement sanguin dansFintersticede ses fibres. Cette ( 115 ) extravasation du sang dans le tissu cellulaire, est un phénomène qu'on observe fréquemment chez l'homme, par suite d'une altération dans la com- position chimique de nos liquides .Vous savez qu'une des conditions physiologiques du sang à l'état normal , est de ne point transsucler avec tous ses éléments à travers les parois des vaisseaux qu'il parcourt; mais supposez une modification quel- conque dans ses éléments, supposez, par exemple, que sa viscosité est diminuée par suite d'une in- jection d'eau dans le système veineux, vous ver- rez apparaître ces ecchymoses en divers points de nos tissus. Et ce que je dis ici ne repose pas seu- lement sur des idées théoriques. Pourquoi chez le marin scorbutique la surface cutanée se recou- vre-t-elle de -larges taches occasionées par des épanchements de sang ? parce que ce sang a été appauvri par l'usage d'aliments salés et in- suffisants , et par îa privation des végétaux frais. Aussi les médecins de marine ont - ils remar- qué que le sang tiré de la veine de ces malades était moins riche en fibrine, et qu'au contraire le sérum y prédomine d'une manière notable. Si donc ce liquide a perdu une partie de sa vis- cosité, vous comprendrez facilement pourquoi il ne circule plus comme dans l'état normal , et par quel mécanisme il s'extravase dans les tissus , à travers les parois vasculaires. Le tissu pulmonaire est gorgé de liquides, et il vous offre ce premier degré d'altération qu'on désigne sous le nom <¥ engouement. Sachez bien que dans la pneumonie, il ne faut pas rapporter ( 116 ) exclusivement aux propriétés vitales ces modifi- cations que subit le parenchyme de l'organe; il y a là aussi des phénomènes physiques bien dignes de fixer l'attention du médecin observateur. Nous retrouvons sur la surface de l'estomac les mêmes taches que nous avions rencontrées sur le diaphragme : vous comprendrez facilement qu'il doit en être ainsi, si vous songez aux nombreuses artères que reçoit ce viscère pour la sécrétion des liquides acides et autres , nécessaires à la diges- tion. Je ne doute pas que ces altérations du sang ne jouent un rôle immense dans un grand nombre de maladies; aussi est-il à regretter que nous n'ayons pas l'histoire physique et chimique de ce liquide, dans les diverses modifications que subissent ses éléments. De semblables recherches pourraient amener à de précieux résultats, et c'est vers ce but que les personnes qui ont la noble ambition de reculer les limites de la science, doivent diriger leurs travaux. Les expériences de M. Gaspard ont démon- tré l'action délétère qu'exercent , dans l'économie vivante , des matières animales en putréfaction introduites dans le système circulatoire. J'ai re- pris ces travaux, afin de vérifier le degré d'in- flaencé de ces différentes substances. Eh bien, quand on injecte dans les veines d'un animal quelques gouttes d'une eau dans laquelle on a fait macérer des débris de poissons putréfiés, on voit se développer tous les symptômes de ces fièvres si fréquentes sur les rivages de l'Amérique du nord. ( 117 ) De toutes parts le sang s'échappe de ses vaisseaux. Epanché sous la peau, il forme des taches li- vides analogues aux pétéchies de nos fièvres ty- phoïdes ; exhalé à la surface de la muqueuse de l'estomac, il constitue ces vomissements noirs qui sont toujours un phénomène grave et trop souvent fatal. Peu de temps après cette terrible épidémie de fièvre jaune qui désola Barcelone et contre laquelle on prit tant de mesures plutôt politiques que médicales, nous reçûmes tout-à-coup dans nos hôpitaux, vers le mois de juillet, onze personnes offrant tous les symptômes de cette maladie. Ils vomissaient en abondance des matières noires , et leur peau jaune-brun était parsemée de pété- chies. A l'autopsie , nous constatâmes toutes les lésions qui caractérisent la fièvre jaune- et ce qui nous frappa le plus, ce fut l'état de la mu- queuse intestinale qui éiait gorgée d'un sang liquide transsudant par la moindre pression à travers les parois vasculaires. Je ne doute pas que nous n'ayons eu affaire là à une véritable fièvre jaune, d'autant plus que les conditions atmosphériques où s'étaient trouvés ces onze in- dividus étaient bien de nature à favoriser le dé- veloppement de cette maladie. L'électricité n ets pas sans influence sur les phénomènes capillaires. C'est ainsi qu'en plongeant dans un liquide un tube capillaire , vous pouvez déterminer l'ascension rapide de la colonne de liquide en la faisant traver- ser par un courant électrique. Poret a fait à ce sujet des expériences qui démontrent cette vérité d'une m, 8 ( 118 ) manière palpable : si, par exemple, vous mettez dans un tube recourbé une colonne de liquide, et que vous adaptiez aux extrémités de ce tube les pôles d'une pile, les liquides cessentd'être de ni- veau, et vous voyez une colonne monter et Fautre descendre. H en est de même pour un endosmomètre; en plongant un des pôles de la pile dans le liquide intérieur, et l'autre pôle dans le liquide extérieur, les phénomènes d'imbibition et d'exbibition sont beaucoup plus rapides. Ce qui arrive là sur des membranes inertes se pas- se de même sur des animaux vivants. Un demes an- ciens élèves, M. le professeur Fodéra, a fait à ce sujet des expériences fort curieuses. Il a vu que si l'on met une dissolution de prussiate de potasse sur la muqueuse intestinale d'un chien, et une dissolu- tion de sulfate de fer sur la surface séreuse cor- respondante, l'imbibition est d'abord fort lente; mais si l'on fait passer un courant galvanique à travers les parois du viscère , l'imbibition est beaucoup plus rapide , et l'on ne tarde pas à voir bleuir les surfaces Il résulte de ces faits qu'on peut faire d'utiles applications de l'électricité à la thérapeutique. C'est ainsi que pour favoriser la résolution de certaines tumeurs P de certains engorgements , j'ai plus d'une fois employé avec succès des cou- rants électriques. Mais c'est dans ces cas surtout qu'il faut recourir à des procédés particuliers ; si en effet vous vous contentiez d'appliquer les pôles de la pile à la superficie des téguments , comme le ( 449 ) fluide électrique tend à se répandre à la surface des corps plutôt qu'à pénétrer dans leur inté- rieur, vous n'obtiendriez probablement pas de résultats notables. Aussi suis-je dans l'usage d'en- foncer dans les tissus mêmes deux petites aiguilles métalliques qui , mises en contact avec la pile , servent de conducteurs au courant galvanique. On sait aussi en physique que quand une sur- face humide est soumise à l'influence du contact électrique , l'évaporation s'effectue avec beaucoup plus de rapidité. Je vous disais , il n'y a qu'un instant , que cer- taines tumeurs développées dans le tissu osseux ne paraissent point parcourues par des vaisseaux .sanguins, mais qu'elles semblent vivre à la ma- nière des végétaux , c'est-à-dire par la voie de l'imbibition. Ceci me rappelle un fait que je vais vous rapporter en peu de mots, et qui, je crois, ne laissera pas que de vous offrir quelque intérêt. Une pauvre fille vint consulter Dupuytren pour une tumeur énorme de nature squirrheuse qu'elle portait sur un des côtés de la tête. L'habile chi- rurgien tenta l'opération; mais il fut obligé d'y re- noncer, ne pouvant extirper cette masse volumi- neuse qui s'étendait profondément au milieu d'or- ganes importants. La malade était donc considérée comme incurable quand elle entra dans mon service à la Salpétrière. Son état était des plus affreux ; car , quoique bien portante d'ailleurs } elle ne pouvait écarter les mâchoires pour prendre des aliments , et tout faisait présager une terminaison promptement funeste. Je résolus de tenter une ( 120 ) nouvelle opération. J'emportai avec la scie une portion énorme de la tumeur, pesant plu- sieurs livres , et chose singulière ! quelques goutte- lettes de sang suintèrentà peineà la surface delà plaie provenant de cette vaste incision. En examinant avec soin la texture même de la tumeur , je vis qu'elle était constituée par un épanchement de matière squirrheuse et encéphaloïde dans les aréo- les du tissu osseux; maisjenepus trouver aucune trace de vaisseaux sanguins. La plaie se cicatrisa très-promptement. Cependant bientôt la maladie se reproduisit , et je fus de nouveau forcé d'empor- ter une portion de la tumeur; la cicatrisation se fit encore avec une promptitude extrême. Comme, malgré ces ablations partielles, les accidents de- venaient chaque jour de plus en plus graves , et que la mort était imminente , je me hasardai à lier l'artère carotide. Depuis lors la tumeur a cessé de s'accroître , et de temps en temps je reçois la visite de cette pauvre fdle qui ne sait en quels termes m'exprimer sa reconnaissance. ïl y a aujour- d'hui sept ans que cette tentative fondée sur des données de pure physiologie expérimentale a été exécutée, efje n'ai eu jusqu'ici qu'à me louer d'a- voir eu le courage de l'entreprendre. TREIZIEME LEÇON Messieurs , Un fait général ressort de toutes les expériences que nous avons répétées devant vos yeux, c'est que tout liquide et tout solide susceptibles de se dissou- dre dans nos humeurs s'imbibent à travers nos dif- férents tissus. C'est là une loi fondamentale trop long-temps méconnue par les médecins. L'esprit humain se plait à imaginer des théories plus ou moins ingénieuses, et il néglige l'étude expérimen- tale des phénomènes physiques de la vie, seul moyen d'asseoir l'édifice médical sur des bases vraies et solides. Aussi voyez combien a été fâcheuse pour le traitement des maladies , cette manie de créer des systèmes et de former la thérapeutique sur des assertions hasardées. On ne peut lire sans dégoût aujourd'hui cet amas de formules bizarres , cet assemblage incohérent de médicaments divers , vantés tour à tour comme des spécifiques contre les nombreuses affections auxquelles l'homme est ex- posé. Eh bien! le seul phénomène de l'imbibition bien connue a été déjà pour nous îa source d'une foule d'applications heureuses à la thérapeutique de certaines maladies. Ces résultats ne peuvent être ( 122 ) contestés , quelle que soit la manière dont on les interprète; car ils sont basés sur l'expérience et nous pouvons les produire et les modifier à notre gré sur l'homme ou sur l'animal vivant. Mais ce ne sont point seulement les substances solides ou liquides qui peuvent pénétrer à travers les porosités des membranes ; les gaz et les vapeurs sont dans un rapport tellement étroitavec l'existence des végétaux et des animaux, qu'il est d'un immense intérêt pour nous d'étudier comment ils se comportent à l'égard des pores de nos tissus. Nous allons entrer dans quelques considérations sur ces phénomènes que j'ai depuis long- temps désignés sous le nom de perméabilité aux gaz. PERMÉABILITÉ AUX GAZ. Nous ne vous ferons point l'histoire de toutes les modifications que les vapeurs ou les gaz in- troduits dans l'économie exercent sur le jeu de nos organes ; nous voulons surtout nous arrêter sur la manière dont ces fluides se comportent relativement à la porosité de nos membranes. Ces questions sont pour le physiologiste du plus haut intérêt. En effet, s'il est rare que le contact passager d'un liquide ou d'un solide sur nos tissus amène la ces- sation de la vie , combien de fois n'a-t-on pas vu la simple émanation de produits gazeux détermi- ner immédiatement la mort ? Tout le monde sait que, pour conserver un gaz, il n'est pas indifférent de le renfermer dans un ( M3 ) flacon de verre ou dans un sac membraneux. Sup- posez que vous ayez rempli une vessie d'hydrogène très pur , et que vous l'ayez laissée plusieurs jours dans votre laboratoire. Si vous venez à analyser ensuite ce gaz, que trouverez-vous? Qu?il est altéré dans sa composition ; car en approchant une bou- gie allumée, il détonne; ce qui vous indique qu'il s'est mélangé avec de l'oxygène qu'il a emprunté à l'air atmosphérique. Laissez-vous s'écouler un temps plus long encore, l'hydrogène disparaît en grande partie , et est remplacé par de l'air simple. Or, il n'en sera pas de même pour un flacon, l'hy- drogène conservera sa pureté tant qu'on ne le mettra pas en contact direct avec l'atmosphère. A quoi tient cette différence? Vous l'avez déjà soup- çonné. Des parois en verre ne sont point poreuses comparativement à des parois membraneuses, et si les premières mettent un obstacle insurmontable au déplacement des gaz, les secondes au contraire permettent leur libre passage à travers leur propres tissus. Aussi les aéronautes ont-ils la précaution de garnir leur ballon d'un vernis qui s'oppose à la perméabilité des étoffes destinées à contenir l'hy- drogène; sans cela la légèreté spécifique d a gaz dispa- raîtraitpar suite de son mélange avec l'air ambiant. Il faut que vous soyez bien pénétré de ce fait important, savoir : que toute membrane vivante est perméable aux gaz. Ces ouvertures impercepti- bles dont sont criblés les tissus organisés sont au- tant de voies par lesquelles les fluides aériformes peuvent s'insinuer. Comment expliquer cette trans- formation du sang veineux en sang artériel , sinon ( 124 ) par le passage de l'air inspiré à travers la membrane qui tapisse les ramifications bronchiques? Nous pouvons d'ailleurs reproduire artificiellement ce phénomène. Voici un sac de baudruche que j'ai rempli de sang veineux ; vous voyez que par son contact avec l'oxygène de l'air au moyen des poro- sités de la membrane, ce liquide acquiertla couleur rouge; il tend même à devenir écarlate. Quand vous venez de faire une saignée, le même acte physique se reproduit, pourvu toutefois que le sang extrait de la veine ne soit pas recouvert par une couenne ; car celle-ci s'opposerait au contact de l'air atmosphé- rique. Cette simple expérience nous montre en petit ce qui se passe en grand dans l'appareil pulmonaire. En effet, par la respiration , l'air pénètre à travers les tuyaux bronchiques jusqu'au réseau capillaire du poumon , et là il se trouve en contact avec le sang veineux par l'intermédiaire d'une mem- brane mince et poreuse. Quelle que soitd'ailleursla disposition intime du parenchyme pulmonaire , que ce soient des cellules , ou bien, comme on l'a prétendu dans ces derniers temps, un tissu ca- verneux, le phénomène reste le même. Remarquez par quel admirable artifice la nature a su multi- plier à l'infini des surfaces limitées dans une en- ceinte aussi étroite que la cavité thoracique. Ces nombreux vaisseaux ramifiés en tous sens , et s'entrecroisant dans toutes les directions, vous expliquent comment le sang veineux, après avoir parcouru tous nos tissus, est sans cesse vivifié par son mélange avec l'oxygène de Fair extérieur. ( *23 ) L'appareil pulmonaire est un appareil essentielle- ment physique dont la structure est en rapport avec l'importance de ses fonctions. Au lieu d'un tissu vasculaire et aérien , supposez une masse dense et compacte , comment le sang sera-t-il en rapport avec le fluide destiné à lui rendre ses qualités artérielles ? C'est ainsi que vous vous ex- pliquez ces troubles qu' entraine dans l'économie toute altération organique du parenchyme pul- monaire. C'est encore par le même mécanisme que les animaux à poumons peu spongieux, tels que les reptiles, les crocodiles, les grenouilles, ont besoin de consommer dans un temps donné beau- coup moins d'air que les mammifères. Ce n'est pas seulement à la surface pulmonaire que s'opère cette conversion du sang veineux en sang artériel ; car la peau elle-même peut servir à la respiration, On a fait des expériences à cet égard, et elles confirment pleinement cette pro- position. Ainsi on a mis une grenouille en contact par son enveloppe tégumenteuse avec l'air exté- rieur, après avoir eu soin préalablement de l'em- pêcher de respirer , et on a vu qu'elle vivait plus long- temps que quand son corps restait plongé dans l'eau. Donc la peau de cet animal offre des phénomènes analogues à ceux qui se passent dans le poumon ; ce que l'on conçoit d'autant mieux qu'elle n'est pas recouverte d'un véritable épi- derme. Aussi je ne puis trop insister sur ce fait important, qui a en physiologie des conséquences si graves, savoir que toute membrane vivante est perméable aux gaz. Partout où vous mettrez en ( /tm ) contact avec l'air des vaisseaux sanguins , qu'ils appartiennent à l'intestin ou à toute autre surface de nos organes, partout vous aurez une véritable respiration. Il y a, pour cette perméabilité aux gaz, un phé- nomène analogue à celui que j'ai désigné sous le nom d'imbibition à double courant. Le poumon, par exemple, nous offre ce double passage simul- tané du dehors au dedans et du dedans au de- hors. Car en même temps que l'oxygène de l'air tra- verse la membrane pour aller vivifier le sang, en même temps aussi ce sang laisse échapper par ex- halation une certaine quantité d'acide carbonique qui franchit en même temps la même membrane pour se mêler à l'air expiré. De même aussi, quand vous renfermez de l'hydrogène dans une vessie, ce gaz s'échappe en partie à travers les porosités de la membrane, et est remplacé par de l'air atmosphé- rique. Quant à l'explication du phénomène de la per- méabilité aux gaz, elle ne peut être la même que pour Pimbibition des liquides. On conçoit en effet que ceux-ci s'insinuent dans les porosités des mem- branes en vertu des lois de l'attraction et de la capillarité,* mais les conditions physiques des gaz et des vapeurs sont loin , d'être identiques. Aussi le mécanisme de leur introduction ne peut être identique. Les liquides sont composés de mo- lécules qui adhèrent l'une à l'autre; les molécules des gaz au contraire tendent sans cesse à se sé- parer et à se répandre dans l'espace , animées de cette force de tension qui leur est propre. Vous ( 127 ) connaissez tous les belles expériences que M. Gay- Lussac a faites sur ce sujet. Aussi je crois que, dans l'état actuel de nos connaissances , c'est par la tension des gaz qu'on peut expliquer leur pé- nétration dans les pores des corps solides. Quoi qu'il en soit, vous voyez qu'il n'est pas indifférent que les organes de la respiration se trouvent en contact avec telle ou telle sorle de gaz, puisque tous ne sont pas propres à entretenir la vie, et qu'un grand nombre ont la fatale propriété de la détruire. Aussi le praticien doit-il connaître et les circonstances dans lesquelles ces gaz délé- tères peuvent se développer, et les moyens de com- battre les accidents qu'ils déterminent. N'est-ce pas là un beau sujet.de recherches? Ne vaudrait- il pas mieux, dans l'intérêt de la science et de l'hu- manité, exiger des jeunes médecins des connais- sances précises sur ces questions d'une utilité pra- tique, que de les examiner seulement sur des détails minutieux d'une fine anatomie , qu'ils au- ront bientôt oubliés. Relativement à ces différents gaz, il y a encore quelques faits qu'il faut que vous connaissiez. C'est une chose fort remarquable que l'air qui peut entretenir la vie est justement et uniquement celui au milieu duquel la nature nous a placés. Du moment que sa composition est modifiée, soit par la présence de principes étrangers, soit par l'addition ou la soustraction d'un de ses éléments constituants, la mort arrivera inévitablement. Composez une atmosphère artificielle avec de l'oxygène, de l'hydrogène, de l'azote, de l'oxide ( 428 ) de carbone , et l'animal plongé dans chacun de ces gaz ne tarde pas à périr par asphyxie, c'est-à- dire, par défaut de respiration. On peut , il est vrai, voir la vie se prolonger un peu plus long-temps dans un mélange d'oxygène et d'hydrogène, mais la mort sera encore la terminaison nécessaire. Il est d'autres gaz qui ne sont pas seulement impropres à vivifier le sang nécessaire à l'en- tretien de la vie, mais qui jouissent de propriétés spéciales et éminemment délétères. Ainsi il suffit de la présence de quelques atomes d'hydrogène sulfuré dans l'air pour que l'animal soit tué instantanément. Or , remarquez que ces phé- nomènes ne s'effectuent que par suite de cette perméabilité des membranes. Si celles-ci jouis- saient d'une sorte de choix instinctif qui leur per- mît de laisser passer certains gaz et de repousser les autres, sans doute ce serait là des conditions fort heureuses. Si seulement la surface pulmonaire n'était perméable que pour l'air atmosphérique, composé de ses éléments dans des proportions normales, nous serions à l'abri dune foule de causes de maladies. Mais malheureusement il n'en est pas ainsi. Vous sentez combien il importe au médecin d'avoir une connaissance exacte de ces faits, puisque l'on a tenté le traitement de plusieurs affections de poitrine par l'inspiration de certains gaz et de certaines vapeurs. Or il faut bien se rappeler que ces substances ne s'arrêtent pas à la surface du poumon , mais qu'elles pénè- trent dans le torrent de la circulation en passant à travers les parois des vaisseaux capillaires. Le ( 129 ) mélange des fluides médicamenteux avec l'air atmosphérique peut quelquefois être utile; ainsi on a employé dans certains cas avec avantage des inspirations de chlore, d'acide prussique et au- tres vapeurs : mais il faut une grande circonspec- tion dans l'usage de semblables moyens , puisque l'oxygène lui-même, ce gaz éminemment vital, ne tarde pas, quand il est respiré pur, à déter- miner la mort. Ce n'est pas seulement sous un point de vue scientifique qu'il importe au médecin d'étudier la perméabilité de nos membranes pour les gaz ; car il trouve dans la pratique de nombreuses occa- sions de faire l'application de ce que ses re- cherches lui ont appris. Il y a une foule de cir- constances où l'homme est exposé à respirer des paz nuisibles. Ainsi un ouvrier, travaillant dans une mine, ou dans une fosse d'aisance, pourra être frappé dune asphyxie subite par suite d'un dégagement d'acide carbonique , d'hydrogène sulfuré, ou de -tout autre fluide délétère,- un individu aura tenté de s'ôter la vie en senfermant dans sa chambre au milieu de vapeurs de char- bon, ïrez-vous dans ces circonstances impérieuses prescrire des sangsues et des tisanes , ou bien aurez- vous recours à des procédés chimiques pour com- battre des accidents développés par des agents chimiques eux-mêmes? Je ne puis trop insister sur la nécessité de se familiariser avec l'étude de ces importantes questions. Vous devez con- naître, vous médecins, les propriétés physiques des gaz? les circons tances dans lesquelles ils se ( 130 ) dégagent, les accidents qu'ils peuvent produire sur l'homme, et le traitement que chacun exige; car ce traitement doit être modifié suivant la nature du fluide qui a pénétré dans l'organe pul- monaire. Je me rappelle un fait qui m'a singulièrement frappé. Il y a quelques années que, pendant la nuit, une chambre où plusieurs personnes étaient couchées, se trouva tout d'un coup remplie de gaz hydrogène carboné, provenant d'un tuyau d'éclairage. Toutes ces personnes ne tardèrent pas à être prises dune fièvre typhoïde des plus gra- ves. Je n'hésite pas à l'attribuera l'influence exer-« cée par ce gaz sur le sang avec lequel il s'était mélangé par l'acte de la respiration. Et d'ailleurs, dans les pays marécageux , ne voit-on pas les émanations du même gaz déterminer , chez ceux qui les respirent , les fièvres les plus meur- trières, Ce que je dis ici des gaz, s'applique également aux vapeurs qui jouissent de propriétés physiques parfaitement analogues. Ainsi la même force de tension leur permet de pénétrer à travers les porosités de nos membranes. C'est ce que l'expé- rience la plus vulgaire nous met à même chaque jour de constater. Quiconque passe dans un ap- partement nouvellement peint , ne tarde pas à voir son urine exhaler une odeur de violette , par suite de l'absorption de la vapeur de térében- thine répandue dans l'atmosphère. Quand on a séjourné quelque temps dans un amphithéâtre où des particules animales putréfiées sont mêlées à ( 43* ) l'air ambiant, les gaz intestinaux acquièrent une fétidité caractéristique qui se rapproche de celle des matières en putréfaction qui ont pénétré par les porosités de nos tissus. Qu'ai-je besoin de multiplier des exemples de ce genre ? Ce que je voulais vous faire bien saisir, c'est que les vapeurs entrent dans l'économie et en ressortent avec une égale facilité. Aussi il n'est pas indifférent que l'air qui pénètre dans vos poumons tienne en suspension telle ou telle substance, car elle réa- gira sur vos organes, suivant le degré d'énergie qui lui appartient. Innocente, elle pourra exercer une influence utile; délétère, elle peut tuer avec la rapidité de la foudre. Qui de vous ne connaît l'action si terrible de l'acide prussique ? Telle est la rapidité avec laquelle cette substance si émi- nemment vénéneuse se volatilise, qu'une portion de la liqueur se congèle en même temps que l'autre portion se réduit en vapeur. Quand vous êtes appelé à exercer la médecine dans une localité quelconque, ayez toujours égard aux conditions atmosphériques, et surtout aux émanations dont l'air peut être chargé. Le voi- sinage de la mer, la proximité d'un marais , l'habitation dans une chambre bien aérée, l'en- tassement de plusieurs individus dans un même appartement, toutes ces modifications en un mot, dans la composition de l'air que l'on respire, exer- cent une influence immense sur la production de certaines maladies et sur les indications thé- rapeutiques qu'elles réclament. Combien d'affec- tions morbides réputées contagieuses, reconnais- ( 132 ) sent pour cause unique l'altération de l'atmos- phère par des miasmes émanés de foyers pu- trides ? Pressé par le temps, je regrette de ne pouvoir vous développer plus en détail ces considérations importantes sur la perméabilité aux gaz. Mais afin que ces faits restent mieux gravés dans votre mémoire, je terminerai cette séance par une ex- périence sur la rapidité avec laquelle une vapeur délétère agit sur l'économie en traversant nos membranes. Voici un petit flacon rempli d'acide prussique anhydre. Après l'avoir débouché , je le passe assez rapidement sous les narines d'un petit cochon d'In- de, et vous voyez que, pour avoir respiré quelques atomes de la vapeur qui en émane, l'animal est tombé sans mouvement. N'y a-t-il pas moyen de le rap- peler à la vie ? Nous allons essayer. Je prends maintenant de l'ammoniaque concentré, et j'ap- plique le nez du petit animal sur la vapeur qui s'en échappe : vous le voyez s'agiter , pousser des cris ; il semble sortir de son sommeil léthargique, et je ne doute pas qu'il ne survive à notre expé- rience. Supposez un homme empoisonné par le même acide, vous devriez aussitôt recourir à l'ins- piration de vapeurs d'ammoniaque ou de chlore , seul moyen de l'arracher à une mort certaine. De même, si l'agent vénéneux était de l'hydrogène sulfuré, la première indication à remplir serait de foire respirer du chlore gazeux. Or, remarquez que notre traitement dans ces diverses circonstances est toujours basé sur cette propriété des membra- ( 433 ) nés de se laisser traverser par les gaz et les va- peurs. En présence de semblables faits, qui ose- rait encore contester la nécessité des connaissances physiques, si l'on aspire à pratiquer, avec quelque supériorité , l'art médical ? ai. 9 QUATORZIÈME LEÇON. Messieurs , Vous vous rappelez l'objet de notre séance der- nière. Nous avons recherché de quelle manière se comportent les divers tissus de l'économie animale relativement aux vapeurs et aux gaz. Or telle est l'influence des pores innombrables dont sont criblées nos membranes , que celles-ci ne présentent près- qu'aucun obstacle au libre passage des fluides aéri- formes avec lesquelles elles se trouvent en contact. Ainsi le grand phénomène de la respiration n'est pas autre chose que cette perméabilité de la surface pulmonaire à l'air atmosphérique. On a bien étu- dié jusqu'ici les lésions matérielles que les mala- dies déterminent dans nos organes: mais il me semble que ce n'est pas là que doit s'arrêter la science. Supposez une pneumonie, une bronchite, une pleurésie; vous contenterez-vous de savoir que le poumon, les bronches ou la plèvre ont subi telle altération dans leur texture anatomique ? Mais vous ne pourrez vous expliquer le mécanisme des symptômes offerts à votre observation si vous igno- rez quelle liaison existe entre les fonctions des or- ganes et les modifications de leurs propriétés phy- (.135 ) siques déterminées par les maladies. On vient tout récemment de créer une nouvelle chaire d'anato- mie pathologique à la faculté de médecine; je suis le premier à applaudir à l'établissement de cet enseignement spécial qui peut fournir aux élèves d'abondants matériaux d'instruction. Mais je crois que le devoir du professeur ne devrait pas se bor- ner à décrire les lésions matérielles des tissus; il de- vrait s'attacher particulièrement à étudier leurs propriétés physiques à l'état normal, afin de mieux faire ressortir les troubles fonctionnels occasion- nés par les altérations de texture. Toutes les matières végétales ou animales sont susceptibles de se transformer en vapeurs ; sous l'in- fluence de la fermentation septique , leurs éléments se décomposent et se dissocient; leurs molécules se répandent dans ^atmosphère à laquelle elles com- muniquent les propriétés les plus délélères. N'est- ce pas au dégagement de ces miasmes putréfiés que les célèbres Marais Pontins doivent leur insalu- brité. L'air qui a pénétré dans nos poumons s'est chargé de particules animales qui le rendent moins apte à accomplir les modifications importantes qu'il exerce sur le sang veineux; aussi l'entasse- ment d'un grand nombre d'individus dans un en- droit clos et peu spacieux est-il une condition très- défavorable pour la santé. Le fameux typhus des prisons reconnaît pour cause principale cette ac- cumulation d'une niasse d'hommes dans une enceinte insalubre de sa nature, et où l'air ne peut être que très difficilement renouvelé. Vous concevez maintenant comment agissent ces fumi- ( 136 ) gâtions auxquelles on a recours pour l'assainis- sement de certaines localités. DE LA VISCOSITÉ BU SANG. Il est une autre conséquence, beaucoup plus ma- térielle et non moins importante, de cette porosité; c'est sur elle que je me propose de fixer un instant votre attention. Telle est en effet la ténuité desori-^ fices qui livrent passage aux matériaux de la nu- trition que ceux-ci ne peuvent .pénétrer dans nos parenchymes qu'à la condition qu'ils soient extrê- mement divisés. Pour qu'un liquide ingéré dans l'estomac passe dans le torrent de la circulation , il faut qu'il subisse une élaboration particulière de la part du viscère avant qu'il puisse traverser les porosités de la muqueuse gastrique. Ainsi l'albu- mine, à cause de sa viscosité, ne se comporte pas comme Veau : il faudra qu'elle éprouve par l'acte de la digestion une transformation qui aura pour résultat de la réduire en particules assez déliées pour permettre son introduction dans les vaisseaux lactés. Ce que je dis de l'albumine, je le dirais également d'une solution gommeuse, de l'huile ordinaire, dune liqueur plus visqueuse encore. Ainsi il résulle de là qu'un des avantages de cette perméabilité aux liquides est de ne laisser pénétrer dans l'économie que des substances dont la ténuité leur permet de circuler librement dans les vais- seaux capillaires. Si donc vous venez à introduire dans le sang des (137) liqueurs trop visqueuses, ou dont les particules trop volumineuses ne sont plus en rapport avec le diamètre des petits canaux qu'elles doivent par- courir, vous déterminerez inévitablement la mort. C'est là une conséquence mécanique et rigoureuse des faits qui vous sont déjà connus. Et remarquez que la substance la plus innocente de sa nature peut amener ces résultats désastreux , par l'obs- tacle physique (qu'elle apportera à la circulation .pulmonaire ; le sang stagnera dans ses vaisseaux , et l'asphyxie en sera l'effet immédiat. L'étude de ces phénomènes n'est pas seulement intéressante comme objet scientifique : maintenant qu'on ne craint pas défaire usage, dans le traitement des maladies , des moyens les plus énergiques , il est important de bien connaître les conditions physi- ques des liquides qui circulent dans nos organes. 11 fut un temps , vous le savez , où on eut recours aux transfusions ; c'est-à-dire qu'on injectait du sanff d'un homme dans les veines d'un autre homme. Dernièrement encore on vient en Italie de traiter une maladie grave par des injections d'une solution d'émétique dans le système veineux. Vous sentez quelles précautions exigent des ex- périences aussi délicates. Si, par exemple, un praticien s'avisait d'injecter dans les veines d'un malade une solution gommeuse , ou un mucilage quelconque, dans le but d'adoucir et de calmer un appareil fébrile intense, il déterminerait immédia- tement la mort par suite de l'obstruction des vais- seaux capillaires. Quand on veut ainsi faire pénétrer directement ( 138 ) des substances dans le sang , il faut bien connaî- tre leur action chimique sur ce liquide. Ainsi vous vous garderez bien d'injecter dans les veines du su- blimé , ou un acide même innocent de sa nature ; car l'albumine du sang serait coagulé et les vais- seaux pulmonaires oblitérés immédiatement. Le mercure lui-même ne peut être utile dans l'écono- mie qu'à la condition qu'il pénétrera par la voie de la porosité ; aussi quand sur un animal on injecte cette substance dans les veines , la mort ar- rive par suite de l'arrêt de la circulation , et à T autopsie on trouve un globule mercuriel oblité- rant chaque petit vaisseau capillaire du poumon. Pourquoi pouvez-vous impunément l'administrer en frictions ou par l'estomac ? Parce que dans ces cas il se réduit en particules assez déliées pour pé- nétrer àtravers les porosités de F épi derme et de la muqueuse intestinale ? On observe même un phéno- mène assez curieux dans ces cas où l'on injecte du mercure dans les veines d'un animal vivant : en effet, le poumon paraît farci d'un nombre prodigieux de tubercules , et quand on les examine avec plus d'attention , on voit que chaque globule pnuïforme renferme à son centre un globule métallique. C'est donc par le dépôt de l'albumine du sang coagulé autour de ce petit corps étranger que se forment des concrétions multiples. Ne serait-il pas possible que ce fût un mécanisme semblable qui détermi- nât chez l'homme la tuberculisation de l'organe pulmonaire ? Quand on donne aux animaux une alimentation trop azotée ^ les accidents qu'on voit se développer ( 139 ) chez eux peuvent s'expliquer en partie par Tëpais- sissement et la viscosité trop grande du sang. Vous entendrez fréquemment cette expression vulgaire : Tel individu est incommodé parce quila le sang trop épais. Eh bien ! une saine physiologie ne re- pousse pas dans tous les cas une semblable ex- plication. Je suis assez porté à supposer que dans ces maladies dites charbonneuses , les abcès qui se développent dépendent en partie de l'obstruction des vaisseaux par suite d'une trop forte viscosité du sang. Nous allons maintenant faire quelques expé- riences afin de compléter l'étude de ces questions importantes. J'injecte dans la «veine jugulaire de ce chien un demi-gros à peu près d'huile d'olive ; examinons ce qui va survenir. L'animal commence à éprouver de l'embarras dans la respiration; sa poitrine se dilate péniblement; il multiplie ses mouvements inspiratoires afin de rendre plus facile le passage du sang à travers les capillaires du poumon. Toutefois sa vie ne paraît point encore compromise. Je vais injecter de nouveau une quantité à peu près égale d'huile. Vous voyez avec quelle rapi- dité les accidents les plus graves éclatent ; l'animal s'agite et se débat; il est renversé sur le côté, la suffocation paraît imminente. Il est mort. Et pourtant l'huile par elle-même est une substance des plus innocentes; chaque jour vous prescrivez des médicaments dissouts dans ce liquide. Aussi remarquez que ces propriétés ne sont si différentes qu'à cause du mode par lequel vous le faites péné- (■140) lier dans l'économie. Introduite dans l'estomac , elle est soumise à un travail spécial avant de passer dans la circulation : portée en masse dans le sang, sa viscosité n'est plus en rapport avec le diamètre des capillaires dont elle détermine l'obstruction. Ouvrons le thorax de l'animal. Le poumon offre toutes les traces de la pneumonie récente; il a perdu sa crépitation, ne s'affaisse pas sur lui-même, et offre une densité et une consistance remar- quables. En incisant son parenchyme, vous voyez ruisseler sous le scalpel une sérosité mousseuse et rougeâtre. Le sang est manifestement plus vis- queux qu'à létaLiiormal. Les cellules pulmonaires sont gorgées d'un liquide épais au milieu duquel vous pouvez encore reconnaître la présence de l'huile. Les membranes muqueuses de l'animal sont pâles et décolorées. L'artère crurale que je viens d'ouvrir ne contient qu'un sang noirâtre qui semble s'être imbibé dans les parois du vaisseau. Cette modification dans la coloration du sang artériel est un phénomène que vous vous expliquez facilement par l'obstacle apporté dans la circulation pulmonaire. Mais il est des circonstances où l'on peut également l'observer, bien que le poumon soit dans ses conditions physiologiques , et que ses vaisseaux capillaires soient librement parcourus par des courants sanguins. J'ai eu plusieurs fois l'occasion d'observer à l'hôpital le fait suivant. Dans les apoplexies plus ou moins rapides qui ont déterminé une forte compression des lobes céré-; braux, le sang artériel n'a plus sa couleur normale. (-441 ) Au lieu d'être spumeux et rutilant , il est terne et noirâtre. Il y a peu de jours encore, je fis ouvrir à l'Hôtel-Dieu l'artère temporale d'une femme qui venait d'être frappée d'une apoplexie grave, et les personnes qui suivent la visite remarquèrent comme moi la singulière coloration du sang qui s^échappait. Je ne m'explique pas le méca- nisme de ce phénomène, car le poumon étant l'or- gane où s'opère, parlecontact del'air, cette grande modification du fluide circulatoire,, comment se rendre compte du rôle joué parle système nerveux? Quoi qu'il en soît, je regarde cette altération de couleur dans le sang de l'homme, comme un symp- tôme des plus alarmants ; et j'ai toujours vu suc- comber les individus chez lesquels je l'avais constatée. Ce n'est pas seulement l'introduction dans le sang de principes étrangers augmentant sa visco- sité qui déterminera les accidents que nous venons de produire sur l'animal vivant. D'autres causes pourront amener les mêmes résultats. Ainsi, qu'une transpiration trop abondante vienne tout d'un coup à soustraire une notable quantité de la sé- rosité du sang, ce liquide ne sera plus assez fluide pour circuler facilement dans les vaisseaux capil- laires. De même aussi le sang d'un animal à glo- bules volumineux ne pourrait convenir à un au- tre animal dont les globules sont plus petits. Si par exemple vous veniez à injecter dans les veines d'un homme du sang d'un reptile _, le défaut de rapport entre le diamètre des capillaires et les liquides qui doivent les parcourir , aurait ( « ) - • pour conséquence inévitable des accidents promp- tement mortels. Ces questions, sous quelque point de vue qu'on les envisage ; sont trop graves pour que nous n'entrions pas à leuf sujet dans de plus am- ples développements. Dans notre prochaine réu- nion, nous passerons encore en revue les principa- les modifications qu'impriment à nos fonctions organiques ces altérations dans la composition chimique du sang. Quelles immenses ressources une étude approfondie de ces phénomènes fourni- rait au médecin jaloux de prendre pour guide une saine théorie plutôt qu'un aveugle et honteux em- pirisme ! QUINZIÈME LEÇON. Messieurs , Tout être vivant exhale et absorbe sans cesse de nouveaux matériaux, et c'est ce double mouve- ment au sein de nos tissus qui établit une limite tranchée entre les corps inertes et les corps orga- nisés. On ne peut concevoir que la vie puisse sub- sister sans cet échange continuel d'éléments de nutrition et de décomposition. Aussi vous savez déjà quel rôle immense le sang, ce fluide destiné à porter dans nos organes les mal et aux réparateurs, joue dans la production des phénomènes morbides ou physiologiques , suivant qu'il est plus ou moins modifié dans ses propriétés physiques. jSa viscosité est -elle augmentée, le parenchyme du poumon devient imperméable par suite de l'obstruction des vaisseaux capillaires. Ce que nous avons produit artificiellement sur l'animal vivant , n'avons-nous pas chaque jour l'occasion de l'observer sur l'homme lui-même? seulement, au lieu d'un en- gorgement subit du parenchyme pulmonaire , les symptômes se développent plus lentement, et ce n'est que par degrés qu'ils acquièrent toute leur inten- sité Les résultats sont analogues, la marche seule ( 444 ) des phénomènes morbides est différente. A mesure que les recherches physiologiques positives seront plus répandues dans le domaine de la science , les esprits s'accoutumeront à envisager sous leur véritable point de vue ces questions fondamen- tales. Combien de médications diverses ont été pro- posées contre ces maladies meurtrières que l'on désigne maintenant sous le nom de fièvres typhoï- des? On a pour ainsi dire épuisé contre elles toutes les ressources thérapeutiques. Tel moyen qui avai£ été vanté comme une sorte de spécifique a été rejeté ensuite comme nuisible ou insignifiant. Aussi pour tout esprit qui est de bonne foi et qui ne. se laisse point influencer par des idées précon- çues, il est bien démontré aujourd'hui que la na- ture intime de ces maladies nous échappe complè- tement. Sans doute les efforts que l'on a faits jusqu'à présent pour soulever le voile qui les dé- robe à nos explications sont louables, bien qu'ils aient été infructueux ; mais croyez-vous qu'on ait suivi une bonne direction ? En présence de ces nombreuses pétéchies . de ces engouements pul- monaires, de ces rougeurs intestinales, en un mot de ces épanchements multiples au sein des paren- chymes ; n'est-on pas porté à supposer que le sang lui-même est profondément altéré? Ce n'est en- core là , il est vrai , qu'une simple hypothèse , mais elle me semble plus satisfaisante pour l'inter- prétation des symptômes que toutes les théories proposées jusqu'à ce jour. Dans le 'traitement des diverses maladies aux- ( 145 ) quelles l'homme est exposé, il est un procédé fort ancien, tour à tour exalté ou proscrit avec enthou- siasme par des esprits exclusifs ; je veux parler des émissions sanguines. Sans doute ce moyen peut être quelquefois utile, témoin l'expérience de plu- sieurs siècles qui témoigne en sa faveur. Mais n'envisageons ici son action que sous le point de vue physiologique. Et bien ! on voit dans l'emploi de cette médication une cause qui modifie directe- ment et matériellement la composition du sang. Multipliez les saignées sur un animal à des inter- valles rapprochés, vous remarquez que l'élément fibrineux diminue de plus en plus, à tel point que le sang extrait le dernier de la veine n'est pres- qu' exclusivement composé que de sérosité. Croyez- vous qu'il ne se passe point chez l'homme quelque chose d'analogue ? S'il est des cas où je regarde les évacuations sanguines comme un moyen utile et indiqué, je ne puis trop m'élever contre ceux qui érigeraient en principe leur administration exclu- sive dans le traitement de toutes les maladies. Qui ne prévoit les conséquences désastreuses qui résul^ teraient de l'abus d'une semblable médication ? J'ai été la semaine dernière témoin d'un événement déplorable qui a produit sur mon esprit la plus vive impression. On me fit appeler en consultation pour un jeune homme dans la vigueur de l'âge , d'une constitu- tion robuste, et qui avait joui jusqu'alors de toute la plénitude de ses fonctions organiques. Se trou- vant à la campagne peu de jours auparavant, il avait été pris d'une fièvre intermittente tierce. Le ( 4# ) médecin que l'on fit venir le premier, crut devoir prescrire une saignée; l'accès ne diminuant pas, une seconde saignée fut pratiquée; enfin le délire ayant apparu,on eutrecours à une troisième saignée. C'est à cette époque que je vis le malade. A cause de la prostration extrême de ses forces et de l'épui- sement où il était jeté , je n'hésitai pas à conseil- ler l'administration du sulfate de quinine, et je dis au médecin que je pensais qu'il fallait s'abs- tenir d'ouvrir de nouveau la veine. Celui-ci sem- bla se ranger à mon avis. Mais ayant trouvé le soir le pouls du malade très-développé, il ut encore une saignée, et les symptômes s'étant aggravés la nuit> il ne craignit point le lendemain de pratiquer une cinquième saignée. Je ne fus pas peu surpris d'apprendre de la famille ce qui s'était passé en mon absence. Le malade était dans un état déplo- rable ; la pâleur de la mort «tait répandue sur son visage naturellement vermeil , sa respiration bruyante et gênée annonçait une grave lésion de l'organe pulmonaire, et bientôt en effet il suc- comba à une douloureuse agonie. Je vis le sang de la dernière saignée ; il conte- nait au moins les 4{5 de sérosité, et le caillot mou et difïluent se laissait facilement écraser sous le doigt. Nous fîmes l'autopsie. Et bien ! tous les princi- paux viscères nous parurent sains , le poumon seul nous offrit les traces d'un engouement des plus tranchés, engouement offrant une analogie frap- pante avec celui que nous déterminons chez les animaux dont nous appauvrissons le sang. N'est- ( •*¥ ) il pas naturel de présumer que c'est l'abus des sai- gnées répétées qui, dans ce cas, a produit ces lé- sions du parenchyme pulmonaire ? Si, à la suite de certaines maladies aiguës, vous voyez si fréquemment survenir des inflammations du poumon et de la plèvre , ne sont-elles pas sou- vent le résultat mécanique des évacuations sangui- nes trop multipliées ? Observez ce qui se passe dans le rhumatisme. Je sais qu'on peut quelquefois, par la saignée, abréger la durée de la maladie , mais il survient dans la suite l'infiltration œdémateuse des membres, de la raideur dans les articulations, et souvent la convalescence est enrayée par l'in- vasion subite de pneumonies ou de pleurésies. Jamais dans mon service je n'ai recours aux émis- sions sanguines pour combattre le rhumatisme, ja- mais aussi je n'ai vu apparaître de ces phlegmasies in» tercurrentes. Il est beaucoup de praticiens , je le sais, qui repousseront une semblable explication; ils trouveront beaucoup plus commode de dire, les uns que c'est le vice , d'autres Y humeur, d'autres enfin le principe rhumatismal qui vient se fixer sur le pou- mon, la plèvre ou le cœur. Sans nier formellement l'intervention de ces agents mystérieux, dont l'exis- tence est au moins contestable, je pense qu'il reste encore à faire d'importantes recherches pour bien éclaircir ces graves questions. Nous ignorons les rap- ports de proportion du sérum et de la fibrine du sang dans ces maladies; aussi qui sait le rôle que des modifications apportées dans les éléments de ce li- quide peuvent jouer pour la production de ce nom- breux cortège de symptômes ? Et d'ailleurs, il n'est ( 148 ) aucun de vous qui ne soit frappé de l'analogie qui existe entre ces phénomènes morbides et les résul- tats que nous obtenons sur l'animal vivant en appauvrissant son sang. Je ne prétends ici blâmer personne -, car toute opinion est respectable quand elle est basée sur des recherches consciencieuses. Mais , quant à ma pratique particulière , jamais je n'emploie la lancette ni les sangsues dans le rhumatisme articulaire aigu; et jamais , je me plais à vous le répéter , je n'ai vu survenir de ces maladies consécutives si fréquentes dans d'autres services. J'ai dit, dans la séance dernière, que souvent la pneumonie avait des causes beaucoup plus éloi- gnées que celles qu'on lui attribuait quelquefois ; mais je suis loin néanmoins de nier l'influence exercée par les variations brusques de tempéra- ture. Bien plus , de tous les agents physiques capa- bles de favoriser le développement de cette maladie, l'impression subite du froid me semble devoir oc- cuper le premier rang. M. Poiseuille a fait à ce sujet des expériences fort curieuses. Il a vu qu'il existe un rapport constant entre la circulation capillaire et le degré de température des courants sanguins. Ainsi , par exemple , si par l'application de la glace vous soumettez à un refroidissement notable une partie quelconque du corps d'un animal vivant, vous ne tardez pas à voir la circulation se ralentir ou même s'arrêter dans les vaisseaux capillaires. Il a de plus noté une particularité fort intéressante: c'est que, dans ces cas, le sang a beaucoup de ten- dance à s'extravaser dans les tissus , et alors se développent ces phénomènes que l'on est convenu ( 449 ) d'appeler inflammation , et qui le plus souvent ne sont qu'une conséquence de l'obstruction des vais- seaux capillaires. Ainsi j'admets volontiers que la pneumonie puisse résulter de l'impression brusque du froid, surtout lorsque la circulation est excitée. Mais dans une foule de circonstances on voit se dé- velopper cette maladie chez des individus qui n'ont point été exposés à ces variations de température, et même qui semblaient placés dans les coaditions hygiéniques les plus favorables. Je ne vous en ci- terai qu'un exemple : l'un de nos savants les plus célèbres fut attaqué, il y a quelque temps, de plu- sieurs pneumonies successives , qui furent combat- tues par de larges saignées; je fus appelé près de lui , et je constatai que le poumon était encore le siège d'un engorgement inflammatoire des plus in- tenses, malgré les abondantes émissions sanguines auxquelles on avait eu recours. Et qu'on ne dise pas que le froid dans cette circonstance pouvait avoir quelqu'influence sur ces nombreuses réci- dives ; le malade savait trop combien il lui impor- tait d'éloigner le moindre courant d'air , le plus lé- ger abaissement ou accroissement de température. Les amis qui l'entouraient, savants eux-mêmes, avaient apporté un soin spécial, et je dirais presque une sorte de luxe, à réunir autour de lui les con- ditions physiques les plus convenables. N'est-il pas plutôt naturel de supposer que cette ténacité des phénomènes morbides se liait à une altération de sang produite par les saignées multipliées? Cette explication me paraît plus plausible et plus en har- m. 10 (150) monie avec les résultats que nous obtenons chaque jour par la voie expérimentale. Le genre d'alimentation exerce une influence incontestable sur la composition du sang, et il peut par suite, en augmentant sa viscosité, ame- ner ces obstructions et ces congestions capillaires. Ce sont là des questions dignes d'arrêter l'atten- tion des physiologistes. Nul doute qu'un régime trop nutritif ne surcharge l'économie de ma- tériaux réparateurs , et ne rende le sang trop épais. Cette dernière expression va peut-être vous choquer comme étant triviale et vulgaire; mais n'est pas sans intention que je l'emploie; car elle traduit fidèlement ma pensée. En effet , il est rare qu'il n'y ait pas quelque chose de vrai dans ces dictons populaires; presque toujours ils ne sont que l'interprétation de faits positifs et bien constatés. Ainsi qu'une femme ait ses règles et que son linge présente des lâches d'un noir foncé à leur centre , tandis que leur circonférence est entourée d'un cercle blanchâtre , n'est-il pas évi- dent qu'ici le sang est altéré dans sa composition ? Faites une saignée; si le liquide qui s'échappe de la veine est épais et comme charbonné , croyez- vous qu'il ait les conditions nécessaires pour répa- rer convenablement les pertes de l'économie ? Ce serait une grave omission de la part d'un médecin de négliger dans les maladies d'examiner les proportions de sérum et de fibrine renfermées dans le sang. Il serait à désirer qu'on pût mesurer sa viscosité comme on mesure la densité de cer- taines liqueurs ; car nous n'avons jusqu'ici , à '( 451 ) cet égard, que des évaluations approximatives. Au reste, c'est par cette augmentation dans la viscosité du sang qu'on peut se rendre compte d'une foule de phénomènes qui sans cela échap- peraient à toute espèce d'explication. M. le professeur Dupuy , qui me fait l'honneur d'assister à mes leçons, a fait l'expérience sui- vante : il a injecté dans les veines dam cheval la suspension aqueuse de la matière cérébrale fraîche et non putréfiée , et il a vu l'animal pé- rir immédiatement. Sans doute ce résultat est fort curieux. Ce serait même un beau champ à exploiter pour un esprit ami du merveilleux. Que de jolies hypothèses pourrait créer une imagina- tion ardente et enthousiaste afin d'expliquer cette action délétère exercée par la pulpe nerveuse morte sur la pulpe nerveuse vivante! Mais M. le profes- seur Dupuy, au lieu de faire intervenir dans ces recherches rien de mystérieux , a fort bien vu que les accidents qui survenaient alors n'étaient qu'une conséquence mécanique d'une augmenta- tion de la viscosité du sang. En effet, les particu- les insolubles de la substance nerveuse sont trop volumineuses pour pouvoir circuler dans les vais- seaux capillaires. Aussi trouve- t-on les poumons gorgés de sang et leur parenchyme rempli de pétéchies, par suite de l'obstruction des canaux sanguins. Or, ce sont bien là des phénomènes de simple porosité, de simple imbibîtion ; car, en ouvrant l'animal immédiatement après sa mort, M. Dupuy a vu se former sous ses yeux ces infil- trations de sang dans le tissu pulmonaire. Il ne peut ( ?52 ) y avoir ici aucun doute. En efïet , c'est en vain que dans ces cas de pneumonie artificielle vous chercheriez à faire pénétrer une injection dans les vaisseaux de l'organe devenus imperméables. Leur cavité, oblitérée par la présence de globules qui ne sont plus en rapport avec la ténuité de leur dia- mètre, offre un obstacle insurmontable au passage du liquide. Ausi le système artériel est-il presque vide, tandis que le système veineux est gorgé outre mesure d'un sang noirâtre. Lors donc que vous avez à traiter une pneumo- nie , la première indication à reniplir est de dés- obstruer les vaisseaux pulmonaires. Âurez-vous recours à la saignée ? Oui , dans ces cas graves où ~» le parenchyme de l'organe est le siège d'une forte congestion , et où la suffocation pourrait être à re- douter. En effet vous diminuez ainsi la viscosité du sang , et par conséquent vous le mettez dans des conditions plus favorables pour qu'il puisse circuler librement. Mais vous vous garderiez bien de prodiguer ces émissions sanguines et de regar- der la lancette comme un moyen toujours héroï- que; car outre l'épuisement dans lequel vous jet- teriez votre malade, vous ne tarderiez point à voir se développer les accidents les plus graves et les plus alarmants. Ainsi donc toute substance capable de modifier les propriétés physiques du sang peut, quand elle vient à passer dans le torrent circulatoire, détermi- ner mécaniquement la mort. Injectez dans les vei- nes d'un animal un acide minéral étendu, quelles en seront les conséquences ? La théorie vous l'indi- ( 153) que avant môme que l'expérience n'ait prononcé. L'albumine du sang coagulé dans les vaisseaux les oblitérera , la circulation sera suspendue, et les organes ne recevant plus le fluide vivifiant, la mort arrivera tout d'abord. Il en est de même du sublimé dont on a fait un si déplorable abus dans le trai- tement des affections syphilitiques; administré à trop forte dose, il détermine tous les symptô- mes de l'empoisonnement , et l'on trouve, à l'ou- verture des individus qui succombent, les vaisseaux oblitérés par l'albumine du sang coagulée. Je vais maintenant injecter dans la veine jugu- laire de ce chien deux onces environ de Témulsion cérébrale sur laquelle M. le professeur Dupuy a déjà expérimenté: A peine elle a été introduite dans le torrent circulatoire, que ses effets se font ressentir. L'animal, vous Favez-vu, est tombé sur le côté ; sa respiration s'accélère , il est en proie à une agitation convulsive , il pousse des cris plain- tifs. Déjà il a cessé de vivre. Comment la présence dans le sang d'une petite quantité de substance nerveuse a-t-elle pu déterminer des accidents aussi terribles et aussi instantanés ? Ouvrons l'animal , les lésions cadavériques nous dévoileront le méca- nisme de cet appareil de symptômes. J'incise l'ar- tère crurale : le sang renfermé dans ce vaisseau est spumeux et écarlate; car telle a été la rapidité de la mort, que la circulation a été brusque- ment suspendue, et que le système artériel n'a point pour ainsi dire eu le temps de se vider. Le poumon nous offre les mêmes altérations que nous avons déjà constatées dans ces cas d'obstruc- ( 154 ) tipn des vaisseaux capillaires; ainsi son parent chyme est vide d'air , et quand on l'incise , on voit ruisseler sous le scalpel un sang noir et visqueux. Voici un autre chien dans les veines duquel j'injecte la moitié d'une petite seringue remplie de sirop de dextrine. Cette substance, vous pouvez déjà le constater , n'agit pas aussi promptement que la précédente ; car déjà quelques minutes se sont écoulées depuis qu'elle a pénétré dans la cir- culation. Or la théorie pouvait nous faire soup- çonner d'avance ces résultats : en effet, le sirop de dextrine malgré sa viscosité est soluble dans l'eau , et l'on conçoit qu'il puisse facilement se dissoudre dans le sérum du sang. Cependant l'animal paraît inquiet, et quand j'applique l'oreille sur ses parois thorachiques, je n'entends que faiblement le mur- mure vésiculaire. Les mouvements respiratoi- res sont évidemment accélérés; et remarquez, je vous prie , comment ils s'effectuent. Les côtes se dilatent; mais , comme le poumon ne peut suivre leur dilatation parce que l'air ne pénètre que dif- ficilement dans son parenchyme, c'est le dia- phragme qui remonte au lieu de s'abaisser. Enfin nous allons terminer cette série d'expé- riences en injectant un gros d'une solution con- centrée de sublimé dans la jugulaire d'un autre chien. Vous n'observez pas non plus des accidents aussi promptement mortels; en effet, il faut un certain temps à cette préparation mercurielle pour coaguler j albumine du saiig. Au milieu de ces nombreux symptômes que nous avons constatés dans nos diverses expériences ; il en est un sur- ( '155 ) tout sur lequel je désire fixer votre attention ; je veux parler de ces efforts multipliés de vomisse- ment qu'exécute l'animal. Je crois être le premier qui ai constaté ce singulier phénomène. iN'est-ce pas en effet une chose bien remarquable qu'une substance qui, introduite dans l'estomac, provoque le vomissement, détermine des effets analogues quand elle est portée directement dans le torrent circulatoire? Du reste, l'animal soumis à notre expérience ne va pas tarder à succomber aux acci- dents produits par la présence du sublimé dans les courants sanguins. Nous vous rendrons compte dans la prochaine séance des lésions que l'examen anatomique de ses principaux organes nous per- mettra de constater,, Arrêtons-nous pour aujourd'hui, et terminons par cette réflexion d'une haute importance pra- tique. Tout médecin clinique qui n'a point constam- ment présent à la pensée l'immense influence qu'exercent sur les fonctions organiques les qua- lités physiques et chimiques du sang , et qui, bien loin de là, n'en tient aucun compte , quel que soit d'ailleurs son savoir P son talent, son zèle, s'ef- force en vain de faire marcher la science; ses tra- vaux sont frappés de stérilité , ou du moins ils restent à son insu dans ledomainé\le l'empirisme . SEIZIÈME LEÇON. Messieurs ? Noos avons consacré la séance dernière à vous montrer l'influence exercée sur la circulation ca- pillaire par les modifications que peut éprouver le sang dans sa viscosité. Ces résultats sont cons- tants, et je ne pense pas qu'il puisse rester dans vos esprits le moindre doute sur le mécanisme de leur production. Si j'avais eu à ma disposition les instruments nécessaires , vous auriez pu suivre des yeux les différentes phases de l'expérience. C'est ainsi qu'en mettant à nu une artère mésenté- rique d'une grenouille , et en injectant dans sa cavité une liqueur visqueuse, on voit par l'inspec- tion microscopique cette liqueur s'arrêter dans le vaisseau , un engorgement sanguin s'y former, et tous les phénomènes de l'obstruction se dévelop- per d'une manière consécutive. Vous vous rappelez le chien dans les veines du- quel nous avions injecté une solution concentrée de sublimé. L'animal , ainsi que je l'avais prévu, a succombé dans le courant de la journée. Nous ( 4'57 ) allons probablement retrouver les mêmes altéra- tions cadavériques que nous avons déjà eu l'occa- sion de vous signaler précédemment. . Les poumons ne forment qu'un tissu dense et compacte; ils ont perdu une partie de leur élasticité, ils sont gorgés d'un sang noirâtre. Les cavités droites du cœur sont distendues par des caillots fibrineux; leur membrane interne est fortement colorée en noir. Quant aux cavités gauches, elles sont affaissées sur elles-mêmes et à peu près vides. Quelles altérations devons-nous rencontrer dans le canal intestinal ? Vous savez que chez les in- dividus qui ont succombé à l'empoisonnement par le sublimé corrosif, on trouve de larges plaques d'un rouge livide disséminées dans toute la longueur du tube digestif. Elles sont produites par l'extra- vasion du sang dans le tissu cellulaire sous-mu- queux par suile de l'obstruction des vaisseaux qui rampent dans l'épaisseur des parois de l'intes- tin. Cependant nous ne trouvons point ici -d'alté- ration bien appréciable; la face interne du conduit digestif conserve à peu près sa couleur rosée ordi- naire. A quoi cela peut-il tenir? A ce que l'animal était en train de digérer quand nous avons fait no- tre expérience; or la présence de la matière chy- meuse a garanti en partie l'intestin de l'action de la substance vénéneuse. L'estomac seulement est un peu plus rouge que dans l'état normal , et sa membrane interne est notablement ramollie par suite de l'action chimique du suc gastrique. Cette dernière substance en effet dissout les parois de l'estomac après la mort, de la même manière que ( l58 ) pendant la vie, elle dissout les substances ali- mentaires. C'est Hunter qui le premier a appelé l'attention des physiologistes sur ce ramollisse- ment cadavérique qui peut aller jusqu'à la perfo- ration , et dernièrement M. Carswell a publié un mémoire fort intéressant sur ce même sujet. Je vais revenir aujourd'hui sur cette injection de matière cérébrale que nous avons faite dans notre dernière réunion. Telle est en effet la rapidité avec laquelle l'animal a succombé , que j'ai pensé qu'outre l'action physique déterminant l'oblitéra- tion des vaisseaux sanguins , il ne serait pas im- possible que cette substance eût en outre des propriétés délétères. Ceci n'est qu'un soupçon que nous pouvons du reste facilement éclaircir. Voici quelle est la marche que je compte suivre pour arriver à un résultat positif. Pour s'assurer qu'une substance est nuisible autrement que par sa viscosité, il fiut, avant de la faire pénétrer dans l'économie , la réduire en particules tellement déliées qu'elles puissent cir- culer librement dans les vaisseaux les plus ténus. Or il existe en nous des appareils chargés de cette espèce de lamisation. Vous pouvez introduire im- punément dans votre estomac des liqueurs hui- leuses parce que , avant de passer dans le système chyleux, elles sont soumises à une élaboration particulière qui les divise et subdivise à l'infini. Qu'est-ce qu'un ganglion lymphatique? Ce n'est que l'entrelacement d'une multitude de petits vais- seaux, dont le diamètre est tellement étroit qu'il ( 159 ) ne peut recevoir que des globules extrêmement petits. Mais il est un système veineux spécial qui nous offre les conditions les plus favorables pour notre expérience; je veux parler de la veine porte. En effet, le sang qui circule dans ce vaisseau ne peut arriver dans les cavités droites du cœur qu'à la condition qu'il aura préalablement traversé le pa- renchyme du foie , organe éminemment propre à tamiser les substances déversées dans son tissu. Je crois inutile de vous rappeler la disposition du sys- tème veineux abdominal. Les boissons et autres matériaux nutritifs absorbés à la surface de l'intes- tin sont charriés par des vaisseaux qui ne tardent pas à se réunir en un tronc commun , le tronc delà veine porte; ce tronc lui-même se divise et se subdivise en pénétrant dans le. foie, enfin de la réunion de ses ramifications capillaires dans le parenchyme de cette glande résultent les vei- nes sushépatiques qui s'ouvrent directement dans la veine cave inférieure. Si donc on injecte dans une branche de la veine porte une substance délé- tère seulement par sa viscosité, il ne devra point en résulter d'accidents notables ; en effet , cette substance, avant d'arriver au poumon, aura été suffisamment divisée dans les vaisseaux capillaires du foie. Si au contraire elle est vénéneuse de sa propre nature, si son action est physiologique et non plus mécanique, vous devrez voir se mani- fester tous les symptômes de l'empoisonnement aussitôt qu'elle aura passé dans le torrent de la circulation. Faisons maintenant l'expérience sur un chien, ( 160 ) Je mets à nu une anse intestinale , et j "introduits dans une des branches de la veine porte la ca- nule d'une seringue d'Anel, remplie de la même émulsion cérébrale dont nous nous sommes servis dans la dernière séance. Je pousse maintenant l'injection. Il faut avoir soin d'appliquer une liga- ture au-dessus de l'ouverture faite au vaisseau afin de prévenir la sortie de la liqueur , et son épanchement dans la cavité abdominale. Je réduis maintenant l'intestin. Vous voyez déjà que la substance n'est point délétère de sa nature; car l'animal ne paraît rien éprouver encore , bien qu'elle soit déjà passée dans la circulation. Ainsi les scrupules que j'avais sur l'explication mécanique que je vous avais donnée du phénomène ne sont poinl fondés. 11 est donc bien plus probable que l'émulsion cérébrale injectée dans la veine jugulaire n'agit qu'en déterminant l'obstruction des vaisseaux capillaires du poumon. Voilà une première preuve. Maintenant je voudrais poursuivre cette expé- rience , et voir ce qui arriverait en injectant cette substance directement vers le cerveau. Vous sa* vez, en effet, combien sont rapides les symptômes d'empoisonnement que développe un agent véné- neux , par son contact avec la pulpe nerveuse. Si donc nous n'avons que des effets produits par l'obs- truction des vaisseaux capillaires et du cerveau, il sera bien évident pour nous que l'émulsion céré- brale est fort innocente de sa nature, etqu'elle n'agit que comme obstacle mécanique-à la circulation. Le même chien va nous servir à cette seconde expérience. ( 161 ) Je mets à découvert l'artère carotide , et je l'em- brasse dans une anse de fil. Vous avez pu remarquer avec quelle facilité nous sommes ar- rivés sur le vaisseau , puisqu'un seul coup de bistouri nous a suffi. Mais outre l'habitude que vingt années d'expérience ont pu nous donner dans ce genre d'opération , je vous ferai remar- quer à cette occasion, que les chiens sont dans des conditions très favorables pour la ligature de la carotide primitive. Il n'y a chez eux qu'un vestige de veine jugulaire interne; aussi, vous ne voyez accollée à l'artère qu'une petite veinule, dont la lé- sion ne pourrait être suivie d'une hémorrhagie grave. La veine jugulaire externe, au contraire, est très volumineuse ; mais sa position superficielle fait qu'on peut aisément Péviter. Chez l'homme, il n'en est pas de même. La veine jugulaire interne , beaucoup plus volumineuse que la caro- tide , à laquelle elle est intimement accollée, se ronfle incessamment sous l'influence des mou- vements respiratoires , et elle se précipite au-de- vant de l'instrument. Aussi l'opérateur est-il obligé de procéder avec beaucoup de circonspection, de peur de l'intéresser ; car sa lésion amènerait une hémorrhagie probablement mortelle. Il est prudent de se servir., pour isoler l'artère , du doigt ou d'ins- truments mousses. 11 faut prendre garde aussi de blesser le nerf pneumo-gastrique, situé entre l'ar- tère -et la veine , sur un plan postérieur , et placé dans la même gaine celluleuse que ces deux vais- seaux. Je pousse maintenant l'injection. A peine la li- ( m ) - queur est parvenue au cerveau, que vous voyez l'animal se débattre violemment; il paraît en proie à une anxiété extrême; il se roule sur lui- même, en inclinant fortement la tête du côté ou le liquide a été injecté. Et, chose assez remar- quable , l'œil du même côté est convulsé en haut; il est aussi agité d'un tremblement particulier^ qui donne à la figure de l'animal une expression singulière. Ces symptômes me paraissent appartenir plutôt à une obstruction mécanique des vaisseaux capil- laires du cerveau, qu'à un empoisonnement véri- table; ce qui , du reste ^ est parfaitement d'accord avec les résultats que nous avons obtenus précé- demment. Nous allons faire une dernière expérience sur du charbon animal , tamisé et porphyrisé. Cette substance a été réduite en globules , d'une ténuité telle , que je ne serais pas surpris qu'ils fussent moins volumineux que ceux du sang. On est obligé de se servir d'eau légèrement gommeuse pour tenir en suspension cette poussière charbon- neuse; car si on faisait usage d'eau commune T elle se précipiterait aussitôt au fond du vase. Je mets à nu la veine jugulaire. Comme cet ani- mal nous avait déjà servi il y a quelque temps pour une autre expérience , vous voyez que le vaisseau est oblitéré au-dessus du point où existe sa pre- mière valvule, et il ne reste , par conséquent , de perméable que la portion dans laquelle le sang pouvait refluer pendant la respiration. J'injecte plein ma seringue de la liqueur. Laissons s'écouler ( 163 ) quelques instants, afin que la substance ait le temps d'agir. Eh bien ï l'animal paraît assez tran- quille; seulement, ses mouvements inspiratoires sont un peu accélérés. J'injecte une nouvelle se- ringue. Oh ! ici les accidents les plus graves écla- tent ; l'animal s'agite et pousse des cris. Il a déjà succombé. Je suis néanmoins porté à supposer que la mort ,. dans ce cas , a plutôt été déterminée par la quantité du liquide injecté, que par la nature même de ce liquide. En effet, telle est la ténuité microscopique des molécules de charbon , qu'il me semble qu'elles ont pu circuler dans les vais- seaux capillaires. Ouvrons maintenant l'animal. Tous les tissus, vous le voyez , offrent une coloration noire mani- feste. On distingue cette même coloration à travers la membrane muqueuse qui tapisse les gencives et les voies aériennes. Les vaisseaux de l'intestin et du mésentère se dessinent par des lignes noirâtres, qui serpentent dans diverses directions. Enfin , le tissu pulmonaire offre une teinte bronzée mani- feste. Vous trouverez peut-être que j'ai un peu trop multiplié ces expériences ; mais telle est l'impor- tance que j'attache à ce mode d'éludé, qu'il me semble que c'est le seul qui puisse laisser dans vos esprits des impressions nettes et durables. Sans doute l'anatomie est une science de la plus haute importance ; il est impossible sans elle de s'expli- quer le mécanisme de nos fonctions organiques. Mais pourquoi fait -on si peu d'expériences phy- siologiques? quand on suit avec tant de patience ( 164 ) le moindre filament nerveux, quand on scrute avec tant de soin le plus minime détail de structure, pourquoi négliger un mode de recherches si fécond en résultats utiles pour la connaissance et le trai- tement des diverses maladies! Est-ce donc uniquement pour connaître jusque dans ses plus minutieuses particularités Fanato- mie du cadavre, que l'on se donne tant de labeur? Pour tout esprit .droit l'anatomie n'est et ne doit être qu'un moyen d'arriver aux connaissances phy- siologiques 9 qui seules mettent en lumière le jeu réciproque des organes et des fluides dont la réu- nion merveilleuse compose l'être vivant. DIX-SEPTIÈME LEÇON. Messieurs , Toutes les fois qu'un corps change de forme sous l'influence dune cause mécanique, et qu'il re- prend sa forme primitive quand cette cause a cessé d'agir, ce corps est un corps élastique. On peut dire , en règle générale, que l'élasticité est une propriété commune à tous les corps solides , liqui- des ou gazeux. Comprimez un cylindre de bois par ses deux extrémités, il se raccourcit; cessez la compression, il reprend aussitôt sa longueur. Sou- mettez une colonne d'eau à une forte pression , elle s'abaisse ; cessez de la comprimer , elle re- prend son niveau, Enfin , les gaz et les vapeurs jouissent de propriétés élastiques , à un degré tel, qu'on les désigne fréquemment sous le nom de fluides élastiques. Ainsi , nous posons en prin- cipe, qu'il n'est aucun corps dans la nature qui ne soit élastique; les liquides eux-mêmes n'échap- pent pas à cette loi , ainsi que des expériences nombreuses l'ont rigoureusement démontré. On admet en physique trois espèces d'élasticité : 1 ° élasticité de compression , c'est celle dont nous venons de vous entretenir ; 2° élasticité de trac- m. 11 ; ( 166 ) iion. Si , par exemple , vous tirez une tige solide dans le sens de son axe, elle s'allonge par suite de l'ëcartement de ses molécules ; mais elle re- prend ses dimensions primitives quand les trac- tions cessent ; 3° élasticité de torsion. Vous savez tous qu'un fil de métal peut être tordu sur lui- même , et qu'il reprend sa position première aus- sitôt que l'effort cesse d'agir. Il y â un autre fait qui prouve aussi l'élasticité des corps : c'est la possibilité qu'ils ont de pro- duire ou de transmettre le son. Que deux sphères, mues en sens inverse, viennent à se heurter, le choc détermine des oscillations dans leurs molé- cules; un bruit en résulte; donc, elles sont élas- tiques. Tout corps, je le répète, susceptible d'en- trer en vibration, est un corps élastique. Ce que je dis ici des substances inertes s'ap- plique également aux tissus vivants. Ainsi il n'est pas douteux que les différents organes qui entrent, dans la composition de l'économie ne soient doués de l'élasticité. Comment voudriez-vous arriver à l'explication exacte de diverses fonctions , et sur- tout de certains bruits normaux ou anormaux, sans une connaissance approfondie de cette importante propriété? L'auscultation elle-même, ce moyen si précieux de diagnostic , ne repose-t-elle pas tout entière sur le développement de vibrations sonores au sein des organes, et leur transmission à travers des parois élastiques ? Il me serait facile de mul- tiplier les exemples. Aussi, je ne crains .pas de le dire : il y a tel phénomène de la vie qui est pres- que tout entier sous la dépendance de l'élasticité , ( -167 } et dont la perfection vitale repose tout entière sur cette propriété physique. N'est-ce pas à l'état peu avancé des études phy- siques du temps de Bichat qu'il faut rapporter ces graves erreurs dans lesquelles ce grand physiolo- giste est plusieurs fois tombé ? Privé des connais- sances qui sont maintenant du domaine de la science , il n'est pas étonnant que son génie ait pu se laisser ainsi égarer. Ainsi Bichat vous parle de la contractilitê et de Y extensibilité de tissu. Et bien ! ce qu'il regarde comme des propriétés spé- ciales n'est autre chose que l'élasticité. En effet, prenez une artère et tiraillez-la , elle s'allonge en raison de son extensibilité; cessez de la tirailler , elle? se raccourcitenraisondesa contractilitê. .Prenez un morceau de gomme élastique au lieu du tissu ar- tériel, vous obtiendrez des phénomènes parfaitement identiques. Pourquoi donc imposer des dénomina- tions différentes à une même propriété? Pourquoi ce que vous appelez élasticité dans la gomme devien- dra-t-il extensibilité et contractilitê dans une ar- tère ? Aussi je rejetterai ces expressions comme essentiellement vicieuses 9 puisqu'elles tendent à faire supposer qu'il y a quelque différence dans un phénomène qui n'appartient qu'à une même propriété , Y élasticité. Si vous venez à passer en revue tous les tissus de l'économie animale , vous voyez qu'ils jouissent de l'élasticité , souvent même à un degré supé- rieur aux corps inertes.* Cette propriété pour être mise en jeu n'a pas besoin d'un mode d'excitation spéciale : toutes les causes mécaniques peuvent à ( 168 )' chaque instant la développer de la manière lapins manifeste. N'est-ce pas en raison de leur élasticité que les cartilages costaux se laissent courber, puis se redressent , et concourent ainsi à la grande fonction de la respiration? que se passe-t-il en effet dans le mécanisme de l'ampliation et du res- serrement du thorax? Au moment de l'inspira- tion ? les côtes s'élèvent, et les cartilages obéissent par torsion ; dans l'expiration .suivante , ils re- prennent leur direction normale. 11 est d'autres circonstances où leur élasticité par pression est mise en jeu. Qu'un homme s'appuie la poitrine sur un corps résistant ; la portion d'arc que re- présente le cartilage costal se redresse; mais elle redevient courbe aussitôt que la cause mécanique a cessé d'agir sur elle. C'est surtout pour les surfaces continues, sou- mises habituellement à une pression énergique , qu'il est îàcile de se rendre compte du rôle impor- tant joué par cette élasticité. Voyez ce qui se passe dans l'articulation du genou. Le fémur , chargé de transmettre au tibia le poids énorme du corps et des fardeaux que celui-ci peut supporter, finirait à la longue par s'user et se détruire , si son pro- pre tissu était en rapport immédiat avec le tissu de l'os sur lequel il repose. Par quel artifice la nature a-t-elie su prévenir ces fâcheux résultats? Elle a revêtu chaque surface articulaire dune couche cartilagineuse et même elle a placé dans leur intervalle des disques de même nature , afin que, par leur élasticité, ces substances venant à céder , réagissent ensuite contre les pressions et les frotte- ( m ) ments répétés auxquels l'articulation est soumise. C'est pour parvenir au même but que dans les compartiments de certaines machines on place des rondelles élastiques. Ce serait une étude des plus curieuses que de passer en revue toutes les fonctions de l'économie animale; vous verriez quel rôle important l'élas- ticité joue dans les divers organes. Prenez n'im- porte quel tissu.' Voici un estomac, une vessie, une portion d'intestin que j'ai distendus par de l'air; ils cèdent quand mon doigt les comprime en un point , mais ils reprennent leur forme en vertu de leur souplesse élastique dès l'instant que la pression^ disparaît. Vous connaissez tous ces bruits particuliers qui se produisent parfois dans l'intestin, et qu'on, appelle borborygmes; ce n'est autre chose qu'un son résultant du déplacement de liquides et de g aans un canal à parois élas- tiques. Le poumon, ainsi que nous vous l'avons déjà dé- montré, ne remplit complètement ses fonctions qu'à la condition qu'il conserve toute son élasticité. De- vient-il emphysémateux , le mécanisme de la res- piration ne s'accomplit plus que d'une manière imparfaite. En effet , par suite de la rupture d'un certain nombre de cellules ? et de la dilatation d'un certain nombre d'autres , le tissu de l'organe a perdu de son élasticité , et il ne réagit plus avec une énergie suffisante sur l'air qui a pénétré dans son parenchyme. De là, ces nombreux râles, ces modifications variées du bruit respiratoire que perçoit l'oreille appliquée sur les parois thoraci- ( -170 ) ques. Vous connaissez tous cette maladie des che- vaux qu'on appelle la pousse. L'animal qui en est atteint inspire facilement , mais il ne peut , mal- pré les puissants efforts de ses contractions mus- culaires , chasser l'air qui a pénétré dans sa poiîrine. J'ai recherché , avec M. le professeur Dupuy, quelle pouvait être la cause de cette gêne dans la respiration, et je me suis assuré qu'elle dépendait du défaut d'élasticité du poumon devenu en grande partie emphysémateux. En effet , quand on ouvre le thorax d'un cheval poussif, cet organe ne s'affaisse pas sur lui-même, mais il reste dis- tendu par les gaz renfermés dans son tissu raréfié. De même aussi chez l'homme _, l'œdème du pou- mon est accompagné d'une dyspnée notable, car dans ce cas la partie séreuse du sang épanché dans son parenchyme empêche que l'élasticité de l'or- gane ne s'exerce librement. Tous les tissus fibreux de l'économie sont élasti- ques , et cette propriété se manifeste de la manière la plus tranchée. Faites mouvoir une articulation, les ligaments tour-à-tour s'allongent et reprennent leur longueur première. C'est surtout dans les organes de la génération que vous trouvez que le système fibreux est doué de propriétés éminem- ment élastiques. Que se passe-t-il dans l'érection ? Le pénis gonflé et distendu en tous sens par le sang emprisonné dans ses aréoles, reprend son volume et ses dimensions normales aussitôt que ce liquide cesse d'y séjourner. Ces alternatives de resserrement et de dilatation n'indiquent- elles pas l'élasticité du tissu fibreux? Il faut être étranger ( 17-1 ) à ces faits, pourtant assez vulgaires, pour nier que ce tissu ne jouisse à un haut degré de cette pro- priété. Nous avons vu déjà que les artères sont élas- tiques dans le sens de leur diamètre transversal et de leur diamètre longitudinal ; il y a même une de leurs tuniques qui est douée de cette propriété, d'une manière si tranchée, que quelques anato- mistes lui avaient attribué la faculté de se con- tracter à la manière de la fibre musculaire. C'est là une erreur des plus grossières. Je sais que, chez certains reptiles \ il existe à la naissance de l'aorte un tissu éminemment contractile ; mais chez Thomme on n'observe rien de semblable. Lors même qu'une semblable disposition anatomique serait constatée pour le tissu artériel, le mécanisme de la circulation ne» serait pas sensiblement modifié. Les veines sont aussi remarquables par leur élasticité; c'est à cette propriété qu'elles doivent la facilité avec laquelle leurs parois se resserrent sur la colonne de sang qui les a distendues. Le rôle joué par l'élasticité dans le grand acte de la circulation est trop important pour que je ne m'y arrête pas un instant. Le cœur, organe central qu'on peut comparer à une pompe hydraulique , a pour objet de pousser continuellement, mais par moments alternatifs, du sang dans un système de tuyaux qui va suc- cessivement en se subdivisant, et qu'on appelle artères. Celles - ci se réduisent en canaux extrê- mement déliés, ce sont les vaisseaux capillai- res, pour aller s'aboucher dans un autre système ( 172 ) " de tuyaux , les veines , qui ramènent le sang de la périphérie au centre commun d'où il est parti ; tel est en grand le phénomène de la circulation. On conçoit très-bien que la contraction du ven- tricule gauche soit assez énergique pour lancer le liquide dans le système artérel ; mais son action retentit-elle jusque dans les vaisseaux capillaires et veineux ? Ce problème doit être aujourd'hui résolu par l'affirmative. Les expériences nombreuses que nous avons faites à ce sujet sont trop concluantes pour qu'il puisse rester dans les esprits le moindre doute. Un premier phénomène est celui-ci : Le cœur , chaque fois qu'il se contracte 9 pousse dans le svstème artériel une ondée de sang. Et comme chaque contraction est alternative , il en résulte que le liquide doit être projeté par un jet sacca- dé. Cette conséquence est rigoureuse; voyez pour- tant ce qui se passe dans les vaisseaux où il cir- cule. Si vous ouvrez une artère près du cœur, le sang s'échappe par saccades; si le vaisseau est loin du cœur, le jet est uniforme et continu; si enfin on ouvre une de ces petites ramifications artérielles qui constituent le réseau capillaire, le sang se ré- pand uniformément et en nappes. Comment se fait-il qu'une pression alternative , comme celle de la contraction du ventricule, puisse à la fin pro- duire un écoulement continu? Ce problème, qui a tant exercé la sagacité des physiologistes , a plu- sieurs fois été résolu en mécanique. Dans bien des circonstances on a voulu transformer en mouve- ment uniforme un courant liquide mu par ( 173 ) une force alternative; qu'a-t-on fait pour cela? On a adapté à la machine hydraulique un ré- servoir rempli d'air. Vous concevez alors com- ment ce réservoir élastique comprimé, au mo- ment où l'agent d'impulsion est mis enjeu , réagit quand celui-ci cesse son action , et empêche ainsi le mouvement du liquide d'être interrompu. C'est encore d'après ces propriétés d'élasticité qu'on a construit ce petit instrument que je place sous vos yeux , et qui est destiné à remplacer la seringue ordinaire. Ce n'est, vous le voyez, qu'une petite machine hydraulique. Mais comme le jeu du pis- ton destiné à pousser le liquide n'aurait imprimé au courant qu'un mouvement alternatif, on a imaginé, afin de rendre le jet continu, d'adapter au pied de l'instrument un réservoir rempli d'air. Ce fluide, par son élasticité, réagit sur le tuyau conducteur, et transforme ainsi en un courant régulièrement uniforme, l'impulsion saccadée que le piston communique au liquide injecté dans le rectum. * Dans le cœur, avons-nous dit, il y a deux temps importants à bien apprécier : d'abord impulsion du , sang coincidant avec la systole du ventricule , puis moment de repos coincidant avec la diastole de ce même ventricule. Et pourtant, malgré ces alternations , le courant sanguin est continu et n'offre pas ces intermittences successives. Par quel procédé la nature parvient-elle à ce résultat remarquable ? Par l'élasticité des parois des vais- seaux artériels. C'est moi, si je ne m'abuse, qui, le premier, ai insisté sur cette explication toute me- ( m ) canique, la seule qui rende un compte exact de ce singulier phénomène. En effet, Fondée de sang que projette le ventricule dans l'aorte se fait sen- tir dans toutes les artères dont elle distend les pa- rois; l'impulsion cesse, mais le courant sanguin n'est point pour cela interrompu, car ces parois reviennent sur elles-mêmes en vertu de leurs pro- priétés élastiques , et exercent sur ce liquide une compression énergique. M. Poiseuiîle a fait récemment des expériences fort curieuses sur ce sujet. Il a pris un vaisseau capillaire dans le mésentère d'une souris, et ar- mant son œil d'une forte loupe, il a pu suivre parfaitement les globules marchant dans l'inté- rieur de l'artère sous l'influence de l'action du cœur. Venait-il à suspendre cette action en obli- térant la cavité du petit vaisseau par la compres- sion exercée sur ces parois avec un morceau de métal, bien qu'il ne vînt plus de sang du côté du cœur, la circulation n'était pas interrompue. Voici alors ce qu'il a pu constater. Les globules renfermés dans l'intérieur de l'artère continuaient leur marche , par suite du resserrement des pa- rois du vaisseau. Mais ce resserrement dépend-il d'une contraction active? Non assurément, il n'est que le résultat d'une simple propriété phy- sique. C'est parce que le tissu artériel a été préa- lablement distendu par l'influence du cœur que , quand celui-ci cesse d'agir, ce vaisseau revient sur lui-même en vertu de son élasticité, jusqu'à ce qu'il ait repris son diamètre normal. Ainsi l'in- fluence exercée sur les courants sanguins par la ( > T5 ) réaction des capillaires n'est qu'une conséquence de l'impulsion première , imprimée par l'organe central de la circulation à tout le système artériel. il résulte de là que dans certaines circonstances les globules pourront suivre une marche rétro- grade. Faites une ouverture au vaisseau, et interceptez par une ligature le courant sanguin lancé par le cœur. Les parois élastiques de l'artère venant à se rétracter , une partie des globules pourra continuer son chemin vers les capillaires , une autre s'échapper par l'ouverture que vous aurez pratiquée, une autre enfin après plusieurs oscil- lations resteradans le vaisseau, car la cavité de celui-* ci n'est point complètement effacée. Ses parois, il est vrai, en se rapprochant diminuent notablement son diamètre, mais elles s'arrêtent aussitôt qu'elles ont atteint les limites de leur force rétractile. La plupart des observateurs ont bien reconnu ces mouvements globulaires dans l'intérieur des vaisseaux, mais ils ont rattaché à des contractions vitales ce qui n'est qu'un effet de l'élasticité. Eh bien! c'est là une erreur jTautant plus préjudi- ciable aux progrès de la science, qu'el e a été et qu'elle est encore professée par des hommes dont on ne peut contester le mérite. Or, vous savez qu'on n'est que trop porté à admettre sans exa- men une assertion quelconque, pourvu qu'elle soit à l'abri d'un grand nom ou d'autorités impo- santes et respectables. Si l'on suppose, ce qui arrive quelquefois , que le système artériel devient non élastique, soit par le dépôt dans son tissu de concrétions calcaires , (-176 ) soit par une autre cause physique , vous avez un tout autre mécanisme de la circulation du sang. Ouvrez une artère ainsi altérée, vous ne ver- rez plus le liquide s'échapper par un mouve- ment continu, mais il sortira en jets saccadés isochrones aux contractions ventriculaires. N'est-ce pas aussi à ces modifications du cours du sang dans des vaisseaux ossifiés qu'il faut attribuer chez le vieillard cette décrépitude, cette atrophie des tissus et ces troubles nombreux de toutes les fonc- tions organiques? L'histoire de l'élasticité des artères ne consiste pas seulement à étudier l'influence de ces tuyaux sur le cours du sang et sur la transformation du mouvement saccadé en un mouvement uniforme; il se passe encore dans ces vaisseaux des phé- nomènes fort curieux. Mettez à découvert sur un animal vivant une artère dans une certaine éten- due, et liez-la en deux points différents. Le cylin- dre compris entre les deux fils est distendu par Je sang; y faites-vous une piqûre avec la pointe d'une lancette , à l'instant vous voyez s'échapper un jet de liquide , et le vaisseau se vider en partie. Cette expérience ne vous montre-t-elle pas jusqu'à quel point le tissu artériel est élastique, et avec quelle force il revient sur lui-même ? Mais on observe un autre phénomène dans ces artères , phénomène que Béclard a considéré comme prouvant dans ces vaisseaux une puissance contractile qui ne serait pas l'élasticité. Voici en effet ce qui se passe quand on intercepte le cours du sang dans une artère au moyen d'une ligature. ( 177 ) D'abord le vaisseau reprend ses dimensions nor- males , et il perd ainsi un quart ou un cinquième de son diamètre ; mais bientôt il se rétrécit de nouveau; plus tard enfin son calibre intérieur s'ef- face , et il ne représente plus qu'un cordon fibreux sans cavité. Béclard reconnaissait bien que les artères étaient élastiques pour servir à la circulation; mais, disait-il, une fois que le vais- seau est vide et que son élasticité est épuisée, il continue à se resserrer, donc le tissu artériel jouit d'une propriété contractile spéciale. Pour moi, je suis loin d'adopter une semblable explication. Ne doit-on pas plutôt admettre qu'une artère finit par s'oblitérer par le seul fait de la cessation de la circulation dans sa cavité. Qu'arrive-t-il en effet quand ce vaisseau est parcouru par un courant sanguin? Une partie des éléments de ce liquide s'imbibe dans ses parois , témoin ces nombreuses modifications de coloration que nous présente la face interne des artères , suivant que le sang qui les parcourt a été mélangé à des substances diver- sement nuancées. Vous venez à suspendre la cir- culation : les aréoles du tissu artériel n'étant plus alors abreuvées par le liquide accoutumé , les pa- rois du vaisseau se raccourcissent par une sorte de dessèchement , et sa cavité finit par s'effacer. Je m'explique mieux , je le répète , le mécanisme de ce phénomène par l'élasticité que par l'interven- tion d'une contraction vitale. Toutefois,, ne soyez pas surpris de voir reproduites dans les ouvrages les plus modernes ces interprétations subtiles ou erronées ; il faut de longues années avant ( 478 ) qu'une vérité n'ait définitivement droit de domi- cile dans la science. Ne sommes-nous pas encore chaque jour réduits à combattre des erreurs de Galien ? DIX-HUITIÈME LEÇON. ■ Messieurs, La connaissance des propriétés élastiques des divers tissus est d'une haute importance pour les explications physiologiques, mais elle peut aussi fournir des indications pratiques bien précieuses pour la manœuvre chirurgicale. Faites-vous à îa peau une simple incision , il faut que vous sachiez d'avance que par suite de l'élasticité dont elle jouit, celte peau se rétractera , et que les lèvres de la solution de continuité se trouveront ainsi écartées. C'est surtout pour l'amputation circulaire des membres qu'il importe de connaître d'une manière exacte comment se comporteront les tissus incisés. Examinez en effet la surface des moignons ; vous voyez qu'elle est inégale , qu'elle offre des saillies dans certains points , des enfoncements dans d'au- tres. A quoi peut tenir cette disposition ? Evidem- ment au degré différent d'élasticité dont jouissent les parties dont vous avez fait la section. Ainsi la couche musculaire superficielle se rétracte davan- tage que la couche profonde; les nerfs se voient avec facilité^ tandis que les artères sont retirées dans les chairs; les tendons, les aponévroses sont ( 180 ) situés sur un plan inégal. Enfin, l'os forme une saillie considérable au centre du moignon. Com- ment pourriez-vous corriger les inconvénients graves qui résulteraient d'une semblable disposi- tion si vous ignoriez le degré d'élasticité propre à chaque tissu ? L'élasticité représente, dans F économie-animale, ces ressorts dont on fait un si grand usage dans les mécaniques. C'est ainsi que les tissus sont dis- posés de manière à jouir d'une souplesse telle que, cédant sans se rompre à une force puissante , ils réagissent graduellement sur elle jusqu'à ce qu'ils aient repris leur direction normale. C'est surtout dans les fonctions de la vie sen- soriale que cette propriété joue un rôle fort im- portant. Si nous prenons pour exemple la forma- tion de la voix , vous voyez que tous les agents organiques qui concourent à sa production n'agis- sent que par leur élasticité. Si la glotte du cadavre diffère de celle de l'homme vivant pour la faculté de former des sons , c'est qu'elle est moins élasti- que. L'appareil musculaire ne pouvant pas alors se contracter, le tuyau vocal n'a plus une égale tension et il est moins susceptible d'entrer en vi- bration. Prenez le larynx d'un cadavre et adap- tez un souflet à la trachée-artère ; au moment ou vous poussez l'air, vous entendez un petit bruit , une sorte de frémissement. Rapprochez les lèvres de la glotte en les serrant avec les doigts , le son devient plus rauque ; enfin serrez davantage , sur- tout vers la partie postérieure, vous obtenez quel- que chose qui ressemble à la voix humaine. Vous ( 181 ) vous rappelez sans doute ce jeune Polonais que je vous ai présenté cet hiver , et qui était affecté d'un mutisme et d'une surdité complets. Je suis parvenu à lui rendre l'ouïe entièrement puisqu'il entend très bien maintenant la voix qui lui parle, et qu'il ne distinguait pas auparavant le bruit produit par l'explosion d'un fusil tiré à son oreille. Mais il n'a point encore recouvré la parole; depuis que je l'ai soumis à la galvanisation des nerfs du larynx et de ceux de la langue , il m'a offert un phénomène fort curieux qui vient à l'appui des idées que nous avons émises devant vous sur le rôle joué par l'élas- ticité dans l'appareil vocal. Voici en effet ce qui est arrivé : d'abord nous avons obtenu cette espèce de frémissement qu'on produit artificiellement sur un larynx de cadavre ; puis le son est devenu plus marqué et il se rapprochait singulièrement de ce- lui qu'on obtient en serrant les lèvres de la glotte. Il y a peu de jours même qu'étant couché , la tête renversée en arrière , il articula , m'a-t-on dit ; quelques mots; son frère qui était avec lui criait déjà au prodige ! Mais depuis il est retombé dans son état de mutisme. Cependant je ne désespère pas de sa guérison , et je continue à le galvaniser. Maintenant il peut produire une sorte de son assez analogue à celui qu'on fait entendre quand on a quelque chose dans l'arrière - gorge , ou qu'on veut se débarrasser du mucus qui l'obstrue. Ce jeune homme me semble atteint d'une paralysie des muscles du larynx , et comme ceux-ci n'ont guère que l'élasticité dont ils jouissent sur le cadavre , l'anche que représentent les lèvres de la glotte ne m. 12 ( 182 ) peut plus vibrer aussi facilement. Nous avons donc eu là , sur un sujet vivant , une série d'ex- périences toutes faites. Si, comme je l'espère, nous parvenons à rendre à l'appareil musculaire de l'organe vocal ses conditions normales de con- tractilité, nous obtiendrons une guérison com- plète. Vous connaissez déjà le rôle important que joue l'élasticité des tuniques artérielles dans la circula- tion du sang. Si ce liquide coule d'une manière régu- lière et continue sous l'influence d'une impulsion alternative, c'est que les tuyaux qu'il traverse ne sont pas du genre de ceux qu'on emploie le plus souvent dans les machines. La nature a placé au sein de l'économie vivante un admirable appareil d'hy- draulique. Peut-être un jour le mécanicien pourra- t— il en saisir les combinaisons savantes pour en faire à l'art d'utiles et importantes imitations. Ainsi , par exemple , ne serait-il pas possible de se passer de ces réservoirs d'air qu'on emploie dans les machines , par la simple substitution de tuyaux élastiques aux conduits inflexibles dont on fait usage ? Le petit instrument dont on se sert maintenant pour donner des lavements ne pour- rait-il pas être ainsi simplifié? Je ne sais jusqu'à quel point ces idées que je vous soumets sont fondées , mais il me semble qu'une étude appro- fondie de l'élasticité vasculaire doit inspirer d'in- téressantes applications à la mécanique indus- trielle. La plupart des auteurs qui ont écrit sur la cir- culation ont tenu fort peu compte des propriétés *( 183 ) physiques des artères , et même c'est une chose affligeante que de lire ce qui a é(é écrit de plus moderne sur ce sujet. Partout vous voyez repro- duites les erreurs de Bichat qui, comparant les tuyaux artériels à des. tuyaux inflexibles, supposait qu'au moment de la contraction du ventricule, la masse entière du sang était déplacée, tandis qu'elle restait immobile dans l'instant de sa dilatation. Aussi établissait-il que le cours de ce liquide était alternatif, tandis que l'expérience la plus simple suffit pour démentir cette assertion. Telle était aussi l'opinion du célèbre Harvey. Eh bien ! vous verrez que , quand on ouvre une artère sur l'ani- mal vivant, le sang sort par un jet continu-sac- cadé si l'artère est volumineuse, et continu-uni- forme si elle est très petite. Il y a quelques années , un médecin de Pa- ris , fit construire un petit instrument fort ingé- nieux que voici , et qu'il a nommé sphygmo- mètre ( ^uypç pouls ; [«Tpov mesure ). Bien que cet instrument n'ait pas tout -à- fait rempli les vues de son inventeur , qui le croyait suscepti- ble d'applications utiles à la médecine, il devra, je crois, néanmoins rester dans la science pour servir aux études physiologiques. Et c'est déjà quelque chose, car enfin combien de milliers d'instruments n'ont pas été imaginés dans ces derniers temps? Or, la plupart, vous le savez, n'ont même pas joui de la vogue du moment , et ils ont plutôt appauvri qu'ils n'ont enrichi l'arsenal chirurgical. Je disais donc que l'instrument en question doit être con- servé, car il peut servira montrer l'espèce de ( 184 ) saccade qu'éprouve le sang dans les artères. Voici les pièces qui le composent : c'est une sorte d'en- tonnoir renversé , dont la partie évasée est fer- mée par une baudruche, et dont la tige est rem- plie par une petite quantité de mercure. On ap- plique l'instrument sur une artère superficielle. Les pulsations du vaisseau sont transmises à la co- lonne de mercure par l'intermédiaire de la cloi- son membraneuse dont l'élasticité se trouve mise en jeu. Quand l'artère se dilate , la colonne s'é- lève , quand elle se resserre , la colonne s'abaisse. Chaque oscillation du mercure répond donc aune pulsation artérielle. On peut ainsi apprécier le rhylhme du pouls , et même sa force , car le tube est gradué dans toute sa longueur. Remarquez que ces deux effets, la dilatation et le resserrement des tuyaux artériels, sont l'un et l'au- tre le résultat de la contraction du cœur. Leurs pa- rois élastiques ne réagissent sur le sang que parce qu'elles ont été distendues une première fois, et com- me une nouvelle ondée de liquide est sans cesse lancée dans les vaisseaux, sans cesse aussi ces vais- seaux tendent à revenir sur eux-mêmes sans néan- moins que leur diamètre puisse se rétrécir au-delà de certaines limites. Tel est le mécanisme fort simple du cours continu -saccadé du sang. Mais pourquoi la saccade , si manifeste sur les grosses artères , n'est - elle plus sensible sur celles d'un petit calibre ? Parce que d'une part la colonne de sang presse également dans toute l'étendue des parois vasculaires , et que d'une autre part la di- latation de leurs parois va en s'affaiblissant à ( 185 ) mesure que les artères deviennent de moins en moins volumineuses. Arrêtons-nous maintenant quelques instants sur le cours du sang dans le système capillaire. C'est là une question fondamentale en physiologie et en médecine. En physiologie , puisque c'est dans ces vaisseaux que se passent tous les phénomènes de la nutrition, des sécrétions, des exhalations, etc.; en médecine, puisque toute espèce d'inflammation, de gonflement ou d'altération organique des tissus a son siège primitif dans ce même réseau vasculaire. Vous connaissez tous cet ordre de vaisseaux fins et déliés, qu'on désigne sous le nom de capillaires. Ce sont eux qui font communiquer le système ar- tériel avec le système veineux , et c'est en les tra- versant que le sang, de spumeux et d'écarlate, de- vient terne et noirâtre. En effet , ce fluide y laisse échapper une partie de ses éléments par la voie de la porosité, et en même temps absorbe de nouveaux matériaux par le même procédé physique. Ces pe- tits vaisseaux se ramifient en tous sens dans le parenchyme des organes , et communiquent entre eux par de fréquents anastomoses. Or^ quelle est la puissance qui fait mouvoir le sang dans ces capillaires ? La première idée qui se présente naturellement à l'esprit, c'est que le cœur _, après avoir poussé ce liquide aux dernières artérioles, continue de le faire mouvoir jusque dans les veines. Mais une explication aussi simple ne pouvait convenir à des imaginations qui se plaisent à ne voir partout que des prodiges et des mystères. Aussi quel bizarre assemblage de sup- ( 186 ) . positions absurdes n'a-t-on pas enfanté! Jamais, je crois , l'esprit humain n'a rien produit de plus ridicule que le prétendu mécanisme d'après le- quel on a voulu rendre compte de cette circula- tion capillaire. On a dit : le cœur pousse le sang dans le système artériel , mais son impulsion s'ar- rête en un point limité; et ce point où corres- pond-il ? A l'endroit où les veines se continuent avec les artères par l'intermédiaire des vaisseaux capillaires. Ceux-ci alors s'emparent du sang, et par la seule action de leurs parois , continuent de le faire circuler. Or, je vous le demande, que devient cette admirable machine hydrauli- que, représentée par l'appareil circulatoire, de- vant ces interprétations marquées au coin de l'i- gnorance la plus présomptueuse ? Voilà donc les plus sublimes conceptions de la nature rabaissées au-dessous de ce que sait exécuter le plus obscur mécanicien ! Le trajet que parcourt le sang repré- sente un cercle , n'est-il pas vrai. Et bien ! Vous allez supposer qu'une pompe placée en un point , pourra lancer le liquide et lui faire parcourir un arc d'une certaine étendue , mais qu'arrivé là , il faudra qu'une nouvelle puissance vienne se sur- ajouter pour lui faire achever la circonférence du cercle î Mais , je le répète , le plus mauvais ingé- nieur n'enfanterait jamais un procédé aussi ab- surde. 11 trouverait bien plus simple d'augmenter la force d'impulsion de la pompe jusqu'à ce qu'elle fût capable de mouvoir seule le liquide. Sans doute que la nature n'a point paru susceptible de conceptions aussi savantes ! Et pourtant MM. Biot, ( 187 ) Poisson et tant d'autres autorités aussi compéten*- tes en semblable matière , n'hésitent pas à déclarer que la puissance hydro-dynamique qui fait mou- voir le sang dans nos artères est tellement admira- ble que nos machines les plus parfaites pourraient à peine en donner un grossier aperçu. Le fameux d'Alembertne déclare-t-il pas lui-même que ce pro- blèmede mécanique esttropcompliquépourque l'in- telligence humaine puisse en trouver la solution ma- thémathique. Aussi il me semble que la plus simple réflexion aurait dû suffire pour démontrer toute la futilité d'une semblable théorie. Vous dites que 1 impulsion du cœur s'arrête toujours en un point; vous supposez donc que l'énergie de ses con- tractions ne peut être ni augmentée ni diminuée. Et cependant qui ne sait que mille causes reten- tissent sur cet organe- central de la circulation , que tantôt elles décuplent, centuplent sa puissance, et que tantôt elles la réduisent presque à rien ? 11 faudrait dans un tel système qu'il existât en un point une barrière insurmontable que le sang ne pourra jamais franchir par la seule contraction des ventricules. Or , poussez une injection dans les artères d'un cadavre ou d'un animal vivant , tou- jours vous verrez le liquide passer librement des ca- pillaires dans le système veineux. Examinez à la loupe le mésentère d'une souris, vous pouvez cons- tater avec l'œil le cours facile de ce liquide dans ces deux ordres de tuyaux. Pourquoi donc refuse- rais-je au cœur la faculté de produire les mêmes phénomènes que je détermine si aisément en met- tent en jeu le piston de ma seringue? Aussi il me ( 188 ) semble mécaniquement impossible que les con- tractions ventriculaires n'influent pas sur la cir- culation capillaire. Il y a plus, je trouverais le problème beaucoup plus compliqué et beaucoup plus incompréhensible s'il fallait admettre que l'action du cœur cessât en un point. Car comment s'expliquer cette interruption subite dans l'impul- sion imprimée à la colonne de sang ; lorsque ce liquide parcourt librement des vaisseaux dont la continuité n'est nulle part interrompue? Je veux bien admettre pour un instant cet ar- rêt en un point de l'action du cœur. Voilà donc le capillaire chargé de faire entrer les globules de sang dans sa cavité. Or ce n'est qu'en se dilatant qu'il pourra attirer le liquide placé dans les vais- seaux voisins. Et tel est en effet le mécanisme que l'on a supposé. On a dit : examinez un capil- laire, vous le voyez alternativement se dilater et se contracter , donc ses parois sont douées de pro- priétés vitales en harmonie avec les fonctions qu'il doit accomplir. Je suis loin de nier l'existence de ces dilatations et de ces contractions du vaisseau, mais ce que je ne puis admettre c'est que ce soit là un phéno- mène actif. N'est-ce pas plutôt une simple consé^ quence de l'élasticité des tuniques vasculaires ? Il doit se passer là en petit ce qui se passe en grand dans les artères volumineuses. Le cœur lance une ondée de sang , les parois des vaisseaux se dila- tent, le cœur cesse d'agir, les parois reviennent sur elles-mêmes. A quoi bon faire intervenir ici une puissance vitale? Quoi qu'il en soit, voici le capil- ( 189 ) laire dilaté; il faut maintenant qu'il se resserre pour chasser le sang. Dans quel sens les globules vont-ils se diriger ? Je ne vois pas de raisons pour qu'ils cheminent plutôt du côté des veines que du côté des artères. Plongez votre main dans un liquide T puis ouvrez-la et fermez-la alternative- ment, ce liquide s'échappera partout où il trou- vera une issue, et il n'affectera pas une direction de préférence à telle autre. Il semble qu'il n'y a rien à répondre à de semblables objections ; mais avec de l'assurance on sait toujours éluder les questions , et au besoin on crée des dispositions anatomiques imaginaires pour soutenir une théo- rie erronée. Il existe, a-t-on dit, dans l'intérieur du capillaire , une soupape qui permet au sang venant du cœur de passer en avant ^ mais qui se ferme aussitôt que* le vaisseau vient à se contrac- ter. Pressés par les parois vasculaires , soutenus par la soupape qui les empêche de rétrograder, les globules sont bien forcés de cheminer en avant. Voilà sans doute qui est fort joli. Mais malheureu- sement ces soupapes n'ont jamais existé que dans l'imagination de ceux qui leur ont fait jouer un rôle si ingénieux. D'autres physiologistes ont voulu rivaliser avec les premiers. Ceux-là supposent que le sang est mu par l'effet d'un mouvement péris- tallique. De même, disent-ils, que l'intestin reçoit le chyme , puis se contracte pour le faire avancer, de même aussi le vaisseau capillaire est doué d'une sorte d'ondulation péristallique propre à faire cir- culer le sang vers le système veineux. Les choses, à la rigueur, pourraient se passer ainsi. Mais qui a ( 190) jamais vu les vaisseaux capillaires se contracter à la manière des intestins ? Et d'ailleurs n'y a-t-il pas des circonstances où l'influence de l'impulsion du cœur se fait sentir jusque dans les capillaires et les veines ? Quand un tissu est enflammé , les petits vaisseaux se gon- flent , la température de la partie s'élève par suite de l'afflux considérable du sang, et le malade a la conscience de battements dans la tumeur, parfai- tement isochrones aux pulsations du pouls. Dans un panaris, le chirurgien sent battre très-distinc- tement les artères collatérales du doigt affecté. N'est-ce pas là une conséquence mécanique toute simple de la modification qu'éprouve le cours du sang dans ses canaux élastiques ? Enfin , on peut constater cette action du cœur jusque dans les veines. Il résulte des expériences de M. Poisseuille, que si on augmente la quantité du sang qui circule dans ces vaisseaux , on observe que leurs parois se dilatent et se resserrent alter- nativement, et quand on vient à les piquer en un point , le liquide s'échappe par jets saccadés. Ainsi quand on met à nu sur un animal l'artère cru- rale, et qu'on injecte de Feau dans sa cavité, cette eau est rapportée vers le cœur par la veine. Fai- tes-vous une ponction à ce dernier vaisseau , sui- vant que le piston sen mu avec plus ou moins de force, vous verrez le jet grandir ou diminuer. - Il y a des organes où ces communications entre les artères et les veines au moyen des capillaires , sont des plus manifestes. Tel sont ceux constitués par ce qu'on appelle tissu érectile. Je vous ferai ( 191 ) remarquer à ce sujet la manière dont ces divers vaisseaux concourent à la production du phéno- mène de l'érection. Prenons pour exemple les corps caverneux. Eh bien! telle est la disposition des artères qui viennent y aboutir qu'elles versent librement dans leur parenchyme le sang qu'elles reçoivent du cœur ; mais ce sang une fois épanché dans la trame cellulaire de ces corps ne peut sor- tir qu'avec difficulté, car les veines destinées à le rapporter se trouvent comprimées par les muscles de la verge et du bassin. G'est surtout chez les animaux dont le pénis est volumineux qu'il est aisé de constater cet obstacle mécanique à la cir- culation veineuse. Je me suis assuré que chez le cheval, l'artère honteuse ne rencontre sur son pas- sage aucun agent de compression, tandis que la veine peut être facilement comprimée par le re- leveur de l'anus. Pour revenir à notre sujet , je soutiens qu'on ne peut constater dans les vaisseaux capillaires que des phénomènes d'élasticité , et c'est à l'in- fluence du cœur que je rapporte la circulation du sang dans leur cavité. Comment concilier toutes ces explications diverses qui ont été proposées? Le moyen est simple pour beaucoup de physio- logistes. Ils empruntent à tel auteur une idée , à tel autre une autre idée , etc., et de ce bizarre et monstrueux accouplement ils forment un tout qu'ils décorent du titre d'opinion mixte. Vous pourrez lire dans un article récent d'un diction- naire de médecine qu outre l'élasticité il existe dans les parois vasculaires une contraction orga- ( 192 ) nique et vitale , des vibrations insensibles et par- ticulières.... Quoi de plus opposé à une saine logique que ces suppositions qui ne reposent sur aucun fait rigoureusement observé ? Ce n'est pas par des rai- sonnements plus ou moins spécieux , mais bien par des recherches expérimentales qu'on peut com- battre notre théorie de la circulation du sang fon- dée exclusivement sur ce que l'expérience a démon- tré, et démontrera à quiconque prendra la peine de voir par lui-même, seule et unique manière d'ac- quérir une instruction solide. DIX-NEUVIÈME LEÇON. Messieurs , Je ne reviendrai pas sur le rôle important que l'élasticité des parois vasculaires joue dans le grand phénomène de la circulation. Que le sang traverse les artères, les veines ou le réseau capillaire, tou- jours il est mu par l'impulsion que lui impriment les contractions du cœur. Quoi de plus admirable que cet appareil hydro- dynamique , qui préside à la nutrition de nos organes. Si le système circula- toire était disposé comme le veulent certains phy- siologistes , au lieu d'être une merveille en méca- nique, ce serait une véritable absurdité. Or, vous le savez , ce n'est pas dans le jeu de l'organisme , mais bien dans les interprétations que l'esprit hu- main enfante , qu'on peut rencontrer des concep- tions stupides et erronées. Ce qui prouve encore l'influence du cœur dans le cours du sang dans les vaisseaux, c'est la ma- nière dont ce fluide circule au sein de quelques pa- renchymes. Voyez ce qui se passe pour le tissu osseux. Les artères, après s'être divisées et subdi- visées dans son épaisseur, ne viennent pas directe- ment s'aboucher dans les veines, mais le sang ( 194 ) qu'elles apportent est reçu dans des petits canaux inflexibles', creusés dans les aréoles même de l'os. C'est à peine si l'on peut suivre dans l'in- térieur de ces petits canaux les rudiments d'une pellicule membraneuse. Quelle autre puissance que la contraction ventriculaire est capable de faire mouvoir le sang dans ces tuyaux à parois inflexibles? Aussi remarquez que quand on vient à intéresser un os dans le point où ce liquide est contenu dans un canal , on observe un jet saccadé , non- continu. En effet , comment ce jet pourrait-il être continu , puisque vous n'avez pas là les conditions d'élasticité indispensables pour réagir sur le sang lancé par une cause inter^- mittente ? . " Il existe plusieurs organes dans l'économie, dont le parenchyme n'est point parcouru par des tuyaux vasculaires , mais qui offrent de nombreuses cel- lules, où le sang vient s'épancher. Telle est la tex- ture de la rate. Si vous incisez son tissu sur l'ani- mal vivant , vous voyez le sang s'écouler en nappe et ne point former de jet ; vous voyez aussi sous l'influence du cœur, des efforts, l'organe se dilater et se resserrer alternativement. Il est évi- dent que dans ce cas ce n'est que par l'élasticité tlont est doué son parenchyme , qu'on peut expli- quer ces phénomènes d'expansion et de contrac- tion , de même que les tuniques artérielles, disten- dues par le sang , reviennent sans cesse sur elles- mêmes. Il existe une disposition anatomique assez curieuse dans la disposition des vaisseaux que re- çoit la rate , relativement à la manière dont ils se ■ ( 195 ) comportent. Ainsi, une injection poussée par les artères revient facilement par les veines , tandis que poussée par les veines , elle ne pénètre pas dans les artères. A quoi tient cette différence? Le voici. Le tissu delà rate est spécialement constitué par des cellules , sorte de petits réservoirs où le sang est versé par les artères. Mais celles-ci ne viennent s'ouvrir dans ces cellules que par un pe- tit pertuis très délié, après avoir parcouru un tra- jet oblique, à la manière des urètres , qui ram- pent dans les parois de la vessie, avant de s'abou- cher dans l'organe. Et de même que l'urine ne peut refluer dans l'urètre , dont l'orifice forme sou- pape ; de même le liquide injecté ne peut pénétrer dans ces pertuis artériels. Les veines, au contraire, communiquent très'largement avec les cellules de la rate, d'où la facilité avec laquelle vous faites parvenir dans ces vaisseaux l'injection que vous poussez par l'artère. Il paraîtrait aussi que pour le cerveau il y a une partie dans cet organe , où le sang marche , non plus dans des vaisseaux, mais bien dans des ca- naux creusés au sein de la pulpe nerveuse. Ainsi on ne peut suivre à une certaine profondeur les prolongements de la pie mère , et il semble que , comme le tissu osseux, le sang n'est plus ici contenu dans des parois vasculaires. On conçoit très bien d'ailleurs , que l'élasticité du cerveau soit assez prononcée pour pouvoir, étant mise enjeu, suf- fire au cours régulier du sang. Maintenant que nous connaissons le rôle im- mense que joue l'élasticité dans la circulation , il ( 196) nous reste à jeter un rapide coup-d'œil sur une question de la plus haute importance. Les artères, avons-nous dit, sont de véritables tuyaux; aussi du moment que vous lésez leurs parois, le sang s'échappe par l'ouverture, C'est à ce dernier phé- nomène qu'on a donné le nom d'hémorrhagie , et comme les moyens qu'on a proposés pour suspen- dre cet écoulement de sang , intéressent à la fois et le physiologiste, et le médecin , nous allons con- sacrer quelques instants à leur étude et leur ap- préciation. Il est bien entendu que je n'envisagerai cette question que sous le point de vue purement physique; quant à ce qui concerne la formation ultérieure du caillot et l'oblitération du tuyau ar- tériel; cela neressortpointdu sujet qui nous occupe» Î)É QUELQUES PROCÉDÉS HÉMOSTATIQUES. Les artères, en vertu de l'élasticité dont jouissent leurs parois , peuvent se laisser facilement alon- ger ; on met à profit cette propriété pour isoler l'artère des vaisseaux et des nerfs qui l'entourent avant de passer la ligature. Beaucoup de praticiens trouvent plus commode d'embrasser dans une même anse de fil et l'artère et les tissus qui lui sont accollés ; outre les accidents qui peuvent ré- sulter par suite de ce procédé vicieux, vous avez encore l'inconvénient de faire souffrir inutilement le malade. Quand vous n'exercez la construc- tion que sur le cylindre artériel , il n'y a pas de douleur; quand vous avez en même temps compris ( *w ) un nerf, les cris du patient vous l'apprennent bientôt. Entrons dans quelques détails sur la manière d'appliquer une ligature. Ligature, En général , pour procéder à la liga- ture , il ne faut pas se contenter de voir le point d'où s'écoule le sang, il faut encore trouver le vais- seau qui le fournit. Le plus souvent il est possible d'apercevoir son orifice béant dans la plaie; c'est alors que des connaissances anatomiques exac- tes vous épargnent ainsi qu'au patient, de longues et douloureuses recherches. D'ailleurs, le jet de sang trahit la place qu'occupe l'artère. On la saisit avec les pinces, dont on place l'un des mors dans l'intérieur , et l'autre à l'extérieur du vaisseau , puis on la tire un peu en dehors. Il faut avoir un soin scrupuleux de bien isoler l'artère , afin de laisser le nerf hors de la ligature. Alors un aide passe une anse de fil sous les pinces, et fait un double nœud qu'il a soin de serrer de manière à effacer la cavité du vaisseau. Voilà ce qu'on appelle la liga- ture immédiate. La ligature médiate qui consiste à lier, en même temps que l'artère, les tissus am- biants , a le double inconvénient de faire souffrir le malade _, et d'exposer à des hémorrhagies con- sécutives. Elle n'est faite aujourd'hui que par des mains inexpérimentées. Pourquoi , quand une artère est coupée en tra- vers , ses parois ne viennent-elles pas s'appliquer contre elles-mêmes, et s'opposer par là à l'issue du sang ? Parce que leur élasticité ne permet point que leur calibre s'efface. Aussi est - il ordinaire- ment assez facile de reconnaître à la surface m. 13 ( 198 ) d'un moignon l'artère de la veine, car dans celle-ci l'orifice s'affaisse, tandis que dans l'autre il reste béant. La ligature est un bon moyen de suspendre Fhé- morrhagie , mais elle a quelquefois l'inconvénient découper trop tôt F artère. Vous savez, en effet, qu'en raison de leurs degrés différents d'élasti- cité, les trois tuniques qui , constituent leurs pa- rois^ résistent inégalement à la pression exer-< cée par le fil. Ainsi la tunique interne et la moyenne sont immédiatement coupées , l'externe ou celkileuse résiste seule. Supposez que celle-ci , par une cause quelconque , soit mortifiée avaut qu'un caillot solide n'ait eu le temps de s'organi- ser , vous aurez une hémorrhagie consécutive. Je ne vous parlerai point d'une foule de moyens employés anciennement pour obtenir l'oblitération des artères., tels que la cautérisation, les bouchons mécaniques , qu'on introduisait dans l'orifice du vaisseau divisé ; la compression directe de ses pa- rois, à l'aide de charpie ou d'agaric, la compression indirecte , qui consistait à embrasser du côté du cœur tout le membre dans un lien circulaire, etc. Je m'arrêterai seulement un instant sur un pro- cédé indiqué par M. Amussat, dans ces derniers temps, je veux dire la torsion. Torsion. C'est une application chirurgicale des propriétés physiques dont jouissent les artères ; ici encore la tunique celluleuse seule résiste, comme dans la ligature ; en effet les limites de l'élasticité des tuniques interne et moyenne sont trop tôt at- teintes pour qu'elles puissent céder sans se rom- ( 199 ) pre à la puissance qui agit sur elles. Voici en quoi consiste ce procédé envisagé seulement sous le point de vue physique. D'abord on isole l'artère des tissus circon voisins , en les refoulant du côté de la plaie ; puis on la saisit en travers avec des pinces dont on presse fortement les mors afin de couper les tuni- ques interne et moyenne , sans offenser la tuni- que externe. Ce premier temps accompli on peut pratiquer la torsion. Mais M. Amussat préfère , au moyen des mâchures , refouler dans la cavité du vaisseau les tuniques interne et moyenne de sorte qu'une portion du cylindre artériel se trouve ainsi réduite à sa gaine celluleuse. Il faut iei noter un phénomène bien curieux. Cette artère, dont les parois ne sont plus formées que par sa tunique exté- rieure, n'est plus susceptible d'être parcourue faci- lement par le sang; bien qu'elle représente encore un tuyau libre , comme sa face interne n'est plus tapissée par une membrane lisse et polie , elle ne se trouve plus dans des conditions favorables à la circulation. Aussi à peine le sang a-t-il pénétré dans ce vaisseau incomplet, qu'il s'imbibe, se coa- gule , et se dépose en caillots fibrineux ; c'est en- core à cette influence qu'exerce l'état physique des tuyaux où ce liquide circule qu'il faut rappor- ter la difficulté très-grande que l'on éprouve à transfuser du sang d'un animal sur un autre ani- mal. Tant il est ^rai que les artères ont une immense supériorité quant aux usages qu'elles doivent remplir sur tout ce que l'art peut imagi- ner. Mais revenons à la torsion. Une fois l'ar- tère saisie, il s'agit d'enlever à cette portion de ( 200 ) vaisseau son élasticité. Pour cela M; Amussat fait faire à la pince cinq à six tours sur son axe , de manière à tordre sur elle-même la portion d'ar- tère qu'il a saisie, ou même on pourrait continuer à imprimer à la pince des mouvements de rota- tion jusqu'à ce que la tunique celluleuse fût rom- pue. Mais la première méthode est suffisante. Que se passe-t-ii dans cette circonstance ? Vous épuisez l'élasticité de la tunique externe qui , ainsi enroulée, ne peut reprendre ses dimensions premières; c'est ainsi qu'une lame de métal, quand elle est portée au-delà de certaine limite , conserve la direction qu'on lui a imprimée. Telle est l'énergie avec laquelle cette sorte d'obstacle organique résiste à l'impulsion du sang, que l'on pourrait plutôt rompre les tuniques artérielles , que vaincre la résistance qu'il oppose à l'issue d'un liquide. Or c'est là l'avantage que je reconnais à la torsion sur la ligature. Dans celle-ci, si vous coupez le lien circulaire qui embrasse le vaisseau , le sang s'échappe aussitôt. Dans la première^ au contraire, jamais, quoi que vous fassiez , vous ne rendrez à l'artère l'élasticité dont vous l'avez dé- pouillée , le vaisseau est définitivement fermé. Il en est de même de Y arrachement , moyen que Von a aussi proposé pour arrêter les hémorrhagies. Vous savez en effet que des membres entiers ont pu être arrachés sans qu'il soit survenu aucun écoulement de sang artériel. Eh bien ! c'est encore au degré différent d'élasticité dans les tuniques du vaisseau qu'il faut s'expliquer le mécanisme de son oblitération. Vous tiraillez une artère 7 elle ( 201 ) cède et s'alonge; vous tiraillez plus fort, les tu- niques interne et moyenne se rompent et se ré- tractent dans la cavité du vaisseau , l'externe résiste plus long-temps , mais enfin son élasticité est vaincue; alors elle se déchire, et les lèvres de la solution venant à se froncer , l'orifice de l'ar- tère se trouve solidement fermée , et le sang vient inutilement se briser contre un obstacle dont il ne peut surmonter la résistance. Nous trouvons donc encore là une nouvelle utilité de l'élas- ticité. Perplication. On a désigné sous ce nom un nouveau procédé qu'un auteur allemand , M. Stir- ling , vient tout récemment de proposer pour ar- rêter les hémorrhagies. Voici en quoi il consiste. Après avoir isolé l'artère dans une partie de sa longueur , un pouce , par exemple , on traverse ses parois sur le côté avec la pointe d'un petit scal- pel. Puis enfonçant, dans l'ouverture faite au vais- seau , les mors recourbés d'une petite pince , on va saisir l'extrémité béante de l'artère ; alors re- tirant la pince en lui faisant suivre en sens in- verse le chemin qu'elle a déjà parcouru , on entraîne en même temps le bout du cylindre artériel qui se trouve étranglé en passant par l'o- rifice étroit pratiqué avec le scalpel. On forme ainsi une sorte de nœud. Or voici , d'après l'au- teur, quels sont les avantages de cette méthode : d'abord le vaisseau noué ne permet pas au sang de s'écouler au-dehors ; ensuite , et ceci mérite d'être examiné , l'extrémité de l'artère ne doit pas nécessairement se mortifier , ce qui pe rmet d'opé ( 2Q2 ) rer la réunion immédiate de la plaie. M. Stirling, qui est actuellement à Paris , a eu l'obligeance de me promettre de venir dans cette enceinte répéter devant vos yeux la manœuvre de son procédé ; il fera en même temps quelques expériences sur une nouvelle opération de la pupille artificielle préconisée en Allemagne , et qui peut-être pourra un jour avoir d'utiles applications sur l'homme. Ainsi, pour résumer, vous voyez qu'il n'est peut-être pas d'étude plus féconde en déductions physiologiques importantes , que celle qui con- siste à envisager les divers tissus de l'économie d'après les degrés différents d'élasticité dont ils jouissent. Je regrette que le temps ne me per- mette point de pousser plus loin ces recherches. Vous avez pu voir néanmoins quel rôle immense l'élasticité joue dans le mécanisme de la cir- culation; j'ai dû m'arrêter un peu longuement sur cette question aussi neuve qu'iatéressante, car c'est pour n'avoir point tenu compte de cette propriété qu'une foule de physiologistes, du plus haut mérite, ont avancé des opinions erronées qui malheureusement Ont encore cours dans la science. Loin de moi toutefois de m'exposer à tomber dans un défaut opposé , et d'exagérer l'importance des explications physiques pour l'interprétation des phénomènes dont l'économie est le siège. Ainsi pourquoi , sous l'influence d'une émotion morale plus ou moins vive, voit-on la face rougir ou pâlir ? Pourquoi ces changements de couleur et de tem- pérature que la peau éprouve sous l'impression de causes aussi nombreuses que variées ? €e défaut ( 203 ) d'harmonie entre les mouvements du cœur et la circulation capillaire indique nécessairement qu'il y a là quelque chose de particulier , quelque chose qui n'est pas, jusqu'ici du moins, du domaine de la physique. 11 me paraît probable que c'est sous l'influence de l'innervation que s'effectuent ces modifications. C'est ainsi que quand on sous- trait à l'action nerveuse une partie quelconque des corps vivants , la circulation ne tarde pas à se troubler et même à se suspendre. Vous vous rap- pelez à cette occasion les expériences que nous avons faites sous vos yeux dans la première partie de ce cours où nous avons traité des fonctions du système nerveux. Eh bien ! voici un chien sur lequel nous avons coupé , il y a six mois , la hui- tième paire du côté droit. Il ne sera pas sans in- térêt pour vous et pour moi de constater les altéra- tions qu'aura subies le poumon correspondant. Vous savez que dans le cas où l'on ne coupe qu'un seul nerf, on trouve, après quelques jours, le pou- mon profondément altéré, et réduit souvent à une masse hépatisée; si l'animal ne meurt pas, c'est que Faction d'un seul poumon est suffisante pour l'entretien de la vie. Je vais d'abord ausculter le bruit de la respi- ration. Chose singulière ! je ne trouve pas de dif- férence notable entre l'un et l'autre côté du tho- rax; le murmure vésiculaire s'entend également bien. La sonoréité de la poitrine ne diffère pas non plus d'une manière sensible à droite et à gau- che. Après votre départ l'animal sera soumis à l'action de l'acide prussique ; et à la séance pro- ( 204 ) chaîne nous procéderons devant vous à l'examen des divers organes , et nous saurons ainsi quelle influence a exercé la section du nerf pneumogas- trique y sur la disposition anatomique du poumon auquel il se distribue (1). ' (1) Ce cliien ayant été ouvert , on a trouvé le poumon correspondant au nerf coupé, six mois auparavant 7 parfai- tement sain. VINGTIÈME LEÇON. Messieurs , Vous vous rappelez cet animal que nous avons sacrifié à la fin de la dernière séance , afin d'exa- miner l'état de $on appareil respiratoire. C'est moi- même qui avais coupé sur lui le nerf pneumo-gas- trique du côté droit , et en disséquant avec soin l'ancienne cicatrice-, j'ai parfaitement reconnu que la section du nerf avait été complète , et qu'un pouce et demi de sa longueur , à peu près , avait été retranché , ainsi que vous allez vous - même pouvoir vous en assurer. Cependant le poumon est dans l'état Te plus normal; il serait impossible, en le comparant avec celui du côté opposé, de trouver dans son aspect ou sa texture la moindre différence. Quand je l'insufïïe , son parenchyme aérien obéit et se laisse librement distendre. L'eau que j'injecte par l'artère pulmonaire revient par les veines cor- respondantes ; ainsi les vaisseaux capillaires de- vaient être perméables au sang pendant la vie. Ces résultats sont fort curieux ; d'autant plus que je ne crois pas qu'on ait eu l'occasion d'exa- miner le poumon après que six mois s'étaient écou- lés depuis la section d'un des nerfs de la huitième { 206 ) paire. Comme les animaux éprouvent, à l'instant où l'on a coupé ce nerf, des troubles notables dans la respiration , il faut bien admettre qu'avec le temps l'organe pulmonaire peut recouvrer toute la liberté et toute l'intégrité de ses fonctions. Examinons maintenant le point où le nerf a été coupé. Le bout supérieur s'est gonflé , et il forme une espèce de mamelon dur ., résistant , ne se laissant point déprimer par les doigts qui le pres- sent ; le bout inférieur présente aussi une sorte de renflement olivaire; mais il est moins volumineux, et sa consistance est plus molle et plus flasque. Bien qu'un pouce et demi du nerf ait été retran- ché, sa continuité n'est pourtant point interrom- pue, car ses deux extrémités paraissent réunies par une véritable cicatrice. Vous voyez en effet , qu'il existe entre elles un cordon cellulo-fibreux , qui rétablit manifestement les communications entre les bouts divisés. Mais quelle est la nature intime de cette cicatrice? Est-ce une reproduction nou- velle de la substance nerveuse ? Est-ce un tissu fibreux analogue à celui qu'on observe après la guérison des fractures de la rotule ou de la rupture des tendons ? Ces opinions ont été soutenues par des anatomistes également recommandables; ce- pendant ni l'une ni l'autre ne me paraît être l'ex- pression fidèle de la vérité. Examinez ce qui se passe après l'opération que vous avez été obligé de pratiquer pour faire la section du nerf. Le foyer de la plaie , d'abord tuméfié , ne tarde pas à se couvrir de bourgeons celluleux; ses parois se rap- prochent , se mettent en contact , et finissent par ( 207 ) se réunir an moyen de l'adhésion de leurs surfa- ces. Toutes les parties situées au centre de la so- lution de continuité , se trouvent ainsi comprises dans une cicatrice commune; mais peu à peu cha- cune reprend sa position normale, et il ne reste plus au fond de la plaie qu'un cordon résistant , provenant de l'inflammation adhésive, dont le tissu cellulaire ambiant avait été le siège. Tel est le mé- canisme d'après lequel s'opère la réunion des deux bouts du nerf qui a été divisé. Il est des physiologistes qui pensent que, si on laisse un ou deux mois d'intervalle entre la section d'un nerf et la section de l'autre, les animaux sur- vivent ; si alors on vient à diviser de nouveau le nerf, en incisant la cicatrice, on a les mêmes ef- fets que quand on coupe le nerf lui-même. Ces résultats viendraient assez à l'appui de l'opinion de ceux qui pensent qu'il se fait une véritable re- production du tissu nerveux excisé. Toujours est-il que dans le cas que nous avons maintenant sous les yeux , la cicatrice avait pu transmettre comme le nerf lui-même l'influence de l'innervation. Il paraît aussi que quand on établit un courant galvanique dans le nerf au-dessus de la cicatrice , on voit se développer des phénomènes de contrac- tilité dans l'œsophage, par l'intermédiaire du cor- don fibreux. Mais comme tout corps humide a la propriété de transmettre le contact électrique , on ne peut tirer aucune conséquence rigoureuse de ces faits. Afin de compléter nos recherches sur l'influence que l'innervation exerce sur la circulation capil- ( MB ) laire du poumon , nous allons faire de nouveau sous vos yeux la section des deux nerfs pneumo- gastriques. Voici un chien sur lequel je veux couper la huitième paire. Je fais une incision entre le bord interne du muscle sterne - mastoïdien, et j'ar- rive sur la gaine commune aux nerfs et aux vais- seaux. En général , il faut plutôt se servir d'une tige mousse . quand on veut isoler le nerf, que de l'instrument tranchant, car, en déchirant le tissu cellulaire, vous n'êtes point exposé à blesser quel- que organe important. Je sépare avec le manche de mon scalpel le nerf de la veine et de l'artère . et c'est lui seul mainte- nant que je soulève avec ma sonde. L'animal ne donne aucun sigue de douleur. Il est des cas où le nerf parait jouir au contraire de la sensibilité la plus exquise . car à peine on y touche qu'on pro- voque aussitôt des cris et des mouvements convul- sifs. Je retranche maintenant la valeur de six à sept lignes du cordon nerveux. L'animal n'a point encore accusé la moindre douleur. \ oiei le nerf du côté opposé que je vais mettre à nu. Il n'y a encore aucun trouble notable dans la respiration, mais il est probable qu'il n'en sera pas de même après la section de ce second nerf , car jamais je n'ai vii la vie se prolonger plus de trois ou quatre jours après cette opération. Je pra- tique maintenant cette section. Vous voyez que l'animal n'a manifesté aucune douleur , il parait même fort calme . et sa respiration s'exécute libre- ment. Cependant de graves accidents ne vont pas ( 209 ) tarder à se manifester, et je vous rendrai compte, dans notre prochaine réunion , des lésions qu'of- frira le poumon , car l'animal doit nécessairement succomber. Voici un autre chien sur lequel je vais également couper les deux nerfs pneumo-gastriques. A peine j'ai eu incisé les téguments que l'animal s'est agité violemment en poussant des cris aigus; aussi, à en juger par son mode d'excitabilité spéciale, il est présumable que la section des nerfs de la huitième paire sera douloureuse. Et en effet, vous venez de voir qu'au moment où je les ai incisés, l'animal a éprouvé un petit mouvement convulsif. Comparez maintenant les effets opposés qu'une même opéra- tion vient de déterminer sur ces deux chiens égaux à peu prés par la force et par l'âge. Le premier reste toujours assez calmé, il garde un repos parfait ; ses mouvements respiratoires se succèdent avec liberté. Le second , au contraire , se débat en tous sens , et parait en proie à une anxiété des plus vives, la suffocation est imminente. Dans les efforts de dé- glutition qu'il opère en mettant en jeu toutes ses puissances inspiratoires, il avale des quantités as- sez considérables d'air. Le voilà maintenant qui vomit. Vous savez, en effet, que dans l'acte des vomissements, l'estomac, au lieu de se contracter se dilate , et même c'est pour favoriser cette dila- tation que l'animal, par un mouvement instinctif, avale ainsi de l'air. Du reste , ces deux expérien- ces, dont les résultats immédiats sont si différents, doivent vous montrer la nécessité de ne jamais s'empresser de conclure d'un fait isolé; ce n'est ( 210 ) que par de nombreuses observations répétées avec tout le soin , toute l'exactitude possible , qu'on peut arriver à déduire quelques considérations légitimes. Maintenant, messieurs , M. Stirling va répéter devant vous son procédé de la ' perplication ; en- suite il fera l'application de la méthode qu'il a pro- posée pour la pupille artificielle. Cette méthode consiste à emprunter un lambeau de cornée trans- parente à un animal, et à le greffer sur l'œil d'un autre animal. Vous sentez de quelle importance il serait, de pouvoir ainsi appliquer à l'homme cette ressource précieuse de rendre la vision; car sou- vent la cécité dépend de l'opacité, de la cornée, les autres membranes et les divers milieux de l'œil étant dans une intégrité parfaite. M. Stirling prend un chien pour sujet de Y ex-1 périence> Il commence par faire une incision sur le trajet de l'artère carotide , puis après avoir mis à nu le vaisseau , il Je coupe à s'a partie moyenne. Isolant alors le bout supérieur des tissus voisins , il met à nu un demi pouce à peu près de sa lon- gueur; puis avec les mors de la pince recourbée , il saisit l'orifice béant de l'artère et l'engage dans une espèce de boutonnière qu'il a pratiquée avec la pointe de son bistouri. Il répète la même manœuvre sur le bout inférieur. Puis, abandonnant alors l'a- nimal à lui-même , on voit que l'espèce de nœud fait avec les tuniques artérielles , oppose à l'effort du sang une résistance énergique, car il n'y a au- cune apparence dhémorrhagie; il réunit la plaie par première intention; et fait ensuite reconduire ( 211 ) Fanimal à sa loge, afin qu'on puisse observer ce qui arrivera ultérieurement pour la cicatrisation delà blessure. Cette perplication a été exécutée avec beau- coup de dextérité ; l'opérateur n'a pas mis sen- siblement plus de temps par ce procédé , qu'il n'en faut pour passer une ligature autour d'une artère. M. Stirling procède ensuite à l'opération de la pupille artificielle. Il fait d'abord à une ligne de la cornée transparente, une incision quadrilatère, in- téressant la sclérotique, la choroïde et la réline , car l'humeur vitrée est mise à nu; détachant alors le segment formé par ces trois membranes, il ré- sulte de cette perte de substance une ouverture qui est destinée à livrer passage aux rayons lumi- neux. Adaptant ensuite exactement à la circonfé- rence de cette ouverture, un lambeau quadrilatère de cornée transparente qu'il a empruntée à un au- tre lapin, l'opérateur le fixe par deux points de su- ture. lise sert pour cela d'une petite aiguille très fine, garnie d'un cheveu, et place ces deux points de suture diagonalement l'un à l'angle supérieur , l'autre à l'angle inférieur de la plaie. M. Stirling affirme que dans les expérien- ces qu'il a répétées précédemment , cette cornée d'emprunt, sans conserver toute sa transparence , reste néanmoins perméable aux rayons lumi- neux. Sur un autre lapin, M. Stirling pratique la même opération/ seulement au lieu de tailler un segment de cornée sur un animal de la même espèce , il ( 212 ) emprunte ce segment à la cornée d'un chien. Il assure que les résultats sont les mêmes; il préfère même ce dernier procédé , car la membrane est , dit-il, plus forte et plus résistante. Nous verrons dans quelques jours ce qu'il ad- viendra de ces tentatives ? et quel genre d'applica- tion on peut en faire à la chirurgie. VINGT-UNIEME LEÇON. Messieurs , Nous allons commencer par vous rendre compte des résultats que nous ont fournis les expériences faites dans la séance dernière sur la section des nerfs de la huitième paire. Le chien qui n'avait donné aucune trace de sensibilité pendant l'o- pération, est mort au bout de deux jours; l'autre animal a succombé quelques instants après. Chez l'un et chez l'autre vous pouvez constater les lé- sions survenues dans le parenchyme pulmonaire. Il s'est formé une véritable hépatisation pneumo- nique. Le sang épanché dans le tissu cellulaire interposé entre les lobules et les vésicules du pou- mon a rendu cet organe imperméable à l'air; aussi vous avez beau le comprimer il ne crépite plus entre vos doigts; les vaisseaux capillaires, gorgés de sang , ne pouvaient plus admettre dans leur cavité du liquide destiné à être vivifié par le contact de l'oxigène atmosphérique. Par quel mé- canisme cet état pathologique du tissu pulmonaire peut-il se résoudre dans le cas où l'on ne fait h. section du nerf que d'un seul côté ? Ce serait \m m. 14 C 214 ) objet curieux de recherches. Toutefois c'est un fait que vous avez pu vérifier par vous-même dans notre dernière réunion ; et il n'est aucun d'en-* tre vous qui puisse douter maintenant de l'exis- tence de cet important phénomène. Vous voyez sur ma table un thorax de jeune fille que j'avais fait apporter de l' Hôtel-Dieu pour servir à mes leçons. Le hasard dans cette circons- tance nous a singulièrement favorisés. En effet, ce sujet vous présente un cas de pneumothorax , af- fection que l'on a assez rarement l'occasion d'ob- server, et qui par cela même mérite de fixer un ins- tant votre attention. Chez cette malade , ainsi qu'on l'observe le plus ordinairement dans ces cas , l'é- panchement d'air dans la cavité des plèvres survenu par suite des altérations déterminées dans le poumon par la présence des tubercules; l'ulcé- ration venant à gagner la circonférence de l'or- gane , perfore son parenchyme, et pour peu qu'une bronche un peu volumineuse communique avec le foyer, il s'établit une fistule. Alors l'air inspiré , passant librement dans la cavité de la plèvre, s'y épanche et détermine des changements notables dans les rapports des organes circonvoisins. Aussi voyez sur cette jeune fille quelle est la disposition du diaphragme. Bu côté de l'épanchement ce muscle forme une voûte en sens inverse de celle qu'il pré- sente à l'état normal ; car sa concavité regarde la poitrine , et sa convexité l'abdomen. Du côté opposé il offre sa disposition normale ; ii semble même qu'il remonte plus haut que de coutume • de sorte que la cavité thoracique correspondante devait (215) être rétrécie. Vous sentez combien la respiration devait être gênée , car les piliers du diaphragme agissaient pour ainsi dire en sens inverse. En effet à chaque effort inspira toire la courbure des libres de ce muscle tendant à se redresser ? il en résul- tait l'agrandissement de la cavité abdominale , et le rétrécissement de la cavité thoracique. Or , vous savez , qua l'état normal , l'agrandissement de la poitrine s'exécute par l'abaissement du diaphrag- me , et le refoulement des viscères abdominaux. Je vais maintenant ouvrir le thorax. A peine mon scalpel a eu pénétré dans la cavité de la plèvre, que vous avez entendu l'air s'échapper en sifflant; vous voyez aussi que le diaphragme s'est affaissé; et qu'il est remonté à sa place accoutumée. Vous avez eu là le phénomène d'une vessie distendue par l'air que l'on vient à crever; ses parois reviens nent aussitôt sur elles-mêmes , en raison de leur élasticité. Le poumon , réduit à peine au tiers de son volume, est refoulé contre la colonne vertébrale, à laquelle il est fixé par des adhérences celluleuses; ces ad- hérences sont le résultat de pleurésies qui sont probablement antérieures à l'épanchement aérien. Je vais maintenant chercher l'orifice de la fistule. A la partie externe et moyenne du poumon , j'a- perçois une petite ouverture circulaire, qui est probablement Je point par où l'air venait s'épancher dans la plèvre. INous pouvons facilement nous en assurer. Pour cela il suffit d'adapter à la trachée artère une canule , et à insuffler de l'air dans les ramifications bronchiques. Vous voyez que c'est ( 216 ) bien là l'orifice fistuleux, puisque le tissu pulmo- naire ne se gonfle pas en ce point , et que l'air s'échappe librement au-dehors. Le cœur n'est pas non plus dans sa position or- dinaire; au lieu d'être situé de manière à ce que sa pointe puisse venir frapper entre la sixième et la septième côte, il est distant de près de quatre pouces de la paroi thoracique. Aussi je ne doute pas que si on eût ausculté la malade, on n'eût point en- tendu de premier bruit; mais vous savez qu'à ce dernier degré de la phthisie , on laisse ordinaire- ment les individus s'éteindre tranquillement, sans les fatiguer par un examen qui ne peut servir à prolonger leur existence. Quelque importante que soit l'étude de l'in- fluence de l'élasticité dans les différentes fonctions de l'économie animale , il me reste encore trop de sujets intéressants à traiter , pour que je puisse m'arrêter plus long-temps sur cette propriété si féconde en déductions physiologiques. Ce n'est pas sans regret que je me vois forcé d'abandonner cette question. Mais le temps me presse, et je veux encore entrer dans quelques développements sur la formation et la transmission du son dans les tissus vivants. DE LA PRODUCTION DU SON DANS L'ÉCONOMIE ANIMALE. Vous savez que le son se développe par suite de l'élasticité des corps. Prenez une tige métallique ( 217 ) fixée par une de ses extrémités, et déplacez son ex- trémité libre, vous la verrez, après de nombreuses oscillations qui diminuent peu à peu d'amplitude, revenir à sa direction première. Le mouvement imprimé à la tige est-il lent , vous n'aurez qu'un simple phénomène d'élasticité; ce mouvement au contraire est-il rapide, les oscillations se succèdent avec plus de vitesse, alors se développent, soit dans l'air, soit dans la tige des vibrations molécu- laires accessibles à nos sens. Ces vibrations se pas- sent dans tous les corps pondérables de la nature ; et leur étude si importante pour le physicien , ne l'est pas moins pour le physiologiste , puisqu'elles jouent un très-grand rôle dans diverses fonctions de l'économie animale. Il importe de savoir que ces différentes vibrations peuvent être le résultat de causes mécaniques aussi nombreuses que variées. Quand on frappe sur un corps solide, que se passe-t-il ? par suite de l'é- branlement communiqué aux molécules qui le constituent, on développe des vibrations, lesquelles peuvent, ou bien rester concentrées dans ce corps, ou bien se transmettre dans l'air environnant, de manière à produire un son. Or, dans le mécanis- me de la formation d'un son , il y a deux temps bien distincts qu'il faut se garder de confondre. Dans le premier, les molécules du corps solide en- trent en vibration; dans le second ces vibrations se communiquent à l'air ambiant et deviennent alors perceptibles à l'oreille. Ainsi, l'existence de ce fluide élastique est indispensable pour la propa- gation du son , ce qu'on prouve en physique par ( 218 ) l'expérience suivante : On place sous là cloche de la machine pneumatique un mouvement d'hor- logerie muni d'un timbre; on fait le vide ,• et alors bien que le marteau frappe le timbre, aucun son ne se fait entendre. Rend-t-on un peu d'air, on dis* tingue un petit bruit qui devient de plus en plus intense suivant que la masse d'air qui pénètre sous la cloche est plus considérable. Ainsi donc le son ne peut se propager dans le vide. Mais il .est une distinction importante qu'il faut établir dans les vibrations qui se développent dans les corps solides , distinction sur laquelle M. Ca- gnard Delatour a particulièrement insisté. Vous verrez que c'est sur elle que repose en grande par- tie la théorie de l'acoustique animale. Je dis donc qu'il peut se produire dans l'intérieur des corps solides , des vibrations , non susceptibles de se transmettre par l'air, et qui ne deviennent appré- ciables que quand il y a communication directe entre ces corps et l'oreille de l'observateur. Je les appellerai avec M. Cagnard-Delatour , sons solidiens, afin de les distinguer des vibrations qui peuvent se transmettre ou se développer dans l'air. Vous verrez quand nous étudierons les divers bruits produits dans l'économie , de quelle importance il sera pour nous de ne pas confondre les vibrations sonores ordinaires , de ces vibrations solidiennes. N'est-ce pas pour avoir négligé cette distinction qu'on a donné des explications si vicieuses du dou- ble bruitdu cœur? Ainsi la théoriedes sons aériens ne peut s'appliquer à celle des sons solidiens. Vous savez tous qu'un observateur dont l'oreille est ap- ( 219 ) pliquée à l'extrémité d'une longue poutre de bois , entend le bruit qu'on détermine en effleurant légè- ment l'autre extrémité avec les barbes d'une plu- me ; tandis que les personnes les plus voisines ne perçoivent point le moindre frémissement. Eb bien ! vous avez là un exem pie de vibrations solidienîies. Le stétboscope lui-même est un simple instru- ment de physique. Laè'nnec, cet excellent observa- teur, imagina d'abord d'ausculter avec un cylindre fait avec du papier, et il se contentait, dans le prin- cipe, d'interposer entre son oreille et la poitrine du malade , le cabier de visite roulé sur lui-même. Mais bientôt il reconnut que par ce procédé, le son n'ëtaittransmisqu'imparfaitement; et il fut conduit par l'expérience, à substituer au papier un cylin- dre de bois. Il est probable que Laënnec ne se ren- dait pas complètement compte de la manière dont agissait l'instrument dont il était l'inventeur; pra- ticien avant tout, il était peu versé dans les con- naissances physiques. Cependant, ainsi que je vous le disais, le stéthoscope n'a pour usage que de nous transmettre les vibrations solidiennes développées dans les organes; ce n'est que dans des cas très- rares , qu'il sert de véhicule aux sons aériens. Pourquoi quand vous voulez ausculter un individu, appliquez-vous sur les parois thoraciques, votre oreille nue ou munie du stéthoscope ? Parce que les bruits que vous voulez percevoir sont des bruits solidiens. Vous auriez beau chercher à entendre à une certaine distance les battements du cœur d'une personne à l'état normal , vous ne pourriez re- ( 220 ) cueillir aucun son. Ces vibrations produites dans les corps solides ne peuvent être transmises que par des corps solides; il faudrait , pour qu'elles fussent sensibles à distance, qu'elles se transformassent en vibrations aériennes. De même une personne in- complètement sourde n'entend pas le bruit dune montre située près de son oreille ; et au contraire elle l'entend très-bien quand on vient à la placer entre ses dents. En effet, dans ce cas encore, le son est transmis de proche en proche par des corps solides jusqu'à l'organe destiné à en percevoir la sensation. Mais si des sons solidiens peuvent devenir des sons aériens , réciproquement des sons aériens peuvent devenir des sons solidiens. C'est surtout dans ces derniers temps que les physiciens se sont spéciale- ment occupés de l'étude de ces phénomènes ,, qui a été pour eux l'objet de nombreuses et importantes découvertes. Une expérience très^simple suffît pour démontrer l'influence des vibrations sonores sur les vibrations que l'on détermine dans les corps solides. Prenez de la baudruche souple et élastique, et fixez-la par ses bords sur un cadre circulaire de manière à ce qu'elle offre une tension assez marquée; déposez à sa surface quelques grains de sable coloré, puis approchez à quelque distance un timbre que vous faites vibrer avec l'archet. Aussitôt la mem- brane est ébranlée par des oscillations rapides, les grains de sable sautillent, et, suivant la nature du son produit, affectent des dispositions particulières des figures déterminées. Cette expérience vous démontre, de la manière ( 221 ) la plus manifeste, que des vibrations aériennes peu- vent se transmettre aux corps solides. Mais ce n'est pas tout : les liquides eux-mêmes ressentent l'influence des sons développés , même à de très grandes distances. Vous sentez combien ceci est important pour nous, puisque la connaissance de ces faits nous rend compte d'une foule de bruits produits dans l'organisme. M. Savard, qui s'est surtout occupé de ces phénomènes physiques , a remarqué que des jets d'eau, qui s'échappent par des orifices très fins, sont influencés, à d'assez grandes distances , par la nature variée des sons que l'on fait entendre, suivant que les vibrations transmises par l'air, ont tel ou tel caractère , le liquide qui tombe affecte des formes différentes. Ce qu'il nous importe surtout de bien connaître, c'est le mode de transmission du son. Je crois inu- tile de vous répéter que je ne veux m'occuper ici que de ce qui a rapport aux questions physiologi- ques et pathologiques. Chaque fois que vous appli- quez votre oreille sur le thorax d'une personne que vous voulez ausculter , vous procédez à un acte physique , peut-être sans vous en douter. Et pour- tant cet acte , tout simple qu'il vous paraît , ne laisse pas que d'offrir de sérieuses difficultés, quand on veut le soumettre à une analyse rigoureuse. M'étant occupé cette année, d'une manière toute spéciale , de la théorie des bruits anormaux du cœur, j'ai voulu chercher dans les ouvrages de physique des renseignements sur la nature des sons que développent dans des tuyaux élastiques des courants de liquides. Eh bien ! la science est ( 222 ) muette à cet égard. Aussi les médecins qui ont voulu donner l'explication de ces différents bruits sont-ils tombés dans les erreurs les plus grossiè- res. Et comment eût-il pu en être autrement? La tbéorie physique n'existant pas , il était bien im- possible qu'ils en fissent de justes applications. C'est pour remplir cette lacune dans la science que je me suis livré à des recherches spéciales, dont j'aurai l'honneur de vous communiquer les résul- tats dans la suite de ces séances. Mais revenons à l'étude du son. Je vous disais que tous les corps solides, liquides ou gazeux sont susceptibles de le transmettre. Vous savez aussi que quel que soit son timbre et son intensité, il se propage dans l'air avec la même vitesse; seulement quand l'air est raréfié le son se transmet moins bien , quand au contraire il est condensé , il se transmet beaucoup mieux. Des expériences ré- centes ont montré que dans une atmosphère à 1 6° il parcourt environ 340 mètres par seconde. Du reste cette transmission de son ne se fait qu'aux dépens de son intensité ; de sorte qu'il suit dans sa propagation, la loi des actions à distance. Les liquides sont d'excellents conducteurs du son, et ils l'emportent de beaucoup sur les gaz par la rapidité et l'exactitude avec lesquels ils le trans- mettent. On estime à 1453 mètres par seconde, la vitesse de la marche du son à travers l'eau. Ceci est surtout important à connaître pour le méde- cin. C'est ainsi que dans certains épanchements pleurétiques le bruit que fait l'air en pénétrant dans les ramifications bronchiques, devient beau- ( 223 ) coup plus sensible pour l'oreille appliquée sur la paroi pectorale. Vous connaissez tous ce retentis- sement particulier de la voix que Laënnec a dési- gné sous le nom d'egophonie. Ce n'est qu'une con- séquence physique et matérielle du passage du son à travers le liquide qui comprime le tissu pulmo- naire. L'expérience la plus vulgaire ne démontre- t-elle pas chaque jour cette propriété des liquides de transmettre les vibrations sonores? Qui ne sait qu'un nageur plongé dans l'eau entend la voix d'un interlocuteur placé sur le rivage? Les corps solides, vous ai-je dit, sont aussi d'ex- cellents conducteurs du son. Ils jouissent de cette faculté à un degré d'autant plus prononcé qu'ils sont eux-mêmes plus élastiques et plus aptes à en- trer en vibration. Aussi quand vous voulez perce- voir un bruit développé dans un corps solide, vous préférez appliquer immédiatement votre oreille que de vous servir de l'intermédiaire de l'air. Pourquoi ausculte-t-on au lieu d'écouter à dis- tance? Parce que pour pouvoir distinguer des vi- brations solidiennes, il faut que le son soit trans- mis par tin corps solide ou liquide ; les fluides aériformes n'étant pas d'aussi bons véhicules des sons de cette nature. Il faut bien connaître toutes ces questions de physique ? pour se permettre d'inventer des ins- truments. Vous connaissez toutes les modification s que l'on a fait subir au stéthoscope de Laënnec , chacun ayant voulu le perfectionner à sa manière. Mais il s'en faut de beaucoup que ces essais aient toujours été heureux .Vous voyez étalés sur ma table ( 224 ) les principaux échantillons de ces différents genres de stéthoscope perfectionnés ,~ et parmi le nombre il en est peu qui me paraissent construits d'après de sages indications physiques. En voici, par exemple, un qui me paraît fort bizarre; j'ignore quel est son auteur. Il est composé d'une sorte de long boyau élastique, terminé par un renflement à ses deux extrémités, dont l'une doit être appliquée à l'oreille de l'observateur, et l'autre sur la paroi thoracique. Je défie qu'avec un pareil instrument on puisse arriver à apprécier des nuances délicates. Les sub- stances telles que le caoutchouc , ne transmettent point les vibrations à la manière d'un corps so- lide et vibratile. Ne savez-vous pas que dans les machines à vapeur, on entoure les différents roua- ges de disques élastiques, afin d'amortir l'intensité du bruit? Cet autre que vous voyez est un stéthoscope va- ginal. Il est formé par une longue tige en bois , recourbée à une de ses extrémités; celle-ci doit être introduite par le vagin et appliquée sur l'enveloppe membraneuse du fœtus, tandis que l'autre extré- mité sera mise en contact avec l'oreille. Ce mode d'auscultation me semble rationnel, et l'instrument construit d'après des principes d'une physique rai- sonnable. Toutefois il vaudrait mieux qu'il ne fût composé que d'une seule pièce, au lieu d'être ar- ticulé à sa partie moyenne, car le son se transmet bien mieux dans un cylindre dont la continuité n'est pas interrompue. C'est un accoucheur , M. Nauche, qui a imaginé cet instrument. Voici sans doute le but qu'il s'est proposé. Il a voulu , en ap- ( 2i25 ) pliquant le cylindre acoustique sur le col de l'uté- rus où sur les membranes elles-mêmes , diminuer la longueur du trajet que le son doit parcourir , quand on ausculte à travers la paroi abdominale. On conçoit en effet que , comme les liquides sont bons conducteurs du son, les vibrations solidien- nés, développées par le cœur du fœtus , se trans- mettent à travers les eaux de l'amnios, au stéthos- cope appliqué à l'oreille de l'observateur. Je ne pousserai pas plus loin l'examen de ces instruments qui sont tous construits d'après le modèle proposé par Laènnec; ils représentent un cylindre de bois , car cette dernière substance paraît être la plus convenable pour la transmission des sons solidiens. Le stéthoscope le plus généra- lement employé aujourd'hui, est celui de M. Louis, dont le principal avantage est dans ses petites di- mensions. Enfin un jeune docteur, M. Montault, m'a remis au commencement de cette séance, un instrument pareil à celui de M. Louis , si ce n'est qu'il y a adapté un moyen de mensuration; c'est un ruban divisé, sur une de ses faces, en centimè- tres , sur l'autre ; en pouce et en lignes , et qui s'enroule sur un axe mobile 7 placé à une extré- mité du cylindre. Tant est-il que les stéthoscopes ne sont autre chose que la preuve physique de la transmission duson par les corps solides. C'est ainsi qu'on peut juger des modifications que subissent les bruits dé- veloppés dans les parenchymes par les lésions sur- venues dans leur texture. Le tissu du poumon est-il raréfié comme dans l'extrême vieillesse , l'oreille ( 226 ) appliquée sur la paroi pectorale, perçoit à peine le faible murmure de la respiration ; si au contraire ce tissu devient dense et compact par suite de l'ac- cumulation de tubercules en une masse solide , vous entendez alors Fair pénétrer bruyamment dans les ramifications bronchiques. Voilà un premier aperçu sur la production et la transmission du son dans les différents corps de la nature. Comme je ne fais point ici un cours de physique, je n'ai fait qu'effleurer ces questions, mon but n'étant que de vous donner quelques idées générales sur des phénomènes qui vont être l'objet de nos études ultérieures. Mais persuadez- vous bien que sans des notions bien précises sur le mécanisme physique de ces bruits , vous pourrez tout au plus imaginer des suppositions ingénieu- ses, mais jamais vous ne parviendrez à établir une théorie sur des bases solides et véritables. VINGT-DEUXIÈME LEÇON. Messieurs, Je ne reviendrai pas sur les considérations gé- nérales dans lesquelles je suis entré dans la séance dernière ; nous allons maintenant étudier , par la voie expérimentale ? les différents bruits qui se produisent dans le corps de l'homme. Vous vous rappelez la distinction importante et fondamentale que nous avons établie entre les vi- brations solidiennes et les sons aériens ; je crois avoir assez longuement insisté sur la nécessité de ne point les confondre. Ce qu'il importe aussi de bien connaître y c'est le mode de production du son. En effet, il n'est pas indifférent qu'il résulte d'un frottement ou d'un choc; tel son provenant de l'alongement d'un corps élastique n'est pas ce- lui que détermine un simple ébranlement molé- culaire. Toutes ces questions sont plutôt du do- maine de la physique que de la physiologie pro- prement dite; mais telle est l'importance qu'elles acquièrent en séméiotique^ que le médecin ne peut négliger leur étude sans s'exposer à donner des (.228 ) interprétations vicieuses et erronées des phéno- nomènes soumis à son observation. Quand un corps solide est heurté par un autre corps solide , il en résulte un bruit de choc. C'est ainsi que quand elles sont rapprochées brusque- ment , les deux mâchoires , les arcades dentaires frappent l'une contre l'autre , et Ton obtient ce qu'on appelle le claquement des dents. C'est là un exemple bien sensible d'un bruit de choc développé dans l'économie. Remarquez , je vous prie , les caractères particuliers de ce bruit , car il nous faudra dans un instant, bien le distin- guer de ceux qui se produisent autrement que par la rencontre de deux corps solides. Voici à quels signes vous pourrez facilement le re- connaître : Tout bruit de choc est net, court, instan- tané. Pour que le son pût se prolonger, il faudrait que les corps se trouvassent dans des conditions d'élasti- cité toutes spéciales. C'estainsi que quand le marteau frappe le timbre d'une horloge , les vibrations ne s'arrêtent pas subitement, et elles sont encore per- ceptibles à l'oreille pendant quelques instants. Mais tel n'est point ce que l'on entend communé- ment par bruit de choc ; et la meilleure idée que vous puissiez vous en faire, c'est , je le répète , le claquement des dents. Voulez-vous un autre exemple d'un son déve- loppé dans l'économie par la rencontre brusque de deux corps solides? Observez ce qui se passe quand on réduit une luxation. A l'instant où la tête de l'os entre dans la cavité articulaire , le chirurgien entend un bruit sec et caractéristique. Quelle a été ( 229 ) la cause de ce bruit ? Evidemment le choc des deux surfaces articulaires , au moment où leurs rap- ports se trouvent subitement rétablis, Je suis aussi porté à croire que le petit claquement que Ton fait entendre en se tordant les doigts est de la même nature. Comment, en effet, le produit-on? En dé- tournant un peu les surfaces articulaires de leur contact immédiat. Or, celles-ci sont lisses, polies, élastiques; en un mot, elles réunissent les conditions favorables au développementd'un bruit par le choc. Vous savez que quand on ausculte ces bruits du cœur du fœtus à travers les parois abdominales de la mère, on entend manifestement le tic -tac de l'organe. Mais de plus l'oreille perçoit des bruits dépendant évidemment de ce que le corps du fœtus vient heurter les parois de l'utérus , ce choc , vous le pensez bien, ne peut jamais être très intense; d'abord , parce que la matrice est molle et peu élastique ; en second lieu , parce que le fœtus est plongé au milieu des eaux de l'amnios. Or, les li- quides apportent un obstacle assez grand au choc des corps solides ; ainsi , deux boxeurs qui lutte- raient dans l'eau ne pourraient se faire d'aussi graves contusions que s'ils sont dans l'air. Néan- moins vous distinguez manifestement des bruits résultant du contact subit du fœtus contre les pa- rois utérines; mais remarquez que ce ne sont là que des vibrations solidiennes , qui ne sont point de nature à se transmettre par l'air ; aussi pour les entendre , êtes-vous obligé d'appliquer immé- diatement l'oreille sur l'abdomen, ou bien de vous servir du cylindre acoustique. m. 15 ( 230 ) Il y a une autre espèce de bruit de choc dont la connaissance exacte excite un immense intérêt sous le point de vue physiologique et pathologique. Je veux parler de celui qui résulte du choc du Cœur contre la paroi pectorale. C'est là une question dé- licate sur laquelle on est loin d'être d'accord, mal- gré les nombreuses recherches auxquelles on s'est livré dans ces derniers temps. Combien de théories ont déjà été proposées pour l'explication de ce phé- nomène de simple physique? Sans doute les efforts des médecins qui ont cherché , par des travaux consciencieux, à trouver la solution de ce pro- blême sont louables et honorables; et s'ils ont été infructueux, il faut surtout l'attribuer à l'état peu avancé des sciences physiques, quant àl'objet qu'ils avaient à examiner. Avant de pouvoir appliquer les lois physiques à l'étude des bruits du cœur, il eût fallu les découvrir, ces lois; car, ainsi que je vous l'ai fait observer, la science est loin d'être faite à cet égard. L'année dernière, plusieurs médecins honora- bles se réunirent à Dublin , afin d'associer leurs travaux et leurs lumières pour décider cette grande et importante question des bruits du cœur. Les résultats auxquels ils sont parvenus ne me parais- sent point être l'expression rigoureuse des faits ; mais on ne peut trop applaudir à l'intention qui les a guidés; c'est toujours ainsi qu'il faudrait procéder dans les sciences. Nous allons maintenant vous soumettre nos opi- nions à cet égard. Nous répéterons sous vos yeux les expériences sur lesquelles nous appuyons la ( 231 ) théorie que nous avons proposée, et qui nous sem- ble la seule exacte. Ce sera toujours avec empres- sement que nous accueillerons les objections que vous pourrez nous adresser sur les conséquences que nous déduirons des faits soumis à votre obser- vation. Car , avant tout, c'est la vérité qu'il im- porte de trouver. Il vaut mille fois mieux avouer franchement qu'on s'est trompé, et qui ne se trompe? que de s'obstiner. par amour-propre, ou par tout autre motif, à défendre une théorie défectueuse. Pour moi , je suis prêt à renoncer à mes opinions sur la nature des bruits du cœur, aussitôt qu'on m'aura démontré queje me suis égaré. Mais, quant à présent, je déclare hautement que mes convic- tions sur le sujet qui va nous occuper, sont pleines et entières. DES BRUITS NORMAUX DU COEUR Le cœur dans son état normal, chez un sujet qui jouit de la santé la plus parfaite, produit pres- que toujours des bruits ; je dis presque toujours, car vous verrez qu'il est des circonstances où ces bruits cessent d'être appréciables. C'est surtout depuis les travaux de Laënnec , que leur étude a fixé l'attention des médecins. Toutefois les mots de battements de cœur, de palpitation , si usités dans le monde , vous indiquent assez que depuis long-temps on sait que l'organe central de la cir- culation fait entendre des bruits , souvent recon- ( 232 ) naissantes à l'oreille , placée à distance. Personne n'ignore qu'une émotion subite, des impressions morales vives, augmentent leur intensité. Voyez sur la scène ces acteurs qui portent sans cesse la main vers leur cœur pour exprimer la nature des sensations qu'ils éprouvent. Laënnec, le premier, distingua dans chacune des pulsations du cœur, deux bruits successifs, mais distincts ; arrêtons-nous un instant sur les caractères physiques de ces bruits. L'oreille ap- pliquée médiatement ou immédiatement sur la poi- trine perçoit une sorte de tic-tac , c'est-à-dire , deux sons brusques , courts , instantanés , ne se prolongeant pas. Or, telle est, vous vous le rappe- lez , la nature des bruits qui résultent du choc de deux corps solides. Ainsi donc nous constatons ce premier fait : que les deux bruits du cœur dépen- dent d'un choc, puisque physiquement parlant, il est impossible de leur attribuer une autre ori- gine. Poursuivons. Je vous disais qu'il est certaines circonstances où ces bruits viennent à manquer. Ainsi, par exemple, si vous prenez un chien dont le thorax est spacieux , et que vous le couchiez sur le dos, vous n'entendez plus le tic-tac du cœur; quand , au contraire , vous avez remis l'animal sur ses quatre pattes, les bruits sont manifestes. Qu'avez-vous fait dans ce cas ? Vous avez éloigné des parois pectorales le cœur , qui , par son pro- pre poids et la laxité de ses attaches membra- neuses, s'est porté vers la colonne vertébrale. D'où il faut conclure que les relations des organes ren- ( 233 ) fermés dans la poitrine , avec les parois de cette cavité , sont fort importantes pour le développe- ment et la transmission des bruits du cœur. Ce qui arrive sur des animaux dont le thorax a beaucoup d'étendue dans le diamètre sterno-ver- tébral^ s'observe quelquefois chez l'homme, sous l'influence de causes morbides. Ainsi il m'est ar- rivé de rencontrer des individus dont les batte- mens du cœur avaient complètement disparu. Et cependant la circulation était libre , la respira- tion facile, tous les grands appareils fonctionnaient comme à l'état normal. Il faut donc qu'il y ait là une raison physique et mécanique qui s'oppose à la production de ces bruits. Si, en effet, tantôt ils existent, et tantôt n'existent pas, pourquoi cette différence ? La théorie va nous l'apprendre. Voici maintenant comment je crois pouvoir me rendre raison de la production de ces sons car- diaques. Occupons-nous d'abord du premier bruit. Premier bruit. Le cœur placé dans la cavité de la poitrine est maintenu dans une certaine posi- tion, au moyen du péricarde et des vaisseaux nom- breux qu'il émet et qu'il reçoit. Chaque fois que ses ventricules se contractent, la pointe de l'or- gane vient, par une sorte de mouvement de bascule, heurter la paroi thoracique. C'est là un premier fait sur lequel tout le monde est d^accord. Tous les observateurs ont parlé de choc du cœur à la hau- teur du cartilage de la cinquième ou sixième côte. Ainsi donc voilà un organe très dur et très élas- tique , par suite de la contraction énergique de ses fibres, qui vient frapper contre la face interne des ( 234 ) parois pectorales. Or , ces parois sont-elles sus- ceptibles d'entrer en vibration? Personne ne pour- rait le nier. Il suffit de jeter un coup-d'œil sur les propriétés physiques des os et des cartilages , qui en constituent la charpente, pour s'assurer qu'elles réunissent les conditions les plus favorables à la production du son. N'est-ce pas d'ailleurs sur cette sonoréité des parois thoraciques qu'est basée toute la théorie de la percussion ? Quand votre doigt vient frapper la poitrine , vous obtenez un son ; de même quand le cœur vient choquer cette même poitrine , vous de- vez également percevoir un son. Je ne vois aucune différence entre ces deux modes de percussion , par cela même je ne pourrais m'expliquer que les résultats fussent différents. Qu'importe , en effet , que ce soit la face interne ou externe de la paroi pectorale contre laquelle ce choc soit produit. Sup- posez une membrane tendue , et frappez-la par- dessus ou par-dessous , le son que vous obtiendrez ne sera-t-il pas toujours semblable à lui-même ? Ainsi , du moment qu'on admet que la pointe du cœur vient heurter le thorax, et aucun physiolo- giste n'a jamais nié ce phénomène, il faudra bien reconnaître qu'il doit nécessairement en résulter un bruit. Mais nous avons vu que les sons car- diaques sont doubles, qu'ils constituent un véri- table tic-tac. Eh bien ! c'est au moment même où la pointe du cœur frappe la paroi thoracique que le premier bruit, le tic, se fait entendre. Nous ver- rons plus tard quelles explications on a proposées pour rendre compte de ce phénomène; ce que je ( 235 ) veux seulement vous faire bien constater mainte- nant, c'est la coïncidence parfaite de ce premier bruit avec le choc de la pointe de l'organe. Pourquoi, quand vous voulez ausculter, êtes- vous obligé d'appliquer médiatement ou immédia- tement l'oreille sur la région précordiale ? Parce que les vibrations produites par cette percussion du cœur contre le thorax , sont des vibrations so- lidiennes , non susceptibles d'être transmises par l'air. Or, remarquez que c'est au niveau de l'in- tervalle de la cinquième et de la sixième côte que ce premier bruit a son maximum d'intensité, c'est- à-dire, à l'endroit même où le choc s'effectue. Plus vous vous éloignez de ce point, plus le son décroît; puis il finit enfin par s'éteindre. Vous voyez donc qu'il suit les lois de Ja propagation du son : il s'af- faiblit en se propageant. Ces vibrations solidiennes, qui dans les cir- constances ordinaires, sont inappréciables à dis- tance , peuvent quelquefois passer à l'état de sons aériens. C'est surtout chez les sujets maigres, chez les jeunes femmes dont les côtes sont minces et les cartilages fort élastiques , qu'on peut constater ce phénomène. Vous connaissez tous ces battemens tumultueux du cœur, que l'on désigne sous le nom de palpitation. Il n'est pas rare , dans ces cas , de voir la paroi pectorale fortement soulevée à chaque contraction ventriculaire. Telle est même quel- quefois l'énergie de ces chocs de l'organe contre la poitrine , que la couche du malade en est ébran- lée , que les parois de l'appartement résonnent, et que les personnes placées à une assez grande dis- ( 236 ) tance, entendent parfaitement ces bruits cardia- ques. Vous n'avez qu'à entrer dans une des salles de nos hôpitaux, où se trouvent des phthisiques , pour constater ces faits au moment de l'exaspération de la fièvre hectique. Ainsi , à l'état sain comme à l'état pathologique, il suffit que l'intensité du choc du cœur contre la poitrine augmente, pour que des sons solidiens se transforment eh vibrations aé- riennes. N'allons pas plus loin aujourd'hui. Ce que je veux bien vous faire constater, c'est que le premier bruit est lié intimement avec le choc de la pointe du cœur sur la paroi pectorale. Je vais maintenant appuyer ces assertions sur quelques expériences. Nous n'allons pas prendre de mammifères , car ces animaux ne sont pas dans des conditions physio- logiques favorables pour la démonstration de ces faits; car, à peine le thorax est ouvert que la res- piration se trouble, les mouvements du cœur de- viennent désordonnés , et la vie cesse immédiate- ment. Les oiseaux, au contraire, sont très propres à ce genre d'étude. Chez eux, en effet, l'air au lieu de rester emprisonné dans le poumon, comme chez les mammifères, ne fait, pour ainsi dire, que franchir ces organes pour aller dans de larges cel- lules abdominales et thoraciques qui lui servent de réservoir. Aussi on peut impunément ouvrir la poi- trine d'un oiseau , il ne survient dans les grandes fonctions qu'un trouble léger, et la vie peut encore se prolonger long-temps. Nous allons faire nos expériences sur cette pie. ( 237 ) En appliquant la main et mieux l'oreille sur le thorax de cet animal , on distingue parfaitement le double tic-tac du cœur. Voyons maintenant ce que nous observerons quand le sternum aura été enlevé. Voilà le cœur mis à nu. Vous l'aper- cevez s'agitant dans la cavité pectorale , et à chaque contraction ventriculaire , sa pointe est énergiquement projetée en avant. J'ai beau maintenant ausculter , je n'entends plus les deux bruits ; on ne perçoit qu'un léger frôlement pro- venant des frottements que l'organe exerce contre les membranes avec lesquelles il est en contact. Vient-on à remettre le sternum en place, oh! alors , et plusieurs d'entre vous peuvent s'en assurer , le tic-tac reparait et devient de nou- veau parfaitement* appréciable à l'oreille. Si je substitue un morceau de carton au ster- num , le phénomène deviendra encore plus sen- sible. En effet, vous voyez que chaque fois que la cœur se contracte, sa pointe vient heurter le carton, le soulève avec force, et quand j'ap- plique le stéthoscope je distingue un bruit par- faitement manifeste , moins clair il est vrai, que pour le sternum, parce que les conditions physi- ques ne sont pas aussi favorable pour la pro- duction de la vibration solidienne. Si vous exposez au choc de l'organe durant la systole des ventricules des corps sonores , tel par exemple , qu'un petit tambour de basque , ainsi que je le fais maintenant, vous entendez de l'extrémité de l'amphithéâtre des sons manifestes. Maison a voulu nous faire1 une objection, et ( 238 ) l'on a dit : « Si on applique le stéthoscope sur >) le cœur ainsi mis à nu , et qu'on écoute , on >) entend très-bien le tic-taç. » Sans doute on l'entend , et comment pourrait-il en être autre- ment? Le stéthoscope étant un excellent con- ducteur des sons solidiens , doit nécessairement transmettre à l'oreille le choc du cœur contre son extrémité. Vous avez là les conditions les plus heureuses pour le développement d'un bruit, et pour sa transmission prompte et facile. On a dit aussi : « Si vous placez una mem- » brane souple entre le cœur et le stéthoscope )) et que vous auscultiez , vous distinguerez en- n core le tic-tac de l'organe. » L'explication de ce phénomène est aussi simple que pour le fait précédent. Partout en effet où la pointe du cœur pourra frapper sur une surface capable de pro- duire un soiij partout vous obtiendrez des ré- sultats identiques. Mais comme les vibrations dé- terminées par ce choc sont de la nature de celles que nous avons nommées solidiennes, jamais vous ne pourrez les entendre à distance , à moins toutefois que l'intensité dans l'impulsion du cœur, ou la sonoréité très-grande de la surface qu'il vient heurter ne transforme ces vibrations en sons aériens. Mais ce n'est là quJun cas excep- tionnel qui, bien loin de détruire la loi générale, ne tend au contraire qu'à la confirmer. VINGT-TROISIÈME LEÇON. Messieurs , Vous savez l'importance que j'attache pour l'é- tude des bruits du cœur , à ce que l'on distingue bien ceux qui appartiennent à l'état physiologique de ceux qui se développent sous l'influence de causes morbides. C'est là un point fondamental qui doit servir de *base à toute saine théorie. Aussi traiterons-nous à part des bruits normaux et des bruits accidentels ou anormaux, Nous avons- vu que c'est au moment où les ven« triculesse contractent, que la pointe du cœur vient heurter la paroi pectorale. C'est même un phé- nomène tellement vulgaire , qu'il n'est personne qui n'ait pu constater sur lui-même ce choc de l'organe , que l'on désigne dans le monde sous le nom de battements de cœur. Mais si tous les phy- siologistes sont d'accord sur ce point , il n'en est. plus de même quand il s'agit d'expliquer le mode de production des deux bruits. On convient bien qu'il y a coïncidence entre le tic et le choc sur la poitrine, mais on se refuse à admettre que ce soit ce choc qui produise un son. Et pourtant, quoi de plus naturel ? quoi de plus en harmonie avec ce ( 240- ) qu'apprennent l'expérience et le simple raisonne- ment? Pour pouvoir nier ces résultats, il faut donc refuser à la paroi thoracique la propriété de ré- sonner quand elle vient à être frappée par un corps solide ; il faut refuser au cœur la propriété de dé- velopper un bruit quand il heurte une surface re- tentissante. La première hypothèse n'est pas sou- tenabîe ; la seconde tombe devant l'expérience la plus grossière. En effet, prenez dans votre main , et serrez avec vos doigts le cœur d'un animal vi- vant, vous serez frappé, je dirai même confondu, de l'énergie avec laquelle ses fibres se contractent. Je vous engage à vous procurer cette sensation , sur un cheval, par exemple; car ce sont là de ces choses qu'il faut vérifier par soi-même, afin de pouvoir les apprécier à leur juste valeur. J'admets pour un instant que les bruits du cœur sont indépendants du choc de l'organe contre la poitrine : maintenant je vous prierai de m'expli- quer pourquoi , sous l'influence d'une hypertro- phie, ou d'une accélération subite dans la circu- lation , les battements augmentent d 'intensité , pourquoi on peut quelquefois les entendre à dis- tance ? Supposez un homme dans les transports d'une violente colère : sa face est injectée , plus de sang afïlue vers tous ses organes , son cœur vient frapper bruyamment contre la paroi thoracique. Eh bien ! quelque hypothèse que vous supposiez, vous pourrez bien expliquer cette accélération dans l'action du cœur, mais jamais cette intensité plus grande dans les bruits normaux. En effet, que dans un temps plus de sang afïlue vers le cœur, ( 241 ) les contractions ventriculaires augmenteront de fréquence , mais cela n'influera nullement sur les vibrations que vous supposez se produire dans l'organe lui-même. Et pourtant, telle est alors l'in- tensité des bruits cardiaques , qu'à chaque pulsa- tion la paroi pectorale retentit à distance, et que des sons solidiens à l'état ordinaire , se transfor- ment en vibrations aériennes. C'est ainsi que le cœur d'un homme d'une constitution chétive et misérable , peut , dans certaines circonstances , faire plus de bruit que celui d'un individu aux formes athlétiques. Vous voyez donc que tout concourt à démontrer que les battements du cœur sur le thorax sont ac- compagnés de sons. Je dis plus : pour quiconque a observé les conditions physiques de ces parties, ce serait un phénomène presque miraculeux que les choses pussent se passer autrement. Laënnec avait parfaitement remarqué que le point où l'in- tensité du premier bruit est le plus considérable , correspond précisément à l'intervalle qui sépare les cartilages des cinquième et sixième côtes ster- nales. Eh bien ! tel est , vous vous le rappelez , l'endroit où la pointe du cœur vient heurter. Et remarquez bien que dans les différentes théories que l'on a proposées pour l'explication des bruits cardiaques , il est impossible de se rendre compte du développement plus intime du tic dans le point que nous venons de mentionner. Ce phénomène me semble encore un argument bien puissant en faveur de l'opinion que je professe. Que vous at- tribuiez la production du double bruit soit aux ( 242 ) contractions des fibres du cœur, soit au choc du sang contre ses parois , soit au claquement des val- vules , soit enfin à la collision des molécules san- guines, jamais, je le répète, vous ne donnerez une explication satisfaisante de cette intensité plus grande en un point limité. Nous allons répéter devant Vous une expérience qui â déjà été faite par un de nos anciens collaborateurs, M. Bouillaud , qui a pensé que les résultats qu'elle présentait étaient opposés à ceux que nous avons obtenus. Notez bien que dans les explications que nous vous avons développées jusqu'à présent, il ne s'agit toujours que des bruits normaux ,• car , pour les bruits accidentels qui se lient à un état patho- logique , nous verrons bientôt qu'ils sont d'une tout autre nature , et que le mécanisme de leur développement est tout particulier. Expérience. Avant d'enlever le sternum sur ce coq, je vais ausculter le cœur. Je distingue par- faitement le tic - tac , car chez ces animaux les bruits cardiaques sont très forts et très faciles à bien entendre. Voici l'organe mis à nu; vous voyez toujours ce que j'ai déjà eu occasion de Vous faire observer, savoir ce balancement du cœur, dont la pointe est projetée en avant à chaque contrac- tion ventriculaire. Je vous prierai aussi de remarquer que , con- trairement à une opinion émise récemment , cet organe se raccourcit en même temps qu'il se con- tracte. Si maintenant que le sternum est enlevé j'applique mon oreille sur la paroi thoracique^ je ne distingue plus qu'un léger frémissement , ( m ) provenant des vibrations des membranes sur les- quelles le cœur repose. Afin que l'expérience soit plus complète , je vais passer une anse de fil près de sa base , et le soulever de manière à em- pêcher son contact avec les tissus voisins. J'aus- culte de nouveau. Malgré toute l'attention que j y mets, il ne m'est plus possible de distinguer aucun bruit qui rappelle le tic - tac du cœur. J'engage ceux d'entre vous qui peuvent rester après la séance, de s'assurer par eux-mêmes de l'exactitude de ces résultats. Vient-on à placer le stéthoscope le plus près pos- sible de l'organe , en évitant toutefois qu'il ne tou- che à ses parois,, on n'entend aucun bruit. Si l'ins- trument est mis en contact immédiat avec le cœur, oh! alors vous percevez facilement un double choc; mais vous vous rappelez l'explication que je vous ai donnée de ce phénomène; car dans ce cas, le sté- thoscope représente le sternum , et même il offre des conditions physiques plus favorables pour la formation et la transmission du son. Il s'agit maintenant de montrer que sur un mammifère on peut, sans enlever le sternum, em- pêcher les battements du cœur de se développer. Le procédé est fort simple : Voici un chien sur le- quel on entend de la manière la plus distincte le double bruit. Vous vous rappelez à cette occasion que je vous ai fait observer qu'il suffit souvent de coucher ces animaux sur le dos , pour que le tic- tac disparaisse par suite de l'éloignement de l'or- gane de la paroi antérieure du thorax. Chez ce- lui-ci il n'en est pas ainsi, car quelqu' attitude que ( 244 ) nous lui donnions, les sons cardiaques restent tou- jours perceptibles. Mais revenons à notre expé- rience. Il est évident que si le premier bruit dépend du choc du cœur contre la poitrine , on doit en em- pêchant ce choc, empêcher en même temps le bruit. C'est là une conséquence rigoureuse; voyons ce que les faits vont nous démontrer. Je fais une pe- tite ouverture à la paroi pectorale de ce chien , et j'y introduis une petite verge métallique, que je glisse au-devant de la face antérieure du cœur; observez, je vous prie, avec quelle force la tige est soulevée à chaque contraction des ventricules : quand on applique le doigt à son extrémité on sent qu'il est brusquement heurté, et même on éprouve une impulsion, dont on serait loin, à priori, de soupçonner l'énergie. Si maintenant je presse sur la tige métallique , je repousse le cœur en arrière, et le refoule quelque peu vers la colonne verté- brale; par conséquent il ne peut plus venir choquer par sa pointe contre la poitrine. Eh bien î si dans de semblables conditions vous venez à ausculter, ainsi que je le fais maintenant , vous n'entendez plus le tic-tac caractéristique. L'oreille est bien encore frappée par des sons obscurs et profonds qui proviennent du frottement de l'organe, contre les tissus membraneux qui l'enveloppent , mais il y a loin de ces vibrations confuses aux bruits clairs et distincts qu'on perçoit à l'état normal. Ces résultats, que nous fournissent nos expé- riences, se présentent assez fréquemment dans la pratique, quand on examine avec soin les mala- ( 245 ) des. Nous parlerons plus tard de ces circonstances pathologiques. Mais même dans l'état le plus par- fait de santé il peut se faire que vous auscultiez un individu sans pouvoir distinguer le premier bruit. A quoi cela tient-il ? A ce que le bord inférieur du poumon gauche vient s'interposer entre le tho- rax et la pointe du cœur; car alors son tissu spon- gieux et aérien joue le rôle d'un coussinet, destiné à amortir le son provenant de la percussion de la paroi pectorale. Nous pouvons faire une expérience inverse de la précédente ; les résultats seront les mêmes, seu- lement le mécanisme sera différent. En effet , si au lieu de placer la tige métallique au-devant du cœur, je la fais pénétrer par derrière, puis ensuite si je m'en sers comme d'une sorte de levier pour soulever cet organe et l'appliquer immédiatement contre le thorax., vous cesserez d'entendre le pre- mier bruit. Ces faits ne confirment-ils pas pleine- ment notre théorie ? Voici en effet les explications toutes naturelles de ce phénomène , si singulier en apparence. Pour que le cœur vienne frapper la poitrine , il faut bien qu'il en soit placé à quelque distance pour qu'il puisse , pour ainsi dire , pren- dre son élan. Venez-vous à le refouler vers la co- lonne vertébrale , il se trouve trop éloigné du tho- rax pour pouvoir le heurter. Venez-vous au con- traire à l'appliquer étroitement contre la paroi, pectorale , il ne peut s'écarter assez pour produire un choc. Ainsi donc c'est par l'absence de ce choc de l'organe dans ces deux circonstances , que je m'explique la disparition du premier bruit. m. 46 ( 246 ) Les observations cliniques viennent , ainsi que je vous le disais, à l'appui de ces données que fournit l'expérience. C'est ainsi qu'un épanchement liquide ou gazeux dans la cavité des plèvres, distend ces membranes et déplace le cœur, dont il change les rapports avec le thorax , de la même manière que la tige métal- lique dont je me suis servi. Aussi, n'est-il pas rare dans ces cas , de voir le premier bruit manquer complètement. Voyez encore ce qui se passe dans ces hypertrophies de l'organe central de la circu- lation. D'abord le son devient plus sourd, ce qui dépend du volume plus considérable de son tissu ; puis,il%roît d'intensité; car la pointe du cœur vient heurter avec plus de force la paroi pectorale. Mais arrive bientôt une période où l'organe se trouve trop gros pour se mouvoir clans la cavité thoraci- que ; et alors vous voyez la poitrine soulevée for- tement à chaque contraction ventriculaire , mais vous chercheriez en vain à distinguer les sons car- diaques. Au tic-tac a succédé un simple frémis- sement vibratoire. Je répète, pour l'avoir observé un grand nombre de fois, que dans les cas où le cœur acquiert un volume énorme, il n'y a plus de choc , partant plus de bruit. C'est ainsi que nous croyons que ces faits phy- siologiques et pathologiques peuvent être interpré- tés d'une manière satisfaisante. Sans doute il reste encore beaucoup de points obscurs, beaucoup de problêmes difficiles, ou même impossibles à ré- soudre dans l'état actuel de la science. Mais je crois être dans la bonne voie % dans la voie du ( *w ) progrés. Aussi, jusqu'à nouvel ordre, je persiste à soutenir la théorie que j'ai proposée, car elle est basée sur des recherches nombreuses et un exa- men consciencieux. VINGT-QUATRIÈME LEÇON. Messieurs, Vous avez vu jusqu'à présent que la question des bruits du cœur soit normaux, soit accidentels, est une question tout expérimentale. Si l'on s'en tenait aux simples renseignements fournis par d'an- ciennes théories physiologiques , on tomberait à chaque instant dans les erreurs les plus graves. Mais en ne consultant que les observations faites avec soin sur les animaux et l'homme vivant , on est sûr de ne point s'écarter de la ligne que l'on doit suivre quand on veut arriver à des résultats positifs. Toutefois pour être en droit d'émettre ou d'embrasser une opinion quelconque, relativement au sujet qui nous occupe , il ne suffit pas d'être bon praticien, d'avoir un esprit juste et éclairé; il faut encore posséder les notions physiques indis- pensables , pour savoir apprécier les divers phé- nomènes offerts à l'observation. Nous vous avons prouvé, je crois , par une sé- rie de faits incontestables , que le premier bruit , le tic , dépend du choc de la pointe du cœur contre la paroi artérienne du thorax; vous vous rappelez ( 249 ) que, suivant que l'organe est trop rapproché ou trop éloigné du point qu'il doit frapper, les sons cardiaques disparaissent. C'est ainsi qu'en refou- lant le cœur vers la colonne vertébrale , j'ai fait cesser le premier bruit, et que j'ai obtenu les mê- mes résultats en l'appliquant immédiatement con- tre la paroi pectorale. Quant à cette dernière ex- périence , vous pouvez produire sur vous-même quelque chose d'assez analogue pour l'intelligence de son mécanisme. Ainsi vous savez qu'en percu- tant légèrement la conque de l'oreille avec la pulpe du doigt, on détermine un ébranlement vibra- toire, qui a un caractère tout particulier. Si^, au lieu d'éloigner et de rapprocher le doigt successi- vement, vous le tenez exactement appliqué sur l'orifice du conduit auditif, vous aurez beau alors exercer une compression subite , jamais vous ne parviendrez à produire de son. Nous allons terminer ce qui a rapport à ce pre- mier bruit en vous montrant que des accumula- tions de liquides ou de gaz, dans la cavité du tho- rax, empêchent d'entendre les sons cardiaques. Voici un chien chez lequel le tic-tac du cœur est très sensible pour l'oreille qui ausculte. Je fais maintenant à la paroi pectorale du côté gauche une ponction avec le petit instrument que j'ap- pelle perce-plèvre, puis j'injecte une certaine quan- tité d'eau tiède. Laissons un instant l'animal se remettre du trouble qu'a déterminé , dans l'appa- reil respiratoire , la présence d'un liquide étran- ger. Maintenant qu'il est calme, auscultez les bruits du cœur : le premier manque, le second seul se ( 250 ) fait encore entendre , mais il est moins clair et moins distinct qu'à l'état normal. Si vous injectez plus d'eau, il ne tarde pas lui-même à disparaître. À quoi peut tenir cette absence du premier son ? A ce que l'organe est refoulé vers la colonne ver- tébrale , et que sa pointe ne peut plus venir heur- ter contre le thorax. Or, si ces bruits cardiaques dépendaient du claquement des valvules, ou des vibrations des fibres du cœur lui-même , comme les liquides sont de bons conducteurs du son, vous devriez entendre très bien le tic-tac, peut-être même mieux qu'à l'ordinaire. Si au lieu d'eau vous injectez de l'air, les résul- tats sont encore les mêmes. La théorie devait sans doute vous faire soupçonner d'avance ce que les expériences sont venues confirmer de la manière la plus manifeste. Passons maintenant à l'étude du second bruit. Second bruit. Nous savons déjà que chaque fois que les ventricules se contractent, le cœur , par un mouvement de balancier , vient se lancer con- tre le thorax , et que c'est le choc de sa pointe contre cette paroi retentissante qui produit le pre- mier bruit. Or , remarquez que c'est par sa partie la plus dure, et pour ainsi dire la plus charnue , que l'organe heurte la poitrine ; et comme la con- traction énergique de ses fibres lui donne encore une plus grande consistance , vous vous rendez facile- ment compte, d'après les lois physiques , pourquoi le premier bruit est plus sourd que le second. En effet , celui-ci dépend aussi , comme vous allez le voir , du choc du cœur contre la paroi pectorale , ( 251 ) et s'il est plus éclatant, cela provient de deux cau- ses : d'abord , de la sonoréité plus grande du ster- num, contre lequel l'organe vient heurter ; en se- cond lieu, de ce que les parois des ventricules, pendant la dilatation de ces cavités, doivent, en raison de leur peu d'épaisseur ,, développer des vi- brations plus claires et plus superficielles. Je dis que le second bruit, le tac , est produit par le choc de la face antérieure du cœur contre la face postérieure du sternum et les parties tho- raciques circonvoisines , à chaque diastole des ventricules. Mais avant de vous prouver que c'est ainsi que les choses se passent, je dois re- lever une erreur de Laënnec. Cet illustre obser- vateur se contentant des anciennes idées qu'on avait sur la contraction alternative des ventri- cules et des oreillettes , et remarquant que ce se- cond bruit survenait après la pulsation du pouls , l'attribuait aux vibrations sonores qui se dévelop- peraient dans les fibres des oreillettes à l'instant où elles se contractent. Mais des objections nom- breuses et puissantes, s'élèvent bientôt contre cette conjecture. Ainsi le professeur Turner, d'Edim- bourg, et d'autres physiologistes connus , ont dé- montré que les contractions des oreillettes pou- vaient avoir lieu ou bien manquer sans que le second bruit fût altéré. Je suis arrivé moi-même à des résultats semblables en injectant beaucoup d'eau dans le système circulatoire d'un animal , de manière à dilater notablement ses vaisseaux sanguins. Dans ces cas en effet, si l'on met le cœur à-nu; on voit que les oreillettes distendues ( 252 ) par la colonne de sang ne jouissent plus d'une contraction active comme à l'état normal ; seu- lement, leur élasticité se trouvant mise en jeu, elles reviennent un peu sur elles-mêmes quand leurs parois sont moins pressées par le liquide qui afflue dans leur cavité ï Et cependant la circu- lation continue de s'exécuter librement , et l'aus- cultation ne dénote aucune altération dans le rhythme des sons cardiaques. D'ailleurs on a fait à Laënnec un reproche mérité , c'est d'avoir in- terverti l'ordre cfes bruits du cœur , car la con- traction des oreillettes précède le premier bruit. Mais il est un fait sur lequel tout le monde est d'accord aujourd'hui , c'est que c'est exactement au moment où les ventricules se dilatent , que le second bruit se développe. Or, trouvons-nous dans cette dilatation une cause physique capable de pro- duire un son ; c'est ce qu'il s'agit maintenant d'examiner. A l'instant où le sang pénètre dans les cavités ventriculaires , le cœur augmente de volume et vient choquer une seconde fois la paroi pectorale. C'est là un phénomène qui n'avait point encore fixé suffisamment l'attention des physiologistes. M. Hope , dans les expériences qu'il a faites à ce sujet , a très bien vu qu'à chaque diastole des ven- tricules la face antérieure de l'organe venait frap- per le thorax. Eh bien ! si le choc de la pointe du cœur contre la poitrine produit un bruit , n'est-il pas naturel de penser que le choc du corps même de ce viscère développera également des vibra- tions sonores ? C'est ce que l'expérience prouve ( 253 ) de la manière de. la plus évidente , ainsi que nous allons vous le démontrer. Souvent même il est possible sur l'homme de constater ce double choc du cœur contre le thorax. Examinez avec atten- tion la place où l'auscultation fait entendre le second bruit c'est-à-dire au niveau du sternum et un peu à droite , vous verrez que chaque fois que les ventricules se dilatent , la paroi pectorale offre un petit soulèvement. Cela devient surtout manisfeste dans le cas d'hypertrophie. Il suffit de placer simultanément deux stéthoscopes , l'un vis-à-vis la pointe du cœur , l'autre vis-à-vis la face antérieure; et alors on voit les deux instru- ments soulevés successivement par des mouve- ments parfaitement isochrones à chacun des bruits cardiaques. Je dis donc que cJest par sa dilatation que le cœur vient choquer le sternum , et que telle est la source du second bruit. C'est ce qu'il est facile de prouver de diverses manières. Quand on met à nu sur un animal , ainsi que vous pouvez le constater sur cette oie , le cœur; après avoir enlevé le sternum , l'auscultation ne fait plus entendre le tic-tac de l'organe. Venez - vous à replacer cette pièce osseuse; à l'instant le double bruit reparaît. Si au lieu du sternum , vous mettez un corps quelconque susceptible d'en- trer en vibration , du moment que le cœur pourra le heurter, vous aurez encore la production des sons cardiaques. Ainsi une condition essentielle pour l'existence de ces bruits, c'est le choc de l'organe contre une surface sonore. Or, nous ( 254 ) avons maintenant la preuve expérimentale que la paroi thoracique réunit les propriétés physiques les plus favorables pour le développement de vi- bration. Et d'ailleurs, s'il en est ainsi , un obstacle mé- canique placé entre le cœur et le sternum devra nécessairement s'opposer à la formation du bruit qui nous occupe. Effectivement vous vous rap- pelez que de l'air ou de l'eau \ injecté dans la poitrine, fait disparaître à l'instant le tic-tac de l'organe. Cependant le cœur continue à se con- tracter et à se dilater régulièrement, mais refoulé vers la colonne vertébrale , il se trouve trop éloigné de la paroi pectorale pour pouvoir la choquer par sa pointe ou sa face antérieure. De là cette absence des bruits normaux. Or, remar- quez que si ces bruits étaient produits dans le cœur lui-même , ils devraient se transmettre faci- lement , d'après les lois connues de l'acousti- que , jusqu'à l'oreille appliquée sur le thorax ; en effet l'eau et l'air sont de très-bons conduc- teurs du son. Les faits pathologiques viennent pleinement confirmer ces résultats auxquels nous conduit le raisonnement et l'expérience : car les bruils anor- maux qui ont leur point de départ dans le cœur lui-même, peuvent être entendus dans toutes les circonstances possibles. Qu'il y ait un épanche- chement de pus, de sérosité, d'air dans le péri- carde ou la plèvre, toujours les vibrations dé- veloppées au sein de l'organe seront transmises aux parojs thoraciques par l'intermédiaire de ces ( 255 ) agents conducteurs. Ce fait, qui est constant , me semble un bien puissant argument en faveur de la théorie que je soutiens. Ai-je besoin de répéter encore sous vos yeux ces expériences où refoulant avec une tige métallique le cœur vers la colonne vertébrale, j'ai pu faire disparaître à mon gré le double bruit de l'organe? De même si avec mon doigt indicateur introduit dans la poitrine, j'applique immédiatement contre la paroi thoracique le cœur que je soulève par sa face postérieure, le tic-tac cesse de se faire enten- dre. Vous connaissez le mécanisme de ce phéno- mène que je puis varier à mon gré ; aussi je ne re- viendrai pas sur les explications que je vous ai données dans la séance dernière. Seulement je dois vous faire remarquer que dans cette dernière ex- périence, en ad mettant comme vraie l'hypothèse qui place dans le cœur lui-même la formation du bruit qui nous occupe , vous auriez des conditions bien plus favorables pour la transmission de vibrations sonores. Celles-ci, en effet, n'auraient à traverser que l'épaisseur des parois du thorax, avant de par- venir à votre oreille. Telles sont, messieurs, les idées que j'ai émises, il y a déjà quelque temps, sur le mécanisme des bruits normaux du cœur. Les travaux nombreux aux- quels se sont livrés les physiologistes, pour éclairer cette question délicate, les résultats divers auxquels ils sont parvenus, n'ont pu modifier mes opinions à cet égard. Je persiste toujours à regarder le tic- tac du cœur comme le résultat du choc successif de l'organe, contre les parois du thorax , pendant ( 256 ) la systole et la diastole des ventricules. Je sais que cette explication, si simple et si naturelle, est loin de réunir tous les suffrages des médecins qui met- tent souvent une sorte de gloire à dédaigner les sciences physiques. D'autres théories, plus attrayan- tes peut-être pour une imagination amie du mer- veilleux , ont été accueillies avec plus de fa- veur ; mais pour démontrer un fait , il ne suffit pas de l'exprimer avec assurance , il faut encore l'appuyer sur des observations exactes et rigou- reuses. 11 serait trop long et trop fastidieux de vous énumérer en détail les diverses explications qui ont été proposées sur le mécanisme des bruits du cœur. Je me contenterai de mentionner celles qui comptent maintenant le plus de partisants. Nous examinerons rapidement , et nous réfuterons , je l'espère , de la manière la plus victorieuse , les principales assertions sur lesquelles elles repo- sent. Vous savez déjà que Laënnec attribuait le pre- mier bruit à la contraction des ventricules , et le second à la contraction des oreillettes. Quant à la véritable source des sons cardiaques, il ne chercha pas à la rattacher aux lois de l'acoustique, mais il se contenta de les expliquer par les vibrations so- nores qui se développeraient dans le cœur au mo- ment où ses fibres se contractent. Cette théorie , fondée plutôt sur des déductions tirées du lieu et du temps où ces bruits se produi- sent que sur des observations directes, fut accueil- lie avec une immense faveur par tous les praticiens. ( 257 ) Et cependant combien d'objections devaient s'éle- ver contre elle ! Mais malheureusement l'ingénieux auteur de l'auscultation négligea la voie expéri- mentale, et même il n'hésite pas à déclarer dans son immortel ouvrage, que , dans la question qui nous occupe, la théorie conduit à des résultats plus exacts que l'ouverture et l'inspection des animaux vivants. Avant d'attribuer à la simple contraction d'un organe aussi peu volumineux que le cœur, un bruit subit, brusque et quelquefois assez intense pour être entendu à plusieurs mètres de distance, il eût fallu prouver qu'un muscle en se contractant pro- duit des vibrations de cette nature. C'eût même été là une découverte de physique vitale des plus im- portantes. Or, le 'docteur Wollaston, dont l'ouïe était si fine, n'a jamais pu constater dans la con- traction musculaire qu'un sorte de frémissement faible et confus, assez analogue au roulement que l'on entend en se mettant le doigt dans l'oreille , et qu'il a nommé bruit rotatoire. Mais il y a loin de ces vibrations obscures aux sons clairs et bruyants qui accompagnent le tic-tac du cœur. Une autre théorie, qui a plus de vogue aujour- d'hui, est celle qui attribue au jeu des valvules le développement des bruits cardiaques. C'est M. Rouanet qui l'a proposée , et voici les diverses suppositions sur lesquelles il croit devoir l'ap- puyer. Il a dit : au moment où les ventricules se contractant, les valvules auriculo-ventriculaires se tendent, le sang vient les heurter , de là production d'un premier bruit. Au moment où les ventricules ( 258 ) se dilatent, la réaction élastique des artères, aorte et pulmonaire, redresse les valvules sygmoïdes; de là production d'un second bruit, Ainsi , d'après M. Rouanet , c'est au choc de la colonne de sang, contre les valvules mitraleet tricuspide d'une part, et de l'autre, contre les valvules sygmoïdes , qu'il faut attribuer la production du double bruit du cœur. Cette explication , tout ingénieuse qu'elle peut paraître, est physiquement inadmissible. Aussi je la nie formellement; voici d'ailleurs les raisons sur lesquelles je me fonde. Si l'on prend un tuyau inflexible que l'on a à peu près rempli d'eau, et qu'on vienne à l'agiter , on produira une espèce de gargouillement analogue à celui qu'on détermine en rinçant une bouteille. Ce bruit provient du mélange de l'air avec le liquide , et du choc de celui-ci contre les parois du tube. Mais doit-il en être ainsi dans les artères ? D'abord les conditions physiques ne sont plus les mêmes. Les tuyaux qui contiennent le sang ne sont point du tout inflexibles , mais leurs parois jouissent de propriétés élastiques les plus tranchées. Si donc vous mettez un liquide dans une artère, en ayant la précaution de chasser tout l'air de la cavité du vaisseau, vous ne pouvez supposer de gargouille- ment, encore moins un bruit de choc. Voici l'aorte d'un cheval, dont on a eu soin de lier les branches collatérales, et que l'on a remplie d'eau après avoir fermé son extrémité inférieure. Eh bien ! j'ai beau presser le vaisseau brusquement en divers points de sa longueur,, la colonne de liquide s'élève et s'a- (259) baisse alternativement, mais jamais elle ne déter- mine un bruit de choc. Cependant en physique on fait une expérience qui semblerait d?abord fournir des résultats contradictoires .Vous connaissez tous le marteau d'eau. Quand j'imprime à cet instru- ment un mouvement brusque , la colonne de li- quide vient heurter l'extrémité du tube de verre où elle est renfermée et alors vous entendez un bruit très -sensible. L'explication de ce phénomène est bien simple, ainsi que vous allez le voir. Dans le marteau d'eau les parois du tube sont inflexibles , et l'on va préalablement fait le vide, aussi rien n'empêche le liquide, en retombant de tout son poids de produire un choc sec, comparé à un coup de marteau. Mais en est-il de même des tuyaux ar- tériels? Ces vaisseaux toujours pleins ont des parois molles et élastiques, qui sans cesse sont en contact avec le sang, et le vide étant impossible , on ne peut concevoir la production d'un bruit semblable à celui que vous venez d'entendre. Ainsi , je le répète , toute théorie reposant sur le développement de vibrations sonores , ayant le caractère d'un choc , au moyen de soupapes mem- braneuses disposées dans un tuyau flexible rem- pli de liquide, est fausse et erronée. De semblables assertions peuvent satisfaire un médecin; mais pour un physicien elle ne sont pas proposantes. Je sais fort bien que dans certaines circonstances , que nous apprécierons plus tard , on entend des bruits particuliers dans les artères; mais ce ne sont pas des bruits de choc, et c'est de ceux-là seulement que nous nous occupons pour l'instant. ( 260 ) Pour donner plus de valeur à ces raisonnements, nous allons faire devant vous une expérience bien simple. Vous savez que, par un mécanisme admi- rable , les valvules sygmoïdes s'abaissent immédia- tement après la systole des ventricules , et que par suite de leur disposition anguleuse dans l'aire du vaisseau, elles s'opposent au reflux du sang, dans la cavité qu'il vient d'abandonner. C'est donc à ce redressement subit des valvules qu'il faudrait at- tribuer le second bruit. Eh bien ! si j'introduis dans le ventricule gauche le syphon de cette serin- gue, je peux, en injectant et en aspirant successive- ment un liquide dans l'aorte, imiter avec mon pis- ton la contraction et la dilatation ventriculaire, et reproduire fidèlement le jeu des valvules. Venez- vous alors à appliquer le stéthoscope sur le cœur , vous ne pouvez distinguer le moindre son. D'ail- leurs ces résultats sont d'accord avec les données physiques les plus vulgaires. Pour qu'il y ait un choc, il faut que les deux corps cessent un instant d'être en contact immédiat. Quand vous êtes dans une baignoire, vous auriez beau agiter votre main en tous sens, de manière à déplacer brusquement le liquide, jamais vous ne parviendriez à détermi- ner des vibrations sonores. Ce que je dis de l'hypothèse émise par M. Roua- net s'applique également à celles qui attribuent les bruits cardiaques, soit aux vibrations produites par le choc du sang contre les parois des ventricu- les, soit à l'ébranlement communiqué aux artères aorte et pulmonaire. Je résume ainsi ma propo- sition : ( 261 ) Dans aucune circonstance on ne peut dévelop- per un bruit sec et instantané comme le bruit de choc, par le fait d'un mouvement imprimé à un li- quide renfermé dans un tuyau à parois élasti- ques. Vous le voyez , Messieurs, toutes ces questions qui intéressent à tant de titres les physiologistes et qui, dans nombre de cas, sont les éléments des raisonnements cliniques d'après lesquels se for- s mutent les prescriptions thérapeutiques, appar- tiennent en entier à la physique ; c'est exclusive- ment appuyé sur les notions positives que nous prête cette belle science, que le médecin doit es- sayer de les résoudre. m. 17 VINGT-CINQUIÈME LEÇON. Messieurs , Nous avons déjà passé rapidement en revue les principales hypothèses proposées pour l'explication des bruits normaux du cœur. Je crois ne point vous avoir encore parlé des travaux faits à Dublin par une société de médecins, réunis dans le but d'éclaircir cette délicate et importante question. De nombreuses expériences furent répétées sur des animaux vivants, et spécialement sur de jeunes veaux; mais, malgré toute l'exactitude que l'on ap- porta dans ces recherches, on ne put arriver à des conclusions satisfaisantes, et la commission dé- clara que des observations ultérieures étaient in- dispensables. Il résulterait néanmoins des faits ob- servés par ces savants, que les bruits cardiaques ne sont pas produits parle contact des ventricules avec le sternum ou les côtes; mais qu'ils dépen- dent de mouvements en dedans du cœur et de ses vaisseaux. Je regrette de ne pouvoir entrer avec vous dans quelques détails sur les diverses expé- riences qui servent de base à une opinion aussi ( 263 ) opposée à celle que je professe. Seulement je dois vous faire remarquer qu'au lieu du stéthoscope or- dinaire on s'est servi d'un tube acoustique , muni d'une tige longue et flexible , semblable à celui que je vous ai montré dans une des dernières séan- ces. Or, cet instrument est un très mauvais con- ducteur du son, ainsi que nous vous l'avons fait observer. J'ajouterai aussi que dans les divers bruits qu'on dit avoir entendus sur le cœur , isolé des parois thoraciques, on ne parle que de frémis- sements vibratoires peu intenses , et nullement de ce choc violent qui accompagne le premier son , le tic de l'organe. Enfin, M. Hope vient de faire une nouvelle série d'expériences sur les causes immédiates des bruits du cœur. Déjà il avait proposé une théorie, mais il l'a modifiée dans ces derniers temps, et voici maintenant les propositions qu'il cherche à établir. Elles sont, pour ainsi dire , le résumé des opinions des physiologistes anglais^ surJa nature de la question qui nous occupe. Le premier son, dit M. Hope, est un son com- biné; il est composé : 1 ° du claquement des valvules; 2° d'une augmentation de ce claquement , ou par le bruit musculaire, ou par le mouvement du fluide, ou par l'un et l'autre; 3° d'une prolongation du son par le bruit musculaire ou par le mouvement du sang. Je traduis, le texte sous les yeux. Est-ce là , je vous le demande , une théorie ? Qui ne s'aperçoit que le savant physiologiste an- glais ne fait que des suppositions , mais qu'il n'a point d'opinion arrêtée? Ce n'est point avec des ou ( 264 ) ni des peut-être qu'on peut donner une explication rigoureuse de phénomènes qui sont du ressort d'une science aussi exacte que la physique. Il ne suffit pas, en effet, d'admettre un claque- ment des valvules , un bruit développé dans les fibres du cœur ou les molécules du sang ; il faut encore appuyer ces suppositions sur des faits bien observés. Quant à la prolongation du son par le bruit musculaire, il faudrait donc supposer que le premier son cardiaque n'est pas brusque et instan- tané. Or , c'est ce que dément l'observation la plus vulgaire. Quelquefois^ il est vrai , le bruit se pro- longe, mais alors l'organe se trouve placé dans des conditions particulières , et le sang , en traversant ses orifices , éprouve un frottement dont bientôt nous allons nous occuper. . M. Hope attribue le second bruit au jeu des vak vules sygmoïdes. Comment alors , dans cette hypothèse , expli- quer la persistance des sons normaux du cœur , malgré les nombreuses altérations pathologiques auxquelles ces soupapes membraneuses sont expo- sées? Vous savez qu'il n'est pas rare de trouver les valvules malades, bien que pendant la vie on ait pu toujours constater l'existence d'un double bat- tement à la région précordiale. Je suis d'ailleurs le premier à reconnaître que le savant physiologiste anglais a mis dans ses re- cherches toute la bonne foi d'un observateur qui s'efforce de trouver la' vérité ; ce n'est qu'à la suite de nombreux travaux qu'il est arrivé aux résultats que je viens de vous exposer. Aussi je ne nie point ( 265 ) les faits qu'il dit avoir observés; seulement je crois devoir combattre les conséquences qu'il en a dé- duites. Voici , par exemple , une expérience qui a été faite par M. Hope et par d'autres encore , et qui tout d'abord semble confirmer pleinement la théo- rie qui attribue aux valvules sygmoïdes le déve- loppement du second bruit du cœur. Si l'on vient à placer un corps étranger, tel qu'un tube, entre ces soupapes membraneuses, sur l'animal vivant, on trouve , par l'auscultation , que le second bruit a cessé. Conclurons-nous de ce fait , avec M. Hope , que le son cardiaque qui nous occupe est produit par les valvules sygmoïdes , puisqu'il disparaît, quand celles-ci ne peuvent'plus exécuter leur jeu accou- tumé ? Non, mais nous chercherons dans les mo- difications apportées au cours du sang , dans les cavités qui lui servent de réservoir , l'explication de cette absence du second bruit. Je dois à ce sujet entrer dans quelques considérations physiologi- ques , relatives au mécanisme de la circulation. Au moment de la diastole du cœur, les parois ventriculaires , qui s'étaient d'abord rétrécies pendant la systole de l'organe, se dilatent brusque- ment, et permettent au sang de pénétrer dans leur cavité. Cette distension subite des fibres contrac- tées a été attribuée par quelques personnes à une propriété vitale particulière ; pour moi , je suis plutôt porté à considérer cette dilatation comme le résultat de l'élasticité de l'organe mise en jeu^ que comme un phénomène actif. C'est ainsi que quand (- 266 ) je comprime ce cœur privé de vie, il s'affaisse sous mes doigts; mais aussitôt que je cesse la compres- sion, il reprend sa première forme. Je crois que c'est ainsi que les choses se passent sur l'animal vivant ; seulement cette réaction élastique est bien plus subite et bien plus énergique. Quoi qu'il en soit de ces explications , le ventricule exerce une puissante aspiration sur la colonne de sang qui fait irruption dans sa cavité , et en distend subitement les parois. C'est donc au moment où cette dilatation s'effectue que la face antérieure du cœur vient cho- quer la paroi pectorale. Eh bien î vous concevez maintenant comment tout obstacle qui s'oppose, soit à la libre pénétration du sang dans les ventri- cules , soit à sa libre sortie de l'intérieur de ces cavités , devra nécessairement modifier la systole et la diastole de l'organe , et par suite altérer les bruits cardiaques. Si, à l'exemple de M. Hope, vous introduisez un tube entre les valvules syg- moïdes , la présence de ce corps étranger gênera le passage du sang à travers l'orifice artériel; les ventricules ne se vidant et ne se remplissant plus aussi facilement , la dilatation de leurs parois sera moins étendue et moins subite. De là diminution dans le choc imprimé au thorax, delà aussi affaiblis- ement ou même absence complète du second bruit. Et d'ailleurs sur quelles lois physiques peut-on s'appuyer pour prétendre que les liquides , en pé- nétrant dans des cavités ou tuyaux à parois flexi- bles , tels que le cœur et les artères , peuvent dé- velopper un bruit de choc? Ce n'est là, je le ré- pète encore, qu'une simple hypothèse. Comme les (267) parois de ces vaisseaux sont toujours en contact immédiat avec le sang , et qu'il n'y a ni vide, ni air dans leur intérieur, vous ne pouvez concevoir la production d'un semblable bruit. Aussi, tant qu'on ne m'aura pas prouvé que les tuyaux arté- riels se comportent comme le marteau d'eau, je re- pousserai comme physiquement inadmissible toute explication des sons cardiaques , basée sur le sim- ple jeu des valvules. Vous savez que les liquides sont d'excellents conducteurs du son , et que sous ce rapport ils ont l'avantage relativement à l'air. Comment alors ex- pliquerez-vous le phénomène suivant. Laënnec , cet observateur si habile dans ses remarques cli- niques , mais qui malheureusement avait négligé les études physiques nécessaires pour arriver à leur explication; Laënnec, dis -je, avait très bien noté que dans un hydro-péricarde, on entend encore les deux bruits normaux du cœur 9 quand Fépanchement est peu considérable ; seulement le son est plus sourd pour le premier bruit, et moins clair pour le second. Mais, ajoute Laënnec , si la maladie fait des progrès , et que la masse du li- quide devienne assez volumineuse pour repousser le cœur en arrière 9 alors vous ne pouvez plus dis- tinguer le tic-tac de l'organe. Ces observations de Laënnec sont parfaitement justes, et elles ont été confirmées par plusieurs autres médecins. Mais l'ingénieux auteur de l'auscultation n'a pas cher- ché à en donner l'explication , car seules elles au- raient ruiné sa théorie des contractions sonores des fibres du cœur. Ce fait, d'ailleurs, vient ajouter ( 268 ) une nouvelle preuve à la doctrine que nous pro- fessons y ainsi que nous pouvons nous en assurer , en le soumettant à une rapide analyse. Pourquoi , dans les cas d'un ëpanchement léger, les bruits normaux persistent » ils à un plus faible degré ? Parce que le cœur peut encore se mouvoir libre- ment ; seulement ses chocs contre la paroi pecto- rale sont moins intenses. Mais quand le liquide, trop abondant, vient à refouler l'organe à une dis- tance considérable du sternum, alors il n'y a plus de choc possible contre la "poitrine , et par consé- quent les bruits devront cesser. Ce seul fait suffit pour anéantir toutes les hypo- thèses qui placent la source des bruits du cœur dans le cœur lui-même; la présence d'un liquide étant beaucoup plus favorable que celle de l'air , pour la transmission de vibrations sonores. Des observations nombreuses faites sur le ca- davre sont venues plus d'une fois confirmer mon diagnostic , basé uniquement sur la connaissance de ce choc du cœur contre la poitrine. J'ai cité le cas d'une femme , couchée dans mes salles à l'Hô- tel-Dieu , chez laquelle le second bruit cardiaque avait disparu à la suite d'un hydro-thorax du côté droit. Elle vint à succomber. Nous constatâmes à l'autopsie l'épanchement pleurétique, mais de plus nous trouvâmes que le liquide , poussant devant lui la plèvre, avait formé une collection secondaire entre la veine cave inférieure et la colonne verté- brale , collection qui refoulait le cœur en avant. Nous comprîmes alors comment la face antérieure de l'organe , maintenue étroitement , appliquée ( 269 ) contre la paroi pectorale , ne pouvait plus venir choquer le sternum : de là l'absence du second bruit. Voici le cœur d'une jeune femme qui vint mourir à l'Hôtel-Dieu. Je crois avoir publié son observation , car elle est pleine d'intérêt; toujours est-il que je me rappelle parfaitement les diverses particularités que l'auscultation attentive du cœur nous fit découvrir. Chez cette fille, le premier bruit existait, mais le second manquait complètement. A quoi pouvait tenir ce phénomène ? Nous pen- sâmes d'abord à l'existence d'un hydro - thorax, mais bientôt un examen plus minutieux de la ma- lade nous fit rejeter cette idée, et tout en soupçon- nant un obstacle mécanique , qui s'opposait au choc du cœur contre le sternum , nous étions in- certains sur la nature même de la lésion. Voici ce que l'autopsie nous apprit. Par suite d'une an- cienne péricardite, la face antérieure du cœur était recouverte d'une couche épaisse de fausses mem- branes; ce sont elles que je soulève avec les mors de cette pince; la pointe de l'organe, au contraire, conservait l'aspect luisant et poli que vous lui con- naissez. Cette curieuse pièce pathologique, que je vous engage à examiner avec soin , nous permit alors de nous rendre compte de ce que nous avions observé pendant la vie. Il fut évident pour nous que l'intermédiaire de ces fausses membranes, dé- posées à la surface de l'organe, faisait l'office d'un coussin , et amortissait le bruit en empêchant le choc contre le sternum. Tandis que la pointe du cœur, libre de toute production albumineuse, ve- ( 270 ) nait frapper bruyamment le thorax au moment de la systole des ventricules. Ainsi , d'une part nous ne trouvons plus les conditions physiques d'un choc, et par suite absence du second bruit. D'une autre part, ces conditions physiques existent comme à l'état normal ; et le premier bruit est conservé. N'est-il pas de toute évidence que dans ce cas no- tre théorie sur la nature des sons cardiaques rend parfaitement raison de toutes les particularités de cette observation ? Il n'est pas très rare de voir manquer le premier bruit, bien que le cœur se trouve dans son état physiologique le plus parfait et que l'individu * jouisse de toute la plénitude de ses fonctions orga- niques. A quoi cela peut-il tenir? A la présence d'une portion de poumon entre la pointe de l'or- gane et la paroi pectorale : le cœur venant alors frapper contre un tissu spongieux et aérien , ne peut plus déterminer les mêmes vibrations que quand il heurte une surface retentissante , comme la face interne du thorax. Aussi , remarquez qu'il est beaucoup plus rare de voir manquer le second bruit , car ie poumon n'a pas la même tendance à venir se placer au-devant de la face antérieure du cœur. Nous pouvons donc établir en principe que toutes les fois qu'un corps étranger quelconque s'opposera au choc de l'organe contre la poitrine , les sons cardiaques seront modifiés, ou même pour- ront complètement disparaître. Cette explication , toute naturelle qu'elle pourra vous paraître , n'a point cependant obtenu l'assen- timent de tous les physiologistes. Ainsi , M. Hope, ( 274 ) dans les expériences qu'il a faites en Angleterre, a vu que, sur un animal vivant, quand on applique un morceau de poumon entre le stéthoscope et le cœur, l'oreille peut encore percevoir des bruits distincts. D'où il conclut que le tic-tac de l'organe est indépendant de la percussion de la paroi tho- racique. Cette objection , ainsi que vous allez le voir, est plus spécieuse que solide. Quand vous appuyez l'extrémité du tube acoustique sur le pou- mon , vous modifiez les conditions physiques de son parenchyme; d'un tissu vésiculaire vous faites une masse compacte qui peut facilement trans- mettre à l'instrument le choc résultant de la dia- stole et de la systole des ventricules. Mais en voilà assez sur une question qui m'a entraîné plus lointjueje n'en avais l'intention. Je crois vousavoir prouvé , par toutes les lois connues de la physique, qu'il est impossible que des sou- papes membraneuses aussi minces , aussi flexibles que les valvules sygmoïdes, pussent, étant plongées au milieu d'un liquide , éprouver des vibrations sonores. Toutefois, une opinion, quelque fondée qu'elle puisse paraître, ne peut point encore être regardée comme le dernier mot de la science, tant qu'elle n'a point été sanctionnée par l'expérience. Combien de fois, en effet, les faits ne sont-ils pas venus donner un éclatant démenti aux théories les plus savantes etles plus vraisemblables? Bien que, dans le cours de nos leçons précédentes, nous ayons appuyé nos assertions sur ce que l'on ob- serve chez l'homme et chez les animaux dans l'état morbide ou physiologique , je ne veux point ter- ( 272 miner celle-ci sans recourir encore à la voie ex- périmentale , pour que les faits restent plus pro- fondément gravés dans vos esprits. Voici le cœur d'un homme que j'ai fait préparer avec soin , de manière que les gros vaisseaux que cet organe émet ou reçoit, fussent conservés in- tacts. Je vais adapter à l'artère aorte la canule d'une seringue remplie de liquide. Maintenant je pousse l'injection, en imitant, par le jeu du piston, les alternatives de diastole et de systole des ven- tricules. Sous rinfluencede ce courant saccadé, il est évident que les valvules sont successivement ten- dues et relâchées, et qu'elles doivent développer des vibrations sonores , si tant est que sur l'animal vivant elles puissent en produire. Cependant j'ai beau ausculter avec l'attention la plus minutieuse, mon oreille ne distingue aucun bruit qui rappelle le tic-tac du cœur. Je n'entends qu'un léger gar- gouillement, dépendant du mélange d'un peu d'air avec le liquide injecte. Nous allons tenter une autre expérience que je n'ai point encore faite , et dont , par conséquent , j'ignore les résultats. Le coton , vous le savez , est un mauvais conducteur du son. Cependant , si j'en mets une couche entre le thorax de ce chien et mon stéthoscope, je puis distinguer, quoique affaiblis , les deux bruits cardiaques. J'ouvre maintenant avec mon scalpel , la cavité pec- torale gauche, et j'introduis avec précaution du coton entre la face antérieure du cœur et la face postérieure du sternum , de manière que cet os ne puisse être heurté immédiatement par la pointe de ( 273 ) l'organe. La théorie doit nous faire pressentir que les deux sons auront subi quelques modifications; mais auscultons. Eh bien ! je distingue encore très bien le tic-tac , seulement le premier bruit est un peu voilé. Je vais maintenant enlever complète- ment le sternum. Vous voyez déjà que le cœur n'était point recouvert en entier par une couche de coton, mais que sa face antérieure continuait à venir heurter la paroi pectorale , ce qui nous ex- plique la persistance du second bruit. Quant au premier , j'aurais cru qu'il eût été altéré d'une ma- nière plus sensible. Essayons maintenant d'envelopper le cœur dans une atmosphère de coton /de manière qu'il se trouve complètement isolé des tissus osseux ou membraneux, susceptibles d'entrer en vibration. Si je viens à appliquer sur l'organe , ainsi matelassé, le cylindre acoustique , vous voyez l'instrument soulevé chaque fois que les ventricules se dilatent ou se contractent , et je distingue clairement le tic-tac du cœur. Ces résultats fournis par l'expé- rience me surprennent, tant il est vrai qu'il ne faut jamais se fier aux simples données théoriques! Je regrette que l'heure avancée ne me permette point de pousser plus loin l'examen de ce phéno- mène, mais je me propose d'y revenir dans la pro- chaine séance , et d'en chercher avec vous l'expli- cation. VINGT-SIXIÈME LEÇON. Messieurs , Nous avons terminé ce que nous voulions vous dire relativement aux bruits normaux du cœur. Vous avez vu qu'après une appréciation aussi fran- che que rigoureuse des diverses théories qui divi- sent encore aujourd'hui les physiologistes, nous nous sommes trouvés dans la nécessité de persister dans notre opinion sur la nature des sons cardia- ques. Mais je n'hésite point à le dire ici , cette question a encore besoin d'être éclairée par de nou- veaux travaux , avant que les nombreux problè- mes qui la compliquent n'aient obtenu une solu- tion complètement satisfaisante. Vous vous rappelez l'expérience que nous avons faite à la fin delà séance dernière. J'ai d'abord été surpris des résultats qu'elle nous a présentés, mais en y réfléchissant avec plus d'attention, je me suis assez bien expliqué la persistance des bruits du cœur par les propriétés physiques du coton que nous avions employé. Cette substance, en effet,, comprimée entre le stéthoscope et le cœur, ne met ( &W ) qu'un obstacle léger au choc de ces deux surfaces, et par cela même elle ne doit point empêcher le développement du tic-tac de l'organe. Cependant je ne suis point complètement satisfait de cette explication, et il est probable qu'il y a là quelque chose qui nous échappe. Ce qui rend ces expérien- ces si délicates , c'est la difficulté d'isoler complè- tement le cœur des tissus environnants. Car ne croyez pas que ce soit seulement le choc des parois thoraciques qui produise les deux bruits; sans doute ce choc y concourt le plus puissamment , mais il ne faut pas négliger les conditions phy- siques des parties voisines. Les membranes qui enveloppent le cœur se trouvent dans un état de tension tel , que chaque fois que les ventricules se contractent et se dikitent, elles éprouvent une sorte de frémissement vibratoire, qui vient encore ren- forcer le son développé par la percussion du tho- rax. Partout, en un mot, où le cœur vient à choquer un corps élastique et sonore , partout il détermine un bruit. Nous allons maintenant nous occuper des bruits anormaux du cœur; ensuite nous passerons à l'é- tude des divers bruits qui se développent dans les vaisseaux. DES BRUITS ANORMAUX DU COEUR. Vous savez que, même dans l'état normal, on en- tend quelquefois vers le cœur, d'une manière acci- • ( 276 ) dentelle, des bruits particuliers que Laënnec a dé- crits sous le nom de bruits de soufflet. Ils consis- tent dans une sorte de vibration soutenue qui se prolonge pendant un temps appréciable. Et alors, tantôt le tic-tac de l'organe s'entend encore dis- tinctement, tantôt il disparaît et est remplacé par ces sons de création nouvelle. L'auscultation est un précieux moyen d'arriver à une analyse précise de ces bruits anormaux , qui présentent d'ailleurs une foule de nuances ; souvent même , quand on applique la main sur la région précordiale, on éprouve un ébranlement vibratoire très évident _, que j'ai appelé bruit de frottement, car il résulte du frottement du sang contre les parois des vais- seaux. Mais dans quelles circonstances ces sons drennent-ils naissance? La physique nous four- nit à ce sujet peu de lumières. On sait bien qu'en faisant vibrer une colonne d'air dans un tuyau flexible ou inflexible , on produira des bruits va- riables par leur nature et leur intensité. On con- naît aussi la théorie des anches, et même on en a fait une heureuse application au mécanisme delà voix humaine. Mais quand il s'agit du passage des li- quides à travers un tuyau élastique , et des vibra- tions qu'ils déterminent en frottant contre ses pa- rois, la science est à peu près muette. Aussi nous avons été forcé de recourir à des expériences directes , pour pouvoir déterminer le mode de pro- duction et la nature de ce bruit de souffle. Bruit de souffle. ■ — Si l'on prend un tuyau en gomme élastique, et qu'on le fasse traverser par un courant de liquide , du moment que celui - ci ( 277 ) n'exerce qu'une pression légère sur les parois, on n'entend aucune espèce de vibration sonore. Main- tenant si vous augmentez la quantité du liquide, de manière qu'il en pénètre plus dans le tuyau qu'il n'en peut sortir dans un temps donné ; alors vous obtenez des résultats importants à noter. Les pa- rois du cylindre élastique se dilatent par suite de la pression exercée à l'intérieur de leur cavité , elles éprouvent même une sorte de frémissement, très sensible à l'oreille armée du stétboscope , et qui a une analogie frappante avec le bruit de souf- fle. Chaque fois qu'une nouvelle ondée de liquide est lancée dans le tuyau , chaque fois aussi les vi- brations acquièrent une plus grande intensité. Ainsi donc il y a certaines limites difficiles à fixer, au-delà desquelles un tuyau distendu par un cou- rant liquide , devient le siège de bruits semblables à celui qui nous occupe. Vous concevez maintenant comment il peut se faire que chez le même individu, tantôt vous entendrez un bruit de souffle , tantôt vous ne pourrez plus l'entendre. Les propriétés physi- ques des artères sont analogues à celles d'un tuyau en caoutchouc , du moins quant aux condi- tions d'élasticité. Aussi il est naturel de supposer que tout courant liquide qui distendra ces vais- seaux , amènera des bruits semblables à ceux que nous produisons d'une manière artificielle. Eh bien ! ce que la théorie nous a fait pres- sentir, l'observation clinique vient le connrmer. Vous savez que les individus pléthoriques, que ceux qui sont atteints d'une hypertrophie du cœur m. 48 ( 278 ) se plaignent sans cesse de bourdonnements dans les oreilles et de bruissements qui les tourmentent quelquefois jusqu'au point de les faire tomber dans une sorte d'aliénation , souvent le médecin ne peut constater par ses propres sens ces divers phénomènes ; mais les malades en ont la con- science , et ils disent qu'ils sentent des battements tumultueux dans leurs oreilles et qu'ils entendent leur sang circuler dans ses vaisseaux. Ne verrez- vous là qu'une simple exaltation nerveuse, qu'un simple accroissement de la sensibilité ? Vous com- mettriez une bien grave erreur dont les consé- quences pourraient être fatales pour les jours du malade. Aussi ? bien loin de rapporter à quelque affection de l'organe de Tome les symptômes que vous observez , vous dirigerez vos moyens de trai- tement de manière à diminuer la masse du sang ou à modérer l'impulsion du cœur. Car vous vous rappelez ce que nous avons dit il n'y a qu'un in- stant. Des tuyaux flexibles parcourus par un cou- rant liquide éprouvent des vibrations sonores quand leurs parois sont soumises à un certain de- gré de tension. Or telles sont, chez ces malades, les conditions physiques dans lesquelles se trouve le système artériel ; telle est , à n'en pas douter, l'origine de ces bruits variés intérieurs dont sans cesse ils se plaignent. Voici maintenant une seconde cause du bruit de souffle. On sait depuis long-temps que si on ap- plique sur une artère le stéthoscope en appuyant de manière à déprimer les parois du vaisseau , le sang, au moment où il franchit le point rétréci, ( 270 ) fait entendre un murmure particulier. C'est une sorte de frémissement vibratoire, qui paraît com- posé de grains très-petits , et qui a une analogie frappante avec le bruit de souffle provenant de la distension des tuniques artérielles. Il résulte de rébranlement qu'éprouve le sang en passant d'un endroit plus large du vaisseau dans un endroit plus étroit. - Ainsi donc, deux causes manifestes favorisent le développement du bruit de souffle ; dune part distension trop grande des parois artérielles, d'une autre part rétrécissement du diamètre de ces vais- seaux. N'y a-t-il pas dans la texture même des tuyaux élastiques que parcourent les liquides , des condi- tions physiques spéciales capables de donner nais- sance à des bruits ? Je suis très porté à l'admettre. Ainsi , supposez que l'artère a perdu le poli de sa surface interne', et que la membrane qui la tapisse offre des concrétions inégales et rugueuses, le sang, en frottant contre les parois du vaisseau, produira des vibrations dont les grains seront plus gros et moins nombreux. Or tel n'est pas, vous le savez, le caractère du bruit de souffle, proprement dit , dont les grains , au contraire , sont excessivement fins. Nous reviendrons sur ces variétés de vibra- tion, en parlant des bruits de râpe , lime, etc. Il est assez difficile , dans ces différents cas , d'é- tablir quelle est la part des liquides et quelle est la part des parois dans la production de ces divers ébranlements sonores. La science n'est point assez avancée pour qu'on puisse , à cet égard , donner ( 280 ) une explication bien rigoureuse; on est obligé de s'en tenir à des suppositions plus ou moins vrai- semblables. Aussi nous nous contentons pour le moment de constater les faits , nous réservant plus tard d'essayer à dévoiler leur mécanisme pour les interpréter d'une manière satisfaisante. Indépendamment de ces causes, dont l'influence favorise la production du bruit de souffle, il y a dans l'économie vivante d'autres circonstances où ce même bruit prend naissance. Qu'une personne tombe en syncope à la suite d'une saignée copieuse ou d'une hémorrhagie quelconque qui aura pro- duit en peu de temps une abondante perte de sang; souvent, si vous venez à ausculter, vous entendrez, outre le tic-tac du cœur, un bruit de souffle des plus manifestes. Nous n'avons point encore cher- ché à reproduire dans nos expériences ce phéno- mène ; il est probable toutefois qu'avec des tuyaux élastiques semblables à ceux dont nous nous servons habituellement, nous parviendrions à imiter assez fidèlement ces vibrations sonores. Déjà nous savons qu'un certain degré de tension dans les parois d'un artère, favorise le développe- ment du bruit de souffle ; faut-il admettre aussi qu'un certain degré de laxité dans les tuniques du vaisseau les rend plus propres à éprouver de la part du sang un ébranlement vibratoire ? C'est à l'expérience et non à la théorie à répondre à cette supposition qui n'a rien que de très vraisemblable. Ce même bruit de souffle s'observe encore chez les filles chlorétiques. Il n'est pas rare non plus de le rencontrer chez les individus épuisés par de ( 281 ) longues maladies , à la suite , par exemple , des lièvres typhoïdes, et, chose singulière , il disparaît à mesure que la santé revient et que l'embonpoint succède à l'amaigrissement. Comment se fait-il que sous l'influence de cet état particulier de l'éco- nomie un pareil bruit vienne à se développer ? Ce sont là encore des questions du domaine de l'em- pirisme, car les explications physiques nous man- quent complètement. Il est très probable que l'état particulier du sang, sa viscosité augmentée ou di- minuée, joue ici le principal rôle , je dis seulement que cela est probable; car je n'ai point encore un assez grand nombre de faits pour pouvoir l'affirmer d'une manière positive. Mais comme dans les ma- ladies, telles que la chlorose et le typhus, il y a une altération manifeste du sang , une modification notable de ses éléments ; je suis très porté à admet- tre que les degrés variables de viscosité de ce li- quide sont une des principales causes de la pro- duction de ce genre de bruit de souffle. Rappelez-vous bien que je ne confonds pas dans une description commune ce bruit de souffle avec les bruits de râpe , de lime, de scie, etc. Ceux-ci en effet sont très différents relativement à leur ori- gine, ou du moins ils se développent dans des cir- constances toutes spéciales. Aussi nous en traite- rons à part. Je ne parle ici que du bruit de souffle dont le caractère particulier est d'être temporaire , de n'exister qu'un certain moment, puis de dispa- raître, en un mot de ne point être lié aune lésion organique constante et permanente. Les autres sons anormaux au contraire sont persistants ( 282 ) comme la cause qui leur a donné naissance , ils sont très fréquemment l'indice d'une altération quelconque de nos organes circulatoires , tandis que le véritable bruit de souffle se rencontre dans l'état de santé le plus parfait. Bruit musical. Nous avons vu que les liquides , en passant à travers un point rétréci d'un tuyau élastique , produisaient un bruit particulier. On conçoit maintenant que les modifications de forme et de nature de ce rétrécissement peuvent influer sur la persistance de ces vibrations sonores et même leur faire prendre un autre caractère. C'est d'ail- leurs ce qu'apprend l'expérience. Vous connaissez l'ingénieux instrument d'acoustique, qui a reçu de son inventeur, M. Cagnard-Delatour, le nom de Sirène. C'est un tuyau cylindrique en cuivre, ter- miné supérieurement par une table percée, à égale distance, de trous disposés sur un cercle déterminé. Au-dessus est un plateau mobile, pouvant tour- ner autour d'un axe d'un mouvement plus ou moins rapide. Ce plateau est aussi percé d'un nom- bre égal d'ouvertures correspondant exactement à celles de la table par leur position et leurs distan- ces respectives. Enfin l'instrument est muni d'un tuyau, porte- vent. Voici maintenant en quoi consiste le jeu de la Sirène. Quand on vient à pous- ser de l'air dans la boîte , on imprime au plateau un mouvement circulaire, de sorte que les ouver- tures dont il est percé sont successivement béantes ou fermées , suivant qu'elles sont parallèles à celles de la table ou qu'elles cessent de leur correspon- dre. C'est de cette alternative de passage et d'in- ( 283 ) terruption de l'air à travers les trous des deux sur- faces que naissent ces vibrations sonores qui montent par nuances insensibles du ton le plus grave au ton le plus aigu. Si maintenant au lieu de pousser de l'air dans l'instrument vous y substi- tuez de l'eau , vous obtenez un son qui se rappro- che beaucoup de celui que vous avez déjà produit. M. Savard avait aussi remarqué depuis long- temps que dans les tuyaux d'orgue on parvient également à développer des vibrations sonores soit qu'on y pousse de l'air, soit qu'on y pousse de l'eau ; seulement le son est modifié dans son tim- bre et son intensité. Ainsi vous voyez que ces résultats , quoique peu nombreux , nous fournissent déjà des rensei- gnements utiles pour l'explication de certains bruits musicaux qui se développent quelquefois dans les artères. En effet ces bruits, par cela même qu'ils prennent naissance dans un appareil hy- draulique, sont entièrement du domaine de la physique. On peut jusqu'à un certain point les re- produire dans des tuyaux élastiques ; et pour cela il suffit de tendre leur pirois de manière à dimi- nuer leur diamètre. Le liquide que l'on injecte vient alors heurter contre le point rétréci, et le fait vibrer à la manière des lèvres dune anche , ou par. un mécanisme semblable à celui de ces pe- tits instruments avec lesquels les enfants imitent la voix de Polichinelle. Laënnec, dans son immortel ouvrage sur l'aus- cultation, rapporte plusieurs observations où il a entendu distinctement ce bruit musical , et même { 284 ) il a pu en noter le chant avec exactitude. Je me rappelle moi-même avoir eu l'année dernière dans mon service à l'Hôtel-Dieu une femme chez la- quelle on entendait manifestement le sol au mo- ment de la contraction des ventricules. Seulement la note n'était pas très juste , et elle se rapprochait àusoldièze. Cette malade, que M. Cagnard-Dela- tonra examinée avec attention, est sortie de l'hôpital aussitôt qu'elle a été guérie de l'affection pour la- quelle elle y était entrée; c'était, je crois, un érysi- pèle ; aussi nous ne pûmes constater quelle altéra- tion des orifices artériels, pulmonaires ouaortiques, avait produit ce bruit musical. Je m'applaudis, dans l'intérêt de cette femme , de lui avoir rendu la santé , mais dans l'intérêt de la science il est à regretter d'être privé des renseignements qu'au- rait fournis l'examen anatomique des parties. VINGT-SEPTIÈME LEÇON. Messieurs , L'étude des bruits anormaux du cœur est encore enveloppée de ténèbres , car les sciences physi- ques sont fort peu perfectionnées sur ces diverses questions. Nous avons essayé, dans la dernière séance, de vous indiquer les principales circon- stances qui semblent favoriser le développement du bruit de souffle proprement dit ; vous avez vu que l'état particulier des parois des vaisseaux , et peut-être les modifications apportées dans la com- position du sang , se lient en général avec la pré- sence de ce bruit. Ce ne sont point là de simples conjectures , car quelques expériences que nous avons faites à ce sujet me semblent confirmer ces assertions. Voici , par exemple , un long tuyau en caout- chouc, à l'une des extrémités duquel est adaptée la canule d'une seringue remplie de liquide. Si j'ap- plique sur les parois du cylindre, sans les compri- mer , mon stéthoscope, et que j'ausculte au mo- ment où l'on pousse l'injection, je n'entends aucun son. Mais si j'appuie de manière à rétrécir le dia- V ( 286 ) mètre du tuyau , je distingue clairement un bruit de souffle , un frottement à grains très fins et très nombreux. En substituant à ce tuyau élastique Tartère carotide d'un cheval, j'obtiens exactement les mêmes résultats. De même si j'injecte dans ce cylindre en caout- chouc, de l'eau, après avoir adapté à son extrémité libre une petite soupape qui rétrécisse un peu son orifice d'écoulement, le liquide ne pouvant plus s'é- chapper aussi facilement, s'accumule dans le tuyau qu'il distend. Appliquez alors le tube acoustique : vous entendezun bruitde souffle, provenant du frot- tement quel'eau exerce contre les parois élastiques. Quant au bruit musical , nous ignorons encore dans quelles circonstances spéciales il se développe. Souvent on l'a vu coïncider avec un rétrécissement des orifices des artères pulmonaires etaortiques; mais dans une foule de cas on a rencontré des ré- trécissements sans qu'il y ait eu de bruit musical. Ainsi , je le répète , il ne parait pas intimement lié avec des lésions organiques bien prononcées. - Il en est de même de cette espèce de vibration particulière, que Laënnec a désignée sous le nom de frémissement cataire. Ce bruit rappelle assez bien le ron-ron des chats quand on les flatte , et dépend probablement du frottement du sang contre les parois des vaisseaux. Souvent il s'entend dis- tinctement dans les principales divisions artérielles, et même il peut se propager jusqu'aux extrémités du svstème vasculaire. On conçoit très bien du reste , comment cet ébranlement vibratoire est transmis aux vaisseaux de proche, en proche , au ( 287 ) moyen du sang qui est un 1res bon conducteur du son. Si dans ces cas on vient à interroger le pouls, on sent une pulsation et un frémissement. Bruissement. Quand on ausculte le cœur , on observe quelquefois un bruissement particulier , semblable à celui qui caractérise les anévrismes variqueux. Je crois qu'on peut se rendre assez bien compte de la production de ce son. Vous savez que dans ces tumeurs anévrysmales le sang ; passant par l'orifice étroit qui fait communiquer l'artère avec la veine, détermine dans les parois de ces vaisseaux un ébranlement vibratoire qui, se propa- geant jusqu'à l'oreille , occasionne cette espèce de bruissement. Eh bien ! il est possible sur un tuyau élastique de reproduire ce phénomène. Si vous in- jectez un liquide avec force dans sa cavité , de ma- nière à vaincre la résistance de ses parois, celles-ci cèdent en un point , et il se forme une. ampoule , ne communiquant que par un orifice étroit avec F intérieur du tuyau. Appliquez alors le stéthos- cope sur cette petite poche élastique , et poussez l'injection en imitant avec le piston le jeu saccadé du cœur , vous entendez un bruissement très sen- sible. Il est évident que dans ce cas le murmure vibratoire provient du frottement du liquide contre les lèvres de la petite ouverture de communication. Je suis très porté à croire que chez l'homme ce bruissement est produit par un mécanisme ana- logue^ et que c'est dans les modifications physi- ques qu'ont éprouvées les parois des vaisseaux , qu'il faut en chercher l'explication. Arrivons maintenant à l'étude des autres bruits ( 288 ) anormaux du cœur, qui diffèrent essentiellement des précédents , en ce qu'ils sont presque toujours le résultat d'une lésion organique , et qu'une fois développés ils persistent comme la cause qui leur a donné naissance. Ce sont les bruits de scie, de râpe, de lime : dénominations assez bizarres, mais qui néanmoins méritent d'être conservées, car ces bruits rappellent assez exactement la sensation âpre que donnent à l'oreille les instruments auxquels on les compare. Mais quelle est la cause, quel est le mode de production de ces vibrations particuliè- res? Les circonstances dans lesquelles elles se déve- loppent indiquent qu'elles résultent du mouvement de la colonne de sang qui vient se briser contre un obstacle siégeant aux orifices du cœur. Toute- fois , pour arriver à une explication satisfaisante de ces phénomènes , nous sommes encore obligés de recourir à des expériences directes^ car la phy- sique ne nous fournit aucuns renseignements pro- pres à éclairer ces délicates et importantes ques- tions. "Voici un tuyau en caoutchouc, dans l'intérieur duquel j'ai placé un petit morceau de bois , que je maintiens fixé au moyen de deux fils, dont les bouts sont noués à chacun des orifices du tube. Nous avons là , n'est-ii pas vrai , un obstacle au libre cours du liquide? Si maintenant, au moment où l'on injecte de l'eau dans ce tuyau, j'applique mon stéthoscope sur le point qui correspond à l'endroit qu'occupe le morceau de bois, je distingue un bruit de frottement, dont les grains sont beaucoup plus gros que ceux du bruit de souffle proprement ( 289 ) dit. Cet ébranlement vibratoire des molécules du liquide, qui se brise contre un obstacle résistant, rappelle très bien la sensation de ce que l'on dé- signe sous le nom de bruit de râpe. Si maintenant vous substituez à ce morceau de bois un corps membraneux , une portion de mus- cle, par exemple, et que vous le placiez égale- ment dans la cavité du tuyau , vous aurez beau in- jecter un liquide, vous n'obtenez plus aucun bruit, ou du moins vous percevez à peine un frémisse- ment obscur , dont les grains sont plus fins et plus nombreux que ceux du simple bruit de souffle. Ces résultats sont curieux, et d'autant plus im- portants à connaître, qu'ils nous mettent sur la voie pour distinguer les diverses altérations dont l'organe central de la circulation peut devenir le siège. Ainsi il y aura une grande différence pour les signes fournis par l'auscultation, suivant qu'un obstacle solide ou mou siégera aux orifices du cœur/ Ici encore l'observation clinique est d'accord avec la théorie expérimentale. Vous savez combien il est fréquent d'entendre des bruits anormaux, dans les cas où les valvules ont perdu leur texture mem- braneuse, soit qu'elles aient été envahies par l'os- sification , soit que d'autres concrétions solides se soient déposées dans leur tissu. Mais en est-il de même quand l'obstacle qui s'oppose au libre pas- sage du sang a une consistance molle , semblable à celle de la fibre musculaire? Non , car il est ex- trêmement rare d'entendre des bruits anormaux , dans les cas où des dépôts albumineux , des végé- tations poiypeuses occupent les orifices du cœur. ( 290 ) Voilà pour le bruit de râpe. Quant aux bruits de scie et de lime, ils sedéveloppent dans les mêmes circonstances que le premier , et paraissent dé- pendre comme lui de la réaction produite par un obstacle solide sur les molécules de sang brusque- ment arrêtées dans leur course. Ce serait un cu- rieux objet de recherches que d'étudier les modi- fications apportées dans la nature de ces vibrations, suivant que tel ou tel corps serait heurté par la colonne de liquide. Je suis convaincu qu'on par- viendrait ainsi à saisir le mécanisme de la produc- tion de ces bruits , qui ne diffèrent entre eux que par de légères nuances dans le nombre et le vo- lume des vibrations qui les composent. Nous allons maintenant passer rapidement en revue les diverses pièces pathologiques déposées sur ma table, et qui viendront, je l'espère, jeter un nouveau jour sur la question qui nous oc- cupe. Le cœur que je viens de prendre dans ce bocal est intitulé : Bruit de frottement , à gros grains , prolongé. Examinons quelles altérations nous al- lons rencontrer. L'organe est plus volumineux que de coutume , et l'orifice aortique est rétréci par suite de l'ossification des valvules sygmoïdes. C'est là une double condition physique, propre à favo- riser le développement des vibrations sonores qui ont été constatées. Vous vous rappelez en effet que la diminution du diamètre d'un tuyau élastique dans lequel on injecte un liquide s'accompagne d'un bruit de souffle. Et de plus, l'ossification des valvules placées dans l'aire du vaisseau, ne dok-elle ( 291 ) pas jouer le même rôle qu'un corps solide dépose au centre d'un tube en caoutchouc? Voici un autre cœur sur lequel vous voyez les orifices artériels,, pulmonaires etaortiques, tapis- sés par des concrétions fibrineuses qui ont rétréci le diamètre de ces vaisseaux. Cependant on n'avait pendant la vie constaté aucun bruit a normal. Ce fait se rattache assez aux résultats fournis par les expé- riences dans lesquelles les obstacles sont constitués par des tissus membraneux. Je sais qu'on a récem- ment présenté à la société anatomique l'observation d'un bruit de sifflement, accompagnant le dépôt de caillots fibrineux sur un des orifices du cœur, mais il faut se garder de tirer d'un fait isolé des consé- quences générales. Ainsi M. Bouillaud rapporte qu'ayant soupçonné chez un phthisique l'existence d'une semblable concrétion, par suite du dévelop- pement de ce bruit, l'examen anatoinique du cœur ne vint point confirmer son diagnostic. Je pourrais encore vous citer une foule d'obser- vations , recueillies au lit du malade, qui toutes viennent à l'appui de la proposition que nous avons avancée, savoir ; que ces bruits de scie, lime et râpe se développent à l'occasion d'obstacles qui s'opposent au libre cours du sang. Mais il ne suffit pas de savoir qu'il se produit dans le cœur des vibrations sonores liées à une disposition pathologique, l'état actuel de la science permet que l'on précise lequel des orifices est le siège de ces altérations. Cette question , vivement débattue dans ces derniers temps , divise encore aujourd'hui les praticiens. Et comment pourrait-il ( 292 ) en être autrement ? La plupart des observateurs qui ont une théorie à soutenir , dirigent leurs re- cherches sous l'influence d'idées préconçues , au lieu de se contenter d'interpréter les faits clini- ques, qui seuls peuvent donner la solution du pro- blême qu'ils ont à résoudre. Voici quelles sont nos opinions à cet égard. Si vous avez un bruit de frottement en même temps que le premier choc du cœur , ou venant immédiatement après, dans ce court intervalle qui sépare la systole de la diastole des ventricules , l'obstacle existe aux orifices artériels. Presque tou- jours alors, par suite de l'ossification des valvules sypmoïdes, l'aire de ces vaisseaux se trouve rétrécie. Mais vous avez deux artères; comment distinguer celle qui est le siège de la lésion ? D'abord l'aorte est beaucoup plus fréquemment malade; de là déjà une forte présomption que c'est à son orifice que se trouve l'obstacle contre lequel vient se briser la colonne de sang. Ajoutez à cela que tout le sys- tème artériel se ressent de cette gêne dans la cir- culation. Le pouls offre des modifications notables, et il fait éprouver au doigt qui l'interroge une sorte de frémissement prolongé , qui a plus d'une fois servi à éclairer mon diagnostic. Quand, au con- traire, ce qui est beaucoup plus rare, l'altération porte sur l'orifice de l'artère pulmonaire, vous avez encore des signes différentiels assez tranchés. Ainsi le bruit de frottement est plus profond, plus in- térieur ; il s'entend mieux à droite du sternum qu'à gauche de cet os. Et de même que les lésions de l'aorte retentissent particulièrement sur la cir- ( 293 ) culation , de même les lésions de l'artère pulmo- naire se traduisent surtout par la gène apportée dans la respiration. De ïà cette dyspnée , ces nuan- ces de suffocation, cette anxiété des malades, tour- mentés sans cesse du besoin d'introduire dans leurs poumons de nouvelles masses d'air. Continuons maintenant l'examen des pièces pa- thologiques déposées sur cette table. Le cœur que je vous présente offre une altération de l'orifice aortique, consistant dans le dépôt de plaques osseuses dans l'épaisseur des valvules et des parois du vaisseau. Il y a également un rétré^ cissement notable, car mon petit doigt peut à peine passer du ventricule dans la cavité de l'artère. Or, je lis sur l'étiquette du bocal : Bruit de frottement post premier choc*. Vous voyez que dans ce cas le cœur, en se contractant, continuait à venir heur- ter la paroi pectorale, mais le jet de sang n'étant plus ni aussi prorhptj ni aussi net, il en résultait un frottement qui communiquait à l'artère un ébranlement vibratoire. Voici le cœur d'un homme chez lequel on avait constaté pendant la vie un bruit de frot- tement à gros grains masquant le premier choc. L'altération porte sur l'artère pulmonaire dont les valvules sygmoïdes sont complètement ossifiées. Si, au lieu d'avoir un rétrécissement ou un obs- tacle quelconque aux orifices artériels du cœur, nous avons une pareille modification à l'un des orifices auriculo-ventriculaires, droit ou gauche, il devra également se produire des bruits anor- maux. Mais ceux-ci n'existeront plus dans le m. 19 ( 294 ) même temps que pour les cas précédents. En effet, ce sera au moment de la dilatation des ventri- cules, c'est-à-dire à l'instant du second bruit du cœur, qu'on devra les entendre. Ainsi, du moment que vous rencontrerez des vibrations sonores anormales , coïncidant avec le tac de l'organe , ou bien le masquant complètement , vous pourrez affirmer que la lésion occupe les orifices auriculo-ventriculaires0 Le cœur que je tiens maintenant entre mes mains, est celui d'une femme, chez laquelle on en- tendait le premier son cardiaque , mais le second était remplacé par un bruit de frottement à grains très fins. Vous trouvez ici un épaississe- ment remarquable de la valvuve mitrale. Nous avons par conséquent une explication très plau- sible du souffle coïncidant avec la diastole des ven- tricules. Le caractère particulier du bruit com- posé de grains très fins dépend de la nature même de l'obstacle, qui est membraneux , au lieu d'être solide et résistant, comme dans les cas d'ossifications. Nous allons termine» cette revue par l'examen d'une pièce qui mérite d'arrêter un instant notre attention. C'est le cœur d'une jeune fille chez le- quel il y a insuffisance de la valvule auriculo- ventriculaire gauche. On voit en effet que cette soupape membraneuse ne peut, en se redressant, oblitérer complètement l'orifice qu'elle est des- tinée à fermer , et que par conséquent le sang y refluait à chaque systole du cœur dans la cavité qu'il venait d'abandonner. Cependant on n'a pu ( 295 ) constater dans ce cas aucun bruit anormal. Ceci est important à noter, maintenant surtout qu'on fait jouer un si grand rôle à l'insuffisance des valvules dans la production de ces vibrations so- nores par le frottement du sang contre les orifices du cœur. Je sais qu'on a indiqué les différents signes auxquels on peut reconnaître cette altération. Mais il me semble que là encore on a plutôt pris pour guide la théorie que l'observation clinique. Quant à moi , sans nier positivement la produc- tion de bruits anormaux dans le cas où un des appareils valvulaires ne peut plus remplir exac- tement l'office de soupape auquel il est destiné ; je dis qu'on ne possède aucun fait rigoureusement observé qui vienne confirmer l'importance qu'on attache à cette insuffisance. Ainsi je crois devoir m'abstenir de vous mentionner les caractères auxquels on prétend la diagnostiquer. Avant de passer outre, je voulais répéter de- vant vous une expérience de M. Rouannet, d'au- tant plus importante qu'elle sert de base à sa théorie des bruits du cœur par le jeu et le cla- quement des valvules. Voici en quoi elle consiste. On fixe à un tube en verre d'un pouce de diamètre et de quatre pieds de hauteur \ une por- tion de l'aorte supérieure aux valvules sygmoïdes ; on lie également la portion du tronc artériel qui se trouve au-dessous des valvules , autour d'un tube du même diamètre et de trois pouces de lon- gueur, aboutissant à une vessie remplie d'eau. L'appareil ainsi disposé, imprimez à la vessie une impression subite, en imitant autant que possible ( 296 ) la contraction intermittente du cœur ; la colonne de liquide monte dans le tube , puis elle retombe sur les valvules qui se redressent à l'instant. C'est alors , dit M. Rouannet , que l'oreille est frappée par un choc très marqué. Eh bien ! j'ai beau répéter cette manœuvre, il m'est impossible de distinguer la moindre vibration sonore. Les personnes qui m'entourent et qui viennent comme moi d'appliquer leur oreille au niveau des val- vules au moment de leur redressement subit, n'ont point non plus entendu le choc dont parle M. Rouannet. Ainsi cette théorie, qui compte maintenant de nombreux partisans , ne [me paraît reposer sur aucune preuve appuyée par l'expérience ; je dis plus, elle est repoussée par toutes les lois con- nues d'une saine physique. 11 semble même que le simple raisonnement aurait dû faire rejeter une semblable hypothèse. Comment, en effet, supposer que des membranes aussi minces, aussi déliées que les valvules du cœur, puissent, en pas- sant de l'état de flaccidité à une tension subite , produire un bruit de choc analogue à celui des sons cardiaques. Nouvelle preuve de la singulière et déplorable facilité avec laquelle les médecins accueillent cer- taines idées dénuées de tout fondement, tandis qu'ils repoussent avec une persévérance insurmon- table des idées ou des faits établis sur des témoi- gnages et des preuves irrécusables. VINGT-HUITIÈME LEÇON. Messieurs , Il nous reste à parler des bruits qui se déve- loppent dans les artères. Mais avant d'entamer cette question, je veux vous rendre compte d'une ex- périence que j'ai faite ce matin dans mon labora- toire , et dont les résultats ne sont pas sans quelque importance, relativement au mode de production des bruits normaux du cœur. Voici comment je m'y- suis pris. Après avoir mis à nu la veine ju- gulaire droite d'un chien, j'ai introduit dans sa cavité un long stylet , armé à son extrémité d'un crochet recourbé à la manière de l'aiguille de Des- champs , puis j'ai essayé de couper les tendons de la valvule tricuspide. Vous voyez qu'il n'y a qu'un petit nombre de colonnes charnues de détruites; aussi je ne regarde point l'expérience comme con- cluante. Je dois toutefois vous faire observer qu'à la suite de cette section , on n'a constaté aucune modification dans le tic - tac du cœur. Mais une nouvelle tentative faite sur le même animal nous a fourni des résultats plus satisfaisants. En effet, j'ai porté le même instrument dans l'artère caro- ( 298 ) tide, et je suis parvenu à perforer à sa base Tune des valvules sygmoïdes aor tiques; la seconde a été largement déchirée près de son bord libre ; la troi- sième seule est restée intacte. Voici le cœur de cet animal que je vous présente maintenant, et vous voyez que ces soupapes ne peuvent plus remplir leur rôle accoutumé. Pour vous en assurer , vous n'avez qu'à injecter de l'eau dans l'aorte; le liquide passe librement dans le ventricule , tandis que dans l'état normal il doit être arrêté par le redres- sement spontané des valvules. Eh bien! malgré ces altérations, j'ai toujours pu distinguer le dou- ble bruit de l'organe aussi clair et aussi intense qu'avant l'expérience. Que deviennent, en face de semblables résultats , ces théories qui placent dans le jeu des valvules le développement des sons car- diaques ? DES BRUITS NORMAUX ET ANORMAUX DES ARTÈRES. L'étude des bruits artériels est une question tout-à-fait nouvelle sous le rapport physique , et c'est sous ce point de vue seulement que nous nous proposons de l'envisager. Il en est de ces bruits comme des bruits du cœur ; aussi doit-on les dis- tinguer en normaux et anormaux. Cependant je vous ferai remarquer que , tandis que les bruits normaux du cœur existent constamment dans l'é- tat physiologique, les bruits normaux des artères ( 299 ) n'ont qu'une existence douteuse , et ne se mani- festent que dans certaines circonstances qu'il nous faudra plus tard apprécier. Quant aux bruits anor- maux dont les tuyaux artériels deviennent acci- dentellement le siège , ils sont tellement remar- quables qu'on a pu noter avec précision leurs nuances et même leur rhyth me musical. Mainte- nant sera-t-il possible de vous donner la théorie véritable de ces vibrations sonores, développées dans les vaisseaux? Nous allons vous faire l'exposé rapide de nos recherches et de nos résultats à ce sujet. Bruits normaux des artères. Ces bruits nor- maux des artères consisteraient , surtout d'après M. Bouillaud, dans un murmure obscur, dans une sorte de frôlement sourd , qui serait sur les confins du bruit de soufflet. C'est au frottement et au choc de la colonne sanguine contre les parois artérielles qu'il faudrait attribuer la production de ces frémissements vibratoires. Or, ici se présente une première difficulté. Il est vrai que quand on ausculte les artères carotide primitive et sous- clavière, on entend souvent un bruit de choc, mais ce bruit n'est point unique , et ne coïncide pas seulement, comme M. Bouillaud Fa prétendu, avec la systole des ventricules : on entend aussi un second bruit dans l'artère , à l'instant où le cœur se dilate. Ce matin encore , j'ai ausculté toutes les malades de ma salle à l'Hôtel-Dieu, c'est-à-dire, près d'une soixantaine, et chez la plupart j'ai con- staté ce double choc, N'est-il pas probable que, dans ce cas , il y a simple transmission des batte- ( 300 ) ments du cœur aux parois artérielles, par la co- lonne de sang que le ventricule gauche lance cha- que fois qu'il se contracte ? J'admets volontiers qu'il est possible que des bruits particuliers se dé- veloppent dans les artères , mais il faut bien pren- dre garde de les confondre avec ces vibrations so- nores , qui proviennent de l'ébranlement commu- niqué à ces vaisseaux par le choc du cœur contre la poitrine. En passant aujourd'hui la revue des malades de la salle, j'ai constaté chez deux d'entre elles un phénomène assez curieux. Le stéthoscope appliqué sur l'artère carotide transmet à l'oreille la sensation de deux bruits; le premier, qui est un bruit de frottement , correspond à la pulsation de l'artère ; le second, qui est un bruit de choc , cor- respond au retour des parois du vaisseau sur elles- mêmes. Quelle pouvait être la source de ces bruits anormaux ? L'étude auscultât! ve des battements du cœur me l'a eu bientôt dévoilée. En effet , j'ai trouvé le premier son cardiaque remplacé par un bruit de frottement, le second étant resté naturel. Ce fait n'est pas seulement intéressant en ce qu'il confirme la distinction que nous avons établie sur le mode de production des bruits artériels , mais il vous montre que dans les cas où la présence d'une tumeur ou d'une portion de poumon au-devant du cœur , masquerait ses battements , on pourrait néanmoins ausculter cet organe par l'intermédiaire des artères. Maintenant y a-t-il habituellement un bruit de frottement, de soufïle dans les artères ? Non, car dans l'immense majorité des cas on n'entend dans ( 301 ) ces vaisseaux aucune vibration sensible , à moins toutefois qu'on ne comprime leurs parois avec le cylindre dont on se sert pour ausculter. Ces bruits artériels que l'on a appelés bruits normaux , ne se » développent que dans des circonstances particuliè- res que nous allons bientôt examiner. Bruits anormaux des artères. INous allons jeter un rapide coup-d'œil sur les bruits anormaux que présentent les artères dans certains états pathologi- ques. Je regrette que le temps ne me permette point de m'étendre plus longuement sur le déve- loppement de ces considérations physiques dont la connaissance exacte offre de si précieuses ressour- ces dans le diagnostic des maladies de l'appareil circulatoire. Bruit de choc! Il peut se développer dans la plupart des gros troncs artériels des bruits de choc très nets et très distincts. C'est ce que j'ai eu main- tes fois l'occasion de constater sur les artères ca- rotide, brachiale, crurale, en un mot sur les prin- cipaux tuyaux vasculaires. Mais ces bruits ne sont- ils que la transmission des battements du cœur ? Une pareille supposition n'est point admissible, car vous n'avez qu'un simple choc , et non point un tic-tac ; il est donc évident que ces bruits se sont développés dans l'artère elle-même. On les observe particulièrement dans les cas de pléthore, dans la période d'excitation des fièvres d'accès ; et telle est quelquefois leur intensité que non-seule- ment on les distingue avec le cylindre acoustique , mais même qu'ils font éprouver à la main un choc manifeste. Enfin, j'ai vu des cas où il suffisait, ( 302 ) pour les entendre , d'approcher l'oreille de Tartère sans toucher à la peau. Comment expliquer le mécanisme de ce choc artériel ? Vous vous rappelez les expériences que nous avons faites dans une des séances précéden- tes , et dont les résultats nous offrent une analo- gie frappante avec ce qu'on observe dans les vais- seaux sanguins. Je présume qu'un certain degré de tension dans les parois des artères favorise la production de ces bruits ; or voici sur quoi je m'appuie. Prenez un tuyau en caoutchouc , et in- jectez brusquement dans sa cavité de l'eau y en imi- tant avec le piston de la seringue les contractions alternatives du cœur. Si vous venez à ausculter, votre oreille est frappée d'un choc analogue à ce- lui des artères , chaque fois qu'une nouvelle on- dée de sang est lancée dans le tube. C'est un fait que je vous engage à vérifier à la fin de la leçon. Il semble assez difficile d'expliquer comment le frot- tement subit d'un liquide contre des parois lisses et polies peut déterminer de semblabes vibra- tions ; contentons-nous pour le moment de consta- ter ce phénomène , peut-être la physique nous en dévoilera-t-elle plus tard le mécanisme. Bruit de souffle intermittent, Tous les auteurs qui ont écrit sur les bruits des artères , ont parlé de ce bruit de souffle que l'on peut produire à vo- lonté en comprimant légèrement les parois du vaisseau avec l'extrémité du stéthoscope. Nous dé- terminons le même phénomène sur un tuyau élas- tique. Non pas qu'on ait encore là une véritable explication du bruit qui nous occupe, Ainsi on peut ( 303 ) bien dire d'une manière générale que quand un li- quide passe d'un endroit plus large dans un endroit plus étroit , et vice versa , il se développe des vibra- tions sonores , mais il faut préciser davantage quand il s'agit d'interpréter des faits physiques. Un esprit sévère ne se contente pas de ces explica- tions superficielles. Quoi qu'il en soit, lorsque ce bruit de souffle dé- pend d'un rétrécissement, on l'entend au moment où le ventricule se contracte , mais il cesse quand cette cavité vient à se dilater. On l'observe assez fréquemment dans les affections rhumatismales ai- guës. Vous vous rappelez que la compression d'une artère n'est pas la seule condition physique capa- ble de développer des vibrations sonores ; un cer- tain degré de tension dans les parois des vaisseaux les produit également. Aussi, chez les sujets pléthoriques , n'est-il pas rare de rencontrer ce bruit de souffle. Nous avons dit aussi qu'après d'abondantes hé- morrhagies , et dans la convalescence de maladies qui ont amené un prompt amaigrissement, on constate fréquemment des vibrations anormales dans les artères. Vous ne serez pas surpris de voir une même cause donner naissance assez souvent à des bruits variés , si vous songez que ceux-ci ne diffèrent entre eux que par des nuances insensi- bles. Enfin admettrons-nous comme pouvant pro- duire ce bruit de souffle, une modification appor- tée dans la composition du sang ? Ce n'est là , il ( 304 ) , est vrai , qu'une supposition , mais elle acquiert un grand degré de probabilité par les résultats que fournit l'expérience suivante : Si l'on injecte dans un tuyau élastique une dis- solution d'amidon , et qu'on écoute avec le stéthos- cope que l'on appuie légèrement de manière à dé- primer les parois du cylindre , on entend dans le moment de l'impulsion du piston un bruit de frot- tement dont les grains sont beaucoup plus gros que quand on se sert d'un liquide moins visqueux , de l'eau, par exemple. J'avoue que si chez un ma- lade j'avais constaté un semblable bruit, je me se- rais complètement abusé sur son mode de produc- tion. J'aurais pensé à l'existence d'un rétrécissement avec développement d'inégalités considérables. Ne serait-il pas possible , en variant ces expériences , d'arriver à découvrir le rôle que jouent dans la production de ces bruits si variés les modifications apportées par les maladies dans la composition du sang? Vous parlerai-je de ces prétendues explications qu'heureusement nous ne voyons plus guère repro- duire , et qui consistaient à attribuer la cause d'un phénomène inconnu à un état vital particulier ? C'est ainsi que Laënnec, cet excellent esprit, cet homme d'une si rare sagacité , ne pouvant trouver la solution physique du problème qui nous oc- cupe , se contentait d'explications véritablement absurdes. Ces bruits anormaux des artères , à quoi les rattachait-il? à un spasme, à une anomalie de l'influx nerveux, à une vitalité contractile des pa- rois des vaisseaux. Mais empressons-nous de le - ( 305 ) constater, car c'est un progrès, on n'oserait plus aujourd'hui tenir un pareil langage. Sans doute il est dans l'économie vivante des phénomènes essen- tiellement vitaux, mais il en est d'autres soumis aux lois physiques et dont les lois physiques seules peuvent donner une juste interprétation. Mais revenons à l'étude des bruits artériels. Il est une modification du bruit du souffle que l'on entend chez les femmes arrivées à une certaine période de la grossesse , et qui ressemble assez exactement à celui que détermine la compression d'une artère ; je veux parler du souffle placentaire. Ce bruit est simple, isochrone au pouls de la mère, et s'entend particulièrement sur les parties latérales de l'abdomen. Quel est maintenant son siège ? C'est ici que les opinions sont partagées. Les uns pensent que ce souffle se développe dans l'appareil vascuïaire des parois utérines ; d'autres soutiennent, et c'est l'opinion de M. Bouillaud, que ce n'est autre chose que le bruit des grosses artères du bassin, telles que l'aorte et les vaisseaux pelviens, transmis par l'utérus chargé du produit de la conception. Avant de me prononcer sur la cause de ce souffle placentaire, je dois vous faire remarquer que son existence est sujette à de nom- breuses variations. Ainsi vous l'entendez aujour- d'hui , et demain il aura disparu, puis vous le re- trouverez au bout de plusieurs jours. J'ajouterai aussi que ce bruit paraît superficiel , et qu'il sem- ble très voisin de la paroi abdominale. Avons-nous maintenant dans les artères utérines les conditions physiques propres au développement d'un pareil ( 306 ) souffle? C'est ce qu'il s'agit d'examiner. On con- çoit que ces vaisseaux par leur volume et leur nombre puissent devenir le siège de vibrations so« nores semblables à celles qui nous occupent , sous l'influence d'une gêne quelconque dans leur circu- lation. Or, vous savez à combien de modifications variées sont sans cesse sujettes les communications vasculaires de la mère et du fœtus. Ne peut-on pas trouver là une explication satisfaisante de ces alternatives d'apparition et de disparition du souf- fle placentaire ? Cette opinion acquiert encore un plus grand degré de probabilité si vous examinez comment s'opère la circulation dans ces cas de grossesse. Les artères utérines ne viennent point immédiatement s'aboucher dans les veines , mais le sang est épanché dans le parenchyme même de la matrice dont la texture est devenue celluleuse comme celle des corps caverneux $ et de là il com- munique par de larges ouvertures avec la face ad- hérente du placenta. Ainsi donc, je ne suis point porté à regarder comme exactes les idées de M. Bouillaud sur le mode de production de ce bruit : il me semble que l'on a tout autant de raison, et même davantage , pour supposer qu'il se passe dans les artères uté- rines. Mais , dira-t-on, on a observé, hors des cas de grossesse , un bruit de souffle simulant si exâc* tement le souffle placentaire, qu'on a pu le prendre pour ce dernier. Je ne nie point ce fait; mais de ce que les artères de l'abdomen peuvent produire un semblable bruit , il ne s'ensuit pas que les vais- seaux utérins ne puissent également le développer. ( 307 ) Du reste il ne serait pas impossible que ces deux causes ne concourussent à la fois à la formation de ces vibrations sonores. Bruit de souffle continu. Cette espèce de bruit artériel n'est plus intermittent , ii est continu ; il existe aussi bien dans le moment où le cœur , en se contractant, lance le sang dans le système vas- culaire, que quand les parois des artères reviennent sur elles-mêmes à chaque diastole des ventricules. C'est cette variété de bruit de souffle que M. Bouil- laud a désignée sous le nom de bruit de diable. Il est susceptible, dans quelques cas, de devenir tout- à-fait musical , et de représenter certaines notes de la gamme. Ce bruit , bien que continu , n'est point uniforme, car chaque fois que les ventricules se contractent , il-augmente graduellement d'in- tensité, etbientôtilprésenteun ronflement bruyant, comme si de nouvelles "vibrations sonores étaient venues se surajouter. Chez une femme couchée actuellement dans mes salies à l'Hôtel-Dieu, l'aus- cultation donne la sensation de deux bruits qui semblent se confondre ; le premier est constitué par des grains très fins et très nombreux , le second se rapproche plutôt du sifflement modulé de la sirène. C'est surtout dans les artères carotide et sous- clavière qu'on entend ce bruit particulier. On as- sure , mais moi je n'ai jamais observé ce fait , on assure l'avoir quelquefois rencontré jusque dans l'artère crurale. Une particularité assez singulière, relativement à ce bruit, c'est l'influence exercée par la disposi- . ( 308 ) lion du vaisseau dans lequel il se développe. Le malade élève-t-il le menton , en inclinant de côté la tête de manière à tendre les parois de l'artère carotide , le bruit augmente sensiblement d'inten- sité. Venez-vous au contraire à écarter du vaisseau le larynx et la trachée , le bruit disparait. Vous obtenez ce même résultat , si vous comprimez l'ar- tère de manière à intercepter le cours du sang dans sa cavité. Vous voyez qu'il y a là un ensemble de condi- tions qui ne sont pas encore bien éciaircies, et qui exercent la plus grande influence sur cette espèce particulière de bruits. Quelles sont maintenant les circonstances qui semblent, favoriser son développement? On le ren- contre surtout chez les jeunes filles chlorétiques , chez les phthysiques, chez les individus amaigris et épuisés par de longues maladies. Quant au mode de production de ce bruit, je ne crois pas qu'il en existe jusqu'à .présent aucune ex- plication satisfaisante. Vous n'avez, en effet, aucune altération organique des artères , aucun obstacle , aucune déformation de leurs parois , qui puisse vous rendre raison d'un semblable phénomène. Il est bien plus probable que dans ce cas les qualités particulières du sang jouent le principal rôle. Bruit musical. Nous avons déjà vu que le bruit de soufïle continu peut , par une sorte de grada- tion insensible, acquérir un caractère musical, qui quelquefois ne manque pas d'un certain agrément. Laënnec a noté sur le papier plusieurs phrases de chant, qu'il avait entendues dans les artères. Je ( 309 ) dois vous faire remarquer que ces modulations vi- bratoires sont extrêmement variables suivant les individus ; tantôt elles ressemblent au roucoule- ment de la tourterelle , tantôt elles se rapprochent du bourdonnement d'un insecte , ou de la réson- nance d'une corde métallique. Il n'est pas rare de les voir disparaître , puis reparaître de nouveau sans cause appréciable. Ce sifflement musical des artères devient plus sonore , se renfle à chaque systole des ventricules; on peut en général trouver facilement, avec le diapason , la note qui le repré- sente. Quelles sont les lois physiques qui président au développement de ce bruit singulier? Je les ignore et ne pense point qu'il soit possible, dans l'état ac- tuel de nos connaissances, d'en donner une ex- plication satisfaisante. Toutefois, si l'on considère, la constitution et les conditions pathologiques des individus chez lesquels on rencontre ce bruit , il est probable que les liquides jouent encore ici , sinon l'unique, du moins le principal rôle. Nous sommes obligés , Messieurs , de terminer ici nos leçons, car le semestre étant expiré, les règlements exigent que les cours du Collège de France soient suspendus à dater d'aujourd'hui. Je me proposais encore d'aborder avec vous de graves et importantes questions; car nous sommes loin , bien loin d'avoir épuisé notre sujet; plus on met- tra d'attention et de scrupule dans l'étude des phé- nomènes de la vie , et plus l'on se persuadera que tous ou presque tous sont influencés par les lois qui régissent les phénomènes physiques. Je ne m, 20 ( 310 ) voudrais pour preuve qu'un examen rapide de chacune de nos fonctions. Sile temps me permettait de faire cet examen,vous acquerriez bientôt la conviction que les lois physi- ques n'ont rien perdu de leur empire pour s'exer- cer dans les corps organisés : les observateurs seuls ont manqué pour les suivre dans ce inonde vivant, ce microcosme des anciens. Chaque fonction, cha- que organe nous en fournirait facilement la preuve; et ne se montre-t-elle pas d'elle-même dans les sens, les mouvements,la voix,la circulation du sang,etc? La production et la distribution de la chaleur ani- male, qu'est-ce donc, sinon unphénomènephysique? Et la transpiration cutanée, et l'exhalation pulmo- naire, et l'absorption,n'avons-nous pas acquis la cer- titude par des expériences irrécusables que tout y est physique? Je ne finirais pas, Messieurs , si je voulais poursuivre les phénomènes de cette nature partout où ils existent; il faudrait reprendre la phy- siologie jusque dans ses moindres détails. Nous remettrons cette étude à une autre époque. Vous avez pu voir dans les divers sujets que nous avons traités, quelles ressources immenses nous avons puisées dans l'application des lois physiques , aux phénomènes de l'économie vivante. Mais combien il s'en faut que la science ait atteint à cet égard son dernier degré de perfection. Aussi , c'est vers ce but, à la fois scientifique et philantropique, que je vous engage à diriger vos efforts; moi-même je vais me livrer à de nouvelles recherches , pénétré que je suis que c'est dans cette étude de la physi- que vitale que repose l'avenir de la médecine. TABLE INDICATIVE DES SUJETS TRAITÉS DANS CES LEÇONS. Pages. Les propriétés générales de la matière existent dans les êtres vivants. 7 Propriétés secondaires des corps envisagées dans les or- ganes vivants. 8 Tout n'est pas vital dans les êtres vivants; nécessité, pour le médecin, des études physiques. 1 o Porosité et imbibition. 18 Erreurs de Bichat relatives à l'absorption. ig Expériences sur l'absorption. 21 Quels sont les agents de l'absorption. 25 Les différents tissus n'absorbent pris avec une égale ra- pidité. 28 Expériences. 29 L'épidémie est un obstacle à l'imbibition. 34 Méthode endermique. 35 Utilité des frictions pour faciliter l'absorption de certains médicaments. 37 Absorption exercée à la surface de la membrane mu- queuse gastro-intestinale. - 38 Expériences. ^o Conséquences thérapeutiques. Ai Appréciation des moyens employés pour prévenir l'ab- sorption d'un virus déposé dans les tissus. 44 Quelles indications réclame la morsure d'un animal ve- nimeux. Z|Q Expériences. 3o Procédés divers pour enlever l'épidcrme . 52 ( 312 ) Introduction accidentelle de l'air dans les veines. 54 Par quel mécanisme s'opère celte introduction. 56 Expériences qui réfutent l'opinion de Bichat relativement aux effets de quelques bulles d'air dans le sang. 58 Examen du cœur sur un animal qui a succombé à l'in- troduction de l'air dans les veines. 59 Comment s'opposer aux accidents que développe cette introduction. 6o Maladies réputées contagieuses. , 63 Typhus* 64 Cholera-morbus. QQ Fièvre jaune. id. Lèpre. 68 Peste. l(*» Police médicale des lazarets. 70 Les réolements dits sanitaires sont dignes des temps barbares. 7 3 De la contagion de la variole, de la rage, de la syphi- lis, etc. 75 Moyens préservatifs de la syphilis. 76 Expérience sur l'absorption veineuse. 79 Théorie des hydropisi es. 8 1 Exhalation. 82 Mécanisme de l'exhalation. 84 Pourquoi l'œil s'affaisse-t-il sur le cadavre et ne s'affaisse- t-il pas sur le vivant. 86 Il eu est du liquide céphalo-rachidien comme des hu- meurs de l'œil. 87 Expériences sur l'absorption de l'éther , du phos- phore, etc. 89 Endosmose. , 91 Action de l'éther sur le phosphore dans le poumon vivant. 94 L'acide sulfurique est-il Y ennemi de l'endosmose. 96 L'œil est un appareil d'endosmose. 98 Expériences qui prouvent que les phénomènes d'endos- mose consistent dans une imbibition à double cou- rant. x 99 Ecchymoses suites de contusion . loi Hydropisies enkystées. io3 H'ydrocèle. io5 Abcès phlegmoneux. 106 Le traitement des hydropisies est tout-à-fait empi- rique. 107 Conse'quences de l'introduction de l'eau dans les veines. 108 A l'imbibttion se rattachent de nombreuses questions d'à- ( 313) natomie pathologique. ut Expérience sur l'injection de l'eau dans les veines. 1 13 Effets produits par l'introduction dans le sang de matières animales en putréfaction. 116 Influence de l'électricité' sur les phénomènes capillaires. 1 1 7 Certaines tumeurs ne vivent que par la voie de l'imbi- bition. 119 Perméabilité aux gaz. 122 Toute membrane vivante est perméable aux gaz. ia3 Perméabilité à double courant. 126 Conséquences de la perméabilité aux gaz. 1 29 Expérience sur l'acide prussique. l32 Les matières végétales ou animales, peuvent vaporiser. 1 35 Viscosité. i56 Expériences sur l'introduction dans le sang de principes étrangers augmentant sa viscosité. 1 3g Les modifications des propriétés physiques du sang jouent un grand rôle dans les maladies. i43 De la saignée et de ses abus. 145 Le rhumatisme articulaire aigu doit-il être combattu par la saignée. 147 Influence du froid sur la circulation capillaire. * , i4& Le sang peut-il être trop épais? 1 5o Expériences sur diverses substances introduites dans le sang dont elles augmentent la viscosité. i53 Examen anatomique d'un animal après injection de su- blimé corrosif dans les veines. l56 Nouvelles expériences sur l'émulsion cérébrale. i58 Expériences sur le charbon animal tamisé et porphy- risé. 162 Elasticité. i65 Les phénomènes que Bichat désignait sous le nom de contractilité et d'extensibilité de tissu ne sont que de simples phénomènes d'élasticité. 167 Tous les tissus de l'économie sont élastiques plus ou moins. . id. Rôle que joue l'élasticité dans la circulation. 171 Expériences de M. Poiseuille. \n[. Y a-t-il dans les artères, ainsi que le pensait Béclard, une puissance contractile qui n'est pas l'élasticité? 176 Rétraction inégale des parties molles après les ampu- tations. |f-q L'élasticité joue un rôle important dans les fonctions de la vie sensoriaîe. jgo Sphygmomètre. j83 ( 314 ) Cours du sang dans le système capillaire. i85 Opinions erronées émises à ce sujet par les physiolo- gistes. 186 C'est l'influence du coeur qui fait circuler le sang dans les capillaires. igi Manière dont le sang circule au sein de quelques paren- chymes. 193 De quelques procédés hémostatiques. 196 Ligature. . 197 Torsion. 198 Arrachement. 200 Perplication. 201 Influence de l'innervation sur la circulation capillaire. 202 Examen anatomique d'un chien sur lequel il y avait six mois que la huitième paire du côté droit avait été coupée. 2o5 Section des nerfs pneumo-gastriques sur deux chiens. Sur le degré de sensibilité de ces nerfs. 208 Expériences de M.Stirling sur la perplicalion et sur une nouvelle méthode de pupille artificielle. 210 Résultats de la section de la huitième paire sur deux chiens. v 2i3 Pneumo-thorax. Examen d'une pièce pathologique. 2i4 Production du son dans l'économie animale. 216 Distinction des vibrations en aériennes et en solidiennes. 218 Les vibrations aériennes peuvent se transmettre aux corps solides et aux liquides. . 220 Mode de transmission du son. 221 Stéthoscopes. 223 Caractères du bruit de choc. 228 Bruits que développe le fœtus en heurtant les parois utérines. 229 Des bruîts anormaux du coeur. 23 i Premier bruit. 233 La pointe du cœur, au moment de la systole des ventri- cules, vient choquer la paroi thoracique. ici. Ce choc détermine des vibrations solidiennes. 235 Expériences prouvant que le premier bruit du cœur coïncide avec ce choc. 236 C'est ce choc de la pointe du cœur qui produit le pre- mier son cardiaque. 239 Expérience. Quelles conclusions en tirer? 242 Nouvelles expériences sur le premier son cardiaque. 2^4 Modifications que subissent les bruits du cœur dans l'hy- pertrophie de cet organe. 2/\Q Expériences sur la présence de liquides et de gaz entre ( 315 ) le cœur et la paroi ihoracique. 249 Second bruit. p 25o Ce second bruit coïncide avec le choc de la face anté- rieure du cœur contre le thorax à chaque diastole des ventricules. 2JI Expériences à ce sujet. 2ji Les faits pathologiques viennent confirmer ces résul» . tats. 2 54 Théorie de Laennec sur les bruits du cœur. Id. de M. Rouanet. 256 Analyse critique et expérimentale de la théorie de M. Rouanet. 2Ô8 Nouvelle théorie de M. Hope. 263 Réfutation de cette théorie. 264 Pourquoi dans l'hydro-péricarde les sons cardiaques sont- ils plus sourds et finissent-ils par disparaître. 267 Examen d'une curieuse pièce pathologique. 26g Le premier bruit du cœur peut disparaître quand une portion de poumon est placée entre l'organe et la paroi pectorale. 270 Expériences sur le jeu des valvules. 272 Pourquoi une couché de coton placée entre le cœur et le sternum n'abolit pas les sons cardiaques. 274 Bruits anormaux du coeur. 275 Bruit de souflel. 276 Expériences sur la production de ce bruit. 277 Quelles causes favorisent son développement. 279 Ce bruit de souflet n'est point lié à une lésion organique constante et permanente. 281 Bruit musical. 282 On ignore dans quelles circonstances ce bruit se déve- loppe. 286 Frémissement cataire. • id. Bruissement. 28 .Bruits de scie, de râpe, de lime, 288 Expériences sur ces bruits. id. Examende plusieurs pièces pathologiques relatives à divers bruits anormaux. Réflexions cliniques. 290 Expérience de M. Rouanet répétée. 2$5 Expérience dans laquelle on a déchiré les valvules syg- moïdes et tricuspides. 297 Des bruits des artères. 298 Bruits normaux. 200 Bruits anormaux. 30 1 Bruit de choc. fâm Bruit de souflet intermittent. 3o2 ( 316 ) Expériences sur la production de ce bruit. 3o4 Soujle placentaire. 3o5 Bruit dç sou/têt continue. ^07 Bruit musical. < . ^°" Tous, ou presque tous les phénomènes de la vie sont in- fluencés par les lois qui régissent les phénomènes phj- siques. ux FIN DE LA. TABLE. * r tf WÊÉ