/î? QF^^ COLUMBIA UNIVERSITY M DEPARTMENT OF PHYSIOLOGY THE JOHN G. CURTIS LIBRARY PHYSIOLOGIE TOME DEUXIÈME DU MÊME AUTEUR Physiologie. Travaux du laboratoire de M. Richet. Tome Premier : Syliane nerveux. — Chaleur animale. 1 vol. in-8 avec 90 figures dans le texte. 1892 12 fr. » Recherches expérimentales et cliniques sur la Sensibilité, 1817. ,Maï>^ 2 CHARLES RICHET. qui ont. en cette place, enseigné la physiologie furent tous, à des degrés divers et avec des qualités très ditlerentes, profes- seurs excellents et savants distingués. Je ne prétends pas les égaler : mon ambition est plus modeste; je désire seulement vous être utile et vous assurer de mon amour pour la science... ]e dirai même de mon enthousiasme. Oui, je m'estimerais heureux si je pouvais faire passer dans vos veines quelque peu de ma passion pour la physiologie, cette belle science, si profonde, si féconde, à qui nous devons déjà tant de dé- couvertes et qui est appelée à en faire tant d'autres. Aux xvf et xvn'' siècles, dans les amphithéâtres de l'Ecole, la physiologie n'était pas enseignée : d'ailleurs, la Faculté de Paris était constituée sur de tout autres bases qu'à présent : au xvni'" siècle, un des docteurs de la Faculté, tous les ans, à tour de rôle, donnait l'enseignement de la physiologie. A vrai dire, il se livrait à de vagues commentaires sur les écrits d'HiPPOCRATE et de Gauen. plutôt qu'il ne faisait de physiologie véritable. Malgré Harvey, malgré Haller, la physiologie expé- rimentale, comme nous l'enseignons aujourd'hui, n'avait pas sa place à notre Ecole de médecine. En 1795, la Faculté fut réorganisée. Il y eut des profes- seurs titulaires, et le premier professeur de physiologie fut CiiAissiER. CiiAUssiER s'occupait surtout de méd'ecine légale. On lui doit d'importantes recherches sur quelques empoison- nements. Mais, en physiologie, il ne fut ni novateur ni inven- teur. En 1(S19, CnAussn:R fut remplacé par Duméiul, qui ensei- gnait déjà l'anatomie depuis dix-huit ans. En 1801, il avait été nommé après un brillant concours dans lequel il avait eu l'honneur de lutter contre Bichat. Duméril n'était point un physiologiste : c'était un anatomiste laborieux, un zoologiste consciencieux et habile, (jui a laissé un ouvrage, resté clas- sique, sur l'anatomie et l'organisation des reptiles. Ce choix d'un anatomiste pour enseigner la physiologie paraissait tout LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 3 à fait naturel alors. Il y a soixante ans, la physiologie n'était pas, comme aujourd'hui, une science autonome. On la consi- dérait, suivant nne expression célèbre, comme la servante de l'anatomie. Les travaux de Magendie, de Jean Muller et de Claude Bernard lui ont conquis l'indépendance. En 1831, Pierre Bérard succéda à Duméru.. Bérard a fait quelques travaux sur la respiration et la circulation ; mais il fut professeur plus qu'expérimentateur. Son cours de physio- logie, qui a été publié, était un véritable modèle pour la clarté, le bon sens, la précision et l'exactitude des détails'. Pendant vingt-sept années, de 1831 à 1838, il professa dans cet amphi- théâtre avec un éclatant succès. En 1858, LoNGET lui succéda; vous le connaissez surtout par son beau Traité de physiologie. Quoique notre science ait fait, depuis 1838, des progrès considérables, le traité de Longet doit être encore lu et médité. On y trouve quantité de faits, une bibliographie exacte, et des remarques judicieuses, expo- sées méthodiquement et clairement. Longet était un expérimentateur de premier ordre; il fut, dans sa longue carrière, l'émule, et souvent aussi l'adversaire, de Claude Bernard. Certes, il a produit de moins brillantes découvertes que son illustre rival, et il n'a pas exercé la même prodigieuse influence. Mais il serait injuste d'oublier les ser- vices que Longet a rendus à la physiologie. Pendant trente ans, Longet et Claude Bernard furent en rivalité, rivalité fé- conde qui souvent contribua à leurs découvertes. Quoique le savant supporte souvent avec impatience la contradiction, c'est une bonne fortune pour lui que d'être con- testé, et même rudement contesté. Il est, par cela même, forcé à plus de rigueur dans ses démonstrations. Il ne s'en- dort pas sur une expérience insuffisante; car cette expérience 1. Mon père, étant aide d'anatomie et prosecteur à la Faculté, était attaché au cours de Bérard, et il a rédigé toutes les leçons du savant professeur, on quatre gros cahiers qu'il avait conservés et que j'ai donnés à la Bibliothèque de notre Faculté. 4 CHARLES RIGHEï. imparfaite, qui ne lui a montré qu'une partie de la vérité, est, s'il a des ennemis, discutée avec acharnement, avec âprcté, parfois avec injustice. Alors il est contraint de lai^eprendre, de la vérifier, de la perfectionner, de lui donner une précision qu'elle n'avait pas. C'est ainsi que la longue émulation de LoNGET et de Claude Bernaf^d nous a acquis toutes les belles expériences, d'origine française, qui déterminent les propriétés du suc gastrique, les fonctions du larynx, la sensibilité récur- rente, le rôle des nerfs spinaux et pneumogastriques, l'irrita- bilité musculaire, la dégénérescence nerveuse; toutes données aujourd'hui classiques, et qui forment la base la plus solide de nos connaissances physiologiques actuelles. Ce fut Jules Béclard qui, en 1872, succéda à Longet. Ceux d'entre vous qui ont eu le bonheur de l'entendre ont certai- nement conservé le souvenir de ce professeur incomparable qui faisait comprendre avec une clarté éloquente les vérités les plus difficiles de la physiologie. Il savait rendre intéres- santes les questions les plus abstraites, et on ne sortait jamais d'une de ses leçons sans être à la fois enchanté et instruit. Comme doyen de la Faculté, Béclard a laissé des souvenirs que le temps n'effacera pas. Sa vive et pénétrante intelligence savait, dans les cas les plus embarrassants, trouver rapidement les solutions vraies. Et puis, — ce qui est à mon sens une des qualités les plus précieuses de l'homme, — il avait l'àme géné- reuse. Il aimait la justice, il aimait les jeunes gens, et son cœur, en dépit de l'âge, était resté jeune. On affecte parfois d'élever en principe qu'il faut, pour avoir de l'autorité, un vi- sage sévère et un cœur dur. Messieurs, je ne crois pas que ce soient là des mérites enviables. Béclard était bon et aimable ; son accueil était toujours bienveillant, et l'étudiant qui venait rendre visite à son doyen était charmé de voir que son doyen était son ami. Béclard a laissé plusieurs études ingénieuses sur divers points de physiologie. Son Traité de physiologie est resté clas- LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 5 sique, et la plupart d'entre vous l'ont entre les mains; mais surtout il a, dans un mémoire remarquable, fixé la science sur un point très important. Je vous demande la permission de vous l'exposer avec quelques détails, car c'est une œuvre excellente qui sera le principal titre de gloire de notre maitre. Il y a une théorie qui domine la science contemporaine. Elle a subi des phases diverses, mais elle est maintenant uni- versellement acceptée, car la démonstration en est rigoureuse, irréprochable, de sorte qu'elle constitue labase de laphysique et de la chimie générales. C'est la théorie de la conservation de l'énergie et des forces. Avant Béclard, elle était restée dans le domaine des sciences physico-chimiques. Mais Béclard, en 1860, a eu l'heureuse idée d'étudier simultanément le travail et la chaleur musculaires. Il a ainsi fait rentrer dans l'ordre général les mouvements que l'homme et les animaux accom- plissent. Qu'il s'agisse d'une planète, d'une machine ou d'un muscle, la loi qui régit leurs mouvements, loi de la conserva- tion de la force, est la même. La démonstration que Béclard en a donnée est aussi élégante que précise. Mais je dois d'abord vous indiquer brièvement comment cette théorie s'était intro- duite dans la science. Ce fut un ingénieur, dont le nom est, à bien des titres, glorieux pour la France, Sadi Carnot, qui, en 1824, formula et démontra le premier théorème de la thermodynamique, théorème fondamental, qu'on appelle théorème de Carnot. Son mémoire est intitulé : Réflexions sur la puissance motrice du feu. Avant lui, on ne soupçonnait aucune relation entre le travail d'une machine etlachaleur qu'elle consomme. On ne savait même pas que le travail consomme de la chaleur. Car- not établit que le travail est mesuré par la différence de tem- pérature et de chaleur avant le travail et après le travail. Ce n'est pas tout à fait sous cette forme qu'il a posé et résolu le problème; mais je crois vous en donner une idée plus claire 6 CHARLES RICHET. en vous le présentant ainsi qu'en développant des formules mathématiques. Ainsi était fondé le grand principe de l'équivalence du mouvement et de la chaleur, et de la transformation de la chaleur en travail ^ Guidée par ce principe, que Sadi Carnot a eu la gloire d'établir en 1824, la physique générale allait désormais faire d'étonnants progrès. En 1839, un Français nommé Seguin, le neveu de notre grand Mo.NTGOLFiER, ce même Seguin quia inventé la chaudière tubulaire des locomotives, émit la même hypothèse que Car- not, et la précisa. Une partie de la chaleur disparaît, dit-il, par le fait du travail mécanique, et les deux phénomènes sont liés entre eux par des conditions qui leur assignent des relations invariables. Deux ans avant Seguin, un pharmacien allemand, nommé MoHR, avait très nettement conçu l'idée de la transformation et de l'équivalence des forces. 11 avait consigné ses vues dans un petit écrit qu'il envoya à un journal renommé : les Annales de pliijsique et de chimie de Poggendorff. On lui répondit dé- daigneusement que son travail, ne contenant pas d'expériences nouvelles, ne pouvait être inséré. Il se rabattit alors sur une petite publication obscure qui paraissait à Vienne , et lui adressa son mémoire ; mais il n'eut pas de réponse ; on ne lui retourna même pas son manuscrit. Alors, découragé, il renonça à la physique générale et se remit à la pharmacie. Vous compren- drez sans peine quelle douleur il dut éprouver quand il vit sa théorie, magnifiquement développée, devenir universelle et i. Dans des notes inédites, publiées seulement en 1871, on trouve exprimées formellement les idées que Mayer devait développer et Taire triompher vingt années plus tard : « La chaleur, disait Sadi Carnot, dans une de ses notes, n'est autre chose que la puissance motrice, ou plutôt le mouvement qui a changé de forme. Partout où il y a destruction de puissance motrice, il y a en même temps production de chaleur en quantité proportionnelle à la quantité de puis- sance motrice détruite. Récii)roquement, partout oii il y a production de cha- leur, il y a production de puissance motrice. » (Voy. Bertrand, Thermodyna- mique, 1888, p. 58. LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 7 attribuée à un autre. Pendant trente ans, il assista à ce dé' sastre. Enfin un jour, par hasard, en 1868, dans le cours d'une discussion à un congrès scientifique, il apprit que le petit journal inconnu auquel il avait envoyé son mémoire l'avait conservé et même imprimé. — Imprimé! il avait été imprimé en 1838! — Je m'imagine que peu de savants ont dû avoir une joie semblable, et aussi légitime. C'est dix-sept ans seulement après les vues prophétiques de Sadi Carnot que la théorie mécanique de la chaleur et le principe de l'équivalence des forces furent introduits définiti- vement dans la science par Robert Mayer. Les Allemands et les Anglais ont été injustes pour Carnot. Nous ne devons pas imiter ce détestable exemple, et il faut rendre justice à Mayer. Sachons rendre à chacun la gloire qui lui est due. La science n'a pas de nationalité ; et, en fait de science, notre vraie patrie, c'est la justice. Si Carnot a tracé les premières lignes de ]a théorie de la conservation de la force, Mayer l'a généra- lisée, étendue et démontrée. — Dans la suite de nos leçons nous aurons souvent à parler des travaux faits par des étran- gers, des Allemauds surtout. Eh bien! nous tâcherons de leur rendre pleine justice, et nous serions heureux s'ils pouvaient avoir vis-à-vis de nous la même impartialité sereine, la seule qui soit digne du savant, et que nous nous efforcerons de toujours garder. C'est un fait physiologique qui a mis Mayer sur la voie de sa découverte. — Il est bon de le constater, et vous ne devrez pas oublier que c'est aussi une observation physiolo- gique qui a été, entre les mains de Galvani, puis de Volta, l'origine de toutes nos connaissances sur l'électricité. De même encore que Graham Bell a réalisé l'admirable inven- tion du téléphone en étudiant l'art de faire parler les sourds- muets. — A l'époque de Mayer on saignait beaucoup. Or, Mayer, dont l'existence fut très accidentée, pratiquant la mé- decine à Java, fit cette remarque que, dans les pays chauds, le sang qui sort de la veine est plus rouge, moins foncé, que 8 CHARLES RICHET. chez les individus qui vivent dans les climats froids. Il se livra alors, pour expliquer cette différence, à une série de raisonnements erronés. Mais ce n'est pas la première fois qu'entre les mains d'un homme de génie une erreur d'inter- prétation conduit à une grande découverte. Si le sang est plus rouge, pensa Mayer, c'est que le sang circule plus vite dans les pays chauds. Et pourquoi circule-t-il plus vite, sinon parce qu'une partie de la chaleur extérieure se communique à lui et se transforme en mouvement? Tous ces raisonnements sont manifestement inexacts, et la physiologie de l'homme aux pays chauds est bien plus compliquée; mais peu importe le détail, puisque de cette observation incomplète Mayeh a su faire sortir la grandiose théorie de la conservation de la force. 11 a alors, par des expériences exactes, calculé la quantité de chaleur nécessaire pour effectuer tel ou tel travail méca- nique; il a donné l'équivalent mécanique de la chaleur. La quantité de chaleur qui élève de 1" i kilogramme d'eau équi- vaut au travail nécessaire pour élever 367 kilogrammes d'eau à 1 mètre de hauteur. Le nombre qu'a trouvé Mayer n'est pas tout à fait exact : les expériences mémorables de Joule l'ont déterminé avec plus de précision. Puis sont venus d'autres travaux : ceux de M. Clausius, ceux de M. Hirn, si remarquables même au point de vue physiologique, puis ceux de M. Berthelot, mon illustre maître, qui ont établi définitivement la loi de l'équi- valence des forces et de la conservation de l'énergie pour les actions chimiques, mécaniques et thermiques. Je ne puis entrer ici dans le détail. Aussi bien cela nous conduirait vite à des calculs de hautes mathématiques, pour lesquels la compétence me manquerait, et à vous peut-être aussi. Mais il n'est pas besoin des mathématiques pour com- prendre cette loi de la conservation de la force. La force ne se détruit pas, elle se modifie sans cesse. Chaleur, électricité, action chimique, mouvement, elle a des apparences mul- LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 9 tiples; mais sa quantité est invariable. Elle se transforme, elle ne se perd ni ne se crée. Chaleur, électricité, action chimique, mouvement : c'est toujours la même quantité de force qui circule dans l'univers. « Apprenez-moi, disait un philosophe à Voltaire, s'il n'y a pas toujours égale quantité de mouvement dans le monde. — C'est, lui répond Voltaire, une ancienne chimère d'Epi-- CURE, renouvelée par Descartes. » Eh bien ! messieurs, grâce à Carnot, grâce à Mayer, cette chimère est devenue la base de la physique, et nous pouvons ajouter que, grâce à Huîn et à Béclard, elle est devenue aussi une des bases de la physiologie. Quand nous contractons nos muscles, nous produisons une certaine quantité de travail. En même temps nous déga- geons de la chaleur. Ce sont deux faits simultanés, et l'ob- servation en est presque élémentaire. Il suffît de courir pour s'échautïer. Tout exercice du corps amène une transpi- ration abondante due à Thyperthermie générale. La source de cette chaleur est dans les combinaisons chimiques intra- musculaires plus actives. De même qu'une machine à vapeur produit mouvement et chaleur par la combustion de son charbon, de même, quand nous faisons contracter nos mus- cles, le mouvement et la chaleur musculaires sont accom- pagnés d'une consommation plus active d'oxygène et d'un dégagement plus actif d'acide carbonique. Lavoisier, qui eut l'intuition de tout, avait déjà démontré cette loi. Ce que Béclard a admirablement prouvé, c'est qu'il y a une relation entre le travail et la chaleur musculaires, et que cette relation est, pour la machine animale, la même que pour les autres machines. Après que Carnot, Mayer et Joule eurent montré que le mouvement se transforme en chaleur, et réciproquement, Béclard établit que, quand nous faisons contracter un muscle, les mouvements produits et la chaleur 10 CHARLES RICHEï. dégagée sont complémentaires. Pour une certaine quantité q d'action chimique, nous produisons un travail T et une cha- leur C; donc la somme C4- T est égale à q, l'action chimique mise enjeu. Je suppose que j'élève à 1 mètre un poids de 5 kilogrammes : si j'applique un thermomètre délicat sur mon bras, j'aurai constaté une légère augmentation de chaleur, d'un demi- degré, par exemple. Par conséquent, le résultat de ma com- bustion et de ma contraction musculaires sera : i° un travail de o kilogrammes; 2" un demi-degré de chaleur, je suppose. Supposons, au contraire, qu'au lieu délever ce poids je le maintienne soulevé : il n'y aura plus de travail effectué, quoique la contraction musculaire soit la même ; elle sera, comme le dit très bien Béclaud, statique et non plus dyna- mique. Alors, que deviendra la chaleur? Eh bien! la chaleur sera plus forte que dans le cas précédent, quand j'avais fait un travail de o kilogrammètres, en dégageant la même quan- tité d'énergie chimique. J'aurai, au lieu de o kilogrammètres et un demi-degré, 0 kilogrammètre et 1 degré de chaleur. Telle est, très résumée, la démonstration donnée par Bé- CLAKD. Pour une contraction musculaire, la quantité de cha- leur produite ne représente pas la totalité de Teffet. Il faut tenir compte du travail produit, qui entre en déduction de la chaleur. Deux contractions musculaires égales entre elles et, par conséquent, dues au dégagement de la même quantité d'énergie chimique, produisent une quantité de chaleur égale si elles sont suivies du même travail, mais différente si l'une d'elles est accompagnée de travail extérieur et si l'autre est sans travail. Celle qui est avec travail produira moins de cha- leur, car une partie de l'énergie chimique dépensée se sera transformée en action mécanique. Si nous faisons la somme, d'une part, de la chaleur pro- duite, d'autre part des actions chimiques dégagées, nous trouverons, chez l'homme qui exécute un travail, un certain déficit, et les actions chimiques sembleront supérieures à la LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. H chaleur dégagée. Mais ce déficit n'est qu'apparent; la somme totale des forces dépensées est la même, car il s'est dépensé ■du travail mécanique qui a absorbé de la chaleur. C'est donc une machine que l'organisation des êtres vi- vants, machine que l'on peut comparer aux machines indus- trielles; mais c'est une machine excellente, qui, pour une très petite quantité de combustible, est capable de donner beau- coup de mouvement. Vous voyez combien est importante la loi découverte par Béclard. Grâce à lui on peut étendre à tous les animaux et à l'homme la loi de la conservation de l'énergie et faire rentrer tous les mouvements musculaires dans le cadre des lois phy- siques universelles. Ne trouvez-vous pas admirable cette grande loi de la nature qui gouverne les êtres vivants et les choses inertes? Partout, dans le monde, l'unité de la force qui est impérissable et éternelle. Cette force, cachée dans la matière sous la forme d'énergie chimique, éclate au moment où l'énergie chimique se dégage. De même qu'un tonneau de poudre immobile contient dans sa masse noire une somme prodigieuse de force latente qu'une étincelle va dégager brus- quement, en produisant travail et chaleur; de même l'être vivant contient dans ses muscles une somme énorme d'énergie chimique que l'étincelle nerveuse va dégager brusquement en produisant aussi travail et chaleur. Tous, nous nous mou- vons d'après cette même loi. Tous les mouvements des in- nombrables êtres qui pullulent à la surface du globe ou dans les profondeurs des mers, toute cette activité, ce désordre apparent, ne s'exercent que dans les limites étroites d'une même quantité de force immuable qui ne diminue ni n'aug- mente. Si j'ai insisté ainsi sur cette belle découverte de Béclard, ce n'est pas seulement parce qu'elle constitue un progrès considérable, c'est aussi parce qu'elle nous indique la voie que la physiologie doit suivre. Notre science ne peut faire 12 CHARLES RICHET. (le progrès que si nous nous appuyons constamment sur les lois de la physique et de la chimie. Les phénomènes de la vie sont des phénomènes physiques et chimiques. Lavoisier Ta étahli, Magendie, Wili.-iam Edwards. Jean Miller^Helmholtz, Claude Bernard l'ont répété après Lavoisier. La physiologie est un chapitre de la physique et de la chimie. On dit que Platon avait fait inscrire au fronton de sou école : « Nul n'entre ici s'il n'est géomètre. » Je serais tenté de mettre à l'entrée d'un laboratoire de physiologie : « Nul n'entre ici s'il n'est physicien ou chimiste. » Si je vous avais bien con- vaincus de cette vérité primordiale, je croirais vous avoir, pour aujourd'hui, suffisamment instruits. Les êtres vivants se meuvent, respirent, digèrent, sentent, d'après les mêmes lois qui régissent la matière inanimée. Dans le cours de ces leçons, je tâcherai de vous montrer comment la physique et la chimie générales s'accordent ad- mirablement avec la physiologie. En cela je ne ferai que marcher dans la voie que m'a tracée mon éminent prédéces- seur, non seulement par son enseignement même, mais en- core et surtout par ses importantes découvertes. Quelque attaché cependant que je sois aux principes de la chimie et de la physique, je n'aurai garde d'oublier que je parle à des étudiants en médecine. La physiologie que j'ai mission de vous enseigner, c'est la physiologie humaine, mé- dicale, celle qui doit vous servir un jour dans l'exercice de votre belle profession. Je sais qu'il ne s'agit pas de faire de vous des savants, mais des médecins. La plupart d'entre vous ne peuvent consacrer plus d'une année à l'étude de la phy- siologie. Aussi mon cours sera-t-il rapide et élémentaire : je tâcherai qu'en une année vous puissiez parcourir à peu près tout le cycle de la physiologie. Je ne me crois pas le droit, parce qu'une question m'intéresse plus que les autres, de la traiter avec détail au détriment des autres. Assurément je serais heureux qu'il y eût parmi vous des physiologistes, LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 13 aimant la science, capables de chercher, d'expérimenter, de s'intéresser par eux-mêmes aux graves et curieux problèmes qui se présentent à tout instant; mais je ne pourrai pas dans mon cours approfondir ces problèmes : ma mission est autre : il s'agit de vous enseigner le résumé de ce qui est bien connu, et de vous apprendre tout ce que, sous peine d'être de mauvais médecins, il ne vous sera pas permis d'ignorer. On ne devient pas physiologiste pour avoir entendu quelques leçons de physiologie. Il faut pendant plusieurs années fré- quenter les laboratoires et les bibliothèques; il faut avoir vu, expérimenté, réfléchi, tandis que, pour connaître les éléments de cette science, une année doit à peu près suffire. Avec les cours complémentaires, avec les travaux pratiques, vous aurez, si vous êtes assidus et laborieux, une suffisante idée de la physiologie qui est indispensable au médecin. Mais, en fait de physiologie, qu'est-ce qui est indispen- sable au médecin? Quels sont les rapports de la physiologie avec la médecine? Quels services la physiologie a-t-elle ren- dus à la médecine? Telles sont les questions que je veux dé- battre aujourd'hui devant vous. ^ Et d'abord, avant tout, je voudrais bien dissiper ou tout au moins contribuer à dissiper une vieille erreur qu'on redit parfois sans en comprendre toute l'ineptie : c'est qu'il y a an- tagonisme entre la science et la médecine. Peut-être trouve- rait-on, dans quelque endroit écarté du globe, des médecins disant : « Moi, je ne fais pas de science; je ne me préoccupe pas de ce que font les savants; je suis clinicien, et je ne con- nais que ce que la clinique m'enseigne. Le reste ne m'importe guère. » Messieurs, c'est là une erreur, j'oserais presque dire un blasphème. L'antagonisme entre deux vérités est un non- sens. Il peut y avoir antagonisme entre deux hommes, entre deux opinions, entre deux théories : il est impossible qu'il y 14 CHARLES RICHÈT. ait antagonisme entre deux faits. Deux faits, quels qu'ils soient, s'ils sont bien observés, sont vrais l'un et l'autre; ils ne peuvent }3as se contredire, et, s'ils paraissent se contre- dire, c'est que l'un ou l'autre a été mal observé ou qu'on en tire des déductions illégitimes. Opposer le médecin au physiologiste et l'homme de science au clinicien, cela signifie qu'on n'a rien compris ni à la phy- siologie ni à la médecine, et qu'on veut appliquer la même méthode à des phénomènes différents. Je suppose qu'un physiologiste constate qu'on peut in- jecter à un chien, sans déterminer la mort, un demi-gramme d'atropine. Il peut affirmer cela, car c'est un fait qu'il a bel et bien constaté, et qui est absolument vrai. Mais, de ce que le fait est vrai, le médecin a-t-il le droit de conclure qu'il pourra donner à un de ses malades la même dose de ce re- doutable poison? Voyez-vous le défaut de méthode? Certes ce serait une erreur, et quelle déplorable erreur! mais le mé- decin n'aurait pas le droit de la reprocher au physiologiste. Ce n'est pas la science qui se trompe, c'est l'imprudent qui applique mal à propos un fait physiologique à un fait mé- dical. La phvsiologie n'est pas responsable des applications maladroites et des conclusions prématurées. On a étudié la dose toxique de l'atropine sur des lapins, des chiens, des gre- nouilles : il serait déraisonnable d'en déduire la dose toxique sur l'homme. Claude Beiinabd. ayant constaté que la piqûre du qua- trième ventricule produit de la glycosurie, aurait eu tort de conclure que le diabète est produit chez l'homme par une lésion du quatrième ventricule. J'ai montré que les chiens, dont la température s'élève à 41°. S, fournissent aussitôt une respiration six fois plus fré- quente que leur respiration normale ; mais j'aurais fait une singulière erreur si, de ce fait, si positif qu'il soit, j'avais conclu que dans toute fièvre un malade ayant plus de 41" res- pire 120 fois par minute. LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 15 Je le répète, c'est par ignorance qu'on parle de contradic- tion entre la physiologie et la médecine. Peut-être une physiologie hâtive, mal expliquée, mal comprise, offrirait-elle quelque danger. Mais cette physiologie hâtive, je la renie, comme je renie toute application prématurée ; et je ne défends ici que la honne, et saine, et solide physiologie, à laquelle on ne fait pas dire plus qu'elle ne dit. Donc l'antagonisme n'existe pas, et c'est là une telle vérité que je ne perdrai pas mon temps à réfuter cette opinion insoutenable. Mais je veux vous prouver quelque chose déplus : c'est que la physiologie est nécessaire à la médecine, c'est que les progrès de la médecine sont dus aux progrès de la physio- logie, c'est qu'un médecin digne de ce nom doit savoir les faits que la science a démontrés et que la clinique ne peut apprendre. Il me suffira de vous donner un exemple pour vous prou- ver l'influence féconde que les sciences biologiques ont exer- cée sur la marche de la médecine. Messieurs, il y a un homme, un Français, qui a fait à lui tout seul, quoiquil ne soit ni médecin ni chirurgien, des découvertes plus importantes en médecine et en chirurgie que dix générations de travailleurs. Par lui, toutes les doctrines médicales, thérapeutique, prophylaxie, hygiène, ont été bou- leversées et régénérées. En vingt-cinq ans, par une succession ininterrompue d'admirables découvertes, il a ouvert à nos sciences médicales des voies absolument nouvelles. Le mot de contagion, dont on ne comprenait pas la portée, il l'a enfin commenté, éclairci, déterminé. Il faudrait plusieurs leçons pour vous donner même le résumé sommaire de ce qu'il a fait. Et ce qu'il a fait est moins encore que ce qu'il a inspiré. Vous avez deviné que je veux parler de M. Pasteur, de M, Pasteur, qui est sans con- i6 CHARLES RICHET. Iredit l'instigateur elle maître de tous ceux qui font de la méde- cine ou de la chirurgie; de même que tous ceux qui font de la chimie sont les élèves de Lavoisiek. Oui, nous devons le dire bien haut, car ce n'est que justice, aujourd'hui, tous sans exception, nous sommes les élèves, et les humbles élèves, de M. Pasteur; nous suivons le sillon qu'il nous a tracé, nous marchons derrière lui, et ce que nous savons, grâce à lui, des germes, des ferments, dos vaccinations, des immunités, des microbes, de la contagion, tout cela, c'est à lui que nous le devons. Jamais, à aucune époque, un seul homme n'a fait autant pour la médecine. Comme le disait Vulpian, mon regretté maître : « Alors que nos noms à tous seront ensevelis dans l'oubli le plus profond, le nom de Pasteur, plus grand encore qu'aujourd'hui, dominera l'histoire scientifique de ce siècle. » Pour moi, Messieurs, je ferais volontiers cette classifi- cation dans l'histoire de la médecine : il y a eu la médecine avant Pasteur : il y aura la médecine après Pasteur. Si vous doutez, consultez les comptes rendus des sociétés savantes, de l'Académie des sciences, de la Société de Bio- logie, de l'Académie de Médecine, de la Société médicale des Hôpitaux, de la Société de Chirurgie. Ouvrez les journaux de médecine, français et étrangers, qu'ils s'impriment à Phila- delphie ou à Moscou, à Londres ou à Berlin, et vous verrez que l'étude des ferments organisés, des microbes — puisque ce nom est universellement adopté — constitue une bonne moitié de tous les travaux qui sont faits en médecine. N'est- ce pas là une confirmation éclatante de l'influence puissante, incomparable, que M. Pasteur a exercée sur son siècle? Oui, M. Pasteur a ouvert à la médecine une voie nouvelle, absolu- ment nouvelle, dans laquelle toute la nouvelle génération médicale s'engage avec une admirable ardeur. Il vous semble, n'est-il pas vrai ? qu'après un tel exemple on est mal ^enu de reprocher à la science son inefficacité en médecine. Et cependant, Messieurs, on a prononcé, en parlant LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 17 de M. Pasteur, les mots de science inutile, science chimé- rique, qui n'a rien à faire avec la clinique. Il .y a quelques jours, je rencontrais un honorable pra- ticien assez âgé — et c'est là son excuse — qui me dit avec une sorte de pitié méprisante : « Est-ce que vous croyez aux microbes, vous ? » On raconte aussi qu'un médecin célèbre, quand, on est venu lui apprendre la découverte du micro-organisme de la tuberculose, s'écria : « Bah! ce n'est qu'un microbe de plus! » Comment! voici la tuberculose, cette épouvantable maladie qui décime l'humanité, qui fait plus de ravages à elle seule que le choléra, la variole, la fièvre typhoïde, le cancer, la diphtérie tout ensemble ; et on vient nous démontrer que cette maladie, au lieu d'être une entité vague, un mal abstrait, insaisissable, inattaquable par conséquent, est un parasite, un être vivant, dont on donne la taille, la forme, les réactions physiologiques et chimiques, la résistance aux agents de des- tructions thermiques ou toxiques ; qu'on peut cultiver, ense- mencer, développer, accélérer, ralentir ou arrêter dans son développement; inoculer..., atténuer peut-être!... On dé- montre que ce parasite existe dans les organes malades, qu'il se répand en poussière dans l'atmosphère, qu'il contamine les lits, les rideaux, les vêtements, les planchers, les aliments; et un médecin vient dire : « Ce n'est qu'un microbe de plus ! » J'en appelle à tout juge impartial. Assurément, ce n'est pas tout que de connaître le microbe de la tuberculose, et je sais assez de médecine pour ne pas m'imaginer que cette connaissance scientifique suffit. En pré- sence de tel malade qui, dévoré par une fièvre ardente, tousse, crache du sang, respire à peine et menace d'étouffer, il ne sera pas suffisant de connaître les réactions histologiques du microbe que l'on trouve dans ses crachats. Le premier devoir qui s'impose au médecin, c'est de soulager cet homme qui est là devant lui. Il faut que ce malheureux souffre moins; il faut qu'il puisse passer une nuit moins cruelle; il faut que l'hé- 18 CHARLES RICHET. moptysie s'arrête, que l'asphyxie diminue; il faut qu'il re- prenne quelque apparence de vie. Pour cela, les notions scientifiques seront d'un assez médiocre secours : un médecin expérimenté et prudent rendra plus de services qu'un savant. On ne me fera jamais dire que la science physiologique suffit pour faire un bon médecin. D'ailleurs où est donc le physiologiste imprudent qui prétend remplacer la clinique par l'expérimentation ? Non certainement, si par malheur je venais à être atteint par une maladie grave, ce n'est pas un physiologiste qui me soignerait. Supposons, par exemple, un anthrax charbonneux. M. Pasteur a fait sur le charbon des découvertes merveil- leuses; c'est lui qui a établi la nature de cette maladie, le mode de contagion, les procédés de vaccination et d'atténua- tion. Ses admirables travaux sur le charbon ont été le point de départ de tout ce qu'on sait aujourd'hui. Eh bien! malgré cela, ce n'est pas M. Pasteur que j'irai consulter. Non certes! Tel médecin de la Beauce, habitué à soigner les anthrax char- bonneux, tel chirurgien, habile opérateur et clinicien expé- rimenté, m'inspireront, pour le traitement de mon anthrax, plus de confiance que M. Pasteur, La science à elle toute seule n'est pas en état de faire un bon médecin capable de soulager et de guérir. Que si nous étions réduits à être soignés par des savants, physiciens, chi- mistes ou physiologistes, nous serions fort à plaindre; car il faut quelque chose de plus que la science : il faut l'observa- tion des malades. La physiologie n'apprend pas à démêler, dans la com- plexité des troubles pathologiques multiples, la nature même de la maladie; elle ne suffit ni au diagnostic, ni au pronostic, ni au traitement. Nous savons combien il faut de morphine ou de chloral pour déterminer la mort d'un chien ou d'un lapin; mais cela nous apprend mal la dose que peuvent sup- porter un homme, un enfant, un malade souffrant de telle affection, ayant tel tempérament. Pour être en état de bien LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 19 soigner un malade, il faut les connaissances spéciales qui con- stituent la médecine proprement dite. C'est cette médecine clinique que vous apprendrez dans les hôpitaux. Vous trouverez des maîtres éminents, mes col- lègues dans cette illustre Faculté de Paris, qui vous enseigne- ront l'art d'observer. Pléritiers des anciens, ils vous commu- niqueront les fruits de leur longue et sagace expérience, et ce n'est pas dans nos laboratoires que vous pourrez devenir de bons médecins. J'espère qu'après cette profession de foi on ne me repro- chera pas de méconnaître les droits de la clinique. Laissez- moi maintenant vous parler des droits de la science et des services qu'elle a rendus à l'art de guérir. Messieurs, il fut un temps où la médecine était exclusive- vement empirique. On savait, par tradition plus encore que par observation, que certaines drogues contribuent à rendre la santé aux malades. Quant aux maladies, on les reconnais- sait vaguement à l'aide de tel ou tel caractère extérieur. Eh bien ! si les médecins en étaient restés à ce simple examen des malades, jamais ils n'auraient pu sortir de l'ornière. Ils n'auraient fait qu'amplifier les préceptes hippocratiques, et ils se seraient arrêtés, immobilisés dans leur étroit empirisme, constatant des faits sans les expliquer et ne comprenant rien aux phénomènes qui se déroulent devant eux. Mais fort heu- reusement, les médecins ne se sont pas contentés d'être obser- vateurs : ils ont été expérimentateurs. Ils ont essayé des mé- dications nouvelles; ils ont fait ainsi, sur l'homme et sur les animaux, de véritables expériences. Ils sont devenus chimis- tes, physiciens, physiologistes, naturalistes. Dans les sciences naturelles, les noms des plus grands savants sont des noms de médecins. La médecine a été pour ces grands hommes l'introduction à la science ; et, grâce à leurs efforts, les scien- ces biologiques ont marché de l'avant. Elles ont fait d'éton- 20 CHARLES RICHET. nants progrès, enrichissant à chaque instant, par des découver- tes nouvelles et fécondes, le patrimoine de nos connaissances. Or il s'est trouvé que chaque pas fait dans la vérité scien- tifique entraînait presque immédiatement une application nouvelle à l'art de guérir. Les progrès de la médecine sont dus exclusivement aux progrès de la science et de la physiologie. On entend dire de tous côtés par des gens qui, étant ma- lades, n'ont rien de plus pressé que d'aller consulter un mé decin : « La médecine n'a pas avancé depuis Hippocrate. » Cela est bien facile à dire. Si Hippocrate revenait parmi nous, quel est parmi ces incrédules celui qui le prendrait pour mé- decin? Est-ce que le diagnostic n'est pas à chaque instant dépen- dant de la physiologie? Cette dépendance est si étroite qu'au- jourd'hui, vivant au milieu des bienfaits de la science acquise, le médecin peut difficilement s'en rendre compte. En fait de diagnostic, c'est la physiologie qui nous donne, sur toutes les fonctions, les données les plus précises. Est-il possible de comprendre une maladie du cœur sans connaître le mécanisme de la circulation cardiaque? Peut-il être un mé- decin, celui qui ignore la manière dont le sang passe de l'o- reillette droite dans le ventricule droit, puis dans le poumon, puis dans l'oreillette et le ventricule gauches? Les données si positives, si claires, si simples, que fournit la méthode gra- phique, sur le pouls, l'onde artérielle, la pression artérielle, la pression veineuse, le retard du pouls, le dicrotisme normal, le dicrotisme pathologique, le choc du cœur, les bruits du cœur, qu'est-ce donc, sinon le moyen de faire un diagnostic exact, rigoureux, scientifique? Pour établir le diagnostic d'une maladie de cœur, il faut savoir très bien la physiologie; il faut très bien connaître Je maniement de nos appareils de précision, sphygmographe , pneumographe , cardiographe. Vouloir s'en passer, ce serait, pour un médecin, faire de la médecine comme, pour un astronome, faire de l'astronomie sans lunette ni télescope. LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 21 Dans le diagnostic des maladies nerveuses, quel est le guide, sinon la connaissance des fonctions nerveuses, des propriétés de chaque nerf, de la moelle, du cerveau? L'élec- tro-physiologie, qui, à elle seule, est presque une science, tellement elle est riche de faits et de lois, est absolument indispensable- Dans toute affection cérébrale, il est évident qu'on ne peut diagnostiquer le siège de la lésion que si l'on connaît la physiologie cérébrale. Il y a quinze ans, on igno- rait qu'il y eût des localisations dans le cerveau : ce sont les physiologistes qui les ont montrées aux cliniciens. Et vous savez combien, entre les mains de M. Charcot, cette localisa- tion des maladies du cerveau est devenue précise et délicate, si bien qu'elle compte à présent parmi les données les mieux établies du diagnostic médical. Je suis même prêt à reconnaître, avec M. Charcot, que la médecine, aidée par une anatomie pathologique savante, a puissamment servi à la physiologie, et que l'observation cli- nique prolongée, minutieuse, a fait pour l'analyse des fonc- tions de la moelle et du cerveau au moins autant que Fexpé- timentation. Mais je ne vois pas là de contradiction. Que la médecine aide la physiologie, cela n'est pas douteux; mais il n'est pas douteux non plus que, sans la physiologie, la méde- cine serait aussi grossière et empirique qu'au temps d'Hippo- crate. Parce que la chimie est très utile à la physique, s'ensuit-il que la physique soit inutile à la chimie? Quant aux lièvres, aux infections, aux empoisonnements, la physiologie est constamment invoquée pour aider au dia- gnostic. Existe-t-il encore un médecin qui n'admette pas que le thermomètre est un des meilleurs éléments de son diagnos- tic ? Alors, s'il ne connaît pas les faits qui se rattachent à la chaleur animale, que pourra-t-il conclure d'un examen ther- mométrique? L'analyse de l'urine, le dosage de l'urée, des sels, de l'acide urique, du sucre, de l'albumine, est-ce autre chose que la physiologie chimique, c'est-à-dire une bonne moitié de la physiologie? Le médecin se contentera-t-il de 22 CHARLES RICHET. dire que l'urine est pâle ou rouge, avec ou sans sédi- ments? Autrefois les médecins goûtaient l'urine pour savoir si elle était sucrée. Il me semble qu'il vaut mieux se servir de la liqueur de Fehling. C'est un procédé plus agréable et plus exact. Pour juger des progrès acquis et pour ne pas être ingrats envers ceux qui ont mis tant de précision dans notre science, comparez les tableaux d'analyse qu'on donne aujourd'hui à ce que disaient les médecins du temps passé. Voici com- ment s'exprimait à la fm du xvii" siècle, en 1()83, le grand WiLLis, assurément un des médecins les plus illustres de son siècle : « Dans les fièvres, dit-il à la page 70 ', la liqueur de l'u- rine est fort rouge, à cause qu'il se fait une grande dissolution de sel et de soufre, et qu'un grand nombre de leurs particules sont cuites dans la sérosité ; car, lorsque les humeurs sont échauffées et agitées par la cause de la fièvre, il se fait une grande dissolution de corpuscules salés et sulfureux qui sont brûlés par la chaleur qui est augmentée, et, comme ils sont cuits avec la sérosité, ils lui impriment aussi une assez forte teinture. 11 en est de même de la lessive de cendre, qui devient plus rouge quand on la fait cuire sur le feu que quand elle se fait par infusion. » Ainsi vous serez d'accord avec moi pour reconnaître que nos diagnostics d'aujourd'hui sont bien supérieurs aux dia- gnostics d'autrefois. Entre eux, il y a peut-être la même dif- férence qu'entre l'arquebuse du xvi' siècle et le fusil d'aujour- d'hui, à répétition et à petit calibre. Ces grands progrès ne sont dus qu'à la science; ou plutôt la médecine et la science sont liées ensemble par un lien si étroit qu'on ne peut supposer le progrès de l'une sans le pro- 1. Dissertation sur les ur'mes. Trad. française. — Un vol. in-16. Paris, chez Laurent d'Houry, 1683. LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 23 grès de l'autre. Pour faire un bon diagnostic, et un diagnostic complet, il faut connaître presque toutes les lois de la physio- logie, et, si notre diagnostic est aussi imparfait encore, c'est que notre physiologie est encore bien imparfaite. « Il est vrai, dira-t-on, que le diagnostic est lié à la phy- siologie; mais, quand il s'agit de soigner un malade, ce n'est pas tant le diagnostic détaillé, minutieux, qui est intéressant, c'est le traitement. Il importe assez peu qu'on puisse dire avec une précision surprenante quelles quantités d'urée, d'acide urique, de créatine, sont excrétées en vingt-quatre heures, quelles libres du cerveau sont lésées par une tumeur, quelles cellules de la moelle épinière ont été atteintes par la sclérose, quelles sont les formes des microbes qui circulent dans le sang. Tout cela est assez superflu. Ce qui est utile, et vraiment utile, c'est de guérir le malade. Pour bien con- naître les lésions de l'ataxie, est-ce qu'on a mieux g'uéri l'ataxie? Parce qu'on a diagnostiqué avec une précision mi- nutieuse les épaississements de la valvule mitrale, soulag"era- t-on davantage le malheureux qui, assis sur son lit de douleur, succombe dans l'angoisse d'une longue et progressive agonie? Il importe peu au malade qu'on ait bien décrit sa maladie : il veut être soulagé ou guéri. Les anciens médecins, qui n'en savaient pas autant que nous, savaient guérir à peu près aussi bien que nous. Pour administrer les médicaments utiles, ils n'avaient pas besoin de notre vaine précision... » Messieurs, je ne crois pas que ce dernier recours de l'em- pirisme puisse supporter un sérieux examen, et il vous sem- blera, comme à moi, tout à fait évident que la bonne théra- peutique dépend d'unbon diagnostic. Prétendre que l'exactitude, et la minutie du diagnostic sont du luxe, c'est commettre une véritable hérésie. Pourtant j'accepte cela; mais je prétends que la thérapeu- tique elle-même, celle qui, aux yeux des empiriques, est la seule partie nécessaire, je prétends qu'elle doit beaucoup à la physiologie. 24 CHARLES RICHE T. D'abord Jcs chimistes et les physiologistes ont débarrassé la médecine des drogues et des simples. On a maintenant des substances chimiques, principes actifs extraits des plantes. Au lieu d'une décoction de quinquina, on donne le sulfate de quinine; au lieu de suc de pavot, on prescrit de la morphine ou de la codéine. Les infusions, si infidèles, de feuilles de digitale et de belladone ont été remplacées par la digitaline et l'atropine. Des corps cristallisés, purs, homogènes, dont les propriétés ont été étudiées en détail, prennent la place de cette abominable thériaque, sur laquelle on écrivait des in- folio. Elle comprenait au moins soixante substances, et il fal- lait six mois pour en faire une bonne préparation *. Des médicaments nouveaux, dont l'efhcacité puissante est incontestable, Fiodure et le bromure de potassium, le chloral, les salicylates, la cocaïne, l'antipyrine, sont dus à des chi- mistes et à des physiologistes qui ont, les uns, purihé, pré- 1. Voici, ne fût-ce qu'à titre de curiosité, la composition de la thériaque — je veux dire de la bonne thériaque, celle d'Andromachus — telle qu'on la pré- parait à Venise : Trochisques de squilles.. 48 drachmes. Trochisques de vipères. Hedicliroi, poivre long, opium; de chaque, 2i drachmes. Irjs de Florence, roses rouges, suc de réglisse, semence de bunias, scor- dium opobalsamum, cannelle, trochisques d'agaric; de chaque, 12 drachmes. Myrrhe, spicnard, dictame de Crète, racines de quinteteuilles, gingembre, ciistus; rhnpontic, marrube hlanc, st;echas arabique, jonc odorant, semence de persil de Macédoine, calamcnt de montagne, casse odorante, safran, poivre blanc et noir, troglotides, oliban, térébenthine de Chio; de chaque, (i draclmies. Amome en grappe, racines do gentiane, acorus vrai, meu athamantique, va- lériane, nard celtique, chanuepitys, sommités d'hypericum, semences d'ammi, thlaspi, anis, fenouil, seseli de Marseille, petit cartlamone, feuille indienne, sommités de pouliot de montagne, chanifedris, opobalsamum, suc d'hypocystes et du vrai acacia, gomme arabique, storax calamité, terre de Lcmnos, chalu- ^éitis vrai, sagapenum ; de chaque, 2 draclmies. Racine de petite aristoloche, sommités de petite centaurée, semence de daucus de Crète, opoponax, galbanum pur, bitume do Judée, castoreum; de chaque, 2 drachmes. Du meilleur miel cuit et écrémé, trois fois le poids de tous les ingrédients secs. Du vin vieux de Canaric, autant qu'il sera nécessaire pour mêler et dis- soudre tous les ingrédients. Faire bouillir le tout selon l'art. LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 25 paré, découvert ou produit ces substances; les autres, analysé leurs propriétés sur les êtres vivants. Certes, c'est l'observa- tion clinique qui prononce en dernier ressort sur leur valeur dans les maladies. Il ne suffit pas d'avoir démontré que le chloral fait dormir un chien, il faut savoir à quelle dose il fait dormir un homme, quels sont ses dangers, dans quelles maladies il faut le proscrire ou le prescrire, à quels médica- ments on peut l'associer, toutes notions que le physiologiste ne peut pas donner. Nous arrivons toujours à la nécessité d'une double méthode : X expénmentatioa physiologique, qui inaugure, et V observation clinique, guidée par l'expérimenta- tion, qui rectifie, précise, détermine, appliquant au malade les données de l'expérimentation. Le rôle du physiologiste est d'indiquer tant bien que mal au médecin les propriétés physiologiques et la puissance toxique des innombrables substances que nous donne la chi- mie. Nous ne pouvons guère, nous physiologistes, prédire ce que telle substance va faire dans le traitement d'une maladie; mais nous pouvons bien connaître ce qu'elle est en général : convulsivante, paralysante, anesthésiante ou purgative, éli- minable ou non par le rein ; abaissant ou élevant la tempéra- ture ; devant être administrée par grammes, par centigrammes ou milligrammes; accumulant ses effets ou ne les accumulant pas. Il y a quelques années, j'ai étudié les propriétés des sels de rubidium. J'ai montré que les sels de ce métal se compor- tent physiologiquement à peu près comme les sels de po- tassium. N'étant pas clinicien, je n'ai pu étudier leur action thérapeutique. Ce n'était pas là mon affaire. J'ai seulement conseillé aux médecins d'essayer le bromure et l'iodure de rubidium dans quelques maladies. Car, tout en ayant la même fonction générale, ils sont peut-être, dans certains cas, préfé- rables aux sels de potassium. Cette étude médicale n'a pas encore été entreprise. II me parait cependant qu'elle mérite de l'être. Si donc, par hasard, on vient à trouver que, dans 26 CHARLES RICHET. une maladie quelconque, certains sels de rubidium ont des effets utiles, j'aurai, dans une certaine mesure, contribué à ce progrès, ayant prouvé d'abord que les sels de rubidium ne sont pas plus toxiques que les sels de potassium et. ensuite, que leurs effets ne difTèrent que peu, mais diffèrent un peu, des effets produits par les sels de potassium. La physiologie est incessamment appliquée à la thérapeu- tique. Il n'y a peut-être pas une ordonnance signée par un médecin, oi^i i\e soit fait quelque emprunt à nos connaissances physiologiques. Je sais bien que les anesthésiques ont été découverts em- piriquement; mais les physiologistes n'en ont-ils pas réglé l'emploi? L'électrothérapie, qui donne parfois des résultats merveilleux, est dirigée uniquement par la physiologie. ]\Iais, c'est surtout dans les travaux de notre grand Pas- teur et de ses élèves que vous trouverez la plus belle vic- toire de la science sur la maladie, par l'application immédiate, formelle, puissante, d'une découverte physiologique à une thérapeutique efficace. Je no veux pas parler ici de l'admirable découverte de la vaccination contre la rage. Elle est contestée par ceux qui n'ont pas étudié la question, et je suis bien convaincu que, sur ce point comme sur tant d'autres, M. Pasteur ne s'est pas trompé. Laissons de côté aussi toutes les espérances, pres- que illimitées, qu'on peut concevoir sur les vaccinations par dos virus atténués et par des produits solubles. Non; je veux vous parler d'un fait absolument acquis, indiscutable, évident, que l'on doit admettre comme aussi bien démontré que la rotondité de la terre ou la composition chimique de l'ammo- niaque. Il s'agit de l'efficacité des antiseptiques dans le trai- tement des plaies. Le jour où Pasteur, précédant Lister et Alphonse Guérin, a prouvé que, dans les plaies qui suppurent, il y a quantité d'organismes microbiens qui, répandus dans l'air, viennent se développer et infecter le malade; que, par conséquent, il faut baigner la plaie avec des liquides qui em- LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 27 pèchent la vie de ces microbes ; ce jour-là, la science a rendu à l'humanité un service incomparable. Dès que la méthode antiseptique a été appliquée, aussitôt, dans les opérations chi- rurgicales, la mortalité s'est abaissée de 50 p. 100 à 5 p. 100; dans les services d'accouchements, dont la réforme est due au travail mémorable de M. Le Fort sur les maternités, la mor- talité a diminué plus encore. Elle est tombée de 200 p. 1 000 à 3 p. 1,000. N'admirez-vous pas ces chiffres? Songez qu'ils représentent des vies humaines. Depuis quinze ans, la mé- thode antiseptique a sauvé plus d'existences que n'en peut détruire sur un champ de bataille la folie des hommes. Je m'imagine que ces exemples vous suffiront, et que, dé- sormais, si l'on vient à vous parler, soit de l'impuissance de la médecine à guérir, soit de l'impuissance de la science à faire prog'resser la médecine, vous trouverez de quoi répondre, en affirmant l'union intime, étroite, de la pathologie et de la physiolog"ie ; et vous pourrez dire hardiment que chaque pro- grès de la science est un progrès dans l'art de guérir. Mais le diagnostic et la thérapeutique ne sont pas toute la médecine. Il est une autre partie de l'art médical aussi impor- tante et qui doit plus encore à la science physiologique : c'est l'hygiène. C'est très bien de connaître une maladie et de la guérir, mais combien il est préférable de la prévenir! Et pourtant, hélas! l'hygiène n'a pas, dans les conseils du gouvernement, la place prépondérante qu'elle devrait occuper. Les ingénieurs et les architectes, qui ont la direction admi- nistrative de tous les services, ne veulent pas en entendre parler; ils l'ignorent et la méprisent. Et cependant croyez- vous qu'il y ait une considération quelconque, sociale ou autre, plus importante que l'hygiène publique? Les travaux de M. Pasteur nous ont montré la voie à suivre. — Vous m'excuserez d'y revenir encore, mais vrai- ment il est impossible de faire autrement; car tout a été régé- néré par lui. 28 CHARLES RICHET. Quand je parle d'ailleurs des travaux de Pasteur, j'entends aussi ceux de ses élèves. Or ses élèves, qu'ils le reconnaissent ou non, qu'ils soient Allemands, Anglais ou Italiens, qu'ils se posent en adversaires ou en rivaux, ce sont tous ceux qui vont chercher dans les parasites microscopiques la nature des maladies. Eh bien, les travaux de M. Pasteur et de ses élèves — je tiens à ce mot d'élèves; car il en est qui méconnaisseni leur maître — ont démontré que la plupart des maladies, le choléra, le charbon, la rage, la tuberculose, la variole, la diphtérie, la scarlatine, la rougeole, la septicémie, l'infection puerpérale, l'érysipèle, la fièvre typhoïde, sont dues à des germes infectieux, à une contagion, non plus à cette vague et insaisissable contagion qu'on ne savait prendre sur le fait, mais à des germes vivants, susceptibles d'être tués si on les soumet à telle ou telle température, à tel ou tel agent chi- mique. Un peut donc les détruire; on peut s'attaquer aux germes contagieux! C'est ainsi que le problème de l'hygiène presque tout entière se pose aujourd'hui sous une forme qui est admirable de simplicité, je dirais presque de naïveté : « 11 faut détruire les germes contagieux. » Détruire les germes contagieux, éviter la contagion, voilà comment les physiologistes ont formulé le problème. Il est assurément plus facile à poser qu'à résoudre; mais n'est-ce pas beaucoup que de savoir ce qu'il faut faire, et dans quelle voie il faut avancer? Les hommes sont parfois d'une inconséquence étonnante. On s'accorde à reconnaître que la vie est le bien le plus pré- cieux. Cependant on ne fait aucun effort pour la protéger. Si l'on daignait réfléchir, si la routine ne gouvernait pas le monde, on ferait de l'hygiène, réglée, dirigée et inspirée par la physiologie, la première de toutes les sciences. La con- struction d'un hôpital, celle d'une caserne, celle d'une école ou d'une prison, ou d'un campement, ou d'un égout, ont des conséquences si graves que la responsabilité de ceux qui en sont chargés me paraît vraiment accablante. A vrai dire, ils LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 29 n'en paraissent guère accablés, et c'est la tête vide et le cœur léger qu'ils se mettent à l'œuvre. N'êtes-vous pas frappés de ce désaccord extraordinaire entre la science et la pratique? Nous savons exactement la quantité de mètres cubes d'air qu'il faut pour que l'air ne soit pas vicié; nous connaissons les conditions nécessaires à un bon système d'égout ou de vidange ; nous savons quelles sont les qualités d'une bonne eau potable. Et, en pratique, arcbitectes et ingénieurs ne tiennent aucun compte de ces données scientifiques formelles, comme s'ils ignoraient que chaque erreur en pareille matière se paye par des existences humaines. Un jour on s'étonnera de cette incurie invraisemblable. Quoi ! nous savons que la fièvre typhoïde se transmet par les eaux; nous savons cela, et nous ne réussissons pas à pré- server les trois millions d'habitants do Paris contre les dan- gers de cette eau chargée de germes I A force de soins, de prudence, de science, de patience, un médecin très occupé finit par sauver, dans le cours de sa lon- gue pratique, une quarantaine de malades atteints de fièvre typhoïde et qui seraient morts sans lui: mais Terreur d'un ingénieur amène en quelques mois la mort de 2 000 à 3 000 jeunes gens. Et l'alcoolisme? Et l'alimentation des nouveau-nés? Quelles graves questions, et comme toutes les solutions qu'on donne entraînent aussitôt des conséquences formidables, dans le bien comme dans le mal ! Tous les problèmes d'hy- giène sont des questions sociales, et même les questions so- ciales les plus importantes de toutes, puisqu'il s'agit de l'exis- tence même des hommes. Or qui pourrait les résoudre, sinon la science? D'ailleurs, je ne puis insister. Mon but était de vous prou- ver que l'expérimentation physiologique a rendu quelques services à l'humanité. Mais ce n'est qu'un commencement. 30 CHAULES RICHET. L'avenir est illimité, et nos petits-enfants verront sans doute de belles choses. Jusqu'ici, Messieurs, je vous ai montré en quoi la méde- cine et la physiologie s'accordent. Il me reste à vous dire en quoi elles diffèrent. Quoiqu'elles ne fassent en réalité qu'une seule et même science: « la science de la vie », il y a entre elles, pour le but comme pour la méthode, de notables diffé- rences. L'esprit scientifique n'est pas l'esprit médical. Il n'existe aucun antagonisme entre la clinique et la physiologie, mais il existe une sorte d'antagonisme entre l'esprit scienti- fique et l'esprit médical. Cette proposition a une apparence de paradoxe que je dois justifier. L'esprit scientifique peut se résumer en un mot : c'est la curiosité; tandis que l'esprit médical, c'est la sécurité. Toute expérience nouvelle, ingénieuse, vraisemblable ou non, tente le physiologiste; tandis que le médecin n'a pas le droit de se livrer à ces écarts d'imagination. Il n'a pas à s'occuper de la vérité, mais de son malade. Avant tout, il doit ne pas nuire. L'esprit scientifique est tout autre ; si j'avais à le définir, je dirais qu'il consiste à être aussi hardi dans l'invention des hypothèses que rigoureux dans la démonstration des hypo- thèses. L'histoire des sciences nous donne à cet égard de formels enseignements : les savants ont péché de tout temps par un double défaut : ils ont été à la fois timides dans leurs hypo- thèses et peu rigoureux dans leurs démonstrations. Ils ont péché par défaut de hardiesse; car jamais, il y a trois siècles, il y a cent ans même, on n'eût osé prévoir la science d'aujourd'hui. Nous avons démontré quantité de faits qui nous paraissent aujourd'hui bien simples, et qui. pourtant, dépassent les conceptions, même les plus aventureuses, de nos pères. Ils regardaient la science de leur temps comme achevée. Paresse d'esprit, routine, préjugés, parti pris, ils LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 31 restaient dans l'ornière, suivant docilement le sillon tracé. Aveuglés par les doctrines reçues, n'osant pas s'écarter des principes admis, ils ne savaient pas penser autrement que leurs maîtres, et c'est ainsi que les erreurs se sont conservées et perpétuées d'âge en âge. La timidité dans l'hypothèse marche de pair avec l'absence ~ de rigueur dans la démonstration. D'une part, on n'a pas le courage de concevoir autre chose que ce qui a été conçu; d'autre part, on se contente de l'insuffisante démonstration qui a été enseignée. On ne veut ni la contester ni la vérifier. On accepte comme acquis des faits qui ne sont pas acquis; on recule lâchement devant une hypothèse contradictoire, parce qu'elle entraînerait des expériences nouvelles et un pénible labeur. On est à la fois peu rigoureux et timide : peu rigou- reux, puisqu'on se satisfait d'une démonstration incomplète; timide, puisqu'on a peur de combattre une doctrine reçue. Mais le vrai savant doit agir et penser d'une manière bien différente; d'abord il tente les expériences les plus invrai- semblables, celles qui contredisent tout ce qu'on lui a appris; ensuite, quand il s'agit d'en venir à la démonstration, il n'est satisfait que quand il a accumulé les preuves formelles^ irré- cusables, indiscutables. A vrai dire, il ne doit jamais être sa- tisfait, car chaque preuve nouvelle est une expérience nou- velle, qui élargit son horizon et donne à la question qu'il étudiait des aspects toujours renaissants. Il faut être très exigeant en fait de preuves : l'affirmation des auteurs les plus classiques ne doit pas nous suffire; on doit toujours examiner de près, et de très près, ce qui a été dit. Ayons toujours présente à l'esprit cette grande vérité, que la science d'aujourd'hui n'est pas la science de demain, et que ce qui, hier, était une erreur est aujourd'hui une certi- tude. Les vieilles hypothèses, qui sont établies par droit d'an- cienneté dans la science, il faut avoir le courage de les con- trôler et de les contester avec la même rigueur que si elles 32 CHARLES RICHET. étaient toutes nouvelles ; car l'expérience a prouvé que ces hypothèses classiques deviennent au bout de cinquante ou de cent ans des hypothèses erronées. Aussi dès qu'un savant, plus audacieux que les autres, vient émettre une opinion nouvelle, quels obstacles aussitôt ne dresse-t-on pas devant lui ! Quand on présente à un animal, à un enfant, à un sauvage, un objet nouveau, dont la forme et l'allure lui sont inconnues, le premier mouvement de l'animal, de l'enfant ou du sauvage est un sentiment de méfiance ou de frayeur qui s'exprime par la fuite et les cris. J'ai cru pouvoir donner à ce sentiment très général le nom de néophobie (crainte du nouveau). Nous sommes tous, hélas ! plus ou moins néophobes, et cette hor- reur du nouveau croit, paraît-il, avec l'Age. Mais le vrai savant doit être tout le contraire d'un néophobc ; il ne doit pas se faire, avec les opinions routinières qu'on lui a enseignées dans son enfance, une sorte de rempart impénétrable contre le pro- grès et la vérité. Que d'exemples, et d'exemples éclatants, je pourrais citer de cette aversion pour les vérités nouvelles, quelque bien démontrées qu'elles soient ! Quand Harvey a prouvé au monde que le sang circule, n'a-t-il pas trouvé des contradicteurs acharnés? Comment accepter ce renversement de toutes les leçons des maîtres, de tous les préceptes d'Hii'POCRATE, de Galien, d'AviCENXE? Alors on lui opposa des arguments absurdes. Il a dit quelque part que, quand le co.'ur bat, on entend dans la poitrine un certain bruit: Exaudiri soiiilum in pectorc licel . Un médecin italien lui répond : « Il est possible qu'à Londres on entende battre le cœur dans la poitrine; mais, à Yenise. nous n'entendons rien de semblable. » Vous savez qu'il est aujourd'hui démontré que les couches terrestres sont formées par les dépôts des anciennes mers, élevées par des soulèvements volcaniques sur les flancs et les sommets des montagnes. Nos grandes chaînes de montagnes LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 33 sont donc constituées par des couches marines où sont accu- mulées d'innombrables coquilles. Cette hypothèse grandiose, qui nous paraît aujourd'hui si simple, et qui n'est même plus une hypothèse, tellement les preuves qui l'établissent sont nombreuses et claires, n'a pu être acceptée qu'à grand'peine. Quand on venait dire à Voltaire qu'on trouve des coquillages dans les montagnes, il a prétendu que c'étaient des coquilles abandonnées par les pèlerins qui revenaient des croisades. Pourtant Voltaire n'était pas suspect d'asservissement aux doctrines classiques; mais il n'osait pas, en matière de co- quillage, imaginer comme possible ce que la science de notre siècle a si bien démontré, à savoir que les mers, jadis, cou- vraient le globe et que les dépôts marins d'alors constituaient nos montagnes d'aujourd'hui. Plus tard, quand Cuvier a exhumé les restes fossiles et gigantesques des monstres antédiluviens, il a rencontré une opposition formidable. Au Jardin des Plantes, dans la gale- rie d'anatomie comparée, un savant honorable, appartenant à plusieurs Académies, se tenait devant le Paléothérium recon- stitué par Cuvier, et il interpellait les visiteurs innocents, les prenant à témoin de la naïveté de Cuvier : « Voilà, disait-il, l'animal que M. Cuvier prend pour un fossile; c'est un simple squelette de cheval. » Quand Denis Papin a réalisé cette sublime conception d'un bateau à feu marchant par la vapeur, on a raillé cette auda- cieuse tentative. Qui donc aurait eu alors le courage de sup- poser qu'un peu de flamme sous une chaudière, cela suffit pour faire marcher les plus lourdes machines? Quelque cent ans après, quand Fulton est venu proposer le premier bateau à vapeur à Napoléon, Napoléon, dont on vante pourtant l'in- telligence universelle, l'a éconduit comme s'il avait eu affaire à un fou. Rappellerai-jele scepticisme qui a accueilli l'établissement des premiers chemins de fer. Il n'y a pas un demi-siècle que M. Thiers disait au Parlement : « Croyez-vous, de bonne foi, TOME II. 3 34 CHARLES RICHET. que les chemins de fer pourront jamais remplacer les dili- gences? » Et tout le monde était de son avis. Quand on est venu nous apporter la nouvelle de l'admi- rable invention du téléphone, il s'est trouvé à l'Académie des sciences un électricien compétent qui a déclare cette in- vention impossible; et, à la séance suivante, quand on est venu apporter un phonographe, un autre académicien illustre a prétendu que celui qui faisait parler le phonographe n'était qu'un ventriloque. Et notre grand Pasteum, quels obstacles n'a-t-il pas ren- contrés! En Allemagne, on reconnaît ses découvertes: mais on ne les lui attribue pas. On prétend que toute cette succes- sion de travaux sur les virus, les vaccins, les cultures artifi- cielles, la panspermie, le charbon, le choléra des poules, le rouget des porcs, la septicémie sont dûs à des savants alle- mands. En France, le système est autre; il se trouve encore des hommes honorables et instruits qui ne croient pas à ses découvertes, et, si vous lisez certaines feuilles médicales, vous le trouverez contesté et discuté avec un acharnement dont l'Académie de médecine elle-même ne dédaigne pas parfois de se faire l'écho. Mais, qu'importe? l'histoire est là pour prouver qu'une découverte nouvelle, quelque bien établie qu'elle soit, rencontre une opposition furieuse et tenace, et que les attaques de la routine sont la consécration de la gloire . CARLYoGT,mon illustre collègue de l'Université de Genève, me disait un jour : « Si je n'avais pas été professeur, j'aurais découvert la théorie de la sélection naturelle. » Il voulait dire par là qu'étant professeur il était forcément attaché aux doctrines de l'école et contraint de plier son esprit à rensei- gnement des vérités connues. Malgré lui, en ellet, le profes- seur, chargé de l'enseignement des théories classiques, ne se lance pas dans les conceptions nouvelles, audacieuses, qui contredisent la science qu'il a mission d'apprendre à ses élèves. Heureux celui qui, tout en respectant l'autorité des LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 35 maîtres de la science, pense qu'il est nécessaire de ne pas les croire sur parole et sait se délivrer de la routine scientifi- que. Garder sa complète indépendance d'esprit, c'est impos- sible, ou presque impossible. Nous vivons et nous pensons peu par nous-mêmes. Nous sommes entourés d'opinions que nous faisons nôtres, qui nous paraissent absolument indis- cutables, qui représentent pour nous le bon sens et l'évidence, et hors desquelles toute science nous paraît fausse, impossible. Dans un livre remarquable, publié en 1875, un éminent savant anglais, M. Balfour Stewart, parlant des germes de maladies, suppose que ces germes existent; mais il ajoute : « Nous avons lieu de douter qu'une seule personne ait jamais vu un seul de ces organismes. » Les dix années qui ont suivi devaient lui donner un étrange démenti. Eu 1839, un physiologiste illustre, qui a fait beaucoup pour la physiologie, Jean Muller, parlant de la transmission du courant nerveux, osa dire que la vitesse en est telle que jamais on ne pourrait arriver à la mesurer. Cette prédiction n'est pas restée vraie longtemps. En 1841, par un procédé aussi simple qu'ingénieux, M. Helmholtz a mesuré exacte- ment la vitesse de l'onde nerveuse, et l'a évaluée à 30 mètres par seconde. Malgré son génie, Muller avait manqué de har- diesse. Deux physiologistes célèbres, qui ont fait sur le sang d'ad- mirables recherches, Prévost et Dumas, osent dire en 1831 ^ : « Telle est la manière dont s'opère la distribution des maté- riaux du sang, et nous avons répété nos observations à tant de reprises depuis deux années que nous ne conservons pas le moindre doute à cet égard. Elle explique parfaitement l'inu- tilité des tentatives pour isoler la matière colorante, et donne presque la certitude qu'on ne pourra jamais y parvenir. » Eh bien! nous avons donné un démenti à cette proclama-' 1. Bibliothèque universelle de Genève, 1821, t. XVII, p. 294. 36 CHARLES RICHET. tion d'impuissance. M. Hoppe-Seyler a préparé la matière colorante du sang : grâce à Claude Bernard, grâce à Hoppe- Seyler, l'histoire chimique de l'hémoglobine est une des par- ties les plus précises de la physiologie. Faut-il aussi citer l'affirmation quelque peu téméraire de M. Pasteur, qui disait que la synthèse chimique ne pourrait sans doute jamais créer des substances douées de propriétés polarisantes? M. Jun(;fleiscei a réussi, il y a plusieurs années, à préparer synthétiquement un acide tartrique doué du pou- voir rotatoire (Ann. de Chhn. et de Phys., t. LXI, p. 484), en partant de l'acide succinique synthétique. Messieurs, vous pouvez être assurés que la science nous réserve des surprises pareilles, et c'est vraiment trop d'audace dans la timidité que d'oser dire : « La science ne pourra pas. » Qui donc, il y a cinquante ans, aurait pu prévoir qu'on calculerait les quantités de fer et de sodium qui se trouvent dans Sirius? Qui donc aurait admis qu'on peut photographier un mouvement qui dure un millième de seconde? Si je prends, dans la physiologie, quelques progrès tout récents, vous allez voir combien la routine empêche les dé- couvertes nouvelles, même les plus légitimes. Aussi aurez- vous raison de conclure que, si nous sommes peu exigeants pour la démonstration des faits soi-disant acquis et classiques, nous sommes ridiculement difficiles, même injustes, pour la démonstration des vérités nouvelles. Je choisirai trois exemples : la formation du sucre par les animaux, le somnambulisme provoqué et l'action des anti- septiques. Pour la formation du sucre, il régnait, avant Claude Ber- nard, une opinion universellement admise : c'est que les plantes seules peuvent fabriquer du sucre. On opposait les végétaux et les animaux ; on disait : « Les végétaux font du LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE, 3^ sucre, mais les animaux détruisent le sucre ; par conséquent, ils n'en produisent pas. » C'était là Topinion classique; elle triomphait sans contestation, quoiqu'elle se fût établie sans preuve. — N'admirez-vous pas combien ces axiomes, qui ne sont pas prouvés, prennent pied dans la science parce qu'ils sont très anciens? Mais, dès que Claude Bernard eut émis l'idée que l'animal peut fabriquer du sucre, aussitôt on lui opposa quantité de mauvaises raisons : 1° il n'y a pas de sucre dans le foie; 2" le sucre est emmagasiné, non produit; 3° c'est un phénomène cadavérique et non physiologique. Claude Bernard a victorieusement répondu à ces mauvaises objec- tions, et, enlin, on a dû admettre la glycogénèse animale. Mais que de luttes pour la faire passer dans la science ! Parlerai-je du somnambulisme, décrit aujourd'hui sous le nom d'hypnotisme? Il a été tellement conspué, et il est mainte- nant en tel honneur que cette versatilité de l'opinion scienti- fique est un des plus curieux spectacles que l'on puisse von\ En 1875, un médecin distingué, laborieux, intelligent, érudit, M. Bechambre, le créateur et le directeurdu heau Dictionnaire encyclopédique des sciences îne'dicales, faisait un grand article sur le mesmérisme (c'est ainsi qu'il appelait dédaigneusement le magnétisme) et il terminait par ces mots, qui résumaient, sa pensée et qu'il imprimait en énormes caractères, les plus gros de tout le livre, comme étant la conclusion formelle et dernière de la science : « En définitive, disait-il, le magnétisme animal n'existe pas. » M. Bechambre n'a pas été heureux dans cette imprudente négation. Trois mois après, je publiais sur le somnambulisme un mémoire où, par un ensemble de preuves, que je croyais et que je crois encore excellentes, je démontrais que le somnambulisme existe. Bepuis lors les faits ont parlé, et il me semble qu'ils m'ont donné raison. J'ai bien fait, je crois, de n'être pas timide; mais, quelle que fût alors mon audace, je ne pouvais soup- çonner que j'aurais si prompte et si complète satisfaction. La méthode antiseptique a rencontré moins d'obstacles. 38 CHARLES RIGHET. et pourtant elle a eu quelque peine à se répandre. Peut-être même trouverait-on quelques chirurgiens qui ne l'admettent pas encore; mais cependant, après quinze ans de péripéties, elle s'est maintenant établie universellement, et la démonstra- tion de sa puissance est irréprochable. Mais voyez comme les faits ont dépassé nos conceptions. Qui donc, avant Pasteur et Lister, aurait supposé que l'on peut arrêter les germes mor- bides mis au contact d'une plaie? Est-il possible qu'une solu- tion d'acide phénique empêche la gangrène, l'érysipèle, le phlegmon, la suppuration, l'infection purulente? Quel chirur- gien aurait osé, en 1872, ouvrir le péritoine ou une articula- tion? Et cependant, cela se fait aujourd'hui presque sans danger, et l'audace légitime des chirurgiens contemporains confondrait leurs maîtres de stupeur. Messieurs, si je vous ai donné tous ces exemples, au risque de fatiguer votre attention, c'est pour vous prouver que la routine est mauvaise conseillère, dans les sciences au moins. Ne nous laissons pas embarrasser par les doctrines régnantes; allons en avant et osons penser des progrès. Sachons distin- guer, dans la science d'aujourd'hui, les faits et les théories. Les faits sont positifs, indiscutables; mais nous n'en tenons qu'un tout petit nombre, et la plupart des vérités répandues autour de nous dans la nature nous échappe complètement. Soyons bien persuadés que nous sommes environnés de faits que nous ne voyons pas. Quant aux théories, sachons les apprécier ce qu'elles valent; bien peu de chose assurément. Je suis convaincu que nos idées actuelles sur la structure des cellules, les fonctions du cerveau, le développement de l'ovule, la constitution chimique des corps, l'électricité, l'élasticité, la loi de la conservation de l'énergie, seront aussi démodées dans cent ans que le sont aujourd'hui les idées de Paracelse sur la fermentation et celles d'ÂMitRoisEPARÉ sur les monstres. Ainsi la conclusion de toute cette énumération d'opinions routinières, c'est qu'il faut avoir de l'audace. Or cette audace LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 39 du savant dépend de sa curiosité. Oui! c'est bien là le vrai mot qui peut définir l'esprit scientifique. Celui qui n'est pas curieux peut faire un excellent citoyen, un commerçant dis- tingué et probe, un père de famille irréprochable : il ne sera jamais un savant. Le vrai savant, dans la vie qui l'entoure, trouve partout des problèmes curieux à résoudre. Il doit tou- jours se dire : « Pourquoi? Comment? » vivant dans une in- quiétude perpétuelle, cherchant des solutions qu'il ne pourra pas trouver, hélas! aux problèmes innombrables qui l'entou- rent. Il me semble, pour ma part, que nous sommes plongés dans une ombre épaisse, et que tout ce qui est autour de nous est mystérieux et doit être approfondi. Newton comparait avec raison notre science à celle d'un enfant qui a ramassé un caillou au bord de la mer et croit avoir pénétré les mystères de l'Océan. Est-ce à dire qu'il faille faire table rase de tout ce qui a été dit, et qu'il soit urgent de fermer les livres et les bibliothèques? Vous m'auriez bien mal compris si vous me prêtiez cette ridi- cule opinion. Ce serait folie que de dédaigner Les admirables travaux de nos prédécesseurs. Ils ont vu quantité de phéno- mènes, les ont approfondis, commentés, et, sur les faits qu'ils ont vus, il n'y a plus guère à revenir. Il faut les connaître ; car on se donnerait inutilement beaucoup de mal pour retrouver ce qui est déjà connu et mieux connu. On n'a le droit d'être très audacieux que si l'on est en même temps très érudit. Pour prendre un exemple entre mille, l'excitation du bout périphérique du pneumogastrique arrête pour quelques instants les battements du cœur. C'est là un fait certain, avéré, que tout le monde a vu, que tout le monde peut voir. Mais combien l'explication en est insuffisante ! Les théories qu'on donne — et il y en a beaucoup, je vous assure — sont toutes destinées à périr promptement. Je ne sais point quelle théorie définitive l'avenir nous donnera : mais je sais qu'elle sera différente de celle que nous admettons aujourd'hui. Ainsi consulter les livres, étudier les ouvrages classiques, 40 CHARLES RICHET. savoir ce qui a été fait dans les innombrables laboratoires et cliniques qui couvrent le monde, c'est le strict devoir du sa- vant. Mais il faut surtout étudier dans le livre de la nature; il faut penser etreg^arder par soi-même. La nature est une mine inépuisable. Suivant une belle expression de Pascal, « l'ima- gination se lasse de concevoir plutôt que la nature de fournir ». Je vous parlais tout à l'heure des faits et des théories. Même quand il s'agit d'un fait, il faut beaucoup de temps et de prudence avant de l'admettre comme définitif. L'histoire des sciences nous apprend qu'il y a, sur les faits eux-mêmes, d'immenses et colossales erreurs. Si vous saviez à quel point il est difficile de voir ce qu'on ne connaît pas. Un phénomène qui nous est inconnu passe près de nous sans que nous puissions le soupçonner, et notre aveuglement à tous est vraiment prodigieux. Quand on lit les auteurs anciens, voire même les écrivains des xvn* et xvni^ siècles, on est stupéfait de voir combien les choses les plus simples et les plus évidentes ont été alors in- connues, incomprises, dénaturées. Quoi de plus simple que l'anatomie du cœur! et. cepen- dant, que d'erreurs longtemps répétées ! Aristote, ce sublime observateur, n'a-t-il pas soutenu que l'origine de tous les nerfs du corps était dans le cœur? Galiex avait dit que la cloison qui sépare les deux ventri- cules est percée d'un orifice qui les fait communiquer l'un avec l'autre. Je n'ai pas besoin de vous dire que cette cloison n'existe pas. et qu'il n'y a, au moins chez l'adulte, aucun per- tuis entre ces deux ventricules, aucune voie de passage. Ce- pendant tous les anatomistes qui sont venus après Galien ont cru, jusqu'à Michel Servet, que la cloison interventriculaire était perforée; ils ont décrit cette communication dont il était si facile de constater la non-existence. Les plus audacieux di- saient seulement que ce trou était fort petit. LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 41 Pour des observations plus faciles encore^, quelles erreurs énormes! Dans Pli>e, par exemple, non seulement il y a des récits fabuleux, de vrais contes de nourrice, qu'il rapporte très sérieusement d'après les récits de tels ou tels voyageurs ; mais encore, pour des faits qu'il pourrait voir par lui-même et contrôler, il déploie une crédulité extraordinaire. En ouvrant au hasard un passage de ce grand naturaliste, je vois qu'il trouve que l'étoile de mer brûle tout ce qu'elle touche comme avec une flamme, et que la Jangouste a une telle frayeur du poulpe qu'elle meurt de peur dès qu'elle l'a vu. Et ce n'est pas seulement chez les auteurs anciens, c'est encore et surtout chez les auteurs du moyen âge et chez les écrivains du xvi% du xvii'' et même du xvnf siècle, qu'on trouve de ridicules fables. On est vraiment confondu quand on voit l'imperfection de l'observation. Un missionnaire du moyen âge raconte que dans ses voyages il est arrivé à l'endroit oii le ciel et la terre se touchent et que, parvenu à cette limite, il était obligé de se courber pour avancer. Claude Duret, président à Moulins, en Bourbonnais*, nous décrit un arbre dont les fruits sont merveilleux. Cet arbre, vu par PiGAFETTE, porte des feuilles qui vivent et qui che- minent. « Elles avaient comme deux pieds courts et pointus. Moi, AxToixE PiGAFETTE, cu ai teuu et conservé une en une escuelle durant huit jours et, quand je la touchais, elle allait tout à l'entour de l'escuelle. » Jl décrit un arbre plus merveil- leux encore, dont les fruits tombent tantôt sur la terre, tantôt dans l'eau pour s'organiser et se développer. S'ils tombent sur terre, ils deviennent oiseaux; et une figure nous montre une sorte de canard dérivé de ces fruits, avec les formes de tran- sition entre une pomme et un canard. Si, au contraire, la 1. Histoire admirable des plantes et herbes esmerveillables et miraculeuses en nature, mesme d'aucimes qui sont rrayez zoophites ou plant'animales, plantes et animaux tout ensemble, pour avoir vie végétative, sensitive et animale. — In-12; Paris, chez Nicolas Buon, 160."j. 42 CHARLES RICHET. pomme tombe dans l'eau , elle devient poisson ; et sur la même figure on voit toutes les transitions entre la pomme et le poisson. Le même Clalue Duhet, dans un autre livre', nous dit aussi : « Il s'engendre dans la mer deux fois plus de sortes d'animaux que sur la terre, non seulement les poissons, mais aussi quelques oiseaux nommés bernaches. Même on voit plu- sieurs autres petits oiseaux et des rats et des souris engendrés du sel qui est dans les navires, voire mesme les femelles s'en- grossent sans conjonction du mâle, en léchant seulement du sel. » Cette génération spontanée de rats et d'oiseaux nous pa- raît maintenant une absurdité colossale; mais ne vous pressez pas trop de vous indigner; il n'y a pas plus de trente ans, on croyait encore à la génération spontanée des champignons et des moisissures. Il a fallu que M. Pasteur vînt nous prouver qu'il n'y a pas de génération spontanée. Et maintenant la création d'un être, si petit ({u'il soit, nous paraît aussi absurde que celle d'un canard ou d'un poisson. Qu'il s'agisse d'un champignon ou d'un canard, la génération spontanée est tout aussi invraisemblable, au moins aujourd'hui. Yoici, à titre de spécimen d'absurdité, quelques citations extraites d'un petit livre fort curieux, datant de 1571 et inti- tulé : la Description philosophale , forme et nature des bestes. c( \jQ grijpJion est une beste ayant quatre pieds et six ailes; il est si fort qu'il porte un cheval en l'air et un homme dessus. Les gryphons gardent les montagnes où est l'or et les éme- raudes, et n'en laissent rien emporter. « Le bjnx a une urine qui se convertit en pierre précieuse; mais cette beste ne veut point que ces pierres profitent aux hommes, et pour cette cause elle cache son urine sous terre. « La chair de Voiirs, étant cuite, croît. L'ours n'a point de 1. iHscours (le la vériU' des causes et effects des divers cours, mouvemens flux et reflux cl saleure de la mer Ovéune, mer Médilerranée et autres mers de la terre. — In-12; Paris, chez Jacques Rezc, 1600. LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 43 sang qu'entour le cœur. Quand il a la vue troublée, il cherche des mouches à miel, et les mange, et les mouches poignent l'ours de leurs aiguillons, le faisant saigner, et sa vue s'en éclaircit. Les ours ont le cerveau envenimé. « Quand la singesse a deux faons, elle porte entre ses bras celui qu'elle ayme le mieux, le serrant par grand amour si fort qu'elle le tue, et, quand elle le voit mort, elle nourrist l'autre plus simplement. Le singe se réjouit quand la lune est nouvelle, et est triste quand elle est pleine ou vieille. (' La souris est engendrée par pourriture et de l'humeur de la terre. « Le lièvre a autant de pertuis sous la queue comme il a d'ans, et a le sexe de mâle et de femelle, et engendre sans mâle, et pour ce en est-il beaucoup. « Le cerf^ quand il est grevé de maladie, attire un petit serpent par le vent de ses narines, et le mange, et il est guéri. « Le bouc est de si chaude nature que son sang chaud brise la pierre du diamant qui ne peut être brisée par fer ne par feu . « La girafa est une beste d'Ethiopie, engendrée du cha- meau et de la parde (léopard), ayant la teste et le col assez semblables au chameau, les cuisses et les pieds du buffle, et le corps taché comme un pard. <( Le mouton perd sa fierté quand on lui perce la corne près des aureilles. Quand le vent d'Aquillon vente, il engendre des mâles, et quand le vent d'Auster vente, il engendre des femelles. Quand ils boivent eau salée, ils sont plus tôt en amours ; quand les vieils moutons sont plus tôt en amours que les jeunes, c'est signe de bon temps: mais, si les jeunes plus tôt que les vieils, c'est signe de pestilence et de mortalité. « La salamandre à toucher le feu, elle Festeint comme ferait la glace. Elle naît comme l'anguille en eau, et n'a ni mâle, ni femelle, et ne conçoivent ni ne font œufs, ni aucuns petits. Il n'est beste qui vive au feu, sinon la salamandre. « Le phénix vit six cents ans ; quand fort vieux est, se met 44 CHARLES RICHET. tout en cendre, dont s'engendre un autre phénix, et n'en est jamais qu'un au monde. « Aux pays des nains les cjrueii combattent contre eux. « Quand le coq est trop vieil, il fait des œufs petits et ronds, et, quand ils sont couvés en un fumier par aucune beste venimeuse, ils deviennent basilic. Le l.yon redoute le coq, et par spécial s'il est blanc. » J'auraispu multiplier ces sottes légendes, fables, croyances. Mais je pense que cela suffira. Qu'on remarque bien qu'il s'agit là presque toujom^s de fails faciles à constater, comme l'œuf du coq, le sang du bouc, ou le sexe du lièvre. Mais vraiment il n'y a eu aucune constatation; une crédulité ab- surde, invraisemblable, et rien d'autre. Dans l'œuvre admirable de notre grand Pierre Belon, qui écrivit quelque quinze ans avant qu'ait paru ce stupide petit livre, on ne trouve rien d'analogue à ces inepties. Mais Pierre Belox avance de près d'un siècle et demi. Il est par son génie presque le contemporain de Linné. Amrroise Paré, un des plus grands chirurgiens dont s'ho- nore notre patrie, Amrroise Paré, qui a eu l'idée simple et admirable de lier avec un fil l'artère coupée qui donne du sang, Amrroise Paré est d'une naïveté incroyable. Dans son chapitre des monstres^ que je vous conseille bien de lire, si vous vou- lez passer quelques bons moments de gaieté, il raconte les his- toires les plus extraordinaires et décrit des formes étonnantes dont il donne l'image au naturel : « L'an mil cinq cent dix-sept, en la paroisse de Bois-le-Roi sur le chemin de Fontainebleau, nasquit un enfant ayant la face d'une grenouille, qui fust vu et visité par maistre Jean jîelanger, chirurgien en la suite de l'artillerie du roi. Ledit Bélanger, homme de bon esprit, désirant savoir la cause de ce monstre, s'enquit au père d'où cela pouvait procéder, lequel lui dit qu'il estimait que, sa femme ayant la fièvre, une de ses voisines lui conseilla, pour guarir sa fièvre, qu'elle print une grenouille vive en sa main, et qu'elle la tînt jusques à ce LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 45 que ladite grenouille fust morte; la nuict elle s'eu alla cou- cher avec son mari, ayant toujours ladite grenouille en sa main; son mari et elle s'embrassèrent, et conceut, et, par la vertu Imaginative, ce monstre avait été ainsi produit, comme tu vois par ceste figure. » Au début de ce chapitre sur les monstres, Paré en donne les causes : « La première est la gloire de Dieu; la seconde estla colère de Dieu; la troisième, latrop grande quantité de semence; la quatrième, la trop petite quantité; la cinquième, l'imagina- tion; la sixième, l'angustie ou petitesse de la matrice; la sep- tième, l'assiette indécente de la mère, comme, étant grosse, s'est tenue trop longtemps assise les cuisses croisées et serrées contre le ventre; la huitième, par chute; la neuvième, par maladies héréditaires ; la dixième, par pourriture ou corrup- tion de la semence; la onzième, par mixtion ou mélange de semence; la douzième, par l'artifice des méchants bélitres; la treizième, par les démons et diables. » Ce sont là des exemples, pris pour ainsi dire au hasard parmi les fantaisies des observateurs anciens. Tous ces voya- geurs, tous ces naturalistes du xvi^ et du xvn" siècle voyaient de leurs propres yeux quantité de choses qui n'ont jamais existé, et il ne faut pas trop nous en étonner, car ils s'imagi- naient avoir parfaitement observé la nature qui les entourait ; et nous mourrons sans doute, nous aussi, dans la même illusion. Mes amis de la Society for psijchical Research ont recueilli un grand nombre de cas de mauvaises observations: ils ont très bien prouvé que, quand il s'agit de fixer son attention pendant une demi-heure ou une heure, on omet quantité de détails importants; on voit des choses qui n'ont pas eu lieu, de sorte que les comptes rendus, qu'on croit fidèles et qu'on a écrits de très bonne foi, fourmillent d'inexactitudes, d'erreurs et d'approximations. Toute la lamentable histoire des possédés, des démonia- ques, des sorcières, du sabbat, est là pour nous prouver que 46 CHARLES RICHET. ces mauvaises observations s'étendent, non pas seulement à un groupe d'individus, mais à plusieurs générations d'hommes doctes. C'est une des hontes de l'humanité que d'avoir si longtemps cru au diable. Passe encore pour cette croyance absurde, si elle n'avait entraîné la mort de malheu- reuses folles! Nous nous indignons aujourd'hui quand nous lisons le récit de ces tortures, de ces bûchers, de ces massa- cres. Mais les juges et les médecins d'alors étaient unanimes; ils croyaient de bonne foi au diable, au sabbat, à la possession démoniaque, et, comme ils y croyaient, ils voyaient des faits qui n'existaient pas. Leur crédulité tient vraiment du miracle. Yoici un exemple pris au hasard; car assurément, en pareille matière, nous n'avons que l'embarras du choix. Il s'agit d'une petite fille de cinq à huit ans que l'on fit exorciser. C'est Bogi et, grand juge au comte de Bourgogne, qui nous apprend comment les choses se passèrent. « Le pre- mier jour, dit-il, se découvrirent cinq démons, les noms desquels étaient Loup, Chat, Chien. Joli et Griffon, et, comme le prêtre demanda qui lui avait baillé le mal, elle répondit que c'était Françoise'. Pour ce jour-là les démons ne sortirent point. Le lendemain matin, sur l'aube du jour, la fille se trouva plus mal que de coutume; mais enfin, s'étant penchée contre terre, les démons sortirent par sa bouche en forme d'une pelote grosse comme le poing et rouge comme feu, sauf que le chat était noir. Les deux que la fille estimait être morts se partirent les derniers, et avec moins de violence que les autres. Tous ces démons étant dehors firent trois ou quatre voltes à l'entour du feu et disparurent, et dès lors la fille commença à se porter mieux qu'auparavant. » Cette crédulité entraînait dans la thérapeutique des con- séquences bien extraordinaires. Paracelse raconte le cas d'un gentilhomme, qui, dans la guerre de Charles-Quint 1. Cette accusation a suffi pour faii-e brûler la pauvre Françoise. LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECI.XE. 47 contre le roi de France, reçut une balle dans la vessie. Comme la plaie ne guérissait pas, on lui demanda conseil; alors il prescrivit de cueillir les herbes sous leur constellation, c'est-à-dire durant le temps que le signe de la Vierge monte- rait à l'horizon. Ces herbes étaient bien compliquées: « racine de concombre, racine de symphyton et d'aristoloche, feuilles de prunelle, d'aigremoine et de bétoine, baies de juniperum, l'extrémité des plumes de la quene d'un paon, fleurs d'hype- ricon, le tout à faire macérer pendant vingt-quatre heures, distiller jusqu'à ce que la liqueur soit réduite au tiers, à boire à quatre heures du matin dans le lit ». Et, pour terminer, Paracelse recommande de toujours savoir sous quel signe marche le soleil et en quel degré il est le jour qu'on va cueiUir les herbes, bien que ceci, dit-il, appar- tienne plutôt aux apothicaires qu'aux médecins. Eh bien, vraiment, cette crédulité de nos ancêtres m'effraye un peu pour notre science contemporaine. Qui sait ce que nos petits-neveux penseront de nous? Paracelse, Ambroise Paré, Pierre Belon, Jean Bojdin, n'étaient pas plus bêtes que nous le sommes; et nous serions follement pré- somptueux, si nous pensions que leur intelligence et la nôtre ne sont pas faites d'une même étoffe. Si nous regardons avec dédain leurs inepties, c'est qu'on nous a appris que c'étaient des inepties. Mais pour les choses qu'on ne nous a pas apprises, ne sommes -nous pas aussi absurdes? J'ai grand'peur que, dans cent ans, notre science, dont nous sommes si fiers, ne paraisse bien démodée. C'est hier qu'on faisait, dans le cours d'une maladie, quarante ou cinquante saignées. Saignée le matin, sangsues dans la journée, saignée le soir. Le lendemain, saignée le matin, sangsues dans la journée, saignée le soir, et ainsi de suite pendant trois jours, et, si le malade venait à succomber, ce qui n'a rien de surprenant avec un pareil régime, on s'en prenait aux sai- gnées qui n'avaient pas été assez copieuses. C'est hier qu'on 48 CHARLES RICHET. passait sans transition de la salle d'autopsie à la salle d'opé- ration. On trempait légèrement ses mains dans Teau. On essuyait les instruments avec le tablier, et on s'étonnait de voir tous les opérés mourir successivement, sans qu'un seul pût en réchapper. L'ignorance d'un phénomène nous met un voile devant les yeux, jusqu'au moment où quelqu'un de plus avisé enlève le voile et nous révèle la vérité. Tenez, pour terminer, je vais vous donner un dernier exemple, emprunté à la physiologie expérimentale, de cette facilité dans l'illusion. Vous savez qu'il y a au cerveau, entre la paroi crânienne et la masse cérébrale, une membrane fibreuse résistante, la dure-mère. Or il se trouve que cette dure-mère est d'une sensibilité exquise : on ne peut pas la toucher sans que l'ani- mal pousse des cris de douleur. Elle est, je ne dirai pas aussi sensible, mais plus sensible qu'un tronc nerveux. Il n'y a pas, dans tout l'organisme, d'organe qui soit plus sensible. Pour qu'un chien supporte sans se plaindre une piqûre ou une déchirure de la dure-mère, il faut qu'il soit profondément chloralisé.Dès qu'il y a en lui la moindre trace de sensibilité, elle est réveillée aussitôt par l'attouchement de la dure-mère. Il semble que rien ne soit plus facile que de constater ce phénomène. Quoi de plus simple que de mettre la dure-mère à nu, de la pincer, et de constater (|ue le chien alors crie et se débat ? Cependant, il faut croire que cela n'est pas très facile ; car il s'est trouvé, il y a cent ans à peine, un très grand physiologiste, un des plus grands assurément, Haller, qui a reconnu que la dure-mère était insensible. Haller a étudié la sensibilité de la dure-mère à l'aide d'expériences nom- 1. Mémoire sur la nature sensible, etc., t. I", sect. m : Sur la dure-mère et son insensibilitif, p. loi ;'i liJT. Lausanne, chez Bousquet. 1761, in-1:*. LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 49 breuses, mais il était aveuglé par sa théorie de l'irritabilité qui lui faisait admettre que les parties fibreuses ne sont point irritables. « Nous mîmes la dure-mère à nu, nous irritâmes cette membrane avec le scalpel et le poison chimique : l'animal ne souffrit aucune douleur. ^i Sur un chien on a arrosé la dure-mère avec de l'huile de vitriol : l'animal a paru gai. « Expérience 60. — J'irritai la dure-mère avec la pointe d'un scalpel sans que l'animal parût en souffrir. « Expérience 61. — J'irritai la dure-mère avec le scalpel sans que l'animal donnât aucune marque de douleur. « Expérience 62, sur un chat. — La dure-mère décou- verte fut piquée, irritée, brûlée pendant longtemps, sans que l'animal se plaignît. » Haller rapporte une douzaine de cas analogues, et il ajoute : « J'ai fait beaucoup plus d'expériences que je n'en rapporte ici. Il y en avait cinquante de faites en 1750. Elles ont toutes réussi avec la même évidence et sans laisser de place à un doute raisonnable; je les crois suffisantes pour démontrer que la dure-mère est insensible. » Eh bien! non, cent fois, mille fois noni la dure-mère est d'une sensibilité extrême. C'est un fait éclatant, facile à voir, incontestable. Nulle partie du corps n'est aussi sensible. Alors comment Haller n'a-t-il pas vu ce phénomène si évident? Gomment expliquer cette colossale erreur en une question si facile? Messieurs, je ne saurais le dire. Sans doute il avait la vue troublée par sa théorie, il voulait trouver la dure-mère insensible, et il la trouvait insensible. Comme nous le faisons probablement aujourd'hui, il voyait, non ce qui est, mais ce qu'il voulait voir. N'est-il pas vrai, messieurs, que c'est inquiétant pour notre science^? Il y a autour de nous des 1. Plus r-ccemmcnt, M. Hermann [Arckives de Pflufjer, t. XLIII, p. 217) a rapporté ses expériences absolument négatives sur les effets physiologiques de Taimant. Cela est parfaitement légitime; mais ce qui me parait inadmissible, SO CHARLES RICHET. faits aussi évidents que la sensibilité de la dure-mère, et cependant, nous ne les voyons pas parce qu'on ne nous les a pas enseignés. Il y a là un cercle vicieux dont le savant doit chercher à se dégager. On ne voit que ce qu'on connaît. Mais combien plus intéressant d'apprendre avoir ce qu'on ne con- naît pas! C'est aussi beaucoup plus difficile, et bien peu d'hommes ont ce rare talent d'observateurs, de trouver ce qu'ils ne cherchent pas, ce qu'ils ne savent pas, ce qu'ils n'avaient pas d'abord imaginé. Au fond, rien n'est plus difficile qu'une impartiale et attentive observation. Pourtant, en apparence, quoi do plus simple? L'expérimentateur et l'observateur n'ont qu'à exa- miner scrupuleusement tous les phénomènes qui se pré- sentent. Et, pour bien regarder, ils doivent oublier tout ce qu'ils ont appris, et laisser dans l'ombre toutes les théories. Aussi, vous l'avouerai-je, suis-je absolument et sans restriction le partisan de la méthode de jMagendie. Magendu:: disait qu'il fallait expérimenter comme une bête. Expéri- menter, expérimenter toujours, sans chercher à comprendre, en faisant abstraction de ses opinions, en ne concluant même c'est l:i conclusion quil en tire. Suivant lui, les observations de niagné- tothérapic et de transfert que l'on a faites depuis Andry et Thouret sont inexactes. Il n"a d'ailleurs, partant de cette idée préconçue, pas de peine à établir que la preiive rigoureuse, formelle et inattaquable, de ces actions magné- tiques sur l'organisme n'a pas été donnée. Assurément la démonstration irré- prochable reste encore à faire; mais la méthode de M. Hermann est très défec- tueuse, et j'ai grand'peur que sa négation aille, en fort bonne compagnie d'ail- leurs, rejoindre celles de Prévost et Dumas, de .J. Muller et de Pasteur, dont j'ai parlé plus haut. On avait dit : l'aimant agit sur certains organismes ma- lades et délicats. Alors que fait M. Her.maxn? Comment contrôle-t-il ces asser- tions? Il prend un nerf de grenouille et un cœur de grenouille : il constate que l'aimant n'agit ni sur le nerf ni sur le cœur, et il en conclut qu'on s'est trompé. C'est absolument comme si, un savant ayant affirmé que l'aimant agit sur le fer, on venait essayer l'action de l'aimant sur le nickel, constater qu'il n'a pas d'effet et alors conclura que le savant eu question s'est trompé et que l'aimant n'agit pas sur le fer. D'ailleurs, il ne faut pas se satisfaire des démonstrations, trop vagues encore, qui ont été données sur l'action des aimants, et il faut se remettre à cette élude; mais je crois qu'il sera bon de suivre uue autre méthode que celle de M; HiCRMANN. LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE. 51 que par le fait. Dans cette admirable correspondance qu'on vient de publier, Darwin nous disait qu'il aimait à faire des expériences A! imbécile. J'ai donc l'autorité de Magendie et de Darwin pour me soutenir, si je fais une expérience absurde. Les idées théoriques, les savantes considérations ne m'inté- ressent pas. Un fait bien et complètement observé dans tous ses détails vaut toutes les théories du monde. Un étudiant de première année fera sur tel ou tel fait, qu'on lui a montré, les hypothèses les plus ingénieuses et les plus plausibles ; mais ce n'est pas là ce qui me touche. Toutes ces théories, ces spéculations, ces déductions ont été mille fois agitées ; ce qui est nouveau, c'est le fait même et la manière dont on le dé- montre. Débarrasser l'expérience de toutes les causes d'erreur, n'omettre aucun des détails qui se présentent, tel est le rôle du physiologiste. Ainsi, d'une part, une audace aventureuse et sans limite dans la conception des hypothèses; d'autre part, une rigueur illimitée dans l'expérimentation, et le souverain respect du fait, qui seul est vrai. Tels sont, pour ainsi dire, les deux pôles vers lesquels la science physiologique doit s'orienter. En tout cas, il faut une indépendance d'esprit absolue. En effet, quand il s'agit d'une œuvre scientifique, la person- nalité de l'auteur importe peu. Le plus grand savant, et le plus autorisé, est sur le même pied qu'un obscur étudiant. En fait de science, il n'y a ni principes, ni nationalité, ni école. Le président de la Royal Society de Londres ou le secrétaire perpétuel de V Académie des sciences de Paris n'ont pas qualité pour renverser une opinion, s'ils ne donnent pas de preuves à l'appui; leur conviction ne fait rien à l'affaire, et ils auraient tort d'invoquer leur autorité. Les commissions nommées par des académies et des sociétés savantes ne peuvent décider si un fait est vrai ou faux; l'histoire est là Ii2 CHARLES RICHET. pour montrer à quel degré d'erreur et d'illusion elles ont pu parvenir. Tout oser et tout regarder, sans parti pris, sans préjugé, sans théorie; ne pas accepter comme infaillible l'autorité du maître : voilà la science. L'esprit scientifique est essentiel- lement révolutionnaire. L'esprit médical, messieurs, est tout autre. II ne s'agit pas de chercher quelque vérité perdue dans l'obscurité des choses, de démêler dans l'amas des phénomènes tel ou tel phénomène spécial. Non. C'est un autre devoir qui s'impose. Il faut agir. Pour le médecin, la recherche de la vérité n'est plus que secondaire. Un général, sur un champ de bataille, n'a pas à s'occuper des vérités tactiques et stratégiques ; l'homme politique, dans une situation embarrassée, ne va pas consulter les traités abstraits du droit des gens et de l'é- conomie politique. Vraiment ils ont autre chose à faire. Ils ont, comme le médecin en présence de son malade, à prendre une détermination qui est un acte, non plus une opinion. Voici une femme qui accouche. Le médecin est appelé. Il doit faire ce que ses maîtres lui ont appris. Or il existe des règles précises qu'il n'a le droit ni d'ignorer ni de ne pas ap- pliquer. Il ne lui est pas permis de mettre en doute l'autorité de ses professeurs; car toute innovation aurait peut-être des conséquences graves. En fait de science, on doit être révolutionnaire; mais, en médecine, il faut être conservateur. Qu'il s'agisse d'un accou- chement, d'ime fracture ou d'une fièvre typhoïde, vous, mé- decins, vous n'avez qu'à suivre les préceptes qu'on vous aura donnés ici. Est-ce à dire que la médecine ne doive pas parfois inno- ver? Je ne le pense pas, car ce serait désespérer de son avenir. D'abord les physiologistes, en indiquant des expé- riences nouvelles, fourniront aux médecins matière à des tentatives nouvelles très légitimes; puis il y a des cas oi^i LA PHYSIOLOGIE ET LA MEDECINE. 53 les ressources connues sont impuissantes. Alors le médecin est autorisé à tout essayer; alors non seulement il peut, mais encore il doit tout essayer. Quand Pasteur a fait sur le petit Jose;ph Meister la première inoculation de virus rabique , il avait le droit d'oser celte redoutable expérience, car Meister était condamné, et la rage est une maladie qui ne pardonnait pas. On est autorisé à tout faire, à tout tenter en présence d'un infortuné que les traitements ordinaires ne peuvent guérir; par exemple, un tuberculeux arrivé à la dernière période de consomption, ou un typhique qui agonise, ou un cancéreux qui voit devant lui la mort prochaine. Alors tout est permis, et, pour ma part, je vous conseillerais une thérapeutique bien plus téméraire que celle qu'on pratique d'habitude quand on a affaire à ces malheureux. Mais le médecin a une autre mission que celle de guérir. Son premier devoir est évidemment le traitement du malade; son second devoir est de connaître la nature, la forme, la marche de telle ou telle maladie. Quand il a fait œuvre de médecin, il doit faire ensuite œuvre de savant, et alors il re- devient révolutionnaire comme le savant. Il doute des opi- nions classiques, il cherche les symptômes qui n'ont pas été vus avant lui, il analyse toutes les conditions étiologiques, même celles qui sont invraisemblables, il conteste les médi- cations qu'il emploie, les juge, les contrôle, les discute, de manière à pouvoir, dans telle ou telle occasion, profiter de ce qu'il vient de voir. Tout cela suppose une faculté d'obser- vation bien remarquable et une curiosité toujours en éveil : la curiosité du savant. Mais cette curiosité du médecin doit être limitée : elle ne doit jamais compromettre la vie ou la santé du malade. Au contraire, pour le savant, la curiosité et l'audace doivent être sans limites. Vous, messieurs, qui avez l'heureuse fortune d'être très 54 CHARLES RICHET. jeunes, vous avez le devoir d'être aussi très curieux. Dès votre initiation à la médecine, les problèmes les plus inté- ressants se sont posés en foule devant vous; et il faut que vous les trouviez intéressants, sous peine de ne rien com- prendre. Plus tard, quand vous serez médecins, vous aurez d'autres devoirs; il vous faudra le respect de la vie humaine. Votre mission, souvent payée d'ingratitude, est d'éviter à vos semblables la douleur et la maladie. Je vous dirai donc, quoique le mot soit quelque peu démodé : « Aimez l'humanité. Pour les misères, morales ou physiques, des hommes, soyez bons et pitoyables, et vous aurez réalisé l'idéal du vi'ai mé- decin, si, avec l'amour de l'humanité, vous avez l'amour de la science. » XXI LE RYTHME DE LA RESPIRATION^ Par M. Charles Richet J'ai l'intention de vous faire, sur la respiration, quelques leçons assez développées. Vous pourrez ainsi comparer une leçon classique, élémentaire, dans laquelle on se contente d'exposer les données certaines, les acquisitions définitives de la science, et une leçon non classique, où se donne le détail des expé- riences qui ont servi à établir les faits, où se montre comment il convient de combiner la méthode expérimentale et la mé- thode critique, c'est-à-dire bibliographique. Alors, en effet, ne se bornant pas aux résultats acquis, on insiste sur les difficultés du sujet et on indique les desiderata et les expé- riences à faire. J'ai choisi la respiration pour vous faire ces leçons détail- lées, parce que la fonction respiratoire est une des plus importantes qu'ait à étudier la physiologie. Par sa généralité, par sa constance, cette fonction peut être vraiment considérée 1. Ces leçons, comme le précédent article, sortent aussi quelque peu du cadre généralement adopte pour les travaux du laboratoire. Cependant on trou- vera dans ces leçons quelques idées nouvelles, de soi'te que ce travail peut être considéré comme un mémoireoriginal. 56 CHARLES RICHET. comme l'équivalent de la vie. Tout ce qui vit respire, et tout ce qui respire vit. La respiration, on lesaitdepuis Lavoisier, est une fonction physico-chimique. Elle consiste essentiellement en nne ab- sorption d'oxygène et une exhalation d'acide carboniqne; autrement dit, c'est une combustio)} . Cette combustion se fait dans l'intimité des tissus, par l'intermédiaire du sang, qui arrive dans le poumon chargé d'acide carbonique, et en revient chargé d'oxygène. Pour cette double fonction, le sang emploie d'ailleurs des éléments différents : les globules, pour véhiculer Foxygène, et le sérum, pour véhiculer l'acide carbonique. Dans l'un et l'autre cas, le mode de fixation est de nature chimico-physique. L'oxygène se fixe sur l'hémoglobine des globules; l'acide carbonique se combine avec la soude libre du sérum sanguin. Donc, tous les êtres vivants respirent; mais, chez les êtres inférieurs, unicellulaires, la respiration consiste seulement en une sorte d'imbibition par les gaz dans le milieu ambiant, imbibition plus ou moins analogue à l'absorption des gaz par un corps poreux inerte; au contraire, cette fonction, chez les êtres supérieurs, ne peut s'effectuer qu'à l'aide d'un mécanisme spécial, souvent très compliqué, dont le but est d'apporter l'air au contact du sang. Cette mécanique de la respiration se fait, naturellement, par des mouvements musculaires, en lesquels consistent l'inspiration et l'expiration. Le mécanisme respiratoire est très variable : il n'est pas le même, par exemple, chez les mammifères plongeurs que chez les autres mammifères, chez les poissons que les gre nouilles, etc. La complication et la variété de ces divers appa- reils sont considérables. Mais nous laisserons cet exposé pour n'étudier qu'un seul point de la mécanique respiratoire, à savoir le rythme. Les mouvements respiratoires, en effet, sont intermittents, RYTHME DE LA RESPIRATION. 57 comme tous Jes mouvements vitaux; mais l'intermittence est plus ou moins régulière, rythmée : c'est ce rythme que nous allons surtout considérer'. I La question du rythme respiratoire paraît être une des plus faciles de la physiologie; elle soulève cependant des difficultés nombreuses. Nous supposerons démontré que le rythme est réglé par le système nerveux; car tout se passe comme s'il existait quelque part, dans le bulÊe, un centre nerveux commandant les divers actes de la respiration, donnant l'impulsion aux muscles inspirateurs et expirateurs. Or cette influence du système nerveux est prodigieuse- ment variable. On peut même dire qu'elle n'est jamais iden- tique à elle-même. Elle se modifie, en effet, suivant la température extérieure ou intérieure, suivant la proportion des gaz contenus dans le sang, suivant le rythme cardiaque, suivant les influences réflexes innombrables ; de sorte que, si l'on veut prendre le rythme de la respiration à l'état normal, on se heurte tout de suite à cette première difficulté : la déter- mination de ce que l'on doit appeler l'état normal. L'individu normal est en effet multiple. A cinq heures du soir, notre température est supérieure d'un degré et demi à ce qu'elle était à cinq heures du matin; l'état d'une personne qui a marché ou qui a mangé est bien différent de celui d'une personne au repos ou à jeun. De même l'état de veille diffère profondément de l'état de sommeil. Toutes ces conditions, et d'autres encore, multiplient l'état dit normal. 1. Le mot rythme n'est pas tout à fait le mot propre, cai- il ne veut pas dii'e que les respirations sont rapides ou rares ; il faudrait pour cela dire fréquence des respirations ; mais rythme a été si souvent pris dans ce sens de fréquence qu'on peut l'employer sans inconvénient, et qu'on est compris par tout le monde. Ou dit d'ailleurs rythme lent, rythme rapide, c'est assez inexac ■ "tement dit; mais cela passe dans la langue courante. ■ 58 CHARLES RICHET. On peut cependant tourner la difficulté en considérant ce qu'on nomme un individu moyen.Leprocédé consiste à observer un grand nombre d'individus de conditions, de nationalités, de taille, de sexe, d'âges différents, et à prendre la moyenne de toutes les observations. Ainsi avait fait Quetelet, le célèbre économiste belge, qui, à l'aide de très nombreuses mensura- tions dont il avait pris la moyenne, avait déterminé Y homme moyen. Cet homme moyen est évidemment un être de raison, qui n'existe pas, mais qui n'en est pas moins scientifiquement vrai. Si l'état normal est assez difficile à délinir, il est également difficile à obtenir, car la volonté, l'émotion, la fatigue, l'at- tention ont une inlluence manifeste sur toutes les fonctions organiques, en général, et sur le rythme respiratoire, en par- ticulier. L'influence de l'attention est telle, par exemple, qu'il suffit, alors qu'on enregistre sa propre respiration, de regarder le graphique qui s'inscrit pour en modifier immé- diatement la forme, et ne plus pouvoir alors obtenir une respiration normale, régulière. Si l'on prévient une personne dont on se dispose à observer la respiration, on en altère immédiatement le rythme; et cette influence est telle qu'on est obligé d'avoir recours à des subterfuges pour éviter ces diverses perturbations, et pouvoir observer une respiration d'homme avec une forme et un rythme vraiment normaux. II En tenant compte de toutes ces difficultés, et en prenant la moyenne de chillres nombreux obtenus comme nous venons de le dire, on constate que le rythme respiratoire a des rela- tions manifestes avec un certain nombre de conditions indi- viduelles. Il y a d'abord l'influence de l'âge ; et celle-ci est très remar- quable. Plus l'individu est âgé, plus la respiration est lente. RYTHME DE LA RESPIRATION. 59 Ainsi, tandis qu'un nouveau-né respire 44 fois par minute, un enfant d'un an respire 32 fois, un enfant de cinq ans 26 fois, un adolescent de quinze ans 20 fois, et le nombre normal des respirations d'un adulte de vingt-cinq ans est de 16 par minute : Nombre des respirations Age. par minute. Nouveau-né , 44 2 ans . . . 28 3 — . . . 26 6 — . . . 2o 20 — . . . 18 25 — ... 16 Si l'on traçait une courbe, en répartissant les âges sur la ligne des abscisses, et le nombre croissant des respirations sur l'ordonnée élevée au point zéro de cette ligne, représentant le moment de la naissance, on obtiendrait, comme presque toujours lorsqu'il s'agit des phénomènes naturels, une courbe ayant la forme d'une parabole. III De ce rapport du nombre des mouvements respiratoires avec l'âge des individus il ne faudrait pas cependant conclure que le ralentissement de la respiration est dû à l'âge. En réalité, il est dû à l'augmentation de la taille de l'individu. Mais, comme il s'agit ici d'une loi importante : rapport de la respiration avec la surface de l'être vivant, nous devons entrer dans quelques développements. Si, au lieu de la courbe précédente, on en dressait une autre où les chiffres des âges seraient remplacés par les chiffres des tailles, on obtiendrait un graphique très ana- logue. C'est ce qu'a fait Quetelet : en comptant les respirations 60 CHARLES RICHET. chez 100 femmes de taille différente, il a obtenu les chiffres suivants : Taille Nom'ire moyenne. moyen Groupes — des respirations répartis suivant la taille. Centimètres. par minute. De 1 à 20 144,8 21,05 20 à 40 130,2 19.00 40 à 60 153,7 19,10 60 à 80 loG,6 18,70 80 à 100. . . •. . 160,9 18,35 Ainsi les femmes adultes soumises à l'observation respi- raient d'autant plus lentement qu'elles étaient de taille plus élevée. La même observation, faite sur soixante-dix enfants de même âge, mais de taille différente, a encore donné le même rapport. Groupes d'enfants Nombre répartis suivant la taille. Taille. des respirations Ue 1 à 20. . . . 13-2,3 22,75 10 à 30. . . . 128,6 22,75 20 à 40 . . . . 124,3 22,60 40 à 50. . . . 120,7.3 22,45 50 à 60. . . . 117,30 23,60 60 à 70. . . . 115,12 24,50 Ici encore, on le voit, le nombre des respirations est in- versement proportionnel à la taille. Mais ce rapport, quelque bien établi qu'il soit, est encore une donnée brute, insuffi- sante, et. pour en trouver la loi, il faudrait connaître le rap- - port exact de la taille avec la surface. On est ainsi amené à chercher une méthode pour déterminer la surface d'un être vivant, ce qui permettrait d'établir la relation qui relie entre eux ces trois éléments fondamentaux de notre constitution individuelle : la taille, le poids et la surface. RYTHME DE LA RESPIRATION. 61 IV Quand il s'agit d'animaux, dont les formes sont toujours très compliquées, la mesure directe de la surface est presque impossible , et il faut se contenter d'approximations indi- rectes, très imparfaites. Supposons que nous ayons des sphères différentes dont nous connaîtrions le volume, et dont nous voudrions avoir la surface : l'opération serait fort simple, et on aurait : s=^F . . . Mais les êtres organisés ne- sauraient être complètement assimilés à des sphères, et leur surface n'est pas exactement la racine cubique du carré de leur poids. 11 y a une variable, constante sans doute pour chaque espèce, qu'il faudrait déter- miner^ et cette étude n'a pas encore été faite. Aussi une mé- thode directe qui permettrait de mesurer la surface d'un animal autrement que par une formule mathématique, forcé- ment approximative, est-elle encore à trouver. Quelques auteurs admettent un chiffre, variant entre 10 et 12, auquel ils sont arrivés par tâtonnement, qui est le mul- tiple de la formule \/ P% pour exprimer le rapport du poids à la surface d'un animal. Ainsi un animal de 1 kilogramme aurait une surface de 110 centimètres carrés; un éléphant de 2000 kilogrammes aurait une surface de 17 mètres carrés, et un homme de 64 kilogrammes aurait une surface de l°-,92. Mais ce sont là des chiffres fictifs, approximatifs seulement dans des limites étendues. Cependant, quelque imparfaite que soit la méthode, dans l'ensemble elle suffit, et elle fournit des chiffres intéressants. Calculons alors le nombre de centimètres carrés de surface correspondant à un kilogramme d'animal d'une espèce don- 62 CHARLES RICHET. née. Nous établirons ainsi une sorte d'échelle, qui montre l'existence d'une véritable fonction mathématique : Poids. Pour — un kilogr. Animaux. Kilofc'r. Surface. quelle surface ' Éléphant. . 2 000 17040 8 Bœuf. . . , OoO 8910 11 Ane . . . 400 6 304 13 Homme. . 64 1920 24 Mouton. . 40 1410 28 Chien . . 24 996 33 — . . i6 810 37 — . . H 600 42 — H 480 48 — . . , 6 414 32 — 4 306 61 Lapin. . . 2 165 76 — . . 1,12 127 88 — . . 0,80 103 103 Cobaye. 0,40 100 130 On pourrait tracer un graphique avec ces chiffres, et on aurait une courbe parabolique. En somme, ces chitVres nous apprennent qu'il y a chez les diiférents animaux une sorte de constante physiologique, qu'on pourrait nommer le coefficient d activité physiologique y dont la signification me paraît être la suivante. Nous savons, depuis Newton, que le refroidissement d'une masse est fonc- tion de sa surface. Eh bien! les animaux n'échappent pas à cette loi physique, et ils se refroidissent aussi proportionnel- lement à leur surface, c'est-à-dire d'autant plus vite qu'ils ont une surface plus étendue relativement à leur poids. Or évi- demment les petits animaux se comportent au point de vue de la perte de chaleur comme les petites sphères, et c'est pour eux par l'unité de poids que le coefficient de refroidissement est le plus élevé. Mais, pour lutter contre un refroidissement rapide, il faut faire beaucoup de chaleur en peu de temps. Or nous savons que les combustions organiques ont pour condition indispen- RYTHME DE LA RESPIRATION. G3 sable le fonctionnement du mécanisme respiratoire, qui est chargé de fournir le comburant. Donc l'activité de ce méca- nisme respiratoire se mettra en rapport avec les exigences de la calorification ; autrement dit, il variera en proportion inverse de la taille des animaux. C'est ainsi que nous verrons Le cheval respirer 10 fois par minute. L'iiomme — 16 — Le chien — 22 — Le lapin — 50 — La souris — 150 — Les deux échelles de la respiration et de la surface sont presque parallèles, et nous pouvons en conséquence admet- tre que chez les animaux de taille différente le rythme res- piratoire — nous ne considérons ici évidemment que la fré- quence des respirations — est h'iQw. proportionnel à la surface. M. Rameaux ^ a établi, de son côté, une formule permet- tant de calculer le rapport qui existe entre le nombre des respirations et une des dimensions d'un animal. Soit n le nombre des respirations, v le volume des poumons et d la dimension des poumons. Si l'on admet que la quantité d'air introduite dans les poumons est proportionnelle à la déper- dition de chaleur, celle-ci étant d'autre part proportionnelle à la surface de l'animal, on a : et d'autre part d'oii l'on tire nv (P V d^ v'~cF' V d^n\ d^n' cF v' ~ d/^i ' d^i ~ cT^ 1. Rameaux, a Des Lois suivant lesquelles les dimensions, etc. >» [Mém. de l'Acad. royale de Belgique, t. XXIX, 1857; tirage à part, 64 pages.) 64 CHARLES RICHET. et finalement n' d n d' Ce qui veut dire que le nombre des respirations doit être inversement proportionnel à la taille. Cette loi n'est cependant pas absolue, et la question n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire d'après ce qui pré- cède. Pour établir les courbes dont nous venons de parler, il a fallu en effet laisser de côté un certain nombre de faits con- tradictoires ; mais, par cela même qu'ils sont contradictoires, ils sont fort intéressants. La première exception est présentée par les animaux her- bivores, qui ne rentrent pas dans les séries que nous avons établies. Ainsi le bœuf respire autant que l'homme et que les gros chiens. Les antilopes ont 2") respirations par minute; les cerfs, les lamas, 20 respirations par minute ; les buffles, 18 respirations par minute : tous les ruminants, en un mot, respirent beaucoup plus souvent qu'ils ne devraient le faire d'après la seule considération de leur taille. Si l'on observe, à ce point de vue, le chat et le lapin, deux animaux de poids assez comparables, on trouve encore la même différence : le chat respire 20 fois par minute, et le lapin oO fois. Il est donc manifeste que les herbivores respirent plus activement que les carnassiers. Il y a certainement dans leur organisation un élément qui modifie la loi des rapports de la .surface et de la respiration, et qui nous est inconnu. Mais il y a encore d'autres écarts. Les mammifères plon- geurs respirent avec une extrême lenteur : les chasseurs de baleine savent que cet animal peut rester une demi-heure sous l'eau : de même les hippopotames peuvent rester long- RYTHME DE LA RESPIRATION. 65 temps sans respirer, alors qu'à l'état normal ils respirent aussi fréquemment que le bœuf. Gratiolet en cite un qui plongeait pendant quinze minutes. Cet auteur cherche, d'ailleurs, à expliquer ce fait par l'existence d'un sphincter de la veine cave à l'entrée du cœur; mais cette particularité anatomique n'explique pas très bien le fait physiologique dont nous par- lons ici. De même, M. Retteher attribue à la grande masse relative de son sang l'aptitude de la baleine à rester longtemps sans avoir besoin de renouveler sa provision d'oxygène : l'hy- pothèse est vraisemblable; mais, en attendant que des obser- vations directes aient été faites et que des mensurations com- paratives aient été produites — opérations qui ne seront assu- rément pas faciles — nous avouerons notre ignorance sur le mécanisme de cette aptitude curieuse des animaux plon- geurs. Puis, il y a les oiseaux chez lesquels nous ne trouvons des chiffres absolus différents quoique il existe toujours un étroit rapport entre le poids de l'animal et la fréquence de sa respi- ration. Chez les oiseaux, la respiration est beaucoup plus lente, relativement aux mammifères, que ne l'indique le poids. Ainsi le condor respire moins que l'éléphant : le pigeon respire quatre fois moins que le cobaye. Voici, d'ailleurs, quelques chiffres à cet égard : Poids. Nombre — de respirations Espèces. Kilogr. par minute. Casoar. . . . 30 2 Pélican. . . . 8 4 Condor. . . . 8 6 Coq ... . 2 12 Canard. . . 1 \8 Pigeon. . . . 0, 300 30 Moineau . . . 0,020 100 La respiration des oiseaux, on le sait, est adaptée aux con- ditions du vol, et se fait dans des conditions toutes spéciales. La lenteur du rythme serait-elle due au volume relativement 66 CHARLES RICHET. plus considérable des poumons, ou à l'existence des sacs aériens, qui permettent peut-être un grand apport d'air à chaque inspiration? VI Si des animaux ayant besoin de faire de la chaleur nous passons aux animaux à sang- froid, il semblerait que nous ne dussions pas retrouver chez eux un rapport entre la surface et la respiration. Cependant ce rapport existe : c'est là un fait bien remarquable, que, dans ses belles Leçons sur la respira- tion, Paul Bert a signalé. Les petits poissons ont une respi- ration plus fréquente que les gros. Des carpes de poids différents ont donné les chiffres suivants, qui indiquent le nombre de leurs respirations par minute : Poids, grammes. Respirations. 120 8 37 35 1,3. ... 92 Par minute, un congre de i mètre respirait 10 fois, et un congre de 0"\oO, 25 fois. Mais, ici, cette influence de la taille ne peut se ramener à une influence de surface ; elle n'est donc pas due à une cause calorimétrique, puisqu'il s'agit d'animaux à sang froid. Il s'agit probablement d'une autre influence, celle du volume des poumons ou de tout autre cause encore, qui mériterait, certes, d'être étudiée avec soin. VII 11 existe un rajjport presque constant entre le rythme car- diaque et le rythme respiratoire. En effet, si l'on met en regard, pour des animaux d'espè- RYTHME DE LA RESPIRATION. 67 «es différentes, le nombre des battements cardiaques et celui des respirations dans une minute, on obtient les chiffres sui vants, qui permettent d'établir une relation simple entre les deux chiffres correspondants : Nombre Nombre des des systoles 3spirations. cardiaques. Rapport. 16 70 4.4 24 100 4,2 8 28 3,0 50 140 2,8 150 2.o0 4,7 36 220 6,0 Espèces. Homme. . Chien. . . Éléphant. Lapin. . . Souris . . Pigeon. . En faisant ce rapport, on voit que, en moyenne, il y a environ quatre systoles pour une respiration. Toutefois, chez les animaux dont la respiration est très fréquente, on ne re- trouve plus le même rapport, et l'on constate que le rythme circulatoire a crû proportionnellement moins vite que le rythme respiratoire. VIII Nous allons maintenant voir de quelles modifications physiologiques est susceptible le rythme respiratoire chez l'homme, qu'il s'agisse de respiration ralentie ou hypojmée, de respiration accélérée ou polypnée, de respiration sup- primée ou apnée, de respiration laborieuse, difficile ou dyspnée. Évidemment, c'est le besoin d'oxygène qui détermine le rythme respiratoire, et M. Bordoni, qui pratiqua la circulation d'air continue dans le système respiratoire d'un oiseau, le fai- sant entrer par la trachée pourvue d'une canule et sortir par une fistule pratiquée à un sac aérien ou à un humérus creux perforé, a vu l'apnée complète s'établir chez l'animal. Le besoin de respirer avait donc été complètement supprimé par 68 CHARLES RICHET. celle circulation artificielle d'air, par ce lavage oxygéné des organes respiratoires. Cependant cette opinion, également soutenue par M. Ro- SEN'HAL, qui a pu produire Fapnée chez les lapins en saturant le sang d'oxygène, a contre elle un certain nombre d'expériences qui ne permettent guère qu'on l'admette sans réserve. D'abord, si l'on coupe les pneumogastriques d'un lapin, c'est-à-dire si l'on supprime les nerfs centripètes de la respi- ration, il devient impossible de produire l'apnée chez l'animal ainsi opéré. L'apnée paraît donc être un phénomène de sen- sibilité pulmonaire, plutôt qu'un phénomène lié à la qualité chimique du sang. Seconde preuve : si l'on fait respirer de l'oxygène pur à un animal, on ne voit pas la respiration se modifier, bien que le sang soit saturé de ce gaz. Troisième preuve : si l'on insuffle dans le poumon un air pauvre en oxygène, mélangé par moitié d'hydrogène, par exemple, ou obtient l'apnée tout aussi facilement que si l'ani- mal respirait de l'air pur. Enfin, comme M. Hering et M. Ewald l'ont montré, le sang d'un animal en état d'apnée ne contient pas plus d'oxy- gène que le sang d'un animal normal \ Toutes ces expériences nous prouvent que le poumon est doué d'une sensibilité spéciale à la distension mécanique, et que l'apnée qui en résulte est un phénomène nerveux, d'ordre dynamique, un réflexe consécutif à une excitation mécanico- physique de la périphérie, plutôt qu'à une excitation chimique du système nerveux central. Mais pouvons-nous diminuer le nombre de nos respira- tions sans modifier nos conditions physiologiques essen- tielles? M. A. Mosso a montré que la respiration, ainsi d'ailleurs que la plupart des fonctions chez l'homme et chez quelques i. Archives de l'fliiger, t. VII, p. 575. RYTHME DE LA RESPIRATION. 69 autres animaux, est une respiration en partie de luxe. Quoi- que on ait souvent critiqué cette expression, je dois dire qu'elle me paraît excellente: elle signifie que nous respirons, comme nous nous alimentons, d'une façon plus intense que nous n'en avons le strict besoin pour entretenir notre vie. En respirant moins, en mangeant moins, en faisant moins de chaleur, on vit; on vit moins bien, mais on vit : ce surcroît de dépense vitale est évidemment une sorte de luxe. Mais ce luxe n'est pas tout à fait inutile, et je serais tenté de croire, qu'en fait d'oxygène, comme en fait de carbone, ou d'hydrogène, ou d'azote, pour en avoir assez, il faut en avoir Irop. Voici comment on peut démontrer qu'il y a une respira- tion de luxe. Sur les montagnes, on le sait, la tension de l'oxygène diminue tellement qu'il nous faudrait, à une cer- taine altitude, doubler le nombre de nos respirations pour absorber la même quantité d'oxygène qu'à la pression nor- male. Or nous ne respirons guère plus vite sur les montagnes que dans la plaine; ce qui prouve bien que notre respiration était plus active qu'il n'était nécessaire pour vivre. Inversement, si l'on respire de l'oxygène, bien que chaque inspiration apporte au sang 5 fois plus de ce gaz que dans les conditions normales et que par suite le besoin de respirer dût diminuer d'autant, cependant le rythme respiratoire n'est pas modifié : il continue avec sa fréquence précédente, devenue tout à fait inutile, au point de vue chimique tout au moins. D'autre part, on peut, par un effort de volonté qui n'a rien de pénible, réduire pendant longtemps le nombre de ses res- pirations à quatre par minute; et c'est seulement en les rédui sant à trois qu'on éprouve une certaine gêne. Il est éviden qu'on n'a fait ainsi que supprimer tout ce qui était du luxe, et que, par ces respirations profondes, qui durent longtemps, on fait un usage plus complet de l'oxygène introduit dans le pou- mon. En réalité on peut admettre que la respiration de l'homme 70 CHARLES RICHET. est au moins deux fois plus fréquente qu'il n'est strictement nécessaire. D'ailleurs, ce qui prouve bien que la ventilation est quel- que peu surabondante, c'est que, dans l'hypopnée ou respira- tion ralentie, nous utilisons bien mieux l'oxygène qui pénè- tre dans le poumon. Tandis que, dans la respiration normale, de luxe, nous absorbons o pour 100 d'O en rendant 4 pour 100 de CO ^, dans l,a respiration ralentie, nous absorbons 7 pour 100 d'O, et nous rendons 6 pour 100 de CO -, Il faut en outre apporter quelque correctif à cette expres- sion de respiration do luxe ; car peut-être n'y a-t-il pas sur- abondance pour tous nos tissus, et notre cerveau demande- t-il à être irrigué par un sang très richement oxygéné. Au moins est-ce une conclusion à laquelle semblent nous con- duire quelques expériences que nous avons récemment faites, M. Langlois et moi. En détruisant, chez des chiens, une grande partie du cerveau, nous avons vu la respiration dimi- nuer de fréquence, et se réduire au strict nécessaire, comme si nous avions supprimé du même coup quelque tissu délicat, très avide d'oxygène, dont les exigences pouvaient expliquer le luxe apparent dont nous venons de parler '. Evidemment, le cerveau n'a pas toujours besoin d'une irrigation aussi richement oxygénée, mais le rythme de luxe se maintient par habitude. Une belle expérience de M. Marey a, en effet, bien mis en évidence cette influence de l'habitude sur le rythme respiratoire. En observant des soldats soumis à l'entraînement du pas gymnastique accéléré, notre savant maître a constaté qu'au bout de six mois le rythme respiratoire de ces jeunes hommes était profondément modifié. Leur respiration avait augmenté 1. On sait que les fakirs indiens arrivent à se mettre dans un certain état d'extase en pratiquant le prmiuijumu, qui n'est autre cliose qu'une retenue mé- thodique de la respii-ation. L'activité psychique se ralentit alors, et l'individu tombe dans un état voisin de la catalepsie. (Voir à ce sujet les obsei-vations de M. Max Mcllkr, dans la Revue scientifique du 24 mai 1891, p. 668.) RYTHME DE LA RESPIRATION. 71 d'amplitude, et conservait cette amplitude même au repos, alors cependant que son besoin, pour lutter contre l'anhéla- tion, ne se faisait pas sentir. De plus, après une longue course, l'anhélation, l'essouf- flement se produisaient chez ces hommes entraînés bien plus tardivement et plus difficilement que chez ces mêmes indivi- dus avant l'entraînement. IX Dans quelques maladies, le rythme de la respiration s'al- tère, et Cheyne-Stokes a décrit dans certaines affections mor- bides, dans l'urémie en particulier, un type de respiration, auquel son nom. est resté attaché, et qui est caractérisé par des groupes de respirations normales que séparent des périodes d'apnée plus ou moins longues. Or, chez les individus en santé, pendant le sommeil nor- mal, M. A. Mosso a également constaté pour la respiration normale un rythme analogue à celui de Gheyne-Stokes : il n'y a pas de périodes d'apnée, mais, de temps à autre, suivant une périodicité régulière, on observe une respiration plus ample que les autres, comme une sorte de soupir. La respiration périodique s'observe aussi chez les animaux, et je l'ai constatée chez des pigeons et chez des tortues. A ce propos je vous signale une observation intéressante que vous pourrez sans peine tenter sur vous-mêmes. Faites une série d'inspirations fréquentes et courtes : vous éprouve- rez le besoin de les interrompre de temps en temps par une inspiration plus profonde. Comme on sait que les courtes inspirations renouvellent parfaitement l'air des poumons, la grande inspiration pério- dique n'est certainement pas due à un besoin d'oxygène. MM. Fredericq et Hering ont émis cette hypothèse que le phé- nomène était sous la dépendance de la circulation, qu'il faci- 72 CHAULES RICHET. litait, et que, s'il se produisait, c'était pour exercer une sorte de régulation de la pression artérielle. En effet, en observant de très près les variations de la pression artérielle, on trouve le plus souvent une lente oscil- lation rythmique parallèle à l'oscillation lente rythmique de la respiration périodique. Ce n'est pas un phénomène pure- ment mécanique, et lié à une augmentation de pression due à une inspiration exagérée ; mais c'est un phénomène dyna- mique, nerveux, produit peut-être par les contractions pério- diques des petits vaisseaux dont on a dit qu'ils constituaient, précisément à cause de cela, un cu'ur périphérique. Ce rythme vasculaire est plus compliqué, plus lent que le rythme résultant de l'influence des inspirations, et il se retrouve en divers points du système circulatoire. M. J. Fano, dans une très belle série de recherches, l'a surpris dans la contraction des oreillettes, en mesurant l'état électro-moteur du muscle auriculaire; et on le constate facilement sur les vaisseaux de l'oreille du lapin, qui sont animés de mouvements propres très lents, au nombre de quatre à cinq par minute. Il y a assurément dans les oscillations du rythme respira- toire autre chose que le résultat d'un besoin d'oxygène ou d'une surcharge d'acide carbonique, peut-être quelque phé- nomène périodique lent dans la nutrition cellulaire, de nature encore bien vague, mais dont la réalité n'est pas douteuse. Une expérience de M. DAsxREa montré que certains mou- vements rythmiques généraux du corps ontaussi une influence sur le rythme respiratoire. Si l'on place un chien sur une planche qui bascule, imitant ainsi le tangage d'un bateau, on observe une dissociation de la respiration thoracique et de la respiration abdominale, le rythme de cette dernière devenant isochrone avec celui de la bascule, et le rythme thoracique conservant au contraire son train normal. Il est possible, comme le suppose M. Dasthe, que ce dédoublement ne soit pas sans rapport avec le mal de mer. On retrouve encore cette dissociation des deux rythmes RYTHME DE LA RESPIRATION. 73 thoracique et abdominal chez les chiens chloralisés; la respi- ration périodique s'observetrès nettement sur les contractions respiratoires du diaphragme. Mais, de toutes les conditions qui influent sur le rythme respiratoire, une des plus efficaces est assurément le travail musculaire. Sur ce point, il y a quantité d'expériences très précises, et on peut dire que le fait est d'observation univer- selle et journalière. Quand on a couru rapidement, soulevé un poids lourd, monté un escalier, on est essoufflé, c'est-à-dire que le rythme respiratoire est devenu plus rapide. Sur l'homme et les ani- maux, le phénomène est le même. Voyez ces pigeons que je fais voler devant vous, en leur imposant une minime sur- charge de 30 grammes. Ils ont peine à s'élever du sol, ne peuvent continuer, etl'effort musculaire qu'ils ont alors donné est en rapport avec l'accélération de leur rythme, devenu trois ou quatre, ou cinq fois plus fréquent que le rythme normal. — En passant, je tiens à vous faire remarquer que l'effort dépensé par l'oiseau qui s'élève du sol est un effort toujours considérable, ne pouvant être longtemps soutenu. Au début de leur course, quand il s'agit démonter et d'acquérir de la vitesse, toujours les oiseaux sont très essoufflés. L'explication de cette modification du rythme est très sim- ple. Le travail musculaire a consommé de l'oxygène, produit de l'acide carbonique; et cette absence d'O, cet excès de CO^ entraînent une excitation, une stimulation du bulbe qui réagit par une plus grande fréquence dans son rythme excitateur des mouvements. Mais cette polypnée n'est pas une polypnée véritable; elle esta forme dyspnéique, et constitue presque un commence- ment d'asphyxie. 74 CHARLES RICHET. Il est remarquable de voir à quel point le rythme respira- toire et le travail musculaire sont parallèles. En faisant tour- ner une roue par un individu dont nous mesurions la respi- ration, M. Hanrtot et moi, nous avons vu que la ventilation pulmonaire était exactement proportionnée an nombre des tours de roue. Chaque effort musculaire déverse dans le sang un peu plus de CO- qui excite le bulbe, lequel répond par uue respiration plus fréquente, nécessaire pour l'élimination de cet excès de GO" Voici, pour montrer l'influence énorme des contractions musculaires sur le rythme, une expérience que je vous con- seille de faire sur vous-mêmes. Mettez-vous en état d'apnée^ c'est-à-dire faites pendant trois minutes par exemple une série de grandes et de petites inspirations très rapides, de manière à ne plus éprouver le besoin de respirer. Dans ce cas, vous pourrez rester jusqu'à deux minutes sans suffoquer, en gardant la bouche et les narines fermées. Mais il faudra, pendant cette apnée, rester tout à fait immobile; car, si vous répétez la même expérience, en faisant pendant l'apnée quel- ques mouvements, même faibles, vous éprouverez déjà au bout d'une demi-minute des symptômes de sufTocation. En un mot, le rythme respiratoire est dans un constant rapport avec la composition chimique du sang, c'est-à-dire sa teneur en 0 et en COo. XI Le rythme respiratoire est aussi sous l'influence des exci- tations mécaniques ou chimiques des téguments. Si l'on pince tant soit peu le nez d'un lapin ou le bec d'un canard, on voit la respiration de l'animal s'arrêter pendant quelques instants, et reprendre avec une certaine lenteur. De même, en touchant légèrement le nez d'un lapin avec une goutte de chloroforme, substance très caustique, on voit un RYTHME DE LA RESPIRATION. 75 arrêt immédiat de la respiration, qui est suspendue brusque- ment. C'est là une expérience classique, dont on trouvera de très bons graphiques dans un mémoire de Fr. Franck^ Je vous la signale comme étant un des meilleurs exemples de l'inhibi- tion respiratoire. On peut la rapprocher de l'arrêt brusque de la respiration par une douche d'eau froide, ou par la péné- ti'ation d'un corps étranger dans les voies aériennes. XII Le rythme respiratoire est presque toujours profondément modifié par les poisons. Sous l'influence du chloral, le rythme s'accélère. Cepen- dant la ventilation diminue (nous appelons ventilation la quantité d'air qui circule dans les poumons). Eh bien ! chez les animaux chloralisés, on voit énormément diminuer l'am- plitude des respirations : la respiration devient trois fois plus fréquente; les inspirations deviennent environ six fois plus petites. La ventilation a donc diminué de moitié, pendant que la fréquence du rythme a triplé. Je pourrais vous donner à cet égard de bien nombreux graphiques, et vous montrer en outre que, si, à dose moyenne, le chloral augmente la fré- quence, à dose extrêmement forte, il la diminue et diminue aussi l'amplitude. L'action de la morphine forme un étrange contraste avec celle du chloral, au point de vue du rythme respiratoire. Chez un animal morphinisé, la respiration est très ralentie, et les inspirations, devenues plus rares, se font plus amples. C'est d'ailleurs là un phénomène qui concorde avec l'hypo- 1. Trav. du Lab. de M. Marey, t. Il, p. 187. 76 CHARLES RICHET. thèse que nous avons émise à propos de la respiration de luxe ; car, si celle-ci est due à l'action des éléments nerveux du cer- veau, la morphine diminuant précisément l'activité psychique, on comprend que la respiration, n'ayant plus à pourvoir aux exigences psychiques, se fasse alors plus lentement et avec un luxe moindre. XIII Après l'action des poisons, l'inlluence de la température sur le rythme respiratoire est assurément un des phénomènes les mieux caractérisés et les plus intéressants à étudier. Cette influence doit être étudiée séparément chez les ani- maux à sang- chaud et chez les animaux à sang froid. Ces der- niers, d'ailleurs, diffèrent en réalité beaucoup moins des pre- miers, par la différence même de leur température, que par la variabilité de cette température. Si l'on échauffe graduellement un animal à sang froid, une tortue, par exemple, on voit le rythme cardiaque et le rythme respiratoire s'accélérer parallèlement, et leur fréquence est évidemment fonction de la température. Le phénomène est net et simple. Mais, chez les animaux à sang chaud, tout devient plus compliqué. D'abord, on ne peut élever la température que dans des limites assez étroites; et ensuite, dès qu'on veut changer la température, aussitôt des appareils régulateurs entrent en jeu, dont l'action, au moins au début, peut lutter efficacement contre les variations de la température exté- rieure. Le fonctionnement de ces mécanismes de régulation, destinés à préserver les animaux contre réchauffement ou le refroidissement, est bien curieux à étudier. Le rythme de la respiration est précisément un de ces mécanismes, et nous y reviendrons; mais, dès maintenant, il nous faut distinguer deux cas : I RYTHME DE LA RESPIRATION. 77 1° Celui où l'animal, soumis à un échaufFement ou à un refroidissement, peut régler et maintenir sa température à peu près constante : c'est la première période, celle de la régu- lation efficace ; 2° Le cas où l'animal, dont le mécanisme régulateur est fatigué ou devenu insuffisant, subit réchauffement ou le refroidissement : c'est la période de la régulation impuissante. Dans ce cas, la puissance d'adaptation est vaincue, et l'ani- mal à sang chaud se comporte comme un animal à sang froid. Son rythme respiratoire s'accélère à mesure que monte la température, et inversement. J'ai dit tout à l'heure que le travail musculaire accélère le rythme respiratoire. Or il est possible de dissocier l'accéléra- tion due à la fatigue même, c'est-à-dire à la surcharge de C0% et l'accélération due à l'augmentation de température qu'en- traînent les mouvements musculaires exagérés. Si, en effet; nous fatiguons un pigeon en le faisant voler avec une sur charge, nous constatons, dès la fin de l'exercice, une certaine polypnée; mais cette polypnée est bien inférieure à la véri- table polypnée thermique qui survient chez lui après quelques secondes de repos. Lorsqu'il aura retrouvé assez d'oxygène et quand il n'y aura plus dans son sang excès de CO', alors la polypnée sera plus forte qu'immédiatement après le travail; mais ce sera une polypnée thermique, non une dyspnée asphyxique. Indépendamment de tout exercice et de toute fatigue, nous pouvons d'ailleurs produire l'accélération du rythme respira- toire en plaçant dans une étuve des animaux, soit à sang froid, soit à sang chaud. Si l'on échauffe ainsi un canard, par exemple, dont le rythme respiratoire est de 20 à 24 par minute, on peut arriver à faire respirer cet oiseau aussi vite qu'un lapin, dont le rythme normal est de oO. De môme, en échauffant une tortue, tandis qu'on refroidit un lapin, on peut atteindre une limite à laquelle on voit la tortue respirer aussi vite que le lapin. CHARLES RICHET. XIV A vrai dire, cette accélération régulièrement croissante du rythme, à mesure que la température s'élève, n'est pas la véritable polypnée thermique. Il en est une autre forme très intéressante, qui constitue une fonction tout a fait spéciale, que je dois vous exposer ici. Tout le monde sait comment se comportent les chiens qui ont chaud : ils sont extrêmement essoufflés, respirant 150, 200 ou même 300 fois par minute, bruyamment, tirant la lan- gue et laissant écouler de la salive. L'opinion vulgaire (que d'ailleurs les physiologistes n'avaient ni adoptée ni combattue, je ne sais trop pourquoi) c'est que les chiens se refroidissent en laissant ainsi écouler leur salive, de même que nous nous refroidissons par l'écou- lement de la sueur. On savait donc que les chiens échauffés respirent très fréquemment, mais on n'avait jamais cherché à établir de rapport entre le refroidissement nécessaire et la polypnée thermique. Tel était à peu près l'état de la question quand j'en ai en- trepris l'élude, et voici ce que j'ai pu démontrer : Si l'on fait le compte des gains et des pertes de l'orga- nisme dans une respiration, on voit que l'organisme gagne, par rapport au volume de l'air inspiré, 5 pour 100 d'O et qu'il perd 4 pour 100 de CO'. Plus exactement, le rapport entre les volumes d'oxygène absorbé et de GO^ excrété est de 100 à 80 : ce qui fait, en poids, un gain d'environ 140 grammes d'O contre une perte de 144 grammes de CO". Dans l'ensemble, on peut donc considérer que l'animal, du fait de la respiration seule, gagne autant qu'il perd. Par suite, un animal placé sur une balance, n'urinantpas, ne rendant pas de matières fécales, ne transpirant pas (c'est le cas des chiens, des lapins, des RYTHME DE LA RESPIRATION. 79 oiseaux et de tous les animaux recouverts de plumes ou de poils), ne devrait pas changer de poids. Or ce n'est pas ce qui se passe : en réalité, l'animal ainsi placé sur la balance accuse une perte de poids progressive. Cette perte de poids, qui n'est pas due, nous le savons, à l'acide carbonique exhalé, dont le poids est compensé par l'ox}'- gène absorbé, ne peut être due qu'à l'exhalation d'une cer- taine quantité de vapeur d'eau. A chaque expiration, en effet, l'animal rend de l'air saturé de vapeur d'eau à SS". Plus il res- pire, plus il perd de l'eau, plus son poids baisse. Chez l'homme, la perte de poids, de ce fait, est d'environ 2 centi- grammes par expiration. Il va de soi que cette quantité d'eau perdue est proportion- nelle à la ventilation pulmonaire. Si le rythme de la respira- tion est lent, la perte est faible ; mais elle s'accroît à mesure que le rythme est plus précipité. La proportion est rigoureuse entre les deux éléments. D'autre part, cette perte d'eau est un phénomène physique, d'où résulte un abaissement de température considérable, puisque 1 gramme d'eau, pour passer de l'état liquide à l'état gazeux, exige l'absorption de 575 microcalories; donc, plus l'animal perd de l'eau par la voie pulmonaire, plus il se refroidit. Plusieurs physiologistes, Claude Bernard, Heidenhain, et d'autres encore, ont d'ailleurs directement constaté que le sang qui revient des poumons (sang des veines pulmonaires) est moins chaud que le sang qui y arrive (sang des artères pulmonaires). D'oii cette conclusion que la polypnée thermique est une fonction de refroidissement. Les animaux qui ne se refroidissent pas par la peau se refroidissent donc par les poumons ; mais, dans un cas comme dans l'autre, c'est toujours Févaporation de l'eau qui produit la réfrigération. Ainsi l'appareil respiratoire est a deux fins, et sa double 80 CHARLES RICHET. fonction sert à la fois à l'hématose et à la régulation ther-. mique. Quand l'animal fait unmouvement, chaque contractionmus- culaire détermine une absorption d'oxygène, une production d'acide carbonique et une élévation de température. Or. par un mécanisme étonnamment ingénieux, c'est le même appa- reil qui fournit à ces divers besoins, qui répare cette triple modification de l'état normal : il apporte de l'oxygène, il évacue de l'acide carbonique et il abaisse la température ! XV Je vais maintenant vous rapporter diverses expériences concernant cette importante fonction. Elles ont été faites sur le chien, mais lapolypnée thermique existe chez d'autres ani- maux, et je l'ai encore constatée chez le lapin, chez le pigeon, chez la poule. Il s'agit d'abord de déterminer les conditions qui président à la mise en jeu de cette fonction. Si l'on prend un chien normal et que, par une tempéra- ture élevée, et sans le museler, on l'expose au soleil, en ayant soin seulement de l'attacher, on voit que sa température, suivie heure par heure, reste constante et a même quelque ten- dance à baisser. Cette tendance à la baisse est, disons-le en passant, d'une analogie frappante avec la légère élévation de température qu'on observe chez les chiens plongés dans un bain réfrigé- rant. Mettez un chien au soleil, il se refroidira un peu; met- tez un chien dans l'eau froide, il s'échauiïera un peu. Les deux phénomènes prouvent l'existence d'un mécanisme de régulation qui, pour bien fonctionner, doit fonctionner d'une manière un peu généreuse. Mais le chien exposé au soleil, dont la température est restée normale, respire environ 300 fois par minute. Si l'on vient à lui fermer la gueule, sa respiration, pour RYTHMEI DE LA RESPIRATION. 81 des causes toutes mécaniques, que je vous expliquerai tout à l'heure, se ralentit, revient au rythme normal, et sa tempé- rature s'élève aussitôt, pour atteindre 42° ou 43". Le démusel- le-t-on, la respiration remonte au rythme de 300 par minute, et la température retombe à la normale. Plaçons au chaud, maintenant, un animal non muselé, mais dont l'activité nerveuse est annihilée, soit par le curare, soit par le chloral ou le chloroforme. Son rythme respiratoire reste le même (s'il s'agit d'un animal curarisé, on est obligé de faire la respiration artificielle), et sa température s'élève rapidement. Donc nul doute dans la conclusion qu'il faut tirer de ces expériences. Pas de polypnée, pas de refroidissement. Le rapport qui existe entre cette fonction et l'état chimi- que du sang de l'animal est d'ailleurs fort curieux à étudier. Si Ton fait respirer un chien polypnéique dans un milieu riche en acide carbonique — ce qu'on réalise très simplement en le faisant respirer par un long tube en caoutchouc, dans des conditions qui sont presque les mêmes que celles d'un vase clos — on voit que peu à peu sa respiration se ralentit et prend le type dyspnéique proprement dit, c'est-à-dire à inspi- rations lentes et profondes. Pour la même raison, quand un animal en état de polyp- née se débat et fait des efforts musculaires, on voit la polypnée disparaître et ne reprendre que lorsque l'animal a évacué l'excès de CO^ résultant de ses contractions musculaires exa- gérées. Ce type dyspnéique est caractéristique du besoin de l'hé- matose : d'où cette conclusion que, tant qu'il existe un véri- table besoin de respirer, la polypnée ne va pas se produire. D'où encore ce paradoxe apparent, que l'animal ne peut res- pirer très vite que lorsqu'il n'a pas besoin de respirer. Ce que nous exprimerons en disant que le besoin chimique de respi- rer [hématose) prime le besoin physique de respirer (refroi- dissement du sang). 6 82 CHARLES RICHET. XVI La seule cause de la polypnée est donc bien, non le besoin d'introduire de l'oxygène dans le sang, mais la nécessité de produire le refroidissement du sang. Voici pour le but de la fonction, but qui parait unique. Quant à ses excitants immédiats, aux causes directes de sa mise en jeu, on peut dire qu'ils sont de deux ordres, d'ori- gine réflexe et d'origine centrale. La polypnée thermique d'origine réflexe est obtenue en plaçant un animal dans une étuve, à la température de 45°, par exemple. A peine y est-il entré, que la polypnée s'établit. Dans les mêmes conditions, chez l'homme, on voit immédia- tement — comme j'ai pu le constater sur moi-même, en en- trant dans Tétuve avec un chien — on voit, dis-je, les gouttes de sueur perler sur le front, sur la main, sur toutes les régions de la peau. Le phénomène est absolument de même nature chez l'homme et chez le chien: c'est la vaporisation d'une cer- taine quantité d'eau. Voilà, en effet, le seul et unique procédé dont la nature dispose pour refroidir les êtres vivants ; mais chez l'homme, c'est la vaporisation de la sueur; chez le chien, c'est la vaporisation du sang pulmonaire. On obtient encore la même polypnée réflexe en entourant un chien d'ouate. La température de l'animal n'a pas encore monté, que déjà la polypnée est établie ; car, par le contact avec l'ouate, la peau est échauffée, comme dans le séjour à r étuve. Quant à la polypnée d'origine centrale, elle s'observe quand on élève la température intérieure ; ce à quoi on arrive facilement par l'électrisation. Mais il faut atteindre un certain degré, probablement variable selon les espèces animales, quoique tout à fait fixe pour une même espèce. Chez le chien, c'est seulement lorsque la température a atteint de 41°, o à 41°, 8 que la polypnée de cause centrale apparaît; et alors, RYTHME DE LA RESPIRATION. 83 après quelques essais plus ou moins infructueux, elle apparaît brusquement. Ce changement brusque du rythme respiratoire est tellement frappant, qu'en examinant un tracé graphique du phénomène on y reconnaît sans hésitation possible l'inter- vention d'un nouvel élément perturbateur, l'entrée en jeu d'une nouvelle fonction. Cette suppléance de la polypnée réflexe est curieuse ; et il semble vraiment que la nature, prévoyant l'insuffisance pos- sible du mécanisme réflexe, ait voulu assurer la fonction si importante du refroidissement en doublant le mécanisme réflexe d'un mécanisme central direct qui peut y suppléer. Notons enfin que, pour voir apparaître la polypnée, il faut que les voies pulmonaires soient largement ouvertes : le moindre obstacle suffit à l'empêcher, au point que, chez les chiens chloralisés, on est souvent forcé de tirer la langue au dehors à l'aide d'une pince, le moindre resserrement de la glotte constituant un obstacle suffisant à la sursaturation du sang par l'oxygène, sursaturation qui est, ainsi que je l'ai dit, la condition sine quel non de la polypnée. XYII Diverses conditions, autres que les précédentes, ont encore de l'influence sur la polypnée thermique, et il nous reste à les passer en revue. D'abord il y a l'influence de la pression à vaincre à l'in- spiration et à l'expiration. M. Marey, le premier, a démontré que le rythme respira- toire est inversement proportionnel à la pression. Autrement dit, la respiration devient d'autant plus lente et en même temps d'autant plus ample et profonde que la pression aug- mente. Un animal qui respire 20 fois par minute peut, soumis à une forte pression, ne plus respirer que 5 fois dans le même temps. 84 CHARLES RICHET. C'est toujours le même rapport - dont je vous ai parlé : c'est-à-dire que le nombre des respirations est inversement proportionnel au volume du poumon. Toutefois il faut tenir compte d'un élément qui est négligé dans cette formule simple. Cet élément est la durée du séjour de l'air à l'intérieur des poumons. Il est clair, en effet, que nous pouvons faire une inspiration prolongée, suivie d'une très courte expiration, et maintenir ainsi l'air introduit long- temps en contact avec le sang; tandis que la durée de ce con- tact est bien abrégée si, avec le même rythme respiratoire, nous faisons une inspiration très courte et une expiration prolongée. Autrement dit, en respirant douze fois par mi- nute, et en faisant des inspirations d'un litre, nous pouvons garder pendant cinq secondes (outre l'air résidual) tantôt 100, tantôt oOO, tantôt 1000 centimètres cubes de Tair inspiré, suivant que nous ferons la pause à l'inspiration profonde ou à l'expiration forcée. Si l'on pouvait, en même temps que le rythme, noter exactement la profondeur et la durée des pé- riodes inspiratoire et expiratoire, on serait peut-être très près de calculer, sans analyse chimique, les phénomènes chimi- ques de la respiration. Mais revenons à l'influence de la pression sur la polypnée. En modifiant légèrement la soupape de Mïjller, qui a pour effet, comme vous le savez, de diriger automatiquement,dans un sens invariable, les courants gazeux qui la traversent, nous avons pu, M. Hakriot et moi, modifier à volonté la pression que doit vaincre l'animal qui respire. De plus, avec M. Langlois, nous avons réussi à mesurer exactement cet excès de pression, en mettant une sorte de manomètre à eau en communication avec la soupape de Miiller ainsi modifiée. Il faut savoir d'ailleurs que l'excès de pression que les animaux peuvent vaincre est relativement très faible; pour l'homme, la résistance que peut vaincre l'inspiration est égale à une colonne de mercure de 10 à 15 centimètres; RYTHME DE LA RESPIRATION. 83 encore ce dernier chiffre n'est-il atteint que par les individus extrêmement vigoureux. Dans ces conditions, c'est l'expiration qui est la plus puis- sante ; l'inspiration, en effet, est mieux assurée, car presque tous les muscles de la respiration sont des muscles inspira- teurs, et, dans l'état normal, l'expiration se fait par le retrait élastique des parties dilatées par l'inspiration. Les muscles expirateurs n'entrent en action que très exceptionnellement, dans le rire, le hoquet ou la toux. Aussi, lorsque ces muscles doivent fonctionner d'une façon continue, l'expiration devient- elle des plus pénibles. Les chiens peuvent tant bien que mal vivre et respirer si la pression ne dépasse pas 3 à 4 centimètres de mercure; mais, avec une pression de 6 à 8 centimètres, la mort survient assez rapidement, au bout d'une demi-heure environ (quel- quefois moins, quelquefois plus), par l'asphyxie lente, qui résulte de l'épuisement des muscles expirateurs. Eh bien, quand on fait respirer des animaux en état de polypnée thermique au travers de la soupape de Muller, la polypnée se ralentit et disparaît bientôt : dès lors, le méca- nisme de refroidissement cessant de fonctionner, réchauffe- ment se produit. Ce cas rentre dans ce que je vous ai dit de l'influence qu'exercent . les moindres obstacles, comme par exemple la base de la langue, sur ce rythme respiratoire particulier. XVIII Si l'élévation de la température accélère le rythme respi- ratoire, inversement le refroidissement ralentit ce rythme. Je n'insisterai pas davantage sur ce point. Je dois cependant attirer votre attention sur un fait qui parait contradictoire avec Vhypopnée que détermine le froid. Mais vous allez voir que la contradiction n'est qu'apparente. 86 CHARLES RICHET. Voici un canard que je refroidis en le tenant immobile dans un courant d'eau froide. Normalement, il a 20 respirations par minute; mais, à mesure que je le refroidis, voici que, de 20, ce rythme monte tout d'abord à 30, à 40 et même à 50 respirations. Le froid aurait-il donc chez un canard la même action que le chaud? Nullement; mais cette polypnée, que l'on pourrait appeler poli/paéc de froid ^ résulte de la mise enjeu d'un mécanisme particulier, très intéressant, de régu- lation thermique. Pour ne pas mourir de froid, ce canard doit produire beaucoup de chaleur, et il ne peut y arriver qu'en contractant ses muscles et en produisant, par là, une grande somme de chaleur. Or qu'est-ce qu'une contraction générale de tous les muscles? C'est une sorte de tétanos, un frisson général. Si, quand on a froid, on a le frisson, c'est que le frisson réchauffe. De là, pendant toute la durée du frisson, une consommation musculaire exagérée qui résulte du fonctionnement de cet appareil de réchaufTement. De là une polypnée chimique due à l'augmentation des échanges interstitiels par le travail mus- culaire accru. Le frisson est, en effet, pour les animaux, comme pour l'homme, une source de calorification qui intervient toutes les fois que la température baisse, et on le constate surtout quand l'animal refroidi est condamné à l'immobilité. La volonté étant impuissante à faire agir les muscles pour pro- duire de la chaleur, ceux-ci entrent néanmoins en action par des contractions limitées, mais fréquentes, qui constituent précisément le frisson. Je ne puis, en ce moment, aborder l'étude du frisson ; mais je dois vous dire que le frisson, comme la polypnée, est un phénomène à la fois réflexe et central^ et qu'il constitue, comme la polypnée, un admirable appareil de régulation ther- mique ; mais c'est une régulation pour faire de la chaleur, tandis que la polypnée est une régulation qui fait du froid. RYTHME DE LA RESPIRATION. 87 XIX Quelques mots, très sommaires, pour mentionner l'in- fluence des nerfs pneumogastriques sur le rythme de la res- piration. Yoici un chien enpolypnée thermique, dont la température est de 42°. — Vous constatez que ce rythme précipité de la respiration est de temps à autre interrompu par des mouve- ments de déglutition. — Pour le dire en passant, le centre qui préside à ces derniers mouvements a une action inhibi- toire sur le centre de la respiration. — Eh bien ! si nous sec- tionnons un des pneumogastriques de ce chien, nous obser- vons un court arrêt de sa respiration, assez analogue aux arrêts précédents, dus à la déglutition ; mais, après quelques secondes, la respiration reprend sa fréquence première, carac- téristique. Il y a eu une inhibition réflexe qui a duré quelques instants, sans effet plus durable. Sectionnons maintenant l'autre pneumogastrique, et nous observerons encore le même phénomène. Seulement, cette fois, l'arrêt se prolongera un peu plus longtemps. Toutefois, le rythme polypnéique reparaît bientôt, dans toute son inten- sité, comme si les nerfs vagues n'avaient pas été coupés. Ce qui se passe chez un animal normal est un peu diffé- rent. Après la section des pneumogastriques, la respiration reprend toujours; mais elle devient très ralentie. C'est là un fait brut, que nous ne savons, d'ailleurs, malgré de nombreuses expériences et des hypothèses plus nombreuses encore, pas encore expliquer tout à fait complètement, mais qui prouve une fois de plus que la polypnée thermique reconnaît d'autres causes que le besoin chimique de respirer, et qu'il existe un appareil bulbaire, frigorifique, dont cette polypnée manifeste la mise en jeu. Bien entendu, au moment où l'on sectionne les pneumo- 88 CHARLES RICHET. gastriques, et alors que le rythme respiratoire se ralentit, on voit le rythme cardiaque s'accélérer. Ce double phénomène est bien connu : le ralentissement de la respiration est dû à la suppression des impressions ve- nues du poumon par les fibres sensitives, centripètes, conte- nues dans les nerfs pneumogastriques; l'accélération des mouvements cardiaques est due à la suppression de l'influx modérateur qui vient des centres par les fibres centrifuges, motrices, de ces mêmes nerfs. Mais je n'insiste pas sur ces faits très simples. Le seul point sur lequel je dois insister, parce qu'il n'est pas établi dans les ouvrages classiques, c'est que souvent le ralentissement res- piratoire, dû à la section des deux nerfs vagues, n'est pas immédiat. Il semblerait que le ralentissement devrait s'établir aussitôt. Eh bien ! il n'en est pas ainsi. Tl faut un certain temps, quelques minutes, parfois même une demi-heure, et parfois plus encore, pour qu'il atteigne sa période d'état. Les choses se passent comme si le rythme normal, en vertu de la vitesse acquise, persistait pendant quelque temps, même après que les deux nerfs vagues ont été coupés. Une question qui serait à traiter, à propos du rythme res- piratoire dans l'asphyxie, serait celle de savoir si, quand on vient à exciter le bout périphérique des pneumogastriques, la respiration s'arrête en inspiration ou en expiration. Sur ce point, les physiologistes sont partagés. Paul Bert a essayé de les mettre d'accord en disant que la respiration s'arrête au temps où elle en est au moment de l'excitation du nerf. Pour moi, d'après d'assez nombreuses expériences, je serais tenté de croire, comme M. Fredericq, que, chez les animaux nor- maux, elle s'arrête en inspiration, alors qu'elle s'arrête en expiration chez les animaux chloralisés. I RYTHME DE LA RESPIRATION. 89 XX D'autres conditions encore ont de l'influence sur le rythme respiratoire, parmi lesquelles la tension de l'oxygène et la pression sont des plus intéressantes à étudier, par l'éclaircis- sement qu'on en peut tirer sur cette difficile question de luxe. Il est en outre important de voir ce que devient le rythme respiratoire quand la tension de l'oxygène varie ; car les inhalations d'oxygène sont assez employées aujourd'hui en thérapeutique, et elles constituent un traitement stimulant qui n'est pas une ressource négligeable. Tout d'abord, la ventilation pulmonaire ne varie pas quand on fait respirer de l'oxygène pur à un animal. Cette ventilation n'est donc pas sous la seule dépendance du besoin d'oxygène et ii y a par conséquent une respiration de luxe. Inversement, si nous diminuons de moitié la tension de l'oxygène, en faisant respirer un mélange, par parties égales, d'air et d'hydrogène, la respiration n'est pas non plus accé- lérée : c'est encore une preuve du luxe de la respiration nor- male. XXI On peut varier la pression en faisant respirer un chien par la soupape de Miiller. Plus il y a d'eau dans la soupape, plus la pression à vaincre est forte. Si cette pression est de 0"',70 d'eau, la respiration s'ar- rête, l'animal étant absolument incapable de franchir l'obs- tacle. Entre 0"',70 et O^jlO d'eau, il peut respirer, mais pas longtemps ; et il faut arriver à une pression de 0^,20 pour que l'animal respire, péniblement il est vrai, mais suffisam- ment toutefois pour entretenir la vie. Dans ces conditions, on peut considérer la quantité d'air 90 CHARLES RICHET. introduite dans le poumon comme correspondant au strict nécessaire et comme représentant un minimum de venti- lation. Voyons donc à quel point la ventilation se modifie par la pression de la soupape de Muller. Pression eu hauteur d'eau de la soupape. Ventilation (litres d'air par kilogramme et par heure.) De O-^JO 0 De 0",70 à 0'",40. . 5 De 0"',40 à 0'",20. . 10 Or l'expérience m'a prouve que 5 litres d'air, par kilo- gramme et par heure , constituent une ventilation insuffi- sante; et que 10 litres représentent la ventilation minima compatible avec la vie prolongée de l'animal. Or, comme la ventilation normale, à l'air libre, est de 20, 30 et même 50 litres d'air par kilogramme et par heure, il faut en conclure que les animaux respirent de deux à cinq fois plus que cela n'-est strictement nécessaire. Et voilà encore une nouvelle preuve de la respiration de luxe. Cette force de la respiration, très limitée, comme on le voit, n'est pas modifiée par la section des pneumogastriques. Le rôle de ces nerfs doit donc être considéré comme celui d'un régulateur, qui maintient le rythme de la respiration à sa fréquence normale : son action est celle d'un volant, en quelque sorte, qui conservera à la machine son mouvement, indépendamment de la force motrice ou de la résistance ; ce n'est pas un rôle d'excitateur. L'intluence du refroidissement est également nulle sur la force de la respiration. Toutefois, vers 25°, à une température qui paraît être chez les chiens une température critique qu'il ne faut guère dépasser, la respiration tombe subitement et devient très faible. Il n'en est pas tout à fait de même de la chaleur, dont l'in- RYTHME DE LA RESPIRATION. 91 fluence, même quand l'hyperthermie est médiocre, est sur- prenante. Si, en effet, on échauffe des chiens, on constate que leur force respiratoire diminue énormément, et qu'ils sont mena- cés d'asphyxie avec des pressions de O'^j^O et même de 0",10 d'eau. L'influence de certains poisons n'est pas moins curieuse, par la dissociation qu'elle établit entre la force de l'inspiration et la force de l'expiration. Si, en effet, l'on observe un animal chloralisé et respirant avec une pression de 0'",18, égale à l'inspiration et à l'expi- ration, on constate bientôt, à mesure que le chloral est absorbé et que l'intoxication progresse, un affaiblissement parallèle de l'expiration. Il ne suffit plus alors de diminuer la pression à Fexpiration : il faut la supjirijiier complètement, car, même avec la très faible pression de 0'",05, l'animal serait bien vite asphyxié. Ce phénomène est facile à comprendre, si l'on veut bien réfléchir à la nature des mouvements d'inspiration et d'expi- ration. Il y a un effort inspirateur, et cet effort, qui — dans les conditions ordinaires — n'est ni volontaire ni réflexe, est un phénomène automatique. Mais l'expiration n'est pas un phénomène automatique : c'est un effet mécanique, comme je vous l'ai dit plus haut. Normalement, c'est la simple conséquence de l'élasticité du thorax et de l'élasticité du poumon. Une expiration en géné- ral est la conséquence mécanique de la distension inspiratoire préalable des organes de la respiration. C'est un de ces nom- breux exemples de prudente économie que la nature nous fournit, évitant toujours, autant que possible, le travail mus- culaire, quand elle peut le remplacer par des appareils élas- tiques. Ainsi l'expiration est un phénomène pçissif, alors que l'inspiration est active ; et même l'expiration ne devient active (12 CHARLES RIGHET. que très exceptionnellement, et d'une façon tout à fait tem- poraire, lorsque nous toussons, rions ou soufflons. Elle peut donc être volontaire ou réflexe, mais elle n'est pas automatique. Or, quand un animal est profondément chloralisé, comme ses mouvements volontaires sont supprimés et ses réflexes paralysés, il n'y a plus chez lui d'action réflexe ni d'action vo- lontaire. Par conséquent, nulle autre expiration n'estpossible que l'expiration mécanique, due à l'élasticité des tissus; et, comme cette expiration mécanique n'a qu'une force très mé- diocre de O'",02o d'eau environ, pour une pression plus forte que 0", 025, l'asphyxie arrive sans résistance. D'où le paradoxe expérimental apparent que l'animal peut vivre, si l'on sur- charge de O^.SO d'eau la colonne de l'inspiration, tandis qu'il asphyxie, si l'on surcharge seulement do O'^jOS la colonne de l'expiration. C'est là un phénomène important à connaître, surtout pour le chirurgien; car, lorsqu'il donne du chloroforme, il doit avoir soin de supprimer tous les obstacles à l'expiration, obstacles qui peuvent provenir des vêtements, de la position, de la chute de la langue sur la glotte, etc. XXII Il faut parler aussi de l'hémorragie. L'hémorragie et l'asphyxie sont deux phénomènes simi- laires : en réalité, ils se réduisent tous deux à la même condi- tion chimico-physique, diminution de l'apport de l'oxygène aux tissus. Aussi, dans les deux cas, observe-t-on la même modifica- tion de la respiration, qui devient plus ample et plus fré- quente : c'est le type de la respiration asj)h7jxique o\x dyspnée. Cependant, si l'on asphyxie un animal polypnéique, la respiration se ralentit, au lieu de s'accélérer. RYTHME DE LA RESPIRATION. 93 Dans ]e premier cas, le rythme de la respiration passera de 20 à 40, par exemple, si l'on fait respirer de l'acide carbo- nique à un chien normal; dans le second cas, si l'on fait re- spirer de l'acide carbonique à un chien polypnéique,le rythme tombera de 200 à 40. Ainsi l'asphyxie accélère la respiration normale et ralentit la respiration polypnéique. Il ne faut pas confondre le rythme asphyxique avec le rythme agonique. Celui-ci est constitué par des respirations très profondes, derniers soupirs, entrecoupés de longues pauses et de grands silences, qui ont parfois une durée d'une demi-minute et même plus. On le produit expérimentalement en réalisant l'anémie totale, en saignant l'animal à blanc, ou, ce qui revient au même, en électrisant le cœur. Alors, en effet, le cœur s'arrête; toute circulation cesse, et cependant le rythme opératoire, quelque altéré qu'il soit, ne s'arrête pas immédiatement. D'abord ce sont de petites respi- rations fréquentes ; puis elles s'affaiblissent, puis elles cessent ; puis survient un très long silence ; puis, tout d'un coup, appa- raît une grande respiration, très profonde, suivie de deux ou trois autres. Puis de nouveau un grand silence, auquel suc- cèdent une, ou deux, ou trois respirations profondes. Le même phénomène se reproduit ainsi deux, trois ou quatre fois, jus- qu'à ce que finalement la respiration cesse. Les choses se pas- sent ainsi dans toutes les intoxications où le cœur est arrêté avant la respiration. XXIII Il est intéressant d'étudier, à propos de l'axphyxie et de ses rapports avec le rythme respiratoire, combien sont différentes les conditions dans lesquelles l'asphyxie se produit chez les animaux refroidis et chez les animaux échauffés. 04 CHARLES RICHET. Voici deux lapins, dont l'un a été plongé et tenu immobile durant une heure dans un bain d'eau froide, et dont l'autre a été laissé pendant le même temps dans un bain à 46°. La tem- pérature du premier est descendue à 19% et celle du second est montée à 42°, 5. Nous faisons la ligature de la trachée à l'un et à l'autre au même moment. Voyez ce qui se passe chez l'animal échauffé : comme chez l'homme qui se noie, c'est d'abord, pendant la première mi- nute, la période de l'angoisse respiratoire et des mouvements désordonnés; puis la conscience disparaît, et, dans la seconde minute, ce ne sont plus que des mouvements réflexes et au- tomatiques. Dans cette période, l'homme qui se noie est en- core capable de saisir la perche qu'on lui tend; mais il ne conservera aucun souvenir de son sauvetage, tout phénomène psychique étant alors aboli. Enfm, après la seconde minute, les réflexes commencent à disparaître, et le réflexe cornéen tout d'abord, qui est le plus fragile. Après deux minutes et demie, plus de mouvements réflexes : les mouvements auto- matiques seuls persistent; mais bientôt ceux-ci mêmes vont disparaître, et vous voyez la respiration s'arrêter : il y a trois minutes que l'asphyxie a commencé. Le cœur cependant bat encore... Il s'arrête maintenant, et nous sommes à peine à la quatrième minute. Qu'est devenu pendant ce temps notre lapin refroidi? Eh bien, il respire encore; vous voyez qu'il fait de grands efforts respiratoires, et ces efforts persistent, comme vous le voyez, pendant dix minutes... Maintenant tout est arrêté. Mais attendons encore deux minutes; vous voyez que, même après douze minutes d'asphyxie, il est possible de le ranimer en lui faisant la respiration artificielle et en lui rendant de l'oxygène. Ainsi se marque l'influence énorme de la température sur les échanges chimiques des tissus. A basse température, ces échanges sont très ralentis, et la vie peut se maintenir long- RYTHME DE LA RESPIRATION. 93 temps à l'aide des réserves d'oxygène contenues dans le sang-. Au contraire, si la température est très élevée, ces réserves sont vite consommées, et la mort survient rapi- dement. Pour cette même raison, si l'on fait respirer de l'oxygène pur, pendant quelque temps, à un animal chloralisé, et si on le met ainsi en état d'apnée, on constate que l'asphyxie n'ap- paraît qu'au bout d'un temps considérable : elle ne survient même que plus d'une demi-heure après la ligature de la tra- chée. Deux causes agissent en effet ici, dans le même sens, pour prolonger la vie : la saturation du sang par l'oxygène, c'est-à-dire l'augmentation des réserves du gaz vital, et la mo- dération des échanges chimiques, de la consommation des tissus, sous l'influence du chloral. Ce sont là des faits très importants aux points de vue mé- dical et thérapeutique. XXIV Pour terminer, quelques mots sur l'asphyxie chez les ani- maux plongeurs. L'observation des animaux plongeurs a prouvé à Paul Bert que la résistance de ces animaux à l'asphyxie tient aux réserves d'oxygène contenues dans leur sang. Plongez un canard dans l'eau, et vous serez surpris de le voir rester complètement immobile : il ne se débat pas, il ne bouge même pas. Faites la même expérience avec un oiseau quelconque, une poule, par exemple, et vous verrez celle-ci s'agiter et faire des efforts pour s'échapper. Le résultat de cette réaction différente est remarquable : après trois ou quatre minutes, la poule sera morte, tandis que le canard, une fois sorti de l'eau, se secouera un peu et ne paraîtra nullement incommodé. On aurait même pu, dit-on, le maintenir vingt minutes sous l'eau sans l'asphyxier. 96 CHARLES RICHET. Cette résistance des animaux plongeurs tient à deux causes : d'une part, à leur instinct qui les tient immobiles, et fait qu'il n'y a pas la moindre quantité d'oxygène consommée en mou- vements inutiles; d'autre part, à la quantité considérable de leur sang, relativement à leur poids, et, par suite, à la grande réserve de l'oxygène en circulation. I XXII EXPÉRIENCES SUR LE ROLE DU CERVEAU DANS LA RESPIRATION Par M. V. Pachon. CHAPITRE PREMIER Aperçu historique Le cerveau exerce-t-ii une influence de régulation sur le rythme respiratoire? A ce sujet Flourens est très explicite : il répond nettement par la négative. C'était là une opinion lo- gique avec la théorie du nœud vitaL Les centres bulbaires qui commandaient seuls à la vie en général et à la respiration en particulier se suffisaient à eux-mêmes pour régler leur ac- tivité fonctionnelle. Flourens écrit : « Ainsi donc, ni les lobes cérébraux, ni le cervelet, ni les tubercules bijumeaux et qua- drijumeaux n'exercent une influence directe et immédiate sur la respiration ; la moelle allongée est la seule partie, entre celles qui composent la masse cérébrale, qui exerce sur cette 98 V. PACHON. fonction une pareille inlluence... La moelle allongée est tout à la fois... et Forgaae régulateur de tous les mouvements res- piratoires et Torgane producteur de tous ou seulement, selon les classes, de certains de ces mouvements : deux modes d'ac- tion essentiellement divers, et qui ne sauraient être trop ri- goureusement déterminés et démêlés Tun de l'autre '. » Flou- RENs reconnaît ainsi que la production et la réç/tilutioii de la respiration sont « deux modes d'action essentiellement di- vers » ; mais il les localise nettement tous les deux dans la moelle allongée. Ailleurs encore, rappelant l'opinion de Marshall-Hall, d'après laquelle la respiration serait abolie après l'ablation du cerveau et la section des nerfs pneumogastriques, Flourens la combat vivement et dit : « Le mouvement respiratoire survit au retranchement combiné des nerfs pneumogastriques et des lobes cérébraux, des nerfs pneumogastriques et du cervelet, des nerfs pneumogastriques et des tubercules bijumeaux; il survit au retranchement de toutes ces parties (les lobes céré- braux, le cervelet, les tubercules bijumeaux) combiné avec la section des pneumogastriques ; ce mouvement ne dépend donc essentiellement (et il ne s'agit ici que du principe primordial, essentiel de ce mouvement) ni d'aucune de ces parties prises séparément, ni de toutes prises ensemble -. » Flourens se pose donc en adversaire résolu de toute opinion tendant à faire admettre une inlluence quelconque du cerveau sur la respira- tion *\ L'opinion de cet illustre physiologiste était importante à enregister, mais il est nécessaire do faire ici une remarque. Toutes les fois que Flourens a fait des expériences pour 1. Flourkns. 's cesse de peser d'un aussi j^rand poids dans la solution du problème qui nous occupe. Les résultats consignés dans ses expériences permettent de conclure quant à l'organe, principe de la respiration, mais non quant à Torgane, régulateur de cette même fonction. Il est facile de concevoir, en effet, que la cause productrice, le principe d'un mouvement et Tagent régulateur de ce même mouvement puissent ne pas être localisés dans le même organe. £t pour ce qui est de la respiration, il semble bien que le principe de cette fonction soit dans le bulbe, mais cela ne saurait contredire que sa ré- gulation appartienne au cerveau — pour quelque part, du moins. Dès 18oi, un élève de Bp.own-Séquard, M. BE>-.jA>nN Coste, avait cherché à déterminer l'influence du cerveau sur la res- piration*. Ce travail, auquel servent de base à la fois des re- cherches expérimentales et surtout de nombreuses observa- et il perdit toute facilité de «e mouToir avec ordre et régolarité ; enfin les tuber- cules qaadrijnmeaax, et ses iris, joaque-là contractiles et mobiles, perdirent bientôt tout ressort et tout mouvement. Malgré ces diverses mutilation.s l'ani- mal vivait et re$piro.it fAen... « P. 172 : « Je pria un autre lapin: je retranchai pareillement les lobes cérébraux, les tubercules quadrijumeaui et le cervelet, l'areillement la. respiration pe^rtijitait toujrjura. » On le voit, Flol'ress ne s'est pas du tout occupé, dans se^ exi»ériences, du rijthme de la respiration, mais exclusivement de Isl pertUtaiice de la respiration. \. Benjamis Coste. « .Sur le rôle de l'encéphale et particulièrement de la protubérance annulaire dans la respiration. » Thèse de Paris, 1851. 100 V. PACHON. tionscliniques empruntées à L allemand (Le^^^r.ç su?' i'enréphalf, 1820-1830; obs. 6, 8, 16, 17, Illettré; 6, 7, 9, 13, ^' lettre; 1, 9, 11, 18, 21, 3= lettre; 4, 9, 4"= lettre), à Bouillaud [Traité de r encéphalite), à Serres (Mémoire sur l'apoplexie, obs. 16, 17, 18, 20, 22, in Annuaire médico-chirurgical, 1819), à Laennec [Traité de U auscultation médiate, t. I, p. 168. Paris 1826), à CRUVEiLmER [Anatomie pathologique du coiys hu- main), etc., se résume dans les conclusions suivantes formu- lées par l'auteur : 1 . — <( Des expériences et des observations que nous avons mentionnées, et de quelques autres faits que nous n'avons pu rapporter, faute d'espace, nous croyons pouvoir conclure que presque tontes les divisions de l'encéphale, lobes cérébraux, cer- velet, couclies optiques, corps striés, tubercules quadrijumeaux et protubérance, servent à la respiration. 2. — '.( D'une autre part, comme lorsqu'une lésion consi- dérable, ayant lieu sur la voie de communication entre la moelle allongée et les parties antérieures ou supérieures de l'encéphale, supprime non seulement l'influence que possède la partie lésée sur la respiration, mais encore plus ou moins complètement l'influence des autres parties de l'encéphale, il s'ensuit que, plus la partie lésée est voisine de la moelle allon- gée, plus la respiration est troublée. Aussi, de toutes les parties de l'encéphale, autres que la moelle allongée, il n'en est aucune dont les lésions soient plus capables, que celles de la protubé- rance, d'amener un trouble considérable de la respiration. » C'était clairement affirmer le rôle du cerveau dans la res- piration. Et celte affirmation avait l'avantage de reposer sur un nombre assez considérable d'observations importantes pour qu'elle fût digne d'attirer l'attention. Mais l'autorité de Flol'- RENS, dont l'œuvre était si remarquable dans son ensemble, détourna de cette question les travaux des physiologistes. Elle reparut lorsque, après les découvertes fondamentales de Fritsch et Hitzig sur les effets moteurs produits par l'exci- tation électrique de régions déterminées del'écorce cérébrale, LE CEUVEAU ET LA RESPIRATION. 101 on se mit à étudier par de nouveaux procédés d'expérimen- tation les fonctions du cerveau. En portant l'excitation élec- trique sur des régions variées de la masse cérébrale, les expérimentateurs cherchèrent à déterminer s'il n'existait pas des centres cérébraux en rapport avec la respiration. Depuis 1873 les travaux se sont succédé assez nombreux sur ce sujet. Ce sont les travaux de Danilewsky (1875), de Lépine et Bo- CHEFONTAiNE (1873), de Ch. Richet (1878), de Newell-Martix et Booker(1879), de Christiaxi (1880), de Mahkwald (1886), de Fr. Franck (1887), de Unverricht (1888), de H. Girard (1889), Preobraschexsky (1890). L'accord est fort loin d'exister entre ces divers auteurs ' . D'après Christian!, il existe deux centres cérébraux d'inspiration situés, l'un à la partie interne des couches optiques, au niveau du 3' ventricule, l'autre dans la région intermédiaire aux deux groupes de tubercules quadrijumeaux. En outre, il existe un centre d'expiration dans la substance des tubercules quadrijumeaux antérieurs, au niveau de l'entrée de l'aqueduc de Sylvius. Newell Martlx et Booker admettent, de leur côté, l'existence d'un centre inspiratoire, analogue à celui du 3" ventricule (Christiani) et situé à l'union des tubercules quadrijumeaux antérieurs et postérieurs. D'après Unverricht et Preobraschexsky, il existe chez le chien, au voisinage de la partie antérieure et latérale du sillon qui sépare la deuxième circonvolution fron- tale de la troisième, un point dont l'excitation électrique pro- duit des modifications du rythme respiratoire analogues à 1. Danilewsky. Archives de Pfuger, 1875. B. xi, p. 134-137. — Lépine et BûCHEFONTAiNE. Arc/iives de physiologie normale et patliologique, 1876, p. 168. — Cii. Richet. Structure des circonvolutions cérébrales. Thèse d'agrcga- tioD, Paris, 1878. — Newell Martin et Booker, The Journal of Physiology. T. I, p. 370. — Chuistiam. Centralhl. f. d. med. Wiss, n° 15, 1880. — Fr. Franck. « Leçons sur les fonctions motrices du cerveau, » Paris, 1887. — Unverricht. Congrès de Médecine interne. Wiesbaden, 1888. — Preobras- CHENSKY. Wien. /clin. Wochenschrift. n»» il et 43, 1890. — Markwald. Zeitschrift fiir Biologie, xxiii, n. f. T. v. 1886, et xxvi, p. 258, 1889. — H. Girard, « Recherches sur l'appareil respiratoire central. » Genève, 1890, 102 V. PACHON. celles qui se produisent sous l'influence de la volonté. Mais la plupart des auteurs n'admettent pas dans le cerveau Texi- stence de vrais centres respiratoires à localisations précises. Ils sont toutefois unanimes à reconnaître que l'excitation électrique portée dans des régions variées du cerveau amène des modifications du rythme respiratoire, mais sans qu'il soit possible d'établir un rapport absolu entre la nature de l'effet respiratoire et le siège de l'excitation cérébrale. Fr. Franck, dont le travail fait autorité, écrit à propos de l'influence du cerveau sur les fonctions organiques en général : « L'expé- rience montre bien que l'excitation de certaines régions de l'écorce et celle des faisceaux blancs sous-jacents provoque des réactions orfjanique>< variées. Mais, contrairement à ce qui s'ob- serve pour les réactions motrices volontaires, on ne retrouve pas de points spéciaux à fonctions indépendantes ; de plus la suppression de ces mêmes régions cérébrales, dont l'excitation provoque si nettement des effets organiques, n'entraîne pas la perte de la fonction mise en jeu par l'excitation \ » Et, pour ce qui se rapporte plus spécialement à l'influence du cerveau sur la respiration, Fr. Franck conclut de ses expériences : « 11 n'y a pas de points corticaux 'dissociables correspondant les uns au mouvement du larynx, les autres aux mouvements du diaphragme. — On ne trouve pas davantage de points commandant à l'inspiration ou à l'expiration à la surface des circonvolutions. — Il est même peu vraisemblable qu'on soit conduit à admettre des centres respiratoires dans les cir- convolutions, chacun des points excitables de la zone motrice pouvant provoquer les modifications respiratoires indi- quées \ » C'est dire, en résumé, que le cerveau exerce une influence sur la respiration; mais que cette influence, dont les effets, comme l'observe Fr. Franck, peuvent être aussi bien positifs que négatifs ou suspensifs (inhibitoires), est le fait de 1. Fr. Franck, loc. cit. p. 127, 2. Fr. Franck, ibid. p. 140. LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 103 l'activité cérébrale considérée dans son ensemble et non de l'activité de quelques centres spéciaux à localisations déter- minées. Que si l'expérimentation est enfin parvenue à démontrer la réalité de l'influence du cerveau sur la respiration, c'est là un fait, il semble, que l'observation la plus banale de tous les jours eût dû faire admettre depuis longtemps. On sait les effets constants que produisent sur le rythme respiratoire les états psychiques émotionnels tels que la surprise, la peur, la joie, la douleur, la colère, l'attention. Les modifications de la respiration qui surviennent alors frappent tellement les sens même que la langue les a fixées dans des expressions qui font image. C'est ainsi que la peur « nous coupe la respiration » ; c'est ainsi encore que l'attention nous tient parfois « bouche bée », pendant que notre thorax reste immobile en inspira- tion. Et ne sont-ce pas là deux beaux exemples d'apnée essen- tiellement cérébrale? Si, dans ces conditions, l'influence du cerveau sur la respiration à l'état normal n'a pas été plutôt admise, c'est que d'une part, après les remarquables travaux de Legallois et de Flourens, les physiologistes étaient una- nimes à admettre que la fonction respiratoire était sous la dé- pendance exclusive du bulbe; et, d'autre part, pour que l'expérimentation crût pouvoir porter utilement son contrôle indispensable sur les fonctions du cerveau, il fallait la décou- verte de Fritsch et Hitzig (1870) sur l'excitabilité de la zone motrice de l'écorce cérébrale. CHAPITRE II Expériences La plupart des expérimentateurs qui se sont occupés de l'influence du cerveau sur la respiration ont étudié surtout 104 V. PACHON. l'efTet des excitations directes de l'écorce cérébrale (Lépine et BOCHEFONTAINE, Ch. RlCHET, Fr. FrAXCk), Je rapporterai des expériences qui ont trait plus spéciale- ment à Técérébration, à l'excitation et à l'ablation des tuber- cules quadrijumeaux, à la compression cérébrale. Je ferai ensuite l'histoire de Tinfluencede la morphine sur la respira- tion, La morphine agit sur le rythme respiratoire en tant que poison cérébral, comme je le démontrerai; cette étude spéciale de physiologie offre donc un moyen indirect de con- naître le rôle du cerveau dans la respiration à l'état normal. I. EFFETS DE l'ÉC ÉRÉBR ATI ON SUR LA RESPIRATION Après avoir fait quelques essais d'écérébration sur des chiens et des lapins, j'ai dû vite renoncer à de telles expé- riences sur ces animaux. Lamortest presque toujours immé- diate, qu'elle soit l'effet du choc traumatique et que les animaux meurent par inhibition, ou qu'elle soit l'effet de graves hémorragies, difficiles ou même impossibles à éviter au cours de telles expériences. Sur cinq lapins, en particulier, j'ai pu une seule fois obtenir la survie de l'animal pendant une demi-heure. La respiration était lente, pénible, spasmo- dique, l'animal avait des convulsions. Mais l'hémorragie avait été abondante pendant l'acte opératoire, bien que la destruction des lobes cérébraux fût faite au thermo-cautère; à l'écérébration s'ajoutait donc un état général asphyxique dû à l'hémorragie, qui entrait évidemment en cause dans la pro- duction des troubles respiratoires et empêchait, de ce fait, de conclure sur la part exacte qui, dans ces troubles, revenait à l'écérébration. Mes expériences ont dès lors porté sur les pigeons qui tolèrent si bien — comme Flourens l'a montré, — la destruc- lion des lobes cérébraux. Cette destruction a toujours été faite au thermo-cautère. J'ai consigné exclusivement, dans ces expériences, les effets obtenus au point de vue de la fonction LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. lOo respiratoire. Les tracés de la respiration ont toujours été pris comme il est indiqué dans l'expérience 1; la ligne ascendante représente l'inspiration et la ligne descendante l'expiration. Expérience I. — !«' février 1892. — Pigeon normal. Température prise dans le cloaque, 42°. — Température du laboratoire, 12°. — L'ex- plorateur à deux ampoules de Marey (le même appareil qui sert de car- diographe chez le lapin) est appliqué sur le thorax du pigeon, face ven- trale : les deux crochets de l'appareil sont reliés par un fin cordon de FiG. 97. — Tracé de la respiration normale chez le pigeon. Chaque ligne du tracé représente une durée de lô secondes. caoutchouc qui passe sous les ailes et sur le dos du pigeon. Un tube de caoutchouc relie l'explorateur à deux ampoules à un tambour à levier de Marey, dont le style inscrit les oscillations sur un cylindre enregistreur. Dans ces conditions, la respiration s'enregistre avec des oscillations suffisantes. Le tracé de cette respiration est reproduit par la fig. 97. La respiration normale du pigeon est, on le voit, une respiration dont le rythme dans le temps est régulier, le rythme dans l'espace analogue à celui de la respiration des mammi- fères; c'est-à-dire que l'expiration est sensiblement plus longue que l'inspiration ; la fréquence est de 36 à 40 respira- tions par minute. Expérience IL — 14 janvier 1892. — Pigeon, T., 42°. Température du laboratoire, 12°. — 4 h. — Destruction des lobes cérébraux au thermo- cautère. Pertes légères de sang. Après ce traumatisme le pigeon est laissé quelque temps au repos sur la table d'expérience. 106 V. PACHON. 4 h. 30. T. pigeon, 41°. A ce moment la respiration donne le tracé (Fig. 98.) La respiration après récérébration est, on le voit, très sensi- blement diminuée de fréquence. De 36 à 40 respirations à l'état normal, la fréquence n'est plus que de 20 à 2o respira- FiG. 98. — Tracé de la respiration du pigeon écérébré, une demi-heure après récérébration. Chaque ligne du tracé représente une durée de 15 secondes. lions par minute. L'ablation des lobes cérébraux chez le pigeon réduit en somme la respiration aux deux tiers de sa valeurnormale. Le rythme dans le temps reste régulier; le rythme dans l'espace n'est pas sensiblement modifié. Des phénomènes mécaniques de la respiration la fréquence seule se trouve diminuée pour une certaine part. Expérience III. — [^janvier 1892. — Pigeon écérébré, T. 39°. — T. du laboratoire, 12°, "i. — Le 15 janvier, k 4 h. soir, les lobes cérébraux ont été détruits au thermo-cautère. Pertes de sang modérées; le pigeon est replacé dans sa cage. 24 heures après le traumatisme la respiration donne le tracé (Fig. 99). Ce tracé ressemble entièrement à celui de la fig. 98. C'est là un fait fort important. Car il démontre que les modifica- tions survenues dans la fréquence respiratoire, soit une demi- LE CERVEAU ET LA RESPIRATIOIV. 107 heure, soit 24 heures après récérébration, sont dues exclusi- vement à la suppression des lobes cérébraux, ou, si l'on préfère, au traumatisme cérébral et non aux conditions contingentes qui ont accompagné l'acte opératoire, hémorragie, compres- sion par des caillots, chute de la température, etc. Si, par exemple, les modifications de fréquence de la respiration une FiG. 99. — Tracé de la respiration du pigeon écérébré, 24 heures après récérébration. Chaque ligne du tracé représente une durée de 15 secondes. demi-heure après l'écérébration étaient dues à l'hémorragie post-opératoire, elles n'auraient plus lieu de se manifester identiques 24 heures après chez un animal parfaitement reposé. Aussi bien est-ce précisément parce qu'il eût pu paraître légi- time d'invoquer dans le premier cas (expérience II) l'hémor- ragie, dans le 2^ cas (expérience III) la chute de la tempéra- ture, comme causes de la diminution de fréquence, qu'il était intéressant de comparer la respiration chez l'animal écé- rébré une demi-heure et 24 heures après le traumatisme. On sait ainsi que la diminution de fréquence est simplement fonction de la suppression des lobes cérébraux et non des phénomènes contingents qui l'accompagnent, c'est-à-dire de l'hémorragie, de la chute de la température ou autres encore. Et cette notion, importante sans doute au simple point de 108 V. PAC H ON. de vue du fait acquis, le devient bien plus encore au point de vue de l'interprétation de la respiration de luxe à laquelle elle pourra servir en temps opportun. Expériences IV et V Dans ces expériences je me suis proposé devoir comment réagissait l'animal écérébré vis-à-vis de quelques conditions physiologiques qui, dans l'état normal, modifient la respira- tion. ExpÉRiK.NCE IV. — 18 janvier 1892. — Pigeon. T. 4i°,d. —T. du labora- toire, 12°. 2 11. 2b. — Les lobes cérébraux sont détruits au Ihermo-cautère. Le pigeon est laissé quelque temps au repos. FiG. 100. — Pigeon écérébré. Ea + exciUlions électriques dans le cloaque : Arrêt de la respiration en expiration. 3 h. 30, — Piijeon, t. 40. Tout est disposé suivant le procédé ordi- naire pour l'enregistrement de la respiration. Tandis que la respiration s'inscrit sur le cylindre de Mahky, on fait passer un courant électrique en divers points de l'animal au moyen du chariot d'induction de Gaiffe mis en communication avec une pile de Grknet. Si les électrodes sont appliqués sur la peau, sur les pattes, on n'obtient que des résultats très médiocres ou même nuls. Mais si les électrodes sont îîppliqués dans le cloaque, la bobine in- LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 109 ductiice étant à 0 04 centimètres de l'échelle du chai'iot, on obtient des arrêts très nets en expiration. Les excitations sont produites au mo- ment des signes +. Ces résultats sont conformes à ceux déjà obtenus par Fr. Franck et Henrijean dans de semblables expériences. On sait que Fr. Franck attribue au phénomène douleur les arrêts en inspiration que l'on obtient au cours de certaines excita- tions électriques des nerfs sensibles; si Ton supprime le cer- veau, c'est-à-dire la douleur, l'arrêt respiratoire se produit d'une façon constante en expiration. Cette expérience, dans laquelle les excitations maintes fois répétées après des périodes de repos ont toujours produit l'arrêt en expiration, dépose très nettement dans ce sens. Expérience V. — 18 janvier 1 892. — Pigeon êcérèbré. Polypnée thermique. Le pigeon a été écérébré le lo janvier. — Sa température actuelle est de 39". — Température du laboratoire, 1 2°, 3. La respiration du pigeon reproduit le tracé de la fig. 101. Il est mis à 4 h. 30 du soir àl'étuve, T. 60°. ^/WW\^' i AAAAAAAAAAAAAAAAnAA fwwwy Fig. 101. — Pigeon écérébré. Mis à l'ctuve à 6l)o. Polypnée thermique. Lire le tracé de bas en haut Le cylindre enregistreur de Marey tourne avec une vi- tesse de 1 tour à la minute. La longueur du tracé représente une durée de 15 secondes. Après 10 minutes la respiration donne un tracé très net de polypnée; c'est la polypnée thermique de Ch. Richet. — A 4 h. 48 le pigeon est sorti del'étuve, sa température est de 40°, 8. Cette expérience montre que l'ablation du cerveau laisse l'organisme entièrement capable de lutter contre la chaleur. C'est là, je crois, un fait nouveau. J'ai répété plusieurs fois HO V. PAC H ON. sur d'autres pigeons la même expérience, avec le même résultat. La polypnée ne s'établit pas brusquement, mais bien d'une façon croissante, progressive. La fréquence respi- ratoire, à 25 respirations par minute chez le pigeon écérébré, atteint 200, 250 en passant par les étapes successives de 30, 40, 80, etc. Cette polypnée est une polypnée réflexe; ce qui le démontre, c'est la température des pigeons polyp- néïques, à leur sortie de l'étuve. Cette température est de 41° 6, 41" 8, 42" : or, c'est la température du pigeon normal. Il ne peut donc être question d'hyperthermie centrale et la polypnée qui s'établit est bien une polypnée d'origine réflexe, c'est-à-dire une polypnée destinée non pas à combattre une hyperthermie acquise mais à prévenir une hyperthermie qui arriverait fatalement si la polypnée ne s'établissait pas^ grâce à la haute température du milieu ambiant. Quoi qu'il en soit, ce qui demeure acquis, c'est que la fonction physico-méca- nique qui exerce la respiration pour produire du froid dans la lutte contre la chaleur chez certains animaux (Ch. Richet) peut s'accomplir dans toute son intégrité, indépendamment du contrôle cérébral. L'animal privé de cerveau peut aussi bien qu'à l'état normal régler sa température par la respiration ; la fonction thermique du bulbe rachidien suffit à ce rôle. Au cours de ces recherches il eût été intéressant de voir si, en même temps que diminuait la fréquence respiratoire après l'ablation du cerveau chez les pigeons, la ventilation était également diminuée. Pressé par le temps, j'ai dû limiter mon étude aux modifications de fréquence et de rythme, mais il est certain que la ventilation est une donnée fort intéres- sante qui reste à étudier, dans ces conditions. Il reste maintenant à interpréter au point de vue fonc- tionnel les modifications respiratoires consécutives à l'écéré- bration. Ces troubles sont-ils la conséquence d'une suppres- sion de fonction appartenant en propre aux lobes cérébraux? Ou bien ne sont-ils qu'un fait d'inhibition partielle due à l'ir- ritation exercée à distance sur les centres respiratoires par la LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. IH lésion traumatique cérébrale? Ce qui tend à faire admettre qu'il s'agit bien en réalité d'une suppression de fonction cé- rébrale et non pas d'une inhibition partielle des centres respi- ratoires excito-moteurs, c'est que ces centres sont restés absolument sensibles aux excitations périphériques ou cen- trales (expériences IV et Y). Le bulbe rachidien a conservé intact, en particulier, son pouvoir réactionnel vis-à-vis de la température extérieure. Or, si, dans les expériences d'écé- rébration, les centres respiratoires se trouvaient en état d'inhibition partielle, les réactions qu'il commande à l'état normal ne devraient plus s'exercer dans leur intégrité. L'expé- rimentation démontrant que ces réactions subsistent chez le pigeon écérébré comme chez le pigeon normal, il est légitime de conclure que le pouvoir excito-moteur des centres respi- ratoires n'est nullement inhibé — même partiellement — par l'écérébration. Dès lors les troubles respiratoires consé- cutifs à cette dernière sont dus à la suppression d'une fonc- tion exercée normalement par le cerveau. C'était là un fait important à fixer. En résumé, d'expériences sur les pigeons, il résulte que : i° V écéréh^ation diminue presque de moitié la fréquence des m,ouvements respiratoires. 2° Cette diminution de fréquence respiratoire dépend de la suppression des lobes cérébraux, c'est-à-dire de la déficience cérébrale et non de l' hémorragie , de la compression ou de l'hy- pothermie consécutives à l'acte opératoire. 3° Elle dépend, d'autre part, de la suppression dune fonc- tion exercée normalement par le cerveau et non d'une inhibi- tion partielle des centres respiratoires excito-moteurs. Ce qui le démontre, c'est l'intégrité du pouvoir réactioniiel de ces centres (excitations périphériques ou centrales, influence de la température extérieure). 112 V. PACHON. IL EFFETS DE l'eXCITATION ET DE l'aBLATION DES TUBERCULES QU ADRIJ UME AUX SUR LA RESPIRATION. Les expériences que j'ai faites à ce sujet ont été également pratiquées sur des pigeons, si bien qu'il s'agit à vrai dire de tubercules bijumeaux, les oiseaux étant moins riches à cet égard que les mammifères. Voici quelques-unes de ces expé- riences : ExpÉRiENCK VI. — 10 février 18SI-2. — Vigeon. T. 41°8. — Température- du laboratoire 12", ii. 4 h. 20. — Le cerveau est mis à nu. Le tubercule bijumeau droit est découvert; il est suffisamment isolé pour qu'on puisse facilement porter l'excitation électrique directement sur cet organe. C'est là une t'iG. l[)-2. — Pigeon. En + excitation du tubercule bijumeau droit : arrêt do la respiration. opération qui ne laisse pas que d'être assez pénible; les tubercules bijumeaux sont dissimulés sous les lobes cérébraux et aussi sous le cervelet; pour les atteindre il faut attaquer la paroi crânienne assez près en arrière de l'orbite, on blesse là fatalement des sinus veineux et l'animal perd beaucoup de sang. Aussi bien la respiration du pigeon se ressent-elle de ces hémorragies; c'est ce qui explique que sur le tracé ci-dessus on ait affaire à une respiration fréquente et assez irrégulière. 4 h. 43. — Excitation du tubercule bijumeau droit, la bobine inductrice du chariot de G.viife étant à 0,04 cent, de l'échelle du chariot. Après une inspiration convulsive, la respiration s'arrête en expiration; de plus cet arrêt se prolonge pendant un certain temps alors qu'on a cessé toute excitation. LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 113 L'excitation des tubercules bijumeaux chez le pigeon produit, on le voit, l'arrêt de la respiration. Cet arrêt est-il absolument identique à celui que produit toute excitation sensible de la périphérie; est-ce là un arrêt absolument de même nature, c'est-à-dire un simple arrêt réflexe? Cette opi- nion est celle de Girard, de Genève, qui pense que cet effet de l'excitation des tubercules bijumeaux ou quadrijumeaux sur la respiration est dû simplement à ce que ces organes con- tiennent des fibres sensibles des nerfs optiques en particulier, et, en réalité, lorsqu'on excite les tubercules quadrijumeaux, ce sont ces fibres que l'on excite ; il s'agit donc là exclusivement du réflexe respiratoire ordinaire produit par l'excitation de tout nerf sensible'. Ce n'est pas là l'avis de Markwald. Ce physiologiste, qui s'est beaucoup occupé de l'influence exercée par le cerveau en général et les tubercules quadrijumeaux en particulier sur la respiration, pose cette conclusion dans l'un de ses travaux : « Outre les pneumogastriques, les voies et noyaux des tubercules quadrijumeaux postérieurs et ceux de la portion sensitive du trijumeau sont également très impor- tants pour la production de la respiration rythmique normale. Les ganglions des tubercules quadrijumeaux postérieurs pos- sèdent un tonus naturel et sont capables de suppléer à l'absence des pneumogastriques ^ » Certes Markwald n'admet pas de centres respiratoires cérébraux — pour lui, comme pour Girard, les centres respiratoires sont exclusivement bul- baires, — mais il admet comme incontestable que les voies supérieures encéphaliques (obère Bahnen) et plus spéciale- ment les tubercules quadrijumeaux postérieurs exercent une action constante, ce qu'il appelle un tonus régulier sur la régulation de la respiration. Il y a là, on le voit, une oppo- sition absolue avec l'opinion qui considère l'effet de l'exci- 1. Girard, h Recherches sur l'appareil respiratoire central, » Genève, 1890, p. 132. 2. Markwald. Die Bedeutung des Mittelhirns. Zeitschrift fiir Biologie, XXVI p. 258, 1889. TOME II. 8 114 V. PACHON. taticn des tubercules quadrijumeaux seulement comme une action passagère due à l'excitation fortuite des fibres ner- veuses sensibles (nerfs optiques) contenues dans ces organes. Langendorff admet, lui, d'une manière générale, dans les tubercules quadrijumeaux, l'existence de centres modé- rateurs \ Cette opinion, au point de vue qui nous occupe, peut être rapprochée de celle de Markwald. Si les tubercules quadri- jumeaux sont des centres modérateurs, on comprend bien l'action d'arrêt que produit leur excitation sur la respiration. Vouloir juger le débat, dans ces conditions, serait certai- nement téméraire de ma part. Je me contenterai de rapporter deux expériences qui pourront, je pense, servir d'élément à la discussion. Expérience VII. — 23 janvier 1892. — Pigeon. T. 42°. — Température du laboratoire, 12". 3 h. 10. — Après mise à nu de l'encéphale, des pointes de feu sont enfoncées de chaque côté dans la direction des tubercules bijumeaux. La ^AAAAAAAAAAAAAAAA,V\AAAA/VWV\AAAAAyVVVVWWWW FiG. 103. — Pigeon. Ablation des tubercules bijumeaux : polypnée. respiration prend immédiatement un caractère polypnéique, dont le tracé donne une forme très saisissante. Autopsie. — Les tubercules bijumeaux sont à peu près totalement détruits. Le cervelet est modérément endommagé. Expérience YlII. — 20 janvier 1892. — Pigeon. T. 42° 1. — Température du laboratoire, 12". 2 h. — Les lobes cérébraux sont détruits au thermo-cautère. 2 h. 15. — Tracé de la respiration. Respiration ralentie du pigeon écérébré (représentée par les trois premières lignes de la fig. 104). 1. Langendorff. Archives de du liois-Reymond, 1877, p. 96. LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 115 3 h, — Destruction du tubercule bijumeau droit, la respiration immé- diatement s'accélère (i-eprésenfée en + dms le tracé de la fig. 104). FiG. 104. — Pigeon écérébré. Tracé de la respiration (trois premières lignes). En + ablation du tubercule bijumeau droit, accélération de la respiration. Fig. lOo. — Pigeon écérébré. Ablation des tubercules bijumeaux : polypnce. 3 h. 20. — Ablation du tubercule bijumeau gauche, la respiration continue à s'accélérer. Température du pigeon, 35°. De ces diverses expériences (VI, VII, VIII) il résulte — indépendamment de toute interprétation théorique, — en résumé, trois faits : 1° V excitation des tubercules bijumeaux chez le pigeon produit r arrêt de la respiration. 2° Cet arrêt respiratoire dure encore quelque temps (5 à 10 secoîides) après la cessation de toute excitation. 3° La destruction des tubercules bijumeaux chez le pigeon est suivie dune accélération très marquée de la respiration. Ces faits tendraient assez, ce semble, à donner quelque H6 V. PACHON. appui à l'opinion de Markwald et à la conception de Langen- DORFF sur les tubercules quadrijumeaux. Mais, à vrai dire, conclure dès maintenant en pareil sujet serait bien plus affaire de tempérament que de démonstration rigoureuse. Aussi bien n'insisterai-je pas autrement sur la question de savoir si les tubercules quadrijumeaux exercent sur la respiration une ac- tion spécifique, si cette action est un (( tonus régulier » leur appartenant en propre (Markwald), ou si ce n'est là qu'une action d'emprunt due à l'excitation des fibres sensitives des nerfs optiques avec lesquelles ces organes sont en connexion intime (H. Girard). C'est là une interprétation théorique qui doit encore rester en suspens. Ce qui importe, du reste, c'est le fait de savoir que les tubercules quadrijumaux — du moins chez les lapins d'après Markwald, chez les pigeons d'après mes expériences, — ne sont pas des organes indifférents vis-à- vis de la fonction respiratoire, inais quils exercent sur la respi- ration une action régulatrice constante — quelles que soient celles de leurs fibres à qui appartienne cette action. III. — Effets de la compression céréhrale sur LA respiration. Dans une étude expérimentale sur le rôle du cerveau dans la respiration, est-il légitime de rapporter des expériences dans lesquelles, après trépanation crânienne et ouverture des méninges mettant à nu Fécorce cérébrale, on produit artifi- ciellement la compression cérébrale par des injections d'eau ordinaire poussées au niveau de l'orifice trépané? Je sais bien qu'il pourra m'être objecté que dans ces expériences l'effet produit sur la respiration tient non pas à la compression de l'écorce cérébrale, mais bien, en réalité, à la compression du bulbe que l'on ne peut, en l'occurrence, dissocier de la précé- dente. Il est fort vraisemblable, en effet, qu'au cours de telles expériences le bulbe doit être comprimé aussi bien que le cer- veau proprement dit. Mais est-il indiscutable que l'arrêt res- LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. H7 piratoire qui se produit alors soit et surtout soit exclusivement d'origine bulbaire? Si l'on admet que les centres bulbaires ne sont que des centres d'inhibition pour les mouvements respi- ratoires (Brown-Séquard, LoYE, Dastre), certes, l'arrêt respi- ratoire produit par l'excitation de ces centres se comprend fort bien; mais si l'on admet que les centres bulbaires sont des centres d'action, c'est-à-dire des centres excito-moteurs pour la respiration (Larorde, H. Girard, Markwald, Aducco), dès lors l'arrêt respiratoire produit par l'excitation de ces centres ne se comprend plus. Dans ces conditions il peut être permis, sans doute, de ne pas accepter comme un dogme clas- sique l'origine bulbaire de l'arrêt respiratoire dans les expé- riences de compression cérébrale. D'autre part, si l'on se reporte aux arrêts respiratoires que l'on peut obtenir par Texcitation électrique directement appliquée sur la substance corticale (Fr. Franck, Ch. Richet), ou si l'on veut bien encore se reporter à certains faits cliniques d'encéphalocèle, par exemple, dans lesquels la compression digitale de la tumeur produit parfois des syncopes cardiaque et respiratoire, il pourra dès lors paraître légitime de rapprocher des effets obtenus dans ces diverses conditions expérimentales ou pathologiques ceux que l'on obtient dans les essais de compression cérébrale en expérimentation physiologique. C'est, pour ma part, ce que j'ai pensé pouvoir faire très légitimement. Expérience IX. — 26 janvier 1892. — Lapin. T. 39". 3. — Température du laboratoire, 12°. 2 h. 30. — Le crâne est trépané sur la région latérale droite, l'orifice de 0,00o millimètres de diamètre laisse pénétrer l'extrémité inférieure de la seringue ordinaire dont on se sert en clinique pour la ponction de l'hydrocèle; les méninges sont incisées, laissant à nu la substance céré brale. 2 h. 43. —La respiration du lapin est enregistrée avec le cardio-pneu- mographe à lapin de Mahey. Le début du tracé représente cette respi- ration normale. 2 h. 30. — On enfonce la canule de la seringue à bydrocèle remplie d'eau par l'orifice trépané, l'injection est faite lentement (on a, du reste, à lutter contre une assez grande résistance pour pousser le piston de la se- 118 V. PACHON. riiK-ue) Dès le début de l'injection se produisent des mouvements con- vulsifs indiqués sur le graphique; l'arrêt de la respiration se produit après l'injection de 0,04 centimètres cubes de liquide. La canule est maintenue immobile en place pour éviter toute issue de liquide. La res- piration reprend progressivement. LE CERVEAU ET LA RESPIRATION'. 119 IV. — Etude de l'actio* de la morphine sur la RESPIRATIO'. J'ai fait sur ce sujet un très grand nombre d expériences. Les rapporter toutes in extenso serait encombrer inutilement ce travail et risquer de distraire le lecteur du but eénéral qne jV poursuis, la démonstration de l'iDÛuence permanente du cerveau sur le rythme respiratoire. Pour servir à atteindre ce but. ce qui est important dans l'étude de l'action de la mor- phine sur la respiration, ce n'est pas d'exposer une série plus ou moins longue despériences qui se reproduisent sensible- ment identiques, mais bien de dégager de l'ensemble de ces expériences les faits généraux capables de servir à démon- trer comme à interpréter le rôle du cerveau dans la respi- ration. C'est en minspirant de cette idée directrice que je ferai l'histoire de l'influence de la morphine sur la fonction respiratoire, me contentant de consigner parmimes expériences seulement celles qui font le mieux ressortir les traits princi- paux de cette histoire. A. — La morphine modifie la fréquence de la respiration. L'influence que la morphine exerce sur la fréquence de la respiration passe par deux phases distinctes, dans lesquelles les efl'ets produits sont absolument opposés : une première ph.ase d augmentation, une seconde phase de diminution. Déjà L. Calvet a fait le premier une esquisse rapide de ces deux phases ^ Dans la première phase la respiration est accélérée, la fréquence atteint une valeur deux ou trois fois plus grande qu'à l'état normal. Cette accélération de la fréquence respi- ratoire peut même — mais dans des cas excessivement rares, — ]>rendre un tel caractère polypnéique qu'elle rappelle assez 1. L. CA1.VST. « Essai sur le morphinisme aiga et chromqae. » Thèse de docT. de Paris, 1876. 120 V. PACHON. la polypnée thermique (expérience XV.) Mais c'est là une exception. L'effet ordinaire immédiat de la morphine est une simple augmentation de fréquence de la respiration dans des limites ne dépassant pas le double ou le triple de sa valeur normale. Cette accélération de fréquence se manifeste généra- lement dans les dix premières minutes qui suivent l'injection de morphine et offre une durée moyenne de lo à 20 minutes. Pendant tout ce temps l'animal, lapin ou chien, est dans un état général d'excitation : il se promène et s'agite sur la table d'expérience, il gémit et pousse des cris. La méthode sous- cutanée ou intra-péritonéale d'injection du poison ne modifie très sensiblement ni le moment de l'apparition, ni l'évolution générale de ces premières modifications respiratoires. Celles- ci subiraient bien plutôt, pour se montrer lentes ou hâtives, l'influence de l'état émotionnel de l'animal au moment de l'expérience. Des doses variées de morphine, même, ne réus- sissent pas à donner une physionomie différente à cette pre- mière période de l'action de la morphine sur la respiration. Seules les doses très élevées, variables du reste pour les divers animaux, arrivent à la supprimer complètement et à faire immédiatement entrer l'animal dans une phase respiratoire (expérience XVI) qui constitue le plus ordinairement la seconde phase de l'action de la morphine sur la respira- tion. Cette phase nouvelle est caractérisée par un ralentisse- ment considérable de la respiration. Ce ralentissement se produit soit brusquement, soit dune façon progressive par une chute graduelle, régulièrement descendante, de la fré- quence respiratoire. De 50, 60, 80 respirations par minute la respiration tombe en quelques minutes à 20, 18, 15 res- pirations par minute, c'est-à-dire très au-dessous de la normale (représentée pour le chien par 25, pour le lapin par 60). L'animal est plongé alors en plein narcotisme; il reste étendu, couché sur la table d'expérience, abso- lument tranquille. Il demeure toutefois très sensible à LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 121 réagir aux impressions extérieures, retire la patte ou la queue si l'on vient à lui pincer l'une ou l'autre; en un mot : le cerveau dort^ mais la moelle veille^ et son pouvoir réflexe est plutôt exagéré. La seconde phase respiratoire de l'animal morphine se prolonge pendant tout le temps que dure le sommeil narcotique, la fréquence gardant sensible- ment la même valeur aux divers moments de son évolution, si on abandonne l'animal complètement à lui-même. Mais si, sur un animal manifestement entré dans la seconde phase respiratoire du morphinisme aigu, l'on vient à faire de nou- velles injections de morphine, soit sous-cutanées, soit intra- péritonéales, la fréquence de la respiration peut arriver à atteindre une valeur excessivement infime, 8, 7 et 6 respira- tions par minute. Pendant que se manifestent ces modifications respiratoires, on peut observer assez souvent, chez le lapin en particulier, des mouvements des membres et surtout du train de derrière, sur lesquels je désire dire un mot rapide. Ces mouvements ont comme caractères extérieurs d'être intermittents et iso- chrones aux mouvements d'inspiration. On les voit se pro- duire même chez les lapins auxquels on a injecté des doses faibles de morphine, deux à cinq centigrammes par exemple. Sont-ce là des mouvements convulsifs ? Certains auteurs l'ad- mettent, tels Grasset et Amblard qui se fondent sur Tappari- tion de ces mouvements pour affirmer que, même à doses faibles, la morphine est un poison convulsivant\ C'e%t là une conclusion qui ne s'impose pas, d'après les faits. Ces mouvements ne sont pas nécessairement, en effet, de nature convulsive. La morphine, on le sait, est un poison de la tem- pérature aussi bien que de la respiration ; la température des animaux morphines baisse facilement de 1° 5, 2°; chez les animaux de petite taille surtout elle peut baisser de 3» et 4° — j'insisterai plus loin sur l'hypothermie que produit la morphine 1. Grasset et Amblard. Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1882, n" 8. 122 V. PACHON. en étudiant comparativement la marche de la température et delà respiration dans l'intoxication par cette substance. Bref,, l'animal morphine, même faiblement, est un animal qui né- cessairement se refroidit. Or. comment lutte contre le froid tout animal en hypothermie ? Par ces mouvements généra- lisés qui constituent ce que l'on appelle communément le frisson, frisson destiné précisément à faire de la chaleur et à réchauffer ainsi l'organisme hypothermisé '. Les mouve- ments des membres de l'animal faiblement morphine ne seraient autre chose alors qu'un moyen de lutte contre le froid, c'est-à-dire un frisson? Certes, fort probablement. Et je ne vois pas trop ce qui ditférencie ces mouvements prétendus convulsifs du frisson banal ; comme ceux-là, au contraire, celui-ci présente le double caractère d'être intermittent et isochrone aux mouvements d'inspiration. En résumé la mor- phine à faibles doses donne au lapin du frisson, parce que c'est un poison hypothermisant, mais non des convulsions. Après cette digression, dont le sujet était assez intéres- sant pour trouver ici sa place, je vais maintenant rapporter quelques-unes des expériences qui m'ont permis de faire à grand trait la description des deux phases de l'action de la morphine sur la fréquence respiratoire. ExpKRiENCE X. ^ 20 novembre 1889. — Lapin noir. Poids, 2 800 gr, — T. rectale, 40°. — Respiration normale, 66 respirations par mi- nute. 4 h. 35. — ■ Injection intra-périlonéale de 0.08 centimètres cubes d'une solution de morphine à 1/100, soit huit centigrammes de mor- phine. 4 h. 38. — Deuxième injection intra-péritonéale de 0.05 cent, cubes de la solution de morphine, soit au total treize centigrammes de mor- phine; l'animal, déposé par terre, se promène dans le laboratoire. 4 h. 45. — Le lapin est placé sur la table d'expérience. 92 respirations par minute. — T., 39° 7. Si l'on tend doucement et progressivement les pattes de derrière, le lapin ne les retire pas et reste couché sur le ventre, les pattes de der- 1. " Sur le rôle du frisson dans la lutte contre le froid », cf. Ch. Riciiet. Re- vue Scientifique, 1890, 2» sem., p. 395. LE CERVEAU ET LÀ RESPIRATION. 123 rière restant en extension complète; mais vient-on à exciter très légè- rement ces pattes, l'animal les retire vivement : le lapin dresse les oreilles, si l'on vient à frapper sur la table, il a en même temps des soubresauts. 4 h. 00. — 100 respirations par minute. — T. 39°, 6. — Le lapin réagit très vivement quand on lui pince les pattes. Par deux fois on lui pince assez fort la queue, et chaque fois il pousse un cri ; une troisième fois il ne crie plus. Mais il reste très excitable; a de simples pressions de la queue il se produit un retrait rétlexe très rapide de cet organe. o h. 4. • — ■ 47 respirations par minute. — T. 39°, 4. — Réflexes toujours très vivaces. 3 h. 12. — 46 respirations par minute. — T. 39°, 4. 5 h. 20.— 44 respirations par minute. — T. 39°, 4. 5 h. 27. — 30 respirations par minute. — T. 39°, 3. — Le lapin est très irritable. Au moindre bruit sur la table il a des soubresauts, il dresse les oreilles. Si on lui frôle les pattes ou la queue avec le manche d'un porte-plume, vite il les retire. Donc réflexes exagérés. o h. 30. — 31 respirations par minute. — T. 39°, 4. — Le lapin a les oreilles di'essées, il est aux aguets; cet état attentif de l'animal trouve sans doute son explication dans ce fait que l'on vient d'ouvrir un robinet d'eau dans le laboratoire, et l'eau, en coulant, fait un assez grand bruit, d'où éveil du lapin; les réflexes des pattes et de la queue sont exa- gérés. 5 h. 37. — 32 respirations par minute. — T. 39°, 4. 5 h. o4. — 34 respirations par minute. — T. 39°, 4. 6 h. — 39 respirations par minute. — T. 39°, o. — ^ Depuis oh. 20, une lampe à gaz et à réflecteur est allumée, à côté du lapin. C'est là sans doute la cause du maintien de la température. Conclusion : — Lapin. Injection intra-péritonéale de 13 centigrammes de morphine. Fréquence de la respiration d'abord accélérée, puis diminuée de moitié. Pouvoir réflexe exagéré. Réaction aux bruits extérieurs et aux sensa- tions cutanées. Expérience XL — 12 décembre 1889. — Lapin gris. Poids \ 810 gram- mes. — T. rectale, 40°, o. Température du laboratoire variant entre 11° et 12° au cours de l'expérience. Sur ce lapin on cherche à déterminer la valeur exacte de la fréquence de la respiration à l'état normal, c'est-à-dire au repos, en l'absence de tout état émotif visiblement apparent. 2 h. 45. — Le lapin est placé dans un coin de la table, la tête tournée contre le mur; il ne se fait pas de bruit dans le laboratoire. Dans ces conditions les respirations peuvent être comptées sans que l'animal s'aperçoive qu'on l'observe et ait par conséquent la moindre respiration émotive. 124 V. PAC H ON. 2 h. 50. — 58 respirations par minute. 3 h. — 60 — — 3 h. 2.-66 — — 3 h. 4. — 58 — — Le nombre des respirations par minute cliez le lapin, à l'état normal, oscille donc autour de 60; le chiffre 53 donné par P. Bert [Leçons sur la respiration, Paris 1870) est un peu faible. 3 h. 25. — Injection intra-péritonéale de 12 cent, cubes de la solution de morphine à 1 p. 100, soit duitze centigrammes de morphine. 3 h. 30. — 70 respirations par minute. — L'animal est blotti dans un coin. Quand on frappe sur la table, il dresse les oreilles et soubre- saute. 11 va se nicher derrière une caisse qui se trouve sur la table, ferme les yeux et dort. Mais de temps à autre il redresse la tête; c'est qu'il est éveillé par les gémissements d'un chien qui se font entendre d'une façon intermittente. 3 h. 42 — 51 respirations par minute. 3 h. 45 — 56 — — 4 h. — 37 — — Le lapin est très excitable. Frappe-t-on même un coup léger sur la table : il tressaille, dresse la tête. Si on lui pince les pattes de der- rière, après les avoir lentement étendues sur la table, l'animal les retire vivement. 4 h. 15 — 48 respirations par minute. 4 h. 20 — 40 — — 4 h. 22 — 38 — — 5 h. — 32 — — Conclusion : — Lapin. Injection intra-péritonéale de douze centi- grammes de morphine. Fréquence de la respiration d'abord accélérée, puis diminuée du tiers. Excitabilité réflexe conservée. Expérience XIL — 21 mars 1890. — Chien. Poids 4 kilog. Respiration normale, 38 respirations par minute. 3 h. 43 — Injection sous-cutanée dans la région dorsale de deux centimètres cubes d'une solution de morphine à 1 p. 100, soit deux cen- tigrammes de morphine. 3 h. 55 — 95 respirations par minute. La respiration accélérée s'accomplit sans difficulté. L'animal n'a ni nausées, ni vomissements; il est très agité, ne veut pas rester en place sur la table d'expérience, où on le laisse absolument libre de remuer à sa guise sans le retenir par aucune attache. 3 h. 60 — 60 respirations par minute. 4 h. 4 — 45 — — LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 12.: Le chien est moins agité; il vient de se coucher sur la table. Il réagit très vivement aux excitations extérieures. Si on lui donne une chique.- naude sur la queue, il pousse un gémissement plaintif; si on lui pince les pattes, il les retire vivement. 4 h. 10 — 30 respirations par minute. 4 h. lo — 24 — — Le chien est complètement plongé dans le sommeil narcotique. Abandonné à lui-même il reste absolument calme, tranquillement étendu sur la table, le museau reposant lourdement sur les pattes de devant. Si on vient à l'exciter, il se montre très irritable, il réagit avec exagé- Fio. 107. 20 25 30 35 40 45 50 Chien de 4 kilogr. Injection de 0.02 cent, morphine. Courbe de la respiration. ration aux excitations extérieures. Le fait de frapper sur la table lui fait dresser la tète et tressaillir tout le corps. 4 h. 20 — 23 respirations par minute. 4 h. 2o — 20 — — 4 h. 30 — 24 — — 4 h. 35 — 24 — — 4 h. 40 _ 24 — — 4 h. 50 — 24 — — L'état général reste le même. Sommeil narcotique, avec un pouvoir réflexe exagéré. Conclusion : — Chien de 4 kilog. Injection sous-cutanée de deux centigrammes de morphine. Fréquence de la respiration d'abord accélérée^ puis diminuée de plus du tiers de sa valeur normale. Pouvoir réflexe exagéré. 126 V. PACHON. .Fai exactement représenté cette expérience dans la courbe ci-dessous au point de vue des modifications de fréquence de la respiration. Cette courbe fera ressortir mieux encore que letexteJa double phase par lesquelles passent ces modifications dans l'intoxication morphinique. L'ordonnée horizontale du graphique représente les temps inscrits en minutes, l'or- donnée verticale représente le nombre des respirations aux divers temps de Texpérience. Le début de la courbe corres- pond au moment de l'injection de morphine. Expérience XIV. — 1j mars 1800. — Chirn. Poids 10 kil. 3:i0 gv. Respiration normale, 30 respirations. 2 h. 30. — Injection de '.'■> centimètres cubes d'une solution de mor- phine à 1 p. 100, soit cinq ccnligramincs de morphine sous la peau de la région dorsale. Après une période d'eoccitation, de durée assez courte, l'animal toinhe RESRIOO 90 80 70 60 50 40 311 20 10 B9S ■M ■a ■ V 1 ■ wm \ L_ m \ ■ El H k ■■■■■■■■■ ■■■■■■■■■ •v ^ ■■ ■■ ■■ ■■■■■■■■■ MINUTES 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 FiG. 108. — Chien de 10 kil. Injection de 0.C5 cent, morphine. Courlie de fréquence de la respiration. dans un sommeil profond. Il reste pendant une heure et demie étendu tranquillement sur la table d'expérience, dans une pause très lasse de tout le corps, relevant de temps à autre la tète quand quelque bruit arrive brusquement jusqu'à ses oreilles. Les réllexes sont conserve's tout le temps. La courbe ci-dessus résume les modifications de fréquence présentée par la respiration au cours de cette expérience. LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 127 Expérience XV. — 29 septembre 1891 . — Chienne griffon. Poids 4 k. 800. — T, 38° 8. L'animal est très émotif; dès qu'on approche de lui et qu'on l'appelle, il se niet à trembler. — Respiration normale, 38 respirations par minute. 3 h. 46. — Injection sous la peau de la région dorsale de 3 centi- mètres cubes d'une solution de morphine à i p. 100, soit trois centigrammes •de morphine. 3 h. 50. — L'animal est pris immédiatement de polypnée. Il ouvre la gueule, tend la langue absolument comme un chien cjui a trop chaud et se refroidit par une évaporation pulmonaire active. 3 h. 51. — Le chien vomit. La polypnée n'est pas continue. Dans les périodes de polypnée intense l'animal est occupé exclusivement à res- fpirer très vite; rien d'autre ne le distrait; dans les périodes de calme relatif au point de vue respiratoire, l'animal regarde de tous côtés, il •est très impressionné. 3 h. 53. — 100 respirations par minute. 4 h. — La respiration comnieuce à se calmer. L'animal est tran- quille. 4 h. 2. — 66 respirations par minute. T. 38°6. 4 h. 4. — 35 respirations par minute. T. 38°5. L'animal est mainte- nant absolument calmé. Il est couché sur la table, la tête entre les pattes, et paraît se disposer à dormir. 4 h. 6. — 21 respirations par minute. T. 38°4. L'animal dort. Il est très' sensible aux excitations extérieures : quand on frappe sur la table, il a des soubresauts. 4 h. 10 — 24 respirations par minute. 4 h. 16 — 24 — - T. 37°8. L'animal dort très tranquille. A chaque inspiration correspondent •des petits mouvements de flexion sur l'abdomen des membres postérieurs ainsi qu'un léger tremblement du tronc. 4 h. 27 — 20 respirations par minute. T. 36°7. 4 h. 30 — 20 — — T. 3705. 4 h. 45—20 — — T. 33''4. 5 h. — 24 — — T. 3702. L'animal dort très tranquille. Il présente toujours les mouvements de flexion des membres postérieurs isochrones aux inspirations ainsi que le tremblement du tronc isochrone aussi aux mouvements inspiratoires. Si l'on vient à siffler, le chien redresse la tête, mais la laisse vite lour- dement tomber. Réflexes des membres et de la queue bien conservés. Conclusion. — Chien très émotif. Injection sous-cutanée de morphiïie. Polypnée immédiate intense, suivie, après un quart d heure, d'une diminution de fréquence de la respiration égale à près de la moitié de la valeur normale. Réflexes co?iservés. 128 V. PACHON. Expérience XVI. — \2 février 1802. — Chienne épagneule. Poids 8 k. 410. — T. 38°3. Respiration normale, 27 respirations par minute. 3 h. 5. — Injection intra-péritonéale de 10 centimètres cubes d'une solution de morphine à 2 p. 100, soit vingt centigrammes de morphine. 3 h. 12. — L'animal vomit une quantité peu abondante (une cuillerée à bouche) de matière blanche semi-liquide. Il est très abattu, couché sur le flanc dans le laboratoire, la respiration a immédiatement diminué de fre'quence sans présenter la phase d'accélération ; elle est actuellement à 23 respirations par minute. 3 h. 19. — 20 respirations par minute, T. 38°1 . 3 h. 33. — 10 - — 3 h. 40. — 9 — — T. 37«o. L'animal est très calme, entièrement plongé dans le sommeil. Si l'on vient à faire du bruit, il relève la tète, ouvre les yeux, et, si on fait mine alors de lui donner un coup de poing sur l'œil, il baisse la paupière. Le réflexe j)sychique du clignement de la paupière est donc conservé. Les réflexes ordinaires des membres, de la queue, sont plutôt exagérés. 3 h. 55. — 9 respirations par minute. 4h. 15. — 9 — — T. 30°. État général sensible- ment le même. D'autre part l'animal a des mouvements de flexion du tronc de derrière isochrones aux mouvements inspiratoires. 4 h. 30. — 9 respirations par minute. L'inspiration est profonde, dure plus longtemps que l'expiration, pause respiratoire. Le rythme rappelle celui de la section des pneumogastriques. Les mouvements du tronc de derrière, isochrones aux inspirations, se sont généralisés, tout le corps est pris d'un tremblement général au moment de l'inspiration. 5 h. 5. — 9 respirations par minute. — ï. 3o°8. L'animal continue à trembler de tout le corps au moment de l'inspiration. Si, après l'avoir éveillé en frappant sur la table, on lui menace l'œil du poing, il ferme la paupière ; les réflexes psychiques persistent donc dans l'intoxication par la morphine. De même les réflexes médullaires des membres, qui sont plutôt exagérés, dans le cas actuel. L'animal est reporté dans sa niche. Le lendemain il est très bien remis de l'expérience ; la respiration est à 26 par minute. Conclusion. — Chieti de 8 kg. Injection intra-péritonéale de vingt centigrammes de morphine. Biminution des deux tiers de la fréquence de la respiration sans phase d'accélération. Réflexes psychiques et médullaires conservés. Enrésumé, des expériences X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XVI, et de bien d'autres encore que, à cause naême de leur parfaite LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 129 analogie avec les précédentes, je n'ai pas cru devoir rapporter — car elles n'auraient fait que les répéter sans apporter au- cune donnée nouvelle — on peut conclure que : '{"La morphine, à doses modéix'es , produit des modifications dans la fréquence de la resptiralion; 2° Ces modifications présentent très nettement deux pthases. Dans une jjremière phase, qui coïncide avec un état général cV excitation de V animal, la respiration est augmentée de fré- cpience. Cette phase dure de 20 à 30 minutes. — Bans une seconde phase , qui coïncide avec le scjmmeil narcotique de l'a- nimal, la respiration est diminuée de fréquence. Cette phase est de beaucoup la plus importante comme durée, elle dure autant que le sommeil lui-même; cV autre part, la diminution de fréciuence de la respiration atteint le tiers et parfois même la moitié de la valeur normale; 3° Ces modifications de fréquence de la respiration se pré- sentent avec un état plutôt exagéré de la réflectivité médul- laire et une persistance de la réflectivité psychique, B. — La morpjhine modifie le rythme de la respiration. Respiration périodique. Les modifications que le morphinisme aigu imprime au rythme de la respiration ont été bien étudiées par Filehne, dans un travail sur le phénomène de Cheyne-Stokes^ Cet expérimentateur a parfaitement signalé la respiration pério- dique qui survient chez l'animal intoxiqué par la morphine. C'est là, du reste, une action que la morphine partage avec un autre poison essentiellement psychique, le chloral (Thaube, Mosso). Cette respiration périodique survient le plus souvent avec les doses élevées de morphine. Toutefois il est assez fréquent de la voir apparaître même à la suite de l'in- jection de faibles doses de ce poison. Dans ce dernier cas il 1. FiLEHNE. Archiv. fur experim. Pat/i. und Pharm. Leipzig, lo mai 1879 (analyse in Journal de Thérapeutique, 1879, n" 11). 130 V. PACHOX. est une condition qui, indépendante de l'agent toxique, peut, en agissant sur l'état d'activité cérébrale de l'animal en expé- rience, favoriser dans une grande mesure l'apparition de la respiration périodique. Cette condition, c'est le calme parfait du laboratoire. Si tout, dans le voisinage de l'animal mor- phine, est absolument tranquille, si aucun bruit extérieur ne vient à aucun moment réveiller son cerveau endormi, alors on aura beaucoup de chance pour voir se produire la respira- tion périodique. Si, au contraire, il se fait dans la salle oii se passe l'expérience un va-et-vient de personnes qui circulent, si de cette salle l'on peut entendre les gémissements de quel- que autre animal, dès lors le sommeil narcotique qui laisse intacte la réflectivité psychique aussi bien que la réflectivité médullaire sera constamment troublé : l'animal redressera la tête à tout instant, il réagira sans cesse aux excitations extérieures, et la respiration périodique ne se montrera pas. Le calme parfait du laboratoire constitue donc, en l'occurrence, une condition expérimentale qui favo- risera dans une très large mesure l'apparition de la respiration périodique. Quand celle-ci s'est établie, même le moindre bruit la fait disparaître; c'est là une expérience fort simple et qui réussit toujours. Et si j'insiste sur ces faits, c'est que j'ai longtemps recherché pourquoi chez un même animal, le lapin par exemple, je ne voyais plus survenir, avec les mômes doses, le même manuel opératoire, la respiration périodique qui s'é- tait manifestée dans de précédentes expériences. La raison, ou, du moins, l'une des raisons Aa cq pourquoi ^e, trouve, je crois, dans la condition expérimentale que je viens d'indiquer. Je vais maintenant rapporter quelques-unes de mes expé- riences qui ont plus spécialement trait au rythme périodique de la respiration sous l'influence de la morphine. Expérience XVII. — 17 août 18'Jl. — Lapin adulte. Poids 2540 gr. T. 39°. 2. Température du Jaboraloire 14°. 2 h. 30. Injection iutra-péritoiiéale de Ij centimètres cubes d'une solu- tion de morphine à 1 p. 100, soit o centigrammes de morijliine. LE CERVEAU ET T. A RESPIRATION. 131 2 h. 40. La respiration n'est pas visiblement modifiée. 2 h. o5. L'animal est abso- lument calme; étendu sur la table d'expérience, il ne fait au- cun mouvement. La respiration est diminuée : 28 respirations par minute. 3 h. 5. Le lapin est toujours très calme, absolument immo- bile, et paraît plongé dans un sommeil profond. Aucun bruit dans le laboratoire. La respira- tion tend à devenir périodique. Le tracé de la fig. 109 corres- pond à ce moment : 14 respi- rations par minute. 3 h. 10. — 3 h. 30. La res- piration continue avec le rythme indiqué par le tracé. L'animal réagit aux excitations extérieu- res. Si on lui pince les pattes, il les retire ; de même la queue, les oreilles ; ses réflexes sont donc conservés. Si l'on siffle, il redresse la tête et le rythme de la respiration perd son ca- ractère périodique, devient plus fre'quent et tend à se ré- Sulariser. ce, rS J QD ^ 13 s Dans celte expérience, la respiration, sous l'in- fluenco de Ja morphine, n'a pas, à vrai dire, un rythme absolument pério- dique, mais bien plutôt une intermittence tendant vers le type périodique. Dans les expériences suivantes la respiration a nettement revêtu ce type. 1-5 -2 i:v2 V. PACHON. 5. «s: Expérience XVIII. — 13 jan- vier 1892. — Lapin adulte. Poids SiiS.ï SI'. T. 39°. 8. Température du laboratoire 1 1° o. 3 h. 18. Injection sous-cuta- née de 10 centimètres cubes d'une solution de morphine à 1 p. 100, soit 10 centigrammes de morphine ; injection par dose de o centigrammes chaque en 2 points de la région dorsale. 3 h. 30. L'animal est très calme. Pas de période d'agita- tion. La respiration est immé- diatement entrée dans la phase de diminution de fréquence, lo respirations par minute. Rj'thme périodique. Les respira- lions se reproduisent par séries de deux ou de trois, chaque série s'accompagnant d'une assez longue pause respiratoire (fig. 110). 3 h. oO. — 4 h. 30. La respi- ration garde les mêmes carac- tères de fréquence et de rythme. L'état général du lapin est im- portant à noter. T. 3709 à 3 h. .lO., T. 37"6 à 4 h. 30. Les réflexes sont conservés, l'exci- tation des pattes, de la queue, des oreilles, provoque des mou- vements de retrait ou de flexion de ces organes. Des modifica- tions fort importantes survien- nent du côté de la respiration sous l'influence de diverses cau- ses. Si l'on siffle auprès de l'ani- mal, si on lui passe sur la peau un corps chaud (thermomètre sorti d'une ctuve à o5") ou un corps froid, si on lui frôle sim- plement la peau avec le manche d'un porte-plume, dans tous ces cas le rythme delà respiration perd son ar actère périodique, augmente de fréquence et tend à se régulariser. - S LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 133 D'autre part le même courant électrique minimum (courant d'induction du chariot de Gaiffe, la bobine étant à 0.01 c. m. T6 de l'échelle) qui, appliqué dans le rectum, avait produit chez le lapin, avai>t toute injec- ce même lion de morphine, l'arrêt de la respiration, produit encore arrêt dans les mêmes conditions, pendant la phase de respiration pério- dique. — Réllexe d'arrêt respiratoire, sous l'influence de l'inhalation du chloroforme. m V. PACHON. ■;impl tous ces cas la respiration perd son caractère périodique, devient LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 135 plus fréquente et tend à se régulariser dans les limites qu'indique la fig. 113. — De plus l'arrêt de la respiration se produit sous l'influence de l'inhalation de chloroforme ; il se produit aussi avec le même courant électrique (chariot de Gaiffe en communication avec une pile de Grenet; bobine à 0.01 centimètre 25 de l'échelle) qui l'avait produite au début de l'expérience sur l'animal normal. De ces expériences (XVII, XVIII, XIX), il est donc per- mis de conclure : 1° Le rythme respiratoire, sous l'in/luenee de la morphine, peut présenter le tijpe périodique. * 2° Pendant la phase de respiration périodique , les centres respiratoires excita-moteurs, c est-à-dire les centres bulbaires, restent sensibles aux mêmes excitations [électriques, thermiques, auditives, tactiles., etc.), qui provoquent à l'état normal des modifications respiratoires. C. — La morphine agit sur la respiration comme poison cérébral. Laborde et Calvet admettent que la morphine agit sur la respiration par l'intermédiaire des nerfs pneumogastriques. Calvet écrit : « Saiis entrer dans de grands détails à ce sujet, il nous est permis de dire, d'après un certain nombre d'obser- vations, que les modifications dont il s'agit (modifications respiratoires et circulatoires) sont sous la dépendance de l'en- céphale, et plus particulièrement de sa portion bulbaire, par l'intermédiaire des nerfs pneumogastriques \ » C'est donc en paralysant les fibres des nerfs pneumogas- triques que la morphine exercerait l'influence que j'ai indiquée sur la fréquence et le rythme de la respiration. Morphiner un animal, ce serait, en un mot, au point de vue respiratoire, sectionner les pneumogastriques. Mais encore que la morphine donne souvent à la respiration le rythme périodique, tandis que la section des pneumogastriques ne produit jamais rien 1. Calvet. Thèse do Paris, 1876, p. 23. 136 V. PACHON. de semblable, des faits d'ordre expérimental viennent infirmer roj3inion de Laborde et Calvet. Il était fort simple, en ellet, de vérifier l'exactitude ou l'erreur de cette opinion. Il suffi- sait, pour cela, de sectionner d'abord les deux nerfs pneumo- gastriques chez un animal, de lui injecter ensuite de la mor- phine et de voir ce que devenait dès lors la respiration. C'est ce que j'ai fait dans l'expérience suivante : ExpÉRiE.NCK X\^ — 2G janrier 1802. LaplnaduUe. Poids 2220 grammes. T. 39° 8. Température du laboratoire H°o. liespiralioii normale du lapin : 55 respirations par minute. 4 h. — Trarliéotomie. La respii'alioii est enrcgislrre par la niélhode Fig-. 113. — Tracé de la respiration après la section des deux nerfs pneumo^'astriqucs chez le lapin. Vitesse de rotation du cyliD'. fort diminuée. Dans des expériences de contrôle, j'ai pu constater les varia- bilités de celte diminution de fréquence même sur les divers individus d'une même espèce, le lapin, par exemple. Mais je n'ai jamais vu la respiration, dans ces conditions, des- cendre au-dessous de 17 à 18 respirations par mi- nute chez le lapin. Cette opinion est d'accord avec les expériences des divers auteurs (II. Girard^ Beau- Ms). Je crois donc être parfaitement autorisé à conclure que, dans l'ex- périence précédente, la diminution considérable de la fréquence respira- toire — tombée à 4 respi- rations par minute — est le fait de l'intoxication morphinique qui a agi sur la respiration après et malgré la section des nerfs pneumogastriques. C'est dire que la morphine, si elle agit après et malgré la section de ces nerfs sur la respiration, agit normale- ment sur celle-ci sans l'in- termédiaire de ces nerfs. LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 139 Que si la morphine agissait sur la respiration indépen- damment des nerfs pneumogastriques, elle n'en agissait peut- être pas moins indirectement sur la fréquence et le rythme de cette fonction par son action sur la température. On sait l'influence prépondérante qu'exerce, parmi les diverses condi- tions physiologiques, la température sur la respiration. Dès lors les modifications respiratoires observées dans l'intoxica- tion morphinique ne pouvaient-elles être fonction de l'hypo- thermie consécutive à l'injection de morphine? C'était là une importante question à résoudre. L'action delà morphine sur la température est constante et remarquable. C'est là, du reste, un fait classique. Ch. Richet, dans une étude synthétique sur les poisons et la température, en a longuement discuté et interprété le mécanisme \ Les courbes des expériences XXI et XXII donnent l'image fidèle et expressive de cette action de la morphine sur la tempéra- ture, (cf. fig. 116 et 117.) Expérience XXI. — 21 octobre 1891. Chien adulte. Poids 7 kg. 150. T. 39° 5. Température du laboratoire 12°o. 3 h. 3o. — Injection intra-péritonéale de 2 centimètres cubes d'une solution de morphine à 1 p. 100, soit 2 centigrammes de morphine. — L'animal vomit immédiatement. 4 h. 10. — Deuxième injection intra-péritonéale de2 centigrammes de morphine. Le chien est absolument calme. A chaque respiration, il a tout le corps secoué par un frisson général. 4 h. 35. — L'animal a donc reçu en injection intra-péritonéale 4 cen- tigrammes de morphine, soit prés de 1 centigramme par kilogr. de poids. — L'état général est calme, le chien dort profondément. 11 fris- sonne au moment des inspiralions. La courbe de la fig. 116 représente les modifications subies par la température. Expérience XXIÏ. — 26 septembre 1891. Chien de W jours. Poids 390 gr., T. 39°8. Température du laboratoire 12». 2 h. — 2 h. 30. — Le petit chien est enlevé de la niche où il était couché sous le ventre de sa mère. Sa température est alors de 39°8. Porté dans le laboratoire, il est abandonné quelque temps sur la table 1. Ch. Richet. De la chaleur animale (Bibliothèque scientifique interna- tionale). Paris, 1889, p. 211. 140 V. PACHON. d'expérience. Après vingt-cinq minutes, c'est-à-dire à 2 h. 30, sa tempé- rature n'est plus que de 38°2. Le petit animal frissonne. A ce moment, on lui injecte dans le péritoine 1 centimètre cube d'une solution de morphine à 1 p. 100, soitl centigramme de morphine. Le petit animal gémit conti- nuellement, sa respi- ration est irrégulière, diflicile à enregistrer au pneumographc, à cause du frisson con- tinu dont il est agité. Lacourbe de la fig.l 17 représente l'abaisse- ment rapide et consi- dérable de la température après une demi-heure. Le jeune chien est alors reporté à la niche, près de sa mère. iSis»igsiissBani:ai jsBBgîsssnmsB SHHBSSSaSSIK Fio. 11 G. — Cliien de 7 kil. Injection de 4 cenligram. de morphine. Courbe de la température. Sur l'ordonncie verticale de la courbe sont inscrites les températures; l'ordonnée horizontale repri'-scnte le temps exprimé eu minutes. L'influence hypothermisante de la mor remarquable surtout chez les petits ani- maux (fig. 417). C'est que la morphine exerce une action directe sur la produc- tion de chaleur, c'est-à-dire sur la ther- mogénèse*. Il se passe là ce qui survient dans l'intoxication par le chloral, par exemple. Ch. Richeï a montré que, sous l'influence du chloral, les combustions respiratoires, au lieu d'être, comme à l'état normal, proportionnelles à la sur- face de l'animal (Cn. Richkt), devenaient proportionnelles à son poids ^ La pro- duction de chaleur, sous l'influence de la morphine, subit une modilication ana- logue. Dès lors l'animal morphine qui pliine est, on le voit. Ml^BHBHI ■■■fiPUI (■■■■IHHI HHHBBIIL ■■HBIK!||I Fig. U7. — Chien de 390 grammes. Injec- tion (lo 1 centigramme de morphine. Courbe de la température. Sur l'ordonnée verticale do la courbe sont inscrites les températures ; l'ordon- née horizontale marque le temps exprimé en minutes. 1. J'ai fait sur ce sujet quelques expériences de calorimétrie que je rappor- terai dans un autre travail. 2. Ch. Ricuet. Travaux du lahoraloire de pliysiolof/ic, t. I't, p. .^348. LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 141 se refroidit par rayonnement périphérique proportionnelle- ment à sa surface, tandis qu'il ne produit plus de chaleur que proportionnellement à son poids, se refroidira d'autant plus que pour 1 kilogramme de son poids sa surface sera plus grande. Or un animal de petite taille a pour l kilogramme de poids une surface bien plus grande qu'un animal de haute taille; il se refroidira donc davantage sous l'influence de la morphine. C'est là l'explication physiologique de la diff"é- rence des courbes des figures 116 et 117. Oii, du moins, ces courbes se ressemblent, c'est dans la représentation de ce phénomène commun, chute de la tem- pérature. Cette chute était assez importante pour qu'il devînt d'un grand intérêt de savoir si les modifications respiratoires, sous l'influence de la morphine, n'étaient pas simplement la conséquence de Thypothermie. S'il en était ainsi, les modifi- cations de la fréquence et du rythme de la respiration deve- naient un phénomène absolument secondaire dans l'intoxica- tion morphinique. La morphine agissait indirectement sur la respiration comme l'antipyrine, par exemple, en diminuant les échanges chimiques '. Dès lors l'étude des modifications respiratoires, auxquelles elle donnait naissance, devenait absolument indifférente au sujet de ce travail. — Les expé- riences suivantes démontrent que les modifications de la respiration ne sont pas fonction de l'hypothermie, dans le morphinisme aigu. ExpÉKiENCE XXIII. — 25 septembre 1891. — Chienne griffon. — Poids 5 kilogr, T. 39. Température du laboratoire, 12° 4. 3 h. 40. L'animal est très émotif. Injection intra-péritonéale de o cen- timètres cubes d'une solution de morptiine à 1 gv. 100, soit 5 centi- grammes de morphine. Les courbes de la fig. 118 repi^ésentent les modificalions de la tempé- rature et de la fréquence respiratoire, pendant deux heures. Expérience XXIV. — 17 août 1891. —lapin arfw/^e. — Poids, 1750 gram- mes. T. 39" 2. Température du laboratoire 13°. 1. C'est A. Robin qui a montré que l'antipyrine ralentissait les échanges nutritifs {Bull. Acad. d. Méd. Paris, 1889). 142 V. PACHON. 10 d'une pliine h. i;i matin. — Injection inlra-péritonéale de 5 centimètres cubes solution de morphine à i p. iOO, soit '■'< centij,'rammes de mor- (■■■ ■■■■■■■■! ■rflwi^^^^^^n ■««^■■■■■■i IIIHHHHBBH iiomii \umr m IHI !■■■■■■■■■■■■ ■■^■«^«■■■■■■■■■■■■■■■B! «■■BBBBfcCaiilgaiiâSSSasaSgS ■■■■^■■■■■■■■■■■■■■■■■a ■■■■■■■^^■■■■■■■■■■■■■Hi ■■■■■■■■■Bsava^^^BMiBgi ■BflBBB^^a^H^KaBSSBaillU MINUTES 10 ZO ^ 30 'iO 50 FiG. 118. ■ — Chien de o kil. Injection de .'i centigrammes de nioi-jihine. Cnurbcs de la température et de la fréquence de la respiration. Non- parallélisme de ces courbes. La ligne pointillée e.st la courbe de la température, la ligne pleine est la courbe de la resiiiraticn. — L'ordonnée horizontale représente le temps exprimé en minutes; sur l'ordonnée verticale sont inscrits les nombres de respirations et les degrés de la tempé- rature. L'élat de la respiration et de la température est noté pendant .3 heures consécutives. Les courbes de la fig. 119 représentent les variations de ces deux éléments physiologiques. M 1 ' —1 1 i r 1 1 tlBE 1 . ■■■ kiSi ■iiii BBiBBi ■■■■■■1 m ■■■ \- ■■■■liB BBBBBI ■■■■■i !BBK IB iBB ....a !■ BBB \ ( r ■'* \ , : IL - El IS IPSS !■ !■ ■111 ■! KBB ISSS ■■■■■1 ■■■BBI BBS iBB» IBB iBB IBI IBB ■Il ■1 2î zm ZKO y- yin vw « 4?20 wb 5" Fig. 1!'.). — Lapin. Injection de 3 ccnligramnies de iiiorpliine. Courbes de la température et de la fréquence de la respiration. Non-parallélisme de ces courbes. La ligne pointillée représente la température, la ligne pleine, la respiration. Expi:niK.NCK XXV. — 21 octobre 1891. — CVite» adulte. — Poids 9 kilo- grammes. T. 39' 6. Température du laboratoire 12". LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 143 4 h. 10. — Injection intra-péritonéale de o centimètres cubes d'une solution de morphine à 1 p. 100, soit o centigrammes de morphine. Les courbes de la flg. 120 représentent l'état de la respiration et de la température pendant une heure et demie. ■■EsmsnBnB MINUTES lO; ''20 30 40 ■ M'. 60 .70 Fio. 120. — Chien de 9 kil. lujeciioa du -j ce- ntigrammes de ,'morpliinc. Courbes de ]a température et de la fréquence de la res. piration. Non-parallélisme de ces courbes- La ligne pointillée représente la température, Les courbes des figu- res 118, 119 et 120 indi- quent nettement que les modifications de la respi- ration, sousl'influence de la morphine, ne sont pas fonction de l'abaissement de la température. S'il en était ainsi, les deux courbes delà respiration i^ ligne représente la respiration et de la température de- vraient être parallèles. Il n'en est rien, la température baisse déjà alors que la respiration est en pleine phase de polypnée (fig. 120). Ce fait seul suffirait à contredire toute idée tendant à subordonner, dans le morphinisme aigu, la respiration à l'hypothermie. Mais encore, d'autre part, tandis qu'à un mo- ment donné la fréquence de la respiration prend une valeur qu'elle continue à conserver sensiblement constante pendant tout le sommeil narcotique, la température au contraire ne cesse de baisser progressivement jusqu'à la fin de la narcose. Ce fait ressort nettement des courbes des figures 118, 119 et 120. Il permet de conclure de la façon la plus catégorique que, si des deux éléments température et respiration il en est un qui, dans les conditions de ces expériences, est subor- donné à l'autre, c'est certainement la température qui subit l'influence de la diminution de l'activité respiratoire ; mais non celle-ci qui dépend de la chute de la température. Les effets respiratoires de la morphine sont donc, d'une part, indépendants des nerfs pneumogastriques ; d'autre part indépendants de l'abaissement de la température. C'est qu'ils 144 V. PAC H ON. dépendent de l'intoxication du système nerveux central. Mais à quel élément du système nerveux central intoxiqué parla morphine doivent-ils donc être rapportés? Au bulbe, à la moelle, au cerveau? Il serait fort simple, pour les expliquer, de les rapporter à rintoxication des centres respiratoires excito-moteurs c'est-à-dire des centres bulbaires. Ces centres, diminués dans leur excitabilité, réagiraient avec moins d'in- tensité aux diverses stimulations chimiques et dynamiques qui contribuent à les faire entrer en action pour produire les mouvements respiratoires. La respiration se trouverait ainsi diminuée, de par ce fait. Mais précisément la diminution d'excitabilité des centres bulbaires, sous l'influence de la mor- phine, est bien plutôt un fait couramment admis que réelle- ment démontré. Si elle existe, c'est, certes, à un bien faible degré; sinon comment expliquer que les excitations banales, telles qu'un léger bruit, un simple frôlement de la peau avec le doigt, le passag-e sous les narines d'une éponge à peine imbibée de quelques gouttes de chloroforme, amènent pen- dant le sommeil morphinique des réactions respiratoires comme à l'état normal (expériences XVIII et XIX)? Si la diminution d'excitabilité du bulbe a, sous l'influence de doses modérées de morphine (o à 10 centigrammes chez le lapin), une valeur importante, comment expliquer surtout que la même intensité minima de courant électrique, qui produit à l'état norm.al l'arrêt de la respiration, produit encore ce même arrêt, dans les mêmes conditions, pendant le sommeil mor- phinique, et, en particulier, pendant la respiration périodique? Ce dernier fait qui s'est nettement affirmé dans les expé- riences XVIII et XIX, a. je crois, une réelle importance dans la question de la diminution de l'excilabilité des centres bul- baires sous l'influence de la morphine à doses modérées. Que l'excitabilité des centres respiratoires bulbaires soil, dans ces conditions, diminuée d'une certaine valeur, c'est là ce que je n'affirme ni ne nie. Mais la conclusion à laquelle m'auto- risentd'incliner, je pense, mes expériences (XVIII, XIX) c'est LE CERVEAU ET LA RESPIRATION. 145 que, du moins, cette diminution d'excitabilité des centres bulbaires n'atteint pas une valeur suffisante pour qu'il soit légitime d'admettre qu'elle soit la cause — et surtout la cause exclusive — des effets respiratoires de l'intoxication mor- phinique. A. Lœwy, qui s'est occupé de déterminer les variations de l'excitabilité du centre respiratoire^ sous l'influence du som- meil normal et du sommeil provoqué par divers hypnotiques, hydrate de chloral, hydrate d'amyle, chloralamide, écrit que « les changements respiratoires que l'on observe sont dus à ce que le centre, normalement excitable^ reçoit en realité des excitations différentes ». C'est bien là le sentiment que j'ai des modifications respiratoires dues à la morphine. Les centres bulbaires ont leur excitabilité normale — ou peu s'en faut; — mais ils reçoivent du cerveau intoxiqué une stimulation bien moindre qu'à l'état normal. Ce n'est en effet pas du côté de la moelle, que l'apport des stimulations vers le bulbe est dimi- nué; la réflectivité médullaire est exagérée sous l'influence de la morphine (Claude Bernard) et diverses expériences que j'ai rapportées le prouvent clairement. Mais la morphine est le poison, par excellence, de la cellule cérébrale (Flourens, Ch. Richet) ; sous l'influence de la morphine l'action excita- trice du cerveau est considérablement diminuée, sinon anéan- tie, tandis que la réflectivité de l'organe cérébral subsiste relativement intacte. Dès lors, si le cerveau envoie normale- ment au bulbe respiratoire quelques stimulations dynamiques — mais qui se ramènent sans doute, en dernière analyse, à des stimulations chimiques, — ces stimulations excito-mo- trices se trouveront très diminuées ou supprimées sous l'in- fluence de la morphine, au même titre que l'action excitatrice générale du cerveau. Et la respiration sera diminuée d'autant. Voilà bien précisément comment l'étude des effets respi- ratoires de la morphine, poison particulièrement sensible à 1. A. Lœwy, Zur Kcnntniss der Erregbarkeit des Athemcentrums; Archiver dePflûger, XLVII, p. 101. TOME II. 10 146 V. PAC H ON. la cellule cérébrale, peut permettre, dans une assez large mesure, de connaître le rôle excito-moteur, l'influence dyna- mique du cerveau sur la respiration. La morphine, en résumé, agit sur la respiration en dimi- nuant très fortement, sinon en supprimant l'action excitatrice cérébrale. Étudier les effets respiratoires de la morphine, c'est étudier la respiration privée delà stiinulation normale qu'exerce le cerveau sur cette fo7iction. XXIII RECHERCHES EXPERIMENTALES SUR LES FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES DE LA GRENOUILLE Par MM. J.-E. Abelous et P. Langlois L — Malgré les très nombreuses recherches dont les cap- sules surrénales ont été l'objet depuis le mémoire crucial de BROWN-SÉQUARDJusqu'aux travaux de Tizzoni, Stilling, Alezais et Arnaud, etc., la physiologie de ces orgaaes est encore pleine d'obscurités. Ce qui rend cette étude très difficile sur les mammifères, c'est la difficulté de séparer les troubles consécutifs à l'ablation ou à la destruction des conséquences du traumatisme opératoire lui-même. Nous avons cru pouvoir éviter cet écueil en étudiant les effets de la destruction des capsules surrénales sur les grenouilles, car ces animaux sup- portent, on le sait, très bien les opérations les plus graves. Nous avons été, d'autre part, séduits par la nouveauté du sujet, car, malgré des recherches bibliographiques minu- 148 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. lieuses, nous avons constaté qu'aucune étude physiologique de ces organes n'avait encore été faite chez la grenouille. D'ailleurs, même au point de vue anatomique et histolo- gique, nous n'avons trouvé aucun renseignement précis, sauf dans l'Anatomie de la grenouille d'EcKER, où cet auteur con- sacre une dizaine de lignes aux capsules surrénales. Voici le passage, que nous reproduisons textuellement : « Bien que n'étant pas en relation embryogénique avec l'appareil urogénital, il nous faut dire un mot des capsules surrénales à cause de leurs rapports avec les reins. Je n'ai malheureu- sement pas eu le temps de faire une étude suffisante de ces intéressants organes. « Sur la face ventrale de chaque rein, parallèlement à leur grand axe, mais inclinant un peu vers le bord externe, on vo^t à l'œil nu, mais mieux encore à la loupe, un organe en forme de bande ou tractus, en connexion étroite avec le réseau des vcnœ revehentes et le rein lui-même. Cet organe à l'état frais est d'un jaune franc et se détache nettement sur le fond rouge foncé du rein. 11 est constitué par une série de tubes étroitement accolés les uns aux autres, lui donnant un aspect bosselé. Ces corps sont remplis en partie d'une substance jaunâtre, en partie d'un revêtement épithélial. Nous n'avons aucune donnée sur les rapports qui existent entre le sympa- thique et les capsules surrénales '. » On le voit, il n'y a là d'indications précises ni sur la struc- ture ni sur le développement de ces organes. Quoi qu'il en soit, c'est leur physiologie que nous avons voulu étudier d'abord, nous proposant de faire bientôt quelques recherches histologiques sur ce sujet. Nos expériences ont porté sur un très grand nombre de grenouilles (150 environ) : la plupart de ces expériences ont été faites en été, c'est-à-dire sur des grenouilles en pleine activité physiologique. 1. EcKER, Die AtuUotnie des Frosches, Abtlieilung III, p. 46, 1882. FONCTIONS DES CAPSULES SURRENALES. 149 IL — Technique opératoire. — Etantdonné l'adhérence des capsules surrénales aux reins, on ne peut songer ni à les ex- ciser, ni à les arracher avec des pinces. Aussi comme procédé de destruction avons-nous employé la cautérisation ignée, et pour cela nous nous sommes simplement servis d'une boucle en fil de fer ou en platine portée au rouge. On peut ainsi localiser avec beaucoup de précision la lésion, et ne pas toucher autre chose que la capsule. Après incision de la paroi abdominale un peu en dehors de la veine médiane pour éviter toute hémorragie, on enlève les viscères et on découvre ainsi la face antérieure des reins avec les capsules qu'on cautérise alors. Sur les grenouilles mâles, cette opération ne présente pas de difficultés ; mais sur les femelles on est souvent gêné en été par la présence des œufs et en hiver par l'énorme dé- veloppement des oviductes. En outre, mieux vaut opérer sur des grenouilles d'été que sur des grenouilles d'hiver, car chez ces dernières les capsules sont beaucoup moins appa- rentes à cause d'une diminution notable dans la quantité du pigment jaune qu'elles contiennent. Ces organes paraissent même subir une certaine atrophie pendant l'hibernation. Généralement la cautérisation des capsules ne donne pas lieu à une hémorragie sérieuse. L'opération terminée, on suture la paroi abdominale d'abord, puis la peau, avec de la soie fine en faisant des points de suture assez serrés pour éviter la hernie des viscères. Les suites immédiates de l'opération sont très simples, et jamais nous n'avons constaté de choc post-opératoire. Bien qu'une antisepsie rigoureuse ne soit pas nécessaire comme chez les animaux supérieurs, il est toujours prudent d'em- ployer, soit pour éponger la cavité abdominale, soit pour faire tremper les instruments, une solution antiseptique faible. Nous nous sommes servis presque exclusivement d'une solu- tion de sublimé au 20,000^ IIL — Destruction des deux capsules surrénales. — La des- 130 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. truction de la totalité des deux capsules entraîne fatalement la mort. Immédiatement après l'opération, les animaux ne présentent aucun trouble; ils sautent et réagissent avec leur vivacité habituelle. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que se produisent des troubles qui ont la mort pour consé- quence. Mais la durée delà survie est variable. Elle varie tout d'abord selon la saison, selon que l'on a affaire à des grenouilles d'été ou à des grenouilles d'hiver. Nous avons vu des grenouilles en hibernation vivre douze et treize jours après l'opération. Il n'en est pas de même pour les grenouilles d'été. La durée moyenne de leur survie dimi- nue notablement, et de douze à treize jours elle peut s'a- baisser à trois. Les troubles qui suivent la destruction des deux capsules consistent essentiellement en une paralysie progressive dé- butant par les membres postérieurs, se généralisant ensuite et amenant la mort. — Le jour même de l'opération, l'animal ne présente aucun phénomène anormal. Ce n'est généra- lement que de la 24^ à la 30* heure que des troubles se ma- nifestent. Tout d'abord, on remarque une incoordination assez nette dans les mouvements des pattes postérieures, quand la grenouille saute. En outre, les animaux se fatiguent très vite, et l'affaiblissement musculaire s'accentue de plus en plus. Cette paresse frappe d'abord les fléchisseurs et les adducteurs, et en dernier lieu les extenseurs. Bientôt la paralysie des pattes postérieures est complète; la grenouille ne peut ré- pondre aux excitations même les plus douloureuses que par de faibles mouvements de son train antérieur. Les pattes antérieures se prennent à leur tour, et l'animal reste ab- solument inerte , dans la résolution complète. La respira- tion devient de plus en plus lente, la pupille se rétrécit et l'animal meurt. — Si, au lieu de laisser la grenouille au repos après l'opération, on l'irrite de temps à autre, de façon à provoquer de fréquents mouvements réactionnels, on re- marque que la paralysie se produit beaucoup plus vite, et la FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 131 survie peut être notablement abrégée. — De ces faits on peut déjà conclure que la longueur de la survie est en raison in- verse de l'activité des échanges chimiques de l'animal. Plus ces échanges sont actifs, comme chez les grenouilles d'été, et plus la mort arrive rapidement. Expériences. — Le 23 août, à 7 h. 30 du matin, six grenouilles rousses (quatre mâles et deux femelles) sont opérées: après l'opération, les grenouilles réagissent vigoureusement et paraissent absolument normales. Pendant la journée du 23, pas de troubles. Le 24, dans la matinée, deux grenouilles sont déjà paralysées de leur train postérieur, les quatre autres grenouilles présentent une pa- résie marquée : quand on les retourne sur le dos, elles ne peuvent re- prendre que très difficilement leur attitude normale. A 4 heures, deux grenouilles sont mortes; les quatre autres meurent à 5 heures. Autopsie. — Rien de particulier du côté des viscères abdominaux, pas d'hémorragie, pas de congestion. Cœur : en diastole sur quatre grenouilles et en systole sur les deux autres. Centres nerveux : rien de particulier. On voit que ces grenouilles n'ont pas survécu 36 heures. Comme exemples de survie prolongée, nous citerons les suivants : Le 12 novembre, à 2 heures de l'après-midi, par une température extérieure très basse, deux grenouilles mâles rousses de la taille moyenne sont opérées. Ces grenouilles sont en hibernation : leurs mou- vements sont lents et paresseux. Les capsules, très peu pigmentées, sont à peine apparentes. Hémorragie assez abondante pendant la cauté- risation. Après l'opération, réactions normales. Les grenouilles sont laissées dans une salle où on ne fait pas de feu et où la température est très basse (5° au-dessus de 0). Jusqu'au 23 novembre, pas de troubles apparents. Le 24 novembre, les réactions sont moins vigoureuses. Quand on les retourne sur le dos, les grenouilles ne peuvent reprendre leur position normale. Le 24 novembre au matin, les grenouilles sont paralysées et meurent dans l'après-midi. A l'autopsie, on constate que la cautérisation a porté non seulement sur les capsules, mais aussi un peu sur le rein. Rien du côté des centres nerveux. Cœur en diastole. Le 12 octobre, à 9 heures du matin, deux grenouilles mâles de taille moyennes sont opérées. Vessie vide. Capsules peu pigmentées. 152 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. Jusqu'au 13 octobre, daus l'après-midi, pas de troubles. La sécrétion urinaire paraît se faire normalement, car, en saisissant une des gre- nouilles, elle émet un jet d'urine. Le 13 octobre, à o heures du soir, la faiblesse musculaire est très marquée. Le 14 octobre, à 10 heures du malin, une des grenouilles est mou- rante. L'autre est paralysée, elle meurt le soir seulement à (i heures. Le 25 août, à 8 heures du matin, deux grenouilles mâles subissent la destruction totale de deux capsules. Après l'opération, réactions nor- males. Au bout de deux ou trois heures on les irrite de façon à provoquer des réactions énergiques. On remarque que les mouvements, d'abord très vifs, s'affaiblissent rapidement. A 2 heures d'intervalles, on renouvelle les excitations : la faiblesse musculaire paraît avoir augmenté considérablement, les grenouilles rampent, mais ne sautent plus. A 9 heures du soir, la parésie a encore fait de grands progrès. A 10 h. 30, la paralysie est complète; les grenouilles meurent dans la nuit. IV. — La destruction dune seule capsme n' entraine pas la mort. — Les animaux ne présentent aucun trouble; leur attitude et leurs réactions sont absolument normales. ExpÉRiE.vcEs. — Le 21 août, à 8 h. 30 du matin, sur G grenouilles (5 mâles et une femelle), toutes de taille moyenne, on détruit complè- tement par cautérisation la capsule gauche. Les grenouilles paraissent absolument normales après l'opération : les jours suivants, aucun trouble n'apparaît. Le 10 septembre, c'est-à-dire vingt jours après l'opération, on ne constate pas le moindre trouble. On sacrifie les animaux pour constater l'état de la capsule intacte. On ne remarque pas (en apparence au moins) d'hypertrophie de la cap- sule droite. V. — Destruction complète dune capsule et de la majeure partie de l autre. — Il faut considérer deux cas : 1° Si on dé- truit la presque totalité de la deuxième capsule, les grenouilles meurent généralement, mais leur survie est toujours plus longue que celle des grenouilles dont les deux capsules ont été totalement détruites. Au moment de la mort, on observe FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. io3 souvent des secousses convulsives et une respiration dysp- néique ; 2° Si on laisse intact un fragment notable de la seconde capsule, la survie est la même que pour les grenouilles dont on n'a détruit qu'une capsule. VI. — L'insertion sous la peau, dans le sac lymphatique dorsal, de fragments de reins avec les capsules attenantes pris à une grenouille normale prolonge la survie. Dans ce cas, la survie est en effet plus longue que celle des grenouilles dont on a détruit simplement les deux cap- sules. Elle est le double au moins. Nous avons vu des gre- nouilles d'été ainsi traitées vivre cinq à six jours. A l'autopsie on remarque que les fragments des reins insérés dans le sac dorsal ont subi une altération très apparente ; ils sout décolorés et paraissent réduits de volume. De plus, le pigment des capsules a complètement disparu, et on ne peut plus distin- guer que difficilement ces organes. Les fragments du rein n'ont contracté aucune adhérence. Il ne s'agit donc pas là d'une greffe. ExpÉRiEMCEs. — Le 29 août, a 7 h, 30, sur quatre grenouilles mâles, A, R, C, D, on détruit les deux capsules. Sur deux de ces grenouilles, C et D, on insère dans le sac lymphatique dorsal (en fendant la cloison aponévrotique latérale) les deux reins, avec leurs capsules attenantes, pris à deux grenouilles normales qui viennent d'être sacrifiées. Le 31 août au matin, on trouve les deux grenouilles A et R mortes; les deux grenouilles C et D ne présentent pas de troubles. Le !"■ septembre au soir, pas de troubles encore. Dans la journée du 2 septembre, leurs mouvements paraissent affai- blis. Dans la matinée du 3 septembre, on trouve les deux grenouilles mortes. YII. — Nous avons aussi essayé de prolonger la survie en injectant aux grenouilles opérées un extrait aqueux fait avec les capsules surrénales. Pour cela, nous avons pris des fragments de reins avec i;i4 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. leurs capsules, et nous les avons broyés dans une solution physiologique de sel marin. Nous avons injecté cet extrait, mais nous devons dire que la survie n'a jamais été très pro- longée. Peut-être cela tient-il à un défaut dans la préparation des extraits aqueux, préparation difficile à cause du petit volume des organes. En tous cas, les survies obtenues n'ont pas dépassé de plus de vingt-quatre heures la survie de gre- nouilles dont les deux capsules avaient été simplement dé- truites. VIII. — L'injection intraveineuse et sous-cutanée du sang d'une grenouille mourante, à la suite de la destruction de ses deux capsules, à une grenouille qui a récemment subi la même opération entraîne une paralysie rapide et la mort. On sacrifie une grenouille mourante, on lave son appareil circulatoire par une solution physiologique de sel marin, soit par la veine médiane abdominale, soit en introduisant une ca- nule dans le bulbe artériel et une autre dans le sinus veineux, et on recueille le liquide qui s'écoule. On peut encore décapiter la grenouille, exciser son cœur et recueillir ainsi quelques gouttes de sang; mais la quantité recueillie ainsi est toujours minime. Il vaut mieux laver l'appareil circulatoire, on a ainsi un mélange de sang et de solution saline. On injecte 5 centi- mètres cubes de ce mélange, soit dans la veine abdominale, soit dans les sacs lymphatiques d'une grenouille dont les capsules ont été récemment détruites et qui ne présente pas le moindre trouble. Immédiatement après l'injection, la gre- nouille réagit normalement, mais, au bout de quinze à vingt minutes, les mouvements s'affaiblissent considérablement, et bientôt la paralysie est complète. Mais la grenouille vit encore quelque temps, et ce n'est qu'au bout de cinq à six heures que le cœur cesse de battre. La même injection faite à une grenouille normale ne pro- duit que des troubles très légers et très passagers. FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. ISo Tels sont les faits que nous avons observés dans une pre- mière série de recherches, faits que nous avons communiqués à la Société de Biologie*. De ces faits nous avons conclu : i° Que la mort qui se produit fatalement à la suite de la destruction des deux cap- sules est bien le résultat de la suppression d'organes essentiels, et non point le résultat du choc opératoire, d'une inhibition, pour mieux dire. Ceci est surabondamment prouvé par les faits suivants : a. Les grenouilles ne présentent que des troubles tardifs; b. Ces troubles sont encore plus tardifs après la destruction de la presque totalité des deux capsules, bien que l'opéra- tion soit aussi grave que la destruction totale des deux; c. L'insertion sous-cutanée de fragments de reins avec les capsules attenantes prolonge la survie. Cette opération serait évidemment sans effet sur des phénomènes d'inhibition; V La mort n'est donc plus la conséquence d'un trouble de la fonction rénale. En effet : a. Nous avons remarqué que la miction pouvait se faire parfaitement chez des grenouilles privées de leurs deux capsules ; h. On peut cautériser le rein en dehors des capsules, ^ très largement, sans que cette opération amène la mort des animaux ; c. Nous avons sectionné entre deux ligatures le segment inférieur des deux reins, supprimant ainsi la fonction de ces organes. Dans ce cas, les grenouilles survivent beaucoup plus longtemps qu'après la destruction des deux capsules. La survie a été en moyenne de cinq jours. Quelle est donc la cause de la mort après la destruction des deux capsules surrénales ? 1. J.-E. Abelous et P. Langlois, Note sur les fonctions des capsules sur- rénales chez la grenouille [Comptes rendus de la Société' de Biologie, 1891, p. 792). 156 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. D'une part, le fait que le sang d'une grenouille paralysée et mourante est toxique pour une grenouille récemment opé- rée et entraine une paralysie et une mort rapide ; d'autre part, le fait que l'insertion de fragments de reins avec les capsules attenantes prolonge la survie, nous permettent de dire d'abord que la mort des grenouilles privées de leurs deux capsules est la conséquence d'une intoxication résultant de l'accumu- lation dans le sang d'une ou plusieurs substances toxiques de nature inconnue ; et ensuite que les capsules surrénales paraissent préposées à l'élaboration d'une substance qui en neutralise les effets toxiques. Plus les échanges nutritifs sont actifs, et plus les poisons sont élaborés en grande quantité. C'est pourquoi les grenouilles d'été ou les grenouilles chauffées artificiellement meurent beaucoup plus vite que les grenouilles en hibernation. Nous devons ajouter qu'au cours de ces expériences nous n'avons pas observé de troubles apparents dans la pigmen- tation. Une seconde série de recherches nous a permis de consta- ter des faits qui sont appelés, croyons-nous, à jeter un jour nouveau sur les fonctions des capsules surrénales'. Nous avons, en effet, remarqué, sur les grenouilles qui venaient de succomber à la suite de la destruction des deux capsules et sur les grenouilles paralysées à la suite de l'in- jection de sang des grenouilles acapsulées mourantes, que l'excitation faradique, même avec des courants très forts, du sciatique ou des nerfs lombaires ne produisait plus aucune contraction musculaire, alors que l'excitant électrique appli- qué directement aux muscles déterminait encore des réac- tions manifestes. Nous avons été naturellement conduits à nous demander si la substance toxique ou, pour ne rien préjuger, les sub- 1. J.-E. AuKLOLs et P. L.vNGLOis, La mort des grenouilles après la des- truction des c.ipsules surrénales [Comptes rendus de la Société de Bioloyie, 1891, p. 8o:i). FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 1o7 stances toxiques qui s'accumulent dans l'organisme après la destruction des deux capsules n'agiraient pas sur les termi- naisons motrices à la façon du curare. Pour résoudre cette question, le moyen le plus simple était de répéter l'expérience classique de Cl. Beknari» sur le curare, c'est-à-dire de mettre à nu le sciatique d'un côté et, en appliquant au-dessous du nerf une ligature serrée sur le membre, d'interrompre la circulation en ne laissant subsister que la continuité nerveuse de la patte avec le tronc. Nous avons pris une grenouille dont nous avions détruit les capsules trois heures auparavant : cette grenouille était encore très vivace et réagissait vigoureusement. Nous avons mis à nu un sciatique, et au-dessous du nerf nous avons lié très fortement le membre au niveau du tiers moyen de la cuisse. Immédiatement après, nous avons recueilli le sang et lavé l'appareil circulatoire d'une grenouille mourante à la suite de la destruction des deux capsules et nous avons injecté o cen- timètres cubes de mélange de sang et de solution saline à la grenouille dont une patte avait été liée. Immédiatement après l'injection, la grenouille réagit avec vigueur et saute avec vivacité. Mais au bout de quinze minutes elle présente des troubles parétiques très nets. C'est avec beaucoup de peine qu'elle fléchit le membre postérieur intact. En revanche, la mobilité des membres antérieurs paraît encore intacte. Nous mettons à nu le sciatique gauche. Une heure après l'injection, il n'y a plus aucune contraction apparente dans la patte non liée; l'autre patte réagit par des contractions musculaires faibles, mais nettes. Si à ce moment on excite par un courant faradique très faible, presque insensible à la langue, le sciatique de la patte non liée, on obtient quelques *aibles secousses du gastrocnémien. Les contractions sont beaucoup plus fortes dans la patte liée. Au bout de deux heures, avec un courant de moyenne 158 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. intensité, on obtient des contractions très énergiques dans la patte liée, des secousses à peine apparentes dans la patte opposée. Ace moment les mouvements respiratoires sont très ralentis. Trois heures après l'injection, même avec un courant très fort (la bobine induite au 0), on n'obtient rien dans la patte non liée, tandis qu'un courant beaucoup plus faible, très sup- portable à la langue, donne lieu à d'énergiques réactions dans la patte liée. Donc le nerf de la patte non liée ne donne plus de con- tractions musculaires sous l'influence d'un courant faradique même très fort. Cependant les muscles de cette même patte réagissent encore avec un courant de moyenne intensité appliqué directement sur eux ; les muscles de la patte liée réagissent avec un courant plus faible. Nous trouvons donc dans ces faits une analogie remar- quable avec les phénomènes de l'intoxication curarique. Sans, doute les effets toxiques sont plus lents, ce qui peut être dû à la faible quantité de poison injecté. Mais les résultats définitifs sont les mêmes, à cette différence près que l'irritabilité mus- culaire paraît plus affaiblie que dans l'intoxication par le curare. Ces faits que nous avons pu constater nombre de fois, viennent heureusement compléter les faits observés dans une première série de recherches et nous permettent de préciser davantage nos conclusions en disant : 1° Que la mort des grenouilles à la suite de la destruction do deux capsules surrénales est bien due à l'accumulation dans le sang d'une ou plusieurs substances toxiques; 2" Que ces substances sont des substances principalement curarisantes, c'est-à-dire agissant sur les terminaisons mo- trices et un peu aussi sur les muscles eux-mêmes. Quelle est l'origine de ce poison ou de ces poisons? Nous ne pouvons encore le dire. Nous inclinerions pourtant à penser d'après des recherches en cours d'exécution que ces FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 139 substances toxiques sont élaborées au cours de la contraction musculaire, mais nous ne pouvons pas être plus affirmatifs pour le moment. Le rôle des capsules surrénales consisterait donc (cela découle naturellement de nos recherches) à élaborer par une sécrétion interne des substances que neutraliseraient ou dé- truiraient ces poisons. Ces organes mériteraient ainsi d'être placés au rang des organes les plus importants de l'économie. Ce sont bien des organes essentiels à la vie. Il est toujours téméraire de conclure de certains faits observés sur les animaux inférieurs à l'existence de faits sem- blables chez les animaux plus élevés dans l'échelle zoolo- gique. Cependant des expériences entreprises par nous sur les mammifères ' tendent à confirmer cette opinion. 1. Voij. le Mémoire suivant. XXIV SUR LES FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES CHEZ LES COBAYES Par MM. J.-E. Abalous et P. Langlois En même temps que nous poursuivions nos recherches sur les fonctions des capsules surrénales chez les grenouilles, nous avons étudié la physiologie de ces organes chez les ani- maux supérieurs, et spécialement chez le cobaye. Les recher- ches sur les mammifères, sur le chien, le lapin et le chat sont très nombreuses, elles ont conduit les auteurs à des conclu- sions extrêmement divergentes, et il nous est impossible de résumer, même très brièvement, les résultats de ces divers travaux. Nos recherches ont porté presque exclusivement sur les cobayes. Nous considérons en effet le cochon d'Inde comme un animal de choix pour l'élude des fonctions de cet organe. Les capsules sont volumineuses, beaucoup plus considérables que celles des autres animaux par rapport au poids total. Pour des cobayes de oOO grammes, chaque capsule atteint en FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 161 moyenne un poids de 12 centigrammes, alors que chez des lapins de 2 kilogrammes elles n'ont que 10 à 15 centigrammes et chez les chiens 1 gramme. Un autre point important, c'est la rareté des capsules accessoires. Alors que chez les lapins et les chiens on trouve fréquemment des capsules supplémen- taires, chez le cobaye, malgré nos recherches attentives sur ce point, nous n'avons trouvé que deux fois une glandule accessoire. On comprend que l'existence de ces capsules accessoires, susceptibles de se développer très rapidement, puisse modifier beaucoup les résultats de la destruction des capsules principales, comme l'a montré M. Gley dans ses recherches sur les effets de l'ablation de la thyroïde chez le lapin. TizzoNi et NoTH^•AGEL ont employé la voie lombaire. Nous avons préféré sur le cobaye opérer à l'aide d'une laparotomie latérale, en faisant partir l'incision de la dernière côte ; une inci- sion de 3 centimètres et demi, dirigée de haut en bas et de dedans en dehors suffit dans la plupart des cas. La contention des intestins et surtout du lobe droit du foie pour la capsule droite est une des parties délicates de l'opération et qui exige une certaine habitude. Nous avons réalisé cette contention avec des éponges très plates et douces, le foie se déchirant facilement. Inutile d'insister sur les précautions antiseptiques que nous n'avons jamais négligées, La capsule découverte, on la sépare avec l'extrémité d'une sonde cannelée du rein, qu'il faut incliner légèrement en bas. La face inférieure de la capsule se présente alors très nettement. Quand il s'agit d'une destruction partielle, il suffit alors de toucher avec la sonde portée au rouge un point quelconque de la capsule; mais, si l'on veut obtenir la destruction totale, il faut tout d'abord porter la sonde vers le tiers interne de la capsule, dans la région oii la veine capsulaire émerge de l'organe. Il se pro- duit alors une hémorragie d'un sang rouge (veine capsulaire) qu'un coup de sonde au rouge sombre ou une légère compres- sion suffit à arrêter le plus souvent. On continue ensuite à TOME II. 11 162 J.-E. ABELOUS ET P. LA.NGLOIS. évider ]a capsule avec le bec de la sonde ou une curette fixée au rouge. Les débris de la capsule sont enlevés avec une éponge portée au bout d'une pince ou avec la pince elle-même. Par ce procédé, la destruction complète, surtout pour la capsule droite, est difficile, mais il faut ajouter que les débris restant sont touchés par le feu, ainsi qu'on peut le constater à l'au- topsie. Nous avons du reste, dans un certain nombre d'expé- riences, passé une ligature au catgut à la base de la capsule, à l'émergence de la veine capsulaire. Nos animaux étaient des cobayes adultes, d'un poids va- riant entre 400 à 600 grammes. Quand nous avons opéré sur les deux capsules, soit pour une destruction totale, soit pour une cautérisation partielle, nous avons fait varier l'intervalle entre les deux opérations. Pour quelques animaux l'opération a été faite à une heure d'intervalle, chez d'autres nous avons attendu de un à quinze ^jours, quelquefois même plus long- temps, n'opérant du second côté que lorsque l'animal avait récupéré et même dépassé son poids primitif, pour éviter ainsi l'objection de l'influence d'un second traumatisme agis- sant sur un animal déjà affaibli par une opération récente*. L'opération, quand aucune complication ne survient, peut être faite très rapidement, quinze minutes depuis le moment où l'animal est rasé, l'abdomen lavé antiseptiquement, jus- qu'au moment oii, le double plan de suture fait, la plaie occluse avec du collodion iodoformé, il est détaché et porté à l'étuve à 30". Nous diviserons nos recherches sur les cobayes en trois groupes, suivant en cela l'ordre que nous avions adopté pour l'étude sur les grenouilles : 1" Destruction totale d'une seule capsule; 2° Cautérisation partielle des deux capsules; 1. Stilling a signalé chez le lapin, dès le second ou troisième jour, une hy- pertrophie compensatrice de la capsule restante. Nous avons nous-mêmes con- staté une hypertrophie très nette de la capsule intacte, hypertrophie caracté- risée par une augmentation de volume de l'organe et une congestion très marquée. FONCTIONS DES CAPSULES SURRENALES. 163 3» Destruction totale des deux capsules. I. — Destruction d'une même capsule. — C'est presque toujours la capsule droite qui a été détruite. Celle-ci, par suite du voisinage du foie et de la veine cave, est beaucoup plus difficile à opérer; la difficulté était même regardée par Gratiolet comme telle, qu'il considérait son ablation comme fatalement mortelle. Il nous a donc paru indispensable de débuter toujours par elle. M. Brown-Séquard avait déjà montré que cette opération n'était pas toujours fatale, et nos recherches à cet égard sont pleinement confirmatives. Nous avons détruit sur 40 animaux la capsule droite; un cer- tain nombre de ceux-ci, quand ils ont été complètement rétablis, ont subi la destruction de la deuxième capsule. Sur les animaux gardés en observation nous n'avons noté que deux décès. En règle générale, les animaux, après la des- truction d'une seule capsule, ne présentent aucun trouble apparent ni dans la motilité ni dans la respiration. Le choc opératoire est nul. La température, qui pendant l'opération descend quelquefois jusqu'à 36 et même 3o°, remonte rapide- ment au chiffre normal. Bien que l'animal mange, on constate assez souvent néan- moins, dans les premiers jours, un amaigrissement assez marqué, mais passager, et les cobayes reprennent ensuite leur poids primitif ou le dépassent. Dans deux cas (sur quarante) Tamaigrissement a été rapide et continu, et les deux animaux sont -morts dans un état d'émaciation extrême, quelques jours après l'opéra- tion, et sans que l'examen des organes ait pu nous expli- quer les troubles profonds survenus dans la nutrition. Chez ces deux animaux, nous n'avons noté aucun mouvement convulsif. Expérience XX. — Cobaye mâîe (poids 415 grammes). Le 22 janvier, destruction de la capsule droite. Pas de choc opératoire. On n'observe aucun trouble dans la motilité. L'animal mange bien dès le second jour; néanmoins, on constate une diminution de poids pendant la pre- 164 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. mière semaine. 11 existe, il est vrai, une suppuration superficielle de la plaie abdominale. La cicatrisation se fait néanmoins et actuellement, en mai, c'est-à-dire quatre mois après l'opération, il pèse 50o grammes. Expérience LV. — Cobaye femelle (poids 410 grammes). Le 31 mars, la capsule droite, qui se présente bien, est facilement détruite. Les débris sont enlevés à l'éponge et à la pince. L'opération est rapidement faite et sans hémorragie. Immédiatement après, l'animal réagit vigou- reusement, marche sans difficulté. On le porte néanmoins à l'étuve à 30", où il reste toute la nuit. Les jours qui suivent, et bien que l'ani- mal ne présente aucun trouble fonctionnel, qu'il mange avec appétit de l'avoine et des carottes, il maigrit; son poids tombe, le quatrième jour, à 373 grammes. Le douzième jour, on trouve 394 grammes. Mais nou- velle rechute, le seizième jour, à 3oO grammes. Il existe une suppu- ration superficielle de la plaie, qui tend néanmoins à se cicatriser. A partir de cette époque, il reste stationnaire pendant huit jours, puis reprend ensuite. Récupère son poids normal le 29 avril, soit un mois après l'opération; et le 26 mai atteint o91 grammes. Expérience LVIII. — Cobaye mâle (poids 441 grammes). Destruction, par cautérisation, de la capsule droite, le 7 avril. L'animal se remet immédiatement, il mange bien, et, le 10 avril, trois jours après l'opé- ration, il avait augmenté de 30 grammes; l'accroissement continue; le 15, il est à îiOO grammes. L'animal, ayant été opéré ensuite de la se- conde capsule, est mort, et l'autopsie a montré que la destruction de la capsule droite était complète. II. — Destruction partielle des deux capsules. — Inten- tionnellement, nous n'avons, dans un certain nombre de cas, cautérisé qu'une partie des deux capsules, soit en respectant toutes les connexions nerveuses et vasculaires de la capsule, et en nous contentant de toucher ou d'enfoncer la pointe rougie dans la capsule, ou bien encore en mobili- sant de tous côtés l'organe, sauf dans la région du bile, et en déterminant des lésions de voisinage aussi importantes que lorsque nous cherchions une destruction complète; enfin nous devons faire rentrer dans ce groupe d'expériences les animaux chez lesquels nous avons voulu faire une destruction complète des de'ux glandes, et oii l'autopsie nous a montré que cette destruction n'avait pas été totale. FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 165 Il résulte de l'ensemble de nos expériences, au nombre de vingt-cinq, que les troubles observés sont fonction de la gra- vité des lésions faites et de l'intervalle mis entre les deux opérations. On peut diviser ce groupe, cautérisation partielle des deux capsules, en trois sous-divisions. A. La cautérisation bilatérale a lieu à intervalle très rap- proché, soit dans la même séance, soit en espaçant les deux cautérisations de vingt-quatre à quarante-huit heures. Les animaux survivent le plus souvent, mais ils présen- tent un amaigrissement lent et progressif. Dans quelques cas, cependant, et après une période assez longue de dénutrition, l'amaigrissement s'arrête, la courbe du poids remonte, mais lentement. Expérience LXIIL — Grosse femelle très vigoureuse (poids, 680 gram- mes). Le 21 avril, à 3 heures, cautérisation de la capsule droite, l'opé- ration est rendue difficile par une hémorragie provenant d'une déchi- rure du foie; la cautérisation porte sur un cinquième environ de l'or- gane dans la région externe. L'hémorragie s'arrête d'elle-même, et l'animal, placé à l'étuve, réagit vigoureusement. A 4 h. 30, on pratique une cautérisation analogue sur l'autre cap- sule; le point cautérisé est plus interne, et il se produit une hémorragie d'un sang rutilant assez abondante, qui nous fait craindre d'avoir touché la veine rénale. Après l'opération, le cobaye est très prostré. Le lendemain, l'animal paraît remis, mange avec appétit; mais dans la journée, il tombe dans une torpeur marquée, quoique passagère. Les jours suivants, bien que l'animal mange, il existe une certaine torpeur qui disparaît peu à peu; l'amaigrissement est rapide. Du 21 avril au 10 mai, la perte de poids est régulière; un peu de suppuration des plaies. Le 10 mai, c'est-à-dire en vingt jours, l'animal est tombé à 498 grammes, soit une diminution de 180 grammes; mais, à partir de cette époque, il paraît se rétablir, et, au 2o mai, il atteint 610 grammes. B. Si l'on met un intervalle de huit à dix jours entre les deux cautérisations partielles légères, les animaux ne présen- tent aucun trouble notable ; à peine observe-t-on une diminu- tion de poids passagère, bientôt l'animal retrouve son poids. Nous avons des animaux opérés depuis plusieurs mois qui 16G J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. n'ont présenté, depuis cette époque, aucun trouble et ont un accroissement de poids normal. Exi'ÉuiK.NCE XLVIII. — Cobaye femelle (poids 47u grammes). Le .31 mars, destruction partielle de la capsule droite; la destruction porte sur le quart externe. Le 12 avril, l'animal pèse 3o0 grammes; le 1.3, on cautérise profondément la région médiane de la deuxième capsule. Le 15 avril, poids 473 grammes; le 18, 495 grammes; le 28, 50 1 grammes; enfin, le 25 mai, 510 grammes; le 5 juin, 560 grammes. C. Ouand les cautérisations, sans être totales, portent sur une grande partie de l'organe, des deux côtés, les animaux maigrissent rapidement, et la mort survient dans un délai as- sez rapide, mais la survie est néanmoins beaucoup plus lon- gue que lorsqu'il y a eu destruction totale (quatre à cinq jours environ). ExpÉiuKxcE LXn, 19 avril. — Cobaye femelle (poids, 395 grammes). Dans la même séance, on cautérise les deux capsules, la destruction portant sur une moitié de l'organe. En six jours, l'animal tombe à 230 grammes; il mange néanmoins et court dans sa cage. Mort, le 27, dans un état d'émaciation profonde. L'autopsie ne révèle aucune lésion péritonéale. III. — Destruction complète des deux capsides. — La des- truction complète des deux capsules entraîne fatalement la mort à bref délai. Dans le mémoire de M. Brovvk-Séquard de i85(i, on trouve comme survie moyenne pour les cobayes adultes treize heures, comme survie minima neuf heures et maxima vingt-trois heures. Enfin, dans une note récente à la Société de Biologie, M. Brown-Séouaud donne le chiffre moyen de neuf heures. Les survies que nous avons observées n'ont jamais dé- passé ce laps de temps, et la mort est très souvent survenue vers la cinquième heure. Les animaux meurent fatalement, môme quand on espace de huit à quinze jours les deux opérations. Dans ces conditions, nous avons observé quelquefois une FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 167 survie un peu plus longue, mais toujours très faible : douze heu- res environ. M. Brown-Séquard, dans son mémoire déjà cité de I806, a donné une description, restée classique, des accidents consécu- tifs à la destruction des deux capsules. Ces accidents sont de deux ordres : accidents paralytiques et accidents convulsifs. Nous verrons d'ailleurs que ces symptômes en apparence dis- semblables sont pour nous les effets d'une môme cause. Immédiatement après l'opération, les animaux s'affaiblis- sent graduellement. Ils s'engourdissent progressivement, et un peu avant la mort on voit survenir une parésie qui devient bientôt une paralysie complète des membres postérieurs. L'a- nimal ne ramène pas ses pattes quand on les étend, la sensi- bilité est pourlant conservée puisque le pincement des pattes postérieures détermine des mouvements réactionnels dans le train antérieur, ou des cris de douleur. Bientôt le train anté- rieur est paralysé à son tour, l'animal tombe sur le flanc, la respiration devient dyspnéique, puis l'amplitude des mouve- ments respiratoires s'affaiblit, et les animaux meurent par paralysie .des muscles respirateurs. Nous avions observé des phénomènes analogues chez les grenouilles ; guidés par l'analogie des symptômes observés, nous nous sommes demandés si la mort, chez les cobayes comme chez les grenouilles, n'était pas le résultat d'une auto- intoxication par l'accumulation dans l'organisme de substan- ces paralysantes. Aussi avons-nous, au moment de la mort et même avant la mort, pendant la période préagonique, inter- rogé l'excitabilité des nerfs. Nous avons constaté que l'exci- tation du sciatique par un courant faradique même très fort ne déterminait plus de contractions musculaires dans la patte, alors qu'un courant plus faible, de moyenne intensité, appli- qué directement sur le muscle, déterminait des contractions très nettes. Cependant la conductibilité du nerf paraît intacte, puisque, si l'on excite le sciatique dans sa continuité, on observe dans 168 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. le train antérieur des manifestations douloureuses : mouve- ments du cou et de la tète. Au moment de la mort, si on excite le phrénique, qui, comme on le sait, conserve longtemps son excitabilité après la mort sur Tanimal normal, on ne détermine aucune contrac- tion du diaphragme, bien que l'excitation directe de ce muscle produise des contractions énergiques. Nous avons observé une résistance plus considérable des nerfs du plexus brachial, qui réagissent encore un peu à l'exci- tant électrique, alors que les mouvements respiratoires ont disparu, mais cette excitabilité très faible disparaît avec une extrême rapidité. Comme on le voit, ces troubles paralytiques présentent dans leur marche une analogie très grande avec les phénomènes de l'intoxication par le curare. Expt.KiEXGE XXXIII. — Cobaye mâle (poids, oOO grammes). Le 5 fé- vrier, à 11 heures du matin, destruction des deux capsules, en espaçant d'une demi-heure les deux opérations; à 5 h. 30 du soir, parésie 1res marquée des membres supérieurs; à b h. 43, paralysie complète des pattes postérieures, liespiration dyspncique. L'animal est mourant. A ce moment, on met à nu un sciatique, et on l'excite par des courants faradiques de moyenne intensité. Pas de contractions musculaires. L'animal manifeste de la douleur par des mouvements réaetionnels de sa tête et de son train antérieur. Les muscles du membre postérieur réagissent sous l'inlluence de faibles courants directement app'.iijués sur eux. A 6 heures, l'animal meurt. On ouvre rapidement le thorax et on excite le phrénique. Pas de contractions du diaphragme. Le diaphragme se contracte énergiquement quand on l'excite directement. Exi'ÉuiENCE LVI. ■ — Cobaye mâle (poids, 373 grammes). Destruction de la première capsule (droite), le 31 mars; le 14 avril, à 10 heures, l'animal pèse 400 grammes. On détruit la deuxième capsule. Mort à o h. 30 du soir. ExpÉHiENCE LXIV. — Cobaye mâle (poids, 570 grammes). Le 22 avril, à 10 h. 30, destruction de la capsule droite, hémorragie hépatique lé- gère; l'animal réagit bien après l'opération. Température, 35", 6. Il est porté à l'étuve à 30°. A 2 heures du soir, l'animal va bien, la motilité est normale. Suintement séro-sanguinoleiit à travers les lèvres de la plaie. L'animal est remis à l'étuve; le 23 avril, à 9 h. 30, l'animal va FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 169 bien. Température, 38°, 8. A dl heures, destruction de la capsule gauche. On le met dans l'étuve. A 2 h. 4o, l'animal a l'œil très vif. Tempéra- ture, 37°. 11 traîne un peu ses pattes postérieures, mais n'a pas encore de paralysie. A 3 h. 45, pas de troubles marqués de la motilité. A 4 heures, température 33°, o. A 9 h. 30, l'animal est affaissé, couché sur le flanc; la respiration est dyspnéique. Température au-dessous de 34°. A 10 h., mort. Inexcitabilité des nerfs, pas de péritonite, pas d'hémor- rairie abdominale. Dans certains cas, M. Brown-Séquard a observé, un peu avant la mort, des convulsions toniques et cloniques, signa- lées ultérieurement par d'autres physiologistes. Nous avons constaté nous-mêmes ces secousses convulsives chez un cer- tain nombre de nos animaux. Le pincement d'une patte pos- térieure déterminait des réactions énergiques et prolongées. Ces faits semblent mal se conciher avec les phénomènes de paralysie que nous attribuons à une intoxication curariforme, et qui pour nous dominent la symplomatologie des animaux privés de capsules. Mais la différence n'est qu'apparente; au fond, la pathologie des troubles peut être ramenée à une même cause. Les physiologistes ', en effet, qui ont étudié l'action du curare, ont constaté fréquemment des convulsions précédant la paralysie et une exagération du pouvoir réflexe de la moelle. Il existe d'ailleurs des différences individuelles au point de vue de l'évolution des symptômes, dont il nous est difficile, dans l'état actuel, d'expliquer la cause. Du reste nous avons toujours observé au moment de la mort, sur ces animaux qui avaient présenté des convulsions, l'inexcitabilité des nerfs périphériques et du phrénique, les muscles réagis- sant normalement. IV. — Toxicité du sang des cobayes acapsulés pour les gre- nouilles. — Enpréseçce de ces faits, nous avons cherché si le sang des animaux morts à la suite de la destruction des capsules \. VuLPiAN, Leçons sur Les substances toxiques et médicamenteuses : Curare, p. 58. 170 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. avait une action toxique; il est difficile d'étudier sur les ani- maux supérieurs les phénomènes de curarisation, tels que les a observés Cl. Bkrnard sur les grenouilles, et surtout de démon- trer directement la paralysie des terminaisons motrices, les plaques motrices des mammifères perdant très vite leur exci- tabilité après l'anémie du membre. Aussi, pour élucider ce point, avons-nous expérimenté sur des grenouilles'. Nous avons injecté à des grenouilles dont la circulation d'une patte postérieure était interrompue par la ligature du membre à sa racine, du sang, du sérum ou le produit du lavage de l'appareil circulatoire de cobayes acapsulés immé- diatement après la mort. Nous avons constaté que ces injec- tions déterminaient, après un laps de temps variable d'une à deux heures, des phénomènes de paralysie chez des gre- nouilles normales ou opérées de leurs capsules, l'excitation du nerf déterminant des réactions sur la patte liée. Comme expérience de contrôle, nous avons injecté les mêmes doses et des doses plus fortes de sang ou de sérum de cobaye normal ou de cobaye sacrifié après la destruction d'une cap- sule, à des grenouilles témoins, et nous n'avons pas observé de troubles. Nous avons pu observer quelquefois, à la suite de l'injec- tion de sang de cobayes qui avaient présenté des convulsions avant la mort, des phénomènes plutôt convulsifs que paraly- tiques. C'étaient des tremblements généralisés avec secousses fibrillaires coïncidant avec une impuissance motrice relative. De cette dernière catégorie de grenouilles, les unes sont mortes, les autres se sont rétablies, peut-être parce que la quantité de substances toxiques était insuffisante. Ce que nous voulons retenir de ces faits, c'est la toxicité du sang des cobayes acapsulés pour la grenouille, même normale, après la destruction de leurs capsules. 1. Abelous et Langlois, Sur l'action toxique du sang des niammileres après la destruction des capsules surrénales {Société de Biologie, 20 février 1892). FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 171 V. — Injections d extrait aqueux des capsules surrénales. — La physiologie contemporaine tend ù considérer les glandes vasculaires sanguines comme des organes destinés à déverser dans le sang des substances élaborées par elles et indispensables à l'intégrité fonctionnelle de l'organisme. Ces faits paraissent nettement établis pour le corps tbyroïde à la l/U/U ^\JVv ^-vX^A^A^VvA/v A . Wvx vaA FiG. 121. — Cobaye, 3 févr. — Destruction des deux capsules terminée à 2 heures. 1. — A 3 heures et demie, secousses convulsives portant surtout sur les muscles respiratoires, enregistrées avec le cardiograplie double de Marby. — 2. — A4 heures, première injection de 5 centimètres cubes d'extrait, diminution des secousses. — 3. — A 5 heures, nouvelle injection de 5 centimètres cubes, suppression des secousses. Mort de l'animal à 7 heures du soir. suite des expériences de nombreux physiologistes, parmi lesquels nous citerons spécialement M.. Gley. MM. Vassale, en Italie, et Gley, en France, ont réussi, en effet, à prolonger notablement la survie des animaux après l'ablation du corps thyroïde, par des injections intra-veineuses d'extraits aqueux de cette glande. La nature des capsules surrénales comme glandes vascii- d72 J.-E. ABELOUS ET P. LANGLOIS. laires sanguines a été élablie depuis longtemps par les Ira- vaux d'EcKER et de Bhown-Séquaud. Nous avons voulu voir si des injections d'extrait aqueux de ces organes pouvaient pro- longer la survie de nos cobayes opérés. Nous avons préparé ces extraits aqueux de la manière suivante : Nous nous sommes servis soit de capsules fraîches prises chez un animal venant d'être sacrifié, soit de capsules conservées dans la glycérine. On broyait sept ou huit capsules dans 25 centi- mètres cubes de sérum artificiel. Cet extrait non filtré était injecté sous la peau des cobayes qui venaient d'être opérés des deux capsules. On faisait ainsi trois ou quatre injections de 5 centimètres cubes chaque. Nous avons obtenu quelquefois une certaine prolongation de la survie, prolongation qui pouvait atteindre le double de la survie moyenne. Dans des expériences communiquées récemment à la Société de Biologie (séance du 20 mai 1891) par M. Brown-Séqlaud, le succès a été plus marqué. M. Brown-Séquaru a fait ses extraits avec quatre capsules surrénales de cobayes, broyées dans 4 centimètres cubes d'eau pure. L'extrait filtré au papier a déterminé une amélioration considérable des symptômes. L'un des cobayes avait eu des convulsions et était agonisant au moment de l'injection. Au cours de nos recherches, nous avons constaté la dimi- nution progressive, puis la suppression des secousses convul- sives qui se produisent quelquefois, comme nous l'avons dit plus haut, chez les animaux opérés, à la suite de deux injec- tions, de 5 centimètres cube chaque, d'extrait capsulaire, comme le montre le tracé ci-dessus (p. 171). FONCTIONS DES CAPSULES SURRÉNALES. 173 Conclusions Dans un travail récent fait au laboratoire de M. A. Mosso, M. Albanese a confirmé les résultats que nous avons obtenus sur les grenouilles, et a observé des faits nouveaux en ce qui concerne la résistance à la fatigue des animaux privés de capsules. Il conclut que les capsules surrénales sont destinées à détruire ou du moins à transformer les substances toxiques qui, par l'effet du travail des muscles et du système nerveux, se produisent dans l'org'anisme. Déjà, dans notre précédent mémoire, sans être aussi affirmatifs, nous avions conclu dans le même sens. Ce qui ressort de toutes nos recherches sur les grenouilles et les cobayes, c'est que, comme l'a dit formellement M. Buown-Séquard, en 1856, les capsules surrénales sont des organes essentiels à la vie; leur très grande importance fonc- tionnelle se déduit naturellement des effets qui suivent leur destruction totale et même partielle. Les troubles profonds de la nutrition, l'amaigrissement extrême que nous avons observés sur les cobayes qui avaient subi la destruction par- tielle des deux capsules montrent bien qu'une lésion, même partielle, de ces organes peut entraîner des conséquences graves. D'autre part, la toxicité du sang des cobayes privés des capsules indique qu'il s'accumule dans l'organisme une ou plusieurs substances toxiques de nature encore inconnue à la suite de la suppression de la fonction surrénale. Ces substances nous ont paru agir tout spécialement sur les terminaisons des nerfs moteurs dans les muscles. On peut expliquer la mort des animaux par une auto- intoxication, une sorte de curarisation déterminant une para- lysie progressive et rapide. L'injection d'extrait aqueux semble bien agir d'une façon favorable pour modifier et atténuer les symptômes mor- bides. m J.-E. AHELOUS ET P. LANGLOIS. Nous conchirons donc : Les capsules surrénales sont des glandes vasculaires san- guines dont l'impoi lance fonctionnelle est manifeste; ce sont des organes chargés d'élaborer des substances qui peuvent modifier, neutraliser ou détruire des poisons fabriqués sans doute au cours du travail musculaire et qui s'accumulent dans l'organisme après la destruction des glandes surré- nales'. 1. Depuis la rédaction de cet article, nous avons communiqué à la Société de Biologie (4 juin 1802J une note sur Taction toxique exercée chez les grenouilles réceiunient privées de capsules, par l'extrait alcoolique de muscles de gre- nouilles mortes à la suite de la destruction de ces organes ou de grenouilles tétanisées jusqu'à épuisement. Dans un prochain mémoire nous donnerons le ri'sultat de ces recherches encore inconiplrtes. XXV NOTES DE TECHNIQUE PHYSIOLOGIQUE Par M. Charles Richet, Injections péritonéales pour l'anesthésie Actuellement, dans la plupart des laboratoires, on a renoncé à anesthésier les chiens par le chloroforme, et, le plus souvent, on détermine l'anesthésie par l'introduction intra-veineuse de chloral. C'est un procédé qui, je crois, a été employé pour la première fois d'une manière méthodique par VuLPiAN et Bochefontaine, il y a déjà vingt ans. Il a de grands avantages sur la chloroformisation, mais cependant il comporte un inconvénient sérieux : c'est que l'injection intra-veineuse introduit directement dans le sang du chloral, qui est toxique et qui, par son action directe sur l'endocarde, lorsqu'il est trop rapidement injecté, amène quelquefois des 176 CHARLES UICHET. syncopes mortelles. Ces syncopes surviennent surtout si la solution du chloral est trop concentrée, par exemple 250 gram- mes par litre. Je préfère introduire lo chloral, non plus dans le système veineux, mais dans le péritoine ; l'absorption est rapide, et, en dix minutes, l'anesthésie est complète. Cela n'entraîne aucun accident inflammatoire. On n'a rien à craindre en pi- quant Tabdomen avec une aiguille de Pravaz, car l'intestin fuit devant l'aiguille et n'est jamais perforé. En ajoutant du chlorhydrate de morphine au chloral, on obtient une anesthésie qui Jure très longtemps, près d'une heure, sans menace de syncope, ce qui permet alors de faire avec une complète sécurité des opérations très longues. La solution que j'emploie contient, par litre, 200 grammes de chloral et 1 gramme de chlorhydrate de morphine, cette petite quantité de morphine étant tout à fait suffisante pour rendre le sommeil calme, profond et prolongé. Quanta la dose anesthésiante, après de nombreux essais, elle m'a paru être, en tenant compte du poids de l'animal, de 5 décigrammes de chloral' et de 25 dixièmes de milligramme de morphine par kilogramme d'animal, ce qui représente le chitTre, commode pour l'usage, de 2 ce. 5 de la solution par kilogramme du poids de l'animal. Mais c'est là un chiffre extrême, qu'il ne faut pas dépasser, surtout sur les jeunes chiens. Chez les lapins et les cobayes, où l'injection intra-péri- tonéale réussit très bien également, la dose ne doit pas être aussi forte ; et on obtient l'anesthésie avec 2 décigrammes de chloral par kilogramme et la quantité de morphine corres- pondante. En faisant cette expérience d'anesthésie sur des animaux de taille différente, appartenant soit à la même espèce, soit à des espèces diverses, on voit l'intluence curieuse de la taille sur le refroidissement : quoique la dose de chloral injecté soit proportionnellement la même, les petits chiens se refroi- INJECTIONS PÉRITONÉALES DE CHLORAL, 177 dissent très vite, tandis que les grands chiens, pesant 30 kilo- grammes, par exemple, ne perdent que quelques dixièmes de degré de leur température. Cela tient à ce que, à l'état normal, les gros chiens ont des combustions chimiques moins actives que les petits chiens, tandis que, sous l'in- iluence du chloral, les gros et les petits chiens ont des échanges chimiques également faibles. Alors l'abaissement de température est également proportionnel à la déperdition par la surface. II De la disposition de la soupape de Muller pour la respiration spontanée et pour la respiration artificielle. M. Hanriot et moi nous avons faitconstruire,parM.Alver- gniat, une soupape de Muller pour faire respirer des animaux de manière à doser leurs échanges respiratoires. Par cette dis- position, on peut graduer la pression à vaincre, soit à l'in- spiration, soit à l'expiration. On peut faire la pression égale ou différente dans un sens ou dans l'autre. Pour apprécier cette pression et inscrire graphiquement l'effort musculaire de l'animal qui respire, nous avons, avec M. Langlois, disposé l'expérience de la manière suivante : Un long tube, étroit et rempli d'eau, est adapté à la bran- che commune de la soupape de Muller : chaque effort de l'animal détermine une ascension ou une descente du liquide, et on peut lire sur la colonne le degré d'abaissement ou d'élé- vation, ce qui indique en centimètres d'eau la hauteur de la pression. En adaptant au tube un tambour inscripteur, on inscrit les variations de volume de l'air, et on a ainsi la notation graphique de l'effort musculaire accompli par l'ani- mal. On peut encore se servir de cette soupape pour la respi- TOME II. 12 178 CHARLES RICHET. ration artificielle; dans certains cas, en effet, il est intéres- sant de mesurer les échanges respiratoires chez des animaux qui n'ont plus de respiration spontanée et chez qui on doit faire la respiration artificielle. Dans ce cas, il suffit de dimi- nuer beaucoup le diamètre du tube de Texpiration. Voici alors ce qui se passe : chaque mouvement du soufllet introduit brusquement une grande quantité d'air dans la poitrine et dans le tube à expiration ; mais le tube à expiration est trop étroit pour permettre la sortie de tout cet air, et alors une partie de l'air insufflé dilate la poitrine ; puis, pendant le silence du soufllet, cet air introduit dans la poitrine est chassé par l'élasticité pulmonaire et sort par le tube à expiration. Ainsi, par l'inspiration, il y a des mouvements intermittents, tandis qu'à l'expiration le mouvement est continu. En rendant le mouvement du soufflet très lent et en ser- rant le thorax du chien avec une ceinture de caoutchouc, on rend l'expérience très régulière. lit Procédé pour conserver pendant longtemps du sang frais sans altération grossière et sans stérilisation. Nous avons essayé, avec M. Héricourt, de conserver pour l'alimentation des lapins du sang frais pendant longtemps, et le procédé suivant nous a paru satisfaisant. On fait à chaud une solution très concentrée de gélatine dans l'eau, répondant à peu près à 250 grammes de gélatine par litre. Dans î 00 grammes de cette solution, portée aune température qui ne dépasse pas 60°, on fait tomber directe- ment le sang sortant de l'artère ouverte dans laquelle on a placé une canule stérilisée. On a soin d'agiter rapidement et constamment, de manière que l'ensemble soit bien ho- mogène. Dans ces conditions, un gros chien fournit à peu INJECTIONS PÉRITONÉALES DE GHLORAL. 179 près 800 grammes de sang, et on a un mélange où il y a envi- ron 3 p. 100 de gélatine. La masse ainsi constituée se prend en une gelée résistante, élastique. On a pu, avant cette géli- fication, verser tout le liquide dans des flacons et dans des vases. Cette sorte de confiture de sang se conserve sans altéra- tion extérieure pendant très longtemps, si l'on empêche les moisissures qui se développent à sa surface tout à fait comme sur des confitures ordinaires. Toutes les propriétés extérieures du sang sont conservées, et, quand on chaufTe cette gélatine de sang à 50", elle fond en offrant la couleur du sang normal, sans odeur et sans alté- ration apparente. 11 est possible qu'il se passe dans cette gélatine quelques altérations microbiennes ; mais celles-ci sont probablement peu marquées à cause du milieu solide, et, au point de vue alimentaire, la qualité du sang n'a pas sensiblement changé. Il serait peut-être intéressant de substituer au sang li- quide, recommandé, parait-il, par quelques médecins, pour l'alimentation, ce sang gélatinisé, facile à conserver et à transporter. IV Action des vapeurs de mercure. En faisant quelques expériences pour doser les produits de la respiration chez les lapins, j'ai été amené à substituer à l'eau de la cloche du mercure métallique. Je plaçais les lapins sur un grillage en bois reposant sur le mercure; le tout était recouvert d'une cloche d'environ 30 litres, dans laquelle passait un courant d'air. Au bout de trois ou quatre heures, les lapins étaient reti- rés de la cloche, leur température s'était abaissée, et les 180 CHAULES RICHET. échanges respiratoires avaient semblé diminuer dans les der- niers moment de l'expérience. Dans ces conditions, quelques-uns de ces lapins étaient trouvés morts le lendemain : la seule cause possible de la mort est l'intoxication par les vapeurs de mercure, attendu que je n'ai jamais eu d'accident pour les lapins mis sous la cloche quand le mercure était remplacé par de l'eau. Ce sont donc les vapeurs de mercure qui ont cette action toxique, malgré leur faible tension à la température normale. Je dois dire que ces expériences se faisaient en été, par une température moyenne de 20°. On rapprochera ces données expérimentales de certaines observations prises sur l'homme, d'après lesquelles du mer- cure non chauffé, mais répandu en grande quantité, a pro- voqué des accidents d'intoxication, parfois mortels. XXVI RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA POLYURIE Par MM. R. Moutard-Martin et Charles Richet. Historique. Les anciens auteurs avaient déjà remarqué que la quantité d'urine s'accroît avec la quantité des boissons. Copia potus muUum ad urinam facit^. Ils avaient vu en outre que cette quantité est extrêmement variable : Copia ejus quœ sano ho- mini competit vix potest definin^. Malgré cette incertitude dans l'appréciation exacte de la quantité d'urine, plusieurs auteurs, cités par Haller, ont pu donner le chiffre moyen de l'urine rendue en 24 heures par un homme adulte : soit 1,250 grammes. Les auteurs modernes sont arrivés à la même conclusion, de telle sorte que Ton peut regarder le chiffre rond de 1,250 grammes comme exprimant la quantité d'urine émise communément en 24 heures par un homme adulte et bien portant. 1. Haller, Elementa physiologiœ, t. VII, p. 390. 2. Haller, ifjid., p. 389. 182 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. D'ailleurs on ne trouve ni dansHALLER,ni dans les auteurs qui l'ont presque immédiatement suivi, le récit d'expériences relatives à la diurèse. Les médecins avaient cependant, et de tout temps, reconnu que certaines substances sont diuréti- ques : la digitale, la scille, le nitre, etc.; mais ils n'avaient pas franchi la distance qui sépare les notions médicales empi- riques de la connaissance d'un phénomène physiologique, avec une relation établie entre l'efTet et la cause. Un des premiers auteurs qui paraissent s'être occupés de la question au point de vue expérimental, c'est Ségalas d'Etche- pare'. Il observa que l'urée introduite dans les veines d'un chien en est éliminée très promptement, quelir est un puis- sant diurétique^ et qu'elle n'a pas d'action bien nuisible sur l'économie. Et il fait remarquer, dans une note, que, sur l'homme, l'urée paraît agir aussi comme un diurétique. Quelques temps après, Wôlher - fit sur la sécrétion uri- naire des expériences très précises. D'après lui, les sels qui sont éliminés par l'urine (carbonates, chlorures, azotates, sul- fates de potassium et de sodium, matières colorantes, etc.) activent la sécrétion de l'urine. Il attribue au rein la fonction d'éliminer non seulement l'urée et l'acide urique, mais encore toutes les substances solubles non volatiles. Magendie' vit que, toutes les fois qu'on injecte dans le sang une certaine quantité d'eau, l'urine devient albumineuse et sanguinolente. Ll'dwig donna de la sécrétion urinaire, vers ;1 844, une théorie sur laquelle il est inutile d'insister. Cette théorie a provoqué de nombreuses expériences sur la sécrétion uri- naire. Cependant peu de recherches ont trait directement à la polyurie. Les expériences de Goll' et Ltjdwig établirent qu'il y a une i. Journal de physiologie expérimentale et de pathologie de Magendie, 1822, t. II, p. 354 à 363. 2. Mémoire trad. dans les Archives de Médecine, 1824, t. VII, p. 577. 3. Cité par Cu.^É^-^iKKD, Leçons sur les liquides de l'organistne, t. Il, [). 13!). 4. VuLPiAN, Leçons sur l'appareil vaso-moteur , t. I, p. 523 et suivantes. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 183 relation entre la pression du sang dans les artères et la sécré- tion de l'urine. La saignée, qui diminue la pression sanguine, diminue aussi l'excrétion. L'excitation des pneumogastriques agit de même. Ces expériences, répétées par beaucoup d'au- teurs, firent adopter comme générale la théorie de la dépen- dance mutuelle de la sécrétion urinaire et de la tension artérielle. Il résulte donc des expériences de Wôlher d'une part, et de LuDwiG d'autre part, que la production de la polyurie est sou- mise à deux influences : 1° La composition du sang; et c'est ce point spécial que nous nous proposons d'étudier; 2° La pression du sang, soit dans le système circulatoire général, soit dans le système rénal. Mais la question ne sera pas traitée par nous à ce dernier point de vue, et nous nous contenterons de mentionner cette influence et de rappeler qu'un grand nombre d'expériences ont été faites pour déter- miner l'action directe ou indirecte du système nerveux sur la fonction rénale. Venons maintenant aux expériences où les modifications de la composition du sang ont déterminé un accroissement de la sécrétion urinaire. KiERULF^ en répétant les expériences de Magendie sur l'in- jection d'eau dans les veines, vit qu'après une injection de 500 grammes d'eau distillée pour un gros animal, Turine de- venait albumineuse, rougeâtre, sanguinolente, et que la quan- tité d'urine éta.it plus considérable. Genth^ fit remarquer que l'ingestion [d'eau augmente la quantité d'urée excrétée et que le chlorure de sodium, l'urée elle-même, et l'acide phosphorique ont le même effet sur l'ex- crétion d'urée. MosLER ^ admet que l'ingestion d'eau augmente l'élimina- tion de l'urée et des sels. 1. Cité par Cl. Bernard, loc. cit., t. II, p. 139. 2. Cité par Carpenter, loc. cit., p. 527. 3. Cité par Carpenter. Principles of human Physiology, 8e édition, p. 101. 184 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. Claude Bernard* cite une expérience relative aux effets de l'introduction d'eau dans les veines. Il injecta à un tout petit chien pesant 2,500 grammes le tiers de son poids d'eau, soit 800 grammes. « Les sécrétions ne parurent d'abord pas mo- difiées; puis, à mesure qu'on injecta plus d'eau, elles diîni- nuèrent peu à peu. » Ce résultat était absolument contraire aux conclusions de Kierulf. UsTiMOWiTCH- a consigné dans un mémoire très important les résultats de ses expériences sur la sécrétion urinaire. Il a cherché le minimum de pression nécessaire pour que la sécrétion puisse encore s'effectuer. Il admet que, dans le cas où le sang n'est pas modifié par l'introduction de substances étrangères, ce minimum correspond chez un chien à environ 50 millimètres de mercure. Mais, si ïon injecte de Vurée ou du chlorure de sodium^ quoique la pression soit au-dessous de 50 (entre autres l'expérience 3, page 211, où il y eut IjOS"" d'urine par minute avec une pression de 40 millimètres), il y a cependant persistance de la sécrétion. Il admet que le curare ralentit la fonction rénale (p. 224), de telle sorte que, si l'on injecte ensuite de l'urée ou du chlorure de sodium, la sécrétion est moins abondante que sur l'animal non cura- risé. Falck ^ a injecté du chlorure de sodium dans le sang et a constaté que ce sel est éliminé par l'urine sans que ce liquide devienne sanguinolent ni sucré. D'autres sels que le chlorure de sodium ont été étudiés dans leur action sur la sécrétion urinaire : ainsi les azotates de potassium et de sodium sont diurétiques et rapidement éli- minés par les reins. Il en est de même pour les sels de man- ganèse et de magnésie lorsqu'ils sont pris à dose modérée*. 1. Leçons sur les liquides de l'organisme, 1859, t. I, p. 32. 2. « Expcrimcntellc Beitrâgc zûr Théorie der Harnabsonderung. » Comptes rendus du Laboratoire de Leipzig, 1870, p. 198. 3. « Ein Beitrag zur Physiologie des Chlornatriums. » Virehow's Arch., t. LVI, p. 315 à 344. 4. Rabuteau, r/ièse mau^Kj-aZe, Paris, 1867, p. 73 et 92. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 185 KuLz^ observe que l'injectiond'une solution salée, non seu- lement amène la polyurie, mais produit une sorte de diabète avec élimination d'inosite. Le phosphate de soude se retrouve dans l'urine à l'état d'acide phosphorique, ainsi que Falck- l'a montré, sans indi- quer cependant qu'il y a polyurie. Ainsi on admet d'une façon générale que certaines sub- stances salines, chlorure de sodium, azotates, etc., augmentent la quantité d'urine excrétée. Relativement à la glycérine, de nombreux auteurs se sont occupés de la question. Ustimowitch ^ a montré qu'après l'in- jection veineuse de quantités, même minimes, de cette subs- tance (2"'' pour un chien de moyenne taille), il y avait une augmentation notable dans la quantité d'urine excrétée. Luch- siNGER* avait noté déjà que l'injection sous-cutanée de glycé- rine produit l'hémoglobinurie. Enfin Plosz'^ a montré qu'après l'injection de glycérine, une partie de cette substance se re- trouve dans l'urine à l'état d'aldéhyde glycérique C^H^O^ (?). Pour l'urée, outre les expériences de Ségalas et d'Ustimo- wrrcH, mentionnées précédemment, il faut noter celles de Rabuteau*, qui n'a pu constater qu'une très faible augmenta- tion de la quantité d'urine, en prenant par la voie digestive 5 grammes d'urée par jour. 1. « Ueber das Auftreten Von laosit in Kaninchenharn. » Centralhlatt fur med. Win., 1875, p. 932. 2. « Untersuchxmg uebcr die Ausscheidung des durch Infusion in das Blut gcbrachtcn phosphorsauren Natrons dui'cli die Nieren. » Virchow's Archiv., t. LIV,p. 173. 3. « Ueber die angebliche ïuckerzersetzende Eigenschaft des Glycerin. » Pflûger's Archiv., t. XIII, p. 435. 4. LucHsiNGER, « ExperimenteUe Hcmmung einer FermentAvirkung des lebendcn Thieres. » Pflûger's Archiv., t. XI, p. 502. Voyez aussi : Schwann. — Ueber die Art wie das Glycerin Hemoglobinuric macht. » Eckhrad's Beitruge zur Anatomie u. Physiologie, t. VIII, p. 165. 5. « Ueber die Wirkung und Umwandlung des Glycerins im thicrischcn Organismus. » Pflûger's Archiv., t. XVI, p. 153. 6. Rabuteau, Note sur les effets physiologiques et l'élimination de Turée introduite dans l'organisme. Union médicale, 1872, p. 841. 186 R. MOI TARD-MARTIN ET CH. RICHET. Feltz e t RiTTER * , après avoir injecté de l'urée dans les veines^ notent l'innocuité de cette substance, mais ne remarquent pas qu'il se produise de la polyurie. Pour ce qui concerne les substances résineuses et les extraits actifs des plantes, on possède quelques données fournies par l'observation clinique et la thérapeutique, mais les expériences physiologiques font à peu près complètement défaut. On sait que la térébenthine, le goudron, le copahu, le santal, etc., sont diurétiques, mais le fait n'a pas été démontré par des expériences physiologiques. Quant à l'alcool, on sait d'une part que les boissons alcoo- liques, telles que le vin blanc ", la bière, etc., provoquent la polyurie, mais on ignore si cette action est due à l'alcool ou à l'eau ingérée en même temps que lui; on n'est même pas cer- tain qu'il soit éliminé par les reins ^ La scille, la digitale, ont été, de toute antiquité, considérées comme des diurétiques. On a fait beaucoup d'expériences pour savoir si la digitale agissait sur le rein directement, ou, au contraire, par l'intermédiaire du système nerveux. On ignore même si la digitaline est éliminée par le rein*. Ainsi, la question n'est pas résolue, et Lauder Brunton et H. Power^ ont admis que le moment de la diurèse ne coïncide pas avec l'élévation maximum de la pression artérielle. D'autres alcaloïdes*' paraissent aussi augmenter la quantité 1. Journal de fana lomie et de la physiologie, min 1874, et Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. LXXXVI, p. 916. 2. HippocRATE dit que le vin blanc est diurétique. {Œuvres, Ed. Littré, t. II, p. 334.) Un peu plus loin, il dit que l'eau n'est pas diurétique (ibid., p. 360); nous rapprocherons cette opinion .-incicnnc des expériences indiquées plus loin (S III). 3. AusTiE, « Recherches sur l'élimination de l'alcool. » Rev. des Se. méd., t. V, p. .^6. Voyez BiNz, « Die Auscheidung des Weingeistes durch Nieren und Lungen. A)Th. f.exp. Path. u. Pharm., 1877, f<''vrier. 4. BoRDiER, « Revue critique de th(-rapeutique, nin Journal de thérapeutique, t. I, p. 142. 5. Revue des Sciences médicales, t. V, p. 53. 6. Wernicu, Cenlrallilatt fur die med. Wissenchaft, 1873, p. 353. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 187 d'urine excrétée : l'ergotine \ l'aconit-, la caféine et ses con- génères \ Les effets de l'injection d'eau ont donné des résultats diffé- rents suivant les expérimentateurs. Nous avons dit que Cl. Bernard, injectant à un animal le tiers de son poids d'eau (330 grammes par kilogramme), a vu toutes les sécrétions se tarir, tandis que Kierulf avait cru constater de la polyurie. M. Falck, de Marbourg, a fait, à diverses reprises, des expé- riences sur les injections d'eau, soit dans le système vascu- laire '*, soit dans le tissu cellulaire'. En injectant de l'eau distillée dans la veine, il a constaté que l'urine (obtenue par catéthérisme) augmentait de plus du double (de lô"" à 37*""). Il a vu l'hématurie se produire à la suite de l'introduction d'une quantité d'eau considérable dans le système vasculaire. En usant de la voie stomacale pour faire pénétrer l'eau dans l'organisme, il a vu que presque toute l'eau était éliminée par le rein, et qu'il y avait par conséquent polyurie. Il faut, selon lui, pour produire la mort chez 1q chien, injecter dans la veine 220 grammes d'eau tiède et distillée par kilogramme. En faisant absorber l'eau par le tissu cellulaire, il a vu «z<^- m(?^î^/?r la quantité d'urine (p. 42o), dans la proportion de 209,2 à 100. La densité de l'urine descendit dans un cas à 1 001. M. Picot ^ a fait des expériences analogues, et a constaté que l'injection d'eau à la dose de un trentième du poids du corps (soit 33 grammes par kilogramme) tue les lapins ; et, à la dose de 200 grammes par kilogramme, tue les chiens. Il ne semble pas avoir observé l'effet produit sur la sécré- tion du rein, 1. HuNTER Mackenzie, The Practitioner, jaavier 1880, p. 1. 2. GuBLER, « Action diurétique de la caféine. Rev. des Se. méd., t. XV, p. in. 3. Lewis Shapter, if/id. 4. « Eia Eeitrag zur Physiologie des Wassers. Zeitschrift fur Physiologie, III,Heft, 1872. 5. « Welchen Einfluss iibt die subcutano Injectioa von Wasscr auf don thie- rischen Organismus. » Pflilger's Archiv, fasc. 8 et 9, t. XIX. 6. Comptes rendus de l'Académie des Sczencej, juillet 1874. 188 R. MOITARD-MARTIN ET CH. RICHET. Il résulte de cet ensemble d'expériences que l'on n'a au- cune donnée précise relativement à l'influence des injections d'eau sur la sécrétion rénale. En résumé, les seuls faits bien établis expérimentalement sont les suivants : l'urée (Ségalas), le chlorure de sodium (Wôhler) et la glycérine (Ustimowitch) sont diurétiques et passent dans l'urine *. II Procédé expérimental. Nous dirons d'abord, en quelques mots, quels sont les procédés que nous avons mis en usage dans les expériences que nous rapportons. Pour apprécier exactement les variations quantitatives de l'urine, il est indispensable de la recueillir au moment où elle s'écoule de chaque uretère. Le catéthérisme vésical est un procédé défectueux qui ne permet pas de saisir le moment précis 011 l'urine varie dans sa quantité. Au contraire, lors- qu'une canule est introduite dans l'uretère, on apprécie, à une seconde près, le moment où les gouttes s'écoulent en plus ou moins grande quantité. Aussi, dans toutes nos expériences, avons-nous cru nécessaire de placer une canule dans chaque uretère. L'animal étant préalablement, soit anesthésié à l'aide du chloral seul, ou mieux encore, à l'aide d'unmélange de chlo- ral et de morphine, soit immobilisé par le curare, on procède à l'ouverture de l'abdomen et à la recherche des uretères. L'opération peut se faire très vite et très facilement : on pra- 1. On trouvera l'exposé des théories actuelles relatives à la polyurie dans les thèses d'agrégation do M. Lancereaux : De la Polyurie, 1860; et Laure : De la Médication diurétique, 1878; et dans le travail de M. Mairf.t [Montpellier médical, 1879, p. 950). POLYURIE EXPÉRIME>JTALE. 189 tique une incision longitudinale de dix centimètres environ sur la paroi abdominale, immédiatement en avant des muscles vertébraux entre la dernière côte et Tos iliaque. Pour empê- cher les hémorragies qui surviendraient à la suite de Finci- sion des muscles abdominaux, il est bon de ne couper que la peau avec le bistouri, et de procéder ensuite par dilacération. On arrive ainsi, presque sans écoulement de sang, jusqu'au péritoine. Le péritoine étant incisé, on écarte l'intestin et les replis mésentériques, de manière à avoir sous les yeux le péritoine pariétal prévertébral. Il est rare qu'on ne puisse pas alors apercevoir un cordon résistant, blanchâtre, qui fait presque saillie sous le péritoine. C'est l'uretère, qu'il suffit alors de soulever sur une aiguille courbe. La recherche de l'uretère devient très facile lorsqu'on a bien présents à l'es- prit son aspect et sa couleur dans le tissu cellulaire sous- péritonéai. Néanmoins, ce n'est qu'après un grand nombre d'expériences que nous avons pu pratiquer rapidement et sans tâtonnements son isolement. On reconnaît qu'on a bien réellement l'uretère sur l'instrument, à la résistance élastique de ce cordon, et surtout à ce qu'il se laisse étirer et séparer facilement des parties voisines, sans entraîner avec lui des lambeaux de tissu, comme il arrive pour les artères ou les nerfs que l'on aurait saisis par erreur. Il faut alors l'attirer au dehors. Si l'uretère est volumineux, on peut le sectionner à la partie moyenne, et introduire dans sa lumière une canule d'argent. Si, au contraire, il est de petite dimension, il est bon, avant de le sectionner, de ne faire avec les ciseaux qu'une boutonnière latérale par laquelle on introduira plus facilement la canule. Cela fait, on dénude avec soin l'uretère, et on le lie sur la canule qu'il faut enfoncer jusqu'au bas- sinet. Tout étant ainsi disposé à droite et à gauche, on fait la suture des parois abdominales, et au moyen d'un système de tubes élastiques et d'un tube de verre en T, on recueille la totalité du liquide qui s'écoule parles deux uretères. De cette 190 R. MOITARD-MARTIN ET CH. RICHET. manière, chaque goutte que fournit l'un des deux uretères détermine la chute d'une goutte d'urine par la branche des- cendante du tube en T. Si on veut, dès le début de Texpérience, connaître la quan- tité d'urine excrétée, il faut avoir soin d'amorcer le système de tubes que l'on adapte aux canules urétérines. Si l'on ne prend pas cette précaution, il faut un temps relativement très long pour qu'il se remplisse, et qu'on ait un écoulement de liquide tombant goutte à goutte. Il est vrai que, si les tubes ont été amorcés, ce n'est pas de l'urine, mais de l'eau qui s'écoule au début ; mais peu importe au point de vue de l'appré- ciation de la polyurie, car cet écoulement d'eau répond exactement à la quantité d'urine sécrétée. D'ailleurs, au bout d'un quart d'heure environ, il n'y a plus que de l'urine dans les tubes. On peut se demander si l'opération ne modifie pas les conditions normales de la fonction rénale. Nous avons vu constamment que l'incision du péritoine ou peut-être la liga- ture des uretères sur la canule, l'exposition de l'intestin à l'air, etc., en un mot, le traumatisme opératoire, ralentissait momentanément ou supprimait même l'écoulement de l'urine. Il s'agit là probablement d'une action réflexe. On peut facilement compter le nombre de gouttes qui s'é- coulent en une minute ou même en une demi-minute. La sen- sibilité de ce procédé est telle qu'après l'injection de sucre on peut déjà noter un commencement de polyurie au bout de 3o à 40 secondes. D'ailleurs, en recueillant l'urine ainsi écoulée pendant des intervalles de temps égaux , toutes les dix minutes, par exemple, on peut apprécier très exactement les variations quantitatives de l'urine. On peut ainsi recueillir des quantités suffisantes pour connaître les variations de la quantité d'urée toutes les dix minutes. Pour ce qui concerne les modifications qualitatives de l'urine, en la faisant tomber dans des réactifs convenables. POLYCRIE EXPÉRIMENTALE. 191 on voit, par le changement de coloration caractéristique ou par la formation d'un précipité, le moment de l'élimination de la substance expérimentée. Il est vrai que ce moment est un peu retardé par suite du temps nécessaire au liquide pour cheminer à travers le système de tubes. Il suit de là qu'il faut les prendre aussi courts et aussi étroits que possible. III Effets des injections d'eau. Lorsqu on a placé les deux canules dans les uretères, on n'observe pas, tout d'abord, d'écoulement d'urine. En effet, il semble que l'opération, ou la ligature de l'uretère sur la canule, arrête momentanément la fonction du rein ; de sorte qu'au début de l'expérience, il ne s'écoule presque pas d'u- rine. Claude Bernard rapporte des faits analogues ^ relative- ment à la sécrétion du rein. D'ailleurs, nous n'insisterons pas sur ce phénomène ; car il s'agit là, très probablement, d'une de ces influences nerveuses dites d'arrêt, que nous n'avons pas l'intention d'étudier. Lorsqu'on a attendu quelque temps, de manière à laisser la sécrétion se rétablir, on voit l'écoulement d'urine redevenir régulier ; toutefois les gouttes d'urine ne s'écoulent pas à des intervalles égaux. Il semble que, sous l'influence d'une inspiration plus profonde ou d'une contraction des voies excrétoires, ou peut-être encore d'une oscillation brusque de la pression artérielle, l'urine s'écoule par saccades, donnant plusieurs gouttes en quelques secondes, pour rester ensuite longtemps stationnaire. Cependant, en se plaçant dans les 1. Claude Bernard, Leçons sur les liquides de Vorganisme, t. II, p. 162. « Chez un lapiu, la mise à nu du rein gauche, au moyen d'une incision dans la région lombaire, comme pour la néphrotomie, avait arrêté momentanément la sécrétion urinaire. » i92 R. MOLTAIID-MARTIN ET CH. RICHET. conditions normales, le nombre de gouttes qui s'écoulent par minute est, en somme, assez fixe. Chez les gros chiens, ce nombre est de trois à cinq par minute, chez les petits chiens, de deux à trois par minute. On peut donc, d'une manière générale, admettre le nombre de trois par minute comme exprimant la moyenne des gouttes d'urine excrétées par un chien dans les conditions normales de l'expérience, pendant une minute . Or, si on injecte de petites quantités d'eau tiède, on ne constate pas d'abord de changement dans la sécrétion ; mais si l'on en injecte de grandes quantités, la sécrétion diminue beaucoup et finit par se tarir complètement. Dans une expérience, nous avons injecté d'abord une petite quantité d'eau, puis des quantités croissantes. A aucun mo- ment de l'expérience il ne s'est produit de diurèse ; bien plus, la sécrétion a fini par se tarir complètement, au point que nous n'étions pas assurés d'avoir bien adapté les canules aux uretères. L'autopsie nous démontra qu'il n'en était rien. Il résulte de cette première expérience, d'abord, que l'eau, considérée comme dissolvant, pourvu qu'elle soit injectée en petite quantité (au-dessous de 40 " environ) chez un chien, n'exerce aucune action sur la sécrétion de l'urine. Puisqu'en injectant 20"" d'eau dans les veines, nous n'obtenons aucun effet appréciable, les effets que nous obtiendrons en injectant 20''' d'eau sucrée seront évidemment dus au sucre et non à l'eau injectée. D'ailleurs, au lieu d'injecter primitivement de l'eau, on peut, au préalable, rendre un chien polyurique, et alors injecter de l'eau dans ses veines et observer les effets de cette opération. Ainsi (Exp. IX), tandis que l'injection de 40'^" d'une solu- tion sucrée fit uriner à un chien 32'' en dix minutes, l'injec- tion de 80'' d'eau distillée ne lui fit uriner que 9'%5 dans le même temps. Le rapport de la puissance diurétique de l'eau sucrée par rapport à l'eau a donc été comme 7 à 1. Sur POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 193 le même chien, l'injection de 260"" d'urine fit écouler 40"" de liquide en dix minutes, tandis que l'injection de 25"" d'une solution de chlorure de sodium lui fit excréter 51"" d'urine en dix minutes. Le résultat est donc bien net : l'injection d'eau ne provoque pas de sécrétion plus abondante. D'ailleurs, d'autres expériences vont nous donner le même résultat. On voit, dans l'expérience I, la polyurie provoquée par 30"" d'une solution de sucre de canne (soit 22°'", 5 de sucre) et qui s'était élevée à 54"", 5 en trente minutes (soit 1"",8 par minute), tomber, après une injection de 30"" d'eau, au chiffre de 18"" en trente minutes (soit 0""6 par minute). Et plus loin, dans la même expérience, on voit encore la quantité d'urine qui, chez l'animal, alors fatigué par une expérience qui se prolongeait depuis 7 heures et demie déjà, avait atteint 50"" en trente minutes à la suite d'une injection de 100"" de la solu- tion sucrée (soit 75 grammes de sucre) descendre brusque- ment, à la suite d'une injection de 150"" d'eau, à 44"",5 en trente minutes (soit 0"",o au lieu de 1""06 que l'on recueil- lait auparavant par minute), c'est-à-dire diminuer d'un tiers. L'injection faite à un autre chien (Exp. II), de 20"" d'une solution sucrée donna 1"",02 d'urine par minute, alors que l'in- jection de 90"" d'eau provoqua seulement l'urination de 0,06"" par minute. Si on commence l'expérience par l'injection d'eau, la sé- crétion est tout à fait nulle, ou peu s'en faut. Un chien (Expé- rience XI) reçut dans ses veines 200"" d'eau distillée tiède : en trois heures il ne sécréta que 14"" d'urine ; cependant, dans les quinze minutes qui avaient précédé l'injection, il avait sécrété 15"" d'urine. Plus tard, sous l'influence du chlorure de sodium et du sucre, on lui fit sécréter 5*^", 8 par minute, c'est-à-dire, en 2 minutes et demie, autant de liquide qu'en 3 heures. TOME II. 13 194 R. MOI'ÏARD-MARTIN ET CH. RICHET. Pour rendre ces faits plus faciles à comprendre, nous pou- vons les présenter sous la forme de tableau : lo Urine normale d" par minute. — après injection d'eau 0'%08 — — après injection de sucre o",8 — URINE RIÎNDUE PAR MINUTE. Exp. I. Kxp. I. Exp.I. Kxp.IX. Exp.II. 2° Injection de sucre . . V%S 4",:5 1",06 2",09 1",37 Injection d'eau. . . 0",6 (r,:i 0",t5 i" 0",06 Un autre fait est h remarquer : c'est que l'urine qui s'écoule après les injections d'eau est sanguinolente et alors albu- mineuse. Au contraire, même après l'injection de doses con- sidérables de sucre, jamais le sang ne passe dans l'urine, tandis qu'il suffit d'une dose relativement minime, soit 200 grammes d'eau (20 grammes par kilogramme), pour pro- voquer cette hématurie. Le fait avait été noté par Magendie; il avait vu, dit Claude Bernard ', l'albumine passer dans les urines toutes les fois qu'on injecte dans le sang une certaine quantité d'eau. « Dans ces conditions, l'urine devient albumineuse et même sangui- nolente Il faut admettre là une action particulière de l'eau sur les éléments du sang, qui, sans doute, doivent garder entre eux des rapports de quantité tels qu'on ne peut les faire varier, sans que ce liquide s'altère et change de nature. » D'autres expérimentateurs, Kierulf, Falck et Picot, ont aussi vu l'hématurie se produire; mais ils n'ont pas observé Tanurie consécutive à l'injection d'eau, et, môme, Falck et Kierulf ont cru pouvoir noter de la polyurie. En réalité, ce n'est pas seulement sur le rein que l'injection d'eau a un efîot tout dilfércnt de l'injection de sucre; avec '-'intestin, le résultat est identique : l'expérience suivante en est la preuve : Ayant mis à nu l'intestin et placé un tube dans chaque bout \, Leço)is sur les liquides de l'organisme, t. II, p. 139. POLYURIE EXPERIMENTALE. 193 de cet organe sectionné, nous ne vîmes aucun écoulement de liquide se produire, bien que nous eussions injecté 1,050"'' d'eau distillée; au contraire, il y eut une production abon- dante de liquide après l'introduction, dans les veines du même animal, de 216'" d'une solution de sucre concentrée. A quoi faut-il attribuer ces phénomènes d'arrêt sécrétoire provoqués par les injections d'eau ? On pourrait supposer qu'il s'agit là d'une modification des éléments du rein ou de l'intes- tin, telle que ces organes, altérés dans leur structure, soient troublés dans leurs fonctions. Il n'en est rien cependant; car l'expérience IV nous montre que l'injection de la solution sucrée a pu provoquer l'écoulement d'un liquide intestinal abondant, malgré l'introduction préalable de 1,030'"' d'eau distillée dans le système veineux. De même pour le rein : les expériences I, II et IX montrent nettement la possibilité du ré- tablissement de la fonction rénale par le fait de l'introduction d'une solution de sucre, par exemple, dans le système circu- latoire, alors que la sécrétion urinaire avait été presque tarie par une ou plusieurs injections d'eau distillée. Pour ce qui concerne l'hématurie, il faut en revenir à l'o- pinion de Claude Bernard, qui voit dans ce phénomène la con- séquence d'une lésion des globules et du plasma du sang \ Quant à l'anurie consécutive aux injections aqueuses, nous en connaîtrons mieux la cause lorsque nous aurons exposé l'action, des diverses substances sur la fonction du rein. En résumé, nos expériences nous montrent que : 1° L'injection' d'eau à petites doses n'agit pas sur la sécré- 1. M. Mairet a trouvé que le sang des individus qui ont absorbé par la voie digestivc des quantités notables d'eau présente des altérations globu- laires : les globules sont déformés et crénelés. [Montpellier 7nédical, 1879.) 2. Nous ne parlons ici que de Vinjection intra-veineuse^ et non de Yingestion stomacale; nous ne confondons pas des expériences qui consistent à faire passer de l'eau distillée dans une veine, avec l'introduction dans l'estomac de boissons abondantes, fussent-elles aqueuses, lesquelles ont toujours produit et produi- 196 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. tion urinaire : à doses moyennes (de 5 à 20 grammes par kilo- gramme de ranimai), elle ralentit la sécrétion; à doses plus fortes (an-dessus de 30 grammes par kilogramme), elle arrête cette sécrétion ; 2° La sécrétion peut être rétablie par le sucre et les autres substances diurétiques ; 3° L'urine est sanguinolente et albumineuse après les in- jections d'eau; 4" Les sécrétions intestinales, très abondantes après l'injec- tion de sucre, n'augmentent pas après les injections d'eau. IV Injections de sucre. Des expériences antérieures nous avaient montré que l'in- jection intra-veineuso de quantités notables de lait provoque une polyurie abondante. Nous avons pensé alors que l'injec- tion de sucre (lequel existe en quantité notable dans le lait, soit 40 grammes par litre) pourrait peut-être produire les mêmes effets, et l'expérience conlirma nos prévisions. Sur des chiens, opérés comme nous l'avons dit plus haut, si l'on introduit dans la veine une petite quantité de sucre, aussitôt on voit l'urine s'écouler avec abondance. Ainsi (Exp. III), avant l'injection de sucre, on ne peut recueillir en SO minutes que quelques gouttes d'urine, tandis que, après l'injection de lO*"" d'une solution concentrée de sucre de canne, on obtient un écoulement de 12 gouttes par minute. Cette urine est limpide, non sanguinolente, non albumi- neuse, beaucoup moins fortement colorée que l'urine normale; ront toujours de la polyurie. Cette distiaction pourrait paraître superflue, si elle n'avait échappé à un rédacteur -du Montpellier médical (1880). POLYTRIE EXPÉRIMENTALE. 497 elle est même d'autant plus incolore que la polyurie est plus abondante. Elle contient toujours de très grandes quantités de sucre. A mesure que l'on injecte des doses plus fortes, la quantité d'urine augmente rapidement, au point qu'il devient pour ainsi dire impossible de compter le nombre des gouttes qui s'écoulent par minute (nous avons compté une fois loO gouttesparminute).Pourtoutescesnumérationsdegouttes et de quantité d'urine s'écoulant dans un temps donné, nous renvoyons aux expériences placées à la fin de ce travail. Disons seulementquelapolyurie, après lesinjectionsde sucre, est, dans quelques cas, telle, que, si l'on représente par I la quantité d'urine normale, la quantité d'urine sucrée éliminée dans le même espace de temps peut être représentée par 40. Nous nous sommes demandés s'il existe un rapport entre le volume du liquide injecté et le volume du liquide sécrété. Il est facile de voir, dans l'expérience I, par exemple, que le volume du liquide sécrété dépasse de beaucoup celui du li- quide injecté, déduction faite du chiffre normal de l'excrétion urinaire pendant ce temps. Ainsi, un chien, en une demi- heure, avait éliminé 14'''' d'urine; on lui fait une injection de 19"^ d'une solution sucrée dans la demi-heure qui suit : il sécrète 54"" d'urine, ce qui représente, déduction faite du liquide normalement sécrété, quatre fois le volume du liquide injecté. Il s'ensuit que, sous l'influence de l'excrétion rénale exagérée, il se fait une véritable déshydratation du sang. Cette déshydratation explique la soif intense manifestée parles ani- maux à qui on a fait seulement une injection intra- veine use de sucre. Nous avons aussi cherché les relations qui pouvaient exis- ter entre la quantité de l'urine et celle de l'urée excrétée à la suite d'injections intra-veineuses de sucre interverti. A me- sure que l'urine est plus abondante, elle contient, par litre, une quantité beaucoup moins grande d'urée; mais cette dimi- nution est compensée et au delà par l'augmentation de la sécrétion urinaire. En rapportant le chiffre de l'urée à 1 kilo- 198 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. gramme du poids de l'animal par 24 heures, nous avons ob- tenu les chiffres suivants : expérii;n'cj:s. I II III Avant rinjecliou (moyenne). , . . 0,42 0,45 0,22 Après injection de sucre (moyenne). 1,74 0,81 0,90 Après la première injection. . . . 0,03 0,63 0,68 Après la deuxième injection. . . . 1,06 0,85 0,47 Après la troisième injection. . . . 2,4."> 0,07 0,9.") Après la quatrième injection. . . . 2,14 0,78 0,20 Après la cinquième injection. . . . 2,40 » 1,20 Ainsi la quantité totale d'urée excrétée augmente en même temps que l'eau éliminée par le rein avec le sucre. Ce fait démontre que la glycosurie, l'azoturie et la polyurie sont trois phénomènes simultanés dépendant tous les trois d'une même condition physiologique, à savoir la glycémie. Pour le sucre comme pour les autres substances (ainsi que nous le verrons plus loin), le moment de la polyurie coïncide avec celui de l'élimination par le rein. Lorsque l'expérience a duré longtemps, et que la quantité d'urine excrétée a été considérable, les nouvelles injections de sucre ne déterminent plus qu'une polyurie très passagère, et la sécrétion diminue promptement. Ainsi la sécrétion urinaire qui, à la suite d^ injections suc- cessives de quantités variables d'une solution sucrée, avait atteint à différents instants, et par minute, 0,56 | 1,8 | 4,43 I 3 I 4,3, tomba, une demi-heure après la sixième in- jection, à 0,6 par minute. Par conséquent, la déshydratation du sang atteint bientôt certaines limites qu'elle ne peut plus dépasser, et l'introduction de nouvelles quantités de sucre demeure alors sans action. Toutefois, au début des expériences, l'écoulement est assez régulier et persiste assez longtemps pour permettre d'entreprendre avec avantage des recherches sur les modifi- cations quelconques de la fonction du rein. Si l'on injecte dans le sang une autre substance, l'écoulement de l'urine, plus ra- POLYLIRIE EXPERIMENTALE. 199 pide qu'à l'état normal, peut être diminué ou accru. L'expé- rimentateur verra plus vite et plus nettement cette diminution ou cet accroissement se produire s'il a au préalable injecté un peu de sucre, et provoqué de la sorte une légère polyurie. Nous avons souvent dû employer cet artifice pour constater facilement que Teau arrête la sécrétion, ou que la glycérine l'augmente. Cette polyurie préalable ne doit être considérée que comme un moyen d'investigation plus commode, ne mo- difiant qu'à peine les conditions physiologiques de l'organisme. Peut-être même y aurait-il intérêt à étudier par cette méthode l'influence des nerfs sur la sécrétion de l'urine. Un point important que nous n'avons pas abordé, c'est l'in- fluence que cette polyurie provoquée doit exercer sur l'élimi- nation plus rapide des poisons par l'urine. Les diff"érents sucres : sucre de canne, sucre de canne in- terverti, glycose, lactose, sont à peu près également tous diu- rétiques. La dextrine est peut-être moins diurétique que les sucres proprement dits (Exp. XVj; cependant son action est analogue; la sécrétion qui était nulle avant l'injection s'éleva à 1,66 après l'injection de 18 grammes d'une solution de dex- trine. L'urine contenait de la dextrine, reconnaissable au pré- cipité abondant formé par l'addition d'alcool à l'urine, préci- pité facilement redissous dans un excès d'eau. Tels sont les principaux résultats des injections de sucre au point de vue de la fonction rénale. Il y a encore d'autres effets portant sur les diverses fonctions de l'organisme, qui sont intéressants à étudier, d'autant plus que l'attention des expérimentateurs ne s'est pas arrêtée sur cette question. Si l'injection est faite trop rapidement, la mort peut sur-» venir, comme nous l'avons vu dans un cas, dès le début de l'expérience. Probablement c'est un arrêt du cœur par suite de la substitution d'un liquide presque inerte au sang oxygéné. 200 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. Mais si l'on procède avec une lenteur suffisante, on n'observe d'abord aucun accident. A mesure que la quantité de sucre injecté dans le sang est plus grande, on voit la sensibilité de l'animal diminuer. Dans nos expériences, qui se prolongeaient souvent pendant sept heures, la narcotisation de l'animal n'é- tait nécessaire qu'au début (Exp. III). Le chloral et la mor- phinesemblaientcontinuerindéfinimentleurs effets. En réalité, l'immobilité et l'insensibilité toujours croissantes de l'animal ne peuvent s'expliquer que si l'on admet une certaine influence du sang sucré sur le système nerveux central. La pression artérielle baisse, et, au lieu de se défendre, l'animal reste im- mobile, plongé dans une sorte de coma. Ainsi, dans cette même expérience, le chien, ayant reçu à heures la dernière injection sous-cutanée de chlorhydrate de morphine nécesaire pour produire la narcotisation, sem- blait plus narcotisé à 6 heures qu'à 4 heures, après injection de 900 " d'une solution concentrée de sucre de canne. Quoique l'insensibilité fût complète à ce point que les réflexes oculaires étaient nuls, nous avons pu, par l'excitation tactile du museau répétée plusieurs fois, provoquer une attaque convulsive épileptiforme. Sur d'autres chiens nous avons obtenu des contractures. Ces phénomènes, joints à l'abaissement de température, à l'adynamie générale et à l'impuissance musculaire, établissent nne certaine analogie entre les effets secondaires des hémorragies abondantes et les effets des injections de quantités considérables de sucre. En injectant de grandes quantités de lait, nous avions déjà observé des symptômes très analogues. La sécrétion biliaire et la sécrétion salivairene paraissent pas sensiblement modifiées ; nous n'avons pas constaté d'augmentation de ces liquides; tout au contraire, il y a eu un accroissement notable de la sécrétion intestinale : cette pro- duction exagérée se traduit par une diarrhée abondante, et, à l'autopsie des animaux, nous avons pu recueillir dans l'in- testin une quantité considérable de liquide contenant toujours POLYLRIE EXPERIMENTALE. , 201 du sucre en grande proportion. Nous avons même tenté l'ex- périence de façon à recueillir, par une fistule intestinale, le liquide sucré excrété par l'intestin (Exp. IV). Nous avons va un liquide visqueux, transparent et très abondant s'écouler par les tubes placés dans les deux bouts de l'anse intestinale. Avant que l'injection sucrée ne fût faite dans la veine, c'est à peine si l'on voyait quelques gouttes de mu- cus. Cependant il se produisait un tympanisrae facilement appréciable et un épanchement asci tique fut constaté à l'au- topsie. Lorsque la solution est concentrée, le passage de l'intes- tin au système circulatoire est rendu très difficile. Ainsi (Exp. Y),'après avoir injecté directement dans le duodénum et l'estomac 1 900 grammes de sucre dissous dans la moitié de son poids d'eau, c'est à peine si nous pûmes constater au bout de deux heures de la polyurie. Quant au volume du liquide contenu dans l'estomac et le duodénum, il était resté à peu près le même au bout de deux heures. Ces deux faits rapprochés l'un de l'autre paraissent mon- trer une différence entre l'osmose qui se fait du système cir- culatoire à l'intestin et l'osmose qui se fait de l'intestin au système circulatoire. Quoi qu'il en soit, il est certain que, si le sang est chargé de sucre, ce sucre tend à exsuder par les parois de l'intestin, de même que, chez les urémiques, l'urée s'élimine par la muqueuse gastro-intestinale. On ne peut attribuer cette influence à l'eau injectée en même temps que le sucre : c'est le sucre qui est en cause; en effet, après l'in- jection d'eau, nulle sécrétion intestinale (ou péritonéale) ne se produit. Quant à la dextrine, elle agit comme le sucre, et passe dans l'intestin et dans l'estomac (Exp. Yll). Le liquide intestinal recueilli dans ces conditions est légèrement coloré en jaune et ne précipite que très faiblement par l'acide nitrique : il ne contient donc que peu de bile et peu d'albumine ; en revanche, il renferme beaucoup de sucre. L'autopsie des animaux morts à la suite d'injection de 202 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. quantités énormes de sucre ne donne que peu de renseigne- ments : les reins sont volumineux, mais pâles et comme lavés; le foie et les poumons sont congestionnés; le sang-, quelle que soit la quantité de sucre qu'il contient, est coagu- lable. Une altération presque constante, c'est la présence dans les ventricules, sous l'endocarde, d'ecchymoses puncliformes qui semblent se localiser de préférence au niveau de l'inser- tion des muscles papillaires du cœur gauche. En résumé, nous avons constaté les faits suivants : r L'injection de sucre à dose faible (1 gramme par kilo- gramme de l'animal) provoque une polyurie manifeste en même temps que la glycosurie ; 2" L'urine n'est ni sanguinolente, ni albumineuse ; 3" Elle contient moins d'urée par litre, mais, la quantité d'urine éliminée étant plus considérable, il y a en somme une élimination d'urée supérieure à la normale. 4° A dose forte de sucre, la polyurie devient très intense; 5° Le sucre et la dextrine s'éliminent en partie par l'in- testin, et l'animal meurt avec des phénomènes d'anémie bul- baire. Injections de gomme. Les gommes, qui, par leur composition chimique, se rap- prochent du sucre, ont cependant une action physiologique tout à fait dillerente. En ellet, si on injecte dans la veine une solution concentrée de gomme, la sécrétion urinaire diminue d'abord, puis se tarit. Dans une petite quantité d'urine sé- crétée pendant la première période, on peut, par l'alcool, déceler des traces de gomme. Sur un chien rendu polyuriquc par des injections de sucre, on arrête la polyurie par des in- POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 2(Ki jections de gomme. Il y a donc antagonisme entre ces deux substances ; et cette différence tient à ce que la gomme ne peut pas filtrer à travers le rein, au lieu que le sucre passe avec une extrême facilité. Il est intéressant de constater que la diminution, et même l'arrêt de la sécrétion d'urine, pro- voqués par la gomme, surviennent malgré une énorme éléva- tion de la pression artérielle ; tandis que la polyurie provoquée par le sucre se produit sans augmentation de pression, et sou- vent même persiste malgré un abaissement de la pression au- dessous de la normale. De même avec le chlorure de sodium (Exp. VIII), il y avait avant l'expérience 3 gouttes par minute et une pression de 14 centimètres de Hg; après l'injection, et alors que la pres- sion était seulement de 8 centimètres deHg, il y eut 40 gouttes par minute. VI Effets des injections de différentes substances (glycérine, urée, urine, sels de sodium et de potassium). Glycérine. — La fonction chimique de la glycérine étant analogue à celle des alcools et des sucres, nous avons voulu expérimenter avec cette substance. Nous avons injecté dans la veine de petites quantités de glycérine, et nous avons vu, comme M. Ustimowitch, qu'il se produit alors une sécrétion urinaire très abondante. L'injection de iV de glycérine fit couler 32 gouttes d'urine par minute (Exp. VI). Avec une dose plus forte, nous eûmes un écoulement plus abondant, allant jusqu'à 6o gouttes et 9"" par minute. Enfin se produisi- rent les phénomènes décrits par MM. Dujardin-Beaumetz et AuDiGÉ sous le nom de giycérisme aigu. L'urine recueillie, éva- porée à presque siccité, et reprise par un mélange d'alcool et d'éther, cède au liquide éthéré une substance qui, après éva- •204 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. poiation du dissolvant, se présente sous la forme d'un liquide sirupeux, jaunâtre, sucré, et se dissolvant en toute proportion dans l'eau ou dans l'alcool. Par conséquent, il y a simultanément polyurie et élimi- nation de la substance injectée. Urée. — L'urée, comme Ségalas l'avait montré le premier, est diurétique. Nous avons constaté {Exp. XIII), après injec- tion de i.j grammes d'urée, un écoulement d'urine qui de 0''',24 est monté à 1,3, presque six fois la quantité d'urine pri- mitive. L'élimination d'urée en 7 heures a représenté envi- ron le quart de la quantité d'urée injectée. L'urine, après injection d'une solution d'urée, ne devient ni sanguinolente ni albumineuse, alors que l'injection d'une même quantité d'eau produit aussitôt de l'hématurie. Nous avons pu souvent constater, comme beaucoup d'au- teurs l'ont déjà montré, l'absence d'accidents et de convul- sions après les injections d'urée. Urine. — On peut remplacer la solution d'urée par de l'urine, c'est-à-dire une solution d'urée et de sels assez diluée, et on voit également l'urine couler en très grande abondance (Exp. IX). L'injection de 260 grammes d'urine provoqua de la polyurie (4'"' par minute), alors que l'injection de 216gram- mes d'eau lit tomber cette polyurie à 2'"',1. Chlorure de sodium. — Introduite dans le système veineux, cette substance provoque une diurèse abondante. Ainsi, dans un cas (Exp. X), il y eut, après plusieurs injections de ce sel, excrétion de 3"" d'urine par minute, alors que, avant l'expé- rience, cette quantité n'était que de 0'',1. Pour voir se manifester un effet diurétique, il suffit d'une très petite quantité : ainsi (Exp. X), à la dose extrêmement POLYURI|E EXPERIMENTALE. 205 faible de 4 centigrammes par kilo de l'animal, il s'est produit un effet diurétique marqué; et, à la dose de 8 centigrammes, la sécrétion urinaire s'est accrue, au moins pendant quelque temps, dans la proportion de 0,1 à 1,0. Dans cette expérience, la quantité d'eau nécessaire pour dissoudre le sel était aussi minime que possible, et n'a pu exercer aucune influence; on voit, d'ailleurs, en lisant la suite de cette même expérience, que, en injectant une beau- coup plus forte proportion d'eau chargée d'une quantité double de sel, la diurèse est à peine plus notable qu'aupara- vant. Il est donc relativement peu important que le sel injecté soit dissous dans une quantité d'eau considérable ou minime : la diurèse ne semble dépendre que de la quantité de chlorure de sodium injectée. C'est là un phénomène que nous avons également constaté avec les injections de sucre. En analysant les résultats de cette expérience, on voit que le sucre produit beaucoup plus facilement la diurèse que le chlorure de sodium, et que 1 030 grammes d'eau contenant 15 grammes de chlorure de sodium sont beaucoup moins actifs que 120 grammes d'une solution de sucre concentrée. La diurèse, dans le premier cas, était de 1,4 environ; elle s'est élevée à 9,5, après les injections de sucre. Il est remar- quable que, malgré la présence dans le sang d'un excès de chlorure de sodium et de sucre, l'injection d'eau distillée a arrêté subitement la polyurie : en 5 minutes, la sécrétion est tombée de 8,5 à 0,5 par minute. Dans un autre cas (Exp. VII), nous avons simultanément apprécié, par l'hémodynamomètre, la pression du sang, et, par le procédé déjà indiqué, l'abondance plus ou moins mar- quée de la diurèse. Avant l'expérience, la pression est de 14 ; et il y a l'"',34 d'urine par minute. Au bout de 40 minutes, la pression est de 8, et il y a 2"%! d'urine par minute. L'urine, après les injections de sel marin, n'est pas, comme après les injections d'urée et de sucre, limpide et transpa- 20(i R. MOI TARD-MARTIN ET CH. RICHET. rente : tout au contraire, elle est, comme après les injections d'eau, sanguinolente et par conséquent albumineuse. Cette albuminurie peut être arrêtée très rapidement par l'injection de sucre, qui augmente la diurèse et rend l'urine incolore et non albumineuse ; après cet arrêt, elle peut être provoquée de nouveau par l'injection de sel. Y a-t-il une relation entre le moment précis de la diurèse, et l'apparition du diurétique dans l'urine? Il nous avait semblé que, pour le sucre, cette relation existait; mais cette consta- tation est difficile pour le chlorure de sodium et l'urée, qui sont des éléments normaux de l'urine. Nous avons donc cher- ché à constater cette coïncidence avec des substances qui passent dans l'urine, et dont la présence, dans ce liquide, est facile à déceler. Nous avons vu, d'une part, que les substances qui passent dans l'urine sont diurétiques, et, de l'autre, que cette diurèse coïncide précisément avec l'élimination de ces substances. Ferrorijanure de j)otassium. — Ainsi (Exp. IX), on recueil- lait l'urine dans un récipient contenant une petite quantité de perchlorure de fer, de manière à apprécier le moment exact où le ferrocvanure de potassium apparaîtrait dans le liquide urinaire. Nous l'avons vu apparaître au bout de 6 minutes, et le nombre des gouttes, qui, jusque-là, avait été, par minute, de 4, a, 8, 5, 8, s'est élevé à 13, 8, 16, 11, 12, 13, 24, etc. Par conséquent, le ferrocyanure de potassium a provoqué de la polyurie ; il a été éliminé par l'urine, et, enfin, l'élimination et la polyurie ont coïncidé. Dans l'expérience XII, le résultat a été plus net encore. Phosphate de soude. — Mêmes résultats avec le phosphate de soude (Exp. XI). Nous avons vu le phosphate de soude apparaître (dans un récipient contenant de l'eau de chaux), au bout de 4 minutes. Le nombre des gouttes, qui avait été de 37, 34, 38, 37 (polyurie provoquée par une injection anté- POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 207 rieure de sucre), s'est élevé après l'injection de phosphate de soude, à 20 ', 35, M , 66, 68, 61 , 62. lodure de sodium. — Même résultat encore avec l'iodure de sodium. Ainsi (Exp. XII), le nombre de gouttes par mi- nute, étant avant l'expérience de 3,3, fut, après l'injection de 2 grammes d'iodure de sodium, de 1, 7, 14, 13. C'est à ce moment que nous pûmes constater la présence de l'iode par l'amidon et l'acide sulfurique. VII Conclusions Les faits que nous venons d'exposer sont sans doute d'une lecture très aride ; cependant il est possible d'en déduire quelques considérations relatives à la physiologie générale. Dans toute sécrétion, trois conditions dominent le phéno- mène : La pression vasculaire ; La composition du- sang ; L'innervation delà glande. Or, pour la sécrétion rénale, on ne connaît presque pas en quoi consiste l'influence des nerfs glandulaires. Il a été démontré par Ludv^ig et ses élèves que l'augmen- tation de la pression augmente la sécrétion de l'urine, et que la diminution de pression la diminue. Ce fait incontestable n'est exact que si la composition du sang demeure identique : en effet, malgré des pressions très basses, on peut obtenir de la polyurie en changeant la composition du sang. Ce que nous avons cherché à étudier, c'est précisément 1. Il est à remarquer que, dans la iiiinute pendant laquelle on fait une injec- tion intra-veineuse, il y a toujours un certain ralentissement de la sécrétion urinaire. C'est le fait de toutes les excitations sensibles, externes ou internes. 208 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RIGHET. cette influence que les changements de composition du sang exercent sur la fonction du rein. Nous avons ainsi constaté plusieurs faits, dont le principal est le suivant : les sucres, la glycérine, les sels, lorsqu'ils sont en excès dans le sang, aug- mentent la sécrétion urinaire; au contraire, l'eau arrête la sécrétion. Cette difl"érence d'action tient probablement à une diffé- rence de concentration de substances solides contenues dans le sang. Pour prendre un exemple, si on injecte dans le sang du NaCl, on augmente la teneur du sang en chlorure de sodium; si, au contraire, on injecte de Teau, on diminue la proportion du chlorure de sodium dans le sang. Or le chlo- rure de sodium ne pourra être éliminé que s'il parvient au chiffre atteint dans le sang normal. On peut donc admettre comme très vraisemblable que, s'il y a diurèse dans le premier cas, celle-ci est due à un excès de j\aCl dans le sang, et que, s'il y a anurie dans le second cas, elle tient à la pauvreté relative du sang en chlorure de sodium. De même, Claude Bernard a montré que la glycose n'était éliminée par le rein que si elle dépassait dans le sang la dose de 3 grammes pour 1000. Mais cette élimination de sel ne peut se fairetouteseule.il faut que le sel entraîne avec lui une certaine quantité d'eau. Du chlorure de sodium ou du sucre injectés en solution très con- centrée ne peuvent être éliminés, par suite des propriétés physiques des membranes, qu'en solution plus ou moins diluée : de là la polyurie. A posteriori, ces considérations sont confirmées par ces deux faits : 1° toute substance saline ou sucrée introduite dans le sang provoque de la polyurie (à condition que cette substance soit une de celles que le rein peut éliminer) ; 2° cette polyurie coïncide avec le moment de l'élimination. On voit par là que les diurétiques véritablement physiolo- giques sont les substances déjà contenues dans l'urine : gly- cose, urée, phosphates, chlorures. Beaucoup d'autres sub- POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 209 stances qui n'existent pas normalement dans le sang, mais qui sont éliminées par les reins, peuvent être considérées comme diurétiques : glycérine, sucre de canne, ferrocyanure de potassium, etc. Ainsi, il n'y a élimination de l'eau contenue dans le sang qu'à la faveur des substances qui y sont contenues en même temps qu'elle. Que la proportion de ces substances augmente, et la polyurie apparaîtra. La polyurie, lorsqu'elle est provoquée par un changement de composition du sang, reconnaît donc pour cause la pré- sence dans le sang de substances que le rein doit éliminer, élimination qui ne peut se faire qu'en entraînant une certaine quantité d'eau. Que si l'on augmente les matières solides, aussitôt l'excès de celles-ci sera filtré par le rein, comme si la fonction de cet organe était de préserver le sang d'une concentration exa- gérée. Inversement, si la quantité d'eau augmente dans le sang (ou si les matières solides diminuent, ce qui revient au même), la filtration cesse. On pourrait par suite envisager le rein comme destiné, non pas tant à éliminer qu'à conserver l'eau du sang; son rôle consisterait à maintenir moins la concentration des matières solides du sang, que leur dilution. De plus, il y a un équilibre qui tend à s'établir constam- ment entre le sang et l'urine à travers le parenchyme rénal, de sorte que, si l'urine est très aqueuse, mais très abondante, elle entraînera finalement une plus grande quantité de matières solides que si elle est peu abondante, quoique très concentrée. Supposons, pour expliquer ceci, que l'urée doive se trouver dans l'urine et dans le sang en quantités propor- tionnelles constantes, que, par exemple, l'urine contienne nor- malement 20 grammes d'urée par litre, et le sang 2 grammes. On pourra, par suite de cette relation, connaissant la quantité d'urée contenue dans un litre d'urine, prévoir la quantité TOME II. 14 210 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET, d'urée contenue dans un litre de sang. Mais, si, brusquement, par suite de causes étrangères, telles que la g-lycémie expé- rimentale, par exemple, l'urine devient très aqueuse, c'est-à- dire moins riche en urée par unité de volume, alors le sang tendra lui aussi à devenir finalement moins riche en urée par unité de volume, et une plus grande quantité d'urée sera éliminée par l'urine devenue très aqueuse et très abondante. C'est ainsi que la dilution plus grande de l'urée dans l'urine suit la dilution plus grande de l'urée dans le sang. C'est ainsi que la polyurie entraîne l'azoturie. Peut-être sera-t-il permis d'appliquer au fonctionnement normal du rein les données relatives à la polyurie. Nous avons vu que les sucres et les sels entraînent par leur élimination une certaine quantité d'eau, tandis que l'eau pure ne peut être éliminée. On peut alors se demander si, à l'état normal, l'élimination de l'eau de l'urine n'est pas due à la filtration des sels. Il en est probablement ainsi à l'état normal, et la densité de l'urine ne tombe guère au-dessous de iOlO; de telle sorte que, de même qu'on admet un minimum de pression nécessaire pour la sécrétion urinaire, de môme il semble exister un minimum de densité de l'urine. Ces considérations ne sauraient s'appliquer à l'état patho- logique. On a constaté, dans certains cas de diabète insipide, des densités de 1007, 1005 et même 1002. Mais ici l'inner- vation de la glande et la pression du sang sont sans doute profondément modifiées. En résumé, le rein doit être considéré comme le régu- lateur de la concentration du sang. Par conséquent la polyurie résulte de la concentration trop grande d'une substance dia- lysable dans le sang, réserve faite des conditions de pression et d'innervation. POLYUHIE EXPÉRIMENTALE. 211 EXPERIENCES. Expérience I. — l^'^ juillet 1879. Chien narcotisé avec le chloral et la morphine. Avant l'expéi'ience, l'urine ne contient pas de sucre ; elle est limpide. Urée, 19 grammes par litre. Urée en 24 h. par lit. et par kil. totale. par minute, h. m. h. m. Urine en ce. gr. gr. De 10,00 à 11,30 19,0 soit 0",2 parmin. 21,0 0,33 — 11,30 à 12,00 11,5 — 0 ,38 — 19,0 0,52 — 12,00 à 12,30 9,5 — 0 ,31 — 18,5 0,42 — 12,30 à 1,00 14,0 — 0 ,46 — 16,6 0,55 Injection de 10'^'= d'une solu- — 1,00 à 1,30 17,0-0,56 _; tion tenant , ^^ ' ' ' 7o0gr de sucre ' ' de canne par litre, t Injection de ] — 1,30 à 2,00 54,5— 1,8 — < 20e=delasolu- 6,3 0,85 ' tion. ] — 2,00 à 2.30 18,0- 0,6 - j soïrïeau.""^' 1 ^'^ 0,30 i Injection de ] .iO«delasplu- 4,6 0,97 \ tion sucrée. ; — 3,00 à 3,30 43,0 — 1 ,43 — 4,4 0,47 — 3,30 à 4,00 14,0 - 0 ,46 - j ,^^^^'' \ 7,0 0,24 [ Injection de i -^ 4,00 à 4,30 130,0— 4,3 — j 50"delasolu- 2,5 0,78 ( tion sucrée. — 4,30 à 5,00 48,0 — 1 ,6 — 3,0 0,35 — 5,00 à 5,30 11,0 — 0 ,36 — 4,5 0,12 / Injection de i — 5,30 à 6,00 50,0— 1 ,06 — loo- de laso- C 2,5 0,12 ( lution sucrée. J — 6,00 à 6,30 18,0 — 0 ,6 — 2,0 0,08 — 6,30 à 7,00 4,5 - 0 ,15 - i J^!^^'' \ 2,0 0,02 Î Injection de 100- de la so- V lution sucrée. Le pouls est très faible, intermittent; l'animal meurt. 212 R. MOLTARD-MARTIN ET CH. RICHET. Expérience II. — 2i juillet 1879. Chien de 6 kilogrammes, narcotisé par 2g'",2o de chloral et 0S'",02 de morphine. Dans l'urine qui s'e'coule avant l'injection, il n'y a pas de sucre; on recueille en deux heures 3" d'urine. h. m. h. m. Uriueencc. Urée par litre. De 10,00 à 12,00 :i,0 soit 0",04parmin. 22",00 / Injection à, m ,00 12h,30 de ôs"- de — 12,00 à 1,00 i:(,0 — 0 ,22 Avant l'injection : gouttes par minute h. m. h.in. Urine eu ce. sucre interverti. _ ^ Minute de l'in- ( jection. 18 30 30 30 0 minutes après. 16 0 minutes après. 14 10 12 12 36 25 38 30 33 41 37 29 26 Urde par litre. Injection de ISg"" de sucre interverti De 1,30 à 2,00 27,0 soit 0'%9 par min. 4^%24 — 2,00 à 2,30 37,0 — I ,02 — 3 ,18 Injection de 18^'"" de sucre interverti. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 213 h. m. h. m. Urine en ce. Urée par litre De 2,30 à 3,00 14,0 — 0 ,47 par min. 3 ,18 — 3,00 à 3,30 0,0 — 0 ,06 — 3 ,18 j — 3,30 à 4,00 41,0 — 1 ,37 — 3 ,18 Injection de 90" d'eau tiède. Injection de 44^"^ de sucre interverti dissous dans 132" d'eau. 4,00 à 4,30 20,0 — 0 ,7 — 1 ,9 A 5 heures, l'animal meurt. Expérience III. — 17 novembre 1879. Chien de 7 kilogrammes, narcotisé par la morphine et l'éther. Aucun écoulement d'urine; Écoulement de quelques gouttes d'urine; Injection de 10" de la solution de sucre de canne (750^'" par litre); l'urine coule tout de suite en abondance ;- 12 gouttes d'urine par minute; 4 — Injection de 20" de la solution; 34 gouttes; 46 — 40 — 32 — 17 — injection de 40" de la solution; Les gouttes sont innombrables; mais l'écoulement di- minue rapidement; Injection de 150" de la solution; — loO — 30 — — 150 — — 250 — — 150 — — 40 — A ce moment, l'animal respire très lentement, les battements du cœur sont réguliers; cependant il y a un état d'adynamie et de refroidisse- ment considérable (à 4 h. 30, la température était de 35°, 7; à 6 h. 12, elle était de 34°, 2; à 6 h. 20, de 34%1); les réflexes oculaires sont pres- que nuls. Quoique la dernière injection de morphine ait été faite à 3 heures, l'animal semble plus profondément narcotisé à 6 heures qu'à 4 heures, c'est-à-dire trois heures après l'injection. h. m. h. m. De 3,30 à 4,05 — 4,05 à 4,20 A 4,20 ^ 4,40 — 4,59 — 5,00 — 5,04 — 5,05 — 5,06 — 5,07 — 5,20 — 5,24 De 5,30 à 5,39 — 5,40 à 5,42 — 5,43 à 0,47 — 5,47 à 5,53 — 6,00 à 6,12 — 6,12 à 6,23 — 6,23 à 6,20 214 R. MOITARD-MARTIN ET CH. RICHET. Un léger choc sur le museau ne produit pas d'effet appréciable ; mais, en répétant plusieurs fois de suite et rapidement cette excitation, on pro- voque une attaque convulsive généralisée; en recommençant cette expé- rience 3 minutes après, on provoque une nouvelle attaque convulsive, mais très légère et ébauchée, comme si le système nerveux avait été épuisé par l'attaque précédente. A 6 h. 3o, la respiration cesse presque tout à fait; le cœur bat très faiblement, et l'animal meurt à 6 h. 43. En résumé, il y a eu injection de 900" de la solution; pendant la dernière demi-heure, on a noté un écoulement abondant de liquide par la plaie; le ventre était gonflé; il y avait aussi de la tympanite et de l'ascite, la vessie était remplie d'urine. Il est encore à noter que l'urine qui s'était écoulée par les deux uretères a toujours été limpide et non sanguinolente. En ouvrant l'intestin, on y trouve une grande quantité de liquide presque aqueux, incolore le soir à la lumière, mais jaunâtre le lende- main matin, au jour; contenant à peine quelques mucosités. Les intestins étaient blancs, comme lavés. Le lendemain matin, on recueille dans l'estomac environ 120'"' d'un liquide jaunâtre, faiblement acide, mélangé à très peu de débris alimen- taires. Les reins sont pâles, comme lavés, infiltrés d'une petite quantité de liquide. Le péricarde contient environ 10" de sérosité. Dans le cœur, quelques caillots agoniques. Au bord adhérent de la valve antérieure de la valvule mitrale est une ecchymose sous-endocardique. Les poumons, et surtout le foie, sont très congestionnés. Expérience IV. — 19 novembre 1879. Chien jeune, pesant 20 kilogrammes, narcotisé par le chloral et la morphine. Après avoir pratiqué l'opération ordinaire relative à la recherche des uretères et l'adaptation d'une canule dans chacun d'eux, une autre inci- sion est faite dans la paroi abdominale. L'intestin étant attiré au dehors et ouvert, un tube est adapté à chacun des bouts ainsi obtenus. h. m. h. m. ( Le bout supérieur laisse écouler quelques gouttes A 4,25 I d'un liquide sanguinolent. — 4,35 Injection de 50" d'eau. — 4,50 - 25 — — 5,00 — 50 — De 5,05 à 5,20 — 550 — — 5,30 à 5,25 — 375 — A ce moment, l'urine est sanguinolente, et s'écoule très lentement. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 215 h. m. h. m. [ Injection de 2i6" de la solution sucrée (ToOsi- de sucre de canne par litre); on constate qu'une minute après De o,2o à 0,40 ^ l'injection., l'urine se met aussitôt à couler avec abon- dance, d'abord un peu sanguinolente, puis très trans- parente. Il se fait un écoulement abondant de liquide par les tubes intestinaux, qui, jusque-là, n'avaient fourni que A 0,35 (^ quelques gouttes de sang mélangé a un peu de mu- cus. Le liquide qui s'écoule alors est transparent, filant. (10 gouttes par minute par le bout supérieur). — 5,40 L'écoulement devient de plus en plus marqué. — S, 43 On injecte 13o" de la solution sucrée. n >• rn ' /^ .rt ( La sécrétion intestinale augmente encore. A ce mo- ue itjoO a 6,10 < ,, • , -r, • • • 1. , , ( ment, 1 anmial est sacrifié par une injection d alcool. L'autopsie, faite le 20 novembi-o, montre que les intestins sont déco- lorés. L'estomac ne renferme pas de liquide. La plèvre et le péricarde n'en renferment pas non plus. Le foie et les reins sont congestionnés et volumineux. Le cœur est aussi volumineux. Expérience V. — 21 novembre 1879. — Résumé. Chien vieux et vigoureux, narcotisé parle chloral et la morphine. Après avoir adapté des canules aux uretères, on fait une incision dans la portion duodénale de l'intestin et on injecte dans le bout sto- macal 600" d'une solution contenant 2 kilogrammes de sucre par litre. De 2 h. 50 à 3 h. 13, il s'écoule à peine quelques gouttes d'urine. A 3 h. 15, nouvelle injection, dans l'intestin, de 350 grammes de la solu- tion; il s'écoule 30" d'urine de 3 h. 15 à 4 h. 50, soit 0,3 par minute; à 4 h. 50, on injecte dans la veine 100" de la solution; l'urine coule aussitôt en très grande abondance (36 gouttes par minute). On constate en faisant l'autopsie que, sur les 950*"= de solution sucrée qui ont été injectés, il n'y en a guère eu que 30 d'absorbés. Expérience VI. — 7 janvier 1880. Chien épagneul de 13 kilogrammes, narcotisé par 4 grammes de chlo- ral et 0s'',05 de morphine. Les muscles sont sensibles à 11,5 de la bobine d'induction. La tem- pérature rectale est de 37°, 5. Le cœur bat de 60 à 70 par minute. A 2 h. 15 min. Injection de 5" de glycérine mélangée à 5" d'eau. On n'observe aucun eifet appréciable. Ue 2,16 à 2, 2 216 R. MOrTAHD-MARTIN ET CH. RICHET. A 2 b. 15 min. Injection de Q" de glycérine, comme précédenimenl; l'animal fait des mouvements d'extension, l'agitation est très vive; pulsations, 220; l'urine coule abondam- ment (32 gouttes par minute), 9" d'urine, soit 1",3 par minute; la pi'emière urine écoulée était rouge, sanguinolente; peu à peu elle de- vient d'un jaune rougeâtre et de plus en plus transpa- rente. — 2,22 à 2,24 13" d'urine, soit l'%l par minute. . ^„ l Le cœur bat moins tumultueusement (104 pulsations); '' ( température rectale, 370. ^ ^e moment (2^,34) : Gouttes par minute. i^" minute : o 2*^ — '6 Injection de 19" de glycérine. 3" — 12 4« — 28 o« — 93 6= — 54 Après l'injection, pulsations du cœur: 160. On observe des mouvements de contracture, des phénomènes d'ex- tension des membres et des cris. De 2,34 à 2,42 Urine, 23", soit 2",9 par minute. La sensibilité musculaire est de l.'i,,"); la température de 37°, 4 : les pulsations de 104, 2,50 (iouttes par minute : 24 — 18 A 2.42 ( Injection de 12" de ( glycérine. 19 23 Id. 41 60 65 / R y a alors de la dys- 60 I pnée et des mouvements ( d'extension. De 2,50 à 3,00 Urine 30", soit 3" par minute. — 3,00 à 3,10 — 36 — 3,6 — — 3,10 à 3,20 — 56 — 5,6 Injection de 13" de glycérine. Avant l'injection, 53 gouttes; après l'injection, 3 gouttes. POLYIJRIE EXPÉRIMENTALE. 217 Injection de 26" de glycérine ; la sensibilité musculaire est de lo, mais elle est difficile à apprécier par suite des contractions fîbrillaires qu'on observe dans tous les muscles. L'animal paraît tranquille, mais, en frappant De 3,20 à 3,30 ( la table à plusieurs reprises, on provoque une crise d'épilepsie terrible. Au bout d'une minute et demie environ, l'accès cesse, l'iris est dilaté, il y a perte de connaissance. En 10 minutes, urine, 90'", soit 9" par ' minute. i Injection de 39"" de glycérine; le cœur s'arrête; il y De 3,30 à 3,40 < a un accès tétanique, avec une contracture généralisée. ( On a recueilli 20", soit 2" par minute, A l'autopsie, on constate que le foie est extrêmement congestionné ; l'intestin est aussi très congestionné, mais ne contient pas de liquide ; le sciatique reste sensible à l'électricité et fait contracter les muscles ; la sensibilité musculaire est ésrale à 15 au moment de la mort. REMARQUES. 1° Action diurétique de la glycérine à faible dose (1 gr. par kilogr.); 2» Passage d'une urine sanguinolente à la suite de ces injections ; 3° Augmentation (?) de l'irritabilité musculaire ; 4° Passage dans l'urine de la glycérine, ou, tout au moins, d'une substance analogue. En effet, l'urine, évaporée à siccité et reprise par un mélange d'alcool et d'éther, cède au liquide éthéré une substance qui, après l'évaporation du dissolvant, se présente sous la forme d'un liquide sirupeux, jaunâtre, sucré et se dissolvant en toutes proportions dans l'eau et dans l'alcool ; 5° Phénomènes de glycérisme aigu (tels qu'ils ont été décrits par MM. Dujardin-Beaumetz et Audigé). Expérience VIL — i2 janvier 1880. Chien de chasse maigre, criard, pesant environ 12 kilogrammes. Narcotisé par is%23 de choral et 0<^'=,03 de morphine. Cette faible dose suffit pour arrêter la respiration et le cœur pendant près d'une demi-heure et produire un état syncopal. Il s'écoule en 10 minutes 6 centimètres cubes d'urine. Injection de 27 centimètres cubes d'une solution de dextrine ; en 10 minutes, 6'=°, 5 d'urine. Injection de 27 centimètres cubes de dextrine ; en 10 minutes, 6'^<=.5 d'urine ; gouttes par minute : 13. 218 R. MOl'TARD-MARTIN ET CH. RICHET. Injection de 27 centimètres cubes d'une solution de dextrine ; gouttes par minute : 15,21. A ce moment, le cœur paraît s'arrêter, et un état syncopal se produit ; gouttes par minute : 14, 9, 4, 2. Suppression complète de l'urine. Alors apparaissent des vomissements très abondants, d'abord ali- mentaires, puis liquides, fortement brunâtres, d'une couleur semblable à celle de la dextrine, entièrement dépourvus de matières alimentaires. Il se produit des contractions intestinales et plusieurs évacuations de matières solides. l'ne injection de lactose n'augmente pas sensiblement la production d'urine. Une injection de gomme ne produit pas, non plus, de diminu- tion sensible de la sécrétion urinaire. L'animal est tué par injection d'air dans les veines. L'intestin est très congestionné. Le liquide intestinal, examiné le lendemain, après précipitation par la chaleur et par l'acide, puis filtré, ne paraît pas contenir de dextrine. Au contraire, il y en a une certaine quantité dans le liquide stoniachal examiné le lendemain, un peu moins cependant que dans le même liquide examiné la veille. REMARQULS : 1» Sensibilité de l'animal au cbloral et à la morphine ; 2° Persistance des effets narcotiques par l'action du sucre et de la dextrine injectée ; 3° Passage de la dextrine dans l'urine et dans l'estomac. On constate la présence de la dextrine dans ces liquides eu les traitant par l'alcool, qui les précipite abondamment. Le précipité se redissout facilement par l'addition d'une petite quantité d'eau. Une certaine quantité de dextrine est transformée en sucre dans l'estomac ; 4'' Production d'une polyurie moins intense et moins rapide qu'avec le sucre; o" Absence d'action de la gomme après injection d'une quantité considérable de dextrine ; 0" Une quantité considérable de dextrine paraît arrêter la sécrétion à une dose où le sucre n'aurait pas eu la même action (réserves à faire à cause de l'état misérable de l'animal). Expérience VIII. — \i janvier. Chien de 14 kilogrammes, curarisé. L'expérience est disposée de telle sorte qu on peut mesurer la pres- sion du sang dans l'artère carotide. Avant l'expérience, la pression oscille entre 13 et 15 centimètres de mercure. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 219 Urine par h. m. h. m. ce. minute. np . on i " / /o . n, ( ^'yectio" de 12 gr. d'une solu- De 4,30 à 0,4 43 1,34 3 gouttes, lion contenant 3 gr. de chlorure ( de sodium. (Au ?jout de 0 minutes.) (Au bout de 10 minutes, 4^43.) I A 4'',ol, injection de ler,2o de I chlorure de .sodimn 24 18 13 — , chlorure de sodium. 14 — 15 — 13 — j La pression oscille entre 15 et ' 14 cent, de mercure. 38 — j ^ ^^>^'^' injection de ie',25 de ( chlorure de sodium. 38 — — 5,2 à 5,12 22 2,2 [ ^ ^"'12, la pression est de 13 à ( 14 cent, de mercure. — 5,12 à 5,25 30 2,3 [ ^ ^^,ii, injection de 2er,5 de ( chlorure de sodium. 32 — A 5h,15. 36 — 43 — 43 — 44 — / A 5h,42, la pression est de 7 à ^— 5,25 à 5,51 54 1,1 40 — ' ^ ^^^^- ^e mercure. ) A oh, 50, injection de 5 gr. de l NaGl. 39 — 28 — A oh,42. 29 — 31 — 29 — 26 — [ L'urine est légèrement sangui- — 5,51 à 6,10 30 1,5 ) nolente. I De 5h,57 à 6 heures, injection [ de 200 gr. d'eau distillée. 6 — A 5^,57. 23 — 30 — 24 — 26 — 23 — 26 — 220 R. MOI TARD-MARTIN ET CH. RICHET. Urine par h. m. h. m. ce. minute. ^ „ ,., , . ,,, „„ , ., ,„ ,, ( A ce moment la pression est de De 5.Ô1 à G, 10 30 \,o 2o «outtes. .^ ^ , ' l 10 cent, de mercure. 22 — 21 — 21 — A r)",8. L'animal est sacrifié par injection de NaCI concentré. REMARQUES : 1° Polyurie provoquée par NaCl sans augmentation et même malgré l'abaissement de la pression ; 2° L'injection d'eau consécutive à des injections réitérées de chlorure de sodium n'a pas modifié la polyurie. Expérience IX. — \o janvier. Chienne de S'siJ fortement curarisée. Avant l'expérience, il s'écoule une assez grande quantité d'urine, soit par minute 5, 4, 3, 7, 6, 7 gouttes. L'urine précipite notablement par les réactifs de Walzer et de Mayer, ce qui indique la présence de l'alca- loïde du curare. On fait une solution de ferrocyanure de potassium, soit 10 grammes de sel cristallisé dans 100 grammes d'eau. On mélange 10 grammes de celte solution avec 90 grammes d'urine humaine normale. Cette solu- tion contient donc 1 gramme de ferrocyanure pour 100 grammes d'urine normale à peine diluée. 3'», 22, injection de 38r,3 de cette solution. A partir de 3^,23, on compte le nombre des gouttes qui s'écoulent par minute. On trouve : 3,23 4 gouttes. 3,24 5 — 3,25 8 — 3,26 0 — 3.27 6 — A 3'>,28, injection de 10 gr. de la solution. C'est pendant cette minute que l'urine, recueillie dans ;} 28 13 — {un verre contenant quelques gouttes de perchlo- rure de fer, donne la coloration bleue caractéris- tique de la présence du ferrocyanure. — 3,29 8 — — 3,30 If) — — 3,31 M — — 3,32 12 — — 3,33 13 — POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 221 h. m. . „ „, ^, ,^ Pendant cette minute, iniection de 20 er. (Je la A 3,34 24 gouttes. , ,. ( solution. — 3,35 d6 — — 3,36 19 — — 3,37 25 — — 3,38 32 — — 3,39 28 — — 3,40 26 — Urine Urine totale, par minute, h. m. h. ni. en ce. en ce. De 3,41 à 3,49 8 1 — 3,49 à 4,00 0 0,45 — 4,00 à 4,10 24 2,4 Injection de 20 gr. de la solution, — 4,10 à 4,21 32 2,9 Injection de 40 gr. de la solution. — 4,21 à 4,30 18 2 — 4,30 à 4,40 14 1,4 — 4,40 à 4,50 12 1,2 — 4,50 à 5,00 9,5 0,95 Injection de 80 gr, d'eau distillée. i Injection de 80 gr. d'eau distillée. L'urine est teintée en rose et sanguino- lente. — 5,10 à 5,20 10 1 L'urine est fortement colorée par le sang. ! Injection de 27 gr. d'urine pure et de 54 gr. de la solution de ferrocyanure et d'urine. — 5,30 à 5,40 31 4 Injection de 264 gr. d'urine. — 5,40 à 5,50 27 2,7 Injection de 216 gr. d'eau distillée. — 6,00 à 6,10 21 2,1 Injection de 135 gr. d'eau distillée. — 6,10 à 6,20 24 2,4 Injection de 20 gr. d'une solution de — 6,28 à 6,30 45 4,5 ) chlorure de sodium contenant 25 gr. pour ' 100 gr, (Soit injection de 5 gr. de NaCI,) — 6, .30 à 6,40 35 3,5 — 6,40 à 6,50 51 5,1 Injection de 25 gr, de la solution de NaCI, ! Injection de 140 gr, d'une solution de gomme très concentrée. — Le cœur bat avec plus de lenteur, mais avec force. L'animal est alors sacrifié par galvanisation du cœur. Ainsi : 1° Le curare a déterminé une très légère polyurie ; 2° 13 grammes d'urine, contenant 0,1 de ferrocyanure, ont plus que doublé la quantité d'urine excrétée (ces 13 gr. représentent 0,165 d'urine parkilogr. de l'animal) ; 222 R. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. 3° Le moment de la polyurie (3^,28) a coïncidé avec l'élimination du ferrocyanure ; 4° L'injection de 160 grammes d'eau distillée a provoqué l'hématurie (soit 19 gr. par kilogr. de l'animal). Celte petite quantité d'eau a suffi pour diminuer la polyurie; 0° L'injection de 264 grammes d'urine provoque de nouveau la po- lyurie, qui est arrêtée par l'injection d'une quantité un peu moindre d'eau distillée (216 gr.); 6° Alors que la polyurie reparait de nouveau sous l'influence du chlorure de sodium, l'injection de gomme l'arrête. Expérience X. — 16 janvier. Chienne de 24 kilogrammes, curarisée. Urine Gouttes Urine par par totale minute minute, h. m. h. m. en ce. en ce. De 10,21 à 10,31 1 0,1 — 10,31 à 10,41 0,9 0,09 1 Avant l'injection. ! Injection de 1 gramme de NaCl dans 4 grammes a eau avec traces de ler- rocyanure. 2'^ — 0 3 2 2 2 Injection de 2 gram- mes de NaCl. A 11*^,4, injection de 2 grammes de NaCl. — 11,06 à 11,11 — 11,11 à 11,16 — 11,15 à 1,15 — 1,15 à 1,30 3*= 4c B" 6" — 10,51 à 10,56 0,5 0,1 — - 10,56 à 11,06 1,5 0,3 A ll'>,04 — H'\05 10 — ll'',06 9 5 1,0 2 0,6 — H^^4 14 — Hh,15 15 31 0,26 — HM6 13 4,5 0,3 — 1M8 5 5 6 6 6 6 POLYURIE EXPÉRIMENTALE. . 223 De Urine Gouttes Urine par totale, minute. par miuute. h. m. h. m. en ce. en ce. [ Injection de 1000 gr. 1,30 à 1,30 0,4 — l^38 7 1 d'eau distillée contenant ( 4 gr. de NaCl. 1,30 à 2,00 9,.") 0,93 — 1^,31 2,00 à 2,10 13 1,3 2,10 à 2,20 14,5 1,43 2,20 à 2,30 14,3 1,43 2,30 à 2,40 14 1,4 2,40 à 2,30 30 3 2,50 à 3>,00 16 1,6 3,00 à 3,10 7 0,7 3,10 à 3,20 24 2,4 3,20 à 3,30 11,5 1,13 3,30 à 3,40 13 1,3 3,40 à 3,30 12,3 1,23 6 7 fi 3 4 5 6 9 9 12 19 Fin de l'injection. 12 9 15 20 17 22 20 23 18 20 L'urine est légère- ment rosée. Injection de 32 gram- mes d'une solution con- tenant 8 grammes de chlorure de sodium. Urine sanguinolente. Sécrétion péritonéale (?) abondante. Injection de 13 gram- mes d'eau agitée avec de la térébenthine. 22^ R. MOITARD-MAHTIN ET CH. RICHET. Urine Urine totale. par minute. h. m. h. m. en ce. en rc. e 3,50 à 4,00 9,0 0,95 - 4,00 à 4,05 1,5 0,3 _ 4,o;i à 4,10 11 2,2 Gouttes par — 4,10 à 4,20 47 4,7 — 4,20 à 4,30 95 9.5 — 4,30 à 4,35 42 8,5 — 4,35 à 4,40 3 0,ti _ 4,40 à 4,45 1 0,2 — 4,45 à 4,50 2,5 0,5 Ddsage de l'urée. Injection d'eau agitée avec la térébenthine. Injection de 30 gram- mes d'une solution con- centrée de sucre de canne. A 4^,11, injection de 70 grammes de la solu- tion de sucre. A 4^,35, injection de 210 grammes d'eau dis- tillée. L'écoulement d'u- I rine s'arrête presque subitement. Le cœur continue à battre forte- ment (92 battements par minute). Injection de 70 gram- mes de solution sucrée. Mort. Urée par litre. ^ramilles. Urine contenue dans la ressie avant l'expérience 17 Urine recueillie après l'injection de sucre (4'', 05 à 4'', 45). 1,8 Urine recueillie après l'injection de NaCl (10'',45à 1*',30). 4,5 Urine recueillie après l'injection de NaCl (l'',30 à 4^,05) . 5,2 11 résulte de celle expérience : 1° L'injection de 1 000 grammes d'eau contenant 4 grammes de sel est moitié moins active que l'injection de 32 grammes d'eau contenant 8 grammes de sel ; 2» L'injection de 0<''^2 de NaCl par kilogramme de l'animal provo- que une poijurie notable ; 3" L'eau arrête la polyurie, même à la dose de 8 grammes par kilo- grammes, et alors la quantité d'urine a été diminuée dans la proportion de 14 à 1 ; 4° L'injection de 120 grammes d'une solution concentrée de sucre augmente l'écoulement d'urine dans la proportion de 1 à 32. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 225 Expérience XI. — 17 janvier 1880. Chien de H kilogrammes, curarisé. Quantité Quantité d'urine Gouttes d'urii recueil h. ni. h. m. De 10,45 à 11,00 15 d'urine recueillie. par minute. par minute. 0 15 1,0 2 2 2 A 11 lieures , injeclion de 3 14 0,08 1 j 200 grammes d'eau distillée tiède. — l's minute. 1 2« — 0 3e — 0 j Le cœur bat avec force. Le pouls est à 60. 0 G 0 0 1 ( Injection de 200 grammes — 2,00 à 2,10 17 1,07 3 | d'eau contenant 2 grammes de NaCi. 4 4 5 9 19 12 9 5 7 8 2,30 à 2,40 2o,5 2,0 2,40 à 2,45 14,5 2,9 L'urine, qui était jusque-là très colorée, devient plus limpide. 15 226 R. MOlTARD-MARTrX ET CH. RICHET. Quantité Quantité flurine Gouttes d'urine par par recueillie. minute. minute. h. m. h. m. De 2,45 à 2,.^0 23 — 2,oO à 2,oa 2!» — 2,;;o à 3,00 24,0 -- 3,00 à 3,05 26 — 3,05 à 3,10 24 — 4,20 à 4.36 43 4,36 à 4,50 24 4,50 à 4,56 6,5 4,6 5.8 4,'.» 0,2 4,8 — 3,10 à 3,25 80 0.3 — 3,25 à 4,06 14.8 4,25 — 4,06 ù 4,20 31 2 2 41 39 37 34 38 3,0 1,8 20 35 41 66 C8 61 75 On voit par celte; expérience : Injection de 140 grammes d'une solution concentrée de sucre de canne. Injection de 280 grammes d'eau distillée. Injection de o grammes de phosphate de soude dissous dans 50 grammes d'eau distillée. On constate ii ce moment le passage d'un phosphate soluble par le précipité abondant obtenu en recueillant l'urine dans de l'eau de chaux. L'animal est tué par une in- jection de ferrocyanure de po- tassium. i" Que l'injection d'eau arrête presque complètement la sécrétion uri- naire, qui est tombée de 1,05 (par minute; à 0,08, la dosé d'eau injectée étant de 18 grammes par kilogramme ; 2" Qu'une petite quantité de chlorure de sodium (0,^8 par kilogr.) ramène la sécrétion urinaire ; 3° Que le phosphate de soude pi'oduit de lu polyurie, et que celte polyurie coïncide avec le moment de l'élimination. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 227 Dosage de Vurée. Grammes d'urée par litre. Urine recueillie avant l'expérience 19,2 Urine recueillie de 10^45 à 2 heures 19,2 Urine recueillie de 2 heures à 2*i,4o (NaCl) 2,2 Urine recueillie de 2'^,4o à 4^,20 (sucre) 5,1 Expérience XII. — 19 Janvier 1880. Chien de lo kilogrammes, curarisé. Urine Urine Gouttes totale par par recueillie, minute, minute, h. m. h. m. De 3,28 à 3,58 4 0,2 3 3 Injection de 2 grammes d'iodure 1 I de sodium dissous dans 10 gram- \ mes d'eau. 7 14 iLa coloration caractéristique de l'iode par l'acide sulfurique et l'a- midon apparaît à ce moment, — 3,o8 à 4,08 11,3 1,15 / Nouvelle injection semblable à — 4,08 à 4,18 13 1,3 4 J la première {'Z grammes d'iodure \ de sodium). — 4,18 à 4,28 8 0,8 10 — 4,28 à 4,i0 8 0,75 10 i Injection de 8s■^5 de ferrocya- — 4,40 à 4,50 11 1,1 10 nure de potassium dissous dans ' 12,0 d'eau. 15 18 Réaction du ferrocyanure. — 4,50 à 5,00 15 1,0 17 A 41^,55, injection de 0s^50 de ferrocyanure de potassium, comme plus haut. A 4**, 57, nouvelle injection sem- blable, l Injection de 1 gramme de ferro- — 5,00 à 5,10 27 2,7 cvanure. 228 n. MOLTAHD-MARTIN ET CH. RICHET. Urine Ui-ine Gouttes totale par par recueillie, minute, minute. h. m. h. ni. De 5,10 à 0,20 3o 3,5 — 5,20 à 5,25 16 3,2 ( Injection de 6 2Tamme.s d'alcool — 5,25 à 5,35 20 2,0 -, • - oa a^ ' ' ' mélange a 20 ijrammes d eau. — 5,35 à 5,45 11,5 1,15 ( Injection de 16 grammes d'alcool ( mélangé à 16 grammes d'eau. . — 5,45 à 5,55 77 7,7 Injection de sucre de canne. L'animal est sacrifié. On peut conclure de cette expérience : 1° L'injection d'iodure de sodium a déterminé de la polyurie; 2° La polyurie a coïncidé avec le passage de l'iodure de sodium; 3° Mêmes résultats pour le ferrocyanure de potassium; 4° L'alcool n'a amené aucune polyurie. E.xpÉRiENCE XIII. — 22 janvier 1880. Chien de 8 kilogrammes, curarisé. Urine Urine par Élimination d'urée recueillie, minute, par lit. et par kil. h- m- h. m. / Ii)jection de 5 grauimes De 9,40 à 9,51 2 ,o 0'^<",24 17,9 0,45 | d'urée dans 20 grammes ( d'eau. / A 9'',55, injection de 0,1 I 10 grammes de la solu- \ tion (soit 2!-''',o0 d'urée). I A 10 heures, même in- '" i jection. 0,1 — 9,51 à 10,00 6 0,6 18,6 — 10,00 à 10,10 9,5 0,95 21,1 — 10,10 à 10,20 6 0,6 17,9 — 10,20 à 10,30 5,5 0,55 20,5 — 10,30 à 10,40 4 0,4 19,2 — 10,40 à 10,50 3,5 0,35 21,8 1 — 10,50 à 11,00 4 0,4 21,8 i — 11,00 à 11,10 13 1,3 21,8 ( — 11,10 à 11,20 8 0,8 21,8 — 11,20 à 11,30 7 0,7 1 — 11,30 à 1,00 38 0,4 21,8 — 1,06 à 1,18 3 0,25 38,41 — 1,18 à 3,10 25 0,22 20,5 — 3,10 à 3,41 5,2 0,13 38,4' 0,19 1,6 A 11 heures, injection de 20 grammes de la so- lution (soit 5 grammes d'urée). 0,7 A 1^,18, injection de 5 grammes d'une solu- tion concentrée de sul- fate de soude. ( Injection de 25 gram- — 3,41 à 3,56 39,5 2,6 11,5 0,45 | mes d'une solution con- ( centrée^lesucre de canne. POLYURIE EXPERIMENTALE. 229 Urine Urine par Élimination d'urée recueillie, minute, par lit. et par kil. h. m. h. m. De 3,06 à 4,20 37 1,5 10,8 0,4 — 4,20 à 4,40 13 0,65 20,8 0,2 ' De 4*^,40 à i^,il, injec- — 4,40 à 4,31 3 0,27 24,9' ) tion de oO grammes d'eau ( distillée. , M. > r. ^r. „ ^ ,. ->, „, \ A ce moment, l'urine — 4,31 à 0,03 3 0,41 24,9 * ) • , / I est sangumolente. — 3,03 à 3,18 3 0,33 — 3,18 à 3,26 23 3,02 13,03^ i Injection de 25 gram- ( mes de sucre de canne. L'urine est moins san- guinolente. 3,26 à 5,33 16 1,6 7,6' L'animal est sacrifié. 1° L'élimination totale d'urée a été, de 9'*,40 à 4^,40, de 4 grammes ; 2° Avec le sucre, l'élimination d'urée a été de 0,03 par minute ; 3° Après l'injection d'urée, l'élimination d'urée a été de 0,01 par mi- imte. Expérience XIV. — Juillet 1879. Chien de 12 kilogrammes, narcotisé avec une injection de morphine et de cliloral. h. m. h. m. De 10,00 à 10,15 Injection de 108 gr. d'eau : pas de sécrétion. A 10,13 Injection de 27'^= d'une solution de dextrine. (La solution contient 8 p. 100 de dextrine.) — 10,30 Injection de 108"= de la solution (soit 8,64 de dextrine). En 20min., parl'uretère droit 0'^'= soit 0'^<^,4parminute. De 10,13 à 10,35 — — gauche 4—0,2 — — iO,33àl2,13 — — droit 5 —0,06 — — gauche 30 — 0,3 — A 12,15 Injection de 108'=<= de la solution (8,64 de dextrine). Del2,15àl2,43 par l'uretère droit 30='^ soit 1 parminute. — gauche 20 — 0,66 — — 12,43 à 1,43 — droit 34 — 0,56 — — gauche 23 — 0,38 — — 1,45 à 2,13 — droit 16 — 0,53 — — gauche 10 — 0,33 — A 2,35 Injection de 50'^'^ de la solution (soit 4 gr. de dextrine). De 2,15 à 2,43 par l'uretère droit 7=^3 soit 0,26 parminute. — gauche 4 ,3 — 0,15 — 1. Urée dosée le lendemain. 230 H. MOUTARD-MARTIN ET CH. RICHET. h. m. h. m. De 2,45 à 3,13 par l'uretère droit 3 soit 0,1 par minute. — gauche 3 — 0,4 — A 3.20 Injection de 200 gr. de solution sucrée. (La solution est de 266 gr de saccharose pour 1000). De 3,laà 3,50 par l'uretère droit 12'^'^ soit 0,34 par minute. — gauche t2 — 0,34 — A partir de ce moment, l'uretère gauche fonctionne seul. — 3,40 à 4,00 par l'uretère gauche 8,4 soit 0,84 par minute. — 4,00à 4,10 — 2,4 — 0,24 — — 4,10 à 4,20 — 2 — 0,2 — Jusque-là, toute l'urine était foncée, collante, brune, se troublant lé- gèrement par l'acide nitrique, ayant au microscope de rares globules sanguines. L'addition d'alcool fait naître un précipité abondant qui se dissout dans un excès d'eau. Exi'ÉRiENXE XV. — 12 janvier 1880. Chien jeune, 7 kilogr., curarisé et soumis à la respiration artificielle. On mesure la pression par l'artère carotide, à laquelle est adaptée riièraodynamométre. Il s'écoule avant l'expérience très peu d'urine par les uretères. On injecte dans la veine saphène de Veau diatillée tiède par seringues de 60 grammes. On injecte ainsi successivement 18 seringues d'eau, soit 1080 grammes d'eau. On ne provoque ni polyurie ni élévation notable de la pression artérielle. On remarque que, au moment de chaque in- jection, la pression artérielle baisse légèrement pour remonter ensuite et revenir au bout d'une demi-minute à la pression primitive. A aucun moment de l'expérience il n'y a polyurie, ni même sécrétion assez abondante pour compter les gouttes. Cependant on constate à l'autopsie que les canules étaient bien pla- cées dans les uretères. Expérience XVI. — 10 janvier 1880. Chien de 12 kilogrammes. On mesure la pression avec le manomètre à mercure adapté à la carotide. Avant l'injection, la pression varie de 110 à 150 mm. soit en moyenne 130 de Hg. Il s'écoule 1 goutte par minute. On fait uneinjection de sucre (à 9h.); à Oh. 2 m. la pi^essiona légèrement augmenté ; elle est de 140, 150, 190 de mercure ; à 9 h. 5 m., elle est 140 ; à ce moment, il coule 10 gouttes d'urine par minute. On fait une nou- velle injection de sucre; la pression est de 150, 140; il s'écoule 27 gouttes par minute. La pression revient à 140; il s'écoule 25 gouttes par mi- nute. POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 231 A 9 h. lo m., injection de gomme en solution concentrée. La pression monte à 190; il s'écoule 6 gouttes par minute. A 9 h. 25 m., nouvelle in- jection de gomme; il s'écoule 2 gouttes par minute; la pression est à 170. A 9 11. 27 m., la pression est de 180, et il s'écoule t goutte par minute : A 9 h. 30 m., nouvelle injection de goînme. La sécrétion urinaire s'ar- rête complètement et la pression s'élève à 2o0. Expérience XVII — 23 décembre d880. Chien vieux, bouledogue, chloralisé. Injection de 60 grammes d'une solution sucrée. Gouttes par minute 18, 19. Nouvelle injection de 60 grammes; gouttes : 21, 33, 3j. Injection d'eau; gouttes : 33, 30, 30, 29, 28. Injections successives de gomme; gouttes : 2o, lo, 13, 17, 8, 9, o, 6, 3^2 A 4 h. 30 m. (25 minutes après le début de l'expérience), il s'écoule 7 gouttes par minute. A 4 h. 40 m. , 16 gouttes. A 5 heures, 14, lo, 16 gouttes. Nouvelle injection de sucre. Après 2 minutes, 36 gouttes. Injection de gomme; gouttes : 35, 37, 23, 21, 14, 16, 15, 12. Expérience XVIII. Chien de 20 kilogrammes, chloralisé. On mesure la pression artérielle dans la carotide droite. P = 130 mm. Injection de 300 grammes d'eau distillée tiède. La pression baisse un peu au moment de l'injection. L'urine est sanguinolente. On fait alors une injection de 100 grammes d'une solution concentrée de sucre de lait. L'urine devient extrêmement abondante : 150 gouttes par minute; elle redevient limpide, mais avec la coloration brunâtre de la solution injectée. La pression n'augmente pas et n'a pas augmenté; elle reste à 150. On injecte alors 300 grammes de la solution de gomme. La pression s'élève, atteint un maximum de 280. Le cœur se ralentit, la sécrétion diminue, si bien qu'au bout de 3 minutes il n'y a plus que 10 gouttes par minute. L'augmentation de pression est telle qu'une hémorragie considérable se produit au niveau des plaies abdominales. Au bout d'un quart d'heure, injection de doO grammes d'eau. La pression ne varie pas, et il n'y a pas de polyurie. On fait alors, l'injec- tion de 200 grammes de la solution sucrée. La polyurie reparaît aussi- tôt (130 gouttes par minute), mais il n'y a aucun changeraient de pression. 232 R. MOUTARD-MARTIN ET CIL RICHET. Exi'KRlEiN'CK XIX. Chien de 10 kilogrammes. On fait une injection de gomme qui ne semble pas provoquer de polyurie. Il s'écoule seulement quelques gouttes d'urine qui contient une substance précipitant par l'alcool. L'injection de sucre provoque une polyurie abondante, moins abon- dante cependant que d'ordinaire. On injecte alors 1200 grammes d'une solution de gomme, on ouvre l'intestin : il s'écoule par l'intestin une petite quantité d'un liquide transparent, filant, donnant par l'alcool un précipité qui se redissout dans un excès d'eau. L'injection de gomme a arrêté la sécrétion ordinaire : après l'injection de sucre, il s'écoulait 21 gouttes par minute, tandis que, après l'injec- tion de gomme, on a 1""<= miimle 10 gouttes. 2'= — 8 — 3« — 8 — 4« — G — 5e — 6 — 6° — 4 — Quelques minutes après, on fait l'injection de 300 grammes de la solution sucrée, mais on ne peut plus ramener la polyurie. L'animal est tué par la section du bulbe. Expérience XX. — 1" février 1880. Résumé. On injecte à un chien curarisé de la glycérine mélangée à son volume d'eau, soit 3oO grammes de liquide. La pression baisse. On injecte alors 120 grammes de glycérine pure : le cœur se ralentit et s'aiïaiblit. Des mucosités bronchiques abondantes s'amassent dans les voies respira- toires ; la sécrétion salivaire est exagérée. L'animal meurt. A l'autopsie, on constate que le liquide intestinal est très abondant et qu'il y a aussi beaucoup de liquide dans l'estomac. Il est à remarquer que le cœur n'a pas été troublé dans sa fonction après une injection de 175 grammes de glycérine mélangée à l'eau. Il a fallu ensuite injecter de la glycérine pure pour troubler la foncliou cardiaque. APPENDICE. Nous avons pensé qu'on pourrait remplacer (au point de vue de la diurèse) le lait par une solution de sucre de lait. Ce sucre a une saveur POLYURIE EXPÉRIMENTALE. 233 sucrée très faible et par conséquent ne produit pas le dégoût que pro- duirait infailliblement une solution de sucre de canne. iNous devons l'observation suivante à l'obligeance de M. Dltleix, qui, sur notre demande, a remplacé, dans la médication d'un malade (hôpital Tenon, 1879), le lait par une solution de sucre de lait : Urûe Urine. en 24 heures. 6 août, 2 litres de lait contenant 4o grammes de sucre de lait 2 litres. 12,6 7 — 2 litres de lait contenant 4b grammes de sucre de lait 2,500 gr. 12, G 8 — 1 litre de solution de sucre de lait à 45 grammes pour iOOO 1 litre. 7,5 10 — 2 litres de solution de sucie de lait à 45 grammes pour 1000 2,250 gr. 14,2 H — 2 litres de solution de sucre de lait à 45 grammes pour 1000 2,500 gr. 15,8 12 — tisane commune non sucrée 1 litre. 6,3 14 — 2 litres de solution de sucre de lait à 45 grammes pour 1000 1,500 15,8 En voici une autre, que nous lui devons également : Urée Urine. en 2i heures. 10 août, 2 litres de lait . 2,500 gr. 22,0 11 — 2 litres de la solution de sucre de lait à 45 grammes pour 1000 2,500 gr. 19,2 12 — 2 litres de tisane commune non su- crée. 2 litres. 12,6 13 — 2 litres de la solution de sucre de lait. 2,500 gr. 18,9 14 — 2 litres de tisane commune non su- crée 1,500 gr. 13,0 15 — 2 litres de la solution de sucre de lait. 2,500 gr. 27,9 16 — 2 litres de la solution de sacre de lait. 2,500 gr. 26,8 C'est en 1888 et 1889 que l'emploi du sucre de lait, et du giycose comme diurétiques, a passé dans la pratique médi- cale courante : guidés par les faits physiologiques que nous avions établis, M. G. Sée d'une part, et d'autre part, M. Du- jardin-Beaumetz, ont donné, avec succès, du sucre à leurs malades, pour augmenter l'excrétion urinaire. XXVI QUELQUES FAITS RELATIFS A LA DIGESTION CHEZ LES POISSONS Par M. Charles Richet. I Disposition générale de l'appareil digestif chez les poissons cartilagineux. Ilya quelques années, comme j'étudiais les phénomènes de la digestion stomacale chez l'homme, je voulus aussi faire des recherches sur l'estomac des poissons, chez lesquels la digestion stomacale est extrêmement active. Je me rendis alors au Havre, et, dans un petit réduit dépendant du vieux Musée, je pus faire quelques expériences très rudimentaires. Je les développai plus tard dans le laboratoire de physio- logie maritime crée par M. P. Bert*. 1. P. Bert, à qui je fis alors part de mes recherches, employa son influence et put créer un laboratoire de physiolojjic maritime au Havre. Ce lalinraïuire DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 233 Mes recherches ont porté uniquement sur deux genres de poissons cartilagineux des genres Scyllium et Acanthias [Scyllium catulus et Acanthias vidgaris). Ces poissons sont très abondants dans ces parages. Sur les marchés du Havre on en trouve toujours en grand nombre. Ils sont parfois de fort belle taille, et, comme leur chair est peu appétissante, leur prix est fort modique. (Un Scyllium de 5 à G kilog. ne vaut guère plus de 2 à 3 francs.) En outre, comme leur résis- tance à l'asphyxie est considérable, il n'est pas rare qu'on les possède vivants, ce qui est une condition très favorable. L'appareil digestif de ces poissons cartilagineux est extrê- ment simple. Un œsophage large et court fait suite à la cavité buccale; puis vient l'estomac lui-même, qui est d'une extensibilité extrême, et qui ne se distingue guère de l'œso- phage que par la coloration plus foncée de la muqueuse et l'épaisseur moins grande des parois. La rate est appendue au cul -de-sac stomacal, et se continue sous la forme d'un mince filament accolé au côté de la poche ventriculaire. L'estomac est séparé de l'intestin par un orifice très rétréci, que j'ai appelé détroit pylorique et qui remonte parallèlement à l'estomac, sur les quatre cinquièmes de sa longueur. Alors ce conduit s'élargit et débouche dans un intestin beaucoup plus large, à parois très épaisses, et dont la membrane interne se replie en forme de spirale qui ralentit le passage des matières à demi digérées. La longueur totale de l'intestin est peu considérable : si la longueur de l'estomac est de S, celle du détroit pylorique est de 3, et celle de l'intestin (intestin grêle et gros intestin) est de 10. Le pancréas, qui chez les poissons cartilagineux existe, comme chez les vertébrés supé- rieurs, à l'état de masse glandulaire distincte, se trouve dans un repli du mésentère à la partie supérieure de l'esto- mac, et son conduit vient déboucher à peu près au point oii qiii était fort bien installe, a été en activité pendant sept ou huit ans. — Actuel- lement il n'existe plus, pour diverses raisons qu'il n'est pas intéressant de mentionner. 236 CHARLES RICHET. le détroit pylorique s'élargit pour faire place à l'in- testin. Telle est, exposée d'une manière sommaire, la disposition anatomique des organes digestifs chez les Roussettes et les Squales. On peut maintenant comprendre quel est alors le processus digestif chez ces animaux. Les proies sont avalées sans êtremàchées. Elles passent immédiatement, telles qu'elles sont ingérées, dans l'œsophage (très large), et s'accumulent dans l'estomac qui est très extensible. Là elles sont triturées, acidifiées, peptonisées, ramollies, digérées, finalement en partie absorbées, en partie réduites à l'état de masse molle diffluente. Tant que cet état de liquéfaction n'a pas été obtenu, les aliments ne peuvent passer par le détroit pylorique, qui est très étroit, et qui, pendant la vie, par suite de l'énergique resserrement de ses fibres musculaires, est encore plus rétréci que sur l'animal mort. Puis les matières dissoutes s'engagent dans l'intestin, et reçoivent les liquides pancréatiques et hépatiques. Leur cheminement dans l'intestin ne peut être qu'assez lent, par suite de la présence de la lame spirale qui retarde beaucoup leurpassage. Quand on presse l'intestin pour faire sortir par l'anus les matières qui sont contenues dans la cavité intestinale, c'est à peine si l'on peut on faire sortir quelques parcelles, encore que la masse soit tout à fait liquide. Il s'en suit que, malgré la brièveté du tube digestif, les matières alimentaires y séjournent pendant tout le temps qui est nécessaire à une complète absorption. Le détroit pylo- rique fait que l'estomac ne donne issue qu'aux substances liquides ou pâteuses. La lame spirale fait que les matières ramollies séjournent longtemps dans l'intestin et peuvent alors être parfaitement digérées et absorbées. D[GEST10N CHEZ LES POISSONS. 237 II Acidité des liquides stomacaux. Ce sont là des faits anatomiques faciles à vérifier et indis- cutables. Au contraire, les faits chimiques sont plus difficiles à établir. Notons d'abordquelespoissons, qui avalent sansles mâcher des proies énormes, doivent, pour que ces proies soient bien digérées, posséder un pouvoir digestif considérable. En outre, comme leur nourriture se compose de poissons, de crustacés et autres animaux à parois tégumentaires épaisses, les sucs digestifs doivent être non seulement riches en pepsine, mais encore riches en acide chlorhydrique. Pour l'acidité, j'ai constaté dans mes premières recherches qu'elle atteint par- fois 15 grammes de HCl par litre, ce qui est un chiffre bien supérieur à tout ce qui a été constaté pour l'acidité du suc gastrique des mammifères. Non seulement l'acidité absolue est grande, mais elle est aussi très considérable, par rapport au poids total de l'animal. Ainsi, dans une expérience, un Scyllium^ pesant 7 kilogram- mes, contenait dans son estomac 450 grammes de matières, pulpeuses, à demi digérées, dont l'acidité totale répondait à 3^'",57 de HCl, c'est-à-dire environ 0,5 de HCl par kilogramme d'animal. III Action du suc gastrique sur l'amidon. Une première question assez importante peut être facile- ment résolue par l'examen du suc gastrique des poissons. On 238 CHARLES RICHET, a dit souvent que le suc gastrique contient un ferment diasta- sique, et que, grâce à ce ferment, pendant leur séjour dans Testomac, les aliments féculents se transforment en sucre. Mais Texpérience est difficile à faire chez les vertébrés autres que les poissons. En elTet, constamment les glandes salivaires déversent dans la cavité buccale, et, par suite, dans l'estomac, de la salive, qui contient, comme on sait, un puissant fer- ment diastasique. Cette salive peut fort bien contribuer à l'hydratation des matières féculentes qui se trouvent dans l'estomac, il faut donc, pour être assuré que l'estomac agit ou n'agit pas sur les féculents, faire au préalable la ligature de l'œsophage, de manière à empêcher l'écoulement de salive dans l'estomac. Mais cette opération ne laisse pas de modi- fier les conditions biologiques : il est donc préférable d'étu- dier ce phénomène chez les poissons, lesquels ont des glandes salivaires, ou nulles, ou rudimentaires. Or il est facile de constater, d'une part, que les liquides gastriques mixtes (sucs de l'estomac mélangés aux peptones et aux aliments) ne contiennent pas de sucre; d'autre part, que Je liquide stomacal neutre ou acide n'agit pas sur l'em- pois d'amidon. L'expérience peut être réalisée d'une manière démonstra- tive. On prend, d'une part, un estomac tout entier de Rous- sette, pesant, je suppose, 200 grammes, et d'autre part, 0,01 seulement de son pancréas. On met la petite portion du pan- créas on contact avec l'empois d'amidon, et, d'autre part, dans un autre llacoii, l'estomac tout entier avec l'empois d'amidon. Au bout de deuxheures, par exemple, le pancréas a hydraté l'amidon, et on peut constater par la liqueur de Fehling qu'il s'est formé une quantité abondante de sucre, alors que nulle parcelle de sucre ne s'est formée dans la liqueur gastrique, que le milieu soit alcalin, neutre ou acide. Si pendant deux ou trois jours on abandonne à l'étuve un mélange de suc gastrique neutrahsé et d'amidon, quelquefois on constate la production de sucre. Mais, dans ce cas, c'est DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 239 que la liqueur a fermenté et qu'il s'y est développé des orga- nismes inférieurs qui ont certainement été les agents de la transformation de l'amidon en sucre. Pour s'assurer que le suc gastrique mixte (c'est ainsi que l'on peut appeler le mélange de la sécrétion gastrique avec les aliments à demi digérés) ne contient pas de sucre, il faut précipiter la majeure partie des matières albumineuses dis- soutes, ce qui se fait en ajoutant au suc gastrique mixte trois ou quatre fois son volume d'alcool. La partie filtrée est éva- porée, et c'est dans le résidu de l'évaporation qu'on recher- chele sucre. On trouve toujours des peptones, et des substances qui décolorent et font tourner au violet la liqueur de Fehling ; mais il n'y a pas précipitation d'oxyde de cuivre. Ainsi, voici un premier fait bien établi, c'est que le suc gastrique des poissons cartilagineux n'agit sur l'amidon, ni en milieu acide, ni en milieu neutre, et que les matières dis- soutes par le suc gastrique ne contiennent pas de sucre. Il est assez vraisemblable qu'il en est ainsi chez la plupart des poissons, et même chez les autres vertébrés. IV Action du suc gastrique sur les matières albuminoïdes. Chez les Squales et les Roussettes, comme chez tous les autres vertébrés, c'est sur les matières albuminoïdes qu'agit surtout le suc gastrique. Pour déterminer la mesure de cette action digestive, j'ai fait trois séries d'expériences entreprises avec des albumines diverses. J'ai employé, en effet, tantôt la fibrine du sang, tantôt de l'albumine d'œiif, soit cuite, soit non cuite. La fibrine du sang peut être, après lavage, ramollie et dis- soute dans une quantité d'eau contenant 2 grammes de HCl par litre^ Si, je suppose, on met 100 grammes de fibrine dans 240 CHARLES RICHET. un litre d'eau acide, on aura 0,1 de fibrine par centimètre cube de liquide. On pourra ainsi, sans faire de pesées, et par une mesure volumétriqne, employer telle quantité de fibrine qu'on désire. Si Ton veut conserver longtemps sans altération la liqueur de fibrine, il faut y ajouter des substances qui entravent la fermentation putride, par exemple du cyanure de potassium (5 grammes par litre) ou du chloroforme. Grâce à ces substances, la liqueur de fibrine peut se conserver pres- que indéfiniment. On peut aussi, d'après la méthode classique, découper de petits cubes dans l'albumine d'œuf coagulée. J'ai souvent opéré avec l'albumine d'œuf soluble. Cette albumine, dissoute et battue dans trois fois son volume d'eau, donne avec l'acide azotique un précipité abondant, précipité qui n'a pas lieu quand l'albumine a été peptonisée. Ce procédé de l'albumine crue est très expéditif et très exact. Aussi ne puis-je guère m'expliquer pourquoi il a été abandonné par tant de physiologistes. L'examen seul des vases oii se font les digestions artificielles, leur transparence, leur viscosité, donnent des notions précieuses. La coagulation par la chaleur d'abord, puis par l'acide azotique, puis par la chaleur et l'acide azotique ensemble, fournit des renseigne- ments plus complets et plus nuancés que n'en peut donner l'examen delafibrinequandl'albumine n'est pas digérée. L'acide nitrique en excès la précipite et donne un coagulum jaune (xanthoprotéique). Ce coagulum jaune n'a lieu que quand il y a un grand excès d'acide nitrique. Si donc, dans une albu- mine peptonisée, on verse quelques gouttes d'acide, nulle couleur jaune ne se manifestera; mais, s'il y a des flocons d'albumine, l'excès d'acide nitrique les colorera aussitôt en jaune. Pour préparer cette albumine d'œuf, voici le procédé que j'ai employé. L'albumine de l'œuf frais est mêlée à 2 fois son poids d'eau, puis à HCl, en quantité telle qu'un centimè- tre cube de la liqueur contienne 0,01 do HCl. • DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 241 La solution obtenue ainsi est parfaitement limpide et ho- mogène, et, par des mesures volumétriques, on peut en met- tre, dans les vases où se font les digestions artificielles, des quantités rigoureusement exactes. Ces trois méthodes (fibrine, albumine cuite, albumine crue) se contrôlent l'une par l'autre. On sait que certains auteurs, en particulier M. Kruken- BERG \ ont constaté chez certains poissons l'existence dans la muqueuse stomacale d'une trypsine, autrement dit d'une substance analogue à la trypsine pancréatique, qui digère Talbumine en solution neutre ou faiblement alcaline. J'ai donc voulu vérifier ce fait, et pour cela j'ai fait digé- rer, à plusieurs reprises, par du suc gastrique très actif, l'al- bumine et la fibrine en solution neutre. Or, jamais il n'y a eu, non seulement peptonisation, mais même dissolution de la fibrine. C'est, comme on sait, le pre- mier stade delà digestion. Eh bien! en solution neutre, le suc gastrique des poissons n'a jamais effectué cette dissolution, que réalisent très rapidement, en solution acide, des traces de pepsine. Quant à l'albumine, elle n'a pas été attaquée. Ainsi l'estomac des poissons cartilagineux ne contient ni diastase ni trypsine. Si on laisse longtemps la fibrine en solution neutre avec du suc gastrique, la fibrine se putréfie, se dissout, mais pré- cipite toujours par l'acide azotique. Je rappelle ce résultat que j'avais déjà indiqué dans mes premières recherches sur le suc gastrique, parce qu'on a attribué à la pepsine des propriétés antifermentescibles dont elle est absolument dépourvue. C'est l'acide chlorhydrique, qui, dans le suc gastrique, empêche la putréfaction. M. Krukenberg a aussi constaté qu'il n'y a pas de trypsine dans l'estomac des sélaciens. Evidemment il contient une substance analogue, mais non 1. Untersuchungen aus dem physiol. Institute der Umversitat Heidelberg , 1882, t. II, fasc. 4, p. 396. TOME II. 16 242 CHARLES RICHET. identique, à la pepsine des vertébrés supérieurs. Elle présente en effet deux caractères principaux : r Elle agit à une température de 20" presque aussi éner- giquement qu'à 40" ; 2" Elle agit dans des solutions très acides, contenant 10, 15, et même 20 de IICl, mieux que dans des solutions ne contenant que i gramme, l^"" 5, et 2 grammes de HCl. Le premier fait est bien connu, et je n'ai pas à y insister. Quant au second fait, il faudrait, pour différencier la pep- sine des poissons de la pepsine des mammifères, établir que celle-ci est entravée ou ralentie dans son action quand l'aci- dité du milieu dépasse 5 ou (5 grammes de HCl par litre. Si l'acidité de la liqueur digestive atteint ou dépasse 25 grammes de HCl par litre, la digestion, au lieu d'être ac- tivée, est ralentie. - Mais si Ton prend une même quantité de suc gastrique, et qu'on le fasse agir sur l'albumine dans des solutions conte- nant ^, 3, 4 grammes, etc., jusqu'à 10 grammes de HCl (par litre), on constate que l'activité digestive va en augmentant, à mesure que la quantité d'acide est plus considérable. Sou- vent des liquides gastriques, acidifiés de manière à ce que la liqueur contînt 4 grammes de HCl, m'ont par« inactifs, alors qu'ils redevenaient très actifs quand l'acidité était de 10 gram- mes de HCl. D'ailleurs, il est possible que, selon qu'on fasse des diges- tions d'albumine ou de fibrine, l'influence de l'acidité soit différente. J'ai cru constater que l'albumine se digère mieux que la fibrine dans des milieux très acides. La mesure de la puissance digestive de la pepsine des poissons est difficile à donner. Je puis cependant indiquer quelques faits qui vont montrer que la muqueuse stomacale des poissons contient, relativement à son poids, une très grande quantité de ferment actif. 5 grammes de suc gastrique mixte peuvent, dans l'espace de trois ou quatre heures, transformer complètement en pep- DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 243 tone G grammes de fibrine. En prenant 1 gramme de mu- queuse stomacale, en la broyant avec de l'eau acidifiée, on a un extrait qui peut peptoniser en 3 ou 4 heures 6 grammes de fibrine. Par conséquent, la muqueuse de l'estomac peptonise, durant un très court espace de temps, six fois son poids de fibrine. Ces actions peuvent s'opérer à des températures basses, à 12" par exemple. Avec l'albumine, laquelle est si difficilement digérée par les sucs gastriques des mammifères, on obtient aussi de très bons résultats. Ainsi en seize heures, 1 gramme delà muqueuse gastrique a parfaitement peptonise (à froid) 7 grammes d'albumine crue. La limite de l'activité digestive n'était pas atteinte; car I gramme de cette même muqueuse a peptonise presque com- plètement pendant le même temps 33 grammes d'albumine crue (à l'étuve à 38"j. Cette muqueuse, desséchée à 40° pendant vingt-quatre heures, perd l'eau dont elle était imprégnée, de sorte que son poids diminue beaucoup, de 80 p. iOO d'après une expérience. II s'ensuit que 0,2 de cette muqueuse sèche peut dissoudre en seize heures et peptoniser 30 grammes d'albumine environ, soit 1 gramme peut peptoniser 150 grammes d'albumine. La dessiccation de la muqueuse n'altère pas profondément ses propriétés peptiques. La pulpe stomacale raclée, conser- vée quelque temps avec un peu d'alcool salicylé, puis dessé- chée dans Fétuve à 40% a donné une masse solide douée de propriétés très actives encore. Par rapport au poids de l'animal on peut admettre (ainsi que me l'ont démontré beaucoup d'expériences) que sur un squale pesant 1 kilogramme, la raclure de| l'estomac donne environ 5 grammes de substance peptique. Ces 5 grammes sont capables de faire la digestion de 150 grammes d'albumine. On peut voir par là qu'un Squale d'un kilogramme peut pep- 2i4 CHARLES RICHET. toniser en 24 heures 150 grammes d'albumine, soit plus du sixième de son poids. D'ailleurs, en pareille matière, des chiffres absolus sont difficiles à donner. C'est par des expériences comparatives et multipliées qu'on pourra s'assurer que la muqueuse gastrique d'un Scylliiim ou d'un Galeus contient, proportionnellement à son poids, comme au poids total do l'animal, beaucoup plus de pepsine que la muqueuse gastrique d'un porc ou d'un chien. Action sur la chitine. Parmi les substances alimentaires ingérées par les pois- sons, il faut ranger les crustacés. Or, par le suc gastrique l'enveloppe chitineuse de ces arthropodes est parfaitement digérée. C'est un fait sur lequel MM. Pouchet et Tourxeux ont insisté, et il serait étrange de supposer, comme l'a fait M. Krukenberg ', qu'il s'agit là d'une exception. Au contraire, c'est le fait normal et régulier, et, quoiqu'il soit difficile de réaliser coite dissolution de la chitine dans des digestions artificielles, il n'en est pas moins vrai que pendant la vie la chitine des crustacés se ramollit et se dissout dans l'estomac des squales. Ce fait est assez surprenant, car on connaît la résistance vraiment extraordinaire de cette substance aux actions chi- miques. Lenveloppe tégumcntaire des crustacés se compose de calcaire, lequel est dissous par l'acidité de la sécrétion gastri- que; de chitine, qui se dissout aussi, et d'une matière colo- rante qui est mise en liberté. 1. Loc. cit., p. 383. DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 245 Cette matière colorante, qui rougit par les acides, se prs- sente sous la forme d'une huile qui s'amasse en très fines gouttelettes, et qu'on peut extraire en agitant avec l'éther la masse stomacale pulpeuse. Cette huile, d'un rouge vif, exhale une odeur pénétrante, qui est tout à fait analogue à la hisque d'écrevisse. Peut-être la matière odorante et la matière colorante sont-elles identi- ques? On pourrait faire des recherches sur ce point. Cette huile rouge, qui provient des carapaces des cru- stacés, est soluble dans l'éther; elle se décompose par l'ébulli- tion avec l'acide nitrique en dégageant des vapeurs nitreuses, et, par l'oxydation à l'air, elle se détruit spontanément, en quelques heures, donnant une huile incolore à odeur dés- agréable. VI Sécrétion gastrique. Les ferments organisés abondent dans les produits de la digestion gastrique chez les mammifères, et ils jouent un rôle important dans les phénomènes digestifs; c'est un point sur lequel j'ai insisté en 1878, et qui est maintenant devenu non seulement classique, mais banal. Chez les poissons, j'ai constaté aussi la présence de nom- breux organismes élémentaires, dans l'estomac. Ces microbes extrêmement nombreux sont cependant peu mobiles ; et, quand l'estomac est très acide, comme pendant la digestion , il est probable que les actions chimiques qu'ils effectuent sont peu considérables. Mais, si le suc gastrique est neutra- lisé, comme cela a lieu dans l'intestin, aussitôt ils se déve- loppent et pullulent*. 1. Des observations que j'ai faites d'abord dans la Méditerranée, puis au Havre, sur des poissons marins de petites dimensions, appartenant aux genres Serraniis, -240 CHARLES RICHET. J'insisterai ici seulement sur ce point. Ouelle est l'influence des agents antiseptiques sur la digestion gastrique ? Cette question est d'autant plus intéressante que, pour quel- ques auteurs, la digestion peptique a été assimilée à une fer- mentation par des microbes. Il ne me paraît pas que cette opinion puisse être soutenue. En ellet, j'ai obtenu des digestions artilicielles excellentes dans des milieux contenant des substances antiseptiques : 1° Albumine, suc gastrique d'une acidité de 23 grammes de HCl par litre : bonne dirjcstion. 2" Albumine, suc gastrique A : bonne digestion. 3° Albumine et même suc gastrique avec éther en excès : assez bonne digestion. k" Albumine et même suc gastrique avec chloroforme en excès : très bonne digestion. o" Albumine et suc gastrique B : assez bonne digestion. 6° Albumine et même suc gastrique avec éther en excès : bonne digestion. 1° Albumine et même suc gastrique avec o grammes de cyanure de potassium (par litre) : a\sez bonne digestion. 8" Albumine et même suc gastri([ue avec chloroforme en excès : très bonne digestion. Il me paraît inutile de multiplier les exemples analogues. En effet, il est démontré que l'acide chlorhydrique à 23 gram- mes par litre, ou le cyanure de potassium, en solution acide, à 5 grammes par litre, ou le chloroforme en excès, empêchent absolument la fermentation par des microbes. Par conséquent, Julis, Scorpcena, m'ont prouvé que les germes sont moins dans la cavité stoma- cale que dans le liquide péritonéal qui baigne l'estomac. D'innombrables bactériens coccus, micrococcus, toriila, etc., sont appendus aux tuniques exté- rieures des appendices pyloriques cl de l'estomac. Il n'est pas douteux que certains de ces éléments ne passent dans le sang, et en effet, dans le sang des poissons on voit, mélangées aux globules, des granulations extrêmement fines, réfringentes, mobiles, tout à fait analogues aux corpuscules-germes. Quelque- fois même on y trouve, mais bien plus rarement, des formes bactériennes. DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 247 puisque la digestion peptique peut s'accomplir dans de tels milieux, elle ne saurait être assimilée à une fermentation microbiotique. A la dissolution de la fibrine dans l'acide chlorhydrique, j'ai ajouté constamment du cyanure de potassium (4 grammes par litre), qui empêchait complètement la putréfaction de la fibrine, mais qui n'entravait en rien sa digestion par le suc gastrique. Toutefois l'addition de cyanure de potassium a cet incon- vénient que ce sel est décomposé par Tacide chlorhydrique, et que l'acide libre est alors de l'acide cyanhydrique, beaucoup moins favorable à la digestion que l'acide chlorhydrique. Il faut donc avoir soin de mettre une quantité de HCl suffisante pour qu'il y en ait un excès dans la liqueur digestive. Le chloroforme et l'éther (lavé à l'eau et dépourvu d'al- cool) sont plus convenables à celte démonstration. Peut-être même faut-il préférer le chloroforme qui se volatilise moins vite que l'éther. Or des quantités considérables de chloroforme ne modifienten rien lapuissancedigestive desliquides gastriques. YII Influence de la putréfaction et des matières antifermenteseibles. Ce qu'il y a de plus intéressant dans l'étude de la diges- tion gastrique chez les poissons, c'est le mode de formation du suc gastrique. Les expériences qu'on peut faire à cet égard chez les Scyllium jettent quelque lumière sur ce phénomène, un des plus obscurs de la physiologie. Tout d'abord, faisons observer que le suc gastrique n'est fortement acide que pendant la digestion. On l'a constaté depuis bien longtemps chez les mammifères. L'expérience réussit aussi très bien chez les poissons. 2i8 CHARLES RICHET. Sur une Roussette qui avait vécu dans l'aquarium depuis deux mois, et qui, malade, asphyxiée lentement, n'avait pas pris de nourriture depuis longtemps, j'ai trouvé l'estomac complètement dépourvu d'aliments. Or c'est à peine si le papier de tournesol bleu rougissait légèrement au contact de la muqueuse. Dans la cavité gastrique, le produit de sécrétion était une masse glutineuse, parfaitement transparente, que je ne saurais, pour toutes les apparences extérieures, mieux comparer qu'au corps vitré de l'œil. Cette humeur demi- solide, constituant du suc gastrique absolument pur, était douée d'une activité digestive très médiocre. En effet, 10 gram- mes ne purent peptoniser de la fibrine acidifiée qu'au bout de 3 fois 24 heures. La muqueuse gastrique, raclée, et mise en suspension dans de l'eau, donna aussi des quantités fort mé- diocres de pepsine active. D'une manière générale, plus l'estomac est rempli de matières alimentaires, plus l'acidité est considérable, plus est grande la quantité de pepsine contenue dans la muqueuse stomacale. Toutefois, la muqueuse d'un estomac tout àfait vide contient encore une certaine quantité du ferment peptogène. Chez les mammifères, le suc gastrique qui est sécrété est liquide : mais chez les poissons il ne semble pas qu'il en soit ainsi. Jamais on ne trouve, à proprement parler, de liquides dans l'estomac ; mais seulement des matières alimentaires imprégnées d'une masse mucilagineuse qui n'est autre que le suc gastrique. Exposée à l'air, cette masse, d'abord cohé- rente, difficilement miscible à l'eau, et impossible à filtrer, change peu à peu de caractère. Elle se dissout elle-même^ devient de plus en plus liquide, si bien qu'au bout de quel- ques heures, les matières alimentaires nagent dans un liquide assez abondant, véritable suc gastrique secondaire , qui ré- sulte de l'autodigestion du suc gastrique primitif. Le suc gastrique primitif, qui est sécrété par l'estomac, n'est pas un vrai produit de sécrétion. C'est plutôt le résultat d'une sorte de fonte de la muqueuse stomacale. DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 249 En effet, si l'on prend un estomac de Roussette en pleine digestion, c'est à peine si l'on pourra, par le raclage de la membrane interne de l'estomac, obtenir quelques parcelles de la substance grisâtre qui constitue la partie la plus super- ficielle de la muqueuse. C'est qu'en effet cette couche super- ficielle s'est désagrégée. Elle s'est détachée de la paroi stoma- cale pour former le suc gastrique mêlé aux aliments. Le mucus gastrique qui englobe les matières alimentaires a tout à fait le même aspect que la pulpe grisâtre qu'on obtient en raclant la muqueuse. L'amas pulpeux grisâtre qui résulte du raclage de la mem- brane interne de l'estomac possède une propriété singulière. Si on le mélange avec dix fois son volume d'eau, par exemple, en l'agitant fortement, la masse se gonfle, emprisonne l'eau, et le tout forme une masse glutineuse, cohérente, non filtra- ble, et non miscible à l'eau. Il s'agit là d'un véritable muci- lage, comme celui qu'on obtient dans certaines préparations pharmaceutiques. Ce mucilage abandonné à soi-même se dissout très lente- ment, et même si lentement qu'il se putréfie avant d'être de- venu parfaitement liquide. Mais si l'on y ajoute quelques gouttes d'acide chlorhy- drique, de manière à donner à toute la liqueur une acidité répondant à 10 grammes de HCl par litre, la dissolution est très rapide. En deux ou trois heures, à la température ordi- naire, toute la masse s'est liquéfiée et dissoute. Il ne reste plus que quelques rares flocons de matières insolubles, grisâtres, qui tombent au fond du vase. Le reste constitue une masse parfaitement homogène, liquide et miscible à l'eau. Comme ce fait est assez important, je donnerai le récit d'une expérience faite de cette manière. Sur un gros squale pesant 5 kil. (l'estomac était à peu près vide), on lave doucement la cavité stomacale, puis on racle la muqueuse. Le raclage donne une masse glutineuse pesant o.jo CHARLES lilCHET. 24 grammes '. Quand le raclage est terminé, sans déterminer de rupture vasculaire, on voit à découvert la partie profonde de la muqueuse stomacale, vasculaire, et parsemée de taches eccliymotiques. La masse glutineuse est alors agitée dans 240 grammes d'eau. Elle forme un magma cohérent, filant, et non miscible à l'eau. La moitié de ce magma est laissée dans un verre à expé- rience. L'autre moitié est acidifiée par l'acide chlorhydrique, de manière que son acidité réponde à il grammes de HCl par litre. En moins de trois heures toute la masse se dissout, et il ne reste plus que quelques rares llocons gris insolubles. La portion non acidifiée reste mucilagineuse. Le lendemain (24 heures après), la portion non acidifiée s'est dissoute en partie. Mais il reste encore beaucoup de mucilage. Le surlendemain, presque tout s'est dissous, quoique la dissolution soit moins complète que dans la portion acidifiée. L'odeur de la putréfaction est assez prononcée. Néanmoins, c'est encore un liquide peptique très actif : en effet 5 centi- mètres cubes (après acidification) transforment en vingt heures à froid 4 grammes d'albumine crue ^ Voyons maintenant quelles sont les conclusions qui se dégagent de cette expérience. Nous pouvons supposer qu'au moment où les aliments pénètrent dans l'estomac, sous l'influence de l'excitation de la muqueuse, il se fait, par voie réflexe, une production abon- dante d'acide chlorhydrique : cet acide va ramollir, gonfler et 1. Ces 24 grammes représeulcnt «'aviron 4S'',8 de matière sèche. 2. Cette dernière expérience montre d'une part que la pepsine ne s'oppose pas à la putréfaction, d'autre part que ce n'est pas la première substance qui disparait par le fait de la putréfaction, et qu'elle résiste un certain temps aux microbes destructeurs. Ces o cniuimètres cubes représentent 0,3 de muqueuse humide, et 0,1 de muqueuse sèche. DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 2oi dissoudre la portion la plus superficielle de la muqueuse. Ainsi sera formé le suc gastrique, résultat de la fonte de la muqueuse par Faction de l'acide chlorhydrique sécrété. Cette hypothèse me paraît rendue vraisemblable par l'expérience précédente que j'ai répétée trois fois et qui m'a trois fois donné le même résultat. La pepsine existe-t-elle toute formée dans l'estomac? ou bien se produit-elle pas suite d'un dédoublement particulier? On sait que M. Heidenhain a émis l'opinion qu'il existe une sorte de ]}>'opepsine, substance qui se dédouble en donnant de la véritable pepsine. Quelques expériences m'ont semblé montrer qu'il en était ainsi. En effet 10 centimètres cubes de suc gastrique mixte filtré n'ont pas peptonisé 5 grammes de fibrine; tandis que le len- demain une quantité moitié moindre de ce même suc gastri- que a peptonisé en quelques heures 5 grammes de fibrine. Une autre fois, la peptonisation de la fibrine, tout à fait nulle au bout de 24 heures, était complètement achevée ie lendemain, comme si le premier jour il n'existait pas de pep- sine, alors que le lendemain cette pepsine existait en quantité considérable. Ce qui m'a paru le mieux démontrer la présence, encore assez hypothétique, de cette propepsine, c'est l'action du cyanure de potassium. Ce sel, quand il est en solution très acide, n'entrave pas la digestion : mais il entrave la transfor- mation de la propepsine en pepsine ; de sorte que des liquides digestifs, peu actifs le premier jour, restent définitivement inactifs, quand on les additionne de cyanure de potassium (10 grammes par litre). Au contraire, ils deviennent très actifs, si on les abandonne à eux-mêmes, sans addition de cyanure de potassium. Une fois qu'ilsontacquisleur activité, le cyanure de potassium ne peut plus entraver leur puissance digestive. En somme, il me paraît qu'où peut se faire l'idée suivante de la sécrétion du suc gastrique. 252 CHARLES RICHET. La muqueuse gastrique contient dans sa portion super- ficielle une substance qui par l'action d'un acide peut se dis- soudre et donner la pepsine. Au moment de l'abord des aliments, par une influence nerveuse, l'acide se forme. Il dissout la muqueuse, et, dans cette dissolution qui se fait lentement, au fur et à mesure la pepsine se forme par le dédoublement de la propepsine qui y est contenue. Ce ne sont là, malheureusement, que des hypothèses ; mais elles sont rendues assez vraisemblables par les expériences qui précèdent. YIII Pancréas et son action sur l'amidon, sur les matières albuminoïdes, et sur les matières grasses. Chez les Sélaciens et les poissons cartilagineux, le pan- créas n'est pas disséminé; mais il se présente sous la forme d'une petite glande blanchâtre bien distincte '. Comme on connaît peu de chose de ses propriétés physio- logiques dans cette classe, j'ai essayé de comparer ses fonc- tions avec celles du pancréas des vertébrés supérieurs. Le pancréas des mammifères agit, comme on le sait depuis les belles expériences de Claude Bernard sur les aliments albuminoïdes, sur les matières amylacées et sur les matières grasses. Or le pancréas des Scyllliim et des Galeus (car je ne vou- drais pas trop généraliser les résultats obtenus) m'a paru dépourvu de toute action sur les matières azotées. Si l'on prend le pancréas d'un squale, qu'on le broyé dans un mortier avec de l'eau et du sable, puis qu'on filtre le mélange, on a une sorte de suc pancréatique artificiel, dé- pourvu de toute action sur la fibrine. 1. Chez un ScijUium de "j kilogrammes, le pancréas pesait 4sr,o. DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 2o3 Ni en solution acide, ni en solution neutre, ni en solution faiblement alcaline, je n'ai pu obtenir la moindre digestion par l'action de ce suc pancréatique artificiel, même quand l'expérience durait quatre jours. Dans les solutions alcalines ou neutres^ la fibrine restait indissoute; elle se dissolvait à la longue cependant, ce qui parait dû plutôt à la putréfaction par des ferments organisés qu'à une peptonisation vraie par la trypsine. En mettant de nombreux fragments du pancréas au con- tact de la fibrine ou de l'albumine, je suis de même arrivé à un résultat négatif. Si le pancréas des Scylliiim ne contient pas de trypsine, en revanche il possède une diastase dont l'activité est assez notable : 1° Suc pancréatique et empois d'amidon avec traces de cyanure de potassium. Le lendemain, la réaction sucrée est extrêmement nette. 2° Fragments de rate broyée avec de l'eau et empois d'ami- don avec traces de cyanure de potassium. Ni le lendemain, ni le surlendemain, il n'y a formation de sucre. 3° Fragments de rate broyée avec de l'eau et empois d'ami- don, sans cyanure de potassium. Au bout de deux heures, nulle formation de sucre, mais le lendemain la liqueur est putréfiée, et contient des quantités considérables de sucre ^ Ces expériences servent en quelque sorte de contrôle pour montrer que la saccharification de l'amidon n'est pas produite par tous les tissus, quels qu'ils soient; mais qu'il y a une sorte de spécificité d'action et qu'il faut un ferment particulier pour que la saccharification ait lieu. Quelques auteurs ont aussi soutenu que tous les liquides animaux peuvent, à la longue, sans qu'il y ait fermentation par des organismes inférieurs, opérer la saccharification de l'empois d'amidon. Il ne me parait pas que cette opinion soit 1. Ni le tissu de la rate, ni le tissu du pancréas ne contiennent de glycose. 2;i4 CHARLES HTCHET. exacte, puisque le suc gastrique, ainsi (jue nous l'avons vu plus haut, est dépourvu de toute influence saccharifianle. 4° 0^' 2 de pancréas ont transformé en deux heures à froid (à lo° environ) une grande quantité d'empois d'amidon. b" A chaud [^0°). en moins de quatre minutes un suc pan- créatique artificiel a saccharifié l'empois d'amidon. 6" A chaud (40"), en une heure, ce suc pancréatique artifi- ciel a saccharifié l'empois d'amidon, en présence d'un grand excès de cyanure de potassium. 7" Pancréas et amidon cru. Au bout d'une heure, il n'y a pas de sucre. Il en est de même le lendemain et le surlende- main, quoique la liqueur soit mise à Tétuve. 11 y a là une différence, qui mérite d'être notée, entre le pancréas des squales et celui des mammifères '. L'action du pancréas sur les graisses m'a paru aussi évi- dente que son action sur l'empois d'amidon. Dans trois expériences, j'ai constaté une éniulsion presque parfaite, en agitant deux ou trois gouttes d'huile d'olive avec le suc pancréatique artificiel obtenu comme il a été dit précé- demment. En comparant cette émulsion avec celle que donnaient d'autres tissus, comme la rate, on voit bien qu'il y a dans le pancréas une action émulsivanle spéciale; car au bout de quelques minutes l'huile surnage quand elle a été agitée avec le tissu de la rate, tandis qu'elle reste pendant plusieurs heures suspendue, à l'état de fines gouttelettes imperceptibles, qui rendent la liqueur blanchâtre, quand il s'agit du tissu du pancréas -. 1. M. Krukenberg dit que chez les squales (Scyllium at Acant/ùas) le pan- créas contient de la trypsine et non de la diastase. .Je ne puis nicxpliquer son opinion. En effet, j'ai cru trouver précisément le contraire, c'est-à-dire pas de trjpsine, mais de la diastase. 2. CLA.UDK Bernard a constaté sur le pancréas d'une Raie qu'il saccharifiait l'amidon, et qu'il acidiiiait les graisses. — Leçons de pitysiolofjie expérimentale, t. II, pp. 48:}-i84. DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 2do IX Lymphe et son action sur l'amidon. Ce n'est pas seulement le pancréas qui contient un ferment diastasique. En effet, la sérosité péritonéale semble posséder aussi des propriétés saccharifiantes. En ouvrant l'abdomen d'un squale vivant encore, on trouve que les viscères abdominaux plongent dans un liquide peu abondant, très transparent, qui ne contient pas de sang, quand on le recueille avec précaution. Ce liquide incolore ne peut guère être assimilé à la lymphe : car l'ébullition ne détermine aucun coagulum; et ni l'acide azotique, ni l'acide acétique ne provoquent de précipité albu- mineux. En outre cette sérosité ne contient pas de sucre. Dans une expérience, la sérosité péritonéale, additionnée de cyanure de potassium, a saccharifié en seize heures Tem- pois d'amidon. Dans une autre expérience, une quantité minime de séro- sité, mise au contact d'empois d'amidon, l'a saccharifié en moins de trois heures. D'autres expériences m'ont donné le même résultat. On doit donc admettre que la sérosité péritonéale a la propriété de saccharifier l'amidon, et qu'elle contient une diastase^ 1. Je n'ai pas alors recherché la présence de microljes dans cette sérosité. Les observations faites sur les Serranus, lulis, Crenolahrus, Labvus, ^cot'pœna^ m'autorisent à supposer qu'il se trouve aussi des microbes dans la sérosité péri- tonéale des squales, et que c'est aux substances chimiques qu'ils sécrètent qu'est due l'action diastatique de ce liquide. )5G CHAULES RICHET. Foie des poissons cartilagineux Le foie des poissons cartilagineux est très chargé de graisse. 11 est volumineux relativement au poids de l'animal. Un squale de 3S00 gr. avait un foie pesant 232 gr., soit 66 grammes de foie par kilogramme l'animal. Je n'ai pas recherché l'action du foie ou de la bile sur les aliments ; mais j'ai pu vérifier une assertion de Claude Ber- nard^ relative à la teneur du foie en glycogène et en sucre. Dans un cas, le foie contenait une forte quantité de sucre, soit 14^'', 3 par kilogramme de tissu hépatique. Ce chiffre est très voisin des chiffres qu'a trouvés Claude Bernap.d dans le foie des chiens - (19-14-17-13-13-18-8-15). Dans un autre cas, je n'ai trouvé que des traces de sucre et de glycogène. Dans deux autres cas, je n'ai pu trouver ni sucre, ni glyco- gène. Or ces différences s'expliquent par l'état physiologique des poissons que j'ai examinés. Le Sryllium dont le foie contenait du sucre était très vi- vant encore quand il m'a été apporté. Son cœur battait avec force : et ses mouvements respiratoires étaient réguliers. Le Scyllmm dont le foie ne contenait que des traces de glycogène vivait encore ; mais le cœur ne battait plus, et les mouvements respiratoires étaient rares, faibles et irréguliers. Evidemment il avait été péché depuis longtemps, et l'asphyxie à laquelle il avait été soumis durant plusieurs heures avait déterminé la destruction du glycogène et du sucre hépatique. 1, Leçons sur les pfténomènes de la vie, t. II, pi). 98 et suiv. 2. Leçons de pltysiolof/ie experimeiilale, t. I, p. 93. DIGESTION CHEZ LES POISSONS, 237 Des deux autres Scyllium dont le foie ne contenait pas de sucre, l'un était mort; l'autre était très vivant. Mais ce der- nier provenait de l'aquarium. Il avait vécu en captivité, depuis un mois. Son tube digestif était absolument vide, et son corps était presque exsangue. Ces faits confirment complètement l'opinion de Claude Bernard; d'une part, que le glycogène et le sucre du foie dis- paraissent très vite après la mort, et même pendant la mort (quand elle est lente) ; d'autre part, que des animaux placés dans un état de misère physiologique ne peuvent plus faire de glycogène. XI Digestion intestinale. L'acidité extrême des sucs de l'estomac fait que les liquides intestinaux conservent pendant la digestion encore quelque acidité. Toutefois cette acidité est faible, et dans quelques cas le liquide intestinal est tout à fait neutre. Je ne l'ai jamais trouvé alcalin. Chez les poissons, par suite de la brièveté extrême du tube intestinal, la digestion intestinale est peu importante. D'ail- leurs, il en est ainsi chez la plupart des carnassiers. A plusieurs reprises, j'ai examiné les produits de la diges- tion intestinale : c'est une masse pulpeuse, blanchâtre, et nullement liquide : je n'y ai pu trouver traces de sucre. Il est vraisemblable que le sucre, au fur et à mesure qu'il est formé, est absorbé et disparait. L'action des liquides intestinaux sur les matières albumi- noïdes m'a paru être tout à fait nulle. Ni en solution acide, ni en solution alcaline, ni en solution neutre, il n'y a peptonisa- tion de la fibrine ou de l'albumine. Ce fait prouve que dans l'intestin la pepsine disparaît. Comment se fait cette dispari- TOME II. n 258 CHARLES RICHET. tion? Cette recherche serait importante à poursuivre; car elle nous renseignerait sur un des points les plus obscurs de l'histoire de la digestion ; c'est-à-dire le sort ultérieur de la pepsine, après que les matières alimentaires à demi chymifiées ont quitté l'estomac. Sur la plupart des sujets, les matières intestinales broyées avec de l'eau et de l'empois d'amidon n'ont aucune action saccharifiante. Cependant, sur un Accmt/iias, il y a eu rapide- ment formation de sucre, même en présence d'une quantité notable de cyanure de potassium. On peut supposer, vu l'activité diastasique du pancréas, que ces matières intestinales contenaient encore du suc pan- créatique, qu'en général ce suc pancréatique disparaît rapide- ment, mais que dans quelques cas on peut encore en retrou- ver des traces. XII Foie des crustacés et des mollusques. Son action sur Tamidon. Je dirai, en terminant, quelques mots des propriétés diges- tives du foie de quelques invertébrés, crustacés [Carchms mœnas) et échinodermes [Asteria aurantiaca). Le foie des crabes ne m'a pas paru contenir de sucre ; mais seulement du glycogcne en petite quantité. Il en est de même du foie des astéries, qui, le premier jour, ne contenait pas de traces de sucre, alors qu'examiné le len- demain, il en contenait d'assez notables quantités, dues pro- bablement à la transformation du glycogène en sucre. Ni le foie des crabes, ni le foie des astéries, ne m'ont paru contenir de trypsine, soit en solution alcaline, soit en solu- tion neutre. Au contraire, l'un et l'autre, et surtout le foie des crabes, DIGESTION CHEZ LES POISSONS. 239 contiennent un ferment diastasique énergique. Quelques par- celles d'un foie de crabe, mises en contact avec de l'empois d'amidon, l'ont saccharifié à froid, en cinq minutes. Une transformation analogue, quoique moins rapide, a eu lieu avec le tissu hépatique, si volumineux, des astéries. Enfin cette saccharification a pu être obtenue, même en présence d'un grand excès de substances antifermentescibles, cyanure de potassium, dans un cas, et chloroforme dans l'autre. Ainsi le foie des crustacés et des échinodermes contient un ferment diastasique puissant. XXVII IiNFLUENGE DE LA PRESSION LA TEMPÉRATURE SUR L'ASPHYXIE DES POISSONS Par M. Charles Richet. Après avoir étudié l'influence de la température sur la durée des réflexes chez les poissons, j'ai essayé d'examiner l'influence de la température sur la durée totale de l'asphyxie. J'appelle durée totale de l'asphyxie le temps qui s'écoule entre le moment oii le poisson est sorti de l'eau et le moment 011 il n'a plus du tout de réflexes. On sait que les divers poissons sortis de l'eau ne mettent pas le même temps à mourir. Il y a de très grandes diversités dans la résistance, depuis la sardine qui meurt immédiate- ment, jusqu'à l'anguille qui résiste plus de vingt -quatre heures. INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR L'ASPHYXIE. 2Ô1 L'influence de la température sur la durée de l'asphyxie est manifeste. Julis vulgaris 16° 5o minutes. — 18° 31 — — 20° 11 — Crenolabrus 16° 50 — — 16° 50 — — 17° 3o — Serranus cabrilla . . . 15°, 5 57 — ... 27°,5 5 — Brama Rai 17° 20 — Ces faits sont facilement explicables et n'ont pas besoin de commentaires. Ils sont d'ailleurs parfaitement connus des physiologistes d'une part, sans que la mesure précise ait été faite, et d'autre part des pêcheurs qui savent qu'en été les poissons sortis de l'eau vivent moins longtemps qu'en hiver. M. AuBERT, dans ses expériences sur les grenouilles, a constaté que l'asphyxie est d'autant plus rapide que la tempé- rature est plus élevée. Un autre point plus intéressant est l'influence de la pres- sion subie par les poissons sur l'asphyxie. En péchant des poissons à des profondeurs diverses, ce qui revient à pêcher des poissons soumis à des pressions diff"é- rentes, j'ai obtenu les chiff"res suivants : Girelle (lulis). Durée de 1 'asphyxie. Profondeur, 15°, 4 43 minutes. 4™, 5 16° 55 — 0 ,5 17° 42 — 12 170 33 — 30 17° 66 — 30 17°, 5 62 — 35 18° 31 — 21 19" 59 — 0 ,5 Il ne semble pas que ces chifl'res assez irréguliers puis- sent autoriser à une conclusion. 262 CHAULES RICHET. Au contraire, chez les Serrans on voit nettement que la durée de l'asphyxie est d'autant plus courte que la pression est plus forte. \i minutes 00 ni. i-2 — 32 24 — 21 30 — 24 50 — 12 57 — C^.S Ces six expériences, très concluantes et allant dans le même sens, autorisent à admettre que chez les Serrans la durée de l'asphyxie est, au moins dans certaines limites, in- versement proportionnelle à la pression; la mort par l'as- phyxie survient très vite quand l'animal est retiré de l'eau à une grande profondeur. Elle est plus lente quand la profon- deur de l'eau oii il se trouvait était faible. On sait d'ailleurs que la plupart des poissons, sans doute à cause des conditions d'équilibre de leur vessie natatoire, restent constamment dans les mêmes profondeurs. Ils ne se déplacent guère perpendiculairement de plus de quelques mètres. En péchant à la ligne, en mer, dans des eaux très claires et peu profondes, on voit bien que certaines espèces de poissons, si affamés qu'ils soient, ne remontent jamais à plus d'un mètre au-dessus du niveau du sol. Lorsqu'on prend des poissons (Girelles et Serrans) à une profondeur même assez faible de 5 mètres ou de 10 mètres, et qu'au lieu de les asphyxier on les remet dans un bassin, de manière à essayer de les faire vivre, on constate que plusieurs d'entre eux périssent. La mortalité étant, je suppose, dans les premières vingt-quatre heures, de 50 p. 100, le lendemain, sur les 50 qui restent, en vingt-quatre heures, la mortalité est de 25 p. iOO, le surlendemain de 10 p. 100; puis ceux qui survivent se sont habitués à cette nouvelle existence, et, si les conditions d'aération sont bonnes, ils survivent indéfini- ment. INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR L'ASPHYXIE. 263 J'ai noté aussi l'influence sur la durée de l'asphyxie du traumatisme même faible de l'hameçon. Si peu que la bouche ait été déchirée par l'hameçon, cela suffit pour amener une mort bien plus rapide. Girelle (sans traumatisme) asphyxiée en 42 minutes. — (avec — • ) — en 16 — Serran (sans — ) — en 57 — ■ — (avec — ) — en 37 — Sur les poissons, on peut constater très nettement un fait qui a un certain intérêt, c'est l'activité d'autant plus grande des poisons que la température est plus élevée. Yoici des chiffres à cet égard, pour deux poisons, le chlo- rure de potassium d'abord, puis le chlorure de cadmium : Quantité du sel KCL par litre. Durée de la vie. A lo°,17° : 10 gr. 40 minutes. — 10 gr. 44 — — 5gr. 140 — — 2,0 575 — De 24° à 26 : 10 gr. 21 — — 5gr. 47 — — 2, S 150 — Quantité de chlorure de cadi mium (CdCU + H.O) par litre. Durée de la vie. A 150,17° : 0,375 14 heures. — 0,250 18 — 0,100 24 — — 0,05 plus de 48 — De 24° ix 26° : 0,375 3 h. 30' Ces chiffres montrent avec une évidence parfaite que les poisons agissent d'autant plus rapidement que la température est plus élevée '. 1. Voy. dans le t. I<^f le mémoire do M. Saint-Hilaire sur le même sujet. XXVIII DES DIASTASES CHEZ LES POISSONS Par M. Charles Richet. Dans le précédent travail % j'ai étudié l'action diastasique de quelques tissus et de quelques liquides chez les poissons cartilagineux. J'ai montré que, chez les squales, le suc gas- trique n'a pas d'action saccharifiante sur l'amidon, que la lymphe péritonéale d'une part, et d'autre part la glande pan- créatique, ont une action saccharifiante évidente sur l'amidon en empois. Le liquide céphalo-rachidien, analogue à la lym- phe, et qui contient des albumines coagulables par la chaleur, peut aussi quelquefois saccharifier l'amidon. Sur les poissons osseux, chez la carpe et la tanche, j'ai cherché à étudier l'action diastasique des mêmes liquides et des divers tissus qui font partie du tube digestif. Si l'on prend quelques gouttes de la sérosité péritonéale d'une carpe, liquide riche en petits cristaux microscopiques et parfois aussi en bactéries, et qu'on les mélange à de l'empois d'amidon, en quatre ou cinq minutes on obtient une formation 1. Voy. plus haut, p. 255. DES DIASTASES CHEZ LES POISSONS. 26d abondante de sucre. Chez les carpes et les tanches, comme chez les squales, la lymphe péritonéale est donc fortement diastasique. La muqueuse stomacale et la muqueuse intestinale sont aussi pourvues de cette môme action saccharifianle, et, en quelques minutes, une parcelle de ces muqueuses peut, avec l'empois d'amidon, donner d'assez notables quantités de sucre. Il faut remarquer cette diastase de l'estomac de la carpe, pois- son herbivore, alors que, chez les squales qui sont carnivores, l'estomac est absolument dépourvu de toute puissance diasta- sique ', On sait que chez les vertébrés supérieurs la bile n'a que des propriétés diastasiques très faibles. Il n'en est pas de même chez les poissons. Il suffit qu'une ou deux gouttes de bile soient chauffées à 40 degrés pendant quelques minutes avec l'empois d'amidon pour qu'on puisse aussitôt constater du sucre. Ce résultat, très net dans certains cas, ne me paraît pas être constant. Quelques expériences ont été faites par Claude Bernard, par M. Krukenberg, sur le pancréas des sélaciens qui consti- tue une glande distincte, parfaitement délimitée. Mais, chez les poissons osseux, le pancréas est très difficile avoir; le plus souvent il est à l'état de tubes disséminés dans le mésentère (tubes pancréatiques de Legouis). J'ai constaté que les replis mésentériques, qu'ils contiennent ou non des glandes pan- créatiformes, sont pourvus d'une puissance diastasique sur- prenante. Une portion du mésentère pesant à peine quelques milligrammes peut en moins de trois minutes saccharifier quelques centimètres cubes d'amidon. A cet égard le mésen- tère des carpes et des tanches — car je ne voudrais pas géné- raliser les résultats obtenus — se comporte, vis-à-vis de l'em- 1. M. LucHAu (CentraUiL /'. d. mecl. Wiss., 1877, p. 497) et M. Homkurger {Ibid.,Tp. 561) avaient noté le fait : et ils en ont conclu que l'estomac des carpes est analogue au pancréas. Mais leurs expériences ont porté surtout sur la di- gestion de la fibrine. 266 CHARLES HICHET. pois d'amidon, aussi énergiquement que le tissu pancréatique des vertébrés supérieurs \ Il ne s'agit assurément pas de ferments organisés; d'a- bord, parce que l'action est presque instantanée, et que je ne regarde comme diastasiques que les tissus qui donnent du sucre en quelques minutes; ensuite, parce que, dans des expé- riences de contrôle, j'ajoutais tantôt du salicylate de soude, tantôt du cyanure de potassium, ce qui entrave tout dévelop- pement d'organismes. En terminant je noterai l'inefficacité diastasique absolue de la glande palatine des carpes et des tanches. Chez les cy- prins, existe, comme on sait, à la voûte palatine, un organe volumineux, de consistance molle, rouge, peu étudié, à ce qu'il paraît, par les histologistes. Cette masse spongieuse, que je pensais a priori très riche en diastase, par suite de quelque homologie possible avec les glandes salivaires, a été, au contraire, sans action sur Tamidon, comme je l'ai constaté à plusieurs reprises ^ 1. M. KuuKENBERG nie que ces replis méscatériques des poissons osseux puis sent être assimilés au pancréas {Untersuch. nus dem phi/siol. Institute Heidel- berg, 1878, t. I, fasc. 4, p. 338). 2. M. Krukenberg [loc. cit., t. II, ji. 44) est arrivé à un résultat tout à fait différent, mais il y a tant de contradictions dans ses recherches mémos que je ne puis m'étonner de ce désaccord. Afin de fixer les idées par des chiffres, voici le résultat d'une expérience dans laquelle j'ai mis en contact, pendant vingt-quatre heures, à une température de 12 degrés environ, de petites portions de tissu d'un poisson avec de l'empois d'amidon. Voici les quantités de sucre trouvées finalement, par la liqueur de Fehling, évaluées par i-apport à 1 gramme de tissu ou de liquide : Replis mi-sentériques 6b%9 de sucre. Vésicule l)iliaire (vide) 2.7. Intestin 1,6. Estomac 0,5. Foie 0,31. Bile 0,04. Glandes salivaires ou palatines traces faibles. XXIX L'INANITION Par M. Charles Richet Pour expliquer ce qui se passe chez un animal privé d'ali- ments, il faut revenir à une comparaison très ancienne, très banale, mais exacte et presque nécessaire : c'est la compa- raison entre l'animal et la machine à feu. Dans la machine, il y a du charbon qui brûle et qui produit de la chaleur et de la force. Les animaux en :}UBiiijq produisent aussi de la chaleur et de la force. En cela, ils suivent la même loi que la machine à feu, et brûlent comme elle. L'oxygène qu'ils respirent va oxyder le charbon de leurs tissus, et cette combustion produit chaleur et mouvement. Les aliments représentent le combus- tible : quant au comburant, daus les deux cas, il est le même, c'est l'oxygène; et le résultat de cette combustion est toujours la chaleur et la force. Cela est vrai non seulement pour les animaux, mais encore pour les plantes, car la plante et l'animal font de même : ils dégagent tous les deux de la chaleur et de la force. Seule- ment la plante en dégage très peu, tandis que l'animal en 1. La forme de ce travail est celle d'une leçon faite aux élèves qui suivent le cours de physiologie. Mais j'y ai pu placer des expériences nouvelles et des recherches orig'inales. 268 CHARLES RICHET. dégage relativement beaucoup. De là, pour l'animal, la néces- sité de divers appareils qui lui permettent d'aller chercher au loin sa nourriture. La plante reste en place, fixée au sol; l'animal, au con- traire, est, pour se nourrir, forcé de se mouvoir. On peut dire que toute son organisation, si merveilleusement com- pliquée, n'est, en somme, que l'appareil annexe de l'estomac. Les êtres inférieurs ne sont guère qu'un estomac apte au mouvement. C'est en perfectionnant les moyens de chercher au loin et partout sa nourriture que l'animal s'est perfec- tionné. Si l'animal va chercher sa nourriture, c'est qu'il éprouve un besoin, qui est la faim. La nature, en effet, se méfie de l'intelligence de ses enfants. C'est pourquoi elle a donné à tous ses enfants, à tous les êtres vivants, des instincts et des besoins : elle les a tous, sans aucune exception, munis du sentiment de la faim, qui les porte précisément à chercher leur nourriture. Sans le sentiment irrésistible de la faim, nul être ne pourrait vivre. Le sentiment de la faim est une sensation pénible de ma- laise et de faiblesse. Cette sensation est générale, mais elle paraît cependant localisée dans l'estomac. Les physiologistes ont donné à cet égard plusieurs explications. Beaucoup d'au- teurs anciens envisageaient la sensation de la faim comme une sensation locale : les uns ont dit que le suc gastrique devient plus acide et produit une sensation de brûlure dans l'estomac; les autres ont dit qu'il y avait une contracture de l'estomac. Mais, quoique la sensation faim soit rapportée à l'estomac, la faim n'en est pas moins un phénomène général. En effet, si la faim est quelquefois apaisée par une ingestion de terre et de cailloux (certains oiseaux granivores avalent des cailloux peut-être pour tromper leur faim), si, dis-je, ces substances inertes trompent la faim, elles ne l'apaisent pas complètement. En outre, l'expérience prouve qu'après la section du nerf L'INANITION. 269 pneumo-gastrique, qui est le nerf sensible de l'estomac, le sentiment de la faim n'est pas aboli. On a fait sur ce sujet quantité d'expériences. Déjà, au xvi" et au xvn'= siècle, on savait que les animaux auxquels on avait coupé les pneumo- gastriques ont autant de sensibilité à la faim que les autres. La faim semble être apaisée, du reste, quand on donne des lavements alimentaires. Il faut donc voir dans la faim un phé- nomène général et non un phénomène dérivant de la sensi- bilité de l'estomac. Il en est de même pour la soif. Quand on a soif, on éprouve une sensation de sécheresse dans l'arrière-gorge. C'est une sensation locale, mais cette sensation est menteuse; car la soif ne provient pas d'un état quelconque de la muqueuse du pharynx. Magexdie, ayant fait la section de l'œsophage chez un chien, laissa ce chien sans lui donner à boire; cet ani- mal avait une soif ardente : quand il buvait, l'eau s'écou- lait par l'ouverture de l'œsophage; mais il n'en continuait pas moins à boire indéfiniment. Après les grandes hémor- ragies, le symptôme principal, qui n'a presque pas d'excep- tion, c'est la soif. Tous ceux qui ont perdu beaucoup de sang ont soif, et, sur un champ de bataille, le premier cri des blessés est de demandera boire. Ce qui produit la soif, c'est la spoliation des éléments aqueux du sang. Il n'est donc pas surprenant que les injec- tions d'eau calment la soif, comme l'a vu Magexdie sur des chiens. De même, dans certains naufrages, quand des marins abandonnés sur un rocher aride, ou dans un radeau, étaient privés d'eau douce; s'ils prenaient des bains, l'absorption d'eau par la peau calmait leurs souffrances. L'eau, pénétrant par les pores de la peau, apaisait leur soif. Donc la soif, comme la faim, est un phénomène général. Si la faim n'est pas satisfaite, elle disparaît après un cer- tain temps. C'est là un phénomène curieux et paradoxal. La faim, quand l'inanition se prolonge, ne va pas en s'exaspé- 2-/0 CHAULES RICHET. rant. C'est surtout dans les premières vingt-quatre heures qu'elle se fait sentir. On souffre, mais les souffrances vont en diminuant, non en augmentant, comme on aurait pu le croire. M. Laborde m'a montré un chien qu'il avait soumis à l'inanition et auquel il ne donnait pas d'eau. Eh bien ! au bout de trente jours de jeûne, ce chien ne s'est pas jeté avec avidité sur une soupe très appétissante qu'on lui avait pré- parée avec du pain et de l'eau. L'autre jour, à un chien sou- mis à l'inanition depuis douze jours, j'ai injecté 2 centi- grammes de morphine. Cette injection a fait complètement disparaître le sentiment de la faim. Ainsi cette sensation de la faim, si cruelle d'abord, disparaît avec de la patience, et les douleurs atroces qu'on a décrites se produisent surtout vers le commencement de Pabstinence. Quand on soumet un animal à la faim, le phénomène caractéristique qui se manifeste, c'est la diminution inces- sante et ininterrompue de son poids. Je dois insister sur cette perte de poids, car cela nous per- mettra d'étudier une des lois les plus générales et les plus intéressantes de la physiologie. Placez dans les deux plateaux d'une balance une tare et une bougie : au bout d'un certain temps, vous verrez le pla- teau de la balance s'incliner du coté de la tare. Si vous mettez un animal à la place de la bougie, le même phénomène se produit. C'est la vieille comparaison classique de Lavoisieh qui a dit : « La vie est un phénomène chimique. » Donc, si un animal vivant est dans le plateau d'une ba- lance, on voit le poids de l'animal diminuer avec une rapidité vraiment surprenante. Un animal de 10 kilogrammes perd à peu près 5 ou 10 ou 20 grammes par heure; il peut même perdre 25 grammes par heure dans certaines conditions. Pourquoi perd-il de son poids? Au premier abord, on est tenté de comparer cette perte de poids au phénomène que présente la bougie, et de dire qu'un animal perd de son poids L'INANITION. 271 parce qu'il perd de l'acide carbonique et de l'eau; mais, si l'on analyse le phénomène, on voit que cette perte de poids est mesurée par la déshydratation pulmonaire. Comparons en efFet le poids de carbone que l'animal perd avec le poids d'oxygène qu'il assimile. Un animal qui prend un litre d'oxygène perd 700 centimètres cubes d'acide carbo- nique. Or le litre d'oyygène pèse 1^',4, le litre de CO^ pèse 2 grammes en chiffres ronds, vous voyez que les quantités pondérales sont identiques pour la recette et pour la dépense. Mais un animal qui respire perd de l'eau par les poumons ; à chaque expiration, il rend une certaine quantité de vapeur d'eau : le phénomène de diminution de poids qui se produit alors est donc mesuré par le départ de l'eau, et non par le départ do l'acide carbonique. En respirant, nous nous desséchons. Bien entendu, il se fait ailleurs et simultanément d'autres pertes. Pendant le jeûne, les reins continuent à fonctionner, l'urine s'accumule dans la vessie, elle est éliminée ; et l'urine éliminée par les reins, c'est une substance perdue, c'est un déchet rendu à intervalles plus ou moins éloignés. Il en est de même pour les matières fécales. Mais, quand on n'émet ni urines ni matières fécales, la balance ne traduit que le fait de la déshydratation pulmonaire. DÉSHYDRATATION PULMONAIRE CHEZ l'hOMME EXPÉRIEN'CES. PERTE DE POIDS du corps. ÉLIMINATION d'eau. DIFFÉRENCE. irc expérience 261 229 — 32 2e — 293 325 + 32 3« — 303 287 — 16 4e — 309 311 + 2 5e — 334 317 — 17 (D'après M. Le^ VIN, Zeitchr. f. Dio ., 1881, t. XVII, p. 73.) 272 CHARLES BICHET. M. Lewin a comparé sur cinq individus la perte de poids subie pendant la nuit avec la quantité d'eau rendue par les poumons; les différences sont minimes : ces individus avaient perdu 1500 grammes d'eau en moyenne et leur poids avait diminué de 1200 grammes. On voit que la différence n'est pas très grande. M. Valentin a fait des expériences très intéressantes sur les variations de poids des animaux hibernants. Il a vu que des marmottes placées dans une atmosphère humide dimi- nuaient à peine de poids, et que même, dans certains cas, elles augmentaient de poids. Pendant quinze jours, une mar- motte a augmenté d'une quantité minime, il est vrai, mais suffisante pour indiquer que, en dehors des matières fécales et de l'urine éliminées, il n'y avait pas de perte de poids '. PERTE DE POIDS DES HIBERNANTS (ValenLin, Moleschott's Untersuch., \H'M, t. I", p. 206.) Durée Perte ilu par kilogramme jeûne. et par heure. jours. gramme. Marmotte 146 0,098 — 1.34 0,072 — ...... 134 0,057 — 70 0,13.3 — 40 0,204 — 40 0,086 Hérisson. oO 0,204 — 26 0,640 Moyenne des marmottes et des DEUX hérissons 0,187 1. Dans uae curieuse expérience, Valentin a mis une marmotte dans l'air humide. Le premier jour, elle pesait ;j9G grammes. Elle a dormi quinze jours sans interruption; le quinzième jour, elle pesait ;J96,6;j, soit un gain de 0,65; soit, par kilogramme et par heure, 0,003. Une autre marmotte a dormi quinze jours sans inten-uption et a passé de 833,70 à 834,10, soit un gain de 0,4; soit, par kilogramme et par heure, + 0,0014. Mais, dans l'air sec, une nouvelle marmotte a passé de .'J89,55 à 570, dO en dix jours; cl une deuxième marmotte, de 807,97 à 803,65 en dix jours. Soit, perte par kilogramme et par heure : l^t^, 0,137; 2e, 0,021. L'INANITION. 273 J'ai fait beaucoup d'expériences sur la perte de poids; j'ai comparé les grands et les petits animaux, et j'ai constaté, ce qui n'avait pas été indiqué par d'autres observateurs, que la fonction de déshydratation est en rapport direct avec la taille de l'animal. Il s'agit là, je crois, d'une des plus grandes lois de L physiologie comparée : toutes les fonctions, dans leur activité et clans leur intensité, sont déterminées par la taille de l'cmi- mal. Prenons un petit cobaye de 50 grammes. Il perd par kilo- gramme 11 grammes par heure. Mais un cobaye de 150 grammes perd 5 grammes par kilogramme. Un lapin de 2 kilogrammes perd 1^'',5. Yous voyez que la proportion est bien nette, puis- qu'un lapin de 2 kilogrammes perd 23 fois moins que le cobaye de 150 grammes. Est-ce que cela était imprévu? Nullement. On pouvait le prévoir d'après le rythme respiratoire. DÉSHYDRATATION PULMONAIRE DES ANIMAUX Cobayes de SO grammes Cobayes de i 00 à 200 gr Pigeons de 400 gr. . Cobayes de 730 gr. Canards de 1 200 gr. Chat de 1 900 gr. . , Lapins de 2 000 gr. . Chien de 2 500 gr. . Chien de 2 800 gr. , ranimes. *0,9 5,4 0,5 3,1 3,5 1,1 1,75 1,75 1,28 Si vous comptez minute par minute le nombre des respi- rations chez les animaux de taille différente, vous verrez que ce nombre est une fonction directe de la taille. Le cheval res- pire 8 fois par minute, l'homme respire 16 fois, le lapin 40 fois, le cobaye 80 fois ; le petit cobaye respire davantage encore ; pour les souris et les rats, on a peine à compter le TOME II. J8 274 CHARLES RICHET. nombre des respirations, tant elles sont nombreuses. Il y a donc proportionnalité entre le rythme respiratoire et la taille, comme entre la déshydratation et la taille. Pourquoi voyons-nous cette différence entre les animaux de taille différente ? Pourquoi cette loi si étonnante ? Pour- quoi la respiration du lapin est-elle dix fois plus active que celle du bœuf? C'est parce que les petits animaux ont, rela- tivement à leur volume, une quantité plus grande de chaleur adonner, car le rapport de la surface au volume est d'autant plus grand que le volume est plus petit. Prenez cent petites sphères pesant en tout un kilogramme, elles auront une sur- face totale beaucoup plus grande que la surface d'une grande sphère de un kilogramme. On sait en effet que les surfaces augmentent proportionnellement au carré du rayon, tandis que les volumes augmentent proportionnellement au cube de ce môme rayon. L'accroissement des surfaces est donc beau- coup plus lent que l'accroissement des volumes. Or, plus un animal a de surface, plus il se refroidit, et l'animal offre d'au- tant plus de surface relativement à son volume, qu'il est plus petit. Les petits animaux ont donc pour ne pas se refroidir plus de chaleur à fournir que les grands. Si l'on mesure la chaleur produite par différents animaux, et si l'on représente par 1 celle qu'a produite un lapin, celle qui est dégagée par le moineau sera de li, je suppose, et celle que dégage un cheval sera 0,4. Les petits moineaux produisent donc 100 fois plus de chaleur que les chevaux, 40 fois plus que les lapins. De même l'intensité de la respira- tion va de pair avec l'intensité de la déshydratation. La vie est plus active chez les petits animaux ; tout est jîIus intense chez eux, pour la perte en eau, comme pour la perte en CO^, parce qu'ils perdent plus de chaleur à la périphérie *. Les tableaux suivants vont montrer ces faits. (Tous les chiffres se rapportent à un kilogramme de poids vif.) 1. DoNHOFF dit que les abcille.s ont déjà faim une lieurc api'ès avoir mangé. L'INANITION. 275 CALORIES PRODUITES PAR DES CHIENS DE TAILLE DIFFÉRENTE Chien de 31 kilogrammes.. JOO (unité arbitraire.) 24 20 10 2 114 128 182 246 (RiJBNER.) CALORIES PRODUITES PAR DES LAPINS DE TAILLE DIFFÉRENTE Lapins de 3 200 à 3 000 grammes. — de 3 000 à 2 800 — — de 2 800 à 2 600 — — de 2 600 à 2 400 — — de 2400 à 2 200 — — de 2 200 à 2 000 100 (unité arbitraire.) 107 — 110 115 120 143 (Ch. Richet. CALORIES PRODUITES PAR DES ANIMAUX DE TAILLE DIFFÉRENTE Lapins de 3 200 à 3 000 grammes. Cobayes de 700 grammes .... Pigeons de 300 — .... Cobayes de 150 — .... Moineaux de 20 — .... 100 (unité arbitraire. 198 — 316 — 376 — 1 084 (Ch. Richet. CONSOMMATION ORGANIQUE SUIVANT LES POIDS (D'après Rijbner, loc. cit., p. 561.) Azote. Graisse. Chien de 31 kilogrammes. . 0,17 3,29 — 20 — . 0,17 4,24 — 10 — . 0,26 5,61 — 6 — . 0,30 5,56 — 3 — . 0,58 7,46 OXYGÈNE ABSORBÉ PAR DES ANIMAUX DE TAILLE DIFFÉRENTE (D'après Regnault et Reiset, cités par RIjbner, loc. cit., p. 536.) Veau Mouton Chien Oie Petits oiseaux grammes . de 115 kilogrammes . 0,455 67 — 6 — 4,5 — 0,025 ~ 0,450 0,802 0,677 11,000 276 CHARLES RICHET. CO- PRODUIT SUIVANT LA TAILLE (Letellikr, Regnault et Reiset, cités par moi, Bull. Soc. BioL, 1 1 janvier 1885, p. 6.) grammes. Lapins de 3 200 grammes 1,12 Cobayes 700 — ...... 2,o2 Tourterelles 160 — 4,58 Oiseaux 28 — 13,03 La proportionnalité avec la taille ne s'observe pas seule- ment pour la perte de chaleur, mais aussi pour la rapidité de la circulation. En effet, Vierordt, mesurant chez dilïerents animaux la rapidité de la circulation, c'est-à-dire la rapidité avec laquelle une molécule de sang accomplit son circuit total, a trouvé que cette rapidité est de 30 secondes pour le cheval, de 16 se- condes pour le chien, de 8 secondes pour le lapin, de 4 se- condes pour l'écureuil ; par conséquent, la circulation est huit fois plus active chez l'écureuil que chez le cheval. VITESSE DU SANG Cheval. . . . 31", 5 Chien 1G",0 Lapin .... 8",0 Écureuil . . . i-",;» Or ces lois s'appliquent rigoureusement à l'inanition, et vous allez voir que, si nous comparons, chez divers animaux inanitiés, la rapidité de la déperdition de poids, nous retrou- verons cette même loi de la proportionnalité avec la surface. Mais il faut bien observer ceci, c'est que la loi se retrouve seulement chez les animaux à sang chaud, parce que, pour les animaux à sang froid, il n'y a pas de déperdition de cha- leur extérieure. La proportionnalité n'a donc pas de raison d'être pour eux ; elle n'existe que chez les animaux à sang chaud. L'INANITION. 277 Nous allons étudier, maintenant, ce qui se passe chez les animaux qu'on soumet à l'inanition. Combien de temps l'ina- nition peut-elle durer? Combien de temps un animal met-il à mourir de faim ? On est tenté de croire, à première vue, qu'un chien privé de nourriture va mourir vite. Déjà, au temps de Redi, le vulgaire croyait que cet animal soumis à l'inanition devait mourir tout de suite. Mais Redi montra qu'il n'en était pas ainsi. Des expériences furent faites sur deux chiens ; l'un résista vingt-cinq jours, l'autre trente-quatre. Depuis cette époque lointaine, d'autres auteurs, très nom- breux, ont repris cette même expérience, et, en maintenant des chiens à l'inanition jusqu'à la mort, on a vu qu'ils mettent très longtemps à mourir. M. Falck a conservé un chien pendant soixante et un jours sans lui donner aucune nourriture, et il n'est mort qu'au bout de ce temps très long. Pour la plupart des autres animaux à sang chaud qu'on soumet au jeûne, il faut un temps un peu moins long. La durée moyenne de la survie à l'inanition est de trente à qua- rante jours pour un chien ; mais si, pour un chien, il fait trente-cinq jours, il en faut vingt pour un cheval, douze pour un lapin, six pour un petit cobaye de SOO grammes. Les rats, les souris, les taupes, soumis à l'inanition, vivent un ou deux jours, trois jours au plus. Donc, vous voyez encore présente ici la loi de proportionnalité avec la taille. INFLUENCE DE LA TAILLE SUR l'iNANITION Mammifères. Chien Cheval Chat Lapin Poule ........ Souris, rats, taupes. . Durée moyenne Nombre de l'inanition. d'observations. 33 jours. XVII 21 — IV 20 — vin 13 — XVII 14 — VII 1 à 3 — IX 278 CHARLES RICHET. PERTE DE POIDS QUOTIDIENXE DANS L INANITION Oheaiix. Perte par kilogr. et par heure. 1 oie de 4 800 grammes. . . 0,46 5 poules de 1 700 grammes . 1,06 20 pigeons de 3oO — 1,73 Chats. Chat de S 800 grammes. . . 0,43 — 2 500 — . . 0,72 — 2o00 — . . 1,20 — 2 300 — . . 1,20 2 150 — . . 1,06 — 1900 — . . . 0,85 — 1 800 — . . . 1,20 — 1 700 — . . . 1,36 Selon toute apparence, les animaux carnivores supportent mieux le jeûne que les herbivores. Les herbivores mangent presque constamment, et leur ahmentation n'est pour ainsi dire jamais interrompue. Dès qu'elle cesse, ils souffrent et sont malades. Les carnivores, au contraire, sont, à l'état sau- vage, souvent forcés de subir une abstinence assez prolongée, et une inanition de quelques jours est chez eux presque un état physiologique. Si nous examinons chez un animal à jeun les phases de la perte de poids, nous voyons que, les premiers jours, l'animal perd beaucoup ; puis il s'étabht un taux uniforme de perte modérée. Enfin, au dernier jour, l'animal perd de nouveau beaucoup de son poids. Ainsi, si nous prenons une moyenne de trente jours comme durée totale de la survie, nous avons trois périodes. Pendant la première, qui dure un ou deux jours, la perte est rapide et considérable. Pendant l'autre période, la perte est très lente et se maintient à un taux mo- déré. La dernière période est très courte : elle précède immé- diatement la mort. L'INANITION. 279 MARCHE DE LA PERTE HORAIRE DE POIDS Lapin. Chien ' Chien. Chien. Coq Canard. Canard . grammes. Du l'^'" au 2« jour . 2,0 Du 2= au 8« — . U'o (RiJBNER.) Du 1'='^ au 2<= jour . 1,0 Du 2« au do'= — . 0,38 (Pette.nkoffer.^ Du 1" au 2" jour . 1,23 Du 2« au 3« — . . 0,98 Du 3« au 4« — . . 0,86 Du 4e au 37« — . . 0,82 (LUCIANI. Du 1'^'' au 4*^ jour . . 2,21 Du 4" au 39« — . . 0,42 (Laborde. Du 1" au 2" jour . 5,33 Du 2« au 10'= — . . 3.60 (KuCKEIiX. Du 1" au 3« jour . 2,50 Du 4^ au 7'= — . . 0,84 (Ch. RlCHET. Du l^"^ au 31= jour . 3,13 Du 3« au 7« — . . 0,83 (Ch. Richet. PERTES SUCCESSIVES DE 8 COBAYES (mOYENNE) Perte par kilog. et par heure. grammes. l''e journée. . 0,4 2e 4,3 3« — . . 3,4 4" — . . 2,9 o" — 2,3 (FiNKLER.) Le graphique obtenu par rinscriplion de cette perte de 1. Zeltsch.f. Biol., 1869, t. V p. 370. 280 CHARLES RICHET. poids est presque parallèle à la courbe thermique de l'animal en expérience. Supposons que 40° soit la température nor- male. Le second jour, la température est de 39°. A partir de ce jour, elle descend très lentement jusqu'à 38". Enfin, au mo- ment de la mort, elle descend en quelques heures jusqu'à 34. et 33". La courbe qu'on peut tracer alors représente ces va- riations d'une manière très sensible; c'est une ligne brisée. Si la variation avait été régulière, elle serait représentée par une ligne droite joignant les deux points extrêmes. En laissant de côté la période linale, nous constatons qu'il y a une première période, qui est une période de luxe^ période pendant laquelle il va une alimentation de luxe, unechaleurde luxe, unerespirationdeluxe.Ce que l'animal brûle, c'est le sur- plus de combustible qu'il avait dans son sang et dans ses tissus. Cette expression de luxe n'est pas tout à fait exacte, car il est indispensable, peut-être, à un bon état de santé de l'ani- mal qu'il ait normalement une alimentation et une chaleur surabondantes. En tout cas, nous constatons, les premiers jours, un abais- sement de température qui est de quelques dixièmes de degré. Cet abaissement est bien plus considérable dans les deux pre- miers jours que dans les deux autres semaines qui suivent. Par conséquent, nous arrivons à cette conclusion, que c'est l'activité nerveuse qui détermine la période plus ou moins longue de l'inanition chez les animaux. S'ils ont une activité nerveuse et une combustion chimique interstitielle considérables, ils meurent vite. Si leur activité nerveuse est faible, ils sont longtemps à mourir. 11 faut alors comparer l'importance relative du système nerveux chez les grands animaux et chez les petits. Supposons, en effet, le poids du corps égal à 100. Le poids du cerveau chez les différents animaux sera en rapport avec leur taille, c'est-à-dire que, plus l'animal est petit, plus son système nerveux sera volumineux. En effet, voici le poids du cerveau pour différents animaux : L'INANITION. 281 POIDS DU CERVEAU PAR KILOGRAMMES Oise aux. fçrammes. AuLiuclie 0,9 Oie . . . 3,0 Canard. 4,0 Sarcelle 13,0 Mésange . 80,0 (Leuret et Gratiolkt Mamn vif ères. grammes. Baleine. 0,3 Bœuf. . . . 1,2.0 Mouton. . . 3,0 Lièvre . . . 4,0 Rat . . . ',0 Souris . . . 25,0 (CUVIER.) Chez les mammifères comme chez les oiseaux, il y a proportionnalité entre le poids du cerveau (c'est-à-dire sans doute l'activité nerveuse), et le poids du corps. Chez l'au- truche, le poids du cerveau est de 0,9 p. 1 000. Chez les petits oiseaux, il est de 80 p. 1 000. Bien que, dans l'inanition, le poids du corps diminue constamment, l'animal continue à vivre. Pourtant il finit par atteindre une certaine limite extrême de perte, la seule qui soit compatible avec son existence. D'après Chossat, l'animal dont le poids était 100 meurt quand son poids est arrivé à 60. Un animal de 100 grammes meurt quand il ne pèse plus que 60 grammes. Il a alors perdu 40 p. 100 de son poids. C'est le moment où il atteint l'extrême limite de dénutrition compa- tible avec la vie. LuKjAxow 1 a constaté sur deux pigeons que la mort est survenue par l'inanition chez l'un après 132 heures, chez l'autre après 136 heures, soit au bout de S jours et demi, et 6 jours et demi ; la perte de poids étant de 38 p. 100 et de 1. Uebei' den Gehalt der Organe und Gewebe an Wasser, etc. Zeiti-ch. fur physiol. Cheynie, t. XIII, fasc. 4, p. 336; 1889. 282 CHARLES RIGHET. 45 p. 100, en moyenne 42 p. 100, ce qui se rapproche abso- lument du chiffre donné par Chossat. Sur d'autres pigeons, il a fait de très nombreuses pesées pour déterminer la quantité d'eau perdue par le fait de Tina- nition. En comparant vingt pigeons inanitiés et vingt pigeons bien portants, il a pu exactement indiquer la perte d'eau pour les différents organes. La durée moyenne de ces vingt expériences d'inanition a été de 152 heures; soit un peu plus de 6 jours (maximum 216 heures, soit 9 jours ; minimum 99 heures, soit 4 jours). La perte totale de poids a été en moyenne de 33,8 p. 100, soit de 2^'', 22 par kilogramme et par heure ; chiffre qui concorde bien avec ceux que nous a donnés (Chossat dans son mémo- rable travail'. Voici quelle est la teneur en eau des divers tissus chez les pigeons normaux et chez les pigeons inanitiés : TISSUS I>ES PIGEONS normaux. TISSUS DES IMG F. UNS inanitiés. DIFFÉRENCE. Sang 77,07 80,13 74,27 75,29 78,!)0 77,41 74,86 77,14 76,53 46,48 77,44 79,78 72,19 74,08 78,22 77,55 76,57 77,05 76,21 51,52 + o,:]7 — 0,38 — 2,08 — 1,21 — 0,68 + 0,1 i + 1,71 — 0,09 — 0,32 + 5,04 Cerveau Foip Pancréas Rate Rein Muscles Cœui" Intestin Os 1. Dans les infections expérimentales, et les maladies chroniques qu'on iiro- voque chez les animaux, la perte de poids est ^'raduelle, progressive, et peut être assez bien comparée à la perte de poids qui survient par le fait de l'inaai- tion. J"ai expérimenté sur un grand nombre de lapins et de chiens. En général, au moment de la mort, la perte de poids est de 25 à 28 pour 100; et sauf excep- tion, quand la perte de poids atteint 25, toute chance de vie ou de guérison a disparu. .Jamais la perte n'atteint à 40. Mais j'ai vu quelques animaux tubercu- leux mourir avec des pertes de 35 et même 38 pour 100 (dans un cas). L'INANITION. 283 Ce qui frappe dans ce tableau, c'est la très grande analo- gie de l'une et l'autre colonne. Il faut donc conclure avec M. LuKJANOw que la teneur en eau des différents tissus change à peine par le fait de l'inanition. En comparant le poids de ces organes inanitiés au poids des organes sains par rapport à la masse du corps, M. Lukja- Now conclut que le cerveau qui, à l'état normal, représente 0,66 du poids du corps, supposé égal à 100, chez un animal inanitié représente 0,99. Ce qu'on peut traduire par le tableau suivant : Pigeon normal Pigeou inanitié. = ]00 gr. 100 gr. Cœur. . . . 0,81 1,05 Cerveau . . 0,64 0,99 Rate. . . . 0,0o2 0,022 Pancréas . . 0,39 0,270 Os. . . . . 0,245 0,407 Ainsi le cœur, le cerveau et les os ne subissent presque pas de changement de volume. En somme, 40 p. 100 est la perte que l'animal peut subir sans mourir. Ce chiffre est légèrement modifiable, selon la quantité de graisse préexistante. En effet, c'est la graisse que l'inanition fait disparaître. Si l'on examine, tissu par tissu, organe par organe, un animal mort d'inanition, on trouve que la graisse a complètement disparu. Tout le monde sait que les animaux soumis à l'inanition maigrissent. Cela est scientifiquement juste. La graisse di- minue chez eux de 100 p. 100. Les muscles subissent aussi une réduction énorme. Ils diminuent de oO p. 100. Mais le poids du cerveau des animaux morts d'inanition n'a pas sen- siblement diminué. C'est un fait certain, que toutes les expé- riences confirment. On le constate aussi bien chez les ani- maux hibernants que chez les enfants morts d'athrepsie '. 1. M. Ohlmuller [Zeitschrift fur Biologie, t. XVIII, 1882, p. 82) a montré 284 CHARLES RICHET. Chez les uns et les autres, toute la graisse a disparu; mais le cerveau n'a pas subi de dénutrition appréciable. Il est resté intact, par un privilège remarquable, au milieu de l'éma- ciation de tous les tissus. Mais, au moment oii l'émaciation générale est telle que l'amaigrissement doit porter sur la graisse phosphorée du système nerveux, le cerveau s'altère, et l'animal meurt. PERTE DE POIDS PAR KILOGRAMME ET PAR HEURE ESPECE ANIMALE. OBSERVATEURS. POIDS IMTI U.. P E R T E Il E I' 0 I II S finale p. 100. Cd .-=2 ci " Chevnl. . Cliien. . . Chat. . . Oie. . . . Chat. . . Lapin.. . Coq.. . . Lapins. . Pij,'cons.. Lapins. . Cobayes. . CoLlN Falck LuciAM et BrKALiNi. . L ABORD K CARVlLLE0tBoCHKI.'ON-- TAINE CARVILLECtBoCHEKON- TAINE Falck Colin BiDDER et SciIMIDT. . RilBNER KUCKEIN Anrep Chossat 4();i 21 17 i;j,:i i;i,;i 11 10 8,!) .■■.,8 4,8 2,0 2,1 l,!t 1,2 o,;5.3 l,i4 o,-;:; 1 1 1 1 1 1 1 M 1 1 1 1 1 1 1 1 19,7 49,0 48,5 51,0 48,0 40,0 45,0 32.0 30,0 44,0 52,0 32,0 34,0 25,0 41,6 .37,4 33,0 0,28 0,36 0,43 0,54 1,00 0,65 0,70 0,84 0,43 0,46 1,20 1,70 1,65 1,50 1,73 1,11 2,30 Cette perte de poids, ainsi que je l'ai vu en plaçant des animaux dans une balance, et en étudiant la déshydratation que cliez les enfants morts d'athrepsie. la pesée des organes lui donnait les moines résultats que les animaux inanitics à Ciiossat. La graisse cutanée contribue à la diminution do poids pour 76 p. 100. Le poids du cerveau est le même. L'INANITION. 285 pulmonaire, est encore sous la dépendance d'autres causes, qui rentrent toutes d'ailleurs dans l'influence du système nerveux, dont elles manifestent l'activité sous ses diverses formes : telles sont les variations qui correspondent à l'âge, à la digestion, aux mouvements. Toutes les fois qu'il y a grande activité nerveuse, la perte de poids est considérable, dans l'unité de temps. De même, par conséquent, dans la fièvre. INI-LUENCE DE lVgE SUR LA DUREE DE l' INANITION Perte par kilogramme et par heure. Pigeons très jeunes 3,4 — moyens 2,4 — adultes 1,4 (Chossaï.) influence de la respiration et des mouvements sur la déshydratation. Pigeon agile 29,1 Pigeon calme 20,0 Petit chien mis au soleil . . 8,1 Chien échauffé. ...... 8,3 Chien normal 1,28 (Ch. Richet.) influence de la digestion sur la déshydratation. Lapin venant de mangei'. Midi. 1,2 — — 3 h. 1,2 — — 6 h. 1,0 — — 9 h. 0,6 — — 11 h. 0,5 Lapin à jeun depuis 24 heures. 2,0 — — 48 — 0,7 — — 96 — 0,3 (Ch. Richet.) INFLUENCE DE LA FIÈVRE SUR LA DURÉE DE l'iNANITION Cheval bien portant. . 30 jours. — très malade . . • 5 — (Colin.) Lapin bien portant . . 10 jours. — malade .... 4 jours. (Ch. RiCHET.) 28 r. CHARLES RICHET. C !^ C « iD ci" « rt cS u crt 03 O •=^ V _2 p î) — ci ^ 4)J= C a c a o I I — .2 ? — — 'M — ' ■tÎ ^1 -^ 51 > = •■V -o o 5 a f- j z -j o rîi K U O cq I I CHARLES RICHET. u , — • a ri a bi t^ o r/i ■f. XI •'c y. a ^-' z. 3 ê- a) ri ^. 3 Ci ^ ^ c . . ô 'O a o •'~. _o i* . ■/. 3 3 s rt c a ri ■ cS M r — 1> = V j a: _2 1 ^ -1 1 2 o tu es M 22 s. s 0) i 1 1 c 1 1 1 1 ! 1 1 1 1 1 1 1 1 1 O D " •/: ^ ^ ■~^ a S = o c: ^ -* o c: :- t- £J t"" c; r- r- CI r- c: o co O » . ^ -c o; 'ji :^ . — ' a ■;; ^c- 73 ij > • î <^ & — t' , J3 & 3 o ^ "o < . c- ^ ■fi ^ ."^ c _-. c: a o ^ P^ _c:" '-^ ^ 1-^ ^ ^ =^ • 3 o • ~ oo J ^ >< . ..j Clrf ^ 5 2 1 :; •r^. . '^ o z S". tj y: ~ .«J ^' o , ^ -5 >- y. o 4^ H J; • y. o <5 l;*^ ^ "2 O «=- ■ _o ç d. a 5 c § ■^ ■ = rt .J" y. . S _^ CM c <: "^ -^ -^ ■> . •o ^"^22 2 2^ " ■^2 SS -^22 .t3 .>i .iî ~^' O 2o^ >-2 ■J. HM D ._• 'z ^ P5 e-' •y: Ci a y. |i 1 1 i l 1 1 1 ' i 1 1 j O (S H 6 ^ ?= < U tf! — ^ a 1 i '^ 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 I ' 1 n a, s s- 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 0) j ^ U L'INANITION. 289 CM C-) ro -^ -T-. o '^ > Q ^ KijO -S lo -- o -J ^ '=- o o '^ "^ o o ^j «J ^ 23 -'^ 2w ^ z a z -: M j ? n ? o o o ° 'S 5^ P '3 2 ^ o Q t-^ C/5 0^ cD w -a 3 ai o -^ -< I i 1 IM ;> TOME ir . Il) 290 CHARLES RICHET. w3 O te 'M CO c: C: O ^ -J ^ kS 1-H-a; ►-I >i t>^ >î k^ O O O A y. D (M c^ C OJ 2 O :^ C OJ <1J OJ L'INANITION. 291 a o m i~ t3 -^ eu OJ cj a fl t!) >i >1 " ^ 3 ffi a u S ft ."S "O ."S o o a c^ . -5 S. m OJ 'Td 'd <15 >> ^-5 5j o o o u o o o o o o o s, s §05 SO 5 ;^ r> |2q Oh m ^ Q yj û co g œ g M O o »J /C r/l o O m a a r ) u o 13 o -g :3Î 3 o . ^ 292 CHARLES RICHET. Les animaux à sang froid supportent l'inanition pendant un temps prodigieusement long-. Les auteurs classiques don- nent à cet égard des chiffres très nombreux, et le tableau d'ensemble présenté ici, tableau qui est, je crois, plus complet que tous ceux qu'on a publiés jusqu'ici, fournit des indica- tions caractéristiques. J'ai écrit à mon savant collègue du Muséum, M. Vaillant, pour lui demander des renseignements sur la durée de l'ina- nition des serpents. Il m'a cité le cas d'un python de 70 kilo- grammes qui a vécu vingt-trois mois sans manger. M. Colin cite un crotale qui serait resté vingt-neuf mois sans nourri- ture. Voilà des faits bien intéressants et bien invraisem- blables, quoique authentiques! deux ans sans manger pour le python, et deux ans et demi à peu près pour le crotale ' ! Chez les autres vertébrés à sang froid, la survie à l'absti- nence est aussi très longue. Redi parle d'une tortue qui serait restée dix-huit mois sans nourriture et d'une grenouille qui est restée seize mois. Quand nous avons des grenouilles dans nos aquariums, pour nos expériences, nous ne les nourrissons !. Chossat a fait sur les animaux à sang froid, comme sur les pigeons, de très belles expériences. Une grenouille a survécu 16 mois. Moyenne des autres grenouilles : 8 mois 1/2. Perto finale 41,5 Perte i)ar kilogramme et par heure 0,0625 :] anguilles : o mois. Perte finale (mort) ?1 p. 100 Perte par kilogramme et par heure 0,1 3 grenouilles reinettes vécurent 18:1 jours; 1 tortue, 40 jours; 2 lézards (movenne), 80 jours; 4 autres lézards vivaient encore au bout de 48, 130, 130 et 90 jours. BÉRARD {Cours de physiologie, t. I", p. .■i36; cite un poisson qui, d'après Rondelet, serait resté 3 ans sans manger, des tortues 6 ans, des protées 5 à 10 ans. Mais il est permis de contester la rigoureuse exactitude de ces derniers chiffres. Dans une expérience que j'ai faite récemment, une tortue au froid est restée 2G jours sans manger. Elle pesait 440 grammes. Au bout de 26 jours, elle pesait 43."> grammes. Soit, perte ])ar kilogramme et par jour, il, 4; et par kilogramme et par heure, 0,018. L'INA.MTION. 293 pas, et elles ne meurent jamais de faim. Il est vrai qu'elles maigrissent beaucoup. Nous avons. M. Rondeau et moi, enfermé des tortues dans du plâtre, nous les avons murées, et. malgré l'inanition, malgré l'énorme diminution des échanges gazeux respira- toires, elles ne sont mortes qu'au bout d'un temps très long, deux mois. Je ne parle que pour mémoire de ces histoires plus ou moins exactes, mais dont je ne nie pas absolument la véra- cité. On prétend que l'on a trouvé des crapauds enfermés depuis plusieurs années dans des troncs d'arbres. Ils s étaient nourris de F air du temps, comme on dit, mais ils n'étaient pas morts. Donc les animaux à sang froid peuvent vivre très long- temps sans nourriture. Et pourquoi? Précisément parce qu'ils n'ont pas de consommation organique à faire. Cette consommation doit compenser la quantité de chaleur dont nous rayonnons au dehors. Les animaux à sang froid, eux, n'ont pas besoin de rayonner au dehors; ils n'ont pas besoin de perdre de poids, ou du moins ils en perdent extrêmement peu. De fait, si les animaux à sang chaud perdent 1 gramme par kilogramme et par heure, et si la courbe générale des animaux à sang chaud et à sang froid marque également une perte de poids, la perte est dix fois moindre pour les animaux à sang froid. Or quelle est la moyenne de la vie pour un chien soumis à l'inanition? Elle est d'une trentaine de jours. Le renouvel- lement sera donc dix fois plus long pour les animaux à sang froid; leurs oxydations sont plus lentes, et ils résisteront dix fois plus longtemps ou trois centsjours.Ces animaux brûlent moins vite; et ici encore se représente la vieille comparaison avec la flamme. Si une flamme dégage beaucoup de chaleur, elle s'étein- dra, dans un milieu confiné, plus vite qu'une flamme déga- geant peu de chaleur; dans une combustion lente, le combus- 294 CHARLES RICHET. tible qui produit peu de chaleur ne diminuera pour ainsi dire pas de poids. Eh bien! nous retrouvons chez les animaux la même pro- portion. Les animaux à sang chaud perdent i gramme par kilogramme et par heure; les animaux à sang froid perdent 1 décigramme. Par conséquent, si les animaux à sang chaud peuvent vivre trente jours sans manger, les animaux à sang froid pourront vivre trois cents jours. Or, ce qui est curieux, c'est de voir qu'ils meurent d'ina- nition précisément quand ils sont arrivés au même taux de perte que les animaux à sang froid. Nous disions qu'un ani- mal à sang chaud meurt quand il a perdu 40 p. 100 de son poids. Si nous faisons jeûner des grenouilles, nous arrivons au même résultat. Au moment de la mort, c'est la même perle de poids finale. 40 p. 100 est donc la limite compatible avec la vie, chez les animaux à sang chaud, aussi bien que chez les animaux à sang froid. Seulement, chez les uns, cette descente du poids se produit très vite, chez les autres elle se produit très lentement. Et pourquoi? Je reviens toujours à la même explication, la seule qui me paraisse rationnelle : c'est que le système nerveux est, chez les animaux à sang froid, chez les reptiles, dix fois moins considérable, dix fois moins actif. Par suite, les actions chimiques sont dix fois moins intenses. Ce qui prouve que le système nerveux règle l'intensité des échanges chimiques, c'est que, dans de certaines condi- tions, les animaux à sang chaud deviennent des animaux à sang froid. Les marmottes, les hérissons, les chauves-souris, les loirs, les blaireaux, tous ces animaux hibernants, tous ces insectivores, au moment où la froide saison arrive, com- mencent à s'engourdir. Leur respiration devient rare, leur cir- culation paresseuse, leurs mouvements plus faibles. Leurs pau- pières se ferment. Ils sontendormis du sommeil hibernal. Ils ne sont plus animaux àsang chaud; ils sont maintenantanimaux à sang froid , avec une températurepouvant descendre jusqu'à4''. L'INANITION. 293 Leur respiration devient extrêmement lente. Au lieu de respirer quarante fois par minute, ils respirent une ou deux fois toutes les cinq minutes. Dans ces conditions, la déshy- dratation et ]a désassimilation générale sont très lentes, la sécrétion urinaire diminue notablement; les matières fécales continuent à se produire, mais elles ne se produisent et ne sont éliminées qu'en très petite quantité. Pour s'en débar- rasser, les animaux se réveillent; ils sortent de leurs tanières et vont à quelque distance rejeter leurs excréments — (c'est même ce qui indique aux chasseurs, surtout quand la terre est couverte de neige, l'endroit où ces animaux sont cachés). — M. Dubois me racontait qu'il avait placé une marmotte dans ma balance enregistrante, et que cette marmotte, se ré- veillant à des intervalles de quelques semaines, allait déposer ses excréments dans un coin du laboratoire; puis, cette fonc- tion achevée, revenait se mettre dans la balance. Après s'être débarrassés, les hibernants reviennent s'endormir de nouveau. Or, pendant ce court réveil, la température s'est relevée, la cir- culation et la respiration se sont accélérées, la perte de poids a augmenté (Valentix) \ Enfin, sous l'influence du coup de fouet donné par le système nerveux, toutes les fonctions organiques, qui s'étaient ralenties pendant le sommeil, ont repris pour quelques instants une activité nouvelle, qui s'est manifestée par un rayonnement de calorique exagéré. Donc nous avons là le type de transition entre les animaux à sang chaud et les animaux à sang froid, et nous voyons qu'une excitation partie du système nerveux suffit à les faire passer d'une classe dans l'autre. Animaux à sang chaud . Animaux à sans: froid. Durée Perte du Perte par kilogramme jeûne. intégrale. et par heure. jours. pour cent. en grammes. 10 39,7 1,75 226 40,4 0,087 (Chossat). 1. Dans l'étude des animaux hibernants, il faut surtout citer les remar- •quables travaux de Valentin qui a étudié avec le plus grand soin toutes les fonctions physiologiques des hibernants. {Moleschott's Untersuchungen, passim.) 296 CHARLES RICHET. A vrai dire, nous constatons des efîets; mais nous no pouvons aller plus loin. Nous ignorons le mécanisme par le- quel ces effets se produisent. Nous ne pouvons pas dire com- ment le froid agit sur le bulbe d'une marmotte. Nous nous bornons à constater que ces animaux qui étaient à sang chaud sont devenus des animaux à sang froid, mais des ani- maux à sang froid d'une sorte tout à fait particulière^ c'est- à-dire chez lesquels le système nerveux n'est que momenta- nément paralysé et, dès le réveil, fait reprendre très vite aux fonctions qu'il gouverne toute leur activité normale. Par conséquent on voit, dans ces lois relatives à l'ina- nition, prédominer l'influence du système nerveux. Celui-ci est le grand incitateur de la nutrition. Avec un système ner- veux vigoureux ou excité, la nutrition stomacale est très active, la respiration très rapide, la température très élevée : la perte de poids et la durée de l'abstinence suivent la même marche. Ainsi, je pense vous avoir démontré : 1" qu'une des prin- cipales influences qui déterminent la durée de la vie chez les animaux soumis à l'inanition, c'est la taille; 2° que les petits animaux perdent beaucoup de leur poids et meurent très vite, tandis que les grands animaux perdent relativement moins de poids et résistent plus longtemps; 3" enfin que, chez les animaux à combustions lentes, la perte de poids quoti- dienne, par kilogramme, est très faible, de sorte que la mort n'arrive qu'au bout d'un temps très long; mais que, pour les uns et pour les autres, animaux à sang chaud ou animaux à sang froid, la mort survient quand ils ont perdu 40 p. 100 de leur poids. Eh bien, pour l'homme, ce sont les mêmes conditions d'abstinence ou d'inanition ([ue pour les animaux à sang chaud. L'homme est un animal au même titre que les autres mammifères; il ne fait pas exception à la règle; les condi- tions des phénomènes physiologiques sont les mômes chez L'INx\NITION. 297 lui que chez eux. Nous relrouverous donc chez l'homme toutes les conditions que nous avons étudiées chez les mammifères, toutes les influences de la taille, de l'âge et du système nerveux. D'abord, pour ce qui concerne l'âge, vous connaissez tous l'histoire légendaire de la famille d'Ugolin; c'est le plus petit de ses enfants, un enfant de huit ans, qui meurt le premier; les autres meurent ensuite; Ugolin ne meurt que trois ou quatre jours après K Il en est de même dans le naufrage de la Méduse que Sa- viGNY a raconté d'une façon si émouvante. Sur le radeau, ce sont encore les enfants qui sont morts les premiers ; les vieil- lards sont! morts ensuite, et enfin les adultes. On avait cru autrefois que les vieillards résistaient davantage. Il n'en est rien. Les vieillards supportent mieux le jeune peut-être, mais ils supportent moins bien l'inanition. Chez les nouveau-nés, chez les petits enfants, la résistance à l'inanition est moindre que chez l'adulte. Elle est cependant assez notable encore. Dans les expériences de M. Colin, on voit que les petits animaux résistent encore au bout d'une semaine et même au bout de huit à dix jours. De même, chez les petits chiens et les petits chats, la résistance est beaucoup plus forte qu'on ne serait tenté de le croire. On a fait beaucoup d'études sur l'inanition chez les nou- veau-nés, et on a constaté qu'ils étaient très résistants aux influences extérieures. Ils n'ont besoin que d'être nourris et bien nourris. Donnez-leur de bon lait, et ils résisteront admi- 1. Tout le monde connaît sans doute le récit du Dante : «. Comme le quatrième jour commençait, le plus jeune de mes fils tomlja à mes pieds étendu, en me disant : « Mon père, secours-moi! » C'est âmes pLeds qu'il expira, et je les vis tous trois tomber un à un entre la cinquième et la sixième journée, si bien que, n'y voyant déjà plus, je me jetai moi-même, hur- lant et rampant, sur ces corps inanimés, les appelant deux jours après leur mort, et les rappelant encore, jusqu'à ce que la faim éteignit en moi ce qu'avait laissé la douleur. » 298 CHARf.ES RICHET. rablement à tout, même au froid. De fait, la mortalité des petits enfants est due surtout à un défaut dalimentation qu'on a appelé l'athrepsie. Les enfants morts dathrepsie présentent les mêmes lésions organiques que les animaux inanitiés. Chez les enfants athrepsiqucs. on constate à l'autopsie que tous les organes sont dépourvus de graisse, comme ceux des ani- maux morts de faim, mais que le système nerveux n'a pas diminué de poids. Par conséquent, si vous voulez avoir des notions exactes sur la santé des petits enfants, il faut recourir à des pesées fréquentes et observer la courbe qu'elles donnent. Si, au bout d'un certain temps, la courbe baisse constamment, vous pourrez en conclure qu'il existe, chez l'enfant, une cause d aiTaiblissement, soit une maladie, soit une alimentation insuffisante. A propos de l'inanition des enfants nouveau-nés. il v a, je ne dirai pas dans là science, mais dans les journaux de médecine, une histoire extraordinaire. Il s'agit d'un enfant né avant terme, à sept mois, qui serait resté sept semaines sans avoir le sentiment de la dé- glutition. « Pendant ces sept semaines, il ne but ni ne mangea, n'évacua pas, ni n'urina, et garda la situation de l'enfant dans la matrice. Au bout de ces deux mois, il se réveilla et se mit à crier comme les autres. Cet enfant vécut et se porta très bien. » C'est une histoire qui ne date pas du xvi' ou du xvn" siècle : elle a été donnée, il y a une quarantaine d'années, dans les journaux de médecine ipar Chauvaix en 1840), et, s'il n'y a pas lieu de la considérer comme absolument vraie, il n'y a pas lieu non plus d'en douter complètement '. En général, l'inanition, chez les enfants, se manifeste par la diminution du poids et par un fait curieux que M. Lépixe a étudié : l'accroissement des globules du sang-. Mais ceci ne veut pas dire que les globules du sang ont réellement aug- I. « Enfant né avant trrme. » etc., par Chauvaix. [Journal de méd. et de dur. pratiques, 2" édil. ; Paris. 184(1: t. XI, art. 2023, p. 239. } L'LNAiMTION. 299 mcnlé en nombre; cela signifie simplement qu'ils ont aug- menté par rapport à Feau. L'inanition entraîne une déshy- dratation du sang-, de telle sorte que, si l'on compare deuK entants, l'un se portant bien, l'autre en état d'inanition, le nombre des globules paraîtra plus grand chez celui-ci que chez i'eiifant en bonne santé. M. Léi'ine a trouvé G millions de globules par millimètre cube pour l'enfant on état d'ina- nition et 5 millions chez l'enfant normal. Il faut étudier une autre influence qui détermine les con- ditions de la plus ou moins grande durée de l'inanition ; c'est l'action de la lièvre, et, là encore, nous voyons intervenir le système nerveux. La lièvre détermine probablement une production de poi- sons qui stimulent le système nerveux et qui amènent une dé- nutrition énergique. Je vous ai dit que, chez les lapins, la perte de poids était de l^'^S par kilogramme et par heure. Dans des expériences faites par nous sur des lapins lebricitants, nous avons vu la dénutrition s'élever à l) grammes par kilogramme et par heure. Perte par kilogramme et par heure. Lapins féhricitants . . 2,30 — . . o,eo — . . -1,80 Lapins normaux . . . 4,33 Ils se dénourrissaient avec une extrême rapidité. De même, M. Colin a comparé un cheval se portant bien et un cheval malade. Le cheval bien portant a perdu 0^'",28 et le cheval malade a perdu six fois plus. Durée Port(! (le la résistance parkilDgrammo k l'inanition. et par heure. Cheval sans fièvre . . 30 jours. 0,28 Ctieval avec fièvre . . 0 — 1,31 Chez les individus atteints de fièvre typhoïde, le poids du corps diminue parfois très vite. Si, chez les individus adultes, 300 CHARLES RICHET. en bonne santé, la perle de poids est de 0"',3 par kilogramme et par heure, chez les individus malades, la perle est plus considérable; chez les typhoïdiques, la dénutrition est de O""",? par kilogramme et par heure. Un homme à jeun et bien portant perd en moyenne de 0='',80 à O'^oO par kilogramme et par heure, tandis que des fébricitants, quoique étant ahmentés, et quoique les aliments introduits comptent dans le poids final, ont perdu bien da- vantage. Ainsi, des malades atteints de fièvre typhoïde, cités pi^r ComN (Thèse de Paris, 1887, n" 144), ont perdu, par kilo- gramme et par heure, les poids suivants : En 0 jours. , , 0,61 En 9 jours. . , 0,88 En 7 jours . 0,75 ils étaient pourtant suffisamment alimentés; leur inanition n'était pas absolue, mais relative, due seulement à ce qu'élant malades, ils ne mang^eaient pas, et n'avaient pas envie de manger. Sous rinfluence de la fièvre, le poids tombe donc bien plus vite que par l'inanition seule. Il faut encore noter l'inlluence des boissons. De deux chiens observés par M. Labordi:, l'un est mort en vingt jours; l'autre, au bout de trente-sept jours, était encore vivant, mais il avait pu boire à sa guise. Il y a bien quelques exemples contradictoires. Ainsi le chien de Falck serait resté soixante et un jours sans boire ni manger. En général, les chiens soumis à l'inanition boivent extrêmement peu. Il semble que leur instinct les avertit de ne pas boire plus qu'il ne faut. L'eau, en effet, hâte le lavage des tissus et accélère la spo- liation des sels de l'organisme. II en résulte qu'en buvant de l'eau, on excrète plus de chlorure de sodium, plus de phos- phates, plus d'urée, de sorte que, si, en général, les animaux L'INANITION. 301 soumis à la privation de boisson vivent moins longtemps que ceux qui peuvent boire, il y aurait cependant une certaine différence entre ceux qui peuvent boire un peu et ceux qui boivent beaucoup, et qui mourraient plus vite. En tout cas, lorsqu'on a la possibilité de boire, les souf- frances sont moins grandes. Car ce qu'il y a de caractéris- tique dans la privation d'aliments et dans la privation de boissons, c'est que la soif torture beaucoup plus que la faim, et ceux qui ont raconté les cruelles souffrances qu'ils ont éprouvées ont dit, en effet, qu'elles étaient causées bien plus par la soif que par la faim. Il me paraît cependant, en général, que l'heure de la mort n'est pas beaucoup retardée par l'in- gestion des boissons. Venons maintenant aux exemples de jeûne plus ou moins prolongés chez l'homme. Nous avons différents cas à exa- miner. Il y a d'abord le jeûne expérimental, comportant des expériences précises, limitées à de certains jours; il y a aussi le jeûne que j'appellerai le jeûne cliarlatanesque ; et enfin le jeûne forcé, portant sur des individus surpris par des acci- dents, des naufrages, des éboulements, ou jetés tout à coup dans l'immensité du désert. Voyons d'abord le jeûne expérimental. Un physiologiste allemand, M. Ranke, s'y est soumis pendant quarante-huit heures. Il n'en a pas ressenti une grande incommodité ; de plus, durant ce jeûne, c'est surtout aux premiers moments que les souffrances ont été cruelles. Les symptômes qu'il éprouvait étaient une grande faiblesse musculaire, l'impos- sibilité de se livrer à des mouvements prolongés, des frémis- sements fibrillaires, de la céphalalgie. Ce qu'il y avait de plus saillant, c'était le phénomène — constant d'ailleurs — d'une dure insomnie avec des nuits troublées par des cauchemars et le retentissement du pouls dans la tête. M. Ranke a fait des expériences pour voir quelle était sa .302 CHARI.es UICHET. quotidienne diminution de poids et pour déterminer sa con- sommation d'azote et de carbone par {kilogramme et par heure ; car nous brûlons à la fois l'azote que nous ingérons et l'azote qui fait partie de nos tissus : par conséquent notre consom- mation doit être en partie proportionnelle à la quantité ingérée. Il a constaté que, si nous brûlons O^M d'azote par kilo- gramme et par vingt-quatre heures, nous brûlons 2 grammes de carbone par kilogramme et par vingt-quatre heures, ce qui fait en chiffres ronds vingt fois plus de carbone que d'azote. Il a eu soin de nu commencer ses expériences que dix-neuf heures après avoir cessé de prendre des aliments'. Il a aussi étudié la perte de poids subie par lui, et il a constaté qu'elle était à peu près de 1^"",2 par kilogramme et par heure. La quantité d'acide carbonique que M. Ranke a produite à l'état de jeûne a été de quatorze litres par kilogramme et par heure. Ce nombre est important à retenir. En effet, à l'état nor- mal, nous produisons dix-huit litres d'acide carbonique par heure. D'autre part, dans ce jeûne, on n'est ni malade ni invalide. A quoi servent donc les quatre litres d'acide carbo- nique en plus? On peut supposer qu'ils ne servent guère, et qu'ils constituent une consommation de luxe. Nous pourrions, sans être incommodés, ne produire que quatorze litres d'acide carbonique, mais nous en produisons davantag-e. Malgré toute l'économie qu'il y a dans la machine animale, il y a un excé- dent de dépense considérable, puisqu'elle porte sur une frac- tion importante de la consommation totale. J'ai fait, de mon côté, des expériences sur un brave homme qui s'est soumis au jeûne pendant quelque temps. Avec M. Hanriot, nous avons étudié sa consommation d'oxygène, et sa production de CO', et nous avons trouvé qu'à l'état d'ina- nition, la quantité d'acide carbonique produite était de qua- torze litres. Au bout de trois jours, après un repas abondant, 1. Arch. f. Anut. u. Phys'tLl., elc, 1862, p. 311. L'INANITION. 303 elle est montée d'un tiers. La ventilation pulmonaire a aug- menté dans des proportions analogues. De quatre cents litres par heure qu'elle était pendant le jeûne, elle s'est élevée à cinq cents litres. La diminution de poids est restée sensiblement la même : elle s'est maintenue à is'',32 par kilogramme et par heure. Mon patient, en somme, n'a pas souffert ; il a éprouvé les mêmes phénomènes que M. Ranke : des vertiges, de la fai- blesse musculaire, des fourmillements dans les jambes. Nous l'avons soumis, après le jeûne, à une alimentation exagérée. Sous l'influence de ce régime, ses forces ont aug- menté et ses appétits génésiques se sont développés, d'après une confidence qu'il nous a faite, dans des proportions remar- quables \ 1. Expérience sur Sauvage : le 21 avril, à midi, dernier repas; le 21 avril, à 8 heures du soir, il pesait 49i'e,l; le 23 avril, à 8 heures du matin, il pesait 4T'e,3; soit une perte, par kilogramme et par heure, de isr,32. DUREE DU JEUNE. 20 heures 28 — 42 — 48 — Après un ropas. . . , . . 24 heures 48 — Après un repas azoïé. Après un repas féculent Le lendemain, à jeun. Après repas mixte. . . EN LITRES. CO-i EN LITRES. Premier jeûne. 18,9 17,45 17,30 14,70 18,90 14,25 13,45 11,90 11,70 15,35 Beuxiùme jeûne. 16,85 16,07 18,25 21,70 15,20 17,75 14,15 14,30 15,40 17,70 12,82 15,75 RAPPORT 0,75 0,77 0,69 0,79 0,81 0,84 0,85 0,80 0,80 0,83 0,88 VENTILATION 416 421 399 400 497 304 401 445 475 407 455 Rankc pesait 70 kilogrammes, et a perdu 0e:r,73 par kilogramme et par heure; Sauvage pesait 50 kilogrammes et a perdu 1,32. 304 CHARLES RICIIET. J'aurais pu faire sans doute d'autres expériences sur l'homme, mais j'ai reculé devant une proposition qui m'a été faite. Un médecin d'Arménie m'a écrit pour me proposer de m'envoyer un vieillard de soixante-quinze ans qui supportait le jeune pendant trois mois. Mais on hésite à faire venir quel- qu'un de l'Arménie, et je n'ai pas cru devoir tenter cette expérience, d'autant plus qu'il y avait à cette époque des jeûneurs célèbres. Tanner, Succi, Merlatti. Il est assez difficile d'affirmer qu'il n'y ait pas eu de super- cherie dans leur cas. Cependant je ne crois pas qu'il y en ait eu. Des précautions, sinon absolues, au moins assez sérieuses, ont été prises pour éviter les fraudes. D'ailleurs, tous ces jeûneurs ont supporté leur jeûne dans des conditions spéciales. Merlatti, avant de commencer le sien, qui devait durer cinquante jours, a mangé une oie grasse avec tous les os. Succi a pris une boisson à laquelle il attri- buait une grande importance. On peut supposer que cette boisson contenait du laudanum. Je crois donc, tout en observant une réserve que vous trouverez légitime, qu'on peut admettre comme authentiques les observations faites sur ces jeûneurs ^ La perte quotidienne de poids n'a pas été aussi considé- L 'exhalation d'acide carbonique a été : ( 14,3 Pour Ranke {aprcs 48 heures) \ 13,8 ' 13,8 Soit 0,20 par kilogramme et par heurs. / 11.9 Pour Sauvage (après 48 heures) j 11.7 ( U,3 Soit 0,2o par kilogramme et par heure. Sous l'influence du repas, la ventilation est montée de 400 litres à ."iOO litres deux heures après le premier repas. 1. Succi a jeûné du 18 août, à midi, au 18 septembre, soit 30 jours (il buvait). Poids initial = Gl''g,;]0O; poids final = 49''g,2, soit 441 grammes de perte par jour; soit, par kilogramme et par heure, Os'^jïjO, chiffre qui concorde avec nos chiffres observés sur des animaux (pour les chiens, 0,65, et i^our les la- I)ins, 1,2.')); l'urée éliminée a été, en moyenne, de 6d''',12 par jour. Dans les 19 premiers jours, la perte, par kilogramme et par heure, a été de 0,3."j3, et, dans les 11 derniers jours, de 0,14. L'INANITION. 303 rable que celle de mon sujet ; elle a été, en moyenne, de 0^%3 seulement par kilogramme et par heure ; à la fin, elle n'a été que de O^^S. Dans le jeûne de Merlatti, cette perte a été de O^"",! à 0^'",2, de telle sorte qu'au bout de cinquante jours la diminution du poids du corps était de 27 p. 100. L'expérience eût alors pu se terminer fatalement; carie système nerveux était très affaibli. Or, d'après les expériences de Chossat, quand la température commence à baisser, alors il n'y a plus moyen de rappeler l'animal à la vie ; le système nerveux a perdu toute son énergie. Merlatti était arrivé à la limite extrême. Au lieu de 66 kilogrammes qu'il pesait au commencement de son jeûne, il ne pesait plus à la fin que 44 kilogrammes'. Malgré cette perte de poids considérable, malgré ce jeûne prolongé, il résistait au conseil qu'on lui donnait d'arrêter son expérience. Lorsqu'il fut arrivé au moment qu'il avait fixé, et qu'il eut pris un peu de nourriture, il eut des vomis- sements aussitôt après la première ingestion d'aliments ; mais cela ne l'empêcha pas de présider un banquet qui avait lieu en son honneur; deux mois après, il était rétabli. 1. Voici l'observation de Merlatti : il ne faut pas oublier qu'il pouvait boire. Diminution de po ids. kilo g. Le 27 octobre. . . . 61,2 Le 1" novembre. . . 58,6 Le 15 — ... 53,8 Le 25 — ... 50,6 Le 10 décembre . . . 44,8 Perte par kilogranm et par heure Soit les 5 premiers jours . 0,355 — les 15 jours suivants. 0.217 — les 10 — 0,218 — les 6 — 0,181 — les 9 derniers jours. 0.281 (Le poids n'a pas été pris pendant les cinq derniers jours du jeune, du 11 au 15 décembre.) Soit, en 4o jours, une perte de 0,226 par kilogramme et par beure, et une perte totale de 26,8 p. 100. TOME II. 20 306 CHARLES RICHET. L'étude expérimentale du jeûne a été aussi entreprise, par M. Senator, sur un individu nommé Getti', Celti a jeûné pendant dix jours; il pesait le premier jour 57 kilogrammes, et le dixième jour oO^^jbSO, soit une perte totale de 6''s,350 et une perte quotidienne de G3o grammes, ce qui fait par kilogramme et par heure une perte de O^^iT : chiffre un peu plus fort que les chiffres de Merlatti, Sauvage et M. Ranke. Getti pouvait d'ailleurs boire de l'eau, et il a perdu plus dans les cinq premiers jours que dans les cinq suivants. Le nombre des globules rouges s'est accru, par rapport à la masse du sang, de 5250000 par millimètre cube à (5 830 000. On a noté que l'urine contenait une quantité notable d'urate d'ammoniaque, substance qui n'existe pas dans l'urine normale. On trouvera encore dans le mémoire de M. Senator des détails intéressants, sur lesquels je ne puis insister ici, relatifs aux dimensions des divers organes appréciés par la percus- sion. Voici maintenant d'autres faits qui montreront que quel- quefois la durée de la résistance est parfois moins longue, et que certains jeûnes moins prolongés n'ont pu être supportés. Et, en effet, il faut penser que les individus dont je viens de vous parler, Merlatti, Succi, Tanner, se trouvent dans des conditions excessivement favorables : ils n'ont pas à résister aux intempéries; ils n'ont pas d'inquiétude sur leur sort; ils savent qu'ils n'ont qu'à faire un geste pour qu'on leur apporte aussitôt un repas succulent. Tout autre est la situation des individus qui se sont trouvés pris, par exemple, sous des éboulements; c'est un cas malheureusement assez fréquent. Les malheureux ainsi séparés du reste du monde savent qu'on ne peut pas immédiatement arriver à leur secours ; qu'il faut, pour parvenir jusqu'à eux, percer des galeries, déblayer quel- 1. biùlogisches Cenlralblall, 1" août 1887, p. 349. L'INANITION. 307 ques centaines de mètres cubes de terre et de pierres. Dans ces conditions, la privation de nourriture est parfois fort longue. Bérard cite l'exemple d'hommes qui sont restés qua- torze jours dans une cave humide. Un mineur, cité par Lice- Tts, est resté sept jours dans une cave. Les mineurs de Bois- Mouzil sont restés huit jours enfermés à la suite d'un éboulement, sans souffrir beaucoup. Ces derniers ont d^ail- leurs donné un exemple bien rare de solidarité et de charité humaines. En général, les individus soumis aux angoisses de la faim montrent un égoïsme féroce. Les mineurs de Bois- Mouzil, au contraire, se sont partagé les provisions que l'un d'eux avait apportées'. On cite, dans ces jeûnes forcés, d'autres exemples, non plus de mineurs, mais de naufragés. Il y a une histoire inté- ressante d'individus qui, errant sur les glaçons, sont restés dix-sept jours exposés à un froid terrible, sans autre nour- riture qu'un peu d'eau de mer dégelée, du 24 mars au 9 avril 1809^ Quand on les a| trouvés, ils avaient la peau collée sur les os; les yeux enfoncés dans l'orbite; l'haleine fétide, le teint terreux, la peau recouverte de croûtes fuli- gineuses, la langue noirâtre. Il faut remarquer que cet aspect fuligineux de la peau est un symptôme qui se retrouve dans les grandes disettes, comme il y en a encore dans l'Inde, dans la Chine. Ainsi, il y a quelques années, pendant une grande famine qui a sévi en Chine et dans laquelle ont péri des mil- lions d'individus, on a retrouvé cette altération profonde de la peau, qui empêche toute exhalation. Je dois vous rapporter aussi quelques récits de jeûnes individuels. Telle est l'histoire que raconte Diderot de l'alchi- miste Duchanteau, son ami, qui resta vingt-cinq jours à ne 1. Citation de Lonoet, Traité de physiologie, .Soédit., 1873, t. l", p. 2"j. 2. Journ. d. praci. Heilkunde, 1811, t. XXXII, p. 116. 308 CHARLES RICHET. boire que de son urine, espérant opérer ainsi une cobobation d'une nature particulière', Un individu de 77 ans, italien, cité par MM. Monin et Maréchal, aurait vécu sans se nourrir jusqu'au trente-septième jour, buvant seulement un peu de brandy et d'eau ; puis il se serait remis à manger, sans éprouver d'autre inconvénient. On raconte d'un individu nommé Granié, condamné à mort, qu'il se laissa mourir d'inanition et que la mort est sur- venue au bout de soixante-trois jours. Un amaurotique soigné par un cbarlatan vécut quarante- sept jours sans manger, mais en ayant la permission de boire ^. Un autre individu est mort plus rapidement : c'était en 1 82 1 , il s'appelait Antonio Yiterbi. Pour échapper à la peine de mort, il s'est fait mourir de faim. Il a donné un exemple bien rare de stoïcisme, en restant dix-sept jours sans manger. Il a fait, lui-même, le récit des souffrances qu'il a subies. Il avait résolu aussi de ne pas boire; mais, à un certain moment, ayant pris de l'eau dans sa bouche pour se rafraîchir, il n'a pu résister à la tentation et il l'a avalée. Il a eu des vertiges et des cauchemars, mais il n'a souffert que de la soif. Il est mort le dix-septième jour^ Il faut retenir ce nombre de dix-sept à vingt jours. C'est la durée moyenne de la vie chez un homme soumis à l'inani- tion et se trouvant dans les conditions normales. Cependant, d'après Simon Goulart'% un jeûneur, nommé Hasselt, aurait été enfermé pendant quarante jours sans nourriture, et on l'aurait, après ce long temps, retrouvé vivant. Quant àSuccietà Merlatti, ils étaient peut-être des aliénés 1. Cité par Gley : Jeûne et jeûneurs, ia Revue scientifique, 2« sem. 1886, p. 72u. 2. Le poids do ce malade, après 47 jours de jeûne, était tombé de 65,5 à 48,5: ce qui fait une perte de 26 p. 100, soit 0?r,23 de perte par kilogramme et par heure. Il mourut alors. Son cas est cité par Bkrard (Cours de physio- logie, 1848, t. l'T, p. 521). 3. Cité par MM. Monin 6t Maréchal dans Stefano Merlatti : Histoire d'un jeûne célèbre, p. 21. — In-12, sans date; Paris, chez Marpon. 4. GouLART et non Coulart, cité par MM, Monin et Maréchal, loc, cit.,]). 18. L'INANITION. 309 OU des mélancoliques. Les individus qui sont pris en pleine santé résistent beaucoup moins que les maniaques. Lorsqu'il n'y a pas de folie, lorsqu'il n'y a pas d'aliénation mentale, la résistance au jeûne est beaucoup moindre. Je viens de citer le cas de Viterbi qui est mort au bout de dix-sept jours. M. Lépine cite le cas d'une jeune fille qui, ayant avalé de l'acide sulfurique, eut un rétrécissement de l'œsophage; elle e^t restée seize jours sans pouvoir ni manger ni boire, et elle est morte au bout de ce temps \ Mentionnons aussi le cas extrêmement intéressant d'un négociant allemand, qui, ayant fait de mauvaises affaires, s'est retiré dans un bois, pour s'y laisser mourir de faim. Il a vécu ainsi du 15 septembre au 3 octobre 1812. Il est mort le dix-huitième jour; et, quand on l'a trouvé, il respirait encore. Il avait noté, jour par jour, les impressions qu'il éprouvait. Au bout de cinq jours, le 19 septembre, il écrivait : « Si j'avais seulement du feu, un peu de feu! comme ces nuits sont longues, comme elles sont froides! » Ce jour-là, il but. Le 22 septembre, il essaye de boire de l'eau froide, ce qui lui donne des vomissements. Le 29 septembre, il voulut encore essayer d'aller boire de l'eau, mais ses forces le trahirent, et il resta dans son trou. A cette date, il pleut toute la nuit. Pen- dant ces dix-huit jours de souffrances il n'avait donc bu qu'une seule fois^ Voilà donc. des périodes de dix-neuf, dix-sept et seize jours chez des individus non aliénés. Nous pouvons ainsi admettre que, chez les individus sains, sans tare nerveuse, la durée de l'inanition qui amène la mort est d'environ vingt jours. Mais, chez les aliénés et les individus préparés au jeûne, la durée de l'inanition peut être plus considérable, Succi, qui s'est soumis à un jeûne de trente jours, a été deux fois en- fermé dans un asile d'aliénés. 1. Cité in Revue scieniifiqiie, 2« sem., 1886, p. 370. 2. Journal der practischen Heilkunde^radMS 1819, jj. 95. 310 CHARLES RICHET. Cardan raconte l'histoire d'un Ecossais qui aurait voeu trente jours en prison sans rien prendre. Devilliers [Journal de médecine) parle d'un aliéné qui mourut après soixante-quinze jours d'un jeune relatif, pre- nant seulement quelques verres de boissons, un peu de vin et de bouillon. H. BoENs cite le cas* d'un boucher qui aurait pratiqué, pour se faire mourir, le jeune absolu pendant près d'un mois. Mais l'observation est tout à fait insuffisante. Si nous résumons ces cas divers, nous trouvons, comme durée du jeûne, les nombres suivants, pour la survie : jours. Merlatti iiO Tannor 40 Brasseur (Goulart) 40 Italien de 77 ans (Monin ht Mari'xhal- . 37 Succi 30 Boucher (I3œ\s 30 Duchanteau 2o Mineur de Licktl's 7 Mineur de Bérard 14 Mineurs de Bois-Mouzil 6 La mort est survenue après les durées suivantes ; Aliéné de Devii.liers Malade de Desbarreaux .... Amaurotique de Bérard. . . . Malade de M. Lépine Marchand allemand de Hcfeland A. Viterbi jours. 76 03 47 16 17 17 On peut donc dire que la durée relative de la vie est de bien près de vingt jours. Quant à la perte de poids totale, difficile à apprécier riçoureusement, vu la défectuosité des documents, elle serait, au moment de la mort, de 30 p. 100 environ. 1. Monin et Maréchal, loc.cit., p. 49 L'INANITION.' 3H Ces faits se rapportent à des individus sains, ou à peu près sains. Passons aux histoires de malades. Celles-ci sont tout à fait extraordinaires. Il faut, dans ces matières, éviter un double écueil, celui de la crédulité et celui de l'incrédulité excessives. Il est facile d'être incrédule; mais il ne faut pas tout rejeter. Voici un livre du commencement du xv!!"" siècle. C'est un in-folio, écrit en latin, et d'une lecture peu récréative. C'est le fruit des méditations d'un professeur de Padoue, nommé LicETus; il est intitulé : « De ceux qui peuvent vivre longtemps sans aliments ». 11 comprend divers chapitres : De ceux qui vivent huit jours... De ceux qui vivent un mois... De ceux qui vivent trois mois... De ceux qui vivent de un an à huit ans... De ceux qui vivent plus de douze ans. Enfin Licetus termine par l'histoire de ces sages qui se sont endormis dans une cabane et qui ont dormi deux siècles, pour se réveiller après deux cents ans de sommeil : du règne de l'empereur Décius à celui de l'empereur Théodose! En présence de ces récits, faits par Licetus, il est permis d'élever plus que des doutes; mais un fait qu'on ne peut contester, c'est qu'il y a eu des enfants malades, des jeunes filles malades, qui ont vécu longtemps dans l'état de jeûne. Il faut donc se méfier un peu de cette incrédulité si facile. Ayons un peu d'indulgence pour un livre écrit il y a trois cents ans. Peut-être y a-t-il quelque cliose de vrai au milieu •rie tout ce fatras. D'abord il est facile de voir que toutes ces longues absti- nences ont été observées chez des hystériques. Qu'il s'agisse d'hommes, ou de femmes, ou d'enfants, cela importe peu. On sait maintenant que l'hystérie existe aussi bien chez les enfants et chez les hommes que chez les femmes. En prenant au hasard quelques-unes des nombreuses his- toires rapportées par les vieux auteurs, nous trouverons des 312 CHARLES RECHET. traces manifestes d'hystérie. Voyons, par exemple, V Histoire mémorable et prodigieuse cVune fille qui, depuis plusieurs années, ne boit, ne mange, ne dort et ne jette aucuns excré- ments et vit néanmoins par une grâce admirable et vertu de Dieu. (Francfort, Wechel, 1587. In-8°.) Cette jeune fille de 27 ans, Catherine Binder, d'Heidel- berg, perd subitement le goût des viandes chaudes (voilà bien une fantaisie d'hystérique), et, pendant cinq ans, ne mange plus rien de chaud : alors elle se fait traiter par un charlatan et elle perd en même temps le goût des viandes froides. Elle reste sept ans sans rien manger ni boire. 11 nous est permis de concevoir quelque doute sur l'exac- titude de celte affirmation. Ce qui n'est pas douteux, c'est qu'elle est très névropathique : elle ne peut tenir la tête droite, à cause des tournements de la tête. A la suite d'une apparition, elle est restée, pendant trois ans, sans entende- ment ni parole. Quand elle essaye de prendre de la nourri- ture, elle éprouve un spasme pharyngé, de sorte qu'elle ne peut avaler, son gosier étant comme clos et étouffé. On l'a surveillée pendant quatorze jours et quatorze nuits, et on a constaté que, pendant ce temps, elle n'avait ni bu, ni mangé, ni uriné. Une autre fille*, âgée seulement de 12 ans, à partir du samedi saint, ne put plus manger (c'est encore là un phéno- mène hystérique que ces idées délirantes ayant une origine religieuse). « Elle parloit peu ; le bruit de la halle et de l'église lui estonnoit le cerveau, dont elle sentoit la douleur à la tête. Elle avoit toujours auprès d'elle l'image du crucifix. La faim l'a quittée dès le commencement, et elle avoit en horreur toute chose mangeable, ne pouvoit avaler, si bien que, lorsqu'elle communioit, il fallait lui mettre de l'eau dans la bouche. » Pendant quatre ans elle aurait vécu uniquement avec de l'eau d. Histoire admirable et véritable d'une fille champêtre du pays d'Anjou, la- quelle a été quatre ans sans user d'aucune nourriture que d'un peu d'eau, par Pascal Robin, gentilh'>mme angevin. — In-S", Paris, Roigny, 1586. L'INANITION. 313 et, à de très longs intervalles, avec un peu de pain trempé dans l'eau. Une autre histoire est celle d'ApoUonie Schrierer : Histo- fia admiranda de prodigiosa inedia Apollonise Virginis^ etc.^ e^c, par Lenïulus. (Berne, chez Lépreux, 1604.) Apollonie est manifestement une hystérique, et on nous la montre dans une gravure étendue sur son lit, dans l'attitude des mélancoliques, presque sans voiles, et pas trop déchar- née, malgré son long jeûne. Elle était certainement insensible, puisque les mouches se promenaient sur son corps sans qu'elle cherchât à les chasser. Elle restait éveillée toute la nuit, et, à quelque heure que ses parents l'interrogeassent, ils la trouvaient éveillée. Pour s'assurer qu'il s'agissait réel- lement d'un jeûne prolongé et non d'une simulation quel- conque, les magistrats l'ont séparée pendant deux semaines de sa mère, ce qui ne s'est pas effectué sans cris et sans lar-. mes : ils l'ont surveillée pendant deux semaines, et ils ont constaté que, pendant deux semaines, elle n'avait pris aucun aliment. Dans le même ouvrage se trouve l'histoire d'une fille de Spire qui a vécu sans manger, et qui a été observée par Ge- KARDUS BucoLDiANiJs. Elle introduisait, de temps à autre, quelques gouttes d'eau ou de vin entre ses lèvres. On l'a observée pendant douze jours, et on n'a pas pu trouver de fraude. Il paraît qu'elle serait restée pendant trois ans dans cet état : d'ailleurs elle n'a pas été observée pendant trois ans, mais seulement pendant douze jours. Elle était âgée de douze ans, et son corps était chargé de pustules (?) : [Corpus pustulis de phlegmale scatebat). Elle était dans une somnolence con- tinuelle et pleurait quand on lui parlait de sa mère. Une autre jeune fille de Cologne aurait vécu quatre ans sans nourriture. Elle entrait en syncope dès qu'on voulait lui mettre quelque chose dans la bouche. — C'est encore là une tare hystérique. Enfin, dans le même ouvrage de Licetus, après nombreuses 314 CHARLES RICHET. citations de jeûnes célèbres, d'Elie, de Moïse, du Christ, on arrive à l'histoire de la jeune fille de Confolens qui a excité l'admiration de quantité de médecins et de poètes*. Un sieur MoREAu qui l'a vue croit devoir lui adresser ces vers : Rougis, ventre glouton, à ra])ord de ce livre, Si tu ne veux pallir au jugement de Dieu. Que feras-tu, chélif, en ce terrible lieu, Puisqu'on peut, ici-bas, longtemps vivre sans vivre? Il s'agit d'une jeune fille de 12 ans qui serait restée quatre ans sans manger et sans rendre d'excréments. Mais, dans l'observation qu'en donne le médecin qui l'a observée, un certain docteur en médecine de Poitiers, il est beaucoup plus question de Pj.ine et de Galien que de la malade. Elle est d'ailleurs manifestement hystérique, ainsi qu'il ressort de ses spasmes œsophagiens. Jean de Marcov[lle raconte' l'histoire d'une jeune fille âgée de 22 ans « qui fut l'espace de deux ans entiers sans boire ni manger, sous réserves d'aucunes confitures et quelque peu d'eau dont elle se rafraîchissait la bouche. Elle avait le ventre si fort en lié qu'il fallait trois aulnes de lisière pour en prendre le tour, » Makcoville répète les histoires d'un notaire picard qui serait resté (pour cause de maladie) deux ans sans nourriture; d'un jeune homme écossais qui resta trente jours en prison, et d'une fille de Tulle qui, en l'an 822, resta trois ans sans manger après avoir reçu la communion à Pâques. D'après Querietanus'' (xvi" siècle), Jeanne Balans, âgée de 14 ans, aurait été pendant six mois avec de la dysphagie et \. Histoire merveilleuse de l'ahslinence triennale d'une fille de Confolens en Poitou. En cette histoire est aussi traicté si l'homme peut vivre plusieiu's jours, mois et aunécs saus recevoir aucun aliment... — Paris, chez Jean de Heuque- ville, 1602. 2. Traicté )ne>nora/j le d'aucuns cas merL^eilleux, etc., p. 40, § xiiii. — In-12; Paris, chez .Jean Dallier, l.'jlii. 3. Cité par Kiesewetïkr : Inedia, dus ui)jslisr/te Fasten, in S/ihinx, mai 1888, p. 323. L'INAMTIO.X. 315 l'impossibilité de manger. Elle était atteinte d'une coxalgie empêchant tout mouvement, et des accès de délire et de tor- peur avaient précédé sa maladie. Aucune critique d'ailleurs pour juger s'il y a, ou non, simulation. LicETUs rapporte, d'après Matheus Ferrarius de Gradibus, l'histoire d'une femme qui avait des syncopes et des accès de frénésie : elle vomissait tout ce qu'elle mangeait. Cela a duré trois ans, et, cependant, on la saignait tous les sept jours. Elle a vécu dix-sept jours sans rien prendre qu'un peu de vin, et dix jours sans prendre absolument rien. En des temps plus récents (1757), Fontenette rapporte l'histoire d'une fille de 15 ans qui, depuis quatre ans, ne boit ni ne mange. Il est vrai qu'il ne l'a pas observée par lui- même; il se contente de dire qu'elle fut surveillée pendant trois semaines consécutives. D'autres histoires encore peuvent être brièvement rappor- tées; car tous ces récits se ressemblent. Alliet, médecin à Gisors [Journal de médecine, chirurgie, etc., 1762, p. 432), parle d'une petite fille de dix ans qui, à la suite d'une frayeur, est prise d'une convulsion, puis d'assoupissement avec dys- phagie. Alors, après divers accès oii elle tient des propos grossiers, indécents çX furieux, elle entre dans une période de délire qui ressemble étrangement à du somnambulisme. Pen- dant trente-trois jours elle ne prend absolument rien, et pen- dant deux mois elle n'ingère qu'une très petite quantité de pain et d'eau. Puis, subitement, elle se réveille, demande de la nourriture et retourne à l'état normal. A la suite de cette observation remarquable, le Frère Ca- L1XTE Gauthier, religieux de la Charité, démonstrateur en ana- tomie de Thôpital de Grenoble, rapporte l'histoire d'uu garçon de 1 3 ans qui vivait depuis deux ans et demi sans boire ni manger. Le frère GAurmER, visitant ce mala.de, l'observe pen- dant quatre jours et ne constate aucune supercherie. « Il a la peau collée sur les os et est d'un tempérament fort suscep- tible et mélancolique ; la plus petite contrariété le jette dans 316 CHA.RLES RICHET. une mélancolie qui dure plusieurs jours. » C'est assurément un cas d'hystérie. Mercadier [Journal de médecine, etc., 1765, p. 133) ra- conte l'histoire d'une demoiselle de 23 ans, mélancolique, à demi imbécile et versant continuellement des larmes, qui est restée six mois sans prendre d'autre nourriture qu'un peu de tisane et de bouillon; pendant six semaines elle n'a pas pro- noncé un mot. On a osé la saigner à plusieurs reprises; mais, comme les saignées provoquaient des syncopes, on ne les faisait pas très abondantes. Elle était dans une somnolence continuelle, entrecoupée de larmes et de gémissements. Elle guérit subitement sous l'influence des douches. Mekcadier raconte aussi l'histoire d'une fille qui fut trente- cinq semaines, en 1G88, sans boire ni manger, d'après le Journal des savants, et d'une femme dont le Journal de Ver- dun, mars 1760, dit qu'elle ne voulait manger devant per- sonne et qui serait restée dix-sept ans dans cet état. LicETus parle d'une jeune fille de Pise {Loc. cit., liv. P"" chap. vin, p. 9), qui serait restée seize mois sans nourriture, en 1603. C'était une petite paysanne de quatorze ans ayant des contractures dans les jambes, somnolenteet taciturne. Elle gué- rit très bien et au bout de dix-sept mois repritsa vie ordinaire. LicETLs rapporte aussi le fait d'une jeune fille de Pise, âgée de dix-huit ans, qui, à la suite d'un chagrin, est prise de contracture du bras, de convulsions, puis de vomissements et de dysphagie qui l'empêchent de se nourrir. Pendant huit mois elle reste dans cet état sans rien prendre, et, ce qui excite l'admiration de Licetus, c'est qu'elle n'a ni maigri ni changé de visage. Dans les Mémoires de l'Académie des sciences pour 1704, p. 462-1222, nous trouvons l'observation d'une dame qui a vécu plusieurs mois sans prendre autre chose qu'un demi- setier (25 centilitres) de bouillon maigre par jour, c'est-à-dire une décoction simple de quelques herbes potagères dans de l'eau, avec un peu de sel. L'INANITION. 317 Un enfant de dix ans', à moitié idiot (p. 27), (« il jouait avec un miroir en cherchant au derrière ce qu'il voyait en la glace »), serait resté dix-neuf mois sans manger ni boire. Si- MÉON DE Provenchères, pour une pareille affirmation, se satis- fait à bon compte : il ne l'a pas fait observer avec soin et se contente de l'opinion des gens de Vauprofonde. Vandermonde^ raconte l'abstinence d'une femme qui serait restée vingt-six ans sans manger. A vrai dire, l'abstinence n'était pas complète, mais relative. Elle ne prenait que quel- ques cuillerées de bouillon, de lait, de vin, de tisane. Or une abstinence incomplète peut être presque indéfiniment pro- longée ; et il n'est pas douteux que beaucoup de ces cas ne soient authentiques. On trouvera à l'article Arstinence de Vlndex Catalogue, et dans le Catalogue de la Bibliothèque nationale^ Sciences médicales, 1. 1", p. 361, d'autres cas de même nature, aux xvi°, xvn" et xvni^ siècles. J'en citerai seulement quelques-uns : I. — De Puella germanica quae fere bieniiium vixerat sine cibo potuque. SiMONis PoRTii Disputatio. — In 4 ; L. C, 1538. II. — De Puella quse sine cibo et potu vitam transigit. Auctore Ge- RARDO BccoLDiANO. — In-8 ; Robert Estienne, 1542. III. — Relatio7i du jeûne d'une demoiselle de Hadersleben pendant un an et demi. — In-8 (en allemand) ; Copenhague, Imprimerie royale, 1722. IV. — Description... dhin cas d'inanition observé, en 1718, chez Marie Jehnfelds..-. Manière dont cette personne est tombée dans cet état et est restée fort longtemps sans manger, boire niparler, par Lessan. — In-4 (en allemand) ; Hambourg, Brandt, 1729. V. — CoNSBRucH, Abstinence d'aliments et de boisson pendant dix-huit mois (Journal der pract. Heilk. (en allemand), p. Ho à 123. — léna, 1800. VI. — KuNDMANN, Histoire de deux femmes dont l'une est restée dix ans, l'autre trois ans, sans manger [Sammlung von Nat. iind Med., p. 298 à 306, en allemand). — Leipzig, 17243. 1 . Discours sur l'inappétence d'un enfant de Vauprofonde, confins de Sens, qui n'a bu ni mangé depuis dix-neuf mois, par Siméon de Provenchères ; 2® édit. — Sens, chez Georges Niverd, 1612. 2. Journal de me'd., chir. et pharm., p. 138. — Paris, 1760. 3. Dans le même volume, p. 101, on trouve l'histoire d'une jeune fille qui serait restée vingt-cinq mois sans manger. 318 CHAUI.ES HICHET. Yll. — MACKENrAiE, Fcmiiic qui Vit scuis manger et boire {Phil. Trans., p. 1, en anglais). — Londres, 1777. Vill. — Cas d'abstinence de quinze mois, par Sghilyer {Mcd. Rev. Mag., p. 484, en anglais). — Londres, 1799. Dans les auteurs mystiques, on trouve aussi des récits de jeûnes, comme Lidvinsa de Schiedam et Catherine de Sienne (voyez Sphùix, 1888, t. V, p. liSO). A la vérité, il ne s'agit pas de jeûne absolu, mais d'un jeûne interrompu seulement par l'introduction de quelques gouttes de lait ou de bouillon, et vraiment il est impossible de ne pas reconnaître que certaines malades supportent, pen- dant un temps prodigieusement long, une abstinence presque complète. Dans les temps modernes, nous retrouvons des histoires analogues, de sorte qu'il n'est guère possible de révoquer en doute le fait de ces jeûnes prolongés. Je ne puis entrer dans le détail de ces nombreuses obser- vations médicales, qui se rapportent presque toutes à Thys- térie. Je ne rapporte pas celles <|ui sont citées dans la plu- part des livres, et en particulier à V Index Catalogue. A. Serrata, près Porto-Maurizio, vit une femme, couchée dans son lit, ayant des alternatives de catalepsie et de léthar- gie et qui, depuis vingt-sept ans, ne prend qu'un peu de pain et d'eau'. • Ricci (cité par Schmalz, loc. cil., p. 222) raconte l'histoire d'une femme âgée de quarante ans, Anna Garbcro, qui, après un sommeil et un jeûne de quarante jours, est prise, le 8 sep- tembre 1825, d'une répulsion absolue pour les aliments. Elle ne mange plus rien jusqu'au 19 mars 1828, jour de sa mort, après avoir présenté un sommeil léthargique d'une durée de trois mois. A l'autopsie, on trouva un rétrécissement, probablement 1. Cité par Monin et Markchal, loc. cil., \\. 4G. Il est prubablc que l'autro malade qu'ils ritent ;i l.-i page 45 est l;i même. L'INANITION. 319 cancéreux, de l'S iliaque du côlon ; ce rétrécissement pouvait à grand'peine laisser passer les liquides. Un des exemples les plus extraordinaires est celui de cette femme* hollandaise hystérique et ayant des attaques d'hystérie, Angelina de Vlies, qui serait restée du 10 mars 1822 jusqu'en 1826 sans rendre autre chose qu'un peu d'urine et d'excréments. Elle buvait de temps en temps un peu d'eau qu'elle avait de la peine à avaler. Une commission l'a surveillée pendant quatre semaines, et a constaté que, réellement, elle a jeûné pendant tout ce temps. Elle est prise parfois de crampes et de tremblements. Agée de quarante et un ans, elle semble en avoir soixante-dix, et est tellement faible, qu'elle ne peut se lever sans aide. BouRNEviLLE et d'OLLiER" citcut l'histoirc d'un enfant idiot qui aurait eu des accès de jeûne : un premier durant trois se- maines, à deux ans; un autre durant vingt-huit jours, à sept ans. Il ne prenait que de l'eau et du bouillon. En 1743, un individu de quarante-cinq ans fut pris, après une émotion, d'un accès de léthargie. On eût dit qu'il était mort. Pendant deux mois, il fut nourri uniquement avec quelques cuillerées de lait et de bouillon ^ En 1713, il y eut le cas du célèbre dormeur de la Charité, observé par Burette. De fin d'avril à juillet, pendant deux mois et demi, il fut nourri uniquement avec quelques cuille- rées de gelée, de bouillon et de vin'. Une femme de dix-huit ans ^ eut un accès de léthargie de quarante jours. Six ans après, elle en eut un de cinquante jours. On l'alimentait avec quelques cuillerées de lait et de bouillon. Douze ans après elle en a un qui dure un an. 1. Citée par Sciimalz {Journ.'der prafischen Heilkunch, suppl.,p.216). — 18i29. 2. Recherches clÏ7i. et thérap. sur. Vèpilepsie, l'hystérie et l'idiotie, p. 24, 1881, et Progrès médical, 1880, p. 708. 3. Cité par Semelaigne, Du sommeil chez les aliénés [Ann. tnéd. psychol., tirage à part, p. 33). — 1885. 4. Cité par Semelaigne, loc. cit., p. 34. 5. Cité par Semelaigne, loc. cit. , p. 53. 320 CHARLES RICHET. Autre chose est de manger peu et de ne pas manger du tout. Je crois que ces malades ont mangé, mais qu'elles n'ont mangé que le minimum indispensable à l'entretien de la vie spéciale : un peu de pain, un peu de biscuit trempé dans de l'eau, par exemple. Lasègue' a raconté l'histoire de cette jeune hystérique qui ne connaissait pas le sentiment de la faim et qui vécut uni- quement de thé coupé de lait avec un peu de café au lait, dans lequel elle trempait des morceaux de cornichon. Elle mangeait de temps en temps; mais, pendant presque un an, elle ingéra à peine ce qui aurait été nécessaire à notre alimea- tation pendant deux jours. Ce qui est caractéristique dans les cas de ce genre, c'est la perversion extraordinaire du sentiment de la faim. Chez certains malades, il y a boulimie; chez les autres, il y a ano- rexie. De même qu'il existe une perversion de l'appétit sexuel, de même il existe une perversion de l'appétit des aliments, et un des caractères de l'hystérie est précisément ce sentiment bizarre. En même temps que ces goûts fantasques, on observe une résistance exceptionnelle par sa puissance et par sa durée. Il y a eu pendant longtemps, à la Salpétrière, une femme nommée Etcheverry ; elle avait de l'hémiplégie d'un côté et une contracture de l'autre côté. Il semblerait que l'hystérie aurait dû provoquer une dénutrition générale. Point du tout. Elle ne se nourrissait pas et on était obligé de recourir à l'emploi de la sonde œsophagienne. Pendant trois mois, elle n'a rendu que quatre grammes d'urée; et non seulement dans les urines, mais encore dans les vomissements, la quantité trouvée a été minime. Le poids d'urée a été dosé par M. Regnard. Il n'y a pas eu de simulation, car à côté d'elle il y avait deux infirmières qui la surveillaient constamment. M. Charcot admet du reste que. chez les hystériques, il y a 1. Études médicales : de l'anorexie huslcrique, t. II. p. 45. L'INANITION. 321 anurie, c'est-à-dire suspension complète de la production de l'urée. Dans une expérience précise, j'ai pu observer la diminu- tion extraordinaire des pliénomènes de la nutrition chez les hystériques. Avec M. Hanriot, nous avons étudié la respi- ration de deux hystéro-épilepliques de la Salpétrière, et nous avons trouvé que la ventilation était réduite à un mini- mum. Là encore, aucune simulation n'est possible; on ne peut pas simuler quand on est sous le masque, avec les appa- reils de dosage. Pendant seize minutes, cette malade en lé- thargie n'a introduit dans ses poumons que quatre litres d'air. Pendant trente-six minutes, elle n'a fait que huit inspirations. Or il suffit d'essayer sur soi-même pour voir que le minimum de nos inspirations en trente- six minutes est de trois cents litres d'air environ. Ventilation ï'roduction pulmonaire. de C0-. État normal 532 11,7 Léthargie 152 5,8 Dans une autre expérience, en 36 minutes. Gr. n'adonné que 4 lit. 75 pour sa ventilation, soit cinquante fois moins que l'état normal. Il y a donc eu un ralentissement énorme, presque invrai- semblable, des phénomènes respiratoires, et ce ralentissement est dû sans doute à une absence de stimulation ou à une action inhibitoire du système nerveux. A de certains mo- ments, le système nerveux des hystériques peut donc être comparé à celui des animaux hibernants. Il y a plus : on connaît dans la science des observations d'une maladie qu'on appelle la maladie du sommeil. M. Char- coT en a publié récemment un cas; M. Semelaig>'e et M. Géli- NEAu ontpublié aussi une observation de ce genre'. Un engour- dissement irrésistible s'empare de ces individus, qui ne tar- dent pas à s'endormir; tous les phénomènes de la nutrition 1. Charcot, Gazette des hôpitaux, 1888, n" 148, p. 1369. TOME II. 21 322 CHARLES RICHET. se trouvent ralentis ; de temps en temps, les malades se ré- veillent pour prendre quelques aliments et rejeter leurs excré- ments. Ce sont de véritables aliénés. Dans cet état, les phé- nomènes de la nutrition sont réduits au minimum '. Il en serait de même pour certains faits à demi merveil- leux, mal connus encore : ils sont relatifs à ces fakirs de l'Inde qui se font enterrer vivants. Ces fakirs subissent au préalable des mortifications extraordinaires et ne mangent que très peu. Encore s'abstiennent-ils de viandes. Ils se vident l'estomac au moyen de procédés bizarres. Pour le débarrasser de ses mucosités, ils y introduisent une longue bande de toile qu'ils retirent ensuite; ils se coupent le frein de la langue et la replient en arrière. Puis ils s'hypnotisent en regardant leur nombril : après toutes ces manœuvres ils restent presque sans respirer. D'après Rousselet et Jacolliot, qui invoquent le témoignage d'un colonel anglais, on connaît des cas authen- tiques. Mais il faut se méfier de l'habileté des jongleurs. On parle cependant d'un cas qui parait certain. Il s'agit d'un cer- tain fakir qui se fit enterrer vivant. Des sentinelles anglaises furent placées sur son tombeau. Au bout de huit jours, le résident donna l'ordre de le déterrer : on le trouva dans un état de mort apparente. On le réveilla, et il a survécu. Il en est de même de ces histoires de mort apparente que vous trouverez dans les livres' et dont il n'est pas permis 1. Au moment de corriger ces éprouves, je reçois la communication d'un fait analogue; il s'agit d'une dame de quatre-vingts ans, qui se soutient depuis longtemps en ne prenant qu'un peu de thé et de vin, avec quelques bonbons en chocolat et quelques biscuits. 2. TouRDES, dans l'article Mort apparente, du Dictionnaire encyclopédique , en cite des cas nombreux et intéressants (2e série, t. IX, 187.'], p. 598). M. Bérillon {Revue de l'hi/pnotisme, avril 1887, p. 289) raconte l'histoire de la léthargique de Thonelles : c'est une femme de vingt-cinq ans qui dort depuis quatre ans, et qu'on nourrit à l'aide d'aliments liquides introduits dans sa bouche. La dormeuse fait alors des mouvements de déglutition. Les dormeurs de cette nature ne sont d'ailleurs pas extrêmement rares. Burette (1713) en cite un qui dormit 6 mois; Franck (1713), en cite un qui dormit 18 mois; Semelaigne raconte l'histoire de la femme d'un colonel anglais qu'on crut morte pendant 8 jours (1745), celle d'une jeune fille de vingt ans L'INANITION. 323 de douter. Certainement il y a des cas authentiques de lé- thargie. Il se produit dans la léthargie une dépression consi- dérable du système nerveux. L'activité du cœur, le rythme de la respiration, à un moment donné, tout cela disparaît. Il n'y a pas beaucoup d'expériences à faire sur ce sujet chez l'homme; je puis citer cependant les expériences dues à M. Debove qui a essayé de voir quelle est l'influence de la sug- gestion chez les hystériques ^ Il suggéra à deux hystériques qu'elles ne devaient ni manger ni boire : ces malades ont, en effet, très bien supporté le jeûne pendant quinze jours, et n'ont diminué de poids que dans des proportions très faibles. La dénutrition des tissus était donc minime : elle était de 0°%i3 par kilogramme et par heure; au bout de quinze jours, elles ne ressentaient presque pas le sentiment de la faim. Par comparaison, M. Debove a essayé d'opérer sur un homme vigoureux, mais on a été obligé de suspendre l'expé- rience au bout de cinq jours. Il avait perdu O^^S par kilo- gramme et par heure. Cet individu n'était pas suggestion- nable. C'est en ce sens qu'on a pu soutenir que la mort dans le jeûne n'était pas due à l'inanition même, et^M. Bernheim a pensé que la mort était produite par la faim, ce qui est d'ail- leurs peu soutenable ^ Ce qu'on peut dire, c'est que, chez les hystériques, il y a ralentissement des échanges. Nous ne sa- vons pas encore au juste quelle est l'influence du système nerveux. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il y a diminution d'activité chimique dans les tissus qui produisent la chaleur et dans les glandes qui fournissent les sécrétions. Ce n'est pas qui dormit pendant 15 jours (1761^), et enfin celle de la malade de Saint-Marcel, qui s'engourdissait chaque année pendant le carême, si bien qu'on la croyait morte. Schomberg (cité par Bérillon, loc. cit., p. 294) parle d'un dormeur hollandais qui restait également 6 mois en léthargie; Legrand du Saulle (ISeS^i rapporte l'observation d'un dormeur qu'il dut nourrir pendant 6 mois par la sonde œsophagienne. 1. Cité par Callamand, Thèse de Paris, 1884, n° 103, p. 35. 2. Voyez Revue scientifique, 2° sem., 1886, p. 570. 324 CHARLES lUCHET. beaucou}3, il est vrai, que de dire cela, mais c'est déjà quel- que chose. Comment se fait-il maintenant que, dans les jeûnes forcés, dont on connaît malheureusement quelques exemples célè- bres, il y ait eu une mort beaucoup plus rapide. Je vous en citerai trois principaux : le naufrage de la Méduse, Y expédi- dition du colonel Flatters et le naufrage tout récent de la Mignonnette, petit canot qui s'était perdu dans les mers de l'Australie. Eh bien, dans ces trois cas, ce n'est pas au bout de vingt jours ou un mois que les horreurs de la faim ont commencé à se faire sentir, c'est déjà au bout de quelques jours. Ainsi, sur le radeau de la Méduse^ au bout de trois jours, les mal- heureux naufragés ont été pris de délire. D'après le récit de Savigny \ ils se sont précipités les uns sur les autres, et ils se sont tués à coups de hache et à coups de pique. De cent soixante-treize qu'ils étaient au commencement, ils n'étaient plus que quinze après ce massacre. Il leur restait des vivres. Ce n'est donc pas la faim seulement qui avait agi sur eux. Pourquoi donc ces naufragés ont-ils été pris de délire au bout de trois jours, et pourquoi les Danois dont je parlais tout à l'heure et qui sont restés dix-sept jours sur les glaçons ont- ils conservé toute leur raison? Je crois qu'il faut chercher la cause de cette différence dans la température. Les naufragés de la Méduse se trouvaient dans les parages du Sénégal, sous l'inlluence d'une température qui ne permettait pas à l'orga- nisme de se refroidir. Ils avaient beau être trempés dans l'eau de mer, ils souffraient d'une chaleur étouffante : celle eau elle-même, lorsqu'ils voulaient la boire, ne faisait qu'aug- menter leurs souffrances. Savigny raconte qu'ils buvaient de l'urine plutôt que de boire de l'eau de mer, qui provoquait une soif inextinguible. 1. Thèse de Paris, 1818. L'INANITION. 325 Pourquoi aussi, dans l'histoire des malheureux qui ont échappé au premier massacre des compagnons de Flatteks, la mort par l'inanition s'est-elle produite au bout de dix jours seulement? C'est qu'ils étaient dans le Sahara exposés à une chaleur torride. Ils n'étaient pas absolument privés de nour- riture : même ils rencontraient de temps en temps des ga- zelles, des ânes sauvages, qu'ils tuaient. Ils trouvaient un peu d'eau saumàtre dans les puits. Malgré cela, il n'en ré- chappa que quatre sur quatre-vingts, et encore ces quatre survivants sont-ils des indigènes. Ils ont soufTert beaucoup de la faim. Ils ont touché à des viandes sacrilèges, ils se sont entretués pour avoir à manger, et cependant leur jeûne ne du- rait que depuis dix jours. Les naufragés de la Mignonnette étaient exposés égale- ment à une chaleur torride. Or une chaleur excessive accé- lère les combustions dans une mesure difficile à préciser, 11 est vrai qu'une température très basse accélère aussi les combustions. Mais il faut tenir compte de l'espèce d'engour- dissement dans lequel le froid intense nous met aussitôt, tandis que les hommes qui sont sous l'influence de l'excitation cérébrale résultant de la température extérieure ou de l'acti- vité exagérée imposée par la nécessité de marcher jour et nuit pour fuir, faisaient assurément des combustions et des dépenses excessives. En somme, c'est le système nerveux qui régit les phéno- mènes de la dénutrition, et c'est lui, par conséquent, qui règle la durée du jeûne. XXX SUR J^A VIE DES ANIMAUX ENFERMÉS DANS DU PLATRE Par MM. Ch. Richet et P. Rondeau. On sait ou on croit savoir de temps immémorial que des reptiles et des batraciens peuvent séjourner impunément en- fermés dans des corps solides pendant un espace de temps illimité. Ce sont surtout les crapauds qui jouissent de cette étrange réputation. A vrai dire elle est plutôt dans l'opinion vulgaire que dans les ouvrages scientifiques. En effet, un très petit nombre de savants se sont occupés de cette question in- téressante. Pour donner une idée des faits presque fabuleux qui avaient cours il y a à peine un siècle et demi, nous citerons deux récits empruntés aux Mémoires de l'Académie royale des sciences de Paris. « Dans un pied d'orme..., précisément au milieu, on a trouvé un crapaud vivant, de taille médiocre, maigre, qui n'oc- cupait que sa petite place. Dès que le bois fut fendu, il sortit VIE DES ANIMAUX ENFERMÉS DANS DU PLATRE. 327 et s'échappa fort vite. Jamais orme n'a été plus sain, ni com- posé de parties plus serrées et plus liées, et ce crapaud n'avait pu y entrer par aucun endroit. L'œuf qui l'avait formé devait se trouver dans l'arbre naissant par quelque accident bien particulier. L'animal avait vécu là sans air, ce qui est encore surprenant, s'était nourri de la substance du bois et n'avait crû qu'à mesure que l'arbre croissait. Le fait est attesté par M. Hubert, ancien professeur de philosophie à Caen, qui l'a écrit à M. Variquen \ » La seconde observation, quoique plus récente, est plus étonnante encore : « M. Seigne écrit le même fait à l'Académie, à cela près qu'au lieu d'un orme, c'était un chêne plus gros que l'orme, selon les mesures qu'il en donne, ce qui augmente encore la merveille. Jl juge parle temps nécessaire à l'accroissement du chêne, que le crapaud devait s'y être conservé depuis 80 ou 100 ans, sans air et sans aliment étranger ^ » On pourrait certainement, dans les mémoires des anciennes Académies d'Allemagne ou d'Angleterre, trouver nombre d'exemples analogues. Mais il ne nous paraît pas que cela soit bien nécessaire, car ces observations ne sont pas faites avec la précision scientifique indispensable. Haller même, en étudiant les conditions de l'asphyxie, ne cite que des faits assez peu probants. Il raconte" l'histoire des hirondelles qui, à l'approche de l'hiver, à moitié engour- dies par le froid, se fixent sur des roseaux, et sont peu à peu envahies par la glace ; il paraît qu'elles peuvent ainsi passer la saison hivernale, ensevelies dans la glace des étangs. Une observation plus sérieuse paraît être celle de Baglivi, rapportée par Haller^, qu'une tortue a pu vivre vingt jours 1. Histoire de l'Académie royale des sciences, 1779. Édit. de Paris, ia-12, 1777, p. 49. 2. Histoire de l'Académie royale des sciences, 1731. Édit. d'Amsterdam, in-I2 1735, p. 29. 3. Elementa physiologiœ, t. III, p. 266, lib. VIII, § 19. 4. Loc. cit., p. 271, t. III. 328 CH. RICHET ET P. RONDEAU. après que la bouclie et les narines ont été oblitérées. Mais l'explication anatomique qui est donnée de ce fait nous parait complètement insuffisante pour donner la raison de cette per- sistance de la vie'. La première expérience sérieuse a été faite par Hérissant à l'Académie des sciences, en 1777. Cet éminent naturaliste en- ferma, en des boîtes scellées dans du plâtre, trois crapauds, qui furent déposés à l'Académie des sciences. On ouvrit les boites dix-huit mois après : un des crapauds était mort, les deux autres vivaient. Mais, probablement il y avait de l'air dans les boîtes oii les crapauds avaient été enfermés. Quarante ans plus tard, une série d'autres expériences, beaucoup plus précises encore, furent faites par William F. Edwards. Elles sont consignées dans son magnifique ouvrage : De l'in/Iuoice des ar/ en f s physiques sur la vie'-. Des crapauds placés dans du plâtre, de manière à y être complètement scellés, vécurent dix-neuf jours et plus (sans que la durée soit spécifiée) dans du plâtre; si le plâtre était recouvert d'eau, la vie ne durait guère plus de 8 à 40 heures. Avec les gronouilles et les salamandres, l'expérience donna les mêmes résultats. Toutefois, scellées dans du plâtre, les grenouilles vivent moins longtemps que les salamandres et les crapauds placés dans les mêmes conditions. W. Edwards prouva, en outre, par une expérience directe, que le plâtre est perméable à l'air; et il fut amené à consi- dérer la survie des batraciens dans du plâtre comme due à la persistance de la respiration cutanée. On sait que, quelques années auparavant, Spallanzani avait démontré que les gre- nouilles peuvent vivre sans poumon, et que la respiration cutanée suffît à leur minime consommation d'air vital. W. Edwards fut même amené à cette conclusion très para- 1. ilahet te?tiido musciilos annulas in aditu arteriœ pulmonalis,iit sanguinem alj en arterin uverlere possit, quamdiu sub aquis vii'it, atqiie in iis animalibus iter sanrjuinis, etiam de/elo pulmone,superesl 2. Paris, 1824, pp. 15-24. VIE DES ANIMAUX ENFERMÉS DANS DU PLATRE. 329 doxale, et cependant rigoureuse et facilement explicable, que les grenouilles vivent plus longtemps dans du plâtre ou dans du sable que dans l'air. En effet, à l'air non humide, les gre- nouilles se dessèchent et meurent au bout de trois ou quatre jours, tandis que dans du plâtre elles peuvent vivre au moins deux ou trois semaines. La conclusion de tous ces faits était fort simple. C'était la confirmation de l'expérience de Spallanzani. Les batraciens vivent sans poumon, en respirant par la peau, et, comme le plâtre n'empêche pas l'abord de l'air, l'asphyxie n'est pas la conséquence de leur emprisonnement dans le plâtre. Depuis ces célèbres expériences de W. Edwards, les phy- siologistes se sont peu occupés de la question. Claude Bernard*, rejetant l'expérience avec le plâtre comme pouvant exercer une action funeste sur la vie de l'ani- mal, a placé un crapaud dans un pot de terre, qui fut enfoui dans le sol. L'animal vécut ainsi deux ans. La troisième année, la mort fut due, soit à l'inanition pro- longée, soit à la gelée, qui avait probablement déterminé la congélation du corps de l'animal'. Les auteurs des traités classiques de physiologie ne par- lent de ces expériences que pour confirmer l'opinion de Wil- liam Edwards, qu'il s'agit là d'une respiration cutanée, ren- due possible parles porosités du plâtre, perméable à l'air. Nous avons d'abord répété les expériences de W. Edwards sur des grenouilles et des sangsues, et nous les avons trou- vées parfaitement exactes. Des grenouilles et des sang-sues ont vécu plus de huit jours dans du plâtre, tandis que, si la masse de plâtre était enfouie dans de l'huile ou de l'eau, la mort survenait en moins de 24 heures. \. Leçojis sur les tissus vivants, p. 49. 2. Relativement aux aniniaux enfouis longtemps dans de la terre congelée. Voir PoucHET : « Recherches expérimentales sur la congélation des animaux. » Journal de l'Anat. et de la PhysioL, 1866, t. III, pp. 1 à 6.) 330 CH. RICHET ET P. RONDEAU. Mais c'est surtout avec les tortues que l'expérience nous a donné des résultats imprévus. Nous avons montré à la Société de Biologie une torlue dont la tête et les pattes antérieures avaient été scellées dans du plâtre. Cette tortue vécut 80 jours, du 4 5 mai 1 882 au 8 août i 882. Pendant tout ce temps elle resta vigoureuse, quoiqu'elle subit un amaigrissement progressif. Le 8 août 1882, nous constatâmes qu'elle ne faisait plus de mouvements volontaires ni réflexes, c'est-à-dire qu'elle ne re- tirait pas les pattes postérieures quand on les pinçait. Nous fîmes alors son autopsie, et nous constatâmes que son bec et sa tête étaient complètement scellés dans le plâtre, et avaient même subi un commencement de macération par suite de l'excrétion des liquides organiques au travers des narines et de la bouche. Cependant, entre le bec et les pattes existait un tout petit espace, qui devait jouer le rôle d'une sorte de chambre à air. Lecœurbattaitcncore,quoiquefaiblement,maisilétaitpres- que privé de sang.Tous les tissus étaient absolument exsangues. Cette expérience est importante : car on ne peut pas admet- tre chez les tortues de respiration cutanée. Ces reptiles sont, dans les parties privées de carapace, munis d'une peau écail- leuse trop épaisse pour que l'oxygène puisse la pénétrer en quantité appréciable. Il s'ensuit que l'explication donnée par W. EmvARDs est sans doute vraie pour les gTenouilles. mais qu'elle ne peut certainement pas trouver son entière applica- tion aux tortues, attendu que chez ces animaux il n'y a que la respiration pulmonaire qui puisse introduire de l'oxygène dans le sang. Comme les pattes postérieures de la tortue étaient libres on pouvait supposer que les mouvements de ses pattes posté- rieures servaient à déterminer des expirations et des inspira- tions pulmonaires. Il a été en effet démontré par P. Bkrt* 1. Leçons sur la respiration, pp. 286-298. VIE DES ANIMAUX ENFERMÉS DANS DU PLATRE. 331 que les tortues sont aidées dans leurs grands mouvements d'inspiration et d'expiration par les mouvements des pattes antérieures et postérieures. « L'inspiration peut encore avoir lieu, dit P. Bert, quand les pattes postérieures et les pattes antérieures sont rentrées; mais elle est très faible. Pour avoir une inspiration véritablement active, c'est-à-dire dé- passant notablement les limites de la réaction élastique, il est nécessaire que l'animal puisse étendre ses pattes anté- rieures. » Ainsi, les tortues peuvent à peine respirer quand elles sont complètement immobilisées. Et cependant l'immobilisation complète dans du plâtre n'asphyxie pas les tortues. Une tortue a été, le 18 juillet, complètement ensevelie dans du plâtre. Le 3 novembre de la même année, c'est-à- dire 108 jours après, nous avons fendu l'enveloppe de plâtre qui la recouvrait. Ce plâtre était devenu si dur et si compact qu'il a fallu l'ouvrir au ciseau et au maillet. La tortue était par- faitement vivante : et le 18 novembre, quoique nous n'ayons enlevé que le plâtre d'une patte postérieure, juste assez pour apprécier l'état physiologique de l'animal, nous pouvions constater qu'elle vivait encore très bien. Ainsi les très faibles inspirations que peut faire une tortue complètement immobilisée dans du plâtre suffisent à pro- longer sa vie. Et encore respire-t-elle une quantité d'air tout à fait minime, celle qui filtre à travers la muraille épaisse et compacte qui l'englobe étroitement. Notons aussi que la tortue qui a vécu du 15 mai au 10 août, celle qui a vécu du 18 juillet au 15 novembre, ont traversé la période des plus fortes chaleurs, que, par conséquent, on ne peut assimiler leur état à l'hibernation naturelle à laquelle sont en effet soumises les tortues terrestres. Si l'on suppose que nos tortues (abstraction faite de la ca- rapace) pesaient 400 grammes, il s'ensuit, d'après les expé- riences de Regnault et Reiset, que chacune d'entre elles de- vait consommer environ 0°'',03 d'oxygène par heure, soit 332 CH. RICHE! ET P. RONDEAU. 20 centigrammes d'oxygène, c'est-à-dire, par heure, 100 cen- timètres cubes d'air atmosphérique. Or il est invraisemblable qu'une telle quantité d'air atmos- phérique circule ainsi à travers le plâtre. Il faut donc admettre que la consommation d'oxygène est devenue tout à fait minime, et cette réduction au minimum de la dépense d'oxygène est due sans aucun doute à l'absence absolue de mouvements musculaires et de digestion. Un ani- mal tout à fait immobile, et qui n'introduit aucune substance alimentaire dans son tube digestif, consomme un minimum d'oxygène et produit un minimum d'acide carbonique. Parla s'expliquece paradoxe que lesanimaux(grenouilles, salamandres et tortues), scellés dans du plâtre, vivent mieux que des animaux laissés à l'air libre. Et on effet, sur six tortues de même taille, achetées le 8 juillet, en même temps, il y en eut une qui fut laissée à l'air libre et qui est morte ; une autre ayant subi pour toute opération l'ouverture de la trachée et qui mourut le lendemain. Les quatres autres furent placées dans du plâtre, trois d'entre elles survécurent : elles vivaient encore le 15 novembre et ne moururent que dans le cours du mois de décembre. XXXI INFLUENCE DES PRESSIONS EXTÉRIEURES SUR LA VENTILATION PULMONAIRE Par MM. P. Langlois et Ch. Richet. I Introduction. On sait depuis longtemps que, si l'on respire (inspiration ou expiration) à travers une colonne de mercure, on est forcé de développer un effort considérable. Pour peu que la colonne de liquide soit un peu haute, toute respiration devient impos- sible. Un homme adulte, vigoureux, peut pendant quelques ins- tants respirer à travers une colonne de mercure haute de 8 centimètres ; mais les forces s'épuisent bientôt à ce rude travail. Quelques individus peuvent, il est vrai, franchir 10 centimètres et même 15 centimètres de mercure (ce der- nier chiffre étant tout à fait un maximum). En tout cas, c'est 334 P. LANGLOIS ET CH. RICHET. seulement pour peu de temps qu'un pareil effort peut être exercé ; et la fatigue survient très vite quand la pression à vaincre dépasse o centimètres de mercure. Même une pression de 2 centimètres devient à la longue insupportable, et on peut dire que, pour une respiration facile, la pression à vaincre doit être nulle ou à peu près. Il est clair que le fait de respirer à travers une longue colonne d'eau doit changer les condition de la ventilation pul- monaire. C'est cette étude que nous avons entreprise '. Il Méthode expérimentale. Notre méthode expérimentale était très simple. Le chien trachéotomisé respirait à travers une soupape de Miller. Cette soupape, construite par M. Alvergniaï sur nos indica- tions, est d'une seule pièce; un orifice inférieur permet d'a- jouter ou d'enlever du liquide, tantôt à l'expiration, tantôt à l'inspiration, sans que ce changement de pression modifie quoi que ce soit au tube trachéal et aux autres appareils de l'expérience. Pourmesurer la ventilation, il suffit d'adapter un compteur à gaz quelconque aux soupapes, soit de l'inspiration, soit de l'expiration. Pour mesurer exactement la pression, nous avons adopté le dispositif suivant : Soit un tube en T, interposé entre la canule trachéale et la 1. Peu de travaux sont relatifs à cette intiuence de la pression. Marey. Pneuniographie ; études ^^raphiques des mouvements respiratoires et des influences qui les modifient [Jour», de l'anat. et de la phijs., t. II, p. 4:i2; 18G:j et Méthode graphiijue, p. 553). — P. Bert, Leçons sur la physio- logie comparée de la respiration, p. 408. — Ewald, Archives de Pflïifjer, t. XX, p. 2G2, 187!). Les travaux de Hutcuinson et de Kramer sont surtout relatifs à la physiologie humaine. VENTILATION PULMONAIRE ET PRESSION. 33o soupape : il est clair que toutes les variations de pression vont se transmettre par ce tube; si alors on met une des branches du T en rapport avec un manomètre à eau, la hauteur de la colonne manométrique mesurera exactement la pression, et une simple lecture indiquera la pression à l'inspiration et la pression à l'expiration. On pourra aussi inscrire toutes les variations en adaptant à la branche libre du manomètre, soit un flotteur, soit plus commodément un tube en caoutchouc avec un tambour à levier. Avec quelques points de repère très faciles à prendre, le graphique indique des valeurs absolues de pression en centi- mètres d'eau de hauteur. Une précaution indispensable, c'est de déduire de la co- lonne d'eau qui indique la pression en centimètres le coujp de bélier, qui tend à donner un chiffre toujours trop fort; surtout dans les inspirations et les expirations un peu éner- giques ^ III Limites de pression compatibles avec les efforts respiratoires. Il faut dès l'abord distinguer la hauteur qui peut être franchie dans quelques respirations énergiques^ et la hauteur qui peut être franchie d'une manière régulière, permanente, permettant à la respiration normale de s'établir sans menace d'asphyxie. Yoici quelques expériences qui peuvent servir de type : Expérience I. — Chien de 19 kilogrammes; franchit 0™, 47 (expir.), et respire sans asphyxie pendant une demi-heure ; franchit 0™,o6 (expir.), mais au hout de treize minutes s'asphyxie. 1. Nos chiffres de pression seront donc toujours évalués en colonnes d'eau. On sait que 0™,01 d'eau représente 0™, 00014 de mercure. 336 P. LANGLOIS ET CH. lUCHET. Expérience II. — Chien de 12 kilogrammes; ne franchit pas 1 mètre; ne franchit pas 0'",72 ; franchit 0™,4o, mais menace de s'asphyxier; fran- chit 0™,33, et la respiration devient régulièrp. rt !^ tî es S .s: a cs o 2 fl ^ .3 =~ " -ci t- Expérience III. — Chien basset de llki',oO; franchit 0'^;6(i, mais me- nace de s'asphyxier; franchit 0-^,24, et ne s'asphyxie pas. Ces trois expériences, confirmées par quantité d'autres qu'il est inutile de rapporter ici en détail, nousmoutrent : VENTILATION PULMONAIRE ET PRESSION. 337 1° Que les chiens ne peuvent franchir une colonne d'eau supérieure à 0™,70 ; 2° Que, de 0™,70 à 0"',40, la respiration, quoique ayant commencé à s'établir, ne peut se prolonger pendant long- temps; 3° Que, au-dessous de 0°',40, l'animal peut respirer long- temps et régulièrement. Bien entendu, il ne faut pas regarder ces chiffres comme absolus. Il y a de nombreuses exceptions. Ainsi, dans une expérience, un chien vigoureux de 12 kilogrammes a pu fran- chir une pression de 1™,28; mais c'est là un chiffre absolu- ment exceptionnel, et je doute fort qu'on retrouve souvent des chiens aussi vigoureux. Dans une autre expérience, un chien de 17 kilogrammes, non chloralisé, s'est asphyxié en respirant à travers une co- lonne de 0°',30, alors qu'en général un chien peut respirer pendant longtemps quand la résistance à vaincre n'est que de 0'",30. Les chiffres que nous venons de donner s'appliquent à l'expiration; mais ils sont vrais aussi pour l'inspiration, comme le prouve l'expérience suivante : IV De quelques Influences modifiant la force de la respiration. L'effort respiratoire, nécessaire pour vaincre la pression d'une certaine colonne d'eau, est évidemment sous la dépen- dance des divers états physiologiques, mais il faut de très graves perturbations pour que la puissance en soit notable- ment diminuée. Autrement dit, tant que l'animal n'est pas trop déprimé, il conserve toute sa force d'inspiration et d'ex piration. TOME II. 22 338 P. LANGLOIS ET CH. RICHET. FROID. ExrÉRiE.N'CES Y et VI, — Un chien de 8 •''',900, refroidi à 2t°,8, a pu franchir 0'",41 après huit minutes d'efTorts infruc- I É T II 0 I) E DOSÉE PAR I, E TITRAGE DE L ' L' R I N E des gaz. (le riiypohroraite. en poiils d'oxyj;iMie. grammes. grammes. grammes. 2,5 4,2 0,064 2,5 6,2 0,138 3,8 7,4 0,281 13,0 14,0 0,625 14,0 2:j,3 0,281 1.5,0 16,0 0,483 19,0 23,8 0,825 22,0 24,0 0,940 22,0 2.3,4 1,193 22,0 23,2 0,454 27,0 31,3 0,510 27,0 3't,0 0,843 ;i:j,o 3G,o 1,920 DOSAGE DE L'UREE DE L'URINE. 359 Appendice. Notre but a été surtout de déterminer les conditions ana- lytiques du dosage ; mais nous avons aussi pratiqué quelques expériences sur des individus sains et des individus malades, afin d'établir quelque relation entre le pouvoir réducteur de l'urine et sa richesse en urée. Nous évaluons le pouvoir réducteur en poids d'oxygène par litre d'urine. L'autre pro- duit est évalué en urée. A vrai dire il ne s'agit pas seulement de l'urée; mais d'une somme de matériaux agissant sur l'hypobromite : acide urique, créatine, créatinine, xanthine : toutes ces substances réduisent l'hypobromite dans des proportions différentes de l'urée. Mais l'erreur qu'on fait en les évaluant en urée n'est pas considérable, et, au point de vue physiologique, elle importe assez peu, puisqu'il s'agit de comparer dans les divers cas physiologiques ou pathologiques qui se présentent la quantité totale des matières qui contiennent de l'azote. Voici ces chiffres; nous regrettons qu'ils ne soient pas plus nombreux; mais ils suffisent pourtant pour indiquer l'intérêt qu'il y aurait à poursuivre patiemment ces recherches analy- tiques. 360 ÉTARD ET CH. RICHET. URINE A. URINE B. P O I II s D ■ V K K E POIDS II O X Y li É N E p 0 1 II s 11' V R É E POIDS D'OXYGKNE méthode des gaz). absorbé. (méthode des gaz). absorbé. 14,0 0,284 13,0 0.539 14,0 0,710 18,0 0,704 16,3 0.78 4 19,0 0,825 16,0 0.448 27,0 j o,;iio 18,0 O.ol2 28,0 ! 0,768 20,1 0.896 32.0 1,136 21,0 0,704 ., » 22,0 0,940 >, .. 23,0 0.736 .. » 2:i,0 0.944 .1 26,0 0.6:30 " >' Moyenne : 19,6 Moyenne : 0,692 Moyenne : 22,8 Moyenne : 0,747 Rapport : 28 Rapport : 29 URINE r.. URINE D. PO m s Il'fRKE PO lus Il'oXYliÈNK PO lus ij'l'RÉE PII I D s D ' ù X Y G F. N E niéthridi' des jraz . absorbé- (méthode des gaz). absorbé. 22,0 1,193 17,6 0,480 27.0 0,843 32,0 1,0.56 33,0 1,920 » 0,768 Moyenne : 27.3 Moyenne : 1,319 Moyenne : 28,8 Moyenne : 0,768 Rapport : 21,0 Rapport : 38,0 Urine E. Rapport du poids de l'are e au poids de l'oxygèno. ... 21 — F. — — — .... 48 — (1. — — — .... 32 — H. — — — .... 13 Rapport moyen de ces sr c dernières urines = 30. Ces chiiïres nous montrent que le pouvoir réducteur de l'urine, quoique étant dans une certaine limite corrélatif de la richesse en urée, n'en dépend pas cependant d'une manière absolue. C'est un nouveau facteur qu'on introduit dans le dosage d'une urine et qui est quelque peu différent du précé- dent. On ne saurait prévoir, quand on fait dans une urine le DOSAGE DE L'URÉE DE L'URINE. 361 dosage de l'urée par la méthode des gaz, que cette urine con- tiendra telle ou telle quantité de substances extractives avides d'oxygène. Ainsi, dans le tableau qui précède, on voit trois urines différentes contenant toutes trois 22 grammes d'urée (évaluée par la méthode des gaz) ; et cependant leur pouvoir réducteur est différent du simple au triple, puisque nous trou- vons les trois chiffres : 0,454 — 1,193 — 0,940. De même encore, une urine contenant 27 grammes d'urée a eu un pou- voir réducteur de 0,510, alors qu'une urine ne contenant que 13 grammes d'urée a eu un pouvoir réducteur de 0,635. Faisons en outre remarquer que nous avons cherché la relation de ces deux chiffres, en la suivant chez le même in- dividu, même à de longs intervalles de temps (huit mois). Ces urines appartenaient toutes à des individus bien por- tants, mais placés dans des conditions physiologiques très variées. On voit que, d'un individu à l'autre, il y a des varia- tions notables, et que, même chez un seul individu, les varia- tions sont aussi assez considérables. Quelques expériences faites sur les urines de différents malades du service de M. Vulpian, à l'Hôtel-Dieu, nous ont montré aussi des différences considérables dans le rapport de ces deux chiffres. Ainsi, chez un malade convalescent d'un ictère, nous avons trouvé les chiffres suivants : POIDS D'URÉE. POIDS D'OXYGÈNE ABSORBÉ. 11,0 16,0 8,5 9,5 9,5 11,0 0,992 1,870 l,0o6' 1,120 0,992 0,850 Moyenne : H,9 Rapport : 9,5 Moyenne : 1,147 362 ÉTARD ET GH. RICHET. Il importe de faire remarquer combien ce rapport est difiérent du rapport trouvé chez des individus normaux, rapport que les chiirres donnés plus haut semblent indiquer comme très proche de 28-:29-30. Notons aussi que chez ce convalescent il n'y avait plus trace de matière biliaire dans l'urine. Sur un tuberculeux nous avons eu les chifTres suivants : roins liTRKK. PdlIiS D OXYGÈNE ABSORBÉ. 1 8,0 lll,U 1(1.0 Ki.O 20,4 0,:i28 0,:i28 0,;i28 0,!)28 O.'O't Moyenne : 1 i.l Rapport : 22,0 MuYKNNE : 0,ti4:i ' j Chez un antre individu, atteint de fièvre scarlatine légère, ces chill'res ont été : POIDS DURÉE. l'OIDS DdXYfJÉNE ABSORBE. 11,0 11,1 n,(j 18.0 1 0,4i8 0,i(ii O.UiO Moyenne : 14,1) Rapport : 32 Moyenne : 0,i47 Ces chiffres, encore que tout à fait insuffisants, montrent que dans les maladies on pourrait suivre, jour par jour, les altérations relatives des éléments chimiques do l'urine. Il y aurait un grand intérêt pour la clinique médicale à posséder ainsi des documents exacts sur la désassimilati>on organique quotidienne. DOSAGE DE L'URÉE DE L'URINE. 363 * Le titrage des liqueurs est facile : il suffit d'avoir trois burettes graduées de oO centimètres cubes. Dans l'une sera l'eau bromée, dans l'autre l'hypobromite, dans la troisième la solution de protochlorure d'étain. Cette dernière est la seule qu'il soit nécessaire de titrer très exactement par pesée. Or cette pesée n'offre aucune difficulté, et la seule précaution à prendre est de conserver la liqueur à l'abri du contact de l'oxygène de l'air. Avec un peu d'expérience, on arrivera très vite, si l'on prend les précautions indiquées par nous, à effectuer avec la liqueur d'étain des titrages très exacts de l'hypobromite, de l'eau bromée et de l'urée. XXXIII L'ELIMINATION DES BOISSONS PAR L URINE Par M. Charles Richet On no trouve dans les auteurs classiques que peu de docu- ments sur le moment précis où se fait l'élimination des bois- sons. Dans les conditions normales de l'alimentation, en dehors de toute pratique expérimentale, la durée nécessaire pour le passage des boissons de l'estomac dans les veines et pour l'élimination par la glande rénale n'est que vaguement connue. J'ai fait sur moi-même, à cet égard, les observations sui- vantes pendant neuf jours consécutifs. Il m'a suffi de mesurer volumétriquement la quantité d'urine émise à divers moments de la journée et de la nuit. J'ai eu soin de recueillir cette urine, excrétée pendant les neuf jours de l'expérience, à des heures assez différentes. De sorte qu'à des jours différents, les points de départ pour les heures étaient différents. Il s'ensuit que l'on peut ainsi, en prenant la moyenne successive, avec une grande approxi- ÉLIMINATION URINAIRE DES BOISSONS. 363 mation, savoir, demi-heure par demi-heure, quelle est la quantité d'urine émise aux divers moments de la journée. Pour donner les indications nécessaires sur le moment des repas, je dirai qu'ils ont été, pendant ces neuf jours, très réguliers. Le matin, vers 7 h. 4S, j'aipris environ i7o grammes de café au lait. Au déjeuner, qui durait de 11 h. io à 12 h. 5, je prenais environ un litre d'eau, sans vin; au dîner, de 7 à 8 heures, environ 750 grammes d'eau, sans vin; et après chacun de ces deux repas, environ 80 grammes de café noir. Dans l'intervalle des repas, jamais je ne prenais ni aliment ni boisson. Comme alimentation, rien d'intéressant à noter, sinon, à chacun de ces trois repas, une assez grande quantité de raisin, surtout au déjeûner de 11 h. 15. Ces observations ont été faites en automne, par une tem- pérature moyenne de 18° à 23°. Voici maintenant, depuis 2 heures de l'après-midi jusqu'au midi du lendemain, quelle a été, demi-heure par demi-heure, l'élimination par l'urine : les chiffres représentent la quantité en centimètres cubes d'urine sécrétée pendant une unité de temps arbitraire, c'est-à-dire pendant dix minutes. De midi à 2 heures, il était intéressant de prendre des intervalles plus rapprochés; car c'est précisément à ce mo- ment que se fait une élimination, par l'urine, très rapide, de la boisson ingérée. Nous pouvons, en étudiant ces différents tableaux, dé- duire quelques conclusions physiologiques importantes. 366 CHARLES RICHET. 3 3 i â ■j. i ci MOYEN N K IIEURKS. C c o c z o C - par ~' "^ ■^ "~- ~' — -ï -î - s. " •^* ■% ce. - s D Ê M I - II E U R E . ce. ce. ce. ce. ce. ce- ce. ce. 2 11 18 13 18 13 10 12 17 14 2,:50 11 la 13 18 13 10 12 17 13 ;{ 11 l.j 13 18 13 10 16 7 13 3,30 11 l.-j 13 14 13 10 16 7 13 4 11 l.j 13 14 13 10 16 7 13 4,30 16 l.j 13 14 13 10 16 7 14 .') 16 i;; 17 14 13 13 16 7 14 .■i,30 16 i;; 17 14 13 13 16 7 14 6 16 11 17 14 13 13 8 7 13 fi, 30 16 11 17 28 13 13 8 7 14 7 16 11 17 28 13 17 8 31 18 7,30 16 11 17 28 13 17 8 31 18 S 16 11 13 28 13 17 8 31 18 8,30 18 42 13 28 13 17 8 31 21 !) 18 42 13 28 13 17 37 31 22 9,30 142 42 13 28 13 17 37 31 41 10 32 42 13 11 17 17 37 17 23 10,30 32 42 13 11 .ul 17 10 17 24 11 13 8 12 11 7 9 10 7 9.0 11.30 13 S 12 11 7 9 10 7 9,:3 minuit 13 8 12 11 7 9 10 7 9,0 12,30 13 8 12 11 7 9 10 7 9,0 1 13 8 12 11 7 9 10 7 9,3 1,30 13 8 12 11 7 9 10 7 9,0 0 13 S 12 11 7 9 10 7 9,.o 2,30 13 8 12 9 7 9 10 7 9,5 3 13 8 12 9 7 9 10 7 9,0 3,30 5 8 12 9 7 9 9 7 8,5 4 '6 -S 12 9 7 11 9 7 8,5 4,30 0 8 12 9 7 9 9 7 8,5 0 .'5 8 12 9 7 9 9 7 8,0 0,30 5 8 12 9 7 9 9 7 8.5 6 3 8 12 9 7 9 9 7 8,5 6,30 5 8 12 9 7 9 9 7 8,0 7 îi 8 12 9 7 9 9 7 8,5 7,30 .( 10 12 9 7 9 14 13 11 8 3 10 13 11 8 9 14 13 11 8,30 3 10 13 11 8 9 14 13 11 9 3 10 13 11 8 9 14 13 11 9,30 3 10 13 11 24 9 14 13 13 10 3 10 13 11 24 !) 14 13 13 10,30 3 10 13 11 24 9 14 13 13 11 3 10 IC 11 24 12 11 13 13 1 1 ,30 3 10 16 M 24 12 H 13 13 midi 3 10 16 11 24 12 11 13 13 L'élimination des boissons se fait très exactement à partir ÉLIMINATION URINAIRE DES BOISSONS. 367 de midi 30, c'est-à-dire une heure et quelques minutes après le début du repas; mais elle n'atteint son maximum qu'à 1 h. 5, pour décroître très vite à partir de 1 h. io et être abso- lument terminée à 1 h. 40. A partir de ce moment, la sécré- tion reprend son taux normal, invariable, n'oscillant que dans d'étroites limiles pendant le cours de la journée. HEURES. à a c o = è. i f -' à a y. y. y. % - .f, ^ - ... -- â - 1^ — i- ce- ce. ce. ce. ce. ce. ce- ce. ec. ce. ce. midi » 70 10 16 10 24 12 11 13 13 , 12,0 „ 70 10 16 10 24 12 11 13 13 i 12.10 „ 70 10 16 10 24 12 11 13 13 12,lo „ 70 10 16 10 24 12 11 13 13 16 12,20 „ 70 10 16 10 24 12 11 13 13 12,2;j » 70 10 16 10 24 12 11 13 13 12,30 „ 70 10 16 10 24 90 11 13 27 12,35 100 70 10 16 10 24 00 11 13 38 ' 12,40 100 70 68 16 10 24 90 11 13 43 , 12,4o 100 70 68 16 10 24 90 11 130 ■^\ 68 12,50 100 148 68 16 10 24 90 135 130 80 j 12,00 100 148 68 16 91 24 90 135 130 89 ' 1 100 148 68 1.36 91 24 90 135 130 102 l,0o 100 148 68 136 91 140 90 135 130 116 1,10 100 148 68 136 91 1 40 90 135 130 116 l,lo 100 148 68 136 91 1 40 90 135 130 117 1 104 1,20 11 148 68 136 9L 140 90 135 130 107 ( 1,2:; 11 148 68 136 91 140 90 17 130 92) 1,30 11 148 68 136 91 140 90 17 16 80 1,35 11 148 68 136 91 140 12 17 16 70 " 1,40 11 18" 68 136 13 140 12 17 16 38 1,45 11 18 13 18 13 140 12 17 16 14i( 27 1,50 11 18 13 18 13 140 12 17 16 14 i 1,55 11 18 13 18 13 10 12 17 16 14 ' 2 11 18 13 18 13 10 12 17 16 14 , 1 1. Dans c< itte moyenne et d ans la suiva Qte ne sont pas con ipris le s chiffres du 6" jour, qui s 'écartent trof des < autres. Il faut donc admettre que l'absorption et l'élimination de la boisson sont absolument terminées une heure et demie après le repas. Cet espace de temps suffit pour que la bois- 368 CHARLES RICHET. son passe dans le système porte, soit versée dans le sang et éliminée par le rein. Si l'on réfléchit que la durée du repas est de 50 minutes, de H h. lo à midi 5, et que la période active de l'élimination est de midi 45 à 1 h. 35, il s'ensuit que c'est 40 minutes après l'ingestion que se fait l'élimination. Ce temps comprend à la fois le passage dans la circulation et l'élimination par le rein. Ainsi, une heure et demie après la fin d'un repas liquide et solide, il n'y a plus dans l'estomac et l'intestin d'autres substances liquides que celles qui sont nécessaires pour maintenir dans un état semi-fluide la masse alimentaire en digestion. On peut se demander pourquoi, après le dîner, il n'y a pas, comme après le déjeuner, une diurèse abondante. Cela tient en partie à la moindre quantité de liquides ingérés, alors que sont ingérés plus d'aliments solides. Peut-être y a-t-il une activité circulatoire moindre le soir que dans la journée. Peut-être l'activité du système nerveux, plus grande dans la journée que dans la nuit, détermine-t-elle cette différence ; peut-être y a-t-il des différences individuelles mal connues encore. Quoi qu'il en soit, même après le dîner, il y a évidemment un accroissement notable dans l'élimination aqueuse, puis- qu'elle monte de 13,5, moyenne de la journée, à 18, 21, 25, 41, 24. Comme pour le repas de onze heures, c'est do une à deux heures après l'ingestion des boissons que l'élimination plus abondante a lieu. Deux heures et demie après, la sécré- tion a repris son taux normal nocturne. Ce taux normal nocturne est différent du taux normal diurne, et l'on ne peut attribuer cette différence à une diffé- rence dans l'alimentation. Cela tient sans doute à une diffé- rence dans l'activité physiologique des tissus organiques, qui sont actifs dans la journée et qui sommeillent pendant la nuit. XXXIV DOSAGE DE L'AZOTE TOTAL DE L'URINE PAR l'hYPOBROMITE DE SODIUM Par MM. E. Gley et Ch. Richet Nous renverrons d'abord au procédé analytique indiqué dans le mémoire précédent, qui permet de doser l'urée, non plus par la méthode des gaz, en dosant l'azote gazeux, mais en dosant par différence Fhypobromite décomposé dans la réaction et transformé en acide bromhydrique. Nous avons cherché à employer ce même procédé pour le dosage de Tammoniaque. On sait que M. Kjeldahl^ a imaginé un procédé ingé- nieux, qui a été perfectionné par M. Pfluger-, et qui consiste à traiter l'urine par l'acide sulfurique bouillant, de manière à oxyder toutes les matières organiques et à les brûler, en même temps que les matières azotées sont transformées en ammoniaque à l'état de sulfate d'ammoniaque. Rabuteau a depuis longtemps montré que l'hypochlo- 1. Travaux du Labor. de M. Hansen à Copenhague, mai 1883. 2. Arch. fur die gesammte Physiologie, 1884, p. 6j4. TOME II. 24 370 E. GLEY ET CH. RICHET. rite de soude et aussi rhypobromite de soude peuvent servir à doser 1 ammoniaque des urines', et M. IIe.vmxgeu avait aussi indiqué un procédé qui permet de doser l'ammo- niaque par riivpobromite, en enijjloyant la méthode des gaz-. C'est le dosage par l'hypobromite que nous avons entre- pris, non plus par la méthode des gaz, mais en titrant l'hypo- bromite, et ce procédé nous a donné de bons résultats, d'au- tant plus intéressants, qu'il s'agit là d'une méthode générale, applicable probablement à toutes les substances organiques. Le titrage de l'hypobromite se fait avec une solution de protochlorure d'étain dans l'acide chlorhydrique. d'après la réaction. SnCP - lIBrO - 2Ha = SnC1^0* - H Br - H^O L'indice est Tiodure de potassium qui donne de l'iode libre, dont on apprécie facilement la coloration. Tout ceci étant dit pour mémoire, car les détails sont indi- qués dans le précédent travail. Comme l'urée, l'ammoniaque estoxydéeparl'hypobromite, (AzH^j' + (HBrO)' = (H-0)^ + (HBr)^ + Az* Mais la quantité d'hypobromite mise dans la réaction, et surtout celle d'ammoniaque, interviennent pour déterminer une réaction plus ou moins marquée. Voici, en effet, si l'on met la même quantité d'hypobromite, quelle est, exprimée en centimètres cubes de la solution stan- neuse, la quantité d'ammoniaque décomposée : Avec 0,27 d'Az H\ 1 ce. de Sn CP vaut O.OO.jlii de Az H*. — 0,t925 — — 0,00o06 — — 0,135 — — 0,OUoOO — — 0,1.3j — - 0,00400 ~ — 0,0o7o — — 0,00482 — — o,o;;40 — — 0,00477 — 1. Ék'menls d'urologie, 1875. p. loO. 2. Bull. Soc. Biol. 1884, p. -iTi. DOSAGE DE L'AZOTE DE L'URINE. Avec 0,0o40 d'Az H\ 1 ce. de Sn Cl'' vant 0,00467 de Az ir\ — 0,0403 — — 0,00470 — — 0,0270 — — 0,00430 — — 0,0270 — — 0,004.30 — — 0,0] 35 — — 0,00422 — - 0,0373 — — 0,00422 — 371 11 n'est donc pas indifférent de meltre plus on moins d'Az H"; et il n'est possible de comparer deux dosages que si l'on met des quantités rigoureusement identiques d'Az IV. D'autre part, la solution plus ou moins diluée n'exerce pas d'influence. Ainsi, avec des solutions contenant par litre i8s'-,9; 4, 5; 2,25; et 1,125 d'Az H% nous avons trouvé, en mettant le même poids d'x\z IV. En mettant 0,036 . En mettant 0,018. En mettant 0,034. solution à 18 gr. i"" de Sn = 0,00404 — à 9gr. — = 0,00409 — à 4 gr. 5 — = 0,00400 — à 2 gr. 23 — = 0,00391 — à 1 gi-. 1 23 — = 0,00400 — à 18 gf. — = 0,00349 — à 9gr. — = 0,00346 — à 4 gr. 5 — = 0,00346 — à 2 gr. 23 — = 0,00346 — à 2 gr. 23 — = 0,00346 - à 18 gr. — = 0,00422 — à 9gr. — = 0,00439 — à 4 gr. 3 — = 0,00428 Ainsi, avec ce procédé, on évite les erreurs dues à la pesée de l'étain, il suffit d'avoir, ce qui est bien plus facile, une solu- tion rigoureusement titrée d'un sel ammoniacal pur, et de déterminer quelle est, pour une quantité donnée d'ammo- niaque, la valeur d'étain équivalente. Alors un premier titrage détermine approximativement la quantité d'Az H* qui est dans la liqueur qu'on dose. Supposons, alors, qu'on ait déterminé au préalable la valeur de l'étain en ammoniaque. Si l'on met0,04o d'Az H'' dans la liqueur examinée, on trouve un certain titre répon- 372 E. GLEY ET CH. RICHET. dant, par exemple, à JS grammes d'Az II' par litre : on fera alors un second titrage en mettant en contact avec l'hypo- bromite une quantité d'Az H', précisément égale à 0,035. Les expériences réussissent alors bien, comme l'indiquent les chitîres suivants : Titre réel . . . 11,37 Titre trouvé. . 11.36 R. 6,823 R. 10,123 T. 6,843 T. 10,120 H. 2,237 R. 10.23 T. 5,230 T. 10,43 R. 11,23 R. 9,0 T. 11,31 T. 8,94 On peut donc par ce procédé doser très vite, très facile- ment et avec une exactitude suffisante, l'azote total, non seu- lement des urines, mais de la plupart des matières azotées. Nous avons contrôlé l'expérience en transformant par l'acide sulfurique bouillant une solution d'urée en ammo- niaque. En mettant 25 ce. d'une solution d'urée à "10 grammes par litre, (soit 0,5 d'urée) dans 5 ce. d'acide sulfurique, nous avons trouvé en AzH* : 1'''^ expérience. . ^ 3,914 2e . = '),010 3« — = 3,833 — 1"'' dosage 3,833 — 2« dosage La quantité théorique étant 6 grammes. Nous avons alors appliqué cette méthode à quelques essais, faits sur nous-mêmes. Nous nous sommes en cflet, pendant quatre jours consécutifs, soumis l'un et l'autre à un régime aussi identique que possible, et à partir du deuxième jour nous avons fait une série de nombreux dosages portant sur l'urée, les matières extractives et l'azote total. DOSAGE DE L'AZOTE DE L'URINE. 373 Ce sont ces chiffres que nous venons donner ici succinc- tement. Sur 28 dosages d'urée, le maximum de concentration a été de 33,3, et le minimum de iO,0. La moyenne a été de 23 grammes d'urée par litre '. La quantité d'urée rendue par vingt-quatre heures (et c'est, à vrai dire, le seul chiffre intéressant à donner) a été de 20,18 pour R... et de 28,90 pour G..., ce qui donne une moyenne par heure de 1,216 pour R... et de 1,204 pour G... Ces deux chiffres sont très analogues, et cela est assez intéressant, puisque le poids du corps est très différent chez G... et R..., G... pesant 58 kil. et R... 70 kil. Ainsi, quand l'alimentation est identique, deux individus de poids différent excrètent à peu près la même quantité d'ùrée. En soixante-douze heures, G... a excrété 86,6 d'urée etR... 88, 7o. Ce fait n'a rien de surprenant. Il indique seulement que nous étions arrivés l'un et l'autre à un équilibre stable d'azote, et, d'autre part, il confirme l'exactitude de nos procédés ana- lytiques. La quantité d'eau éliminée par les reins, quoique les bois- sons fussent ingérées en proportion sensiblement identique, a été plus grande chez R... que chez G..., soit 4,148 chez R... et 3,752 chez G..., ce qui tient vraisemblablement à ce que chez G..., la transpiration cutanée parait être plus active que chez R... Nous avons donc pour une période de vingt-quatre heures : G. . . Eau 120o Urée 28,0 Matières extractives 2 0,638 R. . . Eau 1360 Urée 29,2 Matières extracLives 0,671 1. Les chiffres classiques sont à cet égard très variables. Voir Ledé, Th. de doctorat, Paris, 1879, p. 22. 2. Les matières extractivcs sont dosées par la quantité de brome (en solu- 374 E. GLEY ET CH. RICHET. En faisant la moyenne des quantités rendues par heure, nous avons les chiffres suivants, exprimés en grammes. Mat. extractivcs Heures. Urée. Eau. (oxydables par le brome). Minuit. 1 h. matin. 1,117 o2 0,0245 2 1,117 :i2 0,0245 3 — 1,117 47 0,0237 4 — 1,117 47 0,0237 5 — 1,078 41 0,0237 6 — 1,078 41 0,0237 7 — 1,078 41 0,0237 8 — 1.078 41 0,0237 9 — 1 ,0o3 39 0,0253 10 — 1 ,o;j3 39 0,0253 H — 1,078 04 0,0263 Midi , . 1,141 68 0,0263 1 h. soii-. 1,148 70 0,0283 2 1,228 54 0,0293 ■A — 1,268 54 0,0293 4 — 1,336 54 0,0293 1> — l,3o0 54 0,0315 f) — 1,261 54 0,0207 7 — 1,368 71 0,0310 8 — 1,368 71 0,0310 9 — 1,368 71 0,0310 10 — 1,368 71 0,0310 11 — 1,262 52 0,0245 Minuit . . 1,262 52 0,0245 Nous rapprocherons de ces faits ceux que l'un de nous a signalés* relativement aux quantités d'eau émises par l'urine à différentes heures. Dans ces observations, les quantités d'eau rendues par l'urine sont notablement plus fortes; attendu qu'en été, si la transpiration cutanée augmente, l'ingestion des boissons, dans le cas particulier dont il s'agit, a augmenté plus que ne l'a fait la transpiration cutanée. tioii acide) transl'onaéc en acide brumhydriquo. Les chiffres indifiucnt en poids la fiuantit'l' d'oxygène fixée. (Voyez le mémoire ci-dessus, page 350.) 1. Voyez le mémoire ci-dessus, page 300. DOSAGE DE L'AZOTE DE L'URINE. 375 Yoici les chiffres donnés par cette expérience de M. Ch. RiciiET : ce Minuit 57 1 11. matin 57 2 — 54 3 — 54 4 — ol 5 — 51 6 — 51 7 — 58 8 — 66 9 — 72 JO — 78 M — 78 Midi 86 1 11. soir 5i6 2 — 82 3 — 78 4 — 78 5 — 81. 6 — 82 7 — K)8 8 — ...... MO 9 — t88 10 — 121 H — 57 Minuit 57 Si nous étudions ces chiffres, et si nous les comparons aux chiffres de notre expérience, qui indiquent la quantité d'eau rendue par heure, nous retrouvons que, dans les deux cas, l'influence des boissons est évidente ; mais qu'elle est beau- coup plus marquée dans les expériences de R... en été, en ce sens qu'il y a un accroissement considérable dans la quantité des boissons rendues par l'urine après chaque repas ; d'autre part, on voit que, dans les deux cas, pour l'expérience de l'été comme pour celle de l'hiver, le taux normal, toute question d'élimination des boissons mise à part, est différent pendant la nuit et pendant le jour. Il y a un minimum d'activité orga- nique qui commence vers 3 heures du matin pour durer 376 E. GLEY ET CH. RICHET. jusqu'à 7 heures du matin. A cet égard, tous les chiffres qui mesurent l'activité chimique sont concordants ; qu'il s'agisse de la température, de la quantité d'azote éliminée, ou FiG. 12G. Courbes horaires de l'élimination de l'eau dans la même série d'observations. On voit l'influence des repas. C'est l'ensemble des vingt-quatre heures, alors que la figure 1 indique toutes les cinq minutes le même phénomène pendant seulement deux heu- res. L'ordonnée inférieure indique le temps en heures; l'ordonnde latérale, les cen- timètres cubes d'urine excrétée par heure (moyenne de neuf jours). Fig. 125. L'ordonnée inférieure marque les temps de cinq minutes en cinq minutes. L'ordonnée latérale indique des centimètres cubes. Les chiffres se rapportent au.\ quantités d'urine excrétées pendant une heure. C'est la moyenne d'expériences poursui- vies pendant neuf jours. On voit que, le repas étant fini vers midi et ayant com- mencé à 11 heures et un quart, il faut une heure pour que l'excès des boissons ingérées passe dans l'urine. On remar- quera combien cette élimination est ra- pide, puisqu'elle dure une heure un quart seulement. Avant comme après cet excès d'élimination, le taux est le même. On peut dire que c'est là un taux de jeune. de la quantité d'eau, ou de la quantité d'oxygène absorbée, il y a toujours une dépression survenant dans les dernières heures de la nuit et indiquant une moindre activité de tous les tissus organiques. Outre ces dosages, nous avons encore dosé l'azote total de l'urine par le procédé Kjeldahl-Henninger-Rabuteau modifié, DOSAGE DE L'AZOTE DE L'URINE. 377 de sorte que nous pouvons comparer la quantité d'azote to- tal à la quantité d'azote contenu dans l'urée. Dans les trois jours de l'expérience, G..., ayant excrété 86,6 d'urée, a excrété par conséquent 43°'", 44 d'azote uréique, ili:-ir::sig9isgBB!isif ^^M ■■■■■■■■■■■■■■«■■■■■■■nn lias M«— ■■«■! flUm— ■«■■«■■■■■■■■■■■■HMHH iHHlBHn ■«■■■■■■■■■■■■■■■■HB I ■■■■■■■■■■■■■viBBBaMaBHHaa^ ^■^■■■■B —B— BBJBBWBBBBB— — ^■H ■■—■■— ■MM— ■■■■■■■■■■■■■i J!lsSSiSiSSSBSSiBSB.SRiSSB ^ns^^B:raiiHgBsaa; IBMB38MW»Bi»MM»iBÎM FiG. 127. Courbes Jioraires d'élimination pour l'azote total et pour l'azote de l'urée. A côté de la figure principale on a représenté les mêmes courbes réduites, afin de pouvoir mieux juger les différences absolues et relatives de l'azote. Les chiffres donnent en milli- grammes les quantités d'azote éliminées par heure. Pour l'azote total, il y a vers la dixième heure, le matin, une dépression qui tient probablement à une erreur de do- sage. D'une manière générale on voit que les deux courbes sont très régulièrement parallèles, mais que cependant les oscillations sont plus marquées pour l'azote de l'urée que pour l'azote total. On voit aussi que la quantité d'azote non dosée par l'hy- pobromite est assez importante, puisqu'elle représente environ un sixième de la quan- tité totale. et R..., ayant excrété 88,75 d'urée, a rendu par conséquent 41,45 d'azote uréique. D'un autre côté, en dosant la quantité d'azote total éli- minée, nous trouvons que R... a rendu 48,237 d'azote et O... 49,069 d'azote. Cela fait un excès de l'azote total, qui est pour G... de 8,627 et pour R... de 6,791, soit en moyenne pour vingt-quatre heures de 2^', 57. 378 E. GLEY ET Cil. RICHET. Nous avons donc les chilîres suivants qui indiquent, pour vingt-quatre heures, lesproportions relatives moyennes d'eau, d'urée, de matières extractives oxydables par le brome et d'azote total. Eau 1320 ). Urée 29,0j Matières extractives (exprimées en poids d'oxygène) 0,G.")5 Azote de l'urée 13, 60 Azote total 16,22 Le tableau suivant indique la courbe horaire de l'azote total éliminé par l'urine, et, en face de ce tableau, nous avons mis les quantités corrélatives de l'azote contenu dans l'urée; on voit que constamment il y a une diil'érence notable en faveur de l'azote total. Azote de l'urôc Azote total II eures. par heure. par heure. Différence, 1 h. matin. 0,;i22 0,687 0,165 2 — 0,o22 0,087 0,165 3 — 0,;i22 0,671 0,149 4 — 0,522 0,671 0,149 0 — 0,503 0,641 0,138 6 — 0,503 0,641 0,138- 7 — 0,503 0,641 0,138 8 — 0,503 0,641 0,138 9 — 0,492 0,661 0,169 10 — 0,492 0,661 0,169 11 — 0,503 0,025 0,122 Midi. , . . 0,532 0,643 0,111 1 h. suir. 0,530 0,643 O.ill 2 — 0,574 0,685 0,111 3 — 0,584 0,685 0,111 4 — 0,624 0,716 0,092 I) — 0,630 0,706 0,076 G — 0,589 0,702 0,113 7 — 0,638 0,732 0,094 8 — 0,638 0,732 0,094 9 — 0,638 0,732 0,094 10 — 0,638 0,732 0,095 11 — 0,573 0,687 0,114 Mi nui ( . . . 0,573 0,687 0,114 , DOSAGE DE L'AZOTE DE L'URINE. 379 En faisant la courbe de l'azote total et de l'azote contenu dans l'urée, on voit que les deux courbes sont parallèles, sauf en un point, vers 10 et 41 heures du matin; il y a peut-être là une erreur de dosage. Mais ce qui se dégage très nettement, c'est que les oscilla- FiG. 128. Variations horaires d'urée, de matières extractives et d'eau. Nous avons pris la moyenne des chiffres recueillis pendant quatre jours sur chacun de nous. En bas les temps sont marqués d'heure en heure. L'urée est le trait fin et plein. Les chiffres à l'abscisse marquent en centigrammes les quantités d'urée excrétée par heure. Les matières extractives sont représentées par le trait gros et plein. Les chiffres indiquent en dixièmes de milligramme les poids d'oxygène que consomment par heure les matières extractives facilement oxydables. Le trait en pointillé représente en ccntimèlres cubes la quantité moyenne d'urine éliminée par heure. On voit bien que l'élimination des boissons se fait après les repas, beaucoup plus vite que l'élimination deTuréc. Deux heures après le repas, le taux normal est revenu. Au contraire, pour l'urée comme pour les matières extractives, il faut de cinq à sept heures pour le retour au taux normal ou jeûne. Quant aux matières extractives, sauf de minimes différences, elles suivent les mêmes périodes que l'unie. tions de l'azote total sont bien moins étendues que celles de l'azote uréique, autrement dit l'influence des repas se fait sen- tir plus sur l'urée que sur l'azote total. Quant au tableau indiquant les quantités relatives d'eau et 380 E. GLEY ET CH. RICHET. d'urée, on voit que rélimination de l'eau se fait une heure après le repas, tandis que rélimination de l'azote se fait trois, quatre, cinq heures après le repas. Faisons remarquer enfin que le chiffre de l'urée est un peu plus faible pour G... que pour R..., tandis que, pour l'azote total, G... a excrété un peu plus d'azote que R... Mais la diffé- rence est en somme très minime et elle est tout à fait clans les limites de l'erreur expérimentale. Conclusions. 1° L'élimination de l'eau des boissons se fait très vite après le repas, c'est-à-dire une heure après. Au contraire, pour l'urée, l'élimination maximum se fait de trois à quatre heures après ringestion des aliments. 2" En laissant de côté rinfluence des repas et de l'élimina- tion exagérée qui suit, on trouve qu'il y a, pour l'eau comme pour l'azote, un taux d'excrétion diurne et un taux d'excrétion nocturne, ce dernier étant notablement plus faible que le taux diurne. 3" Pour des personnes de poids différent, mais soumises à une alimentation identique, la quantité absolue d'azote éli- miné est à peu près la même, indépendamment du poids du corps. Cela signifie que deux individus, d'un poids différent, soumis à un même régime ne seront pas astreints à engraisser ou à maigrir, mais que l'excrétion sera chez eux égale à l'ali- mentation. 4° L'excrétion des matières extractives facilement oxy- dables suit une courbe sensiblement parallèle à la courbe de l'urée. Il en est de môme pour l'azote total. o" Le rapport de l'azote uréique à l'azote total est d'envi- ron 4 à 5. Ainsi quand on excrète 13,6 d'azote uréique, en vingt-quatre heures, on excrète dans le même temps 16 d'azote total. XXXV POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE CHEZ LES CHIExNS DE DIFFÉRENTES TAILLES Par M. Charles Richet. Ce travail a pour but de présenter les relations qui existent entre le poids du corps, le poids du cerveau, le poids du foie et le poids de la rate. Les chiens se prêtent particulièrement bien à une étude de ce genre ; car pour peu d'espèces animales les variétés sont représentées par des poids aussi différents. Dans les 188 ob- servations que je donne ici, se trouve un chien pesant 43''", 7, et un chien pesant 1''", 23, tous deux adultes. Cette énorme différence entre les poids permet des comparaisons bien ins- tructives pour les dimensions respectives des différents or- ganes. Je donnerai d'abord la longue colonne des J 88 observations recueillies tant par moi que par quelques autres observateurs : M. Colin* (34 observations) et M. Manouvuier ^ (9 observa- 1. Traité de Physiologie, 2" édition, t. I, p. 266. 2. Mémoires de la Société d'Anthropologie^ 1883, 1. II, p. 198. 382 CHARLES RICHEï. lions). Les autres observations, inédites, sont prises par moi. La pesée des chiens ne peut évidemment pas donner de poids absolu, car le poids d'un chien varie dans des propor- tions considérables, suivant qu'il a uriné ou non (et on sait que, lorsqu'on les sort du chenil, en général ils n'ont pas uriné, gardant dans leur vessie quelquefois un litre d'urine), suivant qu'ils sont à jeun ou non. De plus, un chien peut être gras ou maigre; et, suivant qu'il est gras ou maigre, le poids de ses diiïérents organes, par rapporta un corps chargé de graisse ou dépourvu de graisse, est évidemment variable. Aussi, sauf pour les chiens pesant moins de 6 kilogrammes, les poids ne sont-ils indiqués que de oOO grammes en oOO grammes. Une plus grande précision est inutile. Il aurait été très intéressant de pouvoir déterminer les différentes races de chiens; mais, pour les chiens de nos labo- ratoires , les individus sont do races tellement mélangées qu'une classification quelconque est probablement arbitraire. J'ai essayé, cependant, de mettre dans la troisième colonne la détermination de la variété : les lettres qu'on trouve indiquent ces variétés différentes, groupées à peu près de la manière suivante : les gros chiens à longs poils sont appelés chiens de montagne (M); les chiens à poils ras, au nez plus ou moins allongé, sont des braques (B), quoique souvent ils diffèrent notablement du type braque pur, étant en général très mâtinés. Les chiens à poils ras et à museau court, terriers ou hulls, sont marqués T; les chiens à poils longs, frisés, chiens moutons ou chiens caniches, sont marqués C ou G, selon qu'ils se rapprochent du type griffon ou du type caniche. En- fin il y a quelques chiens danois, dont le type est bien connu, marqués D. Les épagneuls, dont le type est aussi bien dé- terminé, sont marqués E. La pesée du cerveau portait sur l'ensemble de l'encé- phale, dépouillé de la dure-mère, et pesé immédiatement après l'extraction de la cavité crânienne. Par conséquent, la mesure que nous donnons porte sur le cerveau, le cervelet, la POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE. 583 protubérance, le bulbe, et environ un demi-centimètre de moelle au-dessous du bulbe. Le foie était pesé avec la vésicule biliaire, sans être vidé de sang; mais je dois faire remarquer qu'un assez grand nombre de ces chiens furent tués par hémorragie, de sorte que le foie contenait un peu moins de sang que le foie de chiens tués d'une autre manière. Le sexe, dans mes observations, a été généralement in- diqué, mais il est possible que, pour quelques chiennes, le sexe n'ait pas été noté. Le nombre de chiens est huit fois plus grand que le nombre des chiennes. Les lettres M et C indiquent l'origine de l'observation. M, M. Manouvrier; C, M. Colin. m D H < > H •A w ■a H •w 5 POIDS A B s 0 LU du CERVEAU. FOIE. POIDS poms POIDS POIDS o < > chien. absolu. p. 1000. absolu, p. lOCO. kUog. grammes. grammes. M. 43,5 108 2,45 1030 23,5 M. 43,5 10.; 2,i0 900 20,5 M. 40,5 115 2,80 1090 27 M. 40 98 2,45 » » M. „ 40 116 2,90 » » C. >, 39,5 H2 2,60 » " C. M. 39 109 2,80 » » M. 38 9i 2,45 557 14,0 M. 37 106 2,85 900 24,2 F. M. 36,5 110 3 » » C. M. 36 105 2,90 1) » C. M. 36 122 3,40 >i » c. 35,5 125 3,50 )i )) F. M. 35 95 2,70 » » M. 35 103 2,95 690 19,8 c. F. D. 34,5 100 2,90 .. >. F. M. 33,5 95 2,85 » ■" M. 32,5 93 2,85 » » c. M. 32 107 3,35 » >' c. B. 32 101 3/15 » » M. 31,5 104 3,30 550 17,5 384 CHARLES HICHET. rr. POIDS (, E R V EAU. r 0 1 E < > ci w v: H y. 5 ABSOLU (lu Chien. POIDS absolu. l'OIDS II. 1O0O l'OIP.S absolu. POIDS p. 1000. kilog. t-Tamrnes. grammes. F. M. 31.5 86 2,70 656 20,8 F. B. 31,.j 88 2,80 610 » M. ;}() 105 3.50 » 19,4 M. :!0 97 3,25 6S0 22,7 M. 30 02 3.07 570 19 c. M. 30 88 2.95 .. .. F. G. 29 105 3,C0 670 22,7 E. 2S 10 i 3,72 654 23.5 E. 2S 80 2.S."'> 640 22.8 M. 27 88 3.30 462 17.2 D. 21 102 3,77 » ., B. 27 S7 3,22 402 18,2 F. M. 27 02 3,41 .500 21,8 M. 27 00 3.34 585 21,6 1). 26 110 4.25 .. ., E. 26 95 3,65 .570 22 F. M. 26 94 3,60 :;io 19,6 c. B. 2o 113 4,50 .. >. 25 103 4,12 .. » M. 2a 03 3,70 ., » M. 25 25 90 89 3,60 3.65 » " F. B. 25 86 3,44 432 17,4 B. 25 86 3,44 610 24,4 F. E. 21,5 101 4.12 450 18,4 24.5 103 4,20 650 26,5 E. 24 88 3.70 542 22,5 M. 23,5 100 A, 25 » » M. 23,5 98 4,20 » >. B. 23,5 95 4,05 >. .. >[. 23 82 3.55 300 15,7 M. 23 23 23 97 93 89 4,20 4,05 3,82 >) '- C. 23 88 3,80 >' » 23 87 3.80 » )) E. 23 84 3,70 » ). C. 22.5 100 4,80 " B. 22.5 82 3,65 » >. C. 22 105 4,80 .■►85 26,5 F. B. 22 100 4..i0 » .. F. B. 22 98 4,50 760 34,5 POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE. 385 tfi 1 D W > Xti H X H w " > POIDS ABSOLU du chien. CER\ POIDS absolu. EAU. POU) .s p. 1000. FO POULS absolu. lE. POIDS p. 1000. O kilog. grammes. grammes. B 22 77 3,50 330 23,2 E 21,5 103 4,90 >, » B 21,5 95 4,40 „ „ B 21,5 84 3,90 ., „ G 21 110 5,20 „ >, G 21 108 5,20 « >> B 21 94 4,45 » „ C. 21 92 4,33 -. .. F. 21 83 3,90 330 25,5 c. G 20,0 89 4,30 „ >, M 20,5 102 4,90 „ „ B 20,5 20 93 103 4,62 5,13 j^ >' T 20 83 4,30 480 24 B 20 75 3,80 490 24,5 E 19,3 87 4,50 373 20,5 G 19,3 84 4,40 328 27,5 T 19,5 82 4,20 C 19,0 76 4,00 310 16,3 F. M 19,0 86 4,30 420 22,2 19 101 5,30 360 19,1 c. F. 18,5 85 • 4,60 1. „ B 18 97 3,40 ., » C 18 93 5,20 382 21,2 c. M 18 89 4,95 ), „ B 18 82 4,30 530 30,3 B 18 80 4,40 „ >, B 17,3 85 4,85 ., ), B n,o 85 4,85 645 33,3 G 17,5 82 4,70 B 17 97 3,70 443 26 M 17 79 4,65 410 24,2 T 17 89 .". 25 375 22 F. B n 90 3,30 >, „ C 17 78 4,60 440 26 C 17 74 4,40 >, „ B 17 68 4 460 27 F. C 17 68 4 402 24 B 16,3 94 3,60 423 25,3 T 16.0 91 5,50 335 33,5 c. F. B 16,5 94 3,10 „ „ T 16,5 81 4,90 460 28 386 CHARLES RICHET. ■^ 3 roiDS CERVEAU. FOIE. a y. .| ABSOLU ■ ^^^ 'Ç 7. < du poir>s POIDS poins POltiS '2 chien. .ihsolu. p. 1000. absolu. p. 1000. kilog. grammes. grammes. G 16,3 65 4 533 32 B 16 09 6.10 » » C. B 16 9i 5,90 » » ¥. C l.j,5 95 6,10 640 47,0 B i:i 83 3,70 393 26,0 T lo 82 5,30 » 11 C. B li,5 88 6,03 » " B i4,;j 83 3,80 398 27,3 E li 85 6,03 iOO 29 T 13,;5 86 6,33 710 53 M. 13 93 7,13 n » T 13 84 6.40 473 36,3 E 13 83 6,40 362 43,5 G 13 89 6,85 .. » F. T 13 77 3.80 385 29,3 C. B 12,5 82 6,33 .. » B. 12,0 81 6,43 430 » B. 12 85 7,20 » 18 C 12 73 6,20 215 28,0 F. T 12 68 3,70 340 » C. B 11,5 84 7,60 » 34,0 c. G. 11,0 73 6,50 » » T. 11,0 73 6.30 » » C 11,0 68 3,90 250 22 c. 11 96 8.70 » » T lO.o 80 7,60 282 26 G lO.o 75 7,05 413 35 C 10,5 72 6,80 2115 28 F. G lO.O 72 6,73 170 16,5 F. T 10,11 65 6,30 250 25,0 T 10.0 72 7,20 255 25,0 B 10 83 8,30 312 34 c. C 10 72 7,20 '. » c. O.o 78 8,20 >. » T 9 72 8 313 35 E '.1 68 7,60 320 35 c. G S,o 81 9,50 .. >. 8.5 81 9,50 422 49 E 8,0 72 8,30 '. » c. B 8,0 63 7,65 " » c. E 8,5 60 7,i0 >• '. T 8,0 60 7,10 " " POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE. 387 iri 05 D H > "S POIDS A n s o I. u du CERVEAU. FO POIDS lE. POIDS Pûiffs POIDS a > chien. absolu. p. 1000. absolu. p. 1000. S kilog-. grammes. grammes. B. 8 n 10,80 .. » D. 8 83 10,60 .. » c. E. C. 8 8 8 7,0 83 78 63 83 10,30 9,30 8,10 11 " » 7,5 SI 10,90 430 60 B. 7,3 73 10 230 30,5 T. 7,5 73 10 .> » c. E. 7,5 60 8,20 » 1. F. B. 7 77 11 » )) T. 7 77 11 168 2'l: c. G. 7 76 10,90 » » 7 71 10,30 502 74 C. 7 64 9,10 208 29,7 T. 6,0 62 9,60 » » 6,3 33 7,90 ,) » T. 6,3 62 9,60 193 32,4 G. 6,0 33 9,20 172 28,3 F. G. 6 68 11,30 n „ F. T. 5,8 73 12,60 306 32 F. T. 3,3 61 11,20 » » T. 3,3 60 10,90 190 34,3 c. F. 3,3 33 10 „ » T. 5,4 70 12,90 283 52 T. 3 72 14,40 n „ G. 3 4,7 37 72 11,40 13,40 » » T. 4,7 67 14,20 ., >, c. E. T. 4,6 4,3 37 61 12,70 14,20 " » c. 3,8 34 14,20 „ „ -M. T. 3,6 3,6 62 60 17,20 16,70 » " M. 3,5 72 20,30 « ,, G. 3 38 19,40 100 33 G. E. 2,1 37 27,10 )1 „ F. G. 1,9 36 24,3 99 34 M. ^,T 43 26,50 >, )) M. 1,6 38 46,20 „ » M. 1,23 47 37,30 " 388 CHARLES RICHET. Si nous groupons ces chiens par rapport au poids du corps, nous trouvons, sur ces 188 observations, dont 142 nous sont personnelles, les moyennes suivantes : Pour le cerveau : NOMBRE DE CHIENS. POIDS MAXIMUM ET MINIMCM. POIDS M 0 YEN. POUR 1 KIL., QUEL POIDS de cerveau? VII kilog. de 39 à 44 de 32 à 37 de 28 à 31,5 de 25 à 27 de 22 à 24,5 de 19 à 21,5 de 16 à 18.5 de 13 à 15 de 10 à 12,5 de 8 à 9.5 de 6 à 7,5 de 5 à 5.8 de 3 à 4.7 de 1,23 à 2,1 kilog. 41,0 35 30 26 23 20.3 17 14 11 8.4 7 5,4 4 j;raiiiiiies. 2,63 3,00 3.17 3,70 4,00 4,50 4,93 6.11 6,82 8,70 10 11,80 16,60 32 XIII X XV XIX XX XXIV XII XVIII XIV XV VII IX V Pour le foie NOMBRE DE CHIENS. POIDS MAXIMUM El MINIMIM. l'OlDS M II V E K . Pour i kil., QUEI. l'OIIiS (li. fi.ie? XI kilug. de 30 à 44 de 23,5 à 29 de 17,5 à 23 de 15 à 17 de 11,5 à 14,5 de 7,5 à 10,5 de 3 à 7 kilo;:. 36 26.5 20,5 16,5 13 9,5 6,0 grammes. 21 21,9 25,6 2S,6 32,3 33.6 40,0 XV XV XII X XII IX Ainsi, pour le foie comme pour le cerveau, le poids de Torgane va en diminuant par rapport au poids du corps à mesure que le poids du corps augmente. POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE. 389 Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que le cerveau et le foie ne se comportent pas de la même manière; le cerveau augmentant très vite, en valeur relative, quand le poids du corps diminue, le foie augmentant aussi, mais plus lentement. Prenant le rapport du foie au cerveau, en faisant le poids du cerveau égal à 4 gramme, nous aurons les chiffres sui- vants : NOMBRE DE CHIENS. POIDS MAXIMUM ET MINIMUM. POIDS M 0 Y E N- . POUR! GR.VMME DE CEE.VEAI,', riuel poids de foie? IX XV kilog. de 30 à 44 de 23,5 à 29 de 17,3 à 23 de 15 à 17 de 11,5 à 14,5 de 7,5 à 10,5 de 3 à 7,0 kilog. 36 26,5 20,3 16,5 13,0 9,5 6,0 grammes. 7,3 6,6 5,8 5,7 5,3 4,2 3,4 XV XII X XII IX Si l'on met ces chiffres en courbes graphiques, on voit que les courbes du cerveau et du foie ne sont pas parallèles, qu'elles s'entre-croisent ; car la quantité de cerveau par kilo- gramme croît plus vite que la quantité de foie, à mesure que le poids absolu de l'animal diminue. Si nous faisons la mesure de la surface d'après la formule connue ^ p| X K, et si nous cherchons la quantité de sur- face répondant à 1 kilogramme de poids pour des chiens db poids divers, nous avons une courbe qui est exactement la même que la courbe du poids du foie; et, ainsi que je l'ai démontré dans d'autres expériences, c'est aussi la courbe de la production d'acide carbonique par kilogramme pour des chiens de poids différents. La conclusion, c'est que, pour des chiens de poids diffé- rents, le rapport entre le foie et la surface est constant, tandis que le rapport du cerveau à la surface varie, et, à mesure que 390 CHARLES RICHET. l'animal est plus petit, la quantité de cerveau par unité de sur- face va en augmentant. Donc, en allant toujours de l'animal plus grand à l'animal plus petit, pour l'unité de poids : V La surface cutanée va en augmentant; 2" Le poids du foie va en augmentant exactement comme la surface ; 3° Le poids du cerveau va en augmentant plus vite que le foie et la surface. Le tableau suivant construit d'après la courbe graphique que donnent les moyennes ci-dessus, indique ces rapports : POIDS des CHIENS. fiVRVXr.E en DÉciMin-RES carrés. POIDS A P, s 0 L u (In c- E R V E \ U . P.VR DÉC.IMl QCEI, poiris àe foie' :tre carré QIEI. POUlS de cerveau ? <1m FOIE. kilosr. graiiiiiies. graiiiiiies. grammes. grammes. 40 131 83C 108,5 6,4 0,82 38 121 812 107,5 6,3 0,84 36 122 756 106,5 6,3 0,87 32 H3 688 10 i 6,1 0,92 28 103 607 100 6,0 0,97 2i 93 562 96 6,1 1 20 82 512 92 6,3 1,12 16 71 451 86 6,4 1,21 U c:; 427 8i 6,6 1,28 12 58,5 390 80 6,6 1,36 10 51,5 336 76 6,5 1,48 8 44,5 290 72 6,5 1,62 7 41 266 70 6,5 1,71 6 37 240 67,5 6,5 1,83 5 32 211 65 8,3 2 4 28,5 211 62,5 9,1 2 Nous pouvons donc en conclure ces deux lois bien impor- tantes : 1° Le foie est proportionnel à la surface, comme sont les combustions chimiques et la radiation calorique; ce qui nous permet de généraliser et de conclure que, chez les animaux, POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE. 391 les appareils de nutrition sont proportionnels à la surface du corps ; 2° Le cerveau ne suit pas la même loi, car il comprend une quantité variable et une quantité constante, qui ne doit pas se modifier avec la taille ou le poids : c'est la quantité de cerveau qui sert à l'intelligence. En effet, qu'il s'agisse d'un grand ou d'un petit chien, toujours l'intelligence est égale, ou peu s'en faut ; et il est bien permis de faire cette hypothèse que la quantité de substance nécessaire pour les phénomènes intellectuels de l'un et de l'autre est la même. C'est une quantité K, que les courbes ci-dessus permettent de calculer. Pour cela, nous allons supposer (et c'est encore une hypo- thèse bien légitime) que, clans la masse qui mesure le poids du cerveau, il y a deux éléments : 1° L'élément invariable, K, qui représente l'intelli- gence * ; 2° Un élément variable, V, qui, semblable aux autres organes de nutrition, est plus ou moins grand suivant la taille de l'animal, et, en tous cas, est dans un rapport constant avec le foie, la surface et les autres appareils de nutrition. Cela posé, nous pouvons calculer K; il nous suffira de faire l'équation suivante : V et Y^ étant les variables céré- brales de deux chiens dont les foies sont respectivement F et F^ : X — z. yi — Y'' Mais Y n'est pas autre chose que le poids du cerveau C moins la constante K, et nous pourrons poser : T^T ïv = :prr, ce cfui donne facilement K. C — K ï^' ^ 1, M. Manouvrier, dans l'excellent article que nous avons cité, a essayé, par d'autres mesures, d'indiquer cette quantité invariable de cerveau intelligent. 392 CHARLES RIGHET. Nous allons donc prendre les valeurs successives de K suivant la taille des chiens, en adoptant, soit le poids du foie, soit la surface cutanée comme base. POIDS DES CHIENS. VALET R DE K d'après LE FOIE. d'après LA SURFACE. Ensemble kilog. de 24 à 4t) de 12 à 24 de 4 à 12 de 4 à 40 Sramiin's. Ci."] 54 41 41 LTammes. 65 51 45 49 Ce qui, prenant la moyenne des deux moyennes, nous donnera un chiffre de 45 grammes, qui représente approxima- tivement la quantité invariable de cerveau servant à l'intelli- gence d'un chien, qu'il soit grand ou petit. Autrement dit, à supposer un chien adulte, réduit au mi- nimum de poids imaginable, il aura encore 45 grammes de cerveau. Si nous calculons maintenant l'écart moyen de la moyenne, chiffre qu'il est toujours indispensable de connaître, afin de savoir dans quelle limite on peut commettre des erreurs, nous trouvons un écart moyen de 10 grammes en chiffres ronds, avec un écart maximum de 20; et encore cet écart maximum de 20 ne s'est-il rencontré que deux fois dans la longue série de nos chifTres. De sorte que nous pouvons, avec une erreur maximum de 20 grammes, savoir d'avance le poids du cerveau d'un chien quelconque dont nous connaîtrons le poids total. Pour la différence entre les rnàles et les femelles, quoi- qu'il y ait peu de femelles, on voit que, d'une manière géné- rale, elles sont plutôt au-dessous qu'au-dessus de la moyenne, sans que cependant on en puisse sérieusement conclure que POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE. 393 les chiennes ont un poids de cerveau inférieur au poids du cerveau des mâles. Pour la race des chiens, nulle conclusion n'est possible ; car il faudrait comparer entre eux des chiens de même taille et de variétés différentes. Or, jusqu'ici cette comparaison ne nous paraît guère praticable ; il est possible qu'à l'avenir, si je continue ces longues observations, je puisse réunir les élé- ments d'une différenciation par espèces. Nous avons essayé de dresser un tableau où est indiqué le poids de la rate ; il ne semble pas que cette même propor- tionnalité à la surface s'observe pour la rate. Quel que soit le poids de l'animal, il a à peu près toujours le même poids (relatif) de rate ; et la quantité de rate est sensiblement pro- portionnelle au poids total de l'animal. Si nous prenons les gros chiens, les chiens moyens et les petits chiens, nous trou- vons à peu près le même poids proportionnel de rate. POIDS DE LA RATE. Poids par kil. de chien. gr. 3,85 2,30 2,55 2,55 2,15 3,15 2,15 1,95 3,05 2,95 2,40 1,70 3,25 2,10 2,50 2,50 2,50 2,70 3,40 Poids du chien. Poids absolu. kil. 44 gr. 170 44 110 38 97 37 95 35 75 31 100 31 67 28 53 27 82 27 80 27 65 27 46 26 85 26 35 25 62 25 62 25 62 24 65 23 80 394 CHARLES RICHET. POIDS DE LA RATE. Poids Poids Poids par kil. du chien. aljsolu. de chien kil. 23 gr. 49 S'"- 2,15 •23 60 2,60 22 7:; 3,40 22 37 1,70 22 69 3,20 21 36 1,75 2i 65 3,10 21 55 2,60 20 47 2,40 20 68 3,40 20 50 2,50 19 70 3,70 19 47 2,50 18 60 3,25 17,;; 50 2,85 17,0 85 5,00 17 57 3,35 17 55 3,15 17 55 3,15 17 42 2,45 17 33 1,95 16,0 55 3,30 16,0 43 2,75 16,;J 33 2,10 16,0 47 2,95 15,5 66 4,20 15 56 3,70 15 42 2,80 14 55 3,90 14 28 2,00 13 33 2,70 12,:; 36 2,85 12,0 33 2,65 12,0 27 2,25 12,0 25 2,10 12,0 33 2,90 12 22 1,85 11,5 15 1,30 11,0 23 2,10 10,:; 20 1,95 10,5 35 3,30 POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE. 393 POIDS DE LA RATE. Poids du chien. Poids absolu. Poids par kil. de chien, kil. gi-. gr. 10,3 28 2,65 10 22 2,20 10 17 1,70 9 23 2,33 9,6 18 1,90 9 30 3,30 8,0 21 2,45 8,3 17 2,00 8,0 36 4,50 7 17 2,45 6,0 13 2,10 6,3 14 2,15 6,0 23 3,85 4,0 6 1,50 1,9 9 4,50 Ce qui donne les moyennes suivantes : Moyenne. XXIV de 22 à 44 =2,62 XXXIII de 11 cà 21 = 2,80 XVII de 2 à 10,3 = 2,64 Le poids maximum de rate, en chiffres relatifs, nous a été présenté par un chien de 17 kil. (5='' par kil.) et le poids minimum par un chien de 11,5 (l^^SO par kil.). Ainsi la rate se comporte tout à fait autrement que le foie, glande chimique qui sert probablement, en majeure partie, à faire de la chaleur. Elle ne jouit sans doute pas de fonctions calorifiques énergiques; et il est possible que son rôle soit indépendant, dans une large proportion, de son volume, de même que le corps thyroïde et les glandes surrénales qui, malgré leur minuscule volume, sont si importantes dans la nutrition générale. Nous pouvons donc dire que chez le chien le poids moyen de la rate est, en chiffres ronds, de 2=%75 et S"', 80 par kilo- gramme d'animal, indépendamment de la taille. 396 CHARLES RICHET. On peut en conclure que les fonctions de la rate, du foie et du cerveau sont très différentes essentiellement, le foie ayant un rôle dans la nutrition et la calorification que la rate ne peut pas avoir : Appendice. Pour terminer, je donnerai ici les poids du foie et de la rate chez des animaux morts tuberculeux et ayant perdu de leur poids total, tel qu'il était le jour de l'infection tubercu- leuse, de 20 à 2o p. 100. Poids îinal du chien. Poids du foie (absolu.) Poids de la rate (absolu.) Poids du foie p. 100. Poids de la rate p. 1000. kil. 12 920 i;r. 72 gr- 7,7 6,0 12 399 20 3,0 1,8 11 1114 22 10,1 2,0 10,b 800 70 8,3 6,9 iO,'6 ."ifiO 20 3,3 2,0 9,0 2HS 13 3,0 1,4 9,3 ;iio 33 3,4 3,7 9 267 il 3,0 1,9 9 .-{78 17 4,2 2 2 9 300 20 3,3 2 2 8,0 42;; 18 4.9 2,2 8 220 15 2,8 ^,9 7,5 340 30 7,2 4,0 6,3 no 20 3,2 3,1 6 272 10 4,6 1,7 6 407 8 6,8 1,4 3,3 138 10 3,0 1,9 3 300 20 6,0 4,0 4,5 233 10 3,8 2,3 4,3 263 12 6,2 2.8 La moyenne de ces dix observations nous donne pour la rate 2,77, chiffre qui concorde absolument avec la moyenne des rates normales 2,74'. 1. Dans un cas que je n'introduis pas dans la moyenne, un chien mort rapi- dement de tuberculose infectieuse et pesant SiîioOO avait une rate de 86 grammes, soit plus de 10 p. 100. POIDS DU CERVEAU, DE LA RATE ET DU FOIE. 397 Ainsi, chez les chiens tuberculeux, le poids de laratepar rap- port au corps ne diffère pas de ce qu'il est chez les chiens sains. Quant au foie, généralement malade chez les animaux tuberculeux, nous trouvons une différence sensible : chez 12 chiens normaux, de 9", 5 en moyenne, le poids moyen du foie a été de 33,6 par kil., tandis que, chez 12 chiens tubercu- leux de même poids, à peu de chose près, le poids du foie a été de So,3. Chez 9 chiens de 6 kil., normaux, le poids du foie a été de 40 gr. par kil., tandis que, chez 8 chiens tuberculeux de même poids, le poids du foie a été de 56,0. Le maximum absolu du poids de foie que j'aie constaté a été de 1 114 gr. chez un chien tuberculeux de 11 kil., soit un dixième du poids du corps'. 1. Voyez la planche placée à la fin du volume (page 563). XXXVI ACTION PHYSIOLOGIQUE COMPARÉE DES MÉTAUX ALCALINS Par M. Charles Richet ij 1. — Considérations générales I En 1867 ', Rabi ïEAU formula une ingénieuse propo- sition sur le poids atomique des métaux comparé à lem* toxi- cité. Les métaux, dit-il, sont d'autant plus actifs physiologi- quement que leur poids atomique est plus élevé. Ainsi le potassium est plus actif que le sodium, lo baryum plus actif que le calcium, etc. A plusieurs reprises, Raduteau est revenu sur cette pro- position, qu'il a modifiée et complétée par un certain nombre d'expériences instructives '. Rabiteau a été ainsi amené à conclure que la relation 1. « Étude cxpérimonlalc sur les effets physinlotriques des fluorures et des composés métalliques en général. ■! Thèse pmir In doctoral en médecine. Paris, 1867, no!Jo,p. a3. 2. Bull, de lu Soc. de BioL, 18G:i, p. H 3, p. 238; 1874, p. 183; 1882, p. 376, et Éléments de toxicolofjie. Éléments de thérapeutique, passim, etc. TOXICOLOGIE DES METAUX ALCALINS. 399 entre le poids atomique et la toxicité ne s'observe que si l'on prend pour type une même famille chimique, par exemple la série des métaux alcalins ou la série des métaux alcalino- terreux, etc. En effet, comme il le dit avec raison, il n'y a de comparaisons possibles que pour les corps dont les propriétés chimiques sont plus ou moins analogues. Même en prenant des métaux de la même série, Rabu- TEAu a reconnu qu'il existe des exceptions, par exemple le rubidium et le cuivre. Mais, d'après lui, ces exceptions n'in- firment pas la règle générale. La loi posée par Rabuteau trouva un défenseur dans M. Blake \ Ce savant, qui, en 1839 et en 1840, avait établi que les réactions physiologiques produites par les sels métal- liques sont déterminées par leurs relations d'isomorphisme, se rallia à l'opinion de Rabuteau, et fit sur des métaux de différentes séries des expériences qui lui parurent confirmer la proportionnalité du poids atomique à la toxicité. Malgré l'intérêt que devrait, ce semble, provoquer ce genre de recherches, peu de travaux ont été faits, soit pour confirmer, soit pour infirmer la loi de Rabuteau. Je ne puis guère citer à ce sujet qu'un travail de M. Husemaxn '\ M. Husemanx, expérimentant avec le lithium, a montré que ce corps est beaucoup plus toxique que le sodium, quoi- que son poids atomique soit plus faible. Par des méthodes un peu différentes de celles qu'ont employées les divers physiologistes cités plus haut, j'ai montré que la loi de Rabuteau souffre de telles excep- tions, et si nombreuses, qu'on ne peut lui donner le nom de loi^ 1. « Sur le rapport entre l'isomorphisme, les poids atomiques et la toxicité comparée des sels métalliques. » Comptes rendus de l'Acad. des sciences, 1882, l^r semestre, p. 1055. 2. Analysé dans la Revue des sciences méd., t. VII, p. 543, d'après un travail qui a paru dans les Gôttinçjer Nachrichten. 3. Comptes rendus de l'Académ,ie des sciences, 24 octobre 1881, p. 649, et 13 mars 1882, p. 742. 400 CHARLES RICHET. Il m"ci paru utile de reprendre ces études dans leur en- semble, et c'est le résultat de mes expériences que je viens exposer ici. II Ce qui constitue l'intérêt de cette question, c'est qu'on peut espérer se faire, par l'analyse minutieuse des propriétés toxiques des métaux, une idée exacte de la nature même de la mort des tissus, de sorte que l'examen de la loi posée par Rabuteau peut servir d'introduction à la toxicologie géné- rale, et par conséquent à la physiologie générale. Quoi de plus important que de relier la fonction toxique d'un corps à sa fonction chimique? La chimie a atteint un bien plus haut degré de perfection que la toxicologie; partant, il y aurait tout avantage à faire rentrer les lois de la toxicolog^ie dans les lois de la chimie. On comprend que, par suite du très grand nombre de substances qui sont à étudier, et cela d'une manière appro- fondie, si l'on veut faire des expériences suffisamment con- cluantes, il est impossible d'examiner tous les métaux. Il est donc nécessaire de se limiter, et de ne prendre qu'une seule famille chimique, de manière à déterminer exactement l'ac- tivité toxique des métaux de cette famille. J'ai pris pour type la famille des métaux alcalins, qui est très bien caractérisée, et dans laquelle les métaux ont un poids atomique très variable. Tous les métaux de cette famille ont des propriétés chi- miques fort semblables : r Ils décomposent l'eau à froid; 2" Leurs oxydes et leurs chlorures sont très stables et indécomposables par la chaleur ; 3° Leurs chlorures, leurs oxydes et leurs sulfures sont solubles; 4" Ils sont mono-atomiques. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALLXS. Ces métaux sont les suivants : 401 Poids atomique. Lithium (Li). . 7 Sodium (Na). . 23 Potassium (K). . 39 Rubidium (Rb). . 85 Césium (Cs). . . J33 En représentant par 1 le poids atomique du lithium, on a la série suivante : Poids atomique. Lithium. . . i Sodium. . . 3 Potassium. . 6 Rubidium. . \2 Césium . . . 19 Par conséquent, si la loi de proportionnalité était exacte, le césium devrait être 19 fois plus toxique, le rubidium 12 fois plus toxique que le lithium, etc. Tout au moins, pour ne pas exiger trop de rigueur d'une loi qui ne peut être qu'assez approximative, devrait-on, dans cette série chimique parfai- tement homogène, constater une toxicité de plus en plus grande, à mesure que l'on passe du lithium au sodium, au potassium, au rubidium, etc. A cette série chimique si bien caractérisée il faut joindre l'ammonium (AzH^), qui joue le rôle d'un radical métallique, et qui se comporte comme un véritable métal dans ses com- binaisons avec les acides. Son poids atomique serait de 18 : il faut donc le placer entre le lithium et le sodium. On aura ainsi la série suivante : Litliiuni. . . 7. 1 Ammonium . 18. .\ Sodium. . . 23. 3 Potassium. . 39. 6 Rubidium. . 8o. 12 Césium. . . 133. 19 TOME H. 402 CHARLES RICHET. C'est sur celte série de métaux qu'ont porté mes expé- riences ^ III J'aurai peu de choses à dire des recherches qui ont été faites précédemment sur ces mêmes substances. D'abord, pour les sels de potassium et de sodium, un nombre considérable de travaux a été fait. Je no saurais les analyser ici, car ils n'ont point été entrepris au point de vue qui nous occupe en ce moment. Depuis le beau travail de BoucHARDAT (1846), OU Sait très bien que le potassium est beaucoup plus toxique que le sodium. C'est un point qui est hors de contestation, et sur lequel il est inutile d'insister, car tous les expérimentateurs ont vérifié le fait. Mais dans les expériences qui ont été pratiquées jusqu'ici, on a négligé d'établir quelle est, par rapport au poids de l'animal, la dose toxique limite de métal injecté. De plus, on n'a pas toujours expérimenté avec des sels ayant un même radical acide, de sorte que les résultats ne sont pas exactement comparables. C'est ce qui nous a mis dans la nécessité de faire quelques recherches rigoureusement comparatives sur les sels de po- tassium et de sodium -. Pour les sels d'ammonium, il en est de même. On connaît bien leur action physiologique; on sait qu'ils sont toxiques et 1. R.VHUTEAU, dans im autre travail, a rangé le lilliium dans la série ma- gnésienne. Mais la plupart des chimistes, sinon tous, sont d'accord pour mettre le lithium dans la série alcaline. D'ailleurs, dans quelque série qu'on place le lithium, il n'en faudra pas moins admettre, ainsi qu'on le verra par la suite, d'une part qu'il est toxique, à faible dose; d'autre part qu'il a un poids ato- mique très petit; le plus petit de fous les corps simples connus. Notons tout de suite que le bismuth, dont le poids atomique est le plus élevé de tous les corjis, paraît peu otfcnsif, tandis que le lithium, dont le poids atomique est le plus petit de tous, est très toxique. Cotte seule considération devrait faire douter de la loi susdite. 2. Il ea est ainsi bien souvent en physiologie. Quelque précises que soient les expériences des devanciers, on est souvent forcé de les répéter, car elles n'ont presque jamais été faites exactement au point de vue qu'on étudie, de sorte que beaucoup de détails nécessaires échappent. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 403 convulsivants, beaucoup moins toxiques que le sodium, et à peu près aussi toxiques que le potassium, sinon plus toxi- ques. Mais la relation pi-écise n'a pas été établie. Si les travaux entrepris sur l'action toxique du potassium, du sodium et de l'ammonium sont considérables, en revanche un tout petit nombre de recherches ont été faites sur les au- tres métaux alcalins. Pour le lithium, ses oxydes et ses sels, le travail principal est le travail de M. Husemann, cité plus haut. Ce physiologiste pense que le lithium est à peu près trois fois plus toxique que le potassium, à poids égal; et cela chez les animaux à sang chaud, comme chez les animaux à sang froid. En outre, le lithium aurait une action physiologique analogue à celle du potassium. C'est un poison qui, selon M. Husema?sN, para- lyse le cœur. Il diminue le nombre des pulsations cardiaques, et arrête le cœur en diastole, alors que l'excitabilité des nerfs, des centres nerveux et des muscles est conservée. Cet arrêt du cœur paraît dû à l'excitation bulbaire transmise par le pneumogastrique. Rabuteau ^ a vu survenir la mort d'un chien après des injections de 3 à 4 grammes de sulfate de lithium. Il a ob- servé un flux intestinal, des vomissements et des convulsions tétaniques soudaines. Ces symptômes diffèrent donc notable- ment de ceux qu'a observés M. Husemann. M. Valentin ^ plaçant des grenouilles dans les solutions de divers sels métalliques, a vu que les grenouilles meurent aussi vite dans les solutions contenant 100 grammes par litre de chlorure de lithium que dans des solutions contenant les mêmes proportions de chlorure de potassium. Le chlorure d'ammonium paraît être plus toxique, tandis que les chlo- rures des métaux alcaline-terreux amènent la mort beaucoup plus tard. 1. Traité élémentaire de chimie médicale, p. 412, l^e partie. 2. Zeitschrift filr Biologie, t. XIV, p. 320, d'après la Revue des sciences méd., t. XIII, p. 129. 404 CHARLES RICHET. Souvent les médecins ont employé le bromure de lithium, lui attribuant des effets hypnotiques supérieurs à ceux du bromure de potassium; mais je ne connais pas d'expérience physiologique faite sur ce sujet, et en général on a prescrit les divers sels de lithium sans connaître Faction physiolo- gique de ces substances. MM. RoMiER et CoRvisART ' ont injecté une solution de car- bonate de lithine dans le rectum, et ils en ont conclu que la lithine est absorbable. M. Bordier dit à ce propos que la li- thine est diurétique, et que son emploi intempestif est loin d'être inoffensif. M. Charcot ^ dit aussi que le carbonate de lithine ne doit pas être donné à des doses supérieures à 4 ou 5 grammes, sous peine de provoquer des accidents sérieux de dyspepsie. Enfin, M. Runge, dans un travail fait à un tout autre point de vue, rapporte qu'il a fait ingérer à des lapins, par l'esto- mac, 1 gramme de carbonate de lithine, et que cette dose a entraîné la mort '\ Pour le rubidium, il n'y a, ce me semble, que quatre expériences qui aient été faites. Deux sont dues à M. Gran- DrAL'\ qui constata que O.fJC) de chlorure de rubidium n'ont pas empoisonné un lapin, et qu'un gramme du même sel n'a j)as empoisonné un chien. Rabuteau" a ingéré 2o centi- grammes d'iodatc de rubidium sans éprouver aucun trouble physiologique. En outre, il a fait ingérer oO centigrammes de ce sel à un chien sans observer aucun effet. Quant au césium, il n'y a à ma connaissance aucune expé- rience qui ait été faite sur l'action physiologique de ce métal rare. 1. Cités par M. Bordier, Journal de thérapeulique, 1878, t. Y, p. 100. 2. Cité dans l'article « Lithium, » du Dirt. encyclop. des Se. in('d. :j. Avckiv fiir experimeidelle Patholof/ie, t. X, p. 341. 4. (( Expèrionces sur l'action physiologique des sels de potassium, de si)dium et de l'ubidium. >- Journal de l'anal, et de la physiol., 1867, p. ■'i78. ."i. Éléments de chimie minérale, p. 409. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 40c IV Avant d'entrer dans l'exposé de mes propres recherches, je voudrais indiquer autant que possible quelle est, d'après les expériences antérieures, la toxicité relative des métaux alcalins. Mais, pour que la comparaison soit irréprochable entre l'action physiologique de deux métaux, il faut n'envisager que les sels d'un même acide. Car, dans un sel qui contient un radical électro-nég-atif et un radical électro-positif, il peut exister des différences tenant à l'un ou à l'autre. Il est cer- tain, par exemple, qu'un oxalate sera plus toxique qu'un acé- tate, et que les effets de l'iodure de sodium ne sont pas iden- tiques à ceux du chlorure de sodium. Comme on ne peut employer ni des sels insolubles, ni des sels 011 l'acide est plus ou moins toxique, comme les azotates, les bromures, etc., il n'existe guère, en définitive, que trois sortes de sels commodes pour l'étude physiologique; les acé- tates, les chlorures, les sulfates. Mais le sulfate de potasse est peu soluble, et, si l'on veut poursuivre ces recherches pour la série des métaux alcalino-terreux, on se heurte à de nombreuses difficultés, car les sulfates de baryum, de stron- tium, etc., sont insolubles. Pour cette cause, le choix ne peut être fait qu'entre les acétates et les chlorures. J'ai préféré ces derniers sels, car ils se prêtent plus facilement à la purification et à l'analyse ; en outre, ils sont bien plus stables que les acétates, et ils n« se décomposent pas dans l'économie. J'ai pensé qu'il était utile de rapporter le poids du métal au poids de l'animal mis en expérience. En outre, comme les animaux à sang chaud et les animaux à sang froid ont des propriétés physiologiques tout à fait différentes, il sera bon de séparer complètement les expériences faites sur les gre- 406 CHARLES RICHET. nouilles et animaux à sang froid, et les expériences faites sur des animaux à sang chaud. Relativement au chlorure de potassium, les expériences de MM. RiNGER et Murrell' nous montrent que le chlorure de potassium-, à la dose de 1 gramme pour 1098^'', a paralysé complètement une grenouille en ÎÎ5 minutes, soit à la dose de 0,308 de métal par kilogramme du poids de l'animal. Ce chiffre ne représente probablement pas le minimum de la dose toxi- que, car les auteurs se sont préoccupés seulement, dans ce travail que nous citons, de lapersistance plus ou moins longue de l'irritabilité musculaire après l'empoisonnement parle po- tassium. MM. AuBERT et Deux ont fait un travail important pour déterminer la dose toxique du chlorure de potassium et de quelques autres sels du même métal. Leurs nombreuses expé- riences, faites sur des chiens, les ont conduits aux résultats suivants que nous reproduisons intégralement. SELS DE POTASSIUM. Chlorure . Sulfate. . Azotate. . Phosphate Acétate. . iPO-rE TOXUJUE DU SEL par kilogramme du poifls ài! l'animal '. De 1,3G à 1,06 — 1,30 à 1,00 — 2,18 à 1,58 — 2,70 à 2,45 — 1,60 à 1,37 I>()SE TOXIQUK I)i: MÉTAL par kilogramme du poids de l'animal. De 0,715 à 0,560 — 0,600 à 0,410 — 0,829 à 0,640 — 0.780 iï 0,702 — 0,640 ;i 0.550 1. Les chiffres indiquent îles centigrammes. 1. « Action of potash salis. » Journal uf pliijsiùlogn, t. 1, n» I, p. 84. 2. Dans mes expériences, comme on lo verra par la suite, je n'indiquerai pas la dos(^ de sel, mais seulement la dose de métal employé. Par suite des proportions différentes de métal dans chaque sel : 1 frramme de chlorure du potassium coutient. . 0,523 de métal. 1 — — • sodium — . . 0,393 — 1 — — lithium (auhydic) . . 0,161 1 — — rubidium 0,708 — 3. « Uber die Wirkun^'eu des Kaffees » {Archives de Pfïi/ger, t. IX, p. 118). TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 407 Ainsi, pour le chlorure de potassium, la dose mortelle est entre 0^'',007 et O^^OOG de métal par kilogramme du poids de l'animal. Ce chiffre paraît être assez constant, quel que soit le radical acide du sel potassique employé. Quant au chlorure de sodium, MM. Aubert et Dehn n'ont fait qu'une expérience avec cette substance, et elle ne peut servir à déterminer la dose toxique. M. Falck% en injectant dans le sang- ou en faisant absorber par l'estomac des doses considérables de sodium, a été amené à penser que ce sel est beaucoup plus toxique qu'on le sup- pose en général. Un chien, pesant 4 370 grammes, reçut 21 grammes de chlorure de sodium, et mourut. Un autre chien, pesant 10170 grammes, mourut après injection de 30 grammes du môme sel. La dose toxique a donc été, pour le second, de 1,16 de métal pour 1 kilogramme du poids du corps, et pour le premier, de 1,8. M. Falck a remarqué que les chiens ainsi intoxiqués émettent des spumosités bron- chiques sanguinolentes, et que le cœur a continué à battre, après que la respiration et les mouvements réflexes ou volon- taires ont cessé. Sur le chlorure de lithium, nous possédons des résultats moins précis encore. M. Husemann, autant que j'en puis juger par l'analyse de son ouvrage, a constaté que le chlo- rure de lithium agit, à poids égal, aussi énergiquement que le chlorure de potassium; de sorte que, comme le premier contient dans une molécule un poids moindre de métal, rela- tivement au chlore, il s'ensuit qu'à poids égal, le lithium serait à peu près quatre fois plus toxique que le potassium, et cela aussi bien chez les animaux à sang- chaud (lapin) que chez les animaux à sang- froid. M. Husemanx pense que le chlorure de lithium agit comme un poison paralysant le cœur. ■1. « EinBeùrag zur Physiologie des Chlornatriums. » {Archives de Virchow, t. LVI, p. 315.) 408 CHAULES RICHET.- Rablteal a fait une expérience avec le chlorure de lithium' sur un chien de taille au-dessous de la moN^enne-. M. Grandeau {loc. cit., p. 380), chez un chien de 10 kilo- grammes environ, a provoqué la mort par 1 gramme de chlo- rure de potassium, soit par une dose de 0,0.j22 de métal par kilogramme ; mais il est probable, quand on lit le récit de sou expérience, qu'il y a eu un arrêt du cœur de l'animal par la substance saline injectée. Chez un lapin, une dose de 0,23 de chlorure de potassium a amené la mort, tandis que, chez un chien, l'injection de 1 gramme de chlorure de sodium n'a produit aucun effet physiologique. Pour ce qui est du chlorhydrate d'ammoniaque, ou sait que cette substance, comme la plupart des sels ammoniacaux, est toxique. Injecté à la dose de o grammes, dans le sang d'un chien, le chlorhydrate d'ammoniaque paralyse le cœur -. En tout cas, la relation qu'on peut établir entre le chlor- hydrate d'ammoniaque et les autres chlorures des métaux alcalins n'a pas encore été nettement précisée. En résumé, il y a dans la science un certain nombre de faits qui permettent d'affirmer que le chlorure de sodium est moins toxique que le chlorure de potassium. Mais quant à déterminer quelle est la relation exacte de la toxicité de ces deux métaux, il semble qu'on ne saurait le faire encore. Pour ce qui est des chlorures de lithium, de rubidium et de césium, nous ne possédons jusqu'ici que des notions tout à fait insuffisantes. 1. Mém. de la Soc. de Biol., 1868, p. 24. 2. Malheureusement le poids n'est pas indiqué. On peut supposer qu'il pesait environ 6 kilogrammes. M. Rabuteau a injecté 3 grammes de chlorure de lithium fondu, c'est-à-dire 0,49 de lithium métallique ; il n'a obtenu que des vomissements et delà diarrhée, et l'animal a survécu. Cette dose répond à en- viron 0,03 par kilogramme, si le chien pesait 6 kilogrammes. 3. Rabuteau, Éléments de toxicologie, p. 293. TOXICOLOGIE DES METAUX ALCALINS. § II. — Vie des poissons dans les milieux toxiques. Je voudrais exposer d'abord les résultats des expériences que j'ai faites sur les poissons. Quoiqu'elles puissent, au point de vue de l'interprétation, donner lieu à quelques critiques, elles me paraissent cependant assez démonstratives. Pendant l'automne de 1881, j'ai profité de mon séjour au bord de la Méditerranée pour faire sur les petits poissons qui abondent dans ces parafes des expériences très simples. Elles consistent à placer un poisson dans une quantité d'eau de mer suffisante pour fournir l'oxygène nécessaire à la respiration de l'animal, et à mettre dans cette eau une quantité connue de telle ou telle matière saline. On a ainsi des solutions con- tenant 1, 2, 10 ou 100 grammes, etc., de telle ou telle suh- tance, et on peut apprécier les effets de ce milieu toxique sur la vie du poisson. Quelques expériences préparatoires ont été nécessaires. Il s'agissait, en effet, de savoir si le milieu confiné dans lequel vit le poisson devient toxique par suite de l'absence de l'oxygène et de la présence de l'acide carbonique. La solution de ce premier problème est facile. Si l'on met un poisson, dont le poids dépasse 100 grammes, dans un cristallisoir plein d'eau de mer, et dont la contenance est d'environ 3 litres d'eau, le poisson meurt en quelques heures. Mais si le poisson est de plus petite taille, — et les ani- maux sur lesquels j'expérimentais ne dépassaient jamais le poids de 40 grammes, — la survie est indéfinie. Par exem- ple, j'ai conservé vivante pendant quinze jours une girelle [Iulis vidgaris), pesant 24 grammes, dans 2 litres d'eau de mer. La forme du vase exerce assurément une influence no- table. Ainsi dans une éprouvette un poisson meurt très vite, 410 CHARLES RICHET. tandis quil vit indéfiniment dans un cristallisoir contenant la même quantité d'eau. C'est que l'oxygène de l'air, au fur et à mesure que l'oxygène dissous dans l'eau est consommé par le poisson, se redissout dans l'eau quand la surface du vase est large et suffit ainsi à la respiration du poisson. On peut donc garder en vie, pendant un temps indéfini, c'est-à-dire plus de quinze jours, des girelles et des serrans [Serramts cahrilla), ne pesant pas plus de 50 grammes, dans un cristallisoir contenant deux, trois ou quatre litres d'eau de mer. Une seule précaution est nécessaire si l'on veut obtenir des résultats quelque peu précis. (Quoiqu'il n'y ait pas, aux ré- gions oii je faisais mes expériences (Carqueiranne, près de Toulon), une très grande profondeur dans les parties de la mer voisines du rivage, cependant, en général, les poissons sont péchés à une profondeur de 20 à 50 mètres environ. Ils sont donc soumis à une pression atmosphérique de 2 à 5 atmo- sphères. Aussi leur vessie natatoire fait-elle, au moment où on les sort de l'eau, hernie à travers l'anus (pour les girelles) ou la gueule (pour les serrans). Cette dilatation extrême de la vessie natatoire, probablement aussi d'autres causes di- verses, comme la moindre tension de l'oxygène dissous, mo- difie profondément la fonction respiratoire, de sorte que tous les poissons qui ont été péchés, et qu'on a ensuite placés dans l'aquarium, ne survivent pas. Il n'y en a guère que la moitié tout au plus qui puissent résister au changement considé- rable de pression. Aussi, après chaque pêche, une fois que les poissons ont été mis dans l'aquarium, observe-t-on dès le premier jour une mortalité de 30 p. 100. Le second jour la mortalité est de 15 p. 100 environ, le troisième jour de 5 p. 100 environ, tandis qu'après le quatrième et le cinquième jour, les sur- vivants survivent définitivement et indéfiniment. Il s'ensuit que, pour faire des expériences sur la respira- tion des poissons de mer dans les milieux toxiques, il faut TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 41 i prendre les sujets qui ont séjourné déjà cinq ou six jours dans l'aquarium. Ceux-là se sont habitués à une respiration différente de la respiration à de grandes profondeurs; ils se sont accoutumés à respirer de l'oxygène dont la pression n'est que dune atmosphère. Si alors on place un de ces petits poissons dans un cris- tallisoir à large surface, contenant deux litres d'eau, l'animal vit indéfiniment. Si, au contraire, l'animal est placé dans une eau intoxiquée, il meurt au bout d'un temps variable. Il était vraisemblable que la mort serait d'autant plus ra- pide que la solution saline toxique serait plus concentrée. L'expérience a démontré qu'il en est ainsi, comme on le verra par la suite. J'ai pu par cette méthode expérimenter l'influence des milieux toxiques. J'ai étudié à ce point de vue non seulement les chlorures des métaux alcalins, mais les chlorures de beaucoup d'autres métaux; toutefois je ne donnerai ici que les expériences faites avec les chlorures alcalins '. A. — Chlorure de potassium. 1. Girelle placée à 2 h. 15 m. dans une solution contenant 1,31 de K (par Jitre). A 2 h. 23 m., sur le liane. A 2 h. 30 m., mort apparente. Conservation des réflexes. A 2 h. 40 m., mort. 2. Girelle placée à 2 h. 4.o m. dans une solution contenant 0,66 de K. A 3 heures, sur le liane. A 4 heures, mort. 3. Girelle placée cà 9 heures dans une solution conLeuanl 0,39 de K. A 1 heure, sur le flanc. A 5 heures, agitation asphyxique. . A '6 h. .oO m., mort. 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 21 octobre 1881, p. 6i9. 412 CHARLES RICHET. 4. Serran placé à 1 h. '6'6 m. dans une solution contenant 0,66 de K. A 2 h. 3o m., mort. o. Girolle placée à 9 h. 30 m. (matin) dans une solution contenant 0,26 de K. A 3 h. 30 m., vivante. Trouvée morte le lendemain matin à 8 heures. 6. Girelle placée à o heures (soir) dans une solution contenant 0,131 de K. Morte le lendemain à 3 heures. 7. Girelle placée à o heures (soir) dans une solution contenant 0,094 de K. Vivante le lendemain. Vivante le surlendemain à 6 heures du soir. 8. Girelle placée à 4 heures dans une solution contenant 0, lOo de K. Morte le lendemain à 3 heures. On peut résumer dans le tableau suivant ces huit expé- riences : Dose (le K. Durée (pai-liu-c). ,1c la vio. h. 1.1. 1,3! 0,2;i 0,66.. 0,40 0,66 1,15 0,39 8,:J0 0,26 environ Ij 0,131. 22 0,10o 23 r. nnr ( indélluie, c'est- 0,094 . . j , ,. { a-dire plus de 48 On voit combien est régulière la progression de la durée de la vie, à mesure que la dose toxique diminue. Il [allait évidemment choisir un critérium arbitraire pour déterminer la limite d'action de la substance employée. Il me paraît que, quand le poisson a vécu 48 heures dans une solu- tion, celle-ci n'est que peu toxique. J'ai admis qu'elle n'est alors pas du tout toxique ; détermination quelque peu arbi- TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 413 traire, mais donnant un élément d'appréciation invariable. Nous dirons donc qu'une solution dans laquelle un poisson peut vivre plus de quarante-huit heures n'est pas toxique. Inversement une solution dans laquelle un poisson ne peut pas vivre quarante-huit heures, nous la considérerons comme toxique. Il suit de là, si l'on applique ces déterminations arbi- traires aux expériences qui précèdent, qu'une solution conte- nant 0,105 de K par litre est toxique, tandis qu'une solution contenant 0,094 n'est pas toxique. La limite de toxicité sera donc très proche de la moyenne arithmétique de ces deux nombres, c'est-à-dire 0,0995, soit 0,1, en chiffres ronds. En pareille matière les dernières décimales ne donnent que l'illusion de l'exactitude. Ainsi, quand la proportion de potassium à Fétat de chlo- rure dépasse 0,1 par litre, il devient toxique pour les pois- sons. Cette extrême activité d'un sel si commun chez tous les êtres vivants ne laisse pas que d'être assez surprenante. Il faut toutefois faire une réserve sur la valeur du chiffre que nous venons de donner. En effet l'eau de mer contient à l'état normal une certaine quantité de potassium (proba- blement à l'état de chlorure). Cette quantité pour la mer Mé- diterranée aux environs de Marseille serait de 0,0041 (par litre), d'après une analyse de Laurem \ Ce chiffre paraît être trop faible, car la quantité de K par litre est à Cette de 0,2643, et à Venise de 0,1356, tandis que dans la mer du Nord, la Manche et l'Océan la proportion du potassium peut s'élever à 0,7 par litre. Nous devons donc, je crois, élever notablement le chiffre donné par Laurent, et porter à 0,1 par litre la quantité de potassium contenue dans un litre d'eau de mer, aux environs de Toulon. Par conséquent la dose toxique ne sera plus 0,1, comme nous l'admettions tout à l'heure, mais bien plutôt 0,2, par 1. Art. Eaux du Dict. de chimie de M. Wurtz, p. 1210. 414 CHARLES HICHET. suite de la présence dans l'eau de mer naturelle d'une quan- tité déjà considérable de chlorure de potassium. B. — Chlorure de sodium. Les premières expériences faites avec le chlorure de so- dium m'ont donné des résultats inexacts ; car le chlorure de sodium ordinaire (sel de cuisine) contient assez de chlorure de potassium pour vicier l'expérience et amener la mort trop prompte du poisson. Les expériences que je vais rapporter ici ont donc été faites seulement avec du chlorure de sodium pur. 1. Girelle placée à iili. 25 m. dans une solution contenant 15,72 de Na. Vivante le lendemain, Morte le surlendemain, à 8 heures du soir. 2. Girelle placée à 8 h. iJO m. dans une solution contenant 23,0 de Na. A 11 heures sur le liane. A 1 heure, morte. 3. Girelle placée à 8 h. 30 m. dans une solution contenant 39,3 de Na. A 9 h. 20 m., sur le flanc. A 9 h. 40 m., morte, 4. (iirelle placée à 9 heures du matin dans une solution contenant 18,00 de Na. Vivante à 5 heures du soir. Trouvée morte le lendemain matin. Ces expériences nous donnent le tableau suivant, qu'il faut comparer au tableau donné plus haut pour le potassium. Dose de Na. Durée par litre. (le la vie, h. m. 39,3. . J,dO 23,6. . 4,30 18,0. . environ 15 ). 15,7. . plus de 48 » TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 415 Par conséquent la limite de toxicité est entre 15,7 et 18, mais plus voisine de 15,7 par suite de la survie peu prolon- gée du poisson placé dans la solution à 15,7 de Na par litre. On peut donc adopter le nombre 16 comme indiquant la limite de toxicité du sodium '. Toutefois ce chiffre n'exprimerait pas la proportion exacte de sodium contenue dans le milieu oii vit le poisson ; car la quantité de sodium dissous dans l'eau de la Méditerranée est considérable (10,688 à Marseille; 11,706 à Cette; 8,779 à Venise). On peut donc admettre le chiffre rond de 10 grammes comme représentant la quantité de sodium contenue dans l'eau de mer des environs de Toulon. Ainsi se trouve élevé de 16 à 26 le chiffre de la toxicité du chlorure de sodium. Par conséquent la limite de toxicité du sodium est 26, alors que la limite de toxicité du potassium est 0,2. C. — Chlorure de lithium. A. Girelle placée dans une solution contenant 7,4 de lithium. Morte en 3 minutes. 2. Girelle placée dans une même solution. Morte en 3 minutes. 3. Girelle placée à 10 h. 30 m. dans une solution contenant 3,7 de lithium. A 10 h. oO m., sur le flanc. Trouvée morte à 2 heures. 4. Girelle placée à 10 h. 30 m. dans une solution contenant 1,85 de lithium. Trouvée morte à 2 heures. 0. Girelle placée à 3 heures dans une solution contenant 0,92 de lithium. Vivante à 6 heures. Trouvée morte le lendemain matin. \. Ce nombre est un peu différent de celui qui se trouve indiqué dans la note communiquée à l'Académie des sciences et citée plus haut. Mais il v a eu une petite erreur de calcul que je rectifie ici. 41G CHARLES UlCHET. 6. Girelle placée à 3 heures dans une solution contenant 0,4o de lithium. Vivante à 0 heures. Trouvée morte le lendemain matin. 7. Crenilabrus ocellatus placé à 3 heures dans une solution contenant 0,45 de lithium. Vivant à G heures. Trouvé mort le lendemain matin. 8. Crenilabrus ocellatus placé à 3 heures dans une solution contenant 0,27 de lithium, Vivant le lendemain à 6 heures du soir. '.). Girelle place'e à 10 heures dans une solution contenant 0,234 de lilhiiini. Morte à 2 h. 30 m. 10. Girelle placée à 10 heures dans une solution contenant 0,234 de lithium. Vivante le surlendemain. 11. Serran placé à 6 heures dans une solution contenant 0,16 de lithium. Vivant le surlendemain. (les expériences nous donnent le tableau suivant, qu'il faut comparer aux deux tableaux précédents. Dose fie Li. Durée par litre. de la vie h. m- 7,4.. . 0,3 7,4.. . 0,3 3,7.. . . moins de 3 1,85. . . moins de 3 0.92. . environ 0 0.4;;. . . environ 9 0,43. . environ 9 0,3.. . 4.30 0,27. . indéfinie 2 0,234. . H 0,234.. indéfinie 0,162. . . indéfinie Par conséquent, la limite de toxicité du lithium est placée entre 0,27 et 0.234, c'est-à-dire, en chiffres ronds, de 0,25 environ. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 417 D. — Chlorhydrate (T ammoniaque .' 1. Serran placé à 2 heures dans une solution contenant 0,18 d'ammo- nium (AzH*). Mort à 2 h. 2o m., avec des convulsions tétaniques ', 2. Serran placé à 2 heures dans une solution contenant 0,18 d'am- monium. Mort à 2 h. 15 ni., avec des convulsions tétaniques violentes. 3. Girelle placée à 2 heures dans une solution contenant 0,09 d'am- monium. Mort assez rapide. 4. Girelle placée à 4 heures dans une solution contenant 0,0336 d'ammonium. Vivante le surlendemain. Vivante deux jours après. 5. Girelle placée à 9 heures dans une solution contenant 0,03 d'am- monium. Vivante le surlendemain à 9 heures. 6. Girelle placée à 9 heures dans une solution contenant 0,067 d'am- monium. Morte à 6 heures. 7. Girelle placée à 9 heures dans une solution contenant 0,00 d'am- monium. Vivante le surlendemain. Le tableau suivant résume ces faits. Doso d'Azî ' Durée par litre. de la vie. h. m. 0,67. . 0,25 0,18. . 0,lo 0,09. . '/ 0,067 . 9 0,06.. indéfinie 0,05. . — . 0,034 . — 1. Il est à remarquer que les sels ammoniacaux placés dans les milieux où TOME ir. 27 418 CHARLES lUCHET. La limite de toxicité est donc entre 0,007 et 0,06, c'est-à- dire de 0,064. Ainsi, en prenant la limite de toxicité des quatre métaux alcalins : lithium, ammonium, sodium, potassium, nous pou- vons établir la progression suivante : POIDS A 1 Cl M I CJU i; MÉTAL LIMITE Il F, T 11 \ I (■ 1 T r 23 Sodium 2G,0 1 Lithium 0,25 39 Potassium 0,20 18 Ammonium 0,064 Il est vrai que l'on ne peut guère que par une hypotlièse comparer l'ammonium à un corps simple. Mais les analogies dans la constitution des sels ammoniacaux et des sels alcalins sont telles qu'elles permettent d'établir cette assimilation. D'ailleurs, même en faisant abstraction du chlorhydrate d'ammoniaque, il n'en reste pas moins ceci, c'est que le so- dium, dont le poids atomique est trois fois plus fort que le lithium, est cent fois plus toxique, et que le potassium, dont le poids atomique est cinq fois plus fort que celui du lithium, n'est guère plus toxique que ce métal de - seulement). Si l'on représente par 1000 la quantité de sodium nécessaire pour être toxique, celle du lithium sera représentée par 10, celle du potassium par 8, celle de l'ammonium par 2. Il n'y a donc pas de relation absolue entre la toxicité de ces métaux et leur poids atomique. Toutefois, on peut faire à ces expériences une objection respireut les poissons détermiuent do violentes convulsions. Aucun autre sel métallique ne provoque de i)areils phénomèues. Chez les mammifères les sels ammoniacaux sont aussi tétanisants. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 419 fondamentale^ qui porte, non sur les faits eux-mêmes, incon- testables comme le sont toujours les faits, mais sur l'interpré- tation qu'on en doit donner. Cette objection peut se formuler ainsi (et Vulpian me l'avait très nettement indiquée en présentant ma communica- tion à Tx-Vcadémie des sciences). « Rien ne nous affirme que les sels métalliques différents sont également absorbés et qu'ils n'agissent pas différemment sur l'épithélium des branchies. » Ainsi, la cyclamine, d'après les expériences de Vulpian, fait rapidement périr des poissons qu'on place dans une solu- tion de cette substance, et néanmoins elle est par elle-même peu toxique. Elle gonfle l'épithélium des branchies, et le poisson meurt asphyxié mécaniquement, mais non empoi- sonné par une substance toxique. Il est certain que je ne puis pas donner la preuve formelle que le chlorure de potassium, le chlorure de sodium, le chlo- rure de lithium, etc., sont également absorbés par les bran- chies. Toutefois, il s'agit là de substances qui ont, au point de vue chimique, comme au point de vue physique, de très grandes analogies, qui sont à la fois très stables et très solubles, et que ces conditions permettent de supposer (c'est une vraisemblance, mais une très grande vraisemblance) que leur pouvoir endosmotique à travers l'épithélium branchial est assez analogue, ou du moins que la différence est moindre que le rapport de 1000 à 10, à 8, à 2.- En outre, — et c'est là une observation qui me paraît fon- damentale dans la discussion de ces expériences, — même si l'on admet une action directe sur l'épithélium branchial, celte action directe peut être tout à fait assimilée à une action toxique. Les poisons, quand ils sont introduits dans le sang, vont porter leur action sur tel ou tel tissu ; les uns, comme le chloroforme ou le chloral, sur les centres nerveux ; les autres, comme l'atropine, sur les plaques terminales du cœur; d'autres, comme le curare, sur les plaques terminales des 420 CHARLES RICHET. muscles ; d'autres encore, comme l'oxyde de carbone, sur les globules rouges du sang-. Ce sont là actions chimiques exercées par le poison, selon son affinité, sur telle ou telle partie de l'organisme. Le chlorure de potassium, s'il altère l'épithélium de la brauchie, est un poison de la branchie, de même que l'oxyde de carbone est un poison du globule san- guin. Il s'ensuit que, si l'on ne veut pas admettre que ces substances salines diffusent également dans le sang, mais bien quelles agissent localement sur les branchies des pois- sons, on n'en observe pas moins une hiérarchie toxique véri- table. Dans ce cas la toxicité s'exerce non sur l'organisme tout entier, mais sur une partie de cet organisme, c'est-à-dire sur les branchies. On peut donc, et j'y souscris très volontiers, dire que ce que j'ai appelé une différence de toxicité n'est peut-être qu'une différence d'action sur les branchies. Mais la branchie n'est-elle pas un tissu vivant? et l'action chimique d'un corps saturé, non décomposé et non décomposable, n'est-elle pas tout à fait identique à une action toxique? M. Blake, rappelant une expérience de Cl. Bernard, a fait remarquer que le tannin, quoiqu'il soit en lui-même peu toxique, quand il est placé dans de l'eau où l'on a mis des poissons, détermine en peu de temps la mort de ces animaux, que, par conséquent, des substances peu toxiques comme le tannin peuvent entraîner rapidement la mort des poissons. Mais cette objection ne me paraît pas très fondée. En effet, le tannin est un acide, et sans doute il agit alors, non pas comme tannin, mais comme acide. L'acide sulfurique, après qu'il a été combiné à la soude, forme du sulfate de soude, qui, en injection infra-veineuse, est tout à fait inolTcnsif. Mais, si l'on a injecté dans le sang- de l'acide sulfurique libre, on provoque même avec de faibles doses des accidents très graves. De même, le chlore, le brome, etc., quand ils sont sa- turés par un méfal (comme le sodium) sont inaffensifs, tandis qu'ils sont mortels même à petite dose quand ils sont à l'état TOXICOLOGIE DES METAUX ALCALINS. 421 libre, car leurs affinilés chimiques énergiques font qu'ils se combinent avec les substances chimiques constituantes de nos tissus. Or, les quatre chlorures avec lesquels j'ai expérimenté sont absolument neutres : ils sont de plus extrêmement stables. On peut affirmer qu'ils ne se décomposent pas dans l'orga- nisme*, etque, s'ils formentdes combinaisons avecles éléments qni constituent nos tissus, ces combinaisons sont passagères, dissociables, et tout à fait analogues par leur facile dissocia- tion à celles que peuvent former dans l'organisme les poisons comme les alcaloïdes, par exemple, ou l'oxyde de carbone, ou le chloroforme. Cette distinction entre les substances chimiques non satu- rées (comme le chlore libre) ou saturées (comme le chlorure de sodium) est quelque peu arbitraire. Car il est vraisem- blable que le chlorure de sodium peut entrer dans des com- binaisons avec les substances organiques. Mais ces combi- naisons sont passagères, et non définitives. Aussi la différence est-elle considérable entre les substances corrosives, caus- tiques, qui se fixent sur les éléments chimiques des tissus, et les substances non corrosives ni caustiques, qui traver- sent l'économie en s'unissant par des combinaisons instables avec les éléments des tissus. Quoi qu'il en soit, que l'on admette une action locale sur les branchies, ou une action générale sur l'organisme, il n'en reste pas moins établi que le sodium, le lithium, le potassium, et l'ammonium agissent suivant une hiérarchie différente de leur hiérarchie atomique. Les expériences qui établissent ce fait sont confirmées par trois autres séries de recherches que je vais maintenant exposer. 1. Peul-étre faut-il en excepter le chlorhydrate d'ammoniaque. 422 CHARLES RICHET. § III. — Expériences sur le cœur de la grenouille. Puisque l'on peut dans une certaine mesure identifier l'ac- tion locale d'une substance à une action toxique générale, il m'a paru utile d'étudier l'action locale des divers sels métal- liques sur le cœur de la grenouille. Cet organe, par sa spontanéité dans le mouvement, offre en effet un objet d'étude extrêmement commode. La cessation du mouvement indique qu'il a été intoxiqué : la continuation du mouvement indique que sa vitalité n'a pas été atteinte. Il est certain qu'on ne peut assimiler absolument ces deux phénomènes : dune part l'arrêt du cœur survenant à la suite d'un contact direct avec la substance toxique, et, d'autre part, l'arrêt du cœur consécutif à l'injection sous-cutanée de la même substance, quand l'injection est faite loin du cœur. Ce- pendant, si les expériences avec des solutions salines mises au contact du cœur sont toujours instituées d'après une mé- thode identique, il s'ensuit qu'on en peut déduire des conclu- sions très précises, et qu'on a toute une série d'expériences comparables. Voici comment j'ai procédé. Le cœur d'une grenouille étant mis à nu, je fais tomber sur le ventricule quatre gouttes d'une solution d'un chlorure métallique. Si le cœur, au bout d'un quart d'heure, a continué à se contracter, je recommence la môme opération. Si, au bout d'un quart d'heure encore, à 12 h. 'JO m., je suppose, le cœur continue à battre, je remets de nouveau 4 gouttes de la même solution; et, à 12 h. 45 m., encore 4 gouttes. A 1 heure, c'est-à-dire une heure après le début de l'expé- rience, je lave le cœur avec quelques gouttes d'eau froide, de manière à enlever complètement toutes traces de substance toxique : et j'attends encore une heure pour conclure relati- vement à l'action du sel métallique. C'est là le critérium arbitraire que j'ai adopté. Si, dans les TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 423 conditions que je viens d'indiquer, c'est-à-dire deux heures après le début de l'expérience, le cœur ne donne plus de battements spontanés, j'en conclus que la solution métallique n'est pas toxique. On peut ainsi arriver à comparer la toxicité des divers chlorures métalliques. Je suppose qu'une solution contenant un poids A de métal arrête le cœur. L'expérience est tentée A une seconde fois avec un poids -7-?: de métal. Si le cœur ne s'arrête pas, je refais une troisième expérience avec un A poids — . Si le cœur s'arrête, une autre expérience est faite 5 A avec un poids — par exemple, qui, je suppose, arrête le cœur. Le poids toxique du métal sera donc intermédiaire entre ^r- A A et -rr, soit -^, A représentant la quantité de métal contenu à l'état de chlorure dans un litre d'eau. Assurément ces expériences n'indiquent rien d'absolu sur l'action des sels. Si l'on changeait les conditions expérimen- tales (dix gouttes au lieu de quatre, par exemple, ou bien injections toutes les cinq minutes, etc.), on obtiendrait des résultats tout différents. Mais ce qui ne donne rien d'absolu peut cependant permettre des comparaisons utiles, et c'est ainsi que je puis comparer l'action des chlorures des prin- cipaux métaux alcalins sur la fibre musculaire cardiaque. A. — Expériences avec le chlorure de sodium. 1° l heure, 4 gouttes d'une solution contenant 39,3 de sodium. A 1 h. lo m., 4 gouttes. Le cœur bat très bien. A 1 h. 30 m., 4 gouttes. A 1 11. 45 m., 4 gouttes. Le cœur continue à battre très bien. A 2 heures, le cœur est lavé dans de l'eau froide, il bat très bien. A 3 heures, le cœ.ur bat très régulièrement. 424 CHARLES RIGHET. 2° Même expérience avec une solution contenant 78,6 de sodium. Le cœur bat très bien à 3 heures. 3° Même expérience avec une solution contenant 78, G de sodium. Le cœur bat très bien à 3 heures. 4° Même expérience avec une solution contenant 78,6 de sodium. Le cœur bat très bien à 3 heures. 5° Même expérience avec une solution saturée de chlorure de sodium (c'est-à-dire contenant 104 grammes de métal). A 1 h. 4.) m., le conir s'arrête, mais, après qu'il a été lavé à l'eau froide, il reprend ses battements. Par conséquent, une solution saturée de chlorure de sodium n'arrête pas déQnitivement la contractilité spontanée du cœur. B. — Expériences avec le chlorure de lithium. 1" A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 13, Sri de lithium par litre. A 1 h. to m., 4 gouttes de la même solution. A \ h. 30 m., 4 gouttes de la mémo solution. Le cœur bat faiblement. A 2 heures, le cœur bat encore : il est lavé dans de l'eau froide. A 3 heures, le cœur bat bien. 2° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 26,7 de lithium par litre. Le cœur s'arrête immédiatement. Quelques instants après, il reprend ses battements. A 1 h. i.'j m., 4 gouttes. Le cœur est irrégulier. A 1 h, 30 m., 4 gouttes. A 1 h. 4o m., 4 gouttes. A 2 heures. Le cœur est lavé dans de l'eau froide. Les battements sont très lents. Le cœur est tout à fait diastolique, et son extrême dila- tation n'est interrompue que par de rares contractions, A 3 heures, le cœur bat, quoique toujours avec lenteur. 3" Même expérience avec la même solution. Le cœur bat encore à 3 heures. 4" Même expérience avec la solution. Le cœur ne bat plus à 3 heures. TOXICOLOGIE DES METAUX ALCALINS. 425 0° Même expérience avec une solution contenant 20 grammes de lithium par litre. A 1 heure, à 1 h. lil m., à 1 h. 30 m., à 1 h. 40 m., chaque fois 4 »outtes. A 1 h. 53 m., le cœur bat très lentement, alors qu'au début de l'expé- rience, les battements étaient très rapjides. A 2 heures, le cœur est lavé dans de l'eau froide . A 3 heures il bat, quoique avec lenteur. 6° Même expérience avec une solution contenant 13, 3o de lithium. Al h. 15 m., le cœur bat rapidement. A 3 heures il bat bien, quoique avec lenteur. 70 Même expérience avec une solution contenant 26,7 de lithium. A 3 heures, le cœur bat, mais lentement. 8° Même expérience avec une solution contenant 26,7 de lithium. A 2 heures, le cœur est arrêté. Remis dans de l'eau froide, il ne bat plus à 3 heures. Il résulte de ces expériences que, quand la quantité de lithium a atteint 27 grammes par litre, tantôt le cœur s'arrête, tantôt il continue à battre. Cette différence tient sans doute à ce que, dans des expériences de cette nature, une précision rigoureuse ne peut guère être obtenue. Quand donc on arrive à la limite de la toxicité, les résultats portent, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Toutes les fois qu'il en est ainsi, c'est qu'on est arrivé au chiffre limite. Cette limite qui était de 104 pour le sodium, peut donc être évaluée à 27 pour le lithium. C — Expériences avec le chloruré de potassium . 1° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant o2 grammes par litre de potassium. Le cœur s'arrête immédiatement et définitivement. 2° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 104 grammes de potassium. Même elfe t. 426 CHARLES RICHET. 30 A i lieiue, 4 gouttes d'une solution contenant 26 grammes de potassium. Immédiatement arrêt du cœur, puis les battements l'eparaissent. A 1 h. 15 m., 4 gouttes. A 1 h. 30 m., 4 gouttes. A 1 h. 45 m., 4 gouttes. Il n'y a plus que de très faibles contractions fibrillaires. L'arrêt est en complète diastole. Le cœur est très noir. (Au contraire avec le chlorure de sodium et le chlorure de lithium, le cœur est rouge vermeil.) A 3 heures, le cœur ne bat plus. 4" A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant Io,6 de potassium. A 2 heures, le cœur bat irrégulièrement, mais avec force ; il est noir et diastolique. A 3 heures, le cœur bat bien, quoique avec lenteur. 5" A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 20,8 de potassium. A 1 h. 15 m., 1 h. 30 m., 1 h. 45 m., 4 gouttes chaque fois. A 2 heures le cœur est remis à l'eau : à 3 heures il bat, mais failjle- ment et irrégulièrement. 6° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 23,4 de potassium. A i h. lo m., 4 goutles. A 1 h. 30 m., 4 gouttes. Le cœur est très irrégulier et très lent. A 1 h. 45 m., 4 gouttes. Le cœur ne donne plus que de rares et faibles contractions. A 2 heures, le cœur est lavé dans de l'eau froide, il bat assez bien quand on l'excite, mais spontanément ne se contracte plus. A 3 heures, la contractilité spontanée est revenue, mais elle est faible. Il résulte de ces six expériences qu'à la dose de 23,4, il nV a pas arrêt du cœur, tandis qu'à la dose de 26 il y a arrêt. La limite paraît donc pour le potassium être d'environ 25 grammes par litre. D. — Expériences avec le chlorure de rubidium. 1° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 105 grammes de ru- bidium. Le cœur s'arrête, puis ses battements reprennent. Quelques instants après il se contracte bien, mais il a la môme apparence noire que lors- qu'on a expérimenté avec le chlorure de potassium. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 427 A 1 h. 10 m., les contractions sont devenues très faibles. A 1 h. 15 m., 4 gouttes de la même solution. A 1 h. 20 m., le cœur est complètement arrêté en diastole. L'arrêt est définitif. 2° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 70 grammes de rubidium. Le cœur s'arrête, puis reprend. A 1 h. 10 m., les battements sont faibles; le cœur est noir et dias- tolique. A 1 h. 15 m., à 1 h. 30 m., quatre gouttes. Le cœur s'arrête définitivement. 3° A 1 heure, 4 gouttes d'une] solution contenant 56 grammes de rubidium . A 1 h. 10 m., le cœur est noir et bat faiblement. A 1 h. 15 m., à 1 h. 30 m., 4 gouttes. Le cœur s'arrête définitivement en diastole à 1 h. 55 m. 4° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 56 grammes de rubidium . A 1 h. 5 m., arythmie. Le cœur est noir, et il se vide mal. A i h. 15 m., 4 gouttes. A 1 h. 30 m., 4 gouttes. Le cœur est faible et très diastolique. Ses battements sont rares et irréguliers. A 1 h. 40 m., arrêt définitif. 5° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 43 grammes de rubidium. Le cœur est noir et bat avec rapidité. A l h. 15 m., à 1 h. 30 m., à 1 h. 45 m., 4 gouttes. A 1 h. 45 m., cesse de battre. Ne revit plus. 6° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 43 grammes de rubidium. A 1 h. 15 m., à 1 h. 30 m., à 1 h. 45 m., 4 gouttes. A 2 heures, le cœur bat faiblement. Lavé dans de l'eau froide, il reprend de la force, et il bat assez bien à 3 heures. Ainsi lalimite parait être pour le rubidium de 43 grammes, puisque à cette dose tantôt le cœur a cessé de battre, tantôt il a continué ses battements. 428 CHAULES RICHE T. E. — Expériences avec le chlorure de césium. 1" Al heure, 4goiattesd'une solution conteiiaut 80 grammes de césium. A 1 h. .") m., le cœur bat bien, mais avec une grande rapidité. A 1 h. 1.) m., à 1 h. .30 m., à i h. 45 m., chaque fois quatre gouttes. Le cœur est faible, mais bat bien, avec une systole très prolongée et très lente. A 2 heures, le cœur bat faiblement : il est lavé dans de l'eau froide. A 3 heures, il bat avec plus de force, mais il est noir et diastolique. 2° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant ICO grammes de césium. A 1 h. 10 m . le cœur bat bien. A 1 h. \'.\ m., à 1 h. 30 m., 4 gouttes. A 1 h. 35 m., le cœur s'arrête définitivement. 3° A lheure,4gouttesd'unesolution contenant 120 grammes de césium. A 1 h. lo m., 4 gouttes. A 1 h. 20 m., le cœur s'arrête définitivement. Ces trois expériences suffisent peut-être à faire admettre pour le chlorure de césium une limite de toxicité voisine de 100 grammes de métal par litre, puisque à la dose deSOlecœur n'est pas arrêté et qu'il est arrêté à la dose de 100 grammes. F. — Expériences avec le chlorJiyclrat.e d'ammoniafpie. 1° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 40 grammes d'ammo- nium (AzH^). Le cœur s'arrête, puis ses battements reprennent. A 1 h. lî) m., il bat assez bien, 4 gouttes. A 1 h. 2.'» m., arrêt définitif en diastole. 2" A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant IG grammes d'am- monium. A 1 h. \)i m., à 1 h. 30 m., à 1 h. 4o m., chaque fois 4 gouttes. A 1 h. 2.^ m., le cœur est très arythmique et bat avec force. A 2 heures, le cœur bat encore. A 3 heures, id. A ce moment l'animal est en complète résolution; mais le cœur con- tinue ses battements'. \. Avec le chlorure de magnésium ou obtient des effets identiques. Le cœur jit'est pas empoisonné, et cependant la substance toxique absorbée par le cœur a passé dans la circulation et produit une intoxication générale. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 429 3° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 27 grammes d'am- monium. A 1 h. 15 ni., à 1 h. 30 m., à 1 h. 45 m., chaque fois 4 gouttes. A 1 h. 35 m., le cœur est très diastolique. Arrêt définitif. 4° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 19 grammes d'am- monium. A 1 h. 15 m., à 1 h. 30 m., à 1 h. 45 m., chaque fois 4 gouttes. Les hattements du cœur sont assez forts, mais très irréguliers. A 3 heures, le cœur bat encore. 0° A 1 heure, 4 gouttes d'une solution contenant 23 grammes d'am- monium. A 1 h. 15 m., à 1 h. 30 m., à 1 h. 45 m., chaque fois 4 gouttes. L'animal est pris de convulsions tétaniques générales. Le cœur bat, quoique faiblement. État très diastolique. Remis dans de l'eau froide, il bat un peu à 3 heures. 6° A I heure, 4 gouttes d'une solution contenant 40 grammes d'am- monium. Le cœur cesse de battre à 1 h. 30 m. Diastole. Ainsi pour l'ammonium la limite toxique parait être entre 23 grammes et 27 grammes, soit de 25 grammes. Réunissons dans un tableau d'ensemble ces résultats : on pourra ainsi juger que la précision est plus grande qu'on ne l'aurait d'abord supposé. MÉTAUX MORT AVEC DES DOSES DE 2 SURVIE AVEC DES DOSES DE Sodium. . . . » >' » •' 120 43 104 104 78 7S 7S 39 Césium. . . . •' 160 109 SO » " " Rubidium. . . iu:i 70 * ."36 43 43 " 20 » Lithium. . . . >' 27 27 27 27 27 27 20 13 13 » Potassium. . . » » 104 40 26 27 26 26 23 21 16 Ammonium.. . » » 40 25 2 3 19 36 " '- " 430 CHARLES RICHET. Si nous comparons ces doses toxiques limites au poids atomique de ces divers métaux, nous pouvons constater que la loi de Rabuteau n'est pas applicable. En effet, si nous classons les métaux d'après leur poids atomique, nous au- rons : Lithium . . 7 Ammonium . 18 Sodium. . . 23 Potassium.. 39 liubidium. . 83 Césium. . . 133 Ainsi le césium, dont le poids atomique est près de vingt fois celui du lithium, est quatre fois moins toxique. Le lithium est plus toxique que le sodium et que le rubidium, etc. On nous permettra de faire remarquer que l'ordre de toxi- cité pour le cœur de la grenouille est le même que dans les expériences précédentes sur les poissons. Dans l'une et l'autre série, on voit que le sodium est presque inoffensif, que le lithium et le potassium ont une toxicité à peu près identique, et enfin que l'ammonium est le plus dangereux des métaux alcalins. v; IV. — Action des métaux alcalins sur la fermentation lactique. Pour donner à l'étude toxicologique de ces sels la plus grande généralité possible, j'ai voulu expérimenter, non plus sur des êtres supérieurs très complexes, mais sur des orga- nismes inférieurs, à savoir sur les végétaux microscopiques qui constituent les ferments figurés. J'ai choisi à cet effet le ferment lactique. Pour faire ces expériences il suffit de faire fermenter du lait, en ajoutant au lait des quantités variables de l'un ou l'autre des chlorures alcalins. Si j ai été amené à prendre comme sujet d'étude la fermen- TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 431 tation lactique, c'est que cette action chimique offre à Texa- men du physiologiste deux grands avantag'es : 1° Elle se fait régulièrement, sans qu'il soit absolument nécessaire de purifier par des cultures successives ou d'en- semencer le liquide qu'on examine; 2° Le dosage de l'activité du ferment est très simple; puis- qu'il consiste en un simple titrage acidimétrique. On peut supposer que, plus l'acide lactique a été formé en grande quantité, plus l'activité du ferment a été grande ^ Nous avons donc un moyen simple pour apprécier l'action de tel ou tel milieu, de tel ou tel agent, sur la vitalité du fer- ment lactique : c'est de doser la quantité d'acide qui a été formée, comparativement aune certaine quantité de lait non altéré pris comme témoin. A la vérité, en agissant ainsi, nous supposons résolues ces deux hypothèses : 1° que la transformation du sucre de lait en acide lactique est due à un ferment organisé; 2" que cette tranformation chimique est d'autant plus active que l'activité physiologique du ferment a été plus grande. Mais ces deux hypothèses sont tellement vraisemblables que nous croyons pouvoir les accepter comme point de départ de nos recherches. Cela posé, voici comment j'ai procédé. Il s'agissait de prendre une méthode de dosage applicable à un liquide orga- nique à acides faibles. La teinture de tournesol ne donne que des résultats médiocres. Aussi ai-je voulu employer une mé- thode différente. La phtaléine du phénol en dissolution dans l'alcool fournit d'excellentes indications. Elle se colore en rouge vif dès que la liqueur est alcaline, et on peut facilement saisir le passage de la neutralité (ou de l'acidité) à l'alcalinité 1. .J'avais déjà antérieurement fait d'autres reclierciies sur la fermentation lactique. « De la fermentation lactique du sucre de lait. » Comptes rendus de fAcad. des sciences, 23 février 1818, t. LXXXV, p. ooO. — » De quelques condi- tions de la fermentation lactique. » Ihld, 7 avril 1879, t. LXXXVIII, p. 730. — " De l'électrisation des ferments. » Revue scientifique, l^^ semestre, 1881, p. 603. 432 CHARLES RICHET. par le fait de la coloration rose que prend alors immédiate- ment le lait mélangé à la phtaléine du phénol. Pour indiquer à quel point ce procédé est sensible, il me suffira de dire que, si l'on doselacidité de 50' ' de lait froid, on trouve un chiffre un peu plus fort que si l'on dose l'acidité de oO"" du même lait, porté pendant dix minutes à 60", ce qui tient au départ d'une certaine quantité d'acide carbonique par le fait de l'élévation de la température. Si l'on prend du lait, et qu'on l'expose pendant vingt-quatre heures à la température de 3o« dans un matras scellé, il fer- mente et acquiert une acidité que l'on peut facilement appré- cier par un simple dosage. Dans le cas où l'on a préparé plu- sieurs malras scellés contenant des quantités égales de lait de la même provenance, on trouve des nombres rigoureusement égaux pour exprimer l'acidité des différentes liqueurs'. Cependant les expériences ne seront tout à fait compa- rables que dans les conditions suivantes : 1" Le lait doit être de la même provenance; 2° Les matras doivent avoir une forme analogue; 3" Ils doivent être placés dans la même étuve, et pendant le même temps. Les expériences dont je vais donner le résumé ont été faites dans des conditions diverses de durée, de tempéra- ture, etc. Aussi ne peut-on pas les identifier les unes aux 1. Les dosages ont été faits avec une li(iueur alcaline contenant 8 grammes d'AzH* par litre. Dans deux expériences de contrôle, j'ai trouvé,, après vingt- quatre heures de fermentation (pour 4U« de lait) : l'' Expérience : matras A — 6«,7 de la liqueur ainmouiacale. — matras B — 6'^'',!i — — matras G — 6«,7 — 2' Expérience : matras A — 9«,8 — — matras B — 9«,6 — — matras C — 9". 7 — On voit que la précision de ces expériences est aussi satisfaisante que l'on peut le désirer. Dans des laits de même provenance, soumis aux mêmes condi- tions extérieures, la fermentation se fait absolument de la même manière. Mais, comme on le verra dans un autre mémoire, j'ai pu éliminer certaines causes d'erreur en employant le même ferment avec lequel j'ensemençai» le même lait préalablement stérilisé. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 433 autres. Mais, dans les séries que je présente réunies sous les rubriques Expériences I, Exp. II, etc., la comparaison peut être rigoureusement établie, car les conditions d'expérience sont toujours restées les mêmes : le lait était de la même provenance, et les différentes liqueurs ont été soumises à la fermentation, simultanément, et dans des conditions iden- tiques de durée et de température. Dans les huitpremières expériences la durée de lafermenta- tionn'apas excédé quarante-huit heures. Dans la dernière série, la fermentation du lait a été prolongée huit jours. On verra que les résultats en sont quelque peu différents. J'aurais désiré faire avec les chlorures de rubidium et d'am- monium les mêmes expériences. Mais le chlorure de rubidium est trop rare pour qu'on puisse en employer les grandes quan- tités nécessaires, et le chlorhydrate d'ammoniaque agit, en la décolorant, surla phtaléineduphénol. J'ai donc dû me restrein- dre aux trois chlorures de lithium, de sodium et de potassium. Soit la quantité d'acide formée dans les tubes témoins = 100' : les quantités d'acide formées dans les tubes en expé- rience ont été les suivantes : (Les sels de potassium, de s odium, et de lithium, ajoutés au lait qui fermente, étaient des chlo- rures parfaitement neutres. La quantité indiquée se rapporte, non au poids de chlorure, mais au poids de métal combiné.) 1. Il faut, avant de le mettre dans les matras, doser l'acidité du lait qu'on va faire fermenter. Le lait qu'on peut se procurer à Paris est toujours très acide. Cette acidité répond à environ à 10^,5 ou 2 gr. d'acide lactique par litre. On doit soustraire cette quantité d'acide préalable de la quantité d'acide qu'on trouve après la fermentation. On ne peut vérifier la réaction du lait ni par la teinture de tournesol, ni par le papier de tournesol. Si l'on n'a pas la phtaléine à sa disposition, il faut opérer de la manière suivante. On ajoute au lait de l'alcool pur; on précipite ainsi la caséine : on filtre ; le liquide filtré et évaporé, de maaière que la totalité de l'alcool ait disparu, peut alors être examiné au tournesol. Cette acidité du lait n'a d'ailleurs rien qui doive surprendre, puisque la fer- mentation lactique commence même à assez basse température, dès que le lait est sorti de la glande mammaire ; il y a, en effet, dans les laiteries, dans les établesjdans les vases oii se recueille le lait, dans toute l'atmosphère ambiante, une telle diffusion des germes, que le lait est toujours ensemencé de ferment lactique. Je n'ai jamais constaté une seule exception à cette règle. TOME II. gÇ CHARLES RICHET. Na Mi::i'AI, ACIDE K. MÉTAL ACIDE Li MÉTAL ACIDE ,.a.-m:'ei. lactifiue formée par litre 1 . lactic|ue loririé - par litre 1. lactirme formé». 1'^'= Expérience. !) f)5 11 112 1,6 9."; l(i SU 3i 57 3,2 86, 21 44 iO o3 4,3 35 23 41 44 34 .0,2 11 2:; 26 49 26 » " 2" Expérience. .) » » ,, 0,8 84 !> 120 11 127 1,6 9o ]2 107 20 113 1,9 110 14 104 30 107 2,4 HO 16 99 32 lOG 2,0 107 18 76 34 100 2,7 110 2it 63 4o 80 3 98 2(> 3U " '> 4 36 36 Expérience. 2 87 1 Uo 0,5 80 4 119 2 112 1 100 12 99 3 102 2 88 If) 29 ), ., 3,2 20 2G 19 G 9 9t 101 3,8 15 >' ). 14 124 » ., >. » 17 110 „ » » » 26 80 ,, „ » n 3:i 20 » » 4<' Expérience. 0/1 81 • 6 104 „ 1,6 101 14 98 » >, 2,1 112 26 .').') „ „ 2 •"> 113 >. » „ G S 98 97 » » : lit 69 » „ >, IG 4i » „ „ 21 22 » >, „ 2G 3 » » » 5« Expérience. 3 107 4 129 » „ C i:;i S 148 ,, » 11 100 16 99 ■' » 1 I. Les poids sont indiqués en grammes par litre de li juidc. ' 2. Les cil fifres ue représ entent qu'un ri ipport. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 433 Na MÉTAL ACIDE K. MÉTAL ACIDE Li MÉTAL ACIDE par litre. lactLque formih par liti'e. lactkiue formé. par litre. lactique formé. 6'^ Expérience. 6 95 8 94 » » 28 22 40 54 » » 56 » 80 13 » » » >' 150 » » » 7^ Expérience. 9 91 11 111 1,6 83 16 73 34 50 3,2 68 21 40 47 35 ô,'t 13 23 40 » >' » '> 8" Expérience. 0,8 131 » 0,8 114 1,6 117 » » » 2,i 103 2 138 » » 3 112 » )i ). 5 117 » 4,8 65 6 115 6 119 » » 8 107 » 8 9 10 131 « » « 12 117 » » » 14 128 » » » 17 112 » » » 18 - 70 » » » ':'.2 87 20 123 » „ 25 70 » ). 28 79 " >. » 32 40 » » 38 19 » » » 45 15 » » ), 48 12 52 65 >. » 64 8 » 62 84 26 15 » » » 104 9 » >' 9'= Expérience ^ 3 91 4 84 1,4 83 8 84 10 82 2,1 50 13 69 » ., 2,7 6 16 39 >, » 4,2 4 19 43 » ), 5,2 1 23 12 21 32 7,2 3 29 6 » » 9 3 32 6 42 45 11 1 78 4 52 16 » » » » 62 72 108 4 6 4 .. '- 1. Après une fermentation de 8 jours. 436 CHARLES RICHET. Pour bien faire comprendre la signification de ces longues colonnes de chiffres, il serait nécessaire de construire la courbe graphique que peuvent fournir ces différentes séries d'expériences. Cette courbe serait ainsi construite : L'ordonnée horizontale servira à exposer la quantité de métal contenu. L'ordonnée verticale servira à indiquer l'aci- dité. Ainsi je suppose que l'on ait constaté avec un lait mé- langé à du sel contenant 4^' de sodium une acidité de 9.^. On fera un petit trait sur la colonne horizontale répondant au chiffre 93 et sur la colonne verticale répondant au chiffre 4. En réunissant les divers traits obtenus ainsi pour des acidités diverses, on aura la courbe totale de l'influence des sels mé- talliques sur la fermentation du lait. Si l'on a ainsi dressé ces tableaux graphiques, on trouve pour les trois chlorures métalliques trois courbes qui ont à peu près la même forme, mais dont la chute est inégalement rapide. Avec le lithium la courbe descend très vite; elle des- cend avec une très grande lenteur pour le potassium. Si l'on prend une mesure arbitraire, comme, par exemple, le moment où la quantité d'acide lactique formé dans les tubes salés est égale à la moitié de Tacide lactique formé dans les tubes témoins, on aura ainsi un critérium simple pour apprécier l'influence de la quantité de sel sur l'activité phy- siologique du ferment. Ainsi, dans les expériences dont il s'agit, l'intersection de la ligne 50 et des courbes donnera précisément, en quantité de métal, la valeur répondant à une quantité d'acide lactique égale à TiO, c'est-à-dire à la moitié de la quantité normale. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 437 POIDS DE MÉTAL QUI DIMINUENT DE MOITIÉ l'activité de la FERMENTATION EXPÉRIENCES. Ka. K. Li. I 20 22 17,4 15 20 20 41 plus de 45 30,5 27 42 34 4 3,8 2,6 » 4 11 III IV V VI Dans toutes ces expériences, il s'est trouvé que le métal le plus actif, celui qui entrave la fermentation lactique à plus petite dose, c'est le lithium, puisque, à la dose de 4 grammes, de 3^', 8, de S^^G par litre, il a diminué de moitié l'activité de cette fermentation. Dans toutes ces expériences, le sodium a été plus actif que le potassium, puisque, pour diminuer de moitié l'activité de la fermentation, il a fallu presque toujours un poids de po- tassium à peu près double du poids de sodium. Nous avons ainsi une hiérarchie précisément inverse de la hiérarchie atomique. Le lithium est plus toxique que le sodium. Le sodium est plus toxique que le potassium. Si le poids de lithium nécessaire pour diminuer de moitié l'activité de la fermentation lactique est de 4 grammes, le poids de sodium nécessaire sera de 20 grammes; le poids de potassium nécessaire sera de 40 grammes. Ainsi, le sodium est deux fois plus actif que le potassium, et cinq fois moins actif que le lithium. C'est absolument le contraire de ce que l'on aurait constaté, si la loi indiquée par Rabuteau pouvait se vérifier. Afin de simplifier encore, s'il est possible, le résultat de ces nombreuses expériences, prenons la moyenne des diffé- rentes indications qu'elles nous donnent. 438 CHARLES RICHET. Voici les chiffres qu'on obtient alors : ils sont assez signi- ficatifs. QUANTITÉ DE MÉTAL CONTENU. QUANTITÉ D'ACIDE LACTIQUK FORMÉ. Na. K. Li. De là 2 grammes par litre. De 2 à 3 " — — De 3 à 4 — — De 4 à 5 — — De 5 à 10 — — De 10 à 15 — — De la à 21) — — De 20 à 25 — — De 25 à 30 — — De 30 à 35 — — De 35 à 40 — — De 40 à 50 — — - ne 109 lOG 70 45 29 19 15 11 i 114 114 SO 73 42 44 95 102 53 30 11 0 0 0 0 0 0 0 En résumé, il ressort de ces faits que la dose toxique de métal, c'est-à-dire la quantité nécessaire pour diminuer de moitié Tactivité de la fermentation, est, en chiffres ronds, de 2 grammes pour le lithium, 20 grammes pour le sodium, et 40 grammes pour le potassium. Il est un autre point sur lequel je voudrais appeler l'attention : c'est l'influence que de petites quantités de sel exercent sur l'activité de la fermentation. Il est remarquable que des doses de 10 grammes, de IS grammes de sel par litre, au lieu de ralentir la formation d'acide lactique, l'accé- lèrent dans des proportions assez notables. — Le chlorure de lithium lui-même, qui est cependant doué de propriétés toxi- ques si puissantes vis-à-vis du ferment lactique, est capable, à très petite dose, de stimuler la fermentation. Toutefois cette influence favorable du sel ne se prolonge pas au delà des premiers jours de la fermentation. Si l'on laisse (dans une étuve à 40") le lait fermenter plus de 48 TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 439 heures, la quantité d'acide lactique continue à augmenter dans le lait qui ne contient pas de sels. Au contraire, dans les liqueurs lactées, additionnées de chlorures de sodium ou de potassium, la quantité d'acide lactique n'augmente pas. Peut- être l'excès d'acide lactique forme-t-il de minimes traces d'acide chlorhydrique_, par la décomposition du chlorure en excès. Or, ainsi que je l'ai démontré dans un travail antérieur', Tacide chlorhydrique, même à faible dose, entrave l'activité des organismes inférieurs. Comment expliquer que le sel accélère la fermentation? On peut faire à cet égard deux hypothèses : ou bien supposer qu'un milieu imprégné de sel est propice à l'évolution vitale du ferment lactique; ou bien admettre que les chlorures de sodium ou de potassium, qui dissolvent la caséine, permettent une assimilation plus rapide de la matière albuminoïde con- tenue dans le lait. En effet, la caséine du lait de vache est complètement dissoute dans les laits fermentes, très acides, et additionnés de 20 à 30 grammes de sel par litre. Il suffit alors de neutraliser la liqueur non coagulée encore pour dé- terminer la coagulation de la caséine qui se précipite en très fins grumeaîîx. Mais je n'insiste pas sur ces phénomènes, car je reviendrai plus tard sur cette dissolution de la caséine, et sur les avantages qui en peuvent résulter, d'une part pour le dosage et l'analyse, d'autre part pour l'assimilation digestive du lait. Si l'on se reporte maintenant aux expériences indiquées dans mon premier article, on trouvera que la puissance phy- siologique des trois principaux métaux alcalins varie selon qu'on étudie leur action sur les tissus animaux ou sur les organismes inférieurs. Sur les tissus animaux nous trouvons le lithium aussi 1. Du suc gastrique chez l'homme et les animaux, p. 112. 440 CHARLES RICHET. toxique que le potassium ; le potassium plus toxique que le sodium. Sur les organismes inférieurs, le lithium est plus toxique que le sodium; mais le sodium est plus toxique que le potas- sium. Ainsi les organismes inférieurs, qui sont les agents de toute fermentation, sont entravés dans leur évolution par des doses faibles de sodium, alors que des doses égales de potas- sium ne leur portent aucun dommage. On avait d'ailleurs constaté depuis longtemps que pour la plupart des végétaux le potassium est moins toxique que le sodium; et ces deux faits, rapprochés l'un de l'autre, semblent établir cette opi- nion, conlirmée par beaucoup de recherches diverses', que les organismes inférieurs des fermentations appartiennent plutôt au règne végétal qu'au règne animal. Que devient alors la loi de hiérarchie toxique des métaux, si les végétaux d'une part, et d'autre part les animaux, ont besoin les uns et les autres d'une hiérarchie toxique diffé- rente? Nous trouvons pour les végétaux la série suivante : Litliium. — Sodium. — Potassium. N'est-ce pas précisément l'inverse de la loi que Rabuteau s'est efforcé à établir; et pour les animaux n'avons-nous pas une autre série? Il est à remarquer que, pour les animaux comme pour les végétaux, le lithium, dont le poids atomique est si petit, se montre cependant le plus toxique. Cette diversité ne doit pas surprendre, si l'on réfléchit à la nature même d'une action toxique. En dernière analyse, toute 1. J'ai montre que l'électricité d'induction, assez forte pour tuer des animaux de petites dimensions, comme des têtards, ou même des grenouilles, n'apporte aucun trouble à la fermentation lactique, et i^ar conséquent ne modifie en rien l'évolution du végétal qui est l'agent de cette action chimique. (Voy. Revue scientifique, !<"• sem. 1881, p. 603.) TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 441 aclion toxique est actioa chimique. Le protoplasma vivant est pénétré par une substance soluWe qui s'unit à lui pour former une combinaison, laquelle empêche alors plus ou moins la fonction physiologique ultérieure du protoplasma. Or, le protoplasma n'est lui-même qu'une substance chimi- que, laquelle est différente selon les cellules qu'on envisage. La matière albuminoïde du protoplasma de la cellule ner- veuse n'est certainement pas identique à la matière albumi- noïde du protoplasma d'une cellule végétale. Quoi d'étonnant que telle substance qui se combine au protoplasma ner- veux, et par conséquent paralyse l'activité de la cellule ner- veuse, ne puisse se combiner au protoplasma végétal, et soit alors incapable d'elTectuer la même action toxique ? Il résulte de ces considérations, — dont les expériences ci- dessus sont la preuve a posteriori^ — que les différences chi- miques des divers protoplasmas expliquent la diversité des actions toxiques. On peut cependant établir comme règle g'énérale que certaines substances sont plus toxiques que d'autres. Ce sont, en g-énéral, celles qui agissent sur l'albu- mine et qui la coagulent. Mais quant à pénétrer plus profon- dément dans l'histoire physiologique des poisons, cela est actuellement impossible, et il faut nous résigner à attendre que la chimie physiologique ait fait des progrès suffisants pour caractériser les propriétés chimiques des divers albumi- noïdes des cellules vivantes. § V. — Action toxique des sels alcalins. Dans la série des recherches qui vont suivre, il ne sera question que de trois métaux seulement, étudiés par leurs chlorures, leurs bromures et leurs iodures, tous sels très so- lutles et diffusibles. Tous les chiffres qui seront donnés se rapportent, non au poids du sel, mais au poids du métal. 442 CHAULES RICHET. A. — Précautions expérimentales nécessaires. Tout d'abord, deux difficultés se présentent *. La première, c'est la connaissance exacte du poids de l'aninial; la seconde, plus sérieuse encore, c'est l'absorption plus ou moins rapide de la substance injectée. Il est. en efTet, à remarquer que l'on ne peut pour ainsi dire jamais apprécier avec rii;ueur le poids réel d'un animal. Ce poids est essentiollemont changeant, suivanl que l'animal a mangé ou non, a uriné ou non, et ces oscillations sont parfois considérables -. Par exemple, un lapin de 2''^, 500 peut rendre environ 100 grammes d'urine et peut manger pour 400 grammes d'ali- ments. Son poids sera donc, à différents moments de la jour- née, compris entre îî''*',400 et 2''^,(>00. Je suppose qu'on le pèse, alors que son poids est de 2''^,400, la dose toxique étant de i, je suppose. Elle eût été seulement de 0^',923, si on l'avait pes(' alors (|ue son poids était de 2"*'',600. Pour des animaux de taille plus petite, qui pèsent, comme limaçons, écrevisses et grenouilles, de 20 à 50 grammes, les différences sont plus grandes encore. En etTet, ils absorbent de l'eau et perdent de l'eau avec une très grande facilité, de sorte que leur poids est changeant, bien plus encore que celui des lapins, des pigeons et des cobayes. Gela fait donc une cause d'erreur qu'on peut certainement évaluer à un dixième. Avec cette évalution d'un dixième, on sera encore au-dessous de la vérité \ Sur les petits animaux, les moindres différences dans la 1. Je laisse de côté les difticultés inhérentes au titrage rigoureusement exact des solutions qu'on emploie, ù la pureté des produits, et surtout à la calibra- lion des seringues qui servent aux injections. Cette calibration doit être faite par l'opérateur lui-même; car les instruments qu'on trouve dans le commerce ne sont pas calibrés avec une précision suffisante. 2. Voir le travail sur la calorimétrie, publié précédemment [Trav. du Lab.. t. I, p. in). I]. William Edwards, //i/?He«r C-: 3c o o (= O* o" o" = =:' ,S^ f^ f^ nr, ^ r^ s s s ^ s -T-^ -e- -r- UI — '-^ ^ _ Z; -1 ^-j >-;>?^ï>>> > o <3 o o o o o s2 o^ cT 1= cT cT c:' ?* s s ?=- '^ "1 r~ GC i- -^ i-": i-- îo r- i— o o o ^ o >^ fT^ ei ^ ,^ ^ ^, =r o' o' =r o o' o" == =r >>! .-s «5 > ^ > r-' r^ s s <^ »« S c o •^ •^ cz: -M f^ Cl 'M _ _ I-- 1- OC -^ œ == c = <= o O = — ■^ s >-> — o -M ^- T- ^-i = =; = 'S ^ ,« ^ <5 = «3 O O es ^": O c> c-1 (M -r- Cl G-l ?l -îi- <= ,«5 <5 <* Cl -* = i-T 55 — •-? -^- >: = -M o — 3 > s <5 ;s s s ô Cl -3 = ^=0000=;00 = = = o o = TOXICOLOGIE DES METAUX ALCALINS. 43: t/;' o >>>>>>;> SS2S!^»^>'Ï-'>^SS'^S '^ C- o M CD <= = C5 !0 30 Cl se != "M TO o es !0 iO > > > SSSk-SSSS •^ tZ3 -rJ (M l— C5-*ino^-^-rJ'--*' <^ ^ (M G-J G-l^ c-i^ co ro >*-■-?' -*^ i-0_ co_ <=' o" o" o~ o o" o 0~ o' "o" o" Œ '"^ > > > > > s ^^ > § s > ;^ S S ^ !> f^ (M c; c-D ^ i-o m o ro l:; m r^ 0 C-3 0 ce 0 < G'I ::~t -.- -* -.- ..- in i.-î_ l:î_^ ir; i--î_ CD ID CD CD r- S ^ o" ■:£ ^ o" o' <=' =" o' o =r = =><=; 0" o" O u T/j • 7. O K- > > > ;> >> 3 > > ^ > > § S 2 S ^ o îO lO îO <0 2.0 lO 10 CD CD 00 0 -*" sur; m CD <= r- 70 ro co ro »* -JT -* ** *^ .^ ■-■^ îiTS ir^ ^0 ITÎ I-O CD CD czT 1= C3 - > > ;^ > ;^ > S > > s>s D a; ^ o c-D rs co 1= ^ ■rt =ï rO rD 0 O -*«*■-* sn m Lrt CD CD t- C5 "K. o' = es o o o" o" o" o" o~ 0" 0' o~ cq « - «3 H >- > >- ^ >- -^O <0 'M (TO -* f- = 0 ^ >>>>> S!>>->-S>)^t>>' :^ S § 12 S ^ «5 «M CM o JO OO -r^ 5^ ^-1< ^-- «.-f LT CD r- o = 0 :0 0 Cl î^T ? Vl ^__ ^__ co_ co c-: .^ •^ ».1^ -# ~i. ^ .^ ^ :;,-:! so LT^ i-T^ i.T_ t-__ CO_ ?; O o o ■=> o" o" o" i=oo"c3'czrcro~o"o o El? c " 458 CHARLES RICHET. >>►;>>>>>>> >>>>.>f^;>>.;^; ooc;=:^^000^"^"-r-.^— ^. «=5 1^ r^ I«*i 1==; >>>>> <0 =1 o o o s> SSSS>S! 'S «^S S !S S ^ oo = !=>ooo-^' U3 03 I— [= (71 -fi eo Oi 05 -^ •^ -r< (M --■*' îO 0_50 -^ -.r-. o oi <= ^o CD oo 00 c; -M O <= o ■= o ^- --^ ■»- <î\ ;>>;>> >>>>>>>p>>> ^ s >> > s 'r^ s s s > r^S s (Tj ro ifî iO ir; f~ f- t~ t~ r^ ce c^ c: ro o o Cî' c-.' >>>>g>>> S^>-SSr^ ^^^<5<5Sr*S c; :- C5 ^ iC: -* 30 o O] co -* o ;;j -^ t^ (^ oc C-. ro :c r- <=' o <=■ Oj 05 ~ = >; <5 <5 <-; <îi ï> K* > >■ ^'>' (Z; :o -^ co o > s s s r-i / o — -H r— ^t) ^^ J O o -rH -^ — ^ co W { a co co --t liî H ( K 10^î.0_^ io^jK_i-__ Q 2 o"o" o =" c ] J; <=ro" cTccTcO a - H " a o V* c ^■ — A ?: >^>^ ;>>>;> ^s ■^ z >-> %>> "^ sa o o (M C-3 CJ «M t~ -^ co ^ oi co CO CO tM co w »* -* -^ iO :0 -.O^ co t— _^ v; lt: co_ CO r- ce co o -d"o'o~="o~=; ="o" O ='0" co co 0" 0" '" i i a > -«^ S a '?' 3S = >• lo -o co -!! 0 jr. lo c: < co ^- -rH co__ co co ^ o rt so" 0 co o' :0 S=l rr. 1 ^ 3 3 £ es a s "^ H ^, p 0 j z >;> sssss A Z K* SSt-^'* _» « 1 o O o Cl = co co 1-1 lo co t^ t~ C5 o îO o o <=> O 2 00 -* f— . Oî ^^ io f— co 0 _5 o o_ o o"c=r cT o îOO cTo' •^ ^ ^ 5 ^ K tJ >» 3S s s s > S •^ OJ — 1 c i_0 (TJ = ^ C5 c. co__co^ CB -^ t~ o -ri ^ ^ -r- a — ' « o O o o" o =~^co'" ^ o o cTcT 0 P ' D 0 " Uj , cj v. H ^ 1 1 1 J z »» s s s s s c I z » ssss>ss _2 65 Q ^ co lO JO co -T-' io m co co co co oo o cq Eh / o -r- G-] -* et c=J 0_ o = C5 -H .^ H c C3 Oh o o~o~cr =:ro"c='o"o~ Q 00" 0" 0 co' co" co 0" 0 s D H .ï ai O p > pj , Q J „ 1; es z !> :g>>> sgsssss O z >>p>>s>>t>> ss 2 o co c= -o o o 5-0 o> o; o -^ s-i ~l co co ^o co co oo '' CI CI (M co co --?" -^ ~^ ^0 c-'3 îS ^ o z^ o'o'oo cT o" =~ o o" o~ o~ c 0' o~ <=r 0" = 0" 0" 0" = o'o' -^ " 460 CHARLES RICHET. TABLEAU IV Doses mortelles minima des chlorures' NOMBRE d'expérien-ces. ESPÈCES. I.ITI1IIU. rilTlSSIlM. RlBimiM. 1I0ÏE.\\ES. LXl Limaçons 0,104 0,620 1,800 0,841 LVI Eci-evisses 0.035 0,280 0,400 0,245 LUI Poissons (Tanches . 0,090 O.ioO 0,720 0,420 XXVIII Tortues 0,135 0,480 1,030 0.548 LV Grenouilles .... 0,145 0,300 0,990 0.543 XXXIV Pigeons 0,084 0,520 1,100 0,368 LVIII Cobayes 0.100 0,530 1,050 0,366 XX Lapins Moyennes. . . 0,08" " 1,090 1.022 » 0,100 0,486 0,533 De la seconde série d'expériences, on peut déduire les doses mortelles minima suivantes : TABLEAU YI Doses mortelles minima des bromures et des iodures. NOMBRE D'nXpÉRlCNCES. ESPÈCES. LITHIUM. POT.XSSIUM. RUBIDIIM. MOYENNES. 1° Bromiu es. XXV Poissons. . . . 0,120 0,590 0,930 0,547 XVIII Pigeons .... 0,060 0,410 0,390 0,353 XII Cobayes .... jMoyennes. . 0,112 0,400 0,620 0,376 0,09* 0,466 0,732 0,423 2° ïodurei. XX Poissons. . . . 0,103 0,500 0,840 0,482 XXI Pigeons .... 0.048 0,230 0,500 0,259 VII Cobayes .... Moyennes. . 0,100 0,380 0,690 0,390 0,084 0,370 0,677 0,377 1, Nous avons déjà présenté ce même tableau, qui résume nos premières TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 461 Nous pouvons présenter ces tableaux sous une autre forme, de manière à comparer la toxicité des chlorures, des bromures et des iodures, et, d'autre part, à comparer dans son ensemble la toxicité des trois métaux susdits : lithium, potassium et rubidium; mais seulement pour les poissons, les pigeons et les cobayes. TABLEAU VII Toxicité moyenne des trois métaux. ESPÈCES. CHLORURES. BROMURES. IODURES. MOYENNES. Poissons. Pigeons • . Cobayes 0,419 0,568 0,566 0,547 0,353 (1,376 0,482 0,259 0,390 0,483 0,393 0,444 0,518 0,425 0,337 0,440 TABLEAU VIII Toxicité moyenne des bromures, chlorures et iodures. ESPÈCES. LITHIUM. POT.\SSIUM. RUBIDII'M. MOYENNES. Poissons Pigeons Cobayes 0,105 0,065 0,102 0,510 0,390 0.440 0,830 0,730 0,790 0,4S3 0,393 0,444 0,518 0,447 0,783 0,440 Tels sont les faits expérimentaux. Nous allons maintenant interpréter les résultats de ces nombreuses expériences. recherches, avec quelques différences insignifiantes (Comptes rendus de l'Aca- démie des sciences, 26 octobre 1885). 462 CHARLES RICHET. F. — Effets des chlorures alcalins sur des animaux divers. Peu d'expériences avaient été faites, antérieurement à ces recherches, sur la toxicité comparée d'une même substance chez les animaux différents'. Il était cependant intéressant de voir si les animaux à sang chaud, à sang froid, de grande ou de petite taille, allaient subir de la même manière les effets du poison. Un premier fait se dégage en toute évidence, c'est Textrôme sensibilité des écrevisses aux actions toxiques. Ainsi, alors que pour le chlorure de lithium la dose toxique moyenne chez les animaux divers est de 0^' .1 00 de métal, la dose toxique est moitié moindre pour les écrevisses, soit 0^',0oo. Pour les chlorures de potassium et de rubidium il en est de môme, et la moyenne des doses toxiques de ces divers métaux est, et pour les écrevisses, de 0s'',2-^8, alors que, pour les autres ani- maux, elle est de 0^'',o34. Cette différence considérable ne tient probablement pas à une sensibilité plus grande du centre nerveux de Técrevisse aux actions toxiques; mais il s'agit d'une pénétration instan- tanée du poison dans le système circulatoire, de manière que le système nerveux est aussitôt empoisonné. En un mot, chez l'écrevisse, toutes les injections sont injections intra-veineiises, c'est-à-dire que l'absorption est instantanée, au lieu d'être graduelle, comme dans les autres expériences. 1. Je trouve à cet égard le document suivant : M. Anderson Stuart (cité dans le Jahresberichle de Ilofmann et Schival/je, 1882, p. 24), étudiant la dose toxique de nickel pour l kilogramme d'animal, a trouvé les chiffres suivants : grammes. Grenouilles. . 0,051 Pigeons . . 0,03S Cobayes . . 0,019 Rats 0,016 Chats. . . . 0,0064 Lapins. . . 0,0057 Chiens . . . 0,0045 TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 463 A côté de cette sensibilité des écrevisses, iJ faut placer la grande résistance des limaçons, résistance qui ne porte pas sur le lithium, mais qui ne porte que sur le potassium et le rubidium, et spécialement sur le rubidium. S'agit-il là d'une résistance plus grande du tissu nerveux ou de certaines conditions particulières d'absorption? Je ne saurais le dire. Toutefois, comme les limaçons sont empoi- sonnés par les mêmes quantités de lithium que les autres ani- maux, cela prouve que la résistance de leur système nerveux n'est guère plus considérable. La différence entre le lithium et les deux autres métaux alcalins consiste surtout en ce que le lithium s'élimine mal. Or, les limaçons mettent très long- temps à mourir, ce qui permet, dans le cas de l'empoisonne- ment par le potassium et le rubidium, une progressive élimi- nation. Aussi pencherais-je à croire que, si le potassium et le rubi- dium ont besoin d'être injectés à forte dose pour tuer des lima- çons, c'est que chez ces mollusques lamorl survient lentement, et que l'élimination graduelle a alors le temps de s'établir. En laissant de côté les écrevisses et les limaçons, nous trouvons que les autres animaux se comportent tous à peu près de la même manière, la moyenne oscillant entre les chiffres de 0^'-,419 et de 0e%568. Mais même ces variations peuvent être interprétées, et l'in- terprétation qui me semble la plus vraisemblable, c'est que les différences qu'on constate sont dues principalement à la pénétration plus ou moins rapide du poison, d'une part, et, d'autre part, à son élimination plus ou moins rapide. Chez les poissons, l'injection pénètre très vite dans le sang ; l'absorption, sans être aussi prompte que chez les écrevisses, est très rapide. De sorte que le maximum d'effet s'observe presque immédiatement après l'injection, tandis que, chez les animaux à sang chaud, la pénétration de la substance est plus lente : sauf certains cas accidentels, c'est un quart d'heure, une demi-heure, une heure et même deux heures après l'in- 464 . CHARLES HICHET. jection que s'observe le maximum d'effet. Les sels de potas- sium surtout, et spécialement les chlorures, sont très difii- cilement absorbés, et, comme je l'ai dit plus haut, il est presque impossible de tuer un chien par injection sous- cutanée de chlorure de potassium. Malgré ces nuances, c'est un fait remarquable que cette égale sensibilité d'animaux divers aux poisons alcalins. Il aurait pu exister des différences énormes, comme celles qu'on constate pour certains poisons végétaux — pour l'atropine, par exemple, qui tue un homme à la dose d'un centigramme, et qui, à la dose d'un gramme, ne tue pas un lapin. — Mais ce n'est pas cela qu'on observe, c'est l'identité de la sensibilité au poison pour des êtres vivants aussi divers que des pois- sons, des tortues et des pigeons. L'intérêt de cette constatation est considérable. Comme nous le montrerons, ces poisons agissent chimiquement, et alors l'identité de la dose mortelle prouve l'identité de la constitution chimique des centres nerveux qui subissent l'action du poison. Chez les animaux d'ordres très différents, le système nerveux est donc constitué par les mêmes éléments chimiques, les mêmes éléments anatomiques, et il y a une toxicologie générale, comme il y a une physiologie générale. Mais, si des animaux on passe aux végétaux, on constate ce fait remarquable que le potassium n'est pas un poison. Cela prouve que le potassium n'est pas un poison de toute ccllulevivante, mais seulement delà cellule nerveuse ^ L'am- monium est dans le même cas. G. — Effets de la température extérieure. Une condition qui, à ma connaissance, n'a pas encore été étudiée, et qui, cependant, doit être prise en sérieuse consi- dération, c'est la température extérieure. Mes expériences sur les chlorures ont été faites à la fin de 1. Voir plus haut, pajre 440. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 46o l'été et au commencement de l'automne, par des températures moyennes de io à 23", tandis que les expériences qui portent sur les iodures et les bromures ont été faites plus tard, en hiver, par des températures de 0 à 10". Si alors on compare la sensibilité des poissons, j)igeons et cobayes à ces diverses périodes, on voit un fait, qui paraît paradoxal et qui est en réalité fort simple : en été les pigeons et cobayes sont •plus ré- sistants que les poissons^ tandis qu'en hiver ils sont beaucoup moins résistants. Le tableau suivant va en donner la démonstration. Soit la dose nécessaire pour tuer les poissons égale à 100, nous avons: TABLEAU IX SAISONS. POISSONS. PIGEONS. COB.W'ES. NATURE DES SELS, Été 100 100 100 1.3.0 63 62 i3.J 76 80 Chlorures. Bromures, lodures. Hiver Hiver Il me paraît impossible d'admettre que le chlorure de lithium soit plus toxique pour les tanches que pour les pigeons, alors que le bromure et l'iodure seraient plus toxiques pour les pigeons que pour les tanches. C'est, en effet, ce qui résulte des chiffres bruts donnés dans le tableau qui précède, et ce qui est plus évident encore, quand, au lieu de prendre la moyenne des sels des trois métaux, on ne prend que les sels de lithium. TABLEAU X SAISONS. POISSONS. PIGEONS. SELS. Été 0,090 0,120 0,103 0,084 0,060 0,048 i Chlorures. | Bi-omures. 1 lodures. Hiver. . . Hiver TOME II. 30 466 CHARLES RICHET. Au contraire, ce phénomène paradoxal s'explique très bien, si Ton songe aux conditions physiologiques différentes que crée le froid aux animaux à sang- chaud et aux animaux à sang- froid. S'il est vrai que l'action toxique soit une action chimique, comme toutes nos expériences semblent le prouver, il s'en- suit que. comme toutes les actions chimiques, elle doit être exaltée par la chaleur et ralentie par le froid. Or les tissus des animaux à sang froid, c'est-à-dire à température variable, sont froids en hiver, chauds en été, Se conformant à la tem- pérature du milieu qui les entoure. Il s'ensuit que pendant l'hiver les actions toxiques, se passant dans un tissu froid, sont lentes et peu énergiques, tandis qu'en été, ayant lieu dans un tissu chaud, elles sont plus actives et plus puissantes '. Il n'est alors rien de surprenant à voir des poissons ré- sister longtemps en hiver à des doses qui, en été, seraient pour eux rapidement mortelles. C'est précisément l'inverse qui se voit pour les pigeons, et l'explication en est très simple. Les sels de lithium, de potassium, de rubidium sont des poisons du système nerveux, et en particulier du système nerveux central, qui préside aux fonctions de nutrition et de résistance au froid. Le système nerveux d'un animal intact est sans cesse en lutte contre le froid extérieur, afm que la température interne ne varie pas; mais si, dans cette résis- tance au froid, le système nerveux est vaincu, l'animal se refroidit et meurt. C'est ce qui se passe pour les pigeons empoisonnés en hiver. On affaiblit, par le poison, leur système nerveux, et. 1. .J'ai montré Dullet. de la Soc. de DioL. 1885, p. 239) que les poissons sont empoisonnés plus facilement quand la température de l'eau est chaude que quand elle est froide; et j'ai montré aussi que, pour les microbes, cette in- fluence de la chaleur sur l'activité du pouvoir toxique s'observe très nettement. Une dose de 0,05 de mercure, qui est sans action sur la vie des microbes à l'j°, est pour eux toxique et empêche leur développement à 40". (Voy. aussi Saixt- HiLAiRE, Trav. du LahoraL. t. I, p. 'kù.i.) TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 467 dès que la résistance au froid ne peut plus se faire, l'animal meurt refroidi, épuisé. La démonstration de ce fait est bien simple. Nous avons vu plus haut que la dose toxique du chlorure de lithium était en été pour les pigeons de 0='',08.5. J'ai donné à un pigeon, en hiver, une dose de 0='',0o4 du même sel, et la mort est surve- nue en moins de quarante-huit heures. Et, cependant, en été, des doses de 0='",0o6, 0''',072 et 0^"", 082 n'ont pas été mortelles. J'ai pris deux pigeons en hiver; mais l'un d'eux est resté au froid extérieur, voisin de 6°, tandis que l'autre a été placé à Fétuve. Celui de Fétuve (qui à la partie inférieure est d'en- viron 21") a reçu 0''',83 de LiCl (en poids de Li,) tandis que celui du froid a reçu 0''",81 du même sel. C'est celui qui a été exposé au froid qui est mort, tandis que l'autre est mainte- nant tout à fait rétabli et très bien portant. La dose non toxique de chlorure de rubidium étant, d'après mes expériences de l'été, pour des pigeons, de 0°^78; 0^''',80 ; 0'^83 ; 0"'",87 ; j'ai, en hiver, à un pigeon que j'ai laissé au froid, injecté 0^''\73 de ce môme sel (en Rb), et il est mort en moins de quarante-huit heures. Yoici d'ailleurs toute une série d'expériences faites avec les chlorures de lithium et de rubidium, en hiver. On les comparera aux tableaux précédents Chlorure de lithium [pigeons). Pigeons dans Fétuve. Pigeons au froid. 0,103 Mort. 0,083 Vie. 0,082 Mort. 0,072 Vie. 0,066 Morti. 0,063 Morti. 0,038 Mort'. 0,081 Mort. 0,0o6 Mort. 0,0b2 Vie. 0,0o0 Mort. 0,04o Mort, 0,043 Mort. 0,043 Vie. 0,032 Vie. 0,02o Vie. 1. Dans ces trois dernières expériences, par suite d'un accident, la tempé- rature de i'étuve s'était abaissée. 468 CHARLES RICHET. Chlorure de rl'bidilm (pigeons) Pigeons dans Tétuve. 0,69 Vie. 0,65 Vie. 0,60 Vie. Pigeons au froid. 0,73 Mort. 0,ao Vie. 0,44 Vie. 0,40 Mort. 0.39 Vie. Ainsi, malgré quelques irrégularités, l'expo.sition au froid diminue énormément la dose toxique : alors qu'elle est en été de 0,084 pour le lithium, elle est en hiver, de 0,043, soit plus faible de moitié*. Au contraire, chez ^les poissons, on voit un phénomène à peu près inverse ^ Chlorure de lithium '(poissons en hiver, par une température moyenne de 4° à 6°). jours. I 0.124 Mort en 6 jours. 0,245 Mort en 8 0,235 — 11 0,191 — 5 0,185 — 6 0,150 — 8 0,150 — G 0.135 — 6 0,126 — Il 0,125 — 8 0,115 0 0,115 6 0.110 — 4 0.104 — G 0.088 Vie. 0.084 Mort en G 0,084 Vie. A vrai dire, ce n'est donc pas tant la dose mortelle qui varie chez les poissons avec la température extérieure que la durée de l'intoxication. En été, une dose de 0,15 de lithium tue un poisson sûrement et sans rémission en moins de vingt-quatre heures, tandis qu'il faut en hiver près d'une semaine pour que l'animal soit complètement mort. La respiration se fait alors très lentement, d'une manière imparfaite. Le poisson est couché sur le flanc, ne faisant d'autres mouvements que de très rares et irrégulières con- tractions des ouïes; mais il n'en vit pas moins, et cet état 1. Je me suis assuré, par un dosage direcl dp chlore, de la tenoiir de mes solutions eu métal. 1. Comparer à ces chifTres le talileau 1 où les expériences ont été faites on été. (Voy. plus haut, p. i.ofi.) TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 469 persiste près d'une semaine. La peau est complètement déco- lorée, et, dès le second jour, le contraste est très frappant entre les poissons intacts qui sont très foncés, et les poissons intoxi- qués qui sont tout à fait blancs, quoique respirant etse mouvant. Ainsi le froid chez les poissons, s'il ne rend pas la dose mortelle nécessaire plus élevée, au moins rend les intoxica- tions beaucoup plus lentes. L'élimination du poison ne se fait pas, et l'intoxication, même après une dose massive, est chronique. Quelle que soit la dose, la durée de la vie ne change pas ^ On verra plus loin que l'injection de doses suc- cessives confirme tout à fait ce fait de la lenteur dans l'in- toxication et de l'impuissance dans l'élimination du poison. En résumé, la dose toxique mortelle est variable selon la température extérieure. Chez les animaux à sang froid, la dose toxique diminue avec la température ; chez les animaux à sang chaud (au moins s'il s'agit de substances qui intoxiquent le système nerveux), elle augmente avec la température'. Ces faits relatifs à l'influence de la température montrent une fois de plus combien il est difficile en physiologie d'éta- blir des règles absolues. Les conditions sont si variables, si changeantes, et elles exercent sur le sens des actions physio- logiques une si puissante influence, qu'il faut être toujours extrêmement réservé dans ses conclusions. Nous ne dirons donc pas que, pour tuer un kilogramme d'oiseau, il faut une dose plus forte que pour tuer un kilogramme de poisson, mais seulement que le poisson est plus résistant en hiver que l'oiseau, et inversement en été. Enfin nous dirons — et c'est là une conclusion très gêné- 1. De même, dans l'empoisonnement par le curare, le temps nécessaire à l'asphyxie varie à peine avec la dose de poison, du moment qu'on a atteint la dose nécessaire. Cela px-ouve bien que le poison agit sur un seul élément anatomique. 2. Je suis porté à croire qu'il en est chez les cobayes comme chez les pigeons. Mais ils sont, contre le froid, mieux défendus par leur fourrure que les pigeons par leurs plumes. Au demeurant mes expériences sont moins nombreuses. Il esl, aussi évident que cette loi doit être plus vraie pour les petits animaux, dont la surface est peu développée, que pour les gros animaux, à déperdition calorique relativement minime. 470 CHARLES BICHET. i-ale — que les doses toxiques sont en moyenne à peu près les mêmes, et que la sensibilité égale des animaux divers à l'action toxique d'un même poison (minéral) semble une vérité bien établie. H. — Rapports de la toxicité avec le poids atomique. Nous touchons maintenant à la partie la plus intéressante du problème : à savoir la relation qui existe entre la puissance toxique et le poids atomique. En 1867, Rabuteau avait formulé cette très importante proposition, que les métaux sont d'autant plus toxiques que leur poids atomique est plus élevé. Mais cette loi, qui parait si simple, est, si on la prend dans les termes donnés par l'auteur, absolument fausse, comme le montrent les chiffres suivants, déduits des expériences citées plus haut'. TABLEAU XI Doses mortelles'. EN POIDS EN POIDS POIDS POIDS de de MOYEN MOYEN MÉTAL. s KL. du mét.il. du sel. Chlorure de rubidium . . (1,957 1,35 Bromure de rubidium 0,713 1,35 0,782 1.46 lodure de rubidium . 0,677 1,C)9 Chlorure de potassium 0,507 0,96 Bromure de potassium o,4r.f. 1,41 0,447 1,32 lodurc de potassium. 0,370 1,5J Bromure de lithium . 0,097 1,20 Chlorure de lithium . 0,091 0,54 0,091 1,11 lodure de lithium . . 0,08 i 1,59 ) 1 1. Il va sans dire qu'on ne doit jjas l'appliquer, comme cependant Rabuteau avait la malheureuse idée de le faire, à d'autres métaux que ceux qui forment des séries homogènes. On ne peut comparer le rubidium au cuivre, ou au pla- tine, ou au magnésium. Toute analogie est impossible entre ces corps si pro- fondément différents. 2. Ces chiffres, pour être comparables, ne se rapportent qu'aux pigeons, poissons et cobayes. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 471 Par conséquent, le rubidium est moins toxique que le potassium, et le potassium moins toxique que le lithium, et cela, dans des proportions considérables, puisqu'il faut huit fois plus de rubidium que de lithium pour obtenir le même effet mortel. Ainsi la loi de Rabuteau, telle qu'il l'a formulée, est mani- festement erronée, au moins pour les chlorures alcalins ^ Mais il est possible de pousser plus loin l'analyse de ces faits de toxicologie. En effet, on peut supposer a priori que les substances toxiques agissent chimiquenjent sur l'orga- nisme, et alors leur action doit être proportionnelle, non à leur poids absolu, mais à leur poids moléculaire. Pour prendre un exemple, les quantités de chlorures, de bromures ou d'iodures de lithium, de potassium ou de rubi- dium, qui décomposent par double décomposition une molé- cule d'acétate d'argent, sont proportionnelles aux poids moléculaires, c'est-à-dire qu'il faudra, pour une dose de 168 grammes d'acétate d'argent, les doses des : grammes. Chlorme de rubidium . . 120 soit 85 de R Bromure — 165 — 83 — lodure — . 212 — 8o — Chlorure de potassium. 74 — 39 de K Bromure — 119 — 39 — lodure — 166 — 39 — Chlorure de lithium. . 42 — 7 de Li Bromure — . . 87 — 7 — lodure — . . . 134 — 7 — Ainsi des doses également efficaces devront être propor- tionnelles aux poids moléculaires. 1. Rabuteau, qui était un excellent observateur, avait été, malgré le désir de voir sa théorie se justifier, forcé de reconnaître que sa loi ne peut pas s'ap- pliquer au lithium, et il avait admis que le lithium ne rentre pas dans le groupe des- métaux alcalins, proposition qui est évidemment inadmissible, la série des métaux alcalins étant tout à fait homogène. Nous verrons plus loin que, dans la fonction périodique de Mendeléeff, le lithium, le potassium et le rubidium forment un groupe primordial, tandis que le césium et le sodium forment un groupe intermédiaire. 472 CHARLES RICHET. Nous allons faire cette application aux doses mortelles minima, afin de chercher si, à ce point de vue, il n'y aurait pas identité d'action entre les divers sels métalliques. TABLEAU XII Doses mortelles moléculaires minima'. LITHIU.M. POTASSIUM. Rl-BIDIUM. MOYENNES, Chlorures. / Poissons . . l Tortues. . . } Grenouilles. \ Pigeons . . r Cobayes . . \ Lapins . . . Moyenne. . . 0,0126 0,0193 0.0207 0,0120 0,01 i7 0,0124 0,0115 0,0123 0,0129 0,0133 0,0141 0,0085 0.0121 0,0109 0,0129 0,0123 0,0128 0,0109 0,0146 0,0148 0,0127 0,0137 0,0126 0,0152 0,0128 0,0116 0,0132 Bromures. i Poissons . . < Pigeons. . . ( Cobayes . . Moyenne. . . 0,0171 0,0086 0,0160 0,0151 0,0104 0,0103 0,0109 0,0070 0,0073 0,0'. 44 0,0087 0,0112 0,0139 0,0119 0,0084 0,0114 l Poissons . . lodures. . | Pigeons. . . ( Cobayes . . Moyenne. . . Moyennes gknérale.s. . 0,0150 0,0069 0,0143 0,0128 0,0059 0,0100 0,0098 0,0059 0,0081 0,125 0,062 0,104 0,0121 0,0095 0,0079 0,0097 0,0143 0,0111 0,0093 0,0115 1. Nous éliminons de ce tableau les limaçons et les écrevisses, qui, pour les raisons données plus haut, s'éloignent notablement des autres animaux. Pour eflectuer ce calcul, nous avons simplement divisé les poids indiqués précé- demment par le poids atomique du métal en question. Ainsi la dose de 0,400, donnée comme limite pour le lithium, devient --z — , soit 0,0143, etc. Si nous prenons les poids, non plus de métal, mais de sel, en comparant leur poids moléculaire à leur poids toxique, nous avons les chiffres suivants. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 473 En étudiant ce tableau, on y trouve nombre de faits inté- ressants que nous allons essayer de mettre en lumière : 1° Par suite des raisons données plus haut, on ne peut comparer les expériences faites en été et les expériences faites en hiver. C'est ce qui explique les divergences notables qu'on trouve, à ce point de vue, entre les doses moléculaires toxiques de l'été et celles de Thiver (principalement pour le lithium). 2° On ne peut comparer rigoureusement les animaux à sang chaud et les animaux à sang froid. Il faut donc établir nos comparaisons seulement entre les mêmes animaux, et pour des expériences faites à la même température. 3° En tenant compte de ces faits, on voit que l'identité est vraiment remarquable entre ces divers sels métalliques toxi- ques, si l'on n'envisage que leurs poids moléculaires. Ainsi, la dose mortelle de lithium et la dose mortelle de rubidium, Ils nous prouvent bien que la dose toxique nécessaire est, en poids absolu, d'autant plus considérable que le poids moléculaire est plus élevé. Poids. Dose toxique. moléculaire. grammes. grammes. Rb I. . . 169 212 Kl. . . . 159 166 Li I.. . . 591 134 K Br. . . 141 119 Rb Br. . 135 165 Rb Cl.. . 135 120 Li Br.. . 120 87 K Cl. . . 99 74 LiCl. . . 54 42 Ce qui nous donne les rapports suivants pour la dose toxique de la molcciile de ces sels. grammes Li Br. . 138 K Cl. . . 130 Li Br. . 126 K Br . 119 Li 1. . 118 RbCl. . 112 Kl. . . 95 Rb Br. 81 Rb L . 79 Ces chiffres sont assez proches les uns des autres pour que nous regardions comme assez vraisemblable que c'est tel ou tel poids de la molécule qui est toxi- que, et non tel ou tel poids absolu du sel. 474 CHARLES RICHET. chez les lapins, sont exactement proportionnelles au poids moléculaire (0,0124 et 0,0128). De même, chez les pigeons, nous avons les doses suivantes, très voisines : TABLEAU XIII SAISONS. LITHIIM. POTASSIUM . RlIilDIcM. NATURE Il E s SELS. En été En hiver En hiver (|,Û12 0,000 0,007 0,013 0,010 0,006 0,013 0,007 0,006 Chlorures. Bromures, lodures. 4" En prenant les maximades variations, malgré les causes d'erreurs expérimentales, malgré les divergences dues à des espèces variables et à des températures variables, nous trou- vons que le maximum est de 0,0207 (chlorure de lithium pour les grenouilles) et le minimum de 0,0059 (iodure de rubi- dium pour les pigeons). C'est une différence de 1 à 3, dilîérence qui est assurément très grande, mais qui est bien moindre cependant que la différence du poids atomique du lithium et du rubidium. Autrement dit : si le lithium et le rubidium étaient, à poids égal, également toxiques, on devrait trouver, non pas une différence de 1 à 3, mais une différence de 1 à 12 dans la quantité nécessaire pour amener la mort. 5" Par là se peut déduire cette loi qui parait très impor- tante : c'est que les substances chimiques similaires agissent sur l'organisme proportionnellement, non à leur poids absolu, mais à leur poids moléculaire. Il se passe quelque chose d'analogue à cette décomposition de l'acétate d'argent dont nous donnions plus haut l'exemple. De mémo que pour la dé- composition de l'acétate d'arg-ent on envisage les poids molé- culaires et non les poids absolus; de môme, pour empoisonner un même poids d'animal vivant, il faut un môme poids molé- culaire d'un de ces sels alcalins. De là celte conclusion qui TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 475 est de la plus haute importance, c'est que les poisons agissent chimiquement, à la manière des substances chimi- ques. 6° Si nous prenons la moyenne générale, nous trouvons le chiffre : O,0ilo. Nous pouvons donc calculer ainsi à peu près la quantité de métal qui sera toxique. Soit un animal pesant ?? kilogrammes, et un sel alcalin quelconque (dont l'acide n'aura pas de propriété toxique); soit P le poids atomique de ce mé- tal, la quantité minimum de substance nécessaire pour tuer P X 0 ilo l'animal sera environ : '- \ n V Mais, quelle que soit l'identité de ces divers sels métal- liques, il n'en reste pas moins des différences notables dans la toxicité des métaux alcalins, même à molécule égale, comme le prouvent les chiffres suivants, déduits des moyennes des tableaux qui précèdent : TABLEAU XIV M É T A U X. LITHIUM. POTASSIUM. RUBIDIUM. MOYENNES. Chlorures Bromures lodures Moyennes générales. 0,0152 0,0139 0,0121 0,0135 0,0119 0,0095 0,0116 0,0084 0,0079 0,0134 0,0114 0,0097 0,0143 0,0111 0,0093 0,0115 Par conséquent, dans ces trois séries d'expériences, tou- jours la molécule du sel de lithium a été moins toxique que la molécule du sel de potassium, toujours la molécule dti sol de potassium a été moins toxique que la molécule du sel de rubi- 1. Pour prendre un exemple, et donner une application numérique immé- diate, quelle sera la dose de sulfate de rubidium nécessaire jDour tuer un lapin d'un kilogramme? Elle sera de P X 0,0115, c'est-à-dire de 0,98 environ, ce qui répond à environ 1,5 du sulfate anhydre. Il est donc permis ainsi de déterminer a priori la dose mortelle d'un sol alcalin quelconque. 476 CHARLES RICHET. dium. Ces faits sont de toute évidence, et ils ressortent avee une clarté indiscutable du tableau XIV*. 8" Donc, nous pouvons formuler cette double loi : A. Pour des substances chimiques similaires, les doses toxiques sont à j)eu près proportionnelles au poids molécu- laire, non au poids absolu. B. Pour des poids moléculaires égaux, les métaux alcalins sont d'autant plus toxiques que leur poids atomique est plus élevé. Cette transformation de la loi posée par Rabuteau est indis- pensable, car, en la prenant telle qu'il l'avait formulée, on commet une erreur considérable. C'est à molécule égale et non à poids égal, que les métaux à poids atomique élevé sont plus toxiques que les métaux à poids atomique faible. Même cette augmentation de toxicité est faible, puisque, la dose toxique étant de 100 pour le lithium, elle sera de 79 pour le potassium et de 63 pour le rubidium. En outre, il faudrait bien se garder de généraliser en pa- reille matière. Les sels alcalins agissent selon toute vraisem- TABLEAU XV Doses toxiques moléculaires LITHIUM. POTASSIUM. RUBIDIUM. MOYENNES. Chlorures 131 \-2\) 116 125 Bi-omures 139 119 8i 114 lodures 121 lia 79 97 Moyennes .... 113 114 93 112 1. NoiLs pouvons présenter ce tableau sous une l'orme plus saisissante, en ne donnant que les moyennes. (Tahl. XV.) \ous n'avons pas introduit les décimales : dans l'espèce cela est inutile, car il s'agit ici d'un rapport. Ce tableau diffère un peu du précédent; car nous y avons introduit seulement, dans les chiffres relatifs aux chlorures, les expé- riences portant sur pigeons, poissons et cobayes, tandis que le tableau XV contient les expériences faites sur tous les animaux, sauf écrevisses et limaçons. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 477 hlance d'une manière analogue, et ils portent leur action sur le même tissu ; on ne [doit donc pas les comparer avec d'autres qui agissent différemment, avec les sels d'argent, par exemple, qui ne peuvent s'éliminer; avec Foxyde de car- bone, qui se combine aux globules rouges; avec le curare, qui est un poison des terminaisons nerveuses, etc. D'autre part, le poison agissant vraisemblablement sur le svstème nerveux, les plantes, qui n'ont pas de système nerveux, se comporteraient sans doute suivant des lois tout à fait diffé- rentes '. 9^ En comparant les chlorures, les bromures et les iodures, on trouve que les chlorures sont moins toxiques que les bro- mures, et les bromures moins que les iodures. Et cette loi offre une très grande régularité. Si la toxicité moyenne des 1. Dans la première partie de ce mémoire (voyez plus haut, page 430), ea comparant le lithium, le sodium, le potassium, le rubidium et le césium, j'avais constaté la très faible toxicité du sodium, mais j'ai ici laissé le sodium de côté intentionnellement. Il est certain que le sodium, faisant partie intégrante de l'économie, ne peut être considéré comme une substance toxique au même titre que le lithium, le rubidium et le potassium, qui sont des éléments étran- gers à nos tissus. De plus, même au point de vue chimique, le sodium forme un groupe inter- médiaire, au moins d'après la classitication de M. Mexdeléeff et de M. Lothar Meter, ce qui lui donne peut-être des propriétés physiologiques quelque peu différentes. E. ne rentre pas dans la série périodique primaire Li, K, Rb, Cs. Nous ne devons donc pas faire entrer le sodium en ligne de compte ; car le mot intoxication par un chlorure alcalin signifie, selon toute vraisemblance, déplacement du chlorure de sodium normal du système nerveux par un autre sel alcalin hétérogène. Quant au césium, mes expériences ont été trop peu nombreuses pour en dé- duire quoi que ce soit de définitif. Je me propose de reprendre cette étude du césium. Si donc nous faisons l'élimination du sodium et du césium, nous trouvons les données suivantes : 7 iiaiIli.oframmes de litiiiuni intoxiqnent ilo ranimai vivant 70 grammes. 39 — de potassium — — 67 — 83 — de rubidiam — — 53 — Ces chififres sont très coucordants, et ils prouvent en outre que, à poids moléculaire égal, les mijtaux alcalins sont à peu près également toxiques, mais que ceux dont le poids atomique est élevé sont un peu plus toxiques, à molécule égale. 478 CHARLES RICHET. iodures est de 100, celle des bromures sera de 12G, et celle des chlorures de 139 (en poids moléculaire;. Mais, si nous reprenons un des tableaux donnés plus haut, relativement aux doses toxiques absolues, nous pouvons en déduire, pour le chlore, le brome et l'iode, les chiffres sui- vants, qui expriment, en poids absolu, la dose toxique. Dose toxique de chlore . . 0,47 Dose toxique de hrome. . 0,07 Dose toxique d'iode. ... i ,22 Ainsi, par rapport au poids absolu, l'iodure est moins toxique que le bromure, et le bromure moins toxique que le chlorure, tandis que. par rapport au poids moléculaire, c'est précisément l'inverse qui est vrai. Or c'est seulement cette quantité moléculaire qui est intéressante; et alors, nous pou- vons formuler cettre troisième loi : C. A poids moléculaire égal, If chlore, le brome et l'iode [combinés aux métaux alcalins) sont à peu près également toxiques; jnais ils le sont d autant plus que leur poids ato- mique est plus élevé. 10° Les différences qu'on constate entre les divers animaux sont, selon toute vraisemblance, dues en majeure partie à l'absorption plus ou moins rapide, d'une part; et, d'autre part, à l'élimination plus ou moins rapide. Comme avec le lithium l'élimination est très lente, et permet alors à l'absorption de se faire complètemenl, les causes d'erreur sont faibles. Aussi les chiffres obtenus avec le lithium sont-ils très réguliers '. Au contraire, avec le potassium, qui est mal absorbé, les erreurs sont fréquentes; mais, en répétant les expériences, on a vu qu'on peut arriver à un chiffre voisin du chiffre vraisem- blable. 1. Sauf le cas où il y a de grandes différences dans la température exté- rieure. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 479 I. — Effets des mélanges de sels. S'il est vrai que ces substances salines agissent sur l'orga- nisme moléculairement, pour ainsi dire, en se substituant aux sels normaux de nos humeurs ou de nos tissus, il s'ensuit qu'en mélangeant des sels qui ont par hypothèse une action analogue, on devra obtenir le même effet que si l'on agissait avec un seul de ces sels. Cette démonstration était intéressante à faire, car elle prou- verait que l'action de ces divers sels est au fond identique, puisqu'on peut remplacer, je suppose, un tiers de molécule de chlorure de rubidium par un tiers de molécule de chlorure de lithium et un autre tiers de ce môme chlorure de rubidium par un tiers de molécule de chlorure de potassium. Autrement dit encore, étant donné un animal d'un kilo- gramme, la dose toxique sera une molécule de substance sa- line, et cela, quelle que soit cette molécule, qu'elle soit con- stituée par un mélange de sels divers (dont l'ensemble formera une molécule) ou bien par un sel unique. C'est la démonstration à "posteriori de ce fait fondamental que nous avons indiqué dans le cours de ce travail, à savoir que les substances toxiques agissent chimiquement. A cet effet, j'ai préparé une solution des trois chlorures de rubidium, de potassium, et de lithium, dans des proportions telles, qu'il y eût 1^" de lithium pour S'', 57 de potassium et 12=%14 de rubidium; c'est-à-dire en divisant ces doses par le poids atomique, de manière qu'il y eût, dans le même volume de la dissolution, un tiers de molécule de chacun de ces sels. Cette solution mélangée a été injectée, comme si elle était une solution saline simple, à différents animaux. Dans le tableau qui va suivre, nous indiquerons quelles ont été les doses toxiques de lithium, de potassium et de ru- bidium. 480 CHARLES RICHET. TABLEAU XVI Doses toxiques des chlorures mélangés. LITHIUM. POTASSII'M. RUBIDIUM. LITIIHM. POTASSIUM. RUBIDIUM. Poissons. Tortues. 0,013 V 0.077 V 0.160 V 0.037 M 1 0,210 M 0,4iO M 0,019 V 0.106 V 0,230 V Pigeons. 0,026 V 0.140 V 0,310 V 0.016 Y 0,092 Y 0,200 Y 0,037 V 0,038 V 0,038 M 0.210 V 0.220 V 0,220 M 0,440 Y 0,450 Y 0,025 Y 0.138 Y 0.300 Y 0.030 M 0.031 M 0,170 M 0,170 M 0.3H0 M 0.380 M 0.450 M 0,040 V 0.230 V 0.473 Y 0,031 M 0,170 M 0.380 M 0,042 M 0.240 M 0,510 M 0,033 M 0,190 M 0.400 M 0,049 M 0,280 M 0.600 M 0,033 V 0.190 Y 0.400 Y 0,059 M 0.310 M 0,680 M Cobayes. 0,060 M 0,340 M 0,740 M 0,030 V 0,190 Y 0.380 Y 0,060 M 0,340 M 0.740 M 0.0.54 M 0,190 M 0.410 M 0.090 M 0,:H0 M 1.130 M 0.038 Y 0,210 Y 0.420 Y Il ressort des chitlVes que la dose toxique des chlorures mélangés est la suivante : TABLEAU XVII Poissons Pigeons. Cobayes 0,038 0,027 0,035 PdTASSIUM. 0,220 0,150 0,200 0,450 0,340 0.420 Si l'on compare ces chiffres aux doses moyennes que nous avons indiquées plus haut pour les chlorures, nous trouvons pour le lithium : Poissons, . 0,038 au lieu de 0,087 Pigeons. . 0,027 — 0,084 Cobayes.. 0,03a — 0,100 TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 481 Pour le potassium et le rubidium le même fait s'observe \ Si les doses ainsi obtenues sont à ce point faibles, com- parées aux doses de chlorures isolés, cela tient sans nul doute à ce que ces diverses substances, agissant synergique- ment, surajoutent leur action. C'est une somme que l'on ob- tient, lien serait tout différemment si ces poisons n'agissaient pas à la manière des substances chimiques. D'ailleurs on se rendra mieux compte de ces effets en calculant non plus par le poids absolu, mais par le poids mo- léculaire. Voici les calculs des poids moléculaires, c'est-à-dire du poids absolu de lithium divisé par son poids atomique, plus le poids absolu de potassium divisé par son poids atomique, plus le poids absolu de rubidium divisé par son poids ato- mique. Il est clair que, dans ce cas, nous aurons un tiers de molécule de chlorure de lithium, un tiers de molécule de chlorure de potassium, et un tiers de molécule de chlorure de rubidium. TABLEAU XVIII Doses toxiques moléculaires des chlorures mélangés. ESPÈCES. LITHIUM. POT.\SSIUM. RUBIDIU.M. TOTAL. Poissons Pigeons Cobayes 0,005 i 0,0039 0,0050 0,0254 0,0039 0,0050 0,0094 0,0039 0,0050 0,0102 0,0117 0,0150 Or les doses toxiques moléculaires des chlorures isolés sont, d'après un des tableaux donnés plus haut (Tableau XII), «n moyenne, de 0,0115. On voit que c'est à peu près le chiffre auquel nous arrivons pour la somme des trois chlorures mé- 1. Je noterai que ces expériences avec les chlorures mélangés ont été faites ■en hiver; ce qui tend, comme nous l'avons dit, à augmenter la toxicité pour les pigeons et à la diminuer pour les poissons. TOMK II. 31 482 CHARLES RICHET. langés, injectés chez le pigeon; et c'est, à peu de chose près, ce que nous donne encore la somme de ces trois chlorures pour les poissons et les cobayes. Nous pouvons donc déduire de ces faits la loi suivante : D. Les sels alcalins agissent synergiquement; et, en les mélangeant 1rs uns aux autres^ V effet 'produit est la somme de leur action. J. — Effets des injections successives. Par suite de la lenteur des éliminations, si l'on fait une série d'injections successives, on observe parfois le phéno- mène de l'accumulation de la substance toxique dans l'orga- nisme, quelque surprenant que paraisse ce fait avec des subs- tances aussi diffusibles et aussi faciles à éliminer que les sels des métaux alcalins. Voici quelques expériences à cet égard : elles ont été faites sur les poissons'. EXPÉRIENCK 1. Le l*-- jouf. . 0,82 de Rb I Le -S" jour. . 0,105 de Li Cl vie. Le U^jour. . U,10;i — moil. Expérience IL Le 1" jour. . 0,39 de K Cl Le 7'= jour. . 0,32 de K Cl mort rapide. E X P 1^ K I E N c E 1 1 1 . Le 1" jour. . 0,106 de Li Br Le 6'= jour. . 0,071 — mort. Expérience IV. Le 1" jour. . 0,2o de Kl Le 9° jour. . 0,25 — vie. 1. Mais, chez les poissons, les elîets du froid ont dû faire vai-icr beaucoup les résultats. En été les doses de Li Br et de Li Cl, par exemple, qui n'ont pas tué les poissons en hiver, eussent été rapidement mortelles. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 483 Expérience V. Le i" jour. . 0,42 de K Br Le o" jour. . 0,43 — vie. E X p É R I E N CE VI. Le 1" jour. , . 0,b2 de K Br Le 15" jour. . 0,52 mort. Expérience VII. Le d^r jour. . , 0,40 de K Br Le 15<= jour. . 0,40 — mort. Expérience VIII. Le i" jour. . 0,110 de Li Br Le db«jour. . 0,082 — Li Cl mort. Expérience IX. Le d" jour. . 0,44 de Kl Le 9"= jour. . 0,44 — mort au 12*= jour. Expérience X. Le 1" jour. . 0,50 de Kl Le 6^ jour. . 0,50 — mort au 8^ jour. Expérience XI. Le 1" jour. . 0,163 de Li Br Le 6" jour. . 0,163 — mort au Séjour. Expérience XII. Le l^'^ jour. . 0,150 de Li Br Le 14® jour. . 0,150 — mort au 17^ jour. lixPÉRIENCE XIII. Le 1" jour. . 0,41 de Kl Le 14« jour. . 0,41 — mort au 30« jour (?) Encore que les faits ci-dessus exposés ne soient pas sans exception, on voit cependant bien cette accumulation des substances toxiques dans l'organisme des poissons. Ainsi, en 484 CHARLES RICHET. donnant, à 5, 6, 10 et même \o jours d'intervalle, la même dose au même poisson, on arrive à le tuer. Par exemple (Expér. I), un poisson qui a survécu à la dose de 0.1 05 de Li Cl meurt à la suite de l'injection de la même dose faite neuf jours après. De même, dans les expériences VII et X. Les expériences II, III et VIII sont surtout démons- tratives. En effet, la dose injectée six jours et quinze jours après est moindre que la dose primitive qui n'avait pas en- traîné la mort. Je neprétends pas ranger les sels alcalins parmi les poisons qui ne s'éliminent pas : je crois seulement que, chez les pois- sons, cette élimination est très lente, puisque, même quinze jours après la première injection, la même dose, et même une dose plus faible, nouvellement injectée, produit unefTet mortel. Chez les pigeons, il ne semble pas en être de même ; mais l'expérience est assez compliquée, car l'épuisement de l'animal et la suppuration qui suit l'injection sous-cutanée rendent une conclusion formelle assez incertaine. Cependant l'élimi- nation paraît être assez rapide. Ainsi un pigeon qui avait reçu, le 13 novembre, une injection de 0.34 de KCL, reçut le len- demain, vingt-quatre heures après, une injection nouvelle de 0.32 de KCL, et il survécut. Il y aurait évidemment, sur ce point, de nouvelles expé- riences à entreprendre, et elles seraient d'autant plus inté- ressantes qu'elles permettraient de résoudre, au moins dans un certain sens, la nature de l'action toxique. S'il est vrai que les poisons alcalins ne s'éliminent pas, cela prouve qu'ils for- meraient dans l'organisme une sorte de combinaison par sub- stitution au chlorure de sodium qui serait difficilement disso- ciable, et qui, une fois formée, resterait dans l'organisme, probablement dans la trame du système nerveux, à l'état de composé de sel alcalin avec l'albumine, composé qui remplace la combinaison normale du chlorure de sodium avec l'albu- mine. Je me propose de reprendre ces faits à l'aide de celte méthode, qui donnera assurément des résultats intéressants. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 48. j K. — Effets généraux des poisons alcalins. Tous ces sels alcalins semblent agir de la même manière, et, comme nous l'avons dit, porter leur action sur le système nerveux. Ces effets sont : affaiblissement général de l'orga- nisme, titubation, hébétude, refroidissement, affaiblissement de la motilité et de la sensibilité, affaiblissement de la nutri- tion et diminution rapide du poids. Il est presque impossible de dire sur quelle partie du fonc- tionnement des centres nerveux cette action toxique porte principalement. A vrai dire, toute l'innervation est atteinte, tout le système nerveux est empoisonné. Tandis que ces sels, injectés dans les veines, sont des poi- sons du cœur, injectés sous la peau, ils sont des poisons de l'innervation. Aussi le contraste est-il frappant entre les doses énormes nécessaires pour être mortelles quand l'injection est sous-cutanée, et les doses relativement faibles qui suffisent quand l'injection est faite directement dans le système cir- culatoire. Je donnerai quelques chiffres relativement à l'in- fluence des sels alcalins sur le poids général du corps, et on verra quelles chutes rapides ils provoquent. Expérience I. — Pigeon de 312 grammes. Injection de 0,50 de Rb I. Poids '. grammes. 23 novembre. . 312 100 24 — . 280 89 2o — . 267. 85 26 — . 235. 82 27 — . 248. 80 28 — . 240. 77 29 — . 237. 76 30 — . 222. 71 l^r décembre. 220. 71 2 — . 216,71 1. Dans les chiffres qui suivent, la première colonne indique le poids absolu du pigeon; la seconde, le poids relatif, en supposant qu'avant rexpérience son poids était de 100 grammes. 486 CHARLES RICHET. Expérience II. — Pigeon de 348 grammes (mis au froidj. Injection de 0, 0o7 de Li Br. Poids. 23 novembre 24 — 25 — 26 — 348. 300. 277. 265. 100 86 79 76 mort. Expérience III. — Pigeon de 343 grammes (mis à l'étuve). Injection de 0,060 de Li Br. Poids. grammes. 23 novembre . 345 100 24 — . 343. 100 23 — 260. 75 26 — . 240. 70 27 — 237. 71 28 — . 242. 70 29 - . 233. 69 30 — 298. 86 1^'' décembre . 273. 79 2 — 270. 79 3 — 303 . 88 4 — . 283. 81 Expérience IV. — Pigeon de 325 gramme s. Ir je ction ( (Au froid. Poids. grammes. 23 novembre. 325. . . . . 100 24 — . 300. . . . . 92 25 — . 279. . . . . 86 26 — 262. . . . . 80 27 — . 248. . . . . 76 28 - . 233. . . . . 70 29 — . 223. . . . 65 30 — . 209. . . . . 60 1" décembre . 191. . . . . 35 mort. Cette expérience est instructive; elle semble montrer que l'animal meurt, non par les effets immédiats et directs du TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 487 poison, mais par suite de l'affaiblissement du système nerveux, qui n'a su résister ni au froid ni à la dénutrition graduelle, rapide, qu'accuse bien la décroissance quotidienne du poids. Expérience V. Pigeon de 303 grammes. Injection, le 26 novembre, de 0,061 de Li Br. (Au froid.) Poids. grammes. 26 novembre . . 303 100 27 — . 263 87 28 — . 241 80 29 — . 230. . . . 76 30 — . 212. . . . . 70 l^r décembre . . 198. . . . 63 mort. Cette expérience, comparée aux expériences II et III, est aussi des plus intéressantes, puisque trois pigeons ont reçu la même dose de Li Br. Les deux qui étaient au froid sont morts en perdant, l'un 24 0/0, l'autre 35 0/0 de leur poids. Le troi- sième, mis à l'étuve, a survécu, après avoir perdu un moment 31 0/0 de son poids ; puis il s'est remis de cette atteinte pro- fonde, car il n'avait pas besoin comme les autres de résister au froid. On pourrait donc dire, dans une certaine mesure, que les pigeons empoisonnés en hiver par les sels de lithium meurent de froid. Expérience VI. — • Pigeon de 273 grammes (mis à l'étuve). Injection de 0,072 de Li CL Poids. grammes. 8 décembre. 273. . . . . 100 9 — . . 220. . . . . 80 10 — . 190. . . . . 69 11 — . 180. . . . . 63 12 — . 172. . . . . 60 13 — . 198. . . . . 72 14 — . 190. . . . . 69 13 — . 180. . . . . 63 16 — . , 178. . . . . 64 22 — . 182. . . . . 66 488 CHARLES RICHET. Expérience VII. — Pigeon de 28o grammes (mis à l'étuve). Injection de 0,0:i4 de Li Br ^ Poid^^. grammps. 8 décembre . 283 100 9 — . 252. S8 10 — 230. 80 11 — 270. 94 12 — . . 250. 88 13 — . 247. 87 14 — . 251. 88 15 — 258. 90 16 — . 233. 89 22 — . 280. 98 Expérience VIII. — Pigeon de 294 grammes. Injeclion de 0,69 dé Kb Cl. (Mis à l'étuve.) Poids. grammes. 8 décembre . . 294 100 9 — . 260. 88 10 — 243. 83 11 — . 248. 84 12 242. 82 13 — . 2.30. 83 14 — . . 252. . 86 15 — 239. 88 16 — . . 233. . 86 22 — . 260. . 88 Expérience IX. — Pigeon de 318 grammes. Injection de 0,032 de Li Cl. (Au froid.) Poids. 100 72 78 73 76 78 80 1. Comparer cette expérience à l'expéricQce II, où un pigeoQ est mort après avoir été soumis au froid, ayant reçu 0,037 de Li Br. gramme? 8 décembre . . 318. 9 — . . 230. 10 - . 230. 11 — . 233. 12 — . 243 . 13 - . 230. 14 — . . 233 . TOXICOLOGIE DES METAUX ALCALINS. Poids, grammes. !5 — . . 248 77 16 — . . 246 76 22 — . . 240 74 t89 Expérience X. Pigeon de 320 grammes. Injection de 0,02o de Li Ci. (Au froid.) 8 décembre 9 — 10 — H — 12 — 13 — 14 — lo — 16 — 22 — Poids p:amme 320 280 340 32o 320 320 322 340 32o 390 100 80 107 101 100 100 100 107 101 122 EspÉRiE.N'CE XI. — Pigeon de 2o4 grammes. Injection de 0,036 de Li (Au froid.) Poids. grammes. 8 décembre . . 245 100 9 — . . 182. 74 10 — . . 190. 77 11 — . . 184. 7o 12 — . . 190. 77 13 — . . 180. 72 14 — . 200. . 80 lo — . . 2o;j . . 81 16 — . . 20o . . 81 22 . 2o8 . . lOo ExpÉRiE>'CE XIL — Pigeon de 300 grammes. Injection de 0,033 de Li Br. (Au froid.) Poids. 8 décembre . gramme i . . 300. . . . . 100 9 — . 250. . . . . 83 10 — . . 230. . . . . 77 490 CHARLES RICHET. Poids. grammes. 11 décembre. . 200 87 12 — . . 240 80 13 — . . 235 78 li — . . 240. .... 80 15 — . . 230 83 16 — . . 2o2 84 22 - . . 312 lO; Il semble résulter de ces expériences, d'une part, que la diminution de poids se fait dans les deux, ou trois, ou quatre jours qui suivent l'expérience. Au bout de ce temps, trois phénomènes peuvent se passer : ou bien l'animal continue à perdre de son poids, et alors il meurt (quand la perte de poids est d'environ 40 p. 100\ ou bien son poids reste stationnaire. ou bien il reprend le dessus, et revient à son poids normal. Mais le détail de ces diverses influences exige évidemment une étude toute spéciale qui ne peut prendre place dans ce mé- moire. Chez les poissons et les tortues, on n'observe qu'une di- minution minime dans le poids du corps, ce qui s'explique bien jiar la lenteur, chez ces animaux, des phénomènes chi- miques de nutrition ou de dénutrition'. Les faits indiqués plus haut montrent que les éléments du système nerveux qui président à la nutrition et à l'assimi- lation sont lésés. La dénutrition se fait continuellement, presque sans ellort: elle a lieu également sur les animaux sains et sur les animaux malades. Mais ce qui exige un tra- vail actif du système nerveux, c'est la nutrition. Or, un système nerveux intoxiqué, épuisé, ne saurait y suffire. Par consé- quent, la dénutrition s'opère seule, sans qu'il y ait, pour y 1. Il me parait que cette déautrition rapide, sous l'influence des sels de po- tassium, de rubidium et de lithium, a une certaine importance. On n'a pas sufli- saminenl essayé, en médecine, l'action des sel.s de lithium ou de rubidium comme succédanés des sels de potassium, dont on connaît bien l'action dcnu- trilive souvent utile. Cela mériterait, je crois, d'être tenté par les médecins. TOXICOLOGIE DES METAUX ALCALINS. 491 remédier, une nutrition correspondante; et alors l'animal perdchaque jour de son poids, sans pouvoir réparer les pertes quotidiennes nécessaires. Ingestion, digestion, absorption, se font, chez les animaux sains et malades, à peu près de la même manière; mais chez les animaux malades (empoisonnés), quoiqu'ils mangent, à ce qu'il me semble, un peu plus que les autres, la dénutrition est active, et chaque jour le poids va en diminuant. On pourrait faire encore d'autres hypothèses. Mais je me contente d'appeler l'attention des physiologistes et des méde- cins sur ces phénomènes. L. — Action sur les nerfs du goût. Il m'a paru assez digne d'intérêt de chercher comment les divers chlorures se devaient comporter, non plus sur le sys- tème nerveux central, mais sur les terminaisons nerveuses. Pour cela, j'ai fait, avec mon ami E. Gley, des expériences sur la gustation. Il est évident que la limite de la sensibilité gusta- tive nous donnera (quoique d'une manière approximative) la limite de l'excitabilité des nerfs du goût aux sels alcalins. Ces expériences nous ont donné les résultats suivants : TABLEAU XIX Doses limites^. MÉTAUX. CHLORURES. bromures. lODURES. MOYENNE. Lithium Sodium Potassium Rubidium Moyenne générale. . 0,06 o,n 0,30 0,30 0,053 0,13 0,30 0,30 0,03 0,10 0,23 0,30 0,033 0,130 0,280 0,300 0,26 0,24 0,22 0,24 1, En paids de métal, par litre de liquide. 492 CHARLES HICHET. Si l'on prends le poids atomique de ces do^es sàpides limites, tout à fait comparables entre elles, comme l'ont été précédemment les doses toxiques limites, nous trouvons les clîitïres suivants, qui indiquent la dose sapide moléculaire : Lithium. . . 0,0078 Sodium. . . 0,00b6 Potassium. . 0,0072 Rubidium. . 0,0059 (l'est là une concordance très remarquable, étant donnée l'incertitude des notions objectives fournies par le sens du goût. Nous pouvons donc établir la mémo loi que plus haut, à savoir que les substances sapides (qui sont comparables entre elie-s) réagissent sur les nerfs périphériques de la gustation à la manière des agents chimiques, c'est-à-dire pro- portionnellement.'non au poids absolu, mais au poids molé- culaire. De môme, en associant entre eux les divers sels, nous les avons vus ajouter leur action gustative l'un k l'autre. L'effet observé est une somme, et les sels alcalins, mélangés les uns aux autres, surajoutent leurs effets. Ainsi, en mélangeant un quart de molécule de chlorure de rubidium avec un quart de molécule de chlorure de lithium, un quart de molécule de chlorure de sodium et un quart de molécule de chlorure de potassium, nous avons obtenu à peu près les mêmes efTets que si nous avions mis une molécule entière d'un seul de ces sels. Cela prouve bien qu'ils agissent de la même manière, et sur les mêmes éléments chimiques du même tissu anatomique (terminaisons gustatives nerveuses). Il y a là évidemment une confirmation intéressante des faits indiqués dans les chapitres précédents. TOXICOLOGIE DES MÉTAUX ALCALINS. 493 Conclusion. La conclusion de ce long travail sera courte, et on peut la formuler à peu près ainsi : Les actions toxiques sont des actions chimiques. Elles se font suivant les mêmes lois. Donc, pour des substances qui poin- tent leur action sur les mêm,es éléments anatomiques , les doses mortelles sont proportionnelles non aux poids absolus., mais aux poids moléculaires. XXXVI DE LA SENSIBILITÉ GUSTATIYE AUX ALCALOÏDES Par MM. E. Gley et Ch. Richet. Il nous a paru intéressant de rechercher quelle était la limite de sapidité pour les alcaloïdes dont l'amertume est, en général, très considérable; jusqu'à présent, aucune recherche méthodique d'ensemble n'a été faite sur ce point. Comme dans nos recherches antérieures, nous avons con- staté que la sensibilité gustative varie suivant les personnes qui expérimentent, et varie même quelquefois suivant l'état physiologique ou psychologique d'une personne donnée. Quelques précautions sont à prendre : d'abord il ne faut pas employer d'eau distillée, comme cela était nécessaire quand il s'agissait de solutions métalliques (l'eau contenant des sels qui précipitent les métaux lourds). En second lieu, il ne fautgoùter quelamêmequantité volumétriqueduliquide, attendu que ce nest pas seulement ladose relative, en dilution plus ou moins grande, mais encore la quantité absolue de substance qui joue un r(Me. Enfin, il faut mettre un certain intervalle entre les essais gustatifs; car il y a des arrière- SENSIBILITE DU GOUT AUX ALCALOÏDES. 49: goûts, des post-sensations, qui persistent parfois fort long- temps. Nous avons pris comme limite, non pas la plus ou moins grande amertume, car certains alcaloïdes provoquent des sensations tout autres que l'amertume, mais les saveurs, quelles qu'elles soient, et nous avons ainsi déterminé, par comparaison avec l'eau ordinaire, quelle est la quantité d'al- caloïde, dissoute à l'état de sel dans un litre d'eau, qui peut, lorsqu'on prend 5 centimètres cubes de la solution, se distin- guer de l'eau ordinaire en égale quantité. Il va sans dire que ces chiffres sont loin d'être absolus; mais, toutefois, les expériences étant faites dans les mêmes conditions, ils sont comparables entre eux. Pour quelques substances l'amertume ou la saveur ne sont perçues qu'à la base de la langue; ainsi, pour la strychnine et surtout pour le sulfate de quinine, ce n'est qu'en goûtant tout à fait à la base qu'on peut reconnaître des solutions diluées. Voici les chiffres que nous avons obtenus : Alcaloïdes Degré Quantité (le la dilution de substance nécessaire par litre. pour être perçue. Strychnine monochlorée. . 0,0006 0,000002 Strychnine 0,0008 0,000004 Nicotine i 0,003 0,0000J3 Éthyl-strychnine 0,004 0,00002 Quinine 0,004 0,00002 Colchicine. ....... 0,0045 0,0000225 Cinchonine 0,0016 0,00008 Vératrine. ....... 0,02 0.0001 Pllocarpine 0,025 0,000125 Atropine 0,03 0,00015 Aconitine^ 0,5 0,00025 1. A cette dose, la nicotine donne lieu, non pas à une sensation gustative, mais à une sensation olfactive ; la preuve, c'est que la sensation produite dis- parait, si on se bouche le nez. Il faut aller jusqu'à la dose de Ogr,l par litre pour éprouver sur la langue, le nez bouché, une sensation piquante qui n'est pas non plus une sensation, à proprement parler, gustative, mais tactile. 2. Pour l'aconitine, même observation que pour la nicotine. On sent une 496 E. G LE Y ET G H. lUGHET. Alcaloïdes Gocaïne. . . Morphine . . Méthylamine. Ammoniaque Urée. . . . Degré Quantité de la dilutiou (le substance nécessaire par litre. pour être perçue. grammes. grammes. o.<;i 0.00075 0,1;; 0,00075 0,lo 0,00075 0,4 0,002 7,0 0,035 Il résulte de ces faits que la dose sensible à la gustation est extrêmement variable, puisque il faut une dose deux mille fois plus considérable de morphine que de strychnine pour éveiller une sensation. On remarquera aussi qu'il n'y a pas de rapport entre la toxicité et l'amertume, puisque l'atropine, beaucoup plus toxique que la quinine, est cependant bien moins sensible au goût. saveur nettement vireuse, mais qui n'est jias vraiment une saveur : c'est une odeur qui disparaît quand on se bouche le nez. XXXVII SUR L'ÉLIMINATION DES lODURES ET DE QUELQUES MÉDICAMENTS PAR l'uRIjNE Par M. Joseph Roux. DaQs ce travail, nous avons d'abord cherché à élucider certains points touchant l'élimination des médicaments par l'urine, son début et sa durée, en tenant compte à la fois de l'influence de la dose (forte ou faible, répétée ou unique) et de l'état des reins. Dans une seconde partie nous nous sommes particulière- ment attaché à chercher dans quel org-ane les iodures se retrouvent en plus grande abondance ; puis nous avons voulu savoir si cette affinité est profonde, si les cellules du paren- chyme forment avec les sels une combinaison stable. Nous avons étudié ces points à la fois sur l'homme sain et sur les animaux au laboratoire, et sur l'individu malade à l'hôpital. Nous avons limité nos recherches à trois substances : l'io- TOME II. 32 498 JOSEPH ROUX. dure de potassium principalement, le sulfate de quinine et Fantipyrine. Cette question de l'élimination des substances employées en thérapeutique est un des points qui intéressent non seu- lement la science pure, mais encore la clinique. Il nous suffira de citer l'inutilité ou les dangers qu'olTre l'introduction dans l'organisme d'une substance qui peut for- mer des combinaisons inefficaces ou toxiques avec un médi- cament non encore éliminé. De même l'accumulation des médicaments ordonnés même à faible dose peut être nuisible à des malades dont le filtre rénal est oblitéré : ainsi M. Rendu ' a vu se développer des accidents terribles, terminés par la mort dans le coma, chez un individu atteint de néphrite interstitielle, et auquel il avait prescrit un gramme d'iodure de potassium. Les intoxications saturnines et mercurielles rentrent aussi dans cette catégorie, mais nous n'avons pas ici à nous en occuper". Nous n'avons pas non plus abordé la question de l'influence de l'iodure de potassium sur la quantité de l'urine émise, ni sur sa teneur en urée; ces recherches ont été publiées par M. Bruneau' en 1880. Le début de l'élimination des médicaments et sa durée ont déjà été étudiés par G. -A. Stehberger ' ; toutefois cet auteur s'est surtout attaché à retrouver des matières colorantes : garance, bois de campêche, etc. Kramer^ parle d'un malade qui élimina en sept jours l'io- 1. Bulletin de la Société médicale des hôpitaux, 1885. 2. Voyez Quinquaud, Société française de dermalolor/ie et syphiligraphie. Première séance, 1^' avril 1890, in Bulletin médical du 13 avril. 3. Bruneau, Thèse de pharmacie, 1880, Du passage de quelques médicaments dans les urines. 4. G.-A. Stehberger, Journal complémentaire du Dictionnaire des sciences médicales, 1826, t. XXV, p. 321. 5. Kramer, « Sur le passage des sels dans le sang et sur les matières sé- crétées « [Archives générales de médecine], 4^ série, t. Vlll, 1843, p. 214, cité par LoNGET, Ti'aité de Physiologie, t. II, p. 321, 3» édit., 1813.) ELIMINATION DES lODURES. 499 dure de potassium absorbé pendant un traitement de cin- quante jours. WÔHLER* cite le fait d'un jeune chien à la mamelle dans l'estomac et dans l'urine duquel on trouva de l'iode après que sa mère en eut pris. D'autres auteurs ont cherché le moment de l'apparition des substances odorantes : asparagine, térébenthine, etc.. En somme on ne trouve nulle part cette question traitée avec les développements que mérite son importance clinique. M. Hayem, dans des observations qui n'ont pas été publiées, a noté la présence de l'iode pendant des périodes de douze jours chez des malades qui ont été soumis longtemps à un traitement ioduré à des doses dépassant 2 grammes. Pour M. MoLÈNES^, la durée d'élimination varie suivant la dose, et elle peut être parfois de dix à douze jours quand on a dépassé 10 grammes. Un autre expérimentateur, IIermann Hoffmann '\ a pris ré- gulièrement, toutes les heures, 0,20 d'iodure de potassium, et il a cherché à quel moment de la journée le maximum était éliminé; il a trouvé que c'était à quatre heures après midi, l'expérience ayant commencé à six heures du matin. Après le repas il a éliminé 0,55 en deux heures, et dans la proportion de 0,50 par litre. I Technique chimique. RECHERCHE DE l'iODURE EN SOLUTION AQUEUSE Les procédés sont nombreux ; citons rapidement les prin- cipaux : nous indiquerons plus en détail celui qui nous a servi à faire nos recherches. 1. WôHLER, Journal des progrès des sciences médicales, 1827, I, p. 4o. 2. MoLÈNES, Archives de méd., juin 1889, p. 6S8. 3. Hermann Hoffmann, Archives de Pflûger, 1887, t. XLI, p. 171. bOO JOSEPH ROUX. r Emploi de l'amidon : On ajoute à la solution quelques gouttes d'empois d'ami- don étendu d'eau, puis on y verse goutte à goutte de l'eau de chlore : l'iode mis en liberté colore immédiatement l'amidon en bleu. Il faut opérer à froid et éviter avec soin un excès de chlore. 2° L'azotate d'argent : Ce sel donne un précipité jaune d'iodure d'argent, inso- luble dans l'acide azotique et dans l'ammoniaque, mais blan- chissant au contact de ce dernier réactif. 3° L'acétate de plomb : Il produit avec les iodures un précipité jaune un peu soluble dans l'eau bouillante. 4" Les sels de thalhum : Produisent également un précipité jaune insoluble dans l'eau bouillante. 5° Les sels mercuriques : Donnent un beau précipité rouge soluble dans l'iodure de potassium, etc. La réaction à laquelle nous nous sommes arrêté et qui nous a servi pendant toutes nos recherches est fondée sur l'expérience suivante : lorsqu'on ajoute de l'eau de chlore à la solution d'un ioduro,le chlore se substitue à l'iode, qui de- vient libre et colore le liquide en brun clair (si on chauffe cette liqueur, elle laisse dégager de l'iode et se décolore. Une nou- velle addition d'eau chlorée produit une nouvelle coloration, et le même phénomène se reproduit jusqu'à expulsion com- plète de l'iode, la liqueur froide reste alors tout à fait incolore quand on y ajoute de nouveau du chlore). Si au fond du tube à essai on met une goutte de chloroforme grosse comme une noisette, le chloroforme s'empare de l'iode et se colore en vio- let, ce qui rend la réaction beaucoup plus sensible. En effet, le chloroforme présente alors une coloration bien plus vive que l'eau n'en présenterait pour la même quantité d'iode. (lomme pour la réaction avecl'empois d'amidon, il est bon ÉLIMINATION DES lODURES. oOl de verserl'eau de chlore seulement goutte à goutte et d'agiter souvent le chloroforme. Enfin il faut, pour plus de sûreté, em- ployer une eau thlorée très diluée. On en comprendra facile- ment la raison si l'on remarque que la coloration violette du chloroforme doit disparaître lorsque l'on a mis six équivalents de chlore pour un équivalent d'iodure. CP + Kl + 3H^0 =IO^K + 6C1H. Ainsi avec une eau chlorée très forte on dépasse fata- lement la dose, surtout si l'on ne cherche que des traces d'iodure. La sensibilité de cette réaction est considérable, puisque avec 0,0125 d'iodure par litre nous l'avons retrouvée avec une netteté absolue. RECHERCHE DE L lODURE DANS L URIxNE Wœhler, dans son mémoire^nous ditquele chlore ne con- vient pas pour la recherche de l'iodure de potassium dans l'urine parce qu'un léger excès de ce corps s'empare de l'iode devenu libre et le transforme en acide iodique, lequel ne réa- git pas sur l'amidon ; d'après lui le seul moyen de découvrir l'iode consiste à mettre dans les urines un peu de chlorate de potasse et un peu d'amidon, à faire tomber avec précaution sur l'un et l'autre, au fond du vase, une goutte d'acide sulfu- rique ou chlorhydrique ; par ce procédé Tamidon devient vio- let souvent au bout de quelques minutes. Indiquons ensuite le procédé de M. Bouis- basé sur ce que le perchlorure de fer déplace l'iode de ses combinaisons : on verse dans un tube à essai un peu de l'urine à analyser, on additionne d'un peu de perchlorure de fer et l'on chauffe 1. Wœhler, Recherches sur le passage des substances clans Vurine [Zeits- chrift fur Physiologie, 1. 1, 1824, traduit clans le Journal des progrès des sciences et institutions médicales, 1827, t. I, p. 46 et suivantes. 2. Bouis, Manuel de médecine légale, chimie légale, p. 694. 502 JOSEPH ROUX. après avoir placé à l'oritice du tube un morceau de papier écolier légèrement mouillé, l'iode se trouvant déplacé; ses vapeurs arrivant sur le papier donnent la coloration bleue de riodure d'amidon. Comme on le voit, la présence des matières organiques est ici un obstacle; car l'iode mis en liberté se combine avec elles, et Ton arrive à mettre un excès de chlore sans avoir rien vu. Une autre difficulté, c'est qu'ici le chloroforme s'émulsionne bien plus facilementque dans l'eau, et masque sa propre colo- ration ; il faut attendre qu'il soit reposé. Citons encore quelques réactions, car. tandis que la re- cherche de l'iodure en solution aqueuse intéresse surtout le chimiste, les moyens de le déceler dans l'urine doivent inté- resser le clinicien. Les papiers réactifs ont été essayés par M. Gérard* : il a employé du papier écolier ordinaire trempé dans la solution normale de perchlorure de fer: l'iode mis en liberté se com- bine à l'amidon du papier et donne un iodure d'amidon qui est bleu. >*'ous avions espéré simplifier nos recherches par l'emploi de ce papier; mais, même en l'amidonnant au préalable, nous n'avons pu obtenir un papier réactif dont la sensibilité dépas- sât 0 gr. 20 d'iodure par litre d'urine : ce chiffre nous a paru insuffisant. Yvo.N' recommande l'emploi d'amidon avec l'acide azo- tique nitreux. Chauvet- s'est servi du chloroforme avec 3 ou 4 centi- mètres cubes d'acide azotique, le tube à essai étant rempli d'urine aux deux tiers. 1. Gérard, Thèse de doctorat. Paris, 1880, Coniribution n l'e/iule de la durée d'élimination des médicamenls. 2. YvoN, Manuel de l'analyse des urines, 1880, p. 283. 3. Chauvet, Thèse de doctorat. Paris, 1871. Du danger des médicaments actifs dans les cas de lésions rénales. ÉLIMINATION DES lODURES. 503 Le procédé qui nous a servi est le suivant : dans un tube à expérience on met 4 ou 5 centimètres cubes d'urine, 1 cen- timètre cube de chloroforme qui gagne le fond, puis avec une pipette une seule goutte d'acide nitrique fumant ; on agite doucement : le chloroforme se colore en violet. — Cette réac- tion est très sensible. A défaut de chloroforme on prend de l'éther : celui-ci sur- nage et la coloration que lui donne l'iode est brune. A défaut d'acide nitrique fumant on emploie l'acide azo- tique ordinaire additionné d'acide chlorhydrique à parties égales, et on en met deux gouttes. La sensibilité de cette réaction est de 0,05 par litre. Nos réactions ont été faites selon cette méthode tant à l'hô pital qu'au laboratoire. DOSAGE DES lODUHES DANS l'eAU. Le dosage des iodures n'étant guère affaire de clinicien, nous ne dirions que peu de mots sur sa technique, si nous n'avions pas à décrire un procédé dont nous n'avons trouvé mention nulle part, et qui, conséquemment, nous appartient. Les auteurs donnent les procédés suivants, tous fort mi- nutieux, soit qu'ils nécessitent des réactifs absolument purs, soit qu'ils obligent à des pesées fort délicates; les voici briè- vement rapportés : Dosage de l'iode à l'état d'iodure d'argent : On précipite la solution de l'iodure avec l'azotate d'argent après l'avoir acidifiée à l'acide azotique, puis on lave le préci- pité d'iodure d'argent, on le sèche, on le pèse et on déduit du poids obtenu la quantité d'argent métallique que contient ce sel. Par l'iodure de palladium, le procédé est à peu près iden- tique; nous n'insisterons donc pas davantage. Par le perchlorure de fer enfin, et par l'iodate de sodium. 504 JOSEPH ROUX. on met l'iode en liberté, et on le dose par un des procédés vo- lumétriques. Le procédé que nous avons employé est basé sur la réac- tion que nous avons à dessein exposée en détail un peu plus haut : une même quantité de chlore déplace toujours une quantité proportionnelle d'iode dont s'empare le chloroforme; aussi avons-nous titré par comparaison une eau chlorée très diluée, nous servant pour cela dune solution diodure de po- tassium au millième. Après quelques tâtonnements on arrive à avoir une eau chlorée dont 10 centimètres cubes corres- pondent à un milligramme diodure, la décoloration du chlo- roforme indiquant le moment oii l'iode est saturé. Il est naturellement indispensable d'agir en solution lé- gèrement acide. Il faut aussi vérifier chaque jour le titre de l'eau chlorée dont on se sert, car elle s'altère rapidement. Cet inconvénient est largement compensé par la précision des résultats que l'on obtient et par la sensibilité de la réaction. Voici comment nous avons procédé : nous avons pris un centimètre cube de la solution à examiner, autant de chloro- forme, puis, ayant noté la hauteur de l'eau chlorée dans la burette de Gay-Lussac, nous avons, en prenant soin d'agiter fréquemment, laissé tomber l'eau chlorée d'abord goutte à goutte, puis plus largement si nous trouvions beaucoup d'iode, de façon à colorer d'abord et à décolorer ensuite le chloroforme; les dernières traces d'iode sont difficiles à enle- ver au chloroforme, il faut agiter fortement : c'est un avan- tage au point de vue de la précision du dosage. Enfin, lorsque le chloroforme est décoloré, on ajoute une trace d'iodure afin de voir si on avait juste atteint la limite ou si on l'avait dépassée. Dans ce dernier cas le chloroforme reste incolore; dans la première hypothèse il se colore de nouveau, et l'on peut considérer le dosage comme exact. Dans toutes nos manipulations nous avons fait trois épreuves aussi exactes que possible, et nous en avons pris la ÉLIMINATION DES lODURES. oO.S moyenne lorsque nous trouvions une différence un peu ap- préciable. DOSAGE DES lODURES DANS l'uRINE. Il est indispensable de détruire par la calcination toutes les matières organiques, car elles sont un obstacle bien plus grand ici que pour la recherche qualitative. On additionne l'urine de carbonate de soude pour la rendre fortement alcaline, afin que l'iodure ne puisse se décomposer par la présence d'un acide ; puis on surveille le moment où l'évaporation touche à sa fin, car à ce moment l'urine risque de déborder. Quand il ne reste plus de liquide, on peut ajouter quelques cristaux d'azotate d'ammoniaque dont la déflagra- tion hâte la calcination : il est indispensable d'avoir une cou- pelle métallique ; le nickel suffit. On reprend les cendres avec de l'eau, on chauffe dé nou- veau, puis on filtre avec soin, et l'on dose comme dans une solution aqueuse ordinaire acidifiée avec l'acide acétique. II Début de l' élimination des différentes substances. DÉBUT DE l'élimination Injection pleurale. Expérience I. — Le jeudi 17 avrit 1890 on fait à un chien de i6 kil. une injection intrapleurale contenant : grammes. lodure de potassium ..... 0,23 Ferrocyanure de potassium . . 0,25 L'injection commence à 4 ti. 49 et dure 10 secondes. Un tube à essai recueille la salive. iiOG JOSEPH ROUX. h. m. A 4,;J0 on examine le tube. . Réaction négative 1" tube. A 4,51 nouveau tube Réaction positive 2" — A 4,52 nouveau tube Réaction négative 3« — A 4,53 nouveau tube Réaction positive 4"= — Les suivants Réaction positive 4" — Le chien avait reçu de la piiocarpine; mais, malgré cette précaution, la quantité de salive recueillie a été trop minime pour que nous puissions examiner l'iode contenu. La présence du ferrocyanure, décelé par une trace de perchlorure de fer, nous permet pourtant peut-être de conclure à la présence simul- tanée de l'iodure de potassium. Si nous avions pris la salive au lieu de l'urine, c'est uniquement parce que pendant ce môme laps de temps une canule placée dans l'uretère ne nous a pas fourni une seule goutte d'urine à examiner : soit en somme deux minute^; se sont écoulées entre l'introduction du ferrocyanure et le début de l'élimination. DÉBUT DE l'élimination Expérience personnelle. — Ingestion stomacale. Expi'iRiENCE IL — Le lij avril à 4 heures de l'après-midi, je prends en solution aqueuse un gramme d'iodure de potassium. Ma vessie a été vidée au préalable par le cathélérisme, l'urine examinée, et la sonde a été laissée en place. L'urine a été recueillie dans les tubes à essai. La première énnssion d'urine a eu lieu 2 minutes après l'absorp- tion du médicament. La seconde émission, 2 minutes 15 secondes. La troisième émission a eu lieu au bout de 3 minutes. Les deux premiers échantillons ne contenaient pas d'iodure ; le troisième en contenait, ainsi que les suivants. Par conséquent, après ingestion d'une dose d'un gramme en solution, l'iodure est apparu dans mes urines en moins de fj'ois minutes. DÉBUT DE l'élimination Expérience m. — Le nommé C... Alphonse, âgé de vingt-trois ans, entré le 28 janvier 1890, salle Malgaigne, lit n° 54, à l'hôpital Necker, service de M. Duplay. Atteint d'exstrophie de la vessie. Le 20 février 1890, à 10 h. 52 du matin, le malade prend à jeun une ÉLIMINATION DES lODURES. 507 potion contenant 1 gramme d'iodure de potassium. L'urine de chaque rein est recueillie à part à l'orifice de chaque uretère. On applique sim- plement deux tubes à essai au-dessous des petites saillies au sommet desquelles s'ouvrent ces canaux, l'urine s'y écoule d'une façon intermit- tente, et pas toujours simultanée pour chaque rein, le bassinet jouant le rôle de petite vessie et se vidant par contraction seulement de temps en temps. Nous avons ainsi recueilli de l'urine de ce malade dix échantillons pour le rein droit et onze échantillons pour le rein gauche, pendant dix minutes que nous l'avons observé; chacun de ces échantillons cor- respond à une miction du bassinet et dans tous nous avons trouvé de l'iodure. Le premier a été recueilli une minute et 45 secondes après l'absorption du médicament. La réaction a été faite avec le chloroforme et le mélange des acides nitrique et chlorhydrique. Dans la matinée les urines de ce malade avaient été examinées par le même procédé et n'avaient pas donné de réaction. Pour cette expérience nous étions en collaboration avec M. Chavane, interne des hôpitaux, qui prépare en ce moment un travail sur le même sujet; nous lui devons de pouvoir publier cet intéressant compte rendu. DÉBUT DE l'élimination Injection hypodermique . Expérience IV. — Le mardi 22 avril 1890 on fait à un chien de 7 kil., endormi, et ayant reçu 2 centigrammes de pilocarpine, une injection hypodermique à la cuisse de 5 centigrammes de ferrocyanure de potas- sium. On commence à 4 h. 8 minutes. L'injection dure 10 secondes, et ce n'est qu'à 4 h. 28 minutes que nous avons la réaction du ferrocyanure avec le perchlorure de fer dans la salive, soit 20 minutes. Cette expérience a été faite pour montrer la différence de la rapidité d'absorption par les séreuses ou par le tissu sous-cutané. DÉBUT DE l'élimination CHEZ UN SATURNIN Expérience V. — Le nommé M..., âgé de 58 ans, profession, peintre en bâtiments, entré le 3 décembre 1889, salle Piorry, à l'hôpital de la Pitié, lit n° 20, service de M. Lancereaux. Ce malade a eu des coliques de plomb pour lesquelles il est entré à l'hôpital. Le 4 décembre, à la visite du matin, on prescrit 1 gramme d'iodure 508 JOSEPH ROUX. de potassium. Je me rends le soir dans le service au moment de la dis- tribution des médicaments. A 2 h, 00 minutes le malade prend une cuillerée abouche d'une solu- tion iodurée titrée à i gramme par cuillerée. Température du malade le matin 36", 2; le soir idem. A 3 h. 5, iode dans la salive. A 3 h. lo, rien dans l'urine, A 3 h. 25, rien dans l'urine. A 3 h. 30, iode dans l'urine. Soit au total plus de 30 minutes se sont écoulées avant l'apparition de l'iode dans la vessie. Le malade a quitté le service avant rétablissement complet, et prenant encore de l'iodure. Nous n'avons donc pu savoir combien de temps il aurait mis à éliminer les dernières doses. DÉBUT DE l"'ÉLI3IINATI0N Exi'ÉRiENCE VI. — ■ Nous avons cherché sur le même malade que plus haut le début de l'élimination d'une dose égale de salicylate de soude. Mardi 2 mars 1890, une demi-heure après le repas, à 1 1 h. 5 minutes, on lui donne une potion contenant 1 gramme de salicylate. On recherche l'acide salycilique par la réaction avec le perchlorure de fer. Début de l'élimination. Rein droit Il h. 12 m. 20 s. Total. ... 7 m. 20 s. Rein gauche H h. 13 m. 10 s. Total. ... 8 m. 10 s. Différence ; oO secondes. Il y a à tenir compte, dans cette expérience, de ce qu'elle a été faite après le repas, la première ayant été faite avant. ELIMINATION DES lODURES. 509 III Durée de l'élimination. Faible dose. — Expérience personnelle. Expérience VIL — Le 15 avril, à 4 heures de l'après-midi, je prends en solution 50 centigrammes d'iodure de potassium. Voici sous forme de tableau la durée de réliminalion : 22 NOVEMBRE. 23 NOVEMBRE. 2.i NOVEMBRE. 6 h., négatif. 6 h. 45. — Début. — 1 11 9.^, positif 2 h — positif. 6 h. 45, positif. 8 h. 40, positif 8 h. 42, négatif 8 h. 40, salive négatif. 9 h. 43, négatif 9 h. 45, positif. 9 11. 40, positif 11 h. 15, positif Midi 45, positif. 2 11. 15, positif. 'A h. 45, positif. 4 h. .-^O, positif. 2 h. m, positif. 2 h. 30, salive positif. ^ h., sal. positif. .q h i5^ i,r p. fi h. 11, positif. 6 h. oO, sal. positif. 3 h., s. ur. positif. 5 11, 30, sal. positif. 6 h., salive négatif f) h. 80, pn.sitif 8 h., négatif ÎO h., néi^atif 11 h. 30, ^négatif. L'élimination s'est donc terminée entre 5 heures et 5 h. 30, soit an bout de 36 heures. Les urines émises après G heures du soir le 23, et celles du 24 au ma- tin, n'ont donné aucune réaction d'iodure. ilO JOSEPH ROLX. UUREE DE L ELIMINATION Taille dose. — Ex-périence personnelle. Expérience VIII. — Le 15 avril, à 4 heures de l'après-midi, je prends en solution 1 gramme d'iodare de potassiom. Voici le laMeau aae i'ai dres»*^, analoirue au précédent. ; : ,. vk:l- ; t A •.- K j L 1 - A V ;-, ] ;. i ' V V K ] I_ 2 h., négatif 1 h jiosiîif i II. 50. pogitif. 4 h., négatif- ô h. 40. positif — 1 9 h , t.f.tiiiif - mwii j>r>9itif inid'. p">=jt'f ■> Il nn*itir 1 fi , «^I^ï-nf * ~i h.. — positif — « h. 30. I.' . 7 h. 10. n-, 8 h. 20, negaiii 6 h, 5. j>oeJtif — 7 il, 4*. positif — Î:J h. 2«. positif— 10 b. iT,. ]>o^Jlif — 11 h„ négatif. 1 L'éiioiiDation s'est donc terminée entre 2 heures et o heures, mettons à 4 heures, c'est-à-dire au bout de 48 heures, en chiffre rond. J>UBÉE DE E ÉLIMI.NATI05 Do»e répétée faVjle. ExpÉEiE-tCE IX. — La nommée P... Marie, âgée de 29 ans, entrée le ft janvier, hôpital Andral, service de M. le professeur Dkbove, lit n* 12, soignée pour une paralysie alcoolique. ^>tte malade a pris 1 gramme d'iodure de potassium par jour dans une potion, depuis Je lendemain de son entrée jusqu'au mardi ly avril; •oit environ trois mois. ELmmATION DES lODGRES- oil i>foas avons examiné ses armes càaijsie jour depuis la cessatiou du tTaitement, et nous a-voas retroiiTé de l'iodiire jasqa'au jeudi 17. SQLt:peadarLt(itf«a:joM3's seiiiemeat. A partir da troisième jour, nous a'aTOMs plas rien retreavé. BURÉE DE L*ÉLLitLjrATrOiîf Doitr rèfètée fa!kble EsBÉBiEîîfCE X. — Le noaimé O...JeaiL^àgé de 30 ans, gar(j"ou de i-afé. entré le tl avril 188^, salle Béhier, liE n"^ Z%k ITiôpital Saint-Antoiae. service^ de M. le professeur ELlyem. A pris deriodure de potassium suecessivement aux doses de 2, 1.3 et 3 gramm^es. Depuis Le 'Il octobre il est à 3 grammes. On cesse le lt5 novembre: il est donc resté plus d'un mois à 3 grammes. Réaction positive peadant trois jows dans l'urine émise devant uous par le malade. iMous avons eiaminé ses uxriaes jusqu'au 3 décembre pour voir si i'todure apparaîtrait de nouveau. DURÉE DE L'ÊLtMISATtOX EspÉaiENCE SI. — Le noBEïmé B... Félix, âgé de 59 ans, passementier, entré le *i6 mars 1890, salle Bouillaud.Ut a* 10, à Tbôpital de ta Charité, service de M. Le professeur Potajn. EmpLLvsème. — Le Tl mars commeace soa traitement avec 30 cen- tigrammes d'iodure de sodium, jusqu'au i avril, où. il prend sa dernière dose à midi, soit, en 9 jours, i!?'^,TO. Réacttoa positive .jusqu'au T avril à 10 heures, soit plus de 72 /^furcs. DUREE DE L ELlîtlX 1 TtO iS" Do^H ré'pëtéii faibk. Ean?EBiïL>rcE XU. — Le nommé P... Clémecit» âgé de 65 ans, menuisier, entré le 18 octobre 1888. salle Bétiier, lit n" â3,à L'hôpital Saint-Antoicie, service de M. le professeur H\YE>t. Prend depuis on an, d'une &Lçon à peu près continue, L à 2 grammes d'iodore par jour. Suppression de l'iodm'e te 18 octobre L889. Ou retrouve de L'ioduie daus les urines jusqu'au. à7 QCtol>re tSS'J.soit pendant une période de neufjows. Cette observation uous a été communiquée par M. Lévy, es.teriie du service^ qui a fait la réactiou avec l'eau amidoauée. ol2 JOSEPH ROUX. Nous voyons donc l'élimination se prolonger avec l'âge des malades, c'est-à-dire en raison de l'affaiblissement de leurs reins. Pour la durée de rélimination de la dose unique, nous avons dû nous contenter des observations prises sur nous- même, à cause de la difficulté qu'il y a à obtenir d'un malade ([u'il urine chaque fois dans un récipient particulier. DURÉE DE l'élimination Forte dose. ExpkrienceXIII. — Le mercredi 26 mars, à 7 heures du soir, je prends à table une solution contenant 0 grammes d'iodure de potassium pour '.)(} grammes d'eau environ au commencement du repas. A partir de minuit coryza intense, éternuements, jusqu'à 2 heures de l'après-midi. Si je rapporte ce détail, c'est que, pour éviter les phéno- mènes d'iodisme, on a conseillé de commencer le traitement ioduré eu donnant d'emblée 6 grammes; pour mon compte j'en ai été extrêmement déprimé. Durant toute l'élimination j'ai eu dans la bouche un gotU métallique "très prononcé. 2 6 MARS. 2 7 M.VRS. 2 8 M.4RS. 2 9 MARS. 3 0 MARS. 1. h. cofyza 1 h. — positif — 3 h. — positif 0 il. — négatif 7 h. — négatif 8 h. — positif midi — -positif midi — po.sitif 2 h. tin du coryza 2 11. — positif 4 11. — positif — 4 11. — positif .") h. — positif 7 11. —positif 8 11. — positif — 7 h. — début 8 h. salivation 9 h. — positif 10 h. —positif Mm. cory/a. ÉLIMINATION DES lODURES. 513 L'élimination de 6 grammes s'est donc terminée le 30 mars entre 10 heures et 1 heure, soit chiffre moyen à 11 h. 30, ce qui nous donne un total de 76 h. 30. DUREE DE L ÉLIMINATION Dose forte répétée. Expérience XIV. — La nommée P... Louise, âgée de 6 ans, entrée le 9 janvier 1890, salle Archambault,lit n° 7, à l'hôpital des Enfants-Assistés, service de M. Variot. Cette malade était atteinte de psoriasis, et l'on avait institué le trai- tement préconisé par Grèves en 1881 * au moyen de l'iodure de potassium donné à des doses extrêmement fortes, puisque l'on est allé jusqu'à 60 grammes par jour chez l'adulte, tandis qu'habituellement, même dans les lésions syphilitiques les plus graves, la dose journalière oscille entre 8 et \2 grammes. Le 10 janvier, premier jour du traitement, l'enfant prend 6 grammes d'iodure en solution pendant le repas, elle continue en augmentant la dose d'un gramme par jour jusqu'au 1^^ février; ce jour-là la dose avait atteint 28 grammes, des accidents d'iodisme apparurent, vomisse- ments, etc.; le traitement ioduré fut supprimé et remplacé par l'acide çhrysophanique. Pendant les 23 jours qu'a duré son traitement, elle a donc absorbé 380 grammes d'iodure, son psoriasis n'a pas été amélioré ; son poids n'a pas varié, et est resté de lo kil. Nous avons retrouvé de l'iodure dans ses urines jusqu'au 12 février au matin, soit pendant une période de 11 jours après la suppression du médicament. Le soir, ses parents sont venus la chercher, et depuis nous n'avons pas pu la revoir pour compléter notre observation. IV Fixation et localisation des substances médicamenteuses. Nos expériences sur les animaux ont surtout porté sur la localisation de l'iodure de sodium dans les divers tissus. Nous avons préféré employer l'iodure de sodium pour 1. Grèves, Bulletin médical^ 21 juillet 1889. TOME II. 33 514 JOSEPH ROUX. éviter rinfluence toxique bien connue des sels de potas- sium. Toutefois, entreprenant des reciierches quantitatives, nous avons dû employer une précaution spéciale. En effet, tandis que l'iodure de potassium est un sel anhy- dre , l'iodure de sodium est déliquescent, donc la quantité d'iode que contient un gramme de ce sel varie suivant son degré d'hydratation ; cette question a été traitée par M. Du- bousquet-Laiîorderie, à la Société de thérapeutique, séance du 26 mars 1890. Aussi, pour donner à nos solutions titrées toute la précision désirable, n'avons-nous employé l'iodure de sodium qu'après calcination à une douce chaleur. Si nous donnons ces détails, c'est afin que l'on puisse se rendre un compte exact de la manière dont nous avons con- duit nos expériences, pour que le contrôle par des recherches ultérieures puisse se faire dans des conditions identiques, ou du moins en connaissant avec précision comment nous avons opéré. Expérience sur la localisalion de Vlochire. Calcination, dosage. Expérience XV. — Nous avons cherché dans quel organe l'iodure se localisait de préférence, afin de voir si la thérapeutique des lésions de tel ou tel tissu pouvait bénéficier davantage du traitement ioduré. 22 décembre 1880. — Nous avons pris un lapin de 2 k. 170 gr.; nous lui avons injecté une solution contenant (3 grammes d'iodure de sodium cal- ciné, sohition au dixième. Nous commençons l'administration de l'iodure à 3 h. lu; le lapin est maintenu étendu sur le dos, et nous lui injectons dans la cavité périto- néale, coup sur coup, deux seringues de ii ce, contenant chacune ;iO cen- tigi'ammes d'iodure. 11. m. A ''i,i'à, second gramme 2 piqûres. A 4,15, troisième gramme 2 — A 4,13, quatrième et cinquième grammes. . 4 — A ■i,lo, sixième gramme 2 — A 6 heures, saignée totale. Nous avons employé les injections péritonéales, parce que, en raison ELIMINATION DES lODURES. 5dS de la surface d'absorption, le médicament passe rapidement dans la cir- culation, et que ce mode évite les dangers de l'injection intraveineuse, toujours plus délicate; en effet, ici, il suffit de piquer perpendiculairement à la paroi. Pour pratiquer la saignée du lapin nous avons choisi la carotide : on place une ligature, puis, deux centimètres plus bas, une pince; on ouvre l'artère entre les deux, on y introduit une canule munie d'un tube, on la lie, on place l'extrémité du, tube de caoutchouc dans un récipient, puis on lève la pince et le sang s'écoule sans qu'on ait à craindre d'en perdre. Nous avons ainsi recueilli : Sang. . Foie . . Cerveau. Reins. . Muscles. grammes. 45,50 80,50 10,50 12,92 95, .35 Chacune de ces parties a été calcinée sépare'ment dans un creuset métallique après addition de carbonate de soude. Quand la calcination touche à sa iin, nous ajoutons peu à peu des cristaux d'azotate d'ammoniaque, dont la déllagration contribue à cal- ciner les dernières parties. Le résidu a été repris à chaud par une quantité d'eau quelconque, environ 50 grammes, filtré, puis légèrement acidifié à l'acide acétique, comme nous l'avons dit plus haut. Ces solutions obtenues ont été alors soigneusement pesées dans des récipients tarés, puis nous avons cherché, au moyen de l'eau chlorée titrée, combien un centimètre cube de chaque solution contenait d'iodure de sodium, quantité que nous avons ensuite rapportée à 100 grammes de l'organe examiné. Voici les chiffres que nous avons trouvés en iodure de sodium : grammes. Cerveau. . 0,019 pour 100 grammes Foie.. . . 0,0519 — Sang. . 0,084 — Muscles. . 0.094 — Reins. . . 1,702 — Comme ou le voit, le rein contient une quantité considérable d'iodure par rapfwrt au cerveau. Aussi avons-nous pensé à rendre plus évidente cette proportion, en la traduisant, non par des chiffres, mais par des lon- gueurs : nous avons donc dressé le tableau suivant où les centigrammes sont représentés par des millimètres. 5iG JOSEPH ROUX. Cerveau. - Foi.-. Sang. Muscle. s. Reins. Il s'ensuivrait peut-être de là qu'en thérapeutique, ou devrait prescrire des doses plus fortes d'iodure dans les maladies du cerveau que dans celles du foie, ces dernières devant être plus fortes que celles prescrites dans les altérations du rein : la clinique avait déjà permis d'arriver à ce même résultat; en effet, M. Guyot* est d'avis qu'il est nécessaire, pour obtenir des résultats thérapeutiques sérieux dans le cas de lésions syphilitiques des centres nerveux, de faire ingérer aux malades des doses élevées d'iodure : aussi donne-t-il en semblable circonstance 8 et 42 grammes d'iodure dans les vingt-quatre heures, pendant plusieurs mois. Expérience sur la localisation de l'iodure. Calcination, Dosage. Expérience XVI. — Les chiffres de la préce'dente expérience sont tel- lement expressifs que nous avons cherché à les véiifler par une seconde, et nous avons recommencé sur un autre lapin la même série de manipu- lations. Voici les chiffres que nous avons obtenus : 28 février 1890. — Lapin, 2i«'',180 — lodure de sodium, 6 grammes. — De 2 heures à 2. h. 30, injection péritonéale de 6 grammes d'iodure. — Solution à 1/10. — 12 injections de 5 ce. — A3 heures, saignée de la carotide comme plus haut. — A 3 h. 10, autopsie, la cavité abdominale contient un liquide séro-sanguinoient. Poids des organes que nous avons examinés : grammes Cerveau. . 9,:io Muscles. 13,o0 Sang. . . 49,65 Foie. . . n,;io Reins. . . i3,;i0 Urine. . . 24,1 0 1. GuYOT, Bulletin de la Société médicale des hûpitaii.r, 22 mai 1885, p. 20t) ELIMINATION DES lODURES. 517 Nous y avons trouvé une quantité d'iodure sensiblement égale à celle de la première expérience (pour la calcination nous n'avons pris qu'une partie du foie) : Cerveau. . 0,018 pour 100 grammes. Muscles. . Il est possible que le sulfate de quinine, passant en partie inabsorbé, donne aux matières fécales une amertume qui les ferait délaisser par les animaux. Le procédé qui nous a servi est celui de Personîce * ; il comprend les opérations suivantes, dont le détail paraîtra un peu long, mais qui cependant ne demande pas un temps bien considérable, car on fait simultanément les réactions sur tous les échantillons que l'on a à examiner. 1° Alcaliniser l'urine avec du carbonate de soude. 2" Précipiter la quinine par le tannin. 1. Personne, Journal de pharmacie el chimie, série 4, t. XXVIII, p. 3j4. ÉLIMINATIO.X DES lODURES. :i23 3' Ajouter un peu d'acétate de soude pour aider à recueil- lir le précipité sur le filtre. 4° Filtrer. 5° Laverie précipité sur le filtre. 6° Recueillir ce précipité. 7" Ajouter de la chaux hydratée pulvérulente. 8° Ajouter du sable pour diviser le magna. 9" Pétrir dans un verre de montre ou une petite capsule de porcelaine. \0° Sécher à l'étuve. 11° Reprendre au chloroforme. 12° Filtrer. 13° Évaporer le chloroforme. 14° Reprendre le résidu chloroformiquepar l'eaa acidulée avec de l'acide sulfurique. lo° Voir la fluorescence. 16° Précipiter au réactif de Bouchardat (iodure de potas- sium ioduré). Nous avons longtemps cherché une méthode plus expédi- tive, partant plus clinique, mais nous n'avons pu en trouver. Ici, comme pour l'iodure de potassium, nous n'avons pu avoir de malade qui nous fournisse de l'urine émise dans des récipients numérotés. Nous avons dû opérer sur noiis-même, mais notre sensi- bilité aux médicaments nous a forcé bien vite à nous arrêter. Nous nous bornons à donner le résumé de nos expé- riences et un tableau où nous les avons indiquées, ainsi que les chiffres que nous avons pu trouver dans les auteurs. DURÉE DE l'ÉLIMIXATIOX Dose faible. ExpÉRiE.NXE XXII. — Expérience personnelle. — Le 28 novembre, à 6 h. du soir, je prends O.bO de sulfate de quinine avant le repas. Le tableau ci-dessous indique à quel moment j'ai examiné mes urines. JOSEPH ROUX. I ;0 MARS. 3 7 MARS. 2 8 MARS *■ " 4 h. 30 — positif — - G h. — -positir — riuor. 8h.30 — positif— fluor. 8 h. 30 — positif — il h. — positif — fluor. midi — négatif — 2 h. 30 —positif — fluor. 2 h. — négatif — 4 h. — négatif — (i 11. et 6 h. 30 '■} h. 30 — positif — 7 h. — positif — 8 h. 30 — positif — lu h. .30. riuor. réac. p. 10 11. 30 — posiiif — L'élimination est donc terminée entre 4 h. 40 et 8 h. 8, soit à 6 heures, c'est-à-dire au bout de 36 heures. — 15 analyses. DURÉE DE l'élimination Dose faible. Expérience XXIII. — Expérience personnelle. — Le 5 février, à 3 h. oO. je prends un gramme de lactate de quinine. L'élimination s'est donc terminée entre 8 heures et 11 h. 13, ce qui donne comme total pour un gramme de lactate de quinine 53 h. 40 environ. VI Recherche de l'antipyrine dans l'urine. Denux ' recommande d'ajouter 5 gouttes d'acide sulfu- rique pour 6 ce. d'urine et davantage si l'urine était alcaline, 1. DExt;x, Thrse de la Faculté de médecine de Paris, 1884-1883, Élude sur la valeur thérapeutique de l'antiptjrine. ELIMINATION DES lODURES. 325 si le mélange se trouble, on filtre, puis on ajoute une dizaine de gouttes du réactif iodique, cette réaction serait surtout marquée entre 4 et 20 heures après l'émission de l'urine. Ardulx ' s'est servi de quelques gouttes de perchlorure de fer, qui donnent une coloration vin de Porto aux urines, il a même obtenu cette réaction en badigeonnant de perchlo- rure des malades qui prenaient de l'antipyrine; l'élimina- tion par la sueur étant suffisante pour produire cette colo- ration. MM. Hénocque et Huchard^, à l'hôpital Bichat, ont eu recours à l'examen spectroscopique. M. YvoN conseille de décolorer l'urine avec le sous-acétate de plomb, filtrer et colorer au perchlorure de fer; il indique comme moyen plus précis de chauffer l'urine avec de l'acide azotique fumant; on obtient une coloration verte qui passe au rouge quand on ajoute un excès d'acide. Pour notre compte nous n'avons jamais obtenu cette dernière réaction avec l'urine antipyrinée physiologiquement, même à la dose très forte de 5 grammes par jour. Nous l'avons eue facilement avec l'urine antipyrinée mécaniquement en chauffant dans un tube à essai un centimètre cube d'urine, et, quand elle bout, on ajoute une goutte d'acide azotique fumant avec une pipette ; cette réaction est peu sensible. On peut donc conclure que l'antipyrine subit dans l'orga- nisme un dédoublement, puisqu'elle ne donne plus les mêmes réactions. Une autre réaction ne se trouve pas non plus dans l'urine physiologiquement antipyrinée. Lorsqu'on chauffe l'antipy- rine avec de l'acide azotique jusqu'à réaction, on a, quand elle est achevée, un liquide rouge pourpre; si alors on verse 1. Arduin, Thèse de la Faculté de médecine de Paris, 1884-1885, Contribu- tion à l'étude thérapeutique et physiologique de l'cmtipyrine. 2. Hénocque et Huchard, Journal de pharmacie et de chimie, 1885, n" 1, p. 25. 526 JOSEPH ROUX. de l'eau et que l'on filtre, le liquide filtre rouge, et il reste un précipité violet sur le filtre. Gomme nous l'avons dit, cette réaction n'a été positive que pour l'antipyrino ajoutée directement à l'urine et extraite ensuite ; elle a été négative même après l'absorption de 5 grammes d'antipyrinc : ce sont des urines provenant du ser- vice de M. Cadet de Gassicourt, à l'hôpital Trousseau, qui nous ont servi dans ces recherches. Garavias ', avant de mettre du perchlorure de fer dans l'urine, la décolore au noir animal; il a trouvé l'antipyrine dans l'urine après l'absorption d'un gramme, et il en a suivi l'élimination pendant 13 heures. Unbach - dit qu'après ingestion l'antipyrine apparaît dans l'urine aussitôt, sans préciser le temps que représente ce mot pour lui : il a décrit l'action de l'antipyrine sur l'élimination de l'urée. Le procédé que nous avons employé'est analogue à celui qui nous a servi pour la recherche de la quinine. Toutefois faisons remarquer que l'antipyrine est soluble dans le chloroforme, et que celle que l'on ajoute dans l'urine se retrouve en employant ce dissolvant , tandis que , dans l'urine antipyrinée physiologiquement, nous ne retrouvons la réaction de l'iodure ioduré de potassium que si nous em- ployons l'alcool pour dissoudre le résidu. Nous avons aussi essayé un papier au perchlorure de fer, sans résultat d'ailleurs. Or, voici ce qui nous est arrivé : comme à chaque expé- rience nous avions la précaution de faire la contre-épreuve avec une urine normale, un jour que nous examinions nos urines, comparativement à celles d'un malade de Fhôpital de la Gharité, qui prenait 3 grammes d'antipyrinc par jour, nous 1. Caravias, Thèse de doctorat de Paris, 188G-1S87, Recherches expéri- mentales et cliniques sur l'antipyrine. 2. Unbach, Archiv fur e.rperlmenteUe l'athologie mal Pharmacologie; t. XXI, 1,S8('. pp. 161 à 168. . . . ELIMINATION DES lODURES. 527 avons trouvé une réaction identique dans les deux échantil- lons. Nous nous sommes rappelé avoir mangé la veille de la chair de porc fumée. Quelques jours après, avec une alimen- tation semblable, nous avons retrouvé cette même réaction, de telle sorte que les expériences que nous avions faites sur la durée de Félimination de l'antipyrine tombent du même coup, puisqu'il suffit de si peu de chose pour modifier cette réaction. Nous avons alors vu que le résidu alcoolique de nos uri- nes, traitées de la façon indiquée plus haut, transformait le ferricyanure de potassium en ferrocyanure de potassium, ce qui est la caractéristique des ptomaïnes, lesquelles existe- raient dans le jambon fumé. Pour retrouver cette réaction dans l'urine normale, il faut en examiner une bien plus grande quantité que dans ce cas-ci, mais on la retrouve toujours. M. Charles Richet a déjà signalé cette transformation du ferricyanure en ferrocyanure par l'urine normale sans mani- pulation antérieure, on la décèle par la simple addition d'une goutte de perchlorure de fer, on a une coloration d'un bleu extrêmement intense. Nous pouvons donc conclure avec Otto Schvveissixger ' que la recherche de l'antipyrine dans l'urine exige de nouvelles études. Conclusions. 1° L'élimination des médicaments qui passent dans l'u- rine, et spécialement de l'iodure de potassium, commence deux ou trois minutes après injection dans une séreuse ou même ingestion stomacale. 2° Elle se prolonge en général, chez des individus nor- 1. Otxo ScHWEissiNGER, Joumul de pkavmack etde chimie, \%%^, w° 1, p. 33 528 JOSEPH ROUX. maux, au moins pendant 36 heures, pour des doses moyennes. 3° Dans le cas de doses répétées massives, l'élimination peut se pr,olonger pendant au moins 11 jours. 4° L'iodure de potassium ne se fixe pas sur le tissu du rein d'une manière stable ; mais néanmoins il se localise dans cet organe, de telle sorte que le rein contient environ cinq fois plus d'iodure que le sang ou les muscles, et ceux-ci trois fois plus que le cerveau; l'urine en contient dix fois plus que le sang-. o° Le sulfate de quinine à doses moyennes (de 0^'',50 à 1 gramme) chez l'homme sain, s'élimine en 48 heures environ. L'élimination commence déjà dans le courant de la première demi-heure. XXXVIII ÉTUDE EXPÉRIMENTALE ET CLINIQUE SUR LA cocaïne Par M. E. Delbosc. Introduction. En 1884, KoLLER découvrait ractioii analgésique de la cocaïne sur la muqueuse conjonctivale et faisait entrer défi- nitivement dans le domaine thérapeutique une substance que l'on connaissait depuis longtemps, mais qu'on ne savait pas encore utiliser. On étudia alors les propriétés physiologiques de ce nouvel agent, et on s'aperçut que toutes les muqueuses pouvaient être également soumises à son action. On imagina enfin de l'employer en injections hypodermiques, et cette méthode généralisa son emploi; car l'anesthésie locale, qu'il est facile d'obtenir par ce moyen, peut remplacer, dans bien des cas, les anesthésiques généraux. Se servir de la cocaïne devint bientôt chose vulgaire. TflMR TI. 34 530 E. DELBOSC. Mais une réaction ne tarda pas à se faire; on cita des cas d'empoisonnement, et certains auteurs allèrent jusqu'à pros- crire le nouvel alcaloïde. D'autres lui sont restés fidèles; ils ne croient pas la cocaïne coupable de tous les méfaits qu'on lui impute, et il leur suffit de l'employer avec prudence pour ne jamais observer d'accidents sérieux. Ainsi nous voyons notre maître, M. P. Reclus, s'en servir depuis trois ans et s'en servir toujours avec un égal succès : jamais de phéno- mènes toxiques inquiétants. Est-ce à dire que la cocaïne soit absolument inoffensive? Nous sommes loin de le prétendre; mais, avec M. Reclus, nous ne croyons pas légitimée la crainte exagérée qui pousse certains chirurgiens à ne pas se servir de ce médicament. C'est pour soutenir cette opinion que nous entreprenons ce travail; notre but est en effet de prouver que la cocaïne n'est pas aussi dangereuse qu'on veut bien le dire. Ce fait ressor- tira, croyons-nous, de l'étude physiologique et clinique de cette substance. Nous diviserons notre travail en deux parties : 1° Etude des effets physiologiques de la cocaïne ; 2° Examen et analyse des divers empoisonnements publiés jusqu'à ce jour. PREMIERE PARTIE ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA COCAÏNE La cocaïne a été regardée tout d'abord comme un anes- thésique général ; mais cette assimilation n'est plus exacte depuis que l'on connaît mieux les propriétés physiologiques de cette substance. Elle ne saurait être comparée à aucun autre médicament, si ce n'est peut-être à la morphine. LA cocaïne. 531 Nous étudierons la cocaïne successivement dans ses effets locaux et dans ses effets généraux. ACTION LOCALE Lorsqu'on applique sur la peau dénudée, sur les mu- queuses, ou qu'on introduit sous le tissu cellulaire sous-cu- tané une solution de cocaïne, le tégument en contact avec le liquide pâlit, revêt une teinte livide et devient bientôt insen- sible aux piqûres. Trois minutes suffisent pour obtenir ce résultat; et toutes les parties qui auront été imprégnées de la solution pourront être coupées, dilacérées; le sujet n'accusera aucune douleur. Toutefois la sensation du contact est con- servée; la douleur seule est supprimée; c'est en un mot, une simple analgésie. Cette insensibilité partielle a été regardée, tout d'abord, comme un phénomène secondaire. Le premier effet de la co- caïne étant de provoquer une contraction des tuniques vascu- laires, les cellules sensilives, insuffisamment nourries, per- draient alors leurs fonctions physiologiques. M. Arloing^ a prouvé que ces deux phénomènes étaient absolument indépendants. Il rapporte d'abord l'anémie, la pâleur des tissus, à une excitation des filets vaso-constricteurs du grand sympathique. Il suffit, en effet, de cocaïniser l'œil d'un lapin et de faire en- suite la section du sympathique cervical pour voir une vascu- larisation énorme de la conjonctive succéder à l'anémie de cette membrane. Et cependant l'œil reste toujours insensible. Dès lors, il faut renoncer à expliquer l'analgésie par la con- striction des vaisseaux. M. Arloing croit à une action directe de la cocaïne sur les fibres terminales sensitives. Et cette opinion n'est pas une simple hypothèse; il Tappuie sur les expériences suivantes : 1. Arloing, Lyon médical., 17 mai ISSo. 0.32 E. DELBOSC. Un fragment du nerf sciatique d'une grenouille est im- mergé dans une solution forte de cocaïne. Le nerf devient brun-jaunâtre, et on trouve à l'examen microscopique que tout le contenu des fibres nerveuses est coagulé, dissocié. Un autre fragment de nerf, immerg-é pendant le même temps dans de l'eau distillée, ne présente de coagulation qu'au voisi- nage de la gaîne de Schwann. Il faut donc admettre que la cocaïne agit en altérant le protoplasma des éléments nerveux. D'ailleurs il est à remarquer que, dans un nerf mixte, les fibres sensitives sont les premières atteintes; les fibres motrices ne le sont que secondairement, Feinbkrg ' a vu que la cocaïne, appliquée sur un nerf mis à nu, produit une anes- thésie locale qui se propage à la périphérie, tandis que le bout central du nerf et sa motilité restent intacts. Parfois, après une application locale de cocaïne, on obtient une analgésie généralisée atout le tégument. M. Labop.de", qui, le premier, a vu ce phénomène, renonce à l'expliquer; il se contente de faire observer que le système nerveux centra n'est pas influencé; car l'excitabilité du tronc nerveux est conservée et même augmentée. M. Brown-Séquard" croit que ce phénomène doit être rapproché de ce cas cité par M. A. Ri- CHET, en 1 846, dans lequel une simple cautérisation au fer rouge produisit une analgésie non seulement du point touché, mais encore du corps tout entier. En résumé, on peut dire que la cocaïne, appliquée sur une muqueuse, ou injectée dans le tissu cellulaire sous-cutané, suspend les fonctions physiologiques des cellules sensitives avec lesquelles on la met en contact. Une faible quantité d'alca- loïde suffit pour obtenir ce résultat. Ainsi, un centigramme de sel en solution, injecté dans le derme, donnera une analgésie parfaite de toute la partie du derme baignée par le liquide. 1. Feinberg, {Zur Cocaïnwlrkiinrjj. Berlin. Klin. Woch. n" 10, p. 166, 7 mars 1887. 2. Laiîorde, Soc. de BioL, 24 décembre 188'i. 3. Brow.n-Séquard. Soc. de BioL, 14 mars 1883. LA COCAÏNE. 533 ACTION GÉNÉRALE A côté de ces effets purement locaux, la cocaïne, dans certaines circonstances, peut donner lieu à des phénomènes généraux souvent remarquables. L'évolution de ces phénomènes est subordonnée à des causes diverses. La quantité de substance active a naturellement une in- fluence prépondérante. Une certaine dose produira une simple excitation, tandis qu'une dose un peu supérieure provoquera des convulsions. Le mode d'administration est loin d'être indifférent. Ainsi, en ingestion stomacale, un animal pourra absorber impuné- ment une quantité de cocaïne qui, injectée dans son tissu cel- lulaire et surtout dans son péritoine, produirait des symp- tômes généraux alarmants; et cette même dose, poussée dans une veine, amènerait sûrement la mort. La quantité de substance active est donc relative; tout dépend de la rapidité d'absorption. L'espèce de l'animal sur lequel on expérimente n'a pas une moins grande importance. Un poisson, par exemple, ne réagit pas de la même manière qu'un chien. Le premier, toute proportion gardée, résiste à une dose de cocaïne qui tue infailliblement le second. Nous essaierons d'expliquer ces différences, car c'est là, croyons-nous, le point intéressant de cette action générale. En 1879, Anrep'^ avait étudié les effets physiologiques delà cocaïne et le premier avait indiqué l'action de cette substance sur les centres nerveux. 11 avait vu que la cocaïne augmente tout d'abord l'excitabilité du sujet. Celte première action est manifeste pour un animal à sang chaud, et semble faire défaut lorsqu'on expérimente sur un animal à sang froid. 1. Anrep, Ueber die physioLogische Wirkung des Cocalns [Pfliiger's Arch. t. XXXI, p. 38). 534 E. DELBOSC. En injectant sous La peau d'une grenouille une solution de cocaïne, on voit, pendant deux ou trois minutes, l'animal s'agiter, sauter sans que rien ne Tv invite. Mais cette excita- tion est fugace, car elle cesse bientôt et on n'observe plus qu'une espèce de paralysie flasque. Toutefois il y a encore une exagération des réflexes, indice de l'excitabilité de la moelle. Mais cette excitabilité peut être rapidement épuisée; il est vrai qu'elle est récupérée presque aussi facilement. En effet, l'animal réagit moins bien à mesure qu'on multiplie les excitations ; mais, si on le laisse reposer un instant, il répond avec autant d'énergie à de nouvelles excitations. Sur un animal à sang chaud, cette première action de la cocaïne est des plus manifestes. Un lapin, par exemple, se mettra à courir de lui-même ; s'il s'arrête, il suffira de le tou- cher légèrement pour le voir repartir. Lorsque la dose de cocaïne est trop forte, l'excitabilité augmente rapidement, et des convulsions éclatent. A partir de ce moment, on obtient des ell'cls véritablement toxiques. On pourrait peut-être appeler àosQ physiologique^ la dose d'al- caloïde capable d'exalter simplement les fonctions physiolo- giques de l'animal sans les perturber, c'est-à-dire sans donner naissance à des convulsions. Mais en même temps se produisent d'autres phénomènes accessoires qui, d'ailleurs, ont tous la même origine. Ainsi ViLPiAN * a noté chez le chien une propulsion des globes oculaires, de la mydriase, et un agrandissement des paupières, résultat absolument semblable, ajoute-t-il, à celui que l'on' obtient en faradisant le bout supérieur du cordon cervical sympathique coupé en travers. Vulpian croyait, en effet, que la cocaïne excitait tout d'abord les origines cervi- cales du sympathique, c'est-à-dire la moelle. Cette excitation avait pour conséquence une constriction des vaisseaux, qui lui permettait de comprendre l'élévation de la pression san- 1. YuLPiAN, Comptes rendus de VAc. des Se, H novembre 18Si. LA cocaïne. 33o guine. Cette élévation succédait d'ailleurs à un abaissement primitif, dû à un effet direct de la cocaïne sur les parois du cœur. M. Labobde^ croit également à une excitation des filets vaso-constricteurs du grand sympathique, car il a observé (tou- jours sur le lapin) une anémie constante des vaisseaux auri- culaires. La fréquence excessive des battements du cœur doit être expliquée de la même façon. Aussi tous ces phénomènes, joints à l'hyperexcitabilité réflexe, sont-ils une preuve non douteuse de Faction de la cocaïne sur la moelle. Mais les autres parties de l'axe encéphalo-méduUaire sont également influencées. On doit penser tout naturellement au bulbe, en présence des modifications apportées dans le rythme respiratoire, et à l'encéphale, pour exphquer Fimpulsion mo- trice irrésistible qui anime un animal cocaïnisé. Il est bon de remarquer que cette action sur l'encéphale est beaucoup plus manifeste cbez l'homme, dontles facultés psychiques sont nota- blement augmentées et souvent même perturbées. De tous ces faits, nous pouvons conclure que la cocaïne, à dose physiologique, est un excitant de l'axe encéphalo-mé- duUaire avec prédominance peut-être médullaire. Lorsqu'on dépasse cette dose physiologique (que nous essaierons de déterminer dans la suite) on voit éclater des convulsions qui, toniques d'abord, deviennent rapidement cloniques. L'animal ne succombe pas toujours; ]a survie dépend de la quantité d'alcaloïde, d'où la possibilité d'ad- mettre une dose convuhivanie, qui n'est pas une dose mor- telle. Mais pourquoi des convulsions? M. Laborde- croyait qu'elles étaient dues à l'excitation de la moelle. Une expérience très simple de Daxini vient détruire cette hypothèse. A un animal cocaïnisé et en attaque 1. Laborde, Soc. de BioL, 27 décembre ISSi. 2. Laborde, Loc. cit., p. 10. •;3G E. DELBOSC. convulsive, il suffit de couper la moelle pour arrêter les con- vulsions. Le point de départ de ces attaques épileptiformes n'est donc pas dans la moelle, mais dans la partie de Taxe située au-dessus de la section, c'est-à-dire dans les centres supérieurs. M. Ch. Richet, qui a répété cette expérience de Danim, pense que les convulsions sont dues à l'excitation des zones motrices de l'encéphale. Certaines susbtances peuvent modifier les convulsions. Skinner' a vu que l'atropine les arrêtait. Le chloral a un elTet analogue, de même le chloroforme. La morphine, au contraire, est un synergique de la cocaïne au point de vue convulsivant. M. Pradal-, élève de M. Grasset, a observé qu'une dose de cocaïne, incapable de donner naissance à des convulsions, produisait immédiatement une crise épileptiforme, si l'on ajoutait une dose égale de morphine. Et cependant les sujets morphinomanes peuvent absorber sans danger une quantité considérable de cocaïne. M. Chouppe' explique ce fait en disant que les cellules cérébrales ont leur excitabilité tellement déprimée par l'action continue du premier alcaloïde qu'elles ne peuvent plus réagir sous l'excitation du second. Enfin la température a une influence manifeste sur les convulsions. MM. Grasset et Jeannel" avaient nié cette influence. Mais MM. Ch. Richet et Langlois ^ ont prouvé que la cocaïne ne diff'ère pas des autres poisons convulsivants. De nombreuses expériences leur ont permis d'établir ce fait « que la dose convulsive de la cocaïne varie avec la température organique de l'animal. Elle est plus faible quand la température est élevée, et inversement ». Ces expérimentateurs croient qu'il s'opère 1. Skinner, Bulletin de Thérapeutique, lo juillet 1886. 2. Pradal, Thèse de doctorat de Montpellier, 188;j. 3. Chouppe, Soc. de Biol., 2 février 1889. 4. Grasset et Jeannel, Comptes rendus de l'Ac. des Se, 9 février 1885. Ch. Richet et Langlois, Comptes rendus de l'Ac. des Se, 4 juin 1888. LA cocaïne. -iST une combinaison chimique entre la cellule vivante et la sub- stance toxique qui a diffusé du sang dans les tissus. Cette com- binaison chimique, cause déterminante de la convulsion, s'effectue seulement à une température donnée, et est plus ou moins complète suivant la température. Dès lors, il semble facile d'expliquer l'absence de convul- sions pour les animaux à sang froid. « A priori, d'après MM. Ch. Richet et Langlois, on peut supposer que la tempéra- ture est trop basse pour permettre les phénomènes convulsifs; mais des grenouilles échauffées à 30° ne présentent pas de convulsions: et, d'autre part, des chiens refroidis à 28° ont des convulsions, très atténuées, il est vrai, mais encore caracté- ristiques. » Par conséquent, la température ne peut expliquer qu'une partie du phénomène; un autre facteur doit intervenir. M. Ch. Richet croit à la prépondérance du système cérébral qui, plus ou moins développé, va s'imprégner d'une plus ou moins grande quantité de substance toxique, et réagir d'autant mieux. En un mot, il y a une relation directe entre la dose convul- sive et la masse cérébrale. Quelques expériences faites sous la direction de M. Ch. Ri- chet nous ont permis d'établir cette relation. Un premier fait se dégage de nos recherches : la co- caïne n'est pas convulsivante pour les animaux à sang froid. M. KoBERT^ aurait cependant obtenu des convulsions avec des grenouilles. M. Ch. Richet, dans ses nombreuses expériences, n'a jamais vu rien de semblable. J'ai, moi-même, injecté à des grenouilles des doses très variables de cocaïne ; nombre d'entre elles sont mortes ; mais je n'ai pas eu une seule convulsion. Il faut croire que la cocaïne allemande ne se présente pas avec cette pureté, que des chimistes, sans doute intéressés, refusent, bien à tort, à la cocaïne française. En effet, un pro- duit, absolument pur, introduit dans le tissu sous-cutané de l.KoBERT, Archiv fur experimentelle Pathologlewid Pharmakologie, 1882, p. 52. 338 E. DELBOSC. Ja grenouille, ne donnera jamais naissanceà des mouvements convulsifs. De même pour les autres animaux à sang froid : les tortues et les tanches que nous avons injectées ne sont jamais entrées en convulsion. Bien différents sont les animaux à sang chaud; pour eux, la convulsion est la règle; il suffit d'injecter une dose conve- nahle de cocaïne. Cette dose varie avec la taille de l'animal. l*our avoir des résultats comparables entre eux, nous avons choisi un point de repère fixe, une unité invariable. Nous avons tout rapporté au kilogramme d'animal. Par suite, lors- que nous dirons avoir injecté 5, 10, 15 centigrammes de sub- stance active, ce chiffre sera indépendant du poids total du sujet. Dans le cours de ces expériences, un fait nous a frappé tout d'abord. Avec deux animaux de môme espèce, mais de poids différent, celui qui pesait le moins était toujours plus sensible à l'action delà cocaïne; et cependant la dose de substance active était proportionnellement la même. La raison, croyons-nous, est que le rapport entre le poids total du corps et le poids du cerveau est à l'avantage du sujet le plus petit. Ce rapport est très important; et cette importance va être mise en relief par l'étude comparative dos doses de cocaïne nécessaires pour produire des convulsions suivant l'espèce animale. Voici les résultats trouvés dansles auteurs, combinés avec nos propres expériences. Nous en donnons un résumé succinct sous forme de tableau : COBAYE : liSMECTION DANS LE TISSU CELLULAIRE OU LE PÉRITOINE Tlièse de Compain, Paris, 1881) . Observation personnelle. . . . Dose de cocaïne. irraiiiiiies. 0,02 légère exrilation. 0,03 excitation. 0,06 vive excitation. 0,07 convulsions, survie LA cocaïne. Dose de cocaïne. 339 Observation personnelle. Laborde Dose convidsivante. grammes. 0,08 convulsions, mort. 0,08 — 0,08 — 0,07 LAPIN : INJECTIOiV DANS LE PERIT0I.NI-: (l** Observatioiis personnelles. Dose de cocaïne grammes. ^0,03. . l'ien. 0,10. . excitation. 0,12. . — 0,13. , vive excitation. 0,13. . convulsions, survie 0,18. . vive excitation. 0,18. . convulsions, survie 0,20. . — 0,20. . convulsions, mort. 0,20. . — 0,22. . -- Do?,e convidsivante. . 0,18. Si nous rapprochons ces deux résultats, nous voyons que le lapin est beaucoup plus réfractaire à la cocaïne que le cobaye. Il est vrai que ce dernier possède une masse céré- brale plus considérable, ce qui rentre parfaitement dans notre loi. Si nous prenons toujours pour unité le kilogramme d'ani- mal, le lapin aura, en effet, un cerveau de 4 grammes et le cobaye de 7. (11 est bien évident que ces derniers chiffres ne sont qu'une moyenne.) Continuons notre étude avec les oiseaux. Yoici le résultat de nos expériences sur les pigeons. :;40 E. DELBOSC. PIGEOMS : INJECTION DANS LE MUSCLE GRAND PECTORAL Dose Je cocaïne, grammes. 0,02. . e.xcitation. 0,03. . perte de l'équilibre. 0,00. . convulsions, survie. 0,07. . convulsions, mort. 0,08. . — La dose conviilsive est donc pour les pigeons 0,06. Nos chilfres et ceux qu'ont donnés d'autres auteurs nous permet- tent en outre de iixerà 8 grammes le poids moyen du cerveau rapporté au kilogramme d'animal. Pour les chiens, nous n'avons pas eu besoin de faire des expériences. MM. Ch. Riciieï et Langlois ont prouvé d'une façon définitive que la dose convulsive était 0,0;2. Nous nous sommes contenté de rechercher le poids du cerveau, et, en le ramenant à notre unité, nous avons obtenu le poids de 9 grammes. Enfin les expériences faites par M. Ghasset et son élève M. Pradal nous permettent de faire figurer dans nos tableaux les résultats obtenus avec le singe. SINGE Dose de cocaïne. ïrammes. Grasset, Comptes rendus de V Académie des Sciences, 9 février 188.') 0,003 rien. — 0,006 rien. — 0,088 rien. — 0,017 convulsions, survie. Prxdxl (Thr^e de MontpeUier], iS8'6 . . 0,023 — Grasset 0,027 — Pradal 0,030 — Dose convulsive appro.ximalive . . . . 0,012 Le poids moyen du cerveau rapporté à un kilogramme d'animal et calculé d'après leschifîres de Cu vier est 1 8 grammes. LA cocaïne. 341 Si maintenant nous groupons les résultats obtenus, nous verrons que l'hypothèse de M. Cu. Richet se trouve vérifiée. Le tableau suivant qui résume nos recherches est significatif à cet égard. Poids du cerveau rapporté au kil. d'animal. Dose convulsive Lapin . Cobaye. Pigeon. Chien. . f^rammes. 4 7 8 9 grammes. 0,18 0,07 0,06 0,02 Singe. . 18 0,012 Du simple examen de ce tableau, il résulte que la dose de cocaïne nécessaire pour produire des convulsions est d'au- tant plus petite que la masse cérébrale est plus grande. Avec ces données ne serait-il pas possible de déterminer d'une façon approximative cette même dose chez l'homme? Tout d'abord il nous est facile de trouver une des incon- nues. En effet, d'après Cuviep/, le rapport moyen entre la masse cérébrale de l'homme et le poids total de son corps est !.. —, ce qui donne le chiffre 35 en rapportant cette proportion à notre unité conventionnelle. Or, en consultant le tableau ci-dessus, on s'aperçoit que la différence dans la masse céré- brale estplus petite du chien au singe que du singe à l'homme ; par suite la différence dans la dose convulsive entre le singe et l'homme doit être plus grande qu'entre le singe et le chien. Elle sera donc inférieure à 0,005 ; nous la fixerons d'une façon un peu arbitraire à 0,002 ou 0,003. Lorsqu'on emploie une quantité de cocaïne supérieure à celle qui est capable de provoquer des mouvements épilepti- formes, l'animal est souvent tué. Il suffit en effet de se repor- ter à nos tableaux pour voir que la dose mortelle suit la dose convulsive. La même loi préside d'ailleurs à l'évolution de ces 1. CuviER, Leçons d'anatomie comparée, t. II, p. liQ. 542 E. DELBOSC. deux phénomènes; et, pour tuer uu animal, il faudra une quantité de cocaïne d'autant moindre que le cerveau sera plus développé, La preuve en a été donnée par nos expériences sur les animaux à sang chaud. Toutefois nous avons été heureux de voir que les résultats obtenus par nous sur des animaux à sang froid venaient encore confirmer la loi de M. Cn. Ricniix. Ainsi la grenouille et la tanche, chez qui le poids de la masse céré- brale rapporté au kilo d'animal est sensiblement le même, ont à peu près la même dose mortelle : 0,08 à 0, 10. An contraire la tortue, dont la masse cérébrale est moindre, est tuée par 0,20 de cocaïne. Nous ne poursuivrons pas plus loin notre étude physiolo- gique sur les animaux. Ce que nous avons appris va nous per- mettre de comprendre l'action de la cocaïne sur l'homme, et d'aborder immédiatement après l'étude critique des empoi- sonnements publiés jusqu'à ce jour. ACTION DE LA COCAÏNE S L' U l'hOMME La cocaïne produit chez l'homme des elfets locaux iden- tiques à ceux que nous avons observés sur les animaux. Le mécanisme de l'analgésie est absolument le même : il se fait toujours une action chimique locale qui suspend les fonctions physiologiques des cellules sensitives. Les effets généraux seront également faciles à compren- dre. 11 faut noter cependant qu'ils sont excessivement varia- bles dans leur évolukion : aujourd'hui on observera tel phéno- mène, et demain un phénomène pour ainsi dire opposé. Il semble que la cocaïne dans son action générale n'est pas comparable à elle-même. Aussi l'empoisonnement par cette substance peut-il se présenter sous mille formes diverses. Cependant, et d'une façon générale, l'intoxication se manifeste par une extrême pâleur de la face, une accéléra- tion des battements du cœur, respiration fréquente et super- LA cocaïne. 543 ficielle, angoisse précordiale, perte incomplète de connais- sance avec sentiment de lin prochaine, en un mot collapsus voisin du coma. Beaucoup de ces phénomènes peuvent être observés sur les animaux, quand on ne dépasse pas ce que nous avons appelé la dose physiologique. De là une première similitude d'action. Et cette similitude se poursuit lorsqu'on emploie une quantité plus forte de cocaïne, c'est-à-dire lorsqu'on atteint la dose convulsivante. Alors, comme pour l'animal, on obtient presque sans symptômes prémonitoires des soubre- sauts qui deviennent ou qui sont d'emblée des mouvements convulsifs. Cette dose convulsive ne saurait être déterminée d'une façon absolument précise. Nous l'avons fixée (voir ci-dessus) à 0,002 ou 0,003 par kil., ce qui donne pour un adulte le chif- fre de 0,20. Et en effet l'ensemble des observations publiées jusqu'à ce jour semble prouver que cette quantité de cocaïne en injection sous-cutanée est susceptible de donner des con- vulsions. Si maintenant nous prenons, un à un, ces phénomènes, nous voyons que tous peuvent être expliqués par l'action de la cocaïne sur le système nerveux, et, plus spécialement, par une excitation de l'axe encéphalo-médullaire. Or cette excita- tion, variable suivant la dose d'alcaloïde, donnera naissance à des phénomènes également variables dans leur évolution, c'est-à-dire plus ou moins graves. Dans l'intoxication légère, la moelle sera la première et souvent la seule prise. D'où la pâleur de la face et des tégu- ments; car c'est dans la moelle que se trouvent principale- ment les origines du grand sympathique, et l'on sait, d'après les travaux de M. Dastre, que les phénomènes de la circulation se trouvent sous la dépendance de ce système sympathique. On conçoit alors que l'excitation de la moelle, due à la cocaïne, se manifeste, grâce aux filets vaso-constricteurs, par une diminution notable du calibre des vaisseaux. En effet la 544 E. DELBOSC. pâleur des téguments est quelquefois poussée à l'extrême. On comprend que, sous cette même influence, la circula- tion de l'encéphale soit modifiée. Schilling* en a eu la preuve directe : dans un cas d'em])oisonnement il a examiné le fond de l'œil à l'oplithalmoscope, et il a trouvé que les vaisseaux de la rétine étaient à peine visibles. Ce fait d'anémie cérébrale est à retenir; car c'est là, croyons-nous, la véritable cause de certains accidents qui ne manqueront pas d'éclater, si une circonstance, insignifiante en elle-même, vient favoriser leur éclosion. Que le sujet à opérer reste debout, qu'il soit en proie à une anémie profonde, ou qu'il se trouve sous le coup d'un état émotif accentué, dont l'effet est de ralentir la circulation du cerveau, anémié déjà par la cocaïne, on comprendra, avec M. Dujardin-Beaumetz *, qu'on se trouve en présence d'accidents vertigineux, de lipo- thymies, de tendances à la syncope, ou même d'une syncope. Ces symptômes dus à une simple anémie cérébrale sont plus effrayants que dangereux. 11 suffira souvent de faire res- pirer au malade deux ou trois gouttes de nitrite d'amyle pour ramener à l'état normal la circulation cérébrale, et faire dispa- raître du même coup les phénomènes de syncope. C'est encore à l'influence prédominante de la cocaïne sur l'axe médullaire que sont dus les troubles circulatoires. Car l'excitation de la moelle cervico-dorsale, dans laquelle le sym- pathique prend ses fibres cardiaques, produit une précipita- tion des battements du cœur, qui les ^imène au taux de 150 à 160 par minute. On comprend de même que la pression san- guine s'élève dans les premiers moments pour baisser bientôt, car les battements du cœur, quoique nombreux, sont très petits, perdant en force ce qu'ils gagnent en vitesse. (Loi de Marey.) Cette excitation du grand sympathique peut encore expli- quer bien des phénomènes. Sous son influence tous les orga- 1. Schilling, in A'rzl, Intellifienzblall, l88o, n° 52. 2. Dujardin-Beaumetz, Gazette fiebdomadaire, 6 février ISSii. LA cocaïne. 54.) nés à muscles lisses pourront se contracter; et cette action se manifestera plus particulièrement sur la pupille qui se dila- tera, sur Festomac dont les contractions seront parfois aug- mentées jusqu'à produire le vomissement, sur l'intestin dont le péristaltisme pourra aller jusqu'à effet purgatif. D'autres fois les phénomènes médullaires passeront ina- perçus ou même n'existeront pas; les effets de la cocaïne se localiseront sur le bulbe; alors on verra la respiration s'accé- lérer, grâce à l'excitation directe des origines des pneumogas- triques (Mosso) ^ Dans les premiers moments, la fréquence des contractions diaphragmatiques devient extrême : les mou- vements sont précipités, petits, superficiels, puis se ralentis- sent progressivement par épuisement nerveux. Si, au contraire, la cocaïne porte son action sur l'encé- phale, on voit alors éclater la série des phénomènes psychi- ques. Le sujet pourra avoir des attendrissements subits, puis sans transition des accès de fureur. Parfois ses facultés intel- lectuelles seront surexcitées au plus haut degré : il se rappel- lera tout à coup certains faits qui s'étaient passés, il y a 20, 30 ans, et qu'il avait totalement oubliés. Enfin, si la dose de cocaïne est trop forte, on voit éclater tout à coup des symptômes plus graves : des convulsions. Les mouvements, toniques d'abord et cloniques ensuite, devien- nent plus violents, à mesure qu'on se rapproche de la termi- naison fatale. Pendant cette période convulsive, on peut voir la face se cyanoser. la respiration s'embarrasser; les batte- ments du cœur deviennent de moins en moins perceptibles, et le malade meurt. Cependant tous ceux qui présentent des convulsions sont loin de succomber. Le nombre en est très restreint, comme on le verra dans la suite. Mais, dans les cas qui ont été publiés, la mort a toujours été précédée de con- vulsions; et, si on remarque que les animaux à sang chaud nous donnent un résultat identique, on pourra en conclure, 1 Ugolino Mosso, Arch. f. experiyn. Path. u. Pharmalc, l. XXIII, p. 153, 1887, TOME II. ' '^"^ 546 E. DELHOSC. non sans une apparence de raison, que ces deux phénomènes, convulsions et, mort, sont intimement liés. Or les convulsions sont dues à une excitation par la cocaïne des centres nerveux supérieurs; il faut croire que la mort est le résultat d'une action toxique sur ces mêmes centres. Un dernier problème mériterait d'être résolu. Pourquoi la cocaïne présente-t-elle des etlets si variables suivant les individus? Pourquoi localise-t-elle son action tantôt sur une des parties de l'axe encéphalo-médullaire, tantôt sur une autre? La dose que Ton emploie influe certainement sur révo- lution des phénomènes. Mais peut-être faut-il tenir compte des idiosyncrasies, des susceptibilités individuelles? Il y a là un point qui nous échappe; nous nous contenterons de le signaler. DEUXIEME PARTIE ÉTUDE CRITIQUE DES E3I POI S ON N EMENTS DUS A LA COCAÏNE Notre but étant de légitimer l'emploi judicieux et correct de la cocaïne, nous nous garderons bien de présenter cette substance comme absolument inoffensive, car ce serait s'ex- poser à de fâcheux mécomptes. Il y a des cas d'empoisonne- ment, et des cas bien graves, puisqu'ils se sont terminés d'une façon fatale. Mais cette toxicité a été, croyons-nous, beau- coup exagérée. Et d'abord on ne saurait trop s'élever contre cette habitude de considérer tout phénomène un peu insolite comme l'indice d'un empoisonnement. Il faut l'avouer, les propriétés physio- logiques de la cocaïne ne sont pas bien connues; elles sont même si peu connues qu'on ne sait pas encore utiliser cette LA COCAÏNE. 547 substance à l'intérieur. Aussi, lorsque, employé dans des conditions plus ou moins favorables, ce médicament sBra absorbé et manifestera ses propriétés normales en modifiant, d'une façon cependant très légère, certaines fonctions de l'or- ganisme, immédiatement on croira à une intoxication. Mais, dans cet ordre d'idées, peu de substances seraient absolument inofiensives. Que de fois l'administration d'un médicament ne produit pas l'effet qu'on est en droit d'atten- dre? Et, si un phénomène inattendu vient remplacer le phé- nomène habituel, faudra-t-il penser à l'empoisonnement? Ainsi un purgatif vulgaire, administré dans certaines condi- tions, pourra donner des vomissements et pas la moindre selle. Pour être Jogique, ce malade est empoisonné, comme est empoisonné encore celui qui, ayant trop mangé, se trouve sous le coup d'une indigestion et est en proie à de violentes nausées. Ces faits sont certainement beaucoup plus graves que cer- tains phénomènes produits par la cocaïne et décorés du nom d'empoisonnements. Un malade a été analgésie par notre alcaloïde, il pâlit en voyant l'opérateur saisir ses instruments; son cœur s'accélère; aussitôt ces symptômes, dus à une simple émotion, sont regardés comme toxiques, et l'observation est publiée. Nous nous sommes contenté de réunir les empoi- sonnements sérieux et authentiques; et, si notre dossier est incomplet par rapport à certains faits légers et presque insi- gnifiants, nous croyons posséder à peu près tous les cas ayant eu une certaine gravité. Nous présentons notre dossier sous forme de tableau : 548 E. DELBOSC. OBSERVATEURS. P H E N O M É NES OBSERVES. Adams Fropt {Tribune mécL, 1er janv. 1888). ZiEM (Allg. med. Centralzei- tunrj, 1885, n» 90). Heuse {TriljunemécL, l'^r jan- vier 1888). Mayerhausen [France méd., 27 fcv. 1886). Call [Soc. )Jiédico-chirurr/i- cale de Madrid, cité par Mattison dans Therapeidic (lazetle, du 16 janv. 1888). BiiU. qe'n. de thérap., 1885. p. 422. MowAT {Lancet, 13 oct. 1888). TiPTON [Trllnine med., 1" janv. 1888). Reich ( Paris méd. , 6 fé v. 1 8S6 ) . CocuLET [Art dentaire, janv. 1888, p. 644). DucouRNEAU (Art dentaire, avril 1888, p. 718). Knapp {l'ari.i med., S fév. 1886). Und. REicH(ra/-2>we(/.,6 rùv.1886). Hall et Halster [Gaz. méd. de Paris, 1885, n» 4). HowEL Way [Trihune méd., 1" janv. Galezowski {Tribune med., 1" janv. 1888). Pâleur do la face, sueurs pro- fuses, pouls petil et ralenti. Pâleur de la l'ace, embarras de la respiration. Dyspnée, voinis.scmenls. Céphalalgie, sécheresse de lagorgc, nausées; puis agi- tation, inappétence pendant 48 heures. Mouvements convulsifs. Céphalalgie, malaise, tilu- batioQ, perte de l'appétit. Petitesse du pouls, convul- sions. Pâleur de la face, vomis- sements,petitesse du pouls. Tremblements, sueurs froides, vertiges. Pâleur de la face, syncope, puis convulsions et con- tractures. Stupeur, angoisse. Lividité cadavérique, sueurs. Pâleur de la face. Défaillance, vomissements. Vertiges, vomissements. 4 cas d'intoxication. Titubation, embarras jjara- lytique de la langue jien- dant 30 heures. 0,0005 0,004 0,0015 0,005 0.005 0,005 0,0075 0,008 0,01 0,01 0,01 0,011 0,012 0,012 0,012 à 0,014 0,012 à 0,015 0,015 LA cocaïne. S49 î s E R VA T E U R ^ Cosmos (11 fév. -18881. Bresgen {Trio. mécL, [«■'janv. 1888). Griswald ( Trih.méd., lerjan- Tier 1888). Blodgett {Boston M. et S. Journal, cité par Mattisox, loc. cit.). Stevexs [France méd . ,2~i îcv . 1886). Préterre Courrier uutU.^ 0**lrv J*. A â<. »«f.. ISS*. »»«t!;NOM^\K'< t'PSKRYKS l* O s K S. Vei'ti^*$, t«i>udauct»s s.vuov>- ^.\»ov^(si^>a!J t>?»(J»nt une 0.12 0.12 m*ut. Ttv>ubio$ «.W hi rt^spiratiou. IVUre » aiuamx>*e poudaut Oxtjj»»^, dyspha^e peudaiu N;iu-^>#«*. otac do colUtpsu*. SCO*, crcuupo* daus les jambes ttaUuvwaU\.m^ Ok>tttusioas des idé«Ss imuù- aettce de s^uttocatioa. Nau^é^iS^ i.acv»{iér«ac* de la peuvlc et de* id«»«fs:, A^tadoa. s^ttbdelittum. trou- - actuels- s«ub de Mort. Eut, dettu-cv«uate«x . cou- * ice mtt>culaire géné- -■-1 •s.'O. Moct. 0.15 0.1.> O.IS 0.20 0.24 0.25 0.25 0.30 O.âO 0>«Ki 0.T3 t.0« l.O» { LA COCAÏNE. Jo3 0 B s E R VA T F, U R s . PHÉXOMÈXES OBSERVÉS. DOSES. Bulletin mëd. du 24 fév. 1889. Mort. jrrnmuies. 1 .2.:; Ricci {Deutsche med. Woch., 1887, n» 41, p. 894). Excitation extrême, gesticu- lations clioréiqucs, accélé- ration du pouls et de la respiration; 4 jours plus tard, retour des mêmes accidents. l,2o MoNTALTi ( Sperimentale , sept. 1888, p. 294). Mort. l.-iO Nous croyons cette statistique suffisamment complète ; car nous avons la conscience d'avoir scrupuleusement con- signé, après de longues et patientes recherches, la plupart des empoisonnements ayant offert une certaine gravité. En parcourant ce tableau, on ne trouve que cinq terminaisons fatales, et encore y en a-t-il une dont la cause est à discuter. Et cependg^nt, s'il fallait en croire certains auteurs, le nombre des cas malheureux serait tellement grand qu'on ne saurait se servir de la cocaïne sans s'exposer à tuer le patient. Ainsi M. Roux, dans la Revue médicale de la Suisse romande, février 1889, écrit cette phrase : « Le nombre d'em- poisonnements mortels jjar la cocaïne atteignait en octobre dernier, le chiffre respectable de 12G. » M. Roux, à qui nous nous sommes adressé directement, a bien voulu, dans une lettre rectificative, nous indiquer les sources oii il avait puisé son chiffre. Tout d'abord, il avoue avoir fait une erreur : ce n'est pas 126 cas mortels qu'il faudrait dire, mais simplement 126 empoisonnements dont quelques-uns seraient mortels : il ne connaît pas le chiffre exact des cas malheureux. C'est d'une compilation faite par M. Dumont, de Berne, que M. Roux avait tiré ses conclusions. Or, à son tour, M. Dumont s'était beaucoup aidé des travaux de Matïison sur la cocaïne. Nous avons lu une analyse de ce travail dans la Tribune oo4 E. DELBOSC. médicale du P"" janvier 1888; nous avons même consulté une reproduction de l'article de Mattison dans la Thera- peutic gazette du 16 janvier 1888. Au commencement de cet article, on y parle bien de quatre cas mortels ; [mais, en li- sant attentivement le travail, il nous a été impossible de les y trouver. En effet, certaines observations sont rédigées en termes tellement vagues que souvent on ne peut dire s'il y a eu une terminaison heureuse ou malheureuse. Or, comment discuter des faits qui manquent à ce point [de pré- cision? Et ce qui nous fait croire que nous possédons le dossier à peu près complet de la cocaïne, c'est que, dans un article écrit par M. le professeur Lépine dans la Semaine médicale du 2:2 mai 1889. nous avons trouvé peu de faits dont nous n'eussions déjà connaissance. Mais, avant d'aller plus loin, un aveu est nécessaire. On voit que, dans ce tableau, les empoisonnements n'ont pas été 'présentés par ordre de gravité. Les faits ont été rangés suivant la dose employée. Et nous sommes obligé d'avouer que, pour une dose inférieure k 0,05, notre dossier n'est pas complet. Lorsque, pour la même quantité de cocaïne, plusieurs cas se présentaient à nous avec les mêmes symptômes, nous n'en retenions que quelques-uns. Mais, à partir de 0,05. dose que Von emploie ordinairement, nous avons noté sans exception tous les faits venus à notre con- naissance. Examinons l'ensemble des empoisonnements dus à une quantité de cocaïne inférieure à 5 centigrammes. Et d'abord que penser des accidents provoqués par l'administration de doses presque infmitésimales? Peut-on croire sérieusement à l'intoxication ? Il faudrait alors que la cocaïne fût plus dange- reuse que le plus toxique des alcaloïdes. Nous sommes disposé à croire avec M. Uxkowsky et M. IIlgenschmidt que l'émotion joue un rôle manifeste dans le développement de certains accidents. LA cocaïne. 000 Le fait suivant rapporté par M. Hugenschmit ' en est une preuve frappante. « Il est appelé pour administrer la cocaïne à une dame d'une soixantaine d'années, ayant à subir une opération dentaire très douloureuse. Il la trouve très surexcitée et per- suadée d'après les récits d'un médecin que le médicament dont on va se servir est des plus dangereux. Dans de telles condi- tions M. HuGENSCHMiDT rcfuse d'administrer la cocaïne : mais, pressé par la dame, il fait semblant d'accéder à son désir et injecte 10 gouttes à' eau distillée . En moins de trente secondes, la malade se plaignait de douleurs terribles dans la tète, se levait rapidement, faisait quelques pas et tombait dans un fauteuil en criant : « Je meurs ! » Puis survint une syncope qui dura une demi-heure. » Or supposons que M. Hugenschmidt n'ait pas injecté de l'eau distillée pure ; on aurait mis ces accidents sur le compte de la cocaïne; d'où un empoisonnement assez grave, puisqu'il y aurait eu une syncope d'une demi-heure. Aussi sommes-nous tout disposé à croire que nombre d'intoxica- tions relèvent d'un mécanisme semblable. Que trouvons-nous comme symptômes pour une dose inférieure à 0,05? En consultant notre tableau, nous voyons que les phénomènes le plus souvent observés sont : la pâleur de la face, des sueurs froides, des vertiges, des défail- lances, de la sécheresse de la gorge, un embarras de la res- piration, des syncopes. Or une simple émotion peut parfai- tement produire tous ces accidents. D'ailleurs, pour confirmer cette hypothèse, il est à remarquer que, dans beaucoup d'observations, le sujet était maladif, impressionnable, ner- veux ou hystérique. Cependant nous nous garderons bien de nier les faits. Même au-dessous de 5 centigrammes la cocaïne peut avoir des effets actifs. Mais nous nous refusons à donner une 1. Hugenschmidt, « De la cocaïne en injections hvpodci'miques » {Bulletin médical, 1888, no 72, p. 1193). 536 E. DELBOSG. gravité quelconque à ces accidents, d'ailleurs très rares, puis- que, pour un cas oii il s'est produit un symptôme désagréable, nous pourrions en citer .jO oii tout s'est passé correctement. Nous croyons plutôt à une idiosyncrasie qui, en dehors de toute hérédité nerveuse, rend un sujet plus sensible qu'un autre à l'action de l'alcaloïde. Et alors la cocaïne devrait être mise au nombre de ces substances pour lesquelles il existe une susceptibilité individuelle. De tous ces faits, il résulte qu'une dose inférieure à 0,05 peut, être employée impunément. Les quelques accidents qui peuvent en résulter seront peut-être désagréables, mais jamais dangereux. Peut-on employer une dose plus forte ? Consultons encore notre tableau, et tout de suite nous sommes frappé de ce fait que l'administration de 0,0o a donné lieu à une issue fatale. Etudions en détail cet empoisonnement : il a une importance capitale ; car, si la mort était véritablement due à la cocaïne, l'emploi de cette substance devrait être proscrit. C'est à la Société d'ophthalmologie de Paris, dans la séance du 2 octobre 1888, que M. Abadie a rapporté son observation : « Femme de 71 ans, pour opération d'entropion, reçoit dans la paupière le contenu d'une seringue de Pravaz, rem- plie d'une solution de cocaïne à 5 p. 100. Tout d'abord aucune sensation; mais l'opération est à peine terminée que la malade chancelle, perd connaissance, avec face vultueuse, lèvres bleuâtres, comme dans une asphyxie. Respiration arti- ficielle, deux piqûres d'éther, caféine. La respiration se réta- blit, la malade prononce quelques paroles, et M. Abadie la quitte, la croyant sauvée. Le lendemain il apprend que la malade a succombé dans la nuit, cinq licures après l'accident. Pas d'autopsie; mais la fille de cette dame fait savoir que, trois mois auparavant, sa mère était tombée de la même façon et était restée six heures sans connaissance. » Ce récit donna lieu à un échange d'observations entre les col- lègues de M. Abadie. M. Gorecki n'a pas cru à l'intoxication ; LA cocaïne. 337 M. Meyer non plus, parce que la malade a eu la face vultueuse, la respiration stertoreuse, phénomènes qui ne sont pas ceux de l'empoisonnement cocaïnique, mais plutôt de l'apoplexie cérébrale en rapport avec l'âge et les antécédents du sujet. Pour nous, dans cette observation, nous ne voyons pas les effets de la cocaïne. Jamais un empoisonnement par cette substance n'a donné lieu à la congestion de la face. Le visage est toujours d'une pâleur, d'une lividité cadavéri- ques. La face aurait cependant pu se congestionner si la malade avait eu des convulsions; or elle est tombée sans connaissance, ne présentant pas un seul mouvement convul- sif. C'est là encore un fait qui nous oblige à mettre hors de cause la cocaïne ; car, dans toutes les observations que nous avons pu recueillir, il n'y a pas un seul cas où la mort n'ait été précédée de convulsions. Dès lors est-il permis de mettre sur le compte de la cocaïne des accidents qui sont le contraire des phénomènes cocaïniques? Nous partageons plutôt l'opinion de M. Meyer, et nous rapportons cette mort à l'apoplexie céré- brale. La cocaïne ne peut donc pas tuer à 0,05. Nous dirons mieux : à cette dose et même à dose supérieure, jusqu'à 0,10 centigrammes, elle n'est pas dangereuse. L'ensemble des cas d'empoisonnement présente cepen- dant des phénomènes qui paraissent assez graves. Ainsi nous avons quelques observations avec mouvements convulsifs. Mais ce symptôme a été vu le plus souvent chez des sujets nerveux, prédisposés, des hystériques. Or la cocaïne est très propre à faire éclater des accidents névrosiques chez ceux qui possèdent en germe ces accidents. D'ailleurs nous nous gar- derons bien de nier les prédispositions individuelles, les idio- syncrasies qui se manifestent d'autant mieux que la quantité de substance active est plus considérable. Quant aux autres symptômes, certains d'entre eux peu- vent recevoir l'explication que nous avons donnée plus haut. Il est hors de doute que l'état de surexcitation, d'émotion 5o8 E. DELBOSC. inséijarable de l'idée d'opération, ne soit cliez des sujets pu- sillanimes l'origine de certains troubles de Ja vue, de certains vertiges ou même de certaines syncopes. On pourrait nous objecter des faits semblables à celui d'HowEL Way, qui dans un but expérimental s'injecta un grain de cocaïne, et fut, comme il le raconte lui-même, à deux doigts de la mort. Il semble facile d'interpréter ces accidents en se rappelant les propriétés de la cocaïne. On sait qu'un des principaux effets de cette substance, employée à faible dose, est l'exaltation du système sympathique avec diminution consécutive du calibre des vaisseaux sous l'influence de l'ac- tion prédominante des filets vaso-constricteurs. D'où une anémie de la base de l'encéphale, donnant naissance à quel- ques vertiges, à quelques troubles des systèmes circulatoire et respiratoire. En présence de ces symptômes, une émotion, qui pourra paraître bien légitime, s'emparera du sujet, lui fera penser instinctivement et malgré lui à un danger réel. L'effet de l'émotion s'ajoutant à l'action de la cocaïne viendra ralentir encore la circulation cérébrale ; les deux phénomènes réagiront ainsi l'un sur l'autre, et la syncope deviendra immi- nente. C'est là, croyons-nous, le cas d'HowEL Way; et bien d'autres peuvent être expliqués de la même manière. Ces phénomènes, qui paraissent d'une gravité exception- nelle, ne sont pas à redouter. Et ce qui le prouve, c'est qu'il suffit de faire respirer au malade deux ou trois gouttes de nitrite d'amyle, pour ramener à l'état normal la circulation cérébrale et faire disparaître presque aussitôt tout accident de syncope. Ce fait a été très remarquable dans le cas d'HowEL AYay, et dans bien d'autres, comme le prouvent de nombreu- ses observations. Nous voyons donc que la cocaïne à 0,1, donne naissance à des phénomènes plus effrayants que dangereux. Continuons notre examen, et, dans une troisième étape, étudions les empoisonnements survenus avec des doses va- riables de 0,10 à 0,20 centigr. Ici encore nous nous trouvons en présence d'accidents qui sont jugés très graves au premier LA COCAIXE. o?39 abord ; mais cette gravité est plus appai'eiite que réelle : deux ou trois gouttes de nitrite d'amyle font le plus souvent dispa- raître ces accidents. Cependant il faut appeler l'attention sur un phénomène nouveau, peu dangereux en lui-même, mais intéressant à noter parce qu'il est l'indice d'une action plus énerg-ique de la cocaïne sur l'organisme : nous voulons parler de l'excita- tion cérébrale. Un bel exemple de cette excitation a été observé par M. Reclus. Nous reproduisons ici cette observation, due à l'obligeance de notre ami Cestan, interne des hôpitaux : « Homme d'une quarantaine d'années, très nerveux, très impressionnable, se présente pour être opéré d'un lipome de l'épaule droite. Il craint beaucoup l'opération dont il appré- hende les suites. Le champ opératoire est anesthésié avec 15 centigrammes de cocaïne. On procède à l'extirpation de la tumeur. L'excitation du malade augmente ; il se met à pleu- rer, puis s'indigne de ses pleurs, est pris d'accès de fureur suivis d'accès d'attendrissement. En dernier lieu, loquacité extraordinaire peu en harmonie avec son caractère froid et réservé. Ces phénomènes durent trois heures environ. » A propos de ce cas, on pourrait faire observer qu'il est bien ennuyeux pour un malade de venir raconter, dans son inconscience , des choses souvent très intimes et dont il se garderait de dévoiler Je secret s'il était de sang-froid. Mais ce n'est pas là une raison suffisante pour se priver des avantages de la cocaïne. D'ailleurs les anesthésiques et le chloroforme ne sont pas à l'abri de ce reproche. Que de fois n'a-t-on pas vu sous l'influence de l'excitation chloroformique un sujet ra- conter certains épisodes de sa vie et entrer dans les détails les plus intimes? Cela ne saurait être un obstacle sérieux à l'emploi de la cocaïne. Ce qui devrait rendre plus circonspect, ce senties convul- sions qu'on a obtenues à des doses plus petites que 0,20. C'est là un indice que la cocaïne ne se contente plus d'exciter les centres psycho-moteurs, mais qu'elle exerce sur ces mêmes :i60 E. DELBOSC. centres une action véritablement toxique. Heureusement les convulsions sont loin d'être la régie. Dans les deux observa- tions que nous avons relevées, une première fois la cocaïne avait été pour des hémorroïdes injectée dans une région très riche en vaisseaux; la seconde foison avait employé une solu- tion très concentrée. Or, dans l'un et l'autre cas, l'absorption avait dû être extrêmement rapide. Et si nous en croyons nos expériences, c'est là une condition des plus favorables à l'éclosion des accidents convulsifs. Ainsi la cocaïne pourrait être employée à la dose de 20 centigrammes; toutefois, nous nous abstiendrons de con- seiller cette dose à cause des phénomènes dont nous venons de parler. 11 est vrai que nous citerions facilement nombre de cas de la pratique de M. Reclus où 20 centigrammes n'ont produit aucun symptôme fâcheux, pas même la pâleur de la face. Mais, au delà de cette dose, nous pensons qu'il faut être très ménager de l'emploi de la cocaïne : les accidents se multiplient, les phénomènes deviennent de plus en plus graves, et, quoiqu'il faille arriver à la quantité énorme de 0,75 pour trouver le premier cas authentique de mort, nous conti- nuons à croire qu'il ne faut pas dépasser 0,20. Nous ne discuterons plus les cas de mort que nous avons pu réunir; nous nous contenterons de les citer avec quelques détails. M. SiMES, dans le Médical Nfiws, il juillel 1888, rapporte l'observation suivante : Il s'agissaitd'un homme de 29 ans, bien portant d'ailleurs, à qui on injecta dans l'urèthre un drachme (près de 4 grammes) d'une solution de cocaïne à 20 p. 100 (c'est-à-dire 0,75 envi- ron). A peine la seringue était-elle retirée que le malade se met à délirer. Les yeux commencent à se convulser, le re- gard devient fixe, les pupilles dilatées, de l'écume sort de la bouche, la respiration s'arrête, et tout le corps est secoué de violentes convulsions épileptiformes qui se renouvellent avec LA COCAÏNE. 361 une intensité croissante. La respiration est de plus en plus faible; il survient une forte cyanose, et le malade meurt 20 minutes après Tinjection. A l'autopsie, on trouve les pou- mons à l'état normal, mais fortement hyperémiés, le cœur sain (le ventricule droit est vide, le gauche rempli de caillots post morteni). Les viscères abdominaux et le cerveau sont éga- lement très congestionnés. La muqueuse de l'urèthre est saine. Le cas du professeur Kolomin est trop connu pour que nous ayons besoin d'insister longuement : Emploi de la cocaïne pour grattage du rectum. Injection dans le rectum de 24 grains d'alcaloïde. Vingt ou trente minutes après l'opération, symp- tômes d'empoisonnement. Perte de connaissance, violentes convulsions épileptiformes, arrêt de la respiration. Ether, nitrite d'amyle, respiration artificielle, lavement avec sub- stances irritantes, tout fut inutile. En trois heures, le malade avait succombé. Un autre cas a été relevé par nous dans le Bulletin médical du 24 février 1889. Un interne de VUniversity Collège Hospital ayaii ordonné 1^'",25 de cocaïne qu'il avait l'intention d'injecter lui-même dans la vessie d'un homme de 30 ans, affligé d'une cystite aiguë. Il néglige d'indiquer sur l'ordonnance l'emploi du médicament, et le pharmacien le donne comme potion. Le malade l'ingère : il ne présente tout d'abord aucun symptôme, mais au bout d'une demi-heure des convulsions se déclarent, et c'est ainsi qu'il meurt. Enfin le dernier cas a été publié par M. Montalti dans le journal italien Lo Sperimentale : Ce cas a donné lieu à une expertise médico-légale : il est relatif à une femme qui absorba par méprise S grammes d'une solution à 30 p. 100 de chlorhydrate de cocaïne, c'est-à-dire 1,50 d'alcaloïde. Quinze minutes après l'ingestion du médica- ment, la malade se plaignit de constriction à la gorge, fut prise d'envie de vomir, mais sans vomissements. On observa TOMTC IT. 3G 562 E. DELBOSC. en même temps des troubles de la vue, de la dilatation de la pupille, de la cyanose des lèvres ; le pouls devint filiforme, des convulsions éclatèrent et la malade succomba. A l'autopsie on trouva une petite caverne dans le poumon droit; le cœur avait une légère surcharge graisseuse. L'encéphale, les mé- ninges et les viscères abdominaux étaient congestionnés. La mort fut considérée dans les conclusions médico-légales comme le résultat d'un empoisonnement par la cocaïne. Tels sont, avec quelques détails, les seuls cas de mort que nous avons pu trouver dans les auteurs, car nous nous refu- sons à reconnaître l'action de la cocaïne dans l'observation présentée par M. Abadie à la Société ophthalmologique de Paris. On voit que la terminaison fatale est, en somme, chose rare. Si l'on faisait le dossier du chloroforme, on trouverait la table de léthalité bien plus considérable. D'ailleurs la cocaïne ne donne la mort qu'à dose encore assez élevée. De plus, il est à remarquer que l'évolution des phénomènes dépend beau- coup du mode d'administration. Ainsi, dans l'observation rap- portée par M. MoNTALTi, la cocaïne avait été prise à l'intérieur et absorbée par l'estomac. Nous croyons qu'une dose moitié moindre, en injection sous-cutanée, aurait pu également tuer le sujet. Tout dépend, en elfet, de la rapidité d'absorption. Nos expériences sur les lapins démontrent parfaitement ce fait : nous avons eu des accidents mortels en injectant dans le péritoine 0,20 centigrammes de cocaïne par kil. d'animal; or, 0,0o centig-rammes, poussés dans la veine auriculaire, ont produit ces mômes accidents; l'importance de la dose est donc quelque peu relative; et il sera permis de donner en ingestion stomacale une quantité de cocaïne qu'il faudrait bien se garder d'introduire dans le tissu cellulaire. Cette distinction n'est pas inutile; elle mérite d'être prise en considération ; car on peut parfaitement piquer une veine avec l'aiguille de la seringue et introduire directement la solu- tion de cocaïne dans le calibre de cette veine. Le fait a dû se produire; et lorsque, en dehors de toute prédisposition, une LA cocaïne. 563 dose minime de substance active donne naissance à des phé- nomènes d'une gravité exceptionnelle, nous serions tout dis- posé à croire que la solution a été poussée dans une veine. Mais comment se mettre en garde contre cet accident? La chose est facile; on n'aura qu'à se conformer au mode opé- ratoire employé par notre maître M. Reclus, et exposé par lai et son élève Tsch Wall dans la Revue de chirurgie, 10 fé- vrier 1889. Celte méthode consiste à pousser le piston de la seringue à mesure qu'on enfonce l'aiguille dans les tissus. On poarra peut-être piquer une veine et introduire une ç^outte de liquide dans le calibre de cette veine, mais le reste de la solution sera certainement déversé dans le tissu cellulaire. On évite ainsi de porter directement la cocaïne dans la circulation générale et de la mettre en contact pour ainsi dire immédiat avec les centres nerveux. L'absorption trop rapide de cette substance a pour plusieurs auteurs de graves inconvénients. TeUe est l'opinion du pro- fesseur Wolfler ^ Se basant sur sa propre statistique, il a vu qu'on pouvait injecter aux extrémités une dose d'un tiers pins forte qu'à la face. Il paraît admettre comme possible que la cocaïne introduite au voisinage de l'encéphale y par- vienne d'une manière plus immédiate (par les gaines IjTupha- tiques?) que par la circulation générale. De même, pour éviter dans une certaine mesure cette rapidité d'absorption, il ne faut pas employer des solutions trop concentrées. Cette façon d'agir ne peut otïrir que des avantages. On sait que la cocaïne produit l'analgésie par action directe sur les cellules sensitives; plus la solution sera étendue, plus on pourra multiplier le contact du liquide médicamenteux avec les cellules nerveuses ; et cependant la dose totale de cocaïne sera plus faible. La solution à 2 p. 100 nous parait la plus convenable. Or nous avons vu qu'on peut employer t. "WoLFLER., Wiener med. Woch, 1889. n° 18. o64 E. UELBOSC. presque impunément 0,20 centigrammes de cocaïne, il sera donc permis d'injecter 10 ce. de notre solution. Et quel champ opératoire ne pourrait-on pas analgésier avec le contenu de •]0 seringues de Pravaz? D'ailleurs nous croyons cette dose rarement nécessaire, et il sera prudent de ne pas y recourir, si l'on a affaire à des sujets nerveux, anémiques ou hystériques. Si, en vertu d'une prédisposition individuelle, un accident éclatait, on pourrait donner au patient une injection d'éther, et de préférence lui faire respirer deux ou trois gouttes de nitrite d'amyle. Le plus souvent on verrait le malade revenir immédiatement à lui, et la guérison serait maintenue par l'administration delà caféine. S'il se produisait des accidents convulsifs, il serait bon de donner du chloral. On a conseillé également le chloroforme et l'éther. Conclusions. Nos expériences viennent confirmer l'opinion générale- ment admise : la cocaïne est moins toxique chez les animaux que chez l'homme. Malgré les plus actives recherches et les investigations les plus minutieuses, nous n'avons pu recueillir dans la littérature médicale que quatre empoisonnements mortels, et il est à noter que, dans ces différents cas, la quantité de substance active a toujours été très considérable : 0,75 ; 1,20; 1,25; 1,50. Jamais, à la dose de 0,20 en injection hypodermique, et malgré l'apparente gravité des symptômes d'intoxication , le danger de mort n'a été réel. On peut donc sans crainte employer cette dose de 0,20 ; toutefois elle sera bien rarement nécessaire, car, avec 0,05 d'alcaloïde en solution à 2 p. 100, le champ opératoire anes- thésié sera déjà très étendu. FIN DU TOME DEUXIÈME TABLE DES MÉMOIRES CONTENUS DANS LE TOME SECOND Pages . XX. — Ch. Richet. — La Physiologie et la Médecine *, . . \ XXI. — Ch. Richet. — Le Rythme de la respiration ^. . . . 55 XXII. — V. Paghon. — Expériences sur le rôle du cerveau dans la respiration ^ 97 XXIII. — E. Abelous et P. Langlois. — Fonctions des capsules surrénales de la grenouille '' 147 XXIV. — E. Abelous et P. Langlois. — Fonctions des cap- sules surrénales chez les cobayes^ 160 XXV. — Ch. Richet. — Notes de technique physiologique^ : I. Injections péritonéales de chloral 175 IL Disposition de la soupape de Millier. . . . 177 III. Conservation du sang frais . 178 IV. Action des vapeurs de mercure.. ..... 179 XXVI. — R. Moutard-Martin et Ch. Richet. — Recherches sur la polyurie 7 181 XXVII. — Ch. Richet. — Faits relatifs à la digestion chez les poissons* 234 XXVIII. — Ch. Richet. — Influence de la pression et de la tem- pérature sur l'asphyxie des poissons ^ 260 XXIX. — Ch. Richet. — Diastases des poissons ^''. 264 1. Bévue scientifique, 1888, l" sem., t. XLI, pp. 353 et 426. 2. Revue scientifique, 1890, t. XLVl, pp. 321 et 392. 3. Thèse de la Fac. de niéd. de Paris, 1892 : Stciiiheil. 4. Arch. de phy