^^,, * ■-J y "^?cy.^"L aS^ tv vpri DU SANG, ET DES ALTERATIONS BECELIQUIDEDANSLESMALADIESGRAVES, LEÇONS PROFESSÉES AU COLLÈGE DE FRAIVG E PAR M. MâOE^DIE. IV. Imp. de MoQUET et Hauquelin, r. de la Harpe, 90. e PHÉNOMÈT^ES PHYSIQUES DE LA VIE. LEÇONS PROFESSÉES AU COLLEGE DE FRANCE PAR M. MAGENDIE, MEMBRE DE l'iNSTITUT DE FRANCE. Recueillies Par M. J. FUNEL, ET REVUES PAR LE PROFESSEUR. TOME QUATRIÈME ^A PARIS, CHEZ J.-B. BAILLIERE, LIBRAIBE DE l'aCADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE, RUE DE l'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, 17. A LONDRES,CHEZ H. BAILLIERE, 219, REGENT STREET. 1842 /F-éS <^r Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/phnomnesphys04mage LEÇONS SUR LE SANG , ET LES ALTÉRATIONS DE CE LIQUIDE DANS LES MALADIES GRAVES. ■ wiii'ii '^ "iiniT " PREMIÈRE LEÇON. 16 Décembre i857. Messieurs , Chaque année, à pareille époque, j'éprouve uu véritable plaisir à reprendre avec vous le cours de mes investigations physiologiques et pathologi- ques; aujourd'hui ce plaisir est plus vif qu'il n'a ja- mais été; car au souvenir des résultats importants et inattendus que nous avons été assez heureux pour obtenir l'année dernière , vient se joindre l'espoir que nos recherches futures seront non moins fécondes, et qu'une nouvelle impulsion I. IV. Magemlie. -^ 1 (2) sera ainsi donnée aux études médicales. En effet la manière dont nous avons expliqué l'origine et le mécanisme , pour ainsi dire , de diverses mala- dies n'est-elle pas de nature à jeter une vive lumière surjle chaos de la pathologie, cette science à créer, car je compte pour peu l'examen minutieux des moindres traces laissées sur nos organes par les différentes affections qui les frappent, et que l'on décore pompeusement du nom d'anatomie patho- logique? N'est-il pas démontré, pour vous qui Pa- vez mainte fois vérifié, que souvent les lésions trou- vées à l'ouverture des cadavres ne se sont manifes- tées qu'après la mort, et, par conséquent, que la voie suivie jusqu'ici dans les recherches de ce genre est mensongère et peut avoir pour issue le vague et l'erreur? Certes , Messieurs, il est digne de re- marque, qu'à une époque où tout semble tendre vers le positif, l'étude d'une science qui intéresse à un si haut degré l'espèce humaine , se trouve presque la seule dont la marche soit incertaine et comme abandonnée au caprice du hasard. Ouvrons- nous donc une autre carrière: les effets des mala- dies sont étudiés depuis long-temps, ils sont en grande partie connus ; remontons à leurs causes ; tâchons de les découvrir, étudions-les patiemment une à une , et alors nous pourrons peut-être mo- difier leurs effets nuisibles avec avantage. C'est là, n'en doutez pas , qu'il faut nous ralHer ; c'est vers ce but qu'il faut diriger tous nos efforts. L'entre- prise n'est pas aisée, car rien n'est tenace et persis- tant comme une idée absurde passée dans le do- maine public, et il y en a beaucoup de ce genre (3) aujourd'hui dans la théorie et la pratique de la médecine ; mais vous le savez , Messieurs , plus l'œuvre est difficile, plus il est glorieux de l'entre- prendre, et lors même que nous n'aurions réussi qu'à mettre nos successeurs sur la voie de l'ache- ver un jour, nous croirions avoir assez dignement rempli notre tâche. Vous m'avez souvent entendu élever la voix contre la direction vicieuse des études médicales, et, sans doute, vous-mêmes avez été frappés comme moi du peu d'avantages qu'elles répandent dans la société: remontez à la source du mal, et vous verrez qu'il ne peut guère en être autrement. La physiologie, cette pierre angulaire de l'édifice médical , est à peu près inconnue ; l'analomie est apprise à la hâte et plus vite oubliée encore ; en général , on en sait juste ce qu''il faut pour ne pas être refusé à l'examen, et une fois docteur, on a bien à penser à autre chose. Il faut se faire une clien telle , se créer une position ; de sorte que la plupart du temps, le médecin qui débute est en réalité moins capable d'exercer la médecine, que quand il était encore sur les bancs de l'école. Il en sera ainsi tant que de larges «t judicieuses réformes n'auront pas eu lieu dans le mode d'enseignement. Ces paroles sont sévères; mais elles ne sont mal- heureusement que trop vraies ; et je suis persuadé que sur ce point les médecins sensés et les élèves studieux partagent ou partageront mon opinion. Une chose également très fâcheuse, c'est qu'on néglige généralement des sciences qui, bien qu'ap- pelées accessoires^ n'en sont pas moins de première importance pour étudier la médecine avec quelque fruit: je veux parler de la physique, de la chimie, de l'histoire naturelle, des mathématiques^ etc. Ne savons-nous pas qu'à la première se rattache une foule de phénomènes nommés improprement vi- taux : n'avez-vous pas vu aussi comment, en appe- lant à notre aide quelques notions d'hydraulique et de mécanique , nous avons simplifié la théorie de la circulation qui exigeait autrefois un attirail si compliqué d'explications chimériques. Comparez le résultat des expériences que nous avons faites en commun avec ce que vous trouvez dans vos livres, et vous verrez jusqu'à quel point rimagination peut égarer certaines intelHgences : je ne saurais donc trop vous le répéter : tenez- vous en garde contre ces créations romanesques , fussent-elles même des plus ingénieuses; car tel a presque toujours été l'écueil des hommes du plus grand mérite. Livrez-vous, au contraire, aux étu- des expérimentales ; voyez et touchez par vous- mêmes, n'admettez rien sur parole, pas même sur la vôtre ni sur la mienne, et vous serez à l'abri des bizarres conceptions enfantées pour expliquer, au moins d'une façon quelconque , les phénomènes souvent inexplicables de l'organisation. Je vous disais , en commençant , que j'avais conçu l'espérance de voir enfin les études médi- cales, et par suite la pratique, prendre un essor nouveau sous le rapport de la pathologie : notre espoir sera -t- il réalisé ? l'avenir en décidera; mais quoi qull en soit, je veux pendant ce semes- tre rappeler votre attention vers nos dernières ( 5 ) expériences sur le sang. C'est pour nous une question capitale que nous voulons essayer de ré- soudre.Vous avez vu quelle influence ce fluide exer- çait sur nos organes ; vous nous avez vu produire à volonté sur des animaux la plupart des phéno- mènes frappants que déternynent les maladies les plus terribles , et contre lesquelles notre art est trop souvent sans ressources : vous nous avez vu donner lieu, à notre gré, tantôt à la pneu- monie , tantôt au scorbut , à la fièvre jaune , à la fièvre typhoïde^, etc., etc., sans parler d'un grand nombre d'autres afl"cctions mortelles que nous avons pour ainsi dire évoquées devant vous. C'est ici , Messieurs, que nous appellerons sur- tout la chimie organique à notre secours. Avec ses lumières, quelque faibles qu'elles soient mainte- nant, nous tâcherons d'étudier la composition in- time du sang à l'état normal, les altérations qu'il éprouve, les influences qu'il reçoit et les troubles qu'il porte dans l'économie lox^squ'il est modi- fié de telle ou telle façon. Car, nous ne pouvons pas nous le dissimuler, il est une vérité accablante, mais claire pour tous les gens de bonne foi : je m'explique. Auprès d'un malade, en quoi diffère le médecin de la personne qui garde ce malade ? Est-il appelé pour une variole? Dans le cours de ses études, il a suivi des cliniques, il connaît les symptômes et les terminaisons de cette maladie : elle débute par des phénomènes généraux ; son caractère est une éruption d'une nature particu- lière qui dure un certain temps; puis les boutons se dessèchent et enfin survient la desquammation. (6) Eh bien ! pensez-vous que la garde-malade, pour peu qu'elle ait quelqu'habitude de son métier, ne saura pas tout cela aussi bien que lui ? Mais lui, saura-t-il plus qu'elle pourquoi cette variole sera bénigne ou confluente; ou pourquoi, revêtant tout- à-coup une autre forme (le pourpre), elle enlèvera son malade en quelques heures ? Non! le médecin le plus habile, le plus expérimenté ignore toutes ces choses; il est là spectateur ignorant et trop sou- vent impuissant devant ces graves modifications de la maladie primitive , et, pour tout secours, il or- donneradi\ers moyens, qu'au besoin la garde-ma- lade prescrirait aussi bien que lui. Est-ce là, je vous le demande , le genre de su- périorité auquel puisse aspirer le médecin? Dans l'état actuel de la science, je n'hésite pas à répon- dre, c'est le seul. Tâchons donc par des études sé- rieuses, dirigées vers un but vraiment utile et lo- gique, de dépouiller le rôle presque humiliant que nous ont laissé nos devanciers. Eclairons, par toutes les lumières que nous fournit l'époque où nous vivons , la pathologie : au lieu de la simple et stérile annotation des si- gnes des maladies, créons la médecine expérimen- tale , qui nous révélera sans doute le mécanisme des altérations morbides , et dès lors , il nous sera possible d'attaquer avec vigueur les causes de ces altérations, de les modifier et même de les prévenir. Tel est le point de vue sous lequel j'en- visage nos études, et je ne pense pas qu'à aucune époque , il en ait été formulé de plus rationnel et d'aussi fertile en conséquences. (7) Les expériences que nous avons déjà faites sur la nature du sang sont journellement confirmées par les ouvertures cadavériques. Dernièrement, on apporta dans mon service, à l'Hôtel-Dieu,^ une femme ayant les prodromes d'une maladie aiguë fort grave. Examen fait ^ je diagnostiquai le dé- but d'une variole. Cependant, le même jour, mal- gré le traitement suivi en pareil cas , l'état de la malade s'aggrave subitement, le pourpre se déclare et la mort survient en trente heures. Je vous ai déjà parlé de cette complication vraiment fou- droyante de la variole. Dans cette circonstance^ les symptômes et la terminaison fatale avaient été si inopinés si terri- bles , que plusieurs personnes du service en fu- rent effrayées et prétendirent que c'était un cas de peste. Nous avons été curieux de comparer les phénomènes que présenterait l'autopsie de cette femme avec ceux que nous produisons dans les ma- ladies artificielles que nous créons sous vos yeux, je puis dire de toutes pièces; eh bien î nous avons trouvé entre eux une telle identité , ou plus exac- tement une telle ressemblance, qu'on eût pu présu- mer que cette mort avait eu lieu sous l'influence des moyens que nous employons dans nos expé- riences pour attirer le sang des animaux. Voulez - vous d'autres preuves de la part évi- dente que prend ce liquide dans la production des désordres morbides, la pneumonie, par exemple ? Cette affection a été décrite par les médecins de toutes les époques ; vous connaissez tous ses pro- dromes, ses périodes, ses terminaisons; mais quelle ( 8) est sa cause première? Que se passe -t- il donc dans le poumon poiu* que tantôt il y ait engoue- ment, tantôt hépalisation rouge on g?nsel Ces expressions vous paraissent ridicules et excitent vo- tre sourire; je suis cependant obligé de m'en ser- vir pour parler le langage de l'école , dont le vocabulaire, tout bérissé de comparaisons fausses ou grotescpies, n'est rien moins que ration- nel; et a ce sujet j'appelle de tous mes vœux une réforme. Mais revenons à la pneumonie : Le parencbyme pulmonaire est tantôt durci, tantôt ramolli ; il est devenu tout-à-fait impropre à la respiration, à la circulation; nous vous avons plu- sieurs fois exposé le mécanisme de ces altérations : nous dirons donc sommairement que,par une série de pbénomènes cbimico-physiologiques que nous connaissons aujourd'hui en grande partie, le sang s'épanche dans les canaux pulmonaires labyrinthi- ques , s'y coagule, s'y solidifie, et produit les dif- férents désordres que vous avez eus à constater bien des fois, désordres toujours à peu près identi- ques et qu'il est impossible d'expliquer autrement que nous le faisons. J'insiste beaucoup sur ce point, parce qu'une foule de cas pathologiques s'y rattachent : c'est ainsi que nous déterminons à volonté ce qu'on appelle une gastro-entérite, une fièvre typhoïde ; la rougeur et l'altération de la muqueuse intesti- nale, tous les caractères enfin de ces affections se reproduisent avec une rigoureuse exactitude, et sont, selon nous, le résultat de causes chimiques, physiques et physiologiques. ( 9) Ces données deviennent d'autant plus impor- tantes que, depuis le semestre précédent, nous avons eu occasion d'en faire des applications fort curieuses. En voici un exemple. La pustule maligne, cette affreuse maladie, où l'inflammation joue un si grand rôle selon les partisans de ce mot vide de sens, à moins cependant qu'on ne veuille l'appli- quer aux combustions spontanées , pour ne pas tout-à-fait le rayer de l'idiome médical; la pustule maligne, dis-je^, d'après Fautopsie d'un homme qui en est mort récemment à l'Hôtel-Dieu, a coïn- cidé avec la non-coagulabilité du sang. Toutes nos recherches nous démontrent, nous prouvent que la propriété qu'a ce liquide de se pren- dre en caillot est une condition indispensable à l'en- tretien libre et régulier de son mouvement dans les capillaires; et c'est cette condition modifiée qui rend si souvent fatales les maladies avec apparition de pétéchies, telles que la peste, le typhus, la va- riole, le scorbut, le purpura, etc. Une partie de nos études sera donc dirigée vers la connaissance des causes qui médiatement ou immédiatement peuvent agir sur ce phénomène; vous pouvez entrevoir que ces recherches sont du plus haut intérêt pour la pathologie et par conséquent pour riuimanité. Nous connaissons déjà un grand nombre de substances solides, liquides et gazeuses qui dé- truisent ou affaiblissent la congulabilité du sang; nous tâcherons d'en découvrir qui donnent plus d'énergie à ce phénomène, ce qui , je crois , n'est pas impossible. Soyez-en bien persuadés, Messieurs, l'étude vrai- (10) ment scientifique de la médecine est presque tout entière dans la recherche de la manière dont se pro- duisent les altérations pathologiques, là doit se trou- ver une bonne partie de l'avenir de cette science. Nous avons déjà groupé un grand nombre de ma- ladies autour de ce principe , nous pourrons sans nul doute en ajouter d'autres encore. La phthisie pulmonaire par exemple , que vous voyez cha- que jour moissonner tant d'individus de tout âge, de tout sexe^ de tout rang, a été un sujet des plus féconds que chacun a exploité à l'envi. De grands observateurs nous ont donné le tableau de toutes ses périodes , de toutes ses espèces, de tou- tes ses nuances, nous connaissons jusqu'aux dé- tails les plus minimes : avec tout cela, nous ne sa- vons pour ainsi dire que son histoire naturelle; et à quoi sert elle dans la thérapeutique? à rienî c'est la cause qu'il faudrait connaître. Pourquoi déses- pérer? Peut-être trouvera-t-on la matière tubercu- leuse dans le sang, et par suite pourra-t-on l'y dé- truire ou en prévenir la formation. Car dans la re- cherche expérimentale de la vérité il ne faut reculer devant aucune difficulté. Si Christophe Colomb, Newton et Galilée nous ont dotés de leurs immor- telles découvertes, c'est qu'ils étaient doués de cette inébranlable constance qui tend au but proposé à travers tous les obstacles, et finit tôt ou tard par l'atteindre. Nous employerons tous nos efforts pour sui- vre ces mémorables exemples , et peut-être ne rencontrerons - nous pas autant d'obstacles qu'on pourrait le supposer. Laissez -moi vous citer (11 ) un fait bien propre à soutenir notre espoir. Nous savons qu'à l'aide du microscope, on distin- gue parfaitement la matière tuberculeuse de la matière purulente; ces jours derniers, j'ai eu à recueillir dans mes salles à F Hôtel-Dieu , une observation à ce sujet qui me parait presque con- cluante. Une femme phthisique était morte; à l'ouverture, on trouva entre les piliers du ventri- cule droit du cœur des espèces de sacs fibrineux, contenant un liquide ressemblant au premier aspect au pus du pblemon. J'emportai la pièce chez moi, et l'examen microscopique m'a con- vaincu que ce prétendu pus était de la matière tuberculeuse. Elle était donc dans le sang cette matière délétère ; mais est-ce la phthisie qui l'y avait placée, ou bien est-ce cette matière qui avait produit la plithisie ? Voilà l'objet d'une recherche. Nous ne l'oublierons pas. De quelle portée n'est pas ce fait! Eh bien! chaque jour, mon service à l'hôpital, celui de mes collègues nous fournissent des preuves convaincantes qui m'affermissent dans la persuasion que nous trou- verons dans le sang la cause d'un grand nombre des affections pathologiques, et dans tous les cas une source nouvelle d'instruction. Vous voyez qu'en appliquant cette manière de pro- céder à toutes les maladies que nous aurons occasion d'observer^ nous ouvrons un vaste champ d'étude que votre concours rendra plus facile à cultiver. Voilà d'une manière très générale le tableau de l'enseignement que nous voulons entreprendre cet hiver: nous ferons des expériences, nous observe- ( 12) rons, et je ne doute pas que nous n'arrivions à quel- que résultat utile. Ne vous étonnez pas si sur toutes ces ques- tions fondamentales la science est si pauvre; les médecins peuvent être divisés en deux classes bien distinctes : les uns, à peine sortis des bancs, mettent tout d'abord l'étude de côté; ils croient de très bonne foi et font souvent croire aux autres, qu'ils savent tout^ qu'ils guérissent tout : quelquefois on fait ainsi une brillante fortune, mais je dois le dire , c'est aux dépens de l'huma- nité et de la science. Cette méthode qui compte trop de partisans m'explique fort bien l'espèce de dis- crédit dans lequel la médecine semble tombée de nos jours et la haute faveur dont jouissent les char- latans auprès du public, dont ils exploitent l'igno- rance et les préjugés. D'autres médecins continuent il est vrai à se li- vrer avec ardeur aux travaux cliniques; mais, quel- ques-uns égarés par les errements de Fécole, entra- vent, plutôt qu'ils ne favorisent , la marche de la science. Parmi ces préjugés , il en est un surtout, contre lequel je me suis élevé depuis que je suis en- gagé dans l'enseignement, et qui est d'autant plus nuisible qu'il paraît reposer sur des considérations spécieuses que je m'abstiendrai cependant de dis- cuter ici : c'est de croire qu'il n'y a rien de com- mun entre ce qui se passe dans les corps vivants et ce qui a lieu dans la matière inerte ; non pas que nous voulions attribuer à cette dernière plus qu'il ne lui appartient, mais dévoué avant tout à la recherche du vrai^ nous devons dire ce ( 13 ) qui peut y conduire. C'est aiusi que vous avez pu voir que certains phénomènes, comme ceux d'im- bibition, de perméabilité aux gaz , etc, se pas- saient exactement dans les membranes organisées et vivantes comme dans les corps inertes. Il serait aussi à souhaiter que Ton introduisît dans les études et les recherches médicales l'u- sage d'instruments propres à faire apprécier ri- goureusement la valeur des résultats obtenus. Tou- tes les autres sciences ont du leurs progrés plus ou moins rapides à la perfection successivement apportée dans leurs moyens d'exploration : c'est ainsi qu'en physique on mesure la pesanteur de l'air , sa température , son état de sécheresse , d'humidité au moyen du baromètre , du thermo- mètre et de l'hygromètre, etc. L'année dernière, nous avons eu occasion, dans plusieurs de nos expériences, de faire une heureuse application d''un instrument inventé par M. Poi- seuille pour déterminer avec exactitude la pression du sang et la force d'impulsion du cœur. Les ré- sultats ont été presque incroyables et ont renversé toutes les idées qu'on pouvait avoir à ce sujet. Ainsi, chose extraordinaire, avec l'hémodynamo- mètre, M. Poiseuille a constaté que la force sta- tique du sang était aussi énergique chez deux ani- maux d'un volume énormément disproportionné, un cheval et un lapin. Nous-même avons expérimenté avec cet ins- trument précieux sur deux chiens de taille et de force égales : nous avons injecté dans les veines de l'un la plus grande partie du sang de l'autre, et la ( ^4) pression n'a varié que de quelques millimètres. Ces résultats, quelque surprenants qu'ils soient, sont incontestables, et ce qui nous avait paru d'abord un problème inexplicable est devenu , sous nos yeux, d'une très simple solution ; la voi- ci : la diminution notable de la masse sanguine augmente le nombre et l'intensité des contractions du cœur , tandis que la surabondance de ce liquide produit l'effet opposé : de sorte que l'on pour- rait poser en principe que le nombre et la force des battements du cœur sont en raison inverse de la pression ou du volume du sang. Si nous étions exclusivement dominés par des idées de mécanique , nous pourrions comparer l'état du cœur, se contractant davantage lorsqu'il est presque vide de sang, à une horloge dont on accélère les mouvements quand on raccourcit son balancier; mais rappelez- vous que noiis cherchons moins à être ingénieux que vrais, et que par con- séquent cette comparaison n'a qu'une valeur ap- parente. Vous voyez par là combien il y aurait à dire sur les effets de la saignée , et combien de considéra- tions neuves se rattachent à la théorie de cette opé- ration; nous y reviendrons une autre fois; mais re- marquez que dans cette opération si simple en ap- parence, la soustraction du sang amène inévitable- ment une modification delà contractilité du cœur. Vous voyez donc notre terrein à peu prés cir- conscrit : nous traiterons toutes les questions sous leurs rapports physiques , chimiques, mécaniques et vitaux ; car la vie n'est autre chose que le ré- (15) suUat de ces modes d'actions. Nous avons l'inten- tion de consacrer à l'étude du sang une suite assez longue de leçons parce que nous n'avons pas trouvé de question plus vitale comme on dit aujourd'hui; et ce ne sera pas seulement dans les appareils de laboratoire que nous étudierons ce liquide , mais aussi sur l'animal vivant, sur l'homme malade; nous tâcherons de prendre la nature sur le fait, d'écrire son histoire , de dire par quelles séries de transformations il peut se renouveler à l'aide du chyle dont les matériaux examinés isolément n'ont aucune analogie avec ses propres matériaux. Les globules du sang , que certains physiolo- gistes ont rangés dans la classe des animaux in- fusoires , nous occuperont aussi. Déjà nous con- naissons leur forme et le mécanisme par lequel ils se meuvent. Nous verrons si , sous l'influence de certaines causes , ils ne subissent pas des mo- difications qu'il importe de ne pas ignorer. Der- nièrement , M. Turpin vient de rattacher au régne végétal les globules du lait en assurant qu'ils poussent de véritables moisissures arbori- sées. Y aurait-il quelques rapports intimes à établir entre ces globules organiques et ceux du chyle ou du sang ? C'est une hypothèse que nous tâche- rons aussi de vérifier. Toutes ces questions. Messieurs, sont aussi im- portantes que difficiles à résoudre; et certes , c'est une matière assez vaste pour que nous y dirigions nos efforts réunis. Nous arriverons, je l'espère^ à quelque résultat heureux; j'en ai pour garants nos précédents travaux. (16) DEUXIÈME LEÇON, 20 Décembre 1837. Messieurs , Ceux d'entre vous qui connaissent nos pi'écë- dents travaux sur le sang , ne trouveront pas extraordinaire que je consacre une nouvelle sé- rie de leçons à cet important objet. Lorsque, désirant savoir quelque chose sur le mécanisme et la nature des maladies , vous avez étudié dans les hôpitaux et surtout pratiqué vous-mêmes, vous avez dû bientôt vous convaincre de la vanité ab- solue des théories médicales passées ou présentes, et vous n'aurez pas manqué d'apercevoir qu'en définitive la plupart des questions de médecine se rattachent plus ou moins à l'étude physique, chi- mique et vitale du sang. C'en est assez, je pense, pour justifier l'espèce d'enseignement nouveau que nous ferons cette année, et qui en définitive se ré- sumera en une suite de recherches expérimentales faites publiquement ; ce qui nous fournira l'occa- sion de démontrer par des exemples comment de telles investigations doivent être conduites. ( 1^) Je dois vous faire observer tout d'abord qu'il est de la plus baute importance de bien dé- terminer la nature des pbénoménes que nous voulons approfondir. Sous ce rapport la phy- siologie a fait quelque progrès et nous osons croire que nous n'y sommes pas tout à fait étran- ger : nos expériences ont démontré que telle et telle action qu'on faisait dépendre de la vitalité étaient purement physique. Ces faits clairement démon- trés ont scandalisé bien des partisans avoués du merveilleux, soulevé bien des clameurs; mais on commence à s'y habituer; et pour vous, je ne doute pas que les résultats que nous avons obtenus devant vos yeux ne vous aient vivement frappé , et qu'ils ne conservent une grande influence sur toute votre carrière médicale , car je suis loin de vous ranger au nombre de ceux qui , dédaignant la voix sévère de l'expérience et de l'observation^ veulent absolument régir la nature vivante par des lois sor- ties de leur imagination. Je ne nie pas qu'il y ait quelqii esprit , quelque mérite même à procréer de semblables rêveries; je sais encore qu'elles plairont peut - être dans le monde, et qu'elles peuvent faire la réputation, voire même la fortune d'un homme; mais je suis loin d'envier de pareils suffrages , de pareils suc- cès , surtout lorsque je vois chaque jour l'erreur brillante ou stupide amener tant et de si fatales conséquenses. Vous penserez donc sans doute avec moi qu'il est impossible de bien étudier un phénomène si l'on s'abuse sur sa véritable nature. T. IV. Magendie. 2 - (18) Ainsi , nous nous attacherons toutes les fois que nous voudrons aborder une question à démontrer d'abord, non avec de belles paroles, mais avec des preuves fourniesparles expériences, le caractère des phénomènes qui seront l'objet de nos recherches. Lorsqu'il s'agira d'une action vitale, nous n'au- rons probablement guère que des faits plus ou moins nombreux à vous présenter, puisqu'on en est encore réduit là pour cette branche de la physio- logie ; nous n'essaierons jamais de vous donner des hypothèses à la place de l'explication qui nous échappera , et dût même notre amour-propre en recevoir quelqu'atteinte, nous avouerons fran- chement notre ignorance plutôt que de risquer à vous induire en erreur en nous faisant illusion à nous-même. En envisageant les différens ordres d'êtres orga- nisés, sans même en excepter les végétaux, que l'on considère à tort ou à raison comme une sorte de transition établie par la nature entre la matière inerte et la matière vivante , on voit que la condi- tion indispensable de la vie est l'alliance des soli- des, des liquides et des gaz. Aux deux extrémités de la chaîne des êtres , on retrouve cette association des solides , des liquides et des corps gazeux ; ces derniers s'allient surtout aux liquides; pour le moment nous laisserons de côté leur examen que nous espérons reprendre plus tard pour en traiter plus amplement. Parmi les êtres organiques, les uns sont presque tout composés de solides ; d'autres le sont pres- qu'entièrement par les liquides. Tantôt il y a com- (19) binaison intime de ces deux éléments , tantôt ils paraissent simplement mélangés ou seulement en contact. Toutefois, il est constant que le liquide pré- pare et forme le solide, et qu'il entretient dans ce- lui-ci les conditions nécessaires à l'existence. Le mécanisme que la nature à employé pour faire mouvoir les liquides jusque dans les points les plus cachés des corps organisés est digne de toute notre admiration. Long-temps il a donné lieu à une foule de fables plus ou moins absurdes ; et celui qui le premier fit entrevoir la vérité à cet égard fut le reste de sa vie en butte aux persécu- tions des faiseurs d'hypothèses de son époque. Dans les précédens semestres , nous vous avons exposé longuement ce mécanisme; des faits patens et irrécusables que vous avez vuset revus ont fait jus- tice de toutes les idées erronées admises jusqu'ici. Vous savez enfin que le sang est soumis à des mou- vements de diverse nature; vous connaissez les causes qui déterminent ces différens mouvemens; nous n'insisterons donc pas davantage là-dessus et nous passerons de suite à des questions non moins importantes. Ce n'est pas pour rien que les liquides se meuvent dans l'économie ; car s'ils cessent de se mouvoir , des troubles se manifestent aussitôt dans les nombreux appareils d'organes; les fonctions ne se font plus; la vie s'arrête. En quoi donc est-il si nécessaire que le sang , remarquez ici, Messieurs, en passant, que ce mot sang est tellement vague, qu'il est tout à fait ira- (20) propre à désigner un liquide aussi complexe que celui dont nous nous occupons; en quoi donc dis- je est-il si nécessaire que le sang se meuve dans les corps doués de vie. La nature ne fait rien sans motifs ; partout nous trouvons la preuve de ses inépuisables ressources et de sa profonde sagesse. Toutefois, voici des faits qui se rattachent à cette question. Pour que le sang puisse servir à la vitalité , il faut qu'il existe certains rapports entre ses parties constituantes, il faut en outre qu'il disparaisse, qu'il se reproduise, qu'il se transforme ; la mort ou la maladie sont toujours le résultat de l'absence d'une de ces conditions dont Tensemble parfait con- stitue et entretient la santé. Si une partie du liquide s'échappe en plus , il survient des altérations plus ou moins graves dans le jeu des organes. Si des évacuations périodiques cessent , il y a également trouble, maladie. S'il reçoit de nouveaux matériaux par telle voie, en même temps il en perd par telle autre, c'est de cet équilibre de composition et de décomposi- tion que résulte son état normal. Nous analyserons dans un autre moment ses propriétés plus intimes; pour le moment nous dési- rons indiquer en quelques mots comment et par quelles voies il peut se reproduire et quelle est sou action sur nos organes. C'est surtout dans les aliments , et dans les ali- ments je comprends les boissons, qu'il puise ses matériaux; et dans ces matériaux nous retrouvons (21 ) les trois principes constitutifs des êtres; les liqui- des, les solides, les gaz; les fonctions nutritives et les fonctions sensoriales président à l'accom- plissement de ces phénomènes. Cependant les li- quides paraissent plus indispensables à sa reproduc- tion que les solides j c'est ce qui explique pourquoi le sentiment delà soif est en même temps si pénible et si impérieux, que des hommes (l'histoire en con- sacre nombre d'exemples, ) qui avaient pris la ferme résolution de mettre, par la faim, un terme à leurs souffrances , ont pu supporter la privation d'aliments solides, tandis qu'il leur a été impossi- ble de résister aux tourmens de la soif, à ce besoin instinctif de fournir au sang son élément matériel le plus nécessaire. J'ai moi - même observé récemment dans mon service à l'hôpital un fait assez curieux qui con- firme ce que je viens de dire : Une femme fourbe ou aliénée prétendait avoir reçu de Dieu la mission de réformer les hommes ; elle devait jeûner 365 heures, autant qu'il y a de jours dans l'année , sans doute pour être plus digne du grand œuvre qu'elle avait ordre d'entre- prendre. Pendant plusieurs jours elle refusa de prendre aucune espèce de nourriture. Je vou- lus voir jusqu'où irait cette triste jonglerie qui commençait à faire quelque bruit parmi les dévotes de la capitale ; elle fut séparée des autres malades et confinée dans une chambre isolée où l'on prit toutes les précautions pour que cette femme ne pût rien se procurer à notre insu. Cependant, comme nous ne voulions pas rendre (22) cette malheureuse, victime de son entêtement, on mit à sa disposition des alimens préalablement pesés avec soin. — Eh bien, messieurs, qu est-il arrivé? Cette femme pendant sa séquestration qui dura onze jours je crois , soit amour-propre, soit folie, a supporté la faim , elle n'a pas touché aux alimens solides ; mais elle n'a pu résister aux angoisses que fait éprouver la privation de l'eau, c'est-à-dire au besoin qu'a le sang de ce principe réparateur : elle buvait chaque jour, et par un surcroît de fourbe- rie remplaçait dans la bouteille par son urine le liquide qui avait ctanché sa soif. Qu'est-ce donc que ce besoin despotique, auquel elle a dû céder, si ce n'est l'instinct de fournir à la reproduction du sang? Cet instinct est tellement irrésistible, que, dans le monde, quand on veut ca- ractéHser une passion violente que rien ne peut maîtriser, on se sert de ce mot : la soif : ainsi l'on dit, la soif de l'or, des honneurs, du sang, etc, et pour mon compte je trouve ces expressions plus naturelles et surtout plus physiologiques que VAuri sacra famés ^ du poète. Mais revenons à notre sujet ; nous avons constaté la nécessité des boissons , voyons les effets que pro- duit la privation des alimens solides. Si l'on supprime par degrés ou subitement la nourriture d'un animal, et qu'on examine son sang quelque temps après, on remarque que, sous l'influence de ce régime, certaines modifications se manifestent dans le liquide : sa partie séreuse aug- mente \ sa coagulabilité diminue , en même temps les forces de l'animal décroissent rapidement, il se (23) déclare des ophtalmies purulentes, et d'autres af- fections qui reconnaissent pour cause l'altération du sang uniquement amenée par le défaut d'ali- ments solides. Qu'est-ce donc que la faim^ répéterai-je , sinon l'instinct qui commande impérieusement , sous peine de maladie et de mort, à l'animal de fournir à la reproduction du liquide sanguin ? La respiration est aussi une source réparatrice nons moins féconde pour le sang. On peut juger de l'importance d'un appareil d'après les troubles plus ou moins graves qui arrivent lorsqu'il vient à cesser momentanément ses fonctions, et vous sa- vez combien est pénible le sentiment que fait éprou- ver la suffocation. Qu'arrive-t-il alors ? quelles sont les causes du trouble? elles sont nombreuses, et nous n'avons nullement besoin de les rappeler à votre souvenir ; quant à l'effet , voici ce qui se passe : Le sang par un obstacle quelconque ne pouvant plus arriver que très difficilement au contact des gaz atmosphériques, ne s'y combine plus en as- sez grande quantité ; il est modifié et partant ne fournit plus au cerveau l'excitation normale; si cet état persiste, survient Fasphixie qui présente toutes les apparences d'une mort véritable. Je demanderai donc encore qu'est-ce que ce sen- timent si pénible de la suffocation , si ce n'est l'instinct par lequel il ne nous est pas permis de rester un instant sans mettre l'air atmosphéri- que en contact avec le sang, pour qu'il lui four- nisse certains élémens sans lesquels ce liquide ne serait plus vital. (24) Vous pouvez voir par ce que nous venons de dire sur les boissons, les alimens et l'atmosphère, qu'il y a dans le sang des conditions indispen- sables î\ l'entretien de la vie , conditions qui sont toujours plus ou moins modifiées dans les différentes affections de l'organisme, et dont il est par consé- quent de la plus grande importance quelemédecin étudie Tétat chez son malade. Personne ne contestera ces vérités; bien loin de craindre les réfutations, nous les appelons, au con- traire, de tous nos vœux ; elles ne sauraient nous arrêter dans l'étude d'un fait incontestable, c'est que toute altération notable du sang se traduit presque toujours par des modifications physiques des organes : et ce fait fondamental est tellement vrai^ que souvent la seule inspection des solides peut faire reconnaître les modifications éprouvées par le sang. Tout en continuant à vous présenter quelques aperçus généraux sur le sujet qui doit nous occuper cet hiver , je dois m'arrêter à un point important et dont les conséquences sont du plus haut intérêt pour la pratique médicale. Vous connaissez déjà un grand nombre de causes qui modifient le sang, et par là donnent lieu à des ma- ladies; eh bien! que direz-vous si au moyen d'un ap-ent thérapeutique des plus en vogue aujourd'hui, je produis les mêmes altérations du sang et par suite les mêmes désordres dans féconomie? Ceci paraîtra peut - être hasardé à quelques- uns d'entre vous; mais nous ne parlons pas à la légère; nous avons par devers nous des garans de ( 25 ) la véracité de nos paroles; l'expérience les confir- mera : Ainsi donc, je le dis hautement, et je ne crains pas de l'affirmer , les saignées amènent dans le sang et dans nos tissus des modifications , des phénomènes pathologiques, qui rappellent jusqu'à un certai n poin t ceux que nous avons vus se dévelop- per lorsqu'on prive un animal ou de l'oxygène de l'air , des boissons ou des aliments solides. En voulez-vous des preuves matérielles : voici trois éprouvettes ; elles contiennent le sang d'un chien à qui nous avons fait trois saignées à deux jours d'intervalle chacune. L'animal était bien portant , nous avons d'ail- leurs eu soin de lui fournir une nourriture abon- dante, dans la première éprouvette, vous voyez que le sérum et le caillot sont dans de justes pro- portions; ce dernier, qui est parfaitement coagulé, forme à peu près les 4/5 du volume total , par con- séquent ce sang parait avoir toutes les qualités désirables. Voici le sang de la seconde épreuve : l'animal a -continué à être bien nourri; malgré cela , vous re- marquez déjà une plus grande quantité de sérum et le caillot est tout au plus des 2/3. Si maintenant, nous examinons le sang de la troisième saignée, bien que le régime de l'animal n'ait pas été changé , nous trouvons une diffé- rence plus frappante encore; non seulement la pro- portion de sérum est plus considérable , mais ce liquide a changé de couleur; il est d'un jaune rou- geâtre , et cette teinte est due à la matière glo- buleuse qui commence à s'y dissoudre. (26) Ne croyez pas cependant que je veuille faire ici le procès à la saignée, la proscrire : non , telle n'est pas ma pensée; car je reconnais que dans cer- taines circonstances elle peut être utile, mais entre user et abuser il y a une distance énorme , et je ne crains pas de dire qu'on la franchit trop sou- vent. Nous continuerons à faire saigner cet animal ; mais je puis vous dire à T'avance que l'altération du sang entraînera l'altération des organes et plus tard la mort. Le poumon par exemple deviendra le siège d'un engoûment, d'un œdème , d'une pneumonie et de tout l'attirail prétendu inflamma- toire ; et , chose bien digne de remarque , cette inflammation se sera développée sous l'influence d'un moyen que l'on employé tous les jours pour la combattre. Nous verrons donc dans ce cas l'appareil respi- ratoire, un des plus nécessaires de l'organisation, puisque vous savez que sans la respiration il n'y a point de vie possible, modifié et même devenu impropre à ses fonctions par la seule altération du sang. Mais poursuivons notre examen en insistant toujours sur ce fait capital , que toutes les fois que le sang s'altère il y a maladie. Depuis quelques siècles , à peu près à l'époque des invasions musulmanes , il s'est tout à coup ma- nifesté uue afl'ection terrible, parfaitement décrite par les médecins arabes, et qui jusqu'à la bienfai- sante découverte de Jenner décimait les armées, les campagnes et les villes; laissant sur ceux qu'elle (2T) n'engloutissaitpas dans la tombe des traces hideuses de son passage. A cette sinistre peinture vous avez reconnu la variole. Quelque particulier que soit le mode d'action de cette affreuse maladie, elle se rattache pourtant à notre sujet; et pour moi, je n'imagine pas qu'elle puisse se développer sans une modification quel- conque du sang, je vais vous en donner une preuve palpable. J'ai dans mes salles à l'Hôtel-Dieu une femme atteinte d'une variole bénigne ; une saignée explo- ratrice de deux ou trois onces lui a été pratiquée. Son sang que voici ne ressemble nullement à celui de la malade dont je vous ai parlé dans la précé- dente leçon et qui a succombé si brusquement à Taffection appelée pourpre. Ici il s'est formé un caillot assez consistant; aussi je conclus de là que la vie de cette femme n'est pas en danger ; je vous tiendrai du reste au courant de ce qui lui arri- vera. Cependant , remarquez bien , Messieurs , quoique ce sang se coagule, ce n'est pas à dire pour cela qu'il ne soit modifié dans aucune de ses pro- priétés , et vous voyez que si je plonge un papier de tournesol rougi dans le sérum qui surnage, ce papier bleuit instantanément : donc ce liquide offre une alcalinité très prononcée, plus prononcée je crois que dans l'état normal. Nous avons eu déjà occasion d'observer plusieurs fois que l'excès d'alcalinité du sang était une condition des plus défavorables à son passage à travers les vaisseaux capillaires ; il s'imbibe dans leurs parois , s'épanche dans les tissus environ- (28) nanset produit entre autres sur les membranes mu- queuses les désordres connus depuis long -temps sous le nom d'inflammation. Voici du sang qui provient d'un autre malade ; il est safrané ; sa matière colorante jaune , si bien analysée et décrite par M. Chevreul, est en excès dans le sérum ; ce liquide est évidemment altéré, et il l'est d'une façon si particulière , que je suis sûr que vous y avez déjà reconnu les conditions qui amènent l'ictère. Je le répète donc de nouveau, plus d'une lésion locale ou générale n'arrivent que par suite de l'altération du sang. Citons encore un exemple. Comment se com- porte ce liquide dans l'œdème du poumon? Vous savez qu'en injectant dans les veines d'un animal une certaine quantité de carbonate de soude, nous produisons cette affection avec ses signes patho- gnomoniques au début, et ses lésions cadavériques, lorsqu'elle a causé la mort : eh bien î le sang sur- chargé d'un principe alcalin se modifie ; sa partie séreuse est augmentée, elle s'épanche entre les ra- mifications lobulaires du poumon, les distend, les rompt, s'y rassemble en foyers plus ou moins considérables , y entraîne la partie coagulable , mais qui alors reste à demi-liquide. Aussi les patho- logistes, qui trouvent toujours le moyen de faire des comparaisons fort ingénieuses, n'ont pas laissé échapper cette occasion de montrer leur sagacité ordinaire; ils ont dit que dans cet état le sang ressemblait à de la gelée de groseille, et ils appel- lent ainsi les amas de caillots semi-liquides que (29) l'on rencontre dans un assez grandiiombre de cas, et qui presque toujours ne sont que dufibrinate de soude ou de potasse. Si nous comparons à ces désordres ceux que nous produisons par le carbonate de soude ou les émissions sanguines souvent répétées , nous avons les mêmes symptômes , les mêmes résultats ; et cependant, s'il faut en croire les tliéoriciens de notre époque, la saignée est un remède presque infaillible, une panacée dans ces sortes d'affections. Vous conviendrez, Messieurs , qu'en pareille cir- constance, on saigne sans savoir pourquoi; car, à moins d'être homéopathe renforcé, il n'est guère conséquent d'appliquer comme thérapeutique un moyen qui pourrait causer la maladie même. Je pourrais ici m'étendre sur les tristes résul- tats enfantés par l'esprit de système qui règne parmi les théoriciens et les praticiens; mais je ne veux point donner cours aux pénibles réflexions que ce sujet inspire : je vous ai montré le mal, donné des preuves; c'est à vous d'asseoir votre convic- tion sur des bases solides et de marcher dans la voie qu'elle vous indiquera. Passons à d'autres faits et voyons s'ils confirme- ront ceux qui précédent. Il est bon de vous faire observer que dans le ser- vice médical que je dirige à l'Hôtel-Dieu de Paris, je ne choisis pas, comme on le fait dans les cliniques, les malades qui font le sujet de mes observations. Ainsi , à ma visite , je prends au hasard tout ce qui se présente. Quelquefois l'affection n'est pas en- core déclarée , le diagnostic est incertain : je fais ( 30 ) pratiquer ce qiîe j'appelle des saignées explorati- ves ; le sang en très petite quantité est reçu dans des éprouvettes apportées ici au moment de la le- çon , et le plus souvent ce sera devant vous que j'en examinerai le contenu pour la première fois. Voici donc du sang d'une de mes malades ; il me parait altéré , le sérum qui n'est ordinairement que d'1/5 forme ici plus de la moitié du volume total. Ce sang provient d'une femme qui a une rate énorme et qui depuis plusieurs années est en proie aux violents accès d'une fièvre intermittente que rien jusqu'ici n'a pu dompter. Croyez-vous que la fièvre qui travaille cette femme n'est en au- cune manière liée à la grande quantité relative de sérum qu'offre son sang? Je pourrais peut-être al- ler plus loin et dire qu'il n'existe presque pas d'af- fections morbides sans une altération quelconque du sang. Mais ne devançons pas les faits^ sachons- les attendre avec la patience du sage. Lorsque nous serons un peu plus avancés dans l'étude de ce liquide et que nous aurons vu com- bien il renferme de parties constituantes , dont chacune a ses propriétés , je dirais volontiers ses fonctions , vous comprendrez qu'il peut être mo- difié de mille manières qui nous échappent encore, et ce que je viens de dire vous paraîtra plus facile à comprendre. Ces considérations ne s'appliquent pas seule- ment à l'espèce humaine : ainsi chez les animaux atteints par des épizooties graves , le liquide nu- tritif m'a toujours paru altéré. Je fais en ce mo- ment partie d'une commission nommée par le (31 ) gouvernement pour étudier une maladie qui en- lève chaque année à l'état plusieurs milliers de chevaux : c'est la morve aiguë, affection qui est caractérisée par un écoulement sanieux très abon- dant par les naseaux. On la croit contagieuse, mon opinion n'est pas encore arrêtée à ce sujet, et dans cette idée on livre aussitôt à l'abbattage les animaux qui en sont atteints. Le sang dans cette affection ne se coagule pas , dit-on, et cependant, comme vous pouvez le voir ici, le sang de cheval est très riche en fibrine, ou couenne comme l'appellent les pathologistes ^ qui cette fois n'ont pas été heureux dans le choix de leur comparaison; car il n'y a nulle analogie entre cette couche de fibrine qui surnage le sang dans ce verre et la peau lardacée et soyeuse d'un cochon. Quoi qu'il en soit, nous avons injecté de ce sang sur un cheval bien portant. Jusqu'ici aucun phé- nomène anormal ne s'est manifesté chez lui depuis 8 jours ; nous aurons soin de vous tenir au cou- rant de cette expérience qui me paraît de nature à jeter quelques lumières sur la question de conta- gion. Outre les causes extérieures qui réagissent sur le liquide dont nous nous occupons , nous devons aussi admettre l'influence nerveuse : plusieurs maladies de l'appareil pulmonaire, l'angine de poitrine , plusieurs formes d'asthme me semblent liés à un trouble de l'innervation. Car , d'après l'expérience , il parait que la section du pneumo- gastrique, tout en laissant libre le jeu de la pompe respiratoire , nuit beaucoup , soit à la circulation (32) capillaire dn poumon , soit à lalliance indispen- sable de l'air et du sang. Nous avons fait à un animal la section du pneu- mo-gastrique ; il est survenu un œdème pulmo- naire et il a succombé. Si vous comparez son sang que voici à celui d'une femme morte aussi avec un œdème du poumon ; l'analogie est telle que vous n'y apercevrez aucune différence appréciable : seu- lement pour le premier nous connaissons la cause, tandis que pour la femme nous l'ignorons; mais la lésion matérielle n'en est pas moins la même. Ne concluez-vous pas Messieurs, des faits qui se succèdent sous vos yeux, et des commentaires dont nous les accompagnons , que toute altération du sang est probablement représentée par une ou plu- sieurs altérations organiques. Si les faits que nous allons recueillir, si les ex- périences que nous allons faire venaient à confir- mer cette grande conjecture , ne faudrait-il pas sans retard reconstruire de fond en comble tout l'édifice médical , et réformer la thérapeutique , qui repose aujourd'hui sur de tout autres fonde- ments. Le temps nous l'apprendra. (33) TROISIÈME LEÇON. 22 décembre 1857. Messieurs, Si je ne m'abuse, les difFérentes considëratioiis que je vous ai présentées dans nos deux premières réunions, les faits remarquables qui les ont accom- pagnées et ceux que je vais vous soumettre aujour- d'hui, sont plus que suffisants pour légitimer à vos yeux le sujet d'études que nous avons choisi pour ce semestre. Je ne me dissimule nullement les difficultés de notre entreprise, car outre que dans cette voie nouvelle, nous ne pouvons qu'avancer à pas lents, il faut nous attendre au mauvais vouloir de ceux dont nos recherches pourraient contrarier les idées favorites. Quoi qu'il en soit , nous tâcherons de vaincre les obstacles de tout genre qui se présen- teront ; les faits que nous aurons observés seront livrés à l'examen de tous, et nous remplirons notre tâche, comme par le passé, en laissant de côté les personnes, mais en attaquant les choses. Vous connaissez déjà notre manière de procé- der^ nous ne cherchons jamais h prévoir les résul- ï. 111. Mageodie. 5 (34) tats d'une expérience, autrement que pour démon- trer la futilité de ces sortes de pronostics; nous n'affirmons que ce dont nous avons en main les preuves incontestables , et nous aimons mieux rester stationnaire avec la vérité ^ que d'avancer d'un seul pas hors des limites de ce qui est. Notre aversion pour toute espèce de système est connue; par conséquent, de ce que j'appelle votre attention spéciale sur le liquide qui doit, pour que la vie persiste, se mouvoir incessamment dans nos vaisseaux, vous n'imaginerez pas que je sois humo- riste, que je veuille ressusciter ces idées exclusives qui nuisent tant à la science, et lutter corps à corps avec le solidisme , tout aussi ancien et non moins absurde. Non, Messieurs; mais nous sommes loin de dédaigner ces pages vieillies de l'histoire de la médecine ; elle nous serviront d'enseignements sa- lutaires^ et si nous étions sur le point de nous égarer, elles nous marqueraient les limites que nous ne pouvons franchir sans tomber dans l'erreur. Certes à une époque reculée, où il était impossi- ble d'avoir des notions précises sur la physique, à une époque où la chimie n'existait pas, où la science de l'équilibre et du mouvement des corps était à peine née, où l'anatomie humaine semblait proscrite, il était permis à Galien, dans le besoin de tout expliquer , de se dire humoriste. Sout venez-vous cependant que cet homme supérieur, privé des lumières que l'on a acquises depuis, et livré pour ainsi dire à ses seuls efforts, entrevit une des plus brillantes découvertes du dix-septième ( 35 ) siècle, la circulation du sang ; il y a là de quoi se faire beaucoup pardonner. Il a été permis aussi à d'autres époques, lors- qu'on eut remarqué combien de changements les maladies apportaient dans les organes et dans la structure même de leurs tissus, il a été permis, dis-je, d'inventer lesolidisme. Mais aujourd'hui , lorsque notre science peut mettre à contribution toutes les autres ; aujour- d'hui que nous sommes parvenus à poser sur une base solide la médecine , sauve - garde de l'humanitéj il serait plus que ridicule de se dire humoriste ou solidiste, bien que des auteurs fort recommandables aient appuyé et soutiennent en- core l'une et l'autre de ces doctrines. De nos jours cependant, il n'est pas moins péni- ble de voir agiter certaines questions telles que celles-ci: Y a-t il des Jiè^re s essentielles? Toutes les maladies sont-elles, ou non, caractérisées par des altérations d'organes ? Nous croirions perdre notre temps en nous mêlant à une pareille con- troverse ; ce sont des idées vieillies à juste titre et que rien ne saurait rajeunir. Pour savoir en effet, si une fièvre est essentielle, il faudrait connaître tout ce qui se passe depuis l'invasion jusqu'à la terminaison de cette maladie, et comme cela est impossible pour le moment, on est obligé de s'en tenir aux faits seuls; car personne, je pense, n'o- serait émettre la monstrueuse proposition d'expé- rimenter sur son semblable î Mais comment traiter à fond et rationnellement ces questions quand on ignore ce qui se passe dans ce cas. Prenons pour ( 36 0 exemple la lièvre dite typhoïde. Vous trouvez les ganglions mésentériques énormément gonflés, la membrane muqueuse intestinale ulcérée, surtout ses follicules, et beaucoup d'autres désordres que vous connaissez parfaitement; vous attribuez le mal à ces lésions , vous êtes dans l'erreur ; elles sont les conséquences, les preuves anatomiques de la maladie, mais non son point de départ. Que faire en pareille circonstance ? Il faut donc assister de sang-froid aux ravages exercés par ce fléau et aux scènes de deuil et de désolation qu'il cause. Non, Messieurs, à l'homme a été donné l'em- pire sur les autres animaux; parmi ces animaux, il en est qui se rapprochent de son organisation, qui offrent la plus grande similitude avec les phé- nomènes qui nous sont propres; et, tout en déplo- rant la fatale conséquence que nous sommes forcé de déduire de ces paroles , nous dirons pour le bien de l'humanité : étudions sur ces êtres qui nous ressemblent les causes de nos maux , expérimen- tons sans cesse sur cette nature vivante. Déjà nous sommes parvenus à produire chez eux les mêmes symptômes, les mêmes désordres qui nous frap- pent dans plusieurs de nos propres affections; es- pérons qu'avec de la persévérance nous arriverons à en saisir la cause intime, et sans doute aussi à y porter remède. C'est avec ce genre d'instruction que les mala- dies doivent être désormais étudiées au lit du ma- lade laissant ainsi de côté la plupart des notions que l'on y porte généralement : je voudrais voir les élèves et les médecins bien convaincus d'une véri- ( 37 ) té, c'est que la voie suivie jusqu'ici est trop restreinte et trop étroite pour conduire jamais à ces résultats heureux qui illustrent une époque en introduisant quelque bien dans la condition de l'humanité. Oui, je dis qu'un médecin qui n'a pas appelé à son aide la chimie, la physique , qui ne s'est pas livré à l'art difficile des expériences sur les ani- maux, etc., et beaucoup sont dans ce cas, ce mé- decin , dis-je , ne voit souvent dans une réunion de malades que des gens plus ou moins souffrants, des moribonds, des convalescents; c'est tout au plus s'il saura que celui-ci reviendra à la san- té, que tel autre succombera. Une foule de phé- nomènes dont ces sciences lui donneraient la clé , lui échappent; car ne se doutant pas de leur exis- tence, il ne saurait y diriger son attention. Nous ne cesserons de nous élever contre ces idées absurdes qui paralysent chez tant de per- sonnes la volonté et le besoin si naturel de s'in- struii'e. Vous allez voir quelle influence fâcheuse elles ont sur les progrès de notre art. On se dit qu'ai -je besoin de m'évertuer à découvrir la cause de tel ou tel phénomène , lorsque je puis si commodément l'expliquer par un mot; ce mot, c'est la vitalité. On ne peut la définir! qu'im- porte. On ne peut la prouver dans bien des cas; qu'importe encore. On a là une matière à faire des chapitres à perte de vue , et il est beaucoup plus récréatif d'écrire des contes bleus sur la physiologie , que de consacrer son temps à de pénibles et laborieuses recherches. Les jeunes gens qui débutent dans la carrière médicale sous ( 38 ) l'influence de pareilles doctrines, apprennent à phraser , à formuler quelques prescriptions plus ou moins classiques, et ne se doutent souvent pas le moins du monde de quelle difficulté est l'étude sérieuse de la médecine. Pour moi, je le dis hautement, je considère ces idées comme un voile emprunté par la pa- resse , l'ignorance , et principalement par cer- tain zèle hypocrite qui se retranche toujours der- rière de prétendues considérations de moralité et d'ordre social. Vous conviendrez sans doute avec moi que celui qui veut s'instruire dans la science de la nature, ne doit pas s'arrêter à de pareils raisonnemens. Ceci posé, commençons l'étude dont nous avons légitimé l'opportunité : nous voulons donc nous occuper du sang ; si je parviens à faire une histoire aussi complète que possible de ce liquide, j'aurai rempli je crois la tâche de ce semestre , nous y joindrons des applications cliniques de nos expé- riences, qui deviendront ainsi d'une haute impor- tance par les résultats qu'elles pourront nous of- frir dans le traitement des maladies. Nous avons dit qu'un animal était un composé de parties solides et de parties liquides diversement combinées : depuis les insectes jusqu'aux crustacés, les liquides se meuvent d'une façon toute parti- culière, et qui est loin d'être encore bien connue. Considérés au microscope , ces liquides tiennent en suspension certains corpuscules solides , que l'on a improprement appelés globules. Ce mot en effet éveille l'idée d'un corps rond, globulaire, tandis ( 39 ) que, comme nous le verrons, ils n'affectent pas en général cette forme. Si après être passé par les différens degrés de l'organisation, nous arrivons aux mammifères, nous trouvons le sang proprement dit, liquide au milieu duquel nage une quantité considérable de globules. Si ces globules sont modifiés dans leur forme , dans leur volume , ils ne peuvent plus tra- verser les vaisseaux capillaires; de là arrêt de la circulation dans nos organes, et de cet arrêt résul- tent les désordres les plus graves. Voilà donc une des propriétés du sang : il est composé d'un liquide tenant en suspension des globules d'une forme et d'une dimension détermi- nées. Je ne fais que vous indiquer rapidement ces détails auxquels j'ai déjà consacré plusieurs leçons dans les précédens semestres. Autre chose est étudier le sang dans ses vaisseaux et durant la vie , autre chose est de l'étudier dans les vases et hors des vaisseaux. Dans ce dernier cas, on connaît il est vrai, ses différentes propriétés matérielles, comme sa pesanteur spécifique, son plus ou moins de consistance, son odeur, sa cou- leur et les changements qu'elle éprouve au contact de l'air, etc; mais, la plupart des phénomènes im- portants, nécessaires à la vie, ont disparu dès qu'il a cessé de circuler dans ses tuyaux. Tirez du sang de la veine ou de l'artère d'un animal vivant, abandonnez-le à lui-même : Bien- tôt par une série d'actions chimiques, physiques et vitales vont se manifester, il va se prendre en masse, se coaguler et bientôt se séparer en deux ( ^'0 ) parties bien distinctes ; Tune, liquide^ ou le sé-^ rtim; l'autre, rouge, solide, ou le caillot. Du reste, ce phénomène de la prise en niasse du sang ne se manifeste pas ordinairement pen- dant la vie : Cependant, j'ai eu l'occasion d'ob- server hier chez une femme, morte dans mon service, du sang coagulé probablement avant la mort : j'ai fait apporter ici la pièce pathologique : la voici. Lorsque j'incise cet utérus, vous pouvez apercevoir la cavité des vaisseaux obturée par des cyhndres fjbrineux. Il est très probable que cette solidification a eu lieu pendant la vie. Toutefois , jusqu'à preuve certaine, je ne me permettrai pas de rien décider à cet égard. Poursuivons l'énuméraiion des caractères du sang. Avant la découverte du microscope et les perfectionnemens successifs apportés à ce pré- cieux instrument, ou n^avait que des notions fort grossières sur la composition et le mouvement de ce liquide à travers les infiniment petits vaisseaux qu'il doit parcourir. Maintenant, si on veut analyser par le raisonnement cette circulation , on s'étonne qu'elle puisse s'elïectuer dans des tuyaux d'un 1 00^ ou d'un 80^ de millimètre, et cela d'autant plus , que si l'on veut faire passer de l'eau, ou tout autre liquide analogue , dans des tubes de verre d'un dixième de millimètre , on éprouve la plus grande difficulté. Si l'on prend un diamètre moindre en- core, le passage devient presque impossible, quelle que soit la force d'impulsion que vous employiez. Il en est de même si vous injectez de l'eau dans l'ar- ère mésentérique d'une grenouille pour la faire ( 41 ) parvenir dans la veine aboutissante. Le liquide s'épanche en grande partie dans les tissus environ- nans. Une faible quantité arrive à sa destination. C'est donc une propriété bien remarquable qu'a le sang de marcher librement à travers des tubes d'un 100® de millimètre, sous l'influence d'une force peu considérable. Je sais que ce phénomène n'offre aucun embarras aux physiologistes, à l'aide de la complaisante et commode intervention de la vie dans les fonctions : nous connaissons la valeur de ces déceptions. Voilà un point de vue sur lequel j'appelle toute votre attention; car je ne sache pas qu'on ait en- core étudié ce liquide sous ce rapport. Nos re- cherches nous ont porté à attacher une grande importance à cette question , savoir : que le sang doit posséder des propriétés normales liées avec les phénomènes physiques et vitaux pour passer des capillaires artériels dans les capillaires veineux. Ce qui confirme encore ce que je viens de dire , c'est la difficulté des injections : ceux d'entre vous qui en ont fait quelquefois, doivent savoir qu'on ne réussit pas toujours. Pourquoi ? C'est parce que les liquides injectés ne sont pas en rapport par leurs propriétés physiques avec la ténuité des tuyaux qu'ils ont à parcourir. Vous avez tous entendu parler des merveilleuses injections qu'un anatomiste hollandais était par- venu à obtenir. Comment cela se faisait-il ? C'est que Ruysh avait probablement trouvé une com- binaison de matériaux qui avait quelqu'analogie avec le sang, et qui par conséquent pouvait li- ( ^^2 ) brement traverser les capillaires des différents or- ganes. Je ne dois pas ici laisser échapper l'occasion de m'élever contre l'égoïsme étroit du célèbre médecin hollandais , qui après avoir exploité long-temps et avec grand profit son industrie , a emporté avec lui son secret dans la tombe. C'est une perte regrettable , car qui sait si le liquide dont il se servait n'aurait pas pu dans diverses circonstances nous indiquer quelques moyens de modifier le sang avec avantage, lui rendre quelques-unes des propriétés qu'il aurait perdues^ ou lui en donner de nouvelles. Je suis persuadé, qu'avec les lumières de notre époque, on aurait pu tirer un grand parti de cette découverte dont un amour-propre mal entendu a privé la postérité. Mais revenons à notre sujet. Il s'agit maintenant de prouver, car je n'afïirme rien sans preuve, que le sang étudié sur l'animal vivant circule à l'aise dans les ramifications capillaires les plus ténues ; mais si je modifie une seule de ses propriétés , il n'est plus apte à traverser ses conduits; il sY.pan- che dans les tissus environnants , y forme des engorgements , des œdèmes , des inflamma- tions, etc. Ces preuves vousontétédonnées dans d'autres le- çons,- nous avons exposé le mécanisme des diffé- rentes lésions locales qui naissent à la suite de l'alté- ra lion du sang; nous ne nous y arrêterons pas plus long-temps aujourd'hui. Mais voici une expérience qui vient à l'appui de ce que nous disions tout-à- (43) l'heure : ce vase contient du sang liquide ; il con- tient des quantités normales de sérum, de globules et des différents sels qui le composent ordinaire- ment» Dans une excellente thèse composée der- nièrement par M. Lecanu , on compte jusqu'à vingt-cinq substances dans le sang; peut-être y en a-t-il davantage. Quoi qu'il en soit, le sang que je vous montre n'en contient que vingt-quatre. Cette différence n'est pas appréciable à la vue , et ce liquide paraît tout-à-fait analogue à celui qui circule dans l'animal vivant. Cependant^ si je le réintroduis dans la veine, il parcourra d'abord les gros vaisseaux; mais arrivé dans les capillai- res , il s'arrêtera , s'imbibera , s'épanchera , et l'animal ne sera pas long-temps sans succomber aux troubles causés par cet arrêt de la circulation dans les tubes si déliés de ses organes. Pourtant nous n'avons rien ajouté à ce sang, nous lui avons seulement soustrait un élémentqui n'entre dans sa composition tout au plus que pour un ou deux mil- lièmes ; cette partie, c'est la fibrine, substance li- quide dans les vaisseaux; mais qui se solidifie dés qu'elle en est dehors. D'après cela, je vous signale la fibrine comme donnant au sang la merveilleuse propriété de par- courir les capillaires les plus lins. Cependant , il n'y a pas que cela à dire sur la fibrine, et vous allez voir qu'en n'envisageant une question que sous un seul point de vue , on s'ex- pose à bien des mécomptes. Je suppose du sang contenant de la fibrine en proportion voulue^ ainsi que ses autres parties ( M ) constituantes : dans cet état de choses , si j'injecte dans les vaisseaux une substance propre à se com- biner chimiquement avec elle, à former des sels, tels qu'un fibrinate de soude , un fibrinate de po- tasse ou d'ammoniaque ; la fibrine cessera d'être coagulable ; le sang , privé de ce principe à son état normal, cessera lui-même d'être coagulable et par conséquent de pouvoir Ubrement circuler dans les capillaires. Vous voyez donc qu'il est possible d'avoir du sang avec sa fibrine , et que ce liquide soit impro- pre à circuler. Voilà un fait intéressant et même fondamental dans l'histoire du sang, c'est que, pour entrete- nir la vie , ce liquide doit être doué de la faculté de se prendre en masse , de se coaguler ; sinon l'existence est compromise et cesse en peu de temps. C'est ce qui arrive dans la plupart des épidémies ' meurtrières ; elles sont spécialement liées à des altérations du sang qui stagne dans les organes pulmonaires : nous en avons pour exemple la grip- pe, qui, vous le savez , a exercé de cruels ravages dans cette capitale. Je vous engage donc à pren- dre ce sujet comme base d'études; j'espère qu'il sera fécond en résultats. Il y a loin de ce mode de procéder à la manière dont on envisage aujourd'hui les maladies et leur origine. Pour nous_, nous avons été conduits à faire ces recherches par nos précédents travaux : ce n'est nullement une affaire d'amouf-propre ; je ne me sui7 déclaré ni le chef ni l'adepte d'une ( 45 ) nouvelle école ; telles ne sont pas et telles ne seront jamais mes prétentions , je cherche la vérité et j'emploie tous les moyens pour y arriver. D'après ce qui précède, nous pouvons dés ce moment, envisager autrement qu'on ne l'a fait jus- qu'ici les maladies locales et les maladies générales. Dans le premier cas , le sang , par suite des modifications qu'il a éprouvées, ne peut plus traverser les vaisseaux capillaires du poumon ; dés lors lésion locale , apoplexie pulmonaire , hémor- rhagie , hépatisation. Mais admettons que le sang ait pu traverser les vaisseaux du poumon, en rendre aux autres or- ganes , il y trouvera des capillaires encore plus déliés comme dans la membrane muqueuse intes- tinale ; cet obstacle mécanique produira la rou- geur , l'ulcération des follicules ; les organes de la digestion ne pourront plus exercer leurs fonctions assimilatrices , toute l'économie sera frappée du même coup. Pour remonter à la source de ces désordres si variés, vous n'irez pas, j'espère, rechercher com- bien il y a de capillaires obstrués , ni mesurer le nombre et la dimension des parties ulcérées; vous laisserez de côté ces vaines et minutieuses remar- ques ; vous examinerez le sang et vous trouverez ' dans son altération la cause de la maladie. Tout cela est vrai, et cependant si nous le di- sions d^une manière trop absolue, nous tomberions à notre tour dans une erreur fort grave. Il est de notre devoir de vous prémunir contre ces illusions qu'il est si facile de se créer , lorsqu'on est parvenu à • ( 46 ) la découverte d'un fait de quelqu importance. Est - ce donc à dire que toutes les maladies proviennent de l'altération du sang? Non ! Un tel énoncé serait absurde. Nos organes sont soumis à un grand nombre d'influences qui en modifient pour ainsi dire la texture. C'est ainsi qu'un froid intense détermine le resserrement des parois pul- monaires ; par cette cause toute physique la circu- lation est retardée et peut même cesser temporaire- ment; je n'ai pas besoin de vous signaler la série d'affections qui résulte d'un tel état de choses. Par contre aussi , une température trop élevée augmente la capacité des vaisseaux. Cette cir- constance influe non seulement sur la circulation, mais encore sur la composition du sang qu'elle peut modifier au point de produire des affections analogues aux précédentes^ Voici donc deux effets entièrement du ressort de la physique auxquels on peut rattacher un grand nombre d'altérations locales. Ainsi vous auriez des maladies provenant de l'altération du sang , et d'autres d'une altération particulière des organes : vous ne confondrez point ces deux sources des lésions locales , et vous ne leur opposerez pas les mêmes moyens théra- peutiques. Il est encore d'autres circonstances qui amènent les plus grands désordres et qu'on ne peut assimi- ler à celles que je viens d'énumérer. Ainsi , vous ne verrez pas dans l'action de l'acide nitrique sur l'estomac , ni dans les lésions physiques et chimiques que ce poison y produit , des trou- ( 47 ) bles pathologiques dus à l'état du sang : non plus que dans ces monstrueux drastiques qui por- tent de si violentes perturbations dans toute l'éco- nomie et qu'on a l'insigne efFronterie de préconiser comme souverains pour toutes sortes d'affections. Je serais volontiers tenté de croire qu'il y a une sorte de fatalité ou un esprit de vertige inhérent à l'espèce humaine; car, malgré les accidents nom- breux auxquels a donné lieu l'emploi de tels moyens, nous les voyons encore administrer tous les jours aux enfants en bas âge , aux adultes et aux vieil- lards des deux sexes au grand péril de leur vie. En voilà assez pour cet article ; je reviens à mon sujet. Vous savez que suivant leur durée, on divise les maladies en aiguës et en chroniques. Je ne pré- tends pas nier que ces distinctions soient sans fon- dement, mais il faudra aussi y faire intervenir : 1 ° les maladies reconnaissant pour cause l'altération des liquides, 2° les maladies provenant de l'altéra- tion des solides. Vous voyez, Messieurs, que nous sommes toujours fidèles à notre programme , et que loin d'être ex- clusivement solidistes ou humoristes , nous cher- chons à rattacher ensemble l'une et l'autre de ces dénominations et à en faire un tout uniforme où l'esprit de l'observateur ne soit plus en suspens et sujet à s'égarer. Grâce aux lumières qu'ont jetées les études phy- siques et chimiques depuis qu'on les applique à la médecine , nous pouvons facilement aujourd'hui expliquer une foule de circonstances pathologiques ( 48 ) dont on ignorait autrefois le mécanisme : ainsi nous savons que dans ce qu'on appelle l'hépatisation rouge du poumon, le sang a conservé la propriété de se coaguler^ et qu'il forme dans les aréoles du poumon ces masses compactes , dures , résistantes que l'on rencontre dans les pneumonies par cause externe; tandis que dans \ç^^ fausses pneumonies de la grippe, ce liquide ayant perdu la faculté de se solidifier , s'épanche dans le parenchyme de l'or- gane et donne lieu à ces infiltrations séreuses noirâtres, qu'on nomme engouement pulmonaire. Ainsi, à peine avons-nous abordé l'étude du sang _, que déjà nous connaissons quelques-unes de ses propriétés les plus importantes, quoique nous n'ayons fait que l'entrevoir passant dans ses infiniment petits vaisseaux. Nous trouverons une série de phénomènes non moins intéressants dans l'étude des causes qui en- lèvent à la fibrine la propriété de se coaguler. Ces causes sont dans l'air , dans les miasmes , les ali- ments, les boissons et tout ce qui nous entoure et pénètre dans notre organisation d'une façon quel- conque. Nous rattacherons à ces recherches l'apprécia- tion de certaiiis médicaments dont le fréquent usage peut causer des accidents sérieux. Je ne citerai que le carbonate de soude qu'on emploie comme réactif pour saturer l'acide urique qui se dé- pose dans les reins, les uretères et la vessie. Eh bien , je crois maintenant que , même dans le cas de (calculs urinaires, cette médication pourrait, si elle est poussée trop loin, devenir nuisible; et ( '"9 ) voici sur quoi je me fonde ; Vous connaissez par nos expériences la propriété qu'a ce corps de ren- dre le sang liquide en se combinant avec sa fibrine; je suis donc persuadé qu a la suite de l'usage trop souvent répété de ce sel , le sang se trouve mo- difié , liquéfié; de là à des infiltrations dans les poumons et par suite, si je puis m'expri mer ainsi, à une source intarissable de pneumonies. C'est du moins ce qui est arrivé à un de mes amis , l'un des hommes les plus célèbres de cette époque , qui a été obligé de renoncer à son usage auquel j'attribue plusieurs pneumonies successi- ves qu'il avait éprouvées. Je me borne là pour aujourd'hui : vous avez vu^ Messieurs, que quoique je n'aie fait qu'eflleurer mon sujet, il était fécond en applications pathologiques. Nous poursuivrons donc dans la prochaine séance l'examen du sang, non tel qu'il est sorti de ses vaisseaux , mais sous les rapports qui ont de l'in- fluence sur la production des maladies ; et nous ne perdons pas l'espoir de parvenir à des données plus positives sur ses nombreuses propriétés. 1, IV. Maueiulîc. (50) QUATRIÈME LEÇON. 27 Décembre 1856. Messieurs ^ fiei îfôtfe première réuition, j'ai sollicité votre concours pour me seconder dans les recherches que j'ai entreprises; votre assiduité à ces leçons, et le vif désir que vous manifestez d'étudier les questions neuves que je vous ai exposées, me font espérer que cet appel aura été entendu. Déjà l'un de vous vient de m'apporter du sang qu'il a recueilli sur un de ses malades ; ce sang sera examiné, analysé, et nous vous tiendrons au courant des phénomènes qu'il nous aura présentés. Je suis très sensible à cette preuve de l'intérêt qu'attache sans doute à nos travaux la personne qui a bien voulu nous donner ce sang, je la prie de recevoir mes remercimens, et en même temps j'engage chacun de vous en particulier à me com- muniquer les échantillons des saignées qu'il aura occasion de faire, en y joignant quelques rensei- gnements sur les malades qui en auront été l'objet. De mon côté , à partir du 1 " janvier , je ferai ( 51 ) pratiquer dans mes salles ce que j'appelle des saignées exploratrices; on en tiendra noie exacte- ment , ainsi que des circonstances pathologiques qui auront précédé ou suivi, de sorte que, dans le courant de ce semestre, nous aurons réuni un nombre imposant de faits et d'observations qui nous seront d'un grand secours dans la carrière que nous voulons parcourir. Vous vous rappelez sans doute le sujet de la réunion précédente, et les nombreuses considéra- tions qui nous ont engagé à étudier le plus immé- diatement possible l'état, la composition du sang normal et les altérations qu'il est susceptible d'é- prouver, altérations qui jouent un si grand rôle dans la production d'une foule de maladies dont la cause semblait un mystère à jamais impénétrable. Nous ne croyons pas en agissant ainsi nous être écarté de la ligne de réserve que nous nous sommes imposée dans nos travaux ; nous repoussons les systèmes de toutes nos forces, et nous ne voudrions pas qu'on pût nous opposer que nous avons voulu encréer unnous-même. Non, Messieurs, ce n'est ni par amour propre , ni pour faire du nouveau, que nous avons presque abandonné le sentier tracé; c'est la preuve matérielle à la main , guidé par le flambeau de l'expérience, et persuadé de la haute importance de la mission qui nous a été confiée , que nous avons choisi entre tous les sujets d'études celui qui nous a paru le plus utile. Qu'on nous prouve que nous sommes dans l'erreur, nous l'ab- jurerons aussitôt. Nous avons commencé à étudier le liquide qui l r.2 ) se meut dans nos tuyaux sanguins ; dés les pre- miers pas^ nous avons fixé votre attention sur un phénomène qui avait échappé aux physiciens et aux médecins ; phénomène sans lequel pourtant il n'y a pas de vie possible, puisque c'est la condi- tion indispensable à la circulation du sang. Jusqu'ici, on avait ignoré les conditions parti- culières que doit avoir ce liquide pour traverser des tubes qui ont à peine un centième de milli- mètre ; probablement on avait trouvé cela tout naturel et on ne s'en était guère occupé. Nous en jugeons autrement et nous allons poursuivre l'examen des propriétés nécessaires au sang pour qu'il puisse parcourir à l'aise les innombrables ramifications vasculaires de l'économie animale. Ces questions sont en grande partie , quoiqu'on en puisse dire, du ressort de la physique et de l'hy- draulique. Vous verrez que nous n'aurons nulle- ment besoin pour les résoudre de faire intervenir une contractilité des parois qui n'existe pas, une sensibilité ayant pour éi^\Û\étQin sensible, ni tout le grimoire comico- physiologique à l'aide duquel on a fait il est vrai des romans spirituels quant à la forme, mais absurdes au fond, sur la circulation capillaire. Il y a en physique un fait très remarquable par le point de comparaison qu'il sert à établir entre les phénomènes du mouvement du sang dans nos organes et la circulation des liquides dans les tuyaux inertes, c'est la pression énorme qu'il faut employer pour faire passer de l'eau dans un tube auquel on n'a donné qu'un très petit diamètre, tan- ( -'^ ) dis que le sang traverse aisément les tubes beau- coup plus déliés qui abondent dans nos tissus. Il faut donc qu'il y ait des conditions qui facilitent ce passage. Ce qui le prouve, c'est que quand ces conditions viennent à manquer, le sang s'arrête, s'altère^ s'épanche, se décompose et produit les différents désordres pathologiques plus ou moins considérables qu'on a en vain tenté d'expliquer par les mots ai inflammation , à^ irritation. Qu'est-ce en effet que ce mot inflammation ap- pliqué à nos organes. Nos tissus alors prennent- ils feu? Je ne connais pas de cas de ce genre. Lorsque le sang s'y porte en abondance, il y a quelquefois, il est vrai, une certaine élévation de température, mais elle est de quelques degrés seu- lement au-dessus de la température normale de l'organe et elle n'est jamais au-dessus de la tempé- rature du sang prise au ventricule gauche. Il fau- drait qu'elle fût portée infiniment plus haut, pour qu'il y eût véritablement inflammation. De plus, dans bien des cas nommés aussi inflammatoires, il y a un notable abaissement de la température. Ceci, Messieurs,. paraîtra peut-être hasardé à quelques-uns d'entre vous, uniquement nourris des préceptes de l'école; mais leur étonnement cessera bientôt s'ils veulent se donner la peine de réflé- chir que chaque science a ses termes exacts par- faitement définis; ainsi, eu physique, on s'est bien gardé de nommer hygromètre, l'instrument qui donne la mesure de la pesanteur de l'air : partout nous trouvons la même précision de lan- gage. Pourquoi donc vouloir que la médecine ( 54 ) seule soit privée d'expressions positives, de termes techniques d'un sens précis et déterminé. Il est temps de revenir à la nature, à la simple désignation des faits; on ne s'en est que trop écarté. Tâchons au moins d'appeler les choses par leur nom. Qu'est-ce aussi que ce mot irritation ? Quoi I Un obstacle quelconque modifiera le cours du sang dans tel ou tel organe ; et au lieu de dire que cette modification reconnaît pour cause première un obstacle mécanique, vous irez précisément appli- quer l'expression la plus impropre à qualifier le trouble qui se manifeste dans la circulation du liquide. Depuis quand donc , nos organes , nos tissus sont-ils susceptibles d'éprouver des passions, de s'irriter, je dirais presque de se mettre en colère ? Reconnaissez-le, Messieurs, le langage dont on a affublé la médecine est presque d'un bout à l'autre un métaphorisme incohérent. Les figures, les tro- pes ont leur mérite, je n'en disconviens pas, mais c'est dans un poème , c'est dans un roman , et la science que nous étudions ne sera plus désormais, je l'espère , rangée dans cette catégorie. Je ne m'étonne nullement qu'on ait négligé la question des propriétés du sang : au lieu de cher- cher dans des expériences faites avec soin la solu- tions des problèmes importants, on s'occupe de futiles disputes; le verbiage et les subtilités du barreau semblent avoir envahi notre école; et celui qui parle le plus haut; le plus long-temps, tranche ordinairement la question , souvent c'est ( 55 ) au détriment de la vérité , mais qu'importe ? N'est-ce pas ainsi qu'on fait parler de soi et qu'on se fait un nom ? Celui au contraire qui ne possède pas cette merveilleuse faconde, au moyen de la- quelle ce qui est blanc paraît noir et ce qui est noir parait blanc, celui-là, dis-je, reste inconnu, végète trop souvent , passe pour un ignorant aux yeux du public incapable, bien qu'il s'y exerce tous les jours , à distinguer le mérite d'un mé- decin. Je ne puis m'empêcber de faire quelquefois de ces digressions, tant je vois avec peine l'état de la science et la marcbe rétrograde qu'on lui fait suivre. Je crois que c'est un véritable service à rendre à ceux qui étudient, que de les mettre en garde contre cette foule d'erreurs qu'on s'obstine à propager avec une espèce d'acharnement. Mais revenons à notre sujet: Nous avons dit que la première condition pour que le sang pût circu- ler, était qu'il se prît en masse lorsque, sorti de ses vaisseaux, on le laissait livré à lui-même. Ce fait est fondamental : c''est autour de ce fait que se groupent la plupart de ceux dont nous parlerons plus tard. En attendant , il s'agit de rechercher quelles sont les circonstances physiques ou chimi- ques, quelles sont les substances qui influent sur ce phénomène; les unes en le diminuant, les autres en l'augmentant outre mesure. Parmi les premiè- res , un certain nombre sont déjà connues; parmi celles-ci, nous rangerons les alcalis que l'on emploie avec avantage contre la gravelle et les calculs uri- naires, résultat bien fâcheusement compensé puis- ( 56 ) qu'ils dissolvent le sang en se combinant avec sa matière coagulabie. Les agents qui nous entou- rent, les différents gaz que nous respirons, nos ali- ments, etc., modifient aussi cette propriété. Il ne faut pas non plus oublier faspliyxie par la fou- dre et par l'acide carbonique, les effets de l'by- drosulfate d'ammoniaque , qui tous liquéfient le sang d'une manière plus ou moins prompte. Nous tâcberons d'insister sur ces différents points qui sont de la plus baute importance, puisqu'ils nous ont déjà fait connaître le mécanisme de la nroduction de plusieurs maladies très graves qui déciment l'espèce bumaine. N'est-ce pas par eux que nous avons pu expliquer les vomissements noirs de la fièvre jaune qui désole les rivages de l'Amé- rique? Ne sont-ce pas les miasmes délétères prove- nant des matières animales ou végétales en putré- faction qui portent dans l'économie les affreux désordres dont la cause avait été ignorée jusqu'ici ? Cette cause , n'est-ce pas la liquéfaction du sang , qui ainsi altéré s'épancbe dans les viscères abdo- minaux, les désorganise, les spbacèle et donne lieu aux déjections patbognomoniques de cette terrible épidémie. Ces questions que nous avons commencé a exa- miner conduisent à des études sérieuses et à des résultats immenses; elles sont appelées, j'en suis certain, à faire sortir la médecine de cet état d'em- pirisme mercantile où elle semble plongée. Si nous poursuivons l'examen des propriétés du sang, voici ce que nous remarquons : Ce liquide offre une viscosité particulière qui semblerait au ( 57) premier abord devoir être un obstacle à son pas- sage dans les infiniment petits vaisseaux , tandis qu'elle est au contraire une condition indispen- sable pour qu'il puisse y circuler , de sorte que çnscosité et état normal du sang sont deux idées inséparables. Cette propriété se rattache encoreaux expériences qu'on fait sur les tuyaux inorganiques; en effet, si on tente d'introduire dans un tube d'un très- petit diamètre de l'eau, par exemple, ce liquide n'y pourra pénétrer quelle que soit la force de pres- sion qu'on emploie. Mais si vous y ajoutez une certaine quantité d'une matière mucilagineuse quelconque, telle que gomme, gélatine, albumine, l'injection réussit à merveille. Ce fait vérifié et constaté par les ingénieux tra- vaux encore inédits de M. Poiseuille, montre de nouveau combien est utile l'étude des sciences phy- siques appliquées à la physiologie, et combien peu l'on doit faire de cas des dires de ces fongueux in- venteurs de lois vitales qui, par un superbe en- têtement ou par ignorance , dédaignent non seu- lement de se servir de ses lumières, mais encore veulent empêcher les autres de les mettre à profit. Pour nous, malgré les pompeuses déclamations de ces champions du vitalisme quand même, il est prouvé que le sang se comporte dans les tuyaux de nos organes, comme le liquide cité dans Tex- périence ci-dessus : s'il perd sa viscosité, nous le voyons s'arrêter à l'enlrée des capillaires , s'épan- cher dans les tissus environnants , et causer les dé- (58 ) sordres pathologiques que ces doctes personnages attribuent encore de plus belle à l'irritation et à l'inflammation. La thérapeutique est tout à fait en harmonie avec cette manière de raisonner^ on mélange, on combine , on amalgame des produits végétaux , minéraux et animaux, on les administre à tort et à travers , en tout état de cause et sans savoir pour- quoi. Il a beau être prouvé que telle substance est insignifiante, inutile, nuisible même, on s'en in- quiète d'autant moins, qu'on gagne en agissant ainsi la réputation d'être profond en matière mé' dicale , d'être un homme à ressources immen- ses, etc., tel a toujours été l'empirisme. Nous parlions de la viscosité que doit avoir le liquide pour traverser nos organes : Voici à ce su- jet du sang d'un individu qui a éprouvé une hé- moptysie : Il a été saigné abondamment : vous savez ma façon de penser sur ce moyen pire peut- être que le mal lui-même. Quoi qu'il en soit , vous pouvez remarquer que ce sang est très peu visqueux, aussi je présume que chez ce malade il surviendra d'autres accidents. Nous verrons si mes présomptions seront réalisées. La viscosité des liquides est une propriété qui échappe à nos instruments, et cependant une ap- préciation juste et rigoureuse serait extrêmement utile , au lieu de cela nous en sommes réduits à de simples aperçus : aussi je regarderais comme une découverte précieuse le moyen qui nous permet- trait de mesurer, d'évaluer cette propriété. Peut- être le trouvera-t-on plus tard. En attendant, nous (59) essaierons de déterminer cette qualité avec raréo- métre. Il n'est plus douteux que la viscosité ne soit un élément delà circulation normale; pour vous en con- vaincre, faites plusieurs saignées à un animal, remplacez par de l'eau le sang que vous aurez extrait , il y aura épanchement ^ exhalation dans la cavité des plèvres , et plus tard entre les feuillets du péritoine; on n'a pourtant fait autre chose que diminuer la viscosité du sang en y ajoutant un peu d'eau. Mais f si, faisant la contrépreuve on augmente la viscosité au delà de ce qu'elle doit-être, la cir^ culation cesse , par suite du trop d'affinité entre les molécules sanguines ; elles adhèrent aux parois des vaisseaux , comme les glaçons s'arrêtent sur les bords des canaux ou des rivières et en interrompent le cours. Il y aura donc des maladies qui proviendront de la trop grande viscosité du sang. Vous vous rappelez sans doute les expériences que nous avons faites à ce sujet. Nous avons ajouté à de l'eau une matière visqueuse , innocente de sa nature, de la gomme par exemple, après avoir coloré ce liquide, nous Favons injecté par la veine jugulaire d'un animai ; tant que la matière à par- couru de gros troncs veineux, il ne s'est manifesté aucun trouble, mais une fois que, par l'artère pul- monaire, elle fut parvenue dans lesvasciilarités du poumon, oh alors, la capacité des tuyaux n'étant plus en rapport avec la viscosité de l'injection , la circulation a été presque subitement arrêtée, la ( 60 ) masse encéphalique ne recevant plus d'excitation du sang artériel, a cessé ses fonctions, l'animal a succombé en peu de temps. A l'autopsie qui en fut faite immédiatement, vous devez vous souvenir qu'en incisant le parenchyme pulmonaire perpen- diculairement à la direction de ses principaux vaisseaux, nous les trouvions constamment obtu- rés par la matière injectée. Admettons maintenant que ce liquide ait pu franchir les capillaires du poumon ; vous n'ignorez pas que le diamètre des infiniment petits tuyaux varie presque dans chaque organe^ et qu'il en est dont les vaisseaux sont encore plus déliés que ceux du poumon; supposons donc une substance, qui a traversé le parenchyme pulmonaire, arrivée à d'au- tres capillaires plus tenus, elle y sera incontestable- ment arrêtée parla plus grande ténuité des tubes,- elle y stagnera d'abord, s'épanchera et produira, se- lon les parties avec lesquelles elle se trouvera en con- tact , des désordres plus ou moins analogues aux précédents, mais reconnaissant pour cause le même principe, l'obstacle à la circulation par défaut d'harmonie entre les globules du liquide et les con- duits à parcourir. C'est ici que l'alliance des connaissances anato- miques précise, minutieuse même , serait des plus utile à la physiologie ; mais comme on étudie très superficiellement la première de ces sciences, on est pris au dépourvu quand il s'agit de telles applica-r tions, il en résulte peu de fruit pour la physiologie. Nous avons cité, comme substance propre à augmenter la viscosité du sang , la gomme , nous C 61 ) poLUTioiis en dire autant de l'huile, de ramidon et en général de toutes les substances amilacées. Il est donc vrai qu'en modifiant en plus cette pro- priété du sang il peut en résulter de très graves désordres. Disons aussi que de semblables modifications nais- sent spontanément dans certaines maladies. Ainsi, quelquefois , nous rencontrons du sang tellement visqueux, qu il a presque, comme disent les pa- thologistes , la consistance de la gelée de groseilles. Nous vous avons montré plusieurs cas de ce genre tant naturels, qu'artificiels, et vous avez vu quelle parfaite analogie existait toujours entre les phénomènes arrivés sous l'influence de causes que nous ignorions et ceux que nous faisions naître à volonté. Quoi qu'il en soit , toutes les fois que vous trouverez à l'ouverture des cadavres du sang ainsi coagulé , vous pouvez être certains qu'il y a eu des lésions profondes du côté des poumons. Nous avons constaté que les alcalis avaient la propriété de liquéEer le sang ; voici maintenant qu'il nous est prouvé que certains acides, Facide sulfurique entr'autres , augmentent au contraire sa viscosité en se combinant avec sa fibrine qu'ils solidifient. Bien plus, nous sommes arrivés toujours par la voie de l'expérience , à reconnaître que l'i- nanition prolongée produisait le même résultat. Dans toutes ces circonstances , le sang perd son principe aqueux et tend à se solidifier. Nous reviendrons sur ces données; car les ex- périences doivent être répétées avec une minutieuse atttention , d'autant plus qu'elles sont moins faciles ( 62 ) qu'on le pense au premier abord, et que tout le monde n'est pas apte à les faire convenablement : peut-être nous feront-elles connaître des faits qui nous avaient échappé dans les précédentes. Tout ceci, Messieurs , se lie essentiellemenc à la physiologie de Thomme sain et à celle de l'homme malade; et je ne désespère pas que la masse des preuves de ce genre que nous aurons occasion de réunir n'influe avantageusement sur nos idées thé- rapeutiques. La densité du sang doit aussi être comptée pour quelque chose dans la circulation. Jusqu'à présent on a noté, il est vrai , cette propriété ; mais on n'a pas cherché à connaître les résultats des différentes modifications qu'elle peut éprouver. Nous savons que cette densité est un peu plus considérable que celle de Feau ; toutefois ce fait seul est peu im- portant , il ne nous a rien appris de positif sur le degré nécessaire à la circulation. C'est un motif de plus pour que nous tachions de trouver un moyen quelconque de l'apprécier, persuadé que nous sommes que de Fensemble des propriétés du sang nous tirerons des conclusions applicables à la physiologie pathologique. Passons à un autre ordre de faits : quand on examine le sang sur un animal vivant et encore entraîné par le mouvement de la circulation , ce liquide ne paraît pas homogène ,• mais tenant en outre en suspension des myriades de petites par ticules roulant sur elles-mêmes et s'entremêlant de mille manière: . Ce phénomène est connu depuis long-temps : on sait que ces corps ^ appelés glo- ( 63 ) bules, ont des dimensions déterminées et affectent des formes particulières suivant la classe d'ani- maux sur lesquels on les prend. Ils sont ellipti- ques chez les poissons, les reptiles et les oiseaux, tandis que dans l'ordre des mammifères, ils offrent l'aspect d'une lentille circulaire. Envisagés d'une manière générale , ils méritent toute notre attention. En effet, suivant les chan- gements qu'ils subissent, ils cessent de pouvoir circuler dans leurs tuyaux. Cependant il faut no- ter que , de tous les éléments du sang , ce sont ceux qui éprouvent le moins de modifications dans les graves maladies. Comme nous l'avons déjà dit , il faut bien se garder d'en juger d'une classe à l'autre; de croire par exemple qu'ils sont identiques chez les pois- sons, les oiseaux et les mammifères. Chez les pre- miers , on aperçoit de grands et de petits globules ayant tous des noyaux à leur centre; si on les soumet à un lavage et qu'on les y agite, l'eau dissout l'en- veloppe, lenoyau seul persiste. Chez les mammifères et les oiseaux, au contraire, si on prend des globules; et pour cela il ne faut pas se contenter décomprimer le caillot, mais il faut battre le sang à mesure qu'on le reçoit dans le vase, comme pour en séparer la fibrine; les globules se déposent^ on décante la liqueur et ils restent parfaitement isolés. Dans cet état, si on les soumet au microscope, on aperçoit aussi une espèce d'enveloppe et au milieu une sor(e de noyau; mais si on les lave, l'enveloppe et le noyau disparaissent , l'eau est colorée en rouge comme Test le sérum dans certaines maladies ; voilà tout. ( 64 ) D'où je conclus que chez les mammifères ces cor- puscules ne sont pas constitués d'enveloppes et de noyaux analogues à ceux des poissons. On peut ainsi distinguer les globules sans noyau des globu- les ai^ec noyau ; les premiers appartiennent aux mammifères et aux oiseaux , les seconds aux rep- tiles et aux poissons. Les globules sanguins des autres animaux n'ont point été suffisamment étu- diés scus ce rapport. Cette opinion, je le sais, n'est pas conforme à celle de quelques physiologistes ; je vous la donne toutefois comme le résultat des expériences que j'ai faites à ce sujet, et je ne la maintiens que jus- qu'à preuve contraire. On a dit aussi que les globules étaient composés d'une espèce de parenchyme propre : l'hémato- sine formerait leur surface; l'albumine, le pa- renchyme lui-même; la fibrine, le noyau central. Mais la parfaite dissolution dans l'eau des globu- les des mammifères et des globules des oiseaux me fait un peu douter de la réalité de cette descrip- tion. Nous voici arrivés au point sur lequel je voulais le plus particulièrement fixer votre attention. C'est la dimension de ces corpuscules. On a pré- tendu que chez l'homme^ il yen avait de diff'é- rentes grandeurs , et que dans quelques circons- tances ils n'avaient qu'un centième d'un cent- vingtième et même d'un cent-cinquantième de mil- limètre. Quoiqu'ils varient en effet, je crois être à peu près certain qu'ils ne dépassent guère un qua- tre-vingtième de millimètre. i 65 ) Celle [imite est cxtrèiiieuK'ul. lemaïquable par rapport au diamètre des vaisseaux qu'ils doivent librement traverser. Je retrouve là une harmonie admirable entre le volume des globules et la capa- cité des capillaires; tellement que je suis persuadé que si l'on injectait du sang de poisson ou de ieptile dans les veines d'un mammifère^ il surviendrait bientôt des altérations dans les principaux orga- nes , par la raison que les globules du premier ne seraient plus en rapport de volume avec les tuyaux du second. Toutefois nous aurons recours à Texpërience pour confirmer ou renverser l'hypothèse que j ai émise j tout-à-riieure. Nous nous procurerons du sang d'un assez grand nombre de grenouilles; nous l'injecterons dans les veines d'un cochon d'Inde ou de tout autre animal, et nous vous ferons part exactement des résultats que nous aurons obtenus. Jusqu'ici^ en effet, nous pouvons regar- der ceci comme certain , puisqu'en ajoutant au sang des globules d'anjidon , de blé ou de pommes déterre, très innocents par eux-mêmes, mais qui ont un vingtième de millimètre, nous avons toujours vu les vaisseaux capillaires obstrué:-, obstruction dont vous connaissez tous les conséquences im- médiates; tandis qu'en substituant à ces globules des globules de la même substance, qui n'aient qu'un 500' de millimètre , la circulation s'opère parfaitement. Pour nous résumer, nous dirons qu'en envisa- geant les globules comme corpuscules en suspen- sion dans le sérum, nous sommes portés à supposer T. îv. MaxenMie. k ( 66 .) qu'ils pourraient être, sans inconvénient, plus pe- tits qu'ils ne le sont, mais que plus gros ils seraient un obstacle à leur passage dans les tuyaux san- guins , et que le terme moyen de leurs dimensions ordinaires est de 1/80^ à 1/120° de millimètre. Il y en a de beaucoup plus petits , mais ils ne sont pas probablement de la même espèce que ceux dont nous venons de parler. C'est encore un nouvel aspect sous lequel il nous appartient d'étudier ce liquide. Voilà quelques idées générales sur la nature et les conditions intimes du sang ; nous avons tout lieu de croire qu'il résultera de ce mode d'exa- men et des faits que nous réunirons quelque dé- couverte précieuse pour les progrés de la science. Si , de ces considérations toutes physiologiques, nous passons à l'étude chimique du sang , elle ne nous offrira pas moins d'intérêt que la précédente ; mais les difficultés que nous rencontrerons seront tout aussi grandes ; cependant nous constaterons facilement que toute modification de la part des éléments du sang a pour résultat immédiat des phénomènes morbides non moins graves que ceux que nous avons observés jusqu'ici , résultat qui n'est produit que par des changements physi- ques de ce liquide. A ce sujet, nous pouvons vous annoncer qu'un de nos anciens disciples, M. Denis, de Commercy. a fait des travaux fort curieux sur la composition chimique du sang ^ desquels, entr 'autres, il sem- blerait résulter que la fibrine n'est autre chose que de l'albumine combinée avec différents sels . quant à présent, nous n'adoptons ni ne repoussons ( 6T ) cette manière de voir, dont nous n'avons pas en- core acquis de preuve certaine. Au reste, M. De- nis , qui a déjà présenté sur cette matière un mé- moire à l'Académie des Sciences, se propose de ré- péter publiquement ses expériences à l'école prati- que de la Faculté. Je vous engage à vous y rendre au jour qu'il indiquera. Ces aperçus , quelque généraux et superficiels qu'ils soient, nous ont déjà conduit à certains ré- sultats assez importants. Nous avons appris que les saignées modifiaient les proportions du sérum et du caillot. Voici la 4' et la 5' saignée faites à l'a- nimal que je vous ai montré l'autre jour. Dans la 4% il y a 55 de sérum pour 45 de caillot ; dans la 5% le caillot n'est plus que de 35 et le sérum entre pour 65 dans la masse totale. Voilà déjà une grande différence ; pourtant les évacuations san- guines n'ont lieu qu'à deux jours d'intervalle, et l'animal est toujours parfaitement nourri, ce qui s'oppose à une altération trop rapide du sang. Vous voyez donc que par ce moyen on fait varier les proportions des deux principales parties du sang; non seulement le caillot est modifié, mais encore le sérum devient blanchâtre et se recouvre assez souvent d'une couche opaline. En définitive , la nature du sang et de ses diffé- rents éléments n'est pas une question de peu d'im- portance pour la thérapeutique. Il n'est donc pas indifférent de saigner peu ou beaucoup, de tirer une petite ou une grande quantité de ce liquide dans un temps très court ou à des intervalles éloi- gnés ; d'aller tout d'un trait jusqu'à la syncope , ( C8 ) comme on l'a conseille à diverses époques, ou de tirer le sang en plusieurs lois à des intervalles plus ou moins rapprochés, comme de savants médecins le proposent aujourd'hui. Saigner sans s'inquiéter des troubles qu'amène la soustraction du sanp , dans le sançj lui-même et des maladies réelles qui les suivent ; regarder ces troubles comme devant céder aux évacuations san- guines, tandis qu'ils n'en sont qu'une conséquen- ce, c'est agir en aveugle; c'est tout simplement faire le mal alors que Ton croit faire le bien, et ce bien et ce mal, c'est la vie ou la mort du malade. Les faits que j'ai eu riionneur de vous exposer sous diverses formes ne nous permettent plus de rester dans le cercle des idées admises et nous com- mande au contraire impérieusement d'en sortir. C'est ce que nous nous elTorcerons de faire en poursuivant nos études. (69) CINQUIÈME LEÇON. 29 Décembre 1857. Messieurs, Dés nos premières réunions, je vous avais demandé votre concours , sachant bien qu'il me serait très profitable. En effet , vous pouvez dans vos différents services recueillir des observations importantes; en m'en faisant part, vous allégerez ma tâche , et je serai plus à même de grouper , d'étudier et de comparer les divers matériaux que nous aurons rassemblés . L'un de vous , au commencement de cette séance, m'a apporté du sang provenant d'un in- dividu attaqué d'hémoptysie; j'en parlerai la prochaine fois . Aujourd'hui , nous nous occu- perons d'un cas qui vient de m'étre commu- niqué par M. James , et vous allez voir que les principes posés d'après nos expériences vont trou- ver une application curieuse . Voici du sang liquide^ provenant d'une personne q^uia péri asphyxiée par le charbon; je n'examine- (70) rai pas quelle est la cause de celte liquidité : mais nous trouvons là une occasion de vérifier comment ce sang a influé sur l'état des organes. Nous vous avons exposé les graves résultats delanon-coagu- labilité; nous vous avons dit que , dans cet état , le sang ne peut plus traverser les capillaires, ou qu'au moins sa circulation y est sensiblement mo- difiée; qu'il se dépose dans le parencliyme des organes , s'y extravase , altère leur apparence et les rend quelquefois tout-à-fait impropres aux fonctions qu'ils doivent remplir. Pour nous, quand nous voyons du sang de telle nature , nous sommes certains qu'il y a au poumon engouement, liépa- lisation , œdème , apoplexie ; et lorsque le sang est encore plus liquide, nous pouvons être à peu près assurés qu'il existe un épanchement dans la cavité des plèvres. Vous voyez combien ces études peu- vent devenir précieuses pour le diagnostic. En procédant avec méthode et sans nous laisser rebuter par les nombreux obstacles que nous ren- controns sans cesse , nous arrivons peu à peu à établir des faits dont la connaissance est du plus haut intérêt pour la médecine. Ainsi, autrefois , on attribuait tous les désordres dont nous venons de parlera une matière morbitiquequi , charriée dans nos organes , y déposait le germe de l'ir- ritation ; celle-ci s'accroissait d'abord sourde- ment : bientôt elle acquérait un grand dévelop- pement , et donnait à son tour naissance à ce je ne sais quoi qu'on appelait inflammation. Tout cet attirail était compliqué par la prostration ou la surexcitation des propriétés dites vitales , qu'on ( T1 ) avait largement réparties sur tous les tissus de l'é- conomie. Toutefois, il est démontré que l'inflammation exerce un empire plus vaste encore que celui qu'on lui avait attribué ; et c'est nous , en ennemi géné- reux , qui lui avons restitué une puissance dont ses plus chauds partisans eux-mêmes l'avaient dépouillée. Ils bornaient son action aux organes vivants ; nous l'avons étendue aux organes privés de la vie ; et mainte et mainte fois nous vous avons prouvé par nos expériences qu'elle se plaisait à développer ses plus terribles symptômes sur des parties entièrement inanimées. Voilà pourtant les ridicules conséquences que l'on déduit naturellement de la plupart des doc- trines physiologiques ou pathologiques de notre époque. On ne veut voir partout que de la vitalité, comme si notre organisation n'était pas aussi ad- mirable , régie par les lois de la physique , que par ce barriolage incohérent des prétendues pro- priétés vitales. On ne veut pas qu'une membrane soit une membrane ; qu'en contact avec des liqui- des , elle soit soumise à l'imbibition et à l'exhibi- tion. Tout cela est trop simple ; il faut absolument des vaisseaux exhalants , des vaisseaux absorbants qui admettent tels matériaux et refusent passage à tels autres. Les démentis les plus éclatants que l'expérience donne chaque jour à ces rêveries ont bien de la peine à faire triompher la vérité , tant il est vrai qu'une seule idée fausse émise au hasard peut retarder indéfiniment la marche des sciences. ( T2 ) On se persuade généralement que la physiolo- gie , telle qu'elle est enseignée dans les écoles , a fait d'immenses progrès depuis une trentaine d'an- nées ; mais en y réfléchissant avec attention on est cruellement désabusL^. Quelle différence y a-t-il en effet entre ces loi? , ces propriétés vitales ad- mises par les écoles de nos jours, et l'archée de Van-Helmont ou les bizarres conceptions de Pa- racelse? Pour moi, je ne vois la qu'un changement dans les mots : les idées restent les mêmes. Chacun s'est escrimé dessus a qui mieux mieux, pour faire de l'esprit , faire parler de soi; et certes , pour en venir là , ce n'était pas la peine de tant batailler, discuter, conîroverser. îl eût été plus simple d'a- vouer son ignorance pour le présent, et de recher- cher en silence la cause des phénomènes qui pa- ra if si ient inexplicables. Revenons à notre sujet, et eaxminons le poumon de cette femme dont le sang était si liquide. Cet organe est , comuie vous le voyez , d'une couleur rouge noirâtre; si on le compriirîe entre les doigts, on ne perçoit qu'une très faible crépitation , preuve évidente qu'il n'était plus que peu perméable à l'air. Ces taches brunes rappellent la couleur du sang privé du contact avec l'oxygène de l'atmo- sphère. Si j'incise le parenchyme, vous aperce- vez en effet du sang noirâtre épanché en plus ou moins grande quantité selon les régions. îl va bien çà et là quelques taches plus rouges; mais cela provient de l'insufflation , comme nous l'expli- querons tout-à-F heure. Ainsi, de même que l'ap- parence altérée du poumon pouvait faire présumer C T3 ) l'état du sang , de même l'altération du sang rend parfaitement compte de l'état du poumon. Vous voyez ici la liaison intime qui existe entre l'organe et le liquide qui le parcourt. Par une cause quel- conque, le sang ne s'est plus trouvé en contact avec l'air atmosphérique ; il a presque aussitôt perdu une ou plusieurs de ses propriétés normales, et le poumon a bientôt ressenti le contre-coup de cette modification; il y a eu stagnation, infiltra- tion; et il est probable que si la maladie n'eût pas été d'une aussi courte durée, les désordres eussent encore été plus prononcés. Nous avions , avant la séance , sans savoir qu'on dut nous communiquer le fait précédent , fait périr un animal au moyen du gaz acide car- bonique. Nous sommes bien aise que cela se soit ainsi rencontré; nous allons comparer les deux cas pour en faire ressortir les diiférences et les analogies. Chez cet animal, la mort est survenue en quelques instants : aussi le sang doit-il être peu altéré. Nous ouvrons la cavité ihoracique ; voici le poumon : le sang qu'il contient dans ses vésicules est partout de la même couleur que celui de la femme dont nous venons de parler. On l'insuffle, et vous voyez presque instantanément toute la surface de l'organe devenue d'un rouge artériel : vous concevrez aisé- ment la raison de ce phénomène. Ce sang n'a sé- journé que peu de temps dans les aréoles pulmo- naires : par conséquent il n'a pas entièrement perdu ses propriétés indispensables ; il a conservé celle de rougir par î'oxygéne de Tair, tandis que ( 74 ) celui de cette femme ne rougissait que faiblement, et par plaques. Voilà donc un exemple qui je- tera quelque lumière sur la théorie encore si obscure des n Itérations organiques; car le sang peut, pour ain^i dire, suivant ses différents états^ faire connaî- tre l yge de la maladie. Vous avez reconnu en effet que chez la femme asphyxiée par la vapeur du char- bon en combustion il était entièrement liquide : aussi y avait -il déjà infiltration sanguine consi- dérable dans l'organe , et nous présumons que les souffrances de cette malheureuse ont duré plu- sieursheures, tandis que chez l'animal la mort a été prompte, mais aussi le poumon ne présente-t-il pas les mêmes altérations , ni le sang la même liquidité. Ainsi voici des applications nettes et précises des résultats généraux que nous avons obtenus. Nous n avions pas encore observé aussi immédiatemÉjnt l'action de l'acide carbonique sur la coagulabilité du sang; nous savons maintenant qu'il le liquéfie, et cela nonseulement dans le poumon , mais dans tous les vaisseaux; on pourrait aller plus loin. L'exhibition peut rendre compte d'une foule de phénomènes qui sont incontestablement amenés dans tous les au- tres organes par la liquéfaction du sang; et pour nous nombre d'altérations que nous signale l'ana- tomie pathologique dans des circonstances analo- gues, telles que couleur foncée des intestins, éro- sions des muqueuses , épanchements , diarrhées sanguinolentes, hématises,etc., reconnaissent pour cause première le même principe. Je vous engage, Messieurs, à porter toute votre attention , toutes vos réflexions sur cet ordre de ( ^5 ) faits ; examinez-le avec une sévère et défiante exacti- tude ; car s'ils sont réels, comme je le crois, outre qu'ils simplifient la science, ils peuvent conduire à de précieuses découvertes, et changer la face de la médecine. Arrivons maintenant à d'autres phénomènes encore fort peu connus, quoiqu'ils ne soient pas moins importants que les précédents. Je veux par- ler des différentes modifications que la tempéra- ture peut faire éprouver au sang à l'état normal ; de telle sorte que , bien qu'il possède tous ses ca- ractères chimiques^ toutes ses propriétés normales, la circulation ne puisse cependant plus s'efiectuer. Ce fait a déjà été mis hors de doute par nos précédentes expériences; mais sous le rapport de la production des altérations organiques, les mé- decins n'y ont pas fait grande attention , unique- ment occupés qu'ils sont de l'irritation et de l'in- flammation, et cependant il mérite, autant que tout autre fait, d'être sérieusement examiné sous ce point de vue. On sait depuis long-temps que soumis à un froid d'une certaine intensité, nos organes perdent leur teinte habituelle; les mains et les pieds blanchissent et .finissent par s'engourdir. Dans les circonstances ordinaires, la main a une chaleur de 24 on 25 ° du thermomètre Réaumur: admettons qu'elle n'en ait plus que 5. Qu arrivera-t-il?Vous devez vousrappe- ler,Messieurs,que nous avons soumis des animaux à diverses températures : lorsque nous les plongions dans une atmosphère au-dessous de zéro, on voyait un ralentissement marqué dans la circulation s (76) ralentissement qui était toujours en raison du de^ gré de froid. Si nous continuions à abaisser la température, on ne voyait plus le passage des globules du sang des capillaires artériels dans les capillaires veineux ; la circulation s'arrêtait com- plètement comme suspendue par une puissance générale, ainsi que le cours des rivières dans les grands froids. Si, au contraire, après avoir ainsi arrêté le cours du sang par le froid, nous venions à élever la tempé- rature, aussitôt nous voyons les globules s'agiter, se réunir vers le centre des vaisseaux , glisser sur eux-mêmes, et la circulation recommencer. Cette expérience démontre clairement, comme l'a déjà prouvé M. Poiseiiille, qu'il y a une relation intime entre la température ambiante et la marche du sang à travers ses vaisseaux. Dans les gros tuyaux, cet effet n'est point aussi marqué; mais il y est ce- pendant très sensible, et il n'en résulte pas moins que c'est une nécessité indispensable de la vie qu'il y ait constamment en nous un certain degré de chaleur. Il ne faut pas cependant conclure de là qu'il devrait survenir de graves accidents chez les animaux hibernants : leur température en effet est moins élevée pendant leur engourdissement ; mais aussi la circulation reste à peu prés suspen- due tant que dure leur torpeur. En général, dans l'état de vie normale , il faut donc que la température se balance entre deux degrés extrêmes qui ne changent point. C'est pour remplir ce but que la nature nous a doués de l'appareil respi- ratoire. On a bien dit tout cela; mais on n'en a ( î' ) pas déduit 1 ititluence de la chaieur sur la circu- lation capillaire : or ceci est tellement vrai que nous voyons les personnes contrefaites dont les mouvements respiratoires sont gênés par un obsta- cle mécanique , celles dont les ventricules du cœur communiquent par une ouverture anormale, ce qui produit la cyanose ; voyons-nous, dis-je, ces personnes avoir les extrémités , les lèvres , etc. , violacées et froides en toute saison. Les conditions qui chez elles s'opposent à la production de la chaleur, amènent par suite des troubles dans la plupart des fonctions. Ce sujet mérite encore de fixer Fattention des observateurs; car, dans l'étude de la physiologie , rien n'est à dédaigner ; et souvent c'est en prenant pour objet de leurs re- cherches les questions mises de côté par le plus grand nombre , que le génie parvient à la décou- verte de vérités importantes. Il y a encore bien des choses à dire à cet égard ; mais nous nous arrêterons principalement sur l'influence du sang dans le développement de cer- taines circonstances physiologiques dont on s'est beaucoup occupé depuis Laennec, sans pou r tan t les rapporter à leur véritable source ; car en général, les médecins, étrangers à la physique et à la chimie, s'inquiètent peu de ce que les phénomènes nor- maux ou anormaux de notre organisation peu- vent avoir de commun avec ces sciences. Cepen- dant, si l'on veut que la médecine cesse d'être un métier , qu'elle devienne la première des sciences, il faut sortir de cette manière de procé- der et appeler à Botre aide tout ce qui peut nous ( 78) mettre sur la bonne voie et agrandir le champ de nos connaissances. Pour revenir à notre sujet , je suppose qu'une personne chlorotique arrive dans un hôpital ; sa peau est molle, sans consistance; la blancheur particulière de ses tissus , le froid qu'elle ressent sans cesse , indiquent qu'il y a là une altération du sang, que la circulation capillaire se fait mal. Que va-t-on faire pour remédier à ces troubles organiques ? On saignera , on administrera quel- ques préparations ferrugineuses auxquelles on at- tribue la propriété de recomposer le sang.| Mais de plus , on perçoit un bruit particulier en auscultant le cœur ou les principales artères ; on note ce bruit qu'on appelle bruit de soufflet, bruit de diable, sans chercher comment il peut se produire. Pour moi , Messieurs ,j'ai prouvé naguère que ce bruit se rattache à la nature du sang. Nos ex- périences mettent ce point hors de doute : en effet, si on examine l'effet du passage brusque et alternatif de l'eau à travers les parois des tubes inorganiques, on entend à peine un petit bruit de frottement : que si Von ajoute au liquide de l'albumine , de l'amidon ou certains sels , il se produit alors un bruit assez analogue à celui que font entendre les artères des personnes chlorotiques. Et ce qu'il y a de plus convaincant en faveur de cette explication toute physique ^ c'est que si l'état chlorotique disparaît , les bruits disparais- sent aussi : d'où je conclus nécessairement qu'ils tiennent à la composition du sang , et non à des conditions de vitalité et de vascularité qui n'ont (79) aucun rapport avec eux. Je compte , du reste , ré- péter les expériences relatives à ces phénomènes , que l'on ne saurait trop s'efforcer d'éclaircir. Déjà M. le professeur Bouillaud a fait à sa clinique une application de cette idée en cherchant à appré- cier à l'aide de différents moyens la relation qui existe entre l'état du sang et les bruits que nous avons signalés. Il a, entre autres épreuves , mesuré avec l'aréomètre la viscosité du sang, et il a constaté, je crois, qu'au-dessus d'un certain degré , ces bruits ne se produisent plus. Voilà, j'espère, un vaste champ à exploiter; mais comme il s'agit avant tout de tenir la parole que nous vous avons donnée , nous allons tâcher désormais d'étudier le sang par des observations directes et des expériences aussi positives que possible. Nous ne nous lasserons pas ; nous tour- nerons et retournerons la question, persuadé qu'elle amènera d'intéressants résultats. Le sang est un liquide fort compliqué , comme on peut le voir en jetant les yeux sur les nom- breux ouvrages qui en traitent. Sous le rapport chimique , la question n'est pas tout - à - fait neuve ; mais sous le rapport physiologique et pa- thologique, son histoire est encore à faire. Le peu de faits observés jusqu'à présent montrent de quelle importance sont les moindres altérations de ce li- quide dans la production des maladies. Chaque jour, vous entendez les malades qui viennent ré- clamer vos soins , se plaindre , les uns d'avoir un vice dans le sang , les autres , d'avoir le sang trop épais. Quoiqu'il n'y ait ni science , ni ( 80 ) méîite dans ces idées de bonnes lenmies , cepen- dant Texpérience prouve qu'il y a au fond quelque chose de vrai ; et il semblerait presque que les médecins s'obstinent par une sorte de dépit à méconnaître et à ne pas étudier une cause que les gens les plus ignorants ont devinée , par cela même qu'ils sont étrangers aux préjugés et aux disputes de TEcole. Quoi qu'il en soit, un des obstacles qui s'oppo- sent le plus à l étude immédiate et approfondie du sang, c'est la difficulté qu'on rencontre à l'examiner dans ses vaisseaux ; car il n'est pas indifférent de l'étudier là à l'aide du microscope, ou lorsqu'il en est sorti. Quoi que vous fassiez dans cette courte transition, les éléments qui le composent se trou- vent autrement disposés que durant la vie. En effet , prenez du sang sorti de ses tuyaux ; tantôt il est entièrement coagulé , tantôt il est en partie liquide ; son caillot nage au milieu du sé^ rum ; en un mot , il se présente sous une foule d'aspects. En outre, il est impossible de le consi- dérer comme par faifement identique, chez le même individu, seulement pendant l'espace de quelques heures : il se détruit sans cesse par les excrétions et l'exhalation; sans cesse il se répare par le chyle, les boissons, etc., de sorte qu'intervenant au milieu de ces mouvements continus de composition et de décomposition , il est presque impossible d'obte- nir ce liquide dans un état propre à faciliter des études comparatives. Les boissons, surtout celles qui contiennent un excès d'acide carbonique , exercent une action - ( 81 ) presque instantanée sur le sang: ainsi^ à peine a-t-on bu un verre de vin de Champagne , qu'au moyen des veines dont nous avons depuis long- temps démontré la propriété absorbante , le sang se trouve modifié. Pour mieux constater cette mo- dification, je me propose de faire l'expérience sui- vante : je ferai boire à quelqu'un de bonne volonté une bouteille de vin de Champagne, et quelques instants après je lui pratiquerai une saignée d'une ou deux onces. Par ce moyen nous verrons si son sang nous offrira quelque caractère particulier, et s'il différera d'un sang ordinaire. Il en est presque de même pour la bière; à peine en a-t-on pris un ou deux verres , que l'urine de- vient plus abondante , et par son volume sollicite son expulsion. Par conséquent l'analyse du sang offre des difficultés qu'on ne trouve pas dans un autre liquide, comme une eau minérale par exemple. Eu égard à ce double mouvement de composi- tion et de décomposition du sang, il est néces- saire d'y considérer deux éléments principaux : ceux qui le forment et que nous appellerons constitutifs, et ceux qui ne font qu'y passer et que nous nommerons transitoires. Il y a la même dis- tinction à établir parmi nos aliments; il en est qui persistent; d'autres qui s'échappent par l'exha- lation , surtout par l'exhalation pulmonaire. Le sang est liquide dans ses vaisseaux , et ce qui démontre surabondamment qu'il doit sans cesse jouir de la propriété de se coaguler, c'est que pour la production et la formation des orga- T. IV. Magendie. 6 (82) nés, il faut qu'il se solidifie; par conséquent lors- qu'il est par trop liquide, il devient impropre à cette nutrition à laquelle il préside. ' Il est ordinairement composé de 8 à 91 0 ^' d'eau et d'une série nombreuse de substances désignées dans tous les ouvrages de chimie et principalement dans la thèse de M. Lecanu. Dans cette série de maté- riaux , il y en a de très différents : des gaz , de la matière extractive , des matières grasses phos- phorées analogues à la pulpe nerveuse , et qui , comme elle , lorsqu'on les réintroduit dans le tor- rent circulatoire, causent sur-le-champ la mort. M. Pinel Granchamp rapporte à ce sujet qu'un buffle étant devenu terrible, on lui injecta une demi-once de cette substance dans les veines, et qu'il succomba subitement. Cette mort est un effet purement mécanique , nous l'avons démontré par nos expériences de Tannée dernière : la pulpe nerveuse agit uniquement en obturant les petits tubes capillaires; car du reste elle est inoffensive. Le sang contient aussi de la cholestérine qui est la matière des calculs biliaires ; de la séroline, plus un grand nombre de sels ; de la matière colorante jaune ; une autre bleue , plus ses matériaux pro- prement dits tels que l'a Ibumine , les globules et l'albumine qui se rencontre dans les globules. Toutefois , il y a dans cet énoncé une désignation que je crois devoir combattre. M. Lecanu croit, et MM. Prévôt et Dumas ont soutenu autrefois que la fibrine du sang fait partie des globules. Comment pourrait on étudier le sang sous des rapports phy- siques et pathologiques, si on envisageait la fibrine ( 83 ) comme appartenant aiixglobules. Si on prend du sang d'un animal, qu'on le laisse paisible, il se soli- difie : si on l'agite, si on le fouette comme le font les bouchers et les charcutiers, ce sang battu ne diffère pourtant d'un autre que parce que l'on en a sé- paré une matière élastique, blanchâtre , qui n'est autre chose que la fibrine. Et si je l'examine dans cet état, j'y retrouve les globules sans altération de volume ni de forme. Il est évident que si on n'agite pas le sang, dans ^analyse on retrouvera les globules réunis avec la fibrine. Mais comme en s'opposant à cette alliance, les globules n'en sont pas moins intacts, je ne puis donc jusqu'à nouvel ordre admettre ces idées sur la structure et la composition des glo- bules. Il y a une question plus délicate encore ; c'est de savoir à quel état la fibrine est dans le sérum : est-ce en dissolution ou en suspension ? ce dernier mode me paraît plus satisfaisant. Cependant le problème n'est pas résolu par cette préférence de ma part. Vous voyez, Messieurs, que plus nous avan- çons , plus nous trouvons les questions délicates et difficiles ; cependant avec de la ténacité , de la persistance dans la voie expérimentale où nous sommes engagés, il est impossible que nous n'ar- rivions pas à quelques résultats qui justifieront notre entrepïise et nous ré compenseront de nos efforts. (84) SIXIÈME LEÇON. 6 Janyier I85S. Messieurs , Les difEcultés que nous rencontrons entravent notre marche ; nous ne pouvons donc qu'^avancer fort lentement. Malgré tout, notre temps n'est pas à regretter, puisque nous l'employons à rassembler des faits qui seront plus ou moins fertiles en con- séquences et dont l'application trouvera place tôt ou tard. Quoi qu'il en soit, nous allons poursuivre avec vous l'examen des différents sangs que nous nous sommes procurés. J'aime à penser que jusqu'ici vous avez trouvé de l'intérêt dans ces recherches, quelque superficielles qu'elles soient ; et pour ma part, je persiste plus que jamais à croire que nous n'aurons pas en vain interrogé la nature sur quel- ques-uns des phénomènes les plus importants de notre organisation. J'ai dans mes salles, à l'Hôtel-Dieu, une jeune ( 85 ) femme âgée de dix-neuf ans. Un mariage que ses parents l'ont forcée de contracter à dix-sept ans, a développé en elle les symptômes hystériques les plus tranchés. Les attaques se renouvellent plusieurs fois par jour ; elle est alors en proie à un délire effrayant et aux hallucinations les plus étranges. Elle croit voir sa mère s'avançant pour la frapper. La frayeur , l'effroi se peignent alors sur sa figure : tantôt elle paraît vouloir se défendre , des paroles entrecoupées l'indiquent du moins ; mais bientôt, comme dominée par l'instinct de sa faiblesse, elle supplie , conjure qu'on l'épargne , et se jette en versant des larmes, en poussant des sanglots, dans les bras des personnes qui l'entourent. 11 est im- possible , je crois , de rendre avec plus de vérité et d'expression les différentes sensations qu'elle éprouve alors. L'actrice la plus consommée n'ap- procherait pas à beaucoup prés du jeu de sa phy- sionomie , sur laquelle on lit tour à tour le déses- poir, l'abattement, la tristesse formulés avec une si admirable expression , qu'on voudrait savoir peindre en la voyant ainsi. Cette pauvre enfant était persuadée qu'une sai- gnée la soulagerait, lui serait utile. Connaissant dans ces sortes d'affections l'influence du moral sur le physique, nous avons cédé à son désir, plu- tôt pour la contenter que par conviction de l'effi- cacité du moyen qu'elle proposait. Voici son sang : il a donné 37 pour le sérum et 26 pour le caillot : la proportion de sérum est évidemment très forte ; de plus le caillot est peu consiuant ; tout enfin ( 86 ) s'accorde pour dénoter une modification remar- quabledu liquide. Comme je vous l'ai dit plusieurs fois, je n'ai nullement la prétention de rattacher de prime-abord toutes les maladies à l'altération du sang; je ne suis point partisan des systèmes exclusifs ; aussi ^ pour le moment , je ne déduis de cela aucune conséquence ; je note seulement ce fait qui me parait fort curieux; peut-être serons- nous bien aise de le retrouver plus tard. Je passe maintenant à une question qui ne me semble pas de peu d'importance dans l'étude qui nous occupe, d'autant mieux que c'est sur elle qu'on a élevé un formidable échaffaudage patho- logique en faveur de V inflammation. Je veux par- ler de ce que certaines personnes ont si ingénu- ment appelé la couenne. On a prétendu , et l'Ita- lien Razori entr'autres, dans un long traité sur la phlogose , que c'était l'élément inflammatoire par excellence, et qu'il ne manquait jamais de se mani- fester dans certaines circonstances données, telles que la pleurésie, la grossesse, etc. Cette idée avan- cée et soutenue par de gros et nombreux volumes, m'a paru mériter un sérieux examen ; car, avant tout, il faut chercher la vérité sans arriére-pensée, sans acception de personnes. Bien que je ne voie dans cette couenne , pour le dire en passant , au- cune analogie avec le derme soyeux et lardacé d'un porc, mais seulement de la fibrine qui, plus légère que la matière colorante du sang , a surnagé et est venue se prendre en masse, je dirais presque s'organiser à la surface supérieure du liquide , je me suis mis à la recherche de cette substance. ( 87 ) A cet effet , j'ai fait saigner quatre ou cinq femmes enceintes , à diverses époques de la gros- sesse, trois pleurétiques , et dans aucun cas cette couenne ne s'est montrée. L'élément inflammatoire craindrait-il de se placer face à face avec nous? Le fait est que je ne l'ai point rencontré , quelque vif qu'en fût mon désir. Toutefois , je dois dire que cette modification dans la coagulation du sang tient à bien des circonstances ; ainsi , quoiqu'il y ait évidemment inflammation , si , méchamment ou sans intention , l'ouverture faite à la veine est étroite , ou si le parallélisme avec les téguments supérieurs a été détruit et que le sang ait coulé lentement , ou bien encore si le vase dans lequel on l'a reçu ne présente pas à l'air une large, et selon d'autres, une étroite surface , la couenne alors re- fuse de se montrer, elle reste cachée entre les cel- lules trameuses du caillot. Néanmoins, je compte poursuivre activement la solution de cette question; car on ne rend pas moins service à la science en renversant les fausses idées qui nuisent à ses pro- grés, qu'en faisant d'utiles découvertes. Voici un autre sang recueilli depuis plusieurs jours, et qui nous a mis dans un assez grand em- barras. 11 provient d'une fille de vingt-trois ans , née en Savoie et arrivée depuis peu de temps à Paris. Elle a présenté quelques symptômes de la fièvre qu'on appelle entéro-mésentérique^ ou fièvre ty- phoïde, tels que l'injection delà conjonctive, mal- aise général, puis prostration , coliques, vomisse- ments. Cependant le sang d'une première et d'une seconde saignées nous a paru normal ; du moins (88) VOUS pouvez voir ici comme moi que ^altération , s'il en existe, n'est pas appréciable; aussi avons- nous hésité dans le diagnostic , et dans tous les cas pensons -nous que la maladie sera peu grave. Ce sang du reste sera soumis à un examen spécial , et l'issue de l'affection nous apprendra si nous nous sommes trompé. A propos de ce qui précède , Messieurs , je vous engage, en thèse générale, à ne jamais éviter un fait; quelque contraire qu'il puisse paraître aux théories admises , à vos idées favorites , il faut le prendre en note : c'^est le moyen, sinon d'avancer, du moins de ne pas reculer. Je crois vous avoir là^dessus souvent prêché d'exemple. Vous vous rappelez sans doute l'observation de cette femme asphyxiée dont nous avons examiné le poumon dans la dernière séance : vous avez tous aussi sans doute remarqué l'extrême fluidité de son aang. Je reviens à dessein sur ce sujet parce qu^il nous a présenté un phénomène assez singulier, que je n'avais jamais rencontré , pas même chez les cholérii|ues. Ce sang est notablement acide; il rougit, comme vous pouvez le voir , le papier de tournesol que je viens d'y plonger. Ce fait provient- il du passage du gaz acide carbonique dans la cir- culation? Je n'oserais l'affirmer; c'est une simple hypothèse qui demande la sanction de l'expé- rience. L'analyse exacte de ce liquide pourrait peut-être nous apprendre quelque chose de cer- tain là-dessus : nous ressaierons. Maintenant pour continuer l'étude que nous avons commencée, nous avons besoin de nous rap- ( 89 ) peler que le sang sur l'animal vivant est tout autre que dans nos vases. En général, les médecins et les chimistes qui s'en sont occupés n'ont pas assez tenu compte de ces différences. En n'étudiant ce liquide que dans les appareils inorganiques , ils ont embrouillé la question et se sont presque tous trouvés en contradiction les uns avec les autres. En effet , il existe une immense dislance entre la fibrine qui circule avec le sang, et celle que nous extrayons de ce liquide reçu dans nos vases. En outre , sous ce dernier point de vue , le sang se présente à nous sous deux états bien différents : tantôt c'est une masse compacte , rouge-clair à 5a surface supérieure, noirâtre au-dessous; tantôt il se sépare en deux parties très-distinctes : l'une solide , c'est le caillot ; l'autre liquide , c'est le sé- rum. Quoique nos moyens d'études ne puissent guère s'appliquer qu'au sang à cet état, nous ne le confondrons cependant point avec celui qui tra- verse incessamment nos organes. C'est dans ce sens , et avec juste raison , que des observateurs de mérite^ entr'autres M. Muller de Berlin , ont distingué le liquor sanguinis qui circule dans les vaisseaux, du liquide qui s'en sépare et s'en isole lorsqu'il a été reçu dans nos vases. En effet, si on examine au microscope les vais- seaux les plus transparents d'un animal , on voit distinctement des globules en nombre infini , emportés par un mouvement rapide, roulant, glissant sur eux-mêmes; puis, entre la masse en mouvement et les parois du vaisseau, un espace (90) presque dépourvu de globules , mais occupé par un liquide incolore et transparent. Ce liquide est la liquew^ du sang qui tient les globules en suspen- sion durant la vie. Il est probable qu en étudiant le sang lorsqu il remplit ses différentes fonctions , on arriverait à découvrir quelques-uns des phénomènes de sa composition organique ; mais malheureusement cette étude est rendue presqu'impossible par le défaut de circonstances favorables : on est réduit à des observations très-limitées sur de petits ani- maux dont certains organes transparents per- mettent à Tœil armé du microscope de saisir les différents mouvements et la forme des globules. Les très jeunes rats , les très jeunes souris , les chauve-souris sont à peu près les seuls mammi- fères sur lesquels on puisse tenter ces expérien- ces avec quelque succès ; et encore , dans ce mo- ment ^ la rigueur de la saison a engourdi ces der- niers animaux dans leurs retraites , et je n'ai pu m'en procurer. On ne sait vraiment pas pourquoi ces phéno- mènes de la composition intime du sang sont en- veloppés d'un voile si mystérieux : on dirait que la nature se plait à nous en dérober la connaissance parce que justement il nous importe davantage de les connaître. Le liquide du sang est bien du sérum à la vérité, mais c'est du sérum qui tient en suspension ou en dissolution la matière coagulable ou fibrine, mot impropre qu'on devrait remplacer par celui de coaguline , qm ne serait peut-être pas très-bon. ( 91 ) mais qui du moins n'exposerait pas à confondre sous la même dénomination deux substances différentes, la fibrine du sang et la fibrine du muscle. C'est bien à tort que médecins et chimistes s'accordent à regarder ces deux substances comme identiques, car la preuve qu'elles ne le sont pas , c'est qu'outre le défaut d'analogie entre leurs caractères physi- ques, si nous prenons pour point de comparaison la propriété alimentaire, j'ai reconnu par des ex- périences directes ^ que la première nourrit peu , tandis que la seconde nourrit beaucoup. Le sérum à son tour est bien à vrai dire la li" queur du sang, mais il est dépourvu de la fibrine; celle-ci s'est organisée à la différence de l'albumine qui se prend toujours en une masse amorphe par la chaleur ou les acides. Dans les vases une partie du sérum se solidifie, l'autre reste liquide; mais ce ne sont plus les éléments du fluide circu- lant- L'étude du caillot n'offre pas moins de difficultés. Dans le sang vivant, comme on pourrait l'appeler, il y a une liqueur contenant des particules en sus- pension; venez-vous à faire tomber ce sang dans un vase, il se formera un caillot; les globules au- ront disparu. Dans leurs vaisseaux , ils se meuvent au milieu d'un liquide visqueux , doué de pro- priétés que vous connaissez ; dans les vases , il y a solidification, prise en masse; l'un des éléments du liquide , la fibrine, s'organise et retient les glo- bules comme captifs dans ses réseaux celluleux. Sur le vivant , le sérum est composé de globules et de fibrine en suspension : au dehors , ce liquide (92 ) baigne un caillot composé de fibrine et de glo- bules. Voilà donc une très grande différence. Hors des vaisseaux , le sang se sépare donc en deux parties ; le sérum, le caillot. Prenez ce dernier, examinez-ïe; vous y verrez une trame organisée, qui contient entre ses lacis un grand nombre de globules : lavez-le avec soin, le liquide dissoudra, entraînera les globules; la fibrine seule restera, et vous serez étonnés de son peu de volume eu égard aux dimensions du caillot et à l'énorme quantité dé globules qu'elle contenait. Cette fibrine ainsi isolée, qu'on pourrait appeler le canevas du caillot , mérite toute votre atten- tion. Elle seule est à la fois la cause et l'agent de la solidification du sang. C'est un de ces pbé- noménes placés sur les confins de la vitalité et des propriétés physiques , et que l'on pourrait en quel- que sorte comparer à ces transformations symé- triques que subit la matière et qu'on appelle cristallisations. Cependant, il ne faut pas con- fondre ces deux genres d'organisation : si vous examinez au microscope une de ces masses de fibrine parenchymateuse , vous y verrez des con- formations régulières se rapprochant des formes qu'affecte la matière organisée, des espèces de ramifications, d'aréoles, s'eiitrecroisant^ s'anas- tomosant à l'infini. Il ne faut donc pas regarder le caillot, insula^ ile des anciens , comme une masse inerte , mais comme une matière fibrinaire , arborescente, for- mant la base d'un parenchyme finement et délica- tement organisé ^ différant essentiellement de Tal- ( 93 ) bumine, dont la solidification n'est que le résul- tat d'une action physique ou chimique. Quant à la trame fibrineuse , son rôle est loin d'être fini : nous allons la retrouver avec ses mêmes caractères , non plus dans l'éprouvette du labora- toire, mais bien dans le caillot oblitérant les artè- res et les veines ; nous la retrouverons dans la for- mation des adhérences,- des fausses membranes, des cicatrices; nous la retrouverons encore par couches à la surface des plaies solidifiées. Dans toutes ces circonstances, elle s'est organisée; ses arborisations sont devenues de fausses membranes; ces fausses membranes se sont canalisées et ont formé de véritables vaisseaux perméables à leur tour au liquide qui les a formés et dont ils faisaient autrefois partie. Ce rapide aperçu peut vous faire juger de quelle importance est l'étude de cette matière organisable, qui reconstitue, reproduit à elle seule tous les tissus de l'économie : certes , nous ne nous arrê- terons pas en si bonne voie ; nous pousserons nos recherches aussi loin que possible; et peut-être nous sera-t-il donné d'arriver à des résultats plus précis encore pour la physiologie , et plus positifs sous le rapport thérapeutique. Avant d'arriver aux faits particuliers, je doisvous mettre au courant des expériences auxquelles nous avons commencé à soumettre divers animaux. Tou- tes ont trait aux questions les plus intéressantes. Parmi ces questions , celle sur laquelle on a le plus insisté , me parait être la proportion du sérum et du caillot. Dans le sang d'un individu sain et ro- (94) buste , la sérosité peut être évaluée à un cin - quiéme ou à un quart ; la fibrine et les globules y abondent ; chez l'enfant et chez la femme en géné- ral la sérosité entre ordinairement pour un tiers dans la composition du sang. Au reste , ces propor- tions varient selon l'âge, le tempérament, la nour- riture , et ainsi que sous l'influence d'un grand nombre de causes. Il s'agit de déterminer à quelle époque de rap- port entre ces deux éléments on peut ou on ne peut plus vivre : c'est donc une question toute expérimentale. Pour tâcher de la résoudre , nous avons placé différents animaux dans des circon- stances propres à nous fournir d'utiles indications. Nous savons que des saignées successives et rap- prochées augmentent la sérosité, amènent des lésions graves et la mort. Nous avons soumis un premier animal à ce régime. La proportion de sérum augmente aussi par l'usage des boissons , du moins c'est une idée gé- néralement admise parmi les médecins. Cependant il ne faut pas s'habituer ainsi à prévoir les résultats; on s'expose à voir les faits démentir la prophétie : Voici par exemple une expérience dont le résul- tat est bien propre à nous faire tenir sur nos gar- des ; c'est un animal auquel on retire tous les jours deux onces de sang qu'on remplace par une même quantité d'eau distillée; je croyais avoir à vous présenter un sang très séreux et pauvre en caillot ; il n'en est rien , ce sang ne présente presque pas de sérum. Je présume que le sérum est en effet augmenté, mais qu'une cause quel- (95) conque empêche d'apprécier cette augmentation : peut-être est-il retenu dans la trame du caillot; c'est ce que nous tâcherons d'éclaircir. Un troisième animal est également saigné tous les jours; il mange et ne boit pas. A la seconde épreuve le sérum était augmenté et de plus avait perdu sa limpidité. Un quatrième boit et ne mange pas ; chez celui- ci il y a presque autant de sérum que de caillot. Voici la septième saignée de deux onces prati- quée à un animal dont je vous ai déjà parlé. Bien qu'il mange et boive à discrétion^ sa santé est pro- fondément altérée ; il est survenu chez lui un no- table changement des allures et du caractère. Les membranes muqueuses ont singulièrement pâli : c'est du reste un fait remarqué depuis long-temps par les vétérinaires dans l'appréciation des symp- tômes morbides. De plus , quand on le saigne, il tombe maintenant en syncope. Nous ne doutons pas qu'il ne se déclare bientôt une affection du poumon et que cet animal n'y succombe promp- tehient. Voici , en dernier lieu , une expérience à part , une espèce de hors-d'œuvre physiologique. Nous avons injecté dans les veines de ce petit animal du sang de grenouilles dont les globules sont ovoïdes et à noyau : nous avons voulu voir s'ils se trans- formeraient en globules de mammifère. L'animal se porte bien et ne paraît pas s'apercevoir de ce nouveau genre de transfusion. Tels sont les sujets de notre clinique expéri- mentale. Ils seront surveillés avec soin ; on notera ( 96 ) les symptômes qui se seront manifestés chez cha- cun d'eux, et nous vous tiendrons exactement au courant de leur état. C'est ainsi , Messieurs , que je comprends les recherches physiologiques; c'est dans l'ouvrage vivant de la nature, et non dans son imagination , qu'il faut chercher l'explication des phénomènes de la vie. (97 ) SEPTIÈME LEÇON. S Janvier 1858. Messieurs , Dans la dernière séance nous nous sommes oc- cupés des proportions relatives du sérum et du caillot; nous avons ensuite comparé la liqueur du sang à sa sérosité et nous avons été amené à con- clure que le premier de ces liquides appartient exclusivement pour ainsi dire au sang vivant, tan- dis que le second ne se montre que dans le sang privé de la vie : l'un échappe à presque tous nos moyens d^analyse, lautre est depuis long-temps dans le domaine de la chimie organique. Nous avons aussi dit quelques mots du caillot, coagu- luniy insula , hépar , de sa composition , de ses différents états , du mode d'organisation qui le caractérise , et nous avons particulièrement ap- pelé votre attention sur cette proposition, le sang, hien que liquide, doit toujours offrir de certaines conditions , sans lesquelles il ne saurait circuler T. IV. Magendie. 7 ( 98 ) dans nos organes , pour y entretenir la vie. De plus, d'après des faits nombreux et incontestables, nous pouvons affirmer que le pouvoir de solidifica- tion de ce liquide sorti de ses vaisseaux, est égal, à peu de chose près, à celui qu'il possède quand il circule. Ces données expérimentales , qui pa- raîtront peut-être de peu d'importance aux esprits superficiels^ sont cependant d'un haut intérêt^ elles présentent en foule des applications immédia- tes à la pratique des opérations chirurgicales et à celle de la médecine; car, Messieurs, dans la plu- part des cas, nous n'hésitons pas à le dire aux dé- pens même de notre amour-propre, telle est notre ignorance sur la nature véritable des désordres physiologiques nommés maladies, qui! vaudrait peut-être mieux ne rien faire et abandonner le mal aux ressources de la nature , que d'agir sans savoir ni pourquoi, ni comment, au risque de hâter la fin du malade. Cette idée est quelque peu hippocratique ; mais le médecin de Cos n'avait-il donc pas éminemment l'instinct , je dois dire le génie de sa profession , et depuis lui , l'art sous certains rapports a-t-il donc fait des pro- grès ? L'importance de ces recherches étant justifiée, nous allons tâcher de pénétrer plus avant dans ces questions neuves et ardues. Nous avons voulu savoir si ce qui était le liquide du sang dans les vases Tétait aussi dans les vais- seaux durant la vie, et nous avons reconnu qu'il y avait là une ancienne et grave erreur. C'est le savant Berzélius qui, le premier, dans ces derniers temps, (99) - ayant conçu des doutes sur l'identité du sérum et de la liqueur du sang, a expérimenté et a prouvé qu'il y avait une distinction importante à établir entre ces deux liquides. En effet, la liqueur du sang^ comme vous le savez, est composée de séro- sité et de fibrine. Ce dernier élément paraît être celui qui donne au sang la propriété d'entretenir et de renouveler nos organes ; c'est même à cause de cette propriété que certains physiologistes, pour mettre la science à la portée des gens du monde, ont appelé ce liquide chair coulante. Quelle que soit la valeur de cette expression, il est démontré que, dans le sang de l'animal vivant, la partie qui se prend en masse hors des vaisseaux est alors liqué- fiée et tenue en suspension ou peut-être en dis- solution dans le sérum. Après la mort , cette partie solidifiable se sépare, entraîne avec elle les globules, et laisse la sérosité se séparer. Il est, vous le voyez, bien prouvé, je pense^ que le sang extrait de ses tubes naturels diffère essen- tiellement de celui qui circule , puisqu'alors les globules se trouvent comprimés , resserrés dans le canevas que vient de former la matière coagu- lable. Nous pouvons donc maintenant nous faire une idée de la manière dont s'opère cette solidifica- tion; ce n'est ni par une action chimique , ni par un phénomène analogue à celui de la cristallisa- tion : il y a plus que cela dans la création de la trame du caillot ; il y a quelque chose qui tend à vivre, si ce n'est déjà la vie elle-même. Nous sommes arrivés à dire qu'il y avait d'assez grandes variations entre les proportions de sérum ( 100 ) et celles du caillot : jusqu'ici on n'avait pas étudié séparément la partie colorante et la fibrine ras- semblées en caillot; nous verrons combien ceci est pourtant nécessaire. Quoi qu'il en soit, les physiologistes et les mé- decins ont établi depuis long-temps que dans le sang normal, il y a le plus souvent un quart, et quel- quefois un tiers de sérosité. Tant que le caillot forme à peu près les trois quarts de la masse du sang, il y a une espèce d'équilibre qui coïncide avec la santé , quoique cependant il existe de très grandes modifications à cet égard suivant les individus, l'âge, le régime, etc.; résultats qui réclament de nouvelles vérifications expérimen- tales telles qu'on peut les faire de nos jours. Chez les femmes surtout il paraît y avoir plus de séro- sité que chez l'homme. Cet excès de sérum était très remarquable dans le sang de cette jeune hys- térique dont je vous ai parlé dernièrement : il ne l'est pas moins dans celui que vous voyez dans ce vase et qui provient d'une fille de vingt ans af- fectée de fleurs blanches. D'un autre côté, on trouve que chez certains individus le caillot est en proportion beaucoup plus forte : ainsi voilà du sang d'une de mes malades à l'Hôtel-Dieu; c'est une femme âgée de cinquante- deux ans, qui, outre un cancer utérin, a éprouvé de légères hémoptysies : je lui ai fait pratiquer une saignée exploratrice , et vous pouvez facilement juger combien ce sang diffère de la plupart de ceux que vous avez vus jusqu'ici. En efFet^ il pré- sente à peine un dixième de sérosité. Y aurait-il ( 101 ) quelque relation entre la maladie et Tétat de son sang ? Je me garderai de l'afFirmer , quoique je penche à le croire. A propos de cette énorme quantité de coagu- lum , je dois vous dire qu^il ne faut pas toujours s'en rapporter aveuglément à ce que l'on voit dans les vases et croire qu'il n'y a de sérum que ce qu^on y aperçoit. J'ai vérifié un fait dont je vous avais donné quelques pressentiments dans la dernière leçon ; c'est que , dans certaines circon- stances , la fibrine, en se solidifiant , retient une grande partie de la sérosité dans ses aréoles ;-il faut alors couper la masse par tranches, et on en voit la sérosité suinter de toutes parts. Nous avons cité les saignées successives comme faisant varier les proportions de sérum et de cail- lot, mais le fait important, c'est que dans tous les cas graves que j'ai observés depuis que je me livre à ces études , ces deux éléments m'ont sans cesse présenté quelque chose d'anormal dans leur vo- lume comparatif. Ainsi ,j'ai, en ce moment, dans mes salles à l'Hôtel-Dieu, une femme qui offre un phénomène très curieux sous le rapport physio- logique et pathologique : c'est un cancer de la glande parotide gauche qui a envahi une partie de Tos temporal. De la compression qu'exerce cette tumeur est résultée une affection de la cin- quième paire combinée avec une lésion de la septième. Aussi y a-t-il disparition complète de sensibilité dans la moitié latérale de la face ; abo- lition du sens de la vue de ce côté , ulcération de la cornée , insensibilité totale de l'œil non- ( 102 ) seulement à la lumière , mais encore au con- tact des corps étrangers ; déviation à droite de To- ritice buccal, etc. La malade est dans un état de marasme complet. Je n'espère pas la guérir ; la mort me paraît imminente; mais je la garde dans mon service pour lui épargner les souffrances d'une opération cruelle et inutile qu'on ne manque- rait peut-être pas de lui faire si elle me quittait. Du moins, elle mourra tranquille. Son sang que voici n'a d'abord présenté que dix parties de sérum sur quarante de caillot; mais maintenant, il y a au moins douze parties de sérosité. Il est évident que ces deux parties de sérum étaient retenues dans le caillot et qu'elles ont transsudé au dehors, au bout d'un certain temps, par la rétraction qu'a éprouvée la masse coagulée. Cet autre sang provient d'une jeune fille de vingt ans : elle est ordinairement mal réglée, a un tempérament lymphatique et des fleurs blanches. Vous voyez en effet que la sérosité est abondante. La personne qui a fait cette saignée me dit que douze heures après , la main et non le bras est de- venue très enflée , sans que la bande fût trop ser- rée ^ et bien que la malade eût gardé le repos. Avec un sang pareil, cette espèce d'infiltration spontanée , qui , du reste , n'a duré que vingt- quatre heures, ne m'étonne nullement. Vous devez comme moi en connaître le mécanisme. Le fait que je vais vous soumettre a également rapport à ce qui précède. Un médecin m'a donné du sang de trois fortes saignées successives , pra- tiquées à un malade atteint de pneumonie. ( ^03 ) Les deux premières ont été faites le premier jour de l'entrée à l'hôpital , et la dernière Fa été le quatrième. Dans la première, il Y a 11 grammes de sérosité et 50 de caillot: ce qui fait à peu près 22 O^q. Dans la seconde, 24 grammes de sérum pour une même quantité de caillot. Il y a déjà plus du double d'augmentation. Enfin la troisième donne pour résultat : Sérum 34; caillot 35 ou 50 O/q. Ces augmentations de sérosité, développées sous l'influence des évacuations sanguines, devraient avoir frappé les médecins. J'ai tout lieu de m'é- tonner qu'on n'y donne pas plus d'attention : car on ne manque jamais de faire garder le sang; au bout de vingt-quatre heures , on vient l'exami- ner, on palpe, on retourne le caillot , et tout cela pour tâcher d'y découvrir une apparence de couenne. S'il ne s'en présente pas, on conclut que la maladie n'est pas inflammatoire : conclusion digne de l'exorde. Mais, direz-vous à un médecin, le sérum est augmenté de moitié à la seconde saignée ; il n'a plus sa transparence normale ; le caillot est mou, diffluent ! bagatelles que tout cela. L'important c'est de découvrir l'élément inflammatoire, n'en fût-ce même qu'une parcelle, de lui faire une guerre à outrance et de l'anéantir par le traite- ment antiphlogistique. C'est pourtant de cette façon que se pratique généralement notre science. Lorsqu'on pense que, malgré les faits les plus patents, la majorité des mé-* ( 104 ) decins s'obstine à suivre aveuglément une routine qui amène le discrédit de l'art, il est permis de leur appliquer ces paroles , qui ^ sous plus d'un rapport, résument l'histoire des hommes : ils ont des yeux pour ne point voir. Pour nous, la surabondance du sérum est une contr'indication positive de la saignée, et nous pen- sons que ce fait deviendra tôt ou tard une donnée fondamentale du traitement des maladies; car il est constant que par des saignées faites à contre-temps, onpeutsingulièrementaggraver la position d'unma- lade, et au besoin rendre impossible son retour à la santé. Nous allons encore avoir recours ici à la voie expérimentale pour tâcher de découvrir les propor- tionsdesérum et de caillot, au-delà desquelles il n'y a plus cet équilibre qui constitue la vitalité du sang. Nous ne désespérons pas d'arriver à ce résultat , quoique nous soyons arrêté par des circonstances particulières dont je vais vous faire part. En raisonnant par analogie, nous avions pensé que puisque la saignée seule augmentait la séro- sité, cette augmentation deviendrait plus considé- rable encore en introduisant dans les veines , de Feau à la place du sang soustrait. Nous avons donc fait quelques expériences dans ce sens : vous allez en connaître le singulier résultat : Voici un animal auquel depuis 8 jours on a fait trois saignées de 4 onces chaque ; aussitôt l'o- pération terminée , on injectait dans ses veines 4 onces d'eau distillée, à la température normale du sang 31 o R. Cet animal du reste a une nourri- ture saine et abondante. Lesangquevous voyezdans ( 105 ) cette éprouvette est le sien; ainsiique^moi, vous de- vez être surpris, car je pense que vous deviez vous attendre à y trouver une forte proportion de sérum, tandis que c'est à peine s'il y en a quelques gout- tes. Voilà de ces démentis inattendus auxquels on doit s'attendre dans la carrière des expériences : il ne faut cependant pas se laisser décourager; pour nous, nous n'abandonnons pas si facilement la partie. Mais retenez bien , par cet exemple , que vous verrez plus d'une fois se reproduire , qu'il y a des expériences qui paraissent n'avoir pas même besoin d'être faites, tant le résultat en parait logi- que ; et pourtant lorsqu'on vient à les tenter, on est quelquefois durement désabusé ; la raison en est simple, on est ignorant et on ne s'en doute pas. Ici, par exemple, nous avions cru augmenter la partie séreuse du sang en y ajoutant directement un liquide ; eh bien î pas du tout, cet animal n'en présente justement qu'une très petite quantité. Toutefois, nous fendrons le caillot pour voir s'il ne contiendrait pas du sérum interposé entre ses lamelles. Au premier abord, il semblerait résulter que ce fait dément nos précédentes expériences ; il n'en est rien cependant : rappelez-vous qu'un fait ne peut jamais en renverser un autre ; si quelquefois la chose parait telle, c'est que notre intelligence n'est pas assez éclairée. Dans ce cas, il faut se bor- ner à enregistrer parallèlement les faits qui sem- blent contradictoires, jusqu'à ce que de nouvelles lumières nous mettent à même de résoudre la diffî- ( i06 ) culte. C'est ce que nous ferons pour le moment : nous noterons que chez un malade les saignées ré- pétées ont augmenté le sérum , tandis que chez ce chien le même moyen parait en avoir diminué la quantité. Cependant, il est juste de dire que les circons- tances ne sont pas tout-à-fait semblables : vous verrez qu'il y a chez l'animal bien portant un en- semble de forces dans l'organisme qui tend à re- tenir le sang dans certaines limites àe composi- tion. Il y a même une cause péremptoire pour la- quelle l'eau injectée dans les veines ne doit pas contribuer à augmenter le sérum du sang : c'est que, comme me le fait observer en ce moment mon préparateur , l'animal urine abondamment après chaque injection. Vous savez , Messieurs, avec quelle promptitude les liquides ingérés dans l'estomac sont portés par les veines de cet organe dans le torrent circulatoire , et de là aux reins dont ils sollicitent la sécrétion : ainsi^ quand on boit de la bière , de l'eau de Seltz ou du vin de Champagne, on éprouve presqu'instantanément le besoin d'uriner. Il est certain que si l'on pouvait re- tenir plus long-temps dans la circulation ces boissons surchargées d'acide carbonique, et qu'une saignée intervînt pendant cette période, on trouverait dans le sang les traces de ces liquides ; mais comme ils activent extraordinairement la sécrétion urinaire, ils sont bientôt rejetés au dehors de l'économie. Poursuivons notre parallèle : dans la pratique civile et dans les hôpitaux, quand on saigne un malade, on le met à la diète : l'animal qui fait le (107) sujet de cette expérience se nourrit abondamment; il peut réparer son sang. Le malade qu'on traite par la méthode antiphlogistique est dans une con- dition toute contraire ; on le saigne, et en même temps on le prive de nourriture; il n'a pour entre- tenir son sang que des tisanes , dont par exem- ple on n'est point avare ; mais comme il est indis- pensable que ce sang se refasse , c'est aux boissons qu'il emprunte ses éléments : de là vient , sans doute, cette augmentation de sérosité. Toutefois, il serait important de connaître les moyens, le mécanisme par lesquels l'animal en- tretient son sang dans de justes limites. Malgré tout, il n'est pas moins vrai de dire qu'une grande disproportion entre le sérum et le caillot rend le sang impropre à remplir ses fonc- tions. Nous avons à l'appui de ceci un fait très curieux qui vient de se passer dans mon service à l'Hôtel-Dieu. Il y a quelque temps, une femme nous est arrivée avecune perte utérine des plus intenses qui datait de deux jours ; c'était la suite d'un avor- tement provoqué par l'usage de ces substances très actives que ne se font nullement scrupule de procurer certaines femmes plus coupables encore que les malheureuses qu'elles exploitent : comme nous l'avons appris depuis, ce n'était pas son dé- but, car elle s'était déjà fait avorter deux ou trois fois. On userait moins souvent de pareils moyens si on en connaissait mieux les terribles conséquen- ces. Pour le dire en passant, la mort en est quelque- fois l'issue désirable, puisqu'elle met un terme à des souffrances atroces. D'autres fois, ce sont des ( 108 ) aliénations mentales incurables , ou bien des né- vralgies abdominales que rien ne peut apaiser. J'ai eu récemment sous les yeux divers exemples de ce genre, et j'ai pu constater que des troubles gra- ves dans les fonctions du cerveau étaient la suite de ces criminelles manœuvres. Dans le cas que je cite, il y avait donc une hé- morrhagie utérine. La pâleur générale du sujet était remarquable, ainsi que l'état de prostration et de stupeur dans lequel elle semblait plongée. Son sang ruisselait en caillots diffluens et d'une odeur particulière : c'est même ce qui attira notre attention sur l'idée d'un accouchement prématuré que cette femme niait de tout le reste de ses for- ces. Je lui fis pratiquer une saignée de deux onces, non dans le sens homéopathique, mais seulement pour pronostiquer l'issue de la maladie. Voici le sang : la disproportion de Tun de ses éléments est presque effrayante ; il n'y a en effet que 1 5 pour 100 de caillot. Je soutiens qu'avec une telle quantité de sérum , les phénomènes de la cir- culation capillaire ne peuvent plus s'accomplir d'une manière régulière. J'en trouve ici devant moi une nouvelle preuve ; c'est le poumon d'un ani- mal soumis, comme je vous l'avais précédemment annoncé, à des saignées successives. A la huitième, le sang était tellement altéré qu'il a été impossible de continuer l'expérience, et en voici la raison : on ne peut extraire ce liquide que d'une veine ou d'une artère : à l'état normal, pour les artères, il se forme un caillot qui obture mécaniquement la ca- vité du vaisseau , mais si le sang a perdu la pro- ( 109 ) priété de se coaguler, plus de caillot obturant; il ne se forme plus d'adhérence pour les veines, le plus souvent les bords de la blessure se collent et se réunissent en laissant le vaisseau libre; vous avez beau lier l'artère, ajouter ligature sur ligature, ces liens coupent les tuniques vasculaires et l'iiémor- rhagie se reproduit de plus en plus menaçante. Comme on n'avait pas connu jusqu'ici la cause fort simple de ces accidents déplorables , on leur a donné un nom insignifiant : on les appelle des dia'- thèses hémorrhagiques ;\e% exemples n'en sont pas rares chez l'homme ^ et l'année dernière même, le cas s'est présenté dans le service d'un de nos plus fameux chirurgiens. Après la parturition, une femme éprouve une perte : si son sang n'est pas coagulablé, c'est en vain qu'on essaiera la compression de l'aorte ven- trale : aussitôt qu'elle cesse» l'hémorrhagie reparait avec plus de violence et emporte la malade. Remar- quez même. Messieurs, avec quelles difficultés on parvient chez certains individus à arrêter le sang à la suite d'une application de sangsues ou de ven- touses scarifiées. Il n'y a pourtant là que de petits vaisseaux intéressés. Que sera-ce donc, quand chez des sujets ayant la même constitution, il s'agira de tuyaux d'un diamètre considérable, tels que la cubitale, la radiale, l'humérale , et d'autres d'un calibre encore plus fort. Mais revenons à la question. L'animal a suc- combé à une hémorrhagie; suivant notre théorie il doit y avoir eu une affection au poumon, de l'engouement, de l'œdème, peut-être même une ( 110 ) véritable pneumonie. En effet en incisant l'organe, comme je le fais maintenant, on en voit suinter de la sérosité, qui n'est autre chose que le sérum du sang qui s'est épanché dans les aréoles vasculaires parce qu'il n'avait plus le degré nécessaire de coa- gulabilité. Qui peut le lui avoir enlevé, si ce n'est la saignée ? Donc cette opération a produit la mort de l'animal, les saignées ayant été répétées au point de rendre le sang incoagulable ou à peu près. Mais voici quelque chose de bien remarqua- ble sous le point de vue pathologique , chez la femme dont je viens de vous parler, dont le caillot est en proportion de 15 p. 100. Au bout de 48 heures pendant lesquelles on a employé tous les moyens préconisés pour arrêter les hémorrhagies, seigle ergoté , astringens de toute espèce , il s'est déclaré une péritonite. Vous savez qu'on entend par ce mot un trouble dans la sécrétion et l'exhala- tion des membranes séreuses qui tapissent la cavité' abdominale. Vous avez un liquide visqueux au milieu duquel nagent des flocons d'albumine, etc. Or^ pensez-vous qu'ici cette péritonite soit le résul- tat d'une excitation, d'une irritation éprouvée par Ja malade ; elle était au contraire exsangue et dans le plus grand état de faiblesse ; et la péritonite est une maladie si aiguë, qu'elle l'a enlevée en moins de 24 heures. N'y aurait-il donc aucun rappro- chement à établir entre ce sang si liquide , si peu coagulable , et l'affection du péritoine. Ce n'est pas tout : si de l'abdomen nous passons à l'exa- men du poumon , nous y trouvons l'engouement, c'est-à-dire la sérosité épanchée , des altérations ( 111 ) en un mot analogues à celles que nous avons ren- contrées sur le poumon de ce chien qui a été sou- mis à des saignées successives. Je suis donc en droit de conjecturer que c'est à des conditions particu- lières du sang qu'il faut rattacher ces maladies. Dans la péritonite, je trouve un épanchement de sérosité : il y a aussi de la sérosité dans le sang ; de plus il y a une matière solidifiée par lamelles très minces; ne puis-je pas supposer que c'est la fibrine du sang sorti de ses vaisseaux qui s'est or- ganisée ? Ce rapprochement, du reste, a déjà été fait, et rien jusqu'ici n'a prouvé qu'il fût faux. Mais ce qui me semble le plus important, c'est de fixer son attention sur les rapports qui peuvent exister entre la composition du sang et les périto- nites, surtout celles qui surviennent à la suite d'a- vortement, d'hémorrhagies, et qui compliquent les fièvres puerpérales d'une manière si funeste. Je ne saurais trop vous engager à méditer sur ces questions désormais fondamentales de la mé- decine. ( 112 ) HUITIÈME LEÇON. 12 Janvier 1838. Messieurs , Vous vous rappelez sans doute les différents points que nous avons examinés dans notre der- nière réunion , l'application immédiate des modi- fications du sang à la production des phénomènes morbides les plus graves et les plus caractéristi- ques : ce soût de ces questions neuves où, malheu- reusement pour l'humanité et la science , on n'a point encore porté le flambeau de l'investiga- tion , et sur lesquelles glissent rapidement les esprits , parce qu'elles détruisent les fatras de nos prétendues théories médicales. Nous marche- rons d'autant moins rapidement sur ce terrain, qu'il nous faut le concours de certaines circon- stances que nous ne pouvons pas produire à vo- lonté; mais, dans tous les cas, c'est avec la convic- tion intime que ces différents problèmes résolus seront les véritables bases de la physiologie et de l'art médical. 11 ne faut pas plus désespérer de ( 113 ) trouver les lois qui régissent la matière organisée, que les physiciens et les astronomes n'ont désespéré de trouver celles qui régissent la matière inorga- nique. Pour le moment^ ce qui nous intéresse^ c'est de savoir ce qui se passe dans l'économie, quand le sérum varie en plus ou en moins. Si nous parve- nions à déterminer, même d'une manière approxi- mative, l'influence de ces variations sur les af- fections et les tempéraments divers , nous au- rons écrit une belle page dans les annales de la pathologie. Mais , Messieurs , cette question n'est pas une de celles que l'on résout dans une séance, dans deux , dans trois ; elle demande à être exa- minée sous bien des faces et exige la réunion de faits nombreux et certains. Quand nous aurons étudié ces rapports , nous traiterons de la composition chimique du sérum et du caillot , qui demande encore de sérieuses études , quoique l'on s'en soit déjà beaucoup oc- cupé. Jusqu'ici, nous nous sommes contenté de prendre du sang dans une éprouvette, d'exami- ner comment il s'y comporte , de comparer approximativement les proportions de l'élément liquide , celles de l'élément solide , et de nous demander si les phénomènes de la vie peuvent continuer à s'accomplir avec telle ou telle quantité de sérum et de caillot. Vous avez dû voir toutefois par les immenses modifications qu'apportent dans l'économie ces diversités de proportions^ que nous ne manquons pas de motifs plausibles pour avoir choisi cette question plutôt qu'une autre. T. lY. Magendie. 8 (114) Rappelez- vous seulement l'observation que nous vous avons présentée dans la séance dernière de cette femme entrée à l'hôpital avec une perte uté- rine très abondante, suite d'un avortement provo- qué par de coupables manœuvres ; les symptômes consécutifs , tels que péritonite intense , survenue au bout de deux jours avec les douleurs les plus aiguës , l'embarras de tout le système respira- toire , et quelques heures après la mort venant t^miner cette série de phénomènes. Ce fait nous a vivement préoccupé^ ear laissantde côté les signes propres de cette fatale affection , on se demande qu'est-ce qu'une péritonite ? quelle est son ori- gine, sa cause première ? En général, on vous ré- pond : c'est une inflammation, du. péritoine, le mode de vitalité de cette membrane est changé par l'irritation; celle-ci appelle le sang dans les vais- seaux capillaires qui ne lui étaient pas auparavant perméables ; il y a augmentation et trouble dans les produits exhalés ; la face prend une expression particulière , elle se grippe, etc. Quand on a plus ou moins bien énuméré ces différai ts symptômes, on croit avoir tout fait et tout dit , et pourtant la question véritable n'a point été abordée. Pour nous, tout en admirant l'esprit ingénieux de ceux qui ont pu faire de la péritonite un des grands pivots de l'inflammation , nous nous permettrons de ne pas entièrement partager leur avis. Nous avons trouvé dans le sang delà femme dont je vous par- lais tout-à-l'heure une proportion de quatre-vingt- cinq parties de sérum pour quinze parties de cail- lot. Cette remarque seule nous suggère une toute { 115 ) autre explication des troubles auxquels elle a suc- combé, et nous n'avons point eu de peine à établir de rapprochements entre ce fait et ce qui se passe chaque jour dans nos expériences. Vous avez vu entre autres choses une analogie frappante entre les lésions des poumons de cette femme et celles survenues à l'organe aérien de l'animal soumis à une série de saignées successives. Mais je dois en outre saisir cette occasion de vous montrer un exemple d'un fait physique confondu par les mé- decins avec une altération pathologique. Par suite de l'état plus ou moins liquide du sang et de son peu de consistance, il s'infiltre de proche en proche des capillaires dans les cellules pulmonaires, s'y dépose et constitue ces épanchements que l'on désigne sous le nom de pneumonie hyposta tique , «t qui ne sont qu'un effet de la pesanteur. Aussi les rencontre-t-on toujours dans les parties les plus déclives. Eu égard au décubitus horizontal que gardent nos malades , c'est ordinairement la partie postérieure et inférieure du poumon qui en est le siège , tandis que la partie antérieure est encore saine et crépitante. Si nous pouvions pra- tiquer les autopsies aussitôt après la mort , nous ne trouverions pas aussi souvent ces sortes d'in- filtrations, ainsi que nous l'avons constaté dans les différentes ouvertures des animaux que nous sacri- fions pour nos expériences. De plus, dans ses der- niers moments, le malade par ses efforts comprime les vésicules du poumon , et le sang imbibé dans ce parenchyme va former, en traversant la séreuse extérieure , les amas de sérum et de matière colo- ( 116 ) rante que nous avons trouvés dans les cavités pleu- rales de cette femme. Nous avons trouvé dans l'abdomen du même sujet un liquide jaunâtre , contenant des fila- ments albumineux , de la matière colorante jau- ne , et quelque chose qui a de l'analogie avec le caillot flasque et mou que nous a fourni le sang de cette femme. Nous avons examiné cette liqueur au microscope , et voici ce qu'elle nous a présenté : une quantité considérable, non de globules , mais de particules d'une forme singulière , tenues en suspension et entremêlées de filaments plus ou moins longs. Nous avons présumé que ce n'était autre chose que du sang avec une modification dans le mode de coagulation de sa fibrine, qui au- rait transsudé à travers la membrane séreuse. Du* reste , on n'aperçoit aucun globule purulent , et vous savez qu'ils se distinguent parfaitement pour peu qu'on ait quelque habitude de les observer. Voici une pièce d'intestin que je vous présente et qui avait été apportée à la séance afin de vous faire voir les fausses membranes : ici, comme pour le poumon , nous trouvons un fait fort curieux, c'est la séparation , le dépôt d'un liquide comme cela est arrivé dans Torgane pulmonaire. C'est encore là un phénomène cadavérique , analogue à celui dont nous vous avons parlé plus haut. Il est constant, je crois, que c'est l'abondance du sérum qui a développé chez cette femme cette sé- rie de phénomènes on ne peut plus curieux à noter. Vous devez voir que nous ne faisons nullement plier les faits à notre opinion , et qu'au contraire. ( 117 ) ce sont eux qui la modifient dans Toccasion. C'est le moyen de trouver la vérité, levais maintenant vous soumettre un faitquivous donnera une idée des difficultés que nous rencon- trons dans nos études. Le sang que vous voyez dans ce vase provient d'une jeune fille qui a éprouvé une légère perte utérine à la suite d'un avortement qu'elle nie avoir eu l'intention de provoquer. Ce sang , presque entièrement pris en masse , ne présente que quelques gouttes de sérum. Il se passe ici le même phénomème que nous vous avons déjà men- tionné : le caillot enlace tout ou partie du liquide dans sa trame ; plus tard^ il se resserre, se rétracte (je vous ai dit le sens qu'il fallait dans ce cas atta- cher à ce mot) , et laisse alors échapper une plus ou moins grande partie de sérum. La manière dont le coagulum se forme influe bien évidemment sur la proportion visible de sérosité; il faut donc avant d'émettre une opinion, savoir comment s'est opérée la solidification. Ces études sur le sérum me rappellent qu'à l'époque où je débutai dans la carrière médicale , encore tout imbu des préjugés de l'école , et novice comme on l'est quand on sort des bancs , à une époque , dis-je , où , comme les autres , je payais mon tribut aux rêveries scolastiques, c'est- à-dire que je croyais à l'inflammation , à l'irrita- tion, etc., comme à des articles de foi, ces ques- tions m'avaient déjà frappé ; voici dans quel sens. On pensait alors que l'abondance de la séro- sité agissait sur le sang en modifiant sa ten- dance à l'inflammation, à peu prés comme del'eau ( 118 ) ajoutée à Takool l'empêche de s'enflammer. Notez, Messieurs, qu'ici le mot est véritablement à sa place.' Je m'étais mis à répéter les expériences de M. Bro- die, aujourd'hui l'un des premiers chirurgiens de l'Angleterre , sur la ligature du canal cholédoque* Lesanimauxauxquels je pratiquais cette opération mouraient tous de péritonite. Afin de prévenir ce fâcheux résultat, selon l'idée que j'avais alors, je faisais une copieuse saignée avant l'expérience^ comptant à coup sûr arrêter le développement de l'inflammation , ce qui ne l'empêchait pas de se montrer avec encore plus d'intensité. A la fin , il me vint en pensée d*injecter de l'eau à la place du sang que je retirais; mais chaque fois que j'essayai de ce moyen, la péritonite survint plus vive et plus intense et amena la mort en peu de temps. Aujour- d'hui que des idées plus saines ont germé sur le sol thérapeutique, il me semble que plus le sang abonde en sérosité, plus il est probable que l'exha- lation consécutive des séreuses sera considérable, et que, par conséquent , il y aura , suivant le lan- gage consacré, inflammation à un plus haut de- gré. D'après ce seul fait , vous pouvez voir les fatales conséquences que peut produire une idée fausse, une mauvaise appréciation des phénomènes mor- bides qui se passent en nous : aussi je n'hésite pas à dire que la saignée de précaution ou saignée anti-inflammatoire , que l'on pratique d'ordinaire avant les opérations graves, peut souvent, selon la constitution de l'individu qui y est soumis, déter- miner en partie les accidents qu'on voit succéder ( i19 ) aux opérations chirurgicales. Je vous engage for-^ tement à noter ce fait pour votre pratique particu- lière et à observer dorénavant avec la plus grande attention les opérés qu'on aura traités d'après cette méthode. C'est une question nouvelle qui ^ bien que de la plus haute portée , n'a pas encore été soulevée. J'ai moi-même professé long-temps les idées opposées ; mais je mets volontiers l'amour- propre de coté, je reconnais mon erreur. Que cha- cun en fasse autant et la science fera de plus ra- pides progrés. Ceci me rappelle des expériences de ce genre que j'ai faites dans les hôpitaux sur l'homme même. Autrefois , quand un individu était atteint de la terrible affection qu'on nomme rage ou hy-^ drophobie , voici quels étaient les modes de trai- tement à des époques qui ne sont pas très éloignées de nous : ou on étouffait le malheureux entre deux matelas , ou on le saignait aux quatre membres et on le laissait ainsi mourir d'hémorrhagie, ou bien encore on le mettait dans un sac, et homme et sac y on jetait le tout à la rivière : traitements adoptés dans des temps d'ignorance , et qu'une indifférence coupable a quelquefois prolongés jus- qu'à nous. Vous savez sans doute comment se communique cette triste maladie ; vous connaissez ses principaux symptômes : toutefois , le plus ca- ractéristique est une contraction spasmodique des muscles constricteurs du pharynx. A la seule vue de l'eau ou même de toute surface polie, le ma- lade entre en fureur ; une écume épaisse et abon- dante sort incessamment de sa bouche, et, s'il n'é- ( 120 ) tait retenu, il se jetterait sur les assistants pour les frapper, les mordre. Parents, amis , il ne con- naît personne. Ces accès sont horribles à voir. J'ai voulu essayer si en injectant de l'eau dans les veines d'un de ces malheureux, je ne parvien- drais pas à calmer l'action nerveuse à laquelle il était en proie. J'ai réussi en partie , puisque après avoir fait entrer jusqu'à dix litres d'eau dans le tor- rent de la circulation , le malade s'est apaise' ; il a même demandé à boire et a bu ,• chose remar- quable ;, car, comme son nom l'indique, cette af- fection consiste en une aversion , une horreur de l'eau. Si je n'ai pu le sauver entièrement , il a du moins vécu six à sept jours tranquille, tandis que les enragés, hommes ou animaux, succombent or- dinairement au bout de trente-six ou quarante- huit heures dans les angoisses et les tourments les plus atroces. Mon malade est mort, dis-je, le sixième ou septième jour , pre'sentant le phéno- mène curieux de plusieurs hydropisies articulaires^ développées sans doute par l'énorme quantité d'eau qu'on avait injectée dans ses veines. Ce dernier fait qui me revient à l'esprit est très important; je vois une très grande analogie entre ces hydarthroses et les épanchements qui ont eu lieu dans le péri- toine et la plèvre de la femme avortée qui a été le sujet d'une partie de la leçon précédente. Nous ferons de nouvelles expériences sur ce chapitre, et nous vous tiendrons au courant des résultats qu'elles nous auront donnés. Vous savez, Messieurs, que nous avions en traite- ment un animal auquel on injectait del'eau distillée ( 121 ) à la place du sang qu'on lui retirait, et que ce sang présentait fort peu de sérum; l'émission d'urine qui avait lieu aussitôt après Texpérience, nous avait fait penser que nous pouvions lui attribuer la cause de ce défaut de sérosité : nous étions dans l'erreur. Voici le caillot que je vous ai présenté dans la dernière séance ; il n'est plus le même maintenant; il s'est considérablement rétracté et a laissé écou- ler une assez forte proportion de sérum qu'il rete- nait dans son canevas. De plus ce caillot est mou^ peu consistant. Dans les saignées qu'on fait en ville^ on examine superficiellement le coagulum', on le touche du bout du doigt ; voilà à quoi se borne le savoir du médecin sur cet article. Que pensez- vous que lui apprenne ce simple examen du sang sur la nature de la maladie? rien... Souvent même ce doit être un sujet d'erreur lorsque, comme dans ce cas, la sérosité est retenue dans le caillot. Pour nous , nous tâcherons de trouver un moyen qui nous donne le plus précisément possible la quantité de sérum qu'un caillot peut contenir : nous essaye- rons la compression et nous verrons ce qui en ré- sultera. Mais quant à continuer sur l'animal dont je vous parlais tout à l'heure les saignées avec ad- dition d'eau , cela n'est plus impossible , attendu qu'il est mort pendant qu'on aspirait avec le piston de la seringue le sang de la veine jugulaire. Je pense qu'il y a eu de l'air introduit dans le cœur; nous allons nous en assurer bientôt en procédant à l'autopsie. En attendant, remarquez, s'il vous plaît, Mes- sieurs, qu'il ne suit pas dece qu'il y a coagulation ( 422 ) mstantawëe, que le sang soit normal ; carsilecailïol est mou, il est presque certain qu'il contient èm sérum interposé. Pour s'assurer de la nature du coagulum, il faut le laver avec soin, en séparer les globules et la matière colorante, isoler la fibri- ne , puis examiner attentivement cette dernière substance et s'assurer si ce ne serait pas ce que nous avons appelé de la pseudo -fibrine. Nous avons, l'année passée, beaucoup insisté sur les ca- ractères qui la différencient de la véritable ; nous vous avons dit qu'elle formait ordinairement au premier abord un volume considérable, mais que son poids était bien inférieur à celui de la vérita- ble fibrine * qu'elle était moins élastique, avait moins de ténacité et se rompait au moindre effort. Ainsi donc un caillot peut être très volumineux et ne contenir que de la pseudo-fibrine ; ce qui ne constitue pas un sang des plus aptes à la circulation. Il y a encore une autre manière d'augmenter le sé- rum, c'est d'injecter de ce liquide même au lieu d'eau distillée. Cette expérience est fort remar- quable sous plusieurs rapports : ainsi l'injection du sérum humain dans les veines d^un animal a des conséquences très graves. Chez l'animal que vous voyez sur ma table, ce moyen a développé de grands désordres : il y a rétraction des membres, et le trouble des fonctions cérébrales est très prononcé. L'année dernière, nous avions déjà fait cette expé- rience, et elle avait donné lieu à des épanchements puriformes dans les articulations. Nous vérifierons si ce phénomène se produira dans ce cas, l'injec- tion de sérum était de dix onces. ( ^23 ) Si au lieu de sérum humain on introduit, comme nous Tavons fait sur cet autre animal, du sérum de chien , il survient une affection qui développe les douleurs les plus aiguës, analogues à celles du rhumatisme. L'animal est devenu intactile^ tant la sensibilité paraît augmentée. Les battements du cœur ont acquis une grande accélération : cet or- gane donne 1 50 pulsations par minute : nous sui- vrons cette expérience, et nous allons terminer la leçon par l'autopsie de l'animal à pseudo- fibrine et à caillot mou. Comme je l'avais pensé, le poumon est engoué à sa partie postérieure, ce qui n'est pas étonnant vu l'étal de supination qu'a gardé l'animal depuis sa mort. J'incise le péricarde qui me paraît dis- tendu : il doit y avoir de l'air dans les ventricules: en effet en incisant le ventricule droit, j'ai enten- du un bruissement qui dénote la présence de gaz qui s'échappent; et la mousse rougeâtre que nous y voyons accumulée ne nous laisse aucun doute sur la cause de la mort, qui est ici évidemment due à Ventrée accidentelle de V air dans la veine. L'expérience , sous le point de vue des effets de la saignée, est donc à recommencer. ( 124 ) ■•WHBH?""»SH^*" NEUVIEME LEÇON. 17 janvier i858. Messieurs , Nous nous sommes engagés dans une voie qui, pour être obscure et difficile, ne nous en promet pas moins par la suite d'utiles dédommagements de nos peines. Nous nous trouverons du reste fort heureux d'avoir pu répandre quelques lumières sur la physiologie normale et pathologique, et sur la manière d'étudier cette science dont le véritable point de départ a été si souvent méconnu. Vous connaissez déjà notre manière de procéder, vous savez qu'éloignant de nos tablettes tout ce que l'expérience ne vient pas pleinement confirmer , nous avons déclaré guerre ouverte à toutes les hy- pothèses ingénieuses ou ridicules qui enrayent et compliquent l'étude. Vous n'ignorez pas non plus les entraves de tout genre que nous ren- controns à chaque pas , et par conséquent vous ne serez point étonnés si nous ne vous offrons pas ( 125 ) plus souvent des résultats décisifs, des applications immédiates : nous ne pouvons créer des faits de toutes pièces , et ce ne doit ê(re que de l'ensemble de nos travaux que nous retirerons quelque fruit. Nous nous contenterons donc pour le moment de noter ce que nous trouvons , et par la suite nous serons arrivés à réunir une masse imposante de faits particuliers, qui nous conduiront à des faits généraux du plus haut intérêt. L'un de vous , Messieurs , employé à l'hôpital du Midi , m'a fait l'honneur de m'apporter du sang d'un individu atteint d'une syphilis constitu- tionnelle. Examiné au microscope, ce liquide nous a paru formé d'abord de globules de dimension et de forme ordinaires, puis d'une foule d'autres globules beaucoup plus petits. Quelque faible que soit la valeur de cette dernière circonstance , elle nous a paru digne de remarque; nous prions donc la personne qui nous a apporté ce sang de nous procurer de celui d'un autre individu atteint de la même maladie, afin de vérifier si, dans la syphi- lis passée à l'état chronique, la présence de ces pe- tits globulîes est un fait constant ou accidentel. Ce même sang nous a offert les proportions sui- vantes : 1 \ pour le sérum et 30 pour le caillot qui était flasque et sans consistance. Du reste le moyen dont nous nous servons pour déterminer la quan- tité de liquide et de sohde que présente le sang , moyen dont nous vous avons déjà entretenus, est inexact dans bien des cas , nous tâcherons donc d'en trouver un autre qui réponde mieux à notre but. ( 126 ) En attendant, je vais vous communiquer un fait non moins curieux : voici , dans ces deux éproiivettes , du sang d'un homme en proie à l'affection que l'on appelle la maladie de Brigtli , affection qui est caractérisée par un trouble par- ticulier dans les fonctions du rein. L'urine que rendent les malades est remarquable par une as- sez grande quantité d'albumine que l'on coa- gule en y versant quelques gouttes d'acide ni- trique. D'abord nous vous ferons remarquer l'er- reur dans laquelle on peut tomber en s'en rappor- tant à la seule inspection dans l'examen des proportions du sérum set du caillot ; car d'un coté une de ces éprouvettes nous donn€ 17 pour le liquide, 62 pour le solide ; et la seconde qui con^ lient du sang de la naérne naturiC et de la même saignée présente uae quantité considérable de sérosité ; il est évident que dans l'une le caillot retient dans sa trame une grande partie du sérum interposé. Afin donc d'arriver à une appréciation moins trompeuse, il faudrait constater avec soin le poids du sang dont on veut conjiaître les pro- portions, puis faire évaporer lentement la partie liquide qu'il contient ; mais cette opération deman- derait au moins vingt-quatre heures et serait par conséquent trop longue. Nous essayerons donc à l'a- venir de prendre une ttanche déterminée d'un cail- lot, de la peser, et comme nous n'agirons que sur une très petite masse, la dessiccation en sera plus facile et moins longue; toutefois n'oublions pas que nous au- rons ai^ ai avec le caillot lesélémens solides du sérum . Mais pour revenir aux phénomènes que nous avons ( 127 ) remarqués dans le sang de cette néphrite albumi- neiiscy voici d'abord ce que l'examen microscopique nous a montré: outre les globulesordinairesdu sang nous avons aperçu une foule de petits globules ou plutôt de corpuscules sans forme déterminée que l'on pourrait presque aflirmer être formés d'albu- mine ; puis rappelant à notre aide les moyens physiques et€himiquesd'a.nalyse, nous avons voulu voir si le sérum de ce sang se solidifierait par là chaleur, comme cela arrive habituellement : il s'est en effet pris en masse; mais ainsi coagulé il res- semblait plutôt à du pus qu'à du sérum normal , et laissait suinter un liquide albuminiforme que nous n'avons pas réussi à faire coaguler. Il y a aussi moins de fermeté et de cohésion dans la partie so- Udifiée; car cette tige en verre s'y enfonce facile- ment par son propre poids. Ces épreuves, tout imparfaites qu'elles soient , semblent cependant anjaoneer que dans la maladie qui nous occupe , il y a une altération évidente de l'albumine dju sérum; et dès lors nous ne devons plus être éton- nés de retrouver cet élément dans les excrétions urinaires. Il resterait à savoir maintenant si l'al- bumine que charrient les urines a les mêmes pro- priétés que celle que nous venons d'examiner ^ c'est un point que nous étudierons ie plus pro- chainement possible. Vous voyez, Messieurs, que la nature denosleçams n'est pas ordinaire , et que depuis que nous avons entrepris ces études sur le sang, nous nous som- mes aperçus que les questions même les plus sim- ples sont bien loin d'être suÛisanMneat connues. On ( 128 ) a bien remarquéque dans la chlorose, les hémorrha- gies passives, et chez les individus doués d'un tempé- rament lymphatique, le sang était plus aqueux, plus abondant en sérosité; mais ce qu'il faudrait savoir, ce qu'il faudrait tâcher d'établir d'une manière positive, c'est la proportion dans laquelle doivent se trouver les éléments du sang poiu" donner lieu à ces divers états pathologiques : l'esprit est ef- frayé en mesurant l'étendue et la variété des re- cherches que demande ce sujet : jusqu'ici les différentes épreuves tentées par nous ont été pres- que sans résultat pour déterminer à quelle pro- portion précise de sérum ou de caillot dans le sang la vie cesse ou peut continuer. Nous sommes sou- vent arrêtés par des obstacles les plus inattendus. Nous recevions d'abord le sang dans une éprou- vette graduée ; nous notions la hauteur respective du sérum et du caillot ; nous croyions être en bonne voie; mais nous avons été bientôt détrompés, et nous avons reconnu que dans certains cas, bien que le sang soit très riche en sérosité, il s'en mon- trait cependant très peu au-dehors, et que la trame fibrineuse du caillot la retenait dans son lacis cel- luleux. Nous avons essayé ce matin un nouveau moyen qui n'a pas moins trompé notre attente : on a mis dans une éprouvette deux tiers d'eau • auxquels on a ajouté un tiers de sang veineux. Eh bien ! ce mélange s'est entièrement coa- gulé et n'a laissé transsuder que quelques gout- tes de sérum. Autre difficulté , une femme âgée d'environ 77 ans , et atteinte d'une pneumonie , à la vérité peu aiguë, nous a fourni ce sang, qui. ( 129 ) depuis ce matin n'avait laissé apercevoir aucune trace de sérum ; si donc on s'en rapportait à l'ap- parence, ce sang contiendrait à peine de la sérosité! maintenant seulement on n'en voit encore qu'une très petite quantité. C'est ainsi que nous voyons incessamment fuir devant nous et se dérober à nos recherches les mystères de notre organisation qu'il nous serait si utile de connaître. Que ceci ne nous décou- rage pas : chaque fois que nous faisons une ex- périence, lors même qu'elle n'atteint pas le but proposé, nous apprenons quelque chose de nou- veau : ainsi notre temps n'est jamais perdu. D'ail- leurs , ne vous y trompez pas , la nature ne livre pas aisément ses secrets ; il ne suffit pas de poser les questions pour qu'elle y réponde , il faut l'in- terroger sans cesse et de mille manières diverses ; alors seulement elle laisse échapper quelques par- celles de ses mystères. Quoi qu'il en soit, vous vous rappelez que dans la séance précédente nous avons injecté dix onces de sérum humain dans les veines d'un animal. Il a succombé au bout de 48 heures, et voici ce qu'il nous a offert de remarquable. Son sang avait vi- siblement été altéré par le sérumde injecté; les traces de cette désorganisation étaient si manifes- tes et la fluidité si remarquable , qu'en ouvrant , après la mort, une veine du coii, et en suspendant l'animal par les pattes de derrière, on a pu voir couler la plus grande partie du sang que renfer- maient les vaisseaux : le reste présentait quelques légers caillots semblables à de la gelée de gro- T. IV. Magendie. 9 ( 130 ) seilles, L'alcalicité du sérum porté dans le tor- rent circulatoire , semble donner la raison de la liquidité du sang. Dans l'organe respiratoire, la lésion était peu grave, et c'est ce qui explique pourquoi la mort n'a pas été instantanée ; mais l'altération la plus remarquable que cette autopsie nous a révélée est sans contredit celle du fluide cé- phalo-rachidien. Il présentait une coloration rou- geàtre, comme si des globules sanguins s'y fussent dissous ; il était en outre presque pris en masse et semblait d'une toute autre nature que le liquide normal : je penserais assez volontiers que l'albu- mine du sérum avait transsudé à travers les capil- laires de la pie-mère et s'était épanchée dans la cavité sous-arachnoïdienne. Il y a du reste assez long' temps que j'avais expérimenté sur le sang en y ajoutant de l'eau, mais cela n'expliquerait pas l'état gélatiniforme du liquide. Je me rappelle mainte- nant que par des injections aqueuses dans les vei- nes , je déterminais des troubles dans l'action du système nerveux; tantôt des tremblements, des mou- vements involontaires, tantôt des signes comateux, et enfin des variétés du tétanos. A la suite de ces essais je me souviens encore que nous avons aussi trouvé du sang altéré épanché sous le feuillet interne de l'arachnoïde : ce qui suffi 1; seul pour donner lieu aux troubles des fonctions cérébrales. En suivant servilement les idées admises aujourd'hui, j'aurais pu vous faire voir là un cas superbe de ménin- gite ; mais en quoi , je vous le demande , aurais-je ajouté, par ce mot, aux faits exposés? rien, abso- lumtnt rien. Je préfère beaucoup vous répéter ( 131 ) simplement, qu'ici le sang s'épanche parce qu'il n'a plus les propriétés physiques ;, chimiques , qui lui permettent de circuler dans les réseaux vasculai- res si déliés de nos organes. Maintenant, si nous nous rappelons que cet ani- mal offrait les signes d'une lésion du système nerveux, on pourra facilement en déduire la con- séquence que l'état d'abattement, les contractions fréquentes des membres tenaient à cette altération du liquide rachidien. Chez cet animal nous devons aussi relater la lésion de l'œil droit dont la suppu? ration commençait à s'emparer. Déjà, dans un grand nombre d'expériences, nous avions établi les rapports qui existent entre l'altération du sang et l'apparition d'ophtalmies à terminaison presque toujours fâcheuse ; pour le dire en passant, en présence des faits que nous avons recueillis , ne pourrait-on pas reconnaî- tre dans la production de ces maladies qui at- taquent d'une manière épidémique le globe ocu- laire, une cause qui porterait principalement son action délétère sur le sang et amènerait consé- cutivement à l'altération de ce liquide, de ces ophtalmies si subites et en même temps si redou- tables qui attaquent quelquefois les grandes réu- nions d'hommes et d'animaux ? Il y a ici un fait digne de remarque , c'est qu'un des deux yeux est presque toujours plus affecté que l'autre. Quelle peut être la cause de cette préférence, de ce choix, pour ainsi dire, du siège delà maladie ? puis- que la composition générale du sang est modifiée, les phénomènes pathologiques que cette altération ( 1 32 } produit devraient être les mêmes dans deux orga- nes semblables^ recevant le même liquide dans leur délicate texture et en recevant la même quan- tité. Nous n'essayerons pas ici de vous forger une explication quelconque, nous ne pouvons vous ap- prendre que ce que nous savons nous-même, et nous trouvons que c'est perdre son temps et rendre un fort mauvais service à ses auditeurs, que de mettre ainsi ses idées à la place de la réalité. Mais bien que nous ne sachions rien sur cette préférence de l'affection pour un œil plutôt que pour un au- tre^ il n'en paraîtpas moins constaté que c'est l'alté- ration du sang qui est la cause primitive de l'al- tération de l'organe. C'est une question qu'avant nos recherches, nul n'avait abordée : on voyait dans certains cas de perturbation grave de tout l'organisme, apparaître ces ophtalmies : on les croyait indépendantes des troubles généraux ; et considérées comme un fait isolé, le traitement qu'on leur opposait était local et empirique. J'avais cependant déjà remarqué depuis long- temps la coïncidence de la perte de la vision avec l'a- némie, le marasme, et la liquéfaction du sang ; mais ce n'est qu'aujourd'hui que je puis avec certitude conclure quelque chose à cet égard : ici, la mala- die ayant été de courte durée , nous remarquons seulement une opacité de la cornée transparente^ nous trouvons du pas dans son épaisseur; mais si l'animal eût vécu plus de temps , la cornée se se- rait ulcérée, puis distendue, amincie, elle se serait perforée et aurait donné issue aux humeurs de l'œil, qui se serait ainsi entièrement vidé. ( ^33 ) Enfin une lésion remarquable, est l'altération du canal intestinal qui est des plus prononcées; on y aperçoit des plaques qui commençaient à s'ulcérer, et qui certainement seraient devenues de véritables ulcérations si la maladie eût duré plus long-temps; ces tuméfactions, ces engorge- ments constitués par du liquide sanguin épancbé sont accompagnés de tous les phénomènes que nous voyons se manifester dans les maladies graves connues sous le nom d'affections typhoïdes. Quand à l'ouverture des cadavres, vous trouvez à la face externe des intestins des endroits livides, violacés, bleuâtres, et qu'en divisant cet intestin vous voyez sa paroi interne parsemée de saillies rou- geâtres formées par les follicules ulcérés et des plaques d'une espèce d'enduit albumineux, vous vous écriez: qu'est- il besoin d'aller plus loin ; ces plaques, ces follicules sont le siège de la mala- die ; l'inflammation qui s'y est développée spon- tanément a causé tous ces désordres. Mais à mon tour, en admettant que l'inflammation soit quel- que chose, je vous demanderai qu'est-ce qui a pu causer Tinflammation ? vous serez donc forcés de convenir que vous avez affublé d'un nom ri- dicule une idée plus ridicule encore, que rien ne justifie, que tout au contraire tend à renverser. Qu'expliquez-vous par ce mot ? rien, absolument rien ; vous enveloppez la difficulté d'un voile plus épais ; vous paraissez savoir aux yeux du vulgaire, et vous ne savez réellement rien sur la nature de l'affection que vous traitez d'après les théories er- ronées et que souvent vous compliquez d'une ma- ( 134 ) niére fâcheuse. Direz- vous ici que ces lésions intestinales sont primitives ? ce serait plus qu'i- nexact : supposez que nous eussions sacrifié cet animal avant l'expérience qui a eu pour Un de si funestes résultats, pensez-vous que nous eussions rencontré sur ses intestins les désordres que nous y voyons ? nonl mille fois non. Comment donc s'est développée cette affection ? nous avons agi sur la masse du sang par l'injection de sérum que nous avons faite dans ses veines ,• cette liqueur était alcaline; elle a liquéfié le sang qui n'a pu conti- nuer à circuler dans les infiniment petits tuyaux vasculaires de ces glandes , de ces follicules ; ses éléments s'y sont dissociés; la partie la plus li- quide s'est exhibée ; la partie solide a distendu , rompu les tubes déliés qu'elle avait à traverser. Est-ce là de l'inflammation , ou n'est-ce qu'un phénomène physique des plus simples ? je vous avouerai que je penche très fort vers la dernière explication / qui du moins me rend compte une à une de toutes ces lésions et de la manière dont elles se sont produites. lien est de même pour ces gan- glions lymphatiques qui ne sont pas complète- ment altérés parce que la mort est survenue au bout de 48 heures, mais qui offrent déjà les com- mencements d'un épanchement sanguin, toujours sous l'influence de la même cause. Tout cela , je le sais , est entièrement contraire aux idées admises par la majorité des pathologis- tes ; que deviennent devant nos expériences ces classifications si péniblement établies de fièvres entéro-mésentériqiies, alaxiques, typhoïdes qui ( 135 ) semblaient avoir reculé si loin les bornes de la science, et qui, en définitive, au lieu d'éclairer la matière, l'ont plus embrouillée que jamais en éta- blissant des distinctions imaginaires entre des phé- nomènes, des faits qui partentd'un même principe et produisent les mêmes résultats. Pour moi, ce que je trouve de plus fâcheux là-dedans_, c'est que des hommes de mérite aient fait des recherches labo- rieuses avec des idées préconçues qui ont rendu inutile la peine qu'ils se sont donnée, et que leurs travaux, bien que consciencieux, ont jeté la méde- cine dans un chaos dont il ne sera pas facile de la faire sortir à son honneur. Ne pensez pas. Messieurs, que je veuille tout rapporter aux altérations du sang ; je proteste de nouveau et à l'avance contre une telle assertion ; il y aurait désormais de la mauvaise foi à la pro- duire. Vous voyez d'ailleurs que nous nous lais- sons guider par l'expérience, sans avoir la pré- tention d'aller au-delà de ce qu'elle nous apprend : c'est, je crois, le moyen le plus sûr d'éviter les er- reurs dans lesquelles on est si souvent tombé ; erreurs quelquefois aussi fatales à nos semblables que les fléaux les plus terribles. 11 peut aussi résulter une grande utilité de ces expériences pour la thérapeutique : en effet, lors- que le choléra sévissait en Angleterre avec tant de violence, les médecins anglais, voyant leurs efforts inutiles, imaginèrent comme tant d'autres que cette redoutable affection consistait dans une dé- perdition de la partie séreuse du sang qui s'échap- pait par les vomissements et les selles des malades : ( 1 36 ) pour remédier suivant leurs idées théoriques à ce flux de sérosité, ils pratiquèrent l'injection d'un sérum artificiel dans les veines et prétendirent avoir obtenu par ce moyen des succès marqués. J'avais aussi employé mais pour d'antres motifs le même moyen en France, dans des cas il est vrai désespérés, avec un sérum artificiel composé d'eau d'albumine des sels du sang que M. Persos avait préparé, et jamais, en pareille circonstance^ je n'ai pu soustraire un malade à la mort. Je pense donc que si les Anglais ont réussi, cela tient à ce que les cholériques sujets de leurs expériences étaient dans un état moins désespéré que ceux sur les- quels j'ai pratiqué cette injection. Quoi qu'il en soit de ces faits , on voit aujourd'hui qu'il ne serait plus permis d'avoir recours à de pareils moyens , puisqu'on pourrait craindre de voir survenir les résultats fâcheux que nous avons observés sur l'animal soumis aux injections de sérum humain. Voilà donc encore un fait dont on ne se serait pas douté avant nos expériences et que je livre à vos méditations pour vous montrer com- bien il faut se tenir en grarde contre les raison- nements les plus logiques lorsqu'il s'agit de les ap- pliquer à la pratique de notre art. Pour mon compte, je préférerai toujours, quelqu'affligeant que fût ce spectacle _, laisser un malade aux seules ressources de la nature , plutôt que de mettre en usage un procédé en apparence utile , mais qui en réalité pourrait produire de funestes effets. La question que nous traitons se rattache^ corn- ■ ( 'ÎST ) me vous pouvez le voir, aux affections les plus graves; elle est donc palpitante d'intérêt , pour me servir d'une expression à la mode; mais avant d'arriver à sa solution, si tant est que cet honneur nous soit réservé, c'est-à-dire à connaître avec quel- que précision les proportions de sérum et de caillot qui constituent le sang normal, le sang viable,^ si je puism'exprimer ainsi, il nous reste à étudier com- parativement l'albumine, la fibrine et les autres élé- ments dont est formé le sang : c'est ce que nous tâcherons de faire dans nos prochaines leçons. ( 138 ) DIXIÈME LEÇON. 24 Janvier 1858. Messieurs , Nous sommes obligés de revenir encore sur les moyens d'apprécier les proportions de sérum et de caillot qui entrent dans le sang normal. Cette question é(ant susceptible de devenir de la plus haute importance, exige de notre part une atten- tion d'autant plus sérieuse. Vous vous rappelez les nombreuses difficultés que nous avons éprouvées à l'occasion de ce fait si simple en apparence; et bien que nous eussions pu penser qu'elles étaient définitivement aplanies, une circonstance inexpli- cable est venue de nouveau nous plonger dans l'incertitude : je veux parler de l'animal auquel nous avions injecté de Feau distillée dans les vei- nes. Quelques minutes après , une saignée a été pratiquée, et le sang recueilli dans une éprouvette, s'est parfaitement coagulé sans presque laisser séparer de sérum. Cette absence de sérosité est vraiment surprenante; car notre injection a aug- ( 139 ) mente sans aucun doute la partie aqueuse du sang j et voilà qu'au contraire sa partie solide semble plus considérable. En général, on ne peut se borner à observer un fait , pour peu qu'il soit extraordinaire, sans que, malgré soi pour ainsi dire , on essaie de l'expliquer : en cela , je paie comme les autres mon tribut à la nature ou plutôt à la faiblesse de l'esprit humain, toujours impa- tient d'apprendre ce qu'il ignore; mais aussi je me garde bien de donner ces explications comme ir- révocables ; je les soumets sans cesse au creuset de lexpérience , et lorsque celle-ci les dément , je ne manque pas l'occasion de vous faire remar- quer le peu de valeur de ces hypothèses impro- visées par lesquelles on tente d'expliquer les phé- nomènes de Torganisation. J'avais donc été vive- ment préoccupé de l'idée d'arriver à connaître les proportions du sérum et du caillot ,• j'avais pensé à employer une évaporation lente pour arriver à mon but, et quoique ce fût un procédé très long, je m'y étais arrêté ; mais maintenant , ce moyen ne nous apprendra pas pourquoi le caillot est de- venu plus volumineux après une injection d'eau dans les veines. Nous avons donc dû faire des ob- servations à ce sujet. J'avais dans mon service à l'Hôtel-Dieu , une jeune femme de vingt ans qui était dans un état complet d'anémie, et dont les artères carotides laissaient percevoir très distinc- tement le bruit si bizarrement nommé bruit de diable. En un mot , cette malade présentait tous les signes d'une surabondance de sérosité. Voici le sang de cette femme, et véritablement je n'ose- ( 140 ) rais affirmer s'il contient plus de sérum que de caillot. Voici un autre exemple qui nous met dans un égal embarras. C'est le sang d'une jeune per- sonne de seize ans, qui se trouve à peu près dans les mêmes conditions que celle dont nous venons de vous parler; je ne sais pas non plus comment expliquer qu'il ne soit pas plus abondant en sérum. Enfin, comme l'eau distillée dissout les globules du sang, nous avons fait un mélange de ce liquide avec de l'eau sucrée qui ne les altère point. Un cen- tilitre de sang mis avec soixante centilitres d'eau ont produit le résultat que vous apercevez dans cette éprouvette : la matière colorante, contenant, comme vous le savez, des atomes ferrugineux et étant spécifiquement plus lourde , s'est déposée au fond du vase, la fibrine, ou la matière coagu- lable, est restée suspendue dans toute l'étendue de la masse. De loin , on dirait que ce vase ne con- tient qu'un liquide , mais en regardant de plus près, on aperçoit très distinctement des filaments fibrineux circonscrivant des espaces, des cellules. Et si vous faites attention à la petite quantité de sang que nous avons mis dans l'eau sucrée, vous verrez que cette trame représente un caillot rare et léger dont les mailles eussent retenu les globules s'ils se fussent précipités. Comprimez, rapprochez ces cellules distendues et flottantes dans l'eau su- crée, et vous aurez un véritable coagulum, moins les globules. C'est là la véritable manière d'être du caillot; c'est ainsi qu'il s'organise et se com- porte dans tous les cas. Cette expérience a été faite avec du sang artériel. ( U1 ) Pour un second mélange que voici, nous avons employé : eau sucrée^ 30 centilitres; sang artériel, 3 centilitres. Les résultats sont les mêmes, seiHe- ment le phénomène est beaucoup plus prononcé : vous voyez que le caillot fibrineux remplit presque toute la capacité du vase. Au lieu de filaments , ce sont des lamelles, des espèces de membranes s'entrecroisant dans tous les sens. J'examinerai cette pièce au microscope. Dans ce troisième vase, il y a 4 centilitres de sang et 60 d'eau sucrée. Le caillot de fibrine est également très apparent; et de plus on y remarque un commencement de précipité de globules inco- lore , que M. Letellier , un de mes anciens élèves, dans un mémoire présenté récemment à l'Institut, croit composé de globules fibrineux. Mais cette assertion- n'est pas encore bien prouvée. Cet autre vase contient 6 centilitres de sang et 60 d'eau sucrée. A propos du caillot fibrineux que vous voyez ici au-dessus la matière colorante^ je dois vous dire en passant quelques mots sur ce que les pathologistes appellent si gracieusement la couenne : je pense qu'avec le moyen que nous mettons aujourd'hui en usage, nous arriverons à éclairer son origine et son histoire sur lesquelles nous n'avons eu jusqu'ici que des notions fort im- complètes; mais en attendant, posons quelques ja- lons sur ce sujet. Que n'a-t-on pas écrit sur cette matière! Est-ce un produit morbide? Est-elle con- tenue dans le sang? se forme-t-elle après la saignée? et tant d'autres pomts de vue sous lesquels on l'a con- sidérée et qui ont exercé la plume des auteurs. Nous ( ^^2 ) renvoyons à la fin de ces leçons l'examen de ces ques- tions,pour les traiter à leur place et avec plus de dé- tails. Quant à présent, nous sommes porté à croire que la couenne n'est que de la fibrine privée de ma- tière colorante , plus légère par conséquent que celle qui retient dans ses mailles cette matière co- lorante : celle-ci, par sa pesanteur spécifique plus considérable, resterait à la partie inférieure, tan- dis que l'autre^ eh vertu de la même loi physique, vient apparaître à la surface supérieure. Maintenant , si nous revenons à l'examen des mélanges d'eau distillée et de sang, nous trouvons dans cette éprouvette qui contient 7 centilitres de sang et 60 centilitres d'eau, nous trouvons, dis-je, un phénomène analogue à celui que nous avons remarqué chez l'animal auquel nous avions injecté de l'eau dans les veines, et dont le sang ne nous a cependant presque pas offert le phénomène de l'i- solement spontané de la sérosité. Ici, en effet, malgré l'énorme proportion de liquide ajouté au sang , le caillot occupe la plus grande partie du vase, tandis qu'il n'y a que quelques gouttes de sérosité. Voilà encore une circonstance où, n'en déplaise aux vitalistes à tout prix, la même action a eu lieu de la même manière dans le vaisseau organisé et dans le vase inorganique. Cette re- marque , Messieurs, ne nous est dictée par aucune idée systématique et préconçue ; elle résulte de deux faits que vous avez eus sous les yeux, et dont vous pouvez juger vous-mêmes. Peu nous importe, à nous qui faisons abnégation de toute opinion^ de toute théorie qui n'ont pas pour base ( 143 ) une certitude j'oserai dire physique, peu nous im- porte que tel phénomène se passe de telle ou telle façon, qu'il soit du domaine de la physique, de la chimie , ou qu'il ait lieu sous la mystérieuse in- fluence de la vie, pourvu que nous arrivions à sa- voir , à constater pourquoi il en est ainsi, et quels sont le mécanisme et les conséquences de ce phénomène. Dans cette autre éprouvette où vous apercevez un caillot si volumineux, on avait mis 8 centilitres de sang et 60 d'eau distillée : de sorte qu'un sang (jui retient autant de liquide ne se coagule pas moins sans pour cela laisser paraître de la sérosité ; ^onc l'inspection du caillot ne peut pas donner même approximativement la mesure de la quantité de sérum que contient un sang. Et à l'appui de ce quej'avance,je mets sous vos yeuxle sang de l'animal à injection d'eau ^ qui n'offre pas plus de sérosité maintenant, quoiqu'il y ait long-temps que la sai- gnée ait été faite, qu'au moment où il est sorti de la veine. Maintenant que nous avons acquis la certitude qu'en suivant cette marche, nous serions tombé dans de graves erreurs^ nous en changerons et nous chercherons un autre moyen. Cependant, il nous restera une chose à faire avant d'abandonner entièrement cette voie, ce sera d'étudier la manière dont s'organisent ces caillots étendus d'eau ; de savoir comment se com- porte le liquide par rapport à la fibrine : l'examen microscopique éclaircira sans doute cette question qui nous parait si difficile à résoudre. Voici maintenant un autre phénomène que nous ( ^^^- ) ne connaissions pas encore. Nous avons mis en- semble 60 centilitres d'eau , 3 décigrammes d'hy- drochlorate de soude et 20 centilitres cubes de sang. Cette seconde substance, qui n'est autre chose que le sel commun dont on se sert pour les usages domestiques, a comme le sucre, la propriété de ne pas dissoudre les globules, seulement elle ne les laisse pas s'isoler de la matière coagulable du sang ou si vous voulez de la fibrine; aussi avons- nous un caillot bien autrement étendu que ceu^c que nous avons vus jusqu'ici, et qui présente une rétraction horizontale très prononcée , que nous n'avions pas non plus remarquée dans les autres coagulum de notre façon. D'où il résulte que la présence de l'hydrochlorate de soude a une inH fluence prononcée , non seulement sur la coagu- lation du sang , mais encore sur sa coloration, car vous voyez que ce caillot est d'un très beau rouge artériel, même à son centre et dans les points où il n'est pas en contact avec l'air. Ainsi ce n'est pas sans raison que la nature a partout répandu cette substance avec tant de pro- fusion, et donné à l'homme et aux animaux le besoin instinctif de la porter dans l'économie pour qu'elle y développât son heureuse influence sur ie liquide qui donne la vie à tous nos organes. L'ex- périence a depuis long-temps appris aux vétéri- naires quel immense avantage ils pouvaient retirer du sel marin , l'un des plus précieux éléments de leur pharmacopée. Dans cet autre vase nous avons un phénomène à peu près analogue : c'est un mélange d'un vo- ( 145 ) lume d'eau salée avec un volume égal de saiip^. Le coagulum qui en est résulté est énorme ; d'où il suit toujours que le caillot n'accuse pas la présence d'un liquide qui dans sa composition entre pour- tant en grande abondance. Nous avonc donc ici un caillot solide, ferme, résistant: de quelque manière que j'incline l'é- prouvette dans laquelle il est contenu, il ne s'en écoule pas une seule goutte de sérosité. Qu'est devenue l'eau salée que nous avions ajoutée à ce sang ? s'est-elle combinée cbimiquement avec lui ? ou bien n'est-elle qu'interposée , retenue dans les cellules que forme la fibrine en s' organisant; que ce mot ne vous étonne pas , Messieurs , vous le trouverez bientôt plus à sa place que vous ne l'au- riez d'abord pensé. Comparez en effet ce qui se passe dans la prise en masse de l'albumine , vous ne verrez qu'un corps amorphe, dont les molécules se sont rapprochées les unes des autres^ se sont au- trement disposées sous l'influence d'un agent chi- mique ou physique , et qui a mécaniquement perdu sa transparence , sa viscosité et sa liquidité, par suite de ce nouvel arrangement et de ses mo- lécules. Divisez cette masse, l'examen le plus attentif, le plus scrupuleux ne saurait vous y faire apercevoir la moindre trace d'organisation^ pas même rien qui tendrait à rapprocher ce phéno- mène de celui de la cristallisation. La fibrine, au contraire , se coagule spontanément; telle est sa nature. Si vous examinez alors son aspect, vous y trouvez une véritable texture, un paren- chyme ; vous voyez ses filaments s'entrecroiser de T. IV. Magendie. 10 C 146 ) mille manières, contracter des adhérences, limiter des espaces plus ou moins réguliers, constituer ainsi des cellules semblables à celles que les gros- sissements microscopiques nous montrent dans nos tissus les plus fins. Ceci est d'autant plus sen- sible^ qu'on à eu soin de la déposer dans un li- quide qui puisse la tenir en suspension et la dé- gager des corps étrangers , ainsi que vous nous l'avez tant àe fois vu faire lorsque nous mélan- gions du sang avec une solution sucrée. Je n'oserai affirmer que c'est un phénomène purement vital , mais je n'hésite pas à y voir plus que ce qui se passe dans la cristallisation ; c'est Une action qui tient le milieu, si je puis m'exprimer ainsi, entre la vitalité et l'inorganisme. Quoi qu'il en soit de tout ceci , Messieurs , il û'en est pas moins vrai de dire qu'il y a un mois, lorsque nous cornmencions nos études sur la coa- gulation du sang, si on nous eût présenté Un caillot comme celui que je vous montrais il y a peu d'in- stants \ à voir sa consistance et sa solidité , nous ti*eussions point pensé qu'il pût contenir beaucoup de liquide : nous nous serions trompés, puisqu'ef- fectivement le sang qui l'a formé était étendu d'un volume d'eau égal au sien. En outre, voici le sang pur d'un animal à qui l'on a pratiqué hier "une saignée : ce sang qu'on a laissé livré à lui- même , sans y ajouter ni solide ni liquide, pré- sente une forte proportion de sérum , tandis que le caillot que vous venez de voir et qui contenait réellement une grande quantité de liquide n'en avait pas laissé exsuder du tout. ( ^^7 ) Voyez d'après cela , Messieurs , combien il faut se défier des apparences ; car rien ne ressemble quelquefois autant à la réalité que ce qui se pré- sente sous un jour mensonger. L'homme même qui fait les observations avec la plus rigoureuse exactitude peut Se tromper grossièrement sur les faits les plus simples : nous avons dans l'histoire de la physiologie mille exemples de ce genre : et (ei que les problèmes les plus difficiles n^avaient pu arrêter , a vu son génie échouer contre des questions d'un bien moindre intérêt. Je ne cesserai donc pas de vous recommander l'expérience, tou- jours l'expérience comme contre-épreuve des faits que vous croirez avoir découverts. C'est, croyez- m'en y là pierre de touche de là vérité ; si on là néglige , on marche au hasard et l'on finit par s'égarer. Nous allons terminer cette séance en vous pré- sentant quelques considérations que nous avons recueillies depuis notre dernière réunion : elles ont trait à ce que nous vous avions dit dernière- ment sur la néphrite albumineuse. On s'est beaucoup occupé dans l'étude de cette maladie de la présence de l'albumine dans l'urine de ceux qui en étaient atteints , et Brigth , méde- cin anglais, à publié en 1 829 un ouvrage à ce sujet, où il expose au long les remarques qu'il a faites sur cette affection du rein : c'est même ce qui lui a fait donner son nom. Quoi qu'il en soit, pour diagnostiquer cette ma- ladie , on verse quelques gouttes d'acide nitrique datis l'urine d'iin malade dont on suppose le rein ( 148 ) affecté, et si la réaction chimique amène des flo- cons blanchâtres, une coagulation , on dit que c'est une néphrite albu mineuse. Eh bien! vous vous rappelez cette expérience dans laquelle nous avons injecté du sérum humain dans les veines d'un animal vivant : outre les résultats que je vous ai narrés, nous avons constaté que son urine était devenue albu- mineuse, par cela même que nous avions augmenté la quantité de son sérum , et cette urine ainsi ar- tificiellement modifiée se comportait avec les réac- tifs comme celle des néphrétiques. Nous allons répéter l'expérience devant vous : ces deux verres contiennent de l'urine , l'une limpide provient d'un malade atteint de néphrite ; l'autre est du chien auquel nous avons injecté du sérum. Je verse quelques gouttes d'acide nitrique dans cha- que vase; vous voyez leur contenu se troubler, blanchir, et enfin laisser apparaître des flocons blanchâtres parfaitement analogues. La couleur des deux liquides n'est pas tout-à-fait pareille; mais c'est la seule différence , et elle tient proba- blement à la variété des sels que l'une de ces urines peut renfermer. Ce résultat me semble très curieux; car s'il était confirmé par les épreuves subséquentes que nous comptons faire , il modifierait le traitement de l'albuminurie qui est on ne peut pas plus empi- rique : que prescrit-on en effet contre cette affec- tion ? des tisanes améres et des pilules mercurielles. Voici également un autre fait qui appartient au même sujet. Nous avons voulu examiner le sang d'un animal soumis à une diète forcée : il est mort ( 149 ) après avoir vécu vingt jours privé d'aliments et de boisson. Son urine que je vous présente semble de- venue albumineuse. Le précipité qui s'y forme par l'acide nitrique y est même très abondant. Ces rap' prochements entre des affections semblables pro- duites par des causes différentes sont très impor- tants; car si la privation des aliments donnait cette maladie , il faudrait bien se garder de saigner , de mettre à une diète sévère ou d'affaiblir par quelque moyen que ce fût celui qui en serait atteint. Je n'insiste cependant pas davantage aujourd'hui sur ce rapprochement , il pourrait être illusoire _, et , faute par nous de l'avoir plus amplement vérifié , il pourrait nous entraîner dans de graves erreurs. On a fait l'autopsie de l'animal qui a succombé à une injection de sérum et dont je vous ai entre- tenus dans cette leçon : le voici ouvert sur ma table. Les poumons sont très peu altérés : on ne voit dans la substance du rein et dans les autres parties de l'appareil génito-urinaire aucune de ces granulations anormales, signalées par Bregth. Il paraîtrait donc ici que le solide n'est pas même altéré. Mais l'altération la plus grave et qui a pro- bablement amené la mort , c'est une invagination énorme ^de l'intestin grêle qui commençait à se gangrener, et qui , elle-même, avait dû être pro- duite par les fréquents efforts que faisait cet ani- mal pour aller à la garde-robe. ( 150 ) ONZIÈME LEÇON. 26 Janvier 48S8. Messieurs , On m'a fait remettre une lettre qui a trait à quel- ques faits énoncés dans notre dernière réunion. Ordinairement c'est avec plaisir que je reçois les objections que l'on veut bien me soumettre, que je puisse ou non les résoudre, mais j'aime savoir à qui j'ai affaire, et comme la personne qui m'a écrit n'a pas jugé à propos de se nommer et que je ne veux pas me mettre dans l'obligation de pren- dre sur le temps déjà trop court de nos séances pour répondre aux questions anonymes que le premier venu pourrait ainsi m'adresser^ ce qui finirait par dégénérer en abus , je me dispenserai pour l'in- stant de vous parler du contenu de cette épitre ; mais si celui qui l'a écrite veut , après la leçon , venir en causer avec moi, je tâcherai de le satis- faire; vsinon, qu'il reproduise ses arguments, qu'il les signe^ et je lui répondrai alors publiquement. Poursuivons maintenant le cours de nos recher- ( 151 ) ches. Toutefois^ avant dépasser outre^ permetlez- moi une légère digression sur ce que nous avons observé dans notre dernière réunion. l.es faits aux- quels elle a été consacrée n'étaient pas moins nou- veau:5^ pour moi-mérne que pour vous; par consé- quent nous devons les envisager avec la plus grande réserve, et je vous prie de ne pas prendre à la letr tre des opinions émises de prime- abord ni d'en tirer des conséquences définitives ; car il se pour- rait qu'aujourd'hui même de nouveaux faits vins- sent les contredire, et nous contraignissent de revenir sur nos pas. Un des plus graves incon- vénients attachés à l'étude des sciences est de s'exalter, de se passionner pour une idée, de ne plus voir qu'elle partout. Et cela est si naturel à l'esprit humain , que je dois me tenir en garde contre de pareilles surprises , afin d'éviter au- tant que possible les erreurs que je reproche aux autres. Sur le premier moment, il est bien difficile de se défendre de ces velléités d'hypothè- ses : aussi ce n'est pas sans raison , du moins je le crois , que je recommande de dormir plusieurs fois sur un fait, pour y revenir après avec plus de sang-froid , lorsque l'illusion est passée, et l'étu- dier alors sous son véritable jour. Tels sont quelques-uns des procédés de l'esprit pour arriver à la vérité ; c'est là véritable phi- losophie , la seule qui devrait être enseignée dans nos écoles. Dans la précédente leçon, nous vous avons parlé du phénomène de la présence de l'albumine dans l'urine de l'homme et des animaux. Comme cet ( 152 ) état pathologique est des plus graves et que la thé- rapeutique est presque impuissante pour la com- battre, nous avons dû nous y arrêter quelque temps pour essayer de découvrir le mécanisme de l'al- tération d*un produit excrétoire aussi important que celui du rein. Une fois maître des causes physiques ou chimiques qui peuvent la produire, nous pourrions probablement y remédier ; et c'est vers ce but que doivent constamment tendre nos efforts. Nous vous avons tout d'abord signalé deux circonstances qui nous ont paru y donner lieu : l'augmentation du sérum^, témoin l'animal auquel nous en avons injecté et dont l'urine nous a pré- senté des flocons albumineux en très grande quan- tité ; Tabstinence , qui a également développé le même symptôme chez l'animal que nous y avions soumis. Mais voici maintenant une autre expérience qui nous apprend combien il faut procéder avec ména- gement dans ce qui a rapport à la santé de l'homme. Nous avons nécessairement expérimenté sur le plus grand nombre de sujets que nous avons pu nous procurer : nous avions entr'autres un animal que nous avions défibriné. Son urine soumise au réactif a précipité un grand nombre de flocons , de lamelles ressemblant à ceux que fournit l'albu- mine. Pour peu qu'on eût lâché la bride à son imagination, mille moyens se seraient trouvés pour expliquer, dans ce cas , la présence de l'albumine dans l'urine ; et certes, si nous n'eussions mû- rement réfléchi et plus sérieusement examiné , nous aurions rangé sur-le-champ la défibrination ( 'ï^^ ) du sang comme une des causes qui pouvaient dé- terminer les symptômes de la maladie de Brigth. Rien, en effet , d'après nos précédentes expérien- ces, n'eût paru plus rationnel^ plus évident, plus probable; et cependant un examen plus attentif nous a fait reconnaître , que ce qui nous avait d'abord paru des flocons albumineux , était de petites paillettes , comme nacrées , analogues à celles de la cholestérine. Nous nous abstiendrons toutefois de nous prononcer encore ; nous nous occuperons de l'analyse de ce corps et nous vous apprendrons dans la prochaine séance quelle aura été l'issue de nos recherches. Voici encore le même phénomène , mais beau- coup plus apparent , qui se produit dans l'urine d'un autre chien également défibriné. Vous pou- vez remarquer que la quantité de paillettes mica- cées est beaucoup plus considérable dans cette seconde urine. Le liquide tout entier se prend en masse. Ce précipité n'est certainement pas de l'albumine, ce serait plutôt du nitrate d'urée, mais jamais à ma connaissance l'urée n'a été trouvée en semblable proportion dans l'urine. Nous nous en assurerons. Il résulte de tout ceci. Messieurs, que dans la médecine pratique , il faut faire la plus grande attention aux précipités fournis par l'urine , afin de ne pas confondre les uns avec les autres des ca- ractères essentiellement différents , sinon au pre- mier coup-d'œil , du moins par les conséquences qu'ils entraînent. Supposons , en effet , que cette dernière urine appartînt à un homme , et que le médecin chargé de lui donner des soins eût cru reconnaître la présence de l'albumine; n'eût -il pas aussitôt écrit formules sur formules pour com- battre une maladie qui n'existait que dans son es- prit mal informé. Ces erreurs ne sont pas rares , et l'on est trop heureux quand elles ne causent pas de graves accidents. Telles sont les considé- rations que j'avais à vous exposer ; je pense que , loin d'être déplacées ^ elles sont le complément in- dispensable de notre niode de procéder. Jusqu'à présent, Messieurs, nos études ont porté sur un fait simple en lui-même , les proportions dans lesquelles doivent se trouver le sérum et le caillot. Nous avons employé différents moyens pour arriver à notre but, et vous avez vu que dans cette circonstance , comme dans toutes celles qui dépendent d'une science sérieuse, il ne fallait pas s'en rapporter à la seule apparence^ au risque de s'engager dans une fausse voie. Tant est-il que le fait qui se maintient encore aujourd'hui, c'est que du sang qui contenait un volume d'eau considéra- ble présentait un caillot énorme ; tandis que celui d'une jeune fille chlorotique, dont je vous ai parlé, est remarquable par un excès de sérosité et la pe- titesse du coagulum. Il est certain qu'il se passe ici un phénomène dont l'analyse chimique peut seule nous donner la clé. Nous laisserons cette question de côté, sans l'a- bandonner pour cela; car nous comptons y re- venir lorsque l'état de nos connaissances nous permettra de l'étudier avec plus de fruit , et nous consacrerons désormais quelques leçons à ( 155 ) Texamen de la composition intime du sërnm et du caillot; moins sous le rapport chimique que sous le point de vue physiologique , autant toutefois que cela nous sera possible ; car le sérum tel que nous pouvons l'étudier , n'est plus cette liqueur qui sert de véhicule aux matériaux du sang; ce n'est plus, pour ainsi dire, qu'un mélange, une combinaison purement chimiques de divers éléments , dans lequel nous ne retrouvons plus les propriétés qui le constituent à l'état normal. L'a?- nalyse nous y montre de l'eau , de l'albumine, des chlorures de potassium et de sodium , des lactates de soude, du carbone , du phosphore et de la ma- tière animale ; tandis que le véritable sérum , le sérum physiologique, contient en outre les globu- les et la matière coagulable du sang , c'est-à dire la fibrine, qui y existe, soit à l'état de solution, soit à l'état de suspension , et n'y devient manifeste que quand elle change de nature , quand elle se solidifie. C'est elle alors qui constitue ce que les anciens médecins ont appelé le caillot , le foie , Vinsula. C'est par elle que nous allons commencer l'étude des élé lients du sang : elle en est la partie la plus importante, la plus vivante, si je puis m'ex- primer ainsi. Pour ce faire , il nous faudrait d'abord la voir dans les tuyaux sanguins où elle circule à l'état de chair coulante , selon l'expression de Bordeu , la suivre hors de ces vaisseaux^ et l'étudier lorsqu'elle est devenue solide. Malheureusement, ce n'est que sous cette forme qu'elle nous offre la possibilité de connaître quek{ue chose sur sa nature et ses pro- ( 156 ) priétés. Nos expériences des dernières leçons nous seront d'un grand secours pour cela ; car , je ne sache pas qu'on l'ait comme nous isolée au mo- ment où elle revêt une forme, où elle s'organise en trame, en parenchyme , pour constituer le cail- lot. Jusqu'ici on avait pris du sang artériel ou vei- neux, on l'agitait vivement au moment où il cou- lait du vaisseau dans le vase, et l'on voyait des fi- laments plus ou moins épais s'attacher aux verges dont on se servait pour cet usage : ces fdaments étaient toujours colorés en rouge par des globules qui continuaient à y adhérer, et ce n'était que par de nombreux lavages qu^on parvenait à la rendre presque incolore. C'est le moyen qu'employent en- core les bouchers et les charcutiers pour empêcher le sang de se coaguler. Une autre manière de se procurer la fibrine con- siste à laisser solidifier le sang, à prendre dans un linge le caillot dès qu'il est formé, le comprimer et le laver pour en extraire la matière colorante : on obtient alors une masse compacte de fibrine qui ne peut guère servir qu'à étudier sa pesanteur spé- cifique et sa composition chimique^ quant à son organisation, il n'en a jamais^ été sérieusement question. Ces deux procédés, outre la peine et le temps qu'ils demandent, sont donc très impar- faits. Si on eût mieux connu la nature du sang , et que, par un ridicule entêtement , on ne se fût pas obstiné à voir dans la couenne un élément mor- bide particulier, on eût eu sans difficulté un moyen d'étudier cette substance ,• c'est ainsi que , jusque dans les moindres détails, les théories hasardées et ( 157 ) sans preuves nuisent aux progrés de la science. Quand on examine sur un animal vivant du sang qui circule, on n'aperçoit autre chose qu'un liquide entraînant des corps globuleux dont nous vous avons déjà parlé. Quant à la fibrine , on n'en voit aucune trace. Il est donc impossible pour le^ moment , d'en faire T objet de nos recherches. Obligé de renoncer à un sujet d'étude aussi inté- ressant que l'état de la fibrine dissoute, ou sus- pendue dans le sérum et circulant avec ce fluide, nous avons du ^ à notre grand regret , nous rési- gner à la considérer lorsqu'isolée des autres élé- ments du sang, elle s'est solidifiée. L'analyse chimique ne nous ayant rien appris qui ne soit déjà connu, nous vous ferons grâce des proportions de carbone, d'oxygène , d'hydrogène et d'azote qui entrent dans sa composition d'après les travaux les plus récents. Il y a déjà quelque temps qu'ayant reçu du sang dans un vase où l'on avait préalablement mis de l'eau sucrée, nous avions remarqué que la fibrine s'était séparée des globules et formait une espèce de tissu lamelleux à mailles très déliées , analogue à la trame des membranes organisées de l'écono- mie animale. Ce fait était trop remarquable pour ne pas appeler notre attention. Nous avons renou- velé l'expérience, et le même phénomène s'est con- stamment reproduit : vous en voyez sur ma table de nombreux échantillons. Toutes ces éprouvettes qui nous ont servi dans nos leçons précédentes , contiennent de la fibrine organisée à un degré plus ou moins apparent. Ce qu'il y a de particulier dans ( 158 ) la formation de ces trames , c'est que le volume du liquide parait ne pas s'opposer à la tendance qu'a la fibrine à former des réseaux. Ainsi , quelle que soit la quantité d'eau que vous ajou-^ liez à du sang, si peu qu'il contienne de fibrine, Voiis là Voyez se détacher en longs filaments , adhérer aux parois du vase, se croiser , se souder ensemble , et former un lacis onduleux , modelé sur la forme du vase et qui en remplit toute la Capacité. Ici nous avons 10 grammes pesant de saiig pour 60 d'eau , ce qui n'empêche pas que vous aperceviez très distinctement le parenchyme qui s'est formé. Il faudra même que nous poussions aussi loin que possible les proportions de ces mélanges pour arriver à quelque chose de plus positif encore. Quoi qu'il en soit, je vous proposerai d'appeler caillot nuageux ces masses celluleuses et filamen- teuses à peine visibles , qui ressemblent à une écume légère , à un nuage transparent. Nous avons examiné au microscope une petite lamelle de ce caillot , et voici quelle nous a paru être son organisation : nous avons d'abord vu une quantité infinie de petites lignes sinueuses, ondulées, comme festonnées , placées à côté les unes des autres ; çà et là quelques petits globules d'une moindre dimen- sion que ceux du sang^ et dont je ne saurais dire la nature j puis de grandes divisions qui parta- geaient les masses et s'entrecroisaient entre elles à rinfini. Plusieurs observateurs ont avancé que la fibrine était formée de globules : je ne pense pas que cette opiaion soit fondée, et pour mon compté, ( 159 ) quelque attention que j'aie apportée dans mes re- cherches à ce sujet , je n'ai jamais pu découvrir dans cette substance la moindre trace d'une struc- ture globuleuse. Ainsi , jusqu'à nouvel ordre, je pense que cette théorie doit être regardée comme entièrement hypothétique et par conséquent rèje- tée. J'ai maintenant à vous faire 'paft d'titn pbéna- mène non moins curieux et qui m'a causé le plus grand étonnement. J'avais enlevé sur une masse de liquide un de ces caillots nuageux , et je l'avais déposé hors du tase pour examiner de plus près sa structure. J'étais sur îe point de jeter l'eau qui était restée dans réprôuvette , lorsque je me suis aperçu qu'il s'était formé un nouveau caillot d'une apparence plus nébuleuse encore que le premier , et auquel j'ai donné le nom de caillot de seconde formation. Cette circonstance inattendue m'a fait Teconnaître qu'une partie de la fibrine restait en dissolution dans le liquide et qu'elle s'organisait lorsque le premier caillot avait été enlevé. Du reste, cet effet se produit dans l'eau sucrée, mais il n'a pas lieu dans d'autres véhicules, tels que, par exem- ple ;, une solution de carbonate de soude ; il faut pour cela que la fibrine soit dans ses conditions de coagulabilité. Vous voyez sur ma table un grand nombre de mélanges d'eau sucrée et de sang dans dés propor- tions différentes. Tous ont donné des caillots plus ou moins volumineux, selon que ia fibrine prédo- minait. En voici de plus solides qui forment de nombreuses cellules dans rintérieur duTase et en- ( 160 ) voyent des filaments qui les traversent dans tous les sens. Ces cellules sont remplies parle liquide. C'est probablement ainsi qu'il est arrivé que du sang auquel nous avions ajouté une grande pro- portion d'eau, se solidifiait sans en laisser échap- per qu'une faible quantité. Les considérations dans lesquelles je viens d'entrer me semblent d'une grande importance, d'autant plus qu'elles nous ont fourni un moyen précieux d'étudier l'organi- sation intime du caillot, organisation sur laquelle nous reviendrons par la suite. Mais continuons l'analyse du coagulum de la fibrine. Au-dessous du caillot nuageux, vous apercevez une couche plus dense , c'est tout simplement ce que les pa- thologistes ont appelé la couenne. Elle est compo- sée comme le caillot nuageux , mais sa texture est plus serrée et ses cellules sont remplies par moins de liquide. Ce que j'avance ici, j'espère vous le dé- montrer rigoureusement plus tard ; mais permet- tez-moi de vous dire tout d/abord que la couenne ne mérite pas l'importance qu'on y a attachée. Elle est formée par de la fibrine , qui en se coagulant s' est isolée des globules ; la seule pesanteur spécifique plus grande de ces derniers est la cause pour la- quelle ils tendent à se précipiter au fond du vase. Ceci est tellement vrai, que d'ici à quelques an- nées , je ne doute pas qu'on ne rie beaucoup de ce fantôme terrible , dont on a fait le précurseur de l'inflammation , cette autre utopie pathologique. Je sais que ces paroles trouveront aujourd'hui beau- coup d'incr édules, et que les adeptes de plusieurs écoles ne les accepteront pas ; mais je m'inquiète ( 161 ) peu de pareils obstacles : l'avenir décidera la ques- tion. Seulement je regrette qu'un esprit prévenu entrave les progrès de notre belle science et la re- tienne dans l'ornière d'une routine absurde. Ainsi donc, Messieurs , je suis persuadé que ce que l'on nomme la couenne est une des nuances de solidification de la fibrine. Certains animaux en présentent même à l'état normal une très grande quantité , le cbeval entr*auties. En cette circon- stance , les vétérinaires n'ont pas suivi nos erre- ments, et loin de voir un signe patbologique dans ce phénomène de physique , ils l'ont simplement appelé le caillot blanc , et en cela ils se sont mon- trés plus sages que nous. Il ne faut pas croire que c'est dans le sang seulement qu'on trouve cette fi- brine à l'état libre : personne de vous n'ignore qu'elle fait partie des fausses membranes qui se développent dans certaines affections , qu'elle se rencontre quelquefois dans le liquide des hy- dropisies et dans les collections fluides qui s'a- massent dans la cavité du péricarde ou de la plèvre; mais c'est surtout dans les pseudo-mem- branes des adhérences , lorsqu'il y a eu division ou perte de substance qu'elle se montre le plus évidemment. Il fautrattacher à la formation du caillot une pro- priété dont je ne vous ai encore parlé qu'en passant: c'est la rétraction plus ou moins considérable du coagulum selon les conditions dans lesquelles il se trouve, et ces conditions sont peu connues. Cepen- dant nous devons noter ce phénomène dont voici un exemple : c'est un caillot formé dans une solu- T. I?. Magendie. M ( 462 ) tion d'hydro-chlorate de soude. Je vous l'ai moi^ tré dans la dernière séance , il occupait toute la capacité du vase. Aujourd'hui il s'est rétracté de près d'un tiers de son volume , et , chose ex- traordinaire , la moindre oscillation que subit le vaisseau, semble communiquer à cette masse des milliers de frémissements qui se propagent par ondulations dans toute son étendue , et lui donnent l'aspect d\m mollusque qui se meut par une série de contractions vibratiles.ïe n'ai jamais rien vu de semblable; mais comme l'heure de no- tre séparation est arrivée^ je remets à la prochaine réunion les réflexions que ce fait peut suggérer. ( 163) DOUZIÈME LEÇON. 51 JauTier 1838. Messieurs , Nous allons commencer à étudier avec vous cet élément du sang qui durant la vie est en solution, ou plutôt en suspension dans le sérum. Cette sub- stance est la plus importante de toutes celles qui entrent dans la composition du sang , et ses pro- priétés ont la plus grande influence sur la manière d'être du liquide qui porte incessamment à tous nos organes la chaleur et la vie. Le mot fibrine est d'une récente découverte ; ce n'est guère que de- puis Lavoisier qu'on l'emploie , du moins je ne me rappelle pas qu'il en soit fait usage dans les auteurs plus anciens. Ce nom lui vient de sa composition prétendue identique avec les fibres musculaires , qui , au dire de quelques physiolo- gistes, ne seraient que des filaments de fibrine. Il n'est pas de mon sujet de traiter maintenant cette question, je la laisse donc de côté; plus tard, elle trou- vera dans notre cadre une place plus avantageuse. ( 164 ) Quoi qu'il en soit, il est hors de doute aujourd'hui que c'est à la fibrine que le sang doit la propriété qu'il a de se solidifier. Ce phénomène qui avait été remarqué dès la plus haute antiquité , mais dont on avait ignoré la cause avait appelé l'atten- tion des physiologistes et des médecins ; mais la manière dont il a été envisagé a beaucoup nui à son étude. La question était mal posée, mal définie et d'une obscurité qui en rendait la solution pres- que impossible. En effet , ce n'est pas le sang qui, à vrai dire , se coagule : ce liquide est com- posé, d'après les travaux les plus récents^ de vingt- six éléments , peut-être même d'un nombre plus considérable encore ; et parmi tous ces éléments , un seul se coagule : c'est celui dont nous. voulons faire l'histoire. Dans un travail qu'ils ont publié conjointement, MM. Prévôt et Dumas ont émis l'opinion que le coagulum était formé par l'adhérence des globules du sang entre eux. Cette théorie a été générale- ment adoptée, et c'est ainsi que beaucoup de chi- mistes et même de physiologistes comprennent en- core aujourd'hui la formation du caillot. Cette er- reur ne me surprend 'pas; on en commet dans des recherches moins difficiles : et, en effet^ quand on prend un caillot ordinaire, on ne peut s'empêcher d'y reconnaître la présence de tous les globules adhérens aux filaments de la fibrine et paraissant en faire partie intégrante; mais, dansée cas, l'ap- parence prend la place de la réalité, et si vous ve- nez à laver convenablement ce caillot, les globules sont entrai nés ou dissouts, selon le liquide dont on ( 165 ) se sert pour le lavage , et la fibrine apparaît avec tous ses caractères. Ceci est un fait capital sur lequel il ne faut pas s'abuser : dans ce que nous appelons le caillot des médecins , c'est-à-dire le coagulum tel qu'il se produit dans les vases après la saignée , les globules interviennent, il est vrai , mais ce n'est pas comme partie intégrante. J'insisted'autant plus sur ce point que, comme je vous le disais, je diffère d'opinion avec des savants du premier ordre: un homme dont je m'honore d'être le collègue et l'ami, un savant dont l'immense répu- tation acquise à juste titre donne un grand poids aux idées qu'il émet ou embrasse, pense non seu- lement que les globules entrent dans l'organisation du caillot, mais encore que quand ils en ont fait partie,, ils changent de structure , lorsqu'on vient à les en séparer. Je ne sais vraiment pas com- ment il s'est pu faire qu'un savant comme Berzé- lius, l'honneur de la chimie moderne, ait adopté une pareille opinion, qui tombe d'elle-même de- vant la plus simple expérience. Prenez en effet du sang, romme vous nous l'avez vu faire tant de fois, agitez-le, vous en séparerez la fibrine et vous n''aurez plus qu'une liqueur incapable de se coa- guler, formée par les globules et le sérum : main- tenant examinez ces globules, votre œil armé du microscope y découvrira la même forme lenticu- laire, la même enveloppe, le même point central, la même coloration. Qu'y a-t-il donc de changé dans ces globules, puisque vous les retrouvez après cette opération exactement tels qu'ils étaient au- paravant? Cette distinction que j'établis ici est ( 166 ) d'un grand intérêt , c'est à elle que se rattachent les usages les plus importants du sang. Toutes nos expériences tendent à prouver qu'on pourrait à la ri- gueur comprendre la vie du sang composé seule- ment de sérum et de fibrine. Quant aux globules, on ne sait rien de positif sur leurs usages, et pour mon compte, je ne leur connais d'autre utilité que celle de faciliter l'étude microscopique de la marche du sang. Cependant , comme ils existent, et que, par conséquent, ils ne se trouvent pas sans raison et sans utilité au milieu du fluide vital , ils devront être l'objet de recherches ultérieures que nous renvoyons à l'époque où nous nous occu- perons plus spécialement de leur histoire. Le phénomène de la séparation de la fibrine d'avec le sérum a beaucoup occupé les physiolo- gistes ; mais comme ils n'avaient pu obtenir la fibrine solidifiée sans les globules , ils pensaient que ceux-ci jouissaient également de la propriété de s'organiser. Cependant Burdach et M. MuUer de Berlin semblent avoir entrevu la question telle que nous la posons aujourd'hui. En expérimen- tant sur du sang de grenouilles, dont les globules, comme vous le savez , sont d'une autre forme et plus gros que ceux des mammifères , ils avaient remarqué que ce sang , mis sur un filtre , laissait écouler une certaine quantité d'un liquide trans- parent, incolore et qu'il restait sur Fappareil une petite masse rongea tre qui n'était autre chose que les globules qu'avait arrêtés leur filtre ordinaire , une vessie de lapin , et que ce liquide ainsi séparé ne tardait pas à se coaguler. ( 16T) Ce procédé était ingénieux et trèà simple ^ mais il procurait peu de fibrine. Ceux que nous em- ployions jusqu'ici, le lavage et la compression du caillot globuleux^ nous en fournissaient davantage^ mais la fibrine ainsi obtenue était en lames déchi- rées qui avaient pour ainsi dire perdu leurs traces d'organisation. En général , Messieurs , vous savez que rensei- gnement du collège de France ne consiste pas dans la reproduction littérale de l'étât actuel de la science; une plus haute mission nous a été confiée^ c'est de poser les premiers jalons dans des sentiers qui ne sont pas encore frayés : comme vous ië voyez , nous sommes" ici à l'avant-garde ^ et nous devons tâcher de justifier par notre zélé pour les progrès de la physiologie et de la médecine lé posté honorable que nous occupons. Aussi, de même que nous avons fait tous nos efforts pour donner aux études médicales une direction mieux entendue et plus en rapport avec l'importance de cette science, de même nous nous devons et nous devons à notre auditoire, sans nous traîner servilement à la re- morque des différentes écoles , d'aller à la décou- verte des moyens qui peuvent jeter quelque lu- mière sur l'ensemble ou même sur une branche quelconque de la médecine. D'après cela, nous avons tâché de trouver un autre moyen d'obtenir pure la fibrine du sang, non seulement en abondance, mais avec ses propriétés organisatrices. En effet, en mélangeant une faible quantité de sang avec une très forte proportion d'eau sucrée, nous avons vu la fibrine s'isoler, se ( 168 ) transformer, de liquide qu'elle était, en des fila- ments nombreux , adhérents aux parois du vase ; et c'est à cette transformation que nous avons donné le nom de caillot nuageux. Vous en aper- cevez facilement un échantillon dans cette éprou- velte où nous avons mis soixante-six centilitres d'eau pour quatre de sang. Vous devez voir flottant dans le liquide des espèces de membranes d'une extrême ténuité , offrant une grande ressemblance avec les membranes qui apparaissent dans la ca- vité utérine qu^elles tapissent en partie aux pre- miers temps de la fécondation. A cette époque, l'utérus dont vous connaissez la disposition par rapport aux vaisseaux qui s'y abouchent, subit une modification particulière, et s'il m'est permis de vous exposer mes conjectures relativement à ce qui s'y passe alors, son tissu en se distendant di- late l'orifice des tuyaux sanguins qui y aboutissent; le sang s'y distribue en plus grande quantité; sa fibrine vient transsuder à sa face fœtale et y forme ces membranes qui servent d'intermédiaire à l'œuf et à l'utérus. D'après ce que nous savons des pro- priétés de la fibrine dans la formation des cicatrices des plaies, je pencherais volontiers à croire que ces membranes, dites annexes du fœtus, s'organisent réellement. Au reste, c'est une question que je ne prétends pas résoudre en ce moment. Je vous fais part d'une simple conjecture , qui , peut-être par la suite , pourra nous mettre sur la voie de la vérité. Quoiqu'il en soit de tout ceci, vous remarquez dans ce caillot nuageux que je vous présente une ( 169 ) disposition vasculaire qui n'avait pas échappé au génie de John Hunter, qui avait plutôt deviné que découvert par ses recherches Timporlance de ces études ; j'ai même vu, dans son cabinet d'anatomie, en Angleterre, un caillot qui avait l'apparence d'une organisation véritable. Voici une autre coagulation du sang humain dans laquelle on aperçoit une trame organisée très visible. De plus, ce caillot se rétracte au moindre mouvement qu'on imprime au vase, et ses oscilla- tions se propageant dans toute son étendue , lui donnent l'aspect d'un mollusque, et plus particu- lièrement d'une méduse. Cette autre éprouvette a reçu un mélange de soixante centilitres d'eau sucrée et quatre cen- tilitres du sang d'un chien. Ici nous avons em- ployé l'eau sucrée pour ne pas dissoudre les globules : aussi la fibrine est-elle presque incolore et forme une trame très visible. Si nous eussions mis ce sang avec de l'eau pure , il serait arrivé ce que vous voyez dans ce vase qui contient cent- soixante parties d'eau distillée et cinq de sang. Il y a bien encore un caillot évident, mais l'eau ayant dissous les globules, la coloration rouge du liquide empêche de distinguer et d'apprécier la structure du congulum. Ainsi, selon qu'on modifie la nature du liquide dans lequel on verse le sang , on observe des ré- sultats particuliers. Je ne sais où cela pourra nous conduire, mais je suis certain que nous sommes sur la voie d'observations curieuses. Voici, par exemple, dix parties de sang de chien avec soixante (170) parties du sérum humain. Voyez à quelle singu^ liére production ce mélange a donné lieu. TNous avons un cylindre élargi par ses deux extrémités^ formées d'un tissu aréolaire , la matière colorante s'est déposée au centre. Le caillot nuageux , au lieu d'occuper la partie supérieure, comme il arrive ordinairement, se voit au bas du vasej tandis que supérieurement , nous avons le caillot celluleux ou trameux. A la partie moyenne, cette substance rouge foncé que vous apercevez constitue le caillot des médecins. Il y a aussi çà et là différentes con- formations membraniformes qui font adhérer le cylindre aux parois du vase. Nous soumettrons ce coagulum à un examen microscopique tout parti- lier, et nous vous rendrons un compte exact de nos remarques. Tous ces phénomènes sont si nouveaux pour nous, que craignant de nous lancer dans des hy-^ pothèses qui seraient peut-être directement oppo- sées à la vérité , nous nous trouvons fort restreint dans ce que nous avons à vous dire. Nous préfé- rons donc^ pour vous donner en même temps le précepte et l'exemple , attendre d'être mieux in- formé par des expériences subséquentes, avant d'aborder les conséquences probables de ces diffé- rents faits. Il faudra aussi que nous essayions si avec des proportions d'eau variables, l'arrangement de la fi- brine se modifiera ; car je pense que dans les mala- dies graves cette substance ne se solidifie pas de la même manière ; c'est encore une conjecture dont nous tâcherons de vérifier la valeur. ( 1T1 ) Un problème qui a beaucoup occupé les physiolo- gistes , c'est de savoir si la coagulation de la fibrine était un phénomène physique, ou s'il dépendait de la vitalité. Ainsi, certaines substances jouissent de la propriété dé se solidifier, l'acide pectique, la géla- tine, par exemple : cette dernière, mêlée avec cent fois son volume d'eau, se prend en masse lorsqu'on la soumet à une température graduellement re- froidie. Il est clair qu'ici ce n'est pas une influence vitale qui agit. Le sérum, mis en contact avec l'acide acétique, se solidifie également; mais c''est simple- ment l'effet d'une réaction chimique de l'acide sur l'albumine. On a donc établi cette question pour la fibrine seule, et cela avec d'autant plus de raison que l'albumine et le sérum solidifiés , l'une par la chaleur, l'autre par un agent chimique, ne pré- sentaient pas les traces d'arborisation qui sont un des caractères distinctifs de la première. Pour nous , il nous importe peu que ce phénomène soit du ressort de la physique, de la chimie ou de la vi- talité. Mais il faut que nous tachions de consta- ter comment cette solidification a lieu , et comme nous ne voulons pas plus dans cette circonstance que dans d'autres nous écarter de la bonne voie, nous nous rapporterons à nos guides ordinaires l'expérienceet l'observation. Toutefois, il est un fait qui, s'il est vrai , ne serait pas en faveur de l'une de ces opinions, le voici : si on prend du sang et si avant qu'il soit coagulé, on le soumet à un froid intense; il se congèle. Puis si on vient aie sous- traire à l'influence de cette basse température , il redevient liquide et se coagule véritablement. ( n2 ) J'avoue que c'est une des objections les plus fortes que l'on puisse faire à l'organisation vitale de la fi- brine; caria congélation détruit ordinairement la vie dans tous les animaux qui y sont soumis. Néan- moins, comme nous ne rapportons ce fait que siu" ouï-dire, nous nous tarderons bien de rien con- dure avant de l'avoir vérifié. Je vais faire soumet- tre aussitôt après la séance- du sang à un mélange frigorifique artificiel, et la prochaine fois que nous nous réunirons , j'aurai quelque chose de positif à vous annoncer sur ce sujet. En attendant, Messieurs, voici quelques consi- dérations qui se rattachent à la question de la coagulation du sang et qui nous mèneront à des conséquences applicables en pathologie. Toutefois, permettez-moi de vous dire que nos idées se sont déjà propagées dans le public médical, et que Ton a répété quelques-unes de nos expériences sur la production de bruits particuliers perçus à Tauscub tation des artères dans le cas de liquéfaction du sang. Jusqu'ici , on avait attribué ces phénomènes à des altérations locales du tissu des vaisseaux.Voilà donc une idée fausse, erronée, remplacée par un fait expérimental irrévocable. Mais revenons à l'étude de la coagulation : si au lieu d'une solution sucrée, nous ajoutons au sang du carbonate de soude li- quide dans les proportions suivantes: eau chargée de carbonate de soude, soixante-trois; sang, sept par- ties; le sang reste liquide,, subit même un commen- cement dedécomposition; on ne trouve plus de traces de la fibrine que l'alcali a dissoute, non plus que (473 ) des globules qui s'y dissolvent également. Voilà donc une substance qui s'oppose évidemment à la coagulation du sang , et puisque la propriété qu'a ce liquide de se prendre en masse, a sur nos organes une puissante influence , tout corps qui l'attaquera devra être éminemment nuisible à l'exercice des fonctions. Nous allons donc de nouveau reprendre cette étude pour en faire re- jaillir quelque clarté sur la pathologie. Dans une série d'expériences, nous passerons en revue l'ac- tion sur le sang des principales substances médi- camenteuses et alimentaires : c'est, je crois, un sujet qu'on n'a pas encore abordé, et qui pourtant devra nous fournir de précieux documents. Nous avons fait dans cette éprouvette un mé- lange de dix parties de sang et de soixante d'une solution d'hydrochlorate d'ammoniaque : il s'est formé un caillot remplissant toute la capacité du vase ; il est peu résistant, se déchire avec facilité et relient beaucoup d'eau dans ses mailles. Ainsi, plus nous avançons dans cette étude, plus nous voyons que les agents chimiques agissent énergiquement sur la solidification du sang, et moins nous sommes portés à croire à la vitalité de ce phénomène. Voici encore une expérience : c'est le même mé- lange, mais dans des proportions différentes : sang, cinq parties ; eau chargée d'hydrochlorate d'am- moniaque soixante- cinq. Ici la matière colorante a été dissoute; il s'est formé des espèces de coagu- lations partielles sans consistance, analogues à la gvlée de groseilles despathologistes. La même sub- ( 174 ) stance a donc des effets différents, selon qu'elle est en plus ou moins grande quantité. Toutefois, Mes- sieurs, ne croyez pas que ces recherches soient un simple objet de curiosité : elles se rattachent de plus près que vous le pensez à la pathologie. Com- bien de fois, dans les autopsies cadavériques de nos hôpitaux , n'avez-vous pas eu occasion de remar- quer du sang et des caillots semblables à ceux que vient de nous fournir l'hydrochlorate d'ammonia- que mêlé au sang : vous notiez ce caractère , mais vous demandiez-vous la raison , la cause pour la- quelle le sang était de cette nature plu tôt que de telle autre. C'est pourtant là ce qui vous serait d'abord venu à l'esprit, si vous n'eussiez été préoccupés par les systèmes en vogue qui attribuent tout aux soli- des, rien aux liquides. Si nous examinons du sang mis en contact avec l'hydrochlorate de soude, dans les proportions sui-. vantes: soixante-huit d'une solution aqueuse, deux parties de sang , quoique nous ayions employé du sang veineux, nous avons un caillot d'un rouge écarlate. En outre, il offre une organisation véri- table et des espèces de mouvements péristaltiques qui sont dus à son extrême élasticité. Ce second mélange de soixante parties de la même solution de sel marin et de dix parties de sang nous a donné une solidification entière , ferme, résistante et de couleur artérielle comme le précédent. L'action de l'hydrochlorate de soude ou sel commun est donc , comme je vous l'ai dit dans la dernière séance, un phénomène d'autant plus digne de notre attention que la nature elle- ( 1T5 ) même nous a donné le besoin instinctif de cette substance que nous retrouvons partout en grande quantité. Il résulte de ce qui précède , Messieurs, que cer- tains corps diminuent ou enlèvent totalement la faculté qu'a le sang de se prendre en masse, tandis que d'autres favorisent cette tendance à se coaguler; propriété très remarquable et qui fait la base, comme nous vous le dirons plus tard , d'une des branches les plus importantes de l'art chirurgical; je veux parler de l'oblitération des artères , de la réunion par première intention sur laquelle se fon- dent les autoplasties, la cicatrisation des plaies, et en général tous phénomènes dans lesquels la fi- brine du sang joue le principal rôle en se solidi- fiant. Nous terminerons cette leçon , Messieurs , en vous avouant une erreur dans laquelle nous som- ines tombés dernièrement. Nous vous avions an- noncé que deux animaux, dont l'un avait été défi- briné et Fautre soumis à une diète forcée , avaient présenté de l'albumine dans leur urine ; le fait est inexact : un examen plus attentif, l'analyse chi- mique , a confirmé une conjecture que nous n'a- 'çions faite que très légèrement et nous a démontré que ce qu'au premier coup d'œit nous avions pris pour du nitrate d'albumine n'était autre chose que du nitrate d'urée. Il est ici en si grande abon- dance que ce pourrait devenir un moyen de se procurer l'urée. ( 1'6) TREIZIÈME LEÇON, 2 Février 1838. Messieurs , D'après ce que nous vous avons dit précédem- ment , vous avez dû voir combien Thistoire du sang était peu avancée et quelles difficultés entra- vaient son examen. Les faits nombreux et nou- veaux qui se sont présentés nous ont bientôt appris que, malgré les recherches don t cette étude a été l'ob- jet , la question n'en était devenue que plus com- pliquée et demandait à être reprise ah-o^O) car, si d'un côté, on a montré trop de confiance dans l'a- nalyse chimique pour résoudre des problèmes de cette nalure, d'un autre, le rôle passif que le soli- disme fait jouer aux liquides de l'écononiie a donné une fausse impulsion aux travaux des physiologistes, de sorte que nous avons non seulement à lutter contre le mystère dont la nature entoure les phé- nomènes de l'organisme, mais encore contre une foule d'erreurs puisées je ne sais où et comme à dessein de redoubler l'obscurité du sujet. ( ^^^ ) C'est ainsi que la question qui , après avoir été tant agitée, paraissait complètement résolue, je veux dire la coagulation du sang, était au moins inexacte dans son énoncé et ses résultats. Des hommes du plus haut mérite , des savants distin- gués partageaient l'opinion générale que les globu- les seuls formaient le caillot. Nous avons établi par nos expériences que la fibrine seule constituait le parenchyme, le coagulum lui-même, et ne re- tenait qu''accidentellement les globules et une plus ou moins grande partie de la sérosité, comme une éponge retient dans ses aéroles les liquides qui s'y engagent. Si nous eussions étudié la fibrine par les procédés ordinaires, la compression, le lavage du caillot des médecins, ou la flagellation du sang à sa sortie des vaisseaux, nous n'eussions pas été à même d'observer ces organisations membranifor- mes et arborisées que forme cette substance pour constituer la trame du caillot, organisations qui nous l'ont montrée présidant à la réparation des lésions traumatiques qui arrivent dans l'écono- mie, et sans doute aussi à l'entretien de nos orga- nes. Un des phénomènes les plus curieux que nous ait présentés cette coagulation, c'est la formation d'un caillot onduleuxdans un mélange de 65 par» lies de solution d'hydro-chlorate de soude et 5 de sang d'un animal. Contourné en spirale, il se rac- courcit, s'alonge alternativement comme certains mollusques, tellement que l'on croirait volontiers avoir un animal vivant devant les yeux. Ce serait même une fort jolie pièce, si on venait à créer une T. IV. Magendie. 12 ( 178 ) physiologie amusante comme on l'a fait pour la chimie et la physique. Du reste , c'est un moyen des plus avantageux si l'on veut rendre évidente l'élasticité que possède là fibrine. Nous avons dit que les physiologistes avaient en général étudié sans résultats satisfaisants la coagula- tion du sang. Les questions peu importantes qu'ils ont essayé de traiter nous rendent raison de Tinsuc- ces de leurs recherches : ils s'occupaient, par exem- ple, à savoir si, lorsque le sang se coagule, ily a déga- gement de calorique. Si, en traitant ce sujet, on se rappelle les lois physiques qui président au chan- gement d'état de la matière, on peut croire que {a chimie et la physique ont à l'avance donné la solution de ce problème. En effet, dans tout corps qui passe de l'état liquide à l'état solide, il y a rapprochement de molécules, diminution de vo-* lume, dégagement de calorique , d'électricité, et par suite élévation de température. Mais cette ap- plication des lois physiques au sang n'a pas été vérifiée par l'expérience et ne saurait, par consé- quent , être admise. La meilleure manière de tirer partie des applications de ce genre à la physiolo- gie est de ne point en abuser, c'est-à-dire de re- connaître celles-là seules que l'expérience directe a confirmées. Quoi qu'il en soit ici, à cause de la petite quan- tité de fibrine sur laquelle il nous est donné d'ex- périmenter, nous ne pouvons juger que par ana- logie du phénomène de l'abaissement de tempéra- ture qui n'est pas appréciable à nos instruments les plus délicats. ( ^^^9 ) On s'est aussi demandé si la coagulation pou- vait avoir lieu au-dessous de zéro thermomélrique. Nous avons soumis du sang à un froid de ^4° — o; mais avant qu'il eût pu se congeler, il s'y était au contraire formé un caillot très ferme et très consis- tant. Dans une autre expérience, nous avons voulu constater l'effet d'une température assez élevée. Du sang exposé à une chaleur de 50 à 55o ther- momètre de Réaumur, s'est coagulé comme dans un milieu ordinaire. Ainsi, le froid, la chaleur, le repos, le mouvement n'empêchent pas la produc- tion de ce phénomène. Toutefois, nous connaissons une circonstance dans laquelle cet effet n'est pas produit, quoique le sang soit agité. C'est quand, ayant fait chauffer à 30°, le corps d'une seringue, on y reçoit du sang artériel provenant directe- ment des vaisseaux : tant que le liquide éprouve dans le vase inorganique l'impulsion commu- niquée par le cœur, il ne se prend pas en masse. Nous avons mis à profit cette propriété pour pra- tiquer la transfusion du sang d un animal sur un autre. Je ne parle pas d'une petite quantité de li- quide, car on peut en accumuler ainsi près d'un demi - litre dans une seringue , la partie la plus éloignée de Faction de la pompe gauche , ne se coagule pas davantage que la plus rapprochée. Quoi qu'il en soit. Messieurs, vous voyez que ces questions n'ont guère d'intérêt que celui qu'on veut bien leur accorder. Toute l'importance du sujet se résume dans la coagulation proprement dite de la fihrine. Vous savez qu à l'aide de diver- ( 180 ses substances, nous avons neutralisé cette pro- priété ; vous n'ignorez pas non plus qu'en dépouil- lant le sangde son élément coagulabîe, il ne se prend plus en masse; témoin celui qui estdans cette éprou- vette depuis deuxjours, et dont vous pouvez remar- quer rextrême liquidité quand j'imprime au vase la plus légère impulsion. Mais ce ne sont pas là toutes les causes qui modifient la coagulation du sang ; il est des matières qui, par la voie de Tino- culatioU; produisent le même efFet; tels sont les diffé- rents virus de la rage, le venin de la vipère, et nom- bre d'autres qu'il serait trop long de vous énumé- rer ici ; d'autant mieux que j'espère plus tard consacrer quelques leçons à l'examen de ces hautes questions de pathologie. Toutefois, ce qui rend cette élude de la coagu- lation si importante, c'est qu'il est démontré que sa disparition, dans quelque circonstance qu'elle arrive^ entraine la mort. Vous vous rappelez, Mes- sieurs, que nous avons été de nous-même au-de- vant d'une objection qu'on eût pu nous faire : l'action d'une substance sur le sang est-elle la même, injectée dans ses vaisseaux ou seulement mise en contact avec ce liquide dans un simple vase; en un mot, la vitalité n'empêche - 1 - elle pas la réaction chimique : les épreuves que nous j avons faites n'ont laissé aucun doute à ce sujet, il 1 est bien constant que les matières que vous voyez ' liquéfier le sang dans nos éprouvettes agissent de la même façon dans les tubes vivants de nos or- ganes. Mais, préoccupé qu'on é(ait par l'opinion contraire, on n'a tenu compte d'aucune des cir- ( 181 ) constances que nous avons exposées. Bien plus, par le seul fait que je vais vous citer , vous pourrez juger combien on était dans Terreur , et quels graves accidents on a dû déterminer pour avoir ignoré l'histoire du sang. Un célèbre chirur- gien avait entrepris de remettre en honneur la transfusion de ce liquide d'individu à individu, opération qiii, à une certaine époque , avait joui d'une vogue voisine de la fureur, et depuis était tombée dans un discrédit complet. Il employait ordinairement ce moyen dans les cas de blessures suivies de grandes hémorrhagies et dans ces pertes utérines qui laissent quelquefois un individu ex- sangue ; mais ayant remarqué que la coagulation du liquide était souvent un obstacle à la réussite de l'opération,, il extrayait la fibrine du sang qu'il de- vait injecter, afin de prévenir la formation des caillots et par suite l'obstruction des vaisseaux ca- pillaires. Aujourd'hui que l'expérience a prononcé sur les fâcheux résultats que doit avoir une pa- reille méthode, vous vous garderiez bien, je l'es- père, de l'employer. Vous avez vu à quelle série d'accidents, l'injection du sang défibriné donnait lieu chez des animaux bien portants. Que devait- il donc en être pour des individus dont l'organis- me était déjà troublé par une influence morbide plus eu moins grave. Toutefois, la transfusion pra- tiquée convenablement n'est pas entièrement à dé- daigner ; je ne doute même point que, dans cer- tains cas, on ne pût en tirer un parti avantageux ; surtout, lorsqu' adaptant le bec de la seringue à une artère,on la laisse se remplir par la seule près- { 182 ) sion du liquide. Les contractions du cœur font monter le piston, et bientôt la seringue se trouve remplie d'un sang qui n'a rien perdu de sa flui- dité, et par conséquent l'on peut réinjecter sans crainte. Depuis que nous nous servons de ce pro- cédé, vous n'avez jamais vu qu'il eût amené au- cune terminaison funeste. Il me vient maintenant à l'idée de modifier cette expérience ^ voici ce que je compte faire. Nous prendrons un animal qu'on aura délibriné, et en même temps qu'aura lieu dans ses veines la trans- fusion du sang d'un animal bien portant, nous ouvrirons une artère, pour qu'à mesure que le sang normal pénétrera dans ses vaisseaux, le li- quide défibriné trouvant une issue, ne se mélange que le moins possible avec lui. Si ce moyen réussit, je crois que ce sera désormais la seule méthode à employer pour remplacer réellement du sang de mauvaise nature par un sang propre à entretenir les fonctions qui constituent la vie. Cette transfusion n'offrirait du reste pour l'homme pas plus de difficulté ni de danger que celle que nous avons si souvent pratiquée jusqu'ici sur les animaux; vous savez que chez nous il existe des artères faciles à mettre à nu, et qui, adossées à des surfaces osseuses, offrent, comme la temporale par exemple, un point d'appui très résistant pour opérer la compression, si i on ne veut pas avoir re- cours à la ligature. A l'appui de ce qu.^ je vous* disais tout-à-l'heure sur les accidents consécutifs de la défibrination, voici le cadavre d'un animal auquel nous avions ( 183 ) extrait différentes quantités de sang que nous réinjections dans ses veines après en avoir enlevé sa fibrine : des troubles très graves n'ont pas tardé à se déclarer, et il y a succombé en peu de temps. Son sang était devenu tellement impropre à cir- culer dans les capillaires de ses organes, qu'il s'est épanché dans tous les tissus, mais particu- lièrement dans le poumon , auquel il a donné l'apparence d'un vaste caillot. Qu'on vienne, de- vant de tels faits, contester la perméabilité de nos membranes et les propriétés que doit avoir le sang pour traverser sans s'imbiber ses innombrables ré- seaux vasculaires. Il se trouverait pourtant des adeptes de certaines théories, assez fervents, as- sez fanatiques, passez-moi le mot, je devrais dire àèsez ineptes , pour ne voir dans ce poumon phy- siquement imbibé , mécaniquement rendu im- propre à la respiration , pour n'y voir , dis -je , qu'un vaste foyer inflammatoire : ce serait, se Ion eux, une hépatisation, ou tout autre mot in- signifiant. Je vous l'avoue. Messieurs, je désespé- rerais presque de l'avenir de notre art, si je ne voyais chaque jour faire justice de ces contes : ils ne seraient que burlesques dans tout "autre cas , mais ils deviennent déplorables dans la bouche d'hommes d'ailleurs fort estimables et dont je fais le plus grand cas , chargés de guider la jeunesse dans la carrière médicale. Voici maintenant d'autres faits : si au lieu de soustraire à la fois toute la fibrine du sang d'un animal, on ne l'enlève que partiellement, et par petites quantités, on voit ces soustractions i épétées ( 184 ) se traduire par des lésions locales dont il est im- possible de méconnaître l'origine. En même temps, il se passe un fait fort curieux : la fibrine du sang, au lieu de diminuer, augmente ; nous vous avons, l'année passée, expliqué ce phénomène par une conjecture , qui du moins rendait parfaitement compte de l'émaciation subite des animaux dont on défibrinait peu à peu le sang : nous ne savons rien de plus aujourd'hui; ainsi notre hypothèse n'est ni renversée, ni confirmée; vous voyez par consé- quent quelie valeur vous devez lui accorder. Quoi qu'il en soit, afin de vous mettre mieux en mesure de juger le fait par vous-mêmes, nous avons, à des distances égales, pratiqué à un fort chien trois sai- gnées, l'une de 12 onces , l'autre de 10, onces et la 3'"' de 8 seulement. Chaque fois , le sang a été battu, passé à travers un linge, puis immédiatement réinjecté dans les veines de ranimai : voici dans ces trois vases la fibrine que chacune de ces saignées nous a fournie. La première est blanchâtre , sou- ple, élastique, elle est normale. La seconde est déjà plus molle, plus spongieuse, mais cependant offre un plus grand volume , quoique la quantité de sang fût moindre. Ces caractères sont encore bien plus saillants dans la fibrine de la troisième saignée; beaucoup plus volumineuse, le plus léger effort suffit pour la rompre : sa cassure, au lieu d'être nette, laisse apercevoir des filaments inégaux, ce qui indique que la force de cohésion par laquelle elle a d'abord résisté à la traction , était inégalement répartie sur les fibres. La fibrine normale a donc subi ( ^^85 ) des saignées et de la réintroduction du sangdéfi- briné des modifications remarquables dans ses pro- priétés physiques, le volume, l'élasticité et même le poids; car, pesées comparativement, la pre- mière, quoique présentant une masse moindre, offre une pesanteur beaucoup plus considérable que celle de la dernière. Passons maintenant aux caractères chimiques. Il en est un surtout qui ne permet pas de con- fondre cette fibrine de récente formation avec la fi- brine normale; c'est que, soumise à une tempé- rature de 60° centigrades sur un bain de sable , au lieu de se dessécher,, elle se liquéfie à la manière de l'albumine; c'est à cette substance ainsi modifiée que j ai donné le nom à^pscudo-fibrine, (Voir le 3' volume, de mes Leçoiss sur les rHÉNOivièivES phy- siques DE LA. v[i:). Il résulte de là qu'en défibrinant peu à peu le sang, il est possible d'altérer ce liquide, sans pour cela lui ôter la faculté de se coaguler. Il ne fiudra donc plus désormais se borner à examiner si tel sang contient de la fibrine et en quelle quantité il en contient, mais bien quelle est la nature de cette fibrine. Cette analyse facile et abrégée du sang restera, je l'espère, dans la science; par elle nous appren- drons sûrement et sans peine quelque chose sur la constitution d'un individu; tandis que l'examen superficiel que font les médecins, du sang coagulé, est propre à les induire en erreur. Nous allons maintenant, Messieurs, appeler votre attention sur une autre face du même sujet, qui se ( ^86 ) rattache également à des questions de pathologie non moins importantes. Nous avions remarqué que du sang normal mis dans une éprouvette avec certains liquides j se coagulait , tandis que mélangé avec d'autres liquides , il ne se solidi- fiait plus. Voici, en effet, dans ce vase, du sang qui en sortant de l'artère a été mêlé à de l'eau putré- fiée; il n'y a pas la moindre trace de coagulation. Cet autre vase contient du même sang mêlé à de l'eau ordinaire; le tout s'est pris en masse. Il est évident que, dans le premier cas, ce n'est pas feau qui a empêché le sang de former caillot , puisque cette eau, moins les matières putrides, n'a eu au- cun effet sur la coagulation du même sang. Cette liquéfaction ne peut donc être attribuée qu'aux particules , putréfiées que ce liquide tient en sus- pension et sans doute à l'hydrosulfate d'ammo- niaque qui se forme par l'acte de la putréfaction. Ce fait nous a paru digne de fixer l'attention ; nous avons dû d'abord chercher à déterminer s'il fallait peu ou beaucoup d'un liquide putride pour occa- sionner de graves désordres, et nous avons reconnu que quelques gouttes seulement injectées dans les veines d'un animal le tuaient presque instanta- nément. Cette question est d'autant plus impor- tante, que l'homme, par la respiration et par d'au- tres voies encore, est sans cesse exposé à introduire dans son sang des molécules aussi délétères qu'in- saisissables ; une fois entrées dans le torrent de la circulation, elles ne tardent pas à manifester leur présence en désorganisant le liquide auquel elles se trouvent mélangées. Prenez le sang des individus ( 187 ) qui ont succombé aux terribles phénomènes que développe l'absorption miasmatique ; couleur , liquidité, fétidité, tels sont les caractères qu'il vous présentera, caractères que vous présente aussi le sang contenu dans ce vase : ici donc, encore, même action sur le liquide qui a cessé de circuler. Oui^ Messieurs, je le dis avec confiance, nous sommes sur la voie du mécanisme de ces fléaux qui désolent certains rivages, certaines contrées, de ces épidé- mies meurtrières connues sous des noms différents, quoique provenant d'une même cause. Croit-on avoir beaucoup fait pour la pathologie en attribuant à une gastrite spécifique le trop fameux vomisse- ment noir de la fièvre jaune? Mais que diront les partisans de l'inflammation , si nous leur dé- montrons qu'avec quelques gouttes d'eau putride portées dans la circulation, nous allons développer les effrayants symptômes de leur prétendue gastrite spécifique; si nous leur faisons voir le sang, altéré, décomposé , épanché dans la muqueuse gastro- intestinale, et rejeté au dehors par le vomissement sous la forme d'un liquide noirâtre, poisseux? Se- ront-ils convaincus qu'il n'y a eu là ni irritation ni inflammation? peut-être î mais pour l'avouer, non! jamais î la vérité ne s'introduit dans l'esprit hu- main que par la succession des générations ; ja- mais on ne voit une génération se réformer; elle vit et meurt avec ses préjugés, ses croyances ^ les jeunes gens seuls sont les propagateurs du vrai quand ils sont dirigés dans cette voie. C'est assez nous occuper de ces questions qui n'en sont vraiment pas ; laissons reposer un instant ( 188 ) rinflammadon, Tirritation, et revenons à l'action de l'eau putride sur le sang, et par suite sur toute l'économie. Comme complément de ce que nous avons dit plus hautj nous allons procéder à l'autopsie d'un animal qui a succombé en deux heures, à la suite de l'injection dans les veines d'un peu d'eau pu- tréfiée. La maladie ayant été de courte durée , nousn'aurons pas probablement d'altérations très prononcées ; mais commençons : dés la première incision , nous pouvons juger que le sang doit être liquide; voyez comme il s'écoule en bavant de l'incision des téguments. Les muscles pré- sentent un piqueté, un pointillé remarquables; ce n'est autre chose qu'un grand nombre de très- petites pétéchies formées par l'extravasation du sang : la substance cérébrale offre assez souvent cette apparence. Le thorax est ouvert, le poumon ne s'est que légèrement affaissé sous le poids de la colonne d'air; cependant il est peu altéré. Les principaux désordres ont dû avoir lieu dans l'ab- domen que je vais ouvrir avec précaution. Toute- fois, je vous rappellerai un fait qui jusqu'ici s'est constamment soutenu, c'est que lorsque nous in- jectons une solution de sous-carbonate de soude, ce sont les organes thoraciques sur lesquels nous remarquons les désordres qui ont amené la mort, comme nous allons sans doute le constater de nou- veau tout-à-l'heure par l'autopsie d'un autre ani- mal qui a succombé sous l'influence de cette sub- stance. Voici les intestins mis à découvert dans toute leur longueur; ils sont soulevés par des dépôts ( 189 ) sanguins épanchés dans leur tissu cellulaire; on remarque aussi, à leur surface, de larges plaques formées par des exhalations d'albumine et de mucus; ce serait vraiment un très-beau cas d'en- térite aiguë pour certaine école : quant à nous, nous n'y voyons qu'une distension des vaisseaux capillaires par un sang noirâtre et liquide, dont les éléments dissociés en partie ont transsudé à tra- vers les diverses tuniques du tube intestinal. Ces phénomènes pathologiques sont d'autant plus mar- qués, ainsi que nous l'avons constaté nombre de fois , que la maladie a été plus longue. Passons à l'autopsie du chien qui a reçu dans les veines une injection de 25 grammes de sous-carbo- nate de soude : je nepensepas que nous y trouvions un démenti de la théorie que nous vous exposions tout à l'heure. Chez cechien,la mort a étéinstanta- née; elle a du survenir à la suite de l'altération pro- fonde du poumon. En effet, cet organe est distendu par un sang liquide qui ruisselle sous l'incision de monscalpel.La plèvre est aussi le siéged'unépanche- ment sanguin. Cesdésordres mécaniques constitue- raient une pneumonie , une hépatisation rouge et grise: ce serait même une bonne fortune pour quel- ques pathologistes qui discourent des heures entiè- res et font des volumes sur les questions les plus sim- ples qu'ils trouvent moyen d'embrouiller au point de les rendre inintelligibles. Ils compteraient ici le nombre de cellules que Tinflammation a respec- tées, décriraient minutieusement les diverses nuan- ces de coloration que présente ce poumon, consta- teraient le poids, le volume de l'épanchement ( 190 ) pleurétique, etc.; mais demandez-leur seulement la cause de ces désordres , vous n'en tirerez que ces mots : irritation ! inflammation ! et ils préten- dent^ après cela, avoir fait de l'anatomie patholo- gique. Afin de ne laisser aucun poinj: douteux relative- ment à l'influence spéciale qu'a sur le poumon le sang liquéfié par le sous-carbonate de soude, nous avons ouvert Fabdomen ; les circonvolutions qu'y forme le tube digestif, ne présentent autre chose de remarquable qu'un amas de fèces noirâtres dans le gros intestin. Les organes abdominaux ont tou- tes les apparences de l'état sain. ( 194 ) QUATORZIÈME LEÇON. s Février 1858. Messieurs , Au commencement de la dernière séance, nous avons examiné l'effet de la température sur la coa- gulation du sang; nous avons noté les résultats obtenus; vous vous les rappelez sans doute. Pour moi^ frappé de l'assurance avec laquelle tous les observateurs affirmaient que le sang soumis à un froid rigoureux se congelait sans se coaguler, et que si, dans cet état, on élevait la température, il redevenait liquide pour s'organiser ensuite en cail- lot normal , j'ai voulu répéter l'expérience. A cet effet, chez moi, dans mon cabinet, après avoir plongé le tube en verre que voici dans un mé- lange réfrigérant qui marquait au thermomètre de Réaumur 1 4'^— 0, j'y ai fait tomber du sang qui bientôt a été solidifié. Au bout d'un certain temps, j'ai retiré ce tube du mélange et j'ai par degrés élevé sa température; mais , bien que j'aie suivi l'expérience avec la plus scrupuleuse attention, que je ne l'aie pour ainsi dire pas quittée des ( 192 ) yeux , je n*ai pas vu le sang redevenir liquide. Maintenant encore, à part une petite quantité de sérum qui s'en est échappée, il est dans le même état qu'au moment où je l'ai soustrait au milieu frigorifique dans lequel je l'avais plongé. Il ne m'a pas semblé non plus qu'il eût subi aucune dimi- nution ni augmentation de volume. Je suis étonné de ne pas rencontrer les résultats signalés par les auteurs : ainsi , Messieurs , mes doutes n'étant pas éclaircis à ce sujet, je suspends mon jugement et j'en appelle à des observations ul ter ieiu^es, pour avoir moi-même sur ce phéno- mène une opinion arrêtée. J'ai établi, dans mon service de l'Hôtel-Dieu^ pour examiner la nature du sang, la même mé- thode que j'emploie ici. Nous recevons une partie du liquide dans un vase sans mélange, et une autre partie dans un autre vase de forme et de grandeur identiques, mais qui contient une solution sucrée, à laquelle nous avons reconnu la propriété de pré- cipiter les globules sans les dissoudre, ce qui nous permet d'apercevoir librement l'organisation de la fibrine qui s'opère , pour ainsi dire , sous nos yeux. Ces deux premières éprouvettes contiennent du sang d'une femme enceinte de 8 mois, mais bien portante du reste. Dans l'mie nous avons un cail- lot rouge, consistant avec une proportion de sérum qui paraît normale; dans celle où nous avions d'abord mis de l'eau sucrée, nous avons une trame fibrineuse très-apparente, formée par de longs filaments suspendus dans le liquide et adhérents ( 193 ) aux parois du vase; rien ici ne dénote que le sang soit altéré. Dans ces deux secondes éprouvettes a été reçu, de la même manière, le sang d'une femme avortée au sixième mois de sa gestation . Elle est dans un état de faiblesse et d'anémie qui ne permet pas d'affirmer qu'elle reviendra à la santé; aussi, voyez la différence qui existe entre les liquides contenus dans ces qua- tre vases : les deux derniers nous offrent un coa- gulum mou , flasque, d'une couleur louche , flot- tant dans un excès de sérosité, et une fibrine peu élastique et sans consistance. Toutefois, Messieurs, ceci est un simple rappro- chement : d'un côté nous avons une femme bien portante ; son sang parait normal : d'un autre, le sang de la femme malade est évidemment altéré. Nous poursuivrons ces recherches pour arriver à quelque chose de positif; nous vous ferons cepen- dant remarquer dés à présent les ressemblances qui existent entre le sang anormal, que nous venons de vous montrer, et celui des animaux que nous défibrinons partiellement. Ceci nous ramène tout naturellement au sujet sur lequel j'ai dernièrement appelé votre attention, à savoir les résultats de la défibrination du sang. Vous vous rappelez que l'élément coagulable de ce liquide, lorsqu'il est enlevé peu à peu, se reproduit avec une rapidité vraiment extraordinaire : la nature de ce phénomène nous a échappé; mais tant est - il , que la fibrine que nous recueillons sur les animaux auxquels nous en avons sous- trait une partie, que cette fibrine , dis-je, est sin- T. IV. Magendie. 13 ( 194 ) guliérement modifiée ; elle est boursoufflée , d'une apparence spongieuse , moins pesante , et pour- tant plus volumineuse. Semblable à l'albumine, elle se liquéfie à une température de 60° — 0 cen- tigrades. Curieux de pousser aussi loin que pos- sible nos rechercbes sur ce fait étonnant , nous avons pratiqué à l'animal dont je vous ai parlé dans la dernière séance, une quatrième saignée; son sang reçu dans ce vass ne s'est point coagulé; mais ce qu'il y a de plus curieux^ c'est que trente centilitres de ce liquide nous ont fourni la masse considérable de fibrine que vous voyez sur cette assiette. Mon étonnement, je vous l'avoue, est à son comble î plus nous saignons l'animal, plus le volume de sa fibrine augmente. Reproduirons-nous ici notre hypothèse sur la formation si active de cette substance aux dépens des muscles, ou peut- être même des organes de l'économie ? Elle n'a pas acquis plus de certitude aujourd'hui que l'autre jour; et si nous prenons pour arbitre le raisonne- ment expérimental, il nous montre que la fibrine du muscle diffère sous plusieurs rapports de îa fi^ brine du sang et qu'il faut bien se garder jusqu'à preuve suffisante d'admettre une telle identité. Lais- sons donc le fait tel que l'expérience nous le pré- sente , et poursuivons le cours de nos observations. Donnons maintenant quelques détails sur l'état de l'animal qui a été soumis à cette défibrination graduelle. Telle est sa faiblesse, qu'il reste con- stamment couché sur le côté; l'œil est terne, les con- tractions des deux ventricules ont perdu une partie de leur énergie; l'inappétence est très-marquée. ( 195 ) Au moment où on lui a pratiqué la quatrième sai- gnée, il est tombé dans une défaillance assez prolon- gée pour qu'on l'ait cru mort; cependant, au bout de quelques instants, la respiration s'est rétablie,et, tant bien que mal , il vit encore. Nous vous tien- drons au courant des autres phénomènes morbides qui probablement ne tarderont pas à se déclarer. Nous avons constaté, dans la séance précédente, un fait simple en lui-même et facile à apprécier, mais dont les conséquences sont du plus haut inté- rêt et se rattachent à toutes les branches de la pathologie. Nous avons dit et prouvé que certaines causes déterminées enlevaient au sang la faculté de se coaguler ; nous avons montré ce liquide ainsi modifié s' imbibant à travers les parois de ses vais- seaux, s' épanchant dans le parenchyme des orga- nes et y développant des affections locales, dont on attribuait naguère la production exclusive aux soli- des. Vous avez pu voir dans quelle grave erreur on était généralement tombé, en cherchant dans la vitalité de nos tissus la cause de la plupart des désordres dont ils deviennent le siège. Là, où le fameux stimulus , cette espèce de suçoir, de ven- touse, de je ne sais quoi eafin, déterminait l'afïlux du sang , vous n'avez vu qu'une modification du liquide, et l'application aux membranes organisées de notre économie d'une des grandes et belles lois delà physique, l'imbibition et 1 exhibition; vous avez vu combien cette ignorance ou ce mépris de la science de Newton, de Toriceili, et de tant d'autres savants, avait été une source féconde en déplorables mécomptes pour l'humanité souffrante. ( 196 ) Dès son origine, la physiologie forcée de revêtir les oripaux d'un vitalisme absolu, au lieu de faits posi- tifs, enregistre des rêveries absurdes , des conjec- tures bizarres, et prête un appui mensonger à de ridicules théories; dès lors, vous assistez à la nais- sance de ce fameux dogme dont Thoméopathisme s'est emparé depuis , et qu'il a exploité à sa ma- nière : Similia similibus curantur. Un organe est enflammé : une cause invisible (le stimulus) , par un procédé mystérieux, y appelle sang: quoique sol- licité par une action physique , le liquide obéit cependant; il surmonte l'obstacle que lui opposent, en se contractant , ses infiniment petits canaux moins dociles que lui à la voix de l'inflammation ; il les distend outre mesure et se fraye à la fin une issue à travers leurs parois qui cèdent à ses chocs réitérés. Que devient alors le stimulus 1 On ignore comment cet esprit subtil a pénétré, s'est glissé dans un vaisseau capillaire ! personne ne l'y a vu entrer, personne ne l'en a vu sortir; je n'aurai donc pas la sotte prétention de vous en dire sur son compte plus que ceux qui l'ont inventé. Mais ce n'est pas tout. Messieurs, ceci, vous ne vous en douteriez pas, n'est que l'histoire, je devrais dire le conte, d'une des terminaisons naturelles de l'in- flammation. Voici maintenant les ressources que Tart met en œuvre pour couper court à l'incendie imminent de notre machine organique ; il les a puisées uniquement dans le bienfaisant axiome que je vous ai rapporté tout-à-l'heure. Nous avons donc une inflammation que nous voulons éteindre : nous vous avons exposé le rôle provocateur que ( 197) joue le stimulus en appelant le sang; nous allons tout simplement opposer à ce suçoir immatériel, invisible, un suçoir vivant; que dis-je, un ! nous allons en mettre 50, 100, 200; et devant cet appa- reil imposant de bouches absorbantes , le suçoir imaginaire sera bien obligé d'abandonner le théâ- tre de ses exploits. J'ai honte de m'exprimer ainsi, Messieurs, et d'être obligé de revenir si souvent sur de pareilles niaiseries; mais elles ont été d'un si grand poids dans la destinée de notre science, qu'elles ont pa- ralysée et même rendue nuisible dans nombre de cas, qu'on ne saurait trop les couvrir de ridicule et de mépris. Je dois aussi d'autant plus insister sur les phénomènes morbides que nous produisons en altérant le sang^ que les maladies épidémiques, même les plus meurtrières ^ développent sur l'homme des désordres analogues à ceux que nous remarquons sur les animaux défibrinés. Je n'ai pas besoin de vous rappeler ici les nombreux et frap- pants rapprochements établis par nous à l'époque où la grippe désolait la capitale, entre cette affec- tion et celles que nous faisions naître à notre gré sur des chiens; à tel point que, si ce n'eût été la différence de forme et de volume, vous eussiez con- fondu les pièces pathologiques de nos animaux avec celles que je faisais apporter des différents hospices, tant les désordres étaient identiques. Ce qui n'est encore qu'une théorie probable peut devenir par la suite un principe certain, et comme c'est là le but constant de nos efforts^, nous allons continuer nos recherches à ce sujet. ( 198 ) Je vous ai déjà plusieurs fois parlé du car- bonate de soude ; ce sel existe à l'état normal dans le sang mélangé avec les autres éléments de ce liquide. Nous pourrions donc présumer, affirmer même, que c'est une substance inno- cente. Vraie dans ce cas, cette hypothèse cesse de l'être dans d'autres circonstances. En effet, injecté dans les veines à doses élevées , ce sel détermine immédiatement la mort : nous pourrions donc aussi le regarder comme un poison énergique. L'expérience ne nous a laissé aucun doute sur son mode d'action: dissous dans de l'eau et mis dans certaines proportions en contact avec du sang, il empêche le liquide de se coaguler; or, l'effet est le même dans le système circulatoire et hors de ce svstème; les injections que nous avons faites sur des animaux vivants, nous ont encore démontré la vérité de ce phénomène. Ceci devient du plus haut intérêt, puisque ce sel entre dans la composition de plusieurs médicaments, qu'il pénètre ainsi dans l'économie et peut y causer de graves désordres. Pour mon compte, je surveillerai son emploi avec beaucoup de sollicitude , et désormais je mettrai plus de ménagement pour l'administrer même à médiocre dose. Voilà un résultat pratique qui n'est pas sans valeur et que nous devons à nos seules expériences. Vous connaissez aussi l'action de l'eau putride. Une petite quantité introduite dans les veines, li- quéfie le sang, c est-à-dire qu'elle tue. Cependant vous avez dû établir une différence importante en- tre l'action de ces deux substances : tandis que le ( 199 ) carbonate de soude agit spécialement sur le pou- mon, cet organe n'est presque pas affecté par l'injection d'eau putride qui porte toute son éner- gie délétère sur le canal intestinal. Ce n'est pas l'eau seulement qui sert de véhi- cule aux particules miasmatiques, le fluide que nous respirons en tient fréquemment en suspension : ce sont même ces exhalaisons putrides qui donnent lieu aux fièvres intermittentes des marais , fièvres que Ton évite quelquefois en se couvrant pendant le sommeil la figure avec un voile. L'air, en traver- sant son tissu, se trouve pour ainsi dire tamisé, et arrive à Forgane respiratoire épuré des molécules végétales ou animales dont il était chargé. Dans ces fièvres graves, qui dépeuplent les pays marécageux et humides, le sang est- il altéré? nous le pensons, sans l'affirmer pourtant : nous tâche- rons de nous en procurer pour éclairer notre con- jecture. Personne aujourd'hui ne doute que la fièvre jaune ne soit produite par l'absorption de miasmes provenant des animaux marins, des végétaux de toute nature que le flot a rejetés et abandonnés sur les rivages et qui s'y sont putréfiés. Cette af- fection terrible serait donc le résultat d'une in- fection. Si nous voulons d'autres faits qui se rattachent à cette question, nous en trouverons sans peine. Tout lemonde nereconnait-il pas maintenant que le typhus lui-même, qui attaque les armées, les vaisseaux, les grandes réunions d'hommes^ se com- munique par infection. J'ai va de près ce triste ( 200 ) fléau. Il fut, en 1814, comme Tavant-coureur des fers que l'Europe en armes allait nous imposer. Dés cette époque , Messieurs, j'avais remarqué une liquidité particulière du sang chez les malheu- reux atteints de cette redoutable épidémie. Ce fait m'avait même tellement frappé, que, selon son état plus ou moins fluide, je pronostiquais em- pyriquement et en bon praticien, une terminaison heureuse ou fatale. Plusieurs auteurs ont égale- ment signalé ce phénomène dans des affections de ce genre. Puisque nous sommes sur le chapitre des mala- dies prétendues contagieuses, disons un mot de la plus terrible, de la peste. Aujourd'hui que, grâces aux lumières de la physique et de la chimie, cer- taines questions médicales commencentà n'être plus auftsi obscures , qu'on ose les aborder, les traiter de sang-froid, on nous dit de toutes parts que ce fléau nait et se propage non par contagion d'homme à homme , non par le contact de marchandises ou d'objets contaminés, mais par infection. L'Egypte, son berceau ordinaire, est en effet dans les condi- tions les plus favorables à son développement. Des torrents de pluie succèdent en un instant à une chaleur intolérable que remplace brusquement un froid glacial. A ces transitions rapides de la tem- pérature, ajoutez les alluvions annuelles du Nil qui, en se retirant des plages qu'il avait momentané- ment couvertes, y laisse des milliers de cadavres d'animaux exposés à l'action incessante du soleil brûlant de l'Afrique. A ces causes joignez l'insa- lubrité des habitations, la malpropreté des Arabes; ( 201 } joignez-y, si vous voulez encore , ces vents terri- bles , qui ont englouti l'antique Egypte sous des mers de sables ; messagers de mort, ils portent et répandent au loin dans les populations les éma- nations putrides qu'ils recueillent sur leur pas- sage , comme si , après avoir bouleversé ce sol de fond en comble, ils devaient encore en faire dispa- raître jusqu'au dernier habitant. Ne croyez pas, Messieurs, que ce soit une opi- nion oiseuse et sans importance que celle de Tin- fection de la peste. Admettez-la pour un instant, faites abstraction du fantôme de la contagion ! A quoi serviraient ces précautions dites sanitaires, et qui ne sont que puériles, qui entravent sans né- cessité la liberté du commerce, ces quarantaines, ces lazarets où l'on désinfecte ce qui n'est pas in- fecté, où l'on neutralise un virus dont l'existence est encore un problème ? Qui peut affirmer sciem- ment que la peste puisse se transmettre par un bal- lot? où sont les preuves expérimentales , où sont même les faits bien établis qui pourraient le faire croire ou supposer ; loin de là, de simples asser- tions , des rumeurs nées de l'effroi des popula- tions, des faits cités par le vulgaire, mais contes- tés par les hommes de science, etc. Les gens qui ne voient que la superficie des choses jettent les hauts cris lorsqu'ils entendent seulement émettre un doute sur la contagion de la peste; mais tou- tes les clameurs possibles sont nulles devant le sage, La captivité de Galilée n'a pas empêché no- tre globe d'opérer sa révolution autour du soleil, et celui-ci de rester immobile au centre de l'univers. ( 202 ) Plusieurs médecins, et M. Chervin entr'au- très, ont demandé rautonsatloji de se dévouer pour la solution de cette grave question ; d'expé- rimenter loin des foyers habituels de la peste, sur des effets contaminés et dans une ile inhabitée. Le gouvernement l'a refusée ; tant il a craint d'éveiller des susceptibilités niaises ou intéressées. Telle est, Messieurs, l'opinion des personnes qui sont le plus à portée d'en juger : Clot-Bey pense également que la peste n'est pas plus conta- gieuse que le typhus : de sorte que cette question se rattacherait encore à celle des substances qui peuvent liquéfier le sang. Dans un des derniers semestres, un médecin, M. Lachèze, de retour de l'Egypte, où il avait ob- servé le fléau à différentes reprises, assistait ici à une de mes leçons où j'exposais mes doutes sur la contagion et la nature de cette affection. Après la séance il vint me trouver, me dit qu'en effet le sang des pestiférés ne se coagulait jamais, qu'il était pois- seux et noirâtre. (( Du reste, ajouta>t-il, vous avez « mis le doigt sur la question : tous ceux qui ont « vu la peste de prés, qui l'ont suivie sans crainte c< et sans préjugés , se rangeront de votre avis, s'ils c< n'en sont déjà, » Incessamment, lorsque nous étudierons l'action des gaz sur le sang , nous n'oublierons pas de re- chercher celle que produit sur lui le carbonate d'ammoniaque qui se développe dans les matières animales en putréfaction. ' Par tout ce qui précède, vous avez vu, Mes- sieurs, combien il serait important de connaître les ( 203 ) substances qui peuvent enlever au sang sa coagu- labilité : jusqu'ici nous n'eu pourrions citer que quelques-unes j cependant la liste en sera bientôt grossie : nous allons commencer tout-à-rheure une série d'expériences dans lesquelles nous mettrons les différents sels solubles en contact avec le sang ; mais en même temps, nous devrions rechercher quels sont ceux qui pourraient le coaguler pour servir pour ainsi dire d'antagonistes aux premiers. Il se peut faire que ces épreuves ne réalisent pas nos espérances ; n'importe, cela vaut la peine d'ê- tre vérifié. Puisque le carbonate de soude et l'eau putride ont agi sur le sang de l'éprouvette comme sur celui des tubes vivants, pour ne pas sacrifier inutilement des animaux à nos recherches, nous mettrons seu- lement le sang en contact dans un vase avec les substances suivantes : / Sulfurique, Chlorhydrique, Acétique, Oxalique, Tartrique, \ Lactique. Acid< 1 ^ Expérience. Acide sulfurique. D'après la pratique médicale et les idées généra- lement admises, on aurait pu penser que le pre- mier de ces acides augmenterait la coagulation du sang. En effet, on l'emploie pour arrêter les hémor- ( 204 ) rhagies , pour cautériser les surfaces d'où s'écoule du sang en trop grande abondance. En outre, la li- monade sulfurique est une boisson des plus en vo- gue dans nos hôpitaux pour remédier aux hémor- rhagies internes , aux pertes utérines, aux hémo- ptysies, etc. Cet acide est donc regardé comme favorisant la coagulation du sang. Il n'en est pourtant rien ; voici un mélange de 5 centilitres d'eau, h gouttes d'acide sulfurique concentré et un 1 centilitre de sang. Depuis hier que ces li- quides sont en contact, non seulement il n'y a pas de solidification de la fibrine, mais même la matière colorante est altérée : remarquez sa couleur noir-foncé. Cette action sur les globules en les altérant , en leur faisant perdre leur cou- leur normale^ et surtout en les privant de la pro- priété si caractéristique de rougir au contact de Tair, est encore un inconvénient à ajouter à la fâ- cheuse influence de cet acide sur la coagulation du sang. Il se pourrait donc, qu'au lieu d'arrêter les hémorrhagies , les boissons sulfuriques les favori- sassent. 2' Exp. Acide chlorhydriquè. L'acide chlorhydrique, dans les mêmes propor- tions, n'a pas non plus laissé coaguler le sang. 3' Exp. Acide acétique. L'acide acétique : Il entre dans nos aliments; et même certaines demoiselles en font un singulier usage. Pour diminuer leur embonpoint préma- ( 205 ) turé, elles en boivent journellement une assez grande quantité étendue d'eau , sans songer aux maux qu'elles se préparent pour l'avenir. Quoi qu'il en soit, ce sang n'est pas coagulé. Ce fait, que nous ignorions, était connu, vient-on de me dire, des charcutiers , qui se servent du vinaigre pour empêcher le sang de cochon de se prendre. h' Exp. Acide oxalique. 3 grains d'acide oxalique (sel d'oseille) dissous dans un peu d'eau ^ ont entièrement liquéfié le mélange. Il n'y a plus de trace ni des globules ni de la fibrine. Au reste, cette substance est signalée depuis long -temps comme un poison très éner- gique; mais ce qu'elle présente d'extraordinaire, c'est que tantôt elle agit comme un corrosif sur l'estomac, tantôt comme irritant la masse intesti- nale, tantôt, dit-on, sur le système nerveux ; dispa- rate qui pourrait bien n'être que la conséquence de son action sur le sang. 5" Exp. Acide tartrique. L'acide tartrique fait partie essentielle de pres- que tous les vins; il entre aussi dans la composi- tion de Fémétique. Il n'a pas formé de caillot dans Téprouvette où s'est opéré le mélange; cependant, il y a , ainsi que vous le voyez au fond du vase, un petit dépôt que je compte examiner au micros- cope. ( 206 ) 6 Exp. Acide lactique. L'acide lactique est peu énergique. Cependant sa présence a suffi pour s'opposer à la coagulation du sang. Voici maintenant une série de substances plus ou moins alcalines, dont nous avons voulu consta- ter l'effet sur le sang. Expériences sur les substances alcalines mêlées au sang. t" Expérience. Potasse pure. Potasse pure, 8 gouttes. La couleur du mélange est purpurine ; il n'y a pas de coagulation, si ce n'est quelques caillots mollasses , ressemblant à de la gelée de groseilles. 2^ Exp. Ammoniaque. L^ammonîaque a dissout la matière colorante : le tout est très liquide. 3e Exp. Eau de chaux. L'eau de chaux n'a pas dissout la matière colo- rante, mais nous verrons si elle l'a altérée. Point de coagulation. 4" Exp. Suif hydrate d'ammoniaque. Le sulfhydrate d'ammoniaque a laissé le caillot se former. Voilà un fait curieux. M. Bonnet, chi- (207 ) rurgien de FHôtel-Dieu de Lyon , a prouvé que cette substance se développe dans le pus qui sé- journe et qui a le contact de l'air^ ce qu'on démon- tre à l'aide d'un papier trempé préalablement dans un sel de plomb. Il est allé plus loin et a dit que la résorption de ce gaz produisait les symp- tômes de la résorption du pus. Mais ce fait ne s'est pas vérifié. D'ailleurs ce gaz ne reste pas dans le sang; il s'échappe par les voies respira- toires. Ici^ il a seulement formé un caillot très mou et très fétide^ comme vous pouvez bien le penser et même en faire l'épreuve. 5^ Exp. Nitrate de potasse. Le nitrate de potasse n'a pas non plus permis la coagulation du sang auquel nous l'avions mé- langé. De toutes les substances que nous venons de passer en revue, une seule a légèrement favorisé la coagulation du sang , et c'est justement celle que nous eussions le moins pensé devoir produire cet effet. Voilà comment ou comme on s'égare quand on fait des suppositions au lieu de prendre l'expé- rience pour guide. Avant de passer à l'expérience par laquelle je vais terminer cette leçon, permettez-moi de vous montrer du sang comme il ne faut pas en avoir pour se bien porter ; c'est celui d'un animal qui garde une diète absolue depuis cinq jours.Yoyez, le caillot est mon et occupe un très petit volume; en outre la teinte blanchâtre du sérum indique clai- rement qu'il est altéré. ( 208 ) Nous allons maintenant injecter de l'acide oxali- que dans la jugulaire d'un chien. Je mets à nu la veine : une ligature est serrée sur son bout supé- rieur pour prévenir l'écoulement du sang qui re- vient du cerveau ; dans le bout intérieur , j'intro- duis le bec de cette seringue qui contient deux gros de la solution suivante : Eau 50 centil. Acide oxalique 2 grammes. C'est donc à peu prés 35 cent, d'acide que nous allons faire entrer dans le système circulatoire de cet animal. Je pousse lentement le piston, de peur de déterminer immédiatement la mort par une in- jection brusque et saccadée. Mais les symptômes tardent à se déclarer, et l'heure avancée m'avertit de remettre à une pro- chaine réunion les détails consécutifs de cette ex- périence. C 209 ) QUINZIÈME LEÇON. 9 Février 1838. Messieurs , Je ne crois pas qu'il soit hors de propos de vous rappeler brièvement les principaux faits que nous avons observés dans notre précédente réunion. Ce qui s'offre d'abord à notre attention^ et qui a dû ne pas moins vous étonner que moi-même, c'est la légèreté avec laquelle nous autres médecins, sur la foi de je ne sais qui, employons comme héroïques des médicaments dont, en y regardant de plus près, nous ignorons le mode réel d'action. Frappé de Fin- nefficacité delà plupart des astringents pour arrêter les hémorrhagies, j'ai conçu des doutes surla valeur de ce moyen, et ces doutes se sont convertis en certitude, lorsque j'ai vu l'acide sulfurique liqué- fier le sang au lieu de le coaguler. Pendant votre absence , Messieurs , nous avons étudié au microscope différents mélanges d'acides et de sang que vous avez vus dans la dernière T. IV. Mageodie. H ( 210 ) séance ; je vais vous en dire quelques mots. Quant à leur analyse chimique, M. Frémy, quia bien voulu s'en charger , ne l'a pas encore terminée ; ce sera donc dans une de nos prochaines réunions que je vous en parlerai. Tous les acides avec lesquels nous avons expé- rimenté , ont à peu près présenté les mêmes phé- nomènes, et c'est en vain que nous avons cherché des traces de fibrine dans ces dissolutions. Par l'acide acétique, le Uquide est presque trans- parent, globules et fibrine ont été dissous; cepen- dant nous avons remarqué çà et là de petits flocons transparents, nuageux et des filaments extrême- ment déliés. Dans l'acide lactique , nous avons constaté la présence de parcelles légères tenues en suspension, et des espèces de globules formant de petites mas- ses par leur réunion. La matière colorante a to- talement disparu, ainsi que la fibrine. Le mélange avec l'acide chlorhydrique nous a montré de petits corps en suspension d'une forme particulière , les uns rectilignes , d'autres con- tournés en S ou en croissant. Toutefois, il y avait encore quelques traces de globules; c'était proba- blement des globules altérés , car ils étaient plus volumineux que ceux du sang normal. L'acide tartrique est celui qui a fourni la disso- lution la moins complète. On y voyait des globu- les colorés , très larges et de diverses dimensions ; à côté de ceux-ci d'autres globules de même forme, mais incolores ; puis des globules beaucoup plus petits , et enfin des corpuscules très irréguliers. Cl ( 211 ) reste à savoir maintenant si ce sont des détritus de globules ou de fibrine. J'oserais à peine hasarder une conjecture là-dessus. Cependant à quoi peut-on rapporter les globu- les incolores que nous avons aperçus dans ce mé- lange? Ils ressemblent aux grands globules blancs qui se manifestent immédiatement après que le sang est extrait de ses vaisseaux. Pour se les pro- curer, on se pique légèrement le doigt avec une épingle , on essuie la gouttelette qui en sort sur une lame de verre que l'on soumet au microscope; tandis que dans le sang qui circule on n'en voit point de traces. Toutefois , il serait assez curieux que Tacide tartrique eût la propriété de mettre ces globules en évideace. Toutes les autres substances essayées avaient entièrement liquéfié le sang ; on n'y apercevait plus aucune trace des globules ni de la fibrine. Poursuivons maintenant nos séries d'expérien- ces. Comme \ous devez vous y attendre, elles por- tent particulièrement sur les matières médicamen- teuses ; car il est pour nous de la plus haute im- portance de vérifier l'action que produisent ces substances sur le liquide qui réagit à son tour sur toute l'économie. V^ Exp. Carbonate de soude. Voici une éprouvette qui contient 60 centilitres d'eau , 2 grammes de soude et 5 centilitres de sang. La liquidité communiquée au mélange vous indi- ( 212 ) que assez comment il agit, introduit dans la circu- lation. N'abusons donc pas du soda-water , dans lequel ce sel entre en grande quantité. 2' ^x^érience. Bi-ca7^honaie de soude et sang. Voici du bi-carbonate de soude , de l'eau et du sang dans les mêmes proportions que ci-dessus. Pas davantage de coagulation; il y a même encore des cristaux de sel qui ne sont pas fondus; ce qui prouve que la quantité qu'on a mise n'a pas été tout entière employée à liquéfier le sang. Le li- quide est d'un rouge clair. Cette substance, que l'on trouve en grande pro" portion dans l'eau de Vichy, aune action particu- liéresurles urines, auxquelles elle communique son alcanité : on l'emploie pour combattre la goutte, les rhumatismes articulaires et dans un grand nom- bre d'autres affections : sa dose est de 1 , 2, 3 et même 4 gros par jour. Toutefois cette expérience confirme ce que nous avions dit de la propriété qu'a ce sel de donner au sang sa couleur artérielle tout en l'empêchant de se coaguler. 3^ Exp. Cai'bonate d' ammoniaque, îl n'est pas non plus entièrement dissout; cepen- dant il y a au milieu du liquide un petit caillot très léger. Nous ne pouvons, d'après cette épreuve, rien dire sur l'action de ce corps : nous recom- mencerons l'expérience. ( 213 ) 4^ Exp. SouS'Carbonate de potasse. Le sous-carbonate de potasse est , pour ainsi dire^ un succédané du bi-carbonate de soude; on l'emploie dans les mêmes circonstances, mais plus particulièrement dans le cas de graviers de phos- pbate de chaux , affection très commune en Bour- gogne. Il dissout le sang , mais^ à la différence de celui de soude, il le colore en noir. 5' Exp. Sulfate de potasse. Le sulfate de potasse nous a donné un précipité que je crois être formé d'albumine ou de globules. Nous tâcherons de nous éclairer à ce sujet. 6' Exp. Chlorure de chaux. L'effet produit par le chlorure de calcium n'est pas très appréciable ; il y a même un commence- ment de coagulation de la fibrine. 7' Exp. Eau chlorurée. L'eau chlorurée a teint îe mélange en noir sans coagulation. 8' Exp. Sulfate de fer. Le sulfate de fer a produit une réaction chimi- que évidente; il y a un précipité abondant d'albu- mine. On ne peut rien en conclure relativement à la coagulation de la fibrine. ( 214 ) 9*^ Exp, Alun, L'alun , qui est un çulfate d'alumine et de po- tasse , s'emploie à Textérieur, comme un astrin- gent très puissant , et cependant vous ne voyez ici pas même une trace de caillot. 1 0^ Exp. Deuto^chlorure de mercure. Le deuto- chlorure de mercure a donné lieu à un composé assez bizarre : à la partie supérieure du vase , nous apercevons les globules dissous , et en bas une combinaison du sel avec l'albumine. Ce phénomène confirme pleinement la pratique adoptée d'employer l'albumine comme contre-poi- son du sublimé-corrosif. 1 \ ' Exp. Acétate de plomb. L'acétate de plomb a précipité Talbumine sans avoir agi sur la fibrine, \ 2e Exp. Hydriodate ioduré de potasse. Nous arrivons maintenant à un médicament dont on retire de très bons effets dans les mala- dies chroniques des os, des articulations, les scro- phules et différents maux naguère jugés incurables; c'est riiydriodate ioduré de potasse. Il n'est per- sonne de vous (fui n'ait entendu parler des résultats avantageux fournis par cette substance dans le trai- tement des tumeurs blanches , desl ankyloses an- ciennes, des coxalgies, etc. Cest un des médica- ( 215 ) ments que j'emploie avec le plus de succès et dans nombre de circonstances différentes. Quoi qu*ilensoit, nous avons ici une action remarqua- ble : il y a une coagulation , mais je ne pourrais dire si c'est la fibrine ou l'albumine qui est solidi- fiée. J'étends le mélange d'eau, et vous voyez appa- raître un grand nombre de flocons couleur rouge- brique. Du reste , comme cela nous paraît en mé- riter la peine^ nous ferons de nouveau l'expérience pour en constater la valeur. 1 3^ Exp. Cyanure ferrure de potasse. Le cyanure de fer et de potasse a entièrement liquéfié le mélange. 1 4' Exp. Arséniate de potasse. Quant à l'arséniale de potasse, un de nos médi- caments les plus actifs , il a tellement décomposé le liquide , qu'on ne saurait quel nom donner à ce que vous voyez dans cette éprouvette , mais certes, rien n'y peut faire soupçonner une coagu- lation. 1 5' Exp. Nitrate d'argent. Le nitrate d'argent, 4 grammes ou 1 gros dans 60 centilitres d'eau et 2 de sang. Il s'est formé un caillot nuageux très apparent. Ce médicament n'est pas d'un usage très répandu; il ne s'emploie guère qu'à l'extérieur : du reste, vous le voyez^ il modifie la coagulation du san^^ , mais il ne l'empêche pas d'avoir lieu. ( 216 ) 16' Exp. Alcool. Alcool, 10 centilitres; eau, 60; sang, 1 . La coa- gulation est seulement modifiée. Aussi cette sub- stance prise à petites doses n'est-elle pas nuisi- ble. Je suis charmé du résultat pour les nombreux consommateurs de ce liquide. 17^ Exp. Phosphate de soude. Le phosphate de soude nous a donné un coagu- lum assez remarquable. Il n'a, comme vous voyez, rien qui rappelle , pour l'aspect , un caillot de sang ordinaire. Il y a au fond du vase des cris- taux qui ne sont pas encore fondus. 1 S^ Exp. Tartrate de potasse et d'antimoine, L'émétique avait déjà été de ma part l'objet de quelques recherches, mais non sous ce point de vue. On s'en sert particulièrement dans les pneu- monies pour agir sur l'organe respiratoire, dans les rhumatismes, etc. ; quelques praticiens l'ad- ministrent concurremment avec le sulfate de qui- nine dans certaines fièvres intermittentes. Ici nous en avons mis 2 grains dans un mélange de 6 centilitres d'eau et 1 de sang. L'action s'est principalement portée sur les globules; ils sont dissous et colorent le liquide en rouge. Il y a ce- pendant un caillot nuageux formé. Injecté dans les veines d'un animal, ainsi que vous nous l'avez vu faire, il a déterminé ce que les pathologistes appellent gastro-entérite et une pneumonie. Ainsi je doute que porté dans la cir- ( 217 ) eulatioii immédiatement, il puisse produire de bons effets. 1 9" Exp. Cinchonine. Incessamment nous examinerons l'action des différents alcalis végétaux. En attendant, voici un échantillon d'épreuve sur la cinchonine. Cette sub- stance existe dans les diverses espèces de quin- quina où elle se trouve alliée à un autre alcali , îa quinine. A la dose d'un grain , elle a formé avec le sang un des plus légers caillots que j'aie vus, et qui ressemble assez aux gelées végétales, quand elles ne sont pas encore entièrement solidifiées par le refroidissement. 20' Exp. Sulfate de quinine, A son tour , le sulfate de quinine a formé un caillot à peine visible; mais cela tient peut-être à la présence de l'acide sulfurique, que l'on a été obligé d'employer pour rendre le sel soluble. Nous re- commencerons cette expérience afin de mieux con- stater Faction du sulfate de quinine sur le sang. 21' Exp. Décoction de digitale sèche. La décoction de digitale, dont vous connaissez l'effet sédatif sur les contractions du cœur, n'a pas permis au sang de se coaguler. Voilà, Messieurs, une série de faits assez nom- breux sur une question d'un haut intérêt , et en- tièrement neuves; ce ne sont encore que des essais; ( 218 ) mais nous n'en resterons pas là , et lorsque nous aurons épuisé la liste des substances qui méritent notre attention^ nous reviendrons sur les expérien- ces dont les résultats auraient laissé des doutes dans notre esprit. Une fois notre revue terminée, nous aurons conquis, j'espère, de nouvelles lu- mières sur la manière d'agir des médicaments, l'un des points les plus obscurs de la médecine. Tou- tefois^ vous devez voir que jusqu'ici nous ne som- mes pas riches en moyens thérapeutiques pro- pres à rendre plus énergique la solidification de la fibrine; car , pour un grand nombre de corps qui liquéfient le sang , c'est à peine si nous en avons trouvé quelques-uns qui permettent à ce li- quide de se coaguler. Espérons que nous serons plus heureux dans nos recherches ultérieures : elles nous offriront sans doute une compensation aux mécomptes que les premières nous ont causés. Si cependant nous étions trompés dans notre attente , nous aurions du moins la satisfaction d'avoir rayé des formu- laires des substances dont l'usage porte le trouble dans notre économie. Ce seul résultat me semble digne de fixer toute notre attention ; car notre art est institué pour soulager les maux de nos sem- blables, et non pour faire un vain étalage de science factice, entasser médicaments sur médicaments, sans s^inquiéter des effets qu'ils peuvent pro- duire. Pour moi , je fais peu de cas de ces doctes ordonnances , où tous les régnes de la nature sont mis à contribution , et qui , dictées avec une mystérieuse dignité , semblent plutôt faites pour ( 219 ) rehausser, aux yeux du vulgaire, le mérite du mé- decin, que réellement formulées dans l'intérêt de la cure. Quoique assez souvent mon amour-pro- pre en puisse souffrir , j'aime mieux ne rien pres- crire, que de lancer au hazard une prescription dont les effets seront ce qu'ils pourront. Loin de vous dé- courager, Messieurs, ces considérations doivent, au contraire, exciter votre zèle : elles vous montrent une vaste carrière ouverte devant vous. En ne perdant ja- mais de vue les préceptes que j'ai eu l'honneur de vous exposer, et dont j'ai taché moi-même de vous donner l'exemple ; en procédant à vos recherches avec une sévère exactitude , en rejetant tout ce que réprouvent l'expérience et l'observation , cha- cun de vous peut espérer d'occuper un jour une place honorable parmi les bienfaiteurs de l'huma- nité qui ont illustré notre carrière. Maintenant, Messieurs , le reste de la séance va être consacré à l'autopsie de trois animaux qui ont succombé sous notre régime expérimental. Vous vous souvenez qu'à la fin de notre dernière réunion^ nous avons introduit dans la jugulaire d'un chien sept grains d'acide oxalique. L'heure avan- cée ne nous ayant pas permis d'attendre les résul- tats de l'expérience , nous avions remis à aTijour- d'hui à vous parler des phénomènes que nous au- rions observés. L'animal, quelque temps après l'o- pération , a été pris de dyspnée ; son état empirait visiblement d'heure en heure , et enfin le lende- main dans la matinée il était mort. Le voici : d'après l'action que l'acide oxalique a exercée dans Té- prouvette , nous devons penser que nous trouve- ( 220 ) rons ici le sang entièrement liquide. Toutefois ne préjugeons pas la question : j'enlève le thorax : le poumon ne s'est pas affaissé. Je vais ouvrir l'artère pulmonaire. Le sang qui s'en écoule est liquide et brunâtre comme par l'action de l'acide sulfurique. L'acide oxalique a donc agi sur l'animal vivant , comme Texpérience du vase nous l'avait annoncé. Ce fait est important : il confirme de plus en plus Topinion que la vitalité du sang et des parois vas- culaires n'empêche, ni ne modifie en rien l'action chimique que beaucoup de substances exercent sur le sang. Quant aux altérations que présente l'organe aé- rien, nous nous contenterons de dire que ses cel- lules sont distendues par du sang épanché , qui le rendait entièrement impropre à la respiration; par conséquent , la mort a dû survenir par asphyxie.' L'examen pathologique sera continué après la le- çon , et ceux d'entre vous qui seraient curieux de s'assurer par eux-mêmes des désordres qui sont survenus pourront y assister. Nous allons immédiatement procédera l'ouver- ture d'un autre animal qui a succombé depuis hier à une injection d'eau putride dans les veines. Quoi- qu'il n'ait survécu qu'un jour à l'opération, outre le sang liquide , noirâtre et poisseux, nous devrons rencontrer des altérations sur la membrane mu- queuse intestinale. Par contre, le poumonne devra pas être le siège de lésions bien graves. Nous nous enhardissons presque à prédire les résultats patho- logiques de ces sortes d'expériences, qui jusqu'ici ont été constamment les mêmes. ( 221 ) Je dois vous dire un mot sur une opinion émise au hasard et sans fondement sur la cause de la raideur cadavérique remarquée chez tous les indi- vidus morts de la fièvre jaune, du choléra et d'au- tres affections ayant la même source , l'infection miasmatique. On a prétendu que ce phénomène dépendait de la solidification de la fibrine. Or, j'en appelle à vos yeux , dans ces sortes de maladies , comme dans celles que nous développons devant vous sur nos animaux, bien que la raideur existe, le sang est fluide et sa fibrine est liquéfiée. C'est donc encore une erreur à rectifier. J'ai ouvert le thorax de cet animal , et vous voyez qu'en effet le poumon ne présente pas de lésions apparentes : il a conservé son élasticité , et ne ressemble en rien à celui de l'animal mort de l'injection d'acide oxalique. Voici un pre- mier point de nos prévisions qui s'est vérifié, et de plus il paraîtrait résulter de ces expériences que la viscosité du sang ne l'empêche pas de traverser les capillaires du poumon , tandis que l'effet con- traire serait produit dans la circulation abdomi- nale. J'incise le péricarde : le cœur est flasque et affaissé; le sang de la cavité droite est liquide, noir et visqueux; le ventricule gauche est complè- tement vide. Si de là nous passons à la cavité abdominale , nous trouvons les intestins noircis , enflanniiés , comme diraient ceux qui croient encore à l'inflam- mation. On aperçoit à leur paroi interne une vé- ritable transsudation , en partie constituée par de ( 222 ) la matière colorante. Celte particularité nous ex- plique parfaitement ces selles sanguinolentes , que l'on remarque dans le flux dysentérique et qui ont en effet existé chez cet animal. Nous arrivons , comme vous le voyez , par nos expériences , à donner le mécanisme des états pa- thologiques les plus graves. Quels sont les auteurs phlogistiques qui pourraient appuyer leurs théo- ries éphémères sur des faits aussi concluants et aussi irrévocables ? Nous avons un dernier sujet à soumettre à l'au- topsie. Le genre de mort auquel il a succombé ne nous offrira pas moins d'intérêt que ceux que nous venons de passer en revue. Le 28 décembre dernier, j'avais coupé le nerf pneumo-gastrique du côté droit à un animal : sa respiration s'est d'abord un peu embarrassée, mais au bout de quelques jours , il n'a plus présenté de signe anormal. Avant -hier j'ai coupé le nerf du côté opposé^ ainsi que la jonction cellulaire qui unissait les deux bouts précédemment séparés. J'ai voulu voir par cette expérience si l'action nerveuse empêchait la coagulation de la fibrine. Quoi qu'il en soit , ce chien est mort quelques heures après la seconde section. Je viens d'ouvrir la veine axillaire, voyez le sang qui en découle ; il est on ne peut plus liquide. Le poumon est évidemment altéré ; un des lobes du côté droit est entièrement splènisé , comme on le dirait dans certaines cliniques. Cette lésion est-elle venue sous l'influence de la section du nerf de la huitième paire ? Cependant un des lobes gauches, (223) dont le tronc n'a été coupé qu'avant-hier, est pres- qu'aussi altéré que le droit. Le sang qui distend l'organe est également très liquide. Nous devrons insister sur ce fait et recommencer plusieurs fois l'expérience pour savoir à quoi nous en tenir sur l'action que le nerf vague exerce sur l'important phénomène de la coagulation du sang. ( 224 ) SEIZIÈME LEÇON. 26 Février 1838, Messieurs , Vous vous rappelez que , dans la dernière séance, voulant apprécier la manière dont diverses substances médicamenteuses agissent sur le sang , nous les avons mises en contact avec ce liquide étendu d'eau. Le mélangea été fait dans des éprou- vettes qui permettent facilement d'en véritler les conséquences. Les résultats ont été obtenus et con- statés en votre présence : j'aime à croire que vous ne les avez pas oubliés. Mais ce qu'il importe sur- tout que vous fixiez dans votre mémoire, c'est que ces substances injectées par les veines, et por- tées ainsi dans la circulation de l'animal vivant , ont produit sur le sang les mêmes phénomènes que vous avez vu naître dans nos éprouvettes. Ce résultat est extrêmement remarquable , car à une époque qui n'est pas encore très loin de nous, on n'aurait pas manqué de le nier, ou tout au moins ( 225 ) de penser à l'avance que la force vitale du sang em- pêcherait les réactions chimiques de se produire. Constamment dans ces épreuves nous avons véri- fié que la coagulabilité du sang était la condition normale , ou, comme on dit , physiologique de ce liquide. Nous avons injecté de l'acide oxalique dans les veines d'un animal ; la mort a été presque su- bite; aussi le sang était -il devenu tout à coup incoagulable. Nous avons injecté de l'eau pu- tride chez un autre animal, et il a succombé au bout de quelques heures. Dans ce dernier cas^ nous avons remarqué que le sang avait une ap- parence particulière; il n'était pas complètement liquide; on y apercevait un certain degré de vis- cosité ; mais il n'offrait toutefois aucune trace de coagulation : de plus , chez cet animal , nous avons trouvé des altérations locales en assez grand nombre; point iniportant, surtout au moment où nous agitons la question de savoir si les altéra- tions des organes sont primitives ou secondaires , c'est-à-dire si elles précèdent ou suivent les modi- fications du sang. La première partie de cette ques- tion , vu la faveur dont le solidisme jouit de nos jours, réunit le plus grand nombre de partisans; mais ce n'est pas une raison pour qu'elle soit vraie: (la vérité est rarement le partage de la foule); bien loin de là : l'expérience y porte du moins de rudes atteintes, surtout celle-ci : Nous prenons un animal parfaitement bien portant; il est probable, il est certain mêaie que, chezlui,'les solides ne sont point altérés, puisqu'il jouit intégralement de tou- tes ses facultés ; mais voici que, par un procédé T. IV. Magendie. 15 (.226 ) quelconque , vous modifiez , vous altérez subite- ment le sang : l'animal éprouve aussitôt de graves symptômes ; il succombe en quelques heures , et quelquefois immédiatement. L'autopsie , ce nous semble, doit faire foi en pareil cas! Eh bien, Mes- sieurs, l'autopsie nous montre des altérations en train , pour ainsi dire , de se développer sur les principaux organes. Rien n'est plus clair ; mais précisément parce que cela est clair et simple, la multitude adoptera peut-être Topinion contraire, l'espnt humain est ainsi fait. Parmi les phénomènes pathologiques que nous ont offerts les animaux chez lesquels nous avions injecté de l'eau putride , nous avons principale- ment remarqué sur les intestins ce qu'on appelle- rait en style d'école une vwe inflammation, c'est- à-dire, l'exhalation d'une matière couleur lavure de chair , comme la désignent si heureusement les pathologistes ; cette matière , adhérente à la muqueuse de l'intestin et solidifiée sous forme de gelée , n'est autre chose qu'une partie de la fibrine du sang qui a transsudé et s'est coagu- lée d'une façon particulière dans la cavité du îube digestif. Voici comment il se fait que nous vous donnions ce mécanisme pour certain. Nous avons détaché et lavé avec soin cette sécrétion in- testinale ; nous en avons soustrait la matière colo- rante, et il s'est précipité des particules de fibrine très ténues. J'emploie ici à dessein le mot particule; car il y a cette différence avec les globules , que ceux-ci sont en quelque sorteorganisés,affectentune forme déterminée, et ont constamment entre eux ( 227 ) une grande analogie ; ce que je nomme ici parti- cules, au contraire, n'est qu'un amas de parcelles extrêmement déliées, de formes et de volumes dif- férents, et auxquelles ne peut se rattacher aucune idée de configuration régulière ou symétrique, et par conséquent qui leur donne telle apparence plu- tôt que telle autre. Ces masses , ces iBlaments ne sont donc pas de la fibrine coagulée à la manière ordinaire, puisque celle-ci présente cette organisation celluleuse, vas- culaire , arborisée, que nous voyons se développer dans le caillot normal, ainsi que dans les diffé- rents tissus de formation accidentelle. Ceci m'a engagé à rechercher si ces caillots gé- latiniformes que nous produisons, comme vous le savez, avec du sang mélangé à certaines substan- ces, telles que la soude, le carbonate de soude, etc.; si, dis-je , ces caillots qui ressemblent à de la ge- lée n'auraient pas quelque analogie avec les mas- ses de fibrine qui se déposent sur les intestins danscerlaines affections; car, Messieurs, il faut éta- blir une distinctipn tranchée entre la coagulation normale de la fibrine soit dans la cicatrice des plaies , soit même dans la constitution du coagu- lum , et cette aggrégation, je dirais presque, cette espèce d'aglutinaiion de particules fibrineuses qui viennent se réunir les unes aux autres sur les intes- tins dits enflammés. 11 y a déjà quelques années que MM. Prévost et Dumas , croyant alors , selon les idées de l'époque, que les globules étaient en par- tie constitués par la fibrine , avaient émis To- pinion que ces masses n'étaient autre chose que ( 228 ) des globules condensés comme produit d'excrétion à la surface de l'intestin malade. Maintenant il est certain que les globules et la fibrine sont deux matières, différentes et très faciles à isoler 5 mais il n'en est pas moins vrai de dire que les deux honorables auteurs que je viens de citer ont en- trevu la question telle qu'elle se présente aujour- d'hui. Un autre fait , non moins curieux que nouveau, m'a également frappé , c'est l'influence du nerf pneumo-gastrique sur la vitalité du sang. Nous avons en effet remarqué , non sans quelque sur- prise, que la section de la huitième paire cérébrale enlevait au liquide sanguin la propriété de se coa- Mler. Est-ce là une action médiate ou immédiate? c'est ce que je ne saurais décider. Toutefois voici le sang d'un animal qui a succombé à la suite de la section de ce nerf, et, bien qu'il soit dans ce vase depuis plusieurs jours , il est parfaitement liquide. Examinées au microscope ces petites par- ticules, que vous apercevez sur les parois du verre, sont des assemblages de globules déformés, pla- cés les uns à côté des autres , très peu adhérents entr'eux , en un mot il n'y a rien ici qui rappelle une coagulation de fibrine. Ceci est d'autant plus important, que si en effet, le système nerveux intervient dans la coagulation de la fibrine, cette propriété devra désormais être considérée comme un phénomène physiologique, et par conséquent ce ne sera plus dans les lois de la pliysique qu'il faudra chercher une action propre à la raviver. Vous voyez. Messieurs, que nous som- ( 229 ) mes loin de vouloir obstinément rattacher à telle ou telle partie des sciences naturelles tout ce qui se passe dans l'économie : il nous importe peu en effet , que ces phénomènes soient du ressort de la chimie, de la physique ou de la vitalité; ce que nous désirons seulement, c'est d'en trouver le mé- canisme, et comme il ne se présente pas plus tôt à nos sens dans un cas que dans l'autre^ nous n'a- vons, je le répète, aucun intérêt ^ pas même celui de l'amour-propre, à nous fermer ainsi des voies expérimentales qui peuvent amener d'utiles ré- sultats. Cette preuve de l'influence du système nerveux sur la coagulabilité du sang, qui sera l'objet de recher- ches ultérieures, car rien n'est plus grave et plus in- téressant que cette question, nous a conduits à faire une tentative dont je vais vous exposer le premier résultat. J'avais remarqué depuis long-temps que chez les individus attaqués d'une apoplexie grave, le sang artériel perd sa couleur écarlate. Je ne sais si vous avez entendu dire que dans ces cas dé- sespérés on ouvrait quelquefois l'artère temporale pour tacher de diminuer la pression toujours crois- sante que le liquide opérait sur le cerveau par son abord continu. J'ai nombre de fois pratiqué ces saignées artérielles ; ceux qui suivent or- dinairement ma visite peuvent se rappeler que ces vaisseaux fournissent un sang noir et vis- queux. Je n'ai pas eu alors l'occasion de m'assurer s'il se coagulait comme celui des veines; mais voici l'expérience que j'ai fait faire ici à ce sujet : on a pratiqué une petite ouverture au crrine d'un ani- ( 230 ) mal; puis on a injecté à travers la voûte osseuse et la membrane dure-mère une quantité de liquide assez grande pour déterminer les phénomènes de la compression du cerveau, et on a ensuite fait une saignée artérielle à cet animal. Ces trois éprouvet- tes sont remplies de son sang. Vous voyez que dans chacune le sérum est trouble; qu'il tient en dissolution de la matière colorante ; remarquez aussi que le caillot est faible, tremblottant, ondu- leux, qu'il se déchire avec une telle facilité que le seul poids de cette baguette de verre suffit pour le diviser entièrement. Cependant quelque chose me fait douter que cette expérience ait été faite avec toute la précision désirable , c'est la couleur de ce sang : au lieu d'être noir comme le sang veineux , il est rouge écarlate , non -seulement à la superficie , mais dans toute sa masse. Je ferai recommencer l'épreuve devant moi afin de m'as- surer si une compression plus forte de l'encé- phale amènera le résultat que je vous signalais tout-à-l'heure. Toutefois , c'est encore une voie nouvelle dans laquelle nous allons nous engager pour savoir comment l'encéphale étant compri- mé , le sang se modifie. Cette question. Mes- sieurs , a une immense portée si nous avons égard aux phénomèmes morbides dont elle donne- rait la clef. Nous vous avons parlé l'année dernière du sang des scorbutiques , et nous avons dit que le défaut de coagulation de ce liquide amenait chez les in- dividus attaqués de cette affection , le gonflement des gencives, les larges taches pétéchiales et les ( 231 ) infiltration œdémateuses jaunes et noires qu'on ren- contre plus ou moins constamment sur les mem- bres et le tronc. J'ai fait demander ces jours-ci dans divers hôpitaux de Paris, du sang de cette na- ture, afin de vérifier de nouveau ses caractères pathologiques. Il est probable que d'ici à la fin de ce semestre nous aurons découvert quel- que chose de nouveau sur l'ensemble des symp- tômes que présente cette maladie. Il y a peu de temps, M. James, interne des hôpitaux, a fait insérer dans la Gazette médicale un mémoire très bien circonstancié sur ce sujet ; il y a déve- loppé et commenté avec talent les idées que nous avions émises Tannée dernière sur cette matière , et décrit surtout l'alcalicité du sang comme pou- vant être la cause des phénomènes scorbutiques, et du défaut de la coagulabilité de leur sang ; ce tra- vail^ quel que soit son mérite, est une preuve qu'il ne faut conclure qu'avec une sage lenteur. Je vous engage cependant à le consulter. Voici du sang d'un individu scorbutique qui m'a été envoyé par M. Leuret , médecin de l'hô- pital de Bicêtre. Le malade a les gencives con- sidérablement tuméfiées , ses dents vacillent et sont incessamment chassées de leurs alvéoles; il présente de larges pétéchies et des régions en- tièrement infiltrées : cependant un caillot ferme et résistant est sous nos yeux; la matière colorante seule offre une altération appréciable à la vue , elle est d'un rouge-brunâtre ; mais il n'y a pas défaut de coagulabilité du sang. Ainsi, Messieurs, la question n'est pas encore vidée , il faut se gar- ( 232 ) der d'aller trop vite dans de pareilles matières quand on veut éviter les mécomptes. Quelques personnes qui ont lu le dernier volume de mes leçons sur les phénomènes physiques de la -y/^quei 'ai publiées l'année dernière, et qui ont bien voulu en rendre compte dans les journaux, m'ont reproché de m'être renfermé dans des spécialités de faits et de laisser mon auditoire dans l'incerti- tude, de ne jamais donner de conclusions définiti- ves. Il est aisé. Messieurs, à ceux qui n'ont d'autre tâche à remplir pour professer , que de rassem- bler des matériaux élaborés, ressassés, pour ainsi dire , il leur est aisé , dis-je , de généraliser les faits que d'autres ont découverts , d'en tirer des conséquences, et de les montrer sous toutes leurs faces; mais, comme je vous l'ai déjà dit, les chaires du collège de France ne sont pas des chaires d'en- seignement élémentaire; placé ici, comme à l'a- vant-garde de la science, nous ne pouvons arriver que lentement à la découverte de faits généraux , et ce n'est point notre faute si les faits isolés ne sont pas susceptibles de se généraliser ,• nous ne de- manderions certes pas mieux d'en trouver qui ne souffrissent pointd'exception et qui permissent d'en déduire des conséquences définitives. Que s'il s'agit de leur donner de notre propre mouvement une extension qu'ils ne comportent pas, de les enjo- liver, de les orner de manière à en faire un tableau plus ou moins gracieux , oh! alors , je reconnais , je ne dirai pas mon impuissance , mais bien ma mauvaise volonté; car je pourrais, comme tant d'autres, en suivant la pente si naturelle à l'esprit ( 233 ) humain, dire ce qui n'existe que dans mon ima- gination , faire des phrases sonores , des périodes ronflantes sur des mots en l'air, sur des idées creuses et même me complaire dans ces rêveries. C'est alors, Messieurs , que j'engagerais mon au- ditoire dans le vague , que je le perdrais dans un labyrinthe sans issue. Mais aussi. Messieurs, si j'étais assez faible pour céder à cette tendance , je me croirais indigne de l'honorable chaire que j'occupe. Revenons à l'étude de l'influence de certains corps sur la coagulation du sang. Nous avons à vous présenter aujourd'hui sur ce point des faits qui^ bien qu'isolés, ont cependant une certaine im- portance. Parmi les boissons médicamenteuses qu'on emploie dans les fièvres graves, l'eau sulfu- rique est fréquemment choisie; il nous est venu à l'idée d'essayer son action directe sur le sang. A cet effet nous avons mélangé quelques gouttes d'acide sulfurique avec une quantité d'eau plus grande que celle qui entre ordinairement dans la limonade de nos hôpitaux, et nous avons injecté quelques cen- tilitres de cette liqueur dans la jugulaire d'un chien. La mort a été presque immédiate, et le sang est devenu incoagulable. Aujourd'hui , on ne donne guère attention à cet état du sang qui ac- compagne quelquefois, dans les autopsies les alté- rations profondes de l'organisme ; mais les méde- cins du siècle dernier, qui n'étaient pas moins bons observateurs que ceux de notre époque , sans y avoir peut-être autant de prétention, avaient re- marqué la propriété qu'ont certains sels alcalins, ( 234 ) comme ils les appelaient,d'empêcher le sang de se coaguler clans les vases , et que dans ^es maladies épidémiques graves, ce liquide était incapable de se prendre en masse. Pendant l'indisposition qui m'a privé la semaine dernière du plaisir de me trouver avec vous, je me suis occupé à feuilleter quelques-uns de ces au- teurs. L'un d'euX;, qui m'était tombé sous la main, a particulièrement fixé mon attention. C'était Fes- sai sur les fièvres , par Huxam, célèbre praticien anglais. Dans un de ses chapitres, ce médecin, après avoir établi une difFérence entre le sang épais et vis- queux de certains pléthoriques, et celui des indivi- dus d'un tempérament opposé où la sérosité est abondante et les globules moins nombreux, note di- verses substances propres à produire ces dernières altérations du sang, entr' autres les préparations aloétiques , l'alcali volatil, l'esprit de corne de cerf et l'eau de laurier cerise, « qui, dit-il , rendent le eoagulum beaucoup moins dense , plus mou , et donnent à la sérosité une couleur rouge appro- chant de celle du vin de Bourgogne j » puis il s'exprime en ces termes : « Outre les deux états du sang que nous venons de décrire ^ il y en a un troisième beaucoup plus dangereux; je veux parler de celui qui tend le plus immédiatement à la dissolution et à la pu- tréfaction. Tel est l'état de quelques scorbutiques, qui, sans presque aucun dérangement précédent, si on en excepte une espèce de lassitude et de lan- gueur, sont tout-à-coup couverts de taches vio- lettes , livides , ou même noires et bleues , et ( 235 ) éprouvent des hémôrrhagies abondantes , dange* reuses et souvent funestes dans un temps où ils croient à peine être malades. J'en ai vu un très grand nombre d'exemples , tant parmi les enfants que parmi les adultes, et j'ai souvent prédit les hémorrbagies dont ils étaient menacés. Le sang qu'on tire de ces personnes pour arrêter l'hé" morrhagie ( métbode qui, pour le dire en passant , est très dangereuse, à moins qu'il n'y ait des signes manifestes de pléthore), parait toujours comme une espèce de sanie qui ne se partage pas en caillot et en sérosité, mais reste en une masse uniforme j à demi figée , d'une couleur livide ou plus foncée qu'à l'ordinaire ; et quoique dans cer- tains cas il conserve sa couleur vive et brillante pendant long-temps, il se putréfie toujours très promptement. >) Et un peu plus loin , il ajoute : « Les miasmes pestilentiels détruisent également la contexture du sang et communiquent aux hu- meurs une disposition générale à la gangrène. Cela est démontré par les hémorrbagies totales et fréquentes, par les sueurs , les vomissements et les déjections extrêmement fétides, et qui sont suivis d'une mortification universelle; toutes choses qui ont été observées par les meilleurs auteurs dans la peste , les fièvres pestilentielles et pétéchiales. Tje sang , dans ces différenis cas , ne se coagule pas. » Et puis encore : « Il m'est arrivé plusieurs fois de voir des personnes dont le sang était acre et dissous, attaquées de fièvres pulmonique et pleuro- ( 236 ) peripiieumonique. Cela arrive fréquemment aux gens de mer attaqués de scorbut. » Il parle aussi d'une épidémie survenue en 1 737, qui était très souvent compliquée de pneumonie ;, et où le sang était tellement liquide , qu'on avait de la peine à arrêter celui qui s'écoulait des pi- qûres faites par les sangsues ou la lancette. Ainsi, Messieurs, puisque des médecins peu avancés en physiologie, en chimie et en physique, ont fait, il y a cent ans , des remarques de cet(e importance, quel parti ne devons-nous pas espé- rer de retirer de nos recherches aujourd'hui que nos moyens d'investigation sont plus nombreux et plus sûrs. Dans une série d'expériences, nous nous sommes proposé d'examiner l'effet des acides minéraux et végétaux sur le sang : nous avons commencé par l'acide sulfurique pour tâcher de déterminer à quelle dose il devient poison, et voici ce que nous avons fait. On a pris huit éprouvettes^ chacune d'elles a reçu cinq centilitres de sang, plus dans la r*" une goutte d'acide sulfurique concentré; dans la 2e deux gouttes , et ainsi de suite ; le pre- mier mélange est déjà presque entièrement liquide, si ce n^est une espèce de dépôt qu'on aperçoit au fond du vase et qui n'est nullement un coagu- lum; la matière colorante surtout est évidemment altérée. Voila, je pense; un résultat peu attendu; une seule goutte de cet acide a suffi pour rendre in- coagulables cinq centilitres de sang. Dans la seconde éprouvette, il y a une altération ( 237 ) J;eaucoiip plus prononcée; le sang est devenu d'un noir foncé^ et on y voit un petit dépôt de globules décolorés. Dans la 3e, la couleur noire est encore plus tran- chée ; le liquide est aussi plus visqueux : il y a probablement une réaction chimique de Tacide sur la fibrine, et je suis persuadé qu'avec un pa- reil fluide dans ses vaisseaux , un animal serait frappé de mort subite. Il en est à peu prés de même des autres mé- langes; et il semblerait résulter de là qu'il n'y a pas une grande différence entre l'action de deux gouttes d'acide et celle de huit sur une quantité donnée de sang ; il faudrait aller au-dessous d'une goutte, la partager et étudier l'effet de ces frac- tions. Toutefois, vous noterez. Messieurs, qu'il ne peut y avoir ici qu'une action chimique, la combi- naison de l'acide sulfurique avec la fibrine. J'ai cher- ché à m'éclairer plus particulièrement sur ce mode de combinaison; j'ai consulté les notabilités de la science. Mais je n'ai rien appris qui éclaire beau- coup la question , et cela ne doit point vous sur- prendre ; car la chimie organique est loin encore d'être arrivé à un haut degré de perfection; je n'ai pas pour cela abandonné mon enquête , je m'en occupe au contraire avec activité, et je vous com- muniquerai les renseignements que j'aurai re- cueillis. Nous avons fait d'autres recherches, et toutes nous ont donné des résultats contraires aux opi- nions admises sur l'effet de cerlains médicaments. Vous savez, pai' exemple, avec quelle prouiptiUide ( 238 ) l'acide nitrique coagule l'albumine et forme avec elle un véritable nitrate; eh bien! nous avons mis dix gouttes de cet acide avec 5 centilitres d'eau que nous avons versée dans deux ou trois millili- tres de sang, et il ne s'est fait aucune coagulation. On remarque seulement au fond du vase un léger précipité : est-ce de la fibrine ? est-ce de l'albu- mine? je l'ignore. 11 y a un fait qui parait se généraliser , c'est que dans tous les essais que nous avons tentés jusqu'ici, les acides ont paru se comporter avec le sang à peu près de la même manière. L'acide phos- phorique , par exemple, qui coagule si facilement l'albumine, a complètement liquéfié le sang : la matière colorante a tout-à-fait disparu sous l'action d'une seule goutte de cet acide. 11 y a une appa- rence de précipité que nous examinerons au mi- croscope. r*" Expérience. Acide citrique. L'acide citrique, dont on fait un usage si géné- ral dans les boissons médicamenteuses el autres, a amené, aux mêmes proportions que ci-dessus, la liquéfaction du sang, avec un léger précipité de matière colorante. Cette expérience faite sur un animal vivant a causé promptement sa mort; nous pratiquerons l'autopsie à la fin de la séance. 2^ et 3<^ Exp. Acides borique et arsénieux. Les acides borique et arsénieux ont également liquéfié le sang, sans présenter autre chose de re- marquable. ( 239 ) /«•^ Exp. Tanin pur. Parmi les substances qui. ont particulièrement attiré notre attention , nous vous parlerons du ta- nin pur , découvert récemment par M. Pelouze, que l'on emploie maintenant à la place du ra tanhia et du cachou^ astringents trop souvent infidèles : moi-même en ai conseillé l'usage pour diminuer les sécrétions , les hémorrhagies, les écoulements morbides. On pensait qu'agissant localement sur les membranes muqueuses , en les tannant pour ainsi dire, il pouvait remédier à certaines diarrhées et à certains flux anormaux. Cependant, Messieurs, un cinquantième de gramme de cette substance, qui n'est autre que l'acide tannique, a suffi pour liqué- fier 5 centilitres de sang. Du reste, il ne paraît pas agir sur la matière colorante que vous voyez ici séparée sur un filtre : elle ne nous semble pas al- térée. D'après les travaux de M. Pelouze , le ta- nin serait un véritable acide qui formerait des tan- nâtes de fibrine lorsqu'on le met en contact avec ce dernier corps. 6^ Exp. Crème de tartre soluble, La crème de tartre, que l'on administre a de très hautes doses aux personnes de tout âge et de tout sexe, mélangée dans les proportions suivantes : Crème de tartre soluble 5 grammes. Eau commune 50 id. Sang 2 centilitres, nous a donné une couleur olive foncé , avec un faible précipité d'albumine. ( 240 ) Je ne pixHends pas que cette substance agisse de même lorsqu'elle est ingérée directement dans l'es- tomac; il est rigoureusement indispensable de re- chercher si l'absorption par le canal intestinal ne modifie pas les propriétés chimiques des corps et comment elle les modifie. Ouant à l'action de l'acide sulfurique, on pourrait conjecturer, comme le dit M. Dutrochet dans son langage figuré, qu'il est ennemi de l'endosmose, c'est-à-dire qu'il ne s'im- bibe pas dans les tissus comme l'eau pure, ce qui est un fait démontré. Nous reviendrons plus tard sur ces différents points. 6' Exp. Acide carbonique. Il importe surtout d'établir d'une manière po- sitive l'action des différentes substances que nous étudions. Voici du sang d'un animal que nous avons asphyxié par le gaz acide carbonique; il pré- sente une coagulation évidente , et vous devez vous rappeler cependant que nous avons jusqu'ici toujours vu cet acide liquéfier le sang, notamment chez cette femme asphyxiée par la vapeur du char- bon, et dont Fobservation nous avait été commu- niquée par M. James. 7' Exp. Ejnétique. L'émétique, médicament fort employé , a , dans cette éprouvette, laissé coaguler le sang; par con- séquent^ il semblerait propre à favoriser la circu- lation pulmonaire, et à dissoudre les hépatisations rouges du poumon. Cependant il cause lui-même ( '-i'' 1 ) ces hëpatisatious ; je Tai noté il y a iong-tenips dans un travail que j'ai publié sur le mode d'action de cette substance. 8*" Exp. lodure de potassium. L'iode est également un corps qui paraît aup^men- ter la coagulation du sang. Voici le mélange en- tièrement solidifié d'un gramme d'iodure de po- tassium et d'un centilitre de sang. 9e Exp. Hydrochlorate de haijle. L'hydrochlorate de baryte, qu'on emploie dans les engorgements, les tumeurs blanches, et a eu ici une action toute spéciale sur la coloration du li- quide qui est d'un rouge artériel, et présente un caillot assez résistant. 1 0^ Exp. Borate de soude. Le borate de soude nous donne un caillot qui a la consistance de la gelée de groseilles. « Voilà donc plusieurs substances qui sont loin de s'opposer à la coagulation du sang et qui pa- raissent au contraire la favoriser : ce sont princi- palement le sel de cuisine , l'hydrochlorate de ba- ryte, l'émétique et l'iodurede potassium. Nous allons procéder à l'autopsie de l'animal qui a succombé à une injection d'acide citrique. Dés le premier coup de scalpel, vous le voyez. Messieurs, le sang est liquide, sa couleur est à peu près la la môme que dans Féprouvette où la proportion d'à- T. IV. Mageudic. 1G ( 242 ) cide était plus forte. D'après notre théorie , nous devons trouver une altération de l'organe pulmo- naire. En effet, ce poumon n'est pas dans un état normal; le sang et surtout la sérosité y sont épanchés il n'y a pas d'engouement^il est vrai, mais cela pro- vient de ce que l'injection n'était pas assez concen- trée pour arrêter subitement la circulation. Voilà encore un résultat qui coïncide parfaite- ment avec ceux que nous avons précédemment obtenus, et qui auront, j'espère, une heureuse in- fluence sur les progrès ultérieurs de la médecine. ( 243 ) DIX-SEPTIEME LEÇON. 2 Mari 1858. Messieurs ; D'après la nature des études que nous avions entreprises pour ce semestre , vous avez dû voir qu'il nous était impossible d'arrêter à l'avance une marche déterminée dont nous ne dussions point nous écarter : il nous fallait faire des expériences^ voir où elles nous conduiraient , et nous avancer atout hasard, guidé par des faits matériels que nous ne pouvons ni commander ni prévoir; c'est ainsi du moins que je conçois la méthode ex- périmentale dont on ne doit jamais forcer les con- séquences pour les rattacher à ses propres théories. Nous nous sommes donc bornés à constater des ré- sultats; de sorte que nous nous trouvons placés au milieu d'un grand nombre de faits qui, je l'espère, nous conduiront vers d'autres plus importants en- core : et probablement que cet ensemble imposant ( 244 ) d'observations jettera quelque lumière sur la science que nous sommes glorieux de cultiver. Nous sommes restés comme absorbés par l'étude de la coagulation du sang , question neuve et du plus haut intérêt sous tous les rapports. Personne, que je sache, n'avait encore considéré ce liquide sous l'aspect sous lequel nous vous l'avons présenté; nous l'avons placé dans des conditions auxquelles nul avant nous n'avait songé , et nous avons re- cueilli des faits qui, j'ose le dire, étaient restés in- connus jusqu'ici. Nous allons poursuivre ces études avec plus d'activité que jamais , maintenant que nous pouvons espérer de n'être plus arrêtés par les rigueurs de la saison qui s'achève; et nous ter- minerons en peu de temps ce qui a rapport à cette question de la coagulation. En attendant, nous aurons encore à vous présenter un grand nombre de faits qui s'y rattachent plus ou moins directe- ment et qui en seront comme le complément : si après cela, il restait encore quelque point dou- teux, la route étant connue et largement frayée, on arriverait bientôt à l'éclaircir. Dimanche dernier , à ma campagne , j'ai fait tuer un porc d'espèce anglaise et que j'avais soumis à l'engrais : il n'y a là certes rien de remarquable pour un propriétaire ; mais quand , en outre de la qualité de propriétaire, on a celle de physiologiste, on doit chercher un sujet d'étude dans les moin- dres circonstances, qui se présentent, et c'est ce que j'ai fait. Cet animal était devenu énorme tant par sa taille (}ue par son embonpoint excessif: certaines races de porcs anglais sont particulièrement suscep- ( 245 ) tibles d'un accroissement extraordinaire. J'ai fait recueillir son sang au moment où il s'échappait de l'artère ouverte, mais quelque précaution que j'aie prise pour faciliter sa coagulation, il est resté liquide tel que vous le voyez dans ce vase. 11 semble à la vé- rité plus visqueux que celui des animaux que nous défibrinons dans nos expériences ; c'est la seule différence ; car il n'offre aucune trace de cette sé- paration en sérum et en caillot que nous remar- quons toujours dans le sang normal. Ce fait, je l'avoue , semble être entièrement opposé à ceux que nous avons jusqu'ici observés sur ce sujet , si tant est qu'un fait puisse en renverser un autre. Vous savez que là-dessus nous sommes ordinaire- ment très sobres de suppositions ; aussi n'essaie- rons-nous point d'en faire ni de donner aucune explication ; des expériences ultérieures nous ap- prendront sans doute ce que nous devons en peu - serx Malheureusement, telle n'est point la méthode généralement admise. Chacun veut accoutrer la nature à sa guise, et lorsqu'un fait vient conlra- rier les hypothèses qu'on a créées, on le passe entiè- rement sous le silence, comme on nous a conseillé de le faire pour celui-ci ; ou bien on le dissimule adroitement, de sorte qu'on parait toujours voguer à pleines voiles là où d'autres trouvent à chaque instant des obstacles et des écueils. Ce sont de ces finesses indignes de la science et qui nuisent beau- coup à ses progrés. Quoi qu'il en soit, j'ai été vivement frappé de ce phénomène négatif dont je vous parlais tout-à- l'heure; nous avions un animal bien portant, et ( 246 ) même d'une santé exubérante, il faut dire le mot, il succombe à une hémorrbagie aortique , et son sang, placé dans les conditions les plus favorables, ne se solidifie pas. Il y a là quelque chose d'extraor- dinaire ; je sais bien qu'à la rigueur on pourrait dire que ce sang n'était pas dans des conditions norma- les; car les animaux que l'on engraisse pour nos ta- bles se nourrissent outre mesure : on a soin de leur laisser à discrétion une grande quantité des matières végétales qui leur servent d'aliments , et le peu de temps pendant lequel ils ne mangent pas, ils le pas- sent à dormir. Celui dont il s'agit ici était devenu tellement gras , qu'il avait quatre ou cinq pouces de lard sur le corps^ et que sa chair musculaire était presque entièrement transformée en cette subs- tance;ainsi,quoiqu'ilsoitde la naturedu porc d'être gras, on ne peut pas affirmer que ce soit là un état sain. Il est probable que chez cet animal le sang était modifié , que certains principes y manquaient ou y étaient en excès; car celui des autres animaux de son espèce également engraissée a ordinairement une telle tendance à se coaguler, qu'on est obligé de l'agiter vivement pendant qu'il s'écoule du vaisseau ouvert ])our qu'il reste liquide et qu'on puisse en- suite Tapprêter de différentes manières. Il est vrai que nous ne devons pas juger d'après un seul fait : contentons-nous pour l'instant d'en prendre note, sauf à le vérifier de nouveau lorsque l'occasion s'en présentera. J'avais pensé que ce sang contenait plus de ma- tières grasses que d'autres : mais le papier qu'on y plonge ne donne aucun indice confirma tif de cette ( 247 ) présomption; j'ai remarqué seulement qu'il n'alté- rait pas la couleur végétale du curcuma , et vous savez que la sérosité du sang est ordinairement alcaline. Examiné au microscope, il présente des globules irréguliers , circulaires à la vérité , mais hérissés à leur circonférence de petites pointes qui leur donnent un aspect étoile; on y voit aussi des globules blancs que l'on peut présumer être de la matière grasse ou de la fibrine coagulée. Pour nous en éclaircir, nous en ferons évaporer une certaine quantité que nous traiterons ensuite par l'alcool ou l'éther , et ce moyen nous apprendra immanquablement si ce sang est réellement com- biné avec la matière de la graisse. Nous avons été curieux de voir si nous pour- rions produire par des moyens artificiels une sem- blable modification du sang , et voici ce que nous avons fait : nous avons pris de l'huile d'olives or- dinaire, qui contient une notable proportion de stéarine, l'un des principes gras, et nous l'avons mê- lée à du sang artériel, sortant d'un vaisseau vivant: le tout s'est solidifié, comme vous pouvez l'aperce- voir dans ce vase, mais d'une façon particulière. Si on en juge par le degré de consistance et l'aspect tremblottant^ c'est plutôt une gelée qu'un caillot; vous voyez que le poids seul de cette baguette de verre suffit pour diviser entièrement la masse et pénétrer jusqu'au fond du vase. Le microscope nous a fourni sur ce mélange les documents suivants : on n'aperçoit plus de globules, mais seulement des particules , des petites masses transparentes , qui sont sans doute de la matière ( 248 ) p:ras < ^ Le gaz azote n'altère en rien la: conformation des globules et les agglomérations de globulins que je vous ai mentionnés pour l'oxygène. Il semble donc y avoir une grande analogie entre l'action de ces deux gaz qui constituent l'air atmosphérique; ( 276 ) car l'hydrogène el Tacide carbonique ne s'y trou-' vent qu'accidentellement. Dans le mélange avec le cyanogène , nous n'a- vons aperçu qu'une masse de globules , parmi les-; quels nous en avons remarqué plusieurs d'altérés et d'autres normaux. Tel sont à peu près, Messieurs, les faits les plus remarquables que nous ont présentés ces essais de l'action des gaz sur le sang. Si pour le moment y^ ils n'offrent pas des résultats bien tranchés et im- médiatement applicables à la pratique, ils ne sont pas pour cela à dédaigner. Ils nous serviront comme de jalons dans nos recherches ultérieures, dont l'ensemble, j'en ai la certitude , sera de quel- que utihté pour la science médicale. Maintenant revenons un peu sur nos pas pour exa- miner de nouveau une question d'une très haute im- portance et qui n'est pas encore entièrement décidée. Vous vous rappelez les faits fort remarquables que nous avons observés dans la séance précédente , à savoir qu'une substance innocente quand elle est ingérée dans l'estomac , peut devenir nuisible et même causer la mort en peu d'instants , si on l'injecte dans les veines. Ce problème vital nous a vivement préoccupé, et pour arriver à le résou- dre nous avons fait plusieurs nouvelles expériences. Je vais vous en dire quelques mots : une petite quan- tité de vin de Bordeaux injectée dans les veines d'un animal a donné presqu'instantanément la mort : une demi-bouteille de ce même vin ingérée dans- l'estomac d'un autre animal, n'a déterminé d'au- tre accident qu'une ivresse complète. C'est ce fait ( 2n ) qu'il faut tâcher d'expliquer ; il a des conséquen- ces immenses en thérapeutique, et sous ce rap- port il mérite toute notre attention. Nous croyons avoir dit juste, sauf toutefois la preuve contraire, en attribuant le moindre elTetdes substances sou- mises à l'action de l'estomac , à la lenteur de l'absorption. D'autres essais paraissent encore confirmer cette hypothèse. Nous avons injecté une petite dose de crème de tartre soluble dans le système vasculaire d'un animal ; il a succombé peu de temps après. D'un autre côté nous avons fait prendre à un chien jusqu'à deux onces de la même substance, et il n'en a été nullement incommodé. Vous vous rendez facilement compte de la différence qui existe entre ces deux expé- riences. Dans l'une vous ne trouvez pas comme dans l'autre une action brusque et instantanée sur la masse du sang. Prenons encore un exemple, et certes nous n'en manquons pas.Un animal avale de réther,ce liquide, après le trajet plus ou moins long que présente rœsophage,arrive dansl'estomac; là, comme toutes les substances volatiles, il s'im- bibe en d'autres mots il est absorbé. Il rencontre là une espèce de crible ou plutôt de filtre qui ne lui livre passage que molécule à molécule ; de là il passe immédiatementdans la circulation; mais par la raison que je viens de vous exposer, il n'y passe que peu à peu et en très minimes proportions, et à peine est-il en contact avec le sang, qu'il est emporté vers les poumons. J'omets à dessein de mentionner ici les vaisseaux lymphatiques ; car il faudrait être bien arriéré pour fairejouer maintenant le principal rôle ( 278 ) de l'absorption à cet ordre de tuyaux. Cette ques- tion a été assez clairement résolue par nos expé- riences , pour que vous ne soyez pas surpris de mes paroles. Mais revenons à l'étlier. A mesure qu'il pénètre dans Torgane respiratoire , il est en partie rejeté au dehors par la voie de l'exhalation pulmonaire. Dans ce cas , vous voyez pourquoi son action est si peu prononcée sur le sang, c'est qu'il ne s''y trouve jamais qu'en faible quantité; encore ne fait-il qu'y passer et n'a-t-il pas , pour ainsi dire ^ le temps d'agir. Il en est de même de toutes les au- tres substances volatiles ou odorantes, telles que le camphre , le phosphore, etc. Il est d'autres substances qui, ne s'échappantf)as au moyen de l'exhalation pulmonaire , sortent de l'économie par des émonctoires particuliers : le rein parait surtout destiné à remplir cet office. Ne re- trouve-t-on pas en effet dans l'urine , le sulfate de quinine , l'hydrocyanate de fer, le nitrate de potasse, etc. Ces sels absorbés dans le canal intes- tinal, se rendent lentement aux reins, et de là à la vessie qui les rejette au dehors. Nous vérifierons si l'acide lartrique absorbé par l'estomac se retrouve dans l'uinne. Toutefois, nous avons un animal sou- mis au régime de la limonade sulfurique , nous examinerons son urine afin de savoir aussi si elle contient de l'acide qui forme cette boisson ; car il est très important de constater comment cette sub- stance tue quand on la porte immédiatement dans ^e système circulatoire, tandis que par l'estomac elle ne détermine qu'à la longue et par un usage immodéré de fâcheux symptômes. ( 279 ) Voici encore quelques faits curieux à noter et sur lesquels je vais vous dire un mot. Ces différentes éprouvettes sont remplies d'un mélange de sang avec des tartrates neutres. Ces sels ne paraissent pas empêcher la coagulation ; car , au contraire , plus leur proportion est forte , plus le coagulum qui s'est formé est solide. Le fait que je vais maintenant vous soumettre est de la plus haute gravité par les débats qu'il a fait naître et qui sont loin d'être terminés : c'est l'influence du pus sur le sang. Vous savez quel rôle important on fait remplir à ce produit or- ganique. Or voici ce qui est résulté de différen- tes épreuves : cette éprouvette contient du sang mélangé avec un égal volume de pus normal. , Vous voyez , Messieurs , que la couleur seule est altérée , car le caillot est parfaitement formé. Mais , par contre , voici du pus séreux artificiel auquel on a ajouté de l'eau et du sang. La diffé- rence entre ces deux mélanges est frappante; ici la matière colorante a surnagé et s'est dissoute en partie dans la sérosité ; les globules sont en petit nombre ; absence totale de caillot. , , Remarquez que le pus normal n'^a pas empêché la coagulation du sang , tandis que c'est le contraire pour le pus séreux; et notez aussi que ce n'est que dans ce dernier cas, c'est-à-dire lorsque le pus est séreux, que l'on voit se développer des ac- cidents formidables attribués à la résorption; acci- dents auxquels ne donne jamais lieu, dit-on, la résorption de celui que les médecins appellent si à propos pus louable. ( 280 ) Dans cette 3<^ éprouve t te, ou a mis avec le pus une plus grande quantité d'eau ; il n'y a pas de coagulation, mais on y remarque un plus grand nombre de globules. Dans celle-ci, il y a séparation de la partie glo- buleuse, puis un mélange non coagulé de sang et de pus. Ces diverses expériences, comme vous le voyez, tendent à maintenir le fait tel qu'il s'est d'abord montré à nous ; nous les répéterons sur l'animal vivant.- '''■ -'''■'' ''-^ ' Voici qui se rapporte encore au passage des li- queurs dans le sang : nous avions injecté de l'eau naturelle de Barégedans les veines d'un animal : il esi mort , mais il nous a présenté un phénomène qui concorde parfaitement avec ce que nous vous disions tout-à-rheure ; c'est qu'un papier préala- blement trempé dans une solution de set de plomb noircissait son haleine. Ce qui prouverait que, quand on boit de ces eaux hydro-sulfureuses , il s'en échappe une partie par la transpiration pul- monaire. Le sang que vous apercevez ici est celui d'une femme atteinte de ehorée et dont je vous ai déjà dit quelques mots. Ce sang est très bien coagulé ; on en a de plus mélangé une parlie à neuf parties d'eau sucrée, et voici la trame fibrineuse et nor- male qui en est résultée. L'affection de cette mal- heureuse est vraiment déplorable|: on dirait que son membre pelvien gauche a été rompu parle sup- plice infâme et révoltant de la torture. Nous allons maintenant pi'océder à l'autopsie ( 281 ) fie deux animaux morts en expériences. Le pre- mier, celui dont j'ouvre le thorax, a reçu une in- jection de 6 centilitres de vin Bordeaux et est mort immédiatement. Le poumon coniient des épanchements de sang et parait indiquer une al- tération de ce liquide ; nous allons voir si le dia- gnostic est valable. J'ouvre l'artère pulmonaire, il s'en écoule un sang non coagulé qui ressemble à ces agglomérations de globules que l'on appelle gelée de groseilles. L'animal est mort subitement • par conséquent, les symptômes auxquels il a succombé se sont seulement manifestés dans l'appareil respi- ratoire et n'ont pas eu le temps de se développer sur l'appareil digestif. Cet autre animal a péri sous l'influence de 5 à 6 centilitres d'eau de Barége injectés en 2 fois ; il est présumable que le sang sera également fluide. Déjà l'état du poumon me fait penser que je ne me suis pas trompé ; en effet, l'organe et le sang sont encore plus altérés que chez le précédent. Voici en outre un petit cochon d'Inde qui est resté une heure dans du gaz hydrogène : ce laps de temps me paraît considérable. Cependant, d'après nos précédentes expériences, nous ne devons pas trouver d'altération bien appréciable du sang. Le poumon est peu altéré ,• les vaisseaux contiennent des caillots noirs, mais bien coagulés. Un faitimportant m'avait échappé tout à l'heure; le voici : un des animaux auxquels on avait in- jecté de l'eau de Barége a survécu à cette expé- rience : c'est son sang que l'on a pris pour met- tre eu contact avec les gaz. Ce sang était altéré, ( 282 ) visqueux, noirâtre, et , sous l'influence de l'oxy- gène et de l'azote, vous avez vu qu'il avait repris sa couleur écarlate. Ceci me conduit à penser que dans les cas d'altération du sang, dans les fièvres graves, on pourrait tirer un parti utile de ces deux gaz que l'on ferait respirer. Je tenterai même cet essai dans mon service à l'Hôtel-Dieu sur un in- dividu affecté de fièvre typhoïde : c'est du reste un fait connu depuis long-temps, que dans le typhus, la fièvre jaune, il faut isoler les malades le plus pos- sible, leur faire respirer un air très pur, celui des montagnes par exemple, afin que le sang se trou- vant en contact avec les principes qui le vivifient, porte à son tour la chaleur et la vie dans tous les organes. Enfin, Messieurs , nous sommes arrivés à clore ces études minutieuses sur la coagulation du sang. Pour terminer convenablement le sujet, nous allons consacrer le reste de cette séance à vous parler du phénomène de la formation de la couenne» Cette expression ridicule vous montre l'état de barbarie dans lequel la science est encore plongée. Que peut- elle signifier ? à mes yeux, elle n'a d'autre valeur que d'être par sa grossièreté à la portée des es- prits les plus vulgaires. Je ne prétends point me constituer le réformateur du langage médical , mais je désirerais que chaque mot eût une accep- tion déterminée et identique pour chacun. Qu'est-ce donc que la couenne ? La couenne n'est autre chose que la matière coagulable du sang qui se solidifie d'une manière distincte en abandonnant la matière colorante. C'est un coagulum pur et ( 283 ) . simple; la preuve en est que nous la produi- sons à volonté, comme vous l'avez pu voir par ces nombreux caillots trameux et nuageux que nous vous avons présentés dans le courant de ces leçons: vous en avez même en ce moment un as- À 7 sez bel exemple dans le sang de cette femme choréique. On a fait , il est vrai, quelques observations à ce sujet ; on a même avancé que cette couenne avait une certaine analogie avec la pie-mère qui est une membrane essentiellement vasculaire. Ainsi dans la couenne que présente le sang du cheval, on aperçoit des trames, des filaments qui ne de- mandent pour ainsi dire pas mieux que de s'or- ganiser. Toutefois , il est certain que la fibrine s'i- sole de la matière colorante ; mais est-ce bien de la fibrine seule? Oui, dans certains cas; mais dans d'autres, il y a aussi de la matière colorante. Si on vient à traiter ce coagulum blanc par la chaleur, on voit facilement qu'il est composé de deux parties ; la fibrine et l'albumine. La première de ces substances est formée de filaments qui in- terceptent des espaces où se dépose l'albumine qui, elle, ne s'organise pas. Maintenant qu'il est bien certain que , chimi- quement et physiologiquement parlant, la couenne est de la fibrine contenant la sérosité albumi- neuse, peut-on se rendre compte de sa forma- tion? quelquefois! Ici, par exemple^ dans cette éprouvette, on a mis 4 centilitres d'eau sucrée et 1 de sang; on a ensuite agité le vase, puis on l'a laissé en repos , et au bout d'un petit laps de temps, ( 284 ^ il s'est formé nu caillot blanc que vous apercevez à la partie supérieure. Mais qui peut ainsi séparer la fibrine de la matière colorante ? Messieurs , ce phénomène est produit simplement par la différence de pesanteur spécifi- que des corps en contact. Si on venait à modifier la densité du sérum , il irait au fond du vase et les globules viendraient à la partie supérieure, ainsi que l'on voit la crème s'élever à la surface du lait. Maintenant, dira-t-on , pourquoi certains sangs sont-ils couenneux , tandis que d^autres ne le sont pas? il me paraît impossible aujourd'hui de rendre raison de ce fait. Voilà par exemjde deux mois entiers que dans toutes les saignées que j'ai fait fîiire à l'hôpital , jamais ce que l'on appelle la couenne ne s'est offert à mes yeux, mais dans les cas où le phénomène se présente, cela tient, on ne saurait en douter , à la différence de pesanteur spécifique qui existe entre l'élément du sang. Cette coagulation de la fibrine se présente sous bien des aspects : tantôt c^est un léger nuage, tantôt un caillot , tantôt enfin un parenchyme. On a été porté à attacher quelque importance à la pro- duction de ces phénomènes , parce qu'on a cru re- marquer des rapports entr'eux et certaines mala- dies: je reviendrai dans la prochaine séance sur la réalité de ces rapports; ce que je veux établir pour le moment, c'est une différence notable dans la densité des globules et de la fibrine ; ce qui n'est pas difficile à concevoir ; puisqu'il est certain que ( 285 ) les globules calcinés et réduits en cendre contien- nent du fer en proportion à peu prés de 5 à 7 pour cent. Mai«, Messieurs, l'heure avancée me presse, et G reiDets à regret à la prochaine séance la fin de la dise ussion sur la couenne. C 286 ) VINGTIÈME LEÇON. U Mars 1858. Messieurs , Dans ravant-derniére séance, nous vous avons montré un cas remarquable d'ophtalmie purulente chez un sujet dont le sang était évidemment altéré; M. James, qui nous l'avait communiqué, avait cru remarquer un fait semblable sur un vieillard placé dans le service de M. Breschel. Cet homme entré à l'hôpital pour une contusion considérable delà jambe, avec dénudation du tibia, est tombé au bout de quelques jours dans un état d'affaiblis- sement complet ; par suite du décubitus en supi- nation , il s'est formé une large escharre au sa- crum , et il est probable que d'ici à peu de temps il aura cessé de vivre. Quoi qu'il en soit, nous avons été nous-même le visiter, et nous avons re- connu un ramollissement de la cornée ^ ramollis- sement qui sera bientôt suivi de la perforation de cette membrane. Toutefois, nous devons vous dire ( 287 ) que rétat du sang n'est nullement en rapport avec les désordres qui se sont déclarés chez lui. Il est au contraire très coagulable y et a donné le caillot dur et résistant que vous apercevez dans cette éprou- vette. Pour le moment , nous nous contenterons d'enregistrer ce fait singulier , sauf à y revenir en temps et lieu , et nous allons de suite continuer le sujet que nous avons commencé dans la leçon précédente. r Après vous avoir exposé que lé saïig présentait à étudier un liquide appelé sérum, Une partie so- lide désignée sous le nom de caillot, et vous avoir fait part de ce que nous ont appris là-dessus nos travaux , nous sommes enfin arrivé à vous parler du phénomène particulier , que certains patholo- gistes ont appelé la couenne, expression grossière s'il en fut jamais, et qui pour cela seul devrait être rayée de notre vocabulaire , lors même qu'il n*y aurait pas de motif plus valable pour l'en ex- clure. Vous avez vu, Messieurs , que cette couche jaunâtre, qui vient par hasard se solidifiera la par- tie supérieure du sang coagulé, n'était autre chose que de la fibrine séparée des globules , et qu'une action physique, tout-à-fait indépendante de Yin- flammation , la pesanteur spécifique, était la cause de cette superposition anormale de la fibrine. Vous avez reconnu aussi qu'accidentelle chez l'homme cette couenne était presque constante chez le cheval, par exemple; elle y forme ordinairement les deux tiers de la masse totale du caillot. Déplus, nous vous avons montré que nous produisions à volonté cette séparation de la fibrine en mêlant au sang une solu- ( 'iss ) lion sucrée qui permet plus facilement la précipita- tiondesglobules.Vousen avez vu de nombreux exem- ples dans les caillots nuageux,trameux,etc., que j'ai eu occasion de vous présenter depuis le commence- ment de ce semestre; et en dernière analyse voici celui que nous a donné le sang de la femme at- teinte de chorée , que j'ai dans mes salles à rilôtel- ■Dieu. .:i|j^Î3 b-ja-^mmoD ëno7B swon :>op jsiug ai Ce qu'il faudrait savoir maintenant , c'est pour- quoi tantôt elle se produit et tantôt elle manque ; mais avant d^aborder cette question , que je n'es- père guère résoudre , je vais vous signaler un fait dont j'avais oublié de vous parler. Lorsqu'il doit se former un caillot couenneux , on aperçoit du sérum jaunâtre qui vient se réunir à la surface du sang; ceci est surtout remarquable chez le cheval. Si on sépare ce sérum , il se coagule comme la fibrine elle-même , et il en est ainsi jusqu'à ce que toute la fibrine que contient le sang soit coa- gulée. J'avais remarqué ce fait _, qui m'avait même frappé , et je croyais l'avoir observé le pre- mier ; mais il paraît que M. John Davy l'a signalé avant moi, dans ses recherches sur la coagulation du sang. Quoi qu'il en soit, peut - on rationnellement déduire quelques conséquences de cet état particu- lier de coagulation ? Depuis long-temps les traités pratiques de médecine recommandent d'examiner attentivement le sang : en général on ne manque pas de le faire ; mais la manière même dont on s'ac- quitte de cette tache est par trop superficielle et pourtant de cet examen on déduit assez souvent la ( '289 ) nécessité d'une seconde saignée. Pour mon compte, depuis nombre d'années, je ne me suis jamais au- trement embarrassé de cette circonstance que pour en rechercher la cause : je saigne peu mes mala- des, et je ne m'aperçois pas qu'ils s'en trouvent plus mal. Néanmoins , cette question a beaucoup préoc- cupé et préoccupe encore la plupart des médecins; elle a fait le sujet de bien des volumes, et des hom- mes consciencieux ont mis à l'étudier une ardeur et une sagacité dignes dune meilleure cause; car je ne vois pas qu'elle en soit plus avancée. Dans ces derniers temps, M. Piorry , dont je me plais à reconnaître hautement le zèle infatigable , a publié des recherches sur ce qu'il appelle les maladies du sang : dans cet ouvrage , la couenne joue un rôle tout-à-fait actif dans la production des phénomènes morbides; tellement que l'auteur a proposé de la ranger dans cette immense classe d'affections terminées en ite\ création de notre époque , nomenclature aussi fastidieuse que men- songère , et d'appeler hémite cette manière d'être du sang. Voyez, Messieurs, comme en physiologie une seule erreur peut être grave : on a d'abo'^rd rêvé l'inflammation , puis on a voulu la trouver partout , et en dernier lieu on a rattaché à cette utopie toutes les circonstances pathologiques con- nues et à connaître, si bien que maintenant, aus- sitôt que quelqu'un est malade , la garde , les pa- rents, les amis répètent à qui mieux mieux au mé- decin qui arrive : cesL une inflammatlonUi tout de suite, îaîicetles et sangsues d'aller leur train. T. IV, Magendie. ... ( 290) Mais pénétrons plus avant dans la question , et voyons si elle nous offrira quelque point qui mé- rite une réfutation sérieuse. Et d'abord comment tirer des conséquences qui aient quelque valeur de la présence de la couenne^ lorsque tout le monde sait qu'elle dépend elle-même de plusieurs circonstances qui n'ont aucun rapport avec la ma- ladie. Ainsi j que l'ouverture faite à la veine soit trop petite, ou que le parallélisme du vaisseau avec les téguments externes ait été détruit , ou qu'un globule graisseux s'oppose en partie à l'issue du fluide, et que le sang coule en bavant, comme l'on dit, vous n'aurez certainement pas de couenne. Mais désobstruez et ouvrez largement le même vais- seau , recevez dans un vase étroit et profond le sang qui jaillit de l'ouverture , et, le lendemain y en examinant ces deux saignées , vous trouverez des résultats bien différents. Vous aurez deux té- moins sortis tous deux , passez-moi l'expression , du corps même du délit : l'un accuse une violente inflammation , l'autre n'en fournit pas le moin- dre signe. Auquel croire? Dans ce cas, comme dans tant d'autres, il vaut mieux convenir de son igno- rance, plutôt que de s'exposer à tomber dans des méprises graves et souvent funestes. Par ce simple exposé, la question me semble résolue , au moins sous le rapport de la gravité qu'on y attribue en pathologie. Quelle impor- tance voulez-vous attacher à un fait que des in- fluences extérieures empêchent de se produire. Car , ou c'est un signe pathognomonique, et alors il doit se montrer dans tous les cas identique, ce ( 291 ) qui n'arrive pas ; ou bien c'est un effet accidentel et sans valeur , que l'on ne doit enregistrer que pour la forme, bien loin de le faire servir de base au traitement que l'on prescrira. Que si vous persistez dans votre opinion , du moins , pour être conséquents avec vous - mêmes , ap- pliquez donc au vase qui a ainsi modifié la coa- gulation du sang et produit des phénomènes morbides si redoutables , appliquez-lui , dis-je , toute l'énergie de votre thérapeutique ; modifiez-le dans sa forme, et vous aurez porté au mal un re- mède plus infaillible que toutes les émissions san- guines qu'il est possible de faire. Mais non, vous saignez : il se forme une couenne inflammatoire ; vous saignez de nouveau pour faire disparaître ce fâcheux pronostic : en effet, au bout d'un certain nombre de saignées, trois, quatre, cinq, six, etc., cette couenne disparait ordinairement. Cette dis- parition ne m'étonne en aucune façon ; car il y a deux raisons pour qu'il en arrive ainsi ; ou votre malade est épuisé par les émissions répétées que vous lui avez fait subir , et son sang appauvri , comme nos expériences l'ont péremptoirement dé- montré , dépourvu en grande partie de sa fibrine, n'en peut plus séparer ; ou bien encore , si l'indi- vidu est robuste et pléthorique, et que son liquide sanguin ait résisté jusqu'à un certain point au moyen de décomposition que vous employez avBid tant de bravoure , c^est que votre dernière saignée n a pas été faite dans les conditions voulues, que je vous ai mentionnées plus haut. Est-ce sur de si futiles théories, je vous le demande; que des ( 292 ) hommes de sens et de talent , des hommes guidés par le désir d'être utiles à leurs semblables , de soulager leurs souffrances , et de placer leur art au premier rang; est-ce, dis-je , sur d'aussi miséra- bles considérations , qu'ils doivent baser et res- treindre les ressources thérapeutiques que leur offre la science. Bien plus , Messieurs , M. Piorry , qui, comme je vous le disais tout-à-l'heure , a fait de nom- breuses recherches à ce sujet , quoique toujours préoccupé par cette funeste idée de l'inflamma- tion , a reconnu, prodamé que sur soixante-seize saignées pratiquées dans les meilleures conditions possibles, à des individus pleurétiques, la couenne avait seize fois fait défaut. Voyez comme les préjugés les plus absurdes sont, difficiles à déraciner : c'est à nous et en présence de nos expériences qu'on viendra soutenir que la couenne est la source et l'origine des inflamma- tions, lorsqu'on nous voit développer à volonté ces mêmes inflammations en enlevant au sang cette même couenne. Vous le savez , chaque fois que par un moyen quelconque , soit par la saignée^ soit par les injections dans le système circulatoire, nous avons soustrait à un animal une partie de sa fibrine , vous avez vu, à point nommé, et sur les mêmes, organes, affectant les mêmes formes , se produire ces troubles, ces désordres morbides, que vous remarquez si souvent dans les ouvertures ca- davériques de nos hôpitaux. Et vous iriez ensuite appliquer la saignée pour combattre le ridicule épouvantail des palhologistes , lorsqu'il se déve- ( 293 ) loppe en tout état de cause, tant en santé qu'en maladie! Mais , direz-vous , faut-il donc proscrire la saignée dans la pleurésie , dans la pneumo- nie , etc., et si nous la proscrivons, quel traitement employer en pareille circonstance ? Ici , Messieurs, quelque triste que soit pour nous la vérité, je vous la dois tout entière, je vous la dirai tout entière. Si l'on saigne parce que le sang est couenneux , je dis qu'on agit en dépit des faits et du raison- nement, et à ce titre je repousse la saignée. Si Ton saigne parce que cette opération soulage, diminue l'oppression, calme la douleur , et enfin parce que les malades guérissent habituellement par, ou plu- tôt avec l'usage de ce moyen; alors, empirique que je suis , j'admets la saignée Ç mais en conscience , dans la plupart des cas, je ne saurais affirmer que le mal n'aurait pas parcouru ses périodes et atteint son heureuse terminaison sans perte de sang. Et ce qui nourrit mon doute, c'est que si au lieu d'af- faiblir votre malade, sous prétexte d'ôter toute prise à l'inflammation, vous soutenezses forces physiques et morales; vous suivez le mal pas à pas dans toutes ses périodes , favorisez les crises heureuses qui se présentent, et aidez la nature, par l'abstinence et les boissons aqueuses , à vaincre les obstacles qu'elle rencontre , vous voyez fréquemment ainsi se mon- trer de rapides guérisons, plus rapides même que par l'emploi des émissions sanguines abondantes et répétées. Pour remplir ces indications, nos moyens thérapeutiques sont bien insuffisants , je le sais; car^ dans l'état actuel de la science, la plupart du temps , le médecin n'assiste guère que ( 294 ) comme simple spectateur aux tristes épisodes que lui fournit sa profession ; mais encore une fois , ne vaut-il pas mieux même ne rien faire , qu'agir avec la crainte de rendre la maladie plus grave, au lieu de la combattre avec succès. Car, notez que le traitement par les évacuations sanguines que l'on emploie contre presque toutes les maladies aiguës , surtout dans celles que je viens de vous citer, est justement un moyen qui les fait naître chez les ani- maux bien portants que nous y soumettons. La saignée agit en diminuant la fibrine du sang , en augmentant proportionnellement son sérum , en rendant moins énergique sa coagulation , etc. ; et vous savez que tout ce qui porte atteinte à la coagulabilité de ce liquide , qui est sa condition la plus importante , se traduit par des altérations d'or- ganes , d'où résultent tant et de si graves affec- tions générales. J'insiste sur ce point, Messieurs , parce qu'il m'a paru du plus haut intérêt , et que les conséquences immenses qui en découlent sont de nature à opérer une révolution heureuFC dans la théorie et la pratique de la médecine , et à la retirer du chaos où elle est plongée. Mais revenons à l'histoire de la couenne. Cette substance se présente quelquefois sous une forme particulière, M.Piorry en a remarqué une espèce nouvelle: elle est granuleuse, ressemble à une membrane inégale, irréguliére, a sa surtace sou- levée comme si elle était tuberculeuse. Cet auteur pense que dans ce cas il y a eu résorption de pus, et il appelle en conséquence cet état anormal de la ahrïne : piohémie. Remarquez, toutefois, que cette ( 295 ) résorption du pus par les conduits circulatoires n'est rien moins que prouvëe ; mais comme nous comptons revenir sur cette matière et la traiter avec tous les développements qu'elle comporte , nous vous dirons seulement en passant que jus^ qu'ici nos recherches à ce sujet nous portent for- tement à croire que le pus, quand il se rencontre dans le sang , s'y forme de toutes pièces par un mécanisme qui n'est pas mieux connu que celui par lequel ce liquide se produit hors des vaisseaux. Quant à la couenne tuberculeuse, \2ipiohémie, ce qui me fait rejeter l'opinion émise par M. Piorry , c'est qu'au microscope ces petites masses jaunâtres qui ont, il est vrai, à l'œil nu,rapparence purulente, n'offrent aucuns globules du pus , qui sont si fa^ ciles à reconnaître et à distinguer de ceux du sang, par leur dimension, qui est beaucoup plus consi- dérable , et par d'autres caractères dont je vous ai déjà entretenus. On n'aperçoit dans ces tubercules que des espèces de filaments se croisant en diffé- rents sens et interceptant entre eux des espaces plus ou moins rectilignes , absolument comme les trames cellulo - fibrineuses que nous vous avons montrées , et dont même voici un exem- ple dans cette éprouvette déposée sur ma table. Nous avons poussé l'expérience plus loin , et nous avons voulu voir si nous pourrions produire cette couenne purulente. Il n'y avait certes rien de mieux à faire pour cela que prendre le sang d'un animal après avoir fait une injection de pus dans ses vei- nes; et cependant dans aucun cas nous n'avons rencontré la coagulation pyohémiquedeM. Piorry. ( 296 ) Je suis loin de nier le fait lui-même, mais je pense que Texplication que cet infatigable observateur donne n'est pas suffisamment fondée; je me réserve donc, je vous le répète, d'examiner plus tard cette question. En somme , Messieurs, vous voyez ce qu'il ré- sulte des faits que nous avons recueillis sur la for- mation delà couenne dite inflammatoire : nous ne saurions dire aujourd'hui pourquoi elle se produit dans telle circonstance et non dans telle autre. Mais ce qui nous paraît démontré, c'est que sa production se rattache à un phénomène physique des plus sim- ples et des mieux compris , la pesanteur relative qui agit sur les corps organisés comme sur ceux qui sont inorganiques. De plus, nous savons que la forme du vase où l'on reçoit le sang, et c'est aussi l'opinion des pathologisles , concourt à la séparation de cette fibrine de la matière globuleuse; mais nous avons cru remarquer, contrairement à d'autres opinions , que les vases profonds et d'un petit diamètre étaient plus favorables a sa forma- tion que les larges et peu élevés , peut -être par l'adhérence qui contractela lîbrine avecles parois de tels vases. Devrons-nous conclure de ce qui précède que la formation de cette couenne est d'un fâcheux pronostic, et qu'elle exige incessamment des émis- sions sanguines ? Je ne pense pas que vous adop- tiez cette manière de voir , et pour ma part, j'y ré- pugne plus que jamais. Quoi qu'il en soit , il paraîtrait que la composi- tion intime du sang influe particulièrement sur la formation de cette couche fdmneuse. En effet , ( 297 ) voici une expérience clans laquelle nous avons mélangé de l'eau naturelle de Marienbad avec du sang : il s'est formé un caillot onduleux, analogue à ceux que je vous ai déjà montrés, et dont les oscil- lations propagées de proche en proche à toute la masse, la font ressemblera un animal vivant; ici les p;lobules sont restés attachés à la fibrine , font corps avec elle; c'est donc à l'influence de cette eau et des sels qu'elle contient , que nous devons attribuer ce résultat , puisque si à sa place , nous eussions mis de l'eau sucrée , la fibrine se serait coagulée sous forme de couenne , et les globules auraient été précipités. Nous avons varié de plu- sieurs manières les proportions de cette eau de Ma- rienbad. Dans tous les cas, le résultat a été le même* Les différents caillots qu'ont produits nos expé- riences^ et que nous conservons avec soin pour étudier les changements que le temps leur fait su- bir exposés à l'air libre, nous ont présenté un phé- nomène curieux qui pourra mettre sur la voie des moyens employés par la nature dans la formation des cicatrices. Sur tous, il s'est formé à la partie su- périeure une lame composée de deux feuillets : l'un humide , adhérent inférieurement au caillot ; l'autre, libre, s'est desséché au contact de l'air et s'est opposé à l'évaporation de la partie liquide du sang. Cette lame, qui représente assez bien la forme d'un champignon , et qui est collée aux bords de l'éprouvette avec lesquels elle s'est d'abord trouvé en contact, est analogue, ce me semble, à celle qui est formée par les limaçons pour clore herméti- quement l'entrée de leur coquille, et se mettre à ( 298 ) l'abri de l'action 4e l'air. Dans les plaies plus ou moins larges,elle peut être assimilée à la matière épi- dermique que certains anatomistes ont prétendu êtrele produit d'une sécrétion particulière organisée pour la circonstance , et suspendue lorsque la né- cessité ne s'en fait pas sentir. Ce fait est digne de votre attention ; c'est par là que se forment les réu- nions par première intention , que les tubes ca- pillaires adhèrent entre eux , et que la circulation continue , ce qui n'aurait pas lieu si l'extrémité des vaisseaux divisés restait au libre contact de l'air. Nous allons terminer cette leçon par une ex- périence qui se rattache encore à la coagulation du sang. Jusqu'ici presque tous les gaz que nous avons essayés ont accéléré cette coagulation, l'oxy- gène, l'azote, rhydrogéne surtout. J'ai commencé à l'Hôtel-Dieu à faire respirer le premier de ces fluides dans une fièvre typhoïde ; mais le cas était peu grave, de sorte que les résultats ont été à peu prés nuls. Je ne me tiens pas pour battu, et en attendant que l'occasion se présente de nouveau, je veux voir si l'acte de la respiration ne serait pas lui-même une circonstance qui fit varier les de- grés de coagulation que nous remarquons dans le sang. Nous allons donc répéter une expérience de Bichat , qui consiste à adapter un robinet à la trachée-artère, à ouvrir une des carotides et à exa- miner le sang selon que l'animal respire librement ou selon qu'il est privé de respiration. Ici nous vouions constater non seulement le changement de couleur du liquide , mais encore si en même ten>ps qu'il perd s^ couleur écarlate, il ne perdrait ( 299 ) pas aussi quelque chose de la propriété qu'il a de se solidifier. Je ne pense pas cependant que l'é- preuve soit décisive, attendu que l'animal ne sau- rait rester assez long-temps privé de respirer, sans que la mort ne survienne. Toutefois, il y a des circonstances où le sang noir circule dans les artères : c'est surtout quand Torifice qui fait communiquer entr'eux les réservoirs dits oreil- lettes , ne s'est pas complètement oblitéré après la naissance : c'est ce qui constitue l'affection appelée cyanose.Nous connaissons aussi l'influence du nerf de la huitième paire, du pneumo-gastrique sur le liquide sanguin ; nous allons ajouter à ces faits acquis à la physiologie ceux que va nous four- nir cette expérience. ' La carotide et la trachée-artère ont été préala- blement mises à nu; j'incise le tube aérien parallè- lement aux arceaux cartilagineux qui le composent, et j'introduis un robinet dans l'ouverture que j'ai faite. Remarquez, Messieurs, la parfaite in sensi- . bilité de la trachée-artère : l'animal n'a pas donné le moindre signe de douleur , lorsque j'en prati- quais la section. J'ouvre maintenant la carotide , et vous voyez un jet saccadé et de couleur écarlate qui s'en échappe ; jusqu'ici c'est du sang nor- mal. Je ferme le robinet ; l'animal va faire de vio- lents et inutiles efforts pour respirer, et vous re- marquerez comment peu à peu le sang revêt une nuance plus foncée : il est maintenant de venu pres- qu'entièrement veineux bien qu'il sorte d'une ar- tère. J'en recueille comme tout-à-l'heure quelques ( 300 ) gouttes dans un verre, pour l'examiner àia fin de la séance. J'ouvre le robinet; le sang redevient rouge pres- qu'instantanément. Vous remarquerez qu'il re- prend plus facilement sa couleur écarlate qu'il ne la perd. L'asphyxie a duré deux minutes ; pour ménager les forces de l'animal, je vais lier l'artère, et re- tirer le robinet. Les différents échantillons de sang que nous ve- nons de recueillir sont tous coagulés. Ainsi, comme je l'avais prévu, le peu de durée de l'expérience ne permet pas de rien conclure sur Tinfluence de l'acte respiratoire touchant la coagulation du sang. ( ao I ) VINGT-UNIÈME LEÇON. 16 Mars 1858. Messieurs , Vous vous rappelez que dans la dernière séance nous vous avons présenté un animal auquel nous avions fait avaler une demi-bouteille de vin de Bordeaux. Sur l'homme, cette expérience n'aurait eu rien que de très agréable ; tandis que chez ce chien d'une taille et d'une force peu communes elle a causé la mort en 24 heures. Ce résultat ne devra pas vous étonner si vous vous souvenez de l'action que le vin a exercée sur le sang de l'éprou- vette, et particulièrement sur l'albumine qu'il avait solidifiée. Porté dans l'estomac de notre ani- mal, il a produit les mêmes effets : voici le sang que nous avons recueilli après sa mort ; remar- quez ces grumeaux albumineux flottant dans un liquide violacé ; ne croiriez-vouspas que c'est tout simplement un mélange fait dans le vase avec du ( 302 ) vin et du sang. Il y a ici plus que de l'analo- gie , c'est une ressemblance parfaite entre deux phénomènes dont l'un s'est passé dans un vais- seau inorganique , l'autre dans le système circu- latoire d'un animal vivant. Suivant l'opinion qui domine aujourd'hui , je veux dire le soli- disme , dans le cas présent , les organes ne de- vraient pas être altérés , puisque seuls ils sont la source des influences morbides, et que nous n'avons agi que sur le liquide. Pour vous convain- cre entièrement de la fausseté de cette doctrine, que nos expériences ont déjà passablement sapée, vous n'avez qu'à jeter les yeux sur le poumon de ce chien ; examinez les altérations remarquables qu'il présente: ici vous vo^ez tous les signes d'un en- gouement, là d'une hépatisation, comme le disent les pathologistes. Ces lésions, qui dérivent toutes de la même cause, affectent cependant des for- mes particulières, que Ton pourrait même appe- ler locales, parce qu'elles semblent siéger de pré- férence dans tel ou tel point : c'est ce que de pré- tendus observateurs, qui embrouillent toutes les questions qu'ils ont la prétention d'édaircir, ont nommé pneumonie lobulaire ; comme si la science gagnait quelque chose à cette multiplication sans termes de dénominations insignifiantes. Qu'est-ce donc, je vous prie, qu'une pneumonie lobulaire, si ce n'est une altération partielle du poumon? qu'avez- vous besoin d'enchérir encore sur la grotesque no- menclature médicale ? cherchez donc plutôt à sa- voir d'abord, à bien définir ce que c'est qu'une pneumonie ; à connaître la cause de cette affec- ( 303 ) tion qui attaque l'organe respiratoire, et vous se- rez sur la bonne voie, vous ferez alors de la véri- table pathologie. Ceci, Messieurs, ne s'adressequà un petit nom- bre d'entre vous ; car je pense que généralement vous savez aussi bien que moi d'où naissent ces modifications de l'appareil aérien ; vous nous les avez vu produire chaque fois que nous altérions la propriété qu'a le sang de se coaguler ; l'engoue- ment, l'hépatisation rouge, l'hépatisation grise, ne sont plus pour vous de vains mots résonnant à vos oreilles comme un idiome inintelligible. Dépouil- lés par nos expériences du prétentieux et ridicule mysticisme classique, ils vous ont laissé voir pièce à pièce le mécanisme de leur formation et des transformations qu'ils subissent; qu'importe main- tenant la couleur , l'étendue, le nombre de ces al- térations, puisqu'il nous est démontré que les diverses modifications qui s'offrent à notre vue lors de l'ouverture des cadavres, sont le résultat d'une même cause qui, selon les cas, a agi avec plus ou moins de latitude. Cette cause, nous la connais- sons ; dirigeons donc contre elle des efforts sages et bien entendus. Nous trouvons dans la mort de cet animal, amenée par le passage d'une demi-bouteille de vin dans sa circulation, nous trouvons, dis-je, un nou- veau fait qui vient corroborer nos précédentes ex- périences. Ainsichaque jour nous enregistrons des preuves à l'encontre des théories erronées que l'on professe aujourd'hui sur l'inflammation. Mais, de notre côté , quel démenti avons-nous reçu ? ( 304 ) aucun ! Pourquoi ? parce que ce ue sont pas nos idées que nous m citons en avant : ce que nous vous exposons, n'est que le résultat d'observations scrupuleuses passées au creuset de l'expérience, et comme la nature est partout conséquente avec elle-même, ce qu'elle nous révèle une fois ne sau- rait être contredit par elle. Dans la série des substances que nous avons mises en contact avec le sang , vous devez vous rappeler l'essai que nous avons fiiit avec le pus. Nous l'avons répété sur l'animal vivant. Si vous vous souvenez, Messieurs, que les globules du pus sont quatre fois plus gros que ceux du sang, vous ne serez point étonnés que, bien que, dans l'éprou- vette, il n'eût point empêché la coagulation du sang, ce fluide accidentel ait causé la mort lorsque nous l'avons injecté par les veines. Ceci en effet est un phénomène mécanique des plus simples : tant que l'injection a circulé dans des tubes en rapport avec le volume de ses globules ^ aucun accident n'est survenu ; mais lorsqu'il a fallu traverser les ca- pillaires du poumon, l'infiniment petit diamètre de ces tuyaux a dû mettre un obstacle invinci- ble à leur passage. Aussi l'animal est-il asphyxié. L'examen pathologique de l'organe respiratoire va vous en convaincre mieux que ce que je pourrais dire : tout d'abord en l'incisant, vous voyez son parenchyme aréolaire laisser suinter la matière purulente qui distendait ses vaisseaux ;je ne pousserai pas plus loin ces rapprochements ; il vous est suffisamment prouvé par l'état de ce! or- gane qu'il ne pouvait plus livrer passage au sang, et C 305 ) par consëquenl vous n'irez pas chercher ailleurs ]a cause qui a déterminé la mort. Le volume des globules du pus étant constaté par tous les micrographes, nous avons le droit de douter jusqu'à preuve contraire, de la résorption de la matière purulente au moyen des capillaires vei- neux, résorption qui ne nous semble pas admissible à cause des conditions physiques dans lesquelles se trouvent les tubes d'un côté, et de l'autre les molécules qui doivent les parcourir. Toutefois , ceci n'est, comme je vous le disais tout-à-l'heure, qu'un simple doute : l'avenir montrera quelle va- leur il faut y accorder, A cette occasion je dois vous citer un fait qui m'a été communiqué par M. James. Un homme, âgé de 45 ans, entra il y a quelque temps à THôtel-Dieu, dans le service de M. Breschet, pour se faire traiter d'une contusion considérable de la jambe avec dé- nuda tion du tibia. Pendant huitjours,sonétatfut8a- tisfaisant. A cetteépoque, il éprouva dans la cuisse correspondante une douleur sourde, profonde : la langue devint sèclie,la respiration pénible une toux opiniâtre tourmentait le malade, les fonctions céré- brales commencèrent à se troubler. Cependant on ne sentait à la cuisse aucune fluctuation, et le p-on- flement du membre n'était nullement enharmonie avec les phénomènes généraux. On pensa qu'il y avait phlébite. Quinze jours après son entrée, le malade mourut. A l'autopsie, on trouva le fémur correspondant à la jambe contuse dénudé par le pus qui se trouvait accumulé tout autour dans la proportion d'à peu T. IV. Mageodie. 20 I ( 306 ) près deux litres. La couche musculaire profonde était réduite en une espèce de bouillie fétide, ex- halant une odeur gangreneuse. La veine fémorale n'offrait aucune trace de pus, non plus que les ar- ticulations. Les cavités droites du cœur et les veines caves étaient remplies de caillots fermes et volumineux, composés en presque totalité de fibrine ; il n'y avait que peu de sang non coagulé. La partie postérieure des deux poumons était le siège de ce qu'on appelle une apoplexie pulmonaire. Le sang y était épanché par petits foyers dissémi- nés très près les uns des autres , ce qui donnait à l'organe un aspect tigré. Du reste, ailleurs, pasd'altérations remarquables. Ce qui doit vous frapper davantage dans le cas pathologique que je viens de vous rapporter^ c'est cette pneumonie survenue à la suite d'un ab- cès. Vous pouvez voir sur ma table le poumon de l'individu qui a succombé à cette affection : nous comptons l'examiner au microscope afin de savoir si, dans les parties hépatisées, il n'y aurait pas du pus mélangé avec le sang. Nous avons passé en revue un grand nombre de faits qui ont rapport à un phénomène connu des physiologistes, mais qu'ils avaient à peine ex- ploré ; j'espère que les plus importants resteront dans la science. Il n'est pas aussi facile qu'on le croit d'aller en avant,et l'on doit, pour être sûr des résultats qu'on obtient, procéder avec lenteur et circonspection. Vous avez vu, Messieurs, que dans le cours de ce semestre, nous avons eu à rectifier ( 307 ) plusieurs faits reconnus exacts et qui nous avaient d'abord paru tels ; combien donc ne devons- nous pas nous méfier des illusions de toute espèce qui nous assiègent à l'envi dans la carrière des ex- périences. - 11 nous reste encore beaucoup à faire pour ter- miner l'histoire du sang : ainsi nous aurions à exa- miner ce qu'est ce liquide dans l'embryon, dans le fœtus; quelle modification il subit dans le phé- nomène de la menstruation. 11 nous reste aussi à constater si ses propriétés restent les mêmes dans le flux hémorrhoïdal , les hémorrhagies sponta- nées ou actives, etc., etc.; si les réunions que nous devons avoir d'ici à la clôture du cours d'hiver ne suffisaient pas, nous consacrerions soit le semestre d'été, soit un de ceux de l'année prochaine, à la poursuite de ces recherches dont vous appréciez , comme moi , toute l'importance. Toutefois, Messieurs, nos études nous ont donné la clé de plusieurs phénomènes, que maintenant nous pouvons envisager d'une manière plus positive qu'on ne l'avait fait jusqu'ici. Ainsi vous connais- sez parfaitement le mécanisme des hémorrhagies passives : vous savez que dans ces sortes d'affec- tions, le sang a été modifié, que sa coagulabilité a presque disparu, qu'il s'imbibe à travers les pa- rois des tubes capillaires de nos tissus.Ces caractères d'un sang que j'appellerai volontiers anormal, vous les retrouvez dans les épidémies les plus meur- trières. Le fléau dévastateurqui des bords du Gange a étendu ses affreux ravages aux rives de la Seine et de la Tamise, le choléra, n'est-il pas une preu- ( 308 ) ve pour ainsi dire encore présente à vos yeux de la vérité de nos paroles? A cette époque affligeante, cette théorie nous était inconnue, et cependant^ il n'est pas un médecin peut-être qui n'ait été frappé de la liquidité du sang chez ceux qui succombaient à la terrible affection asiatique. N'avons-nous pas mainte et mainte fois produit en liquéfiant le sang des phénomènes analogues à ceux que nous pré- sentent la fièvre jaune, les fièvres pétéchiales, le typhus, etc. A la différence prés des tissus, dites- moi si le poumon piqueté^ ecchymose que vous voyez sur ma table, n'a pas subi cette transforma- tion sous la même influence et par les mêmes causes qui développent des ecchymoses,des taches, des pétéchies à la surface du corps des individus atteints de la fièvre typhoïde ou du pourpre de la variole ? N'est-ce pas le sang épanché en tout ou en partie dans nos tissus, dans nos organes, qui change ainsi leur aspect et même leur nature ? Aussi, Messieurs, c'est là ce qui rend si graves toutes les maladies où le sang forme en s'extrava- sant des taches plus ou moins apparentes à la peau, où il est rendu soit par les crachats, soit par les selles. Vous suffira- t-il alors de donner un nom ambitieux à la maladie, de disserter longuement sur l'éternelle inflammation , ce Protée qui renaît sous toutes les formes, de ne voir que des lésions locales là où une cause générale tend à pervertir l'é- conomie entière, de traiter ces affections d'après les ridicules théories en usage? Non I vous emploierez tous vos moyens, Routes vos ressources à rendreau sang la précieuse propriété de se prendre en mas- ( 309 ) se, propriété qui, soyez-en sûrs, est d'autant plus modifiée que la maladie est plus grave. Nous allons maintenant, Messieurs, passera une autre question. Jusqu'ici les résultats obtenus nous , ont démontré que nous avions suivi une bonne voie; mais le sujet n'est pas épuisé, et nous avons besoin d'étudier avec le plus grand soin un autre élément qui entre aussi dans la composition du sang et qui y joue un rôle physique et physiologique du plus haut intérêt. Comme la fibrine , il est dissous dans le sang ; comme elle, il se prend en masse et con- court au phénomène de la nutrition et de l'accrois- sement de nos organes. Ce principe, c'est l'albu- mine. Outre la propriété qu'elle a de se conserver li- quide quand elle est séparée de la matière colo- rante , elle mérite sous d'autres rapports une at- tention toute particulière. Nous avons vu, en étu- diant les phénomènes généraux de la circulation , qu'un liquide, de l'eau pure, par exemple, ne passait qu'avec une grande difficulté à travers des tubes capillaires, mais que si l'on ajoutait une matière visqueuse à l'injection, celle-ci parcourait aisément les vaisseaux du petit diamètre. Il paraît que l'al- bumine remplit dans le sang les mêmes fonctions, et que lorsqu'il en est privé par une circonstance quelconque, il s'extravase et s'imbibe dans les tis- sus animaux, comme le ferait de l'eau mise en contact avec une membrane inorganique. Remarquez en passant , Messieurs , l'harmonie parfaite qui règne entre les matériaux si différents du liquide que nous étudions. Chacun d'eux a (310) ses caractères bien tianchés ; quoique mélangés ^ intimement ensemble, chacun conserve cependant ses propriétés, dont la réunion entretient dans notre admirable machine le mouvement vital. Ainsi que nous l'avons fait pour la fibrine , nous passerons d'abord en revue les faits qui ?e rattachent à la coagulation de l'albumine du sé- rum : nous ferons ressortir les rapports qui exis- tent entre ces deux substances, et les points par lesquels elles différent. L'analyse chimique com- plétera ces données. Avant d'entrer en matière , rappelons nous qu'il ne faut pas confondre le sérum avec ce que l'on appelle liquor sanguinis . Ainsi que nous vous l'a- vons déjà dit plusieurs fois, le premier est dépourvu de la fibrine, qui existe à l'état fluide dans le second. Quoi qu'il en soit, nous voyons tout d'abord que l'albumine ne se solidifie pas spontanément comme la fibrine. Parmi les agents dont l'influence est né- cessaire pour la production de ce phénomène , se trouve la chaleur. Soumise à une température de 60° 0-H), on ne remarque aucun changement dans sa transparence et sa viscosité ; mais si on élève le milieu dans lequel elle se trouve placée de 65 à 75°. Elle se prend presqu'aussitôt en masse. Ainsi il n'est pas à craindre que l'albumine du sang puisse jamais se solidifier dans les vaisseaux de l'animal vivant ,• car la température de nos corps ne dépasse jamais 40" centigrades, bien qu'on ait vu des hom- mes supporter une chaleurde 80°. La nature, pour obvier aux fâcheuses influences d'une température trop élevée , a établi dans l'économie un appareil ( 311 ) admirable de refroidissement parfaitement en rap port avec les lois physiques , je veux dire l'exha- lation pulmonaire et cutanée ; de sorte que quelle que soit la température du milieu dans lequel nous nous trouvons plongés, la nôtre reste toujours dans certaines limites quelle ne saurait franchir. D'autres causes produisent également le même phénomène, entre autres l'alcool. Mélangé à la sé- rosité, il en solidifie l'albumine, tant dans l'éprou- vette que sur l'animal vivant. Ceci nous montre combien on doit apporter de modération dans l'u- sage des boissons alcooliques ^ d'autant plus qu'il n'est pas rare de rencontrer des cas de mort su- bite par suite d'excès en ce genre. Toutefois, si l'on fait avaler à un animal une assez forte dose d'alcool ^ il ne tarde pas à périr, et l'on trouve dans ses vaisseaux l'albumine solidi- fiée. Vous connaissez assez la théorie de la circu- lation pour apprécier si le passage d'un sang à demi solidifié peut continuer à s'effectuer dans des tuyaux d'un aussi petit diamètre que ceux de nos organes. Quoique l'albumine coagulée par l'alcool res- semble assez à celle qui est devenu solide par la cha- leur, cependant elle endiffère principalement en ce qu'elle ne se présente qu'en petits flocons , tandis que la seconde forme ordinairement de larges mas- ses. Ce fait a lieu sur toutes les albumines identi- ques ; mais cependant je crois que nous ne devons pas confondre l'albumine de l'œuf avec celle du sérum. Si je ne me trompe ^ elles présentent des ( 312 ) caractères particuliers qui ne permettent pas de les ranger sur la même ligne. Déjà MM. Berzélius , Chevreul, Couerbe ont noté des différences remarquables entre ces deux sub- stances; d'onilsuitqu'un corps pourrait exercer une action sur l'une sans l'exercer sur l'autre. Nous al- lons par exemple mélanger de la potasse avec l'al- bumine de l'œuf : je verse quelques gouttes de l'alcali dans un vase où l'on a mis du blanc d'œuf, et déjà il s'est formé une gelée transparente, so- lide, élastique, ressemblant à de l'ictyocolle: c'est tout simplement un albuminate de potasse; car vous n'ignorez pas que les principes immédiats des animaux remplissent à la fois^ dans les combinai- sons chimiques les rôles de bases ou d'acides. Traitons maintenant par le même réactif la sé- rosité de l'ascite. Nous obtenons au fond du vase un léger précipité à peine sensible ; le reste est parfaitement liquide. Il doit y avoir d'autres preuves de ces différen- ces; mais les chimistes les ignorent, et je ne doute pas que si Ton s'en occupait avec soin, on ne par- vint à en découvrir de plus positives. Essayons pour notre propre compte. Je mets de l'acide acétique en contact avec du sérum : il s'est formé un corps opalin , transpa- rent qui est probablement un acétate d'albumine. Le même acide avec le blanc d'œuf donne^, comme vous le voyez , une coagulation à peu prés analo- gue. Soumettons ces deux composés à une tempéra- ture assez élevée. L'albumine de l'œuf n'en éprouve aucun changement. ( 313 ) Prenons celle du sérum : comme la précédente, je l'expose dans un tube à la flamme de la lampe. Je ne m'étais pas trompé dans mes prévisions , car nous venons d'obtenir un caractère distinctif des plus simples et des plus précieux , qui nous fera reconnaître l'albumine du sérum de celle de l'œuf. A mesure que ce tubede verre s'est échauffé, nous avons vu la masse qu'il contenait perdre peu à peu sa consistance , puis enfin se liquéfier entiè- rement , tandis que l'acétate d'albumine de l'œuf est resté solide sous Tinfluence du même moyen. Cette liquéfaction n'est que momentanée ; si nous soustrayons ce corps à la chaleur, il va se solidi- fier de nouveau. C'est en effet ce que vous voyez arriver. Voici un autre mélange d'ammoniaque et de blanc d'œuf qui a donné naissance à un préci- pité en forme dégelée transparente : nous le chauf- fons ; il se coagule entièrement sous l'apparence d'une matière vésiculeuse , spongieuse : c'est un albuminate d'ammoniaque. L'albumine du sérum traitée par les mêmes pro» cédés ne nous offre aucun de ces caractères. Ces expériences me paraissent de la plus haute importance. Il est urgent pour un médecin de con- naître les substances qui coagulent ou ne coagu- lent pas l'albumine. Sans ces notions bien simples, et auxquelles pourtant les praticiens ne pensent guère, on s'expose à nuire à son malade au lieu de lui être utile. Remarquez ici;, Messieurs , une différence ca- pitale entre l'albumine et un des autres éléments ( 314 ) du sang, la fibrine; c'est que beaucoup de sub- stances solidifient la première, tandis que fort peu ont la propriété de la liquéfier , et que c'est préci- sément le contraire pour la fibrine. Ainsi le nitrate de cuivre coagule l'albumine et empêche la solidi- fication de la fibrine. Le nitrate d'argent , si em- ployé en médecine , précipite l'albumine en flo- cons : j'admets que ce sel n'agit que localement , mais je suis persuadé qu'ingéré dans la circula- tion, il causerait infailliblement la mort. Nous fe- rons prochainement cette expérience. Le sous-acétate de plomb , sel de saturne, pré- cipite également l'albumine ; et cependant on ne craint pas tous les jours de l'employer dans des proportions énormes pour la falsification des vins On Ta aussi conseillé comme utile pour diminuer la fièvre et les expectorations abondantes des phthi- siques ; mais on y a bientôt renoncé , surtout en Allemagne, où des observateurs avaient remarqué que les vaisseaux par lesquels il avait été absorbé , contenaient toujours de l'albumine coagulée. Le nitrate de bismuth est moins soluble que le précédent, aussi est-il moins facilement absorbé; cependant il rend l'albumine solide. Le sulfate de zinc et le chlorure d'étain ont aussi une action locale ; ils coagulent également l'albu- mine. Le cyanure de mercure n'a sur cette substance qu'une très faible action. Le deuto-chlorure , au contraire, se combine avec elle très énergiqucment. C'est à cette particu- larité chimique que l'albumine doit d'être regar- ( 315 ) dée eomme le contrepoison du sublimé corrosif. Personne de vous n'ignore qu'un des plus célèbres professeurs de cet établissement, M. Thénard , en a fait sur lui-même un essai fort beureux. L'bydrocblorate de baryte, dont on se sert comme moyen thérapeutique dans les maladies des os , coagule aussi l'albumine du sérum , mais moins qu.e le précédent. L'bydriodate de potasse ioduré n'a que très fai- blement coagulé l'albumine. J'emploie depuis quelque temps ce médicament chez un jeune homme qui a un abcès froid , et je trouve que depuis qu'il en fait usage, la suppura- tion, qui auparavant épuisait ce malade, a beaucoup diminué. Est-ce en agissant sur le sang qu'il réussit ainsi , ou d'une autre manière? c'est ce que j'ignore; mais je regarde l'action sur le sang comme la plus probable. L'éther , qui a peu d'action sur l'albumine du sérum , en a au contraire une très énergique sur l'albumine de l'œuf, qu'il a convertie en une masse blanche , comme l'aurait fait la chaleur. Les acides oxalique , hydrochlorique , sulfuri- que, nitrique , n'ont donné aucun résultat. L'acide borique a fourni un précipité très léger. La crème de tartre soluble a formé un coagu- lum. Le tartrate neutre paraît moins énergique. L'eau de Seltz n'a pas du tout solidifié l'albu- mine. Ce liquide me paraît être une boisson par excellence. Vous avez vu qu'elle favorise la coagu- lation de la fibrine,et vous voyez qu'elle n'agit pas ( 316 ) sur l'albumine; par conséquent elle concilie et renferme en elle-même deux propriétés également avantageuses. L'hydrochlorate de soude, le sulfate de magné- sie, l'acide tartrique sont également ici sans action sur cette substance. Messieurs , l'beure avancée ne nous permet pas de vous présenter les considérations générales que font naître les faits dont nous venons d'être té- moins ; nous les renvoyons donc à la prochaine séance _, dans laquelle nous vous exposerons aussi les résultats d'une expérience que l'on va faire dans le laboratoire : l'injection de l'albumine de qua- tre œufs dans les veines d'un animal. ( oIT ) VINGT-DEUXIÈME LEÇON. 94 Mars 4858. Messieurs ^ Nous avons commencé l'étude physiologique de l'albumine du sérum , et nous vous avons dit que les chimistes avaient cru entrevoir de nota- bles différences entre cette substance que l'on trouve dans le sang , et celle que l'on rencon- tre en si grande abondance dans Foeuf des oi- seaux. Cette distinction, que nos expériences con- firment, est du plus haut intérêt; car il paraît, il est même certain que l'albumine de l'œuf ne peut, comme on aurait pu le croire d'abord, remplir les fonctions de celle qui appartient à la sérosité. Ce- pendant, nous devons dt^jà présentement appeler votre attention sur un phénomène curieux que nous avons cru remarquer : je me sers à dessein de ces expressions de doute , parce que l'opinion quej'émetsici n'est encore fondée que sur un com- mencemcTit d'expérience ; elle a besoin d'un plus ( 318 ) ample informé. Dans l'expérience que je vous annonçais en terminant la séance dernière , voici ce qu'il nous a semblé s'être passé : c'est que l'al- bumine d'œuf injectée dans le torrent circulatoire changeait de nature, se transformait en albumine identique à celle du sérum avec laquelle elle se trouvait mélangée. Pour le moment , nous n'en dirons pas davan- tage à ce sujet; vous sentez, Messieurs, combien, avant de lancer un pareil fait dans la science, nous devons nous montrer circonspects, nous qui con- sacrons spécialement nos études et nos veilles à déraciner les fausses théories ^ les vieux préjugés des différentes écoles pour asseoir définitivement la physiologie normale et pathologique sur des ba- ses fermes et inébranlables. Déjà, dans le cours de ces leçons , nous avons établi assez au long les différences que nous avons pu saisir entre la solidification de la fibrine et celle de l'albumine : nous vous rappellerons donc seu- lement que la première se coagule spontanément, sans le concours appréciable d'aucun agent chi- mique ou physique. Nous devons toutefois vous avertir que quand cette substance passe sur l'ani- mal vivant de l'état liquide à l'état solide, elle en- traine toujours en s'organisant ainsi une certaine quantité d'albumine. Gefaitest surtout remarqua» ble dans la formation des fausses membranes et dans un grand nombre d'autres circonstances. Pre- nez, par exemple, le liquide exhalé à la surface des cicatrices, et qui plus tard formera en se solidifiant la pellicule qui les recouvre, traitez-le par les réac- ( 319 ) tifs convenables , et vous verrez qu'il est composé d'albumine et de fibrine. Ce que les médecins appellent les fausses mem- branes , ces corps lamelleux, ces brides qui se dé- veloppent si souvent entre les feuillets du péri- toine et de la plèvre, sont constitués primitive- ment par un dépôt liquide d'albumine et de fibrine; de sorte que toute organisation de membrane, car c'est à tort qu'on les a nommées fausses, puisqu'il s'y opère une véritable circulation , et qu'elles se nourrissent comme les autres parties du corps , toute formation de trame, de réseau, de filaments, reconnaît ces deux éléments pour matière consti- tuante. Voilà, j'espère, qui justifie suffisamment l'im- portance que nous attachons à l'étude de l'albu- mine. En outre , cette substance que nous venons de voir intimement unie à la fibrine pour la pro- duction de certains phénomènes, paraît dans d'au- tres cas entièrement isolée. Laissez du pus en re- pos, quelle qu'en soit d'ailleurs la nature louable ou non louable y une séparation ne tarde pas à s'opé- rer entre ses éléments ; vous trouvez à la partie supérieure un liquide albumineux, tandis qu'infé- rieurement il s'est formé un dépôt plus ou moins solide , séparation qui rappelle celle qu'offre le sang privé de fibrine. La matière purulente est en effet composée de globules et d'albumine mêlée aux différents sels du sang. A propos de ceci, je dois vous dire qu'on s'est beaucoup occupé, dans ces der- niers temps, de l'origine des globules du pus. .( 320 ) De notre côté^ nous avons fait quelques expériences qui du moins ont amené le résultat suivant. Je vous disais tout-à-l'heure que le sérum du pus contenait de l'albumine. Nous avons soumis à une chaleur assez forte une certaine quantité de ma- tière purulente , et il s'est précipité des flocons et des masses évidemment albumineuses, sans que, pour cela , les ï^lobules du pus eussent disparu ou eussent été modifiés ; d'où nous avons dû conclure qu'ils ne pouvaient être composés par l'albumine. Si ce caractère négatif n'a pas résolu la question, il l'a du moins placée sur un terrain plus conve- nable , où bientôt sans doute on ne tardera pas de l'éclaircir entièrement. Du reste, il y a dans l'économie un grand nom- bre de liquides qui contiennent de l'albumine et même en plus grande quantité que le sérum n'en présente. Les vésicules ovariques, par exemple, sont remplies d'une liqueur visqueuse, jaunâtre et limpide, ressemblant à l'albumine de l'œuf. Ce serait même un point très curieux d'anatomie com- parée que de chercher les rapports qui peuvent exister entre l'albumine des ovaires de la femme et celle qui appartient aux ovaires des ovipares. Plu- sieurs cas d'anatomie pathologique me confirment dans l'opinion que c'est presqu'uniquement de l'al- bumine qui remplit les ovules des mammifères : je me rappelle avoir vu nombre de fois sur l'espèce humaine ces ovules, qui se dilatent pour la propa- gation de l'espèce , durcis et coagulés sous T in- fluence de la chaleur. Par contre, d'autres liquides, paraissant entiè- ( ^21 ) rcment composés d'albumine, n'en contiennent presque pas. Tel est celui quej'ai nommé céphalo- rachidien, et qui remplit les cavités ou recouvre la surface du cerveau, sur lequel nous avons, naguère, dirigé l'attention des physiologistes. Toutefois on peut établir en thèse générale que dans toutes les grandes accumulations de fluides que l'on rencontre dans l'économie soit à l'état sain, soit à l'état pathologique , il se trouve une plus ou moins grande quantité de cette matière. Les kystes en contiennent presque toujours et les différentes tumeurs de ce genre qui se développent dans les ovaires en renferment une proportion considérable. D'où peut venir cette albumine , si ce n'est du liquide qui charrie et dépose ses éléments dans tous nos organes? Vous voyez, d'après cela. Messieurs, combien cette étude du sang est immense. Il n'est, pour ainsi dire, pas de question médicale qui ne s'y rattache plus ou moins directement. Aussi , malgré l'obscurité du sujet et les obstacles de tout genre dont la nature semble à plaisir l'avoir envi- ronnée, comme pour voiler à l'homme ses secrels, nous nous applaudissons chaque jour davantage d'avoir osé entrer dans cette voie que nous par- courons, et qui, je l'espère, ne sera pas inféconde pour la science. Dans d'autres circonstances, on a vu des sur- faces ulcérées séparer deTalbumine. Je donne en ce moment mes soins à deux jeunes gens atteints d'abcès par congestion : depuis quelque temps, la suppuration a cessé ; mais elle a été remplacée par • T. lY. 2t ( 322 ) un écoulement visqueux assez considérable. J'ai donné cette liqueur à M. Pelouse , et il a re- connu que c'était de l'albumine pure. Il y a des cas où l'urine elle-même en contient de notables quantités : vous connaissez tous l'af- fection nommée néphrite albumineuse et le phé- nomène caractéristique qui permet de la diagnos- tiquer. Vous devez vous souvenir que nous avons , par l'injection de sérum dans les veines d'un animal, produit ces mêmes troubles dans la sécrétion du rein , et qu'une fois aussi, payant notre tribut à l'erreur, nous avions pris, dans un cas à peu près analogue, de l'urée pour de l'albu- mine. Je vous remets cette circonstance devant l'esprit pour vous rappeler combien il est impor- tant , dans les recherches du genre de celles que nous faisons , de ne pas se laisser aller à la cha- leur du moment et de posséder tout son sang- froid , soit pour constater un fait, soit pour en tirer de justes conséquences. Il est inutile , je pense , de pousser plus loin cet aperçu et de vous énumérer un a un tous les cas où nos liquides contiennent normalement ou anormalement de l'albumine. Il s'agit maintenant de faire des expériences sur cette matière pour voir où elles nous conduiront ; comme par le passé , nous les prendrons pour guides , trop heureux si nous ne nous écartons en rien des sentiers qu'elles nous montreront. Nous allons d'abord poursuivre l'examen de l'ac- tion de quelques substances sur l'albumine. Ici c'est l'inverse de la fibrine ; au lieu de rechercher avi- ( 323 ) dément les corps qui pourraient coaguler l'albu- mine , nous devons désirer d'en trouver un grand nombre qui la laissent liquide. Du sulfate de chaux dissous dans de l'eau a so- lidifié l'albumine avec laquelle nous l'avions mé- langé. Nous essaierons si l'eau de puits qui con- tient une grande quantité de ce sel donnera le même résultat. Au reste, cela pourrait peut-être expliquer en quelque sorte le dégoût naturel que l'on a pour les eaux séléniteuses, qui, en efîet^ in- commodent beaucoup de personnes. Cependant il en est quelques-unes qui en usent habituellement sans éprouver aucun accident. Comme vous le voyez , ceci est une simple conjecture sans autre valeur jusqu'à vérification. Le sous-carbonate de fer employé à haute dose par beaucoup de médecins dans les cas d'anémie, de chlorose, etc., a communiqué à l'albumine sa couleur jaune orangé. L'acide arsénieux , poison violent , a formé un coagulum. Les autres substances que vous apercevez dans ces éprouvettes n'ont pas eu d'action bien appré- ciable ; ce sont : l'hydrosulfate de potasse , que Ton administre en boissons ; le bicarbonate de soude ; la mannite, l'eau de chaux; les acides lac- tique et phosphorique. L'acide citrique lui-même, sij nuisible à la fibrine, n'a, pour ainsi dire, pas agi sur l'albumine. Vous vous rappelez que dans la dernière séance nous avons parlé des différences qui existaient en- tre l'albumine de l'œuf et celle du sérum ; comme ( 324 ) nous vous l'avions annoncé , nous avons à ce sujet fait l'expérience suivante. L'albumine de quatre œufs a été passée à tra- vers un linge pour s'assurer de sa pureté, puis elle a été lentement introduite au moyen d'une serin- gue dans la veine jugulaire de l'animal que vous voyez sur ma table. Presqu'aussitôt , il a été pris de vomissements. Je ne saurais vraiment don- ner une explication valable de ces premiers trou- bles causés par l'injection de l'albumine : aussi je vous ferai grâce des conjectures diverses que je pourrai former à cette occasion. Quoi qu'il en soit, ce chien a vécu pendant deux jours assez tranquillement : les premiers symptômes pa- raissaient calmés,lorsqu'au bout de ce temps nous lui avons injecté de nouveau l'albumine de deux œufs : les vomissements, cette fois, ne se sont pas renou- velés ; le lendemain , a eu lieu une troisième ex- périence avec la même quantité d'albumine : l'a- nimal y a succombé immédiatement. D'après cela , nous sommes, je pense, en droit de conclure que l'introduction de l'albumine d'œuf dans le torrent circulatoire peut avoir de fâcheuses conséquences. Mais ce qu'il y a de plus surprenant , c'est que le phénomène que nous avions entrevu s'est réalisé : l'albumine de l'œuf, aussitôt qu'elle a été mélangée avec le sang , a changé véritable- ment de nature elle a perdu ses caractères d'al- bumine d'œuf pour prendre ceux de l'albumine du sérum. Une saignée a été pratiquée à ce chien quelques minutes après l'injection; le sang s'est ( 325 ) comporté comme de coutume , c'est-à-dire qu'il s'est séparé en deux parties , l'une liquide, l'autre solide. Mais son sérum traité par la potasse, loin de former une masse gélatineuse , opaline, comme vous avez vu que cela avait lieu avec l'albumine d'œuf, est resté parfaitement fluide. Donc, par son passage dans l'économie , cette substance a entiè- rement perdu ses propriétés distinctives. En voulez-vous une autre preuve non moins dé- cisive : voici du sérum de cet animal ; nous le so- lidifions en y versant quelques gouttes d acide acé-, tique ; nous le chauffons au foyer de cette lampe, et vous voyez qu'il redevient aussitôt liquide. Notez que nous agissons ici sur du sérum extrait vingt minutes après l'injection de l'albumine dont nous ne retrouvons cependant aucune trace. A différentes reprises, je me suis livré à des re- cherches sur les propriétés nutritives de la géla- tine , question qui n'est pas encore réso- lue , malgré tous les travaux dont elle a été l'objet. Ayant par suite voulu nourrir des ani- maux avec des blancs d'œuf durcis, j'ai remar- qué tout d'abord, que, malgré leur grand appé- tit, cette substance ne leur plaisait pas. Ils en mangeaient cependant , mais avec une répu- gnance qui m'a frappé. Ils maigrissaient rapide- ment; et tous ceux que j'ai soumis à ce régime pendant un temps suflisant son tmorts d'inanition .Y aurait-il quelque rapprochement à établir entre cet instinct des animaux, qui les porte à éviter ce qui leur est nuisible , et les expériences que je viens de vous ciîer? Ne pourrait' on pas en tirer des con- ( 326 ) clusions peu favorables aux propriétés alimentai- res de l'albumine? Cet aperçu est très important; mais ce n'est pas ici le lieu de le développer ; car il sort de notre sujet auquel nous n'avons plus que bien peu de temps à consacrer. Pour terminer cette séance , Messieurs , nous allons procéder à l'autopsie du chien qui a suc- combé à trois injections successives d'albumine d'œuf dans les veines. Toutefois, avant de commencer, nous devons vous soumettre quelques épreuves qu'il était au moins naturel de faire. Vous vous rappelez que les injections de sérum rendent le sang incoa- gulable : nous avons voulu voir si dans l'éprou- vette l'albumine donnerait le même résultat. Voici de l'albumine, du sang et de l'eau dans la proportion d'un centilitre de chaque substan- ce. Il y a un coagulum très évident : seulement il ne va pas au fond du vase, parce que l'albumine ayant changé la densité du sérum, le caillot de- venu comparativement plus léger que le liquide a dû surnager. Ici nous avons mis : albumine 1 centilitre sang 1 id. eau 5 id. et la coagulation s'est également effectuée. En augmentantla proportion d'albumine, en la portant à trois centilitres avec la même quantité d'eau et de sang que ci-dessus, nous avons encore , il est ( 32T ) vrai, un caillot; mais le sérum paraît modifié, il est devenu extrêmement visqueux , tel enfin qu'il se présente dans certaines maladies. D'après ces faits, Messieurs, je ne saurais émet- tre à l'avance une opinion précise sur la cause de la mort de cet animal. Le sang a-t-ilété liqué- fié ou non? c'est ce que nous allons bientôt savoir. Dés la première incision , le sang qui s'écoule sous mon scalpel indique assez qu'il n*a pas été coagulé ; ce résultat coïnciderait donc avec l'effet produit par les injections de sérum. Puisque le sang est liquide^ nous devons né- cessairement trouver l'organe respiratoire engoué. Le thorax est enlevé. Vous devez vous apercevoir que ces deux poumons sont loin d'être dans un état normal. Un sang noirâtre distend leurs cellu- les : celui du côté gauche est surtout le siège d'une infiltration remarquable : il est impossible en effet que l'animal ait pu respirer plus long- temps avec de telles altérations de l'organe respi- ratoire. En outre, Messieurs, à la division des bronches se trouve une masse squirrheuse avec un grand nom- bre de tubercules ramollis au centre. Il n'est pas impossible que cette circonstance, assez rare chez ces animaux, ait été pour quelque chose dans la production des désordres que nous apercevons. Comme ce chien a vécu plusieurs jours après la première injection, il est utile d'exminer le canal intestinal qui doit également nous présenter quel- que phénomène pathologique en rapport avec l'al- tération du sang. ( 328 ) L'abdomen est ouvert, et vous pouvez au pre- mier coup-d'œil juger que notre assertion n'est pas contredite. Les follicules ont acquis un très grand développement ; ils forment saillie à travers les tuniques qui les recouvrent. Mais comme cet exa- men demande du temps , et que celui que nous avons à passer ensemble est plus qu'écoulé, on terminera l'autopsie après la séance, et nous vous rendrons compte , dans la prochaine réunion , des faits qui auront été observés. ( 329 ) VINGT -TROISIÈME LEÇON. 25 Mars 1838. MESSIEURS, La plus grande partie des leçons de ce semestre a été consacrée à l'étude d'une des propriétés les plus importantes du sang , sa coagulation. Après avoir constaté que ce phénomène se passait uni- quement dans la fibrine; après avoir, autant que possible , envisagé cette substance sous toutes les faces, nous avons été naturellement conduit à vous parler de l'albumine, autre principe qui se trouve aussi à l'état liquide dans le sang. On sait depuis long -temps que l'albumine se solidifie par la cha- leur, qu'elle fait partie d'un grand nombre d'ali- ments : mais voilà où s'étaient arrêtées les inves- tigations des physiologistes. C'est en effet la pre- mière fois qu'on en appelle à l'expérience pour éta blir ses rapports avec la fibrine , rapports aux- quels jusqu'ici on n'avait pas songé; beaucoup de ( 330 ) personnes, au contraire , pensent que ces deux corps sont de la même nature , et que la fibrine n'est que de l'albumine modifiée. Pour ma part , je pense qu'il serait difficile , pour ne pas dire impossible, d'établir aujourd'hui cette identité par des faits bien avérés. Je n'en veux pour exemple que les différences remarqua- bles que les réactifs nous ont signalées entre ces deux substances. M. Denis, de Commercy, médecin habile et chi- miste des plus zélés, don t j e vous ai plusieurs fois parlé au commencement de ces leçons , avait embrassé cette opinion avec une ardeur et une persuasion complètes : sa principale raison est que la fibrine, traitée par le nitrate de potasse , se liquéfie , et qu'alors elle acquière toutes les propriétés de l'al- bumine , entre autres celle de se solidifier par la chaleur. A coup sûr rien n'était plus propre à faire con- clure en faveur de la transformation de la fibrine en albumine. Car, vu l'extrême simplicité de l'expé- rience, si facile à vérifier, qu^il n'était pas probable qu'on eût pu se tromper, je crains cependant que cela n'ait eu lieu. La simple annonce de ce fait fit sensation, tant on est disposé à accueillir ce qui est nouveau. M.Denis, qui a été un de mes collaborateurs , vint me la communiquer. Mais comme j'aime à voir les cho- ses par mes propres yeux , et non par ceux d'au- trui, je le priai de répéter devant moi ses expérien- ces. L'essai eut lieu dans cette enceinte , de- vant plusieurs d'entre vous 5 malheureusement, ( 331 ) aucun des résultats annoncés n'a pu être vé- rifié. Je serais fâché que ces paroles pussent porter le moindre découragement dans l'esprit de ceux qui cherchent , par des travaux consciencieux , à jeter quelque lumière sur des questions aussi ob- scures ; mais je désirerais qu'elles les missent en garde contre cet enthousiasme du moment , qui , tant de fois , a jeté des hommes célèbres dans de graves erreurs, alors même qu'ils entrevoyaient les plus brillants résultats, et qu'ils se croyaient sur le point de résoudre les problèmes les plus épineux de la science. Quoi qu'il en soit, je ne voudrais pas affirmer que l'albumine et la fibrine ne sont pas une seule et même substance; mais il faudrait le démontrer autrement qu'on n'a fait jusqu'ici , et je ne pense pas que de nos jours la chimie organique soit assez avancée pour cela. Nous vous avons dit , Messieurs, que les albu- mines des différents animaux n'étaient pas identi- ques entre elles , et nous l'avons prouvé. Vous vous souvenez que celle de l'œuf traitée par la po« tasse , s'est solidifiée , a formé une masse gélati- neuse , que la chaleur a rendue plus opaque; tan- dis que le sérum du sang traité par le même réac- tif ne s'est point coagulé , même sous rinfluence du calorique. Nous avons ensuite cherché à déterminer si 1 al- bumine d'œuf pouvait, en circulant avec le sang , conserver ses propriétés d'albumine d'oiseau; vous savez ce qui en est résulté : l'animal à qui nous en ( 332 ) avions injecté est mort, et à l'autopsie nous avons trouvé son sang liquide. Toutefois, je dois vous dire que je ne suis pas parfaitement satisfait de cette expérience; je compte la recommencer pour mieux arrêter mes idées à ce sujet. Nous n'avons pas trouvé d'engouement pulmonaire entièrement sem- blable à celui que développe un sang incoagula- ble, ce qui me fait croire que la mort a pu surve- nir par une autre cause. De plus, nous avons ici un résultat qui paraî- trait jeter encore de l'incertitude sur ce point. De l'eau , du sang et de l'albumine mis dans cette éprouvette, ont, comme vous le voyez, formé cail- lot , et l'albumine pure dans cet autre vase a em- pêché le même sang de se coaguler. Nous vous avions annoncé que l'albumine d'œuf injectée dans les veines d'un animal, disparaissait complètement , et vous en avez eu la preuve dans la dernière séance : le sérum du chien sacrifié à celte expérience , bien que l'animal eût reçu le blanc de huit œufs dans les veines , n'en a offert aucune trace. Voici maintenant un autre fait non moins cu- rieux, qui vient à l'appui de ce qui précède. Avant la séance j'ai fait mettre dans un vase du sérum humain, avec un dixième de son volume d'albu- mine d'œuf. Je voulais voir si nous obtiendrions le même résultat que dans les vaisseaux vivants , et quelque extraordinaire que ceci puisse paraître, il tien est pas moins vrai que Talbumine de Tœuf a disparu, et que le sérum, traité par la potasse et chauffé , comme je le fais dans ce moment, ne ( 333 ) se coagule pas ainsi que le ferait l'albumine d'oi- seau. C'est, ce me semble, une preuve assez convain- quante, d'après laquelle on peut conclure que le seul fait du mélange de sérum et d'albumine d'œuf enlève à celte dernière substance la propriété de se solidifier par la chaleur. Afin de poursuivre l'étude des différents phé- nomènes que nous venons de vous exposer , nous avons injecté à un chien l'albumine de cinq œufs, étendue de cinq fois son volume d'eau. Cette es- pèce de solution marquait A degrés à l'aréomètre; par conséquent , elle jouissait d'une certaine vis- cosité. Cependant l'animal n^a éprouvé aucun trou- ble, ses fonctions continuent à bien s'exercer , et il est probable qu'il supportera cette expérience sans accident. Plus nous allons en avant , plus vous voyez , Messieurs, combien on sait peu de choses sur le sang et sur les causes qui le modifient. C'est pré- cisément lorsque nous pensons ne pas nous être trompés, que la moindre circonstance nous révèle une erreur plus ou moins grave. Ici, par exemple, s'il avait fallu prévoir le résultat de cette injection d'albumine étendue d'eau, nous eussions cru, d'a- près les précédents , qu'elle allait donner lieu à une série de désordres pathologiques des plus com- pliqués. Pourtant il n'en est rien. Voici un échantillon du sang de l'animal : il est parfaitement coagulé et ne présente qu'une faible proportion de sérum , dont le degré de viscosité ( 334 ) n'indique nullement qu'on y ait ajouté de l'albu- mine. Essayons de le soumettre aux deux principaux réactifs qui accusent la présence de l'albumine. J'en verse quelques gouttes dans ce tube de verre ; j'ajoute une petite quantité de potasse. Pas de so- lidification. La flamme de cette lampe ne coagule pas davantage ce sérum. Qu'est donc devenue l'al- bumine injectée ? le fait certain , c'est qu'elle a disparu. Comment ? et par quelle transforma- tion ? Quant à présent , les plus jolies hypothèses , les aperçus les plus ingénieux ne sauraient nous donner le mot de l'énigme. Contentons-nous donc du fait lui-même jusqu'à ce que d'autres résul- tats inattendus viennent nous en dévoiler le méca- nisme. Dans l'expérience qui précède ^ la veine jugu- laire est le tuyau par lequel nous avons introduit l'injection ; de là elle est arrivée directement dans le ventricule droit , dont la contraction l'a lancée dans le poumon. Remarquez, Messieurs, qu'elle a traversé les aréoles infiniment déliées du paren- chyme pulmonaire sans les obstruer , sans causer le moindre trouble. Ce fait est très important sous le point de vue physique^ et il confirme pleine- ment ce que nous vous avons dit sur la circulation du sang. Rappelez-vous combien nous avons dû insister sur les rapports qui devaient exister entre le calibre des tuyaux et le liquide par lequel ils sont parcourus. Maintenant , Messieurs , que , grâce à l'évidence, à la clarté des faits que nous avons appelés à notre aide, il est permis, sans ( S35 ) soulever trop de clameurs , d'appeler les choses par leur nom , d'étudier physiquement ce qui dans notre science est du ressort de la physi- que , etc. Permettez- moi de revenir brièvement sur un point que nous avons déjà traité dans un des précédents semestres. Si, au lieu d'albumine, nous eussions employé pour l'animal dont il est question une autre ma- tière ayant aussi une certaine viscosité telle que l'huile , la gomme , etc. , il est hors de doute que l'injection n'eût pu traverser les capillaires du poumon. De nombreux exemples nous ont appris que ces substances , bien qu'innocentes par elles- mêmes, lorsqu'elles sont portées dans le torrent de la circulation , causent la mort en obturant mécaniquement les tubes déliés par lesquels elles devaient passer. Ainsi donc , il faut qu'il existe des rapports in- times et mystérieux entre l'albumine qui contient le sérum du sang et les vaisseaux capillaires san- guins qui n'ont pas plus d'un cent-vingtième et même cent-cinquantième de millimètre de dia- mètre. Dans les expériences de physique sur le cours des liquides , de l'eau pure ne passe pas ou passe très difficilement dans les tuyaux les plus fins; ajoutez un peu d'albumine à ce liquide, vous n'é- prouvez presque plus de difficulté à le faire mar- cher à travers les mêmes tuyaux. M. Poiseuille , dans ses ingénieuses recherches hémostatiques, a aussi reconnu que c'était une des circonstances qui favorisaient le plus le passage des liquides à travers les tubes d'un très petit dia^ mètre. ( 336 ) Quoi qu'il en soit , Messieurs , afin d'examiner la question sous toutes ses faces, nous allons varier Texpérienee de manière que l'injection n'aille pas d'abord au poumon : nous voulons voir si une sub- stance qui n'a pas eu d'influence fâcheuse sur cet organe, pourra traverser les vaisseaux cérébraux sans y déterminer de troubles et sans léser les fonc- tions de l'organe. Pour cela nous allons agir différemment, et au lieu d'introduire le liquide par une veine , nous allons l'injecter dans une artère. La carotide me parait le vaisseau le plus conve- nable pour pratiquer notre opération ; je vais la mettre à nu sur l'animal qui a déjà reçu de l'al- bumine par la jugulaire : comme il n'en a ressenti aucune incommodité, je pense qu'il peut être re- gardé comme parfaitement bien portant, et que les résultats de l'expérience seront valables. J'ai fait vers le bord externe du cou une inci- sion longitudinale parallèle à la direction du vais- seau; je dissèque maintenant avec soin la gaine celluleuse qui sert d'enveloppe commune au nerf pneumo-gastrique, au nerf sympathique à la veine jugulaire interne et à la carotide : cette dernière est maintenant dégagée ; je la soulève avec ces ci- seaux courbes et je passe au-dessous deux fils dont Tun est destiné à lier le bout supérieur du vaisseau pour empêcher le sang du cerveau de refluer en vertu de la diminution de pression vers cette extrémité. L'autre fil servira à main- tenir l'orifice inférieur de l'artère sur le canon de la seringue. Il est inutile, je pense, de revenir ( 337 ) sur l'explication du phénomène par lequel le sang, comme tout antre liquide , tend à s'échapper en sens contraire de la force qni le pousse, si l'on vient à faire une solution de continuité aux parois du cylindre qu'il parcourt. Le bec de la seringue est introduit dans la caro- tide; cet instrument contient à peu prés quatre on- ces d'une solution d'albumine très visqueuse , comme vous pouvez vous en assurer par ce qui est resté dans le vase où elle était d'abord déposée. Je pousse lentement le piston : l'animal paraît être sous le coup d'une sensation pénible : il s'agite^ se débat. L'angoisse ne fait qu'augmenter : je crains d'être obligé de cesser l'expérience, car son malaise est extrême. Il semble résulter de là, Messieurs, que l'intro- duction d'un liquide par les artères serait beau- coup plus dangereuse que par les veines ; car à peine si j'ai pu injecter un gros de cette eau vis- queuse; en outre, la force contractile du cœur a suffi pour soulever le piston que je tâchais de pous- ser, et du sang a pénétré dans l'instrument. L'animal paraît mort : je laisse couler quelques pouttes de son sang : il se coagule aussitôt : je per- çois encore de légers battements artériels ; mais l'animal ne peut pas aller loin comme cela. L'au- topsie nous révélera sans doute comment cette injection a pu amener un pareil résultat. Ce fait , Messieurs , je vous l'avoue , m'étonne singulièrement ; cependant , il ne doit pas nous empêcher de passer outre , sauf à y revenir plus tard. 1. IV. Magendie. 22 ( 338 ) Nous avons déjà fait plusieurs expériences avec la dextrine, l'un des éléments de l'amidon; mais elles avaient trait au volume des globules de cette substance relativement à la capacité des vaisseaux capillaires; aujourd'hui nous désirons mettre à l'é- preuve une autre propriété de cette substance. J'ai fait préparer avec la dextrine une solution qui a à peu près la viscosité et la consistance de l'albumine : nous albns l'injecter dans la jugulaire d'un chien, et nous verrons si les effets seront les mêmes : le liquide marque cinq degrés à l'aréomètre. Com- mençons. La veine est découverte; une ligature est appo- sée du côté du cerveau: j'introduis dans le bout inférieur le bec de la seringue qui contient à peu près deux onces de liquide. L'opération est ter- minée , l'animal n'en éprouve nul malaise. J'ap- plique mon oreille sur le thorax : la respiration est pure, aucun trouble ne se manifeste. Le contraire est arrivé pour Talbumine. Essayons d'introduire une petite quantité de ce même liquide par la carotide. Pour la mettre à nu, je répète les manœuvres que vous m'avez vu pra- tiquer tout-à-l'heure sur l'autre chien. Je la sou- lève avec cette sonde cannelée ; les ligatures sont placées , la seringue introduite, l'injection termi- née, l'animal n'en ressent aucun effet apparent. Que penser de tout cela? Pour le moment, il est sage je pense de suspendre notre jugement et de réfléchir sur ces expériences qui peuvent se ré- sumer ainsi : nous avons introduit par l'artère carotide, dans le système circulatoire de cet ani- ( 339 ) mal , A peu prés deux onces d'un liquide dont la consistance , la viscosité , sont égales à celles que donne l'albumine, et nous ne voyons se décla- rer aucun phénomène morbide , aucun trouble, tandis que quelques gouttes d'albumine injectées de la même manière, dans le même vaisseau , ont immédiatement causé la mort. Ces faits. Messieurs, bien qu'ils nous paraissent contradictoires, ne le sont certainement pas, notre ignorance de ce qui se passe réellement ici est sans doute la source de la contradiction apparente qui nous frappe ; mais en continuant à expérimenter, en variant les conditions matérielles des essais, nous arriverons à reconnaître, soyez en persuadés, que ces faits s'appuient et consolident l'un l'autre au lieu de se contredire. Ici, comme dans la plupart des cas , le raisonnement seul n'est rien, ne peut rien, je me trompe il peut tout embrouiller, tout obscurcir; l'expérience au contraire, qui n'est au fond que la véritable manière de bien raisonner , peut seule nous tirer d'embarras. ( 340 ) VINGT^QUATRIEME LEÇOIS^ 2S Mars 185B Messieurs , Le peu de temps qui nous reste pour clore ce semestre nous force à passer rapidement sur plu- sieurs points de notre cadre et à en remettre l'é- tude apiirofondie à une autre époque. Nous allons donc laisser de côté la question de l'albumine pour vous donner quelques détails sur les globules du sang. A dater de la découverte du microscope, on sut, à l'aide de ce précieux instrument, que le sang était composé de corpuscules d'une forme déter- minée et dont le nombre était incommensurable. La présence des globules a été constatée dans le sang de tous les animaux, de sorte qu'on peut, sous le rapport de la cerlitude , regarder ceci comme un de ces laits extraordinaires qui , de distance en distance, viennent prendre place dans ( 341 ) la science des hommes et soulever un des mille plis du voile de la nature. Depuis Levenhooch, au zèle duquel nous devons les premières observations à ce sujet, la question n'a pas fait grands progrés et n'a pas amené les résultats qu'on était peut-être en droil d'attendre des perfectionnements pour ainsi dire journaliers de l'optique, à tel point qu on ignore encore au- jourd'hui même quel peut être l'usage de ces cor- puscules : c'est donc une matière d'étude , non seulement des plus neuves, que nous allons abor- der, mais aussi des plus difficiles. A raison de leur variété de formes, de dimen™ sion, de structure, etc., dans les différentes espèces d'animaux, nous nous imposerons d'abord la loi de ne pas trop généraliser leur histoire et de ne pas attribuer aux uns ce qui appartient aux autres: ce sera déjà le moyen d'éviter un certain nombre d'erreurs graves dans lesquelles sont tombés quelques micrographes : nous devons donc vous les décrire tels qu'on les observe d'abord chez les mammifères, puis chez les oiseaux, etc. Pour ne pas nous égarer dans nos recherches et en tirer quelque parti, nous établirons quelques chefs principaux, quelques points de vue sous les- quels nous devrons les considérer : leur structure, leurs formes, dimensions et propriétés ; la manière dont iis se comportent, soit avec les agens chimi- ques, soit en contact av^ec eux-mêmes, seront tour à (our l'objet de notre examen. J'insisterai d'au- tant plus sur les rapports qu'ils ont entre eux, que certains physiologistes de notre époque, aii lieu ( 342 ) de voir dans les oscillations et les déplacements que les globules subissent dans les tubes de nos organes , l'application des plus simples lois de la physique , en ont fait de petits êtres ayant une volonté, se dirigeant à droite, à gauche, en avant, en arrière, selon leur caprice, et résistant dans les capillaires, souvent même avec avantage, à l'im- pulsion que le cœur tend à leur communiquer. Nous lâcherons d'abord de bien fixer notre idée sur ce que l'on doit appeler globules; car, ainsi que je vous le disais tout-à-rheure, il en existe de différentes sortes dans le même sang. L'homme , par exemple, nous en montre de con- stants et d'autres non persistants. Parmi les premiers, nous rangerons les globules rouges qui ont des formes et de dimensions différentes; parmi les se- conds, nous trouverons les grands globules blancs, dont on ne connaît pas mieux l'usage , et qui ce- pendant méritent de fixer l'attention des observa- teurs , parce qu'ils font partie du sang normal. A côté se placent d'autres globules infiniment plus petits que les rouges et les blancs , et que l'on a pensé appartenir à la lymphe ou au chyle : c'est une conjecture comme une autre , c'est-à-dire qu'elle est tout au plus basée sur des analogies et non sur des faits. Toutefois , à la découverte de ces deux derniers ordres de globules , qui ne remonte qu'à quelques années , nous devons en ajouter une autre plus ré- cente encore : c'est que dans certaines maladies, il se développe des globules de structure et d'apparence particulières. C'est un fait prouvé ; et l'on peut ( 343 ) coHvSulter avantageusement à cet ëgard les travaux curieux de M. Millier de Berlin et la physiologie de Burdach. Voici comment on étudie en général les glo- bules : on reçoit du sang dans un vase , on l'agite avec une petite baguette ou une verge ; on sépare ainsi la fibrine du sérum et des globules qui se déposent. Si alors on en étend avec la pointe d'un instrument une petite quantité sur une lame de verre qu'on soumet au microscope, on leur trouve une forme circulaire. Cependant , il y a quelques précautions à prendre pour bien faire ces observa- tions ; beaucoup de liquides dissolvent ou altèrent les globules; 1 eau, par exemple, est dans le pre- mier cas ; il faut donc avoir Eoin de les recevoir dans du sérum qui est leur véhicule naturel. Un autre procédé pour se les procurer consiste à se piquer soi-même le doigt avec une aiguille et à étendre sur un verre la gouttelette qui sort de la piqûre ; mais , de cette façon , les globules sont si nombreux qu'il est impossible de les bien distin- guer, si on ne les étend pas dans une petite quan- tité d'eau sucrée ou salée , qui , comme vous le savez, n'ont pas , comme l'eau pure , la propriété de dissoudre ces petits corpuscules. Nous vous avons dit que leur forme était cir- culaire; mais ce qui frappe aussitôt après ce pre- mier aperçu, c'est que le centre d'un globule n'a pas la même apparence que sa circonférence. On y voit un point noir ou blanc, selon qu'il est plus ou moins rapproché du foyer de l'instrument , et que la lumière l'éclairé avec plus ou moins d'inten- ( 344 ) site; de sorte que tantôt on peut les croire perfo- rés à leur centre, et tantôt y apercevoir un noyau distinct de la masse du globule. Ces deux opi- nions, fondées sur des observai ions directes, ont été en effet soutenues par les physiologistes. Mais ici, comme en beaucoup d'autres circonstances, on a pris, je pense, l'apparent pour le réel. Vous voyez déjà , Messieurs , que ces observa- tions microscopiques exigent, pour être bien faite?, une certaine habitude et quelque habileté : c'est ce qui les rend très difficiles et fait que beaucoup de personnes s'y trompent. Néanmoins, il est très important d'apprendre à distinguer, à définir le centre d'un globule; car, selon les uns, il renferme, chez les mammifères, un noyau solide, tandis que selon d'autres, et je suis de cette opinion, il est, au contraire, plus mince et déprimé vers ce point. Voici sur quoi je me fonde pour ne pas admettre l'existence d'un noyau central chez l'homme. Prenez du sang de reptile ou de poisson, soumettez au foyer de votre instrument les globules que vous en aurez extraits, vous y apercevrez distinctement un renflement particulier au centre : faites dissoudre ces mêmes globules dans de l'eau, et après cette opération, examinez le liquide où ils aur'ont été déposés; vous ne retrouverez plus de globules , mais seulement les petits corps qui précédemment occupaient le centre des globules et que l'eau n'a pu dissoudre. Or, chez l'bomme , l'eau dissout entièrement le globule, et l'œil n'en retrouve pas le moindre ves- ( 545 ) lige. Cette expérience me paraît concluante pour l'opinion que j'émets, et jusqu'à preuve contraire bien évidente , je ne crois pas devoir logiquement m'en départir. Je sais que M. Letellier , ancien interne des hôpitaux de Paris, et fort habile observateur, as- sure que l'eau ne dissout pas plus les globules des mammifères que les globules des reptiles, et que dés qu'on agite les corpuscules avec ce liquide, il se précipite au fond du vase de petits corps qui en seraient, d'après lui, les noyaux. Mais en répétant cette expérience, j'ai cru reconnaître que ce dépôt était formé des globules non complètement dis- sous. Ces corpuscules ont en efï'et les mêmes dimensions que les globules eux-mêmes; ils sont seulement tout-à-fait décolorés. On est parvenu à mesurer exactement la dimen- sion des globules au moyen d'un instrument fort simple appelé micromètre. Il se compose d'une petite plaque de verre où se trouvent gravées des divisions de centièmes, deux-cenliémes et même cinq-centièmes de millimètre. On place ces divi- sions au foyer du microscope avec un grossisse- ment connu; on y place également les globules, et l'on compare ensuiteà la caméra lucida les corps aux divisions. A l'aide d'un calcul très simple, on voit facilement combien il embrasse de centièmes de millimètre; on obtient ainsi la mesure du vo- lume des plus petits corps. Ordinairement, pour les globules rouges du sang humain, cette dimen- sion est d'un cent-dixième à un cent-vingtième de millimètre ; d'après ce simple aperçu, yous dev ( 346 ) comprendre qu'on pourrait, en sachant d'une part leur surface, et de l'antre leur épaisseur^ calculer exactement combien un seul millimètre cube doit contenir de globules, et par analogie, quel nom- bre infini en renferme tout le système circulatoire d'un individu, si toutefois le volume exact de son sang était connu. Voilà pour la dimension des globules vus sur une de leurs faces. Quant à ce mot globule, on l'a de- puis long-temps remarqué,il n'est pas approprié à leur forme véritable. Ces corps, en effet, ne sont pas sphériques, mais bien lenticulaires. Ce qui le prouve, et l'on peut facilement constater ce fait, c'est que, quand ils roulent sous le microscope, ils présentent leur bord à l'œil de l'observateur : ce bord a généralement en épaisseur la cinquième ou sixième partie de leur dimension : vu de cette ma- nière, le globule paraît plus épais qu'à son milieu, qui , au contraire , a l'air d'être légèrement dé- primé et comme excavé : ceci ne s'applique qu'aux globules des mammifères; car ceux d'autres ani- maux tels que les reptiles et les poissons présentent à leur centre un véritable renflement , ce qui sert à les difFérencier. Mais poursuivons notre analyse microscopique. Nous voyons ensuite les globules suivre les mouvements d'oscillation du liquide dans lequel ils nagent; ils se plient, se contournent, se défor- ment, roulent sur eux-mêmes, jusqu'à ce que re- venus sur leur plan , ils aient repris leur appa- rence primitive pour recommencer encore les mêmes révolutions tant qu'ils reçoivent une im- ( 347 ) pulsion quelconque : c'est vraiment nn très curieux spectacle. Si maintenant nous voulons examiner leur structure intime , nous trouverons qu'elle n'est pas facile à déterminer : selon les uns , ils sont formés d'une enveloppe extérieure et d'un noyau central comme ceux des reptiles et des oiseaux; mais nos observations réitérées s'opposent à ce que nous admettions cette donnée toute hypothétique : en effet, avec un grossissement de dix-huit cents fois, nous n'avons jamais pu constater la présence ni de l'enveloppe, ni d'un noyau. Qu'est-ce donc qu'un globule ? est-il composé d'une enveloppe qui se déchire ? C'est dans les choses possibles ; mais je ne puis l'affirmer. Ce- pendant , on pense généralement qu'ils sont en- tourés d'une petite pellicule très fine; et ce qui pourrait donner quelque valeur à cette opinion , c'est que sur les globules des cadavres, on remarque une espèce de froncement, de rayonnement, tels qu'en présentent les membranes les plus minces, quand elles commencent à se dessécher, la pelure d'ognon, par exemple. M. le docteur Donné, qui s'est livré avec beau- coup d'activité et de zèle aux recherches micros- copiques , avait pensé à faire de ce phénomène un signe certain de la mort de l'individu sur lequel on l'observait; ce qui n'aurait pas laissé que d'avoir une certaine importance en médecine légale. Mais nous avons constaté que le même phénomène se pas- sait sur les globules d'un homme sain et plein de vie, lorsqu ils avaient séjourné quelque temps dans ( 3A8 ) un vase. Vous voyez encore dans ce fait un des mille prétendus résultats qui n'ont pu soutenir la contre- épreuve et qui auraient contribué à propager de très graves erreurs. Néanmoins, ce qui précède semble indiquer que les globules sont enveloppés dans une espèce de membrane, et que cette membrane est solubledans l'eau, les acides, les alcalis et nombre d'autres liquides. 11 faut donc qu'ils soient dans des condi- tions spéciales pour se maintenir dans leur forme; car comment se fait-il que le sang contenant de l'eau et des sels, les globules ne s'y dissolvent pas .* Nous devons tâcher de résoudre ces questions. Pour cela , nous ferons un sérum factice , et nous verrons quelle action il exercera sur les globules. On prétend aussi que c'est à l'albumine qu'ils doi- vent de se conserver : nous séparerons l'albumine du sérum, et nous pourrons constater si ce liquide, privé de l'élément albumineux , maintiendra les globules dans leur intégrité ou les altérera. Pour pouvoir observer les globules normaux, il faut qu'ils soient récents ; car autrement, ils se transforment, leur bord s'altère, toute leur surface se parsème de petites taches et devient comme framboisée; ils ressemblent alors à une réunion de petites masses qui forment un tout amorphe et irrégulier. Voici un autre fait que j'ai récemment observé. Quand on conserve des globules pendant deux ou irois jours, on ne remarque d abord aucun chan- gement , puis ils revêtent cet aspect tacheté dont je vous pariais tout-à-l'heure : dans cet état, j'ai ( 349 ) cru devoir leur donner le nom de corpusculaires : survient après une troisième période pendant la- quelle ils prennent des mouvements de totalité ana- logues à ceux des infusoires : c'est probablement ce qui aura fait penser à plusieurs auteurs qu'ils constituaient de véritables animalcules chargés de porter la vitalité et la nutrition dans nos organes. Ces mouvements très-apparents ressemblent à ce qu'on appelle en physiologie mowements vibra ^ toires et qui s'observent dans plusieurs organes, et particulièrement dans les membranes muqueu ses des oiseaux et même de l'homme rchez ce dernier, ce sont les bords seuls de la membrane qui sont sujets à ces vibrations ^ tandis que le centre même du globule manifeste également ce phéno- mène. On a reconnu, à l'aide du microscope, que c'était à de petits animalcules qu'étaient dus ces mouve- ments vibratoires de l'extrémité des lamelles de l'huitre. Eh bien ! par une analogie surprenante, nous avons aperçu très distinctement sur les glo- bules de petits vibrions qui s'agitent à sa sur- face , s'enfoncent et ressortent sur le bord. En dernier résultat, le globule diminue, s'efface^ dis- parait : il semble avoir été dévoré par ces infu- soires, ce que personne , je crois y n'avait encore mentionné. Certains globules offrent beaucoup de ces ani- malcules, et d'autres presque pas j j'en ai eu un exemple pour un polype des fosses nasales que j'ai excisé chez moi. Le sang qu'il m'a fourni conte- nait une foule innombrable de ces petits vibrions. ( 350 ) II faut donc , pour observer les globules avec quelque fruit , connaître à quelle époque le sang a été pris. Voilà un fait inconnu jusqu'ici. Je ne crois pas me tromper en l'avançant; car, comme il était également nouveau pour moi, j'ai recom- mencé plusieurs fois l'expérience, toujours avec le même résultat. Quant aux variétés de volume que les globules peuvent offrir , on peut consulter la table analytique de MM. Prévôt et Dumas. J'ai constaté récemment avec M. Poiseuille que ceux d'une chauve-souris engourdie avaient un cent frente-cinquième de millimèrre. Si nous passons à un autre ordre d'animaux , aux reptiles, par exemple, nous trouverons des globules d'une structure et d'une conformation différenles. Un de leurs diamètres est évidemment plus alongé que l'autre ; ils présentent une tache très distincte au centre, et quand ils tournent sur eux-mêmes , on aperçoit une saillie sur le bord : ce qui confirme la première indication. Si on les agite dans l'eau, ils s'y dissolvent, excepté toute- fois la partie centrale qui est blanche quand elle a été bien lavée, et conserve la forme elliptique du globule lui-même. Il y a en outre parmi ces pre- miers globules , d'autres corpuscules sphériques , opaques, sans noyau : on pourrait peut-être émettre en leur faveur l'hypothèse qu'ils sont des noyaux séparés des globules elliptiques , ou de ces mêmes globules en train de se former; mais après tout, je ne vois pas la nécessité de leur prêter un rôle qu'ils n'ont probablement pas, et je conviens fran- chement que j'ignore leur usage. ( 351 ) Les recherches que l'on a faites sur la nature de l'enveloppe et du noyau des globules elliptiques ont amené à penser que la première présentait beaucoup d'analogie avec la matière colorante du sang, et ont montré que la matière blanchâtre des noyaux, traitée par l'acide acétique, se prenait en petites masses tremblotantes et gélatiniformes. Dans les oiseaux, les globules sont aussi ellipti- ques, mais n'ont pas de noyau. On a fait à ce sujet de nombreuses hypothèses; on a dit, par exemple^ qu'ils ressemblaient au pollen des fleurs , que comme lui , ils consistaient en un assemblage de myriades d'infiniment petits corpuscules ; tout cela est fort joli e( fort ingénieux; mais il y manque une chose assez essentielle , c'est la preuve matérielle. Au reste, la différence entre ces globules ne porte pas seulement sur la structure, mais aussi sur le volume : en effet , les globules de reptile ont, terme moyen, d'un quarante-cinquième à un soixante-quinzième de millimètre; par conséquent, ils sont beaucoup plus gros que ceux des mam- mifères et des oiseaux. A quoi servent les globules dans l'acte de la cir- culation? on l'ignore^ et je pense que, malgré les recherches, on l'ignorera long-temps encore. Nous avons essayé de faire passer des globules ellipti- ques dans des vaisseaux sanguins de plusieurs mammifères : tous sont morts, parce que le sang injecté se coagulaitdans la seringue, et non à cause du défaut de rapport entre les globules et les tuyaux à traverser. Jusqu'ici ces petits corps n'ont guère servi que par leur opacité à faire voir le ( 352 ) saug circulant sur l'animal vivant. Depuis, nous avons injecté de ces mêmes globules séparés de la fibrine, sans que les sujets de cette expérience en aient éprouvé d'accident. Après la séance , on répétera cette tentative sur ce petit chien avec le sang de grenouille que vous voyez ici. Remarquez que les globules se précipitent également au fond du vaisseau comme chez les mammifères. Au reste, il nous est facile de varier à notre gré leur proportion ; voici notre procédé : nous extrayons la fibrine en fouettant le sang à mesure qu'il s'écoule de la veine ou de l'artère ; nous répétons deux ou trois fois cette manœuvre jusqu'à ce que toute la matière coagu- la ble soit enlevée. L'animal que vous voyez ici a reçu par ce moyen les globules de trois autres chiens plus forts que lui, et cependantil ne s'en porte pas plus mal. L'heure avancée. Messieurs, me force à m'âr- rèter ici et à remettre à une prochaine réunion la lin des considérations que je désire vous présenter sur les globules du sang des différents ordres d animaux. ( 353 ) VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 50 Mars 1858. Messieurs , Avant de continuer l'histoire des globules du sang , je vais vous dire quelques mots d'un cas cu- rieux de médecine ;, devenu par circonstance un cas chirurgical des plus graves. Je vous ai parlé il y a peu de temps , vous vous le rappelez sans doute , d'une femme atteinte depuis plusieurs années de la chorée ou danse de Saint - Guv. Tous les traitements imaginables ont échoué con- tre cette affection , à la suite de laquelle il s'est manifesté une luxation d'abord incomplète du fé- mur sur le tibia , luxation qui bientôt est devenue complète^ les surfaces articulaires ayant entière- ment cessé d'être en contact. Les condyles de Tos de la cuisse apparaissaient en avant et en dedans et le tibia faisait saillie en arriére et en dehors. Cette luxation singulière avait amené la rupture T. IV. Magendie. 23 ( 354 ) de plusieurs petits vaisseaux sanguins et la déchi- rure des tissus environnants. A la face interne de l'articulation mise au jour, on apercevait le point de jonction du cartilage avec la synoviale. Pour ce- lui-ci , il s'est comme dissous et converti en une matière pultacée etcrêmeusej à laquelle ont succédé des espèces de bourgeons charnus , qui bientôt ©ntpris une apparence dermoïde comme il arrive aux membranes muqueuses, dans les anus contre nature et les chutes de l'utérus. Ge qui nous a paru précieux dans cette circon- stance pathologique, c'est que nous avons pu nous assurer de nouveau, et dans une circonstance toute nouvelle, que la membrane synoviale ne revêt pas le cartilage, ainsi que le supposait Bichat. Cette opinion n'est qu'une de ces nombreuses et sédui- santes hypothèses dont ce brillant écrivain a décoré la physiologie. D'autres ont prétendu que cette même synoviale passait, non au-dessus, mais au- dessous du cartilage, ce qui n'est pas plus ad- missible; car nous aurions certainement ici aperçu cette membrane si elle eût existé. Quand donc les médecins, voire mêmelesanatomistes, voudront-ils bien comprendre que celte manie de suppositions, de créations imaginaires , est un des plus grands obstacles aux progrés de la science? Nous avons également à constater , dans le fait dont je vous parle , un résultat non moins étonnant; c'est que la cavité articulaire a été pendant deux mois entiers en contact avec l'air sans qu'il soit pour cela survenu de fièvre ou un accident quelconque. Cependant chaque jour ( 355 ) on avance gravement et l'on soutient plus grave- ment encore que l'introduction du fluide atmos- phérique dans les articulations est une circon- stance des plus fâcheuses. Quoi qu'il en soit de cette question , que je ne fais que soulever , sans oser encore la résoudre , partout il s'est développé des bourgeons charnus jusque même sur le paquet graisseux situé derrière la rotule. Dans tous ces points, la circulation n'a |)as cessé d'avoir lieu. Dans les premiers moments , nous espérions qu'une ankylose entre les surfaces articulaires aurait été l'issue naturelle de cette dislocation vraiment extraordinaire : à cet effet, tous les mo- des d'appareils contentifs ont été mis en usage ; mais les mouvements brusques et saccadés dont les membres de cette malheureuse femme étaient continuellement et involontairement agités, déran- geaient sans cesse l'appareil; et chaque jour la luxa- tionsereproduisaitavecplus d'étendue que la veille. C'est dans dételles circonstances que nous nous sommes décidé à pratiquer l'amputation de la cuisse , plutôt comme moyen ae soulagement que comme remède à la maladie. Elle a eu lieu ce ma- tin , sans que la malade ait ressenti la moindre douleur^ sans qu'elle s'en soit pour ainsi dire aperçu. Voici le membre que j'ai fait apporter pour examiner avec vous les désordres dont il est le siège. Je vais procéder avec précaution, car je regarde ce cas comme très curieux. Tout d'abord , vous pouvez voir la membrane synoviale boursoufflée , ( 356 ) enflammée , comme oq dit ; arrivée au niveau du cartilage, elle se continue avec les bourgeons charnus accidentels. Tout l'intérieur de l'articu- lation est imbibé de sang ; le ligament latéral in- terne est entièrement détruit ; l'externe est à peu prés sain. Le ligament croisé a disparu , ainsi que celui qui s'insère sur la tubérosité du tibia. Il est difficile de voir dans l'économie une per- version aussi grande sans troubles généraux : pour mon compte, je ne saurais vous donner une ex- plication satisfaisante de ce phénomène patholo- gique des plus graves que j'aie jamais observés , à moins toutefois d'avoir recours aux théories phlo- gistiques avec lesquelles on tranche toutes les dif- ficultés grandes ou petites; mais j'ai de vous, Mes- sieurs , une trop haute opinion pour chercher à vous amuser par des idées surannées et ridicules. Pour pratiquer l'amputation , j'ai employé un procédé particulier dont je vais vous dire un mot. Ordinairement on passe le bras sous le membre qu'on veut amputer, et l'on coupe en contournant la main à sa surface ; mais ce moyen a l'inconvé- nient que le sang qui s'écoule des vaisseaux coupés tombe sur la main et même la manche de l'opé- rateur. Ici, j'ai commencé l'amputation delà partie inférieure à la supérieure, et, la première incision pénétrant jusqu'à l'os terminée^ j'ai incisé de la même manière la couche musculaire profonde, sans pour cela avoir employé plus de temps que l'on en met d'ordinaire à pratiquer cette manœuvre. ( 35T ) Maintenant, Messieurs, revenons aux globules : voici différentes remarques que j'ai faites hier : quand on laisse ces petits carps livrés à eux-mêmes pendant 24 ou 36 heures, ils subissent une notable altération ; ils s'étoilent, deviennent découpés sur les bords. Cette altération des globules a été re- gardée récemment par M. Donné comme un signe certain de la mort. En même temps se montrent dans le sérum un nombre infini de monades ou vibrions qui heurtent, poussent^ attaquent les glo- bules , et y font naître les mouvements vibratoi- res dont je vous parlais l'autre jour ; ainsi que des mouvements de transport et de rotation en tous sens. De plus , ces infusoires détruisent la substance même des globules et les réduisent en masses nuageuses sans forme déterminée. J'ai voulu savoir si ces vibrions attaqueraient également des globules frais : pour cela j'ai mis quelques globules, extraits d'un sang qui sortait de la veine, dans un sérum qui contenait une grande quantité de ces infusoires, et j'ai observé qu'ils se sont aussitôt portés dessus avec une espèce d'acharnement, et les ont détruites en fort peu de temps. C'est même un très bon moyen pour voir la forme des globules, que de les mettre en présence des vibrions , attendu que ces animaux les tour- nent et les retournent dans tous les sens; ce qui permet à l'œil de l'observateur de saisir leur con- figuration. Voilà donc les infusoires du sérum , qui pour la première fois sont employés utilement dans l'intérêt de la science. ( 358 ) Des globules de sang de lapin mélangés au sé- rum qui contenait ces infusoires n'ont pas paru exciter chez eux la même activité que ceux du sang humain. J'ai ensuite voulu voir comment ils se compor- teraient à l'égard des globules elliptiques, et pour cela je leur ai donné du sang d'oiseau; ils ont d'abord retourné ces globules , mais les ont pres- qu'aussitôt abandonnés. Les globules de grenouilles, qui sont beaucoup plus grands , 6ht paru leur répugner encore da- vantage. Je les voyais arriver par troupes sur les globules , puis lés quitter aussitôt comme pour chercher fortune ailleurs. Passant de là à la manière dont les globules se comportent entre eux, voici ce que j'ai remarqué. Ceux qui sont circulaires , mis dans du sérum, adhérent les uns aux autres et forment des piles flexibles plus ou moins longues; il n'y a pas encore long-temps , on pensait que ces globules ainsi en- tassés, empilés les uns sur les autres , étaient la base, ou plutôt la fibre musculaire elle-même; mais outre que cette fibre n'a pas l'apparence des glo- bules empilés , il est démontré qu'elle n'en con- tient pas. Au reste , ces petits corps forment aussi divers assemblages plus ou moins incohérents et dont il est inutile de vous entretenir , parce qu'ils ont lieu tantôt d'une manière , tantôt d'une autre. Les globules elliptiques des oiseaux ne forment pas de piles ni de chapelets; ils s'attachent bien les uns aux autres , mais c'est par tous les points (m) de leur surface , et particulièrement par les extré- mités de leur grand diamètre , et constituent des masses d'un aspect particulier. On les voit adhérer entre eux par un seul point, mais non superposés par leur face. J'ai en outre mélangé des globules circulaires avec des globules elliptiques , et j'ai remarqué que ceux de même forme adhéraient entre eux : il semblerait , à voir l'espèce de choix qu'ils font les uns des autres, qu'ils sont soumis aux phéno- mènes d'attraction et de répulsion électriques. Quant à leur structure , il est bien certain qu'il existe dans les globules des reptiles un noyau cen- tral entouré d'une auréole plus claire. Chez les oiseaux, au contraire, c'est une partie nuageuse , ayant l'apparence d'un noyau, qui oc- cupe la partie moyenne du globule. Ce sont, comme vous le savez, ces petits cor- puscnles, lenticulaires chez l'tiomme, elliptiques chez les oiseaux ^ qui donnent au sang sa couleur. Ce n'est pas que l'on connaisse parfaitement la matière colorante du sang; car la chimie n'a pas encore résolu la question ; mais il est démontré que ces globules éprouvent une modification dans l'acte respiratoire, et par les différents réactifs qui en détruisent ou en changent la couleur. Dans les expériences que nous avons précédemment fai tes, nous avons constaté qu'un grand nombre de substances avaient sur ces globules une action éner- gique , tandis que d'autres ne produisaient aucun effet. Sur la liste des premiers , nous devons d'^a- bord placer tous les acides. ( 360 ) Pour continuer celte série expérimentale , nous avons essayé de déterminer les modifications que quelques sels pris au hasard peuvent faire subir à ces mêmes globules. Ainsi que vous le voyez dans ce vase , l'acide hydro-sulfurique détruit non-seulement la cou- leur, mais encore anéantit les globules. D'autre part, le bicarbonate de soude les co- lore d'une teinte plus écarlate. L'acide tannique enlève leur couleur et les rend d'un rose tendre. La chimie reste muette sur tous ces phénomènes, qui sont pourtant de son res- sort. Espérons néanmoins qu'un jour elle pourra résoudre ces questions, qui ne sont pas sans inté- rêt pour la science, surtout celle de la composition intime des globules. On n'a encore émis à ce sujet que des idées hypothétiques : ainsi Everard Home, MM. Prévost et Dumas pensent qu'ils sont formés par un noyau dont la fibrine fait la base , que l'hématosine durant la vie les enveloppe comme une vessie très mince; mais comment admettre une telle structure , puisque les globules de l'homme comme ceux des mammifères ne contiennent pas de noyau. A son tour, M. Donné pense qu'ils sont constitués par une trame fibrineuse extrêmement déliée, dont les mailles contiennent de l'albumine et de l'hématosine. Comment partager cette opi- nion ? la plus simple expérience la réprouve. Les globules de l'homme , des mammifères et des oi- seaux se dissolvent dans l'eau , tandis que la fi- brine y est insoluble. On a aussi prétendu qu'ils étaient formés par (361) l'albumine du sérum; mais M. Lecanu a démontré qu'il existait d'énormes différences entre cette sub- stance et les globules. D'autres observateurs , tels que M. Denis, pensent qu'ils sont uniquement for- més par l'bématosine. D'abord pour extraire cette substance des globules, il faut traiter ces derniers à plusieurs reprises par l'acide sulfurique, l'alcool et l'étber. Or, il est certain qu'après avoir été sou- mis à de pareils réactifs ^ leurs propriétés physi- ques et chimiques sont entièrement détruites. Ils donnent alors pour résidu une poudre grisâ- tre , dont vous pouvez voir un échantillon sur cette soucoupe. Examinée au microscope , cette poudre ne présente plus aucune trace des globu- les : elle est brillante, d'un aspect métallique, et ne se dissout ni dans l'eau , ni dans les aci- des acétique et sulfurique étendus , liqueurs qui dissolvent parfaitement la matière colorante du sang. Cette hématosine retient la partie métallique des globules à l'état de peroxide, et en asse.z grande quantité même pour qu'on en ait voulu faire des médailles. La proportion comme peroxide estde v^ pour 0/0, représentant sept pour un de fer à l'état métallique pur. Nous vous avons dit que c'était à cette notable proportion de fer que les globules devaient la pesanteur spécifique qui les faisait se précipiter au fond du vase dans lequel on a reçu du sang» Du reste, il n'y a rien de semblable entre cette hématosine et la m.atiére colorante. Mais , dans la circulation , dans l'économie , à ( 362 ) quoi servent les globules? la question est plus facile à faire qu'à résoudre. Vous vous rappelez , Mes- sieurs, le chien auquel nous avons injecté un volume énorme de globules ( deux livres et demie ) pro- venant du sang de trois autres chiens. Cet animal est mort au bout de quelques jours , dans un état de faiblesse extrême ; sa démarche était tremblo- tante comme celle des animaux défibrinés. L'au- topsie cependant ne nous a pas présenté les phéno- mènes que nous croyions trouver d'après le genre de mort auquel il avait succombé. Le poumon était, il est vrai, altéré et couvert de pétéchies à l'in- star des animaux défibrinés; mais le sang était lé- gèrement coagulé dans les gros vaisseaux. La mu- queuse intestinale était saine. Par conséquent, ce ne sont pas, comme vous voyez , tous les désor- dres qu'amène la défibrination. Nous n'avons donc, d'après cette expérience, aucun indice de T usage des globules. Les résultats que nous avons obtenus dans d'autres épreuves ne sont pas plus explicites. Ainsi, hier, à trois heures de l'après-midi , nous avons transfusé le sang d'un dindon (15 centili- tres) dans lès veines d'un chien qui est mort ce matin. Le poumon que voici présente des arbori- sations particulières. Il est engoué, quoique cré- pitant. Le sang est liquide. Nous verrons si au microscope nous retrouverons des globules ellip- tiques dans cet organe. Mais par contre , un autre chien auquel nous avons injecté le sang de 1 5 grenouilles n'a ressenti aucun trouble, bien que les globules des reptiles (363 ) soient d'une toute autre forme , d'une beaucoup plus forte dimension que ceux des animaux à ma- melles. La question de l'usage des globules reste donc ce qu'elle était, c'est-à-dire entièrement vierge. ( 364 ) VINGT-SIXIEME LEÇON. 4 Avril 18:^8. Messieurs , Vous vous rappelez que dans la dernière séance nous vous avons parlé d'un chien sur lequel nous avions injecté du sang plus que défibriné, c'est-à- dire qu'outre la fibrine, on avait encore enlevé la plus grande partie de son sérum; ce sang était donc réduit presque à ses globules. C'était le produit de la saignée faite à trois animaux de la même espèce ; par conséquent nous avions, pour ainsi dire, triplé la masse des globules qui circulaient dans ses vais- seaux. 11 est mort quelques jours après. L'autop- sie faite devant vous n'a prouvé autre chose, sinon qu'il avait succombé aux troubles déterminés par l'arrivée dans sa circulation , de l'énorme quan- tité de globules que nous y avions introduite. Un autre animal auquel nous avions injecté quatre ou cinq centilitres de sang de dindon , a paru dans ( 365 ) les premiers moments supporter assez bien cette épreuve; mais dans la nuit suivante il avait cessé d'exister. Si nous faisons attention à la différence qui existe entre les globules des mammifères et ceux des oiseaux, si nous nous rappelons que chez les uns ce sont des lentilles circulaires, tandis que chez les autres ils forment des ellipses alongées , nous trouverons aisément la cause probable de la mort de cet animal dans la difficulté qu'ont dû éprouver ces globules de forme anormale à circu- ler dans des tuyaux dont le diamètre est accom- modé à un autre ordre de corpuscules. Toutefois, ce que cette circonstance nous a pré- senté de plus remarquable, c'est qu'à l'inspection microscopique, ce sang ne nous a pas offert de tra- ces des globules elliptiques que nous y avions ce- pendant directement mélangés et en très forte pro- portion. Il paraîtrait qu'ils se sont modifiés en pas- sant à travers les capillaires de cet animal, et s'il nous est permis d'émettre une supposition , cela donnerait a penser que les infiniment petits vais- seaux des mammifères ont une autre configura- tion que ceux des oiseaux. Espérons que Fanato- mie comparée nous fournira par la suite de pré- cieux renseignements sur cette question, que tou- tefois je ne soulève qu'avec une extrême réserve. Nous avons fait aussi à deux reprises une autre expérience, qui consistait à injecter chez un jeune chien le sang de douze ou quinze grosses grenouil- les. Les globules des reptiles, comme vous ne Figno- rez pas , sont beaucoup plus grands que ceux des animaux mammifères ; leur forme, qui est ellipti- ( 366 ) que, présente une surface double et même triple de celle des globules humains ; ils ont en outre un noyau central formé d'un élément distinct , qui n'est pas de la même nature que la matière colo- rante. Malgré toutes ces différences de rapports, de structure, etc., ces globules ont disparu. L'a- nimal qui a reçu Tinjection vit encore et semble se bien porter: nous lui avons pratiqué une légère saignée , et nous n'avons trouvé dans son sang aucune trace des nombreux globules ellipsoïdes , qui ont circulé dans son économie. En vain les avons-nous étudiés au microscope , avec le plus p-rand soin , en vain les avons-nous mis en con- tact avec des infusoires qui les ont tournés et re- tournés dans tous les sens : nous n'avons aperçu que des globules circulaires. Par quel mécanisme, des corpuscules aussi visi- bles , aussi connus que des globules de reptiles , peuvent-ils ainsi disparaître? je Fignore; mais remar- quez, Messieurs, que dans le cours de nos recher- ches ce n'est pas la première fois qu'un fait de cette nature est venu s'offrir à nous. Vous vous rappelez, en effet , que l'albumine d'œuf d'oiseau a perdu ses propriétés distinctives, après avoir été injectée dans les veines d'un chien pour revêlir les carac- tères de l'albumine du sérum , et maintenant, voici que des globules d'un calibre et d'une struc- ture particulières , nous offrent le même phéno- mène et dans les mêmes circonstances. Encore rien ne nous dit qu'ici il y a eu transformation; en réa- lité, les globules de grenouilles mêlés au sang ont complètement disparu. ( 367 ) Toutefois, il est certain que ces globules anormaux ont traversé les capillaires du poumon de cet ani- mal; sinon nous eussions vu s'y développer ici ou là des symptômes d'obstruction , ou , pour mieux dire, di inflammation. Mais, direz-vous, il serait possible que ces globu- les se fussent arrêtés dans d'autres organes moins importants. S'il en était ainsi, Messieurs, nous au- rions infailliblement à constater des troubles patho- logiques analogues à ceux que font naitre des glo- bules d'amidon ou de dextrine d'un 10^ ou 20" de millimètre. Injectées par l'artère crurale, ces sub- stances ont toujours déterminé l'inflammation et la gangrène d'un ou plusieurs organes : ici , au contraire, notre animal n'éprouve aucun malaise; toutes ses fonctions s'exécutent avec cet ensemble qui constitue la santé; en un mot, il se porte bien. Il a déjà reçu deux injections de sang de gre- nouilles ; nous lui en ferons une troisième après la séance , afin de poursuivre cette singulière étude jusque dans ses dernières limites. Car en- fin que sont devenus ces globules? ils ont néces- sairement subi une transformation , un change- ment de structure. Si l'enveloppe seule avait été dissoute , nous eussions au moins retrouvé les noyaux bien reconnaissables à leur forme, et qui de plus résistent à la dissolution. Quant au sang d'oiseau , mêlé avec du sang de mammifère , il a présenté sous le microscope des cristaux en aiguilles, que plusieurs personnes ont pu voir avec moi ; mais ce phénomène , du reste peu important , a disparu le lendemain , soit par ( 368 ) l'effet de la putréfaction et du dégagement du gaz ammoniaque , qui , dans ces circonstances ^ se forme de toutes pièces , soit par une autre cause qui échappe pour le moment à mon esprit. Un des points les plus intéressants de l'histoire des globules serait de connaître approximative- ment les proportions dans lesquelles ils doivent se trouver par rapport aux autres éléments du sang. Mais voilà justement ce qu'il est presque impossi- ble de constater dans l'état actuel de la science. Si en effet nous pesons comparativement la fibrine avec le sérum tenant en suspension les globules , nous n'obtenons quelque certitude dans les résul- tats que pour la première de ces substances : il res- tera toujours à démontrer deux termes de cette proposition : la quantité de fibrine étant trouvée , quelle est la proportion de sérum et de globules dans un volume de sang déterminé ? La question amenée sur ce terrain n'est guère plus facile à résoudre. Nous avons défibriné du sang ; il nous reste du sérum et des globules ; en laissant reposer le liquide dans une éprouvette, ces derniers se déposent en partie , et en partie aussi restent mélangés avec le sérum. Si nous le faisons chauffer , l'albumine se solidifiera ; si nous éva- porons l'eau lentement au bain de sable ou dans le vide , l'albumine ne se séparera pas non plus des globules , et nous n'aurons pas ob- tenu un résultat plus certain. Nous tournons donc sans cesse dans un cercle vicieux; en d'autres ter- mes , la difficulté subsiste tout entière. Je crois cependant que la meilleure manière ( 369 ) d'arriver à peu près à notre but serait d'étendre successivement et à diverses reprises , le sérum avec de l'eau sucrée, qui ne dissout pas les glo- bules. Néanmoins il resterait toujours un peu d'eau sucrée, d'albumine et des sels du sérum mélangés à de la sérosité; mais, à coup sûr, nous serions par ce moyen plus près de la vérité. Nous essaierons donc l'expérience dans ce sens. Quoi qu'il en soit, Messieurs, il parait certain que les proportions des globules et du sérum su- bissent des modifications en plus ou en moins: dans certaines maladies , à la suite d'un régime débilitant , après un certain nombre de saignées, par exemple, le sang est riche en sérosité, et pauvre de globules. Dans les affections dites ané- miques, il y a également déperdition de la ma- tière colorante du sang_, ainsi que nous l'a- vons nombre de fois remarqué , et notamment chez cette femme avortée, dont le caillot était dans la proportion vraiment remarquable de 1 5 pour cent de sérum. Voici un autre fait qui se rattache à l'histoire des globules rouges : si Ton conserve pendant quel- que temps de la matière globuleuse dans un vase, ces petits corpuscules changent de couleur, déga- gent de l'ammoniaque, et finissent par disparaître entièrement. J'ai dans ma clientelle un riche Es- pagnol atteint d'hypochondrie. Ayant appris que je me livrais à des études spéciales sur le fluide sanguin , il m'a prié de lui faire une légère sai- gnée afin de constater la nature de son sang, qu'il croyait profondément altéré. En effet, il ne s'y est T. IV. Magendie. 24 ( 370 ) fpriTié qu'un coagulum très petit et peu consistant. Voilà plusieurs jours que je conserve son sang dans cette éprouvette : la putréfaction s'en est emparée, et Ton ne saurait maintenant y trouver la moindre trace des globules. Nous avons dit que cette 4is- parition pouvait être le résultat du dégagement de l'ammoniaque ; mais ici je m'aperçois que cette supposition nous a encore induits en erreur; en effet ; je viens de plonger dans ce sang un papier de tournesol , et il est instantanément devenu rouge; preuve irrécusable que ce liquide estacide et non alcalin. Par conséquent , l'excès d'i^pi- moniaque n'est pour rien dans le phénomène dont je viens de vous parler. C'est donc aux vibrions que nous sommes réduits à l'attribuer en par- tie. Ces infusoires apparaissent d'abord comme de petits points noirs ; puis ils grandissent et' deviennent plus visibles, ils exécutent des mouve- ments rapides dans toutes les directions. Ils rou- lent et retournent lès globules , les ëbréchent , les entament et paraissent s'en nourrir , si tant est qu'ils se nourrissent^ en prenant des aliments à l'exemple des animaux qui ont une bouche, un canal intestinal, etc.; car ce fait n'existe peut- être que dans notre imagination. Toutefois le point principal, je veux dire la destruction des glo- bules par les vibrions, est irrécusable. J'ai répété six fois l'expérience , six fois j'ai obtenu le mênie résultat. Ayant ajouté de Teau commune à ce sang, j'ai remarqué que les vibrions ont para engourdis pen- dant quelque temps ; bientôt après ils ojit repris ( 3TM peu à peu leurs evojutions brusques et variées , qu'une goutte d'acide acétique a fait cesser saus retour. Au reste , l'aiiatomie microscopique, si je puis m'exprimer ainsi , nous offre plusieurs exemples delà présence d'animalcules dans l'économie. En examinant ce que l'on appelle le grain dn suie , c'est-à-dire la frange noire qui, chez les chevaux, descend de la choroïde sur la pupille , on aperçoit une matière composée de petits grains , qui ne sont autre chose qu'une masse d'infusoires adhé- rents à celle membranp à laquelle ils communi- quent des mouvements yibratiles , pu du moins qui m'ont semblé tels. Je crois que ce mpuyement u',est pas l'oscillatoire décrit par M. Brown. Le chyle, ce fluide par lequel le sang est lui- même ahmènté, contient également une grande quantité de ces vibrions; de sorte que, comme vous le voyez, le nombre de ces animalcules dans les corps organisés est immense. Je ne dois point ici passer sous le silence une expérience qui se rapporte aux idées émises par un jeune médecin qui s'occupe avec zèle du genre d'études que nous avons entrepris avec vous. M. Donné pense que les globules sont des espèces d'utricules , de sacs contenant un liqui- de. Cette théorie , qui certes en vaut une autre , a dû passer parla filière de l'expérience : c'est ce que nous avons fait. J'ai mis des globules dans de l'huile : ils s'y sont dissous, mais aucun liquide ne s'est montré ; seulement des parties de ces p^lo- bules se sont mêlées avec la matière grasse , et ( 372 ) l'on aperçoit eà et là quelques petites masses for- mées par ces détritus qui n'ont pas encore été en- tièrement décomposés. Indépendamment des globules rouges^ il existe dans le sang d'autres globules, qui difFérent des pre- miers par leur dimension, leur conformation et leur couleur; ce sont les globules blancs. Leur volume, plus considérable , les fait d'abord reconnaître ; en outre , ils n'offrent à leur point central ni ta- che, ni saillie; on aperçoit seulement au milieu une petite partie plus claire qui leur donne un as- pect particulier. Aplatis et lenticulaires comme les rouges , ils s'attachent souvent à la lame de verre sur laquelle on les dépose pour les examiner; ce ca- ractère peut servir à les distinguer , attendu que ceux qui sont colorés flottent , oscillent et se dé- placent continuellement. Mais pour les isoler et les mieux apercevoir , il faut les soumettre à un cou- rant d'eau , d'acide acétique ou d'ammoniaque. Ces fluides ont la propriété de dissoudre les globu- les rouges sans altérer les blancs. Pour mon compte, quels que soient ces globu- les , je n'ai jamais constaté leur présence dans le sang circulant. On a pensé que c'était tout simplement de petites masses de fibrine , qui se coagulaient sur le verre , ce qui explique assez bien leur adhérence, et laissaient circuler les glo- bules. A ce sujet, M. Letellier, médecin à St.-Leu, assure que si on laisse des globules rouges dans un vase, on en voit de blancs se déposer au fond. Il est donc probable , jusqu'à nouvel ordre , que c'est de la fibrine. Du reste, ils n'existent ni dans ( 373 ) • le sang des reptiles, ni des oiseaux , ni des pois- sons : je veux dire que je ne les y ai pas aperçus. Il y a encore, dans le sang humain et dans ce- lui des mammifères , d'autres globules , que l'on pourrait presque appeler problématiques ; car il pourrait se faire qu'ils ne fussent que des globules altérés. Reconnaissables à leur apparence mame- lonnée , comme framboisée , il n'est pas rare d'en rencontrer, et nous en avons surtout aperçu un très grand nombre dans le sang du chien auquel nous avions injecté de l'albumine. Quelques personnes ont pensé qu'ils pouvaient dépendre d'une illusion d'optique, et qu'ils étaient dus à ces apparences irisées que l'on aperçoit quand deux lames de verre ne se touchent pas immédiatement. Mais ce qui porterait à penser qu'ils existent réellement , c'est qu'on en trouve cinq et six fois de suite dans le même sang. 11 faut donc les admettre comme des globules particuliers. Outre ces trois sortes de globules propres au sang, nous vous ferons une simple mention d'une autre espèce, qui semble plus spécialement appar- tenir à la lymphe et au chyle : nous l'avons ren- contrée notamment chez un malade atteint d'al- buminurie. Du reste, ces globules ne diffèrent des autres que par leur volume , qui est beaucoup plus petit. Ainsi que je vous l'ai dit en commençant l'his- toire de la matière colorante du sang , vous devez voir que ce sujet n'est rien moins qu'éclairci. Le temps ne nous permet pas pour le moment de pous- ser plus loin nos recherches : nous les ajournons ( 374 ) cibhc à tille aiiii^é époque; car ce ii'est pas quand loul oii presqUë iout eSt encore â faire qu'il faut àbaiidoïirier la pahie. Ces étiuiés préliminaires se- ront pour ilQus comme une première exploration, une reconnaissance du terraiii sui- lequel nous de- vons marcher, terrain qui , si j'en crois mes pres- senti rîients , sera pour nous et polir la science, fertile eh i^esultals d'une Haute portée. Nous alloné termiher cette kçbn par deiix expë- ' riences : l'une coiisisterà à injecter sur un biseau du sanff de mammifère, l'autre à iiitroduire dans là circulatioti d'un autre mammifère du sang de reptile. On a élevé le licpiide de l'injection à une tem- pérature de 42^ centigr. La veine jugulaire de cette oie a été découverte à l'avance,* j'y pratiique une incision par làcpiéllê j'introduis le canOn de cette petite seringue d'argent. Bien que je pousse lente- ment le piston, les mouvements iuspiratoires de- viennent de plus en plus violents. Ces sortes d'ani- niàUx sont 1res sensibles à ce genre d'expériences. Je ne sais si le tempérament et le caractère de ce- lui ci sera m.odifié par cette é\)V^Vi\Q physiologique. Quoi qu'il en soit , le point que je désire constn- ter ^ est de savoir ce que deviendront les globules circulaires que nous introduisons. J'ai rempli et vidé (rois fois cette seringue , ce qui équivaut à peu près en tout à quatre centilitres ; quantité énorme , si vous vous rappelez que les oiseaux ont comparativement beaucoup moins de sang que les mammifères. Le cbich qbe Ton vient .de poser sur ma table ( 375 ) est celui qui a déjà reçu deux fois daus ses veines du sang de grenouilles : il ne paraît pas s'en in- quiéter beaucoup. Aussi après la séance, on va lui en injecter une nouvelle dose. Nous verrons s'il la supportera sans accident. Vendredi prochain, nous vous rendrons compte des suites de ces deux expériences. ( 376 ) iVINGT-SEPTïÈME ET DERNIÈRE LEÇON. 6 Avril J858. Messieurs , L'oiseau sur lequel , dans la dernière séance , nous avons injecté dev^int vous quatre centilitres de sang de chien , a supporté fort bien ce chan- gement étrange dans la nature de son propre sang; le fait est qu'aujourd'hui il vit en partie à Taide de matériaux nutritifs qui avaient été élaborés pour nourrir un chien ; aucune conséquence fâcheuse ne s'est manifestée, et en dernière analyse, l'exa- men microscopique de son sang ne nous y a montré que des globules ovoïdes , tels qu'ils existent chez tous les animaux de sa classe. Le résultat primitif de ces sortes d'épreuves paraît donc se maintenir et devoir être prochainement rangé parmi les faits évidents : à savoir que des globules, différant par leur nature de ceux de l'a- nimal chez qui on les injecte, sont ou détruits, ou ( M7 ) modifiés, de telle façon qu'on ne retrouve plus que des globules normaux là où l'on en avait introduit de forme et de structure dissemblables. Notons avec soin ce résultat , qui paraît être, pour me servir d'une expression nouvellement con- sacrée , V analogue de ce qui se passe pour l'albu- mine de l'œuf relativement à celle du sérum. Quand nous reprendrons ces études, que la clô- ture momentanée de l'établissement nous force de suspendre, ces premiers faits, ainsi que des jalons posés sur les terrains que Ton veut aplanir, nous serviront de guides dans nos recherches subséquen- tes. Je crois 5 Messieurs, que vous sentez assez l'importance de ces travaux , pour que je puisse me dispenser de vous annoncer que je me propose de les poursuivre avec toute l'ardeur dont je suis susceptible. Avant de vous présenter un résumé bref de ce que nous avons fait pendant ce semestre, je désire vous dire quelques mots sur un cas pathologique non moins rare que curieux. Il y a environ un mois , je reçus dans mon service, à l'Hôtel-Dieu , une jeune fille de dix ans, signalée à son entrée à l'hôpital comme atteinte d'une affection orga- nique du cœur. A l'examen clinique , nous avons reconnu que le premier bruit, celui du choc de la pointe de 1 or- gane entre le cinquième et sixième espace inter- costal , n'existait pas, ou peut-être était masqué par un bruit de frottement très fort et prolongé. Malgré toutes les recherches auxquelles on s'est livré sur les maladies du cœur, le diagnostic n'en ( 378 ) est pas toujours facile : ici, par exemple, le bruit dont je vous parle pouvait être le résultat du rétré- cissement de l'aorte ; mais je me sentais d'autant moins porté à adopter cette opinion, que le pouls était très développé. Vous savez, en effet. Mes- sieurs , qiie quand les pulsations sont faibles et petites , c'est utl signe de l'altération de l'orifice cardiaque de l'artère aorte. Du reste cette jeune fille ne présentait pas d'au- tre symptôme grave, sinon une légère teinte bleuâ- tre des lèvres. Plusieurs jours se passèrent dans un état assez satisfaisant, et l'on devait même lui don- ner sa sortie lorsque, presque subitement, tout son corps nous offrit les marques certaines d'une cya- nose des mieux caractérisées : au bout de vingt- quatre heures , elle avait succombé. L'autopsie faite avec soin nous a révélé les circonstances sui- vantes. Le cœur que j'ai fait apporter va passer sous vos yeiix , après que nous aurons constaté les altérations dont cet organe et ses annexes sont le siège. L'aorte et ses valvules semi-lunaires sont par- faitement saines^ ainsi ce n'est point là où nous devons rechercher la cause du bruit de frottement dont nous avons parlé. Examinons maintenant le canal qui conduit le sang des cavités droites aux poumons : tout d'abord , nous pouvons con- stater nn notable rétrécissement de ce vaisseau : sou diamètre, dans la plus grande extension, esta peine de deux lignes et demie à trois lignes. Voici déjà une partie des phénomènes morbides expli- quée par Tétat matériel de l'artère pulmonaire. ( 379 ) Souvent, Messieurs, vous in'âvez entencln dé- plorer le mépris que l'on semblait faire des lois de la physique appliquées à la physiologie , taiit de riiomme sain qu'à celle de l'homme malade; nom- bre de fois , je vous ai montré les immenses avan- tages qu'on pouvait en tirer pour la solution des plus graves problèmes que présente notre organi- sation : eh bien î dans cette occasion, c'est encore à cette science que nous allons demander l'expli- calion nette et précise de la question qui nous oc- cupe. Je résiliîïë ainsi ce cas pathologique : d'un côté le ventricule droit constitue une large ca- vité^ de l'autre un cylindre membraneux; l'ar- tére pulmonaire, dont la capacité se trouve énor- mément diminuée par lin rétrécissement anor- mal , s'abouche avec le corps de pompe , pour recevoir le sang que des contractions saccadées chassent incessamment. Or, Fexpérience directe nous apprend que toutes les fois qu'un liquide passe brusquement d'un vaisseau rétréci dans un vaisseau plus large, il se produit un bruit de frot- tement très marqué. Examinez ce cœur, Messieurs, et dites-moi s'il n'est pas dans les conditions phy- siques que je viens de vous exposer. Libre à cha- cun, cependant, d'attribuer ce p^iénoméne à d'au- tres causes. Pour moi , que la preuve matérielle peut seule convaincre de la réalité d'un fait , je n'insisterai pas davantage sur un point que je crois avoir clairement démontré dans de précéden- tes expériences. Il est à présumer que le petit calibre de l'ar- ( 380 ) tère pulmonaire était un vice congénial chez cette jeune fille ; car ce vaisseau, au lieu de (rois valvu- les sygmoïdes , n'en présente que deux. De plus, à la partie supérieure de la cloison ven- triculaire, il existe une ouverture de trois lignes de hauteur sur deux de largeur. Malgré cet état de choses , il y a lieu de penser que chez ce sujet la communication du sang veineux avec le sang artériel était très minime; autrement la cyanose se fût montrée pluslôt et eût été plus marquée. Ce qui me confirme dans cette opinion , c'est que les ventricules se dilatant et se contractant, ensem- ble etdans un rhy thme égal, les liquides des deux ca- vités devaient se faire obstacle mutuel lorsqu'ils arrivaient au petit orifice anormal. En effet , le ventricule droit est ici à peu prés aussi épais que le gauche, ce qui semble indiquer que bien peu de sang passait d'une cavité dans l'autre par l'ouver- ture indiquée. La membrane inter-auriculaire présentait une semblable anomalie. Vous savez que chez le fœ-^ tus , les deux oreillettes communiquent par une ouverture nommée le trou de Botal ; cette ouver- ture s''oblitére plus ou moins promptement lorsque la vie extra-utérine commence. Ici les valvules qui d'ordinaire obturent ce trou en adhérant Tune à l'autre, sont simplement adossées. Du reste, par les mêmes raisons que nous avons énoncées ci- dessus pour les ventricules , cette perforation de la cloison des oreillettes n'a pas dû avoir une grande influence sur la circulation. Remarquez toutefois , Messieurs , que ce cas ( 381 ) est d'autant plus curieux, qu'il confirme la théo- rie physique que nous professons sur les bruits normaux du cœur, ainsi que celle des bruits anor- maux à la suite de certaines altérations organi- ques de ce viscère, ou des altérations du sang. Tant est-il que , d'après ce qui précède , nous croyons pouvoir affirmer que chez ce sujet la mort a été le résultat du rétrécissement graduel de l'ar- tère pulmonaire. Vous voyez que nous ne redoutons jamais de vous montrer les pièces pathologiques : il en est peu jusqu'ici qui , bien que prises au hasard , ne soient venues à l'appui des opinions que vous nous avez entendu émettre ; c'est là un des avantages de la méthode expérimentale , sans laquelle je ne puis concevoir aucune science possible, à plus forte raison la nôtre. Terminons cette digression et revenons à l'objet de nos études. Ceux d'entre vous qui ont suivi les leçons de ce semestre savent quel en a été le sujet. Nous ne croyons pas avoir perdu notre temps en consacrant vingt-six leçons à des recherches d'un nouveau genre sur le liquide vraiment mystérieux, dont les médecins de notre époque dédaignent de s'occuper. H y a tout une science à créer sur le sang. A peine connaît-on ses éléments chimiques qui sont incessamment modifiés ; dans l'homme sain, par la respiration, les boissons, les aliments, les diverses sécrétions, excrétions, etc.; dans l'hom- me malade, par les tisanes, les frictions^ les bains et tout l'attirail pharmaceutique qu'on évoque à son chevet. Loin d'être découragé par le peu de pro- ( 382 ) grès que nous avons fait dans cette immense (ar- rière , vous me voyez , Messieurs , prêt à rentrer clans la lice aussitôt que cela me sera possible. Je vais m'occuper à rassembler de nouveaux maté- riaux , et l'hiver prochain ^ nous aborderons en- core celte élude importante , au fond de laquelle j'entrevois un vaste et glorieux horizon pour la médecine. Dans le cours de ce semestre , nous avons du moins préparé une partie du terrain sur lequel désormais nous marcherons, je l'espère, avec plus d'assurance. Déjà un grand nombre de faits ont été vérifiés ou constatés par nous , et si nous de- vons nous en rapporter aux consultations qui nous arrivent de la capitale et des province?, plusieurs d'entre eux seraient d'un haut intérêt pour la thé- rapeutique. Nous vous avons parlé en premier lieu de la coagulation du sang , et eu égard à l'importance de cette propriété, nous avons passé en revue l'ac- tion que les diverses substances médicamenteu- ses exerçaient sur .elle. Cette question était cer- tes bien digne de fixer l'attention des physio- logistes et des médecins. Phénomène physique ou vital ; ou plutôt phénomène placé sur les confins de la physique et de la vitalité , il est maintenant démontré que sans la coagulabilité du sang, il n'y a plus de vie possible pour l'animal. Hier encore, Messieurs, j'étais appelé avec un de mes anciens disciples^ auprès d'un malade chez qui la variole avait tout -à -coup revêtu cette forme terrible et fatale que le vulgaire nomme ( 383 ) pourpre. Une 8ai(3jiiée exploratrice pratiquée, le sang était incoagulable. Le fâcheux pronostic qu'indiquait cette circonstance n'a pas lardé a se réaliser. Quelques heures après, le malade n'exis- tait plus ! Cette altération de la propriété qu'a le sang de se prendre en masse ^ nous donne le mécanisme de l'altération des organes eux-mêmes. Quelle au- tre cause que du sang épanché a pu communiquer aux tissus de l'économie cette couleur rouge-bru- nâtre que l'on rencontre tant à l'intérieur qu'à l'ex- térieur des cadavres de ceux qui ont succombé soit à une fièvre typhoïde , soit au typhus lui-même. Je me dispenserai devons énumérer ici les autres af- fections qui donnent lieu à de semblables phéno- mènes; car je crois vous avoir déjà démontré que les plus terribles fléaux reconnaissaient pour cause première la liquéfaction et même la disgrégation totale des éléments du sang. Des faits si concluants, Messieurs, justifient as- sez, je le pense , nos attaques contre les rêveries prônées dans les écoles sur la nature des ma- ladies tant chroniques qu'aiguës. Assistez à un cours de pathologie interne ou externe , à Paris , à Londres , à Copenhague : partout les idées sont les mêmes. Un individu tomtje dans le feu ; on l'en retire vivant : n'allez pas croire qu'il en sera quitte pour une lésion physique, qui a plus ou moins carbonisé ses téguments , obturé ses vais- seaux, amené des sécrétions c^normales; V inflam- mation l toujours l'inflammation est là pour tout expliquer, et pourtant qu'explique-t-elle ? ( 384 ) Ayez la fièvre jaune ou une entorse , une hémorrhagie cérébrale ou une fracture, un ra- mollissement ou une induration ; si l'inflam- mation n'est pas le principe de la maladie, elle trouvera toujours le moyen de s'y glisser et d'en agraver les symptômes. Voilà où en est la méde- cine au XIX^ siècle. Vous nous saurez gré , nous osons l'espérer, des efforts que nous faisons pour tirer de l'ornière dans laquelle elle se traîne sipéni- blement , une science qui devrait être la première entre toutes les sciences. Nous vous avons aussi, Messieurs, dans le cours de ces leçons , signalé des faits qui ont rapport à la thérapeutique; les médicaments les plus usuels soumis à une analyse expérimentale , quant à leur action sur le sang, nous ont donné des résul- tats entièrement opposés à ceux qu'on était en droit d'en attendre, et que souvent moi-même j'en attendais. Vous avez vu quelles pouvaient être les conséquences de l'emploi de l'acide tan- nique , de l'eau de Rabel , de la limonade citri- que ou sulfurique, pour couper court aux bémor- rhagies spontanées. Toutes ces substances liqué- fient le sang : vous savez ce que cela veut dire. A ce sujet, permettez-moi de vous rapporter un fait qui s'est passé ces jours derniers dans mes salles d€ l'Hôtel-Dieu : nous avions une femme tourmen- tée d'une perte utérine des plus intenses. Mon in- terne, M. Landouzy avait vainement employé les as- tringents et les remèdes usités en pareil cas, lors- que nous pensâmes à faire usage de l'iodure de fer. Vous n'avez pas oublié que ce sel favorise la coa- ( 385 ) gulation du sang dans l'éprouvette. Un gros de cette substance fut dissous dans deux livres d'eau; la malade fit plusieurs injections dans la journée, et le lendemain, l'hémorrhagie avait complètement cessé. Je ne prétends pas toutefois conclure de là que l'iodure de fer sera héroïque dans toutes les circonstances semblables ; mais je crois que cette première réussite mérite qu'on tente de nouveau l'épreuve, et je n'y manquerai pas si l'occasion se présente. Nous avons aussi, Messieurs, examiné avec vous une question fort délicate, savoir que la limonade sulfurique , boisson dont on use sans inconvénient en toute saison , mais surtout dans les grandes chaleurs de l'été , injectée brusquement dans les veines d'un animal; lui donnait instantanément la mort , et nous avons pu constater que si elle n'a- gissait pas de cette façon, ingérée dans l'estomac, cela tenait à la lenteur avec laquelle l'absorption s^opérait dans cet organe : en effet , en injectant cette même substance lentement et goutte à goutte dans la jugulaire d'un animal, il n'est pas sur- venu d'accident. Ce fait se rattache à l'importante question de la division des médicaments, relative- ment à leur mode d'action sur l'économie animale; telle dose mortelle , si elle est concentrée, devient innocente, étendue dans un abondant véhicule. Nous avons aussi établi que les corps volatils étrangers au sang , ne s'y combinaient pas : c'est ainsi que Téther , le phosphore , le cam- phre , etc., convenablement portés dans la circu- lation , s'exhalent par la voie des poumons. 11 y a T. IV. Magendie. 25 : 386 ) mêine quelque chose de plus curieux encore : si l'on se frictionne les mains avec de l'étlier, la tran- spiration pulmonaire en exhale l'odeur pendant une ou deux heures. Pour étudier le mécanisme de la coagulation du sang, nous avons donné au caillot des formes dé- terminées , et en l'étendant d'eau sucrée , nous sommes enfin parvenus à savoir ce que nous de- vions penser de la couenne dite inflammatoire ; et vous avez vu qu'on peut à volonté en déterminer ou en empêcher la formation. Sans revenir sur les nombreuses expériences que nous avons faites à ce sujet, nous devons ce- pendant vous rappeler que nous avons étudié Fac- tion des gaz sur la coagulation du sang; question neuve et intéressante. L'albumine du sérum a ensuite fait l'objet de nos recherches : nous avons signalé les principa- les différences qui existent entre cette substance et l'albumine de l'œuf. Nous avons vu , non sans étonnement , ejue cette dernière , injectée dans les veines d'un animai, perdait ses propriétés d'al- bumine d'œuf d'oiseaux, et revêtait celles de l'al- bumine du sérum. Nous avions d'abord pensé que l'albumine du sang des oiseaux devait avoir plus de rapports avec celle de leur œuf; Thypo- thése nous paraissait on ne peut plus logique; ce- pendant l'expérience nous a montré que nous étions dans l'erreur. Le passage lent et graduel de cette albumine d œuf dans les veines n'a eu qu'une fois de funestes résultats; c'est, si vous vous le rap- pelez , lorsque l'injection a été poussée par la ca- ( 387 ) rotide du côté du cœur : des troubles généraux sont aussitôt survenus et ont amené la mort de l'animal. Il est probable que le liquide trop vis- queux n'était pas encore assez modifié , lorsqu'il est arrivé aux capillaires de la moelle vertébrale , et qu'il n'aura pu les traverser. C'est là, si je ne me trompe, une circonstance assez grave pour ar- rêter brusquement la vie. Après avoir passé en revue îes diiYérents élé- ments du sang et les phénomènes auxquels ils don- nent naissance , la partie colorée de ce liquide a dû fixer notre attention. Les globules de qua- rante grenouilles ont été injectés sur un petit cliien , sans déterminer d'accident. A leur tour , des globules de mammifère n'ont apporté aucun trouble chez les oiseaux qui les ont reçus dans leurs veines. Dans ces expériences, nous avons eu à constater pour les globules le même résultat que pour l'albumine de l'œuf. Ces petits corps ont dis- paru ou se sont modifiés toutes les fois que nous en avons injecté sur un animal d'un autre ordre. Saigné quelques minutes après l'opération , il ne nous offrait plus que des globules normaux : tous les globules étrangers avaient disparu. Ce fait est fort curieux ^ et fournira la matière de nouvelles recherches; car nous sommes curieux de savoir ce que deviennent ces masses considéra- bles de globules, circulant par hasard dans un appareil circulatoire qui n'est pas le leur. Arrivés à la fin du semestre d'hiver, Messieurs, les règles de cet établissement nous obligent à in- terrompre nos réunions. Si nous n'avons pas fait ( 388 ) encore de grands progrès dans l'étude physiologi- que et pathologique du sang, nous pouvons au moins penser que nous avons élagué quelques- uns des obstacles que nous avons d'abord ren- contrés. Il nous reste une immense carrière à parcourir ; car chaque élément du sang est lui- même susceptible de faire le sujet des recher- ches les plus vastes. Que savons -nous sur l'oxi- géne, l'azote et l'acide carbonique qui entrent dans sa composition, sur la manière dont ces gaz se comportent par rapport aux autres éléments de ce liquide? Un savant, M. Magnus, a fait récemment des travaux remarquables sur la présence des flui- des aériformes dans le sang : il a appliqué à cette étude l'ingénieux procédé d'analyse par déplace- ment. Nous nous promettons de les vérifier. M. Bouchardat , dans sa thèse composée pour le concours d'hygiène à la Faculté de médecine de Paris , annonce qu'il a trouvé dans le sang une matière que la pluralité des chimistes n'y admet- tent point : c'est la gélatine. Vous savez aussi , Messieurs, que le fer s'y rencontre également dans une proportion remarquable , et que l'on attribue aux variations de la quantité de ce métal diverses modifications qu'éprouve ce liquide dans plusieurs maladies. Les hydrochlorates de soude, de potasse et d'am- moniaque , et même les sous-carbonates formés par ces alcalis, paraissent également, par leurs di- verses proportions , avoir une grande influence sur l'état du sang et la production des maladies. Les phosphates de chaux et de magnésie que ( 389 ) contient le sang , lorsqu'ils pénétrent nos organes en trop grande abondance , ou lorsqu'ils sont en trop faible proportion, déterminent, ainsi que vous le savez , des changements physiques de la char- pente osseuse du corps et de divers autres organes, et forment des calculs urinai res dans les reins ou la vessie. Le sang contient en outre de Tacide lactique , combiné à la soude, puis des sels à base d'acides gras^ volatiles ou fixes^ la matière grasse phospho- rée, la cholestérinC;, la séroline, les acide soléique et margariques libres. Rappelez-vous à ce sujet. Mes- sieurs , le porc dont je vous ai parlé il y a quelque temps, et dont le sang était dans un état d'incoa- gulabilité complète. Pensant que chez lui il s'était formé un oléate de soude, nous nous sommes pro- curé cette substance et en avons injecté une cer- taine dose sur un chien , qui a continué à se bien porter. Ainsi ce fait singulier reste pour nous in- compréhensible , et en opposition formelle avec tous nos autres résultats. Espérons que de nou- velles lumières nous en donneront la clé (1). Viennent ensuite la matière colorante rouge , (1) L'explication de ce fait qui nous a tant embarrassé , s'est trouvé des plus simples ; mais il fallait y penser; et ni moi , ni mes collaborateurs , ni mes nombreux auditeurs , n'avons tourné nos idées de ce côté. Le charcutier qui a sai- gné le cochon a.Ya.it fouetté, c'est-à-dire défibriné le sang avant de me l'envoyer. Nouvelle preuve que dans une ex- périence il faut tout voir par soi-même , et ne se confier à personne , même pour les détails en apparence les plus in- différents. ( 390 ) propre aux globules rouges ; la matière colorante jaune , qui est semblable à celle de la bile ; la matière colorante verte , qu'admettent plusieurs chimistes distingués, et qui devient si abondante dans cette maladie si connue , l'ictère , etc., etc. Nous voici arrivés, Messieurs , au terme du se- mestre, et pourtant à peine sommes-nous entrés dans notre sujet; c'est que ce sujet est immense et plein d'obscurité; disons-le donc hautement : nous savons encore fort peu de chose sur le sang, mal- gré le grand nombre d'hommes recommandables qui s'en sont occupés^ à peine commençons-nous à entrevoir les difficultés de cette étude. Nous avons cependant établi quelques bases , fixé quelques principes , et nous appuyant sur la physique et la chimie, nous avons constaté quelques faits; mais combien ne nous reste-t-il pas à faire î Vous aurez pu remarquer , Messieurs , que dans ces recherches publiques nous avons sou- vent hésité , et que parfois nous annoncions un résultat que l'expérience démentait aussitôt. Il ne peut guère en être autrement dans un genre d'études si compliquées ; mais ces hésitations , ces erreurs même tournent toujours au profit de la science, lorsque l'on a le bon esprit de re- venir sur les faits qui n'offrent pas une certitude pleine et entière. On apprend ainsi à faire des ex- périences, ce qui n'est pas aussi facile qu'on le croit généralement. Telle est la méthode que j'ai adop- tée depuis que je professe, et loin de m'en repen- tir^ c'est à la direction expérimentale qoe je crois devoir attribuer, en grande partie du moins, l'hon- neur d'occuper cette chaire. La découverte bien ( 39! ) constatée d'un fait est plus pi'écieuse pour moi que les rapprochements les plus brillants , rap- prochements qui d'ailleurs ne servent à rien, ne mènent à rien qu'à faire ressortir le mérite , le talent oratoire du professeur. Permettez, Messieurs, que je n'aspire point à cette gloire : le professeur doit avant tout instruire^ répandre la lumière; c'est là son devoir : l'élocution facile , les traits d'esprit , les analogies , les rapprochements vien- dront ensuite. N'ayant adopté ni fondé aucun système, nous te- * nous peu à ce qu'une expérience renverse ou con- firme telle ou telle théorie. Notre amour -propre se trouve ainsi mis de côté ; ce qui n'est pas une faible garantie contre les erreurs auxquelles cha- cun peut être entraîné. C'est à la nature elle-même que nous deman- dons directement ses secrets ; et pour cela nous devons bien nous garder d'épaissir encore, par des suppositions bizarres et des créations romanesques, le voile qui les dérobe à nos yeux. Voilà, Messieurs , quelques considérations sur le but et l'ensemble des travaux auxquels nous nous sommes livrés pendant le semestre qui vient de s'écouler. Toutefois, avant de nous séparer, permettez - moi de vous remercier sincèrement du concours que vous m'avez prêté , et de l'assi- duité et du zèle avec lesquels, pendant les rigueurs de cet hiver , vous avez assisté à ces conférences expérimentales. TABLE INDICATIVE DES SUJETS TRAITÉS DANS CE VOLUME. Coup d'œil sur l'état actuel de la médecine. 2 Avantage de la médecine expérimentale. 6 Plan des cours de cette année. 9 Fausse voie dans laquelle s'engagent beaucoup de jeu- nes médecins. 12 Curieux résultats obtenus en médecine par l'usage d'instruments. 13 A l'étude du sang se rattache une multitude de ques- tions neuves et importantes. 16 L'alliance des solides, des liquides et des gaz, est une condition indispensable de la vie. 18 Modifications que subit le sang dans ses éléments. 20 Observation d'une femme qui prétend devoir vivre sans aliments. 21 Besoins instinctifs. 22 Effets de la saignée sur le sang. 24 Sang extrait chez une femme atteinte de variole. 27 Teinte safranée du sang d'un ictérique. 28 Examen de diverses autres espèces de sang. 30 Alliance du solidisme et de Vhumorisme. 34 Avec le mot vitalité on a cru tout expliquer. 37 Qu SANG. 38 Enumération des principaux caractères du sang. Id. Toute modification apportée à la composition du sang f 394 ) entraîne des troubles dans la circulation. 42 Importance de la fibrine dans le sang. 43 Mécanisme de l'obstruction des capillaires par le sang. 45 Toute maladie ne dépend pas d'une altération du sang. 46 Effets de l'usage habituel du sous-carbonate de soude en boissons. 48 Le sang traverse librement des tuyaux trop fins pour admettre d'autres liquides. 52 De la viscosité du sang. 56 Il est des maladies provenant de la trop grande visco- sité du sang. «^9 De la densité du sang. 62 Des globules. 63 Structure des globules. Td. Dimension des globules. 64 Rapport entre le volume des globules et le diamètre des capillaires. 65 Du sérum et du caillot. 67 Cas d'asphyxie communiqué par M. James. 69 Rôle absurde qu'on fait jouer à V inflammation et à Vir- ritation. - 70 Examen d'un animal asphyxié par l'acide carbonique. 73 Effets de la température sur le sang. 75 Influence de la composition du sang dans la produc- tion des bruits anormaux du cœur, 78 Éléments constitutifs et éléments transitoires du sang. 81 Les globules ne font pas corps avec la fibrine. 82 Observation d'hystérie chez une jeune femme. 85 De la couenne du sang. 86 Différence entre le sang en circulation et le sang ex- trait de ses vaisseaux. 89 Sérum et liqueur du sang. 90 Analyse du caillot. 91 Rôle que joue la fibrine dans les cicatrisations des plaies. 93 Proportion du sérum et du caillot. 94 Sang de plusieurs animaux en expérience. Id. Par quel mécanisme le caillot se solidifie. 99 Examen du sang de plusieurs saignées exploratrices. 101 ( 395 ) La surabondance du sérum contr'indique la saignée. 104 Faits en apparence contradictoires. lOj Hémorrhagie utérine, suite d'avortement. 107 Saignées successives cliez un animal. 108 Ce qu'on entend généralement par péritonite. 1 14- Part que prend le sérum dans l'inflammation. 117 Des injections d'eau dans le traitement de la rage. 119 Saignée et injection d'eau dans les veines d'un chien. 120 Injection de sérum humain dans les veines d'un chien. 122 Propriétés physiques du sang dans la syphilis. 125 Examen du sang d'une même saignée recueilli dans deux éprouvettes. 126 Mélanges de sang et d'eau. 128 Autopsie d'un chien mort à la suite d'une injection de sérum humain dans les veines. 129 Oplithalmies coïncidant avec des altérations du sang. 13 1 Lésions intestinales consécutives à une altération du sang. 133 Choléra traité en Angleterre par des injections de sé- rum artificiel dans les veines. 135 Mélanges d'eau sucrée et de sang dans diverses pro- portions. 140 ?v!élanges d'eau, de sel de cuisine et de sang. l44 Moyen de reconnaître l'albumine dans l'urine l47 Examen de quelques animaux en expérience. 1 48 Apparition dans l'urine d'un précipité semblable à l'albumine. 152 Manières de se procurer la fibrine. 1 56 Organisation de la fibrine. 157 i^dîiWot nuageux, 158 La couenne est formée par la fibrine isolée des glo- bules. 160 Caillot blanc des vétérinaires. 161 Fibrine (coaguline). 163 Composition du coagulum. 164 Isoler les globules du sérum. 1G6 Nouveau procédé pour obtenir la fibrine pure. 16B Mélanges de sang de chien avec du sérum humaiii. l69 ( 396 ) Par quel mécanisme s'opère la coagulation de la fi- brine. 171 Mélange de sang et de sous-carbonate de soude. 172 Mélange de sang et d'iiydrochlorate d'ammoniaque. 173 Mélange de sang et d'hydroclilorate de soude. 174 Rectification d'un résultat annoncé. 175 La fibrine seule constitue le canevas du coagulum. 177 Effets de la température sur la coagulation de la fibrine. l79 Danger des transfusions avec du sang défibriné. I8l Autopsie d'un animal défibriné. 182 Effets de la soustraction graduelle de la fibrine. 18.3 Caractères chimiques de la fibrine. 1 85 Action de l'eau putréfiée sur le sang. 186 Injection d'eau putréfiée dans les veines d'un cliien. Mort en deux heures. 188 Mort subite produite par l'injection de sous-carbonate de soude dans les veines d'un chien. 189 Influence du froid sur la formation du caillot. 191 Examen du sang pendant la grossesse. 192 Examen du sang après avortement. 193 Eftets morbides consécutifs à la soustraction graduelle de la fibrine. 194 Danger de l'emploi excessif du sous-carbonate de soude. 198 Miasmes d'infections. 199 Que penser de la contagion de la peste? 201 Effets de divers acides sur la coagulabilité du sang. Id. Effets de divers alcalis sur la coagulabilité du sang. 206 Examen microscopique du sang mélangé aux acides et aux alcalis. 210 Revue de diverses matières médicamenteuses mêlées avec le sang. 211 On sait bien peu de choses sur l'action thérapeutique des médicaments. 218 Autopsie de trois animaux morts en expérience. 219 Exhalation sanglante dans l'intestin, par suite d'injec- tions d'eau putride dans les veines. 226 Caillots gélatiniformes. 227 ( 397 ) Influence du pneunio-gastrique sur la vitalité du sang. 228 Etat du sang dans le scorbut. 230 Réflexions sur le mémoire de M. James dans lequel il a traité des altérations du sang dans le scorbut. 231 Réponse à quelques objections adressées au profes- seur. 232 Opinion des anciens sur les effets de la non-coagulabi- lité du sang^. 233 Citation de plusieurs passages du traité des fièvres par Huxam. 234 Dose à laquelle Tacide sulfurique est poison. 236^ Action de plusieurs réactifs sur la coagulation du sang. 238 Etat remarquable du sang chez un porc. 244 Mélanges de sang et d'huile d'olives. 247 Sang de plusieurs bœufs soumis à l'engrais 248 Observation de maladie organique du cœur chez une jeune fille. 249 Liste des substances qui favorisent la coagulation du sang et de celles qui s'y opposent. 252 Réflexions pratiques à ce sujet. 253 Autopsie d'un chien mort aprèsl'injection de crème de tartre dans les veines. 258 Danse de St. -Guy ayant amené' des phe'nomènes ex- traordinaires. 260 Cas de liquidité du sang, après amputation de cuisse ; communiqué par M. James. 261 Observations cliniques. 263 Expériences tentées anciennement avec l'oxygène pour revivifier le sang. 267 Expériences relatives à l'influence des gaz sur la coa- gulation du sang. 268 Expériences relatives à l'influence des boissons sur la coagulation du sang. • 272 Examen microscopique du sang mélangé aux gaz. 274 Effet du vin de Bordeaux introduit dans l'estomac ou injecté dans les veines. 2^6 Emonctoires par où s'échappent les substances passées dans le sang. ^^^ ( 398 ) Influence du pus sur le sang. 2l79 Action différente du pus normal et du pus séreux sur le sang. Id. Exhalation pulmonaire modifiée par l'injection d'eau de Barèges dans les veines. 280 Autopsie d'animaux en expérience. 281 Couenne du sang. 282 La couenne est forme'e de fibrine et d'albumine. 283 Pourquoi certains sangs sont couenneux et d'autres ne le sont pas. 284 Cas de ramollissement de la cornée, avec coagulation du sang, communiqué par M. James. 286 Sérum jaunâtre coagulable comme la fibrine. 288 Auteurs qui attribuent la couenne à l'inflammation du sang. 289 La formation de la couenne dépend souvent de la ma- nière dont le sang s'échappe de la veine. 290 De la saignée et de ses effets. 292 Pioémle de M. Piorry. 294 La formation de la couenne est un simple phénomène physique. 296 Mélange de sang et d'eau naturelle de Mariendad. 297 Expérience de Bichat répétée. 298 Effets du passage du sang en substance dans le sang. 30l Les globules du pus sont plus volumineux que ceux du sang. 304 Résorption purulente. 305 Cas de prétendue phlébite, communiqué par M. James. Id. L'absence de coagulabilité du sang donne la clé d'une multitude de phénomènes pathologiques. 307 Albumine. 309 Mode de solidification de l'albumine. 310 Effets de l'alcool sur la fibrine. 311 Caractères différentiels de l'albumine de l'œuf et de celle du sang. 312 Action de plusieurs réactifs sur l'albumine. 3l4 Modification que subit l'albumine de Fœuf injectée dans les veines. 317 • ( 899 ) Matière constituante des fausses membranes. 319 L'albumine existe dans un grand nombre de liquides de l'économie. 320 Suintement d'albumine à la surface des plaies. 321 Action de plusieurs réactifs sur l'albumine. 323 Injection d'albumine dans les veines d'un chien. 324 Propriétés nutritives de l'albumine. 325 Mélange d'albumine, d'eau et de sang. 3^6 Action de la chaleur sur l'albumine. 329 Opinion de M. Denis sur l'albumine. 330 Mélange de sérum humain et d'albumine d'œuf. 332 Injection d'albumine étendue d'eau dans les veines d'un chien. 333 L'albumine en substance peut librement traverser les capillaires du poumon. 335 Injection d'albumine dans l'artère carotide d un chien. 336 Injection de dextrine dans les veines d'un chien. 338 Globules du sang. 340 D existe dans le sang plusieurs ordres de globules, 342 Manière de se procurer et d'étudier les globules. 343 Structure des globules. I^' I)imension des globules. 345 Composition intime des globules. 34/ Modifications que subissent les globules. 34-8 Mouvements vibratoires des globules. 349 Des vibrions et des globules. ^"• Dimensions des globules d'une chauve-souris en- gourdie. 350 Globules des reptiles. id Globules des oiseaux. 35lf On ignore à quoi servent les globules. Id^ Cas de chirurgie très curieux. 353 Modifications du manuel opératoire dans l'amputation de la cuisse. 356 Les vibrions s'attaquent aux globules. 357 Manière d'utiliser les vibrions dans l'étude des glo- bules. Id. Actions des globules les uns sur les autres. 358 ( ^'00") Les globules donnent au sang sa couleur. 359 Action de divers réactifs sur les globules. 360 Nature du noyau et de l'enveloppe des globules. Id. Les globules doivent en partie leur pesanteur spécifi- que plus grande au fer qu'ils contiennent. 361 Animal chez lequel on a injecté deux livres de glo- bules. 362 Animal ayant reçu dans ses veines le sang de 15 gre- nouilles. Id. Examen de deux animaux en expérience. 364 Injection de sang de grenouille dans les veines d'un chien. 365 Sang d'oiseau mêlé avec du sang de mammifères. 367 Proportions des globules relativement aux autres élé- ments du sang. 368 Altération que subissent les globules séjournant dans un vase. 369 L'eau pure engourdit les vibrions. 370 Animalcules répandus dans l'économie. 371 Présence des vibrions dans le chyle. Id. Opinion sur l'anatomie des globules. Id. Globules blancs. 372 Globules de la lymphe et du chyle. 373 Expérience sur la transfusion* 374 Innocuité du sang de chien dans les veines d'un oiseau. 376 Cas d'affection organique du cœur. 377 Communication anormale des oreillettes et des ventri- cules. 380 Résumé des sujets traités dans le semestre. 382 Le mot inflammation n'explique rien. 383 Hémorrhagie utérine arrêtée par une injection d'io- dure de fer. 384 Rectification d'un fait important. 389 Clôture du cours. ; :,.\. u 390 FIN DE LA TABLE. ERRATA. Page 7 ligne 26 au lieu de : attirer, lises altérer. 11 11 au lieu de : phlemon, lisez phlegmon. 45 13 au lieu de : en rendre aux autres organes , lisez en se rendant. 74 29 au lieu de : hématises, Usa hématémèses. 129 23 au lieu de : sérumde , lisez sérum. 140 26 au lieu de : s'ils se fussent précipités , lisez s'ils ne se fussent pas précipités. 152 2 au lieu de : impuissante pour la, îtsez impuissante pour le. 175 24 au lieu de : confirmé, î/sez infirmé. 207 21 au lieu de : Yoilà comment ou comme , Usez voilà com- ment on s'égare. 212 15 au lieu de : alcanité, lisez alcalicité. 217 32 au lieu de : neuves , lisez neuve. 280 19 au lieu de : noircissait son haleine, lisez noircissait à son haleine. 384 9 au lieu de : dans laquelle se traîne , lisez dans laquelle elle se traîne. 390 16 au lieu de : nous avons consisté , lisez nous avons con- staté. 391 o après ces mots : permettez-moi, Messieurs, lisez de vous dire en passant. ■^irjr^-j ^iM 3^: i.-r\. "C \ ,^- -J L^ 'V. >^' -^. v ■\ -= i ïçh^ H -^ V- .^Cl^; •/^r-- 'r' < ■^. i?: ■V 'Ci ?^^ r^^ ^Ti- f '^ ^i :c*r- A. i-?»:'- >>^ ■.^i S<^^ TM )d X. V Sfr- n iV. ,^. î:*^ »\^j ■^ ;'?:if -^ M^H k. X ;k:^ "3^w-" pria r' V Ci 1 :^ ^^ fS:^ y-- N ^t_ .'■;^: -;<^. X, ?^. v\i^'iïïî£^ m- ^■^.. M .'#%' »:'