UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY The Jason A.Hannah Collection in the History of Medical and Related Sciences | . ui k 11 1 e. 1 n N (of [R] } } Î g AL A PE } 17 AUS QU UN JAUOE | ur Un | dt h ii | 2 MORTE EAU 111 Lt Mr nul Tu Il lu qu ACTUS AE TSAARNN HA rErT A Ne | it 211! LOT. ANT LUE } \ [es ï ‘hi [Rl À il y Lit ANT } (at HAN Lu HA PE TIR ATP \! au Hi (1 UT { LI viUR ÿ Ï Û 4 4, in MOUV D Er PT A (LMI fé te HAUTE TEN k |} NOTA JUAN 1? HAS } D NOR il l'ai 11 Un HAMEURT MATE MATE #1 SUPER 1 4 LH NUE | 1 ANT a Ua i} quil nr JE ui Wear M run Ai Mi 157 l fT UN nr 10e FLE Fe fa tunut \'e1 mA (H? Lan { A 1h EAU EL RTL 111} tu [f HALL | où s ! ) til \FSHIAU IMUSTDRPEE TA n$ k OT LE , M il (il ANTOINE tan) {l HR A | AUBAUTA TT ET ENT ( n AN M \ V4 {Al Ms TNIVAL | (TIC au À At l LM ( DARCOS TOURS Rata. | pi hi I () ji ñ ( AA (M ANTPENT EE Le AU M nt DURE DIRES LITRES VOPE 2 1! | à M'f L o JU4 1 ! 1 {ne Apt (hit NA “ Cou i|£ Lis { j | MPIU "1 (Ql h | f x | , | | li 110 { UF LU : Î 1 \ [t } ' ANT! JR ta l | | hi 1H | ME ATARI ; Burn l À | NET | 1! EN el A] ANR E ik j 1 [n { 14 | | n \ à sl sdeti ' (l nl Al (l fl (NM ( Li : (l LUA Ur HN mu} 10 È 1 | / | À | “+ | t | tif +: (TANT Lier avi, | RAP If | CIS Hat QT TE TAN ER | | | FO j' BUREAU nA s F HT | (| fit 4! { L t POUR | 14] VEN M A ( Î À Anti ll Uu ANA co J | CALE EN Fee | 1 [ 1H Al an a | 1e Î 1 (ONE Ur ne | fl 191 QUE RE ni 4 1! KW | (ps v JEU di | ! | cu Leu MAN OR UN AS Ne à 1 tue kUre di " qi lu 1 AE ain “4 qi NUE is an nt ! Nat tal DEA tout x ENT UUX CU Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/physiologiedelh01adel PHYSIOL@CT", D Ie me DE L'HôMME, Des à) PAR N.-P. ADELON, D. M. P. AGRÉGÉ EN EXERCICE A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS, MEMBRE TITULAIRE DE L'AGADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE, DES SOCIÉTÉS DE MKDEcINE D'EVREUX, LOUVAIN, ET D'AUTRES COMPAGNIES sA- YANTES, NATIONALES ET ÉTRANGÈRES. The proper study of mankind ,is man. Porr’s Essay on man. TOME PREMIER. A PARIS, CHEZ COMPÈRE , JEUNE, LIBRAIRE-ÉDITEUR, RUE DE L'ÉCOLE DE MÉDEGINE , N° 8. 1923. de LONTE ? ( ÿ ote Hd 2 De mo: AL L'. Ur: OLA ‘div ITS éaianeum Sea à Kyaui cn. Ï TA Mc ane” + HO , FA Quid me + 1 £ « À 0 0 À d ï " RUE 48 Up s#mougi Mt a ad von ARMAT ANA TS GUDATANANIT wMNIENNE | NT AC 00 TEE DT MU ONX avale ‘around, À 3 : RL CE PER CRAN ITAM RTE A is VS UT D RU. : “ARE ; 0 one ne ne meme & F ï £ pe , CURE CU LE ) 6 ss j l ba A etat ï # | 1 P ; , ds a 50 * . Cu be me 2e rm me come + | À 1 dc 2. da: © HE À LA MÉMOIRE DE MON BEAU-PÈRE, R.-B. SABATIER, CHIRURGIEN EN CHEF DE L'HOTEL ROYAL DES INVALIDES, CHEVALIER DE LA LÉGION D'HONNEUR, PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS, MEMBRE DE L'INSTITUT DE FRANCE. Je lui dois mon bonheur domestique ; puisse son nom protéger aussi ma carrière publique, et préter à ce Livre son appui ! N.-P. ADELON. 4% > F Pi # 0 1 NA 4 A 4 avi T JE en! M1 ue van ATSRYAINO ages agua 5 sue aa étauoas AK à stef # RU Lie Nr 29$an4 au nofhe MS ad pre APS D N ' Û ï | $ * sugigsmol, sssdsoë SVCHIAE 6b ssl où jrs, CES NAT Wie, ton f ve sui | F PL he HU? sd. "6 Se 15 sil a / PRÉFACE. : depuis quinze années à l’enseignement public de la physiologie de l'homme, je me suis efforcé de suivre les progrès de cette science , de rassembler tous les faits qui lui appartiennent, et de les disposer dans l’ordre le plus propre à faire comprendre aisément ce que lon sait du mécanisme de la vie de cet être. L'ouvrage que je publie aujourd’hui est le produit de mes tra- vaux sous ces divers rapports. Le sujet qu'il em- brasse est immense , sans doute : l’homme est le premier des êtres vivans ; nul ne possède un - aussi grand nombre de facultés, n’offre, dans sa structure, autant d'organes ; dans aucun, la vie ne se compose d'autant de phénomènes, et ne pré- sente un mécanisme aussi compliqué ; pour en tracer une exposition claire, il faut , sans cesse, en appeler à la physiologie des autres animaux, el recourir à des notions empruntées à toutes les autres sciences naturelles. À tous ces titres, la composition d’un Traité de la Physiologie de l'Homme présente de grandes difficultés. Mais, à aucune époque des temps passés, on na pu aussi réunir, pour un tel travail, plus de secours. La physiologie de l'homme, étudiée dès les premiers âges de la médecine ; est déjà L vii] PRÉFACE. très-riche en faits ; et cultivée surtout avec ardeur depuis un siècle, elle en voit chaque jouraugmen- ter le nombre. L’anatomie, dont elle ne peut se séparer , a fait connaitre maintenant , jusque dans les plus petits détails, la structure du corps humain , et, malgré ses continuels efforts, espère à peine de nouvelles découvertes. Les physiolo- gistes, dans leurs recherches, embrassent dé- sormais toute la nature vivante ; et, indépen- damment de ce que cette direction, imprimée à leurs travaux, donne à leur science un caractère éminemment philosophique, souvent ils trou- vent, dans d’autres espèces animales, le secret d'opérations qui, étudiées dans l’homme seul, n'auraient pu être pénétrées. Les sciences phy- siques et chimiques dont les progres , dans ces dernières années, ont été immenses, fournissent, sur les corps naturels non vivans, des notions qui deviennent chaque jour plus exactes. Appli- quées à l'étude des corps vivans eux-mêmes et de l'homme, elles font connaitre plusieurs points de leur histoire; par exemple, les rapports ma- tériels qu'ils ont nécessairement et inévitablement avec les agens universels de notre globe. Faisant enfin pénétrer, de plus en plus, les lois des phé- nomènes généraux de la nature, peut-être qu'un jour elles arriveront à montrer que les phéno- mènes de la vie sont eux-mêmes dépendans de ces lois, et que la physiologie rentre dans la physique générale. Pour arriver à la connaissance PRÉFACE. IX de la nature physique et organique de l'homme, on s’aide de l'observation de cet être dans toutes les conditions possibles de son existence , en ma- ladie comme en santé; et, par un heureux con- cert, tandis que le pathologiste, pour connaître et traiter les maladies de l'homme , en appelle sans cesse à ce que la physiologie lui a appris de la nature de cet être; de son côté. le physiolo- giste , pour approfondir celle-ci, interroge con- tinuellement les faits de la pathologie. Enfin, jamais l’art expérimental n’a été plus habilement mis en œuvre, et la méthode analitique de Bacon plus rigoureusement suivie. D'un côté, des expé- rimentateurs ingénieux étudient un à un chaque phénomène organique, souvent chaque élément d’un même phénomène, etservent ainsi la science, soit en l’enrichissant de faits nouveaux. soit en la débarrassant de notions erronées. D'autre part, jamais en aucun temps on ne s’est plus attaché aux faits, on n’a mis plus de soin à ne voir qu'eux dans les abstractions qui les expriment , à ne fonder de principes qu'autant qu'ils reposent sur des faits nombreux et bien avérés. En prenant l'organisation pour point de départ de tous les travaux, on s’est mis en garde contré les erreurs de l’ontologie et des abstractions. La physiolo- gie surtout a doublement profité de cet emploi d’une bonne méthode : consécutivement à l'ap- plication qui en a été faite à elle-même et aux autres sciences, d’un côté, elle a recu de celles- x PRÉFACE. ci des notions à la fois plus sûres et plus fécondes; et de l'autre , elle a quitté les fausses routes dans lesquelles elle s'était, à plusieurs reprises, en- gagée. A l’aide de ces secours, par lesquels s'étend cha- que jour la physiologie de l’homme, on peutdonc aujourd’hui , plus que jadis , espérer pouvoir en tracer le tableau ; et je Les ai mentionnés , moins pour faire l'éloge, du reste bien mérité, des temps actuels, que pour indiquer les sources diverses auxquelles j'ai puisé, et faire connaitre aussitôt le caractère de cet ouvrage. Comme on le conçoit, j'ai dû faire servir les travaux de tous les méde- cins anciens , et ceux de tous mes contemporains. La science de la physiologie, ainsi que toute autre, ne s'est faite que lentement; elle n’est l’œuvre d'aucun homme en particulier, mais celle de tous; J'ai du recueillir les faits à mesure qu'ils ont été découverts, et les doctrines diverses qui succes- sivement en ont été déduites. Aussi, cet ouvrage, à proprement parler, n'est pas le mien ; il appar- tient à tous les Savans, surtout à ceux de l'époque actuelle : je n’ai fait que rassembler leurs travaux, qui étaient épars , et les rattacher à un même but; qu’en former un ensemble où tout fut lié, et où les faits et les principes fussent présentés dans un ordre tel qu’on püt en suivre, sans efforts, les développemens. Tel a été du moins le but que je me suis proposé. Offrir l’état actuel des con- naissances sur la physiologie de l'homme , et le PRÉFACE. x] faire de maniere à être toujours clair, et à ce que le lecteur reconnaisse aussitôt ce qui est certain, ce qui n'est que vraisemblable , ce qui” n'est qu'à peine entrevu, enfin, ce qui est tout- à-fait inconnu , et peut-être le sera toujours : dispose: les faits et les doctrines, dans un ordre tel, que les uns et les autres soient aussitôt com- pris , Jugés, appréciés : aborder toutes les ques- tions de la science , apres les avoir placées là où elles doivent l'être; de sorte qu'on puisse , soit y ajouter leur explication, quand on. l'aura trou- vée, soit rectifier , sans nuire à l'ensemble, les explications erronées que je puis avoir données : enfin, mettre les élèves en médecine, à même de lire avec fruit tous les ouvrages de physiologie, malgré les dissemblances de leurs doctrines, de leurs opinions, de leurs langages : tels sont les objets divers que j'ai eus en vue. J'ai surtout cher- ché à procéder partout avec méthode, et c’est en cela que m'a servi la pratique de l'enseignement. Professer, me parait être la condition la plus heureuse pour faire un livre que l’on destine à l'instruction des autres. Les efforts continuels que l'on fait pour exposer brièvement et en ter- mes clairs , les questions souvent les plus com- plexes , vous amenent à la fin à en découvrir le trait principal, celui auquel se rattachent tous les autres, comme accessoires ou comme déve- loppemens. Dans l’enseignement , on suit tour à tour la voie de l'analise et celle de la synthese, Xi] PRÉFACE. selon que l’on traite une question peu connue encore ou approfondie ; on s'efforce surtout de mettre chaque chose à sa place, de tout lier , et rien n'aide autant la mémoire et l’entendement. Que de fois, apres une leçon , il m'est arrivé d’en refaire en entier le plan et la distribution! Du reste , plus convaincu que qui que ce soit de l'énorme disproportion qui existe entre les forces d’un seul homme et les miennes en parti- culier, et la tâche immense que j'ai entreprise, je me suis aidé de tout ce qu'une résidence ha- bituelle à Paris, ce foyer de la civilisation euro- péenne , ce centre des sciences et des arts, pou- vait me fournir de secours. Non-seulement , j'ai suivi les leçons des plus habiles professeurs, mais j'ai cherché à m'éclairer dans de fréquentes con- versations avec eux. Étais-je arrêté par quelque difficulté ? j'allais prier le savant qui en avait fait l’objet spécial de ses recherches , de m'aider à la le- ver. Dans le cours del’ouvrage j'aurai soin de citer tous ceux auxquels j'ai emprunté. Mais je me fais un devoir de mentionner ici MM.Cuvier, Thénard, Geoffroy-Saint-Hilaire, Richerand, Alibert, Du- puytren, Gall, etc., dont j'ai suivi plusieursannées les cours et médité les ouvrages; MM. Béclard, Blainville, Breschet, Magendie, Orfila, etc., parve- nus au premier rang dans l’enseignement, et dans les cours, les écrits et les conversations desquels j'ai puisé de nombreuses lumières. Je citerai sur- tout M. le professeur Chaussier, qui, l'un des pre- PRÉFACE. XII] miers , à IMPrIMÉ , il y a trente années , dans la Faculté de Paris, à l'anatomie et à la physiologie, l'heureuse direction à laquelle ces sciences ont dû depuis tant de progrès, et dont le nom est as- socié à presque tous les travaux importans faits depuis cette époque. Uni à lui par une hono- rable amitié , j'ai recueilli, dans de fréquens entretiens , d'excellentes notions sur le fond et la forme de cet ouvrage, et je me plais à lui en rendre ici l'hommage. Je n'entrerai pas dite le détail du plan que j ai suivi; ce serait répéter , sans utilité , ce qu on verra dansles premiers chapitres. Je me bornerai à quelques observations qu'il m'a semblé utile de présenter à mes lecteurs. Comme c'est par le jeu des divers organes qui composent le corps humain ,que se produisent les différentes facultés dont jouit cet être, et que s’ac- complit sa vie, j'ai cru devoir faire précéder l’his- toire de toute fonction quelconque de l'homme, par une description anatomique abrégée des or- ganes qui en sont les agens. Quelques personnes m'en ont blämé, et m'ont dit que j'aurais du sup- poser ces organes connus, ou renvoyer, pour leur étude, aux ouvrages d’anatomie.Sans doute, j'au- rais ainsi abrégé, d’un volume peut-être, ce Traité; mais aussi il y aurait eu moins de clarté et de liai- son dans son ensemble. Sans cesse j'aurais eu à parler, comme de choses bien connues, d'objets quin’auraient pas même ençore été nommés. D’ail- XIV PRÉFACE. leurs, cette méthode n'eüt été applicable qu'à quelques fonctions; beaucoup réclament forcé- ment, pour leur exposition, des détails anatomi- ques, lalocomotion , par exemple; etdèslors l’ou- vrage n’eûüt pas présenté uniformité de plan dans ses diverses parties. Enfin, dans ce moment où l'étude de l'organisation est, dans toutes les scien- ces qui traitent des corps vivans, prise pour base de tous les travaux ; où l'anatomie, devenue phi- losophique, est le guide du physiologiste et du zoologiste ; dans ce moment, où les pathologistes eux-mêmes, pour échapper aux abstractions, s'efforcent judicieusement de rapporter toutes les maladies à des altérations déterminées des parties solides et fluides du corps humain; j'aurais cru étre en contradiction avec l’époque actuelle et avec mes propres opinions, si javais séparé l’ana- tomie de la physiologie. Les élèves en médecine, pour lesquels j'écris spécialement, seront ainsi ramenés sans cesse à la considération des objets qu'ils doivent avoir toujours en vue dans Fexer2 cice de leur profession, l'état sain où malade des organes. Cette marche, si évidemment rationnelle pour ‘étude des facultés physiques de l’homme , j'ai dù également la suivre pour celle des facultés morales. Les actes intellectuels et moraux sont des produits mixtes des deux substances qui com- posent l'homme, léme et le corps : mais deux sciences distinctes traitent de la part qu'ont à leur PRÉFACE. XV productuon , chacun de ces deux principes. La physiologie ne s'occupe que de l'influence du corps ; elle prouve qu'elle est réelle; elle cherche à la caractériser ; l'étude des actes intellectuels et moraux ne se compose donc pour elle que de con:- sidérations matérielles ; si cela n'était pas, la phy- siologie sortirait de son domaine. Évitant toutes recherches sur l'âme, recevant d’ailleurs la no- tion de son existence, de son immortalité ; lephy- siologiste ne s'occupe et ne doit s'occuper que des conditions matérielles qui rendent possible, pen- dant la vie terrestre, la manifestation des actes intellectuels et moraux, et qui contiennent en elles les causes de toutes les variations que ces actes présentent ; heureux de voir que sa science lui confirme ce qui lui est dit, d’autre part, sur la dignité del’homme, etsur sa plushaute vocation. Le lecteur verra, qu'attentif à me renfermer dans la sphère de mes travaux , je rends cependant partout hommage aux vérités religieuses et mo- rales sur lesquelles repose la première garantie de l’état social. Destinant plus particulièrement cet ouvrage aux élèves en médecine, et l'ayant publié sur la demande d’un très-grand nombre, j'aurais désiré qu'il fût moins volumineux. J'ai fait, à cet égard, tout ce qui ma été possible : mais le sujet que J'avais à traiter est si vaste, que je n'ai pu le ren- fermeren un moindre nombre de pages. Qu'on le compare , du reste, avec d’autres ouvrages sur XV] PRÉFACE: la science de l'homme, les: traités d'anatomie , par exemple ; presque tous sont en quatre volu- mes; l’Anatomie de Bichat, celle de Sæœmmerine, en ont sept. Or, si la description seule des parties du corps humain exige des ouvrages d’une telle étendue, peut-on s'étonner que l'exposition des fonctions de cesparties, qui a nécessité quelques détails sur leur structure, ait réclamé autant d'espace ? J'ai cherché à tenir le milieu ,entre un Traité trop exclusivement élémentaire et borné aux dogmes qu’on déduit des faits, et un Traité historique et critique de la science, où de conti- nuelles discussions viendraient détourner du but auquel on doit tendre. Dans le Dictionnaire des Sciences Médicales, et dans le Dictionnaire de Médecine, j'avais pu- blié un certain nombre d'articles sur différens points de la physiologie de l’homme. J'avertis le lecteur que plusieurs reparaitront dans cet ouvrage, Tantôt ils seront modifiés, d’après les conseils qui m'auront été donnés, et les travaux que j'ai faits depuis l'époque de leur publication. Tantôtils seront tout-à-fait les mêmes; ayant tà- ché d'exposer une première fois les choses conve- nablement et avec clarté , je n'ai pas cru devoir m'efforcer de le faire en d’autres mots. PHYSIOLOGIE DE L'HOMME. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. La physiologie , en général, est la science qui traite des phénomènes de la vie, et la physiologie de l’homme , en particulier, est celle qui traite des phénomènes de la vie de l’homme. Il saffit du moindre coup-d’æil jeté sur l’uni- vers, pour reconnaître que les corps qui y existent sont de deux sortes : les corps qui ne vivent pas, ou les mi- néraux ; et les corps qui vivent, ou les végétaux et les animaux. Tout est différent et même opposé entre ces deux classes de corps, et la structure, et les actions ; les derniers seuls possèdent le mode d’existence, d’acti- vité qu’on appelle vt&e, et qu’on verra être caractérisé par les facultés de se nourrir, de se reproduire, et pour quelques-uns par celle de sentir. Or, tandis que la phy- sique , la chimie, les sciences dites physiques, traitent des phénomènes étrangers à la vie, la physiologie traite de ceux qui sont propres à cet état. On voit déjà par là que la physiologie doit occuper un des premiers rangs parmi les sciences naturelles , puisqu'elle embrasse, dans ses considérations, une grande moitié des corps de notre univers, ceux qui nous offrent les phénomènes les plus élevés, et dont nous-mêmes faisons partie. À i 2 CONSIDÉRAFIONS GÉNÉRALES. Mais, envisagée d’une manière aussi générale , la phy- siologie offre un champ tellement vaste , qu’on a dû néces: sairement y établir des subdivisions ; et on l’a fait, tantôt d’après la nature des êtres vivans dans lesquels on étudie lavie, tantôt d’après le caractère que présentent les phé- nomènes vivans eux-mêmes. Ainsi , d’une part , on sait qu’il y a beaucoup d’espèces d’êtres vivans , des végétaux, des animaux; beaucoup de végétaux , un nombre plus grand encore d’animaux; et déjà l’on a subdivisé la physiologie selon qu’on étudie la vie dans tous ces êtres à la fois, ou seulement dans quelques-uns d’entre eux. Par exemple , on partage la physiologie en végétale et animale, selon qu’on étudie la vie des végétaux seulement , ou celle des animaux. On a appelé physiologie comparée une division de cette science dans laquelle , étudiant la vie dans toute h série des êtres vivans, on signale la diversité des formes, des modes qu’elle présente dans chacun d’eux. Sous cé même point de vue, on a encore partagé la physiologie en géné- raleet en spéciale. La physiologie générale est la science qui , sans faire d’application à aucune espèce vivante dé- terminée , traite d’une manière philosophique et abstrai- te ; des phénomênes de la vie. La physiologie spéciale , | au conbraîre ; est celle qui, prenant pour sujet d'étude | üne espèce vivante distincte , décrit lé mécanisme de la vie en elle. Enfin , on concoit qu’il doit y avoir autant | de physiolodies spéciales , qu’il y a d'espèces vivantes | particulières; chacune a la sienne : il y à la physiologie | du chien ; celle du cheval , etc. ; et puisque l’homme est un être vivant , il doit y avoir J4 physiologie del l'homme. | D'autre part, les phénomènes de la vie sont suscep-b TRE Sn mme CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 3 tibles de se produire de deux manières : tantôtavec régu- larité , bien-être , de sorte que l'individu peut exercer toutes les facultés que comporte sa nature , eta tout espoir de parcourir toute sa carrière ; c’est ce qui constitue l’état de santé : tantôt avec irrégularité, malaise , et de sorte qu'il ya lésion ou même impossibilité de quelques-unes des fa- culiés del’être, et risque pour lui d'une destruction plus ou moins prochaine : c’est ce qui constitue l’état demaladie. Or, on a fait deux sciences séparées de l'étude des phéno- mènes dela vie dans chacun de ces deux états : l’une est la physiologie proprement dite, où hygiénique , qui traite des phénomènesde la vie dans l’état de santé ; l’autre est la physiologie pathologique, qui traite de ces phénomènes dans l’état de maladie. On concoit que toute physiologie spéciale se subdivise en hygiénique et en pathologique , puisque tout être vivant est susceptible de se présenter - dans les deux états de santé et de maladie, » C’est, d’abord, de la physiologie de l’homme , et en- * suite de sa physiologie hygiénique, c'est-à-dire de la con- sidération de sa vie dans l’état de santé, que nous nous occuperons dans cet ouvrage. Notre objet sera d’exposer toute la mécanique de l’homme, ce premier être de l’uni- vers. Nous pénétrerons dans l’intérieur de son organisa- tion, distinguerons les diverses parties qui le composent, assignerons à chacune de ces parties leur rôlé spécial, montrerons comment elles sont enchaînées pour consti: - tuer son énsemble , dévoilerons tout l’artifice de sa vie, et remonterons jusqu'aux conditions matérielles des di- verses facultés physiques et morales dont il est doué. Ainsi qu’un artiste mécanicien quelconque expose l’action de chacune des roues qui composent une machine , fait voir comment ces roues sont engrenées pour concourir à pro- LS 1 4 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. duire un effet général , décrit, en un mot, la mécanique de sa machine ; de même le physiologiste médecin décrit la mécanique de l'homme, c’est-à-dire Fartifice par lequel l'homme vit , maintient dans l’univers son existence comme individu et comme espèce, y établit son indé- pendance , y développe les brillantes et nombreuses fa- cultés qui sont ses aitributs. À en juger par le nombre considérable des parties qui composent le corps de l'homme , par la multiplicité des actions qu’on lui voit produire , l’analise de la mécanique humaine est une des œuvres les plus difficiles que l'esprit humain puisse tenter. Que de parties , en effet, entrent dans la composition de l’homme ! et que de variétés dans les formes et les usages de ces parties ! Les unes servent à recevoir et à élaborer , ou l’air qui est un des élémens nécessaires de la vie, ou l'aliment que l'homme , par son activité intérieure , doit convertir en sa propre substance : tels sont les organes de la respiration et de la digestion. D’autres, au contraire, rejettent hors de l’homme des matériaux qui en ont fait parlie quelque temps, et qui, usés probablement par la vie, sont devenus impropres, et doivent être remplacés par de nouveaux ; tels sont les . organes des eæcrétions. Certaines parties plus dures, plus solides que toutes les autres, forment comme la charpente du corps, déterminent sa configuration géné- rale, ses atütudes, la direction de ses mouvemens : ce sont les os. Certaines autres, véritables chairs douées d’unefaculté de contraction par laquelle elles rapprochent leurs extrémités de leur centre , font par suite mouvoir les parties auxquelles elles sont implantées, et sont les agens de la locomotion générale et de tous les mouve- mens qu'exécute le corps : ce sont les snuscles. Il en est CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 5 qui sont affectées au service spécial de chacun des sens, à la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. Il n’est pas enfin jusqu’à la faculté la plus noble de l’homme, celle de la pensée et des actes moraux, qui n'ait dans l’organisation de l’homme une partie chargée de la pro- duiré, le cerveau. Or, il faut que le physiologiste apprécie dans tout cet ensemble , non-seulement le mode d’action de chacune de ces parties , le mécanisme de chacune de ces facultés , mais encore la connexion, l’enchaînement qui les lie, afin qu’il voie: comment de leur concours résultent pour l’homme , la possibilité de se conserver, celle de se reproduire et d’exercer ses facultés propres; et cela pen- dant un espace de temps déterminé qui constitue pour lui ce qu’on appelle sa vie, et en passant pendant cet in- tervalle par des états variés et déterminés qui constituent pour lui ce qu’on appelle ses âges. C’est l'exposition de ce eh En quelque vaste et diff cile qu’elle puisse être, que j’entreprends de faire dans cet ouvrage. Nous n’avons pas besoïn de faire remarquer toute l'importance de cette étude. La physiologie;-con- sidérée comme objet de curiosité seulement; et séparé: ment des applications utiles auxquelles elle:conduit , serait déjà digne d'intérêt , puisqu'elle a pour but de faire connaître l’homme, de scrutersa nature, ét d'éclairer le mystère de sa vie. Mais de quelle utilité prochaine n'est-elle pas pour la médecine ! Indépendamment de ce : qu'elle fait connaître l’être dont celle ci se fropose de diriger la vie, ne faut-il pas savoir quel est le jeu des organes dans la santé, pour reconnaître les altérations de ces organes dans les maladies? Que de phénomènes morbides , de symptômes dont on ne peut concevoir la production sans lé secours de cette science! Elle seule à 6 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. apprend quelles influences sont indispensables à l’homme pour la conservation de sa vie et de sa santé ; par consé- quent instruit sur les causes des maladies , et met à même de prédire et de prévenir ces maladies. Elle est certaine- ment la science qui a les rapports les plus intimes avee la médecine proprement dite; elle en est vraiment la base. Du reste, elle a des liaisons non moins prochaines avec la plupart des autres sciences naturelles, la physique, la chimie , l’histoire naturelle , et surtout la philosophie et la morale. N’a-t-elle pas , en effet, pour but l’étude de l’homme ? et y a-t-il rien dans le monde physique et dans lemonde moral auquel celui-ci soit étranger ? Tous ces rapports de la physiologie de l’homme avec la plupart des autres sciences , ressorliront avec évidence dans Vhistoire que nous allons faire ; en présenter ici le déve- loppement , ne serait qu'une verbeuse amplification. Nous dirons seulement , que dans l’application des diverses au- tres sciences , physique , chimie, histoire naturelle, mathématiques , à la physiologie humaine , il faut faire un juste emploi ; ne pas les y admettre comme essentielles, mais aussi ne pas les en rejeter comme accessoires. Entrons donc aussitôt en matière , et commencons par des considérations préliminaires , destinées à nous faire aborder notre sujet , à nous en faire embrasser l’étendue , àen poser les fondemens, etmarquer les divisions d’après lesquelles nous en présenterons les détails et les déve- loppemens. C’est ce qu’on appelle des Prolégomènes. PREMIÈRE PARTIE. PROLÉGOMENES. P: 1sQuE la physiologie a pour objet l'étude des phéno- mènes de la vie, on conçoit qu'il faut d’abord indiquer quels sont çes phénomènes. En outre ; comme c’est la physiologie de l’homme que nous avons surtout à exposer, on conçoit que ce sont les phénomènes de la vie de l’homme que nous avons à faire connaître aussi. Or, rien ne nous paraît plus convenable pour cela, que de faire un examen comparatif de tousles corps de notre globe, afin de voir : en premier lieu, en quoi ceux qui sont vivans diffèrent de ceux qui ne le sont pas; et, en second lieu, en quoi l’homme, l’un de ces êtres vivans , diffère de tous les autres qui ont la vie comme lui. C’est une manière animée, en quelque sorte , de faire l’énuméra- tion des phénomènes de la vie en général ; et des phéno- mènes de la vie de l’homme en particulier. RLRSR RSR ARR LR RARE RU RER AR RER ARR ARR RE Q/R LD D SECTION I. Considérations générales sur les Corps de la, Naiure. Lorsque l’on jette un coup-d’œil général sur tous les corps qui forment l’univers , on est conduit à les partager en trois classes : les minéraux, les végétaux et les ant- . e 8 PROLÉGOMÈNES. maux. Telle est, en effet, la première division qu’en ont faite les Anciens , et qui, conservée encore de nos jours par les gens du monde, fonde ce qui constitue les trois règnes de la niture. Mais, lorsqu'on pénètre plus avant dans l'étude de ces trois genres de corps , on re- connaît que les végétaux et les animaux se ressemblent par les traits principaux, et qu'il ne faut plus consé- quemment établir entre tous les corps naturels que deux divisions ; savoir : les corps appelés inorganiques , non vivans, qui sont les minéraux , el les'corps organisés, vivans, qui sont les végétaux et les animaux. Tout est, en eflet , non-seulement différent , mais encore opposé entre ces deux classes de corps, comme va le prouver le parallèle que nous allons en faire. CHAPITRE" T". Examen comparatif des Corps inorganisés et des Corps organisés. 1 5 ‘étude de tout corps naturel , quel qu'il soit, comprend deux objets; savoir : l'examen de sa composition maté- rielle, c’est-à-dire de sa structure , des parties diverses qui le forment ; et l’examen des actions diverses par lesquelles il se conserve, et remplit dans l’univers, dans le système général de la nature, le rôle particulier qu’il est appelé à y jouer. D’une part, il est évident que tout corps est composé de parties matérielles, dont on doit chercher à connaître la disposition et l’arrangement. Gela est certain de tous les minéraux, de tous les végétaux et de tous les animaux. D’autre part, il est également cer- tain que tout corps agit, exécute des mouvemeps, tantôt CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. 9 dans sa totalité, tantôt dans son intérieur et entre les parties qui le forment, pour se conserver , se modifier , et produire tous les phénomènes qu’il présente. Or, les corps inorganisés et organisés diffèrent, sous l’un et l’autre point de vue. ARTICLE ή. Différences de la Composition matérielle dans les Corps inorganisés et organisés. Quand on étudie la composition matérielle ou la struc- ture d’un corps, il faut successivement exposer ce qui apparaît à son extérieur et ce qui se montre quand on pénètre dans sonintérieur : la forme, le volume ont trait au premier objet; et la nature chimique et la tex - ture au second. Or, sous chacun de ces points de vue, les corps inorganisés et organisés sont entièrement dif- férens. 1° Forme extérieure. Dans le corps inorganique ou minéral, la forme du corps n’est pas fixée d’une manière invariable. Le plus souvent cette forme est irrégulière, et elle dépend de l’ordre dans lequel se sont agrégées les molécules qui le constituent. Il n’y a que celles-ci qui aient une forme déterminée. Quelquefois, à la véri- té, ces minéraux forment des cristaux réguliers. Mais d’abord, pour que cela soit, il faut que la liqueur de laquelle doivent se précipiter les molécules du minéräl, jouisse, comme on dit en minéralogie, des conditions du temps, de l’espace et du repos , ce qui manque sou- vent. Ensuite, très-souvent une substance minérale, même lorsqu'elle cristallise, prend différentes formes ; la chaux carbonatée, par exemple, cristallise ou en 10 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS, rhombes, ou en prismes hexaèdres réguliers , ou en so- lides terminés par douze triangles scalènes , ou en dodé- caèdres dont les faces sont des pentagones, etc. Dans le corps organisé, au contraire, la forme est toujours constante , déterminée ; chaque végétal , chaque animal ont la leur ; et cette constance dans la forme s’entend même, non-seulement du corps vivant entier et considéré dans sa masse , mais encore de chacune de ses parties constituantes en particulier, de chacun de ses organes. En outre , dans le minéral , la forme est généralement anguleuse , et ne paraît tendre nullement à une fin qui soit déterminée , ni être utile en rien à la conservation de l'être. Dans le corps organisé, au contraire , la forme est généralement arrondie ; et cela est aussi ,/ non-seulement du corps en masse , mais encore de chacune de ses parties composantes. Cette forme aussi est évidemment en rap- port avec une fin déterminée , et telle qu’elle devait être pour la conservation du corps. à 2° Volume. Dans le minéral, le volume n’a rien de constant ; ce volume peut être indifféremment petit ou grand, selon la quantité dans laquelle se sont déposées les molécules qui le forment. Cela est même , lorsque Ja forme est cristalline ; un même cristal , dans une même substance minérale, peut être très-petit ou très-gros. Au contraire , le volume du corps organisé est déter- miné ; chaque végétal, chaque animal ont leur stature propre, qui est celle de leur espèce , et qui est à peu près fixe pour chacun. 3° Nature chimique. On 2ppelle ainsi la nature de la matière elle-même qui compose les corps; et, à cet égard, on distingue en cette matière les élémens aux- STRUCTURE. ME quels elle peut être ramenée , et les combinaisons diverses que peuvent former , entre eux, ces élémens. Dans le corps inorganique, d’abord ,peuvent se trouver tous les élémens connus de la matière , et qui, d’après la chimie actuelle , sont au nombre de plus de quarante; seulement deux de ces élémens, et ce sont ceux qui forme- rontsurtout les corps organisés , le carbone et l’azote , ne s’y montrent qu'enétat de combinaison. En second lieu , dans ce corps inorganique , la composition chimique est plus simple; car quelquefois ce corps est formé par un seul élément ; et, dans tous les autres cas, il n’offre le plus souvent qu'une combinaison ternaire, En troisième lieu, ce corps offre des combinaisons fixes, parce que ses élémens ont satisfit complètement aux aflinités éner- giques qui les ont entraînés ; et de là la grande résis- tance qu'offrent les corps inorganiques à la décomposi- tion. En quatrième lieu , les élémens qui le forment sont ceux-là même auxquels la chimie ramène tous les corps, et que cette science n’a pu encore décomposer. Enfin, c'est en vertu des aflinités chimiques générales que sont réunis dans le minéral ces élémens. Dans le végétal et l'animal , au contraire , on ne trouve qu'un petit nombre des élémens connus de la matière, savoir : l’oxigène , l'hydrogène, l'azote, le carbone, le soufre, le phosphore , etc. En second lieu, la nature chimique est plus composée ; car jamais le corps orga- nisé n'est un corps simple, ni même un composé seule- ment binaire, mais bien au contraire un composé au moins ternaire ou quaternaire. Le végétal et l'animal les plus simples offrent , dans la matière qui les forme, la réunion; le premier de trois élémens au moins , oxigène, hydrogène et carbone ; et le second, de quatre , oxigène, 12 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. hydrogène , carboneet azote. Entroisième lieu , dans ces corps, les combinaisons sont mobiles, parce que leurs élémens n’ont pas satisfait complètement aux affinités qui les ont entraînés, ne sont pas’ en entier saturés. Quatrièmement, on peut distinguer , dans le matériel de ces corps , deux sortes d’élémens ; des élémens dits chi- miques ou inorganiques , qui sont ceux que présentait le minéral, et que la chimie retire par l’analise de tout corps quelconque ; et des élémens dits organiques , ainsi nommés, parce qu'ils n'existent que dans les corps vivans, et sont les produits exclusifs de l’organisation et de la vie. On retire, par exemple, des végétaux et des animaux : 1° de l'oxigène , de l'hydrogène , du carbone, de l'azote, différens métaux , quisont des élémens chi- miques; 2° de l’albumine, de la gélatine, de la fibri - ne, etc. , matières qui généralement composent leurs organes , qui conséquemment peuvent être dites leurs élémens ; mais qui, étant déjà des corps composés, et surtout n'étant faites que par l’organisation et la vie, sont, à juste titre , appelées élémens organiques. Enfin, ce ne sont pas les aflinités chimiques ordinaires , non plus que la force de cohésion, qui assurent dans le vé- gétal et l’anima] union et l’association des molécules et des élémens qui les forment ; ce sont les mêmes forces qui ont fait.les élémens organiques, c’est-à-dire les forces de l’organisation et de la vie. à Or, comme on est parvenu à connaître quelles con- dilions règlent l'exercice des affinités chimiques ordi- naires, et qu'au contraire on ignore pleinement les lois de la vie , ilen résulte cette autre différence entre les corps inorganiques et organiques : qu'on peut composer et dé- composer les premiers , mais non les seconds. Un chi- & STRUCTURE. 13 miste, en effet, peut décomposer et composer un minéral quelconque , un sel par exemple; mais aucun ne peut analiser et refaire un végétal ou un animal. Comment le pourrait-il , puisqu'il ne connaît pas les lois de la vie , n’a pas en main l’aflinité vitale , si on peut parler ainsi, qui a présidé à leur formation? La chose est certainement évidente , relativement à la composition ; elle l’est aussi à l'égard de la décomposition , car tout ce qu’on qualifie des noms d’analises végétales ou animales, ne sont que des destructions,de corps organisés. 4° Disposition intime. On appelle ainsi l’arrangement physique des molécules matérielles qui composent les corps; el, sous ce point de vue, les corps inorganiques et organiques sont aussi très-dissemblables. D'abord, dans le minéral , les molécules dematière qui composent le corps sont toujours disposées par couches superposées les unes aux autres. Dans le végétal et l’ani- _ mal, au contraire, ces molécules forment toujours un _entrecroisement , un entrelacement ; elles constituent des fibres qui s’entrecroisent , et forment des tissus spon- gieux , aréolaires. s En second lieu, le corps inorganique est toujours, ou tout solide, ou tout liquide, ou tout gaz; jamais il n’offre dans sa composition une réunion de parties solides et de parties fluides. Ce qu’on appelle dans un minéral l'eau de cristallisation ne contredit pas cette assertion ; car cette eau n’est autre chose que celle qui tenait pri- mitivement en suspension ou en dissolution les molé- cules du minéral, ou même une eau étrangère qui a _été incarcérée, entre les molécules de ce minéral, au moment où ces molécules se sont rapprochées pour le former. Le corps organisé ,au contraire , offre toujours 14 | CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. une réunion de parties solides et de parties fluides; le végétal, en même temps qu'il a des parties corticales et ligneuses plus ou moins dures, à de la sève ; etl’animal, en même temps qu'il a des os , des chairs, a du sang et d’autres fluides. Enfin , dans les corps inorganiques , la masse du corps est homogène, c’est-à-dire composée de parties qui se ressemblent toutes par leurs qualités physiques et chi- miques , et par les actions qu’elles accomplissent dans le système du corps. Dans un morceau .de marbre, par exemple, ce sont partout des molécules de carbonate de chaux, qui ont toutes la même dureté , la même com- position , et qui surtout concourent toutes d’une même manière à la formation et à la conservation du corps. Au contraire , la masse de l’être organisé est hétérogène, c’est-à-dire , que le corps est formé de parties qui diffè- rent par leurs formes, leurs qualités physiques et chimi- ques , et surtout parce qu'elles n’exécütent pas dans Je système du corps les mêmes actions, mais concourent, chacune à leur manière , à sa formation et à sa conser- vation. Le végétal, par exemple, offre dans sa compo- sition, du bois, de l'écorce , des feuilles, des racines, des fleurs, etc. , toutes parties, de consistance, de forme, de composition chimique différentes , etqui sur- tout concourent, chacune à leur manière, à la conser- vation de l'être; les unes en Jui assimilant de nouveaux matériaux, les autres en le dépouillant de ceux qui le formaient préalablement. Il en est de même del’aänimal, qui nous offre des os , des muscles, des nerfs , des vais- seauæ , etc. , toutes parties qui sont aussi très-différentes les unes des autres , surtout par le rôle qu’elles remplis- sent dans l’économie de l'être: les unes le faisantsentir, STRUCTURE. 15 d’autres se mouvoir, d’autres se nourrir, etc. En un mot , le corps organisé seul offre dans sa structure des or- ganes , c'est-à-dire, des parties différentes de forme , de structure , affectées chacune à des offices spéciaux, et concourant toutes néanmoins à fonder lindividualité de l'être. Tel est, en effet, le nom qu’on a donné à ces par- ties constituautes des corps vivans , du mot grec opyavs, qui veut dire instrument ; parce qu’on peut effectivement considérer ces parties comme autant d’instrumens , de roues , qui accomplissent, par le concours de leurs ac- tions , la vie de l’être. De cette’ dernière différence entre les corps inorga- niques el organiques , différence qui est capitale , il ré- sulte cette double conséquence , qui est inverse pour chacune de ces classes de corps : pour les corps inor- ganiques , 1° que leurs parties composantes peuvent exis- ter , aussi bien lorsqu'elles sont séparées, que lorsque elles sont réunies en agrégats ; et queleminéral, comme le dit M. Lamarck, n'a réellement lindividualité que dans la molécule intégrante; 2° qu’il n’y a aucune dé- pendance forcée entre les parties de ce minéral, non plus qu'entre les actions de ces parties; de sorte qu’une de ces parties peut être modifiée sans que les autres s’en ressentent, Et au contraire pour les corps organisés : 1° que leurs parlies composantes ne peuvent exister que lorsqu'elles sont liées à tout l'être; qu’ainsi l’'individua- lité n’est pas dans la molécule intégrante seule , mais dans une masse de molécules intégrantes diverses, réunies en un corps particulier; 2° qu’il y a une dépendance éntre toutes les parties qui forment un végétal et un animal , de même qu’un accord entre les actions di- verses de toutes ces parties; de sorte que la lésion d’une * + 16 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. partie et la modification d’une action entraînent la lésion et la modification des autres parties et des autres actions. Ainsi , de grandes différences séparent les corps inor- ganiques et les corps organiques , sous le rapport de la composition matérielle, Or, on a donné au mode de composition matérielle des corps organisés le nom d’or- ganisation, d’après les organes que nous avons dit le constituer; et, par suite, on a appelé corps organisés ou organiques , les végétaux et les animaux qui présen- tent ce mode de structure, et corps inorganiques les minéraux qui ne l’ont pas. Gette dernière dénomination est bien préférable à celle de corps inertes qu’on don- nait jadis aux minéraux; parce que de celle-ci on pou- vait conclure, contre la vérité, que ces corps n’exé- cutent aucunes actions. Ce qui caractérise le mode de structure appelé organisation , c’est que le corps, 1°a une composition chimique spéciale, et en opposition avec les aflinités chimiques générales ; 2° offre une réu- nion de parties solides et de parties fluides; 5° à une texture aréolaire, fibreuse ; 4° enfin, présente un assem- blage d'organes , c’est-à-dire de parties qui sont diverses entre elles par la forme , la structure , les usages, et qui concourent toutes néanmoins à un même résultat. C’est surtout ce dernier trait qui caractérise une organisation, et qui a souvent fait prendre ce mot dans un sens figu- ré, comme quand on dit l’organisation d’une machine, d’un État ; faisant allusion aux rouages divers qui com- posent cette machine, aux ordres différens de citoyens qui forment cet État, et qui, destinés chacun à des offices spéciaux , concourent néanmoins à la formation du tout. ÿ ACTIONS; 17 AnTiCcLE IE, Différences dans les Actions des Corps inorganiques et organiques. Tous les corps sont actifs ; tous exécutent des actions par lesquelles ils se conservent ce qu'ils sont, et con- courent aux différens phénomènes de l’univers. C’est par ces actions qu'ils commencent à être , se conser- vent, sont modifiés pendant la durée de leur existence, et finissent. Mais, sous chacun de ces quatre points de vue, ainsi que sous le rapport des forces auxquelles par abstraction on rapporte ces actions, les êtres inorga- niques et organiques sont tout-à-fait dissemblables. 1° Origine. Un minéral doit de commencer à étre, à exister , à ce que des circonstances extérieures à lui , les forces générales de la matière, le détachent de la masse d’un autre minéral , ou précipitent du séin d’un liquide les molécules qui le constituent , ou associent , combinent ses élémens pour le former de toutes pièces Il n’y a rien dans cette originé qui constitue ce qu’on! va voir fonder dans le corps organisé une génération , une naissance. Enfin, dans le règne minéral, les indi- vidus, dans leur succession, sont complètement indé- pendans les uns des autres. Le végétal et l'animal, au contraire, doivent d’étreàune génération ; c’est-à-dire qu'ils proviennent toujours d’une molécule qui a appartenu primitivement à un être sem- blable à eux, la graine dans le végétal, l’œuf dans l'animal ; molécule qui s’est détachée de cet être en des circon- stances déterminées, et qui, à la suite de développe- mens successifs, les a formés. En un mot, les corps organisés naissent. 1: 2 15 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. À la vérité, comme souvent on voit apparaître spon- tanément des corps organisés là où il ne paraît pas y en avoir eu précédemment; comme il est des végétaux et des animaux dans lesquels on n’a trouvé jusqu’à pré- sent ni graines ni œufs, les Anciens ont cru, et quel- ques modernes croient encore à ce qu'on appelle une génération, équivoque, c'est-à-dire une formation de toutes pièces de l'être. vivant à la surface du globe par les lois générales de la matière, et par un mécanisme semblable à celui qui. donne l’être à un minéral. Par exemple , les Anciens voyant apparaître des vers etautres animaux dans les chairs qui se pourrissent, croyaient à une généraiion spontanée par la chaleur et la putré- faction, corruptio unius , generatio alterius. De même, quelques modernes y ont cru, d’après l'existence des vers intestinaux, et surtout d’après cette immensité d’a- nimaux infusoires qui se montrent tout à coup dans les liquides, même lorsqu'on a fait bouillir préalablement ces liquides. Enfin , sans parler d’un ouvrage récent qu’a publié M. Frey sur cette question, et où sont consignées des. expériences dans. lesquelles l’auteur. a.cru assister à des générations spontanées d'animaux déjà assez élevés dans. l'échelle, un des plus célèbres naturalistes de notre temps, M. Lamarck , professe qu’il se fait des généra- tions spontanées aux extrémilés, des règnes végétal et ani- mal; et il établit que nos, espèces vivantes actuelles ne sont.que:les, produits.de ces générations spontanées , qui ont.été. graduellement, compliqués, perfectionnés par l'organisation, et dont:les formes ont été alors fidèlement transmisegipar,la succession des générations. » Mais.ces générations spontanées sont-elles bien réelles? Le plus grand nombre des physiologistes de. nos jours à ACTIONS. 19 les récusent 3 ils font remarquer que l’idée n’en est venue, en quelque sorte, que négativement, pour lés cas où l'on ne voyait pas l'emploi des procédés par lesquels la nature d'ordinaire forme les corps organisés ; qu'aussi le domaine de ces générations spontanées s’ést d'autant plus limité, que les connaissances en histoire naturélle se sont plus étendues. Il est dé fait, par exemple, qu’Aris- tote croyait à la génération spontanée des vers et insectes qui apparaissent dans les chairs pourries ; et aujourd’hui les recherches de Redi, Swamerdam , Spallanzan:, ont prouvé que ces animaux provenaient, comme tous autres, d’œufs qui étaient déposés dans ces chairs. De mème , on a déjà signalé la génération de plusieurs vérs intestinaux : par exemple, on a reconnu les sexes des ascarides, leurs œufs ; on les a surpris accouplés, et il est facile de concevoir comment ces œufs ont pu passer d’un corps dans un autre. Quant aux animaux mfusoires, sont-ce bien de nouveaux animaux qui ont été formés de toutes pièces, ou des animaux provenant d'œufs qui étaient préalablement dans les liquides, et y sont éclos ? Il n’est pas plus possible de démontrer l’une de ces opi- nions que l’autre , et par conséquent on est réduit à ad- mettre celle qui est la plus probable , et c’est la dernière. D'ailleurs, en admettant la réalité de cette force cos+ mique , de cette génération équivoque, on ne pourrait la rapporter aux mêmes forces qui font le minéral; il est sûr, en effet , que les forces générales de la matière, loin de donner la vie, tendent à l’étouffer; il sera dé- montré que ce n’est pas par cés forces que les corps vivans subsistent, mais par une force spéciale à eux. Comment croire dès lors que ces forces générales, im- propres à entretenir la vie, puissent la créer? Enfin, à 2* 20 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. supposer que la formation ne soit pas plus dans ces derniers êtres vivans une évolution que dans les corps inorganisés, elle est toujours au moins une suite de la vie d’un autre individu; et certainement au moins ces individus, dans leur succession, sont dépendans les uns des autres, Concluons donc que les corps organisés nous offrent déjà ce caractère distinctif, que seuls ils naissent , et ont pour origine ce qu’on appelle une génération. 2° Mode de conservation. Les corps inorganisés et organisés ne diffèrent pas moins, sous ce rapport. D’a- bord, pour le minéral, cette conservation ne s'entend que de l’individu seulement; cet être, en effet, ne jouit pas de la faculté de se reproduire ; il est détruit et cesse d’être, par cela seul qu’il donne l'existence à un autre mintral, Le végétal et l’animal , au contraire, ont à se conserver à la fois, et comme individu, et comme espèce; ils jouissent de la faculté de donner l'existence à un être semblable à eux , et cela en continuant de vivre; en un mot, ils se reproduisent. Ensuite, le minéral, dans sa conservation individuelle, n'offre rien de plus que les actions mêmes qui ont fondé. son existence. Sa conservation n’est, en effet, que la persistance des affinités d’agrégation et de combinaison qui ont réuni et juxta-posé les molécules qui le forment. Le végétal et l’animal, au contraire, se conservent par un mécanisme qui leur est spécial : d’un côté, ils sai- sissent sans cesse, dans les corps extérieurs à eux, une certaine quantité de matière , et fabriquent avec elle un fluide qu'ils assimilent ensuite à leur propre substance; d’un autre côté, ils retirent en même temps de tous leurs organes, et sans cesse aussi , une quantité de la ACTIONS. 21 hatière qui les formait préalablement, etla rejettent hors d’eux : ils se montrent ainsi toujours en proie à deux mouvemens opposés, l’un de composition , et l’autre de décomposition. Le végétal , par exemple , puise sans cesse dans le sol et l'atmosphère, par ses racineset par ses bran- ches , des matériaux divers avec lesquels il fabrique la sève dont il se nourrit ; et tandis qu’il s’approprie celte sève , il rejette , sous forme d’excrétions , une portion de la matière qui le formait, Il en est de même de l’ani- mal, qui prend au dehorsde lui, et de l'air, et des alimens; qui fabrique avec eux un fluide propre à le nourrir, le sang; et qui, en même temps qu'il s’assimile ce fluide, se débarrasse, par des excrétions, d’une portion de la matière qui le composait. En un mot , les corps organisés qui seuls nous avaient offert les particularités de naître et de se reproduire, sont aussi les seuls qui se nourrissent, qui se conservent comme individu par une nutrition. Tel est, en effet, le nom qu’on donne au mode de conservalion si spéciale que nous venons de décrire ; et de lui résultent les différences suivantes entre les corps inorganiques et organiques. La conservation du minéral n'est, en quelque sorte , qu’un état stationnaire ; ei celle du corps organisé nous offre, au contraire , un flux con- tinuel de matière, entrant d’un côté et sortant de l’autre. Le minéral, pour se conserver, n’a besoin du contact d’aucun corps, et sa conservation même est d'autant. plus assurée, qu’il est plus isolé : le corps organisé, au contraire , réclame toujours pour sa conservation la présence de corps étrangers, dans lesquels il puisse puiser Ja matière nouvelle qu’il doit s'approprier sans cesse. Enfin , le minéral n’a rien de fixe et de déterminé dans son modede conservation, parce que celui-ci dépend des 992 CORPS INORGANISÉS ET CRGANISÉS. forces générales de la matière, et tient à la nature des divers corps qui sont mis en contact avec lui, et sur le choix desquels il n’a aucune influence. Le végétal et l'animal, au contraire, ont un mode de conservation constant et déterminé , parce que ce mode est le fait de leur activité propre , et non le résultat des forces géné- rales et des corps extérieurs qui les entourent. Sans doute ce sont bien ceux-ci qui leur fournissent la matière nouvelle qu'ils s’'approprient , et qui reçoivent la matière ancienne qu'ils rejettent ; mais c’est la propre activité de l'être organisé qui règle la mesure dans laquelle se font , et ceite appropriation, et ce dépouillement. 5° Changemens pendant l'existence. Tout corps est susceptible d’éprouver des changemens pendant: qu'il existe , mais le corps organisé en offre qu Jui sont pro- pres, etque ne présente pas le corps inorganique. D'abord tous ceux qu’éprouve celui-ci ne portent que sur sa masse, son volume et sa forme. Ainsi, les corps extérieurs qui le touchent , et que des circonstances indépendantes de lui ont mis en contact avec sa surface, déposent-ils sur lui des molécules nouvelles ? il augmente dans sa masse , son volume , eksa figure estchangée. Ces corps détachent-ils , au contraire , de sa surface quelques-unes des molécules qui le formaient ? il diminue dans sa masse, son volume. À cela seul se bornent les changemens que cet être peut éprouver. En second lieu, il n’y a rien de fixe et de déterminé dans ces changemens , parce qu'ils sont dus à la quantité des molécules qui sont appliquées ou enlevées à la surface du minéral, et que celte quantité tient plus aux corps qui entourent le minéral qu'au mi- néral lui-même. Enfin , les actions qui opèrent ces chan- semens , se passent toutes à la surface du minéral; son ACTIONS. 1 23 intérieur y est tout-à-fait étranger , et n'y prend part que lorsque tout est détruit autour de lui ; l’augmenta- tion du minéral est en effet comme le grossissement gra- duel de la boule de neige qu'on roule sur le sol; elle se fait par juæta-position, comme on dit , mot dont l’éty- mologie indique rigoureusement l’acception. En un ot, l'augmentation et la diminution duminéralne sont pasun accroissement et un dééroissement , mais un ed chan- gement dans la masse. Le végétal et l'animal , au contraire ; éprouvent des changemens que d’abord on ne peut borner à la masse, au volume et à la forme ; qui ensuite sont constans , déter- minés , le produit de l'activité propre de l'être; et qui enfin n'arrivent pas à sa surface seulement , mais ont lieu dans son intérieur comme à l'extérieur. Ges changemens sont de deux sortes; ceux qui fondent ce qu’on appellé les âges, et ceux qui constituent les maladies. D'abord , le corps organisé présente pendant la duréé de son existence une succession de changemens déter- minés , dont le minéral n’a pas les analogues , et qu’on ap pelle ses âges. On voit ce corps organisé augmenter d’a: bord sa masse , se développer , comme on dit; puis paraître rester stationnaire pendant quelque temps , et enfin décroître à mesure qu'il approché de son terme: Ces changemens ne dépendent pas des circonstances extérieures ; ils tiennent à la mesure dans laquelle se fait le mouvement nutritif dont nous parlions tout à l'heure ; et, comme celui-ci est réglé par l’activité propre de l'être, il en résulte que ces changemens sont constans et dé- terminés. Enfin , les actions se passent ici dans toutes les parties de l’être à la fois , à l’intérieur comme à l’exté- rieur , et non à la surface seulement; c’est à toutes les 24 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. parties en même temps que s'appliquent les molécules nouvelles, et de toutes les parties aussi que se détachent les molécules anciennes. L'augmentation de volume est bien cette fois. ce qu’on appelle un accroissement , car toutes les parties y participent en même temps, l’inté- rieur comme l'extérieur. Tout se fait, comme on dit, parintus-susception , mot dont l’étymologie indique aussi rigoureusement l’acception. En un mot, les corps orga- nisés , qui sont les seuls qui naissent, se reproduisent , se nourrissent, sont aussi les seuls qui croissent , qui vieil- lissent , qui en somme aient des âges. En second lieu , les corps organisés peuvent s’offrir sous deux autres états-qui n’ont pas encore d’analogues dans le règne minéral, en état de santé et en état de maladie : en santé, quand toutes leurs actions s’exécu- tent avec aisance , liberté , et qu'il y a accomplissement possibles de toutes leurs facultés , et espoir de parcourir toute leur carrière; en maladie, quand ces actions , au contraire , s’exercent avec difficulté, douleur , et qu'il y a perversion des facultés, et crainte d’une destruction plus ou moins prochaine. Les corps organisés sont aussi les seuls qui peuvent être dits sains ou malades. Hs peu- vent même présenter dans leur état de santé des nuances diverses, inapplicables aux minéraux , les différences qui fondent ce qu’on appelle les tempéramens ; et seuls ‘encore ils peuvent avoir, ou une constitution faible, ou upe constitution forte , etc. Gertes, voilà de grandes différences entre les corps * norganiques et organiques sous ces trois premiers points de vue; et déjà elles peuvent nous expliquer celles que nous avions signalées dans la structure de-ces deux classes de corps. Ainsi, le corps organisé, par opposition au ACTIONS. 25 corps inorganique , a toujours offert une réunion de par- ties solides et de parties fluides; c’est que les parties nou- velles qu'il s’approprie, ainsi que les parties anciennes dont il se dépouille , sont appliquées et enlevées à tous les organes à la fois, à l’intérieur et à l'extérieur; et, pour que cela fût possible, il fallait bien que ces parties revêtissent l’état de fluide. Ainsi , le corps organisé a, par opposition au corps inorganique , une composition hété- rogène , offre un assemblage d'organes ; c’est que les ac- tions de ce corps organisé sont diverses, comme on l’a vu : les unes lui font reproduire son espèce, les autres effectuent sa nutrition ; et comme ces actions, nutrition et reproduction ne sont pas elles-mêmes des actes sim- ples , mais le produit du concours de beaucoup d’autres actions diverses , qu’on appelle fonctions, il fallait bien que l’être eût autant d'organes particuliers pour exécuter chacune de ces fonctions. Enfin , le minéral ne pouvait avoir une forme et un volume constans et déterminés, puisque l’une et l’autre dépendent de l’ordre et de la quantité dans lesquels se déposent les molécules qui le forment , et que ces deux conditions tiennent à une cir- constance sur laquelle il ne peut influer , la nature des corps qui le touchent. Au contraire, le corps orga- nisé qui se nourrit par sa propre activité, et qui éprouve pendant sa durée une succession de développemens dé- terminés , devait avoir une forme et un volume constans; et, en effet , il y tend sans cesse par son activité propre, y parvient par une gradation constante , et emploie pour y arriver un temps déterminé. Mais poursuivons notre parallèle. = 4° Fin. Tout corps cesse d’être , finit; mais les corps inorganiques et organiques diffèrent encore sous ce rap- 26 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. port. Le minéral cesse d’exister toutes les fois que la force de cohésion et les affinités de combinaison qui tenaient juxta-posées et réunies les molécules qui le forment, sont vaincue par d’autres affinités qu’exercent sur lui les corps extérieurs qui le touchent ; et qu’ainsi ses molé- cules composantes sont entraînées par à à la formation d’autres corps. De Rà résulte qu'il n’y à rien de fixe et de déterminé sur la durée de l'existence d’un minéral, puisque ce sont les corps extérieurs ,et sur lesquels il n’a aucune prise, qui déterminent sa destruction. Si quelque- fois on peut calculer d’une manière approximative la durée de son existence, c’est d’après la considération toute mécanique de sa densité et de sa masse, son usure ainsi que tous les changemens qu’il éprouve, se faisant de l’extérieur à l’intérieur. Sa destruction n’est donc ni nécessaire ni spontanée. Ajoutons encore que ce mi- néral conserve , jusqu’à sa destruction complète, ses qua- lités intimes ; ne variant, comme on l’a déjà dit, que dans les qualités accessoires de sa masse, de son volume et de sa forme. Le végétal et l’animal , au contraire , finissent quand s'arrête ce mouvement nutritif en vertu duquel ils se conservent. Celte fin est à peu près fixe pour chaque espèce. D’où il résulte que la durée de l'existence du corps organisé est limitée. Et, en effet, pouvait-il en être au- trement chez ces êtres qui, par leur activité propre , dé- terminent toutes les phases de leur vie? Ils ne peuvent prolonger à l'infini le mécanisme qui les fait vivre; ce mécanisme se détruit par le fait même de la durée de son exercice; et cet anéantissement constitue un phénomène tout-à-fait étranger au règne minéral, une mort. Les corps organisés qui seuls naissent, se reproduisent, se nour+ ACTIONS: 'g >! rissént, croissent, vieillissent , sont aussi les seuls qu meurent. L'époque de cette mort ne peut plus ici se calculer par la considération toute mécanique de la den- sité et de la masse ; parce qu'en eflet l’usure se fait à l’intérieur comme à l'extérieur. Enfin, le corps orga- nisé ne conserve pas jusqu'à la fin ses qualités intimes, _ comme nous avons vu que cela était dans le minéral; dès que son activité propre a cessé , et qu'il est cadavre, mot qui encore ne peut être appliqué au minéral , ses parties se détruisent , parce que les molécules intégrantes et conslituantes qui les formaient étaient engagées dans des combinaisons contraires aux forces chimiques , et que cette activité seule maintenait; elles se puütréfient , en un mot; phénomène qui n'a pas encore son équivalant dans le règne minéral, et qui n’est autre chose que le rez tour de la matière qui compose les corps organisés aux forces physiques et chimiques générales. 5° Forces motrices, Quelles que soient les actions des corps qu'on étudie , on ne peut en pénétrer l'essence ni la cause. Mais l'esprit de l’homme (par suite d'un instinct qui lui est propre, qui le porte toujours à rat- tacher tout phénomène à sa cause} cédant aussi à la tendance qu'il a continuellement de généraliser, a été conduit à concevoir tous les corps comme animés de forces particulières , auxquelles ils doivent toutes les ac-+ tions qu'ils produisent, et qui sont conséquemment comme les causes de ces phénomènes. Telles sont, par exemple, la force d’atiraction en astronomie ; la force de gravüation en physique , la force d’a/ffinité en chi- mie , et la force de vie en physiologie. Ge n'est pas ici le lieu de discuter comment l'intelligence humaine a été conduite àadmettre l'existence de ces forces , et quelle ms 28 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. idée il faut s’en faire. Nous nous en occuperons ailleurs, à ce que nous appelons la philosophie de notre science : on y verra que tantôt ces forces ne sont qu’un mot par lequel on représente la cause inconnue des faits; que tantôt elles expriment l’action la plus générale , et celle dont les autres ne sont que des modifications. Mais, supposant ces forces admises , comme elles sont établies d’après les actions , on concoit qu'elles doivent être di- verses comme le sont les actions elles-mêmes ; et, en effet, de même qu’à juger d’après la structure et les actions, il y a deux classes de corps bien distinctes, de même on reconnaît deux genres de forces motrices , les forces générales , et les forces spéciales ou vitales. Les premières sont celles qui agissent en tout corps, quel qu’il soit, dans les corps vivans comme dans les corps inorganiques ; et c’est à cause de cela qu’elles sont dites générales. Telles sont toutes les forces dites phy- siques et chimiques , les forces de gravitation , de cohc- sion , les affinités chimiques , la force expansive du ca- lorique , etc. Les secondes, au contraire, sont celles qui, opposées à celles-là, font produire des phénomènes tout diffé- rens , et affranchissent jusqu'à un certain point des forces générales : on les appelle spéciales , parce qu'elles n’exis- tent pas dans tous les corps, mais dans quelques-uns seulement ; et on les appelle vitales , parce qu’elles sont exclusives aux corps vivans. Il est possible, sans doute, qu’elles aient au fond la même nature que les forces gé- nérales ; mais il est sûr qu’elles sont au moins, ces forces générales, modifiées , et que les faits qu’on leur rapporte fondent des exceptions aux lois générales , et, à ce titre, méritent d’être rattachés à des lois spéciales ACTIONS. 29 Or, ceci étant admis sur les forces auxquelles on rap- porte toutes les actions des corps, est-il besoin de dire que Jes corps inorganiques et organiques diffèrent en- core sous ce point de vue ? Cela ne résulte-t-il pas né- cessairement de la diversité de leur structure et de celle de leurs actions ? Le minéral, en effet, ne présente que les forces gé- nérales , et dépend en toutes ses actions, de la gravita- tion , de la force de cohésion, des affinités, de la force répulsive du calorique, etc. La première l'entraîne toujours vers le centre de la terre, le fixe au sol, ly attache en proportion de sa masse et de sa densité. Les secondes maintiennent dans un rapport déterminé de position les molécules intégrantes et conslituantes qui le forment. Enfin, la dernière lui fait partager toujours la température du milieu dans lequel il est placé. Le végétal et l’animal, au contraire , sont bien, jus- qu’à un certain point, soumis à ces mêmes forces gé- nérales ; mais ils obéissent de plus à d’autres forces spé- ciales à eux, qu’on appelle vitales, et dont le caractère est de soustraire plus ou moins les corps qu’elles animent, aux forces générales dont nous venons de parler. En effet, ces êtres triomphent , momentanément au moins, de la force de gravitation , puisque le végétal prolonge ses tiges dans l'air, fait circuler sa sève de bas en haut, souvent Jance au loin ses graines ; puisque l’animal fait aussi circuler en lui de bas en haut le sang qui le fait vivre, et d’ailleurs par l’acte de la locomotion, se dé- tache spontanément du sol. Dans l’affranchissement mo- mentané où sont de cette force ces êtres organisés , il n'y a même rien qui soit relatif aux circonstances de masse et de densité qui en règlent l’exercice dans les 5 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. autres corps. Ils ne sont pas davantage soumis à'la force de cohésion et à FafJinité chimique; car les molécules qui forment leurs parties sont unies dans des combinai- sons contraires à celles que veuleñt ces forces , comme le prouvé leur putréfaction à la mort. Enfin , ces végé- taux et ces animaux sont de même affranchis de la force répulsive du calorique , car ils ont uné température qui leur est spéciale , qu’ils conservent indépendamment de celle du milieu dans lequel ils vivent, qui est la même en toutes saisons, tous climats, et qui ne change que par les variations de leur activité propre , dont elle est le produit. Nous aurions pu ne pas faire mention de tout ce der- nier article, puisque ces forces, dont on dit les corps animés , ne sont que des abstractions de notre esprit , par lesquelles on exprime avec le plus de généralisation possible les actions des corps , et que celles-ci étant in- diquées , la différence des forces devait s’ensuivre. Mais, comme l'indication de cette différence est en quelque sorte le résumé de toutes les autres , qu’elle est employée par tous les auteurs comme Jangage abréviatif, nous avons cru devoir terminer par elle ce parallèle des corps inorganiques et orgañiques. Ainsi, des différences plus importantes encore distin- guent sous le rapport des actions les corps inorganiques et organiques. | Or, de même qu'on avait donné un nom particulier, celui d'organisation , au mode de structure propre aux corps organisés; de même on en a donné un à leur mode d’activité, celui de vie ; et par suite on a appelé corps vivans les végétaux et les animaux qui le pré- sentent. Ainsi, ces êtres-ont été appelés indifféremment ACTIONS: 91 à. de corps organisés OÙ vivans, selon qu'on a eu égard , ou à leur mode de composition matérielle , qui est une orga- nisation , ou à leur mode d’activité , qui est une ve: et ces deux dénominations sont également bonnes , car Le mode de structure , appelé organisation , et le mode d’ac- tivité, appelé vie, existent toujours ensemble. Ge qui caractérise la vie, est donc : de commencer à être par une naissance; de se conserver comme individu par une nutrition , et comme espèce par une reproduction ; d’a- voir une durée limitée; de présenter , pendant cette du- rée , les mutations connues sous le nom d’äges; et de finir par une mort. Les corps organisés seuls ont la wie. Les minéraux existent, mais les végétaux et les animaux seuls vivent (1). Ce qui la caractérise encore, c’est cet (1) Les auteurs ont beaucoup varié et varient encore sur la définition qu’on doit donner du mot vie. Buisson dit qu'il ne peut pas plus être défini que le mot étre, qui a tant occupé les méta- physiciens. Mais on peut toujours préciser le sens qu’on attache à un mot. Kant définit la vie, un principe intérieur d’action, de changement et de mouvement ; Schmidt, l’activité de la matière dirigée par les lois de l’organisation ; Erkard , la faculté du mou- vement destinée au service de ce quiest mu; Crevisanus , l'unifor- mité constante des phénomènes avec la diversité des influences exté- rieures; Zichat, l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort , etc. Mais toutes ces définitions me semblent défectueuses. Kant et Schmidt, par exemple, disent bien que la vie est un principe d'activité , mais ils ne spécifient pas son mode , et c’est ce qui était nécessaire, puisqu'il y a un principe d'activité partout. Les définitions d’Erhard et de Crevisanus sont trop abstraites. Celle de Bichat est surtout mauvaise , car elle semble faire de la mort un être positif; et s’il est vrai, au contraire , que cette mort ne soit que la cessation de la vie, cette définition se change en celle-ci, Le vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la cessation de la 32 CORPS INORGANISÉS ET ORGANISÉS. activité intérieure spéciale que présentent les corps qui la possèdent, et qui, les affranchissant en partie des forces générales, en fait comme autant de petits tourbillons, de petits systèmes spéciaux dans l’univers. Telles sont les différences des corps inorganiques et organiques ; et l’on voit que , dans le parallèle que nous venons de faire de ces deux classes de corps, nous avons, par le fait, énuméré ce qui doit faire le sujet de la physiologie, les phénomènes de la vie. Rechercher vie, ce qui est ne rien dire. Une bonne définition de la vie doit, non-seulement établir qu’elle consiste en un mode d'activité , mais encore spécifier les traits qui distinguent ce mode d'activité de tous les autres. Or, c’est ce que fait la définition que nous donnons, quand nous disons qu’elle est un mode d'activité , d’existence, dans lequel on commence à être par une zaissance, on croît par éntus-susception ,; On finit par une mort , et, pendant la durée de l'existence qui est limitée, on se conserve comme individu par nutrition , Comme espèce par une reproduction, et l’on passe par divers ges. C’est bien là, en effet, spécifier le genre d'activité qui la constitue; car, pour ce quiest de son essence , on conçoit qu’on ne peut pas plus la connaitre que celle de tout autre mode d'activité. Du reste , n’est-ce pas notre même idée qu’exprime M. Cuvier, quand il définit la vie : « La faculté qu'ont certains corps » de durer pendant un temps et sous une forme déterminée, en » attirant sans cesse , dans leur substance, une partie des sub- » stances environnantes, et en rendant aux élémens une portion » de leur propre substance ? » Ce n’est en effet là que détailler un des traits que nous n’avions fait que dénommer , celui de la con- servation comme individu par une nutrition. Il en est de même encore quand ce savant dit de la vie, « qu’elle est un tourbillon » plus ou moins rapide et compliqué, dont la direction est con- » stante, et qui entraine toujours des molécules de mêmes sortes ; » mais où les molécules individuelles entrent , et d’où elles sortent » continuellement, de manière que la forme du corps vivant lui » est plus essentielle que la matière. » ACTIONS. 33 comment un être vivant naît, comment il se nourrit, se reproduit, comment s’enchaînent, pendant sa vie , ses divers âges, enfin, comment il meurt; tel est, en effet , le but de la physiologie. Mais ce ne sont là que les phénomènes généraux de la vie, ceux qui sont propres à tout être vivant quelconque. Les êtres vivans sont, comme on le sait, très-nombreux , et ils diffèrent rela- tivement aux procédés plus ou moins simples ou com- posés par lesquels s’accomplit en eux la vie. Nous avons surtout à faire connaître ceux qui appartiennent à la vie de l’homme. Pour cela, comparons entre eux les corps vivans , pour nous élever du plus simple au plus compliqué , l’hemme ; et, comme ces corps vivans sont de deux sortes , les végétaux et les animaux, faisons- en d’abord le parallèle, CHAPITRE IL. Examen comparatif. des Feégétaux et des ATUMAUX. Jadis: les végétaux et les animaux étaient séparés en deux grands règnes; mais les grands traits généraux que nous venons de dire appartenir aux corps organisés , Sont communs aux uns et aux autres, En effet, d’un côté, les végétaux ont, aussi bien que les animaux, pour mode de structure, une organisation ; c'est-à-dire qu'ils offrent toujours une composition chimique oppo- sée aux affinités chimiques ordinaires , une réunion de parties solides et de parties fluides , un assemblage d’or - games, et ont une forme et un volume constans et dé- terminés. D'un autre côté ; ces végétaux ont, aussi bien que les animaux, pour modé d’activité, une wie, c’est- = 1. o 84 VÉGÉTAUX ET ANIMAUX. à-dire qu’ils ont pour origine une génération, croissent par intus-susception , finissent par une mort, se conser- vent éommé individu par une nutrition ; et comme espèce par une reproduction , et pendant la durée de leur exis- tence, qui est déterminée, sont susceptibles d’éprou- vér les mutations des âges, et celles de la santé et de la maladie. Ainsi se trouve justifié le rapprochement que les M o- dernes ontfait dés végétaux et des animaux dans une même classe de corps. Ge rapprochement est si judiciéux, que, dans le parallèle que nous allons faire de ces êtres, nous ne pourrons trouver aucune ligne de démarcalion abso- lue entre eux, et ils ne paraîtront différer que du plus au moins. Suivons le même ordre que pour les corps inorganiques et organiques, et comparons successive- ment la composition matérielle et les actions, ArTicze 1. Différence de la Composition matérielle chez les Végétaux et les Animaux. La composition matérielle est chez les uns et les au- tres une organisation ; mais généralement cette organi- sation est plus simple dans les végétaux que dans les animaux; et il en résulte quelques différences, sinon entre tous les végétaux et les animaux , au moins entre les plus élevés d’entre eux. Du reste, comparons suc- cessivement le volume , la forme, la composition chi- mique et l’organisation intime. | 1° Volume. I ne fournit aucun caractère distinctif; les deux règnes offrent également les plus grands ex- trêmes ; depuis de plus petit lichen jusqu’au baobab, depuis le ciron jusqu’à la baleine. STRUCTURE, 35 2° Forme. On pourrait presque en dire autant de la forme. Il est des végétaux et des animaux qui sont éga- lement amorphes , c’est-à-dire dont le corps ne peut être comparé à aucune forme déterminée. Il en est éga- Jement qui sont radiatres, c’est-à-dire dont Île corps consiste en rayons qui sont disposés autour d’un centre. Cependant beaucoup d’animaux présentent une forme paire où symétrique, c'est-à-dire que le corps est com- posé de deux moitiés semblables placées le long d’une ligne ou d’un axe médian ; et, au contraire, aucun vé- gétal ne la présente, au moins en entier. 3° Composition chimique. Les élémens qui forment les végétaux et les animaux sont généralement les mêmes, etil n'y a de différences que dans leur proportion relative. Ainsi, le carbone prédomine dans les végétaux; et comme ce principe est solide, sa prédominance est une des causes pour lesquelles le végétal est lent à se putréfier après la mort, et dure encore long-témps. Au contraire, c’est l’azote qui prédomine dans l'animal; et, comme ce principe est diffusible , cela explique pourquoi cét être est plus promptement putréfié et détruit après la mort. Le phosphore paraît aussi être plus propre aux animaux. La terre qu’on retire d'eux est plus généralement de la chäux dans un état de combinaison saline; et, au con- traire , celle qu’on retire des végétaux est argileuse , et contient de la silice. Enfin, la composition chimique - paraît être un peu plus simple dans les végétaux que dans les animaux; car , tandis que les principes immédiats dé ceux-ci sont le plus souvent-des composés quaternaires, la plupart de ceux des végétaux, au contraire , ne sont que des composés ternaires. On ne trouve aussi de composés quaternaires acides que dans les animaux ; les com- 3* eb VÉGÉTAUX ET ANIMAUX. posés quaternaires des végétaux sont toujours neutres. 4° Composition intime, et organisation. C’est sous ce point de vue qu’on trouve le plus de différences. D'abord, les végétaux et les animaux offrent également dans leur texture une réunion de parties solides et de parties fluides; mais chez les premiers les solides l’em- portent de beaucoup sur les fluides, et c’est le contraire chez les seconds : c’est I une nouvelle cause de la len- teur de la putréfaction chez les premiers, et de sa rapi- dité chez les seconds. En second lieu, chez le végétal , les filamens qui composent les organes, sont entrelacés comme en tout corps organisé; mais cependant Ja tis- sure est moindre que dans l’animal;.les fibres semblent davantage n'être qu’accolées les unes aux autres. En troisième lieu , quand on remonte aux filamens primitifs qui, composent les parties du végétal, à leurs élémens anatomiques, si l’on peut parler ainsi, on n’en trouve qu'un seul, un tissu wésiculaire, disposé en aréoles ou en vaisseaux, et dont en dernière,analise paraissent for. més tous les organes,;.et au contraire, dans l'animal , on trouve au moins trois de ces, élémens, anatomiques , le tissu cellulaire, qui est l’analogue de ce tissu, vésicu- laire des végétaux; le tissu musculaire et le tissu.nerz veux. Quatrièmement, le végétal, dans son intérieur, n’a aucune cavité, ou n’en a qu'une qui règne dans toute sa longueur; l’animal , au contraire, en a le plus souvent plusieurs placées les unes au-dessus ou au-de. vant des autres, la tête, le thorax, l’abdomen ; cavités qu’on appelle splanchniques , parce qu’en elles sont ren- fermés les principaux organes. Enfin , le végétal offre un moindre nombre d’organes; tout se réduit chez lui à du tissu cellulaire, des organes sécréteurs, sexuels ou | SPRUCTURE. 33 reproducteurs : Panimal, au contraire, a déjà tous ces organes , et de plus des vaisseaux, des organes senso- riaux, locomoteurs, digestifs, etc. Ajoutons que, dans les végétaux, les organes sont si simples, qu’ils peuvent facilement se transformer les uns dans les autres; ce qui ne s’observe pas de même dans les animaux. Mais ces différences, quelque capitales qu’elles pa- raissent , ne suflisent pas pour différencier d’une manière absolue les végétaux et les animaux, parce qu’elles ne s'appliquent pas à la généralité des deux règnes , et ne conviennent qu'aux végétaux et animaux supérieurs. Dans plusieurs végétaux, les fluides paraissent l’empor- ter en quantité sur les solides ; et beaucoup d’animaux n’ont pas plus que les végétaux de tissu musculaire et nerveux , de cavités splanchniques, de vaisseaux , d’or- ganes distincts , etc. Il n’y a donc pas de différences absolues entre les deux règnes, sous le rapport de la composition maté- rielle , puisque celles que nous avons indiquées ne sont vraies que des végétaux et animaux supérieurs. Arrivons à l'examen comparatif des actions. Anricze Il. Différences dans les Actions des F égétaux et des Animaux. * Ces actions, chez les uns et les autres, constituent éga- lement une vie; mais généralement cette vie est plus simple dans le végétal que dans l’animal , et y est ac- complie par un moindre nombre d’actions. D'abord ; on peut signaler entre les végétaux et les animaux cette première et importante différence, que chez les premiers tous les actes qui, par leur succession. 38 VÉGÉTAUX BT ANIMAUX. accomplissent la vie, sont également irrésistibles et hors la perception de l'être, se passent sourdement en lui, sans qu'il en ait conscience et puisse influer sur eux par sa volonté; tandis que dans les animaux, quelques-uns de ces actes au moins sont laissés à la dépendance de sa volonté et à sa connaissance; savoir , ceux qui, Con- sistant en des rapports avec l'extérieur , commencent la nutrition et la reproduction , comme là préhension des matériaux nutritifs pour le premier objet, et le rappro- chement des sexes pour le second. Il est sûr , en effet, que, tandis que le végétal absorbe irrésistiblement et sans perception ni volonté de sa part dans le sol et l'atmosphère les matériaux extérieurs nécessaires à sa nutrition; tandis que le plus souvent des agens étran- sers portent à son insu le pollen de l’étamine sur le pistil pour la fécondation, c’est par une volonté spéciale , et avec perception de sa part, que l’animal prend dans l'univers lair et ses alimens, et se rapproche de l'in- dividu de l’autre sexe, du concours duquel 1] a besoin pour sa reproduction. Or, de cette première différence entre les végétaux et les animaux découlent, pour ces derniers, les parti- cularités suivantes : 1° Par cela seul que les animaux ont perception de quelques-uns des actes de leur vie, et surtout peuvent les effectuer à leur volonté, ils ont dû avoir deux fa- cultés ou fonctions qui manquent chez les végétaux; savoir, la sensibilité, ou la faculté d’avoir la conscience, le sentiment, la connaissance d’une impression quels conque ; et la focomotilité, ou la faculté de mouvoir à sa volonté et sous la direction de cette volonté tout son corps en massé, Ou au moins quelques-unes des parties ACTIONS. 09 de son corps. En effet, nous avons vu , d’une part, que toute nutrition et reproduction exigent que l'être qui se nourrit et se reproduit établisse pour ce double objet des rapports au dehors de lui. Nous venons de dire, d'autre part , que la nature a voulu laisser à animal la faculté de régler lui-même ces rapports extérieurs dont dérive tout le reste du mécanisme de sa vie. Dès lors il a fallu nécessairement que cet être eût, 1° les moyens de connaitre lui et l’univers , qui sont les deux termes de ces rapports, les moyens de sentir le besoin de ces rapports ; 2° qu’il eût les moyens de les établir , puisque la nature ne s'était pas chargé de le faire elle-même, comme dans le végétal, Or, c’est là le double oflice de la sensibilité et de la locomotilité | que l'animal possède de plus quele végétal. Par la sensibilité, l'animal se sent vivre, a un moi qui perçoit ; il connaît l'univers ,apprécieles corpsqui le com- posent, et éprouve tous les désirs, tous les sentimens intérieurs quile sollicitent aux actes extérieurs qui im-- portent à sa conservation comme individu et comme espèce , etqui sont relatifs au rôle qu’il doit remplir dans le monde. Par la locomotilité , il effectue tous ces actes extérieurs que sa sensibilité lui a fait juger lui être néces- saires. La première est pour lui une sentinelle, qui l’a- vertit de ses besoins ; elle est un moyen que la nature s’est ménagé en lui pour le faire agir dans le but de sa conser- vation , et c’est elle qui vraiment donne du prix à sa vie. La seconde est celle qui lui fait satisfaire ses besoins, et qui parce qu’elle le fait se mouvoir d’une manière apparente, l’afait dire animé , par opposition au végétal, dont l’immobilité fait contraste. Remarquons que ces deux facultés se supposent mutuellement; et, en effet, 40 VÉGÉTAUX ET ANIMAUX. elles existent toujours simultanément; car, d’un côté la sensibilité seule n’est qu’un guide, qu’un conseil, et c’est réellement la locomotilité qui opère ; et, d’autre part, la locomotilité reconnaît toujours pour principe une volonté, laquelle est un acte de la sensibilité. Evidemment les végétaux n’ont ni la sensibilité ni la locomotilité. D'abord , ils n’ont pas celle-ci, car ils sont fixés au sol, et ne peuvent se déplacer en masse. C’est une subtilité de considérer comme une espèce de loco- motion le déplacement des plantes stolonifères ou na- geantes, ou celui d’une espèce d’orchis qui, repoussant chaque année un bulbe nouveau au-devant de l’ancien, occupe par suite , chaque année , une place nouvelle. De même, is n'ont pas la sensibilité, car on ne les voit ma- nifester aucun des actes par lesquels s'annonce cette faculté chez les animaux, comme d’exécuter des mouve- mens , de proférer des sons. On peut le conclure d’ailleurs de cela seul qu’ils n’ont pas la locomotilité ; car nous avons vu que la sensibilité ne serait rien sans celte se- conde faculté; et il est évident même qu’elle serait un don funeste , puisque, rendus par cette faculté aptes à sentir le plaisir et la douleur, on n'aurait aucuns moyens de rechercher l’un et de fuir l’autre. L °° Ces actions de sensibilité et de locomotilité que pos- sède l'animal ont ceci de particulier , c’est qu'elles ne peuvent s'exercer toujours ; elles sont soumises à une intermittence pendant laquelle cet être est à leur.égard presque dans les mêmes conditions que le végétal; l’ani- mal estalors sans sentiment , sans volonté , sans possibilité de se mouvoir; et, sousce rapport, sa viese partage en deux états bien différens , et qui n’ont pas leurs analo- gues dans le végétal, l’érai de veille danslequel ces deux ACTIONS. 43 facultés peuvent être mises en action, et l’état de som- meil, dans lequel , au contraire, elles sont irrésistiblement suspendues. 3° Les facultés de sensibilité et de locomotilité entrat- nent nécessairement dans les animaux l'existence d’une action qui manque encore dans les végétaux, celle des expressions ou du langage. Ges êtrés , en effet, pouvant se mouvoir à leur volonté dans l'univers et agir à leur gré sur les divers corps qui le forment , devenaient par là une véritable puissance ; ils pouvaient évidemment tour à tour se nuire ou s’aider les uns les autres; et dès lors ils ont dà avoir les moyens de se communiquer leurs sentimens intérieurs , pour s’avertir , soit des appuis qu'ils peuvent se prêter, soit des dangers respectifs dont ils se menacent. Aussi tout être sensible , tout animal a un lan- gage qui est en rapport pour sa richesse avec l'étendue de sa sensibilité, et le degré de puissance qu’il peut exercer sur l'univers. 4° Enfin, de la première différence que nous avons signalée , il résulte encore que tandis que les végétaux ne sont en rien maîtres de leur existence, puisqu'ils sont entraînés irrésistiblement et sans perception ni volonté de leur part à la série des actes par lesquels ils vivent: les animaux, au contraire , sont maîtres de leur conser- vation comme individu et comme espèce , puisqu'ils peuvent à leur gré effectuer ou non les actes extérieurs qui commencent leur nutrition et leur reproduction , et sans lesquels ne pourraïent se produire aucuns des autres actes qui en achèvent le mécanisme. Mais il est.possible de trouver encore d’autres diffé- rences entre les végétaux et les animaux , sous le rapport de leurs actions, en comparant avec plus de détails Le 4 VÉGÉTAUX ET ANIMAUX, mécanisme de leur nutrition , et celui de leur reproduc- tion. 1° Lanutrition, d’après l’idée généraleque nous en avons donnée , exige : d’un côté, que l'être puise sans cesse au dehors de lui des matériaux, les élabore , et les appro- prie à sa substance ; et, d’un autre côté, qu’il rejette en même temps une certaine quantité des matériaux qui le composaient préalablement. Elle constitue dans l’être vivant deux mouvemens opposés : l’un par lequel il se recompose , et l’autre par lequel il se décompose. Or, voici quelques différences sous le rapport de l’un et de l’autre entre les végétaux et les animaux. Dans le végétal, les matériaux étrangers qui doivent servir à la nutrition, et quisont toujours de deux sortes, savoir l'air, et d’autres matières liquides ou solides , sont contenus dans l’élement ambiant, tout disposés à être absorbés. Etant forcément en contact avec la surface externe de l'être , il semble que ce soient le solet l’atmos- phère qui les portent aux racines et aux branches. A la vérité ces racines et ces branches se meuvent un peu pour se diriger du côté où ces matériaux sont plus abon- dans ou meilleurs; mais on n’en peut pas moins établir que dans le végétal c’est la nourriture qui vient chercher l'être. La préhension s’en fait irrésistiblement, comme tous les autres actes qui constituent la vie du végé- tal. Cette préhension enfin consiste en une absorption qu'effectue la surface externe , et qui est continue, parce que les matériaux sur lesquels elle opère sont tou- jours là. L'animal, sous tous ces rapports, nous offre autant de différences. D'abord l'élément dans lequel il vit ne con- tient plus les matériaux nutritifs tout prêts à être absor- ACTIONS. 45 bés:; du moins, cela n’est plus vrai que de l’une des espèces de ces matériaux , l'air; l’autre qu’on appelle généralement aliment , a besoin de subir auparavant, dans une cavité intérieure de l'être, une élaboration qu’on appelle digestion, et qui la rend apte à être absorbée. Cette première différence est une suite forcée de l'exis- tence de la sensibilité et de la locomotilité. . Eneffet , d’un côté, Fanimat, jouissant de la faculté de se mouvoir, ne pouvait attendre passivement , comme le végétal, sa nourriture d’un sol qui pour lui change sans cesse ; il fallait, comme dit M. Cuvier , qu'il pâttoujours transporter avec lui sa provision, qu’il eût en lui une espèce de réservoir où il déposät ses matériaux nutrilifs , etc’est ce qu'est l'appareil digestif, D'autre part , la nature ayant voulu laisser l'animal libre d’effectuer ou non sa nutrition, on conçoit que la nécessité d'introduire l’ali- ment dans une cavité intérieure , exige bien plus une vo- lonté réelle, qu’une préhension qui, comme celle du végétal , consisterait en une absorption effectuée par 4 surface externe de l'être. En second lieu , aliment ne se trouvant pas dans un contact forcé avec la partie du corps qui doit le saisir , il faut que ce soit l'animal qui établisse ce contact; et c’est vraiment cet être qui va chercher sa nourriture. En troisième lieu , cette préhension est un acte entièrement volontaire de sa part ; et il n’y a d’irrésistible que les agtes qui lui font suite. Enfin, Landis que dans le végétal l'absorption nutritive se faisait à la surface ex- terne de l'être , était continue : dans l’animal , d’abord cette absorplion se fait à la surface interne de la cavité digestive; ensuite elle peut n'être pas continue , car elle est évidemment dépendante de la présence dans la cavité digestive d’alimens digérés, c’est-à-dire dieposés à être 44 VÉGÉTAUX ET ANIMAUX. absorbés. Gette dernière différence est une conséquence des précédentes. Puisqu’en effet les alimens étaient dé- posés d’abord dans une cavité digestive , il fallait bien que ce füt à la surface interne de cette cavité que l’absorp- tion vint en saisirla partie nutritive. Remarquons toute- fois le rapport qui existeentre ces deux absorptions ; et ce rapport n'avait pas échappé à Jippocrate , qui a dit que l'estomac est aux animaux ce que le sol est aux végé- taux, ventriculus sicut humus; non plus qu’à Boëérhaave , qui a dit que les animaux ont leurs racines nourricières dans leur intestin. En somme, la nutrition de l’animal se distingue de celle du végétal par deux traits surtout : 1° dans le végétal , tous les actes qui l’accomplissent sont également irrésistibles, et non perçus : dans l’animal, ceux qui commencent Ja nutrition, et quiconsistent dans la préhension des matériaux nutritifs sont volontaires et perçus; et iln’y a d’irrésistibles et de non sentis que ceux qui leur font suite. 2° L'animal a toujours au moins un acte de plus, parmi ceux qui effectuent sa nutrition, savoir, la digestion. Tout ce que nous venons de dire de la nutrition n’a trait qu’aumouvement de composition ; ajoutons, relati- vement à celui de décomposition , que dans les végétaux les matières rejetées sont les substances les plus hydro- génées, et que dans les animaux ce sont, au contraire, les substances les plus azotées. , 5° Les différences dans la reproduction sont bien moindres que celles que nous venons de reconnaître dans le mode de Ja nutrition ; et peut-être est-il juste de dire que les végétaux et les animaux se ressem- blent plus par la génération que par toute autre fonc- tion. En effet, dans tous les êtres vivans en général , Qt ACTIONS. : A la reproduction s’accomplit de deux manières; sans le concours de sexe , ou par des ‘sexes. Dans le pre- mier cas , un individu se reproduit seul, il se partage de lui-même en plusieurs fragmens , où développe à sa surface des bourgeons, des gemmes, qui se détachent et forment des individus nouveaux." Dans le second cas, deux sortes d'organes concourent à l’accomplissement de la génération : les uns, dits mâles , fournissant une ma- tière fécondante; les autres , dits femelles, fournissant un germe qui , consécutivement à sa fécondation par le prin- cipe de l’organe mâle, éprouve une suite de développe- mens , et devient l'individu nouveau. Dans ce dernier cas, qui est le plus complexe , on peut distinguer dans la génération Ja succession des phénomènes suivans : 1° le rapprochement des deux organes sexuels , pour que le principe fécondant de l’organe mâle soit appliqué au germe de l'organe femelle ; 2° l’avivement du germe par suite de cette application, avivement qui s’appelle fécon- dation ; 5° enfin le détachement du germe à une époque déterminée, après qu'il à subi de premiers développe- mens , et lorsqu’il.est apte à vivre d’une vie isolée , et à constituer un individu nouveau. 2 Or, les végétaux et les animaux offrent également ces deux modes de reproduction. Les conferves et les po- lypes, par exemple ; nous présentent le premier mode, et sans aucunes différences ; ils se reproduisent en dé-. veloppant à leur surface des gemmes qui grossissent , se détachent et forment alors de nouvelles conferves , de nouveaux polypes. De même qu'un végétal se reproduit par bouture ,.de même aussi la section d’un polype en plusieurs morceaux , fait de chacun de ces morceaux au- tant de polypes distincts. D'autre part, ces deux classes 46 VÉGÉTAUX ET ANIMAUX. d'êtres nous offrent la reproduction par sexes; cepen- dant ici on peut au moins signaler les oppositions sui- vantes : (1 Dans le végétal , le rapprochement des sexes n’est pas un acte volontaire, et se fait irrésistiblement : l'application du pollen de l'organe mâle , à l'organe femelle , est la suite forcée et mécanique de la dis- position des parties. La plupart des végétaux , en effet, sont hermaphrodites, c'est-à-dire portent dans une même fleur les deux sexes ; ces deux sexes sont gé- réralement disposés l’un par rapport à l’autre , de ma- nière que le pollen tombe mécaniquement sur le stig- mate de l'organe femelle : par exemple, si la fleur est droite , les étaminès sont plus longues que le pistil ; c’est le contraire si la fleur est penchée. D'ailleurs, ce sont les vents, les insectes, les corps extérieurs qui , le plus souvent, transportent le pollen de l'organe mâle à l’or- game femelle. Aussi, ce principe fécondant n’est pas à mu , mais renfermé dans de petites capsules, qui ne se brisent qu’au moment du contact, ce qui fait qu'il m'est pas altéré dans le trajet. Au contraire, dans l’animal.,. ce rapprochement est évidemment un acte: volontaire, Le plus souvent les sexes sont séparés et portés par deux individus distincts: C’est l’animal dui- même:, «et non aucun agent étranger , qui applique le principe fécondant au germe ; il l'y applique immédiatement, d'où il en résulte que ce principe n’a plus eu besoin d’être renfer- mé dans des capsules protectrices ; et est versé à nu. En second lieu , dans le végétal, le détachement du germe se fait à une époque déterminée sans doute , mais aussi irrésistiblement et avec aussi peu de per- ception que se sont faits son avivement et ses premiers ACTIONS. 4 développemens.. Au contraire, dans l'animal, ce déta- chement , indépendant aussi de toute volonté, est au moins perçu par l'être à l'instant où il s'opère. En somme ; dans le végétal, tous les actes qui cons- tituent la reproduction , savoir, le rapprochément des sexes, la fécondation, et la naissance du nouvel individu , sont également hors la perception et la volonté de l'être : et, au contraire , dans l’animal, le premier de ces actes, le rapprochement des sexes, est un acte volontaire et perçu; le dernier, la naissance de l'individu nouveau est perçu, et même un peu aidé par la volonté; et il n’y a d’irrésistibles et dé non sentis que la fécondation, et les premiers développemens qui la suivent, Ajoutons encore comme différences ; que dans le végétal les orga< nes sexuels n'existent pas dès les premiers temps de la vie de l'être, et ne se développent qu’à l’âge où la re- production est possible ; qu'ils ne servent jamais qu’une seule fois et meurent après la fécondation; et que si la plante est vivace, ils tombent de même à chaque re- production, et se renouvellent chaque année. Dans l’ani- mal, au contraire, ils existent dès les premiers temps de la vie, survivent aux fécondations , durent autant que l'individu, et peuvent servir plusieurs fois. Telles sont les différences que, sous le rapport des actions , on peut constater entre les végétaux et les ani- maux. Mais, quelque capitales que paraissent être ces différences , on.va voir qu’elles ne sont pas plus absolues que celles que nous avions signalées dans la structure. D'abord , remarquons qu’elles ne doivent pas empêcher de réunir en une même classe les végétaux et les ani- maux : elles laissent, en effet, subsister les grands traits caractéristiques de Ja vie ; l'origine, par une génération; 48 VÉGÉTAUX ET ANIMAUX. la fin, par une mort; la conservation de l'individu , par une nutrition, etc. ; il n'y a que des degrés divers de simplicité ou de complication dans la manière dont s’ac- complissent la nutrition et la reproduction. Ensuite , pour que ces différences fussent propres à séparer à jamais les végétaux et les animaux , il faudrait qu’elles fussent vraies de tous ces êtres sans exception, c’est-à-dire que tous les animaux eussent ; par exemple, la sensibilité; la locomotilité , et une digestions et, qu’au contraire , aucun végétal ne présentât ces fonctions : or, c'est ce dont’ on peut douter. D'une part /il'est beaucoup d'animaux qui paraissent être ; aussi irrésistiblement que les végétaux, entraînés aux rapports extérieurs qui commencent leur nutrition et leur reproduction, et par conséquent manquer de la sensibilité et de la locomotilité. Ils n’ont pas, en effet, les systèmes nerveux et musculaire qui, dans les ani- maux supérieurs , sont les instrumens exclusifs de ces facultés : ils ne se meuvent pas en masse ; leurs mouve- mens partiels ne sont pas plus étendus que ceux qu'exé- cutent certains végétaux. De sorte qu'il n’y a pas de raisons pour supposer en eux, plus que dans les végétaux, la sensibilité et la locomotilité ; ou’qu’au moins l’exis- tence de ces facultés y est douteuse. - D'autre part, est-il bien sûr que des végétaux n'aient ni la sensibilité ni la locomotilité ? l'est vrai, qu’atta- chés fixement au sol, ils ne se meuvent jamais en inasse : mais ils exécutent beaucoup de mouvemens partiels ; et parmi ces mouvemens, il en est: qui sont #i bien en harmonie avec les circonstances extérieures , qu’on peut presque les croire l'effet d’une volonté qui a apprécié ces circonstances extérieures , et a raisonné, Par exem- ACTIONS. 49 ple, dans quelque position qu’une graine soit plantée, on voit toujours la plantule se diriger vers la terre , et la plumule vers l’atmosphère. Les branches d’un arbre s’éloignent ou se rapprochent du tronc central, de manière à être toujours dans une position parallèle à la pente du terrain. On voit les racines aller comme par une sorte d’instinct au-devant du sol qui leur con- vient , et se détourner au contraire de la veine de terre qui leur serait nuisible. Il en est de même des feuilles, des tiges que l’on voit se diriger du côté d’où leur viennent l’air et la lumière. Les plantes dites grimpantes ne se contournent-elles pas dans une direction toujours constante, et que l’agriculteur ne peut changer? ne choisissent-elles pas les végétaux qui leur servent d’ap- pui? d’autres ne se dirigent-elles pas constamment vers le soleil, et ne suivent-elles pas li marche de cet astre? Il est certains végétaux qui ferment leurs feuilles et leurs fleurs la nuit, par les impressions de l’humidité et de l'obscurité, phénomène que Linnæus avait appelé le - sommeil. des plantes. Qui n’a pas aperçu et épié les mouvemens de la dionea muscipula ou atirape-mouche, ceux des sensitives, végétaux dont les feuilles sé res- serrent comme par instinct sur l’insecte qui paraît les fatiguer par sa présence ? qui n’a admiré enfin les mou- vemens des organes sexuels des végétaux, mouvemens par lesquels les sexes se rapprochent ; et dont Linnæus - avait compris l’ensemble sous le nom allégorique de ma- riage des plantes ? Tous ces mouvemens ne semblent-ils pas l'effet d’uneivolonté , et par conséquent devoir faire | admettre, dans les végétaux , les premiers rudimens au moins de la sensibilité et de la locomotilité ? Ce qui ajoute à la difficulté, c’est l'impossibilite’ où L, ë 4 0 , VÉGÉTAUX ET ANIMAUX. l’on est de reconnaître, autrement que par l’analogie, l’existence de la sensibilité dans les êtres autres que soi. Chacun a la certitude de sa sensibilité ; il se sent vivre; mais personne n’a un moyen absolu de reconnaître celle des autres. D’ordinaire , on dit sensible un être, quand, à la suite d’impressions auxquelles on le soumet , on le voit proférer des cris , exécuter des mouvemens ; mais ces cris et ces mouvemens ne prouvent rien en eux- mêmes; ils n’annoncent la sensibilité qu’autant qu'ils sont les produits d’une volonté qui, par les uns, ex- prime la sensation qu'on éprouve, et, par les autres , cherche: à s'approcher ou à s'éloigner de la cause de cette sensalion, Or , l’on n’a aucun moyen de reconnai- tre qu'ils sont tels ;,et si on le préjuge, comme la vo- lonté: dont on les dérive alors est déjà un acte de sen- sibilité, c’est supposer existante cette sensibilité dont on est en doute ; de sorte que dans cette recherche, on est réellement , comme l’a dit M. Cuvier, dans un cercle vicieux, puisqu'on prouve la sensibilité par la sensibi- lité. Nous n’avons réellement , pour prononcer , d’autre suide.que l’analogie ; mais qui osera indiquer les bornes où cette analogie doit s'arrêter ? et qui ne sait combien nous risquons, d’être trompés par elle ? Ainsi , les caractères tirés de la sensibilité et de la locomotilité, qu’on aurait pu croire d’abord si propres à différencier les végétaux. et les animaux , ne sont pas absolus. Nous pouvons en dire autant de la digestion : ce n’es£ pas qu'aucun végétal en présente la moindre trace ; mais il est impossible d'en aflirmer Fexistence dans tous les animaux : il en est, à l'extrémité du règne, qui sont irop petits pour qu'on puisse réconnaître en eux une ACTIONS. 51 cavité digestive ; probablement ils se nourrissent aussi par l'absorption qu’effectue la surface externe de leur corps, le milieu dans lequel ils vivent contenant leurs matériaux nutritifs tout disposés à être absorbés. Du moins , d’après la gradation que la nature affecte dans l’ensemble de ses créations, on peut croire que les ani- maux les plus simples , les animaux infusoires , par exem- ple, n’ont pas encore de cavité digestive. Relativement au mécanisme de la nutrition dans les végétaux et les animaux , on avait encore indiqué, comme caractères différentiels , que ces derniers ne se substan - taient qu'avec des substances solides ou liquides, tandis que les premiers ne se nourrissaient qu’à l’aide de corps gazeux Ou vaporeux ; mais Cela n’est pas vrai encore dé tous les animaux. On avait dit que les végétaux pui- saient généralement leurs matériaux dans le règne inor- ganique , et les animaux dans l’une et l’autre classe des êtres qui composent le règne vivant; mais les animaux n’usent-ils pas de substances minérales, d’eau, par exemple ? et les végétaux ne prennent-ils pas le plus souvent pour leur nourriture des substances organisées ? qui ne connaît l'utilité des engrais pour la végétation ? Enfin, on avait dit que dans la nécessité où est tout être vivant du contact de l'air atmosphérique, les végétaux puisaient surtout dans cet air le gaz acide carbonique, et y exhalaient de l’oxigène, tandis que les animaux y prenaient cet oxigèné, et y rejetaient du gaz acide carbonique; mais cela ne doit pas s'entendre encore d’une manière absolue : les végétaux ont aussi be- soin d’oxigène pour leur nutrition; une graine ne germe pas dans un air qui ne contient pas ou ne peut fournir ce principe ; et, enfin , dans l'obscurité tout A] 4 VÉGÉTAUX ET ANIMAUX. [Sa D végétal absorbe de l’oxigène, et exhale du gaz acide carbonique. Enfin , il n’y a rien d’absolu encore dans les diffé- rences que nous avons signalées relativement à la repro- duction. D’un côté , beaucoup de végétaux ont les sexes séparés, et portés par des individus différens : dans plu- sieurs, on voit des mouvemens spontanés par lesquels les organes sexuels se rapprochent; dans la rhue, par exemple , les étamines s'inclinent lesunes après les autres sur le pistil pour aller toucher le stigmate avec leurs anthères; dans la fleur de la passion, ce sont, au con: traire, les pistils qui vont chercher les étamines pour être fécondés : ce sont les mouvemens de ce genre qui ont fait douter si la sensibilité existe dans les végétaux. D'un autre côté, indépendamment de ce que beaucoup d'animaux sont hermaphrodites, il en est quelques-uns dans lesquels ce sont des agens étrangers qui sont chargés aussi d'appliquer au germe le principe fécondant et où rien ne paraît volontaire dans cette application; quelques- uns aussi meurent nécessairement après l’acte de la re- production. Ainsi donc , il est vrai qu’on ne connaît jusqu’à pré- sent aucune différence absolue entre les végétaux et les animaux; etil n’est aucune des particularités qu'offre l’un de ces deux règnes qui ne se trouve aussi dans l’autre. Les uns et les autres, par exemple, sont sus- ceptibles de voir quelquefois leur vie se suspendre pen- dant l'hiver , de former des êtres composés, etc. Ces êtres ne diffèrent réellement que du plus au moins; et l’on peut dire d’eux que, bien distincts les uns des au- tres dans leurs espèces les plus compliquées, ils se con- fondent , au contraire , dans leurs espèces les plus sim- ACTIONS. 55 ples : ils forment , comme l’a dit M. Brisseau-Alirbel , deux séries graduées , deux chaînes ascendantes qui partent d’un point commun , mais qui s’écartent l’une de l’autre à mesure qu’elles s'élèvent. Cependant , comme il n’est pas impossible de conce- voir, sans le concours de Ja sensibilité, et par le fait seul d’un organisme heureux , les différens mouvemens partiels des végétaux; comme , d’autre part, l'impos- sibilité de constater l’existence de la sensibilité dans des animaux , n'empêche pas, si on le veut, de regarder la sensibilité et la locomotilité comme les facultés ca- ractéristiques du règne animal, en n’appelant dès lors animaux que les êtres qui offriront évidemment ces fa- cultés, et en avouant qu'il est certains êtres qu’on ne sait trop à quel règne rapporter : d’après ces deux rai- sons , et dans la nécessité où l’on est de trancher la question , nous établissons que les caractères essentiels des végétaux et des animaux, sont la sensibilité et la locomotilité , que ces derniers seuls possèdent. Il nous est d'autant plus permis de raisonner ainsi, qu'ici nous avons à nous occuper spécialement de l’homme , et que ces différences sont absolues pour lui, ainsi que pour les animaux supérieurs. Dès lors , nous pouvons nous expliquer ies différences que nous avions signalées dans la structure des végétaux et des animaux. Si, par exemple, le corps du végétal présente un moindre nombre d’organes que celui de l'animal , c’est que sa vie comprend un moindre nombre ‘d'actions, c’est que cet être a de moins la sensibilité, la locomotilité et la digestion. Si la substance du végétal se réduit à un seul tissu générateur , le tissu vésiculaire ou lamineux , et n’offre pas les tissus nerveux et musculaire , 54 DES ANIMAUX. c'est que ce végétel a de moins la sensibilité et la loco- motilité, dont les tissus nerveux et musculaire sont les instrumens, Tels sont les faits que nous présente l’examen compa- ralif des végétaux et des animaux; et l’on voit que cet examen nous a mis à même de spécifier de nouveaux . phénomènes de la vie, la sensibilité et la locomotilité , “les expressions , le sommeil. Ainsi, nous avons pénétré : plus avant dans le sujet de notre étude, la physiologie de l’homme. Maintenant, laissons les végétaux, et étudions les animaux , auxquels appartient l’homme. CHAPITRE III. Examen comparatif des Animaux. Les animaux sont donc des êtres vivans , que la nature a voulu rendre maîtres de leur existence, en subordon- nant à leur volonté les actes extérieurs qui commencent leur nutrition et leur reproduction. Ce sont des êtres dont la vie plus compliquée comprend, outre les facultés de nutrition et de reproduction, celles de la sensibilité , de la locomotilité, et du langage. Mais ces animaux sont très- nombreux , et surtout offrent de grandes variétés entre eux. Il n’est pas de mon objet de les présenter toutes ici. Je ne dois jeter sur le règne animal qu’un coup d’œil général , afin d’être amené à énumérer tous les phénomènes de la vie de l’homme. Nous allons toujours suivre le même ordre ; c’est-à-dire examiner d’abord la composition matérielle des animaux , puis leurs actions; et nous terminerons en indiquant une classification de ces êtres, et la place qu'occupe l’homme en cette classification. STRUCTURE. 59 ARTICLE ή. Diférences dans la Composition matérielle des Animaux. Les animaux diffèrent beaucoup sous ce rapport; et le volume, la forme, l’organisation intérieure présentent chez eux les oppositions les plus fortes. 1° Relativement au volume, les uns sort microsco- piques, c’est-à-dire tellement petits que la vue de l’homme ne peut les apercevoir qu’aidée du microscope. D’autres, au contraire, présentent une masse de cent pieds et plus de longueur, comme la baleine. Entre ces deux extrêmes, sont tous les intermédiaires possibles. Mais ce premier point de vue ne conduit à aucunes généralités utiles à l’objet de notre étude. 2° Îl n’en sera pas de même de la forme; sur elle re- posent les deux premières classes dans lesquelles on à partagé les animaux. D'abord, il est dés animaux dont la forme ne peut être rapportée à aucune figure connue , dé- terminée , qui sont dits, à cause de cela, n’avoir pas de forme , et qu’on a réunis en une première classe sous le nom d'animaux amorphes ou hétéromorphes. Ce sont les animaux dont l’organisation est la plus simple, la vie composée du plus petit nombre d’actions. Il est , au contraire, d’autres animaux dont la forme est détermi- née , et on en a fait une seconde classe , sous le nom d’a- nimaux morphes. Ceux-ci, dans leur forme, affectent deux types prin- cipaux : ou bien , leur corps offre des rayons qui sont dis- posés autour d’un centre ; ou bien, leur corps est com- posé de deux moitiés semblables qui sont disposées le long d’un axe. Delà, leur partage en deux autres classes, 56 DES ANIMAUX. celle des animaux radiaires ou actino-morphes ; et. celle des animaux binaires , symétriques ou artio- morphes. Les animaux radiaires sont déjà plus compli- qués que les animaux amorphes ; leur sensibilité est plus évidente ; leur organisation moins homogène offre déjà des rudimens du système nerveux , qui est l'agent de cette faculté; mais ils sont les plus simples des animaux mor- phes. C’est, au contraire, à la classe des animaux bi- naires qu'appartiennent les animaux les plus composés, comme on pouvait le concevoir , puisque l’homme en fait partie. Sans doute , ces animaux binaires, considérés sous le rapport de leur forme, présentent encore d’innombra- bles différences. Tantôt ils n’ont qu’un tronc sans ap- pendices ou membres. Tantôt ils présentent nettement ces deux sortes de parties: dans ce dernier cas, les membres sont, ou des nageoires, ou des ailes, ou des pattes, des pieds , des mains, selon le milieu qu’habite l'animal , et les offices que doivent accomplir ces mem- bres. Chez les uns, le tronc est un , et ne se partage pas en plusieurs pièces : chez d’autres, s’isole de lui une partie au moins, la tête, qui contient les principaux organes des sens et l’organe de l’intellect. Ou bien, la peauest nue; ou elle esten entier ou en partie recouverte d'organes défensifs divers, écailles , plames , poils. Tantôt cette peau a la même apparence et la même organisa tion partout; tantôt, en quelques points de son étendue, elle est modifiée de manière à constituer des appareils particuliers qui sont les organes des sens. Enfin , quel- quefois cette peau n'offre aucune ouverture qui commu- nique dans l’intérieur du corps, aucun repli qui s’y en- fonce; et d’autres fois, au contraire, existent dans l'inté- STRUCTURE, 97 - rieur du corps des cavités qui communiquent à son ex- térieur par des ouvertures qui aboutissent à la peau, et dans lesquelles celle-ci paraît s'être repliée. Mais ces diffé- rences , quelque considérables qu'elles soient, ne pré- tent encore à aucune généralité ; et plusieurs tiennent à l’état de l’organisation intérieure. 3° Ce sont les différences relatives à l’organisation intérieure , qu'il nous importe surtout d’énumérer , parce que ce sontelles qui prouvent que la vie a plus ou moins de simplicité ou de complication. D'abord , ilest des animaux, et ce sont les amorphes, ceux qui sont au dernier degré de l’échelle animée, dans lesquels l’organisation est la plus simple possible. D’üne part, le corps n'offre aucune cavité intérieure; d’autre part , toute la masse en paraît homogène , semble être une matière spongieuse, celluleuse, sans distinc- tion possible d’aucuns élémens primitifs , d’aucuns orga- nes particuliers. La surface externe du corps saisit par absorption les matériaux nutritifs ; elle rejette par sa transpiration les matériaux dont l'être se dépure; elle dé- veloppe les bourgeons reproducteurs ; enfin elle accom- plit à elle seule la sensibilité, à supposer que ces êtres si simples en soient doués. ? _ Îlest ensuite d’autres animaux, les radiaires, dans les- quels l’organisation est déjà plus compliquée. D’abord , la surface externe du corps ne suffit plus à l'absorption des matériaux nutritifs ; une cavité existe à cet effet dans l’intérieur, et c'est là le premier rudiment d’un appareil digestif. Cette cavité d’abord n’a qu’une seule ouverture , représente un cul-de-sac; elle n’est encore que le corps lui-même , et n’est pas, comme cela sera par la suite, un organe distinct, flottant dans l’intérieur ; elle semble 58 DES ANIMAUX. n'être que la peau externe qui s’est repliée en dedans pour la former. Mais bientôt, dans quelques radiaires même , elle a deux ouvertures, et traverse le corps de part en part. C’est en elle que l’aliment est reçu et éla- boré, quand l'absorption de la surface externe du corps ne peut plus à elle seule effectuer la préhension des ma- tériaux nutritifs , ou même ne peut plus y servir du tout. D'autre part, l’organisation n’est plus si homogène: dans la masse celluleuse commune, commencent à sa distinguer en rudimens les tissus nerveux et musculaire, agens de la sensibilité et de la locomotilité. Le premier consiste en des corps globuleux, d’une matière blan - châtre et molle , en nombre égal à celui des rayons qui composent l'animal, qu'on appelle ganglions, et des- quels se détachent des filets qu’on appelle nerfs, qui vont se distribuer à toutes les parties, et surtout à la peau externe pour lui donner la faculté du tact, et à la peau interne ou membrane digestive pour la rendre apte aussi à sa fonction. Le second consiste en filamens rou- geâtres ou blanchâtres , qui sont dirigés dans les sens selon lesquels doivent se produire les mouvemens. En un mot, voilà déjà dans ces animaux trois appareils dis- tincts: le digestif, le nerveux et le musculaire, Mais il n’y a pas encore d'organes sexuels, ni de vaisseaux, ni d'organes sécréteurs , ni aucunes parties dures. Enfin , c’est dans les animaux binaires que l’organi- sation présente une série de complicationsconsidérables. D'une part, chacun des trois appareils qui se sont isolés les premiers vont s’agrandir pour leur objet spécial , la nutrition , la sensibilité et la locomotilité, et donner par là naissance à d’autres appareils. D'autre part , il va s'en former aussi de distincts pour la reproduction et SFRUCTURE. 59 les expressions. Parcourons le règne animal sous chacun de ces cinq chefs. Nutrition. Non-seulement la surface externe du corps ne l’effectue plus à elle seule; non-seulement il y à une cavité digestive; mais cette cavité digestive se compli- que , et d’autres appareils lui sont ajoutés. Ainsi, d’abord, cette cavité digestive arrive à avoir deux ouvertures , la bouche pour l'introduction des alimens, et l'anus pour l'expulsion de leurs débris. Ensuite , elle forme un canal qui est distinct du corps, et qui flotte dans son intérieur. Successivement elle cesse d’être un simple repli de la peau externe, mais est formée d’organes qui parais- sent spéciaux , et auxquels on a donné des noms parli- culiers; savoir, la bouche, l'estomac, l'intestin. Dans les radiaires , le produit de son travail, le chyle , avait passé à travers ses parois pour aller imprégner la sub- stance du corps et s’y assimiler : dans la série des ani- maux binaires, au contraire, on voitanparaître des vats- seauæ qui vont pomper en elle le fluide qu’elle a fait ; et c'est là un premier rudiment de ce qu’on appelle un appareil circulatoire. Souvent , enfin, dans les animaux binaires , pour que l’élaboration digestive s’effectue , il y à besoin que des sucs divers , faisant l'office de mens- trues , la salive, la bile, soient versés dans la cavité digestive; et, par conséquent, se montrent dans le voi- sinage de celte cavité les organes chargés de la fabrica- tion de ces sucs, des organes sécréteurs, des glandes , le foie, par exemple. D'autre part,bientôt àla cavité digestive,s’ajoutent d’au- tes appareils nutritifs. De même que cette cavitédigestive s'était développée quand la surface externe du corps n'avait plus pu effectuer l'absorption des matériaux nutritifs , on ! Go DES ANIMAUX. suffire à elleseule à cette absorption ; de mêmeilarrive un degré de complication dans les animaux, dans lequel la sur- face externe du corps ne peut plus effectuer l’absorption de l'air atmosphérique que nous avons dit être nécessaire à toute vie. Alors, une portion de la peau externe se replie aussi au dedans de l’animal , pour constituer un organe chargé decette absorption; et cette autre cavité, distincte de la digestive,est ce qu’on appelle l'appareil respiratoire. Ensuite , cet appareil respiratoire va lui-même , comme le digestif, en se compliquant; tantôt il est apte à rece- voir l’air seul, et est un poumon; tantôt il est propre à recevoir l’eau , et est une branchie. Mais, ce n’est pas tout encore. Quand cet appareil respiratoire existe, il est évident que ce n’est pas au même lieu que sont absorbés, et les alimens , et l'air; et, cependant ce n’est que lorsque celui-ci a modifié Le fluide qui provient des alimens que ce fluide est apte à nourrir les parties. Il faut bien dès lors que des organes condui- sent ce fluide , d’abord de la cavité digestive qui le prépare à l'appareil respiratoire où Pair le modifie; et ensuite, de l'appareil respiratoire , à toutes les parties où il doit être mis en œuvre. Or, ces organes fondent un nouvel appareil, Fappareil circulatoire. Déjà nous en avons indiqué les premiers rudimens dans les vaisseaux destinés à pomper , dans la cavité digestive, le produit de la di- gestion ; mais il est aussi plus ou moins compliqué , tantôt ne consistant qu’en des vaisseaux , tantôt présen- tant de plus des organes d’impulsion appelés cœurs, qui exercent sur ce fluide une action de projection. Enfin, quand le mécanisme natritif des animaux est compliqué , en ce qui concerne la composition , au point d'exiger tous ces appareils distincts , des organes diges- STRUCTURE: 61 üis, respiratoires et circulatoires , il est rare qu'il ne le soit pas de même à l'égard de la décomposition. D'abord, de même que des vaisseaux spéciaux , par une action d'absorption , avaient puisé , dans les appareils digestif et respiratoire , les matériaux extérieurs nécessaires à la composition; de même aussi des vaisseaux recueillent, dans toutes les parties, les matériaux dont elles doivent se dépouiller , et dont le rejet doit effectuer la décom - position. De là la distinetion de deux espèces d’absor- ptions ; une dite externe , ou de composition , qui re- cueille les matériaux venant du dehors pour la compo- sition ; et une dite interne , ou de décomposition, qui recueille les matériaux provenant du corps animé lui- même, et qui doivent être rejetés. Les vaisseaux qui accomplissent cette dernière peuvent même être d’une ou de deux sortes , des veines et des lymphatiques. En- suite, la peau externe , qui, dans les derniers animaux, suffisait à la décomposition par la transpiration dont elle est le siége, ne peut plus l’effectuer seule ; certains or- ganes sécrétoires ajoutent leur action à la sienne, et principalement les organes de la dépuration urinaire. Ainsi, les animaux binaires offrent , sous le rapport de leur nutrition, une organisation de plus en plus com- pliquée ; et l’homme est à cet égard au plus haut rang. Sensibilité. À partir des animaux binaires , l'appareil de cette fonction se complique aussi, etil arrive à consti-. tuer le premier rouage de toute l’organisation. D'abord , à certains lieux de la surface externe du corps , et à l'entrée des cavités digestive et respiratoire, se développent des organes de sens spéciaux , de vue, d’ouïe , de goût et d’odorat. En second lieu , le système nerveux ne consiste plus en quelques ganglions épars ; mais, d’abord, parmi 62 DES ANIMAUX. ces ganglions, il en esl un qui devient centre pour tous les autres; et ensuite, tout le système se compose constam- ment de trois sortes de parties : 1° une masse nerveuse plus ou moins grosse, appelée encéphale, située le plus souvent dans une cavité distincte, la cavité du crâne dans la tête, envoyant des nerfs aux organes des sens et présidant aux fonctions des sens et à l'intelligence; 2° un long cordon nerveux appelé moelle spinale, four- nissant des filets à tous les muscles de la locomotion , et leur transmettant les ordres de la volonté; 5° enfin, ce qu’on appelle le grand sympathique, assemblage de di vers ganglions , les analogues de ceux qui existaient dans les derniers animaux , qui envoyent des nerfs aux organes de la nutrition et de la reproduction, et liennent sous leur dépendance toutes les actions de l’éconemie animale qui sont irrésistibles et non perçues. Il y a , en effet , ceci de remarquable, c’est que, bien que le système nerveux soit l'agent spécial de la sensibilité; dans les animaux élevés, une de ses portions se subordonne les organes chargés des actions de la nutrition et de la reproduction , de sorte qu’il devient le rouage suprême des animaux; et cette portion estcette dernière que nous venons d’appelerle grand sym- pathique. En troisième lieu, ces trois parties constituantes du système nerveux, varient beaucoup dans la série des ani- maux binaires par le volume, la situation et la dépendance dans laquelle elles sont les unes des autres. Ainsi , l’encé- phale est d'autant plus volumineux , relativement au reste du système nerveux , quel’on s'approche plus de l’homme et des autres animaux supérieurs, et que les actes les plus élevés de la sensibilité , savoir, les facultés intellectuelles et morales , sont plus nombreux et plus puissans. Get encéphale le plus souvent est dans une cavité distincte, STRUCTUREs 65 celle du crâne; mais, lorsque cela n’est pas, et qu’il est renfermé dans la même cavité que les autres viscères , i est toujours au moins situé au-dessus de l’æsophage, ou du canal digestif. Quant à la moelle spinale , elle est située sur le côté de l'appareil digestif dans certains ani- maux, ceux qu’on appelle les mollusques; au-dessous. dans certains autres, ceux qu’on appelle les insectes ; et enfin , au dessus dansles animaux supérieurs , ceux qu’on appelle les vertébrés. Dans ce dernier cas, l’animal a toujours des parties dures ; et les deux parties nerveuses principales, l’encéphale et la moelle spinale, sont en- fermées dans une cavité que forment ces parties dures, qui est située sur la ligne médiane , et règne dans toute l'étendue du tronc. Enfin , bien que ces diverses parties nerveuses aient chacune leurs fonctions propres , elles communiquent toutes entre elles, semblent dès lors ne former qu'un seul système; et surtout sont d’autant plus dépendantes de l’une d'elles, l'encéphale, que l'animal est plus élevé .dans l’échelle et se rapproche plus de l’homme, que l’animal est plus âgé , et que la fonc- tion à laquelle elles président est plus élevée dans l’ani- malité. 5° Locomotilité. L'appareil de cette fonction, qui a commencé à s'isoler dans les animaux radiaires, va aussi, en se compliquant, dans la série des animaux bi- naires. D'abord, il en est dans lesquels il ne se com- pose encore que de ces fibres rouges ou blanches , con- tractiles, dont l’ensemble est appelé système musculaire ; ceux-là, par conséquent, ne contiennent encore dans leur organisation aucunes parties dures. Mais ensuite, ces animaux offrent des parties dures, qui forment la charpente de leur corps, les leviers de leurs membres, 64 DES ANIMAUX. et qui, influant par leur disposition, leur mode d’ar- ticulation , sur la direction des mouvemens, devien- nent partie intégrante de l'appareil locomoteur. Ces parties dures sont même de deux sortes; ou extérieures , des dépendances de la peau et développées dans l’é- paisseur de cette membrane ; ou intérieures, consti- tuant des organes particuliers, des os. Dans le premier cas, le système musculaire est au dedans des étuis cornés qu'il doit mouvoir; et, dans le second , il est au contraire en dehors, et disposé autour des os. Les insectes nous offrent un exemple du premier mode d'organisation , et les animaux dits vertébrés nous en offrent un du second. C’est dans ce dernier que les os, en même temps qu'ils forment ce qu’on appelle, par opposition aux muscles , les organes passifs du mou- vement, servent aussi à constituer des cavités dans lesquelles sont contenus les centres nerveux, l’encé- phale et la moelle spinale : sur la ligne médiane, et dans toute la longueur du tronc de l'animal, règne une . suite d’os appelés vertèbres, unis entre eux, tantôt d’une manière immobile, tantôt d’une manière mobile, et qui forment une cavité, celle du crâne et du rachis, dans laquelle sont logés l’encéphale et la moelle spinale. L'existence de cet axe vertébral fonde alors le trait le plus saillant de l’organisation de ces animaux, et de là le nom de vertébrés qui leur a été donné. Nous n'avons pas besoin de dire que l'animal, tantôt est sans mem- bres, tantôt en a; et, que dans ce dernier cas, ces membres sont, ou des nageoires , ou des ailes, ou des pattes, ou des pieds, selon qu’il doit se mouvoir dans l’eau, dans l’air ou sur la terre. Les animaux, considérés sous ce même point de vue, sont privés ou doués d'organes ACTIONS. 65 de préhension , et ceux-ci sont très-divers , des trompes, des mains, etc. : 4° Expressions. Les animaux diffèrent beaucoup aussi relativement aux organes d'expression : tantôt ils parais- sent n’en point avoir de spéciaux , leurs sentimens étant manifestés par de simples changemens dans leur pose , leur attitude , l’état extérieur de leur peau; tantôt ils possèdent un organe propre à produire des sons ,. une espèce d’instrument à vent et à anche, situé sur Je tra- jet des voies respiratoires , et qu’on appelle larynæ. 5° Reproduction. Enfin , il n’y a que les derniers ani- maux qui se reproduisent seuls ,.et à l'aide de bourgeons que développe la surface externe de leur corps. Bientôt existent des organes spéciaux pour la reproduction , les organes sexuels. Ces organes sont de deux sortes : les mâles préparant un fluide destiné à féconder le germe, et propres à appliquer ce fluide au germe ; les femelles pro- duisant le serme et lui fournissant un asile dans les pre- miers temps de son développement. Tantôt ces organes sont réunis sur un même animal. Tantôt ils sont séparés, et l'espèce animale est partagée alors en deux individus, le mâle et la femelle; d’où est venu le nom de sexe, donné aux organes génitaux qui décident ce partage. Ils sont eux-mêmes plus ou moins compliqués dans la série des animaux. Dans le mode le plus simple, ils consistent : le mâle, en une glande appelée testicule , sécrétant le fluide fécondant appelé sperme, et dans le canal excréteur de cette glande; la femelle., en un or- gane producteur des germes , l'ovaire , et le canal excréteur de cet ovaire. Mais bientôt l’un et l’autre sexe se. complique : l'appareil génital mâle offre de plus un organe d’excitation propre à porter le sperme jusque 1. 5 66 DES ANIMAUX, dans le sein de la femelle , pour aviver le germe, lorsque celui-ci est encore attaché à l’ovaire qui le porte; c’est ce qu'on appelle une verge, un pénis : l'appareil géni- tal femelle offre deux nouveaux organes; un réservoir appelé matrice ou utérus, où l'œuf fécondé vient se mettre en dépôt, s'attacher , et éprouver ses premiers développemens ; et un appareil glanduleux, les ma- melles , destiné à préparer le lait, qui doit servir d’ali- ment à l'individu nouveau dans les premiers temps de sa vie isolée. Telles sont les grandes différences que présentent les animaux considérés sous le point de vue de leur struc- ture. Elles vont se remontrer à nous, ét être mieux concues dams la comparaison que nous allons faire des animaux sous le rapport de leurs actions. AnTice Il. Différences dans les Actions des Animaux. Les animaux ne diffèrent pas moins à cet égard, et c'est même ce qui a décidé toutes les différences qu'ils nous ont présentées dans leur organisation. C’est par des procédés plus ou moins simples ou compliqués qu’ils accomplissent leur vie. Pour le prouver , comparons-les successivement , relativement à chacune des cinq facul: tés dont ils jouissent , sous les points de vue de leur sen- sibilité , de leur locomotilité , deleurlangage , de leur nu- trition et de leur reproduction; et eu égard à la dépen- dance ou à l'indépendance dans laquelle sont les unes des autres leurs diverses parties et leurs diverses actions. 1° Sensibilité. Tous les animaux possèdent cette fa- culté ; tous lui doivent d’avoir un mot qui perçoit, qui veut, d’avoir la conscience de leur existence; mais tous | | | | | | ACTIONS. 07 n'en jouissent pas au même degré. D'abord les zoolo- gistes croient qu'il est des animaux qui peuvent bien sentir les impressions que font sur eux les corps exté- rieurs, mais qui ne peuvent nullement réagir sur ces corps, qui n'ont aucun des sentimens qui les provoquent à agir; ce sont ceux dans lesquels le système nerveux n'offre pas, parmi les ganglions qui le composent , un ganglion qui soit central. Si de tels animaux existent, c’est chez eux que la sensibilité est Ja plus restreinte, Dans tous les autres animaux, non-seulement l'être perçoit les impressions externes ou internes qui le frap- pent. mais encore 1l a les sentimens intérieurs qui le provoquent à agir ; et sa sensibilité comprend alors deux espèces d'actes , les sensasions par lesquelles il recoit des impressions, et les actes intellectuels et affectifs par lesquels à est sollicité à des actions diverses, Mais ces deux sortes d’actes qui constituent la sensi- bilité des animaux, sont multiples généralement , et plus ou moins nombreux dans la série de ces êtres. Ainsi, les sensations d’abord sont externes ou internes , selon que la cause impressionnelle qui les détermine est exté- nieure ou intérieure au corps de l'animal; et les unes et les autres sont plus ou moins nombreuses. Quelques animaux , par exemple, n’ont qu’un seul sens, le tact ; d’autres en ont un ou deux de plus, le goût et l’odorat; enfin, les animaux supérieurs en ont cinq, ces trois premiers , plus, l’ouie et la vue. Ces sens peuvent en outre être plus ou moins délicats, plus ou moins exquis. De même , les sensations internes sont en plus ou moins grand nombre, selon que le mécanisme de la nutrition et de la reproduction est plus compliqué ;, nécessite un plus ou moins grand nombre de fonctions distinctes, 5* 68 LES ANIMAUX. et surtout de fonctions réclamant un rapport avec l’exté- rieur : à elles se rapportent les sensations de la faim , de la soif , du besoin de respirer, les besoins des excré- tions , etc. Nous en dirons autant de l’autre ordre d’actes sensitifs, des facultés intellectuelles et affectives. Destinées à faire connaître le monde extérieur, et à commander les actions, les unes et les autres sont d’autant plus nombreuses dans un animal, que cet être a plus de rapports à établir avec l’univers , soit pour sa conservation, soit pour le rôle qu’il est appelé à y remplir. Aïnsi, dans les uns, elles sont peu nombreuses et peu étendues, bornées à des instincts matériels: dans d’autres, elles se multi- plient et s’agrandissent par degrés , jusqu’au point de comprendre parmi elles des facultés morales, c’est- à-dire celles auxquelles on doit des notions de juste et d’injuste , des notions de religion , comme cela est chez l’homme , qui seul a cet attribut, et est par lui distingué de tous les animaux. 2° Locomotilité. Tout animal jouit de la faculté de se mouvoir, et doit à cela d’être le maître de son exis- tence; mais tous ne possèdent pas cette faculté au même degré. Les uns ne pouvant pas se mouvoir en masse, et restant , comme les végétaux , fixés à la même place , n’exécutent que les mouvemens partiels que ré- clame leur conservation ; ils prennent leurs alimens, l'air dont ils ont besoin , etc. Les autres , au contraire, indépendamment de ces mouvemens partiels, se meu- vent en totalité, ont une progression. Souvent même alors , leur corps a besoin d’une action spéciale pour être maintenu dans sa pose naturelle , pour que les di- verses parliés qui le forment ne se dérobent pas les unes ACTIONS. 69 sous les autres ,,et cela constitue une station. La loco- motilité s'étend donc graduellement dans la série des animaux , depuis ceux où elle consiste en de légers mouvemens partiels utiles à la nutrition et à la repro- duction , jusqu'à ceux dans lesquels elle accomplit la station et la progression de l'être. Il y a ensuite beau- coup de variétés dans le mode selon lequel ces dernières sont effectuées : tantôt elles se font sans le concours de membres, tantôt c’est le contraire; ici, elles ont lieu sur la terre, là, dans l’air , dans l’eau, etc. Par exem- ple , pour ce qui est de la station, elle est, ou passive , ou active : passive, quand le corps repose de toute sa longueur sur le sol, ou est soutenu dans un liquide dont la pesanteur spécifique est plus considérable que la sienne ; active, quand le corps est composé de plusieurs pièces, et qu’il faut des efforts musculaires pour main- tenir ces pièces fixées les unes sur les autres. La station active ensuite se distingue selon le nombre et la posi- tion- des membres qu’elle exige ; 6n admet, pat exem- ple, une station multipède, qui est celle dans laquelle il y a autant de paires de membres que d’anneaux au corps ; une station quadrupède , dans laquelle il n’y a plus que deux paires de membres placées aux extrémités du corps ; et une station bipède, dans laquelle il n’y a qu'une paire de membres située à l’extrémité posté- rieure du corps, et sur laquelle celui-ci est relevé. Ces différencess’appliquent de même à la progression ; elle se fait sans ou avec des membres; et, selon qu'elle a lieusur la terre, dans l’air ou l’eau, ces membres sont différem- ment figurés. Enfin , les mouvemens partiels sont eu: mêmes plus ou moins nombreux dans les animaux, selon que ceux-ci sont plus élevés dans l'échelle , et ont 70 DES ANIMAUX, une vie plus compliquée. Si ces animaux ont des sens, une digestion, une respiration, il y a autant d’appa- reils locomoteurs distincts, pour diriger les sens du côté d’où viennent les excitans, pour prendre les alimens, pour saisir l'air ; s'ils ont un organe de préhension , ils pourront le mouvoir , etc. 3° Expressions. Nous avons dit que, parce que les ani- maux avaient des sentimens et des volontés , ils avaient aussi un langage ; mais ce langage varie chez eux comme leur sensibilité avec laquelle il est toujours en rapport. Chez ceux dont la sensibilité est restreinte , et le pouvoir sur la nature borné , il se réduit à des phénomènes ex- pressifs qui ne sont sensibles qu'à la vue , qu'on appelle gestes, et qui consistent en des changemens dans la pose , les mouvemens de l’animal, dans l’état de colo- ration de la peau, etc. Chez les animaux supérieurs , au contraire , dont les sentimens sont plus multipliés , l'influence sur l’univers plus grande , chez ceux surtout qui sont destinés à une vie sociale , outre le premier ordre de phénomènes expressifs , il en est d’autres qui consis- tent en des sons que l’animal peut même articuler; et il én résulte des actions très-intéressantes, celles de læ voiæ et de la parole. | 4° Nutrition. Tous les animaux se conservent, comme individus , par une nutrition. Mais cette nutrition, d’après l’idée que nous en avons donnée, ne peut être ün acte simple : elle est toujours Le résultat de plusieurs actes, qu'on appelle fonctions; et ces fonctions sont, chez les divers animaux, en plus ou moins grand nom- bre , et ont dans chacun d’eux un degré plus ou moins grand de complication. Toute nutrition , en effet, comporte nécessairement ACTIONS. 74 que quelques matériaux soient pris dans l’univers , dans les corps extérieurs ; parmi ces matériaux doit être absolument de l’air, ou au moins un de ses principes , l’oxigène ; ces matériaux ne sont pas appliqués à l’être vivant sous leur forme propre ; ils sont d’abord élabo- rés par lui; et, ce n’est qu'après, qu’ils sont assimilés aux organes , en même temps que ceux-ci sont dépouil- lés de quelques-uns des matériaux qui les composaient préalablement. Or , il y a quelques animaux dans les- quels ces actions diverses , toute cette série de phéno- mènes, semblent s'effectuer en même temps et au même lieu, être confondues ensemble; tandis qu’il en est d’autres dans lesquels ces actions sont produites par des organes différens, en des temps différens, et s’enchaînent et se succèdent entre elles, de manière à ce qu’on en fasse autant de fonctions séparées dont la nutrition sera le résultat. Ainsi, dans les animaux les plus simples, la nutri- tion ne semble résulter que du concours de deux actions, l’une pour la composition, et l’autre pour la décompo- sition; savoir, une absorption et une exhalation ou transpiration. Ces animaux , en eflet , absorbent par la surface externe de leur corps, l’air et les divers élémens nutritifs dont ils ont besoin ; en même temps que ces matériaux sont ainsi absorbés, ils recoivent la forme nouvelle sous laquelle ifs sont propres à être assimilés à l'être; et, comme celui-ci a peu de volume , cette ma- tière ainsi élaborée est aussitôt appliquée aux organes, ét assimilée à leur substance. La matière absorbée ne se laisse pas voir dans l'intervalle du lieu où elle a été äbsorbée , et de celui où elle a été assimilée. La part qu'a l'air dans la nutrition, et que nous verrons ailleurs étre 2 DES ANIMAUX. Ce | isolée sous le nom de respiration; l'action par laquelle le fluide qui résulte de labsorption est porté aux or- ganes où il doit être mis en œuvre , et que nous verrons aussi ailleurs être isolée sous le nom de circulation; cette autre action par laquelle chaque organe s’appro- prie ce fluide qui a été fait au loin et qui lui a été ap- porté, et qu’on isole aussi sous le nom d’assimuilation : toutes ces actions sont ici confondues en une seule, l'absorption. En même temps, une exhalation , effec- tuée aussi par la surface externe de l'être , le débar- rasse d’une certaine quantité de la matière qui le for- mait. Mais, dans d’autres animaux, successivement le mé- canisme par lequel s’accomplissent la composition et la décomposition se complique ; et comporte un plus grand nombre d'actions. D'abord l’élément ambiant, dans le- quel l'être vit, ne contient plus, tout disposés à être absorbés , les matériaux nutritifs ; il faut que ce soit l’a- nimal lui-même qui leur imprime cette disposition, et cela dans une cavité digestive. La nutrition comprend alors une action de plus, la digestion, fonction pré- paratoire qui dispose la matière nutritive à être absor- bée. En second lieu, quand il existe une digestion, comme c’est dans une cavité intérieure que se fait l’absorption de la matière nutritive, on conçoit que l'air, qui est nécessaire à toutè vie, ne peut être ab- sorbé en même temps, au même lieu que celle-ci; son absorption souvent alors se fait à part, et con- stitue une nouvelle action ou fonction, qui s'ajoute aux précédentes , et qu’on appelle respiration. Dans ces cas, la matière absorbée se laisse voir dans l'intervalle du lieu où elle a été absorbée, et de celui où elle est assi- ACTIONS. 73 milée ; elle se montre sous la forme d’un fluide, qui est conduit de l’un de ces lieux à l’autre. En troisième lieu , lorsque , dans le mécanisme de la nutrition d'un animal, il y a concours d’une digestion et d’une res- piralion , comme le fluide que l’absorption a recueilli dans la cavité digestive n’est apte à nourrir les organes qu'après qu'il a été modifié par le contact de l'air, il en résulte qu'il faut que ce fluide aille se soumettre au contact de cet air dans l'organe de la respiration, pour être porté ensuite aux parties qu'il doit nourrir: pour cet eflet il est recu dans une suite de vaisseaux qui le portent, d’abord de la cavité digestive à l'organe de la respiration , et ensuite de cet organe de la respiration à toutes les parties auxquelles il doit être assimilé; et c’est là une nouvelle action , qu’on appelle cireulation. Dans tous ces cas, les divers matériaux nutritifs n’accom- plissent pas immédiatement la composition, mais seu- lement sont changés en un fluide distinct , appelé sang, lequel va ensuite s’assimiler aux parties. Mais, comme alors on peut séparer distinctement les actions par lesquelles se fait le fluide destiné à la nutrition , de celle par laquelle ce fluide est assimilé aux divers or- ganes , on a fait une cinquième fonction de cette der- nière action , sous le nom de nutrition proprement dite ou assimilation. Enfin , le mouvement de dé- composition s'exécute aussi dans les animaux avec plus ou moins de simplicité ou de complication. Dans les uns, il est accompli par une simple exhalation ou transpiration qu'effectue la surface externe du corps, la peau. Mais dans d’autres , c’est d’abord une action d'absorption , qu'on appelle interne par opposition à l'absorption composante , pour faire entendre que les 74 DES ANIMAUX. matériaux qu’elle recueille sont pris en dedans et non en dehors du corps , qui saisit dans les organes les élémens dont l’économie doit se dépurer; et cette absorption peut être unique ou double, Ensuite , au lieu d’une transpiration externe pour effectuer à elle seule la décomposition , il y a concours de plusieurs autres excrétions , etsurtout existence d’une principale, appelée dépuration urinaire. Ainsi la nutrition exige chez les animaux , dans son mécanisme le plus simple, le concours de deux fonc- tions , l'absorption et une transpiration cutanée; et, dans son mécanisme le plus compliqué, celui de six, la di- gestion , l'absorption, la respiration, la circulation, l'assimilation et les eæcrétions. Mais ce n’est pas tout : chacune de ces fonctions est ensuite elle-même plus ou moins complexe; et nous allons les passer rapidement en revue , pour signaler au moins celles des complications qui sont les plus im- portantes, et qu'il nous imporie de faire connaître d’abord. | Digestion. La digestion offre dans la série des animaux de nombreux degrés de complication; depuis le cas où son organe consiste en un simple repli intérieur de la peau , n'ayant qu’une seule ouverture , et qui peut même être impunément retourné ; jusqu’à celui où cet organe occupe toute la longuenr du corps, d’une de ses extré- mités à l’autre , et est partagé en plusieurs cavités succes- sives quifont toutes éprouver à l'aliment üne élaboration distincte. Dans le premier cas, l’animal probablement se nourrit à la fois, et par ce qu’absorbe sa peau externe et par ce qu'il digère ; car on peut le retourner , et faire que la peau externe devienne la cavité digérante, et que ACTIONS. 79 la cavité digestive devienne la surface exhalante. Dans le second , beaucoup de variétés sont possibles, mais il est inutile de les énumérer ici. Absorption. Dans les animaux les plus simples , cette action effectue à elle seule la nutrition; c’est-à-dire tout à la fois saisit, élabore les matériaux nutritifs et les assi- mile aux organes , eëten même temps retire du corps une partie de la matière qui le formait, pour la rejeter au dehors sous formée de transpiration. Dans ce mode le plus sinple, elle est vraiment la nutrition toute entière. Et cependant on voit déjà qu’elle est de deux espèces ; lPune qui puise au dehors les matériaux extérieurs des- tinés à la recomposition du corps, et qu’on peut appeler absorption externe ou de composition ; l’autre qui retire des organes les matériaux qui doivent être remplacés et excrétés , et qu’on peut appeler &bsorption interne ou de décomposition. Mais, toute moléculaire , elle n’est re- connue que paf ses résultats ; on ne distingue ni ses agéns ni ses produits; et c’est immédiatement qu’elle effectué. la composition et la décomposition. Dans les animaux supérieurs, où la nutrition comprend dans son mécanisme le concours d’une respiration, d’une circulation, etc. , l’absorption présente bien plus de complication. Sans doute, elle est encore de deux sortes, externe et interne ; mais l’une et l’autre vont sé montrer avec d’autres traits. D'abord, on ne rattache plus à l'absorption externe celle de l'air; on en fait, comme on l’a vu, une fonction séparée sous le nom de respiration. Ensuite, cette absorption externe est ap- pelée alimentaire ou digestive, parce que c’est sur les alimens et dans l’intérieur de la cavité digestive qu’elle se fait. En troisième lieu, on en distingue et les agens et " 70 DES ANIMAUX. le produit ; les uns sont un système de vaisseaux appelés chylifères , qui ont leurs orifices ouverts dans la cavité digestive; l’autre est un fluide appelé chyle. Enfin ce n’est pas immédiatement que cette absorption effectue la composition, elle forme seulement le fluide chyle, lequel ensuite-ne sera assimilé aux organes que lorsque la respiration l’aura changé en sang artériel. De semblables différences existent dans labsorption interne. D'abord , elle ne s’exerce pas seulement sur les matériaux qui ont besoin d’être repris dans l’intérieur des organes , et de l’extraction desquels dépend la décom- position ; elle recueille encore beaucoup de sucs sécrétés divers qu’a nécessités l’organisation complexe des ani- maux supérieurs, et qui versés sans interruption sur des surfaces qui n’ont pas d’issue au deñors, augmen- teraient indéfiniment , si l’absorption ne les enlevait pas en même proportion qu'ils sont produits : elle agit même sur lesmatières excrémentitielles de l’économie, dont elle saisit quelques parties, pendant que ces matières par- courent les voies de leur excrétion. Ensuite on distingue également et ses agens et ses produits ; des systèmes de vaisseaux l’effectuent, et des fluides distincts en sont le résultat. Seulement , tantôt il n’y a qu’un seul ordre de vaisseaux pour l’accomplir , des veines , et, par consé- quent , qu’un seul fluide qui en dérive , le sang veineux ; tantôt il y a deux ordres de vaisseaux, des veines , et ce qu’on appelle des vaisseaux lymphatiques ; etalors deux fluides en représentent les produits, le sang veineux et la {ymphe. Enfin, ce n’est pas immédiatement non plus que cette absorption effectue la décomposition ;: elle forme seulement les fluides sang veineux et Iymphe ; et ce n’est encore que lorsque ceux-ci auront été chan- ACTIONS, 77 gés comme le chyle par la respiration en sang artériel, que les organes des excrétions en retireront ce qu'ils doi- vent rejeter au dehors. Ainsi, dans les animaux supérieurs , l’absorption , tant externe qu’interne , au lieu d’effectuer immédiatement la composition et la décomposition du corps, comme dans les animaux inférieurs , sert seuiement à fabriquer des fluides , qu’ensuite la respiration changera en sang artériel ; et ce n’est que dans ce sang artériel que seront pris , et les matériaux de la composition et ceux dela dé- composition. L’absorption digestive, en effet, donne naissance au chyle; l'absorption interne , au sang veineux et à la lymphes ces trois fluides alors se mêlent , et ,con- duits de concert à l'organe de la respiration, y sont chan- gés en sang artériel; enfin c’est le sang artériel qui, tout à la fois , est assimilé aux organes pour la composi- tion, et fournit aux excrétions pour la décomposition. De à il résulte, 1° que les matériaux de l'absorption interne que jusqu'ici nous avions présentés comme re- Jatifs seulement à la décomposition du corps, servent aussi à sa composition, puisqu'ils concourent , comme ceux de l'absorption externe, à la formation du fluide général, le sang artériel. Et, en effet, puisque les ani- maux peuvent plus ou moins continuer de vivre encore quelque temps sans manger, n'est-ce pas-une preuve que leur sang se renouvelle un peu avec ce qui est pris au dedans d'eux-mêmes ? 2° que l’absorption , dans les ani- maux supérieurs, est évidemment multiple, de trois espèces ; savoir : la chyleuse , la veineuse et la lympha- tique; et peut se définir, la fonction par laquelle sont re-- cueillis les matériaux nutritifs , tantexternes qu’internes, et sont fabriqués les fluides qui serviront de base à la 76 DES ANIMAUX. composition du fluide genéral de la nutrition , le sang artériel. Respiration. La respiration s'entend de la préhension de Fair par un organe distinct , et séparément de l’action d'absorption qui saisit les autres matériaux nutritifs. A ce titre, elle n’existe déjà que dans des animaux élevés. Ce n'est pas que l'air ne soit nécessaire à la vie de tout être vivant; tout végétal et tout animal meurent, si on les prive du contact de cet important élément; mais il paraît que chez ceux de ces êtres qui se nourrissent par une äbsorption de la surface externe du corps , et qui trouvent dans l’élément ambiant leurs matériaux nutri- üfs tout préparés, l'air fait subir à ces matériaux l'in fluence nécessaire , avant que l’absorption s’en saisisse , ou plutôt au moment même de cette absorption. Au contraire , chez ceux qui se nourrissent par leur inté- rieur, à l’aide d’une cavité digestive , cela ne pouvait plus être ; et il a fallu la modification qui constitue la respiration. Or, il y a déjà , dans les animaux , deux différences àl’égard de cette respiration, Chez les uns, les insectes, par ëxemple , qui sont les premiers qui offrent cette ac- tion , elle se fait par des trous qui sont en certains nom- bre: sur les côtés du corps de l'animal , et qui sont les orifices de vaisseaux appelés trachées, et qui seramifient dans toutes les parties : l'air extérieur pénètre par ces trous, est conduit par les trachées dans toutes les par- ties; et, appliqué:au fluide nutritif lorsque celui-ci est arrivé aux organes , il l’élabore à l’instant même où son assimilation va se faire, Dans les autres animaux , au contraire ; il y a dans le corps un organe distinct, qui, d’une part , absorbe J'air, qui de l’autre reçoit les fluides ACTIONS. 79 des absorptions externe et interne , dans lequel se fait l'élaboration importante de la sanguification , et d’où part ensuite le sang artériel, une fois fait, pour aller nourrir les organes. En un mot, chez les uns, la respi- ration est dite disséminée , et chez les autres elle est locale. Le résultat , dans les deux cas , est sans doute le même : mais tandis que dans les insectes c'était l'air qui allait chercher le fluide nutritif pourle vivifier , dans les autres animaux, c’est le fluide nuiritif qui va chercher l'air dans un organe particulier pour en subir l'influence. Du reste, remarquons quel lien existe entre tous les animaux , malgré leurs dissemblances; la cavité diges= tive n'était prunitivement qu'un prolongement, dans l'in térieur de l’anumal, de la peau externe, qui, dans les êtres plus simples , eflectuait seule l'absorption nutritive ; de même aussi, les trachées ou Les poumons, ne sont qu’un même prolongement de cette peau externe, qui d’abord effectuait seule la respiration. De plus, c’est tantôt l'air en nature, et tantôt l’air mêlé à l’eau , que les animaux respirent ; et cette diffé. rence s’observe , soit que la respiration soit disséminée , soit qu’elle soit locale. Ainsi , dans le premier cas , les trachéts sont ou aérifères , ou aquifères. Dans le cas de la respiration locale , si c’est l'air en nature qui est res- piré, l'organe respiratoire est ce qu’on appelle un pou- mon, c’est-à-dire un sac dans l'intérieur duquel pénètre” V’air, et à la surface interne duquel viennent couler les fluides à sanguifier. Si c’est, au contraire , l’air mêlé à l’eau , l'organe respiratoire est ce qu’on appelle une bran- chie , c’est-à-dire un assemblage de feuillets recevant , dans les vaisseaux qui les forment , les fluides asanguifier, et à Ja surface ‘externe desquels coule l'élément aqueux 80 DES ANIMAUX. qui sanguifie. Sous ce rapport les animaux se partagent en aériens et aquatiques. Les quadrupèdes et les oi- seaux ont des poumons ; les poissons des branchies; et certains reptiles ont à la fois des poumons et des bran- chies, ce qui les a fait appeler amphibies. Circulation. La circulation est aussi une fonction élevée, et qui n’existe que dans les animaux supérieurs. D'abord , s’entendant principalement du mouvement pro- gressif du fluide nutritif général, du sang , elle ne peut exister que dans les animaux qui ont un sang , et manque par conséquent dans ceux chez lesquels les matériaux nutritifs accomplissent immédiatement la nutrition. En- suite , ce mot circulation ne désigne pas seulement une progression quelconque du fluidenutritif, mais il exprime que ce fluide , dans son cours , décrit un cercle qui part d’un lieu pour revenir à ce même lieu ; et, sous ce second rapport , la circulation n'existe que dans les animaux qui ont une respiration locale , et des absorptions externe et interne distinctes. En effet , dans cés animaux, les fluides des absorptions digestive el interne sont recueillis, dans leurs parties respectives, par des vaisseaux , les chylifères, les vaisseaux lymphatiques etles veines ,pour être conduits à l'organe dela respiration. Cela était nécessaire, puisque l'air est seul capable de rendre assimilables les matériaux nutritifs que représentent ces fluides , et de les changer en sang. D'autre part , d’autres vaisseaux recueillerst , dans l’organe de la respiration , le sang artériel qui y est fait ; et le conduisent aux parties qu’il doit nourrir. Or, comme c’est à ces parties que commencaient les prin- cipaux vaisseaux des absorptions , ceux dans lesquels ont abouti tous les fluides destinés à faire le sang, les veines, on voit que:le fluide a réellement décrit un cercle. ACTIONS: 61 Mais la circulation présente, dans les animaux qui la possèdent ; des différences relativement au degré de complication de l'appareil qui fait circuler le sang; et relativement au cours que suit ce fluide. Sous le premier rapport , tantôt la circulation n’est effectuée que par des vaisseaux, les uns afférens, portant le sang de l’or- gane respiratoire aux parties ; les autres référens , rap- portant le sang des parties à l’organe respiratoire; vais- seaux bien distincts, car ce n’est pas un même sang qui y circule, et ce sang circule dans chacun d’eux dans une direction opposée. Tantôt, outre ces vaisseaux , il existe un muscle creux placé sur leur trajet, dans un point déterminé de l’espace qu'a à parcourir le sang, muscle creux recevant ce fluide dans son intérieur , des- tiné à Lui imprimer un mouvement par ses contractions, et qui est ce qu'on appelle un cœur. Seulement, comme le cours du sang est continu, ce cœur est nécessairement composé de deux cavités qui se suivent et communiquent, l’une par laquelle il reçoit le sang , et l’autre par laquelle il le projette; il était, en effet, impossible qu’une même cavité pût à la fois, et se dilater pour recevoir le sang, et se contracter pour le lancer ; la cavité quirecoit, s’ap- pelle oreillette, et celle qui projette , ventricule, Sous le second rapport , celui du cours que suit le sang , la circulation présente une différence encore plus importante. Il est des animaux dans lesquels il n’est pas nécessaire que le sang qui revient des parties, aille en entier se refaire dans l'organe de la respiration ; une partie seulement y est conduite, et suflit pour revivifier toule la masse. Il est d’autres animaux, au contraire , chez lesquels tout sangrevenant des parties doit, à chaque cercle circulatoire, repasser en entier par l'organe de la 1. 6 82 DES. ANIMAUX. respiration , etne peut être renvoyé aux parties qu après avoir été rétabli dans cet organe, sang artériel. Dans le premier cas, il n’est pas nécessaire que les deux sangs restent isolés: dès lors il n’y a qu’un seul cœur , à l’oreil- lette duquel aboutissent à la fois, et le sangrevivifié, arté- riel, qui revient de l’organe de la respiration, et le sang veineux qui revient des parties ; ces deux sangs se mêlent dans son intérieur, pour être ensuite projetés , en partie à l’organe de la respiration, et en partie aux organes qui doivent êlre nourris ; le fluide , dans son cours, ne décrit qu’un seul cercle qui commence au cœur, et la circulation est ce qu’on appelle simple ; le cœur est un, et à un seul ventricule et une seule oreillette. Dans le second cas au contraire, il faut nécessairement que les deux sangs restent isolés, ne semélent pas l’un à l’autre : dès lors un même cœur ne peut plus suffire à leur envoi , et l’on observe l’une ou l’autre des trois dispositions sui- vantes : 1° ou bien, il n’y a pas de cœur, et la circula- tion estexclusivement accomplie par des vaisseaux ; 2° ou bien, il n’y a de cœur que pour l’un des deux sangs ; soit pour le sang artériel, et par conséquent placé sur la route du sang qui va de l'organe respiratoire aux parties; soit pour le sang veineux, et placé, au contraire, sur la route de celui qui va des parties à l’organe respiratoire; 3° ou bien enfin , il y a deux cœurs , un pour chaque espèce de sang; l’un dit veineux ou pulmonaire , recevant le sang veineux du corps et l’envoyant à l'organe de la respi- ration; l’autre , dit artériel , recevant le sang artériel de l'organe de la respiration et l’envoyant aux parties. Seu- lement, comme ces deux cœurs sont accolés l’un à l’autre, ils paraissent ne former qu’un seul organe, qui serait par- tagé en deux moitiés, une pour chaque espèce de sang, ACTIONS: : 83 chacune ayant une oreillette et un ventricule ; ils sem- blent ne constituer qu’un seul cœur, qu’on a dit être à deux ventricules et deux oreillettes. Toutefois , comme dans ce cas, qui est le plus complexe , le sang décrit deux cercles : l’un s'étendant du cœur veineux à travers l'organe de la respiration , jusqu’au cœur artériel ; l’autre s'étendant de ce cœur artériel à travers toutes les parties du corps jusqu’au cœur veineux , ily a comme deux circu- lations , et la circulation est dite double. C’est cette der- nière forme qui existe dans les animaux supérieurs et dans l’homme. Assimilation. Ici il n’existe aucunes différences : car cette action n’est, à proprement parler, que la mise en œuvre du fluide nutritif, que son assimilation aux or- ganes pour le renouvellement de leur substance et l’en- tretien de leur température. Elle est le terme de la nu- trition, et par conséquent la même en tous corps orga- nisés. Seulement, quelques physiologistes l’ont subdi- visée d’après son but, qui est de renouveler la sub- stance des organes, et de maintenir leur température ; et ils ont fait de ce dernier résultat une action à part, sous le nom de calorification. Alors on peut, à l'égard de cette dernière , partager les animaux en deux classes : ceux dits à sang froid, dont la température égale à peine celle du milieu dans lequel ils vivent ; et ceux dits à sang chaud , dont la température , au contraire , surpasse celle du milieu qu’ils habitent. Excrétions. Enfin, les animaux qui différaient tant dans Le mode selon lequel s'effectue leur composition, ne sont pas moins dissemblables dans celui selon lequel se fait leur décomposition. Chez les uns , les excrétions se réduisent à une seule, une exhalation, une trans- G* S4 DES ANIMAUX. piration, dont la peau, la surface externe du corps, est le siége. Dansles autres , au contraire , s’ajoute une autre excrétion , celle de l’urine. Dans les premiers , l’absorp- tion interne ou décomposante , effectue immédiatement l’excrétion. Dans les seconds, au contraire , cette absorp- tion , ainsi que nous l’avons dit, aboutit comme l’externe ou la nutritive , au fluide général, au sang artériel ; et c’est ensuite de celui-ci qu'est extraite la matière excré- mentitielle , par le jeu d'organes qu’on appelle sécré- teurs , et par une action spéciale, qu'on appelle sécré- tion. I y a plus : comme l’économie des animaux peut offrir beaucoup d’autres organes de ce genre, c’est-à- dire destinés à sécréter du fluide nutritif général des humeurs particulières ; comme ces humeurs peuvent être créées dans des vues étrangères à la décomposi- tion du corps, et ne pas être rejetées au dehors; on réunit toutes ces actions dans une même classe , dite la fonction des sécrétions; et les excrétions ne forment plus qu’une dépendance de cette fonction , compre- nant celles des sécrétions dont les produits sont excré- mentitiels, c’est-à-dire , sont rejetés hors de l’éco- nomie. 5° Reproduction. Le mécanisme de la reproduction devient aussi de plus en plus compliqué, à mesure qu’on s’élève dans l’échelle des animaux. Dans les derniers de ces êtres, par exemple, cette faculté s’accomplit encore sans sexe&: ou bien, l’animal, à une époque déterminée de sa vie, se sépare de lui-même en plu- sieurs fragmens , qui deviennent autant d'individus nou- veaux; ce qui constitue ce qu’on appelle la génération fissipare : ou bien, l'animal pousse à sa surface de pe- tits bourgeons , des gemmules qui, à une époque déter- ACTIONS, 83 minée aussi, se détachent pour former les individus nouveaux; ce qui s'appelle la génération gemmipare externe : où bien enfin, c’est dans un lieu déterminé et intérieur de l’animal que se forment les gemmules ; ce qui forme la génération gemmipare interne. Dans tous ces cas, un individu seul peut se reproduire, Mais , après ces animaux les plus simples, la repro- duction exige le concours des sexes: et alors, tantôt ils sont réunis sur un seul individu, qui est ce qu'on appelle hermaphrodite , et peut se féconder seul; tan- tôt ils sont réunis sur un seulindividu, mais qui ne pou- vant plus se féconder seul , exige le concours d’un autre individu, et qui même remplit à son égard un double office , celui de mâle et de femelle ; quelquefois enfin, chaque sexe est porté par un individu différent , et l’es- pèce animale est composée de deux individus, le mâle et la femelle. Dans ce dernier cas, qui est celui des animaux su. périeurs, deux nouvelles différences se présentent : quelquefois le fluide fécondant du sexe mâle n’est appli- qué à l'œuf du sexe femelle que lorsque celui-ci a été rejeté par la femelle, est pondu ; comme dans les pois- sons : d’autres fois , au contraire , le fluide du sexe mâle est appliqué à l’œuf du sexe femelle, quand celui- ci est encore renfermé dans l’intérieur de la femelle et attaché à son organe propre. Alors la génération offre, dans sa généralité, ce qu’on appelle une copulation, un accouplement ; et l'individu mâle possède un organe propre à cette action , le pénis , la verge. Enfin, quand il y a accouplement, il peut exister encore les variétés suivantes : 1° ou bien , l’œuf une fois fécondé est aussitôt pondu par la femelle, et ce n’est 66 DES ANIMAUX. qu'après la ponte qu'il éclôt, et que paraît l'individu nouveau : c’est ce qui constitue les ovipares ; 2° ou bien, l’œuf fécondé tend aussi à être pondu aussitôt; mais cheminant avec lenteur dans les voies de son excrétion, il a quelquefois le temps d’y éclore , de sorte que l’in- dividu nouveau sort du sein de sa mère sous sa forme propre : c’est ce qui fait les ovo-vivipares, comme la vipère, le serpent. Un même animal, selon les circon- stances, est ovipaïe ou ovo-vivipare; il n’y a là, en effet, de différences que dans la longueur du temps que l'œuf met à être pondu; 3° Enfin, dans les animaux les plus élevés, l’œuf fécondé se détache aussitôt de l’o- vaire; mais, au lieu d’être pondu au dehors, il va se placer dans un réservoir , appelé matrice ou utérus, y prend attache , en tire des sucs qui sont utiles à son développement; et, croissant ainsi aux dépens de la mère , il éclôt dans ce réservoir, de manière que l’in- dividu naît sous sa forme propre. De plus, après sa naissance , ce nouvel individu reçoit de sa mère son pre- mier aliment, le lait, que lui prépare une sécrétion spéciale de celle-ci. C’est ce qui constitue les vivipa- res, dans lesquels la génération comprend conséquem- ment , outre la copulation et la conception , ce qu’on appelle la gestation ou grossesse, et l'allaitement. Il y a aussi beaucoup de différences dans les soins et l'éducation que les pères et les mères donnent à leurs petits. Par exemple, parmi les ovipares, il en est quel- ques-uns qui se contentent de placer leurs œufs dans des circonstances favorables à leur éclosion, et cela par pur instinct, et qui les abandonnent après , de sorto qu’ils ne connaissent jamais leurs petits : tels sont les insectes, D’autres , au contraire, les soumettent à une ACTIONS: 87 véritable incubation , et connaissant leurs petits, sub- viennent à leur subsistance dans les premiers temps de leur vie : les oisçaux , par exemple. Dans les vivipares, enfin , ces soins sont encore plus étendus, puisque les mères tirent d’elles-mêmes la nourriture qui convient à leurs petits dans les premiers temps de leur vie, c’est- à-dire les allaitent. Telles sont les différentes que le mécanisme de Ja reproduction nous présente dans les animaux : ajoutons que cette faculté peut , ou n'être effectuée qu’une fois pendant la vie de l'être , ou être plusieurs fois répétée ; que quelquefois un accouplement ne féconde qu’un seul individu , et d’autres fois, au contraire, féconde plu- sieurs générations successives, comme dans les puce- rons; qu’enfin , les petits naissent, tantôt avec les formes qu'ils auront désormais, ayant subi d'avance toutes leurs métamorphoses ; et tantôt, au contraire , avec des formes qu’ils dépouilleront , leurs métamorphoses se faisant plus tardivement. 6° Centralisation des organes et des actions des ani- maux. Enfin, non-seulément les animaux différent beaucoup entre eux par le nombre des organes qui for- ment leur corps, et celui des fonctions qui accomplis- sent leur vie; mais encore ils varient par la dépendance dans laquelle sont les uns des autres ces organes et ces fonctions. Dans les plus simples, il y a tant d’indépen- dance entre les parties, qu’on peut couper ces êtres en plusieurs fragmens qui alors vivent isolément les uns des autres. Dans les plus élevés, au contraire, la dépen- dance devient telle, que non-seulement chaque frag- ment cesse de faire un individu nouveau, mais encore aucun fragment ne continue de vivre, si la division 88 DES ANIMAUX. est portée un peu loin. Il est aisé de concevoir cette différence. Dans les premiers, l’organisation est homo- gène; il y a peu ou point de système nerveux; la nu- irition est effectuée par une absorption et une exhala- tion seulement ; et, comme toute partie a la texture qui la rend propre à ces deux actes , toute partie peut con- tinuer de vivre, quoique séparée du tout. Dans les se- conds, au contraire , d’abord l’organisation est hétéro- gène, et la nutrition exige le concours de beaucoup d’actes ; et alors il devient nécessaire pour que la vie se continue dans un fragment quelconque du corps, que ce fragment contienne les organes des fonctions in- dispensables à la nutrition. Ensuite , nous avons dit qu'à partir des animaux binaires, il y avait une por- tion du système nerveux qui se subordonnait les fonc tions nutritives , le grand sympathique. Or , il est d’ob- servation que toutes les parties nerveuses sont dans les animaux d’autant plus dépendantes de l’encéphale, que ces animaux sont plus élevés dans l'échelle, sont plus âgés , et que les fonctions auxquelles président ces parties nerveuses sont plus élevées elles-mêmes dans Fanimalité ; et cela devient une nouvelle raison pour qu'il y ait plus de dépendance entre toutes les parties , et que la vie soit plus centralisée. À ce titre, le système nerveux devient dans les animaux supérieurs le premier rouage de l’économie , puisqu'il se subordonne toutes les actions. Ainsi, dans les animaux: chez lesquels le système nerveux n’est pas encore distinct, la vie n’est pas centralisée, et chacun des fragmens dans lesquels on divise l’être, continue de vivre. Dans ceux chez lesquels le système nerveux se compose d'autant de gan- olions qu'il ya de rayons au corps, il y a déjà plus de ACTIONS. 89 centralisation ; les fragmens dans lesquels on divise l’a- nimal, ne continuent de vivre qu’autant qu'ils contiennent en eux un deces ganglions. Enfin, dans ceux où le sys- tème nerveux se compose d’un encéphale, d’une moelle spinale et d’un grand sympathique, la centralisation est absolue ; toute partie nerveuse est dépendante de l’in- tégrité de l’encéphale, et de sa communication avec l’en- céphale ; elle meurt hors ces deux conditions , mais plus ou moins promptement, selon le rang de l'animal dans le règne, selon son âge, et selon le degré d’animalité de la fonction à laquelle la partie nerveuse préside. Par exemple, tandis que l’homme et un mammifère meurent aussitôt par la décapitation, un reptile ne meurt, par la décapitation, qu’au bout de six mois; et tandis que les fonctions des sens, des mouvemens, qui sont fort élevées dans l’animalité, se suspendent aussilôt par une lésion de l’encéphale, les fonctions du grand sympa- thique, qui sont purement nutritives, continuent encore quelque temps, et d'autant plus que lanimal est plus jeune : ces rapports sont ceux qui constituent ce qu’on appelle l’innervation. Telles sont toutes les différences que nous présen- tent les animaux. Terminons l'examen comparatif de ces êtres, par l'indication de la classification dans laquelle la zoologie les dispose. ARTICLE III. Classification zoologique des Animaux. On a successivement adopté plusieurs classifications des animaux. Linnœus faisait deux grandes classes de ces êtres : les animaux à sang rouge et ceux à sang 90 DES ANIMAUX. blanc; et chacune de ces deux classes était ensuite sub- divisée : la première, en quatre ordres, quadrupèdes, oiseaux , reptiles et poissons ; et la seconde , en deux, insectes et vers. M. Cuvier admit d’abord ces deux classes, mais sous les noms d'animaux vertébrés et in- vertébrés , que leur avait donnés M. Lamarck ; et, con- servant les quatre ordres des animaux vertébrés, il en admit cinq dans la classe des invertébrés; savoir : les mollusques, les crustacés, les vers , les insectes et les oophites. Telle est , en effet , la classification suivie par ce savant dans son Traité d'anatomie comparée. De- puis, il en a publié une autre dans son T'ableau du règne animal : les animaux y sont partagés en quatre classes , les radiaires , les mollusques, les animaux articulés et les animaux vertébrés. Linnœus avait pris les caractères de sa classification dans l’état de l’appa- reil de la circulation, dans l’état du cœur. M. Cuvier a pris ceux de la sienne dans l’état des fonctions essen- tiellement animales, de la sensibilité et de la locomo- tion , tout en faisant observer que l’appareil de la cir- culation éprouve toujours des perfectionnemens et des dégradations qui coïncident avec ceux des appareils sen- sitifs et locomoteurs. Enfin , M. de Blainville, élève de M. Cuvier, a encore ajouté quelques modifications heu- reuses au travail de son maître; et c’est sa distribution zoologique que nous allons rapporter. Tous les animaux sont d’abord partagés en deux di- visions , les amorphes et les morphes. Les premiers , qui sont les spongiaires et les agastraires, sont les plus simples des animaux ; leur organisation homogène n’of- fre encore aucune trace des systèmes musculaire et nerveux, et d’un appareil digestif; ils se nourrissent CLASSIFICATION ZOOLOGIQUE. 91 sûrement par une absorption externe, n’ont pas la vie centralisée, et ne paraissent animaux que parce qu'ils se contractent, sinon avec volonté, au moins sous une impression externe. Les animaux morphes se partagent, à leur tour, en deux autres divisions , les radiaires et les binaires. Les radiaires sont déjà un peu plus élevés dans l’échelle ani- male ; la forme de leur corps est rayonnée : ou le sys- tème nerveux n’est pas encore apparent; ou il consiste en plusieurs ganglions , qui sont placés chacun dans un des rayons de l’animal , et qui envoient des filets à la peau externe et à la cavité digestive : celle-ci commence à exister; souvent elle n’a encore qu’une seule ouver- ture : le plus souvent l’animal ne jouit que d’une loco- motion partielle, et est fixé sur une tige pierreuse, qui lui est commune avec d’autres animaux de son espèce. La sensibilité se borne au tact ; la nutrition est effectuée par une digestion, une respiration et une exhalation cutanées ; la génération est fissipare ou gemmipare; la vie est encore à peine centralisée. Les binaires ont la forme qui se voit dans tout lereste du règne animal, c’est-à-dire que leur corps est formé de deux moitiés semblables disposées le long d’un axe; leur système nerveux a dès lors les trois parties principales que nous avons annoncées , l’encéphale, la moelle spi- nale , et le grand symphatique. Ils se sous-divisent en- deux autres sections : les mollusques ou molacozoaires , dont le corps est mou, d’une seule pièce , et sans arti- culation ; et les animaux articulés ou entomozoaires, dont le corps , au contraire, est composé de plusieurs pièces et articulé. Dans les mollusques, la moelle spi- nale est placée à côté , le long du canal digestif, Sou- 92 DES ANIMAUX. vent il y a cinq sens. Le système musculaire fonde à Jui seul l'appareil locomoteur. L'appareil digestif est dans plusieurs aussi compliqué que dans les animaux supérieurs ; des vaisseaux chylifères recueillent le pro- duit de son travail. La nutrition, dans son mécanisme , comprend une respiration, une circulation ; bien qu'il y ait deux espèces de sang, celle-ci, pour s'effectuer , n’a qu’un cœur, mais artériel. La génération se fait à l’aide de sexes ; mais, dans quelques espèces, il y a hermaphrodisme. Généralement la génération ne fournit aucuns caractères distinctifs des classes d’ani- maux. Les animaux articulés se subdivisent encore en deux sections : les articulés externes ou anostcozoaires , dans lesquels les articulations sont évidentes à l'extérieur , à la peau même de l'être; et les articulés internes ou ostéozoaires , dans lesquels les articulations ne sont qu’à l'intérieur. Les premiers, parmi lesquels sont les in. sectes, sous certains rapports , sont supérieurs aux mollusques, et sous d’autres leur sont inférieurs. La moelle spinale chez eux est sous le canal intestinal, L'appareil locomoteur, pour la première fois , offre des parties dures , mais qui sont développées dans le tissu de la peau, et en sont des dépendances. La nutrition, dans son mécanisme, comprend une digestion , mais pas de circulation, et seulement une respiration par tra- chées , une respiration disséminée. « Les animäux articulés internes ou vertébrés , sont les plus parfaits du règne animal. Une suite d’os appelés vertèbres règne dans toute leur longueur sur la ligne médiane , et forme une cavité qui loge l’encéphale et la moelle spinale : cette moelle est ici, non à côté du canal 2 CLASSIFICATION ZOOLOGIQUE. 99 digestif, comme chez les mollusques; non au-dessous comme chez les insectes ; mais au-dessus, et de là la nécessité qu’elle soit enfermée dans un canal osseux qui la protége. L'appareil locomoteur a des parties dures ; mais ici elles sont situées en dedans, et constituent des os. La sensibilité est toujours fort étendue , offreles cinq sens. La nutrition est fort compliquée ; il y a digestion, absorptions externe et interne distinctes , respiration , circulation ; parmi les excrétions, est une dépuration urinaire. Les sexes sont séparés, etc. On partage ces animaux en ovipares Où amaslozoaires , et vivipares où imastozoaires et mammifères. Les premiers se subdivi- sent encore en trois groupes ; les oiseaux , qui respirent l'air, et ont une circulation double, et le cœur à deux ventricules et deux oreillettes ; les reptiles, qui ont la circulation simple, et par conséquent le cœur unique; et, enfin, les poissons, qui respirent l’eau, et ont la circulation double , mais le cœur un et situé à la circulation pul- monaire. 1 Quant aux mammifères , ils sont vivipares , respirent l'air, ont une circulation double, et le cœur à deux ventricules et deux oreillettes. Ils réunissent tout ce qui constitue la vie la plus compliquée : sensibilité étendue; locomotilité servant à la station et à la progression ; lan- gage formé de gestes et de sons; nutrition accomplie par le concours d’une digestion, d’une absorption tant externe qu'interne, d’une respiration, d’une circula- tion , de sécrétions diverses; reproduction avec sexes, et comprenant dans sa généralité une gestation et un allaitement. Chez eux enfin , la vie est centralisée Le plus possible ; le système nerveux unit toutes les parties , se su- bordonne toutes les actions ; et toutes les parties de ce 94 DES ANIMAUX. système sont elles-mêmes d’autant plus dépendantes de l’encéphale , que l'animal est plus jeune , et que ces par- ties président à des fonctions plus animales. C’est à eux que se rapporte l’homme ; il en forme à lui seul le premier ordre , celui des bimanes , parce qu'il est le seul être animé qui ait les extrémités antérieures, et celles-là seulement disposées en mains : les autres mammifères n’en ont pas du tout, ou ont leurs quatre membres figurés en main. Ce signe extérieur est pour lui l'indice de sa grande intelligence , qui avait besoin d’avoir dans la main un instrument digne de toute sa puissance. Tels sont les différens corps qui existent à la surface de notre globe; et l’on peut voir maintenant comment l'étude que nous avons faite des uns et des autres nous a mis à même de spécifier quels sont en général les phéno- mènes de la vie, et quels sont ceux de la vie de l’homme en particulier. Arrivons maintenant à l’étude spéciale de celui-ci. POSE. RSS RAS SR IR ES RE OR PU RE RO LS RS ES A/R NE AS SECTION Il. De l'Etude de l'Homme en général. Das la section précédente, en traitant de tous les corps de l’univers, sans paraître nous occuper d’une manière spéciale de l’homme, nous avons cependant fait connaître les principaux traits de l’histoire physique de cet être, ceux qui sont les plus importans, et sous DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. 05 lesquels doivent-se ranger tous les détails que nous avons à présenter désormais. En ellet , par cela seul que l’homme est un être organisé, nous savons que son mode de structure est une organisation , et son mode d'existence ou d’activité une vie. Par cela seul qu’il est un animal, nous savons que les actes extérieurs qui commencent sa nutrition et sa reproduction sont laissés à sa volonté, et qu’ainsi il a, outre les facultés de se nourrir et de se reproduire , celles de sentir, de se mouvoir et d'exprimer ses sentimens et ses volontés. Enfin, par cela seul qu’il est un animal vertébré, et le premier de ces animaux, nous savons que son organisalion et sa vie présentent les plus hauts degrés de complication que nous ayons décrit. Mais, maintenant , il faut aller au-delà de ces géné- ralités , et détailler chaque objet relativement à l'homme, de manière qu’on connaisse pleinement le mécanisme de la vie de cet être. Suivons toujours notre premier or- dre ; étudions successivement la composition matérielle de l'homme et ses actions. GHA PLTRSE’ 17. Considérations générales sur la Composition matérielle de l'Homme. L'étude détaillée de l’organisation de l’homme est l’objet de l'anatomie humaine ; c’est cette science qui traite de la structure du corps humain. Un assemblage d’os unis entre eux , tantôt demanière à être immobiles, tantôt , au contraire , de manière à pouvoir se mouvoir les uns sur les autres, constituant ce qu’on appelle le squelette, en forme la charpente profonde. La base de 96 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL ce squelette est une suite d’os appelés vertèbres, situés sur la ligne médiane, comprenant toute la longueur du tronc , et constituant une cavité dans laquelle sont logées les deux parties principales du système nerveux , Pencé- phale et la moelle spinale. De chaque côté de cette partie médiane , sont disposées les autres parties osseuses qui sont paires , etsontappeléeslesappendices. Autour de ce squelette sont placés les muscles qui en meuvent les diverses parties, et effectuent la station et la progression de l'être. Le corps est évidemment partagé en tronc et membres. Le tronc, qui est la partie principale , est composé de trois cavités placées les unes au-dessus des autres , la téte , le thorax et l'abdomen , et qu’on appelle splanchniques, parce qu’elles contiennent les principaux organes , les viscères uécessaires à la vie , les parties qui exercent les fonctions de la sensibilité, de la digestion, de la respiration , etc. La tête , qui est la plus supérieure de ces cavités, se compose de la face qui recèle les organes de quatre sens , des sens de la vue, de l’ouïe, de l’odorat et du goût, et du crâne qui recèle l’encé- phale, organe de l'esprit , et partie principale du système nerveux. Le thorax ou poitrine, estau-dessous de la tête, et contient les poumons , organes de la respiration, et le cœur organe principal de la circulation. L’abdomen, qui est de ces trois cavités celle qui est située plus bas, renferme les organes principaux de la digestion, ceux de la sécrétion urinaire et de la génération. Des membres, les supérieurs, sont suspendus de chaque côté du thorax, sont des instrumens ingénieux de préhension, et sont terminés par la main qui est l'agent du toucher. Les inférieurs, au contraire; sont placés au-dessous du tronc , sont les moyens de sustentation de tout le corps, PARTIES SOLIDES DU CORPS HUMAIN. 07 et les agens de sa progression. Des vaisseaux émanés du cœur , centre où se rassemble le fluide nutritif, se dis- tribuent à toutes les parties, et y versent le fluide qui les vivifie et les recompose : d’autres vaisseaux repren- nent dans ces parties les matériaux anciens qui les for- maient , et les portent avec le produit de la digestion à l'organe respiratoire. Des nerfs, nécessaires aussi à la vivification des parties , s’y distribuent de même. . Enfin une membrane douée d’une sensibilité vive, la peau, sert d’enveloppe externe à tout le corps. C’est à l’ana- tomie , nous le répétons, à exposer avec détail toutes les particularités de cette racer ffllquee construction ; nous devons nous borner ici à des considérations géné- rales indispensables. Commele corps humain, est com- posé de parties solides et de parties fluides , nous allons traiter successivement des unes et des autres, et nous terminerons par quelques traits relatifs au concours des unes et des autres. ARTICLE [°.. , Des Parties solides du Corps humain. On appelle solide tout corps dont les molécules inté- grantes adhèrentassez entre elles, pour qu "elles ne puis- sentse séparer par le fait seul de leur poids , mais- pour qu'il faille un effort extérieur afin d’ opérer cette sépa- ration. Or; beaucoup des parties eonstiluantes du corps humain présentent ce caractère physique ; et ce sont celles-là qu’on appelle les solides organiques. Le coup d’æil le plus superficiel, jeté sur ces parties solides , suffit pour faire remarquer entre elles des diffé- rences de forme, de composition, de solidité. Qui pour- rait ,en effet, confondre un os et un muscle, un nerfet ; » 1. 7 98 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. un vaisseau ? non-seulement la forme êt la structure intime sont différentes , mais encore les usages ; et de là, la distinction faite dé toutes les parties solides du corps humain eñ plusieurs genres, caractérisés chacun par la forme éxtérieure , l’organisation profonde et la fonction qu'il remplit dans l’économie. Les anatomistes s’accor- dent presque tous aujourd’hui à ramiëéner ces genres à douze ; savoir { l'os , le cartilage, le muscle, le liga- ment, le vaissedu ; le nerf, le ganglion, le follicule , fai slañde , li miéribrane ; le tissu cellulaire où lami- heux, et ke viscère. ou : L'osést le solide le plus dur du corps humain , et celui qui'eñ forine le squelette. Après lui vient le cartilage , organe d'uf blanc opale, d’un tissu fort élastique ; qui tantôt revêt les extrémités des os mobilés , et facilite leurs müuüvermenñs ; tantôt est ajouté ? à ces os pour les prolonger et aûgmenter leur longueur ; qui, enfin , forme ces os eux-mêmes dans leur origine, car tous sont cartilages avant d’être os : à cause de cela, ces cartilages sont sub- divisés en cartilages articulaires ou d'encroutement , cartilages de prolongement et cartilages d’ossification. Les HÉRRGER sont de véritables chairs , des faisceaux de fibres roûgés et contractiles , étendus d’un os à l’autre, et qui sont l6s agents ‘de tous les mouvemens. Les liga- mens sont dés sofdés d’un tissu fort résistant, fort PTT cile à rompre, ét qui, sous forme de cordons ou de membranes , servént à attacher lés unes aux autres di- verses parties du corps, particulièrement les os et les muscles : : dc à leur partage ,en ligæmens des os , comme les” ginens proprement dits et les capsules fibreuses ; et en ligumièns dés Museles, comme les tendons et les aponévroses. Les v&isseaux sont des solides qui ont l4, « > = 5 PARTIES SOLIDES DU CORPS HUMAIN. 9 forme de canaux , et dans lesquels circulent des humeurs ; selon le fluide qu'ils charient, on les partage en chyli- fères, sanguins, artériels , veineux, lymphatiques , séeréteurs. Les nerfs sont des solides sous forme de cordon, qui émanés de l’une ou de l’autre des trois par- ties principales du système nerveux, encéphale , moelle spinale et grand sympathique , se ramifient dans l’inti- mité des différens solides, font jouir les uns de la sen- sibilité , les autres de la faculté de se mouvoir, donnent à tous leur vitalité propre, et établissent des liens entre tous les organes : de là leur partage en nerfs sensoriaux , qui président aux sensations, motoriaux , qui président aux mouyemens, et slaminaux qui perdus, en quelque sorte, dans la substance des organes, en dirigent les actions secrètes et profondes. Le ganglion estun solide, toujours placé sur le trajet d’un nerf ou d’un vaisseau, , qui paraît formé par un entrelacement inextricable des filamens du nerf ou des ramifications du vaisseau, qui, dans ce dernier cas , présente toujours dans sa substance des aréoles pleines d’un suc particulier, et qu’on croit destiné à faire subir une mixtion , une élaboration par- ticulière , soit au fluide nerveux, soit à l'humeur qui circule dans les vaisseaux : d’après cela , on en a distin- gué de deux espèces , des ganglions nerveux et des gan- glions vasculaires; et ces derniers même ont été subdi- visés, d’après le genre de vaisseaux sur la route desquels ils sont , en chylifèxes, lymphatiques et sanguins. M. le professeur Chaussier a rattaché à ce genre de solides, “sous le nom de ganglions glandiformes, certains orga- nes sur la nature et les fonctions desquels on n’est pas - encore fixé, mais que ce sayant croit être aussi des organes de mixtion , d'élaboration des fluides , savoir, le * 7 106 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. thymus , la thyroïde , etc. La follicule ou cripte est un organe sécréteur , sous forme d’ampoule ou de vésicule membraneuse , toujours situé dans l'épaisseur d’une des membranes externes du corps, savoir , la peau, et les membranes muqueuses ; et qui sécrète une humeur des- tinée à lubrifier cette membrane : on en reconnaît de simples , de rapprochés et de composés, d’après leur volume , et le nombre dans lequel ils sont groupés et réunis. La glande est un autre organe sécréteur, mais qui diffère du précédent: d’une part , parce que ?hu- meur qu'il produit remplit un oflice bien plus important que celui, en quelque sorte, tout mécanique d’une lubré- faction; et d’autre part, parce que son organisation est plus complexe , et telle quel’humeur sécrétéeest ici ver- sée par un Canal excréteur distinct. La membrane est un solide qui a la forme d’une toile, et qui, dans la structure de l’homme, sert à tapisser les cavités, les réservoirs, à former, soutenir et envelopper tous les organes : Bichat en distinguait de deux espèces , se- lon qu’elles étaient formées d’un seul ou de plusieurs feuiilets, des simples et des composées ; les premières étaient, d’aprèsleurnatureintime , séreuses , muqueuses ou fibreuses ; les secondes étaient formées par la réunion des précédentes, et se partageaient en séro-fibreuses, comme le péricarde , en séro-muqueuses, comme la vésicule biliaire à sa partie inférieure, et en ftbro-mu- queuse; comme les uretères : M. Chaussier en fait six classes; les lamineuses, les museuleuses et les albugt- nées ; d’après l'espèce de fibre primitive qui les constitue; les villeuses simples ou séreuses , et les villeuses compo- : sées ou follieuleuses, selon qu’elles contiennent en nes 4 des vaisseaux exhalans seulement , ou des follicules ; PARTIES SOLIDES DU CORPS HUMAIN. 10) enfin les couenneuses , qui résultent de la coagulation d’un suc albumineux qui a été sécrété au lieu où elles existent, comme l’épiderme. Le tissu cellulaire, ou lami- neux est une sorte de spongiosité qui, d’un côté, forme le canevas , la trame de tous les solides , qui , de l’autre est jetée dans leurs intervalles pour remplir les vides , et servir tout à la fois à unir et séparer les organes. Enfin, Je viscère est le solide le plus complexe du corps humain , tant pour l’organisation intime que pour ses usages : c'est le nom qu’on donne aux parties situées dans les cavités splanchniques, et qui, exécutent les fonctions nécessaires à l'exercice, l'entretien ét la propagation de la vie : d’après la fonction de l’accomplissement de la- quelle ils sont chargés, on en distingue six ordres: les sensoriaux , digestifs ; respiratoires, circulatoires, uri- naires et génitaux. ES Cf Tels sont les noms et les caractères des divers sokdes organiques qui composent le corps de l’homme ;: €’est à l’anatomie à donner sur eux plus de détails. Pour nous , nous sommes d'autant plus fondés à n’en. donner aucuns , qu'à l’article de chacune des fonctions à Ja- quelle ils servent , nous rappellerons ce qu'il importe de connaître sur leur disposition générale. Disons seu- lement que la plupart d’entre eux:sont multiples, et que chacune de leurs divisions a souvent recu un nom particulier, Ainsi, il y a plusieurs os , plusieurs mus- cles , plusieurs glandes , plusieurs viscères , etc. , et cha- cun de ces os, de ces muscles, a souvent. un. nom spécial, de sorte que chaque partie solide du corps hu- main est dénommée. pa ; Mais ce n’est point assez d’avoir spécifié les Ainéés solides organiques qui composent le corps humain , pré- 102 DE L'HOMME EN GÉNÉRAI. sentons quelques considérations générales sur leurs propriétés physiques , leur nature chimique, et leur organisation. $. I". Propriétés physiques des Solides. Ces solides du corps humain ont bien évidemment les conditions physiques générales qui constituent un solide , savoir, cette adhésion entre leurs molécules in- iégrantes, telle que ces molécules ne se séparent pas par le fait seul de leur poids, mais exigent , pour s’é- carter, l'influence d’un agent extérieur. Le moindre examen qu'on en fait, suflit aussi pour faire reconnaître que chacun d’eux a un degré de solidité différent ; l'os, par exemple, est plus dur que le muscle; le ligament plus résistant que le nerf; le cartilage ee élastique que le ligament , etc. ‘Mis une importante remarqué à faire sur la solidité de ces solides organiques , c’est qu’elle ne dépend pas des mêmes causes générales qui décident la solidité des corps inorganiques , mais bien de causes spéciales aux corps vivans, de l'influence de la wté. La solidité des divers corps inorganiques tient, comme on sait, à la proportion dans laquelle agissent dans ces corps deux forces antagonistes l’une de l’autre ; savoir: la force répulsive du calorique, qui, en écartant les molécules dés corps , tend à détruire leur solidité, et la force de cohésion , qui , en rapprochant ces molécules , tend, au coniraire , à l'établir. Les solides organiques , au contraire, doivent leur état à la vie, puissance inconnue .en elle- même ; mais dont le caractère évident est de soustraire aux foréés générales de Ja nature les masses matérielles qu'elle anime. Ge qui le prouve, e’est que si celte vie se | PARTIES SOLDES DU CORPS HUMAIN. 109 modifie, comme cela arrive par l’âge, l’état de maladie, le degré de solidité , ou ce qu’on appelle le ton des par- ties, change aussi ; que si elle s'éteint , ces solides se dé- truisent , comme le montre la putréfaction qui survient inévitablement à la mort. S. II. Nature chimique des Solides. Puisque l’homme est un être organisé , on conçoit que les parties solides qui forment son corps, ne sont pas des corps simples. On devine encore que les élémens auxquels on peut ramener ses solides organiques , seront de deux sortes ; des élémens chimiques ou inorganiques, ainsi nommés, parce que ce sont les mêmes qui forment les corps inorganiques ; et des élémens organiques, qui ne sont plus des corps simples , mais des corps déjà com- posés , et en outre des composés que la vie seule peut former et maintenir, et qui, néanmoins , entrent dans la composition de tous les solides du corps humain. Les premiers sont du phosphore, du soufre, du carbone, du fer , du manganèse , du potassium , du calcium, du so- dium , du magnesium , dusilicium , del’aluminium , etc. ; de l’acide muriatique, de l’eau, de l’oxigène, de l’hy- drogène, de l’azote , du calorique, du fluide électri- que , etc. Quant aux seconds, d’abord, on n’en admit que quatre: la gélatine , la fibrine , l'albumineet l'huile. Mais depuis que la chimie animale a fait des progrès, on en a spécifié un bien plus grand nombre; et aujourd’hui on les partage en deux classes, ceux qui sont azotisés, c’est-à-dire qui contiennent de l’azote, comme l’albu- . mine, la gélatine , la fibrine , l’osmazome ,le mucus, etc.; et ceux qui ne sont pas azotisés , comme les acides acé- tique , oxalique , etc. 104 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. C'est à la chimie à faire l'étude de ces divers élémens , tant chimiques qu’organiques , considérés en eux-mêmes, et à indiquer les procédés par lesquels on les extrait des parties solides du corps. Nousrappellerons seulement, ce que nous avions déjà dit pour tous les corps organisés en général , que ce ne sont pas les affinités chimiques gé- nérales qui , dans les solides de l’homme , retiennent unis ces élémens , mais la force toute opposée de la vie. Nous pouvons en donner pour preuves les mêmes faits que nous invoquions tout à l’heure à l'égard de la solidité des parties. La vie se modifie-t-elle, comme cela arrive par les âges , par les maladies ? non-seulementles propor- tions des élémens organiques qui forment les solides changent coïincidemment , ce qui devait être , puisque la vie seule peut produire ces élémens; mais encore les proportions des élémens chimiques changent aussi; le phosphate de chaux, par exemple, est dans les os en quantité plus ou moins grande. La vie s’éteint-elle com- plètement ? d'une part, les élémens organiques se dé- truisent , puisque Ja cause unique qui a pu les faire et peut les maintenir, la vie, n’agit plus; et d'autre part, les élémens chimiques eux-mêmes rompent les combi- naisons qui les tenaient enchaînées, et forment celles que réclament les forces chimiques générales. La putré- faction , qui détruit constamment les partiessolides après la mort , n’est que le produit de ces changemens. De là , nous conclurons , comme nous l’avons déjà fait , que la chimie est impuissante à nous faire pénétrer la composition des solides du corps humain. Les molécules qui forment ces solides , étant associées en vertu d’une affinité spéciale, dite vitale, et que les chimistes n'ont pas en main, comment ces chimistes pourraient-ils pré- Al PARTIES SOLIDES DU CORPS HUMAIN. 105 tendre faire une analise de ces solides ? Ils ne font que les détruire , et les faire passer de l’état de matière orga- nique à celui de matière inorganique ; et, ne pouvant pas saisir les lois qui ont présidé à la disgrégation des leurs élémens , ils ne peuvent en déduire celles de leur composition. $. III. De l'Organisation des Solides. Enfin, les anatomistes ne se sont pas bornés à établir , d’après la triple considération de la forme extérieure , de la texture intime et de la fonction , dans les diverses parties solides du corps humain , les douze genres d’or- ganes que nous avons indiqués; ils ont cherché à re- monter aux élémens profonds qui les forment ; ils ont tenté , non une décomposition chimique de ces solides, mais leur décomposition anatomique , si l’on peut parler ainsi. Voyant que tout solide organique quelconque est formé par l'agrégation de plusieurs filamens , tantôt simplement accolés les uns aux autres, tantôt formant entre eux un entrecroisement , ils ont cherché à pé- nétrer jusqu à ces filamens qui sont les fondemens pri- mitifs de tout solide organique. Ils ont appelé ces fila- mens, qui sont de véritables élémens anatomiques, les uns fibres , les autres tissus ; chacun en a admis un plus ou moins grand nombre, et ensuite a expliqué diversement la manière dont ces fibres ou tissus forment, par leur association , les douze genres de solides organi- ques que nous avons désignés. Ainsi , d’abord, les anciens admirent l’existence d’une seule fibre primitive, qui était le dernier filament que l'on pût, je ne dis pas seulement séparer, mais conce- voir dans nos organes; ils l’appelèrent fbre élémentaire, 306 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL» la dirent de même nature partout, formée de molécules tenues et unies par un gluten, et la considérèrent comme la base de toutes les parties. Ge qu’on appelle le tissu cellulaire en était le premier produit ; et ensuite ce tissu cellulaire formait tous les divers organes du corps; le degré divers de condensation de ses lames , constituait seul la différence qu’à la première apparence présentent entre eux ces organes. Mais, depuis, les anatomistes modernes ont reconnu, 1° que la fibre élémentaire des anciens n’était qu’une pure abstraction de leur esprit ; 2° qu'il était impossible , au moins pour l’homme et les animaux supérieurs , de ramener tous les solides à la seule base du tissu cellu- laire ; et, aujourd’hui , ils ramènent à trois ou à quatre les fibres primitives qu'ils considèrent comme les élé- mens anatomiques de toutes nos parties, savoir, les fibres celluleuse , musculeuse, nervale et albuginée. Jus- qu’à présent aucun être vivant n’en a présenté d’autres dans sa structure ; mais tout être vivant ne les a pas toutes nécessairement ; les végétaux , et les derniers ani- maux , par exemple, n’ont que la celluleuse. La fibre celluleuse ou laminatre est la plus essentielle à la vie , puisqu'elle existe en tout être vivant ; elle est un assemblage de lames minces, de filamens déliés, blan- châtres , extensibles, qui ne sont ni sensiblos , ni irrita- bles, et qui sont composés de gélatine concrète. Son essenceest du reste impénétrable , et l’on ne peut connaître d’elle que son opposition avec la matière inorganique. La fibre musculeuse est déjà moins répandue, puis- qu’elle manque dans les zoophites. C'estune fibrelinéaire, molle, tomenteuse , grisâtre ou rougeâtre, qui est irri- table , c’est-à-dire qu’elle se meut d’une manière appa- LA PARTIES SOLIDES DU CORPS HUMAIX, 107 rente, sous l'influence de stimulans mécaniques, chi- miques et organiques ; et qui est composée essentielle- ment de fibrine. Son essence est inconnue aussi, et plus difficile encore à pénétrer que celle de la fibre lamineuse , puisqu'elle est plus éloignée que celle-ci de la matière inorganique. M. de Blainville dit, que jetée toujours dans d’épaisseur du corps des animaux, et aboutissant , d’un côté, à l'enveloppe cutanée , de l’autre à la peau interne ou membrane digestive , elle se développe tou- jours dans l'épaisseur dela fibre lamineuse. La fibre ner vale ou médullaire est encore moins répandue ; elle sem- ble être une sorte de bouillie, de fibre molle et diffluente, mais qui est bien distincte, en ce que, composée essen- tiellement d’albumine unie à une matière grasse, elle est lorgane de la sensibilité, c'est-à-dire de la faculté de transmettre à l'âme les impressions. Sa nature est encore plus difficile à pénétrer; et, selon M. de Blainville, elle se développe dans la fibre muscu- laire , comme celle-ci s'était elle-même développée dans lafibre cellulaire. Enfin , la fibre albuginée est cette fibre blanche, comme satinée, très-résistante , de nature gélatineuse , qui n'est ni sensible ni irritable, et qui forme tous les organes destinés à remplir dans l'écono- mie des offices de contention. Du reste, M. le professeur Chaussier seul l'admet, la plupart des anatomistes ne la considèrent que comme la fibre lamineuse très- con - densée. Ces fibres sont les élémens primitifs de toutes les par- ties. Elles forment d'abord des solides , qu'on doit appeler de premier ordre , parce qu'ils serviront ensuite à com- poser les autres; savoir : le tissu cellulaire proprement dit, les vaisseaux , les membranes, les nerfs, eic. La 108 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. fibre cellulaire , par exemple, s’aplatit en membranes, se roule en vaisseaux; la fibre musculeuse forme aussi des membranes, concourt à la formation des vaisseaux , et constitue les muscles; la fibre nervale produit les nerfs. Ensuite, ces mêmes fibres, en s’associant à ces premiers solides , forment tous les autres, quelque com- plexes qu'ils soient, comme les os, les glandes ; et même les organes qu’on appelle surcomposés, parce qu’ils ré- sultent de l'association de beaucoup d’autres solides, comme les viscères. En effet, tout solide quelconque reconnaît d'abord pour base principale du tissu cellu- laire ; lequel ensuite est pénétré d’une certaine quantité de vaisseaux, de nerfs. Les viscères , par exemple, sont des assemblages de vaisseaux et de nerfs, mille fois rami- fiés et diversement disposés dans une trame celluleuse , et formant un tout, qu’enveloppe quelquefois une mem- brane. L’os est une trame celluleuse , pénétrée de vais- seaux, incrustée de phosphate de chaux, et que revêt une membrane. La même trame celluleuse , sous le nom de tissu cellulaire, remplit les vides des organes , et tout à la fois les unit et les sépare, s’insinue entre leurs parties composantes , les fibrilles des muscles , par exemple , les filets des nerfs , les lobules des glandes. En somme, c’est, d’abord, par le faconnement des fibres primitives en solides dits de premier ordre, tissu cellulaire, vaisseaux . membranes, nerfs ; ensuite, par l'association en des pro- portions , et sous des dispositions diverses de ces solides de premier ordre, que sont formés tous les organes du corps. Bichat a présenté une décomposition encore plus dé- taillée des solides organiques , qu’il ramène à un certain nombre d’élémens qu'il appelle #issus. Ge mot n’est pas PARTIES SOIÂDES DU CORPS HUMAIN. 109 tout à fait synonyme de celui de fibre. La fibre est l'élé- mentanatomique le plus simple , etilest établi seulement sur la forme et la nature : le tissu est déjà un élément anatomique plus composé, puisqu'ilest formé par la fibre; il n’en est pas moins un élément, puisqu'ilest la base de toutes les parties ; et il estétabli, non pas seulement sur sa forme et sa nature, mais encore sur son action. Bichat ramène tous les solides du corps à un certain nombre de ces tissus, qui, ense combinant , s’associant deux à deux, trois à trois, forment tous les organes. Ces tissus, au nombre de vingt-un, sont: les systèmes exhalant , absor- bant , cellulaire, artériel, veineux, nerveux animal , nerveux organique, osseux , médullaire, cartilagineux, fibro-cartilagineux , fibreux, musculaire animal , mus - culaire organique, muüqueux, séreux , synovial , glan- duleux , dermoïde , épidermotïde et pileux. Le nom de ces tissus , qui sont en anatomie ce que les corps simples sont en chimie , indique assez les divers solides auxquels ils se rapportent. De ces tissus, sept sont plus généralement répandus que tous les autres, et forment la trame de toutes les parties : ils sont appelés, à cause de cela, générateurs : ce sont les systèmes exhalant, absorbant, cellulaire, artériel, veineux, nerveux organique et nerveux animal. Ce n’est pas que, dans tout organe, ils existent tous; mais on y en trouve toujours quelques-uns. Les systèmes ex- halant et absorbant, par exemple , sont partout; car ils sont les agens de la composition et de la décomposition des parties, du mouvement nutritif sans lequel on ne peut concevoir aucune partie vivante. Il en est de même du tissu cellulaire. Les artères et les veines, quoique existant dans la trame de presque toutes les parties. 110 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL cependant paraissent manquer dans plusieurs, les car- tilages , par exemple. Enfin , les nerfs sont, des tissus gé- nérateurs, ceux qui sont le moins répandus. Toutefois, ces systèmes générateurs se forment d’a- bord les uns les autres. Le tissu cellulaire, par exemple, est pénétré par des vaisseauxexhalans , absorbans , arté. riels, veineux , par des nerfs. Les vaisseaux reçoivent des nerfs, du tissu cellulaire , d’autres vaisseaux même dans leurs parois. Les nerfs recoivent des vaisseaux pour leur nutrition, et ont du tissu cellulaire qui leur forme une enveloppe générale, et unit dans leur intérieur les filets qui les composent. C’est, ainsi que le dit Bichat, un entrelacement où chacun donne et recoit. Ensuite, ces tissus générateurs se combinent en nombre et en proportions diverses, pour former la trame, le parenchyme des autres tissus et de toutes les parties. En effet, 1° par l'anatomie, on réduit tout solide quel- conque, à une trame cellulo-vasculo-nerveuse : qu’on dis- sèque une glande, par exemple, on n’y découvre que des vaisseaux , des nerfs ramifiés dans une trame cellulaire. 2° Par l’analise chimique , on parvient souvent à réduire à cette même trame commune un solide: qu’on mette, par exemple, un os dans l'acide nitrique, le sel terreux qui incruste le parenchyme est enlevé, et il ne reste que ‘ la même trame cellulo-vasculaire. 3° C’est une trame de ce genre qui se développe d’abord en toute cicatrisation , quelle que soit la partie du corps qui soit entamée : dans la fracture de l'os , du cartilage , commedans la plaie de la peau , du muscle , ce sont en eflet des bourgeons charnus qui se développent d’abord , et ces bourgeons sont dans tous ces cas semblables, jusqu’à ce que leur substance nutritive propre les incruste. Or, il est probable que le PARTIES SOLIDES DU CORPS HUMAIN. 11i mécanisme de la formation première de nos parties, est analogue à celui de leur réparation. 4° Enfin , dans les premiers jours de la conception , tout le corps n’estqu’une masse muqueuse , homogène, où nul organe n’est dis- tinct, parce qu'il n'existe encore que Ce parenchyme commun , formé partout des mêmes tissus générateurs ; mais à mesure que chaque parenchyme s’incruste de sa substance nutritive spéciale , chaque solide s’isole : et, suivre les progrès de ces développemens dans le fœtus, c’est, en quelque sorte , assister au dépôt de ces mêmes substances nutritives dans les bourgeons charnus des di- verses plaies. Aussi ces tissus générateurs sont-ils plus précoces que les autres dans leur développement. La masse muqueuse sous laquelle se présente d’abord le fœtus, par exemple, n’est autre chose que du tissu cellulaire , et des vaisseaux exhalans et absorbans, qu'y démontre l’activité de la nutrition à cet âge. Ensuite , les vaisseaux et les nerfs sont les premières parties qui se laissent distinguer dans cette masse muqueuse. Les quatorze autres tissus , au contraire; savoir, les systèmes osseux, médullaire , cartilagineux , fibreux, fibro-cartilagineux , musculaire animal , musculaire orga- ñique, muqueux , séreux, synovial, glanduleux,dermoïde, épidermoïde et pileux ; exigent toujours, pour leur forma- tion , le concours des précédens, la trame commune que nous avons vu résulter de leur association , et sont, à cause de cela, appelés composés. Tous sont formés de ces tissus générateurs , qui seulement, dans chacun, s’as- socient en des proportions et en nombre différens, aflec- tent des dispositions diverses, et ‘par conséquent s’in- crustent de substances nutritives spéciales. Le tissu os- , 112 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. seux, par exemple, n’est que la trame commune in- crustée de phosphate de chaux. Alors tous ces Lissus, tant générateurs que composés , se réunissent pour former les divers solides indiqués. Un os, par exemple , est un composé des tissus, osseux dans. son corps , médullaire dans son intérieur, fibreux à son extérieur , cartilagineux à ses extrémités ; plus les divers tissus générateurs qui entrent dans la composition du parenchyme de chacun de ces tissus plus composés. Un organe n’est qu’un composé de plusieurs tissus, Enfin, comme par l'association de plusieurs tissus, sont conçus avoir été faits les divers solides organiques ou les organes , on réunit généralement en un même groupe tous les organes qui concourent à l’accomplisse- ment d’une même fonction ; et on appelle ce groupe appareil. On appelle , par exemple , appareil digestif l’ensemble de tous les organes qui exécutent la digestion. Ainsi , l’on peut indiquer la composition des solides , à partir de leurs derniers élémens. Les fibres primitives, cellulairé , nervale , etc., forment d’abord les divers tissus: ces tissus ensuite, en s’associant en proportions et en nombre différens , en affectant des textures diverses, constituent les douze solides organiques spécifiés, ou les organes ; et enfin , les organes , en se groupant pour l’accomplissement d’une même fonction, forment les appareils. De cette manière , chaque partie du corps humain peut être dénommée, définie ; et le flambeau de l’analise est porté dans la structure de cet être, quel- que complexe qu'elle soit. . Mais, l'existence isolée des tissus n'est-elle pas une abstraction ? On ne les trouve pas tous séparés dans l’éco- nomie, et quelques-uns même n’ont jamais été aperçus: PARTIES SOLIDES DU CORPS HUMAIN. 113 les éxhalans et absorbans nutritifs , par exemple. Bichaë répond à cette objection par des considérations relatives à leur composition matérielle et à leurs actions. Sous le rapport de la composition matérielle , en effet, 1° chaque tissu a généralement une forme différente ; le tissu cellulaire ressemble à une spongiosité ;.les tissus vasculaires ont la forme de canaux; le nerveux a celle de cordon; le musculaire , celle de faisceaux , etc. Ce- pendant, ce premier caractère distinctifn’est pas absolu; car souvent des systèmes différens ont une même forme; et souvent aussi un même système a, dans divers endroits de son étendue, des formes différentes : les systèmes nerveux , osseux, fibreux , par exemple, ont également et à la fois les formes de cordon et de membrane; 2° cha- que tissu a une organisation différente; dans chacun, en effet , le nombre des tissus générateurs , leurs pro- portions ne sont pas les mêmes ; chacun a une texture qui lui est propre , une nature chimique spéciale; chacun offre des propriétés physiques diverses : tous, enfin, se comportent différemment à la macération , à l’ébullition , dans leur putréfaction , à l’action des acides , des alkalis ; c’est ce qui résulte de nombreuses expériences que Bichata consignées dans son Anatomie générale, et qui étaient tentées moins pour découvrir la composition chi- mique de nos solides , que pour faire éclater la diversité d'organisation des différens tissus qui les composent. Sous le rapport des actions, ces tissus sont encore plus distincts : 1° chacun a , pendant la santé, ses actions propres; le tissu nerveux a la sensibilité, le musculaire l'irritabilité , le système exhalant perspire , l’absorbant absorbe , le glanduleux sécrète ; chaque tissu surtout a son mouvement nutritif spécial par lequel il se maintient 1. 8 114 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. ce qu'il est. 2° Les actions de santé qu’exerce un tissu , sont les mêmes dans les divers organes que ce tissu con- court à former. Le tissu séreux, par exemple , rem- plit la même action d’exhalation à l’arachnoïde , à la plèvre, au péritoine. 5° Chaque tissu a aussises maladies propres , le dermoïde a les divers exanthèmes , le mu- queux les aphtes. 4° Les maladies propres à un tissu se manifestent avec les mêmes caractères , quel que soit l'organe dans la composition duquel ilentre : ainsi , l’in- flammation du tissu séreux a partout la même nature, à l’arachnoïde, à la plèvre, au péritoine ; et l’arachnitis, la pleurésie et la péritonite , sont des maladies d’un même genre. 5° Les maladies communes à tous les tissus prennent , dans chacun ; une physionomie différente , l’inflammation, par exemple ; cette inflammation , en effet , n’est pas la même pour les symptômes , la durée, la terminaison , dans la peau, le muscle , la glande; combien de différences entre l’érysipèle , le phlegmon, le rhumatisme ? 6° Souvent dans les maladies , l'affection ne frappe pas tout un organe, mais seulement un des tissus qui le forment; c'est ainsi , par exemple, qu’on signale des affections isolées de l’arachnoïde et du cer- veau, de lamembrane interne du cœur et du tissu propre de ce viscère , etc. 7° Enfin, un organe unique, com- posé de plusieurs tissus, peut être atteint à la fois de deux maladies différentes , mais qui seront fixées chacune sur un de ses tissus composans ; c’est ainsi qu’une affec- tion aphteuse peut exister à la membrane muqueuse du laryax, tandis que le virus syphilitique attaque les carti- lages de cet organe. Ainsi, Bichat justifie la base sur laquelle repose la manière dont il décompose les solides organiques du PARTIES SOLIDES DU CORPS HUMAIN. 115 corps humain, et le public a confirmé son jugement. Sa doctrine anatomique est aujourd’hui la plus généra- lement professée ; aucune ne me semble préférable. Peut-être seulement a-tl trop particularisé et trop multiplié le nombre de ses systèmes ? Le système muscu- laire organique , par exemple, ne diffère du système musculaire animal que par les nerfs qui président à ses mouvemens ; le système synovial peut-être pourrait être rapporté au tissu séreux. On peut aussi regretter qu'il ait omis un tissu bien distinct, et par sa structure et par ses actions , le tissuérectile, qui forme toutes les parties dont le mode de motion consiste à se dilater et à se laisser pénétrer par plus de sang. Mais , il est facile de corriger ces légères imperfections , et Bichat aura toujours la gloire d’avoir le mieux décomposé les solides organiques, et d’avoir créé l'anatomie générale. Aujour- d’hui , rectifiant sa doctrine, on ne reconnaît que douze systèmes primitifs ; le cellulaire; le vasculaire, qui se subdivise en artériel, veineux et lymphatique; le ner: veux , divisé en celuides ganglions et celui du cerveau ; l'osseux; le cartilagineux ; le fibreux, comprenant le fibreux proprement dit , le fibro-cartilagineux et le der- moïde ; le musculaire, divisé en musculaire volontaire, et musculaire involontaire ; l’érectile ; le muqueux; le séreux ; le corné ou épidermique , subdivisé en pileux et épidermoïde; enfin, le parenchymateux, qui forme les viscères , et auquel se rapporte le glanduleux. Tels sont les différens solides qui composent le corps humain, et les élémens profonds qu’on y a signalés. Quel- ques anatomistes ont voulu pénétrer plus loin encore à l'aide du-microscope. Nous ne voulons pas parler des re- cherches faites avec cet instrument dans la vue de péné- 8* 116 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. trer la texture particulière de quelques organes : par exemple, celle des fibres musculaire , nerveuse , etc. ; nous nous en occuperons à l’article de chacun de ces systèmes. Mais on a ; par le microscope, spécifié d’autres élémens communs de nos organes. J. F. Méckel, par exemple, dit que tous les solides comme les fluides du corps humain, sont formés de deux substances élémen- taires : 1° des globules; 2° et une matière amorphe , qui est concrète dans les uns et liquide dans les autres. Mais, comme ceci est commun aux fluides ainsi qu'aux soli- des , nous remettons à en parler à l’article suivant. ARTICLE Il. Des Parties fluides du Corps humain. On sait qu’on appelle fluide tout corps dont les molé- cules sont écartées et rendues peu adhérentes entreelles, à raison d’un autre corps qui est interposé entre elles, et qui est ce qu'on appelle l'agent de fluidification. Get agent de fluidification est le calorique. Qu’on fournisse du calorique à un corps , il devient fluide; qu’on lui en enlève , il redevient solide; nul corps ne passe de l’état solide à l’état fluide, sans absorber du calorique aux corps environnans ; et nul ne passe de l’état fluide à l’état solide, sans dégager du calorique. On sait encore qu'il y a trois espèces de fluides , d’après le degré d’écartement de leurs molécules et l’état dans lequel est en eux l’agent de flui- dification , des liquides , des gaz ou fluides élastiques , et des vapeurs ; des liquides , quand leurs molécules se séparent par le fait seul de leurs poids , et tendent à se mettre de niveau , si elles sont abandonnées à elles- mêmes; des gaz, quand leurs molécules sont tellement PARTIES FLUIDES DU CORPS HUMAIN. , 0 D écartées par le calorique , qu'elles cessent tout-à-fait d’obéir à la force de cohésion, et qu’elles tendent , au contraire , à s’écarter toujours davantage ; enfin, des vapeurs , quand le calorique qui donne au corps la forme de gaz , n’est qu'interposé entre les molécules de ce corps ,et non combiné avec elles ; de sorte que, s’il est présenté à ce ealorique un autre corps qui ensoit meilleur conducteur , il le suit, laisse les molécules du premier se rapprocher, et la vapeur se condenser et redevenir liquide. Enfin , de même qu'il y avait des solides plus ou moins solides , il y a des liquides plus ou moins liquides , et des gaz plus ou moins gaz : l'instrument appelé aréo- mètre mesure les degrés de densité des liqueurs , et c’est sur la différence de densité des gaz qu’est fondé le phénomène des aérostats. Or, il est dans la composition matérielle du corps hu- main beaucoup de parties qui, ayant les conditions phy- siques que nous venons de rappeler, méritent d’être dites des fluides : on les appelle fluides organiques ou humeurs. Nous avons dit plus haut que l'existence des fluides , dans le corps desêtres vivans , était commandée par le mode de conservation de ces êtres , qui est une nutrition. Une nutrition, en effet, suppose un mouve- ment de composition, et un mouvement de décomposi- tion ; et, dans l’un et l’autre de ces mouvemens, c’est dans l'intimité des organes que s’appliquent les molé- cules qui composent, et de cette intimité que se déta- chent les molécules qui décomposent. Or , pour que ces molécules puissent ainsi, dans le premier cas, pénétrer la substance de l’être , et, dans le deuxième , s’en déta- cher , il fallait bien nécessairement qu’elles aient l’état de fluides. 118 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL, À ce titre, des fluides doivent exister dans.le corps humain; ils en forment une partie considérable , supé- rieure même à la masse des solides. Formés par les divers organes du corps, contenus dans des vaisseaux , des réservoirs, dans les vacuoles des tissus aréolaires qui composent les parties ; ces fluides offrent au plus léger examen les plus grandes différences sous le rapport de leurs propriétés physiques et chimiques ; que d’opposi- tions , par exemple ; entre le sang, qui est rouge, et le lait , quiest blanc; entre le sang , quiestriche en fibrine, et la {ymphe, qui est riche en albumine. En ayant égard à l’ordre dans lequel ils dérivent les uns des autres , on peut les rapporter à trois classes : les humeurs des absorptions , ou destinées à faire le sang, l'humeur spécialement nutritive, ou le sang lui-même, et les humeurs sécrétées, ou provenant du sang. 1° Humeurs des absorptions. C’est une absorption , avons nous dit, qui saisit en premier lieu les matériaux propres à nous nourrir , et qui les élabore aussitôt , de manière à en faire un fluide. Il est donc conve- nable d’indiquéer d’abord les humeurs qui résultent de ces actions d’absorptions, puisque cés humeurs sont les premières faites, et en même temps celles desquelles dérivent toutes les autres. Or, dans l’homme, on peut séparer d’abord l’absorption externe, qui recueille les matériaux nutritifs provenant du dehors, et l'absorption interne, quirecueille ceux qui proviennent de l’économie elle-même ; ensuite cette absorption interne est double, lymphatique et veineuse : de là trois humeurs d’absorp- tion , le chyle, la lymphe . et le sang veineux, Le chylé est un fluide généralement blanc, qu’un ordre de vais- seaux particuliers, appelés chylifères, puise dans l'in- PARTIES FLUIDES DU CORPS HUMAIN. 11 teslin, et qui, provenant des alimens , est l'humeur de l'absorption externe. La lymphe estun fluide blanc aussi, ou rosé, qui est rapporté de toutes les parties du corps par un autre ordre de vaisseaux absorbans, appelés lymphatiques , ét qui provenant, en partie au moins , de matériaux puisés dans l’économie elle-même, est une humeur de l’absorption interne. Enfin, le sang veineux est un fluide d’un rouge brun , rapporté aussi de toutes les parties du corps par un ordre de vaisseaux particu- liers, appelés veines, et qui, comme la lymphe, pro- venant en partie au moins de matériaux pris dans les organes, doit être dit comme elle une humeur de l’absorp- tion interne. Cestrois premières humeurs sont également destinées à former l’humeur immédiatement nutritive ; aussi confluent-elles l’une dans l'autre; et elles sontréu- nies, quand elles arrivent à l'organe respiratoire, qui est chargé de faire cette humeur nutritive : le chyle, par exemple, après un cours plus ou moins long, se mêle à la Iymphe; puis la lymphe aboutit au sang veineux. 2° Humeur immédiatement nutritive. Ges trois pre- mières humeurs se changent dans l’organe respiratoire en celle qui seule peut vivifier Le corps et le nourrir; et, de là, la convenance de mettre en second ordre cette humeur , qui d’ailleurs , en même temps qu’elle dérive des précédentes , fournira la matière de toutes les autres. Cette humeur est le sang artériel, fluide rouge, qui se fait dans le poumon par l’action de l’air atmosphérique sur les humeurs des absorptions , est porté de là à toutes les parties du corps, ‘pour y servir aux nutritions , aux calorifications , aux sécrétions, et leur fournir le sti- mulus qui les fait vivre, et que seul il possède. 5° umeurs sécrétées. Enfin, du sang artériel éma- 120 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. nent par l’action des organes sécréteurs beaucoup d‘hu- meurs diverses, qu’il est bon conséquemment de n’in- diquer qu’en dernier ordre. Celles-ci sont très -nom- breuses ; et, tandis que les humeurs des deux premières classes avaient généralement pour but de former le fluide commun qui vivifie et nourrit toutes les parties, les humeurs sécrétées remplissent des usages très-divers, tantôt servent à la formation des fluides précédens , tantôt effectuent la décomposition, quelquefois la géné- ration , dans certains cas ne font qu’assurer l'intégrité physique des parties. D’après la forme de l’orgene sé- créteur qui les fabrique, on les subdivise en trois ordres: les humeurs perspirées ou exhalées , les folliculaires et les glandulaires. A. Les humeurs sécrétées, exhalées ou perspirées, sont celles que fabrique avec le sangle genre d’organe sécré- teur qu’on appelle organe exhalant , et dont nous indi- querons le caractère par la suite. [1 y en a un fort grand nombre ; elles sont sous forme de vapeurs, et diffèrent beaucoup les unes des autres par leurs propriétés phy- siques et chimiques , et par leurs usages. Elles sont dis- tinguées surtout en ce que les unes ne sont pas rejetées au dehors, mais sont reprises par l’absorption lympha- tique ou veineuse, et reportées dans le torrent circu- latoire , ce qui les a fait nommer récrémentitielles ; tandis que les autres sont excrémentitielles, c’est-à- dire, rejetées hors de l’économie. Les premières sont toutes produites dans des cavités intérieures, qui ne communiquent pas au dehors. En voici l’énumération : 1° les humeurs séreuses, produites par les membranes séreuses qui tapissent les cavités splanch- niques , et qui sont en même nombre que ces membranes ; \ Æ- PARTIES FLUIDES DU CORPS HUMAIN. 12% savoir : les humeurs séreuses de l’arachnoïde, de la pleure , du péricarde , du péritoine , de la tunique vaginale ; 2° la synovie, produite par la membrane interne des articulations mobiles ; 3° la sérosité du tis- su lamineux, qui est aux lames de ce tissu ce que sont les sucs séreux à leurs membranes propres ; 4°la graisse, humeur formée par un tissu particulier, appelé tissu adipeux, qui remplit divers usages mécaniques relatifs aux parties qu’elle entoure, et qui, peut-être, est une provision mise en réserve pour la nutrition ; 5° la moelle etle suc médullaire, humeurs du genre de la graisse, existant dans les os, et utiles à la conservation de ce genre d'organes ; 6° l'humeur colorante de la peau, versée à la surface du derme, sous l’épiderme, et à laquelle cette membrane doit sa couleur ; 7° les humeurs colorantes de l'iris, de l’uvée et de la choroïde dans l'œil , qui ont beaucoup d’analogie avec la précédente , et qui remplissent, sans doute , un usage physique re- latif à la vision ; 8° les trois humeurs de l'œil, humeur aqueuse, cristallin, et corps vitré, qui font dans cet organe l'office de verres réfringeans ; 9° la l{ymphe de Cotugno , humeur très-limpide qui remplit le labyrinthe, et sert à l'audition; 10° l'humeur des ganglions lym- phatiques et glandiformes, suc gélatino-albumineux, ou lactescent, ou rougeâtre, qui existe dans le tissu spon- gieux de ces organes; 11° enfin , l'humeur perspirée à la surface interne de tout vaisseau ; mais on à quelques motifs de douter de l’existence de cette dernière. A ces humeurs perspirées récrémentilielles , on peut encore ajouter celles qui existent dans l'œuf humain, savoir: l'eau de l’amnios , dans laquelle est plongé le fœtus ; l'eau du chorion, qui n'existe que dans les premiers 122 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL mois de la grossesse, et est rassemblée entre le chorion et l’amnios ; et l’eau de la vésiculeombilicale, que Von assimile au jaune de l'œuf, et qu’on croit destinée à nour- rir le petit embryon avant le développement du placenta. Les humeurs perspirées excrémentitielles , au con- itraire, aboutissent toutes à des surfaces externes du corps ; à la peau; et aux membranes muqueuses , qui , ayant une communication avec le dehors par des ouver- tures naturelles , peuvent , à cet égard, être considérées comme surface externe. La peau n’en offre que deux, l'humeur de la perspiration cutanée, où transpira- tion insensible, une des principales excrétions du corps, et l'humeur de la sueur. Les membranes muqueuses en présentent un plus grand nombre; et on peut les distinguer comme le sont ces membranes elles-mêmes ; savoir : 1° les humeurs petspirées de l'appareil respi- raloire, Vapeurs analogues à celle de la transpiration cutanée, exhalées à la surface de la conjonctive, dans les cavités nasales, au larynx , à la trachée-artère, et dans les vésicules bronchiques ; peut-être elles diffèrent en ces divers lieux ; c’est à elles que se rapporte l’humeur de la perspiration pulmonaire; 9° les humeurs pers- pirées de l'appareil digestif , vapeurs de même genre, exhalées à la surface des membranes de la bouche, du pharynx , de l’œsophage, de l’estomac et de l'intestin , et qui remplissent dans chacune de ces parties des usa- ges divers : à l’estomac, par exemple , cette vapeur con- court, sans doute, à la composition du prétendu sue gastrique, qu’on a dif s’accumuler dans ce viscère pour la digestion des alimens. À ces humeurs aussi, doivent être rapportées celles qui sont perspirées dans l’intérieur de la caisse du tympan et des cellules mastoïdiennes , PARTIES FLUIDES DU CORPS HUMAIN, 125 dans l’intérieur des conduits excréteurs des glandes sa- livaires , du pancréas , du foie et de la vésicule biliaire ; 5° les humeurs perspirées de l'appareil urinaire, qui sont produites à la surface interne des uretères, de la vessie et de J’urètre; 4° enfin, les humeurs perspirées de l'appareil génital , que produit la surface interne des vésicules séminales et des conduits éjaculateurs dans l'homme, et de utérus et du vagin dans la femme. Chez la femme, cette exhalation devient, pendant tout le temps de la fécondité , de mois en mois, durant quatre ou cinq jours , un écoulement sañguin, qu’on appelle règles où menstrues; et, après l’accouchement, cette même exhalation , devenue plus abondante et ayant pris un autre caractère , fournit l'humeur des lochtes, liquide d’abord sanguin, et qui devient graduellement séreux et puriforme. B. Les humeurs sécrétées folliculaires sont celles qui sont sécrétées par le genre d’organe sécréteur , appelé follicule, dont nous indiquerons aussi le caractère à l’article des sécrétions. Elles sont en grand nombre aussi, mais toutes excrémentitielles , et par conséquent, aboutissent également et exclusivement aux deux surfaces externes du corps, à la peau et aux membranes mu- queuses. La peau n’en offre qu’une, Fhumeur sébacée, huile douce et muqueuse , que produisent les follicules qui sont dans l'épaisseur de cette membrane , et qui sert à en entretenir le liant et la souplesse ; elle varie un peu dans les différentes régions de la peau. On peut lui rapporter : 1° le cérumen, substance oléo-muqueuse , qui est sécrétée dans le conduit auditif externe, pour éloigner, par son amertume , les insectes qui seraient tentés d'y pénétrer; 2° l'humeur ciliaire ou de Meïbo- 194 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL, mius qui, versée à la base de chaque cil, entretient le bon état de ce petit organe ; 3° l’humeur de la caruncule lacrymale, qui , sécrétée par le follicule de ce nom, lu- brélie les points lacrymaux ; 4° enfin, l'humeur onc- tueuse, odorante , qui est sécrétée à la base du gland chez l’homme, et à la face interne de,la vulve chez la femme. Les humeurs folliculaires qui sont versées sur les surfaces muqueuses portent le nom générique de mucus; bien qu’analogues entre elles, on les distingue aussi en mucusde l'appareil respiratoire , qui forment les matières du moucher et de l’expectorer; mucus de l’ap- pareil digestif, qui sont peut-être différens aux diverses régions de ce grand appareil; mucus de l'appareil uri- naire; et mucus de l'appareil génital. À ces derniers , se rapportent l'humeur de la prostate, et celle des glan- des de Coowper, follicules composés et glandiformes, qui existent dans les voies excrétoires de l’appareil gé- nital; et aux mucus de l’appareil digestif se rapporte l'humeur des tonsiles, follicules composés, qui sont situés dans le pharynx. C. Enfin, les humeurs sécrétées glandulaires sont celles que sécrète le genre d'organes sécréteurs appelé glande. Elles sont au nombre de sept : 1° l’humeur la- crymale , qui est limpide, et versée à la surface anté- rieure de l’œil, pour absterger cet organe; 2° l'humeur salivaire , qui est versée dans la bouche, pour faciliter la gustation, la mastication, la déglutition et la diges- tion des alimens ; 5°l’humeur pancréatique, qui est ver- sée dans l'intestin duodenum, pour la digestion ; 4° la bile, sécrétée par le foie, et versée dans le même lieu pour le même usage; 5° l’urine, fluide que sécrètent les reins, et qui eflectue la décomposition du corps : PARTIES FLUIDES DU CORPS HUMAIN. 129 6° le sperme, fluide qui, dans la génération, avive le germe; 7° enfin, le lait, fluide sécrété par la glande mammaire , consécutivement à l’accouchement, et des- tiné à servir d’aliment à l'enfant qui vient de naître. Telles sont toutes les humeurs du corps humain. Ge n’est pas ici le lieu de donner sur chacune d’elles les détails relatifs à leur mode de formation , leur nature chimique , leurs usages; ces détails seront offerts à l’ar- ticle de la fonction à laquelle ces humeurs appartien- nent. Ici nous allons nous borner , comme nous l’avons fait pour les solides , à quelques considérations générales. D'abord, les humeurs du corps humain ont bien toutes les conditions physiques qui les constituent des fluides , c’est-à-dire, des corps dont les molécules ont peu de co- hérence , et sont mobiles les unes sur les autres. Elles sont aussi, ou des liquides, ou des gaz, ou des vapeurs. Mais , nous dirons d’elles ce que nous avons dit des so- lides , que leur fluidité ne lient pas aux forces générales de la matière, mais à celles de la vie. En effet, la vie se modifie-t-elle pendant le cours de l'existence ? La fluidité et les autres propriétés physiques des humeurs changent aussi ; le sang, par exemple, est très-liquide ou très-épais , la graisse compacte ou coulante, etc. De même la vie s’éteint-elle, y a-t-il mort? les humeurs se détruisent, comme les solides se putréfient. Ensuite, les humeurs du corps humain ne sont pas- plus des corps simples que les solides organiques : de même, on trouve en eux deux espèces d’élémens , des élémens chimiques et des élémens organiques : et enfin, ces élémens sont les mêmes que ceux que nous avons indiqués à l'égard des solides. Cela devait être, en effet, puisque dans la nutrition, ce sont les fluides qui, 126 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. d’une part, fournissent les matériaux qui composent Îles solides, et qui, de l’autre, exportent ceux dont ces so- lides se dépouillent. Ajoutons encore que ce ne sont pas les aflinités chimiques ordinaires qui associent ces élé- mens pour former les humeurs , mais bien les forces de la vie; de sorte que la chimie est également incapable de faire pénétrer le secret de leur formation. Ce sont les mêmes considéralions que celles que nous avons présen- tées à l’article des solides. Enfin, les humeurs composées de molécules qui rou- lent facilement les unes sur les autres, n’ont pu , comme les solides , être ramences à des parties élémentaires pri- mitives. On s’est seulement livré à des recherches mi- croscopiques , qui les a fait voir généralement composés de globules nageant dans un fluide. A l’histoire de chaque fluide en particulier , du chyle, du sang, par exempie, nous dirons ce qu'ont appris ces recherches microsco- piques. Nous nous bornerons ici à rappeler que, selon J. F. Meckel, onretrouve, dans les humeurs , les deux mêmes substances élémentaires des solides , des globules, et une matière amorphe liquide , dans laquelle les glo- bules sont suspendus. De même que certains solides n’ont paru formés que par la substance amorphe concrète , et ne pas contenir de globules, le tissu cellulaire , par exemple , les parties fibreuses ; de même certains fluidés sont aussi sans globules, et formés par la seule sub- stance amorphe, qui seulement est liquide. Dans d’autres solides et fluides, au contraire , on a trouvé à la fois, et des globules , et la matière amorphe, concrète dans les uns, et liquide dans les autres. Mais les globules varient un peu dans les divers solides et fluides, et dans une même partie selon les âges. Ceux du sang , par exemple, PARTIES FLUIDES DU CORPS HUMAIN. 27 sont composés d’une partie centrale solide , et d’une en- veloppe extérieure colorée. Geux du chyle ne paraissent être que la première partie centrale sans l'enveloppe colorée. Ceux de la fibre musculaire semblent être ceux du sang; ceux des nerfs, de la substance cérébrale aussi, sinon qu'ils sont plus petits. Ceux des reins sont plus petits que ceux de la rate, etc. Dans les premiers temps de la conception ces globules n’existent pas encore; mais bien- iôt ils se forment , et sont plus distincts alors qu'ils ne le seront par la suite. Terminons cette histoire des fluides par quelques con- sidérations sur les classifications selon lesquelles les au- teurs les ont disposées. D'abord , les Anciens rapportaient toutes les humeurs à quatre : le sang , la bile , le phlegme ou pituite, et l’atrabile. À la prédominance de chacune d’elles , ils fai- saient correspondre un des âges , une des saisons , un des climats, un des tempéramens. [1 y avait prédominance du sang dans la jeunesse , au printemps , dans les pays de montagne et froids, et dans le tempérament sanguin ou inflammatoire. La prédominance de la pituite existait au contraire dans la vieillesse, l’hiver , les pays bas et humides, et dans le tempérament lymphatique. Celle de la bile s’observait dans l’âge mur , l'été, les pays chauds, le tempérament bilieux. Enfin , la prédominance de l'atrabile était l’attribut de l’âge mur plus avancé , de l'automne , des pays équatoriaux et du tempérament mé- lancolique. Tel était leur grand système humoral. Mais d’abord, l’atrabile n’existe pas ; les capsules surrénales, que l’on disait être les organes sécréteurs de cette hu- meur , sont des ganglions Iymphatiques glandiformes ; ‘les humeurs noires , que l’on trouve quelquefois dans l’es- 128 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL, tomac et que l’on vomit, ne sont que de la bile altérée. Ensuite , qu'est-ce que la pituite ? est-ce la lymphe ? ou, sous ce nom, comprenait-on tous les sucs blanes ? Enfin, que d’objections à faire à l'application qu’avaient faite les Anciens de ces humeurs à la doctrine des âges et des tempéramens , et que ce n’est pas ici le lieu d'exposer ? Ensuite , on classa les humeurs d’après leurs propriétés physiques et chimiques : par exemple, on les partagea en liquides, en vapeurs et en gaz; en acides , alkalines et neutres ; en épaisses et en ténues / Pitcarn et Michelot }; en aqueuses , mucilagineuses, gélatineuses et huileuses (Haller) ; en salines , huileuses , savonneuses, muqueu- ses, albnmineuses et fibrineuses {Vicq-d’'Azyr et Four- croy ), etc. Mais en quoi une classification de ce genre peut-elle servir la connaissance du mécanisme de la vie? De la notion de la nature chimique d’une humeur , on peut rarement en conclure sa fonction. La chimie , d’ailleurs, est-elle assez puissante pour pouvoir constater la composition chimique de chaque humeur ? Enfin, on a cherché à classer les humeurs d’après leurs usages dans l’économie de l’homme ; et , sous ce rapport, on en a fait deux classes, selon qu’elles effec- tuent la composition ou la décomposition du corps ; humeurs de composition , alimentaires et nutritives ; et humeurs de décomposition , secondaires, excrémen- titielles. Ayant égard à ce qu’elles deviennent au sortir de l’organe qui les a fabriquées , on en a fait trois classes ; selon qu’elles sont en totalité rejetées hors du corps , ou en totalité reportées par l'absorption dans le torrent cir- culatoire, ou en partie excrétées et en partie résorbées. C’est sur ce fondement que reposait cette division, qui a si long-temps régné dans les écoles, des humeurs exeré- ts ” + ; PARTIES FLUIDES DU CORPS HUMAIN. 129 mentitielles , récrémentitielles , et excrément-récrémen- zitielles. Bichat croit que cette dernière classe doit être rejetée , et que toute humeur est , ou excrémentitielle , ou récrémentitielle. M. Richerand, au contraire , pense que toute humeur est excrément-récrémentitielle; que le chyle, par exemple , qui paraît le plus évidemment une humeur récrémentitielle, a des parties hétérogènes “dont il se dépure : et que l’urine, qui semble entièrement excrémentitielle , a quelques-uns de ses principes qui sont résorbés. On a vu la classification d’après laquelle nous avons fait l’'énumération de toutes les humeurs du corps hu- main; nous l’avons prise : et dans Blumenbach , qui a partagé les humeurs en humeurs crues, en sang, et en humeurs sécrétées; et dans Dumas , qui a établi des hu- meurs de première , deuxième et troisième formation. On peut choisir entre elle et celle de M. le professeur Chaussier , qui fait cinq classes d’humeurs : celles pro- duites par l’action digestive (le chyme et le chyle) ; les humeurs circulantes (la lymphe et le sang) ; les humeurs perspirées, les humeurs folliculaires et les humeurs glan- dulaires. . AnTicse IL Considérations générales sur le concours des Solides et des Fluides. : Gonnaissant maintenant les solides et les fluides orga- niques qui composent le corps humain ,il faut noter quel- ques faits qui sont relatifs à leur concours dans l’écono- mie; savoir ; leur situation, leurs usages et leurs pro- portions respectives. 1° Situation. Gomme les molécules des liquides ont 1. 9 130 DE L'HOMME EN GÉNÉRAG. peu de cohérence entre elles , on conçoit que les liquides doivent être les parties contenues , et les solides , au con- traire , les parties contenantes. Aussi , est-ce pour cela queces solides sont figurés en vaisseaux , en réservoirs ; qu'ils laissent entre eux et dans eux des aréoles , des va- cuoles , où sont recueillis les fluides. 2° Usages. Les solides et les fluides remplissent , à l'égard les uns des autres, des usages réciproques, et: entre lesquels il est difficile d'établir une priorité. D’une part , en effet, ce sont les solides qui forment les humeurs. Ce sont les vaisseaux absorbans divérs , chyleux, lymphatiques et veineux, qui font chacune des trois humeurs de la première classe , au des absorptions. C’est le poumon, qui, dans l’acte de la respiration , fait l'humeur de la seconde classe, ou le sang artériel. Enfin , les humeurs de la troisième classe ou sécrétées, sont formées chacune par l’action d’organes particuliers , les organes sécréteurs. Toute humeur est donc le produit de l’action d’un organe ; aucune n’est simplement un fluide qui , par la voie de l'absorption externe, aurait pénétré du dehors dans l’économie. Souvent, à la vérité, les matériaux en sont pris au dehors, mais il faut que ces matériaux soient élaborés par un solide pour que. l'humeur soit faite. Enfin, lorsque mêmeune humeur va en s’élaborant et se perfectionnant successivement, à mesure qu’elle chemine dans l'appareil vasculaire qui lui est destiné ( comme on verra que cela est du chyle, de la lymphe), c’est encore un solide qui opère en elle ce perfectionnement ; il n’est pas dû , comme on pourrait le croire , à la réaction spontanée des principes composans de l’humeur les uns sur les autres, à un mouvement intestin et de fermentation de cette humeur. = CONCOURS DES SOLIDES ET FLUIDES. 131 D'autre part, les fluides ne servent pas moins les so- lides ; 1° ils les forment, ou au moins fournissent les matériaux qui les recomposent : n'est-ce pas, en effet, le sang qui nourrit tous les solides , et qui se change dans la substance de chacun d’eux ? 2° Ils en sont les résidus: ce sont eux qui entraînent ce que les solides rejettent pour leur décomposition. 3° Enfin , les fluides sont par- tout les excitansdes solides , ce qui provoque ces solides à l'exercice de leurs actions. Le sang, par exemple, est un fluide dont la présence est nécessaire en tout organe, non-seulement pour qu’il se nourrisse , mais encore pour qu'il ne meurepas instantanément , et puisse exercer sa fonction propre. Ainsi les usages des solides et des fluides sont réci- proques ; et c’est ce qui devait être déduit de la seule réunion des uns et des autres dans l’économie; les solides sont formés par les fluides , et les fluides par les solides ; sans cesse les solides se fluidifient , et les fluides se soli- difient. Les fluides renouvellent les solides, et les dé- pouillent de ceux de leurs matériaux que la vie a usés; les solides forment ces mêmes fluides qui les recompo- sent et les décomposent. C’est un cercle où l’on revient toujours à ce concours mutuel des uns etdes autres, dans lequel on ne peut indiquer le commencement ni la fin. Cela seul frappe d’absurdité les théories exclusives de solidisme et d’humorisme, qui ont si long-temps divisé les médecins , dans lesquelles on voulait tour à tour faire jouer un rôle exclusif aux solides et aux fluides pour la production des phénomènes de la vie. On voit que ces deux sortes de parties sont également nécessaires. Seu- lement , remarquons que les humeurs n’accomplissent, par lefait , aucune des fonctions de l’homme , mais qu’elles * ». 132 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. ne servent qu'à mettre en état d’agir les solides qui sont seuls les instrumens de ces fonctions. * 8° Proportions. Enfin , il nous paraît impossible d’é- tablir avec rigueur les proportions respectives des solides et des fluides. Il n’est aucun moyen de séparer absolu- ment les uns des autres; la quantité de chacun, d’ail- leurs, varie sans cesse. Mais on professe généralement que la masse des liquides l’emporte de beaucoup sur celle: des solides. On ne peut, en effet, entamer un solide quelconque, sans qu’il en découle un liquide. M. Riche- rand dit que les fluides sont dans le corps humain aux solides, comme 6 à 1. M. Chaussier croit la proportion des fluides encore plus considérable, et l'estime, par approximation , comme 9 à 1 : ce professeur ayant mis dans un four un cadavre pesant cent vingt livres, a vu qu'après quelques jours de dessiccation, ce cadavre ne pesait plus que douze livres. Un résultat analogue est obtenu , quand on fait macérer un cadavre, ou qu’on le laisse seputréfier, circonstances qui dissipentles humeurs, et ne laissent que les parties solides. Qui ne sait aussi à quel poids léger , à quelle émacération extrême se réduisent certains malades ? Cependant il me semble que ces expériences sont un peu fautives relativement à La question dont il s’agit ici : dans la calcination, la maccration , la putréfaction du cadavre, par exemple, il y a certainement décomposition de quelques organes , fluidification de quelques solides; de sorte que la pro- portion des fluides a certainement été portée trop haut. Encore une fois, je ne connais aucun moyen de con- naître avec rigueur la proportion respective des solides et des fluides. / ACTIONS DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. 135 CHAPITRE Il. Considérations générales sur les Actions de l'Homme. Les actions qu’exécute l’homme , et qui se produisent en lui, sont nombreuses; la seule complication de son organisalion suffit pour le faire pressentir ; car la nature n’a jamais ajouté de nouvelles parties à la composition matérielle d’un être , que pour lui faire exécuter quelques actes de plus , que parce que les procédés par lesquels il existe sont plus nombreux et plus complexes. Les prin- cipales de ces actions sont même déjà connues ; elles ont été indiquées par cela seul qu’on a assigné à l’homme un rang dans la grande série des êtres de notre globe. Ainsi, puisque l’homme est un être organisé , il est sûr que ses actions constituent une vie; c’est-à-dire un mode d'existence dans lequel il se conserve comme individu par une nutrition , comme espèce par une reproduc- tion , et dans lequel il passe pendant sa durée , qui est limitée , par une série d'états divers, mais constans, appelés âges. Puisque de plus Fhomme est un animal , on sait que parmi les actions que présente sa vie doivent se trouver celles qui le feront sentir, se mouvoir et exprimer ses sentimens. Enfin, puisque l’homme appartient à la première classe des animaux, les articulés internes ou vertébrés , etmême est au premier rang dans cette classe, on est sûr qu'il présentera les plus hauts degrés de com- plication dans chacune des cinq facultés principales dont il est doué. Sa faculté de sentir, par exemple, offrira le concours de cinq sens, et de nombreuses facultés in- tellectuelles et affectives. Sa faculté de se mouvoir lui 134 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. fera effectuer sa station, sa progression , et mille mou- vemens divers. Sa faculté d’expression emploiera des phénomènes de divers ordres, et particulièrement des sons qui seront articulés et convertis en parole. Le mé- canisme de sa nutrition surtout sera fort complexe, et exigera le concours de six fonctions au moins, une di- gestion, une absorption , une respiration , une circulation, une assimilation et des excrétions. Chacune de ces fonc- tions en elle-même sera aussi très-compliquée : l’absorp- ton, par exemple, donnera naissance à trois fluides distincts ; la circulation sera double ; les excrétions seront multiples , et ne seront plus que des dépendances d’ac- tions diverses rattachées à une même fonction , la fonc- tion des sécrétions. Enfin, la reproduction sera elle- même très-compliquée; elle exigera accouplement , et renfermera dans sa généralité une grossesse et un allaite- menti. Mais il s’agit maintenant de faire connaître avec plus de détails ces actions diverses qui composent la vie de l’homme. On leur donne le nom générique de fonctions. Nous allons successivement dire ce que c’est qu'une fonction, spécifier le nombre de celles qui existent dans l’homme, et en établir une classification qui marquera l’ordre dans lequel nous traiterons de chacune d'elles en particulier. ARTICLE [*. Du nombre des Fonctions de l'Homme. La nutrition et la reproduction , ces deux traits carac- térisques de toute vie, ne sont pas plus chez l’homme que chez les autres animaux supérieurs, des actes sim- ples ; elles sont au contraire des résultats qui sont pro- DU NOMBRE DES FONCTIONS. 139 duits par le concours de beaucoup d’autres actions. Par exemple, pour que l’homme se nourrisse, il faut : 1° que des sensations , La faim, le sollicitent à prendre des alimens; et qu’à l’aide de ses sens, il fasse choix de ces alimens; 2° que par des mouvemens volontaires, il effectue la préhension de ces alimens , et les introduise dans la cavité qui doit les digérer ; 5° qu’alors la digestion s’en opère dans cette cavité ; 4° qu’ensuite une absorption vienne puiser dans cette cavité le chyle qui résulte de son travail, et le conduise à l’organe de la respiration, en même temps que les absorptions internes , Jympha- tique et veineuse, y conduisent aussi leurs produits ; 5° qu'alors la respiration. élabore ces fluides, et fabrique avec eux celui qui doit immédiatement nourrir et vivifier les parties , le sang artériel ; 6° que la circulation con- duise ensuite ce sang artériel dans toutes les parties où il doit servir ; 7° que chacune de ces parties s’approprie ce fluide nutritif, et par lui renouvelle sa substance, et maintienne sa température ; 8° enfin , que les matériaux anciens, dont se dépouillent les organes , soient sous forme d’excrétions rejetés au dehors du corps. De même , pour que l’homme se reproduise , il faut : 1° que des sensations fassent désirer et connaître l’indi- vidu de Pautre sexe dont le concours est nécessaire pour cette reproduction; 2° que des mouvemens volontaires établissent avec lui l'union; 5° qu’alors le germe de l’or- gane femelle soit fécondé par le contact du sperme qu’a projeté sur lui l’organe mâle , ce qui s’appelle la concep- tion ; 4° qu’ensuite ce germe fécondé aille s’attacher dans un réservoir, et y commencer ses développemens à l’aide des sucs qu'il puise dans la mère, ce qui constitue la grossesse; 9° que plus tard ce germe se détache, soit 156 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. excrété, et donne naissance à l'individu nouveau , ce qui constitue l’accouchement ; 6° enfin que l'enfant, dansles premiers mois de sa vie, puise sa nourriture dans une des liqueurs de sa mère , soit allaité. Or, ce sont ces actes secondaires, partiels , par les- quels s'effectuent la nutrition et la reproduction, qui sont ce qu'on appelle les fonctions. Ces fonctions consti- tuent ainsi les différens procédés par lesquels un être organisé vit : elles sont, comme le dit M. Richerand, ses moyens d'existence. L'esprit peut les assimiler à chacun des ressorts qui entrent dans la composition d’une machine quelconque. De là même, ce mot fonc- tion, du verbe latin fungt, s'acquitter; et, enfin, nous les définissons les actes divers des êtres vivans , plus ou moins nombreux dans chacun d’eux, bien distincts les uns des autres par l'office spécial qu’ils remplissent , et l’organe ou l'appareil d'organes qui en est l’instru- ment, et à l’aide desquels s’accomplit le mécanisme de leur vie, c’est-à-dire de leur nutrition, de leur repro- duction et de leurs diverses facultés. Nous disons d’abord que ces fonctions sont plus ou moins nombreuses dans la série des corps vivans ; et, en effet, puisque ces fonctions sont les procédés divers à l’aide desquels un être organisé vit, le nombre doit en être différent en chaque être vivant, selon que le mé- canisme de sa vie est plus ou moins compliqué, Puisque les fonctions sont, pour un être vivant, ce que sont les ressorts pour une machinequelconque ; on concoitque de même que le nombre des ressorts peut varier dans celle- ci, selon son degré de simplicité ou de complication , de même aussi le nombre des fonctions varie dans chaque être vivant , selon que la nature a fait simple ou com- DU NOMBRE DES FONCTIONS. 197 pliqué le mécanisme de sa vie. Nous disons, en second lieu , que les actes qu’on appelle fonctions ; doivent être divers , et offrir ce double caractère ; 1° de remplir , dans l’économie animale, un office spécial, et qui puisse être distmgué de tout autre; 2° d’avoir, dans cette écono- mie , un organe ou un appareil d'organes affecté à sa pro- duction. Et, eneffet, puisque les fonctions sont établies sur la distinction analitique des actes par lesquels s’ac- complit la vie, il faut bien convenir des bases d’après lesquelles on fera la distinction de ces actes , sinon l’es- prit, abandonné à lui-même, limitera ou multipliera di- versement ces divisions. C’est ce qui est, en effet, arrivé aux physiologistes , comme on va le voir en recherchant quel est le nom- bre des fonctions dans l’homme, et quelles elles sont. Il règne, sous ce double rapport, la plus grande dissi- dence entre eux. Vicqg-d’'Azyr et Fourcroy, par exem- ple, admettaient neuf fonctions : la sensibilité, la di- gestion , la respiration, la circulation , la nutrition , les sécrétions , la génération , qu’on n’a pas besoin de définir ; l’érritabilité, ou la fonction des mouvemens volontaires , et l’ossification , ou l’action par laquelle se forment et s’entretiennent les os. M. C'uvier en recon- naît aussi neuf; mais ce ne sont plus les mêmes : les sensations , les mouvemens , la digestion , larespiration, la circulation, la génération , qui étaient admises par . Vicq-d'Azyr et Fourcroy : plus, l'absorption, les sé- crétions et la transpiration : Vossification et la nutri- tion ont disparu; et l’on a les excrétions au lieu des sé- crétions, et de plus, labsorption et la transpiration. M. Richerand en compte dix : sensations , mouvemens, digestion, absorption, respiration, circulation, nu- 1358 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. trition ,\sécrétions ; génération , comme les précédens ; et de plus, voiæ etparole. M. Chaussier en établit onze : circulation , respiration, digestion , absorption , sécré- tions, nutrilion, génération , comme les précédens ; plus, les actions d'impression, ou sens externes; les actions de perception , ou sens interne ; les actions d'expression, ou les mouvemens et la voix; et enfin, l’innervation , qui consiste dans l’influence exercée dans l’homme, comme dans tous les animaux supérieurs, par le système nerveux sur quelque partie du corps que ce soit. Bichat, enfin, en établit treize : toujours la diges- tion , l'absorption , la respiration, la circulation , la nutrition, les sécrétions, les sens externes, le sens in- terne , les mouvemens , la voix et la parole, la généra- ion : plus, l’exhalation, qui est un mode de sécré- tion; et la calorification, qui s’entend de l’action par laquelle l’homme entretient sa température propre. D'où proviennent toutes ces diversités ? de trois causes : 1° de ce que plusieurs fonctions sont elles-mêmes des résultats produits par le concours de plusieurs actes, qu'on a pu alors tour à tour réunir ou séparer, pour n’en faire qu'une fonction, ou en faire plusieurs. La digestion , par exemple , résulte du concours de plu- sieurs actes, mastication, déglutition, chymification,ete.; 2° de ce que plusieurs fonctions sont multiples, c’est-à- dire disséminées en plusieurs lieux de l’économie, comme les sensations et les sécrétions , par exemple; de sorte qu’on à pu tour à tour réunir ces actions en une seule fonction, ou en faire des fonctions séparées. C’est ainsi que plusieurs physiologistes ont subdivisé la fonction de la sensibilité en deux, sous les noms de sens externes et de sens interne; que d’autres ont séparé l’exhalation DU NOMBRE DES FONCTIONS. 129 des sécrétions , la transpiration des excrétions ; 3° enfin, de ce que, n’ayant pas précisé les caractères d’après lesquels on doit constituer une fonction , n'ayant rien arrêté sur les bases d’après lesquelles on devait procé- der dans la distinction à faire des actes qui accomplis- sent la vie de l’homme, on a fait tantôt plus, et tantôt moins de divisions. , De ces trois causes de dissidences , les deux premières sont inévitables ; et, il faut avouer qu’à leur égard, il est laissé quelque chose à l'arbitraire dans l'établissement des fonctions. Pour ce qui est des fonctions multiples, par exemple , bien qu’au fond les actes qu’on leur rapporte soient toujours les mêmes, cependant ils offrent aussi en eux quelques particularités; et, dès lors , selon qu’on attachera plus ou moins d'importance à ces particulari- tés, on en fera des fonctions différentes , ou onles rappor- tera à une même fonction. C’est ainsi que beaucoup de physiologistes ont fait des actes intellectuels et affec- tifs, sous le nom de sens interne, une fonction distincte des sens proprement dits , tandis que d’autres ont réuni tous ces actes divers dans la fonction de la sensibilité ou des sensations , parce qu’en effet ils consistent tous en des sentimens qui sont percus. C’est encore ainsi que les uns ont séparé les sécrétions et les excrétions, que d’autres ont réunies. Mais il n’en est pas de même de la troisième; il est certainement possible de spécifier les caractères consti- tutifs d’une fonction ; et, en le faisant , on trouve même un moyen d'échapper, jusqu’à un certain point , à l’ar- bitraire que nous accusions tout à l’heure. Gest pour avoir omis ce soin , que les physiologistes surtout sont si dissidens dans la question que nous traitons ici. Dans 140 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. le défaut absolu de toutes bases propres à fixer leurs divisions , on les voit, dans l’établissement des fonctions, tomber dans l’un ou l’autre des trois vices suivans : 1°ou ils font de doubles emplois , c’est-à-dire considèrent comme formant autant de fonctions séparées des actes qui doivent se rattacher à une seule, comme Vicq- d'Azyr et Fourcroy, quand ils font une fonction dis- tincte de l’ossification , qui n’est évidemment qu’une dé- pendance de la nutrition, celle des os ; 2° ou bien, au contraire , ils rapportent à une seule et même fonction des actes qui doivent en constituer deux, comme lors- qu'on a réuni les mouvemens et la voix ; 3° ou bien enfin, ils ont considéré comme fonctions, des abstractions de l'esprit, ou des résultats obtenus par le concours de tous les actes de l’économie animale, comme quand ils ont fait une fonction de l’animalisation. C’est pour éviter ces écueils, et en même temps pour échapper, autant que possible, à l’arbitraire que nous avons reconnu exister un peu , que nous avons proposé pour caractères spécifiques de toutes fonctions , de rem- plir, dans l’économie animale , un office spécial et bien distinct, et d’y avoir pour instrument un organe ou un appareil d’organes évident. Dès lors, en effet : 1° on ne peut plus faire de doubles emplois , puisqu'on voit bien vite que les actions, qu’on considérait comme autant de fonctions différentes , sont produites par des organes d’un même ordre , et remplissent des oflices d’un même: genre ; on a une règle propre à guider dans ce qui re- garde les fonctions multiples ; 2° on ne peut plus non plus réunir en une même fonction des actes différens , puisqu'on est aussitôt averti de la différence de ces actes par celle des offices qui leur sont dus , et par la diversité " - DU NOMBRE DES FONCTIONS. 141 des organes qui les produisent; 3° enfin, on ne peut plus présenter comme fonetions de pures abstractions de l'esprit, puisqu'on voit aussitôt qu'on ne peut assi- gner pour agent à ces prétendues fonctions aucun or- gane ou appareil de l’économie. Remarquons d’ailleurs, que nous sommes ainsi ramenés à ce qu'il y a de posi- tif dans l’économie , l’action des organes ; car , les fonc- tions, considérées séparément des organes qui les exécu- tent, sont elles-mêmes de simples abstractions de l'esprit; il n’y a pas de digestion , mais un estomac qui digère. Toutefois, d’après ces bases, nous admettons onze fonctions dans l’homme. 1° La fonction de la sensibilité, ou des sensations , qui est celle à laquelle il doit d’avoir un moi, d’avoir perception de sa propre existence, de connaître l’uni- vers , et d’être provoqué à tous les actes qui importent à sa conservation. C’est à l'égard de cette fonction que l’homme est le premier des animaux; elle est chez lui au plus haut degré d’extension, parce qu'il est l’être social par excellence, et à cause de la vocation plus noble à laquelle il est destiné; elle comprend des actes irès-nombreux et très-divers, que nous rapportons à deux ordres : les sensations proprement dites, ou les actions par lesquelles l’âme a perception des impressions diverses reçues par les différens organes du corps ; et les actes intellectuels et affectifs, qui fondent les opérations - de l’âme elle-même, les facultés de l'esprit et du cœur. 2,La fonction de la locomotion , ou des mouvemens volontaires, qui est celle en vertu de laquelle l’homme meut à sa volonté, ou tout son corps. en Masse, ou seulement quelques-unes des parties de son corps, et peut ainsi effectuer les différens rapports extérieurs qui 142 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL, intéressent sa conservation. Multiple aussi, c’est par cette fonction que l’homme assure sa station , accomplit sa progression , meut les organes de ses sens , emploie son instrument de préhension, saisit l’air et les alimens dont il a besoin pour sa nutrition , etc. 3° La fonction des expressions, ou des langages , qui est celle par laquelle l’homme manifeste au dehors de lui les différentes idées qu'il a conçues , les différens sentimens dont il est animé. Gette fonction , qui est dans les animaux en raison de leur degré de sensibilité et de leur puissance dans l’univers, est, à ce double titre, très-étendue chez l’homme : elle comprend deux sortes de phénomènes : 1° des changemens survenus dans l’atti- tude générale du corps, dans la coloration de la peau, dans la pose des membres , changemens qui fondent une expression muette des sentimens intérieurs , et qui sont compris sous le titre générique de gestes ; 2° les actions par lesquelles l’homme profère des sons, et dont les principales constituent ce qu’on appelle la voix et la parole. 4° La digestion, qui est la fonction par laquelle les matériaux nutritifs de l’homme, connus sous le nom d’alimens, sont introduits dans son appareil digestif , et y sont , par une élaboration , amenés à l'état sous lequel l'absorption peut les saisir. Gette fonction ouvre la série des actes par lesquels se fait la nutrition ; elle réclame un rapport avec l'extérieur, c’est-à-dire la préhension des alimens sur lesquels elle opère. Or , on sait que tous les rapports extérieurs qui commencent la nutrition et la reproduction sont laissés chez les animaux à la vo- lonté et à la perception de l'être, et accomplis par la sensibilité et la locomotilité : il ne faudra donc pas s’éton- DU NOMBRE DES FONCTIONS. 149 ner si cette fonction de digestion comprendra, dans sa généralité , quelques actes qui appartiennent aux fonc- tions précédentes ; c’est-à-dire des sensations, comme la faim, puisque les sensations sont les seuls actes de l’économie qui soient percus; et des actions musculaires volontaires , comme la mastication , la déglutition, puis- que les actions musculaires sont les seules de l’économie que la volonté dirige. s 5 Les absorptions , qui sont les fonctions par les- quelles sont recueillies les diverses substances , tant ve- nant du dehors que provenant de l'économie elle-même, avec lesquelles est fait le fluide essentiellement nutritif, le sang artériel. Chez l’homme, ces absorptions sont, comme dans les anima périeurs , de trois espèces : l'absorption externe, ou digestive ; qui recueille le chyle net le produit des alimens dans l’intestin ; et les &bsorp- tions interne, lymphatique et veineuse, qui recueillént , dans toutes les parties, les matériaux usés dont elles se dépurent , et les divers sucs sécrétés récrémentitiels. 6° La respiration, qui est la fonction qui , appliquant dans le poumon l'air atmosphérique aux trois fluides des absorptions, chyle, lymphe , et sang veineux, chan- ge ces trois fluides en celui qui est immédiatement nuütritif et viviliant , le sang artériel. Gette fonction est aussi de celles qui ouvrent la scène de la nutrition, qui exigent un rapport avec l'extérieur, savoir , la préhen- sion de l’air ; dès lors, comme la digestion , elle offrira, dans sa généralité, quelques-uns des actes qui appar- tiennent aux fonctions de la sensibilité et de la locomo- tilité , comme le besoin de l'inspiration, qui est une sensation , et les mouvemens de l'inspiration et de l'ex- piration, qui sont des actions musculaires volontaires. 144 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. 7° La cireulation, qui est la fonction par laquelle sont conduits, d’un côté, de toutes les parties du corps, à l'organe de la respiration , les trois fluides des absorptions , chyle , Iymphe , et sang veineux , pour qu'ils y soient changés en sang artériel; et , d’autre part, ce sang artériel de l’organe de la respiration où il a été fait, à toutes les parties du corps, où il doit servir. Du reste, cette fonction de circulation est différemment définie , selon le lieu où l’on fait com- mencer et finir le cercle décrit par le sang : quand c’est à l'organe de la respiration, sa définition est telle que nous venons de la donner ; quand c’est au cœur, on définit la circulation, l’action par laquelle le sang est envoyé du cœur, partie au @èumon , partie à tous les organes , et est rapporté du poumon et de tous les orga- nes au Cœur. 8° Les assimilations, ounutritions nsproprement dites, qui sont les fonctions par lesquelles chaque organe, pé- nétré par le sang artériel, se l’applique en partie pour renouveler sa subsiance, pendant qu'il laisse en même tempsles absorptions internes lui enlever une quantité des matériaux anciens qui le compôsaient. Ges fonctions sont le dernier terme des fonctions précédentes , qui n’é- iaient, en quelque sorte, que des échafaudages desti- nés pour elles. 9° Les calorifications sont des fonctions à peu près semblables , par lesquelles chaque partie puise aussi dans le sang artériel qui lui arrive le calorique qui lui est né- cessaire pour s’entretenir à une température propre, indépendante de celle des organes voisins , et de celle du milieu dans lequel vit l’homme. 10° Les sécrétions, sont des fonctions par lesquelles DU NOMBRE DES FONCTIONS. 145 certains organes , appelés sécréteurs , fabriquent avec le sang des fluides divers , qui tantôt doivent rentrer dans le cercle circulatoire, et tantôt, au contraire, doivent être rejetés hors du corps, et fondent alors ce qu’on appelle lesexcrétions. Ges sécrétions sont aussi diverses que le sont les organes sécréteurs et les humeurs sécré- tées dont nous avons fait l’énumération. Lorsque les fluides , qui en sont le produit , doivent être rejetés hors du corps, souvent la nature, pour nous sauver ce qu’aurait de dégoûtant la continuité de leur écoulement, a ménagé dans notre corps des réservoirs où ils s’accu- mulent, et d’où ils ne sont plus rejetés que d’intervalles en intervalles ; et alors, commecetteexcrétion constitue un rapport extérieur , et que tout rapport extérieur doit être, sinon volontaire , au moins perçu , ces sécrétions ont , dans leur généralité, des sensations et des mouve- mens volontaires , comme la digestion et la respiration. Dans la sécrétion urinaire, par exemple, existera une sen- sation interne , le besoin d’uriner ; et une action muscu- laire volontaire aidera à l’action contractile du réservoir. 11° Enfin la génération, qui est la fonction par laquelle l’homme effectue sa reproduction. Exigeant aussi un rapport avec l'extérieur , soit en commencant, lors du rapprochement des sexes, soit en finissant, lors de l’ac- couchement , elle offrira aussi dans sa généralité des sen- sations et des mouvemens volontaires, comme la sensa - tion voluptueuse qui accompagne le rapprochement des sexes , et l’action musculaire volontaire qui effectue ce rapprochement. Telles sont les onze fonctions auxquelles , selon nous, on‘peut rapporter toutes les actions de la vie de l’homme. à; 10 146 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. D'une part , il nous est facile de justifier ce en quoi nous différons ici des autres physiologistes. Nous n’avons pas séparé les actes intellectuels et affectifs des autres actes de la sensibilité, parce qu’ils consistent aussi en des perceptions , et reconnaissent pour intrument un organe du même ordre, des parties nerveuses. Nous avons mieux aimé faire une fonction des expressions , que d’en faire une de la voix et de la parole, parce que ainsi nous réunissons tous Îles phénomènes par lesquels l’homme manifeste ses sentimens et ses idées. Nousavons séparé les nutritions et les calorifications , parce que les résultats de ces actions sont divers , et que ces actions ne sont pas nécessairement coïincidentes et proportion- nelles. Nous n'avons pas séparé les sécrétions et excré- tions, parce que la fabrication de la matière à excréter est, aprèstout , la chose principale, et que, d’ailleurs, si on faisait une fonction des excrétions , il faudrait en faire une des ingestions ; mais les unes et les autres se font par plusieurs voies. En ne faisant qu’une seule fonction de tous les actes dont le concours accomplit la génération, nous avons imité tous les auteurs; cependant on pourrait subdiviser la reproduction en plusieurs fonctions, la copulation, la conception, la grossesse, l’accouche- ment , l'allaitement, à aussi bon droit qu’on a reconnu plusieurs fonctions dans le mécanisme de la nutrition. Nous avons rejeté l’ossifteation de Fourcroy , la trans- piration deM. Cuvier, et l’exhalation de Bichat , comme étant évidemment des doubles emplois. Enfin, nous avons rejeté aussi l’innervation de M. Chaussier, consi- dérant les actes que ce professeur range sous ce titre, moins comme constituant une fonction principale , que DU NOMBRE DES FONCTIONS, 145 comme dépendans des liens qui existent entre les divers organes. D’autrepart , chacune desonze fonctions que nous ad- mettons, réunitles deux caractères que nous avons dit être spécifiques de toutes fonctions : 1° chacune remplit dans l’économie un ofice spécial ; la sensibilité engendre les sensations: la locomotilité fait les mouvemens volon- taires ; la fonction des expressions les langages ; la diges- tion élabore les alimens et les dispose à être absorbés : les absorptions , avec les substances tant externes qu’in- ternes qu'elles recueillent , constituent les matériaux de l’hématose ; la respiration fait le sang artériel; la circulation conduit ce sang: l'assimilation l'applique aux organes pour le renouvellement de leur substance , et la calorification pour l’entretien de leur température ; les sécrétions fabriquent chacune leur fluide propre ; et la génération reproduit l'espèce. 2° De même , chacune a dans l’économie un organe ou un appareil d’organes affecté à sa production ; la sensibilité a le système ner- veux ; la locomotilité, le système musculaire ; la diges- tion , la respiration , la circulation, les appareils d igestif respiratoire et circulatoire ; Les absorptions , les différens systèmes vasculaires absorbans ; les sécrétions, les divers organes sécréteurs; la génération , l’appareïl génital. Cela est même des nutritions et calorifications , bien que ces actions ne paraissent pas avoir d'organes ou d'appareils distincts ; car c’est le parenchyme de cha- que partie qui en est lui-même l’instrument. Il n’y a de difficultés apparentes que pour la fonction des expres- sions , mais seulement , comme on le verra, parce que on y comprend plusieurs phénomènes qui tiennent aux liens des organes entre eux. 10* 1/48 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. Du reste, quand nous avons posé pour premier carac- ière, que l'office d’une fonction soit spéciale, et sans aucun analogue dans l’économie , nous n’avons pas en- tendu dire que l’action qu’on lui rapporte serait unique, ethornée à un seul lieu de l’économie. Nous avons reconnu au contraire , et nous allons revenir là-dessus tout à l'heure , que plusieurs fonctions sont multiples, comme les sensations , les sécrétions. Mais ces actions , pour être multiples , n’en sont pas moins identiques, analo- gues, etpar conséquent ne doivent constituer qu'une seule fonction. De même, quand nous avons assigné pour second caractère d’une fonction , d’avoir évidemment dans l’é- conomie un organe ou un appareil d'organes affecté à sa production, nous n’avons pas entendu dire que chaque fonction dût avoir son organe spécial , et qui ne servît qu’à elle, Presque toujours, au contraire, un même organe sert à l’accomplissement de plusieurs fonctions. La langue, par exemple , appartient à la fois ; et à l’ap- pareil de la sensibilité comme organe de goût; et à celui du mouvement volontaire et de la digestion , comme agent de la mastication et de la déglutition des alimens ; et à celui des expressions, comme agent de l’articula- tion des sons. Dans la machine humaine , comme dans toute machine bien ordonnée , l’auteur de la nature a dû chercher à faire servir un même ressort, un même organe à plusieurs offices , afin de simplifier la machine tout en obtenant la même somme d'effets. Mais chaque fonction n’en a pas moins dans l’économie un organe ou un appareil d'organes affecté à sa production. C’est même à cause de cela que, dans toui être vivant, l’orga- nisation ou le nombre des organes est en raison de la vie DU NOMBRE DES FONCTIONS. 140 ou du nombre des fonctions. Puisque toute fonction doit avoir son instrument, on concoit que là où la vie est simple , accomplie par un petit nombre de fonctions, l’organisation est simple aussi , composée d’un petit nom- bre d'organes; que là, au contraire, où la vie est com- pliquée , exige le concours de beaucoup de fonctions, l'organisation l’est aussi, et se compose de beaucoup d'organes. Il y a même un rapport entre la simplicité ou la complication d’une fonction, et la structure simple ou irès-compliquée de l'organe ou de l'appareil d’organes qui en est l'instrument. C’est ainsi que la vie et l’orga- nisation , les fonctions et les organes, marchent de pair, et que nous sommes toujours ramenés à des considéra- tions matérielles , aux formes et à la structure des êtres et des organes. Toutefois , telles sont les onze fonctions que nous ad- mettons dans la vie de l'homme. Nous signalons aussitôt en elles deux principales différences. La première est que parmi ces fonctions , il en est quelques-unes qui, outre les mouvemens propres qui les constituent , con- tiennent toujours en elles quelques actes qui appartien- nent à d’autres fonctions , et qu’à cause de cela on pourrait appeler composées : telles sont la digestion, la respira- tion et la génération, qui, ainsi que nous l'avons vu, comprennent dans leur généralité des sensations et des mouvemens volontaires. Telles sont encore celles de nos sécrétions excrémentitielles, dont les produits solides ou liquides sont recueillis dans des réservoirs, d’où ils ne sont plus rejetés que par intervalles. Toutes les autres fonctions , au contraire , sont simples, c’est-à-dire n’of- frent jamais que l’ordre unique des mouvemens qui les constituent. Il est bon de noter que toutes les fonctions 190 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. qui sont composées, sont celles qui exigent l’établisse- ment de quelques rapports avec l'extérieur; etil est facile d’en donner la raison. Tout acte extérieur , avons-nous dit, est laissé à la volonté et à la perception de l'être ; et 1] n’y a d'actes volontaires et perçus dans notre écono- mie , que ceux de la sensibilité et de la locomotilité; il adonc fallu que la nature entät, si l’on peut parler ainsi, sur les fonctions qui réclament un rapport avec l’exté- rieur, cest-à-dire sur la digestion, la respiration, Ja génération, les actions de notre économie qui seules comportent avec elles conscience , c'est-à-dire des sen- sations , et celles qui seules sont dépendantes dela volonté, c'est-à-dire des actions musculaires volontaires. Ge principe est si vrai, que quelques fonctions qui sont simples, comme celles des sens, ont toutes annexées à leurs. organes des appareils musculaires volontaires , pour les soustraire ou les appliquer selon le besoin à J'action de leurs excitans ; et cela, par cela seul que ces excitans sont pris à l’extérieur, et que ces fonctions ont irait à des relations avec l'extérieur. La seconde différence est que parmi les fonctions, quelques -unes sont uniques , c’est-à-dire n'existent qu'en un seul lieu du corps; et d’autres, au contraire, sont multiples , c’est-à-dire disséminées cà et là dans plusieurs lieux de l’économie, Comme on le concoit, alors l'appareil des premiers sera un, et celui des se- conds sera aussi multiplié qu’elles le seront elles-mêmes. La digestion, par exemple, est évidemment une fonc: tion ‘unique ; et les sensations , les sécrétions , sont des fonctions multiples. Il est bon de remarquer que ce :sont les fonctions composées qui sont en même temps uniques ,‘et que les fonctions simples sont mul- DU NOMBRE DES FONCTIONS. 151 tiples. Il n’y a évidemment qu'une digestion, une res- piration, une génération. Au contraire, il y a plusieurs sens, plusieurs appareils musculaires volontaires, plu - sieurs phénomènes expressifs , plusieurs sécrétions : nous avons dit les absorptions , les nutritions, les calo- rifications , parce qu’il y a, en eflet, autant de varia- tions dans ces actions qu'il y a de parties diverses dans le corps. Il n’y a d'exception que pour la cireulation ; et encore , si on a égard à ce qu'il y a de capillaire dans cette action, on peut dire que les circulations capil - laires sont en nombre égal à celui des parties du corps; car cette circulation diffère en toutes. AnTicze Il. Classification des Fonctions. Les fonctions étant les actes qui par leur concours accomplissent la vie, il en résulte que c’est leur: étude qui constitue spécialement la physiologie. C’est, en effet, en faisant connaître d’abord le mécanisme particulier de chacune de ces fonctions, et ensuite la manière dont ces fonctions par leur concours assurent l’individualité de l'être, que l’on dévoile la mécanique de l’homme. H faut les connaître à la fois en elles-mêmes, et dans leurs rapports entre elles, afin de juger l’ordre harmonique dans lequel chacune concourt au grand ensemble. On concoit qu’il faut d’abord étudier chacune de ces fonctions en particulier et avec détails , avant de recher- cher quelles sont leurs connexions. Mais alors par laquelle de ces fonctions commencer ? Au lieu de suivre dans leur étude un ordre arbitraire, ne serait-il pas plus naturel et plus utile de suivre l'ordre même de ieur enchaîne- 152 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. ment? Cela ferait , en effet , ressortir d’avance la méca- nique de l’homme. Or, c’est ce qu’on a eu en vue en cherchant à établir une classification des fonctions. A la vérité, pour établir cette classification des fonctions sur l’ordre selon lequel elles s’enchaïnent, il faut avoir la connaissance de chacune d'elles ; et c’est ainsi que , dans la science de l'homme , on se trouve dans l'impossibilité de suivre la filiation rigoureuse des idées : inevitabilis difficultas est in reperiendo ordine, qui non peccat in leges bonæ methodi. (Boer. Inst. Med. , $ 47.) Gepen- dant, comme il suflit d’une connaissance superficielle des fonctions pour apprécier Fordre de leur enchaîne- ment , et que ce que nous en avons dit déjà suflit pour cet objet, nous allons chercher, dès à présent, avec les auteurs à en établir une classification , qui sera l’ordre dans lequel nous les étudierons séparément. Cetie classification a beaucoup occupé les physiolo- gistes; non qu'ils voulussent en faire un soutien de la mémoire , le petit nombre des fonctions la rendait peu nécessaire sous ce rapport; mais, encore une fois , dans la vue d'exprimer tacitement par elle le concours har- monique des fonctions dans la vie de l’homme. Consi- dérée sous ce rapport, la recherche de cette classifica- tion n’est pas un objet purement scolastique, maisrentre dans l'étude du mécanisme compliqué de la vie. En commencant cette recherche , nous ferons d’abord trois remarques importantes : 1° que dans une machine aussi compliquée que l’est le corps humain , où il y a à la fois tant d'actes distincts, et qui cependant concou- rent à un même but, on a dû saisir plusieurs ordres d’en- chaînement entre €es actes, et, par suite, établir des classifications diverses des fonctions : c’est ce qui a été LI CLASSIFICATION DES FONCTIONS.” 153 én effet, comme on va voir ; 2° que, parmi ces diverses classifications , il doit y en avoir une cependant qui soit la plus naturelle, et qui décèle le mieux l’enchaînement des fonctions ; 3° enfin, que, dans l’état actuel de la science , il n’en est aucune qui ne présente, en quel- ques points, confusion, croisement des phénomènes ; parce qu’en effet toutes les fonctions , bien que remplis- sant chacune leur office, se sont mutuellement néces- saires; et, parce que l’économie animale forme , comme l’a dit Æippocrate, un cercle où l’on ne sait placer ri- goureusement le commencement ni la fin. 1° La plus ancienne classification des fonctions est celle qui les partage en vitales, naturelles et animales : fonctions vitales, c’est-à-dire qui sont tellement impor. tantes , qu'elles ne peuvent être interrompues sans en- traîner aussitôt la perte de la vie, comme la circula- tion , la respiration , l’innervation : fonctions natu- relles, c’est-à-dire qui opèrent la conservation maté- rielle de l’homme , tant en élaborant l'aliment, et l’ap- propriant aux organes , qu’en dépurant l’économie des matériaux usés; comme la digestion, les absorptions, les nutritions , sécrétions , etc. : et enfin, fonctions ani- males, c'est-à-dire qui, caractéristiques des animaux et exclusives à ces êtres , sont perçues et sous l’empire de la volonté, comme les sensations, la locomotion et la voix. Cette première classification repose sur deux diffé- rences qu'oflrent entre elles les fonctions. L’une, est que certaines fonctions s’exercent continuellement , et ne peuvent jamais être suspendues, L'autre, est que cer- taines fonctions comportent avec elles conscience, et sont soumises, dans leur exercice , à la volonté, tandis 194 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. que d’autres se passent irrésistiblement, et sans être percues. L'esprit dut être frappé aussitôt de ces oppo- sitions; et de là la séparation des fonctions en vitales, qui ne peuvent s’interrompre un instant sans entrai- ner la mort; animales, qui sont percues, et pour la plupart volontaires ; et, en naturelles, qui, au contraire, s’accomplissent aussi sourdement et aussi irrésistible- ment que toutes les fonctions du végétal. On a reproché à cette classification : 1° d’avoir em- ployé des dénominations vicieuses , toute fonction pou- vant être dite vitale, naturelle, animale; ÿ de n’avoir pas posé des lignes de démarcation bien précises entre les classes : la respiration, en effet, qui est une fonc- tion vitale , sous le rapport de sa nécessité prochaine pour la vie, ne peut-elle pas, par exemple, être con- sidérée aussi comme une fonction naturelle, puisqu'elle concourt à former le fluide nutritif, et, comme une fonction animale, puisqu'elle est un peu dépendante de la volonté ? Mais le premier de ces reproches n’était qu’une pure dispute de mots; et, quant au second, les classifica- tions les plus vantées de nos jours, le mériteront de même. On va voir que cette classification des Anciens contient réellement le germe de toutes celles qui ont été imaginées depuis. Aussi , beaucoup de physiologistes n'ont fait que la conserver, en changeant les dénomi- nations , et faisant de la génération une quatrième classe, sous le nom de fonctions seœuelles, où génitales. Tel a été Fourcroy, qui partage les fonctions en vitales , na- turelles , animales et sexuelles. Tel est le professeur Chaussier, qui les divise en vitales ou publiques, en autritives, sensoriales et sexuelles. Tel a été encore CLASSIFICATION DES FONCTIONS. 19 Mauduyt, qui classe les fonctions selon qu’elles servent à l'existence actuelle (vitales des Anciens), selon qu’elles sont nécessaires à l'existence prolongée (naturelles et animales) , et selon qu’elles servent à l'existence perpé- tuée (les sexuelles). Tel est, enfin, M. Cuvier, qui fait deux classes de fonctions : les vitales , comprenant toutes celles qui accomplissent la nutrition et la reproduction, ces facultés communes de toute vie, et les animales, qui sont exclusives aux animaux. 2° Nous ne parlerons pas de la classification des fonc- tions en physiques , chimiques , mécaniques et orga- niques ; une pareille classification ne repose que sur des détails de fonction et non sur leur ensemble , et d’ailleurs est étrangère au but qu’on se propose. Nous tairons aussi l’idée de V'icq-d’Azyr, qui classaitles fonc- tions en trois groupes, celles qui ont pour résultats des sensations, celles qui donnent naissance à des mouve- mens sensibles ct apparens , et celles dont le produit est une élaboration des sucs : ce n’est là aussi que considé- rer ces fonctions en elles-mêmes , et non dans leurs con- nexions. Nous arrivons aussitôt à la classification pro- posée par Dumas. Ce professeur fait quatre classes de fonctions : 1° des fonctions de constitution, ou de com- position , qui préparent, perfectionnent et reproduisent les élémens qui composent les organes , la matière du corps; comme la digestion, les sécrétions , la nu-° triion; 2° des fonctions d'agrégation, ou d'organisa- tion, qui maintiennent dans les solides et les fluides du corps l’état de cohésion et de liquidité qui leur est naturel, et qui convient à l’exercice de leurs fonctions : savoir , la respiration et la circulation; 3° les fonctions de relation générale, qui sont celles par lesquelles s’é- 156 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. tablissent les rapports généraux de l’homme avec Îles corps extérieurs; savoir, les sens externes et la loco- motion; 4° enfin , les fonctions de relation spéciale, qui sont celles qui unissent l’homme à ses semblables et à son espèce pour la reproduction , savoir , les expres- sions et la génération. D'abord , nous retrouvons ici, mais avec moins de clarté , la classification des Anciens: les deux premières classes de Dumas , les fonctions de composition et d’or- ganisation, ne sont que les fonctions naturelles ou nu- tritives ; et, les deux dernières classes, les fonctions de relation générale et de relation spéciale , ne sont que les fonctions animales. La seule différence est dans le partage que Dumas a fait de chacune de ces classes en deux. Or, où en est l’avantage? Qu’entend Dumas par les fonctions d’agrégation ou d’organisa- tion? La respiration , qu’il range en cette classe , n’ap- partient-elle pas plutôt à celle des fonctions de compo- sition ? Peut-on ainsi séparer la circulation , et de la digestion qui l’alimente, et de la nutrition et des sécré- tions qui lui doivent leurs matériaux? Il me semble qu'ici tous les rapports naturels sont rompus, et que la classification ne remplit plus son principal objet, qui est, comme on l’a dit, de faire ressortir l’ordre d’en- chaïînement des fonctions. Le partage de la seconde classe a quelque chose de mieux fondé : il semble ten- dre en effet à séparer les actes par lesquels l’homme est si supérieur aux autres animaux, et desquels résulte sa sociabilité. Il est certain que tandis que les animaux n'ont, dans leur psycologie, que des facultés intellec- tuelles et affectives bornées et relatives à leur conserva- tion brute et matérielle seulement, l’homme , au con- CLASSIFICATION DES FONCTIONS. 197 traire , en a de bien plus étendues , et surtout en a quelques-unes qui lui sont exclusives , et qui , étrangères à sa conservation corporelle, lui donnent un caractère moral et religieux. Il est sûr que ces actes prédominent tellement chez lui, qu’il ne paraît plus avoir été créé que pour les exercer , et qu’ils semblent constituer tout son être. Or, on peut louer Dumas d’avoir cherché à les séparer dans la classe des fonctions de relation spé- ciale. Mais encore, peut-on lui reprocher d’avoir lui- même atténué le bon effet de cette séparation, en rat- tachant à cette même classe la fonction de génération ; ce qui était de nouveau confondre le physique avec le moral, pour parler le langage des gens du monde. 3° Le désir louable de séparer de tous les actes de l’homme ceux qui sont les plus élevés en lui, savoir, son intellect et son moral, est ce qui a inspiré la classification de Buisson. Ce jeune physiologiste ne veut pas qu’on ne voie dans l'homme que lanimal qui tra- vaille matériellement à sa nutrition et à sa reproduction; \mais il voit surtout en lui l'être intelligent destiné à remplir la carrière sociale à laquelle il est appelé. I dit que ce dernier point est l’objet principal , celui auquel tout le reste est subordonné; et , définissant l'homme , avec M. de Bonald, une intelligence servie par des organes, il partage conséquemment toutes les fonctions en deux classes , celles qui servent immédia- tement l'intelligence , et celles qui travaillent à la con- servalion matérielle du corps. Ïl appelle la première classe vie aetive, et ÿy range le tact général , la vue, l’ouïe, la locomotion et la voix. Il est certain , en effet, que ces fonctions , servent l’in- ielligence , soit en donnant à l’homme la connaissance 158 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL, des objets extérieurs, soit en apportant à l'être intel- lectuel les signes de la pensée , soit enfin en exécutant et exprimant ses volontés. Buisson subdivise ensuite cette vie active en deux séries d'actions : l’une , qui donne à l'être intellectuel la connaissance des objets, et lui apporte les signes de la pensée, savoir, le tact général, la vue et la locomotion ; l’autre , qui exécute et exprime les volontés de cet être intellectuel , savoir, l’ouie et la voix. La locomotion est placée à côté de la vue, parce que les actions auxquelles préside cette locomotion, sa- voir , le toucher, le geste et la progression , ne s’exé- cutent pas sans le concours de ce sens ; parce que les actions de ces deux fonctions sont liées l’une à l’autre, et par la nature des objets sur lesquels elles s’exercent qui sont également des objets figurés , et par la ma- nière dont elles servent l'intelligence, et par la succes- sion” naturelle de leurs phénomènes, leur dépendance immédiate. De même, la voix est placée à côté de l’ouiïe, parce qu’elle ne peut exister sans ce sens, comme on le voit par les sourds-muets. Buisson appelle sa seconde classe vie nutritive ; et il la subdivise en trois ordres : les fonctions explora- trices , les fonctions préparatoires , et les fonctions qui sont immédiatement nutritives. Les premières sont celles qui inspectent les matériaux qui sont pris au de- hors pour la réparation du corps, savoir, les sens du goût et de l’odorat : l'un est attaché à la fonction de la digestion, et l’autre à celle de la respiration. Ces sens , dit Buisson, ne servent en rien l'intelligence, à la différence des sens de la vue et de l’ouïe , qui lui appor- tent les signes écrits et parlés de la pensée. Les fonctions préparatoires sont celles qui forment , avec les matériaux CLASSIFICATION DES FONCTIONS. 15 qui sont pris, au dehors, le fluide qui doit nourrir les organes. [1 y en a deux: la digestion et la respiration ; et elles ont ceci de commun , qu’elles s’exercent également sur des substances prises au dehors, travaillent pour la circulation, et manquent dans le végétal et le fœtus, Enfin les fonctions immédiatement nutritives sont celles qui accomplissent immédiatement la nutrition , et l’au- teur les subdivise en trois groupes : l’un, des actions qui commencent aux organes et finissent à la circu- lation , savoir, les absorptions ; un second , qui com- prend celles qui commencent à la circulation et finissent aux organes, savoir, les nutritions et sécrétions; et, enfin, un troisième, comprenant la fonction qui est in- termédiaire à celles-là, c’est-à-dire la circulation. Sans doute, cette classification est très-méthodique. Mais mérite-t-elle le nom pompeux que lui a donné son auteur , d'étre la division la plus naturelle des phéno- mènes physiologiques? D'abord , cette classification re- pose sur une base qui n’est pas du ressort des sciences physiques, la nature spirituelle de l'homme. Ensuite, il n’y est pas fait mention de la génération. En troisième lieu , où est la fonction intellectuelle et morale? Quoique constituant les opérations de l'esprit et de l’âme, elle n'en exige pas moins l'intervention d’un organe. En qua- trièmelieu , Buisson , dans sa vie active, indique comme fonctions qui font connaître les corps extérieurs et ap- portent les signes de la pensée , la locomotion ; et ilrange, au contraire , l’ouïe parmi les actions qui effectuent les volontés de l'intelligence; n’est ce pas plutôt la locomo- tion qui sert les volontés de l’acte intellectuel, et l’ouie qui lui apporte les signes de la pensée ? Les sens du goût et de l’odorat ne peuvent-ils pas être employés par 160 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. l'esprit de même que les autres sens , comme instru- mens secondaires propres à lui donner des lumières sur les corps ? enfin , on retrouve encore ici la distinction primitive des Anciens , des fonctions animales , et natu- relles ou nutritives. & Bichat a proposé une classification des fonctions , qui a été plus généralement adoptée. Nous avons dit que les fonctions étaient les actes secondaires par lesquels s'effectuent la nutrition et la reproduction. Or, Bichat fait déjà deux classes de fonctions, selon qu’elles tra- vaillent à l’un ou à l’autre de ces deux résultats : fone- tions de la nutrition, ou vie de l'individu, et fonc- tions de la reproduction, ou vie de l'espèce. Ensuite , on sait que toute nutrition exige que l’être qui se nourrit établisse des rapports au dehors de lui, pour prendre les matériaux dont il a besoin ; et que, chez les animaux , les actes qui effectuent ces rapports sont laissés à la volonté et à la perception de l’être. On sait qu'à cause de cette particularité, les actes qui eflec- tuent Ja nutrition sont partagés en deux sortes, ceux qui commencant la nutrition et consistant en des rapports extérieurs sont dépendans de la volonté, et comportent avec eux conscience ; et ceux qui, dérivant des premiers, se passent dans la profondeur de l'être, irrésistiblement et sans qu’il en ait conscience. Or, Bichat a, d’après cette base , subdivisé la vie de l’individu en deux orüres, selon que les fonctions servent à établir des rapports vo- lontaires et perçus au dehors de l’homme, ou, qu’au contraire, elles travaillent, en silence , à la conservation matérielle du corps. Il a appelé le premier vie animale, parce qu'il renferme les fonctions exclusives de l’anima- lité, celles qui donnent à l’animal un moi sentant et 4 CLASSIFICATION DES FONCTIONS. 161 voulant ; et il appelle le second , vie organique, parce que le but des fonctions qui y sont rangées se retrouve en tout être organisé quelconque. La vie animale com- prend les sensations , les mouvemens et les expressions : la vie organique , la digestion , les absorptions , la respi- ration , La circulation , les nutritions , les sécrétions, etc. Dans la vie animale, Bichat reconnaît deux séries d’ac- tions opposées : l’une, où les actions procèdent de la cir- conférence au centre , et par lesquelles les corps exté- rieurs agissent sur l’homme; elle comprend les sens ex: ternes : l’autre, où les actions procèdent du centre à la circonférence , et par lesquelles l’homme agit à son tour sur les corps extérieurs; elle comprend le sens in- terne , la locomotion et la voix. Comme le cerveau ap- partient à la fois à ces deux séries d'actions, comme terme de la première et origine de la seconde , comme point où arrivent les sensations et d’où partent les volitions , il est dit le centre de la vie animale. Dans la vie organique, existent aussi deux séries d’ac- tions opposées; les unes procédant de dehors en dedans et effectuant la composition ; les autres, se passant au contraire de dedans en dehors, et accomplissant la dé- composition. Dans la première, sont la digestion, les absorptions et la respiration qui font le sang ; la circula- tion , qui porte ce sang aux parties ; et les nutritions et calorifications, qui l’emploient. Dansla seconde, sont les absorptions, quiretirent des organes les matériaux usés, la circulation, qui conduit ces matériaux aux organes dé- purateurs , et les sécrétions qui en effectuent le triage etle dépouillement. La circulation, dans la vie orga- nique , appartient à la fois aux deux mouvemens opposés de composition et de décomposition ; comme dans la vie 1, 11 4 162 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. animale, l’action du cerveau avait appartenu aux deux séries d'actions. Gomme c’est à la circulation qu’abou- tissent, et les matériaux nouveaux qui sont destinés à la composition , et les matériaux anciens de l'extraction desquels dépend la décomposition ; et, comme le cœur est l’organe principal de cette circulation, on a dit ce cœur le centre de la vie organique , comme on avait dit le cerveau le centre de la vie animale. Enfin, comme le poumon estlié, et à la vie animale , en ce qui concerne la préhension de l'air , et à la vie organique , comme or- gane de la sanguification, Bichat FL le poumon comme le lien de l’une et l’autre vie. Quant à la vie de l’espèce , elle se compose de la gé- nération. Telle est la classification de Bichat , adoptée par M. Richerand , et la plupart des physiologistes mo- dernes. M. Moreau , de la Sarthe ; a proposé d’y faire une légère modification ; celle de subdiviser les fonctions organiques , en fonctions de nutrition spéciales , et fonctions de nutrition générales ; les premières, ainsi nommées, parce qu'elles sont spéciales aux animaux, et sont liées aux fonctions animales , comme la digestion ; la respiration ; les secondes , au contraire, existant dans tous les êtres vivans sans exception , comme les nutri= tions et calorifications. Gette classification est, sans doute, préférable à toutes celles que nous avons exposées ; mais elle est encore sus: ! ceptible des mêmes observations. D'abord , les divisions | principales en étaient déjà dans la classification des An- ciens; les trois organes , cerveau, cœur et: poumons | que Bichat présente comme les centres des vies ani- male et organique , forment la classe des fonctions vitaless | . CLASSIFICATION DES FONCTIONS. 163 la vie organique forme celle des fonctions naturelles; la vie animale , celle des fonctions animales ; enfin , la vie de l'espèce est la classe des fonctions génitales ou sexuelles. Ensuite , les dénominations des classes et des ordres ne sont pas plus exemptes de reproches. Que n’a-t-on pas dit sur les mots de vie, par lesquels Bi- chat désigne chaque classe de fonctions , ainsi que sur les épithètes d’animale et d'organique, qu’il a données aux ordres ? Enfin , les démarcations entre les-classes et les ordres ne sont pas plus précises. D'abord, la vie de l’espèce s’accomplit, comme celle de Findividu ; par le concours d'actes dont les uns sont perçus et volon- taires , et dont les autres succèdent irrésistiblementret sourdement aux premiers ; et on peut reprocher à :Bi- chat de ne lui avoir pas appliqué, comméësà la vie de l'individu ; la distinction des actes animaux et des actes organiques. Ensuite des actes organiques , des sécré- tions , en font une partie principale. Sous ce double rapport, la vie de l’espèce est confondue avec celle de l'individu. De même , les vies. animale et organique se confondent : dans la vie organique, par exemple , toutes les fonctions qui sont composées , comme la digestion ; la respiration , etc. , renferment , dans leur généralité, des actes qui appartiennent à la vie animale, des sen sations et des mouvemens volontaires. Ainsi, se trou vent justifiées, à l'égard, de la classification la plus vantée de nos jours, les trois propositions que nous avons émises en Commencant cette discussion: On voit qu'il n’est aucun ordre qui n'offre , en quelques points ; confusion et croisement de phénomènes : et que les fonctions ir cireulum abeuntes , comme disait Hippo- crate, représentent un cercle dans lequel on ne peut in- à dl 164 DE L'HOMME EN GÉNÉRAL. diquer , ni le point où commence le travail, ni celui où il s’achève. La distinction de la vie animale et de la vie orga- nique ; était une des idées chéries de Bichat; et, pour la justifier, il avait signalé, entre les fonctions de ces deux vies, neuf différences importantes. Quelques-unes sont réelles : ainsi, les organes des fonctions animales, par opposition à ceux des fonctions organiques, sont tous pairs ou symétriques ; ils sont soumis, dans leur service, à une intermittence d'action qui constitue le sommeil, et qui contraste avec la continuité d’action des fonctions organiques. Quelques autres , au contraire , sont trop absolues : ainsi, il n’est pas vrai qu'il y ait entre les fonctions de la vie animale moins de dépen- dance qu'entre celles de la vie organique ; que ces fonctions seules recoivent une influence de l'habitude : il est douteux qu’il y ait nécessité d’une harmonie d’ac- tion entre les organes pairs d’une fonction animale , pour qu’il y ait intégrité de cette fonction : il n’est pas tout- à-fait exact de dire que, tandis que la vie animale ne commence qu'après la naissance, n’acquiert que gra- duellement et tardivement son développement , et meurt la première ; la vie organique, au contraire , existe dès les premiers instans de la conception , que ses fonctions ont aussitôt toute.leur perfection, et ne‘cessent qu'avec la vie. Enfin, il en est quelques-unes qui sont tout-à- fait.fausses , comme celle qui rattachait toute la partie de notre psycologie qu'on appelle intellect ; à la vie ani- male, et toute celle qu’on appelle passions , affections, à la vie organique. Mais, nous passons rapidement sur ces divers points de la doctrine de Bichat, parce que la discussion s’en retrouvera ailleurs. CLASSIFICATION DES FONCTIONS. 165 5° Enfin, voici la classification que nous allons sui- vre, et qui n'est que celle de Bichat, rectiliée en ce sens, que nous appliquons également aux vies de l’in- dividu et de l'espèce , la sous-division des actes animaux et organiques. Comme tout être qui se nourrit et se reproduit, le fait par le concours de deux sortes d’actes : les uns, dont il a perception, et qui sont dépendans de sa, volonté , et qui consistent dans l'établissement de rapports avec l’extérieur ; les autres, qui , irrésistibles et non perçus , font suite à ceux-là, et se passent tout- à-fait dans la profondeur de l’être ; d’abord , nous faisons des premiers une classe séparée, sous le nom de forc- tions de relation. Nous les nommons ainsi , parce que ce sont ces fonctions qui effectuent tous nos rapports avec l'extérieur, tant ceux qui intéressent matérielle- ment notre nutrition et notre reproduclion, que ceux qui concernent le rôle élevé que nous sommes appelés à remplir sur la terre; et nous y comprenons les sensa- tions, les mouvemens volontaires et les expressions. Quant aux autres actes qui dérivent de ceux-là, et qui se produisent en silence, nous en faisons deux autres classes, selon qu’ils effectuent la nutrition ou la repro- duction. La classe des fonctions de la nutrition com- prend la digestion, les absorptions , la respiration, {a circulation , les nutritions , les calorifications et les sé- crétions. La classe des fonctions de la reproduction comprend la génération. C’est donc tout-à fait la clas- sification de Bichat, en fonctions animales, organi- ques et fonctions de l'espèce, sinon que nous faisons clairement entendre de plus que les fonctions de rela- tion s'appliquent aussi bien à la reproduction qu’à la nutrition. 166 FIN DES PROLÉGOMÈNES. Ici, nous terminons cette première partie consacrée à des prolégomènes : on voit que ces prolégomènes étaient bien nécessaires pour nous faire embrasser tout l’ensem- ble de notre sujet, et fixer l’ordre d’après lequel nous devons le traiter. Il est évident maintenant , que devant dans cet ouvrage faire toute l’histoire de l’homme en santé, nous avons à traiter les cinq objets suivans : 1° à faire une étude détaillée de chacune des onze fonc- tions auxquelles nous avons ramené tous les phénomènes de la vie de l’homme, et par lesquelles se produisent toutes les facultés qu’il possède ; 2° à établir ensuite les connexions de ces fonctions ;, afin d’en déduire la ma- nière dont leur concours assure l’individualité de l’être ; 3° à étudier la série des changemens, connus sous le nom d’âges, que présente, dans son cours, la vie de l’homme; car ils font partie des phénomènes de la vie considérée dans l’état de santé; 4° à étudier aussi les différences que peuvent présenter entre eux les hommes, en tant qu’elles sont compatibles encore avec la santé , différences dont les principales fondent ce qu’on appelle les témpéramens. Ainsi, nous aurons passé en revue tous les phénomènes de la vie de l’homme considéré en santé , ce qui était notre objet; et nous pourrons alors présenter une histoire dogmatique de ce qu'est la santé; 5° enfin, comme l’homme , ainsi que tout être vivant, obéit , ainsi que nous l'avons dit, à des forces spéciales ; comme ces forces, bien qu’elles ne soient que des abstractions de l'esprit, sont les dogmes par lesquels on coordonne les faits de sa physiologie, nous croyons devoir terminer cet ouvrage par l’étude de ces forces; et leur considé- ration fonde ce qu’on appelle la philosophie de la science. Telles seront la matière et la distribution‘ des cinq parties qui vont constituer notre travail. DES FONCTIONS EN PARTICULIER. 167 - SECONDE PARTIE. ÉTUDE PARTICULIÉRE DES FONCTIONS DE L'HOMME. RS SAR AR RUB RUE ; DO de chaque fonction comprendra nécessaire- ment deux articles : un premier, dans lequel nous ex- poserons brièvement la structure de l'organe, ou de l'appareil d’organes qui est l'instrument de la fonction ; un second, dans lequel nous décrirons avec détails le jeu de cet organe, de cet appareil, c’est-à-dire le mé- canisme de la fonction. Lorsque la fonction réclamera l'intervention d’un corps extérieur , alors un troisième article donnera , sur ce corps extérieur, les notions qu'il sera utile d’avoir; dans l’étude des sens de la vue, de l’ouie, par exemple, nous serons obligés de parler de la lumière , du son. Comme on le concoit, l’article sur l'anatomie sera court; nous ne devons y rappeler , sur la structure des organes , que ce qui est essentiel à connaître pour pouvoir comprendre le mécanisme de la fonction. Il en sera de même de celui destiné à donner la connais- sance du corps extérieur qui joue un rôle dans l’exer- cice de la fonction. Le troisième, au contraire , sera très-détaillé, et contiendra , non-seulement tout ce qu'il a été possible , jusqu’à présent , d’apercevoir par obser- vation, ou par expérience, sur le jeu de la fonction , 168 DES FONCTIONS EN PARTICULIER. mais encore toutes les hypothèses qui ont été faites pour expliquer ce qui n’a pu être pénétré. À cet égard, nous croyons utile de faire, en com- mencant, les remarques suivantes. Nous avons à étudier les actions des divers organes du corps humain, actions desquelles résultent sa conservation comme individu et comme espèce, et l’accomplissement de ses diverses facultés. Or, d’abord ces actions sont , comme celles de tous les autres corps naturels, tantôt saisissables par quelques-uns des sens, tantôt trgp moléculaires pour être apercues. Dans le premier cas, nous en indiquerons les traits extérieurs, ce qu'il y a d’apparent en elles pendant qu’elles se produisent. Dans le second , nous nous bornerons à prouver par leurs résultats qu’elles ont eu lieu : cherchant, du reste, comme dans le premier cas, à en spécifier rigoureusement les agens. Ensuite, ces actions , qu’elles soient appréciables par les sens ou qu'elles ne le soient pas, ne sont pas plus que toutes les autres actions de l'univers pénétrables dans leur essence ; on ne peut que rechercher les conditions matérielles de leur production , leurs connexions; on ne peut que dé- terminer à quel genre de forces, ou générales , ou spé- ciales , c’est-à -dire vitales , elles doivent être rapportées : et c’est ce que nous ferons aussi à l'égard de chaque fonction. Entrons donc en matière. Nous avons admis trois classes de fonctions : fonctions de relation, de nutri- tion, et de reproduction. C’est par les fonctions de relation que nous allons commencer : 1° parce que ce sont elles qui effectuent les actes extérieurs qui commencent Ja nutrition et la reproduction, et sans lesquels toutes les autres fonctions ne pourraient pas L 44 1 DES FONCTIONS EN PARTICULIER. 169 s’exécuter ; 2° parce que plusieurs d’elles entrent dans la généralité de quelques-unes des fonctions de nutri- üon et de reproduction; 3° parce que ces fonctions ayant pour agent spécial le système nerveux, elles nous obli- gent à étudier d’abord ce système qui, dans l’homme comme dans les animaux supérieurs, se subordonnant, par une de ses portions , tous les organes, est le premier rouage de l’économie , et a besoin d’être connu tout en commencant. Il est vrai que, comme la sensibilité est une de ces fonctions de relation, et par son extension chez l’homme constitue les plus nobles facultés de cet être, on paraît dans cet ordre étudier d’abord les actes les plus élevés de l’homme , ceux pour l'exercice desquels il sem- ble avant tout avoir été créé. Mais considérée phy- siologiquement , la fonction intellectuelle et morale de l’homme n’est pas autre que toute autre fonction ; elle est soumise aux mêmes lois : et, d’ailleurs , en suivant une autre marche , nous aurions violé davantage encore l'enchaînement des fonctions ; car, après tout , les actes intellectuels et moraux eux-mêmes, en même temps qu'ils fondent notre existence sociale élevée , nous ser- vent aussi à nous diriger dans notre conservation maté- rielle comme individu et comme espèce. = FE EE CLASSE PREMIERE DES FONCTIONS. FONCTIONS DE RELATION. Les fonctions de relation sont au nombre detrois: la fonction des sensations ou de la sensibilité , celle desmou- yemens volontaires, et celle des expressions. Ces trois 170 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. fonctions ont ceci de commun, qu’elles ne s’exercent pas d’une manière continue, mais éprouvent une in- termittence d'action qui constitue ce qu’on appelle le sommeil. L'histoire de ce phénomène doit donc leur être rapportée. Nous commençons par la sensibilité, parce que c’est la fonction de relation qui domine toutes les autres , et qui, par son degré d’extension , règle le leur. SAS B ARS BREL LR RS RE Qu LB VE VUE GR LR I ART ARR RL RD LES Q/R SECTION [°° De la Sensibilité ou de la Fonction des Sensations. | ar sensibilité, avons-nous dit , est la fonction, l’action par laquelle un animal a la perception d’une impression, éprouve un sentiment quelconque. Du reste, nous devons dire en commençant que la sensibilité ne peut être dé- finie ; il est, en effet, impossible de donner l’idée de ce qu'est cette faculté merveilleuse et qui n’a pas son ana- logue dans l’univers, à quiconque n’en est pas doué. De même qu’on ne peut peindre aucune sensation en particulier ; que, par exemple, on ne peut donner une idée des sensations de couleur à un aveugle de naissance, de même on ne peut faire entendre ce qu'est la sensi- bilité en général à un être entièrement insensible. Mais, de même que chacun se retrace le souvenir d’une sen- sation qui lui est connue, lorsqu'on lui en parle; de même, chacun, s’il est sensible, trouve dans sa con- science intime de quoi se représenter ce qu'est la sen sibilité. SYSTÈME NERVEUX. f71 À cet égard, personne ne doute que l’homme ne jouisse de la sensibilité ; chacun en a le sentiment intime ; nous avons tous un moi perçu ; nous nous sentons vivre. L'homme a dà avoir cette faculté au même titre que les autres animaux , parce que la nature a voulu aussi le laisser le maître des actes extérieurs qui intéressent sa nutri- tion et sa reproduction. On verra même que cette fonc- tion est chez lui au plus haut degré d’extension, et que c’est elle qui fonde sa prééminence dans l'univers. Nous allons commencer son étude par l’examen de la partie du corps qui est l’instrument de cette mer- veilleuse fonction , le système nerveux. CHAPITRE I‘. Anatomie du Système nerveux. La partie du corps, l’appareil qui, dans les animaux et dans l’homme, est l'instrument de la sensibilité, la condition matérielle nécessaire à la production des sen- sations , est le système nerveux. Sous ce nom collectif, on comprend toutes les parties du corps des animaux qui sont formées par la fibre primitive nervale. Plus ou moins compliqué dans la série des animaux, ce système des- tiné aussi à établir les liens entre tous les organes, com- prend chez l’homme comme dans tous les animaux bi- naires, quatre parties: l’encéphale, la moelle ‘spinale, les nerfs ou cordons nerveux qui sont étendus de ces deux centres à tous les organes du corps, et le grand sympathique. 1° L’encéphale est la masse nerveuse considérable qui remplit la cavité du crâne. Point de départ des nerfs des principaux sens , agent des facultés intellectuelles et 172 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. affectives, cet organe est d’abord enveloppé de trois membranes, la dure-mère qui est la plus dure et la plus extérieure , l’arachnoïde, et la pie-mère, qui est la plus interne ; elles lui fournissent même des replis , qui s’en- gagent dans sa substance pour en soutenir les diverses parties. Il est de plus contenu dans la cavité osseuse du crâne, partie supérieure de la colonne vertébrale, et formée par un assemblage de vertèbres réunies entre elles d’une manière immobile. Symétrique , c’est-à-dire formée de parties qui sont, ou doubles et placées de cha- que côté de la ligne médiane , ou impaires et situées sur la ligne médiane et composées de deux moitiés sem- blables ; la description détaillée de cet encéphale sera donnée à l’article de la fonction psycologique. Nous dirons seulement ici qu'on distingue dans sa masse trois portions : le cerveau, qui en forme la partie antérieure et supé- rieure; le cervelet , qui est placé en arrière et en bas ; et la moelle allongée , ou mésocéphale, qui semble unir l’un à l’autre, et se continue par le grand trou occipital avec la moelle épinière. De cet encéphale, se détachent plusieurs nerfs qui, sortant du crâne par les trous di- vers qu'offre cette cavité, se rendent à leurs organes respectifs. 2° La moelle épinière ou spinale, ou prolongement rachidien, est un long faisceau de même substance , qui , depuis le grand trou occipital où il est continu avec la moelle allongée , se prolonge dans tout le rachis jus- qu’au niveau de la seconde vertèbre lombaire. Du reste, les anatomistes sont divisés sur le lieu où ils la font com- mencer en haut. Warole, Willis y rattachaient a moelle allongée , et la prolongeaient bien avant dans le crâne. M. Chaussier , au contraire , ne la fait commen- SYSTÈME NERVEUX. 179 cer qu’au-dessous de la moelle allongée, à une ligne horizontale qui paraît les séparer en cet endroit et qu'il appelle le collet; et, comme alors une portion de cette moelle spinale est encore renfermée dans la cavité du crâne, et que celte portion est plus'grosse , ce prof-sseur l’appelle là le bulbe supérieur du prolon- gement rachidien. Enfin, M. Gall, avec Haller, ne la fait commencer qu’au-dessous du trou occipital. Con- sidérée par les uns comme partie centrale de tout le système nerveux, par d’autres comme point de départ des nerfs de la locomotion, cette moelle spinale est aussi entourée de trois membranes : la pie-mère, qui, quoique vasculaire , comme dans le crâne, est ici bien plus dense, adhère à la moelle, et est réellement sa membrane protectrice ; l’arachnoïde; et la dure-mère, qui , fibreuse , comme dans le crâne, n’adhère ni au rachis, dans la cavité duquel elle est comme flottante, ni à la moelle qui , de même, flotte au dedans d’elle. Elle-est également renfermée dans un canal osseux, le rachis, formé par un assemblage de vertèbres articulées entre elles d’une manière mobile. Nous en renvoyons la description détaillée à l’article de la locomotion. Disons seulement que cette moelle est symétrique commel’encé- phale; une fissure qui règne sur la ligne médiane, à ses surfaces antérieure et postérieure, depuis le haut jus- qu’en bas, et qui est assez profonde , marque la distinc- tion de ses deux moitiés semblables. Sæmmering croit que ces deux moitiés s’entrecroisent dans le fond de cétte scissure; mais M. Gall dit qu'il y a seulement continuité et communication; il n’admet d’entrecroi- sement qu'aux éminences pyramidales antérieures. Se prolongeant dans toute l’étendue du rachis jusqu’à 174 FONCTIONS DE LA SENSIBILITÉ. la seconde vertèbre des lombes , cette moelle n’y a pas une égale grosseur ; elle n’y décroit pas non plus unifor- mément , mais elle est plus grosse là où elle détache un plus grand nombre de nerfs. Dans son trajet émanent d'elle ,‘de chaque côté , trente paires de nerfs, qui sortent par les trous intervertébraux, et vont se rami- fier à tous les muscles des mouvemens volontaires et à la peau. À sa terminaison, sont deux petits nœuds, des- quels se détachent aussi quelques nerfs qui, joints à d’autres que la moelle a fournis plus haut , forment, dans cette partie inférieure du canal rachidien , ce qu’on appelle la queue de cheval. 3 Les nerfs sont des cordons de la même substance nerveuse qui compose l’encéphale et la moelle spinale ; étendus , depuis l’un ou l’autre de ces deux centres , dans toutes les parties du corps; allant depuis cette origine , en se partageant successivement en troncs, branches, rameaux , ramusCules ; communiquant souvent entre eux dans leur trajet ; souvent aussi dans ce trajet s’en- trelacant entre eux d’une manière inextricable , et for- mant ce qu’on appelle des pleæus ; offrant quelquefois, d’intervalles en intervalles, des renflemens appelés gan- glions ; et finissant enfin par se perdre dans le paren- chyme des organes, dont ils sont un des élémens généra- teurs. Âgens des sensations, et conducteurs des ordres de la volonté pour la production des mouvemens, ces organes sont symétriques aussi, el disposés par paires. D’après leur origine, qui est rapportée à l’encéphale et à la moelle spinale, on les divise en nerfs encéphaliques el nerfs spinaux. Les premiers proviennent de l’encéphale, et sortent du crâne par les trous qui sont à la base de cette cavité, Ils SYSTÈME NERVEUX. 179 sont au nombre de douze; savoir, de devant en arrière : le nerf olfuctif, qui se distribue à l'organe de l’odorat ; l'optique , qui avive celui de la vue ; le nerf oculo-muscu. laire commun , ou de la troisième paire , qui donne ses filets à la plupart des muscles moteurs de l'œil; le nerf oculo-musculaire interne , où pathétique , qui distribue les siens au muscle grand oblique de l’œil ; le trifacial, ou cinquième patre , qui se partage en trois branches pour l’œil, le nez et la langue; la sixième paire, ou oculo- musculaire externe , qui se distribue au muscle droit externe de l'œil ; le nerf facial , ou portion dure de la septièmepaire, qui se distribue aux muscles du visage , et qui , d’après les derniers travaux de Ch. Bell, est le nerf respirateur et d'expression de la face; le nerf acoustique ou portion molle de la septième paire, qui se rend à l’or- gane de l’ouïe ; le nerf de la huitième paire, ou vague , ainsi nommé parce qu'il distribue ses filets à beaucoup de parties à la fois , et particulièrement au larynx, au poumon, au cœur et à l’estomac ; le glosso-pharyngien, nerf qui souvent a été considéré comme une subdivi- sion du précédent , et dont le nom indique la distribu- tion ; le grand hypoglosse, qui se distribue à la langue ; et enfin, le nerf spinal , ou accessoire de Willis, qui paraissant remonter du canal rachidien , sort cependant par un des trous de la base du crâne , pour aller se distri. buer à quelques museles du col. Du reste, il y à quel-- ques dissidences parmi les auteurs sur le nombre des nerfs encéphaliques : 1° parce qu’incertains sur l’origine précise de la moelle spinale , ils ont tour à tour regardé le dernier de ces nerfs, le spinal , comme un nerf encé- phalique, ou comme un nerf spinal; 2° parce que tour à tour ils ont rattaché quelques-uns de ces nerfs à une 176 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. seule paire , ou en ont fait des paires séparées ; comme cela a été, par exemple, des nerfs facial et acoustique sous les noms de portions dure et molle de la septième paire , du glosso-pharyngien qui a été rapporté àla hui- tième paire. Tous ces nerfs seront décrits à l’article des fonctions qui les concernent. Tous proviennent de la partie de l’encéphale qu’on appelle moelle allongée. Le cerveau n’en fournit aucun, non plus que le cervelet ; bien que , jusqu’à ces derniers temps, on ait dit que les nerfs olfactif et optique provenaient du premier , et que jadis on professait que le second donnait naissance à tous les nerfs des mouvemens involontaires. Les nerfs spinaux sont au nombre de trente-une ou trente paires , selon qu'on y a compris ou non le nerf spinal ou accessoire de Willis. Ils sont partagés d’après les vertèbres dans l'intervalle desquelles ils sortent ; en trachéliens ou cervicaux, au nombre de sept ou huit; en dorsaux, au nombre de douze; en lombaires, au nombre de cinq; et en sacrés, au nombre de six. Ces noms indiquent leur position. La première paire cervicale sort entre les vertèbres atlas et axis; la der- nière entre la septième cervicale et la première dorsale, et les autres dans l'intervalle. La première paire dorsale sort entre les deux premières vertèbres dorsales ; et la dernière , entre la dernière vertèbre dorsale et la pre- mière lombaire. La première paire lombaire sort entre les deux premières vertèbres lombaires; et la dernière entre la cinquième vertèbre lombaire et le sacrum., Enfin, la première paire sacrée sort par le premier trou sacré, et la dernière par l’échancrure supérieure du COCCYX. Ces nerfs, soit encéphaliques , soit spinaux, pro- SYSTÈME NERVEUX. 177 Viennent, par un certain nombre de filets, ou déjà réu- nis, ou isolés, de l’un et de l’autre de ces deux centres, Ils naissent, non de la surface seulement, mais de l’in- térieur, à une certaine profondeur. On verra que la matière nerveuse qui forme l’encéphale et la moelle spi- male affecte deux types , est, ou blanche , ou grise ; c’est dans cette dernière que les nerfs ont leur origine. Cette origine n'offre rien d’uniforme dans les nerfs encépha- liques ; mais, dans les spinaux , chaque nerf résulte tou- jours de deux faisceaux de filets, les uns antérieurs, les autres postérieurs, séparés d’abord les uns des autres par ce qu'on appelle le ligament, denticulé, mais se réunissant au-delà de ce ligament , et formant, près le trou intervertébral, un de ces renflemens, connus sous le nom de ganglions. M. Richerand pense que ces paires de nerfs s’entrecroisent à cette origine, et il s’appuie sur ce que , dans les maladies et les expériences, la pa- ralysie ou les convulsions se déclarent aux côtés du corps qui est opposé à celui où l’encéphale et la moelle spinale sont lésés. D’autres, au contraire, Bichat, M. Gall , nient cet entrecroisement. Sortis des cavités du crâne et du rachis, ces nerfs se portent à leurs organes respectifs , en se ramifiant suc- cessivement , et en établissant entre eux de fréquentes anastomoses. Parmi les encéphaliques, l’olfactif, l’op- tique et l’acoustique se rendent à leur destination , sans communiquer avec aucun autre nerf; les autres ofirent des communications entre eux , d’autant plus nombreuses qu'ils naissent plus inférieurement dans la moelle allon- gée. Les nerfs spinaux , après avoir dépassé le ganglion qui est à leur origine, sortent par les trous interverté- 1. 12 178 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. braux; les supérieurs, par les trous qui leur corres pondent , et les autres , par des trous qui sont d’autant plus au-dessous de leur origine , qu'ils sont eux -mêmes plus inférieurs. Étant ainsi d'autant plus obliques et plus gros , qu'ils sont plus inférieurs, ils forment entre eux, avant de se distribuer aux parties qu'ils doivent animer, des entrelacemens inextricables, qu’on appelle plexus; et c’est ensuite de ces plexus que se détachent les nerfs , qui vont par branches , rameaux, ramuscules ; se distribuer aux organes : tels sont les plexus cervical, brachial, lombaire , sciatique. Les troncs qui sont formés d’abord sont ordinairement ronds, plus ou moins allongés; ils marchent seuls, ou accompagnent de gros vaisseaux, et sont placés dans les intervalles cellulaires qui séparent les organes; d’eux naissent les branches ; des branches, les rameaux; et, | des rameaux, les ramuscules. Du reste, ce n’est pas une véritable origine, ni une bifurcation, c’est simple- ment le détachement de quelques-uns des filets, que nous allons dire composer le nerf. Les communications sont des plus fréquentes, de sorte que le système ner- veux ne représente pas , dans son ensemble, un arbre,” L comme il en est du système artériel , mais unréseau. Ges nerfs, du reste, varient beaucoup par leurs apparences extérieures ; les uns sont ronds , les autres aplatis, d’autres canelés sur les côtés , et généralement tous sont placés de manière à être à l’abri des lésions exté- rieures. | Parvenus au dernier degré de ramification, ces nerfs, se terminent en s’unissant, ou avec d’autres nerfs ou à des filets du grand sympathique , cette qua- SYSTÈME NERVEUX, 179 trième partie du système nerveux , dont il nous reste à parler; ou en se perdant dahs le parenchyme des or- ganes qui doivent à leur présence leur sensibilité, leur vie. À ce dernier égard , on ne sait pas comment se fait cette terminaison, si la pulpe nerveuse s’épanouit en membrane, comme cela paraît être pour les nerfs des sens de la vue, de l’ouie et de l’odorat; où si elle forme , dans chaque partie, des pénicilles , des pa- pilles, etc. Il est certain , seulement , que les organes du corps diffèrent beaucoup entre eux, sous le rapport de la quantité des nerfs qui s’y terminent, et relativement à la disposition que les extrémités nerveuses y affectent. Il est des organes qui, dans leur parenchyme , offrent beaucoup de nerfs , et d’autres qui paraissent n’en point avoir. Il en est chez lesquels ces nerfs sont presque à nu, très-dépouillés, et d’autres où cela n’est pas. On verra que cette double circonstance influe sur le degré de la sensibilité des parties. Quant à l’organisation de ces nerfs, on dit que cha- cun d’eux est composé: 1° de cordons nerveux, placés les uns à côté des autres , et formés eux- mêmes de filets plus fins; 2° d’une enveloppe extérieure, qui cir- conscrit le tout , appelée névriléme. Reil prétend avoir reconnu cette texture en plongeant deux nerfs; l’un dans l'acide nitrique qui détruisait le névrilème, et ne laissait que la substance nerveuse coagulée ; et autre, dans une eau alcaline, qui détruisait la substance ner- veuse , et ne laissait subsister que le névrilème, Celui-ci est, selon cet anatomiste , un canal de consistance assez grande , de nature cellulaire ; et qui paraît êire une continuation de la pie-mère , au imoins, pour les nerfs 12* 180 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. spinaux. Les filets intérieurs sont de la substance que- nous allons dire tout à l'heure former tout le sys- ième nerveux : ils font au dedans du nerf des plexus, comme les nerfs en forment entre eux, et sont entourés chacun d’une enveloppe cellulaire. Se séparant , à me- sure que le nerf chemine, pour former d’autres nerfs, ou pour se réunir aux filets d’un autre nerf, c’est par eux que se font les subdivisions , et que s’étabiissent les anastomoses. Nous n'avons pas besoin de dire que ces nerfs contiennent de plus les tissus générateurs, qui ser- vent à former toute partie ; du tissu cellulaire, qui en- toure le nerf pour l’unir aux parties voisines, et pénètre dans son intérieur pour en unir les différens filets; des vaisseaux sanguins, qui y apportent les matériaux nutri- üifs, etc. C’est à tort, en effet, qu’on avait dit que le névrilème était l’organe sécréteur de la substance ner- veuse ; il n’est évidemment, aux nerfs, que ce que sont les méninges à l’encéphale et à la moelle spinale; et, à coup sûr, ce ne sont pas ces méninges qui sécrètent ces masses nerveuses. Il ya plus même : on conteste au- jourd’hui les observations de Reil; MM. Magendie et Blainville les ont répétées en vain, et croient que le névrilème n’est qu'une enveloppe cellulaire analogue à celle qui recouvre les vaisseaux et toutes les parties en général. 4° Enfin, nous avons dit que dans l’homme, comme dans les animaux supérieurs, une portion du système nerveux se subordonnait les fonctions qui se produisent involontairement en nous, et sans que nous en ayons conscience ; et cette portion est ce qu’on appelle le grand sympathique. Gest chez l’homme un organe nerveux, SYSTÈME NERVEUX. 181 composé d’une série de ganglions tous unis entre eux par des branches intermédiaires ; formant ainsi un tout étendu sur les côtés du rachis , depuis le col jusqu'aux lombes; communiquant par un rameau avec chacune des trente paires de nerfs spinaux; et détachant de ses divers ganglions des nerfs qui, accompagnant les artères , vont se distribuer particulièrement aux organes des fonc- tions involontaires. Ayant son origine en haut, cachée dans le canal carotidien et le sinus caverneux, il se présente là sous la forme d’un plexus gangliforme, dont deux filets vont à la rencontre de la sixième paire en- céphalique, un autre à celle du nerf vidien de la cin- quième paire : par cette cinquième paire, il commu- nique avec un ganglion dit ophtalmique, que Bichat considère comme lui appartenant , et qui, comme son nom l'indique , est destiné à l’œil. Sorti du canal caro- tidien , il se dirige alors en bas, sur le côté du rachis jusqu’au sacrum, présentant une série de ganglions: trois au col, les ganglions cervicaux supérieur , moyen et inférieur; douze au dos, les ganglions thoraciques ; cinq aux lombes, les ganglions lombaires; et trois ou quatre au sacrum , les ganglions sacrés. Arrivé au coccix, il se termine par un petit ganglion , dit coccigien, ou en s’unissant avec le nerf grand sympathique du côté opposé. C'est à travers l'intervalle qui sépare les piliers du diaphragme , qu’il passe du thorax dans F’abdomen. À raison des branches qui unissent les ganglions entre eux , il paraît ne constituer qu’un seul nerf. Il faut étu- dier en lui les ganglions , et les nerfs qui les unissent et en proviennent pour se distribuer aux organes. Les ganglions ont une forme irrégulière, assez géné-- ralement arrondie. Indépendamment d’une double en- 182 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. veloppe celluleuse qui les revêt, et des vaisseaux san- guins qui les pénètrent pour leur nutrition , ils sont com- posés de deux parties : 1° de filets nerveux blancs , qui en émanent ou y aboutissent , et qui sont droits quand le ganglion est formé d’un seul nerf, ou entrelacés, quand ils sont formés de plusieurs. M. Lobstein dit avoir vu nettement, sur un nerf grand sympathique macéré , que Île cordon médullaire, émané du ganglion cervical supérieur, par exemple , traversait tous les autres gan- glions , en s’y mêlant , à la vérité , avec d’autres cordons qui constituaient leur substance ; 2° d’une matière molle, d'un gris rougeâtre, pulpeuse, albumineuse ou gélati- neuse , qui remplit les intervalles des filamens nerveux : on a voulu assimiler cette matière à la substance grise du cerveau; mais elle ne se comporte pas de même aux réactifs , comme le prouvent des expériences de Bichat et de Wutzer. Que sont ces ganglions? Les auteurs sont très-divisés sur ce point. Willis, Haller, Winslow, en font de petits cerveaux sécrétant les esprits animaux ; Lancisy , Vicq-d’Azyr, des espèces de cœur , imprimant une impulsion à ces esprits, ou des réservoirs où ils se mettent en dépôt. La plupart les considèrent comme des moyens de division, de distribution des nerfs, ou comme servant à les unir, à les mélanger. Scarpa fait le mot ganglion synonyme du mot plexus ; et, selon lui, les glanglions ne sont que des plexus dont les filets sont très - rapprochés, et les plexus, des ganglions, dont les filets sont plus écartés. JÆohnstone dit qu'ils servent à entraver la transmission des sensations et les ordres de la volonté dans les nerfs qui en éimanent: D’autres , au contraire, veulent qu'ils concentrent, renforcent l’ac- tion nerveuse , ou la répartissent uniformément dans les Las SYSTÈME NERVEUX. 185 appareils des fonctions nutritives. Enfin, on en a fait les centres d'autant de systèmes nerveux particuliers , et les analogues des ganglions qui composaient à eux seuls le système nerveux dans les animaux qui ont offert ce système au plus grand degré de simplicité. Quant aux nerfs du grand sympathique , ils sont de trois sortes ; ceux qui unissent les ganglions entre eux , et pa- raissent ainsi en former un seul organe ; ceux qui unissent ces ganglions aux trente paires spinales ; et enfin ceux qui des ganglions se distribuent aux organes. Les premierssont blancs , courts , ne formentpas de plexus , ne fournissent aucuns rameaux, ressemblent aux nerfs spinaux, et ne paraissent être qu'anastomotiques. 1l en est de même des seconds. Mais les derniers qui sont les plus importans, sont d’un ordre particulier ; ils sont rougeâtres, mous, sans disposition plexiforme dans leur intérieur , et restent toujours petits et grèles. Emanant des ganglions, et non du cordon nerveux qui est dans leur intervalle , ils s’en- trelacent autour des artères , et les accompagnent jus- que dans leurs ramifications dernières ; ils deviennent ainsi un des élémens générateurs des organes les plus répandus , et probablement existent en toute partie. Souvent , avant de suivre les artères, ils forment au- paravant, en s’entrelacant entre eux, des plexus inex- tricables auxquels on a donné des noms particuliers; et c’est de ces plexus que partent ensuite les nerfs qui s’attachent aux artères et les suivent. Ainsi, du plexus gangliforme qui existe dans le canal carotidien, nais- sent des filets qui, selon }f/inslow et M. Ribes , s’atta- chent aux artères cérébrales ; du ganglion cervical supérieur , en proviennent d’autres qui suivent l'artère carotide externe. Beaucoup de filets provenant des gan- 184 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ, glions cervicauxet thoraciques , forment en s’entrelaçant le plexus dit cardiaque d’où naissent les nerfs du cœur et des gros vaisseaux. Ces mêmes ganglions thoraciques en fournissent pour chaque artère intercostale. Un rerf dit grand splanchnique , provenant de quelques-uns des ganglions thoraciques, passe à travers les piliers du diaphragme du thorax dans l'abdomen, et, à peine par- venu dans cette cavité , s’y termine dans un vaste plexus , dit pleœus semi-lunaire; ce plexus , en s’unissant avec celui du côté opposé , forme un entrelacement nerveux plus vaste encore, appelé pleœus solaire ; et c’est ensuite de celui-ci que partent les nombreux filets qui s’attachant aux artères coronaire stomachique , hé- patique, splénique , spermatique, rénale, mésentéri- que supérieure, mésentérique inférieure, hypogastri- que, etc., vont se distribuer aux parties que ces artères alimentent , à l’estomac , au foie, à la rate, aux testi- cules, aux reins , à l’intestin , etc. Nous ne présentons encore ici qu’une description générale de ce nerf , sur lequel nous reviendrons à l’article des fonctions involon- taires. Tel est le grand sympathique chez l’homme. Les pre- miers anatomistes l’appelaient le nerf intercastal, et le considéraient comme un nerf encéphalique, provenant de la cinquième ou de la sixième paire , ou des deux en- semble. Pourfour du Petit ensuite le dérivant dela moelle spinale , en fitun nerf spinal , sur trois raisons; 1° que sa communication avec la cinquième ou sixième paire encé- phalique , qu’on disaitson origine , sefaisait sous un angle aigu en arrière; ce qui annonçait que ce nerf, au lieu de provenir de ces paires de nerfs, allait seulement les rejoin- dre ; 2° que la sixième paire encéphalique était plus SYSTÈME NERVEUX. 185 grosse après avoir reçu le filet du grand sympathique qu'avant ; ce qui prouvait encore qu'elle ne fournit pas ce nerf, maislerecoit ; 5° qu’enfinle nerfgrand sympathique diminuait de volume à mesure qu'il approchait du cer- veau , ce qui est le contraire de ce qui aurait dû être , s’il y avait pris son origine. Enfin, #inslow présenta le grand sympathique comme un système nerveux isolé ; il considéra les ganglions qui le composent comme autant de petits cerveaux, et regarda les filets qui l’unis- sent en haut avec la cinquième et sixième paires encé- phaliques, et tout le long du rachis avec chacune des trente paires de nerfs spinaux , comme de simples anasto- moses. Cette dernière opinion ne fut pas admise aussilôt, et même quelques anatomistes de nos jours rattachent encore le grand sympathique, ou aux nerfs encépha- liques, comme M. Chaussier, ou à la moelle spinale, comme Legallois. Mais Bichat et Reil, s’emparant de l'idée de Winslow , l'ont fait adopter presque générale- ment. Le grand sympathique est, selon eux, formé d’une série de ganglions, constituant autant de sysièmes nerveux spéciaux, indépendans les uns des autres, seu- lement communiquant par des branches intermédiaires, et entre eux, et avec la moelle spinale , et avec le cer- veau. Leurs argumens sont : 1° queles ganglions ophthal- mique et sphéno-palatin de ce nerf qui sont à la tête, sont isolés , et ne communiquent entre eux que par des branches des nerfs encéphaliques ; 2° qu’on a trouvé souvent des interruptions dans le grand sympathique, au col , au dos , ou aux lombes ; 3° que dans les oiseaux, le ganglion cervical supérieur est toujours séparé. Quant aux usages de ce grand sympathique , les An- ciens croyaient que ce nerf servait à établir les connexions 186 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. des divers organes ; et de là même le nom qu'ils lui avaient donné. Ensuite Bichat remarquant : 1° que les organes des fonctions involontaires , de la digestion , de la res- piration , de la circulation, etc. , ont besoin , pour pou- voir agir, de l'intégrité des nerfs qui s’y distribuent, ainsi que nous le montrerons ; 2° que les nerfs de ces organes proviennent en grande partie du grand sym- pathique; 5° qu’enfin les nerfs du grand sympathique décèlent des propriétés bien différentes de celles des autres nerfs; que , par exemple , tandis que dans les ex- périences les autres nerfs se montrent irès-sensibles , ceux du grand sympathique paraissent insensibles , sont impunément coupés , brûlés , etc. Bichat, àraison de ces considérations , a conjecturé , que le grand sympathique est chargé de présider à toutes les fonctions qui sont en nous hors la dépendance de notre volonté et de notre conscience ; et cette opinion est aujourd'hui presque universellement adopiée en physiologie. De là le nom de système nerveux organique donné à ce nerf, par opposition aux autres parties nerveuses comprises sous le nom de système nerveux animal; parce que le pre- mier est dit présider aux fonctions involontaires et non senties , et le second aux fonctions animales ou de re- lation. Seulement , f'eber a publié , en 1817,àLeipsick, une Dissertation sur l'anatomie comparée du grand sympa- thique , dans laquelle il établit que la fonction attribuée au grand sympathique d’être le nerf viscéral, est aussi en partie remplie par le nerf vague. Selon ce savant, le nerf grand sympathique est d’autant moins dévelop- né, que l’animal est inférieur ; le nerf vague, au con- traire , l’est d'autant plus, et à la fin finit par être le seui SYSTÈME NERVEUX. 107 nerf viscéral. Ainsi , le grand sympathique , quoique existant dans tous les mammifères , diminue déjà chez eux en raison de la place qu'ils occupent dans le cadre zoologique : dans les oiseaux , c'est encore plus marqué, les ganglions du col et le cœliaque manquent; et au lieu des plexus viscéraux, ce ne sont que de simples filets : dans les reptiles , il se confond avec le nerf vague , et les branches qu'il recoit des nerfs spinaux sont plus grosses que celles qu’il envoie aux viscères : enfin dans les pois- sons , il disparaît presque en entier, et n’a plus aucuns ganglions. Au contraire , on voitle nerf vague augmenter à mesure que le grand sympathique se dégrade; et il finit par le remplacer en entier dans les mollusques cé- phalopodes : par exemple , dans l’homme , la portion que le nerf vague envoie au poumon et aux viscères abdo- minaux, est petite ,comparativement à celle que le grand sympathique fournit à ces mêmes parties : dans les oiseaux, les reptiles surtout, la part du grand sympa- ihique diminue , et celle du nerf vague augmente : dans les poissons , c’est le nerf vague seul presque qui vivifie les viscères ; et aussi ilest si gros , que les deux réunis éga- lent en grosseur la moelle épinière ; il envoie des filets, mème à la face interne du crâne: enfin, dans les mol- lusques céphalopodes , le grand sympathique manque, et le nerf vague seul reste. à Tel est le système nerveux fort compliqué de l’homme : nous en verrons reparaître les diverses parties aux fonc- tions diverses auxquelles elles président. Comme l’homme est le premier des animaux, l’encéphale est le plus gros possible , relativement au reste du système ; on sait que c’est le contraire dans les animaux, à mesure qu'ils sont plus simples; et qu'à mesure que l’on des- &, 188 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ." cend dans l'échelle animée , la matière nerveuse se montre de moins en moins centralisée. Toutes ces parties sont formées par la fibre primitive nervale, dont la nature est et sera probablement toujours inconnue. M. J’auquelin en a tenté l’analise, et lui assigne pour élémens; eau, 80,00; matière blanche grasse, 4,53; matière rouge grasse , 6,70 ; osmazome, 1,12; albu- mine, 7,00 ; phosphore , 1,50; soufre , phosphates acides de potasse, de chaux, de magnésie, 5,15. Dans la moelle épinière , il y a plus de matière grasse , et moins d’osmazome , d’albumine et d’eau: au contraire, dans les nerfs, l’albumine prédomine, et les matières grasses y sont moindres. Mais quelles’ lumières cette analise peut- elle répandre sur les actions merveilleuses de cette ma- tière ? On a cherché aussi à en pénétrer la nature à l’aide du microscope : ainsi, Bichat l'a dit une bouillie sta- gnante , tenant le milieu entre les solides et les fluides ; Della Torre, une collection de globules innombrables, transparens et plongés dans un fluide diaphane; Pro- chaska , une collection de globules unis par du tissu cel- lulaire; Monro , un assemblage de fibres solides, sans cavité, d’un neuf millième de ligne de grosseur , et en- tortillées entreelles; Fontana, une réunion de petits cy- lindres transparens homogènes , uniformes, remplis d’un fluide gélatineux , clair, etc. MM. Bauer et Ev. Home ré- cemment disent y avoir reconnu les mêmes globules que ceux qui forment le sang; seulement ils étaient blancs , dépouillés de l'enveloppe de matière colorante, plus petits, et unis entre eux en fibres et en faisceaux par une substance gélatineuse soluble dans l’eau et entièrement transparente. Mais tout cela est aussi peu constaté , et aussi peu propre à faire pénétrer le mystère des actions. . SYSTÈME NERVEUX. 189 La seule chose apparente dans cette matière nerveuse, c’est qu’elle s'offre dans les organes nerveux que nous avons décrits sous deux états , sous forme d’une matière grise qui est plus molle, et sous forme de matière blanche qui est plus compacte; la première appelée la substance grise ou corticale ; et la seconde la substance blanche ou médullaire. Ges dénonmations sont vicieuses ; car la sub- stance grise n’est pas toujours à l'extérieur comme une écorce; et la substance blanche n’est pas toujours à Fin- térieur, et surtout n’est pas une moelle. La substance blanche est évidemment fibreuse ; cela est moins évident pour la substance grise, qui doit sa couleur aux vaisseaux sanguins qui la pénètrent. Les anatomistes se sont effor- cés de pénétrer l’organisation de ces deux substances ; ils se sont arrêtés à deux hypothèses qui sont aussi peu démontrées l’une que l’autre. L’une est celle de Malpighi, qui considère la substance corticale grise comme un assemblage de petits follicules destinés à sécréter le fluide nerveux qu’on suppose circuler dans les nerfs ,‘et la sub- stance médullaire blanche comme composée des vais- seauxexcréteurs de ces glandes ; Bidloo, sectateur de cette opinion, alla jusqu’à faire graver les prétendues glandes de la substance grise. L'autre est celle de Ruisch, soute- nue par Leuwenhoeck, Boërhaave , dans laquelle on établit que la substance corticale n’est qu’un composé de vaisseaux très-divisés et très- repliés sur eux-mêmes. Sœæmmering admet même quatre substances dans les organes nerveux, la blanche, la grise, la noire et la jaune: mais il n’y a là que des différences de couleur, tenant à la proportion dans laquelle sont mêlés les vais- seaux sanguins, et les substances grise et blanche. Voilà une exposition abrégée du système nerveux, 190 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. considéré surtout sous le rapport de ses formes exté- rieures; mais arrivons à des considérations plus physio- logiques. Les anatomistes ont, jusqu’à ces derniers temps, professé sur ce système trois opinions fondamentales : l’une , que toutes ses parties naissent d’un centre , qu’on a dit tour à tour être l’encéphale ou la moelle spinale ; l’autre , que ce système est un ; If troisième enfin, qu'il est homogène , et a partout la même organisation. Il faut discuter chacune de ces opinions. 1° Le système nerveux a-t-il un centre duquel naissent toutes ses parties ? Deux considérations ont généralement fait admettre une partie centrale au système nerveux, et ont fait regarder l’encéphale comme cette partie centrale. L'une est anatomique. À l'inspection, en effet, tout le sys- tèmenerveux paraît provenir de l’encéphale; la moelle spi- nale semble en être le prolongement; par l'intermédiaire de cette moelle on peut lui rattacher les nerfs spinaux; les nerfs encéphaliques en naissent immédiatement ; enfin le grand sympathique peut aussi lui être rapporté , soit par l'intermédiaire des cinquième et sixième paires en- céphaliques, soit par celui de la moelle spinale ; toutes les parties du système nerveux forment ainsi un tout con- tinu. L'autre est physiologique; toutes les parties ner- veuses, en effet, et par suite les fonctions auxquelles elles président , sont , dans l’homme et les animaux supérieurs au moins , dépendantes de l'intégrité de l’en- céphale, et de leur communication avec lui. Si, dans l'homme adulte, l’encéphale est altéré , tout le reste du système nerveux n’exécute plus ses fonctions ; les sens ne transmettent plus les impressions des corps extérieurs ; les muscles volontaires cessent de maintenir la station du corps, d’exécuter les mouvemens ; le grand sympa- SYSTÈME NERVEUX, 191 thique lui-même paraît ne plus exercer sur les organes des fonctions automatiques, son influence importante. Il en est de même si la communication d’une partie ner- veuse avec l’encéphale a cessé , parce qu’on a coupé ou lié le nerf qui l’établissait. À la vérité , la suspension , pour le grand sympathique , est plus tardive; la mort n'arrive qu'après quelques heures , tandis que la para- lysie du sens et du muscle locomoteur succède immé - diatement à la section ou à la ligature de son nerf; mais néanmoins sa dépendance de l’encéphale , pour être moins prochaine, n’en est pas moins réelle. Mais, de ces deux considérations , la première d’abord n’entraîne pas nécessairement la conséquence qu’on en a déduite : l’union de toutes les parties nerveuses , leur continuité ne prouvent pas absolument leur émanation del’encéphale, mais seulement leur communication avec cet encéphale. Quelques faits anatomiques sont même directement contraires à cette idée d’une dérivation. 1° Si l’encéphale ou la moelle spinale étaient des centres “desquels dérivassent tous les nerfs , il devrait y avoir des rapports de volume entre ces diverses parties ; c’est-à- dire que là où l’encéphale est gros , il devrait donner naissance à une grosse moelle spinale , à de gros nerfs; et qu’au contraire , là où il est, petit , il devrait fournir une moelle spinale petite, I serait , en effet , absurde de faire dériver les unes des autres , des parties qui n’au- raient aucun rapport de volume. Or, ce rapport de vo- lume le plus souvent manque: chez l'fomme, où l'encé- phale est le plus gros possible, la moelle spinale et les nerfs sont plus petits que chez les animaux où l’encé- phale est petit, 2° Selon les zoologistes , il est des ani- maux chez lesquels l’encéphale manque, et qui ont 192 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. cependant les autres parties nerveuses. 3° Enfin, dans l’homme et les animaux supérieurs, on a vu exister les différens nerfs , bien que l’encéphale et la moelle spinale : manquassent : par exemple , dans des cas d’acéphalie et d’anencéphalie , les nerfs spinaux et le grand sympa- thique existaient, et même avaient le volume que com- portait l’âge du fœtus. Il est évident ici qu'on ne peut dériver ces parties nerveuses d’un encéphale et d’une moelle spinale qui n’existent pas. La seconde considération n’est pas péremptoire non plus, en ce qu’elle n’est pas applicable à tous les ani- maux , à tous les âges de l’homme , et à toutes les parties nerveuses également. Ainsi, 1° s’il est vrai , comme le veulent les zoologistes , qu’il existe des animaux qui n'aient pas d’encéphale, les autres parties nerveuses de ces animaux feront leur office , sans l'intervention de ce prétendu centre. 2° En beaucoup d'animaux qui ont un encéphale , cet encéphale peut être enlevé, ou les autres parties nerveuses privées de communication avec lui, sans que celles-ci soient paralysées aussitôt: par exemple, les expériences de Redi ont montré des grenouilles , des tortues survivans des mois à la décapitation. 3° l’indé- pendance dans laquelle sont de l’encéphale les autres parties nerveuses est même vraie de l’homme et des ani- maux mammifères; mais seulement pendant leur vie fœtale, et d'autant plus qu’ils sont plus jeunes : dans l’acé- phalie , les fœtus vivent et croissent jusqu’au moment de l’accouchement , et par conséquent le grand sympathique agit : dans l’anencéphalie incomplète , le phénomène est encore plus évident; car la viese prolonge quelques jours après la naissance ; l'enfant respire, goûte les alimens qu'il prend. Legallois, dans des expériences que nous SYSTÈME NERVEUX, 103 relaterons par la suite, a fait vivre des animaux décapités pendant quelques heures encore , pendant un temps d’au- tant plus long qu'ils étaient plus jeunes , seulement en remplaçant la respiration par une insufilation d’air dans le poumon. 4 Enfin, cette dépendance n’est pas égale pour toutes les parties nerveuses ; elle est d'autant plus grande que ces parties nerveuses président à une fonc- tion plus élevée dans l’animalité, et d'autant moindre que ces parties nerveuses régissent une fonction plus inférieure : par exemple , elle est plus prochaine pour les nerfs des sens et des mouvemens , qui sont paralysés aussitôt dans une apoplexie , que pour le grand sympa- thique qui, dans cette maladie , fait agir encore quelque temps les organes centraux de la vie, Relativement à la première proposition émise par les auteurs sur le système nerveux , nous pensons donc : ° qu'il n’est aucune partie nerveuse qui naisse d’une autre, mais que chacune existe par elle-même, dès que la nature a voulu faire jouir l'être de la faculté dont elle est l'instrument; et que seulement , toutes Communi- quent entre elles, pour qu’elles puissent s’influencer réciproquement, et que les plus nobles puissent com- mander l’activité de celles qui semblent des instrumens créés pour leur service; 2° que dans les animaux supé- rieurs seulement, et d’autant plus qu’ils sont moins jeunes, toutes les parties nerveuses sont subordonnées à l’encéphale , et d'autant plus prochainement, qu’elles président à une fonction plus élevée dans l’animalité : c'est ce qui est, par exemple, chez l’homme. Les z00- logistes, à cet égard, partagent les animaux en deux classes : ceux dans lesquels le système nerveux n’a pas de partie centrale , qui accessibles à des impressions exté. 15 194 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. reures ne peuvent pas réagir sur les corps, chez lesquels la vie n’est pas centralisée , et qu’on peut multiplier en les divisant ; et ceux, au contraire, chez lesquels le sys- tème nerveux a une porlion centrale commune , à l’aide de laquelle la vie est centralisée , et qui ne peuvent plus conséquemment se reproduire par boutures, M, de Blain- ville, par exemple, présente la moelle spinale comme la partie centrale du système nerveux de l’homme ; ré- gnant dans toute la longueur du rachis , et se prolon- seant fort avant dans la cavité du crâne, c’est sur les côtés de cette partie centrale, et à son extrémité anté- rieure , que sont disposés les différentes parties nerveu- ses qui président aux diverses fonctions. 9 Le système nerveux est-il un? Dès long-temps quelques doutes avaient été émis sur cette proposition. Galien , par exemple, séparait les nerfs des mouve- mens et ceux des sensations ; /f’illis, ceux des mouve- mens volontaires et ceux des mouvemens involontaires ; et on assignait aux uns et aux autres une origine et une organisation différentes. Cependant, jusqu’à ces der- nières années , la plupart des anatomistes professaient que les nerfs étaient partout identiques; et ils attri- buaient la différence des sensations qui leur sont dues, des mouvemens qu'ils déterminent , de l’influence ner- veuse qu'ils exercent , à celle des parties auxquelles ils se terminent. Tissot, par exemple, donne comme preu- ves de cette opinion, que tous les nerfs font apprécier des contacts ; que ce sont les mêmes nerfs qui se dis- tribuent aux muscles locomoteurs , et à l'organe du tact et du toucher, c’est-à-dire à la peau; que le nerf de la cinquième paire encéphalique se distribue à la fois aux organes de la vue , del’odorat, du goût, et à la peau . SYSTÈME NERVEUX: 198 et aux muscles de la face. Cabanis s'exprime aussi fran- chement à cetégard. M. Cuvier le dit dans un endroit de son Anatomae comparée ;et le méten doute dans un autre. W'inslow , Reil et Bichät commencèrent à ébranler celte opinion per la manière ‘dont ils considérèrent le grand sympathique. D'un côté, äls cessèrent de faire naître ce nerf,:soit de d’encéphale ;: soit de Ja moelle spinale, et le dirent une série de ganglions, non-seu- lement distincts de ces deux centres, mais encore dis tincts les uns des autres. D'un autre côté, arguant de son organisation spéciale, de sa distribution, de la dif- férence de ses propriétés , ils le dirent affecté aux fonce- tions involontaires. Ainsi ils consacrèrent deux systè- mes nerveux distincts : le système nerveux animal, dont l’'encéphale estle centre, et qui préside à toutes les fone- tions de relation; et le système merveux organique ou des ganglions , qui préside aux deux autres classes. de fonctions, à tout ce qui se produit irrésistiblement dans notre économie, et qui même est multiple, c’est-à-dire est composé de plusieurs systèmes différens. M. Gall ensuite appliqua ‘ces'mêmes idées à tout le reste du système nerveux, et professa la pluralité des systèmes nerveux. Ge qu'on appelle ainsi est , selon lui, un composéde beaucoup de systèmes , tous diffé- rens d'organisation et d’usages , affectés chacun. à des fonctions particulières ; et plus ou moins nombreux, à mesure qu’on s'élève ou qu’on descend dans l'échelle des animaux. L’anatomie comparée montre, en etlet, cet appareïl , le plus remarquable de ceux qui entrent dans la composition des:animaux , ‘allant en se compli- quant de nouvelles parties, à mesure que la sensibilité et la vie de l'animal sont-plus étendues ; et il'semble 15* 196 FONCTION DÉ LA SENSIBILITÉ. vraiment que , pour faire jouir un animal d’une faculté de plus, il ait suffi à la nature de lui faire don d’une partie nerveuse nouvelle. Par exemple; manquant , à proprement parler ; dans les animaux amorphes, ce système se réduit , dans les animaux radiaires, à trois ou quatre ganglions placés chacun dans un des rayons dé l'animal , ét qui, suffisant à sa vie nutritive et sen- sitive simple, sont les rudimens du grand sympathique. Dansles animaux binaires, ce système s’augmente d’une moelle spinale et d’un encéphale; et, ensuite, chacune de ces trois parties vont elles-mêmes , ense compliquant, en se composant d'un plus ou moins grand nombre de systèmes, à mesure que les animaux s'élèvent davantage dans l'échelle. M. Gall, en effet, applique à la moelle spinale ‘et à l’encéphale les idées qu'on se fait, d’après Bichat, du grand sympathique. La moelle spinale n’est plus un‘cordon nerveux unique , mais une suite de gan- glions nerveux différens , présidant aux mouvemens vo- lontaires et à la sensibilité générale ; et plus ou moïns nombreux dans les animaux, selon la longueur du corps, et le nombre des muscles à vivifier. IL en est de même de la partie de l’encéphale ; qu’on appelle moelle allon- gée , et qui est un groupe de systèmes nerveux affectés aux fonctions des sens. Enfin ; il en est de même aussi de l’autre partie de l’encéphale , appelée cerveau, qui est un assemblage des systèmes nerveux des facultés de esprit. Mais entrons äici-dans:plus de détails. M: Gall ramène à quatre groupes tous .les systèmes dont:se compose l'appareil: nerveux si composé de l’homme; groupes qui sont eux-mêmes multiples, com- posés de plusieurs systèmes ; mais dont on peut rap- procher:les systèmes composans, parce qu'ils remplis- PS SP SYSTÈME NERVEUX, 197 sent des usages d’un même genre. Ces groupes sont : les systèmes nerveux du thorax et de l'abdomen , ou le grand sympathique ; ceux des mouvemens volontaires et des sensations tactiles , ou la moelle spinale ; les sys- ièmes nerveux des sens , ou la moclle allongée ; et ceux des facultés de l'esprit , ou le reste de l’encéphale, c’est- à-dire le cerveau et le cervelet. Les premiers sont les plus généralemont répandus dans les animaux, les moins nobles de tout l’appareil nerveux, et constituent, par leur ensemble, le grand sympathique. Get organe est ici considéré à la manière de Reil et de Bichat, c’est-à-dire que, non-seulement il n'est pas dérivé de l’encéphale et de la moelle spi- nale , et est présenté comme un système nerveux à part: mais encore il est dit multiple, composé de plusieurs systèmes indépendans, régissant chacun un organe de la vie intérieure , et seulement unis entre eux, et avec l’encéphale et avec la moelle spinale , par des branches de communication. Les argumens sont les mêmes que ceux qu'avaient invoqués W'inslow, Reil et Bichat. Les systèmes nerveux des mouvemens volontaires et de sensibilité générale , constituent par leur ensemble la moelle spinale. Cette moelle d’abord ne peut être dite un appendice, un prolongement de l’encéphale ; car elle n’est pas dans un rapport forcé de volume avec lui; elle est plus petite, par exemple, chez l’homme que chez les animaux, bien que l’encéphale soit plus gros chez le premier que chez les seconds ; et même, cette observation avait engagé d’anciens anatomisies, à dériver l’encéphale de la moelle spinale. D'ailleurs , elle ne s’amincit pas graduellement à mesure qu’elle fournit des nerfs, mais est alternativement plus grosse 168 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. ou plus grèle, selon le nombre et le volume des nerfs auxquels elle donne naissance. Ajoutons que, dans son développement , elle précède lencéphale; que celui-ci, dans son origine, paraît être édifié sur le même type; et qu'enfin, dans les animaux, elle se montre géntra- lement d'autant plus développée, que le cerveau est plus imparfait. Elle forme donc un système nerveux à part. De plus, selon M. Gall, elle n’est pas un cordon ner- veux unique; mais, Comme le grand sympathique , elle est une suite de ganglions unis entre eux par des bran- ches de communication. Ses argumens sont : 1° qu’elle parait être telle dans les vers , les chenilles , les insectes , et que l’analogie porte à lui assigner la même compo- sition dans tous les animaux. Dans les vers, effective- ment, elle s’offre sous l'apparence d’un cordon présen- tant d’intervallés en intervalles des renflemens, des es- pèces de nœuds; et l’on peut croire que ces renflemens sont autant de ganglions , de systèmes nerveux distincts, et que les filets qui les unissent et qui paraissent faire du tout un seul orgañe, ne sont que des branches de communication entre les uns et lés autres. Le nombre des ganglions , en effet , correspond à celui des anneaux ou segmens du corps; de chaque ganglion naissent des nerfs ; et il y à ün rapport de volume entre le ganglion et’ le nombre et la force des filets nerveux qui en sor- tent. Il ya une telle disproportion de volume entre ces ganglions, et les filets qui les unissent, que bien que ia moelle paraisse férmer un tout continu, on ne peut métonnaître qu’elle est, comme le grand sympathique, un groupe de plusieurs systèmes. Or, l’analogie porte à pensér qu'il en est de même de la moelle spinale des autres animaux : seulement les ganglions étant plus rap- SYSTÈME NERVEUX. 199 prochés, et les filets qui les unissent étant presqu’aussi gros qu'eux, la distinction des uns et des autres est à peine saisissable, et la moelle spinale paraît davantage être un cordon d’une seule venue ; 2° que la moelle spinale ne diminue pas graduellement de haut en bas, mais est, au contraire , alternativement plus grosse et plus petite, selon le nombre des nerfs qu'elle a à four- pir ; 5° enfin, que la direction des filets nerveux qui, de cette moelle spinale, vont former les nerfs vertébraux, est confirmative de cette composition; ces filets sortant de la matière grise qui est au centre de la moelle, et composant , comme nous l'avons vu, deux faisceaux, un antérieur , et un postérieur , sont dirigés en effet pour chaque nerf , les uns de haut en bas, les autres de bas en haut, et d’autres horizontalement dans le mi- lieu, comme s'ils venaient de la partie supérieure , de la partie inférieure et du milieu d’un ganglion isolé. Toutefois, c’est de cette moelle spinale que naissent les nerfs spinaux; les ganglions qui la composent président aux mouvemens volontaires et à la sensibilité générale : en même temps qu'ils communiquent entre eux par des branches intermédiaires , ils communiquent aussi avec les ganglions du grand sympathique, et avec les systè- mes nerveux supérieurs , s'ils existent ; cela était néces- saire pour établir l'indiviaualité de l'être, et surtout parce que les ganglions spinaux sont des instrumens utiles aux facultés supérieures, et que l'organe de celles- ci devait avoir sous sa subordination. La partie de l'encéphale appeléemoelle allongée, forme le groupe des systèmes nerveux,des sens. D'abord , à la différence de M. Chaussier, qui fait. finir cette partie encéphalique à la ligne appelée, collet, M. Gall la pra- 200 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. longe jusqu’au grand trou occipital ; il considère comme en faisant partie tout ce que M. Chaussier rattache à la moelle spinale sous le nom de bulbe supérieur du pro- Jongement rachidien ; et il se fonde sur ce que la ligne ‘prétendue de séparation , le collet, n'existe qu'à la sur- fâce , n’est qu'une apparence produite par les fibres irans- versales de la moelle, et qu’en la fendant on voit se prolonger au-dessous d’elle les faisceaux ascendans qui de la moclle allongée vont former le cerveau. Ce collet, dit-il, est moins marqué dans les mammifères que dans l’homme, parce que les fibres transversales sont moin- dres, et même il manque dans les reptiles , les poissons où ces fibres manquent aussi. Ensuite M. Gall établit que cette moelle allongée n’est un prolongement, ni du cerveau, ni de la moelle spinale, puisqu'elle n’est en rapport de volume ni avec l’un, ni avec l’autre, et que les nerfs qui en naissent se dirigent, pour la plupart , de bas en haut, et non de haut en bas, comme cela de- vrait être, si elle dérivait du cerveau; elle a aussi une existence indépendante etisolée. Enfin , il professe qu’elle n’est pas une masse nerveuse unique , mais un composé de plusieurs systèmes différens / affectés chacun à un acte spécial , plus ou moins nombreux dans chaque ani- mal , unis entre eux par des branches de communica- tion, ainsi que cela était du grand sympathique et de la moelle spinale. Les seules différences sont , que les pre- miers groupes de systèmes nerveux étaient, ou épars , ou disposés sur une ligne; tandis qu'ici ils sont en bloc; et que chez les premiers, les nerfs naissant de chaque gan- glion s’en séparaïent aussitôt, tandis qu'ici plusieurs nerfs restent encore , pendant un espace assez long , plongés dans la masse commune, etne s’en séparent qu’à des SYSTÈME NERVEUX. 201 distances diverses, ce qui a trompé sur le lieu précis de leur origine. Mais cette différence , ajoute M. Gall , n’est que mécanique, et était commandée par la nécessité dont il était que tous ces divers systèmes fussent ren- fermés dans une même cavité osseuse. M. Gall en porte le nombre chez l’homme à douze, qui sont les douze nerfs encéphaliques ; savoir : quatre dont les nerfs se séparent dès leur origine, et sur le point de départ desquels il n’y a jamais eu de controverse , l’accessoire de Willis , le nerf grand hypoglosse, la huitième paire ou le vocal, et le glosso-pharyngien; et huit, dont les nerfs restent plongés plus ou moins loin dans la masse commune , et sur l’origine desquels il y a eu débats, qui sont , l’'abducteur de l'œil ou la sixième paire encé- phalique , le facial ou portion dure de la septième paire; l’auditif ou portion molle de la septième paire ; le trifa- cial ; la quatrième paire ; l'oculo-musculaire commun ; l'optique et l’olfactif. À ces douze systèmes nerveux que M. Gall spécifie dans la moelle allongée, il joint encore les origines premières du cerveau et du cervelet. C’est encore en examinant la moelle allongée dans les animaux que M. Gall a été conduit à concevoir ainsi sa composition. Chez eux, les pyramides qui sont dans cette moelle, les faisceaux primitifs du cerveau, sont petites proportionnellement ; et dès lors les douze autres systèmes nerveux se laissent mieux distinguer. Chez les poissons , par exemple , on voit clairement que l’optique et l’olfactif appartiennent à la moelle allongée. Bien en- tendu , d’ailleurs , que dans ces animaux le nombre des systèmes de la moelle varie , selon que la nature leur a accordé ou refusé les facultés auxquelles ces systèmes 202 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. président. Cependant c’est l’analogie et le raisonnement, plus que la décomposition physique qui est impossible , qui ont surtout entraîné M. Gall. D'abord, il a vu que chacun des nerfs de la moelle allongée présentait les dis- positions d'organisation qui existent, selon lui, en tout système nerveux, el que voici. M. Gall établit que des deux substances grise et blanche qui composent les or- ganes nerveux, C’est la grise qui partout engendre les filets nerveux , et il l'appelle , à cause de cela , la sub- stance matrice des nerfs. Tout système nerveux y prend son origine, en trouve sur sa route des amas destinés à le renforcer , et arrive à l’organe auquel il doit se ter- miner toujours plus gros qu’il n’était à son principe. Les ganglions , les plexus, sur lesquels nous avons vu les auteurs si divisés, ne sont, selon M. Gall, que ces amas de matière grise destinés à donner origine aux différens systèmes nerveux, et à leur faire acquérir leur volume propre en leur fournissant dans leur trajet de nouveaux filets. Aussi, il y a un rapport entre le volume d’un sys- ième nerveux quelconque, et celui des ganglions de malière grise dans lesquels il prend origine , ou par les- quels il est renforcé dans son chemin. Dès lors M. Gall veut que, dans l'étude anatomique d’un système nerveux quelconque, on suive l’ordre de son développement , c’est-à-dire qu’on remonte d’abord à son ganglion d’ori- gine et au premier faisceau qui en est le produit ; ek qu’ensuite on suive celui-ci jusqu'à son expansion der- nière, en signalant les différens renforcemens qu’il éprouve en son trajet. Or , tout cela est vrai des systèmes nerveux de la moelle allongée; chacun naît dans de Ja substance grise, et est renforcé , perfectionné dans son SYSTÈME NERVEUX. 209 trajet, par cette même substance grise qui l’accompa- gne, ou est disposée sur sa route en ganglion ; chacun ainsi arrive à sa fin plus gros qu'il n’était à son origine ; chacun finit par un épanouissement. Tous sont pairs ou symétriques ; et-ceux d’un côté sont réunis avec ceux de l’autre côté, par des filets placés sur la ligne médiane , et qui forment ce qu'on appelle des commis- sures. Ainsi, les systèmes nerveux de la moelle allongée offrent les mêmes lois d'organisation que les autres sys- tèmes. D'un autre côté , ils ont évidemment des fonctions propres, celles de présider aux sens spéciaux et à la locomotion de la tête; et leur indépendance les uns des autres est si évidente, qu’il n’y a nulle proportion de vo- lume entre eux, etqu’ilsne s’accroissent ni se dégradent simultanément. On sait, en effet, que dans un animal, un sens peut être très-étendu, et un autre très-obtus ; qu'un sens a son développement plushàtif ou meurt plu- tôt, tandis qu'un autre s'ouvre etfinit plus tard. Toutefois, la pluralité des systèmes nerveux de la moelle allongée admise, on concoit que ces systèmes, pour constituer une individualité, devront être liés , et entre eux, et avec les systèmes nerveux de la moelle spinale , qui leur sont inférieurs, et avec ceux du cer- veau, qui leur sont supérieurs. Quelques-uns de ces systèmes pourraient être assimilés à ceux de la moelle, spinale, comme ne servant qu’à dés mouvemens volon- taires et à la sensibilité générale ; par exemple, les troi- sième , quatrième et sixième paires encéphaliques ; mais néanmoins l'ensemble représente des systèmes plus re- levés que les précédens , et dont la nature a gratifié les animaux à mesure qu'elle a voulu les rendre plus par- 204 FONCTION DE LA SENSIBILITE. faits. Ils sont aussi subordonnés au cerveau, la plus noble de toutes les parties nerveuses. Endin , les systèmes nerveux des facultés de l'esprit, auxquels sont dues les mdustries instinctives, les facultés de l'esprit et de l’âme , forment , par leur ensemble , le reste de la masse encéphalique , c’est-à-dire le cer- veau et le cervelet. Le cerveau est aussi un crgane ner- veux distinct, existant par lui-même, et qui ne dérive nullement de la moelle allongée, ni de la moelle spi- nale. De plus, il n’est pas une masse nerveuse unique , homogène; mais, ainsi que le grand’ sympathique, et les moelles spinale et allongée, il est un groupe de sys- ièmes nerveux différens , plus ou moins nombreux dans le cerveau de chaque animal, selon l’étendue de sa psy- cologie, affectés chacun à la production d’un acte in- tellectuel ou affectif spécial, et unis entre eux par des branches de communication. Pour éviter des répétitions , nous ne détaillons pas cette proposition, parce qu'elle se représentera à l’article de la fonction de l’intellect et du moral. Telle est la doctrine de M. Gall sur le système ner- veux ; on voit que la pluralité des systèmes nerveux en est l’idée capitale. Non-seulement le nombre de ces syÿs- ièmes varie dans les animaux ; mais chacun d’eux a dans chaque animal, dans chaque individu, un degré parti- culier d’activité et de développement; et, ainsi, il de- vient facile d'expliquer toutes les variétés possibles de psycologie comparée. En effet, toujours des différences dans l’organisation nerveuse en supposeront dans les ac- tions , et toujours les actions seront en proportion eË en raison directe du nombre, du développement et de SYSTÈME NERVEUX. 203 l’activité intrinsèque des systèmes nerveux. Avant M. Gall, on n’admettait que deux systèmes nerveux , l'animal et l'organique ; et on ne présentait comme multiple que ce dernier : M. Gall à établi que le premier l'était égale- ment. Aujourd’hui beaucoup d’anatomistes professent, comme lui, la mulüplicité des systèmes nerveux : tel est M. de Blainville, dont voici les idées sur cet important sys- ième. Loin d’être un , il est un amas de ganglions, plus ou moins nombreux dans chaque espèce animale, et présidant chacun à une fonction particulière. Ces gan- glions , ou parties centrales, sont les systèmes nerveux des divers organes. Formés par la réunion des substan- ces grise et blanche , la première sécrétant le fluide nerveux et servant d'origine aux nerfs , la seconde con- stituant les nerfs , ils ont chacun leur organisation propre; et, ce qui le prouve, c’est le défaut d'anomalies qu’on observe dans le système nerveux, par opposition à celles qui se voient dans les artères. Quelquelois, ils sont en- #ermés dans des membranes, et cela , d'autant plus que le ganglion appartient àune fonction plusrelevée, comme la tête. De ces ganglions , naissent les nerfs, qui ne sont plus formés que par la substance blanche, et qui se rendent ; et à l'organe qu'ils doivent animer ,:et aux au- tres ganglions , s’il en existe , pour établir l’individualité xe l'être. PTE Dans l'animal où le système nerveux est le plus sim- ple, il n’y a que trois de ces ganglions qui, d’un côté, envoient des filets à la peau et à la cavité digestive , et qui, de l’autre, communiquent entre eux : de là, la facilité qu'ont la peau et la membrane digestive d’échan- ger leurs fonctions, quand on retourne l'animal; de là, 206 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. la particularité qu'ont ces animaux de former d’autres animaux de chacune des portions dans lesquelles on les divise, si cependant chaque portion à conservé un des ganglions. Mais, dans les animaux plus compliqués, non-seule- ment les divers ganglions sont plus nombreux , et com- muniquent entre eux, mais encore ils communiquent avec un ganglion central; ce qui établit le plus complè- tement possible l’individualité de l'être. C’est ce qui est, par exemple, dans l'homme et les animaux supérieurs ; et, à leur égard , M. de Blainville définit le système nerveux , un nombre de ganglions plus ou moins grand, de chacun desquels partent des nerfs, dont les uns vont se terminer à l'organe qu'ils doivent animer et en éta- blissent la vie particulière, et dont les autres vont com- muniquer avec les autres ganglions et le ganglion cen- tral, pour établir la vie générale. Les ganglions , en effet, ‘communiquent , non-seulement avec le ganglion cen tra, : mais encore avec les autres ganglions, selon que les fonctions auxquelles les'uns et les'autres président sont plus rapprochées. Parmi ces ganglions ; ilken est qui n’a- boutissent à aucun appareilextérieur , qui exécutent seuls leurs fonctions: ce sont ceux qui sont chargés des ‘aë- -tions les plus élevées, de celles de l’intelligence et de lesprit. Appliquant ces idées générales au système nerveux de l'homme ,-voici comment M. de Blainville en consi- dère l’ensemble. 1 le dit composé d’une partie centrale commune , placée dans le rachis , se prolongeant dans le crâne , qui est la moelle spinale ; et aux extrémités et -sur les côtés de laquelle sont placés les ganglions des di- verses fonctions, SYSTÈME NERVEUX. 207 D'abord, à l'extrémité antérieure de cette partie cen- trale, à celle qui se prolonge dans le crâne, est un amas de ganglions divers tassés dans cette cavité, et constituant ce qu'on appelle l’encéphale. L’encéphale, en effet, n’est pas non plus, selon M. de Blainville un organe unique, mais un groupe de sept ganglions; sa- voir : les hémisphères cérébraux, le cervelet , le ganglion olfactif , le ganglion optique , auquel se rapportent les nerfs locomoteurs de l'œil, le ganglion de la cinquième paire , le ganglion acoustique, auquel se rattache le nerf facial, et le ganglion des parties supérieures des appa- reils digestif et respiratoire, d'où proviennent les nerfs vague et glosso -pharyngien : ils sont les agens de l’in- telligence , des sens et des mouvemens partiels de la tête. Dans l’homme , où les ganglions de l’intelligence , sa- voirs, les hémisphères cérébraux et le cervelet, sont très- oros, les autres sont cachés et recouverts par eux; mais, dans les animaux où c’est le contraire , les ganglions des sens sont très-apparens : dans les poissons , par exemple, l'encéphale paraît être une série de ganglions isolés. De ces sept ganglions , qui composent l’encéphale, deux n’aboutissent à aucun appareil extérieur, les hé- misphères cérébraux , et le cervelet , et sont chargés des fonctions les plus relevées , des actes intellectuels et af- fectifs. Les cinq autres, au contraire, envoient leurs filets à des organes spéciaux; et, il faut y étudier alors, non-seulement le ganglion en lui-même , mais encore les filets qu’il envoie à l’organe qu’il anime , ceux par les- quels il peut communiquer à d’autres ganglions, et qui sont la source de beaucoup de sympathies , et ceux en- fin par lesquels il communique au ganglion central. Le plus antérieur de tous, et cela dans tous les animaux, 208 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. est le ganglion olfactif; il consiste en une partie cendrée, située dans la fosse ethmoïdale; il est fort petit chez l’homme ; son nerf sort par les trous de la lame criblée de l’os ethmoïde, pour serendre à l’organe de l’odorat ; ces trous sont comme le premier trou de conjugaison des quatre vertèbres, auxquelles M. de Blainvilleramène les os qui composent le crâne. Le second , est le ganglion optique; placé dans l’encéphale , déjà plus loin de l’or- gane extérieur qu'il anime, il forme ce qu'on appelle les tubercules quadrijumeaux qui sont situés à la face supérieure et dorsale de la partie centrale du système nerveux , et qui, dans l’homme, sont recouverts par les deux ganglions supérieurs, le cerveau et le cervelet : son nerf, l'optique, ainsi que ceux de l'appareil loco- moteur de l’œil, savoir, les troisième, quatrième et sixième paires encéphaliques , sortent par le trou optique et la fente sphénoïdale, pour aller à l’œil; ce trou op- tique et cette fente sphénoïdale sont comme le second trou de conjugaison du crâne; et, en effet, il est beau- coup d’animaux chez lesquels ces deux trous se con- fondent en un. Le troisième ganglion est celui de la cin- quième paire , qui est sur un plan plus postérieur encore, et fournit le nerf trijumeau : c’est lui qui a inspiré à M. de Blainville cette manière de considérer l’encé: phale ; ses filets d’origine sont, en effet, disposés déjà comme ceux des nerfs spinaux; ils forment deux fais- ceaux, un antérieur et un postérieur qui, en se réunis- sant, produisent un ganglion dans la fosse temporale interne; et c’est ensuite de ce ganglion que naît le tri- facial, dont les trois branches , l’ophthalmique , le maxil- laire supérieur et le maxillaire inférieur , se rendent aux organes qu’ils doivent animer; les trous oval et rond, SYSTÈME NERVEUX. 209 par lesquels sortent ces deux dernières branches, repré- sentent le troisième trou de conjugaison des vertèbres de la tête; et, en effet, souvent dans les animaux ils sont confondus en un. Le quatrième ganglion est l’acous- tique , qui fournit le nerf de l’ouie et le nerf facial ; il consiste en un petit ruban blanc, situé vers les pédun- cules du cerveau, petit dans l'espèce humaine ; Mais fort apparent dans les animaux, dans les ruminans sur- tout; le double nerf qui en provient sort par le:trou sphéng-palatin , qui est le quatrième trou de conjugai- son du crâne. Enfin, le cinquième ganglion, le plus postérieur de tous, et qui déjà ressemble à ceux qu’on ya voir exister sur les côtés de la partie centrale, est celui qui fournit le nerf vague, le glosso-pharyngien , et le grand hypoglosse; les filets originels de ces nerfs forment, en effet, déjà deux faisceaux, un antérieur , et un postérieur; les filets supérieurs produisent le glosso- .pharyngien; lesmoyens, le nerf vague ; et les inférieurs, le grand hypoglosse. Ces trois nerfs sortent par les trous déchiré postérieur et condyloïdien, qui sont comme le cinquième trou de conjugaison du crâne; et ; en effet, dans beaucoup d'animaux, ces trous n’en font qu’un. Sur les côtés de la partie centrale , et tout le long du rachis , sont d’autres ganglions, desquels partent les nerfs appelés: spinaux , et qui sortent par les trous de conju- gaison des vertèbres du rachis. Ce sont Les ganglions des mouvemens volontaires : leur nombre est égal à celui des paires de nerfs spinaux , et en rapport, par leur vo- lume, avec la grosseur de ces nerfs. C’est par l’iater- mède de la partie centrale, que le ganglion central ou cerveau se les subordonne. Enfin , dans les cavités splanchniques , près des vis- 1. 14 310 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. cères auxquels ils doivent fournir des nérfs , sont d’autres ganglions, ceux des fonctions nutritives. L'un est le gan- glion cardiaque ; qui est destiné exclusivement au cœur et aux artères de ce viscère , et qui ne remonte pas sur l'artère aorte. Les autres sont les plexus abdominaux , le plezus semi-lunaire , dont les filets enveloppent les artères, et arrivent avec ces vaisseaux dans la substance même des organes qu'ils doivent vivifier. Quant au grand sympathique, M. de Blainville le considère comme un cordon nerveux intermédiaire à tous ces systèmes , et destiné à unir les ganglions des fonctions organiques avec ceux des mouvemens volon- taires , et même avec les ganglions encéphaliques. Les nerfs appelés cardiaques , ne sont, selon cet anatomiste, que des filets par lesquels le ganglion cardiaque va com- muniquer avec le ganglion de la huitième paire, et avec ce grand sympathique qui est intermédiaire à tous les systèmes. Il en est de même des nerfs grand et petits splañchniques , par rapport aux plexus abdominaux et sémi-lunaire. Tout le monde sait qu'aux régions sacrée , lombaire et dorsale du rachis , le grand sympathique communique avec les ganglions spinaux. Il s’avance de même dans la tête pour communiquer avec les ganglions encéphaliques : vers le premier ganglion thoracique, par exemple, il s'enfonce dans le canal rachidien , et par lui entre dans le crâne; ce n’est, en effet , que lui qu’on a décrit sous le nom de nerf vertébral. Alors, ik va donner un filet de communication à chacun des cinq ganglions encéphaliques , si ce n’est à l’olfactif pour lequel on n’en a pas encore trouvé. Il a, en effet, com- munication avec l’optique par le filet ophthalmique; avéc le ganglion de la cinquième paire, puisque jadis on. SYSTÈME NERVEUX, 211 l'en dérivait ; avec le cinquième ganglion encépha- lique , par les ganglions cervicaux ; et M. Jacobson dit en avoir trouvé une avec le nerf facial du quatrième ganglion. Dans cette manière de voir, ce grand sym- pathique mériterait entièrement son nom , puisqu'il servirait à établir des liaisons , des sympathies. On expli- querait pourquoi il n'existe pas dans tous les añimaux, dans tous les vertébrés même, la nature ayant pu, sans son secours , établir, entre les divers ganglions, les unions nécessaires. Telest , selon M. de Blainville, l'appareil nerveux: système surajouté au corps des êtres vivans, pour faire jouir ces êtres de quelques facullés de plus. Dans les fonctions les plus relevées, il constitue à lui seul les or- ganes ; par exémple, dans le cerveau, pour les actes intellectuels: Dans les organes des sens qui exécutent des fonctions moins relevées , il est déjà moins abondant. fl l’est encore moins dans les organes des fonctions volon- taires ; et il va ainsi en diminuant de plus en plus dans les organes de la digestion, de la respiration , de la‘ vie intérieure , jusqu’au dernier terme de l'assimilation ét de la reproduction. En un mot , c’est un système qui, d’un côté , est d’autant plus développé dans un animal que le mécanisme de la nutrition et dé la reproduction dans cet animal est plus compliqué, que cet animal est plus élevé dans l'échelle ; qui, de l’autre , exerce sur toute fonction une influence d’autant plus prochaine, que cette fonction est plus éloignée du dernier termé de la nutrition et de la reproduction. À cause du premier fait, on a même dit qu’il était tout l’homme , et que les autres organes du corps n'étaient faits que pour lui, pour 14* 212 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. le conserver, servir ses besoins, et exécuter ses facultés. En somme, la proposition de la pluralité du système nerveux est aujourd’hui presque généralement admise en physiologie. Tout récemment encore M. Charles Bell a fait des expériences pour prouver que les nerfs ont des fonctions différentes , suivant qu'ils proviennent de telle ou telie partie du cerveau , ou de la moelle épinière. En coupant sur un âne les branches du nerf facial qui se distribuent. aux narines, il a paralysé les narines , mais sans que la peau et les muscles de la face aient rien perdu de leur sensibilité : il y a plus même ; les muscles paralysés ne l’étaient que relativement aux mou- vemens respirateurs et d'expression , et ils pouvaient exécuter d’autres mouvemens , ceux de la mastication, par exemple. Au contraire, en coupant le rameau maxil- laire supérieur. de la cinquième paire , il a anéanti la sen- sibilité de la peau de Ja face, et a paralysé les muscles de cette partie; mais ceux-ci, incapables de la plupart des inouvemens,, de ceux de la mastication , par exemple, consérvaient leur puissance relativement à la respiration et à d'expression. De même, en coupant, sur un animal dont les épaules s'élèvent lors de la respiration, le nerf accessoire de Willis, il a paralysé les muscles de l’épaule et du col sous ce rapport; mais il les a vus rester aptes à produire d’autres mouvemens, Ainsi , non-seulement les nerfs du sentiment et du mouvement dans ces expé- riences se montrent distincts , mais encore les nerfs mo- teurs président chacun à des mouvemens spéciaux, et dans un même muscle on peut tour à tour paralyser l’un ou l’autre de ces mouvemens. M. Bell regarde comme. nerfs respirateurs , C'est-à-dire comme présidant aux SYSTÈME NERVEUX. 219 mouvemens de la respiration, le diaphragmatique , le nerfwague , l'accessoire de Willis, le facial qu'il appelle le nerf respirateur de la face, ct un nerf qu'il appelle respirateur externe , et qui naissant sur les côtés du col, près le diaphragmatique , se porte à la partie antérieure du thorax. Or, il dit qu’en coupant successivement ces nerfs sur un animal qui respire fort, on empêche plusieurs muscles de prendre part äux mouvemens de la respi- ration , mais que ces muscles, paralysés sous ce rapport n'en sont pas moins aptes à entrer dans d’autres com- binaisons de mouvemens. Aussi, arguant de ces expériences ; de quelques faits d'anatomie comparée, et de quelques raisonnemens, M. Bell a émis , sur le système nerveux, quelques propo- sitions qui nous paraissent aussi dignes d’être rapportées que les précédentes. Un organe, dit-il, qui ne sert qu’à une seule fonction , quelque parfaite que soit son action , n’a jamais qu’un seul nerf. Quand deux nerf, d’origine diffé- rente , se distribuent àune mêmepartié, c’est que cetle partie remplit une double fonction; de sorte queles nerfs que recoit un organe sont d'autant plus nombreux, que cet organe a des fonctions plus variées ; et que la pluralité des nerfs dans un organe sert, non àaccumuler en luita puissance nerveuse, mais à le rendre apte à des actions diverses. Certes ; on ne peut trouver aucunes propositions plus confirmatives de l’idée de la pluralité des systèmes nerveux. Appliquant ces idées aux nerfs de l’homme , il en fait deux classes ; ceux qu'il appelle réguliers, et qui communs à tous les animaux depuis les vers jusqu’à Yhomme , président en eux à la sensibilité générale et aux mouvemens volontaires; et ceux qu'il appelle érré- guliers, surajOhtés aux précédens, à mesure que l’orga- 214 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. nisation des animaux offre des organes nouveaux ou plus compliqués. Les premiers naissent tous par deux racines ; l’une’, de la colonne antérieure de la moelle épinière , et l’autre , de la colonne postérieure , et ont des ganglions à l’une de leurs racines : de Jà ils se rendent de chaque côté à certaines parties, marchant perpendiculairement à la division longitudinale du corps , mais sans servir à établir des rapports entre les différens systèmes de l’éco- nomie : chez l’homme , ce sont les vertébraux , les sous- occipitaux et les trifaciaux. Les seconds ne naissent que parune racine , à laquelle n'existent jamais de ganglions ; et sans symétrie aucune dans leur distribution , ils se rendent à des organes qui sont déjà amplement pourvus des premiers , et y président à de nouvelles fonctions ; c’est par eux que sont établis les rapports des organes : M. Bell y comprend les troisième, quatrième et sixième paires encéphaliques, le facial , le nerf vague , la neu- vième paire enc‘phalique, le glosso-pharyngien, l’acces- soire de Willis, etc. Ce dogme de la pluralité des systèmes nerveux, n'est point contredit du reste par l'union qui exisie entre tous ces systèmes, et la subordination dans laquelle se trou- vent quelques-uns par rapport aux autres. Lorsque, dans ue machine quelconque , il y a plusieurs rouages , il faut bien qu'ils soient liés entre eux ; et dès lors l'inté-. | grité de la liaison devient une condition nécessaire pour que la machine agisse. Cela est surtout nécessaire si, parmi ces rouages , il en est quelques-uns qui doivent se subordonner les autres. Or, c’est ce qui est du cerveau, pour lequel les systèmes nerveux des sens , des mouve- mens ; sont des instrumens secondaires , qu'il devra pouvoir à son gré mettre en jeu ou laigfer en repos. SYSTÈME NERVEUX. 219 3° Enfin , le système nerveux est-il homogène? Puis- que le système nerveux n’est pas un , il ne peut être homogène ; au contraire, chacun des systèmes qui de composent doit avoir ses qualités propres , se distinguer des autres par ses propriétés physiques, son organisa- tion , ses usages. Quelles différences , par exemple ; entre la mollesse , la rougeur des nerfs du grand sympathique ; la blancheur, la consistance des nerfs spinaux, la déli- catesse des fibres du cerveau ? Qui ne distinguerait à la vue seule, et bien qu’isolés de leurs organes respectifs , un nerf optique , par exemple, d’avec un nerf olfactif? L'organisation dans chaque nerf est certainement diffé- rente ; la grosseur des filets, leur disposition,leur nombre, celui des plexus qu'ils forment dans son intérieur , tout va- rie ; et chaque nerf présente, sous tous ses rapports, l’uni- formité la plus constante. Indépendamment de ces difié- rences. dans la contexture du nerf, il en est aussi dans la nature intime de la fibre nerveuse elle-même ; et nul doute , par exemple , que l'optique ne soit seul apte à être affecté par la lumière , l’acoustique par le son , etc. Bonnet portait cette idée jusqu’au point de vouloir que chaque filet ait son organisation spéciale ; qu'il y ait, par exemple, dans l’optique , l’olfactif, des filets qui corres- pondissent à telles couleurs , telles odeurs. Chacun de ces systèmes d’ailleurs n’a-til pas son origine séparée, son modé particulier de renforcement, sa terminaison ? La constance avec laquelle un même nerf se rend toujours à un même organe n'est-elle pas une preuve qu'il est le seul apte à faire jouir cet organe de sa fonction ? Il y a plus même : chaque système nerveux recevant une ivri- tation différente, il fallait bien qu’il eût une organisation eppropriée à cette irritation, pour qu'il la transmit avec 216 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. ses qualités spécifiques. Enfin, ces systèmes ont chacun leurs fonctions particulières : les uns dirigent les organes de la vie automatique ; les autres , les organes des sens et des mouvemens; d’autres président aux facultés de l'esprit. En vain on voudrait arguer en faveur de la pré- tendue homogénité du système nerveux, des analises chimiques qui n’ont fait voir dans tous les organes ner- veux que les mêmes élémens : ce n’est pas le seul cas où la chimie se montrera trop faible pour signaler des diffé- rences , que les phénomènes de la vie prouveront d’une manière incontestable. En vain encore, voudra-t-on arguer de prétendues métamorphoses d’actions nerveu- ses dans les maladies et le magnétisme , d'observations , parexemple , dans lesquelles tous les sens étaient exercés à la région épigastrique ; ces observations sont toutes sus- pectes ; et il est sûr que la différence des fonctions exécu- tées par chaque nerf , tient à la différence de la nature intime de ces nerfs, etnon , comme on l’a ditlong-temps, à celle des organes auxquels ils se terminent. CHAPITRE II. Mécanisme de la Fonction de la Sensibilité. Nous avons dit que la sensibilité était la fonction à laquelle nous devons d’avoir des perceptions, d’éprouver des sentimens. Destinée à nous guider dans l’établisse- ment des rapports extérieurs que réclame notre vie, nous lui devons deux sortes de notions ; celle de l'univers extérieur avec lequel tout animal a des contacts inévita- bles, et dans lequel il puise ce qui est nécessaire à sa nutrition et à sa reproduction; celle de nous-mêmes , et des besoins qui intéressent notre conservation et le rôle DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 217 auquel la Providence nous a appelés. C’est une fonction multiple , embrassant un très - grand nombre d’actes que nous rapportons à deux ordres : 1° les sensations proprement dites, qui se composent de toutes les actions par lesquelles l’âme perçoit une impression éprouvée par un organe quelconque du corps; 2° les facultés intellec- tuelles et affectives, qui sont les opérations de l’âme elle-même. Nous allons en traiter successivement; et, après avoir ainsi acquis la connaissance de tous les actes sensoriaux, nous terminerons par quelques considéra- tions sur le plaisir et la douleur , qui sont les deux types sous lequel tous se présentent. ARTICLE [®. Des Sensations. Quoique les actes intellectuels et moraux soient , à parler rigoureusement , des sensations, puisqu'ils con- sistent en des perceptions, on n’appelle généralement sensations que les actes divers par lesquels l'âme a la perception d'une impression éprouvée par un des organes du corps. Ainsi, l’action par laquelle l’ame perçoit lPim- pression que la peau recoit par le contact d’un corps étranger , et qu'on appelle ft ; cette autre par laquelle elle percoit l’impression qu’éprouve l’estomac qui réclame des alimens , et qu’on appelle faim , sont des sensations. Une sensation est, comme le dit M. Gall, la perception d’une irritation quelconque. Ces sensations sont fort nombreuses dans l’économie de l'homme; et, d’après la cause qui détermine l’im- pression qu’éprouve l'organe, on les divise en deux sec- tions : les externes et les internes. Les premières sont 218 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. celles dans lesquelles la cause de l'impression est le con- tact d’un corps étranger, comme cela est dans ce qu’on appelle les sens. Les secondes sont celles dans lesquelles . celte cause est organique ,, interne , comme dans les sentimens de la faim , de la soif, etc. Nous verrons que les unes et les autres de ces sensa- tions sont également les sauvegardes de l’économie : les sensations externes accusant la présence des corps exté- rieurs avec lesquels nous avons des contacts continuels et inévitables, dans lesquels nous puisons ce qui est utile à l’entretien de notre vie ; les sensations internes nous aver- tissant de nos divers besoins, et étant les sentinelles du dedans comme les sensations externes sont celles du dehors. Mais, avant de traiter en particulier des unes et des autres , il faut dire ce qu’elles ont de commun. Toute sensation, soit de santé et externe ou interne , soit morbide et constituant une douleur, bien qu’on la rapporte à l'organe qui éprouve immédiatement lim- pression qui en est la cause , a besoin pour être produite de l'intermédiaire du cerveau , ce même organe que nous verrons être le siége des facultés intellectuelles et affec- tives. Il semble que l'organe éloigné ne fasse qu'éprouver l'impression; et que ce n’est que lorsque cette impression a été portée au cerveau et travaillée par cet organe , que la sensation est produite. Voici les faits qui sont la preuve de cette proposition : 1° si le nerf d’une partie sensible quelconque , de l’organe d’un sens, de celui qui est le siége d’une sensation interne , d’une douleur , est lié , coupé, comprimé , et qu'ainsi l’organe sensible ne com- munique plus avec le cerveau; si ce nerf est imprégné d’opium , substance qui a la propriété d’engourdir lac- tion nerveuse; en vain la cause de l’impression est appli- DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 219 quée à l'organe , el probablement l'impression éprouvée par lui, la sensation n’est pas produite. Des expériences directes, des observations de maladie , ont mille fois constaté ce fait; 2° sile cerveau ne péut pas agir, soit parce qu'il est lésé et comprimé , comme dans les plaies de tête; ou parce qu'il est engourdi par de l’opium, plongé dans le sommeil; soit parce que son activité est toute employée à ses actions propres, à des méditations intellectuelles, par exemple; c’est encore vainement qu'un organe est dans les conditions propres à éprouver une impression sensilive , la sensation n’est pas produite non plus; 5° si, au contraire, l’action du cerveau est excitée par la volonté , l'attention, des impressions qui semblaient faibles ou même n'étaient pas perçues , pa- raissent alors fortes et intenses; 4° enfin , il est des cas où le cerveau seul engendre la sensation , sans qu’existe l'impression qui en est la cause occasionelle; dans les rêves, par exemple, où l’on entend des sons, où l’on voit des objets, bien qu'à coup sûr l’oreille et l'œil n’aient pas recu les impressions qui correspondent à ces sensa- tions ; dans les aliénations où les malades accusent des sensations qui ne sont aussi engendrées que dans leur cerveau. Ces faits incontestables prouvent que toute sensation , quoique rapportée par notre sentiment intime à une partie autre que le cerveau , réclame l'interven- tion de ce cerveau pour être produite. Les physiologistes ont varié sur Pexplication qu’ils ont donnée de ces faits : la plupart ont dit que les organes sensibles ne produisaient pas eux-mêmes la sensation qui leur est rapportée, mais qu'ils ne faisaient qu’en éprouver l'impression , et que c'était le cerveau qui, en percerant cette impression, la constituait sensation. 220 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. D’autres ont cru expliquer ces faits par la dépendance dans laquelle sont de l’encéphale les diverses parties ner- veuses , dépendance que nous avons dit être d'autant plus grande que les animaux sont plus élevés dans lé- chelle animale , plus âgés , et que la fonction à laquelle préside la partie nerveuse est plus élevée dans lani- malité : alors les sensations seraient en entier produites dans les organes auxquels notre âme les rapporte. M. Gal! est surtout celui qui a émis cette opinion dernière ; sans laffirmer , il la met en doute, et cite à l'appui les con- sidérations suivantes: 1° qu’il y a des animaux qui sont sensibles, et qui, cependant, n’ont pas de cerveau: 2° que le degré de sensibilité des organes paraît être en raison du nombre et de l’état des nerfs qui s’y distri- buent, et non en raison du volume du cerveau ; que, par exemple, souvent dans les animauxles sens sont très- exquis, quoique le cerveau soit petit; 5° que des acé- phales, des animaux décapités ou auxquels on avait en- levé le cerveau, ont encore exécuté pendant quelque temps des mouvemens volontaires , et, par conséquent , percus; 4° que le cerveau lui-même paraît insensible, quand on le coupe ; 5° que chaque sens ayant son gan- glion d’origine, ses renforcemens spéciaux, son épa- nouissement final , paraît former un tout , et, d’ailleurs, est généralement trop compliqué pour n'avoir à effectuer qu'un usage aussi borné, celui de recevoir une impres-. sion; 6° qu'enfin, on a des exemples de personnes qui, ayant perdu un sens, avaient perdu aussi toutes les idées qui se rapportent à ce sens. Mais , de ces deux explications, la première nous paraît préférable; et, en effet, on peut réfuter chacun des argumens de M. Gall. Est-il réellement un animal avec ‘ «4 . DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL, 221 système nerveux et sensibilité évidente , qui n’ait pas de ganglion central ou de cerveau ? Sans doute , l'état et le nombre des nerfs d’un organe influent sur le degré de sensibilité de cet organe ; mais c’est seulement comme effectuant l'impression sensitive, et non comme la per- ceyant ; les nerfs des organes n’ont que la faculté de rece- voir, de propager les impressions, et non celle de les percevoir; de même que les muscles n’ont que la faculté d’exécuter les contractions , et non celle de les vouloir. Les mouvemens qu’on dit avoir observés dans les ani-- maux décapités et les acéphales, étaient-ils bien des mouvemens volontaires et perçus ? Très-probablement ils n’en avaient que l'apparence, et ont été produits dans le même ordre que s'ils avaient été volontaires , à cause de l’arrangement organique des parties ou de l'habitude. Si le cerveau est insensible à une irritation extérieure, ce qui d’ailleurs est contestable, cela ne prouve rien dans la question dont il s’agit; car il faut distinguer dans cet organe la faculté qu’il a de recevoir une impression qu'il a comme toute autre partie, de celle qui lui est propre, de percevoir les impressions. Si, évidemment, c’est le cerveau qui perçoit les impressions des sensations inter- nes de la faim, de la soif, il doit de même percevoir celles des sens externes : ce qu'il y a de compliqué d’ail- leurs dans les organes des sens, n’a trait, comme on le verra, qu’à la partie physique des sens, et, par consé- quent , à l’action d'impression. Enfin , beaucoup de per- sonnes qui avaient perdu des sens , ont conservé les idées qui semblaient appartenir à ces sens ; et, d’ailleurs, la formation des idées est étrangère à l’action des sens, et est une œuvre de l’entendement seul. Ainsi, nous pensons que les organes auxquels nous 229 KONCTION DE LA SENSIBILITÉ. rapportons nos diverses sensations , ne font qu'éprouver, effectuer une impression , et que c’est le cerveau qui, en percevant cette impression, fait la sensation. De là, nous conclurons que , dans l’étude de toute sensation , il y a trois choses à examiner, l’action de l'organe , au- quel la sensation est rapportée, et qu’on appelle l'ém- pression; l’action du cerveau, qui perçoit cette impres- sion et la constitue sensation; et, enfin, l’action de l'or. gane intermédiaire à l’un et à l’autre, et qui conduit l'impression du premier au second. Enfrons dans quel- ques détails sur ce triple objet. 1° Action d'impression. À légard de cette action, nous professerons les deux propositions suivantes : qu'il n’est aucun organe du corps qui ne puisse l’exécuter, et qui, par conséquent, ne puisse être dit sensible ; et que tout organe doit cette faculté aux nerfs qui entrent dans sa composition. En vain on à contredit, nié même l’une et l’autre de ces propositions; elles nous semblent: incontestables. D'abord, nous disons que toute partie quelconque du corps, peut développer, par une cause externe ou or- ganique, l'impression qui est la base de la sensation, ou autrement peut se montrer sensible. En cela, nous sommes en opposition avec Haller , qui a déclaré qu’il y a dans notre corps des parties qui sont toujours et tout-à-fait insensibles. Mais l'erreur dans laquelle est tombé ici ce physiologiste tient à la base sur laquelle il avait fait porter son jugement. Ï avait prononcé d’a- près des expériences faites sur des animaux vivans, d’a- près des vivisections. Prenant des animaux de différentes espèces et de différens âges , il mettait successivement à nu les différentes parties de leur corps; et, après avoir DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 2923 attendu quelque temps pour laisser ces animaux se re- mettre de leur effroi, il soumettait successivement , et tour à tour, chacune de ces parties à quelque irritation physique ou chimique : par exemple , il les pinçait, les piquait , les coupait, les bràlait avec le feu ou un caus: tique, etc.; et il jugeait ensuite par l'agitation et les cris de l’animal, ou par sa tranquillité et son silence, sices parties étaient sensibles ou non. Arguant d’expé- riences de ce genre , et répétées à l'infini, aller par- tagea toutes les parties de notre corps en deux classes : les sensibles, savoir : la peau, les muscles, les diverses membranes muqueuses , le cœur un peu, les glandes, les viscères, les mamelles, le pénis, la langue, la rétine , l'iris, la choroïde et les nerfs ; et les insensibles, savoir : l’épiderme , la graisse et le tissu cellulaire, les tendons , les ligamens , les capsules articulaires , le pé- rioste , les os, la moelle, les méninges, les diverses membranes séreuses, les artères , les veines. Mais qui ne pressent les objections qui peuvent. être faites à Haller : 1° chaque partie a sa sensibilité spéciale, et ne développe de la sensibilité que sous l’influence d’un irritant déterminé ; et il résulte de là que , pour oser aflirmer qu’une partie est vraiment insensible , il faut avoir essayé sur elle tous les genres d’irritant, ce qui est impossible. Souvent une partie qui, jusqu'alors, avait paru être insensible , parce qu’on ne lui avait ap- pliqué que les irritans ordinaires , tout à coup s’est mon- trée sensible , parce qu’on lui en a appliqué un nouveau. Ainsi, Bichat ayant vainement torturé de mille manières les ligamens, sans les trouver sensibles, a mis en évi- dence leur sensibilité, en les soumettant à une disten- sion. Gette sensibilité spéciale des parties est si réelle, 224 FONCTION DE LA sensBirré: qu'un même organe paraît tour à tour être sensible et insensible, selon qu'on l'irrite par tel ou tel excitant ; 2° Haller, pour constater la sensibilité d’une partie, la soumettait seulement à une irritation externe; il ne te- nait-nul compte des irritations organiques que l’état de maladie peut y développer; or, celle-ci n’en annonce pas moins la faculté d’être sensible; et, sous ce rapport, il n’est aucune partie qui ne puisse la manifester : il n’est aucune partie du corps qui ne puisse, par la maladie, devenir douloureuse. D'ailleurs, il aurait sufli de la diversité des résultats accusés par {aller et ses disciples sur la sensibilité ou l'insensibilité de nos parties , pour juger de l’insuflisance du moyen employé par eux. Beaucoup de physiologistes répétèrent les expériences de aller, et le fer et le feu à la main , allèrent à la découverte de la douleur dans le corps palpitant d'animaux ; mais souvent ils annoncèrent des résultats contradictoires. Par exemple, Æaller, avec Castelli, Zimmermann , Bordenave, Housset, avait dit insensibles les tendons, les ligamens, le périoste, que J'opinion du temps présentait comme doués d’une grande sensibilité, et dont on croyait, à cause de cela, les plaies très-dangereuses ; et, au contraire, Boëérhaave, Le Cat les disaient très-sensibles. La moelle, que /alles avait dite insensible, fut déclarée sensible par Duver- ney , Deventer. I en fut de même de la dure-mère que, contre l'autorité de Baglivi, Haller avait dite insensi- ble, et qui fut déclarée d’une sensibilité exquise par Benefeld , etc. Cependant tous arguaient d’expériences. Leurs dissidences sur un point qui devrait en être exempt, puisqu'il s’agit d’un fait, s'expliquent aisément : 1° l’ef- {roi de l'animal pouvait en imposer; d’un côté, faire DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL.- 225 croire sensible une partie qui ne l’est pas, l’animal criant et s’agitant par crainte, ou par suite des douleurs qu’il redoute ou qu’il a déjà éprouvées; de l’autre , faire croire insensible une partie qui est sensible, parce que la nouvelle douleur qui résulte de son irritation, est couverte par le trouble général; 2° les différens expéri- mentateurs n'avaient pas pris, sans doute , un égal soim d'isoler des parties qu'ils irritaient, les nerfs qui pou- vaient y être accolés , et qui de toute évidence sont sensibles; 3° ils n'avaient pas également égard à l’état du centre de perception au moment de l’expérience. Nous avons prouvé plus haut que c’est le cerveau qui , en percevant l'impression, la constitue sensation ; que si cet organe n’agit pas, en vain l'impression est éprou- vée ; que les sensations sont faibles ou fortes, selon l’at- tention qu’on y apporte; or, dans quels états divers d’excitation et de stupeur peut se trouver le cerveau d’un animal rempli de crainte, et qu’on tourmente par la douleur ? 4° Enfin , les expérimentateurs employaient des irritans divers; et, comme chaque partie a sa sen- sibilité spéciale, n’est sensible qu’à tel irritant, telle partie qui aura paru insensible à un expérimentateur , parce qu'il ne lui appliquait qu'un seul excitant, se sera montrée sensible à un autre qui lui en aura appliqué un nouveau. Toutelois, puisque toute partie du corps peut, par cause organique , interne , développer de la douleur; puisque , pour assurer qu’une partie est inapte à être sensible par cause externe , il faudrait avoir essayé sur elle tous les irritans de ce genre, ce qui ne peut être fait ; nous concluons que toute partie du corps est apte à développer une impression sensitive. Nous ajouterons ra 19 320 FONCTION. DE LA SENSIBILITÉ. seulement, que , dans l’état actuel de la science, il est certaines parties du corps qui ne. se sont pas montrées sensibles sous l'influence des irritans externes , quelque variés qu’aient été ces irritans ; savoir : les os, les car- tilages , tous les organes fibreux , etc. Voilà pour notre première proposition : quant à la seconde , que toute partie doit sa sensibilité aux nerfs qu’elle contient , aller Pavait consacrée. Ce physiolo- giste, voyant que toutes les parties qui, dans ses expé- riences , s'étaient montrées sensibles, offraient des nerfs. dans leur texture ; que les parties insensibles, au con- “traire , paraissaient n’en point avoir ; que les nerfs étaient les parties qui avaient accusé la plus vive sensibilité ; que des parties sensibles avaient cessé de l'être, quand on avait altéré leurs nerfs; Haller avait conclu de ces observations , que la sensibilité était l’apanage ex- clusif du système nerveux ; que toute partie sensible ne l'était que par les nerfs qu’elle possède; et qu’il n’y a que les parties qui recoivent des nerfs qui soient sensibles, Quelques physiologistes l'ont aussi combattue, et la mettent en doute encore aujourd’hui. Ils se fondent : 1° sur ce que, dans les derniers animaux, il n’y a pas de système nerveux distinct; 2° sur ce que la sensibilité dans un organe n’est pas toujours en raison du nombre et du volume des nerfs qu’il recoit ; et que, tels organes, quoique recevant peu de nerfs, sont plus sensibles que tels autres qui en recoivent davantage: 3° sur ce que beaucoup.de parties où l'anatomie ne peut découvrir de nerfs, sont cependant sensibles à divers excitans, les ligamens , par exemple; 4° enfin, sur ce qu'il y a beau- coup de. parties du. corps dans lesquelles on n’a pas dé- DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 229 ‘ couvert de nerfs , et qu'il n’en est cependant aucune qui ne puisse devenir sensible en maladie. Mais on peut répondre à chacun de ces argumens. D'abord, si le système nerveux n’est pas distinet dans les derniers animaux, la sensibilité n’y est pas évidente non plus; nous avons dit qu’il était impossible de l'y démontrer d’une manière rigoureuse. En second lieu , le nombre et le volume des nerfs ne sont pas les seules : conditions qui règlent la sensibilité d’une partie; celle-ci peut tenir aussi à la nature intime et spéciale du nerf, à la manière dont ilsetermine et sedispose dansle parenchyme de l'organe. Enfin, est-il réellement quelqu'’une de nos parties où il n'existe pas de nerfs ? Il est vrai que: l'anatomie n’en démontre pas dans toutes; mais y man- quent-ils pour cela ? Suit-on davantage dans les organes les dernières ramilications des vaisseaux? Il est très-pro- bable que les filets du nerf grand sympathique , au moins, sont aussi répandus que les vaisseaux artériels qu’ils en-- veloppent, et qu'ils sont, comme eux , un des élémens générateurs de’ toutes les parties. C’est ce que pense M. Chaussier , qui appelle nerfs staminaux ces filets. nerveux perdus ainsi dans le parenchyme des parties. Comment concevoir sans cela cette dépendance dans laquelle toute partie est d’une influence nerveuse? H. resterait alors à expliquer comment une partie primiti- vement insensibie , devient tout à coup sensible par Fé- tat maladif; car , on sait que les nerfs du grand sympa- thique ne donnent pas à l’âme , dans l’état ordinaire de leurs fonctions , la conscience des impressions qu'ils. éprouvent. Or, n'est-il pas facile de supposer que l'état maladif leur fait revêtir tout à coup cette disposition in— LE ' 228 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. connue qui, de sourds qu'ils étaient aux impressions qu'ils recevaient , les rend aptes à les annoncer ? Tou- jours est-il que, dans cette question, on se trouve dans l'alternative également non démontrée , ou d’admettre de la sensibilité sans le secours des nerfs , ou de croire à des nerfs dans des parties où notre grossière anatomie n’en peut trouver; et, dès lors, il me paraît plus rai- sonnable de se ranger de ce dernier parti. Aïnsi, l’action d'impression aura lieu dans les nerfs de la partie à laquelle est rapportée la sensation. Du reste, elle varie autant qu’il y a d'espèces de sensations, et c’est son étude qui fera l’objet spécial de l’histoire de chaque sensation en particulier. Nous pouvons con- séquemment ne pas nous étendre davantage sur elle. 2° Action de perception. De toute évidence elle a lieu dans le cerveau; c’est ce qui résulte des faits par lesquels nous avons prouvé la nécessité de l’intervention du cerveau pour la production de toutes sensations , et qu’il est inutile de répéter. Mais en quoi consiste-t-elle ? Nous sommes arrêtés dès ce premier pas ; nous ne voyons pas le cerveau agir ; l’action à laquelle il se livre est trop moléculaire pour être apercue par quelques-uns de nos sens; elle ne nous est manifestée que par son résultat, qui est la perception. De plus, l'essence de cette action n'est pas plus pénétrable que celle de toute autre, et nous ne pouvons qu'indiquer celles des forces auxquelles on peut la rapporter. Or, il est évident que ce ne peut être à aucune force physique ou chimique, et que, par conséquent, cette action est de celles qui sont exclu- sives aux Corps vivans, et qu’on appelle organiques et vitales. On verra que trop souvent c’est là le seul terme mnt ee C6 ut Re. Don DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 229 auquel nous arrivons dans l'étude des phénomènes de la vie, c’est-à-dire que nous consacrons seulement leur opposition avec les phénomènes de la nature morte. Du reste, on voit que, dès la première action que nous avons à analiser, nous nous montrons fidèle à l’ordre de dis- cussion que nous avions annoncé. Seulement nous ajou- terons que cette action de perception se produit avec rapidité; qu'elle est l’œuvre du cerveau , puisquersi ce cerveau est malade , ou engourdi par le sommeil, ou livré à ses autres opérations , la perception n’a pas lieu; puisque , par un long exercice, cet organe se fatigue, et a besoin de se reposer pour pouvoir agir de nouveau. Nous dirons encore qu'elle est la même en toute sensa- tion que ce soit, de sorte que désormais elle ne nous occupera plus. On a cherché enfin, s'il est une partie du cerveau qui en soit plus spécialement l’agent , ou sisa masse entière y concourt. C’est la première de ces pro- positions qui est la vraie. Il est sûr qu’on peut enlever plusieurs couches de l’encéphale sur des animaux vivans, sans anéantir la faculté de percevoir les sensations. Des expériences récentes des DD. Rolando et Flourens , qui consistent à enlever ou détruire diverses portions céré- brales sur des animaux vivans , l’ont mis hors de doute. Mais alors quelle est précisément la partie de l’encéphale qui effectue les perceptions ? d’après ces mêmes expé- riences , il est sûr que ce sont les hémisphères cérébraux ; etque c’est jusqu’au lieu où les tubercules quadrijumeaux adhèrent à la moelle allongée, que les impressions doivent parvenir pour être perçues. 5° Action conductrice des nerfs. Enfin , puisqu'il n’y a de sensation produite qu’autant que l'action d’impres- 230 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. sion éprouvée par un organe est perçue par le cerveau, on conçoit qu'il faut qu’un organe intermédiaire trans- metie cette impression, dé l'organe qui l'eflectue , au cerveau qui la perçoit, et cet organe est un nerf: C’est ce qui résulte des mêmes faits que nous avons présentés plus haut. Si le nerf intermédiaire au cerveau , et à une partie sensible quelconque , est lié, coupé, comprimé, imprégné d'opium, désorganisé; en vain l'organe de la perception sera intègre , et même tenu en éveil par l’at- tention et la volonté pour opérer la perception; en vain l'impression sera éprouvée par l'organe éloigné; la sen- sation ne sera pas produite : c’est ce qu'ont montré beau- coup d'expériences directes, beaucoup d’observations de maladies. Cela n’a jamais été mis en.doute pour les sensations externes. Bichat et Buisson ont voulu le con- tester pour les sensations internes, et cela, parce que souvent les organes de ces sensations internes ne parais- sent pas avoir de nerfs ; mais nous répondrons toujours que, dans l’alternative où l’on est alors d'admettre de la sensibilité sans nerfs , ou de croire que des nerfs exis- tent dans des parties sensibles, bien que l'anatomie ne les fassé pas découvrir , la dernière opinion nous paraît ioujours la plus raisonnable. En quoi consiste celte action conductrice du nerf? Nos sens ne peuvent non plus la saisir, et elle n’est éga: lement connue que par son résultat ; elle est aussi ignoe rée que l’action percevante du cerveau, et 6n ne sait d'elle que son opposition avec toute action physique où chimique, et son admission au rang des actions orga- niques et vitales. Les physiologistes , à la vérité, ont été plus ambitieux, DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 231 et leur imagination s’est exercée à scruter le mécanisme de cette action de transmission des nerfs. Deux hypo- thèses principales ont été faites. Dans l’une, on admet que le cerveau sécrète un fluide subtil , qui circule dans Jes nerfs , des parties au cerveau, pour y conduire les impressions qui sont la matière des sensations, et du cerveau aux muscles et aux parties, pour y portér les ordres de la volonté et distribuer l'influence nerveuse dont toutes ont besoin. Dans l’autre , les nerfs sont con- sidérés comme des cordes qui, ébranlées par l’excitant dans les sensations, et par le cerveau , lors des déter- minations de la volonté et de l'influence nerveuse, transmettent mécaniquement leurs vibrations des parties au cerveau , dans le premier cas, et du cerveau aux parties, dans le second. Faisons remarquer, en effet, que , comme les nerfs sont aussi les conducteurs des or- dres de la volonté et de l’influx nerveux dans l'innerva- vation , il fallait que l'hypothèse imaginée püût convenir à ce triple office , et cela ajoutait à la difficulté. L'hypothèse du fluide nerveux , des esprits animaux a jé la plus répandue. ippocrate , Galien, les Arabes ét la plupart des anatomistes des dernierssiècles, Hurvée, Bartholin , Spigel, Vieussens, Willis ; Borelli, Ba- glivt, Boërhaave, Haller, etc. , en ontété successive - ment les sectateurs. Ils arguaient ‘des considérations suivantes : 1° le cerveau, auquel paraissent aboutir tous - les nerfs, recoit à peu près le tiers de tout le sang du corps ; c’est beaucoup plus qu’il ne dui faut pour sa nu- trition; et c’est déjà une présomption pour croire que ce cerveau est chargé d’une sécrétion ; 2° les nerfs pa- raissent être une continuation de la substance médullaire 532 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. du cerveau : or, d’après Malpighi, on considérait cette substance médullaire comme une réunion de tubes sé- créteurs émanés des glandes dont on disait composée la substance grise ; il était doncnaturel de regarder comme des vaisseaux les nerfs qu'on disait une continuation de cette substance médullaire; 3° cela devait paraître d’au- tantplus probable,quelaligature de ces nerfs n’interrompt leurs fonctions , que dans la partie du corpsqui est située au-dessous de la ligature ; qu’une irritation de ces nerfs ne se fait sentir de même qu'aux ramifications qui sont au dessous du lieu qu'on irrite. Bellini, par exemple, en irritant le nerf phrénique, a vu l'effet de l’irritation ne se manifester jamais qu’au-dessous du point irrité; de sorte qu’il semblait suivre la marche du fluide ner- veux ;_ 4° sans cette disposition supposée vasculaire des nerfs, on ne concevrait pas enfin, comment les nerfs pourraient agir, étant. composés comme ils le sont de filets très-fins, et séparés dès leur origine les uns des autres. ; Seulement, les fauteursde ce systèmedifférèrententre eux, relativement à la manière dont ils appliquèrent Jhypothèse générale à la triple fonction des nerfs, et relativement à la nature qu'ils assignèrent au fluide ner- veux. Ainsi, sous le premier point de vue , Baglivi et Pacchiont, qui avaient établi que les méninges étaient l’organe et le siége de la sensibilité , professèrent que le névrilème était la seule partie des nerfs qui effectuait Faction de transmission dont nous nous occupons : mais Monro a expérimenté sur le nerf sciatique d’une gre- nouille , qué ce névrilème est aussi insensible que le sont les méninges elles-mêmes. D’autres fondirent les deux DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 233 hypothèses , et dirent que les nerfs agissaient par vibra. tions pour conduire les volitions, et que c’élait par le fluide nerveux qui circule en eux qu'ils étaient les con- ducteurs des impressions sensitives; ou bien, tout au contraire, que c'était par vibrations mécaniques qu'ils transmettaient les impressions, et par le fluide nerveux qu'ils portaient les ordres de la volonté et l’influx vital. Zimermann , par exemple, a émis la première opinion, et Le Cat la seconde. Hérophile distinguait deux espèces de nerfs, des sensitifs solides, et agissant par vibra- tions , et des-moteurs , creux , et agissant par l’intermède du fluide qui circule en eux. Il en était de même de Galien qui en reconnaissait de trois espèces , des sensi- tifs qui étaient mous, des moteurs qui étaient durs, et des miles qui avaient ces deux facultés à la fois : les premiers venaient du cerveau; les seconds de la moelle spinale; les troisièmes de ces deux centres à la fois. Willis admitaussi cette distinction , ainsi que Boérhaave qui faisait sécréter les esprits animaux pour les sensa- tions et les mouvemens dans le cerveau, et les esprits vilaux pour l’innervation dans. le cervelet. Enfin , quel- ques-uns ont, avec Lieutaud, admis deux fluides nerveux, un plus subtil présidant aux sensations, un autre plus matériel présidant aux mouvemens; du reste, l’un et l’autre si déliés qu’ils pouvaient semouvoir ensens inverse dans lemême nerf, absolument commeles rayons sonores et lumineux se meuvent dans l’air sans se confondre. Sous le second point de vue, /lippocrate disait les esprits animaux de nature aérienne, et les faisait pro- venir de l'air atmosphérique , qui, lors de la respi- ration, parvenait par le nez au. cerveau, et était éla- boré par cet organe ; Sylvius les disait un esprit-de- 254 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. vin subtil; d’autres, un sel volatil huileux , un esprit recteur universel ; l’ieussens en a fait un air subtil imprégné de nitre; Descartes, un éther, une ma- tière ignée ; F'lemming est allé jusqu’à en ‘indiquer les élémens constituans; savoir : de l’eau, de l'huile, un sel animal et une terre. La plupart les assimilèrent au fluide électrique. Haller leur assigna pour caractères , 1° d’être très-mobiles , afin de pouvoir transmettre avec une rapidité vraiment merveilleuse, et les impressions des sensations , et les ordres dé la volonté ; 2° d’être très- fluides, pour pouvoir se mouvoir avec tant de vitesse; 8° d’être très-fins , pour pouvoir circuler en des canaux si ténus qu’on ne peut les apercevoir ; 4° d’être cependant assez matériels pour pouvoir être contenus dans des vaisseaux et arrêtés par des ligatures ; 5° enfin de n’a- voir aucunes qualités sensibles, ni odeur, ni saveur, afin de ne pas modifier les qualités des impressions dont ils sont les conducteurs: Nous nous abstenons de toutes réflexions sur ces idées qui sont évidemment toutes hypo- thétiques , et que nous ne rapporlons que comme partie historique de notre science. L'hypothèse des vibrations , quoique aussi ancienne , et remontant également au temps d’AJippocrate , a été bien moins généralement admise. On peut lui opposer en effet que les nerfs sont mous, non tendus, non libres dans leur trajet , et, par toutes ces rai$ons, incapables de vibrer: qu'ils ne sont pas fixés à leurs extrémités ; que formés d’un grand nombre de filets renfermés dans un même névrilême, ces filets devraient se communiquer aisément leurs vibrations respectives, ce qui devrait amener de la confusion dans les sensations et les autres actions ner- veuses. DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL, 23> De nos jours , ces deux hypothèses sont également ré- cusées; on avoue que l’action du nerf échappe à nos sens ,et qu'on ne voit d’elle que son opposition avec toute action physique ou chimique quelconque. Si on se laisse aller à quelque conjecture sur ce qu’elle peut être en elle-même, on suppose à là vérité quelque chose d’ana- logue aux deux systèmes que nous venons de faire con- naître ; mais on avoue que ce ne sont que des conjectures , et d’ailleurs là chose est concue moins mécaniquement. Ainsi, remarquant que les phénomènes les plus éminens de la nature, les plus fortes détonations, parexemple, sont dus à l’action de fluides si subtils qu’ils sont impondéra- bles , tels que le calorique , la lumière , le fluide électri- que; on à supposé qu'un fluide de ce genre circule dans le système nerveux , et préside à toutes les fonctions de ce système ; soit que ce fluide soit fabriqué en entier par te système et sécrété du sang par l’action de la substance grise , soit qu'il soit absorbé dans l'univers ; de manière toutefois à ce que , dans les deux cas , il soit la cause de la ” vie. Voilà une théorie qui se rattache , comme on voit, à celle des esprits animaux. D'autre part , quelques per- sonnes professent encore le système dés vibrations , mais en admettant nôn plus une oscillation du nerf en mas- se, mais seulement des vibrations de chaque molécule du nerf , se transmettant successivement des ‘unes aux autres. Nous nous bornons donc à dire que le nerfest le moyen de transmission, en avouant que mous iénorohs comment il'opère. Nous savons seulement que la transmission es£ rapide , et-que le nerf agit pour l’effectuer ; puisque, s’il est malade, la transmission ne se fait plus, et que, par 236 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. un long exercice, ce nerf se fatigue, et a besoin de repos pour recouvrer son aptitude à agir. Nous ajoutons que celte action de transmission est la même en toute sensa- tion que ce soit; peut-être même n’est-elle que l’action d'impression qu'a effectuée dans l'organe éloigné l’ex- trémité du nerf, et qui se continue dans toute la lon- gueur de ce nerf; de sorte que ces deux actions ne seraient séparables qu’aux yeux de l'esprit. Telles sont les trois actions du concours desquelles résulte toute sensation quelconque. On voit dès lors com- bien il est impropre de dire quenous sommes passifs dans toutes nos sensations. Dans quelque sensation que ce soit , il faut toujours le concours de trois organes ; et il suffit qu’un seul n’agisse pas pour que la sensation ne soit pas produite. De ce qu’un excitant extérieur , affecte nécessairement un sens, par cela seul qu’il lui est ap- pliqué , il ne s'ensuit pas que ce sens soit passif dans la production de la sensation; celle - ci est au contraire le fruit de son activité propre : et ce qui le prouve, c’est que la sensation n’est plus produite après la mort ; c’est que , pendant la vie, elle varie par l’état de santé et de maladie ; c’est que, dans la santé, elle est influencée pag la volonté qui.érige en quelque sorte le sens pour qu'il réponde mieux à l’excitant. Mais venons à l’histoire de chacune des sensations en particulier. Nous partageons en deux classes celles qui sont propres à l’état de santé, savoir les externes et les internes ; nous allons en traiter successivement, et dans une troisième classe nous parlerons de celles qui n’écla- tent que dans les maladies , c’est-à-dire des douleurs. DES SENSATIONS EXTERNES. 237 PREMIERE CLASSE DES SENSATIONS, Sensations externes. Les sensations externes sont celles qui résultent du contact d’un corps étranger sur quelques-unes des parties du corps, qui sont produites par le contact d’un corps étranger à la partie à laquelle on les rapporte. Nous n’in- diquons pas seulement pour caractères de ces sensations qu'elles soient le produit d’un corps étranger , car elles peuvent résulter du contact d’une des parties du corps humain lui-même sur une autre , ou de celui d’une de ses excrétions , et peut-être répugnerait-on alors à considérer les corps qui sont ici au contact comme étrangers ; mais nous disons que, dans toute sensation externe , la cause de l’impression consiste dans le contact d’un corps, qui est extérieur à la partie à laquelle on rapporte la sen- sation. Nous les subdivisons en deux ordres : celles qui fon- dentles sens proprement dits, et à l’aide desquelles l'esprit acquiert la notion des corps extérieurs et de leurs diverses qualités : et celles qui, reconnaissant pour cause un con- tact, cependant ne sont pas pour l'esprit une lumière ; d’autre part, ne sont pas des sensations morbides , des douleurs; et, à ce double titre, doivent constituer un ordre à part, comme le chatouillement, le prurit ou dé- Mmangeaison , etc. I, OnDre. — Sens externes. Les sens externes sont des organes qui subissant le contact des divers corps extérieurs , font par suite éprou: 238 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. ver des sensations à l’aide desquelles l'esprit acquiert la notion de ces corps et de leurs qualités. Ils sont des instrumens qu’emploie l'esprit pour arriver à la connais- sance du monde extérieur. Ils varient en nombre et en délicatesse dans les divers animaux; et leur puissance réunie fixe seule la somme des connaissances que nous pouvons acquérir sur l’univers. L’homme en a cinq : le tact ou le toucher, le goût, Vodorat , Vouie et la vue. Âvant de faire l’histoire particulière de chacun d’eux, ous allons présenter quelques considérations générales, qui sont communes à tous. D'abord , puisque les sens sont destinés à nous faire connaître par un contact les divers corps de l’univers et les qualités extérieures de notre propre corps , on conçoit que leurs organes doivent être placés Lous à la périphérie du corps, ou au moins y aboutir. C’est ce qui est en effet. L’organe du tact et du toucher est la peau , qui forme la surface exterieure du corps. L’organe du goût est la membrane qui revêt la surface supérieure de la langue; l'organe Ge l'odorat, celle qui tapisse l'intérieur du nez; et ces deux membranes communiquent libre- ment à l'extérieur par des ouvertures , qu toujours béan- tes, ou que nous pouvons ouvrir à volonté. Enfin, il en est de même de l'oreille qui est l'organe de l’ouie , et de Pœil, qui est celui de la vue. Ainsi, déjà les organes des sens sont constamment exté:ieurs. En second lieu, par cela seul qu’ils sont situés à la périphérie du corps, et parce qu'ils sont chargés d’une fonction de relation , ils sont symétriques, c’est-à-dire, ou formés de deux moitiés semblables , ou pairs. La peau, la langue, le nez sont dans le premier cas , et l'oreille et l'œil dans le second. SENS EXTERNES. 299 En troisième lieu, quelques simples ou compliqués que soient les organes des sens , on peut toujours faire en eux la distinction de deux parties principales : 1° une nerveuse, qui est située plus profondément , et qui, étant celle qui, par le contact du corps extérieur, développe l'impression d’où résulte la sensation , est la plus impor- tante ; 2° une autre placée au-devant de celle-là , desti- née à recevoir préalablement le corps extérieur , et à le lui appliquer convenablement , et, à cause de cela, géné- _ralement calculée d’après les lois physiques qui régissent ce corps. En effet, puisque d’une part les organes des sens sont des instrumens de sensation , il fallaithbien qu'ils eussent en eux une portion nerveuse, une dépendance du système sans lequel il n’y à pas de sensation. D'autre part, puisque les sens doivent être dans un contact im- médiat avec les corps extérieurs , il fallait bien que partie de leur structure au moins fût calculée d’après les lois physiques qui président aux phénomènes de ces corps. Aussi , en tout organe de sens, ferons-nous cette dis- tinction: et par exemple, ilest évident que dans l’orcille et l'œil il y a au devant des nerfs auditif et oculaire de véritables appareils d’acoustique et d'optique , tout-à-fait édifiés d’après les lois physiques de la propagation du son et de la lumière. La perfection d’un sens sera, en raison de la structure plus ou moins heureuse de ces deux parties, selon que la partie nerveuse sera plusou moins volumineuse et plus ou moins bien disposée , ek selon que l’appareil antérieur sera aussi plus ou moins apte à effectuer convenablement le contact. Nous verrons que cet appareil a dans chaque sens une structure spéciale, qui est en rapport avec l’excitant extérieur qu’il doit appliquer au nerf. 240 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. En quatrième lieu, les sens étant des instruméns qu'emploie l'esprit pour arriver à connaître les corps ; leurs organes ont dû être subordonnés à celui de l’es- prit; ils ont dà . dans leur exercice, être dépendans de: la volonté. Et, en effet , d’abord sont annexés, à chacun des organes des sens, des appareïls musculaires volon- taires, qui, à notre gré, les dérobent ou les soumettent au contact des corps extérieurs, les en éloignent ou les en approchent, et par là préviennent ou déterminent leur emploi. Le toucher, par exemple, a le membre supérieur qui le conduit ; les quatre autres sens sont mus par la tête en masse, et chacun, en outre, à um appareil musculaire propre ; la langue , à notre gré, sort de la bouche, ou se cache dans cette cavité; et, de même , l'œil , tour à tour , est libre ou abrité sous les paupières. En outre , la volonté érige , en quelque sorte, la partie nerveuse de l'organe du sens, et aug- mente son action, comme le prouve la plus grande intensité qu'a une sensation , toutes les fois que cette sen- sation est perçue avec volonté et attention. Ce n’est pas que la volonté puisse arrêler leur action une fois que les excitans extérieurs leur sont appliqués; il est certain qu’alors ils sont irrésistiblement contraints de donner la sensation des corps qui les touchent ; mais cette volonté peut les dérober ou les soumettre au contact des corps extérieurs , et ainsi suspendre ou employer leur service. De cette dernière particularité , nous déduirons cette conséquence : que les sens sont susceptibles de s'exercer de deux manières; ou passivement , quand l'organe, par le fait seul de sa situation à la périphérie du corps , et indépendamment de la volonté, est impressionné par les corps extérieurs; ou activement, quand cet or- SENS EXTERNES. 241 gané , âu contraire , mu par la volonté et érigé par elle, va, Conime au devant des corps, pour en recevoir l'im- pression. Nous en conclurons aussi qu'ils seront suscep- tibles d’être perfectionnés par l’éducation. En effet, l’é- ducation ne doit s'entendre que de la mesure et du mode dans lequel nous employons nos divers organes; et, par conséquent, elle ne peut s'appliquer qu'à ceux de ées organes qui, dans leur exercice , sont soumis à la vo- lonté. Or, les sens sont dans ce cas. Il est d’observa- tion certaine que l'exercice convenable de tout organe volontaire a les deux effets suivans : d’un côté, d’aug- menter le mouvement de nutrition et de développement de l'organe , et, conséquemment, de lui faire acquérir plus de volume; d'autre part, de rendre plus faciles, plus sûrs , et plus prompts à se produire , les mouvemens par lesquels cet organe remplit sa fonction. Si l'organe n'est pas assez exercé, d’une part il ne se développe pas aussi complètement qu'il le pourrait; de l’autre , il n’ac- quiert pas, dans son jeu, toute la prestesse et toute la sûreté dont il est capable, et se rouille en quelque sorte.«Si l'organe au contraire est trop exercé , il s’é- puise, et se force , si on peut parler ainsi. Ce n’est que quand il est exercé dans la mesure convenable, qu’il acquiert toute l’extension dont il est susceptible. Or, c’est là tout le secret de l'éducation; et, les sens qui en sont dépendans, nous offriront beaucoup de diffé- rences parmi les hommes , seront plus où moins délicats ou obtus , selon qu’on les aura plus ou moins cultivés. Enfin, les sens ont pour usages communs de nous faire connaître les qualités des corps de l'univers. Mais, dans l'appréciation de leurs services, il faut bien sépa- rer ce qui est dû à eux seuls ; de ce qui exige en outre Le 16 242 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. l'intervention de l'esprit. Généralement les métaphysi- ciens ont trop méconnu cette dernière intervention, et dès lors ont exagéré les services des sens. Dans tout sens il faut distinguer deux sortes de fonctions : une dite immédiate , qui consiste dans la sensation brute qu’il donne, qui est unique pour chaque sens , à l’égard de laquelle il ne peut être suppléé par aucun autre , pour l’accomplissement de laquelle il n’a besoin ni du secours d’un.autre sens , ni de l'habitude , ni d’un exercice préa- lable, et qu’il effectue aussitôt que son organe est con- venablement développé : d’autres , dites médiates ou auxiliaires , qui consistent dans les secours qu'ils four- nissent à l'esprit, et d’après lesquels celui-ci acquiert la notion des corps et de leurs diverses qualités; celles-ci sont multiples pour chaque sens, souvent les mêmes pour plusieurs, et à leur égard les sens peuvent se sup- pléer. Mais arrivons à l’histoire de chaque sens en particu- lier. De ces sens, deux exigent le contact immédiat des corps extérieurs, et ne sont impressionnés que par les objets rapprochés, savoir , le toucher et le goût. Les trois autres reçoivent à distance les impressions des ob- jets, et par conséquent étendent leur puissance jusque sur les corps éloignés ; ce sont l’odorat, l’ouie et la vue. Quelques-uns sont affectés par le corps extérieur lui- même dont ils accusent les qualités, comme cela est dans le toucher, le goût et l’odorat; les autres ne le sont que par un Corps qui est intermédiaire , et à eux, et à l’objet extérieur qu'ils font juger, comme dans l’ouie” et la vue. Nous remarquerons que les sens qui sont im- pressionnés à distance , sont les seuls qui seront suscep- libles de nous présenter des illusions , parce qu’en effet SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 243 les molécules odorantes , les ondes sonores et les rayons lumineux pourront éprouver, dans leur trajet de Fob- jet extérieur à lorgane, diverses modifications. Nous allons commencer par le sens du tact et du toucher, parce qu'il est le plus général , le plus répandu dans les animaux , et celui duquel, à parler philosophiquement , dérivent tous les autres. . I. — Sens du Tact et du Toucher. Ce sens, accompli par la surface externe du corps, par la peau , est celui qui donne la notion de la tempé- rature et des qualités les plus générales des corps. Mais, comme dans les animaux supérieurs , et par conséquent dans l’homme , il y a toujours une partie de la peau qui est plus spécialement destinée à l'exercer , et qui est ce qu’on appelle l'organe du toucher , son histoire se par- tagera en deux parties, celle du tact et celle du toucher. 1° Histoire du Tact. L'histoire du tact, comme celle de toute autre fonc- tion, doit comprendre l'étude anatomique des parties qui en sont les instrumens , et l’exposition du mode par lequel ces parties l’accomplissent. A. Anatomie des organes du Tact. L’organe du tact est, chez l’homme, la peau, qui forme l’enveloppe extérieure de son corps. Quelques physiologistes, à la vérité, ont dit que toute partie quelconque du corps , dès qu’elle est sensible, peut accomplir le tact ; et, à cause de cela, ils ont établi 16* 244 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. que le tact n’était autre chose que la sensibilité géné- rale. Ils se sont fondés sur ce que plusieurs de nos parties intérieures, lorsqu'elles sont accidentellement à pu , se montrent sensibles au contact des corps exté- rieurs qui sont appliqués sur elles. Mais d’abord , la sensation tactile que, dans ces cas accidentels , ces parties intérieures mises à nu font éprouver, est le plus souvent confuse, ou même est une douleur; et, dans l’un et l’autre cas , ce sont bien des sensations externes, mais non des sensations de tact; car on ne doit donner ce nom qu’à celles qui donnent la notion de la tempé- rature et des qualités générales des corps. Ensuite, ce n’est qu’accidentellement que ces parties sont devenues extérieures ; et, il est bien certain que, dans l’état natu- rel , il n’y a de destinés à l’accomplissement du tact que la peau, et un peu l’origine des membranes muqueuses. De la Peau. Dans les derniers animaux, la peau n'existe pas, et c’est la surface externe du corps qui accomplit le tact, aussi bien que toutes les fonctions de l’économie. Mais dans l’homme , comme dans les animaux supérieurs , la peau est une membrane distincte du reste du corps, qui en forme l’enveloppe externe, et qui ne remplit plus que quatre offices ; savoir : 1° d’être une des voies d’ex- crétion les plus abondantes pour la décomposition du corps, comme siége de la transpiration dite insensible ; 2° d'effectuer une absorption , qui n’est plus qu’un reste de celle si active que présentent les derniers animaux, et par laquelle ils se nourrissent ; 3° d’être une enveloppe protectrice , et de servir mécaniquement d’abri défensif SENS DU TACT ET DU TOUCHER, 245 au corps; 4° d’être enfin l'organe du tact. C’est une membrane du genre des folliculeuses ou villeuses com- posées, sensible, perspirable , absorbante , servant d’en-- veloppe extérieure à tout le corps , au travers de laquelle les organes subjacens laissent apercevoir leurs formes les plus saillantes , épaisse de deux à trois lignes , tout à la fois douce , souple, extensible, élastique, suflisam- ment solide , et composée de deux feuillets, le derme et l’épiderme. Le derme est le feuillet le plus profond de la peau, celui qui en forme presque toute l'épaisseur , et en même temps la seule partie qui y soit vivante et organi- sée. Ses élémens constituans sont , 1° des fibres lami- neuses, denses, résistantes , qui tissées en membrane ,‘en forment la trame, le canevasprincipal; 2° de nombreux vaisseaux artériels, veineux, exhalans et absorbans , qui aboutissent à sa surface externe, les uns pour y effectuer l’'exhalation , les autres l’absorption , fonctions dont nous avons dit que la peau était le siége; 3° des nerfs nom- breux aussi, qui se terminent et s’épanouissent à la surface du derme pour l’accomplissement du'tact. De- puis Malpighi, la plupart des anatomistes ont professé que ces divers élémens constituans du derme étaient disposés par couches superposées les unes aux autres , eb au nombre de trois ; savoir : le chorion, le corps papil- laire et le corps muqueux. Le chorion était la couche la plus profonde ; assemblage de fibres denses ;, entre- croisées, à la manière d’un feutre, et laissant entre elles des trous par où passent les vaisseaux et les nerfs qui vont former les couches plus externes de la peau , et où se prolonge même souvent le tissu cellulaire sous-cutané 246 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. graisseux , il forme le canevas de la peau , et donne à cette membrane la solidité dont elle a besoin pour cons- tituer une enveloppe protectrice; il a une trame d’autant plus serrée qu'il est plus extérieur. Le corps papillaire était la seconde lame du derme , et consistait en un assemblage de petites papilles formées par les extrémités des nerfs et des vaisseaux quiaprès avoir passé par les trous dont est cribléle chorion , se sont groupées en pe- tits pinceaux , en petits pénicilles , dans un tissu spon- gieux érectile. Enfin le corps muqueux, la couche la plus externe du derme était considéré par Malpighi comme un mucus sécrété par les papilles , et étendu à la surface . du corps papillaire , pour l’abriter un peu , et le con- server dans l’état de souplesse qui lui est nécessaire pour l'exercice de ses fonctions. C'était une sorte de vernis mou, dans lequel résidait la matière colorante qui donne à la peau la couleur qui la distingue, et que l’on sait être diverse dans les différens climats. Depuis, on a émis sur lui de nouvelles idées. D'abord, Bichat as- surant n'avoir jamais vu ce prétendu mucus dans lequel -où le fait consister, l’a présenté comme un réseau de vaisseaux artériels, veineux , exhalans et absorbans, et qui, tout à la fois , est le siége du piguementum auquel la peau doit sa couleur , et l’organe des fonctions d’ex- halation et d'absorption de la peau. Ensuite M. Gaultier a considéré ce corps muqueux comme composé lui- même de quatre lames ; savoir : une première, la plus profonde, composée de vaisseaux artériels et veineux, contournés sur eux-mêmes , formant de petits bourgeons sécrétant la matière colorante de la peau; une secon- de, déjà plus externe , de couleur blanche , de nature SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 247 épidémique , sécrétée par la première qu’elle abrite , et qu'il appelle albuginée profonde ; une troisième , plus superficielle encore , composée comme la première de vaisseaux artériels et vemeux réunis en bourgeons, appelée la membrane brune , et qui est imprégnée de la matière colorante de la peau ; enfin, une quatrième , la plus superficielle de toutes , de natureépidémique comme la seconde, appelée, à cause de cela, la membrane albuginée superficielle , et qui , formée par la troisième couche , lui sert d’abri. De ces quatre couches , la pre- mière et la troisième seraient seules vivantes; seules, elles exécuteraient les fonctions d’exhalation et d’absorp- tion de la peau; et, de cette manière, cette membrane se montrerait de moins en moins sensible et vivante, à mesure qu'elle deviendrait plus extérieure, et consé- quemment plus soumise au contact des corps étrangers. Enfin, M. Dutrochet n’admet dans le corps muqueux que les trois couches les plus externes ; il dit que la plus interne n’est que la terminaison des vaisseaux , ét, par conséquent , ‘fait partie du corps papillaire. M. Chaussier nie cette superposition de couches; il croit que cette manière de concevoir l’organisation du derme , est plutôt une vue de l'esprit qu’un résultat de l'observation. Quelques délicates qu’aient été ses disséc- tions ; il n’a jamais pu voir cette succession des lames; et toujours le derme ne lui à paru être qu’une seule ét même trame, dont‘Je fond était un tissu solide ; formé de fibres lamineuses , denses et 'entre-croisées entre elles, et à la surface de laquelle venaient se terminer en pa- pilles les dernières extrémités des ie et des vaisseaux exhalans etabsorbans. 248 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. Quoi qu’il en soit de cette discussion de fine anatomie, on reconnaît déjà dans le derme les élémens organiques « auxquels la peau doit d'exécuter les fonctions qui lui - sont propres ; savoir : les nerfs par lesquels elle est un organe de tact ; les vaisseaux exhalans et absorbans par lesquels elle effectue la transpiration et l’absorption ; et enfin , la trame cellulaire dense et résistante quila rend solide, et capabled’être une envéloppe protectrice. IL n’est pas un point de la peau de l’homme, auquel n’aboutissent la dernière ramification d’un nerf, celle d’un vaisseau exhalant, et où n’existe l’orifice d’un vais- seau absorbant. | L’épiderme , le second feuillet constituant de la peau, en est la partie la plus extérieure : c’est une mem- brane sèche, inorganique , dépouillée de vaisseauxiet de nerfs, s’usant mécaniquement par le frottement, crois- sant el se reproduisant par une excrétion du derme; faisant enfin l’oflice d’un vernis sec qui empêche le ‘con- tact immédiat des corps extérieurs sur les papilles ner- veuses et absorbantes, et par là amoindrit l'impression tactile , et s’oppose un peu à l'absorption: Get.épiderme étalé sur le derme lui adhère assez intimement ; d’abord, par lintermède des vaisseaux exhalans et absorhans, qui des parties profondes de la peau vont en le traver- sant s'ouvrir à la surface externe; «ensuite par les poils qui de même s'étendent de dessous le derme: à travers l'épiderme jusqu'au dehors de la peau, et qui recçoi- vent de cet épiderme, au moment où ils le traversent , une légère enveloppe corticale ; enfin ; par un tissu lamineux très-fin, et trop tenu pour qu’on puisse en distinguer la structure. On a beaucoup discuté sur la SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 249 composition , la nature et la formation de cet épi- derme. Les uns l’ont dit une série de petites écailles qui se recouvrent à moitié les unes les autres, d’une manière imbriquée ; comme sont les écailles qui existent à la peau de certains animaux. D’autres l’ont dit une imémbrane tout-à-fait plane. La plupart l'ont jugé inor- ganique ; et, ‘en effet, on n’y découvre ni vaisseaux , ni nerfs, ni tissu cellulaire ; il est insensible, étranger à toutes les fonctions de la peau , à toutes ses maladies. Quelques-uns cependant , M. Mojon de Turin, M. Gaul- tier , veulent qu'il soit organisé encore, au moins dans ses lames les plus internes. Enfin, on l’a dit tour à tour; le produit de ladessiccation des parties les plus superficielles du derme par le contact de l’air; celui de la pression exercée d’une manière continue sur le derme, d’abord par les eaux de l’ampios pendant la vie utérine, ensuite par l’air atmosphérique et les vêtemens après la naïs- sance ; le produit de la coagulation d’un suc albumineux que sécrète le derme. Cette dernière opinion est la plus ancienne , et aussi la plus probable , et doit faire ranger l’épiderme dans la classe des membranes couenneuses. On a dit cette membrane percée de pores obliques pour le passage des poils et les orifices des vaisseaux exhalans et absorbans: mais M. de Jlumboldt n’a pas vu ces pores même avec un microscope qui grossissait 312,400 fois les objets ; et quelques anatomistes pensent que cet épiderme est une barrière non vasculaire placée à la périphérie du corps, et qui ne laisse passer que par une imbibition mécanique ce qui tend x entrer dans le corps et ce qui tend à en sorlir. | Telles sont les deux lames qui constituent la peau de l’homme. Cette membrane renferme encore dans son 250 $ FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. épaisseur deux sortes d'organes , qu'il importe ‘de faire connaître pour compléter son étude anatomique ; savoir : les follicules sébacés , et les poils. Les premiers sont de petits organes sécréteurs , sous forme d’ampoules , ou de vésicules membraneuses , situés dans l'épaisseur du derme, et séparant dusangun fluide huileux qui lubrifie la peau, et en entretient la souplesse. Ils abondent sur- tout aux lieux de Ja peau où il y a des plicatures, des poils , où la peau est exposée à plus de frottemens. Ces follicules semblent même différer un peu les uns des autres dans les diverses régions de la peau ; du moins le fluide qu’ils sécrétent n’est pas tout-à-fait le même au crâne , aux aisselles , aux aines, au pourtour de l’anus , etc. Ce fluide, tout en conservant à la peau le liant dont elle a besoin pour l’exercice de ses fonctions, est aussi destiné à la défendre de l’impression des corps liquides. | Les poils au contraire servent surtout à défendre la peau du contact des corps solides. Ge sont des filamens cornés, en apparence épidermiques , qui sortent de la peau en plus ou moins grand nombre, et qui, lorsqu'ils sont abondans et épais , forment à cette membrane un vêtement naturel. Ils sont composés de deux parties : une: qui est vivante, qui produit l’autre, et qu’on appelle le bulbe ; et une autre qui est morte, qui est produite, et qu'on appelle le poil proprement dit. La première esk une espèce de capsule fibreuse, située au - dessous du derme , creuse, intérieurement remplie d’une pulpe vas- culaire , et percée à chacune de ses extrémités d’une ou- verture ; par l’une de ces ouvertures , pénètrent dans le bulbe les vaisseaux et les nerfs qui vont former la pulpe intérieure ; par l’autre sort la matière cornée , sécrétée . SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 291 ou le poil proprement dit. Gelui-ci se compose d’une série de cônes cornés, épidermiques , sécrétés par la pulpe intérieure , et emboîtés les uns dans les autres, de ma- nière que celui qui est le plus élevé, qui est au sommet du poil, est celui qui a été formé le premier. Du reste , ces poils rares à la peau de l’homme dans la structure de laquelle tout est sacrifié au tact , offrent dans la série des animaux de grandes différences : tantôt ils sont des poils proprement dits; tantôt ils sont des plumes, car il n’est pas possible de nier l’analogie de ces deux genres d'organes. Ils peuvent encore être distingués en simples et en composés : simples , lorsque chaque bulbe est isolé, séparé, et que son poil est distinct ; composés , lorsqu’au contraire plusieurs bulbes pileux sont agglomérés , de manière à ce que les différens poils qu’ils ont sécrétés , se sont soudés pour former un seul corps solide plus ou moins gros , un ongle , une écaille, une corne , etc. Dans l’homme , dont la peau est unie, et auquel la nature n’a voulu donner ni armes offensives ni armes défensives , il n'existe pas de ces poils composés , si ce n’est à l’extré- mité des doigts , où sont les ongles, qui soutiennent d’une manière si utile pour le tact la pulpe de l’extrémité des doigts. Mais, dans les animaux qui, à cause de leur in- telligence bornée, devaient avoir des moyens naturels d'attaque et de défense , il y a souvent de ces poils com- posés : ou la peau est revêtue d’écailles ; ou les ongles | plats de l’homme sont devenus de fortes griffes , ou sont convertis en sabots ; ou à diverses parties de la tête se sont développées des cornes. Les zoologistes assimilent toutes ces parties à des poils, et en expliquent de même la production. Plusieurs vont même jusqu’à placer dans cette catégorie d'organes les dents , qu’ils disent ap- 292 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ, partenir primitivement à la peau de la bouche, et ne s'être placées qu’accidentellement dans le système os- seux, dans les os des mâchoires. Tel est M. de Blainville, par exemple. Ce zoologiste considère le poil comme le rudiment de toutes les parties constituantes de la peau , et même de tous les organes des sens , quelque complexes qu'ils soient. Par exemple , le follicule sé- bacé ne lui paraît être qu’un sac fibreux , analogue au bulbe du poil, et qui n’en diffère que parce qu’il sé- crète un suc huileux au lieu d’une matière cornée. Le dèrme ne lui semble être qu’un assemblage de petits bulbes analogues , placés les uns à côté des autres , et laissant bourgeonner par leur ouverture externe, les dernières ramifications des nerfs pour le tact, et celles des vaisseaux exhalans et absorbans pour la transpiration et l'absorption de la peau. Nous venons de voir que , sous le nom de poils composés , il rapporte à ce genre d’or- ganes les plumes , les ongles , les écailles, les cornes et même les dents. Enfin , partant de cette idée , que la peau est dans les derniers animaux le seul organe de sens qui existe ; et que les autres sens, à mesure qu'ils apparais- sent dans la série des animaux, ne doivent être que des dépendances de cette peau , il regarde l’œil et l'oreille eux-mêmes, comme des bulbes analogues à ceux des poils, mais qui seulement se sont beaucoup modifiés , pour pouvoir exercer les fonctions très-délicates auxquelles ils étaient appelés. Nous ne nous faisons pas caution de la justesse de cette analogie ; mais nousla rapportons comme preuve de la direction nouvelle imprimée à l’anatomie comparée, et qui consiste, non plus seulement à démêéler toutes les différences d’organisation que présentent les animaux, mais en outre à spécifier quels sont dans les SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 553 divers êtres vivans les organes analogues , quelque divers que puissent paraître d’ailleurs ces organes par leurs formes extérieures. Telleest la peau, cette membranequirecouvre enentier toute la périphérie du corps, qui finit aux ouvertures natu- relles qui conduisent dans les organes intérieurs , et com- munique avec les membranes muqueuses qui semblent en être un prolongement. Par sa face interne, elle adhère plus ou moins lâchement aux parties subjacentes par un tissu lamineux, qui tantôt est si peu serré qu’elle peut se déplacer de dessus les parties qu’elle recouvre, qui tan- tôt est si serré qu'elle ne peut aucunement se mouvoir. Quelquefois aussi, elle adhère à une couche musculeuse, qui alors l’entraîne dans ses contractions, c’est-à-dire tour à tour l’épanouit ou la fronce. Dans les animaux, cette couche musculeuse est étendue à presque tout le corps , et forme ce qu’on appélle le pannicule charnu : l’homme n’en a que des vestiges au front, au crâne, au scrotum. Par sa face externe , elle est libre , et de ce côté se voient, indépendamment des poils : 1° un grand nom- bre de petites aspérités, qui sont la trace des papilles qui existent à la surface du derme, et qui se laissent dessiner à travers l’épiderme. Ces aspérités n’empêchent pas que la peau ne paraisse lisse ; nulle part elles n’ont une disposition régulière, si ce n’est à l’extrémité des doigts , où elles sont rangées sur des lignes courbes , qui sont concentriques les unes aux autres; 2° çà et là diffé- rens plis; dont les uns tiennent au mode d’union de la peau avec les parties subjacentes , et sont commandés par la direction dans laquelle se font les mouvemens : dont d’autres sont les effets de la contraction des muscles subjacens; dont quelques-uns enfin sont le produit de la 294 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. vieillesse, de la faiblesse, de la perte de la propriété élastique et rétractive de la peau. Du reste , cette mem- brane n’a pas partout la même épaisseur , la même fixité ou mobilité , le même nombre de nerfs, de vaisseaux exhalans, absorbans, de follicules sébacés , de poils. Nous nous occuperons ailleurs de sa couleur. Des Membranes muqueuses. Les membranes muqueuses sont celles qui revêtent l'intérieur de tous les organes du corps qui communi- quent au dehors par des ouvertures naturelles. Elles sem- blent former dans leur ensemble comme une sorte de peau intérieure; car 6’est entre elles et la peau propre- ment dite que semble compris tout le corps; et comme elles se continuent avec la peau aux ouvertures natu- relles du corps, on les a dit un prolongement de cette membrane. Cela est en effet dans les animaux les plus simples; mais, dans les animaux supérieurs, elles sont réellement un organe différent, bien que lui ressemblant un peu par l’organisation et les fonctions. Elles diffèrent même les unes des autres dans les divers points de leur étendue. Les anatomistes les ramènent toutes à deux grandes surfaces ; la gastro-pulmonaire , qui commence aux ouvertures de Fœil, du nez et de la bouche , et qui, tapissant les appareils respiratoire et digestif, se termine. à l’anus ; et la genito-urinaire , qui commencant à l’o- rifice de l’urètre chez l’homme, et à celui de la vulve chez la femme , tapisse l’intérieur des appareils urinaires et génitaux. Il faut y ajouter celle qui pénètre par le con- duit auditif externe , et celle qui tapisse l’intérieur des vaisseaux excréteurs de la mamelle. ; Ces membranes, comme la peau, sont le siége d’une Ê SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 255 fonction d’exhalation, d’une fonction d'absorption, et sont toujours en contact avec des corps étrangers; sa- voir : les substances que nous ingérons pour notre com- position , comme l'air, les alimens; et les substances que nous excrétons , comme les fèces , l’urine : on peut bien , en effet, considérer comme corps étrangers ces diverses substances. Une de leurs faces adhère aux or- ganes qu’elles concourent à former; l’autre s’offre libre- ment au contact des substances ingérées ou excrétées. Elles sont composées de deux feuillets, un derme et un épiderme. Le derme est aussi ce qui en forme le corps; un peu moins dense que celui de la peau , on voit se ter- miner , à sa surface, les orifices des vaisseaux qui pré- sident aux fonctions d’exhalation et d'absorption, et des nerfs , qu'on dit aussi être figurés en papilles, surtout au voisinage des ouvertures naturelles du corps. On l’a dit également formé de trois couches : un chorion, un corps papillaire et un corps muqueux; mais cela est encore bien moins distinct qu’à la peau. L’épiderme en ést la lame externe ; également inorganique , il n’existe guère qu’au commencement des membranes muqueuses, et manque dans leur profondeur. Enfin , les membranes muqueuses offrent aussi, dans leur texture , les deux sortes d'organes annexes que nous avons trouvés dans Ja peau. D’abord , elles ont évidemment des follicules , dits muqueuæ , qui sécrètent un fluide destiné à lubrifier la membrane , et qui sont d'autant plus abondans, que ce fluide supplée à l'office protecteur de l’épiderme , qui manque ici. Quant aux poils , les membranes muqueuses de l’homme , à la vérité, n’en offrent jamais; et, encore pourrait-on offrir comme contraire à cette assertion , les dents, qui, selon M. de Blainville, n’appartiennent pas 206 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ, primitivement aux mâchoires , et sont des dépendances de la membrane muqueuse de la bouche ; mais, chez les animaux, souvent elles en présentent, et même des poils composés , des écailles. B. Mécanisme du Tact. Dans l'étude de toute sensation en particulier, nous . n’étudierons que l’action d'impression , parce que c'est elle seule qui est spéciale ; les actions conductrice du nerf, et percevante du cerveau, sont réglées sur elle, et à l’article des sensations en général , nous avons dit tout ce qu’on savait de ces deux dernières. Dans l'étude de cette action d'impression, nous recherche- rons successivement quelle est sa cause, comment agit cette ca ise; ce qu’est en elle-même cette action d’im- pression ; quelle est la part qu'ont, dans sa production, chacun des élémens organiques qui entrent dans la com- position de la peau; et, enfin, voyant le tact en résul- ter, nous terminerons, en recherchant quelle est la portée de ce sens dans l’homme, relativement aux ani- maux , et quels sont ses services; la même marche sera suivie dans l’histoire de tous les sens. Puisque le tact est une sensation externe, la cause de l’action d'impression , qui est le fondement de cette sensation , est le contact d’un corps extérieur. Il n’y a rien de difficile à concevoir dans le mode selon lequel se fait ce contact. Gomme la peau forme la périphérie du corps, elle est soumise, par le fait seul de sa situa- tion, au contact du corps extérieur; et, d’ailleurs, à raison de la mobilité du tronc et des membres sur les- quels elle est étalée, on peut l'appliquer aux corps exté: rieurs dont on veut recevoir une impression tactile. Dans SENS DU TACT ET DU TOUCHER, 297 les deux cas, les papilles qui saillent à la surface du derme sont atteintes; et, pour peu que le contact soit prolongé et un peu fort, elles recoivent , ou mieux dé- veloppent l’action d'impression. En quoi consiste cette action d'impression? on l’ignôre tout-à-fait : on a beau observer les papilles, on ne peut rien voir en elles des changemens qu’elles éprouvent consécutivément au contact; ces changemens sont trop moléculaires pour être aperçus, et leur résultat seul , c'est-à-dire la production de la sensation, annonce qu'ils ont eu lieu. On a conjecturé que par le contact le fluide nerveux éprouvait un ébranlement mécanique quise pro: pageuit au cérveau , ou qu'il se faisait dans ce fluide un changement chimique ; mais ce sont là des hypothèses toutes gratuites , el qui ne reposent sur aucuns faits. Si l’on ne peut voir cette action d'impression, à plus forte raison ne peut-on saisir son essence ; et, tout ce qu'on sait d'elle, c’est que : 1° elle ne ressemble à au- eune action physique ou chimique de la nature , et qu’elle est une des actions propres des corps vivans et animés , qu'à cause de cela on appelle ‘organiques ét vitales ; »° que la peau n’est pas passive dâns’sa production, ne la recoit pas mécaniquement de Fexcitant extérieur : mais qu'elle la développe en vertu de son activité propre, et par suite du rapport que la nature a établi entre elle et les corps extérieurs. Et, en effet, l’état de vie et de santé est une condition nécessaire pour la production de cette action; la volonté la rend plus intense, en éri- geant la papille nerveuse ; cetté papille , à la longue, se fatigue, et a besoin de se reposer pour recouvrer son aplitude à agir; 5° enfin, qu'elle répète scrupuleuse. ment toutes les qualités du corps qui est au ‘Contact. 1. 17 250 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. Et, en effet, il est sûr que les nerfs conducteurs trans: mettent toujours les impressions sensitives, telles qu’elles ont. été formées , et que le cerveau aussi les perçoit telles qu’elles lui sont envoyées. Or, si le tact nous fait appré: cier toutes les nuances des qualités générales des corps, comme on ne peut en douter , il faut bien que l’action d'impression ait représenté en elle-même avec autant de. délicatesse que d’exactitude , toutes les qualités des corps sous le rapport du tact. Mais quel est le rôle précis de chacune des parties constituantes de la peau dans la fonction du tact? D’a- bord , il est sûr que les papilles seules développent lac- tion d'impression dont nous venons de parler; elles seules, en effet,;-sont des organes nerveux, et l’on sait qu'il n’y à, dans. notre économie, que les parties nerveuses qui soient aptes. à effectuer des actions sensoriales. D'ail- leurs, la section, la lésion des nerfs qui forment ces papilles, la stupéfaction de ces papilles par l’opium ;, paralysent le tact. Toutes. les autres parties de la peau; ou bien ont trait aux.autres fonctions que doit accom- plir cette membrane; ou ; servant à favoriser le contact, à le renfermer dans la mesure propre à ce qu’il ne soit pas douleureux , elles constituent l'appareil mécanique que nous avons dit être dans, tout, sens placé au- devant de la partie nerveuse. Ainsi, pour nous renfermer ici dans ce qui concerne le tact, le chorion, base du derme, ne sert qu ’à donner à da peau la solidité nécessaire , pour que cette membrane puisse, supporter, sans être déchi- rée , les contacts de corps assez denses. Le fluide colo- rant du réseau de Malpighi conserve les papilles dans l’état d ‘humidité et. de souplesse que réclame leur fonc- tion tactile. Le même effet résulte de l'humeur sébacéé À SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 299 de la peau, qui, en même temps, tient souple la peau toute entière. Le tissu érectile, qui fait la base de la papille, et dans lequel l'extrémité nerveuse s’est dispo- sée en bourgeon , ou lui sert d’un coussinet mécanique bien favorable au contact, ou par le mode de motion qui lui. est propre , applique bien mieux l’extrémité ner- veuse au corps extérieur. L’épiderme enfin, en même temps qu'il est un agent défensif de la peau , un obsta- cle que la nature a posé elle-même à la fonction d’ab- sorption de cette membrane , sert le tact, en limitant le contact dans la mesure qui est convenable ; selon que cet épiderme manque , ou est trop épais, l'impression est douloureuse ou trop faible. On peut même apprécier les services des parties accessoires de la peau, relati- vement au tact ; le tissu cellulaire graisseux } par éxem- ple, qui est sous cette membrane , lui sert de coussi- net, lui donne de la tension , du poli, et l’appliquemieux aux corps qui doivent la toucher ; la mobilité de tout le tronc sur lequel la peau est disposée, favorise le tact » en appuyant convenablement la peau sur les se exté- rieurs qu’elle a à faire connaître. Dans cette analise de la part qu’a chaque partie con- stituante de la peau à la production du tact , ressort le rôle respectif des deux parties principales de tout organe de sens , la partie nerveuse qui effectue limpression qui ici est la papille, et l’appareil antérieur qui sert à établir le contact , qui ici est l’épiderme. Comme le contact ici est immédiat , et que le corps qui touche est le plus souvent grossier ; cet appareil antérieur , à la différence de ce qu’il est dans plusieurs autres sens, a dà tendre plus à atténuer les effets du contact , qu’à les renforcer. Cependant quelques conditions d’organi- 17" 60 MONCTION DE LA SENSIBILITÉ, sation servent aussi ici à ajouter aux effets du contact, et nous les avons indiquées; comme celle du tissu cellu- laire graisseux sous-cutané qui fait coussinet , etc. En général, dans tout sens, nous trouverons des conditions de structure , dont les unes paraïîtront augmenter les cffets du contact, tandis que les autres semblerontles diminuer. Telest le mécanisme du tact à la peau. Aux membranes muqueuses , ce mécanisme est absolument le même. Nous remarquerons seulement qu’à ces membranes la faculté tactile n’existe qu’à leur origine. Les alimens, par exemple , qui sont perçus dans la bouche et le pha- rynx, cessent d’être sentis , à mesure qu'ils descendent dans l’æsophage, et ne le sont plus dans l'estomac. Qui ne sait que l’aliment qui brûle la bouche et le gosier, n’est plus senti quand il arrive dans l'estomac ? De même, la masse alimentaire ne fait aucune impression tactile dans l'intestin , et le tact ne l’apprécie de nouveau que lorsqu'elle’ en sort en forme de fèces. Il en est de même de l'air, relativement #Ÿla membrane muqueuse pulmo- paire; de l'urine et du sperme , relativement aux mem- branes muqueuses des appareils urinaire et génital. Aussi, ces membranes ne recoivent de nerfs encépha- liques et spinaux qu'à leur origine ; et, dans leur pro- fondeur, elles ne reçoivent que des nerfs des ganglions, lesquels , dans l’état de santé, ne donnent pas à l’âme perception de leurs impressions. Le siége de la sensibilité tactile des membranes muqueuses est, du reste, dans un rapport heureux avec le genre de corps étrangers qui sont mis en contact avec ces membranes, et avec l'utilité dont devait être leur tact. Ces corps étrangers sont, ou des substances d’ingestion qui sont intro- duites dans les organes pour y servir à Ja nutrition , ou SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 201 des substances d’excrétion, dont le corps doit se dépu- rer. Il ne nous importait dès lors d’avoir la notion tac- tile de ces substances , qu’au moment où s’en effec- tuent l’ingestion et l’excrétion, et c’est ce qui est en effet. Le tact muqueux est limité au point où les sur- faces externe et interne du corps communiquent , pour qu’il veille au passage d’une de ces surfaces à l’autre. Tandis que le tact de la peau surveille tout ce qui se passe à Ja périphérie du corps , le tact muqueux sert à diriger dans l’ingestion des substances nutritives et l'expulsion des matières excrémentitielles. Nous revien- drons , du reste, sur ces sensations tactiles muqueuses , à l’article des fonctions dont elles font partie : les notions qu’elles donnent sont les mêmes que celles que fournis le tact de la peau. Ces notions sont relatives aux qualités les plus géné- rales des corps; nous avons à les indiquer, ou autre- ment à caractériser les services du sens du tact, à spé- cilier ces fonctions. Ges fonctions sont, comme celles de tout autre organe de sens; immédiates, c’est-à-dire accomplies par lui seul ; et médiates, c’est-à-dire exi- geant en outre l'intervention de l'esprit. La fonction immédiate du sens du tact est de nous faire apprécier la température des corps. Il est certain que par cela seul que nous touchons un corps, nous éprouvons une sensation de chaud ou de froid, qui an- nonce sa température. C’est là la fonction immédiate du tact , qu'il accomplit par lui seul , dans laquelle aucun autre sens ne peut le remplacer, qu'il effectue sans avcir besoin du concours d’un autre sens, sans l’aide d’un exercice antérieur , de l'habitude , et dès que son organe a acquis un développement suffisant. Ji‘est remarquable 262 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. même , que , sous ce rapport, notre tact n’est jamais oisif, Car notre peau est sans cesse touchée par l’air ex- térieur au moins, et celui-ci fait une impression sur elle en raison de sa température. Les gaz, que d’abord on pouvait croire indépendans du tact, sont, à cetégard, tributaires de ce sens; et, à la fonction tactile de la peau , doivent ainsi se rapporter les diverses sensations de chaud et de froid que nous éprouvons par le contact du milieu dans lequel nous vivons. Entrons ici dans quelques détails. La température d’un corps s'entend de la sensation de chaud ou de froid que son contact développe en nos organes, ou du nombre de degrés auquel ce contact fait monter l'instrument de physique, appelé thermo- mètre. Ce double effet est dû à une matière très-subtile, appelée calorique, que dégage tout corps en quantité plus ou moins grande , et qui, dans le premier cas , agit sur les nerfs des organes, de manière à développer en eux une sensation; et, dans le second F s’interpose entre les molécules du liquide du thermomètre , de manière à lui donner plus ou moins de volume. Ge calorique est ainsi dégagé par tout corps, soit en vertu d’une simple faculté de rayonnance, soit parce qu’il est attiré par les autres Corps voisins, ayant tendance à se mettre de ni- veau dans tous. C’est, en effet, une loi constante pour tous les corps non vivans , que le calorique qui les pé- nètre, et qui, se dégageant de chacun d’eux en une quantité" déterminée fixe leur température , tend à se mettre en équilibre en tous , de manière à ce que tous à la fin agissent de même sur le thermomètre. Si deux corps sont voisins , et n’ont pas la même température, celui qui est leplûs chaud se refroïdira un peu , en four- SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 2635 nissant de son calorique à celui qui est le plus froid; celui-ci, par suite, s’échauffera un peu; et tous deux finiront par avoir la même température, car ils agiront de même sur le thermomètre. Get équilibre arrivera d'autant plus tôt, que ces deux corps se toucheront par plus de points, et seront meilleurs conducteurs du ca- lorique. Les corps vivans seuls sont affranchis de cette loi générale, dite d'équilibre du calorique; non que le calorique , dégagé par les corps extérieurs environ- pans , quand ils sont plus chauds qu'eux, ne tende à Les pénétrer; non encore que les corps extérieurs environ- nans ne leur soutirent sans cesse du calorique, quand ils sont plus froids qu'eux, de manière à tendre à les amener , dans les deux cas, à leur niveau : mais parce qu'ils dégagent eux-mêmes le calorique, qui fixe leur température; ek, qu'ayant, jusqu’à un certain point, la puissance ; et de consumér aussitôt le calorique sura- bondant qui les pénètre, et de renouveler celui qui leur est soutiré, ils restent toujours à une même tempéra- ture, qui n’est pas celle du milieu ambiant , mais est la leur propre : seulement les sensations tactiles de chaud et de froid les avertissent de celles de ces deux condi- tions dans lesquelles ils sont tour à tour. Nous n’avons pas ici à traiter de l’action par laquelle le corps humain dégage le calorique duquel sa température propre dé- pend , non plus que de celles par lesquelles il consume le calorique qui lui est fourni, et remplace celui qui lui est soutiré; elles seront le sujet d’une fonction particulière ; nous n'avons qu’à spécifier les cas dans lesquels éclatent en-lui, par le contact du milieu ambiant ; ou de corps étrangers, les sensations de chaud et de froid. Or, cela est facile : la température du corps humain 264 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. est de 32 degrés; et, le milieu ambiant, comme les corps extérieurs qui le touchent , ne peuvent être, à cet égard, que dans l’une ou l’autre de ces trois con- ditions ; ou ils auront une température supérieure à celle du corps humain, ou ils en auront une égale, ou ils en auront une moindre. Voyons quelles sensations de chaud ou de froid sont éprouvées dans chaeun de ces cas. Le corps extérieur , ou l'air atmosphérique lui-même, a-t-il une température supérieure à celle de 52 degrés ? Le calorique extérieur que dégagent ces corps pénètrera mécaniquement , et, d’après les lois physiques de la pro- pagation de ce fluide , la peau et le corps humain; et, s’ajoutant ainsi à celui que l’économie produit elle-même, il y scra en plus, et fera développer dans les nerfs une sensation de chaud. On ne peut nier cette pénéiration mécanique du calorique dans la peau et le corps, puis- qu’on les voit s’échauffer physiquement , et à l'instar d’un autre corps, lorsqu'ils sont exposés aux rayons ar- dens du soleil, ou devant un corps en ignition. Seule- ment le corps humain a , jusqu’à une certaine limite , des moyens de consumer aussitôt ce calorique surabondant , et de rester conséquemment à sa même température : nous les indiquerons ailleurs. Les corps extérieurs, ou l'atmosphère, ont-ils une température de 32 degrés , c’est-à-dire égale à celle de l’homme? en ce cas, ils ne soutirent ni ne fournissent dé calorique à notre corps. Mais, comme notre état habituel est d’être plongé dans un milieu plus froid que nous , et qui nous soulire toujours du calorique ; comme les ressorts de notre économie sont montés à ce qu’une portion de calorique nous soit sans cesse soustraite; cette portion ne étant plus, il en résulte que le calorique est SÈNS DU TACT ET DU TOUCHER. 265 encore en plus dans nos organes , et dès lors nous éprou- vons encore une sensation de chaud. Dans ce cas, comme dans le cas précédent , l'économie a, jusqu'à un certain point, des moyens de dissiper le calorique sura- bondant , de manière à rester danssa température propre. Enfin, le corps extérieur , ou l'atmosphère, ont-ils une température inférieure à celle de 32 degrés ? ces corps , par suite de la tendance qu’ils ont à se mettre au niveau de la température des objets qui sont dans leur sphère , soutirent , attirent à eux une partie du calorique du corps humain; et, selon que cette quantité de calori- que soustraite est plus ou moins considérable que celle qui nous est enlevée dans le milieu dans lequel nous avons habitude de vivre, comme alors le calorique se trouve ou en moins ou en plus dans nos organes , nous éprouvons une sensation de froid ou de chaud. D'abord, on ne peut pas nier encore ici le refroidissement gra- duel de la peau et du corps humain; car on peut l’ap- précier soi-même par le tact, on peut l’évaluer par le thermomètre , et l’on voit les corps extérieurs s’é- chauffer, à mesure que ce refroidissement s'effectue. Ensuite nous disons que tour à tour la sensation éprouvée sera de chaud ou de froid , selon que la quantité de calo- rique qui sera soulirée au corps , sera inférieure ou su- périeure à celle qui lui est soustraite par le milieu dans lequel on a habitude de vivre. En effet , l'homme , avons- nous dit , a une température de 52 degrés ; et l’atmo- sphère dans iaquelle il est plongé , en à , au contraire, une constamment moindre; qui, dans nos climats, est de 15 à 16 degrés dans les saisons tempérées , bien au- dessous dans les hivers , et de 25 au plus dans les étés : à çe titre , il doit toujours lui être soutiré du calorique, 266 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. et il semble qu’il devrait toujours sentir du froid. C’est ce qui est en effet, et de là pour cet être le besoin de recourir à l’artifice du feu , de se défendre des intem- péries de l’air à l’aide de vêtemens et en s’abritant dans des habitations. On sait que ces usages ont été observés üniversellement chez tous les peuples. Gependantcomme cette condition est constante pour lui; qu’au milieu des variations de la température extérieure, il y a un état moyen qui est le plus ordinaire : l'habitude a fait que dans cet état moyen l’on paraît n’éprouver aucune sen- sation de température , ni chaud, ni froid , bien qu’alors il nous soit soutiré toujours du calorique , notre économie étant montée à fournir à cette soustraction ; et ce n’est plus que selon que la température extérieure diffère de celle de cet état moyen , qu’on éprouve du chaud ou du froid. ÂAïnsi , la température de ce milieu moyen baisse- t-elle ? comme alors il est soutiré plus de calorique qu’à l'ordinaire , il y en a moins dans les organes , et la sen- sation éprouvée est une sensation de froid. La tempé- rature de ce milieu moyen, au contraire, hausse-t-elle ? bien qu’alors elle soit inférieure à celle du corps; que, conséquemment , il soit soutiré à celui-ci du calorique : comme il lui en est soutiré moins qu’à l’ordinaire, que le fluide, conséquemment , est en plus dans les organes, la sensation éprouvée est une sensation de chaud. Ce- pendant , il y a dans cette’ soustraction du calorique parles corps extérieurs un état moyen, au-dessus et au-dessous duquel la sensation éprouvée est toujours de froid et de chaud; c’est à partir du milieu dans lequel nous nous sommes fait habitude de vivre , milieu qui n’est pas le même dans les divers climats, qui, dans chaque climat même diffère un peu selon les saisons , et qui varie SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 267 aussi pour chaque homme en raison des habitudes qu’il a prises. L'économie a encore ici jusqu’à un certain point la puissance de renouveler son calorique , à me- sure qu'il lui est enlevé , de manière à conserver toujours sa température propre. Non-seulement la température du milieu moyen dans lequel nous avons habitude de vivre , est en général ce qui décide des influences de chaud et de froid qu’exer- cent sur nous les divers corps : mais, par les mêmes raisons que nous venons d'exposer, la température du corps que nous venons de toucher , a la plus grande in- fluence sur le degré de chaud ou de froid que nous fait éprouver le corps nouveau qui succède à son contact. Pour qu’une sensation quelconque de temperature soit éprouvée , il suffit qu’il y ait des changemens d’avec ce qui était dans le temps précédent, chaud , si moins de calorique est enlevé , moins chaud ou froid , si c’est le contraire. Ainsi , l’on s’explique, comment un même corps nous paraît chaud dans un temps et froid dans un autre, semble froid à une de nos parties et chaud à une autre , selon qu'était basse ou élevée la tempéra- ture du corps au contact duquel il succède. Le séjour de nos caves qui nous semble chaud en hiver, parce que la température extérieure estalors très-froide , nous sem- ble au contraire, et, par une raison analogue , très- frais en été. Si, ayant l’une des mains glacée , et l’autre chaude , on plonge ces deux parties dans un même sceau d’eau tiède , cette eau paraîtra chaude à l’une des mains, et froide à l’autre. Du reste, comme la quantité de calo- rique dégagé par les corps est susceptible de nombreuses variétés , il y a desnuances infinies dans ces sensations de température , dans les sensations de chaud depuisle tiède 268 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. jusqu’au brûlant , dans celles de froid depuis le frais jusqu'au glacé. Dans cette analise des sensations de chaleur et de froid consécutivement au contact du milieu ambiant, nous n'avons parlé que des différences qui sont dues aux va- rialions de ce milieu; mais il en est aussi qui provien- nent de léconomie elle-même. Puisque ces .sensations sont dues au rapport qui existe entre la température de l’homme et celle de l'atmosphère , on concoit que leurs variations arriveront autant par les différences qui survien- dront dans la calorification de l’homme , que par celles qui éclateront dans la température de l’atmosphère. C'est ainsi que le vieillard, le convalescent éprouveront du froid sous une constitution atmosphérique , qui leur eût paru indifférente ou même chaude à un autre âge, ou dans la force de la santé. En général , on peut concevoir l’homme sous le rapport de la température , comme placé 1 entre deux puissances : l’une qui lui est propre , et qui fournit le calorique qui détermine sa température ; une autre, qui lui est extérieure , et qui cherche à l’abaisser ou à l’élever à son niveau. Des sensations de chaud et de froid sont ce qui accompagne ce combat; mais on conçoit qu’elles doivent également se faire sentir, soit que ce soit l'attaque du dehors qui se ralentisse ou aug- mente, soit que ce soit la défense du dedans qui se montre plus faible ou plus énergique. Telle est la théorie des sensations de chaud et de froid , consécutivement au contact du milieu ambiant. Cette théorie est la même pour celles qui succèdent au con- tact d’un corps solide ou liquide quelconque. Seulement, la densité des corps , la faculté qu’ils auront d’être plus ou moins bons conducteurs du calorique, et enfin leur SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 269 eapacité pour le calorique , sont autant de eirconstances qui influeront sur le degré de chaud ou de froid qu’ils feront éprouver. En effet , le degré de la sensation tient à la quantité de calorique libre qui reste dansles organes , et les trois circonstances que nous venons de rappeler influent sur la rapidité avec laquelle ce calorique est soustrait , et sur la quantité dans laquelle il est pris. Plus un corps est dense, par exemple, est bon conducteur du calorique , a de capacité pour le calorique , plus il soutire vite le calorique de notre corps, et plus il nous paraît froid. C’est pour cela que les divers corps que nous touchons , bien qu’ils aient la même température au ther- momètre, du bois et du marbre, ou un métal ne nous paraissent pas également chauds ou froids. Toutefois il résulte de ces faits que le tact ne nous donne sur la température des corps que des notions re- Jatives ; il ne nous apprend pas quelle quantité absolue de calorique existe dans Le corps que nous touchons; ni même la quantité de calorique libre qui existe dans ce corps, relativement à celle qui est en nous ; il nous ap- prend seulement que la quantité de calorique libre que nous fournit ou nous soustrait un corps, est différente, plus grande ou plus petite, que celle qui nous était fournie ou enlevée dans le moment précédent. Telle est la fonction immédiate du tact. Quant à ses fonctions médiates ou auxiliaires, elles consistent dans les impressions que ce sens peut fournir à l'esprit, et à l'aide desquelles celui-ci peut acquérir quelques notions des! corps. Elles sont multiples; car, par le tact, nous apprécions la grandeur , la densité, la pesanteur, la fi- sure , la distance , la mobilité ou l’immobilité , le nombre des corps, etc. Il est certain en eflet que le tact est em- 270 * FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. : ployé par nous pour acquérir ces diverses notions , mais qu’ilne peut les donner seul , et qu’il lui faut l'intervention de l'esprit. ILest certain aussi que beaucoup d’autres sens peuvent les donner également ; la vue, par exemple, fait juger de même la figure, les dimensions des corps; louie , leurs distances, etc. M. Spurzheim , auqueknous avons emprunté cette idée de partager les fonctions des sens en immédiates et en médiates , dit que ce dernier trait est le plus propre à guider dans ce partage ; car toutes les fois qu’une conception quelconque a pù être donnée par plusieurs sens , il est sûr qu’elle est le pro: duit d’une faculté intérieure qui, pour l’acquérir , a employé tour à tour tel ou tel sens, comme la volonté emploie à son gré les mains ou les pieds. Nous n’avons pas besoin du reste d'entrer dans les détails des services du tact à tous ces égards. Un corps. est-il en entier soutenu par la peau ? La sensation qui eù résulte alors peut en faire apprécier le poids: Un corps presse-t-il de toute sa masse sur la peau, ou mieux la peau; dans un tact actif, presse-t-elle sur le corps extérieur, de manière à en faire céder la masse ? on est à même d’en juger la consistance. Un corps roule-t-il à la sur- face de la peau ? on peut juger qu'ilest mobile, et même apprécier la direction dans laquelle il se meut. Un corps touche-t-il la peau dans un lieu où cette membranelest disposée de manière à ce qu’elle puisse embrasserses contours , envelopper sa surface ? le tact en fait apprécier la figure. Il en est de même de l'étendue, des dimen- sions des corps. Seulement on voit que, pour que le tact puisse effectuer plusieurs de ces offices, il faut qu'il soit exercé par une partie de la peau disposée de manière à pouvoir embrasser les corps extérieurs , les toucher par "2 SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 273 plusieurs points, circonscrire leurs contours , se presser, se promener sur leur surface. Or, comme toutes les parties de la peau ne réunissent pas également ces con- ditions , il y en a toujours une , dans l’homme et les ani: maux supérieurs , qui, les possédant, est plus spécialement affectée à ces services du tact , et qui constitue ce qu’on appelle Porgane du toucher. Nous allons nous en occu- per bientôt. Non-seulement le tact nous fait juger ces diverses qualités des corps extérieurs , mais aussi il nous fait apprécier les mêmes qualités de notre propre corps : notre peau, en touchant une autre partie de nous-mêmes , nous en fait juger la température, la forme, la consis- LL 2 tance , le volume. On a même dit , d’après cela , que le sens du tact était le plus propre à nous faire reconnaître notre propre existence , puisque , toutes les fois que deux .de nos parties se touchent, l’âme recoit deux impres- sions , qui, venant toutes deux se fondre dans le moi , font mieux ressortir Ce moi. Telle est l’histoire du tact. Il nous reste à indiquer la portée de ce sens chez l’homme, comparativement à ce qu’il est dans les animaux. Dans tout animal, ce sens sera d'autant plus exquis , que la peau sera, d’une part, plus pénétrée de nerfs , et d’autre part plus dépouillée de parties insensibles accessoires , commepoils, plumes, écailles. À ce double titre, il est peu d’animaux aussi bien partagé que l’homme ; sa peau est très-nerveuse , très-unie , et tout-à-fait nue. Il est évident que chez lui la nature a sacrifié dans la peau, ce qui en fait une enve- loppe protectrice , à ce qui doit en faire un organe du tact. Tandis que dans les animaux, la peau est souvent toute couverte de poils, d’écailles , qui, fondent pour eux de véritables vêtemens , leur constituent une armure 272 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. défensive; celle de l’homme est tout-à-fait nue ; il faut que, par son intelligence , il supplée à ce que ne lui a pas donné primitivement la nature sous cerapport; mais ce désavantage est compensé en lui par un tact exquis. Cependant, plusieurs animaux ont un tact encore plus délicat que lui. On dit généralement que ce sens va en se perfectionnant, à mesure qu’on descend dans la série des animaux, à mesure qu’on voit dans les animaux les autres sens se dégrader et disparaître ; ilest vrai que les derniers animaux ont le tact si fin, qu'ils perçoivent les plus légères ondulations du liquide dans lequel ils vivent ; mais n'est-ce pas confondre des phénomènes dissem- blables , que de dire que , par le tact, ils perçoivent les odeurs et les couleurs ? Ne prend-t-on pas pour un tact percu, ce qui n’est qu'un rapport organique, tel que celui qu’on observe chez les végétaux , qui se dirigent aussi du côté de la lumière ? Du reste, ce tact sera d’au- tant plus exquis dans les divers hommes, et dans les di- verses régions du corps, que la peau sera plus délicate- ment organisée , et conservée en cet état de délicatesse par des précautions hygiéniques convenables. Avons-nous besoin de dire, qu'il peut s’exercer de deux manières; passivement , quand les corps extérieurs s'appliquent d'eux-mêmes et à l'insu de la volonté à la peau; activement , quand c’est la peau qui s'applique elle-même aux corps extérieurs pour les connaître ? Sous le premier point de vue , la peau est une sentinelle exté- rieure , qui continuellement veille à la sûreté du corps, en avertissant des moindres objets qui peuvent le toucher. Sous le second point de vue, elle est un instrument pré- cieux pour l'esprit , et par lequel celui ci acquiert à volonté la connaissance des corps. Pour ce dernier but, + SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 279 la peau à un appareil musculaire volontaire qui lui est annexé , et cet appareil est tout le corps lui-même. Dans le tact actif, il y a d’abord action de cet appareil pour appliquer la peau à l’objet qu’on veut toucher ; ensuite érection des trois parties nerveuses, du concours des- quelles résulte la sensation. Sans doute on ne peut pas dire en quoi consiste cette impulsion que la volonté im- prime , et à la papille cutanée, et au nerf conducteur, et au cerveau qui perçoit ; mais elle est certaine : il n’est personne qui n'ait observé sur soi-même la différence d'énergie d’une sensation tactile, selon qu’elle est pro- duite passivement ou activement: le poids et le contact de nos vêtemens , par exemple , que nous n’apercevons pas d’ordmaire , il suffit d'arrêter sur eux notre attention pour les apprécier. Enfin, puisque le tact est, dans son exercice, dépendant de la volonté, il est passible de l’éducation; et l’on peut “en restreindre ou en étendre la puissance. Mais nous ren- yoyons les preuves de ce fait à l’article du toucher. Ter- minons en disant que dans ce sens , la partie nerveuse ne provient pas d’un système nerveux spécial , et c’est ce qui explique pourquoi toute partie mise accidentellement à nu peut, plus ou moins, en remplir les fonctions. Cependant , voici un fait nouvellement aperçu. C’est de la moelle spinale que viennent la plupart des nerfs qui se distribuent à la peau; ils en naissent , comme on sait, par deux racines , une antérieure et une postérieure qui , après s’être réunies près le trou intervertébral, pro duisent le nerf. Or, M. Magendie a fait quelques expé- riences qui semblent prouver que les racines postérieures seules président à la sensibilité , tandis que les anté rieures ne servent qu'aux mouvemens. Selon qu’il coupe A 16 254 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. les unes ou les aütres sur un animal vivant dans les por- tions lombaire et sacrée de la moëélle spinale , il étéint la sensibilité seule ou la locomotilité dans le membre correspondant; si, dans le premier cas, on fait prendre de la noix vomique à l'animal , ou qu’on le soumette à uné irritation galvanique , il éprouve le tétanos qu’excite d’ordinairé cette substance , ou manifeste de fortes con- tractions ; tandis que l’un et l’autre effet ne s’observent pas dans le deuxième cas. 2° Histoire du Toucher. Nous avons dit que, parmi les diverses qualités des corps dont le tact nous donne la notion, il en était quelques-unes qui ne pouvaient pas être appréciées par” toute portion quelconque de la peau , mais qui exigeaient dans cette membrane une disposition spéciale qu’elle n'offre pas dans tous les points de son étendue. Telles” ont été, par exemple, les notions de la forme, du volume, qui ne peuvent être recueillies qu’autant que la peau peut embrasser les contours des objets extérieurs. Nous avons ajouté que, parce que toutes les parties de [a peau“ ne présentent pas cette condition , il y avait toujours dans les animaux supérieurs et dans l’homme, une région de cette membrane , qui était plus spécialement affectée à effectuer le tact, et qui était ce qu’on appelle l'organe du toucher. Le faconnement d’une partie de la peau et organe du toucher avait d’ailleurs cet autre avantage, de faire eflectuer le tact, sans avoir besoin de mouvoif tout le corps. Or, on appelle toucher ce taêt exercé par la partie de la peau qui est disposée de manière à donner facilement toutes les notions des corps qu'on peut de- mander à ce sens, et que la nature paraît avoir plus SENS DU TÂCT ET DU TOUCHER. 259 spécialement dans chaque animal affectée à son accom- plissement. A ce titre , le toucher n’est donc que le tact; et aussi toutes les différences qu’on a établies entre eux, sont-elles vaines , à les prendre d’une manière absolue. Par exemple, on a dit que le toucher était toujours actif, et seul faisait connaître la figure des corps ; mais le tact ne peut-il pas être actif aussi , quand le corps, dans sa mobilité gé- nérale, applique la peau à l’objet extérieur , ou seule- ment même quand la volonté érige la papille nerveuse qui doit éprouver l'impression ? et ne donne-t-il pas aussi la notion de la figure des corps, quand ceux-ci sont appliqués à une portion de la peau qui est disposée de manière à embrasser leurs contours, à les toucher par plusieurs points, comme aux aisselles ? Il n’est aucunes différences essentielles entre ces deux actions ; et tout ce qu'on peut dire du toucher , c'est que : d’une part, il est toujours un tact actif, c’est-à-dire exercé avec volonté, et allant s'appliquer aux corps extérieurs, au lieu de les attendre; et, d'autre part, un tact effectué par une partie de la peau qui , à raison de son aptitude à embrasser les corps , à se mouler à leur surface, est très-capable d’en faire apprécier la figure , etgst celle qui est le plus ordi- nairement employée quand il s’agit d'exercer le tact. L’organe du toucher varie beaucoup dans la série des animaux; quel qu'il soit , toujours il présente les deux conditions suivantes : 1° la sensibilité tactile y est fort grande ; soit parce que les papilles nerveuses y soni plus grosses , plus nombreuses , mieux disposées ; soit , parce que la peau qui le forme y est plus dépouillée de poils, mieux soutenue par le tissu cellulaire graisseux subja- cent , plus adhérente aux parties qui sont au-dessous 15* 276 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. d'elle; 2° la portion de peau qui forme cet organe est très-mobile , et peut embrasser la surface des corps; soit que cet organe du toucher soit en entier mou, soit que la peau qui le forme soit isolée sur une portion du squé: lette fracturée et mobile , et propre à embrasser le corps extérieur par tous ses points. Aussi, presque toujours cet organe du toucher est en même. temps l'organe de préhension de l'animal; circonstance de structure heu- reuse; puisque les deux facultés que cetorgane exécute se prêtent ainsi un appui mutuel et nécessaire ; le tact guidant dans la préhension des corps, et la préhension à son tour servant au toucher , en appliquant la peau à tous les contours des corps. Ce n’est pas ici le lieu de rappeler quels sont les divers organes du toucher dans la série des animaux; chez les uns, ce sont des tantacules , des antennes ; chez d’autres, ce sont les lèvres, la langue , les pieds, la queue. Ghez l’homme , cet organe est la main. D’après l’ordre que nous avons suivi jusqu’à présent , nous devrions commencer l’histoire du toucher par l'étude anatomique de la main. Mais , comme cette mam est en même temps notre instrument de préhension , # nous aimons mieux renvoyer sa description à la fonction " de la locomotion ; d'autant plus qu’alors le parallèle de la main et du pied, du membre supérieur et du membre inférieur, fournira texte à d’intéressantes considérations. Ici , nous allons, par quelques détails rapides, prouver seulement que la main jouit des deux conditions d’orga- nisation que nous ayons dit exister en tout organe du toucher ; savoir , qu’elle est très-mobile et apte à se mouler à la surface des corps , et qu’elle est très-sen- sible, * SENS DU TACT ET # TOUCHER. 277 D'abord , elle termine le membre supérieur de la mo- bilité duquel elle participe , et qui est pour elle un long lévier qui la promène au loin , et peut l'appliquer aux corps extérieurs. Ensuite ; quelque petite qu’elle soit , elle n’est pas d’une seule pièce; vingt-sept os en forment la charpente profonde ; et ces os , articulés entre eux de manière à être mobiles les uns sur les autres , la parta- sent en trois parties flexibles ; le carpe, 4e métacarpe, et les doigts. Le carpe, ou poignet, en est la partie supé- rieure , celle qui est articulée avec l’avant- bras; il est formé de huit os ,*mais qui sont disposés sur deux ran- gées ; et comme ces deux rangées exécutent entre elles les mêmes mouvemens que ceux qui sont possibles entre le carpe et l’avant-bras , il s'ensuit que ce carpe est comme formé lui-même de deux parties. Le métacarpe forme le corps , la paume de la main ; il est composé de cinq os, qui, non-seulement peuvent se mouvoir sur le carpe avec lequel ils s’articulent, mais qui encore peuvent s’écarter ou se rapprocher les uns des autres, de manière à faire varier le degré de concavité de la paume de la main , et à la proportionner au volume et aux contours des corps extérieurs. Enfin ; les doigts sont ces appendices qui terminent la main, et qui frac- turés eux-mêmes en plusieurs pièces mobiles, sont si propres à embrasser les corps extérieurs , et à se mouler à leur surface. Ils sont au nombre de cinq, et chacun est partagé en trois petites brisures, qu'on appelle pha- langes , excepté le premier, le pouce, qui n’en à que deux. Ce pouce est articulé sur un plan plus antérieur que les autres doigts; l’os du métfcarpe , qui le porte, est en outre libre par sa partie inférieure ; et, à ces deux conditions de structure , il doit de pouvoir être mis en 278 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ, opposition avec les autres doigts , de pouvoir faire pince avec eux; ce qui est une des plus grandes perfections de la main de l’homme. Ces doigts n’ont pas non plus une égale longueur : celui du milieu est plus long ; de chaque côté de lui , la longueur va ensuite en diminuant : et, tous les doigts, considérés dans leur ensemble sous ce rapport, présentent encore la condition de structure la plus heurëhse pour embrasser le mieux possible la surface des corps. En même temps que tous ces os sont articulés entre eux, de manière à constituer une char- pente assez solide, à donner à la main toute la consis- tance que devait avoir cette partie destinée à être dans un contact immédiat avec les corps extérieurs , ils le sont aussi, de manière à pouvoir exécuter les uns sur les autres, tous ces mouvemens délicats que réclamaient, soit le toucher, soit la préhension des corps. La main, dans sa totalité, peut exécuter sur l’avant-bras des mou- vemens de flexion, d'extension , d’inclinaison latérale et de circumduction. Les deux rangées du carpe peu- vent exécuter de semblables mouvemens l’une sur l’au- tre, et les petits ossde chacune de ces deux rangées peuvent tous, en outre, se mouvoir un peu. Les os du métacarpe peuvent , ainsi que nous l’avons dit, s’écarter ou se approcher plus ou moins, et chacune des pha- langes des doigts est aussi plus ou moins mobile. De nombreux muscles , enfin, sont destinés à effectuer ces divers mouvemens, les uns mouvant la main en totalité, et situés à l’avant-bras , d’autres mouvant chaque par- tie de la main séparément , situés à l’avant-bras aussi et à la main elle-même” Quant à la peau qui recouvre la main, elle est ce qu'elle est partout ailleurs ; mais avec des conditions a0- SENS DU TACT ET DU TOUCHER, 279 cessoires qui lui font exercer, avec toute délicatesse, sa fonclion tactile. En eflet, elle est fortement unie aux parties subjacentes par un tissu cellulaire fort dense, et par là a une grande fixité : elle est très-tendue , très- lisse , sans aucune ride, et ne présente que les plis qui correspondent aux mouvemens que la main doit exécu- ter pour être concave, et pouvoir embrasser les corps. Les éminences dites thenar et hypothenar , qui existent de chaque côté de la concavyité de Ja paume de la main, el qui sont formées par les muscles moteurs des doigts, forment pour elle un utile coussinet. Ses papilles ner- veuses sont fort développées, et: convenablement mises à pu; à l'extrémité des doigts, surtout, où le toucher est le plus délicat, ses papilles sont rangées le long de lignes courbes conceniriques , etcomme fondues dans un lissu spongieux, que quelques-uns disent doués d’une faculté d’érectilité, mais qui remplit au moins l’oflice d’un coussinet. Celui que faisaient à la paume de la main les éminences thenar et hypothenar se retrouve de même entre chacune des phalanges des doigts. Enfin, Ja main présente, à l'extrémité postérieure des doigts , les poils composés, connus sous le nom d'ongles Et qui , en soutenant par derrière la pulpe des doigts, ser- vent le toucher en rendant le contact plus immédiat. En un mot, la mature a pris, pour rendre Ja main très- sensible, des précautions égales à celles qu'elle avait prises pour la rendre très-mobile et apte à se mouler à la surface des corps. On était même allé jusqu'à croire que les papilles nerveuses de La peau ayaient, à la main et aux doigls, une sensibilité plus exquise qu'ailleurs : il est possible, en effet, qu'elles y soient plus grosses , plus nombreuses, plus dépouillées; mais il est probable 280 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. que la plus grande faculté tactile de la main, tient à a réunion de toutes les circonstances accessoires d’organi: sation que nous venons de faire remarquer : cette exquise sensibilité est surtout prononcée à la face palmaire. Telle est la main , dans la structure de laquelle il est aisé de séparer ce qui est de l’organe du sens proprement dit, de ce qui est de l'organe de préhension, et de l’ap- pareil locomoteur, qui est annexé à tout organe de sens, pour que la volonté l’emploie à son gré. Il n°y a en elle que la peau qui appartienne au toucher ; la charpente osseuse, ainsi que les muscles qui la meuvent, constituent l’or- gane de préhension, et l'appareil locomoteur du sens. Venons à l’histoire physiologique du toucher. Le tou- cher n'étant que le tact actif, le tact aidé de la loco- motion , le tact exercé par une partie de la peau qui est disposée de manière à pouvoir embrasser les corps extérieurs, son mécanisme rentre dans celui du tact. C’est la même chose pour tout ce qui est relatif au mode selon lequel s'effectue le contact qui est la cause de l'impression , pour ce qu’est l’impression elle-même; et, enfin , pour la part qu'ont à la formation de cette im- pression chacune des parties constituantes de la peau. Il doit nous suflire ici de relever les diverses conditions destructure qui donnent à la main la double faculté que doit réunir tout organe de toucher, c’est-à-dire la mo- bilité et la sensibilité. | Or, c’est ce que nous avons déjà fait dans la dés- cription abrégée que nous avons donnée de cet organe. Placée à l'extrémité du membre supérieur, la main a, dans ce membre, un long levier, à l’aide duquel elle va chercher au loin les corps extérieurs. Ce membre rem- plit, à son égard, et avec bien plus de latitude , l'office SENS DU TACT ET DU TOUCHER. >8t que les muscles de l'œil, par exemple , remplissent à l'égard de cet organe. On conçoit comment cette main, formée de vingt-sept os mobiles les uns sur les autres, subdivisée en plusieurs brisures , le carpe , le métacarpe et les doigts , terminée par cinq appendices découpés et fracturés eux-mêmes , peut se mouler aux corps exté- rieurs , et appuyer particulièrement sur chacun des points de leur surface. Nous avons surtout relevé l’avantage qu'ont les os du métacarpe de s’écarter , pour faire va- rier la concavité de la paume de la main , ainsi que la possibilité qu’a le pouce de se mettre en opposition avec les autres doigts, de faire pince avec eux. La diversité de longueur des doigts est, elle-même, une circon- stance heureuse, ainsi que la plus grande étendue des mouvemens de toutes les parties de la main dans le sens de la flexion. Ainsi, tout en elle est réuni pour qu’elle puisse semouler aux contours des divers corps extérieurs, se mouvoir sur eux, les toucher par plusieurs points , et avec un degré de pression mille fois variable. En même! temps , la peau de la main a, comme on l’a vu, plus de sensibilité qu’en toute autre région du corps. Enfin, cet organe a toute la solidité qui lui était néces- saire pour être impunément dans un contact immédiat avec les objets extérieurs. A tous ces titres, la main est l’instrument de toucher le plus ingénieux et le plus parfait que puisse présenter la généralité des animaux : aucun autre ne l’égale ; et, de plus, parmi les animaux qui ont une main, au- cun n’en à une aussi bien disposée : dans le singe , par exemple , le pouce est plus petit, plus court, et tel qu’il ne peut pas aussi facilement faire pince avec lès autres doigts ; ceux-ci ne peuvent pas autant se mouvoir isolé- 282 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. ment les uns des autres ; lemembre supérieur, d’ailleurs, n'est pas chez lui exclusivement organe de préhension: il sert autant que le postérieur à la station et à la pro- gression , et dès lors l’épiderme des doigts est toujours plus épaissi, et la sensibilité des papilles émoussée. Aussi, de tout temps , les philosophes ont admiré l’heureuse structure de la main : Galien l'appelait l'instrument des instrumens. On est aïlé jusqu’à attribuer à cet or- gane la supériorité de l’homme sur les animaux, et la suprématie qu'il exerce sur toute la nature; mais c’est là une erreur : la main n’est, après tout, qu’un instru- ment, il faut au-dessus d’elle l'intelligence pour la con- duire. Si l’homme est le premier des animaux , c’est à son organisation cérébrale qu’il le doit; seulement la nature lui ayant donnéune grande intelligence , elle a dû lui donner aussi l'instrument nécessaire pour en accom- plir les combinaisons ; pouvant concevoir beaucoup de choses, il fallait qu’il pût les exécuter, C’est une ob- servation certaine , que, dans Ja série des animaux , les organes de toucher se perfectionnent , à mesure que ces animaux sont plus intelligens; de sorte que par eux on peut juger du degré d'intelligence , non comme en étant la cause, mais comme étant dans un rapport de perfec- tonnement avec elle. Quant aux services du toucher, puisque ce toucher m'est que le tact, ses fonctions doivent êlre les mêmes que celles de ce sens, Ainsi, sa fonction immédiate est de donner des sensations de température, de chaud et de froid; et ses fonctions médiates, sont de fournir à l'esprit les impressions à l’aide desquelles celui-ci ac- quiert les notions des qualités générales des corps, de la grandeur , de la figure , de la consistance , de la pesan- D SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 289 teur, etc. C’est, en effet, surtout , pour l'appréciation de ces qualités qui ne peuvent pas être acquises par toute région de la peau indifféremment ; qui exigent, pour l'être, que la peau s’applique à tous les points des corps extérieurs , se meuve, se presse sur leur surface , qu'est employé le toucher. N'est-ce pas la main que nous em- ployons de préférence dans ces diverses circonstances ? Il est facile alors d’analiser ce qui, dans le jeu de cet organe , est dû à la peau seule et au tact seulement, comme la sensation de température; et ce qui est dû au toucher proprement dit , c’est-à-dire au tact aidé de la locomotion , comme les notions de la densité, de la figure. Du reste, les métaphysiciens ont été divisés relative- went aux services qu'ils ont attribués au toucher ; et, généralement , ils ont beaucoup exagéré la puissance de ce sens, comme on ya le voir, D'abord , Condillac a établi que, de tous les sens , 1 toucher était le seul qui nous donnat la notion de l’exis- tence des corps, tous les autres ne constituant que des sensations , des affections du moi. Mais M. Destuit-Tra- éy a très-bien prouvé que le toucher ne peut pas plus ici que tout autre sens. Qu’y a-t-il, en effet, en lui, plus qu’en tout autre sens? qu’esti autre chose aussi qu’une simple affection , une modification du moi ? La notion de l'existence des corps est une œuvre de l'esprit, à l’acquisition de laquelle le toucher ne concourt pas plus prochainement que tout autre sens, Ensuite , on a dit que le toucher était de tous les sens le moins sujet à erreur, le sens géométrique par excel lence, Mais cela n’est vrai que pour celles des notions Li 2.2 284 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. des corps qui sont relatives à l'étendue; et alors d’aur- tres sens offrent la même précision que lui : la vue, par exemple , fait juger aussi sûrement les dimensions des corps. Quant aux autres notions des corps, le toucher peut induire en erreur autant que les autres sens. En effet , est-il question de celles que donne ce sens sur la température? Nous avons vu qu’elles n’étaient que rela- tives; que le toucher nous apprenait, non la quan- tité absolue de calorique qui existe dans le corps que nous touchons , non celle qui existe dans ce corps re- lativement à celle qui est en nous ; mais seulement que la quantité du calorique que nous soutire ou nous four- nit le corps que nous touchons , est différente de celle qui nous était soutirée ou fournie dans le temps pré- cédent. Aussi , un même corps nous paraît-il tour à tour chaud ou froid , selon la température du corps que nous touchions avant lui. Des corps qui au thermomètre ont la même température, nous semblent en avoir une différente , parce que leur surface est plus ou moins polie, qu’ils sont plus ou moins bons conducteurs du calorique, ou qu'ils ont pour ce fluide une capacité différente. Où sont , dans ces divers cas, cette sûreté, cette infaillibihité qu’on accorde à ce sens ? * | En troisième: lieu, on à professé que le EE était le sens régulateur de tous les autres, celui par lequel nous sommes instruits des notions fausses que peuvent nous donner les autres sens. Pour bien juger cette asser- tion , rappelons la distinction faite des fonctions des sens en immédiates et médiates. D’abord , chaquessens a sa fonction immédiate exclusive , et, à l'égard de laquelle il ne peut être suppléé par aucun autre ; ainsi , Le tou- PRE ne — Frs SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 285 cher seul donne les sensations de température, aucun autre sens ne peut le remplacer en cela ; mais de son côté, il ne peut nullement donner les sensations de saveur , d’odeur , de son et de couleur , qui sont les fonctions im- médiates des autres sens. Ainsi , la proposition est fausse déjà , quant à ce qui concerne les fonctions immédiates. Pour ce qui est des fonctions médiates , elle est exagé- rée ; en effet , le propre de ces fonctions est d’être sou- vent accomplies par plusieurs sens à la fois : l’ouie, l’odorat par exemple, font juger de la distance des corps aussi bien que le toucher; la vue fait, comme ce sens , apprécier leur figure. Or , à cet égard , tous les sens se prêtent des appuis mutuels ; l'impression que l’un a échap: pée, peut être recueillie par l’autre ; l'erreur d’esprit dans laquelle un des sens jette, peut être reconnue par un autre , et le toucher , sous ce rapport, n’a pas plus de : priviléges qu'un autre sens. S’ilsert la vue , par exemple, en,ayertissant des illusions qu’en beaucoup de cas ce sens produit; à son tour , il est souvent secouru par elle; qu’une feuille de rose soit placée entre deux doigts , elle échappe au toucher , et la vue avertit de sa présence; un liquide qui, pour la vue et le toucher paraît semblable à un autre liquide, est reconnu par l’odorat ou le goût en être différent. En quatrième lieu , on a voulu que le toucher fût né- cessaire à plusieurs autres sens , pour leur faire acquérir toute leur puissance , et donner à l'esprit toutes les no- tions qui aujourd’hui leur sont dues. Ainsi, Buffon disait que si nous voyons les objets droits et simples, bien que l'image qui s’en trace au fond de l’œil soit renversée, et bien qu'il y ait deux yeux, c’est que l’âme avait été ins- truite par le toucher de l'erreur dans laquelle la jetait 286 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. la vue , et qu’alors elle s’était habituée à effectuer cette reclification , au point de ne plus même s’en apercevoir. Ainsi, Molineux , Berckley , Condillac ont établi que la vue n’a pas primitivement la faculté de donner les no- tions de la grandeur, de la figure, de la distance des corps , el que ce sens n’acquiert cette faculté que par le secours du toucher , et après avoir été stylé, si l’on peut parler ainsi , par ce sens. Mais ces deux propositions sont également fausses. D'abord , sans rechercher ici pour- quoi nous voyons des objets droits et simples, ce que nous agiterons à l’article de la vue, il estsûr que ce n’est päs parce que l’âme à rectifié par le secours du toucher l'impression visuelle qu’elle a recue. En effet , l’âme est passive quand elle recoit des sensations , et elle est forcée de les recevoir , telles que les organes des sens les lui envoient; dans le sens de la vue, par exem- ple, elle est contrainte de voir, selon l’ordre de! ré- : flexion et de réfraction des raÿons qui ébranlent l&5ré- tine, et à cet égard, ni l'habitude ni le secours d’un autre sens né peuvent modifier l'impression visuelle : les illusions d’optique en sont la preuve ; le toucher avertit bien du caractère de quelques-unes d’entre elles ; mais l’âme ne les recoit pas moins telles que l'œil les forme et les lui envoie. Ainsi, le secours du toucher n’est pas ici ce qu'on le disait être , et il rentre dans les services respectifs que nous avons dit que les sens se rendent les uns les autres. De même, il est faux que le toucher donne à la vue une puissance qui n'aurait pas été dans son essence primitive : nous venons de dire que l'âme voit irrésistiblement d’après l’ordre de réflexion et de réfraction selon lequel arrivent à l’œ:il les rayons, et que ni le secours d’un autre sens ni l'habitude ne pou- SENS DU TACT ET DU TOUCHER. 287 vaient modifier une impression visuellé : or, si la vue nous fait aujourd’hui juger la figure ; la distance , ce dont on né peut douter, c'est que c'était dans ses attributs primitifs , et elle ne le doit pas au toucher. A la vérité, comme c’est généralement d’après la même base, le de- gré d'ouverture de l'angle visuel, que la vue juge de la distance et de la grandeur des objets , il peut lui ar- river de faire attribuer à la grandeur ce qui tient à la distance, et vice versä. Sans doute alors le toucher peut servir à prévenir cette erreur de la vue : mais il n’y a encore là que la faculté qu'ont les sens de se secourir mutuellement dans l’exercice de leurs fonctions médiates ; et ce qui le prouve, c’est que la vue peut seule recon- naître les premières erreurs dans lesquelles elle préci- cipitait l'esprit , et parvenir à démêler ce qui est de la distance et ce qui est de la grandeur. II faut admettre comme vérité physiologique, que tout sens exécute par lui-même ses diverses fonctions , sans avoir besoin du secours de l’éducation, ni d’un autre sens, dès que son organe est suflisimment développé; ce serait faire injure à la puissance du créateur que de croire qu’il ait édifié des sens qui auraient eu besoin d’autres sens pour ac- complir leurs fonctions. Enfin , beaucoup de métaphysiciens et de philosophes ont rattaché au toucher toutes les aptitudes indastrielles des animaux, tous les arts mécaniques de l’homme. Nous avons déjà ditque Galien avait rapporté à la main notre supériorité dans l’univers. Mais, d’abord , ces mé- taphysiciens ont confondu dans la main, ce qui est du sens du toucher , et ce qui est de l'instrument de préhen- sion. Ensuite , ces deux instrumens ne sont que secon- daires , et exigent au-dessus d'eux l'intelligence pour les 280 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. diriger et les mettre en œuvre. En effet, il n’y a chez les animaux et les hommes aucuns rapports entre l’état des aptitudes industrielles et des arts d’une part, et l’état du toucher de l’autre : beaucoup d’animaux qui ont des organes de toucher , ne sont cependant capables d’aucun travail mécanique ; beaucoup avec des organes de tou- chersemblables , suivent des instincts mécaniques divers ; et d’autres avec des organes de toucher différens , accom- plissent un même travail. Dans l’espèce humaine, l’idiot qui à l’organe de toucher parfait, est cependant inca ble de tout travail mécanique ; et d’autre part, le meil- leur mécanicien n’est pas nécessairement celui qui a le toucher le plus fin. Encore une fois, la main n’est qu’un instrument subordonné, que dirige et met en action un organe supérieur , celui de l'intelligence. Ainsi les philosophes avaient trop étendu la puissance du toucher; néanmoins comme ce sens fournit beau- coup d’impressions à l’esprit , il est avec la vue et l’ouie de ceux qu’on appelle intellectuels par opposition aux sens du goût et de l’odorat qui ont des services plus cor- porels, comme on le verra. Comme le toucher est un tact actif, c’est-à-dire un tact exercé toujours avec volonté, c’est surtout à lui que doivent se rapporter les grandes inégalités qu’amène dans la puissance de ce sens la mesure dans laquelle on l’em- ploie. Bien que la pratique de la vie la plussimple mette en jeu le toucher, etne permette pas qu’on laisse ce sens tout-à-fait oisif, on peut par plus ou moins de cul- ture lui faire acquérir une plus ou moins grande per- fection. On voit, par exemple, des aveugles discerner les couleurs au toucher, et cela par la très-légère diffé- rence des impressions que font sur la peau les imper- — _ les & SENS DU TACT ÆT DU TOUCHER. 289 ceptibles inégalités de la surface des corps colorés. Les sourds-muets comprennent ce qu'on paraît écrire sur leur : dos. On a conservé les faits bién remarquables du sculpteur Ganivasius , qui, devenu aveugle, continua de pratiquer son art avec succès, se guidant par le tou- cher ; de ’antiquaire Saunderson ; qui, aveugle aussi, distinguait néanmoins par letactune médaille vraie d’avec une fausse ; de l’aveugle-né de Puiseaux , qui exécutait les ouvrages des doigts lesplus délicats , etc. Nous n’avons pas besoin d’expliquer pourquoi ce sont surtout des aveugles qui offrent ces exemples de toucher si exquis; c’est que , privés. d’un sens , la nécessité les a contraînts d’exercer d’autant:plus ceux qui leur restent; et il ést de fait quelles sens dela vue et du toucher s’associent comme faisant apprécier. également la figure des corps; maïs où “concoit que par l'exercice tout autre homme ferait ac- quérir à son touchér une semblable délicatesse. Du reste, dans ces heureux effets, la culture a porté autant sur les facultés de l’esprit ae sur le sens du toucher (lui- même. $. II. Sens du Goût. Le sens du gout est celui qui donne la notion de la qualité des corps qu’on appelle sapidité. I n’est encore qu’un toucher, mais plus délicat , et qui fait apprécier une qualité plus intime des corps. Plus local déja puis- qu'il est borné à la petite étendue de la surface supé- rieure de la langue , son histoire sera partagée en trois parties ; étude physique des saveurs , c’est-à-dire de l’éx- citant extérieur qui, par son contact ; produit l’action d'impression ; étude de la structure de organe du sens; ététude de l’action de cet organe. I. 19 - ‘290 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ: 1° Des Saveurs. {Lemot saveur ne deyrait, à la rigueur, exprimer que la sensation particulière qu’un corps sapide produit par son application à l'organe du goût. Mais on l’emploie aussi pour désigner, ce qui ; dans un corps quelconque, est la cause de sa qualité sapide. En ce sens, la saveur est la molécule intégrante du corps sapide ‘lui-même; car c’est cette molécule qui agit sur l’organe, et lui fait développer l’action d'impression qui est la base de la sensation. Il en est, én effet , dans le sens du goût comme dans.celui du tact ;. le corps extérieur , que ce sens fait juger, est dans un contact immédiat avec son organe. Une première question qui se présente est de savoir si cette molécule du corps sapide qui , par son applica- tion. à l’organe du goût, y fait naître l'impression sensi-" a Lorg 5 tive , est un élément unique et spécifique des corps ; ou seulement une de leurs molécules. intégrantes. L’an- ciénne chimie professait la première opinion; mais, aujourd’hui, on admet la dernière ; on se fonde sur ce qu’il faudrait reconnaître autant d’espèces de principes sapides qu’il y a d'espèces de saveurs ; et , sur ce que ces saveurs, si elles avaient constitué un principe spécifique , auraient dà présenter au moins dans les divers corps sapides quelques caractères généraux et communs. :, On a recherché ensuite à quelle circonstance la mo- lécule intégrante d’un corps sapide devait de faire ainsi impression, sur l’organe du goût. Les uns ont fait con- sister cette circonstance dans la forme decette molécule, et, par suite, ont rapporté la diversité, des saveurs à la diversité de figure {des molécules des, corps. Ainsi, la figure des molécules était-elle arrondie? la saveur était SENS DU GOUT. 294 douce ; cette figure était-elle anguleuse ? Ja saveur était piquante , etc. Mäis on ne peut saïsir aucun rapport cons- tant entre la forme des molécules des corps et leur saveur; un même sel, et qui, conséquémmenit , à tou- jours la même saveur, souvent cristallise de plusieurs manières ; les sels, quoique dissous dans l'eau, conti- nuent de manifester la saveur qui léur ést propre , etc. Les objections contre cette première opinion sont véri- tablement: insurmontables. D’autres ; avec plus de raison, ont rapporté la cause de la sapidité à la nature chimique des corps; et alors mille hypothèses ont été proposées, selon le degré de perfectionnement de la chimie; l’on a rapporté tour à tour la qualité sapide à la présence d’un principe , sel , ou acide , ou igné, Tout cela est vain ; ilfaub ävouér que dans l’état actuel de la science, on ne sait pas à quelle condition physique ou chimique un corps doit d’être sapide. | Il résulte de là que l'expérience est le seul moyen que ñous avons dereconnaîtreles corps sapides ; on ne peut les juger tels à priori. À cet égard , tous les corps extérieurs se partagent en trois classes: les sapides qui font impres- sion sur l'organe du goût; les snsipides qui n’affectent pas cétorgane , etles savoureux qui font sur lui une forte impression, On avait établi que les corps étaient d'autant plus sapides , qu'ils avaient plus de solubilité; mais cette assertion n’est pas absolue; ilest des corps insolubles qui ont une saveur prononcée , et d’autres très-solubles, qui sont à peiné Sapides. Encore une fois, la sapidité des corps tient à un rapport des molécules des corps avec l'organe du goût , et on ignore en quoi consiste ce rapport et quelle est sa cause. Les saveurs sont innombrables; car, d’une part, elles 19* 292 | FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. sont aussi diverses que le sont les corps sapides eux mêmes, tant ceux.que la nature présente tout formés , que ceux que l'art peut créer par d’heurenses combi; naisons ; et, d'autre part , elles varient autant que les or- ganes du goût eux-mêmes dans la série des animaux , non- seulement d’espèce à,espèce, mais encore d’individu à individu. Pour énumérer toutes les saveurs, il faudrait , 1° avoir goûté tous les corps de Ja nature, et même toutes les combinaisons que l’art peut en faire ; 2° l'avoir fait dans toutes les. conditions variées que le sens du goût peut présenter , non-seulement dans chaque espèce animale , mais encore dans chaque individu , selon l’âge, le,sexe , le tempérament, l’idiosyncrasie , l’état de santé de maladie , l’assuétude , etc. Combien dès lors doivent être insuffisantes toutes les classifications des, saveurs. qui ont.été proposées par les auteurs! Galien ; par exemple, en comptait huit prin- cipales: l’austère, V'acerbe , Vamer , le salé, Vâcre., Va- ide, le doux et le gras: Haller , douze, le fade, le doux, V'amer, l'acide, l'acerbe ,l’âcre , lesalé,V'urineuæx, le spiritueux , aromatique , le nauséeux et le putride. Linnœus , qui.les opposait entre elles , les partageait en douces et âcres, grasses el styptiques , visqueuses et sa- lées , aqueuses et sèches ;'et il en signalait dix, le doux, l’âcre , le gras, le styptique, V'amer , l'acide, le mu queux, le salé, l'aqueux et le sec. Selon Boërhaave , les saveurs, sont, ou primitives, comme l'acide, le doux, l’amer, le salé, l’âcre , l’alkalin,:le. vineux , le spiritueux, l'aromatique , l’acerbe ; ou composées , c’est: à-dire résultant de l’association , de la combinaison des saveurs primitives. Tout cela est nécessairement et ne peut être qu'incomplet; car il est toujours possible de RE Te SE SENS DU GOUT, : l 209 signaler chaque nuance , en créant pour elle un nom qui la désigne , et d'augmenter ainsi indéfiniment le nombre des saveurs. La seule distinction qu’on puisse faire des saveurs est cellé qui les partage ‘én agréables et en désagréables ; tout en reconhaïssant encore qu’il n’est pas plus possible de savoir pourquoi une saveur est agréable ou désagréa- ble , que de savoir pourquoi un corps est sapide ; tout en avertissant que ce rapport d'agrément ou de désagré- ment que présente une saveur ;né doit s’entendre que d'une espèce animale déterminée, souvent même que d’un individu , et de cet individu dans une condition don- née. Qui ne sait, en effet, que: tel corps dont là saveur ést'jugée agréable par tel animal}, est désagréable à un autre änimal ; et que, sous ce rapport ;schacun est or- ganisé de manière à avoir relativement au sens du goût; des sympathiés et des’ antipathies spéciales ? Iién':est dé ‘même entre les individus d’une même espèce : chez les hommes ,. par exemple, la saveur qui plaît à l’un, répugne à un autre. Enfin, cela varié dans un même individu , selon la condition dans laquelle il se trouve : la saveur qui , dans un âge était récherchée , est sou- vent repoussée dans un autre ; une. saveur , que état de santé fait j juger désagréable , és Souvent Re dé- licieuse par l’état de RUES , el vice Dersà ; l’habi- tude : selon son degré, fait juger tour ‘at tour agréable ou désagréable une saveur qui, primitiveniént avait déplu, ou avait été recherchée. Certainerent le secret de ces sympathies et antipathies originelles s ou acquises , réside dans l’ organisation intime du EP du goût ; mais ilest, et bent il sera toujours Pre de le pénétrer. Nous ne pouvons, du reste, définir aucune de ces 204 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. nombreuses saveurs ; toute sensation ne peut être repré- sentée par le langage; on ne peut qu’en rappeler le sou- venir à ceux auxquels on parle , s’ils l'ont jamais éprou- vée ; et, dans le cas contraire , il est à jamais impossible de leur en donner une idée. De même, qu’on avoue n'avoir aucun moyen de faire connaître les couleurs à un aveugle de naissance , de même, il est impossible d'exprimer ce qu’est une saveur en général , ni ce qu'est chaque espèce de saveur en particulier. Chacun a bien le sentiment de ses propres sensations; maisil ne peut les peindre aux autres, qu’en leur rappelant le souvenir de celles qu’ils ont éprouvées ; et par la même raison ; nous ne jugeons des sensations des autres que d’après notre manière de sentir, C'est pour cela que ; ne pouvant goûter par la langue d’un autre animal, il est peut-être mille saveurs que percoivent les animaux , et qui nous sont inconnues; et, c’est ainsi que, pour tous les actes de Ja sensibilité, nous sommes renfermés dans les limites du moi. Le 2° Anatomie! de l’organe du Goût. L’organe du goût chez l’homme, et chez les animaux qui sont rapprochés de lui, est la langue, ou mieux la membrane nerveuse , qui est située à la face supérieure de cet organe musculeux. Peut-être aussi que les lèvres , la membrane palatine, l'intérieur des joues, quelques points de l’intérieur de la bouche, jouissent un peu de la fa- culté d'effectuer le goût; du moins on cite quelques ob- servations de personnes qui, ayant perdu la langue par accident , avaient néanmoins conservé Ja faculté du goût. La langue, considérée dans la généralité des animaux vertébrés , est un corps musçuleux plus ou moins consi- SENS DU GOUT. 209% dérable , situé dans la bouche, qui revêt ou prolonge la première des pièces médianes qui composent la série inférieure des os du squelette , l’hyoïde , et sur la surface supérieure duquel est étalé la membrane qui est le siége du goût. Elle est généralement formée de deux parties; l’une postérieure , dans la composition de laquelle entre toujours l’os hyoïde; et l’autre antérieure, exclusivement musculeuse , quiest plus ou moins développée ,et qui est la langue proprement dite. Mais ces deux parties sont souvent en rapport inverse l’une de l’autre , c’est-à-dire que lorsque l’une est très-développée , l’autre l’estmoins,; etvice versà. Comme c'est surtout sur la partie antérieuré qu'est étendue la membrane gustative ; cette partie anté- rieure compose, presque àelle seule , la langue chez les animaux qui ont le goût exquis ; et, au contraire; chez ceux qui n’ont pas le sens, elle manque tout-à-fait, et l'organe est réduit à sa portion hyoïdienne. L'homme est dans la première de ces catégories ; chez lui , la langue, très-développée dans sa partie antérieure ; fort peu dans sa partie postérieure, consiste en une masse musculeuse , ayant la forme d’une pyramide .allongée arrondie en pointe mousse en ayant, large .et'comme tronquée en arrière; renfermée dans la première cavité de l'appareil digestif, dans la bouche; et qui, située sur le plancher inférieur de cette cavité, y adhère par sa base et par une partie de sa face inférieure. Libre, en effet, à sa face supérieure, sur laquelle est étendue la membrane qui est le siége du sens; libre encore à.sa pointe ; la langue , au contraire , adhère : 1°par sa base, d’une part à l'os hyoïde, sur lequel elle repose, et qui l’entraîne en ses mouvemens; d’autre part à l’épiglotte, par trois replis de la membrane muqueuse, de la bouche; 296 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. 9° par sa facè inférieure , à la’ paroi inférieure de Ex - bouché! 26 le repli dé là membrane muqueuse de Ia bouche ; qu’on appellé Je fréin dé l& langüé d’üne part. ét d’autre part, par des muscles , les génio - glosses en avant ; et les hyo-glosses en arrière. K faut étudier ‘dans la langue la partie musculeuse qui en fait le corps, et là mémbrane qui est étalée à sa‘surface. supérieure, ét $ est spécialement Porgane du goût. gd 1° La première est fofmée de muscles, “qui, depuis M alpighi , sont partägés én ettrinsèques èt intrinsèques. Les muscles extrinsèques ont été nommés ainsi, parce qu'ils paraissent moins former la ligue, qü’aboutir à cet organe, pour en mouvoir la totalité. On en reconnaît trois: le stylo-glosse, dont les fibres sont étendues obli- quement d’arrière én avant, et de haut en bas, depuis l'apophyse styloïde du temporaï, jusqu'aux bords de la langue ; lPhyo-glosse , dont les fibres se portent, vertica- lement de bas en ‘haut, des branchés de Fhyoïde aux bords: de la lingüé, et qui, à cause dé sa triple inser- tion à l'hyoidé'; ‘était jadis divisé en trois muscles : le basio-glôssé le grand kérato-glosse et le petit kerato- glosse ; enfin , lé génio-glosse, qui, de l’apophyse géni de l’os maxillaire, va, par des fibres divergentes , aboutir à toute la face inférieure de la langue. Quelques-uns en spéeifient encore un quatrième, le mylo-glosse , qui, de la païtie la plus reculée de l’arcade alvéolaire de Fos maxil Jaire , va se terminer à la partie postérieure de la langue. Les muscles intrinsèques , au contraire , sont ceux qui forment spécialemént la langue, et produisent ses mou- vémens partiels : long-temps on les a fait consister en fibres musculaires entrelacées entre elles d’une manière SENS DU GOUT. 397 inextricable , dirigées dans tous les sens, en long, en travers, obliquement, verticalement, et formant ainsi uné masse où tout était confondu. Lesanatomistés ne spé- cifiaient , sous le nom de muscle lingual , qu’un seul fais- ceau apparent à la face inférieure de Ja langue et sur le côté, étendu d’arrière en avant, entre le stylo-#losse ét l’hyo-glosse, qui sont en dehors, et le génio-glosse , qui est en dedans. Mais, récemment, quelques anato- mistés disent être parvenus à démêler ce tissu én appa- rence inextricable : MM. Gerdy êt Blandin , aides d’ana- tomie à la faculté de Paris, et M. Baur, professeur à Puniversité de Tubingue. Lé prémier signale, outre le faisceau lingual , depuis long-témp$ admis, un muscle lingual superficiel , un lingual transverse, un lingual vertical et des linguaux obliques ; plus , un tissu jaunâtre particulier, qui seul forme l'organe à sa base. M. Blandin, outreun plantransversalet un plan longitudinaldistincts, a vu sur la partie moyenne de la langue ; au milieu de son tissu propre, une sorte de raphé-fibro cartilagineux, placé de champ dans la langue, donnant insertion sur ses deux faces aux fibres transverses de l'organe , et se continuant énarrière avecune membrane fibreuse, qui à la forme d’un croissant, et qui unit la langue au corps de l’hyoïde. Cette partie lui paraît être la portion hyoïdienne de l’organe, Panalogue du prolongement osseux ou cartilagineux que présente l’hyoïde dans la langue de certains animaux, les oiseaux, par exemple. Toutefois, c’est à cette première partie de la langue que cet organe doit de pouvoir , non-seulement se mou- voir en totalité, se porter plus ou moins au dehors de la bouche et dans tous les points de cette cavité, mais encore se mouvoir partiellement, se rouler sur elle- 298 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. même , se creuser en gouttière, etc. Une grande mobi- lité devait être donnée à cet organe , que la nature a fait en,même temps siége du goût, et instrument de masti- cation et de déglutition des alimens, d’articulation des sons, de sputation, etc. Gette première partie de la langue est, à la seconde, c’est-à-dire à la membrane qui en revêt la face supérieure, un appareil musculaire ‘analogue à celui que nous avons dit être annexé à tout organe de sens, pour qu’il puisse être à volonté soustrait ou appliqué au contact de l’excitant extérieur. 2° La seconde partie de la langue, et celle dans la- quelle réside spécialement le sens du goût , est la mem- brane qui en revêt la surface supérieure. Cette mem- brane a une assez grande analogie de texture avec la peau, Elle est aussi composée de deux feuillets : 1° un extérieur, épidermoïque, formé par la concrétion d’un suc que sé- crète le feuillet profond , et qui remplit l'office d’un vernis qui abrite les papilles de la langue , etrenferme le contact dans la mesure convenable; il est beaucoup plus mince que celui de la peau, et à peine apercevable; 2° un plus interne, qui est l’analogue du derme , et qui forme spé- cialement le corps de la membrane. Les anatomistes ont émis , sur la texture de ce second feuillet, des opi- nions aussi diverses que sur la texture du derme de la peau; la plupart aussi l’ont dit formé de trois couches superposées les unes aux autres ; savoir, profondément un chorion, assemblage de fibres albuginées, formant le canevas solide de la membrane, et laissant passer à travers mille trous qu’il présente , les vaisseaux et les nerfs qui vont au-delà de lui former les autres couches ; ensuite , immédiatement sur ce chorion, un corps, pa= pillaire, assemblage de papilles formées par les der- ‘SENS DU GOUT. 299 nières exirémités des nerfs du goût, et qui serait la par- tie de l’organe qui développerait l’action d'impression : enfin, un corps muqueux , qui est, comme à la peau, ou un mucus qui recouvre les papilles, ou un entrela- cement de vaisseaux, laissant entre eux des aréoles que remplit un fluide albumineux , que concrète la chaleur, et duquel dépend la couleur de la langue. Ce corps muqueux cependant , n’est guère qu’en vestige chez l’homme ; mais il est fort épais dans la langue des qua- drupèdes. C’est, comme on. voit, la distinction des mêmes élémens qu’au derme. D’autres, au contraire, nient. cette superposition de trois couches distinctes, et veulent que ce second feuillet ne soit qu’une seule trame, dont le fond est formé de filamens celluleux assez denses, et àla surface de laquelle viennent se disposer en pa- pilles ; les dernières extrémités des nerfs et des vaisseaux. Quoiqu'il en, soit de cette double opinion, c’est la con- sidération des papilles qui intéresse surtout. Sans doute, comme à la peau , ces papilles sont formées principale- ment par les dernières extrémités des nerfs; mais leur ténuité est telle , qu'il est difficile de voir comment ces dernières extrémités des nerfs s’y disposent. On dit généralement qu’ellesse sont, avec les dernières ramif- cations des vaisseaux exhalans et absorbans , groupéesen pinceaux , en pénicilles, agglomérées en petits mame- lons , à l’aide d’un tissu spongieux susceptible d’érecti- lité, D’après leur forme, on en distingue de deux sortes ; 1° celles dites coniques ou pyramidales , parce qu’elles sont plus larges à leur base qu’à leur sommet. Elles se montrent en petites aspérités sur toute la surface supé- rieure de la langue , depuis sa pointe à sa racine , ser- rées les unes auprès des autres , comme les soies d’une 300 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. brosse ; 2° celles dites fungiformes ; parce que leur some, met s’élargit en champignon ; moins nombreuses que les premières , celles-ci sont éparses parmi elles ; et ras: semblées au bout de la langue. Ælbinus en ädmettait encore d’autres ; sous lé nom de fi iliformes ; mais il n°y a à que des variétés de forme , et toutes ces sie ont au fond la même nature. Une difficulté, quin’est pas moins grande que celle qui est relative à la structure intime dé’ées papilles , est de savoir quel nerf cor é concourt à leur formation ; et par là mérite d’êtré appelé lernerf du goût. Il y à controverse à cet égard , parce qué plusieurs nerfs se distribuent à là fois à la langue ; savoir, lé nérf lingual de la cinquième paire ;‘le nerf grdnd Hpéglôbe dé le glosso - pharyngien ; et même quelques filets venant du maxillaire supérieur ; du ganglion sphéno -palätin , et du ganglion décrit par Scarpa sous le nom de nés palätin. Galien, Vésale, Willis, Haller | etc. , ont regardé le nerf lingual comme le nerf spécial du goût , et n’ont considéré les autres nerfs que comme lés nerfs moteurs de la langue ; ils’'se sont fondés sürtout sur la distribution respective de ces nerfs , lé premier leur ayant paru aboutir plus spécialement aux papilles, etles autres au corps charnuet musculeux de la langue. Quel- ques Modernes ontajouté, à appui de cette opinion, que le nerf grand hypoglosse n’existe pas chez les poissons , animaux qui cependant paraissent avoir évidemmentle sens dugoût. Boérhaave, au contraire , présente le nerf grand hypoglosse comme étant le nerf du goût, et le lingual et le glosso-pharyngien comme étant simplement des nerfs moteurs ; etil se fonde sur ce que le nerf du goût doit être nécessairement un nerf spécial , ce que ne peut SENS DU GOUT. 301 être le nerf lingual , qui dérive d’un nerf qui se distri- bue à la fois aux sens de la vue, de l’odorat , du goût , et et à la face , et ce qu'est au contraire le grand hypo- glosse , qui d’ailleurs est plus gros que le nerf lingual, Jusqu’à présent , ni l'inspection anatomique , ni les expériences , ni les observations pathologiques , ni l’ana- tomie comparée, n’ont pu faire résoudre cette difficulté, Il est bien vrai que ceux qui ont pu suivre les nerfs jus- qu’à leurs ramifications dernières , disent avoir vu le nerf lingual se distribuer plus particulièrement aux pa- pilles , et les autres nerfs au tissu musculeux de la langue : mais , indépendamment de ce que d’autres nient qu'il soit possible de suivre les filets nerveux au- delà de leur arrivée dans l’organe , les premiers anato- mistes conyiennent. eux -mêmes qu’en même temps que le nerf lingual fournit aux papilles , il se distribue aussi aux fibres musculaires ; que le nerf grand hypoglosse four- nit aussi.quelques filets aux papilles ; et qu’enfin tous ces nerfs établissent dans le tissu de la langue les plus fré- quentes anastomoses. Dans les expériences, on a vu la section de l’un et de l’autre de ces nerfs, entraîner éga- lement la perte ou l’affaiblissement du goût. Il en a été de même dans les observations de maladies qui consis- taient dans des affections de ces nerfs. Enfin , dans tous les animaux qui ont une langue , les trois nerfs s’y ren - dent ; et, par exemple , bien que probablementles pois- sons, qui ne font qu'avaler leur proie sans la mâcher , aient le sens du goût fort obtus , ils ont, comme tous les autres animaux , le nerf grand hypoglosse. La question n’est donc pas encore résolue. De nos jours, on croit plus généralement que le nerf du goûtest le lingual. On fait remarquer que l'union de cenerfavec 30% FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. les autres rameaux de la cinquième paire , n'empêche pas , d’après l’idée qu’on se fait aujourd’hui de la com- position des nerfs, de le considérer comme un nerf isolé. On invoque une expérience de M. Richerand, qui a re- connu , par le galvanisme , que ce nerf était moins mo- teur que les autres. On argue enfin , de ce que, parmiles nerfs encéphaliques , le nerf de la cinquième paire est le premier qui se montre dans les animaux , comme le goût est le premier dessens spéciaux qu’on observe.On remarque que ce nerf consiste d’aborduniquement dans le rameau lingual; et que généralement son volume-est en rapport dans les animaux, avec celui de l'organe du goût et de l'appareil masticateur ; qu’ainsi , il est assez petit proportionnellement chez l’homme. Mais tout cela ne constitue pas une démonstration absolue ; et, par exemple , si, dans l'expérience de M. Richerand , les nerfs grand hypoglosse et glosso-pharyngien ont le mieux répondu aux excitations galvaniques , il n’en résulte pas que ces nerfs ne soient que des nerfs moteurs , et né contribuent en rien à la sensation du goût. M. de Blain- ville conjecture que le sens du goût n’est peut-être encore ni assez spécial , ni assez peu étendu , pour n'avoir qu’un système nerveux isolé; et qu’ainsi les trois nerfs de la langue servent également au goût , de même que les différens nerfs de la peau, qui pro viennent de paires multiples , servent également au tact. Selon que l'appareil membraneux d’un sens à, dit ce savant , plus ou moins d’étendue , un plus ou moins grand nombre de nerfs doivent y aboutir pour en for- mer les papilles. On se rappelle en effet que, parmi les ganglions qu'il a affectés dans la masse encéphalique aux organes des sens’, il n’en est aucun pour l'organe du SENS DU GOUT. 503 goût, à ia différence des sens de l’odorat, de l’ouie et de Ja vue. : Toutefois, telle est là membrane qui revêt le corps charnu de la langue , et qui est spécialement l’organe du goût. Tout-à-fait confondue par sa face interne avecletissu musculaire sous-jacent, elle a toute la solidité qui lui per- met de supporter un contact immédiat. Gomme la peau, elle est, par sa face libre , le siége d’une perspiration, et apte àeffectuer une fonction d'absorption. Comme elle, elle contient dans son épaisseur de nombreux follicules sé- crétant un mucus destiné à la lubréfier. Ces follicules se montrent en petites aspérités à la surface de la langue ; on . lés a dit aussi des papilles , et on les à appellés papilles à calice ; maïs cette expression est impropre , comme assimilant des parties qui diffèrent par la strûcture et par les usages. Ges follicules abondent surtout à la base de la langue, où , réunis au nombre de 9 à 10 , ils sont placés les uns par rapport aux autres, de manière à fi- gurer un V, dont la pointe est tournée vers le pharynx. Ils aboutissent en grande partie à un trou unique, situé en arrière de la langue, sur la ligne médiane, appellé trou aveugle de Morgagny, lacune de la langue. La ressemblance de cette membrane avec la peau est dans quelques animaux , portée au point qu’il y a production * à sa surface de poils ou d’étuis cornés qui recouvrent les papilles; ce derniér fait, par exemple , s’observe dans les chats. Rien de tout cet appareil n’existe à la face in- férieure de la langue , où le tissu musculeux n’est revêtu que par la membrané muqueuse commune à toute la bouche. Voilà l’organe du goût. Ajoutons que la cavité de la bouche , les deux mâchoires qui forment cette cavité. 30/4 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. les diverses glandes qui l’avoisinent , pourraient encore être indiquées comme des dépendances de cet organe. La cavité de la bouche en effet recoit le corps sapide, et le maintient.en contact ayec la langue; les mâchoires , en se mouvant, triturent ce corps , et le mettent dans les conditions physiques , sinon indispensables , au moins les plus favorables pour qu’il atteigne mieux les papilles. | Enfin, les sucs perspirés par la membrane muqueuse de la bouche , ceux qui sont fournis par les follicules de cette membrane , et surtout la salive , liquéfient la molé- cule sapide , et la font pénétrer plus facilement jusque dans la spongiosité de la papille. Mais l’histoire anato- mique de ces parties appartient plus spécialement à la | digestion ; et les notions générales qu’on en possède suf- firont pour entendre,le mécanisme de la gustation. 39 Mécanisme du Goût. A La cause de l’action d'impression est dans le goût, comme dans le tact, le contact d’un COrps étranger ; et il n’y a rien de diflicile à concevoir non plus dans la manière dont se fait ce contact. Le corps:sapide est porté à la bouche , qui s’ouvre pour le recevoir ; et, par cela seul, ce corps est mis en contact avec la membrane qui est le siége du sens, et que nous avons dit occuper la face libre et supérieure de la langue. Faisons remarquer, à cet égard, que la langue étant située dans une cavité qui est d'ordinaire fermée , et dont l'accès n’est permis que par une volonté expresse, le sens du goût est de tous les sens celui qui dans son exercice est le plus dé- pendant de la volonté. En effet , le sens du fact est bien moins volontaire; son organe étant tout-à-fait extérieur ; à SENS DU GOUT. 305 e’est souvent malgré lui que des corps viennent J’im- ressionner. Il en est de même des sens de l’ouïe et de lodorat, dont les organes à la vérité sont plus inté- rieurs , mais aboutissent au dehors par des ouvertures "qui sont constamment béantes , et qui, conséquemment permettent en tout temps , et même contre la volonté , l'accession des ondes sonores et des molécules odoran- tes. Enfin , il en est de même encore du sens de la vue: l'organe de celui-ci a bien à la vérité , dans les paupières, un appareil qui laisse libre ou découverte, selon le be- soin et notre volonté, sa surface antérieure ; mais comme l'emploi de ce sens est réclamé , dès qu'il y a veille, il “’ensuit que les paupières sont bien plus souvent ouver- tes que ne l’est la bouche , et que, par conséquent, l’œil est encoregplus exposé que la langue à recevoir le contact de son excitant spécial. Toutefois, le corps sapide étant ainsi appliqué à la surface supérieure de la langue, aussitôt la membrane nerveuse qui y est étalée se livre au mouvement propre qui constitue l’action d'impression , absolument comme cela était dans le tact. Seulement, il faut que le contact soit un peu prolongé, sinon la membrane de la langue n’est pas provoquée à agir; on sait que , lorsque les sub : stances que nous mangeons Ont une saveur qui nous ré- pugne , nous nous hâtons de les avaler , afin que, restant peu de temps sur la langue, elles ne fassent pas impres- sion sur elle. À l'égard de ce contact du corps sapide, on a pensé que , pour qu'il ait lieu , il fallait constamment que le corps sapide fût liquéfié. On a généralement pro- fessé que le goût , qui était destiné à nous faire connaître | une qualité plus intime des corps, exigeait que ces corps | fussent préalablement réduits en liquide. De là, l'avantage à: 20 5c6 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ: j pour la gustation : 1° de la mastication qui brise le corps sapide , s’il est solide, et isole les unés des autres ses molécules intégrantes , que nous avons vu être ce qui agit spécialement sur le sens. 2° Des nombreux sucs, qui, affluent dans la bouche, et qui liquéfient ces molécules " intégrantes sapides , et les font parvenir jusqu’à la partie nerveuse qu'elles doivent impressionner. Cependant cette assertion ne doit pas être prise en toule rigueur, sinon pour l’homme , au moins pour la généralité des animaux ; , il est quelques-uns de ceux-ci qui goûtent sans liquéfier préalablement le corps sapide, les oiseaux , par exemple ; ces animaux ont le bec corné , la langue sèche, ct ce- pendant ils goûtent, puisqu'ils font un choix parmi lesh graines qu'ils mangent. Voilà donc le contact du corps sapide eflectué . Alors l’organe du goût développe l'impression , qui portée au cerveau et perçue par lui, devient sensation de saveur. Cette impression n'est pas plus connue ici, qu'elle l’a été dans le sens du tact, qu'elle le sera dans tout autre sens; et nous ne pouvons que répéter à son égard ce " que nous avons dit de celle du tact. Elle est trop mo- léculaire pour que nos sens puissent l’apprécier , con- | séquemment pour que nous puissions la décrire ; ek elle ne nous est manifestée que par son résultat. Elle n’est en rien analogue aux actions physiques et chimi- ques, et dès lors doit être dite organique et vitale. On a prétendu , à la vérité, que cette action d’impres- sion consistait en une modification chimique qu'avait éprouvé le fluide nerveux dela papille ; et même , à cause de cela , on avait dit le goût un, sens chimique, par opposition aux sens du toucher, de l’ouie et de la vue, qu’on disait des sens mécaniques , faisant consister SENS DU GOUT. 60% leur mécanisme en un simple ébranlement du fluide nerveux ; mais ce ne sont là que des conjectures. Enfin, l'organe n'est pas passif dans sa production , et ne la recoit pas mécaniquement de l’excitant extérieur, mais . il la développe en vertu de son activité propre. Nous n'avons pas besoin de rapporter ici les raisons qui justi- fient chacune de ces propositions ; nous les avons données à l’article du tact. Ce sont les papilles qui exécutent ceite action d’im- pression. Toutes les autres parties de la membrane ne $ervent qu'à favoriser le contact, et le renfermer dans la mesure convenable. Le chorion donne à la membrane de la Rangue la solidité dont elle à besoin pour sup- porter impunément un contact. Les nombreux exhalans qui sont ouverts à sa surface , fournissent un fluide, qui tout à la fois, entretient l'humidité, la souplesse des papilles, et liquéfie le corps sapide. H en ést de même du mucus des follicules. Cependant celuï-er est plutôt relatif aux autres fonctions de la langue , comme d’invis- quer le bol alimentaire pour la déglutition, et de le rendre plus glissant : c’est ce que prouve la situation de ces fol - licules , qui , rares à la pointe et sur jes côtés de la langue, c’est-à-dire aux parties de cet organe les plus propres au goût, sont au contraire nombreux à sa base. L'espèce de spongiosité dans laquelle se termine le nérf, et où son extrémité se dispose pour former la papille, est très- propre à favoriser la pénétration du liquide chargé de la molécule intégrante sapide : la compare-t-on en effet à | une spongiosité ordinaire ? elle se laisse mécaniquement imbiber par le liquide sapide : est-elle formée de ce tissu | spongieux susceptible d’une dilatation active? Elle s’é- | rige en quelque sorte, se redresse dans l’acte de la gus- 20* 308 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. tation, et applique elle-même la pulpe nerveuse à Ia molécule sapide. Enfin, l’épiglossis remplit ici le même office que l’épiderme à la peau; il renferme le contact dans la mesure convenable : est-il trop épais ? le goût est obtus : est-il trop mince, ou enlevé par accident ? le contact est douloureux, et la saveur n’est pas perçue. On peut même indiquer les services des parties qui sont accessoires à l’organe du sens. La bouche est une cavité convenablement disposée pour maintenir le corps sapide dans un contact continuel avec la langue. La cir- conscription formée par les arcades dentaires des deux mâchoires, est, dans cette vue, heureusement com- plétée par la voûte palatine et les joues. Les mouvemens de la mastication servent à triturer le corps sapide, à séparer ses molécules intégrantes, de manière à ce qu’elles atteignent mieux la papille. La salive liquéfie le . corps sapide, et en fait pénétrer la molécule intégrante jusque dans la spongiosité de la papille. Enfin, la langue, par sa partie musculeuse , peut se mouvoir sur le corps sapide , le presser de manière à en exprimer la partie li- quéfiée; toutes circonstances qui influent sur la perfec-# tion du goût. Ainsi, dans cette action de gustation, l’on reconnaît encore, d’un côté l’action nerveuse et vitale de la partie fondamentale de l’organe du sens; et de l’autre , le ser- vice tout mécanique de l’appareil antérieur destiné à ik | appliquer le corps sapide à la partie nerveuse. Dans cet. | appareil antérieur , il y a tout à la fois des conditions propres à atténuer un peu les effets du contact, comme l’épiderme, et d’autres propres à faciliter ce contact, comme les divers sucs qui liquéfient la molécule sapide, et en empreignent la papille. “ SENS DU GOUT. 309 Du reste, le goût a surtout son siége à la partie de la langue où les papilles sont en plus grand nombre et plus développées, à sa pointe et sur ses bords. C’est là que se trouvent les papilles fungiformes. À mesure que lon avance vers la base de la langue , il devient de plus en plus obtus , et finit par disparaître tout-à-fait. [In’existe d’ailleurs qu’à la face supérieure de la langue; car cet organe en dessous n’est revêtu que par la membrane muqueuse qui est commune à toute la bouche. Gepen- dant, comme nous l’avons annoncé plus haut, la lan- gue n’en est pas peut - être tout-à-fait l’organe ex- clusif; il paraît siéger aussi un peu à la voûte du palais, aux lèvres, aux parties de la bouche qui reçoivent quelques rameaux des nerfs linguaux : on y voit, en effet, quelques papilles; et Ruisch même y admettait » un appareil papillaire semblable à celui de la langue. Cette dernière assertion est sans doute exagérée ; mais on cite des observations de personnes qui ont conservé le sens du goût après la perte de la langue. Roland, chirurgien de Saumur , dans une thèse.intitulée : Aglos - sostomographie , cite l'observation d’un enfant du Bas- Poitou , âgé de six ans, qui ayant perdu la langue à la suite de la petite-vérole , n’en avait pas moins conservé les facultés de parler , de cracher , de mâcher , d’avaler , etde goûter. De Jussieu fit voir , en 1718, à l’Académie des Sciences, une fille portugaise qui était née sans langue , et qui avait conservé aussi toutes ces facultés. Dans un temps où les blasphémateurs et les parjures x étaient punis par la mutilation de la langue , et subissaient us isupplice qui consistait à fixer à un arbre, à l’aide d'un clou , la langue du criminel , et àla percer , de part LM en part, avec un fer rouge , on a eu plusieurs occasions de faire la même remarque. 510 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. Il -paraîtrait que le système nerveux de l'organe du goûl se compose dans ses différens points de fibres ner- veuses particulières, ou du moins que les différentes régions de l'organe ont un mode de sensibilité particu- lier pour les corps sapides. Ceux-ci, en effet, agissent de préférence, tantôt sur la langue, tantôt sur le pha- rynx et le palais. Nous en dirons autant des saveurs qui laissent après elles dans la bouche ce qu’on appelle un arrière-goût. Gelui-ci peut aussi affectionner plus par- ticulièrement certaines parties de la bouche ; les corps âcres laissant une impression dans le pharynx , les acides sur Jes lèvres et les dents, etc. Cette particularité qu'a une saveur dese prolonger , empêche souvent que celle qui lui succède soit perçue ; et c'est un moyen dont on se sert en médecine pour dérober aux malades la saveur désagréable de certains médicamens. Elle est due, ou à ce qu’une partie du liquide sapide imbibe encore les papilles , ou à ce que le corps sapide a imprimé une striction particulière , a exercé un pre- mier degré d'action caustique irritante sur les or- ganes. , Telest le. goût. Quant à ses usages , sa fonction immé- diate est de donner la sensation des saveurs ; à cetégard , aueun sens ne peut le suppléer , et il Paccomplit sans avoir besoin d’un exercice antérieur , de Phabitude , du secours d’un autre sens, et dès que son organe a acquis le développement suflisant. Ses fonctions médiates où | auxiliaires sont nulles, ou au moins très-bornées ; il ne É fournit presque aucunes notions à l’esprit, età cause de , [. ge © SENS DE GOUT. 911 cela est dit, non un Séns dé l'intelligence, mais Un sens de la nutrition. Si l'on extepte, en eflet, les sécours qu'en obtiennent le chimiste ; lé minéralogiste dans l'étude des corps, ce sens sért moins l’esprit que le Corps. Chargé de préjuger les alimens dont nous usons, il est réelle- rent une sentinelle ayancée de la digestion. D'un côté, son organé est situé dans la première cavité de l appäreil disbotif, de manière que l’alimént doit forcément affeéter le sens au passage : les premiers actes de 14 digestion , tels que la mästication sans laquelle les alimens solides ne pourraient passer de la bouche dans l'estomac ; l’in- salivation et là déglutition, ne peuvent s'effectuer sans que la gustation n'ait lieu : de sorte que ce sont déjà autant de preuves que toutes ces actions Sont enchaînées dans un même but. D’uüun autre côté, la connexion la “plus intime unit le Soût à toutes lés parties de l'appareil digestif : ce sèns , par exemple , juge-t-il l'aliment désä- gréable ? aussitôt les mâchoires semblent se refuser à en opérer Rà mastication ; la sälive paraît se tarir , ét laisse là bouche dans un état de sécheresse peu favorable à la fonction ; le pharynx ; loin de se disposér à laï$ser passer l'aliment, se resserre , et l'estomac lui-même sémble éprouver d'avance dés nauséés , et se disposer à rejeter l'aliment &il arrive jusqu'à lui. L’aliment , au contraire, a t-il uné saveur agréable? là mastication s’en fait avec plaisir et sé prolonge, Ce qui réñd l'aliment plüs disposé aux mutations qu'il a à éprouver dans la suite dé Pap- pareil ; la salive coulé avec plus d’abondänce, le pharynx s'ouvre et s'élève comme pour aller au-devant de l’a- lient , et l'estomac lui-même semble se disposër à bien récevoir un aliment qu'il $aäit d'avance lui convénir. C'est surtout avéc l'estomac, organe principal de Îa 512 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. digestion, que le goût est uni. Ainsi, dans la série des animaux, généralement, le goût trouve une saveur agréable aux substances naturelles qui sont assignées pour alimens à ces animaux; et, au contraire , il trouve une saveur désagréable à celles qui sont réfractaires à l’éco- nomie digestive , et qui pour cela sont des médicamens. A cet égard , ie goût varie dans la série des animaux dans le même rapport que l'alimentation. De même, la faim signale-t-elle le besoin qu’éprouve l'estomac de recevoir des alimens ? Le goût est éveillé, disposé à agir; il s'exerce avec plus Fh vivacité et de jouissance ; les pa- pilles de la langue sont plus saïllantes. Au contraire, à mesure que la faim s’apaise, le goût se fatigue de ce qui lui avait plu d’abord. Une maladie atteint-elle l’es- tomac, et y empêche-t-elle le développement de la: faim , ou y fait-elle naître une faim pervertie ? le goût participe de ces états divers; ou il ne treuve aucune sa- veur aux alimens , les papilles de la langue sont allaissées , et la surface de cette membrane toute lisse ? ou bien , il trouve une saveur fausse aux alimens , indépendamment des erreurs qu’il peut devoir aux sucs muqueux mor- bides qui peuvent former un enduit à la langue. Rien ? : ? ns ve A . n’est donc mieux prouvé que l’usage principal du goût : et, remarquons en passant, combien est grande la bonté de la nature , qui pour nous contraindre à un acte qui: importe à notre conservation, y a attaché le caractère séduisant du plaisir, Il nous reste à indiquer quelle est la portée de ce sens dans l’homme, relativement à ce qu’elle est dans les animaux. Ce sens est chez nous assez délicat; car, d’an côté, la partie nerveuse de l’organe est assez dé- veloppée, les trois nerfs de la langue sont assez gros ; de J SENS DU GOUT. 3153 l’autre côté, l’appareil antérieur est convenablement disposé , les papilles sont spongieuses et assez mises à nu; la surface de la langue est sans cesse humectée de sucs qui sont toujours prêts à liquélier le corps sapide , et qui maintiennent souples les papilles ; l’épiderme n’est nitrop épais, ni trop mince, etc. On est même allé jusqu’à dire, à cause de cela , que Le goût n'était chez aucun animal plus parfait que chez l’homme. Sans doute beaucoup d’animaux lui cèdent sous ce rapport; les oi- seaux, par exemple, qui ont la langue cornée ; les pois- sons, qui avalent leur proie sans la mâcher; mais beau- coup aussi paraissent avoir un goût plus délicat; à juger du moins par la grande.étendue de leur langue,, le gros volume des nerfs qui y aboutissent, le grand développe- ment des papilles , la finesse de due Si dans au- cun la langue n’est aussi mobile que dans l’homme , cela nuit moins à la fonction du goût qu’aux autres fonctions " de la langue, à la parole , par exemple, Il est certain, au moins, que le goût est pour l'homme un guide moins sûr dans le choix des alimens que pour les animaux; tandis que ce sens est pour les animaux, un instinct con- servateur d'autant plus fidèle qu'ils sont plus inférieurs , ilest souvent trompeur dans l’homme; il faut dans cet être que l'intelligence apprenne sans cesse à reconnaître et à prévenir ses erreurs. IL semble que là nature ait voulu, sous ce rapport, comme sur tant d’autres , nous abandonner à nous-mêmes, se reposant sur l'intelli- gence dont elle nous a fait don, et voulant nous four- nir une nouvelle occasion d’en déployer la puissance. On concoit, du reste, que dans chaque espèce ani- male , et même dans chaque individu d’une même es. pèce, dans chaque home , les nerfs du goût ont une La 514 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. organisation spéciale qui détermine, non-seulement le degré de délicatesse du sens, mais encore le genre de savéur qui est trouvé aux différens corps sapides. On sait que telle substance qui est insipide pour tel animal , est, au contraire, sapide pour tel autre; que telle sub- stance qui à pour tel individu une saveur agréable, souvent en a une désagréable pour tel autre. Ainsi que nous l'avons dit, toutes ces différences tiennent à une organisation spéciale des nerfs du goût , mais qu’il nous est impossible dé caractériser; nous ne pouvons pas même les juger, car, pour ce qui est de tout acte de sensibilité, nous en sommes réduits à ce que nous éprou- vons nous-mêmes , et notre manière de sentir est le tÿpe auquel nous rapportons tout. Trois circonstances expliquent loutes les variétés que présente le goût dans les divers hommes : l’organisation spéciale des nerfs du goût, et qu'il nous est impossible dé spécilier ; la struc- ture plus ou moins heureuse de la langue, qu’il est plus facile d'apprécier; enfin , l’observance plus ou moins éntière de toutes les précautions d'hygiène propres à conserver la langue dans l’état le plus convenable pour l'exercice de sa fonction. Dirons-nous que le goût est comme tout sens, même plus que tout autre, dépendant de la volonté ? que paf conséquent il s'exerce de deux manières, passivement ou activement, et est passible de l’éducation? Dans l'exercice actif du goût , il y a d’abord action de l’appa- reil musculaire de l’organe , pour appliquer la partie sentante au corps sapide ; la partie musculeuse de lal1n- gue presse ce corps. sapide, l'enveloppe, pour que le contact soit en même temps le plus parfait possible, et dans le degré qui convient à la délicatesse de la 4 #. » SENS DU GOUT. 319 sensation. Ensuite , il y a érection de la papille ner- veuse qui exécute l’action d'impression. Par la culture, enfin, on fait acquérir à ce sens une délicatesse ex- trême. Quelle différence n’y a-t-il pas , entre le palais du simple habitant des campagnes et celui du volup- teux citadin ? Les gourmets vont jusqu’à percevoir plu- sieurs saveurs à la fois, jusqu’à analiser l’aliment com- posé dont ils usent. Il n’est pas rare de trouver dans notre Bourgogne méridionale des personttes qui, non- seulement , reconnaissent les vins de chacun des terroirs qui la composent, mais encore assignent la propriété particulière qui les a fournis , et l’année où ils ont été récoltés. Pour faire acquérir au goût ce degré de per- fection, il faut des soins , de l'étude ; d’un côté, éviter tout ce qui, mécaniquement , peut altérer l'organe , épaissir l’épiderme , par exemple ; de l’autre , exercer souvent, et avec mesure , le sens, et arrêter son atten- tion sur les sensations qu’il fournit. Certainement , on juge mieux une saveur à la septième ou huitième fois qu'on l'éprouve, qu'à la première; souvent un aliment qui avait paru peu savoureux d'abord , devient ensuite l'objet désiré de nos friandises. Si le goût acquiert moins vite de la perfection qu'un autre sens , et si l’on conserve moins la mémoire de ses sensations, c’est que généra- lement la faïm fait précipiter ses opérations, et que le bien-être qui résulte de l'introduction des alimens dans l'estomac vient se joindre à ses proprés sensations, ét y jeter de la confusion. Mais ces fuits ne contredisent pas la possibilité de donner à ce sens beaucoup de sûreté et de délicatesse par un exercice convenable , et tous les gourmets en feront foi. Chez l'enfant , il est plus avide que délicat; chez le vieillard , quelque importance que 316 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. celui-ci y attache, il offre, comme les autres. actions , l’empreinte de la vieillesse; l'adulte est, par d’autres goûts, distrait de ses impressions ; c’est dans l’âge mûr qu'il est le plus sûr, le plus exact, parce qu'on s’en oc- cupe davantage. -On conçoit bien qu'il ne faut pas en forcer l’exerciéc; on sait que ce sens se perd chez les personnes qui abusent des aromates, des épices, des alimens de haut goût. Du reste, tout ceci doit s’entendre autant des déterminations intellectuelles qui font suite au goût , que du goût lui-même. $. III. Sens de l’Odorat. Le sens de l’odorat, ou del’olfaction, est celui qui nous donne la notion de cette qualité particulière des corps, qu’on appelle leur odeur. Il n’est aussi qu’un toucher, mais encore plus délicat que le goût, puisqu'il fait ap- précier une qualité des corps encore plus intime que celle de la sapidité. Son histoire va comprendre les mêmes considérations, l’étude physique des odeurs, l'étude anatomique de l'organe du sens , et l’exposition du mécanisme de l’odorat. . 1. Des Odeurs. De même qu’on avait appelé saveur la molécule in- tégrante du corps sapide, la partie de ce corps sapide qui,..en impressionnant la langue, a été la cause de la sensation de saveur ; de même on a donné le nom d’odeurs à des molécules du corps odorant , à des particules qui, émanées de sa substance, vont impressionner le sens de l’odorat ; et sont la cause de la sensation d’odeur. Dans l’odorat comme dans le tact et le goût, c’est encore le ad SENS DU L'ODORAT. 317 corps extérieur lui-même qui est en contact avec la par- tie nerveuse. La seule différence, c’est que ce corps n’agit ici que par des émanations lancées au loin, et qu’ainsi l’odorat est un sens qui âgit à distance , tandis que le tact et le goût ne sont impressionnés que par les objets rapprochés. Walther , à la vérité, a émis l'opinion qu’un corps odorant n'était tel que par une force dynamique , ana logue à celle qui fait le corps sonore. Mais il est impos- sible de méconnaître que les odeurs ne soient des mo- lécules matérielles, lorsqu’on les voit être incarcérées dans des vases, retenues par le verre; lorsqu'on les voit se suspendre dans des liquides , ou aqueux , ou hui- leux, ou alcooliques, et qui alors manifestent leurs propriétés ; lorsque l’on remarque que chacune affecte une préférence pour l’un ou l’autre de ces dissolvans; qu'elles s’attachent de même à des corps solides, qui en deviennent odorans ; lorsqu'on les voit enfin mo- difier l’économie, en même temps qu’elles affectent l’o- " dorat. Qui ne sait, en effet, combien les odeurs agissent sur le système nerveux ? Plusieurs causent des migraines, des assoupissemens , des convulsions: Les molécules qui les composent peuvent même être saisies par les absor- bans, et aller exercer dans l’économie une influence alimentaire ou médicinale, On raconte que Démocrite se soutint pendant trois jours par la vapeur qui se déga- geait du pain chaud. Bacon cite l’exemple d’un homme qui put supporter une abstinence de plusieurs jours en .respirant l’odeur d’un mélange d’herbes aromatiques et alliacées. Boyle et Sennert disent que deux personnes ont été purgées pour être restées dans une chambre où l'on pilait de l’ellébore noir et de la coloquinte, 518 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ, Ainsi, les odeurs sont évidemment des particules éma- nées des corps odorans, et qui, dissoutes dans Pair, ou suspendues dans son sein, vont impressionner l'or- gane de Fodorat. MM. Bertholet et Bénédict Prévost ont même prouvé par des expériences directes. Le pre- mier a placé un morceau de camphre au haut du tube d’un baromètre entièrement rempli de mercure , et il a vu qu’au bout de quelque temps le mercure descendait , que le eamphre avait diminué, et qu'il était remplacé par un gaz odorant sans combinaison. Le second a vu qu’en placant à la surface de Feau de petits fragmens d’une matière odorante quelconque , ces petits fragmens se mouvaient subitement et en tournoyant avec une grande vitesse, ce qui était dû à une foule de particules qui émanaient de tous les points de leur surface; il s’est même servi de ce procédé, qu’il appelle oaoroscope, pour deviner quels corps sont odorans, et quels autres ne le sont pas. Mais , quelle eause fait ainsi émaner d’un corps quel- conque ces particules ? Est-ce un mouvement intes- tin dans le corps odorant , ou l’action dissolvante du ca- lorique sur ce corps? On a adopté cette dernière opi- nion , et on en a conclu que tout corps est odorant, parce qu'il n’en est point en effet dont le calorique ne puisse volatiliser quelques perties. T'héophraste l'avait avancé dès long-temps ; et l’on dit que le corps qui est inodore ne nous paraît tel, que parce que Les parti- cules qui émanent de lui, sont trop subtiles pour faire impression sur l’organe de l’odorat. On s’appuie sur ce: qu’il suffit de faire varier , par des circonstances exté- rieures quelconques, la quantité dans laquelle se fait la volatilisation des molécules d’un corps, ainsi que le vo- | SENS DE L'ODORAT. 951q ‘jume desces molécules volatilisées , pour que le corps, d’inodere qu'il était, devienne odorant. Il est certain que , par une chaleur artificielle , Fapplication de la lu- mière , le frottement , l'humidité, de nouvelles combi- maisons , l'électricité , la fermentation , l’état de l'air qui est le véhicule des odeurs , etc. , on développe la qualité odorante dans des corps qui ne la présentaient pas d’abord. Mais cette conséquence me paraît fausse ; ce n’est pas tout qu'un corps soit tel que le calorique puisse volatiliser quelques-unes de ses molécules , il faut encore que celles-ci soient de nature à impressionner l'or- gane de l’odorat; sinon, tout corps qui est volatil serait odorant , ce qui n’est pas. De même tout corps n’est pas sapide , parce qu'ilestsoluble ; de même tout corps n’est pas odorant, parce qu’il est volatil. IL faut de plus un rapport spécial entre la particule liquéfiée ou volatilisée , et les organes du goît et de l’odorat. Toutefois, les odeurs étant des molécules des corps, dissoutes , volatilisées par le calorique, et répandues dans l'air , forment autour de chaque corps odorant une atmosphère particulière , qui est d'autant plus chargée d’odeurs, qu’elle est plus rapprochée de ces corps. Tout corps odorant en projette en tout sens;et, comme on le conçoit, le rapprochement , la condensation de ces mo- lécules , influe sur l'intensité de l’impression qu’elles dé- * . terminent sur l’organe de l’odorat, Une fois dégagées par le corps odorant , ces odeurs se répandent dans l’atmosnhère , qui. en est le véhicule ; elles ne s’y comportent pas cependant comme la lumière ; leur mouvement, en effet , n’est ni direct ni rapide ; elles s’y propagent à la manière d’un fluide qui se mêle- rait dans un.autre ; elles flottent dans son sein, et, en 820 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. suivent toutes les impulsions. En général , si atmosphère” est immobile ou tranquille, la force des odeurs sera en raison inverse du carré de la distance. Du reste , il est parmi elles des variétés sur la distance à laquelle elles s'étendent. Comme les molécules matérielles qui les constituent sont très-divisées, en général elles sont très-dissolubles , et se propagent au loin; ainsi, un grain de muse suffit pour parfumer tout un vaste appartement. On rapporte que des vautours vinrent d’Asie sur le champ de bataille de Pharsale, attirés par l'odeur des cadavres qui y gissaient ; Boyle dit que l’on reconnaît , à vingt- cinq milles en mer , l'approche de l’île de Ceylan , par | l'odeur de cannelle qui s’en émane. Il est d’autres odeurs, au contraire, qui ne sont pas à un si haut degré disso- lubles dans l'air ; le parfum des roses, par exemple, se concentre autour du buisson qui porte les fleurs qui le dégagent. L'air est-il le seul fluide qui puisse être véhicule des odeurs ? long-temps on l’a pensé, plusieurs le pensent encore ; et même "à cause de cela , on a nié l’existence de l’odorat dans les animaux aquatiques , et particuliè- rement dans les poissons. Mais , les particules odorantes s’attachent aux corps solides ; pourquoi dès lors ne pour- raient-elles pas se suspendre dans des fluides ? Ne ren- dons - nous pas odorant #des fluides ? Il y a d’ail- leurs toujours de l'air incarcéré entre les molécules de l’eau , et cet air peut encore se charger des odeurs , et les porter à l'organe de l’odorat des poissons. Il est sûr au moins, que ces animaux sont attirés'de loin par les appâts odorans que nous mettons dans nos piéges ,. et qu'ils ont le nerf olfactique. Du reste, ces particules odorantes sont généralement SENS DE L'ODORAT. 321 d'une ténuité extrême : cette ténuité est souvent telle , que , quelle que soit la quantité de ces odeurs dégagées par un corps odorant , le poids de celui-ci n’en est pas changé. D’après des calculs de Boyle et de Nollet , 2 grains de musc se sont divisés en 22,658,58/4,000 mo- lécules , qui , à juger par ce nombre considérable, de- vaient être d’une ténuité excessive. C’est ordinairement le fait des odeurs que l’on cite en physique, pour prou- ver l’extrémedivisibilité de la matière. Cependant, quel- que ténues que soient ces molécules odorantes , elles le sont moins que les molécules lumineuses , puisque le verre , que celles-ci traversent , les retient. | C’est surtout relativement aux odeurs , qu’on s’est de= mandé si les particules qui les constituent forment un élément unique et particulier des corps, qu’on a ap- pelé arome, esprit recteur, ou si elles ne sont que les mo- lécules intégrantes du corps odorant qui ont été volatili- sées par le calorique et dissoutes par l'air. Long-temps on _professa la première opinion , et les corps devaient d’être odorans à un arome ou esprit recteur qui, selon les uns, était acide, et, selon les autres, huileux. Mais aujour- d'hui , on croit le contraire , et l’on se fonde sur ce qu'il faudrait admettre autant d'espèces d’aromes ou d’esprits recteurs , qu'il y a d’odeurs ; sur ce que ces odeurs , si | elles avaient constitué un principe unique, auraient dû | présenter au moins quelques caractères généraux et communs ; sur ce qu'on développe la qualité odorante dans un corps par des circonstances extérieures qui ne font que volatiliser quelques-unes deses parties, comme la chaleur , le frottement , etc. On a aussi beaucoup cherché la cause des odeurs ; c’est- à-dire , pourquoi les particules odorantesimpressionnent 1. 21 322 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. Vorgane de l’odorat. Les unsont accusé la figure de ces particules; mais elles sont si ténues , que la vue et le toucher , qui sont les seuls sens qui peuvent apprécier les figures, ne peuvent les apercevoir. D’autres l'ont fait consister dans la nature chimique de ces particules, mais sans pouvoir spécifier quelle est la composition chimique qui rend un corps odorant. Dans l’état actuel de la science , on ignore aussi à quelle condition physi- que ou chimique est due la qualité odorante des corps ; ét de là résulte que l’expérience seule fait juger quels corps sont odorans; on ne peut les dire tels à priori. À cet égard , tous les corps naturels sont partagés en odorans et en inodores : ceux qui sont odorans, le sont en mille degrés. Les odeurs ne sont pas moins nombreuses et variées que l’étaient les saveurs. Elles sont aussi multipliées qu'ilya, d’un côté , de corps odorans dans l'univers, et, de l’autre, d'espèces d'organes d’odorat. Or , les uns et les autres sont innombrables. Pour énumérer toutes les. odeurs , il faudrait : 1° avoir odoré tous les ; corps de la nature , et toutes les combinaisons que. l'art peut en faire ; 2° les avoir odorés dans toutes les conditions possibles que peut présenter l'organe de l’odo- rat dans chaque espèce animale , et dans chaque individu. On voit que cela est impossible. Que dire alors de toutes les classifications qu'on a faites des odeurs ? Les uns les ont partagées en anima des , végétales et minérales ; mais des odeurs analogues se retrouvent à la fois dans les trois règnes : l’odeur de muse, par exemple , est exhalée par la chair du crocoz dile, du rat musqué , la liqueur noire des poulpes, la sueur de l'homme quelquefois ; par quelques végétaux, L SENS DE L'ODORAT. 323 l'erodium moschatum , la rosa moschata ; et enfin, par quelques dissolutions d’cr,quelques terres dont on fait en Chine des théïères. Il en est de même de l’odeur de l'ail, quise retrouve à la fois et dans le végétal qui porte ce nom et dans l’arsenic que l’on brûle, et dans une espèce de crapaud. Nous pourrions citer bien d’autres exemples. aller, d’après la sensation plus ou moins agréable que les odeurs produisent , en faisait trois gen- res : les ambroisiaques ou agréables ; les fétides ou désagréables ; et les mixtes. Linnæus avait fait sept genres d’odeurs : les aromatiques , comme celle des fleurs d’œillet; les flagrantes, comme celle des fleurs de lis; les ambroisiaques , comme celles de musc, d’ambre ; les alliacées ; les fétides , comme celle du bouc ; les re- poussantes où vireuses, comme celles de la plupart des plantes de la famille des solanées; enfin, les nauséeuses. Il avait négligé les odeurs des substances minérales. Lorry en établissait cinq genres : les camphrées ; les narcoti- ques , les étherées , les acides volatiles, et les alkali- nes ; et, selon leur degré de ténacité, il les rapportait à un principe fugace ou fixe. Fourcroy les classait d’après la nâture chimique supposée des corps odorans , et en faisait cinq classes : les extractives ou muqueuses , les huileuses fugaces, les huileusesvolatiles, les aromatiques et acides, et les hydre-sulfureuses. Nous répétérons ici ce que nous avons dit à l’occasion des saveurs. D’abord, ces classifications ne peuvent être : qu'incomplètes; car, comme on peut toujours attacher un nom particulier à la moindre nuance d’odeur, on | peut toujours aussi augmenter indéfiniment le nombre Î des odeurs. En second lieu, la seule classification pos- : Sible des odeurs, est celle qui les partage en agréables 21* ÉETA FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. et désagréables ; bien entendu qu’on ne sait pas plus pour- quoi un corps à une odeur agréable ou désagréable, qu’on ne sait pourquoi il est odorant ; bien entendu encore que ce rapport d'agrément et de désagrément que présen te une odeur, varie, non-seulement d'espèce à espèce, d’individu à individu , mais encore dans le même in- dividu, selon les conditions diverses dans lesquelles ül peut être. Enfin, on ne peut pas plus définir les diverses odeurs que les saveurs; étant des actes de sensibilité , on ne peut aussi qu'en rappeler le souvenir aux per- sonnes qui les ont éprouvées, étant à jamais dans l’im- possibilité de les faire connaître à celles qui ne les ont pas reçues. 2° Anatomie de l’organe de l’Odorat. L'organe de l’odorat chez l’homme est une membrane nerveuse , analogue à celle qui est l’organe du goût, mais dans laquelle les papilles nerveuses sont encore plus délicatement disposées , parce que l’excitant qui doit les impressionner est encore plus ténu. Gette membrane appelée olfactive ou pituitaire ,est située à la tête aussi, dans une cavité osseuse creusée dans l'épaisseur de la face, et appelée fosse nasale. Cette cavité est ouverte en avant pour permettre l'accession dans son intérieur des molécules odorantes , et en arrière pour permettre, à l’air de la respiration qui la traverse , de parvenir au poumon. Son ouverture antérieure est recouverte par une espèce de chapiteau, qui est destiné à recueillir les molécules odorantes , et qu’on appelle le nez. De toutes ces parties qui composent chez l’homme l'organe de l’odorat, la membrane olfactive est la seule qui soit essentielle ; aussi souvent dans les animaux elle compose SENS DE L'ODORAT. 3295 à eile seule l’organe de l’odorat ; les autres ne sont que des pièces accessoires , qui ont été surajoutées successi- vement dans la série des animaux pour perfectionner le sens. 1° Fosse nasale. Gette cavité, creusée dans l'épaisseur de la face , est située au-dessus dela bouche , au-dessous du front , sur la ligne médiane, dans l’épaisseur de l’ap- pendice qui forme la mâchoire supérieure. Ses parois sont en partie osseuses et en partie cartilagineuses ; et elle résulte de l’assemblage de quatorze os ; savoir: le frontal , l’ethmoïde, le sphénoïde, les os propres du nez, les os palatins, susmaxillaires , unguis , les cornets inférieurs et le vomer. Sa forme est fort irrégulière ; elle est partagée en deux moitiés par une cloison médiane que forment la lame perpendiculaire de l’ethmoïde , le vomer et un cartilage. C’est même pour cela que l’on dit les fosses nasales , et non la fosse nasale. Chaque fosse a une forme quadrilatère , est plus large en bas qu’en haut , et telle qu’on peut y distinguer quatre faces , et deux ouver- tures. 1° La face supérieure est concave de devant en ar- rière et la moins étendue de toutes ; elle est formée par les os propres du nez en avant , les racines de los ethmoïde au milieu , et le corps du sphénoïde en arrière, En ce dernier lieu, elle présente une ouverture qui conduit dans des cavités qui existent dans le corps du sphénoïde, et qu'on appelle le sinus sphénoïdal. 2° La face inférieure est convexe de devant en arrière, et concave transver- salement; plus large que la précédente, et s’inclinant en arrière; elle est formée par l’apophyse palatine de l'os susmaxillaire en avant , et la portion transversale de l'os palatin en arrière. 3° La paroi interne correspond à la cloison qui sépare en deux la cavité nasale, et elle 326 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. est formée par la lame perpendiculaire de l’os ethmoïde , le vomer et un cartilage; elle est lisse, le plus souvent droite , quelquefois cependant déjetée d’un côté ou de l’autre. 4° La paroi externe est la plus grande de toutes, formée par les unguis, palatin , ethmoïde, susmaxil- laire ét cornet inférieur , et hérissée d’un grand nombre d’éminences et d’aspérités qui ont recu le nom de cornets. Ces cornets sont au nombre de trois , placés les uns au- dessus des autres de haut en bas, et ainsi désignés : le cornet supérieur , formé par une lame de l’ethmoïde qui est roulée sur elle-même ; le cornet moyen qui est au-dessous , et formé de même dans l’ethmoiïde : enfin le cornet inférieur , qui est situé le plus bas , et qui est formé par un os particulier , l'os du cornet inférieur ou sous-ethnioïdai. Ghacun de ces trois cornets est séparé l’un del’autre par une sorte de gouttière , à laquelle on a donné le nom de méat. Il y a donc aussi trois méats; le supérieur , situé immédiatement au-dessous du cornet supérieur, recouvert par lui, et présentant denx ouver- tures ; l’une en avant , appelée trou sphéno-palatin , et par où pénètrent dans la cavité nasale les nerfs et vais- seaux de ce nom; l’autre en arrière qui conduit à des cellules dont est creusée la moitié postérieure de l’os ethmoïde : leméat moyen , qui est au-dessous du cornet moyen, plus étendu que le précédent, et qui offre aussi deux ouvertures , une en avant qui conduit à des cellules creusées dans la moitié antérieure de l’os ethmoïde, et qui est appelée infundibulum; une autre en arrière qui conduit dans une cavité qui existe dans l’os susmaxillaire , et qu’on appelle sinus maæxillaire ou antre d’Higmore : enfin le méat inférieur , situé au-dessous du cornet in- férieur , dans lequel aboutit l’orifice inférieur du canal SENS DE L'ODORAT. 927 nasal ou lacrymal. 5° L'ouverture antérieure est trian- gulaire, bornée par les os propres du nez et les apo- physes montantes des os susmaxillaires dans le squelette , mais étendue pendant la vie par les cartilages du nez; elle correspond au nez. 6° L'ouverture postérieure est quadrilatère , plus longue que large, formée par le corps du sphénoïde en haut, le palatin en bas, le vomer en dedans , l’apophyse ptérigoïde en dehors ; c’est par elle que l’air de la respiration passe du nez dans le larynx; et près d’elle vient aboutir le conduit guttural du tympan ou trompe d’Eustachi. Les fosses nasales sont agrandies par des cavités creu- sées dans l'épaisseur des os qui les forment, et qu'on appelle sinus. Ces sinus sont au nombre de quatre chez l’homme : 1° le sinus ethmoïdal, appelé encore cellules ethmoïdales, qui consiste en des cellules qui sont creu- sées dans l’intérieur de l’os ethmoïde, et qui sont au nombre de huit; quatre de chaque côté, deux anté- rieures , et deux postérieures; les cellules antérieures ne communiquent pas avec les postérieures ; mais celles du côté droit communiquent avec celles du côté gauche. Les cellules antérieures s'ouvrent dans les fosses nasales à la partie antérieure du méat moyen, et les postérieures , à la partie postérieure du méat supérieur. 2° les sinus frontaux , qui, creusés entre les deux tables de l'os frontal , s’étendent de la racine du nez à un pouce à peu près en hauteur , et à une distance un peu plus grande en largeur de chaque côté sur les sourcils ; ils sont séparés l’un de l’autre par une cloison verti- cale, et s'ouvrent dans les fosses nasales, non im- médiatement , mais par l’intermède des cellules eth- moïdales antérieures auxquelles ils aboutissent ; 3° le 328 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. sinus sphénoïdal qui est creusé dans l'épaisseur de l'os sphénoïde , qui est aussi séparé en cellules , et qui s'ouvre à la face supérieure des fosses nasales; 4° enfin le sinus maæillaire ou antre d'Higmore, creusé dans l’os susma- xillaire, ets’ouvrant à la partie postérieure du méatmoyen. Telle est la cavité fort anfractueuse et assez étendue, dans laquelle est étalée la membrane olfactive. 2° Membrane olfactive. Gelle-ci revêt tout l’intérieur de cette cavité, et y adhère assez fortement. Du genre des membranes muqueuses , puisqu'elle tapisse une cavité qui communique au dehors par une ouverture naturelle, elle a encore une assez grande analogie de texture avec la peau. Elle est en effet composée de deux feuillets , un extérieur muqueux , et un intérieur fibreux. Celui - ci n’est pas celui sur lequel porte l’analogie , il n’est que le périoste ou le périchondre des cavités nasales, L'autre est formé coinme la peau, d’un chorion très-prononcé , aussi épais que celui des gencives et du palais, à la sur- face duquel aboutissent les ramifications des vaisseaux exhalans, absorbans et sanguins , et des nerfs, et recou- vert d’un épiderme si ténu, qu’il est à peine apercevable, Ces deux feuillets adhèrent intimement l’un à l’autre ; et la membrane qui en résulte est épaisse, molle, d’un rouge pâle, et a l’apparence d’un velours mou et pul- peux. Du reste, elle varie dans les divers points de son étendue : sur les cornets, par exemple, elle adhère à la paroi osseuse subjacente, par une couche fibreuse pro- noncée , et est plus molle, plus épaisse , plus rouge, et a un système capillaire plus marqué : dans les sinus, au contraire, elle n’adhère aux os que par une cellulosité assez lâche , et eile est plus dense, plus mince, moins rouge , pénétrée de moins de vaisseaux, arrosée par des SENS DE L'ODORAT. 329 sucs plus limpides. En outre, ce ne sont pas les mêmes nerfs qui la pénètrent dans ces divers points : aux uns, c’est le nerf olfactif; et aux autrés, le nerf nasal de l'op- thalmique de la 5° paire. Le nerf qui forme ici les papilles de la membrane, est, pour cette fois, une paire de nerfs séparée, un sys- ième nerveux spécial , le nerf olfactif ou ethmoïidal, ou de la 1° paire. Long -temps les nerfs olfactifs ne furent pes considérés comme tels : Galien, par exemple, les disait des espèces d’émunctoires , de canaux, par lesquels s’écoulait la pituite, qu'était supposé sécréter le cerveau. Aujourd'hui, il n’y a plus de doutes que sur le lieu de l’encéphale, où l’on place leur origine. Les uns l’assignent à la partie inférieure du lobe antérieur du cerveau; et ils le dérivent de là par trois racines , dont deux sont de substance nerveuse blanche, la troisième de substance nerveuse grise, et dont une peut être suivie en dehors jusqu’à la scissure de Sylvius. D’autres les font naître aux corps striés, qu’on a appelés , à cause de cela , cou- ches du nerf ethmoidal; mais il n’y a nulrapport de vo- lume dans l’homme et les animaux, entre les corps siriés et les nerfs olfactifs. M. de Blainville les rapporte à son premier ganglion encéphalique , qu’il dit être situé sur la lame criblée de los ethmoïde; ne considérant plus les filets qu’on présente comme ses racines , que comme des filets de communication que ce ganglion envoie au gan- glion central. Enfin, M. Gall dit qu'il provient, comme tout autre ner! des sens , de la moelle allongée; et, dans un casd'hydroctphalie qu’arécemment observé M. Beclard, la destruction d’une partie du cerveau par la maladie, Va mis à même de reconnaître cette origine. Quoi qu’il en soit du reste de cette controverse, le nerf, de la partie 990 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. inférieure du lobe antérieur du cerveau où il est distinct, se dirige en avant du côté de la lame criblée de los ethmoïde, et se divise là en une quarantaine de petits filets, qui, s’engageant dans les trous dont est percée cette lame osseuse, pénètrent dans l’intérieur des fosses nasales, dans le tissu de la membrane olfactive qui les tapisse, et se distribuent à sa partie supérieure et moyenne , sans paraître s'étendre jusqu’à sa partie in- férieure. On ne peut voir comment ils s’y disposent ; la plupart ont cru que ces filets allaient former des pa- pilles; mais Scarpa, Blumenbach, n’ont pu les pour- suivre jusque dans ces papilles, et leurs dissections les portent à croire que le nerf se termine par des filets, qui forment en serpentant une espèce de membrane propre. Toutefois c’est ce nerf qui est considéré, par tous les physiologistes , comme le système nerveux de l’odorat. Ce n’est pas que l'organe n’en reçoive d’autres encore; savoir : le rameau nasal de la branche ophthalmique du trifacial , et des filets venant du rameau frontal du même tronc, du ganglion sphéno-palatin , du grand nerf pa- latin , du nerf vidien , et du rameau dentaire antérieur du maxillaire supérieur. Mais le premier qui pénètre dans la fosse nasale par la fente qui est à la partie antérieure de la lame criblée de l’ethmoïde , se distribue surtout à la partie postérieure et inférieure de la membrane; et À, la membrane ne paraît plus être apte à effectuer l’o- dorat. Tous les autres se distribuent plus aux parties accessoires du sens, qu’à la membrane olfactive elle- même. Un de ceux-ci s'engage dans les conduits naso- palatins, arrive à la voüte palatine, et, dans ce trajet, traverse un petit ganglion situé dans ces conduits , que M. 1. Cloquet a décrit avec soin sous le nom de ganglion SENS DE L'ODORAT. 534 naso-palatin, et qu’il conjecture être la cause organique des phénomènes sympathiques des sens du goût et de l’odorat. Méry , à la vérité, pour élever du doute sur la proposition que nous émettons , avait prétendu avoir vu le sens de l’odorat persister après la destruction du nerf olfactif ; il arguait des cétacées et des poissons qui certainement odorent , et chez lesquels le nerf olfactif était dit manquer. Mais les travaux des zoologistes mo- dernes ont prouvé que le dernier fait est faux, et tout porte à croire que le premier l’est aussi. Telle est la membrane olfactive, qui , adhérente par une de ses faces , par l’autre est libre, et le siége d’une action d'absorption , et d’une action d’exhalation. Le produit de cette dernière sert à l’entretenir dans un état d’humidité convenable. Le même effet d’ailleurs est ob- tenu par le mucus quesécrètent des follicules qu’elle con- tient dans son épaisseur , et cela était d'autant plus néces- saire , que la membrane courait le risque d’être toujours desséchée par le passage continuel de l'air de la respira- tion. Cesont ces deux fluides qui , avec les larmes qui par le canal nasal tombent dans le nez, forment la matière du moucher. Elle est d’autant moins fongueuse , qu’elle est plus près de l'ouverture extérieure du nez, et, à cet orifice , elle présente souvent de petits poils, appelés vi- brisses , qui évidemment servent à tamiser l’air de la respiration. En recouvrant les anfractuosités qui résultent des cornets et des méats , elle rétrécit beaucoup la voie que l’air de la respiration doit traverser ; et ce qui le prouve , c'est qu'au moindre rhume, au plus léger gon- lement de cette membrane, le passage devient difficile et même impossible. À l'endroit où elle bouche l'entrée du sinus maxillaire , elle contient dans sa duplicature 5392 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. une glande , qui est plus petite ici que chez les animaux, et qui est couverte d’une quantité mnombrable de petits vaisseaux excréteurs. 3° Nez. On appelle ainsi l'espèce d’auvent, situé au milieu de la face , sur la ligne médiane entre la bouche et le front , sur l'ouverture antérieure des fosses nasales , et qui sert à recueillir les molécules odorantes , et à les diriger dans ces cavités. Une cloison médiane, et qui est une continuation de celle que nous avons vu exister dans les fosses nasales , partage aussi ce nez en deux cavités appelées narines. Sa forme est celle d’une py- ramide triangulaire, dont la base est en bas, etle som- met en haut. Le sommet est ce qu’on appelle la racine du nez, et est dirigé vers le front. La base présente les ouvertures des deux narines , qui sont toujours béantes , afin qu’en tout temps l’air puisse pénétrer dans le nez ; et dirigées en bas, ce que nécessitait la station bipède de l’homme. Par sa face postérieure, le nez recouvre l'ouverture antérieure des fosses nasales. Ses faces laté- rales sont extérieures ; on voit se prolonger sur elles un sillon , qui sépare le nez des joues ; et leurs parties infé- rieures s'appellent les ailes du nez. Le bord qui réunit ces faces latérales s’appelent le dos du nez; et le lieu où ce bord se termine à la pointe , est ce qu’on appelle le lobe du nez. Du reste, ce nez varie beaucoup par sa grosseur , sa longueur , sa direction ; on en distingue de plusieurs espèces, l’aquilin, le camard , Fépaté , le retroussé , etc. Il est formé de trois couches, superposées les unes aux autres , et qui sont de tissus différens : une externe cu- tanée , une interne muqueuse , et une intermédiaire à ces deux-là, en parlie osseuse, et en partie cartilagi- ; SENS DE L'ODORAT. 555 neuse. 1° Celle-ci est comme la charpente du nez : os- seuse et toute solide en haut, cartilagineuse et un peu mobile en bas, elle représente supérieurement une voûte, * formée par les os propres du nez, etles apophyses mon- tantes des os susmaxillaires , et que soutient l’épine du frontal. Dans le milieu , cette voûte est continuée par une substance cartilagineuse : celle-ci, selon Bichat , n’est qu’un seul cartilage, qui d’abord continue la cloi- son médiane du nez, et qui ensuite, vers le dos du nez, projette en dehors deux lames , pour en former les ailes; mais , selon les autres anatomistes , elle constitue au con- traire trois Carlilages , savoir , celui de la cloison et ceux des ailes. Enfin , tout-à-fait en bas , deux fibro-carti-_ lages achèvent cette charpente, un antérieur bordant le contour des ouvertures antérieures des narines, et un postérieur concourant à former les ailes du nez. Des ligamens attachent ces diverses parties , et cette structure est telle , que le nez est fort solide en haut où est spé- cialement le siége du sens , et au contraire fort mobile en bas, vers l’ouverture des narines , afin de faciliter et d’entraver selon le besoin l’entrée des odeurs et de l'air. 2° Une couche de peau revêt en dehors cette charpente du nez ; elle est riche en follicules sébacées ; son adhé- rence à la charpente osseuse est lâche en haut, mais fort intime en bas. 5° Enfin, intérieurement est une mu- queuse, à laquelle appartiennent, plutôt qu’à la membrane _olfactive , les petits poils appelés vwibrisses, dont nous avons parlé plus haut. Les ouvertures antérieures des narines , à raison du - fibro-cartilage , qui en borde le contour, sont toujours béantes. Sous ce rapport, l'organe de l’odorat diffère des organes-du goût et de la vue, dont les orifices externes 39/4 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. sont musculeux , et ouverts ou fermés à volonté ; et ilse rapproche de l'organe de l’ouie , dont l’orifice est de même un fibro-cartilage toujours ouvert , l’auricule. Cependant il est annexé à ces ouvertures des narines un petit appareil musculaire , destiné à les agrandir ou les rétrécir selon le besoin , et faisant mouvoir les ailes du nez ; il se compose de quatre muscles : 1° le pyra- midal, ou fronto-nasal, qui paraît n'être qu’un prolon- gement de l’occipito-frontal , et qui sert moins aux mou- vemens des ailes du nez, qu’à ceux de la peau du front ; 2° le transverse du nez, ou sus-maæillo-nasal, étendu de l’os sus-maxillaire , près l’angle externe de l'orbite, jusque sur le dos du nez, où il se réunit à celui du côté opposé ; on le croyait jadis un constricteur du nez, mais il en est un dilatateur ; 3° l’élévateur commun des ailes du nez et de la lèvre supérieure, grand sus-maæxillo-la- bial, dont les fibres descendent de la face externe de l’apophyse montante de l'os sus-maxillaire au cartilage des ailes du nez sur les côtés du nez , et qui est un di- latateur du nez ; 4° enfin, l’abaisseur des ailes du nez, qui s'étend de la face antérieure de l’os sus-maxillaire , au-dessus des dents incisives , à la partie postérieure de la narine correspondante , depuis le cartilage de la cloi- son jusqu'à celui de l’aile du nez , et qui tirant l'aile du nez en bas eten dedans , est réellement le seul constric- teur des narines, Tel est l’organe de l’odorat. Chez l’homme , il est sur un plan postérieur à celui sur lequel est placé lor- gane du goût; mais , à mesure que l’on descend dans la série des animaux , l’on voit au contraire l’argane de l'odorat devenir antérieur , et recouvrir et dépasser l’or- gane du goût. On peut y reconnaître les deux parties SENS DE L'ODORAT. 339 qui composent tout organe de sens : la partie nerveuse, qui développe l'impression, et l’appareil antérieur destiné à effectuer le contact. Nous aurions pu lui rattacher l’ap- pareil musculaire, qui préside à l'entrée et à la sortie de l'air de la respiration : nous allons voir en effet que c’est cet appareil qui porte la molécule odorante dans le nez ; mais sa description appartient plus spécialement à la fonction de la respiration. 3° Mécanisme de l’Odorai. Nous n’avons toujours ici qu’à faire voir comment la molécule odorante qui, par son contact, est la cause de l’impression, parvient jusqu’à la membrane pitui- taire; qu'à montrer comment celle-ci développe, par suite, une impression; quel est le rôle de chacune des parties de l’organe du sens pour la production de cette impression ; et, enfin, qu'à énumérer les usages de l’o- dorat , et évaluer sa puissance chez l’homme. D'abord , c’est le mouvement d'inspiration , par lequel l'air est introduit sans cesse dans le poumon pour la respiration, qui fait pénétrer dans l’intérieur des fosses nasales les molécules odorantes que l’on sait être en suspension dans l'air. Ge mouvement d'inspiration est, en quelque sorte, indispensable pour l'exercice de l’o- dorat. Perrault et Lower, en eflet, ont expérimenté qu’en pratiquant sur des animaux une ouverture à la trachée-artère, et en empêchant ainsi l’air de la res- piration de passer par les fosses nasales, ces animaux n'avaient plus d’odorat ; les chiens, soumis à l'expérience, mangeaient alors des alimens auxquels ils avaient répu- gné auparavant. M. Chaussier a répété ces expériences, et en a obtenu les mêmes résultats. Qui n’a d’ailleurs Fe mr. 350 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. observé sur soi-même que, pour échapper à une odeur; ou l’on suspend momentanément sa respiration , ou l’on ouvre la bouche de manière à ce que l’air de la respiration passe par cette cavité, et non par les fosses nasales. Lahire fils cite même, à cet égard, l'observation d’un homme qui, dans ces cas, contractait le voile du palais, de manière à ce que l'ouverture postérieure des fosses pasales fût fermée, et qu'aucune molécule odorante ne pût pénétrer de ce côté. Ne sait-on pas aussi que, pour odorer un parfum qui plaît, on presse, on rapproche les mouvemens d'inspiration , pour que l’air parfumé soit sans cesse introduit dans les fosses nasales ? On concoit dès lors pourquoi l’organe de Fodorat est placé sur les voies de la respiration : c’est afin que l’air, qui est respiré, dépose en passant les molécules odo- rantes dont il est chargé; c’est peut-être aussi pour que l’odorat juge par avance des qualités de l'air respiré ; car il est possible que ce sens soit, pour la fonction de la respiration , ce qu’est le goût pour celle de la diges- tion. Cependant cette situation de l’organe de l’odorat sur les voies de la respiration n’est pas une chose gé- nérale dans tous les animaux : dans plusieurs , les pois- sons, par exemple , l'organe de l’odorat forme une cavité à part, et qui n’a plus qu'une ouverture en avant pour l’entrée des odeurs. Cependant, si c’est l'inspiration qui conduit le plus souvent et ordinairement les molécules odorantes dans les fosses nasales, quelquefois aussi ces molécules y parviennent d’elles-mêmes , par le fait seul de leur expan- sibilité. On sait que, pour échapper à une odeur, sou- vent il ne suflit pas de suspendre sa respiration, mais qu'il faut encore se boucher le nez. SENS DE L'ODORAT, 837 Îl est évident que ce n’est que dans ce premier temps de l’odoration qu'agit le nez. Ce chapiteau, évidem- ment, ne sert qu’à recueillir les odeurs et les réfléchir dans l'intérieur des cavités : sa position élevée, et telle, qu'il est au lieu où abondent les odeurs, qui, comme corps volatils et gazeux , tendent toujours à monter ; la direction horizontale en en bas de ses ouvertures, qui, ainsi , sont tournées du côté d’où s'élèvent les odeurs; la forme de cet auvent, qui est celle d’un cône, ayant sa base en en bas; l’élargissement des fosses nasales, par rapport à lui, élargissement qui s’augmente à me- sure qu'on pénètre plus dans leur profondeur; la texture cartilagineuse des ailes du nez et du bord des ouver- tures des narines , qui fait que cet auvent réfléchit plus facilement dans les fosses nasales les molécules odorantes, et surtout peut être agrandi, au besoin , par l’action des muscles que nous avons dit s’y attacher : telles sont quelques-unes des conditions de structure qui rendent le nez très-propre à l’oflice que nous lui assignons ici, Il n’est pas jusqu'aux petits poils appelés vibrisses, dont on ne puisse assigner l'usage , qui est de tamiser l’air ; ce qui, du reste, sert peut-être plus à la respiration qu'à l’olfaction , ou n’est relatif qu'à la conservation de la membrane où siège le sens. On peut d'autant moins nier cette fonction du nez, que, de toute évidence , les personnes qui ont le nez écrasé, petit, et dans lesquelles les narines sont dirigées trop en avant, ont l’odora presque nul; qu'il en est de même de celles qui ont perdu le nez par accident ou par maladie; et que ces per- sonnes reconnaissent la plus grande différence d’inten- sité dans leur odorat, selon qu'elles odorent ou non Le. 9 we: 4 338 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. 7 avec le nez artificiel qu’elles ont l'habitude d'adapter à leur visage, pour diminuer leur difformité. Toutefois , la molécule odorante ainsi mise en con- tact avec la surface de la membrane olfactive, les pa- pilles si fines qui y existent sont aussitôt ébranlées, et instantanément la sensation est éprouvée. Avons-nous besoin de répéter qu’on n’en sait pas plus sur l’action d'impression que développe ici la papille, que sur les actions d'impression des sens précédens? Cette action est également trop moléculaire pour être appréciée par les sens, et elle n’est connue que par son résultat. On en ignore l'essence. On a voulu aussi la faire consister en une modification chimique du fluide nerveux des pa- pilles, et, par suite, dire l’odorat un sens chimique comme le goût; mais ce n’est [à qu’une conjecture que rien ne confirme; et, tout ce qu’on peut assurer, c’est que cette action n’est pas physique, ni chimique , et dès lors est organique et vitale. Il est sûr aussi qu’elle n’est pas une suite mécanique de l'application de l’ext citant extérieur , mais le fait de l’activité propre de l'organe. Ce ne sont encore que les papilles nerveuses qui dé- veloppent l’impression , et toutes les autres parties de l'organe ne tendent qu’à en favoriser le développement: Ainsi, les sucs qui sont exhalés à la surface de la meme brane, le mucus qui la lubréfie, servent à la maintenir souple et humide, à prévenir la dessiccation dont la menace le contact continuel de l’air de la respiration, et peut-être à dissoudre les molécules odorantes, étant pour ces molécules ce qu'était la salive pour les molé- cules sapides, L’épiderme est ici à peine apparent , parce SENS DE L'ODORAT. 359 que la molécule odorante est si déliée, qu’il n’était plus nécessaire ; la papille est presque à nu , et la membrane a l'apparence d’un velours très-fin. Le petit appareil de muscles appartenant aux ailes du nez, sert à agrandir ou à diminuer, au besoin, l’ouverture antérieure des narines ; cet appareil est avec celui de l'inspiration pour le sens de l’odorat , l'appareil locomoteur que nous avons dit être annexé à tout organe de sens, pour qu'il soit soumis à la volonté. Il n’y a guère qwe les cornets et les sinus dont on ne peut indiquer sûrement les usages ; les auteurs sont tous dissidens à cet égard. On a dit tour à tour; que les lames des cornets servaient à prolonger la surface sur laquelle doit s’étaler la membrane pituitaire , et par con- séquent à augmenter l’étendue de cette membrane; qu’elles formaient des conduits qui dirigeaient Pair odo- rant vers lesembouchures des sinus ; que ces sinus étaient des réservoirs où les odeurs étaient mises en réserve, et d’où elles allaient se répandre dans la partie des fosses nasales qui est plus spécialement le siége du sens; qu'ils fournissaient les mucosités qui entretiennent humide la membrane pituitaire. Tout cela est conjectural. Sans doute , ces cornets et ces sinus ont une influence quel- conque ; et sur la respiration en amortissant peut-être le choc de l’air qui arrive au poumon ; et sur la voix en concourant à lui imprimer le timbre qui lui est propre. Nous discuterons ailleurs leur utilité sous ce double rap- port. Mais ici , nous n'avons à juger que leur service dans l’olfaction. Or, d’une part, certainement ils ne fondent pas la partie essentielle du sens; car, le nerf olfactif, qui est le nerf exclusif de l’odorat , ne se dis- tribue pas à la portion de pituitaire qui revêt les cornets 22* 640 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. inférieur et moyen , non plus qu'à celle qui tapisse les sinus ; cette pituitaire a , dans les sinus, une autre na- ture; ces sinus manquent dans l'enfant , qui cependant a déjà l’odorat; ils n'existent que dans les mammifères ; enfin , nous allons dire tout à l’heure que le siége spécial du sens est à la partie supérieure des fosses nasales ; et que des injections odorantes qui ont été portées par Dessault et M. Deschamps fils dans les sinus frontaux, et par M. Richerand dans le sinus maxillaire, n’y ont pas été percues. D’autre part, il n’est guère possible de mécon- naître que ces cornets et ces sinus ne soient au moins des perfectionnemens pour le sens, puisque générale- ment ces cornets sont d’autant plus multipliés dans les animaux, et ces sinus d'autant plus vastes, que les ani- maux ont l’odorat plus fin. Dansle chien, par exemple, le cornet inférieur au lieu de consister en une simple demi-spirale , comme chez l’homme , forme deux tours et demi , et présente, à son extrémité, une série de di- cotomies qui augmentent beaucoup le nombre de ses lames; les sinus frontaux occupent tout l’os frontal, remplissent l'intérieur des apophyses orbitaires externes, et descendent jusque dans la paroi postérieure de l’or- bite. Dans le cochon et l'éléphant, ces sinus s’étendent encore plus loin, puisque , régnant dans l’épaisseur des os pariétaux et temporaux, ils se prolongent jusqu'aux condyles articulaires de l’occipital. Il faut avouer que, convaincus que ces parties concourent à la perfection de l’odorat, nous ignorons en quoi ils y servent. Voilà un premier exemple de l'impossibilité où nous sommes d'indiquer l’usage précis de toutes les parties consti- tuantes d’un organe de sens; mais l’histoire des sens de J'ouie et de la vue nous en fournira un bien plus grand nombre. SENS DE L'ODORAT. 941 Comme nous l’annoncions tout à l'heure , c’est la par- tie supérieure des fosses nasales qui paraît être surtout le siége du sens. En effet, si on empêche l'air odorant d'y arriver, l’odorat est nul; et si, au contraire , à l’aide d’un tube , on dirige les odeurs sur cette partie exclu- sivement , la sensation est éprouvée. Dessault parle d’une fille qui avait une fistule des sinus frontaux, et qui, quoiqu’elle respirât par cette voie, ne percevait pas l’odeur qu’on présentait à l’orifice de sa fistule , parce que celle-ci ne communiquait pas avec la partie supé- fieure des fosses nasales. M. Deschamps fils cite l’obser- valion d’un homme qui avait aussi une fistule du sinus frontal, et chez lequel on injectait impunément, dans le sinus, une solution d’éther , lorsque préalablement on avait fermé toute communication entre ce sinus et la partie supérieure des fosses nasales; au contraire, cet homme percevait mieux les odeurs lorsqu'elles par- venaient par le trou fistulaire , que lorsqu'elles arrivaient par l’ouverture naturelle des narines. D'ailleurs, qui ne sait que pour odorer avee plus d’exactitude, on fait de fortes inspirations , pour faire pénétrer l’air odorant jus- qu’à la partie supérieuré des fosses nasales ? n'est-ce pas à cette partie supérieure que se distribue le nerf olfactif particulièrement ? en vain voudrait- on mettre en doute que ce nerf soit le système nerveux exclusif de J'odorat ? Il a dans les animaux un volume et un déve- loppement proportionnés à l’énergie de l’odorat; il pa- raît, par son origine et sa distribution, plus qu'aucun autre nerf du nez, constituer un système nerveux spé- cial ; c’est là où il se distribue que la pituitaire a cet aspect fongueux , velouté, qui semble si propre à la fonc- lion ; enfin, on a une observation de Loder, qui a vu 342 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. une anosmie produite par une lumeur squirreuse qui comprimait les nerfs olfactifs dans le crâne. Les impressions des odeurs sont, comme celles des saveurs , susceptibles de persister en certains cas, et quelquefois on a peine à échapper à leur durée. Gela provient, ou de ce que la molécule odorante est retenue par le mucus nasal, ou engagée dans les anfractuosités et ies détours des sinus et des cornets, ou de ce que limpression odorante est de celles qui laissent après elle de longs souvenirs. Ce dernier fait est possible , à juger par la puissance de l’excitant extérieur du sens ; les mo - lécules odorantes, non-seulement agissent sur l’odorat, mais impressionnent tout le système nerveux ; elles pro- duisent des céphalalgies, des spasmes, des convulsions ; elles influent surtout sur les organes génitaux et le cer veau; qui n’a remarqué que les odeurs provoquent aux plaisirs de l’amour , et stimulent le travail de la pensée? Rousseau, dans son Émile, appelle , à cause de cela, lodorat, le sens excitant de l'imagination. L’odorat , sous le rapport de ses usages, est dans la même catégorie que le sens du goût. Sa fonction 1m- médiate est de donner la sensation des odeurs ; et, sous ce point de vue, il sert à explorer la qualité de l'air qui est respiré , et celle des alimens qui sont introduits dans lestomac; à cause de cela, il est, d’une part, placé à | l'entrée de l'organe respiratoire , et de l’autre, situé de manière À surveiller tout ce qui entre dans la bouche. Les impressions qu’il éprouve vont retentir dans les ap- pareils respiratoire et digestif, et les disposent à rece- voir ou rejeter la substance qui leur est envoyée. L'air qui est respiré, par exemple, a-t-il une odeur dés- àgréable ? l'inspiration semble se faire à regret , et la poi- SENS DE L'ODORAT. 545 trine se resserrer d'avance. De même, l’odeur d’un ali- ment est-elle nauséeuse? tout ce qu'excite une saveur désagréable dans les organes de la mastication, de la déglutition, de la chymification , se manifeste; et, ce qu'il y a de surprenant, c'est que chacun de ces appa- reils digestif et respiratoire ne répond qu'aux impreés- sions odorantes qui le concernent , et reste sourd à celles qui sont relatives à l’autre appareil. Cependant, répé- tons ici la remarque que nous avons faite, sous ce point de vue , à l'histoire du goût. Les avertissemens de l’odo- rat, pour la respiration et la digestion , deviennent d’au- tant moins sûrs, que les animaux sont plus supérieurs ; et, dans l'homme particulièrement , ils sont souvent trompeurs , où au moins insuflisans ; ce sens , pour beau- coup d'animaux, est un guide fidèle; mais, chez l’homme souvent , il ne lui décèle pas les gaz dont la respiration est funeste, et même lui fait trouver une odeur dés- agréable à de bons alimens , ét-une odeur agréable à dé dangereux poisons. La nature à encore privé Fhomme de cette lumière toute instinctive , afin de lui faire dé- ployer, toujours de plus en plus, éeïte puissance d’ob- servation dont elle a fait le caractère de son intelligence. Quant à ses fonctions médiates, elles sont bornées comme celles du goût, et ce’sens sert bien moins Fin- telligence que le toucher, la vue et l’ouïe. Cependant le minéralogiste , le chimiste en usent pour reconnaître les différences des corps. Il peut aussi éclairer sur la distance et la direction des corps , parce que l'impression _que les molécules odorantes font sur l’organe, est d’au- tant plus forte que ces molécules sont en plus grand aombre, et que ce nombre varie selon la distance à laquelle on est du corps odorant. On sait quel secours 044 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. tirent de ce sens, sous ce rapport, les animaux chas- seurs. On avait voulu lui rapporter la faculté qu'ont les animaux et l’homme de reconnaitre les lieux : on sait, par exemple, que des chiens transportés à plusieurs centaines de lieues , reviennent néanmoins à l'habitation de leur maître ; l’hirondelle, à l'approche de l'hiver, s'éloigne de nos climats , müis s’yremontreau printemps, et vient y retrouver jusqu’au même nid qu’elle y avait bâti: on avait expliqué ces faits, en disant que les mias- mes odorans déposés par l'animal à son premier passage, avaient été recueillis par l’odorat au retour, et avaient servi de guide pour ce relour; mais, comment croire que le plus souvent ces miasmes n’aient pas été détruits par les vicissitudes atmosphériques pendant le long es- pace de temps qui s’est quelquefois écoulé? et, d’ailleurs, en existe-t-il, quand l’animal suit, au retour , une route différente de celle par laquelle il est allé? Cette faculté est étrangère à l’odorat, et constitue un instinct qui a sa cause dans le cerveau. Tel est l’odorat. Il nous reste à indiquer la puissance de ce sens chez l’homme , comparativement à ce qu’elle est dans les animaux. Nul doute que l’homme ne soit encore, relativement à l’odorat, mieux partagé que beaucoup d'animaux ; cependant ce sens est de tous, celui qui est le moins parfait chez lui, et il est chez beaucoup d’animaux plus exquis. Le nerf olfactif de l’homme est assez petit proportionnellement; le gan- glion olfactif fort grèle, et tel qu’il n’est, selon M. de Blainville, que rudimentaire ; les fosses nasales sont peu étendues ; les cornets ne sont que des demi-anneaux , et ne présentent pas ces contours doubles et triples , Les dicotomies multipliées qu’offreni les cornets du chien : le SENS DE L'ODORAT. 345 nez extérieur enfin , n’est pas , pour l'office qu'il a à remplir , aussi bien disposé que le sont le museau du chien, le grouin du cochon, la trompe de l'éléphant. par exemple; l'ouverture antérieure de ce nez est fort petite, peu mobile; les petits muscles qui y aboutissent, ne sont guère que des vestiges de ceux qui existent dans certains animaux. M. Cuvier veut que les animaux car- nivores aient constamment l’odorat plus fin que les her- bivores : cela peut être; mais M. Gall objecte qu'il n’y a aucune corrélation. forcée entre l’odorat et l'instinct de se nourrir de chairs ou de végétaux; il dit avoir vu le nerf olfactif très-gros chez des herbivores; et , en effet, si l’odorat est sentinelle de la digestion , les herbivores n’en ont-ils pas autant besoin que les carnivores ? Du reste , nous n’avons pas besoin de dire que le nerf olfactif a certainement, dans chaque espèce animale, une organisation spéciale qui détermine quelles substances sont odorantes , et quels rapports d'agrément ou de dés- agrément sont trouvés aux odeurs. Ce qui est odorant pour un animal peut être inodore pour un autre; etce qui plaît à une espèce peut déplaire à une autre. La cause de ces différences réside dans l’organisation profonde du nerf olfactif, mais sans qu'on puisse dire en quoi elle consiste. C’ést cette même cause qui produit les anti- pathies et les sympathies diverses d’odeurs que présen- tent les hommes; certaines personnes recherchent des odeurs que d’autres trouvent désagréables; Louis XIV, par exemple, aimait les odeurs vireuses; les Persans qualifient de n:anger des Dieux V'assa-fœtida, que nous appelons du nom de stercus diaboli. Trois circonstances aussi déterminent toutes les variétés de l’odorat ; la struc- ture intime du nerf olfactif; la disposition plus ou moins 346 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. heureuse des parties accessoires de l’organe du sens, sinus , cornets, nez extérieur; enfin, l’observance ow l’oubli des soins propres à maintenir la membrane olfac- tive dans l'intégrité qui importe à l'exercice de sa fonc- tion; il y a certainement une grande différence entre l’odorat obtus de la personne qui abuse du tabac , et celui de la personne qui n’a pas émoussé la sensibilité de sa membrane pituitaire par le contact de cette substance irritante. Le sens de l’odorat est aussi soumis à la volonté; on avait voulu le nier à cause de son union au mouvement d'inspiration : mais de ce que l’état de vie nécessite ce mouvement d'inspiration , il ne s'ensuit pas que l’exercice de l’odorat soit irrésistible ; il l’est si peu , que l’inspi- ration est elle-même un mouvement volontaire. C’est comme si l’on prétendait que la vision n’est pas un acte volontaire, parce que l'exercice de la veille réclame tou- jours l’emploi de ce sens. D'ailleurs, quand nous disons que les sens sont des fonctions volontaires , nous enten- dons dire seulement que la volonté peut commander leur action; nous savons bien que lorsque les corps extérieurs les ont impressionnés, leur service est forcé; et qu’à raison deleur situation à la périphérie des corps, ils sont souvent impressionnés malgré nous. De là, toutefois, un odcrat passif, et un odorat actif. Dans ce dernier, qui est ce qu’on appelle le flairer, il y a de plus; 1° action des appareils musculaires pro- pres àrapprocher le corps odorant et l’organe du sens: c’est- à dire, action de l'organe de préhension qui approche du nez l’objet odorant, ou action de Ja tête qui conduit le nez près de l’objet ; inspirations qui, au lieu de se succéder machinalement et dans la seule vue SENS DE L'ODORAT. 347 de la respiration , se pressent , et surtout se prolongent, afin que l'air odorant soit introduit jusqu’à la partie supérieure des fosses nasales, et que son contact , sur la membrane nerveuse , soit le plus long possible; sans cette dernière circonstance , l'expiration remportant Pair apporté par l'inspiration , la sensation ne serait pas produite : enfin actions des muscles qui meuvent les ailes du nez, pour augmenter l'ouverture des narines, de l’élévateur commun qui tire les ailes du nez en haut, du transverse qui les tire en dehors , des muscles du voile du palais qui rendent aussi accessible que possible l'ouverture postérieure des fosses nasales; 9° érection des papilles de la membrane olfactive. La volonté veut- elle, au contraire , soustraire le sens à l’impression d’une odeur? on éloigne le corps odorant; on le fuit ; on sus- pend les inspirations, ou au moins on les fait petites et courtes; le muscle myrtiforme et les muscles du voile du palais agissent, le premier pour diminuer un peu l'ouverture antérieure des narines, et les seconds leur ouverture postérieure. Enfin l’odorat , par la culture, acquiert comme tout sens un assez haut degré de perfection. Les parfumeurs, par exempie , démélentles traces les plus légères d’une odeur qu'on a ajoutée à beaucoup d’autres : il en est de même des pharmaciens, des chimistes, de tous ceux qui consultent souvent lodeur des diverses substances naturelles pour reconnaître ces substances. Il existe de grandes différences dans l’odorat d’un chien , selon qu'on le mène peu ou souvent à la chasse. On sait que les nègres ont l’odorat si subtil, qu'ils distinguent de loin si l'homme qui les approche est un nègre ou un blanc; et'ils doivent cette faculté, en partie à ce que privés 548 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. des ressources de notre civilisation , ils se sont plus afla- chés aux lumières naturelles que peut leur fournir ce sens, et en partie à ce que dans leur race l'organe de l’odorat offre déjà des dispositions de structure plus rap- prochées des animaux, comme l’ont observé Blumem- bach et Sœmmering. À l’article du toucher, nous avons parlé d’aveugles qui, par cela seul qu'ils étaient privés des secours que donne le sens de la vue, avaient beaucoup perfectionné le sens du toucher; on en cite de même à l’occasion de l’odorat; on parle d’un aveugle qui distinguait par ce sens si sa fille avait manqué ou non aux règles de la chasteté. $. IV. — Sens de l'Ouie. Le sens de l’ouïe est celui auquel nous devons la notion des sons. Son histoire doit comprendre aussitrois objets , l'étude physique du son ou de l’excitant extérieur qui frappe le sens, l'étude anatomique de l’organe dn sens, et le mécanisme de l'audition. 1° Histoire physique du Son. Quand on imprime à un corps une percussion, ik s'établit dans les molécules qui le composent des mou- vemens de vibration qui ne s'arrêtent que par degrés; ces oscillations sont aussitôt partagées et répétées par l'air qui touche le corps ; cet air les propage de proche en proche aux différentes couches qui composent l’atmo- sphère jusqu’à une certaine distance; et l’ébranlement parvenant enfin jusqu’à l'oreille , y produit une sensa- tion qui est ce qu'on appelle le son ou le bruit. Dans le sens de l’ouie, l’excitant extérieur n’est donc pas le corps sonore lui-même, comme cela était dans le toucher; ce | L l SENS DE L'OUIE. 549 n’est pas même une de ses molécules intégrantes , comme cela était dans le goût et l’odorat; c’est l'air quia répété le mouvement vibratil auquel est en proie le corps sonore. Il est bien certain que telle est la cause de la produc- tion et de la propagation du son ; car les oscillations moléculaires dont nous le faisons résulter sont percep- tibles à la vue, au toucher, dans une cloche que lon frappe , une corde que l’on fait résonner. Ces oscilla- tions ne doivent s'entendre que des molécules insensi- bles du corps; car souvent il n’y a pas de son produit, quoiqu’on détermine des vibrations dans sa masse tota- le , comme lorsqu'on abandonne à leur élasticité les deux branches d’une pincette, après les avoir rappro- chées ; et, au contraire, on anéantit ou l’on diminue le son, lorsqu'on met un obstacle aux vibrations des molécules insensibles du corps, comme lorsqu'on ap- plique la main sur la surface d’une cloche, ou qu’on recouvre d’une étoffe de laine la peau d’un tambour. Ce qui détermine les vibrations d’où résulte le son, est tout ce qui comprime les molécules d’un corps; celles- ci, en eflet , à raison de leur élasticité, tendent alors à revenir sur elles-mêmes ; mais leur rétablissement à leur état premier ne se fait que par une série d’oscillations, d’abord assez étendues, mais dont les amplitudes vont toujours en diminuant , et qui graduellement cessent tout- à-fait. La rapidité de ces oscillations est d’autant plus grande, que le corps est plus dur et a plus d’élasticité : d’où l’on a pensé que ces deux qualités étaient ce qui ren- dait un corps sonore. Peut-être, cependant, est-il aussi diflicile de dire rigoureusement ce qui constitue un corps sonore , que ce qui fait un corps sapide ou odorant. Mais ces vibrations, desquelles résulte le son, sont 390 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. susceptibles d'offrir beaucoup de différences, sous le rapport de leur étendue et de leur nombre , en un temps : donné ou de leur rapidité ; et de ces différences dé- peadent deux des qualités particulières du son, sa force el son ton. La force ou la faiblesse du son dépend de l'étendue des oscillations qu’exécutent les molécules du corps so- nore:; le son est fort, si ces oscillations sont étendues : ilest faible, dans le cas contraire. Quandon fait résonner une corde, on reconnaît que le son s’affaiblit à mesure que l'amplitude de ses oscillations diminue, Il y a mille différences dans le degré de force et de faiblesse des sons. On le mesure par la distance à laquelle on peut les entendre. Le ton d’un son tient, au contraire , à la rapidité des oscillations, à leur nombre en un temps donné, quelle que soit d’ailleurs l'étendue de ces oscillations , et par con- séquent la force ou la faiblesse du son. Le ton est grave, si les oscillations sont peu rapides , et leur Lénine dans un même temps donné, petit: il est aigu dans le cas contraire. Il y a mille intermédiaires entre le son le plus grave, et le son le plus aigu ; comme il y avait mille degrés de force et de faiblesse. Le son le plus grave que notre oreille puisse apprécier, est celui qui résulte de 32 vibrations par minute , et le son le plus aigu est celui qui résulte de 8192. C’est entre ces deux extrêmes que sont tous les tons appréciables : en-decà et au-delà iln’y a que du bruit. Il y a, en effet, cette différence entre le son et le bruit, que le premier s'entend de sons qui résultent d’ondulations permanentes et régulières , et di que l'oreille peut apprécier; et que le second, au con- traire, est un son que l'oreille ne peut apprécier, soit SENS DE L'OUÏE. 351 parce qu’il résulte d’ondulations non permanentes et non régulières, soit parce qu'il est formé par une mal- titude confuse de sons divers , et qui, conséquemment, n’ont pas de netteté. Du reste, quoique tous les sons comparables , musicaux, soient renfermés entre ces deux extrêmes , 52 et 8192 vibrations , l'oreille la plus délicate ne peut pas encore les apprécier tous ; les nuan- ces les plus légères échappent, et le nombre des inter- médiaires entre le ton le plus graveet le ton le plus aigu n’est pas aussi grand qu'on pourrait le croire. Cette éten- due contient huit octaves environ, dans chacune des- quelles il y a sept intervalles ou sept sons , que l’on désigna d’abord par les sept premières lettres de l'alphabet, auxquels on donna ensuiteles noms connusdeut, re, mi, fa, sol, la, si, et qui constituent ce qu’on appelle une gamme. Seulement, afin de rendre moins sensibles les intervalles naturels des tons d’une même gamme, on introduit entre eux des sons intercalaires que l’on nomme dièses el bémoles, etqui indiquent qu’une note est élevée ou abaissée au-dessus ou au-dessous de sa valeur pri- mitive d’un semi ton mineur. Il est une troisième qualité du son , qu’on appelle son timbre. Les physiciens n’ont pu encore en indiquer la cause ; la plupart la font dépendre de la nature sub- stantielle du corps sonore , si c’est une surface , et en même temps de sa forme, si c’est un tuyau. M. Biot conjecture qu’elle est due à la série des sons harmoniques que fait entendre tout son appréciable quelconque. Tout son, en effet, est accompagné de deux autres sons , que lon appelle sons harmoniques, dont l’un est la quinte de l’octave du son fondamental , et l’autre la tierce majeure de sa double octave; et probablement ces deux sons ne 552 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. sont que Îés premiers termes d’une série prolongée in-. définiment de sons de plus en plus aigus et de plus en plus faibles, et qui aurait pour expression la suite des nombres naturels , 1, 2, 3,4, 5 , etc. Toutefois , sous ce rapport du timbre, le son offre beaucoup de variétés ; il y en a en quelque sorte autant que de corps sonores , et ici l’art peut ajouter beaucoup à la nature, par d’heu- reuses combinaisons; et comme les sons pouvaient déjà varier beaucoup sousle rapport de la force et du ton, il en résulte que les sons sont aussi innombrables que l’étaient les saveurs et les odeurs. Mais , pour que les vibrations effectuées par le corps sonore affectent l’organe du sens, ilfaut qu’un corps intermédiaire les répète et les lui transmette : ce corps intermédiaire est ce qu’on appelle le véhicule du son , et c’est ordinairement l'air. Ce gaz, en eflet, environne de toutes parts le corps sonore , et peut conséquemment en recevoir les oscillations ; de plus, son élasticité le rend très-propre à les répéter et à les propager jusqu'à l’o- reille. Le fait est d’ailleurs manifeste. On voit la flamme d’une bougie , le liquide contenu dans un verre , s’agi- ter consécutivement à la production d’un son un peu fort. Dans quelques cas même , les oscillations aériennes sont appréciables au tact. Æauksbée enfin , ayant placé une pièce d’horlogerie sous le récipient de la machine pneumatique, cessa d’en entendre le son , après avoir fait le vide ; et M. Biot , répétant la anême expérience avec une petite cloche, a signalé le même résultat. Les couches d’air qui touchent les corps sonores , re- coivent d’abord une première impulsion des molécules qui vibrent ; ces couches ensuite la transmettent aux couches d’air suivantes, et cela ainsi de suite, plus ou SENS DE L'OUÏE. 333 moins loin, selon l'intensité du mouvement vibratil , et la sphère plus ou moins grande de la masse aérienne dans laquelle se répand le son. On concoit que plus l’oscilla- tion sonore sera forte, plus le son se transmettra Join; que plus la transmission se fera dans de nombreuses di- rections , plutôt le mouvement s'arrêtera , une petite perte de mouvement se produisant nécessairement à chaque passage d’une couche à une autre. M. Büiot a prouvé, par expérience , ce dernier fait ; il a vuque, së la colonne d’air qui est le véhicule du son ne s’étend qu’en une direction, la transmission du son se fait beau- coup plus loin : parlant à voix très-basse à l’une des extrémités d’un cylindre, long de 951 mètres, dans les aqueducs sous Paris , il était entendu à l’autre extré- mité. Dans cette transmission du son par l’air, le son ne perd que de sa force , en raison inverse du carré de sa distance ; mais c’est toujours le même ton et le même timbre qui sont entendus. C’est réellement une chose digne d’être remarquée , que cette souplesse avec la- quelle l'air recoit et transmet toutes les nuances si va riées des sons : non -seulement il répète chaque son , mais il en propage plusieurs à la fois, sans les confon- dre, bien qu’ils diffèrent en force , en ton et en timbre. Mayran , pour expliquer ce phénomène, disait que l’air était composé de molécules diverses affectées chacune à un ton particulier ; mais c'était là une hypothèse tout-à- fait gratuite. Il vaut mieux dire que les diverses molé- cules d’air répètent les oscillations des différens sons , et ‘es propagent sansles confondre ; comme on voit les cer- les que l’on produit à la surface de l’eau , par des pier- es qu'on y lance , se succéder et se couper entre eux, ans se confondre. ET 23 [Lu on 2. 204 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. .. Gette qualité qu'a l'air d’être véhicule du son, est d'autant plus prononcée , qu’il est plus dense , plus chaud , et parlant plus élastique. Dans l'expérience de Hauksbée , que nous avons citée plus haut, on entend le son diminuer graduellement , à mesure que l’on | fait le vide. Qui n’a remarqué la différence d'intensité” des sons , selon que l’air est brumeux ou serein? Saus- sure dit que sur le sommet du Mont-Blanc, le bruit d’un pistolet lui paraissait égaler à peine celui d’une pièce d'artifice. M. Biot a répété l'expérience d'Jauhksbée avec différens gaz, et il a vu que l'intensité du son était en raison de la densité du gaz, plus grande dans l'acide carbonique que dans le gaz hydrogène. La rapidité avec laquelle le mouvement passe d’une couche aérienne à une autre, d’où résulte la vitesse de la propagation du son, est assez grande ; on en juge ordinairement par l'intervalle de temps qui s’écouleentre le moment où l’on apercoit la lumière d’un canon que l’on tire, et celui où l’on en entend le bruit, Commela lumière est vue à peu près au moment même de sa pros duction , tout le temps qui s'écoule entre l'instant où on la voit et celui où le coup est entendu , est le temps, qu'a employé le son à se propager. En 1758 , l’Acadé mie des sciences de Paris fit faire des expériences sur un terrain long de 14636 toises , ou 29000 mètres, situé | entre Monthléry et Montmartre , et il en est résulté que le son, dans un air tranquille, et à la température deb degrés, parcourt 1 75 toises, 557,18 mètres par seconde. Cette transmission était également rapide dans la diree-, tion vers le nord, dans celle vers le sud , par un cielse- rein ou brumeux, avec un son faible et avec un son fort. Les variations barométriques n'avaient sur «elle de: ! SENS DE L'OUIE. 299 aucune influence; de sorte que les résultats seraient les mêmes qu’on opérätlans les hautes régions de l’atmo- sphère ou à la surface de la terre. Le son, dans cette propagation , marchait toujours avec la même rapidité, ni plus vite en commençant, ni plus lentement à la fin; mais il parcourait toujours les mêmes espaces dans des temps égaux. Le son n’influe pasnon plus sur la vitesse; car M. Biot ayant fait jouer un air de flûte à l’extrémité de ce cylindre , long de 951 mètres, l’a entendu avec toute justesse à l’autre extrémité ; ce qui prouve que les divers tons avaient été propagés avec une vitesse uni- forme. La transmission, en un mot , n’était modifiée que par l'agitation de l’atmosphère : selon que des vents souflloient dans le sens dans lequel venait le son , ou dans un sens contraire, ce son arrivait plus vite, ou était retardé dans sa marche, ou même cessait de parvenir. Une chose remarquable , c’est que l'air transmet plus rapidement le son, que ne le comportent ies conditions physiques auxquelles il doit d’avoir cette faculté. Cette transmission est plus rapide d’un sixième ; car le calcul indique 144 toises , 279 mètres , au lieu de 173 toises , 557 mètres. Voici comme M. Delaplace explique cette différence. I] dit que dans la formation des ondes sono- res , les couches d’air éprouvent alternativement des compressions et des dilatations rapides, qui mettent en jeu le calorique latent de latmosphère, font varier à chaque instant sa température avec une promptitude telle que le thermomètre ne saurait en tenir compte , et par conséquent font varier aussi son ressort. La disposition des lieux que traverse le son , produit quelques phénomènes dont il importe de donner en peu _de mots l'explication. Si l'air chargé d’un son rencontre 27”, > 506 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. une surface résistante qui s’oppose à son passage, le son est réfléchi de manière à fairefun angle de réflexion égal à celui d'incidence , et situé dans le même plan. Si la surface réfléchissante est assez éloignée pour que l'oreille ait le temps de recevoir le son direct , avant que lui parvienne le son réfléchi , le son est entendu deux fois, et il y a ce qu’on appelle écho. Get écho peut être redoublé, c’est-à-dire que le sonréfléchi peut l'être encore de nouveau , et de manière qu’il soit toujours chaque fois entendu séparément. Ainsi, par suite de la facilité avec laquelle l'air répète les oscillations des corps sonores , et les propage de proche en proche, le son se répand de tous côtés en lignes droites et divergentes , qu'on appelle en physique lignes ou ondes sonores. Le mouvement est d'autant plus intense , qu’on se rapproche plus du corps sonore , qui est comme le centre de toutes les ondes. Du reste, l’air n’est pas le seul corps qui soit véhi- cule du son ; des liquides, des solides peuvent l'être. également. L’eau est évidemment conducteur du son. Nollet et Franklin ont expérimenté pargux-mêmes qu'ils entendaient pendant qu’ils étaient plongés dans l’eau. Cela résulte d’ailleurs de l'observation journalière des plon- geurs , de celle des animaux aquatiques qu'attire la mu- sique, etque met en fuite le bruit. De même , tout corps solide dont les molécules composantes sont assez élas- tiques, pour recevoir et transmettre un mouvement vi- bratil , peut être aussi , et est effectivement , véhi- cule du son : si l’on fait communiquer avec l'oreille , par un fil de fer, un piano qui est trop loin pour que par l'air , on puisse en entendre le son, on en entend le jeus on sait que la plus légère percussion exercée à \e 3, ë SENS DE LOUE. | 357 l'extrémité d’une longue poutre , est entendue par l'oreille qui est placée à l’autre extrémité : le mineur en- tend le travail du mineur qui lui est opposé ; nous en- tendons les bruits qui se font dans les appartemens pla- cés au-dessus de celui que nous habitons. Enfin , des physiciens de profession ont fait des expériences à ce sujet. M. Jassenfratz à reconnu dans les cavernes qui sont sous Paris , que le son résultant dela percussion du mur de la caverne, arrivait plus tôt à son oreille par l'intermédiaire du mur lui - même contre lequel son oreille était appliquée , que par l’air ; il séparait les deux modes de transmission; l’une était plus prompte, mais plus _ faible. M. Biot a fait la même observation dans les aque- ducs de Paris : un coup frappé sur un cylindre de fonte long de 951 mètres, était entendu deux secondes et de- mie plus tôt par les parois du cylindre que par l'air ; mais Je son s’en propageait moinsloin. Il ya plus : la transmis- sion passe aisément d’un conducteur solide à un con- ducteur gazeux , et d’un conducteur gazeux à un véhicule solide. M. Geoffroy a répété l'expérience d’Jauksbée, de manière à ce qu'une tige métallique pouvait être à volonté appliquée à la sonnerie mise sous le récipient de la machine pneumatique ; et il a vu que, lorsque le vide était fait , la sonnerie était de même entendue par la tige métallique , qui en transmettait les vibrations à Vair. N’entend-t-on pas d’ailleurs dans l'air un bruit qui est fait dans l’eau, et dans l’eau un bruit qui est produit dans l’air ? Telle est Phistoire physique du son : nous y avons suivi les idées admises par le plus grand nombre desphysiciens. Cependant quelques-uns ont douté que les oscillations de Vair fussent capables de propager le son, et ont admis 3 ee .% Pal & F 358 ” FONCTION DE LA SENSIRILITÉ. un fluide particulier pour cet objet. Tel est M. Lamarck, qui suppose un fluide invisible , très-subtil, éminemment élastique, d’une rareté extrême, répandu dans tous les corps , dans tout le globe, et aux vibrations duquel sont dus les sous. Tel est encore M. Geoffroy Saint-Hilaire, qui conjecture que la matière du son est une combinai- son de l'air extérieur avec l'air polarisé par le corps sonore. Mais il n’est pas de notre objet de débattre ces questions de haute physique, j 2° À natomie de l'organe de l'Ouie. L'organe de l’ouie , l'oreille, selon M. de Blainville, n’est encore qu’une partie de la peau, qui seulement s’est modifiée pour être sensible aux plus légères vibra- ‘tions des corps , et pour que l'impression de ces vibra- tions ne soit pas restreinte à un simple tact. [est certain en effet que l’ouïe n’est encore qu’une sorte de toucher ; et que beaucoup d'animaux qui n’ont pas ce sens, ap- précient cependant les oscillations vibratiles des corps sonores , par la seule impression que ces oscillations font sur leur peau. Gette oreille semble à ce naturaliste avoir , dans sa structure la plus simple , I: même orga - _ nisation que le poil, dont il dérive toutes les parties de » KR peau ; c’est-à-dire consister en une capsule fibreuse, -qui, d’un côté, reçoit les vaisseaux et les nerfs qui ta- pissent son intérieur, et de l’autre , présente une ouver- ture, qui sert à établir la communication entre Ja pulpe nerveuse intérieure et l'extérieur. Il est bien vrai que c'est à cela que se réduit cet organe dans les animaux chez lésquels il a la plus grandé simplicité de structure. Dans l’écrevisse, par exemple, il consiste uniquement en un sac fibreux, rempli d’un fluide SENS DE L'OUÏE, 299 gélatineux, recevant dans sonintérieur lesystèmenerveux spécial de l’ouie , le nerf acoustique , et communiquant avec l'extérieur par une ouverture destinée à laisser arriver les ondes sonores. Mais , dans les animaux supé- rieurs et l'homme , il'est plus compliqué; à cette première partie, qui est principale , et qui éonséquemment existe en toute oreille , il s’en ajoute d’autres qui apportent quelques perfectionnemens au sens : de sorte que c’est surtout ici qu'éclate la distinction que nous avons faite de deux parties : l’une nerveuse , située plus profondé- ment, et développant l’action d’impréssion; et l’autre , placée au devant de celle-là ; et consistant en un appa- reil dont toutes les pièces sont calculées d’après les lois physiques de la propagation du son. Toutefois , chez l’homme , l’organce de Fouïe est pair, et placé à la base du crâne , tout-à-fait sur les côtés de la tête : à mesure que l’on descend dans les animaux , ON voit les deux oreilles se rapprocher l’une de Pautre, ét se porter à la partie supérieure et postérieure de la tête. IL est situé en grande partie dans un os quilui est propre, le rocher, et qui n’appartient que secondairement à la composition du crâne ; à mesuro qu'ilestplus compliqué, il emploie plusieurs autres os, qui appartiennent à l'ap- pendice de la mâchoire inférieure. Les anatomistes de l'homme y distinguent trois parties : l’oréclle interne ,où labyrinthe, qui est la partie la plus profonde de l'organe; l'oreille moyenne, ou cavité du tympan, qui est déjà plus rapprochée de l'extérieur ; et enfin, l'oreille externe, qui est la partie de l’organe qui apparaît au dehors du corps. 1° Oreille interne, ou labyrinthe.C’est la partie la plus profonde et en même temps la plus essentielle de lor- 360 FONCTION DÉ LA SENSIBILITÉ. gane : elle consiste en plusieurs cavités anfractueuses , creusées dans l’apophyse pétrée de l’os temporal, et qui recoivent l'expansion finale du nerf de l’ouie; savoir , le vestibule , les canaux demi-circulaires et le limacon. Le vestibule est la partie moyenne du labyrinthe, et est ainsi nommé parce qu’il conduit, et dans les canaux demi-circulaires qui sont en arrière , et dans le limacon qui est en devant. C’est la partie la plus essentielle de lor- gane de l’ouie, puisque souvent il est la seule qui existe. C'est une cavité à peu près sphéroïdale , située en dehors du conduit auditif interne, en dedans de la cavité du tympan, en avant des canaux demi-circulaires , en arrière du limacon , et communiquant par plusieurs ouvertures avec ces diverses parties. En effet, à sa face interne, sont d’abord beaucoup de petits trous, qui correspondent au fond du conduit auditif interne , et par lesquels arri- vent les filets du nerf acoustique. A sa face externe , est une ouverture fermée d'une membrane, dite fenétre ovale , qui le fait communiquer avec la cavité du tympan. En arrière, en sont cinq autres, qui le font communi- quer avec les canaux demi- circulairés. En avant , en est une qui le fait communiquer avec une des moitiés du limacon, avec ce qu’on appelle la rampe externe de ce limaçon. Enfin, en arrière et en bas, près l’orifice commun des deux canaux demi - circulaires appelés ver- ticaux , est l’orifice d’un petit canal osseux, qui aboutit d’autre part à la face postérieure du rocher, dans une petite cavité de la dure-mère , et qu’on appelle aqueduc du vestibule. Les canaux demi-circulaires occupent la partie posté- rieure du labyrinthe , et sont au nombre de trois, 1° un appelé vertical supérieur , transversal au rocher ; s’ou- SENS DE L'OUIE. 561 vrant , d’un côté, à la partie antérieure et supérieure du vestibule , et de l’autre, à la partie postérieure et interne de ce même vestibule , par un orifice qui lui est commun avec un des autres canaux. 2° Un autre, appelé verti- cal postérieur, perpendiculaire comme le précédent, mais placé dans le sens de la longueur du rocher; et ouvert d’un côté à la partie postérieure et inférieure du vestibule , de l’autre, à sa partie postérieure et interne par le même orifice que le vertical supérieur. 5° Enfin, un troisième, appelé horizontal, plus petit , plus court, et qui s'ouvre dans le vestibule, d’un côté, entre l’ori- fice antérieur du vertical supérieur et la fenêtre ovale, de l’autre, entre l’orifice unique du vertical postérieur et l'orifice commun des deux canaux verticaux. Le nom de ces canaux indique leur figure : ils ne sont pas uni- formes dans leur capacité ; leurs orifices aussi sont iné- gaux, mais toujours ouverts, de sorte que du mercure qui est injecté dans le vestibule les pénètre. Leurs parois sont formées d’une lame compacte, plongée dans le tissu spongieux du rocher. Ils sont la première partie qui s'ajoute au vestibule. Le limaçon est la partie la plus antérieure du laby - rinthe , et est ainsi nommé à cause de sa forme, qui cependant , n’est celle d’un limaçon que dans les mam- mifères et dans l’homme. Chez ce dernier, c’est un canal conoïde, contourné en spirale, faisant deux tours sur lui- même , et reposant sur un noyau osseux, qui fait comme l'axe de la cavité toute entière. Le limacon de l'oreille droite est contourné comme une coquille ordi- naire; celui de l'oreille gauche l’est en sens opposé, ce qui peut servir à les faire distinguer. La base du noyau est 6AGavée , et correspond au fond du conduit auditif in- 562 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. terne ; elle est percée de petits trous par lesquels arri- vent à l'organe les filets du nerf acoustique. Son: sommet se termine au milieu du canal spiroïde par une petite cavité qu'on appelle Fentonnoir, Le canal qui tourne autour de ce noyau, est partagé par une cloison moilié osseuse el moilié membraneuse , en deux parties qu’om - appelle rampes : l’une, dite supérieure , externe , vesti- bulaire, s’ouvrant dans le vestibule, à la partie anté- rieure el inférieure, est plus étroite et plus longue; l’autre, appelée inférieure , interne , est plus large , plus courte, et commence à une ouverture fermée d’une membrane , appelée fenétre ronde, e& qui établit. une autre communication de l'oreille interne avec l'oreille moyenne. Ces deux rampes vont toujours en se relrécis- sant, à mesure qu’elles s’approchent du sommet du limacçon : là, elles communiquent entre elles. La partie osseuse de la cloison.est fixée au noyau osseux, et est composée de deux lamelles, entre lesquelles existent beau= coup de petits canaux pour les nerfs ; la partie mem braneuse est fixée au.côté opposé, et existe seule au sommet; elle est très-mince, sèche, cassante , amaloguë | à la membrane du tympan , dont nous parlerons ci-après. Enfin , à la rampe interne ou tympanique, près la fenêtre | ronde , commence un canal osseux, qui, s'élargissant de plas en plus va s'ouvrir à la face postérieure du rocher, | etest appelé l’aquedue du limaçon. Celimacon, dureste; non-seulement n'existe pas dans tous les animaux qui onf | une oreille, mais encore, quandilexiste, iln’apas toujours | le même degré de complication : par exemple, dans les! poissons, il est réduit à deux ou trois petites pierres contenues dans le vestibule; et dans Les oiseaux, il n’est! qu’un simple cône qui n’offre aucune spirale. , SENS DE L OUÏE. 363 Mais ces trois parties, vestibule , canaux demi-cir- culaires et limaçon, ne’‘sont pas la partie essentielle de l'organe ; elles ne sont que la cavité osseuse dans laquelle siége celle-ci , qui est une membrane à laquelle abou- tissent Les derniers filets du nerf acoustique. En beaucoup d'animaux, en effet , cette membrane existe seule , et n'a pas de parois osseuses : dans les poissons, par exemple, toutes les parties que nous venons de décrire sont pure- ment membraneuses. Le rocher , selon les zoologistes , n’est pas un os ducräne, mais seulement l’encroûtement de la partie fibreuse externe de la membrane de l'oreille interne. Une membrane très-fine , très-délicate , tapisse donc toutes les cavités du labyrinthe , et le vestibule, et le limacon , et les canaux demi-circulaires : dans ces derniers , elle forme comme un tuyau membraneux ren- fermé dans le tube osseux , mais d’un diamètre plus petit, et qui est attaché à l'os par un tissu cellulaire très-fin , et comme muqueux ; elle forme mêmeen avant d'eux, et dans le vestibule , deux sacs flottans dans la cavité du labyrinthe. La nature de cette membrane est ignorée : ce qu'il y a desûr , c’est qu’elle n’est, ni un périoste , ni une membrane vibratile du genre de celle du tympan : elle exhale un fluide très-limpide , qui remplit toutes les cavités, et qu’on appelle la {ymphe de Cotugno. C'est à elle que se termine le système nerveuxespécial de l’ouïe , le nerf acoustique. Ce nerf naît dans la moelle allongée; près la paroi antérieure du quatrième ventricule , dans des filets de substance grise , qui forment ce qu’on appelle le ruban gris. C’est ce lieu dont M. de Blainville fait son qua- trième ganglion encéphalique. De ce point , lé nerf se €'ige obliquement en dehors , en avant et en haut, 864 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. ei s'engage dans un canal situé à la face postérieure du rocher, et appelé conduit auditif interne, Ge canal , qui, chez les animaux n’est souvent qu’un trou, répond dans son fond à la face interne du vestibule , et à la base de l’axe du limacon; là , il offre d’abord un pre- mier trou , par lequel un nerf, autre que Facoustique , le facial, passe pour s'engager dans ce qu’on appelle Pæ- queduc de F'allope , distribuer des filets à diverses parties de l’oreille moyenne , et sortir ensuite par le trou stylo- mastoïdien , et se perdre dans les muscles de la face : il en offre ensuite beaucoup d’autres, par lesquels les filets du nerf acoustique arrivent dans le labyrinthe. Ces filets se partagent là en deux sortes de rameaux ; les uns très-nombreux , mais solides, et assez semblables à ceux de l’olfactif, se distribuent au limacon; les autres beau- coup plus mous , comme diffluens , se distribuent au ves= tibule et aux canaux demi-circulaires ; ils se terminent . tous par des ramifications très-déliées dans le tissu et à la surface de la membrane. 2° Oreille moyenne, ou cavité dutympan. Gette par- tie consiste chez l’homme dans une cavité creusée dans l'intérieur du rocher, plus en dehors que le labyrinthe , d’une figure hémisphéroïdale , communiquant au dehors par un canal qui est toujours ouvert , étant par suite tou- jours remplie d'air , traversée de part en part par une chaîne de petits osselets ; et enfin, placée entre l'oreille interne , qui est plus en dedans qu’elle , et l'oreille ex- terne, qui est plus en dehors ; et communiquant avec l'une et avec l’autre. C’est à sa paroi interne que sont ses communications avec l'oreille interne : cette paroi offre 1° en haut une ouverture appelée fenétre ovale ou vestibulaire , dirigée SEXS DE L OUIE. 565 horizontalement , et qui fait communiquer cette cavité du tympan avec le vestibule. Gette ouverture est fermée par une membrane qui est composée de trois feuillets : un interne, qui appartient à la membrane labyrinthique ; un externe. qui dépend de la membrane que nous verrons tapisser la cavité du tympan , et un moyen qui est le seul qui lui soit propre. Entre ces deux derniers, se trouve cernée une des extrémités de la chaîne d’osselets que nous avons dit traverser de part en part la cavité du tympan, celui des os qui termine cette chaîne , et qu’on appelle l’étrier ; 2° en bas et en arrière , une autre ou- verture , appelée fenétre ronde ou cochléaire , qui fait communiquer la cavité du tympan avec la rampe interne du limacon. Cette ouverture est fermée aussi par une membrane , composée également de trois feuillets , qui sont comme ceux de la fenêtre ovale ; les seules diffé- rences sont , que cette membrane n’est pas parallèle , mais oblique à celle du tympan , et ne recoit pas comme la précédente l’attache de la chaîne des osselets. Entre ces deux ouvertures de communication avec l'oreille interne , la paroi interne de la cavité du tympan fait une saillie qui résulte du vestibule et du limacçon qui sont par derrière , et qu’on appelle le promontoire. Au-dessus et en arrière de la fenêtre ovale , se trouve aussi une saillie osseuse qui dépend d’un canal osseux , appelé aquedue de Fallope , qui existe par derrière. C’est au contraire du côté externe que se trouve la communication de l’oreille moyenne avec l'oreille ex- terne. Là se trouve en effet une ouverture , qui corres- pond au fond du conduit auditif externe , et qui est fer- -mée par une membrane appelée lamembrane du tympan. Cette membrane, située obliquement de haut en bas, et 596 . 2. FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. de dehors en dedans , est un peu plus étendue que le trow qu’elle bouche , ce qui lui permet de s’enfoncer de l’un ou l’autre côté ; elle est plus généralement enfoncée dans la cavité du tympan. Long-iemps on a cru qu’elle était percée d’un trou dans son centre ; mais cela n’est pas. Elle est formée de trois feuillets : un extérieur qui n’est que la couche muqueuse dermoïde du conduit auditif externe ; un intérieur , qui appartient à la membrane de la cavité du tympan ; et un moyen, qui est le seul qui Jui soit propre. Celui-ci se sépare assez facilement du feuillet externe ; mais son adhérence avec le feuillet in terne est beaucoup plus forte. Entre ceux-ci se trouve comprise l’autre extrémité de la chaîne des osselets, celui de ces os qu’on appelle le marteau ; de sorte que cette chaîne, par une de ses extrémités , le marteau, est atta- chée à la membrane du tympan, et par l’autre , l’étrier, à celle de la fenêtre ovale. Ce feuillet propre est du reste une membrane sèche, mince , transparente , sans vais= seaux sanguins , Lels que sont ceux des membranes de la fenêtre ovale et de la fenêtre ronde. Dans la paroi antérieure de la caisse du tympan est le canal par lequel cette cavité communique au dehors, | et recoit l’air qui la remplit. Ce canal, appelé trompe d'Eustachi, ou conduit guttural du tympan, est long de deux pouces , et s’étend dans une direction oblique | en avant et en dedans , depuis la partie antérieure de la cavité du tympan jusqu’à la partie latérale et supérieure du pharynx, derrière l’ouverture postérieure des fosses | nasales. [1 va , en s’évasant, du côté du pharynx , où son orifice , de ferme ovalaire, ressemble à une fente ; il est | en partie osseux , et en partie fibro-cartilagineux et mem- | braneux : la portion ossense en fait le tiers postérieur, SENS DE L’OUÏE. 567 el est creusée dans le temporal ; le sphénoïde la com- plète un peu en avant et en dehors : la partie fibro-car- tilagineuse en fait la paroi interne , et c’est à elle sur- tout que la trompe doit de n'être pas affaissée dans les mouvemens de la déglutition ; elle s'attache à la lame externe de l'apophyse ptérigoïde, et au cartilage qui bou- che le trou déchiré postérieur : enfin, la portion mem- braneuse forme presque à elle seule Le côté externe, et en même temps tapisse tout le canal : elle paraît être un prolongement de la membrane muqueuse nasale , et res- semble d'autant plus à un périoste, qu’on l’examine plus près de la cavité du tympan. Dans ces derniers temps, ox est parvenu à faire des injections par cette trompe dans la cavité du tympan. Les muscles qui composent et meuvent le voile du palais, savoir , les péristaphylins interne et externe, en agissant sur le voile du palais, modilient un peu l'ouverture de la trompe &’Eustachi ; le premier la rétrécit , et le second la dilate. Enfin, la cavité du tympan offre, en arrière et en haut , un canal court et raboteux , qui conduit dans des cellules creusées dans l’apophyse mastoïde , cellules qui sont variables en nombre , en grandeur . en disposition , qui communiquent entre elles, et qu’on appelle cellules mastoidiennes. Telle est la cavité du tympan, qui, généralement, est d'autant plus ample dans les animaux, qu'ils ont V'ouie plus délicate, qui est très-grande, par exemple, dans le chat, les animaux nocturnes. Chez l’homme , elle a trois lignes de profondeur et cinq à six de largeur , et est creusée dans un os particulier, dépendant de l’ap- pendice de la mâchoire inférieure , et appelé os du tym- pan. Souvent même l’ouverture du tympan constitue 568 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. un os spécial, appelé cadre du tympan; mais, chez l'homme, tout cela est fondu en un seul et même os, le temporal. Cette cavité est tapissée par une membrane un peu fibreuse extérieurement, mais muqueuse inté- rieurement, et qui paraît être un prolongement de la muqueuse nasale ; nous avons indiqué les feuillets que cette membrane fournit aux membranes propres de la fenêtre ovale , de la fenêtre ronde et de l’ouverture du tympan : elle pénètre aussi dans les cellules mastoiïdien- nes , et se replie sur les osselets ; elle exhale une séro- sité dont le superflu s'écoule dans le pharynx par la trompe d’Eustachi. Mais la cavité du tympan , avons-nous dit, est traver- sée par une chaîne de petits os, articulés entre eux de manière à former un levier angulaire , et dont une extré- mité est attachée à la membrane du tympan, et l’au- tre à celle de la fenêtre ovale. Ces petits os sont au nombre de quatre : le marteau, l'enclume , Vorbicu- laire et l’étrier ; ils sont articulés les uns aux autres de dehors en dedans dans cet ordre, et de manière à pou- voir un peu se mouvoir les uns sur les autres. La mem- brane muqueuse de la cavité du tympan qui se replie sur eux , est ce qui fait leur principal lien. Un petit ap- pareil musculaire sert à les mouvoir , et se compose de trois muscles : 1° le muscle interne du marteau, qui, implanté au cartilage de la trompe d’Eustachi, et à la face inférieure du rocher , pénètre dans la caisse par un canal situé à la paroi antérieure de cette cavité , au des- sus de la trompe d’Eustachi, se contourne là sur une petite poulie appelée bec de cuiller, ou éminence troch- léiforme , et se fixe enfin à une apophyse qui unit le col et le manche du marteau: il tire cet os en dedans et en SENS DE L'OUIE, 309 ävant , et, à cause de cela, Ælbinus l'avait appelé le ten- sor tympan ; 2° le muscle antérienr du marteau, qui, de l’apophyse épineuse du sphénoïde, et de la partie externe de la trompe d’Eustachi, se dirige en arrière et en dehors, vers la fente glénoïdale , s’y engage, et va s'attacher , vers le col du marteau, à une apophyse de cet os, dite de Raw; il tire ce petit os en avant et en dehors, et conséquemment relâche la membrane du tympan; 5° enfin, le muscle de l’étrier, qui est logé dans la cavité d’une éminence osseuse, située à la pa- roi postérieure de la cavité du tympan, au-dessous de l'ouverture des cellules mastoïdiennes , appelée la pyra- mide, et qui, de là se porte en avant à la partie posté- rieure du col de l’étrier ; il fait basculer ce petit os, et conséquemment tend la membrane de l’ouverture ves- tibulaire. Quelques anatomistes indiquent un quatrième muscle , le muscle externe du marteau, qui, de la partie interne , supérieure et postérieure du conduit auditif, ya s'attacher au col du marteau , tire cet os en dehors, et par suite relâche la membrane du tympan; mais le Plus souvent ce quatrième muscle n’est pas distinct. Gomme on le concoit, ce n’est pas le nerf acoustique qui anime ces muscles, c’est Le nerf facial, pendant son trajet souterrain dans l’aquéduc de Fallope; ce nerf envoie un filet au muscle interne du marteau, un autre au muscle de l’étrier, et surtout fournit ce rameau par- ticulier appelé corde du tympan , qui, entrant dans Ja caisse par un trou situé à sa face postérieure , au-dessus de la pyramide, la traverse de part en part, sort en avant par la félure de Glaser, ct va s’anastomoser en dehors de l'oreille avec le nerf lingual. Telle est l'oreille moyenne, qui n’existant pas dans 1. 24 370 FONCTION.DE LA SENSIBILITÉ. ‘ tous les animaux qui ont une oreille, ne commence à se montrer que dans les reptiles, et n'offre pas le même degré de complication dans tous ceux où elle existe. Souvent , en effet, il n’y a qu’une caisse de tympan sans les osselets , souvent il n’y a qu’un seul de ces petits os. 3° Oreille externe. C’est la partie la plus extérieure de l'organe , et elle semble être un cornet acoustique, desti- né à recueillir les rayons sonores , et à les diriger dans les parties plus profondes ; elle se compose du conduit auditif externe et du pavillon. Le conduit auditif externe est un canal cylindroïde, placé entre l'articulation temporo -maxillaire et l’apo- physe mastoïde, long de dix à douze lignes, étendu de la conque externe à la membrane du tympan. Dirigé en dedans , en arrière et en bas, il est plus long à sa paroi inférieure qu'à sa paroi supérieure , à cause de l’obli- quité de la membrane du tympan qui en fait le fond, et plus étroit dans son milieu qu'à ses extrémités. Profondément , et dans une longueur de six lignes, il est tout osseux, et creusé dans l’os temporal; mais plus en dehors, c’est un fibro-cartilage, prolongement de celui de la conque , qui le forme. Ge fibro-cartilage a la f= gure d’un tube qui achève le canal osseux ; cependant en haut et en arrière , il offre quelques fentes auxquelles on à donné le nom d’incisures de Santorini. Un pro-| longement de la peau revêt intérieurement cette char pente mi-osseuse et mi-cartilagineuse; il est d’autant | plus ténu , qu’on l’examine plus profondément; recou- vert d’un léger duvet, il offre quelquefois quelques poils tout près de l’orifice externe , et contient , dans son épais- | seur, des follicules qui fournissent une humeur oléo- D SENS DE L'OUIE, 971 muqueuse , appelée cérumen , qui lubréfie le canal. On dit qu'il y a un petit appareil de muscles, destiné à faire varier le calibre de ce conduit; du moins on a signalé, sous le nom de muscle de la grande incisure, quelques fibres musculaires aux environs des incisures de Santo- rint. Le pavillon, ou conque, est cette partie la plus exté- rieure de l'oreille, mince, large , élastique, de forme à peu près ovale , située sur les côtés de la tête, et qui fi- gure assez mal une conque, un cornet acoustique , parce qu’elle n’est qu’un vestige de ce qu’elle est en certains animaux. Elle n’est , en effet , nullement dirigée en avant, du moins dans notreétat social perfectionné. Elle présente, en dehors, différentes saillies et enfoncemens, auxquels les anatomistes ont donné les noms d’héliæ, d’anthélix, de tragus, d’antitragus , de rainure de l'hélix , de fosse naviculaire et de conque. L’hélix marque le contour du pavillon; le tragus est ce petit mamelon qui est placé au devant du conduit auriculaire ; la conque est l’en- foncement borné par les éminences anthélix, tragus et antitragus. Du reste, tout cela est spécifique à l'oreille externe de l’homme, qui, seule aussi, se termine en bas par celte partie graisseuse à laquelle on suspend des bijoux, et qu'on appellele lobule. À mesure qu’on descend dans la série des animaux, ce lobule disparaît, la moitié inférieure du pavillon se supprime; et la supérieure , au contraire , se déroule , et s’allonge en cornet. Ajoutons que cette conque qui, chez l’homme, est située entre la ligne des yeux et celle du nez, va, en s’élevant de plus en plus , dans la série des animaux. Ce qui forme le corps de ce pavillon, est un fibro- cartilage qui cependant ne se prolonge pas jusqu’au 24" 872 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. lobule , mais qui pénètre dans le conduit auditif externe ; et concourt à le former. C’est à ce fibro-cartilage que le pavillon doit sa forme, son élasticité, sa solidité : il est recouvert par une couche de peau très-fine, et qu’as- souplit un fluide sébacé. Le tissu cellulaire qui unit la peau au fibro-cartilage , n’est jamais pénétré de graisse, afin que le pavillon ne cesse pas d’être élastique. L’at- tache de ce pavillon à la tête et au reste de l’oreille se fait : 1° par la portion tubuleuse du fibro-cartilage qui pénètre dans le conduit auditif externe ; 2° par trois li- gamens , qui sont formés par un tissu lamineux dense, et qui sont appelés, d’après leur situation et leurs atta- ches; l’un, le zigomato - auriculaire, où auriculaire antérieur; le second, le temporo-auriculaire , ou auri- culaire supérieur ; et le troisième, le mastoido-auri- culaire , ou auriculaire postérieur : ils se terminent tous à la convexité de la conque. Un appareil musculaire qui, à la vérité, n’est ici que comme vestige, est annexé à ce pavillon, pour le mou- voir ou le tendre. Il est composé de muscles extrinsèques et de muscles intrinsèques. Les premiers , qui meuvent le pavillon en totalité et servent à le fixer, sont au nom- bre de trois, disposés comme les ligamens que nous ve- nons de dénommer, et par conséquent appelés comme eux ; savoir : le zigomato-auriculaire , le temporo-auri- culaire , et le mastoïdo-auriculaire. Les muscles intrin- sèques font exécuter des mouvemens partiels à quelques parties du pavillon , et sont au nombre de cinq, le grand, muscle de l'hélix, le petit anuscle de l'hélix, le muscle du tragus, celui de l’antitragus, etlemuscle transverse. Cette oreille externe, la partie la moins importante de l’organe, ne commence à exister que dans les mam- SENS DE L'OUIE, 3758 mifères, mais souvent elle est plus compliquée chez eux que chez l'homme. 3° Mécanisme de l’Ouie. Il ne s’agitencore ici que de tracer la marche des rayons sonores à travers les oreilles externe et moyenne jusqu’à l'oreille interne , de faire voir leur application au nerf acoustique, et d’indiquer le rôle spécial de chacune des parties de l'organe. D'abord , l’arrivée des rayons sonores jusqu’au fond de l’oreilleexterne , etsurla membranedutympan , qui est le commencement de l'oreille moyenne, est un effet forcé de la situation et de la disposition des parties. Le conduit auditif externe est effectivement toujours ouvert. On a dit que dans ce premier acte de l'audition, le pa- _villon remplissait l'office d’un cornet acoustique, re- cueillant les sons, et les réfléchissant sur la membrane du tympan; on a signalé comme conditions de structure favorables à cet office , sa forme concave en dehors, sa nature fibro-cartilagineuse qui le fait jouir d’une grande élasticité, sa largeur qui est opposée à l’étroitesse du conduit auditif. Boërhaave a même avancé que les cour- bures que présente ce pavillon en dehors , étaient géo- métriquement disposées , de manière à refléchir toutes les ondes sonores dans le conduit auditif. M. Ztard conteste tout ce point de doctrine; ilavouen’avoir jamais vu, quoi qu'on en ait dit, la perte de l’auricule entraîner Tafaiblissement de l’ouie ; le pavillon ne pourrait rem- plir l'office qu’on lui attribue, qu’autant qu’il aurait là forme d’un cornet, ce qui n’est pas ; beaucoup d’ani- maux , qui ont l’ouie très-fine , n’ont pas de pavillon, la taupe, les oiseaux , par exemple; et chez ceux qui en 374 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. ont un figuré en cornet, et très-mobile , peut-être est-il plus nuisible qu'utile , et sert-il plus pour les expressions de l’animal que pour l'audition ? Sans adopter en entier l'opinion de M. Ztard , il est sûr que le pavillon est peu utile à l’audition. On à dit que les muscles qui lui sont attachés servent, les extrinsèques, à le diriger du côté d’où viennent les sons ; et les intrinsèques , à le tendre pour lui donner plus d’élasticité, et rendre le conduit auditif plus accessible en écartant le tragus et l’anti- tragus : mais il est évident que tout cela estpeu marqué. Quant au conduit auditif externe, on a relevé comme conditions de structure heureuses , sa nature moitié osseuse et moitié fibro-cartilagineuse qui le rend très- élastique ; et sa courbure qu’on a dit propre à ajouter à l'intensité des sons. Peut-être celle-ci ne sert-elle qu’à garantir la membrane du tympan de laction trop di: recte de l’air et des agens extérieurs ; ce qu'il y a de sûr au moins, c’est que dans tous les animaux qui ont un conduit auditif, ce conduit est tortueux. On a dit aussi que les poils qui sont à l'entrée de ce conduit tami- sent l'air, et empêchent les atômes suspendus dans ce gaz d'y pénétrer; que le cérumen éloigne , par son amertume, les insectes dont la présence troublerait Vaudition, et en même temps entretient le bon état du conduit ; qu’enfin le muscle des incisures de Santorini sert à rapprocher les bords de ces incisures. Dans tout cela , éciate le désir d’assigner une fonction aux parties les plus insignifiantes de l’organe. Le son parvenu à la membrane du tympan, celle-ci à raison de sa nature sèche et vibratile , partage prompte- ment les oscillations sonores ; et promptement aussi ces oscillations sont propagées à travers l'oreille moyenne ‘SENS DE L'OUÏE. 375 jusqu'aux membranes des fenêtres ovale et ronde qui commencent l'oreille interne. Cette transmission se fait par l’air qui, pénétrant sans cesse par la trompe d’Eus- tachi , remplit la cavité du tympan ; et cet air doit d’au- tant mieux remplir cet office qu’il est renfermé dans une cavité à parois très-denses , partant très-élastiques , et qui réfléchissent sur lui jusqu'aux moindres vibrations. On avait cité encore comme agens de cette transmis- sion , la chaîne desosselets qui s’étend , comme on sait, de la membrane du tympan à la membrane de la fenêtre ovale , et les parois même de la caisse du tympan, qui, toutes osseuses et composées surtout d’une substance très-dure et partant très-élastique, semblaient très- propres à transmettre au labyrinthe les oscillations. Mais le fait est douteux au moins , pour ce qui est de la chaîne des osselets; et, certainement , il est faux quant aux parois de la caisse du tympan , qui peuvent bien propa- ger les vibrations d’un corps sonore qui leur est immé- diatement appliqué, mais non répéter les oscillations sonores de l’air , comme nous le montrerons ci-après. Mais nous ne devons pas neus borner à cette exposi- sion générale , il faut encore chercher à spécifier le rôle propre de chacune des parties de l'oreille moyenne, comme on l’a fait de celles de l'oreille externe; et c’est ici que notre ignorance, sur beaucoup de points, va éclater. Sans doute, en réfléchissant sur la disposition de la caisse du tympan, terminée de deux côtés par une “membrane très-élastique, et percée d’une ouverture analogue à celle qui se trouve au centre de la partie cylindrique d’un tambour, on ne peut guère mécon- naître en elle un véritable instrument d’acoustique des- tiné à recevoir , renforcer et propager les ondes sonores. 376 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. Mais quel est le rôle de chacune des parties de cette oreille moyenne ? D'abord , il est certain que la membrane du tympan répète et recoit les vibrations sonores. Mais on a formé quelques conjectures de plus sur son action. D’une part, Dumas à dit qu'elle était elliptique, et composée de cordes diverses qui correspondaient chacune à autant de tons particuliers. D'autre part, admettant presque généralement que la chaîne des osselets, dont une extré- mité y est fixée, en fait varier la tension, on a voulu indiquer les circonstances de l’audition dans lesquelles elle se tend, et celles dans lesquelles elle se relâche. Selon les uns, cette tension est relative au degré d’in- tensité des sons, et telle que l’oscillation sonore parvient. àl’oreille interne dans un degré assez fort pour faire une impression, mais trop faible pour causer de la douleur; la membrane se tendrait pour un son trop faible, et se relâcherait pour un son trop fort. On cite à l’appui de cette opinion ce fait de quelques personnes, qui ne ouveient entendre des sons ordinaires, qu'après que: P leur oreille avait été frappée par des sons très-intenses ; ceux-ci, dit-on, ayant excité la membrane du tympan à se tendre. Selon d’autres, cette tension est relative au ton des sons, et alors la membrane se tendrait pour la production des tons graves, et se relächerait pour celle des tons aigus; ou , au contraire , se relâächerait pour la perception des tons aigus , et se tendrait pour celle des tons graves: car tour à tour l’on a dit l’une et l’autre" 5 chose. Il estprobable que le degré de tension de la mem- brane du tympan varie par les mouvemens de la chaîne des osselets ; en vain M. /tard dit avoir examiné à l’œil nu la membrane du tympan, et n’y avoir jamais re- | SENS DE L'OUIE. 977 marqué de mouvemens sous l'influence de sons variés, ou très-aigus ou très-graves, ou très-foris ou très- faibles ; en vain dit-il n’avoir pas vu davantage se mou- voir une soie de porc qu’il posait sur le centre de cette membrane ; la disposition des parties , l'existence seule des muscles des osselets , doivent faire croire à la réalité de ce fait. Mais il faut avouer que nous ignorons dans quelles circonstances et pour quel but de l'audition se font la tension et le relâchement. À la vérité , l'intégrité de la membrane du tympan n’est pas une condition absolue pour l'audition ; elle peut être percée , sans qu’il s’ensuive perte du sens ; on en a plusieurs observations, une entre autres de Riolan , relative à un sourd qui, s'étant accidentellement percé cette membrane avec un cure-oreille , avait recouvré l’ouïe ; cela même avait inspiré à Cheselden le projet de percer cette membrane sur un criminel qui était sourd , et qu'on exemptait de sa peine à ce prix ; et depuis, M. Ztard a pratiqué plu- sieurs fois cette opération avec succès. Mais cependant sa lésion le plus souvent entraîne des accidens ; quand elle s’est épaissie, l’ouie devient très-dure; et sa dé- chirure près l’attache du marteau prive de la faculté d’entendre la voix basse. La caisse du tympan, par l’air qui la remplit, sert à propager les ondes sonores: mais on a dit de plus, tantôt qu’elle diminuait l'intensité des sons, tantôt qu’elle les ‘renforçait. On à fondé la première opinion, sur ce que l'air qui la remplit est très-raréfié , et partant est moins élastique. En faveur de la seconde qui est plus vraisem- blable , on a fait valoir la très-grande densité, et, par conséquent , la très-grande élasticité des parois osseuses 978 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. de la caisse; son ampleur d’autant plus grande dans les animaux que l’ouie est plus délicate. On est encore plus dissident sur l'usage des cellules mastoidiennes. Selon les uns, elles favorisent la dilata- tion de l’air de la caisse ; selon les autres , elles servent de diverticulum à cet air , quand la membrane du tym- pan le presse; ceux-ci disent qu’elles ne font qu’ajouter à l’ampleur de la caisse; ceux là, qu’elles réfléchissent les rayons sonores , les concentrent , et ajoutent ainsi à l'intensité du son. Tout cela est conjectural. Seulement il ne paraît pas que la force de l’ouie soit en raison de leur étendue. Ces cellules, par exemple, ne sont chez aucun animal plus amples que chez les oiseaux ; au nom- bre detrois , dans ces animaux , elles se prolongent jus- que dans l’occipital, et vont se réunir à celles du côté opposé; et, cependant, les oiseaux ne sont pas, parmi les animaux , ceux qui ont l’ouie la plus fine. Toutefois, on a conseillé et pratiqué avec succès une ouverture de ces cellules à l’apophyse mastoïde, dans la vue de re- médier à une surdité qui , sans doute, avait sa cause dans une partie de l’oreille, appartenant à l'oreille ex- terne ou à l'oreille moyenne. Que n’a-t-on pas dit sur la chaîne des osselets ! Bé- renger de Carpi a prétendu que mus par l'air , ils frap- paient l’un sur l’autre , etformaient ainsi le son: Massa a fait seulement frapper le marteau sur la membrane du iympan. Ges deux assertions sont également fausses. Aujourd’hui, l’on n’assigne que deux offices à cette chaîne ; l’un, qui même peut être mis en doute, de propager mécaniquement le son de la membrane du tympan à la membrane vestibulaire ; l’autre, de faire varier le degré de tension de ces deux membranes. Mais, SENS DE L'OUÏE. 379 à l’égard de ce dernier, on ignore en quelles circon stances de l’audition , et pour quel but se fait le mouve- ment de la chaîne des osselets ; est-ce dans un rapport avec la force du son, ou avec son ton, ou seulement lors de l'exercice actif du sens ? ce mouvement est-il volontaire ou non ? I] y a même controverse sur la ma- nière dont agit ce petit levier angulaire : les uns font tendre la membrane du tympan par le jeu des muscles du marteau , et la membrane vestibulaire par le muscle de l’étrier : M. Chaussier , au contraire , dit que ce levier agit par un mouvement de bascule, et conséqueniment que c’est le muscle de l’étrier qui agit sur la membrane du tympan, et ceux du marteau sur la membrane ves- tibulaire: il y a dans tout cela beaucoup de choses ignorées. Le certain, c’est que ces petits os se meuvent; si cela n’était pas, à quoi serviraient les muscles qui y sont attachés ? M. Ztard dit que leur lésion prive de la faculté d’entendre la voix basse. A cause de leur action présumée sur la membrane du tympan, on a dit que cette membrane était dans l'oreille ce qu'est la pupille dans l'œil; qu’elle se proportionnait aux ondes sonores, comme la pupille aux rayons lumineux ; mais le premier fait est beaucoup moins démontré que le second. La trompe d’Eustachi paraît ne servir qu’à introduire et renouveler sans cesse dans la cavité du tympan, l'air qui doit y être le véhicule des vibrations sonores : elle est l’analogue du trou, sans lequel l'air n’éprouverait aucun mouvement vibratil dans un tambour. À cet oflice réel, on a ajouté cet autre, d’être un second conduit auditif pour l’arrivée des sons. Mais, si l’on place une montre dans la bouche, on n’en entend le son qu'autant qu'elle touche les dents; en vain une personne vousparle 280 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. dans la bouche, elle n’est pas entendue si le conduit auditif externe est complètement bouché; ilest sûr que les sons qu’apporte l’air ne peuvent parvenir que par le conduit auditif externe; et, dans tous les cas où ces sons ont paru arriver par la trompe d’Eustachi , c’est que le corps sonore avait été mis dans un contact immédiat avec les dents ou quelques autres parties osseuses de la tête. N’est-il pas vraisemblable , d’ailleurs, que si des sons arrivaient par la trompe d’Eustachi en même temps que par le conduit auditif externe , il en devrait résulter de la confusion dans la sensation ? On a cité comme preuves de l’assertion que nous combattons, que, géné- ralement, on ouvre la bouche, quand on veut mieux entendre; et qu’on entend mieux après un bâillement : mais le premier fait tient à l'expression faciale que com- mande alors l’atténtion, ou au désir d’ouvrir davantage le conduit auditif externe : et quant au second, si l’on entend mieux après un bâillement , c’est que la grande inspiration qui constitue ce phénomène a renouvelé l'air de la caisse , et a balayé les mucosités quiengouent souvent l’orifice de la trompe. Il est même digne de remarque que pendant le bâillement on est sourd, probablement parce que l’entrée de l'air dans la caisse du tympan par la trompe d’Eustachi est momentané- ment empêchée. On a encore assigné à la trompe l’usage d’être une voie de reflux pour l'air de la caisse, quand il est ébranlé par des sons trop forts. Toutefois , bien que la trompe d’Eustachi ne serve que mécaniquement à l'audition, elle y est prochainement nécessaire, et son occlusion entraîne constamment la surdité. Peut- être est-il utile de faire remarquer, comme induction propre à faire reconnaitre les usages des cellules mas- SENS DE L'OUIE. 351 toïdiennes , que l’'orifice de la trompe dans la caisse du tympan est toujours diamétralement opposé à l'ouverture de ces cellules. Telles sont les conjectures qu’on a faites sur l'office de chacune des parties de l’oreille moyenne. Conduisons maintenant les sons des membranes des fenêtres ovale et ronde, jusqu'aux filets du nerf acoustique , à travers l'oreille interne. Les membranes vestibulaire et cochléaire , qui sont sè- ches et vibratiles comme la membrane duiympan, sont les moyens de communication de l'oreille moyenne à l'oreille interne. On a bien indiqué encore comme voie de transmission les parois mêmes du rocher dans lequel se trouvent à la foiset l'oreille moyenne et l'oreille interne ; mais ces parois ne peuvent propager le son qu'autant que le corps solide dont celui-ci provient leur est immé- diatement appliqué. Des membranes vestibulaire et *cochléaire , les vibrations sont transmises à la lymphe de Cotugno qui remplit tout le labyrinthe; et celle-ci les applique enfin aux filets du nerf acoustique que nous avons vu aboutir à la surface de toute la membrane labyrinthique. Mais il faut encore, dans cette transmission générale du son à travers l’oreille interne , chercher à indiquer le rôle de chacune des parties qui y existent ; et c’est encore ici que beaucoup de choses vont être ignorées. La membrane vestibulaire évidemment propage les vibrations sonores de l'oreille moyenne à l'oreille interne. Mais on a dit de plus qu'elle était composée de zones diverses qui correspondaient chacune à autant de tons différens : on peut admettre surtout que le jeu des osselets fait varier son degré de tension; et dès lors on est à 582 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. trouver encore, dans quelles circonstances de l'audition et pour quel but elle est modifiée. On est en débat aussi sur la question de savoir si ce sont les muscles du marteau , ou celui de l’étrier, qui agissent sur elle. Ce sont absolument les mêmes controverses que relative- ment à la membrane du tympan. Sa déchirure n’en- traîne pas absolument la perte du sens. La membrane cochléaire a le même usage : seulement la chaîne des osselets ne peut pas en modifier la tension : on a dit que la lymphe de Cotugno, pressée par la mem- brane vestibulaire la faisait saillir dans la cavité du tym- pan; mais , indépendamment de ce qu’on ne pourrait pas préciser quels effets résulteraient de cette tension, le fait lui-même est douteux. La lymphe de Cotugno est évidemment un fluide de transmission ; et il est heureux qu’elle soit renfermée dans une cavité osseuse très-dense , et par conséquent très-élastique. En même temps qu’elle touche de toutes parts la membrane labyrinthique, et que, conséquem- ment, elle lui transmet facilement l’oscillation qu'elle répète , peut-être sert-elle aussi à entretenir le nerf dans un état de souplesse convenable. Sa dispersion dans les circonvolutions formées par les canaux demi-circulaires et les deux rampes du limacon est aussi une chose favo- rable. Jadis son existence n’était pas connue, et l’on croyait que c'était un gaz qui remplissait les cavités labyrinthiques. De nos jours, M. Ribes a voulu rappeler à cette opinion des anciens anatomistes ; mais M. Ztard soutient que ce n’est qu’accidentellement qu'on a trouvé de l’air dans l'oreille interne , et que c'est bien une sé- rosité qui remplit le labyrinthe. Cotugno supposait que dans l’audition, cette lymphe ébranlée par la membrane a. — — . — _- — — - —— a EE SENS DE L'OUIE. 385 vestibulaire, était poussée du vestibule dans les canaux demi-circulaires d’une part, et danslelimacon del’autre , pour revenir à ce même vestibule, et qu’elle parcourait ainsi un cours régulier qu’il appelait le grand et le petit cireuit. Mais cette lympheremplit trop complètement le labyrinthe pour qu’elle puisse éprouver d’aussi grands” déplacemens , et elle ne fait que propager de proche en proche les vibrations. Elleexiste du resteen touteoreille, et paraît essentielle à l’audition. Duverney, Perraule, Valsalva avaient admis que la membrane labyrinthi- que elle-même répétait les vibrations que lui apportait la Jymphe de Cotugno; ce dernier faisait jouer un grand rôle aux zones sonores que le prolongement de cette mem- brane dans les canaux demi-circulaires et le limacon était dit constituer. Mais à quoi serviraient ici ces vibra- tions ? au-delà de la membrane labyrinthique, il n’y a que des os; et dans cette membrane est le nerf qui doit recevoir l'impression. Quant au vestibule , le limacon et les canaux demi- circulaires, le premier n’est qu’une cavité de communi- cation entre les deux derniers ; et les deux autres, proba- blement , ne serventencore qu’à la transmission des sons, et non à leur perception. Gomme généralement, dans les organes des sens, toutes les parties qui sont au devant du nerf sont destinées à des usages physiques : comme ces parties , dans l’œil, par exemple, sont certainement comparables à des instrumens de dioptrique, à des verres ; on a pensé qu'il en était de même dans l'oreille , et l’on a comparé le limacon et les canaux demi-circulaires à des instrumens d’acoustique. Ainsi, Lecat voulait qu’il y eût dans l'oreille production des vibrations sonores , comme il y a dans l’œil production d’une image; et, 584 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. d’après cette idée , il conjectura que le limacon était un clavier instrumental, composé de beaucoup de petites cordes tendues le long de la cloison médiane , ayant des grandeurs et des grosseurs diverses et ordonnées entre elles, et destinées à vibrer isolément et à l’unisson de chaque ton. Mais on peut objecter : 1° que les nerfs qui sont placés sur la cloison du limaçon ne sont ni tendus ni élastiques , qu'il n’y a tout au plus que la partie mem- braneuse de cette cloison médiane qui pourrait vibrer , et qu’alors on ne voit pas comment une de ses parties pourrait vibrer sans l’autre; 2° que, dans la série des animaux , la délicatesse de l’ouie n’est pas en raison du degré de complication du limacon. Beaucoup d’animaux en effet ont à ce limacon plus de tours que l’homme , le cochon d’Inde , par exemple, et n’ont pas une ouïe plus délicate : et, au contraire, d’autres animaux , Comme les oiseaux auxquels on peut supposer une ouïe susceptible de percevoir tous les tons puisqu'ils sont musiciens et chanteurs, ont le limacon plus imparfait, et borné à un simple canal conique. Lecat avait, à la vérité, prévu” cette objection, et croyait y répondre en disant que la tête des oiseaux n’étant pas matelassée de muscles comme celle des mammifères , était sonore dans toute son éten- due ; mais ce dernier fait est faux : et, à supposer qu'il fût vrai, où serait ici cette gradation supposée de filets destinés à vibrer à l’unisson de chaque ton ? On a voulu attribuer un semblable office aux canaux demi-circulaires , et dire que les sons se produisaient en eux comme dans un jeu d’orgue. Boërhaave , par exem- ple , les supposait composés d’une suite d’arcs de ditfé- rens diamètres, et destinés à produire autant de tons diflérens. D’autres les ent dit remplis de fluides qui SENS DE L’OUÏE. 38 5 avaient des densités différentes, et qui par conséquent vibraient d’une manière diverse. Tout cela n’est évidem- ment qu'hypothèse. Généralement toutes ces parties de l'éreille interne sont situées trop profondément pour qu’on puisse découvrir leurs oflices ; et l’on n’a que les maladies de l’ouie dans l’espèce humaine qui puissent apporter ici quelques lumières. Si l’on suppose en effet une lésion quelconque du limacon et des canaux demi- circulaires , et que cette lésion entraîne une modification importante dans la perception des sons, on pourra en déduire après la mort l’usage de ces parties ; mais ce sontencore autant d’obser::#ons à faire. L’anatomie com- parée ne peut pas nous éclairer ici; car, en même temps qu’on observe la structure de l'oreille dans un animal, il faudrait pouvoir juger du caractère de son audition, ce qui est impossible , puisqu'il faudrait être un instant lui-même. Toutefois, en observant que ces parties de Voreille interne varient bien plus en grandeur, en pro- portion, en position dans les animaux , que ne diffère Vouie dans ces animaux, on se convaincra que ces par- ties servent plus à recevoir et à transmettre encore les ondes sonores, qu’à modifier le son, ou à en faire perce- voir spécialement telle ou telle nuance. _ Telle est la voie assez longue par laquelle les rayons sonores arrivent au nerf. Observons cependant que le son peut parvenir autrement que par cette filière , par ’intermède des os du crâne , mais seulement quand le corps sonore sera mis lui-même dans un contact immé- diat avec ces os. Le bruit d’une montre est entendu , bien que les oreïlles soient bouchées, quand la montre est tenue. entre les dents. Zngrassias cite observation d’un Espagnol , qui , devenu sourd par l’obstruction du con- | ie 29 386 FONCTION DE ELA SENSIBILITÉ. duit audilif externe, entendait le son d’une guitare em en plaçant le manche entre ses dents , ou en mettant dans sa bouche l’extrémité d’une baguette qui touchait par Pautre à l'instrument. lei se termine la partie physique de l’audition, ets : avec elle, notre savoir. La vibration sonore étant appli- quée au nerf, celui-ci developpe l'impression, qui est;la cause occasionelle de la sensation. Dirons-nous que cette action d'impression est trop moléculaire pour tomber. sous nos sens, et qu'elle ne nous est manifestée que part ! son résultal ? Répèterons-nous que nous ne savons rien d’elle, sinon qu’elle est une action vitale, qu’elle siéges dans le nerf acoustique, est le produit de son activité et qu’elle contient en elle tous les traits relatifs aux qua- lités diverses des sons ? c'est ce qui est inutile, d’après! ce que nous avons dit à l’occasion des autres sens. Il vaut mieux parler aussitôt des usages du sens de l’ouie. Sa fonction immédiate est de donner la sensation! des sons ; et, quant à ses fonctions médiates , plus multi- pliées que celles des deux sens précédens ; elles ont fait! ! mettre ce sens parmi ceux qui, avec le toucher et la! vue, servent prochainement l'intelligence. On peut em effet , par l’ouie, apprécier la nature des corps, leliew qu'ils occupent , la distance à laquelle ils sont, la direc- tion dans laquelle ils se meuvent, etc. Ce sens donne assistance à beaucoup de facultés supérieures ; il sert surtout les facultés de la musique et du langage: parlé, à tel point que, sans lui, ces facultés ne peuvent plus ! être exercées, ou ne le sont plus que d’une: manières peu sûre et incomplète. Les métaphysiciens même ;-frap=1 ! pés du secours dont est ici le sens de l’ouïe, avaient voulu! lui attribuer ‘exclusivement ces facultés; mais M. Gall SENS DE L'OUIE. 389 les a victorieusement réfutés , comme on va le voir. Si, en effet, la faculté de combiner les sons d’après des rapports harmonieux , et de manière à constituer une musique , était un produit du. sens de l’ouie, cette fa- ulté devrait être dans les divers animaux et dans les: divers hommes , en raison de la structure de l’ouïe. Or}, cela n’est pas. Dans la généralité des animaux , il en est beaucoup qui ont une ouïe meilleure que l’homme set; cependant aucun ne possède le talent de la musique à:un aussi haut degré. On n’observe dans les animaux aucun rapport entre la puissance et le caractère de leur musi-; que , et la perfection de l’ouie. Par exemple , les oiseaux qui ne chantent pas ont l'oreille aussi fine que ceux qui chantent. Parmi ceux qui chantent ; souvent il n’y a qué le mâle qui ait cet instinct, la femelle en est privée ; dira-t-on que l’oreille de celle-ci est moins parfaite ? Beaucoup de ces oiseaux chanteurs ne le sont que dans la saison des amours; dira -t-on que l'oreille s’est tout à coup excitée à cette époque de l’année, et est ensuite retombée dans son apathie première ? Tous les oiseaux enfin ont l'oreille organisée à peu près sur un même plan, et cependant chacun a son chant propre, qu’il conserve depuis des siècles et conservera toujours. On dira peut- être que chaque petit oiseau l’apprend de ses père et mère; mais ce ne serait à que reculer la difficulté : il faudrait toujours dire pourquoi chaque oiseau ; à la création, a eu son chant propre. D’ailleurs, beaucoup de faits prouvent que chaque oiseau conserve son chänt au milieu des chants divers qu’il entend autour de lui, et lorsque même il n’entend pas celui de ses parens; un oiseau , éclos par les soins d’une mère étrangère , n’en a pas moins le chant de son espèce ; le coucou , qui va 29* 388 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. pondre dans le nid des autres oiseaux, et qui, sans voir jamais ses parens , à cependant leur chant, nous offre un exemple naturel confirmatif des expériences que nous pouvons faire sur ce point. Enfin, on ne voit pas davan- tage , chez l’homme , que le talent musical soit en raison de la finesse de l’ouïe ; les meilleurs musiciens ne sont pas nécessairement les hommes qui ont l’ouie la plus dé- | licate : on a vu souvent des sourds conserver le goût de la musique, en composer; cela s’est vu même de sourds de naissance , de sourds- muets. Les idiots, qui ne peu- vent pas apprendre le moindre chant, n’ont-ils pas une ouie parfaite ? On est forcé de conclure de tous ces faits, que la faculté de la musique ne dépend pas du sens de l’ouie, mais qu’elle est une faculté supérieure, pour l’accomplissement de laquelle seulement l’ouie est ‘un! instrument secondaire nécessaire. Il en est de même du langage artificiel parlé. Veut- on que les animaux ne le possèdent pas? Mais alors, pourquoi l’ouie qu’ils possèdent , et dont on veut faire dépendre cette faculté de langage, ne leur en fait - elle: pas produire un comme chez l’homme ? Veut-on , au con-) | traire , que les animaux en aient un ? alors, pourquoi avec: un organe d’ouie , organisé à peu près toujours sur un: même plan, les langages dans les animaux sont-ils si différens? Pourquoi chaque animal a-t-il le sien propre ? D'ailleurs, chez l’homme, cette faculté du langage parlé est elle en raison de la délicatesse de l’ouie ? Les poètes ét les orateurs, par exemple, sont - ils les hommes qui ont nécessairement la meilleure oreille? Que d’idiots qui ont cet organe délicat, et qui néanmoins ne peuvent jamais parvenir à parler ? Il est certain encore que la fa- culté du langage parlé est une faculté supérieure, intellec- SENS DE L'OUIE. 989 tuelle , pour laquelle Pouie n’est aussi qu’un instrument, indispensable sans doute , mais néanmoins secondaire, et destiné seulement à rapporter au cerveau des sons auxquels celui-ci seul a attaché des idées. Les langues sont si bien des créations de l'esprit, que, chez tous les peuples et tous les individus elles sont en rapport avec le nombre et le caractère des idées et des sentimens : un peuple, par exemple, a-t-il acquis par la civilisation beaucoup d'idées et de sentimens ? sa langue est riche : un peuple au contraire est-il barbare encore ? sa langue participe de sa barbarie. Un individu pense-t-ilavec force, et sent-il avec énergie ? son langage participe de la gran- deur de ses idées , de la vivacité de ses sentimens ; est-il au contraire vide de pensées et d’affections ? il ne parle pas , ou son langage est plat et sans couleur. Tel est le sens de l’ouïe. Peut-être est-il en certains animaux plus délicat que dans l’homme, à juger par le volume du nerf acoustique , l'ampleur du vestibule et des canaux demi-circulaires , le plus grand développe- ment du limacon, l'ampleur de la caisse du tympan et des cellules mastoïdiennes ,la plus grande mobilité du tym- pan, et surtout la disposition de l’oreille externe , qui res- semble davantage à un cornet acoustique, et peut mieux se diriger du côté d’où arrivent les sons; mais certaine- ment il a une grande perfection en nous. À cet égard, nous remarquerons que nous pouvons bien apprécier la puissance de ce sens relativement à l'intensité des sons, et cela , en reconnaissant la distance à laquelle les ani maux entendent ; mais nous ne le pouvons plus , relati- tivement au ton et au timbre des.sons. Rien , en effet, nenous assure que les animaux perçoiventtous, sinon les mêmes tons , au moins les mêmes timbres ; et si une or- 590 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. … ganisation diverse des nerfs gustatif et olfactif a fait trou- ver des saveurs et odeurs différentes à une même substance , pourquoi une organisation différente du nerfacoustiquene pourrait pas faire trouver aussi des tim: bres différens à un même corps sonore ? Mais nous sommes à jamais dans l'impossibilité de prouver et de récuser ce fait. Cela s'applique aux différences que nous pou vons trouver dans le sens de Fouie parmi les hommes : ces différences tiennent aussi à trois circonstances ; la structure intime du nerf acoustique , la disposition plus ou moins heureuse de l'instrument acoustique qui est | au devant de ce nerf, et l’observance ou l’oubli des précautions hygiéniques propres à conserver Forganes L’ouie , comme tout autre sens , peut être exercée activement ou passivement , et la langue a consacré la différence qui existe entre ces deux modes d’exer- cice, par les mots écouter et entendre. Quand on en tend , le son vient à l’insu de la volonté affecter l’or- gane; et quand on écoute, la volonté semble conduire Porgane au devant du son, et le tendre pour qu'il le recoive mieux. Dans le mode actif, ou l’auscultation, il y a plus de parties en action : on approche de l'oreille le corps sonore, ou l'oreille s’avance vers lui ; les muscles extrinsèques et intrinsèques du pavillon se contractent, pour le porter un peu au devant des rayons sonores#. agrandir l'ouverture du conduit auditif , etla rendre plus accessible. Cela explique pourquoi il n’y a pas de mus cle auriculaire inférieur ; c’est qu’un pareil muscle aug: | ; menterait la courbure du conduit auditif, ce qui ajou- terait à la difficulté qu’ont les sons à y pénétrer. Ba contraction de ces muscles sert aussi à augmenter l’élas- ticité dupavilion, et peut-être même à le mettre à l’unis- SENS DE L'OUIE. 5gi son des sons qui lui parviennent. C’est du moins cette mobilité intrinsèque qui rend ce pavillon bien supérieur aux cornets acoustiques artificiels par lesquels on le remplace quelquefois. À la vérité , tout cela est peu pro- noncé chez l’homme , où toutes ces parties sont rudi- mentaires , et encore annihilées par l'effet de nos usa- ges sociaux ; mais cela est souvent marqué dans les ani- maux, chez lesquels l’oreille externe est un grand cor- pet mû par dix ou quinze muscles, comme dans le cheval, le lapin ,etc. Dans la même vue, il y a peut-être action des muscles des incisures de Santorini. Peut-être aussi est-ce lors del’exercice actif du sens,qu’agit la chaîne des osselets , et que par elle sont tendues les membranes du tympan et de l’ouverture vestibulaire. Il est digne d’être remarqué que l’homme est le seul être qui ais trois muscles affectés à la motion de cette chaîne d’os- selets; chez le singe, il n’y ena déjà plus qu’un, et au-delà, ce sont deux corps élastiques qui en remplissent l'office. Enfin , il y a érection du nerf acoustique. Terminons l’histoire de l’ouïe , en disant que , par la culture , ce sens acquiert aussi plus ou moins de puissance; des sauvages ont l’ouie si fine qu’ils entendent des bruits qui proviennent des plus grandes distances. Les aveugles offrent souvent des exemples de l’ouiïe la plus délicate, parce qu'ils ont été forcés d’apporter plus d'attention à ce sens , et de le cultiver davantage. Du reste on peut perfec- tionner ce sens relativement à une qualité , plutôt que rela- tivement à une autre ; des musiciens peuvent percevoir les moindres nuances des tons , et avoir l’ouïe assez grossière d’ailleurs ; et c’est une nouvelle preuve que, dans ce per- fectionnement des sens par l’éducation, les phénomènes 592 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. doivent être rapportés autant aux facultés intellectuelles qu'aux sens eux-mêmes. t $. V. Sens de la Vue. Ce sens est celui qui nous donne la notion des co&- leurs. Son histoire va comprendre également trois objets : l'étude physique de l’excitant extérieur du sens , c’est-à-dire de la lumière ; l’étude anatomique de Porgane de la vue ; et le mécanisme de la vision. 1° Histoire physique de la Lumière. Un corps est vu, parce qu'il projette dans l’œil des particules d’une matière extrêmement subtile , qu’on appelle lumière. Quelques physiciens , à la vérité, ont nié l’existence de la lumière , et ont voulu considérer les . phénomènes qu’on lui rapporte comme les effets d’un mouvement vibratil des corps. Mais le plus grand nom- bre, remarquant les effets qu’amène l'attraction des di- vers corps sur la lumière, ainsi que la particularité qu'ont les corps transparens d'attirer et de repousser cette lu- mière par certaines faces autrement que par d’autres, la considèrent comme une véritable matière, qui seule- ment est si subtile, qu’elle n’est pas pondérable, Selon Descartes, cette lumière est un fluide, un éther répandu universellement dans tout l’espace , dont les molécules très-élastiques et très - mobiles sont mises en mouvement par des oscillations intérieures des corps, et qui ainsi impressionnent l'œil, de même queles vibra- tions sonores impressionnaient l'oreille. Selon Newton, au contraire , cette lumière émane du soleil et des autres SENS DE LA VUE. 497 stres lumineux , et est versée par torrens sur toute Ja ature , sur tous les corps, qui la réfléchissent à notre vil avec des circonstances diverses , d’où résultent eurs couleurs propres. De ces deux hypothèses, cette lernière est la plus généralement professée aujour- hui. Avec la première , on ne conçoit pas comment ous avons la nuit; comment un corps opaque nous érobe la présence des objets , car il semble que les bstacles rapprochés ne devraient pas plus arrêter la lu- iière qu'ils n’arrêtent les sons; on ne peut expliquer > changement de direction qu’éprouve la lumière , qui asse obliquement d’un milieu dans un autre. Il est rai que l'hypothèse de Weawton a aussi ses difficultés. m se demande comment le soleil n’est pas épuisé par s immenses torrens de lumière qu’il fournit sans cesse : omment cet astre peut imprimer aux molécules de la imière , l’extrême vitesse qui les anime : comment mt de rayons lumineux réfléchis par des milliers de ps , el en mille directions, peuvent se croiser sans : confondre ? Mais encore , tout cela peut s'expliquer , : supposant les molécules de la lumière de la plus ex- ême ténuité, et dans un grand écartement les unes des itres. Ainsi, d’après Newton , la lumière vient du soleil : et laque corps n’est visible , que parce qu'il réfléchit à ire œil une partie de celle qu’il recoit. Dans sa mar- e, soit directe , soit réfléchie, la vitesse de cette lu- ière est extrême. On a calculé , d’après des observa- ins relatives aux éclipses d’un des satellites de Jupiter, [Jaites par Roëmer et Cassini, que lalumière emploie minutes 15 secondes pour nous arriver du soleil , pour recourir les 33 millions de lieues qui nous séparent ) *25 94 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. de cet astre ; et qu’ainsi la vitesse de ce fluide est de 72,000 lieues en une seconde. Il en résulte que sur les très-petites distances de notre globe que notre œil peut embrasser , la lumière est apercue aussitôt qu'elle est projetée. On sait en effet que nous voyons la lumière d’une arme à feu, bien avant que d’en entendre l’explo- sion. Cette vitesse est uniforme dans toute l’étendue de l’espace que parcourt la lumière. Cette lumière est une matière si subtile, qu’elle n’est pas pondérable, et qu’on ne peut pénétrer sa nature: Cependant elle est composée d’une mfinité de particules différentes ; car elles ont une température et une actign chimique diverses , et surtout font sur l’œil une impres- sion spéciale , lui procurent une sensation de couleur par- ticulière. Si l’on recoit sur un prisme de verre un raÿon de soleil ,on voit ce rayon, qui paraissait blanc d’abord, se partager en beaucoup d’autres qui sont diversement colorés. Newton, le premier auteur de cette expérience, rapporta d’abord à septle nombre de ces rayons élémen taires de la lumière , et dit qu'ils étaient toujours rangé en cet ordre, en allant de gauche à droite , rouge, oranger, jaune ; vert , bleu, indigo et violet. Quel- ques physiciens, ensuite , voyant que dans les arts on fait par le mélange de deux couleurs, une nuance intermé: diaire , le vert, par exemple, avec du bleu et du jaune ont réduit à trois les rayons du spectre ; le rouge; jaune et le bleu. Enfin, de nos jours , on croit que ce ayons sont en nombre infini, et aussi multipliés que | sont les impressions diverses qu'ils font sur l’œil. C’est en effet, à cause de l'impossibilité où nous sommes d signaler toutes les nuances, que nous les rapportons quelques couleurs principales. Chacun de ces rayons,e , SENS DE LA VUE. 399 outre, a une température et une action chimique diflé- rentes, Des expériences faites par Aochôn d’abord , puis par /erschell, et de nos jours par MM. Wollaston et Berard, ont montré que les rayons du spectre ont une action calorifique d'autant plus grande qu’ils sont plus à gauche , et au contraire une action chimique d'autant plus prononcée qu’ils sont plus à droite. Si l’on place un thermomètre délicat sur chacun des rayons séparés par le prisme , on voit que le rayon rouge est celui qui fait le plus monter l’instrument ; ensuite l’oranger , puis le jaune , et ainsi desuite , jusqu’au violet qui a la tem- pérature la moins élevée. Si on place une substance chi- mique très-avide de combinaison sur le trajet de chacun des rayons, on observe que c’est le rayon violet qui exerce le plus d'influence , ensuite le rayon indigo et ainsi de suite, jusqu'au rayon rouge qui agit le moins. La lu- mière , quelque subtile qu’elle soit , n’est dont pas sim- ple , et est un composé d’élémens divers. Quelques physiciens ont conjecturé qu’elle n’était au- tre que le calorique. On sait en effet que la lumière est souvent compagne de la chaleur, et en produit les effets : le soleil tout à la fois éclaire et échauffe ; il en est de même d'un corps en ignition , et de tout corps qui, par cela seul qu’il est élevé à une haute température , dégage de la lumière. Il est sûr que les deux matières exercent également une action chimique sur les corps, en altè- rent les couleurs , par exemple ; qu’elles se comportent de même dans les espaces qu’elles parcourent , c’est- à-dire se meuvent également en ligne droite, sont ré- fléchies par les corps divers qu’elles heurtent , peuvent être concentrées dans des lieux déterminés selon la dis- position des surfaces qui les réfléchissent. On a argué 396 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ de ce que les corps noirs , que nous allons dire être ceux qui absorbent toute la lumière, sont plus chauds que les corps blancs , que nous dirons être au contraire ceux qui la réfléchissent toute entière. Schéele dit avoir re- marqué qu’un même rayon solaire fait monter plus haut un thermomètre fait avec de l’alcohol coloré , que celui fait avec de l’alcohol blanc, tandis que l’ascension de ces deux thermomètres est égale sous l'influence d’une cha- leur non lumineuse. Enfin on a invoqué les expériences d’AÆerschell et autres , qui prouvent que les diversrayons du spectre ont une température différente. Quoi qu’il en soit de cette opinion , la lumière est dans tout corps en deux états ; ou combinée avec les autres élémens du corps, et faisant partie de sa substance ; ou réfléchie par le corps , lorsqu'elle tombe sur lui, et c’est celle-ci seule qui intéresse la vision. Tout corps visible doit être considéré comme un centre qui projette de tous côtés de la lumière , soit celle qu’il possède quand il est lumineux par lui-même, comme le soleil, un corps en ignition ; soit celle qu'il recoit du soleil, et qu'il reflé- chit , mais après l'avoir modifiée d’une manière qui dé- termine les couleurs sous lesquelles nous le voyons. Lorsqu’en effet de la lumièré blanche arrive à un corps quelconque; celui-ci, ou absorbe tous les rayons qui la composent , ou les réfléchit tous, ou en absorbe quelques-uns et en réfléchit quelques autres ; et c’est de ces différentes modifications selon lesquelles les corps réfléchissent la lumière à notre œil, que résultent les couleurs mille fois variées sous lesquelles ils s’offrent à nous. Un corps réfléchit-il à l’œil toute la lumière qui lui arrive ? ce corps est blanc : ce corps ne refléchit-il que les rayons rouges, en absorbant tous les autres P 1 SENS DE LA VUE, 397 est rouge , et ainsi des autres couleurs ; enfin ce corps absorbe:t-il tous les rayons sans en réfléchir aucun ? il est noir. Ainsi, la coloration diverse des corps est due aux rayons lumineux que ces corps réfléchissent. Avant la découverte de la décomposition de la lumière , on attribuait la diversité des couleurs des corps, à la diver- sité des vibrations que ces corps étaient supposés impri- mer à la lumière , à peu près comme cette différence en- traînait celle des sons; mais cette théorie d’Æuler est tombée, avee l’hypothèse de Descartes sur la nature de, la lumière. Mais, à quoi les corps doivent-ils de modifier ainsi diversement la lumière qu’ils réfléchissent, et avec tant de variétés ? Newton en assigne comme cause la dispo- sition physique des molécules qui composent les corps ; etM. Berthollet la nature chimique de ces corps, qui est telle qu'ils s’approprient par combinaison certains rayons et ne réfléchissent que certains autres. La pre- mière opinion est la plus généralement admise , et per- met de concevoir pourquoi l’on peut reconnaître les cou- leurs au tact. On y admet que , vu l’action d’attraction opérée par tout corps sur la lumière , et de laquelle ré- sulte la réflexion de cette lumière , certains rayons sont perdus dans le corps , tandis que d’autres sont seuls ré- fléchis. Newton a cherché à démontrer mathématique- ment ce fait, en rapportant la coloration diverse des corps , à la même cause qui fait produire des anneaux colorés à la lumière qui traverse des lames minces. M. Thénard cite d’ailleurs, comme expérience confir- mative, que du phosphore distillé à sept ou huitreprises, ét conséquemment très-pur , se montre successivement et alternativement , ou transparent, ou d’un blanc jau- 398 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. nâtre , ou opaque et noir , selon qu’on le laisse refroidir lentement , ou qu'on le jette brusquement dans l’eau froide: à coup sûr ce phosphore n’a pas changé de na- ture , et il n’y a de différences que dans le mode d’a- grégation de ses molécules. On peut arguer encore de cétte expérience de Brewster, qui à transmis à de la cire noire bien fine, ou à l’alliage de Darcet en fusion, les couleurs vives et brillantes de la nacre de perle, en y produisant mécaniquement l'empreinte de cette nacre de perle. Cependant il est possible que la nature chi- mique des corps ait ici une influence ; et peut-être faut-il combiner l'opinion de M. Berthollet avec celle de Newton. D'ailleurs, pour la solution entière de cette question, il faut remarquer que les corps, dans leurs rapports avec la lumière qui leur arrive, se partagent en deux classes; les opaques , c’est-à-dire qui ne laissent pas passer au travers d’eux la lumière ; et les transparens ou dia- phanes, à travers lesquels au contraire la lumière passe. Ces derniers se subdivisent même en ceux qui laissent passer en entier la lumière , et qui sont incolores ; et ceux qui ne laissent passer qu'un certain nombre de rayons, et qui présentent alors les couleurs auxquelles peut donner naissance la lumière non interceptée. H n’est pas facile d’indiquer ce qui fait précisément l’opa- cité ou la transparence d’un corps ; cela ne tient pas à son épaisseur , car une feuille mince de métal est opa- que , etune masse épaisse de verre est diaphane. Newton en accuse encore la disposition physique des molécules des corps, et celle des intervalles qui les séparent. Un corps est tout-à-fait transparent, selon ce savant , quand les intervalles qui séparent les molécules de ce corps , SENS DE LA VUE. 599 sont assez grands pour que la lumière le traverse sans que les molécules du corps la partagent, et exercent sur elle une attraction supérieure à celle qu’exerce le milieu quelconque qui remplit ces intervalles. Un corps'au con- traire est opaque en entier ou en partie , quand la lu- mière en le traversant est plus attirée par ses molécules composantes , que par le milieu quelconque qui remplit les intervalles de ces molécules ; alors les rayons qui la composent sont séparés; plusieurs sont absorbés , perdus dans le corps; les autres sont réfléchis , et la lumière ne parvient pas au-delà de lui. Ainsi s'explique pourquoi un corps, tout en étant transparent , peut cependant avoir sa couleur propre dont il teindra les corps qu’on verra au travers de lui : c’est que la disposition physique de ses molécules composantes est telle, qu’elle séparera les rayons élémentaires de la lumière , et qu’absorbant les uns , elle ne laissera traverser que les autres. Faisons rémarquer qu'il n’y a pas de corps, quelque diaphane qu'il soit, qui ne réfléchisse quelques rayons, sinon ce corps ne serait pas vu , et serait perdu dans le milieu qui lénvironne. ‘Toutefois les divers corps de la nature sont suscep- tibles de nous présenter mille nuances , sous le rapport du mode selon lequel ils réfléchissent la lumière , nuan- ces dont on ne peut juger à priori ; et de là résulte que les couleurs ne sont pas moins diverses et nombreu- ses , que l’étaient les saveurs et les odeurs. Mais la lumière qu’un corps quelconque réfléchit, a un certain espace à parçourir avant d'arriver à l'œil; et, dans ce trajet, peuvent se produire divers phéno- mènes , qu'il faut que nous connaissions. D'abord, on appelle milieu, cet espace quelconque que la lumière 400 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. traverse , depuis le corps qui la projette, jusqu’à l'œil, Ensuite, il peut arriver dans ce trajet trois choses : ou que la lumière ne trouve aucun obstacle, et, pendant tout le trajet, se meuve en un même milieu ; ou qu’elle rencontre, dans ce trajet, un corps opaque qui l’arrête, ou même la réfléchisse ; ou bien, enfin , qu’ellé traverse des milieux de nature et de densité différentes , qui la dévient de sa direction première en la réfractant. Relativement au premier cas, nous n’avons d’autre fait à établir que celui-ci : la lumière qui rayonne d’un corps quelconque , se meut toujours en ligne droite. En effet, le rayon de soleil qui pénètre dans une chambre obscure suit une ligne droite apercevable à l’œil : il suffit que le plus petit corps opaque soit placé sur la direction d’un rayon lumineux , pour qu’on cesse de voir l’objet dont ce rayon émane; et, au contraire, la plus petite fente, dans la direction de ce rayon, le laisse ap- portier l’image de l’objet. De cette vérité physique incon- testable , il résulte que tout corps visible est comme le centre d’une sphère lumineuse, et projette , de tous les points de sa surface, des rayons qui sont d’autant plus nombreux qu’on est plus près de ce corps , et qui le sont d’autant moins, qu’on en est plus loin , et que le milieu qu’a traversé la lumière , avant d’arriver à l’œil , en à plus intercepté dans le trajet. Il n’y a guère plus de détails à donner sur la lumière réfléchie. Quand la lumière trouve dans son trajet un corps opaque, si ce corps est hérissé d’aspérités, il s’ap- proprie une partie des rayons lumineux, réfléchit les autres; et ceux-ci n’apportent à l'œil que l’image du corps réfléchissant, et non celle du corps dont ils éma- naient auparavant : mais, si ce corps est lisse et poli, il SENS DE LA VUE. PACE ne s’approprie aucuns rayons , il les réfléchit tous égale- ment , de sorte qu’alors ils apportent l’image , non de ce corps réfléchissant, mais celle du corps duquel ils éma- naient primitivement. Or, le premier fait rentre dans ce que nous avons dit sur la coloration des corps, et nous n'avons à nous occuper que du second, La physique a consacré, à son égard , le principe suivant: c’est que le rayon incident et le rayon réfléchi sont l’un et l’autre contenus dans un même plan perpendiculaire à la surface réfléchissante, et forment des angles égaux avec la nor- male au point d'incidence. On sait, en effet, que quand on se regarde dans une glace , les rayons lumineux qu’on projette , au lieu de traverser la glace, sont réfléchis par elle vers l'œil, sous un angle égal à celui selon lequelils lui arrivaient; et, qu’ainsi, on se voit derrière la glace à une distance égale à celle dont on en est séparé par devant , et avec les mêmes formes. Du reste , les causes de cette réflexion , et les modifications qu’on trouve dans image des objets, en raison de la forme convexe ou 'concave de la surface réfléchissante , sont sans intérêt pour le mécanisme de la vision, et, par conséquent, peuvent être négligés ici. Au contraire, la dioptrique ; ou l’étude de la lumière réfractée , est d’une application prochaine à notre objet. Jamais, dans le trajet que la lumière parcourt d’un corps quelconque jusqu’à l'œil, cette lumière ne s’en- gage dans des milieux de densité et de nature différentes, sans qu’elle éprouve aussitôt une déviation, qu’on ap- pelle réfraction. L’attraction que les diverses substan- ces, à raison de leur densité et de leur nature, exer- cent sur la lumière , paraît en être la cause. Si lermilieu est plus dense et d’une nature chimique telle, qu’il at- j: 26 402 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ: tire plus la lumière , celle-cise meut avec plus de vitesse, et décrit une ligne intermédiaire à celle de sa direction primitive et à celle que l'attraction seule lui ferait par- courir, et par conséquent plus rapprochée de la perpen- diculaire. L’inflexion a lieu avant l’immersion de Ja lu- mière dans le milieu nouveau , et quelque temps encore après qu’elle en est sortie. La physique a consacré ici deux lois bien importantes : 1° l’une est que le rayon incident et le rayon réfracté sont toujours compris dans un même plan normal à la surface commune des deux milieux ; 2° l’autre est que le sinus de l'angle de réfrac- tion est, au sinus de l’angle d'incidence , dans un rapport qui est toujours constant pour les mêmes milieux, quelles que soient les incidences. Du reste, deux circonstances influent sur la force réfringente d’un milieu quelconque: 1° Sa densité : si la lumière passe dans un milieu plus dense, les rayons sont rapprochés de la perpendiculaire menée au point de contact; si elle passe dans un milieu plus rare, c’est le contraire, les rayons s’éloignent de la perpendiculaire. Il n’est question que des rayons dont l'incidence est oblique, car les rayons perpendiculaires se trouvant dans la perpendiculaire même, ne peuvent s'en rapprocher, ni s’en éloigner davantage, et consé- quemment doivent passer sans changer de direction: 2° Sa nature : il est d'observation qu’un milieu réfracte d'autant plus la lumière, qu’il est plus combustible Newton avait préjugé que le diamant et l’eau contenaient des élémens combustibles , par l’observation seule de la, grande puissance réfringente de ces corps. MM. Biotet Arrago ont vérifié cette assertion sur un grand nombre À de corps , hydrogène, l’ammoniaque, etc. Du reste, \ chaque corps a , relativement à sa nature chimique , une 4 SENS DE LA VUE, 403 puissance réfringente propre , et que l'expérience seule peut constater et faire calculer. Comme la réfraction commence avant l'immersion de la lumière dans le milieu nouveau , et se continue après son émersion de ce milieu , on conçoit que la figure du corps réfringent doit avoir une influence sur les effets de la réfraction. Le milieu réfringent a-t il des surfaces planes et parallèles? la réfraction qu’a éprouvée la lu- mière, en y entrant, est corrigée par celle qui a lieu quand elleen sort ; lesrayons incidens et émergens sont, non placés sur une même ligne droite, mais au’moins parallèles ; et, bien qu'ils soient séparés par un inter- valle qui dépend de l'épaisseur du corps réfringent et de l’obliquité de la lumière incidente, les rayons ne parais- sent pas avoir été dérangés de leur direction primitive : c'est ce qui est, par exemple, pour les objets que nous regardons à travers les vitres de notre appartement. Le milieu réfringent a-t-il , au contraire , des surfaces planes, mais inclinées ? la réfraction éprouvée à la sortie , loin de corriger celle éprouvée à l'entrée , s’y ajoute , et les rayons sont dérangés de leur direction d’une quantité qui égale la somme des deux réfractions. Le milieu ré- fringeñt a-t-il des surfaces convexes ? les rayons éprou- veront des réfractions telles, qu’ils iront converger en arrière du milieu réfringent en un point qu'on appelle foyer , qui sera d’autant plus rapproché, que la diver- gence des rayons incidens sera plus petite, et par con- séquent que le point lumineux sera plus distant. Le mi- lieu a-t-il des surfaces concaves ? les rayons lumineux sont écartés; ils éprouvent des réfractions telles, que si on en cherchait le point de réunion , ou le foyer, celui-ci se trouverait au devant du verre concave. Ges deux der- 26* 404 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. niers eflets sont faciles à expliquer : comme c’est la per- pendiculaire menée au point de contact, qui est le point de départ, pour le rapprochement et l’écartement des rayons, et qu’il est impossible que les perpendiculaires soient les mêmes pour tous les points des surfaces con- vexes et concaves, on conçoit que les rayons doivent se trouver , ou plus convergens, ou plus divergens , quand ils ont traversé un milieu réfringent de l’une ou l’autre forme. Toutefois , la physique a prolité de ces faits pour con- struire des instrumens propres à modifier les rayons lu- mineux, de manière à changer le lieu où sont vus les corps , augmenter leurs dimensions , ou les obtenir plus éclairés, afin qu’on puisse les voir, quoique très-petits et très-éloignés : elle emploie pour cela des verres con- caves et convexes. À l’égard de ces derniers, faisons remarquer que les rayons lumineux ne se réunissent ja- mais tous au même foyer, et cela à cause de leur cour- bure. En effet, chaque rayon réfracté devant faire avec la normale au point d'incidence, le même angle que le rayon incident , il est évident que si ceux des rayons qui frappent à la même distance du centre de figure de la lentille, celle-ci étant supposée d’une courbure sphérique, se réunissent au même foyer, il ne peut en être de même de ceux qui tombent plus près ou plus loin de ce centre de figure ; car , l’angle qu’ils forment avec la normale, au moment de leur incidence, étant plus petit ou plus grand , ils doivent, après leur réfraction, aller passer par un point plus rapproché ou plus éloigné du centre de figure. Aussi , les corps convexes tracent-ils les ima- ses des corps sur un cercle d'autant plus grand , qu’ils sont plus convexes. C'est là un inconvénient qu’on ap- SENS DE LA VUE. 409 pelle aberration de sphéricité, qu’on n'évite qu'en em- ployant deslentilles d’un très-petit nombrede degrés ; et, c’est pour obvier autant.que possible à cet inconvénient , que les opticiens placent toujours à la surface des verres convexes qui existent dans leurs instrumens , des dia- phragmes qui, en recouvrant une partie de la lentille, en diminuent l’étendueet la courbure. Enfin , une dernière remarque à faire , et qui est bien importante , c'est que les différensrayons quenous avons vu composer la lumière, cèdent inégalement à la puis- sance réfringente des milieux qu’ils traversent : c’est le rouge qui cède le moins ; puis l’oranger, le jaune, le vert, le bleu , l’indigo; et, enfin, c’est le violet, qui est le plus réfrangible. C’est même à cause de cela que ces rayons se sont séparés-dans l'expérience du spectre solaire de Newton. I] résulte de là que jamais la lumièré n'éprouve une réfraction, sans qu'il y ait en même temps dispersion de ses rayons, et que l’image des ob- jets ne soit teinte des couleurs de l’arc-en-ciel. C’est Rà un second inconvénient , qu’on appelle aberration de ré- frangibilité, et auquel on cherche à remédier dans les lunettes par ce qu’on appelle l’achromatisme. Get achro- matisme consiste à combiner les verres de l'instrument, de manière que leur puissance dispersive se compense, et que malgré la réfraction , l’objet soit vu avec ses cou- leurs propres. Newton désespéra long-temps de pouvoir l'obtenir, parce qu’il croyait que la lumière, en tra- versant un corps réfringent , subissait toujours une dispersion proportionnelle à sa réfraction. Mais, depuis ce grand homme , les physiciens ont trouvé que, cer- tains corps, en réfractant la lumière autant que d’au- tres , ne Jui faisaient pas éprouver une dispersion égale : 406 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. de sorte qu'en combinant ces corps entre eux , on pou: vait obtenir de la lumière blanche, quoique réfractée. Dans nos arts, on ne peut parvenir à avoir un achro- matisme absolu; on accorde seulement autant de rayons que l'instrument a de verres ; et, généralement , ce sont les rayons extrêmes ; deux, trois rayons , s’il y a deux, trois verres. On n’emploie guère plus de trois verres, parce que la lumière serait trop affaiblie , et qu'il y au- rait trop de diffusion sur les foyers. Telles sont les notions physiques sur la lumière , qu’il importait de rappeler : le reste de l’histoire de ce fluide est étranger à notre sujet. 2° Anatomie de l'organe de la Vue. L’organe de la vue est l’œil. Dans quelques animaux, les insectes , par exemple, il est multiple; c’est-à-dire qu'il y a beaucoup de petits yeux immobiles placés les uns à côté des autres. Dans d’autres animaux, au con- traire , l'organe est simple, c’est-à-dire réduit à un seul point sentant ; mais alors il est mobile , et peut être di-. rigé dans tous les sens d’où peut venir la lumière. Quel- quefois cet œil consiste en une simple capsule, recevant dans son intérieur l'expansion dernière du système ner- veux de la vue , et communiquant à l'extérieur par une lame cornée transparente, à travers laquelle arrive la lumière : à cet état de simplicité, on peut croire, avec M. de Blainville, qu'il n’est encore qu’un bulbe depoil, qui s’est modifié pour la nouvelle fonction qu'il avait à remplir. Dans les animaux supérieurs, ilest beaucoup plus compliqué ; et c’est surtout alors qu’on peut faire en lui la distinction des deux parties que nous avons dit exister en tout organe de sens, une partie nerveuse profonde SENS DE LA VUE. 407 qui développe l'impression sensitive, et un appareil an- térieur, qui est ici un instrument de dioptrique, où tout est calculé d’après les lois physiques de Ja propa- gation de la lumière. Chez l'homme , l’organe de la vue est simple, mais double : chaque œil est placé à la partie postérieure et antérieure de la face, l’un à droite , l’autre à gauche, dans un lieu d’où il peut facilement dominer les objets. Dans son étude anatomique , on distingue :171° l'œil proprement dit; 2° et les parties accessoires, qui ser- vent à le loger, le mouvoir, le protéger et le lubrifier: De l’OEil proprement dit. L’œil, dans l’homme , a une forme presque sphérique , si ce n’est qu’il présente, en avant, une säillie formée par une de ses parties qu’on appelle cornée, et qu’on verra être comme le premier verre de Finstrument. On peut en tout le comparer à un instrument de diôptrique , une lunette ; et, la description de ses parties consti- tuantes, faite d’après cette Comparaison , serà tout à la fois plus aisée à comprendre , et plus physiologique en ce sens qu’elle fera pressentir le mécanisme de la vi- sion. Ainsi, toute lunette $e compose : 1° d’un cylindre de carton, ou d’une autre matière, qui toujours est composé de plusieurs pièces qui peuvent entrer les unes dans les autres, et qui forme la charpente de l’instru- - ment; 2° d’un certain nombre de verres ou concaves ou convexes, placés les uns à la suite des autres dans ce cylindre de carton , depuis son ouverture antérieure jus* qu’à son ouverture postérieure , et destinés à réfracter d’une. certaine manière les rayons lumineux , et à les réunir à des foyers déterminés ; 3° enfin , d’une cloison PA FONCTION ,DE LA SENSIBILITÉ. médiane. de carton , percée d’un trou dansson centre, appelée diaphragme , et, placée généralement près d’un verre convexe dans. l’intérieur de la lunette , dans la vue de diminuer la surface de ia lentille ‘qui est accessible aux rayons lumineux , et d’amoindrir l’aberration de sphéricité. L'intérieur du tube et ce diaphragme sont colorés de noir, afin d’absorber les rayons obliques qui ne.servent pas à la vision, et d'empêcher qu'ils causent de la confusion, : Or, tout, cela existe dans le globe de l'œil : d’abord trois membranes superposées les unes aux autres cons- tituent les parois , la charpente de l’instrument , la sclé- rotique , la choroïde et la rétine. Cette dernière , qui est la plus intérieure, est la partie nerveuse que doivent impressionner les rayons lumineux. Ensuite de l’ouver.- ture antérieure de l'instrument à son fond, sont placés successivement quatre Corps réfringens, les uns convexes, les autres concayes, et qui réunissent les rayons à des foyers déterminés ; savoir : la cornée, l'humeur aqueuse, le cristallin et le corps vitre. Enfin, dans l intérieur de l œil , près la surface antérieure de l’une des lentilles, le cristallin , ilexiste un diaphragme, l'iris, percé d” un trou dans son centre, la pupille. Exposons avec détail chacune de ces parties. 1° Des, trois membranes qui À placées | d’une manière concentrique les unes sur les. autres, forment les parois de l'instrument , la sclérotique est la plus extérieure. Blanche , dense, fort résistante , donnant à l’organe sa solidité et sa forme , elle a la figure d’une uÉre creuse qui est tronquée en devant. En be elle correspond à l'orbite , et c’est à elle que s s’attachent les muscles propres de l'œil. En dedans , elle offre une concavité qui SENS DELA VUE. 409 est tapissée par la choroïde , à laquelle elle: est faiblement unie: par des vaisseaux , des nerfs , et un tissu lamelleux de couleur brune. En arrière , et un peu en dedans, elle est percée d’un trou pour le passage du nerf optique. En avant elle offre une ouverture, dont le diamètre est de 6 lignes , un peu plus large en travers que de haut en bas, dont le contour est taillé en biseau aux dépens de la face interne , et dans laquelle est encadrée la, cornée. Formée d’une seule lame:chez l’homme adulte, elle est de Ja nature des fibreuses ou albuginées. On l’a dite un prolongement de la portion de dure-mère qui accom- pagne le nerf optique, tandis que:la choroïde provien- drait de la pie-mère , et la rétine de la pulpe même du nerf. Mais c’est là un point débattu encore en anatomie, | et qui ne doit pas nous occuper. 1 La choroide est une membrane d’un brun foncé, molle, mince, essentiellement vasculaire , d’où le nom de choroïde qu’on lui a donné, et placée au-dessous de la sclérotique qu’elle tapisse en entier, et dont elle a conséquemment la forme et l’étendue. Convexe en de- hors et du côté de la sclérotique , elle est concave en dedans , et tapissée de ce côté par la rétine, qui ne lui, adhère pas , et ne participe pas de sa couleur brune. En arrière est un trou pour l'entrée du nerf optique;-et en ayant une ouverture placée au niveau de celle de la sclérotique, et dans laquelle est encadrée l'iris. On ne peut pas, quoi qu'on en ait dit, la dériver de la pie-mère, comme on dérivait la précédente de la dure-mère ; mais elle résulte de l’entrelacement des artères et veines ci- liares , longues et courtes. Ces vaisseaux forment même deux plans : un antérieur, constitué par les artères, et un postérieur par les veines ; d’où, la distinction à la cho- ao FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. roïde de deux lames, à la plus interne de laquelle Ruisch le fils a donné lé’nom de membrane ruischienne. I est d’autant moins possible de méconnaître cette distinction, qui cependant chez l’homme n’est réelle qu’en arrière, que , chez les poissons, les deux feuillets sont séparés par un corps assez gros que les uns ont dit être un muscle , et que M. Cavier considère Comme une glande. Cette choroïde est imprégnée d’un enduit brunâtre qu’elle exhale, et qui, plus abondant # là face interne qu’à l'ex- terne , et en avant qu’en arrière , est du même genre que celui qui constitue la matière Coloränté de la peau ;'il manque dans Îles individus appelés @lbinos. En dehors de l’entrée du nerf optique, à Choroïde offre en quel- ques animaux une place qui $é distingue par une autre couleur , par une couleur qui ést généralement éclatante, Inais ve est diverse en chaque espèce : celte place est ce qu'on appelle le tapis. ! Enfin, la rétine tapisse la choroïde, et a la même étendue et la même forme. C’est une membrane molle, mince, pulpeuse, grisâtre, et qui, formée principale- ment par l'expansion dernière du nerf optique, revêt toute la paroi interne de l'instrument , et est la partie principale du sens. Gonvexe en dehors, et du côté de la choroïde , elle est concave en dedans, ét embrasse de ce côté le corps vitré, auquel elle n’adhère nullement. En arrière , elle recoit le nerf optique ; en avant, elle se ter- mine vers l’ouverture de la choroïde, formant là une espèce de bourrelet , duquel part une lame extrêmement fine, qui se réfléchit sur les procès ciliaires, s’enfonce dan leurs intervalles , et parvient jusqu’au cristallin. À deux lignes en dehors du nerf optique , on voit sur la face in- terne de la rétine , dans la direction même de l'axe de nn To SENS DE LA VUE. Aa l'œil, une tache d’un jaune assez foncé, de l’étendue _ d’une ligne, entourée de plusieurs plis vagues, et per- cée d’un trou dans son centre. C’est ce qu’on appelle la tache jaune de Sœæmmering. La rétine est un réseau formé par quelques vaisseaux et les derniers filets du nerf optique. Les vaisseaux en sont la moindre partie ; ils pro- viennent de lartère centrale de Zinn, qui arrive à Pœil placée dans le centre du nerf optique ;, et qui , avant que son tronc traverse directement lé corps vitré , donne la- téralement des rameaux qui forment le lacis de la rétine. Les filets du nerf optique sont la partie principale : long- temps l’origine de &e nerf fut rapportée à la partie de l’encéphalé qu’on appelle couches optiques. M. Gall’ a prouvé que cette origine était à la paire antérieure des _ tubercules quadrijumeaux; il a, en effet , suivi les nerfs _ optiques jusque BR, et au-delà de la couche optique. Il n’y à d’ailleurs nulle proportion de volume dans les anï- maux entre la couche optique et le nerf optique; les altérations de ces parties ne sont pas réciproques; et enfin , les filets fourpis par les couches optiques ne suüi- vent pas la même direction que ceux du nerf optique. De la paire antérieure des tubercules quadrijnmeaux , les nerfs optiques se portent vers les couches de ce noïn , ÿ adhèrent , puis les contournent , et se renforcent par de nouveaux filets que leur fournissent deux ganglions ap- pelés , lun le corpus geniculatum externum , et l'autre le tuber cinereum. Continuant alors de se porter en avant du côté de l'œil, chaque nerf vient se confondre avec celui du côté opposé sur ce qu’on appele la selle turci- que. Les anatomistes sont ici en dissidence; selon les uns , les deux nerfs ne font en ce lieu que communiquer; selon d’autres , il se fait un mélange complet des deux ; 412 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. selon quelques-uns, enfin, il y a entre-croïsement , et le nerf optique droit va à l’œil gauche, et le nerf optique gauche à l’œil droit. L’anatomie comparée et les affec- tions pathologiques fournissent presque autant de faits pour l’une que pour l’autre de ces opinions. Au-delà de ce lieu , les nerfs se séparent, et chacun va , par le trou optique , se rendre à l'œil. Chacun traverse la scléroti- que , la choroïde , et se termine au milieu de la rétine par une sorte de tubercule tronqué, dont la couleur blanche contraste avec la couleur grise de la membrane. Là, les filets qui les composent , semblent s'exprimer à trayers une membrane criblée de pores , qui boucherait le trou par lequel la sclérotique leur donne passage. De ces élémens , résulte une membrane qui paraît composée de deux feuillets, mais siunis qu’on peut diflicilement les séparer; un externe, médullaire et pulpeux ; et un interne , fibro-vasculaire, servant de soutien au premier et appelé arachnoïde. M. Ribes dit que le nerf optique se distribue dans la rétine, comme les nerfs olfactifet acous- tique dans les membranes pituitaire, et labyrinthique. 2° Les parties qui, dans l'œil, remplissent l'office de corps réfringens , sont, ou des membranes diaphanes ; ou des fluides diaphanes renfermés dans des capsules qui leur donnent une figure fixe. Dans nos instrumens artificiels , on n’emploie pour cet effet que des parties solides, des verres ; mais on concoit qu'on pourrait em- ployer également des liquides. Ges parties sont de devant en arrière , la cornée , l'humeur aqueuse , le cristallin et le corps vitrée. È La cornée est une membrane diaphane , convexe en devant, de forme à peu près circulaire, enchâssée dans l'ouverture antérieure de la sclérotique, fermant en de- SENS DE LA VUE. 415 vant la cavité de l’œil dont elle est comme le premier verre , et faisant une avance au devant de cet organe, parcequ’elle est comme un segment d’une sphère plus pe- tite surajoutée à une plus grande. À son encadrement dans la sclérotique, elle adhère intimement à cette membrane ; long- temps même on la considéra comme en étant une bu : ; mais elle s’en sépare par la macération , et ce sont certainement deux membranes bien dis- tinctes. Sa face antérieure est convexe , et couverte d’un enduit muqueux particulier, qui est défendu lui- même par un épiderme ; la conjonctive , qui est là très- ténue, la revêt aussi. M. Ribes, cependant, nie ce der- nier fait, et dit que la conjonctive ne dépasse pas sa eirconférence. Sa face postérieure est concave, et borne un petit espace compris entre la cornée et l'iris , et qu’on appelle {a chambre antérieure de l'œil. Dans son orga- nisation , elle présente six lames minces , transparentes, superposées les unes aux autres, et unies entre elles par une cellulosité serrée. Ces lames ont été comparées à de la corne , d’où le nom de cornée que porte la membrane; elles n’ont ni nerfs, ni vaisseaux; mais entre elles est épanchée une sérosité. Elles sont moins serrées antérieurement que postérieurement , et plus épaisses au centre de la cornée que sur ses bords. Dans les ani- maux , la densité et la convexité de la cornée ont été calculées d’après le milieu dans lequel vit Panimal , et l'état des autres corps réfringens de l’œil; la convexité est d'autant plus grande , que le milieu dans lequel vit Panimal est plus rare, et au contraire d’autant moin- dre que le cristallin , autre corps réfringent de l’œil , est plus sphérique. L'humeur aqueuse est un fluide transparent , légère- l14 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. ment visqueux , semblable à de l’eau gommée; qui remplit tout l'intervalle compris, entre la cornée qui est en avant et le cristallin qui est en arrière; espace que l'iris sépare en deux parties appelées les chambres de l'œil , et qui est fort peu étendu , puisque le cristal- lin est presque au niveau de l'ouverture antérieure de la choroïde, Cette humeur est contenue,ou dans une membrane propre , ou dans le vide formé par les par- ties circonvoisines. La plupart des anatomistes , en ef- fet , admettent qu'une membrane très-mince et trans- parénte tapisse toute la chambre antérieure de l'œil , mais sans jamais pénétrer à travers la pupille dans la postérieure , et fournit par exhalation l’humeur dont il est ici question. M. Æibes seul nie l’existence de cette membrane , et fait provenir l’humeur aqueuse de l'humeur vitrée, comme nous le dirons ci-après, Quoi qu'il en soit , cette humeur a une figure fixe, qui est celle de l’espace qu’elle remplit; elle est un peu convexe en avant, et concave en arrière, Sa quantité est de cinq à six grains ; sa pesanteur spécifique , suivant Cheneviæ, est de 1,0005 ; et sa composition chimique, suivant M. Berzelius , offre : eau , 98,10; albumine un peu , muriates et lactates , 1, 15; soude ayec une ma- tière soluble dans l’eau seulement, 0,79. Le cristallin , ainsi nommé à cause de sa ressem- blance avec un cristal, est une lentille diaphane , moins convexe en avant qu’en arrière, ayant une éten- due de seize lignes dans sa grande circonférence, une épaisseur de deux lignes et demie à son centre, et situé entre l'humeur aqueuse et le corps vitré , à la réunion des deux tiers postérieurs de l'œil avec son tiers anté- rieur. Logé à dans une concavité que présente en de- SENS DE LA VUE, 419 vant le corps vitré , dont la membrane propre s’est dé- doublée en cet endroit pour l’envelopper , il adhère à celle-ci en avant, mais non en arrière et dans le pourtour: et dans ce pourtour , règne un canal , dit de Petit , ou goudronné. Le cristallin se compose d’une capsule qui le forme , et du cristallin lui-même ; 1°, la membrane capsulaire ne doit pas être confondue avec la membrane du corps vitré ; on les sépare l’une de l’autre par une insufllation d'air dans le canal de Petit. Elle est un sac sans ouverture, contenant dans son intérieur le cristal- lin ; dans le tissu duquel elle n’envoie aucuns prolonge- mens , et qui est libre dans sa cavité. Constamment mouillée de ce côté par une humeur légèrement vis- queuse, transparente , plus abondante en avant qu’en arrière , dite kumeur de Morgagny, qui selon les uns est . exhalée par elle , selon d’autres transude du cristailin , et que l’on suppose destinée à prévenir Le dessèchement de ce corps ou à le faire’ croître, cette membrane est fort dense , surtout à sa partie antérieure , ct paraît être de même nature que la cornée. Elle est moins sujette à perdre sa transparence que le cristallin proprement dit; et lorsque cela arrive, cela constitue la cataracte dite lœiteuse ou membraneuse. À sa partie postérieure, elle reçoit la terminaison de l'artère centrale de Zinn, et, èn avant , quelques ramifications des vaisseaux des procès ciliaires : M. Ribes , cependant , nie le premier fait ; c’est elle qui sécrète le cristallin. 2° Celui-ci est un corps lenticulaire inorganique , plus dur à son centre qu'à sa circonférence, formé par un assemblage de lames ellipsoïdes concentriques superposées , et sécrétées par la membrane capsulaire , comme l’est la 416 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. matière osseuse des dents par le bulbe intérieur, Les couches intérieures sont ‘plus dures et plus difficilés à séparer , que les couches extérieures; à cause de cela, le cristallin semble composé de deux couches, une ex- iérieure molle, et une centrale faisant noyau ; mais la nature de ces diverses couches est la même. Les posté- rieures sont aussi plus épaisses; ce qui rend la face pos- térieure de ce cristallin plus convexe, et ce qui fait paraî- tre ce corps comme composé de deux segmens. Quelques fibres se détachent d’une lame pour se porter à celle qui est au-dessous , et constituent le sèul moyen qui unisse ces couches entre elles. Jadis on les avait considérées comme des fibres musculaires destinées à faire varier la convexité du cristallin: C'henevix dit que la pesanteur spécifique du cristallin de l’homme est de 1,0790 ; il pense que sa nature chimique est albumineuse, et ne dif- fère de celle de l'humeur aqueuse que par de plus gran- des proportions d’albumine et de gélatine, et par l'absence des matières salines. Mais M. Berzeliusle nie, et assigne à ce corps pour élémens : eau, 58,0; matière particulière fort analogue à la partie colorante du sang , 55,9; mu- riates , lactates et matière animale soluble dans l’al- cohol , 2,4 ; matière animale soluble dans l’eau seule- ment , et quelques phosphates, 1,5 ; enfin, portion de la membrane capsulaire qui reste insoluble , 2,4. Pro- bablement , il ne recoit aucuns vaisseaux , ce qui du reste a été le sujet de grands débats. La plupart des anatomistes le disent inorganique. Quelques -uns met- tent en doute cette assertion , et arguent de l’opacité que ce cristallin revêt quelquefois, de la plus grande densité qu’il acquiert naturellement par l'âge ; ils con- SENS DE LA VUE. 417 jecturent, par exemple , que la cataracte succède à une inflammation de ce corps. Sa convexité est généra- lement en raison inverse de celle de la cornée. Enfin , le corps vitré est une masse molle , parfaite- ment transparente , ainsi nommée à cause de sa ressem- blance avec du verre fondu , et qui remplit tout l’espace compris entre le cristallin et la rétine, c’est-à-dire les trois-quarts postérieurs de l’œil. IL faut étudier en lui sa membrane propre , et l'humeur vitrée elle-même. La première , appelée membrane hyaloïde, est très-mince et transparente ; non-seulement elle circonscrit de toutes parts le corps vitré, mais elle fournit intérieurement des prolongemens qui le partagent en cellules. Ces cel- Jules ont une figure et une grandeur variables, com- muniquent entre elles, et sont plus grandes à la partie postérieure qu’en avant. Nous avons mentionné ; et le dédoublement que présente en avant ceite membrane hyaloïide pour enchässer le cristallin ; et le canal de Petit, qui règne au pourtour de ce dédoublement , et qui , selon M. Jacobson , est garni de trous qui font com- muniquer ce canal avec la cavité de l'humeur aqueuse. Elle recoit ses vaisseaux de l’artère centrale de Zinn , et sécrète elle-même l'humeur vitrée qui la remplit. Celle-ci est un fluide visqueux , transparent, albumineux , sem- blable à de l’eau gommeuse : sa pesanteur spécifique est, selon M. Wicolas, de 1 ,0009 ; et M. Berzelius lui assigne pour élémens : eau, 98,40 ; albumine , 0,18 ; muriates et lactates, 1,42 ; soude, avec une matière animale so- luble dans l’eau seulement, 0,02. Sa quantité, propor- tionnée au volume du corps vitré, n’est guère moindre de 100 grains. Le corps vitré a une figure fixe : concave en avant, il est convexe en arrière; et, de ce côté , par | 4 27 418 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. lequel il touche à Ja rétine , il n’est uni. à cetle mem- brane que par l'artère centrale de Zinn. 3 Enfin, il existe dans un point de la cavité de l'œil, un diaphragme analogue à celui que l’on voit dans les lunettes artificielles : c’est la membrane iris ou uvées Cetie membrane, plane , circulaire, percée d’un trou dans son centre , encadrée dans l’ouverture antérieure de la choroïde , et placée dans l'épaisseur de l'humeur aqueuse , un peu au devant du cristallin , partage l'intervalle compris entre la cornée et le cristallin et que remplit l'humeur aqueuse, en deux parties : l’une antérieure , plus grande , appelée chambre antérieure de l'œil ; l'autre postérieure, plus petite, appelée cham bre postérieure de l'œil. En avant , elle offre les cou- leurs qui caractérisent les divers yeux, couleurs aux- quelles elle doit son nom d’iris, qui varient, et géné- ralement sont partagées en deux cercles, dont l’ex- terne est plus pâle. En arrière, elle est enduite d’un pig- mentum noir, auquel elle doit son nom d’uvée. Ce pig= mentum , et la matière colorante de la face antérieure sont exhalés par la membrane, et du même genre que. la matière colorante de la peau. À son centre, est une ouverture appelée pupille ou prunelle, qui fait com muniquer les deux chambres de l'œil et permet à l'hu- meur aqueuse de les remplir, et qui laisse arriver les rayons lumineux au cristallin ; susceptible de se dilater et de se rétrécir, cetie ouverture varie à chaque instant dans ses dimensions. La texture de cette membrane a été, et est encore un grand sujet de controverse. Long-iemps on supposa en elle des fibres musculaires , propres à éxécuter la dilatation et le resserrement du trou pupils laire ; savoir, des fibres musculaires disposées en cercle SENS DE LA VUE» 419 #ütour dé la pupille , et d’autres fibres qui s’attachaient perpendiculairement aux premières. M. Maunoir , de Genèvé , a récemment encore soutenu cette opinion. Mais la plupart des anatomistes disent cette membrane essentiellement vasculaire et nerveuse , et en concoivent ainsi la disposition : les vaisseaux etnerfs ciliaires, après avoir rampé entre la sclérotique et la choroïde , et être arrivés à l'ouverture antérieure de cette dernière mem brane , se portent à droite et à gauche le long de cette ouverture pour former un premier cercle vasculaire et nerveux , qui est le commencement de la membraneiris ; de la convexité de ce premier cercle naissent des ramus- cules , qui en s’anastomosant entre eux en arcade , forment un second cercle qui ajoute à la membrane; ce second cercle détache d’autres ramuscules, qui en for- ment un troisième ; et cela se continue ainsi jusqu’au pourtour de la pupille : tous ces cercles vasculaires et nerveux sont unis par un tissu spongieux érectile. Cette membrane iris est du reste composée de deux lames intimement unies près de la pupille, mais qu’on peut séparer vers la grande circonférence. M. Edwards en admet même quatre , ajoutant aux deux que nous venons d'indiquer, deux autres provenant de la membrane de l'humeur aqueuse, qui s'applique sur cette membrane iris en avant et en arrière, pour tapisser les deux cham- bres de l’œil; mais l’existence de cette membrane de l'humeur aqueuse , surtout dans la chambre postérieure, est contestée, A l'endroit où l'iris est encadrée dans l'ouverture an- térieure de la choroïde, se trouvent deux parties qu'il nous reste à faire connaître; l’une en avant, appelée liga- * m 27 420 FONCTION DL LA SENSIBILITÉ. ment ciliaire; et l’autre en arrière , appelée les procès ciliaires. Le ligament ou cercle ciliaire, commissure de l’uvée, est une espèce d’anneau grisâtre , large d’une ligne, qui se voit au devant de l'iris le long de son en- cadrure dans la choroïde. C’est comme un ourlet qui retiendrait l'iris dans la choroïde ; et aussi adhère-t-il plus à cette membrane qu’à l'iris et à la sclérotique. Sa consis- tance est pulpeuse, son tissu abreuvé d’une mucosité blan- châtre. Selon M. de Blainville, il n’est que le prolon- sement du tissu cellulaire qui fait la trame de la cho- roïde. Il n’est en effet qu’une cellulosité délicate, pénétrée des mêmes vaisseaux et nerfs ciliaires quiforment l'iris. Les procës ciliaires, rayons sous-iriens sont de petits appendices vasculo-membraneux, situésen dedans etder- rière l’uvée , et étendus du pourtour de l’ouverture anté- rieure de la choroïde ; d’un côté, au contour de la pupille ; de l’autre, à la partie antérieure du corps vitré et du cris: tallin, Au nombre de soixante à quatre-vingt-dix, ils res- semblent par leur réunion au disque d’une fleur ra- diée : leur longueur est d’une ligne et demie environ, mais ils sont alternativement plus longs et plus courts. Recouverts d’un enduit noirâtre, analogue à celui qui teint la choroïde , ils laissent d’eux une image parfaite à la surface du cristallin et du corps vitré, qui, d’ail- leurs est creusée là de stries destinées à les recevoir. Leur texture et leurs usages ont été, et sont encore le sujet de beaucoup de discussions. On les a dit successivement musculaires, glandulaires, vasculaires, nerveux. La plupart des anatomistes les considèrent comme formés desmêmes vaisseaux et nerfs que l'iris , et comme suscep= SENS DE LA VUE. 423 tibles de la même motilité érectile. M. de Blainville les dit des replis de la choroïde. M. Rtbes leur attribue Fof- fice de sécréter les trois humeurs de l’œil, d’être les moyens d'union de ces humeurs , et ce qui y entretient le renouvellement et la vie. Cet anatomiste, en effet, prétend, d’une part , que le corps vitré ne recoit aucuns vaisseaux de la rétine; il nie l'existence de l'artère cen- irale de Zinn , s’appuyant sur ce que des injections très- délicates dans les artère et veine ophthalmiques n’ont jamais pénétré dans le cristallin et le corps vitré, bien que la choroïde en fût toute remplie. D’autre part , ilnie aussi l'existence de la membrane de l'humeur aqueuse ; il croit que la lame qui est à la face postérieure de la cornée, et qu’on a indiquée comme telle , appartient plutôt à cette cornée; il observe surtout qu’une mem- brane semblable à cette lame ne pourrait exister à la face antérieure de l'iris , sans empêcher les mouvemens de ce diaphragme. Les procès ciliaires resteraient donc seuls pour fournir les matériaux de ces trois humeurs : et voici comment, selon M. Aibes, ils agiraient. Il y a deux ordres de procès ciliaires; ceux de la choroïde et ceux du cristallin, s’enchevêtrant les uns dans les autres , et communiquant entre eux : le sang apporté par les premiers est saisi sous forme de fluide blanc par les seconds ; et porté par ceux-ci dans la membrane hyaloïde , il constitue déjà l'humeur vitrée. Ces mêmes procès ciliaires choroïdiens se distribuent aussi à la mem- brane capsulaire du cristallin, qui, par eux, engendre ce corps. Enfin, dans le canal de Petit, se trouvent beaucoup de trous, par lesquels la membrane hyaloïde laisse écouler une portion de l'humeur vitrée; et celle- ci, en s’épanchant dans la chambre postérieure de Pœil, 422 © FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. -et passant de là par la pupille dans la chambre antérieure, forme l'humeur aqueuse. On a objecté à M. Ribes que les procès ciliaires qui, à cetitre, devraient exister dans tous les animaux où l’œil a des humeurs , manquent cependant dans beaucoup , les poissons osseux, par exemple. Parties accessoires de l'OFil. Ces parties sont : les orbites , les paupières, des mus- cles, et l'appareil sécréteur lacrymal. 1° Les orbites sont deux cavités creusées dans la face, de chaque côté du nez, au-dessous du front et au-des- sus des joues , ayant la forme d’une pyramide quadran- gulaire , d’un cône dont le sommet est en arrière et la base en avant, et dans lesquelles sont contenus les yeux. ÀÂu sommet se remarquent , le trou optique par lequel parvient à l’œil le nerf de la vision, et les fentes sus-sphé- noidale et sus-maæxillaire par lesquelles passent beau- coup de vaisseaux et de nerfs destinés aussi à l'œil. La base est irrégulièrement arrondie, et le côté par lequel l’œil est toujours accessible à la lumière. La paroi in- terne de l'orbite est toute droite, et séparée par l’eth- moiïde seul, de la paroi correspondante de l’autre orbite à laquelle elle est parallèle. Les autres parois , supérieure, inférieure et exierne , sont, au contraire, obliques en dedans et en arrière, d’où il résulte que l’axe de l’or- bite n’est pas droit, mais oblique en ces deux sens ; de telle sorte que, si l’on prolengeait les axes des deux or- bites en arrière , ces axes iraient se croiser au niveau de la selle turcique. Cet orbite est aussi plus découvert en dehors qu’en dedans, afin qu’on puisse mieux voir les objets de ce côté. Sept os concourent à le former: SENS DE LA VUE. 4°3 le frontal , le sphénoïde , le sus-maxillaire , l’ethmoïde , le palatin , l’unguis et le malaire. L’unguis , et l'aile an- térieure du sphénoïde dans laquelle est Le trou optique, sont les seuls qui lui soient essentiels ; et, la preuve, c’est que dans la série des animaux , à mesure que l'œil est situé plus latéralement , l'orbite cesse d’être circon- scrit, et, par exemple, se confond en arrière avec la fosse temporale. M. de Blainville dit que cet orbite est entre la fin de la vertèbre la plus antérieure de la tête et l’appendice de la mâchoire supérieure , et que les os de ces deux parties se sont modifiés pour en former la cavité. Toutefois , l'œil y est logé, non dans la direc- tion de son axe , mais tout droit en avant, plus près de la paroi antérieure que du fond, du côté interne que de l’externe. La capacité de l'orbite surpasse le volume de l'œil; et, plusieurs parties que nous avons à exami- ner .y sont contenues aussi : par exemple, les muscles de l'œil, la glande lacrymale. Dans son fond. d’ailleurs, est une masse de tissu cellulaire graisseux, sur lequel l'œil est mollement posé comme sur un coussinet. 2° Les paupières sont deux replis situés transversale- ment, des espèces de voiles demi-transparens, mem- brano-musculeux , qui, tout à la fois maintiennent le globe de l'œil dans l'orbite, et, en se mouvant sur cet organe , le soumettent ou le dérobent à volonté au contact des rayons lumineux. Chez l'homme, il y en a deux, placées l’une à l’opposé de Pautre, la supé- rieure ct l’inférieure. La première est la plus mobile et la plus grande , car elle couvre à elle seule les trois- quarts supérieurs de l’œil. Leurs extrémités se confondent _aux angles de l'orbite, et forment là leurs commissures. Elles ne laissent à découvert que la partie antérieure de 424 FONC?ION DE LA SENSIBILITÉ. l'œil. Leur degré d’ouverture transversale varie beau- coup, et c’est de ce degré d’ouverture que résulte le volume apparent des yeux. Elles sont formées par quatre couches membraneuses, superposées les unes aux autres, et par un fibro - car- tilage qui règne tout le long de leur bord et les tient étendues : 1° la couche extérieure est la peau qui ici est très - fine, presque transparente; et unie à la couche subjacente par un tissu cellulaire lâche , qui ne se laisse jamais pénétrer par de la graisse, mais se laisse facilement infiltrer par de la sérosité; 2° au- dessous d'elle , est un plan musculeux; formé par un seul muscle à la paupière inférieure, l’orbiculaire des pau- pières ; et par deux à la paupière supérieure, ce même orbiculaire et l’élévateur de la paupière supérieure. Le premier de ces muscles , naso-palpébral , est com- mun aux deux paupières ; il est composé de fibres cir- culaires , qui circonscrivent le contour des paupières, sont concentriques les unes aux autres, et s'étendent de l’apophyse montante de l’os sus-maxillaire , jusqu’au- delà de l’angle externe de l’orbite. L’élévateur de la paupière supérieure , ou orbito-palpébral, n'appartient qu’à la paupière supérieure : attaché d’un côté au-des- sus du trou optique dans l’orbite , de l’autre , il se ter- mine en s’élargissant au bord supérieur du fibro-carti- lage tarse. Un tissu cellulaire , que remplit une graisse un peu jaunâtre, unit cette couche muasculeuse aux au- tres couches constituanies des paupières ; 5° plus pro- fondément encore , est une couche fibreuse , qui s’étend dans toute l’étendue des paupières depuis le rebord or- bitaire jusqu’au fibro-cartilage tarse : selon Bichat, ce n’est que l’épanouissement des fibres aponévrotiques qui SENS DE LA VUE. 429 terminent les muscles précédens : selon W'inslow et au- tres , elle consiste en deux ligamens particuliers , appe- les palpébraux ou ligamens larges des paupières, qui forment le corps de ces voiles membraneux; /° enfin, tout-à-fait à la face interne , à celle par laquelle les pau- pières touchent l'œil et se meuvent sur cet organe, est une membrane de la nature des muqueuses, fine, trans- parente , appelée conjonctive parce qu’elle unit le globe de l’œil et les paupières. En effet, après avoir tapissé la face interne de l’une et l’autre paupière , elle s’étend sur toute la face antérieure du globe de l’œil; cependant M. Ribes dit qu’elle finit au contour de la cornée. Par sa face externe, qui est libre , elle perspire une humeur qui la maintient humide , et facilite les glissemens des pau- pières sur l'œil. Elle est assez lâche pour permettre tous les mouvemens des paupières; 5° tout ce voile est main- tenu étendu à l’aide d’un fibro-cartilage , qui est placé le long du bord de chaque paupière, et qu’on appelle tarse : celui de la paupière supérieure est plus long, plus large, surtout dans son milieu. Tous deux sont coupés obliquement aux dépens de leur face interne; de sorte que lorsque les paupières sont rapprochées, les deux fibro-cartilages forment, par leur réunion, un canal triangulaire, plus large en dedans, et qu’on dit destiné à conduire les larmes vers leur appareil d’excrétion. Ce-. pendant, M. Magendie conteste cette disposition. Telles sont les paupières. Ajoutons que , dans leur bord, se trouvent encore : 1° des bulbes pileux, qui pro- duisent ce qu'on appelle les cils, petits poils arqués, parallèles entre eux,recourbésen dehors , plas nombreux à la paupière supérieure qu’à l’inférieure , et qui diffèrent de couleur dans les divers hommes ; 2° des follicules ap- 426 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. pelés glandes de Meibomius , au nombre de quarante à la paupière supérieure , de vingt à trente à l'inférieure, situés dans des sillons spéciaux entre les fibro-cartilages tarses etla membrane conjonctive , et sécrétant un fluide sébacé , appelé chassie, qui entretient l'intégrité des cils et de toutes ces parties. Cet appareil palpébral manque en certains animaux ; en d’autres, il est plus compliqué; et , par exemple, chez les oiseaux , il existe une troisième paupière, qui n’est qu'en vestige chez nous , qui est perpendiculaire à l'œil , et qui, repliée à l'angle interne de l'orbite, est tirée au-devant de l’organe à la manière d’un rideau, par deux muscles particuliers. À l’appareil des paupières se rattachent encore ce qu’on appelle les sourcils. Ce sont deux éminences arquées, gar- nies de poils , placées au-dessus des orbites. Elles sont formées ; d’abord, par l’arcade sourcilière de l'os frontal qui en fait le fonds ; ensuite, parle muscle sourcilier qui, commencant à la bosse nasale, s’étend le long de cette arcade sourcilière ; il est renforcé par quelques fibres de l’orbiculaire et de l’occipito-frontal; enfin , par la peau qui est ici plus épaisse, et garnie de poils dirigés obli quementde dedans en dehors , et plus épais dans le pre- mier sens que dans le second. 3° L’œil, indépendamment de la tête qui l’entraîne dans ses mouvemens , a un appareil musculaire propre, composé de six muscles; savoir, 1° quatre muscles ap- pelés droits à cause de leur direction, un droit supé- rieur ou élévateur, un droit inférieur ou abaisseur , un droit interne ou adducteur, et un droit externe où abducteur. Tous sont attachés au fond de l'orbite, au pourtour du trou optique ; et de Rà vont, en s’épanouis SENS DE LA VUE. 427 sant, s'insérer aux faces supérieure, inférieure , interne et externe de la sclérotique; 2° le muscle grand oblique, ou oblique supérieur , qui, du côté interne du trou opti- que , se porte d’abord vers Fapophyse orbitaire interne du frontal , est réfléchi à dans une poulie, et traverse ensuite tout l’orbite en travers, pour aller. s'attacher à la partie supérieure, postérieure et externe du globe de l'œil ; 5° enfin, le petit oblique, ou oblique inférieur, dont les fibres s'étendent depuis la partie antérieure et un peu interne du plancher de l'orbite, vers la gouttière lacrymale, jusqu’au globe de l'œil près l'insertion du grand oblique. Ces muscles ont leurs nerfs propres, qui sont : l’oculo-musculaire commun ou troisième paire encéphalique, l'oculo-musculaire interne ou quatrième paire, et l'oculo-musculaire externe où sixième paire. 4° Enfin, il est annexé au globe de l'œil un appareil sécréteur, destiné à fournir à cet organe un fluide qui en lubrifie la surface et entretient l'humidité nécessaire à ses mouvemens , l'appareil sécréteur des larmes. 11 se compose de deux sortes de parties , celles qui font le fluide etle versent à la surface antérieure de l'œil, et celles qui en excrètent le superfiu. Les premières sont la glande lacrymale et ses vais- seaux sécréteurs. La glande est un corps ovoide , de la grosseur d’une petite amande, de couleur grisâtre, et situé à la partie externe et antérieure de la cavité orbi- taire. Composé de petits lobules, et ayant la texture propre aux glandes , cet organe a sept ou huit petiis canaux excréteurs , qui s'ouvrent séparément à la face interne de la paupière supérieure, près le cartilage tarse, et qui versent en cet endroit les larmes. Celles-ci sont an fluide doux , albumineux , transparent , inodore, et 428 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. composé de beaucoup d’eau , d’un mucilage animal, de muriate de soude , de phosphate de soude et de chaux. L'appareil d’excrétion des larmes comprend un plus grand nombre de parties ; situé à l’angle interne de l'œil , il se compose des points lacrymaux , des conduits lacrymaux , du sac ou sinus lacrymal, et du canal nasal. 1° On appelle points lacrymaux les orifices tou- jours béans de deux conduits destinés à excréter les larmes ; placés à l'angle interne de l'œil, il y en a un pour chaque paupière; rapprochés l’un de l’autre quand les paupières sont fermées, mais de manière cependant qu'ils peuvent continuer leurs fonctions , ils sont au contraire séparés quand l'œil est ouvert. On croit qu’un peu de tissu érectile est joint à l’orifice vasculaire qui les forme, et qu’ils s’érigent au moment où ils exécutent leur fonction d'absorption. Près d’eux se trouve la earon- cule lacrymale , corps rougeâtre , qui n’est qu’un follicule rapproché , un amas de petites cryptes muqueuses qui fournissent un fluide qui lubrifie les parties environnan- tes ; cette caroncule achève le cercle que les glandes de Meibomius forment autour des paupières , et a les mêmes usages. 2° Ces points lacrymaux conduisent à deux ca- naux , les conduits lacrymaux : ceux-ci sont horizon- taux si l’œil est fermé , et au contraire obliques , mais obliques en sens opposé , s'il est ouvert; c’est-à-dire que le conduit lacrymal de la paupière supérieure est oblique de haut en bas, et celui de la paupière inférieure de bas en haut, ou au moins est horizontal. La longueur de ces conduits est de deux à trois lignes, et leur diamètre égal une soie de cochon. A la commissure interne des pau- pières ces conduits, qui étaient séparés jusque-là , se réunissent en un seul canal selon les uns, selon d’autres SENS DE LA VUE. ÿ 429 ne font que s’accoller , et s’abouchent dans le sac lacry- mal. 5° Celui-ciest une petite cavité, en partie osseuse, en partie membraneuse , allongée de haut en bas, et qui est placée en devant et à l'angle interne de l'orbite. IT est formé, en dedans par la gouttière lacrymale creusée dans l'os unguis et l’apophyse montante de los sus - maxil- laire ; et en dehors par une partie fibreuse , qui résulte du tendon réfléchi du muscle palpébral. Le tout est tapissé par une membrane muqueuse , qui se continue par les conduits lacrymaux avec la conjonctive, et avec la mem- brane muqueuse du nez par le canal nasal. 4° Enfin, le canal nasal, auquel aboutit en bas ce sac lacrymal, est un canal osseux, long de quatre lignes , formé par le con- cours des os sus-maxillaires, unguis et cornet inférieur, et qui s’ouvrant dansle méat inférieur des fosses nasales, derrière le cornet inférieur , apporte en cet endroit les larmes. Il est tapissé par la même membrane muqueuse de tout cet appareil, membrane qui, selon les uns, lui adhère , qui, selon d’autres, est libre , et peut se con- tracter pour hâter l’excrétion des larmes. Cet appareil de lubréfaction manque en certains ani- maux , tous ceux qui vivent dans l’eau, par exemple ; il était, en effet, inutile chez eux. D’autres fois, au con- traire , il est plus compliqué , comme dans les oiseaux, où il ÿ a une seconde glande lacrymale à l’angle interne de l'œil. 3° Mécanisme de la Vision. La vision est encore une sensation externe; consé- quemment, sa cause est aussi le contact d’un corps étran- ger ; mais la manière dont ce corps étranger, la lumière, est appliqué à la partie nerveuse de l’organe , est encore plus compliquée que dans les sens précédens. Il faut 430 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. décrire la marche des rayons lumineux jusqu’à la rétine, qui, seule, peut développer l'impression sensitive ; indi- quer , chemin faisant , le rôle partiel que remplit chacune des parties constituantes de l’érgane ; et cela étant connu, il ne restera plus qu'à parler de l’action d'impression en elle-même et des usages du sens. D'abord , l’action principale est accomplie par le globe de l’œil proprement dit, et les parties dites accessoires, ne font que remplir des oflices secondaires ; elles ne font que mettre l’œil en état d'agir. D'une part, Porbite abrite l'œil, et le protége contre toutes les percussions exté- rieures. À l’aide des six muscles propres de l'œil, cet organe est mû dans l'intérieur de l'orbite, et dirigé vers tous les objets qu'il lui importe de voir. La forme sphé- rique de l’œil est une condition de structure qui le fait se prêter facilement à tous ces mouvemens; et l’on de- vine de quel avantage est le coussinet graisseux qui est au fond de l'orbite , et sur lequel l’organe est mollement posé. L'appareil des paupières contribue aussi un peu à régier ces MouveINens ; Mais il sert surtout à couvrir ou laisser libre à notre volonté la surface antérieure de l'organe , et par conséquent à empêcher ou permettre la vision. Abri protecteur pour l’œil, surtout pendant le sommeil, il sert en outre , par ses mouvemens continuels, à étendre à la surface de l'organe les larmes qui l’abs- tergent , et à ramasser ces larmes dans le canal triangu- laire des fibro-cartilages tarses, par lequel elles doivent être conduites à leur appareil d’excrétion. De là même, ces mouvemens continuels des paupières qu’on appelle clione- mens, et qui peut - être aussi tiennent au relächement alternatif du muscle élévateur de la paupière supérieure. Les cils, qui bordent ces paupières, tamisent air, et éloi- SENS DE LA VUE. 431 gnent les atomes qui flottent dans ce gaz. Les sourcils, qui surmontént l'œil , servent à l’abriter , le protégent contre les percussions externes, détournent de Jui la sueur qui coule du front ; ils se rident, et s’avancent au- dessus de l'organe, quand une trop grande lumière lui parvient , afin d'en absorber une partie. Les poils, quiles ombragent , ont ce même usage; et c’est à cause de cela qu’ils sont généralement plus épais et d’une couleur plus noire dans les pays chauds, et que même on les teint pour ajouter à leur couleur. Enfin , les larmes entretien- nent sans cesse l'humidité et la transparence de l'œil, afin que les rayons lumineux puissent toujours le tra- verser , et que les mouvemens des paupières soient faciles. D'autre part, rien n'est difficile à concevoir dans la manière dont ces diverses parties accomplissent ces actions. La direction des muscles propres de l'œil, indi- que seule celle dans laquelle l’organe est mû; chacun des quatre muscles droits le porte en haut, en bas, en dedans et en dehors; si ces muscles combinent leur ac- tion deux à deux, l'œil est porté dans toutes les direc- tions intermédiaires à celles-là; s'ils se contractent successivement l’un après l’autre , ils font exécuter à l'organe un mouvement de circumduction; le grand oblique le porte en bas eten dedans, le petit oblique en baut et en dehors; enfin, s’ils agissent tous ensemble, ils fixent le globe de l'œil , et l’enfoncent dans son orbite. De même, le jeu des paupières tient aux muscles que nous avons vu entrer dans leur composition : soit qu’elles se rap- prochent , soit qu'elles s’éloignent, c’est la paupière supé- meure quise meut le plus ; la différence est dansla propor- tion de 4 à 1. Dans l’état ordinaire, c’estle muscle éléva- teur de la paupière supérieure qui , par son action ou son 452 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. repos , détermine l'ouverture ou l’occlusion de l’œil ; le muscle orbiculaire n’agit pas. Le muscle élévateur est-il contracté ? la paupière supérieure est relevée et plissée entre l’œil et l’orbite, l’œil est à découvert. Ce muscle au contraire est-il relâché ? la paupière supérieure est étendue passivement sur la surface de l’œil , qui est alors fermé : c’est cequiest , par exemple , dans le sommeil, où les deux muscles sont relächés. Cependant M. Broussais donne de ce jeu des paupières une description différente. Selon lui , l'ouverture de l’œil pendant la veille n’exige. pas d’effort, parce que les deux muscles des paupières sont disposés de manière que l’action du releveur est bien plus puissante que celle de l’orbiculaire : ilen donne comme preuve ce qui arrive à la mort; les yeux alors restent entr'ouverts. Au contraire, l’occlusion de l’œil dans le sommeil tient à la contraction de l’orbiculaire , qui, seul alors, d’entre les muscles volontaires, veille pendant que les autres se reposent. Dans quelques cas, au moins, ce muscle orbiculaireagit ,et alors sa contrac- tion ferme l’œil , et son relâchement le laisse à décou- vert. Qui ne voit du reste combien ces paupières sont heureusement construites pour leur usage ? Qui ne saisit aussitôt les avantages ; et du fibro-cartilage qui règne à leur bord et les tient toujours étendues ; et du tissu la- mineux fin et toujours dépourvu de graisse qui unit les différentes couches qui les composent; et de la surface lisse et humide de la conjonctive, qui les tapisse intérieu- rement ; et de l'étendue plus grande de cette conjonctive, qui permet à la paupière de se replier sous l’orbite ? Enfin , c’est mécaniquement que les larmes versées à la surface de l'œil lubrifient et abstergent cet organe; nous avons dit que les clignemens continuels des pau- “ SENS DE LA VUE, 433 pières étendaient ce fluide sur la surface antérieure dé l'œil; et l’on concoit dès lors comment ce fluide prévient le collement sur la cornée de tous les atomes que l’air y dépose , et qui finiraient par en altérer la transparence. Il n’y a de diflicultés que sur la manière dont ces larmes sont excrétées. D'abord , une partie de ce fluide, à me- sure qu’il se répand sur l'œil, est dissoute par l'air ex-- tériéur. Ensuite, on professe généralement que les clignemens continuels des paupières ramassent les Jar- mes dans le canal triangulaire qui résulte de leur rappro- chement , et que ce fluide va par ce canal se soumettre: dans l’angle interne de l'œil à l’action absorbante des points lacrymaux. On fait remarquer qu’en effet , ce canal triangulaire est de plus en plus large, à mesure qu’il approche de l’angle interne des paupières, et que c’est dans ce sens que la contraction du muscle orbiculaire des paupières tend à diriger les larmes. Alors les points la- crymaux saisissent ce fluide par une action d'absorption, analogue à celle que nous reconnaîtrons en beaucoup d’autres vaisseaux; ils le poussent d’une manière con- tinue dans les conduits lacrymaux , d’où il passe dans le sac lacrymal; enfin, de ce sac, le fluide tombe dans le canal nasal et dans les fosses nasales , d’où il est excrété par l’action du moucher, ou avalé , ou craché.On dit que les follicules de Meibomius fournissent un fluide hui- leux, qui, en enduisant les bords de la paupière, em- pêche les larmes de couler en dehors, et les oblige à rester dans le canal qui les charrie. On attribue un semblable usage au fluide de la caroncule Jacrymale. Quant à l’action d’absorption des points lacrymaux , on a voulu l’assimiler au phénomène des tubes capillaires , ou comparer ce petit appareil d’excrétion à un syphon; A 28 454 FONCTION PE LA SENSIBILITÉ. mais cela est faux , etcette action est évidemment un phé- nomène qui n'a pas son analogue dans la nature inorga- nique, et qui par conséquent est vital. Cependant M. HMa- gendie a contesté toute cette explication; il établit que le canal triangulaire du bord des paupières n’existe pas; et, qu’à supposer qu'il existât, on ne pourrait pas con- cevoir son action dans le sommeil. Selon ce physiologiste, les larmes , pendant le sommeil , gagnent l’angle interne de l'œil, par la seule disposition des parties ; l’on ignore comment elles y arrivent pendant la veille ; peut- être ne sont-elles sécrétées qu’en quantité si petite, que l'air seul suffit pour les dissoudre. Il est sûr toutefois, ajoute-t-il, qu’elles ne suivent pas la voie qu’on a indi- quée; ear elles n'arrivent jamais à la paupière inférieure. C’est aussi une fausse vue de l'esprit que de faire servir l'humeur de Meibomius à prévenir la chute des larmes en dehors; cette humeur, en eflet , est fort miscible à l’eau , et n’est relative qu'à l'entretien physique des cils et du cartilage tarse. Sans nous arrêter à ce débat, nous dirons qu'il est certain que l’appareil excréteur agit; car, si un obstacle l’obstrue , les larmes remplissent l'œil , ettombent en dehors sur la joue. Toutes ces parties accessoires ne font donc que mettre l'œil en état d’agir ; mais, sous ce rapport, plusieurs Jui sont absolument nécessaires. L’extirpation des paupières, par exemple , est toujours suivie d’une ophthalmie dou- loureuse et mortelle. De même , si les larmes ne sont pas produites, l'œil ne peut plus se mouvoir entre les pau- pières ; et, avant que J’adhérence de beaucoup d’atomes étrangers à sa surface l’ait rendu opaque, il survient aussi une inflammation mortelle, C’est le globe de l’œil qui accomplit proprement la SENS DE LA VUE: 465 vision ; et c’est en lui qu’on va retrouver les offices bien distincts de la partie nerveuse , qui seule développe l'impression sensitive; et de l'appareil antérieur, qui, véritable instrument de dioptrique , conduit la lumière au contact , et la concentre sur cette partie nerveuse. Puisque tout point visible peut être considéré, ainsi que nous l’avons dit , comme le centre d’une sphère Iu- mineuse ; on Concoil que plusieurs des rayons émanés de ce point tombent sur la surface antérieure del'œæil, si cet &il est dans sa sphère, et qu'ils y figurent un cône lumineux, qui à son sominet au point visible et sa base à la cornée. Or, d’abord , comme il n’y a à la surface antérieure de l'œil de transparent que la cornée , on con- coit déjà qu'il n’y a que ceux des rayons qui tombent sur celle cornée qui entrent dans l'œil et servent à la vision ; tous ceux qui tombent en dehors de cette mem- brane sont réfléchis, et par conséquent perdus pour la vue. Ensuite , la cornée elle-même , bien que transparente, réfléchit, à cause de son poli, encore un peu des rayons qui lui arrivent ; et ces rayons réfléchis, qui sont ceux par lesquels on se voit dans les yeux des autres, par exemple , sont encore perdus pour la vision. Mais le reste du cône lumineux, qui tombe sur cette cornée, pénètre dans l'œil, et s’y enfonce jusqu'à ce qu'il touche la rétine , parce qu’en effet toutes les parties de l’organe qui sont au devant de cette rétine sont transparentes. Seulement, comme, dans ce trajet, ce cône lumineux traverse des milieux de densité, de nature chimique et de figure différentes , il éprouve une série de réfractions qu’il importe de faire connaître. Commençons par celles qu’éprouve le cône lumineux qui part du milieu du corps visible, et dont l'axe, per- 28* 456 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. pendiculaire à l'œil, se confond avec l'axe optique, c’est-à-dire avec la droite, autour de laquelle on concoit que devraient tourner les courbes génératrices des sur- faces qui terminent chacun des milieux dont est com- posé cet organe, L’axe de ce cône étant perpendicu- laire au sommet dela cornée, du cristallin , et en général de toutes les courbes de l’œil, pénètre dans l'organe à travers le trou pupillaire et jusqu'à la rétine, sans éprou- ver de réfraction. Mais les autres rayons de ce cône étant obliques , ils sont réfractés en traversant la cornée, l'humeur aqueuse , le cristallin et le corps vitré, de ma- nière cependant qu'ils sont réunis autour de leur axe , à l'instant où celui-ci parvient à la rétine. C’est ce qui résulte de la disposition des corps réfringens de l'œil. En effet, 1° en traversant la cornée qui, tout à la fois, a.une surface convexe, et est plus dense que l’air exté- rieur, les rayons doivent être rapprochés de la perpen- diculaire menée au point de contact , et par conséquent être rendus déjà moins divergens, ou mieux conver- gens ; 2° en traversant l’humeur aqueuse qui est moins dense que la cornée , ils sont réfractés de nouveau, et écartés de la perpendiculaire, mais moins cependant que s’ils repassaient dans l'air , de sorte qu'ils conservent toujours un peu de laconvergence queleur avait imprimé la cornée. D'ailleurs, la différence de la puissance de réfraction de la cornée et de l’humeur aqueuse est peu grande, et dans le rapport de 1,53, à 1,338. Il est déjà évident que ces deux premières réfractions aug - mentent le nombre des rayons qui tombent dans le trou pupillaire, et qui sont les seuls qui servent à la vision : tous les autres, tombant plus en dehors , sont absorbés par cette membrane , ou même réfléchis; et ce SENS DE LA VUE. 457 sont ces derniers qui nous font apercevoir les couleurs diverses dont Firis est teinte; 3° ces rayons en traver- sant ensuite le cristallin qui , tout à la fois , aunesurface convexe , et bien plus de densité que l'humeur aqueuse et la cornée elle-même, sont de nouveau rapprochés de la perpendiculaire, et rendus encore plus convergéns: peut-être cependant quelques-unsencoresont-ils réfléchis; et ceux-ci, en partie sortent de l'œil et concourent à former son éclat, et en partie tombant sur la face pos- térieure de l'iris, y sont absorbés par la teinte noire qui s’y trouve ; 4°enfin, en traversant l'humeur vitrée qui a une surface concave et une densité moindre que le cristallin, ces rayons sont réfractés de nouveau , écartés de la perpendiculaire ; et la disposition de celle-ci est telle , que la convergence des rayons estencore augmen- tée , à tel point qu'ils se réunissent sur la rétine autour de l’axe de leur cône. Cependant quelques-uns croient que cette dernière réfraction n’a pas lieu, la différence du pouvoir réfringent du cristallin et de l'humeur vitrée étant très-faible, dans le rapport de 1,538 à1,539. Tou- tefois , il résulte que le cône lumineux qui était étendu de l’objet à l'œil, et qui avait son sommet à l’objet et sa base à la cornée , en traversant l'œil s’est changé en un autre cône qui lui est opposé par sabaseet qui a celle- ci à la pupille et son sommet à la rétine. On a appelé le premier , le cône objectif; et le second, le cône oculaire. ILen est de même des cônes que projettent la partie supérieure d’un corps visible , sa partie inférieure et tous les points intermédiaires de sa surface. La seule différence, c'est que tous les rayons qui les composent étant obliqueslét sontindistinctement réfractés ; et ils le sont , de manière que les cônes qui partent de la moitié supérieure de # 458 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. l’objet, sont réunis sur la rétine au-dessous du point où est arrivé le cône qui partait du milieu du corps et qui était perpendiculaire à l'œil ; et que ceux qui émanent de sa moitié inférieure, le sont, au contraire , au-dessus du poiut occupé par le cône qui est dans l'axe de l'œil. Sans doute aucun dé ces cônes n’a d’axe proprement dit; puisqu’aucun de leurs rayons n’est perpendiculaire à Fœil ; mais il existe dans le cristallin un point qui est placé sur l'axe de cette lentille, qu’on appelle le centre optique du'eristallin , el qui jouit de cette propriété re- marquable , que les rayons de chaque faisceau auquel il livre passage éprouvent, del’un et del’autre côté de l’axe principal, des inflexions inverses ; en sorte que célui-ei parvient au fond de œil, comme s’il n'avait pas été ré- fracté ; et, dès lors; est:pris pour l’axe autour duquel viennent se réunir sur la rétine tous les autres filéts de lumière qui ont aveclui une origine commune. Il résulte! de là que les différens cônes lumineux qui émanent de tous les points de la surface visible d’un objet , se croisent à ce lieu qu’on appelle centre optique du cristallin , et vont tracer sur la rétine une image de cet objet, mais en raccourci , et dans une position ren- versée, Non-seulement la théorie indique ce résultat, mais c’est un fait qu’on peut démontrer. Descartes adapta au volet d’une chambre obscure l’œil d’un bœuf nouvel- lement tué, et auquel il avait enlevé délicatement la sclérotique , la choroïde et la rétine, afin de renupläcer ces trois membranes qui sontopaques, par une pellicule d'œuf mince ; au travers de laquelle on puisse voir; et, dans cet œil ainsi préparé , il vit l’image des corps exté> rieurs se tracer sur la pellicule transparente, mais dans une position renversée, L'expérience répétée avec des SENS DE LA VUE. 459 yeux de mouton, de chat, d’homme , a toujours donné les mêmes résultats. Comme elle exigeait une dissection difficile, c’est-à-dire l'enlèvement des trois membranes qui seules donnent du corps à l'œil et en retiennent les humeurs , Lecat la figura avec des yeux artificiels faits avec du verre et de l’eau. aller fit mieux, il l’exécuta sur des animaux dans lesquels les membranes de lœil sont naturellement transparentes, et n’ont pas besoin d’être enlevées, comme de jeunes chiens , de jeunes pi- geohs. Enfin , de nos jours, M. Magendie l'a répétée avec des yeux de lapins albinos, chez lesquels l’enduit noir de la choroïde manquant, re pouvait altérer en rien la couleur des objets; et il a vu qu'il n’était pas même nécessaire d'adapter l'œil à une chambre obscure , mais qu'il suflisait de regarder les objets au travers, en s’en servant comme d’une lunette; l’image se montrait clairement dessinée et avec toutes les couleurs de l’objet, extérieur; sa grandeur était sensiblement proportionnée à la distance de celui-ci. Nous dirons ci-après le parti que ce physiologiste a tiré de cette expérience, pour appré- cier le rôle de chacune des parties de l’œil dansla vision. Ainsi est conçue la marche des rayons lumineux dans l'œil jusqu’à leur arrivée à la rétine. Sans doute, le fait seul de la vision doit faire admettre , que les divers corps réfringens de lœil sonthien calculés les uns par rap- port aux autres , sous le triple rapport de leur densité , de leur nature chimique et de leur figure , pour que le résultat de toutes les réfractions qu'ils font subir aux rayons lumineux , soit de réunir et de concentrer ces rayons sur la rétine. Mais il fautavouer qu’on ne peut pas aller au-delà de cette expression générale, et qu'on ne peut ici appliquer les calculs géométriques rigoureux dont 44o FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. le sujet paraît susceptible. Pour suivre en effet avec toute riguenr la marche des rayons dans l'œil , il faudrait con- naître exactement , 1° les courbures des faces antérieure et postérieure de la cornée ei du cristallin, et en général les figures des quatre corps réfringens de l'œil; 2° la quantité du pouvoir réfringent de chacun d’eux , fondé sur leur densité respective et sur leur nature chimique spéciale ; 3° la distance précise à laquelle est d’eux la rétine, sur laquelle doit nécessairement être leur foyer. Or, ces données sont très-difliciles à obtenir, et les efforts qu’on a faits pour les avoir n’ont conduit jusqu’à présent qu'à des approximations. En 1728, Petit mesura les courbures de la cornée et du cristallin, M. Cuvier à indiqué dans des Tables comparatives, pour un assez grand nombre d'animaux, les espaces proportionnels qu'occupent dans la cavité de l’œil chacune des trois humeurs; et il résulte que dans l'homme, c’est le cris- tallin qui occupe le plus petit espace; il a opposé la lon- gueur de l’axe de l’œil à son diamètre transversal, la longueur de l’axe du cristallin au diamètre de cetie len- tille. Récemment , M. Chaussat s'est assuré que dans le bœuf, la surface extérieure de la cornée est un ellipsoïde de révolution, dont le grand axe, qui est celui de la révolution , est dirigé non parallelèment à l’axe apparent ,: mais de devant en arrière. Il a vu qu’il en est de même des surfaces du cristallin, mais que seulement l’elli- psoide de révolution de la surface postérieure de ce corps, a une courbure plus convexe. Cela varie du reste dans les animaux ; car dans l'éléphant , par exemple, la: cornée présente une courbure hyperbolique. On a cher- ché à avoir la mesure précise du pouvoir réfringent de chaque humeur. Honro à voulu l’évaluer d’après la dif- SENS DE LA VUE. AA férence de densité de ces humeurs , et a comparé, sous ce rapport, la puissance réfringente du cristallin dans un œil de bœuf et dans un œil de morue. D’autres ont tenté de fixer dans des expériences directes le rapport des sinus des angles d'incidence et de réfraction quand la lumière passe de l'air dans l’un ou l’autre des corps réfringens de l'œil ; par exemple , le même M. Chaussat, cité plus haut, a exprimé ce rapport par les nombres suivans : lacornée, 1,339; la capsule cristalline, 1,539; l'humeur aqueuse , 1,338 ; l'humeur vitrée, 1,539; et le cristallin , valeur moyenne , 1,584. Or, évidemment ces données ne suflisent pas pour qu'on puisse calculer mathématiquement les réfractions des rayons, et prou- ver géométriquement leur réunion sur la rétine. Ge qui ajoute à la difficulté, c’est que la densité de la cornée et du cristallin n’est pas la même dans tous les points de ces corps réfringens, mais va en augmen : tant à mesure qu’on approche de leur centre ; de sorte que les rayons doivent être autrement réfractés à ce centre qu'à la circonférence. M. Chaussat, par exem- ple, a reconnu que la puissance réfringente du cristallin pouvait être évaluée dans ses couches extérieures , à 1,958 ; dans sa partie moyenne , à 1,599 ; et àsonnoyau, ou sa partie la plus compacte , à 1,420; ce quifait pour valeur moyenne, 1,384 , comme nous l'avons indiqué. Enfin , pour donner une explication mathématique , et par conséquent rigoureuse de la vision ; il faudrait surtout pouvoir montrer comment ; dans l'œil, sont compensées les aberrations de sphéricité et de réfrangi- bilité , et à quoi cet organe doit de pouvoir ,en conser- vant ces qualités sous ces deux premiers points de vue ;: voir à des portées différentes. Or , c’est ce sur quoi les 442 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. explications de la science laissent beaucoup à désirer , comme va le prouver l'historique que nous allonsen faire. Il existe dans la structure de l’œil des verres con- vexes ; et nous avons dit que les corps convexes n’avaient jamais un foyer précis, mais réunissaient leurs rayons sur un cercle d’autant plus grand qu'ils étaient plus convexes. C’est à ce qu’on appelle en physique , aber- ration de sphéricité. Or, certainement , l’œil est orga- nisé de manière à ce que ce vice soit entièrement com- pensé en lui, età ce que Fimage qui est tracée sur la rétine , ne soit pas diffuse. Mais à quoi le doit -il? On ne peut le dire avec certitude. Dans les arts , on remé- die à l’aberration de sphéricité , en n’employant des len- tilles que d’un très-petit nombre de degrés , et en en re- couvrant encoreune partie , à l’aide de diaphragmes qui les diminuent. Dans Pœil , on à attribué cet effet à di verses circonstances : 1° à la particularité qu'offre la face antérieure du cristallin , d’être plus plane que la postérieure; ce qui fait que les rayons obliques la ren- contrent sous de plus petites incidences. 2° À la par- ticulärité qu'offre ce même corps d’avoir une densité moindre à la cireonférence et dans ses couches externes qu’à son centre. 5° À la concavité de la rétine , de la- quelle il résulte que cette membrane va pour ainsi dire se présenter au foyer propre de chaque pinceau lumi- neux. 4° Enfin, surtout au jeu du diaphragme iris , qui ne laissant à découvert que le centre du cristallin , ra- mène ce‘corps à la condition d’une lentille très-plate : et qui de plus intercepte tous les rayons très-obliques , c'est-à-dive , tous ceux qui convergeant trop prompte- ment sur d’axe , formeraient sur la rétine une diffusion analogue à celle qui entoure l'image produite par un SENS DE LA VUE. 443 verre d’une trop grande ouverture. Sans doute, ces di- verses explications sont plus ou moins vraisemblables ; mais aucune n’a la rigueur absolue que comporte le sujet : et, par exemple , on à objecté sur l’usage qu'on fait remplir ici à la pupille, que quand cette pupille s'ouvre , parce que la lumière diminue dans le milieu dans lequel on est plongé , l'image des objets ne devient pas pour cela diffuse; que quand la lumière diminue au point de laisser voir à peine les objets , ces objets sont vus faiblement , à la vérité , mais toujours nette- ment. On n’est pas plus avancé à l’égard de l’aberration de réfrangibilité. On sait que toutes les fois que la lumière éprouve: des réfractions , cette lumière se sépare dans les divers rayons qui la constituent, parce que cesrayons ne sont pas également réfrangibles ; et qu’alors elle ap- paraît, non avec les couleurs de l’objet qui la projette, mais avec celles du spectre solaire, On sait qu’on ré- pare cet inconvénient dans les lunéties, par ce qu’on appelle l’achromatisme. Or, Pœil est-il achromatique, et s’il l’est, à quoi le doit-il ? Les physiologistes sont dissidens sur l’une et l’autre question. La plupart , se fondant sur ce que nous voyons toujours les couleurs propres des corps, ont dit l’œil achromatique. Euler qui le premier a émis cette epinion, disait d’une manière géné- rale que la diversité des humeurs de l'œil avait pour effet de détruire l’aberration de réfrangibilité ; et il pensait qu'en imitant dans les lunettes celte particularité de la structure de l'œil, on pourrait aussi les rendre achromati- ques. Sa conjecture a été depuis réalisée. En composant Fobjectif d’une lunette de plusieurs verres, dont les uns réparent la dispersion produite par les autres , sans trop 444 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. en modifier la réfraction , on a des lunettes dans les = quelles les rayons lumineux sont réunis au foyer ; seu- lement on ne peut jamais obtenir un achromatisme absolu ; on fait seulement concorder autant de rayons qu'on emploie de verres dans l’objectif, et ce sont les rayons extrêmes. Toutefois , tous les physiologistes qui, depuis £uler, ont admis l’achromatisme de l'œil, et même son achromatisme complet, l'ont différemment expli- qué. Tantôt on en a placé la cause dans les humeurs aqueuse et vitrée , que l’on a dit être chacune calculées par rapport à la cornée et au cristallin derrière les- quels elles sont placées , de manière à réparer la dis- persion que ces corps réfringens avaient opérée, sans dé- truire en er lc jeur réfraction. On a appuyé cette opi- nion d’une comparaison avec les lunettes achromatiques : l'objectif de ces lunettes est composé de deux verres convexes , séparés l’un de l’autre par un verre concave; or, on a dit que l'humeur aqueuse qui est concave au moins d’un côté, et qui est entre la cornée et le cris- tallin qui sont deux verres convexes , offrait une dis- position analogue. Mais M. Dulong ditque l'examen des densités des diverses couches qui forment le cristallin, ne permet pas de croire que l’achromatisme dans l'œil soit produit par les moyens que nous employons dans les arts. Tantôt on l’a fait dépendre de la particularité qu'aurait l’huméur vitrée d’avoir un pouvoir réfringent d'autant plus grand , qu’elle serait plus près du fond de l’œil; mais ce fait en lui-même n’est pas démontré ; etil resterait en oûtre.à analiser son influence sur le résultat que l’on accuse. On ne peut méconnaître qu'aucune de ces explications n’a la rigueur mathémätique qu’on est ici en droit d'exiger. Aussi, à cause de cela, quelques SENS DE LA VUE. 445 physiciens ont pensé , d’Alembert par exemple, que l’achromatisme de l'œil n’était pas une condition néces- saire à la vision. L’œil a si peu de profondeur, ont-ils dit, que la dispersion de la lumière , lorsqu'elle est arrivée à son fond, doit être inappréciable. Ils ont argué de l'étroi- tesse extrême qu'offre quelquefois la pupille; de ce que, dans les nombreuses et fréquentes affections qui frappent l'œil, il n’en estaucune qui fasse voir les objets irisés , bien qu’à coup sûr elles auraient dù altérer les condi- tions physiques qui fonderaient l’achromatisme. Ils on& fait remarquer que dans les myopes et les presbytes, il faut non-seulement admettre que ces conditions physi- ques de l’achromatisme ont été respectées, au milieu des grandes différences que présentent les yeux des uns et des autres, mais encore expliquer pourquoi , malgré les verres dont usent les uns et les autres , et qui cer- tainement dispersent la lumière, la couleur des objets n’est pas altérée. Effrayés de toutes ces diflicultés que pré- sente l'admission de lachromatisme de l’œil, ils aiment mieux n’y pas croire, et penser que l’œil est insensible à la légère aberration de réfrangibilité qui a lieu à son fond, Pour résoudre cette question , il faudrait pouvoir déter- miner la puissance dispersive de chacun des corps ré- fringens de l’œil ; et c’est une donnée qui manque, comme celle de la connaissance de leur courbure, et de leur puissance réfringente. Enfin , une explication complète de la vision exigerait que l’on donnât la raison de toutes les particularités que présente le sens de la vue, relativement à sa portée; et l’on va voir que la théorie laisse encore ici beaucoup de points obscurs. La portée de la vue s’entend à Ja fois des dimensions que doivent avoir les objets, et des dis- 446 FONCTION DÉ LA SENSIBILITÉ. tances auxquelles ils doivent être placés pour pouvoir être vus. Sous ce double aspect, la vue de l’homme a des limites qu'il faut indiquer et expliquer. Nous avons dit que les rayons lumineux traçaient sur la rétine une image renversée de l’objet extérieur qui les projette : pour que cette image fasse impression , et donne la vision de l’objet, il faut trois conditions : 1° que cette image soit suflisamment étendue, occupe sur Ia rétine une place assez grande pour qu’on puisse appré- cier ses diverses parties; 2° que celte image soit nelte, c’est-à-dire que les rayons lumineux qui la forment aient le plus rigoureusement possible leur sommet surla rétine; 3° enfin que cette image soit assezéclairée. Or, chacune de ces trois conditions varie d’après le volume du corps extérieur , et la distance à laquelle il est de l’œil; et il est des cas où elles manquent , et où par conséquent les corps ne sont pas vus. D'abord , il est des corps si petits que l’œil ne peut pas naturellement les voir. La cause en est, qu'ils pro- jettent trop peu de lumière; et, surtout, que l’image qui s’en trace au fond de l'œil a trop peu d’étendue, et n’occupe sur la rétine qu’un espace presque impercep- tible. Pour remédier à cet inconvénient , il faudrait les rapprocher de l'œil, le plus possible, les regarder de très-près, ce qui augmenterait la divergence des rayons, et par conséquent la grandeur de l’image. Mais on ne peut user de ce moyen; car, d'autre part, au-delà d’un degré derapprochement déterminé que nous spécifierons ci-après , l’œil n’a plus assez de puissance pour réunir les rayons sur la rétine, et l’image n’est pas nette. Aïnsi done , dès qu’un corps est assez petit pour qu’à Ja dis- tance déterminée au-delà de laquelle Pœil ne peut plus L SENS DE LA VUE. 447 former d'image nette, il ne trace pas sur la rétine une image assez étendue , ce corps n’est pas vu. Beaucoup de corps sont dans ce cas, relativement à la vue de l’homme. On remédie à cette impuissance du sens, en regardant les objets petits à travers une carte percée d’un trou, ou avec les instrumens de physique appelés microscopes. La carte permet de regarder l’objet de plus près , et d'augmenter par là l'étendue de l’image : le trou dont elle est percée fait l’oflice d’une pupille artificielle , et comme ce trou est très-étroit , il ne laisse passer que les rayons les plus rapprochés de l'axe , et qui, malgré le rapprochement de l’objet, pourront être réunis sur la rétine. C’est le même service que rendent les microscopes, qui ont cet avantage de plus d’affaiblir moins La lumière de l’objet. Da reste, les vues sont plus ou moins bonnes, relativement à la faculté de voir les objets petits: on peut par des efforts étendre un peu leur puissance à cet égard ; la faculté qu’a la pupille de se resserrer est utile ici, puisqu’alors elle permet qu’on rapproche le plus possible de l'œil l'objet, de manière que l’image qui s’en trace sur la rétine soit à la fois assez étendue et assez nette. En second lieu, il est un point de rapprochement au - delà duquel on cesse de voir les objets : c’est celui dans lequel les rayons arrivent si divergens à l'œil, que la puissance réfringente dont jouit cet organe ne suflit plus pour réunir ces rayons sur la rétine ; ils ne Le sont qu’en arrière de cette membrane. Ce point ne peut être pré- cisé : il dépend de la puissance réfringente de l'œil; et nous avons déjà dit qu’on ne pouvait pas apprécier ma- thématiquement celle-ci. Il varie d’ailleurs en chaque individu , selon la conformation de l'œil : par exemple, 448 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. ce point est plus rapproché pour les myopes qui ont l’œil doué d’une trop grande force de réfraction, et il est plus éloigné pour les presbytes dont l’œil présente des conditions inverses. L’œil fait aussi effort pour se prêter jusqu’à un certain point à cette condition des corps ; et le jeu de la pupille qui en se resserrant ne laisse pénétrer que les rayons les plus rapprochés de l’axe, et qui exi- gent une force de réfraction moindre, a encore ici la plus grande influence. Par l’exercice on peut aussi éten- ” dre la puissance de l’œil à cet égard; et, d’ailleurs, on remédie à son impuissance sous ce rapport, en regardant les objets avec des verres convexes qui diminuent la di- vergence des rayons. En troisième lieu, il est aussi un point d’éloignement au-delà duquel on cesse de voir les objets. La cause peut en être différente. D'abord, cela peut tenir à ce que dans le long trajet qu’a parcouru la lumière, celle-ci a été en grande partie absorbée , de sorte que l’image qui est tracée sur la rétine est trop faible pour faire im- pression. Si entre vous et un objet éloigné que vous voyez, vous placez une suite de verres qui, quoique diaphanes, interceptent toujours un peu de la lumière, vous remar- quez que graduellement s’affaiblit la vision que vous aviez d’abord, et qu’enfin elle cesse tout-à-fait. Sousce- rapport, la plus grande distance à laquelle on peut voir dépend du degré de sensibilité de la rétine et de la cou- leur des objets ; un objet rouge , par exemple, se verra de plus loin qu’un objet violet. En second lieu, la cause pour laquelle un objet éloigné n’est pas vu , peut tenir à ce que l’image qui est tracée au fond de l'œil n’a plus assez détendue pour être appréciée ; car cette image x diminue à mesure que l’objet est plus éloigné : c’est ce SENS DE LA VUE. 44g qu'on a vérifié dans les expériences qui ont servi à cons- tater la réalité de cette image. Enfin , une troisième cause pour laquelle un objet très-éloigné cesse d’être vu, consiste en ce que les rayons qu’il envoie à l'œil sont si peu divergens , que l’action réfringente de l’or- gane , quelque affaiblissement que celui-ci lui imprime, ést désormais trop forte, et que, conséquemment, ces rayons sont réunis en avant de la rétine. Le point d’éloi- gnement auquel les objets cessent d’être vus par cette dernière cause , ne peut pas non plus être précisé; il fau- drait pouvoir calculer la puissance réfringente de l’œil, ce que nous avons dit n'avoir pas été fait :*ce point varie d’ailleurs en chaque individu; et, par exemple , il est assez rapproché dans les myopes,el,au contraire , assez distant dans les presbytes L’œil fait aussi effort pour étendre le plus possible sa puissance à cet égard; et, sans doute, la pupille a encore ici la plus grande part en se dilatant , et donnant ainsi accès à des rayons plus divergens, et qui , conséquemment , exigent une force de réfraction plus grande. Par l'exercice , on augmente un peu sous ce rapport son pouvoir; et, enfin, on remédie à son impuissance , en regardant les objets éloignés avec des verres concaves qui augmentent la divergence des rayons. Tous les hommes sont myopes pour les objets très-éloignés, comme tous sont presbytes pour les objets très-rapprochés. En quatrième lieu , entre l’objet le plus rapproché et l'objet le plus éloigné que l’œil puisse voir, il est mille distances intermédiaires qui sont également vues; la cause en est sans doute que l’œil se modifie; mais on ignore en quoi consiste cette modification. D'une part; _ il y a toujours un rapport entre la longueur du cône | j, 29 400 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. objectif et la distance à laquelle est l’objet ; plus celle- ci sera grande, plus le premier sera long. D’autre part, pour que la vision ait lieu , il faut absolument que le cône oculaire , c’est-à-dire celui dans lequel le cône objectif se change en traversant l'œil, ait son sommet sur la rétine, qui est la seule partie de l’œil qui soit apte à développer l'impression. Or, comme il y a un rapport forcé entre le cône objectif et le cône oculaire, puisque celui-ci n’estautre chose que le premier, dont les rayons de divergens qu'ils étaient ont été rendus convergens par l’action réfringente de l'œil; comme le côncoculaire doit être d’autant plus court , parexemple , que le cône objectif est plus long, et vice versé ; on conçoit qu’on est dans l’une ou l’autre de ces deux nécessités : ou que les objets ne puissent être vus qu’à une distance déterminée , qui serait celle à laquelle le degré d’écartement des rayons du cône objectif serait en rapport avec la puissance réfrin- gente à l'œil, et tel que le cône oculaire dans lequel il se changerait aurait son sommet sur la rétine: ou bien que l’œil ait le pouvoir de modifier, selon ia distance à laquelle il est des objets, soit sa puissance de réfraction, soit la distance à laquelle est de ses corps réfringens la rétine sur laquelle doit absolument se trouver leur foyer, Or, certainement ce n’est pas la première chose qui a lieu, puisqu'il est évident qu’on voit également à des distances différentes. Il faut doncbien que ce soit la se- conde. Certainement l'œil se modifie, pour parvenir à voir à diverses distances ; souvent même on à le sentiment dé l'effort qu'il fait et qui est quelquefois douloureux, comme quand on s’obstine à regarder tour à tour un objet très- rapproché et un objet très-éloigné. Mais il faut avouer SENS DE LA VUE. 451 qu'on ignore en quoi cet effort consiste. On a conjecturé que l’œil changeait ; ou la distance qui existe entre ses divers corps réfringens et la rétine sur laquelle de toute nécessité doit être leur foyer , absolument comme nous faisons varier cette même distance dans nos lunettes , en en allongeant ou raccourcissant les tubes; ou la cour- “bure de ses corps réfringens , et, par conséquent , leur puissance de réfraction. Il est certain, en effet, que le résultat qu'on veut expliquer ne peut être obtenu que par l’un ou l’autre de ces moyens, ou par les deux à la fois. Mais on n’a du mode de l’un ou de l’autre au- cune démonstration rigoureuse. Ainsi, relativement au premier de ces moyens , on a dit que les quatre muscles droits de l’œil , en enfonçant cet organe dans l'orbite le raccourcissaient; et que les deux muscles obliques, au contraire, l’allongeaient. Si cet effet est peu prononcé chez l’homme , il a paru être plus étendu en certains animaux ; chez les phoques , par exemple, dont la sclérotique est amincie dans son mi- lieu, et telle que son fonds s’invagine dans sa partie antérieure. On a cru, d’ailleurs, avoir chez l’homme même une preuve de ce mouvement , dans le cligne- ment continuel auquel se livrent les myopes, et qu’on a dit être destiné à aplatir leur œil. D’autre part, on a fait varier la position du cristallin : Kepler disait que les procès ciliaires tiraient ce corps en avant ; d’autres ont dit qu’au contraire ils le poussaient en arrière. On a cité comme une preuve de cette assertion, l'existence de la membrane peigne dans les oiseaux; membrane qui, étendue de la rétine au cristallin , et organisée de même que les procès ciliaires , paraît destinée à rapprocher le cristallin de la rétine par sa contraction, et à l'en éloi- 2G 452 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. gner par son relâchement. M. Jacobson à prétendu , dans ces derniers temps, que l'humeur aqueuse s'engageait dans le canal de Petit par des trous qui sont à la cir- conférence de ce canal, et que cette humeur en se glis- sant entre le cristallin et l’humeur vitrée, faisait varier la distance respective de ces corps réfringens entre eux, et celle de ces corps réfringens avec la rétine. Mais tout cela est bien loin d’être démontré. Relativement au second moyen : 1° on a invoqué, comme propre à faire varier la convexité de la cornée , l’action des muscles propres de l’œil, qui, selon les uns, faisaient saillir la cornée, selon d’autres l’aplatissaient : l'action des procès ciliaires et de l'iris, qui, selon qu'ils poussaient plus ou moins l'humeur aqueuse contre la cornée , rendaient cette membrane plus ou moins con- vexe en avant. Dans ces derniers temps, le docteur Crampton dit avoir trouvé dans l'aigle et dans l’autruche, un muscle qui, étendu du cercle antérieur de la scléro- tique à l'extrémité tendineuse de la surface antérieure de la cornée, devait avoir pour effet par sa contraction de diminuer la convexité de la cornée , et par son relâche- ment, de l’augmenter ou de la laisser dans son état na- turel. Mais ce muscle n’a pas été trouvé en d’autres animaux ; et le docteur Thomas Fung a prouvé par des expériences décisives que la cornée ne change pas de forme selon les distances. 2° On a dit que le cristallin pouvait devenir plus ou moins convexe; et on a attribué cet effet, qui est plus que douteux, tantôt à des fibres musculaires que l’on a supposé exister en sa substance , tantôt à une action des procès ciliaires. Une des causes auxquelles on a surtout attribué la fa- culié de voir à des distances différentes , a été la mobilité SENS DE LA VUE, 433 de la pupille ; qui, disæt-on, se rétrécissait , lorsqu'on regardait des objets très-rapprochés, afin de n’admettre que les rayons les plus voisins de l’axe, et à la réunion desquels pourra suflire l’action réfringente de l'œil; et qui , au contraire, se dilatait quand on regardait les objets très -éloignés, d’abord afin d'admettre le plus de lu- mière possible , et pour que l’image sur la rétine fût très- grande , ensuite afin de laisser arriver des rayons qui seront assez écartés pour n'être réunis que sur la rétine. Il est certain qu’en regardant successivement tous les points d’une règle , on voit la pupille se resserrer à mesure qu’on approche du point le plus rapproché , et se dilater quand on regarde le point le plus éloigné. Tout porte à croire que cette action a, sur la question qui nous o0€- cupe, plus d'influence que les précédentes, qui, en dé- formant l'œil , déplaçant ses corps réfringens , devraient inévitablement nuire à la vision en détruisant les con- ditions qui remédient aux aberrations de sphéricité et de réfrangibilité. Remsrquons en effet que la même cause doit à peu près concourir à ces trois résultats, destruction de l’aberration de sphéricité, destruction de l’aberration de réfrangibilité, et faculté de voir à des distances différentes : et c’est un argument en faveur de l’action de la pupille, car son service est aussi invoqué pour expliquer la non diffusion de l’image. Toutefois, la démonstration du rôle de la pupille en ce cas n’est pas encore rigoureuse: et par exemple, dans les expériences qui ont servi à constater la réalité de l’image au fond de l'œil, on a vu cette image se former à quelque distance que soit placé l’objet ; cette distance n'influait que sur sa dimension ; et cependant l’œil était mort , la pupille n’a- vait pu se rétrécir ni se dilater, et l'organe se modifier. A4 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. À raison de cette dernière observation, M. Biot se de- mande si l’aberration du foyer pour les distances diverses, n’est pas compensée dans l'œil par la composition intime des corps réfringens , comme il est probable que cela est pour l’aberration de sphéricité, par exemple. Enfin , tout en reconnaissant que l’œil peut voir à des distances différentes , il faut observer qu'il y a pour cha- que individu une distance à laquelle la vision est la plus nette , un point auquel on place généralement les objets lorsqu'on veut les voir le mieux possible. Ce point est ce qu’on appelle le point visuel. C’est celui qui donne aux rayons le degré de divergence convenable pour que leur réunion sur la rétine se fasse le plus complètement et sans efforts de la part de l’œil. On ne peut l'indiquer mathématiquement ; car, encore une fois, il faudrait pouvoir évaluer la puissance réfringente de l'œil ; et nous manquons de données nécessaires pour la calculer. Il varie d’ailleurs en chaque individu : sa distance est rap- portée, terme moyen, à 8 pouces, et les différences innombrables que présentent les hommes sous ce rap- port, sont comprises entre deux extrêmes, qui constituent la myopie et la presbyopie. Les myopes sont ceux qui ont le point visuel rap- proché , qui ne peuvent voir que les objets qui sont placés près de leurs yeux. Ce sont ceux dont les yeux ont une puissance réfringente très-grande , où une moindre pro: fondeur ; qui ont, par exemple, la cornée et le cristallin plus convexes , les humeurs de l’œil plus denses , la rétine moins distante du cristallin , ete. On concoit que, chez ces individus , pour peu que les objets soient éloignés , les rayons arrivant à l’œil peu divergens , sont réunis avant que d’être parvenus à la rétine, et les objets SENS DE LA VUE: 455 ne sont pas vus. Pour les voir, il faut les placer très-près de l’œil, afin que les rayons soient plus divergens, et que , quelque grande que soit la puissance réfringente de l’œil , elle ne soit plus que ce qu'il faut pour réunir les rayons sur la rétine. Ge vice est assez fréquent dans la jeunesse; mais il diminue, à mesure que par l’âge s’usent et s’affaiblissent les puissances réfringentes de l'œil. TE s’acquiert quelquefois par l'habitude de regarder des objets très-petits. On y remédie par l’emploi des verres concaves, qui écartent les rayons , et font que ces rayons exigent pour être réunis une plus grande force de ré- fraction. Il existe en mille degrés, qui exigent chacun des lunettes de concavité différente, Les presbytes , au contraire , sont ceux qui ont le point visuel éloigné, qui ne peuvent voir que les objets qui sont placés loin d'eux. Leurs yeux ont une organisation inverse, c'est-à-dire ont une puissance de réfraction faible , ou ont la rétine plus éloignée du cristallin. I y a une moindre convexité de la cornée, du cristallin, une moindre densité des humeurs , etc. Ces individus ne voient pas les objets un peu rapprochés, parce que leur œil n’a pas assez de puissance réfringente pour réunir sur la rétine des rayons un peu divergens; ils ont besoin de les éloigner pour que,les rayons soient moins diver gens, et tels que la force de réfraction de l'œil puisse y suflire. Ge vice est donc l’inverse du précédent; il s’ob- serve surtout chez les vieillards; et, loin de diminuer avec l’âge, il s’augmente, car la vieillesse ne peut qu’af- faiblir de plus en plus la puissance réfringente de l'œil, Peut-être s'acquiert-il par l'habitude de regarder ïes objeis très-éloignés. On y remédie par l'emploi des verres convexes , qui rapprochent les rayons; et ilexisie 456 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. aussi en mille degrés qui demandent chacun des lunettes de convexité différente. L’œil , dans toute cetie première partie du mécanisme de Ja vision , se montre à nous comme un véritable ins- trument de dioptrique, concentrant sur son fond qui est lapissé par la partie nerveuse du sens, les rayons lumineux. Il est même un instrument de dioptrique plus parfait qu'aucun de ceux que nous avons inventé , et tellement parfait que nous ne pouvons pas assigner les causes physiques des diverses perfections dont :ül jouit, toute aberration de sphéricité est compensée en lui ; probablement il est achromatique; il fait voir à des portées différentes ; enfin , un dernier avantage qu'il a sur nos Junettes artificielles, est d’être bien moins aliérable. Dans les instrumens d'optique , il suffit d’ôter, de déplacer un verre pour que le mécanisme soit détruit. Au contraire, on peut évacuer dans l’œil une certaine quantité des humeurs aqueuse et vitrée; outre que ces humeurs se reforment bien vite , la vision pour cela n’est pas empêchée. Si la pupille vient à se fermer, on peut en ouvrir une artificielle, et même en une direction différente. Enfin , dans l'opération de la cataracte, on enlève le cristallin devenu opaque, et la vision est en- core possible, surtout en l’aidant d’un verre convexe, qu’on place au devant de l’œil. Toutefois , voici comme on peut spécifier le rôle par- ticulier de chacune des parties que nous avons vu entrer dans la composition de l'œil. La selérotique est l'enveloppe de la lunette , la paroi de la chambre obscure, ce qui détermine la forme de l'œil. La cornée, l'humeur aqueuse, le cristallin et le corps SENS LE LA VUE. 457 vitré sont une série de corps réfringens placés à la suite les uns des autres dans la longueur de la lunette , et ayant pour but de réunir et de concentrer les rayons lumineux sur la rétine. Aussi , ces parties sont-elles en rapport; d’abord avec le milieu dans lequel vit l'animal, milieu qui a une influence sur l’incidence dans laquelle les rayons arrivent à l’œil; ensuite, entre elles , afin que leurs réfractions respectives se combinent de manière à ce que le foyer commun soit sur la rétine , et qu'il y ait achromatisme. Dans les animaux aquatiques en eflet, Ja cornée est plate ; elle est, au contraire , très- convexe dans les oiseaux; et dans les mammifères, sa forme est intermédiaire à ces deux extrêmes. Chez les poissons, dans lesquels la cornée est plate, le cristallin est sphé- rique , parce qu’il faut qu'il supplée à ce que ne fait pas la cornée; chez les oiseaux, au contraire, par une raison inverse il est presque plat. Le rôle réfringent de chacune de ces humeurs ne peut du reste être contesté; M. Aa- gendie s’est servi de l’expérience de Descartes , relative à l'observation des images qui sont au fond de l'œil, pour le démontrer. Il a noté ce qui arrivait à l’image à mesure qu'on enlève à l’œil un de ses corps réfringens. Ainsi , la cornée soustraite , l'image avait même gran- deur , mais elle était plus obscure , moins éclairée. Il en était de même après l’enlèvement de l'humeur aqueuse; seulement l’image occupait une plus grande place sur la rétine. Si le cristallin seul était enlevé, comme dans opération de la cataracte , l’image était mal terminée , peu éclairée, et surlout avait une dimension quadruple. Enfin , si on ne laissait à l'œil que l'humeur vitrée et la capsule cristalline, il n’y avait plus d'image sur la rétine; la lumière y parvenait bien, mais sans y affecter 458 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. aucune forme. Ce physiologiste croit que la réfraction principale est effectuée par le cristallin; que la cornée est trop mince pour agir beaucoup ; qu’elle ne fait, en rapprochant un peu les rayons, que d’accroîire l’inten- sité de la lumière qui pénètre dans la chambre anté- rieure ; et que le corps vitré n’est si considérable que pour donner à la rétine une grande étendue , et agrandir le champ de la vision. L’éris est évidemment le diaphragme de la lunette. Sous ce rapport elle sert à corriger l’aberration de sphé- ricité, en diminuant la partie du cristallin qui est accessible aux rayons lumineux. À cet égard , M. Biot fait observer que ce diaphragme est placé dans l’œil, précisément au lieu où il peut le mieuxremplir cetoflice, touten admettant la plus grande quantité possible de rayons lumineux. Si la pupille eût été tout-à-fait sur la surface antérieure de l'œil, il est évident qu’elle eût moins aisément corrigé l’aberration de sphéricité, ou qu’elle aurait dû être plus étroite, ce qui aurait nui à la clarté de l’image. C’est même un point de l’organisation de l'œil qu'a imité M. Wollasion dans la construction des loupes périsco- piques , loupes qui sont composées de deux segmens de lentilles sphériques plano-convexes, opposés par leur côté plane , et séparés par un diaphragme : et qui évidemment sont avantageuses pour la quantité de la lumière qu’elles admettent et la distance de l’axeà laquelleelles permettent d'étendre la vision. La couleur noire qui teint Firis sert à absorber les rayons réfléchis, et à empêcher qu'ils n’ap- portent du trouble dans la vision. Mais, ce qu’a de plus avantageux cet iris , c’est la mobilité de son trou central : seulement il y a controverses , et sur le mécanisme par lequel se meut la pupille , et sur les circonstances de la SENS DE LA VUE. 459 vision dans lesquelles elle le fait. Sous le premier rapport, long-temps on admit des fibres musculaires dans la tex- ture de liris; dans cette hypothèse, la pupille était rétrécie , quand les fibres musculaires cireulaires se con- tractaient, et elle se dibatait quand ses fibres muscu- laires rayonnantes agissaient. Mais aujourd'hui que généralement l’on nie l'existence de fibres musculaires ‘dans l'iris, on explique la mobilité de la pupille par Vafllux du sang dans les vaisseaux qui composent la mem- brane , par une sorte de turgescence analogue à celle des parties érectiles ; si le sang afflue , le tissu de l’iris se gonfle , et la pupille se rétrécit ; s’il se retire, le tissu de l'iris se vide , et la pupille se dilate. Ce qu'il y a de sûr, c'est que cette pupille se meut plutôt à la suite d’une irritation de la rétine , que consécutivement à l’irritation qu'on lui applique directement; Fontana et Caldani l'ont vu rester immobile, quand on ne dirigeait que sur elle seule les rayons lumineux; son irritation avec la pointe d’une aiguille à cataracte ne détermine en elle aucun mouvement sensible ; et souvent la paralysie de Ja rétine entraîne son immobilité. On dit que quelques per- sonnes ont acquis la faculté de l'ouvrir et de la resserrer à volonté, et cela en examinant successivement tous les points d’une règle; des naturalistes disent que des oiseaux de nuit ont le même pouvoir. Il y a certainement, quelque chose à découvrir encore sur le mécanisme par lequel se meut la pupille. Il en est de même des circonstances dans lesquelles elle se meut : cette motion doit avoir une grande in- fluence; car le cristallin ayant une densité différente à son centre et à sa circonférence , les rayons lumineux sont différemment réfractés, selon le point de cette len- 460 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. tille qu'ils traversent, et c’est le jeu de la pupille qui décide quel est ce point. Mais la théorie ne peut encore indiquer ici «ien de précis. On a surtout accusé trois principales utilités aux mouvemens de la pupille ; savoir : de coordonner l'œil à l'intensité de la lumière des objets, à leur distance , et de remédier à l’aberration de sphéri- cité. La première n’est pas douteuse : il est sûr que la pupille coordonne son degré d’écartement à la quantité de lumière qui arrive dans l’œil; qu’elle se dilate, par exemple , quand la lumière est faible, comme pour en admettre le plus possible; et qu’au contraire , elle se res- serre, quand la lumière est forte : c’est pour cela qu’étant dans l'obscurité, on voit bien ce qui se passe dans un lieu éclairé, tandis que, d’un lieu éclairé, on ne voit pas ce qui se passe dans l’obscurité ; qu’en passant de l’obs- curité dans le jour , on éprouve souvent un éblouissement douloureux, qui ne laisse rien distinguer ; et qu’en pas- sant du jour dans l’obscurité, on est d’abord quelque temps sans rien voir. Le second oflice est également vraisemblable : quand on examine la pupille d’une per- sonne qui fixe successivement tous les points d’une longue règle , on voit cette pupille se retrécir à mesure que la vue s'arrête sur un point plus rapproché , et se dilater à mesure que c'es: un point plus éloigné qui est regardé, La théorie d’ailleurs concoit les effets de son jeu dans ce cas : lors de la vision d’un objet rapproché , elle se res- serre pour n’admettre que des rayons très-rapprochés de l’axe , peu divergens, et que l'œil pourra réunir sur la rétine ; lors de la vision d’un objet éloigné , elle se dilate, pour admettre des rayons plus divergens, et qui cour- ront moins le risque d’être réunis avant la rétine. M. Ha- gendie doute que les dimensions variables de la pupille SENS DE LA VUE. 461 aient rapport aux distances; mais, quand on parvient à voir un objet trop petit et invisible d’abord , en le re- gardant à travers une carte percée d’un petit trou , qu’a- t-on fait, sinon substituer une pupille artificielle plus étroite à celle que l’on possède ? Et que fait cette pupille artificielle , si ce n’est de permettre qu’on regarde l’objet de plus près ? Or, si, pour voir un objet plus rapproché, il suffit d’avoir une pupille plus étroite, peut-on douter que notre pupille, qui est mobile , ne se rétrécisse, et ne se dilate selon les cas, et qu’ainsi elle ne se coordonne aux distances ? Enfin , il est évident qu’elle sert à corri- ger l’aberration de sphéricité, en interceptant, ou lais- sant arriver , selon le besoin , les rayons les plus distans de l'axe, qui ne pourraient pas ou pourraient seuls être réunis sur la rétine. Ce n’est même que dans cette vue qu’elle se meut proportionnellement aux distances , pour que les rayons lumineux, quel que soit leur degré de divergence, aient toujours leur foyer sur la rétine. Il y a plus : l'étendue de la pupille a part aussi à la grandeur de l’image; M. Magendie a vu, dams ses expériences, qu’en agrandissant la pupille par une incision circulaire, l’image au fond de l’œil devenait plus grande. Enfin , les mouvemens de la pupille ont peut - êtré une influence prochaine sur la correction de l’aberration de réfrangi- bilité, en déterminant quelle partie du cristallin traverse les rayons; ceci étant fondé sur ce que la densité de ce corps n’est pas la même dans les divers points de son étendue. Ainsi la même cause produirait tous les perfec- tionnemens de l'œil, son achromatisme, la faculté qu'il a de former toujours sur son fond des images nettes, bien éclairées , et, enfin, de voir à des distances diverses. Les procès ciliaires ont des usages peu connus. Les 462 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. uns leur font jouer un rôle physique dans la vision, celui de modifier le degré de convexité du cristallin ;, ou de faire varier sa distance de la rétine. Mais ils ne fondent en cela que des conjectures. Encore dans cette hypo- thèse, y a-t-il controverse sur le mécanisme de leur motion? Ceux-cila rapportent à des fibres musculaires qui existeraient en eux, et qui sont aussi contestables que celles qu’on supposait dans l'iris. Ceux-là l’expliquent par une turgescence vasculaire érectile analogue à celle qu’on admet dans l'iris. Selon d’autres, au contraire, les procès ciliaires ne servent qu'à assurer la constitu- tion organique de l'œil. Haller, par exemple, dit qu’ils fixent le cristallin. M. Ribes prétend qu'ils sont les orga- nes sécréteurs des humeurs de l'œil, et les agens du renouvellement de ces humeurs. , La choroïde ne sert probablement aussi qu’à assurer la constitution organique de l’œæil; du moins, l'iris et les procès ciliaires sont considérés comme étant ses prolon- gemens. À la vérité, Mariotte et Lecat ont voulu en faire l'agent vital de lawision, ne regardant plus la rétine que comme une espèce d’épiderme étendu à sa surface, et destiné à tempérer l’action de la lumière sur elle. Leurs argumens étaient : 1° que cette membrane est noire, et par couséquent plus propre que la rétine à absorber tous les rayons ; 2° qu’elle est contiguë à l'iris, dont le trou pupillaire est ce qui règle la quantité de lumière qui pénètre dans l'œil; 3° enfin, que si un objet est placé de manière que son image tombe sur le point de la rétine où aboutit le nerf optique , et où la choroïde n'existe pas , cet objet n’est pas vu. Mais on peut répon- dre à chacun de ces argumens. L’enduit noir de la cho- roïde serait plus propre à arrêter la vision qu’à la servir, SENS DE LA VUE. 463 en empêchant les rayons d’arriver jusqu’à la membrane ; et il est trop évident d’ailleurs qu'on étend ici une vue toute physique à la partie vitale de la fonction. Ïl n’y a dans l’économie que les organes nerveux qui puissent développer une impression sensitive, et la choroïde est une membrane plus vasculaire que nerveuse, La fameuse expérience de Mariotte, consistant à faire tomber des rayons lumineux exclusivement sur le centre du nerf optique, ne conduit pas forcément à la conséquenceque la rétine est insensible; si l’image a cessé d’être aperçue au point iudiqué , cela peut résulter de la présence d’un vaisseau sariguin qui existe en cet endroit. M. T'hillaye, conjecture que la tache jaune de Sæœmmering et le trou qui est à son centre ont sur ce fait quelque influence. Enfin, dans les poissons , il existe entre la rétine et la choroïde un gros corps glanduleux opaque, et ce- pendant ces animaux ne sont pas aveugles. La cho- roide n’est donc pas l’agent vital de la vision. Peut- être cependant qu'un peu de lumière parvient jusqu’à la choroïde , et que c’est pour en opérer l’absorption que cette membrane est teinte de noir. Il est sûr au moins, que cet enduit sert à la vision ; car la vue est plus faible dans les albinos , chez lesquels cet enduit manque. Ev. Home dit qu'il ne sert comme dans le reste de l'œil, qu’à préserver l'organe de l’action nuisible d’une trop forte lumière, À l’occasion de cet enduit, quel est l’usage ” de la tache appelée tapis, qui, chez les animaux, existe à la surface interne de la choroïde, en dehors du nerf optique ? Il est probable que cette tache, en réfléchis- sant quelques rayons sur la rétine , influe sur le caractère de Ja vision. Monra conjecturait que sa couleur avait des rapports avec la couleur des alimens dont use l’ani - 464 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. mal; mais cela est contredit par la zoologie. M. Riche- rand conjecture plus gratuitementencore , que ce tapis sert à faire prendre aux animaux une opinion exagérée de l’homme ; comme si la nature pouvait avoir à détruire des conditions de vision qu’elle aurait édifiées. I] vaut mieux avouer que cetusageest encore inconnu. Dirons- nous aussi qu'on à dit que la choroïde remplissait, à l'égard de la rétine, l’oflice de l’étamage derrière une glace ? Reste enfin la rétine qui est la partie nerveuse qui , par le contact des rayons lumineux , développe l’impres- sion. Ce qui le prouve, c’est que dans les derniers ani- maux, elle compose à elle seule l'œil; et que si elle est paralysée, comme dans la goutte sereine , ou qu’on inter- rompe sa communication avec le nerf optique, il y a cécité. C’est à son action que commence la partie vitale de la vision. Nous ne pouvons pas dire de cette action plus que nous n’avons dit des impressions sensitives des autres sens. C’est une action moléculaire , que conséquemment son résultat seul manifeste; qui, n’ayant pas son ana- logue parmi les actions physiques et chimiques, doit être dite vitale ; qui n’est pas l’effet mécanique de lPap- plication de la lumière, mais qui tient au mode d’acti- vité de la rétine pour laquelle la lumière est seulement un excitant; qui, enfin, répète avec autant de délica- tesse que de sûreté tout ce qui a trait aux qualités exté- rieures des corps dont émanent les rayons lumineux qui la provoquent. Nous n’avons pas besoin de dire qu'il faut une certaine quantité de lumière pour que l'impression se produise; s’il y a trop peu de lumière , l’objet n’est pas ou mal vu; s’il y en a trop, on ressent un éblouisse- SENS DE LA VUE. 465 ment douloureux ; la quantité convenable dépend de la sensibilité de la rétine. Est-ce parce que la partie cen- trale de la rétine est plus sensible ; ou parce que les images sont plus nettes, quand les cônes lumineux qui les forment sont dans la direction de l’axe optique, que Pon fait tomber sur cette partie centrale les rayons quand on veut bien voir les objets ? il est certain que, pour bien voir, nous tournons les yeux de manière à placer les objets dans la direction de l’axe optique. Une particularité que présente la rétine dans son ac- tion , c’est qu’elle devient insensible à l’impression d’une couleur qui a agi sur elle un certain temps; et de là le phénomène des couleurs accidentelles , des taches qu'on xoit souvent sur les objets. Si, après avoir fixé long- temps un objet noir , on en regarde un blanc, celui-ci paraît plus blanc; si , après avoir regardé un corps ta- cheté;>0n en fixe un tout blanc , celui-ci paraît aussi tacheté ; si après avoir regardé un objet rouge, on en regarde un blanc, ce corps blanc paraît vert, etc. Ces effets sont dus à ce que la rétine, pour avoir recu un peu long-temps l'impression d’une couleur , a perdu momen- tanément son aptitude à la sentir; et conséquemment voit l’objet nouveau comme s’il avait de moins la cou- leur dont elle est fatiguée. Telle est l'exposition du mécanisme de la vision. Mais ils’est présenté pour ce sens quelques questions particu- lières. Par exemple , on s’est demandé pourquoi lon voit les objets droits, bien que l’image qui est tracée au fond de l’œil soit dans une position renversée ? Il y a eu . iei controverse parmi les philosophes. Buffon et Lecat ont prétendu que primitivement on avait vu les objets renversés; mais que le toucher avait bientôt averti l'âme 1. 30 46G FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. de l’erreur dans laquelle la vue la précipitait ; et qu'alors l'âme s’était tellement habituée à rectifier celte erreur où elle était jetée, qu’elle avait fini parne pas même s’aper- cevoir de la rectification qu’elle en opérait sans cesse. M. Gall nous paraît avoir pleinement prouvé la fausseté de cette première explication. En effet; dit-il, si L'opii mion de Buffon était fondée , on devrait au moins voir les objets renversés , avant que l’âme n’ait été détrom- pée par l’instruction lente du toucher; et quel homme se rappelle avoir vu dans sa première enfance les objets renversés ? On a opéré quelques cataractés de naissance; et l’on a recueilli avec soin le détail des premières im- pressions qu’ils ont reçues ; or , aucun d’eux n’a offert cette particularité bizarre. Nous - mêmes ;, lorsque nous voyons pour la première fois un objet qui nous est in- connu , nous devrions le voir dans une position renver+ sée , jusqu’à ce que le toucher soit venu nous éclairer sur notre erreur. Les animaux , qui souvent-n’ont pas le toucher, verraient donc tous les objets renversés ; et n'est-ce pas démenti par la précision de tous leurs mou vemens , et par leurs diverses actions ? Enfin , rappelons l’axiome que nous avons déjà indiqué à l’histoire du toucher , que l’âme est passive quand elle recoit des sen- sations , et qu’elle est irrésistiblement contrainte àrles recevoir telles qu’elles sont faites. L'âme ne peutiaucu- nement modifier une impression visuelle; elle est irré- sistiblement obligée de voir d’après la disposition des rayons lumineux qui arrivent à la rétine : les illusions d'optique en sont la preuve ; cesse-t-on jamais de se voir derrière un miroir à une distance égale à celle qui vous en sépare par devant ? Cesse-t-on jamais de voir brisé un bâton plongé dans l’eau ? Pourquoila prétendue SENS DE LA VUE. 467 rectification par le toucher n’a-t-elle pas lieu dans ces cas, comme dans celui où l’invoque Bufon ? Est-ce que dans les illusions des autres sens , dans les illusions açous- tiques , par exemple , les échos , l'âme ne recoit pas la sensation telle qu’elle est faite? L’äme n’a pas plus d’avan- tage à l'égard de la vue : elle peut bien être avertie d'autre part que la vue la trompe ; mais elle n’en recoit pas moins l'impression visuelle telle qu'elle est, quelque erronée qu'elle soit. L’explication de Buffon ne peut donc être conservée. Berkley , pour résoudre ce problème , dit que la po- sition d’un corps n’est jamais jugée que relativement à Ja nôtre , et que, comme nous nous voyons nous-mêmes renversés , les corps extérieurs sont par rapport à nous , comme s'ils étaient droits. À cette raison , on ajoute cette autre, que , sans qu'on puisse dire pourquoi nous voyons les corps dans la direction des rayons qui nous en apportent l’image, etque conséquemment nous de- vons voir en bas la partie inférieure des corps , et en haut la partie supérieure , parce que telle est la direc- tion des rayons par lesquels on les voit. M. Gall s'élève encore contre ces raisonnemens , et contre la question elle-même , qui n’a été faite, dit-il , que parce qu'on a étendu les applications physiques que comporte la vision , jusqu’à la partie vitale de la fonc- tion. D'abord , si l’image qui est au fond de l'œil doit être retournée , pourquoi ne le serait-elle pas par les parties de l'organe , qui sont postérieures à la rétine ? Ce n'est pas dans la rétine que s’accomplit la sensation, mais dans le cerveau ; et dès lors, pourquoi ne pas cher- cher dans les parties qui sont au-delà de la rétine, la cause du redressement de l’image ? Ensuite , quoiqu'il 30* A68 TONCTION DE LA SENSIBILITÉ. y ait une image tracée au fond de l'œil, il n’y a pas pour cela reproduction dans l'œil du corps qui est vu; l’image ne fait que produire sur la rétine un ébranle- ment semblable à celui qui a lieu dans les autres sens par le contact de leurs excitans. Pourquoi le corps vi- sible serait-il dans la vue plus représenté, que ne le sont les corps sapides, vibrans , dans le goût , l’ouie ? La question lui paraît donc oiseuse , et le fruit d’une application abusive de la physique à une opération vi- tale. Une autre question que l’on a élevée dans l’histoire de la vue , et celle-ci s’applique aussi au sens de l'ouie ; c’est de savoir pourquoi, voyant avec deux yeux , l'âme cependant ne voit pas les objets doubles , bien qu'il y ait deux impressions reçues , deux images formées. Buffon a eu recours au même raisonnement que nous avons in- diqué plus baut : on a vu primitivement les objets dou- bles ; l’âme ensuite a été instruite de son erreur par le toucher : elle l’a rectifiée , et elle a tellement pris l’ha- bitude de cette rectification , qu’elle a fini par ne plus s’apercevoir qu'elle la faisait. Ge sont les mêmes objec- tions à opposer à cette explication : qui se rappelle avoir vu les objets doubles dans sa première enfance ? Les ca- taractés de naissance, qui ont été rendus soudain à la lumière , ont-ils jamais présenté ce phénomène ? voit-on double l’objet nouveau qu’on regarde pour la première fois? Ceux des animaux qui ont les yeux situés assezen avant pour pouvoir les employer simultanément, voient- ils double ? et si cela n’est pas , qui rectifie l'erreur de la vue chez ceux qui n’ont pas de toucher ? Enfin , n’est- ce pas une vérité incontestable, que l’âme ne peut mo- difier aucune impression visuelle, même lorsqu'elle sait \ SENS DE LA VUE. 469 d'autre part que cette impression fonde une illusion ? Cette âme modifie-t-elle Fimpression du loucher spontané , dans lequel on voit les objets doubles ? l’explication de Buffon ne peut donc être admise. Ackerman a invoqué l’entrecroisement des deux nerfs optiques sur la selle turcique; mais l’explication du phé- nomène doit s'appliquer au sens de l’ouïe , comme à celui de la vue ; et y a-til en quelques lieux entrecroi- sement des nerfs acoustiques ? Les métaphysiciens ont dit que dans la sensation il fallait distinguer l’impression et la perception ; que l’œil ne servait qu'à l'impression , et que les impressions de l’un et l’autre œil se confondaient au lieu où se produit la perception. Mais un fait prouve que l’œil a partau phéno- mène , c’est qu’il suflit de presser légèrement avec le doigt un des yeux , pour qu’on voie double. On a dit que la sensation était rapportée à l’extré- mité du cône lumineux qui cause l’impression ; et que, comme cette extrémité est la même pour chaque œil , on ne pouvait voir qu’un objet. Mais l’extrémité du cône lumineux n'est-elle pas unique aussi dans le loucher vo- lontaire ? et d’ailleurs n’est-ce pas à l'organe seul, et non à l’excitant qui l’impressionne , qu’il faut rapporter ce trait de la fonction ? M. Gall a cru vaincre la difficulté en la niant; il a dit que si l’on voit avec les deux yeux à la fois, ce n’est que rarement et dans la vision passive ; mais que dans la vision active on ne regarde jamais qu'avec un seul œil, tantôt l’un , tantôt l’autre , et que dèslors, n’y ayant qu’une impression , on ne devait voir qu’un objet. À l'appui de cette proposition , il fait remarquer que chez beaucoup d’animaux les yeux sont placés trop sur jes 450 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. côtés pour pouvoir fixer ensemble un même objet ; dé sorte que chez eux la vision ne doit se faire qu'avec un seul œil, ce qui est déjà une présomption pour qu'il en soit de même chez l’homme. Il observe qu’en beaucoup de cas, pour mieux voir , on n’emploie qu’un œil, pour ajuster une arme à feu , par exemple. Il croit que, lors- que l’on ne ferme pas l'un des yeux , il n’y en a cepen- dant qu’un qui agit ; et il en indique comme preuve que l’ombre d’un petit corps qu’on a placé entre soi et une lumière qu’on regarde, ne tombe pas dans l’intervalledes yeux , sur la racine du nez, comme cela devrait être si le corps était fixé par les deux yeux , mais alternati- vement sur l’un ei l’autre œil, selon que c’est l’un ou l’autre qui regarde. Ainsi , il émet une assertion inverse de celle qu'avait posée Bichat ; que loin qu’il faille har- monie d'action entre les deux yeux et les organes pairs de toute fonction animale , pour que la vision soit nette, et l'exercice de la fonction précis ; leur .simultanéité d'action n’a lieu que rarement , seulement lors de l’exer- cice passif de la fonction , et cesse aussitôt que l’on veut la vision active et cette action aussi vive que possible. Il dit que , si on voit double dans le loucher volontaire, c'est que l’un des deux yeux voit passivement , tandis que l’autre est en vision active. Déjà Lecat avait eu cette idée, et avait avancé que l'œil droit, quoiqu'il ne fût pas constamment le plus fort, était celni qui était le plus souvent employé. Mais il me semble qu'on peut la contester. D’abord , pour ce qui est de la question que nous agitons , M. Gall ne nié pas que, dans Ja vision passive, les deux yeux ne soient impressionnés, et cependant l’objet est vu simple. En- suite, est-il vrai que dans la vision active, et dans 14 SENS D£ LA VUE. 471 plupart des cas, il n’y ait qu’un seul œil d’employé? Chacun peut observer sur soi-même qu'il voit mieux en employant les deux yeux, qu’en n’usant que d’un seul. Dira-t-on que laffaiblissement qu’on éprouve en regardant avec un seul œil, l’autre étant fermé , tient à ce que l’œil qui reste ouvert est comme déconcerté d'agir seul? Mais peut-on croire quece soit sansraison et non dans le but de fonder un avantage pour nous, que la nature a placé nos yeux, de manière que les deux puis- sent se fixer à la fois sur un même objet? À quoi servi- rait alors cette remarquable harmonie dans les mouve- mens des deux veux, harmonie qui est telle que la volonté ne peut la faire cesser que par des efforts ? On a calculé que la vision effectuée avec les deux yeux, était plus forte d’un treizième que celle pour laquelle on n'emploie qu’un œil. Enfin, s’il est des cas où il vaut mieux ne regarder qu'avec un œil, comme dans le viser du chasseur , ou lorsque les yeux sont inégaux en force réfringente ; en sensibilité, comme quand on regarde à travers une lunette ; certaines expériences prouvent que le plus souvent on regarde avec les deux yeux. Si on regarde la flamme d’une bougie, ou un rayon solaire recu dans une chambre obscure , à travers deux verres assez épais, et teints chacun d’une couleur différente ; la lumière que l'on apercoit n’est pas celle de l’un des deux verres , mais elle a une puance intermédiaire aux couleurs de l’un et de l’autre : si, quelquefois , cela n’est pas , c'est que les yeux ont une force inégale, et on voit alors l’objet de la couleur du verre qui est devant l’œil le plus fort. Si on regarde un même objet, d’abordavec l'œil droit, puis avec l’œil gauche , et enfin avec les deux yeux à la fois; on voit que dans les deux premiers cas, 432 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. il correspond à deux points différens d’une muraille, et que dans le troisième , il correspond à un point intermé- diaire aux deux premiers, qui en est le milieu, si les deux yeux sont égaux , etqui, dans le cas contraire , est plus rapproché du point où on le voyait quand on le regardait avec l'œil le plus fort. Si on cherche à enfiler une petite baguette dans un anneau suspendu à un fil, on y parvient aisément ense servant des deux yeux ; mais on ne le peut plus dès qu’on tente la chose avec un seul œil. Il est de fait qu’une personne qui perd par accident un œil, est quelquefois un an avant de juger sainement de la distance des objets qui sont placés près d’elle. Enfin , s’il est possible de n’empleyer pour voir qu’un seul de ses yeux, est-il également possible de n’entendre qu'avec une seule oreille? Ainsi, sans disconvenir que souvent on n’emploie qu’un seul œil, comme plus sou- vent on emploie les deux, la question, quoiqu'ait dit M. Gall ,reste entière. On a invoqué l'inégalité des yeux , et l’on a dit qu’on ne voyait que l'impression de l'œil le plus fort. Souvent, en effet, les deux yeux n’ont pas la même force, et la différence peut être portée au point que l’un des yeux soit myope et l’autre presbyte. M. Lerebours nous a dit fournir des lunettes à une personne qui pour un œil avait besoin d’un verre convexe de cinq pouces de foyer , et pour l’autre œil d’un verre concave de quatre pouces de foyer. Souvent cette différence est la cause pour laquelle quelques personnes ne regardent qu'avec un œil, ou offrent le phénomène du sirabisme. Mais cette différence n'empêche pas qu’on ne voie mieux avec deux yeux qu'avec un seul , et ne contredit pas les faits qui prouvent qu'effectivement on voit avec les deux.yeux. SENS DE LA VUE. 473 Enfin , on a dit que les rayons lumineux frappaient des points correspondans des deux rétines , et que par suite les deux impressions se confondaient en une seule. D'abord , il faut remarquer que par ces mots points correspondans des rétines , il faut entendre seulement ceux qui ont l'habitude d’être influencés simultanément. Ensuite , c’est Ià moins expliquer le phénomène , qu’in- diquer la condition nécessaire pour qu'il ait lieu. La question est donc dans l’état actuel de la science non résolue ; et l’on se borne à dire que pour que l’objet soit vu simple , il faut que les mouvemensdes yeux aient l’harmonie nécessaire pour que les images reposent sur des points correspondans des rétines. Si cela n’est pas, comme dans le loucher volontaire; ou dans l'ivresse, état dans lequel les mouvemens de tous les muscles sont peu précis ; ou lorsqu'on pousse un des yeux à droite ou à gauche, on voit les objets doubles. On appelle loucher ou strabisme la discordance dans les mouvemens des yeux. La vue est le seul sens qui puisse offrir ce phénomène; dans les autres sens, les deux moitiés de l’organe , s’il est unique, comme dans le goût et l’odorat ; et les deux organes, s’ils sont pairs, comme dans l’ouie, sont toujours disposés de manière à ce qu'irrésistiblement ils agissent ensemble. Le loucher est volontaire ou involontaire : dans le premier cas, l’objet est toujours vu double ; dans le second , au con- ” traire , il est vu simple. A l’occasion de ce dernier , on se fait deux questions : les deux yeux y sont-ilsemployés, ou un seul ? Et quelles sont ses causes ? Buffon dit que dans le strabisme il n’y a jamais qu’un seul œil d’em- ployé : examinant des individus louches au moment où ils fixaient des objets , il a bien reconnu en eux quel était 474 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. l'œil qui agissait ; et bouchant cet œil , il a reconnu que ces individus avaient alors perdu la présence des objets, et pour la recouvrer pointaient sur eux le seul œil qu’ils avaient de libre , et qui auparavant était écarté. Quant aux causes du loucher involontaire , elles résident dans les muscles propres de l’œil, ou dans le globe de l'œil lui-même. Ainsi, qu’un des muscles droits soit paralysé , le muscle opposé se trouvant sans antagoniste, tirera constamment l'œil de son côté. Il en est de même , quand on fait exercer un des muscles plus que les autres ; par exemple, par suite de la position que l’on donne au berceau d’un enfant, relativement au point d'où vient la lumière. Dans ce dernier cas, on peut avec des efforts ramener l'équilibre entre les muscles. Dans ce cas aussi , certainement il n’y a qu’un seul œil d’employé. Quand, au contraire, la causé du sirabisme siège dans le globe de l’œil lui-même , Buffon dit qu’elle consiste presque toujours dans l'inégalité des yeux ; cette inégalité em amène dans les images ; et pour que la vision soit nette, il faut absolument n’employer qu'un œil , l'œil le plus fort , et écarter l’autre pour qu’inactif il n’apporte au- eune confusion. Ce naturaliste dit avoir vérifié sur beau- coup d'individus louches que les yeux avaient des forces inégales ; c’est toujours l’œil le plus faible qui s’écarte ; il se porte le plus souvent en dedans, afin que moins de rayons lui arrivent, et pour qu’il trouble conséquem- ment moins la vision ; si l’autre œil accidentellement est fermé , alors il pointe à son tour l’objet pour le voir. Rarement on louche des deux yeux; cela n’arrive que quand un des yeux est myope, et l’autre presbyte ; alors on emploie tour à tour Fun ou l’autre, selon qu'on veut voir un objet rapproché ou éloigné. Lahire voulait que SENS DE LA VUE, 475 la cause du strabisme résidât dans une différence de sen- sibilité des points correspondans des rétines ; il disait que les yeux ne se mouvaient avec discordance qué pour faire tomber les images sur des points dés rétines également sensibles ; il croyait que les deux yeux agis- saient: mais pourquoi lœil qui louche se pointe-t-il directement sur l’objet, quand on à fermé l’œil qui est droit ? l’assertion de Buffon me semble plus vraie. La fonction immédiate de la vue est évidemment de donner la sensation des couleurs. Ses fonctions mé- diates du auxiliaires sont nombreuses , et en font un des sens les plus prochainement utiles à l’esprit : il fait con- naître la grandeur , la figure , la distance des corps, leur nombre , etc. Mais à l'égard dé ces dermiers attributs, les métaphysiciens ont été divisés : les uns, coramé Molineux , Berckley , Condillac, ont prétendu que la vue ne les possédait pas primitivement , et qu'ellé ne les acquérait que par le secours du toucher;les autres, comme M. Gall, ont dit que ce sens donnait primitivement la notion de ces diverses qualités. Les arguméns de ce der- nier nous paraissent devoir faire adopter son opinion. Il est certain d’abord, qu'aujourd'hui la vue fait juger la distance , la grandeur, la figure des corps ; et déjà de cela seul résulte qu’elle l’a pu toujours. Nous avons dit effectivement que l'œil était irrésistiblement forcé de voir d’après la disposition des rayons qui lui arrivent : et que l’habitude ni le secours d’un autre sens, né pou- vaient faire modifier les impressions qu’il reçoit. Or, si jà vue donne aujourd’hui les notions de la distance, de la grandeur, c’est qu'il était dans son essence de le pou- voir , sinon elle ne les aurait jamais données. Ensuite, des faits directs confirment ce raisonnement. 456 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. Pour nier que l’œil puisse donner la notion dela distance, on se fonde sur ce qu’on ne peut en juger que par le degré d’écartement de ce qu’on appelle l’angle visuel ; et que c’est ce même angle visuel qui fait juger la gran- deur. On argue de l’observation d’un aveugle-né , opéré par Cheselden, et qui lorsque la vue lui fut donnée était si loin de juger les distances , qu’il croyait que tous les objets touchaient ses yeux. Mais d’abord, en même temps qu’on juge de la distance par l’angle visuel, on en juge aussi par le degré de lumière du corps , degré qui est d'autant plus grand que le corps est plus rap- proché; et cette dernière circonstance peut servir à faire déméler ce qui, dans l’angle visuel, tient à la distance du corps, et ce qui tient à sa dimension. Ensuite, n’a- vons-nous pas dit que l’image qui est tracée au fond de œil est proportionnelle à la distance de l’objet ? En troi- sième lieu, n'est-il pas certain que, dans la vision , les rayons sont toujours rapportés à la distance de laquelle ils sont partis ? n’en a-t-on pas la preuve dans l'emploi des miroirs planes ? Peut-être , enfin, y a-t-il, dans l’im- pression que recoit la rétine , quelque chose de différent selon l’impulsion ? et l’on conçoit que celle-ci doit être différente selon la distance de laquelle provient la lu- mière. Pour nier que la vue juge primitivement les grandeurs, on à eu recours aux mêmes argumens ; à ce que l’on ne juge de la grandeur que par la même circonstance qui fait juger la distance , c’est -à- dire l’angle visuel ; et à ce que ce même aveugle-né de Cheselden parut ne pas juger les grandeurs, et prétendit, par exemple , que le pouce qu’on lui mettait devant l’œil lui paraissait aussi grand que la maison que ce pouce lui empêchait de voir. SENS DE LA VUX. 477 Mais nous répéterons encore que; jugeant de Ja dis- tance , non pas seulement par l’angle visuel, mais encore par l’état plus ou moins éclairé des objets, on peut tou- jours séparer dans cet angle visuel ce qui tient à la distance et ce qui tient à la grandeur. D'ailleurs, la réline a une assez grande étendue ; les rayons qui partent d’an objet frappent plusieurs de ses points à la fois ; ils y dessinent une petite image : pourrait-on dès lors ne pas voir les dimensions des corps ? L’étendue plus ou moins grande de image doit nécessairement donner la notion des dimensions du corps, dont celte image est la représentation. Par la même raison que nous ‘voyons plusieurs objets à la fois, nous devons voir ensemble plu- sieurs parties d’un même objet; et de [à découle Ja possibilité pour la vue de juger les grandeurs. Enfin , c’est encore l’exemple de cet aveugle-né opéré par Cheselden, qu'on a invoqué pour prouver que la vue ne peut donner primitivement la notion de la figure des corps. On assure, en effet, qu'il ne distinguait ni le rond ni l’angulaire; qu’alternativement il prit des ta- bleaux pour des reliefs solides, et pour ce qu'ils sont réellement , de simples surfaces coloriées. Mais lesrayons lamineux sont toujours rapportés aux points dont ils sont partis; et les objets sont toujours vus d’après les angles de réflexion et de réfraction des rayons. Or, comme ces deux circonstances doivent varier selon la figure des corps , la vue doit apprécier cette qualité des corps. Encore une fois, notre âme , recevant toutes sensa- tions telles qu’elles lui sont envoyées , et ne pouvant en modifier aucune ; nul sens ne pouvant par l'expérience , l'habitude , le secours d’un autre sens, acquérir de nou- velles propriétés: puisque la vue donne aujourd’hui les 478 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. notions de la distance, de la grandeur , de la figure des corps, c'est que c'était dans ses attributs primilifs. Et, en eflet, si cela n’était pas, pourquoi dans les illusions d'optique qui sont dues à la diversité de réflexion et de réfraction des rayons, verrions-nous tant de distances, de grandeurs , de figures qui sont illusoires, et sur lesquelles conséquemment le toucher n’a pu éclairer ? Comment céncevoir l'illusion de l'art de la peinture ? Enfin, ce qui complète laconviction , c’est que les animaux jugent bien par la vue lès distances, les figures des corps ; et com- ment supposer que chez eux ce sens ait pu être instruit par le toucher, qu'ils n’ont souvent qu’à un degré imparfait ? Ce n’est pas que l’œil ne soit exposé à tromper et à se tromper sur ces divers objets, comme nous le dirons tout à l'heure, et que le toucher souvent n’avertisse de ses erreurs. C’est, en effet, par la même circonstance , le degré d’écartement de l’angle visuel , que la vue juge la distance et la grandeur des objets; un objet grand et un objet rapproché sont également vus sous un augle visuel fort grand : c’est le contraire d’un objet petit et d’un objet éloigné ; et l’on peut alors , dans l’apprécia- tion de l'impression , attribuer à l’un de ces états ce qui est de l’autre , juger grand l’objet qui est rapproché, et oice versä. En ce cas , la vue peut induire en erreur, commé elle le fait dans ce qu’on appelle les illusions d'optique qui vont nous occuper tout à l'heure , et le toucher peut servir à avertir de cette erreur. Mais encore la vue pourrait seule arriver à la reconnaître; et, par la différence du degré de lumière des objets , par exemplé, parvenir à distinguer dans l’angle visuel ce qui appar- tient à la distance et ce qui appartient à la grandeur. Cependant, reconnaissons que cette faculté d’appré- SENS DE LA VUE. 479 cier les distances, les dimensions, les figures , est ren- fermée dans l’espace où nous avons dit que la vision était plus distincte ; et qui varie pour chacune de ces qualités des corps. Ainsi, on juge assez sainement Ja distance quand les corps sont près de nous; mais cela devient plus difficile. à mesure qu'ils s’éloignent , et, à la fin, cela est impossible ; bien entendu encore que ce qu’on appelle point de vue distinct varie selon le volume du corps. On juge mieux cette distance si l’objet est sur un même plan que nous, et s’il ya, entre lui et nous, des corps intermédiaires. Il en est de même de la grandeur : on n’en peut juger qu'à une certaine distance ; au - delà , il n’y a plus rien de précis. Nous jugeons de la mobilité des corps par le mouvement que fait leur image sur la rétine, par des variations:qui surviennent dans la gran- deur de cette image, par le changement de direction de la lumière qui parvient à l’œil : mais , pour cela ; il faut que le mouvement ne soit ni trop:rapide ni trop lent , et que le corps ne soit pas trop éloigné. Du reste , remar- quons que, dans d’usage que nous faisons ici de la vue, il y a de plus jugemens portés, c’est-à-dire action des fa- cullés supérieures de l’esprit. Tandis que des métaphysiciens rabaissaient ainsi le sens de la vue, d’autres en exagéraient la puissance , en lui attribuant la faculté de reconnaître les lieux dont nous avons déjà parlé à l’article de l’odorat , et la faculté du coloris , qui est un des-élémens de l'art de la peinture. £ertainement on ne peut lui rapporter la première, car - souvent les distances sont trop grandes , ou ont été par- courues avec trop de rapidité pour que la vue ait pu re- marquer les heux; souvent elles ont été franchies par des routes différentes , ou de manière que le sens de la vue 480 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. n’a pu rien voir. Îl en est de même de la faculté du co- loris; la vue assiste cette faculté, mais n’en est pas la base; et la preuve, c'est qu’il n’y a aucun rapport entre elle et l’état des yeux. Les peintres, qui sont les meilleurs coloristes, ne sont pas nécessairement ceux qui ont la vue la meilleure. C’est dans le cerveau qu’existe la source de cette faculté , comme celle des autres arts. C’est parce que nous voyons toujours d’après l’ordre dans lequel nous arrivent les rayons , et, parce que ces rayons , dans leur trajet de l’objet à l'œil, peuvent subir mille réflexions et réfractions diverses , que le sens de la vue donne souvent de fausses notions sur la coloration, la distance , la figure des corps; d’où résultent ce qu'on appelle les t{lusions d'optique. Ainsi , que la lumière qui émane d’un objet traverse avant d’arriver à l’œil un corps transparent , mais coloré, et qui ne laissera passer que les rayons de sa couleur , l’objet ne sera pas vu avec sa couleur propre , mais avec celle de ce corps transpa- | rent coloré : un miroir plane, en réfléchissant la lumière, fait voir les objets où ils ne sont pas ; un verre convexe fait juger un objet plus gros; un verre concave le fait voir plus petit. Les hommes produisent souvent de ces illu- sions dans quelques vues d'utilité et d'agrément : c’est sur elles , par exemple , qu’est fondée la construction des instrumens de dioptrique , par lesquels nous ajoutons à la puissance de notre vue. La vue n’est pas le seul sens qui soit susceptible de ces illusions : louie est aussi dans ce cas , parce que le contact du corps extérieur n’est pas immédiat non plus; qu'il y a un corps intermédiaire qui est chargé de pro- pager le son ;1et'que, dans le trajet, le son! peut être modifié , réfléchi, condensé : Jes échos, par exemple ; SENS DE LA VUE 48 sont des illusions d’acoustique. Les illusions s’observent dans tous les sens qui agissent à distance. H ne faut pas confondre les illusions d’optique avec les erreurs dans lesquelles peut nous jeter la vue. Les pre- mières sont étrangères à l’action de notre organe, et tiennent aux modifications qu'ont éprouvées les rayons dans leur trajet de l'objet extérieur à l’œil : tels sont les phénomènes que nous venons de citer. Les secondes , au contraire, sont lé fait même de nos organes , et consis- tent, ou dans un vice du jugement que nous portons consécutivement à une impression visuelle, ou dans un vice de l’action de l’œil lui - même. Ainsi, comme la grandeur et la distance des corps se jugent un peu par les mêmes bases , la grandeur de l’angle visuel et le degré d'intensité de la lumière , on peut prendre une de ces qualités pour l’autre. Ainsi, de deux objets placés à égale distance et également éclairés , le plus grand pa- raîtra le plus près ; de deux objets d’un même volume, et placés à égale distance, le plus éclairé paraîtra le plus près. Voilà des cas d'erreur qui ont leur cause dans le jugement intellectuel que nous portons. Au contraire, le phénomène des couleurs accidentelles que nous avons indiqué plus haut, est une erreur de la vue qui a sa cause dans une action vicieuse de l’œil lui-même. Telle est l’histoire assez compliquée du sens de la vue. Dans Ja série des animaux, ce sens est en raison de la construction plus ou moins heureuse de l’œil, considéré, et comme instrument de dioptrique, et comme organe sentant. L'homme est assez bien partagé à son égard : ses yeux , placés à la partie antérieure et supérieure de la face, dominent tous les objets, embrassent tout lhémi- sphère antérieur; etmêmeleur champ s'étend un peu sur le 31 482 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. le côté, à raison du dégagement de l'orbite en ce sens. Ils peuvent se fixer ensemble sur un même corps ; ils sont fort mobiles, ont une portée assez étendue. Gertai- nement beaucoup d'animaux sont moins bien organisés que l’homme sous ce rapport. Cependant , quelques-uns aussi ont une vue supérieure à la sienne ,les oiseaux , par exemple : chez eux la lunette dioptrique est mieux faite ; le cristallin est plus plat, d’où résulte une aberration de sphéricité moindre; la pupille est; plus mobile , d’où ré- sulte plus de possibilité de. varier la portée de la vue; le nerf optique est plus gros. On concoit aussi que la rétine pourrait ayoir une organisation diverse dans chaque ani- mal ; de sorte que chaque animal jugerait le même corps diversement coloré ,etattacherait un rapport d’agrément ou de désagrément divers à chaque couleur. Pourquoi en effet, cela ne serait-il pas des couleurs, comme nous avons dit que cela pouvait être des saveurs, des odeurs, etc. Quant aux différences de la vue parmi les hommes, elles tiennent à trois circonstances : lasiructure intime du nerf optique ; la disposition plus ou moins heureuse de L'ins- trument de dioptrique ; et enfin l’observance ou l'oubli des précautions hygiéniques propres à conserver l'organe. Le sens de la vue est, après le goût, celui quiest Le plus volontaire , puisque son organe propre est garni à sa communication avec l'extérieur d’une ouverture qu’on peut à son gré tenir ouverte ou fermée. Quand il agit passivement , c'est ce qu’on appelle voir; et, qaand om l’'emploie activement , c’est ce qu’on appelle regarder. Dans la vision active , la volonté agit à la fois ; ‘et sur les puissances musculaires qui meuvent l'œil, afin de le diriger vers l’objet; et sur la partie nerveuse, afin qu’elle reçoive avec plus d’exactitude l'impression. Ainsi, SENS DE LA VUE. 483 d’un côté : action de la tête pour diriger l'œil, des pau- pières pour le mettre à découvert , de ses muscles pro- pres pour le pointer sur les objets ; action des puissan- ces quelconques qui coordonnent l'instrument optique à la distance et à la grandeur des objets ; jeu de la pu- pille pour détruire plus efficacement l’aberration de sphéricité : d’un autre côté, érection dela rétine; voilà ce qu’on observe de plus dans la vision active. Toute- fois, puisque la vue est volontaire , elle est passible de l'éducation ; par la culture elle acquiert une très- grande perfection. Avec quelle délicatesse les peintres discernent les nuances les plus déliées des couleurs ! qui ne s'étonne de voir nos ouvriers des Gobelins , sai- sir, au milieu d’un millier de nuances diverses , celle qui précisément est l’analogue d’un point déterminé du tableau qu'ils copient ! Cette perfection est relative à chacune des notions que donne le sens ; le chasseur , le marin, par exemple, jugent mieux les distances; le peintre , les couleurs , les formes. Rappelons encore : que , dans ce perfectionnement , il faut attribuer autant aux facultés de l'esprit qu’à la vue elle-même. $. VE — Considérations générales et résumé sur les Sens. Nous n’avons pas besoin de rappeler ce qu'a démon- iré avec évidence l’histoire particulière de chacun des sens ; savoir, que tous ont leurs organes à la péri- phérie du corps ; que tous sont , à cause de cela, sou- vent impressionnés malgré nous; que tous cependant : sont volontaires , susceptibles d’être employés de deux manières, aclivement et passivement , etc. Nous allons nous arrêter à quelques considérations qui méritent da- vantage de fixer l’attention. oi Ji 484 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. D'abord , dans tous les sens l’action d'impression a été aussi inconnue en elle-même , que l’étaient les deux au- tres actions nerveuses , desquelles résulte toute sensa- tion ; savoir , l’action conductrice du nerf, et l’action percevante du cerveau ; et il en résulte que nos notions sur les sens sont, et probablement seront toujours peu de chose, et se réduisent à savoir comment se fait le contact du corps extérieur à la partie nerveuse. Dans quelques sens , comme ceux de la vue et de l’ouie , le mode selon lequel se fait ce contact a même laissé en- core beaucoup de points obscurs. Tantôt l’organe du sens a consisté en plusieurs points sentans , disposés les uns à côté des autres, à la surface d’une membrane , comme dans le toucher, le goût et l’odorat : et on appelle ces sens, dans lesquels la papille nerveuse est mêlée aux autres élémens organiques de la partie , sens composés où multiples. Tantôt , au con- iraire, l'organe n’offre qu’un seul point qui soit sentant , et la partie nerveuse est isolée des autres parties; comme dans la vue et l’ouie, qu’on a appelés, à cause de cela , sens simples ou uniques. Évidemment ces sens forment chacun autant de Sys- tèmes nerveux spéciaux, affectés à une fonction pro- pre ; et en effet : 1° chacun fait éprouver sa sensation spéciale ; 2° leur nombre varie dans la série des ani- maux ; de tous c’est le tact qui est le plus répandu; puis, successivement, le goût, l’odorat , l’ouie et la vue; 3°leur degré de perfection ne diffère pas moins; et cela, non- seulement dans la série des animaux, mais encore dans un même animal. Dans un même animal , un sens peut être très-développé , et un autre être obtus : l'oiseau , par exemple, a généralement la vue fort étendue, et RÉSUMÉ SUR LES SENS. 483 au contraire l’odorat faible ; 4° enfin , il n’y a aucune coïncidence dans les époques d’accroissement et de dé- gradation des uns et des autres; et cela encore , non- seulement dans la généralité des animaux , mais dans une même espèce animale : le goûtet l’odorat, par exem- ple , entrent plutôt en exercice chez l’homme que la vue et l’ouie , et cependant ces derniers manifestent les pre- miers les eflets de la vieillesse. On ne peut pas dire que le plus prompt affaiblissement de certains sens , tienne à l'exercice plus répété qu’on en a fait : on emploie éga- lement à peu près les uns et les autres ; et il faut bien que la différence tienne à une différence dans la vie in- trinsèque de leurs systèmes nerveux respectifs. Ils forment de même des systèmes nerveux, indépen- dans du cerveau ; et en effet: 1° leurs fonctions sont bien différentes ; 2° ils ne sont pas dans les divers animaux , et même dans une même espèce animale , en rapport avec le volume et la composition du cerveau; souvent ils sont plus parfaits chez les animaux, que chez l’homme qui a le plus beau cerveau ; 3° enfin, les époques aux- quelles ces sens entrent en jeu , acquièrent toute leur puissance , et décroissent , ne sont pas les mêmes que celles auxquelles de son côté le cerveau croît et se dété- riore ; depuis long-temps , par exemple, les sens recoi- vent des impressions que le cerveau est encore incapable de former des idées. Cependant la plupart des philosophes leur ont fait jouer un très-grand rôle dans la production des actes intellectuels et moraux, et ont regardé les impressions des sens comme fondant leurs matériaux exclusifs et nécessaires. Mais ils ont évidemment exagéré , comme on va le voir. 486 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. D'abord, il est évident que les sens ne donnent par eux-mêmes que des impressions , et que c'est l'esprit seul qui consécutivement à ces impressions fait les idées, les notions par lesquelles on se représente les corps. À ce titre les impressions des sens ne seraient tout au plus que les excitans, les matériaux des opérations in- tellectuelles. Ensuite, il est sûr que le nombre et le caractère des impressions sensitives, ou autrement l’état des sens, n’est pas ce qui détermine le nombre et le caractère des opé- rations intellectuelles , ou autrement la psycologie d’un être. Je sais bien que nous émettons ici une opinion invérse de celle des philosophes modernes , et de l'école de Condillac. Depuis Aristote auquel on attribue cet axiome si fameux en métaphysique, nthil estinintellectu, quod non prius fuerit in sensu ; depuis Locke et Con- dillac qui ont fait de cet axiome la base de la philosophie ; la plupart des métaphysiciens ont établi que les impres- sions des sens étaient les matériaux nécessaires et ex- clusifs de tous les actes intellectuels , de sorte que ceux- ci étaient en raison du nombre et du degré de perfection des sens. Voltaire a dit, d’après Condillae : Nos cinq sens imparfaits , donnés par la nature, De nos biens, de nos maux sont l’unique mesure. Mais les faits nous paraissent contraires à cette doctrine, Si elle était vraie en effet , l’étendue de la sphère morale et intellectuelle dans les diverses espèces animales , et dans les divers hommes, aurait dû être en raison du nombre et de la perfection des sens, et cela n’est pas. D'un côté, beaucoup d’animaux ont le même nombre de sens que l’homme ; souvent chez eux ces sens sont plus parfaits , et cependant chez aucun l'intelligence n'est RÉSUMÉ SUR LES SENS, 487 aussi grande. Dira-t-on qu'aucun animal n’a à la fois les cinq sens aussi parfaits qu'ils le sont chez l’homme ? mais que chez eux, toujours en même temps qu’un sens est très-parfait, un autre est obtus? D’abord ce dernier fait est vrai aussi de l’homme; son odorat, par exemple, est bien loin d’être aussi parfait que son toucher. Ensuite, pourquoi au moins chaque animal n’a-t-il pas perfec- tionné l’acte intellectuel qui semble se rapporter le plus au sens qu'il a Le plus parfait? pourquoi , par exemple, la peinture n’a-t-elle pas été cultivée par celui qui a la vue la plus délicate; la musique , par celui qui a l’ouie la plus fine ; les arts mécaniques par ceux qui sont doués d’un organe de toucher parfait? La nullité ou le peu de puissance des animaux sous tous ces rapporls prouvent, au contraire, que toutes ces facultés, et l'intelligence en général , ne dépendent en rien de l’état des sens. En outre, on pourrait se demander pourquoi les ani- maux auraient , avec des sens qui sont au fond les mêmes et qui ne diffèrent que par le plus ou le moins de puissance , des instincts aussi divers que ceux qu'ils pré- sentent ? D’un autre côté , toutes ces considérations s'appliquent à l’homme , et en recoivent ure nouvelle force. Certainement l'étendue de l’intellect , l’énergie des passions, ne sont pas chez cet être en raison de l’état exquis des sens : les idiots , par exemple , ont souvent les sens excellens ; el, au contraire, que de génies peuvent avoir les sens obtus ! vainement des phi- losophes ont voulu rapporter à la main de l’homme toute sa supériorité intellectuelle ; la main , nous l’avons déjà dit , n’est après tout qu’un instrument subordonné, qui a besoin d’être guidé, 488 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. Les sens ne sont que des instrumens secondaires , né- cessaires à l’accomplissement de quelques-unes des facul- tés de l'esprit , mais qui n’en déterminent nullement la puissance. Il est vrai qu’àraison de cette utilité, ils sont souvent mis en rapport réciproque avec l'organe de l'esprit, le cerveau , et calculés pour le nombre et la perfection d’après le degré de composition de ce cerveau. Mais encore ce dernier fait n’est il pas absolument né- cessaire ? Les sens et l’intellect sont deux sortes d'actions bien distinctes , sans doute liées les unes aux autres eb enchaînées dans un même but, mais qui ont chacune leur office propre. Il eût été absurde sans doute de cher- cher la cause du caractère de la vision dans le cerveau, parce que le concours de cet organe est nécessaire à cette fonction : il est tout aussi déraisonnable de placer dans les sens la cause du caractère de l'intelligence, parce que celle-ci peut quelquefois les employer. On objectera peut-être qu'un animal qui n’aurait aucun sens n'aurait non plus aucun acte intellectuel. Geci demande discussion. Suppose-t-on un animal édifié par la nature de manière à n'avoir aucun sens? Sans doute cet animal ne connaîtra rien de l’univers, mais la nature l’aura organisé de manière à n’avoir pas besoin de cette connaissance. Sans doute aussi cet animal n'aura pas davantage de facultés intellectuelles; et en effet, à quoi lui serviraient-elles, puisqu'il n’a pas de rapports sentis et volontaires à établir avec l'univers , et que c’est pour guider dans l'établissement de ces rap- ports que l'intellect est institué? Mais de ce que cet animal qu'on suppose sans sens, n’aurait pas d’intellect, il ne faut pas en conclure que les premiers sont les pro- RÉSUMÉ SUR LES SENS. S 489 ducteurs du second : ce sont seulement deux rouages qui se commandent réciproquement, et avec un seul desquels la nature, malgré sa toute-puissance , n’aurait pu édifier un animal. Il est bien d’autres appareils qui se commandent ainsi réciproquement , les appareils res- piratoire et circulatoire , par exemple. Suppose-t-on , au contraire, un animal organisé de manière à avoir besoin des cinq sens , et qui devait primitivement les posséder ? Sans doute , il n’aura aucunes notions de l’univers# il ne pourra non plus exécuter aucune des facultés de son esprit qui exigent pour leur accomplissement le service des sens , comme les facultés de musique , de langage , par exemple. Mais rien ne doit empêcher de croire qu’il aurait ses autres facultés spirituelles , et même le senti- ment de celles qu'il ne pourrait exercer. De même qu'il pourrait avoir la sensation de la faim, par exemple ; pourquoë n’aurait-il pas également le penchant moral de l’amour , ce penchant qui éclate , même dans l’isole- ment de toutes les impressions externes qui s’y rappor- tent? Du reste, est-il permis de raisonner d’après la supposilion d’un être qui serait construit si contraire ment aux règles posées par la nature elle-même , qu’un pareil être serait à jamais hors d'état de continuer d'exister ? Mais , dira-t-on encore , un homme qui naîtrait privé des sens de l’ouie et de la vue , aurait certainement une intelligence plus bornée que celle d’un homme ordinaire; et l'exemple des sourds - muets présente en quelque sorte réalisée la moitié de cette supposition. On sait, en effet, combien de temps ces infortunés sont restés dans l'ignorance; et ce n’est que par les plus dif- ficiles et les plus honorables travaux qu’on parvient 490 FONCTION DE LA SÉNSIBILITÉ. de nos jours à les en tirer, D'abord, de ce qu’on peut aujourd'hui les instruire , il faut déjà conclure ; que le sens dont ils sont privés ne constituait pas un élément absolument nécessaire de l’intelligence , sinon tous nos efforts auraient été vains , mais seulement une condition secondaire qui lui est utile, et qui éncore , comme onle voit, peut être remplacée. Ensuite, on peut indiquer quelle est ceite utilité secondaire , et pourtant si néces- saire, dont est le sens de l’ouie pour le développement de l'esprit : c’est celle de recueillir les mots, les sons qui sont les représentations des divers produits de l’es- prié. Une vérité bien importante en effet, est que les lan- gues ne servent pas seulement à communiquer les idées , mais à en avoir ; l’intellect a absolument besoin pour opérer , de se faire un langage; àmesure que l'esprit produit une idée, il faut qu'il lui attache un signe qui lui donne du corps et la conserve. Sans cet artifice, l'esprit serait comme une glace mobile où les idées s’é- vanouiraient à mesure qu'elles seraient formées. Con- dillac a fort bien prouvé que sans les langues , l'esprit humain resterait dans une éternelle enfance ; et qu’au contraire c’est à ces langues que l'esprit doit de pou- voir passer d’abstractions en abstraciions. Or, ces signes , ces langues sont , ou des figures offertes à l’œil, ou des sons reçus par l'oreille ; et cela explique la grande utilité de cés sens pour l’exercice de l’entende- ment; ils sont nécessaires à la formation d’un langage , sur lequel l’entendement doit absolument s'appuyer. Cela est si vrai que l’on n’est parvenu à faire jouir le sourd-muet de tout le développement de son intelligence, qu'en étendant le seul langage qui est possible à sa RÉSUMÉ SUR LES SENS. PAR nature , celui de figures offertes à la vue ou au tact; il a pu dès lors conserver aussi toutes les idées qu'il a faites, et les multiplier, comme nous le faisons nous-mêmes à l’aide de nos langues parlées. D'ailleurs, on a pu lui faire connaître celles-ci mêmes par la traduction que nous en faisons, c’est-à-dire par l'écriture; et, de cette manière, ces hommes ont, non-seulement nos mêmes idées , mais encore nos mêmes mots pour les rendre. Un homme qui naïtrait privé des sens de la vue et de l’ouïe, serait encore plus difficile à instruire que le sourd- muet, puisqu'on n'aurait plus que le sens du toucher sur les sensations duquel on pourrait établir un système de signes. Mais cet homme n’en aurait pas moins Îles mêmes facultés intellectuelles ; seuiement beaucoup ne pourraient pas être mises en jeu. Est-ce que les sourds el muets , qui sont abandonnés à eux-mêmes , sont pour cela sans intellect ? Du reste, cette supposition d’un homme privé des sens de la vue et de l’ouïe, et cependant intelligent, a été, en quelque sorte , réalisée dans un jeune écossais appelé Muüchel, né en 1799, et qui vivait,encore en 1818, quand M. Spurzheim imprima sa Phrænologie, dans laquelle j’en ai puisé l'observation. Ge jeune homme, quoique aveugle et sourd de naissance , n’en manifestait pas moins beaucoup de facultés intellectuelles et affec- tives, et même à un assez haut degré; il était très- curieux et très-avide de connaître tous les corps exté- rieurs; pour y parvenir , il employait sans relâche les seuls sens qu’il possédât , le toucher et l’odorat : toutes ses actions portaient en elles la marque de l'inteiligence et du raisonnement; ses gestes étaient très-bien calculés 492 FONCTION DE LA. SENSIBILITÉ. pour l’objet qu'il voulait faire connaître , la pensée qu'il voulait communiquer; de son côté, il comprenait à merveille ceux qui lui étaient adressés, et qui ne pou- vaient s'appliquer qu’à son toucher; il était sensible aux caresses, susceptible d’affections diverses, de bienveil- lance et de haine, de colère et de malice: il avait de la coquetterie , car il aimait à se parer ; il avait enfin le sentiment de la propriété, et la connaissance de la mort qui lui inspirait beaucoup de crainte. Certes aucun fait ne peut mieux prouver dans quelle indépendance sont des sens les facultés intellectuelles et morales. Encore une fois, les sens ne sont que des instrumens se- condaires , à l’aide desquels l'esprit acquiert la notion de l’univers extérieur ; mais ils n’ont pas sur l’entendement une influence aussi grande qu’on l’avaitdit, quand on avait ‘voulu trouver dans leurs impressions les matériaux exclu- sifs et nécessaires de toutes nos pensées. Seulement, comme on ne juge de l'univers que par eux, etqu'ils ne sont pas en même nombre et à un égal degré de perfection dans les animaux , il en résulte que l'univers n’est pas le même pour tous les animaux, mais est dans chacun en raison du nombreet de la délicatesse des sens qu’ils pos- sèdent. Il y a certainement une grande distance , entre le monde d’un polype qui n’a que le tact, et encore seu- lement ce que ce tact a de nécessaire pour la nutrition ; et le monde de l’homme, dont l'œil voit tous les corps diversement colorés et figurés qui sont répandus dans l’espace, dont l’oreille est frappée de mille sons , et le palais et l’odorat , le siége de mille sensations délicieuses. Ajoutons que nous ne jugeons du monde que d’après nous ; et que, quand nous assurons que ce monde est le même pour ui autre animal, ce n'est que par analogie, RÉSUMÉ SUR LES SENS. 495 étant à jamais hors d'état de savoir ce que sont les sens de cet animal. Du reste, on se rappelle la distinction que nous avons faite des fonctions des sens en immédiates et médiates.Il est évident que chaque sens n’a qu’une seule fonction immédiate : le sens du tact, celle de donner la sensation de la température ; les sens du goût, de l’odorat, de l’ouïe et de la vue, celles de donner les sensations des saveurs , des odeurs, des sons et des couleurs. Il est évi- ent aussi qu'à cet égard aucun sens ne peut en sup- pléer un autre, et n’a besoin, pour exercer sa fonction , du secours d’un autre sens, de l'habitude ou d’une es- pèce d'éducation. Bichat a dit à tort, que les sens pour s'exercer complètement, avaient , comme toutes fonc- tions animales, besoin d’une éducation préalable; ils remplissent leur office , dès que leur organe a acquis le développement convenable ; et, en effet, dans la série des animaux , il n’en est aucun qui ne se soit montré en exercice à l’instant même de la naissance , et, par consé- quent, sans exercice antérieur. Au contraire , les fonc- tions médiates des sens sont multiples en chacun d’eux ; souvent plusieurs sens ont les mêmes , et c’est à cet égard que les sens se prêtent des secours mutuels. Le toucher , par exemple, sert tout à la fois à reconnaître la figure , les dimensions des corps , et la vae est apte à donner les mêmes notions ; l'impression que l’un de ces sens peut échapper , est recueillie par l’autre ; et l’erreur dans laquelle un de ces sens peut jeter, est reconnue par l’autre. Comme la vue, l’ouie , le toucher ont bien plus de fonctions médiates à remlir que le goût et l’odorat; Buisson a appelé les premiers , sens de l'intelligence , et » 494 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. les seconds , sens de la nutrition. Divers caractères jus- tlient cette distinction. Le goût et l’odorat sont situés plus inférieurement , et occupent les appareils des fonc- tions pour lesquelles ils exercent un minisière d’explo- ration : ils sont symétriques , mais non divisés en deux organes séparés; leur siège est en des membranes mu- queuses ; ils exigent le contact du corps extérieur lui- même, et, sous ce rapport , semblent davantage être une espèce de tact ; ils ne donnent que des notions cor- porelles, relatives à la nature intime des corps, et, à cause de cela, ont été appelés sens chimiques ; enfin, utiles surtout pour la nutrition en explorant les alimens et l'air, ils servent plus l’animal que l’homme, sont souvent plus exquis chez l’animal que -chez l’homme, et seraient impunément perdus pour la vie sociale. La vue et l’ouie, au contraire , sont situés plus supérieure- ment, occupent des cavités qui leur sont propres, eË sont toujours composés de deux organes séparés ; ces or- ganes ne sont plus une membrane muqueuse , mais des parties fort compliquées ; leurs impressions ne résultent pas du contact du corps extérieur lui-même, mais de celui d’un corps intermédiaire ; les notions qu'ils don- nent sont relatives aux qualités extérieures des corps ; enfin, ces sens servent prochainement l'intelligence ,: puisque ce sont eux qui apportent les signes de la pen- sée , qui recueillent toutes les espèces de langage ; sous ce rapport, ‘ils sont vraiment les sens sociaux ; aussi ne manquent-ils jamais, sans que l'homme , sous Île point de vue intellectuel et moral , ne reste dans un grand état: d’imperfection. Cependant, observons que Buisson a encore ici rapporté à la vue et à louie des effets qui ap partiennent à l'intelligence : ces sens ne fournissent que RÉSUMÉ SUR LES SENS. 490 les impressions physiques, mais c’est l'esprit seul qui recoit les idées que lui seul y a attachées : ce n’est pas plus l'œil qui lit , l'oreille qui entend parler , que ce n’est la langue qui parle, les doigts qui jouent d’un instru- ment, les pieds qui dansent; la vue et l’ouie ne sont toujours ici que des instrumens secondaires, agissant sous la direction du cerveau. La faculté qu'ont les sens de se suppléer les uns les autres dans leurs fonctions médiates, éclate surtout dans les cas où il y a perte de quelques-uns d’entre eux; dans les aveugles et les sourds , par exemple : on voit alors les sens qui restent donner seuls les notions qui au- paravant étaient données par tous. Dans les aveugles, le toucher et l’ouie sont les seuls agens de l’âme , et acquièrent une très - grande délicatesse. L’aveugle - né de Puiseaux apprenait à lire à son fils avec des tca- ractères “en relief : il tournait et maniait habilement l'aiguille ; il appréciait au tact toutes les nuances du poli des corps; il jugeait de même le poids d’un corps, la capacité d’unverre; par la seule action de Pair sur son visage, il jugeait de la distance à laquelle:il était des corps. Son oreille n’était pas moins exercée que son tou- cher; il reconnaissait toutes les personnes au son de leur voix; avec le secours de Ja voix ; il jetait à un: but avec assez de sûreté; au caractère du son que produit la chute d’un liquide: dans un vase , il jugeait de l'instant où le vase était plein. Son langage prouvait que son esprit avait recu ses principales impressions du toucher : Pœil, di- sait-il , est une longue main qui va touclier les objets au loin; le miroir ; une machine qui met les corps en relief lo d'eux-mêmes. L’aveugie Saunderson ; qui, quoique privé de la vue , a écrit un traité sur l'optique 496 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. reconnaissait les personnes en suivant avec le doigt Îé profil de leur figure. Les sourds , au contraire , perfec- tionnent beaucoup leur vue ; on les voit comprendre les paroles au seul mouvement des lèvres. Dans ces secours respectifs des sens, la vue et le toucher s’associent, comme le goût et l’odorat ; on veut toucher tout ce qu’on voit , et regarder tout ce qu’on touche; comme on goûte ce qu’on odore , et qu’on odore tout ce qu’on goûte. Y a-t-il dans les animaux et dans l’homme, quel- ques sens autres que ceux que nous avons décrits ? Pour ce qui est des animaux, la question est insoluble ; car, si quelques-uns avaient quelques sens de plus que nous, il nous serait impossible de nous en assurer. D’un côté, on ne connaîtrait pas la qualité nouvelle de l’uni- vers dont ces sens donneraient la notion ; car nous se- rions, par rapport à elle, comme est un aveugle de naissance par rapport aux couleurs. D’un autre côté, on ne pourrait pas même savoir que les organes nouveaux qui en seraient les instrumens seraient des organes de sens plutôt que des organes d’autres fonctions ; on serait toujours réduit, sur l’action de ces organes , à des con- jectures. Ge n’est que par analogie , mais par une ana- logie assez forte , que nous disons que les animaux n’ont pas de sens autres que les nôtres. À la vérité, Spallanzani, Jurine, ayantremarquéque des chauve-souris auxquelles ils avaient crevé les yeux, bouché les narines et les oreilles, avaient néanmoins retrouvé sans hésiter leurs trous dans des cavernes , ont attribué cet effet à l’action d’un sixième sens qu'ils ont supposé exister dans ces ani- maux; mais cet effet peut s'expliquer par la seule déli- catesse du tact. On a parlé d’un sens des localités, donnant la faculté de retrouver les lieux; mais c’est là RÉSUMÉ SUR LES SENS: 49% une faculté. de l'intellect.. Enfin, M. Jacobson a trouvé dans l'os incisif des,animaux un organe nouveau, que tour à tour on a dit un organe pour le rut, ou un sens intermédiaire à ceux du goût et de l’odorat , et destiné à éclairer l’animal sur les alimens qui lui conviennent ; mais M. Jacobson ne regarde cette partie comme organe de sens, que parce qu’elle communique avec l'extérieur, et est plus riche en nerfs qu'en vaisseaux; et ces consi- dérations certainement ne constituent pas une démons- tration complète, | Quant à l’homme, il ne possède que les cinq sens que nous avons décrit; il n’y a pas à la périphérie de son corps d’autres organes auxquels on puisse attribuer une action de ce genre. Buffon a bien indiqué , comme un sixième sens , la sensation vive qui est éprouvée dans le coït; mais ce n’est [à qu’une sensation tactile mu- queuse , distincte seulement de toute autre en ce qu’elle exige un état particulier de la membrane, pour que le fluide excrété fasse impression sur elle : sous ce rapport, cette sensation tient à la fois des sensations externes et des sensations internes, Les magnétiseurs ont supposéun sixième sens , auquel l'homme devrait d’être accessible aux impressions par lesquelles ils le modifient; mais on peutexpliquer, sans cette conjecture, ce qu'il y a de réel dans les influences magnétiques. Enfin, on a parlé d’un sens de la faim, situé à l’orifice supérieur de l’estomac ; d’un sens de la soif, siégeant dans l’æsophage; et d’un sens pneumatique , situé dans le poumon ; mais les sen- sations qu'on leur rapporte sont des sensations internes. OnDre Il. — Sensations externes autres que les Sens. Il n’en existe que deux, et nous aurions pu renvoyer 1: 82 498 FONGTION DE LA SENSIBILITÉ. leur histoire à celle des douleurs; car, quand ces sen- sations sont prolongées, elles en prennent le caractère : ce sont le prurit ou démangeaison , et le chatouillement. Le prurit n’éclate guère qu'à la peau, à l’origine des membranes muqueuses , et aux parties qui forment acci- dentellement la périphérie du corps. Souvent il est une sensation interne , qui succède à une cause organique et interne , comme dans les dartres et autres affections de la peau; mais souvent aussi il tient au contact d’un corps étranger, et aussi il sollicite à ce qu’on appelle le grat- ter, genre d’attouchement qui semble mécaniquement détacher de la peau le corps dont le contact l’agace. Cette sensation ne peut pas plus être définie que toute autre; elle est susceptible de mille degrés , et, portée à l'extrême , elle constitue un véritable supplice. On peut Jui appliquer ce que nous avons dit de toutes les sensa- tions en général. Le chatouillement est aussi une sensation propre à ia peau et à l’origine des membranes muqueuses , mais constamment externe , c'est-à-dire produite par un con- tact. Seulement ce contact exige des conditions parti- culières : il faut qu’il soit léger, exercé par un corps doux, et comme à l’improviste. Du reste , il y a des différences selon les parties dans lesquelles on veut faire naître la sensation du chatouillement : tantôt le corps doit être très-fin , et à peine appliqué à la surface sensible , comme aux lèvres; tantôt il peut avoir plus de volume, mais demande à être appliqué comme inopinément. Toutes les parties de la peau et des membranes muqueuses ne sont pas aptes à la développer : celles qui le sont le plus sont probablement celles dans lesquelles le système nerveux prédomine et est le plus dépouillé ; les orifices des mem: DES SENSATIONS INTERNES. 499 branes muqueuses, la peau des hypochondres, la paume des mains, la plante des pieds, sont les parties qui la montrent le plus souvent. Il y a aussi des différences in- dividuelles; et telles personnes y sont si prédisposées , que le simple geste, la simple menace du chatouille- ment les jette dans le spasme qui accompagne cette sensation. Nous ne pouvons encore que rappeler ici ce que nous avons dit des sensations en général : seulement nous dirons que cette sensation est si vive , qu’elle trouble aussitôt tout le système nerveux, jette dans un état de spasme , de convulsion générale, et veut qu’on la fasse finir ; prolongée, elle amènerait de graves accidens; et sa répétition énerve. Lecat l’appelait une sensation her. maphrodite , parce que, provoquant le rire d’une part, et de l’autre, exigeant impérieusement qu’on la fasse finir , elle paraît être intermédiaire à la douleur et au plaisir. Aa DEUXIEME CLASSE DES SENSATIONS. Sensations internes ou organiques. Pour que la sensibilité remplisse le but auquel elle est destinée, celui de nous avertir de ce qui nous est utile, et de nous mettre à même de pouvoir présider nous-mé- mes à notre conservation , il ne suffisait pas que les sens externes nous fissent connaître les corps extérieurs , avec lesquels nous avons des contacts continuels et inévita- bles , et dans lesquels nous devons trouver ce qui nous est nécessaire. ÏI fallait encore que nous fussions sollicités à établir avec ces corps les rapports dont nous avons besoin , et c’est là le but des sensations internes ou or- ganiques. Ces sensations sont des sentimens intérieurs qui se produisent spontanément dans l’homme et les animaux, 32* 500 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. et qui les sollicitent plus ou moins impérieusement à des actes plus ou moins prochainement nécessaires à Jeur conservation, et au développement complet de leurs fa- cultés. Tels sont, par exemple , les sentimens de la faim et de la soif, qui excitent l’homme et les animaux à prendre les alimens et les boissons que leur nutrition réclame. Tels sont encore les sentimens qui les portent à exercer ou à laisser reposer leurs muscles et leur esprit, selon que ces organes et ces facultés sont depuis quel- que temps en repos ou en exercice. Ces sensations consistent , aussi bien que les précé- dentes , en des actes dont nous avons perception, con- science ; mais elles en diffèrent en ce que l’impression qui en est la cause occasionelle , ne dépend plus du contact d’un'corps étranger, mais se développe dans l’or- gane auquel la sensation est rapportée par une cause organique inhérente à l’économie. Elles sont , pour l'intérieur du corps, ce qu’étaient les sens externes pour l'extérieur : les sens externes étaient les sentinelles qui veillaient au dehors du corps , et avertissaient des dif- férens contacts auxquels il pouvait être soumis; celles-ci sont les sentinelles qui veillent au dedans , etavertissent des nécessités auxquelles il doit subvenir. On les a appe: lées besoins , parce que l’avertissement qu’elles donnent estun sentiment exprimé d’une manière plus impérieuse, et demande bien plus à être suivi. Leur nombre est assez grand dans les animaux supé- rieurs, et par conséquent dans l’homme. Nous les clas- serons d’après leur but , qui est double : ou de faire éta- blir avec l'univers une relation utile à la vie; ou de régler Ja mesure dans laquelle on doit exercer celles des fonctions qui sont volontaires. DES SENSATIONS INTERNES. 201 1° Pour que tout être vivant se nourrisse et se renro- duise , il faut qu'il établisse des relations avec les corps extérieurs ; afin de puiser en eux les matériaux nou- veaux qu'il s'approprie , et de se rapprocher de l’indi- vidu de autre sexe sans lequel il ne peut effectuer sa reproduction. Or, la nature a , chez l’animal , laissé l'accomplissement de ces actes à la volonté de cet être : mais comme il lui importait beaucoup qu'ils ne fussent pas omis , elle ne s’en est pas reposée pour cet accom- plissement sur l'intérêt seul qu'y a l'animal ; elle a fait se produire irrésistiblement en lui des sentimens inté- rieurs qui l'y sollicitent, Ges sentimens constituent une première classe de besoins, qui sont d’autant plus nom- breux dans un animal, que le mécanisme de sa nutri- tion et de sa reproduction est plus compliqué, et exige avec l'extérieur des relations plus étendues. En voici Fénumération dans l’homme. Ceux qui concernent la nutrition sont de deux ordres , selonu” ils ont pour but de faire puiser des matériaux nouveaux, ou selon qu’ils tendent à faire rejeter quel- ques-uns des matériaux qui composaient anciennement le corps. Au premier ordre , se rapportent : 1° le besoin des alimens solides , ou la sensation interne de la faim , qui sollicite à prendre les alimens destinés à renouveler la masse du sang ; 2° le besoin des alimens liquides, ou la sensation interne de la soif, qui excite à prendre les liquides propres à renouveler la partie liquide du sang ; 3° enfin , le besoin de l'air, la sensation interne de l'ins- piration , qui fait introduire dans le poumon l’air néces- saire à la formation du sang. Au second ordre , se rap- portent tous les besoins deseæcrétions , tous ces sentimens intérieurs qui se produisent en nous , quand les réser- 5o2 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. voirs des matières excrémentitielles sont suffisamment pleins, et éprouvent la nécessité de se vider; comme les besoins du moucher , du cracher , du tousser ; le besoin de vomir, celui de la défécation , de l’excrétion urinaire , celui de l’expiration. Peut - être serait - on tenté de croire que les sensations de ce dernier ordre devraient être rapportées aux sensationstactiles muqueu- ses, et reconnaissent pour cause le contact de la ma- tière excrémentitielle sur l’organe ; mais cela ne peutêtre vrai tout au plus que pour les sensations du moucher, du iousser et du cracher ; et certainement cela n’est pas pour celles de la défécation , de l’exerétion urinaire , de l’expiration, comme nous le verrons à l'histoire par- ticulière de ces sensations. Les besoins relatifs à la reproduction sont aussi de deux ordres : l’un comprend le besoin de la reproduction , ce sentiment intérieur particulier qui, dans le bel âge de la vie, excite les deux sexes à se rapprocher pour se reproduire ; l’autre comprend le besoin d’accoucher, qui, présidant à une action d’excrétion , doit être vrai ment assimilé aux divers besoins que nous avons dit pré- céder les excrétions de la nutrition. 2° Il est plusieurs de nos fonctions dont l'exercice est laissé à notre volonté, et que nous pouvons consé- quemment : ou épuiser par un emploi excessif, ou lais- ser rouiller par une inaction non moins funeste , ou en- fin étendre et développer par un usage convenable. On sait en eflet que l'exercice convenable d’une fonction donne à cette fonction toute la perfection possible, parce que son organe est alors mieux nourri, et a acquis plus de prestesse dans son jeu; qu’au contraire, et par des raisons inverses, l'inaction d’une fonction la DES SENSATIONS INTERNES. 503 laisse au-dessous du degré de perfection qu’elle peut atteindre ; et qu’enfin , l'exercice abusif d’un or- gane l’épuise bientôt, et le rend impuissant. Or, com- bien n’était-il pas important pour nous de connaître la me- sure précise dans laquelle nous devons exercer nos fonc- tions volontaires , pour les développer sans les épuiser ? Pour guider en cela notre volonté , la nature, toujours prévoyante, a attaché à dacune de nos fonctions vo- lontaires , une sensation interne qui nous avertit quand leurs organes souffrent de trop d'exercice ou de trop d'inaction. C’est là une seconde classe de besoins , dont le nombre est encore en raison de la complication des animaux , et en raison du nombre des fonctions volon- taires qu'ils possèdent. » Chez l’homme, cette seconde classe de besoins se par- tageen deux ordres ; selon qu’ils tendent à fairemettre en exercice des facultés qui sont depuis long-temps inactives; ou selon que leur but , au contraire , est de faire reposer des facultés dont l'exercice dure depuis trop long-temps. Au premier ordre , nous rapporterons , 1° le besoin d'exercer les sens externes. A la vérité , la nécessité où sont les sens de s’exercer par le fait seul de l’état de veille , ne laisse jamais éprouver ce sentiment intérieur qui succèderait à leur inaction prolongée ; mais d’a- près l’analogie des autres fonctions, on doit admettre la réalité de ce besoin ; 2° le besoin d'exercer ses fa cultes intellectuelles. Ici encore , l’état de veille néces- sitant l'emploi de l'esprit , on ne paraît éprouver jamais le besoin dont nous parlons, et on peut être tenté de le révoquer en doute; mais les habitudes , les pro- fessions , en étendant ce besoin , le rendent souvent si 504 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. impérieux, qu'il est alors impossible de le méconnat- tre. Quel est l’homme qui , accoutumé à une vie intellec- tuelle , n’éprouve un besoin de travail d'esprit , ne ‘sent redoubler son zèle studieux , après quelques jours coulés dans loisiveté? En général , toute faculté demande à être exercée ; et quand elle n’a pas encore été mise en jeu , quoique son organe soit suffisamment développé , ou qu’elle est depuis long - temps inactive , elle fait éprouver un besoin qui sollicite à l'exercer. Cela est vrai des facultés intellectuelles, comme de toutes au. ires. 6° Nous en dirons autant de cette autre partie du moral de l’homme , comprenant ce qu’on appelle les facultés affectives. Ces facultés , destinées à nous faire former nos liens de famille , d'amitié , de patrie, à établir notre état social, à nous guider dans cet état , demandent aussi à être satisfaites , et elles sont la source de tout Ce qu’on appelle les besoins du eœur. Nous re- viendrons sur elles , ainsi que sur les précédentes qui fondent les besoins de l'esprit , à l’article de la psyco- logie. 4 Les besoins d'agir, de se mouvoir , qui se font sentir après quelques heures d’immobilité , et qui obligent , par exemple, la plupart des hommes à faire alterner les occupations de l'esprit et les exercices du corps. 5° Enfin , les besoins des expressions, qui, par exemple , ne permettent pas plus aux hommes de rester muets qu'immobiles. Qui pourrait en effet méconnaître le besoin de parler? Cependant , il serait possible de concevoir autrement la nécessité des expressions , et de les dériver de la sensibilité dont nous verrons qu’elles sont une suite irrésistible, Au second ordre , se rapportent tous les besoins in- DES SENSATIONS INTERNES. 505 versés’, qui éxcitent à laisser reposer des facultés trop long-temps exercées. Tels sont les sentimens intérieurs de fatigue qu'on éprouve après un exercice trop pro- longé des fonctions des sens , des facultés intellectuelles et affectives , des fonctions locomotrices , et des actions d'expression. On ne peut contester le besoin de repos, qui suit l'exercice musculaire prolongé , le sentiment de: lassitude qui excite à ce repos : les lassituues re- latives aux autres fonctions volontaires , sont aussi réelles ; on a le besoin du loisir, celui deldistractions, d’un changement d'occupation. Cette seconde classe de besoins n’est pas moins utile que la première : et comme tous les actes qui s’y rap- portent constituent un même état, celui de la veille , et exigent l’action d’un même système , le système ner- veux ; il y a même deux besoins généraux qui se rap- portent à tous à la fois , et qui ont trait à la réparation et à l'emploi du système commun qui agit. Ge sont : 1° le besoin du sommeil , qui annonce la nécessité de la suspension de l'état.de veille, pour que le, système nerveux répare les pertes qu'il a faites pendant cet état ; 2° le besoin de la veille, qui appelle le retour de cet état , et la nécessité , pour le système nerveux, d’em- ployer la force qu'il a recouvrée.. Peut-être que ce der- nier sentiment précède le -réveil:, et contribue à l’ame- ner , Comme un sentiment intérieur. spécial annonce le sommeil. «tue Telles sont les diverses sensations internes , ou besoins de l’homme , et qui fondent les divers avertissemens intérieurs propres à le faire user convenablement de l'univers et de ses facultés. Maintenant il faudrait faire l'histoire détaillée de chacune d’elles. Mais toutes celles 506 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. du premier ordre seront décrites à l’article des fonc- tions dont elles font partie , leur histoire réclamant la connaissance de faits qui sont relatifs à ces fonctions, et qui sont inconnus actuellement. Quant à celles du second ordre , notre savoir sur elles se réduit presque à les constater , c’est-à-dire au sentiment qui les cons- iitue , et qui fait qu'on les éprouve. Nous n’avons donc à présenter ici que quelques considérations générales. Ces sensations ne sont pas plus que les sensations externes , produites exclusivement dans la partie à la- quelle nous les rapportons ; elles exigent aussi l'in- tervention du cerveau , et par conséquent résultent de la succession de trois actions ; une action dite d’im- pression, développée par la partie à laquelle le senti- ment du besoin est rapporté ; une de perception , ac- complie par le cerveau ; et une de transm ission effec- luée par un nerf intermédiaire aux deux parties pré- cédentes. Cette assertion a été prouvée dans le temps. De ces trois actions , les deux dernières étant ce qu’elles ont été dans les sensations externes , ce qu’elles sont dans toutes les sensations quelconques , nous n’avons pas besoin d’y revenir. Nous n'avons à nous occuper que de l’action d'impression. Dans l’étude de celle-ci , il faudrait aussi rechercher quelle est sa cause , son siége, et ce qu’elle est en elle-même. Or, c'estce que nous ferons à l’histoire particulière de chacune des sensations internes. Seulement , nous dirons ici que nous avons sur ces sensations encore moins de lumières. Tandis que dans les sensations externes, nous avions au moins toute certitude de la cause de l’action d'impression , de son siége ; et que notre ignorance se bornait à ne pas savoir en quoi elle consiste, parce qu’elle était trop x DES SENSATIONS INTERNES. 507 moléculaire pour tomber sous les sens : dansles sensations internes , nous ne pourrons pas plus spécifier Le change- ment spontané qui se fait dans l’organe auquel elle est rapportée; et de plus, on verra que nous ne pourrons en indiquer rigoureusement ni le siége, ni la cause. Une particularité que présentent toutes ces sensations internes ou besoins , c’est qu’elles ne sont jamais indif- férentes, mais ont toujours le type du plaisir ou de la douleur , selon qu’on cède ou résiste à l'avertissement qu’elles donnent. Qui peut méconnaître qu’il y a plai- sir à satisfaire la faim , la soif, et douleur à ne le pas faire? Cette proposition est vraie de tous les besoins sans exception ; et c'est même par cela seul qu’ils pou- vaient remplir leur but , celui de forcer notre volonté, et de nous faire agir dans l’intérêt de notre conserva- tion. Par eux, en effet, nous sommes sollicités aux actes qui nous importent par l’attrait du plaisir d’abord ; .et , si ce mobile ne suffit pas , nous y sommes contraints ensuite par la voix plus impérieuse de la douleur. Ce- pendant les besoins diffèrent beaucoup les uns des au- tres à cet égard ; ils sont d'autant plus impérieux, que les actes auxquels ils nous sollicitent sont plus néces- saires ; les besoins physiques , ceux des excrétions sur- tout, demandent à être plus promptement satisfaits. En outre , les uns et les autres passent par mille degrés d’ac- tivité ou d’affaiblissement , selon la mesure dans laquelle on leur résiste , et celle dans laquelle on leur obéit : chacun d’eux, d’abord diminue à mesure qu’on cède au vœu qu’il exprime, ensuite si on ycèdetrop , amène une sensation interne inverse : lebesoin de se mouvoir , par exemple , disparaît à mesure qu’on se meut, et même est remplacé par le sentiment de lassitude , si l’on ne 506 FONGTION DE LA SENSIBILITÉ, s'arrête pas à temps : la faim qui disparaît graduelle- ment à mesure qu’on prend des alimens , est remplacée si l’on en prend trop, par un sentiment qui lui est op- posé , celui de la satiété. C’est ainsi que tous offrent mille nuances intermédiaires aux deux extrêmes dans lesquels ils oscillent toujours. La volonté , qui avait prise sur les sens externes , n’en! a aucune sur Jes sensations internes : on ne peut ni les éprouver , ni les faire taire à son gré : et en effet, sans cette indépendance , comment auraient-elles rempli leur objet ? destinées à ordonner les actes qui assurent la conservation de notre être , et nous font jouir de la plé- nitude de nos facultés ; les organes qui les développent ont dû être édifiés d’avance , de manière à les produire dès qu’existent les conditions dans lesquelles 1l importe qu'elles se fassent entendre. Seulement l'habitade a in- fluence sur elles , et les besoins peuvent être , selon la mesure dans laquelle on les écoute , ou très-étendus , ou très-limités. Gela est vrai, même de ceux qui provoquent aux actes les plus nécessaires, des besoins de la faim et du sommeil ; par exemple, non-seulement Le besoin de la faim se fait sentir à des heures régulières ; mais il s'accroît quand on le satisfait trop , diminue par une conduite inverse, et se modifie d’après les alimens dont on a contracté l'habitude. Il en est de même du som- meil ; de même qu’on se fait petit ou gros mangeur, on s’habitue à dormir peu ou à dormir beaucoup. Mais c’est surtout sur les besoins moraux que l'habitude et le ré- gime de vie ont influence. Parmi les facultés de l’homme, aucunes ne réclament plus la culture et l'exercice , que les facultés intellectuelles et affectives : abandonnées à elles-mêmes , ces facultés sont bien loin d'acquérir la DES SENSATIONS INTERNES, 509 même activité , et de produire les mêmes résultats, que lorsqu'elles sont étendues par l'éducation et l'usage ; par- tant , elles offrent mille différences dans l'énergie des be- soins qui les concernent. C’est sous ce rapport surtout que les hommes, en étendant leurs besoins, ajoutent sans doute à leurs jouissances , mais aussi multiplient pour eux les chances de douleurs. TROISIÈME CLASSE DES SENSATIONS. Des Sensations morbides , ou des Douleurs. Toutes les sensations dont nous avons parlé jusqu’à présent se produisent dans l’état de santé ; mais, par l’état de maladie , il en éclate beaucoup d’autres dans les divers organes du corps, pour peu que le tissu et la fonction de ces organes soient modifiés ; et ces sensa- tions , qui sont innombrables et très-varices , auxquelles on a souvent donné des noms particuliers , portent ce- pendant généralement celui de douleurs. Ces douleurs ont encore ceci de commun avec toutes les sensations quelconques , qu'elles ne sont pas pro- duites exclusivement dans l’organe auquel on les rap- porte , mais exigent l'intervention du cerveau. Ne se suspendent-elles pas en effet dans le sommeil ? Elles ré- sultent aussi du concours de trois actions nerveuses : savoir : celle d’un organe quelconque du corps qui dé- veloppe une impression ; celle d’un nerf qui est con- ducteur de cette impression , et celle du cerveau qui la percoit. Ge n’est même qu’à cause de çela qu’on peut calmer ces douleurs par l’opium , qui ne fait qu’agir sur le cerveau , et empêcher son action de perception. Leur histoire ne doit aussi comprendre que l’étude de l’action 210 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. d'impression qui en estlabase; et, pour cela, nous allons rechercher successivement quels organes du corps sont aptes à développer une impression dolorifique ; quelle est la cause qui les y provoque ; ce qu'est cette impres- sion en elle-même; et enfin, nous terminerons en indi- quant quelles sont les diverses douleurs dont l’homme peut être atteint. 1° Il n’est aucun organe du corps qui ne puisse déve lopper l’action d'impression , qui est la base d’une sen- sation de douleur; nous l'avons déjà dit à l’article des sensations en général. Si aller , dans ses expériences sur la sensibilité , n’a pu trouver sensibles et doulou- reuses toutes les parties du corps, cela ne contredit pas notre assertion : d’abord, a-t il employé toutes les espè- ces d’irritans ? ensuite , si toutes les parties ne sont pas sensibles à un irritant externe , toutes le sont par cause organique : est-il une seule de nos parties que la maladie ne puisse rendre douloureuse ? Tout annonce que ce sont les nerfs qui entrent dans la composition de ces parties qui développent l'impres- sion dolorifique : ce sont , en effet, les nerfs qui sont le siége des actions d'impression dans toutes les autres sen- sations ; et généralement les diverses parties du corps se montrent d’autant plus sensibles , et aptes à dévelop- per de la douleur , qu’elles contiennent plus de nerfs. Cependant il est quelques parties dans lesquelles l’ana- tomie n’a pu découvrir encore de nerfs : faut-il croire qu’en elles la sensibilité se produit sans Je secours de ces organes ? ou que ces parties possèdent comme les autres des nerfs, mais qui sont trop déliés pour que notre anatomie grossière puisse les y apercevoir ? Dans l'impossibilité où l’on est de démontrer rigoureusement DES DOULEURS. 51 ni l’une ni l’autre de ces deux opinions , j'aime mieux adopter la dernière. Mais ces nerfs sont perdus et disséminés dans le pa- renchyme des parties : ils sont de plusieurs sortes, des nerfs encéphaliques ou spinaux, et des nerfs du sys- ième ganglionnaire : et de là résulte qu'on ne peut pas préciser rigoureusement le siége de l'impression , comme on le faisait dans les sensations externes, ni même dire quelle est l’espèce de nerf qui agit. Quel- ques physiologistes ont voulu que les sensations de dou- leurs n’éclatassent que dans le grand sympathique, même quand ces douleurs siégeaient évidemment dansun nerf spinal ; mais on ne voit pas sur quelles preuves ils fondent cette opinion. Au contraire , les nerfs du tri- splanchnique ne sont pas naturellement sensibles, et les autres sont les agens premiers des sensations. 2 La cause qui détermine cette action d'impression, est tantôt externe et mécanique , c’est-à-dire consistant dans l'application d’un corps étranger, et tantôt interne et organique. Ainsi, d’un côté , toutes les altérations mécaniques qu’on peut faire subir aux organes, comme coupure , piqûre, bràlure, contusion , etc. , sont causes de douleurs : ici se rapportent toutes les expériences qu’a faites Haller, pour constater la sensibilité des parties du corpsanimal; et dans ce cas, la cause de l'impression est aussi évidente que dans Les sensations externes. D'autre part, toutes les modifications morbides que peuvent éprouver les organes, sont aussi causes de douleurs; et ici le champ est plus vaste encore que dans les douleurs par causes externes , car quelque variées et nombreuses que soient les lésions physiques de nos organes, les lésions organiques le sont encore plus; et d’ailleurs , tandis que 512 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. toutes les parties du corps ne paraissent pas être aptes à développer de la douleur par causes externes , il n’en est aucune qui ne se soit montrée douloureuse par cause morbide. En ce dernier cas , la cause ne peut pas plus être spécifiée que celle.des sensations internes : elle con- siste en un changement surveñu dans la disposition de la partie , et qui, ne tombant pas sous les sens ; ne peut être précisé. On a dit que cette cause, soit externe , soit interne, était toujours destructrice de sa nature ; cela est trop absolu : elle consiste toujours en un état nouveau ; mais souvent elle n’est qu’un simple changement dans la ma- nière d’être des organes. 3° Quant à l'impression en elle-même , on ne la con- naît pas plus que celle de toute autre sensation ; elle est aussi trop moléculaire pour être saisie par les sens, et son résultat seul annonce qu'elle a eu lieu. On ne peut pénétrer son essence; et rien n'apparaît d'elle , sinon que produit de l’activité de l'organe , elle n’est pas une action physique ni chimique , et est par conséquent une action organique et vitale. 4 Enfin, quelles sont les diverses douleurs qui peu- vent éclater dans le corps humain ? Il est impossible d’en faire l’énumération : il faudrait en effet pour cela, d’un côté , tenir compte de toutes les causes possibles de douleurs , tant externes qu’internes ; et de l’autre, ap- pliquer successivement chacune de ces causes à chacun des nombreux organes du corps ; car il y a autant d’es- pèces de douleurs , qu’il y a de combinaisons possibles entre ces deux termes; chaque cause produisant sa dou- leur spéciale , et chaque douleur ayant ensuite une nuance propre en chaque organe. Ainsi , que d'un côté À DES DOULEURS. 513 l’on se représente tous les genres possibles de lésions mécaniques externes , piqûres , coupures , contusions , compressions , distensions , déchiremens , brûlures , cautérisations , etc. , et tout cela dans des degrés très- divers , et avec des agens différens : que, d’autre part, l’on se représente de même toutes les modifications mor bides que peuvent éprouver les organes , toutes les nuan ces d'irritations, d'inflammations : et qu’enfin on appli- que successivement chacune de ces causes dolorifiques , tant externes qu’internes , à chacun des nombreux or- ganes du corps , car chacun y répond à sa manière ; et alors on verra que les douleurs que l’homme peut éprou.. ver sont réellement innombrables. Aussi, toutes les énumérations de douleurs qu'ont faites les auteurs sont incomplètes. Les Anciens , n'ayant égard qu'au caractère sensible de la douleur, enreconnaissaient de quatre espèces , la gravative ou de pression , la tensive ou de distension, la pulsat ive où lancinante , et la pungitive ou mordicante et téré- brante ou de percement. Quiconque a éprouvé ces dou- leurs comprend le sens de chacun de Ces mots. Dans leur système humoral , ils rapportaient chacune de ces dou- leurs à chacune des quatre humeurs du corps , la dou- leur gravative à la pituite, la tensive aux esprits ani- maux , la pulsative au sang , et la pungitive à la bile et à l'atrabile. Mais cela est évidemment incomplet, Encore une fois , les douleurs varient, et par la cause qui pro- roque l'impression, et par l'organe qui la développe. Sous le premier rapport, chaque cause développe une impression spéciale ; une coupure et une brûlure , par exemple, produisent dans un même organe des dou- leurs différentes : il en est de même de deux affections Le 09 514 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. morbides diverses. Sous le second rapport, chaque or- gane a sa sensibilité propre , développe sa douleur pro- pre, et cela en raison de sa structure nerveuse spé- ciale : les Modernes ont surtout eu égard à cetie consi- dération qu’avaient négligée les Anciens ; une coupure n’est pas également et semblablement douloureuse dans tous les organes ; la douleur de l’inflammation diffère éga- lement en chaque tissu. Il y a donc des milliers de dou- leurs ; beaucoup ont recu des noms particuliers ; on distingue des névralgies , des odontalgies , dela cuisson , des brûlures, des lassitudes , des douleurs contusives , rhumatismales , goutteuses ,ostéocopes , des crampes, etc. La langue pourrait ajouter encore à leur nombre en donnant à chaque nuance une dénomination spéciale. Toutes ces douleurs , bien qu’elles constituent des phénomènes qui sont hors de l’ordre de la santé, et! qu’elles semblent être des orages dans la vie, n’en rem- plissent pas moins les offices de la sensibilité , et sont des avertissemens salutaires pour notre conservation. Accusant un désordre dans notre économie, aussitôt qu'il se fait, sans “elles nous pourrions être détruits, avant que de nous en apercevoir. Nous verrons qu’on peut leur appliquer toutes les considérations dont sont susceptibles toutes les sensations en général, c’est-à-dire qu'elles entraineront à leur suite un certain nombre de phénomènes expressifs, et pourront exercer des stimu- lations générales et des dérivations. Elles peuvent pré- senter mille degrés de vivacité. Ici, nous achevons l'étude des sensations proprement dites. On voit que ces sensations sont réellement in- nombrables : chaque sens externe , en effet, est sus- ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 518 ceptible d’une infinité d’impressions diverses ; il y a . des milliers d’odeurs, de saveurs, de sons, de cou- leurs, ete. Chaque sensation interne offre aussi mille degrés, depuis celui où elle réclame avec le plus de force l'établissement du rapport qu'elle commande, jusqu’à celui où elle accuse à l'égard de ce rapport de la satiété. Enfin , nous venons de voir que par l’état de maladie , beaucoup de douleurs pouvaient éclater en nous. Arri- vons au second genre d'actes qui appartiennent à la sensi- bilité. ARTICLE Il. Des l'acultés intellectuelles et affectives, ou de la Psycologie de l'Homme. Ces facultés constituent ce qu’on appelle le moral de l’homme, les facultés de son esprit et de son cœur ; c’est-à-dire, d’une part, les facultés par lesquelles nous nous faisons les diverses idées sous lesquelles nous nous représentons toutes choses ; et, d'autre part, tous les sentimens divers qui fondent nos affections , nos passions. Ce sont elles qui assurent à l’homme sa prééminence sur les autres animaux. Certainement elles se rattachent à la sensibilité; car, d’un côté, les phénomènes qu’elles produisent sont aussi des actes dont on à perception; et, de l’autre , ces phénomènes ont le même but, celui de commander notre conduite extérieure dans la vue de. notre conservation, et de l’accomplissement du rôle auquel la nature nous a destinés. Les sensations dont nous avons tracé l’histoire ne suflisaient pas en effet pour cela. D’une part, les sens externes seuls ne nous auraient pas fait connaître l’univers ; en eux-mêmes, ils n’accusent qu’une modification du moi; et nous avons 33* 516 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. annoncé qu’il y avait au-dessus d’eux d’autres facultés plus élévées , celles de l'esprit, qui déduisaient de leurs impressions les idées sous lesquelles on se représente les corps. D’autre part , les sensations internes que nous avons signalées n’avaient trait qu'à la conservation physique et matérielle de l’homme; et cet être en pos- sède d’autres , d’un ordre plus élevé, et destinées sur- tout à permettre et à diriger sa vie sociale , savoir, les facultés affectives. C’est de l étude des unes et des autres de ces actions que nous allons nous occuper maintenant, On a appelé leur ensemble psycologie, parce qu’on les a regardées comme les opérations de l’âme elle- même. Ïl semblerait que, pour suivre dans l'étude de ces actions le même ordre que dans celle des sensations, nous devrions exposer d’abord la structure de l’organe qui en est l'instrument , et ensuite décrire ce qu’on sait du jeu de cet organe. Mais on a cru long-temps que ces actes étaient pour leur production indépendans de tout organe, et le produit exclusif de l’âme. Ensuite , quand on eut reconnu la fausseté de cette première proposi- tion , on fut en débat sur l'organe du corps qui est l’ins- trument de ces belles facultés, et en fonde l'appareil organique. Ges discussions nous obligent à nous expli- quer sur ces deux premières questions; et à cause de cela l’histoire de la fonction morale comprendra quatre paragraphes ; 1°un premier dans lequel on prouvera que les actes qui la constituent, réclament, comme tous autres actes de l’économie , pour être produits, l’intervention d’un organe ; 2° un second, dans lequel on spéciliera quel est l'organe qui est ainsi l'instrument du moral, et qu’on verra être le cerveau ; 5° un troisième, dans lequel on fera la description anatomique du cerveau; 4° enfin, ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. p1 7 un dernier dans lequel on traitera du mécanisme de son action, c'est-à-dire, de la partie physiologique de Ja fonction. $. 1°. Les Actes intellectuels et moraux dépendent de l'Organisation. Les actes intellectuels et moraux furent d’abord con : sidérés comme le produit exclusif du plus noble des deux principes qui composentnotre être, de l'âme , et furent jugés ne dépendre en rien du corps. :G’est même pour eela qu'on appela métaphysiciens les savans qui faisaient de ces actes l’objet unique de leur étude ; voulant ex- primer par ce mot qu'ils s’avançaient dans leurs consi- dérations au-delà de ce qu'il y a de physique et de sai- sissable par les sens. Maisbientôt on reconnut la fausseté de cette opinion; et l’on est sûr aujourd’hui que ces actes ont en outre dans le corps, un organe affecté à leur production. Sans cela même , leur histoire ne serait pas du ressort de la physiologie. Voiciles considérations sur lesquelles on appuie cetie première assertion. 1° Si les actes intellectuels et moraux étaient pro duits sans l’aide d’instrumens matériels , ils feraient seuls exception à tous les autres phénomènes de l’économie. Pour les sensations qui ne sont pas des phénomènes moins merveilleux, n’avons-nous pas vu la nécessité d’or- ganes particuliers ? 2° À juger d’après notre sentiment intime, c'est à quelques parties de notre corpigue nous rapportons le siége de ces facultés. N'est-ce pas à la tête que sontsentis les efforts de la méditation ? et à Ja région du cœur que sont sentis les principaux effets des passions ? 5° Les facultés intellectuelles et affectives. diffèrent 518 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. toujours dans chaque individu : chacun a des qualités particulières d’esprit et de cœur; l’un est musicien, l’autre est poète; tels sont compatissans , tels autres cruels. Or, si ces facultés sont le produit exclusif de l’âme; si l’organisation n’y a aucune part , et par con- séquent ne peut contenir la cause de ces différences, il faut admettre que chaque individu à une âme difié- rente ; que l’Être suprême a donné à chacun des âmes diverses. Il faut en dire autant des variétés psycolo- giques des sexes ; certainement les dispositions intel- lectuelles et aflectives de la femme diffèrent un peu de celles de l’homme ; y a-t:il une diversité de nature dans les âmes de l’un et de l’autre ? 4° Dans un même individu , la psycologie varie selon les âges, l’état de santé et de maladie , l’état de veille et de sommeil. On sait que l'enfant qui vient de naître est inapte à penser comme à marcher; que ce n’est que graduellement qu'il acquiert toutes ses facultés morales ; que bientôt après l’époque où l'homme possède ces fa- cultés dans toute leur plénitude, elles décroissent; et qu'enfin elles s’affaiblissent à mesure qu’on avance dans la vieillesse. Les moralistes ont toujours remarqué que chaque âge a sa psycologie propre. De même, qui n’a observé sur soi-même, que les actes intellectuels et moraux sont tour à tour plus faciles , ou moins libres que, par exemple, il est des momens où l'esprit est plein de sagacité, le cœur de bienveillance ; et qu’il en : est d’autres , au contraige , où cet esprit se refuse à tout | travail, et où notre humeur ést disposée à s’irriter de | tout? Certainement le moral offre les mêmes alternatives | d'activité et de langueur que les autres fonctions du | corps, que la digestion et la locomotion. D'ailleurs , ACTÉS INTELLECTUELS ET MORAUX. 919 ce moral est soumis comme toutes les autres fonctions de relation à une intermittence d'action ; xl suit les lois de la succession du sommeil et de la veille, etse suspend dans le premier de ces états. Comme ces fonctions , ik ne peut s'exercer d’une manière continue ; après quelque temps d'exercice, il se fatigue , et a besoin de se refaire par le repos. Enfin , la pratique de la médecine fait voir que dans les maladies ce moral est souvent altéré , soit d’une manière momentanée, ce qui constitue le délire, soit d’une manière plus durable, ce qui constitue la folie, la manie. Or , tous ces faits sont imexplicables dans l’hypothèse que le moral est le produit exclusif de Fâme. Itfaudrait , en effet, admetire que l’âme , qui est un principe spiri- tuel , et par conséquent immuable de sa nature, puisse changer , se modifier : peut-on dire , par exemple , qu’elle est susceptible de croître, de grandir , de vieillir ? quelle peut se montrer souvent différente d’elle-même ? être tantôt bien, tantôt mal disposée ? être éveillée, être endormie ? peut-on supposer qu’elle soit tour à tour fa- tiguée ou reposée , saine ou malade ? au contraire, on verra que l’organisation en général, et la disposition du cerveau en particulier , seront différentes dans chacune de ces circonstances. 5° Il est d'observation que le moral de Fhomme et des animaux se modifie assez promptement et assez pro- fondément par des influences matérielles , le régime , le climat , les institutions, etc. Certains alimens , certaines boissons engourdissent les facultés de l'esprit ; d’autres , au contraire , éveillent la pensée, irritent les passions. Qui pourrait contester au café la qualité excitante qui l'a fait nommer la liqueur intellectuelle par excel- 520 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. lence ? De même le moral varie selon les climats : l’homme du nord n’a ni les mêmes qualités industrielles , ni les mêmes passions que l’homme du midi; les facultés, au moins, ne sont pas dans l’un et dans l’autre au même degré de développement ; le moral de chacun varie comme leurs autres fonctions , comme les différens traits de leur organisation , leurs cheveux, leur figure. Nous avons déjà parlé des variations qui surviennent dans le moral par l’état de maladie; il est modifié par toutes les modifications organiques qu’éprouve l’homme , même les plus légères , les hémorrhoïdes, les menstrues, la grossesse, l’exercice d’une autre fonction, de la diges- tion , par exemple; il l’est surtout par les tempéra- mens. Enfin, quelle grande influence exercée sur lui par les institutions, les gouvernemens, par ce qu'on appelle l'éducation, prise dans son acception la plus vaste, et appliquée à l’homme adulte aussi bien qu'à l’homme enfant? Quelle immense distance entre le mo- ral de l’homme sauvage, vivant presque isolé, abandon- né au développement spontané de ses propres moyens, et détourné de la culture de son esprit par la nécessité de subvenir à ses besoins physiques ; et celui de l'homme riche d’une de nos sociétés civilisées, qui est soumis aux artifices par lesquels nous déterminons le dévelop- pement le plus absolu et le plus complet de toutes nos facultés, et qui est mis à même d’en étendre à l'infini l's combinaisons ? Certainement toutes ces puissances qui modifient le moral sont matérielles. Cela est évident pour le régime employé, ou comme aliment, ou comme médicament. Cela l’est de même du climat, qui s'entend des influences qu'exercent sur l’homme la constitution atmosphérique, ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 21 la température , le sol. Il en est de même encore de la modification imprimée au moral par l’état de maladie, la manière d’être d’un organe quelconque du corps, par le tempérament; il n’y a encore là qu’une de ces réac- tions matérielles par lesquelles les organes du corps se modifient’si fréquemment et si facilement les uns Îles autres. Enfin, cela est aussi de la puissance des insti- tutions et de l’éducation; car tous leurs effets, comme nous le verrons , rentrent dans ceux de l'exercice et des habitudes. Or, comment concevoir encore ces faits avec l’idée que le moral est le produit exclusif de l’âme ? quelle prise des influences matérielles peuvent-elles avoir sur un principe spirituel ? I] faudrait admettre que cette âme peut être stimulée par un aliment, modifiée par un médicament ; que les réactions sympathiques des divers organes peu- vent retentir jusqu’à elle; qu’elle est passible de l’édu- cation , etc. ; et toutes ces choses impliquent contradic- tion. 6° Enfin, de toute évidence , les animaux ont aussi des actes intellectuels et moraux, et chaque espèce a sa psycologie propre. Or, toutes les difficultés que nous avons accusées pour l’homme se représentent pour eux. D'abord, il faudra admettre l'existence d’âmes dans les animaux. Ensuite, comme chaque espèce animale à sa psycologie propre , il faudra établir que chacune aussi a son espèce d’âme particulière. Enfin, comme le moral de chaque animal varie également selon son âge, son état de santé ou de maladie , de veille ou de sommeil; comme ce moral peut être modifié en lui par l’aiiment dont il use, le climat qu’il habite, l'éducation à laquelle on le soum?t, etc., on est dans la même impossibilité d’exphi- 22 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. quer tous ces faits par l’intermède de l'âme seule; et il faut en conclure aussi que toutes ces varialions on£ leur cause dans l’organisation. Ainsi, puisque les autres phénomènes sensoriaux , pour être produits, réclament Faction d’un organe: puisque notre sentiment intime nous fait rapporter à quelques parties de notre corps le siége des actes intel- lectuels et moraux : puisque surtout le moral varie, et par des changemens survenus dans le corps lui-même , et par des influences venant du dehors, bien qué l’âme, qu'on en disait agent exclusif, soit de sa nature im- muable et inapte à être impressionnée par tout agent matériel : il faut conclure que ce moral n’est pas le pro- duit exclusif de lâme , mais que celle-ci ne l’engendre que par l’intermède d’un organe. Remarquons d’ailleurs, que puisque l’âme est destinée à gouverner le corps, à commander sa conduite , il fallait bien qu’elle eût un lien avec lui pour lui imprimer ses volontés. Du reste, celte proposition va être confirmée par les faits directs qui vont faire spécifier quel est Forgane du moral. $. IL. ZL’Orsgane du moral est le Cerveau. Les actions intellectuelles et affectives étant des phé- nomènes de sensibilité , la seule analogie devait en faire chercher le siége dans un organe nerveux; et, effecti- vement , une grande masse de faits et de considérations , prouve que leur organe propre est la masse nerveuse renfermée dans le crâne , le cerveau. 1° Notresentiment intime nous fait rapporter à la tête, partie du corps où siége le cerveau, le lieu où se pro- duisent la plupart de nos actes intellectuels et moraux : c’est là qu’on rapporte Les efforts de l’entendement , la ACTÉS INTELLECTUELS ET MORAUX. 523 fatigue qui suit un emploi trop prolongé des facultés de l'esprit. °° L'intégrité du cerveau est nécéssairé à la produc- tion du moral. Get organe est-il altéré d’une manière directe ou sympathique ? ou il n’y a plus de moral, ou les opérations qui le constituent sont perverties. De nom- breuses observations de maladies, des expériences sur les animaux , ont mille fois prouvé cette proposition. On sait, par exemple , que lorsque dans les plaies de tête le cerveau est lésé , jeté dans la stupeur par la com- motion, il y a aussitôt suspension ou perversion des facultés morales. Il en est de même si, dans les frac- tures du crâne, une esquille osseuse comprime le cer- veau; l'effet est alors d’autant moins douteux, qu’en faisant cesser la compression par l’opération du trépan, on fait renaître l’exercice des facultés morales. M. le professeur Richerand eïte, à cet égard , l'observation d’une femme qui , à la suite d’un de ces accidens , avait une portion du cerveau à nu : on expérimenta jusqu’à trois fois sur cette femme, qu’en exercant une pression sur son cerveau, on la privait tout à coup de toute con- science d'elle-même, tandis que, au contraire, on lui rendait ses facultés en faisant cesser la pression. Ces faits sont si convaineans, qu'ils avaient forcé les métaphysiciens exclusivement spiritualistes à placer dans le cerveau, ou dans quelques-unes de ses parties, le siége de l’âme. C'était là, en quelque sorte, l’aveu tacite de la dépendance où sont d’un organe les actes moraux. Mais spécifier le siége de l'âme, c’est indiquer le lien qui l’unit au corps : et qui peut espérer connai- tre jamais ce lien ? On a bien, à la vérité, cité quelques faits dans les- 524 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. quels il y aurait eu lésion mattrielle du cerveau, sans suppression ni perversion des facultés morales ; mais ces faits, comme on va le voir, ou étaient faux, ou étaient mal observés. L’on a dit que, dans des hernies du cerveau, on avait coupé quelques parties de la sur- face de l'organe sans nuire aux facultés. On a parlé de faits dans lesquels le cerveau était tout réduit en pus. Mais , dans le premier cas, d’abord, comme les fibres du cerveau sont verticales, on n’a enlevé que leurs extré- mités dernières; et peut-être alors restait-il assez de ces fibres pour exécuter la fonction? ensuite, a-t-on observé assez attentivement, pour assurer que toutes les facultés étaient conservées ? On peut en dire autant du second cas : à coup sûr, ou l’on a mal observé la source du pus, qui ne provenait pas du cerveau , ou l’on n’a pas remarqué les modifications qui étaient survenues dans le moral. Et’, en effet, pourquoi , dans les plaies de tête, la moindre altératiôn organique suspendrait-elle toutes les facultés? En admettant la réalité de tels faits, qui bien plus probablement ont été mal observés, on pour- rait même les expliquer encore par la duplicité du cer- veau. Îl y a , en eflet, comme deux cerveaux , et peut- être qu'un des hémisphères continue son service, bien que l’autre soit altéré, comme on voit l’un des yeux continuer d'agir, quoique l’autre soit malade. MM. Gall et Spurzheim nous paraissent fort judicieux en cette question , lorsqu'ils établissent que jusqu’à présent on n’a pu juger qu'imparfaitement des aliérations du cer veau et de celles du moral. Pour juger des premières il fallait, en effet , bien connaître la structure du cer- veau , avoir égard à ses parties paires , au trajet que par- courent ses diverses fibres, aux fonctions particulières ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 029 accomplies par ses diverses dépendances; et c’étaient autant de points sur lesquels on n'avait pas, et sur les- quels on a à peine encore aujourd’hui quelques notions. D'autre part, les perversions du moral sontis@uvent dif- ficiles à constater ; souvent la limite entre la raison et la folie est diflicile à poser ; et, le plus souvent, dans les observations dont on argue , on n’a fait attention qu'aux qualités les plus générales : dès qu’on voyait le malade accepter les alimens, les médicamens qu’on lui présen- tait, répondre aux questions qu’on lui faisait, avoir la conscience de lui-même , on assurait que son moral était libre et sain ; qui ne sent combien un tel examen était insuffisant ? On a surtout cité l'exemple d'hydrocéphales qui avaient conservé les facultés de leur esprit. Les fastes de la science en présentent , en effet , quelques observations, Mais d’abord , il en est un bien plus grand nombre dans lesquelles les facultés sont perdues , ou au moins altérées, affaiblies. Ensuite M. Gall explique ces faits rares, en éta- blissant que dans l’hydrocéphale le cerveau n’est pas dissous dans le fluide de l’hydropisie , comme on l’a dit, mais qu'il est seulement déplissé, distendu par la pré- sence de ce fluide ; et, comme cette distension s’est faite avec beaucoup de lenteur et par une douce pression, l'organe peut s’y être habitué au point de pouvoir con- tinuer son service. On a parlé d'observations d’animaux dont les cer- veaux , disait-on , étaient en entier ossifiés, et qui avaient néanmoins conservé leurs facultés morales. Du verney le premier présenta à l'Académie des sciences : un de ces cerveaux ossifiés pris sur un bœuf , qui avait conservé ses facultés jusqu’à sa mort ; et , depuis, plu- 526 FONCTION DÉ LA SENSIBILITÉ. sieurs exemples semblables ont été observés. On disait avoir reconnu à l’extérieur de ces cerveaux, des traces de la faux , des circonvolutions , des vestiges de la membrane arachnoïdes et dans leur intérieur , après les avoir sciés, l'indice des deux substances grise et blanche , celui du centre ovale. Mais, dans le temps , ’alisnert réfuta Duverney, et prouva à cet anatomiste que ce qu’il avait pris pour le cerveau ossifié n’était qu’une exostose qui s'était développée à la surface interne du érâne ; Haller ensuite professa la même opinion ; et aujour- d’hui, c’est celle de tous les médecins. Comme l’exos- tose ne se développe qu'avec beaucoup de lenteur , qu’elle ne comprime que progressivement le cerveau , et que surtout le crâne s'agrandit toujours en même temps pour lui fournir un espace , ce qui en affranchit d'autant le cerveau , on peut concevoir pourquoi les fa- cultés se sont qmeiois conservées; mais encore , le plus souvent , cela n'arrive pas , et ; bœuf est dans un hébêtement absolu. Enfin , on a argué d’expériences de Duverney, qui dit avoir enlevé à des pigeons le ceryeau tout entier , sans qu’il en soit résulté aucune altération dans leurs facultés. Mais , ou l’expérience est fausse, ou Duverney n’avait enlevé que les couches superficielles de l'organe. Toutes les fois qu’on a répété l'expérience en pénétrant jusqu'aux parties profondes , elle a donné des résultats opposés. Ainsi, on peut assurer que l'intégrité du cerveau est nécessaire pour la production complète des actes in- tellectuels et moraux , et que les lésions de cet or- ganeentraînent une suppression ou une perversion de ces actes. ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 527 5° Tandis que toute altération du cerveau modifie le moral comme on vient de le dire, l’altération de toute autre partie du corps , même des parties principales , de la moelle épinière, par exemple , souvent le laisse intact. C’est ce que l'observation desmaladies a fait voir mille fois. Dans les affections mortelles du cœur , du poumon , de l’estomac, des différens viscères abdomi- naux , très-souvent le malade conserve ses esprits, et assiste à sa propre destruction. Si d’autres fois le con- traire arrive, et qu'il survienne du délire , cela s’ex- plique par les réactions sympathiques des organes lésés sur le cerveau; et cet organe élant alors modifié, il est naturel que le moral le soit aussi. 4° Nous avons dit que le moral différait un peu dans chaque individu , et qu'il avait surtout un caractère dif- férent dans chaque sexe. Or , le cerveau aussi estun peu différent dans ces divers cas. Si chaque homme, par exemple, a une portée d'esprit différente, c’est que cha- que homme a un cerveau plus ou moins heureusement organisé. Un homme est-il idiot, imbécile ? générale- ment on trouve dans cet homme le cerveau trop petit, imparfait, non développé; au lieu de 19 à 22 pouces de circonférence qu'a le cerveau d’un homme adulte et sain, celui d’un homme idiot n’a que 13 pouces de cir- conférence , et égale à peine en volume le cerveau d’un enfant d’un an; cela varie du reste selon le degré de l'idiotie. Un homme , au contraire , a-t-il un grand es- prit, des facultés morales saillantes ? généralement le cerveau est volumineux , et a tout son développement. IL est d'observation que les grands génies ont généra- lement de grandes têtes, ou au moins de grands fronts, ce qui dénote un grand développement des parties su- 528 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. périeures et antérieures du cerveau, que nous verrons être celles auxquelles on rapporte les plus belles facul- * tés intellectuelles. Cette organisation se remarque dans les têtes des grands hommes , des philosophes; et, par ‘suite, les artistes l'ont appliquée, dans les statues , aux têtes des dieux. Les statuaires grecs ensevelirent sous un casque la tête de Périclès, dont les Athéniens rail- Jaient la grosseur. C’est à raison de ce rapport entre le volume de l’organe et lénergie des facultés , que lon dit, en parlant des génies, qu’ils sont de grandes et de fortes têtes. Peut-être nous opposera-t-on le proverbe : Grosse tête, grosse bête : mais d’abord les proverbes , quoiqu’on les appelle la sagesse des nations, sont souvent menteurs , et des généralisations forcées d’un trop petit nombre de faits ; ensuite, la tête peut être grosse, sans que le cerveau le soit, et seulement parce que la face est énorme ; enfin, le cerveau peut être très -gros , mais manquer de ton , d'irritabilité , autre élément d’où ré- sulte son degré d'activité. À la vérité, nos connaissances actuelles ne suflisent pas, pour nous faire signaler les différences que présente le cerveau , coïncidemment à chacune des variétés d’es- prit et de cœur que présentent les hommes ; si cela était, nous aurions approfondi la physiologie intellectuelle , qui est à peine encore ébauchée ; mais la raison nous dit que ces différences doivent exister. D'ailleurs , som- mes - nous plus avancés pour les autres fonctions ? Sans doute on est sûr que les différences que présentent les hommes dans le choix de leurs alimens tiennent à une condition particulière de leur estomac : et peut-on dire | en quoi consiste celte condition ? Ceci s'applique aux différences morales des sexes. Le ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 229 cerveau n’est pas tout-à-fait le même dans l’homme et dans la femme : les anatomistes et les artistes ont re- connu que les parties supérieures et antérieures de For- gane sont moins développées chez la femme, qui a le front plus petit, el qu'au contraire , les parties posté- rieures sont plus grosses chez elle. Or , on verra que c'est aux parties supérieures et antérieures du cerveau qu’on rapporte spécialement l'intellect , et aux parties postérieures qu’on attribue les affections. Cette diversité du cerveau dans les sexes , ne doit pas plus élonner qu'une différence en d’autres appareils ; homme et la femme ne diffèrent pas seulement l'un de l’autre par les organes génilaux , mais encore par des modifications dans les ap- pareils qui leur soni communs. 5° Si le moral varie dans un même individu selon son âge, l’état de veille ou de sommeil , de santé ou de ma- ladie , c'est que le cerveau est lui-même différent dans chacun de ces états. Ainsi, dans les premiers temps de la vie, le cerveau n’est encore qu’une simple masse pul- peuse. À la naissance, époque de la vie où le moral est nul, à peine peut-on y distinguer encore quelques traces des appareils destinés à le perfectionner et à le renforcer. À partir de cet âge, ses fibres se développerit graduellement , d’abord dans ses lobes postérieurs et moyens, ensuite dans ses lobes antérieurs et le cerve- let. Il faut ainsi plusieurs mois après la naissance , pour que se montrent avec évidence les parties supérieures et antérieures de l'organe , qui sont chargées des facultés les plus belles ; il s'accroît de cette manière jusqu’à qua. rante ans. Enfin, au-delà de cette époque , de mêrie qu’on a vu le moral aller en s’affaiblissant de plus en plus jusqu'à l'extrême vieillesse, de même on voit le re 84 530 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. cerveau se flétrir, se rapetisser , ses circonvolutions se rapprocher. On voit donc marcher de pair les facultés et leur organe. Ce rapport entre l'état des facultés et l’état du cerveau s'étend même à toutes les variations que peut présenter le moral dans son accroissement et son décroissement. Ainsi, que dans l'enfance le moral soit précoce , comme cela s’observe si fréquemment chez les enfans rachitiques ? c’est que le cerveau s’est développé plus rapidement , ou a plus d’excitabilité. Le moral, au contraire, est-il retardé ? c’est que le cer- veau n’est pas développé, ou que sa flaccidité contraste avec le ton qu’il avait dans le cas précédent. Souvent un enfant qui était précoce, devient tout à coup plus que médiocre , et ne réalise pas les espérances qu'il avait données ; c’est que son cerveau, épuisé par un dévelop- pement trop hâtif, est tombé en langueur. D’autres fois , un enfant médiocre jusqu’à l’âge de quinze ans , développe alors des facultés brillantes que rien n’avait fait présager ; c’est que le cerveau , sollicité par la pu- berté , est sorti tout à coup de son apathie. Nous avons dit que le moral était suspendu dans le sommeil; mais quand noustraiterons de ce phénomène, pous verrons que problablement il a son siége dans le cerveau , et qu’il consiste , ou dans une action particu- lière de cet organe, ou dans son repos absolu. Enfin , jamais il n’y a une altération quelconque du moral, délire, ou manie, sans qu’il n’y ait coïnci- demment une altération directe ou sympathique du cerveau. Ainsi, y at-il délire? ou bien , il y a lésion directe du cerveau , parce que lui-même est le siége de la maladie, comme dans les inflammations de cet organe , les fièvres cérébrales ; ou bien il est lésé sym- ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 531 pathiquement , quand la maladie siége en un autre organe. Dans le premier cas , l’allération du cerveau tombe sous les sens. Dans le second, cette altéra- tion quelquefois n’est pas apercue. Nous en dirons au- tant de la manie. D'abord, le plus souvent cette ma- ladie succède à des causes qui agissent directement sur le cerveau , soit physiquement , soit moralement ; comme quand elle résulte de la répercussion d’une hu- meur dartreuse sur la tête , ou de la continuité d’une affection morale. Ensuite, les effets de la manie portent tellement sur le cerveau, que toujours on trouve cet organe affecté après la mort, même quand il n’avait été influencé que sympathiquement. Enfin , faut-il s’éton- ner, si souvent la folie n’est produite que sympathique- ment, par la réaction d’un autre organe sur le cerveau ? Le cerveau n'est-il pas un des organes les plus impor- tans, entretenant de nombreuses connexions avec tout le reste du corps, particulièrement avec les systèmes nerveux divers qui régissent chacune des fonctions ? et, à ce titre, ne doit-il pas recevoir avec toute facilité les influences des états divers dans lesquels ces fonctions peuvent se trouver ? Ce dernier fait met à même d’expliquer pourquoi le moral offre les mêmes alternatives de langueur et d’ac- tüivité que les autres fonctions , et pourquoi il est modi- - fié par les tempéramens. Ainsi, notre esprit n’a pas sa facilité ordinaire , soit parce que le cerveau fatigué de ses efforts antérieurs ne s’est pas assez reposé , n’a pas joui d’un sommeil assez profond; soit parce qu'il est troublé par quelques irritations qui lui arrivent sympa- thiquement du reste de l’économie , où qui même se développent en lui par suite des oscillations inévitables 34" & 532 FONCTION DE LA SENSIBHATÉ. de la vie. De même, les tempéramens qui s'entendent des réactions respectives que les divers organes d’un même individu exercent ‘es uns sur les autres, nous montrent le cerveau sans cesse rallenti ou pressé dans son travail, par les réactions qu’exercent sur lui les au- tres organes du corps ; et même ces réactions ne sont sur aucun autre organe plus marquées que sur Jui, à cause de ses connexions erganiques étroites avec toute l'économie. Les faits sont ici tout à la fois si évidens , si multipliés et si complexes , que nous ne pouvons qu’en exprimer Ja généralité. Nous pourrions en accumuler un grand nombre , qui tous montreraient des .altéra- tions directes ou sympathiques du cerveau , suivies de modifications morales. Le P. Mabillon, par exemple , paraît long-temps devoir être imbécile ; mais une bles. sure accidentelle qu’il recoit à la tête , détermine le développement, ou mieux l’excitabilité de son cerveau ; et de ce moment , il devient un homme supérieur. Un idiot est blessé à la tête , et tout à coup son intelligence se manifeste; mais elle ne se conserve que le temps que dure la plaie, et que cette plaie tient le cerveau en irri- tation (/{aller }. Quel médecin adonné à l’observation des aliénations mentales , n’a vu souvent des fous, dont la manie était périodique , manifester pendant l'accès des talens de poésie , de musique , qui aupa- ravant leur étaient étrangers , et qu’ils perdaient au retour de leur raison? Nous avons des phénomènes ana- logues , mais seulement moins prononcés , dans les bi- zarreries morales que présentent souvent les femmes à l’époque des règles , et surtout de la grossesse. « On a objecté que souvent dans les délires et les ma-: nies, on ne paraissait trouver aucune altération dans le ER ee — ” ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX, 539 cerveau. Mais, d’abord, c’est qu'on cherchait généra- Jement ce qu'on ne pouvait trouver ; ensuite pouvons- nous tout voir, et devons-nous nier tout ce qu’on ne voit pas? 6° La facilité avec laquelfe nous concevons comment les puissances matérielles du régime, du climat, des institutions, de Féducation, modifient le moral, est aussi un argument à faire valoir en faveur de notre pro- position, d'autant plus que souvent leurs. effets sur le cerveau sont appréciables. En effet, le cerveau étant un organe, doit êlre accessible comme tout autre à ces mfluences : selon le régime, par exemple, il sera bien ou mal nourri, il recevra des principes stimalans ow sédatifs, et par suite le moral sera actif ou languissant. Ne sent-on pas dans la tête l'influence doucement exci- tante du café et du vin? Ge cerveau pourra présenter quelques différences dans sa structure chez les divers hommes, selon les chmats qu’ils habitent; et ainsi s’ex- pliqueront les différences nationales des peuples. Quant aux effets des. institutions, de l’éducation, le cerveau éprouvera, comme toué autre organe, les effets de l’exer- cice : cultivé, il prendra matériellement plus de voluñe, et acquerra plus de prestesse dans son jeu: trop exercé, ä s’épuisera; laissé dans l’inaction, il se rouillera, ou am moins , n'attemdra pas. tout son développement. Seule- ment , comme l'organe est ici le plus nerveux possible , les effets de l'exercice se verront toujours mieux en ce qui est de la fonction qu’en ce qui est de l'instrument, 7° Si les animaux ont tous une psycologie, et si cha- que espèce a la sienne propre , tous {es animaux aussi -ont un cerveau; et, dans chaque espèce, ce cerveau a wae structure spéciale : plus ces animaux présentent une 534 FONCTION DE LA SENSIDILITÉ. sphère morale étendue, plus leur cerveau est gros et com- pliqué. Ajoutons qu'on peut répéter, pour les animaux, tous les faits qui, dans l’homme, prouvent que le cer- veau est l'organe du moral; et, ces faits conduisant à la même conclusion , nécessairement en augmentent la force. 8° Enfin, le cerveau est un organe nerveux; il est même l'organe le plus nerveux, puisque l’élément ner- veux le forme presqu’à lui seul; il doit donc être un or- gane de sensation , et même des sensations qui Le soient le plus , si on peut parler ainsi. Or, les actes intellec- tuels et moraux ne sont-ils pas les phénomènes les plus élevés de la sensibilité? Si, d’ailleurs , la fonction qu’on assigne au cerveau n’était pas la sienne , quel serait donc son office? À coup sûr, il ne sert pas prochainement aux fonctions de la vie nutritive; cela est prouvé par le fait des acéphales, des maniaques , par celui du som- meil, et des mutilations que, dans des expériences , on lui a fait subir. On a vu beaucoup d’acénhales naître à terme, et conséquemment leur développement avait continué de se faire, bien que le cerveau fût détruit ; beaucoup de maniaques ont physiquement la santé la plus belle ; pendant le sommeil, qui suspend tout travail du cerveau, les fonctions nutritives continuent comme à l'ordinaire; enfin, dans des expériences, on a fait subir des mutilations au cerveau , sans que les fonctions nutrilives aient été a:térées. C’est donc dans un autre but que le cerveau existe : dirons-nous ,avec des Anciens, qu'il est une éponge destinée à attirer toute l'humidité du corps; qu'il est un corps humide, qui sert à tempé- rer la chaleur du corps ? en même temps que ce sont- là des hypothèses inadmissibles , expliquent-elles pour- ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 599 quoi ce cerveau offre tant de variélés dans la série des animaux, et pourquoi ik est plus gros et plus compliqué dans l’homme qu’en tout autre animal ? Concluons donc que le moral, comme toute autre fonction , a, dans l’économie, un organe affecté à sa production , et que cet organe est le cerveau. Cependant quelques médecins, tout en admettant que le cerveau est l'organe de l’intellect et du moral, ont émis quelques propositions , desquelles il résulterait que d’autres parties du corps partageraient avec lui ce noble office. Par exemple, on a voulu rapporter à chacun des tempéramens connus autant de dispositions morales et intellectuelles particulières. On a établi que, si évidem- ment le cerveau est l’organe de l’intellect, ce n’est pas en Jui , mais bien dans les organes de la vie intérieure que se produisent les facultés affectives. Enfin , quelques-uns n’ont considéré le cerveau que comme un centre destiné à élaborer des impressions diverses qui lui arrivent: et, dès lors, regardant ces impressions comme les maté- riaux nécessaires du moral, ils ont mis les organes qui fournissent ces impressions , les sens , par exemple, au rang des agens directs de cette importante fonction, tout aussi bien que le cerveau qui, par son travail , les convertit en résultats intellectuels. C’est par la discus- sion de ces trois propositions, que nous allons terminer . ce paragraphe. D'abord , pour ce qui est des tempéramens , pres- que tous les philosophes ont rattaché à chacun des tem- péramens connus une physionomie morale particulière. Le sanguin, a-t-on dit, a la conception facile, la mé- moire fidèle , l'imagination vive; enclin aux plaisirs, il est généralement bon, mais inconstant et mobile. Le 536 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. bilieux, au contraire, est emporté, violent, ambitieux, et surtout a une volonté opiniâtre. Le lymphatique a les passions faibles, l'imagination froide , un penchant marqué à la paresse, etc. On peut lire, comme modèle a cet égard, la description donnée par Cabanis des quatre principaux tempéramens , dans le premier Mé- noire de son ouvrage , Rapports du physique et du mo- ral de lhomme. Or, tout cela est défectueux. Sans doute les tempéramens influent sur les facultés intel- lectuelles et affectives, mais co n’est que par la même raison qui les fait modifier toutes les autres fonctions; ils leur impriment seulement, comme aux autres fonc- tions, un Caractère d'activité où de langueur , selon le genre de réaction que les organes qui les fondent per leur prédominance ou leur infériorité, exercent sur le cerveau. Ïls sont bien ainsi un des liens qui rat- tachent le moral au physique, pour parler le langage des gens du monde; mais ils ne fondent pas pour cela une des conditions organiques desquelles dépend celui- ci. On peut assurer que c’est une erreur, que, de rat- tacher telle faculté intellectuelle ou affective déter winée, à tel tempérament. Tous les exemples qu’en ont cités les auteurs , ou ont été tracés après coup, ou sont récusés par mille autres qui leur sont opposés. D'ailleurs, pourquoi n’a-t-on jamais appliqué cette idée des tem- péramens à la psycologie des animaux ? les considérations toutes organiques de ces tempéramens ne sont-elles pas vraies d’eux comme de nous? les idiots, qui ne peuvent manifester aucunes facultés intellectuelles, n’ont-ils pas comme les autres hommes un tempérament ? enfin , com- ment concevoir, avec cette théorie des tempéramens, pourquoi , dans un même individu , telle faculté est éner- ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 997 gique et telle autre languissante ? Nous rejetons donc cette influence des tempéramens comme fondamentale; el nous ne l’admettons que comme modifiant organique- ment la fonction morale, aussi bien qu’elle modifie toute autre fonction. Les tempéramens, parce qu’ils modi- fient le moral, ne font pas plus partie de l'appareil or- ganique de cette fonction, qu'ils ne font partie de lap- pareil de la digestion , dont ils modifient de même l’ac- tion, Passons à la seconde proposition : nous verrons que les phénomènes de la psycologie ont généralement été partagés en deux sortes d’actes, ceux qui constituent l'intelligence, ei ceux qu’on appelle les passions, ou les affections de l'âme. Or, Bithat a établi que le système nerveux animal était le siége des premiers , et le système nerveux organique , celui des seconds ; et, comme celui- ci est multipie, selon cet anatomiste , il en résulte que les passions , non-seulement ne siégent pas dans le cer- veau , mais encore sont disséminées dans les divers or- ganes de la vie intérieure auxquels se distribue le grand sympathique. Bichat a fondé cette opinion sur les trois considérations suivantes : 1° sur ce que c’est aux divers organes intérieurs que nous rapportons le sentiment qui accompagne une passion ; et, en effet , tandis que le sen- timent qui accompagnele travail de l'intelligence se rap- . pôrte au cerveau , celui qui accompagne les passions se rapporte à la région épigastrique : c’est là qu’ordinaire- ment les passions font éprouver un resserrement ; 2° sur ce que les premiers effets des passions , au lieu de porter sur le cerveau , comme ceux du travail intellectuel, por- tent de même sur les organes de la vie intérieure : tan- dis que la rougeur , la chaleur de la face , les battemens 558 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. des artères temporales , phénomènes qu’en observe dans les fortes contentions d'esprit, prouvent que les effets de l’intellect serapportent au cerveau. C’est sur les fonc- tions organiques que portent les passions ; le cœur presse, rallentit , suspend ses battemens; la respiration devient haletante , entrecoupée; la digestion se suspend , ou est troublée par des vomissemens ; la peau est parcourue par des alternatives de chaleur et de frisson , elle rougit ou pälit, se sèche, ou se couvre d’une sueur brûlante ou glacée , etc. ; 3° enfin, sur ce que le geste et le langage rapportent également les passions à ces organes de la vie intérieure. En effet , tandis que, pour exprimer quel- ques résultats de l'esprit, la main se porte sur le front ; c’est sur la région précordiale qu’elle se dirige pour ex- primer les affections : tandis que, pour désigner une in-. telligence forte ou faible , on dit que c’est une tête forte ou faible, un grand ou petit cerveau; pour annoncer des affections bienveillantes ou haineuses, on dit un bon ou‘un mauvais cœur. À ces considérations, Bichat ajoute que des Anciens avaient déjà eu cette idée, puis- qu’ils avaieni placé le siége des passions dans le centre épigastrique : il fait remarquer qu’au milieu des varié- tés que présentent les passions selon les âges, les sexes, les tempéramens , les idiosyncrasies , le régime , le cli- mat, les maladies, etc. , ces passions se montrent tou- jours en rapport avec le degré de prédominance des divers appareils organiques. Enfin, établissant que les organes de la vie nutritive sont le siége des passions, il conclut que , comme les fonctions de cette vie sont in- volontaires, par. conséquent hors l'influence de l’édu- cation, l'éducation n’a pas de prise sur les passions , et que ce qu’on appelle le caractère est incorrigible. ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 539 Les objections se présentent en foule contre toute cette doctrine. D'abord, comment concevoir que des viscères , dont les fonctions sont connues, et qui sont si différens les uns des autres, puissent être les agens d’actes moraux quelconques ? les passions, étant des phé- nomènes sensoriaux , ne doivent-elles pas, comme tous autres phénomènes de ce genre, siéger en des organes nerveux ? quand une lésion du cerveau existe , les facultés affectives ne sont-elles pas, aussi bien que les facultés in- tellectuelles , perverties ou suspendues ? si les viscères remplissent les hautes fonctions qu’on leur assigne ici, pourquoi ne manifestons-nous pas les passions dès les premiers jours de notre vie, époque à laquelle les viscères existent déjà et sont très-aclifs ? pourquoi les idiots , chez lesquels ces viscères existent et agissent aussi, sont-ils sans affections comme sans intellect ? pourquoi les ani- mauxssupérieurs n’ont-ils pas nos passions? Bichat a argué de ce que les phénomènes concomitans et con- sécutifs des passions se rapportent aux organes de la vie intérieure. Mais, d’abord, ce fait n’est pas absolu : souvent les passions troublent les fonctions de la vie animale aussi bien que celles de la vie organique; elles occasionnent des convulsions, des paralysies , dès épi- lepsies, des manies, etc. : et, d’autre part, souvent l'intellect produit dans les fonctions organiques les. mêmes troubles que les passions , selon son degré d’ac- tivité, et la longueur du temps pendant lequel on l’exerce; Tissot , dans son Traité de la santé des gens de lettres, en a rapporté mille exemples; et, l’on connaît surtout celui de Mallebranche , qui fut saisi de vives palpita- tions de cœur à la lecture du Traité de l'homme par Descartes. Ensuite , remarquons que la démarcation 540 FONCTION DE LA SENSIBILITÉ. entre lintellect et les passions n’est pas très-précise, et que les actes intellectuels peuvent eux-mêmes pré- senter, tantôt l’entraînement de la passion, tantôt le caractère du dégoût. Enfin, placer le siége des passions dans les organes de la vie intérieure, parce que ceux- ci sont modifiés par elles, c’est prendre l'effet pour la cause. Sans doute le cœur presse ses battemens dans la colère; mais les jambes ne manquent-elles pas dans la peur ? et, si l’on rapporte la colère au cœur , ne fau- dra-t-il pas rapporter la peur aux jambes? Dans cette manière de raisonner, souvent les passions devraient être rapportées à toute l’économie, car l’économie en- tière est atteinte : souvent une même passion siégerait dans l’estomac pour tel individu, dans le foie pour tek autre. Tout cela est madmissible. Quant aux argumens tirés du geste et du langage, ilest aisé d'expliquer pour- quoi l’un et l’autre ici se sont mépris ; c’est qu'ils ont été inspirés par ce qu'il y a de plus saillant dans la pas- sion, le sentiment qui l’accompagne : le geste, d’ailleurs, est souvent relatif aux actions que la passion appelle. La proposition de Bichat sur le siège des passions est donc fausse. Il en est de même de la conséquence dan: gereuse qu'il en avait déduile ; savoir, que ces passions étaient irrésistibles , et que l’éducation n'avait pas de pzise sur elles. Selon Bichat , les mouvemens et les actes auxquels nous excite une passion sont aussi trésisti- bies que le sont les convulsions qui éclatent à l’occasion d’une esquille d’os qui pique le cerveau ; par exemple: bien que dérivés du cerveau, ces mouvemens et ces actes ne sont pas volontaires; mais ils sont un effet forcé des influences des organes intérieurs sur le cerveau ; qui alors irrésistiblement les produit, parce que cet organe ACTES INTELLECTUELS ET MORAUX. 541 ve peut répondre aux sympathies qui lui arrivent que par ses fonctions propres, c'est-à-dire des mouvemens et des déterminations. Tout cela est faux. D'abord , les organes intérieurs n'étant pas les agens des passions , ils ne peuvent plus irradier sur le cerveau ces irrita- tions, qui obligeraient irrésistiblement cet organe à {former les déterminations qui constituent la passion, et à commander les mouvemens par lesquels elle se satis- fait. En second lieu , ces déterminations et ces mouve- mens ont un objet déterminé , et cela ne pourrait pas être, s'ils résultaient d’une irritalion organiquement développée dans le cerveau. Enfin, il est certain que nous pouvons, non-seulement résister aux déterminations de nos passions , mais même en modifier l'impulsion in- térieure. En effet , s’ilest vrai d’abord qu'on ne soit pasle maître d’éprouver ou de ne pas-éprouver une passion, n’en est-il pas de même de tout autre acte moral quel- “ | DE L IMPRIMERIE DE DEMONVWILLE. ah F) . Lo ur, D” . .. « Le En : . | #” EL — se — L 1 (ue it HA { | (Lt fo \ AE \f je do "f) FA NL . A! dt 14) a ul (ie ENT din Ut nil .!! ie \1l ai Je à CA f " h X ALU 1l | HR y HA \r 4 "1 (e ÿ w A! } { | si À , ol AE Ne vi D | (15 purs | rl LHTNAN ji F | 14 À ANA M LLBLUR q Dana Wu rs 1H ul \) MRIQUEL TE TA VOTE UE = dre. - a CA Re a in - TE = . RU ik nn (a: 14 ‘1 IRAN AE | NPUTC | ‘1 ar on ‘ Ha ji 1° $ ja Del , AU ail | | ul RU Ji HOUAE qu ù qu \He 1 EU V ti (] LAURE ANA 1 (ei ni vi vu | no) Ni ne 4 LE UE gt) RAT Er d 5 ÿ nn | 1 dd. ! MH À Ni à ÿ Hal (o ‘i qu da . 1 D ni “4 | À