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OEUVRES

D'ARISTOTE

LfL PHYSIQUE

MEAUX. IMPRIMERIE CARRO.

PHTSIQCE

D'ARISTOTE

OU

LEÇONS SUR LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA NATURE

TAADUITE M FRANÇAIS

POCI LA PftBHlfcaB FOIS

ET ACCOMPAGNÉE O'ORB PARAPHRASE ET DE NOTES PERPÉTUELLES

PAR

J. BÀRTHÉLEMT SÂINT-HILÀIRE

MEMBRE DE L^INSTITIIT

(Académie des Sciences morales et politiques )

TOME I

PARIS

LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE DE LADRANGE,

me St-André-des-Arts, hi i

A. DURAND, LIBRAIRE,

rue des Grès-Soitoiine«

1862

PREFACE

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE.

Idée générale de la Physique d'Aristote : c'est une théorie dtt monTement -* ADtécédents de la Physique; théories de Platon sur le mouvement —Analyse delà Physique d*Aristote. Méthode exposée trop brièvement; théorie des principes de Tôtre^ et dé- finition de la nature, rattachées à la théorie du mouvement; réfutation du système du hasard dans la nature. Définition du mouvement; théories de Tinfini, de l'espace et du temps, notions que le mouvement suppose. Théorie du mouvement ; diverses espèces de mouvement; unité du mouvement; opposi- tion et contrariété des mouvements ; du repos ; du mouvement et du repos naturels et forcés ; divisibilité indéfinie du mouve- ment; mesure du mouvement; réfutatlop des paradoxes de Zenon d'Élée contre le mouvement ; comparaison et proportionnalité des mouvements ; quelques lois du mouvement Éternité du mouvement circulaire ; théorie du premier moteur immobile. Du style de la Physique d'Aristote. Histoire des théories sur le mouvement; les écoles de l'antiquité ; le moyen-ftge, Albert et saint Thomas ; la Renaissance ; analyse des théories de Descartes, de Nev^ton bt de Laplace comparées à celles d'Aristote. Appréciation résumée de la Physique d'Aristote.

La physique, telle que Ta comprise Aristole, ne répond pas du tout à Tidée que nous nous en fai- sons aujourd'hui ; il n'y est question d'aucun des

a

II PKÉFACE

phénomènes dont pour nous cette science est néces- sairement composée. Àristote ne parle ni d'optique, ni d'acoustique 9 ni de calorique , ni d'électricité, ni de magnétisme. Non pas que quelques-ung de ces phénomènes n'eussent été observés aussi par les anciens ; mais la science de la nature ne s'étendait pas alors à ces détails ; et l'analyse n'avait pas été poussée aussi loin. On s'en tenait aux généralités les plus étendues ; et comme il arrive toujours quand la science débuté, elle s'arrêtait aux faits les plus frappants et les plus palpables. Or il n'en est pas dans la nature de plus certain ni de plus évi- dent que le mouvement sous toutes ses formes ; et voilà comment la Physique d'Aristote n'est au fond qu'une théorie du mouvement. C'est une étude sur le principe le plus général et le plus important de la nature ; car sans ce principe, ainsi qu'Aristote l'a dit bien des fois, la nature n'existe pas ; elle s'iden- tifie en quelque sorte avec lui*

Il faut donc pas trop s'étonner si dans l'ou- vrage du philosophe on trouve de la métaphysique, et non de la physique au sens nous l'entendons. Il faut nous dire que le mouvement est dans l'ordre des idées le premier fait que doit constater la science de la nature et dont elle doit se rendre compte,

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. in

sous peine de ne pas se bien comprendre elle-même. Mais par le progrès de l'analyse, et par Timportanoe dn sujet » la théorie du mouyement est sortie; du domaine propre de la physique ; et sous le nom de mécanique, de dynamique et de statique, elle folrme une science à part, dont la physique ne s'occupe plus, mais qu'elle suppose, parce que sans une telle science la physique ne serait pas logiquement po£h sihle. La théorie du mouvement est si bien Tanté^ cèdent obligé de la physique, que, quand à la fin du^ xTii* siècle. Newton pose les principes mathématiques delà philosophie naturelle, en expliquant le système du monde, il ne fait dans son livre immortel qu'une théorie du mouvement (1). Descaries, dans les Prin- cipes de /a PAt7o5opMe, avait également placé l'étude du mouvement en tète de la science de la nature. Ainsi , deux mille ans passés avant Descartes et Newton, Aristote a procédé tout comme eux ; et si l'on veut considérer équitablement son œuvre, on verra qu'elle est de la même famille, et qu'à plus d'un égard, elle n'a rien à redouter de la compa- raison.

(1) Newton le dit lui-même dans sa Préface à la première édition des Principes mathématiqties de ia philosophie naturelUt 16SS.

IV PRÉFACE

Mon admiration sincère pour le génie d'Âristote se m'a jamais aveuglé^ et surtout elle ne m'a jamais empêché de combattre ce que je regardais <^omme ses erreurs. J'ai dû, quoiqu'à regret, le réfuter bien sou- vent. Mais je n'hésite pas à déclarer pour la Physique qu'elle est une de ses œuvres les plus vraies et les plus considérables^. Comme elle n'a point encore été traduite eh notre langue, elle n'est pas aussi connue parmi nous qu'elle devrait Tétre ; et par les dif&cuUés qu'elle présente, elle a peut-être rebuté les philosophes eux-mêmes. Mais je me flatte que, mieux appréciée en devenant plus accessible, elle nous paraîtra désormais dans toute sa grandeur ; et quelle que soit la gloire d'Âristote, il n'est pas impossible que la connaissance plus approfondie de ce monument y ajoute encore quelque chose. Pour ma part, j'avoue que c'est l'impression que j'en ai ressentie. L'auteur de tant d'œuvres prodigieuses n'est pas estimé à toute sa valeur, si à la Logique, à la Métaphysique, à l'Histoire des Animaux, à la Météorologie, à la Politique, à la Rhétorique, à la Morale, à la Poétique, on ne joint pas la Physique, qui les égale, si même elle ne les surpasse.

Sans doute la Physique d'Aristote, même dans ks limites elle se renferme, n'est pas sans défauts-^

A LA PHYSIQUE lyARISTOTE. v

et je ne m'abstiendrai pas de signaler ceux qu'y peut recoonatlre une critique impartiale et respectueuse. Mais dans son ensemble, elle est une des composi- tiens les plus achevées qu'ait enfantées ce puissant génie. L'idée générale en est simple; l'ordonnance, sauf quelques taches, qui consistent surtout en des répétitions et des longueurs, est d'une régularité irréprochable; une parfaite unité y éclate, malgré ce qu'on a pu en dire sur la foi de quelques doutes traditionnels^ trop peu justifiés ; et je ne vois guère que le Traité de C âme ^ qui, sur tous ces points, puisse rÎTaliser avec celui-ci. Je ne parle pas de l'authen- licite, qui n'a jamais été suspecte, et qui en effet ne peut l'être en aucune façon pour ceux qui ont vécu d'un peu près avec le philosophe, et qui se sont fa«- miliarisés avec son style et sa pensée (1).

Pour bien apprécier tout le mérite de la Physique^ il ne faut pas seulement rapprocher Àristote de Des- cartes et de Newton; il faut le comparer aussi à ses prédécesseurs et à ses contemporains. Il est vrai que ce n'est pas chose facile que de se faire quelque idée précise des études physiques en Grèce quatre ou

(1) Voir plus loin, page 415, la Dissertation spéciale sur la composiUoa de la Physique et son autbenUdté.

VI PRÉFACE

binq siècles avant Tère chrétienne. Mais heureuse- ment, parmi tant d'ouvrages qui ont péri, ceux de Platon sont arrivés tout entiers jusqu'à nous, comme le plus précieux de tous les trésors de Tintelligence hellénique ; et Platon ayant été vingt ans le maître d'Âristote, c'est surtout qu'il faut chercher la source des principales opinions du disciple, non ^ans qu'il ne fût possible de remonter encore plus haut. L'élève a fréquemment réfuté et cx)mbattu le système de celui qui avait instruit sa jeunesse et formé son esprit. Mais tout en s'éloignant de lui, il lui doit beaucoup ; et les emprunts qu'il lui fait invo- lontairement vont bien plus loin que lui-même ne s'en doute. Il faut donc d'abord interroger Platon, et surprendre dans les détours de ses dialogues l'idée qu'il se fait de l'étude de la nature, et particu- lièrement du rôle du mouvemeent dans le monde. Dans le Phédon^ Socrate, sur le point de mourir, passe en revue les occupations principales de sa vie ; et il rappelle que dans sa jeunesse il avait aimé pas^ sionnément la physique; il s'y était porté d'une ardeur sans pareille ; et en se mettant sous la con- duite des Physiciens, < il s'était imaginé, qu'il allait savoir tout d'un coup les causes de chaque chose, c ce qui la fait naître, ce qui la fait mourir, ce qui

A LA PBYSIQUB D'ARISTOTE. nt

la fait exister (1). > Mais Socrate était bientôt revenu de sa curiosité juvénile et de sa naïveté trop crédule. Les explications des Naturalistes ne l'avaient pas convaincu y et le peu qu'il en avait tiré lui sem- blait fort mal répondre à tant de promesses et à tant d'espérances. Si les solutions grossières Técole lonnienne l'avaient repoussé, le système d*Ânaxagore lui-même ne Tavait satisfait qu'à demi, et Socrate s'étonnait à bon droit qu'après avoir découvert dans l'Intelligence la cause et le principe de tous les phé- nomènes naturels, le sage de Clazomène se fût arrêté en si beau chemin, et qu*il n'eût fait presque aucune application d'une vérité si féconde. Socrate ne trouvait pas que l'école d'Ëlée eût mieux réussi, et les paradoxes de cette école sur le mouvement ne le charmaient guère plus que les opinions sédui- santes, mais perverses, des Sophistes.

A la distance nous sommes de ces temps reculés, et d'après les trop rares fragments arrivés jusqu'à nous, le jugement que porte Socrate sur la physique de son temps, doit sembler assez juste, quoiqu'il soit peut-être un peu sévère ; et tout en admirant le génie d'un Pythagore, d'un Thaïes, d'un

(i) Platon, Phédan, page S73^ traducttoa de M. Victor Cousio.

vin PRÉFACE

Démocrite, d'un Ânaxagore» nous comprenons que ees systèmes n'aient point contenté Socrate, et qu'il les ait critiqués, sans cependant leur refuser quelques louanges. Socrate d'ailleurs était porté par un admi- rable instinct à donner bien plus d'importance à la science de l'homme qu'à la science de la nature ; et il s'est laissé ravir par la psychologie et la morale. L'humanité doit l'en remercier éternellement ; mais ce n'était pas une disposition très-favorable pour les progrès de la physique ; et ce n'est pas non plus dans l'étude de la nature que s'est surtout exercée et qu'a brillé l'école Platonicienne.

Cependant l'auteur du Timée ne prétendait pas rester étranger à ces questions ; et tout en les relé- guant à un rang secondaire, il ne pouvait les éviter quand i^ essayait de scruter l'origine des choses, et de pénétrer jusque dans le sein même de Dieu, créateur et ordonnateur souverain de la nature, de l'espace et du temps. La question du mouvement était une des premières qu'il dût se poser, et il a tenté de la résoudre soit dans le Timée^ soit dans le dixième livre des Iot5, sans parler de quelques autres dialogues elle est moins directement étudiée. Platon n'a pas songé à définir le mouve- ment, et il n'a pas cherché, comme plus tard Aris-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. ix

tote, à en expliquer la néiture intime et Tessence ; il s'est borné à se demander d*où le mouvement pouvait venir, et quelles en étaient les principales formes.

Sur la cause première du mouvement, l'opinion de Platon est aussi arrêtée qu'il se peut, et il ne balance pas à rapporter à Dieu le mouvement qui se montre partout dans l'univers et qui le vivifie. C'est Dieu qui a tiré des profondeurs de son être le mouvement, qu'il a communiqué à tout le reste des choses; sans lui, le mouvement ne serait pas né, et il ne continuerait point. Dieu est comme l'âme du monde; l'ftme, qui est le plus ancien de tous le& êtres, et qui est pour le vaste ensemble de l'univers le principe du mouvement, ainsi qu'elle l'est pour les êtres particuliers, animant la matière inerte à laquelle elle est jointe. C'est Dieu qui a créé les grands corps qui roulent sur nos têtes dans les espaces célestes, et c'est lui qui maintient la régularité éter- nelle de leurs révolutions, de même qu'il leur a imprimé l'impulsion primitive qui les a lancés dans le ciel. Dieu est donc le père du mouvement, soit que nous considérions le mouvement à la surface de notre terre et dans les phénomènes les plus habi- tuels, soit qu'élevant nos yeux nous le contemplions

X PRÉFACE

dans rinfinité de retendue et dans Tharmonie des sphères.

Platon attache la plus haute importance à ces opinions, qui font partie de sa foi religieuse, et il s'élève avec indignation contre Timpiété trop fré- quente des Naturalistes, qui croient trouver dans la matière réduite à ses propres forces une explication suffisante. S'en tenir uniquement aux faits sensibles qui tombent sous notre observation, et ne pas remon- ter plus haut pour les mieux comprendre, lui sem- ble une aberration et presque un sacrilège. C'est méconnaître la Providence, qui régit et gouverne toutes choses avec autant de bonté que de sagesse, et c'est risquer de l'offenser que de ne pas voir assez clairement la trace qu'elle a laissée dans ses œuvres, et dans ce grand fait du mouvement, qui doit la manifester à tous les yeux (1). Platon ne dit pas en propres termes que Dieu est le premier moteur, et c'est Aristote qui plus tard trouvera cette formule ; mais la pensée, si ce n'est l'expression, est de lui ; et le disciple, sous ce rapport comme sous bien d'au- tres, n'a été que l'écho de son maître. Seulement,

(1) Platon, X* livre des Lois^ page 237 à ^!i9, traduction de M. Victor Cousin.

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xi

Aristote a poussé beaucoup plus loin les déductions sévère de la science; et il a substitué un système profond et solide à des vues, restées un peu indé* cises, toutes grandes qu'elles étaient.

D'ailleurs, Platon ne s'en tient pas à cette indî-* cation générale ; et après avoir montré d'où vient le mouvement, il veut expliquer aussi avec plus de détails les apparences diverses qu'il nous offre. Il distingue donc plusieurs espèces de mouvements, et il en porte le nombre tantôt à dix, tantôt à sept, sans les séparer toujours bien nettement entre elles. Le mouvement a lieu, soit en avant soit en arrière, en baut et en bas, à droite et à gauche; joignez à ces six mouvements que cbacuu connaît, le mouve- ment circulaire, et vous aurez les sept mouvements principaux. D'autres fois, Platon change cette énu- mération, et il distingue les mouvements de composi- tion et de division, ceux d'augmentation et de diminution, et ceux de génération et de destruction, n y ajoute le mouvement de translation, soit que le corps se déplace dans l'espace et change de lien, soit qu'il fasse une révolution sur lui-même et reste en place. H met au neuvième rang le mouvement qui, venant d'une cause extérieure , est reçu du dehors el est communiqué; et enfin au dixième rang.

zii PRÉFACE

il met le mouvement spontané, qui n*a pas d*autre cause que lui-même, et qui produit tous les chan- gements et tous les mouvements secondaires que Tunivers nous présente (1). D'autres fois, encore, abandonnant ces classifications. Platon réduit tous les mouvements k deux, le changement de lieu et Taltération, comme il le fait dans le Parménide (2); ou bien ces deux mouvements ne sont plus, comme dans d'autres passages du TiméCy que la rotation sur soi-même, donnée par Dieu au monde, à l'exclusion de tout autre mouvement, et l'impulsion en avant, maîtrisée par le mouvement du même et du sembla- ble, qui ramène sans cesse au centre le corps prêt à s'égarer.

Mais s'il y a quelque confusion dans ces opinions de Platon, un axiome sur lequel il ne varie pas plus que sur l'origine du mouvement, c'est qu'il n'y a point de hasard dans la nature, et que le mouvement, qui en est le phénomène principal, y a ses lois c^mme tout le reste. Le système du hasard n'explique rien, et il a ce très-grand danger de porter les âmes à l'irréligion, mal social qui perd les individus et que

(1) Platon, X* Livre des Uns, pages 233 et soi vantes, traduction de M. Victor Cousin; et aussi, Thnée, pages 126, 135 et iki.

(2) Voir la Parménide, traduction de M. Victor Cousin, p. 29.

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xiii

le I^slateur doit énergiquement combattre. Platon flétrit avec insistance ce système, qui est aussi per- nicieux qu'il est vain, et il ne serait pas loin de porter des peines contre les Naturalistes qui y croient et s'en font les apôtres. C'est un germe qu'a re- cueilli Aristote, et qu'il a développé non moins heu- reusement que son maître, bien qu'à un tout autre point de vue. Ce n'est pas l'impiété de cette doctrine qui a révolté Aristote ; mais c'est sa fausseté gros- sière en présence de l'admirable spectacle que l'ordre universel étale sans cesse sous nos regards, pour peu que nous voulions l'observer (1).

A la question générale du mouvement, s'en ratta- chent quelques autres que Platon a également tou- chées, et qu'à son exemple Aristote a fait entrer aussi dans sa Physique. Platon distingue le mouvement eu haut, et le mouvement en bas. Mais qu'est-ce que le haut et le bas? Sont-ils relatifs à nous uniquement? Ou bien existent-ils dans la nature? Sur cette ques- tion, qui peut nous sembler embarrassante même encore aujourd'hui, Platon a deux ^solutions qui se

(1) Voir an peu plus loin dans cette préface la réfutation d*Ari»- tote contre la doctrine du hasard ; voir aussi dans Platon le X* livre des Loû, pages 223 et suivantes, traduction de M. Victor Cousin.

XIV PRÉFACE

contredisent et qu'Aristote n'a pas éclaircies plus que lui. Le haut est le lieu se dirigent les corps légers ; le bas est le lieu se dirigent les corps pe- sants, n semble donc que le haut et le bas sont dé- terminés par une loi naturelle, puisque ce n'est pas indifféremment que tels corps s'élèvent, tandis que d'autres sont toujours entraînés par une chute irré- sistible. Mais ailleurs, Platon est d'un autre avis, et il déclare qu'il n'y a dans la nature ni haut ni bas, attendu que tout y est concentrique (1). Platon, du reste, n'approfondit pas cette dernière idée, qui est comme un pressentiment de la théorie de la pesan- teur universelle. C'est que les temps n'étaient pas venus ; et le génie même d'Àristote, avec celui de son maître, ne suffisait pas à découvrir et a constater cette grande loi du monde et de la matière.

S'il n'y a ni haut ni bas dans la nature, il y a bien moins encore de vide, et tout est plein dans ces espaces infinis notre regard se perd quand il s'y plonge. Platon ne dit pas de quelle espèce peut être cette matière dont, à son sens, l'espace est rempli ; mais elle n'est point telle qu'elle puisse opposer le moindre obstacle au mouvement, et le mouvement

(i) Platon, Timée, page 180, traduction de M. Victor GoosliL

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. x?

s'y passe avec une si constante et si parfaite régula-^ rite qu'éyidemment rien ne le trouble ni ne le gêne. Ce n'est pas à dire que peut-être à rintérieûr des corps, il p'y ait des vides ; et il est une foule de phénomènes très-faciles à observer qui attestent que les parties des corps peuvent être plus ou moins éloignées les unes des autres, sans que le corps perde aucune de ses propriétés, ni même qu'il perde sa forme. Tantôt les corps se contractent sur eux-mè* mes, tantôt ils se dilatent. U semble donc que dans leur intérieur, il y a des vides qui disparaissent à certains moments, ou qui s'accroissent à ceTtaiqs autres. Mais la structure intime des corps nous est trop peu connue, et comme on ne peut percer ce mystère, Platon s'arrête à croire d'une manière gé- nérale que dans le monde le vide n'est pas plus pos*' sîble que le néant.

Si le vide n'est pas nécessaire au mouvement, deux autres co4ditions lui sont essentielles, selon Platon. Le mouvement ne peut s'accomplir que dans un certain espace et dans un certain temps. San?

l'espace et le temps, le mouvement n'est même pas concevable. Il faut que tout ce qui est, il faut que tout ce qui change et se meut, soit quelque part et

XVI PRÉFACE

dans un lieu (1) ; ce qui n est nulle part n'est rien ; et si le mouvement et l'être ne durent pas quelque portion de temps, ils nous échappent nécessaire- ment et sont pour nous absolument comme s'ils n'é- taient pas.

Qu'est-ce que l'espace? Qu'est-ce que le temps? Platon s'arrête peu à ces deux idées. Mais il a sur le temps, indispensable à la réalité et à la conception même du mouvement, une théorie qu' Aristote a cru devoir réfuter, et qui cependant est profondément vraie. Platon soutient que le temps a commencé, et que par conséquent, il peut finir. Aristote trouve cette opinion fort singulière, et il signale Platon comme le seul parmi les philosophes qui l'ait adop- tée. Je crois qu' Aristote n'a pas examiné d'assez près la pensée de son maître. Platon distingue deux choses qu'en effet il faut se bien garder de confon- dre : rélernilé elle temps, qu' Aristote a eu quel- quefois le tort de prendre l'une pour l'autre. Le temps n'est, suivant la grande parole de Timée, qu'une image mobile de l'éternité. Tout ce qu'on peut dire de l'éternité, c'est qu'elle est; il n'y a pour elle ni passé ni futur ; elle est un perpétuel et

(1) I^aton, Timée^ page 158^ traduction de M. Victor Cousin.

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xvii

insaisissable présent. Le passé et TaTenir ne convien- nent qu'à la génération qui se succède dans le temps ; et ils sont le domaine du mouyement. Mais quant à Téternité, immobile comme elle l'est, rien ne la mesure ni ne Tépuise. Le temps, au contraire, a commencé avec le monde, quand Dieu Ta créé et y a mis un ordre merveilleux. < Cest Tobservation du « jour et de la nuit ; ce sont les révolutions des mois et des années qui ont produit le nombre, fourni c la notion du temps et rendu possible l'étude de < l'univers (1). > Le temps n'est donc qu'une por- tion de l'éternité, que nous en détachons à notre usage. Mais dans l'éternité elle-même il n'y a plus de temps; car le temps n'est pas identique avec elle, tandis que l'éternité est en quelque sorte identique à Dieu. C'est qu'en effet, comme devait le dire admi- raUement Newton, Dieu n'est pas l'éternité plus qu'il n'est l'infini tude ; mais il est éternel et infini. Le temps n'existe pas pour lui ; le temps n'existe que pour nous. L'éternité est divine ; le temps est pure- ment humain. Il ne convient qu'à ce qui a eu un

(1) Platon, TiméCi pages 130 et iSi, tradactioD de M. Victor Cocudo.

commencement et peut avoir une fin. L'éternité n'a point commencé, et elle ne peut finir.

Ainsi dans les théories platoniciennes, le mouve- ment et le temps qui se mesurent mutuellement, but une destinée pareille. Ils sont nés à un certain moment par la volonté souveraine de Dieu ; ils peu- Vent s'éteindre et mourir par un autre de ses dé- 'crets. Ils sont tous deux divisibles et le sont à rinfini. Mais l'éternité est une; et son existence nécessaire implique son unité absolue. Elle est in- défectible, tandis que le mouvement et le temps qui s'écoulent dans son immuable sein, ne le sont pas. En attendant, le mouvement et le repos, son con- traire, se partagent le monde, puisque certaines choses sont mues et que d'autres ne le sont pas. Si nous isavons les bien observer l'un et l'autre, nous comprendrons un peu mieux la nature, et nous pé- nétrerons un peu plus avant dans le secret de la matière universelle, cet ample et confus réceptacle de toutes choses, qui en soi est informe et invisible, bien qu'elle soit le théâtre de tous les phénomènes.

Tel est à peu près l'ensemble des vues de Platon sur la question du mouvement. On peut trouver cer- tainement qu'elles sont incomplètes et peu précises. Mais elles sont pleines de grandeur, et à quelques

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xjx

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égards elles peuvent passer pour le damier mot de Tesprit humain sur ce profond et difficile sujet. Après les travaux des philosophes et des mathéma- ticiens modernes, on en sait beaucoup plus long sans doute sur la théorie du mouyement ; et l'analyse a mis en lumière une foule de détails dont Platon n'a pas eu le moindre soupçon. Mais pour cela son mé- rite n'en est pas amoindri ; c'est lui qui le premier a placé cette théorie à la hauteur qu'elle devrait tou- jours conserver, et que les mathématiques, même quand on les applique à l'astronomie, lui font perdre trop souvent. La question du mouvement dans le monde et dans la nature se lie intimement à la ques- tion même de Dieu et de sa providence. Platon l'a bien vu, et c'est une gloire qui lui appartient mieux qu'à qui que ce soit.

D'ailleurs, le défaut qui dépare la forme de ces doctrines, n'est pas moins évident que leur sublimité et leur élévation. La manière dont Platon expose sa pensée n'a rien de scientifique, ou plutôt n'a rien de systématiquemœt ordonné. La forme du dialogue qu'il a prise ne comporte pas la démonstration. Pour reproduire au vrai ces entretiens incompara- bles de Socrate, et leur conserver la réalité de la vie, il Mait laisser de côté ces arguments rigoureux et

XX PRÉFACE

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ces déductions pressées que la science exige. On est beaucoup moins austère quand on discute avec des amis, qu'on ne doit Tétre quand on se place seul face à face avec la vérité. Les dialogues platoniciens n'en sont pas moins persuasifs ni moins utiles. Mais ils sont une exception, comme Socrate lui-même en est une dans l'humanité entière. Ils sont faits pour charmer et instruire perpétuellement les esprits les plus nobles et les plus délicats. Mais il serait péril- leux de les prendre pour modèles , et une simple imitation ne serait pas assez sérieuse pour le service de la science. De nouveaux dialogues ne seraient acceptables pour elle qu'à la condition d'un nouveau Socrate interprété par un autre Platon.

Àristote a bien senti cette difficulté, et tout en conservant une bonne partie des idées de son maî- tre, il les a transformées. Nous en retrouverons un grand nombre dans sa Physique ; mais l'expression en sera tout autre, et elles y paraîtront neuves tant elles y seront changées, bien que le fond soit resté à peu près le même. Ce procédé d' Aristote se répète dans bien d'autres de ses ouvrages ; sa politique et sa morale par exemple, ne sont guère que les échos de la morale et de la politique platoniciennes ; sa logique, sa métaphysique, malgré bien des différen-

A LA PHYSIQUE D*AR1ST0TK ui

ces, ont fait des emprunts nombreux; sa poétique, sa rhétorique sont dans le même cas. Mais sur tous ces sujets, Aristote n'en reste pas moins profondé- ment original. Les idées se transfigurent sous sa main; il leur imprime Tordre et le cachet indestruc- tible de la science, et cette forme définitive qui les rendra propres à renseignement et à l'instruction des siècles, quand les siècles se mettront à cette grave école. Ce mérite éclate dans la Physique plus que partout ailleurs ; et on peut la regarder à la fois comme un résumé de tout ce que l'antiquité grecque a su de ce grand problème du mouvement, et comme un manuel de ce que les âges postérieurs ont doci- lement répété jusqu'aux temps de la Renaissance et à la rénovation de la science moderne.

Voici l'analyse de cette belle théorie que je veux reproduire dans ses traits les plus saillants et les plus clairs, afin de mieux voir ensuite ce qu'on y a ajouté, soit au nom des mathématiques, soit au nom de l'astronomie.

Arislote débute par énoncer quelques règles très- générales sur la méthode qu'il compte suivre dans l'étude de la nature, et il établit qu'il faut, pour la physique comme pour toute autre science d'obser- vation, commencer par l'examen des choses qui sont

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PfiÉFACE

les plus notoires pour nous, et s'éieyer ensuite aux choses qui sont les plus notoires en dles-mèmes. Les premières notions sont toujours assez confuses ; mais l'analyse y porte peu à peu la lumière, et tout finit par s'édaircir en se classant. Je ne prétends pas qu'Aristote soit toujours resté très-fidèie à ce pré- cepte; mais c'est déjà beaucoup que -de le promul- 'guer, et même en ne s'y pliant pas soi-même, on peut mcRitrer à d'autres à en faire un usage plus constant.

Le premier principe qu'Aristote constate dans l'étude à laquelle il ya se livrer, et qui en est comme rinébranlable fondement, c'est qu'il y a dans la na- ture certaines choses qui se meutent. C'est un fait que l'observation nous apprend avec la dernière évidence, et que l'induction confirme pour peu qu'on y veuille réfléchir. Tout dans l'univers n'est pas en mouvement, comme on l'a prétendu ; mais c'est faire violence au témoignage le plus manifeste de nos sens que de soutenir, comme l'ont fait quelques philoso- phes, que tout est en repos. Âristote ne veut pas discuter longuement contre ces paradoxes, que se permettait surtout l'école d'Ëlée ; il admet en fait et en principe que le mouvement existe, et que c'est de cette vérité qu'il faut partir pour étudier la nature.

A LA PHYSIQUE D*ARISTOT£. xxiii

n y a des questions que les sciences rencontrent dès leurs premiers pas et qu'elles doivent résoudre ; il

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en est d'autres qu'elles doivent omettre, parce que ce sont des obstacles vains que leur oppose un scep- ticisme plus habile que sincère. Les sciences s'ap- puient chacune nécessairement sur certains axiomes qu'elles admettent sans contrôle ; et à défaut de cette foi implicite et instinctive, l'édifice de la science ne pourrait être construit, parce qu'il manquerait de base. La physique ferait donc bien de dédaigner ces hautaines et absurdes négations, et de procéder comme la géométrie, qui ne discute jamais que des questions essentiellement géométriques. Mais cepen- dant comme les philosophes qui ont nié le mouve- ment, ont touché à des questions physiques, tout en se mettant en dehors de la physique véritable, Aris- tote croit devoir s'arrêter un instant à repousser leurs erreurs ; et pour expliquer la possibilité du mouvement, il remonte juxqu'aux éléments et a,ux principes de l'être. C'est le sujet du premier livre de la Physique, consacré presque tout entier à cette discussion. Sans doute^ elle n'a pas aujourd'hui l'intérêt qu'elle offrait au temps d'Aristote, et une réfutation deParménide et de Mélissus ne pique pas très -vivement notre curiosité. Mais il est bon de s'en

XXIV PRÉFACE

faire toutefois quelque idée, pour mieux suivre tous

les progrès de la science.

Parménide et Mélissus soutenaient que tout être, quel qu*il soit, est essentiellement un, et ils ne vou- laient pas même distinguer dans l'être la substance et les attributs. Ils confondaient tout ce qui entre dans la composition de l'être, et tous les êtres, sous cette obscure formule, dont Aristote s'attache à dé- montrer l'inanité. Les mots d'être et d'un ont plu- sieurs sens, et il ne serait pas mal de bien marquer dans lequel de ces sens différents on prétend les employer. L'être existe avec une unité apparente ; mais pour peu qu'on veuille examiner cette unité, on y découvre bientôt une multiplicité d'éléments. La réalité de l'être n'est pas la même que celle de ses attributs et de ses accidents. Les attributs n'exis- tent pas par eux seuls, et il faut préalablement et de toute nécessité, l'être substantiel pour les soutenir et leur communiquer une réalité que par eux-mê- mes ils ne possèdent point. En regardant aussi à la définition des êtres, on voit sans peine qu'ils n'ont pas cette unité prétendue qu'on leur suppose si gra- tuitement. L'homme par exemple, quand on le dé- finit, est un animal bipède. Or la qualité de bipède n'est pas un accident de l'homme ; elle n'en est pas

A LA PHYSIQUE FARISTOTE. xxv

séparable ; car Tidée de bipède est impliquée dans ridée d'homme, tandis que l'idée d'homme n'est pas impliquée dans celle de bipède. Ainsi l'homme qu'on veut faire si complètement un, ne l'est pas logique- ment plus qu'il ne l'est matériellement. Ce qui est dit de l'homme pourrait également s'appliquer à tout autre être ; et chacun des êtres, loin d'avoir l'unité qu'on croit, est composé d'éléments essen- tiels qui sont en lui comme autant de principes mul- tiples et distincts.

Anaxagore n'est guère plus sensé que Mélissus et Parménide, quand il soutient que tout est dans tout, et quand il confond dans ses homéoméries ou par- ties similaires, tous les éléments de l'univers. C'est faire de toutes choses un véritable chaos; et ce tfé- tait pas la peine d'essayer de débrouiller par l'Intel- ligence le chaos primitif, pour aboutir à cette expli- cation incompréhensible.

Il faut donc en revenir à quelque chose de plus clair et de plus vrai ; et reconnaître que l'être est si peu un, au sens on le dît, qu'il peut avoir des contraires. Les partisans les plus aveugles de l'unité de l'être sont forcés d'avouer que le même être subit bien des changements, et que par exemple il est tantôt chaud, tantôt froid. Or ce sont des contrai-

an PRÉFACE

resy et par eonséquent des principes. Mais les con- traires ne peuyent jamais être moins de deux dans l'opposition qui les sépare, et qui en même temps les rattache l'un à l'autre. Ils détruisent donc la pré- tendue unité de Tétre. D'autre part, ils ne peuvent pas être trop multiples ; car s'ils étaient en nom- bre infini, ils deviendraient inaccessibles à la science, puisque la science ne peut jamais parcourir l'infini. Ainsi voilà déjà deux conclusions irréfutables : l'être n'est pas un, et les principes qui le composent sont en nombre limité. Mais quel est ce nombre? Évidem- ment, il ne peut pas y avoir dans l'être deux prin- cipes seulement. Ces deux principes seraient des contraires, et les contraires ne peuvent agir l'un sur l'autre. Par exemple et pour prendre les contraires imaginés par Empédocle, qu'est-ce que l'Amour peut sur la Haine? Qu'est-ce que la Haine peut sur l'A- mour? Il y a donc entre les deux contraires ime na- ture qui leur sert de support commun, si ce n'est simultané; et cette nature c'est la substance, que les contraires modifient et changent tour à tour, n'exis- tant qu'en elle-même et par elle-même.

Dans toute production de phénomène, il y a tou- jours ainsi quelque chose qui subsiste, et qui reste un numériquement. Mais la forme varie, et elle revêt

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. ziyu

les eo&traires qui la diversifient dans chaque genre. Ainsi rhomme subsiste et demeure, bien que suo- cessiyement il fasse de la musique ou qu*il cesse d'en faire ; il est musicien ou il ne Test pas. Mais pour sa substance, il n'y a ni opposition possible, ni équir Toque; il est toujours homme sous les modifications accidentelles qu'il subit. La substance n'est jamais l'attribut de quoi que ce soit, tandis que les acci- dents sont les attributs nécessaires de ce qui les reçoit et est dénommé d'après eux. Par conséquent, dans tout, phénomène qui se produit et qui devient, on peut distinguer le sujet et la forme. Mais comme la forme peut être l'un des deux contraires , et comme il n'y a jamais qu'un des deux contraires qui puisse réellement exister , à la substance et à la forme il faut ajouter la privation, pour tenir compte du contraire qui est momentanément absent, et qui, les conditions étant données, peut se substituer à l'autre contraire, qui est nécessairement seul tant qu'il est.

Donc, en résumé, les principes de l'être soxtt au nombre de deux, en les considérant à un certain point de vue, et ils peuvent être jusqu'à trois, en les considérant à un point de vue légèrement difiërent : la matière ou le sujet, la forme et la privation. La

xxvfii PRÉFACE

matière existe préalablement, et la forme vient s'y joindre en la déterminant. La matière prise dans toute sa généralité n'est pas précisément Têtre lui- même ; elle est à Têlre réel et particulier que nos sens perçoivent ce que Tairain est à la statue, ce que le bois est au lit qui en est fait. L'être ne serait pas sans elle; mais elle est autre chose que l'être, tant qu'elle n'a pas reçu la forme propre qui le constitue essentiellement.

Voilà cette théorie fameuse de la matière et de la forme si souvent reprochée à Aristote, et que l'on critiquera sans doute plus d'une fois encore. Pour moi, je la trouve simple et vraie; et elle n'a pas même le tort d'être obscure ; tout au plus accorde- rais-je qu'elle a quelque subtilité, sans être d'ail- leurs en rien sophistique. La matière et la forme sont les éléments logiques et réels de l'être.

Mais, pour l'étude spéciale qu' Aristote poursuit dans sa Physique, cette doctrine était indispensable, et elle a une importance toute particulière. Du mo- ment que l'être n'est plus un comme le croyaient ParménideetMélissus, il n'est pas immobile, comme ils le soutenaient avec plus de conséquence que de raison. Oui sans doute, si l'être est un, il ne peut pas avoir de mouvement; mais s'il a une partie qui

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. iiix

change, et si à la substance s'ajoute la forme, dès lors le mouvement est possible; car la forme change, puisqu'elle peut passer d'un contraire h l'autre ; et qui dit changement, dit mouvement par cela même. L'unité de l'être est incompatible avec sa mobilité ; mais du moment que l'être est multiple, il est sus- ceptible de mouvement^ et c'est la forme qui est en lui l'élément mobile, tandis que la substance, comme son nom même l'indique, demeure et subsiste telle qu'elle est, sans avoir jamais de contraire et sans ja- mais être mue.L'Ëcole d'Ëlée n'osait pas du premier coup risquer cet énorme paradoxe qui nie le mouvement dans le monde, et qui contredit si auda- cieusement le sens commun et l'attestation de nos sens; mais elle niait d'abord le mouvement dans l'être lui-même, pour arriver plus sûrement avec Zenon à le nier dans l'univers.

Non-seulement Àristote croit , par cette doctrine des principes de l'être, démontrer la possibilité du mouvement; il y trouve, en outre, cet avantage de résoudre diverses questions qui avaient embarrassé les anciens philosophes, et qui sortaient de ce sin- gulier système de l'unité. < Rien ne vient de rien, c disaient-ils dans leur inexpérience ; et, par con-

XXX PRÉFACE

( séquent, rien ne nalt^ rien ne périt. > Celait nier toute génération ; et, de cette façon encore, l'unité de l'être impliquait nécessairement son immobilité. La théorie de la matière et de la forme explique cela sans la moindre peine. Sans doute, rien comme on le dit, ne vient du non-être; mais une chose de- vient ce qu'elle n'était pas; subsistant dans sa matière, elle change dans sa forme; le contraire que supposait la privation prend la place du contraire réel qui disparaît après avoir été ; et ce nouvel attri- but sort, si ce n'est absolument, tout au moins d'une façon indirecte, de la privation, qui est en soi le non-être. La chose n'est pas ce qu'elle devient, pré- cisément parce qu'elle le devient ; mais c'est de ce qu'elle n'était pas qu'elle tire la forme nouvelle qu'elle reçoit. La génération ainsi conçue suppose l'être; elle est alors toute relative, car c*est le simple changement d'un contraire dans un contraire. Mais la génération absolue ne suppose pas moins l'être que la génération relative d'une qualité; un être vient toujours d'un être antérieur, et c'est, par exemple, l'homme qui engendre l'homme. Grâce à celte distinction, qui est à peu près celle de l'acte et de la puissance, les anciens philosophes auraient

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xxxi

compris qae quelque chose peut venir non-ètre^ et fls ne se seraient pas tant troublés d'une difficulté qui n'est que spécieuse.

On le voit donc : le premier livre de la Physique est presqu'entièrement polémique; mais de cette polémique ressort la certitude de ce grand fait du mouvement, que des écoles plus audacieuses que raisonnables avaient ébranlé dans la croyance com- mune. Aujourd'hui la réfutation de telles doctrines nous semblerait bien peu utile (1); mais elle l'était au temps d'Aristote, et l'école d'Élée était encore assez puissante pour qu'il y eût opportunité à la combattre et à démontrer ses erreurs.

A cette affirmation du mouvement, succède dans tout le second livre de la Physique une longue défi- nition de ce qu'Aristote entend par la nature. C'est, en efiet, dans l'ordre de ses idées la première ques- tion qui se présente, puisqu'il identifie à peu près complètement le mouvement et la nature, que le

(1) a Le mouvement et ses propriétés générales sont le premier c et principal objet de la mécanique. Cette science suppose < rexistence du mouvement, et nous la supposerons aussi comme c avouée et reconnue de tous les physiciens. A Tégard de la na- c ture du mouvement, les philosophes sont au contraire fort c partagés là-dessus. » D'Alembert^ Traité de Dynamiquej édi- tion de 1758, Discours préliminaire, page v.

zxxu PRÉFACE

mouvement anime tout entière. Entre les êtres qui sont dans la nature ou qui existent naturellement, et ceux que produit Fart de Thomme, il y a cette pro- fonde différence que les premiers portent en eux- mêmes le principe de leur mouvement ou de leur repos, et que les seconds n'ont de repos ou de mou- vement que par Tintermédiaire des éléments natu- rels dont ils sont composés. Ainsi, c'est la nature qui fait les animaux, les plantes et les corps simples tels que la terre, le feu. Pair et Teau. Toutes ces choses ont en elles-mêmes ou la cause d'un mouve- ment de locomotion dans l'espace et d'un développe- ment spontané, ou la cause d'une inertie qui les maintient dans le lieu elles sont. Au contraire, les choses produites par l'art, un lit, par exemple, un vêtement, n'ont en tant que tels aucune ten- dance à changer; et s'ils changent, ce n'est qu'indi- rectement et comme formes de certains éléments na- turels qui ont la faculté propre de changer et d'être mus. La nature est donc dans les êtres qu'elle crée le principe et la cause du mouvement et du repos. Les êtres sont appelés naturels, et ils sont dits de nature, quand ils ont en eux-mêmes et considérés seuls, ou le mouvement ou l'inertie. Je ne voudrais pas soutenir que cette définition

A LA PHYSIQUE D*ARISTOTE. zxxiii

de la nature soit à l'abri de toute critique; mais il &ut Taccepter telle qu'Âristote nous la donne. Lui- même sans doute la trouvait insufiSsanle; car il es- saie de l'approfondir un peu davantage. Il se demande donc puisqu'il reconnaît deux éléments essentiels dans l'être^ ]a matière et la forme, avec la privation, si c'est la matière ou la forme qui est la véritable nature des êtres. Il incline à penser que la forme d'une chose est bien plutôt sa nature que ne l'est la matière; car la matière n'est en quelque sorte qu'en puissance, tandis que la forme est l'acte et la réalité. C'est la forme qui constitue précisé- ment l'essence de chaque chose ; car c'est d'après sa forme et non d'après sa matière que l'être, quel qu'il soit, est dénommé. C'est sa forme qui fait son espèce. Mais à ces deux premières causes, la matière et la forme, il faut en ajouter deux autres pour com- prendre la nature des êtres dans toute sa généra- lité. Ces deux autres causes, ce sont l'origine du mouvement et le pourquoi des choses. Les causes sont ainsi au nombre de quatre : la cause matérielle, la cause essentielle ou formelle, la cause motrice et la cause finale. Ces quatre principes épuisent l'être tout entier, et on les retrouve perpétuellement dans la nature pour peu qu'on Tétudie : tout y a une ma^

2XX1Y PRÉFACE

tière, tout y a une forme» tout y a du mouvement, et de plus tout y a une fin.

Aussi Âristote» se souyenant des leçons de Pla- ton » combat-il avec la plus grande force cette absurde doctrine qui croit trouver du hasard dans la nature. Il atteste pour la réfuter et le spectacle du ciel, oii tout se passe avec une merveilleuse régu- larité, et l'organisation des animaux, toujours tel organe répond à telle fonction. Il raille Empédocle, qui s'est imaginé que les parties des animaux se cor- respondent si admirablement les unes aux autres par un simple effet du hasard, et que les grands phé- nomènes cosmiques sont sans lois et peuvent s'ac- complir tantôt d'une façon et tantôt, d'une autre. Le vrai physicien, en étudiant les quatre espèces de causes, se convaincra aisément que la nature agit toujours en vue d'une fin; et précisément parce qu'elle est régulière dans l'immense majorité des cas, elle n'est pas soumise à une aveugle puissance; elle n'est donc pas sous le joug de la nécessité.

On objecte, il est vrai, que certains phénomènes naturels produisent simultanément des effets tout différents, et que, par exemple, la pluie qui tombe fait pousser le grain dans le sillon, en même temps qu'elle le pourrit dans la grange, si la toiture de la

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. ixxy

grange est délabrée. On en conclut que la pluie est un simple phénomène nécessaire, qui résulte de la condensation des vapeurs dans les parties élevées de ratmosphère, elles se convertissent en eau pour retomber sur le sol. Mais dira-t-on aussi que c'est une nécessité inintelligente qui fait que toujours dans la mâchoire des animaux les dents de devant sont incisives et aiguës pour trancher les aliments, tandis que les molaires sont propres à broyer parce qu'elles sont larges? Osera-t-on soutenir que c'est une simple coïncidence, et que c'est un pur accident qui a fait que les choses se sont produites dans des conditions de durée convenables, absolu- ment comme elles se seraient produites si elles avaient eu un but prédéterminé et réfléchi ? C'est croire avec Empédocle qu'il y a eu jadis des tau- reaux qui avaient des visages humains, des oliviers qui portaient des raisins, et que c'est après une foule de combinaisons, toutes plus impossibles les unes que les autres, que les taureaux et les hommes, les olives et les vignes, ont été enfin ce que nous les voyons. Soutiendra-t-on aussi que c'est un hasard qu'il fasse mauvais temps en hiver et qu'il fasse beau en été? Est-ce encore par hasard que les four- mis, les abeilles, les araignées même exécutent

XXXVI PRÉFACE

leurs étonnants travaux? Est-ce un hasard que l'hi- rondelle dispose si habilement le nid de sa jeune cou- vée» que dans les plantes mêmes les feuilles couvrent si utilement le fruit, et que les racines poussent tou* jours en bas pour trouver leur nourriture dans le sol qu'elles pénètrent?

Ainsi, il n'y a pas de hasard, il n'y a pas de né- cessité dans la nature ; et ce que l'on appelle vulgai- rement nécessité et hasard, c'est ce que nous ne comprenons pas. On ne peut nier que parfois la na- ture ne se trompe, et qu'en voulant réaliser la formé, qui est son but principal, elle n'échoue quelquefois dans ses efforts. Ainsi, les monstres sont une dévia- tion des lois ordinaires, et d'un but vainement cherché; c'est la perversion de la semence et du germe par une cause qui nous reste ignorée. Mais toujours le principe tend au même résultat, à moins qu'il n'y ait quelqu'obstacle qui l'arrête. Il est vrai que dans la nature le moteur est souvent impé- nétrable et invisible ; mais ceci ne veut pas dire qu'il ne soit pas intelligent. La nature, répétons-le bien haut, est une cause et une cause qui agit en vue d'une fin. Le nécessaire, quoi qu'on en puisse penser^ n'a point dans les choses une existence ab- solue ; il n'a qu'une existence conditionnelle, et en

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE* Mxvu

quelque sorte hypothétique; tfest-à-dire que cei^ taines données étant admises, il en résulte nécessai- rement certaines conséquences. Ainsi, la maison devant être construite, il faut nécessairement que les matériaux les plus lourds et les plus solides soient dans les fondations, et que les plus légers soient au faite. C'est encore de la même manière que la scie, pour accomplir son œuvre, doit néces- sairement avoir des dents de fer. Mais ni la maison ni la scie ne sont nécessaires; ce qui Test unique- ment, c'est que, tel but devant être atteint, il faut employer tels moyens pour atteindre ce but. Le né- cessaire même en mathématiques est simplement consécutif, comme il Test dans la nature; et le domaine de la nécessité est beaucoup plus restreint qu'on ne l'a cru, en s'en rapportant à une étude trop superficielle.

Après cette magnifique apologie de la nature, Aristote en arrive au mouvement, et il essaie d'a- bord de le définir avant de l'expliquer. La défini- tion du mouvement telle que l'a donnée Aristote est célèbre ; et elle a été bien des fois tournée en ridi- cule, bien qu'elle ne le mérite pas plus que la théorie de la matière et de la forme. Pour ces abs- tractions, le point vraiment difficile, c'est de les

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comprendre; mais une fois bien comprises, on voit qu'elles ne sonl ni fausses, ni inutiles. Ainsi, quand Âristote définit le mouvement : l'Acte du possible, il faut, au lieu de s'étonner, tâcher de savoir ce que signifie cette formule. Celle-là s'éclaircira tout à fait pour nous, si nous nous rappelons ce qu'il vient de dire de la forme et de la matière. La matière est l'indéterminé ; la forme est au contraire ce qui dé- termine l'être et le fait ce qu'il est. Il y a donc un mouvement pour que la forme se joigne à la matière ; et comme il n'y a pas de mouvement en dehors des choses, il faut toujours, quand l'être change, que le changement se produise ou dans la substance, ou dans la quantité, ou dans la qualité, ou dans le lieu de l'être. Mais comme l'être peut être ou réel ou simplement possible, c'est le passage du possible au réel qui constitue le mouvement, et voilà comment le mouvement est défini : l'Acte ou la réalisation du possible, en tant que possible. Par exemple, l'airain est la statue en puissance, c'est-à-dire que l'airain peut devenir statue; mais ce n'est pas en tant qu'airain qu'il est mis en mouvement; c'est seule- ment en tant que mobile. Le mouvement n'a lieu qu'au moment même de l'acte ; il n'existe ni avant ni après. L'acte d'une maison qui est à construire,

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A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xxxu

c'est la construction; avant que la maison ne soit construite il n'y a pas encore de mouvement; elle est simplement possible; après qu'elle est construite, il n'y a plus de mouvement; il n'y en a qu'au moment l'acte s'accomplit avec plus ou moins de rapidité. Àristote ne se dissimule pas d'ailleurs que cette définition pourra fort bien ne pas satisfaire tout le monde ; mais il remarque avec grande raison que définir le mouvement est chose très-ardue (1) ; et il croit pouvoir a£Brmer que la définition qu'il risque est peut-être encore la moins imparfaite qui puisse en être donnée. Une conséquence très-grave de celte définition y c'est que le mouvement n'est pas, à pro- prement parler, dans le moteur; il est dans le mo- bile, puisque c'est dans le mobile que le mouvement

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se réalise et devient actuel; il n'est en quelque sorte qu'en puissance dans le moteur {2). Mais si d'une manière générale le mouvement est l'Acte du pos- sible, chacun des mouvements particuliers sera dé- fini par une modification de cette formule commune.

(1) Laplace f&it la môme remarque, Exposition du Système du monde, livre HL

(2) G*est aussi Popinion de Descartes, qui peut-être a eu quelque réminiscence involontaire d*Aristote; Principes de la Philosophie, 2* partie, S 25, édition de BL Victor Cousin.

XL PRÉFACE

Ainsi rallération sera Facte de Tèlrequi peutélre altéré; et ainsi de suite.

Le mouyement étant connu dans sa défini tion, on ne peut pas encore l'étudier en lui-même, et voici pourquoi : c'est que le mouvement est un con- tinu; et comme le premier caractère du continu, c'est d'être divisible à l'infini, il faut, pour bien traiter du mouvement, rechercher d'abord ce qu'est l'infini. D'autre part, le mouvement n'étant possible qu'aux deux conditions de l'espace et du temps, il faut préalablement étudier le temps et l'espace, ainsi que l'infini. Aussi le troisième livre de la Physique est-il rempli par une théorie de l'infini, après la définition du mouvement, de même que le quatrième livre est consacré aux théories de l'es- pace, dix vide et du temps. Je m'arrête à chacune de ces théories avec Aristote, et je commence par celle de l'infini.

Aristote 8*assure d'abord que la théorie de l'in- fini appartient bien à la science de la nature ; et la preuve qu*il en allègue, c'est que tous les philo- sophes Naturalistes l'ont traitée chacun à leur point de vue. La seule difi'érence entr'eux, c'est que les uns ont fait de l'infini une substance, tandis que les autres n'y ont reconnu qu*un attribut. Mais tous

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTK su

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sans exception ont considéré Tinfini comme un prin- cipe; car si Tinfini avait un principe, il aurait une limite, et il cesserait par même d'être rinfini* Loin de Tenir d'un principe, c^est Tinfini qui est le principe de tout le reste ; il est incréé et il est impérissable; immortel et indestructible, on peut, non sans raison, le confondre avec la divinité elle-même , comme le faisait Ànaximandre, imité en cela par plus d'un autre.

Aristote s'attache à prouver l'existence de l'infini, comme il a cru devoir prouver l'existence du mou- vement, et il en démontre la réalité par cinq argu- ments principaux : d'abord le temps, qui est infini, et ici Aristote prend le temps dans le sens de l'éter- nité Platonicienne; en second lieu, la divisibilité de toute grandeur, qui peut être poussée à l'infini; troisièmement, la succession infinie et intarissable des êtres; puis, la nécessité absolue de l'infini pour comprendre le fini ; enfin, et ce cinquième argument est le plus puissant de tous, la constitution même de l'intelligence humaine, qui conçoit des nombres sans fin, des grandeurs infinies comme les nombres, et, en dehors du ciel, un espace qui est infini tout aussi bien que les nombres et les grandeurs, que cet espace soit d'ailleurs vide de corps ou peuplé

xm PRÉFACE

de inondes analogues à celui que nous habitons.

Du reste y Texplication de Tinfîni est peut-être plus difficile encore que celle du mouvement; et soit qu'on admette Texistence de Tîniini, soit qu'on la rejette, on rencontre de part et d'autre des im- possibilités devant lesquelles s'arrête et succombe l'esprit humain. Aussi Aristote ne se flatte-t-il pas d'épuiser ce sujet, et il s'attache plus spécialement à quelques points. Il remarque d'abord que le mot d'infini a plusieurs sens qu'il faut distinguer avec grand soin. H signifie dans un premier sens et esseur tiellement ce qui ne peut être ni parcouru ni mesuré. Par sa nature, l'infini est incommensurable, de même que le son est naturellement invisible, perçu par notre oreille et non perceptible à nos yeux. En un autre sens moins précis, on appelle in- fini ce qui est sans terme, ou ce qui n'a pas le terme que par nature il devrait avoir. Enfin, une grandeur quelconque étant donnée, on peut toujours y ajouter ou en retrancher; la division et l'addition sont donc également infinies.

Mais l'idée de corps et l'idée d'infini répugnent essentiellement l'une à l'autre. Le corps implique nécessairement une surface, et la surface est non moins nécessairement une limite. Le corps est ce

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qui a des dimensions en tons sens; mms les dimen- sions de Tinfini doivent être infinies comme lui, c*est*à-^ire qtie les dimensions prétendues de Tin- fini eessent d^èlie des dimensions véritables. Aris- tote en conclut que, parmi les corps que nos sens perçoivent, il n*en est pas un qui puisse être infini ; car si Tun des éléments était infini, sôit le feu, Tair, Peau ou la terré, il aurait bientôt absorbé tous les antres et remplirait seul T univers. Il ne peut donc pas y avoir de corps sensible infini. D^ailleurs tout corps est dans un lieu; et quel peut être le lieu de rinfini, si ce n'est Tinfini lui-même? Puis, si Tinfini est un corps, ainsi qu'on le prétend, il aura donc une position, puisque tout corps se porte naturelle- ment ou en baut ou en bas, selon qu'il est pesant ou léger. Mais alors il faudra diviser l'infini ; et une de ses parties serait en haut, tandis que l'autre serait en bas. Rien de tout cela n'est acceptable; et même le génie pénétrant d'un Anaxagore n'a pu introduire la lumière dans ces obscurités.

Arislote n'a pas la prétention de faire beaucoup mieux que ses devanciers; mais les explications qu'il tente pour faire comprendre la nature de l'infini sont des plus ingénieuses. On ne peut pas dire de l'infini qu'il existe absolument; il est simplement en puis-

xuv PRÉFACE

sance; il n^est jamais en acte. Pour s'en faire quelque idée un peu approximative ^ il faut regarder à ces portions du temps qu'on appelle des époques et qui n*ont pas cependant une existence parfaite- ment déterminée, bien que cette existence soit très- réelle. Qu'est-ce qu'un jour, par exemple, et à quel moment le saisir dans sa durée limitée ? Qu'est-ce également qu'une Olympiade, bien qu'elle dure quatre ans? Le jour n'en existe pas moins, quoiqu'à tout moment il devienne, et que sans cesse il soit autre. Nous le comptons, après qu'il est écoulé; mais comment le compter pendant qu'il s'écoule? A quel instant l'arrêter et le fixer ? En un sens il est, et en un autre sens il n'est point. C'est justement le cas de Tinfini, et l'on peut dire de lui, tout aussi bien que du jour ou de l'Olympiade, qu'il est et qu'il n'est pas tout ensemble. L'être n'appartient pas à l'Olympiade et au jour, en tant que ce seraient des substances séparées et individuelles ; le temps qui les forme en est toujours à devenir et à périr toujours.

Mais si l'on veut une image encore plus exacte de l'infini, c'est dans la grandeur qu'il faut le considé- rer et dans la grandeur indéfiniment divisible. La grandeur, du moins dans les limites nous pou-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. m

vons l'observer, subsiste et demeore, restant sous la prise de notre observation; elle ne s'écoule pas comme le temps, qui nous échappe sans que nous puissions le retenir un seul instant. Le temps est pareil aux générations successives des hommes ; il n'y a, si l'on veut, ni interruption ni lacunes ^itr'elles; mais si elles naissent sans cesse, sans cesse aussi elles périssent. Au contraire, la grandeur reste permanente. Soit donc une grandeur que l'on divise selon une proportion restant toujours la même, et, par exemple, par moitié. Le nombre des divisions s'accroît de plus en plus et sans avoir de lEin; la portion qui reste, bien que se réduisant sans cesse, peut toujours être divisée par moitiés succès sives, et la division ne s'arrête pas plus que l'addi- tion. D'un côté, on augmente; de l'autre, on di- minue; mais l'infini est également des deux côtés; et l'on n'épuisera pas plus la grandeur dans un sens que dans l'autre. On pourra s'approcher de la limite autant qu'on le voudra; mais on ne pourra jamais l'atteindre. LMnfini est donc en puissance; mais il ne sera jamais en acte ; et nous ayons beau faire, notre esprit ne pourra jamais le réaliser. L'infini ne peut d'aucune façon être en soi comme est le fini ; et c^est justement ce qui l'en sépare.

XLYi PRÉFACE

Âristote semble assez fier de cette définition, et il l'oppose avec quelque orgueil à toutes celles qu'on avait essayées jusque-là. En effet sous cet aspect nouveau, l'infini apparaît tout autre que ne le con- çoit le vulgaire. Il n'est pas du tout ce en dehors de quoi il n'y a plus rien ; il est au contraire ce en dehors de quoi il y a toujours quelque chose. L'infini est ce qui est capable de fournir perpéluellement quelque quantité nouvelle. Aussi la similitude qu'ont proposée quelques philosophes n'est pas suffisamment exacte ; et l'on ne peut pas avec eux comparer l'infini à un anneau sans chaton. En par- courant ces espèces d'anneaux , il faut sans cesse re^ venir par des points l'on a déjà passé. Dans l'in- fini au contraire, on ne repasse jamais par les mêmes points ; ce sont des points toujours et éter- nellement différents qu'on peut prendre. C'est qu'il ne faut pas confondre l'infini et le parfait ; car le parfait suppose un tout, c'est-à-dire une limite, tandis que l'infini exclut toute limitation, quelle qu'elle soit. Oui, à quelques égards, l'infini est le tout, puisqu'il embrasse toutes choses ; mais il n'est le tout qu'en puissance, et il ne peut pas l'être en réalité. Â vrai dire, il est à considérer bien plutôt comme contenu que comme contenant ; il joue un

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xtvii

rôle assez analogue à celui de la matière parmi les principes de Tétre ; et sa vraie nature, ce serait la privation, qui est indéterminée et insaisissable tout comme lui.

n me semble que cette conception de l'infini est profondément originale, et qu'Àristote a montré la voie la plus certaine par l'esprit de l'homme peut atteindre et fixer au moins en partie cette grande idée, qui l'accable et le surpasse si démesurément» Essayer de comprendre l'infini par l'immensité de l'espace ou du temps,* c'est à peu près peine per- due ; et sans refuser à la métaphysique le droit de se livrer à ces hautes spéculations, il est évident que la science a besoin pour procéder avec prudence de données plus accessibles et plus pratiques. Mais con- sidérer la divisibilité sans fin des grandeurs, c'est assurer une base solide à ces recherches. L'objet qu'on poursuit devient alors accessible, et l'infini est renfermé en quelque sorte entre ces limites d'une quantité qui diminue indéfiniment sans ja- mais s'épuiser, et d'une quantité qui s'accroît sans jamais devenir égale. L'infini nous échappe bien en* core, puisque si nous pouvions le réaliser il ne se- rait plus l'infini ; mais il est en quelque sorte entre nos mains; nous ne pouvons pas effectivement le

ZLTiu PRÉFACE

saisir; mais nous sentons qu'il est et qu'il est en notre puissance.

La conception de l'infini, circonscrit de cette façon et mis ainsi à notre portée» est précisément celle qui fait le fondement du calcul différentiel et intégral. C'est à cette seule condition que le calcul de l'infini a été rendu possible. Je ne prétends pas que Leibniz et Newton, à la fin du xyii* siècle, aient rien emprunté au philosophe grec ; mais je signale tette coïncidence ; elle est faite pour honorer en- core Aristote, tout grand qu'il est. Ce serait exagérer certainement que de dire qu'il a pressenti le calcul infinitésimal; mais c'est être juste que d'a£Brmer qu'il a ouvert le chemin qui y conduit. Seulement ces traces se sont effacées comme tant d'autres, et personne n'a suivi Aristote dans ces rudes sentiers.

Après la théorie de l'infini, j'en viens avec le qua- trième livre de la Physique à la théorie de l'espace et du vide, et à celle du temps.

La question de l'espace doit être étudiée par le physicien tout comme il étudie l'infini, et il doit cx)mmencer par démontrer que l'espace existe. De l'aveu de tout le monde, tout ce qui est doit être nécessairement dans un lieu, et ce qui n'est nulle part n'existe point. Parmi les diverses espèces de

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xux

mouyements , le plus commun c'est celui qu'on appelle la translation, et il suppose de toute néces- sité un espace les corps puissent se mouvoir en changeant de lieu. L'idée d'espace semble donc une des plus simples que la science ait à considérer; et c'est peut-être ce qui fait, selon Arislote, que les philosophes, ses prédécesseurs, s'en sont en général très-peu occupés. Cependant elle n'est pas sans pré- senter quelques difficultés, et il essaie de les ré- soudre.

Une preuve manifeste de l'existence de l'espace, c'est la succession des corps dans un seul et même lieu. Observons en effet un vase qui est rempli d'un liquide que nous y avons versé. Nous en ôtons le liquide, et l'air vient à la place qu'il occupait. Réci- proquement, nous chassons l'air du vase en y ver- sant une seconde fois de l'eau, et le phénomène se répète aussi souvent que nous le voulons. Ceci prouve qu'indépendamment de ces deux corps qui se succèdent dans le vase, il y a un espace qui de- meure quand ils changent, et qui les reçoit l'un et l'autre tour à tour. On peut ajouter que le mouve- ment naturel des corps élémentaires démontre bien qu'il existe un espace doué de certaines propriétés.

Le feu se dirige toujours en haut ; la terre se dirige

d

L PRÉFACE

toujours en bas. Voilà déjà deux directions dans Tcspace ; mais de plus, les corps se dirigent aussi à droite et à gauche, devant et derrière. C'est en tout six directions, qu'on peut distinguer dans Tespace ou le lieu. Rien n'existe donc et ne se meut que dans l'espace. Or c'est une merveilleuse supériorité de Tespace sur le reste des choses ; elles ne peuvent pas être sans lui, et il peut être sans elles ; car elles peu- vent être détruites sans qu'il le soit ; elles périssent dans son sein, tandis qu'il est impérissable et éter- nel. L'espace a comme le corps les trois dimensions, longueur, largeur et profondeur ; mais il n'est pas un corps lui-même ; car les corps étant en lui, il faudrait, chose impossible, qu'il y eût deux corps dans un seul et même lieu. L'espace n'est pas da- vantage un élément, ni un composé d'éléments cor- porels. Ce qu'il faut dire, c'est qu'il a de la gran- deur sans être un corps. Il n'est pas non plus à considérer comioie une cause ; car il n'est ni la ma- tière, ni la forme des êtres ; il n'est ni leur moteur ni leur fin. Ainsi l'espace, qui n'est ni un corps ni une cause, est à peine un être ; car s'il est un être, on pourra demander avec Zenon : est le lieu de l'espace ? puisque tout être est nécessairement dans un lieu. Il y aurait donc eapace de l'espace, et ainsi

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. li

de suite à Pinfini. Tout cela ne laisse pas que d*èlre assez embarrassant, et Tespace n'est pas aussi aisé à comprendre qu*on se l'imagine communément.

Ici Arislote fait une distinction importante, mais qu'il a le tort de ne pas pousser assez loin. Il veut qu'on distingue entre l'espace infini, sont tous les corps que nous voyons, et entre l'espace particulier chacun d'eux est primitivement, pour emprunter la formule péripatéticienne. Ainsi vous êtes dans le ciel, puisque vous êtes dans l'air, qui est dans le ciel ; vous êtes dans l'air, puisque vous êtes sur la terre et que la terre elle-même est placée dans l'atmo- sphère, où elle se soutient par son propre équilibre. Mais en même temps que vous êtes dans le ciel, dans l'air et sur la terre, vous occupez en outre un cer- tain lieu il n'y a plus que vous et vous seul. Ce raisonnement d'Aristote est irréprochable ; mais tout en distinguant si bien l'espace et le lieu pro- prement dit, il les confond l'un et l'autre sous un seul et même nom, comme il a confondu plus haut l'éternité et le temps ; et cette équivoque jette par- fois une obscurité fâcheuse sur ses théories. En prenant le lieu pour l'espace et l'espace pour le lieu, il est conduit à démontrer que le lieu, bien qu'il limite les C/orps, ne peut être ni leur forme ni leur

m PRÉFACE

matière, ce qui est par trop évident. Mais sur cette fausse route, il arrive aussi à cette conclusion très- exacte et méconnue par plus d'un philosophe, que l'espace est séparable des corps et qu'il ne peut être identifié avec eux, précisément parce qu'il les con- tient. Cela est très-vrai; mais ici encore, égaré par l'équivoque que je viens de signaler, Âristote croit définir su£Ssamment l'espace en disant qu'il est la limite première immobile du contenant. Or cette définition est celle du lieu ; ce n'est pas la définition propre de l'espace.

Pour la question du vide, qui tient de si près à celle de l'espace, il y avait avant Aristote deux opi- nions diamétralement opposées. L'une soutenait l'existence du vide comme indispensable au mouve- ment ; l'autre affirmait non moins résolument que le vide n'existe pas. Anaxagore défendait cette der- nière thèse, et il essayait de la prouver par une ex- périence sensible ; il dégonflait des outres pleines d'air dans des clepsydres, et il démontrait ainsi que ce qu'on prenait pour le vide est réellement rempli d'air. Le vide est confondu par le vulgaire avec l'es- pace où il n'y a point de corps ; mais c'est une erreur profonde ; car s'il n'y a pas de corps per- ceptible à nos sens dans cette portion de l'espace

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. uu

qu'on suppose vide, il y a ce corps subtil qu'on appelle l'air, et cet autre corps, plus subtil que l'air même, qu'on appelle l'élher, et qui remplit tout l'es- pace au-delà même du ciel entier.

Âristote semble adopter tout à fait la démonstra- tion d'Anaxagore, et il rejette comme lui et comme Platon la possibilité du vide, soit dans le monde, soit dans l'intérieur des corps. Les corps se dilatent et ensuite ils se contractent; mais ce n'est pas à dire qu'il y ait pour cela du vide en eux. Ce sont tout simplement certaines parties qui en sont expulsées, comme l'air est expulsé des outres dégonflées dans l'eau. Le développement et la croissance de certains corps ne prouvent pas davantage qu'ils aient des vides dans leur intérieur ; car l'accroissement peut tenir à une simple modification ; et par exemple, dira-t-on que l'eau contient des vides, parce qu'elle prend un développement considérable quand, par la vaporisation, elle se change en air? Le vide, loin d'être nécessaire au mouvement, comme on se le figure, y serait plutôt un obstacle invincible. Dans le vide, les corps perdraient leur tendance naturelle qui les porte en haut s'ils sont légers, et en bas s'ils sont pesants. Il n'y aurait .plus aucune différence, et il serait bien impossible d'y distinguer aucune

tïv PRÉFACE

direction dans un sens plutôt que dans l'autre.

D'une autre part, la course des projectiles est en- core un argument contre le vide. L'air dans lequel ils se meuvent, même après que la force qui les a lancés cesse de les toucher, finit par les arrêter. Mais dans le vide une fois que le corps serait mis en mouvement, pour quelle cause s'arrêterait-il jamais? Le vide est donc absolument contraire aux phéno- mènes que nous pouvons observer ; et il n'y aurait aucun motif, si le vide existait réellement, pour que le corps sortît jamais de son inertie, ou qu'il cessât jamais de s'agiter indifféremment dans tous les sens. Dans cette hypothèse du vide, comment expliquer encore cette proportionnalité des mouvements entre eux, qui sont d'autant plus rapides ou plus lents que les corps mus sont plus lourds ou plus légers, ou que les milieux traversés sont d'autant plus résis- tants ou plus faciles à diviser? Il n'y aurait plus avec le vide de proportion possible, et le mouvement de tous les corps devrait y être d'une rapidité in- finie.

Je n'insiste pas sur ces arguments contre le vide, dont quelques-uns sont fort ingénieux; mais on peut dire qu'aujourd'hui cette question obscure n'est pas encore résolue, même avec les expériences

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. lt

de la machine de 6oyle. On fait le vide, en ce sens qu*on retire Tair d'une certaine partie de l'espace, alors tous les corps, les plus légers comme les plus denses, tombent sans aucune distinction avec une rapidité égale. Mais, s'il n'y a plus d'air dans le tube d'où on Ta soustrait, ceci ne prouve pas qu'il n'y reste point encore autre chose, et que le vide y soit absolu. Or, c'est du vide absolu qu'Aris- tote a entendu parler ; et il n'est pas prouvé qu'il se soit trompé en croyant que ce vide n'est pas plus possible dans la nature que le néant ou le désordre* Parmi les questions préliminaires qu'il fallait examiner avant d'en venir à la théorie générale du mouvement, il ne reste plus que celle du temps. Aristote l'étudié comme l'espace et l'infini ; et d'a- bord il élève sur l'existence du temps quelques doutes qui ne sont ni des paradoxes ni des subtilités. L'existence du temps, sans être absolument conter table, est cependant très-fugitive et à peine sen- sible. Des deux parties les plus notoires du temps, l'une a été et n'est plus ; l'autre sera et n'est pas encore. Le passé ne nous peut plus appartenir; et le futur ne nous appartiendra qu'après un intervalle plus ou moins éloigné. Voilà cependant les élé- ments dont se compose le temps ; et, comme ces

tvi PRÉFACE

éléments dont il est composé n'existent pas^ il n'a lui- même, à ce qu'il semble, qu'une existence précaire. Quant à ce qu'on appelle le présent, l'instant, ce n'est pas, à proprement parler, une partie du temps ; car le temps ne se compose pas d'instants. L'instant est la limite du temps, et c'est lui qui sépare le passé de l'avenir. Mais il est sans cesse autre et per - pétuellement différent, de telle sorte que son exis- tence est moins réelle encore que celle du passé, qui a cessé d'être, et celle du futur, qui n'est pas et qui seulement doit être plus tard. Les instants se suc- cèdent; mais ils ne coexistent jamais; ils ne tien- nent pas plus les uns aux autres que les points ne tiennent aux points dans la ligne. L'instant meurt au moment même il naît. Que si l'on prétendait que c'est toujours le même instant qui subsiste et demeure éternellement, alors les faits qui se sont passés il y a dix mille ans, et ceux qui se passent aujourd'hui seraient contemporains; et les idées d'antériorité et de postériorité seraient absolument supprimées.

Aristote se livre à cette discussion sur la notion du temps, non pas pour en nier l'existence, mais pour montrer seulement combien il est difficile de s*en faire une juste idée. Celte perplexité du philo-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. tvii

sophe me parait tout à fait fondée ; et pour quicon- que voudra scruter un peu attentivement ce phéno- mène merveilleux de la durée, les hésitations ne se- ront jamais moins grandes. L'homme vit dans le temps ; et c'est là, comme on l'a dit, le tissu dont sa vie est faite; mais il a beau en vivre et l'étudier, la conception lui en échappe au moins autant que celle de l'infini, précisément parce que le temps est in- fini lui-même. Il ne faut donc pas s'étonner qu'Aris- tote se plaigne de l'insuffisance des recherches an- térieures aux siennes ; il avoue lui-même modeste- ment qu'il ne compte pas dépasser de beaucoup ses devanciers. Seulement, il se défendra de confondre, ainsi qu'ils l'ont fait, le temps et le mouvement. Le temps est égal partout et pour tout sans exception ; le mouvement, au contraire, est ou dans la chose même qui change, ou bien dans le lieu qu'elle oc- cupe. Le temps s'écoule d'une manière uniforme et éternellement identique; le mouvement est tantôt plus rapide, tantôt plus lent ; et sa lenteur ou sa ra- pidité se mesure par le temps écoulé. On appelle ra- pide ce qui fait un grand mouvement dans un temps moins long ; on appelle lent ce qui fait un peu de mouvement en beaucoup de temps. Mais le temps ne se mesure pas par lui-même ; et ces diflférences

iviii PRÉFACE

essentielles suffisent pour démontrer que le temps n'est point un mouvement ni un changement.

Cependant, si le temps n'est point un change- ment véritable, il ne peut être conçu sans le chan- gement; et cela est si vrai que, si notre pensée n'é- prouve aucun changement de quelque espèce que ce soit, ou si le changement qui s'y passe nous échappe, nous croyons qu*il n'y a pas de temps d'é- coulé. Notre âme est demeurée alors comme dans un instant un et indivisible, et tout l'intervalle est pour nous anéanti. Nous supprimons le temps, quand nous ne discernons aucun changement dans notre pensée. Mais nous affirmons qu'il y a du temps d'écoulé du moment que nous percevons et sentons un changement quelconque en nous, fussions-nous plongés dans les ténèbres et dans le plus complet repos. Le temps n'existe donc pour nous qu'à la con- dition d'un mouvement et d'un changement ; il n'est point le mouvement; et pourtant, sans le mouvement il n'est pas possible; car il est alors pour nous comme s'il n'existait pas. Qu'est-il donc, en réalité, et quel est son rapport exact au mouvement? Les idées d'anté- riorité et de postériorité dans le temps ne se com- prennent que parce qu'elles sont déjà dans le mou- vement, où l'antérieur et le postérieur s'appliquent

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. Lix

aa lieu à mesure que le corps se déplace. Dtinc le temps est le nombre du mouvement, et il Téralue numériquement.

Voilà déjà, à mon avis, d'admirables vérités sur la nature du temps; mais Aristote va plus loin encore, et il présente d'autres considérations qui ne sont pas moins solides. Le mouvement, dans sa conti- nuité, est perpétuellement autre, soit que le corps change de lieu, soit qu'il se modifie tout en restant en place. D en est de même du temps ; et, bien que dans son ensemble le temps soit éternellement iden- tique, les instants qui se succèdent sont perpétuelle- ment différents. L'instant d'à présent est bien d'une nature toute pareille à celui qui Ta précédé ; mais son être est autre, si son essence est la même ; et l'instant divise et mesure le temps en y faisant l'antériorité et la postériorité. C'est absolument comme le mobile, qui reste bien le même dans tous les points de son mouvement, mais dont l'être n'est pas absolument identique, puisqu'il a continuellement changé de lieu. S'il n'y aviit pas de temps, il n'y aurait pas d'ins- tant ; et réciproquement, sans l'instant il n'y aurait pas de temps. L'instant est en quelque sorte l'unité de nombre dans le temps, qu'il divise en antérieur et en posténeur, en passé et en avenir. Mais Tins-

Lx PRÉFACE

tant n'est pas du temps à proprement dire ; encore une fois, il n'est qu'une limite, et il ne fait pas plus partie du temps que la division d'un mouvement ne fait partie de ce mouvement, pas plus que le point ne fait' partie de la ligne. Même quand on dit que l'instant est une limite, il ne faut pas oublier encore qu'il est un nombre aussi, en ce qu'il sert à nom- brer le temps, La limite n'appartient qu'à la chose dont elle est la limite, tandis que le nombre appar- tient à tout; et le nombre dix, par exemple, sert à compter tout ce qu'on veut, ici des chevaux, et toute autre chose.

Mais si le temps est la mesure du mouvement, la réciproque n'est pas moins exacte ; et le mouvement est la mesure du temps. Sans doute le temps n'est ni lent ni rapide ; mais en tant que continu, il est long ou court; en tant que nombre, il a une quantité plus ou moins grande ; il y a peu de temps ou beaucoup de temps. Ainsi le mouvement et le temps se mesu- rent et se déterminent l'un par l'autre. C'est que le mouvement implique la grandeur, et le temps im- plique le mouvement. Temps, mouvemmt et gran- deur, ce sont des quantités, des continus et des divisibles, qu'on peut toujours mesurer. Le chemin a été long, si le voyage a beaucoup duré; et récipro-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. lxi

quement, le voyage a beaucoup duré, si le chemin a été long. De même, nous disons qu'il y a beau- coup de temps, s'il y a beaucoup de mouvement ; et réciproquement, qu'il y a beaucoup de mouvement, s'il y a beaucoup de temps. Le temps a ses périodes régulières, comme le mouvement a aussi les siennes ; et c'est ce qui fait le retour toujours pareil des années, des printemps, des automnes.

Cependant le temps ne mesure pas tout ; il est des choses qui sont soustraites à son action, et qu'il ne peut atteindre, commç il nous atteint nous-mêmes, quand peu à peu il nous ruine et nous détruit. Ce sont les choses éternelles, qui ne sont plus dans le temps, et dont l'être ne peut se régler sur cette étroite mesure à laquelle nous rapportons tout ce qui marque et diversifie notre durée passagère, et les événements dont nous prétendons garder la mé- moire. Le temps viendra-t-il donc jamais à défaillir? se demande Arislote ; et il se hâte de répondre que le temps est éternel comme le mouvement, et que l'un ne défaillira pas plus que l'autre. Mais ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, c'est confondre l'éter- nité et le temps; c'est confondre le mouvement et le premier moteur; et il vaut mieux s'en tenir sur ces points si graves à l'opinion de Platon, qui a su dis-

un PRÉFACE

tînguer le temps et Télernité, comme il a distingué le mouvement que Dieu donne au monde, et Dieu, qui a créé et qui maintient ce mouvement dans l'in- commensurable univers.

Du reste Âristote s'arrête peu à ces spéculations, et il termine la théorie du temps par quelques ob- servations pleines de finesse et d'exactitude. L'ins^ tant divise le temps en antérieur et en postérieur; et il est tout à la fois le point indivisible, et double ce- pendant, où l'un finit et l'autre commence. L'ins- tant, le présent unit donc le passé et l'avenir, en même temps qu'il les sépare. Mais il y a ceci de re- marquable que l'antérieur, quand il s'agit du passé, est ce qui est le plus éloigné du présent et le posté- rieur ce qui en est le plus proche, tandis que c'est tout à l'inverse quand il s'agit de l'avenir ; car dans l'avenir, l'antérieur est ce qui est le plus proche du présent; et le postérieur ce qui en est le plus éloigné.

Enfin si le temps est le nombre et la mesure du mou- vement, de même que le mouvement est la mesure du temps, est-ce d'un mouvement quelconque ou d'un mouvement déterminé? Aristote résout la question en disant que c'est la translation circulaire de la sphère céleste qui est la mesure de tous les autres mouvements, et qui par conséquent est aussi la me-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. wm

sure du temps, puisqu'il n*y a que ce mouvement qui soit parfaitement uniforme et régulier dans son immuable constance, étendant son action jusque sur les choses humaines, de même qu'il Tétend dans les Tastes cieux (1).

Avec la théorie du temps, après celles de Tinfîni, de l'espace et du vide, finit la série des questions qu'Aristote a cru devoir agiter avant d'en venir à celle du mouvement; et c'est au mouvement seul que sont consacrés les quatre derniers livres de la Physique. Mais avant de continuer cette analyse, je veux m'arréter quelques instants pour embrasser d'un coup d'œil la carrière déjà fournie ; et je prie qu'on veuille bien y jeter un regard avec moi. L'objet spécial que doit traiter Arislote, c'est le mouvement, qui est, selon lui, le fait essentiel de la nature; et pour l'approfondir il croit devoir remon- ter jusqu'aux principes mêmes de l'être, démontrant

(1) 0 est une question qu'Aristote n'a fait qu'indiquer en passant (livre IV, chapitre xx, $2), mais qu'il faut se bien garder d'o- mettre. C'est celle qui concerne le rapport de l'àme humaine au temps. Le temps peut-il exister indépendamment de l'intelligence, qui le compte et le mesure? Le temps est-il sans l'âme, qui le perçoit? C'est le doute que Kant a rencontré aussi plus tard, et qu'il a résolu en faisant du temps, ainsi que de l'espace, une forme de notre sensibilité. Aristote me paraît ici bien plus dans le vrai que le philosophe de KœnJgsberg.

LXiv PRÉFACE

que la notion bien comprise de ces principes im- plique la no lion du mouvement. Puis il définit ce qu'il entend par la nature, avec les quatre espèces de causes quMl retrouve dans tous les phénomènes naturels. Il définit ensuite le mouvement, et comme le mouvement est infini en tant que continu, et qu'il se passe toujours dans l'espace et le temps, le phi- losophe étudie ces grandes questions de l'infini, de l'espace et du temps avec le soin qu'elles réclament. Quelle profondeur et quelle justesse il y a mises, c'est ce qu'on vient de voir; dans quel enchaîne- ment rigoureux se déroule sa pensée, c'est ce dont on a pu également se convaincre. Ainsi la moitié de tout l'ouvrage a été donnée à des recherches secon- daires, mais indispensables. La dernière partie sera exclusivement laissée à la question principale. Je ne connais pas dans l'histoire de la philosophie une autre œuvre la théorie du mouvement ait été considérée avec plus d'étendue ni plus de solidité.

Ce juste hommage rendu au philosophe, je pour- suis, assuré de trouver dans ce qui reste tout autant de vérité et de grandeur.

Tout ce qui vient à changer dans le monde ne peut changer, ou en d'autres termes se mouvoir, que de trois façons : accidentelle, partielle et abso-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE, ix?

hie. Ces distinctions sont jnstes et réelles, et il faut les bien retenir, parce qu'Âristote en fait grand usage. Voici des exemples qui les éclaircissent. Quand on dit d'un musicien qu*il marche, c'est un mouvement ou un changement accidentel ; car en tant que musicien, il ne marche pas; seulement rètre qui marche a pour attribut ou accident d'être musicien. En second lieu, on dit d'une chose qu'elle change ou se meut, quand il n'y a parfois qu'une partie de cette chose qui se meuve ou qui change réellement : ainsi, l'on dit d'un malade qu'il se gué- rit, bien que ce ne soit que son œil ou sa poitrine qui se guérisse ; c'est un simple mouvement par- tieU Enfin le mouvement absolu est celui d'une chose qui se meut en soi et primitivement tout en- tière, sans que ce soit indirectement ou partielle- ment : ainsi, quand on dit que tel homme marche, parce que sa personne tout entière se déplace et change de lieu, c'est un mouvement absolu. Le mo^ bile qui se meut ainsi est alors le mobile en soi.

Ces trois nuances sont tout aussi vraies pour le moteur que pour le mobile; et le moteur peut être ou indirect et accidentel, ou partiel, ou absolu.

Il y a donc ici cinq termes à considérer pour se rendre compte du mouvement dans toute l'étendue

UTi PRÉFACE

de cette idée : le moteur, le mobile, le temps dans lequel se passe le mouvement, le point d'où il part et le terme il aboutit. 11 faut ajouter que c'est le terme aboutit le changement qui détermine son appellation spéciale, bien plutôt que le terme d'où il part. Ainsi la destruction des choses est leur chan- gement en non-être, bien que la chose qui est dé- truite ne puisse changer qu'en partant de l'être ; et de même, la génération est un chang(anent vers l'être, bien que ce soit nécessairement du non-être qu'elle doive partir originairement.

L'idée de changement implique l'idée de deux états successifs de la chose, l'un antérieur, et l'autre postérieur (1). C'est la condition générale du chan- gement, et par suite celle du mouvement, qui n'est qu'un changement d'une certaine espèce. Mais en outre, le changement ne peut avoir lieu que d*une de ces quatre manières : 1^ un objet affirmatif et dé- terminé se change en un autre objet affirmatif et déterminé, mais contraire. Ainsi le blanc devient

(i) Aristote remarque que le mot dont il se sert dans sa langue exprime, par Tétymologie même, la réunion de ces deux idées d'un état postérieur et d'un état antérieur : Méta-^boU* L'obser- vation est Juste pour la langue grecque; elle ne s'applique plus à la nôtre, la composition du mot n^est pas la mftnie.

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTR uvii

noir; S* un objet n^tif et indéterminé deyient un autre objet Clément indéterminé et négatif; par exemple, ce qui n^est pas blanc devient quelque chose qui n'est pas blanc; 3^ un objet négatif devient un objet a£Srmatif ; par exemple, ce qui n^est pas blanc devient blanc; ¥ enfin un objet affirmatif se change en un objet négatif; et par exemple, ce qui est blanc devient quelque chose qui n'est plus blanc.

Aristote remarque avec toute raison que dans la seconde hypothèse, il n*y a pas de changement réel, parce qu'il n'y a point de réelle opposition, et qu'un objet négatif devenant un autre objet négatif égale- ment, il n'y a pas de détermination appréciable. Ainsi les nuances du changement se réduisent d'a- bord à trois au lieu de quatre. Hais en poussant un peu plus loin l'analyse, on voit que ces trois nuances se réduisent à une seule ; car la troisième et la qua- trième indiquant un changement du non-étre à l'être, et de l'être au non--être, sont à proprement parler la génération et la destruction, soit absolues, soit relatives, c'est-^à-dire de simples opposiUooâ contradictoires et non point des mouvements. Il n'y a donc de changement vrai que celui qui se passe dans le champ de la réalité, et qui substitue un

txviii PRFACEÉ

objet qui existe à un autre objet qui existe non moins réellement. C'est un contraire qui succède à un autre contraire, dans une substance qui demeure et dont la qualité seule est modifiée. C'est le cas de la première hypothèse ; et c'est le seul mouvement véritable.

J'ai tenu à reproduire fidèlement ces formules d'Àri&tote, bien qu'on puisse les trouver assez bi- zarres ; mais elles prouvent du moins jusqu'à quelle profondeur il a porté ses investigations sur la nature du mouvement^ et comment on envisageait cette question à la fois métaphysique et naturelle trois ou quatre siècles avant notre ère.

Une distinction plus facile à saisir et très*exacte, quoiqu'elle ait disparu de la science, c'est celle qu'Âristote établit entre les diverses espèces de mouvements. Aujourd'hui on n'en reconnaît guère qu'une seule, celle du mouvement dans l'espace, que constituent le déplacement du corps et le chan- gement de lieu. Depuis Descartes, c'est l'unique na- ture de mouvement que l'on considère, et je ne vois pas qu'après lui personne , parmi les mathémati- ciens ou les philosophes, ait essayé de revenir aux traditions de l'école ou même ait paru les connaître. Mais dans ÂristotCi ne faisant en cela que repro-

A LA PHYSIQUE D*ARISTOTE. un

duire Maton son maître, il y a toujours trois espèces de mouvements et non point une seule.

Ces trois mouYements, qui sont en effet trisHlis- tincts» se produisent^ ou dans la quantité, ou dans la qualité, ou dans le lieu, les trois seules catégories le mouTement soit possible, parée que ce n'est que dans ces trois catégories que les contraires peu- vent se présenter. Ainsi il y a mouvement dans la quantité d'un corps, quand le corps grandit ou di-- minue, quand il se développe ou se réduit. Il y a mouvement dans la qualité d'un corps, quand ce corps^ sans changer de grandeur, prend une qua- lité à la place d'une autre, passant par exemple de la chaleur au froid ou du froid à la chaleur. Enfin il y a mouvement dans le lieu d'un corps, quand ce corps, sans changer ni de grandeur ni de qualité, se délace et qu'il occupe successivement différents points de l'espace. La première espèce de mouve- ment, sous les deux faces qu'elle présente d'accrois- sement et de diminution, n'a pas reçu d'appellation commune ; la seconde se nomme spécialement alté- ration, quel que soit le contraire qui se substitue au contraire antérieur; enfin la troisième se nomme la locomotion, quelle que soit la façon dont le corps se meuve et change de lieu.

ftu pnéFACB

La science des modernes s*est restreinte à n'étu- dier que cette dernière sorte de mou?ement, et sans doute elle n'est pas à blftmer d'avoir borné son do- maine ; car des trois espèces de mouvement la lo- comotion est celle qui de beaucoup est la plus frap- pante et la plus facile à connaître* Hais les deux autres ne sont pas fausses ; et Àristote ne mérite pas non plus de critique pour les avoir admises. Quand donc nous les retrouverons dans ses théories, elles tiennent d'ailleurs bien moins de place que la troisième (1), nous n'en serons pas surpris, et nous n'y verrons qu'un excès d'exactitude, dont la science peut sans doute se passer, mais qui cependant ne la dépare point comme le ferait une erreur.

Une question qui tient de très-près à celle-ci, et qu'Àristote a discutée avec plus de soin peut-être que personne ne l'a fait après lui, c'est de savoir ce qu'on doit entendre par un mouvement identique et par un mouvement contraire. L'unité du mouve- ment, ainsi que son opposition, est soumise à des conditions positives. QueUes sont ces conditions? Et

(i) Aristote reooimatt lui*méine que la translation est Tespèce la plus ordinaire du mouvement, et que toutes les autres se ré* duisent pour le vulgaire & celle-là. Voir la Physique, livre Vill, ch. XIV, S ^

A LA PHYSIQUE D^ARISTOTE. un

à quelles marquei reconnaltra-t^n un mouTemeût UD, ou on mouYrâient opposé?

Il y a trois conditions princij^les pour qu'on puisse afGirmer Tunité du mouYement D'abord, il &ut que le mobile soit un seul et même mobile et qu'il ne varie pas ; il faut en second lieu que l'espèce du mouvement soit la même ; enfin il faut que le temps soit le même aussi, c'est*à-4ire qu'il n'y ait aucun intervalle de repos et que le temps ne présente pas d'interruption, afin que la continuité du mouvez ment ne soit point altérée. Ainsi unité d'espèce, unité de mobile, unité de temps, voilà ce qu'il faut pour constituer Tunité et la continuité du mouve- ment. On pourrait encore y ajouter l'égalité ; car un mouvement inégal parait mmns un et moins iden- tique, tout en l'étant, qu'un mouvement égal et.uni^ forme. L'égalité et l'inégalité peuvent d'ailleurs se rencontrer dans toutes les espèces de mouvement. Soit que le corps s'accroisse ou qu'il diminue, soit qu'il $'altèrê,soit qu'il se déplace, ce peut être ou pa- iement ou inégalement ; ce peut être avec uniformité ou d'une manière irrégnlière, avec plus ou moins de vitesse, avec plus ou moins de lenteur. Le mou- vement n'en est pas moins un, quoi qu'il ait parfois une apparence qui trompe l'cdmervateur. Un mouve^

UUI

PRÉFACE

menl un et continu sur une ligne brieée parait avoir une unité moins complète qu'un mouvemrat en ligne droite.

Quant à l'opposition et à la contrariété du mou- Tement, la question est peut-^tre plus délicate encore, et Tembarras plus grand. Doit-on dire d'une manière toute générale que c'est le repos qui est contraire au mouvement? Ou bien n'y a-t-il pas plutôt des mouvements qui sont contraires à d'autres mouvements ? Ainsi le mouvement qui s'é- loigne d*un certain but, n'est-il pas contraire au mouvement qui tend vers ce même but ? Le mouve- ment contraire est-il celui qui part des contraires? Est-ce celui qui tend aux contraires? Après avoir très* finement analysé toutes ces nuances, Aristote incline à regarder comme contraires les mouvements qui par- tent d'un contraire pour aller au contraire opposé ; et par exemple, le mouvement qui va de la maladie à la santé est contraire à celui qui va de la santé à la maladie. Ils partent de contraires l'un et l'autre, pour aboutir l'un et l'autre à des contraires. L'opposition est donc en ce sens aussi grande que possible, et les mouvements sont alors diamétralement opposés.

Aristote n'oublie pas d'ailleurs que dans l'opinion commune c'est le repos qui est le contraire du mou*

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▼ement. Il ne repousse pas tout à fait cette opinion ; ums il déclaTe qu'absolument parlant, c'est le mou- Tement qui est contraire au mouyement, attendu que le repos n'est qu'une privation et que la priva- tion n'est pas précisément un contraire. Nous avons Yu en effet que la privation tient lieu du contraire qui n'existe pas actuellement, mais qui est toujours en puissance, parce que le sujet en est toujours sus- ceptible* Il ne faut pas confondre le repos avec l'im- mobilité. Il n'y a réellement de repos que pour les corps qui, pouvant être mus, ne le sont pas, tandis que l'immobilité est l'état des corps qui non-seule- ment ne sont pas mus à un certain moment donné, mais qui ne peuvent jamais l'être.

On peut encore distinguer, pour les repos aussi bien que pour les mouvements, ceux qui sont natu- rels et ceux qui sont contre nature. Ainsi un corps pesant prat être retenu en baut, bien que sa ten- dance soit d'être porté en bas; c'est un repos forcé. Un corps léger peut être retenu en bas, bien que sa tendance soit de s'élever. Et réciproquement, un corps pesant peut s'élever, si quelque force lui im- prime un mouvement contre nature et violent ; ou bien enfin un corps léger peut descendre, s'il est soumis à une influence de ce même genre. Cette op«

Lzxiv PRÉFACE

position de ce qui est selon la nature et de ce qui est contre les lois naturelles, se manifeste dans la. loco- motion ou le mouvement dans l'espace, plus que dans les autres espèces de mouvement ; mais pour- tant on la retrouve aussi dans l'altération et dans Taccroissement ou la diminution. La génération n'est pas plus selon la nature ou contre la nature que la destruction ; car, d'après les lois naturelles, les choses périssables meurent tout aussi bien qu'elles naissent. La destruction n'est donc pas précisément contraire à la génération. Mais la destruction contre nature sera contraire à la destruction naturelle ; et il en sera de même de la génération. La génération est, en ce sens, contraire à la génération ; la destruc- tion est contraire à la destruction.^ Il est donc ckir que si le repos est, en général, l'opposé du mouve- ment, il y a cependant tel mouvement qui est le véritable contraire de tel autre mouyement ; et c'est quand l'un de ces mouvements est naturel, tandis que l'autre est contre nature.

Arrivé à ce point de sa théorie, Àristote consacre, dans le sixième livre, une très-longue démonstra- tion à établir ce principe que le mouvement est divisible à l'infini, comme l'est le temps, et comme l'est aussi la grandeur. Le mouvement, la grandeur

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. mxy

et le temps soat tous les trois des continus, et il répagne à Tidée du cœitinu d'être formé d'indivi- sibles. En efiet, l'indivisible n'a pas de parties ; il n'a pas d'extrémités. L'indivisible ne peut donc pas toucher l'indivisible, et dès lors il ne peut jamais former une continuité» puisque la continuité sup- pose nécessairement des extrémités et des parties. Aristote s'attache, à l'aide de formules littérales trè&-développées, à prouver que la ligne, qu'il prend comme expression de toute grandeur quelconque, n'est pas formée de points, ainsi qu'on le croit vul- gairemœt, et que le temps, qui est aussi un con- tinu, n'est pas davantage formé d'instants ou d'in- divisibles, n en conclut que le mouvement, qui est continu, comme la ligne et comme le temps, est di- Tisible indéfiniment, au même titre que le temps et la ligne. On n'arriverait jamais à l'unité du mouve- ment, et à sa continuité, en admettant qu'il est com- posé d'indivisibles. Les indivisibles sont juxtaposés ; mais ils ne se tiennent nullement entre eux, et il est absolument impossible d'en faire jamais un continu.

Mais ce qui est réellement et nécessairement indi- visible, c*est l'instant. Ainsi qu'on l'a vu plus haut, l'instant est une limite; et, à moins qu'on ne veuille

LUYi PRÉFACE

y renfermer une partie deTavenir, qui y serait déjà, et un reste du passé, qui y serait encore, il faut bien reconnaître que, placé entre les deux pour les sépa- rer et pour les unir, l'instant n'a rien ni de Tun ni de l'autre. Or, l'instant, le présent ne peut se con- fondre, ni avec le passé au*delà duquel il est, ni avec l'avenir en-deçà duquel il est non moins certaine- ment. Par conséquent, il faut qu'il soit indivisible ; car autrement ce serait ce qui le diviserait lui-même qui serait la vraie limite du présent et du futur. L'instant est donc indivisible absolument comme il est un et identique. Il suit de qu'il n'y a pas de mouvement dans la durée d'un instant, si toutefois l'on peut dire que l'instant ait une durée, et qu'il n'y a pas davantage de repos. Le mouvement et le repos supposent toujours du temps; mais l'instant ne peut pas renfermer de temps, de quelque ma- nière qu'on le prenne.

D'ailleurs, les divisions du temps et les divisions du mouvement se correspondent exactement. Un mouvement total mettant un certain temps à s'ac- complir, dans la moitié de ce temps, il y aura la moitié de ce mouvement d'accomplie ; ou, sans pré- ciser aucune quantité spéciale, dans un temps moindre, il y aura un moindre mouvement, de

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. lkxxu

même qu'il y aura un mouvement plus grand dans un temps plus grand aussi.

Biais, puisque Tinslant est indivisible, il en résulte une impossibilité de fixer d'une manière absolue, soit le moment oh le mouvement commence, soit le moment oii il s'achève. D y a déjà du mouvement d'accompli quand on remarque que le mouvement commence ; et il a cessé d'être quand on remarque qu'il est achevé. Le primitif du mouvement, pour parler la langue d'Aristote, est donc insaisissable ; mais on le trouverait plutôt dans le point le changement se termine et s'achève que dans le point il commence. Les divisions successives étant infinies dans le mouvement, tant que le mou- vement n'est pas terminé, on ne peut pas dire qu'il soit encore; et si Ton attend sa fin pour dire qu'il a été, c'est qu'il n'est déjà plus. Il n'y a donc pas moyen de fixer avec quelque précision le primitif du mouvement ou du changement. Tout ce qui change et se meut, change et se meut dans le temps, de telle sorte que tout ce qui change a déjà changé dans une certaine mesure, et que tout ce qui se meut a déjà été mu. C'est qu'il n'y a pas de mouvement instantané, comme le dit trop souvent le langage vulgaire, et que le mouvement, quelque rapide qu'il

uxTiii PRÉFACE

soit, eiige toujours qu'il y ait une certaine portion de temps d'écoulée. En un mot» il n'y a pas de pri- mitif dans les divisibles et les continus, justement parce qu'ils sont indéfiniment divisibles. Et ce qu'on dit ici du mouvement pourrait s'appliquer tout aussi bien au repos, pour lequel on ne peut pas dé- terminer davantage, ni le point précis il com- mence, ni le point précis il finit.

Il faut ajouter que, s'il n'y a de primitif ni pour le temps ni pour le mouvement, il n'y en a pas non plus pour le lieu ; c'est une conséquence néces- saire ; et il n'est pas plus possible de préciser les points de Tespace le mouvement commence et s'achève, qu'il n'est possible de préciser les points du temps et de la durée auxquels il correspond exactement.

Àristote n'entend point, par des considérations de ce genre, accorder rien au scepticisme; et il a pris la plus grande peine, comme on l'a vu, pour établir inébranlablement l'existence du mouvement, du temps et de l'espace. Mais il fait une grande diffé- rence entre la rigoureuse exactitude d'une théorie scientifique, et les indéterminations trop peu com- prises et trop vagues dont se sert le langage ordi- naire. Dans l'usage habituel de la vie, on ne regarde

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. ixxix

pas de si près aux choses, et Ton dit d*un événe- ment qu'il s*est passé dans telle année, parce qu'il s'est passé effectivement à tel jour de cette année; En poussant même le scrupule encore plus loin, on verrait que cet événement ne s'est pas même passé ce jour-là, mais qu'il s'est passé à une certaine heure de ce jour, et non pas même à cette heure, mais dans une certaine partie de cette heure pré* tendue; et ainsi de suite à l'infini. On peut donc poursuivre ce primitif qu'on cherche, autant qu'on le voudra* A quelque investigation qu'on se livre, quelque attention qu'on y mette, on ne le saisira jamais. Il fuit et nous échappe sans cesse. C'est la divisibilité du temps et du mouvement qui peut seule expliquer et éclaircir jusqu'à certain point ce singulier phénomène.

Cependant Aristote sent bien que ces doutes éle- vés sur l'espace, sur le temps et sur le mouvement, peuvent donner quelque apparence de raison aux sophismes de l'école d'Ëlée, et il s'applique à réfu- ter les arguments spécieux dont Zenon se servait pour démontrer que le mouvement est impossible li^iquement, et que par suite il pourrait bien n'être pas réel. Aristote examine donc chacun de ces argu-- ments l'un après l'autre ; et pour en faire voir la

Lxxx FACE

complète fausseté, il y oppose sa propre théorie. Dans toutes ces argumentations, Zenon éblouit et trompe les ignorants, il admet toujours que le mou- vement est indivisible, et que le temps Test aussi ; il admet toujours que le temps est composé d'ins- tants indivisibles et successifs. Or, c'est une erreur fondamentale d'où sortent toutes les autres. Il est bien vrai que l'indivisible ne peut se mouvoir; ou du moins, si l'indivisible a un mouvement, ce n'est qu'un mouvement indirect, comme serait celui d'une personne qui serait immobile dans un bateau et qui participerait indirectement au mouvement que le bateau aurait lui-même. Mais le temps n'est pas indivisible ; le mouvement ne l'est pas davan- tage. Le temps ne se compose pas d'instants, non plus que la ligne de points ; et le mouvement ne se compose pas de secousses successives. Il est divisible, parce qu'il est continu ; et les quatre sophismes de Zenon, malgré les noms pompeux dont il les décore, ne soutiennent pas l'examen.

Tout ce que Ton peut accorder à Zenon, c'est que le mouvement, tout réel qu'il est, n'a point cepen- dant cette infinitude en tous sens que parfois on lui prête. Le mouvement est un changement ; et comme tout changement a nécessairement pour limites les

A LA PHYSIQUE VARISTOTE. lxxii

contraires entre lesquels il a lieu, partant de l'un pour aboutir à l'autre, il s'ensuit que le mouvement a, lui aussi, des limites, et qu'on ne peut pas même concevoir dans l'espace un mouvement infini qui s'accomplirait en ligne droite. Mais dans un autre sens, le mouvement peut être infini ; il peut l'être par le temps qu'il dure ; et le mouvement circulaire peut être infini s'il dure infiniment, et s'il tourne sans cesse dans le même cercle, au lieu d'aller en ligne directe.

C'est ainsi qu'Àristote s'élève peu à peu à c^tte grande théorie de l'éternité du mouvement. Mais avant de l'aborder, il examine deux dernières ques- tions, relatives l'une à la comparaison, l'autre à la proportionnalité des mouvements entre eux (i). Je me contente d'en parler brièvement, tout en recon- naissant qu'elles ne sont pas sans intérêt, ainsi qu'on ▼a s'en convaincre.

Pour que deux mouvements soient comparables, il

(i) Je passe ainsi sous silence les quatre premiers chapitres du li?re vu. Je ne les tiens pas seulement pour apocryphes; mais évidemment ils interrompent la suite des pensées, et il me semble qu*elle reprend assez régulièrement au chapitre v. Les quatre premiers chapitres annoncent du reste et préparent quelques théories développées dans le livre VIII. Voir la Dissertation pré- liminaire, page 42d.

Lxxxii PRÉFACE

faut qu'ils soient du même genre. Ainsi on peut bien comparer des mouremenls de translation avec des mouyements de translation, des mouvements d'ao- croissement avec des mouvements d'accroissement ; mais on ne pourrait point passer d'un genre à un autre, et comparer, par exemple, un accroissement avec une translation, ou un déplacement avec une altération. Seulement le temps peut servir id de commune mesure entre des espèces d'ailleurs fort différentes, et il est possible que telle altération dure autant de temps que telle translation. L'altération alors et la translation pourront être comparées entre elles.

Quant à la proportionnalité des mouvements, elle s*adresse aux mouvements de même ordre ; et Àris-- tote essaie d'en tracer les règles principales. Ainsi le mobile, le temps et la distance parcourue selon la force du moteur et selon la résistance du mobile, sont quatre termes qui ont entre eux des relations constantes. La puissance et la résistance restant les mêmes, la distance parcourue sera moitié moindre, si le temps que dure le mouvement est moindre de moitié. Si c'est la puissance qui est réduite de moi- tié, la résistance et le temps ne changeant pas, l'effet produit sera réduit de moitié comme la puis-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. uxxiu

sance* Si c'est h mobile qui offre moitié moins de résistanee, dans un temps égal la puissance ou le moteur produira un effet double. Gela revient à dire que ces quatre termes sont liés entre eux de telle manière qu'il suffit que l'un d'eux varie pour qu'à l'instant même les trois autres varient égal^ ment dans des proportions relatives. Si les forces, les mobiles et les temps sont égaux, le mouvement produit sera ^1.

Mais dans la réalité, il y a des exceptions dont il faut tenir compte; et de ce qu'un moteur peut mou^ voir un certain mobile dans une certaine mesure durant un temps donné, il ne s'ensuit pas nécessai** rement que le même moteur dans le même temps puisse mouvoir un mobile double de la moitié de la distance ; car il peut se Mre que dans ce cas le mo^ teur soit impuissant à exercer aucune action sur le mobile. Si, par exemple, il faut toute la force du moteur pour ébranler le mobile simple, il est bien impossible que la résistance devenant double, la force puisse encore agir en quoi que ce soit. On peut observer très-facilement quelque chose d'analogue pour une foule de faits qu'on a constamment sous les yeux. Vingt matelots étant nécessaires pour mettre un imvire en mouvement, il ne s'ensuit pas

Lxxxiv PRÉFACE

qu'un seul homme puisse le faire mouvoir d'un vingtième. Loin de là; le navire re;i»te immobile sous Teffort d'un seul homme, bien. qu'il cède aux efforts réunis de vingt autres*

Cette dernière observation, qui est pleine de jus- tesse, est employée par Âristote pour réfuter un nouveau sophisme de Zenon, ou plutôt une de ses erreurs issue comme bien d'autres de ses sophismes sur le mouvement. Soit, si l'on veut, un tas de grains, par exemple, qu'on verse sur le plancher de la grange. En tombant, il fait un certain bruit. Zenon prétendait que le bruit total était le composé des bruits partiels que font chacun des grains dont le tas est formé. Âristote répond, en arguant du phé- nomène du navire, qu'il n'en est rien, et que les parties qui entrent dans le tas peuvent fort bien, quand elles sont à part et isolées, ne produire au- cun bruit, quoique toutes ensemble elles en fassent un assez considérable. Séparée, chaque partie ne peut pas même mettre en mouvement autant d'air qu'elle en met quand elle fait partie de tout le bois- seau ; c'est qu'elle n'a d'action que quand elle est combinée avec toutes les autres, comme le matelot qui ne peut absolument rien sans ses compagnons.

J'ai cité cet exemple pour montrer que la mé-

A LK. PHYSIQUE D'ARISTOTE. uxxt

thode d'observation n'est pas aussi étrangère aux an- ciens qu'on a bien youlu le prétendre ; et ici parti- culièrementy on peut voir comment Âristote essaie d*appuyer sa théorie sur des faits bien constatés* U n'insiste pas d'ailleurs davantage sur cette réfuta- tion du fameux adversaire du mouvement , et il ter- mine ce qu'il voulait dire sur la proportionnalité du moteur, du mobile, de la distance parcourue et du temps, par deux règles non moins exactes que les précédentes. L'une concerne la composition des forces, et il remarque que si deux forces séparées poussent chacune leur mobile d'une certaine quan- tité dans un temps donné, elles pourront en se réu- nissant pousser le mobile formé de la réunion des deux autres d'une quantité égale dans un temps égal. La seconde règle concerne les mouvements d'altération et d'accroissement, auxquels Aristote applique ce qu'il vient de dire du mouvement de translation.

Avec le huitième livre, nous voici parvenus à ce grand problème de l'éternité du mouvement, le dernier qu'Âristote agite et qui couronne si digne- ment son œuvre. En le traitant, le ton du philosophe s'élève avec le sujet lui-même ; et nous retrouvons ici dans ses expressions quelque chose de la majes-

Lxxxfi PRÉFACE

iueuse ausiérilé de U Métaphysique : « Le mouve- « ment a-t-il commencé à un certain moment avant < lequel il n*était pas? Cessera-t-il quelque jour, de « même qu'il a commencé, de manière c[ue ri<en dé- ^ sormais ne puisse plus se mouvoir? Ou bien doit- « on dire que le mouvement n*a point eu de com- 4 mencement, et qu'il n'aura point de fin? Doit-^n dire qu'il a toujours été, et qu'il sera toujours, t immortel , indéfectible pour toutes choses , et c comme une vie qui anime tous les êtres que la na- c tnre a formés ? » Yoilà par quels accents solennels et simples tout à la fois s'ouvre le dernier livre de la Physique. Telle est la question suprême qu'Aristote se pose et qu'il essaie de résoudre dans toute sa por- tée ; car il sait bien et il déclare, en véritable élève de Platon, qu'elle intéresse non-seulement l'élude de la nature, mais aussi la science du principe pre- mier de l'univers.

Aristote se prononce sans hésiter pour l'éternité du mouvement, et il ne peut pas comprendre que cette question reçoive une solution difiérente. Il réfute même, av«c une certaine vivacité, Anaxagore et Empèdocle, qui se sont imaginé l'un et l'autre que le mouvement devait avoir commtencé à un mo- ment donnëw Selon lui, quand on soutient que le

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. tttxvu

mouyement a eu un commenoement, il n'y a que ces deux hypothèses de possibles : ou Ton croit, avec Anaxagore, que les choses étant restées durant un temps infini dans le repos et la confusion, c'est lln- telligence qui leiur a ccmimuniqué le mouvement et les a ordonnées; ou bien, on croit, avec Ëmpé- docle, que le monde passe par des alternatives éter- nelles de mouvement et de repos, le mouvement étant causé par TÂmour et la Discorde, et le repos n'étant que l'intervalle entre leur action succes- sive.

Ces deux explications semblent également insou- tafiables aux yeux d'Aristote ; et, s'appuyant sur les définitions qu'il a données lui-même du mouvement et du repos, il répond à Anaxagore qu'antérieure^ ment au repos, qu'il croit primordial, il a y avoir un mouvement, puisque le repos n'est que la priva- tion passagère du mouvement naturel, et qu'on ne comprend pas pourquoi llntelligence , qui serait restée un temps infini sans agir, est sortie tout à coup de son inertie. Il répond à Empédocle que cette al- ternative de mouvement et de repos ne se comprend guère mieux, bien qu'elle soit un peu moins con- traire à l'ordre qu'on doit toujours supposer dans la nature. Enfin, il reproche à tous les deux, à Anaxa-

Lxxxviit PRÉFACE

gore aussi bien qa'à Empédocle, de n'avoir pas tu qu'ils admettent sans y prendre garde l'existence an- térieure de Tunivers, et qu'ils n'expliquent qu'un état très-postérieur des choses. Âristote soutient donc que le mouvement est étemel, parce que le temps, qui est le nombre du mouvement, est éter- nel aussi ; et il critique Platon, le seul de tous les philosophes qui ait pensé que le temps avait pu être créé, comme si l'on pouvait jamais se figurer un instant quelconque qui n'ait pas été précédé d'un certain passé ni suivi d'un certain avenir.

Mais non-seulement dans la pensée d' Aristote le mouvement n'a pas eu de commencement; il ne peut pas davantage avoir de fin. Il est indestruc- tible comme il est éternel, et par la même raison ; car s'il n'est pas possible de comprendre un pre- mier changement qui n'ait point été précédé d'un changement antérieur, il n'est pas plus facile de comprendre un dernier changement qui ne serait pas suivi d'un autre changement quelconque. Si le mobile est mis originairement en mouvement par quelque chose qui le précède et existe avant lui, il n'est pas moins évident que le destructible sera dé- truit par quelque chose qui lui survivra.

Ces explications en faveur de l'éternité du mouve*

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. lxuu

ment paraissent si satisfaisantes à Àristote , qu'il Mime Démocrite de s'être arrêté à la surface des choses, et de s'être borné à déclarer simplement que les choses sont ce qu'elles sont, et qu'elles ont tou- jours été ainsi. Quant à lui, il se flatte d'avoir poussé l'analyse beaucoup plus profondément; et en effet, on ne saurait méconnaître qu*il s'est efforcé de pénétrer plus avant, en rattachant son opinion sur réterni du mouvement aux définitions essen- tielles qu'il a données de la nature, du mouvement, et du temps.

Il ne se dissimule pas, d'ailleurs, qu'il y a des objections possibles à son système ; et ces objections plus ou moins fortes, il les énumère au nombre de trois. D'abord, on peut nier Téternité du mouve- ment, en remarquant que tout changement a néces- sairement des limites, qui sont les contraires entre lesquels il se passe. Donc le mouvement, qui n'est qu'un changement, ne peut pas être éternel, parce qu'il ne peut pas être infini. En second lieu, nous voycms constamment le mouvement commencer sous nos yeux; et à tout moment des objets inanimés reçoivent le mouvement, qu'ils n'ont pas par eux- mêmes et que leur communique une cause exté- rieure. Enfin, dans les êtres animés, ce commence-

XG PRÉFACE

ment du mouyement est bien plus manifeste enoore» puisque ces êtres se meuvent selon leur volonté et par une cause qu'ils ont en eux-mêmes et dont ils disposent. Pourquoi le mouvement n'aurait-il pas commencé dans le monde et l'univers, comme nous le voyons commencer dans ce monde en petit qu'on appelle l'homme?

Ces objections n'embarrassent pas Aristote, et il n'a pas de peine à les repousser. Sans doute le chan- gement se passe souvent entre des contraires, et. si le mouvement se passait également ainsi dans tous les cas, il ne serait pas étemel. Mais il y a d'autres mouvements que celui-là, et il est facile de conce- voir un mouvement un, éternel et continu, il n'y a plus de contraires. Aristote se réserve d'expliquer quel est ce mouvement, ainsi qu'on le verra tout à l'heure. Quant à la seconde objection, elle n'a rien de contradictoire à l'éternité du mouvement, et elle prouve seulement qu'il y a des choses qui tantôt sont mues et tantôt ne le sont pas. Enfin, la troi- sième objection, qui est plus sérieuse, n'est pas non plus décisive ; car le mouvement dans l'animal n'est pas aussi libre et aussi spontané qu'on le pense ; et Aristote, attaquant en ceci le libre arbitre, suppose qu'il peut y avoir, à l'intérieur même de l'être ani-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xa

et intelligent, une foule d'éléments naturels qui sont toujours en mouvement, et qui déterminent h Boa insu le mouvement qu'il croit se donner à lui- même, et qu'il ne fiiit cependant que recevoir san3 en avoir conscience.

Une fois ces objections écartées, Aristote revient \ son sujet, et il recherche comment on peut con- cevoir qu'un mouvement soit éternel. Il s'appuie d'abord sur ce fait d'observation évidente à savoir qu'il y a dans le monde des choses qui se meuvent et d'autres qui ne se meuvent pas. Comment celles qui se meuvent reœivent-elles le mouvement? Aris- tote prend un exemple des plus ordinaires ; et, con* sidérant que, quand une pierre est mue par un bA- ton, c'est la main qui meut le bâton et l'homme qui meut la main, il en conclut que, dans tout mouve- ment, il faut toujours remonter à un premier mo- teur, lequel est lui-même nécessairement immobile, tout en communiquant au dehors le mouvement qu'il possède et qu'il crée. À cette occasion, Aristote loue Anaxagore d'avoir considéré l'Intelligence, dont il fait le principe du mouvement, comme ab- solument impassible et absolument pure, à l'abri de toute affection et de tout mélange ; car c'est seule- ment ainsi qu'étant immobile, elle peut créer le

xcii PRÉFACE

mouvement, et qu'elle peut dominer le reste du monde en ne s'y mêlant point.

Mais le moteur étant immobile, comment peut-il produire en lui-même le mouvement qui se commu* nique au dehors, et qui, se transmettant de proche en proche, atteint jusqu'au mobile le plus éloigné, à travers une foule d'intermédiaires? Que se passe-t-il dans les profondeurs du moteur premier, et de quelle façon le mouvement peut-il y naître? Aristote s'enfonce ainsi au cœur même de la question du mouvement, et il résout ce problème si obscur par les principes qu'il a posés antérieurement et qu'il regarde comme indubitables. Or, il a démontré jus- qu'à présent, que tout mobile est mu par un moteur qui lui est étranger. Mais parvenu au premier mo- teur, il sent bien qu'on ne peut plus rien chercher en dehors de lui ; car ce serait se perdre dans Tin- fini. Dans ce moteur initial, source et principe de tous les mouvements dans l'univers, il retrouvera donc encore les mêmes éléments qu'il a déjà cons- tatés. Il y aura dans le premier moteur deux parties, l'une qui meut sans être mue elle-même, l'autre qui est mue et meut à son tour; la première, qui crée le mouvement ; la seconde, qui le reçoit et le transmet. Le moteur tout entier reste immobile ; mais les deux

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE, xaii

parties dans lesquelles il se décompose ne le sont pas tout à fait comme lui ; Tune est absolument im- mobile comme il Test lui-même; l'autre reçoit Tim- pulsion, et elle peut la communiquer médiatem.ent au reste des choses.

n serait sans doute téméraire d'affirmer qu'Aris- tote a porté définitivement la lumière dans ces té- nèbres ; et il n'est pas donné à des regards humains de voir ce qui se passe dans le sein même de Dieu. Mais on peut croire, à la louange d'Aristote, qu'il n'est point resté trop au-dessous de cet ineffable sujet, ni au-dessous du Timée de Platon. Il a bien TU le mystère dans toute sa grandeur, et il a eu le courage d'en chercher l'explication, si d'ailleurs il n'a pas eu plus qu'un autre le bonheur de la ren- contrer. Il proclame l'existence nécessaire d'un pre- mier moteur sans lequel le mouvement ne pourrait se produire ni durer sous aucune forme dans l'uni- vers, et il sonde l'abime avec une sagacité et une énergie dignes d'en découvrir le fond.

Il semble cependant qu'ici il commet une erreur assez grave ; et que c'est à tort que de l'éternité du mouvement, telle qu'il l'a établie, il conclut à l'éter- nité du premier moteur. Le mouvement étant éternel selon Aristote, le premier moteur doit être éternel comme le mouvement même qu'il produit éternel-

xav ' PRÉFACE

lement. En dépit du respect que je porte au pbiloso^ phe, il me parait que c'est absolument tout l'opposé, et (|ue c'est du moteur qu'il faut conclure le mou- vement, loin de conclure de l'existence du mouve- ment l'existence du moteur. Mais je ne voudrais pas trop insister sur cette critique ; et il est bien possible qu'il n'y ait qu'une différence de mots. Le moteur doit être de toute nécessité antérieur à sa propre action ; et ce n'est peut-être que par le besoin d'une déduction purement logique et en partant de l'ob- servation sensible qu'Âristole parait n'assigner au moteur que la seconde place. Mais en se mettant au point de vue de la seule raison, il est plus conforme à ses lois de concevoir le moteur avant le mouve- ment ; car à moins d'acquiescer à ces systèmes qu'À- ristote a cru devoir combattre, et qui expliquent tout par les seules forces de la matière, il faut bien ad- mettre que les choses n'ont pu être mues que par un moteur préexistant. Sans le moteur, le mouve- ment est logiquement incompréhensible. C'est bien, si l'on veut, le mouvement, observé par nous, qui révèle le moteur ; mais il ne le fait pas, tandis qu'au contraire c'est le moteur qui fait le mouvement, et l'on ne peut les prendre indifféremment l'un pour l'autre. Dans ces matières délicates, moins que partout

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE, xc?

ailleurs, il ne faut rien prêter à Téquivoque ni au doute ; il est plus rationnel et plus sûr, avec Platon, de poser Dieu à Torigine des choses, et d'en faire dans rimmanence de son éternité le créateur du mouyement, de l'espace et du temps. Les idées de Timée sont plus acceptables à la raison, et elles sem- blent mieux exprimer l'immuable vérité des choses, Arislote ne les a point directement réfutées ; mais il ne les adopte pas, sans pouvoir d'ailleurs pres- sentir qu'il se mettrait en un dissentiment profond avec l'orthodoxie chrétienne, aussi bien qu'il y était avec le maître dont il avait si longtemps entendu les leçons. C'est que peut-être Anaxagore ne se trom- pait point autant qu'il paraissait à Aristote; et son seul tort, tout en accordant à Tlnlelligence l'initia- tive du mouvement, c'était de la faire postérieure aux choses mêmes qu'elle devait mouvoir et ordonner.

D'ailleurs le premier moteur étant éternel, Aris- tote reconnaît sans peine qu'il doit être unique; et la seule raison qu'il en donne, tout à fait péremp- toire pour lui, c'est que l'unité vaut mieux que la pluralité, et que toujours dans la nature c'est le mieux qui l'emporte sur son contraire (i). Il n'est

(i) Laplace dit quelque chose de tout à fait semblable^ Expo- titian du Système du mondc^ Livre HI.

xcvi PRÉFACE

pas besoin de plus d'un seul principe pour expliquer

cette alternative perpétuelle de génération et de des- truction, et ce changement incessant qui se mani-«

feste dans toutes les choses naturelles. Certainement cet argument tout logique qu'Aristote donne ici, comme il le répète au douzième livre de la Métaphy^ siquCy n'est pas sans valeur; mais il pouvait être présenté sous une forme à la fois plus réelle et plus claire; et l'unité de dessein qui éclate dans toutes les parties de la nature, tant admirée par Aristote, ré- vèle irréçistiblement l'unité de son auteur. Puis, comment comprendre que le premier moteur, qui est éternel et infini, puisse ne pas être un? Gomment la pluralité pourrait-elle s'accorder avec son infini- tude?

Jusqu'à présent, il a été démontré que le premier moteur est unique et qu'il est éternel dans son unité et dans son action. Mais quelle est la nature et l'es- pèce particulière de mouvement que produit le pre- mier moteur? Telle est la seule et dernière question à peu près qu'il reste encore à éclaircir, et dont la solution doit terminer toute la science de la phy- sique.

Le mouvement étant étemel, le premier moteur qui est un et éternel aussi, ne pourra produire

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xcni

qu'on mouvement qui sera de toute nécessité un, identique, continu et premier cx)mme lui. Il s*agit donc de trouver un mouvement qui remplisse toutes ces conditions. Or en y regardant de près, on voit que, dans les deux espèces de mouvement qu'on ap- pelle d'accroissement et d'altération, ou, en d'au- tres termes, de quantité et de qualité, on implique toujours l'idée d'un mouvement de lieu, c'est-à-dire de translation. La translation est donc logiquement et essentiellement le premier de tous les mouve- ments, puisque tous les autres le supposent néces- sairement, tandis que celui-là peut se passer de tous les autres. De plus, la translation ou mouvement dans l'espace est le privilège des êtres les plus re- levés; et l'on voit qu'elle est accordée aux animaux les plus parfaits, tandis qu'elle est refusée aux plan- tes. Enfin la translation parait supérieure, en ce que dans la translation la substance demeure plus im- muable que dans tout autre espèce de mouvement, l'être doit toujours être modifié, soit dans sa qualité, soit dans sa quantité.

A tous ces titres déjà, rationnels, essentiels, chro- nologiques, la translation est le premier des mouve- ments. Mais en outre elle est le seul qui puisse être continu. Tous les autres mouvements vont d'un con-

XGViil PRÉFACE

traire à un autre contraire; et à chaque contraire successivement réalisé, il y a un moment de repos; car les contraires ne pouvant jamais être simulta* nés, il s'ensuit qu'il y a toujours entr'eux un inter- valle, c'est--à-dire une interruption, quelque faible qu'on la suppose. Donc, aucun mouvement dans la quantité ou dans la qualité ne peut être continu. Mais dans ]a translation il n'y a rien de pareil, et tant qu'elle dure, elle est d'une parfaite continuité. Ainsi, la translation est bien le mouvement un, pre- mier et continu qu'on cherchait.

Mais la translation elle-même n'est pas simple, et l'on doit y distinguer plusieurs espèces. Ainsi, il y a d'abord la translation circulaire ; puis, il y a la trans- lation en ligne droite, et en troisième lieu, la trans- lation mixte, c'est-à-dire la translatipn composée mi-partie d'un mouvement en ligne droite, et mi- partie d'un mouvement en cercle. De ces trois es- pèces de translation, quelle est celle qui peut four- nir ce mouvement un, inflni et continu du premier moteur? C'est ce qu'il faut déterminer. D'abord on doit mettre de côté la translation mixte, puisqu'elle n'est rien par elle-même que ce que sont les deux autres qui la forment par leur combinaison. Res- tent donc la translation en ligne droite et la tran&-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTEL xcu

lalion circulaire. À laquelle des deux donner la pré- férence? Àristote élimine la translation directe, d'a-^ près ce fait qu'il regarde comme évident, à saToir que toute ligne droite est nécessairement finie, et que le corps pour la parcourir d'une manière éter- nelle devrait revenir sur lui-même ; alors il aurait des mouvements contraires, et, à chaque retour, il se produirait un certain repos qui interromprait la conlinuité du mouvement. Au contraire, dans la translation circulaire, il peut ne point y avoir au-^ cune espèce de repos ni de temps d'arrêt; le mouve- ment peut y être absolument continu, et d'une con- tinuité étemelle. Dans cette translation, le corps ne va pas d'un contraire à un autre contraire. 11 part d'un point pour revenir à ce point encore, par la même impulsion. A chaque instant, il se meut vers le point il doit arriver, et tout ensemble il s'en éloigne. Le mouvement circulaire part de soi pour revenir à soi ; et cependant il ne repasse jamais par les mêmes points, comme le fait de toute nécessité le mouvement en ligne droite, qui revient sur les mêmes traces qu'il a déjà parcourues, et qui n'a qu'une apparente continuité.

Il n'y a donc que la translation circulaire qui puisse produire un mouvement un, infini, continu

c PRÉFACE

et éternel. Le corps y est sans cesse porté vers le centre, lequel est lui-même immobile et en dehors de la circonférence, dont il ne fait point partie. Ainsi, dans la translation circulaire, il y a tout à la fois repos et mouvement. C'est ce qui fait aussi que le mouvement circulaire est le seul qui soit uni- forme ; car, dans le mouvement en ligne droite, la chute du corps est irrégulière, et elle est d'autant plus rapide qu'elle approche davantage de son t^rme. Mais le mouvement circulaire, précisément parce qu'il a en dehors de lui son origine et sa fin, est d'une absolue régularité. Voilà comment il peut servir de mesure à tous les autres mouvements. C'est sur lui qu'ils se règlent, tandis que lui ne se règle que sur lui-même.

Voilà déjà bien des notions sur le premier moteur immobile; car nous savons qu'il est un et éternel, et que le mouvement : qu'il crée est le mouvement cir- culaire, le seul de tous les mouvements qui puisse être un, éternel, continu, régulier et uniforme. Aristote ajoute sur le moteur premier deux autres considérations non moins profondes et non moins vraies, par lesquelles il achève sa Physique, ou plu- tôt la théorie du mouvement. IjC premier moteur est nécessairement indivisible, et il est sans gran-

A LA PHYSIQUE FARISTOTE. ci

deur quelconque. S'il avait une grandeur quelle qu'elle fût, il serait fini ; et une grandeur finie ne peut jamais produire un mouyement infini et éter- nel, pas plus qu'elle ne peut avoir une puissance in- finie. Immobile et immuable, il a éternellement la force de produire le mouvement sans fatigue et sans peine ; et son action ne s'épuise jamais, toujours uniforme, égale et identique, d'abord en lui-même, et ensuite dans le mobile, sur lequel elle s'exerce.

Enfin, placer dans l'univers le premier mo- teur? En quel lieu réside-t-il, si toutefois on peut sur l'infini et l'éternel élever une telle question? Est-ce au centre? Ou n'est-ce pas plutôt à la circon* férence , puisque c'est à la circonférence que les mouvements sont les plus rapides, et que ce sont les parties les plus rapprochées du moteur qui sont mues avec le plus de rapidité? Tel est le système du monde, mu durant l'éternité par le premier moteur, qui n'a lui-même, dans son unité, dans son infini- tude et dans son immobilité, ni parties ni aucune espèce de grandeur possible.

Voilà les derniers mois et les dernières idées de la Physique d'Aristole, terminant cette vaste étude par une théorie de l'action de Dieu sur le monde. Certainement on ne peut pas approuver cette théo-

eu PRÉFACE

dicée dans tous ses détails, et je ne me chargerais pas volontiers de la défendre sur tons les points. Mais quel est le philosophe qui dans ces matières peut se flatter de n'avoir point commis d'erreur et de n'avoir fait aucun faux pas? Tout en avouant qu'Aristote aurait pu rester plus près de la vérité, en restant plus docile aux enseignements de Platon et de Socrate, j'aime mieux considérer les mérites de sa théorie que ses lacunes par trop évidentes ; et en présence de ce grand monument, qui fait tant d'hon* neur à l'intelligence humaine, je préfère de beau- coup l'admiration à la critique. Je passe donc con- damnation très-aisément sur les défauts d'Aristote ; et tout ce que je demande pour lui, c'est qu'on veuille bien étudier son œuvre dans l'esprit elle a été conçue, et qu'on rende justice à un système aussi étendu et aussi pénétrant. Il y a tout à l'heure vingt^leux siècles qu'Aristote instituait cette grande investigation, et l'on va voir, par le peu que j'ai à dire sur l'histoire de ces théories, quelle en est la valeur comparative et quelle influence elles ont exercée.

Mais je croirais n'avoir point fait assez connaître ici la Physique d'Aristote si, avant de la quitter, je ne parlais du style dans lequel elle est écrite. Sans

A LA PHYSIQUE D^ARISTOTE. cin

doQte le style importe peu dans des pensées de cet ordre, et la forme sous laquelle on les présente suffit toujours du moment qu'elle les fait suffisamment comprendre. Mais il est dans Physique quelques morceaux tellement remarquables, et le ton général en est si ferme et si original dans sa simplicité scien- tifique, qu'il est bon de le recommander à Tatlention et à l'estime de notre temps. L'exemple en est trop rare pour qu'il soit inutile de le signaler. Je repro- duis de pr^érence trois passages qui ont chacun un caractère différent, et qui, détachés du reste, ne feront pas moins d'effet, je suppose, dans leur iso- lement.

La première citation que je rappellerai se rap- porte à l'action de la nature, qui, dans tout ce qu'elle fait, a toujours en vue une certaine fin, et qui ne procède jamais au hasard non plus que par néces^ &ité, idées que j'ai déjà louées plus haut. Aristote sait bien qu'à cette théorie, toute juste qu'elle est, il y a des objections, et il va aunievant de ces objec- tions pour les réfuter.

Livre II, chapitre viii, §§ 2 et suivants :

a Mais ici oq élève un doate, et Ton dit : Qui empêche « que la nature agisse sans avoir de but et sans cbercber « le mieux des choses ? Jupiter, par exemple^ ne fait pas

ciT PRÉFACE

tf pleuvoir pour développer et nourrir le grain. Mais il 0 pleut par une loi nécessaire ; car en s' élevant, la vapeur Cl doit se refroidir ; et la vapeur froide, devenant de Teau, « doit nécessairement retomber. Que si ce phénomène « ayant lieu, le grain en profite pour germer et croître, a c'est un simple accident. Et de même encore, si le grain « qu'on a mis dans la grange vient à s'y perdre par suite « de la pluie, il ne pleut pas apparemment pour que le « gi*ain pourrisse; et c'est un simple accident s'il se « perd. Qui empêche également de dire que, dans la « nature, les organes corporels eux-mêmes sont soumis « à la même loi, et que les dents, par exemple, poussent « nécessairement, celles de devant incisives et capables « de déchirer les aliments, et les molaires, larges et « propres à broyer, bien que ce ne soit pas en vue de 0 cette fonction qu'elles aient été faites et que ce soit une « simple coïncidence ? Qui empêche de faire la même a remarque pour tous les organes il semble qu'il y ait tt une fin et une destination spéciales 7 Ainsi donc, toutes « les fois que les choses se produisent accidentellement 0 telles qu'elles se seraient produites en ayant un but, « elles subsistent et se conservent, parce qu'elles ont « pris spontanément la condition convenable ; mais « celles qui ne l'ont pas prise périssent ou ont péri, 0 comme Empédocle le dit de ses créatures bovines à « proue humaine.

a Telle est l'objection qu'on élève et à laquelle revien- « nent toutes les autres.

« Mais il est bien impossible, continue Aristote, que « les choses se passent comme on le prétend. Ces organes a des animaux dont on vient de parler et toutes les

A LA PHYSIQUE IVARISTOTEL cv

« choses que la nature présente à nos regards, sont telles « qu'elles sont ou dans tons les cas ou dans la majorité a des cas. Mais il n'en est pas du tout ainsi pour rien de « ce que produit le hasard. On ne trouve point en effet « que ce soit un hasard ni une chose accidentelle qu'il « pleuve fréquemment en hiver ; mais c'est un hasard au a contraire s'il pleut beaucoup, quand le soleil est dans « la constellation du Chien. Ce n'est pas davantage un a hasard qu'il y ait de grandes chaleurs dans la Canicule; « mais c'en est un qu'il y en ait en hiver. Si donc il faut, a de deux choses l'une, que ces phénomènes aient lieu a soit par accident soit en vue d'une fin, et, s'il n'est pas a possible de dire que ces phénomènes soient accidentels a et fortuits, il est clair qu'ils ont lieu en vue d'une fin « précise. Or, tous les faits de cet ordre sont dans la a nature apparemment, comme en conviendraient ceux- a mêmes qui soutiennent ce système. Donc, il y a un a pourquoi et une fin à toutes les choses qui existent ou « se produisent dans la nature.

a J'ajoute que partout oii il y a une fin, c'est pour a cette fin qu'est fait tout ce qui la précède et tout ce qui a la suit. Donc, telle est une chose quand elle est faite, a telle est sa nature ; et telle est cette chose par sa nature, « telle est quand elle est faite, tontes les fois que rien ne tt s'y oppose. Or, elle est faite en vue d'une certaine fin ; « donc elle a cette fin par sa nature propre. En suppo- a saut qu'une maison fût une chose que fit la nature, la a maison serait précisément, par le fait de la nature, ce a qu'elle est aujourd'hui par le fait de l'art ; et si les « choses naturelles pouvaient venir de l'art aussi bien « qu'elles viennent de la nature, l'art les ferait exacte-

cvi PRÉFACE

« ment ce qae la nature les fait... Ceci est surtout mani- (( feste dans les animaux autres que l'homme qui ne font a ce qu'ils font, ni suivant les règles de Fart, ni après i< élude, ni par réflexion ; et de vient qu'on s'est par- a fois demandé si les fourmis, les araignées et tous les « êtres de ce genre n'exécutent pas leurs travaux à l'aide « de l'intelligence ou d'une autre faculté non moins haute. « En faisant quelques pas de plus sur cette route, on ix peut voir que, dans les plantes elles-mêmes se pro- ie dnisent aussi les conditions qui concourent à leur fin, « et que, par exemple, les feuilles sont faites pour garan- ce tir le fruit. Si donc c'est par une loi de la nature, si « c'est en vue d'une fin précise que l'hirondelle fait le « nid seront ses petits, et l'araignée sa toile, que les t( plantes portent leurs feuilles protectrices du fruit, et tt qu'elles poussent leurs racines en haut et non en bas « pour se nourrir, il est de toute évidence qu'il y a une m cause du même ordre pour toutes les choses qui exis- « tent ou qui se produisent dans la nature entière.

« Mais si, dans le domaine de l'art les choses qui (c réussissent sont faites en vue d'une certaine fin, et si, u dans les choses qui échouent, l'art a seulement fait « effort pour atteindre le but qu'il se proposait sans y « parvenir, il en est de même dans les choses naturelles, {< et les monstruosités ne sont que des déviations de ce a but vainement cherché. »

Tel est le premier morceau que je tenais à citer, et qui ne se recommande pas moins au bon goût qu'à la science. Quel naturel et quelle simplicité

A LA PHYSIQOE ITARISTOTE. cth

dans la grandeur! Quelle sobriété de développe- ments ! Quelle vigueur et quelle justesse d*argu- ments ! A qui comparer cette sévère et puissante éloquence? Plus tard on a fait des phrases sur la nature; mais ici tout est profondément senti et pensé. Et ajoutez qu'au temps d'Arislote tout ceci n'était pas moins neuf que vrai. Aujourd'hui c'est un lieu commun ; mais quatre siècles avant notre

ère!

Le second morceau est d'un genre différent ; mais il n'est pas moins beau, quoiqu'il soit tout psycholo- gique et métaphysique. 11 est relatif à la théorie du temps.

Livre IV, ch. xiv, §§ 2 et suivants :

0 Voici, dit Aristote, quelques raisons qn*0D pourrait « alléguer pour prouver que le temps s'existe pas du Il tout, ou du moins que, s'il existe, c'est d'une façon à « peine sensible et très-obscure. Ainsi, l'une des deux « parties du temps a été et n'est plus ; l'autre doit être « et n'est pas encore. C'est pourtant de ces éléments que a se composent et le temps infini et le temps que nous a comptons dans une succession perpétuelle. Or, ce qui « est composé d'éléments qui n'existent pas, semble ne a pouvoir jamais être regardé comme possédant une 0 existence véritable. Ajoutez que, pour tout objet divi- « sible, il faut de toute nécessité, puisqu'il est divisible, « que, quand cet objet existe, quelques-unes de ses par^

GYiii PRÉFACE

a lies ou même toutes ses parties existent aussi. Or, pour (( le temps, bien qu'il soit divisible, certaines parties ont 0 été, d'autres seront, mais aucune n'est réellement. Le « présent, l'instant n'est pas une partie du temps ; caria tt partie d'une chose sert à mesurer cette chose ; et d'un a autre cAté, le tout doit se composer de la réunion des par- (1 ties ; or, il ne parait pas que le temps se compose d'ins- a tants et de présents successifs. De plus, cet instant, ce a présent même, qui sépare et limite, à ce qu'il semble, a le passé et le futur, est-il un ? Reste-t-il toujours iden- tt tique et immuable? Ou bien est-il différent, et sans 0 cesse différent 7 Toutes questions qu'il n'est pas facile <( de résoudre. En effet, si l'instant est toujours autre et a perpétuellement autre... ., et si Tinstant qui n'est plus (( à présent mais qui a précédemment été, doit nécessaire- « ment avoir péri à un moment donné, alors les instants (( successifs ne pourront jamais exister simultanément Cl les uns avec les autres, puisque l'antérieur aura tou- (( jours nécessairement péri. Or, il n'est pas possible que « l'instant ait péri en lui-même, puisqu'il n'existait pas « alors ; et il n'est pas possible davantage que l'instant « antérieur ait péri dans un autre instant. Par consé- if quent, il faut admettre qu'il est impossible que les « instants tiennent les uns aux autres, comme il est a impossible que, daus la ligne, le point tienne au tt point. »

Ces doutes sur la réalité du temps n'arrêtent point Arislole ; et, après avoir montré que quelques philosophes ont eu tort de confondre le temps avec

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cix

le mouvement et avec la révolution de la sphère cé- leste, il poursuit : Même livre, chapitre xvi, §§ 1 et suivants :

a Nous convenons cependant que le temps ne peut se o comprendre sans le changement ; car , nous-mêmes , ff lorsque nous n'éprouvons aucun changement dans a notre pensée, ou que le changement qui s'y passe nous « échappe, nous croyons qu'il n'y a pas en de temps d'é- R coulé, pas plus qu'il n'y en a pour ces hommes de la a fable qui, dit-on, dorment à Sardos auprès des héros, cf et qui n'ont à leur réveil aucun sentiment du temps, ec parce qu'ils réunissent l'instant qui a précédé à Fins- « tant qui suit, et n'en font qu'un par la suppression de a tous les instants intermédiaires qu'ils n'ont pas perçus. a Ainsi donc, de même qu'il n'y aurait pas de temps si a l'instant n'était point autre, et qu'il fût un seul et o même instant, de même aussi quand on ne s'aperçoit « pas qu'il est autre, il semble que tout l'intervalle n'est « plus du temps. Mais si nous supprimons ainsi le temps, Cl lorsque nous ne discernons aucun changement, et que ce notre âme semble demeurer dans un instant un et in- « divisible ; et si, au contraire, lorsque nous sentons et K discernons le changement, nous affirmons qu'il y a du « temps d'écoulé, il est évident que le temps n'existe c( pour nous qu'à la condition du mouvement et du chan- ci gement. Ainsi, il est incontestable également et que le Cl temps n'est pas le mouvement, et que sans le mouve- it ment le temps n'est pas possible.

Aristote en conclut que le temps est le nombre du

ex PRÉFACE

mouvemenl, et il ajoute (même livre, ch. xviii, §§ 5

et suiv.) :

(( De même que, par un retour constamment pareil, le « mouvement peut être un et identique, de même aussi « le temps peut être identique et un périodiquement : a par exemple, une année, un printemps, un automne. « Et non-seulement nous mesurons le mouvement par le a temps ; mais nous pouvons réciproquement mesurer le « temps par le mouvement, parce qu'ils se limitent et se « déterminent mutuellement l'un par Tautre. Le temps (( détermine le mouvement, puisqu'il en est le nombre ; tt et de même le mouvement détermine aussi le temps, a Quand nous disons qu'il y a beaucoup de temps d'é- f( coulé, nous le mesurons par le mouvement, de même « qu'on mesure le nombre par la chose qui est l'objet de il ce nombre. Ainsi, par exemple, c'est par un seul che^ 0 val qu'on mesure le nombre des chevaux. Nous con- a naissons donc la quantité totale des chevaux par le « nombre; et, réciproquement, c'est en considérant un if seul cheval que le nombre même des chevaux se trouve a connu. Le rapport est tout à fait pareil entre le temps Q et le mouvement, puisque nous calculons de ipême le tt mouvement par le temps, et le temps par le mouve- « ment. C'est d'ailleurs avec toute raison ; car le mouve- « ment implique la grandeur, et le temps implique le 0 mouvement, parce que ce sont également et des « quantités, et des continus et des divisibles. C'est parce a que la grandeur a telles propriétés, que le temps a tels a attributs ; et le temps ne se manifeste que grâce au « mouvement. Aussi nous mesurons indifféremment la

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxi

« grandeur par le mouvement, et le mouYement par la « grandeur ; car nous disons que la route est longue si le « voyage a été long ; et réciproquement, que le voyage o est long si la route a été longue. De même, nous di- « sons qu'il y a beaucoup de temps s'il y a beaucoup de a mouvement ; et réciproquement, beaucoup de mouve-^ a ment, s'il y a beaucoup de de temps.

Je doute qu'aujourd'hui nous ayons rien de mieux à dire sur le temps, et que nos analyses psy- chologiques dépassent celle-ci en finesse et en exac- titude.

Enfin, le dernier morceau que je veux donner comme exemple est exclusivement scientifique, et il montrera que la manière d'Arislote, quand il traite un sujet de ce genre, se rapproche beaucoup de celle qu'adopte la science même de nos jours. Aris*- tote veut prouver que le vide n'existe pas, et parmi d'autres arguments, il emploie celui-ci, que dans le vide il n'y aurait plus aucune proportion possible entre les distances parcourues par les corps, selon qu'ik seraient plus légers ou plus pesants.

Livre IV, ch. n, §§ 2 et suivants :

« Évidemment, dit-il, il y a deux causes possibles àce « qu'un même poids, un même corps, reçoive un mou- « vement plos rapide : ou c'est parce que le milieu qu'il

cxii PRÉFACE

« traverse est différent, selon qae ce corps se meut dans i Teau, dans la terre ou dans l'air; ou c'est parce que 0 le corps en mouvement est différent lui-même, selon « que, toutes choses restant d'ailleurs égales, il a plus de « pesanteur ou de légèreté. Le milieu que le corps tra- ce verse est une cause d'empêchement, la plus forte pos- (c sible quand ce milieu a un mouvement en sens con- (( traire ; et ensuite, quand ce milieu est immobile. Cette « résistance est d'autant plus puissante que le milieu est a moins facile à diviser, et il résiste d'autant plus qu'il « est plus dense. Soit le corps A, par exemple, traver- « sant le milieu B dans le temps C, et traversant le mi- « lieu D, qui est plus ténu, dans un temps £. Si la lon- (( gueur de B est égale à la longueur deD, le mouvement A sera en proportion de la résistance du milieu. Suppo- a sons donc que B soit de l'eau, par exemple, et que D (( soit de l'air. Autant l'air sera plus léger comparative- « ment et plus incorporel que l'eau, autant A traversera « D plus vite que B. Évidemment la première vitesse « sera à la seconde vitesse dans le même rapport que « l'air est à l'eau ; et si l'on suppose, par exemple, que l'air a est deux fois plus léger, le corps traversera B en deux (( fois plus de temps que D; et le temps C sera double « du temps Ë. Donc toujours le mouvement du corps « sera d'autant plus rapide que le milieu qu'il aura à « traverser sera plus incorporel, moins résistant et plus « facile à diviser. »

Voilà le style d'Arislole, aux divers points de vue on peut le considérer. Je ne dis pas qu'il soit

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxni

toujours aussi clair et aussi limpide dans tout le cours de la Physique; mais les morceaux que je viens d'en extraire ne sont pas les seuls, et Ton n*aurait pas de peine à leur trouver bon nombre de pendants.

J'en arrive maintenant à l'histoire de ces grandes doctrines. Pour tous les siècles qui ont suivi Àris- tote jusqu'à Descartes, je me bornerai à quelques détails très-brefs ; mais je m'arrêterai davantage sur Descartes et sur Newton, sans oublier Laplace, afin de montrer par la comparaison de nos théories con- temporaines tout ce que valent celles d'Aristote, et combien peu on y a changé, tout en y ajoutant beaucoup. *

Ce que j'ai dit plus haut sur Platon doit faire voir oh en était la science quand Àristote composa son ouvrage. Mais il est probable qu'avant Platon lui- même, l'école Pythagoricienne avait étudié profon- dément quelques-unes de ces questions. Simplicius, dans son commentaire sur la Physique^ cite un ma- gnifique passage d'Archytas sur la notion du temps et de l'instant, l'on retrouve quelques-unes des idées d'Aristote lui-même (1). 11 serait hasardeux de

(1) Gommentoire de Simplicius sur la Physique d'Aristote,

h

cziv PRÉFACE

répondre de Tauthenticité de ce fragment d'Archy- tas» extrait de son livre sur YVnivers; et Simplicius, placé à près de mille ans de date, n'est ni un témoin irrécusable ni un infaillible juge. Il est très-possible que ce morceau soit apocryphe, comme tant d'au- tres fabriqués à Alexandrie et ailleurs ; mais les dis- cussions mêmes de la Physique démontrent assez qu'antérieurement au disciple de Platon d'autres philosophes s'étaient occupés des mêmes matières, qu'il a traitées après eux. Il est vrai que ces discus- sions prouvent aussi que les philosophes antérieurs avaient peu fait pour cette branche de la science, et que sous ce rapport Aristote les dépasse comme sous tant d'ai^^tres. On peut donc affirmer qu'il a constitué la physique, et qu'il a immensément accru l'héritage qu'il recevait de ses prédécesseurs.

Quant aux temps postérieurs, je ne crains pas d'avancer qu'ils ont été uniquement les échos de la doctrine péripatéticienne, et qu'ils n'ont fait que la répéter et la reproduire jusqu'à la fin du xvi* siècle.

livre IV, chapitres sur la théorie du temps. Le commentaire de Slmplicius est d'un prix infini par les citations qu'il fait de tous les anciens philosophes, et ces citations sont pour la plupart d'une authenticité indubitable. Mais pour l'école de Pythagore, elle avait été particulièrement défigurée par les faussaires, et dès le temps d'Aristote oiême, on ne la connaissait Que tfès^imparfoitemeiit.

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. civ

D'abcml dans Técole même d'Aristote, ses élèves les plus distingués, Théophraste et Eudème se sont astreints à suivre les pas du maitre, et ils ont traité comme lui de la nature et du mouvement, en se con* formant aux leçons qu'ils avaient entendues et qu'ils se gardaient bien de modifier, tout en s*en écartant quelquefois, non sans indépendance, sur des points secondaires. Nous n'avons plus malheu- reusement les ouvrages de Théophraste ni celui d'Eudème (i). Mais Simplicius, qui les possédait en- eore au ti^ siècle de notre ère, en a fait des extraits nombreux, et les citations qu'il nous en a trans- mises, indiquent très-clairement que les disciples s'étaioit contentés de paraphraser et d'expliquer renseignement qu'ils avaient reçu. Tout en parais- sant composer des ouvrages originaux, ils n'avaient fait que des imitations et des copies, qui rendaient le précieux service de propager la doctrine et de Tédaîrcir. C'est là, du reste, la tradition conservée dans toute Técole aristotélique, et nous la retrou- vons encore également vivante et dans Alexandre

(1) Théophraste avait fait deux ouvrages au moins de physique : Tun sur la Nature, et Tautre sur le Mouvement, qui avait dix livres, et peut-être plus. Ces ouvrages paraissent avoir été conçus tout à fait sur le même plan que ceux de ces deux philosophes sur la logique d^Aristote» Voir le Gomm^itaira de SimpUcius sur la Physique» pas^im el s|urtout Livre I,

cxvi PRÉFACE

d'Âphrodise, dont le commentaire n'est pas non plus parvenu jusqu'à nous, et dans Simplicius, qui a été du moins épargné par le temps. C'est un es- pace de plus de huit siècles.

On ne voit pas que, ni Técole stoïcienne ni l'école d'Ëpicure, après Àristote, se soient beaucoup occu- pées de la théorie du mouvement, et ces questions ne sont reprises avec quelque ardeur, si ce n'est avec beaucoup de nouveauté, que dans l'école d'A- lexandrie. Simplicius rappelle notamment et avec grands détails les travaux de Proclus et , de Damas- cius, et il les analyse soigneusement en ce qui con- cerne l'espace et le temps. Sur quelques points de* peu d'importance, ces philosophes se séparaient du système aristotélique, et ils essayaient de le com- battre* Mais on peut douter que, s'ils ne l'avaient pas connu préalablement, leurs méditations se fussent dirigées sur ce sujet et qu'elles eussent été aussi sé- rieuses qu'elles le furent. Je ne nie pas que ces tra- vaux, qui d'ailleurs ne nous sont pas assez connus, ne méritassent, ainsi que les spéculations de Plo- tin (1), l'attention de l'histoire de la philosophie. Mais comme ces recherches n'ont produit aucune

(1) Voir la traduction excellente de Plotin, par M. N. Boaillet, VI* Ennéade, livre ui, ch, 21, t UI, p. 290, et aussi p. 179.

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxvii

grande doclrine à côté de celle d'Arislote, je crois pouvoir les passer sous silence ; le mysticisme n'é- tait pas propre à faire avancer des questions scien- tifiques. Je me borne donc à ce qui précède sur Tan- tîquité, et j'arrive au 'moyen-âge sur lequel je ne m'arrêterai pas même aussi longtemps.

Dans la philosophie arabe, et dans la Scholas- tique, la Physique d'Âristote est enseignée et com- mentée avec zèle; mais on ne fait aussi que l'expli- quer et la paraphraser ; on l'accepte sans la discu- ter ; on la contredit bien moins encore. Averroès, Albert-le-Grand et saint Thomas d'Aquin, pour ne citer qu'eux, ont reproduit sous diverses formes la théorie du mouvement, telle qu'elle est dans la PAy- sique. Averroès en a fait trois commentaires sucxjes- sifs pour en mieux résoudre toutes les difficultés. Albert-le-Grand l'a prise pour sujet de ses leçons sans en omettre une seule idée, et il a cherché à y porter la lumière par des développements pleins de science et de gravité. Quant à saint Thomas, plus concis et non moins sagace que son maître, il a suivi pas à pas le texte de la Physique dans la tra- duction de Guillaume de Morbéka, et il n'a pas laissé un seul passage sans une élucidation brève mais décisive. A côté de ces trois noms, je pourrais

oxviu PRÉFACE

en placer une foule d'autred. Ce sont toujours les mêmes labeurs^ c'est toujours la même docilité, jus* qu'au jour où, vers la fin du xn* siècle, Tesprit nouveau s'insurgera avec fureur contre Aristote, et se bornera à Tinsulter parce qu'il ne peut plus le comprendre (i). Pour moi, loin de blâmer ces com- mentateurs soumis et fidèles, je les loue d'avoir con- servé au travers des âges le goût de ces nobles études, et d'en avoir entretenu si bien le culte. On n'a pas toujours à dire des cboses originales et neuves sur ces grands sujets, de la nature, de l'es- pace, du temps, de l'infini, du^mouvement et de l'é- ternité* C'est encore beaucoup de les méditer sur les traces d'autrui, quand on ne se sent pas la force de se passer de guide ; et ce n'est pas la moindre part de la gloire d'Aristote d'avoir si longtemps et si ferme- ment soutenu l'esprit humain dans ses défaillances.

(i) c'est la seule excuse pour des livres tels que celui de Ramus Scholarum Physkarum iibri octo (Paris, 1565, avec privilège royal de 1557}. Ce livre, qui ne manque ni de science ni d'esprit, est un long tissu d'outrages, d'une violence qui ne se relâche pas durant 400 pages. Ces invectives de l'infortuné novateur prouvent évidemment que le sens de la physique péripatètieienne est perdu ; et Ramus est très-sincère quand il n'y voit qu'une suite d^arguties et de subtilités, indignes de l'étude des philosophes et des physiciens. Bacon ne pense guère plus de Uen de la Vhysique d'Aristote. Voir les Cogitatianes de naturd rerumi SS 8 et A.

A LA PHYSIQUE ITARISTOTE. dix

Nous Toici à Descartes, et c'est à lui que je m*ar- réte dans la première moitié du xm"" siècle, sans contester d'ailleurs la valeur des travaux que j'o- mets, tels que ceux de Kepler et de Galilée. J'analy- serai les Principes de la philosophie j et particuliè- rement la seconde partie qui traite des principes des choses matérielles. Hais auparavant, je dois dire quelques mots de la première partie, le grand réformateur pose les principes de la connaissance humaine. On se rappelle qu'Àristote aussi, dès le préambule de la Physique, a indiqué la méthode qu'il comptait ^appliquer à l'étude de la nature. Je ne compare point certainement cette exposition si brève et si peu complète à ces admirables préceptes qui sont la base inébranlable de toute la philosophie moderne et de toute vraie philosophie; mais je ne puis m'empécher de remarquer que le début d'Âris^ tote et celui de Descartes sont au fond absolument pareils, et qu'avant d'étudier le monde du dehors, l'un et l'autre ont bien vu qu'il fallait s'appuyer sur des principes supérieurs de logique et de psycho<« logie. C'est un premier trait de ressemblance ; ce ne sera pas le seul, et les autres seront bien plus frap-* * pants et bien plus profonds. Assuré de l'existence des corps par le témoignage

eu PRÉFACE

irrécusable la conscience et par la véracité de Dieu, Descartes se demande ce que c*est qu'un corps, comme Àristote s'était demandé aussi quels sont les principes de rètre, et il répond que c'est l'extension seule qui constitue la nature du corps. Le corps n'est qu'une substance étendue en longueur, lar- geur et profondeur. C'est là, on le sait, une erreur manifeste, et quoique je n'en tire pas du tout les conséquences qu'y a vues la malveillance des adver- saires du cartésianisme, je n'hésite pas à recon- naître que Descaries s'est trompé sur la notion du corps. Je suis étonné qu'il ne s'en soit pas aperça lui*méme, en voyant que cette définition le menait à confondre inévitablement l'espace et les corps que l'espace renferme. En effet. Descartes trouve que l'espace, qu'il appelle aussi le lieu intérieur, et le corps compris en cet espace, ne diffèrent que par notre pensée. La même étendue en longueur, lar- geur et profondeur, qui constitue l'espace constitue aussi le corps, et la seule différence entr'eux consiste en ce que nous attribuons au corps une étendue particulière. Le corps est à l'espace il est contenu comme l'espèce est au genre. Cependant Descartes ne méconnaît pas qu'entre le corps et Tespace ou le lieu, il y a cette distinction essentieUe, déjà signa-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE, cxxi

lée par Âristoté, que le lien demeure quand le corps ehange et disparaît. Mais il semble croire que celte distinction est purement logique et qu'elle ne tient, comme il le dit, qu'à notre façon de penser. C'est frayer la voie à Tidéalisme ; et, sur cette pente dangereuse, Descartes se rapproche de Kant, qui fera de l*espace, ainsi que du temps^ une des formes de la sensibilité.

J'avoue que je préfère de beaucoup les idées d'Aristote sur l'espace à celles que Descartes avance avec quelque confusion et quelqu'obscurité. Sans doute il est très-difficile de définir l'idée de corps, et la monadologie leibnizienne le prouve bien , quand elle réduit l'idée de corps ou de substance à celle de force. Mais je trouve qu'Aristote en déter- minant les principes de l'être, c'est-à-dire la ma- tière et la forme avec la privation, est encore plus près de la réalité que Descartes et Leibniz, et que ce qu'il dit de la nature de l'espace séparé des corps, est à peu près ce que la philosophie a jamais dit de mieux sur ce sujet. Mais je ne cherche pas tant à découvrir les erreurs de Descartes qu'à expo- ser son système pour le comparer à celui d'Aris- tote.

Si la confusion du corps et de l'espace conduit

cjtxu PRÉFACE

Descaries à cette méprise, elle le mène aussi à re^ pousser la possibilité du vide, tout comme Àristote la repoussait après Platon. Le vide, c'est-à-dire un espace il n'y a plus de substance, est impossible dans Tunivers, attendu que, si le corps est une subs- tance par cela seul qu'il a longueur, largeur et pro- fondeur> il faut en conclure que Tespace qu'on sup- pose vide est nécessairement aussi une substance, puisqu'il y a en lui de l'extension. Descartes fait en ce qui regarde le vide une distinction verbale tout à fait analogue à celles que fait si souvent le Péripaté^ tisme. Il remarque que dans le langage ordinaire on dit d'un lieu qu'il est vide^ non pas pour dire qu'il n'y a rien du tout en ce lieu, mais seulement pour dire qu'il n'y a rien de ce que nous présumons devoir y être. Ainsi, parce qu'une cruche est faite pour tenir de l'eau, nous disons qu'elle est vide, si elle ne contient que de l'air ; un vivier est vide, quand il n'y a pas de poisson, bien qu'il soit plein d'eau ; un navire est vide, quand il n'a que son lest sans marchandises. Mais cette équivoque de l'usage vulgaire ne doit pas faire illusion au philosophe, et pour lui le vide est une chose aussi ineompréhen^ sible que le néant. De cette négation du vide, il sort pour Descartes

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. ouiu

plusieurs coûséquebces très-^aVes, qu'il ne fait qu'aflirmer plutôt qu'il ne les ptouye, mais que je dois recueillir ici. D'abord il rejette, comme Àris- tote le faisait contre Démocrile , l'existence des atomes, et il se prononce tout aussi fortement que lui pour la diyisibilité indéfinie de la matière, n conclut en outre que le monde ou la matière éten^ due qui compose l'univers, n'a pas de bornes, et que dans tous les espaces, au-delà desquels nous poutons sans cesse en concevoir d'autres, il y a un corps indéfiniment étendu* Enfin, il admet par une déduction plus ou moins rigoureuse, que la terre et les cieux sont faits d'une seule et même matière, à c cause que nous concevons manifestement que la « matière, dont la nature consisté en cela seul qu'elle est une chose étendue, occupe tous les espaces < imaginables. >

Néanmoins Descartes ne peut fermer les yeux à la réalité, et tout en admettant Tidenlilé de la matière universelle, il doit y constater des propriétés fort différentes les unes des autres. Ces propriétés qui constituent, à proprement dire, tous les phénomènes naturels. Descartes les explique par le mouvement des parties de la matière. Il ne recherche pas ici d'où vient le mouvement dans le monde ; mais un

Gxxiv PJRÉFAGE

peo plus tard il résout îe problème à la manière de Platon y en faisant de Dieu le créateur du mouve- ment de Tunivers. A cette occasion, il loue les phi- losophes d'avoir dit que la nature est le principe du mouvement et du repos. Quels sont ces philosophes? Descartes ne les nomme pas ; mais nous les connais* sons, nous qui venons d'analyser la Physique d'A- ristote. Quoi qu'il en soit, voilà comment Descartes introduit le mouvement dans ses théories, sans en étudier davantage pour le moment la nature et To- rigine. Pour quiconque voudra y regarder impartia- lement, le philosophe grec paraîtra encore, sous ce rapport^ supérieur au père de la philosophie mo- derne.

Pour Descartes, il n'y a qu'un seul mouvement, à savoir celui qui se fait d'un lieu à un autre. Des- cartes connaissait-il la distinction faite par Platon et par Aristote des mouvements d'altération et d'ac- croissement, de qualité et de quantité? C'est proba- ble ; mais il ne les admettait pas, attendu qu'il ne concevait que le mouvement local, et < qu'il ne pen- sait pas qu'il en fallût supposer d'autres en la na- ture. » Acceptant donc la définition ordinaire. Des- cartes dit d'abord que le mouvement n'est autre chose que l'action par laquelle un corps passe d'un

k LA PHYSIQUE D*ARISTOTE. cuv

lieu en un autre, et il remarque qu'on peut dire en même temps d'une même chose qu'elle se meut et ne se meut pas, selon qu'elle change de lieu à Tégard de certaines choses, et qu'elle n'en change point à l'égard de certaines autres. Ainsi celui qui est assis à la poupe d'un vaisseau que le vent fait marcher, croit se mouToir quand il ne prend garde qu'au ri- vage duquel il est parti ; et il croit ne pas se mou- voir quand il ne prend garde qu*au yaisseau sur lequel il est. Aristote ayait constaté le même phé* nomène; et peut-être avait-il mieux éclairci les choses en distinguant, comme nous l'avons vu, le lieu primitif et le lieu accidentel, l'un l'objet est immédiatement, l'autre il n'est qu'indirectement et par l'intermédiaire d*un autre objet.

Mais la définition vulgaire du mouvement ne sa- tisfait pas Descartes, et voici celle qu'il y substitue : « Le mouvement est le transport d'une partie de la matière ou d'un corps du voisinage de ceux qui le 4 touchent immédiatement et que nous considérons c comme en repos, dans le voisinage de quelques c autres, i Cette seconde définition plaît bien da- vantage à Descartes, et il la trouve selon la vérité. Ici encore, je ne puis être tout à fait de son avis ; et c'est faire un cercle vicieux que d'expliquer le mou-

cutvi PRÉFi^CE

Tement par le repos; car le repos ne peut s'expliquer aussi que par le mouTement. Il ne faut jamais dé^ finir un contraire par son contraire; car ainsi qu'A- ristote l'a si souvent répélé, la science des contraires est une et simullanée» c'est-à-dire que quand on connaît l'un des contraires on connaît aussi l'autre; et que réciproquement, quand on ignore l'un des contraires on ignore également l'autre contraire. Par conséquent, définir le mouvement, qu'on ignore, puisqu'on cherche k le connaître, par le repos, cela

n'avance guère plus que de définir le repos par le mouvement, à moins qu'on ne suppose Vidée de re* pos plus notoire que celle de mouvement ; ce qui n'est pas. Je préfère donc encore la définition aris* totélique à la définition cartésienne ; et au risque de provoquer quelques sourires parmi les savants de notre temps, je m'en tiens à l'Acte du possible, avec les explications que j'en ai données plus haut*

D'ailleurs Descartes, en ceci, n'est pas éloigné d'Aristote autant qu'on le suppose, et il remarque qu'en faisant du mouvement le transport d'une par-- tie de la matière, et non pas la force ou l'action qui transporte, il montre bien que le mouvement est toujours dans le mobile, et non pas en celui qui meut. Il ajoute encore que le mouvement est une

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxxvii

propriété da mobile, et non pas une substance, de même que la figure est la propriété de la chose qui est figurée ; et le repos, de la chose qui est en repos. Mais un point Descartes se trompe, c'est qu'il pense être le premier à établir nettement ces rela- tions du mobile et du moteur. II se plaint qu'on n'ait pas coutume de distinguer ces deux choses assez soigneusement. Mais nous avons vu au con- traire qu'Aristote avait su profondément séparer ces rapports du moteur au mobile, et c'est lui qui nous a appris que le mouvement en se réalisant est nécessairement dans le jnobile, et qu'il ne faut pas ecmfondre l'Acte du possible avec la force qui réside dans le moteur.

De l'idée de mouvement. Descartes passe naturel- lement à celle de repos, et il s'efforce de démontrer qu'il n'y a pas plus d'action dans la première que dans la seconde. Le repos et le mouvement ne sont que deux façons d'être diverses dans les corps ils se trouvent. Il ne faut pas plus d'action pour mettre un corps en mouvement que pour Tarréter quand il se meut. Du reste il est possible qu'un même corps ait plusieurs mouvements, bien que chaque corps en particulier n'ait qu'un seul mouvement qui lui soit propre, et que ce soit d'ordinaire C9 mouvement

cxxviii PRÉFACE

unique que Ton considère séparément. Par exemple, le passager qui se promène dans le vaisseau porte une montre sur lui ; les roues de la montre n'ont qu'un mouvement unique qui leur est propre, et il est certain cependant qu'elles participent aussi à celui du passager qui se promène, à celui du vais- seau, à celui de la mer, et même à celui de la terre.

Après avoir examiné la nature du mouvement, Descartes veut en considérer la cause, et comme Pla- ton, c'est à Dieu qu'il la rapporte. Dieu par sa toute- puissance a créé la matière avec le mouvement et le repos de ses parties, et il conserve maintenant dans l'univers par son concours perpétuel autant de mou- vement et de repos qu'il y en a mis en le créant. La matière a donc une certaine quantité de mouvement qui n'augmente ni ne diminue jamais dans son en- semble, mais qui peut varier sans cesse dans quel- ques-unes de ses parties. C'est une doctrine très- contestable; mais aux yeux de Descartes, elle est une sorte de dogme philosophique, et c'est attenter à l'immutabilité de Dieu, que de croire qu'il agisse d'une façon qui change jamais.

C'est en partant de ce principe que Descartes essaie de s'élever à la connaissance de certaines règles qu'il appelle, d'un nouveau nom, les lois de

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxxix

la nature, et qui sont, après Dieu, les causes se- condes des di?ers mouvements que nous remar- quons en tous les corps. Ces lois sont très-considé^ râbles selon Descartes ; et il en énumère trois qui sont les principales, si ce n'est les seules. La pre- mière loi, c'est que chaque chose demeure à Tétat elle est, soit repos, soit mouvement, tant qu'au--' cune cause ne change cet état. Ainsi nul mouvez ment ne s'arrête de soi-même, comme le croit trop facilement le préjugé vulgaire ; et il y a toujours une cause qui y met un terme. Seulement cette cause est souvent ignorée de nous, parce qu'elle est cachée à nos sens ; mais elle n'en est pas moins réelle ; et la raison que donne ici Descartes est tout aristotélique : c Le repos, dit-il, est contraire au « mouvement, et rien ne se porte par l'instinct de sa nature à son contraire, ou à la destruction de c soi-même. > Puis, empruntant un exemple qu'A- ristote avait aussi allégué, il remarque que les pro- jectiles ne s'arrêtent dans leur course que par la ré- sistance de l'air ou de tout autre milieu qu'ils tra- versent, et que, sans celte résistance, leur course une fois commencée ne cesserait plus.

La seconde loi de la nature, c'est que le corps qui se meut tend à continuer son mouvement en ligne

GXXX

PRÉFACE

droite et non en ligne circulaire. Descartes attache à cette loi la plus grande importance, et il se pro- pose d'en faire les plus nombreuses applications.

Quant à la troisième loi, elle est moins évidente et plus compliquée que les deux autres. Voici en quoi elle consiste. Si un corps qui se meut en ren- contre un autre qui a la force de lui résister, il change de direction sans rien perdre de son mouve* ment ; et si au contraire le corps qu'il heurte est plus faible que lui, il communique du mouvement à ce corps plus faible, et il perd lui-même autant de mouvement qu'il en donne. Descartes s'applique à justifier les deux parties de cette troisième loi, et à établir qu'un mouvement n'est pas contraire à un autre mouvement. C'est un point de théorie qu'A- ristote a discuté aussi tout au long ; mais la doctrine de Descartes n'est pas tellement exclusive sur l'op- position du mouvement et du repos, qu'il ne recon- naisse aussi qu'un mouvement peut être contraire à un mouvement, selon que l'un est rapide et que l'autre est lent, et aussi, comme l'avait déjà remar- qué le philosophe grec, selon que l'un des deux est dans un sens et que le second est en un sens contraire. A cet égard encore, on peut trouver que les solutions d'Aristote valent bien celles de Descartes«

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. «xxi

 la suite de la troisième loi et comme corollaire, Descartes pose les règles, au nombre de sept, relatives k la rencontre et au choc des corps qui se meuvent. Ces corps sont supposés parfaitement durs, et isolés de tous les autres, qui pourraient aider ou empè- dker leurs mouvements. Cette hypothèse générale étant admise, voici les règles. Si les deux corps sont égaux en masses et en vitesse, allant en ligne droite l'un contre l'autre, ils rejaillissent tous deux et re- tournent vers le côté d'où ils sont venus, sans rien perdre de leur vitesse. Si l'un est plus grand que l'autre, c'est le plus petit seul qui rejaillit, et les deux corps continuent leur course du même c^té. Si les deux corps étant égaux, l'un a plus de vitesse que l'autre, c'est le moins vite qui rejaillit, et les deux vont ensuite du même côté; mais, en outre, le plus vite communique au plus lent la moitié de la difiérence des deux vitesses. Voilà déjà trois règles pour le cas les deux corps sont en mouvement. Mais on peut supposer aussi que l'un des deux est en repos, et alors il y a de nouvelles règles. Si le corps en repos est plus grand que le corps qui se meut, c'est celui-ci qui rejaillit seul vers le côté d'où il est venu. Si au contraire le corps en repos est plus petit que celui qui vient le heurter, alors il est mis en

cxxxH PRÉFACE

mouvement, et les deux corps se meuvent de la même vitesse. Si le corps qui est en repos est égal au corps qui se meut, le corps qui est en mouvement trans- met à l'autre la moitié de sa vitesse et rejaillit avec l'autre moitié. Enfin, septième et dernière règle : si les deux corps sont en mouvement, mais avec des vitesses inégales, celui qui atteindra le plus fort lui transférera de son mouvement ou ne lui en transférera pas, et même rejaillira, selon que le plus lent sera plus petit ou plus grand que le plus rapide.

Ces règles posées. Descartes remarque qu'il est difficile de les vérifier dans la réalité à cause de l'hypothèse sur laquelle on les appuie. En effet, on suppose que non-seulement les corps qui se ren- contrent sont parfaitement durs, mais que de plus ils sont parfaitement isolés. Or, ces deux conditions ne se réalisent jamais dans la nature ; car elle ne nous présente jamais ni des corps absolument durs, ni des corps tellement isolés de tous les autres qu'il n'y en ait aucun autour d'eux qui puisse aider ou em- pêcher leur mouvement. Ces règles sont donc pure- ment rationnelles, et, pour juger de leur application et de leur exactitude, il faut toujours considérer les corps environnants, et voir comment ils peuvent

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. gwxhi

aQgmenter ou diminuer raction des deux corps qui w renoontrent.

Ceci conduit Descaries à rechercher ce que c*est que la dureté et la fluidité des corps, attendu que c'est uniquement par ces qualités difiërentes que les corps produisent des effets différents dans leurs rencontres, dans leurs chocs et leurs résistances. Il définit donc ce qu'il entend par un corps dur, et par un corps fluide. Un corps est dur quand tontes ses parties s'entre-touchent, sans être en action pou? s'éloigner Tune de l'autre; et la seule cause qui joigne ainsi les parties, c'est leur propre repos à l'égard l'une de l'autre. Au contraire, un corps est fluide quand ses parties ont des mouvements qui tendent également de tous les côtés, et que la moin- dre force suffit pour mouvoir les c^rps durs qui y sont plongés et que ces parties environnent. De ces deux définitions, Descartes tire des conséquences im- portantes sur le mouvement propre des fluides, et sur le mouvement des corps durs dans les fluides.

Descartes ne croit pas devoir pousser plus loin ses théories sur le mouvement, quoiqu'il reconnaisse que les figures des corps et leurs diversités infinies causent dans les mouvements des diversités innom- brables. Mais il s'assure que les règles données par

cxxxiv PRÉFACE

lui suffisent pour qu'avec une intelligence même médiocre des mathématiques, on puisse expliquer tous les cas possibles du mouvement. Il termine donc ici la seconde partie des Principes, parce qu'il est persuadé qu'au moyen de ces règles on peut rendre raison de tous les phénomènes de la nature, et qu'elles sont les seules qu'on doit recevoir en physique, sans en souhaiter ni en rechercher d'au- tres. Aussi consacre-t'il la troisième partie des Principes de la Philosophie à traiter du monde vi- sible, le soleil, les étoiles, les planètes avec la lu- mière et les tourbillons ; et la quatrième partie, à traiter de la terre avec tous les phénomènes qu'elle offre k notre observation, soit en elle-même, soit à sa surface, soit dans l'atmosphère qui l'environne, soit dans les principaux corps dont elle est com- posée. Je ne suivrai point Descartes dans ces deux autres parties, ni dans celles qu'il comptait y ajouter sur les animaux et les plantes, et sur l'homme (1). Ceci m'écarterait trop de mon sujet. Mais il faut bien remarquer que, si Aristote n'a pas compris dans sa physique, comme l'a fait Descartes, toutes ces théories sur le sytème du monde, elles se re-

(I) Descartes, Principes de la philosophie^ tv« partie, S iSS.

A LA PHYSIQUE D^ARISTOTE. cxxxy

trouyent en grande partie dans les onvrages qui en sont la suite et le complément : le Traité du ciely le Traité de la génération et de la corruption^ la Météorologie j Y Histoire des animaux^ etc. , etc.

n y a donc beaucoup plus de ressemblance qu'on ne croit, en général, entre Àristote et Descartes. Leur entreprise, ici dans la Physique et dans les Principes^ me semble assez pareille ; et ce qu'il y a de plus singulier, c'est que Descartes lui-même, tout indépendant et noyateur qu'il est, croit devoir abri- ter ses idées et sa méthode sousTautoritéd'Aristote, dont il renversait le système beaucoup moins qu'il ne l'imaginait. Il dit expressément qu'il ne s'est servi ^ucun principe qui n'ait été reçu et approuvé par Alstote (1); et que sa philosophie, loin d'être nou- velk est la plus ancienne et la plus vulgaire qui pnissiélre. Il se vante de n'avoir considéré que la figure ,1e mouvement et la grandeur de chaque corps, p^cisément comme l'a fait Aristote; et pour prouver qe sa méthode, qui consiste à dépasser les fiiits sensilûs pour les mieux comprendre par la raison, est Uq méthode très-acceptable, il va jus-

(1) Descartes, Pr^p^s de la phUosaphie, iV parUe, SS 200 et2a^

cxMTi PRÉFACE

qu'à citer un passage de la Météorologie (i). Il est vrai qu'à rautorité d'Âristote , il ajoute celle de l'Église, et qu'il soumet à l'Église, ainsi qu'au juge- ment des sages, tout ce qu'il a pu dire concernant la fabrique du ciel et de la terre«

Je ne veux pas exagérer les rapports de Descartes et d'Âristote ; mais ces rapports me semblent aussi nombreux qu'évidents, et je crois que les deux ana- lyses qui précèdent de la Physique et des Principes de la philosophie auront su£S pour montrer que je ne m'abuse pas. Descartes croyait probablement détruire Aristote ; il n'a fait que le confirmer; il est allé sans doute plus loin que lui sur bien des points; mais il faut avouer aussi que sur beaucoup d'autres il ne l'a pas dépassé, et que même sur quelques-u^s il est resté en deçà de son prédécesseur. Un br- ûler rapprochement entre les deux philosophe! que j'ai déjà indiqué un peu plus haut, c'est qi^ Des- cartes a combattu le système de Démocç'e aussi énergiquement qu' Aristote pouvait le p^^ deux mille ans auparavant, et qu'il a termiq/ses Prin- cipes en se défendant de renouveler er}/^^^ la doc- trine atomistique. Selon lui, comme /^^ Aristote,

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(i) Descartes, Pnncipes de ta phUosaphief* Partie, S 204.

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A LA PHYSIQUE D*ARISTOTE. cxutii

les atomes sont impossibles, parce que toute gran- deur et tout corps est infiniment divisible; parce qu'on imagine du vide entr*eux et que le vide ne peut pas exister ; parce que la rencontre fortuite des atomes ne peut pas expliquer la formation des choses, etc. Ainsi, Descartes s'accorde avec Aristote dans une foule de choses qu'il nie ou qu'il affirme, sans savoir, selon toute apparence, qu'elles eussent été dites avant lui, ni se douter par qui elles avaient été dites. La gloire du réformateur n'y perd rien, et la vérité n'en reçoit qu'une confirma- tion nouvelle, soit qu'il la découvre à son tour, soit qu'il la répète sans se rappeler à qui il l'emprunte.

De Descartes à Newton, la transition est toute simple, et les deux génies, sans être tout à fait de même ordre, ont cependant une puissance presque égale. Dans Descartes, c'est toujours le métaphysi- cien qui remporte, tandis que Newton fait une part beaucoup plus grande aux mathématiques. Le des- sein, d'un et d'autre côté, n'est pas sans analogie ; c'est également le système du monde que Newton prétend expliquer ; mais il s'en tient plus étroitement au problème de mécanique que la marche de l'univers propose à notre admiration et à notre science. Des- caries se flattait bien aussi de n'avoir appliqué dans

Gxxivin PRÉFACE

tout son système que des règles rationnelles et les principes de la géométrie et des mécaniques; et il croyait ayoir docilement suivi la méthode de la ma- thématique» comme il dit. Mais le génie audacieux du novateur voulait embrasser dans ses vastes spéculations le cercle entier des choses sans en omettre une seule. Newton au contraire, plus cir- conspect, quoique non moins fort, se borne à l'ex- plication du mouvement dans l'univers et spéciale- ment du mouvement des sphères célestes.

Avant d'analyser les Principes mathématiques de la philosophie naturelle de Newton, comme je viens d'analyser ceux de Descartes, je dois faire une cri- tique qui ne s'applique pas plus à Newton qu'à tout son siècle, et qu'il ne mérite ni plus ni moins que tous ses contemporains (i). Dans la préface de Cotes, à la seconde édition donnée par l'auteur lui-même en 1713, on trouve un aperçu historique des pro- grès de la science, et Cotes affirme qu'Aristote a donné à chaque espèce de corps t des qualités oc- cultes, el qu'il a essayé d'expliquer par les phé-

(1) U faut excepter Leibniz qui, allant peut-être un peu trop loin dans un sens contraire, prétendait trouver plus de vérité dans la physique d^Aristote que dans celle de Descartes : Lettre à TAo- masius (1669).

A LA PHYSIQUE ITARISTOTE. axiit

< nomènes. > Puis s'élevant contre les philosophes qui ont antérieurement traité de la nature, Cotes . ajoute dans une phrase baconienne, c qu'ils ont c laissé les choses pour ne s'occuper que des mots, c inventeurs d'un jargon philosophique et non les c auteurs d'une véritable philosophie. > On a pu voir par Texamen que j'ai fait de la Physique d'Aris- tote jusqu'à quel point ces accusations sont justes et raisonnables ; on a pu voir si Aristote imagine daos les choses des qualités occultes et s'il se borne à vaines abstractions comme on le lui reproche. Il est vrai qu'on pourrait bien laisser ces accusations or- gueilleuses et iniques pour ce qu'elles valent, et ne pas les tirer de l'obscurité qu'elles méritent. Mais ces opinions n'étaient pas uniquement celles de Cotes, et de Newton, qui les souffrait en tète de son œuvre ; elles ont été celles du xvni* siècle presque tout entier (1). En outre elles venaient d'assez haut, et Cotes les trouvait toutes faites dans Bac/On, dont l'école remplaçait celle d' Aristote, avec bien moins

(1] Berkeley dans son petit traité De Motu semble bien con- naître Aristote et Tapprécier beaucoup, tout en le réfutant assex souvent; mais Montucla, dans son Histoire des Mathématiques, ignore absolument qu'Aristote se soit occupé des lois du mouve- ment.

GXL PRÉFACE

de raison encore ; il les trouvait dans Ramus, e^ dans les adversaires plus courageux qu'équitables du péripatétisme au temps de la Renaissance. le les aurais certainement passées sous silence, si c^s prér- jugés n'avaient encore de notre temps d'assez nom-r breux partisans, malgré la baute impartialité histor rique dont nous nous piquons, non sans quelque droit, j'en conviens, puisqu'elle a déjà réhabilité bien des gloires méconnues et réparé bien des erreurs.

Mais je reviens aux Principes mathématiques de la philosophie naturelle.

Newton commence par les d^nitions de quel- ques termes qu'il doit employer dans le cours de ison ouvrage, et qui ne sont pas très-connus ni trèsr généralement usités : la quantité de matière, la quantité de mouvement, la force d'inertie, la force acquise, la force centripète, la quantité de cette force, etc., etc. Puis il énonce un scholie très-im- portant sur le temps, l'espace, le lieu et le mouve- ment, afin de rectifier bien des idées fausses, en ne considérant ces quantités que par leurs relations à des choses sensibles. Il distingue donc le temps, l'espace, le lieu et le mouvement en absolus et rela- tifs, en vrais et apparents, enfin en mathémati- ques et vulgaires. Le temps absolu ou la durée pro-

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxli

prement dile coule uniformément; le temps vul- gaire n^est qu'une portion de la durée, mesurée sur le mouvement pour en faire des jours, des heures, des mois, des années. L'espace absolu est toujours similaire et immobile ; l'espace relatif est une di- mension mobile de Tespace ; le lieu est la partie de l'espace occupé par un corps. Le mouvement, qui est ou absolu ou relatif comme le temps et Tespace, mesure le temps, de même que le temps mesure le mouvement. Les temps et les espaces n'ont pas d'autres lieux qu'eux-mêmes.

Après ces définitions, qui sont certainement fort utiles, mais qui n'ont pas toujours sur celles d'Â- ristote l'avantage de la nouveauté, ni l'avantage de la profondeur. Newton pose certains axiomes rela* tifs aux lois du mouvement. Ces lois sont au nombre de trois, et nous y retrouverons quelques-unes des idées d'Aristote et de Descartes, acceptées désor- mais par tous ceux qui s'occupent de ces matières* La première, c'est que tout corps, si nul obstacle ne s'y oppose, persévère dans son état d'inertie et de repos, ou dans son mouvement, qui s'accomplit uniformé- ment et en ligne droite. Sous d'au très formes, nous avons vu cette loi constatée dans la Physique d'Ans-- tote, quand il a défini ce qu'il entend par la nature

CXLU PRÉFACE

des choses. Nous nous rappelons que c*est aussi la première loi de la nature selon Descartes. Ainsi les trois philosophes sont d'accord sans s'être ni enten- dus ni copiés mutuellement ; et sur ce point fon- damental, la science moderne pense absolument comme pensait l'antiquité. Il semble qu'on pouvait en savoir quelque gré à Aristote; mais la science moderne ignore ses origines, et elle aime mieux ne relever que d'elle-même, bien qu'elle doive tant au passé. La seconde loi du mouvement, d'après New- ton, c'est que les changements ou mouvements sont

«

toujours proportionnels à la force motrice, et àe font selon la ligne droite dans laquelle cette forc^ a été imprimée. Cette loi n'est ni moins importante ni moins exacte que la première ; mais, sans se donner beaucoup de peine, on pouvait tout aussi aisément la retrouver dans la Physique du philosophe grec, elle est exposée assez clairement et assez longue- ment; elle y était oubliée tout comme l'autre. Enfin la troisième loi newtonienne, c'est que la réaction est toujours égale et opposée à Taction.

De ces trois lois générales et essentielles. Newton fait sortir quelques corollaires très-importants sur le parallélogramme des forces, sur les centres de gravité, etc. Je ne m'y arrête point, parce qu'il n'y

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxtui

a rien qui corresponde à ces théories dans la phy- sique péripatéticienne.

Les lois du mouYement étant expliquées, après les définitions sans lesquelles on les aurait moins bien comprises. Newton aborde le yéritable sujet de son ouvrage, et il consacre deux livres sur trois à la théorie du mouvement des corps. Ici, il faut le re- connaître, la question telle qu'Aristote l'avait envi- sagée est immensément agrandie ; c'est bien tou- jours la même ; mais elle a pris des développements mathématiques qui, pour être assez soudains, n'en sont pas moins considérables. Newton expose d'a- bord quelques principes sur la méthode des pre- mières et dernières raisons, c'est-à-dire sur les re- lations des quantités qui, s'approchant sans cesse de l'égalité pendant un certain temps, doivent finir par être égales. Ces considérations, qui se rattachent au calcul différentiel, sont d'un usage consiAnt dans le cours de l'ouvrage de New Ion; mais elles ne sont pas, à vrai dire, l'exposition d'une méthode géné- rale. Newton semble avoir négligé ce soin, que la philosophie recommande. Nous avons vu qu'Âris- tote s'y était très-peu arrêté ; et, à cet égard parti- culier, c*est Descartes qui l'emporte de beaucoup sur l'un et sur l'autre en profondeur et en justesse.

cxuv PRÉFACE

 cette première section, en succède une seconde, donnée à la recherche des forces centripètes, pour arriver pas à pas à démontrer plus tard la grande loi de la pesanteur universelle, à laquelle le nom de Newton restera éternellement attaché. Je ne rap- pelle point cette théorie, dont il n'y a que de très- vagues pressentiments dans Aristole, et que Des- cartes n'a fait qu'entrevoir confusément par le sys- tème des tourbillons.

Mais le mouvement en ligne droite n'est pas le seul dont les corps soient doués; et, ainsi qu'Aris- tote l'avait bien reconnu, ils ont aussi un mouve- ment circulaire, que nous pouvons surtout observer dans les grands corps dont sont peuplés les deux. Mais Aristote s'était borné à cette translation circu- laire, sans pouvoir se demander, au point en était l'astronomie de son temps, si le cercle décrit par les planètes et les étoiles est aussi parfait qu'il le supposait. Pour décomposer le mouvement circu- laire. Newton croit devoir étudier d'abord les sec- tions coniques, se rencontre la figure du cercle avec plusieurs autres, et il détermine à un point de vue exclusivement mathématique, les orbes ellipti- ques, paraboliques et hyperboliques, soit avec un foyer donnée soit sans foyer donné. Puis, revenant à

A LA PHYSIQUE DARISTOTE. cxiv

la question da mouveinent^ il détermine les mouve- ments dans des orbes donnés, quelle qu'en soit la forme. Enfin, il achève le premier livre de ses Prin- cipes malhématiques, par la théorie de l'ascension et de la descension rectiligne des corps, celle du mouvement des corps dans des orbes mobiles ou dans des superficies données, celle des oscillations des corps suspendus par un fil, et par celle des forces attractives des corps sphériques ou non sphé- riques*

Voilà le premier livre de Newton, et Ton peut déjà constater à quelle prodigieuse distance il est de la physique aristotélique. Ce n'est pas sans doute à Newton seul que sont dus tant de progrès, et lui- même cite souvent Galilée et Huyghens ; mais il a su réunir et systématiser toutes les découvertes que l'esprit nouveau faisait depuis deux siècles, en y ajoutant toutes les lumières de son propre génie et le secours des mathématiques les plus profondes, inventrices, par lui aussi bien que par Leibniz, du calcul de l'infini.

Le second livre continue et achève la théorie du mouvement commencée dans le premier ; et, après avoir considéré le mouvement des corps supposés libres, Newton examine le cas, non moins vaste et

GXL¥i PRÉFACE

plus réel, les corps éprouvent delà résistance, en raison de leur vitesse, soit simple, soit double. Il étudie ensuite le mouvement circulaire des corps dans des milieux résistants, et il s'occupe de la densité et de la compression des fluides, c'est-à-dire de l'hy- drostatique , du mouvement et de la résistance des corps oscillants, du mouvement des fluides et de la résistance des projectiles, de la propagation du mou- vement dans les fluides, et enfin du mouvement cir- culaire des fluides. Ce sont des considérations qui avaient échappé, pour la plupart, à la sagacité d'Âris- tote, et dont même Descartes ne connaissait qu'une assez faible partie, ne les traitant pas d'une manière spéciale et les dispersant dans l'ensemble de ses re- cherches. Nous n'avons point à nous en étonner; et, après Newton lui-même, le cercle de ces investiga- tions s'est étendu de jour en jour, et il est à croire qu'il s'étendra beaucoup encore.

Le mouvement étudié dans toute sa généralité et dans ses principales espèces. Newton passe à l'ap- plication astronomique de ces principes, et son troi- sième livre traite du système du monde. Mais, comme il n'a guère fait jusque-là que des mathéma- tiques , ainsi qu'il le reconnaît lui-même , il veut revenir un peu davantage à la physique proprement

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxlvii

dite, ou plutôt à la physique telle qu'il l'entend, et qui, n'étant plus celle d'Aristote, n'est pas non plus encore tout à fait la nôtre. Il va donc expliquer les grands phénomènes de l'astronomie, éclatent avec une évidence incomparable les lois du mouve- ment. Mais d'abord, retournant un peu sur ses pas, il reprend la question de la méthode, qu'il avait peut-être un peu négligée, et il indique les règles à suivre dans l'étude de la physique.

Ces règles sont au nombre de quatre, et la pre- mière c'est que le physicien doit bien savoir que la nature ne fait jamais rien en vain. Il ne doit ad- mettre de causes que celles qui sont nécessaires pour expliquer les phénomènes. Newton a raison de pro- clamer hautement cet axiome, et il est parfaitement sûr que, sans cette base inébranlable, toute l'étude de la physique chancelé et s'écroule ; car alors au lieu d'observer et d'interpréter la nature, on la mu- tile et on la refait à son caprice; on supprime des phénomènes ou on en suppose; et, parce qu'on ne la comprend pas telle qu'elle est, on l'imagine telle qu*on la veut. Sans cette ferme barrière, la science court graînd risque de n'être plus qu'un roman. Mais du moment qu'on reconnaît dans la nature l'em- preinte de Dieu et la marque de ses immuables des-

cxLviii PRÉFACE

seins, on s'en tient rigoureusement aux phéno- mènes; et rintelligence regarde comme son effort suprême de les analyser, et de s'en rendre compte sans ayoir la présomption dangereuse de les changer en les critiquant. Non, la nature ne fait jamais rien en vain y et cet axiome est profondément vrai et utile. Mais d'où est-il venu? Est-ce la science mo- derne qui en a l'honneur? Elle le croit peut-être; mais c'est Arislole qui l'a le premier découvert, qui l'a répété à satiété dans tous ses ouvrages, et qui surtout en a fait les plus larges et les plus heureuses applications. Newton l'ignorait, et, selon toute appa^ rence, il ne s'inquiétait pas très-vivement de le sa- voir. Sa grande âme, aussi pieuse qu'éclairée, con- templait, dans tous les phénomènes naturels le sceau de la main divine, et il en a conclu que tout, dans la nature, a un sens et une valeur, et qu'y admettre quelque chose d'inutile, c'est une sorte de sacrilège enté sur une ignorance. Mais Newton n'allait point au-delà, et peu lui importait qu'une si haute et si féconde vérité lui appartint en propre, ou qu'elle fût transmise par la tradition»

La seconde règle à peu près aussi évidente que la première, et qui en est la suite, c'est que les effets du même genre doivent toujours être attribués, autant

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxlix

que possible, à la même cause. Ainsi la chute d'une pierre en Europe et en Amérique , la lumière du feu d'ici bas et celle du soleil, la réflexion de la lu-* mière sur la terre et dans les planètes, doivent être rapportées aux mêmes causes respectivement.

La troisième régie, simple extension de la seconde, c'est que les qualités des corps qui ne sont suscep-* tibles ni d'augmentation ni de diminution, et qui appartiennent à tous les corps sur lesquels on peut faire des expériences, doivent être regardées comme appartenant à tous les corps en général. Ainsi l'éten- due, la résistance ou dureté, l'impénétrabilité , la mobilité et l'inertie, sont des qualités qui se retrou- vent dans les corps que nous pouvons observer; elles doivent donc appartenir à tous les corps en général. A ces qualités. Newton en joint deux autres, la divisibilité à l'infini et la gravitation, mais sans les affirmer aussi positivement que les précédentes, qui sont essentielles aux corps.

Enfin, la quatrième règle, c'est que les inductions légitimement tirées des phénomènes doivent pré- valoir contre toutes hypothèses contraires, et passer pour exactement vraies, jusqu'à ce que de nouvelles observations les confirment entièrement, ou fassent voir qu'elles sont sujettes à des exceptions.

CL PRÉFACE

Ces règles étant une fois posées, Newton les ap- plique lui-même; et après avoir décrit un très-petit nombre de phénomènes, six en tout, relatifs au mouvement des satellites de Jupiter et de Saturne, des planètes, de la terre et de la lune, il en dé- duit cinquante-deux propositions sur la gravitation universelle, sur la théorie de la lune, sur le phéno- mène des marées, sur la précession des équinoxes, enfin sur les comètes. Toutes ces propositions, qui sont de la plus grande importance en astronomie, sont entourées de tout l'appareil mathématique des théorèmes, des scholies, des lemmes, des hypo- thèses, des problèmes, etc.

Pour bien des raisons, je ne suivrai point Newton dans cette partie de son ouvrage ; et quand je le pour* rais, ce serait fort inutile pour l'objet que je me pro- pose en ce moment. Je me bornerai à une seule re- marque sur le caractère général de ce troisième livre des Principes mathématiques. Newton semble vouloir y donner quelques exemples plutôt qu'une théorie complète des grands phénomènes célestes. Ce troi- sième livre est bien intitulé : Du système du monde ; mais l'exposition de ce système n'y est que partielle. Newton a trouvé l'explication générale des phéno- mènes dans la loi universelle de la gravitation; il

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. eu

montre à d'autres le parti qu'on peut en tirer ; mais il n'essaie pas d'en épuiser à lui seul toutes les ap- plications possibles. Il a créé tout une science et il en a fixé les bases ; mais il n'a pas pu construire de ses mains tout l'édifice, et il laissera à ses successeurs le soin de l'élever sur le plan qu' il a tracé, et par les moyens qu'il a découverts. Ce n'est pas la patience ni la force qui ont manqué à Newton ; c'est le temps. Le génie, quelque puissant qu'il soit, trouve et subit aussi cette inexorable limite, et bien qu'il pût tout faire, il n'a jamais le loisir de tout achever. La gloire de Newton n'en est pas moins grande; et c'est le côté commun et fatal par lequel il paie sa dette à l'humanité, que d'ailleurs il a dépassée à bien des égards et tant honorée en la dépassant.

Hais je n'en ai pas tout à fait fini avec les Prin- cipes mathématiques de la Philosophie ncUurelle.

Newton est parvenu au terme de la carrière qu'il avait à fournir ; mais avant de la clore, il veut em- brasser d'un coup d'oeil tout l'espace qu'il a par- couru ; et là, comme jadis Âristote, il veut se re- cueillir pour remonter, autant qu'il est permis à l'homme, jusqu'à la cause première et au premier moteur. C'est le fameux Scholie général. Après quel- ques mots contre le système des tourbillons, auquel

ctii PRÉFACE

il ne rend peut-être pas assez de justice, le mathé- maticien fait place au philosophe : et sans rien re- trancher h la solidité des théories qu'il a établies par le secours du calcul et de la géométrie, Newton s'a- voue qu'il leur manque encore quelque chose. Les grands corps qu'il a si doctement étudiés se meu- vent librement dans des espaces incommensurables, qui sont vides d'air, comme la machine ingénieuse de Boyle, et rien ne gêne ni n'entrave leurs im- muables et éternelles révolutions. Mais les lois du mouvement, quelque exactes qu'elles soient, ne ren- dent pas raison de tout. Les orbes célestes y obéis- sent et les suivent dans leur marche ; mais la posi- tion primitive et régulière de ces orbes ne dépend plus de ces lois merveilleuses. Les mouvements uni- formes des planètes et les mouvements des comètes ne peuvent avoir des causes mécaniques, puisque les comètes se meuvent dans des orbes fort excentri- ques, et qu'elles parcourent toutes les parties du ciel. Newton en conclut que cet admirable arrange- ment du soleil, des planètes et des comètes ne peut être que l'ouvrage d'un être tout puissant et intelli- gent ; et comme le monde porte l'empreinte d'un seul dessein, il doit être soumis à un seul et même être.

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. oiu

Cet être unique et iofini, c'est Dieu, qui n*est pas rame du monde, mais qui est le seigneur de toutes choses, parce qu'il règne sur des êtres pensants, qui lui sont soumis dans leur adoration et leur liberté. Dieu ne règne pas seulement sur des êtres mater- nels ; et c'est précisément la domination d'un être spirituel qui le constitue ce qu'il est. Dieu est donc étemel, infini, parfait, vivant, tout puissant; il sait tout ; il est partout. Il n'est pas Téternité et l'infi- nitude^ mais il est étemel et infini; il n'est pas la durée et l'espace, mais il dure et il est présent en tous lieux ; il est partout substantiellement ; car on n'agit pas l'on n'est pas. Tout est mu par lui et contenu en lui; il agit sur tous les êtres, sans qu'au- cun d'eux puisse jamais agir sur lui à son tour. L'homme, malgré son infimité, peut se faire quel- que idée de Dieu, d'après la personnalité dont il a été doué lui-même par son créateur. La personne humaine n*a ni parties successives ni parties coexis- tantes dans son principe pensant ; à plus forte rai- son n'y a-t-il ni succession ni coexistence de par- ties diverses dans la substance pensante de Dieu. Hais si nos regards éblouis ne peuvent soutenir l'éclat de la substance divine, si l'on ne doit l'adorer sous aucune forme sensible, parce qu'il est tout es- prit, nous pouvons du moins apprendre à connaître

CUV PRÉFACE

Dieu par quelques-uns de ses attributs. Un Dieu sans providence, sans empire, et sans causes finales, n'est autre chose que le destin et la nécessité. Mais la nécessité métaphysique ne peut produire aucune diversité ; et la diversité qui règne en tout quant aux temps et quant aux lieux, ne peut venir que de la volonté et de la sagesse d'un être qui existe néces-- sairement ; c'est-à-dire Dieu, dont il appartient à la philosophie naturelle d'examiner les œuvres, sans avoir l'orgueil de les rectifier par de vaines hypo- thèses.

Voilà les grandes idées sur lesquelles s'arrête Newton en achevant son livre, et auxquelles il se fie plus encore qu'à ses mathématiques. Ce sont les mêmes accents que ceux de Platon dans le Timée^ d'Àristote dans la Physique et la Métaphysique, de Descartes dans les Principes de la philosophie. Je ne sais pourquoi la science contemporaine s'est plu souvent à répudier ces nobles exemples, et pourquoi elle s'est fait comme une gloire, et parfois même un jeu, d'exiler Dieu de ses recherches les plus hautes. On ne voit pas trop ce qu'elle y a gagné; mais on voit très-clairement ce qu'y a perdu la vérité et le cœur de l'homme (1).

(i) Madame la marquise Du Ghastellet a traduit et commenté

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. ctv

Après Newton, il conviendrait peut-être de parler de Leilmiz ; mais je m'en abstiens, parce que Leib- niz n'a pas &it d'ouvrage spécial sur le mouvement considéré dans le système du monde ; et comme c'est surtout l'objet que je me propose ici, je suis obligé de ne pas m'arréter même aux plus beaux gé- nies, quand ils n'ont traité que des parties de cette vaste question. Je passe donc de Newton à Laplace, au-delà duquel je ne pousserai point.

Laplace est venu accomplir ce que Newton avait commencé. La Mécanique céleste est un développe- ment systématique et régulier des principes newto- niens ; elle est un chef-d'œuvre du génie mathéma- tique ; mais elle ne fait qu'exposer, avec toutes les ressources de l'analyse la plus étendue et la plus exacte, les lois qu'un autre avait révélées sur le véri- table système du monde. C'est un prodigieux ou- vrage; mais l'invention consiste dans les formules et les démonstrations plutôt que dans le fond même des choses. C'est la loi de la pesanteur universelle poursuivie sous toutes ses faces dans les corps in-

roavrage de Newton, deax volumes in-&% Paris, 17A9. Voltaire, qui a aussi commenté Newton, a peut-être exagéré le mérite d'une personne qu'il aimait passionnément; mais ce travail si sérieux et si difficile pour une femme est digne de tout éloge.

CLVI PRÉFACE

nombrables qui peuplent l'espace, et dont les princi- paux sont accessibles à notre observation et soumis à nos calculs. Laplace lui-même ne s'est pas flatté de faire davantage ; mais il y a porté une telle puisr- sance et une telle fécondité d'analyse qu'en y dé^ montrant tout, il a semblé tout produire, bien qu'il se bornât à tout organiser et à mettre tout en ordre. le n'ai point à résumer ici la Mécanique céleste^ et je remarque seulememt qu'elle débute par un pre- mier livre sur les lois générales de l'équilibre et du mouvement. C'est ce que Newton, Descartes et Ârîs- tote avaient aussi tâché de faire. J'ajoute que la Mé- canique céleste a donné son nom à toute une science qui date véritablement de Laplace, non pas qu'il en soit absolument le père, mais parce qu'il en est le premier et le plus sur législateur. Après les décou- vertes primordiales, c'est encore un bien grand mérite ; et la gloire de Laplace est à peine inférieure à celle de Newton.

Mais ce n'est pas dans la Mécanique céleste que je puiserai ce que j'ai à dire de lui. C'est une œuvre trop spéciale et trop sévère, qu'il faut laisser aux mathématiques et à l'astronomie. Laplace lui-même l'avait bien senti, et il a mis en un langage plus ac- cessible et plus vulgaire ces hautes vérités dans YEx^

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. glvii

position du système du monde. C'est rouyrage qui me fournira la matière de quelques remarques. V Exposition du système du monde est divisée en cinq livres, qui embrassent la question dans ses plus larges limites. Le premier traite des mouve^ ments apparents des corps célestes ; c'est le spec- tacle des cieux, tel qu'il s'offre d'abord aux regards de l'homme et à se^ préjugés. Le second livre traite des mouvements réels de ces mêmes corps ; c'est la réflexion et la science rectifiant les impressions des sens, et substituant la réalité à l'apparence. Laplace ne veut pas pousser plus loin l'étude des phéno- mènes observables ; et dans un troisième livre, il rappelle les lois du mouvement, sans ajouter rien aux travaux de ses devanciers. Le quatrième livre présente la théorie de la pesanteur universelle d'a- près Newton. C*est en quelque sorte la loi des lois ; et après qu'elle a été approfondie, la science du sys- tème du monde est achevée. Il ne reste donc plus à Laplace qu'à esquisser l'histoire de cette science ; et c'est ce qu'il essaie dans un cinquième livre, inti- tulé : Précis de F histoire de l'astronomie.

Voilà toute l'économie simple, claire et complète de Y Exposition du système du monde. Je ne dis pas que ce mot soit bien choisi, et le système du monde

CLViii PRÉFACE

semblerait devoir embrasser plus que le mouvement des corps eélestes^ et comprendre tout ce que Des- cartes a essayé de renfermer dans ses investigations* Mais peu importe; depuis Newton, l'expression de Système du monde n'a pas signifié autre chose, et aujourd'hui quand on l'emploie, on s'entend suffi- samment par cette désignation d'ailleurs peu exacte. Je laisse également de côté toute la partie astrono- mique, puisque je ne cherche que ce qui peut cor- respondre plus ou moins aux idées d'Aristote; et par conséquent, c'est surtout au troisième livre que je m'attache, puisqu'il traite du mouvement, dans le petit nombre de pages qui le composent.

Laplace se plaint d'abord qu'on ait si peu étudié cette partie de la science : c L'importance de ces lois c dont nous dépendons sans cesse, dit-il, aurait c exciter la curiosité dans tous les temps ; mais par c une indifférence trop ordinaire à l'esprit humain, t elles ont été ignorées jusqu'au commencement du « dernier siècle, époque à laquelle Galilée jeta les c premiers fondements de la science du mouvement, c par ses belles découvertes sur la chute des corps. » Dans le cinquième livre, les progrès principaux de la science astronomique sont passés en revue, Laplace n'est pas mieux informé ni plus équitable;

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. aix

et s'il nomme Aristote, c'est pour rappeler une tra- dition fort suspecte^Gœiseryée par Simplicius d'après Porphyre, sur les observations chaldéennes que Cal- listhène aurait transmises à son oncle. Il est clair que Laplace n'avait jamais entendu parler de la Phy- sique d'Aristole. Mais nous qui la connaissons , nous pouvons défendre l'esprit humain du reproche qu'on lui adresse si gratuitement. L'esprit humain était resté si peu indifférent à cette question si vaste et si curieuse du mouvement, que plus de vingt-deux siè- des avant Laplace, la Grèce par ses plus beaux gé- nies en avait tenté la théorie, et que cette théorie expliquée, commentée, adoptée ou cx)mbattue, avait fait école chez tous les peuples civilisés, dans cet in- tervalle de temps qui va de Périclès au siècle de la Renaissance. On n'avait donc pas oublié ni négligé cette question. Seulement Laplace, comme Cotes et tant d'autres, avait perdu la tradition, et il dédai- gnait le passé, faute de le connaître (1) ; ce .qui est plus ordinaire qu'on ne pense, et ce qui est fort nui- sible aux vrais progrès de l'esprit humain, pour qui l'on témoigne cependant tant de sollicitude.

(1) Ce dédain n^atteint pas seulement Aristote, et il s'étend jus- qa*à Descartes, Leibniz et Malebranche, dont Laplace blâme les Tains systèmes et les hypothèses stérilea.

GLZ PRÉFACE

Laplace lui-même aurait pu s'en apercevoir, s'il avait euroccasion de comparer ce qu'il dit du temps et de l'espace avec ce qu'en avait dit Âristote quel- que deux mille ans avant lui. c On imagine, dit La- c place, un espace sans bornes et pénétrable à la c matière pour concevoir le mouvement. » Âristote était bien autrement dans le vrai, quand il s'appli- quait à démontrer l'existence de l'espace, et à en scruter la nature, en analysant si profondément cette notion de l'intelligence humaine. Il eût été fort étonné sans doute qu'on réduisit l'espace à n'être qu'une création toute arbitraire de notre imagina- tion ; et nous ne devons pas en être moins étonnés à notre tour, même après les paradoxes de Kant. L'es- pace n'est pas imaginaire ; et il l'est si peu qu'il s'impose nécessairement à notre raison^ tout inca- pable qu'elle est de le mesurer et même de le com- prendre dans son infinité. L'infinité de l'espace, l'éternité de la durée sont des conceptions néces- saires de l'entendement; et Newton, loin de les nier, les a a£Brmées comme des faits aussi certains et au même titre que les axiomes mathématiques. L'es- pace d'ailleurs, si nous ne pouvons le sonder dans ses profondeurs incommensurables, n'en est pas moins devant nos yeux ; et il est en quelque sorte

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. glu

sensible, si ce n'est dans sa totalité qui nous éehappé, puisqu'il est infini, du moins dans quelques-unes de ses parties qui sont à notre portée, et nous aident k concevoir le reste. On n'imagine point l'espace ; il est, quoi qu'en dise Laplace.

n semble aussi, malgré toute la déférence qui est due à un tel génie, qu*il n'est guère plus satisfai- sant dans la manière dont il parle du temps, c Le c temps, selon lui, est l'impression que laisse dans c la mémoire une suite d'érénements dont nous som- mes certains que l'existence a été successive. » Four rendre compte des rapports du mouvement au temps et à l'espace, il dit : c En prenant des unités c d'espace et de temps, on les réduit l'un et l'au^ c tre à des nombres abstraits qu'on peut comparer c entre eux. > Pour le temps, l'unité, c'est la se-» conde ; et pour l'espace, c'est le mètre. Tant de mè« très parcourus durant tout de secondes, voilà la me- sure du mouvement, qui est alors plus rapide ou plus lent, selon les espaces parcourus et les temps écoulés. Le mouvement, à son tour, peut servir de mesure au temps, soit par les oscillations d'un pen- dule, soit par les révolutions de sphère céleste ou celles du soleil. Mais qu'est-ce que c'est précisément

que le temps? Qu'est-ce que c'est que l'espace en

k

QUU PBÉFAGB

lui-même? Lapide iie 1b recherche pas, Inen qu'il eût été digne d'un esprit tel que le sien de ne pas ac^ oepler, sur ces éléments fondamentaux de la science, les idées communes et vulgairement répandues. Sans doute il ne serait pas juste de demander aux mathé^ maticiens de faire de la métaphysique; mais quand on est Laplace, il semble qu'on peut suivre les traeea d'un Descartes et celles d'un Newton, précédés l'un et l'autre par Aristote. La métaphysique est le fond de tout ; et ici elle se trouve si près des mathémati-* ques, qu'il faut avoir en quelque sorte un parti pris pour ne pas la voir et pour l'omettre. »

Il faut d'ailleurs approuver Laplace, quand il dit que c les géomètres, marchant sur les pas de Gali-» « lée, ont enfin réduit la mécanique entière, y com- pris, je suppose, la mécanique céleste, à des for- c mules générales qui ne laissent plus à désirer que c la perfection de l'analyse ; » et quand il aputo que c le deruîeir progrès de la science et le plus beau,

< c'est d^avoir banni entièrement Tempirisme de f l'astronomie, qui maintenant n'est plus qu'un « grand problème de mécanique^ dcmt les élémentsi

< du mouvement des astres, leurs figures et leurs 4 masses^ sont les arbitraires, seules données indis pensables que cette science doive tirer des obseiH

A LA PHYSÏQUK O'ARISTOTE. (Siim

< TttioiM. n Aiû^y seloû Laplace, et en ceci on doit être d'accord arec lui, la fia d*ûfle science d'bbser-^ ntioû est de se transformer en science rationnelle i tl, pour le ^rcwiver, retoarque que la loi 4e la pe- santeur ffnrvefselte tine fois connue» a fait connaître réciproquement certains phénomènes» avant même qtf ils ne fussent observés et régulièrement constatés^ La métaphysique, en sôû genre, n'est guère aulref ehose; et Laplace y touchait par la mécanique ra-^ tUmoelle, qu'il recommande et qu'il prise tant.

Cest qm Laplace, quoique entièrement livré aux mathématiques, eonçoit qo*îf y a même au-dessus d'elles une méthode pîusgênérale et plus féconde, qttî le* emploie à un usage supérieur ef qtt'^elles ne sont plus en état de juger. A ses yeux, la vraie méthode est celle qu'a suivie Gastronomie, qui, de toutes les sciences naturelles, présente le plus long enchaîne- ment de découvertes. L'asttoûomîe a aujourd'hui la vue générale des états passés et futurs du système do monde. Cette méthode véri^table consisté k s*étre élevée des observations particulières à un principe unique, celui de la pesanteur universelle, et à pou^^ voir redescendre de ce principe^ qui est le vrtir, â feiptimlion de tous tos phénomènes célestes jusque daosrles moindres détails. Cette méthode rastro-"

ciXiY I^ÉFACE

nomie est celle qu'il faut suivre dans la recherche des lois de la nature. Il faut observer d'abord le dé* veloppement de ces lois dans les changements qu'elle nous offre, et déterminer tous les phénomènes ; sou- mettre ses réponses à l'analyse, et, par une suite d'inductions bien ménagées s'élever aux phénomènes généraux dont tous les faits particuliers dérivent; enfin réduire les phénomènes généraux au plus petit nombre possible, parce que la nature n'agit jamais que par un petit nombre de causes. À la lu-* mière de ce principe, que nous avons vu déjà dans Newton comme dans Âristote, Laplace conclut que la simplicité d'un seul principe, d'où dépendent toutes les lois du mouvement des planètes et de leurs satellites, du soleil et des étoiles fixes, est digne de la simplicité et de la majesté de la nature.

Un pas déplus, et Laplace reconnaissait et le pre- mier moteur de Platon et d'Àristote, et le Dieu de Descartes et de Newton.

Quoi qu'il en soit, on peut le louer d'avoir tenté de s'élever jusqu'à la notion de la méthode ; et parmi les savants de son temps, c'est un mérite qui n'est » pas très-ordinaire. Mais la méthode qu'il préconise n'est pas la vraie, ainsi qu'il se le figure ; l'ouvrage de Descartes aurait pu le lui prouver. H n'y a pas

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. OLX?

deux méthodes daas le monde des intelligibles ; et la méthode cartésienne est unique^ aussi bien qu'elle est infaillible, autant du moins qu'il est donné à rhomme de Tétre. Toutes les autres, dont les sciences qui s'intitulent exactes sont si fières, ne sont pas à proprement parler des méthodes ; ce sont de simples procédés d'exposition et des moyens tout extérieurs. La vraie méthode repose sur TéTidence dans la ré- flexion de la conscience, attendu que toutes les autres prétendues méthodes que Ton décore de ce beau nom, s'appuient sans le savoir sur celle-4à. Mais en- core une fois, Laplace n'est pas philosophe, quoique Descartes et Leibniz eussent donné un bel exemple en montrant qu'on pouvait être tout à la fois méta- physicien et géomètre, et cultiver la philosophie ea même temps que les mathématiques.

Je laisse de côté la science contemporaine dont Laplace est certainement le plus illustre représen- tant, et je me hâte d'arriver au terme que je me suis prescrit. Il ne me reste plus qu'à comparer Aristote à ses trois émules. Descartes, Newton et Laplace, comme je l'ai déjà comparé à son maître. Par j'indiquerai dairement le rang que je lui donne, et qu'il doit tenir désormais dans la famille des phy- siciens philosophes. Je ne veux pas exagérer sa

gloire ; mais je jie youdrais pas non plus qu'on k féctuisit injustement. Je m'efforcerai donc d'être impartial dans l'appréciation résumée que je vais en présenter avant de clore cette longue préface*

D'abord, je ne crois pas m'étre trompé en met^ tant Âristote dans la compacte de Descartes, de Newton et de Laplace. Je ne parle pas de son génie en général, c'est trop évident ; je ne parle que de sa Physique en particulier^ et je pense que la théorie du mouvement» telle qu'elle s'y présente, est le point de départ de toutes les théories qui ont suivi sur le même sujet. Plus haut, j'ai déjà indiqué ce rappro^ cbement ; mais maintenant que j'ai tAcfaé de le justi*- fier par l'histoire, il me parait tout-à-fait incontes*- table. Entre la Physique d' Aristote, les Principes de Descartes et les Principes mathématiques de Newton, il y a, malgré l'intervalle des Ages,une successicm ma- nifeste et comme une solidarité. L'objet est le mente, et sur bien des points les doctrines sont identiques. Le philosophe grec, quatre siècles avant notre ère, a vu tout aussi bien que les deux mathématiciens du \\}f siècle, que c'est par l'étude du mouvemmt qu*il convient d'expliquer le système du monde. Saqs doute il Ta compris beaucoup moins que Descartes

A LA PHYftlQUS ITARISTOTE. clxvu

et sttrlottt que Newton ; maU il est sur la même voie qoe l'un et l'autre^ La seule difiërence qu'il y ait entre eui et lui, c'est qu'il &it les premiers pas dans la carrière, sans pouvoir s'appuyer sur les matbé* maliques, qui sont encore dans l'enfance, tandis que Descartes et Newton, placés bien plus avant .sur le diemin, ont à leur dispositi<Hi des mathématiques toutes puissantes, avec des observations presqu'in* nombrables de phénomènes, et des expériences de tout genre. Entre la science grecque et la science moderne, il y a bien une différence de degré ; mais il n'y a pas une différence de nature ; et pour rap- pder une très-équitable opinion de Leibniz, Aristote n'est pas du tout inconciliable avec des successeurs dont les travaux n'eussent peut-être point été aussi heureux, si les siens ne les eussent précédés.

Il est même un point sur lequel il conviait de lui accorder hautement la supériorité, c'est la méiet* physique. I>escartes même ne l'égale point, et New** ton est resté très-inférieur^ Il n'y a pas à prétendre que la métaphysique n'est point de mise dans une telle matière; car Descartes, Newton et même La- place ont sortir du domaine propre des mathé- matiques. Pour comprendre et expliquer le mouve- ment, ils ont tenter de se rendre compte des

eLxviii PRÉFACE

idées de Tespace, du temps, de Finfini et de la na- ture du mouvement lui-même. A considérer les analyses qu'a faites Aristote de ces idées essentielles, je n'hésite pas à lui donner la préférence ; et j'ajoute même que dans toute l'histoire de la philosophie je n'aperçois rien d'égal. Nul autre après lui n'a repris l'étude de ces idées ni avec plus d'o- riginalité, ni avec plus de profondeur, ni avec plus de délicatesse. Ces notions fondamentales de temps, d'espace, de lieu, d'infini, posent sans cesse de- vant l'esprit humain; elles le sollicitent à tout instant et sous toutes les formes; et depuis vingt- deux siècles, personne n'en a mieux parlé que le disciple de Platon et l'instituteur d'Alexandre. Aujourd'hui même, on ne saurait le dépasser qu'en commençant par se mettre à son école. Je ne dis pas certainement que Descartes ou Newton y eussent rien appris ; mais en écoutant un moment ces leçons de l'antique sagesse, ils se seraient aperçus combien de choses ils avaient eux-mêmes omises, les suppo- sant probablement assez connues, ou trop claires pour qu'il fût nécessaire de les rappeler.

Mais ce n'est pas tout à fait ainsi que procède l'esprit humain. La métaphysique est, dans une certaine mesure, un antécédent obligé de la science

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. cuix

du mouvement, et si Ton ne sait pas d'abord oe que c'est que rinfini, le temps et l'espace, il est bien à peu près impossible de savoir ce que c^est que le fflouvement, et à quelles conditions il s'accomplit dans le monde. Ainsi chaque philosophe qui étudie cette question, devrait remonter aux prindpes métaphysiques qu^elle sous'-entend. Mais l'indi- vidu, quel que soit son génie, ne peut guère se flatter de faire à son tour la science complète ; il en achève quelques parties, il en ébauche quelques autres, il en néglige plusieurs, et c'est la rançon de son inévitable faiblesse. Quant à Tesprit humain, il n'a point de ces lacunes dans le vaste ensemble de son histoire, et la science du mouvement en parti- culier ne présente pas d'interruptions ni de solutions de continuité. Aristole en a posé les fondements mé- taphysiques, et l'on peut douter que, sans ces pre- mières et indestructibles assises, le reste de l'édifice eût pu s'élever aussi solide et aussi beau. L^esprit humain les a en quelque sorte éprouvées pendant de longs siècles, puisque d'Aristote à Galilée c'est le Péripatétisme seul qui lui a suffi. Mais quand les temps nouveaux sont arrivés, se séparant du passé avec autant d'ingratitude que de violence, le passé avait fait son œuvre, et oe germe fécondé, l'on peut

dire, par cette lente incubation, allait M dételop^r par un progrès irrésistible et sûr,

ie n'bésite donc pas, pour ma part, à louer Aris- (ote de métaphysique appliquée à la science du mouyement; et cette méthode est un service de plus dont nous sommes redevables à la Grèce. Oui, avant d'étudier le mouvement, il fallait le définir; oui, avant de scruter les faits, il était nécessaire de pré- eiser la notion sous laquelle ils apparaissent d'abord h notre intelligence. Il est bien clair que te phéno- mène a précédé la notion, et que si le philosophe n'avait mille fois senti le mouvement dans le monde extérieur, il est à croire qu'il n'aurait jamais songé à Tanalyse d*une notion qu'il n'eût point possédée. Aristote ne se fait pas foufe de le dire bien souvent dans ses réftitations contre Técole d'ETée, et il se glo- rifie, en combattant des paradoxes absurdes, de s'en 'rapporter au témoignage des sens, qui nous attestent révidence irrécusable du mouvement. Mais une fois ce grand fait admis^ il faut Téclaircir pur l'analyse psychologique et en considérer tous les éléments ra-» tionnels. C'est alors que la métaphysique intervient, et qu'elle remplit son véritable rôle. Elle part d'un fait évident, et elle projetlte sa clarté supérieure dans ees ténèbres dont la sensibilité est toujours eouverte.

A LA PHYSIQUE D*ARISTOTE. ctw

Ses abstrMtkms» loin d'èire i^dnes^ ocHBme oa le eroit vulgaîremeDt, sont la forme yraie sous laquelle la raisûd se comprend elle-même ; et à mms qu'elle ne veuille se contenter d'ime simple eoUeciion de phénomènes inintelligibles, il jhut bien qu'elle re-^ mmle & des causes et à des lois, avec laide dea principes essentiels qu'elle porte dans son sein e4 ^ k font ce qu'elle est.

C'est à œ besoin instinctif el si réel qu^Arislote a obâ; il a satisfait Fesprit humain dans la mesure de son génie et de son temps. Loin de l'égarer, ainsi qu'on le lui. a si souvent reprocbé, il l'a profondé-* ment instruit; et les prétendues subtilités qu^Ml lui ûaipate s'évancmissent, quand on les médite assex attentivement pour en pénétrer la signification si précise el si fine. Âristote renaîtrait aujourd'hui qu'il referait encore pour nous la métaphysique du mouvement, si quelque autre ne lui eût épai^né cette pdne en la prenant avant lui. Il n'accepterait point le système actuellement en vogue auprès de quelques savants, qui proscrit ia métaphysique, et la relègue parmi les hochets dont s'amuse la science à ses premiers pas. La métaphysique, loin d'être le bégaiement de l'intelligence humaine, en est au con- traire la parole la plus nette et la plus haute. Ce n^est

CLxxn PRÉFACE

pas toujours du premier coup que la science la pro- nonce, comme Âristote Ta fait pour la théorie du mouvement; mais un peu plus tôt, un peu plus tard, il faut bien en arriver à celte explication dernière des choses, ou renoncer à les savoir, jamais. A mon sens, c'est un grand avantage pour la science quand elle peut débuter par là.

Je me résume donc en répétant qu'Âristote a eu la gloire de fonder la science du mouvement. Que si Ton s'étonnait qu'il ne l'ait point achevée et faite tout entière à lui seul, je rappellerais l'aveu modeste et fier par lequel il termine sa logique : < Si, après c avoir examiné nos travaux, dit le philosophe, il c vous parait que cette science dénuée avant nous c de tous antécédents, n'est pas trop inférieure aux c autres sciences qu'ont accrues les labeurs de gé- c nérations successives, il ne vous restera plus à vous c tous qui avez suivi ces leçons, qu'à montrer de c l'indulgence pour les lacunes de cet ouvrage, et < de la reconnaissance pour toutes les découvertes c qui y ont été faites. »

Bouglval, 25 Juin 1861.

PARAPHRASE

OB LA

PHYSIQUE D'ARISTOTE

UVRE I.

DIS PRINCIPES DB L^ÉTRB.

I'.

Exposons brièvement la méthode que nous comptons suivre dans Tétude de la nature et que nous avons déjà souvent appliquée. Dans tout sujet qui se prête à des recherches régulières, parce qu'il s'y trouve des prin- cipes, des causes et des éléments, on ne croit comprendre et savoir quelque chose que quand on est remonté jus- qu'à ces causes premières, à ces premiers principes et à ces éléments premiers, dont la connaissance constitue tou- jours le véritable savoir. 11 n'en sera pas autrement pour la science de la nature ; et le soin qu'on y doit prendre

(4) DaDS cette paraphrase, les chiffres romaios correspondent aux cha- pitres aQooesnii de chacnn des huit Livres*

1

2 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

d'abord, c'est de déterminer ce qni regarde les prÎD- cipes. La marche la plus naturelle, c'est de commencer par les choses qui sont pour nous les pins claires et les plus faciles à connaître, et de passer ensuite aux choses qui par leur propre nature sont en soi plus notoires et plus claires. Ces deux ordres de connaissances ne sont pas identiques ; et c'est ce qui fait qu'il est nécessaire de débuter par les connaissances qui sont relativement à nous plus claires et plus notoires, afin de nous élever de aux notions qui le sont en soi. Or, ce qui tout d'abord semble pour nous le plus clair et le plus facile à connaître est cependant le plus composé et le plus confus ; mais en analysant ces composés, pour faire cesser leur confu- sion, on arrive aux éléments et aux principes, qui sont alors d'une parfaite clarté. On peut dire, en un certain sens, que c'est procéder du tout à la partie, du général au particulier ; car c'est le tout que nous donne la sen- sation, qui est d'abord le plus connu; et en décomposant ce tout complexe, on y découvre une foule de parties qu'il contient dans son vaste ensemble. Il y a ici quelque chose d'analogue au rapport qu'on peut établir entre les noms des choses et la définition de ces choses. Le nom est une sorte de généralité confuse et indéterminée ; par exemple, le mot Cercle, qui comprend bien des idées; mais en le définissant et en le résolvant dans ses élé- ments premiers, on l'éclaircit et on le précise. Une autre compai*aison achèvera de faire comprendre cette pensée. Dans les premiers temps de la vie, les enfants appellent indistinctement Papa, Maman, tous les hommes, toutes les femmes qu'ils voient; mais plus tard ils les dis- cernent fort bien et ne les confondent plus.

D'ARISTOTE, LIVRE I, CH. IL

IL

Notre méthode étant ainsi expliquée, nons en faisons usage, et nous essayons de découvrir quels sont les prin- cipes généraux des êtres. Nécessairement il y a dans l'être, dans tout être quel qu'il soit, ou un principe unique, ou plusieurs principes. S'il n'y a qu'un seul prin- cipe, ou ce principe unique est immobile, comme l'affir- ment Parménide et Mélissus, ou il est mobile comme le soutiennent les Physiciens, qui voient ce principe, soit dauis l'air soit dans l'eau. Si, au contraire, on admet que l'être ait plusieurs principes, le nombre de ces principes est ou fini ou infini. S'ils sont en nombre fini, en étant toujours plus d'un, ils sont alors deux, trois, quatre ou tel oooibre déterminé; et s'ils sont en nombre infini, ils peuvent être, comme le vent Démocrite, tous du même genre absolument, ne différant que défigure ou d'espèce; on bien ils peuvent aller jusqu'à être contraires les uns aux autres. C'est une étude pareille à celle-ci que font d'autres philosophes, en recherchant quel peut être le nombre des êtres; car ils se demandent également si la source d'où sortent tous les êtres, est une ou multiple ; et quand ils admettent qu'il y a plusieurs principes des êtres, ils se demandent si ces principes sont en nombre fini ou infini. Au fond, la question est la même, et elle revient à savoir si l'élément qui constitue l'être est unique, ou si, au contraire, il faut plusieurs éléments pour le composer.

Mais ici il faut faire une déclaration : c'est que ce n'est plus étndier la nature que de rechercher si l'être est un et immobile. En géométrie, il n'y a plus à discuter avec

h PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

un adversaire qui nié les principes sur lesquels la géo- métrie repose ; il faut le renvoyer à une autre science, qui peut être la science commune de tous les principes; mais ce n'est plus une question géométiîque. De même, dans la science de la nature, il faut savoir sur quel ter- rain on se place; et du moment qu'on dit que l'être est un et immobile, cela revient à dire qu'il n'y a pas de principe, puisque le principe est toujours le principe d'une ou de plusieurs choses qui en découlent. Recher- cher si l'unité de l'être est possible au sens on le sou- tient, c'est une thèse tout aussi vaine que celles qu'on avance trop souvent pour le simple besoin de la dispute, comme la fameuse thèse d'Heraclite. Autant vaudrait soutenir que le genre humain tout entier se concentre dans un seul et unique individu* Au fond, ce serait don- ner beaucoup trop d'importance à un argument qui n'est que captieux ; c'est le défaut que présentent les opinions de Mélissus et de Parménide, lesquelles ne reposent que sur des prémisses fausses et ne concluent même pas régu- lièrement. J'ajoute que la théorie de Mélissus me parait encore la plus grossière des deux et qu'il n'y a point à s'y arrêter; car l'on rencontre au début une pre- mière donnée fausse, il est facile de voie que toutes les conséquences qui en sortent, ne sont pas moins fausses et qu'elles ne méritent pas plus d'attention.

Quant à nous, nous posons comme un principe indis- cutable, que dans la nature il y a du mouvement, soit pour toutes les choses, soit du moins pour quelques-unes; et c'est un fait fondamental que nous font connaître et l'observation sensible et l'induction réfléchie. Hais ce principe une fois posé, nous ne prétendons pas répondre

D'ARISTOTE, LIVRE I, €H. 111. 6

aux questions qui en impliqueraient la négation, et nous nous contenterons de réfuter les erreurs qui pourraient être commises, en partant de ce principe lui-^ème, qn'il fant préalablement accepter. Les théories qui le nient doivent nous rester tout à fait étrangères ; car c'est ainsi que le géomètre, en choisissant parmi les démonstrations de la quadrature, peut bien réfuter celle qu'on prétend faire à l'aide des segments ; mais il n'a plus rien à voir à celle d'Antiphon. Néanmoins, comme les philosophes qui nient le mouvement touchent encore à des questions phy* siques, bien qu'ils n'étudient plus précisément la nature, il ne sera peut-être pas sans ntilité d'en dire quelques mots, parce que ces recherches ne laissent pas que d'avoir encore un côté philosophique.

III.

Précisons bien le sens des mots dont nous nous servons ; et comme le mot d'Être a plusieurs acceptions, il faut se rendre compte, avant d'aller plus loin, de ce qu'on entend quand on dit que l'être tout entier est un. Est-ce à dire qu'il est uniquement substance? ou bien uniquement quantité? ou bien uniquement qualité? Si tout est sub- stance dans l'être, comprend-on qu'il n'y a au monde qu'une seule substance? Ou bien vent-on dire que dans l'bomme un, dans le cheval un, dans Tâme une, il n'y a que l'homme, le cheval on l'âme? Si l'être n'est que qualité, soutient-on par qu'il est uniquement chaud, ou unique- ment froid, ou telle autre qualité exclusive? Ce sont évi- demment des points de vue très-diiPérents ; mais ils ont ceci de commun qu'ils sont tous également insoutenables.

6 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Si Ton prétend que l'être est toat ensemble substance, quantité et qualité, il en résulte toujours qu'il y a plusieurs sortes d'êtres, soit qu'on réunisse ces trois éléments, soit qu'on les isole et qu'on les rende indépendants les uns des autres. Si l'on disait par hasard que l'être tout entier n'est que qualité et quantité, la substance étant mise à part ou rejetée, ce serait une opinion absurde, ou pour mieux dire impossible, puisque la substance est toujours indispensable, et qu'elle est le support de tout le reste, qui sans elle n'existerait pas. Voyez en effet la contradic- tion : Mélissus soutient que l'être est infini ; soit ; mab cela revient à dire que l'être est une quantité, puisque l'infini n'est que dans la catégorie de la quantité. Or, la substance et la qualité ne peuvent jamais être infinies, si ce n'est d'une manière indirecte, en tant qu'on les consi- dère comme quantités à un certain point de vue. La dé- finition de l'infini emprunte toujours l'idée de quantité; mais elle ne suppose pas celles de substance et de qualité. Que si l'on admet que l'être est à la fois substance et quantité, comme il est toujours nécessaire qu'il le soit, alors ses principes sont au moins deux, et l'être n'est plus un comme on le prétend. Si l'on réduit l'être à n'être que substance, alors il n'est plus infini; il n'a même plus une grandeur quelconque; car pour en avoir, il faudrait qu'il fût en outre quantité.

Une difficulté du même genre encore, c'est de savoir ce qu'on veut dire précisément en soutenant que l'être est un ; car le mot d'Un est susceptible d'acceptions diverses tout aussi bien que le mot d'Être. Une chose est une quand elle est continue ou qu'elle est divisible. On dit de deux choses qu'elles sont une seule et même chose

ITARISTOTB, UVRE I, CH. UI. 7

qnaod leur défloition est identique, comme elle Test, par exemple, pour le Jos de la treille et pour le Via. Or, si par Un on entend le continu, l'être alors est multiple et n'est plus un ; car le continu est divisible à l'infini.

Mais à propos de l'unité de l'être, on peut se poser une question qui, sans tenir très-directement à notre sujet actuel, vaut la peine cependant qu'on la traite. Le tout et la partie sont-Os une même chose ? on sont-ils des choses différentes? De quelle manière peut-on concevoir leur unité on leur multiplicité 7 et, si ce sont des choses mul«- tiples, quelle espèce de maltiplicité forment^Ues 7 Les parties peuvent d'ailleurs n'être pas continues ; et si les parties en tant qu'indivisibles forment chacune une moitié, comment chacune d'elles peut-elle être une avec le tout 7 Mais je ne fais qu'indiquer ces questions, et je poursuis.

Si l'être est un en tant qu'indivisible, il ne l'est plus alors comme quantité et qoalité, et du même coup il cesse d'être infini comme le veut Mélissos. Il n'est même pas fini comme le soutient Parménide ; car c'est la limite seule des choses qui est indivisible, et ce n'est pas le fini lui- okême. Que si l'on dit que tous les êtres sont Uns en ce sens qu'ils n'ont tous en masse qu une définition com- mune et identique , comme l'est celle de Vêtement et d'Habit, par exemple, alors on revient à l'opinion d'Héra* dite, et désormais tout va se perdre dans le plus obscur mélange ; le bien et le mal se confondent; le bon, avec ce qui n'est pas bon ; le bien, avec ce qui n'est pas bien ; l'homme et le cheval sont tout uo« Mais il faut répondre à cette singulière théorie que ce n'est plus afiirmer que tous les êtres sont Uns; c'est afiirmer qu'ils ne sont rien, et que la quantité et la qualité sont absolument identiques.

8 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Du reste, cette question du rapport de l'unité à la mul- tiplicité semble avoir troublé plus d*un philosophe parmi les modernes ou les anciens. Pour échapper à la contra- diction qu'on supposait entre les deux termes, les uns, comme Lycophron, se sont imaginé de supprimer le verbe d'existence et de retrancher le mot Est de tout ce qu'ils disaient. Les autres ont détourné l'expression, et au lieu de dire que l'homme est blanc, ils ont dit qu'il blanchit; ou de dire qu'il est marchant, ils ont dit qu'il marche. Ils se donnaient toute cette peine pour éviter le mot Est, de peur de faire plusieurs êtres d'un seul, et croyant confondre par l'un et l'être absolument. Gomme si les êtres n'étaient pas multiples, ainsi que le prouve même leur définition ; comme si la définition de blanc et celle de musicien n'étaient pas essentiellement différentes, bien que ces deux qualités puissent appartenir simultané- ment à un seul et même être ! Il faut donc affirmer que le prétendu Un est multiple, comme tout être est multiple, ne serait-ce que par la division, puisqu'il forme nécessai- rement un tout et qu'il a des parties. A ce point de vue, nos philosophes étaient bien forcés d'avouer, malgré tout leur embarras, que l'être n'est pas un et qu'il est mul- tiple ; car une même chose peut fort bien tout à la fois être une et multiple; seulement elle ne peut avoir à la fois les qualités opposées, attendu que l'être peut être un, ou en simple puissance , ou en réalité complète , en enté- léchie. Donc, il faut conclure de tout ceci que les êtres ne peuvent pas être uns au sens on le prétend*

IV.

On pourrait d'ailleurs avec les principes mêmes que

D'ARISTOTE, LIVRE I, CH, IV. 0

ces philosophes admettent dans leurs démoostratioiis, les mieux employer, et résoudre assez aisément les difficultés qui les arrêtent. Je viens de dire que le raisonnement de Mélissus et de Parménide est captieux, et que partant de données fausses ils ne concluent même pas régulièrement. J'ajoutais que le raisonnement de Mélissus est plus gros- sier et moins soutenable encore, parce qu'il suffit qo'une seule donnée soit fausse pour que toutes les conclusions le soient comme elle, ce qui est très-facilç avoir. Mélissus se trompe évidemment çn partant de cette hypothèse que tout ce qui a été produit ayant un principe, ce qui n'a pas été produit ne doit point en avoir. A cette première erreur, il en ajoute une autre non moins grave, c'est de croire que tout a eu un commencement, excepté le temps, et qu'il n'y a point de commencement pour la génération absolue, tandis qu'il y en aurait pour l'altération des choses, comme s'il n'y avait pas évidemment des change- ments qui se produisent tout d'un coup. Puis, ne peut-on pas demander pourquoi l'être serait immobile par cette rai- son qu'il est un? Puisqu'une partie du tout qui est une, de l'eau par exemple, a un mouvement propre, pourquoi le tout dont elle fait partie n'aurait-il pas le mouvement au même titre? Pourquoi n'aurait-il pas, lui aussi, le mouve- ment d'altération? Enfin l'être ne peut être un en espèce, que sous le rapport du genre unique qui comprend les espèces, et d'où elles sortent. Il y a des Physiciens qui ont entendu l'unité de l'être de cette façon, croyant à l'unité du genre et non point à celle de l'espèce; car il est par trop évident que l'homme n'est pas le même spécifi- quement que le cheval, tout aussi bien que les contraires diffèrent spécifiquement entr'eux.

10 * PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Les arguments qu'on vient d'opposer à la théorie de Mélissus n'ont pas moins de force contre celle de Parme- nide, qui lui aussi admet des hypothèses fausses et qui n'en tire pas des conclusions plus régulières. Il y a d'ail- leurs contre le système de Parménide des objections toutes spéciales. Une première donnée fausse^ c'est que Parménide suppose que le mot d'Être n'a qu'un seul sens, tandis qu'il en a plusieurs. En second lieu, sa conclusion est irrégulière ep ce que même en admettant que le blanc soit un, par exemple, il ne s'en suit pas du tout que les objets qui sont blancs ne soient qu'un. Évidemment ils sont plusieurs. Le blanc n'est un, ni par continuité ni même par définition. L'essence de la blancheur ne se con- fond pas avec l'essence de l'être qui est affecté de cette blancheur. En dehors de cet être, et indépendamment de lui, il n'y a pas de substance séparée qui soit la blan- cheur ; et ce n'est pas en tant que séparée qu'elle diffère de lui, c'est par son essence ; or c'est ce que Parménide n'a pas su discerner.

Ainsi, quand on soutient que l'être et l'un se con- fondent, il faut nécessairement admettre que l'être au- quel l'un est attribué, exprime l'un tout aussi bien qu'il exprime l'être lui-même, mais que de plus il exprime l'essence de l'être et l'essence de l'un. L'être devient alors un simple attribut de l'un, et le sujet même auquel ou prétend attribuer l'être, s'évanouit et n'existe plus; c'est alors créer un être qui existe sans exister. C'est qu'il ne faut sérieusement considérer comme être que ce qui existe substantiellement. L'être ne peut pas être son attri- but à lui-même, à moins qu'on ne prête arbitrairement d'autres sens à l'idée d'être; mais elle n'a cependant

D'AftISTOTE, LIVRE I, CH. IV. 11

qu'une seule signification, et Ton ne peut pas réaliser ainsi tout ceqa'ou veut L'ôtre réel n'est jamais l'attri- I>Qt, l'accident d*aatre chose; c*est ini au contndre qui reçoit les attributs. Si l'on n'admet pas ce principe évi- dent, on en arrive à confondre l'être et le non-dtre dans une égale indétermination. L'être qui est blanc n'est pas identique à sa blancheur, puisque la blancheur ne peut jamais comme lui recevoir d'attributs. L'être réel est;' le blanc n'est pas, non point seulement en ce sens qu'il xi'est point tel être spécial, mais parce que de fait il n'est rien en dehors du sujet il est. En confondant l'être et sa blancheur, l'être devient comme elle un non-être ; car a'il est blanc, le blanc avec lequel il se confond n'est ciu'un non-être. Si Ton soutient encore que le blanc est xin être tout aussi bien que le sujet lui-même il est, c^'est qu'alors on donne au mot d'être des acceptions fausses, au lieu de la seule qu'il a véritablement.

Eu voulant ainsi confondre l'un et l'être, Parménlde «n arrive à cette absurdité de nier que l'être puisse avoir «ncune dimension ; car du moment qu'il y a un être réel, il a des parties, et chacune de ces parties a un être difiTé* t«Dt ; ce qui détruit la prétendue unité de Parménide. Hais ce n'est pas seulement toute dimension qu'il ôte à l'être, c'est aussi toute essence ; car tout être en suppose d'autres aunlessus de lui, qui sont impliqués dans sa dé- finition. Ainsi l'homme est un certain être ; mais quand on le définit, on voit que nécessairement il en suppose d'autres : l'animal, le bipède, qui ne sont pas des acci- dents, des attributs de l'homme, mais qi|i font partie de son être essentiellement. La preuve que ce ne sont pas des attributs ou des accidents, c'est qu'on entend par

12 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

accident ce qui peut indifféremment être ou n'être pas dans le sujet, et ce dont la définition comprend Têtre auquel il est attribué. Ainsi être assis n'est qu'un acci- dent d'un être quelconque et un accident séparable ; mais l'attribut Camard, par exemple, comprend toujours dans sa définition l'idée de nez, parce que Camard ne peut être que l'attribut du nez.

Il ne faudrait pas d'ailleurs pousser ceci trop loin ; et les éléments qui servent à composer la définition d'un tout ne comprennent pas toujours ce tout dans leur propre définition. Ainsi la définition de l'homme n'entre pas dans celle de Bipède ; et la définition de l'homme blanc n'entre pas dans celle de Blanc. Mais si bipède étîdt en ce sens un simple accident de l'homme et ne faisait pas partie de son essence, il faudrait que cet accident fût séparable, c'est-à-dire que l'homme ne fût pas bipède ; ou autrement, la définition de l'homme ferait partie de celle de bipède, comme celle-ci fait elle-même partie de la définition de l'homme. Mais il n'en est rien, et c'est précisément le contraire qui est vrai, puisque l'idée de bipède est impliquée dans l'idée d'homme. Si animal et bipède pouvaient être de simples accidents, rien n'em- pêcherait que l'homme en fût un aussi et qu'il pût servir d'attribut à un autre être. Loin de là; l'être réel, comme est un homme par exemple, est précisément ce qui ne peut jamais être l'attribut de quoi que ce soit ; c'est le sujet substantiel auquel s'appliquent les deux- termes d'animal et de bipède, soit qu'on les considère à part, soit qu'on les réunisse dans un seul tout. L'être serait par conséquent composé d'indivisibles, si l'on s'en rapporte à la singulière théorie de Parménide, puisque

D ARISTOTE, UVRE I, CH. V. 4 S

adon lui Tètre n'a ni dimensioD ni parties intégrantes et essentielles.

Certains philosophes ont accepté les deux solutions à la fois : ils ont cru avec Pannénide que tout est un et que le non-étre est quelque chose ; et en second lieu, ils ont reconnu dans le monde des existences individuelles, auxquelles ils arrivaient par la méthode de division, qui consiste à toujours diviser les choses en deux jusqu'à ce qu'on parvienne à des éléments indivisibles. Évidemment on se tromperait si partant de l'unité de l'être et de l'opposition nécessaire des contradictoires, qui ne peu- vent jamais être vraies toutes les deux à la fois, on allait conclure qu'il n'y a pas de non-être. Le non-être ne désigne pas quelque chose qui n'est point absolument ; mais il désigne une chose qui n'est pas telle autre chose. Ce qui est absurde, c'est de croire que tout est on parce qu'il ne peut rien exister en dehors des êtres réels ; car si l'être n'est pas un être réel et spécial, que peut-il être ? et comment peut- on le comprendre 7 Mais du moment qu*on admet la réalité des êtres, il faut admettre aussi leur pluralité; et il est impossible de dire avec Parménide que l'être est un.

Après Parménide et Hélissus, qui ne sont pas des Physiciens proprement dits, il faut étudier les systèmes des Physiciens véritables. Il faut distinguer ici deux opi- nions différentes. Les uns, trouvant l'unité de l'être dans le corps substantiel auquel s'appliquent les attributs, eu font sortir tous les changements des êtres, dont ils recon-

lA PAUAPHRASE DE LA PHYSIQUE

naissent la mnltiplicité réelle. 11 leur suffit, pour expliquer cette origine des phénomènes, de la rapporter aux modi* fications infinies de la raréfaction et de la condensation, soit qu'ils adoptent un des trois éléments, l'eau, Fair, le feu, soit qu'il en adoptent un quatrième moins subtil que le feu, et moins grossier que l'air. Mais la raréfactioa et la condensation sont des contraires ; c'est l'excès, et le défaut, comme le dit Platon en parlant du grand et dn petit. La seule différence entre Platon et les Physiciens, c'est qu'il fait de ces contraires la matière même des êtres, dont l'unité se réduit à leur simple forme, tandis que pour les Physiciens c'est le sujet même qui est ma- tière, et que les contraires sont des différences et des espèces. Il est d'autres philosophes qui, comme Anaxi- mandre, pensent que les contraires sortent de l'être un qui les renferme ; et c'est aussi l'opinion d'EmpédocIo et d'Anaxagore, qui admettent tout à Ja fois l'unité et la pluralité des êtres. D'après leurs théories, toutes les choses sont issues d'un mélange primordial ; et la seule divergence entr'eux, c'est que pour Empédocle il y a des retoui-s périodiques et réguliers, tandis qu'Anaxagore n'admet qu'un mouvement une fois donné. Anaxagore regarde comme infinis les contraires et les parties simi* laires des choses, les Homoeoméries ; Empédocle ne voit rinfini que dans les éléments.

Pour expliquer comment Anaxagore a pu admettre ceite infinité de l'être, il faut supposer qu'il a cru avec bien d'autres Physiciens que rien ne peut venir du néant. €'est sans doute aussi l'argument de ceux qui soutiennent qu'à l'origine deâ choses tout était mêlé et confus, que tout phénomène n est qu'un simple changement, et que

lyARISTOTE, UVRE I, GH. Y. 16

tout se rédait à des mouv^nents de déconiQosition et de recompositiou. Aoaxagore 8*appuje en outre sur ce prin- cipe que les contraires naissent les uns des autres, ce qui implique qu'ils existaient antérieurement dans le sujet ; car tout phénomène qui se produit vient ou de l'être ou du néant; et s'il est impossible qu'il vienne du néant, comme tous les Physiciens en tombent d'accord, il ne reste . plus qu'à dire que les contraires naissent d'éléments qui se trouvent déjà dans le sujet, mais qui nous échappent à cause de leur ténuité infinie. Voilà comment ces Physi- dens ont été amenés à soutenir que tout est dans tout Voyant que tout peut naître de tout, ils ont cru que les choses n'étaient différentes et ne recevaient différents noms que d'après l'élément qui prédomine, bien que le nombre de leurs parties diverses soit infini. Ainsi jamais rien n'est dans sa totalité purement blanc ou purement noir ; seulement selon que l'un ou l'autre prédomine, on prend l'élément qui l'emporte pour la nature même de la chose ; et c'est d'après cet élément prédominant qu'on la qualifie. Voici ce qu'on peut répondre à Anaxagore. L'infini en tant qu'infini ne peut être connu. Si c'est l'infini en nombre et en grandeur, on ne peut le comprendre dans sa quantité; si c'est l'infini en espèce, on ne peut le com- prendre dans sa qualité. Si donc on fait les principes infinis, soit en espèce soit en nombre, il est impossible de jamais connaître les combinaisons qu'ils forment; car nous ne croyons connaître un composé que quand nons savons l'espèce et le nombre de ses éléments. A ce pre- mier argument, on peut en ajouter un second : c'est que les parties des choses ne peuvent pas avoir cette petitesse infinie dont parle Anaxagore. Si une des parties dans les-

1(5 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

quelles ud tout divise pouvait 6tre d'une infinie peti- tesse, le tout devrait être lui-même susceptible de cette même condition. Or un animal, une plante ne peuvent pas avoir des dimensions arbitraires, soit en petitesse soit en grandeur. Il s'en suit que leurs parties ne le peuvent pas davantage. La cbair, les os et les autres matières analogues sont des parties de l'animal, tout comme le fruit est une partie de la plante ; et il est bien impossible que les os et la chair aient indifféremment une dimension quelconque^ soit en grandeur, soit en petitesse.

D'autre part, si tout est dans tout, comme le prétend Anaxagore, si les choses naissent toujours d'autres choses antérieures elles sont en germe, et si elles sont dénommées d'après la qualité qui prédomine en elles, alors tout est confondu ; l'eau vient de la chair, et la chadr vient de l'eau. Mais si d'un corps fini on retranche quelque chose, on parvient enfin à l'épuiser ; et dès lors tout n*est pas dans tout, ainsi qu'on le prétend. Si de l'eau on tire une première portion de chair, puis encore une autre portion qu'on en sépare, quelque petite que soit cette soustraction, elle sera toujours appréciable, puis^ qu'il faut bien que cette chair soit quelque chose ; mais il faudra que la décomposition s'arrête à un certain point; et évidemment, tout n'est pas dans tout, puisqu'il n'y a plus de chair dans ce qui reste d'eau.

Que si l'on dit que cette décomposition ne s'arrête pas, et qu'elle va à l'infini, alors dans une grandeur finie il y aura des parties finies et égales entr' elles qui seront en nombre infini ; ce qui est bien tout-à-fait impossible. De plus, à mesure qu'on enlève quelque chose à un corps quelconque, ce corps devient de plus en plus petit Or, la

DARISTOTE, UVRE I, CH. V. 17

cbair est limitée dans les deux seos en grandeur et en petitesse. On arrivera donc par des soustractions succes- sives à une certaine quantité de chair qui sera la plus petite possible, et Ton ne pourra plus en rien retrancher, puisque la partie qu'on en retrancherait serait nécess^re^ ment moindre que la plus petite quantité possible ; ce qui ne se peut pas non plus. Puis ensuite, dans ces corps qu'on suppose .infinis, il y a des éléments infinis aussi et séparés entr'eux, de la chsdr, du sang, de la cervelle ; et chacun de ces éléments pris à part est infini.

Mads cela ne peut plus se comprendre, et c'est une théorie dénuée de toute raison. Si, pour échapper à ces impossibilités, on prétend que la séparation des éléments ne pourra jamais être définitive, c'est sans doute une idée juste ; mais on ne s'en rend pas très-bien compte en l'employant ici. Les qualités sont, on le sait, inséparables des choses qu'elles déterminent ; et si, par hasard, on suppose qu'elles en sont séparées après y avoir été primi- tivement mêlées, il s'ensuit que telle ou telle qualité, le blanc, le salubre par exemple, existera par elle-même et substantiellement, sans être même l'attribut de quelque sujet réel. Alors l'Intelligence, dont Anaxagore a fait un si pompeux éloge, court grand risque de tomber dans l'absurde en essayant de réaliser des impossibilités. Et c'est ce qu'elle tente cependant en voulant faire une séparation des choses qui n'est possible ni en quantité ni en qualité : en quantité, parce qu'on en arrive de subdi- vision en subdivision à une quantité qui est la plus petite possible ; en qualité, parce que les affections et les qua- lités des choses en sont absolument inséparables.

Une dernière objection contre les théories d' Anaxagore,

2

18 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

c'est que la génération des choses ne s'explique pas bien si Ton prétend la tirer exclusivement des parties simi- laires, comme il le fait. Ainsi pour prendre le premier exemple venu, la bone se divise bien si l'on vent en par-* ties similaires, c'e8t*à*dire en d'autres boues ; mais elle se divise en d'autre éléments aussi, la terre et l'eau, qui ne sont plus similaires entr'eux. Parfois le rapport entre le tout et les parties est encore très-différent ; et si l'on peut dire qu'en un sens les murs viennent de la maison et que la maison vient des murs, il y a d'autres cas ce rapport est changé, par exemple quand on dit que l'eau vient du feu, ou que le feu vient de l'eau. C'est une transformation, il n'y a plus de parties similaires. Le système d'Anaxagore n'est donc pas acceptable en ceci, et peut-être vaudrait-il encore mieux admettre, avec Empédocle, des principes finis et moins. nombreux.

VL

Un point s'accordent les Physiciens, c'est que tous ils regardent les contraires comme des principes. Telle est l'opinion de ceux qui admettent que l'être est un et immo- bile, comme Parménide, qui prend pour principes le froid et le chaud, sous le nopi de terre et de feu ; telle est encore l'opinion de ceux qui admettent pour principes le dense et le rare, la raréfaction et la condensation , ou comme le dit Démocrite, le plein et le vide, prenant l'un de ces contraires pour l'être, et l'autre pour le non-être ; enfin c'est également l'opinion de ceux qui expliquent l'existence et l'origine des choses par la position, la figure et l'ordre des éléments ; car ce ne sont évidem-

D'ARISTOTE, LIVRE 1, CH. YI. 19

roeot que des variétés de conlraires ; la position étant en haut, en bas, en avaat, en arrière ; la figure étant d'avoir des angles ou de ne point en avoir, d'être droit ou circu- laire, etc. En un mot, dans tous ces systèmes, les con- traires sont adoptés pour principes; et c'est là, je le répète, un point commun à tontes ces théories.

Je reconnais du reste qu'on doit approuver cet axiome; car les principes ne peuvent point venir réciproquement les uns des autres ; et loin de venir non plus d'autres choses, c'est d'eux que doit sortir tout le reste. Or, c'est précisément ce que sont dans chaque genre les contraires primitifs. En tant que primitifs, ils ne peuvent dériver de rien qui leur soit antérieur ; et en tant que contraires, ils ne peuvent pas davantage dériver l'un de l'autre récipro- quement. Mais cette théorie vaut la peine qu'on l'appro- fondisse ; et c'est ce que nous allons faire. D'après les lois de la nature, l'action des choses ou la souffrance des choses n'est pas arbitraire ; la première chose venue ne produit pas au hasard ou ne soufire pas telle action quelconque. Il n'est pas possible davantage que les choses se produisent indifféremment les unes par les autres, à moins qu'on n'entende ce mot de production dans on sens tout à fait détourné. Par exemple, comment l'idée de blanc viendrait-elle de l'idée de musicien, à moins que le blanc on le noir ne soit un attribut purement accidentel du musicien ? Le blanc ne peut venir que du non-blanc, ou plus précisément du noir et des couleurs intermédiaires entre le noir et le blanc. De même, le musicien vient du non-musicien, ou plus précisément encore de ce qui n'a pas cultivé la musique, tout en pou- vant la cultiver, on de ce qui n'a pas eu telle autre

20 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

qualité intermédiaire entre le musicien et le non-musi- cien. Mais si une chose ne vient pas indifféremment d'une autre chose, elle ne se perd pas non plus indifféremment dans la première chose venue. Ainsi selon Tordre naturel des choses, le blanc quand il disparait ne se perd pas dans le musicien, si ce n'est en un sens détourné et pure- ment accidentel ; mais il se perd dans son contraire, le non-blanc, et non pas même dans le non-blanc en géné- ral, mais dans ce non-blanc spécial qui est le noir, ou dans telle autre couleur intermédiaire. Tout de même pour le musicien, qui ne change et ne se perd que dans le non-musicien, et non pas encore dans le non-musicien eii général, mais dans ce qui n'a pas cultivé la musique, bien qu'il fût capable de la cultiver, ou dans telle autre qualité intermédiaire.

Ce qu'on dit ici de termes simples, comme blanc et musicien, s'applique également aux termes composés ; mais en général cette opposition des contraires passant de l'un à l'autre, n'est pas comprise, parce que les pro- priétés opposées des choses n'ont pas reçu de nom spécial qui en signale les contraires. Je prends diverses choses composées, et je cite les trois exemples suivants. Soit, si l'on veut, quelque chose qui est organisé et dont toutes les parties se correspondent harmonieusement. Je dis que l'organique vient de l'inorganique ; et à l'inverse, l'inor- ganique vient de l'organique. A l'organisation harmo- nieuse des parties, je puis substituer leur ordre ou leur combinaison -, cela revient toujours au même ; ainsi je puis à l'organisation substituer la combinaison ou l'ordre, soit dans une maison soit dans une statue. La maison n'est que la combinaison de tels matériaux qui ont été

D'ARISTOTE, LIVRE I, CH. VI. 21

réuDis d*uDe certaine façon, mais qai, antérieurement ne Tétaient pas de cette façon spéciale. La statue, on tonte autre chose figurée comme elle, vient de ce qui, antérieu- rement, était sans figure et a reçu, l'ordre qui constitue la statue. Les contraires sont, d'une part, ce qui a une cer- taine combiniûson régulière ou un certain ordre régulier, et de l'autre, ce qui n'a ni cet ordre ni cette combinaison. Mais ces contraires n'ont pas reçu de nom spécial dans la langue, c'est-à-dire que la statue, la maison, n'ont pas leurs contraires.

Si cette théorie est vraie, comme elle semble l'être, on peut dire d'une manière générale que, dans le monde en- tier, tout ce qui vient à naître vient de contraires, et que tout ce qui périt se résout dans ses contraires également, ou dans ses intermédiaires, qui d'ailleurs ne viennent eux-mêmes que des contraires. Ainsi, toutes les couleurs intermédiaires dérivent du blanc et du noir, qui sont aux deux extrémités; et l'on peut affirmer ainsi que toutes les choses de la nature sont des contraires ou viennent des contraires.

C'est le point commun sont arrivés tous les phi- losophes dont nous parlions tout à l'heure. Sans peut-être se bien rendre compte des expressions qu'ils emploient, tous qualifient de contraires les éléments et les principes qu'ils reconnaissent, et Ton dirait que tous sont conduits à ce système par la force même de la vérité qui les y pousse à leur insu. La seule différence, c'est que les uns prennent leurs principes le plus haut possible, et que les autres ne s'adressent pas à des termes aussi élevés et aussi généraux : les uns s adressant à la pure raison et aux idées qui sont les plus claires pour elle ; les autres

22 PARAPH&ASE LA PHYSIQUE

s' adressant à des idées qui sont plus notoires que pour les sens. Ainsi, pour les uns, les contraires élémentaires sont le chaud et le froid, le sec et l'humide, toutes choses qui nous sont révélées par la sensibilité ; pour les autres, c'est le pair et l'impair, ou enfin c'est l'Amour et la Dis- corde, qui sont les causes premières de toute génération. Ces différents systèmes ne diffèrent entr'eux que par la diversité des contraires, dont tous reconnaissent l'exis- tence. Us s'accordent donc en un sens, et en un sens ils se contredisent, comme chacun peut le voir sans qu'il soit besoin d'entrer dans de plus longs détails. Leur ana- logie, c'est d'avoir tous également une série de contraires, à l'aide de laquelle ils croient expliquer le monSe ; leur différence, c'est que les uns prennent des eontraires plus généraux et qui enveloppent plus de choses, tandis que les contraires admis par les autres sont moins vastes, et sont à leur tour subordonnés à d'autres contraires qui les enveloppent. Telle est la ressemblance et la dissemblance de ces théories, l'on s'exprime plus ou moins bien selon qu'on s'en rapporte, comme je viens de le dire, soit à des notions purement rationnelles soit à des notions purement sensibles. L'universel est plus notoire à la raison ; le par- ticulier l'est davantage aux sens ; car la notion sensible n'est jamais que particulière. Le grand et le petit sont des notions rationnelles plutôt que des notions sensibles ; mais le rare et le dense ne sont guère compris que par la sensibilité.

Donc, pour nous résumer, les principes sont nécessai- rement des contraires.

DARISTOTE, LIVRE, I, CH. VIL 25

VIL

Ea suivaot ces cooaîdérations» nous lUlons rechercher si les principes de l*ètre sont seulement an nombre de deux y comme les contrûres le sont nécessairement dans chaque genre, ou bien s'il y a dans Tètre trois principes au lieu de deux* ou même davantage. D'abord évidem* ment, il n'y a pas dans l'être un prindpe unique, ainsi qu'on l'a dit, puisque les contraires sont au moins deux. D'autre part, il n'est pas moins évident que les principes ne peuvent être en nombre infini ; car alors l'être serait inaccessible à la science, et l'on ne pourrait jamais savoir quels sont ses principes. Dans tout genre quel qu'il soit, il n'y a jamais qu'une seule opposition par contraires ; et dans le genre de la substance, par exemple, il n'y a de contraires que la substance, d'une part, et ce qui n'est pas substance, d'antre part, c'est-à-dire les attributs ou accidents, liais si les principes ne peuvent être infinis, ils peuvent bien être finis, comme le vent Empédocle, qui prétend expliquer mieux les choses, avec ses principes finis, qu*Anaxagore ne peut les expliquer par les infinis qu'il admet. Ceci ne veut pas dire d'ailleurs que tous les contraires sont des principes ; car il y a des contraires qui sont antérieurs à d'autres contraires, tandis que d'autres contraires dérivent de contraires plus généraux. Le doux et l'amer, le blanc et noir, se rapportent à des genres supérieurs ; et ce ne sont pas des contraires qu'on puisse considérer comme des principes, attendu que les principes sont par leur nature absolument immuables. Je conclus donc que les principes de l'être ne se réduisent pas à un seul, et que de plus ils ne sont pas en nombre infini.

2A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Mais quel est le nombre des principes de Fëtre 7 Du moment qu'il sont en nombre limité, il semble assez difiS- cile qu'ils ne soient que deux seulement; car on ne comprend pas comment l'un pourrait agir sur l'autre. La rareté ne peut rien sur la densité ; pas plus que la densité n'a la moindre action sur la rareté. L'Amour ne peut pas davantage se concilier la Discorde, et la Discorde de son côté ne peut rien faire de l'Amour. Même re- marque pour toute espèce de contraires. Mais si l'on sup- pose entr'eux un troisième terme, ils peuvent agir alors l'un ou l'autre sur cet élément nouveau, qui est différent d'eux ; et voilà comment certains philosophes ont sup- posé plus de deux principes pour expliquer les choses. Une autre raison qui fait une nécessité d'admettre un troisième terme, support des deux contraires, c'est que les contraires ne sont jamais des substances ; ils ne sont que des attributs de quelqu' antre chose. Mais un prin- cipe proprement dit ne peut jamais être l'attribut de quoi que se soit; car il y aurait alors principe de principe, puisque c'est le sujet des attributs qui est leur principe, en leur étant toujours antérieur. De plus la substance, comme on le sût, ne peut être contraire à la substance ; elle ne peut pas venir davantage de ce qui n'est pas sub- stance; et comment le principe, s'il n'est pas substance, serait-il antérieur à la substance même?

Si donc on admet d'une part que les principes sont des contraires, et d'autre part qu' ils ne sont pas des substances, on est amené à conclure qu'il faut nécessairement entre les deux contraires supposer un troisième terme. C'est bien aussi ce que pensent les philosophes qui n'ad- mettent dans le monde qu'un élément unique, l'eau, le

D'ARISTOTE, LIVRE I, CH. VU. 25

fea on tel antre élément intermédûdre, dont Us font le support commun des contraires ; et je remarque que c'est plutôt cet intermédiare qu'ils devnûent choisir pour leur éléaient unique, puisque le feu, la terre, l'air et l'eau sont toujours mélangés et entremêlés de quelques contraires. Aussi, je suis plutôt de l'avis de ceux qui ont recours à cet intermédiaire qui n'est aucun des quatre éléments ; et je mettrais ensuite ceux qui adoptent l'air dont les diffé- rences sont les moins sensibles, et enfin ceux qui ont recours à l'eau. Mais je reviens, et je dis que tous ces phi- losc^hes, quel que soit le principe unique qi/ils adoptent, le transforment aussitôt par des contraires : le rare et le dense, le plus et le moins, ou comme nous le disions aussi un peu plus haut, l'excès et le défaut ; car c'est une opinion fort ancienne que de réduire tous les principes des choses à trois : l'unité, le défaut et l'excès. Mais ceci n'a pas été entendu de la même manière par tout le monde ; car les anciens prétendaient que c'est l'excès et le défaut qui agissent, l'unité souffrant leur action, tandis que les modernes soutiennent au contraire que c'est l'u- nité qui agit, et que le défaut et l'excès supportent l'ac- tion qu'elle exerce sur eux.

Les arguments qui précèdent et d'autres arguments

analogues qu'on y pourrait joindre, donnent à penser très

justement que les' principes de l'être sont au nombre de

trois, ainsi qu'on vient de l'indiquer. En effet, on ne peut

aller au-delà de ce nombre, et l'unité suffit à souffrir et à

expliquer l'action des contraires. Mais si les principes

sont au nombre de quatre, il y a dès lors deux oppositions

de contraires, et il faudra un sujet et une unité à chacune

d'elles, c'est-à-dire qu'il y aura deux sujets au lieu d'un.

26 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

De même que si Ton suppose une seule unité pour les deux oppositions, alors Tune des deux oppositions devient parfaitement inutile. Il est d'ailleurs impossible qu'il y ait dans chaque gpnre plus d'une seule opposition pri- mordiale de contraires ; car, prenant le genre de la sub- stance, par exemple, les principes ne peuvent plus y dif- férer entr'eux qu'en tant que postérieurs et antérieurs ; mais ils n'y diffèrent pas en genre, parce que dans chaque genre il ne peut y avoir qu'une opposition à laquelle se rapportent en définitive toutes les autres.

Ainsi donc, il y a dans l'être plus d'un principe ; mais évidemment il ne peut pas y en avoir plus de deux ou trois. est ici le vrai 7 c'est ce qu'il est très-difficile de dire.

VIII.

Afin de suivre dans cette recherche une méthode sûre, nous traiterons d'abord de la génération des choses, entendue de la manière la plus large possible; car il semble tout à fait rationnel et conforme à l'ordre naturel d'exposer d'abord les propriétés communes des choses, pour en arriver ensuite aux propriétés particulières. Posons quelques principes qui serviront à expliquer la théorie que nous' adopterons.

Quand on dit d'une manière absolue qu'une chose vient d'une autre, ou d'une manière relative que la même chose devient, par un changement quelconque, autre qu'elle n'était, nous pouvons employer, pour rendre ces idées, ou des termes simples ou des termes complexes : simples, quand je dis que l'homme devient musicien, ou

D'ARISTOTE, LIVRE 1, CH. VIII. 27

que le non-miisiden devient musicien ; complexes, qoand je dis au contraire, en joignant les denx termes, que l'homme non-musicien devient homme musicien. Dans un cas, le terme est sim|de, homme, non-musicien, musicien ; dans le second cas, le terme est complexe, homme non- mumcien, homme musicien. Dans Texpression complexe, il y a à la fois, et le sujet qui devient quelque chose, et Tattribut qu'il devient par le changement qu'il subit. De ces deux expressions, la dernière signifie que non*seuIe- ment l'être devient telle chose, mab que de plus il avait, antérieurement à ce changement, une certaine manière d'être différente. Quant & l'expression simple : L'homme devient musicien, elle n'a pas une signification absolue ; car elle ne signifie pas que l'homme a cessé d'être homme pour devenir muâcien; elle signifie uniquement que l'homme, tout en restant homme, a subi ce changement qui consiste à devenir musicien, ce qu'il n'était pas aupa- ravant Dans les choses qui se produisent ainsi, c'est-à- dire tel être subit telle modification et telle chose devient telle autre chose, nous entendons toujours qu'il y a une partie qui subsiste tout en subissant un changement, tandis qu'il y a une partie qui ne subsiste pas et qui dis- paraît. L'homme a beau devenir musicien, il n'en sub- siste pas moins en tant qu'honune ; l'homme reste ; mais le non«musicien, ce qui n'est pas musicien, peu importe le terme plus ou moins compliqué dont on se sert ici, ne subsiste pas ; et loin de là, il disparait dans le change- ment.

Ceci posé, on peat appliquer ce principe à toute géné- ration, et l'on verra que dans tous les cas, comme dans celui-ci, il faut qu'il y ait un certain élément qui subsiste

28 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

et demeure pour servir de support à tout le reste. Ce qui subsiste aiusi est toujours un, numériquement parlant; mais il n'est pas toujours un, sous le rapport de la forme ; et par la forme, j'entends ici la définition qui rempl&ce le sujet pour le déterminer par une qualité spéciale : ainsi le non-musicien mis à la place de l'homme. Homme et non-musicien ne sont pas des termes identiques, puisque l'on subsiste tandis que l'autre ne subsiste pas. Ce qui subsiste, c'est précisément ce qui n'est pas susceptible d'opposition ; c'est l'homme proprement dit, tandis que le musicien et le non-musicien ou l'homme non-musicien, ne subsistent pas de cette façon.

C'est surtout aux choses qui ne subsistent paa, qu'on applique cette expression qu'une chose vient de telle chose et non qu'elle devient telle autre chose ; on dit que de non-musicien vient le musicien, car c'est le non- musicien qui cesse de subsister ; mais comme ce n'est pas l'homme qui cesse de subsister parce qu'il devient musi- cien, on ne dit pas que d'homme il devient musicien. Par- fois cependant on applique cette expression d'une ma- nière vicieuse à ce qui subsiste, aux substances; et l'on dit que la statue vient de l'airain, tandis qu'on devrait dire, au contraire, que c'est l'airain qui devient statue. Quant à l'attribut qui peut être l'un des deux contraires, on emploie indifféremment l'une de ces deux expressions, et l'on dit, ou que de non-musicien l'être devient musi- cien, ou que telle chose devient telle autre chose. Ainsi on dit également que du non-musicien vient le musicien, ou que l'homme non^musicien devient homme musicien.

Cest que le mot Devenir peut avoir plusieurs sens, selon qu'on le prend d'une manière absolue ou d'une

D'ARISTOTE, LIVRE I, CH. VIH. 29

manière relative. Lorsqu'une chose devient absolument parlant, c'est qu'elle natt, et sort du non-être ; mais dans les cas l'expression n'est pas absolue, on ne dit pas senlenieot qu'une chose devient; on ajoute qu'elle devient telle autre chose, par suite du changement qu'elle subit. Devenir d'une manière absolue ne s'applique qu'aux sub- stances; tout autre Devenir suppose préalablement un sujet déjà existant, qui subit une modification. Ainû les changements qui se passent dans la quantité, la qualité, la relation, le temps, le lieu, ne se produisent que par rapport à un certain sujet, puisque jamûs la substance ne sert d'attribut à quoi que ce sœt, tandis que tout le reste sert d'attribut à la substance. Toutes les substances, et en général tous les êtres qui ont l'existence d'une ma- nière absolue, viennent d'un sujet antérieur qu'elles sup- posent nécessûrement. Toujours il y a préalablement un être qui subsiste avant celui qui naît et qui en sort, comme est le germe dans les plantes et dans les animaux. Tout ce qui natt, et devient généralement parlant, ne peut venir qne desmanières suivantes : transformation, comme lasta- tGe qui vient de l'ainûn ; addition, comme les plantes et les êtres qui se développent en s'accroissant; réduction, comme l'Hermès qu'on tire d'un bloc de marbre ; arrange- ment et combinaison, comme la maison qu'on bâtit; enfin altération, comme les choses qui changent dans leur ma- tière. Mais tous ces changements supposent, on le voit asses clairement, un sujet quelconque qui existe antérieu- rement à eux et qui est apte à les subir.

Il résulte de ces considérations que, quand une chose quelconque vient à se produire, le phénomène est tou- jours complexe ; car il y a deux termes : la chose même

30 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

qui se prodoit, et celle qui devient de telle oa telle façon. Cette dernière chose, qui est le sujet du changement, peot présenter encore des nuances diverses; car elle est on le sujet même on l'opposé de ce qui devient; et par exemple, Fopposé c'est le non-musicien qui devient musicien, au lien de l'homme qui serait le sujet propre. L'opposé, c'est ce qui est privé de la forme, ou de la figure et de l'ordre, comme dans les exemples cités pins haut; le sujet, c'est l'or, l'airain ou la pierre. Une autre conséquence évidente de ceci, c'est que, comme tont ce qui est dans la nature a des principes primordiaux qui font que les êtres sont ce qu'ils sont essentiellement, d'après les propriétés qui leur font donner une dénomination spéciale, tout ce qui se produit et devient se compose à la fois et du sujet et de la forme que ce sujet vient à revêtir. Ainsi l'homme devenu musicien est composé en quelque sorte de l'homme, qui est le sujet, et du musicien, qui est la forme nouvelle de ce snjet; car la définition de l'homme musi- cien pourrait se résoudre dans les deux définitions parti- culières de Thomme et du musicien séparément. Ce sont les deux principes nécessaires de tout phénomène qui se produit. Le sujet est un, numériquement parlant ; mais il est deux, sous le rapport des espèces. Aussi estH^e l'homme et l'airain, on d'une manière plus générale, la matière, que l'on compte ; parce que c'est elle qui est la chose réelle, et que ce n'est pas seulement par accident que le phénomène vient d'elle ; mais la privation et Yap- position sont de purs accidents de l'être. Qnant à la forme, elle est absolument une, et elle ne se décompose pas comme le sujet en deux éléments : c'est, par exemple, l'ordre donné aux matériaux qui forment la maison ; ou

DARISTOTE, LIVRE 1, CH. VIII. SI

bien la musique^ qui est Im qualité nouvelle de l'homme devenu musicien.

Ainsi Ton peut dire que les principes sont an nombre de deux ; mais on peut soutenir aussi qu'ils sont au nombre de trois, puisque le snjet se décompose en deux. En un sens, les principes peuvent être encore considérés comme des contraires, lorsqu'on dit que le non*musiden devient musicien, que le chaud devient froid, que l'inor- ganisé devient organisé. En un autre sens, les principes ne sont pas des contraires ; car il est impossible que les contraires agissent l'on sur l'autre, comme le font ici la privation et la forme. Pour résoudre cette diflBculté, il faut remarquer que le sujet ne se confond ni avec la pri«» vation ni avec la forme, et il n'est pas un contraire de la forme qu'il reçoit. Ainsi donc les principes de l'être t quand on n'en compte que deux, ne sont pas plus nom- breux que les contraires ; et numériquement ils ne sont que deux aussi ; mais on ne peut pas dire qu'ils soient absolument deux, attendu que leur essence est différente ; et par exemple, l'essence de l'homme n'est pas idenUque à l'essence du non-musicien, bien que ce soit l'homme qui est non-musicien ; l'essence du non-figuré n'est pas non plus identique à l'essence de l'airain, dans l'exemple de la statue.

Tel est donc le nombre des principes dans la génération de tout phénomène ni^turel; et nous avons expliqué comment il faut comprendre ce nombre. 11 n'est pas moins clair qu'il faut un sujet qui serve de support aux deux contraires. Mais il n'est pas même besoin ici des deux contraires ; il suffit d'un seul pour produire le chan- gement, selon qu'il est présent ou qu'il est absent. Pour

82 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

faire bien voir ce qu'est cette matière qoi sert de suppoii à la forme, je prends des comparaisons. Ce que l'airain est à la statue, ce que le bois est au lit, ce que sont la matière et le non-figuré à toutes les choses qui reçoivent une figure et une forme, cette nature première qui sert de support aux contraires, Test à la substance, à l'objet réel et sensible, à Tètre en un mot. Elle est bien un prin- cipe ; mais son unité ne fait pas un être réel comme Test tel objet individuel et particulier ; elle est une en ce sens seulement que sa définition est une ; mais elle implique en outre son contraire, qui est la privation.

Je résume donc tout ce qui précède, et je dis qu'on doit comprendre maintenant comment les principes sont deux, et comment aussi ils sont davantage. D'abord on avait montré que les principes ne peuvent être que des contraires ; mais on a ajouter qu'à ces contraires il fallait nécessairement un sujet qui leur servit de support; et que par conséquent, il fallait bien compter trois prin- cipes, au lieu de deux. On doit voir clairement quelle est la distinction établie ici entre les contraires, et quels sont les rapports des principes entr'eux, et enfin ce qui est le sujet qui sert de support. Ce qui reste actuellement à savoir, c'est si l'essence des choses consiste dans la forme ou dans le sujet. On résoudra plus tard cette ques- tion ; mais il fallait d'abord se fixer sur le nombre des principes, qui sont trois, et sur la manière dont ils sont trois ; et voilà quelle est notre théorie sur le nombre et la nature des principes.

IX.

Les développements qui précèdent sont déjà une ma-

DARISTOTE, LIVRE I, CH. IX. S8

nière de résoadre les diificultés qui arrêtaîent les anciens philosophes. Malgré leur amour sincère de la vérité et malgré des recherches profondes sur la nature des choses, ils s'égaraient dans les fausses voies les poussait leur inexpérience, et ils étaient amenés à soutenir que rien ne naît et que rien ne périt : « Car, disaient-ils, tout ce qui « naît on se produit doit venir de l'être ou du non-être; a or, il y a des deux parts égale impossibilité, puisque « d'une part l'être n'a pas besoin de devenir puisqu'il est t déjà, et qu'en second lieu rien ne peut venir du non- « être et qu'il faut toujours quelque chose qui serve de « support. » Puis aggravant encore ces premières erreurs, ils ajoutaient que l'être ne peut être multiple, et ils ne reconnaissaient dans l'être que l'èti^e seul En d'autres termes, ils étaient conduits à affirmer l'unité et l'immo- bilité de l'être. Déjà nous avons indiqué d'où provenait un système aussi faux. Mais à notre avis, il n'y a réelle-^ meut ici que confusion de mots. Ainsi l'on dit qu'une chose doit venir de l'être ou du non-être, que l'être ou le non-être fait ou souffre telle chose, que telle chose devient telle autre chose quelconque. Mais il ne faut pas se lais^ ser tromper par ces expressions. Elles ne sont pas plus difficiles à comprendre que quand on dit que le médecin fait ou souffre telle chose « ou bien que de médecin il devient telle ou telle chose, en acquérant telle ou telle autre qualité. Cette seconde expression, relative au méde- du, a deux sens ; les autres expressions, à savoir que la chose vient de l'être ou du non-être, que l'être ou le non« être agit ou souffre, ont deux sens également. Si donc le médecin vient à construire une maison, ce n'est certaine- ment pas en tant que médecin ; mais c'est en tant qu'ar -

3

U PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

cbiiecte ; s'il devient biaoc, ce n'est pas davantage en tant que médecin, c*est en tant qu'il était noir ou de telle autre couleur. Mais s'il réussit ou s'il échoue en soignant une maladie, c'est alors en tant que médecin et comme médecin qu'il agit. La distinction est évidente; il suffit de l'appliquer à l'être et au non-être. De même qu'on dit au sens propre que c'est le médecin qui agit ou qui souffre» quand il agit ou souffre expressément comme mé- decin, de même quand on dit qu'une chose vient du non- être, cela veut dire simplement qu'elle devient ce qu'elle n'était pas.

Si les premiers philosophes se sont égarés, c'est qu'ils n'ont pas fait cette distinction si simple, entre ce qui est en soi et ce qui est accidentellement ; et cette première erreur les a conduits à cette autre erreur, non moins forte, que rien autre chose que l'être lui-même ne se pro- duit ni n'existe, et qu'il n'y a point de génération des choses, tout étant immobile et un. Nous aussi nous con- venons qu'absolument parlant rien ne vient de rien, du non-être ; mais indirectement et accidentellement, quelque chose peut très-bien venir du non-être. Le phénomène vient de la privation, qui se confond avec le non-être, c'est-à-dire que la chose devient ce qu'elle n'était pas. J'avoue que cette proposition est, au premier coup-d'cail^ faite pour étonner ; et on ne comprend pas bien d'abord que, même en ce sens restreint, quelque chose puisse venir de rien. Mais il faut bien remarquer que ce n'est pas seulement du non-être que l'être vient par accident; c'est aussi de l'être. L'être vient de l'être, d'une manière gêné* raie et peu précise, comme l'animal pris généralement vient de l'animal, aussi bien que l'animal pris particuliè-

DAKISTOTE, LIVRE I, CE. IX. 85

rement pournût aussi venir de tel animal particulier. Par exemple si Ton disait que le chien vient du cheval, on ne pourrait jamsds vouloir dire par que c'est d'une ma- nière directe ; seulement, le chien en tant qu'animal, et non pas spécialement chien, viendrait du cheval ; car le cbeval est indirectement aussi animal ; mais ce n'est pas du tout en soi que l'un viendrait de l'autre, si cette sup- position était admissible ; le chien est déjà animal lui- même, et il n'a que faire de le devenir. Mais quand un être doit devenir animal directement et non plus par simple accident, ce n'est pas de l'animal pris en général qu'il sort, c'est d'un être réel, et il ne vient alors ni de l'être ni du non-ètre ; car cette expression : Venir du non- être, signifie seulement que la chose devient ce qu'elle n'était pas.

Par là, nous n'ébranlons pas ce principe fondamental que toute chose doit être ou n'être pas; l'être et le non- ëtre, limités comme nous le faisons, suffisent à résoudre la difBculté à laquelle se sont heurtés les anciens philo- sophes. Une autre manière de la résoudre encore ce serait de distinguer entre la puissance et l'acte, la simple possi- Inlité et la réalité positive. Mais nous avons traité à fond cette théorie dans d'autres ouvrages, et nous croyons ne pas devoir y revenir ici. Donc en résumé, nous avons expli- qué, ainsi que nous l'avions promis, comment les anciens philosophes avaient été conduits à méconnaître quelques* uns des principes que nous adoptons, et comment ils s'étaient tous écartés de la route ils auraient compris la génération et la destruction des choses, c'est-à-dire le changement Cette nature première du sujet, servant de

36 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

support à tout le reste, aurait suffi à dissiper leur iguo- rdDce, s'ils l'eussent reconnue ainsi que nous.

X.

Il y a bien quelques philosophes qui ont touché à cette théorie de la nature première de l'être ; mais ils ne l'ont pas approfondie suffisamment. Voici en quoi ils diffèrent de nous ; c'est que reconnaissant que quelque chose peut venir du non-être, ce qui donne toute raison à Parme- nide, ils affirment que cette nature première de l'être étant une numériquement et en réalité, elle est une aussi en puissance. Or, c'est une opinion qui nous sépare absolument d'eux. Pour nous, il nous parait que la ma^ tière et la privation, loin de se confondre comme ils le veulent, sont des choses fort distinctes entr'elles. La mar tière est le non- être indirectement; mais la privation est le non-être en soi ; la matière, fort voisine de la sub- stance, est à certains égards la substance même, tandis que la privation ne peut jamais l'être. D'autres philo- sophes ont pris pour le non-être un des deux contraires, le grand ou le petit, par exemple, indifféremment, soit en les réunissant tous les deux dans l'idée supérieure qui les contient, soit en les considérant chacun à part. Mais on voit que cette manière de comprendre la triade ou les trois éléments de l'être, est tout à fait différente de la ma- nière que nous venons d'indiquer. Ces philosophes, en effet, ont bien admis, ainsi que nous^ qu'il fallait dans l'être une nature qui servit de support aux contraires ; mais ils ont supposé bien à tort que cette nature était

D'ARISTOTE, LIVRE I, CH. X. S7

une ; et si quelque philosophe se borne à reconnattre la dyade composée du grand et du petit, il ne se trompe pas moins que ceux dont nous venons de parler, puisqu'il onbUe toujours dans Tëtre cette partie qui est la privation. On conçoit du reste aisément cet oabli. La partie de l'être qui sobsiste concourt, comme une mère en quelque aorte, à produire avec la forme tous les phénomènes qui adviennent Mais quant à Fautre partie qui constitue l'opposition des contraires, c*est-àrdire l'opposition de la matière et de la forme, on peut bien croire qu'elle n'existe pas, si l'on se borne à la regarder par son cdté destructif, puisque la privation tend à détruire les choses. En effet, comme il y a dans les choses un élément divin, excellent et désirable, nous reconnaissons volontiers qu'entre nos deux principes, la matière et la privation, le dernier est, ou peut dire, contraire à cet élément divin, tandis que le premier est fait par sa propre natore pour le rechercher et le désirer. Mais dans les théories que nous combattons, on est amené à supposer que le contraire désire sa propre destruction. Cependant, il est également impossible et que la forme se désire elle-même, puisqu'elle n'a aucune défectuosité ni rien qui lui manque, et que le contraire la désire, puisque les contraires se détruisent mutuellement. Or, c'est précisément le r61e de la matière ; et l'on pourrait dire métaphoriquement que c'est comme la fe- melle qui tend à devenir mile, ou le laid qui tend k de* venir beau. Mais la mati^ n'est pas le laid en soi ; elle ne l'est qu'indirectement ; et elle n'est pas davantage la femelle en soi ; elle ne l'est que par accident, et à cause de la privation qu'elle subit. A on certain point de vue, la matière natt et périt ; et à un autre point de vue, on

38 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

peut soutenir également qu'elle ne nait point et qu'elle ne périt point. Ce qui périt en elle, c'est la privation ; mais en puissance, elle-même ne naît ni ne périt. Loin de là, il faut nécessairement la concevoir comme impé- rissable, et comme n'étant point engendrée, c'est-à-dire comme ne devenant pas. Elle est, et elle subsiste ce qu'elle est. En effet si elle naissait et se produisait comme se produisent du non-être à l'être les phénomènes qu'elle subit tour à tour, il faudrait qu'il y eût antérieurement à elle quelque principe primordial d'où elle pût sortir, un sujet d'où elle pût naître ; or, c'est précisément sa na* ture propre de servir de sujet et de support ; et à ce compte, la matière existerait avant même de naître, puisque c'est elle qui est le sujet primitif s'appuie tout le reste, et d'où vient originairement et directement la chose qui en sort. Mais la matière ne peut pas plus périr qu'elle ne peut naître ; car étant le terme extrême, comme elle est le terme premier, il faudrait qu'elle ren- trât en elle-même, et il s'ensuivrait qu'elle aurait péri avant même de périr. Hais ce sont des impossibilités auxquelles il ne convient pas de s'arrêter davantage.

Quant au principe de la forme que je devrais traiter après celui de la matière, ce n'est pas à la Physique, mais à la Philosophie première de déterminer avec pré- cision si ce principe est unique, ou s'il est multiple, et d'en étudier la nature spéciale dans l'un ou l'autre cas. Je renvoie donc à la Philosophie première cette théorie importante ; et je ne veux parler ici que des formes na- turelles périssables. Ce sera l'objet des démonstrations qui vont suivre ; car je me suis borné jusqu'ici à établir seulement qu'il y a des principes, et à faire voir quelle

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. I. S9

eo est la oatare et le nombre. Il me faut actuellement aborder nne autre étude non moins grave.

LIVRE II.

Dl LA NATURB.

I.

Les êtres que nous voyons peuvent être tous partagés en deux grandes classes : ou ils sont le produit direct de la nature, ou ils viennent de causes qui ne sont plus elle. Ainsi c'est la nature qui produit les animaux et les parties diverses dont leurs corps sont composés ; c'est elle en- core qui produit les plantes, et les éléments simples tels que la terre, le feu, Taûr et l'eau ; car nous disons de toutes ces choses et de toutes celles qui leur ressemblent, qu'elles existent par le fait seul de la nature. Tous ces êtres que nous venons d'indiquer, présentent une grande diffërence par rapport à ceux qui ne sont plus comme eux des produits de la nature. Tous les êtres naturels pcHTtent en eux-mêmes le principe de leur mouvement ou de leur repos, soit que les uns soient doués d'un mou- vement de locomotion dans l'espace, soit que les autres ûent un mouvement interne de développement et de des- truction, soit que d'autres enfin aient un simple mou- vement d'altération et de modification dans les qualités qu'ils possèdent II n'en est plus de même pour les êtres

AO PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

qai ne sont pas naturels et qu'on peut appeler les pro- duits de Tart : un lit par exemple, un vêtement ou tel objet analogue n'ont en eux-mêmes, en tant qu'on les rapporte à chacune des classes du mouvement et en tant que l'art les produit, aucune tendance spéciale à changer d'état. Ils n'ont cette tendance que d'une manière indi* recte et purement accidentelle, en tant qu'ils sont com- posés de pierre, de terre ou d'autres éléments analogues. Il faut donc considérer la nature comme un principe et une cause de mouvement ou d'inertie, pour l'être dans lequel ce principe est en soi et primitivement, et non pas uniquement d'une manière accidentelle et détournée. J'ai déjà expliqué ce que j'entends quand je dis qu'une chose est telle chose par accident ; mais je reviens à cette ex- plication, et je cite un exemple. Si quelqu'un qui est mé- decin se soigne lui-même et se rend la santé, je dis que c'est indirectement et par accident que le médecin est guéri ; car ce n'est pas en tant que médecin à proprement parler, c'est en tant que malade ; et c'est par accident qne le médecin est guéri, et seulement parce qu'il s'est trouvé à la fois que la même personne fût malade et mé- decin ; mais ces deux qualités auraient pu fort bien être séparées l'une de l'autre an lieu d'être réunies. On peut en dire autant pour tous les êtres qui sont le produit de l'art. Il n'en est pas un seul qui ait en lui-même le prin- cipe qui le fait être ce qu'il est ; mais tantôt ce principe lui est extérieur, et il est dans d'autres êtres, comme pour la maison par exemple, et pour tout ce que fabrique la main industrieuse de l'homme ; tantôt le principe du mouvement se trouve bien dans ces êtres ; mais il n'y est pas par leur propre essence ; et ce sont ceux qui ne de-

D'ARISTOTE, LIVRE 11, CH. I. il

vienneiit qu'indirectement causes de leur propre mou- ▼ement.

V<Hlà ce que j'entends par nature. On dit des êtres qu'ils sont naturels, et qu'ils sont de nature, quand ils ont en eux-mêmes le principe qu'on vient de dire. Ceux- sont ce que je nomme des substances ; car la nature est toujours un sujet, et elle est toujours dans un sujet. Tous ces êtres existent d'après les lois de la nature, avec toates leurs propriétés essentielles, comme existe^ par exemple, la qualité inhérente au feu, de toujours s'élever en haut. Cette qualité n'est pas précisément la nature du feu^ et elle n'a pas de nature à elle ; mais elle est dans la nature, et selon la nature du feu. Voilà donc ce qu'on doit entendre par la nature d'une chose, et ce que signifie être par nature et selon la nature.

Nous n'essaierons pas de prouver l'existence de la nature ; ce serait ridicule ; car il saute aux yeux de tout le numde qu'il y a une foule d'êtres du genre de ceux que nous venons d'indiquer ; et prétendre démontrer des choses d'une complète évidence par des choses obscures, ce serait le fait d'un esprit incapable de discerner ce qui est ou ce qui n'est pas notoire en soi. C'est d'ailleurs une erreur très-concevable, et dont il n'est même pas très malaisé de se rendre compte. Si un aveugle de naissance se met à parler de couleurs, il pourra bien prononcer des mots ; mais nécessairement il n'aura pas la moindre idée des choses que ces mots représentent. De même, il y a des gens qui s'imaginent que la nature et l'essence de toutes les choses que nous voyons, consiste dans cet élément primitif qui est dans chacune d'elles, sans y avoir aucune forme précise, c'est-à-dire la matière, ainsi

A2 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

pour ces gens-là, la natare d'an ht, c'est le bois dont il est fait ; la nature de la statue, c'est l'airain dont elle est composée. Antipbon donnait de ceci nne preuve assez plaisante ; et il disait qne, si l'on enfouissait un lit en terre, et que la putréfaction eût encore assez de force pour en faire sortir un rejeton, ce ne serait pas un lit qni serait produit, mais du bois. A l'entendre, c'est qu'il y a dans le lit deux parties distinctes : l'une, qni est purement accidentelle, et qui est une certaine disposition matérielle conforme aux règles de la menuiserie ; l'autre, qni est la substance vraie du lit, laquelle demeure sous les change- ments et modifications qu'elle peut subir. Antipbon tirait de une conclusion générale; et remarquant que toutes les choses que nous voyons soutiennent le même rapport à l'égard d'autres choses, l'or et l'airain, par exemple, à l'égard de Teau, ou bien les os et les bois à l'égard de la terre, etc., etc., il affirmait sans hésiter que c'est bien ce qu'il faut entendre par la nature et la substance des choses.

C'est en suivant des idées analogues que certains phi- losophes ont cru que la nature des choses, c'est la terre, le feu, Fair ou la réunion de plusieurs de ces éléments, ou de tous ensemble. L'élément unique ou les éléments multiples dont chacun de ces philosophes admettait la réalité et l'intervention, devenaient entre ses mains la substance unique ou multiple de l'être lui-même, et tout le reste n'était plus qu'afifections, qualités, dispositions de cette substance. On ajoutait que cette substance est éternelle, attendu qu'elle n'a pas en elle-même de cause spontanée de changement, tandis que tout le reste natt et périt des infinités de fois.

D'ARISTOTE, UVRE II, GH. I. A3

Ainsi, en un sens, on pent appeler oatnre cette ma* tîère première, placée ao fond de chacun des fitres qui portent en eux le principe du mouvement et du change* ment. Mais à un autre point de vue, on peut trouver aussi que la nature des êtres, c'est leur forme qui déter- mine l'espèce impliquée dans leur définition; car de même qu'on appelle art ce qui est conforme aux règles et est un produit de Tart, de même on doit appeler nature ce qui est selon les lois et est un produit de la nature. Mais de même qu'on ne dit pas d'une chose qu'elle est conforme aux r^les de l'art ni qu'il y ait de l'art en elle, tant qu'elle n'est encore qu'en puissance, par exemple, un lit qui n'aurait pas encore reçu la forme qui en fait un lit spécifiquement, de même on ne peut pas dire davantage des êtres naturels qu'ils ont leur nature, tant qu'ils ne sont qu'en puissance. Ladiair et les os, par exemple, n'ont pas leur nature propre tant qu'ils n*ont pas revêtu cette forme et cette espèce qui est impliquée dans leur définition essentielle, et qui sert à préciser ce qu'est pour nous l'os ou la chair ; tant qu'ils ne sont qu'à l'état de simple possibilité, ils ne sont pas encore dans la nature. Donc, même pour les êtres qui ont en eux le principe du mouvement, pour les êtres naturels, leur nature ne serait pas la matière comme on vient de l'indiquer ; mais ce serait leur forme spécifique, leur forme qui est inséparable d'eux, ou qui du moins ne peut en être séparée que rationnellement et pour le besoin de la d^nition qu'on veut en donner.

Le composé que forment ces éléments de la matière et

de la forme ne peut pas s'appeler la nature de l'être ;

seulement ce composé est naturel, il est dans la nature.

hh PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

L'homme, par exemple, n'est pas la nature de Tbomme ; mais c'est un être de natare, un être que la nature a Vormé. Il est vrai que la nature comprise sous le rapport de la forme est plus nature que la matière ; car les êtres reçoivent leur dénomination bien plutôt quand ils sont en acte complet, en entéléchie, que quand ils sont en simple puissance, comme l'est toujours la matière. Mais il y a ici une grande différence : un homme vient d'un homme, tandis qu'un lit ne vient pas d'un lit ; et voilà comment Antiphon et ses pareils soutenaient, comme on vient de le voir, que la nature du lit n'est pas la figure que l'art lui donne, mais le bois dont il est formé, puisque le bois du lit mis en terre, s'il venait à y germer encore, produirait du bois et non pas un lit. Mais si la configu- ration du lit est de l'art comme l'avoue Antiphon, nous pouvons en conclure que la forme des êtres constitue leur nature, puisque de l'homme vient un homme et non point un être que l'art puisse former.

Parfois on confond la nature avec la génération des choses ; mais loin que la génération soit la nalure, elle tend à y arriver ; elle est un acheminement vers la nature. Quand un médecin ordonne une certaine médication, loin qu'elle soit un acheminement à la médecine, elle en part au contraire pour arriver à la guérison, à la santé, que le médecin a pour but de procurer. Mais ce n'est pas le rapport de la nature à la génération, qu'on prend souvent pour elle. L'être que produit la nature va de quelque chose à quelque chose, d'un certain état à un état différent. Il se développe naturdlement pour arriver à un certain but. A quel but tend-il par ce mouvement naturel? Ce n'est pas sans doute à l'état d'où il sort; c'est

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. II. 45

à l'étal qa'il doit atleûadre et posséder. Donc encore une fois, la natui*e c'est la forme. Je rappelle d'ailleurs qu'on peut donner deux acceptions diverses à ces expressions de forme et de nature « puisque la privation peut être aussi regardée comme une sorte de forme spécifique. Reste à savoir si la privation est ou n'est pas un contraire» en ce qui concerne la génération absolue des choses; mais ce sera l'objet d'une autre étude qui viendra plus tard.

H.

Après avoir ainsi indiqué les différents sens qu'on peut donner au mot de nature, il est bon de dire, en passant, en quoi l'étude des Mathématiques se distingue de l'étude de la Physique ; car les corps de la nature ont des surfaces, des dimensions solides, des lignes et des points qui forment l'objet propre des recherches mathématiques. Peut-être faudrait-il encore voir, en étendant le cercle, si l'Astronomie est distincte de la Physique, ou si elle n'en est qu'une branche et une dépendance; car, si c'est au Physicien de savoir ce que sont le soleil ou la lune dans leur essence, on pourrait trouver étrange que le Physi- cien n'eût point aussi à connaître les phénomènes secon- daires que ces grands corps présentent, surtout quand on peut remarquer que ceux qui s'occupent de l'étude de la nature traitent aussi de la figure du soleil et de la lune, et s'enquièrent, par exemple, si la terre et le monde sont sphériques ou qe le sont pas. Le mathématicien, quand il étudie les surfaces, les lignes et les points, ne les consi- dère pas du tout par rapport aux corps réels et naturels,

&d PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

dont ce sont les limites; il ne considère pas davantage lears propriétés, en tant qu'elles peuvent appartenii* à des êtres réels et sensibles. Mais il abstrait ces notions, que la ridson peut en effet très-bien isoler du mouvement auquel les surfaces, les lignes et les points sont mêlés dans la réalité ; et cette abstraction, n'amenant aucune altération dans ces notions, n'est pas faite pour produire une erreur.

Mais le système des Idées est bien moins acceptable, et ceux qui le soutiennent font comme les Mathématiciens ; sans d'ailleurs s'en apercevoir, ils tirent leurs abstrac- tions des choses naturelles, elles sont beaucoup moins de mise que dans les mathématiques. On peut très-aisé- ment s'en convaincre en regardant aux définitions mathé- matiques de ces choses, et en les comparant aux idées qu*on en tire. Ainsi, en mathématique, le pair et l'impair, le droit et le courbe, ou bien encore le nombre, la ligne, la figure peuvent fort bien se concevoir et exister sans le mouvement Mais dans la nature, on ne peut comprendre la chîûr, les os, l'homme, sans le mouvement qui les pro- duit. Toutes ces choses -là impliquent nécessairement dans leur définition l'idée de mouvement, comme le Gamard implique nécessairement l'idée matérielle du nés, tandis que le courbe est une abstraction qui n'implique point l'idée d'une réalité. Les abstractions mathématiques peuvent donc bien plus aisément se justifier. Il en est de même encore des abstractions dont font usage les parties des mathématiques qui sont les plus rapprochées de la Physique, je veux dire l'Optique, l'Harmonie et l'Astro- nomie, qui, à certains égards, ont une méthode inverse de la Géométrie. Ainsi la Géométrie étndie la ligne, qui

D'ARISTOm UVRE II< CH. IL hl

est bien pbyâqne ; uuds elle ne Téladie pas sous ce rap* port, et elle la considère abstraitement, tandis que TOp* tiqpe considère cette ligne mathématique, non pas en tant que mathématique, mais en tant qu'elle joue un rôle dans certains phénomènes naturels de la vision.

Quant au physicien, il ne considère pas les choses d'une manière abstraite, comme on le fait en mathéma- tiques ; il les considère dans leur réalité naturelle ; et le mot de Nature ayant les deux acceptions que nous avons dites, la forme et la matière, il faut étudier les choses de la nature, comme on le ferait si l'on voulait se rendre compte de cette qualité abstraite de Camus, laquelle sup^ pose toujours la réalité matérielle d'un nez, puisqu'elle ne s'applique exclusivement qu'au nez. Les choses de ce genre ne peuvent exister sans maUère, et pourtant elles ne sont pas purement matérielles. Mais si l'on reconnaît deax natures, on peut se demander de laquelle des deux le physicien doit s'occuper; et si ce n'est pas leur résul- tat commun qu'il doit uniquement étudier. Or pour comprendre ce résultat, ne faut-il pas qu'il étudie aussi les deux éléments qui le composent? Et par suite ne peut- on pas demander si la connaissance de ces deux natures est le fait d'une seule et même science, ou de sciences distinctes? A ne regarder que les anciens philosophes, on pourrait croire que la Physique doit se borner à l'étude de la matière; car Démocrite, Empédocle et les antres ont à peine e£Qeuré la question de la forme et de l'es- sence. Mais si l'art, qui n'est qu'une imitation de la nature, s'occupe tout ensemble de la forme et de la matière, on peut dire qu'il appartient à une seule et même science d'étudier tout à la fois jusqu'à un certain

&8 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

pcnnt la matière et la forme des choses naturelles. Par exemple, si le médecin qui doit étudier la santé, étudie de plus le flegme et la bile dans lesquels la santé conâste ; et si de même, l'architecte s'occupe tout à la fois et de la matière et de la forme de la maison, de ses murailles et de ses bois, tous les autres arts faisant comme la méde- cine et l'architecture, on ne voit pas pourquoi il en serait autrement de la Physique ; et elle doit étudier à la fois les deux natures, la matière et la forme. Ajoutez que c'est à une seule et même science d'étudier la fin et le pour- quoi des choses, ainsi que tous les phénomènes qui y concourent. Or, la nature est la fin et le pourquoi des choses ; car le mouvement n'étant point interrompu, il y a une fin à ce mouvement, cette fin est le terme der- nier et le pourquoi de la chose qui a ce mouvement continu. Aussi l'exclamation du poète ne laisse-t-elle pas que d'être assez ridicule à propos de la mort d'un de ses personnages :

« C'est la fin pour laquelle il avait été fait i

Comme s'il suffisait qu'un terme fût le dernier pour que ce fût la fin véritable à laquelle l'être tendait; et comme si la fin ne devait pas toujours être le bien et le bien tout seul de l'être qui tend à cette fin I

Pour bien se convaincre que la Physique doit tout en- semble étudier la matière et la forme, il n'y a qu'à regarder encore les procédés des arts. Tous les arts con- fectionnent de la matière; mais les uns ne font que pré- parer des matériaux, et les autres les emploient du mieux qu'ils peuvent à notra usage. Aussi nous nous sei*vons

D'AMSTOTE, LIVRE 11, CH. ÎL 49

des choses comme si elles n'existaient qu'en vue de nous ; car nous pouvons bien nous regarder comme une sorte de fin, et comme le pourquoi de toutes les choses que Fart fabrique pour notre utilité. D'ailleurs, le pourquoi peut s'entendre de deux façons, ainsi que nous l'avons expliqué dans nos livres intitulés : De la philosophie. Mais je continue, et je dis qu'il y a deux espèces d'arts qui commandent à la matière et qui en jugent : l'un, em- ployant les choses, et l'autre, dirigeant l'industrie qui les façonne, comme un habile architecte dirige ses ouvriers. Ce n'est pas que celui qui emploie les chos^es et les juge selon qu'elles lui servent, ne joue aussi le t(A% d'architecte dirigeant, puisqu'il demande les choses telles qu'il les lui faut ; mais il y a ici cette différence entre les deux arts, que l'un, celui qui juge l'usage, ne s'occupe que de la forme, tandis que l'autre, celui qui façonne les choses, ne s'occupe guère que de la matière. J'éclaircis ma pensée par un exemple : le pilote qui emploie le gouvernail sur le navire, sait quelle en doit être la forme et il la com- mande ; mais le constructeur sait de quel bois le gou- vernail doit être fait, et quels sont les services étales ma- nœuvres qu'on en attend. Du reste une différence encore plus grande entre l'art et la nature, c'est que dans les produits de l'art^ c'est nous qui façonnons la matière en vue de l'usage à laquelle nous la destinons ; mais dans les choses de la nature, la matière est toute faite.

Enfin, ce qui prouve bien que la Physique doit tout ensemble étudier la forme et la matière, c'est que ce sont des relatifs, puisque la matière varie avec la forme, et qu'à une forme différente correspond aussi une autre ma- tière ; et une science ne peut connaître un des relatifs

k

50 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

sans connaître aussi l'autre. Mais jusqu'à quel point le Physicien doit-il étudier la forme et l'essence des choses ? Ne doit-il les étudier qu'à un point de vue restreint, comme le médecin étudie la nature des nerfs en vue de la santé, et le fondeur, la nature de l'airain en vue de la statue qu'il doit fondre ? Doit-il aussi étudier les choses qui, bien que séparablesau point de vue de la forme, n'en sont pas moins toujours mêlées à la nature, par exemple, l'âme humaine 7 Puisque, comme on dit, c'est l'homme et le soleil qui engendrent l'homme. Mais je ne pousse pas ces questions plus loin ; car elles appartiennent à la Philosophie première, qui doit seule rechercher ce que c'est que le séparable, et quelle en est l'essence.

m.

Après les explications qui précèdent, il convient d'étu- dier les causes auxquelles on peut rapporter tous les phénomènes naturels ; et d'en bien déterminer le nombre et les espèces. Ce traité a pour but en effet de connaître la nature ; et comme on ne croit connaître une chose que quand on en sait le pourquoi et la cause première, il est clair que la Physique doit faire aussi cette étude indis- pensable, en ce qui regarde la génération et la destruction des choses, c'est-à-dire tous les changements qui ont lieu dans la nature. Une fois que nous connaîtrons les prin- cipes de ces phénomènes, nous pourrons rattacher à ces principes tous les problèmes que nous agitons.

Le mot de cause a plusieurs acceptions qu'il faut si- gnaler. D'abord en un sens on appelle cause ce qui com- pose une chose, et ce dont elle provient Ainsi l'on peut

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. III. 51

dire en ce sens que l'airain est cause de la statue, que Fargent est cause de la burette ; et l'on appliquerait cette locution à toutes les choses du m6me genre. C'est la cause matérielle. En un second sens, la cause est la forme et le modèle des choses ; c'est la notion qui détermine l'essence et de la chose et de tous les genres supérieurs desquels elle dépend. Ainsi en musique, la cause de Toc- tave c'est le rapport de un à deux ; et d'une manière plus générale, c'est le nombre ; et avec le nombre, ce soift les éléments essentiels qui entrent dans sa définition. C'est la cause essentielle. A ces deux premières acceptions da mot de cause, on peut en ajouter une troisième. La canse est encore le principe premier d'où vient le mou- vement ou le repos. Ainsi celui qui dans un certûn cas, a donné le conseil d'agir est en ce sens la cause des actes qui ont été accomplis ; le père est la cause de l'enfant ; et d'une manière générale, ce qui fait est canse de ce qui a été fait; ce qui produit le changement est cause du changement produit. C'est la cause motrice. Enfin, et en quatrième lieu, la cause signifie la fin et le but des choses ; et c'en est alors le pourquoi. Ainsi la santé est la cause de la promenade, puisqu'on se promène pour conserver sa santé; car si l'on demande : Pourquoi un tel . se promëne-t-il 7 on répondra : C'est afin de se bien porter ; et en faisant cette réponse, nous croyons indi- quer la cause qui fait qu'un tel se promène. Cette accep- tion s'étend du moteur initial à tous les intermédiaires qui contribuent à atteindre la fin poursuivie, après que le moteur premier a eu commencé le mouvement. Par exemple, la diète et la purgation peuvent être regardées comme des causes intermédiaires de la santé, ainsi que

52 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

le sont les instruments et les opérations du chirurgien ; car tous ces intermédiaires concourent chacun dans leur genre à la fin qu'on se propose; et la seule différence c'est que les uns agissent directement pour causer la santé, et que les autres sont de simples moyens pour y arriver d'une manière détournée.

Telles sont à peu près toutes les acceptions du mot de cause. Par suite de ces diversités de sens, une même chose peut avoir plusieurs causes à la fois, sans que ce soit du tout d'une manière indirecte et accidentelle. Ainsi, pour la statue, on peut lui assigner pour causes directes et non point accidentelles et l'art du statuaire qui l'a faite et l'airain dont elle est formée. Ces deux causes sont également réelles ; seulement, elles diffèrent en ce que l'une est la cause matérielle, et en ce que l'autre est la cause motrice, celle d'où est partie l'initiative du mouve- ment. C'est encore en ce sens qu'il y a des choses qui sont réciproquement causes les unes des autres. Ainsi l'exercice est cause de la santé, et à son tour la santé est cause de l'exercice ; seulement, dans le premier cas, la santé est la cause finale, tandis que dans le second la santé est la cause motrice. Voilà comment il se fait qu'une seule et même chose peut être cause des con- traires ; car, le même objet qui est cause de tel effet quand il est présent, peut être cause de tel effet con- traire quand il est absent et qu'il n'agit plus. Par exemple, l'absence du pilote peut être considérée comme la cause de la perte du navire, parce que la présence de ce même pilote est la garantie du salut.

Toutes les causes peuvent donc être ramenées aux quatre espèces que nous venons d'indiquer, et qui sont

D'ARISTOTE, LIVRE 11, CH. 111. 68

les plus évidentes de toutes. La cause matérielle est peut* être la plus fréquente ; et c'est ainsi que dans l'alphabet les lettres sont causes des syllabes ; que la matière est cause des objets que Fart fabrique ; que le feu et les autres éléments sont causes des corps qui en sont com- posés; que les parties sont causes du tout, et que les pro- positions sont causes de la conclusion qu'on en tire. Toutes ces causes sont causes en tant que la chose en vient et en est formée. Ainsi les quatre causes sont : ou le sujet et la matière de la chose, comme les parties rela- tivement au tout; ou l'essence de la chose, comme le tout relativement aux parties, la combinaison qui les réunit, la forme qu'elles reçoivent ; ou l'origine de la chose, le principe du changement en elle, soit mouvement, soit repos, comme le germe d'où sort la plante, le médecin qni ordonne une potion salutaire, le conseiller qui pousse à agir; ou enfin, et en quatrième lieu, le pourquoi et la fin des choses, en d'autres termes le bien de but le reste; car le pourquoi a droit d'être regardé comme ce qu'il y a de meilleur dans les choses, et comme la fin de tout ce qui s'y rapporte et s'y subordonne. Quand je dis que le bien est la fin de tout, il importe peu que ce soit eifecti- vement le bien ou ce que nous prenons pour le bien, d'a- près l'apparence qui nous frappe. Telles sont les causes diverses, et telle est le nombre de leurs espèces.

A ces quatre causes, il faut joindre les nuances qu'elles peuvent présenter, mais qui ne sont pas aussi nombreuses qu'on pourrait le croire, parce qu'on peut les réduire en les résumant Outre les acceptions diverses que nous venons de noter, il se peut aussi que même entre des causes d'espèce pareille il y ait des différences de rang.

PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

et que l'une soit antérieure ou postérieure à l'autre. Ainsi le médecin et rbomine de Tart sont subordonnés entr'eux ; ils causent tous deux la santé; mais le médecin en est la cause immédiate, tandis que l'homme de l'art, genre auquel appartient le médecin, en est une cause plus éloignée. De même, dans l'harmonie, c'est le double et le nombre qui sont causes de l'octaye ; mus le double en est la cause prochaine, tandis que le nombre, genre auquel appartient le double, est la cause postérieure ou antérieure. C'est, comme on le voit, le rapport général des contenants à tous les objets particuliers qu'ils em- brassent. A cette différence d'antériorité et de postério- rité lin succède une autre, selon que les causes sont directes ou indirectes et accidentelles. Ainsi, c'est autre- ment que Polyclète est cause de la statue, et que le statuaire en est aussi la cause. Polyclète est un accident du statuaire qui pouvait avoir un tout autre nom, et Poly- clète n'est que la cause accidentelle, tandis que le sta- tuaire est la cause directe, la cause en soi. Sous ce rapport, on peut encore remonter plus haut et appeler causes aussi les genres supérieurs l'accident est im- pliqué ; et c'est ainsi qu'on pourrait dire que l'homme est cause de la statue, puisque Polyclète et le statuaire sont hommes. On pourrait même, si l'on voulait, aller plus haut que l'homme, et dire que la cause de la statue c'est l'être vivant, genre auquel appartiennent l'homme, le statuaire et Polyclète. C'est qu'il y a en effet des acci- dents qui sont plus éloignés ou plus rapprochés les uns que les autres, et l'on pourrait, par exemple, dire encore ici que c'est l'homme blanc ou le disciple des Muses qui est la cause de la statue. Hais ce serait aller chercher bien

ITARISTOTE, LIVRE II, CH. 111. 55

loin des accidents qui, sans être fanx, paraîtraient cepen- dant assez étranges. Il faut donc se borner à dire que la cause la plus prochaine de la statue, c'est le statuaire qui la fait.

Après ces acceptions diverses du mot de cause, et ces nuances de causes propres et de causes indirectes, il faut faire une distinction nouvelle entre les causes qui, simple- ment, peuvent agir et celles qui agissent effectivement. S'il est question, par exemple, d'une maison, la cause de la construction, c'est ou le maçon qui pourrait la construire, ou le maçon qui la construit réellement

Ces distinctions que nous venons d'énumérer peuvent s'étendre des causes à leurs effets ; et, par exemple, elles peuvent s'appliquer directement à cette statue qu'on a sous les yeux et que l'artiste vient de faire ; puis, plus généralement à la statue ; et plus généralement encore, à l'image, qui est le genre de la statue ; ou, pour prendre un autre exemple assez voisin, l'airain qu'on a sous les regards, l'airain en général, et d'une manière encore plus générale, la matière qui est le genre de Tairain. Même remarque pour les attributs et les accidents de ces effets; l'airain peut être jaune, vert, bleuâtre, etc. Enfin, on peut réunir plusieurs de ces causes et de ces nuances» et dire, par exemple, le statuaire Polyclète, au lieu de dire séparément Polyclète et le statoaire. Ces nuances sont donc au nombre de six, antérieures et postérieures, directes et indirectes, possibles et réelles; et elles sont susceptibles de deux sens chacune, selon qu'on prend la cause même ou son genre, selon qu'on prend l'acci- dent ou le genre de l'accident, selon enfin qu'on les prend combinées ou isolées dans les mots qui les expriment.

66 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Une distinction générale pour toutes les causes, c'est celle de l'acte et de la puissance ; car, chacune des quatre causes peut être ou actuelle, c'est-à-dire agissant actuel- lement, ou simplement en état d'agir sans agir réellement. La seule différence, c'est que les causes actuelles, produi- sant un effet particulier et réel, sont ou ne sont pas avec les effets qu'elles produisent, existant ou disparaissant en même temps qu'eux ; par exemple, si le médecin guérit, il faut qu'il existe en même temps que le malade objet de ses soins ; si le constructeur construit, il faut qu'il existe en même temps que la maison, résultat de son travail. Mais les causes en puissance ne sont pas dans le même cas; elles ne sont pas nécessairement contem- poraines de leurs effets. Le maçon capable de construire la maison peut ne pas la construire ; et la maison peut durer encore après le maçon qui Ta construite. L'un et l'autre ne périssent pas à la fois.

Du reste, dans la recherche des causes comme dans toute autre recherche, il faut toujours remonter aussi haut que possible. Ainsi, pour savoir qui est la cause de la maison construite, il faut remonter jusqu'à l'homme, genre de l'architecte qui l'a bâtie, en se conformant aux règles de l'art. Cet art est donc la cause antérieure et supérieure de la maison ; et ainsi du reste. Les genres d'ailleurs sont causes des genres, comme les individus sont causes individuelles. Ainsi, génériquement, c'est le statuaire qui est cause de la statue ; mais c'est tel indi- vidu statuaire qui est cause de telle statue particulière, de même aussi que les causes en puissance ne produisent que des effets en puissance, et les causes en acte pro- duisent des effets actuels.

lyARISTOTE, LIVRE II, CH. IV. 57

Nous terminoDs ici ce que nous avions à dire sur le nombre des causes et sur leurs nuances.

IV.

Il nous semble que nous avons épuisé le nombre des causes; mais, parfois, on compte parmi les causes le hasard, la spontanéité; et l'on dit de bien des choses qu'elles sont produites d'une manière spontanée et for- tuite, qu'elles sont causées par le hasard. Nous allons examiner s'il est possible de comprendre, parmi les causes que nous avons énumérées, le hasard et la spon- tanéité, et surtout ce que c'est que la spontanéité et le hasard, et si ce sont des choses identiques ou différentes. D'abord il faut remarquer qu'il y a des philosophes qui nient le hasard, et qui soutiennent que le hasard ne pro- duit jamais rien. Toutes les choses qu'on attribue au hasard, disent-ils, ont une cause déterminée; seulement, on ne la voit pas. Ainsi quelqu'un va au marché, et il y fait par hasard la rencontre d'une personne qu'il ne s'at- tendait pas du tout à y trouver. On dit qu'il l'y a ren- contrée par hasard ; mais la cause de ce prétendu hasard, remarquent nos philosophes, c'est la volonté d'aller au marché pour y faire quelque emplette ; et cette volonté était parfaitement réfléchie ; elle n'avait rien de fortuit. Il en est de même, ajoutent-ils, pour tous les cas attribués au hasard ; et, en y regardant de près, on découvre tou- jours une cause, qui n'est pas du tout le hasard qu'on suppose. Les philosophes ajoutent encore que si le hasard était aussi réellement cause qu'on le dit, il y aurait lieu de s'étonner qu'aucun des anciens sages qui ont étudié si

58 ^ PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

profondément les causes de la génération et de la destruc- tion des choses» n'en aient pas dit un seul mot ; et Ton en conclut que ces sages n'ont pas admis que le hasard fût une cause, et que rien pût jamais venir du hasard.

J'avoue que ce silence même des anciens sages est fait pour étonner ; et à tout moment on parle dans le langage ordinaire de choses qui se produisent et qui existent par l'effet du hasard et tout spontanément. On sût bien qu'on peut rapporter chacune de ces choses à quelque cause ordinaire, comme le veut cette maxime de la sagesse antique qui nie le hasard ; et pourtant tout le monde dit sans cesse que certaines choses viennent du hasard, et que d'autres n'en viennent pas. Il eût donc été bon que de façon ou d'autre ces sages dont nous venons de parier examinassent ces questions. Hais personne parmi eux n'a supposé que le hasard fût un de ces principes dont ils se sont tant occupés, la Discorde ou l'Amour, le feu ou l'air, l'Intelligence ou tel principe analogue. Il y a donc lieu de s'étonner, ou que les anciens philosophes n'aient pas admis le hasard, ou que s'ils l'admettaient ils l'aient si complètement passé sous silence. Ce n'est pas que plus d'une fois ils n'en aient fait usage dans leurs théories ; et c'est ainsi qo'Empédocle prétend que l'air ne se sécrète pas toujours dans la partie la plus haute du ciel, mais qu'il se sécrète aussi au hasard et n'importe où. 11 dit en propres termes :

« L'air alors court ainsi, mais souvent autrement »

Ailleurs il dit encore que presque toutes les parties des animaux sont le produit d'un simple hasard.

D'ÀRISTOTE, LIVRE II, CH. IV. 59

11 y a d'antres philosophes, toat an contraire, qoî rap- portent formellement au hasard seul toos les phénomènes qne nous observons dans le ciel et dans le monde. A les entendre, c^est le hasard qui a produit la rotation de l'univers et le mouvement, qui a divisé et combiné les choses de manière à y mettre Tordre que nous y voyons en l'admirant. Mais, c'est surtout ici qu'il faut s'étonner. Voy^, en efiet, quelle contradiction : d'une part, on soutient que les plantes et les animaux ne doivent point leur reproduction au hasard, et qne la cause qui les en- gendre est ou la nature ou TlnteUigence, ou tel autre principe non moins relevé, attendu que les choses ne sortent pas indifféremment de tel ou tel germe, et qu'ainsi de l'un sort nn olivier, tandis que de l'autre sort un homme ; et, d'autre part, on ose avancer que le ciel et les choses les pins divines, parmi les phénomènes visibles à nos sens, ne sont que le produit tout spontané du hasard, et que leur cause n'est pas du tout analogue à celle qui fait naître les plantes et les animaux! Mais, en admettant même qu'il en soit en ceci comme le disent ces philosophes , cette théorie, ainsi présentée, mérite qu'on s'y arrête et qu'on en parle un instant pour en dévoiler les contradictions. En soi, elle est insoutenable; mais il est bien pins absurde encore de la défendre, quand on voit soi-même que rien dans le ciel ne se produit au hasard et irrégn- lièrement, tandis qu'au contraire il y a beaucoup d'effets du hasard dans l'organisation des animaux et des plantes, d'où l'on veut cependant que le hasard soit tont à fait exclu. Il nous semble qu'il faudrait précisément se former des opinions contraires^ et qu'il y aurait lieu de bannir le hasard du ciel il n'est jamais, et de le re-

60 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

connattre dans la nature vivante il est quelquefois.

Enfin, il y a des philosophes qui, tout en reconnaissant le hasard comme une cause réelle, le regardent comme impénétrable à l'intelligence humaine, et en font quelque chose de divin et de réservé aux esprits et aux démons.

Ainsi, pour compléter notre théorie des causes, il faut étudier le hasard et la spontanéité, d'abord pour voir si ce sont des choses identiques ou distinctes, et ensuite si elles peuvent rentrer dans les causes que nous avons reconnues et déterminées plus haut.

V.

D'abord, pour bien fixer le domaine du hasard, il faut remarquer que, parmi les choses, les unes sont éternelle- ment ce qu'elles sont et d'une manière uniforme, et que les autres sont d'une certaine façon dans la majorité des cas. Evidemment le hasard n'a rien à faire et n'a pas de place, ni dans les unes ni dans les autres, ni pour ce qui est nécessairement et toujours, ni pour ce qui est le plus ordinairement. Mais, en dehors de ces deux ordres de choses, il y en a tout le monde reconnaît en quelque sorte, du hasard, parce qu'elles ne sont ni constantes ni même habituelles. C'est dans celles-là qu'il y a du hasard et de la spontanéité, et il faut bien le reconnaître ; car nous savons à la fois, et que les choses de ce genre viennent du hasard, et que les choses qui viennent du hasard sont de ce genre. Mais, allons plus loin. Parmi tous les phénomènes qui se produisent, les uns sont faits en vue d'une certaine fin, et les auti*es ne sont pas produits ainsi. Dans les premiers, il y a tantôt préférence

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. V. 61

réfléchie et intentioa ; taotôt il D'y en a point ; mais daos tOQS on peut voir qu'ils sont faits en vue d'une certaine fin. Par suite, on peut admettre que, même parmi les choses qui sont contraires au cours nécessaire et ordi- naire des choses, il y en a qui ont un certain but. Or, les choses ont un but toutes les fois qu'elles sont faites par l'intelligence de l'homme ou par la nature ; et si les choses de ce genre arrivent accidentellement ou indirec- tement, c'est alors au hasard que nous les rapportons. De même, en effet, que l'être est ou en soi ou acciden- tellement, de même aussi la cause peut être ou en soi ou simplement accidentelle et indirecte. Par exemple , la cause en soi de la maison, c'est l'être capable de cons- truire les maisons ; mais la cause indirecte, c'est le blanc on le musicien, si l'on dit de l'homme qui l'a bâtie qu'il est musicien ou qu'il est blanc; car ce ne sont que des accidents par rapport à la construction de la maison. La cause en soi est toujours déterminée et précise ; il n'y en a qu'une pour un effet ; mais la cause indirecte et acci- dentelle est indéterminée et infinie ; car un être peut avoir une infinité d'attributs et d'accidents. Je le répète donc : lorsque parmi les choses qui peuvent avoir une fin , il s'en produit une accidentellement et indirecte- ment, on dit alors qu'elle est fortuite et spontanée. Plus tard nous expliquerons la différence que peuvent pré- senter ces deux termes; mais, pour le moment, nous nous bornons à dire, que tous deux s'appliquent à des choses qui peuvent avoir une fin et un pourquoi. Par exemple, un créancier serait bien allé au marché pour en rapporter son argent, s'il avait pu croire qu'il y trouvât son débiteur; mais il y est allé sans avoir cette intention

62 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

qu'il aurait pu cependant avoir ; c'est donc accidentelle- ment qu'y étant allé, il y a fait ce qu'il fallait pour recou- vrer la somme qui lui était due, au moment qu'il a vu celui qui la lui devait. Rencontrer son débiteur en ce lieu, n'était pour le créancier, ni un acte ordinaire, ni une né^ cessité. Dans cette occurrence, la fin, c'est-à-dire le recou- vrement de l'argent, n'est point une de ces causes qui ressortent nécessairement du fond même de la chose; c'est simplement im acte de réflexion et de choix qu'on pouvait faire ou ne pas faire ; et, par rapport à cette fin, on peut dire que le créancier est allé par hasard au mar- ché. S'il y était allé de propos délibéré et pour cet objet spécial expressément, soit qu'il y allât toujours, soit qu'il y allât le plus ordinairement pour recouvrer sa dette, on ne pourrait plus dire que c'est par hasard qu'il y est ailé cette fois là.

On peut donc définir le hasard : une cause accidentelle dans celles de ces choses visant à une fin qui dépendent de notre libre arbitre. C'est comment le hasard se rap- porte au même objet que l'intelligence, tout difiërent qu'il est ; car, partout il y a choix et délibération réflé- chie, il y a intervention de l'intelligence. Ainsi, les causes qui produisent les efiets attribués au hasard sont néces- sairement indéterminées ; et cela donne à croire que le hasard est une de ces choses indéfinissables qui restent profondément obscures aux regards de l'homme. C'est ce qui fait aussi qu'on est porté à soutenir que rien ne peut venir du hasard ; et les deux opinions peuvent se défendre, toutes contraires qu'elles sont, parce qu'elles reposent toutes deux sur des fondements purement lo- giques. A un certain point de vue, un 'fait vient du hasard

D'ARISTOTE. LIVRE II, CH. V. 68

parce qu'il se prodait accideotellement et indirectement ; et dès lors la fortune peut en être regardée comme la cause en tant que le fait est accidentel ; mais, absolument parlant, le hasard n'est cause de quoi que ce soit. Par exemple, la cause en soi de la maison, la cause directe et essentielle, c'est le maçon qui la construit ; mais indirec- tenieot et accidentellement, c'est le joueur de flûte, si le maçon a ce talent ; et, pour reprendre l'exemple cité plus haut, il peut y avoir un nombre infini de causes qui font qu'un homme allant sur la place publique en rapporte son argent, sans y être allé du tout avec cette intention, et qu'il y soit allé simplement pour y voir un ami, ou pour y suivre un procès dans lequel il est ou défendeur ou accusateur.

On peut dire, avec non moins de vérité, que le hasard est une chose déraisonnable ; car la raôson éclate dans les choses qui sont éternellement ou du moins le plus ordi- nairement de telle ou telle façon, tandis que le hasard ne se rencontre que dans les choses qui ne sont ni éternelle- ment, ni dans la majorité des cas ; et comme les causes de ce dernier sont indéterminées, le hasard est indéter- miné tout comme elles. Néanmoins on peut, dans certains cas, se demander si les causes du hasard sont purement arbitraires. Ainsi un malade guérit sans qu'on sache au juste à quoi rapporter sa gnérison. Est-ce au bon air qu'il a respiré? Est-ce à la chaleur qu'il a ressentie? Ou serait- ce encore à la coupe de ses cheveux, qu'il a fait raser à un certain moment? Ces trois causes possibles sont acci- dentelles également ; miûs il y a même parmi ces causes un certain degré ; et les unes sont certainement plus rap- prochées que les autres.

6i PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

On donne parfois, au hasard, le caractère même des choses qui surviennent. Si c'est un événement heureux, on dit que le hasard est heureux ; et on dit qu'il est mal- heureux, si c'est un malheur qui survient. Si les choses sont de peu d'importance, on garde le mot de hasard ; mais si elles prennent quelque grandeur, on ne parle plus de hasard, mais on parle de prospérité ou d'infortune. Parfois même, sans que la chose se réalise, oa emploie le mot de prospérité et d'infortune, s'il s'en est très-peu fallu qu'elle ne se réalisât. On voit alors le mal ou le bien comme s'ils étaient déjà réalisés; et quand il s'en manque de si pea, on peut croire qu'il ne s'en manque absolument de rien. D'ailleurs, on a toute raison de dire que la pros- périté est inconstante ; car le hasard lui-même est essen- tiellement inconstant ; et rien de ce qui vient'du hasard ne peut être ni toujours, ni même dans la majorité des cas.

VI

J'ai promis plus haut de comparer le hasard et le spon* tané; je reviens à ce sujet ; et je répète que le hasard et le spontané, ou, en d'autres termes, ce qui se produit tout seul et de soi-même, sont tons deux des causes indi- rectes et accidentelles pour les choses qui ne peuvent être ni toujours absolument, ni même le plus habituelle- ment, et parmi ces choses pour celles qai peuvent être regardées comme se produisant en vue d'une certaine fin. La différence entre le hasard et le spontané qui se pro- duit de soi-même, c'est que le spontané est plus com- préhensif ; car tout hasard est du spontané, tandis que le spontané n'est pas toujours du hasard. En effet, le hasard

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. VL 65

prc^rement dit, n'est jamais rapporté qu'aux êtres qui peuvent avoir hasard heureux, du bonheur, en d'autres termes, une activité ; de même qu'il ne peut jamais non plus concerner que les choses l'activité est possible* Ce qui le prouve, c'est que la prospérité, c'est-à-dire les ëvéneaients très-favorables qu'amène le hasard, se con- fond avec le bonheur, ou du moins s'en rapproche beau- coup. Or, le bonheur est une activité d'un certain genre, une activité qui réussit et qui fait bien. J'en conclus que les êtres auxquels il n'est pas permis d'agir et qui n'ont aucune activité propre, ne peuvent rien faire non plus qui soit justement attribuable au hasard. C'est ce qui fait qu'on ne peut pas dire que l'être inanimé, la brute ou même l'enfant, agissent par hasard, parce qu'à différents degrés ils sont privés du libre arbitre et de la préférence réfléchie dans leurs actes. Quand donc on emploie pour ces trois ordres d'êtres les expressions de bonheur et de malheur, ce n'est que par une simple assimilation plus ou moins lointaine. Cela rappelle le mot de Protarque, qui prétendait que les pierres qui entrent dans la construction des autels sont heureuses, parce qu'on les adore en même temps que les Dieux, tandis que les autres pierres, qui sont cependant toutes pareilles, sont foulées aux pieds. Hais d'une manière tout à fait indirecte, ces êtres que je viens de nommer peuvent par hasard souffrir, si ce n'est produire, quelqu'action, quand on fait par hasard quelque chose qui les concerne ; mais en un sens autre que celui- là, il n'est pas possible qu'ils agissent ou qu'ils souffrent par l'effet du hasard.

Quant à la spontanéité, on peut l'appliquer aux ani- maux différents de l'homme et jusqu'aux êtres inanimés.

5

66 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

J'entends par spontané ce qui se produit tout seul et sans cause appréciable. Par exemple, on dit qu'nn cheval s'est mis spontanément en marche; le mouvement qu'il a fait sans pouvoir s'en rendre compte, a pu lui sauver la vie ; mais il ne l'a pas fait en vue de son salut Autre exem- ple : Un trépied est tombé spontanément et tout seul, et, dans sa chute, il s'est placé de telle façon qu'on pût s'as- seoir dessus; mais il n'est pas tombé apparemment en vue d'offrir un siège à quelqu'un. Il est donc évident que, dans les choses qui se produisent en réalisant une certaine fin, on doit dire que l'effet se produit spontanément et de lui-mtaie, quand la chose, qui a une cause étrangèi-e et in- connue, arrive sans que ce soit pour l'effet même qui se produit. On dirait que c'est du hasard, s'il s'agissait d'un acte quelconque d'un agent libre qui se trouverait avoir produit tout autre chose que ce qu'on en attendait. La preuve que ces distinctions sont exactes, c'est qu'on dit d'une chose qu'elle a été faite en vain, quand ce qui a été fait en vue d'un certain résultat, ne produit pas le ré- sultat attendu. Par exemple, on se promène pour faciliter la digestion et relâcher le ventre ; mais si l'on n'obtient pas ce résultat cherché, on dit qu'on s'est vainement pro- mené, et que la promenade a été vaine. Il faut bien re- marquer cette nuance, et l'on ne doit dire d'une chose, qu'elle est vaine, que lorsque, faite en vue d'une autre, elle n'accomplit pas l'objet pour lequel elle avait été foite, et qu'elle semblait naturellement devoir amener. En effet, ce serait un non sens ridicule que de dire par exemple qu'on s'est baigné vainement, puisqu'il n'y a point eu d'éclipsé de soleil. C'est qu'en effet on ne s'est pas bai- gné pour que l'éclipsé eût lieu. Ainsi, l'on dit d'une chose

D*AR1ST0TE, LIVRE H, €H. VI. 61

qu'elle arrive d'elle-ni6me et spontanément, comme Tin-* diqne l'étymologie seule du mot grec, quand cette chose même a été Taine ; et, par exemple, une pierre en tom*- bant a blessé quelqu'un ; mais sa chute n'avait pas pour but de porter un coup, et l'on dit alors que cette pierre est tombée spontanément et fortuitement, pour distinguer ce cas de celui la pierre aurait été lancée par quel- qu'un, avec intention de blesser une autre personne.

C'est surtout dans les choses qui se produisent par le fait seul de la nature qu'on pourrait distinguer le hasard et la spontaméité. Ainsi, quand un phénomène a lieu contre les lois de la nature et qu'il est monstrueux, nous disons bien plutôt qu'il est spontané, que nous ne disons qu'il vient du hasard. Le hasard suppose toujours une cause extérieure; le spontané suppose toujours une cause interne. Ceci doit fdre voir assez nettement les différences' que l'on met vulgairement entre la spontanéité et le ha- sard. Mais, quant à leur mode d'action, il faut les ranger l'un et l'autre parmi les causes motrices; car ils sont causes de phénomènes naturels ou de faits qui tiennent à l'intelligence^ et dont le nombre est illimité. Mais, comme le hasard et le spontané sont causes de phénomènes que la nature et l'intelligence pourraient également pro- duire, et que le hasard et le spontané se montrent l'intelligence et la nature n'agissent qu'accidentellement et d'une façon détournée ; comme, en outre, l'accidentel ne peut être antérieur et supérieur à ce qui est en soi, il est clair aussi que jamais la cause accidenteUe ne peut être supérieure è la cause essentielle. Donc lu spontanéité et le hasard ne viennent qu'après l'Intelligence et la nature ; et si Ton allait jusqu'à concéder que le hasard petit être

68 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE .

la cause du ciel, il n'en faudrait pas moins que l'Intelli- gence et la nature fussent encore les causes supérieures de bien d'autres phénomènes et de tout cet univers.

VIL

Après ces explications sur le nombre des causes, et sur la part que le hasard peut avoir dans les phénomènes qui sont l'objet de la Physique, nous pouvons répéter ce que nous avons dit plus haut, à savoir qu'il y a des causes et qu'elles sont bien au nombre de quatre, ainsi que nous l'avons établi. En effet, quand on recherche la cause d'une chose quelconque, on ne peut se poser que quatre ques- tions. Ainsi, la cause se ramène d'abord à l'essence de la chose, comme dans les cas n'intervient pas la notion du mouvement : par exemple, dans les mathématiques le résultat extrême qu'on poursuit aboutit à une défini- tion, celle de la ligne droite, si l'on veut, ou celle de la proportion, ou telle autre. Voilà une première cause qui est la cause essentielle. Un second genre de cause, c'est le moteur initial ; et, par exemple, on se demande : Pour- quoi tel peuple a-t-il fait la guerre? On répond : c'est qu'on l'avait antérieurement pillé. C'est la cause mo- trice de la guerre. Ou bien encore posant la même ques- tion : Pourquoi tel peuple a-t-il fait la guerre 7 On répond: Pour conquérir l'empire. Ce n'est plus alors la cause motrice et originelle, c'est la cause finale, le but qu'on se propose. Enfin, la quatrième et dernière espèce de cause, c'est la cause matérielle, celle qui indique la composition des objets qui naissent et sont produits, soit par la nature, soit par l'homme.

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. VU. 69

Da momeDt qa il y a quatre causes, le Physicien doit les connaître toutes les quatre ; et, c'est en rapportant le pourquoi des phénomènes à une d'elles ou à plusieurs d'entr'elles, ou à toutes, qu'il rendra compte comme il le doit, et d'après les lois même de la nature, de la matière, de la forme, du mouvement et de la fin des choses. Il faut bien remarquer, d'ailleurs, que parfois trois de ces causes se réunissent en une seule ; l'essence et la fin se confondent ; et le mouvement se confond aussi avec elles, au moins spécifiquement. Soit, en effet, ce phénomène : la génération d'un homme venu d'un autre homme. L'es- sence et la fin se confondent, puisque c'est un homme que la nature veut faire; de plus, le moteur, qui est l'homme, se confond spécifiquement avec ce qu'il pro- duit, puisque le père et le fils sont de la même essence. Et, ce qu'on dit de ce phénomène s'appliquerait égale- ment à tous les phénomènes le moteur transmet seu- lement le mouvement qu'il a lui-même reçu. Mais, les choses ne transmettent plus le mouvement pour l'avoir d'abord reçu, ce n'est plus le domaine de la Physique ; car, ce n'est pas en tant qu'elles on t en elles un principe de mou- vement qu'elles le communiquent; mais en tant qu'elles sont elles-mêmes immobiles. Il y a donc en ceci trois questions distinctes sur trois objets : d'abord sur ce qui est immobile ; puis sur ce qui est mobile, mais impéris- sable, et en troisième et dernier lieu sur ce qui est mobile et périssable.

Ainsi la cause des choses se trouve, soit en étudiant leur essence, qui les fait être ce qu'elles sont, soit en étu- diant leur fin, soit en étudiant le moteur d'où est venue l'initiative du mouvement. Cette dernière diétbode est sur-

70 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

toat employée quand il s'agit de la génération des choses, et qu'on se demande, pour en découvrir les causes, quel phénomène s'est produit après l'autre, quel a été le pre- mier agent et quelle action en a soufferte l'être qu'on étu- die, et en se posant telles autres questions qui font suite à celles-là. C'est que dans toute la nature on peut recon- naître deux principes qui donnent le mouvement aux choses : l'un qui dépasse les bornes de la Physique et ne peut être son objet, parce qu'il n'a point précisément en lui le mouvement, mais parce qu'il le produit tout en étant lui-même absolument immobile et antérieur à tout; l'antre, qui est l'essence et la forme des choses, parce que la forme est la fin en vue de laquelle se fait tout le reste. La nature, agissant toujours en vue d'une certaine fin, le Physicien doit l'étudier avec soin sous ce rapport spécial. Mais, en résumé, on peut dire qu'il doit étudier la nature sous toutes ces faces diverses; et démontrer comment telle chose provient de telle autre, soit d'une manière absolue et constante, soit simplement dans la pluralité des cas. Ufaut qu'il puisse en quelque sorte pré- dire que telle chose aura lieu après telle autre, comme des prémisses on pressent et on tire la conclusion. Enfin il doit expliquer ce qu'est l'essence de la chose, qui la fait être ce qu'elle est, et montrer pourquoi elle est mieux de telle façon que de telle autre, non pas d'une manière générale et absolue, mais relativement à la substemce par- ticulière de chacune.

Vin.

Reprenons les questions que nous venons d'indiquer,

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. VUI. 71

et Cûsons bien ynàr d'abord comment la nature est ane de ces Ganses qni agissent toojours en vue d'une fin. Ceci ooos condoira à circonscrire la part de la nécessité dans les choses de la nature. C'est en eifet à ce principe de la nécessité que tous les philosophes réduisent la eanse der- nière des phénomènes, quand après avoir exposé com- ment agissent, dans la nature, le chaud et le froid, et les principes de ce genre, ils ajoutait en définitive que ces principes sont et se produisent par une loi nécessaire. C'est si bien le fond réel de leurs théories, que même quand ils ont l'air d'admettre encore une cause difié- rente de la nécessité, ils ne font que toucher cette nou- velle cause, et qu'ils l'ouUient aussitôt après l'avoir indi- qoée, soit que l'un ait recours pour expliquer les choses à l'Amour et à la Discorde, soit que l'autre ait recours à r Intelligence.

Voici, dans toute sa £Mxe, l'objection qu'on fait à cette théorie qui prête des fins à la nature : a Qui empêche, « ditr-on, que la nature n'agisse sans but, et sans chér- it cher le mieux des choses 1 Jupiter, le roi des Dieux, ne « fait pas tomber la pluie en vue du gndn, pour le nour- « rir et le dévebpper ; c'est simplement une loi néce»- a saire que la vapeur, en s'élevant dans l'mr, s'y refroi- « disse, et qu'après s'y être refroidie, elle retmnbe sur 0 terre en forme de pluie. Que si ce phénomène ayant eu « lieu, le grain en profite pour germer et croître, c'est « un simple accident; c'est un effet détourné. La na- « ture ne pense pas plus à faire pousser le grain, qu'elle tt ne pepse à le pourrir dans la grange on l'a enfsrmé, « lorsqu'il vient à s'y perdre par suite de l'humidité 0 qu'ont provoquée des pluies trop fréquentes. C'est un

72 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

n simple accideot si le grain périt, comme c'en était un a tout à l'heure, qu'il germât En poussant ce raisonne- « ment plus loin, qui empêche de dire également que la « nature n'a eu aucune fin, et qu'elle a obéi encore à une « loi nécessaire en constituant les dents de certains ani- 41 maux, comme elle l'a fait : celles de devant aiguës et a capables de déchirer les aliments ; les molaires, larges, a plates et propres à les broyer? Qui empêche de dire que a la nature n'a pas du tout produit les dents en vue de <c ces fonctions diverses, mais que c'est une simple u concomitance? Pourquoi ne ferait-on pas la même re- « marque pour tous les organes nous croyons obser- <c ver une fin et une destination spéciales? Donc, toutes « les fois que les choses se produisent accidentellement tt dans les conditions elles se seraient produites, si a elles avaient un but, elles subsistent et se conservent, « parce qu'elles ont rempli spontanément et par néces- « site les conditions indispensables. Mais elles périssent (( quand elles ne les ont pas remplies ; et Empédocle a « bien raison de dire que k ses créatures bovines à proue « humaine, ses bœufs à visage d'homme » ont disparu, « parce que ces créatures ne pouvaient pas vivre dans ce les conditions elles s'étaient produites. )> Telle est l'objection qui résume en quelque sorte toutes les autres, et je ne lui ai rien ôté de sa force.

Pour moi, je repousse cette théorie de la nécessité, et je soutiens qu'il est impossible qu'il en soit ce qu'on pré- tend. Ces organes des animaux, dont on vient de parler, et toutes les choses que nous présente la nature, sont ce qu'elles sont d'une manière constante, ou du moins dans la majorité des cas. Or, ce n'est pas du tout la condi*

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. VIII. 7S

tion de ce qai se produit au hasard, spontanément, d'une manière fortuite. On ne peut pas dire que ce soit un ha- sard, par exemple, qu'il pleuve beaucoup en hiver; mais c'est un hasard, une chose toute accidentelle, s'il pleut fréquemment dans la canicule. Ce n'est pas davantage un hasard qu'il y ait de grandes chaleurs dans les temps ca- niculaires; mais c'en est un, s'il y en a dans l'hiver. J'en conclus que s'il faut, de deux choses l'une, que les phé- nomènes se produisent, soit au hasard, soit en vue d'une fin, ceux que je viens de citer ne se produisant pas au hasard ni fortuitement ; ils se produisent en vue d'une certaine fin. Or, ces phénomènes météorologiques ont bien lieu dans la nature de la manière régulière que l'on connaît, et les philosophes mêmes qui soutiennent ce sys* tènie que je combats, sont forcés d'en convenir. Donc, il y a une fin, un pourquoi à tout ce qui se produit dans la nature.

J'ajoute que, partout il y a une fin, c'est en vue de cette fin et pour elle qu'est fait tout ce qui la précède et y concourt. Ainsi donc, telle est une chose quand elle est faite et accomplie, telle est sa nature ; et telle est sa na- ture, telle elle est quand elle est accomplie et faite, en admettant toujours que rien ne s'y oppose et ne fasse obstacle. Or, comme elle est faite en vue d'une certaine fin, c'est qu elle a cette fin par sa nature propre. Par exemple, si ma maison était une chose naturelle, elle se- rait précisément par le fait de la nature, ce qu'elle est au- jourd'hui par le fait de l'art, de même que si les choses naturelles pouvaient être faites par l'habileté de l'art, il les ferait précisément comme les fait aujourd'hui la na- ture. Donc, la nature est faite en vue de la fin, et la fin

7i PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

est faite pour la nature. En général, Tart fait des choses que la nature ne saurait faire ; ou parfois aussi il prend la nature pour modèle de ses imitations. Or, si les choses de l'art ont une fin et un pourquoi, on doit en conclure, k bien plus forte raison, que les choses de la nature en ont aussi une. C'est une vérité de toute évidence, de voème qu'il est également évident que, soit dans les choses de la nature, soit dans les choses de Tart, les fûts qui sont postérieurs, sont toujours dans un rapport pareil avec ceux qui sont antérieurs ; les moyens répondent à la fin dans l'un et l'autre cas. Cette vérité éclate surtout dans les animaux autres que l'homme, qui font ce qu'ils font sans qu'on puisse supposer qu'ils agissent ni par les rè- gles de l'art, ni après étude, ni après réflexion, comme l'homme peut le faire. C'est ce qui fait qu'on s'est sou- vent demandé si les fourmis, les araignées et tant d'au* très bètes industrieuses, n'exécutent pas leurs étonnants travaux à l'aide de l'intelligence ou de telle autre faculté non moins noble, au lieu d'un aveugle intinct. En des? cendant quelques degrés dans l'ordre des êtres, on voit que dans les plantes elles-mêmes se produisent toutes les conditions qui concourent à leur fin ; et, par exemple, les feuilles y sont certainement faites pour protéger le fruit. Si donc c'est par une loi de la nature, et en vue d'une fin précise, que l'hirondelle fait son nid, et l'araignée sa toile ; si les plantes poussent leurs feuilles en vue de leur fruits comme elles projettent encore leurs racines en bas et non point en haut, pour se nourrir dans le sein fécond de la terre, il est de la dernière évidence qu'il y a une cause analogue et de même ordre dans tous les êtres, et dans tous les phénomènes de la nature.

D'ARISTOTE, LIVRE 11, CH. VllI. 76

Mais ce mot de nature peut avoir uo double sens, selon qu'on veut désigner par la matière des choses ou leur forme. Or, la forme étant une fin, et tout le reste s'or- donnant toujours en vue de la fin et du but, ou peut dire que la forme est le pcHirquoi des choses et leur cause finale. Mais il y a chance d'erreur dans les productions de la nature, comme dans celles de l'art; et de même qu'un grammairien, malgré sa science, peut fsdre une faute de langue, et que le médecin, malgré son habileté, peut don- ner une potion contraire, de même aussi l'erreur peut se glisser dans les êtres que la nature produit. Si, dans le domaine de l'art, les.choses qui réussissent sont faites en vue d'une fin ; et si, dans celles qui échouent, la faute en est à l'art, qui a fait un effort inutile pour parvenir au but qu'il poursuivait, il en est de même pour les choses natu- relies; et, dans la nature, les monstres ne sont que des déviations de ce but vainement cherché. Si donc ces orga- nisations primitives, ces créatures moitié bœuf, moitié homme, dont nous parlions tout à l'heure d'après Empé-* docle, n'ont point vécu parce qu'elles ne pouvaient arri- ver à un certain but et à une fin régulière, c'est qu'elles se produisaient par un principe altéré et corrompu, comme les monstres se produisent encore aujourd'hui par la perversion de la semence et ^du germe. Encore au mi* lieu de tous ces hasards, faut-il admettre une certaine constance, qui fait que le germe a toujours été le premier, et que ces animaux prodigieux ne pouvant naître tout d'un coup, c'est toujours « cette matière indigeste et uni- verselle » dont on nous parle, qui en a été le germe pri- mitif. Dans les plantes mêmes, il y a bien aussi un pour- quoi tout à fait analogue ; seulement, il est moins distinct ;

76 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

et si, dans les animaux, il y &vait a des créatures bovines à proae humaine, » pourquoi, dans les plantes, n'y au* rait-il pas eu des vignes à proue d'olivier ? Dirait-on que c'est absurde? J'en tombe d'accord; msds, alors, pourquoi ne pas admettre qu'il y avait aussi de ces plantes contre nature, si les animaux présentaient de ces anomalies in- concevables qu'Empédocle se plait à imaginer? En pous- sant plus loin encore, il faut avouer que les germes ne devaient pas offrir alors moins de confusion que leurs produits.

Soutenir un système si extraordinaire, c'est nier abso- lument les choses naturelles ; c'est nier la nature ; car on comprend par choses naturelles, celles qui, étant mues continuement par un principe qui leur est intime, arrivent à une certaine fin. De chacun de ces principes, il ne sort pas toujours, dans chaque espèce de choses, un résultat identique, pas plus qu'il n'en sort un résultat arbitraire : mais toujours le principe tend à un certain résultat, qu'il atteint à moins d'un obstacle qui l'arrête. Mais, dit-on en- core en insistant, le pourquoi des choses et les moyens employés pour atteindre ce pourquoi, peuvent venir par- faitement du hasard. Par exemple, un hôte vient chez vous sans autre motif que d'y venir ; il y prend un bain pendant qu'il y est, absolument comme s'il était venu dans votre demeure tout exprès pour s'y baigner. Cepen- dant, il n'y est pas venu le moins du monde avec cette intention, et s'il a pris un bain, c'est un simple accident, c'est un pur hasard ; car le hasard, ainsi que nous l'avons dit plus haut, doit se ranger parmi les causes acciden- telles et indirectes. Mais cet exemple n'est pas aussi déci- sif qu'on le suppose; en effet, quand une chose arrive

D'ARISTOTE, LIVRE II, CH. IX. 77

toujours de la même façon oa même le plus ordioaire- ment, si ce n'est toajoors, on ne peut plus dire que c'est un accident ou un hasard ; or, dans la nature, toutes les choses se produisent avec une immuable régularité, quand rien ne s'y oppose.

D'ailleurs, il serait absurde de croire que les choses se produisent sans but, par cela seul qu'on ne verrait pas le moteur délibérer son action. L'art, non plus, ne délibère point; et, dans une foule de cas, il n'a pas besoin de ré- flexion pour agir. Il est une cause externe des choses, tandis que la nature est une cause interne ; et il faudrait, pour que la nature et l'art procédassent de la même fa- çon, que l'art des constructions navales, pai* exemple, fût dans les bois qui servent k la construction du navire ; et alors l'art agirait dans ce cas comme agit la nature. Mais, malgré cette différence, l'art san6 délibérer se propose toujours un but, et la nature s'en propose un comme lui, sans avoir à délibérer davantage. On dirait un médecin qui, se sentant malade, se soigne lui-même avec toutes les ressources de sa science, sans avoir, d'ailleurs, à se consulter ni sur le mal qu'il ressent, ni sur le remède qu'il doit s'administrer.

Donc^ en résumé, la nature est une cause qui agit en vue d'une fin, et nous n'hésitons pas à affirmer cette vé- rité.

IX.

Une hypothèse étant admise, on peut se demander si la nécessité, dans les choses de la nature, n'a qu'une exis- tence uniquement relative à cette hypothèse même, ou

78 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

bien si elle a ane existence absolue 7*11 y a des gens qui comprennent la nécessité d'une façon bien étrange; et leur opinion revient à pen près à celle de quelqu'un qui, parlaot d'une maison, prétendrait qu'elle a été nécessaire- ment construite, attendu qu'il est nécessaire que les corps les plus lourds soient en bas, les porte leur tendance naturelle, de même qu'il est nécessaire que les corps les plus légers soient à la surface. Par suite, les fondements des murailles, qui sont en lourdes et grosses pierres, ont être mis en bas, tandis que le mortier qui est plus léger a été mis au-dessus, et que les bois qui senties plus légers de tous ces matériaux ont pris place à l'extérieur. Expliquer ainsi la construction d'une maison, ce serait ^ngulièrement comprendre la nécessité. Certainement les murailles de l'habitation ne peuvent pas exister sans les matériaux indispensables; mais ce n'est pas pour eux qu'elles «ont faites ; ils en sont uniquement la matière. La construction n'a été réellement élevée que pour gai'der et garantir les choses qu'on renferme dans la maison. C'est la vraie fin que s'est proposée l'architecte. Cette observation du reste est générale, et elle s'applique à toutes les antres choses qui, étant faites en vue d'une certaine fin , ne pourraient exister sans certains éléments nécessaires. Mais les choses ne sont pas faites en vue de ces éléments, qui n'en sont que la matière, avec la destination spéciale à laquelle on les emploie. Prenons encore un autre exemple : Pourquoi la scie est-elle faite de telle manière? C'est pour qu'elle soit tel instrument servant à tel usage. Sans doute l'acte en vue duquel la scie est faite, la section, ne pourrait avoir lieu si la scie n'était point en fer; et, par conséquent, il y a nécessité que la scie soit faite de ce

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métal, puisque autrement elle ne couperait pas et que son œuvre ne pourrait s'accomplir. Mus il est clair que la né- cessité n'est ici que la condition de l'bypotbèse donnée, à savoir de pouvoir couper des corps durs ; donc cette néces- âté n'est pas dans la fin absolue qu'on se propose. Ainsi, la nécesâté n'est que dans la matière ; mais la fin et le pourquoi sont dans la raison libre, qui le comprennent et qui le poursuivent.

0a reste, le nécessaire ainsi limité se retrouve dans les mathématiques à peu près comme il est dans les choses de la nature. Une fois la définition de l'angle droit étant donnée, il y a nécessité que le triangle ait ses trois angles égaux à deux droits; et, si les trois angles n'étaient pas égaux à deux droits, c'est que l'angle droit lui-même ne serait pas ce qu'on a dit. Biais, dans les choses qui se ^oduisent en vue d'un certain but, c'est précisément le contraire qui a lieu. Si la fin doit être, si le but pour- suivi doit se réaliser, il faut que l'antécédent indispen- sable, le moyen nécessaire, existe aussi comme elle. Dans l'exemple mathématique qui vient d'être cité, la conclu- sion était possible quand le principe étût vrai ; ici, au contraire, il faut que la fin soit d'abord posée comme principe, pour que le moyen vienne ensuite s'y adapter. Il est certain que sans ce moyen la fin n'est pas réalisable ; mais la fin le suppose, et c'est elle qui r^le sa condition. La fin se tix>uve être le principe, non pas seulement de l'acte , mais encore du raisonnement qui conduit à cet acte et qui le dirige. Du reste, dans les mathématiques et les sciences abstraites, il s'agit uniquement de raisonne- ment, puisqu'il n'y a point d'actes à produire. Si donc on veut faire une maison, il faut de toute nécessité qu'il

80 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

existe préalablement tels matériaux qu'on puisse employer de telle façon ; il faut, en un mot, qu'il y ait préalable- ment une matière qui sera employée en vue de telle fin ; et, dans le cas spécial de la maison, il faut des pierres de taille et des moellons. Mais, la fin poursuivie n'a pas ces matériaux en vue, si ce n'est en tant qu'ils sont la ma- tière requise; et ce n'est pas pour eux qu'elle sera accom- plie. Seulement, sans ces éléments nécesssdres, elle ne sera pas possible, qu'elle soit la maison ou la scie, le fer étant indispensable pour celle-ci, les pierres l'étant pour celle- là. C'est de même dans les mathématiques la conclu- sion étant vraie, les principes doivent l'être comme elle.

La nédéssité, dans l'ordre de la nature, se réduit donc à la matière des choses, et aux mouvements que cette matière peut recevoir selon son espèce.

De ces deux genres de causes, matière et fin, que le Physicien doit expliquer, c'est surtout à la cause finale qu'il doit s'attacher. La raison en est simple : c'est que la ' fin est cause de la matière qu'on choisit en vue de cette fin, tandis que la matière n'est pas cause de la fin. Or, la fin est le principe qui détermine l'action et provoque à agir; de même qu'elle est aussi le principe qu'on peut retrou- ver dans la définition et la conception essentielle des choses, elle est toujours impliquée. Dans les choses que l'art produit, il faut toujours un antécédent indispensable. Si la maison est, c'est qu'il existait avant elle certaines choses dont elle est faite ; si la guérison d'un malade a été obtenue, c'est qu'on a employé tels moyens qui existaient antérieurement à la santé recouvrée. Or, dans les choses de la nature, il en est de même; et si l'homme existe, il a fallu telles conditions premiëi'es qui supposent telles

D'ARISTOTE, LIVRE III, CH. I. 81

aatres conditions antérieures, etc. La nécessité ainsi en<r tendne entre et se découvre jusque dans la définition ; et si, par exemple, on veut définir l'opération de scier, il faut expliquer d'abord que c'est une certaine manière de divi- ser les choses ; puis, il faudra ajouter que cette division se peut se faire qu'à la condition d'une scie qui a les dents faites d'une certaine façon, et que les dents ne peuvent être ainsi faites que si elles sont en fer. On arrive ainsi à l'élément nécessaire de la définition ; car la défini- tion a, en quelque sorte, une matière qui est également soumise à la nécessité.

LIVRE m.

DÉFINITION DD MOUVBMERT. DE L'IHFINI.

I.

La nature étant le principe du mouvement, ou, en termes plus généraux, du changement, et notre étude présente s'appliquant à la nature, nous devons nous rendre bien compte de ce que c'est que le mouvement; car, ignorer ce qu'il est, ce serait ignorer absolument ce que c'est que la nature, dans toutes les parties qui la com- posent Puis ensuite, une fois que nous aurons défini le mouvement, il faudra tâcher d'étudier les conditions dont

il est ionjonrs accompagné, et les phénomènes qu'il im-

6

82 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

pliqoe. Ainsi le mouvement doit être rangé dans la classe des quantités continues; et le premier caractère du con* tinu, c'est d'être infini. On ne peut pas, en effet, définir le continu sans employer la notion de l'infini, et le con- tinu n'est, on peut dire, que ce qui est divisible à l'infini. De plus, il n'y a point de mouvement possible sans espace et sans temps, la question de l'espace comprenant aussi celle du vide. Voilà donc déjà des motifs pour étu- dier avec soin Tespace, le vide, le temps et le mouve- ment; mais nous avons en outre cette raison, qu'ils sont communs à toutes choses, et qu'ils sont universels. Nous examinerons chacune de ces questions séparément ; car il faut commencer par les qualités générales et conununes des choses, avant d'en venir à leurs propriétés spéciales. Débutons par la définition du mouvement, ainsi que nous venons de le dire.

Rappelons-nous d'abord les différents points de vue sous lesquels on peut considérer l'être. Il est tantôt une réalité actuelle, une entéléchie, tantôt il est à l'état de simple puissance, tantôt il est les deux à la fois. A un autre égard, l'être est tantôt substance, tantôt quantité, tantôt qualité, ou telle autre des catégories dans les- quelles il se partage. Pour les relatifs, il faut distinguer ceux qui ont entr'eux le rapport d'excès et de défaut, comme le grand et le petit, le peu et le beaucoup, et ceux qui ont le rapport de passif et d'actif. C'est dans cette dernière subdivision qu'il faut classer le moteur et le mo- bile, puisque le moteur meut le mobile^ et que le mobile est mu par le moteur ; relations, comme on le voit, d'ac^ tion d'une part, et de souffrance de l'autre. Il n'y a pas de mouvement en dehors des choses ainsi comprises ; et c'est

D'ARISTOTE, LIVRE III, GH. I. 83

toajoars en elles que le mouvement se passe ; car, tout être qui change doit nécessairement changer, ou dans sa substance, on dans sa quantité, ou dans sa qualité, on de lieu. Or, il n'y a point d'être commun à tontes les catégo- ries qui ne soit, en même temps, ou substance, ou quan- tité, ou qualité, ou telle autre catégorie de l'être. Par con- séquent, il n'y a point de mouvement possible qui ne rentre dans une de ces catégories, puisqu'il n'y a point d*être possible si ce n'est en elles.

Mab chacune de ces catégories peut être double selon le point de vue d'où on la considère. Ainsi, dans la sub^ stance, on distingue la forme et la privation ; dans la qusr lité, les deux contraires, par exemple, le blanc et le noir; la quantité peut être complète et incomplète ; et, enfin, dans la catégorie du lieu, l'être va en haut ou va en bas, selon qu'il est léger ou pesant, etc. Par conséquent, il y a autant de genres de mouvement qu'il y a de genres de l'être dans les cat^ories qu'on vient d'énoncer. De plus, comme dans chaque genre on peut distinguer l'acte de la simple puissance, il s'en suit qu'on peut définir le mou- vement de cette façon : L'acte, la réalisation ou entéléchie de l'être qui était en puissance, avec les diverses nuances que cet être peut présenter. Ainsi, l'altération est le mou- vraient de l'être altéré en tant qu'altéré ; l'accroissement et la décroissance sont les mouvements de l'être qui s'ac- croît ou qui diminue ; la langue grecque n'a pas pour ces deux nuances une expression commune, ainsi qu'elle en a une pour l'altération ; la génération et la destruction sont les mouvements de l'être qui est engendré ou dé- truit, qui se produit ou qui disparaît ; enfin, la translation eat le mouvement de l'être transféré d'un lieu à un autre.

8A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Ce qui prouve bien Texactitude de cette définitioD, qui fait du mouvemeat un acte, c'est que quand une chose passe de la puissance à l'acte, nous disons que son mou- vement est accompli. Soit, par exemple, une chose à construire, une chose qui peut être construite. A ne la considérer que sous ce rapport, du moment qu'elle se réalise et qu'elle est en entéléchie, nous disons qu'elle est construite, et le mouvement de cette chose est la cons- truction. Même remarque pour tout autre acte, l'acte d'ap- prendre, l'acte de guérir, l'acte de rouler, l'acte de sau* ter, l'acte de vieillir, etc. Ainsi le mouvement est l'acte* Mais ce n'est pas encore sa définition tout entière. Les mêmes choses peuvent être en acte et en puissance, mais non pas à la fois ni relativement à la même chose ; par exemple, un même objet est chaud en puissance, mais en réalité il est froid. Il s'en suit qu'il y a beaucoup de choses dans la nature qui agissent ou qui souffrent les unes par les autres. Tout est à la fois actif et passif, suivant l'as- pect sous lequel on le considère. Par conséquent, le mo- teur, qui agit selon les lois de la nature, est mobile à son tour, et tout ce qui meut a d'abord été mu lui-même ; mais je limite ceci au domaine de la nature, et je ne vais pas aussi loin que certains philosophes qui croient que tout moteur, sans aucune exception, reçoit le mouveofient qu'il communique. Nous nous réservons de démontrer ailleurs, vers la fin de ce traité, qu'il doit y avoû* un mo- teur qui est lui-même absolument immobile (Livre VIII).

Mais, pour le moment, nous nous bornons à répéter ici que le mouvement est l'acte, la réalisation ou entélé- chie de ce qui était en puissance, quand cet être qui, an- térieurement, était simplement possible, devient actuel

DARISTOTE. LIVRE 111, CH. I. 86

en tant que mobile, soit qu'il reste en lui-même ce qu'il est, soit qu'il subisse une certaine altération. Quand je dis : En tant que mobile, j'entends par exemple que l'ai- rain est la statue en puissance, bien que l'acte ou entélè- cbie de l'airain, en tant qu'airain, ne soit pas le mouve- ment ; car, ce n'est pas essentiellement la même chose d'être de l'airain et d'être mobile en puissance ; et, si abso- lument parlant et même rationnellement, c'était une seule et même chose, l'acte de l'airain en tant qu'airain serait le mouvement. Mais cela n'est pas du tout ; et pour se convaincre que l'essence de la chose ne se confond pas avec sa mobilité, il suffit de regarder aux contraires. Ainsi , c'est chose fort difiërente de pouvoir se bien porter et de pouvoir être malade; car, s'il n'y avait pas de différence entre les simples possibilités, il n'y en aurait pas davan- tage dans les réalités actuelles ; et se bien porter se con- fondrait avec être malade, la santé se confondrait avec la maladie. Ce qui demeure et subsiste ici, c'est le sujet qui garde son unité, soit qu'il se porte bien, soit qu'il souffre par l'effet du pblegme on du sang. Mais le sujet ne doit pas être confondu avec sa puissance, pas plus que la cou* leur actuelle ne doit être confondue avec la couleur en puissance, le visible ; et j'en conclus que le mouvement peut être défini très-convenablement : L'acte ou entélé-- cbie du possible en tant que possible.

Je maintiens la justesse de cette définition, et j'affirme que le mouvement n'est que cela; qu'une chose n'a de mouvement vrai qu'au moment cette réalisation , cette entéléchie a lieu, et qu'elle n'en a ni avant ni après; car toute chose peut être ou n'être pas en acte. Ainsi, une maison à construire est en simple puissance ; mais quand

86 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

elle est coDstruite, elle est une maison en acte, en réalité. L'acte de la chose constructible en tant qu'elle est à coos- truire, c'est la construction ; et l'acte de la chose à con«- stniire, c'est-à-dire la construction, a pour résultat la maison. Mais une fois la maison faite, la chose construc- tible, c'est-à-dire qui pouvait être construite, n'existe plus, puisque la chose à construire est construite. Donc, nécessairement, la construction est bien l'acte ; la con- struction est un mouvement d'une certaine espèce ; et le même mode de définition serait applicable à tout autre genre de mouvement.

Une dernière preuve de l'exactitude de cette définition, c'est de voir les dîfScultés qu'ont eues les philosophes à définir le mouvement autrement qu'on ne le fait ici, et les erreurs qu'ils ont commises. Ils n'ont pas pu classer le mouvement et le changement dans un antre genre que celui de l'acte, et ils n'ont fait que s'égarer en considé- rant le mouvement sous un autre jour. On peut vérifier, en effet, ce que devient le mouvement dans ces théories on en fait une diversité, ou une inégalité, ou même le non-être. Mais il est évident qu'il n'y a pas de mouvement nécessaire, ni pour le divers, ni pour l'inégal, ni surtout pour ce qui n'existe point. Le changement ne tend pas plus au divers, à l'inégal et au non-être, qu'il ne vient d'eux, ni de leurs opposés, le même, l'^al et l'être. Mais l'erreur des philosophes que nous désignons ici vient de ce qu'ils ont pris le mouvement comme quelque chose d'indéfini. Us l'ont classé dans leur série négative, corres- pondant à leur première série positive. Mais les termes de la série négative n'existent pas en réalité, puisqu'ils sont purement privatifs, et qu'aucun d'eux n'est ni substance,

D'ARISTOTE, UVAE III, CB. U. 87

ni quantité, ni qnalité, ni aucune des antres cat^orles; le mouvenienCa été placé dans la série des termes indé- terminés. Je conçois d'aiUenrs Thésitation et l'embarras de ces philosophes, attendu qu'on ne peut ranger d'une manière absolue le moavement ni dans la puissance ni dans l'acte des êtres ; il n'est absolument ni acte ni puissance. Ainsi, une chose qui peut devenir de telle quantité n'a pas nécessairement le mouvement pour acquérir cette quantité, et l'airain ne devient pas nécessairemMt statue, de même qu'une chose arrivée i avoir telle quantité n'a plus alors de mouvement, puisqu'elle est parvenue à son terme et à sa forme. La mouvement est donc bien une sorte d'acte ; mais c'est un acte incomplet ; et cela se cou* çoit, puisque le possible dont le mouvement est l'acte est loi-même incomplet.

Je reconnais d'ailleurs, et ces distinctions subtiles le prouvent assez, qu'il y a grand'peine à savoir avec pré- cision ce qu'est le mouvement ; car il faut nécessairement le classer, soit dans la privation , soit dans l'acte , soit dans la puissance ; mais qu'on en fasse un acte, une puis* sauce ou une privation, la théorie n'est jamais parfaite- ment satisfaisante. Reste donc à le considérer, ainsi que nous venons de le faire, comme un acte d'un certain ordre. Hais, j'avoue que cet acte, même tel que nous l'avons expliqué, est trèsHlifficîle à bien comprendre, quoi que œ oe soit pas tout à fait impossible.

II.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, tout moteur dans la Bature est d'abord mu lui-même, parce qu'il est mobile

88 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

en puissance, et que son immobilité, qui n'eu pas absolue, est simplement la privation du mouvemeni, ou le repos. Le repos est l'immobilité de ce qui, par nature, possède le mouvement sans en faire usage à un certain moment donné. Agir sur un mobile en tant ({u'il est mobile, c'est précisément ce qu'on appelle mouvoir ; mais le moteur ne peut agir que par contact, et du moment qu'il touche le mobile il en reçoit une certaine action, en même temps qu'il lui en communique une. Je transforme donc un peu la définition du mouvement, et je dis qu'il est l'acte ou entéléchie, la réalisation du mobile en tant que mobile. Mais comme le contact est indispensable pour le phéno- mène qui se passe ici, le moteur souffre en même temps qu'il agit. C'est une forme nouvelle que le moteur apporte toujours à l'être qu'il meut, soit en substance, soit en qualité ; et cette forme sera, comme cause finale, le prin- cipe du mouvement que donne le moteur. C'est, par exemple, un homme actuel, réel ou en entéléchie, qui fait un homme rédi de l'être qui n'était homme qu'en puis- sance. Ainsi, le mouvement vient sans doute du moteur qui le donne ; mais il est réellement dans le mobile qui le re- çoit, et dont il est Tentéléchie. Ainsi, l'acte du moteur se confond avec celui du mobile et ne peut être autre ; car il faut que tous deux aient leur réalisation, leur entéléchie. Le moteur en puissance est moteur à ce titre, par cela seul qu'il peut mouvoir ; mais le moteur réel est moteur à ce titre, parce qu'effectivement il meut et agit. Il est l'agent du mobile; et, par conséquent, il n'y a qu'un seul acte pour le moteur et pour le mobile à la fois. C'est ainsi que dans les nombres il n'y a qu'un seul et même inter- valle d'un à deux et de deux à un, soit que l'on monte soit

DARISTOTE, LIVRE 111, CH. II. 69

que l'oD descende, do plus petit au plus grand, ou du plus grand au plus petit. Les deux choses n*en font bien qu'une ; mus, cependant, leur définition réciproque n'est pas la mèoie : un est la moitié de deux, et deux est le double de un. C'est aussi le rapport et la différence du moteur au Hiobile qu'il meut

Il est vrai qu'à cette théorie on fait une objection, et il faut y répondre, bien qu'elle soit purement logique et qu'elle ne repose pas sur une réalité. L'acte du moteur, dit-on, doit être différent de celui du mobile, comme l'acte de l'actif est différent de celui du passif. D'une part, c'est l'activité ; de l'autre au contraire, c'est la pas- sion et l'affection subie. L'œuvre et la fin, du moteur, c'est un résultat produit ; l'œuvre du mobile et sa fin c'est un certain état tout passif. Voici la réponse que je fais à cette objection. Si l'on prétend séparer les deux actes du mo- teur et du mobile, an lieu de les réunir en un seul, on en iait deux mouvements ; et alors je demande, en admet- tant qu'ils sont autres, dans quel terme, le moteur ou le mobile, on les place. Ou les deux actes sont dans ce qui souffre l'action, dans le mobile; ou bien l'action se trouve d'une part dans le moteur qui agit; et d'autre part, la passion se trouve dans le mobile qui souffre l'ac- tion. Mais si l'on donne également le nom d'acte, ou d'ac- tion à cette passivité, c'est une simple homonymie, une pure équivoque de mots. Si on les sépare et qu'on place l'action dans Tagent et la passion dans le patient, comme il semble que cela doit être, alors on met le mouvement dans le moteur, au lieu du mobile il est, ainsi que nous venons de le démontrer ; car entre le moteur et le mobile, le rapport est le même qu'entre l'action et la

90 PARAPHRASE DE LA PHYaiQUB

passion. On sera ainsi amené à soutenir ces deux absur- dités, ou que tout moteur est mu comme le mobile, ou qne ce qui a le mouvement ne l'a pas ; car si le mouvement est dans le moteur, ainsi qu'on le prétend, il faut alors que le moteur soit mu, ce qui est contradictoire ; ou bien si Ton dit que le moteur n'est pas mu, on ne comprend plus qu'ayant en soi le mouvement, il ne l'éprouve pas. Que si l'on prétend que les deux actes sont dans le mobile, c'est-à-dire dans le patient au lieu d'être dans l'agent ou le moteur, de même que le disciple qui étudie réunit en lui l'enseignement qu'il reçoit et l'étude par laquelle il s'applique, je réponds qu'il eu résultera cette première absurdité, que l'acte d'un être n'est plus dans cet être, puisque l'action de l'agent sera dans le patient et non plus dans l'agent lui-même; puis, une seconde absurdité non moins évidente, c'est qu'une seule et même chose pourra avoir à la fois deux mouvements différents et peut-être même contraires. Mais comment concevoir dans un seul et même être deux modifications diverses, lesquelles ten- draient cependant à la même fin et à la même forme ?

Dira-t-on qu'il n'y a qu'un seul et même acte pour l'agent et le patient ? Je réponds que c'est impossible, parce qu'il est contre toute raison que deux choses d'espèce différente, comme le sont l'agent et le patient, puissent avoir un seul et même acte. Que si l'on identifie l'enseignement que reçoit le disciple avec l'étude person- nelle qu'il fait pour s'instruire lui-même, l'action avec la passion^ alors il faudra admettre aussi, qu'enseigner est la même chose qu'étudier, que souffrir et agir sont tout un, que quand on enseigne on étudie, et que celui qui meut est aussi celui qui souffre et qui est mu. Je conviens

D'ARISrrOTE, UVRE 111, CH. II. 91

qo'à certains égards, il n'est pas absurde de soutenir que l'acte d'une chose puisse être dans une autre chose. Ainsi renseignement est bien l'acte du maître qui enseigne ; mais cet acte a beau résider dans un certain être doué de telle ou telle capacité» il n'y est pas complè- tement isolé et abstrait ; il y est l'acte de cet être qui enseigne, dans un autre être qui reçoit l'enseignement ; c'est l'acte du maître dans et sur le disciple. 11 n'est pas non plus impossible que le même acte appartienne à deux choses diffîrentes. Sans doute, il n'y est pas essentiel- lement et absolument identique, comme le sont dans leur d^nition un Habit et un Vêtement ; mais le même acte peut être, dans l'une des deni^ choses, en puissance, et dans l'autre, en réalité actuelle. J'ajoute, pour répondre au doute soulevé tout à l'heure, que ce n'est pas une conséquence nécessaire, comme on le dit, que l'acte de l'enseignement et celui de l'étude soient identiques ; et en supposant même qu'il faille à certains égards confondre l'action et la passion, ce n'est pas du tout comme on confond l'Habit et le Vêtement, dont la définition essen- tielle est toute pareille; mais c'est seulement comme l'on peut confondre le même chemin fait en deox sens diffé- rents. D'Athènes à Thèbes, et de Thëbes à Athènes, le chemin est pareil; mais dans un cas, c'est l'aller; et dans l'autre, le retour. C'est qu'en effet on peut bien dire de deox choses qu'elles sont identiques, quand elles ne le sont qu'à certains égards et relativement ; mais pour être absolument identiques, il faut qu'elles le soient dans leur essence. En d'autres termes, en supposant que l'ensei- gnement et l'étude sont une même chose, il ne s'en sui- vrait pas que l'acte d'enseigner et l'acte d'étudier fussent

92 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

110 seul et môme acte. La distance est la même sans doute entre les deux points ; mais ce n'est pas identiquement la même chose d'aller du premier au second, ou du second, au premier.

Pour résumer ceci en quelques mots, je dirai qu'à pro- prement parler, ni l'enseignement et l'étude, ni l'action et la passion ne sont une seule et même chose. La seule chose identique de part et d'autre, c'est le mouvement, dont l'action et la passion ne sont que des modes divers ; car on peut distinguer rationnellement l'acte d'une chose qui agit sur une autre, et l'acte d'une chose qui souffre l'action d'une autre chose. Sous ces deux faces, c'est ton- jours le mouvement.

m.

4

Telle est donc selon nous la définition du mouvement, soit considéré en général, soit considéré dans ses espèces; et les explications que nous avons données suffisent pour qu'on ne soit pas embarrassé à définir chacune des espèces particulières. Par exemple, si l'on voulait définir l'espèce de mouvement qu'on appelle l'altération, c'est-à* dire le mouvement dans la qualité, on dirait que l'alté- ration est l'acte ou l'entéléchie de l'être altérable, en tant qu'il peut être réellement altéré. On pourra même trou- ver .encore une expression plus claire, en disant que le mouvement est l'acte de ce qui peut agir ou souf&îr, en tant que l'objet est ce qu'il est ; et cela, soit d'une manière absolue et toute générale, soit d'une manière spéciale, selon les cas divers : ici l'acte de la construction d'une maison que l'on construit ; ailleurs l'acte de la guérison

D'ARISTOTË, LIVRE III, CEL IV. 9S

qoe le médecin opère, etc. Le procédé serait le même pour tous les cas possibles du mouvement, et Yon ferait subir les mêmes changements à la définition que nous en avons essayée.

IV.

Après avoir donné une idée toute générale du mou- vatnent, nous poursuivons le cours de notre étude. La science de la nature, telle que nous la concevons, s'occupe nécessaireooent de trois choses : les grandeurs, le mou- vement et le temps; et ces trois cfaoses/qui comprennent à peu près toot, doivent être ou infinies ou finied. Je dis qu'dles comprennent à peu près tout, parce qu'il y a quelques exceptions ; et, par exemple, il y a des choses qui ne peuvent pas être ni finies ni infinies; ainsi, le point en mathématiques et la qualité dans les choses ; car ni la qualité ni le point ne peuvent être rangées ni dans l'une ni dans l'autre classe du fini ou de l'infini. Il convient donc, quand on étudie la nature, d'étudier aussi l'infini; et c'est ce que nous allons faire en nous demandant si l'infini existe ou s'il n'existe pas, et en recherchant, une fois son existence reconnue, ce qu'il est essentiellement

En nous livrant à cette étude, nous ne faisons qu'imiter les autres philosophes, qui ont pensé, comme nous, qu'elle est indispensable à la science de la nature; et tous ceux qui ont quelque autorité en ces matières, se sont si bien occupés de l'infini qu'ils en ont fait un principe des êtres. Les uns, comme les Pythagoriciens et Platon, pensant que l'infini est le principe essentiel des êtres, et non pas un attribut et un simple accident, en ont fait une substance

9k PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

existant par elle-même. La seule diffërence entre Técele de Pytbagore et le système Platonicien, c'est qne pour les premiers, TinÛDi fait partie des cboses possibles, puisque d'une part ils ne séparent pas le nombre en l'abstrayant des cboses elles-mêmes, et que d'autre part ils placent aussi l'infini en debors du ciel, ils admettent encore des cboses sensibles. Platon au contraire ne voit rien en debors du ciel et de ce monde, pas mêmes les Idées, auxquelles on ne peut d'ailleurs assigner aucun lient et il met l'infini à la fois dans les choses sensibles et dans les Idées. Une autre différence encore entre les Pythagoriciens et Platon, c'est qu'ils identifiaient l'infini et le pair, attendu que tout nombre pair est indéfiniment divisible par deux. En ce sens, le nombre pair, par la possibilité de ses divisions indéfinies, donne l'infinitude aux cboses, tandis que l'impair, même quand il dépasse le pair ou qu'il le limite en empêchant les divisons d'aller aussi loin, ne peut être considéré comme infini ; car l'impair est essentiellement indivisible. En preuve, les Pythagoriciens citaient ce qui se passe dans la série des nombres, où, en ajoutant k l'unité les gnomons, c'est-à- dire la suite des nombres impairs 8, 6, 7, 0, etc., on obtient toujours la même figure, laquelle est un carré, tandis qu'en ajoutant à l'unité la suite des nombres pairs 2, i, 6, 8, etc., on obtient toujours une figure différente, ou plutôt des figures qui varient à l'infini. Quant à Pla- ton, loin de considérer ainsi l'infini, il reconnaissait deux infinis, l'un de grandeur et l'autre de petitesse.

Le point de vue se sont placés les Physiciens n'est plus celui des Pythagoriciens ni de Platon. Us n'ont plus donné à l'infini une nature substantielle, et ils en ont fait

IVAHiSTOTE, UVRE III, CE IV. 95

on simple attribut des éléments qu'ils admettaient, Telr, Tean et les intermédiares analogues. Parmi les philo- sophes qui limitent le nombre des éléments, soit à denx, èoix à trois, soit à qaatre, personne n'a songé à dire que ces éléments en nombre fini fassent infinis en grandeur. Mais ceux qui supposent les éléments en nombre infini, comme Anaxagore avec ses parties similaires ou Homceo- méries, et Démocrite avec ses germes et ses atomes partout répandus, ceux-là pensent que l'infini est com-* posé par le contact universel des choses, et leur abscdue continuité. Anaxagore affirme qu'une partie quelconque du monde est un mélange pareil à tout le reste de l'uni- vers, se fondant sur cette observation, d'ailleurs f(»t contestable, que tout vient de tout dans l'état présent des choses. De il tire cette induction que tout à l'origine des choses était dans tout, que la chair, par exemple, qui aujourd'hui est distincte de l'os était alors de l'os aussi bien que de la chair, ou telle autre chose, que toutes choses étaient confondues pèle-mèle les unes avec les autres, en un mot que tout était tout. Selon lui, il y a dans une chose quelconque non-seulement un principe qui distingue cette chose de toutes les autres, mais aussi des principes qui peuvent distinguer toutes les autres choses. D'autre part, comme tout ce qui se produit actuel- lement sous nos yeux vient d'un corps semblable à celui qui est produit, et qu'il faut bien un principe à la géné- ration des êtres, qui est très-réelle, sans d'ailleurs qu'elle soit simultanée et confuse comme le croit Anaxagore, il en concluait que le principe de toute génération est en défi- nitive unique t et ce principe unique de tout ce qui est, Ana- xagore l'appelait l'Intelligence. Or, l'Intelligence qui ne

96 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

peut agir qu'intellectuellement, est partie, pour son œuvre d'organisation, d'un certain état antérieur. Donc tout était dans le chaos, que l'Intelligence a ordonné, et c'est elle qui a communiqué à toutes choses le mouvement régulier et immuable que nous voyons. Telles sont les théories d'Anaxagore. Démocrite pensait au contraire que jamais les éléments primordiaux des choses, les atomes, ne peuvent venir les uns des autres ; c'est la matière commune de tout, c'est un élément et un corps commun, qui ne varie que par la grandeur et la configuration de ses parties.

Ainsi, tout ce qui précède prouve bien que l'étude de l'infini appartient à la science de la nature ; et il faut louer les philosophes d'avoir toujours fsdt de l'infini, un de leurs principes. L'infini, en effet, ne peut pas avoir été fait pour rien ; et on ne peut lui donner un autre caractère que celui de principe ; car tout doit être ou principe ou conséquence d'un principe ; or, l'infini ne peut avoir de principe, puisqu' alors il aurait une limite qui le rendrait fini ; donc il est bien principe, et il ne peut être que cela. De plus, étant un principe, il faut que l'infini soit incréé et impérissable ; car tout ce qui a été créé doit avoir une fin, et il y a un terme à tout ce qui dépérit. Or, l'infini ne peut avoir de terme sous quelque rapport que ce soit ; il n'y a donc pas de principe pour lui, et c'est lui au contraire qui est le principe de tout le reste, a II embrasse tout ; il gouverne tout, » comme le disent ceux qui, en dehors de l'infini, ne reconnaissent point d'autres causes que lui, et n'ont point recours à l'intervention de l'Intelligence ou de l'Amour. Ces philosophes ajoutent aussi que l'infini est l'être divin, puisqu'il est immortel

D'ARISTOTK, LIVRE III, OH. V. 97

et indestructible, atn» que le disait ADaximaDdre et avec loi la plupart des Naturalistes*

11 y a cinq arguments principaux à l'aide desqfiels on peut démontrer l'existence de l'infini. C'est d'abord le temps, qui est infini, et qui ne peut avoirde fin, de même qu'il n'a point eu de commencement. En second lieu, c'est la divisibilité des grandeurs qui est sans fin ; et les mathématiques font souvent usage de la notion de l'in- fini. En troisième lieu, la génération et la destruction perpétuelles des êtres, et leur renouvellement indéfectible prouvent bien qu'il y a un infini d'où sort sans cesse tout ce qui se produit ; car, sans lui^ cette succession éter-* nelle viendrait à défaillir. Quatrièmement, tout ce qui est fini est toujours fini relativement à quelque chose qui le limite ; et, nécessairement, il n'y aurait ni limite ni fin, s'il fallait que toujours une chose en limitât une antre ; c'est donc à quelque chose d'infini qu'aboutissent les choses, et c'est l'infini qui est leur limite commune. En* fin, le cinquième et dernier argument est le plus puissant de tous, et c'est celui qui a le plus occupé les philoso- phes : c'est que notre pensée conçoit l'infini , soit pour les nombres, soit pour les grandeurs, soit pour l'espace en dehors des sphères célestes, et que quelque grand que soit un nombre, une grandeur, un espace quelconque, la pensée peut toujours concevoir quelque chose de plus grand. L'espace qui est en dehors du ciel que nous voyons étant infini, il faut bien qu'il y ait un corps infini et des mondes sans fin ; car , pourquoi le vide serait-il

98 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

dans une partie de Funivers, puisqu'il n'est pas dans celle nous sommes? Pourquoi le plein ne serait-il point partout, du moment qu'il est quelque part? Et même en admettant le vide, il n'en faudrait pas moins que cet es- pace vide fût infini; et l'on reviendrait ainsi à admettre l'existence d'un corps infini; car dans les choses éter- nelles, du moment qu'une chose peut être, elle est; et la puissance s'y confond avec l'acte, l'acte s'y confond avec la puissance.

J'avoue que, malgré ce que je viens de dire, la tbéo* rie de l'infini est toujours fort difficile, et que Ton tombe dans une foule d'impossibilités, soit qu'on en admette, soit qu'on en rejette l'existence. D'autre part, l'existence de l'infini étant admise et démontrée, de nouvelles ques- tions se présentent. Comment existe-t»il? Est-ce comoie substance? Ou bien n'est-il qu'un accident de quelque autre substance existant elle-même dans la nature ? Qa bien encore n'existe-t-il ni à l'état de substance, ni à l'état d'attribut? Hais, sans se perdre dans ces recherches épineuses, on peut affirmer que l'infini existe, ne serait-ce que par cette seule considération que le nombre des choses est infini. Et parmi toutes ces questions, celle qui intéresse plus particulièrement le Physicien, c'est de savoir si parmi les choses sensibles, dont l'étude consti- tue la science de la Physique, il est une grandeur qui soit infinie.

VI.

Pour approfondir cette question spéciale, il faut d'abord avoir le soin de bien distinguer les diverses acceptions

D'AMSTOTE, LIVRE III, CH. VI. 99

dn mot Infini. Prenûèrement, on entend par Infini ce qni, (Ku* sa namre, ne pent être parcouru ni mesuré ; de même que, pu* sa nature, la voix est invisible, par ce seol motif qu'elle est faite pour être entendue et non pas vue. fil un second sens moins précis que celui-là, on dit d'ane chose qu'elle est infinie par cela seul qu'elle n'a point, an moment on la considère, le terme qu'elle a ordinairement. Bien que par sa nature eUe ait un terme nécessaire, on dit qu'elle est sans terme ou à peu près sans terme ; et à cet égard on l'appelle infinie, parce que sa fin ne nous est pas immédiatement accessible. Enfin, une chose peut être considérée comme infinie, soit parce qu'elle pent s'accroître sans terme, soit parce qu'elle peut être supposée divi3ée à l'infini, soit même parce qu'elle peut être considérée sous ces deux rapports à la fois«

Ceci posé, nous disons qu'il est impossible que Tinfini soit séparé des choses sensibles, ainsi qu'on l'a quelque* fois prétendu, et que ce quelque chose ainsi isolé de tout soit lui-même infini ; car si l'on soutient que l'infini n'est ni un nombre, ni une grandeur, et qu'il est essentielle* oient une substance, et non point un accident, il s'en suit qne l'infini est indivisible, attendu que le divisible est toQJours nécessairement ou une grandeur, on un nombre, liais s'il est indivisible, il n'est plus infini, si ce n'est indi- rectement, de même qu'dn dit de la voix qu'elle est invi- sible. Essentiellement la voix n'est pas invisible ; elle est^ si l'on peut dire ainsi, inentendable. Mais ce n'est pas sons ce rapport indirect que l'on considère l'infini quand on en admet l'existence, et ce n'est pas aind que nous Tétudions nousHuêmes, puisque pour nous la nature es^ sentielle de l'infini, c'est de ne pouvoir être parcouru et

100 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

épuisé; il est divisible, et ses divisions ne peuvent avoir de terme. D* autre part, si l'infini existe comme simple accident des choses, et non plus comme substance, il n'est pas alors, comme on le disait, l'élément et le principe des choses, pas plus que l'invisible, qui est un accident de la voix, n'est l'élément et le principe du langage, bien que la voix soit invisible. En outre, comment comprendre que l'infini puisse être lui-même séparé des choses quand le nombre et la grandeur, dont l'infini est un attribut, ne sont pas eux-mêmes séparés ? Certes, si le sujet n'est pas séparé, l'attribut l'est bien moins encore; et ce prétendu infini l'est nécessairement bien moins que la grandeur et le nombre.

Mais si l'infini, ainsi compris, ne peut être ni sub- stance, ni principe, il est évident qu'il ne peut pas da- vantage être actuellement, être en acte, dans les choses sensibles; car, s'il était en acte, il serait divisible; et, alors, tonte partie qu'on en séparerait devrait être infinie comme lui. Mais, du moment qu'on fait de l'infini, une substance et non plus un simple attribut, il n'est plus possible de distinguer l'infini et l'essence de l'infini. L'in- fini étant simple en tant que substance, il se confond avec son essence, et il n'y a pas de division possible. Par conséquent, ou l'infini est indivisible, ou selon cette théo- rie il est divisible en d'antres infinis ; mais c'est une impossibilité, et l'infini est nécessairement nn. Une partie de l'air est bien encore de l'air ; mais il ne se peut pas de la même façon qu'il y ait un infini d'infini, et qu'une partie de l'infini soit l'infini. C'est cependant à cette con- clusion qu'on est amené si l'on suppose que l'infini est une substance et un principe. Dira-t-on, au contraire, que

DAKISTOTE, LIVRE, lU, CH. VII. 101

l'îjifioi est indivisible, et non plus divisible? Alors, il est impossible qu'an être réel, un être actuel, soit infini, parce quil faut toujours qu'an tel être soit une quantité déterminée, c'esirà-dire une quantité qui est précisémeot le contraire de l'infini. Que si l'on cesse de soutenir que l'infini soit une substance, et si on le réduit à être un simple attribut, dès lors il cesse d'être un principe ; et par suite, le véritable infini, c'est ce liont l'infini est l'at- tribut, et non plus l'infini lui-même; c'est l'air, par exemple, si l'on prend l'air comme infini ; c'est le nombre pair indéfiniment divisible, si c'est le nombre que l'on considère. En un mot, c'est se tromper étrangement sur l'infini, que d*eo faire avec les Pythagoriciens, une sub- stance, et de le regarder en même temps comme formé de parties diverses.

VU.

Nous savons bien qu'on pourrait étendre encore Tétude que nous faisons ici. et qu'on pourrait considérer l'infini nou'-seulement dans la nature, mais aussi dans les mathé- matiques, dans la pensée, et dans les choses qui, comme elle, n'ont pas de grandeur. Mais loin d'élargir le cercle, nous préférons le borner; et comme la Physique ne doit s'occuper que de choses sensibles, nous nous astreindrons à cette seule question de savoir si, parmi les choses que perçoivent nos sens, il peut y en avoir une dont ]e déve- loppement soit infini. Nous nous servirons d'arguments rationnels et d'arguments physiques, pour prouver qu'il n'y a pas de corps sensible qui soit infini.

Logiquement, il y a contradiction à ce qu'un corps soit

102 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

infini ; car le corps est défini : Ce qui est limité par une surface. Dès lors, la raison ne peut pas plus concevoir un corps infini que les sens ne peuvent le percevoir. Mais le nombre lui-même considéré dans les choses n'est pas in- fini, de même qu'il l'est quand on le considère abstraite- ment. Le nombre dans ce cas n'est que ce qui est numé- rable; et puisqu'on peut toujours nombrer le numérable» il s'ensuivrait qu'on pourrait ainsi parcourir et épuiser l'infini. Voilà pour les arguments rationnels.

Physiquement, les arguments ne sont pas moins forts, et ils prouvent que ce prétendu corps infini ne peut être ni composé ni simple, en d'autres termes qu'il ne peut exister. Ainsi le corps infini ne peut pas être composé, si Ton suppose que les éléments naturels sont en nombre fini, comme ils le sont en eifet; car nécessairement les éléments contraires qui le forment doivent être plus d'un, et comme il faut qu'ils se fassent contre-poids pour que le composé se conserve, il est bien impossible que l'un d'eux soit infini, attendu que par cela seul qu'il serait infini, il détruirait toujours tous les autres. Supposons que la puis- sance qui est dans un des deux éléments composants, soit inférieure à celle de l'autre, et que, par exemple, le feu et l'air composant l'infini, le feu soit fini, tandis que l'air serait infini. On croit que le feu suflisamment multi- plié, mus d'ailleurs toujours fini, pourra faire équilibrée l'air; je dis qu'il n'en est rien, et que l'air étant infini l'emportera sur une quantité quelconque finie de feu; l'in- fini annulera toujours le fini quel qu'il soit. Si l'on dit que ce n'est pas un des éléments du corps infini qui est infini, mais que tous ses éléments sont également infinis, ce n'est pas plus possible; car le corps est ce qui a des

D ARISTOTE, LIVRE 111, CH. VU. 103

dimeaBk»i8 finies en tous sens, longueur, largeur, pro- feodear; mais Tinfini a des dimensions infinies, et alors il suflira qu'un seul des éléments soit infini pour remplir l'univers. Par conséquent, ce corps infini aura des dimen- âons infinies en tous sens, ce qui est contradictoire à la notion même de corps.

Mus si le corps infini ne peut pas être composé, il n'est pas possible davantage qu'il soit un et simple, même en le prenant pour quelque chose en dehors des éléments ordinaires qui en sortent et en naissent, comme le veulent quelques philosophes ; ou pour mieux dire, il est impos- able qn'il ezisto. U y a des philosophes, en effet, qui conçoivent l'infini de cetto façon, sans oser le placer ni dans l'air ni dans le feu, de peur de détruire les autres élé- ments par celui d'entr'eux qu'on ferait infini. Les éléments naturels ont les uns à l'égard des autres une opposition qui en fait des contraires. Ainsi, l'air est froid ; Teau est humide; l'air est chaud; et si l'un de ces éléments était infini, il annulerait à l'instant tous les autres. Aussi les philosophes dont nous parlons, font*ils du principe d'où viennent les éléments selon leur système, quelque chose de distinct des éléments. Mais il est impossible qu'il y ait un tel corps en dehors des éléments naturels, non pas seulement en tant qu'infini ; car on pourrait dire de lui qu'il détruirait les autres comme on le dirait tout aussi bien de l'air, de l'eau, ou de tout auti*e élément ; mais aussi, parce qu'il ne peut pas exister un corps sensible de ce genre en dehors de ce qu'on appelle les éléments. Tout en effet se résout en définitive dans l'élément primordial d'où il vient; il faudrait donc un élément différent de l'air, du feu, de la terre et de l'eau, et l'observation peut

lOA PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

nous convaincre qu'il n'y en a pas, puisque l'eau, la terre, le feu et l'air, ne se résolvent pas dans cet éléosent unique d'où on les fait sortir.

On vient de montrer qu'il ne peut pas y avoir un élé- ment infini en dehors des quatre éléments; il ne se peut pas davantage que ce smt un de ces éléments qui soit in- fini; car pour que l'univers, même en le supposant limité, devienne un élément unique comme le prétend Heraclite, qui croit que tout a été jadis du feu, il faut qu'un des quatre éléments devienne infini. On pourrait en dire au- tant de ce principe unique que supposent nos philo- sophes en dehors des éléments, et il faudrait que les éléments se fussent convertis en cet unique principe; mais alors il n'y aurait plus de changement dans l'uni- vers ; car pour que le changement ait lieu, il faut qu'il se fasse du contraire au contraire, et, par exemple, du chaud au froid.

Ce que je viens de dire peut nous servu*, d'une manière générale, à savoir s'il est possible qu'il y ait un corps sensible infini. Et d'abord, voici des raisons qui semblent prouver qu'il est impossible qu'un tel corps existe. D'a- près les lois les plus évidentes de la nature, tout corps est dans un lieu ; chaque espèce de corps a un lieu qui lui est propre, et la partie est toujours dans le même lieu que le tout. Ainsi, une motte de terre a le même lieu que la masse totale de la terre, c'est-à-dire qu'elle se dirige en bas ; une étincelle a le même lieu que la masse entière du feu, c'est-à-dire qu'elle se dirige en haut. De ces prin- cipes, je tire cette conséquence que, la partie du corps sensible infini étant homogène au tout, ou elle sera éter- jiellement immobile, ou elle sera toujours en mouvement.

D'ARISTOTE, LIVBE III. CH. VIL 105

liais je prouve que ces deux hypothèses sont égdement

ioadmisibles. En effet, ppurqooi le mouvement de la partie

iraitr-il en bas plutôt qu'en haut ou dans tout autre sens,

puisque le corps sensible infini dont eUe est la partie, est

nécessairement partout? Je reprends Texemple de la

motte de terre, et en supposant que la terre, dont elle est

une partie soit ce corps sensible infini, je demande : Dans

quel lieu pourra se porter cette motte de terre, si elle est

en mouvement? Dans quel lieu aura<-t-elle son repos? Car,

encore une fois, le lieu du corps sensible infini auquel elle

est supposée homogène est infini ; et il ne reste plus de

lieu pour la partie. Dira-t-on par hasard que cette motte

de terre remplira tout l'espace, comme la terre elle-même

est supposée le remplir? Mais coomient serait-ce pos-

ûble ? Gomment aurait-elle alors mouvement ou repos ?

Dans quel lieu seront-ils l'un et l'autre? Si elle est par*

tout en repos, alors elle n'aura jamais de mouvement; et

si son mouvement est partout, alors elle ne sera jamais

en repos; ce qui est également contraire aux phénomènes

que nous pouvons observer.

Si au lieu de supposer la partie homogène au tout, on la suppose dissemblable, la partie ne ressemblant plus an tout, il s'en suit qu'elle aura un lieu autre que lui. Mais la partie étant d'une autre espèce que le tout, l'unité du tout, qui est le corps sensible infini, disparait; ou plu- tôt, il n'y a plus d'unité que celle qui résulte de la conti- guïté des parties. Ajoutez que les espèces des parties du tout seront aussi ou en nombre fini ou en nombre infini ; mais l'une et l'autre hypothèse est également insoute- nable. D'abord il n'est pas possible que les parties soient finies; car le tout étant infini, il y aura des parties infinies

106 4>ÂRAPHRASE DE LA PHYSIQUE

à cdté des parties Cnies, le feu ou Teau, par exemple ; et alors les contraires détruiront les contraires, comme je l'ai dit un peu plus haut. Voilà pourquoi, je le remarque en passant, pas un des philosophes qui ont traité de la nature n'ont admis que l'un ou l'infini pût être le feu ou la terre, dont les lieux sans doute sont trop spécialement déterminés ; mais ils ont choisi pour en faire l'infini, l'air ou l'eau, ou même cet autre élément qui est intermédiaire entre ceux-là et dont on a parfois admis l'existence hypothétique. Le lieu de la terre et celui du feu étaient de toute évidence, puisque l'une se dirige en bas et l'autre en haut ; mais les lieux des autres éléments sont moins certains. Mais je laisse cette discussion, et je poursuis.

Je viens de prouver que les parties du corps sensible infini ne pouvaient être finies ; elles ne peuvent pas davan- tage être infinies, et simples ; car alors les lieux de ces parties seraient infinis comme eUes, et les éléments seraient également en nombre infini ; ce qui est manifestement faux. Mais les lieux sont eux-mêmes en nombre fini, ainsi que les éléments ; et le tout , c'est-à-dire le corps sensible qu'on prétendait infini , sera fini comme eux. En efiet, il est impossible que le lieu et le corps qui occupe ce lieu ne soient pas égaux et conformes l'un à Tautre. Ainsi le lieu ne peut pas être plus grand que le corps infini, ni le corps infini plus grand que le lien; car si le lieu était plus grand, c'est que le corps cesserait d'être infini, et il y aurait du vide ; ce qui est contre l'hypothèse; ou bien si le corps était plus grand, il y aurait alors .un corps qui n'aurait pas de lieu et ne serait nulle part ; ce qui n'est pas moins impossible.

Anaxagore se trompe étrangement quand il pi-étend que

D'ARISTOTE, LIVRE lU, CH. VU. 107

rinfinî est imraobilef parce qu'il se soutient ltti-m6me et qu'il existe en lui seul, rien ne pouvant le contenir. On croirait, à l'entendre, qu'il suffit qu'une chose soit dans on lieu quiconque pour que ce soit absolument sa nature d'y 6tre; mais cette conséquence n'est pas juste; car une chose peut être par force dans un certain lieu, toutes les fois qu'elle n'est pas sa nature voudrait qu'elle fût. Si donc c'est surtout de l'univers, c'est-à-dire de l'en* semble des choses, qu'on doit affirmer qu'il est im- mobile, puisque de toute nécessité ce qui ne s'appuie que sur soi et n'existe que par soi ne peut avoir de mouve-^ ment, il aurait fallu nous apprendre pourquoi il n'est pas dans sa nature de se mouvoir. On se débarrasse aisément de cette difficulté en disant qu'il en est ainsi ; mais, une telle exfdication n'est pas suffisante ; car un corps quel- conque peut tout aussi bien que le corps infini n'être pas en mouvement, bien que la mobilité soit parfaitement dans sa nature. Ainsi, la terre n'a pas de mouvement dans l'espace ; et, la supposât-on infinie, elle ne quitterait pas pour cela le centre et le milieu du monde ; et elle resterait toujours au centre, non pas seulement parce qu'étant in- finie il n'y aurait pas de lieu od elle pût se porter^ mais surtout parce qu'il est essentiellement dans sa nature de demeurer au centre et de ne point aller ailleurs. Cependant, on pourrait dire de la terre, tout aussi bien qu'on le dit de l'infini, qu'elle s'appuie et se soutient elle-même. Si donc ce n'est pas en tant qu'elle serait infinie que la terre resterait au centre, et si elle y reste à cause de sa pesan- teur, attendu que tout ce qui est pesant reste au centre, on peut dire que l'infini existe en lui-même par quelque cause difiérente de celle qu'on indique, et que ce n'est

108 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

pas du tout par cela seul qu'il est infini qu'il se soutient lui-même.

Une autre conséquence non moins vaine de ces théories, c'est qu'une partie quelconque de l'infini devrait être eu repos tout comme lui. L'infini se soutenant lui-même, dit- on, se repose en soi ; donc une partie quelconque de l'in- fini sera également en repos sur elle-même ; car les lieux sont pareils et pour le tout et pour la partie. est le tout, est aussi la partie ; et, par exemple, le lieu de la masse terrestre tout entière étant en bas, le lieu d'une simple motte de terre y sera de même. Le lieu d'une étin- celle est en haut, comme y est le lieu de la masse totale du feu. Par conséquent, si le lieu de l'infini est d'être en soi, le lieu de la partie de l'infini sera tout pareil, et elle aura également son repos en elle-même.

Mais je reviens à mon sujet, et je dis qu'il est impos- sible de soutenir qu'il y a un corps sensible infini, sans détruire cet autre principe incontestable que les corps ont un lieu qui leur est propre selon leur nature. En effet, tout corps sensible est ou pesant ou léger. S'il est pesant, sa tendance naturelle le dirige au centre; s'il est léger, elle le porte en haut. L'infini, en supposant que ce soit un corps sensible, est nécessairement soumis à cette con- dition, qui est commune à tous les corps. Or, il est évi- demment impossible, et que l'infini dans sa totalité ait l'une ou l'autre de ces propriétés, c'est-à-dire qu'il soit ou tout entier pesant ou tout entier léger, et qu'il ait une de ces propriétés dans une de ses moitiés, et l'autre dans l'autre moitié. En effet, comment diviser l'infini? Com- ment une partie de l'infini serait-elle en bas? et comment une autre partie sera-t-elle en haut ? En d'autres termes,

D'ARISTOTE, LIVRE III, CH. VIL 109

comment une des parties de l'infini serait-elle aux extré- mités, tandis que l'autre partie sendt an centre?

A ces preuves qai démontrent qn'il ne peut pas y avoir de corps sensiMe infini, ajoutez encore oelle-cL Tout corps perceptible à nos sens est dans un lieu, et leà dilE^ rences spécifiques du lieu sont le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche. Ces distinctions ne sont pas seulement relatives à nous et à la position réci- proque des choses; elles se retrouvent également dans Fqnivers, et elles reposent sur les lois naturelles qui le régissent. Or, il est de toute impossibilité que ces distinc^ tioDS se retrouvent dans le corps sensible infini qu'on suppose; car, le lieu de ce corps ne pouvant pas être in- fini, et tout corps devant être dans nn lieu, il s'ensuit que ce corps n'existe pas. Enfin, si ce qui est dans un lieu spécial et déterminé est d'une manière générale dans un lien, et si réciproquement ce qui est dans un lieu est né- ceesairement quelque part, c'est-à-dire en un certain lieu spécial, il s'ensuit que le corps sensible infini, tel qu'on le suppose, ne ponrra être nulle part; car il ne peut pas avoir, comme il le faudrait pourtant, une certaine quan- tité finie, de deux coudées, par exemple, de trois coudées on de telle autre étendue, puisqu'il est supposé infini ; et il ne peut être par conséquent dans aucune des six posi- tions indiquées tout à l'heure, le haut et le bas, l'avant et l'arrière, la droite et la gauche ; car chacune de ces posi* û<ms est évidemment une limite, et l'infini ne peut en avoir.

Donc^ en résumé, il n'y a pas de corps infini percep- tible à nos sens; il n'y a pas de corps sensible infini.

110 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

VIII.

Il ne faudrait pas cependant que cea difficultés signalées par nous fissent croire que Tinfini n'existe pas ; car si l'on niait son existence, on ne soulèverait pas moins d'impoesi-' bilités. Par exemple, il faudrait alors soutenir que le temps a eu un commencement et une fin, que les grandeurs ne sont pas divisibles à l'infini en grandeurs, et que le nombre n'est, pas plus infini que les grandeurs et le temps. Mais ceci nous met dans un singulier embarras, et comme il semble résulter des considérations précé- dentes, que, tout à la fois, l'infini est et n'est pas, il ne nous reste qu'à dire qu'en elTet, en un sens, l'infini n'existe point, et, qu'en un autre sens, il existe. Être, ainsi que nous l'avons dit, signifie tantôt être en puis- sance, et tantôt être en acte. De plus l'infini peut tout & la fois se former par addition ou par retranchement. Un nombre est infini, parce qu'on peut toujours ajouter à un nombre quelque grand qu'il soit ; la grandeur est infinie;, parce qu'on peut toujours la diviser à l'infini, au pioins par la pensée. Nous venons de démontrer qu'il ne peut pas y avoir de grandeur actuelle et réelle qui soit infinie ; mais sous le rapport de la divisibilité, elle peut l'être ; car il n'y a pas de lignes insécables au sens on l'a cru ; et je dis que si l'infini ne peut être en acte, il existe cer- tainement en puissance. Mais ici il faut faire encore une distinction essentielle. Quand je dis que l'infini est en puissance, ce n'est pas du tout comme je dis que tdlle matière étant en puissance une statue, elle deviendra une statue effectivement. Il n'y a pas d'infini qui puisse se réaliser actuellement, comme la statue qui est dans

D'ARISTOTE, LIVRE III, CH. VIII. 111

Taindn se réalise sous la main de l'artiste. Mais grflce aox diverses acceptions du mot Être, il faut comprendre que rinfini est comme est le jour que l'on compte, ou la période des Jeux Olympiques, l'olympiade. Le jour, l'olympiade n'est jamais, à proprement parler; elle devient sans cesse, par la succession toujours différente du temps qui s'écoule ; car pour ces dates des Jeux solen- nels où la Grèce se rassemble, on peut distinguer l'acte et la puissance, puisque l'on compte les Olympiades aussi bien par les jeux qui peuvent être célébrés, que par ceux qu'on célèbre actuellement et réellement au moment l'on parle.

Mais évidemment l'infini n'est pas la même chose, si on le considère dans le temps et la succession perpétuelle des générations, par exemple, des générations humaines, que si on le considère dans la divisibilité des grandeurs. D'une manière générale, Tinfini existe par cela seul qu'à une quantité donnée on peut toujours et sans fin ajouter une quantité quelconque. La quantité ajoutée est finie sans doute; mais on peut l'ajouter sans cesse, et elle est toujours et toujours différente. L'infini n'est donc pas à considérer comme quelque chose de précis et de spécial, tel que serait, par exemple, un homme, une maison; mais il est comme le jour ou l'Olympiade dont je parlas tout à l'heure. Ce ne sont pas des choses précises et dé- terminées coumie des substances ; ce sont des choses qui en sont sans cesse à devenir et qui périssent sans cesse. Elles sont limitées et finies sans doute ; mais elles sont toujours autres et toujours autres. Seulement dans la comparaison que nous faisions plus haut, il y a cette dif- férence que, pour l'infini considéré dans les grandeurs, la

112 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

grandeur â*où l'on part pour y ajouter sans cesse ^ est et demeure substantiellement ce qu'elle est, tandis que pour les générations successives et pour le temps, les générations et le temps s'éteignent et périssent sans cesse, et que l'infmi ne résulte que de la succession qui n'a jamais ni interruption ni lacune.

Quant à l'infini qui se forme dans les nombres par addition continuelle, il ressemble beaucoup à l'infini qu'on obtient par la division indéfinie des grandeurs con- tinues; seulement l'infini se produit, dans les nombres auxquels on peut ajouter sans cesse, à l'inverse de ce qu'il

est dans une quantité finie. En tant que cette quantité déterminée est indéfiniment divisible, il semble qu'on ajoute sans cesse au nombre des divisions. Ainsi le nombre en s' accroissant, et la quantité finie, en dimi- nuant toujours, présentent à peu près le même phéno- mène. Mais quand je parle de divisions infinies dans une quantité finie, il faut bien comprendre que sur cette quan- tité finie on divise toujours par la même proportion, et que, par exemple, on prend sans cesse la moitié de ce qui reste et non pas la moitié de la quantité primitive; car en divisant ainsi par un diviseur proportionnel quoique im- muable, on n'épuise pas le fini, tandis qu'on l'aurait bien- tôt épuisé de l'autre manière, quel que fût le diviseur, si proportionnellement la quantité réellement retranchée ne variait pas à chaque division. La quantité finie aurait beau être grande; il n'en resterait rien au bout de quelques divisions, si la quotité de plus en plus petite du retran- chement n'était pas en rapport avec le nombre même des divisions qui se succèdent. La proportion reste constante pendant que la quantité varie.

DARISTOTE, LIVRE III, CH. VIII. 11 S

L'iofini n'existe pas si on veut le comprendre autre- ment que je ne viens de le faire ; mais il existe de la ma- nière que je viens de dire. En d'autres termes, il est en puissance comme dans la division que je citais tout à l'heure ; mais il n'est en acte que comme y est la journée , comme y est l'Olympiade, dont je parlais un peu plus haut. Il est en puissance absolument, comme la matière qui peut recevoir toutes les formes; et il n'est jamais en soi, comme y est le fini. S'il s's^t d'addition sans cesse répétée, comme dans le nombre, l'infini dans ce cas est aussi en puissance, à peu près comme il est dans la divi- sibilité indéfinie; car, dans l'un et l'autre cas, l'infini existe par cela seul qu'on peut toujours en prendre une quantité nouvelfe en dehors de ce qu'on a, soit qu'on ajoute par la pensée au nombre donné, quelque grand qu'il puisse être, soit qu'on pousse la division au-dessous de la dernière division qu'on a faite, sans jamais s'arrêter. Cependant, l'infini qu'on observe dans l'addition qui se répète sans cesse, ne peut arriver jamais à reproduire la première quantité donnée; il en approche tant qu'on veut sans y être jamais égal, de même que dans la division, l'infini consiste en ce qu'on peut toujours supposer une division plus petite que toute division antérieure. Ainsi, on ne réalise jamais l'infini par les additions successives que l'on fait, et l'on ne peut pas même supposer que Tin- fioi puisse jamais égaler la quantité donnée vers laquelle il s'avance sans cesse ; car on ne peut pas admettre que l'iofini en acte soit un simple accident ou attribut d'une autre substance, comme l'admettent les Physiciens qui font infini l'air ou tel autre élément qu'ils placent en de- hors du monde. C'est alors cet élément qui est infini, et

8

lli PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

rinfini lui-même n'en est plus que rattribat, cessant ainsi d'avoir par lui-même une existence réelle. Mais si, comme nous l'avons démontré^ il n'est pas possible qu'il y ait on acte, un corps sensible infini de ce genre, il n'est pas moins impossible que l'infini puisse se former par addi- tion autrement que je ue viens de le montrer, à l'inverse de la division et réciproquement à elle. *

Ces deux infinis, l'un par addition, l'autre par retran- chement, sont sans doute les deux infinis qu'a reconnus Platon ; car tous deux semblent évidemment se produire, quoiqu'en suivant une marche opposée. Mais une chose assez singulière, c'est qu'après avoir constaté l'existence de ces deux infinis, Platon n'en fait aucun usage; ainsi, dans les nombres, il ne peut pas y avoir pour lui d'infini, par retranchement et division, puisqu'il fait de l'unité le plus petit nombre possible, et il n'y a pas davantage d*in- fini par addition, puisqu'il ne veut pas pousser le nombre au-delà de la décade.

IX.

On voit donc que l'infini est tout le contraire de ce que croient nos philosophes. L'infini n'est pas du tout, comme ils le disent, ce en dehors de quoi il n'y a rien ; loin de là; c'est ce qui a perpétuellement quelque chose en dehors, et au-delà de ce qu'on peut imaginer. Ils auraient pu s'apercevoir de leur erreur, puisque pour faire con- cevoir l'infini, ils ont recours eux-mêmes à l'exemple des bagues sans chaton, l'on peut toujours, en effet, prendre un point en dehors de celui auquel on s'arrête. Mais, ce n'est qu'une similitude assez imparfaite, et ce

DARISTOTE, LIVRE III, CH. IX. 115

n'est pas uue représentation vraie, et une expression exacte. U faut bien, pour Tinfini, cette première condi- tion, à savoir qu'on puisse toujours y prendre quelque chose en dehors de ce qu'on a ; mais il faut, en outre, que ce ne soit jamais la même quantité qu'on ait déjà prise. Or, il n'y a rien de pareil dans le cercle ; et, dans un an- neau sans chaton, le point qu'on prend après un autre point, n'est pas précisément nouveau ; il vient seulement à la suite de celui qui le précède. Donc, il faut définir l'infini, comme nous le faisons : Ce qui peut toujours, en dehors de la quantité qu'on a, fournir quelque chose qui soit réellement une quantité nouvelle. Ce en dehors de quoi il n'y a rien, ce n'est pas l'infini ; c'est au contraire le parfait, le tout, le complet, l'entier ; car, on doit en- tendre par quelque chose d'entier et de complet, ce à quoi il ne manque rien, en fait de parties. Par exemple, an homme est complet ; un cofiTre est complet et entier, s'il ne manque d'aucune des parties qui doivent essentiel- lement le composer. La définition qu'on donnerait ici de l'homme ou du coffre complet, c'est-à-dire de tout objet particulier regardé comme complet, s'applique aussi bien au terme général et absolu, et l'on doit dire que le tout, l'entier, le parfait, est ce en dehors de quoi il n'y a plus rien. Hais ce en dehors de quoi il reste toujours quelque chose qui lui manque, n'est plus complet, quelle que soit la chose qui lui manque. L'entier et le parfait sont des termes identiques, ou du moins, dont la signification est très-voisine ; or, le parfait a nécessairement une fin ; et toute fin est une limite. Par conséquent, l'infini est le con- traire du parfait et de l'entier. Aussi, doit-on trouver à ce point de vue que Parménide était plus dans le vrai que

H6 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Mélissns ; car> ce dernier disait que l'infini est l'entier, est le tout, tandis que le premier prétendait, au contraire, que l'entier est toujours limité et fini :

< De tous côtés égal^ à partir do milieu. »

et comme le dit le proverbe populaire, ce n*est pas préci- sément joindre un bout de fil à un bout de fil, que de con- fondre r infini avec le tout et l'entier.

X.

Je conçois, d'ailleurs, et j'excuse l'emphase avec la- quelle on parle de l'infini, quand on dit « qu'il renferme c( toutes choses et qu'il embrasse tout l'univers en soi. » C'est qu'en effet l'infini ne laisse pas que d'avoir quelque ressemblance avec un tout, avec un entier. Ainsi, l'infini est la matière de la perfection ou de la forme achevée, que peut recevoir la grandeur. Il est le tout et l'entier en puis- sance; il ne l'est point en acte. Il est divisible, soit par le retranchement» soit par l'addition prise en sens inverse, ainsi que je l'ai expliqué plus haut. Il devient entier si l'on veut, et fini, non pas en soi, mais par l'intermédiaire d'un autre terme. A vrai dire, il ne contient pas ; il est contenu, au contraire, en tant qu'infini ; et ce qui fait qu'il est impossible de le connaître dans sa nature essentielle, c'est que la matière par elle-même n'a pas de forme, et qu'elle ne peut être connue qu'autant qu'elle en a. Par conséquent, loin quel'infini doive être considéré comme un tout, il faudrait bien plutôt 1% prendre pour une partie; car la matière, avec laquelle on peut le confondre, est une

DARISTOTE, LIVRE 111, CH. XL 117

partie du tout qui revêt uae forme ; et c'est ainsi que l'ai* raia est une partie de la statue dont il est la matière. Mais si, dans les choses sensibles et intelligibles, on admet que le grand et le petit, c'est^à--dire les deux infinis, ren- dent raison de tout, il faut admettre aussi qu'ils embras- sent également les purs intelligibles ; alors, il semble que c'est se tromper lourdement que de demander à l'inconnu età l'indéterminé la connaissance et la détermination des choses, que, cependant, les intelligibles doivent donner ^.l'esprit.

XL

On comprend aisément que l'infini qui se forme par addition, ne peut jamais arriver à égaler la grandeur initiale dont il approche sans cesse, et qui est sa limite, tandis qu'au contraire l'infini, qui se forme par la division, est réellement infini, puisque la divisibilité n'a point de terme. L'infini est contenu, comme la matière elle-même, dans l'intérieur de l'être, et c'est la forme qui est le con- tenant de l'un et de l'autre. La raison peut concevoir éga- lement que pour le nombre, il y a une limite dans le sens de l'extrême petitesse, et qu'il n'y en a pas dans le sens de l'accroissement, puisqu'un nombre, quelque grand qu'il soit, étant donné, on peut toujours en imaginer un plus grand encore. Pour les grandeurs, c'est tout le con- traire ; car on peut toujours, dans la série décroissante, imaginer une grandeur toujours plus petite que toute grandeur donnée, tandis que, dans Je sens de l'accrois- sement, il y a toujours une limite infranchissable, et il n'est pas possible qu'il y ait une grandeur infinie. Cette

H8 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

différence, entre les* nombres et les grandeurs, tient à ce que Tunité est Indivisible, quelle que soit d'ailleurs cette unité. L'homme, par exemple, n'est jamais qu'un homme, et il est bien impossible de le diviser en plusieurs hommes, tandis que le nombre est toujours plus que l'unité, et qu'il est un ensemble de quantités quelconques réunies. Il faut donc s'arrêtera l'individu, et la division ne peut pas être poussée plus loin, tandis que les nombres, deux, trois, etc., ne sont que des paronymes de l'unité, qui ti- rent d'elle la dénomination qui les fait ce qu'ils sont, deyx signifiant deux unités; trois, trois unités; et ainsi de suite pour tous les autres nombres. Mais dans le sens de l'augmentation numérique, il est toujours possible de penser un nombre de plus en plus grand, parce que les divisions de la grandeur par deux sont indéfini- ment possibles, et que leur nombre s'accroît sans cesse. L'infini y est donc toujours en puissance, bien qu'il n'y soit jamais eu acte ; la quantité nouvelle qu'on ajoute est toujours finie, bien qu elle puisse dépasser sans cesse toute quantité déterminée. D'aille\irs, ce nombre n'est pas abstrait et séparé des divisions de la grandeur, qu'on peut sans cesse diviser par deux. L'infinitude, loin de s'arrêter comme achevée et finie, se forme et devient sans cesse, ainsi que le temps se forme et devient sans cesse aussi, comme le nombre et la mesure du temps, qui est le mouvement. C'est tout l'opposé pour les grandeurs; le continu y est bien divisible à l'infini, dans le sens de la petitesse; mais il n'y a pas d'infini dans le sens de l'ac- croissement; et l'infini, dans ce cas, n'est en acte que précisément autant qu'il est en puissance, c'est-à-dire qu'il reste perpétuellement en puissance. Donc, puis-

D'ARISTOTE, LIVRE III, CH. XL H9

qii'aucane grandeur sensible n'est infinie, il faut en con- clure qu'il est impossible que toute grandeur déterminée soit sans cesse dépassée : car, dès lors, il pourrait y avoir qoelque chose de pins grand que le ciel ; ce qui est abso- lument impossible.

L'infini du reste n'est pas absolument identique pour la grandeur, pour le mouvement et pour le temps. A ces égards, ce n'est pas une seule et même nature ; et de ces trois infinis, le suivant ne se comprend que par celui qai le précède. Ainsi, le mouvement ne se comprend qu'à la condition préalable d'une grandeur dans laquelle il y a un mouvement quelconque de translation, d'altération, on de croissance ; le temps à son tour ne se comprend qne par le mouvement qu'il mesure. Pour le moment, nous nous bornerons à indiquer ces idées; plus tard (Livre VI), nous reviendrons sur ces questions, et nous explique- rons comment toute grandeur est toujours divisible en d'antres grandeurs. Tout ce qne nous voulons dire ici, c'est que notre définition de l'infini ne porte aucune atteinte aux spéculations des mathématiciens, en niant qne, sous le rapport de l'accroissement, l'infini puisse ja- m^ds être en acte et être tout à fait réalisable. A leur point de vue, les mathématiciens n'ont pas besoin direc- tement de l'infini, et il ne leur est pas indispensable, puisqu'ils peuvent toujours supposer la ligne finie aussi grande qu'ils le veulent. Réciproquement, la grandeur la pins grande étant donnée, ils peuvent toujours y appli- quer une division proportionnelle, qui n'a pas de fin quel- que petite que devienne la grandeur successivement divi- sée. Ainsi les mathématiciens peuvent se passer de l'infini réel dans leurs démonstrations; et en fait, l'infini ne se

120 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

trouve que dans les grandeurs actuelles, au sens je viens de le dire.

Ce qui rapproche encore Tinfini de la matière, c'est que parmi les quatre espèces de causes admises par nous, l'infini ne peut être que cause matérielle; car l'être de l'infini est la privation, comme celui de la matière; et il n'y a que le continu et le sensible qui est et subsiste en soi. Nous pouvons d'autant mieux insister sur ce point que tous les philosophes ont, ainsi que nous, considéré l'infini comme matière; mais nous nous séparons com- plètement d'eux, c'est qu'ils ont fait de l'infini le conte-- nant au lieu d'en faire le contenu; et selon nous, c'est une grave erreur.

XII.

Après tout ce qui précède sur l'infini, il ne nous reste plus qu'à examiner les arguments par lesquels on essaie de démontrer que l'infini n'est pas seulement en puis- sance, ainsi que nous venons de l'exposer, mais aussi qu'il est quelque chose de déterminé. Parmi ces argu- ments, les uns n'entraînent pas de conclusions nécessaires, et ne valent guère qu'on s'en occupe; les autres peuvent être réfutés par des raisons décisives. Ainsi, je dis qu'il ne faut pas que l'infini soit en acte un corps perceptible à nos sens, pour que la génération des choses puisse ne jamais défaillir; car il se peut fort bien que tout étant limité et fini, la destruction d'une chose soit la généra- tion d'une autre, et réciproquement. Le cercle de la gé- nération est alors infini et indéfectible. Voilà la réponse à un des arguments dont il a été question plus haut (Voir

DARISTOTE, LIVRE III, CH. XII. 121

plus haut, V). Quanta celai qui prétend qu'une chose doit toujours en toucher une autre et qu'on arrive ûnsi à réaliser l'infini, nous répondons en distinguant le contact et la limitation, qu'il ne faut pas du tout confondre. Le contact est toujours une chose relative et dépendante, puisque tout corps qui touche doit nécessairement tou- cher quelque chose qui le touche à son tour ; et le contact est l'attribut d'une chose limitée et finie. La limitation, au contraire, n'a rien de relatif; et une chose quelconque ne peut pas au hasard toucher la première chose venue. Il peut donc y avoir quelque chose qui ne touche plus rien. Enfin l'argument tiré de la pensée, dans laquelle ou croit trouver l'infini, n'est pas plus péremptoire; car on peut bien par la pensée s'imaginer que quelqu'un est mille fois pins grand qu il n'est ; mais en réalité il reste ce qu'il était; l'accroissement successif ou la réduction successive ne passent pas le moins du monde dans l'objet lui-même; et il ne suffit pas de supposer que quelqu'un est hors de la ville pour qu'il y soit effectivement, ni qu'il est aussi grand que nous, pour qne sa taille devienne égale à la nôtre. La chose reste ce qu'elle est, et la supposition arbitraire qne l'on fait ne change rien à la réalité. Quant au temps et an mouvement, ils ne sont infinis, ainsi que la pensée, qu'en ce sens que rien n'y subsiste réellement et n'y demeure, mais qu'il n'y a qu'une succession sans terme possible. Enfin dans le retranchement ou dans l'ad- dition que la pensée peut toujours faire, il ne se forme jamais une grandeur qui soit actuellement infinie.

Nous ne poussons pas plus loin cette théorie de l'in- fini ; et par les explications que nous venons de donner, on doit voir comment on peut dire que l'infini est et n'est

122 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE.

pas, et l'on doit comprendre ce qu'il est au point de vue nous nous sommes placés.

LIVRE IV.

DE l'espace, do vide ET DD TEMPS.

I.

Après l'étude de l'infini, le Physicien doit passer à celle de l'espace ; et il doit rechercher également si l'espace existe ou n'existe pas, et déterminer comment il existe et ce qu'il est, une fois son existence démontrée. Ainsi tout le monde admet que ce qui existe est nécessairement dans un certain lieu, dans un certain espace, et que ce qui n'existe pas n'est nulle part ; car sont, je le demande, le bouc-cerf, le sphinx, ou tels autres êtres purement fantastiques? Ajoutez que, parmi tous les mouvements, le plus commun de tous et celui qui parait surtout mé- riter ce nom, c'est le mouvement dans l'espace, que nous appelons aussi la translation. Mais si l'existence de l'es- pace parait prouvée, il n'y en a pas moins de grandes difficultés à savoir ce qu'il est, comme il y en avait pour Vinfini, et ces difficultés tiennent à ce que l'espace ne se présente pas toujours de la même façon, selon les aspects divers sous lesquels on le considère. D'ailleurs, les autres

DARISTOTE, LIVRE IV, CH. IL 128

philosophes D*ont rien dit sur l'espace^ ou bien les expli- cations qu'ils ont données sont peu satisfaisantes.

II.

Une preuve manifeste de l'existence de l'espace, c'est la succession des corps qui se remplacent mutuellement dans un seul et même lieu. Soit, par exemple, un vase il y a de l'eau maintenant ; faites-en sortir l'eau ; c^est de l'air qui vient occuper sa place, c'est4-dire qu'un nou- veau corps vient prendre la place qui est abandonnée par l'autre. Il existe donc un espace, un lieu qui se distingue de toutes les choses qui sont en lui, et qui y changent, puisque l'air se trouve actuellement auparavant il se trouvait de l'eau. Donc l'espace, le lieu qui est le ré- ceptacle successif de l'eau et de l'air est différent de ces deux corps, qui tour à tour y sont entrés et en sont sortis. A cette premiëi'e preuve, on peut en ajouter une seconde : ce sont les déplacements naturels des corps simples, des éléments, le feu, la terre et les autres. Ces déplacements montrent bien que l'espace existe ; mais ils démontrent, en outre, qu'il a certaines propriétëà. Ainsi, chacun de ces éléments est porté, quand rien n'y fait obstacle, dans le lieu qui lui est propre ; celui-ci va en haut ; celui-là se dirige en bas. Or, le haut et le bas et les autres direc- tions, au nombre de six en tout, sont des parties et des espèces du lieu et de l'espace* Mais ces directions ne sont pas uniquement relatives à nous comme on pourrait le croire, la droite et la gauche, le haut et le bas, etc. ; car, pour nous, elles ne sont pas constantes, et elles se diver- sifient suivant la position que nous prenons, une même

124 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

chose pouvant être, lorsque nous nous tournons nous* mêmes, à droite après avoir été à gauche, au-dessus après avoir été au-dessous, en avant après avoir été en arrière. Dans la nature, au contraire, toutes ces directions ont un sens déterminé et qui ne varie pas. Le haut n'est pas un lieu quelconque; c'est le lieu précis se dirige le feu, et, en général, tous les corps légers. Le bas n'est pas da* vantage un lieu arbitraire; et c'est celui se dirigent tous les corps qui ont de la pesanteur et qui sont composés de terre. Par conséquent, ces éléments ne diffèrent pas seulement entr'eux par leur situation ; ils diffèrent encore par leurs propriétés et leur puis- sance.

Les mathématiques, toutes abstraites qu'elles sont, dé- montrent aussi l'existence de l'espace ; car, bien que les êtres dont elles s'occupent, étant purement rationnels, n'aient pas de lieu et n'en puissent point avoir, cependant ils ont une position relativement à nous, et la pensée les distingue en les mettant à droite ou à gauche, selon le besoin. Ainsi, la pensée les localise, comme la nature elle- même localise les éléments.

11 faut remarquer aussi qu'en admettant l'existence du vide, on admet implicitement l'existence de l'espace, puisqu'on définit le vide un espace il n'y a pas de corps.

On le voit donc : toutes ces raisons se réunissent pour démontrer que l'espace existe comme quelque chose de réel, indépendamment des corps qu'il renferme, et que par suite tout corps sensible est dans l'espace. Aussi, Hésiode paralt-il être dans le vrai quand il place le Chaos à l'origine des choses, et qu'il dit :

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. III. 125

t Bien avant tout le reste apparut le Chaos ; c Puis, la terre au sein vaste.....

C'est-à-dire que le poète suppose qu'avant l'apparition des corps, il y avait un lieu qui pouvait les recevoir et ils ont leur place. Hésiode se conforme par à l'opinion commune, qui croit que tout ce qui existe est quelque part, c'est-à-dire dans l'espace. S'il en est ainsi, l'espace a une propriété merveilleuse et la plus ancienne de toutes en date ; car, une chose sans laquelle les autres ne sau- raient être, et qui existe par elle-même sans aucun besoin des autres, cette chose-là est nécessairement antérieure à tout. Par suite, l'espace qui existait avant les choses existe encore après elles; et il n'est pas détruit, quand les choses qu'il renferme sont détruites.

III.

Nous voilà fixés sur l'existence incontestable de l'espace ; msûs il n'en reste pas moins difficile de savoir ce qu'il est. Devons-nous nous représenter l'espace comme la masse d'un corps quelconque? Ou sa nature est-elle différente? Savoir en effet à quel genre appartient l'espace, et dans quelle catégorie il convient de le placer, ce sera l'objet de notre première recherche. L'espace a bien les trois dimensions, longueur, largeur^ profondeur ; mais on ne peut pas dire qu'il soit un corps; car, alors il y aurait deux corps dans un seul et même lieu ; ce qui est impos- able. Autre difficulté. Si le corps doit avoir un lieu et une place, il est clair que la surface du corps et ses autres limites doivent avoir également une place et un lieu ; car

125 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

on peut appliquer aux surfaces du corps la remarque qu'on appliquait plus haut au corps lui-même ; et étaient d'abord les surfaces de l'eau, sont actuellement les sur- faces de l'air, qui en ont pris la place. Or, les surfaces se composent de points, et il n'y a pas de différence possible entre le point et le lieu du point. Par conséquent, si le lieu du point est le point lui-même, les surfaces qui se composent de points seront dans le même cas, et le lieu des surfaces ne sera pas autre que les surfaces elles- mêmes; l'espace alors n'est absolument rien indépen- damment des corps qu'il est supposé renfermer. Qu'est-ce donc que l'espace réellement, et comment faut-il le consi- dérer? Avec la nature qu'il a, on ne peut en faire ni un élé- ment, ni un composé d'éléments, soit naturels soit incor- porels. Il a de la grandeur sans toutefois être un corps. Or, les éléments des corps sensibles sont des éléments eux-mêmes ; et des éléments purement intelligibles n'ar- rivent jamais à former un corps et une grandeur réelle.

A d'autres points de vue, on peut se faire sur l'espace des questions non moins embarrassantes. Ainsi, comment l'espace pourrait-il être une cause à l'égard des choses? A quelle espèce de cause peut-on le rapporter ? On ne dé- couvre en lui aucune des quatre causes que nous avons comptées. Il ne peut être regardé comme la matière des êtres, puisque aucun être n'est composé d'espace; il n'est pas davantage la forme et l'essence des choses; il n'est pas non plus leur fin, et il n'est pas leur moteur. Ainsi il n'est cause d'aucune manière. Ajoutez que si l'espace doit être rangé au nombre des êtres, on peut demander : Oh sera-t-il placé en tant qu'être ? Et alors le doute de Zenon, qui nie l'espace, attendu qu'il ne sait le mettre,

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. IV. 127

ne laisse pas que d'exiger quelque réponse ; car, si tout 6tre est nécessairement dans on lien, et si l'espace est un être, il est clair qu'il y aura un lieu pour le lieu lui- même, et ainsi à l'infini, sans qu'on puisse assigner de terme à cette progression. À toutes ces objections, j'en joins une dernière. Si, de même que tout corps est néces- sairement dans un lieu, le corps remplit aussi tout le lieu qu'il occupe, c'est-à-dire tout l'espace, comment expliquer le développement des corps qui s'accroissent? Dira-t-on que le lieu, l'espace qu'ils occupent se déve- loppe en même temps qu'eux? Et, cependant, c'est la conséquence qu'il faudrait nécessairement adopter, si l'espace se confond avec le corps, et si le lieu de chaque chose n'est ni plus grand ni plus petit que la chose même.

Telles sont les questions différentes qu'il faut éclaircir, non-seulement pour savoir quelle est la nature de l'es- pace, mais aussi pour s'assurer de son existence.

IV.

Pour bien conduire cette délicate recherche, il faut d'abord reconnaître que, de même que l'être peut être considéré en soi ou relativement à un autre, l'espace peut être entendu également de deux façons : ou dans son ac- ception commune, qui en fsdt le lieu de toutes les choses que nous voyons ; ou dans son acception propre, c'est-à- dire le lieu primitif sont les corps, les individus. Je m'explique pour que ce point capital soit bien compris. Ainsi, on peut dire de vous que vous êtes dans le ciel, puisque vous êtes dans l'air, et que l'air est dans le ciel ;

128 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

de plus, vous êtes dans l'air, puisque vous êtes sur la terre ; et, enfin, vous êtes dans tel lieu de la terre, qui ne renferme plus rien absolument que vous. Le lieu propre ou primitif ne doit donc pas se confondre avec le lieu ou l'espace commun. Par suite, si l'on entend par l'espace le lieu propre qui renferme primitivement chaque corps, l'espace est alors une limite ; et on peut, à ce point de vue, le prendre pour la forme et la 6gure des choses, qui détermine la grandeur et la matière dont cette grandeur est faite. La forme étant la limite de chaque chose» on pourrait soutenir, qu'en ce sens, l'espace est la forme des choses. Mais, d'une autre part, comme l'espace, avec ses trois dimensions, représente aussi la dimension et l'éten- due de la grandeur, on pourrait le prendre pour la ma- tière des choses aussi bien que pour leur forme ; car la matière se distingue de la grandeur ou corps qu'elle com- pose ; et elle est ce qui est enveloppé par la forme, et est déterminé par la surface et la limite. C'est bien ce qu'est la matière et l'indéterminé ; car, si vous enlevez à une sphère, par exemple, sa limite et ses diverses condi- tions de figure, il ne reste plus rien que la matière in- forme dont elle est composée. C'est ce qui a fait que Platon, dans le Timée, n'hésite pas à identifier la matière et le lieu des choses ; car, le récipient, capable de parti- ciper à la forme, et le lieu des choses, c'est tout un pour lui. Bien que Platon, dans ce même traité, ait employé le mot de récipient avec un sens autre qu'il ne l'a fait dans l'ouvrage qu'on appelle ses Doctrines non-écritef, cepen- dant, il a confondu l'espace avec le lieu que les corps oc- cupent. Il faut l'en approuver, quelque théorie qu'on adopte d'ailleurs ; car, tandis que les autres philosophes

DARISTOTE, LIVRE IV, CH. IV. 129

se contentent d'alBrmer Texistence de l'espace, Platon a essayé d'aller plus loio« et de préciser la oatore de l'es- pace ; il a, seul, le mérite d'avoir poussé aussi profondé- ment cette recherche.

A s'en tenir aux considérations qui précèdent, il pour- rait sembler assez difficile de savoir exactement ce qu'est l'e^Mu^e, soit qu'on en fasse la matière, soit qu'on en fasse la forme des choses; car il n'y a guère d'étude plus ardue que celle-là ; et l'on a toujours grand'peine à com- prendre la matière et la forme isolément l'une de l'autre.

Cependant, voici quelques arguments qui nous feront voir assez clairement que l'espace ne peut être ni la matière ni la forme des choses. D'abord la forme et la matière ne se séparent jamais de la chose, tandis que l'espace, le lieu elle est, peut en être séparé. Par exemple, il y avsût de l'air antérieurement, il vient ensuite de l'eau, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, l'air et l'eau changeant de lieu, et se remplaçant réciproquement, comme peu- vent le faire bien d'autres corps. On peut donc être sûr que l'espace n'est ni une partie, ni un attribut des choses, et qu'il est séparable d'elles. Il joue en quelque sorte le rôle de vase et de réceptacle ; et l'on peut dire qu'un vase est un espace transportable ; car le vase non plus n'est pas une partie de ce qu'il contient. Ainsi, l'espace, en tant qu'il est séparé de la chose, n'en est pas la forme, et en tant qu'il enveloppe et contient les choses, il n'en est pas davantage la matière. En second lieu, le corps qui est dans l'espace étant toujours quelque chose de réel et de distinct, l'espace qui est en dehors de lui ne peut pas se confondre avec ce corps; et par suite, il n'en est évidem- ment ni la matière ni la forme.

9

no PARAPHRASE DE LA MIYSIQUE

Ceci nous conduit à faire contre Platon une critique, qui nous éloigne un peu de notre sujet ; mais nous espé- rons qu on nous pardonnera cette digression. Pourquoi les Idées et les nombres ne seraient-ils pas aussi quelque part dans l'espace, puisque, d'après Platon, l'espace est le récipient universel des choses, que d'ailleurs ce réci- pient qui participe aux Idées soit le grand et le petit, termes par lesquels il désigne l'infini, ou qu'il soit la matière, comme il est dit dans le Timée? Il semble que les Idées devraient avoir aussi dans son système une place et un lieu, puisque les choses qui en participent ont un certain lieu elles-mêmes.

Mais je poursuis, et je reviens à prouver par de nou- veaux arguments que l'espace ne peut être ni la matière ni la forme des choses. S'il l'était en effet, comment un corps pourrait-il être porté dans le lieu qui lui est propre d'après les lois de la nature, comme les corps graves vont en bas et les corps légers vont en haut? Si les corps cherchent leur lieu, c'est qu'ils ne l'ont pas; cependant ils ont leur matière et leur forme, et par conséquent leur lieu ou l'espace ne se confond ni avec la forme ni avec la matière. De plus, il n'y a point de lieu pour ce qui n'a point de mouvement, soit en haut soit en bas; or, la forme et la matière n'ont point de mouvement, et c'est dans ces différences que consiste l'espace. Autre argument. Si l'espace est la matière et la forme des choses, alors il se confond avec elles, et il est dans l'objet même et non plus en dehors; par conséquent, l'espace est dans l'espace, puisqu'un corps est toujours et nécessairement dans un lieu ; car la forme et l'indéterminé, que je confonds avec la matière, se meuvent et changent de place avec la chose.

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ne restant pas pins qu elle dans le mèoDie lieu, et allant elle va. II faudrait donc un espace pour l'espace, un lieu pour le lieu; ce qui est absurde. Enfin, si l'espace est la matière et la forme des choses, il faudrait dire que l'espace périt, puisque le corps qui se change en un autre, par exemple, Fair se changeant en eau, périt si bien qu'il n'est plus dans le même lieu, l'eau allant en bas et l'air allant en haut. Mais qui pourrait comprendre cette prétendue destruction de l'espace? Et le lieu ne subsiste* t-ii pas toujours, même quand les choses qu'il contenait sont détruites?

Tels sont quelques-uns des arguments qui démontrent l'existence réelle de l'espace , et qui peuvent nous en faire concevoir la nature et l'essence.

V.

Pour bien comprendre cette nature de l'espade, il faut faire attention aux différents sens dans lesquels on peut dire qu'une chose est dans une antre. J'en distingue huit, qui Boni séparés par des nuances assez délicates bien que positives. Ainsi, l'on dit d'abord que le doigt est dans la main, pour dire qu'il fait partie de la main; et d'une manière générale, la partie est dans le toat. Par une acception inverse, on dit aussi que le tout est dans les parties ; car, sans les parties, le tout n'existe pas et il n'est rien. Dans un troisième sens, on dit que l'homme est dans l'animal ; et, en généralisant cette expression, que l'espèce est dans le genre. Réciproquement, on dit que le genre est dans l'espèce, c'est-à-dire que le genre se retrouve nécessairement dans la définition de l'espèce.

132 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

En cinquième lieu, une chose est dans une autre, comme la santé est dans les influences du chaud et du froid, c*est- à-»dire, d'une manière générale, comme la forme est dans la matière. Une autre acception, c'est quand on dit, par exemple, que les affaires de la Grèce sont dans les mains du Roi ; et cela revient à dire que la chose est alors dans son premier moteur : c'est le Roi qui met en mouvement toutes les affaires de la Grèce. Septièmement, une chose est dite dans une autre quand elle y est comme dans son lieu, dans sa fin propre, et que cette seconde chose est le but auquel tend la première, et qu'elle en est le pourquoi. Enfin, la dernière acception, la plus claire et la plus com- mune de toutes, c'est quand on dit qu'une chose est dans une autre, comme dans son vase, c'est-à-dire, d'une ma- nière générale, qu'elle est dans l'espace et dans un cer- tain lieu.

Maintenant, on peut se demander s'il est jamais pos- sible qu'une chose restant telle qu'elle est, soit elle-même dans elle-même, ou s'il ne faut pas toujours nécessaire- ment qu'elle soit dans une autre ou bien qu'elle n'existe pas du tout. Mais, ici, il faut faire encore une distinction, et, quand on dit qu'une chose est dans une autre, cela peut s'entendre ou en soi ou relativement, c'est*à-dire que la première chose peut être directement dans la se- conde, ou qu'elle peut y être médiatement par l'intermé- diaire d'une troisième. Ainsi, comme les parties dont un tout se compose, sont tout à la fois et ces parties elles- mêmes, et ce qu'il y a dans ces parties, un tout peut être dans lui-même, en ce sens, parce qu'il est dénommé d'après ses parties. J'explique ma pensée par un exemple. On dit d'un homme tout entier qu'il est blanc, uniquement

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parce qoe sa surface, qui n'est qu'une partie de lui, est blanche ; et l'on dit qu'il est savant par cela seul que la partie ridsonnante qui est en lui est savante. De même on ne peut pas dire que l'amphore est le vin est en elle- même, non plus qu'on ne peut le dire du vin qui y est con- tenu. M»s, si l'on réunit les deux idées au lieu de les sé- parer et qu'on dise l'amphore devin, alors l'amphore de vin est en elle-même, en quelque sorte, puisque le vin qui est dans le vase et le vase il est sont les parties d'un même tout. En ce sens, d'ailleurs assez obscur, on peut dire qu'une chose est dans elle-même.

Mais cette expresdon ne peut jamab signifier que la chose est primitivement et directement dans elle-même. Par exemple, la blancheur n'est réellement dans le corps que parce que la surface qui est blanche est dans le corps; la science n'est bien aussi qu'à ce titre dans l'âme; et les appellations qu'on applique à l'homme en- tier sont tirées ainsi de simples parties qui sont dans l'homme. Mais l'amphore et le vin, si on les isole l'un de l'autre, ne sont pas des parties d'un tout; ce ne sont des parties que quand on les réunit pour former ce tout qu'on appelle une amphore de vin ; et, alors, l'amphore de vin n'est pas précisément en elle-même; elle n'y est qu'en ce sens que le vin que l'amphore contient est une partie de l'amphore de vin. Ainsi, à ne considérer que les parti^, on pourrait dire qu'une chose est dans elle-même; mais c'est une expression inexacte ; car la blancheur est dans l'homme, parce qu'elle est dans le corps , et elle est dans le corps, parce qu'elle est dans la surface ; elle n'est plus médiatement, mais directement, attendu que la surface et la blancheur sont d'espèces différentes, et

134 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

qu'elles ont chacune une nature et des propriétés dis- tinctes. Ainsi on ne peut pas dire réellement qa*une chose soit dans elle-même; elle est toujours dans une

autre.

C'est ce dont on peut se convaincre en parcourant par Tinduction toutes les acceptions diverses que nous avons énumérées plus haut, et l'on verra qu'il n'en est pas une seule l'on puisse dire qu'une chose est dans elle-même. Sans même examiner ces acceptions diverses, la raison suffit à démontrer qu'une chose ne peut jamais être dans elle-même réellement; car, en reprenant l'exemple de l'amphore de vin, antérieurement cité, il faudrait, chose impossible, que chacune de ces deux choses fût à la fois Tune et l'autre ; c'est-à-dire qu'il faudrait que l'amphore fût tout ensemble, et l'amphore et le vin, de même que le vin devrait être tout à la fois, et le vin et l'amphore, si l'on admettait qu'une chose est en elle-même par cela seul qu'on dit métaphoriquement, que dans un festin les convives ont bu tant d'amphores. L'amphore se prend alors pour le vin qu'elle contient; mais il ne s'en suit pas que l'amphore soit dans l'amphore, c'est-à-dire dans elle-^même, comme y est le vin. On aura beau dire que les deux choses sont l'une dans l'autre, il n'en reste pas moins certain que l'amphore contient le vin, non pas en tant qu'elle est elle-même le vin, <:omme le ferait croire une locution vicieuse, mais en tant que le vin est lui- même ce qu'il est, c'est-à-dire un liquide qui peut être contenu dans un vase. Réciproquement, le vin est dans l'amphore, non pas en tant qu'il est lui-même l'amphore, mais en tant que l'amphore est elle-même ce qu'elle est, c'est-à-dire un vase capable de contenir un liquide.

D'ARISTOTE, LIVJIE IV, CH. V. US

Ainsi , de toute évidence, le vin et l'amphore, quelles que soient les confusions que commette le langage ordinaire, sont des objets tout différents l'un de l'autre ; et la défini- tion do contenant est essentiellement antre que celle du contenu.

Si Ton dit qu'une chose peut être dans elle-même, non plus directement, mais indirectement, ce n'est pas plus concevable ; car alors on arriverait à cette absurdité qu'il faudrait que deux corps fussent simultanément dans un seul et même corps. Ainsi, d'abord l'amphore serait dans elle-même, si toutefois une chose dont la nature propre est d'en recevoir une autre, peut jamais être dans elle- même; et, d'autre part, il y aurait dans l'amphore, en même temps qu'elle-même, ce qu'elle peut contenir, c'est-à-dire du vin, si c'est du vin qu'on y veut mettre. Donc, il y aurait dans l'amphore, eu premier lieu l'am- phore elle-même, et en second lieu le vin qu'elle contient. Donc, évidemment, il ne se peut jamais qu'une chose soit primitivement et directement dans elle-même, et elle doit toujours être nécessairement dans une autre qui la ren-- ferme et l'enveloppe.

Mais alors, objecte Zenon : a Si vous faites de l'espace tt une réalité, je vous demande en quoi vous placez l'es- «f pace, puisque toute réalité doit toujours nécessairement « être quelque part » Cette objection n'est point embar^ rassante, et Ton peut y répondre. 11 se peut fort bien que le lieu primitif d'une chose, son espace primitif, soit dans une chose, sans qu'elle y soit précisément comme dana uo lieu. L'espace primitif d'une chose est dans une autre comme la santé est dans la chaleur, c'est-à-dire en tant que disposition et propriété; et comme la chaleurest dans

1S6 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

le corps eo tant qu'affection de ce corps. Ainsi, il n*est pas besoin, comme le croit Zenon, de remonter à l'infini et de se perdre dans l'espace de l'espace, et l'espace de ce second espace, etc. Évidemment, comme le vase n'est pas du tout ce qu'il contient, et qu'il ne peut se confondre avec ce qui est en lui, le contenant primitif et le contenu étant choses fort distinctes, il s'ensuit que l'espace n'est ni la matière, ni la forme des choses, et qu'il en est très- différent. La matière et la forme sont les éléments néces- saires de tout ce qui est dans l'espace, et nécessairement l'espace n'est identique ni à la forme ni à la matière.

Telles sont les discussions qu'on a soulevées relative- ment à la nature de l'espace.

VL

Maintenant il nous faut essayer, à notre tour, d'expli- quer plus précisément ce qu'est l'espace, et de découvrir avec toute l'exactitude que nous pourrons y mettre les caractères véritables qui lui appartiennent, et qui le font ce qu'il est. Un premier principe que nous posons comme incontestable, c'est que l'espace est le contenant primitif de tout ce dont il est le lieu, et qu'il ne fait point du tout partie de ce qu'il renferme, pas plus que l'amphore n'est le vin qu'elle contient. Nous admettons encore que ce lieu primitif, cet espace primitif, n'est ni plus grand ni plus petit que ce qu'il embrasse, qu'il n'est jamais vide de corps, mais qu'il est séparable des corps contenus par lui. J'ajoute enfin que tout espace a les distinctions que nous savons, le haut et le bas, etc., et que par les lois mêmes de la nature, chaque corps est porté ou demeure

D^ARISTOTE, LIVRE IV, CH. VI. 137

dans le liea qui lui est propre, soit en haut soit en bas, selon ce qu'il est. Ces principes une fois posés, voyons quelles sont les conséquences qui en sortent. Nous nous efforcerons de diriger notre étude de façon qu'elle nous amène à bien connaître ce qu'est l'espace. Par nous pourrons résoudre les questions qu'on a soulevées ; nous démontrerons que les attributs qui semblaient appartenir i l'espace lui appartiennent bien réellement, et nous arri- verons à faire voir bien clsurement d'où vient la difficulté de la question, et quels sont les problèmes auxquels on s'arrête. C'est là, suivant nous, la méthode la plus sftre poor porter la lumière sur les points que nous traitons.

D'abord, il faut bien se dire qu'on n'aurait jamais songé à étudier l'espace, s'il n'y avait point dans la na- ture ce mouvement que l'on appelle plus particulière- ment le mouvement dans l'espace, ou la translation ; car ce qui fût surtout que nous croyons que le ciel est dans l'espace, c'est que l'observation nous atteste que le ciel est éternellement en mouvement. Or, dans le mouvement on distingue plusieurs espèces, la translation, l'accrois- sement, la décroissance; car dans la décroissance et l'ac- croissement, il y a changement de lieu, quelque imper- ceptible qu'il soit, et ce qui était antérieurement en tel ou tel point, s'est déplacé pour arriver ensuite à être plus petit ou plus grand. Il y a des distinctions analogues à faire pour le mobile, qui peut être en soi et actuellement mobile, ou ne l'être qu'indirectement et médiatement. On peut même reconnaître encore des différences dans les mobiles qui ne sont mus que d'une manière indirecte. Ainsi les uns peuvent avoir, outre leur mouvement acci- dentel, un mouvement spécial ; et, par exemple, les parties

J3B PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

du corps ont un double mouvement, puisqu'elles se meu- vent quand le coq>s entier se meut, et elles ont de plus un mouvement particulier. De même, un clou qui est fixé dans un navire se meut avec ce navire quand le navire se meut; mais de plus, il peut recevoir un mouvement qui n'est qu'à lui, si on l'arracbe d'où il est pour le remettre ailleurs. Au contraire, d'autres mobiles accidentels ne sont mus jamais qu'accidentellement et médiatement; par exemple, la blancheur qui ne se meut jamais qu'avec le corps elle est, la science qui ne se meut , si elle se meut, qu'avec l'homme qui la possède. Les mobiles de ce genre ne changent de place qu'en tant que le corps ils sont, vient lui-même à en changer.

Quand doue on dit d'un corps qu'il est dans le ciel, comme dans son lieu, c'est parce que ce corps est dans l'air et que l'air est dans le ciel. Mais il y a plus, et l'on ne veut pas dire que ce corps soit dans toute l'étendue de l'air; on veut dire seulement qu'il est dans une certaine partie de l'air, et il n'y est en eifet que par rapport à cette partie extrême de l'air qui l'embrasse et qui l'enve- loppe. En effet, si c'était l'air tout entier, toute l'étendue de l'air qui fût le lieu du corps, le lieu d'un corps ue serait plus égal à ce corps lui-même, tandis qu'au con- traire il semble que le lieu d'un corps doit lui être abso- lument adéquat, et que c'est ce qu'on entend par le lieu primitif et direct. Ainsi donc, quand le contenant n'est pas séparé de la chose qu'il contient et qu'il lui est continu, comme par exemple le tout, qui n'est pas séparé de la partie qui y est contenue, on ne dit plus que la chose est dans le contenant comme dans son lieu ; mais on dit qu'elle y est comme une partie dans le tout,

DARISTOTE, UVRE IV, CH, VI. 1$9

et c'est ainsi qu'on dirait qne le doigt est dans la main.

Mais qnand le contenant est séparé de la chose et qu'il la touche par simple contiguïté, on dit alors que la chose est dans un certain lien primitif et direct, qni n'est que la surface interne du contenant, et qui n'est ni une partie de ce qui est en lui, ni plus grand que la dimension même du corps, mais qui est strictement égal à cette di- mension, attendu que les extrémités des choses contiguds se confondent en un seul et môme point. On voit que, quand il y a continuité, le mouvement n'a pas lien dans le colitenant, mais avec le contenant, et c'est ainsi que le doigt se meut avec la main et en même temps qu'elle. Mais quand, au contraire, il y a séparation, et que le con- tenant est contign, au liead'ètre continu, alors le contenu se meut dans le contenant, ou du moins peut s'y mouvoir, soit que le contenant se meuve aussi, soit qu'il ne se meuve pas actuellement On ne peut plus en dire autant quand il n'y a pas séparation entre le contenant et le contenu; et alors on considère le contenu comme une partie dans un tout, par exemple, la vue dans l'œil, la main dans le corps, etc. S'il y a séparation et qu'il n'y ait que contiguïté entre le contenant et le contenu, le con- tenu alors est dans un lieu, comme l'eau est dans le ton- neau, comme le vin est dans la cruche. En effet, la main se meut en môme temps que le corps et avec lui, tandis que c'est dans le tonneau que l'eau se meut, bien qu'elle puisse se mouvoir avec lui.

11 me semble que ces considérations doivent aider k comprendre ce que c'est que le lieu des corps ; car le lieu des corps ne peut guère ôtre que l'une des quatre choses suivantes : ou la forme des choses, ou la matière des

lAO PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

choses, 00 retendue comprise entre les extrémités da corps, ou enûn l'extrémité même du corps ambiant, en supposant toujours qu*il n'y a aucune étendue possible en dehors de l'étendue occupée par les corps eux-mêmes.

Or, il est clair que de ces quatre choses, il y en a trois que le lieu des corps ne peut pas être. Il est vrai que comme le lieu enveloppe les corps, on pourrait croire qu'il est leur forme, les extrémités du contenant et du contenu se confondant en un seul et même point elles se rencontrent. Il est vrai encore que la forme et le lien ou espace sont tous les deux des limites ; mais il faut bien remarquer que ce ne sont pas les limites d'une seule et même chose. La forme est la limite de la chose dont elle est la forme ; le lieu est au contraire la limite du conte- nant, la limite de ce qui contient la chose. Ainsi, le lieu, l'espace ne peut être la forme.

Il ne peat pas être davantage la dimension même des corps. Mais, comme le contenu, lequel est séparable du contenant, peut très-souvent changer, par exemple, l'eau sortant du vase, tandis que le contenant subsiste et demeure sans aucune mutation, il semble que la place viennent successivement se ranger les corps , est un intervalle réel, une dimension qui existe en dehors et indépendamment du corps qui vient à être déplacé. Cependant cette dimension n'existe pas par elle-même, et il n'y a réellement que la dimension même du corps qui se déplace et qui tantôt est dans le contenant et tan- tôt n'y est pas. S'il y avait réellement et matériellement une dimension, qui fût et qui restât toujours dans le même lieu, il en résulterait que les lieux des choses se- raient en nombre infini; car l'eau et l'air venant à se

D'ARISTOTE, UVRE IV, CH. VL 141

déplacer, leurs parties feraient dans le tout qu'elles for- ment, ce que font l'air et l'eau dans le vase qui les con- fient, c'est-à-dire que chaque partie aurait un lieu qui subsisterait quand elle n'y serait plus; et comme les par- ties sont en nombre infini, les lieux seraient en nombre infini comme elles. Une autre conséquence, c'est que le lieu, l'espace alors changeraient de place comme le corps 1oi->mèaie, dont il serait la dimension; il faudrait alors un lien du lieu, un espace de l'espace, et le même corps au- rait une foule de lieux différents. Hais, en fait, le contenu ne change pas de lieu propre quand le contenant vient à être déplacé; son lieu reste donc le même; et la preuve, c'est que l'eau et l'air se succèdent dans le même lieu, c'est-à-dire dans le vase qui les contient, et non point dans l'espace ce vase est transporté, quand on le dé- place d'un endroit à un autre. Cet espace, ce lieu l'on transporte ce vase est une partie de celui qui forme le ciel entier.

Après avoir prouvé que le lieu des corps, l'espace ne peut être, ni la forme des corps, ni leur propre dimension, il faut prouver qu'il ne peut pas être non plus leur ma- tière. Ce qui a pu le faire croire, c'est que l'on observe que, dans un corps continu, qui est en repos et qui ne se divise pas, il y a quelque chose qui est blanc maintenant, tandis qu'il était noir tout à l'heure, qui est dur mainte- nant, tandis que tout à l'heure il était mou ; ce quelque chose subsiste sous les modifications que le corps subit ; et, de là, nous tirons la conséquence que la matière est quelque chose de réel et de subsistant. Il y a aussi quel- qu'apparence decegenre.'pour lelieu, l'espace, qui semble demeurer sous les déplacements des corps qui s'y suc-

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cèdent, et nous en concluons que l'espace est quelque chose de réel dans le genre de la matière. Cependant, il y a cette différence essentielle que la même chose qui était de l'air tout à l'heure, est de Teau maintenant, tan- dis que pour l'espace, il y a de l'air dans le lieu tout à l'heure c'était de l'eau. Or, ainsi que je l'ai dit, la ma- tière n'est jamais séparée de la chose qu'elle forme ; et elle ne contient jamais cette chose; mais, le lieu, l'espace, est, à ces deux égards, tout différent de la matière ; car il contient les choses, et il est séparé d'elles.

Si donc, le lieu des corps, l'espace, n'est aucune des premières choses indiquées plus haut, c'est-à-dire s'il ne peut être, ni la forme, ni la matière, ni une étendue des corps, laquelle serait différente de l'étendue propre de ces corps, et subsisterait quand ils se déplacent, il reste que le lieu, soit la dernière des quatre choses indiquées, c'est-à-dire l'extrémité et la limite du corps ambiant, du corps contenant, tandis que le contenu est le corps qui peut être mu, par déplacement et par translation, dans l'espace. On voit donc d'où vient la difficulté de bien com- prendre ce que c'est que l'espace ou le lieu des corps; c'est que d'abord il parait, bien qu'il n'en soit rien, être la matière ou la forme des choses; et, ensuite, c'est que le déplacement du corps qui est transporté d'un lieu à un autre, se fait dans un contenant qui demeure immobile et en repos. Dès lors, il paraît être une sorte de dimension réelle et d'intervalle interposé entre les corps qui s'y meuvent, et distinct de ces corps, puisqu'il demeure après qu'ils n'y sont plus. Ce qui aide encore à l'erreur, c'est que l'air paraît incorporel selon l'opinion commune; et, en général, ce ne sont pas seulement les limites du vase

IVAaiSTOTE, LIVRE IV, CH. VII. ihi

qui paraiaBent toe le lieu da corps coDienu ; c'est aussi rintenralle r^ardé comme vide entre ces limites. Hais, de nëme que le vase est, on peut dire, un lieu transportable, de même, le lieu est un vase immobile. Quand donc une chose, contenue dans une autre chose, vient à y changer de place, comme un passager dans un bateau, qui se déplace sur la rivière qui le porte, ce qui se déplace ainsi emploie le contenant plutôt comme un vase que comme on lieu. Mais, le lieu fait toujours l'effet de quelque chose d'immobile, et c'est alors le fleuve lui-même, plutôt que le bateau, qu'il faudrait appeler le lieu; car, dans son ensemble, le fleuve peut passer pour immobile, tandis que ie bateau est le passager est en mouvement.

En résumé, le lieu des corps est la première limite im- mcd»ile du contenant ; c'est l'idée la plus précise qu'on poisse se faire du lieu ou de l'espace.

Vil.

Des considérations qui précèdent, nous pouvons tirer certaines conséquences importantes. D'abord, elles con- firment l'opinion commune, qui fait du centre du ciel ce qu'on appelle le bas, et de l'extrémité de la révolution circulaire, ce qu'on appelle le haut, autant, du moins, qu'il nous est donné de voir la véritable extrémité de cette révolution. Le centre du ciel et l'extrémité circulaire, sont bien, en effet, des lieux, et l'opinion vulgaire ne se trompe point, parce qu'en effet l'un et l'autre sont im- mobiles. Par les lois de la nature, les corps légers sont portés en haut, tandis que les corps graves sont portés en bas. Il s'en suit que la limite du mouvement des corps

ià& PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

vers le bas, c'est le centre mèuie du cieU et la limite de lear mouvement vers le haut, est l'extrémité même de la révolution circulaire. Telle est la notion qu'on doit se faire du haut et du bas dans la nature, et voilà comment l'espace, le lieu^ semble être une sorte de surface et de vase qui enveloppe et contient les choses. On peut dire^ en outre, que le lieu coexiste, en quelque sorte, à la chose qu'il renferme, et dont il est le lieu ; car les limites coêxid- tent au limité. Ainsi, pour dire d'un corps qu'il est dans un lieu, il faut qu'il soit dans un autre corps qui l'enve- loppe ; et celui qui n'est pas dans ce cas, n'est pas dans un lieu, à proprement parler; l'idée du lieu implique tou- jours un corps extérieur, qui en enveloppe un autre. Par conséquent, quelle que soit la composition de l'univers, de l'eau ou tel autre élément, les parties de l'univers sont bien en mouvement; car elles sont dans un lieu, et elles s'enveloppent les unes les autres ; mais, l'ensemble des choses, l'univers lui-même n'est pas dans un lieu ; car, en un sens, il ne se meut pas, si, d'ailleurs, on peut dire en un autre sens qu'il se meut. 11 y a en lui des parties qui se meuvent. Msds, comme totalité, il est immobile, parce qu'il ne peut changer de lieu. Il a bien, sur lui- même un mouvement circulaire, et c'est ce qui fait qu'on peut assigner un lieu à ses diverses parties, quoi- que lui-même n'en ait pas. Il y a, en effet, des parties du ciel qui sont mues, non pas en haut on en bas, mais cir- culairement ; et lés seules qui soient portées en haut ou en bas, sont celles qui peuvent devenir ou plus légères, ou plus denses.

D'ailleurs, quand on parle du lieu, il faut faire aussi la distinction si souvent indiquée par nous, de l'acte et de

D'ARISTOTE, LIVRE IV, €H. Vil. 146

la paissance; certaines choses sont en puissance dans un lieu; certaines antres y sont en acte. Ainsi, quand un corps formé de parties homogènes reste continu sans que ses parties se séparent de lui, ces parties ne sont qu'en puis- sance dans un lien ; elles sont dans le tout qu'elles for-^ ment, et ce tout lui-môme est dans un lieu< Les parties pourraient y être en acte, et, effectivement, si elles ve^ naient à être séparées du tout; mais, au lieu de former un tout continu, elles ne seraient plus alors que contiguês les unes aux autres, comme les grains d'un tas de blé.

Une seconde distinction, non moins réelle, c'est qu'il y a des choses qui, en soi, et directement, sont dans un lieu, par exemple, tout corps qui se meut, soit par translation, soit par simple accroissement ou décroisse^ ment, tandis qu'on ne peut pas dire du ciel, pris dans son ensemble, qu'il soit quelque part ni dans un lieu pré- cis, attendu qu'aucun autre corps ne l'embrasse. C'est seulement parce qu'il y a du mouvement en lui, qu'on peut dire que ses parties diverses ont un lieu : car, cha-^ cune de ses parties se coordonnent et se suivent dans un ordre éternellement régulier. Au contraire, il est d'autres choses qui, en soi, n'ont pas de lieu, et qui n'en ont un qu'indirectement et accidenteUement. L'âme, par exemple, n'a de mouvement que par l'intermédiaire du corps elle est ; le ciel lui-même n'a de mouvement que relati- vement à ses parties qui se meuvent; mais, en soi, il est immobile. Seulement, dans un cercle, une partie en enve- loppe une autre ; et voilà comment le haut du ciel n'a que le mouvement circulaire. Mais, à vrai dire, l'univers, le tout ne peut avoir de lieu ; car, il faut* pour qu'un objet soit dans un lieu, que, d'abord, il soit lui-même quelque

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146 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

chose ; puis, qu'il y ait aussi une seconde chose dans la- quelle il est, et qui l'enveloppe; or, en dehors de l'uni- vers et du monde, il ne peut rien y avoir qui soit indé- pendant du tout, et de l'ensemble universel. Aussi, toutes les choses, sans aucune exception, sontrelles dans le ciel; car le ciel est tout l'univers, autant, du moins, qu'il est permis de le conjecturer. Mais, le lieu des choses n'est pas précisément le ciel ; c'est une certaine extrémité du ciel, la limite immuable qui touche et confine au corps qui est eu - mouvement. Ainsi, la terre, on peut dire, est dans l'eau, parce que l'eau l'environne; l'eau, à son tour, est dans l'air ; l'air, lui-même, est dans l'éther ; et, enfin, l'éther est dans le ciel. Mais, le ciel lui-même, n'est plus dans autre chose, et l'on ne peut plus dire qu'il soit dans un lieu, puisqu'au contraire, tout est en lui.

Si nous ne nous trompons, cette manière de concevoir le lieu et l'espace résout toutes les questions qui pré- sentaient tant de difficultés. Ainsi , le lieu des choses étant la limite interne du corps ambiant, il n'y a plus nécessité, comme on le sapposait, que le lieu s'étende avec le corps qu'il contient, lorsque ce corps vient à se développer et à croître. Il n'y a pas nécessité davantage que le point ait un lieu ; car le corps ambiant entoure la chose même et non pas les points de la surface. H n'est plus besoin non plus que deux choses soient dans un seal et même lieu. L'espace, le lieu n'est plus la dimension des corps et l'intervalle de leurs surfaces ; car, loin que Tes- pace soit la dimension propre des corps, ce sont les corps, au contraire, qui se trouvent toujours dans l'espace, quels que soient ces corps. L'espace lui-même, le lieu n'est pas un corps. 11 est bien nécessairement quelque part;

ITARISTOTE, LIVRE IV, CH. VIL 147

mais il D'y est pas comme dans un lieu ; il y est unique- ment comme la limite est dans le limité ; car, tout ce qui est n*est pas nécessaii'ement et sans aucune exception dans un lieu; il n y a que les corps susceptibles de mou- vement qui soient réellement dans un lieu.

Cest ce qui fait que, dans l'ordre naturel des choses, chaque élément se porte dans le lieu qui loi est propre. Et cela se comprend bien ; car, l'élément qui le suit et l'enveloppe, sans que ce soit d'une manière violente et contre nature, a de l'affinité et une certaine homogénéité avec l'élément qui le précède : la terre avec l'eau, l'eau avec l'air, l'air avec le feu. Les choses qui ont une na- ture absolument identique n'agissent pas les unes sur les autres ; mais quand elles se touchent et sont contigués entr'elles, au lieu d'être continues et de former un seul tout, alors elles se touchent mutuellement et elles se mo- difient réciproquement entr'elles. C'est par des lois aussi naturelles et aussi sages que chaque élément^ dans sa masse totale^ demeure au lieu qui lui appartient spéciale- ment ; et telle partie, ou plutôt tel élément en masse est dans l'espace total du ciel, comme dans un corps ordi- naire telle partie séparable est dans le tout duquel elle est détachée; et, par exemple, comme une partie de l'eau est à la masse de l'eau, et une partie de l'air à la masse totale de l'air. De même, dans l'univers, c'est le rapport de l'air à l'eau ; l'eau est la matière en quelque sorte, et l'air est la forme. L'eau est, on peut dire, la ma^ tièsre de l'air, et l'air à son tour est l'acte de l'eau, puis- qu'en puissance l'eau est de l'air, et que l'air lui-même est à on autre point de vue de l'eau en puissance, l'eau pouvant se changer en air par la vaporisation, et l'air à

148 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

son tour pouvant se changer en eau lorsqu'il se con- dense.

Mais nous nous réservons de revenir plus tard sur ces théories ; ici, nous n*en disons que ce qui est indispen- sable à notre sujet; et nos explications qui, actuellement,^ peuvent paraître quelque peu obscures, deviendront par la suite beaucoup plus claires. J'ajoute seulement que si la même chose est à la fois puissance et acte, Teau étant air et eau tout à la fois, bien qu'elle soit l'un en puissance et l'autre en acte, le rapport de l'eau à l'air dans l'en- semble des choses est celui de la partie au tout, si l'on veut. Voilà comment ces deux éléments distincts l'un de l'autre ne font qu'être en contact; mais, quand il y a fu- sion de leurs natures, les deux n'en font plus qu'un, et, en acte, ils se confondent absolument.

Telle est notre théorie sur l'espace, sur son existence et sur ses propriétés.

VIII.

Il semble que la méthode appliquée à l'étude de l'es- pace n'est pas moins applicable à l'étude du vide; et le Physicien doit aussi rechercher si le vide existe ou s'il n'existe pas, comment il est et ce qu'il est; car on peut avoir sur le vide les mêmes doutes ou les mêmes théories qu'on a sur l'espace, selon les divers systèmes dont il a été l'objet. En eflfet, ceux qui croient au vide le repré- sentent en général comme un espace d'un certain genre, et comme un vase ou récipient. On suppose qu'il y a du plein quand ce récipient contient le corps qu'il est sus- ceptible de recevoir; et quand ce récipient en est privé,

D'ARiSTOTE/LlVRE IV, CH. Vill. iAP

il semble qu'il y a du vide. Donc, on admet implicitement ))ar que le vide, le plein et l'espace sont au fond la même chose^ et qu'il n'y a entr'eux qu'une simple diffé*- rence de manière d'être. Voici donc la marche que nous suivrons dans cette recherche : nous recueillerons d'à* bord les arguments de ceux qui croient à l'existence du vide; nous passerons ensuite aux arguments de ceux qui la nient ; et, cette revue des opinions philosophiques étant faite, nous terminerons par l'examen des notions vulgai- rement répandues en ce qui concerne ce sujet.

Ceux qui nient l'existence du vide ont le tort de ne point s'attaquer assez précisément à l'idée que les hommes s'en font généralement, et de se borner à réfuter les défi- nitions erronées qu'on en donne, et qui ont beaucoup moins d'importance. C'est la faute d'Anaxagore et de ceux qui l'imitent dans son procédé de réfutation. Ainsi, ils démontrent fort bien l'existence de l'air et toute la force dont il est doué, en faisant sortir de l'air des outres qu'ils pressent, et en le recevant dans des clepsydres, on voit sans peine sa puissante action. Mais l'opinion vulgaire entend en général par le vide un espace dans lequel il n'y a pas de corps perceptibles à nos sens; et, comme on croit vulgairement encore que tout ce qui existe a un corps, on dit que le vide est ce dans quoi il n'y a rien ; par suite, comme on ne voit point l'air, le vide passe pour être ce qui est plein d'air. Mais il ne s'agit point de démontrer, comme le fait Anaxagore, que l'air est quelque chose ; il s'agit de prouver qu'il n'existe point d'étendue ou d'intervalle différent des corps, qui serait séparable d'eux, et qui existerait en acte cojnnie eux,

160 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

bien qu il les pénétrât de telle façon que le corps ne serait plus continu, système qu'ont soutenu Démocrite et Leucippe avec bien d'autres naturalistes ; ou bien encore, il s'agit de prouver, en admettant que le corps reste continu, qu'il y a en dehors de lui quelque chose comme le vide. Ainsi, les philosophes dont nous parlons n'ont pas même mis le pied sur le seuil, comme on dit; car ils ont prouvé que l'air existe; mais ils n'ont pas du tout démontré que le vide n'existe pas.

Ceux qui affirment l'existence du vide, au lieu de la nier, se sont rapprochés davantage de la vérité; et voici quelques-unes de leurs raisons. D'abord, ils soutiennent que sans le vide il n'y a pas de mouvement possible dans l'espace, soit déplacement d'un lieu à un autre, soit accroissement sur place, attendu, disent-ils, que s'il n'y avait pas de vide il n'y aurait pas de mouvement possible. Le plein, évidemment, ne peut rien admettre, continuent- ils ; s'il admettait quelque chose, il y aurait alors deux corps dans un seul et même lieu, puisque le plein est déjà un corps apparemment, et qu'un autre viendrait s'y placer; alors, il n'y aurait pas de raison pour que tous les corps, quel qu'en fût le nombre, ne pussent se trouver tous ensemble dans un seul et même lieu ; car il n'y a point ici de différence, et dès qu'on en suppose deux, on peut tout aussi bien en supposer un nombre quelconque. Hais cette hypothèse en entraîne une autre^ et si tous les corps peuvent être dans un seul et même lieu, on ne voit pas pourquoi le plus petit ne pourrait pas recevoir et con- tenir le plus grand, puisqu'à l'aide de plusieurs petites choses réunies on peut toujours en former une grande.

D'ARISTOTE, LIVRE IV, OH. VIII. 15!

Par conséquent, si plusieurs choses égales peuvent être dans un seul et même lieu, plusieurs choses inégales^ pourront y être tout aussi bien.

C'est sdnsi qu'on essaie de démontrer le vide ; et ce qu'il y a de singulier, c'est que ce sont les mêmes principes par lesquels Mélissus prétend démontrer que l'univers est immobile; « car, disait-il, pour que l'univers se meuve il faudrait du vide ; or, on ne peut soutenir que le vide existe; donc l'univers ne se meut pas. » Mais, je lusse Mélissus, et je reviens à mon snjet Après avoir prouvé l'existence du vide de cette première manière, nos philosophes le démontrent encore d'une autre façon. Ils observent qu'il y a des corps qui se contractent et se con- densent. Ainsi un tonneau est plein de vin ; on met le vin dans des outres; et les outres pleines de vin tiennent encore dans le tonneau, il y a donc condensation do vin ; il rapproche en quelque sorte les vides qui se trouvaient à son intérieur. Si l'on prend d'autres faits, il parait bien que le développement des êtres qui s'accroissent ne peut se faire qu'à la condition du vide. Ainsi les aliments qu'ils absorbent et qui les font croître, sont eux-mêmes déjà des corps, et il faut bien qu'ils se logent dans quel- que vide, puisqu'il est impossible que deux corps soient dans un seul et même lieu. Enfin, on cite un autre phéno- mène analogue à ceux-là, et qui atteste également l'exis- tence du vide : c'est celui de la cendre, qui est dans un vase, et qui absorbe autant d'eau que le vase lui-même en contient, lorsque la cendre n'y est pas.

J'ajoute pour en finir sur ce point, que les Pythagori- ciens aussi admettaient l'existence du vide. Selon eux, c'est par l'action du souflle divin que le vide, qui est ap-

152 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

paremment en dehors du monde, entre dans le ciel, et le ciel a alors une sorte de respiration. Us ajoutent que le vide est ce qui sépare les choses et limite leurs natures diverses, le vide leur paraissant être placé entre les corps pour les isoler, et faire leurs délimitations réciproques. A en croire les Pythagoriciens, c'était d'abord dans les nombres qu'on pouvait observer le vide; car c'est le vide qui détermine leur nature propre et leur abstraction.

Voilà à peu près les idées qu'on a émises dans un sens ou dans l'autre, pour affirmer ou pour nier l'existence du vide.

IX.

Pour savoir discerner la vérité entre ces deux opinions contraires sur le vide, il est bon de connaître d'abord, précisément ce que signifie le mot lui-même. Générale- ment, on entend par vide un espace il n'y a rien. Cette idée vient de ce que l'on confond toujours l'être et le corps; tout ce qui existe a un corps, et tout corps est dans un lieu ; donc le vide est l'espace il n'y a aucun corps que nos sens puissent percevoir; et s'il y a un espace il n'y a plus de corps sensible, on dit que c'est le vide. D'autre part, comme on suppose toujours qu'un corps peut être touché, et que la tangibilité est la pro-* priété essentielle de tout ce qui est pesant ou léger, on en arrive à conclure que le vide est ce dans quoi il n'y a plus rien de léger ni de pesant. Telles sont à peu près les notions qu'on se fait du vide, en raisonnant sur cette idée ainsi que nous l'avons déjà dit. On sait d'ailleurs, qu'il serait absurde de soutenir que le point est le vide,

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CB. X. 15S

SOUS prétexte qu'il n'y a rien non pins dans le point, tel qne les matbématiqaes le conçoivent. Mais il faut que le vide soit l'espace oh est l'étendue du coq>s tangible, et ce point ne peut avoir cette propriété. Ainsi, dans une certaine acception, Vide signifie ce qui n'est pas plein d'un corps tangible et perceptible au toucher, le corps tangible étant tout ce qui est doué de pesanteur et de légè- reté. Mais à ceci on fait' une objection, et on demande ce qu'il en serait du vide, si l'étendue, au lieu d'être pleine d'un corps tangible, avait une couleur ou un son. Serait- ce alors du vide ou n'en serait^-ce pas? Ou bien, doit-on dire encore simplement qu'il y a du vide, si cette étendue, colorée ou sonore, peut recevoir im corps tangible, et. qu'il n'y en a pas si elle ne le peut pas? Après cette pre- mière acception du mot Vide, on peut en indiquer une antre ; et l'on entend encore par vide l'espace il n'y a aucune chose distincte, ni de substance corporelle, quelle qu'elle soit, ou pesante, ou légère. C'est en poursuivant ces idées que certains philosophes on fait du vide même la matière des corps, comme ils croyaient la trouver dans l'espace qu'ils confondaient avec elle. Mais la matière n'est pas séparable des corps qu'elle forme, tandis que le vide, dans la pensée de ces philosophes et tel qu'ils le conçoivent, en est toujours séparé, tout aussi bien que l'espace.

X.

Après avoir étudié l'espace, comme nous l'avons fait, et montré que le vide ne peut être au fond que l'espace lui-même, si le vide est ce dans quoi il n'y a pas de

15A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

corps, il doit être évident ponr nous que dans ce sens le vide n'existe pas autrement que Tespace, ni comme insé* parable des corps ni comme séparable, puisque le vide n'est pas non plus un corps, et qu'il serait bien plutôt l'intervalle qui sépare et isole les corps les uns des autres. Ainsi, le vide ne semble être quelque chose que comme l'est l'espace lui-même, et par les mêmes motifs; car le mouvement de locomotion dans l'espace est admis tout aussi bien, et par ceux qui soutiennent que l'espace est dis- tinct des corps qui s'y meuvent, et par ceux qui admettent l'existence du vide. Le vide parait la cause du mouve- ment, en tant qu'il est le lieu oh le mouvement se passe ; et c'est précisément le rôle que prêtent aussi à l'es- pace d'autres philosophes, qui repoussent la réalité du vide.

Quant à nous, nous ne croyons pas du tout que le vide soit une condition indispensable à la possibilité du mou- vement, ni que le vide soit la cause de toute espèce de mouvement, quel qu'il soit. C'est une remarque qui a échappé à l'attention de Mélissus; car le plein lui-même peut encore changer et avoir un mouvement, par suite d'une simple altération, sans qu'il y ait de déplacement dans l'espace. Mais il n'est pas même besoin de Supposer le vide pour que cette dernière espèce de mouvement puisse avoir lieu ; car il se peut fort bien que tout étant plein, les corps se remplacent successivement les uns les autres, sans qu'il y ait un espace séparable et distinct des corps qui se meuvent. C'est ce qu'on peut voir dans les rotations des corps solides et continus, aussi bien que dans celles des liquides qu'on fait tourner avec le vase qui les contient. La supposition du vide n'est pas

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. X. 155

DOû plus nécessaire pour comprendre que les corps se coudeusent et se rapprochent; car ce phénomène peut avoir lieu par l'expulsion de certaines de leurs parties, comme l'air s'échappe de l'eau quand on la presse dans les outres elle est renfermée.

J'ajoute que les corps peuvent s'accroître autrement qu'on ne le disait; car il n'est que faire qu'on y intro- duise quelque chose d'étranger, et il suffit d'une simple modification intérieure, par exemple, lorsque l'eau de- vient de l'air, et qu'elle prend on vaste développement A parler d'une manière générale, la théorie du vide, tirée du phénomène de Faccroissement des corps, ou de l'eau versée dans la cendre, n'est pas soutenable ; car, elle cont- duit à des conséquences toutes plus absurdes les unes que les autres. Ainsi, on arrive à dire que certaines par- ties du corps qui ne sont pas vides, ne s'accroissent pas, tandis qu'au contraire il est avéré que tontes, sans excep- tion, s'accroissent quand le corps lui-même s'accrcrft. On surrive à dire que l'accroissement ne peut pas résulter de l'adjonction d'un corps matériel, ce qui n'est pas moins contraire à l'observation; que deux corps peuvent être dans un seul et même lieu, si l'on admet que la partie du corps qui se nourrit est aussi bien pleine que les aliments qu'il prend ; et, enfin, que le corps doit être nécessaire- riient vide dans toutes ses parties, si l'on admet qu'il s'ac- croisse de toutes parts, et que le vide soit indispensable à cet accroissement. Telles sont les contradictions que l'on risque en soutenant l'existence du vide, et; les mêmes rai- sonnements s'appliqueraient au phénomène de la cendre imbibée d'eau, puisque aussi, on suppose du vide, et qu'un corps est mêlé à un autre. Mais ces explications

156 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

incomplètes ne démontrent pas du tout Texistence du vide et sa nature ; elles ne font que répondre aux plus vul- gaires notions sur ces matières. Ces théories, dont nos philosophes paraissent satisfaits, ne sont donc pas aussi difficiles à réfuter qu'ils se l'imaginent.

XI.

Je répète de nouveau qu'il n'y a pas de vide en dehors des choses, comme on l'a si souvent prétendu. Ce n'est pas le vide qui fait que les éléments ont une tendance na- turelle à se porter dans les lieux qui leur sont propres, le feu en haut, la terre en bas ou plutôt vers le centre. Mais, si le vide n'est pas cause de cette tendance, de quoi est- il donc cause, puisqu'on le faisait surtout la cause du mouvement dans l'espace, et qu'il est prouvé qu'il ne l'est pas? En second lieu, si le vide n'est pas autre chose que l'espace privé de corps, on peut demander : Quelle sera la direction d'un corps qui sera placé dans le vide? Ce corps ne peut aller certainement dans toutes les parties du vide ; il doit y prendre une direction, allant dans un sens plutôt que dans l'autre. Et, alors, nous faisons ici, contre l'existence du vide, la même objection que nous faisions plus haut contre l'existence de l'espace, conçu comme sé- paré des corps qui s'y meuvent. Comment le corps, qu'on suppose dans le vide, pourra-t-il s'y mouvoir? Comment pourra- t-il y rester en repos? Nous avons dit aussi, pour l'espace considéré isolément des corps, qu'il ne peut pas y avoir de haut et de bas ; nous en disons autant du vide, puisque ceux qui admettent son existence, le regardent comme de l'espace d'un certain genre. Mais alors, si

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. XI. 457

dans le vide et dans l'espace séparés des corps, la chose ue peut être ni en mouvement, ni en repos, comment y est-elle? Si elle ne peut être ni en haut, ni en bas, quelle y est sa position? C'est qu'il est impossible qu'une chose soit dans l'espace on dans le vide, quand on suppose le vide et Fespace séparés de tout et permanents. La partie d'une chose, à moins qu'on ne la suppose isolée du tout dont elle fait partie, ne peut pas être dans l'espace; elle est seulement dans le tout auquel elle appartient Mais, si l'espace n'est pas indépendant et séparé des icorps, le vide ne l'est pas plus que lui.

Loin qu'on ait raison de croire que le vide est absolu- ment nécessaire au mouvement, je dirais bien plutôt que le mouvement n'est plus possible, du moment que le vide existe ; car, de même que certains philosophes ont expli- qué l'immobilité de la terre par l'égalité de la pression qu'elle reçoit de tout ce qui l'entoure, de même il faut que, dans le vide, tout soit en un complet repos; car, dans le vide, il ne peut pas y avoir un lieu vers lequel le corps doive se mouvoir plutôt que vers tout autre, puisque, dans le vide, on ne peut pas distinguer de dif- férence. En effet, il faut se bien rappeler que tout mouve- ment est, ou naturel, ou forcé ; et, s il y a un mouvement forcé, c'est une nécessité qu'il y ait corrélativement un mouvement naturel. Or, le mouvement forcé ne vient qu'après le mouvement qui est selon la nature ; par con- séquent, si Ton suppose que, pour les éléments, il n'y a plus de mouvement naturel et spontané, on peut en con- clure qu'ils n'ont plus dès lors aucune espèce de mou- vement. Mais comment dans le vide, il n'y a plus au- cune différence possible, non plus que dans Tinfini, pourra-

158 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

t-il y avoir un mouvecnent naturel, distinct d'un mouve- ment forcé? Dans Tinfini, il n'y a plus ni haut, ni bas, ni milieu ; dans le vide, s'il y a haut et bas, il est bien im- possible de les distinguer l'un de Tauti^e ; car de même que le néant ou le rien ne peut présenter de différence, de même il ne peut pas y en avoir dans ce qui n'est point encore, bien qu'il puisse être ultéiieurement ; or, le vide est une sorte de non-*être, et c'est une privation plutôt que toute autre chose. Mais, le mouvement naturel pré- sente les différences que l'ou sait, et les choses qui ont une réelle existence dans la nature, sont, par suite, diffië*- rentes entr* elles. Ainsi donc, de deux choses Tune : ou le mouvement naturel ne sera pas, et, aucun élément n'aura de tendance naturelle ; ou bien, si le mouvement naturel existe^ comme l'observation la plus vulgahre l'atteste^ c'est que le vide n'existe pas, comme on le prétend.

Un phénomène bien connu et très-ordinaire vient en- core démontrer cette vérité : c'est la manière dont les projectiles continuent à se mouvoir, même après que le moteur qui les a lancés a cessé de les toucher. On ex- plique leur progression de deux manières, soit par la précipitation de l'air qui remplace vivement celui que la pierre a déplacé, comme quelques philosophes l'ont dit, soit par l'action de l'air, qui, chassé par la main, chasse à son tour l'air qui le précède, en lui communiquant un mouvement plus rapide que ne Test la tendance natu- relle du corps à descendre vers le lieu qui lui est propre.

Mais, quelle que soit l'explication qu'on adopte, rien de tout cela ne peut se passer dans le vide, et le corps ne peut y être en mouvement que s'il est sans cesse porté et soutenu par la cause qui le meut, comme le fardeau que

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. XL 159

porte un char. Il ne serait pas moins dilScile de dire, le TÎde étant admis, comment un corps pourrait s'y arrêter, une fois qu* il aurait été mis en mouvement. Pourquoi, en effet, s'y arrèterait-il ici plutôt que ? Par conséquent, ou le corps restera nécessairement toujours en repos dans le vide; on, s'il y est une fois en mouvement, ce mouve-> ment ne finira jamais, à moins que quelqu'obstade plus puissant ne vienne à l'arrêter. Ce qui fait croire à ces philosophes que les corps sont portés dans le vide, c'est que l'air cède devant eux ; mais le même phénomène se produit à plus forte raison dans le vide, qui cède dans tous les sens à la fois ; et ce serait aussi dans tous les sei» indifféremment que les corps pourraient s'y mouvoir. Or, c'est ce qui est tout à fait contraire aux lois de la na- ture, qui donne au mouvement de tons les corps, selon leur pesanteur ou leur légèreté, une direction qui n'a rien d'arbitraire.

Aux considérations qui précèdent, on peut en ajouter encore quelques-unes qui achèveront de prouver que le vide ne peut pas exister. Évidemment, quand un corps de même nature reçoit un mouvement plus rapide, cela peut tenir à deux causes, ou au milieu qu'il traverse, ou au corps lui-même. Si le milieu est de l'air, par exemple, le même corps s'y meut plus vite que s'il avait à traverser de l'eau ou de la terre; et, en second lieu, si toutes les autres conditions, restant d'sdlleurs égales, le corps devient plus lourd on plus léger, son mouvement varie de rapi* dite dans la même proportion. Le milieu que le corps traverse l'arrête le plus possible, quand il a lui-même un mouvement en sens contraire à celui du corps; et, ensuite, quand ce milieu est immobile. La résistance s'accrott

160 PARAPHRASE DE LV PHYSIQUE

avec la densité du milieu, qui oppose d'autant plus d'obs* tacle qu'il est plus difficile à diviser. Soit, par exemple, uu corps A traversant le milieu B, dans un certain temps G, et traversant le milieu D, qui est moins dense que B, dans un temps £. En supposant que la longueur du milieu B et celle du milieu D sont égales, le mouvement de A sera en proportion de la résistance du milieu qu'il traverse. B est de l'eau, si l'on veut; et D est de l'air. Autant l'air sera plus léger et moins dense, ou moins corporel que l'eau, autant A traversera D plus vite qu'il ne traverse B. Évi- demment, la première vitesse sera à la seconde dans le même rapport que l'air est à l'eau en densité compara- tive; et si l'on suppose arbitrairement, par exemple, que l'air est deux fois plus léger et moins dense que l'eau, le corps A traversera l'eau B en deux fois plus de temps qu'il ne lui en faudra pour traverser l'air D: par suite, le temps C sera le double du temps E. Donc, le mouvement du corps, toutes choses égales d'ailleurs, sera d'autant plus rapide que le milieu qu'il aura à traverser sera plus incorporel, moins résistant et plus aisé à diviser.

Mais il n'y a pas de proportion possible entre le vide et le plein, et l'on ne peut savoir de combien le plein sur- passe le vide, de même que rien ne peut pas avoir de proportion possible avec le nombre. En effet, si Ton peut dire que quatre surpasse trois d'une unité, de même qu'il surpasse encore davantage deux et un, on ne peut plus dire dans quelle proportion il surpasse le riçn. Car, néclBs- sairement, la quantité qui surpasse une seconde quantité, se compose d'abord de la quantité dont elle surpasse l'autre, et ensuite d'une quantité égale à celle qui est surpassée. Par conséquent, quatre serait et la quantité

DARISTOTE, LIVRE IV, CH. XI. 161

dont il surpasse le rien on zéro, et, en outre, il serait le rien; ce qui est absurde. Par an motif analogue, on ne peut pas dire que la ligne surpasse le point, parce que la ligne n'est pas elle-même composée de points.

On voit par que le vide ne peut pas avoir le moindre rapport proportionnel avec le plein ; et le mouvement dans le vide ne peut jamais non plus être en proportion avec le mouvement dans le plein. Si donc ^ dans le milieu le moins dense possible, le corps franchit tant d'espace en tel temps, on peut dire que dans le vide ce mouve- ment dépassera toute proportion possible. Soit, en effet, F le vide et d'une dimension égale à celle du milieu B, qui est de l'eau, et du milieu D, qui est de l'air. Si le corps A traverse le vide et le franchit dans un certain temps G , supposé plus coart que le temps E , qui était la mesure de la course de A dans l'air, c'est-à-dire dans le corps le moins dense des deux^ ce sera le rapport du vide au plein. Mais, dans ce même temps G, le corps A ne franchira de D que la portion H. Le corps A traversera donc le milieu F, c'est-à-dire le vide, lequel est beaucoup plus léger que l'air, avec une vitesse propor* tionnellement égale au rapport du temps E au temps G; car, si le vide F surpasse l'air en légèreté dans la proportion le temps E surpasse le temps G, à l'inverse, le corps A, dans son mouvement, traversera le vide F avec une vi- tesse correspondante au temps G. Mais si F est absolu- ment vide de corps, le mouvement de A devrait y être d' «autant plus rapide. Cependant) on supposait tout à l'heure que A traversait une portion H de D dans le même temps G ; donc, le corps franchit la distance donnée dans le même temps, soit dans le plein, soit dans le vide. Or,

H

iM PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

c'est une impossibilité manifeste; donc, si Ton suppose qn'il faut un certain temps à un corps quelconque pour traverser le vide, on aboutit à cette absurdité qu'un corps traverse indifiéremment, dans le même temps, le plein et le vide. Ce qui est vrai, c'est qu'au lieu du vide il faut toujours supposer un corps qui est à l'autre corps dans la même relation de légèreté ou de pesanteur que le temps est au temps; mais, dans le vide, il n'y a rien de pareil.

Pour résumer toute cette discussion sur la rapidité plus ou moins grande du corps, selon les milieux traversés, nous dirons que cette conclusion à laquelle nous aboutis- sons en ce qui concerne le vide, tient à ce qu'entre deux mouvements qui se passent l'un et l'autre dans les temps finis, on peut toujours établir une certaine proportion, tandis qu'entre le plein et le vide, il n'y a pas de pro* portion possible. Mais je ne veux pas pousser plus loin ces considérations sur la différence des» milieux traversés, et leur influence pour accélérer ou ralentir le mouvement des corps qui les traversent.

Je passe à la différence des corps eux-mêmes selon qu'ils sont plus légers ou pins denses, et qu'ainsi ils ont dn mouvement plus rapide ou pins lent. Il faut remar- quer d'abord que, selon que les corps ont plus ou moins de pesanteur, leurs conditions de forme restant d'ailleurs les mêmes, ils parcourent plus ou moins rapidement une même étendue, et qu'ils la parcourent dans le rapport même sont entr'elles les différences de pesanteur ou de légèreté. Par conséquent, ils la parcourraient égale- ment dans le vide. Mais c'est ce qui est impossible ; caç . quelle cause dans le vide pourrait accélérer le mou- vement? Dans le plein, on comprend bien cette accéléra-

D'AIUSTOTE, LIVRE IV, CH. XII. 163

UoD ; car celai des deux corps qui a le plus de force par sa pesanteur, divise aussi plus rapidement le milieu qu'il doit traverser, soit que d'ailleurs cette force plus grande lui vienne ou de sa nature particulière ou de l'impulsion qu il a reçue. Msds dans le vide, tous les corps devraient avoir la même vitesse ; et c'est une hypothèse tout à fait inadmissible.

Je conclus de tout ceci que l'existence du vide, si elle était réelle comme le croient ceux qui bâtissent ce sys- tème, entraînerait de toutes autres conséquences que celles qu'ils attendent. Ils s'imaginent que le mouvement ne serait pas possible dans l'espace, s'il n'y avait pas du vide séparé de tocs les corps et subsistant en soi ; mais an fond, cela revient à dire qu'il doit aussi y avoir un espace également indépendant des corps, et nous avons démontré pins haut qo'il n'en pouvait être ainsi. Donc en résumé, le vide n'existe pas plus que l'espace à l'état d'isolement qu'on Ini veut attribuer.

XII.

A ne considérer le vide qu'en soi, et indépendamment de son rapport avec le mouvement, on pourrait admettre sans trop de peine que le vide, en effet, existe bien comme on veut nous le faire croire, c'est^-dire, que toutes les explications sont parfaitement vides et creuses. Pour n'é* tndier le vide qn'en lui-même , voici quelques faits qui prouvent qn'il ne peut exister. Si l'on plonge un cube de bois dans l'eau, il y déplace une quantité de liquide égale à lui, et ce même déplacement a lieu de la même façon dans l'air, bien que pour ce dernier cas le phénomène

164 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

échappe à nos sens. J'ajoute que le phénomène est iden- tique dans tout autre corps différent de Tair ou de l'eau» et quil y a nécessité, à moins que ce corps ne se con- dense et ne se comprime, qu'il se déplace dans la direc- tion qui lui est naturelle. Il se dirige en bas, si sa tendance naturelle est en bas, comme celle de la terre; il se dirige en haut, si sa tendance naturelle est en haut, comme le feu ; ou dans les deux directions, comme l'air, soit en haut, soit en bas, selon les circonstances. C'est une loi générale qui s'applique au corps traversé par un autre, quel qu'il soit. Or, dans le vide rien de tout cela ne peut se passer, puisque le vide n'est pas un corps. Mais il semble alors que cet espace qui tout à l'heure était le vide, doit pénétrer le cube avec cette même dimension, comme si l'eau et l'air, au lieu de céder la place à ce cube de bois, le pénétraient l'un et l'autre de part eu part. Si l'on dit qu'en effet le vide peut pénétrer absolument le corps, je réponds que c'est impossible; carie cube plongé dans le vide, a tout autant d'étendue que le vide lui- même, dans la partie dn vide qu'il occupe. Peu importe d'ailleurs, que ce corps soit chaud ou froid, pesant ou léger; il diffère dans son essence de toutes les qualités di- verses qu'il peut avoir, bien qu'il n'en soit pas séparable, et il consiste surtout dans les trois dimensions qui le forment, c'est-à-dire qui forment ce cube de bois que je considère. Par conséquent, en admettant même qu'on pût l'isoler de toutes ces affections particulières, de pe- santeur ou de légèreté, de chaud ou de froid, il n'en conserverait pas moins ses dimensions, et n'en occuperait pas moins une même quantité de vide ou d'espace qui lui serait égale. Dès lors, en quoi ce corps réduit à ses pures

D ARISTOTE, LIVRE IV, CH. Xlll. 165

dimensions, difTérerait-ild'uo espace ou d'un vide égal à lui 1 Évidemment, il se confondrait absolument avec eux ; et ce que je dis ici d'un seul corps peut se dire tout aussi bien de deux ou d'un nombre quelconque de corps, qui seraient tous alors dans un seul et même lieu ; ce qui ne peut guère se comprendre.

Mais à cette première impossibilité, s'en ajoute une autre que je signale en passant. Il est clair que ce cube fie perdra point, par cela seul qu'il se déplace, la pro- priété qu'ont tous les corps, sans exception, c'est-à-dire les trois dimensions qui en font un corps réel. Si donc il ne diffère point par ces dimensions de l'espace ou du vide qui le contient, à quoi sert alors d'imaginer un espace et QD vide séparé des corps, si l'étendue de chacun d'eux n'en reste pas moins ce qu'elle est, indépendamment des qualités que le corps peut avoir? 11 n'est que faire de supposer une autre étendue qui entoure le corps, en étant égale à lui et telle que lui. 11 snflit de s'en tenir à la di- mension du corps lui-même; et l'on doit être persuadé qu'il n'y a pas de vide qui soit en dehors des corps et séparé d'eux.

xm.

D'autres philosophes ont prétendu démontrer l'exis- tence du vide, en tirant leurs preuves des phénomènes de condensation et de raréfaction dans les corps. Selon eux, le vide était indispensable à la possibilité de ces phéno- mènes, a Sans la condensation et la raréfaction, disaient*- c( ils, il est impossible que les corps se compriment et (t se l'esserrent; et si les corps ne se resserrent point,

166 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

(( alors le mouvement cesse d'être possible. Ou bleu, l'u- « Divers est condamné à une fluctuation perpétuelle^ (( comme le prétendait Xutbus; ou bien, la quantité des « corps qui se changent les uns dans les autres, doit res- te ter toujours la même, comme, par exemple, une coupe <( d*eau doit ne produire qu'une coupe d'air, et j[>as plus; (( ou bien enfin, il faut qu'il y ait dans les corps du vide H qui leur permet de se condenser ou de se dilater. » Ces objections ne me semblent pas plus décisives que les autres. Si l'on appelle rare un corps qui a beaucoup de vides]séparés les uns des autres, il est clair que le rare ne peut pas plus exister en dehors des corps, que n'existent de cette façon le vide et l'espace. 11 est vrai que ïoa dit que le vide n'est pas indépendant des corps et qu'il n'est pas dans leur intérieur. Ce système est un peu moins inacceptable; mais il entraîne aussi des consé- quences qui ne valent guère mieux que les précédentes.

Si l'on confond ainsi le rare et le vide, alors le vide n'est plus la cause du mouvement en général, ainsi qu'on l'a dit ; mais il est seulement la cause du mouvement qui se dirige en haut, puisqu'un corps qui est rare est léger et qu'il se dirige naturellement en haut. C'est en ce sens que ces philosophes mêmes reconnaissent que le feu est un corps léger. Secondement, on ne pourra plus dire que le vide soit la cause du mouvement, en ce sens qu'il serait le lieu le mouvement se passe ; il est alors purement et simplement dans les corps, et il a la pro- priété de les entraîner et de les faire monter avec lui, comme les outres gonflées d'air montent dans l'eau, et entraînent avec elles à la surface ce qu'on y attache. Le vide aurait upe faculté analogue. Mais encore une fois,

D'ARISTOTE, LIVKK IV, CH. XIH. 107

comtneot serait-il possible que le vide eût une dii^ection^ et un lieu il se dirigerait et qui lui serait propre? Alors, il faut pour le vide un vide il puisse aller» autre objection se présente contre cette théorie. Si le vide fait monter les corps en haut, et si le vide est dans tous les corps, cooun^it peut-on expliquer le mouvement en bas? Quelle est la cause alors qui fait que le corps pesant descend, au lieu de monter? Ajoutez aussi que, si le corps monte d'autant plus rapidement en haut qu'il esi plus rare et pins vide, il y montera le plus rapidement pos* sible s'il est absolument vide. Mais comment est-il pos-- sible que le vide ait du mouvement? Et le même raison- nement qui prouvait que tout dans le vide est immobile, ne démontre-t-il pas aussi que le vide doit être immobile lui-même comme tout ce qu'il renferme ? Les vitesses des corps seraient incommensurables dans le vide.

Du reste, tout en niant l'existence du vide, nous n'en reconnaissons pas moins l'exactitude de quelques-unes des explications données plus haut. Ainsi, nous admettons que les corps doivent pouvoir se raréfier et se condenser ; car, sans ces phénomènes, le mouvement ne peut plus se concevoir ; le ciel est alors dans une fluctuation perpé- tueUe, comme on l'a dit ; et il faut que toujours une même quantité d'eau produise une même quantité d'air , et « réciproquement, qu'une même quantité d'air produise une môme quantité d'eau, ce qui est bien absolument im- possible, et manifestement contraire à l'observation, qui atteste que de l'eau il vient une plus grande masse d'air. Car, si la compression des corps était impossible, il fau- drait admettre que le premier mouvement venu, propagé continuement de proche en proche, communiquerait la

168 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

fluctuation jusqu'aux extrémités du ciel; qu une égale quantité d'air devrait se changer en eau quelque part ailleurs, pour que le volume total de l'univers restât tou- jours le même; ou bien enfin il faudrait conclure que le mouvement est impossible. Si l'on dit que la compression n'a pas lieu, même quand le corps se déplace, parce qu'il aurait une rotation circulaire, je réponds que le déplace^ ment par rotation circulaire n'est pas le seul qu'éprouvent les corps, et qu'il resterait toujours à expliquer les mou- vements en ligne droite, qui sont au moins aussi nom- breux que les mouvements en cercle.

Telles sont à peu près les raisons qui ont déterminé quelques philosophes à soutenir l'existence du vide. Quant à nous, nous n'hésitons pas à la nier; et, pour jus- tifier notre opinion, nous rappellerons quelques-uns des principes que nous avons posés plus haut.

La matière est la même pour les deux contraires ; c'est une seule et même matière qui est tantôt froide et tantôt chaude, en un mot, qui reçoit les contraires naturels. Ce qui est en acte vient de ce qui est en puissance ; la ma> tièi*e n'est pas séparée des qualités qui l'aflectent, bien que son être f»oit difiërent ; et elle est essentiellement et numériquement une, sous la variété des qualités, soit dans l'ordre de la couleur, soit dans l'ordre de la température ou dans tout autre. Par conséquent, la matière d'un corps reste identique , que ce corps soit grand ou petit. Par exemple, quand l'eau se change en air, et que sous cette forme elle tient beaucoup plus de place, ce n'en est pas moios la même matière qui s'est modifiée sans rien rece- voir d'étranger; il n'y a eu qu'une transforuialion et un passage de la puissance à l'acte. L'eau pouvait deve-

DARISTOTE, LIVRE IV, CH. XIII. 169

nir air, et elle l'est deveone. C*est un phénomène tout à fait analogue lorsque c'est l'air, au contraire, qui se change en eau ; car c'est tantôt la petitesse qui va à la grandeur, et tantôt la grandeur qui passe à la petitesse. C'est, au fond, le même phénomène, soit quand l'air qui est en grande masse se réduit à un moindre volume, soit, au contraire, quand la petite masse d'eau se développe et devient plus grande qu'elle n'était. La matière qui n'est qu'en puissance devient indifféremment grande ou petite, selon les causes qui agissent sur elle. Cette identité de matière subsiste également , soit qne les changements soient absolus, soit qu'ils consistent dans un simple degré de force qui s'accroît. Ainsi, c'est la même matière qui de chaude devient froide, ou qui de froide devient chaude. Maïs c'est aussi la même matière qui, de chaude qu'elle est déjà, devient de plus en plus chaude, sans que rien y devienne chaud qui ne le fût d'abord, bien que le corps eût antérieurement moins de chaleur qu'il n'en acquiert. C'est toujours la matière qui dans l'un ou l'autre cas passe de la puissance à l'acte. Entre la chaleur initiale et la chaleur redoublée qui la suit, il n'y a pas plus de diffé- rence qu'il n'y en a entre un cercle plus grand qui rétré- cit peu à peu sa circonférence et sa convexité, pour de- venir plus petit, et entre le cercle plus petit qu'il forme. En effet, il n'y a pas dans ce cercle nouveau une partie quelconque qui acquière une convexité qu'elle n'aurait point eue auparavant, comme si elle passait du droit au convexe; et, soit que la circonférence reste la même en se rétrécissant, soit qu'on suppose une circonférence nou- velle, il n'y a pas d'interruption, et le passage de l'un à l'autre état se fait sans solution de continuité. Dr même,

170 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

dans la flamme, toutes les parties deviennent chaudes de plus en plus; et Ton ne pourrait pas en trouver une seule qui ne fût blanche tant est elle chaude, et qui restât froide au milieu de la chaleur des autres. Il n'y a pas de parties nouvelles dans le corps échauffé; ce sont toujours les mêmes parties qui s'échauffent de plus en plus.

J'applique ces principes à la question qui nous occupe ici : tt, quand un corps se développe ou se rapetisse, ce n'est pas qu'il reçoive rien d'étranger; c'est seulement parce que sa matière est en puissance susceptible de ces deux états successifs de grandeur et de petitesse. C'est donc le même corps qui est tantôt dense et tantôt rare ; et la matière reste identique sous ces deux qualités. Mais, le dense est lourd, et le rare est léger; et ces propriétés vont ensemble. Le lourd et le dur font l'effet d*ètre denses, tandis qu'au contraire le léger et le mou font l'effet d'être rares ; ce qui n'empêche pas que le lourd et le dur ne se confondent pas toujours ; car, le plomb est plus lourd que le fer, quoique le fer soit plus dur que lui.

J'en conclus, pour résumer tout ce qui précède, que le vide n'est point séparé des corps , qu'il n'existe point, comme on le croit, dans les corps appelés rares, et qu'il n'est pas même en puissance et capable de se réaliser quand les corps disparaissent de l'espace. On peut bien, si Ton veut, employer une expression impropre, et dire que c'est le vide qui est la cause de la chute des corps ; mais alors, le vide n'est plus réellement que la matière du léger et du lourd ; car, c'est le dense et le rare qui, opposés comme ils le sont, produisent la chute des graves, ou l'ascension des corps plus légers. Eu tant que les corps sont durs ou mous, c'est pour eux une cause de passivité

D'ARISTOTE, UVRE IV, CH, XIV. 171

ou d'impassibilité plus ou moins grandes ; mais ce n'est pas ce qui fait leur chute ; et c'est plutôt en eux une cause d'altération dans tel sens ou dans tel autre.

Nous ne pousserons pas plus loin nos théories sur le YÎde ; et ce que nous avons dit suffit pour expliquer com- ment il est, et comment il n'est pas.

XIV.

A la suite de nos études sur l'infini, l'espace et le vide, il faut étudier ausri la question du temps, et notre mé- Uiode sera ici à peu près ce qu'elle a été plus haut. D'a- bord, nous exposerons les problèmes que ce sujet sou- lève; et, pour savoir si le temps existe ou n'existe pas, nous nous su*rèterons même aux opinions les plus vul- gaires, nous réservant de rechercher plus tard quelle est précisément sa nature.

Voici d'abord quelques raisons assez spéciales qui pourraient donner à croire que le temps n'existe pas, ou que, du moins, s'il enste, c'est d'une façon à peine sen- sible et très-obscure pour nous. Ainsi, l'on peut dire que des deux parties du temps, l'une a été et n'est plus^ et que l'autre partie n'est pas encore, puisqu'elle doit être. Or, ce sont pourtant les éléments dont se compose ce temps qui est infini, et celui qn on peut compter sans cesse. Par suite, il semble que ce qui se compose d'élé- ments qui ne sont pas, ne peut guère avoir lui-rmème une véritable existence. Ajoutez que, pour tout objet divi- sible, il faut, pour que cet objet existe, que toutes ses parties, ou du moins quelques-unes, existent aussi. Or, pour le temps, quelques-unes de ses parties, comme nous

172 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

venons de le dire, ont été; d'autres seront; mais aucune n*est réellement; donc, il semble que le temps n'existe pas. Mais l'instant, le présent ne fait pas partie du tenaps, ainsi qu'on pourrait le croire ; car, une partie d'une chose , sert à mesurer cette chose, et le tout doit toujours se com- poser de la réunion des parties. Or, on ne peut pas dire que le temps se compose d'instants ; donc, l'instant n*est point une partie du temps.

Et cet instant lui-même, qui limite le présent et l'ave- nir, en les séparant l'un de l'autre, est-il un, toujours identique et immuable 7 Ou bien est-il, lui aussi, toujours et toujours différent? Ce sont des questions auxquelles il n'est pas facile de répondre. En effet, si l'instant est perpétuellement autre, et qu'un instant différent succède toujours à un antre instant; s'il est imposable qu'une des parties du temps coexiste jamais avec une autre par- tie, si ce n'est à cette condition, qu'une partie du temps en enveloppe une autre qui est enveloppée par elle, comme il arrive quand un temps plus court est compris dans un temps plus long; et si, enfin, l'instant qui n'est plus à présent, mais qui a précédemment été, doit avoir péri à un certain moment donné, il en résulte nécessaire- ment que les instants successifs n'ont jamais pu coexister les uns avec les autres, puisque l'antérieur aura tou- jours nécessairement périr pour qu'un autre lui succède. Mais il n'est pas possible que l'instant périsse comme on le prétend; car il n'a pu périr en lui-môme et dans sa propre durée, puisqu'il existait alors; et il ne peut pas davantage avoir péri pendant la durée d'un instant anté- rieur, puisque jamais deux instants ne sont simultanés. Donc^ les instants ne peuvent pas tenir les uns aux

DARISTOTE, LIVRE, IV, CH. XIV. 178

antres, pas pins que dans la ligne le pmnt ne peut tenir au point. Mais si l'instant ne peut avoir péri durant rinstant qui tient à lui, il faut qu'il ait péri dans un autre instant; et, dès lors, il aura pu coexister, avec les instants intermédiaires qui sont en nombre infini ; or, nous ve- ncMis d'établir que jamais deux instants ne peuvent coexis- ter, et nous devons conclure que l'instant ne périt pas^ comme on se l'imagine.

Mais, d'autre part, il n'est pas plus possible que ce soit le même instant qui demeure éternellement et sub- siste toujours le même; car l'instant est une limite, et dans les choses divisibles et finies, comme l'est une por- tion de temps prise arbitrairement, un mois, une année, il faut qu'il y ait an moins deux limites, soit que d'ail- leurs le divisible et le continu que l'on prend ait une seule dimension comme la ligne, soit qu'il en ait plusieurs comme la surface ou le solide. Donc l'instant ne peut pas être un et toujours le même, puisqu'on ne peut pas limiter le temps, sans qu'il y ait au moins deux instants, l'un an début et l'autre à la fin. Enfin cette prétendue unité de l'instant, toujours le même, mène à cette autre absurdité que tous les faits antérieurs et postérieurs seraient dans le même instant. Coexister chronologique- ment et n'être ni antérieur ni postérieur, c'est être dans le même temps, et par conséquent dans le même instant; or, si les faits antérieurs et les faits postérieurs coexistent dans le même instant, alors, il faut admettre que ce qui s'est passé il y a dix mille ans est contemporain de ce qui se passe à Theure nous sommes ; et, par suite, il n'y a plus rien qui soit postérieur ou antérieur à quoi que

474 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ce soit ; tous les temps sont confondos ; ce qui est insou* tenable et absurde.

Telles sont les questions principales que peut soulever l'existence du temps, avec les propriétés qui le caractéri- sent.

XV.

Qu'est-ce que le temps? Quelle est sa véritable nature? C'est ce que n'ont éclairci ni les systèmes de nos prédé- cesseurs, ni môme les considérations que nous avons pré- sentées sur l'infini, sur le vide et sur l'espace. En effet, parmi les philosophes, les uns ont prétendu que le temps est le mouvement de l'univers; les autres en ont fait la sphère même du monde. Bien qu'on puisse dire qu'une partie de la révolution et du mouvement céleste est une portion du temps, on ne peut pas confondre ce mouve- ment avec le temps lui-même ; et réciproquement, la por- tion du temps que l'on considère est une partie du mou-* vement céleste; mais le temps n'est pas la révolution même. Ajoutez que, si l'on admet plus d'un ciel, s'il y a plusieurs cieux, comme on l'a parfois prétendu, le temps étant d'après cette hypothèse le mouvement de chacun d'eux, il s'ensuivrait qu'il y a plusieurs temps; ce qui est manifestement contraire à la réalité. Quant à cette autre opinion qui identifie le temps et la sphère céleste, ce qui a pu y donner naissance, c'est que toutes choses sans exception sont dans le temps, de même aussi qu'elles sont dans la sphère céleste, dans la sphère universelle. Mais cette assertion est vraiment trop naïve pour mériter

D'ARBTOÏE, LIVRE IV, CH. XVI. 175

Texamen qai en démontrendt toutes les impossibilités. Ce qu'il y a d'admissible dans ces systèmes, c'est qu'en effet le temps est un mouvement et un changement d'une certaine espèce, et c'est à ce point de vue qu'il le faut étudier. Mais le mouvement ou changement de chaque chose est, on exclusivement dans la chose même qui change, on bien dans le lieu se trouve la chose qui change et se meut. Quant au temps, il est partout, et il est le même pour tout ce qui est. Il fant remarquer encore que le mouvement est ou plus rapide on plus lent, tandis que le temps n'est ni l'un ni l'autre. La rapidité et la len- teur se mesurent par le temps écoulé; on dit d'un corps qu'il est rapide, quand il fait un grand mouvement en peu de temps ; on dit qu'il est lent, quand au contraire dans beaucoup de temps il fait un petit mouvement. Mais le temps ne se mesure pas par le temps, ni pour sa quantité ni pour sa qualité. Ainsi, le temps n'est pas un mouve- ment. Du reste, nous confondons le mouvement et le changement, du moins pour le moment, nous réservant de montrer plus tard les nuances qui les distinguent.

XVI.

Un premier point certain, c'est que le temps n'existe pour nous qu'à la condition du changement ; car lorsque nous-mêmes nous n'éprouvons aucun changement dans notre propre pensée, ou lorsque le changement qui s'y passe écbacppe à notre attention, nous croyons qu'il n'y a point de temps d*écouIé. II n'y a pas plus de temps alors pour nous qu'il n'y en a pour ces hommes qui dorment, dit-on, à Sardes près des Héros, et qui à leur réveil n'ont

176 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

aucuQ sentiment du temps écoulé, parce qu'ils réunissent rinstant qui a précédé leur sommeil à l'instant ils se réveillent, et n'en font qu'un en supprimant tout l'inter- valle de temps intermédiaire qu'ils n'ont pas perçu. Ainsi de même qu'il n'y aurait pas de temps à proprement par- ler, si l'instant n'était pas autre et que ce fût un même et seul instant, de même aussi, quand on ne s'aperçoit pas que l'instant est autre, il semble que tout l'intei'valle écoulé n'est plus du temps. Si donc le temps nous échappe et est supprimé pour nous, quand nous ne discernons au- cun changement, et que notre âme semble demeurer dans un instant unique et indivisible ; et si, au contraire, lorsque nous sentons et discernons le changement, nous affirmons qu'il y a du temps qui s'est écoulé, il en résulte évidem- ment qu'il n'y a du temps pour nous qu'à la condition du changement et du mouvement. Ainsi, il est incontestable que le temps n'est pas le mouvement, et également, que sans le mouvement le temps n'est pas possible.

C'est en partant de ce principe que nous saurons, dans notre recherche sur la nature du temps, ce qu'il est par rapport au mouvement. Nous percevons tout ensemble et le temps et le mouvement; mais le mouvement n'a pas besoin d'être extérieur ; et l'on a beau être plongé dans les ténèbres, le corps a beau être dans une impassibilité complète, il suffit qu'il y ait un certsdn mouvement dans notre àmci pour que nous ayons aussitôt la perception d'un certain temps écoulé. Réciproquement, du moment qu'il y a eu du temps, il semble aussi du même coup qu'il a y avoir du mouvement. Par conséquent, ou le temps est le mouvement, ou du moins il est quelque chose du mouvement; mais comme il vient d'être prouvé qu'il

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. XVI. 177

n'«8t fNis tout à fait le moavemeat, il faut qu'il en soit simplement quelque chose et qu'il ait arec lui une cer->- uûne relation*

Un premier rapport du temps au mouvement, c'est qu'il est continu comme lui. Comme tout corps qui se meut doit toujours se mouvoir d'un point vers un autre point, et que tonte la grandeur parcourue par le corps est continue, le mouvement est à cet égard semblable à la grandeur; et si c'est parce que la grandeur est continue que le mouvement est continu comme elle, le temps aussi sera continu parce que le mouvement est continu. Selon que le mouvement se prolonge, le temps de son côté semble aussi long que le mouvement lui-même. Un se-« cond rapport entre le temps et le mouvement, c'est qu'on peut dans l'un comme dans l'antre distinguer l'antériorité et la postériorité. Sans doute, c'est primitivement dans le «temps qu'on fait cette distinction ; el pour le lieu, elle re^ pose uniquement sur la position des choses les unes à l'égard des autres. Par suite, comme il y a également antériorité et postériorité dans la grandeur parcourue, il faut aussi que toutes les deux se retrouvent dans le mou* vement; et du moment qu'elles sont dans le mouvement, elles reparaissent dans le temps, puisque le temps et le mouvement sont corrélatifs l'un à l'autre, et ont les plus grands rapports entr'eux. Ainsi, l'on peut dire que Tan- tériorité et la postériorité du temps sont dans le mouve^ ment; et c'est bien être aussi du mouvement d'une certaine façon. Mais les manières d'être du temps et du mouvement sont différentes, et l'on ne peut pas dire pré-* cisément que le temps soit du mouvement.

C'est qu'en effet nous n'avons réellement la notion de

12

178 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

la durée, qu'en déterminant le mouvement par }a distioc^ tion deTantérienr et du postérieur ; nous n'affirmons qu'il y a eu du temps d'écoulé que quand nous avons la per- ception distincte de l'antériorité et de la postériorité dans le mouvement. Or, cette détermination du temps n'est possible qu'à la condition de reconnaître que deux choses, l'une antérieure et l'autre postérieure, diffèrent l'une de l'autre, et qu'il y a entr'elles un intervalle qui ne se confond avec aucune des deux. Il faut donc que la pensée discerne les deux extrêmes et les dis- tingue du milieu, et il faut qu'elle affirme qu'il y a deux instants, Tnn antérieur et l'autre postérieur, pour que nous puissions avoir la claire notion du temps ; car ce qui est limité par l'instant peut être appelé du temps, et c'est la définition que nons en proposons. Par consé- quent, lorsque nous ne sentons l'instant actuel que comme une unité, et qu'il ne peut nous appan&ttre ni comme an- térieur et postérieur dans le mouvement, ni même tout en restant identique et un, comme supposant quelque chose d'antérieur et de postérieur, alors il nous semble qu'il n'y a point eu de temps d'écoulé, parce qu'en effet il n'y a point eu non plus de mouvement appréciable. Mais du moment qu'il y a pour noas antériorité et posté- riorité, nous affirmons qu'il y a du temps. On pourrait donc définir précisément le temps : la mesure du mouve- ment par rapport à l'antériorité et à la postériorité. Aiâsi, le temps n'est du mouvement qu'en tant que le mouve- ment peut être évalué numériquement; et la preuve, c'est que c'est par le nombre que nous jugeons du plus et du moins dans les choses ; et que c'est par le temps que nous jugeons de la grandeur ou de la petitesse du mouvement.

DARISTOTE. LIVRE IV. CH. XVII. 179

Donc ea résamé, le temps est une espèce de nombre, comme le mot oombre peat avoir deux sens différents, selon qu'oD le considère abstraitement et concrètement, et qu'il signifie à la fois et ce qui est nombre ou numé-

rable, et ce par quoi on dénombre les choses, le temps est le nombre nombre et non le nombre nombrant ; car il faut bien faire une différence entre ce qui sert à nombrer, et ce qui est nombre.

XVIL

Pour mieux comprendre ceci, il faut étudier de plus près ce que c'est que Tinstant, le présent. Or, voici l'idée qu'on peut se faire de l'instant. De même que le mouve- ment est perpétuellement et perpétuellement antre, de même le temps l'est tout comme lui , ce qui n'empècbe pas que le temps, pris dans son ensemble, ne soit éternel* lement identique et le même. L'instant actuel, l'instant d'à présent est absolument le même que celui qui était auparavant ; seulement son être est distinct, et c'est l'in- stant qui mesure le temps, en tant qu'on y distingue an- tériorité et postériorité. Ainsi, en un sens, l'instant est bien le même ; et en un autre sens, il ne Test pas. Je m'ex- plique. En tant que l'instant est pris, ici dans un certain temps, et dans un temps différent, il est autre ; et c'est là, on peut dire, la condition inévitable de l'instant. Hais en tant qn'il est encore ce qu'il était dans un temps donné, il est identique. C'est la rsdson qui distingue les instants ; mais en fait, ils ne sont pas séparés, et c'est toujours, en quelque sorte, le même instant qui s'éconle. En effet, le mouvement, ainsi que je viens de le dire, suppose tou-

180 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

jours une grandeur parcourne, et le temps suppose tou- jours le mouvement, de même que le mobile ou le corps qui se meut, et qui, par son mouvement, nous fait con- nattre le temps avec ses deux nuances d'antérieur et de postérieur, suppose toujours le point. Or, ce mobile, à un moment donné, est bien en réalité tout à fait identique, que ce soit d'ailleurs un point qui se meuve, ou une pierre, . ou telle autre chose; mais, pour la raison, il est différent, parce qu'il occupe successivement différents lieux. G*est une opinion analogue que soutiennent les sophistes^ quand ils disent que Coriscus dans le Lycée, est autre que Co- riscus dans la place publique ; ce n'est pas qu'en effet Coriscus soit changé; mais il est autre, en ce sens, qu'il est d'abord dans tel lieu, puis ensuite dans un lieu diffé- rent. Ainsi, l'instant est au mobile ce que le temps est au mouvement, et l'instant n'existe qu'autant qu'on peut dénombrer l'antérieur et le postérieur. C'est là, nous le croyons, Tidée la plus claire qu'on puisse se faire de l'instant. On perçoit le mouvement par le mobile ; le dé- placement, par le corps déplacé ; car, le corps déplacé est matériellement une substance, tandis que le mouvement n'en est pas une; ce corps est un sujet réel et distinct, et le mouvement n'est qu'un attribut. Ainsi, l'instant est en un sens toujours identique et le même, et en un autre sens il ne Test pas, absolument comme le corps qui se dé- place et qui est autre uniquement par les diverses posi- tions qu'il occupe successivement.

Il est clair, d'ailleurs, que si le temps ne peut se com- prendre que par l'instant, à son tour l'instant ne peut se comprendre que par le temps. Cette relation est tout à fait réciproque; et ces deux notions sont étroitement liées

DARISTOTE, LIVRE IV, CH. XVIL 181

l'une à Tautre. Elles s'impliqueot mutuellement; et de même que le déplacement et le corps qui se déplace sont simultanés, de même aussi le nombre du corps déplacé, et le nombre du déplacement sont simultanés F un à l'au- tre. Le temps représente le nombre du déplacement et sa grandeur, tandis que l'instant est eu quelque sorte une unité, tout comme le corps déplacé forme, en son genre, unelinité individuelle.

Une antre propriété de l'insUint, c'est que c'est lui qui fait tout à la fois la continuité et la division du temps. Do reste, c*est aussi ^:e qu'on peut remarquer dans le mouvement, dont l'unité du mobile fait également la con- tinuité et la division. Le mouvement et le déplacement d'un corps qui se meut et se déplace, ont de l'unité parce que ce corps reste un et le même, sans que ce soit jamciis un autre corps qui puisse indifféremment se substituer au premier; car, alors, le mouvement aurait des lacunes; et, comme il serait interrompu, il ne serait plus un. Mais le mobile est autre pour la raison . si, d'ailleurs<» il est un maté- riellement , et c'est ainsi qu'il peut servir à fixer et à dé* terminer l'antériorité et la postériorité dans le mouvement, selon les lieux différents qu'il occupe successivement. C'est bien aussi à certsdns égards la propriété du point. Il continue tout à la fois la grandeur, et il la termine ; il en fait la continuité et la division, en étant le commence- ment de telle longueur, et la fin de telle autre. Il y a ce- pendant une différence entre l'instant et le point. En effet, lorsqu'on prend un point unique, et qu'on le considère comme étant deux, alors il faut nécessairement un temps d'arrêt et un repos, puisque le même point est pris tour à tour pour commencement et pour fin ; mais l'instant est

182 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

toujours autre, parce que le corps qui se déplace pour- suit son mouvement continu, et que l'instant ne varie pas moins que les lieux occupés successivement par ce corps.

Ainsi, le temps est le nombre du mouvement ; mais ce nombre ne s'applique pas à un seul et même point qui se- rait tout ensemble un commencement et une fin, comme cela se trouve dans la ligne ; il est bien plutôt à ct>nsi- dérer comme les extrémités d'une ligne, dont il ne fait pas partie. On vient d'en voir la raison, c'est que le point pris sur une ligne, et par exemple, au milieu de cette ligne, y joue un double rôle, puisqu'il est à la fois com- mencement et fin ; et que ceci implique nécessairement dans le mouvement du corps un certain temps d'arrêt et un repos. Or, il ne peut y avoir rien de pareil dans le temps qui s'écoule sans cesse, sans la moindre disconti* nuité. Mais il est clair que l'instant, le présent ne fait pas partie du temps, pas plus que la division du mouvement n'est du mouvement, pas plus que les points ne sont une partie de la ligne, tandis qne les lignes, quand on en dis- tingue deux en une seule, sont des parties de cette ligue unique, et n'en sont pas des points. Ainsi, l'instant pré- sent, considéré en lant que limite, n'est pas du temps ; c'est un simple attribut du temps, qu'il limite et déter- mine. Mais en tant qu'il sert à compter le mouvement et le temps, il est nombre, avec cette différence toutefois que les limites n'appartiennent absolument qu'à la chose dont elles sont les limites, tandis que le nombre abstrait peut servir à compter tout ce que l'on veut, et que le nombre dix, par exemple, après s'ëtœ appliqué à ces dix chevaux que nous avons sous les yeux, |)eut tout aussi

D'ARISTOTE, UVRE IV, CH- XVIll. 18$

bien s'appliquer à une foale d'antres choses qui sont éga- lement au nombre de dix.

XVlIl.

On vient de voir qae le temps est le nombre et la mesure du moovement par rapport à rantériorité et à la posiériorité, et qu'il est continu parce qn'il est la mesure et le nombre d'un continu, qui est le mouvement. Cepen- dant c'est un nofnbre dont il faut bien connaître l'espèce particulière. Le pins petit nombre possible, si l'on com- prend le mot nombre d'une manière absolue et abstraite, c'est Deux ; mais pour tel nombre spécial et concret, ce minimnm est possible en un sens, et en un autre sens, il n'est pas possible* Par exemple, pour la ligne, le pins petit nombre sous le rapport de la quantité numérique, c'est deux lignes, ou même une ligne, si l'on veut regar- der l'unité comme un nombre; mais en grandeur, il n'y a pas de minimum possible, puisque toute ligne est indé- fimment divisible. Cette observation qui s'appliqne à la ligne ne s'applique pas moins bien au temps. Sous le rapport du nombre, le plus petit temps possible, c'est une ou deux des divisions du temps, un jour ou deux, par exemple ; mais sous le rapport de la grandeur, il n'y a pas plus de minimum pour le temps qu'il n'y en a pour la ligne. D'ailleurs, on comprend bien pourquoi on ne peut pas dire do temps qu'il est lent ou rapide; on dit seulement qu'il y a beaucoup de temps ou peu de temps, et que le temps est long ou court. En tant que continu, le temps est long, ou il est court; en tant que nombre, il y a beaucoup de temps ou peu de temps ; mais

184 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

00 ne peut pas dire qu'il est lent ou rapide, parce que le nombre nombrant n'a ni rapidité ni lenteur. C'est bien le même temps qui coexiste partout à la fois; mais en tant qu'on y distingue antériorité et postériorité, le temps n'est plus le même, parce que le mouvement ou le chan- gement, quand il est actuel et présent, est un et le même; ce qui n'empêche pas le changement passé et le change- ment futur d'être différents. Il faut donc modifier ce que nous disions plus haut ; et si le temps est un nombre, ce n'est pas le nombre abstrait qui nous 'sert à compter, c'est le nombre concret qui est compté lui-même. Or, le temps ainsi compris est toujours différent, puisqu'on y distingue l'antérieur et le postérieur, et que les instants qui les limitent sont toujours autres. Mais le nombre est toujours un et le même, soit qu'il s'applique ici à cent chevaux et à cent hommes. Il n'y a de différence qu'entre les choses dénombrées, puisque dans un cas ce sont des hommes, et que dans un autre cas ce sont des chevaux.

Un autre rapport entre le temps et le mouvement, c'est que tous les deux ils peuvent avoir des périodes iden- tiques. Ainsi, le mouvement peut être un et le même parce qu'il se répète toujours par des retours réguliers dans une direction pareille ; le temps peut avoir aussi cette unité et cette identité, par le retour successif de périodes toutes semblables, une année, un printemps, un automne. Il faut ajouter encore que non-seulement on mesure le mou* ment par le temps, mais qu'on peut aussi et à l'inverse mesurer le temps par le mouvement. Le temps et le mou* vement se limitent et se déterminent mutuellement l'un par l'autre. Le temps détermine le mouvement, puis*

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. XVIII. 1«5

qu'il en est la mesure et le nombre; et réciproquement, le mouvement détermine le temps. Quand nous disons qu'il y a peu de temps d'écoulé ou beaucoup de temps d*écoolé, nous le mesurons par le mouvement qui s'est produit dans l'intervalle, de même qu'on mesure le nombre abstrait par les choses mêmes qui font l'objet du nombre. Ainsi, c'est par un cheval pris pour unité qu'on mesare et que l'on compte le nombre des chevaux ; et si c'est ce nombre qui nous fait connaître la quan- tité totale de chevaux que nous considérons, récipro- quement, c'est en con^dérant un seul cheval que noas connaissons le nombre même des chevaux. C'est iden- tiquement le rapport qu'on peut établir entre le temps et le mouvement, puisque nous calculons indifféremment le temps par le mouvement et le mouvement par le temps. On en voit d'ailleurs très-clairement la raison : c'est que le mouvement implique la grandeur parcourue, et que le temps implique le mouvement, de telle sorte que la gran- deur, le mouvement et le temps sont tous les trois des quantités, des continus et des divisibles. C'est parce que la grandeur a telles propriétés que le temps a aussi tels attributs; et ce temps ne se manifeste que par l'intermé- diaire du mouvement. Aussi, on mesure indifféremment la grandeur parcourue par le mouvement, ou le mouvement par la grandeur parcourue ; car nous disons que la route est longue, si le voyage a été long ; et réciproquement, que le voyage est long, si la route a été longue. De même encore, nous disons qu'il y a beaucoup de temps, s'il y a beaucoup de mouvement; et réciproquement, qu'il y a beaucoup de mouvement, s'il y a beaucoup de temps.

186 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

XIX.

Le temps est donc la mesure du mouvement et de Tes- sence même du mouvement. Il mesure le mouvement en limitant et en déterminant une certaine quantité de mou- vement qui sert ensuite à mesurer le mouvement total ; de même que la coudée, par exemple, sert à mesurer la loa- gueur en déterminant une certaine dimension qui, reportée sur la longueur, sert ensuite à la mesurer tout entière.

Quand on dit du mouvement qu'il est dans un temps, on veut dire qu'il est mesuré par le temps, soit en lui^uiême d'une manière générale, soit dans ses espèces particulières; car le temps mesure tout à la fois le mouvement, et toutes les nuances dont il est susceptible ; et, pour le mouve- ment, être dans un temps, c'est avoir son existence me- surée par ce temps. Cette cop^dération, qu'on applique ici au mouvement, s'applique également à toutes les autres choses; et, quand on dit qu'elles sont dans un temps, on veut dire que la durée de leur existence est me* surée aussi par ce temps. Être dans un temps ne peut signifier qu'une de ces deux choses : ou bien être quand le temps est, et coexister avec lui ; pu bien être comme sont certaines choses dont on dit qu elles sont dans tel ou tel nombre. Et même cette dernière expression peut avoir deux acceptions diverses : ou la chose est une partie et une propriété du nombre, et, d'une manière générale, un élément quelconque du nombre; ou bien c'est le nombre même de cette chose. Mais, le temps lui-même étant un nombi*e, l'instant présent^ le passé et l'avenir, avec toutes les subdivisions possibles dans ces trois grandes divisions, sont au temps ce que sont au nombre

D'ARISTOTE, LIVRE IV, Ctt XIX. 187

l'anîté, le pair et Fiinpair, éléments da nombre comme le présent, le passé et l'avenir sont des éléments du temps. Quant aux choses réeUes, elles sont dans le temps comme elles sont dans le nombre; et, par suite, elles sont corn* prises dans le nomlH'e, absolument comme les choses qui sont dans Fespace sont renfeimées par l'espace qui les contient.

Hais on doit voir clairement qu'être dans un temps ce n'est pas simplement être quand ce temps est, et coexister avec lui ; de même que ce n'est pas du tout être en mou- vement que d'être quand le mouvement est , et être dans un lieu, que d'être quand ce lieu est Car, si être dans une chose avait cette signification , toutes les choses alors pourraient être dans une seule d'entr'elles, et le ciel en- tier tiendrait dans un grain de millet, puisque le ciel existe en même temps qu'existe le grain de millet. Ce n'est qu'une simjde coïncidence, qui n'entraîne aucune consé* quence nécessaire. Mais, si une chose est dans un certain temps, il faut en conclure nécessairement qu'il y a du temps ; et, si elle est dans un certain mouvement, qu'il y a du mouvement. Du reste, comme être dans le temps res- semble k être dans le nombre, ainsi que nous venons de le voir, il y aura toujours un temps plus grand que celui est la chose, de même qu'il peut toujours y avoir un nombre plus grand que celui des choses dénombrées, quelque grand que soit ce nombre. A ce rapport entre le nombre et le temps, on peut en ajouter un autre entre le temps et l'espace : c'est que tout ce qui est dans le temps est renfermé par le temps qui le contient, comme tout ce qui est dans quelque chose est renfermé par ce quelque chose, et comme les choses qui sont dans l'es-^

188 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

pace sont renfermées par lui et y sont contenues. 11 faut remarquer enfin que les choses sont affectées d'une cer- taine manière par le temps ; et le langage ordinaire le prouve assez; car on dit que le temps détruit tout, qu'ar- vec le temps tout vieillit, qu'avec le temps tout s*efface et tout s'oublie. Mais ce n'est pas le temps à lui tout seul qui accroît notre savoir ; et notre science ne se développe que par nos propres efforts plus ou moins longs; le temps ne nous rajeunit pas ; le temps ne nous embellit pas, parce qu'en lui-même il est bien plutôt une cause de ruine et de dépérissement; car il est le nombre du mou- vement, et le mouvement transfigure et modifie tout ce qui est.

Une conséquence évidente de ceci , c'est que les choses éternelles, en tant qu'elles sont éternelles, ne sont pas dans le temps, et ne sont pas renfermées en lui; leur existence n'est pas mesurée par le temps, et la preuve c'est qu'elles ne subissent aucune action de sa part, sous- traites comme elles le sont à ses atteintes, parce qu'eUes n'en font point partie.

Mais le temps, servant de mesure au mouvement, est par cela même la mesure du repos, bien que ce soit d'une manière indirecte, parce que le repos est dans le temps aussi bien que le mouvement. C'est qu'en effet, si ce qui est dans le mouvement doit nécess^rement être mu, il n'en est pas tout à fait de même pour ce qui est dans le temps; car le temps n'est pas le mouvement; il n'en est simplement que le nombre; et ce qui est en repos peut fort bien être dans le nombre du mouvement, si d'ailleurs il n'est pas dans le mouvement lui-même. La raison en est qu'on ne peut pas dire indifféremment de toute chose

D'ARISTOTE, UVRE IV, CH. XIX. 189

immobile qu'elle est en repos; mais l'idée de repos ne s'applique, ainsi que nous l'avons dit plus haut, qu'aux choses qui, devant être naturellement en mouvement, sont cependant privées du mouvement qui leur appar- tient Mais quand on dit qu'une chose est en nombre, cela »gnifie qu'il y a un certain nombre de cette chose, et que l'être de cette chose est mesuré par le nombre dans lequel elle est. Par suite, quand on dit que la chose est dans le temps, cela veut dire aussi qu'elle est mesurée par le temps; et, par conséquent, le temps mesurera tout ans^ bien et le mobile qui se meut et le corps qui reste inerte, l'un en tant qu'il est mu, et l'autre en tant qu'il reste dans son repos et son inertie. Il mesurera et la durée de l'inertie et la durée du mouvement , de telle aorte que le mobile ne sera pas mesuré par le temps sous le rapport de la grandeur matérielle qu'il peut avoir, mais uniquement sous le rapport de la grandeur de son mouvement.

Ainsi, les choses qui sont soit en mouvement soit en repos, sont dans le temps; mais les choses qui ne sont ni en mouvement ni en repos, au sens qu'on vient dire, et qui sont dans une éternelle immobilité, ne sont pas dans le temps; car, être dans le temps, c'est être mesuré par le temps, et le temps ne mesure que le mouvement et le repos, privation du mouvement. Une conséquence évi- dente de ceci, c'est que jamais le non-être ou ce qui n'est pas ne peut être dans le temps; et, par exemple, les choses qui ne peuvent pas être autrement que n'être ja- mais, comme le diamètre qui ne peut jamais être com- niensurable au côté, ne sont pas dans le temps. D'une manière générale, si le temps est en soi la mesure dn

190 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

mouvement, et n'est qu'indirectement la mesure de tout le reste, il s'ensuit que toutes les choses dont le temps mesure l'eibtence, ne peuvent exister que dans les deux conditions du mouvement ou du repos. Donc, toutes les choses périssables et créées, en d'antres termes toates les choses qui peuvent tantôt être et tantôt n'ôtre pas« sont nécessairement dans le temps ; elles sont renfermées par lui, puisqu'il y a toujours un temps plus vaste qui dépasse leur être, c'est-à-dire qui dépasse le temps spé- cial par lequel leur existence est mesurée.

Quant aux choses qui n'existent pas, bien qu'elles soient aussi comprises dans le temps, c'est qu'elles ont été antérieurement, ou c'est qu'elles seront plus tard. Ainsi, Homère a existé jadis, et il y a une foule de choses qui seront dans l'avenir. Le temps renferme ces choses de l'une ou l'autre façon, et s'il les renferme des deux à la fois, c'est que ce sont des choses qui peuvent tout en* semble et avoir été dans le passé, et être encore dans l'a- venir, comme tous les phénomènes réguliers de la na- ture. Mais, au contraire, pour les choses que le temps ne renferme pas, de quelque manière que ce soit, elles n'ont point été, elles ne sont pas, et elles ne seront jamais. Or, parmi les choses qui ne sont pas, celles que le temps ne renferme point sont celles dont les contraires sont éter- nels. Ainsi, par exemple, l'incommensurabilité du côté au diamètre étant une chose éternelle, le côté incommensu- rable au diamètre ne sera point dans le temps; et, par suite, le côté commensurable n'y sera point davantage. Donc, éternellement, le côté commensurable n'est point, puisqu'il est contraire à une chose qui est éternelle. Mais toutes les choses qui n'ont point ainsi un contraire éter-

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. XIX. 191

ne], peayeot indifféreaunent être oa n'être pas, et elles sont sujettes à naître et à périr.

Plas haut, nous avons distingué deux sens divers dans cette expression : Être dans le temps. Nous avons expli- qué la première signification qui voulait dire : Être me- suré par le temps ; il nous reste à expliquer la seconde qui veut dire : Être une partie et une propriété du temps, re- présenter une nuance da temps. Je commence par l'in- stant, ou le présent ; et je rappelle que l'instant, ^nsi que je l'ai dit plus haut, est la continuité du temps; car il réunit continuement le temps passé au temps à venir ; et d'une manière générale, il est la limite du temps, com^- mencement de l'un et fin de l'autre. Mais, ce rapport de l'instant actuel et présent aux deux termes qu'il unit, n'est pas aussi évident que pour le point dans la ligne. L'instant ne parts^ et ne divise le temps qu'en puissance. £n tant qu'il divise, il est toujours autre ; eu tant qu'il réunit et continue, il est toujours le même. Il en est ainsi pour le point dans les lignes mathématiques ; car, ration- nellement, le point n'est pas toujours un seul et même point, puisqu'il est autre quand il divise la ligne ; et qu'il paratt absolument identiqne, quand on le considère en tant qu'il réunit les deux lignes dans son unité. Il en est de même aussi pour l'instant ; tantôt il est en puissance la division et l'extrémité des temps ; tantôt il est la limite et l'union des deux à la fois. 11 est donc comme le point, tantôt un et tantôt multiple, selon le côté sous lequel la raison le considère. D'ailleurs, la divisicm et l'union, bien qu'elles paraissent fort différentes, sont au fond la même chose, et soutiennent le même rapport ; seulement, leur

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manière d'être n'est pas la mèoie, et leur dissemblance n'est que rationnelle.

Telle est une première façon de comprendre et d'ex- pliquer l'instant; et c'est l'instant proprement dit. lien est encore une autre : c'est lorsque le temps dont on parle, au lieu d'être précisément l'instant actuel et présent, est seulement très-proche du moment l'on est. Ainsi, l'on dit de quelqu'un qu'il vient A l'instant, pour dire qu'il viendra aujourd'hui ; on dit qu'il est venu A l'instant, poor dire que c'est aujourd'hui qu'il est venu. Mais il faudrait modifier cette expression, si le temps des événements qu'on indique était éloigné au lieu d'être proche; et l'on ne dit point, par exemple, des événements d'Uion, pas plus que du déluge, qu'ils se sont passés A l'instant. Le temps cependant est continu à remonter du moment l'on parle jusqu'à ces événements reculés, et il ne présente pas d'interruption; mais ces faits sont trop éloignés de nous pour qu'on emploie la même expression.

Une autre nuance du temps, c'est l'expression de Alors, ou Un jour, qui indique un temps déterminé et fini, relati- ment à un instant antérieur. Ainsi, par exemple, on dit : Alors ou Un jour Ilion a été prise ; Alors ou Un jour une inondation aura lieu. C'est toujours, comme on le voit, du temps déterminé par rapport à l'instant actuel, soit qu'on parte de cet instant pour remonter dans le passé ou pour aller vers l'avenir. Il y a toujours une certaine quantité de temps écoulé pour descendre vers l'événement, s'il s'agit du futur ; ou pour y remonter, s'il s'agit du passé. Hais ici se présente une question. S'il n'y a point de temps, soit passé, soit à venir, auquel on ne puisse appliquer

D*ARISTOTE, LIVRE IV, CH. XIX. 1»S

cette expression de Un jour, alors toute espèce de temps, quel qu'il soit, est donc toujours fini.^'Et si le temps est toujours fini, ne doit-on pas en conclure que le temps viendra quelque jour à défaiUir et à cesser 7 Msds n'est-^^ pas bien plutôt une opinion insoutenable, et ne doitM>n pas affirmer qu'il ne défaiUira jamais 7 En effet, le temps ne peut jamais défaillir, puisque le mouvement est éter- nel. Mais si le temps est indéfectible et étemel, est-K^ tou- jours un autre temps qui revient 7 Ou bien est-ce le même temps, qui reparaît à plusieurs reprises 7 Je vais répondre à ces questions; mais, d'abord, je dois dire qu'il en est en ceci du temps, comme il en est du mouvement. Si le mou- vement peut toujours être un et le même, le temps sera comme lui toujours un et identique ; mais, si le mouve- ment ne l'est pas, le temps ne le sera pas plus que lui.

Ceci posé, je dis que l'instant présent étant le commen- cement et la fin du temps, non pas, il est vrai, du même temps, mais la fin du passé et le commencement du futur, on peut trouver qu'il en est ici comme dans le cercle le même point, à quelqu'endroit de la circonférence qu'on le prenne, est à la fois convexe et concave. Le temps en est toujours aussi à commencer et à finir, et c'est ce qui fait que le temps paraît perpétuellement autre ; car le présent, l'instant n'est pas le commencement et la fin d'un même temps, puisque, si c'était le même temps, alors les opposés coexisteraient ensemble et relativement à un seul et même objet ; ce qui est impossible. Donc le temps ne viendra jamais non plus à défaillir, parce qu'il en est sans cesse à commencer.

Mais je reviens aux diverses expressions par lesquelles on indique certaines nuances du temps. Tout à l'heure

13

194 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

signifie en général un temps à venir, mais nne partie dn temps à venir proche de l'instant actaeU qui reste tou- jours indivisible. On demande : Quand vous promènerez- vous? Et Von répond : Tout à l'heure; ceci voulant dire que le temps l'on ira se promener n'est pas éloigné de celui od l'on parle. Tout à f heure peut se rapporter éga- lement à une partie du passé « rapprochée de même du présent. Quand vous promènerez-vous? Je me suis promené tout à l'heure; je me suis déjà promené. Mais on ne dit pas d'Ilion qu'elle a été saccagée tout à l'henre, attendu que cet événement est par trop éloigné du mo- ment actuel l'on parle. Autres nuances. Récemment, se dit de ce qui est proche de l'instant l'on est, tout en faisant partie du passé. Quand ètes-vous arrivé? Tout récemment, à l'instant. Et cela ne se dit que 31 le moment l'on est arrivé est proche, en effet, de l'instant l'on parle. Jadis, exprime au contraire que le temps de la chose est fort éloigné. Tout à coup, s'emploie pour indiquer que la chose survient par un dérangement subit dans un temps dont la petitesse le rend presqu'imper* ceptible pour nous.

Ceci m'amène à compléter une idée que j'ai exprimée un peu plus haut : c'est que tout changement est par sa nature même cause d'un dérangement; car c'est dans le temps et avec le temps que toutes les choses naissent et périssent. Aussi, a-t-on pu dire quelquefois que le temps est tout ce qu'il y a de plus sage et de plus sa^ vant; mais le Pythagoricien Paron avait peut-être encore plus raison de dire que le temps est ce qu'il y a de plus ignorant au monde; car c'est lui qui fait qu'on oublie tout. En soi, le temps est bien plutôt cause de ruine et de

WARISTOTE, LIVRE IV, CH. XX. 105

mort que de génération, ainsi que je le disais un peu plus haut ; car le changement pris en lui-même est toujours un dérangement de ce qui était. Ce n'est qu'indirecte- ment que le temps est cause de la génération et de l'être. La preuve, c'est que rien ne peut naître sans éprouver one sorte de mouvement on d'action, tandis que, au con- traire, une chose peut périr sans le moindre mouvement ; et c'est surtout ce qu'on entend par cette destruction insensible que cause le temps. Néanmoins et à vrai dire, ce n'est pas même le temps qui produit cette destraction; mais seulement le changement de ce genre ne peut se produire, ainsi que tous les autres, qu'avec le temps.

Telles sont les explications les plus générales que nous ayons à donner sur le temps, pour en démontrer la réa- lité et la nature, et pour faire comprendre les diverses acceptions des expressions suivantes : Maintenant, Alors, Tout à l'heure. Récemment, Jadis, Tout à coup. Je tennine ce que j'ai à dire sur le temps, par les considérations suivantes, il est surtout comparé au mouvement

A.2\.»

Il doit être évident, d'après ce qui précède, que néces- sairement, tout changement et tout mobile doivent être dans le temps, parce qu'un changement quelconque est ou plus rapide ou plus lent, quelles que soient d'ailleurs les circonstances il se passe. Je dis d'une chose qu'elle se meut plus rapidement qu'une autre, quand elle change avant cette autre chose pour arrivera un nouvel état, tout en parcourant la même distance et en étant animée d'un mouvement uniforme. On pourrait prendre dans le mou-

196 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

vement de translation l'exemple de deux choses qui se meuvent, soit circulairement, soit en ligne droite; ou bien l'exemple de tonte autre espèce de mouvement. Hais quand je dis que l'une des deux choses accomplit son mouve- ment antérieurement à l'autre, je remarque qu'Anté- rieurement est une nuance do temps; car antérieur et postérieur ne se disent que par rapport à l'éloignement l'un et l'autre sont de l'instant présent. Or, l'instant présent est la limite du passé et de l'avenir. Par consé- quent, le présent étant dans le temps, l'antérienr et le postérieur doivent y être également. Seulement il faut ajouter qu'Antérieurement se prend dans une acception inverse, selon qu'il s'agit du passé ou de l'avenir. Ainsi, dans le passé nous appelons antérieur ce qui est le plus éloigné du présent, et postérieur ce qui s'en rapproche davantage; pour l'avenir, au contraire, l'antérieur est ce qui est le plus rapproché du présent, tandis que le pos- térieur est ce qni en est le plus loin. Donc l'antérieur étant toujours dans le temps et étant toujours une consé- quence du mouvement, il s'ensuit que tout changement ou mouvement est toujours dans le temps comme lui.

Une autre question qui ne serait pas moins digne d'étude, ce serait de rechercher quel est le vrai rapport dn temps à l'âme qui le perçoit, et comment il nous semble qu'il y a du temps en toute chose, et partout, la terre, la mer et le ciel. Gela tient-il à ce que le temps est un mode du mouvement, puisqu'il en est le nombre, et que toutes les choses que nous venons de nommer sont sujettes au mouvement? Car tontes ces choses sont dans l'espace, et tout ce qui est dans l'espace est en mouve- ment. Or, le temps et le mouvement sont toujours simol-

D'ARISTOTJS, LIVRE IV, CE. XX. 197

taoés TuD à J'autre, qu'ils soient d'ailleurs ou en puis- sance ou en acte ; et du moment que ces choses sont en mouvement, elles durent aussi un certain temps. Mais, si Fâoie de l'homme venait à cesser d'être, y aurait-il encore du temps? Ou bien n'y en aurait-il plus? C'est une question qu'on peut soulever; car, lorsque l'être qui, par exemple, doit compter ne peut plus exister, il est impos* sibie qu'il y ait encore quelque chose de comptable. Par suite, il n'y a plus davantage de nombre; car le nombre n'est que ce qui a été compté ou ce qui peut l'être. Mais, s'il n'y a au monde que l'àme, et dans l'âme l'entende- ment, qui ait la faculté naturelle de compter, il est dès- lors impossible que le temps soit, du moment que l'âme n'est pas ; et, par suite, le temps, qui n'est que le nombre du mouvement, ne peut plus être dans cette hypothèse que ce qu'il est simplement et essentiellement en soi, si toutefois il se peut que le mouvement ait lieu et existe sans l'âme. Mais il y a toujours l'antérieur et le postérieur dans le mouvement, et le temps n'est au fond que l'un et l'autre en tant qu'ils sont numérables.

On peut encore se demander si le temps est le nombre d'un mouvement de certaine espèce, ou si c'est le nombre de tontes les espèces de mouvement, quelles qu'elles soient. Ainsi, c'est dans le temps que les choses naissent et périssent; c'est dans le temps qu'elles s'accroissent: c*est dans le temps qu'elles s'altèrent et qu'elles se meuvent. Donc, le temps est le nombre et la mesure de chacune de ces espèces de mouvement, en tant que cha- cune d'elles est du mouvement ; et voilà comment on peut affirmer d'une manière générale que le temps est le nombre du mouvement continu, et non pas le nombre et

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la mesure de telle espèce de mouvemeDt en particalier.

Mais, ici, on fait une objectioD et l'on dit : Il est pos- sible que deux choses différentes se meuvent au même instant; dans ce cas, le temps est-il le nombre de l'une et l'autre à la fois? Ou bien le temps est^-il autre pour toutes les deux 7 Et est-il possible alors qu'il existe simula tanément deux temps égaux? Mais n'est-il pas évident que c'est une chose impossible? Le temps tout entier est un, il est semblable et simultané pour tout; et même les temps qui ne sont pas simultanés n'en sont pas moins de la même espèce. Il en est du temps comme du nombre, qui est bien toujours le même, qu'il s'agisse d'ailleurs ici de chiens et de chevaux. S'ils sont sept^ par exemple, le nombre sept n'en est pas moins immuaUe, quels que soient les êtres auxquels il s'applique. Pareille- ment, le temps est le même pour des mouvements qui s'accomplissent ensemble, et il ne change pas avec les objets. La seule différence c'est que le mouvement, dont le temps est le nombre, peut être tantôt rapide et tantôt ne l'être pas ; tantôt il est un déplacement dans l'espace et un changement de lieu ; tantôt il est une simple altérar tion de qualité. Mais, au fond, c'est bien le même temps qui mesure ces mouvements, puisque de part et d'autre il est le nombre égal et simultané soit du déplacement soit de l'altération, selon l'espèce spéciale du mouvement qui s'accomplit. Si d'ailleurs les mouvements sont diffé- rents et séparés, bien que le temps demeure partout un et identiquement le même, c'est que le nombre reste aussi un et le même pour des mouvements et des êtres égaux et simultanés.

Lorsque nous disons que le temps est la mesure du

DARISTOTE, LIVRE IV, CH. XX. 199

uiouveineai, ceci s'applique surtout au mouvemeot de trausiation et à la translatioD circulaire. Pour le bien faire voir, rq)pelons quelques-uns de nos principes. Dans les oMKiyements, nous distinguons le mouvenient de trans- lation ; et» dans celui-ci, la translation circulaire. D'un autre c6té, tout se omipte et se mesure au moyen d'une seule et unique unité du même genre, les unités par une unité, les chevaux par un cheval, etc. De même aussi, le temps se mesure au moyen d'un certain laps de temps dé- terminé ; et le temps, ainsi que nous ravons dit, est mesuré par le mouvement, comme réciproquement le mouvement l'est par le temps ; c'est-à-dire que c*est par le temps déter-* miné d'un certain mouvement déterminé que se mesurent et la quantité du mouvement, et la quantité du temps.

Si donc, l'unité première, le primitif dans chaque genre est la mesure de tous les objets homogènes, la trans- lation circulaire, unifc^me et régulière comme elle l'est, doit être la mesure par excellence^ parce que le nombre de cette espèce de mouvement est le plus facile de tous à connaître. Les autres eq)èces de mouvement, altération, accroissement, génération même, n'ont rien d'uniforme, et il n'y a que la translation circulaire qui ait de l'unifor- mité. Aussi, c'est ce qui fait que bien des philosophes ont confondu le temps avec le mouvement de la sphère céleste, parce que le mouvement de cette ^hère est celui qui mesure tous les autres mouvements, et qui mesure également le temps. Ceci même explique et justifie ce dic- ton qu'on entend si souvent répéter, que les choses hu- maines ne sont qu'une roue et un cercle, comme dans le reste de la nature, toutes les choses naissent et pé*- rissent tour à tour. Sans doute, cette opinion instinctive

200 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

est venue de ce que toutes ces choses sont appréciées à la façon du temps, et qu'elles ont, oomme lui, des périodes régulières qui en marquent le commencement et la fin.

Le temps lui-même, quand on le rapporte aux mouve- ments célestes, ne semble qu'un cercle d'une certaine es- pèce. Et si, à son tour, le temps a cette apparence, c'est qu'il est la mesure de cette translation circulaire, et que, réciproquement, il est mesuré par elle. Par conséquent, dire que toutes les choses qui se produisent forment un cercle, cela revient àdii-e qu'il y a une espèce de cercle aussi pour le temps. En d'autres termes encore, c'est dire que le temps est mesuré par le mouvement de la traasla- tion circulaire ; car, à côté de la mesure , l'objet mesuré par elle ne parait être, dans sa totalité, rien autre chose qu'un certain nombre accumulé de l'unité de mesure.

D'ailleurs, je le répète,le nombre reste toujours le même, que ce soit, d'une part, des moutons, par exemple, que l'on compte, et, d'autre part, que ce soit des chiens, le uombre de ces animaux étant égal des deux côtés. Mais la dizaine n'est pas la même, en ce sens que les dix objets comptés ne sont plus les mêmes. C'est absolument comme les triangles qui ne sont plus les mêmes, quand l'un est équilatéral et l'autre scalène, bien qu'en tant que trian- gles, ils soient semblables l'un à l'autre, attendu qu'à cet égard leur figure est la même. Car, une chose est iden- tique à une autre, quand elle n'en diffère point dans sa différence essentielle ; et elle cesse de lui être identique, quand il y a cette difiîërence en tr' elles. Par exemple, un triangle ne diffère d'un autre triangle que par une diffé- rence de triangle, c'est-4-dire qu'ils sont différents en tant que ti*iangles ; mais ils ne diffèrent pas en tant que

D'ARISTOTE, UVRE V, GU. I. 201

figares ; car tous les deux sont dans la même classe de figares, telle figure éumt un cercle, et telle autre classe de figures étant un triangle. Mais dans le triangle, ce sont des différences qui n ont plus rien d'essentiel, puisque l'un peut être isoecèle, et l'autre scalène, tout en restant l'un et l'autre des triangles. La figure entr'eux est bien la même, et c'est le triangle ; mais le triangle est différent. C'est de cette façon que le nombre aussi est le même ; car le nombre, des chiens ne diffère pas en tant que nombre, de celui des moutons ; mais seulement la dizaine n'est pas la même, parce que les objets auxquels elle s'applique sont différents entr'eux, tantôt des chiens, tantôt des moutons, ailleurs des chevaux.

Nous terminerons ici ce que nous avions à dire du temps, considéré soit en lui-même, soit dans ceux de ses attributs qui appartiennent plus spécialement à la science de la nature.

LIVRE V,

DD MOOVBHBIIT.

I.

Api*ès avoir donné la définitiondu mouvement, et après avoir étudié les diverses conditions qui l'accompagnent

202 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

toujours Déceasairemem, rinfini, l'espace et le temps, nous abordons la question même du mouvement, et nous posons d'abord quelques distinctions verbales, dont nous ferons grand usage dans ce qui va suivre.

Tout ce qui vient à changer on à se mouvoir, car ces deux expressions sont équivalentes, peut changer et se mouvoir de trois manières : Ou accidentellement et indi- rectement ; ou dans une de ses parties et non dans sa to- talité; ou enfin, en soi et dans tout son être. J'éclairds ceci par des exemples. Dans le premier sens, le change- ment est purement accidentel, quand on prend une locu- tion comme celle-ci : Le musicien marche; car ce n'est pas précisément le musicien qui marche ; mais c'est l'in* dividu, dont c'est un attribut ou un accident de savoir la musique. Secondement, on dit bien souvent, d'une ma- nière absolue, qu'une chose change par cela seul qu'une de ses parties vient à changer. Ainsi, l'on dit de quel- qu'un qu'il se guérit par cela seul que son œil malade ou sa poitrine se guérit, bien que ces organes ne soient qu'une partie de son corps et de son être. Enfin, dans un troisième sens qui est le plus exact, on dit d'une chose qu'elle se meut et change non plus par accident, non plus dans une de ses parties, mais en elle-même primitive- ment, lorsqu'on efifet l'être tout entier se meut, comme lorsqu'on dit que Socrate se promène. La chose est alors mobile en soi; elle n'est plus mobile indirectement ou partiellement, il faut ajouter que dans chaque espèce de mouvement, le mobile en soi est différent selon le mouve- ment lui-même qui varie : ainsi, dans le mouvement d'al- tération, le mobile en soi est l'être qui est altérable; et même dans l'altération, on peut marquer une foule de

D'ARISTOTE, LIVRE V, CH. I. 203

oaaoces : par exemple, s'il a*agit de guériaon, le mobile en soi est Tètre goérissable ; s*il s'agit de chaleur, c'est l'être qui est échaufiable, etc.

Ces distiDctions que nous venons de faire pour le mo- bile, ne sont pas moins applicables au moteur. Le moteur peut aussi mouvoir, ou accidentellement, ou partiellement, ou en soi primitivement. Ainsi, le moteur est acddentel quand on dit, par exemple, que le musicien bâtit la mai- son ; car ce n'est pas en tant que musicien qu'il la bâtit, et c'est en tant qu'architecte qu'il l'élève ; seulement cet architecte a le talent de la musique. En second lieu, le moteur est partiel, quand il meut par une de ses parties et qu'on dit, par exemple, que quelqu'un frappe, parce qu'en efiet sa main frappe quelque chose. Enfin, le mo- teur est en soi et primitif, quand on dit que le médecin guérit; car c'est bien le médecin lui-même qui guérit en tant que médecin.

On voit donc déjà qu'il y a trois choses à considérer dans le mouvement : le moteur d'où le mouvement part tout entier; le mobile, c'est-à-dire l'objet mu; puis le temps durant lequel le mouvement se passe. Enfin, outre ces trois termes, il y a lieu de considérer aussi, et le point d'où part ce monvement, et le point il arrive et il se termine. Car tout mouvement, quelle qu'en soit l'espèce, part d'un certain point pour arriver à un antre point ; et il ne faut jamais confondre le mobile en soi, ni avec le point vers lequel il est poussé par ce mouvement, ni avec le point duquel il est parti. Par exemple, prenons ces trois termes, le bois, le chaud et le froid. De ces trois termes, le premier désigne l'objet qui subit le change- ment; le second désigne l'état il tend, et le dernier,

20A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Tétat d'où il part. Évidemment c'est dans le bois que le mouvement se passe, et non point dans sa forme, et j'en- tends par sa forme les différentes qualités qu'il peut avoir de chaleur ou de froid ; car la forme ne peut ni donner ni recevoir le mouvement» pas plus que ne le donnent ni ne le reçoivent le lieu le mouvement s'accomplit, ni la quantité plus ou moins grande de l'objet mis en mouve- ment, selon que le mouvement est ou local ou de simple accroissement.

Ce qu'il faut surtout considérer ici, c'est, après le mo- teur et le mobile, le point vers lequel le mobile est mu ; car c'est le point tend le mouvement bien plutôt que le point d'où il part, qui donne au changement le nom spécial qui le désigne. Et voilà comment la destruction est pour les choses le changement qui les mène au non-être, bien que pour y arriver elles doivent partir de l'être ; et comment leur génération est le mouvement qui mène à l'être, bien que ce soit nécessairement du non-être qu'elle parte. La définition que nous avons donnée plus haut (Livre III, ch. 1) du mouvement, suffit à démontrer que le mouvement est dans le mobile, et non dans le point de départ ou le point d'arrivée; car nous avons défini le mouvement : l'acte du mobile. Les formes, les affections, et les lieux vers lesquels se meuvent les mobiles sont immobiles, tout comme le point d'arrivée et le point de départ; et, par exemple, peut-on dire qu'il y ait mouve- ment dans la science à laquelle on est arrivé par l'étude, ou dans la chaleur à laquelle est arrivé le corps qui d'a- bord était froid ?

Ici Ton fait une objection assez subtile et l'on dit : Si les affections des choses sont des mouvements, comme la

DARISTOTE, LIVRE V, CH. I. 205

blancheur, par exemple, à laqnelle arrive un objet noir en changeant de couleur, il s'ensuit qu'il y aura un chan- gement qui ne sera plus un mouvement, puisqu'il tendra lui-même vers un mouvement. A cela, on peut répondre que ce n'est pas la blancheur même arrive l'objet, qui est un mouvement; mais que ^XY AbtanchUsement suc- cessif de cet objet. Mais pour ce prétendu mouvement qu'on croit trouver dans le point d'arrivée d'un mouve- ment quelconque, il faudrait distinguer, comme on l'a fait plus haut, le mouvement accidentel, le mouvement partiel, et le mouvement primitif en soi. Soit, par exemple, une chose qui devient blanche, on peut dire qu'elle ne subit qu'un changement accidentel, quand on dit qu'elle change en ce qu'on pense; car pour la couleur, c'est un simple accident que d'être pensée. C'est un changement partiel, si l'on dit simplement qu'elle change de couleur, parce que la couleur blanche n'est qu'une partie et une espèce de la couleur générale : de même qu'on prend une expression impropre, quand on dit de quelqu'un qui se rend à Athènes, qu'il va en Europe ; parce que en effet Athènes fait partie de l'Europe. Enfin, c'est un change- ment en soi et primitif, quand on dit de la chose qui de-- vient blanche qu elle change en blancheur.

Mais, après cette réfutation d'une objection peu solide, je reviens à mon sujet. On voit donc ce qu'on doit en- tendre par le mobile en soi, le mobile accidentel et le mobile partiel ; on voit aussi ce qu'on doit entendre par Primitif, soit qu'on applique ce mot au mobile, soit au moteur; on voit enfin que le mouvement n'est pas dans la forme ou qualité nouvelle que reçoit le mobile, mais dans le molnle lui-même, dans le corps qui est mu actuellement

1

206 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

et réellement. Dans les recherches qni suivront, nous ne nous occuperons pas du mouvement on changement acci* dentel, parce que ce changement est par trop vague, et qu'on peut indifiéremment le tirer de toutes les choses, le trouver partout et toujours; car les accidents d'une chose sont en nombre inflnis, soit pour la qualité, soit pour le lieu, soit pour le temps. Nous nous attacherons plus par- ticulièrement au mouvement en soi, qui n'est plus acci- dentel ; car ce mouvement loin d'être en tontes choses ne peut être que dans ces trois classes : ou les contraires, on les intermédiaires, ou les contradictoires, et l'on pourrait s'en convaincre en recourant à l'analyse de tous les cas spéciaux ce changement se rencontre. Dans les con- traires et dans les contradictoires, le mouvement qui va de l'un à l'autre est de toute évidence; mais s'il n'est pas aussi clair entre les intermédiaires, il n'en est pas moins certain. C'est qu'en efietle milieu, qui est à égale distance des contraires, est Ini-même une sorte de contraire, et le changement s'applique à ce milieu, comme s'il était con-- traire à l'un et l'autre extrêmes. Le milieu est en quelque sorte les deux extrêmes à la fois ; et voilà comment tout ensemble il est contraire aux extrêmes, et les extrêmes contraires à lui. Par exemple, la dominante en musique est grave par rapport à l'octave, et aigué, par rapport à la tonique. Le gris est blanc par rapport au noir, et noir, par rapport au blanc.

IL

Tout changement, pour prendre ce terme plus général que celui de mouvement, tout changement est le passage

DARISTOTE, LIVRE V, CH. IL 207

d'oB état à un antre état, et le mot grec lai-mème atteste l'exactitQde de cette idée, puisque le premier élément de ce mot indique qu'une chose se fait afn'is une autre, et distingue ainsi quelque chose d'antérienr et quelque chose de postérieur dans le phénomène qui a lieu. Or, le changement peut se produire de quatre manières, dont deux relatives au point de départ, et deux relatives an point d'arrivée. D'abord le changement peut se faire d'un sujet à un sujet, et j'entends par sujet ce qui est exprimé sous forme affirmative : ainsi, le changement, se fait de blanc à noir. En second lien, le changement peut se faire de ce qui n'est pas sujet à ce qui n'est pas sujet : par exemple, de ce qui n'est pas blanc à ce qui n'est pas blanc. Troisièmement, le changement peut se faire de ce qui n'est pas sujet à ce qui est snjet : par exemple, ce qui n'est pas blanc devient blanc. Enfin, le changement peut se faire de ce qui est sujet à ce qui n'est pas sujet : et par exemple, le blanc devient non-blanc.

On voit que sur ces quatre manières, il n'y en a que trois qui soient possibles : celles d'un sujet dans un su- jet, du sujet dans ce qui n'est pas snjet, et de ce qui n'est pas sujet dans ce qui est sujet ; car la seconde ma- nière, celle qai aurait lieu de ce qui n'est pas sujet à ce qui n'est pas snjet, n'est pas à vrai dire un changement, puisqu'il n'y a pas d'opposition véritable, et qu'il n'y a ni contraires, ni contradictoires, éléments indispensables du changement. Le changement de ce qui n'est point siqet en un sujet, c'est la génération ; c'est le passage du non-ôtre à l'être, ou en d'autres termes une opposition contradictoire de la négation à l'affirmation. Une chose qui n'était pas vient à être et à exister. La génération est

208 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

absolue, quand le changement a lien absolument du non- être à l'être; la génération n'est que relative et spéciale, quand le sujet existant déjà, il subit une modification et prend une qualité qu'il n'avait pas auparavant. Ainsi, le changement de ce qui n'étant pas blanc devient blanc, c'est la génération du blanc, c'est-à-dire d'une simple qualité. Mais si une chose qui n'est pas, absolument par- lant, vient à être, cette génération est absolue, c'est*à-dire qu'on dit purement et simplement de la chose qu'elle de* vient, sans ajouter qu'elle devient telle ou telle chose. Le changement du sujet en non sujet s'appelle destrnction, et d'une manière absolue, c'est le passage de l'être au non-être ; pris d'une manière relative, c'est le passage à la négation opposée, ainsi que nous venons de le voir par la génération, c'est-à-dire que le sujet tout en continuant d'exister passe d'une qualité à une autre, et qu'ainsi cette première qualité est détruite^ En ce qui concerne l'être, ce n'est donc plus qu'une destruction relative ; ce n'est pas une destruction absolue.

D'ailleurs, parmi les diverses acceptions qu'on [)eut donner au Non-être, il faut remarquer qu'il ne peut pas y avoir de mouvement pour toutes. Ainsi, il n'y en a ni pour le non-être qui ne consiste que dans une affirmation erronée d'idées qu'on réunit à tort, ou dans une négation d'idées qu'on divise d'une manière non moins fausse, ni pour ce qui n'est qu'en simple puissance, et est ainsi l'opposé de l'être réel et actuel. Par exemple, le non- blanc, le non-bon ne peut avoir de mouvement réel, et il n'a de mouvement qu'indirectement quand l'homme on l'être non-blanc, non-bon, a du mouvement lui-même. Mais ce qui n'est pas un être réel absolument parlant, ne

D'ARISTOTE, LIVRE V, CH. II. 209

ne peut pas avoir non plus le mouvement de quelque façon que ce soU ; car comment concevoir que ce qui n'est pas poisse se mouvoir? Donc, en tirant de ce principe la con- séquence qu'il porte, il est clair que la génération absolue ne peut être appelée un mouvement véritable, puisque le oon-^re devient quelque chose, de rien qu'il était. Le non-ètre est le plus souvent accidentel ; c'est le plus sou- vent la simple privation d'une qualité qui en remplace en- suite une autre ; mais il n'en est pas moins exact de dire de l'être qui devient et naît d'une manière absolue, qu'il doit exister d'abord à l'état de non-ëtre, si l'on peut se per-^ mettre ces expressions contradictoires. Ce qu'on vient de dire du mouvement du non-être s'applique tout aussi bien à son repos; et si l'on s'imaginait le non-être en repos, il n'en résulterait pas moins d'impossibilité que de se l'ima'- giner en mouvement. Enfin, une dernière preuve que le iMMO-être ne peut avoir de mouvement et que la généra- tion n'est pas un mouvement, c'est que tout ce qui est mouvement doit être dans un lieu ; or, le non-être n'est pas dans un lieu; car alors il faudrait qu'il existât quelque part, et il n'existe point.

Mais, si la génération absolue n'est point un mouve- ment, la destruction n'en est pas un davantage; car il ne peut y avoir de contraire au mouvement que le re{k)s, ou un autre mouvement; mais, la destruction n'est contraire qu'à la génération, laquelle n'est point un mouvement, comme on vient de le démontrer.

Ainsi, en résumé, comme tout mouvement est toujours un changement d'une certaine espèce, et qu'il n'y a que les trois espèces de changement indiquées par nous ; et, 4l'autre part, comme les changements qui se passent dans

lA

210 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

la génération et la destroctioD des choses ne sont pas de véritables mouvements, et ne eont cpie de simples opposi- tions contradictoires du non-ëtre à rètre^ et de l'être au non-être, il s'en suit qu'il n'y a qu'une seule espèce de changement qui soit réellement un mouvement : c'est le changement d'un sujet en un sujet ; par exemple, du blanc au noir. Quant aux deux sujets entre lesquels le mouve- ment se passe, partant de l'un et aboutissant à l'autre, ou ils sont des contraires, comme le noir et le blanc ; ou ils sont de simples intermédiaires, jouant aussi le r61e de contraires ; car, la privation et les termes qui l'exprimrat doivent être considérés comme des contraires ; et ces termes peuvent être sons forme affirmative, pour la pri- vation, aussi bien que pour les autres contraires. Ainn Nu, qui exprime la privation de vêtement, est opposé à Vêtu, tout aussi bien que Blanc est opposé à Noir.

III.

Parmi les catégories qui se divisent, comme on sait, en substance, qualité, lieu, relation, quantitë, action, souf- france, etc., il n'y en a que trois, évidemment, il peut y avoir du mouvement en soi : la quantité, la qualité et le lieu. Dans la substance, il n'y a pas de mouvement possible, parce qu'il n'y a rien au monde qui puisse être contraire à la substance. Il n'y a pas davantage de mou» vement dans la catégorie de la relation ; car, il se peut fort bien qu'un des relatifs vienne à changer sans que l'autre relatif subisse le moindre changement; et alors, le mouvement des relatifs, quand il y en a, n'est qu'acci- dentel et indirect, et non primitif en soi. Il n'y a pas da-

DARISTOTE, LIVRE V, CH. III. 211

vanlage besoin de supposer le mouvement dans la catégo- rie de l'action et de la passion ; car c'est déjà une sorte de mouYement* On n'a pas davantage à le supposer dans le motemr et le mobile il est d^à impliqué, at- tendu qu'il swait aussi inutile qu'irrationnel d'admettre un mouvement de mouvement, une génération de géné- ration, en un mot un cbangement de changement. Il faut s'arrdter au premier terme, sous peine d'avoir à parcourir l'infini.

Mais il faut distinguer deux acceptions diverses dans lesquelles on peut entendre ces mots singuliers : Mouve- ment de mouvement. Dans un premier sens, veulent-ils dire que le mouvement peut être le sujet d'un autre mou- vement? Gomme lorsqu'on dit d'un homme qu'il subit un mouvement, parce qa'il change du blanc au noir. Or, est-ce que par hasard un mouvement, devenant ainsi un sujet, pourra s'échauffer ou se refroidir, se déplacer dans l'espace, s'accroître et périr, comme le ferait tout autre sujet? Mais il est évidemment impossible d'entendre ainsi cette expression ; car le changement ne peut jamais être considéré comme un véritable sujet. Par conséquent, il n'y a point mouvement de mouvement dans cette pre- mière acception.

Veut-on dire dans une seconde acception que Mouve- ment de mouvement, signifie qu'un sujet autre qae le mouvement part d'un certain changement pour changer d'une forme à une autre par ce mouvement qu'il éprouve, comme un homme passe de la maladie à la santé? Mais on ne peut pas dire qu'il y ait réellement mouvement de mouvement, si ce n'est d'une façon accidentelle et in- directe, puisque le mouvement à proprement parler^ n'est

212 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

que le changenfient d'une forme eo une autre forme, d'un état en un autre état. La génération et la destruc* tion sont bien dans le même cas aussi; seulement elles vont Tune et Tautre à de certains opposés qui sont des contradictoires, tandis que le mouvement ne va.pas à ces mêmes opposés et qu'il va à des contraires, par exemple, du blanc au noir. Si le mouvement de mouvement était possible ainsi, il s'ensuivrait que l'être pourrait changer tout à la fois et de la santé à la maladie, et de ce même changement à un autre encore. Or il est évident que dès que l'être aura été malade, c'est qu'il aura subi un changement d'une certaine espèce facile à apprécier, puis- qu'il peut s'arrêter et persévérer dans cet état Mais ce n'est pas un changement quelconque et indéterminé que subit le malade, et il ne peut pas de cette situation nou- velle, venue d'une situation antérieure, passer à quel- qu'autre situation différente ; car il pourrait arriver ainsi à un changement opposé à la maladie, qui serait le retour à la santé, et de cette façon il éprouverait à la fois deux changements contraires l'un vers la maladie, l'autre vers la guérison ; ce qui est impossible.

Ainsi le mouvement de mouvement ne peut être un mouvement en soi; c'est un simple mouvement accidentel et successif, pareil à celui qu'on subit quand on passe du souvenir d'une chose à l'oubli de cette même chose; et de part et d'autre le mouvement est tout pareil, puisqu'il est celui d'un être qui passe tour à tour, soit à la mémoire soit à la santé.

Voilà un premier argument qui prouve qu'il ne peut y avoir mouvement de mouvement, génération de généra- tion, etc. En voici un second : c'est que ce serait tomber

D'ARISTOTE, LIVRE V, CH. 111. 213

dans Tinfini que de supposer qu'il y a toujours change- ment de changement ; et l'on ne trouverait jamais aiosi me origine l'on pourrait s'arrêter. En eCet, on admet qu*Q faut qu'il y ait eu un changement antérieur pour que le changement postérieur soit possible. Par exemple, en supposant une génération absolue, si à un certain moment elle-même devenait, il faudrait bien que l'être engendré devint aussi comme elle. Par conséquent, cet être engendré absolument, à ce qu'on dit, n'était pas réellement même après être devenu ; il était simplement quelque chose qui devenait, de telle sorte que même quand il était déjà devenu il n'existait pas encore. Mais comme dans les séries infinies pareilles k celles-ci, il n'y a pas moyen de trouver un premier terme, on ne décou- vrira pas non plus de changement antérieur ni de chan- gement postérieur et venu à la suite. Donc, avec cette hypothèse, il n'y a plus à vrai dire, ni génération, ni mouvement^ ni changement possibles.

Autre argument contre cette théorie qui admet qu'il y a mouvement de mouvement, génération de génération. On convient que c'est une seule et même chose qui a les mouvements contraires ou le repos; par exemple, que c'est la même chose qui s'échauffe et se refroidit; ou qui reste dans l'état elle est. On convient aussi que la même chose qui est engendrée est aussi détruite. Par conséquent, dans la théorie que je combats, il faut dire que ce qui devient doit périr en devenant au moment il devient, quand il a à périr; car il ne peut pas périr ni avant même qu'il ne devienne puisqu' alors il n'est rien, ni aussitôt après qu'il est devenu puisqu'il devient tou- jours. Or, il faut que ce qui périt ait préalablement existé.

214 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

et ce qui devient n'existe pas encore. Donc, en ce sens comme dans les précédents, la génération de génération empêche tonte génération et tout mouvement, comme eUe empêche toute destruction.

J'ajoute nne nouvelle considération contre cette théo- rie. Dans tout changement, dans toute génération) il faut préalablement une matière substantielle à l'être qui de- vient et qui change. Or, ici dans le changement de chan- gement, où sera cette matière? Et de même que dans le mouvement d'altération, ce qui s'altère est préalablement un corps ou une âme, de même ce qui devient sera-t-il ici un mouvement, une génération, comme je l'ai déjà de- mandé plus haut ? Et si ce ne peut être ni un mouvement ni une génération qui servent de point de départ^ seront- ils du moins le terme aboutira le mouvement? Car il faut bien que le mouvement qu'on suppose soit le mou- vement et la génération d'une chose qui passe de tel état à tel autre état. Mab comment serait-il possible qu'un mouvement fût le but d'un mouvement? La génération de la science, par exemple, n'est pas de la science ; et c'est cependant la science réelle qu'on poursuit et dont on fait son but quand on étudie. Il n'y a donc pas, comme on le dit, génération de génération, ni en général ni dans les cas particuliers. Enfin, comme il n'y a que trois espèces de mouvements, il faudrait que cette nature sub- stantielle formée par le mouvement de mouvement, et les termes entre lesquels se passerait le mouvement fussent une quelconque de ces espèces; et alors on aurait un mouvement de translation qui deviendrait un mouvement d'altération, tout aussi bien qu'il serait un déplacement dans l'espace. Mais tout mouvement ne peut s'accomplit

i

IVARISTOTE, LIVIIE V, CH. Ili. 216

que dfi trois manières, ou par acddest et iadirectetnent, OQ dans uoe des parties, ou enfin en soi et dans la totalité dn snjet. P^ conséquent, il ne }>onrTait y avoir cbangement de cbangement qu'indirectement, comme si l'on diasît, par exemple, que la santé court on s'instruit, parce que le nialade qui e^ revenu à la santé court ou s'instruit Mais nous avons déjà dit que nous ne nous occupions pas du mouvement accidentel ; et d'une ma- nière générale, nous affirmons en nous résumant qu'il ne peut pas y avoir cbangement de changement, ni généra- tion de génération.

Après cette démonstration, il nous reste à confirmer ce que nous avons dit plus haut sur le nombre des cat^ories le mouvement est possible. Comme il n'y en a ni dans la substance, ni dans la relation, ni dans l'action et la passion, il est clair qu'il n'y en a que dans la qualité, la quantité et le lieu, attendu que ce sont les trois seules il puisse y avoir des contraires. Le mouvement dans la qualité est ce qu'on peut appeler l'altération, une qualité autre disant place & la précé- dente; et c'est le nom général qu'on donne au mouve- ment de la qualité, quelles que soient ses nuances. Mais quand je parle de qualité, je n'entends point la qualité dans la substance, la différence qui constitue les es- pèces peut être prise aussi pour une sorte de qualité ; mais j'entends la qualité passive, d'après laquelle on dit qu'une chose éprouve une certaine passion ou qu'elle est impassible, qu'elle est douée ou qu'elle n'est pas douée de telle ou telle quaUté. Le mouvement qui s'applique à la quantité, n'a pas reçu, comme l'altération, un nomcom-

2ie PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

muD aux deux contraires. Miûs dans un sens c'est Tac- croissemeot ; et dans l'antre, le dépérissement. L'accrois- sement est le mouvement qui tend à la dimension complète de l'être; le dépérissement est au contraire le mouvement par lequel l'être déchoit de cette dimension. Quant au mouvement qui se passe dans le lieu, il n'a dans le lan- gage ordinaire ni un nom commun ni un nom spécial. Pour le nom commun, appelons-le Translation, bien qu'à vrai dire il n'y ait de translation réelle que pour les êtres qui n'ont point en eux-mêmes le principe de leur repos, ou de leur déplacement dans l'espace.

Les trois nuances que nous venons d'indiquer dans le mouvement, comprennent aussi cette nuance particulière du changement qui consiste dans le plus ou le moins; par exemple, une chose blanche qui devient plus ou moins blanche qu'elle n'était. Le changement se passant dans la même forme, se rapporte à l'altération et doit y être classé, parce que c'est toujours le mouvement du contraire dans son contraire, ou absolu ou partiel. Si la chose va au moins, et que, par exemple, elle devienne moins blanche, on dit qu'elle change en tendant vers son contraire ; mais si elle va au plus, on peut presque dire qu'elle va de son contraire vers elle-même. Du reste, il n'y a point ici de différence réelle entre le contraire absolu^ quand la chose passe d'un contraire à un contraire, du blanc au noir, par exemple, et entre ce contraire partiel que constitue la même qualité plus ou moins marquée, si ce n'est que dans ce dernier cas, le contraire est partiel comme le change- ment lui-même. Le plus et le moins d'une qualité dans une chose quelconque, signifient seulement qu'il y a ou

DARISTOTB, LIVRE V, CH. IV. 217

qu'il n'y a pas plus ou moins du contraire dans cette même chose. Ainsi nous ne reconnaîtrons en résumé que trois espèces de mouvements.

IV.

Pour compléter cette étude des diverses acceptions du mot Mouvement, il faut indiquer aussi celles du mot Im- mobile. On eu peut distinguer trois. On appelle d'abord immobile ce qui ne peut d'aucune manière, d'après sa nature, être mis en mouvement, pas plus qu'un son ne peut naturellement être visible. A cette première et propre acception, en succède une autre l'on dit qu'une chose est immobile, parce qu'elle ne se meut qu'infiniment peu dans un très-long espace de temps, c'est-à-dire encore ce qui se met très-lentement en mouvement, et ce qu'on a la plus grande peine à mouvoir. Enfin, dans une troisième et dernière acception, on dit immobile ce qni, devant et pouvant naturellement se mouvoir, ne se meut pas cepen- dant au moment il le faut, dans le sens il faut, et de la manière qu'il faut. C'est dans les choses immo- biles ce qu'on doit entendre précisément par le repos ou l'inertie ; car le repos n'est pas autre chose que le con- traire du mouvement, et la privation de la qualité dont le sujet serait susceptible. On ne peut pas dire exactement d'une chose «qu'elle est en repos si, par. nature, elle doit ne jamais se mouvoir.

On doit déjà voir par ce que nous avons dit jusqu'ici ce que c'est que le mouvement et le repos, quel est le nombre et quelle est la nature des divers changements et des divers mouvements.

218 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

V.

Mais, avant de pousser plus loin, il reste encore quelques autres expressions dont il importe de bien fixer le sens ; c'est, par exemple, les suivantes : Être ensemble, être séparé , se toucher, être intermédiaire, venir à la suite, être cohérent, être continu, toutes locutions pour lesquelles il faut indiquer les objets qu'elles concernent spécialement et naturellement.

Quand on dit de deux choses qu'elles sont ensemble dans l'espace, qu'elles y sont simultanées, cela veut dire qu'elles sont dans un seul et même lieu primitif, et non pomt dans un seul et même lieu éloigné ; car, dans ce dernier sens, toutes les choses du monde sueraient ensemble dans un seul et même lieu. A l'inverse, on entend par Séparées les choses qui sont dans un lieu primitif diffé* rent. Se toucher se dit des choses 4ont les extrémités sont ensemble dans un seul et même lieu primitif. On entend par Intermédiaire ce par quoi la chose qui change doit naturellement passer avant de parvenir à l'extrême dans lequel elle change, quand elle change d'une manière con- tinue selon sa nature. Un intermédiaire ou un milieu sup- pose au moins trois termes ; car le contraire est toujours l'extrémité du mouvement, soit au point de départ, soit au point d'arrivée.

Je viens de dire que le mouvement devait-être continu ; je veux dire par qu'il n'y ait aucune interruption de temps, bien qu'il puisse y en avoir une de la chose elle- même, d'ailleurs plus ou moins longue. Ainsi, par exemple, il y a lacune et interruption de la chose dans un morceau de musique la note la plus basse se fait en-

DARISTOTE, UVRE V, CH. V. 219

tendre ajNrës la note la plus haute : mais il n'y a pas inter- niptioD de temps, et c'est ce qui fait la coutinuité du morceau. On retrouve d'ailleurs cette même condition de la continuité dans les mouvements de translation et dans tous les autres changements. J'ajoute une autre explication qui portera sur le mot de contraire, dont je me suis servi aussi un peu plus haut en parlant du mou- vement continu. J'entends donc ici, par contraire, rela* tivement au lieu, ce qui est le plus éloigné possible en ligne droite; car la ligne la plus courte est déterminée avec préci»on ; et, ce qui est déterminé et fini peut servir de mesure. La ligne oblique, qui n'est point déterminée, ne peut pas non plus être employée comme mesure des choses et des distances. Je reprends mes autres défi- nitions.

Suivre s'entend d'une chose qui, ne venant qu'après un commencement et étant déterminée dans cette condi- tion, soit par la position qu'on lui donne, soit par une loi de la nature, soit tout autrement, n'est séparée de la chose après laquelle elle vient, par aucune autre chose du même geni^. C'est ainsi que l'on dit d'une ligne qu'elle suit une autre ligne ou qu'elle vient après, quand il n'y a point d'autre ligne entre ces deux ; c'est ainsi qu'une unité suit une autre unité, lorsqu'il n'y a point d'unité entr'elles; et qu'une maison suit une maison, quand il n'y a point d'autre maison entre les deux, à quelque dis- tance que ces deux soient l'une de l'autre. Car il se peut fort bi^ qu'entre deux choses qui se suivent en tant qu'elles sont du même genre, il y ait une ou plu- tueurs choses de genre différent interposées. Il faut ajou* ter que ce qui vient après vient après une autre chose et

220 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

est postérieur à cette chose. Ainsi, un ne sait pas deux ; le premier jour du mois ne vient pas après le second ; mais c'est, tout au contraire» deux qui suit un.

On dit d'une chose qu^elle est Cohérente à une autre^ lorsque, venant à la suite de cette chose, elle la touche et qu'il n'y a rien d'intermédiaire entr' elles. J'ajoute, du reste, pour compléter ce que j'ai dit un peu plus haut, que comme tout changement a lieu entre des opposés et que les opposés peuvent être ou des contraires ou des contradictoires, il est évident que l'intermédiaire doit être rangé parmi les contraires, attendu que dans la contra- diction il n'y a pas de milieu possible, et qu'il y faut sim- plement que la chose soit ou ne soit pas. Ainsi, il n'y a aucun intermédiaire entre deux choses qui se touchent.

Enfin, on entend par Continu, terme que j'ai déjà indi* que tout à l'heure, une sorte de cohérence. Ainsi je dis d'une chose qu'elle est continue quand les limites par les- quelles les deux paities de cette chose se touchent, se sont confondues et réunies, et qu'alors, comme le mot même l'indique, elles se continuent et se tiennent ; or, c'est ce qui ne pourrait avoir lieu tant que les extrémités restent deux et ne s'unissent pas. Évidemment il suit de cette définition qu'il ne peut y avoir de continuité réelle qu'entre des choses qm peuvent, en se touchant, arriver à ne former qu'une seule et même chose naturellement. Autant ce qui contient et rapproche les choses devient un lui-même, autant le tout a d'unité et de continuité; et l'on peut voir des nuances de ce genre dans les continus qui se forment matériellement, soit à l'aide d'un clou, soit par un collage, soit par un contact, soit par un sou- dage naturel.

D'ARISTOTE, LIVRE V, CH. V. 221

D'ailleurs, on voit clairemect que l'idée de Suivre est antérieure à celle de Toucher; car, ce qui touche une chose la suit nécessairement, tandis que ce qui suit ne touche pas toujours; et c'est ce qui fait que, dans les termes il peut y avoir une antériorité et une postério- rité purement rationnelles, il y a consécution, mais il n'y a pas contact. Du moment qu'une chose est continue, il y a nécessité qu'elle touche ; mais elle peut fort bien ton* cher sans être continue; car les extrémités des deux choses peuvent coexister dans l'espace, sans se confondre en une seule ; mais, si elles se confondent, il faut néces- sairement qu'elles coexistent Par suite, la confusion des natures, la simultanéité de développement, est-elle le dernier degré de continuité possible ? Car, pour que les extrêmes confondus se développent ensemble, il faut d'a- bord qu'ils se soient touchés, quoique tout ce qui se tou- che ne se confonde pas dans un développement unique. Mais il est évident que, dans les choses qui ne peuvent pas se toucher, il ne peut pas y avoir non plus de déve- loppement simultané. Une antre conséquence encore, c'est que le point et l'unité ont beau être séparés tous deux de la matière, il n'est pas possible de les confondre et de les identifier. Les points se touchent, tandis que les uni- tés se suivent; pour les points, il peut y avoir entr'eux un intervalle ; car toute ligne est un intervalle entre deux pomts, tandis que pour les unités tout intervalle est né- cessairement impossible, puisqu'il n'y a rien entre deux et un.

Telles sont les explications que nous avions à donner sur les termes énumérés plus haut par nous : Ensemble, Séparé, Contact, Intermédiaire, Suite, Cohérence, Gonti-

222 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

nuité, et sur les objets auxquels ces termes peu?rat s'ap- pliquer.

VI.

Une suite assez naturelle de tout ce qui précède, c'est de se demander ce qu'on doit entendre par l'unité de mouvement, et ce que c'est qu'un mouvement un. Cette expression pent, selon nous, avoir plusieurs sens, parce que le mot même d'unité peut en avoir aussi plusieurs.

Ainsi, d'abord le mouvement peut être appelé généri- quement un, sous le rapport de la catégorie on le cùû^ sidère. Par exemple, tout mouvement de translation est un, relativement à son genre, tandis que l'altération dif- fère génétiquement de la translation, attendu qne son genre est autre. Le mouvement est un spécifiquement lors- qu'étant un en genre, il est un, en outre, dans une espèce indivisible et particulière. Pour expliquer ce que j'entends par espèce indivisible, je priends la couleur qui est un genre, et j'y distingue la couleur blanche et la couleur noire qui sont des espèces. Tout mouvement qui mène à la couleur blanche, est spécifiquement identique à tout mouvement qui mène à la couleur blanche, de même que tout mouvement qui mène à la couleur noire, est iden- tique spécifiquement à tout mouvement qui mèncf à la couleur noire ; mais spécifiquement, la couleur noire n'est pas la même que la couleur blanche, bien que, relative- ment à la couleur, qui est leur genre, elles soient iden- tiques. Ainsi, le mouvement est un dans chacune de ces espèces; mais il est diflérent d'une espèce à l'autre. Après le genre placé au sommet de la série^ et cette espèce, qui

D'ARISTOTE, LIVRE V, CH. VI. 228

est placée an dernier rang, on peut considërer le mouve- ment dans les rangs intermédiaires, qui sont genres et espèces tout à la fois, genres par rapport à ce qui les suit, espèces par rapport à ce qui les précède. Pour ces choses qui sont tout à la fois espèces et genres, le mouvement pourra bien être un en partie, sous le rapport des espèces, mais absolument parlant, il n*est pas un spécifiquement. Je m'explique : par exeaq>le, dans l'acte d'apprendre et dans le mouvement qui constitue cet acte, on peut dire que le mouvement est un spécifiquement, si on le rap- porte à la science, laqueUe est elle-même une espèce re- lativement à un genre plus large qui est la Conception des choses; mais il n'est pas un absolument sons le rapport de l'espèce, puisque la science elle-même est un genre qui contient diverses espèces, lesquelles sont toutes les sciences particulières et distinctes.

Mais on peut ici se demander si le mouvement est bien encore un spécifiquement, quand une même chose se meut et change du même au même : par exemple, un seul et même point qui se meut d'un même lieu à un même lieu, allant et venant à plusieurs reprises. Le mouvement est-il de la même espèce? Si l'on dit qu'il est un, aloi*s la translation circulaire pourra se confondre avec la transla- tion en ligne droite ; la station se confondra avec la mar- che ; car, dans les uns et dans les autres, le mouvement aura lieu également du même au même, liais notre dé* finition ne poutrelle pas résoudre cette question 7 Et ne suffit-elle pas pour faire voir que, non-seulement le mo- bile et les deux termes du mouvement doivent être iden- tiques pour que le mouvement soit un, mais qu'il faut, en outre, que la manière dont il se passe soit identique aussi?

22A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Par conséquent, n'est-il pas évident que le monveaieot est autre quand le sens dans lequel il a lieu, est autre? Or, le mouvement circulaire est spécifiquement différent du mouvement en ligne droite.

Voilà donc ce quon doit entendre par un mouvement un et identique, soit en espèce, soit en genre.

Mais, sans faire cette distinction, et à prendre les choses d'une manière absolue, le mouvement est un quand il est un en essence et en nombre. En analysant les choses avec soin, nous allons voir quel est le mouve- ment qu'on peut qualifier ainsi. Quand nous disons que le mouvement est un, il y a trois termes à considérer : l'objet qui se meut, le lieu il se meut, et le temps dans lequel il se meut. Par l'objet, j'entends qu'il doit y avoir nécessairement quelque chose qui se meuve : un homme, par exemple, qui change de place; un morceau d'or, qui change de forme. 11 faut, en outre, que le mouvement ait lieu dans quelque chose, soit l'espace qui est parcouru, soit la qualité qui change de nature ou de degré. Enfin, il faut qu'il ait lieu durant un certain temps, puisque tout mouvement, quel qu'il soit, doit avoir une certaine durée. Entre ces trois termes, l'unité de mouvement gé- nérique et spécifique ne peut se trouver que dans le lieu le mouvement se passe, de même que la continuité du mouvement ne peut être constituée que par la continuité du temps. Mais, l'unité absolue du mouvement ne peut venir que de la réunion des trois termes que nous venom d'indiquer; il faut que l'objet soit un, que le lieu soit un, et que le temps soit un aussi, pour que Ton puisse dire que le mouvement est un absolument. En effet, ce dans quoi le mouvement se passe doit être un et indivisible ; et.

DARISTOTE, LIVRE V, CH. VL 226

par exemple, c'est Fespèce, comme tout à l'heure c'était la couleur blanche. Il faut, en second lieu, que le moment le mouvement s'accomplit soit nn et identique aussi, c'est-à-dire que le temps s'écoule sans aucune interrup- tion. Enfin, il faut que l'objet qui est en mouvement soit un comme le temps et le lieu, sans que ce soit indirecte- ment et par une simple communauté de genre. Ainsi, il ne doit pas être un indirectement et par accident, comme lorsqu'on dit que Coriscus et le blanc sont une seule et même chose ; car l'essence du blanc c'est de pouvoir de- venir noir, et l'essence de Coriscus est de marcher en se promenant; et si le blanc et Coriscus ne font qu'un, c'est d'une façon tout indirecte et détournée. L'objet qui est en mouvement ne doit pas non plus être un par une simple communauté d'espèce ou de genre; il doit être un par son individualité propre, et numériquement. Ainsi, deux hommes attaqués d'ophthalmie se guérissent en même temps de la même maladie qui les fait souffrir. Leur ophtbalmie n'est pas cependant une seule et même ophthalmie, numériquement parlant, puisqu'il y a deux malades; elle n'a d'unité que sous le rapport de l'espèce. Mais l'objet aurait beau être un, et l'espèce aussi, il faut encore que le temps soit un comme l'espèce et l'objet, pour qu'il y ait unité de mouvement. Supposez, en effet, que Socrate éprouve un certain changement qui soit un spécifiquement, mais qu'il l'éprouve dans un temps autre, et que chaque fois qu'il l'éprouve ce soit toujours dans des temps différents, il n'y aura plus d'unité de mou- vement. Pour que le mouvement éprouvé par Socrate fût un et le même, il faudrait admettre qu'une chose détruite peut redevenir numériquement une et la même; mais, si

15

226 PAKAPHRASË DE LA PHYSIQUE

cela est impossible, comme nous le croyoDs, le moaTe- ment que Socrate éprouve pourra bien être le même, mais il n'est plus un.

Une autre question fort analogue et qu'on pourrait se poser à la suite de la précédente, c'est de savoir si les affec- tions des choses ont de l'unité comme les mouvements eux-mêmes et à des conditions pareilles. Prenons, par exemple, la santé d^ns un corps bien portant. Gomment pourra-t-on dire que la santé demeure une et identique- ment la même, puisqu'il est prouvé que le corps qui la pos- sède est dans un changement et dans un flux perpétuels? De plus, si la santé que j'ai ce soir est bien la même que celle que j'avais ce matin, pourquoi la santé que l'on re- couvre après une longue maladie, ne serait-elle pas numé- riquement une et la même que celle dont on jouissait avant d'être malade? Il semble que ce qu'on a dit de l'unité du mouvement peut s'appliquer également bien à l'unité d'affection. Il y a cependant cette différence que, quand deux mouvements se réunissent si parfaitement en un seul qu'il n'en résulte qu'un mouvement qui est numériquement un, l'affection que ce mouvement cause est nécessairement une aussi; car ce qui n'est qu'un nu- mériquement a aussi un acte numériquement unique. Mais l'affection peut être une numériquement, sans que l'acte le sctit nécessairement comme elle. Par exemple, si l'on s'arrête de marcher, l'acte de la marche cesse aussitôt et il n'y a plus de marche; de même que si l'on se remet à marcher, il y a marche de nouveau. Mais, grâce à l'in- terruption, ce n'est plus un seul et même acte; car, si c'était un acte unique, il s'ensuivrait qu'une seule et même chose, tout en demeurant une et la même, pour-

DARISTOTE, LIVRE V, CH. VI. 2*27

rait tout ensemble périr et renaître plusieurs fois ; ce qui eist manifestement impossible. Hais ces questions s'é- loignent trop de notre sujet pour que je les pousse plus loin.

Puisque tout mouvement est continu, il faut, quand le mouvement est absolument un, dans l'objet mû, dans le lieu parcouru, dans le temps écoulé, qu'il soit continu par cela seul qu'il est un ; car tout mouvement est divi- sible par cela même qu'il est continu ; et, étant continu, réciproquement il est un. Du reste, il ne faudrait pas croire, parce que tout mouvement est continu en soi, qu'un mouvement quelconque puisse être continu à tonte espèce de mouvement ; pas plus que pour tout autre cas, une chose quelconque ne peut être continue à la première chose venue. II n'y a continuité qu'autant que les extré- mités peuvent s'unir et se confondre. Or, il y a des choses qui n'ont pas d'extrémités, et d'autres auxquelles on prête des extrémités par simple homonymie, bien que réelle- ment elles n'en aient pas, ou qui ont des extrémités diffé- rentes. Par exemple^ les extrémités d'une ligne et celles d'une promenade pourraient-elles jamais s'unir et se con- fondre ?

D'ailleurs, des mouvements qui ne sont semblables ni en genre ni en espèce peuvent se suivre, sans avoir pour cela rien de continu. Par exemple, un homme court, et voilà nn premier mouvement; puis, tout à coup, il a un accès de fièvre, sans que ce second mouvement puisse en rien s'unir et se confondre avec l'autre. De même, quand on se passe un flambeau de main en main, on peut dire que le mouvement de translation se suit ; mais on ne peut pas dire qu'il soit continu, parce qu'il y a un intervalle de

228 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

temps, quelque petit qu'on le suppose, à chaque trans- mission. Ainsi, les choses se suivent et se tiennent parce que le temps elles se passent est continu ; et, à son tour, le temps est continu parce que les mouvements le sont. Enfin, les mouvements eux-mêmes sont continus, quand leurs extrémités se confondent en une seule.

Par conséquent, pour que le mouvement soit continu et un, il faut ces trois conditions : qu'il soit le même en espèce, qu'il soit produit par une seule chose, et qu'il se passe dans un seul temps. Quand je dis dans un seul temps, je comprends qu'il n'y ait point d'arrêt ni d'immobilité, quelle qu'elle soit, dans l'intervalle ; car, si le mouvement venait à défaillir un seul instant, il y aurait nécessairement un repos. Il y a plusieurs mouvements, et non plus un seul, il se trouve le moindre intervalle de repos ; et, dès lors, si un mouvement vient à être interrom- pu par un temps d'arrêt, ce mouvement cesse d'être un et continu. Or, il est interrompu du moment qu'il y a le plus léger temps intermédiaire. Mais, pour un mouve- ment qui n'est point un et le même sous le rapport de l'espèce, il n'y a rien de pareil, lors bien même que le temps ne présente pas de lacune. Le temps est bien un ; mais, spécifiquement, le mouvement est autre ; car, lorsque le mouvement est un et le même, il est nécessairement un aussi en espèce ; mais il n'y a pas nécessité, quand il est un en espèce, qu'il soit un d'une manière absolue ni absolument continu.

Telles sont les conditions requises pour qu'on puisse dire d'un mouvement qu'il est un seul et même mou- vement.

Il y a encore une autre manière d'entendre l'unité de

i

D'ARISTOTE, LIVRE V, CH. VI. 229

mouvement : c'est quand un mouvement est complet; on dit alors qu'il est un, soit que d'ailleurs il le soit en genre, en espèce ou en substance. Ceci da reste n'est pas spécial au mouvement, et l'idée d'unité s'applique, en ce sens, à toutes les autres choses. La qualité d'entier et de corn* plet n'appartient qu'à ce qui est un ; ce qui n'empêche pas, d'ailleurs, qu'on dise d'un mouvement incomplet qu'il est un, pourvu seulement qu'il soit continu, ainsi que nous venons de le voir. J'ajoute qu'indépendamment de toutes les acceptions l'on peut entendre l'unité du mouvement, on dit encore d'un mouvement qui est uni- forme et égal qu'il est un ; car un mouvement qui est in^al ne peut presque point paraître avoir de l'unité, tandis qu'un mouvement égal parait bien davantage en avoir, comme le parait aussi la ligne droite. L'inégal se divise, en quelque sorte, en plusieurs mouvements, à cause de son inégalité même. Cependant, le mouvement uniforme et le mouvement inégal ne diffèrent, sons le rap- port de l'unité, que du plus au moins. Dn reste, on peut fsdre cette distinction d'égalité et d'inégalité dans toutes les espèces de mouvements. Si c'est un mouvement d'al- tération, par exemple, elle peut être égale ou inégale; et la chose peut être altérée plus ou moins également. Si c'est un déplacement dans l'espace, soit circulaire soit en ligne droite, l'égalité et l'inégalité peuvent s'y retrouver aussi; enfin, cette remarque ne s'applique ^as moins bien an mouvement d'accroissement et à celui de destruction. L'inégalité de mouvement peut tenir à deux causes, ou au lieu dans lequel se passe le mouvement, ou à la manière dont se fait ce mouvement lui-même. Dans le premier cas, il est bien impossible que le mouvement soit égal sur une

280 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

étendne qui n'est pas égale. Prenons, par exemple, et com- parons le mouvement selon une ligne brisée, ou selon une spirale^ ou selon toute autre étendue une partie quel- conque ne correspond pas exactement à la partie qu'on a prise sur une autre ligne pour le trajet du mouvement. Il est clair que le mouvement, sur la ligne droite, ne pourra pas être égal au mouvement sur la ligne courbe, puisque la courbe est nécessairement plus longue que la ligne droite, et qu'elle n'y correspond pas« Secondement, la différence d'égalité ne consiste ni dans le lieu parcouru par le mouvement, ni dans le temps écoulé, ni dans le bot auquel tend le mouvement, mais dans la manière dont il s'accomplit. Ainsi, le mouvement peut être dis- tingué selon sa lenteur et sa vitesse ; quand la vitesse est la même, le mouvement est égal; il est inégal quand la vitesse est différente. D'ailleurs, la vitesse et la lenteur ne sont ni des espèces de mouvements, ni des différences qui forment réellement des espèces distinctes; car elles peuvent se rencontrer indifféremment dans toutes les espèces de mouvements. La pesanteur et la légèreté, causes de la lenteur ou de la vitesse, ne sont pas davan- tage des espèces ou des différences, quand elles se rap- portent à un seul et même objet. Ainsi, elles ne sont pas des espèces et des différences pour la terre par rapport à elle même, pour le feu par rapport au feu, c'est-à-dire que la terre est plus ou moins pesante ou légère, sans cesser d'être de la terre pour cela ; et ces différences ne constituent pas des espèces distinctes.

Cependant le mouvement inégal ne laisse pas que d'être un et identique aussi, parce qu'il est continu ; seu- lement il l'est moins, ainsi que je viens de le dire, et

D'ARISTOTE. LIVRE V, CH. VIK 2$1

ainsi qu'on peat le remarquer dans un mouvement de translalion en ligue brisée comparé à ce même genre de mouvement en ligne droite ; or, le moins suppose tou- jours un certain mélange du contraire. D'ailleurs, si tout mouvement ne peut être égal ou inégal, les mouvements qoi, différant en espèces ne peuvent pas se suivre l'un Fautre, ne peuvent pas former non plus un mouvement nn et continu. En effet, comment concevoir qu'un mouve- ment qui serait composé d'altération et de translation puisse être égal ? car il faudrait tout d'abord que ces deux espèces de mouvements, si dissemblables, pussent s'ac- corder eutr'elles.

VIL

Après avoir étudié ce que c'est que Tuoité de mouve- ment, il faat savoir ce qu'on doit entendre par un mou- vement contraire à un autre mouvement; et il faudra aussi expliquer quel est le repos ou l'inertie contraire au mouvement

Demandons-nous d'abord si, par mouvement contraire, on doit comprendre : 1* Que le mouvement qui s'éloigne d'un certain point est contraire au mouvement qui va vers ce même pmnt. Par exemple, le mouvement qui s'éloigne de la santé, est-il contraire au mouvement qui va vers la santé 7 Je remarque, en passant, que c'est de cette ma- nière que la génération et la destruction des cboses sem- blent être contraires l'une à l'autre ; 2* Ou bien, le mouve- ment contraire est-il celui qui part des contraires ? Et, par exemple, le mouvement qui part de la santé, est-il contraire à celui qui part de la maladie ? 3* Ou bien en-

232 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

core, le mouvement contraire est-il celai qui, au lieu de partir des contraires, tend aux contraires? Et, par exem- ple, le mouvement qui tend à la santé est-il contraire au mouvement qui tend à la maladie ? h* Ou bien, le mouve- ment qui part du contraire est-il contraire à celui qui tend vers le contraire? Et ainsi, le mouvement qui s'éloigne de la santé est-il contraire à celui qui va vers la maladie ? 5* Ou bien, en cinquième et dernier lieu, le mouvement qui va du contraire à l'antre contraire, est-il contraire à celui qui va aussi du contraire au contraire? Et, par exemple, le mouvement qui va de la santé à la maladie, est-il le contraire de celui qui va de la maladie à la santé? Gomme il n'y a pas d'autres oppositions possibles que celles que nous venons de parcourir, il s'en suit que le mouvement contraire doit être une de ces nuances ou plusieurs de ces nuances.

Le mouvement qui part du contraire n'est pas con- traire à celui qui va vers le contraire, quatrième alternative que nous avons posée, et le mouvement, par exemple, qui s'éloigne de la santé, n'est pas contraire à celui qui va vers ce contraire , et c'est un seul et même mouvement. Au fond, c'est la même chose ; mais, rationnellement, la manière d'être peut sembler un peu différente, parce que changer en quittant la santé, n'est pas absolument la même chose que changer en allant vers la maladie. Après cette nuance, il faut en exclure encore une autre, qui est la seconde indiquée plus haut. Le mouvement qui s'é- loigne du contraire n'est pas davantage contraire à celui qui s'éloigne de l'autre contraire ; car tous les deux par* tent également du contraire, et vont vers le contraire ou vers les intermédiaires. Nous reviendrons, du reste, un

D'ARISTOTE, LIVRE V, CH. VII. 28S

peu plus loin, sur cette nuance qui rentre aussi dans la cin- quième. Uais il semble que l'opposition des mouvements doit se caractériser plutôt par le contraire arrive le mouvement qne par le contraire d'où le mouvement part ; car ce dernier repousse, en quelque sorte, la contrariété dont il se dégage, tandis que l'antre la conquiert et la ga- gne. Donc, tout mouvement se désigne par le but il tend, bien plutôt que par le but d'où il s'éloigne; et c'est ainsi qu'on appelle guérison, le mouvement vers la santé, et malaise, le mouvement vers la maladie.

A la suite de ces deux nuances, il y en a deux autres qui sont la troisième et la cinquième, c'est-à-dire le mou- vement qui va vers les contraires, et celui qui va vers les contraires en partant aussi des contraires. Y a-t-il ici le mouvement contraire que nous cherchons? D'abord, il est clair que les mouvements qui vont vers les contraires doi- vent nécessairement aussi partir des contraires. Hais entre ces deux nuances, la façon d'être n'est pas tout à fait identique ; et, par exemple, ce qui va vers la santé n'est pas absolument ce qui s'éloigne de la maladie ; ni réci- proquement, ce qui s'éloigne de la santé n'est pas préci- sément la même chose que ce qui va vers la maladie. C'est qu'il ne faut pas confondre le changement et le mouvement ; et, par mouvement, il faut entendre le chan- gement d'un certain sujet en un antre sujet, comme le pas- sage du blanc au noir. Par suite, il y aura un mouvement contraire dans la cinquième nuance que nous avons indi- quée, c'est-à-dire celle le mouvement qui va d'un con- traire au contraire est considéré comme contraire au mou- vement de ce second contrûre au premier ; et, par exem- ple, le mouvement qui va de la santé à la maladie est

234 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

contraire au mouvement qui va de la maladie à la santé.

L'analyse des difiërents cas qu'on voudrait observer» pourrait servir à montrer quels sont ici les contraires vé- ritables. Mais il suffit d'en indiquer quelques-uns pour qu'on puisse conclure tous les autres par induction. Ainsi, dans le mouvement d'altération, devenir malade est bien le contraire de recouvrer la santé ; être instruit est bien le contraire d'être trompé, à moins qu'on ne se trompe soi-même; car c'est bien aller vers des contraires, quoique d'ailleurs il soit possible d'arriver à la science ou à Fer* reur, soit par S4)i-même, soit par autrui. Et, de même, dans le mouvement de translation, le mouvement en haut est le contraire du mouvement en baâ(, puisque le haut et le bas sont des contraires dans le sens de la longueur ; le mouvement à droite est le contraire du mouvement à gauche, puisque la droite et la gauche sont des contraires dans le sens de la largeur ; enfin, le dessus est contraire au dessous, puisque ce sont des contraires en profon- deur.

Quant à la troisième nuance, celle l'on indique seu- lement que le mouvement va vers les contraires, ce n'est pas, à vrai dire, un mouvement ; c'est bien plutôt un changement, et, par exemple, devenir blanc, sans qu'on indique que ce soit en partant d'un autre état. Dans les cas il n'y a pas de contraires, ce n'est plus un mouve- ment, puisque tout mouvement suppose nécessairement des contraires. Mais le changement qui part du même point est contraire au changement qui va vers ce même point. Ainsi, la génération est le contraire de la destruc- tion, bien que toutes les deux soient des changements et non des mouvements ; et la perte est le contraire de l'ac-

D'AWSTOTE, LIVRE V, GH. VIIL 286

qiiisition. Mais, je le répète, ce ne sont pas de vérita- bles mouvements ; ce ne sont que des changements.

Ou reste, quand je dis que le mouvement se passe toujours entre des contraires, je comprends aussi les mouvements qui vont vers des intermédiaires; car les intermédiaires jouent le rôle de contraires, et le mou- vement les prend comme tels, quel que soit celui des contraires vers lequel il se dirige, ou duquel il s'éloigne. Ainsi, l'objet passe du gris an blanc, comme il y passe- rait du noir; et il passe du blanc au gris, comme il pas- serait au noir tout aussi bien ; et , réciproquement , il passe du noir au gris, comme il passerait au blanc, parce que le gris, qui est l'intermédiaire, se rapporte d'une cer- taine manière à l'un et à l'autre des extrêmes, ainsi que je l'ai expliqué déjà plus d'une fois.

Donc, on doit entendre qu'un mouvement est contraire à un autre mouvement, quand ce mouvement part d'un contraire pour aller à son contraire, et que le second mouvement part de ce second contraire pour aller à l'autre. C'est la cinquième nuance indiquée un peu plus haut.

VIIL

Après avoir vu comment le mouvement est contraire au mouvement, il faut examiner, en outre, comment le re- pos est contraire au mouvement ; et ce sujet vaut égale- ment la peine d'être éclairci. Absolument parlant, c'est le mouvement qui est le contraire du mouvement ; mais le repos aussi y est opposé. Seulement, le repos est une privation ; mais la privation peut bien, à certains égards.

2S6 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

passer aussi pour un contraire. Quels sont donc le mou* vement et le repos qui sont opposés l'un à l'autre? Est-ce, par exemple, le repos dans l'espace qui est opposé au mouvement dans l'espace? Certainement; car il faut, pour être opposés, que le repos et le mouvement soient dans le même genre. Mais cette expression est trop géné- rale , il en faut une plus précise ; car on cherche si à un repos dans tel état, c'est le mouvement partant de cet état qui est opposé, ou bien si c'est le mouvement allant vers ce même état. Or, comme le mouvement suppose toujours deux termes, l'un d'où il part, et l'autre il aboutit, le repos, dans tel état, est opposé au mouvement qui part de cet état pour aller à l'état contraire ; et le repos dans l'état contraire est opposé au mouvement qui part du contraire, pour arriver à cet état.

Mais, en outre, deux repos peuvent être contraires aussi l'un à l'autre ; car il serait absurde que les mouvements fussent contraires entr'eux, et que les repos opposés à ces mouvements ne le fussent pas comme eux. Les repos con- traires l'un à l'autre sont les repos dans les contraires; et, par exemple, le repos dans la santé est contraire au repos dans la maladie, de même qu'il est opposé au mouvement qui va de la santé à la maladie ; car il serait absurde qu'il fût opposé an mouvement qui va de la maladie vers la santé. Le mouvement vers l'état il y a temps d'arrêt, est plutôt une tendance au repos ; et cet état peut parfai- tement coexister avec le mouvement, qui se confond pres- que avec lui. Mais il faut nécessairement que l'opposé du repos soit un de ces deux mouvements, ou celui qui va de la maladie à la santé, ou de la santé à la maladie, c'est-à-dire des mouvements qui soient dans le même

D'ÂRISTOTE, LIVRE V, CH. VIII. 287

genre ; car, dans des genres difiérentSt l'opposition n*est plas possible, puisque le repos dans la blancbeur, par exemple, ne peut pas être l'opposé du repos dans la santé.

Là, il n'y a pas de contraires, il y a changement ainsi que nous l'avons vu ; il n'y a pas, à vrai dire, de mouvement. Mais le changement partant de tel état est opposé au changement qui va vers ce même état Tel est, par exemple, le changement qui va de l'être vers le non- être, et qui est opposé au changement qui va du non-être à l'être. Dans le cas il n'y a pas de mouvement, parce qu'il n'y a pas de contraires, on doit dire qu'il y a im- muabilité plutôt que repos. Si le non-être était quelque chose, l'immuabilité dans l'être serait contraire à l'im* muabilité dans le non-être. Mais, comme le non-être n'est pas quelque chose, ainsi que son nom seul l'indique, on peut se demander à quoi est contraire l'immuabilité dans l'être, et si on doit la considérer comme du repos. Si, par hasard, elle est du repos, alors il faut admettre ou que tout repos n'a pas pour contraire un mouvement, ou bien que la génération et la destruction sont aussi des mouve- ments, et ne sont pas de simples changements. 11 est donc clair qu'on ne peut pas voir du repos dans cette immua- bilité, à moins qu'on ne veuille changer aussi du même coup la nature de la génération et de la destruction. Mais il faut se borner à dire que cette immuabilité a quelque chose qui ressemble au repos. Ainsi donc, ou cette im- muabilité n'est contraire à rien, ou si elle est contraire à quelque chose, elle doit l'être, soit à l'immuabilité dans le non-être, soit à la destruction ; mais elle ne peut pas être contraire à la destruction, puisque la destruction

2S8 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

s'éloigne de cette immuabilité, de même que la généra- tion y tend et y va.

IX.

Je passe à an antre ordre de questions sur l'opposition des mouvements^ et je vais m' occuper des mouvements qui sont contraires les uns aux autres en ce sens que les uns sont naturels, et les autres forcés et contre nature. Mais, d'abord, je demande pourquoi, cette opposition étant manifeste pour les mouvements ou changements et repos qui ont lieu dans l'espace, elle semble ne plus exister dans les autres espèces de changements. Ainsi, il ne semble pas qu'il y ait, en fait d'altération, une altéra- tion naturelle et une altération contre nature ; car la santé, par exemple, ne paraît pas être plus selon la na- ture que la maladie; la blancheur n'est pas plus natu- relle que la couleur contraire; l'accroissement n'est ni plus ni moins naturel que le dépérissement. Aucun de ces changements ne sont contraires les uns aux autres, en ce sens que ceux-ci seraient contre nature et ceux-là naturels, pas plus que l'accroissement n'est à cet égard contraire à l'accroissement, pas plus que la génération n'est contre la nature ou selon la nature plutôt que la destruction. Toutes deux sont également naturelles ; car il n'y a rien de plus conforme à la nature que de vieillir; et on ne voit pas, dans le cercle même de la génération, que l'une soit naturelle tandis que l'autre serait contre nature. Mais ici l'opposition est bien réelle; car ce qui se fait par force est contraire à la nature ; et, par exemple, la destruction violente sera, comme étant contre nature,

D'ARiSTOTE, UVRE V, CU. IX. 289

contraire à la destrQction naturelle. U y a également des générations qni ont lieu par force, et qui ne sont pas fata- lement r^oliëres. On pourra donc dire que celles-là sont contraires aux générations naturelles. U y a aussi des accroissements violents, comme il y a des destruc- tions violentes ; par exemple, les accroissements irrégu- liers de ces corps auxquels la volupté donne une pubeité précoce, ou les développements prématurés de ces fro- ments qu'on cultive de certaine manière, et dont l'épi est fort sans qu'ils aient de profondes racines dans le sol. Mais peut-on étendre ceci aux mouvements d'altération ? Et, parmi les altérations, peut-on distinguer les unes qui sont violentes et les antres qui sont naturelles? Par exemple, tels malades ne sont pas guéris dans les jours critiques l'on attendait la guérison, et tels autres sont guéris ces jours-là, comme on l'avait prévu. Dira-t-on que ceux qui sont guéris hors des jours critiques, su- bissent une altération contre nature, et que les autres sont altérés naturellement?

Une conséquence à noter, c'est que, dans cette hypo- thèse, les destructions seront contraires les unes aux autres, selon que les unes seront naturelles et les autres violentes, et qu'elles ne le seront pas seulement aux gé- nérations. Mais serait, eu ceci, la difficulté? £t ne peut- on pas dire déjà que telle destruction est contraire à telle autre, en ce que l'une peut être agréable, et l'autre être pénible? Par conséquent, on ne peut pas dire que la destruction est contraire à la destruction d'une manière absolue, c'est-à-dire en tant que destruction ; mais elle l'est simplement en tant que l'une des deux destructions

2âO PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

est de telle manière, tandis qae l'autre est d'une manière différente.

Ainsi donc, en général, les mouvements et les repos sont contraires de la façon qui vient d'être expliquée. Le mouvement est contraire d'abord au mouvement; car, par exemple, le mouvement en haut est contraire au mou- vement en bas; et ce sont des oppositions de lieux contraires l'un à l'autre. Le feu, quand il suit sa ten- dance naturelle, se porte en haut, de même que la terre se porte en bas. Les tendances naturelles de la terre et du feu sont donc contraires, puisque naturellement le feu ne va qu'en haut, et que s'il va en bas c'est contre nature; son mouvement naturel est contraire à son mouvement forcé et violent. Ce que je dis ici du mouvement s'ap- plique tout aussi bien au repos. Ainsi, le repos en haut est contraire au mouvement de haut en bas; et ce repos en haut serait pour la terre un repos contre nature, puisque son mouvement naturel est au contraire de haut en bas. Par conséquent, le repos contre nature est con- traire, pour un même objet, au mouvement naturel, puisque les mouvements de ce même objet sont contraires aussi, l'un des deux, soit en haut soit en bas, étant con- forme aux lois naturelles, et l'autre étant absolument contre nature.

Mais, peut-on dire que le repos, toutes les fois qu'il n'est pas éternel, puisse être produit arbitrairement? Et ce repos, créé artificiellement, doit-il se confondre avec le temps d'arrêt du corps ainsi poussé à un état coi^tre nature 7 II faut certainement admettre que ce repos peut être produit, contre nature et forcément, pour un corps

D'ARISTOTE, LIVRE V, CH. IX. 241

qui s'arrête ; par exemple, pour la terre quand elle s'ar- rête eu haut. Si la terre reste eu haut, c'est qu'elle y a été portée violemment, et que la même violence l'y main* tient, puisque, naturellement, elle serait portée en bas. Hais, le corps qui s'est arrêté dans son lieu naturel y est porté d'un mouvement de plus en plus rapide à mesure qu'il s'en approche davantage, tandis que le corps qui subit un mouvement forcé et contre nature présente un phénomène tout différent, et que sa course se ralentit à mesure qu'elle se prolonge. Le corps s'arrête sans être précisément en repos, ou du moins dans un repos natu- rel ; car, s'arrêter véritablement pour un corps et être en repos, c'est être arrivé à son Heu spécial, sa course le dirige; ou si ce n'est pas absolument la même chose, l'un de ces phénomènes, du moins, ne peut jamûs se produire qu'avec l'autre. Un corps n'est en repos que dans son lieu naturel; et, quand il est dans son lieu naturel, il de- meure en repos.

Pour se rendre bien compte de l'opposition du mou- vement et du repos, on peut se demander si c'est le repos en un certain point, qui est contraire au mouve- ment s' éloignant de ce même point. En effet, quand le corps est mis en mouvement pour sortir de tel état ou perdre un état antérieur, ce n'est pas instantanément qu'il en sort, et il semble garder quelque temps encore l'état qu'il quitte avant de l'avoir tout à fait perdu. Si c'est le même repos qui est contraire au mouvement parti de cet état pour aller à l'état contraire, il s'ensuit que les deux contraires se trouveront simultanément dans un seul et même objet; et, par exemple, un même homme aurait à la fois et le repos dans la santé, et le

16

242 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

moavement qui s'éloigne de la santé pour aller à la ma- ladie. Or, c'est chose impossible. Mais, à ce doute, ne peut-on pas répondre que cette simultanéité des con- traires est possible ici dans une certaine mesure? Le corps qui est en mouvement n'est-il pas déjà aussi en partie en repos, bien qu'il ne s'arrête définitivement que plus tard? En d'autres termes, le corps qui change n'est^il pas tout à la fois, et en partie ce qu'il était, et en partie ce qu'il devient, ou ce en quoi il change? C'est ce qui fait que le mouvement est plus contraire au mouvement que ne l'est le repos, parce que dans le mouvement il y a encore quelque chose du repos et de l'état d'où le corps s'éloigne.

Enfin, je pose une dernière question en ce qui regarde le repos : c'est de savoir si tous les mouvements qui sont contre nature ont aussi un repos qui leur soit directement opposé. Si l'on soutenait qu'il n'y a pas de repos opposé» aux mouvements contre nature, ce serait une erreur évi- dente; car on voit bien des corps qui restent en place, et qui y sont tenus contre leur tendance naturelle. Il fau- drait donc en conclure que ce repos, qui cependant n'est pas éternel, est sans cause; mais il est clair, au con- traire, qu'il y aura des repos contre nature, de même qu'il y a des mouvements contre nature. Nous avons re- marqué plus haut qu'il y a, pour le même corps, des mouvements naturels et des mouvements contre nature ; ainsi, le mouvement naturel du feu est d'aller en haut, et son mouvement forcé c'est d'aller en bas ; et nous nous sommes demandé si c'est ce second mouvement qui est contraire au premier , ou bien si c'est le mouvement de la terre, qui, naturellement, est portée en bas. Les deux

D'ARISTOTE, LIVRE VI. CH. I. 243

monveineots aoat contrûres l'on et l'autre, on le voit sans peine; mais ils ne sont pas contraires de la même façon, puisque, d'une part, c'est un mouvement naturel, qui est opposé à un mouvement naturel, tandis que d'autre part c'est un mouvement naturel, qui est opposé à un mouve- ment contre nature; et, pour le feu, par exemple, c'est le mouvement en bas, qui est contraire au mouvement en haut. Ce que je viens de dire du mouvement s'applique au repos ; et, dans les repos, il faut distinguer ceux qui sont contraires les uns aux autres, d'après les nuances qui viennent d'être indiquées.

Voilà ce que j'avais à exposer sur le mouvement et le repos, pour bien fûre comprendre ce que c'est que leur unité respective, et comment ils peuvent être opposés l'un à l'autre.

LIVRE Vï.

DE LA OIVrSIBILITi DU MOUVEMENT.

I.

Je veux maintenant étudier la divisibilité du mouve** ment et les parties dont il se compose; mais, pour que cette étude soit aussi complète que possible, il faut rap- peler d'abord quelques définitions données plus haut sur la continuité, le contact et la consécution des choses.

2AA PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Nous avons nomaié continus les corps dont les extré- mités sont réunies et confondues en une seule ; contigas, ceux dont les extrémités, sans être confondues, sont néanmoins dans le même lieu, et enfin consécutifs, ceux entre lesquels il n'y a rien d* homogène qui soit inter- posé. De ces définitions, il résulte qu'il n'est pas pos- sible que jamais le continu soit composé d'indivisibles ; et, par exemple, il ne se peut pas que la ligne soit com* posée de points, comme on le dit quelquefois, attendu que la ligne est continue, et que le point est absolument indivisible. Bien des raisons le démontrent ; car, d'abord, les extrémités des points ne peuvent pas se réunir pour former un continu , puisque l'indivisible, comme est le point, ne peut pas avoir d'extrémités ni de parties. En second lieu, on ne peut pas dire davantage que les extré- mités des points sont ensemble dans un même lieu et que les points sont contigus; car, ce qui n'a pas de parties, en tant qu'indivisible, n'a pas non plus d'extrémités, et il faut bien distinguer l'extrémité d'une chose de la chose même qui a cette extrémité.

II est donc évident que les points devraient être con- tinus, ou tout au moins contigus, pour former un continu véritable ; et cette observation, qui s'applique aux points, s'applique également à tous les indivisibles de quelqu'es- pëce qu'ils soient. Or, les points ne sont pas continus par la raison qu'on vient de dire, à savoir que leurs extré- mités ne se confondent pas en une. Mais, de plus, ils ne sont pas contigus entr'eux; car, les choses qui se touchent ne peuvent se toucher que d'une de ces trois façons : ou du tout au tout, ou de la partie à la partie, ou de la partie an tout. Mais, l'indivisible étant sans

DARISTOTE, LIVRE VI, CH. I. 2A5

partie, il ne pourrait toacher on indivisible que de la pre- mière façon, c'est*à-dire du tout au tout. Les points se toucheraient donc du tout au tout. Mais il ne suflSt pas de toucher ainsi du tout au tout pour former un continu, puisque le continu a toujours des parties distinctes, et qu'il est toujours divisible en parties qui diffèrent eotr'elles et sont séparées tout au moins par le lieu qu'elles occupent. Enfin, le point ne peut pas plus suivre un antre point, qu'il ne peut lui être continu ou contigu.

C'est de même que l'instant ne suit pas l'instant; et le temps ne se forme pas plus d'instants successifs que la longueur de la ligne ne se forme de points à la suite les nos des antres. Pour que deux choses se suivent, il faut qu'il n'y ait rien entr'elles d'homogène ; et, pour les points, il y a toujours la ligne entr'eux, de même que le temps est toujours interposé entre les instants. Si les points et les instants formaient des continus, il faudrait que ces continus pussent se diviser en indivisibles , puisque chaque chose se divise dans les éléments dont elle se compose; mais on vient de voir qu'il n'y a pas de con- tinus qui puissent se partager en éléments dénués de parties. D'ailleurs, il n'est pas possible que , soit entre les points, soit entre les instants, il y ait quelqu'in- termédiaire d'un genre différent; car cet intermédiaire serait ou divisible ou indivisible ; si divisible, il se divi- serait en indivisibles, ou en éléments toujours divisibles, et c'est précisément le continu ; si indivisible, il y a les mêmes objections que contre la continuité des points, dont nous venons de parler.

Par suite, il est évident que tout continu est divisible en éléments qui sont eux-mêmes indéfiniment divisibles ;

246 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

car, s'il se divisait en indivisibles, l'indivisible alors poar- rait toucher l'indivisible, puisque, dans les continus, les extrémités se réunissent et se confondent. Donc, et par la même raison, la longueur, ou, d'une manière plus géné- rale, la grandeur, le temps et le mouvement doivent tons les trois, ou se composer d'indivisibles et se diviser en indivisibles, ou bien ni la grandeur, ni le temps, ni le mouvement ne peuvent se composer d'indivisibles comme on le prétend ; et voici la preuve que j'en donne. .

Si la grandeur se compose d'indivisibles, il faut aussi que le mouvement qui parcourt cette grandeur se com- pose de mouvements égaux, indivisibles comme les indi- visibles de la grandeur. Soit la ligne parcourue ABC, qui se compose des trois indivisibles A, B, C. Le mouvement DEF, suivant lequel le mobile O est supposé parcourir la longueur ABC, doit avoir chacune de ses parties corres- pondantes D, E, F, indivisibles comme les parties mêmes de la longueur. Si donc, quand il y a un mouvement, il faut nécessairement que quelque corps réel se meuve, et que réciproquement quand un corps se meut, il faille non moins nécessairement qu'il y ait mouvement, il s'ensuit que la ligne suivant laquelle le mouvement a lieu se com- posera d'indivisibles, tout aussi bien que le mouvement lui-même. Par exemple, le mobile O parcourt la portion A en faisant le mouvement D ; il parcourt la portion B en faisant le mouvement E, et, enfin, la portion C, en faisant le mouvement F.

Mais, si ces portions sont indivisibles, comme on le prétend, voici les conséquences insoutenables qui se pro- duisent. De toute nécessité, un mobile allant d'un point à un autre ne peut pas, dans un seul et même instant, se

DARISTOTE, LIVRE VI, CH, 1. 2A7

mouvoir et avoir été mn sur le point même il était en mouvement quand il y était. Par exemple, si quelqu'un va à Thèbes, il est bien impossible que ce soit en même temps qu'il y aille et qu'il y soit allé. Mais on a supposé que le mobile O parcourait dans son mouvement la lon- gueur A qui est indivisible, et à laquelle correspond un mouvement D, qui est indivisible également. Par consé* quent, si le mobile O parcourt d'abord la longueur A, et si ce n'est que plus tard qu'il l'a parcourue, cette lon- gueur doit être nécessairement divisible; car, lorsque le mobile la parcourt, il n'est pas en repos, et il ne l'a pas encore tout à fait parcourue, puisqu'il est en train de la parcourir. Que si l'on dit, par hasard, qu'il la pai*court en même temps qu'il l'a parcourue, il en résulte cette absurdité que le corps qui va quelque part y est déjà arrivé quand il y va, et qu'il aura déjà atteint, dans son mouvement, le point même vers lequel il tend.

D'un autre côté, s:, pour échapper à cette difficulté, on prétend que dans son mouvement le corps O parcourt la ligne entière ABC, selon le mouvement DEF, et qu'il n'a pas de mouvement dans la longueur A, qui est dénuée de parties, mais qu'il en a eu, il s'ensuit alors que le mon* vement total ne se compose plus de mouvements partiels, mais de limites de mouvements. Il s'ensuit encore qu'une chose qui n'a pas eu de mouvement aura eu cependant un mouvement, ce qui est contradictoire; car on suppose que le mobile O a parcouru la longueur A sans la par- courir ; et, ainsi, voilà un corps qui aura marché sans être jamais en marche, et qui aura fait telle route sans jamais faire cette même route. Autre absurdité non moins forte. Tout corps doit être nécessairement en repos

248 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

on en mouvemeot ; mais on suppose ici qu'il est en repos sur les points successifs A, B, C ; il sera donc tout à la fois, d'une manière continue, et en repos et en mouve- ment, puisqu'on prétend qu'il se meut suivant la lon- gueur entière ABC, tout en le supposant en repos dans chaque partie. Donc, aussi, il doit être en repos sur la longueur entière, puisqu'on le suppose en repos dans chacune des portions. Enfin, si les indivisibles du mou* vement DEF sont eux-mêmes des mouvements, il s'ensuit que, même quand il y a mouvement, le corps pourrait n'être pas mu , mais être en repos ; et si l'on nie que ces indivisibles soient des mouvements, alors le mouvement ne se compose plus de mouvements; dans ce cas, de quoi se compose-t-il donc 7

Ainsi, ni la longueur ni le mouvement ne se composent d'indivisibles ; mais, s'ils étaient indivisibles, il faudrait nécessairement que le temps le fût comme eux, et alors il se composerait d'instants indivisibles. Mais il n'en est rien; et ces trois quantités, la longueur parcourue, le mouve- ment qui la parcourt, et le temps pendant lequel le mou- vement s'accomplit, sont dans les mêmes conditions; car, si tout mouvement est divisible, et si toujours un corps doué d'une égale vitesse parcourt moins d'espace en moins de temps, le temps est divisible tout aussi bien que le mouvement; et, réciproquement, le mouvement et le temps étant divisibles, la longueur parcourue le sera comme eux ; par exemple, la longueur sera divisible, si le temps dans lequel un corps la parcourt est lui-même divisible.

De ces considérations , on peut tirer la loi suivante , qui s'appuie sur ce principe que toute grandeur se corn-

D'ARISTOTE, LIVRE, VI, CH. I. 240

pose de grandeurs, poisqu'il a été démontré que tout con- tinu se compose de divisibles, et que toute grandeur est continue : à savoir qu'un corps doué d'une vitesse plus grande qu'un autre corps, parcourt plus d'espace en un temps égal, qu'il en parcourt autant dans un temps moindre, et même que, dans ce moindre temps, il peut parcourir plus d'espace que tel autre corps qui aurait moins de vitesse que lui. Hais comme ces trois proposi- tions sont importantes, je les prouve l'une après l'autre.

D'abord, un corps qui a pins de vitesse parcourt plus d'espace en un temps égal. Supposons que le corps A est plus rapide que le corps B. Comme le corps le plus ra- pide est celui qui accomplit son changement avant l'autre, A change de G en D dans le temps FG ; mais, dans le même temps, B qui est moins rapide n'en est pas encore à D, et il est en arrière ; et c'est ainsi que j'entends que le corps le plus rapide a parcouru plus d'espace en un temps égal. J'ajoute que non-seulement il pourra parcou- rir plus d'espace dans un temps égal ; mais il le pourra même dans un temps moindre, ce qui est ma troisième pro- position. Par exemple, dans le temps qu'il faut à A pour venir en D, B qui est plus lent ne va qu'en E, CE étant plus petit que CD. Or, A va en D pendant le temps FG ; il sera donc en H seulement pour un temps moindre, CH étant plus petit que CD. Ce temps moindre est FI ; mais CI, qn'a parcouru A, est plus grand que CE parcouru par B; et le temps FI est moindre que le temps total FG. Donc, en un temps moindre, le corps a parcouni plus d'espace, parce qu'il avait relativement plus de vitesse.

Enfin, et c'était ma seconde proposition, le corps le plus rapide peut parcourir nin espace égal en un temps plus

250 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

petit. D'abord, il vient d'être démontré que ce corps par- court une ligne plus longue dans un temps moindre qu'il n'en faut à un corps dont le mouvement est plus lent ; ce qui n'empêche pas que, pris en lui-même et sans compa- raison à un corps plus lent, il ne lai faille toujours plus de temps pour parcourir une ligne plus longue, que pour parcourir une ligne plus petite ; et ainsi, le temps PR qui lui est nécessaire pour parcourir la ligne LM plus grande, est plus grand que le temps PS qu'il lui faut pour par- courir la ligne LX, qui est plus petite. Si donc, le temps PR est plus petit que le temps PQ, pendant lequel le corps plus lent parcourt LX, le temps PS sera aussi plus petit que PQ ; car il est plus petit que PR ; et un troisième terme plus petit qu'un second qui est plus petit que le premier, est aussi lui même plus petit que le premier. Donc, le corps aura parcouru, dans son mouvement, un espace égal durant un temps moindre.

A cette démonstration, je puis en joindre une autre, et la voici : Tout mouvement comparé à un autre, doit né- cessairement se passer ou dans un temps égal, ou dans un temps plus petit, ou dans un temps plus grand. Donc, le mouvement auquel il faudra plus de temps, sera aussi plus lent; celui à qui il faudra un temps égal, aura une égale vitesse. Mais le mouvement plus rapide n'est ni égal en vitesse, ni plus lent; et, comme le plus rapide ne se meut, ni dans un temps égal, ni dans un temps plus long, il reste qu'il se meuve dans un temps moindre. Donc, par conséquent, le corps plus rapide parcourt, en un temps moindre, un égal espace; et c'est ce que nous avons déjà démontré. Pour en finir sur ce point, on peut dire encore que tout mouvement, se passant toujours

D'ARISTOTE» LIVRE VI, CH. I. 251

daos le temps et pouvant durer une période quelconque de temps, il s'en suit que tout corps en monvement peut avoir plus on moins de rapidité, c'est-à-dire qu'il peut y avoir, dans toute période de temps, un mouvement plus ou moins rapide.

De toutes les considérations qui précédent, il résulte que le temps est continu comme la grandeur et comme le mouvement Or, j'entends par continu ce qui est divisible en parties indéflniment divisibles ; et je dis que c'est en ce sens que le temps est de toute nécessité divisible aussi. En effet, nous avons dit que le corps le pins rapide par- court on espace égal en un temps moindre. Soit A le corps qui a un monvement plus rapide, et B, le corps qui a un mouvement plus lent, et qui parcourt la gran- deur CD dans le temps FG. Le corps plus rapide par- conrra cette même longueur dans un temps plus court, que nous représenterons par FH, plus petit que FG. Mais le plus rapide parcourant dans le temps FH toute la ligne CD, il est clair qne, pendant ce même temps, le corps qui a le mouvement le plus lent, ne parcourra qu'un moindre espace représenté par CI, plus petit que CD; c'est-à^ire que B, dans le temps FH, n'aura parcouru que Cl, que le plus rapide, à son tour, aura parcouru aussi en moins de temps. Ainsi, le temps FH sera divisé de nouveau, et la ligne Cl sera divisée suivant la même raison. Si donc la grandeur est divisible, le temps le sera comme elle ; et cette division réciproque n'aura point de terme en allant toujours du plus rapide au plus lent, et du plus lent au plus rapide. On suivra la démonstration qui vient d'être donnée aussi loin qu'on voudra. La réci- proque étant toujours vraie de l'un à l'autre, on pourra

252 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

<

toujours y recourir; et le temps, par conséquent, est con- tinu, puisqu'il est divisible à l'infini.

Il n'est pas moins évident que le temps étant divisible indéfiniment, c'est-à-dire continu, toute grandeur est di- visible et continue comme loi, puisque le temps et la grandeur admettent les mêmes divisions, ou pour mieux dire des divisions égales. Sans même employer de dé- monstrations en forme, on peut se convaincre, rien qu'à prendre les opinions et le langage ordinaires, que le temps étant continu, la grandeur doit l'être comme lui. Ainsi, l'on entend dire à tout moment que, dans la moitié du temps, on fait la moitié du cbemio, et d'une manière générale qu'en moins de temps on parcourt moins d'es^ pace. On pense donc que les divisions de la grandeur et celles du temps sont les mêmes. Par conséquent, si l'un des deux est infini, l'antre l'est également; et l'un est in- fini de la même façon que l'autre. Par exemple, si le temps est infini à ses extrémités, c'est-à-dire s'il n'a ni commencement ni fin, la grandeur l'est pareillement aux siennes. Si, d'autre part, le temps est infini en ce sens qu'il est indéfiniment divisible, la grandeur est infinie aussi en ce même sens ; et si le temps est infini sous ces deux rapports, la grandeur est également infinie de ces deux manières.

On peut tirer de une preuve décisive contre le sys- tème de Zenon, qui nie le mouvement, sous prétexte que, dans un temps fini, il est impossible de parcourir et de toucher successivement les points en nombre infini qui forment la longueur. Zenon oublie ici une distinction im* portante. Quand on dit, en effet, que le temps et la lon- gueur sont infinis, ou plus généralement que tout continu

DARISTOTE, LIVRE VI. CH. L 258

est infini, cette expression a deux sens, selon que Ton en- tend parler, ou de la division des continus, ou de leurs extrémités. La division ne donne qu'un infini en puis- sance; mais, sous le rapport des extrémités, l'infini se réalise. Par conséquent, il est bien impossible, pour les infinis de quantité, de toucher. dans un temps fini des points en nombre infini, comme ledit Zenon; mais on le peut pour l'infini de division, qui n'est qu'une simple possibilité. En ce sens, le temps lui-même est infini comme la grandeur, puisqu'il est toujours comme elle in* définiment divisible. Donc, on ne peut parcourir l'infini de quantité que dans un temps infini ; on ne le peut dans un temps fini ; et on ne peut toucher des infinis que par des infinis, et non par des finis. Hais il faut bien savoir qu'il s'agit alors d'infinis réels en quantité, et non pas seulement d'une divisibilité à l'infini, laquelle est pure* ment rationnelle.

Il n'est donc pas possible de parcourir une grandeur infinie dans un temps fini, pas plus qu'il ne faut un temps infini pour parcourir une grandeur finie. En d'autres termes, le temps et la grandeur se suivent ; si le temps est infini^ il faut que la grandeur soit infinie comme lui; si c'est la grandeur qui est infinie, il faut que le temps le soit comme elle. Soit en effet une grandeur finie AB, et le temps infini C, sur lequel nous prenons une portion CD, qui représente un temps fini. Dans cet intervalle de temps fini, le mobile parcourt une partie de la grandeur, que nous représentons pai* BE. U n'importe pas d'ailleurs que cette portion BE mesure exactement la longueur AB, ou bien que^ prise un certain nombre de fois, elle forme un total plus grand ou plus i)etit que AB. Supposons qu'elle

254 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

mesure exactement cette grandeur. Comme dans un temps égal le mobile parcourt toujours une partie égale à BE, et que BE mesure exactement la grandeur totale, le temps entier dans lequel le mobile Ta parcourue, sera nécessai- rement fini ; car il sera divisé en parties égales et finies, comme Test la grandeur AB elle-même.

On peut donner de ceci une démonstration un peu dif- férente. U est clair que Ton n*a pas besom d'un temps infini pour parcourir une grandeur quelconque, et, par exemple, une grandeur finie ; mais c'est dans un temps fini qu'on parcourt toujours une partie de cette gran- deur. Soit cette partie BE, et qu'elle soit supposée me- surer exactement la grandeur totale ; rappelons-nous, en outre, que dans un temps égal on parcourt un espace égal, quand la vitesse est la même. Donc le temps doit être fini, tout aussi bien que la grandeur ; et il n'est pas besoin que le temps soit infini pour parcourir BE, puisque le temps, commençant avec le mouvement du mobile, doit être fini dans un de ses deux sens. iMais du moment qu'il est fini dans un sens, il doit l'être aussi dans l'autre ; car le mobile peut parcourir une partie moindre dans un temps moindre, et alors le temps est fini dans ce second sens, comme il l'était déjà dans l'autre. H a un commence- ment et il a une fin ; par conséquent, il est fini dans les deux sens, et il n'est plus du tout infini, comme on le pré- tendait.

On ferait une démonstration, qui, à l'inverse, serait analogue à celle«ci, en supposant que c'est la grandeur qui est infinie, et que c'est le temps, au contraire, qui est fini. Du moment que le temps serait fini, il faudrait né- cessairement que la grandeur fût finie comme le temps

DARISTOTE, LIVRE VI, CH. I. 256

même ; et la grandeur parcourue dans un temps fini ne peut pas plus être infinie que le temps lui-même ne peut être infini, quand la grandeur parcourue est finie.

A toutes ces démonstrations, j'en ajoute une dernière pour établir que ni la ligne, ni la surface, ni, en un mot, aucun continu n'est indivisible; et cette démonstration, je la tire de cette conclusion absurde à laquelle on arrive forcément, en soutenant cette théorie, à savoir que l' in- divisible serait divisé. En effet, comme on peut toujours dans toute partie du temps supposer un mouvement plus rapide-ou un mouvement plus lent, et que le plus rapide parcourt plus d'espace dans un temps égal, supposons que le corps plus rapide parcourt deux fois la longueur, ou plu- têt une fois et demie la longueur, que parcourt le pfais lent ; car ce peut être le rapport des vitesses. Que la grandeur parcourue par le plus rapide, qui, dans un temps égal, parcourt une moitié en sus, soit partagée en trois parties indivisibles, AB, BC, CD, tandis que le plus lent ne par^ courra qu'une grandeur divisée en deux parties EF et FG. Je dis que le temps, pour le premier mobile, sera partagé aussi en trois indivisibles, KL, LM et MN, puisque dans un temps égal, il parcourt une quantité égale. Pour le corps le plus lent, qui parcourt EF et FG, le temps sera partagé également en deux portions. Mais le corps plus rapide ne parcourra pas seulement KL pendant que le plus lent parcourt EF; il parcourra aussi une moitié de LM. Donc LM, qu'on supposait indivisible, sera di- visée ; et, réciproquement, le corps plus lent mettra plus de temps que le corps le plus rapide à parcourir la por- tion KL, qu'on supposait également indivisible. Donc évidemment et d'une manière générale, il n'y a pas de

250 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

continu, ni ligne, ni surface, ni temps qui soit sans par- ties ; et tout continu est composé de divisibles à l'infini.

U.

11 suit de ce qui précède que 1* instant, pris dans son acception vraie, et non plus dans une de ces acceptions inexactes, dont nous avons parlé plus haut (Livre iV, ch. XIX), doit être indivisible; et il doit rester iodivi- sible, soit à Tégard du passé, soit à l'égard du futur. L'instant est une extrémité du passé, dans laquelle il n'y a pas encQi*e la moindre parcelle de l'avenir ; c'est aussi une extrémité de l'avenir dans laquelle il n'y a plus la moindre parcelle du passé, attendu qu'il est, ainsi que nous l'avons dit, la limite de l'un et de l'autre. Et si l'on démontre l'existence réelle d'une telle limite en soi, et toujours identique à elle-même, on aura démontré par cela même qu'elle est indivisible. Or, il faut nécessaire- ment que l'instant soit réellement le même, puisqu'il est l'extrémité des deux temps ; car, s'il n'était pas le même et qu'il y eût deux instants différents, ou ils sei*aient con- tigns et successifs, ou ils seraient séparés. S'ils étaient successifs, il n'y aurait plus de continuité, puisque jamais le continu ne peut être composé d'indivisibles, ainsi que nous venons de le démontrer; et s'ils étaient séparés « alors il y aurait du temps dans l'intervalle, puisque tout continu doit nécessairement contenir, entre ses limites, quelque chose qui soit homogène et synonyme. Mais si c'est du temps qui est intermédiaire entre les instants, ce temps est toujours divisible, puisqu'il a été démontré que le temps qui est un continu peut se diviser indéfiniment.

D'ARISTOTE; LIVRE VI, CH. IL 257

Il en résniterait donc que rinstant serait divisible aussi ; et du moment que riustant est divisible, il y a quelque chose du passé dans le futur, et quelque chose du futur dans le passé, puisque cet instant qu'on suppose divisible est entre le passé et le futur et participe de tous deux, au lieu d'en être la limite. Alors ce qui diviserait l'ins- tant délimiterait aussi, à sa place, le présent et l'avenir, comme l'instant ordinaire délimite l'avenir et le passé.

A cette première raison qui prouve que l'instant doit être un et le même, on peut ajouter celle-ci : c'est que l'instant, s'il avait des parties, ne serait plus en soi, mais qu'il serait par un autre , c'est-à-dire par les parties mêmes qui le composeraient. Ce ne serait plus lui, mais ses parties qui seraient la limite des deux temps. Mais la division ne peut s'appliquer à ce qui est en soi et par soi. Ajoutez encore, qu'en supposant l'instant divisible, il s'en suit que cet instant, qui devrait être uniquement présent, sera en partie du passé, en partie de l'avenir ; et comme le passé et l'avenir peuvent, selon l'étendue qu'on leur donne, varier à l'infini, l'instant ne sera ni toujours le même passé, ni toujours le même futur. Il variera avec l'un et avec l'autre; car le temps est divisible d'une foule de manières. Donc, comme l'instant ne peut être ainsi dénaturé, il faut qu'il soit un et identique pour les deux temps, il est commencement de l'un et fin de l'autre. Hais si c'est le même, il est clair qu'il est indivisible ; car, lorsqu'on le suppose divisible, on arrive aux consé- quences absurdes qu'on a signalées plus haut.

Il est donc démontré qu'il y a dans le temps quelque chose d'indivisible que nous appelons l'instant, et qui est indivisible au sens que nous venons de dire. Nous allons

17

258 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

prouver maintenant qu'il n'y a pas de mouvement pos* sible dans la darée de l'instant. En effet, s'il y avait mon- vement, ce mouvement pourrait être ou plus rapide ou plus lent. Soit l'instant représenté par N, et le mouve- ment plus rapide dans cet instant, représenté par AB. Le mouvement moins rapide parcourra dans le même instant une distance AC moindre que AB. Mais comme le mou- vement le plus lent ne parcourt que la distance AC, le mouvement plus rapide la parcourra en un temps moin- dre ; et, par conséquent, l'instant sera divisé ; ce qui ne se peut pas, puisqu'on vient de prouver que l'instant est indivisible. Donc, il n'y a pas de mouvement possible dans la durée de l'instant, si toutefois on peut dire que l'ins- tant ait une durée. Ce que l'on vient de prouver pour le mouvement s'applique tout aussi bien au repos ; et dans l'instant, il n'y a pas plus de repos qu'il n'y a de mouve- ment. En effet, quand on parle de repos, on veut parler d'un corps qui, par sa nature^ doit se mouvoir, et qui, cependant, ne se meut pas, quand naturellement il le doit, il le doit, et de la manière qu^il le doit. Mais, comme rien ne peut se mouvoir dans la durée de l'ins- tant, ainsi qu'on vient de te démontrer, îl s'en suit qu'il n'y a pas davantage de repos.

On peut objecter, il est vrai, que l'instant étant le même pour les deux temps, c'est-à-dire pour le passé et pour l'avenir, il se peut que, dans toute l'étendue de l'un, il y ait un mouvement, tandis qu'il y a repos dans toute l'étendue de l'autre, et que ce qui se meut ou est en re- pos dans le temps entier, doit aussi être en mouvement ou en repos dans tous les éléments dont ce temps se compose. Par suite, on en conclurait que dans l'instant il doit y

D'ARISTOTE, LIVRE VI, CH. III. 259

avoir mouyement on repos comme daas le reste du temps* Mais œd est également impossible ; car alors la même cboae serait tout à la foison repos et en mouvement, pnis^ rinstant est nne seule et même extrémité pour les deux parties du temps; et que, par une contradiction ma* nifeste, on le suppose en repos et en mouvement tout en^ semble. Enfin, on dit d'une chose qu'elle est en repos, quand elle-même et ses parties sont actuellement ce qu'elles étaient antérieurement; mais, dans un instant, il n'y a ni antérieur, ni postérieur ; et, par conséquent, il n'y a pas de repos, pas plus qu'il n'y a de mouvement.

Donc, il faut nécessairement que le mouvement et le repos se passent dans une certaine durée de temps et non dans l'instant.

IIL

A tout ce qui précède, j'ajoute cette conclusion géné- rale que tout ce qui change est nécessairement divisible^ puisque tout changement suppose et un état d'où part ce qui change, et un état il arrive. Or, une fois que la chose est arrivée à l'état vers lequel elle tend, elle ne change plus; et quand die est dans l'état qu'elle va changer, elle ne change pas encore, ni elle, ni aucune de ses parties, puisqu'on entend prédsément par rester dans le même état ne changer ni en soi ni dans aucune de ses parties quelconques. Mais quand la chose est en train de changer, il faut nécessairement qu'une de ses parties soit dans le premier état, et l'autre partie dans l'autre état ; car il est à la fois impossible, et qu'elle soit tout entière dans les deux, et qu'elle ne soit dans aucun. Je veux

260 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

parler non pas du changement définitif et complet, mais des premières nuances de ce changement ; et, par exemple, un corps qui de blanc devient noir, ne devient pas noir immédiatement; mais il passe d'abord par le gris. Ainsi, il n'est pas indispensable que ce qui change soit dans l'un quelconque des deux extrêmes. Il y a entr'eux une foule d'intermédiaires il peut être successivement, en quittant l'un et en allant vers l'autre. Donc, je le répète, tout ce qui change , ou plutôt tout changement est essen- tiellement divisible, ainsi que le mouvement, qui n'est qu'une espèce de changement.

IV.

Le mouvement n'est pas seulement divisible d'une ma- nière générale; il faut ajouter qu'il peut se diviser de. deux façons : d'abord selon le temps qui le mesure, et ensuite selon les mouvements partiels que le mobile peut avoir. Je commence par cette dernière division.

Si, par exemple, un corps AG se meut tout entier, je dis que ses deux parties AB et BC seront également en mouvement. Soit DE le mouvement de AB, et EF le mou- vement de BG, c'est-à-dire le mouvement des parties de AG. Le mouvement entier de AG doit être nécessaire- ment DF. G'est, en effet, selon ce mouvement que le corps doit se mouvoir, puisque son mouvement n'est que la somme des mouvements des parties, et que nul corps ne pouvant avoir le mouvement d'un autre, l'une des parties n'a pas le mouvement de l'autre partie. Donc, le mouvement total est celui de la grandeur totale du corps entier. On peut encore prouver ceci d'une autre manière.

DARISTOTE, LIVRE VI, CH. IV. 261

Tout mouvement suppose nécessairement un corps qui se meut. Or, ici, le mouvement total n'est pas le mouvement d'une des parties séparément, puisque chacune d'elles a son mouvement partiel ; le mouvement n'est pas non plus le mouvement d'aucun autre corps que AC, puisqu'il a été prouvé qu'un mouvement un ne peut appartenir à plusieurs corps. Donc il est clair que le mouvement en- tier DF ne peut être que le mouvement de toute la gran- deur AC ; car, le mouvement total est celui du corps entier, les parties de ce mouvement sont les mouvements des parties, et les parties de DF sont les mouvements de AB et de BG.

Supposons, en effet, que le mouvement de AC soit autre que DF, et qu'il soit, par exemple, HI, on pourra de HI retrancher les mouvements de chacune des parties .AB et BC ; mais ces mouvements sont égaux à DE et EF. Par conséquent, si le mouvement HI est partagé exacte- ment par les mouvements des parties, c'est qu'il est égal à DF , et alors on peut les prendre indifféremment Y un pour l'autre, puisqu'ils ne diffèrent pas. Si HI est plus petit que DF, et, par exemple, d'une quantité Kl, alors il n'est le mouvement de rien ; car il n'est pas le mouvement du tout; il n'est pas davantage celui des parties, puisqu'un corps n'a qu'un seul et unique mouvement, et il n'est le mouvement d'aucun autre corps, puisque le mouvement doit être continu pour des mobiles continus, et que celui-là ne l'est pas. La démonstration serait analogue siHI était plus grand que DF, au lieu d'être plus petit. Par conséquent, ne pouvant être ni plus grand ni plus petit, il faut qu'il soit égal et le même.

Telle est la division du mouvement selon les mouve-

26S PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ments des parties du molnle, et elle s'applique néceasai- rement à tout corps qui a des parties. L'autre divisioa du mouvement se rapporte à la division même du temps pendant lequel le mouvement a lieu; car d'abord tout mouvement exige un certain laps de temps, et tout mou- vement est ainsi dans le temps. De plus, le temps est toujours divisible, puisqu'il faut un temps moindre pour un moindre mouvement. Il en résulte que le mouvement est toujours divisible selon les divisions mêmes du temps pendant lequel il s'accomplit.

V.

Comme tout ce qui se meut doit se mouvoir d'une certaine espèce de mouvement, et pendant un certain temps, et que tout mouvement suppose nécessairement un mobile, les divisions doivent être les mêmes pour le temps et pour le mouvement, soit abstrait soit concret, pour le mobile et pour le récipient dans lequel le mou- vement a lieu. Seulement, la division ne se fait pas de la même manière pour toutes les choses l'on peut con- sidérer le mouvement. il y a de la quantité, la divi- sion se fait en soi, parce que la quantité est directement divisible en soi ; mais il n'y a qu'un mouvement de qualité, la division n'est qu'indirecte, parce que la qua- lité ne se divise qu'autant que le corps elle est se trouve lui-même divisé.

Pour prouver que la division du mouvement et celle du temps sont toutes pareilles, représentons par A le temps durant lequel le mouvement a lieu , et par B le mouve- ment lui-même. La totalité du mouvement s'accomplit dans la totalité du temps; dans un temps moindre, le

D'AAISTOTE, LIVRE VI, CH. V. 26S

mouvement sera moindre ; dans un temps moindre encore « le monvement aéra moindre encore ; et, par conséquent* le mouvement snit exactement la division du temps. Réci- proquement, si le mouvement est divisible, le temps l'est absolument comme lui; et l'on peut répéter ce qu'on vient de dire» que la totalité du mouvement renqilit la totalité du temps ; que la moitié du mouvement s'accom* plit dans la moitié du temps, et une partie moindre du mouvement, dans une moindre partie du temps. Le ré- sultat du mouvement se divisera comme le mouvement et le temps eux-mômes. Ainsi, dans la moitié du mouvemeut, ce résultat sera moindre que dans le mouvement total ; il sera moindre encore dans la moitié de la moitié, et sûnsi sans fin.

On peut ajouter que le résultat du mouvement, consi* déré dans le mobile, sera divisible aux mêmes conditions que le mouvement lui-même; et si les résultats partiels sont pai* exemple DC et CE, le résultat total ne sera

obtenu que par le mouvement total ; car, s'il en était au- trement, il s'ensuivrait que plusieurs résultats de mou- vement pourraient venir d'un seul et même mouvement. Or, tout comme nous venons de démontrer que le mou- vement peut toujours se diviser dans les mouvements des diverses parties, de même le résultat du mouvement doit se diviser dans les résultats partiels; car, en supposant même qu'il y ait un résultat spécial dans chacune des deux parties DC et CE, il n'en faut pas moins que le ré- sultat total soit continu comme le temps, et il est par con- séquent divisible comme luL

On démontrerait de la même façon que la longueur, et en général tout ce dans quoi se passe le changement, est

2«A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

divisible comme le temps et le mouvement sont divisibles aussi, sauf les exceptions que nous avons faire pour les cas la division est indirecte. Car tout ce qui change est nécessairement divisible, et un des termes que nous avons indiqués an nombre de cinq, mobile, mouvement, distance parcourue, longueur et catégorie du mouvement pouvant se diviser, il s'ensuit naturellement que tous les autres se divisent également. Ils subissent aussi la même loi tous les cinq en ce qui concerne la possibilité d'être finis ou infinis. Mais, ce qui semble le plus d'accord avec l'idée même du changement, c'est que tous les cinq soient infinis de même que tous les cinq sont divisibles ; car, l'infinitude et la divisibilité sont les caractères les plus certains et les plus évidents de tout ce qui change. Quant à la divisibilité, nous en avons parlé dans ce qui précède, et pour l'infinitude nous en traiterons dans ce qui va suivre.

VI.

Avant de démontrer que le temps et le mouvement sont divisibles à l'infini, je dois poser quelques principes déjà connus. D'abord, tout ce qui vient à changer change évi- demment en quittant un certain état, et en arrivant à un état autre. Une conclusion nécessaire de ceci, c'est que ce qui a changé doit être, dès le premier moment qu'il a été changé, dans le nouvel état en lequel il est changé. En effet, ce qui change sort de l'état qu'il change, ou si l'on veut il quitte cet état. Or, certainement changer et quitter son état pour en prendre un autre, sont deux idées qui se confondent absolument ; ou du moins, quitter est la cou-

D'AMSTOTE, LIVRE VI, CH. VI. 266

séquence de changer, tout comme avoir quitté son état est la conséquence d'avoir changé ; car le rapport de ces deux termes est toujours semblable, soit qu'il s'agisse du présent, soit qu'il s'agisse du passé. Si donc c'est une certaine espèce de changement, si ce n'est de mouvement, que l'état le changement s'exprime par la contradic- tion, on peut dire qu'une chose qui vient à se produire change du non-ëtre à l'être, et qu'elle a perdu ou quitté l'état de non-être elle était antérieurement. Elle fait donc désormais partie de l'être, puisqu'il faut nécessaii^e- ment qu'une chose soit ou ne soit pas. Par conséquent, il est bien clair que, dans ce changement par contradiction et non plus par contraires, la chose qui aura changé de cette façon sera bien dans la chose en laquelle elle aura changé. Si donc il en est ainsi pour le changement spé- cial du non-être à l'être, j'en conclus qu'il en sera de même pour toutes les autres espèces de changements ; car ce qui s'applique à l'un doit aussi s'impliquer à tous les autres.

On peut se convaincre de la vérité de ce principe, en prenant une à une les diverses espèces de changement ; et l'on verra que, dans toutes nécessairement, le corps qui a subi le changement doit être au point d'arrivée et non au point de départ, pour être réellement et définiti- vement changé. En effet, il faut qu'il soit quelque part et dans quelque chose. Or, comme il a quitté l'état qu'il doit changer et le point de départ le changement com- mence, il faut qu'il soit au point d'arrivée il est alors changé, ou qu'il soit dans un autre point, s'il n'est pas à celui-là. S'il est dans un autre point, supposons que ce soit C ; or, comme c'est en B qu'il doit être changé, il

260 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

faut qu'il change encore de C en B ; car C^ pris nécessai- rement entre A et B, n'est pas continu à B, avec lequel il se confondrait, s'il lui était continu. Or, le changement est continu nécessairement. Donc, on arrive à cette con- clusion absurde que ce qui a changé, quand il a déjà changé, change cependant encore au point il a déjà changé ; et comme c'est impossible, il faut admettre que ce qui change ne pouvant être, ni au point de départ qu'il a quitté, ni dans un point intermédiaire, est au point d'ar- rivée où le changement, vers lequel il tendait, est définiti- vement accompli. Par suite, on doit admettre aussi que ce qui a été produit du non-ètre à l'être existe au moment même qu'il a été produit, de même que ce qui a péri en passant de l'être au non-être, cesse d'exister au moment qu'il a péri. Ces généralités, qui s'appliquent à toute es- pèce de changement, sont encore plus évidentes dans le changement par contradiction, du non-être à l'être, ou de l'être au non-être, qu'elles ne le sont dans tout autre.

Donc, en résumé, ce qui a changé doit être, dès le pre- mier moment que le changement est accompli, dans le point même il est changé, c'est-à-dire au point d'arri- vée et non au point de départ.

VII.

Nécessairement, ce premier instant, cet instant primi- tif où a changé ce qui a changé, doit être indivisible. J'entends par primitif ce qui a telle ou telle qualité, non pas parce qu'une de ses parties aurait antérieurement cette qualité, mais bien parce qu'il l'a tout mtier lui- même. Supposons, par exemple, que le point AC le

D'AR1ST0T£, UVRE VI, Gfl. VUL 267

changement est acoompU soit divisible» et qu'il soit divisé en B. Si l'objet a changé en AB et ensuite en BC, c'est que AG n'est pas primitif, ainsi qu'on le supposait, et l'on va alors contre l'hypothèse. Si l'on dit que le change- ment a lieu dans l'un et l'autre à la fois, en AB et en BC^ comme il y a nécessité que l'objet ait changé ou qu'il change dans les deui, il change aussi, ou il a changé, dans le tout qu'ils forment, c'est-à-dire en AC ; mais on avait supposé, non pas qu'il change en AC, mais qu'il y avait déjà changé. Même raisonnement si, au lieu de supposer qu'il change, ou a changé dans les deux, on suppose qu'il change dans l'an, et qu'il a changé dans l'autre; car alors il y a un point qui devient antérieur à celui qa'oti supposait primitif ; et cette nouvelle conclusion n'est pas plus possible que l'autre. Donc, cet instant l'objet a primitivement changé ne peut pas être divisible. De ceci, il résulte que l'instant est également indivisible pour la pro- duction ou la destruction des choses. Ce qui est ou a péri, est ou a péri dans un instant qui ne peut pas pins se diviser que celai tout autre changement s'est ac^ compli.

VIU.

Mais peut-être est-il nécessaire d'insister sur cette expression de primitif pour faire bien comprendre ce que nous entendons par là. Quand on parle du point primitif le changement a lieu, on peut prendre ceci en un double sens : ou bien le primitif est le point le chan- gement est complet et achevé, car c'est seulement alors qu'il est exact de dire que l'objet a changé réellement ;

268 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ou bien Ton appelle primitif le point le changement commence à se produire. Il y a grande différence entre ces deux acceptions. Ainsi, ce primitif dont on veut par- ler, quand on l'applique à la terminaison du mouvement, est et subsiste réellement par lui-même, puisqu'il est possible que le changement se termine et s'accomplisse, et qu'il y ait alors une fin de changement. C'est même ce qui nous a fait dire que ce point est indivisible, préci- sément parce qu'il est une limite et un terme. Mais, quant au primitif qui s'applique au début du changement, on ne peut pas dire qu'il existe; car on ne peut le trouver, ni dans le temps pendant lequel le mouvement s'accom- plit, ni dans le mobile qui accomplit le mouvement, ni dans le lieu ce mouvement se produit.

Je commence par prouver que ce primitif du change- ment ne peut pas être dans le temps ; car il est impos- sible d'y fixer l'instant auquel ce changement commence à se produire. Soit ce primitif AD. Je dis que ce prétendu primitif n'est pas indivisible ; car, autrement, il en résul- terait que les instants sont continus les uns' aux autres, ce qui a été démontré impossible. En effet, AD étant une partie du temps, et étant indivisible, il s'ensuit que ce ne peut être qu'un instant ; et, pour former le temps, il faut que cet instant soit continu à un autre instant, et celui-ci encore à un autre, etc. Une autre conclusion absurde à laquelle on arrive nécessairement en faisant AD indivisible, c'est qu'une même chose est à la fois en repos et en mouvement; car, si l'objet est supposé en repos du- rant le temps entier CA, qui précède ÀD, il est égale- ment en repos durant A, qui est l'extrémité de ce temps. Dès lors il l'est tout aussi bien en D, puisque D est sup-

D'ARISTOTE, LIVRE VI, CH. VIII. 26U

posé iDdÎYÎsible. Mais on supposait déjà en D qne l'objet était changé. Donc il est tout ensemble et en mouvement et en repos. On ne peut pas davantage supposer AD divi- sible; car si l'on suppose que le changement ait lieu dao s une de ses parties, on ne pourra pas plus y trouver 1 e primitif que Ton cherche. AD étant divisé, si l'objet n' *a changé dans aucune des parties de AD, il n'a pas no n plus changé dans le tout qu'elles forment; c'est de tout e évidence. Si l'on dit, au contnûre, qu'il a changé dan s les deux, il est bien vrai qu'il a changé dans le tout ; mais, dès lors, il n'y a plus le primitif que l'on disait : ; car le changement dans l'une des parties de AD a être ; antérieur au changement dans l'antre ; et il y a alors < quelque chose qui précède ce primitif prétendu, puisque nécessairement il avait été changé déjà dans l'une des deux parties. Donc, enfin, il n'y a pas de point primitif le changement ait lieu, puisque les divisions peuvent être en nombre infini.

Si le primitif du changement n'est pas dans le temps^ ainsi qu'on vient de le prouver, il n'est pas non plus dans le mobile qui change. Soit, en efiet, cet objet qui change représenté par DE, et supposons que le primitif du chan- gement soit dans une de ses parties DF, puisque tout ce qui change est essentiellement divisible. Soit le temps dans lequel DF a changé représenté par HI. S'il a fallu à DF un certain temps pour changer, ce qui a changé dans la moitié de ce temps sera non-seulement moindre que DF, mais de plus, antérieur à DF ; une antre pa7*ti< 3 sera moindre encore ; puis une troisième, moindre qo e 1 a seconde^ et ainsi de suite à l'infini. Par conséquent , 'on n'atteindra pas dans l'objet changé ce primitif du chan-

270 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

gement auquel on veut arriver. Ainâ, 0 n'y a de primitif ( de changement ni dans Tobjet ni dans le temps.

Reste enfin la qualité qui change» et ici il n'en est plus tt )ut à fait de même. En effet, dans tout changement on p< mt considérer trois choses : l'être qui change, le réci^ pi ent dans lequel le changement se passe, et la qualité m juvelle qu'apporte le châtiment. Par exemple , r homme, le temps et la blancheur ; c'est l'homme qui c bange ; c'est dans le temps qu'il change ; et ce en quoi il c hange, c'est la blancheur. L'homme et le temps, qui s ont tous deux des grandeurs et des continus, sont tou* J4 Durs et indéfiniment divisibles. Mais la blancheur, si eUe c «t divisible, ne l'est qu'indirectement, parce que, de ;ette façon, tout est divisible, et la blancheur se divise ] mrce que l'objet dans lequel elle se trouve est diviâble Mais tout ce qui est en soi divisible et ne l'est pas ; par accident, ne peut jamûs avoir le primitif du chan- gement. Et ceci est vrai, pour les grandeurs parcourues dans l'espace, et pour les quantités. En effet, soit AB la grandeur parcourue , et que le primitif soit dans BC. , Soit qu'on fasse BG divisible ou indivisible, l'impossibi- lité est la même ; car, s'il est supposé indivisible, il en : résulte qu'un objet sans parUes sera continu à un autre « objet qui est sans parties également ; ce qui est absurde, ; puisqu'il *faudra que BG supposé indivisible soit oon- 1 tinu à un autre indivisible pour former la grandeur AB. i Si, au contraire, BC est divisible, alors il y a quelque hi>se d'antérieur à C, en quoi le corps a changé; et alors B C n'est plus le primitif comme on le disait ; car il y aara un antérieur à cet antérieur; puis un autre à celui- ; ei^ « ainsi de suite à l'infini, la division d'un continu ne

DARISTOTE, LIVRE VI, CH. IX. 271

pooyant pas avoir de terme, ainsi qu'on l'a prouvé. Donc, il n'y aura pas de primitif dans la grandeur parcourue, liais il n'y en aura pas davantage, et par la même raison, dans la quantité, puisque la quantité est essentiellement continue. Si donc il ne peut y avoir de primitif ni pour l'espace, ni pour la quantité, c'est-à-dire dans les chan- gements par déplacement, et dans les changements par accroissement ou diminution, il est clair que le mouve- ment dans la qualité est le seul il puisse y avoir de l'indivisible en soi, parce qu'en soi la qualité est indivi- sible, et qu'elle n'est divisible qu'indirectement par la di- vision de l'objet même dans lequel elle est.

IX.

Du reste, il faut bien remarquer que le changement, quelle que soit sa durée, et quel que soit son primitif, a lieu dans toutes les parties du temps durant lequel il a lieu pri- mitivement ; car tout changement ayant lieu nécessaire- ment dans le temps, changer dans le temps peut s'entendre en deux acceptions diverses, selon qu'il s'agit du temps primitif ou du temps considéré dans un autre temps. Je m'explique ; on dit, par exemple, qu'un changement s'est passé dans telle année, non pas que ce changement ait duré toute l'année entière, mais seulement parce qu'il a eu lieu dans un certain jour de cette année. L'année est le temps par un autre ; le jour est au contraire le temps primitif. Ainsi, le changement a nécessairement lieu dans toutes les parties du temps primitif qu'il a fallu à ce qui change pour changer. C'est ce qui résulte de la défini- tion même du mot de primitif, et le primitif ne peut pas

272 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

se comprendre en un antre sens. Voici d'ailleurs un autre moyen de le démontrer. Soit, en effet, XR le temps pri- mitif dans lequel le mouvement s'accomplit, et supposons qu'il soit divisé en K; car un temps quelconque est tou- jours divisible, puisque c'est un continu. Dans le temps XK moitié de XR, l'objet se meut ou il est en repos: même raisonnement pour KR autre moitié de XR. Si le corps ne se meut dans aucune de ces deux parties du temps , il ne se meut pas non plus dans le temps total qu'elles forment, ei il y est en repos du moment qu'il ne se meut dans aucune des deux parties. S'il ne se ment que dans l'une des deux parties, n'importe laquelle, alors il ne se meut plus primitivement dans XR, comme on l'avait d'abord supposé; car, dans ce cas, le mouvement n'est plus primitif, et il est par un autre. Donc, il faut néces- sairement que le changement ait lieu dans toutes les par- ties du temps primitif XR il se passe.

X.

De ce que le temps et la grandeur sont divisibles à l'in- fmi, il ressort cette conclusion, qui, à première vue, est assez singulière, c'est que tout ce qui se meut actuellement doit avoir été antérieurement ; en d'autres termes il n'est pas possible d'assigner le moment précis le mouvement commence. En effet, si dans un temps pri- mitif XR, un corps s'est mu de la grandeur KL, dans la moitié de ce même temps, un autre corps doué d'une vi- tesse égale, et qui aura commencé à se mouvoir simulta- nément, se sera mu de la moitié de KL. Mais si ce second corps, dont la vitesse est égale, a été mu de quelque

D'ARISTOTE, LIVRE VI, CH. X. * 273

chose dans cette moitié de KL, il faut bien aussi que le premier se soit mu d'une même grandeur, quelle qu'elle soit d'ailleurs ; et, par conséquent, le corps qui se meut actuellement a été mu déjà antérieurement.

Ceci se prouve encore d'une autre manière. Quand nous disons qu'un corps a été mu dans le temps XR, pris dans sa totalité, nous entendons ou bien qu'il a été mu dans le temps tout entier absolument, ou bien que c'est dans toute partie quelconque de ce temps ; et alors, nous ne considérons que l'instant extrême, où, en effet, le chan- gement a été définitivement accompli. C'est l'instant qui termine cette portion de temps ; et, entre deux instants, c'est toujours do temps qui comble l'intervalle. Mais si le corps s'est mn dans cet instant extrême, on pourra dire tout aussi bien qu'il s'est mu dans les autres instants. Or, on peut faire une division à la moitié du temps, par exemple ; et comme cette moitié est également terminée par un instant, le corps se sera mu aussi dans cette moi- tié. En généralisant cette remarque, on voit que le corps se sera mu dans une partie quelconque du temps, puis- que le temps, quelle que soit la section qu'on y fasse, est toujours terminé par un instant durant lequel on sup- pose que le corps s'est mu. Si donc le temps est toujours divisible, et si l'intervalle des instants est du temps, il s'ensuit que tout ce qui change au moment on le voit changer, aura déjà changé antérieurement un nombre infini de fois.

A ces deux démonstrations, j'en ajoute une dernière. Si ce qui change d'une manière continue, c'est-à-dire sans être détruit et sans ^interrompre son changement, doit nécessairement ou changer actuellement, ou avoir

18

274 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

changé déjà dans une partie quelconque du temps anté* rieur, il s'ensuit, comme il n'y a pas de changement possible dans le cours de l'instant actuel, que le chan- gement a se produire dans chacun des instants anté- rieurs. Par conséquent, les instants étant en nombre in- fini, il en résulte que ce qui change actuellement, doit avoir déjà changé une infinité de fois.

La proposition inverse n'est pas moins vraie; et l'on peut dire réciproquement que tout ce qui a changé doit nécessairement changer avant d'être complètement changé. En effet, tout ce qui a changé d'un certain état à un autre état a changé dans le temps. Supposons que dans l'instant le corps a changé de A en B ; il est clair qu'il n'a pas pu changer dans le même instant il est en A, puisqu'alors il serait tout à la fois en A et en B, ce qui est impossible ; car ce qui a changé, quand il a changé, n'est plus dans l'instant il change, ainsi qu'on vient de le démontrer un peu plus haut (ch. VI), c'est-à-dire que le corps qui a changé n'est plus au point de départ, mais bien au point d'arrivée. Si l'on dit que, n'étant point changé à l'instant il change, il est dans un autre ins- tant, alors il y a, entre ces deux instants, un intervalle de temps qui les sépare, puisque les instants, comme on le sait, ne sont pas continus. Car, comme le changement a lieu dans le temps, et que le temps est toujours divisible^ le changement aura été autre dans la moite de ce temps, et autre encore dans la moitié de cette moitié, et ainsi à l'infini. Donc, le corps change avant d'être changé; et quand le changement est complet, il s'est fait par une succession infinie de degrés.

Ce qu'on vient de dire pour la divisibilité du temps est

DARI8T0TE, LIVRE VI, CH. X. 275

encore plus évident pour la grandeur parcourue dans l'es- pace, et l'on verra qu'elle est également divisible à l'in- fini, parce que la grandeur, on change ce qui change, et se meut le corps qui se meut, est continue, et par conséquent divisible à l'infini. Soit, par exemple, un corps qui se meut de C en D. Si l'on supposait CD indivisible, il y aurait un corps sans parties, continu à un autre corps sans parties, ce qui est de toute impossibilité. Donc CD sera une grandeur divisible, et elle sera divisible à Fin* fini; donc ausei le corps avant d'arriver à D se ment dans toutes les parties comprises entre C et D. Par conséquent^ je puis conclure, d'une manière générale, que tout ce qui a changé change avant que son changement ne soit conv- plet Ce que je viens de dire du temps et de la grandeur qui sont des continus, s'appliquerait également aux choses il n'y a plus de continuité, et. par exemple, aux con- traires et à la contradiction ; car alors on prendrait le temps pendant lequel l'objet a changé, soit pour arriver aux contraires^ soit pour arriver à la contradiction, et l'on en dirait les mêmes choses.

Je le répète donc : il y a nécessité que ce qui a changé change, et que ce qui change ait changé. Le changement antérieur fait partie du changement actuel, de même que le changement actuel fait partie du changement antérieur ; et de cette façon, il est impossible d'arriver de part ni d'autre au primitif que l'on cherche. Cela tient à ce qu'un indivisible ne peut jamais être le continu d'un indivisi- ble; car la division de l'intervalle compris entre les deux est toujours possible, comme on l'a montré pour ces lignes et ces quantités, dont l'une s'accroît, et l'autre diminue sans cesse, sans qu'il y ait de fin ni pour l'une,

276 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ni pour Taotre de ces deux divisions (livre HI, cb. XI).

On peut pousser encore plus loin ces théories sur la divisibilité infinie du temps et du mouveoient, et les appliquer à des changements d'une autre espèce. Ainsi, Ton peut aller jusqu'à dire que tout ce qui a été produit doit être produit déjà antérieurement ; et, réci- proquement, que ce qui est produit actuellement a été antérieurement produit^ en supposant toujours qu'il s'agit de divisibles et de continus. Cependant, ce n'est pas dans tous les cas l'objet entier qui a été produit ; c'est parfois autre chose que lui, on pour mieux dire, ce n'est qu'une partie de l'objet. Ainsi, on ne peut pas dire que ce soit la maison entière qui est faite, quand il n'y a encore que ses fondements de posés. Ce même raisonnement que nous appliquons ici à la génération des choses, peut s'appli- quer aussi à leur destruction ; car dans tout ce qui périt et meurt, de même que dans tout ce qui naît et se pro- duit, il y a toujours de l'infini, parce qu'il y a toujours quelque chose de continu que Ton peut indéfiniment di- viser ; et il est également impossible, et que ce qui n'a point été soit, et que ce qui est n'ait point été de quelque façon. Même observation pour périr et avoir péri ; et l'on verrait, en suivant les mêmes raisonnements, qu'avoir péri est antérieur à périr, et que périr est antérieur à avoir péri, puisqu'il y a toujours du divisible à l'infini.

Donc encore une fois, ce qui a été produit doit être pro- duit antérieurement, et ce qui est actuellement produit doit avoir été déjà produit ; car, toute grandeur quelcon- que et le temps, quel qu'il soit, sont toujours indéfiniment divisibles; et, par conséquent, quel que soit aussi le point Ton prétend arrêter la division, ce n'est jamais un pri-

D'ARISTOTE, LIVRE VI, CH. XI, 277

mitif , et il y a toujours un antérieur qu*on peut poursuivre sans fin.

XL

De ces considérations sur la divisibilité indéfinie du mouvement et du temps, on tire quelques conséquences qu'il est bon de signaler. Comme tout ce qui se meut doit nécessairement se mouvoir dans le temps, et comme un corps doué d'une égale vitesse parcourt plus d'espace dans un temps plus grand, il s'ensuit que dans un temps in- fini, il ne peut pas y avoir de mouvement fini, en suppo- sant, bien entendu, qu'il ne s'agit pas d'un mouvement fini qui pourrait être constamment le même, ni du mou ve* ment d'une des parties de l'objet, mais du mouvement total dans le temps total. Ainsi donc, si le corps conserve une vitesse égale et uniforme, il faut nécessairement que, le mouvement étant fini, il ait lieu aussi dans un temps qui sera fini comme le mouvement Ini-mème ; car en pre* nant une partie du mouvement qui mesure exactement le mouvement entier, le corps parcourra la ligne entière qu'il décrit dans des temps ^aux, et qui seront aussi nombreux que les parties elles-mêmes de la ligne parcou- rue. Par conséquent, ces parties seront finies en quantité pour chacune d'elles, et quelque répétées qu'elles soient, finies également en nombre. Donc le temps sera limité et fini tout comme elles ; et le temps total sera égal au temps d'une des parties multiplié par le nombre même de ces parties.

Nous venons de supposer que le corps était animé d'une vitesse égaie; mais la démonstration serait la même

278 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

en supposant que la vitesse ne fût pas uniforme, et l'on arriverait toujours à cette conclusion que le temps doit être fmi quand le mouvement est fini. Soit AB la ligne que parcourt le mouvement fini, et soit CD le temps infini pendant lequel le mouvement est censé durer. De toute nécessité, le corps se meut dans une certaine partie de AB avant de se mouvoir dans l'autre, et il est clair que ces parties différentes du mouvement correspondent aussi à des parties différentes du temps; car, dans un temps plus grand, le mouvement, tout inégal qu'il est, sera autre que dans un temps plus petit; et cela est tout aussi vrai soit qu'on suppose une vitesse égale, ou iné- gale, et soit même encore que le mouvement s'accroisse, qu'il diminue, ou qu'il reste stationnaire et uniforme.

Soit donc une partie AE de la ligne AB , et que cette partie mesure AB exactement. Cette partie du mouvement correspond à une certaine partie adéquate du temps supposé infini ; car elle ne remplit pas appa- remment le temps infini , puisque c'est tout le mou- vement qui seul pourrait le remplir. En prenant après AE une autre partie égale de la ligne, elle correspon- dra de même à une certaine autre partie du temps in- fini ; car je dirai de cette seconde partie égale à AE ce que je disais de AE lui-même^ et elle ne remplit pas da- vantage la totalité du temps infini, puisque dans l'infini il serait bien impossible de trouver une mesure commune qui, suffisamment répétée, pourrait l'épuiser. L'infini ne peut jamais être composé de parties finies, soit égales soit inégales ; car, dès lors, il ne serait plus sans fin, et les quantités finies, soit en nombre soit en grandeur, sont toujours mesurées par quelqu'autre quantité. Les parties

D'ARISTOTK, LIVRE VI, CH. XI. 279

successives, égales à AE, ont beaa être égales on iné- gales, la ligne eotiëre AB sera mesurée, puisqu'elle est fiuie, par les AE, quelle que soit la grandeur qu'on leur suppose ; et la somme des temps finis qui correspondent à ces parties sera finie également. Donc^ le mouvement fini ne peut pas plus avoir lieu, dans un temps infini, avec une vitesse inégale qu'avec une vitesse égale.

Ce qu*on vient de dire pour le mouvement à partir du point de départ, pourrait également s'appliquer au mou- vement quand il tend vers le repos, au point d'arrivée; et Ton peut ajouter que ce qui est toujours un et le même ne peut jamais ni naître ni périr; car il y aurait toujours quelque variation, ne serait-ce que dans le temps; et, dès lors, l'immobilité cesserait.

Mais on peut renverser ainsi la démonstration précé- dente, et prouver qu'il n'y a pas plus de mouvement in- fini dans un temps fini, qu'il n'y avait tout à l'heure de mouvement fini dans un temps infini, en supposant d'ail- leurs aussi que le mouvement est égal ou inégal. Le temps étant fini, on y peut prendre une partie qui le mesure tout entier. Dans cette partie du temps, le mouvement parcourra une certaine partie de la ligne, sans parcourir la ligne entière, puisque la ligne entière ne peut être par- courue, d'après l'hypothèse , que dans le temps entier. Dans une seconde partie du temps, le mouvement par*- courra une seconde partie de la ligne, et ainsi de suite, soit que cette seconde partie soit égale on inégale à la première; car peu importe, du moment que chaque partie prise à part est finie. Il est clair que le temps qui est fini s'épuisera de cette façon ; mais il est clair aussi que la ligne supposée infinie ne sera point épuisée, attendu que

280 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

tous les retranchements qu'on y peut faire srait finis, soit en quantités soit en nombre. Par conséquent, le corps ne parcourt pas une ligne infinie dans un temps fini. Il n'importe pas d'ailleurs que la ligne soit supposée injfinie dans un sens ou dans l'autre, c'est-à-dire sans commen- cement ou sans fin. Dans l'une ou l'autre hypothèse, le raisonnement serait toujours le même.

On vient de démontrer que le temps ue peut pas être infini quand le mouvement est fini, et réciproquement que le mouvement ne peut être infini quand le temps est fini. Maintenant on va démontrer que le mobile est sou- mis aux mêmes conditions que le moavement et le temps.

Suppotjons d'abord un mobile d'une grandeur finie. Il ne pourra parcourir une ligne infinie dans un temps fini. En effet, dans une partie du temps, il parcourt une par- tie finie de la ligne; et ceci se répétant pour chaque partie successivement, c'est encore du fini et non pas l'infini qu'il a parcouru dans le temps entier. Mais si le mobile fini ne peut parcourir l'infini dans un temps fini, il n'est pas plus possible qu'une grandeur infinie par- coure une ligne finie dans un temps fini. Supposons en effet, que ce mobile infini puisse avoir un mouvement fini, il s'ensuit que le fini parcourt aussi l'infini; car quel que soit celui des deux qui est en mouvement, soit le fini, soit l'infini, il en résulte toujours que le fini par- court l'infini. Si c'est l'infini A qui se meut, et que le fini B soit en place, il y aura une partie CD de l'infini qui correspondra à B, et successivement les parties de l'infini passeront devant B. Donc l'infini se sera mu devant le fini, et le fini aura parcouru l'infini de cette façon; car si l'infini se meut dans le fini, cela ne peut se comprendre

DARISTOTE, UVRE VI, CH. XH. 281

qu'antant que le fini lui-même se déplace ou qu'il mesure l'infini parties par parties. Mais cette dernière supposition est impossible puisque l'infini est incommensurable ; donc il est impossible aussi qu'un mobile infini parcoure une ligne finie.

Il n'est pas possible davantage qu'il parcoure une ligne infinie dans un temps fini ; car si le mobile infini pou- vait parcourir une ligne infinie, à plus forte raison pour- rait-il parcourir une ligne finie, puisque le fini est toujours compris dans l'infini; or, on vient de prouver qu'il ne parcourt pas une ligne finie; donc il ne parcourt pas davantage une ligne infinie. La démonstration serait en- core la même si on supposait le temps infini au lieu du mobile. Ainsi, dans un temps fini, une grandeur finie ne peut parcourir l'infini, pas plus qu'une grandeur infinie ne peut parcourir le fini, pas plus encore qu'une grandeor infinie ne peut parcourir l'infini. Donc le mouvement ne pourra pas davantage être infini dans un temps fini ; car il n'y a point ici de différence à supposer que c'est le temps qui est infini ou que c'est le mobile. Du moment que l'un des deux est infini, il faut que l'autre le soit aussi de toute nécessité, puisque tout déplacement se fait dans l'espace, et qu'il exige tout à la fois et un certain temps et un certain mouvement. Si l'on suppose le déplacement infini, il faudra que l'espace et que le temps soient infinis également.

XII.

Les distinctioDs que l'on vient de faire pour le mou- vement peuvent être faites aussi pour le ralentissement

282 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

du mouvement, si ce n'est pour le repos. En effet, comme tout ce qui par sa nature doit être ou en mouvement ou en repos, ne se meut et ne repose que quand toutes ses conditions naturelles d'action, de temps et d'espace, sont remplies, il s'ensuit que ce qui se ralentit et tend à s'ar- rêter, doit être en mouvement au moment il arrête peu à peu son impulsion; car s'il n*était pas alors en mouvement, c'est qu'il serait en repos ; mais il n'y est pas puisqu'il y tend. De ceci, il résulte clairement que la tendance au repos ou le ralentissement du mouvement doit être dans le temps, puisque tout mouvement se passe dans le temps nécessairement, et que la tendance au repos suppose que le mouvement continue. Le ralen- tissement n'est qu'une espèce du mouvement.

Ce qui prouve bien que le ralentissement est dans le temps, tout comme y est le mouvement, c'est que le ra- lentissement peut être ou plus rapide ou plus lent; et c'est toujours au temps que se rapportent les idées de lenteur et de vitesse. De même que pour le mouvement, le ralentissement qui a lieu dans nn certain temps pri- mitif, doit avoir lieu dans toutes les parties de ce temps. On peut toujours supposer le temps divisé. Qu'il le soit donc ici en deux parties. Si le ralentissement n'a lieu dans aucune des deux parties, il ne se produit pas non plus dans le temps entier qu'elles composent; et alors le mou- vement qu'on suppose se ralentir ne se ralentit pas. S'il se ralentit dans l'une ou l'autre des parties du temps, le temps entier n'est plus alors le primitif qu'on supposait; car c'est dans une partie du temps, et non dans ce temps même que le mouvement se ralentit, ainsi que nous l'avons démontré plus haut pour le mobile (ch. Vlll).

DARISTOTK, LIVRE VI, CH. XII. 28S

Mais de même qu'il n'y a pas de primitif, comme oo l'a va, l'on poisse dire que le mouvement s'accomplit, de même il n'y en a pas non plus pour le ralentissement du mouvement, c'est^-dire qu'il n'y a réellement de pri- mitif ni pour le mouvement, ni pour l'arrêt. Soit AB, par exemple, le primitif supposé le corps se ralentit. Il n'est pas possible que ce primitif soit indivisible ; car il n'y a pas de mouvement dans ce qui est sans parties; le corps doit s'être um antérieurement dans une partie quel- conque, et le corps qui ralentit sou mouvement doit né- cessairement être au préalable en mouvement. Si AB est divisible, le ralentissement aura lieu dans une quelconque de ses parties ; car le corps ralentissant son mouvement dans AB primitif, et ce primitif ne pouvant pas être un indivisible, puisque le temps est toujours divisible, il ne peut pas y avoir dans le temps de primitif le corps ralentisse et arrête son mouvement.

Il en est de même pour le repos, c'est-à-dire que pour le repos il n'y a pas plus de primitif qu'il n'y en a pour le mouvement ou pour son ralentissement. Le temps le repos a lieu ne peut pas être indivisible ; car il n'y a pas de mouvement possible dans ce qui ne peut pas être divisé; et est le repos, est aussi le mouvement qui y correspond. En effet, le repos n'est que l'absence du mouvement dans les circonstances naturellement le mouvement devrait avoir lieu. D'autre part, comme le repos suppose que la chose est actuellement ce qu'elle était auparavant, il y a ici deux termes, et non pas un seul comme on pourrait le croire. Le temps dans lequel le repos a lien se compose donc de deux parties au moins; et du moment que le temps est divisible, c'est dans une

28& PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

de ces parties que le repos se produit. Ou peut répéter ici la démonstration qu'on a donnée plus bant, pour éta- blir qu'il n'y a de primitif, ni pour le ralentissement du mouvement, ni pour le mouvement lui-même.

La cause générale de tout ceci, c'est que tout mouve- ment et tout reposent lieu nécessairement dans le temps; or, le temps qui est toujours divisible, ne peut pas plus être un primitif que la grandeur ou un continu quel-** conque, puisque tout continu est toujours divisible à l'infini.

Xlil.

Mais s'il n'y a pas de primitif pour le temps et le mou- vement, il n*y en a pas davantage pour le lieu le mouvement se passe. En effet, tout mobile se meut né- cessairement dans le temps, et il change en allant d'un point à un autre ; mais il est imposable que le mobile ait un lieu primitif, durant le temps en soi pendant lequel tout entier il se meut ; je dis dans le temps entier, non pas dans une de ses parties seulement. En effet, pour qu'on puisse dire d'une chose qu'elle est en repos, il faut que cette chose même, ainsi que toutes ses parties, soit durant un certain temps au même lieu ou au même état; et il n'y a vraiment repos que quand on peut dire que, dans un premier instant et dans un instant subséquent, la chose et toutes ses parties restent dans un état ou un lieu absolument identique. Or, si c'est bien l'idée qu'on doit se faire du repos, il n'est pas possible que le corps qui change, soit tout entier dans tel lieu durant le temps primitif il est supposé changer ; car le temps est tou-

DARISTOTE, LIVRE VI, CH. XIV. 286

jours divisible, et par conséquent ce ne sera que dans des parties successives du temps, qu'il sera vrai de dire que la chose avec toutes ses parties, est absolument au même état qu'elle était

Si l'on niait cette théorie, et si Ton disait que ce n'est que pendant un des instants que la chose conserve cet état identique, il n'en serait pas moins certain que ce n'est pas dans une partie quelconque du temps que la chose reste en repos, puisqu'on reconnaîtrait alors que c'est pendant la limite du temps et non dans le temps lui- même. Sans doute dans T instant, le corps existe bien tou- jours d'une certaine façon ; mads on ne peut pas dire qu'il y soit en repos ; car, dans un instant, il n'y a pas plus de repos qu'il n'y a de mouvement II est strictement vrai que, dans un instant, le mouvement est impossible ; et que le corps existe, sans cpi'on puisse préciser aucun de ses rapports. Mais il n'est pas possible davantage que l'on puisse assigner un certain temps au repos, puis- qn'alors on arriverait à cette conclusion absurde, qu'un corps en mouvement serait en repos, ce qui est évidem- ment contradictoire.

XIV.

Les démonstrations qui précèdent peuvent nous aider à réfuter les arguments sophistiques de Zenon, qui pré- tendait démontrer que le mouvement n'est pas possible, et qui, pour frapper davantage les esprits, prenait l'exemple d'une flèche qui vole, pour prouver que, même dans ce cas, il n'y avait pas de mouvement Voici le rai- sonnement captieux dont Zenon se servait : « Si toute

28Ô PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

if chose, disait-il, cloit toujours être ou en mouvement (( ou en repos, et si elle est en repos quand elle est dans d un espace égal à elle-même, il s'ensuit que, tout corps <( qui se déplace étant à chaque instant dans un espace égal « à lui-même, la flèche qui nous semble voler est cependant <( immobile ; car, à chaque instant de sa prétendue course, « elle est dans un espace égal à elle-même. » L'erreur de Zenon ressort de ce que nous avons dit ; car le temps ne se compose pas d'instants comme il semble le croire, pas plus que nulle antre grandeur ne se compose d'indivisibles. La flèche n'est pas dans un espace égal à elle-même dans chaque instant, mais dans chaque partie du temps, et elle se meut durant tout le temps de sa course, quoique puisse affirmer Zenon.

Puisque nous en trouvons l'occasion, rappelons que Zenon avait contre l'existence du mouvement quatre ar- guments, qui ne laissent pas que d'embarrasser ceux qui essaient de les réfuter en règle. Le premier raisonnement reposait sur ceci que le mobile doit passer par les inter- médiaires avant d'arriver à la fin ; et les intermédiaires étant en nombre infini, Zenon en concluait que jamais le mobile ne pourrait les parcourir. Nous avons déjà réfuté cet argument dans nos discussions antérieures (Voir ce même livre, chap. I), nous avons montré* que les in- termédiaires ne sont infinis qu'en puissance, mais qu'en acte ils ne le sont pas.

Le second sophisme de Zenon, qu'on appelle l'Achille, n'est pas plus fort. Il consiste à prétendre que jamus un coureur plus lent, une fois qu'il est en marche, ne pourra être rejoint pas un coureur plus rapide, attendu que le poursuivant doit, de toute nécessité, passer d'abord par

DARISTOTE, LIVRE VI, CH. XIV. 287

le point d'où est parti celui qui fuit sa poursuite, et que le plus lent conservera toujours une certaine avance, quoique fasse l'autre. Toujours entre les deux il y a une différence qui deviendra de plus en plus petite à l'infini, mais qui ne deviendra jamais nulle. Ce raisonnement re- vient à la théorie de la divisibilité infinie, qui consiste à prendre toujours la moitié de la moitié, puis la moitié de cette moitié nouvelle, et ainsi à l'infini. La seule diffé- rence, c'est que dans l'Achille ce n'est pas par des moitiés successives que l'on procède. On affirme d'une manière plus générale que le plus lent ne peut être atteint par le plus rapide; mais c'est cependant la même chose que dans une division à Tinfini par moitiés, puisque de part et d'autre on conclut toujours qu'on ne peut arriver à épuiser la grandeur, quelle que soit d'ailleurs la manière dont on la partage. Seulement, en parlant de coureur plus rapide et de plus lent, on se donne une apparence pompeuse et pins tragique. La solution est des deux côtés tout à fait indeotique. Mais supposer que le coureur qui est en avance n'est pas rejoint, c'est une erreur mani- feste que le témoignage des sens nous révèle incontesta- blement. Il est bien clair que, tant que le coureur est en avance, il n'est pas rejoint ; mais, en définitive, il doit être rejoint, et Zenon lui-même doit en convenir, puis- qu'il ne peut pas nier que, la ligne à parcourir étant finie, elle peut toujours être parcourue.

Voilà déjà deux des arguments de Zenon. Le troi- sième est celui dont nous parlions tout à l'heure, et qui veut prouver que la flèche, qui vole dans les airs, reste en place. Comme nous l'avons vu, cette erreur consiste à supposer que le temps est composé d'instants, pendant

288 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

lesquels la flèche reste en repoe ; mais le temps n'est pas formé d'instants, comme Zenon le soutient; et en repous- sant ce principe, qu'on ne peut pas en effet concéder, on réfute du même coup l'argument de Zenon.

Reste le quatrième et dernier argument, l'habile so- phiste compare des masses égales animées d'une égale vitesse, mais s'avançant, dans le stade par exemple, en sens contraire, les unes partant de l'extrémité, les autres du milieu du stade. Zenon prétend démontrer que si l'on admet la réalité du mouvement, on arrivera à cette con- clusion absurde qu'un temps moitié moindre sera égal à un temps double. Le sophisme consiste précisément en ceci , qu'on suppose qu'une grandeur égale animée d'une égale vitesse se meut dans un même intervalle de temps, soit relativement i une masse qui est en mouvement, soit relativement à une masse qui est en repos ; ce qau cependant, est une erreur manifeste.

Soient quatre masses en repos AAAA ; soient quatre autres masses égales BBBB, partant du milieu des A pour se mettre en mouvement; soient enfin quatre der« nières masses égales, mais qui, au lieu de partir du milieu des A, partent de l'extrémité, tout en ayant la même vi- tesse que les B. Le premier B atteint bien, en effet, le bout des A en même temps que le premier C atteint le bout des B, puisque le mouvement des B et des G est parallèle et égal. Mais les C ont dépassé tous les A, tandis que les B n'en sont qu'à la moitié. Donc, le temps écoulé pour les uns n'est que la moitié du temps écoulé pour les au- tres, puisque de part et d'autre les conditions sont par- faitement égales. Mais en même temps aussi les B ont parcouru tous les C ; carie premier C et le premier B allant

D'ARISTOTE, LIVRE VI, CH. XIV. 289

eo Mas opposé sont en même temps aux extrémités con- traires des A. Zenon prétend que le temps qu'il faut aux C pour passer les B est tout à fait égal à celui qu'il leur faut pour passer les A , parce que les B et les C arrivent simultanément à passer les A ; mais ce que Ze- non ne dit pas, c'est que les A restent en place, tandis qu'au contraire les B sont en mouvement, et que, par conséquent, le temps ne peut pas être le même, comme il le soutient, pour les C relativement aux A et relativement anx B.

Telle est l'argumentation de Zenon, qui pèche par les côtés que nous venons de dire. Il y a en outre d'autres objections contre le mouvement, auxquelles il est bon de répondre. Ainsi l'on dit que le mouvement est impossible dans le changement qui constitue la contradiction, c'esl- àr-dire le passage du non-être à l'être et de Têtre au non- être. Voici comment on le prouve : Un corps qui n'est pas blanc, changeant de manière à devenir blanc, n'est à un moment donné ni l'un ni l'autre, et l'on ne peut pas dire qu'il est blanc, pas plus qu'on ne peut dire qu'il ne l'est pas. Donc il n'y a pas de mouvement.

Cette impossibilité qui peut être réelle dans d'autres systèmes, ne l'est pas dans le nôtre ; car il n'y a pas be- soin qu'une chose soit tout entière blanche ou non blanche pour qu'on puisse affirmer qu'elle est l'un ou l'autre ; il suffit, pour qu'on lui applique cette détermination, que la plupart de ses parties on du moins les plus importantes soient de telle ou telle façon. Ce n'est pas la même chose en effet de ne pas être tout entier dans tel état, et de ne pas y être du tout. J'applique cette remarque à l'opposi- tion de l'être et du non*être, et d'une manière générale

19

290 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

k toutes les oppoâtioos par ooDtradietioD. U faut bien que la chose soit nécessairement dans un des deux op- posés ; mais il n'est pas besoin jamais qu'elle soit tout entière dans l'un des deux, et c'est ce qui constitue le mouvement qui va de l'un à l'autre.

Une objection d'un autre genre contre le mouvement, est celle qui soutient que la sphère et en général tons les corps qui se meuvent par rotation sur eux-mêmes sont en repos, attendu, dit-on, que ces corps et leurs parties étant dans un même lieu durant quelque temps, il s'en- suit d'après la définition du repos, que ces corps sont tout à la fois en repos aussi bien qu'en mouvement. A cela, je réponds en niant le phénomène qu'on allègue, et je dis que ces corps, tournant sur eux-mêmes, ne sont jamais un seul instant dans le même lieu. La circonfé- rence qu'ils décrivent change sans cesse, et le cercle est perpétuellement différent. La circonférence n'est pas la même selon qu'on la prend" du point A, ou du point B, ou du point G, ou de tel autre qu'on voudra, si ce n'est en ce sens qu'on dit de l'homme-musicien qu'il est aussi homme, sa qualité de musicien étant purement acci- dentelle, comme pourrait l'être toute autre qualité. La circonférence change de même sans cesse en une autre, et elle n'est jamais en repos ainsi qu'on le prétend ; et ce que je dis de la sphère peut s'appliquer également h tous les corps qui ont un mouvement de rotation sur eux- mêmes.

XV.

Ceci posé, nous prétendons .que ce qui est indivisible

DARISTOTE, LIVRE VI, CH. XV. 2»!

ne peut avoir de rnooTement si ce n'est cfnne manière indirecte, et j'entends par qne l'indivisible ne se meut qa'autant qoe la grandeur on le corps dans lequel il est, se meut d'abord lui-même; par exemple, comme une chose qui est immobile dans un bateau se meut, parce que le bateau lui-même est en mouvement; ou bien comme la partie se meut par le mouvement du tout Et quand je dis Indivisible, j'entends indivisible sous le rapport de la quantité. En effet, on peut fort bien distinguer entre les mouvements des parties, selon que ce sont les parties qui se meuvent elles-mêmes séparément, et selon que c'est le tout elles sont comprises qui se ment. Cette diffi^ence est surtout sensible dans une sphère qui tourne sm* elle-même ; car la vitesse n'est pas identique pour les parties qui sont au centre et pour celles qui sont à la surface, en un mot pour toute la sphère ; et ceci prouve bien que le mouvement dont elle est animée n'est pas unique, comme on le croit.

Ainsi donc, nous le répétons, l'indivisible peut bien se mouvoir; mais c'est comme une personne restant assise dans un bateau qui descend une rivière ; cette personne se meut par cela seul que le bateau elle est s'avance avec le courant Hais je dis qu'en soi l'indivisible ne peut réellement se mouvoir. Soit en effet un corps qui change de AB en BC, peu importe d'ailleurs qu'il change en passant d'une grandeur à une autre, ou qu'il passe d'une forme à une autre forme, c'est-à-dire d'une qua- lité à une qualité différente, ou qu'il change, par simple contradiction, de l'être au non-être et du non-être à l'être. II faut nécessairement, quand le corps change, qu'il soit tout entier ou en AB oo en BC; ou bien qu'une de ses

292 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

parties soit dans l'un, et une de ses parties dans rautre* puisque tout ce qui change est soumis à cette condition, ainsi que nous venons de le voir. Mais d'abord il faut écarter cette seconde alternative, puisque, si une partie de l'objet était dans l'un, et une autre partie dans l'antre, il s'ensuivrait que l'objet est divisible, ce qui serait contre l'hypothèse qui le suppose indivisible. J'ajoute qu'il ne peut pas ëti*e dans BG ; car, lorsqu'il y sera, c'est qu'il sera changé, et nous supposons non pas qu'il est changé, mais qu'il change. Reste donc qu'il soit uniquement dans AB «tu moment même il change. Ainsi, le corps sera en repos dans AB ; car Être eu repos signifie Être durant quelque temps au même état et au même point. J'en conclus que ce qui est indivisible ne peut ni se mou- voir, ni éprouver aucun changement.

Il n'y aurait qu'une seule manière de comprendre que l'indivisible puisse être en mouvement ; c'est le cas l'on admettrait que le temps se compose d'instants; car on pourrait dire alors que l'indivisible a été mu et a changé dans certains instants, si, d'ailleurs, *on ne peut pas dire qu'il se meuve et qu'il change dans l'instant actuel qu'on ne peut saisir. 11 n'est pas actuellement en mouvement ; mais il y a toujours été. Mais nous avons démontré (Livre IV, ch. XVII) que c'est une chose impossible, et que le temps ne se compose pas plus d'instants que la ligne ne se compose de points, ou le mouvement d'impul- sions successives. Or, pour soutenir que l'indivisible se meut, il faudrait admettre que le mouvement se compose d'indivisibles, comme le temps se composerait d'instants, et comme la ligne se composerait de points

Il faut donc reconnaître que le point, ni aucun autre

D'ARISTOTE, LIVRE VI, CH. XV. 203

indivisible, ne peut avoir de mouvemeDt ; et voici une autre manière de le prouver. Un corps qui se meut ne peut parcourir dans son mouvement un espace plus grand que lui, sans avoir préalablement parcouru un espace ou plus petit que lui, ou égal à lui. Hais le point étant indivisible, il est bien impossible qu'il parcoure préala- blement un espace plus petit que lui-même. Il parcourra donc un espace égal ; et par suite, la ligne se trouverait composée de points; car le point ayant un mouvement qui est successivement égal à l'espace qu'il occupe, il finira par mesurer toute la ligne. Mais il ne se peut pas que la ligne se compose de points, et il ne se peut pas davantage, par conséquent, que l'indivisible se meuve jamais.

J'ajoute une dernière preuve. Tout ce qui se meut doit se mouvoir dans le temps; et dans un instant il n'y a pas de mouvement possible. Or, le temps étant toujours divi- sible, il s'ensuit que pour un mobile quelconque, il y aura toujours un temps moindre que le temps dans lequel il parcourt un espace égal à lui-même. Ce temps moindre sera précisément le temps durant lequel il se meut, puis- que le mouvement doit toujours avoir lieu dans le temps. Mab le temps étant toujours divisible, il y aura toujours aussi pour le point un temps moindre dans lequel son mouvement aura eu lieu. Ce temps moindre répondra à un moindre mouvement aussi ; mais ce mouvement moin- dre, ce moindre espace parcouru est impossible, puisqu'il n'y a rien de plus petit que le point, qui est indivisible ; car alors l'indivisible serait divisé eu parties moindres, comme le temps lui-même est divisé en temps. Mais il

29A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

est impossible ' de supposer quelque chose qui soit plus petit que le point lui-même.

Ainsi donc, l'indivisible ne pourrait se mouvoir que s'il y avait du mouvement dans un instant indivisible ; car ces deux propositions sont identiques, à savoir qu'il y a du mouvement dans un instant et que l'indivisible peut se mouvoir.

XVI.

Après avoir prouvé que le mouvement est possible, malgré ce qu'en ont dit Zenon et quelques autres philo- sophes, il reste à prouver que le mouvement n'est pas in- fini, ainsi qu'on l'a cru quelquefois. Je dis donc d'une manière générale que le changement ne peut pas être in- fini ; car le changement est toujours le passage d'un cer- tain état à un état différent, soit que le changement se passe dans la simple contradiction, soit qu'il se passe entre des contraires. Pour le changement dans la contra- diction, les limites sont toujours l'affirmation et la néga- tion, l'être pour la génération des choses, le non-être pour leur destruction. Dans les changements entre con- traires, ce sont les contraires eux-mêmes qui servent de limites, puisqu'ils sont les points extrêmes entre lesquels se passe le changement. Ainsi dans l'altération, c'est^-à- dire le changement d'une qualité dans une qualité diffé- rente, les contraires sont la limite du changement qui a lieu, puisque l'altération passe toujours d'un contraire à un antre contraire. Il en est de même encore dans le chan- gement qui résulte d'accroissement ou de décroissance.

D'AWSTOTE, LIVRE VI, CH. XVI. 295

Pour raccroissement, la limite est Tacquisitiou de la graDdeur qoe la chose doit atteindre d'après sa natare pédale; et pour la décroissance, la limite est la dispari- tion de cette même grandeur.

Qaaot au déplacement dans l'espace, on ne peut pas dire que le changement y soit limité et fini de cette ma- nière, puisqu'il ne se fait pas toujours entre les contraires, liais il faut bien yoir comment on petit dire aussi de ce mouvement qu'il ne peut pas être infini non plus que les autres. On affirme d'une chose qu'elle n'a pas pu être coupée de telle manière qu'on indique, parce qu'en effet, il est impossible absolument qu'elle ait jamais été coupée ; car le mot d'impossible a bien des acceptions diverses. Ce qui n'a pu être coapé d'une manière absolue ne peut pas non plus être actuellement coupé ; et d'une façon géné- rale, ce qui ne peut pas avoir jamais été, ne peut pas être actuellement; ce qui ne peut pas du tout changer ne change jamais en la chose dans laquelle il est impossible qu'il change. Si donc, le corps qui se déplace change à quelques égards, c'est qu'il peut avoir changé ; et alors il y a une limite, et le mouvement s'arrête à un certain moment. Donc le mouvement n'est pas infini comme on le prétendait; et il ne parcourra pas une ligne infinie, parce qu'il est impossible de la parcourir.

On peut dire aussi d'une manière générale qu'il n'y a pas de changement infini, en ce sens qu'il n'y aurait pas de limites qui le déterminent. Mais si le mouvement a né- cessairement des bornes dans l'espace, il reste à voir s^il n'est pas possible qu'il soit infini sous le rapport du tempSf et qu'il y soit éternellement un et le même. Rien ne semble empêcher à première vue que le mouvement ne

296 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

soit infini en ce sens que des mouvements suocëdent à des mouvements divers; et que, par exemple, après le déplacement il y ait altération, après l'altération accrois*- sèment, et après Taccroissement génération ; et ainsi de suite. De cette façon, il semble que le mouvement peut être perpétuel dans le temps ; mais il n*est plus unique ; car, de tous ces mouvements, il est impossible de faire sortir un mouvement un pour résultat. Mais, à côté de cette question, il y en a une autre qui ne mérite pas moins d'attention. En supposant que le mouvement soit un, il n'y a qu'un seul mouvement qui puisse être infini dans le temps, c'est-à-dire éternel, et ce mouvement éternel et indéfectible ne peut être que la translation cir- culaire.

LIVRE VIL

SUITE LA THÉORIE DU MOUVEMENT.

I,

Avant d'aborder la théorie de ce mouvement étemel et uniforme, il faut rappeler quelques principes qui servi- ront à la faire mieux comprendre et à la préparer. Le premier principe que nous poserons, c'est que tout ce qui est mu doit nécessairement être mu par quelque chose.

D'ARISTOTE, LIVRE VII, CH. I. 297

Id il se présente deux hypothèses : ou le mobile a le mou- vement en lui-même, ou il ne l'a pas. S'il ne l'a pas, il est évident qu'il reçoit le mouvement d'un autre» et c'est cet autre qui est le vrai moteur. J'examine la première hypo- thèse où le mobile a le mouvement en lui-même, et je dis que, même dans ce cas, le mobile est encore mu par quelque chose. Soit AB un objet qui se meut en soi et dans sa totalité, et non pas seulement dans une de ses par- ties. D'abord supposer que AB se ment lui-même parce qu'il est mu tout entier, et qu'il n'est mu par aucune cause étrangère, c'est une erreur; car de ce qu'une chose KL met en mouvement une autre chose LM, et de ce que KL est mue elle-même, il ne s'ensuit pas que l'en* semble KM n'est pas mu lui-même par quelque chose. On ne pourrait pas afiSrmer cette conclusion, parce qu'on ne verrait pas clairement lequel des deux corps est le mobile et lequel est le moteur. C'est ainsi qu'on peut se demander qui est le moteur et qui est le mobile, ou du rameur qui fait aller le bateau, on du bateau qui porte et meut le rameur. Mais ceci ne veut pas dire qu'il n'y ait pas dans ce cas de moteur réel. Un second principe, c'est que quand un corps se meut lui-même et n'est pas mu par un autre, ce corps ne s'arrêtera pas nécessairement parce qu'un autre corps viendrait à s'arrêter. Mais si un objet s'arrête, parce qu'un autre s'arrête aussi, on en peut conclure que ce premier objet n'est pas mu par lui- même, mais qu'il est mu par un autre.

Ceci étant clairement démontré, j'en conclus, comme je l'ai déjà fait plus haut, qu'il y a nécessité que tout ce qui est mu soit mu par quelque cause. Soit AB un mobile qui est mu; il est nécessairement divisible; car nous

298 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

avons prouvé (Livre VI, ch. V) que tout ce qui est mu est divisible aussi. Supposons donc qu'il est divisible en G. Si la partie BG n'est pas mue, le mobile entier AB sera nécessairement sans mouvement comme elle ; car si elle est supposée en mouvement, il est évident que c'est seulement parce que la partie AC serait en mouvement, tandis que l'autre partie BG serait en r^os. Donc AB, le mobile entier, ne se meut pas lui-même et primitivement, ainsi qu'on le supposait d'abord, quand on admettait qu'il se donnait à lui-même son propre mouvement, et qu'il se le donnait d'une manière immédiate et primitive. Donc, si la partie BGest en repos, il faut aussi que le mo- bile entier AB y soit comme elle.

Pour rendre ceci plus clair, on peut supposer que AB est l'animal ; AC est l'âme, qui meut le corps, représenté par BG. Mais quand un mobile s'arrête dans son mouve- ment parce qu'une autre chose vient à s'arrêter, on dit que ce mobile est mu par une autre chose et non par lui- même. Par conséquent, tout ce qui est mis en mouvement est nécessairement mu par quelque chose ; car tout mo* bile est divisible ; et quand la partie motrice est en repos, le tout y est comme elle. Mais ici se présente une objec- tion grave : si tout ce qui est mu est mu nécessairement par quelque chose, ce principe s'applique au mouvement dans l'espace aussi bien qu'à tous les autres, et alors le moteur du premier mobile est mu lui-même par un autre moteur, qui, à son tour, reçoit le mouvement, et cet autre par un autre encore, et ainsi de suite sans qu'on puisse assigner de fin.

D'ARISTOTE, LIVRE VU, CH. II. 299

II.

Il faut bien cependant qu'on s'arrête quelque part, c'est^-dire à une cause initiale et première ; et le mou- vement ne peut du tout alleràrinfini. Supposons, en effet, qu'il n'en soit pas ainsi, et que la série puisse indéfini- ment se prolonger. A est mu par B ; B est mu par G ; G est mu par D; et ainsi sans fin, le moteur étant tou- jours mis en mouvement par le mobile qui le sait. Gomme le moteur ne peut mouvoir que parce qu'il est mu lui-même, le mouvement du moteur et du mobile sont si- multanés ; car le moteur est mu lui-même en même temps qu'il meut le mobile. Par conséquent, tous les mouve- ments de A, de B, de G, etc., c'est-à-dire des moteurs et des mobiles, seront simultanés. Mais, tout en admettant que ces mouvements sont ômultanés à l'infini, rien ne nous empêche de considérer chacun de ces mouvements à part et comme fini. Le mouvement de A est représenté par E ; celui de B par F ; celui de G par G ; celui de D par H; etc., etc. ; car, si l'ensemble est infini, on peut tou- jours considérer chacun de ces mouvements isolément, parce que chacun d'eux est un numériquement parlant, et qu'il n'est point infini dans aucune de ses extrémités, tout mouvement ayant toujours lieu nécessairement d'un point à un autre point.

Mais quand je dis qu'un mouvement est un numérique- ment, et qu'il n'est pas deux ou plusieurs, j'entends qu'il va du même au même dans un temps qui est aussi le même et non interrompu ; car il faut bien distinguer ici ; et le mouvement peut être un et le même, soit eu genre, soit en espèce, soit en nombre. Ainsi, le mouvement est le

800 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

même en genre, quand il a lieu dans la même catégorie, dans la substance, par exemple, dans la qualité ou dans tel autre genre susceptible de mouvement. Il est le même en espèce, quand il va du même en espèce au même en espèce, et que, par exemple, il va du blanc au noir, ou du bien au mal, sans qu'il y ait de différences dans les espèces, qui sont d'un côté les couleurs; de l'autre côté, le bien ; et de l'autre côté, le mal. Enfin le mouvement est un et le même numériquement, quand il va du même au même dans un même temps sans que ce temps soit inter- rompu; par exemple, de cette chose blanche à cette chose noire, ou de ce lieu à un autre lieu dans un temps continu et le même; car, si c'est dans un autre temps, le mouvement n'est plus un numériquement, bien qu il puisse encore être un en espèce.

Après cette digression, qui se rapporte aux explications données plus haut (Livre V, ch. VI), je reprends la suite du sujet; et je suppose que le temps. dans lequel A fait son mouvement est représenté par K. Le mouvement de A étant fini, le temps durant lequel le mouvement se passe sera fini aussi. Mais comme les moteurs et les mobiles agissant les uns sur les autres, sont infinis, il faut que le mouvement total qui en résulte, EFGH, soit infini comme eux; car il se peut que les mouvements particuliers de A, de B et de tous les autres soient égaux, comme il se peut aussi que les uns soient plus grands, et les autres plus petits. Mais, que les mouvements particuliers soient égaux ou inégaux, le mouvement total sera toujours infini dans les deux hypothèses. Or, comme le mouvement de A est simultané au mouvement des autres, il s'ensuit que le mouvement total a lieu dans le même temps que le mou-

D'ARISTOTE, LIVRE VII, CH. IL SOI

yement de A. Mais comme le mouvement de A, qui est fini, se passe dans un temps fini, il en résulterait, chose impossible, qn'nn mouvement infini se passerait dans un temps fini.

Il semble que ceci répond à la question posée au dé- but, et que la série ne peut se prolonger à l'infini; mais la démonstration n'est pas aussi péremptoire qu'on le

«

croirait, parce qu'il n'est pas impossible autant qu'on le croit que des mouvements infinis aient lieu dans un temps fini. Il se peut en effet fort bien que dans un temps fini il y ait un mouvement infini, non pas d'un seul corps, sans doute, mais de plusieurs corps qui seraient infinis en nombre ; et c'est précisément le cas que nous supposions tout à l'heure, puisque chacun des corps supposés a un mouvement qui lui est propre, et que plusieurs corps peuvent se mouvoir en même temps.

Mais s'il faut que le moteur immédiat et primitif qui donne le mouvement dans l'espace ou tel mouvement cor- porel, touche le mobile ou qu'il soit adhérent ou contigu au mobile, ainsi qu'on peut l'observer dans tous les cas de mouvements transmis, il faut alors que les moteurs et les mobiles supposés plus haut se touchent réciproque- ment, et soient continus les uns aux autres de manière à former un seul système. Ce système, d'ailleurs, sera ou limité ou infini, peu importe; car, de toute façon, le mou- vement de tous sera infini, puisqu'ils sont en nombre in- fini, les mouvements des uns et des autres étant soit égaux soit inégaux. Ce que nous prenons ici comme sim- plement possible peut être supposé réel, et si le nombre total des ABCD, etc., est infini, et qu'ils aient accompli leur mouvement dans le temps K, comme ce temps est

302 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

fini, il s'ensuit que dans un temps fini, le fini ou l'infini parcourt l'infini. Or, Tune de ces hypothèses est impos- sible tout aussi bien que l'autre. Donc il est nécessaire qu'il y ait quelque part un temps d'arrêt, c'est-à-dire qu'il y ait un premier moteur et un premier mobile. Peu importe du reste que l'impossible soit conclu d'une hypothèse ; car les prémisses étant contingentes, la con- clusion ne peut jamais être elle-même que contingente comme les prémisses.

m.

Je viens de dire que le moteur et le mobile devaient se toucher ; maintenant je veux démontrer ce principe. Je dis donc que le moteur immédiat et primitif, celui d'où part le mouvement et non pas celui en vue duquel le mou- vement se passe, est dans le même lieu que l'objet qu'il met en mouvement ; et par le même lieu, il faut entendre qu'il n'y a rien d'interposé entre le moteur et le mobile. C'est une condition commune à tout mobile et à tout moteur ; car il y a trois espèces de moteurs, comme il y a aussi trois espèces de mouvements, dans l'espace, dans la qualité et dans la quantité ; et pour chacune de ces es- pèces, il y a un moteur spécial, l'un qui produit la trans- lation, l'autre qui produit l'altération, et un troisième qui produit l'accroissement et le dépérissement.

Je parle d'abord de la translation, parce qu'on peut la regarder comme le premier et le plus apparent des mouve- ments; et je vais prouver que le moteur et le mobile doi- vent, pour cette espèce de mouvement, être dans le même lieu. Tout ce qui se déplace dans l'espace, ou se meut par

D'AJIISTOTE, LIVRE Vil, CH, 111. SOS

IttHoiëaie* ou est mn par une eanae étraDgère. Pour tous les corps qui se ooeaveot euji**mêaiesY il est évident que le moteur et le mobile sont nécessairement dans le même lieu, puisque le moteur, qui les ment immédiatement, ré* side dans ces corps mêmes, et qu'il ne peut y avoir rien d'interposé ici entre le moteur et le mobile.

Quant aux corps mus par une cause étrangère, il n'y a que quatre cas. possibles, attendu que le déplacement dans l'espace ne peut avoir qu'une de ces quatre causes : traction, impulsion^ transport ou rotation. Toios les dé- placements dans l'espace peuvent, en effets se ramener à ces quatre là. Ainsi, la compression n'est qu'une impul* mm le moteur suit et accompagne la chose qu'il pousse, tandis que la répulsion est une impulsion le moteur ne suit pas cette même cbose. La projection a lieu quand on rend le mouvement imprimé à l'objet plus fort que ne se* rait sa translation naturelle, et que l'ot^t est déplacé dans req>ace, aussi loi^emps que le mouvement existe et douane. La dilatation et la contraction ne sont pas non plus autre cfaose qu'une impulsion et une traction. On peut dire que la dilatation est une répulsion ; car la ré- pulsion peut avoir lieu, soit loin du moteur lui-même, soit loin d'un autre. La contraction n'est aussi qu'une trac- tion ; car la traction se fait, soit sur l'objet lui-même, soit sur un autre. On expliquerait de même les autres espèces de mouvements analogues, l'extension et le rétrécissement, la première n'étant qu'une dilatation, et le second n'étant qu'une contraction. 11 en est encc»^ ainsi pour toutes les autres concrétions ou séparations : riles ne sont toutes que des dilatations ou des contractions. Ici seulement, il faudrait excepter celles qui se rapportent à la génération

30& PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

et à la destruction des choses. D'ailleurs, on voit bien que la séparation et la concrétion ne sont pas des mouvements de genres absolument différents, puisqu'elles peuvent se ramener toutes deux à un des mouvements ci-dessus in- diqués. A un autre point de vue, l'aspiration que fait la poitrine n'est qu'une traction, et l'expiration n'est qu'une impulsion. De même aussi, pour l'expectoration et tous les autres mouvements par lesquels le corps ingère ou re* jette quelque chose : les uns ne sont que des attractions, et les autres des répulsions. Ainsi, en résumé, on peut réduire tous les mouvements qui se font dans l'espace à ceux que nous avons indiqués plus haut.

Parmi ces mouvements, il en est encore d'autres tels que le transport et la rotation, qu'on peut faire rentrer dans la traction et dans l'impulsion. Ainsi, le transport ne peut avoir lieu que de trois manières : la chose trans- portée n'a qu'un mouvement accidentel, parce qu'elle est dans une autre chose, ou sur une autre chose, qui est elle- même en mouvement ; mais ce qui transporte peut lui- même être, dans une de ces trois conditions, ou tiré, ou poussé, ou tournant ; et ce transport peut avoir lieu sous ces trois formes de mouvements. Quant à la rotation, elle est un composé de traction et d'impulsion. En effet, le moteur qui fait tourner doit, tout ensemble, attirer et repousser, l'une de ces deux actions éloignant de lui le mobile, et l'autre l'y ramenant.

Si donc le moteur qui pousse loin de soi ou qui tire à soi, doit être dans le même lieu que le mobile qui est poussé ou tiré par lui, il est évident, d'une manière gé- nérale, qu'il ne peut y avoir dans l'espace rien d'inter- médiaire entre ce qui est mu et ce qui meut ; c'est-àr

D ARISTOTE, LIVRE VU, CM. III. SOé

àïfe qoe le moteur et le mobile se touchent. Cette vérité ressort des définitions mêmes que nous venons de don- ner. Ainsi, l'impulsion n^est que le mouvement partant du moteur même ou d'un autre, pour aller vers un autre. La traction n'est pas autre chose que le mouvement qui part d'un autre point pour arriver vers le moteur ou vers un autre, quand le mouvement de ce qui tire est plus fort et qu'il sépare les continus les uns des autres, c'est-4- dire, qu'il les divise, un objet étant entraîné avec l'autre* Il est vrai qu'on peut concevoir la traction d'une manière différente de celle-là; car ce n'est pas de cette manière, par exemple, que le bois sec attire la flamme. Mais peu importe que ce qui attire exerce sa traction, soit en étant en mouvement, soit en étant en repos; et la seule diffé- rence, c'est qu'il tire le mobile, tantôt au lieu il est lui-même, et tantôt au lieu il a précédemment été. Il n'en reste pas moins impossible de mouvoir un objet de soi vers un autre, ou d'un autre vers soi, sans toucher cet objet. Donc encore une fois entre le moteur et le mobile dans l'espace, il n'est pas possible qu'il y ait rien d'in- terposé.

Si l'intermédiaire est impossible dans ce cas, il l'est tout autant dans le mouvement d'altération ; c'est-àr-dire qu'il faut nécessairement que l'altérant et l'altéré se tou- chent. L'observation des phénomènes et l'inductiou peu^ vent démontrer cette vérité. Toujours les deux extrémités de ce qui attire et de ce qui est attiré sont dans un seul et même lieu. Un objet s'altère, et il a le mouvement d'altération, par exemple, quand il s'échauffe, quand il devient doux, quand il devient épais, sec, blanc, etc., passant des qualités contraires à ces qualités nouvelles.

20

306 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Ceci, du reste, s'applique aux êtres aDimés aussi bien qu'aux êtres inanimés ; et dans les êtres animés, l'altéra- tion peut atteindre les parties insensibles aussi bien que les sens eux-mêmes ; car les sens s'altèrent et changent à leur manière. La sensation, quand elle est actuelle et ef- fective, est une sorte de mouvement qui se passe dans le corps, au moment le sens vient à éprouver une impres- sion. Dans les cas l'être inanimé est altéré, l'être animé l'est aussi. Mais la réciproque n'est pas vraie dans tous les cas ; car l'animal est altéré, l'être inanimé ne l'est pas toujours, puisque, n'éprouvant pas de sensa- tion, il ne peut être altéré par cette demi^ cause. L'un a conscience de ce qu'il éprouve ; l'autre n'en a pas con- science. Mais l'être animé lui-même peut fort bien igno- rer ce qu'il sent, et l'altération peut avoii* lieu en lui sans que ce soit à la suite d'une sensation.

Comme ce qui s'altère est toujours altéré par des causes sensibles, on peut voir que toujours l'extrémité dernière de ce qui altère est contiguê et se confond avec la pre- mière extrémité de ce qui est altéré; c'est l'air qui est continu à l'altérant, comme il est continu au corps altéré. Ainsi, pour la couleur, eUe est continue à la lumière, et la lumière elle-même l'est à la vue. Mêmes rapports pour l'ouïe et pour l'odorat. L'air est toujours le moteur rela- tivement à l'organe qui est mu. Le même phénomène a lieu pour le goût, et la saveur de l'objet qui altère le goût, est dans le même lieu que le goût lui-même. Ce que je dis ici pour les êtres animés et sensibles n'est pas moins vrai pour les êtres insensibles et inanimés ; et, d'une ma- nière générale, il n'y a rien d'intermédiaire entre l'altéré et l'altérant.

ffARISTOTE, LIVRE VU, CH. IV. S07

11 n'y a pas davantage de séparatioD entre ce qui est aociti et ce qui accroît, c'est-à^ire dans la troisième espèce de mouvement. L'accroissant primitif accroît la chose en s'y adjoignant, de manière que le tout ne fasse qu'une seule et même chose. A l'inverse, ce qui dépérit va dépérissant, parce qu'il se détache quelque chose de l'ohget qui dépérit. Donc, nécessairement ce qui accroît ou œ qui détruit doit être continu ; et quand on dit continu, cela exclut toute idée d'intermédiaire. Donc encore une fois, en résumé, il est clâûr qu'entre le moteur et le mobile il n'y a point d'intermédiaire, le moteur étant d'ailleurs premier ou dernier par rapport an mobile.

IV.

Il a été question un peu plus haut de ce mouvement particulier qu'on appelle l'altération ; je reviens sur ce sujet pour éclaircir davantage cette théorie^ Tout ce qui s'altère, avons-nous dit, est altéré par des causes sen- sibles, et il n'y a d'altération possible que l'action des causes sensibles peut s'exercer. Voici des arguments qui dmvent bien le prouver. En dehors des êtres qui peuvent subir cette action, on pourrait croire que l'alté- ration se rapporte surtout aux formes, aux figures, aux propriétés, soit que les objets les conservent, soit qu'ils les perdent. Cependant ce n'est pas précisément qu'il y a altération. En effet, quand une chose a reçu une forme régulière et achevée, on ne la désigne plus par le nom de la matière même dont elle est composée. Ainsi l'airain ayant reçu la forme d'une statue, on ne dit {dus que c'est de l'airain ; la cire ayant reçu la forme

308 PARAPHRASii; DE LA PHYSIQUE

d*nne bougie, on ne rappelle plas delà cire; le bois ayant reçu la forme d'un lit, on ne l'appelle plus du bois; mais on détourne légèrement Texpredsion, et l'on dit que la statue est en airain, que la bougie est en dre, et que le lit est en bois. Ceci d'ailleurs ne nous empficbe pas de qualifier l'objet qui a subi une action et une altération ; et nous disons de l'airain, ou de la cire, qu'il est sec, qu'il est humide, qu'il est dur, qu'il est cbaud ; ou nous lui attribuons telle autre qualité. On va même pluslmn ; et renversant les termes, on dit que l'objet humide ou cbaud est de l'airain, en prenant en quelque sorte pour matière raffection même que l'objet éprouve; mais c'est une simple homonymie. Si donc on ne désigne pas l'objet altéré par la matière qui reçoit la forme, mais si on le désigne uniquement par les altérations et les actions qu'il subit, il est évident que les phénomènes qui se passent dans la figure et la forme ne sont pas à proprement parler des altérations.

On ne peut pasdavantage appliquer l'idée d'altération à la naissance et à la production des choses; et, par exemple, on ne peut pas dire d'un homme, d'une maison, ou de tout autre objet, qu'il est altéré quand il vient à se pro* duire et à nattre. Tout ce qu'on peut dire dans ce cas, c'est que l'être oatt et se produit, parce qu'une antre chose change et s'altère; et par exemple, un être reçoit la naissance parce qu'une certaine matière s'épaissit, se raréfie, s'échauife on se refroidit. Hais on ne peut pas dire de l'être qui naît et se produit qu'il soit altéré, et la génération ne peut pas être considérée comme nne alté- ration véritable.

Les qualités ou manières d'être, soit physiques soit

D'ARISTOTE, LIVRE VU, CH. IV. 809

mondes, ne sont pas non plus des variations et des alté- rations proprement dites. En effet, ces qualités soift ou des vertus ou des vices; et l'on ne peut pas trouver ni dans les unes ni dans les autres une altération véritable. Voici comment : la vertu est un achèvement et une perfec- tion; et c'est quand un être quel qu'il soit a atteint toute sa vertu particulière, qu'on peut dire de lui qu'il est achevé et parfait ; car alors il a éminemment obtenu son état naturel. Ainsi, un cercle est parfait quand il est cercle le plus régu- lièrement possible. Le vice, au contraire, est la déchéance et la destruction de cet état conforme à la nature spéciale de l'être. Il en est ici des vertus et des vices comme de tout autre chose; et, par exemple, d'une maison : on ne dit pas que son achèvement soit une altération qu'elle subit; car il serait par trop étrange de prendre le toit ou la tuile pom* une altération, et de croire que la maison subit une altération au lieu de croire qu'elle s'achève, quand elle reçoit son faite et son toit. Il en est absolument de même pour les vertus et les vices, et pour les êtres qui les pos« sèdeut ou qui les acquièrent. Les vertus sont des achève- ments et des perfections ; les vices sont des dégradations et des déchéances ; mais ni les vertus ni les vices ne sont vraiment des altérations.

J'ajoute que les vertus et les vices ne sont que des re- lations, et ne consistent que dans une certaine manière d'être par rapport à certaines choses. Ainsi, pour les ver- tus et les qualités purement corporelles, comme la santé et l'embonpoint, elles consistent dans le mélange et la proportion du chaud et du froid, soit que l'on considère ces éléments dans leurs rapports réciproques à Fintérieur du corps, soit qu'on les considère au dehors, c'est-à-dire

310 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

dans le milieu dont le corps est entouré. Même réflexion pour la beauté, pour la force, en un mdt, pour les vertus ou les vices du corps. Chacune de ces façons d'être con- siste dans une disposition spéciale relativement à une cer- taine chose ; et elle dispose le corps en bien ou en mal aux affections spéciales que cette chose produit.

J'entends d'ailleurs par affections spéciales celles qui, dans Tordre naturel des choses, peuvent produire l'être ou le détrnire, à tel ou tel égard. Ainsi les vertus et les vices ne sont que des relatifs; mais, comme les relatifs ne sont jamais eux-mêmes des altérations, et qu'il n*y a pour eux ni altération, ni génération, ni absoluoient parlant aucune espèce de changement, il en faut conclure qae les qualités ou façons d'être ne sont pas des altéra- tions, non plus que la perte ni l'acquisition de ces quali* tés. Tout ce qu'on peut dire, c'est que, pour que ces qua^ lités naissent ou se produisent, il faut que certaines autres choses changent et s'altèrent. C'est justement ce que nous disions pour la forme et la figure. Ces autres choses sont les éléments chauds et froids, secs et humides, c'est- à-dire les éléments primitifs dont les êtres sont composés. Chaque vice et chaque vertu en particulier, qui sont des qualités, doivent varier et changer selon les lois de la na- ture de l'être qui les possède. Par exemple, la vertu ducorps c'est d'être insensible à certaines choses, ou plutôt c'est de sentir les choses uniquement comme elles doivent être senties. Le vice du corps le rend sensible ou insensible d'une manière toute contraire à la vertu.

Ce qu'on vient de dire des qualités du corps s'applique aux qualités de l'âme. Les qualités de l'ftme, en effet, con- sistent également à être dans une certaine disposition rela-

I^ARISTOTE, LIVRE VII, CH. IV. 341

ûveoieDt à certaines cboees. Ici aussi les vertus sont des perfectioDs et des achèvements, tandis que les vices sont des désordres et des déchéances. La vertu dispose bien pour les afiFecti<x)s et les passions qui appartiennent à la nature propre de Tëtre, tandis que le vice, au contraire, dispose mal. Par conséquent, les vertus et les vices de Time ne sont pas plus des altérations que les vices et les vertns du corps ; la perte et l'acquisition des unes ou des autres ne sont pas davantage de vraies altérations.

Seulement, il y a nécessité absolue que les vertus et les vices de Tftme, comme ceux du corps, ne puissent se produire qu'à la suite d'une altération ou d'un chan- gement dans la partie capable de sentir. Or, cette partie de l'âme n'est modifiée et altérée que par les choses que l'on sent. Toute la vertu morale se rapporte en définitive aux joies et aux douleurs du corps, soit qu'il s'agisse de la sensation présente, soit qu'il s'agisse du passé et d'un souvenir, soit enfin qu'il s'agisse de l'avenir et d'une espérance. Tantôt c'est l'action de la sensibilité pré- sente; tantôt c'est Faction de la mémoire et de l'espé- rance, selon qu'on a plaisir à se souvenir de ce qu'on a senti, ou à espérer ce qu'on doit sentir. Par consé- quent, le plaisir, du genre dont nous parlons ici, se rapporte à des causes sensibles. Or, comme c'est à la suite du plaiâr que se forment les vertus et les vices, dont le domaine n'est en réalité que le plaisir et la dou- leur, et comme le plaisir et la douleur ne sont qiie des altérations et des modifications de la partie sensible de l'éme, il en résulte évidemment qu'il faut de toute néces- »té une modification préalable et une altération de quelque chose pour que l'âme puisse acquérir ou perdre

3J2 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

la vertu ou le vice. Ainsi, la vertu et le vice se produi- sent bien avec une altération ; mais la vertu et le vice ne sont pas eux-mêmes des altérations proprement dites.

Les mêmes remarques qu'on vient de faire sur les qua- lités sensibles de Fâme, peuvent s'appliquer aussi à ses facultés intellectuelles. Elles ne sont pas davantage des altérations, et l'on ne peut pas dire qu'il y ait pour ces qualités non plus une génération véritable. Ainsi, la science consiste surtout dans une certaine disposition de l'àme relativement à certaine chose ; ce n'est donc qu'un relatif; et ce qui prouve bien qu'il n'y a point ici génération des qualités intellectuelles de l'àme, c'est que la partie de l'àme qui est faite pour acquérir la science, ne l'acquiert pas par suite de quelque mouvement qui se passerait en elle; elle l'acquiert uniquement à la condition de quelque chose qui existait préalablement; car, lorsque le phénomène particulier se produit, l'âme le connaît en quelque sorte aussitôt par l'universel qu'elle possédait antérieurement.

Bien plus, on ne peut pas même dire qu'il y ait une véritable génération de l'acte de la science, pas plus qu'il n'y en a pour la faculté qui l'acquiert, à moins qu'on ne veuille soutenir aussi qu'il y a génération de la faculté de voir ou de toucher dans l'acte de la vue on dans l'acte du toucher, et que l'acte de l'intelligence est tout pareil à ceux-là. Mais l'acquisition initiale de la science ne peut pas non plus passer pour une génération ni une altéra- tion, puisque la science ou la réflexion contemplative dans l'intelligence nous apparaît comme un repos et un temps d'arrêt. Or, il n'y a pas besoin de génération quelconque pour arriver au repos ; car, ainsi que nous avons essayé

lyARISTOTE, UVRE Vil, CU. IV. SIS

de le démontrer plus baot, (Livre V, cb. 111), il n'y ^ point de génération pour un changement quelconque, pas plus pour rdtération que pour tout autre. On peut même aller plus loin;' et de même que quand quelqu'un sort d'une ivresse, d'un sommeil ou d'une maladie pour revenir à un état contraire, on ne dit pas qu'il redevient savant, bien que quelques instants auparavant il fût hors d'état de faire usage de la science, de même on ne peut pas dire précisément qu'un bomme devient savant quand il ac- quiert la science pour la première fois. On ne peut deve- nir savant et sage que quand l'âme s'est apposée et remise du trouble pbysique. C'est parce que ce trouble est violent dans les enfants qu'ils ne peuvent apprendre et porter un jugement d'après leurs sensations, aussi bien que les personnes plus Agées; c'est en eux comme une agitation perpétuelle, que la nature suffit à calmer avec le progrès des années; et qui peut se calmer aussi par d'autres causes. Mais, dans tous les cas, quand on ac- quiert la science soit pour la première fois, soit après un trouble passager, c'est qu'il s'est produit toujours cer- taines modifications ou altérations dans le corps, de même qu'il s'en produit une quand on se réveille après le som- meil, et quand on recommence à comprendre les choses iqnrès qu'on s'est dégrisé ou réveillé complètement.

Donc en résumé, on doit voir que l'altération ne peut se produire que dans les choses sensibles et dans la partie sensible de l'âme; si elle se produit ailleurs, ce n'est jamais que d'une façon indirecte. Mais, après cette di- gresâon, je me hâte de revenir à la théorie du mouve- ment, et de la poursuivre dans de nouveaux détails.

31A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

V.

Après avoir établi dans ce qui précède les rapports du moteur au mobile, il noas faut voir maiotenaut qœls sont les rapports des mouvements entr'eax. On peut se demander, en effet, si tout mouvement qael qu'il soit est comparable à un autre mouvement quelconque, ou bien si au contraire les espèces de mouvements sont tellement différentes entr'elles qu'il est impossible de les comparer.

Si l'on admet que tous les moovements sont compa- rables, on arrive à bien des impossibilités, et, par exemple, à celle-ci qu'une ligne courbe peut être égale à une droite partant des mêmes points, ou plus grande que cette droite, ou plus petite, en vertu de ce principe qu'un corps qui parcourt un espace égal dans un temps égal, est doué d'une égale vitesse; car alors il suffirait d'une vitesse pins grande pour que le mouvement en ligne courbe fut égal au mouvement en ligne droite. De même encore on en arriverait à conclore qu'une altération est égale à une translation, parce que ce serait dans un temps égal que d'une part le corps aurait été altéré, et que d'autre part il aurait été déplacé dans l'espace. Par conséquent, une affection deviendrait égale à une longueur; ce qui est impossible. Il y a bien sans doute égalité de vitesse quand le mouvement est égal dans un temps égal; mais il ne se peut jamais qu'une affection soit égale à une longueur; et par conséquent, il n'y a pas d'altération égale à une translation, ni moindre, ni plus grande qu'une translation quelconque. Donc non plus, un mouvement quelconque n'est pas comparable à un mouvement quelconque. C'est ce que nous allons prouver.

D'ARISTOTE, UVRB VU, CH. V. SIS

Dans l'exemple que nous prenions tout à l'heure» quels sont les vrais rapports du mouvement en ligne courbe et du mouvement en ligne droite? On peut soutenir avec une égale apparence de vérité que ces deux mouvements sont comparables, et qu'ils ne le sont pas. Il ne faut pas croire que deux objets ne puissent point avoir un mou- vement pareO, l'un en ligne droite et l'autre en cercle, et qu'il faille toujours que l'un soit plus rapide et l'autre plus lent, comme si l'un descendait une pente et que l'antre la ranontât ; le mouvement des deux peut être égal. Mais pour prouver cette assertion, il ne servirait de rien de dire que le mouvement en ligne droite, pouvant être ou plus grand ou plus petit que le mouvement en ligne courbe, il doit aussi pouvoir lui être égal ; car de ce qu'une chose peut être plus grande ou plus petite, il ne s'ensuit pas qu'eUe puisse être égale.

Soit, le temps A l'un des corps parcourt la dis- tance B, et l'autre, la distance G ; B est plus grand que G, et l'on suppose que le corps B est animé d'un mou- vement plus rapide que G, puisque dans un temps égal il parcourt une distance plus grande ; de même que si le mouvement est égal dans un temps moindre, il faut que le corps soit animé d'une plus grande vitesse. Donc le corps B parcourra une distance égale à la courbe dans une partie du temps A, tandis que le corps G mettra le temps A tout entier k parcourir la courbe G tout entière* Que si l'on prétend que les deux mouvements sont com- parables, alors il en résulte cette conclusion, dont nous signalions un peu plus haut l'impossibilité, à savoir que la ligne droite et la courbe sont égales. Mais comme ces

S16 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

deux lignes ne sont pascomparableSt les mouvements qui les parcourent ne le sont pas davantage.

D'ailleurs, pour qu'on puisse établir une réelle com- paraison entre deux choses, il faut que ces choses ne soient pas simplement homonymes. Ainsi, pourquoi ne peut-on pas comparer ces trois objets, le stylet dont on se sert pour écrire, le vin qu'on boit, et la note de la musique que l'on chante, bien que tous les trois soient aigus et aigres? C'est uniquement parce que ces trois choses ne sont qu'homonymes, et que dès lors on ne peut les comparer eutr'elles. Mais dans un seul et même genre, on peut fort bien comparer la tonique et la dominante, parce que pour l'une et pour l'autre l'expression d'Aigué a tout à fait le même sens. Mais quand on dit qu'un mou- vement circulaire et un mouvement en ligne droite sont rapides, cette expression de Rapide n'est-elle pas prise pour tous les deux dans le même sens? Et cette expres- sion est- elle moins applicable à l'altération et à la trans- lation qu'on voudrait comparer? A cette théorie, on peut répondre qu'il ne suffit pas, pour que des choses soient comparables, qu'elles ne soient point homonymes. Ainû, le mot Beaucoup appliqué à l'eau et à l'air n'est pas homo- nyme; car il signifie la même chose; et cependant l'eau et l'air ne sont pas pour cela comparables. Si au lieu du terme de beaucoup, on veut prendre celui de Double, le double signifie bien la même chose de part et d'autre, puisque c'est toujours le rapport de deux à un ; et cepen- dant les deux éléments n'en sont pas plus comparables entr'eux; l'air ne peut i)as être le double de l'eau, ni réciproquement.

D'ARISTOTE, LIVRE VII, CH. V. S47

Mais TexplicatioD peat-eUe s'appliquer également bien à ces cas divers? Le mot Beaocoiip lui-même peut être homonyme ; car il y a des choses pour lesquelles les défi- nitions sont homonymes aussi bien que les mots. Ainsi, Beaucoup signifie d'abord une certaine quantité de la chose, un Tant, et quelque chose en sus. Mais Tant, c'est* à'direÉgal, est un mot homonyme. Un aussi est à certains égards homonyme ; et si Un est homonyme, Deux Test comme lui ; et le double que nous citions tout à Theure, est homonyme aussi. Alors on peut se demander pourquoi certains objets sont comparables,, tandis que d'antres ne le sont pas, si au fond leur natnre est une et la même.

Est-ce qu'il y a une comparaison possible dans le cas seulement le récipient primitif est le même? Et est-ce qu'il n'y a pas possibilité de comparer quand ce récipient est différent? Par exemple, or peut bien comparer un cheval et un chien sous le rapport de la blancheur, parce que de part et d'autre le primitif de la blancheur est le même, c'est-à-dire la surface dans l'un et l'autre de ces animaux. Même remarque pour leur grandeur. Mais il est impossible de comparer l'eau et la voix, parce qu'elles sont dans un tout autre primitif, si l'on dit, par exemple, de l'une et de l'autre qu'elles sont dairest on qu'elles sont douces. Mais n'estai pas évident qu'on peut ainsi tout identifier et tout confondre, en disant seulement que pour chaque chose le primitif est différent? Ainsi l'égal, le doux, le blanc, se confondraient pour tout objet ; seu- lement, ils seraient dans des primitifs différents. On pour- rait même ajouter que ces récipients primitifs eux-mêmes ne sont pas arbitraires, et qu'il n'y en a qu'un seul pour chaque qualité spéciale.

318 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Ceci nous mène k comprendre à quelles conditions les objets sont comparables. Ces conditions sont an nombre de deux : d'abord, il faut que ces objets ne soient pas ho- monymes ; et, en second lieu, il ne doit y avoir de diffé- rence, ni dans l'objet lui-même, ni dans l'espèce à laquelle on le rapporte. Je m'explique, par un exemple, et je prends celui de la couleur. Sans doute, la couleur est susceptible de différences et de divisions ; mais, sous ce rapport général, les objets ne sont pas comparables, et Ton ne peut pas se demander si un objet est plus coloré qu'un autre. Mais il faut spécifier la couleur, au lien de n'en parler qu'en tant que couleur, et dire, par exemple, que tel objet est plus ou moins blanc que tel ou tel autre.

En appliquant ce principe au mouvement, nous verrons quels mouvements sont ou ne sont pas comparables en- tr'eux. On dit, en effet, de deux naobiles qu'ils ont une vitesse égale, lorsque, dans un temps égal, ils parcourrat une égale distance, qui a telle on telle dimension. Hais si, dans le même intervalle de traips, l'un des mobiles a subi un mouvement d'altération, tandis que l'autre a subi un mouvement de translaticm, peutH>n comparer la vitesse de l'altération à la vitesse du déplacement? C'est impossible, parce qu'alors le mouvement a des espèces diverses qui ne se ressemblent pas.

Si donc deux mobiles sont animés d'une vitesse ^ale, lorsque dans un temps égal ils parcourent une ^ale dis* tance, il s'ensuivra que la drmte et la courbe partant des mêmes points et aboutissant aux mêmes points seront égales ; ce qui ne se peut pas. Et pourquoi la translation en ligne droite et la translation circulaire ne sontr^Uespascom- parables ? Est-ce parce que la translation est un genre qui

D'ARISTOTE, LIVRE VII, CH. V. 319

cootîeot des espèces diverses, circulaire ou en ligne droite, et parce que la ligne aussi est un genre, ou droite, ou circulaire 7 Le temps ne peut pas empêcher la compa- raison^ puisque de part et d'autre il est le même et tou- jours indivisible en espèce. Ou bien est-ce parce que la tranalatimi et la ligne ont des espèces différentes ? Et que les différences de la translation varient avec les directions dans lesquelles elle a lieu ? La translation varie même selon les moyens par lesquels elle se fait ; et, par exemple, si c'est à l'aide de pieds, on l'appelle la marche; si c'est par des ailes, on l'appelle le vol. Ou bien ne peut-on pas dire qu'au fond ici la translation est identique, et qu'elle ne diffère que par des formes tout extérieures 7 II est bien vrai que les mobiles ont une vitesse égale, lorsque, dans un même temps, ils parcourent une égale distance; mais il faut, en outre, que cette distance égale ne diffère pas en espèce, et que le mouvement ne diffère pas en espèce plus que la distance parcourue.

Il faut donc r^arder avec le plus grand soin aux diffé- rences que le mouvement peut présenter, qnand on veut iSûre une comparaison exacte. On doit aussi se dire que le genre même n'est pas une unité parfaite^, et qu'il cache et renferme toujours en lui bien d'autres termes qui peu- vent causer une erreur; car, parmi les homonymies, il y en a qui sont fort éloignées et qu'on reconnaît sur le champ ; d'autres, au contraire, sont fort rapprochées, et elles peuvent faire illusion, selon que les objets ont plus ou moins de ressemblance, soit par le genre dans lequel ils sont, soit par l'analogie d'emploi et de situation- Ce n'en sont pas moins des homonymies, bien qu'on ait peine à les distinguer. Et, puisqu'il s'agit ici d'espèces diffé-

320 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

rentes de mouvement, comment reconna!tra-t-OD que l'es- pèce est différente? Suffit-il, pour que l'espèce soit dif- férente, que le sujet soit autre ? Ou faut-il que l'espèce soit autre elle-même dans un autre sujet ? Quelle est en ceci la limite ? Et comment jugeons-nous, par exemple, que le blanc et le doux sont d'une même espèce ou d'es- pèce différente 7 Est-ce parce que la qualité parait diffé- rente dans un sujet différent? Ou bien parce qu'en soi la qualité n'est pas du tout la même des deux côtés?

En considérant particulièrement le mouvement d'alté- ration, on peut se demander comment une altération pourra être égale en vitesse à telle autre altération. Par exemple, en prenant la guérison d'une maladie comme un mouvement d'altération d'un certain genre, il est pos- sible que tel malade guérisse plus vite, et que tel antre guérisse plus lentement, de même qu'il est possible éga- lement que plusieurs malades guérissent dans le même temps. On peut dire alors que l'altération est d'une égale vitesse, puisque le malade s'est modifié et a varié dans un temps égal. Mais on peut faire une objection à ceci, et se demander précisément : Qu'est-ce qui est modifié et altéré ? Il ne peut être question, dans ce cas, d'égalité pro- prement dite ; car ce n'est pas de l'égalité, mais de la res- semblance qu'il s'agit, puisqu'on est passé de la caté- gorie de quantité à celle de qualité. A cette objection, on peut répondre que vitesse égale signifie, dans le cas dont nous nous occupons, que le même changement s'est fût dans un temps égal.

Ainsi revient la question des conditions requises pour qu'une comparaison soit exacte. Est-ce l'objet dans le- quel est l'affection qu'il faut comparer? Ou bien est-ce

D'ARISTOTE, LIVRE VII, CH. V. S«l

raffection elle -même T Dans le cas que nous venons de citer, oh Ton comparait des malades, la guérison est iden- tique ponr les deux, et elle n'a été ni plus ni moins ra- pide pour l'un que pour Tautre. Mais si, au lieu d'une afiection identique, il s'agit d'une affection différente, la comparaison n'est plus possible. Par exemple, si d'un côté il y a l'altération d'une chose qui blanchit, et de l'autre l'altération d'une chose qui gaérit, il n'y a plus d'identité, ni d'égalité, ni de ressemblance. 11 y a plu- sieurs espèces d'altération qu'on ne peut comparer en- tr^elles, de même que tout à l'heure il y avait plusieurs espèces de translation, l'une en ligne droite, et l'autre en Hgne courbe. Il n'y a qu'à voir alors combien il y a d'es* pèces d'altération et d'espèces de translation.

Si donc les mobUes, dans leurs mouvements essentiels et son accidentels^ diffèrent en espèces, ils différeront aussi dans les espèces de leurs mouvements; s'ils diffè- rent en genre, leurs mouvements différeront en genre aussi, et s'ils diffèrent en nombre, les mouvements diffè-^ feront en nombre également. Mais encore une fois, faut* il regarder à l'affection pour savoir si eUe est identique ou seulement pareille, et, par exemple, si deux altérations se font avec une égale vitesse? Ou biei|'faut-il regarder à l'objet altéré, pour savoir si l'un, par exemple, blanchit de telle quantité, et l'autre de telle autre quantité? Ou bien encore faut-il regarder aux deux, c'est-à-dire à l'affection même et à l'objet qui la subit? L'altération, dans l'affec- tion dont il s'agit, est ou la même, ou différente, selon que l'affection elle-même est ou identique ou différente ; l'altération est égale ou inhale, selon que l'affection est

égale ou inégale elle-même.

21

322 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Voilà pour la comparaison des mouvements d'altération et de translation. Quant à la génération et à la destruction, on peut faire la même recherche, et on peut se demander aussi : Comment une génération peut-elle être d'une vitesse égale à la vitesse d'une autre génération 7 La génération est paiement rapide, si c'est dans un temps égal que le même être, c'est-à-dire l'individu de la même espèce, l'homme, par exemple, et non l'animal, est produit. La génération est plus rapide si, dans un temps égal, c'est un être différent qui est produit et formé ; et quand je dis un être différent, c'est toujours un être de la même es- pèce; car on ne peut, pour la substanoe. comparer deux êtres divers» comme on compare ceux entre lesquels on trouve de la dissemblance. Ils sont deux sous le rapport de l'altération ; mais il y a ici une absolue identité sous le rapport de la substance. Que si l'on prend la substance pour un nombre, et si l'on prétend qu'on peut alors com^ parer les substances commtf des nombres dont l'un est plus fort que l'autre, bien que tous les deux soient de la même espèce, je réponds qu'il n'y a pas de nom particu- lier pour exprimer cette relation de denx substances, de même que, pour exprimer ce rapport entre deux qualités, on dit que l'une est Plus telle chose que l'autre, et que, pour l'exprimer entre deux quantités, on dit que celle-ci est plus grwde que celle-là. Mais, dans les substances que l'on compare, il n'y a rien de semblable.

VI.

Après avoir montré comment on peut comparer les mouvements entr'eux, je dois faire voir quels sont les

D'ARISTOTE, LIVRE, VII, CH. VI. 828

rapports proportionnels qa'ils peuvent avoir. Je reviens d'abord à quelques principes que j'ai déjà indiqués.

Tout moteur meut UMijours un mobile dans quelque chose et dans une certaine mesure ; il agit sur ce mobile dans quelque chose, c'est-à-dire pendant un certain in- tervalle de temps ; et il le meut dans une certaine me- sure, c'est^-dire qu'il le porte à une certaine distance ; car le moteur meut toujours en même temps qu'il a mu. Le mobile est toujours une certaine quantité, et il est mu d'une certaine quantité. Représentons le moteur par A, le mobile par B, et par G la quantité dont le mobile a été rah ; le temps durant lequel le mouvement a en lieu sera refH-ésenté par D. Dans un temps égal^ la puissance re- présentée par A fera faire à la moitié du mobile B un mouvement double de G, et elle lui fera parcourir la disK tance G dans la moitié du temps D; car telle est la pro- portion régulière de ces mouvements entr'eax. Ainsi, la puissance restant la même et aussi le temps, le mo- bile réduit de moitié parcourt un espace double ; et en second lieu, la puissance étant la même, le mobile réduit de moitié parcourt un espace égal dans la moitié du temps.

Par suite, on peut poser deux autres règles qui sont la conséquence de celle-ci. La puissance et le mobile res- tant les mêmes, le mouvement sera moitié moindre dans la moitié du temps; et si l'on réduit la force de moitié, elle produira la moitié du mouvement sur le même mobile et dans le même temps. Soit, par exemple, la puissance E moitié de la puissance A, et F le nouveau mobile^ qui est moitié du premier mobile B. Les rapports restent les mêmes dans cette seconde hypothèse, et la force reste en proportion avec le poids à mouvoir. Par conséquent, ces

iU PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

deux forces produiront un égal mouvement dans un temps égal.

Du reste, il ne faut pas croire qne si E moitié de A peut mouvoir F moitié de B, de l'espace G dans le temps D, il en résulte nécessairement que E puisse aussi mouvoir le double de F dans un temps égal et de la moitié de G ; car il se peut fort bien que la puissance qui peut mouvoir la moitié d'un mobile, ne puisse pas tou- jours et nécessairement mouvoir le mobile entier. Réci* proquement, si A meut B dans un temps D d'une quantité égale à G, il est clair que la moitié de A représentée par E ne pourra pas mouvoir B dans le temps D. Gette moitié de la puissance ne pourra même pas peut-être faire par- courir au mobile une partie de G, ou telle partie propor- tionnelle qui serait à G tout entier comme A est à E ; car U se peut dans ce cas qu'il n'y ait pas du tout de mouvement Si par exemple, il faut la force tout entière pour mouvoir tel poids, la moitié de la force ne pourra produire aucun mouvement, ni d'un intervalle quelconque, ni dans une proportion quelconque de temps ; car autrement il suffi- rait d'un seul bomme pour mettre un navire en mouve- ment, si Ton pouvait ainsi diviser la force de tous les matelots, soit relativement au nombre, soit relativement à la distance que tous réunis ont pu faire parcourir au bâtiment en combinant leurs efforts.

Geci fait bien comprendre l'erreur tombe Zenon, quand il prétend qu'une parcelle quelconque d'un bois- seau de grains doit faire du bmit en tombant, parce que le boisseau entier en fait quand on le laisse tomber. Il est clair qu'une parcelle est toujours hors d'état de re- muer à elle seule cet air que meut le boisseau entier;

DARISTOTE, LIVRE Vil. CH. VI. S26

isolée et réduite à eUe-mème, elle ne meut même pas autaot d'air qu'elle en pourrait mouvoir jointe à la tota- lité du boisseau. Dans le tout, elle n'est qu'en puissance, j'en coDviens, et elle n'y est pas en soi; mais elle y a plus de force cependant que quand elle en est séparée pour agir seule.

Supposons maintenant qu'au lieu de considérer une force unique, nous ayons deux forces réunies et agissant dans le même sens. Si chacune des forces prise à part meut chaque mobile de telle quantité dans tel temps donné, je dis que les deux forces réunies pousseront le poids total formé de la réunion des deux poids, d'une quantité égale dans un temps égal. C'est la règle de la proportion. Cette dernière règle jointe aux précédentes, complète ce que nous avions à dire sur la proportion* nalité des mouvements qui ont lieu dans l'espace.

Ces règles qui regardent le mouvement local, le dé- placement, peuventr^Ues encore s'appliquer à l'altération et à l'accroissement, c'est-à-dire aux deux autres espèces de mouvement? Elles y sont certainement applicables; mais avec les modifications nécessaires. Ainsi pour l'ac- croissement, il y a ici, comme plus haut, quatre termes qui peuvent être mis en proportion : ce qui accroît, ce qui est accni, le temps durant lequel Taccroissement a lieu, et la quantité dont elle a lieu. De même encore pour le mouvement d'altération, on peut distinguer l'altérant, l'altéré, la quantité et la durée de la modification. Dans un temps double, l'objet changera d'une quantité double; et réciproquement, s'il a changé du double, c'est dans un temps deux fois plus long. Dans la moitié du temps, il changera de moitié; et s'il a changé de moitié, on peut

326 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

affirmer que le temps a été moitié moindre ; ce qui n'em- pêche pas que dans certains cas» il ne puisse changer du double dans un temps égal. Mais ici encore comme antérieu- rement, si l'altérant et l'accroissant altèrent et accroissent d'une certaine quantité dans un certain temps, il ne s'en- suit pas nécessairement que la moitié fasse la moitié, ou que la moitié agisse deux fois moins dans un temps deux fois moindre; mais selon les cas, il se peut fort bien qu'il n'y ait aucune altération, ni aucun accroissement, ainsi que nous le remarquions tout à l'heure pour le cas il s'agissait de mobiles pesants.

LIVRE VIIL

DE L*éTBRllITÉ OU MOUVEMENT.

I.

Après tous les développements qui précèdent, il ne nous reste plus guère qu'à nous occuper d'une dernière question, celle de l'éternité du mouvement. Le mouve- ment a-t-il commencé à un certain moment de la durée, avant lequel il n'existait pas? Et de même qu'il aurait commencé à un certain jour, y aura-t-il un jour il devra cesser, de manière que rien ne doive plus absolu- ment se mouvoir? Ou bien en niant ces idées de comuien-

DARISTOTË, LIVRE VIII, GH. 1. 327

cernent et de fin, doit-on dire que le mouvement n'a point en de commencement, et qa'il n'aura point de fin? Doit- on penser qu'il a toujours été et qu'il sera toujours, immortel, indéfectible pour tous les êtres, et comme une vie qui anime tout ce que la nature a formé 1

Tons ceux des philosophes qui ont étudié la nature et qu'on peut appeler des Physiciens, s'accordent unani- mement à admettre l'existence du mouvement, paixe qu'ils se sont tous occupés de l'origine du monde, et que tontes leurs théories roulent sur la génération et la des- truction des choses^ lesquelles ne peuvent être si le mou- vement n'est pas. Lors même qu'on soutient que les mondes sont infinis, et que les uns naissent tandis que les autres s'éteignent et périssent, on n'en admet pas moins l'existence étemelle du mouvement ; car les mondes ne peuvrat naître et périr qu'à la condition nécesssôre du mouvement. Les philosophes mêmes qui n'admettent qu' un seul monde, et qui ne le supposent pas éternel, font égale- ment sur l'existence et la réalité du mouvement des hypo- thèses conformes à leurs systèmes.

Lorsqu'on suppose que le mouvement n'est pas éternel, et qu'il y a eu un temps il n'existait point, il n'y a que deux manières de comprendre cette opinion : ou comme Anaxagore, il faut dire que, toutes les choses ayant été confondues et ensevelies dans le repos durant un temps infini, survint l'Intelligence qui leur a communiqué à un certain moment l'ordre et le mouvement; ou bien avec Empédocle, il faut penser que les choses sont tantôt en mouvement, tantôt en repos; qu'il y a mouvement quand de plusieurs choses séparées l'Amour n'en fait qu'une seule, ou que d'une chose unique la Discorde eu fait plu-

328 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

sieurs; et qu'il y a repos dans les intervalles qui séparent Faction de l'Amour et l'action de la Discorde. C'est ce qu'EmpédocIe veut nous faire entendre, quand il dit en propres termes :

En sachant ramener leur foule à l*unité.

Puis quittant l^union pour la pluralité,

Us vont, sans que le temps les arrête ou les presse;

Et comme en aucun d'eux le changement ne cesse,

Dans ce cercle inunuable ils se font étemela

Examinons à notre tour est la vérité dans ces obs* curs problèmes; car il importe de la découvrir et de la bien comprendre, non pas seulement pour la science de la nature que nous étudions ici, mais encore pour la con- naissance du principe premier des choses.

Nous commencerons tout d'abord en rappelant les défi- nitions que nous avons posées plus haut dans notre. Phy- sique (Livre 111, cb. I). Nous répétons donc que le mou- vement est la réalisation et l'achèvement, l'entéléchie du mobile en tant que mobile; et, par une conséquence né- cessaire , il faut supposer préalablement l'existence actuelle de choses qui peuvent être mues, quelle que emi d'ailleurs l'espèce de mouvement qu'elles reçoivent. Sans même s'arrêter à cette définition du mouvement, il n'est personne qui ne convienne que nécessairement tout ce qui peut recevoir une des espèces quelconques du mou- ment, doit d'une manière générale être susceptible d'être mu. Par exemple, si l'objet s'altère, il faut que ce soit un objet susceptible d'altération ; s'il y a translation, il faut que ce soit un objet susceptible d'être déplacé dans l'espace, absolument comme il faut qu'il y ait du com-

D'ARISTOTE, LIVRE VUl, CH. L 129

bostible poar qu'il y ait combastîon, el comme il faut que le combustible existe avaut de pouvoir brûler.

Par une conséquence non moins nécessaire, il faut aussi, ou que les cboses naissent à un certain moment donné avant lequel elles n'existaient pas, ou qu'elles soient étemelles. En prenant cette première hypothèse, et en supposant que tous les mobiles et les moteurs sont nés à un certain moment, il faudrait nécessairement en- core qu'avant ce mouvement, qu'on prend pour le pre- mier, il y eût eu un changement préalable, et un mouve« ment qui aurait fait naître et le mobile qui peut être mu et le moteur qui peut mouvoir. Dans la seconde hypo- thèse, où Ton suppose que les moteurs et les mobiles ont éternellement existé, sans qu'il y eût de mouvement, on voit quelles étranges conséquences sortent de cette théo- rie pour peu qu'on la presse; car comment concevoir que le mouvement ait pu commencer après un éternel repos?

En y regardant encore d'un peu plus près, les consé- quences n'en deviennent que plus frappantes. Si, en effet, parmi les choses qui reçoivent le mouvement ou qui le donnent, il faut nécessairement un premier moteur et un premier mobile, et, eo l'absence du moteur et du mobile, un absolu repos, il en résulte non moins nécessairement qu'il y a eu uu changement antérieur, puisqu'il y avait une cause à ce repos, le repos n'étant que la privation du mouvement. Donc, avant ce changement (pi'on prétend le premier, il y aura déjà eu un changement antérieur.

Certaines choses, en efiet, ne produisent qu'une seule espèce de mouvement; d'autres produisent des mouve- ments contraires. Ainsi le feu échauife et il ne refroidit pas, tandis que la science des contraires parait une seule

330 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

et même science, c'est-à-dire que quand on sait un des deux contraires on sait aussi l'autre du même coup. Ce- pendant il y a, même dans l'exemple que nous citons ici, quelque chose d'analogue à ce double effet; sans doute le feu ne refroidit jamais; mais, quand il est absent, son absence refroidit, de même que le froid échauffe par son absence, et que celui qui sait une chose peut, par erreur volontaire, employer à rebours la science qu'il possède. D'ailleurs, ceci n'empêche pas nécessairement que toutes les choses qui sont susceptibles d'agir, de souffrir, de mouvoir ou d'être mues, n'agissent pas toujours et dans tous les cas selon leur capacité propre. U y faut en outre certaines conditions, et, par exemple, qu'elles soient en contact les unes avec les autres. C'est en se rap- prochant que l'une donne le mouvement, et que l'autre le reçoit, et qu'elles s'arrangent de telle façon que l'une puis9e être mue et que l'autre puisse mouvoir. Si donc le mouvement n'a pas toujours eu lieu, s'il n'est pas éternel, c'est que les choses n'étaient pas disposées de telle façon que l'une pût recevoir le mouvement qu'une autre poii- vait lui communiquer. U a fallu que Tune des deux tout au moins vint à changer ; car c'est une nécessité abso- lue pour tous les relatifs ; et le moteur et le mobile sont des relatifs. Ainsi, par exemple, une chose qui n'était pas antérieurement le double d'une autre en est actuelle- ment le double ; il faut absolument que Tune des deux tout au moins, si ce n'est toutes les deux à la fois, aient éprouvé quelque changement. Par conséquent, avant ce changement qu'on croyait le premier, puisqu'on faisait commencer le mouvement, il y aura eu un autre change- ment qui l'aura précédé.

D'ARISTOTE, LIVRE VIIl, CH. I. S31

Ainsi doDC^ si l'on sappose les moteors et les mobiles éternels, il est impossible qne le mouvement ne le soit pas comme enx. Mais voici une autre conséquence absurde qu'il convient de ne pas omettre : c'est que s'il n'y a pas de mouvement, il n'y a pas de temps non plus ; car, com- ment concevoir qu'il puisse y avoir antériorité et posté* riorité, s'il n'y a pas de temps? Et comment y anraitril du temps, s'il n'y a pas de mouvement? Le temps n'est que le nombre du mouvement, ou même, on peut dire, un mouvement d'une certaine espèce ; et du moment que le temps est étemel, le mouvement est éternel ain» que lui«

Tous les philosophes en général, si l'on en excepte peut-être un seul, semblent unanimes dans leurs tbéo-» ries sur le temps; tous le regardant comme incréé; et c'est même en soutenant que le temps n'a point été créé, que Démocrite essaie de démontrer que l'univers n'a jamais pu l'être. Le seul philosophe que j'exceptais tout à l'heure, c'est Platon qui a soutenu que le temps a été créé; selon lui, le temps est avec le ciel ; car, à son avis, le del aussi a pris naissance. Si donc l'existence et la conception même du temps sont impossibles sans la notion et l'existence de l'instant, et si l'instant est une sorte de moyen terme réunissant en lui un amimence* ment et une fin, le commencement de l'avenir, et la fin du passé, il faut nécessairement que le temps soit éter- nel ; car l'extrémité du temps que l'on considère est tou- jours dans un certain instant, puisque la seule partie sai- sissable du temps est l'instant lui-même ; et comme l'ins- tant est à la fois commencement et fin^ il est clair qu'il y a toujours du temps des deux côtés de l'instant, soit avant, soit après ; or, du moment que le temps existe

S32 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ainsi, il est clair que le mouvement n'existe pas moins, puisque le temps n'est qu'un mode et une affection du mouvement lui-même.

Le raisonnement qui vient de nous prouver que le temps n'a pas pu commencer, doit nous prouver aussi qu'il ne peut pas finir, et qu'il est indestructible. De même qu'en cherchant à expliquer l'origine du mouvement, on arrivait à cette conclusion nécessaire qu'il y a un chan- gement antérieur à ce changement qu'on prétendait être le premier, de même il faudra supposer, dans ce nouvean cas, qu'il y a un changement postérieur même à ce chan- gement qu'on croit le dernier ; car ce n'est pas du même coup que le moteur cessera d'être moteur, et le mobile d'être mobile ; l'un pourra toujours agir, et l'autre pourra toujours souffrir l'action, même après que l'acte de l'un et de l'autre aura cessé. Un objet combustible cesse de brûler, si l'on veut; mais il n'en reste pas moins combus- tible, bien que d'ailleurs il puisse fort bien n'être pas brftlé. L'objet capable de mouvoir cesse de mouvoir à un certain moment donné ; mais U n'en est pas moins ca- pable de mouvoir encore. Que si, au lieu de prendre un simple changement de transformation, on veut considérer un changement la chose est détruite, et qui, par consé- quent, serait bien le dernier, l'impossibilité reste la même ; car le destructible, avant d'être détruit, devra être détruit par quelque chose, et ce quelque chose sub- siste encore après lui, puisque la destruction est une es- pèce de changement.

Toutes ces impossibilités ne sont que trop réelles, et il est de toute évidence que le mouvement, éternel comme il l'est, ne peut pas tantôt êti*e et tantôt n'êti*e point»

D'ARISTOTE, LIVRE VIII, CH. I. 8SS

Avancer cette dernière opinion, et soutenir que le mou- vement a des intermittences dans la nature, c'est, je le crains bien, une pore rêverie. Il n'y a pas pins de raison à prétendre ponr tonte explication, comme le fait Em- pédode, qne la nature le veut ainsi, et que c'est ce qu'on doit regarder comme le principe des choses ; car c'est à cette dernière conclusion qu'aboutit le système d'Empé- docle, quand il nous dit que l'Amour et la Discorde do* minent tour à tour, et donnent le mouvement aux choses par une nécessité inhérente à leur nature, et que dans l'intervalle de leur lutte il y a un temps de repos.

C'est bien enc(»re ce que disent ceux qui, comme Anaxi^re, ne reconnaissent qu'un seul principe, et qui croient qu'à un moment donné ce principe est entré en mouvement , après être resté un temps infini dans une absolue inaction. Hais jamais il ne peut y avoir de dé-> sordre dans les choses qui sont faites par la nature, et qui sont conformes à ses lois ; tonjours la nature est une cause d'ordre et de r^ularité. Le mouvement infini, que suppose Anaxagore, ne peut avoir aucun rapport avec le repos infini qui l'avait précédé ; car les infinis sont incom- mensurables, tandis que l'ordre suppose toujours entre les choses un rapport, que la raison approuve et qu'elle peut comprendre. Mais, qu'après un repos qui a duré un temps infini, survienne par hasard le mouvement, et qu'on trouve indifférent que le mouvement survienne à tel ins- tant plutôt qu'à tel instant antérieur, sans qu'il y ait en ceci aucun ordre, j'affirme que ce ne peut plus être l'œuvre de la nature; car ce qui est par nature est d'une manière absolue ; il ne peut pas tantôt être et tantôt n'être plus^ être tantôt de telle manière et tantôt de telle autre.

3S& PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

Le feu se dirige natuFellement toujours en haut, et il n'est pas possible qu'il y ait eu ceci une alternative, et que tan- tôt il se dirige en haut, et que tantôt il ne s* y dirige pas. Et quant à ce qui n'est pas absolu dans la nature, il y a du moins une cause rationnelle aux changements qui sur- viennent; et ici Ton n'en voit pas au changement tout ar- bitraire qu'on suppose.

il vaudrait donc encore mieux imaginer avec Empé- dode ou tel autre philosophe que l'univers est toor à tour en repos et en mouvement ; car il y a dans cette succession alternative des phénomènes un certain ordre et une certaine régularité. Du reste, quand on avance de pareilles théories, il ne faut pas se contenter de simples affirmations ; U faut tâcher de remonter aussi jusqu'à la cause et de l'expliquer; et au lien de ae borner à une hy- pothèse gratuite, et de poser un axiome qui choque la raison, il faut ou en appeler à l'induction tirée des faits observés, ou apporter uûe démonstration qui se rattache à des principes incontestables. Empédocle ne s'est pas donné la peine de remonter à des causes, et il s'est con- tenté d'hypothèses gratuites. Le rôle prêté à l'Amour et à la Discorde peut être vrai ; et l'un, eu effet, réunit les choses tandis que l'autre les divise; mais on ne nous dit pas par quelle cause l'un vient après l'autre. On parle bien de leur succession alternative ; maïs encore faudrait- il dire à quoi elle tient. Sans doute, entre les hommes, il y a l'Amour, qui les rapproche ; et la Discorde, qui les fait ennemis et les éloigne les uns des autres. De l'humanité on transporte cette loi à l'univers, et il est bien sftr que parfois les choses s'y passent également ainsi; mus œ qu'on n'explique pas, et ce qu'il fallait expliquer, c'eirt

D'ARISTOTE, LIVRE VIII, CH. II. SS6

comment ces ptaénomènes opposés s'acaHnpUsseot daos des périodes égales et régulières. G'estqa elles ne sont pas plos dans le monde qu'elles ne sont parmi les hommes.

En général» se contenter d'affirmer qu'une chose est toujours de telle ou telle manière, et qu'elle se produit toujours de même, et croire que c'est un principe et une raison suffisante des choses, ce n'est pas du tout sa- tisfaire la raison. C'est à cela cependant que Démocrile réduit toutes les explications prétendues qu'il nous donne, quand il nous dit que les choses sont actuellement ainsi, et qu'elles y étaient antérieurement Mais, quant à la cause véritable de cet état étemel, il se garde bien de la chercher. Je ne dis pas d'ailleurs que ce principe de D^ mocrite ne puisse jamais trouver une seule application ; mais je dis qu'il ne faut pas l'appliquer indifféremment à tout Par exemple, c'est bien une vérité éternelle et im* muable que tout triangle a ses trois angles égaux à deux droits ; cependant, on ne s'anrète pas purement et sim«* plement à ce théorème, et l'on peut trouver une cause à cette propriété étemelle du triangle, puisqu'on la démon* tre, tandis qu'il y a d'autres principes qui sont également étemels, et auxquels il faut s'arrêter sans essayer de re* monter à une cause plus haute.

Nous avons donc démontré les relations nécessaires du temps et du mouvement, et nous avons établi que le temps n'a pu exister et ne pourra exister qu'à la condition que le mouvement ait existé ou doive exister comme lui.

II.

Je sais qu'on peut opposer des principes contraires à

386 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ceux que je viens d'établir; mais je crois aussi qu'il n'est pas difficile de répondre à ces objections. En attendant, voici les principaux arguments par lesquels on peut en- treprendre de prouver que le mouvement, loin d'être éternel, a se produire à un certain moment donné sans avoir du tout préalablement existé.

D'abord, peut-on dire, il n'y a pas de changement qui soit étemel, parce que nécessairement tout changement a lien entre deux états divers, l'un d'où il part et l'autre il aboutit. Par une conséquence évidente, tout chan- gement a pour limites les contraires entre lesquels il se passe. Donc, il n'y a pas de mouvement qui puisse être infini. En second lieu, on peut se convainore par l'obser- vation, que le mouvement est souvent interrompu, et qu'il a des alternatives. Tel objet qui actuellement n'est pas mu et qui n'a en soi aucun mouvement, peut être mu à un certain moment donné ; et ceci est particulièrement obser- vable dans les êtres inanimés; tantôt le tout ou la partie y est immobile, et tantôt il y a mouvement Mais si le mouvement ne peut pas naître ou sortir du néant, il faut reconnaître alors ou que le mouvement est éternel, oo qu'il est éternellement impossible. Si cette remarque est manifeste pour les êtres inanimés, elle l'est davantage encore pour les êtres animés ; et nous pouvons nous prendre pour exemple. Actuellement nous sommes en repos, et il n'y a pas le moindre mouvement en nous; puis, tout à coup, nous nous mettons en mouvement, le principe de l'action venant uniquement de nous sans la moindre intervention du dehors. Les choses inanimées, au contraire, ne se meuvent jamais que par une cause exté- rieure. Quant à l'être animé, on dit qu'il se meut lui-

DAR18T0TE, UVRE VIII. CH, IL 3»7

même; car, s'il est quelquefois eo repos, il peut aussi tout à coup se produire en lui un mouvement qui oe vient que de lui seul et le dehors n'est pour rien. Mais si ce pbé-^ nofflène peut se passer dans l'animal, et si le mouvement peut commencer en lui, pourquoi la même chose ne se passerait-elle pas aussi dans l'univers? Le phénomène qui a lieu dans le petit monde, peut avoir lien aussi dans le grand; et, si c'est possible dans l'univers, c'est possible aussi dans l'infini, en supposant toutefois que l'infini puisse se mouvoir tou^entier ou demeurer tout entier en repos.

De ces divers arguments, le premier est très-vrai, et il est impossible qu'entre deux limites opposées, le mou- vement soit éternellement le même et reste numérique-^ ment un. II y a toujours et nécessairement des intervalles de repos. Il y a ici nécessité absolue qu'il en soit ainsi ; car une seule et même chose ne peut avoir un mouvement qui soit un et numériquement toujours le même. Je cite un exemple pour éclaircir ceci. Soit une corde d'instru- ment de musique qu'on met en mouvement. Je demande «k le son que rend cette corde est toujours un seul et même son, ou si ce n'est pas toujours un son différent, chaque fois qu'on la touche de la même manière et qu'on lui imprime la même vibration. Mais quoiqu'il en soit de ce phénomène particulier, il ne prouve pas que le mou- vement ne puisse point être un et le même en étant con- tinu et éternel. Je reviendrai un peu plus loin sur ce principe afin de l'éclaircir complètement.

Je passe au second argument et je l'admets; car on peut regarder comme certain, dès à présent, qu'il n'y a rien d'absurde à soutenir qu'un corps qui n'était pas en

•22

338 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

mouvement puisse y être mis, selon que le moteur qui lui est extérieur existe on n'existe pas. Ce qu'il faut savoir c'est à quelles conditions ce mouvement transmis est pos- sible. Mais au fond quand on dit qu'une chose peut tantôt être mue par son moteur spécial et tantôt ne l'être pas, cela revient absolument à rechercher comment il se fait que les choses sont tantôt en mouvement et tantôt n'y sont pas, question sur laquelle je reviendrai plus tard. Hais ici le mouvement est précédé d'un autre mouve- ment, et ce n'est que le premier mouvement qu'il faut étudier.

Quant au troisième argument, qui tend à prouver que le mouvement peut avoir commencé spontanément, j'a- voue qu'il est pins embarrassant ; car dans les êtres inani- més, le mouvement semble se produire tout à coup sans avoir antérieurement existé. L'être est en repos; puis tout à coup, il se met en marche, sans qu'aucune cause exté- rieure ait agi sur lui, du moins à ce qu'il semble. Hsds c'est une erreur. Dans l'aniuial, il y a toujours quelqu'un des éléments naturels dont il est formé, qui est en mou- vement. Or, ce n'est pas l'être lui-même qui est la cause du mouvement de ces éléments, et c'est sans doute le milieu même dans lequel l'animal est placé; car lorsqu'on dit que c'est l'être animé lui-même qui se meut, on en- tend parler seulement du mouvement dans l'espace et non des autres espèces de mouvement d'altération, d'ac- croissement, etc. Mais il se peut fort bien, et il est peut* être nécessaire qu'il se passe dans le corps une foule de mouvements causés par ce qui l'entoure. Ces agents exté- rieurs agissent à leur tour sur la pensée ou sur le désir, qui mettent eux-mêmes en mouvement l'être entier, et

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. IH. 389

l'on ne peut plus dire ainsi qne ce soit l'ètie Ini-mème qui se roeave spontanément. Cette transmission de mou- vements venus du dehors se voit bien nettement dans les phénomènes du sommeil. L'animal s'éveille tout à coup sans qu'il y ait de mouvement observable, et cependant on ne peut douter qu'il n'y ait eu un mouvement inté- rieur d'un certain genre, lequel ne dépendait pas de ra- nimai ; mais ce qui va suivre écliurdra tout ceci.

III.

Nous commencerais la discussion par la question que nous venons d'indiquer, à savoir comment il se fait que certaûns êtres sont tantôt en mouvement et tantôt en repos.

Nécessairement, il n'y a qne les alternatives suivantes qui soient possibles : On tout est toujours en mouvement, ou tout est toujours en repos: on bien il n'y a que cer- taines choses qui se meoveot, tandis que certaines autres sont dans nn repos complet; et ce dernier cas peut se dé* composer selon que le mouvement des unes et le repos des autres sont chacun éternel, on selon que tout peut être indifféremment soit en mouvement soit en repos ; ou bien enjQn, et c'est la troisième et dernière hypothèse, parmi les êtres, il y en a qui sont éternellement immo- biles, tandis que d'autres sont dans un mouvement éter- nel et que d'antres encore participent tour à tour du mou- vement et du repos.

Voilà ce qu'il nous faut étudier; nous y découvri- rons la solution de toutes les questions que nous nous

340 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

étions posées, et ce sera pour nous le complément défi- nitif de tout ce traité.

Soutenir que tout dans la nature est en repos, et s'obs- tiner à ne pas accepter le témoignagne de l'observation sensible qui nous atteste le contraire, c'est une faiblesse d'esprit, malgré ce que certaines gens peuvent en penser. C'est nier et mettre en doute la Physique tout entière et non pas seulement une de ses parties. Mais ce sujet n'in- téresse pas uniquement le Physicien; il regarde aussi toutes les sciences et toutes les théories, puisque toutes supposent l'idée du mouvement. Cependant, il faut faire ici une observation qui est d'une application générale. Dans les mathématiques , on ne discute pas les objec- tions qu'on peut élever contre les principes sur les- quels elles reposent, et ces objections ne regardent pas, à vrai dire, le mathématicien. 11 en est de mèttie pour toutes les autres sciences ; et je dis que les objections élevées contre la réalité du mouvement ne doivent point être réfutées par le Physicien, puisque la science qu'il étudie n'existerait point, s'il n'admettait pas que la na- ture est le principe du mouvement.

Je ne me prononce pas sur la théorie contraire, et peut- être est-ce aussi une erreur que de soutenir que tout est en mouvement; mais du moins cette erreur, si toutefois c'en est une, s'éloignerait moins des vérités de la science; car nous avons établi (Livre I, ch. II) que, dans les choses physiques, il faut considérer la nature comme le principe unique du mouvement et du repos, et que le mouvraïait est essentiellement un fait naturel. En effet, quelques philosophes soutiennent aussi que le mouvement n'est

D'A&ISTOTË, LIVRE VUl, GH. 111. Ui

pas partiel , attribué à telles choses et refasé à telles autres, msàs que tout est en mouvement de toute éternité, et que seulement il est des mouvements qui, par leur ténuité même, se dérobent à nos sens et échappent à notre observation. Une objection qu'on peut faire à ce système, c'est que ceux qui le défendent n'ont pas dit assez précisément de quelle espèce de mouvement ils en- tendent parler; et, s'ils prétendent que leur théorie s'ap- plique à toutes les espèces du mouvement sans exception « il n'y aurait pas de peine à les réfuter. Ainsi, ces mouve- ments particuliers qu'on appelle accroissement et destruc- tion, ne peuvent pas être continus et perpétuels; et il y a toujours dans l'un et l'autre des intervalles de repos.

C'est comme quand on prétend que la goutte d'eau qui tombe successivement sur la pierre finit par la percer, ou que la plante qui pousse dans ses interstices finit par la rompre. En effet, si la goutte a creusé ou enlevé telle partie de la pierre, cela ne veut pas dire que dans un temps moitié moindre, elle en ait enlevé antérieurement la moitié. Mais les gouttes dans leur ensemble agissent comme font les matelots en se réunissant pour le balage d'un navire; tant de gouttes accumulées ont produit tel mouvement ou telle diminution dans la pierre ; c'est vrai sans doute. Mais cela ne veut pas dire que telle partie des gouttes ait pu produire teUe quantité précise de chan- gement et de mouvement dans aucune partie du temps. La portion enlevée de la pierre peut bien se subdiviser elle-même en plusieurs autres parties, si le morceau dé- taché est assez gros; mais on ne peut pas dire qu'aucune de ses parties ait été séparément détachée, puisqu'elles forment encore un certain tout qui est le morceau même

S&2 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

enlevé de la pierre. Ces parties ont été enlevées tontes ensemble. Donc, évidemment, il n'est pas nécessaire qae quelque chose soit enlevé de la pierre à chaque goutte qui tombe sur elle, par ce motif que le morceau détaché peut se diviser à l'infini ; la seule chose nécessaire, c'est qu'à un certain moment donné le morceau se détache tout entier.

Les objections que je viens de faire contre la continuité de la destruction s'appliquent non moins bien à la conti- nuité de l'altération, quelle qu'elle soit; car, l'altératioD même ne peut pas se diviser à l'infini, par cela seul qoe l'objet altéré peut se diviser lui-même indéfiniment. Il y a des phénomènes ou l'altération se fait tout d'un coup, par exemple, la congélation de l'eau; et l'altération ne s'y produit pas par degré ni petit à petit. Dans le cas de la maladie, Taltération a lieu encore successivement; car il y a un temps l'on peut dire du malade qu'il guérira; par conséquent, il n'est pas encore guéri, et il est en état de maladie. Ce n'est donc pas tout à coup qu'il passe de la maladie à la santé, et à l'extrémité du temps il a souffert. Il y a, dans la guérison, des intervalles de ma^ ladie, et l'altération n'est pas continue. Le changement ne se fait dans ce cas que de la maladie à la santé, et noo point apparemment à autre chose ; or, ce sont des cod-^ traires, et soutenir que le changement a lieu perpétuelle-- ment d'un contraire à l'autre, c'est vouloir contredire par trop gratuitement les faits les plus palpables ; car , arrivé au contraire, il s'arrête. On ne peut pas contester davan-- tage le repos pour une foule de choses qui restent dans l'état elles sont ; et, par exemple, la pierre demeure ce qu'elle est, sans devenir ni plus molle ni plus dure. Si

D'ARISTOTË, UVRE VllI, CH. 111. SAS

de l'aUératioa je passe au moa vouent local, j'y vois les mêmes temps d'arrêt; car il est impossible qu'on ne re- marque pas que la pierre portée en bas s'arrête sur la terre» une fois qu'elle y est parvenue. Il faut encore ajouter que la terre et tous les autres corps naturels occupent les lieux qui leur sont propres» et qu'ils y demeurent néces- sairement une f<H8 qu'ils y sont arrivés. Par conséquent» s'il est des corps qui restent ainsi en repos» il faut en con- clure que tous les corps ne sont pas nécessairement en mouvement dans l'espace» iûnsi qu'on le dit; et» si l'exis- tence du mouvement est démontrée» celle du repos ne l'est pas moins.

Ainsi» les considérations que nous venons de pré- senter» et celles qu'on pourrait y joindre» démontren bien que tout n'est pas en mouvement et que tout n'es pas en repos. Ces deux théories extrêmes sont insoute- nables. Mus on ne peut pas dire davantage que certaines cboses sont éternellement en repos» et certaines autres choses dans un mouvement perpétuel, et qu'il n'y ait rien qui soit tantôt en mouvement et tantôt en repos. Cette der- nière impossibilité, que nous avons déjà signalée plus haut, est de toute évidence ; car nous voyons dans une foule de cboses se produire des changements successifs du genre de ceux que nous venons d'indiquer. Le contester ce serait vouloir aller contre le témoignagne le plus manifeste de nos sens. En effet» ni l'accroissement des choses ni le mouve- ment forcé qu'elles reçoivent quelquefois, quand elles sont mues contre leur nature» ne sont concevables qu'à la condition d'un repos antérieur. Dire qu'il n'y a pas d'al- ternative de mouvement et de repos, c'est méconnaître et nier absolument la génération et la destruction des choses^

iàà PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

daDs lesquelles le repos est toujours indispensable ; et l'on peut dire que c'est nier aussi toute espèce de moave-* ment, puisque le mouvement ne signifie guère, en géné- ral, que la destruction ou la production de certains plié- nomènes; car, soit qu'un corps s'altère, soit qu'il change de place dans l'espace, l'état qu'il abandonne en s'alté- rant périt, et c'est une destructiixi de cet état antérieur; et, quand le corps se déplace, la position qu'il occupait périt également, de même que l'état nouveau du corps se produit, on que sa nouvelle position se produit aussi.

Donc évidemment, il faut reconnaître qu'il y a des choses qui, à certains inoments donnés, sont en mouve- ment, et d'autres choses qui à certains moments sont en repos.

Quanta cette opinion que toutes cboses dans l'univers, sont tantôt en repos et taiitét en mouvement, il suffit pour la réfuter de la rapprocher des arguments que nous venons d'exposer en examinant les autres hypothèses. Mais pour mieux montrer combien elle est vaine, noua rappellerons les définitions que nous avons antérieure- ment posées, et qui déterminent bien les diverses solu- tions qu'on peut donner du problème. Reprenons-les. Ou tout est en repos, ou tout est en mouvement ; ou bien parmi les choses, les unes sont en mouvement, et les autres sont en repos ; et en admettant le repos des unes et le mouvement des autres, il faut nécessairement, ou que toutes soient tantét en repos et tantôt en mouvement, ou que toujours les unes soient en mouvement, et les autres toujours en repos, ou enfin qu'il y en ait qui passent alternativement du repos au mouvement et du mouve- ment au repos.

D'ARISTOTE, LIVRE VllI, CH. III. Si5

Nom avoBS déjà démontré plus haut qu'il ne se peut pas que tout soit eu repos ; car le témoignage des sens atteste le contraire, liais nous instetons sur ce point ; car si Ton prétend, comme on le fait quelquefois, que l'être est infini et immobile, il faut du moins convenir que nos sens ne peuTent pas s'en apercevoir, et qu'il est une foule de cboees qui se meuvent sous nos yeux, ie vais jusqu'à admettre, si l'on veut, que ce soit une illusion, et qu'il n'y ait dans tout cela qu'un simple efiet de l'ima- gination; mais toujours est-il qu'il n'y en a pas nooins mouvement, puisque le fait même de l'imagipation est un mouvement d'un certain genre, par la mobilité seule des apparences qui sont dans l'esprit, tantôt d'une façon ettantAt d'une autre; car l'imagination et l'opinion qu'elle provoque dans l'intelligence, sont elles-mêmes des mou- vements réels et qu'on ne peut nier. Mais disserter à perte de vue, et faire des raisonnements sur des choses ob nous pouvons avoir mieux que des raisonnements, à savoir le témoignage infaillible de nos sens, c'est mal juger le meilleur et le pire, le plus fort et le plus faible; c'est mal discerner le certain de l'incertain; en un mot, ce n'est pas savoir distinguer un principe réel de ce qui n'est pas principe.

Si donc tout l'univers n'est pas en repos, il n'est pas moins imposable non plus qu'il soit en mouvement, et qu'une partie de l'univers soit dans un mouvement éter- nd, tandis que l'autre partie serait dans un éternel repos. A tous ces systèmes qui faussent la nature, il n'y a tou- jours à opposer qu'une seule réponse; mais elle est pé- remptdre: l'observation nous atteste qu'il y a des choses qui sont tantôt en mouvement et tantôt en repos. Donc

3A6 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

évidemment il est toat aussi impossible que tout soit continuellement en repos, et que tout soit continuellement en mouvement, qu'il est impossible que, parmi les choses, les unes soient dans un mouvement étemel et les autres dans un étemel repos. Reste donc à examiner une seule hypothèse, à savoir que l'univers étant susceptible de mouvement et de repos, il y a des choses qui sont tantôt en mouvement et tantôt en repos, puis des choses qui sont dans un repos immuable, et d'autres enfin qui sont sans cesse en mouvement. C'est ce que nous allons démontreo**

IV.

Il faut nous reporter à quelques principes que nous avons déjà antérieurement exposés. Ainsi, parmi les mo- teurs et les mobiles, il faut distinguer ceux qui le sont d'une manière indirecte et accidentelle, et ceux qui le sont en soi et d'une manière essentielle. Le mouvement d'un objet n'est qu'accidentel, quand il a ce mouvemeni parce qu'il est dans un autre objet qui lui-même est mu, ou bien quand une de ses parties seulement est en mou*- vement Au contraire, les moteurs et les mobiles sont en soi et essentiels, quand le mouvement ne leur vient pas uniquement de l'objet dans lequel ils sont, ou d'une de leurs parties séparément.

Dans les moteurs et les mobiles en soi, on peut encore faire une distinction entre ceux qui se meuvent eux-mêmes et ceux qui sont mus par une cause extérieure ; on peut en outre distinguer le mouvement naturel et le mouve* ment forcé et contre nature. Ce qui se meut soi-même

D'ARISTOTE» LIVRE VIU, GH. IV. U7

est mu natureUeiDeDt ; et, par exemple, les animaax se meavrat, do mmosi ce qu'il semble, d'mie manière spon- tanée. La nature leur a donné la faculté de se mouvoir comme ils veulent; et c'est ce qui fait que, pour tous les êtres qui ont en eux-mêmes le principe du mouve- ment, on dit que c'est naturellement qu'ils se meuvent ; la nature a voulu que l'animal pût toujours se mouvoir ainsi lui-même tout entier. Quant au corps de l'animal, et considéré en lui seul indépendamment du principe in- terne de son mouvement propre, il peut avoir un mouve- ment contre nature ou naturel ; et il y a pour lui, comme pour tout autre corps inerte^ une grande différence entre les mouvements qu'il peut recevoir, comme il y en a dans les éltaients dont il est composé. Enfin dans les êtres qui sont mus autrement que par eux-mêmes, on peut distin- guer aussi des mouvements contre nature et des mouve- ments naturels; par exemple, un mouvement contre nature est celui des corps graves qui montent en haut quand on les projette, et des corps légers quand ils vont en bas, de la terre qui monte et du feu qui descend. Sans même parler du corps entier, il y a des mouvements contre nature dans les parties du corps, quand elles n'ont pas leor position régulière ou qu'elles n'ont pas leur mode d'action habituel.

Or, c'est surtout dans les mouvements contre nature qu'on peut voir clairement que c'est du dehors que le mouvement est imprimé au mobile, et l'on peut se con- vaincre par une pleine évidence que le mobile est mu par un autre que lui-même. Après les mouvements contre nature, les mouvements le phénomène est le plus manifeste, ce sont ceux des êtres qui se meuvent eux-

SAS PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

mêmes; et qui ont en eux le principe du mouvemeat, comme les animaux, dont il vient d'être question. En effet» il n'y a pas le moindre doute, sauf les réserves que nous avons faites, que ce sont eux-mêmes qui se déter- minent au mouvement et qu'il n'y a point de cause exté* rieure. Hais on peut avoir encore des doutes sur le point de savoir au juste ce qui meut ou ce qui est mu en eux ; car ce qui se passe dans un bateau , par exemple, c'est le pilote qui meut le bâtiment et est mu avec lui, se passe également dans les animaux, l'on peut trës-bien distin- guer ce qui fait mouvoir et ce qui est mu; et cette distinc* tion peut servir à expliquer le mouvement dans tout être qui se meut lui-même.

Mais les choses ne sont pas aussi simples dans les êtres qui ne se meuvent pas eux-mêmes, seconde division que nous avons établie plus haut. Parmi les êtres qui, ne ti- rant pas d'eux-mêmes le mouvement, sont mus par une force étrangère, les uns le sont naturellement, les antres le sont contre leur nature ; et c'est pour ces derniers qu'il est diflScile de se bien rendre compte de la force qui les meut. Ainsi, quelle est la cause qui meut les corps légers et les corps graves 7 Ce n'est que par force qu'ils sont portés dans les lieux qui leur sont opposés. Quand ils vont dans les lieux qui leur sont naturellement propres, le léger va en haut par sa nature, tandis que le grave se dirige en bas. Dans ce cas, qui les meut l'un et l'autre? Quelle est la force qui les met en mouvement ? C'est ce qui n'«st pas de toute évidence, comme ce l'est quand ces corps reçoivent un mouvement contre nature, au lieu de rece- voir leur mouvement naturel. Il est bien impossible de dire que ces corps se meuvent eux-mêmes ; car cette fa-

D'ARISTOTE, LIVRE VIII, CH. IV. 3A9

cake du mouvement spontané est essentiellement vitale^ et elle ne peut appartenir qu'aux êtres animés. Si ces corps se donnaient à eux-mêmes le mouvement qu'ils ont, une conséquence nécessaire^ c'est qu'ils pourraient éga- lement s'arrêter ; et nous voyons, en effet, que quand un être est cause à lui-même de la marche qu'il a, il peut aussi suspendre cette marche quand il lui platt. Par con- séquent, s'il ne dépendit que du feu de se porter en haut, il pourrait tout aussi bien se porter en bas. Il faut ajouter que, dans ce cas, il ne serait pas plus concevable que les éléments ne se donnassent qu'un seul et unique mouve- ment, sans jamais se donner des mouvements contrait^es, s'ils avaient cette prétendue faculté de se mouvoir eux- mêmes.

II y a de plus, pour les éléments naturels, cette autre difficulté qu'ils sont homogènes et continus; or, comment rbomogëne et le continu pourrait-il se mouvoir lui-même? Il y faudrait au moins la distinction du moteur et du mo- bile, qui ne se trouve point ici. En tant que l'élément est un et continu, ce ne peut pas être par le contact qu'il se meuve ; car, dans ce qui est absolument homogène, il n'y a pas de contact pfôssible; et il fant nécessairement qu'il y ait séparation et non continuité entre deux choses, pour que l'une des deux puisse agir, et l'autre supporter l'ac- tion de la première. Ainsi, les éléments naturels ne peu- vent se mouvoir eux-mêmes par cela seul qu'ils sont bo^ mogènes ; et il n'y a pas de continu qui puisse avoir non plus un mouvement spontané. Il faut toujours, pour qu'il y ait mouvement dans un cas quelconque, que le mo- teur soit distinct et séparé du mobile, comme nous l'ob- servons pour les choses inanimées, lorsqu'un être animé

350 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

vient à leur communiquer un mouvement qu^elles n'ont pas par elles-mêmes.

Il reste donc certain que les éléments naturels, ne se donnant pas à eux*m6me le mouvement, doivent être mus aussi par une force étrangère, et c'est ce qu'on peut vé- rifier aisément en recourant aux divisions que nous avons établies pins haut entre les causes du mouvement, pour ce qui concerne les mobiles. Ces divisions ne sont pas moins applicables aux moteurs, et l'on peut les distinguer éga- lement en ce que les uns sont contre nature, et en ce que les autres sont naturels. Ainsi, ce n'est pas par sa seule nature que le levier meut les corps pesants ; il faut de plus, pour qu'il agisse, une cause qui le fasse agir. D'autres moteurs, au contraire, agissent par leur propre nature; et, par exemple, ce qui est actuellement chaud échauffe par sa seule action les corps qui sont suscep- tibles d'être échauffés, et qui, cependant, ne sont pas chauds en acte, et ne le sont qu'en puissance. A ces deux exemples, nous pourrions en joindre autant d'autres que nous voudrions, pour prouver qu'il y a des moteurs selon la nature, et des moteurs contre nature. On pourrait ap- pliquer aux mobiles des distinctions analogues ; et le mo- bile, selon la nature, sera celui qui en puissance a une certaine qualité, une certaine quantité, et une certaine position, qui lui permettent d'avoir une des trois espèces du mouvement, l'altération, l'accroissement ou la loco- motion. J'entends d'ailleurs parler de ces mobiles qui ont en eux le principe de leur mouvement prq>re, et qui ne l'ont pas seulement d'une façon accidentelle ; car la quan- tité et la qualité peuvent être affectées de mouvement dans un senl et même être; mais alors l'une n'est qu'ac-

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. IV. Î61

cidentellement à TautrOt et elle n'y est pas essentiel- lement.

Le fea et la terre, c'est-i-dire les éléments, ont un mouvement forcé qui leur vient de quelque cause étran- gère, quand ils n'ont pas le mouvement qui leur est propre. Ils ont leur mouvement naturel et non un mou- vement forcé, quand ils tendent à leurs actes spéciaux, bien qu'ils ne les accomplissent pas réellement, s'ils ne sont encore qu'en puissance. Hais comme cette dernière expression peut avoir plusieurs sens, cette équivoque em- pêche qu'on ne voie clairement la cause qui ment ces corps, et qui fait que le feu va en haut et la terre en bas.

Des exemples éclairciront ceci. Évidemment, quand on dit de quelqu'un qu'il est savant en puissance, cette expression a une significatioD fort différente, selon qu'on est ignorant et qu'on peut apprendre, ou selon qu'ayant la science on la possède sans en faire usage. Mais, toutes les fois que ce qui peut agir, et ce qui peut souffrir se ren- contrent et sont simultanés, le possible arrive à l'acte et se réalise. Ainsi, par exemple, quand on sort de l'igno- rance pour apprendre quelque chose, on passe de la simple possibilité d'apprendre à un état l'on est en- core en puissance, mus la puissance est tout autre que dans le premier état. En effet, celui qui possède la science et ne l'applique pas, est encore savant en puis- sance ; mais la puissance qu'il a dans ce cas ne doit pas se confondre avec celle qu'il avût avant de rien appren- dre, et quand il était en pleine ignorance. Quand il a la puissance d'appliquer la science, il l'applique, et il agit si nul obstacle ne s'y oppose ; car, s'il n'agit point alors, c'est que de fait il est dans le contraire de la science^

S52 PAllAPHRASE DE LA PHYSIQUE

c'est-à-dire dans Tignorance. Cette distinction des deux espèces de puissance doit s'appliquer aux éléments et aux choses de la nature. Le chaud, par exemple, est froid en puissance ; mais quand il cesse d'être froid en puissance, il devient chaud ; et alors en tant que feu il brûle, si rien ne l'empêche d'agir selon sa nature, et ne fsùt obstacle à son action.

Ces distinctions qui sont très-réelles peuvent s'appli- quer aux corps graves et aux corps légers, et nous faire mieux comprendre la cause qui les met en mouvement. Le léger vient du pesant ; et, par exemple, l'air vient de l'eau qui se vaporise. Le pesant est d'abord léger en puis- sance, et il devient réellement et efiectivement léger, si rien ne l'en empêche et ne lui fait obstacle. L'acte réel du léger ; c'est d'être en un certain lieu, c'estnàrdire en haut; et quand il est dans un lieu contraire, c'est qu'il f a quelque cause qui s'oppose à son acte propre. Je ne parle ici que du mouvement dans l'espace, de la transla- tion ; mais ceci s'appliquerait également, soit au mouve- ment de quantité, soit au mouvement de qualité, comme je le dirai tout à l'heure. Que si l'on veut aller plus loin que ces explications, et si l'on demande encore pourquoi les corps graves ou légers se dirigent ainsi vers les lieux qui leur appartiennent, il n'y a plus rien à répondre, si ce n'est que c'est une loi de la nature, et que ce qui constitue essentiellement le léger et le pesant, c'est que l'un se dirige exclusivement en haut, tandis que l'autre se dirige, au contraire, exclusivement en bas.

Mais, ainsi qu'on vient de le voir, il y a deux manières de comprendre que le grave et le léger sont en puissance. Ainsi, à un certain point de vue, l'eau est légère en puis-

D'ARISTOTE, LIVRE VIH, CH. IV. 858

sance, attendu qu'elle peut, en se v24)orisant, devenir de Pair; maïs même lorsqu'elle est devenue de l'air, il est possible encore que cet air ne soit léger qu'en puissance aussi ; par exemple, quand il rencontre un obstacle qui l'empêche de monter en haut, comme il le ferait par son mouvement naturel ; mais, dès que l'obstacle a disparu, le léger en acte se produit, et l'air monte dans un lieu plus élevé. Ce double changement de puissance que je signale dans l'sdr se produit également dans tous les mou- vements de qualité; et pour reprendre l'exemple cité on peu plus haut, la qualité de savant doit changer pour ar- river à être en acte ; car, lorsqu'on a déjà la science, on peut l'appliquer sur le champ, si rien ne fait obstacle ; mais il faut l'avoir préalablement avant de pouvoir l'ap- pliquer. De même encore pour les mouvements de quan- tité ; car la quantité se dilate et s'étend si rien ne s'y op- pose. Écarter l'obstacle qui s'oppose à l'acte et l'empêche^ c'est, si l'on veut, mouvoir d'une certaine façon, puisque c'est rendre le mouvement possible ; mais, en réalité, on ne peut pas dire que ce soit précisément mouvoir. Par exemple, si l'on retire la colonne qui supporte une pierre, la pierre tombe ; mais on ne peut pas dire que ce soit la mouvoir. Si l'on retire un poids qui est placé sur une outre pleine d'air au fond de l'eau. Tontine remonte à la surface; mais on ne lui a pas donné le mouvement à vrai dire. Ce n'est mouvoir qu'indirectement ; de même qu'on ner peut pas dire que ce soit le mur qui meuve la balle, quoiqu'il la renvoie; celui qui, réellement, meut la balle, c'est le joueur qui l'a lancée.

Maintenant il nous faut résumer toute la discussion qui précède ; et nous disons qu'on doit admettre comme démon-

28

35A PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

tré qu'aucun des éléments ne se meut précisémentlm-mème et qu'ils ont en eux le principe du mouvement, non pas pour mouvoir et produire spontanément le mouvement, msds seulement pour le recevoir et pour le soufirir. Nous ajou- tons que tous les mobiles qui sont mus effectivement, ont ou an mouvement naturel, ou un mouvement forcé et contre nature. Tout ce qui est mu par force est mu par quelque cause extérieure et étrangère. Même, parmi les choses qui sont mues selon la nature, celles qui se meu- vent elles-mêmes sont mues encore par quelque caoae, tout aussi bien que celles qui ne se meuvent pas elles- mêmes. Ainsi, les corps légers ou pesants reçoivent leur mouvement de ce qui les rend tels qu'ils sont, ou de ce qui éloigne l'obstacle qui les empêchait d'agir. Donc, on peut dire d'une manière générale que tout ce qui est mu, que tous les mobiles reçoivent leur mouvement de quelque cause.

T.

Ce principe que tout ce qui est en mouvement est mu par quelque chose, peut avoir deux significations, selon que le moteur ne meut pas par lui-même, mais par un intermédiaire qui le met lui-même en mouvement, et se^ Ion qu'il meut directement et par lui seul. Dans ce dernier cas, le moteur meut par lui-même , on peut encore faire cette distinction : Ou le moteur vient tout de suite après l'extrême qui communique le mouvement, ou bien il y a entre le moteur et le mobile plusieurs intermé* diaires. Ainsi, le bâton qui meut la pierre est moteur re- lativement à elle; mais le bâton lui-même est mis eo

FARISTOTE, LIVRE Vlll, CH. V. S65

monvement par la main que l'homme fait mouvoir; et, dans cet exemple, c'est l'homme qui d'abord produit le mouvement, sans être lui*même mu par autre chose. On dit indifféremment de ces deux moteurs, soit le premier soit le dernier, qu'ils donnent le mouvement; mais cepen- dant cela doit surtout s'entendre du premier moteur qui peut donner le mouvement au dernier, sans que ce der- nier puisse le lui rendre. Sans le premier, le dernier reste hors d'état de mouvoir ; et celni-ci ne peut agir sans celui- là, puisqu'évidemment le bâton ne transmettra pas le mouvement si d'abord la main de l'homme ne le lui im- prime.

Si donc c'est une nécessité que tout ce qui est mu soit mu par quelque chose, et que cette autre chose soit elle- même mue à son tour ou qu'elle ne soit pas mue, il n'est pas moins nécessaire, en supposant encore que le mobile soit mu lui-même par un autre, qu'il y ait enfin un pre- mier moteur, lequel ne soit pas mu lui-même par une autre cause. Que û ce moteur premier est bien en effet le prenûer, comme on le pense, alors il n'est pas besoin d'en rechercher un autre ; car il est impossible que la série aille à l'infini, du moteur an mobile mu lui-même par un autre, et toujours ainsi de suite, puisque dans l'infini il n'y a pas de premier; ce qui est contre l'hypothèse. Une autre conséquence, c'est que, si tout mobile est mu par quelque chose, et si le moteur premier est celui qui n'est pas mu lui-même par un autre, il fant nécessairement que ce moteur premier se meuve lui-même, puisque c'est lui qui donne le mouvement, et qu'il ne serait pas pre- mier s'il le recevait.

A cette première démonstration, on peut en joindre

356 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

une autre. Tout moteur meut quelque chose« et il meut le mobile au moyen de quelque chose qu'il emploie pour agir. Mais le moteur méat ce mobile, auquel il donne le mouvement, soit par lui-même soit par quelque intermé- diaire. Ainsi, l'homme meut directement la pierre, ou il la meut par le moyen de son bâton ; le vent fait directe- ment tomber quelque chose, ou cette chose tombe sons le coup de la pierre que le vent a chassée. Or, il est impos- sible qu'il y ait jamais un mouvement sans un moteur qui meuve par lui-même l'intermédiaire par lequel il trans- met le mouvement au mobile; et, s'il meut par lui-même le mobile, il n'y a pas besoin d*un autre intermédiaire par lequel il lui soit possible de mouvoir. S'il y a un intermé- diaire de ce genre, il faut toujours un moteur qui donne le mouvement lui-même sans le recevoir d'un autre ; car, autrement, on irait à l'infini et l'on s'y perdrait.

En arrivant à un mobile qui, est moteur sans être mu lui-m|me, il n'y a plus de série à l'infini, et Ton a le pre- mier moteur qu'on cherchait. En effet, le bâton donne le mouvement parce qu'il est mu lui-même par la main, et c'est alors la main qui meut le bâton ; mais si Ton sup- pose qu'il y a encore quelqu'autre cause qui se sert de la main pour communiquer le mouvement, il faut que ce nouveau moteur soit différent de la main ; et, toutes les fois qu'il y a un moteur qui communique lui-même le mouvement par un intermédiaire, il est clair qu'il faut arriver k un moteur qui meuve par lui-même, et qui donne le mouvement qu'il ne reçoit pas. Mais si le moteur est mis en mouvement sans que ce soit un autre que lui- même qui le meuve, il faut bien que le moteur alors se meuve lui-même et spontanément. Ainsi, on doit con-

D AftiSTOTE, LIVRE VIII, CH. V. S57

dure que le mobile est mu par uo moteur qui se ment lui-^nême, ou du moios qu'il faut toujours remonter jus- qu'à un moteur de ce genre.

On peut arriver à la même démonstration en se pla- çant à un point de vue un peu différent de ceux qui viennent d'être indiqués. Si tout ce qui reçoit le mouve- ment le tient d'un moteur qui est mu lui-même, il n'y a qu'une alternative : Ou bien c'est un simple accident que le mobile transmette le mouvement qu'il a reçu lui-même, sans l'avoir de son propre fonds ; ou bien ce n'est pas un accident, et c'est quelque chose d'essentiel et en soi. J'examine tour à tour ces deux hypothèses ; et je commence par la première.

D'abord, si l'on conçoit que le mouvement soit un simple accident, il n'y a plus aucune néces»té que le mobile soit mu; et, ceci admis, il est clair qu'il est pos- sible qu'aucun être au monde n'ait de mouvement; car l'accident n'est jamais nécessaire, et il peut tout aussi bien ne pas être. Si donc on suppose que le mouvement est amplement possible, il n'y arien qui soit absurde, bien que d'ailleurs ce puisse être une erreur; mais il est de toute impossibilité qu'il n'y ait pas de mouvement au monde; et dès lors le mouvement n'est pas simplement possible ; il est absolument nécessaire ; car il a été dé- montré plus haut (dans ce même Livre, ch. I), que le mouvement doit être étemel de toute nécessité. Tout ceci, d'ailleurs» parait tout à fait conforme à la raison ; car il y a ici trois termes indispensables, le mobile qui est mu, le moteur qui meut, et ce par quoi il meut. Le mobile doit nécessairement être mu, puisqu'il est mobile ; mais il n'y a pas nécessité qu'il meuve à son tour, et qu'il trans-

368 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

mette le mouvement qa'il a reçu. Quant à l'intermédiaire par lequel le moteur donne le mouvement, il faut à la fois qu'il meuve et qu'il soit mu. En effet, cet intermédiaire doit subir le même changement que le mobile, puisqu'il coexiste avec lui et qu'il est dans les mêmes conditions, c'est-à-dire que, pour mouvoir le mobile, il faut qu'il soit mu lui-même, et qu'en ce sens il soit mobile. C'est ce qu'on peut voir clairement dans les corps qui en dépla- cent d'autres dans l'espace ; ils doivent, dans une cerUûne mesure, se toucher l'un l'autre pour que le déplacement soit possible. Après le mobile et l'intermédiaire, reste enfin le moteur qui est immobile, et après lequel il n'y a plus d'intermédiaire qui transmette le mouvement. Mais, comme de ces trois termes nous voyons que le dernier re- çoit le mouvement qu'il n'a pas par lui-même, et que l'in- termédiaire est mu par une cause étrangère également, sans avoir non plus en lui le principe de son action, il est très-rationnel, pour ne pas dire nécessaire, de penser que le troisième terme, qui est le moteur, doit donner le mou- vement tout en restant lui-même immobile.

Cette immobilité nécessaire du moteur explique en un point et justifie le système d' Anaxagore, quand il prétend que l'Intelligence, dont il fait l'ordonnatrice de l'univers, est à l'abri de toute affection et de tout mélange, de quel- que nature que ce soit. Il n'en peut pas être autrement, du moment qu'il place le mouvement du principe dans l'Intelligence; car c'est uniquement en étant elle-même immobile qu'elle peut créer le mouvement; et elle ne peut dominer le monde qu'en ne s'y mêlant point.

Nous avons supposé plus haut que le mouvement du moteur pouvait être accidentel ou nécessaire, et nous ve-

D'ABISTOTE, LIVRE VIII, CH. V. t60

nond de prouver qu'il ne pouvait être accidentel. Reste donc qu'il soit nécessaire ; or, si le mouvement du moteur est nécessaire , et s'il ne peut jamais donner le mouve*» ment sans le recevoir lui-même, il faut non moim néces^ sairement, ou que le moteur reçoive un mouvement de même nature que celui qu'il transmet, ou qu'il reçoive une autre espèce de mouvement. Par exemple, il faut dans le mouvement de qualité que ce qui échauffe soit lui-même échauffé, que ce qui guérit soit lai-même guéri, et dans le mouvement local que ce qui transporte soit lui-même transporté ; .ou bien en variant les mouvements, il fimt que ce qui guérit soit transporté, ou que ce qui trans- porte soit animé lai-même d'un mouvement de quantité et d'accroissement. Mais il est par trop évident que cette dernière supposition est tout à fait impossible; et l'on peut s'en convaincre en poussant cette division et cette diverâté des mouvements jusqu'aox cas particuliers et individuels. Ainsi, en admettant que le motear puisse avoir un mouvement autre que celui qu'il transmet, il faudrait que si quelqu'un enseigne la géométrie, on lui enseignftt à lui-même cette même proposition de géomé^- trie qu'il démontre à un autre ; il faudrait que, si on jetait quelque projectile, on fât soi-même jeté d'un jet tout pareil à celai qu'on communique au corps qu'on lance.

Ainsi, le' mouvement du moteur ne peut pas être pa- reil à celui qu'il donne. Mais j'ajoute qu'il ne se peut pas davantage qu'il soit d'un autre genre et d'une espèce diflëreute. Si l'on faisait cette dernière supposition, le corps qui en transporterait un autre devrait avoir loi- même un mouvement d'accroissement, de même que le corps qui donnerait à un autre un mouvement d'augmeu-

SeO PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

tation en quantité, devrait avoir lui-même un mouvement d'altération; puis, le corps qui donnerait à un autre un mouvement d'altération, éprouverait lui-même une autre espèce ti^'altération. Mais il est clair que cette série ne peut pas aller fort loin, et qu'il faut bientôt s'arrêter, puisque les diiférentes espèces de mouvement sont en nombre limité. Que si l'on prétend qu'il y a répétition et retour du même mouvement, et que le corps qui altère se trouve lui-même transporté un peu plus tard, cela re- vient à dire, au bout de certaines alternatives, que ce qui transporte est transporté, que ce qui enseigne est ensei- gné, c'est-à-dire que le moteur est animé du même mou- vement qu'il communique. Autant valait le dire sur le champ ; car évidemment tout mobile n'est pas mu seule- ment par le moteur qui le touche ; il est mu aussi par le moteur supérieur, et le premier des moteurs est aussi celui de tous qui produit le plus de mouvement. Mais il est impossible que le moteur ait le même mouvement que le mobile ; car celui qui enseigne peut bien lui-même être enseigné, et à son tour apprendre quelque chose; mais au moment il enseigne, il n'en faut pas moins que l'un possède la science, et que l'autre ne l'ait point, pnisqu'autrement l'enseignement et la transmission de la science ne pourraient avoir lieu.

Je veux signaler une dernière conséquence plus insou- tenable encore que les précédentes, et qui ressort évi- demment de ce principe erroné, que tout mobile doit être mu par un autre mobile : c'est qu'alors tout ce qui peut donner le mouvement devrait le recevoir à son tour. Dire que le moteur doit toujours et nécessairement être ma de la même espèce de mouvement qu'il communique,

D'ARISTOTE, LIVRE VllI, CH. V. 861

cest dire que le médecin qui gaérit le malade doit être laiHuftme gnéri et non pas seolement guérir son client; c'est dire que Farchitecte qui est capable de construire une maison est construit comme elle* soit directement, soit grâce à plusieurs intermédiaires. D'une manière gé- nérale, cela revient à soutenir que tout moteur qui a la faculté de mouvoir, doit être mis lui-même en mouvement par un autre moteur, sans que le mouvement reçu par lui soit le même que le mouvement qu'il transmet à son tour à un mobile voisin, et au contraire, en supposant que ce mouvement est différent, comme si, par exemple, le mé- decin qui a la faculté de guérir était instruit. Mais même en variant les mouvements de cette façon, on arriverait bientôt de proche en proche à un mouvement qui serait de la même espèce, ainsi que nous venons de le dire, parce que les diverses espèces de mouvement sont limi- tées, et qu'on aurait bientôt épuisé la série. Donc l'une de ces conséquences, à savoir que tout moteur est animé du même mouvement que celui qu'il transmet, est ab- surde; et l'autre, à savoir que tout moteur est toujours mu lui-même, est erronée ; car il est absurde de croire qu'un être qui a la faculté de produire une altération, doit par cela seul subir un mouvement d'accroissement.

Donc en résumé, il n'est pas nécessaire que tout mobile sans exception soit mis en mouvement par un moteur qui serait mu lui-même. Donc il y aura un temps d'arrêt; et alors de deux choses l'une : ouïe mobile sera mu primiti- vement par un moteur qui est lui-même en repos et immo- bile ; ou bien le mobile se donnera à lui-même le mouve- ment qui le pousse. Quant à la question de savoir quel est le principe et la vraie cause du mouvement, ou de

862 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

l'être qai se méat lui-même ou de celui qui est mu par un autre, c'est ce qu'il est très- facile de décider, et tout le monde voit la solution : ce qui est cause en soi est tou- jours antérieur et supérieur à ce qui n'est cause que par un autre.

VI.

Gomme suite à ce qui précède, il faut voir, en sup- posant qu'il y BÎi quelque chose qui se meuve soi-même spontanément, à quelles conditions ce mouvement spon-- tané est possible. Ce sera en quelque sorte un nouveau principe pour nos études.

Rappelons-nous d'abord que tout mobile est nécessai- rement divisible en parties, qui sont elles-mêmes divisibles à l'infini; car c'est un principe démontré plus haut, dans nos considérations générales sur la nature (Livre VI, ch. I), que tout mobile doit être continu en tant qu'il est mobile. Mais comment peut-on comprendre qu'une chose se meuve elle-même? D'abord il est impossible que ce qui se meut soi-même se meuve tout entier absolument ; car on tom- berait alors dans une foule de contradictions toutes plus insoutenables les unes que les autres. Ainsi, un corps serait transporté tout entier en même temps qu'il trans- porterait, par le même et unique mouvement; et tout en restant un et spécifiquement indivisible, il serait altéré en même temps qu'il altérerait; il instruirait en même temps qu'il serait instruit; ilguériraitet serait guéri poor un seul et même cas de guérison, toutes suppositions plus impossibles les unes que les autres.

De plus il a été établi (Livre 111, cb. I) que tout mo-

DARISTOTE, LIVRE VIU, CH. VL 865

bile, quand Q est mu, est seulement en puissance et non pas en acte ; or, ce qui n*est qu'en puissance tend à se compléter en devenant actuel, et le mouvement, tant qu'il dure, est Tacte incomplet du mobile ; Tacte étant com- plet lorsque le mouvement est achevé. Quant au moteur, il est en acte et en fait, et non pas simplement en puissance. Par exemple, ce qui est chaud échauffe et communique sa chaleur ; et, d'une manière générale, ce qui a la forme en- gendre aussi la forme ; ce qui a une certaine qualité pro- duit cette même qualité. Si donc le corps se meut lui- même tout entier, il en faudra conclure qu'une même chose pourra tout à la fois et dans le même moment avoir les mouvements contraires ; elle pourra, tout à la fois et sous le même rapport, être chaude et non chaude; et de même dans tous les autres cas analogues, le moteur devrait avoir la même affection que le mobile et subir les mêmes mouvements. Mais ceci est absolument impossible, et il n'est pas admissible que le corps se meuve lui-même absolument tout entier, comme on le supposait d'abord. Reste donc à dire que dans l'être qui se meut lui-« même, il y a une partie qui meut et une autre partie qui est mue. Mais ici encore il faut distinguer ; car les deux parties ne peuvent pas être dans ce rapport que l'uue puisse indifféremment mouvoir l'autre, sans qu'il y ait de distinction entr'elles. La raison en est simple; c'est qu'alors il n'y aurait plus de premier moteur, si l'une des deux parties pouvait indifféremment mouvoir l'autre k son tour. L'antérieur est cause du mouvement bien {dus que ce qui ne vient qu'après lut ; et il meut certai- nement davantage. En effet, nous avons dit que mouvoir peut s'entendre en deux sens, c'est-à-dire mouvoir direc-

S6i PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

temeDt et par soi seul, oa mouvoir par un ou plusieurs intermédiaires. Or, ce qui est éloigné du mobile plus que ne Test le milieu, est aussi plus rapproché du moteur ini- tial ; et si les deux parties peuvent indifféremment se mou- voir Tune l'autre, il s'ensuit qu'aucune d'elles ne pourra être prise pour le premier moteur, puisque chacune sera tour à tour plus et moins éloignée du principe; ce qui est contradictoire. De plus, une des deux parties pouvant in- différemment mouvoir l'autre, il n'y a plus de nécessité pour le mouvement; car le mouvement n'est nécessaire que quand le moteur se meut lui-même. Or, si l'une des deux parties rend à l'autre le mouvement qu'elle a reçu, ce n'est qu'accidentellement, et elle pourrait ne pas le rendre. Il pourrait donc se faire que l'une des deux par- ties fût en mouvement, et que l'autre fui au contraire le moteur initial qui resterait immobile. Il ne sersût pas né- cessaire que le moteur fût mu à son tour, et il pourrait ne pas l'être. Mais ce qui est de toute nécessité, c'est que le moteur qui donne le mouvement soit immobile, ou qu'il se meuve lui-même, puisqu'il y a toujours mouvement, et que le mouvement est étemel. De plus, si les deux par- ties se donnent une impulsion réciproque et successive, le mouvement ne pourra qu'être identique de part et d'autre, et le moteur recevrait alors le mouvement qu'il communique ; ce qui échauffe serait échauffé ; or, cela est contradictoire, ainsi que nous venons de le dire.

Nous venons aussi de voir qu'il est impossible d'expli- quer le mouvement spontané, en supposant que les deux parties dont se composerait le corps agiraient indifférem- ment l'une sur l'autre; il n'est pas plus possible de sup- poser que ce soit une seule partie du corps ou plusieurs

D'ARISTOTE, LIVRE VIII, CH. VI. S65

parties da corps mu primitivement par loi-même, qui chacune se meavent spontanément; car il n'y a pas d'al- ternative, et si le moteur entier se ment lui-même, il faut qu'il soit mu par une quelconque de ses parties, ou que le tout soit mu par le tout Si le corps entier est mu parce qu'une de ses parties se meut spontanément, alors c'est cette partie spéciale qui est le premier moteur, le moteur qui se meut primitivement lui-même ; car, séparée de tout le reste, cette partie pourra se mouvoir encore elle-même; tandis que sans elle le tout ne peut plus avoir aucun mou- vement Le corps entier ne sera donc plus le premier mo- teur, comme on le disait Mais si l'on snppose que c'est le corps entier qui se meut lui-même tout entier, alors les parties n'ont plus le mouvement que d'une manière indi- recte et accidentelle. Par conséquent, si le mouvement ne leur est pas nécessaire, elles peuvent ne pas l'avoir, et le mouvement peut ne pas exister. Il faut donc supposer que, dans la masse entière du corps, il y a une partie qui donne le mouvement tout en restant elle-même immobile» et qu'il y a une autre partie qui, sans avoir de mouve- ment propre, reçoit celui qui lui est communiqué ; et c'est seulement ainsi qu'on peut se rendre compte du mouve- ment spontané.

Autre argument : Supposons que ce soit une ligne qui se meuve ainsi elle-même tout entière ; une partie de cette ligne donne le mouvement, et une autre partie le reçoit 11 s'ensuit cette contradiction que la ligne AB pourra tout à la fois se mouvoir elle-même tout entière, et qu'elle sera mue seulement par A. Ainsi, elle sera mue à la fois par AB et par A; ce qui est impossible. Mais, puisque le mouvement peut être donné, ou par un moteur qui est

366 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

mu lui-même par quelqu'aotre cause, ou par un moteur immobile, et que le mouvement peut être reçu, soit par un mobile qui meut lui-même quelque chose à son tour, soit par un mobile qui ne meut plus rien , il s'ensuit que le moteur qui se meut lui-même doit être composé de deux parties» dont l'une qui meut est immobile, et dont l'autre qui est mobile ne meut pas nécessairement, puis- qu'elle peut indifféremment mouvoir et ne mouvoir pas.

Pour préciser davantage ceci, je prends une formule littérale. A est le moteur immobile; B qui est mu par A meut à son tour C ; et ce dernier qui est mu par B ne meut plus rien. Il pourrait y avoir plusieurs intermé- diaires entre A qui donne le mouvement initial, et C qui le reçoit en dernier lieu ; mais nous avons préféré ne sup^ poser qu'un seul intermédiaire, pour que les choses se comprissent mieux. Le tout ABC a la puissance de se mouvoir loi-même ; mais de ces trois termes, je puis re* trancher G ; et AB pourra toujours se mouvoir lui-même» puisque c'est A qui donne le mouvement, et B qui le re- çoit Mais G ne peut se mouvoir lui-même; et abandonné à lui seul, il ne pourra être mu en aucune façon. D'autre part, BC, s'il était séparé, ne pourrait davantage se mou- voir sans A; car B ne peut communiquer le mouvement que parce qu'il le reçoit lui-même d'un autre, et non d'une de ses parties. Ainsi donc, AB peut seul se mou- voir lui-même ; et, par conséquent, le corps qui peut se mouvoir lui-même doit nécessairement avoir deux par- ties, l'une qui meut et reste immobile, l'autre qui est mue et ne meut plus rien nécessairement à son tour.

Maintenant, ou ces deux éléments se touchent récipro- quement, ou bien il n'y en a qu'un qui touche l'autre,

DARISTOTK, LIVRE VIII, GH. VL 367

parce que l'un est incorporel et l'autre corporel. On ne peut pas supposer que le moteur soit continu, bien que le mobOe le soit de toute nécessité ; car, dans ce cas, le tout serait en mouyement, non point parce qu'une de ses par- ties aurait la faculté de se mouvoir elle-même , mais ce serait l'ensemble qui serait mu tout entier à la fois, mo- bile et moteur également, parce qu'il y aurait en lui quel- que cbose qui meut et qui est mu. Or, cela est impos- sible ; car ce n'est pas le tout qui meut, de même que ce n'est pas non plus le tout qui est mu ; nms c'est A tout seul qui donne le mouvement, et c'est B tout seul qui le reçoit, comme on vient de le démontrer.

En supposant que le moteur immobile soit continu, on peut demander si le mouvement est encore possible, après qu'on aura enlevé une partie de A et une partie de B ; car l'un et l'autre étant divisibles en tant que continus, on peut leur retrancher quelque chose. On demande alors si le reste de A continuera à donner le mouvement comme A tout entier, et si le reste de B le recevra comme B tout entier le recevait. Si l'on admet que le reste puisse de part et d'autre exercer la même action, c'est qae ce n'était pas primitivement AB tout entier qui pouvait se mouvoir lui-même, puisque même après un retranchement, le reste de AB peut continuer encore à se mouvoir. A ce doute, on peut répondre qu'en puissance rien n'empêche que tous les deux, le moteur et le mobile^ ou tout au moins l'un des deux, le mobile, ne soient divisibles, mais en fait et en acte le moteur reste absolument indivisible; car s'il était divisé, il ne jouirait plus de la même faculté de mouvoir. Ainsi rien ne s'op<> pose à ce que cette faculté de se mouvoir soi-même ne se

368 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

trouve primitivement dans des corps qui sont simplement divisibles en puissance et qui sont indivisibles en acte.

Je conclus de tout ceci qu'évidemment le moteur pre- mier est immobile; car, soit que le mobile qui reçoit le mouvement soit seul, et qu il s'arrête sans autre inter- médiaire au primitif immobile qu'il touche directement, soit qu'il touche un autre mobile qui aurait la faculté de se mouvoir lui-même tout en étant en repos, de l'une et l'autre manière, le moteur primitif n!en est pas moins toujours immobile, après tous les intermédiaires qu'il met en mouvement.

VU.

Le mouvement étant nécessairement éternel, et ne de- vant jamais cesser, il faut nécessairement aussi qu'il y ait quelque cause qui meuve primitivement les choses, soit une, soit multiple; et cette cause est le premier moteur immobile. Peu importe, d'ailleurs, pour la démonstration que nous faisons ici, qu'il y ait des choses éternelles qui ne produisent point le mouvement ; nous ne nions pas l'exis- tence de ces choses ni leur immobilité ; et nous nous bor- nons à prouver qu'il faut de toute nécessité qu'il existe quelque chose qui soit à l'abri de tonte espèce de chan- gement, soit absolue, soit accidentelle, et qui ait la faculté de communiquer le mouvement à quelqu'autre chose qui est en dehors de lui et lui est étranger. On peut objecter encore qu'il y a des choses qui, sans naissance et sans destruction, c'est-à-dire sans changement, peuvent tantAt être et tantôt n'être pas; j'en conviens, et si une chose sans parties et absolument indivisible tantôt existe et

D ARISTOTE, LIVRE Vlil, CH. VIL 869

tantftt q' existe pas, il faot nécessatrement qu'elle éprouve celte alternative sans subir le moindre changement. Mais si pour les principes qui sont tout à la fois moteurs et immobiles, il y en a quelques-uns qui peuvent tantôt être et tantôt n'être pas, cela est impossible pour tous, et il faut arriver à un de ces principes qui soit dans une autre condition, c'est-à-dire d'une entière immuabilité.

En effet il est clair que, poar les choses qui se donnent à elles-mêmes le mouvement, il faut qu'il y ait une cause permanente qui fait que tantôt elles sont et tantôt ne sont pas. Tout ce qui se meut soi-même doit de toute né- cessité avoir une certaine grandeur, puisqu'une chose qui n'a pas de parties ne peut pas non pins avoir de monve- ment Mais d'après ce que nous avons dit plus haut, le moteur ne doit pas avoir de parties, et l'on peut très-bien le concevoir comme n'en ayant pas. Si donc certaines choses se produisent et certaines autres disparaissent selon un ordre perpétuel, on ne peut pas trouver la cause de ce phénomène incessant dans des choses qai ne sont pas étemelles, tout en étant immobiles. On ne peut pas davantage la trouver dans des choses qui en meuvent d'autres éternellement, et qui sont elles-mêmes mues par d'autres à leur tour. Toutes ces causes intermédiaires, soit qu'on les prenne séparément, soit qu'on les prenne ensemble, ne peuvent jamais produire ni l'éternel ni le continu. L'existence du mouvement est un fait éternel et nécessaire ; mais la coexistence de ces choses est impos- sible, parce qu'elles sont en nombre infini. Donc évidem- ment, en supposant aussi nombreux qu'on voudra, les principes des choses qui restent elles-mêmes immobiles tout en produisant le mouvement; en supposant même

24

370 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

que beaucoup de ces choses qui ont un mouvement propre périssent et renadssent, et que le moteur immobile meuve telle chose qui à son tour en meut un autre, il n'en faut pas moins arriver enfin à cette conclusion, qn'il y a quelque chose qui enveloppe et comprend tout cela, qui domine toutes ces choses et en est indépendant, qui est la cause de cette alternative continuelle d'existence et de destruc- tion, et de ce changement perpétuel, et qui communique spontanément le mouvement aux intermédiaires, lesquels le transmettent à d'autres.

Ainsi donc le mouvement étant éternel, il faut que le moteur soit étemel comme lui, en supposant que ce mo- teur soit unique; ou si l'on admet qu'il y a plusieurs moteurs, il faudrait que tous ces moteurs fussent étemels ainsi que le mouvement. Or, dans l'incertitude, il vaut mieux penser que le moteur est unique plutôt que de penser qu'il est multiple ; de même qu'il vaut mieux sup- poser que les moteurs sont finis plutôt que de supposer qu'ils sont infinis en nombre, si l'on admet qu'il y en a plusieurs. Toutes conditions restant d'ailleurs égales, il est préférable qu'ils soient en nombre fini ; car dans les choses de la nature, le fini et le meilleur, quand ils sont possibles, sont plus ordinairement que leurs contraires; et il suffit d'un principe unique et étemel parmi les immo- biles, pour produire le mouvement qui devra se commu- quer au reste de l'univers.

J'ajoute un dernier argument pour démontrer que le premier moteur doit être nécessairement un et étemel : c'est que d'après ce que nous avons établi plus haut, il faut que le mouvement lui-même soit éternel de toute né- cessité ; or, si le mouvement est éternel, il faut aussi qu'il

DARISTOTE, LIVRE VHI, CH. VIII. 371

soit contiDii ; car oe qui est éternel est nécessairement con- tinu, et ce qui est soccessif au lien d'être éternel n'a plus de continuité. D'une autre part, si le mouvement est continu, il s'ensuit qu'il est un ; et quand je dis qu'il est un, j'en- tends qu'il est produit par un seul moteur agissant sur nn seul mobile; car si le moteur meut d'abord une chose, puis ensuite une autre, dès lors le mouvement entier, séparé par des intervalles de repos, n'est plus continu ; et il devient réellement successif.

VIII.

Nous venons de prouver qu'il existe un moteur primitif itnmobUe, un et étemel ; mais on peut se convaincre que le mouvement de ce moteur doit être essentiel et non accidentel, en regardant aux divers principes suivant les- quels agissent les moteurs.

L'observation la plus superficielle suffit à nous con- vaincre que, parmi les choses, les unes sont tantôt en mouvement et tantôt en repos. Elle démontre également que toutes les choses sans exception ne sont pas toutes en mouvement ni toutesen repos, pas plus qu'elles ne sont ou tonjours en mouvement ou toujours en i*epos; car on peut voir qu'il y a une foule de choses qui participent du repos et dn mouvement, et qui ont la propriété de tantôt se mouvoir et tantôt de rester immobiles. Bien que ce soit des fsdts incontestables pour tout le monde, nous voulons cependant approfondir la nature de ces deux ordres de phénomènes, et prouver que parmi les choses il y en a qui sont éternellement immobiles, et d'autres qui sont mues éternellement. En procédant tout à l'heure à cette

372 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

démonstration, et en admettant que tout mobile est ma par quelque chose, que ce quelque chose est on immobile ou mu à son tour, et que s'il est mu, il Test toujours ou par lui-même spontanément ou par une cause étrangère, nous en sommes arrivés à établir les principes suivants : Il y a un principe qui donne le mouvement à tout ce qui est mu; pour tous les mobiles, quels qu'ils soient, ce principe est toujours en définitive le moteur qui se meut lui-même; en un mot, ce qui meut l'univers doit être immobile.

Un premier fait de toute évidence, c'est qu'il y a des êtres qui se meuvent eux-mêmes : tels sont les animaux, et d'une manière plus générale, les êtres vivants. C'est même en observant les êtres de cette espèce, qu'on a été conduit à penser que le mouvement avait pu nattre à un moment donné, sans avoir existé préalablement, parce qu'on voyait ces êtres, qui à un certain instant sont immobiles, se donner tout à coup le mouvement à eux- mêmes, du moins en apparence. Mais il faut remarquer que ces êtres ne peuvent se donner à eux-mêmes qu'une seule espèce de mouvement, la translation dans l'espace, et même qu'à y bien regarder ils ne se la donnent pas pré- cisément, puisque la cause initiale de leur mouvement se trouve véritablement en dehors d'eux. De plus, il y a dans ces animaux une foule de mouvements non moins naturels que la translation qu'ils ne peuvent se donner en rien, l'accroissement, la destruction, la respiration, etc., mouvements que l'animal subit même en restant en place, et sans aucun rapport à ce mouvement spécial qu'il semble se donner à lui-même quand il le veut. La cause de ces mouvements fort différents de la translation, c'est

D'ARISTOTE, LIVRE Vlll, CH. VIII. 373

tantôt le milieu vit l'aDimaU l'ingestion de divers élé- ments qui entrent en lui, et, par exemple, Tingestion de la nourriture qu'il prend. Les animaux dorment, quand ils digèrent ; et lorsque la nourriture est distribuée dans le corps ils s'éveillent, et ils se mettent alors en mouve- ment par une cause qui leur est étrangère. C'est ce qui fait que les animaux ne se meuvent pas continuellement, et qu'ils ont des intermittences de repos; car dans les êtres qui se menv€|/[)t ou semblent se mouvoir eux-mêmes, le moteur doit être différent d'eux, bien que ce moteur lui-même puisse être mu et qu'il puisse changer.

Dans tous ces cas, le moteur primitif, c'est-à-dire ce (jui est à soi-même cause du mouvement, se meut bien spontanément; mais c'est cependant encore d'une façon accidentelle, en ce sens que c'est le corps qui change de place, et que par suite ce qui est dans le corps en change aussi. Le moteur alors est mu, comme il arrive dans le cas d'un levier qui soulève un poids. Le levier est mis en mouvement par la main , qui, elle même, est mue ainsi que lui par l'homme.

De ces observations, on peut conclure qu'un moteur im- mobile par lui-même, mais qui est susceptible d'un mou- vement indirect, ne peut jamais produire un mouvement continuel. Or, il y a nécessité que le mouvement soit con- tinu et éternel. Il faut donc non moins nécessairement qu'il y ait un moteur immobile qui ne soit pas mu par simple accident, s'il est vrai, ainsi que nous l'avons dit (dans ce même livre, ch. VII) qu'il doit y avoir dans les choses un mouvement indéfectible et éternel, et s'il est vrai que l'univers doit demeurer en lui-même tel qu'il est et toujours dans le même lien ; car, le principe restant

374 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

perpétuellement le même, il faut que tout le reste, qui est rattaché au principe, demeure perpétuellement aussi dans le même état et dans le même rapport. C'est une conti- nuité que rien ne peut interrompre ni suspendre. D'ûl- leurs, quand on parle du mouvement accidentel, il faut bien distinguer celui que se donne l'être à lui-même, et celui qu'il reçoit d'un autre ; car le mouvement qui vient d*une cause étrangère peut appartenir aussi à certains corps célestes, lesquels peuvent être animés de plusieurs espèces de translations ; mais quant à l'autre mouvement que les êtres se donnent accidentellement à eux-mêmes, il ne peut se trouver que dans les êtres destinés à périr.

IX.

Si le moteur immobile et éternel existe bien comme nous venons de le dire, il faut que le mobile premier qu'il met en mouvement soit éternel ainsi que lui. 11 ne peut y avoir dans l'univers, changement, naissance et destruction, que si quelque mobile communique à d'autres choses le mouvement qu'il a reçu lui-même. En effet, l'immobile, tout moteur qu'il est, ne peut jamais donner que le même mouvement, et le donner de la même manière; il ne peut produire qu'un seul et unique mouvement, puisqu'il ne change jamais de quelque façon que ce soit dans son rap- port avec le mobile qu'il meut. Au contraire, le mobile mu par l'immobile ou par un autre mobile qui a déjà lui- même reçu le mouvement, se trouve dans des rapports constamment divers avec les choses, et il peut alors être cause des mouvements les plus variés; le mouvement

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. X. S76

quMl transmet n*est plus identique. En passant successi- vement dans des lieux contraires, on en revêtant des formes contraires, il transmettra aussi d'une façon con- traire le mouvement à tons les mobiles secondaires, selon qu'il sera lui-même tantôt en mouvement et tantôt en repos.

Ceci nous amène à la solution de la question que nous nous étions posée au début (dans ce même livre, cb. III) , à savoir : Pourquoi toutes choses ne sont-elles pas en mou- vement on en repos? Pourquoi certaines choses sont-elles dans un mouvement élemel ? Pourquoi certaines autres sont-elles dans un éternel repos? Pourquoi y a-t-il des choses qid sont tantôt en repos et tantôt en mouvement? La cause de toutes ces diversités doit maintenant nous être évidente ; c'est que les unes sont mues par un mo- teur immobile; et alors elles changent éternellement, tandis que les autres n'étant mues que par un mobile qui change lui-mtaie, doivent changer dans les mêmes con- ditions que lui et en subir toutes les variations. Enfin, quant au moteur immobile qui persiste, ainsi que nous l'avons dit (dans ce même livre, ch. VII) , dans une absolue identité, et qui est éternellement le même, il ne peut com- muniquer qu'un seul et absolu mouvement.

X.

Pour rendre tout ceci encore plus clair, nous allons prendre un autre principe et rechercher s'il peut ou non y avoir un mouvement continu ; et, en admettant l'existence d'un tel mouvement, nous rechercherons ce qu'il est et quel est le premier de tous les mouvements parmi toutes les

376 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

espèces que nous connaissons. Le i mouvement éternel étant nécessaire, il s'ensuit que le moteur premier pro- duit un mouvement qui doit être aussi de toute nécessité, toujours un, toujours le même, continu et premier.

Rappelons d'abord qu'il y a trois espèces de mouve- ments, qui se distinguent en ce que l'une a lieu dans la grandeur, l'autre dans la qualité et la troisième dans l'es- pace. Je dis que le mouvement dans l'espace, que l'on nomme aussi la translation, doit être nécessairement le premier de tous les mouvements. En effet, l'accroisse- ment, c'est-à-dire le mouvement dans la grandeur, ne peut se produire sans une altération préalable; l'altéra- tion précède donc l'accroissement. Ce qui s' accroît ne peut s'accroître que par le semblable en partie, et en partie par le dissemblable ; car, ainsi qu'on le dit, le con- traire est l'aliment du contraire; le contraire nourrit le contraire; et tout s'agglomère et se réunit en devenant semblable au semblable qui le reçoit. Ainsi, l'altération, qui est une espèce du mouvement, peut s'appeler le chan- gement dans les contraires. Mais, pour que la chose soit altérée, il faut un principe altérant qui fasse, par exemple, d'une chose qui n'est chaude qu'en puissance une chose qui devienne chande en acte et en pleine réalité. Donc, évidemment, le moteur n'est pas toujours dans ce cas an même état; mais il est tantôt plus proche et tantôt plus éloigné de la chose altérée; le moteur se déplace donc; et, sans un déplacement, sans une translation initiale, toute la série de ces phénomènes serait impossible. Si donc le mouvement est nécessaire dans tous tes change- ments quels qu'ils soient, on peut dire que la translation est toujours aussi le mouvement originaire, le premier

D'ARISTOTE, LIVRE VIII, CH. X. 877

des moavements ; et si» dans la translation même, on dis- tingue diverses eq[>ëces de translations antérieures ou postérieures, il s'ensuit que la première de toutes les translations est aussi le premier des mouvements, le mou- vement premier.

Ce mouvement de translation ou de déplacement que nous venons de voir dans tous les changements de qua- lité, se retrouve également dans les changements de quan- tité. En effet, on a dit que toutes les affections des choses se réduisent à la condensation et & la raréfaction. Ainsi, la pesanteur et la légèreté, la mollesse et la dureté, le chaud et le froid ne sont, à ce qu'il semble, que des mo- difications qui condensent les corps ou les raréfient d'une certaine manière. Or, la condensation et la raréfaction ne sont au fond que la réunion et la séparation des éléments dont les corps se composent, et qui font, selon qu'ils sont réunis ou séparés, qu'on dit des choses qu'elles naissent on qu'elles périssent. Mais pour se réunir, aussi bien que pour se séparer, il faut toujours qu'il y ait un change- ment de lieu, un déplacement, de même encore que pour s'accroître ou dépérir, il faut aussi que la grandeur change plus ou moins de Ueu dans l'espace. Ici encore il y a donc translation, c'est-à-dire mouvement local.

Voici encore un autre argument pour prouver que la translation est le premier des mouvements, le mouvement par excellence. Mais il faut expliquer d'abord ce qu'on entend par Premier ; car ce mot, soit qu'il s'agisse de mouvement, soit qu'il s'agisse de toute autre chose, peut avoir plusieurs acceptions. Ainsi, on appelle dans un sens Premier et antérieur, tout ce dont l'existence est in-

378 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

dispeosable à Texistence de certaines autres choses , et qui peut lui-mêine exister indépendamment d'elles. L'antériorité de ce genre peut encore s'appliquer tout à la fois au temps et à l'essence. Nécessité, temps et essence, telles sont les trois nuances de la priorité. Or, la transla- tion est nécessaire aux autres espèces de mouvements, tandis qae les autres espèces de mouvements ne sont pas nécessaires à la translation. De toute néce&sité, il faut que le mouvement existe continuement ; or, ce mouvement qui existe perpétuellement peut être ou continu ou suc- cessif. Mais c'est bien plutôt le mouvement continu qui peut être étemel ; car le continu est préférable au succes- sif; et dans la nature, le mieux se produit toujours par cela seul qu'il est possible. Nous démontrerons plus loin que la continuité du mouvement est possible, et en atten- dant nous la supposons. Or, il n'y a que la translation qui puisse être continue, et par conséquent il est nécessaire que la translation soit le premier des mouvements. En eliet, il n'y a pas nécessité que le corps qui subit un mouve- ment de translation et qui se déplace dans l'espace, su- bisse aussi un mouvement d'accroissement ou d'altéra- tion, c'est-à-dire un mouvement dans la quantité ou dans la qualité. Il n'y a pas davantage nécessité qu'il naisse ou qu'il périsse. Mais aucun de ces mouvements d'altération on d'accroissement, ne serait possible sans un mouvement continu, qui implique un déplacement local, et que peut seul produire le premier moteur.

Ainsi, la translation est le premier mouvement, comme étant indispensable à tous les autres. Chronologiquement et sous le rapport du temps, elle est aussi le premier des

D'ARISTOTE, UVRE Vlll. CH. X. 879

mouvements; car les choses éternelles ne peuvent pas avoir d'autre mouvement que la translation ; et, par con- séquent, la translation est éternelle.

Hais on dira peut-être qu'au contraire la translation, dans toutes les choses qui naissent et périssent, est né- cessairement le dernier des mouvements ; ^nsi, après que les êtres sont nés, le premier mouvement pour eux c'est l'altération et la croissance, tandis que la translation ne leur est possible que quand ils sont complets et para- chevés. Mais à cela on peut répondre qu'il faut nécessaire- ment une chose antérieure qui ait déjà un mouvement de translation, pour que la génération, l'altération ou lacrois- sance soient possibles ; il faut antérieurement à ces chan- gements une chose qui, sans être produite elle-même^ soit cause de la production pour les choses qui naissent et surgissent, comme par exemple Têtre qui engendre est cause de l'être engendré, auquel il doit être nécessaire- ment antérieur. Il semble au premier coup d'œil que c'est la génération qui doit être antérieure à tout le reste, puisqu'il faut tout d'abord que la chose commence par naître. Je conviens qu'il en est bien ainsi pour tout ce qui est sujet à naître et à se produire. Hais avant ce qui natt et se produit, il faut de toute nécessité quelqu' autre chose qui existe déjà par soi-même, et qui produise sans être soi-même produit, du moins à cet instant. Ce pro- ducteur peut avoir lui-même une origine, sans que d'ail- leurs la série puisse aller ainsi à l'infini.

On voit donc que la génération ne peut être le premier mouvement ; car alors tout ce qui est sujet au mouve- ment serait périssable, puisqu'il serait engendré. Mais si la génération même n'est pas le premier mouvement, il

380 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

est clair quaacun des mouvements postérieurs à la géné- ration ne peut être antérieur à la translation. Quand je dis mouvements postérieurs,* j'entends l'accroissement, l'altération, la décroissance, la destruction, tous mouve- ments qui ne peuvent venir qu'après la naissance et la génération, parce qu'ils la supposent nécessairement. Si donc la génération n'est pas antérieure à la translation, aucun autre mouvement ne pourra l'être davantage. En général, ce qui se produit et devient est par cela même, on peut dire, incomplet ; et il tend à un principe ob il sera définitivement tout ce qu'il doit être. Par conséquent, ce qui est postérieur en génération semble être antérieur par nature ; et la translation étant la dernière pour toutes les choses soumises à la génération, il paraît qu'elle doit être la première en essence. Aussi parmi les êtres vivants, en voit-on qui sont absolument immobiles par défaut d'or- ganes, les plantes, par exemple, et bon nombre d'animaux qui ne marchent pas. D'autres au contraire qui sont plus parfaits sont doués du mouvement de translation, et c'est à cause de leur perfection même. Si donc la translation appartient plus particulièrement aux êtres qui ont une nature plus complète, on doit penser que cette espèce de mouvement doit être aussi en essence le premier de tous les mouvements.

Voilà bien des raisons qui font que la translation est le premier des mouvements et qu elle est supérieure à tous les autres. Mais une autre raison non moins forte, c'est que dans le mouvement de translation l'être sort moins de sa substance et de ses conditions naturelles que dans toute autre espèce de mouvement. Il n'y a que la transla- tion où il ne change rien de son être, tandis que dans

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. XL 581

raitération il change de qualité, et qu'il changé de quan- tité dans la croissance et le décroissement. Ce n'est que dans la translation qu'il reste ce qu'il est essentiellement, ne changeant absolument que de lien sans la moindre modification substantielle. Enfin une dernière preuve, et la plus forte de toutes, qui atteste que la translation est le premier des mouvements, c'est que ce mouvement est celui qui convient d'une manière toute sgéciale au moteur primitif, au moteur qui se meut lui-même ; or, ce qui se meut soi-même est le principe et la cause initiale pour tons les mobiles et les moteurs qui suivent, et qui viennent après, quel qu'en soit le nombre.

Donc, en résumé, la translation est évidemment d'après tout ceci le premier des mouvements.

XL

Maintenant, il nous faut expliquer la nature et l'espèce de cette translation première; et la même étude nous conduira à démontrer la vérité de ce principe que nous avons supposé plus haut (chapitre précédent) et que nous supposons encore ici, à savoir qu'il peut y avoir un mou- vement continu et éternel.

Je m'attache d'abord à prouver qu'il n'y a que le mou- vement de translation qui puisse être continu. En efiet, dans tous les mouvements et dans tons les changements, quels qu'ils soient, le mouvement se fait toujours d'un opposé à un opposé, c'est-à-dire entre des contraires. Ainsi, par exemple, l'être et le non-être sont les limites entre lesquelles se passent la génération et la destruction. Pour l'altération, les limites dans lesquelles elle se ren-

382 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ferme soDt les afifections contraires dont les choses peuvent être douées tour à tour. Enfin pour Faccroissement et la décroissance, les limites sont la grandeur et la petitesse, ou encore Tachèvement de l'être arrivé à toutes ses di- mensions, et son inachèvement, qui sont l'un et l'autre d'une certaine grandeur déterminée. Les mouvements contraires sont ceux qui aboutissent à des contraires; or, quand une chose n'est pas animée d'un mouvement éter-- nel, eUe a nécessairement être en repos, si elle existait antérieurement au mouvement qu'elle reçoit. Donc tout ce qui change aura évidemment un instant de repos dans le contraire, avant de changer.

Le même raisonnement doit s'appliquer à toutes les autres espèces de changements et de mouvements. Ainsi, la génération est d'une manière générale opposée à la destruction; et si l'on descend aux cas particuliers de génération et de destruction, l'opposition n'est pas moins complète. Par conséquent, s'il est impossible qu'un même objet subisse à la fois des mouvements contraires, il n' j aura pas dans ce cas de mouvement continu ; car il y aura toujours un instant de repos, quelque court qu'il soil, dans l'intervalle de ces mouvements divers. On pourrait nous objecter que les changements qui sont compris sous la contradiction de l'être et du non-être, ne sont pas réellement des changements contraires. Mais peu importe pour notre démonstration ; car il sufiBt que la génération et la destruction soient contraires en ce sens qu'elles ne puissent pas appartenir toutes les deux à la fois à un seul et même objet. Peu importe même qu'il n'y ait pas nécessairement de repos entre les deux termes de la con- tradiction, l'être et le non-être, et qu'il n'y ait pas non

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. XI. 88$

plus un changement contraire au repos, c'est-à-dire un réel mouvement; car on peut dire que le non-ëtrë, puis- qu'il n'est pas, ne peut pas être réellement en repos; la destruction qui tend au non-être n'y est pas davantage. Mais il suflSt qu'entre l'être et le non-être, il y Bit du temps d'interposé, pour qu'on poisse affirmer que dès lors le mouvement n'est plus continu. Il n'est pas besoin de supposer que dans l'état qui précède, soit l'être, soit le non-être, il y ait une véritable opposition par contraires ; ce qu'il nous faut ici pour notre démonstration, c'est que les deux états de l'être et du non-être ne paissent pas appartenir simultanément à un seul et même objet. En ce sens, ils sont contraires, et il y a nécessairement entr'eux un intervalle de repos qui empêche la continuité du mou- vement.

Du reste, il ne faut pas s'inquiéter de nous voir ad- mettre qu'une seule et même chose puisse être contraire à plusieurs, ni s'étonner que nons fassions le mouvement tantôt contraire au repos et tantôt contraire à un autre mouvement Je ne dis pas que dans ces deux cas la con- trariété soit également complète ; mais il suffit, à notre point de vue, que le mouvement, que j'appelle contraire, soit opposé, d'une façon quelconque, soit à un antre mou- vement soit au repos, de même que le moyen ou l'égal est opposé tout à la fois et à ce qui surpasse et à ce qui est surpassé; car l'égal est l'opposé tout ensemble et du plus et du moins. Du moment que les deux mouvements on changements ne peuvent coexister dans le même objet, nous les regardons comme contraires, ne serait-ce qu'à ce point de vue restreint. J'ajoute que pour la génération et la destruction, il est d'autant plus impossible d'ad-

S8i PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

mettre la cootinuité du mouvement qu'il faudrait alors que l'être périt immédiatement après qu'il est né, sans subsister la moindre parcelle de temps; ce qui est con- traire à l'observation. Si ce principe est vrû de la géné- ration, à plus forte raison l'estp-il des autres mouvements; car il est conforme aux lois de la nature que ce qui a lieu pour une espèce de changement» ait lieu également pour les autres espèces.

XII.

Après avoir prouvé que la translation seule peut être continue, il nous faut prouver qu'il n'y a qu'une seule es- pèce de translation, la translation circulaire» qui puisse fournir un mouvement infini, unique et éternellement continu.

Quand un corps est animé d'un mouvement de transla- tion, il ne peut avoir qu'une de ces trois directions, ou il se meut circulairement, ou il se meut en ligne droite, ou il se meut suivant une combinaison du cercle et de la ligne droite. La translation est donc ou circulaire, ou directe, ou composée. Il est d'ailleurs évident que, si l'un de ces deux premiers mouvements n'est pas continu, il est également impossible que le mouvement formé des deux le soit davantage.

Je veux démontrer d'abord que la translation en ligne droite ne peut pas être continue. Le mouvement d'un corps qui se meut en ligne droite et dans une ligne finie doit être fini; car ce corps revient nécessairement sur lui- même; et, en revenant par la ligne droite qu'il a déjà par- courue, il reçoit les mouvements contraires. S'il s'agit de

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. XII. S86

Tespace, le raouTemeot en haut est contraire au uiouve* meut en bas; le mouveaient en avant est contraire au mouvement en arrière ; et le mouvement à droite est con- traire au monvement à gauche ; car ce sont les oppo» sittons de l'espace et du lieu. Nous avons ensuite établi plus haut (Livre V, cb. VI) quelles sont les conditions qui font qu'un mouvement est un et contînn; et nous a^^ons dit que c'est le monvement d'une seule chose, dans un seul temps, et dans un récipient qui ne présente pas de diffé- rence spécifique ; car il n'y a que trois termes à consi- dérer : le moteur-^mobile, homme ou Dieu« peu importe; le moment le mouvement se passe , c'est-à-Klire le temps; et enfin ce en quoi il se passe, c'est-<à-dire, ou le lieu, ou l'affection, ou la grandedn Or, les contraires dif- fèrent spécifiquement, et ne sont pas les mêmes. Ainsi, une des conditions leur manque, et le mouvement qui se passe entre des contraires ne peut pas être continu.

Je viens de dire qu'un corps qui parcourt noe ligne droite, et qui revient par cette même ligne, a des roouve^ ments contraires. Ce qui le prouve, c'est que, si l'on sup- pose deux mouvements simultanés^ l'un de A en B et Tantre de B en A. il est clair que ces defux mouvements s'arrêtent mutuellement et se font obstacle. Donc, ils sont contraires. lien serait de même pour le cercle, si les deux mouvements avaient lien snr une même circonférence flans des sens différents. Le mouvement de A en B y est contraire au mouvement de A en C ; ils s'arrêtent réci- proquement, bien qu'ils soient continns et qu'ils n'aient point de retonr sur eux-mêmes, par cela seul que les contraires s'empêchent et se détruisent Fan l'autre. Les deux seuls mouvements qui ne soient pas précisément

25

386 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

contraires, tout en partant d'un seul et même point, c'est celui qui va soit en haut soit en bas, et celai qui s'écarte suivant une ligne oblique. Mais ce qui prouve surtout que le mouvement en ligne droite ne peut pas être continut c'est que le corps qui revient sur lui-même doit nécessaire- ment s'arrêter un moment, quelque court que ce moment puisse être. D'ailleurs, ce repos a lieu sur la ligne circu- laire, quand le corps y revient sur lui-même, aussi bien que sur la ligne droite ) car il faut bien distinguer ici entre un mouvement qui est réellement circulaire et un mouvement qui a lieu sur le cercle ; dans ce dernier cas, le corps peut rétrograder vers le point d'où il est parti et revenir de nouveau sur ses pas, tandis que dans le mouvement circulaire, le mouvement est tout à fait con* tinu.

Mais qu'il y ait nécessairement un moment de repos, quand le mouvement rétrograde sur lui-même, c'est ce dont on peut se convaincre par la raison seule, indépen- damment même de l'observation sensible ; et voici la dé- monstration qu'on peut en donner. Trois termes étant i considérer dans le phénomène du mouvement, à savoir le point de départ, le milieu et la fin, on peut dire que le milieu, tout en restant un numériquement, est cepemlant deux par rapport aux deux autres termes; s'il reste nu- mériquement un, il est deux rationnellement; car le jni- lieu est la fm pour le point de départ, et le commence* ment pour la fin. J'ajonte qu'il faut bien distinguer ici» comme dans tant d'autres cas, l'acte et la puissance. Une droite étant donnée, un point quelconque de cette droite peut servir de milieu; il est donc milieu en puissance; mais il ne l'est en acte et en fait que s'il divise réellement

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. Xn. 387

cette drcHte, et si à oe point précis le mouvement s'arrête paar recommencer ensuite; car c'est à cette condition seulement que le milieu devient tout à la fois commence** ment et fin, commencement du mouvement qui suit, fin du mouvement qui précède. Je précise ceci par un exemple.

Soit un corps A qui parcourt une ligne droite, et qui s'arrête en Bavant de parvenir à G, fin de sa course; voilà pour le mouvement interrompu. Biais si le monve* ment est continu, on ne peut plus dire que A est arrivé en B ai qu'il s'en est éloigné, pnisqu'alors B n'est pas réellement le milieu et qu'il ne Test qu'en puissance. A n'a été en B qu'un instant, c'est*à-dire une partie inap* préciable de temps, comme il a été dans tous les autres points de la ligne ; et ce n'est qu'une partie du temps total ABC, dont B n'est pas à vrai dire une partie, mais une simple division, quand on en fait un lieu réel, le corps s'arrête et recommence ensuite son mouvement.

Que si l'on suppose que A arrive d'abord en B et qu'en* suite il s'en éloigne, il faudra de toute nécessité qu'alors il s'arrête un moment en B ; car il est bien impossible que ce soit tout à la fois et dans le même instant qu'il y arrive et qu'il s'en éloigne* Ce sera donc nécessairement dans un instant difiérent. Il y aura par conséquent nn inter- valle de temps entre les deux monvements, et c'est dans cet intervalle que A s'arrêtera en B. Le même raisonne^ ment qu'on applique à B pourrait s'appliquer également à tout autre point pris entre A et G. Mais lorsque A , dans son mouvement, emploie le point B^ comme si ce point était double, commencement et fin tont ensemble, alors il faut bien qu'il s'y arrête un certain moment quelque court qu'on le fasse ; et alors B est double en acte, tout

388 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

anssi bien que la pensée peut le concevoir. Seulement, il y a cette différence entre les trois termes que B, qui est le milieu, peut recevoir un double emploi, tandis que A ne peut jamais servir que de point de départ, et que C ne peut servir que de point d'arrivée.

Mais voici un autre argument qui prouve que A doit s'arrêter quelque peu en B et y perdre un certain temps avant de reprendre sa course. Soit une ligne E égale à une ligne F. A se meut d'un mouvement continu de l'ex* trémité vers C, et il arrive au point B en même temps que D se meut de l'extrémité F vers G, par un mouve- ment continu aussi et avec la même vitesse que A. Je dis que D arrivera à G avant que A n'arrive à C, bien qu'il ait à parcourir la même distance ; car il est parti avant A, et s'étant mis en mouvement le premier, il doit nécessai- rement aussi arriver auparavant. Mais ce n'est pas en même temps absolument que A est arrivé en B et qu'il s'est éloigné de B ; c*est ce qui fait qu'il arrive un peu plus tard que D ; cai* s'il était parti tout à fait au même moment, il ne serait pas en retard, puisqu'il a la même vitesse, et qu'il a la même distance à parcourir. Il y a donc eu en B un certain temps d'arrêt, avant que A ne com^ mençat son mouvement Donc il ne faut pas admettre que, quand A parvenait en B, D s'éloignait en même temps de l'extrémité F ; car une fois que A est anîvé en B, il faut ensuite qu'il s'en éloigne ; et ces denx faits, l'un de mou- vement qui cesse, et l'autre de mouvement qui recom* mence, ne peuvent se passer en même temps absolument Ces deux mouvements ne pourraient être simultanés que s'ils se passaient dans une section du temps et non pas dans le temps lui*même ; or, tout ceci est inapplicable au

DARISTOTE, LIVRE VIU, CH. XII. SSt)

coutinu, dans lequel il n'y a pas de temps d'arrêt, quel- que court qu'on le suppose.

C'est tout au contraire ce qui se passe nécessaire- ment dans un mouvement qui revient sur lui-même. Car supposons qu'un corps monte de G en D, et qu'il redes- cende ensuite de D en G, il est clair que rextrémité D devient double pour ce corps, qui l'emploie à la fois comme fin et comme commencement, et qui d'un seul point en fait deux. Donc nécessairement le corps s'arrête en D, et ce n'est pas dans un seul et même temps qu'il peut y ar- river et sur .le champ en repartir ; car, autrement, il se- rait tout à la fois et ne serait point dans un seul et même instant, ce qui est absolument impossible.

Mais on ne peut plus dire du point G ou du point D ce que nous disions ^u point B , considéré comme milieu. On ne peut pas considérer G comme une simple section de la ligne le corps arrive et d'où il repart ensuite ; car .le point G, ou le point D, n'est plus en simple puis- sance ; il est en acte ; et D est la fin que le corps doit né- cessairement atteindre quand il va en un sens, et G la fin qu'il atteint nécessairement aussi, quand il va dans un sens différent. B, au contraire, en tant que milieu, n'était qu'en puissance, tandis que G ou D est nécessairement en acte, quand le mouvement s'an'ête effectivement à l'un de ces- points pour revenir sur lui-même. L'un est la fin quand le mouvement va de bas en haut, et l'autre est le commencement quand le mouvement va de haut en bas.

Ce qu'on dit des points doit d'ailleurs s'entendre tout aussi bien des mouvements que le corps reçoit tour à tour, c'est*à-dire que les mouvements ne sont pas moins différents que les points eux-mêmes.

390 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

DoDc Décessairemeut le corps qni revient en ligne droite sur ses pas doit s'arrêter; donc aussi il est impos- sible que, sur une ligne droite, qui est toujours finie, il y ait un mouvement continu et éternel.

Les arguments qu'on vient de rappeler peuvent être employés utilement contre la théorie de Zenon, qui niut l'existence du mouvement, sous prétexte que comme le mouvement doit parcourir tous les milieux, et que les mi* lieux sont en nombre infini, le mouvement est impossible parce que l'infini ne peut jamais être parcouru. Ou bien, selon une autre expression de la même théorie et sons une forme un peu différente, on prétend que si le mouvement était possible, il faudrait qu'on pût compter le nombre infini des milieux que le corps parcourt successivement, à partir du premier milieu que l'on considérerait, jnsqu'à la fin de la ligne entière. Or, comme il est impossible de compter un nombre infini, on en conclut que le mouve- ment est impossible également.

Dans nos recherches précédentes (Livre VI, ch. 1) sur le mouvement, nous avons réfuté le système de Zenon, en disant que le temps a des parties infinies et qu'il ren- ferme des infiuis en lui. Il n'est dooc pas absurde de sou- tenir que dans un temps infini on peut parcourir l'infini, et que l'infini se retrouve alors dans la grandeur aussi bien que dans le temps. Cette réponse est très-complète contre l'argumentation même de Zenon ; car la question était seulement de savoir si, dans un temps fini, on peut parcourir ou nombrer l'infini. Hais au point de vue de la question même et de la pure vérité, cette réponse n'est peut«-ètre pas . tout à fait satisfaisante. En effet, on peut laisser de côté la longueur à parcourir, et cette question de

D'ARISTOTE, LIVRE Vlil, GH. XU. 391

savoir si dans on temps fioi on peut parcourir Finfini ; et FoD peut poser la question relativement au temps lui- même, et se demander comment il se peut, puisqu'il a des divisons infimes, que jamais on lui pose une limite quelconque et qu'on le circonscrive de quelque façon que ce soit. A ce point de vue» la solution que je viens d'indi- quer ne parait plus suffisante.

U faut donc en revenir à la distinction si vraie que nous faisions tout à l'heure entre l'acte et la puissance. Quand on divise une ligne continue, par exemple, en deux moi- tiés, alors il y a un point sur cette ligne qui compte pour deux et qui est à la fois considéré comme commencement et comme fin. Or, c'est ce que Ton fait précisément, soit que l'on compte le nombre infini des milieux, soit qu'on divise la ligne en moitiés, selon les deux formes indiquées plus haut pour l'objection de Zenon contre le mouvement. Mais on ne s'aperçoit pas que par cette divi- sion la ligne cesse d'être continue, ce qui est contre l'by- potbèse, et que le mouvement cesse de l'être aussi bien que la ligne; car il n'y a de mouvement continu que sui* vaut un continu, soit ligne, soit temps. Or, dans le con- tinu, les milieux, les moitiés sont bien, si l'on veut, en nombre infini ; mais ils n'y sont qu'en puissance, ils n'y sont pas en acte. Que si l'on fait un milieu en acte, si on en réalise un seul, alors le mouvement n'est plus cou* tinu, et il s'arrête à ce milieu même. Or, c'est précisé- ment aussi ce qui arrive quand, au lieu de mesurer les milieux, on prétend les compter; car alors, sur la ligne prétendue continue, il faut que l'on compte un point pour deux, puisque ce point est la fin d'une des moitiés et le commencement de Tautie, du moment que Ton

392 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

compte non plus une ligne continue, mais deux demi- lignes.

Ainsi, à quelqu'un qui demande s'il est possible de par-» courir l'infini, soit en temps soit en longueur, il faut ré- pondre qu'en un sens c'est possible et qu'en un autre sens ce ne l'est pas. En acte, en réalité et en fait, c'est impossible ; mais en puissance, cela se peut. Par exemple, dans un mouvement continu, on a parcouru l'infini; mais ce n'est qu'accidentellement, parce qu'en effet la ligne que l'on a parcourue ainsi a des divisions possibles en nombre infini. Mais on ne peut pas dire d'une manière absolue qu'on ait parcouru l'infini réellement. La ligne a bien en puissance des milieux en nombre infini ; mais par son essence et sa nature, elle est elle-même finie; et par conséquent, en la parcourant on ne parcourt pas l'infini d'une manière directe et effective. L'essence de la ligne, telle que la donne sa définition, est tout autre, puis^ qu'elle ne repose pas sur cette propriété d'être indéfini- ment divisible.

Il faut bien, du reste, se dire que le point qui divise le temps en antérieur et postérieur, doit être rapporté à la partie postérieure, et non à l'antérieure ; et si l'on n'admet pas ce principe, on arrive à cette conséquence absurde et insoutenable qu'une même cbose est et n'est pas tout à la fois, et que quand elle sera devenue, elle ne sera pas deve« nue, ce qui est contradictoire. Ainsi, tout en restant iden- tique et numériquement un, le point est commun aux deux temps, à l'antérieur et au postérieur, puisqu'il est le commencement du second. En ce sens il est deux, au moins aux yeux de la raison ; mais au fond, il appartient réellement à l'affection postérieure, c'est-à-dire à la partie

D'ARISTOTE, LIVRE VUl, CH. XII. SOS

postérieure du temps et non point à la partie aDtérieure.

Soit le temps représenté par ABC, et soit la chose qui change, représentée par D. Dans la première partie du temps, dans A, cette chose est blanche ; mais dans le temps B, elle ne l'est pins. Il s'ensuit que dans le temps G, il faut qu'elle soit tout à la fois blanche et non-blanche ; il faut tout à la fois qu'elle soU et ne soit pas. Ainsi, dans A tout entier et dans un point quelconque que l'on pren- drait sur A, elle est certainement blanche ; mais en B elle ne l'est plus; et comme G est dans les deux, il faut aussi qu'elle soit en G l'un et l'autre. Il n'est donc pas tout à fait exact de dire que la chose est blanche dans A tout entier ; il faut en excepter le dernier instant de A repré- senté par G, et c'est précisément que commence la partie postérieure du temps.

Ge qu'on vient de dire pour la pure existence de la chose, pourrait s'appliquer également à son devenir et à sa destruction. Si au lieu d'être blanche en A tout entier, elle devenait non-blanche, ou cessait d'être blanche, ce serait dans le point G qu'elle serait devenue ce qu'elle est, ou bien qu'elle aurait cessé de l'être. Ge serait donc tou- jours en G qu'il faudrait dire qu'elle est blanche ou qu'elle ne l'est pas; car autrement on tomberait dans les impos- sibilités signalées plus haut, et alors on serait amené à dire que la chose ne sera pas, bien qu'elle soit devenue, et qu'elle sera encore, bien qu elle ait péri. En d'autres termes, on arrive à cette conclusion contradictoire que la chose est tout ensemble blanche et non-blanche, c'est-à- dire qu'elle est et qu'elle n'est pas.

De ceci il ressort en outre cette conséquence, que le

39A PARAPHaASE DE LA PHYSIQUE

temps ne peut pas se diviser en indivisibles comme on le prétend souvent ; car ce qui devient n'était pas nécessai- rement ; et s'il devient, c'est qu'il n'était pas encore; il part du non-étre pour devenir quelque chose. En effet, si D est devenu blanc dans le temps A, il l'est devenu et il l'est tout à la fois dans un autre temps indivisible comme A, c'est-à-dire en B, qui est la suite et la continuité de A. Or, s'il est devenu quelque chose en A, c'est qu'il ne Tétait pas auparavant, et cependant il l'est en B. Il faut doue qu'entre A et B, qu'on suppose à tort continus, il y ait un point intermédiaire la génération se produit; et par conséquent, il y a nécessairement un certain temps l'objet a changé de couleur, et est devenu quelque chose qu'il n'était pas d'abord, 11 est vrai qu'on objecte à ceux qui soutiennent la divisibilité indéfinie du temps, qu'ils ne peuvent pas non plus se servir de cette démons- tration, qui tournerait également contr'eux. Mais on ré- pond, quand on suppose le temps indéfiniment divisible, que la chose est devenue et qu'elle est ce qu'elle est, an point extrême du temps pendant lequel elle se produisait. Ce point ne tient ni à ce qui le précède ni à ce qui le suit, tandis que si l'on suppose les temps indivisibles, il faut nécessairement qu'ils se suivent et se tiennent. Mais il est clair que, si l'on soutient que la chose est devenue ce qu'elle est dans le temps entier A, il s'ensuit que le temps durant lequel elle est devenue et a été, n'est pas plus con- sidérable que le temps tout entier durant lequel elle est simplement devenue.

Tels sont les arguments principaux par lesquels on peut prouver que le mouvement en ligne droite ne peut

f

ITARISTOTE, LIVRE Vlil, CIL XIL 806

pas ëlre contimi et éternel On peut encore en ajouter d'autres qui aboutiront à la même conséquence. J'indique ces nouveaux arguments.

Tout corps qui se meut d' une manière continue se meut « si aucun obstacle ne l'arrête, vers le point même auquel il arrive dans sa translation ; et il y est porté avant d*y atteindre. Par exemple, si un corps est arrivé à B, c'est qu'il était antérieurement porté en B ; et ce n'est pas seu- lement quand il en est proche, c'est dès le début même de son mouvement ; car il n'y a pas de raison qu'il y soit plus porté quand il en approche qu'il ne l'était avant d'y parvenir. Or, le mobile qui va de A en C, suivant uns ligne droite, reviendra, d'après l'hypothèse, de G en A, pmsqu'on suppose son mouvement continu et éternel. Lors donc qu'il partait de A pour aller en C, il avait déjà le mouvement qui devait le ramener de C en A, puisqu'on prétend que son mouvement est continu. Mais on ne s'a- perçoit pas que c'est alors lui donner des mouvements contraires ; car ces deux mouvements en ligne droite de A en C et de G en A sont contraires l'un à l'autre. Mus, en même temps, c'est supposer que l'objet change et sort d'pn état il n'est pas, et que le mobile part d'un point il n'est pas encore arrivé. Or, comme c'est une inn possibilité manifeste, il faut que le mobile s'arrête en G ; et dès lors le mouvement n'est pas un et continu, ainsi qu'on le disait ; car, il est interrompu par un repos qui, en le divisant, en fait deux mouvements au lieu d'un.

Ge que je viens de dire du mouvement local, peut être généralisé et s'appliquer à toute espèce de mouvements, en éclaircissant encore cette théorie. Tout ce qui est en mouvement ne peut en effet avoir qu' un des trois mouve-

S96 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ments indiqués par nous; et il ne peut y avoir de repos que dans les repos opposés à ces diverses espèces de mou* vements. Mais un mobile qui n'a pas toujours eu le mouve- ment qui l'anime, doit nécessairement s'être reposé, avant son mouvement, dans le repos contraire au mouvement qu'il a; et quand je parle ici de mouvements divers, il s'agit de mouvements du mobile entier, et non du mou- vement de quelque partie du mobile ; car le repos n'est que la {nrivation du mouvement. Si donc les mouvements contraires sont ici ceux qui ont lieu en ligne droite, et s'il est impossible que le même corps ait en même temps des mouvements contraires, le mobile qui va de A en G ne peut tout ensemble aller de G en A. Hais comme ces mou- vements ne peuvent pas être simultanés, et que cepen- dant le corps les éprouve, il faut bien qu'il se soit arrêté en G avant de reprendre sa course vers A ; car c'était ce repos antérieur en G, qui était l'opposé du mouvement parti de G pour retourner en A de nouveau. Donc à ce point de vue encore, il est certain que le mouvement de A en G et de G en A ne peut pas être continu.

On doit ajouter un autre argument qui est peut-être plus direct encore que ceux qui précèdent. Si l'on suppose le mouvement continu quand il est local, il le sera égale- ment quand il se passe dans la quantité ou dans la qua- lité. Ge serait donc en un seul et même temps que l'objet cesse d'être non-blanc et qu'il devient blanc; le non-* blanc périt en même temps que le blanc vient à se pro- duire. Or, si l'altération qui mène au blanc est continue, ainsi que celle qui s'éloigne du blanc, et si elle ne subsiste pas un certain laps de temps, il s'ensuit qu'une seule et même chose peut avoir en même temps trois états diffé**

D'ARISTOTE, LIVRE VIII, CH. XII. 897

renis quoique simaltanés; ain», le uon-bUnc périt, en même temps que le blanc se produit, et en même temps qu'il cesse d'être blanc. Il n'y a donc qu'un seul et même temps pour ces trois états ; or, c'est ce qui est impos- sible, et par conséquent le mouvement n'est pas continu ainsi qu'on l'a cru. Il faut dire en outre que le temps peut très-bien être continu pour ces trois états du mobile su- bissant une altération, sans que le mourement soit pour cela continu comme le temps. Le mourement n'est dans ce cas que successif. Enfin, ce qui prouve bien que le mouvement de A en C et celui de C en A ne sont pas continus, c'est qu'il n'y a pas de terme commun leurs extrémités puissent se réunir : car comment se pourrait-il que des contraires eussent une extrémité commune? Et quel est, par exemple, le terme commun entre le blanc et le noir?

Hais si le mouvement en ligne droite ne peut être eon-< tinu, parce qu'il faut qu'il revienne sur lui-même, il en est tout autrement du mouvement circulaire, et celni-Ui peut être absolument un et continu. II n'y a plus au- cune des impossibilités que nous venons de signaler. Ainsi, le mobile part d'un point A, et tout ensemble i) retourne vers ce point par l'impulsion même qui l'en éloigne. Il se meut vers le point d'où il part et il devra arriver. Et cependant, il n'aura dans cette évolution, ni les mouvements contraires ni même les mouvements op- posés ; car tout mouvement partant d'un point n'est pas contndre ni opposé à un mouvement revenant à ce pas Cette opposition n'a lieu que dans le mouvement en ligne droite; et le mouvement sur cette ligne peut avoir des

398 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

contraires, parce que la ligne droite peut aToir aussi des contraires dans l'espace ou le lieu. On pourrait dire qu'un carré étant donné, le mouvement qui aurait lieu sur le diamètre, aller et retour, est un mouvement contraire, tandis que le mouvement d'aller et de retour aussi sur un des côtés, représenterait un mouvement qui serait sim- plement opposé. Ainsi donc, rien n'empêche que le mou- vement circulaire ne soit continu, et il n'y a aucun in-> tervalle de temps qui s'interpose et en interrompe la continuité.

C'est qu'en effet, le mouvement circulaire part de soi pour revenir à soi encore, tandis que le mouvement di- rect pan de soi pour aller à un autre. Le mouvement cir- culaire ne passe jamais par les mêmes points, tandis que le mouvement direct y passe aussi souvent qu'on veut Ainsi, le mouvement qui est sans cesse dans un point, puis dans un autre point, puis dans un autre, peut fort bien être continu ; mais celui qui revient plusieurs fois dans les mêmes points ne peut pas l'être ; car il faudrait que le corps pût avoir en même temps des mouvements opposés. Par une conséquence évidente, il n'y a pas non plus de mouvement continu pour le demi-cercle, le mobile parcourant d'abord la demi-*circonférence et revenant ensuite en ligne droite au point de départ, ni pour une partie quelconque de la circonférence, le mouvement serait d'abord en ligne courbe, puis eneuite en ligne di- recte ; car il faudrait alors que les mobiles subissent à plusieurs reprises les mêmes mouvements, et ils éprou-^ viraient des changements contraires, pnisqa'alors la fin ne se rattacherait pas au point de départ, comme elle s'y

D'ARISTOTE, UVRE Vlll« CH. XII. S09

rattache sans cesse dans le mouvement circulaire. C'est ce qui fait que ce mouvemeot est le {dus accompli de tous et le seul qui soit parfait.

La distinction que nous venons de faire doit prouver que les autres espèces de mouvement ne peuvent pas plus être continus que la translation en ligne droite ; car, dans toutes les espèces de mouvement autres que le déplace- ment locaK il faut que le mouvement se répète àplosîeurs reprises et toujours dans les mêmes points. Ainsi, dans l'altération, le mouvement passe par les qualités intermé- diaires, et dans le mouvement de quantité, par les gran- deurs moyennes, selon que le corps grandit ou qu'il di- minue. Il n'importe pas d'ûlleurs que ces intermédiaires soient plus ou moins nombreux, de même qu'il n'importe pas qu'on retranche au corps ou qu'on y ajoute. De toute façon, le mouvement se répète en passant plusieurs fois par les mêmes points.

Une conséquence assez importante que nous pouvons tirer de tout ce qui précède, c'est que les physiciens ou philosophes naturalistes ont eu bien tort de prétendre que toutes les choses qui tombent sons nos sens, sont dans un flux et on mouvement perpétuels, attendu que selon eux les choses doivent toujours avoir un des mouvements dont nous avons parlé. A les en croire, ce serait surtout le mouvement d'altération qui se produirait dans les choses; car ils prétendent qu'elles sont dans un état d'écoulement et de dépérissement incessants ; et de plus, ces philosophes rangent la génération et la destruction des choses dans le mouvement d^altération. Mais la théo* rie que nous venons d'expoeer est contraire à celle-là ; et elle a prouver^ contre l'opinion des Naturalistes,

AOO PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

qu'il D'y a qu'un seul mouvemeot qui puisse être coutiou, et que ce mouvement est le mouvement circulaire. Par conséquent, la continuité du mouvement n'est possible, ni dans l'altération, ni dans Taccroissement et la décrois- sance malgré ce qu'on en a cru.

Voilà ce que nous voulions dire pour démontrer qu'il n'y a de changement ou de mouvement infini et continu que dans la translation circulaire. Partout ailleurs, le mou* vement ne peut être ni continu ni infini.

XllI.

Il est tout aussi clair que, parmi les translations, c'est la translation circulaii^e, qui est la première de toutes. En efiet, ainsi que nous l'avons dit un peu plus haut (dans ce même livre, ch. XII) la translation ne pent avoir que trois espèces : du elle est circulaire, ou elle est en ligne droite, ou enfin elle est mi-partie de l'un et de l'autre, circulaire et directe. Évidemment la translation circulaire et la translation en ligne droite sont antérieures à la translation mixte, qui se compose des deux. Mais j'ajoute que la translation circulaire est antérieure aussi à la translation directe ; et la raison, c'est qu'elle est plus simple et plus complète ; caril est bien impossible qu'une droite^ selon laquelle se passerait le mouvement, soit infinie ; il n'y a point d'infini de ce genre. En supposant même qu'il y eût une ligne de cette espèce, le mouve- ment n'y pourrait avoir lieu pour quoi que ce fût, attendu que l'impossible ne se produit jamais, et qu'il est bien impossible qu'un mobile quelconque puisse parcourir jamais une ligne infinie. Il faut que la droite soit finie ;

DARISTOTE, LIVRE MU, CH. XIV. 401

mais alors le mouvement qui a lieu sur cette droite n'est plus simple ; il est composé, puisqu'il revient sur lui- même. Dès lors il n'y a plus un mouvement unique ; il y a deux mouvements. Que si le mouvement ne revient pas sur lui-même, il est incomplet et il s'éteint. Mais le com- plet est antérieur à l'incomplet, en nature, en raison et même chronologiquement, de même que l'impérissable est également antérieur au périssable. Ajoutez que le mouvement qui peut être étemel, est supérieur à celui qui ne peut pas l'être. Or, la translation circulaire pent être éternelle, tandis que parmi tous les autres mouvements^ translaiion ou tout autre, il n'y en a pas qui jouisse de cette propriété ; car il y faut toujours un repos ; et du moment qu'il y a repos, c*est que le mouvement a cessé et a péri.

XIV.

Du reste, on comprend très-bien que la translation cir- culaire soit une et continue, tandis que la translation en ligne droite ne peut pas l'être. Dans le mouvement direct, tout est déterminé : le point de départ que quitte le mo- bile, le milieu qu'il traverse ou l'intervalle qu'il parcourt, et la fin à laquelle il arrive ; la ligne droite a tout cela en elle-même. Ainsi il y a un point le mobile commencera nécessairement son mouvement, et un point il achè- vera et finira de se mouvoir; car tout mobile est nécessai- rement en repos aux deux extrémités, et à celle d'où il part puisqu'il n'a pas encore le mouvement, et à celle il arrive, puisqu'il ne l'a plus. Mais dans la translation circulaire, tous ces éléments sont infinis ; car dans les points qui forment une circonférence, trouver une li-

26

402 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

mite quelconque, ici plutôt que ? Tons les points sans exception peuvent être pris indifféreinment , les uns aussi bien que les autres, soit pour le commencement, soit pour le milieu, soit pour la fin. Toujours il y en a qui sont au commencement et à la fin, en même temps que jamais ils n'y sont. Il n'y a donc réellement ni com- mencement, ni milieu, ni fin, comme il y en a dans la ligne droite. Ainsi, quand une sphère se meut sur elle- même, on peut dire tout à la fois qu'elle est en mouve- ment et en repos, puisqu'en effet, elle occupe toujours le même lieu.

Ce qui fait que toutes ces propriétés appartiennent au cercle, c'est que le centre aussi les possède avant lui. Le centre est tout ensemble le commencement, le milieu et la fin de la grandeur. Mais comme le centre est en de- hors de la circonférence, il n'y a pas de point le mo- bile une fois mis en mouvement doive s'arrêter après avoir épuisé son mouvement ; car, sur la circonférence, il est porté sans cesse vers le centre et non pas vers l'extrémité. C'est comment le cercle, dans son entier, est en quelque sorte toujours immobile et toujours en re- pos, lout en étant cependant dans un mouvement con- tinu.

Mais dans les rapports du mouvement circulaire aux autres mouvements, il y a une sorte de réciprocité ; et c'est parce que le mouvement circulaire est la mesure de tous les autres, qu'il doit être nécessairement le premier de tous les mouvements ; car tout se mesure dans chaque genre sur le primitif. Et, réciproquement, c'est parce que le mouvement est le premier qu'il sert de mesure à toutes les autres espèces de mouvements. Il faut ajouter qu'il

DARISTOTE, LIVRE VIII. CH. XIV. 403

n*y a que le mouvemeot circulaire qui puisse être réelle- ment uniforme ; car il est impossible qu'un mouvement en ligne droite soit absolument uniforme au début et à la fin» attendu que tout mobile sans exception se meut avec d'autant plus de vitesse qu'il s'éloigne davantage de son point d'inertie, quand le mouvement est naturel comme dans la chute des graves» Mais le ralentissement ou Tac- célà*ation n'a pas lieu dans le mouvement circulaire^, parce que c'est le seul mouvement qui ût en dehors de lui et non en lui-même son origine et sa fin.

Aux arguments qui précèdent, on peut joindre le té^ moignage des philosophes qui se sont occupés de F étude du mouvement ; car tous ils admettent que la translation dans l'espace est le premier des mouvements. Tons sans esLception ils font remonter les principes du mouvement aux seuls moteurs qui produisent cette espèce particu- lière de mouvement. Ainsi on peut examiner les différents systèmes, et l'on verra qu'il ne s'agit dans tous que de mouvements de déplacement. Par exemple, la division et la combinaison des choses ne sont que des mouvements dans l'espace ; et c'est ainsi que l'Amour et la Discorde font tour à tour mouvoir les choses, puisque l'un les com- bine et les réunit, tandis que l'autre les sépare et les di- vise. C'est encore un déplacement qu'admet Anaxagore, quand il prétend que l'Intelligence, moteur premier de tout l'univers, a divisé et ordonné les choses qui étaient dans la confusion et le chaos. C'est bien encore le senti- ment de ces philosophes qui ne reconnaissent point dans le monde de cause intelligente comme le fait Anaxagore, et qui ne voient que le vide pour origine possible du mou- vement. Eux aussi admettent par que le mouvement

AOA PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

dont la nature est animée, est un mouvement dans l'es- pace, puisque le mouvement dans le vide n'est en réalité qu'une translation, et qu'il s'accomplit dans le vide abso- lument comme il s'accomplit dans l'espace et le lieu. Tous ces philosophes pensent que le mouvement de translation est le seul qui puisse appartenir aux éléments primitifs des choses, et les mouvements différents de la translation ne s'appliquent qi|*aux composés que forment' ces élé<- ments premiers en se combinant de toutes manières. Ainsi, selon eux, l'accroissement, le dépérissement, l'al- tération, ne sont que des réunions ou des séparations des corps indivisibles, des atomes. Au fond, c'est bien en- core l'opinion de ceux qui expliquent la production et la destruction des choses par la condensation et la raréfac- tion ; car la condensation et la raréfaction ne sont en réa- lité que des combinaisons et des divisions d' une certaine espèce. Enfin c'est aussi l'opinion de ces autres philo- sophes qui font de l'âme la cause du mouvement. Dans leur système, c'est le principe doué de la faculté de se mouvoir lui-même qui met tout le reste en mouvement ; et le mouvement que se donne l'animal, ou tout être qui a une âme, est le mouvement dans l'espace ou la loco- motion.

J'ajoute une dernière considération : c'est qu'à propre- ment parler, on ne dit d'une chose qu'elle a du mouve- ment que quand elle se meut et se déplace dans l'es- pace. Si elle demeure en repos dans le même lieu et sans changer de place* elle a beau ou s'accroître, ou dépérir, ou s'altérer d'une façon quelconque, on dit alors qu'elle se meut d'une certaine manière, et l'on ne dit pas d'une manière absolue qu'elle se meut. Cette nuance de lan-

D'ARISTOTE, LIVRE VIIl, OH. XV. 405

gage témoigne bien que dans l'opinion conmiQne, c'est la translation qui est le premier des mouvements, et pres- que le seul mouvement.

Ainsi donc, nous avons jusqu'ici démontré que le mou- vement a toujours existé, et qu'il continuera à exister dans toute la durée du temps ; nous avons expliqué, en outre, quel est le principe du mouvement étemel, et quel est le premier de tous les mouvements, et aussi quelle est l'es- pèce de mouvement qui seule peut être éternelle ; enfin; nous avons établi que le moteur premier doit être immo- bile.

XV.

Maintenant il nous reste à prouver que ce moteur im- mobile ne peut nécessairement avoir ni parties, ni gran- deur quelconqne; mais pour que ce principe soit parfai- tement clair, nous expliquerons d'abord quelques autres principes antérieurs à celui-là.

Un de ces principes que je rappelle tout d'abord, c'est qu'il est impossible qu'une force finie puisse jamais pro« duire un mouvement d'une durée infinie. 11 y a ici trois termes : le mobile, le moteur, et ce dans quoi le mouve^ ment se passe, c'est-à-dire le temps. De ces ti*ois termes, ou tous sont infinis, ou tous sont finis, ou quelques-uns seulement, deux ou même un seul, peuvent être ou in- finis ou finis. Je désigne le moteur par A, le mobile par B, et le temps qui est supposé infini, par C. Suppo- sons que D partie de A meuve une partie de B que nous représenterons par E ; je dis que D ne peut pas mouvoir une partie de B dans un temps égal à C ; car un mouve-

iOa PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

ment plus grand doit avoir lieu dans un temps plus long. Ainsi, le temps F que D emploie à mouvoir E, ne sera pas infini. Or, en ajoutant constamment à D, on arrivera k le faire égal à A, de même qu'en ajoutant sans cesse à E, on le rendra égal k B. Mais on aurait beau ajouter au temps F une portion proportionnelle, on n'arrivera ja- mais à régaler à C, puisque G est supposé infini. Donc il faut conclure que A pris tout entier mettra B tout entier aussi en mouvement, non pas dans un temps infini G, mais dans une portion finie de ce temps. Donc il est im- possible qu'un moteur fini puisse donner à un mobile quelconque un mouvement infini; donc évidemment le fini ne peut jamais produire le mouvement pendant un temps infini.

Un second principe non moins important que celui-là, c'est qu'une grandeur finie ne peut pas du tout avoir une puissance infinie, de quelque nature que soit son action ; et voici comment je le prouve. Soit, en eflTet, une puis- sance toujours de plus en plus grande produisant le même effet dans un temps moindre; pen importe d'ailleurs quelle est l'action de cette puissance, soit qu'elle échaufife soit qu'elle adoucisse, soit qu'elle projette un mobile, soit que simplement elle meuve d'une façon quelconque. Le moteur fini auquel on suppose une puissance infinie, doit nécessairement exercer son action sur ce qui l'éprouve, avec plus de force que ne le ferait tout autre moteur, puisque la puissance infinie est nécessairement la plus grande de toutes. Mais il ne peut plus rester ici la moindre parcelle de temps pour l'action de la puissance supposée infinie. Soit, en effet, A le temps durant lequel la force infinie a agi, soit pour échauffer soit pour poiusser le mo-

D'ARKTOTE, LIVRE Vlll, CH. XV. A07

bile sar lequel elle agissait; soit aussi AB le temps du- rant lequel ait agi uue force finie. En faisant cette force finie de plus grande en plus grande, j'arriverai à l'égaler à celle qui a donné le mouvement dans le temps A ; car, en ajoutant sans cesse à un terme fini, j'arriverai à dépasser tout fini quelconque, de même qu'en retran* chant sans cesse j'arriverai également à épuiser le tout. Ainsi, dans un temps égal, la force finie sans cesse aug- mentée aura produit un mouvement aussi grand que la force infinie. Or, c'est une chose absolument impos- sible; donc, aucune grandeur finie ne peut avoir une puissance infinie.

Je pose un troisième principe qui est la conséquence de celui-ci, c'est qu'une grandeur infinie ne peut avoir une puissance finie. Il se peut bien qu'il y ait une puis- sance plus grande dans une grandeur moindre,, et il n'y a rien de contradictoire ; mais il est bien clair encore que si cette grandeur moindre s'accroît, sa puissance s'ac- croîtra aussi. Soit donc AB la grandeur infinie. BC, autre moteur, a une certaine puissance qui, dans un certain temps représenté par EF, meut le mobile D. Si je double la grandeur de BC, cette nouvelle force produira le même mouvement dans la moitié du temps EF, proportion que nous avons démontré subsister toujours entre la grandeur et le temps. Cette moitié de EF sera représentée par FG. En procédant toujours ainsi et en accroissant BC de plus en plus, je n'arrive pas, il est vrai, à égaler AB qui est supposé infini ; mais je prends toujours de moins en moins de temps, sans que jamais ce temps, ainsi dimi- mié, puisse être égal à celui durant lequel AB est censé agir. Donc, la puissance de AB sera infinie, puisqu'elle

408 PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

surpasse toute puissance finie. Donc, pour toute puissance finie, il faut que le temps soit fini comme elle; car, si dans un tel temps donné, telle force produit un certain mouvement, une force plus grande dans un temps moindre, mais dans un temps toujours fini^ produira ce même mouvement; et ce sera selon une proportion in- verse, c'est-à-dire que plus la force augmentera, plus le temps diminuera. Mais, ici, la force totale est supposée infinie, comme le sont le noitibre infini ou la grandeur infinie, qui surpassent tout nombre ou toute grandeur finie. On pourrait encore démontrer ce troisième prin- cipe en supposant une puissance de même espèce que celle de la grandeur infinie, et en plaçant cette nouvelle puissance, qui serait finie, dans une grandeur finie, au lieu d'une grandeur infinie. Etant finie, elle pourra mesurer la puissance finie qui est dans la grandeur infinie ; et, alors, la grandeur infinie sera dénuée de toute puissance ; ce qui est impossible. Donc, il est impossible aussi qu'une grandeur infinie n'ait qu'une puissance finie.

Donc, en résumé, une puissance infinie ne peut pas se trouver dans une grandeur finie, pas plus qu'il ne peut y avoir de puissance finie dans une grandeur infinie.

Un quatrième et dernier principe, c'est qu'un mouve- ment, pour être continu et uniforme, doit s' impliquer à un seul mobile et être donné par un seul et unique mo- teur. Mais avant de démontrer ce principe, il faut résoudre une question assez délicate qu'on pose assez souventpour les corps qui sont animés d'un mouvement de translation. La voici. Nous avons dit que tout mobile est toujours mu par quelque chose : et alors, on demande comment il se fait que certains corps, les projectiles, par exemple, qui

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. XV. à09

n'ont point de mouvements par eux-mêmes, et qui reçoi- vent une impulsion du dehors, conservent un mouvement continu sans que le moteur qui les a mis en mouvement les touche encore. Comment ces corps conservent-ils Fim- pulsion qui leur a été communiquée? On répond bien que ce phénomène de mouvement continué tient à ce que le moteur initial; en donnant le mouvement au corps pro- jeté, meut aussi quelqu'autre chose, l'air, par exemple, et que l'air qui est mu lui-même continue à transmettre le mouvement dont il est animé.

Mais cette explication parait peu satisfaisante, et il semble toujours impossible que le corps continue à se mouvoir, quand le premier moteur ne le meut plus. Toute la série des mouvements doit être mise à la fois en action, et elle doit aussi s'arrêter à la fois, quand le moteur ori- ginaire cesse d'agir. La diflSculté n'est que reculée, et il reste toujours à savoir comment l'air, que la main ne presse plus, peut agir sur le projectile qui poursuit sa course. On n'éclaircit pas les choses, même en supposant que le moteur agit à la façon de l'aimant, et que le pre* mier mettant le second à l'état magnétique, ce second y mette le troisième et ainsi de suite, de manière que le corps qui a reçu le mouvement puisse à son tour aussi le transmettre. Mais, dans ce cas, c'est toujours le premier aimant qui agit, et les autres n'agiraient pas sans lui. Il faut donc nécessairement admettre que non-seulement le premier moteur transmet à un autre corps, l'air, Teau ou tel autre milieu, la faculté de produire le mouvement, ce milieu pouvant tout ensemble et être mu et mouvoir.

Mais, en outre, il faut que le moteur et le mobile ne cessent pas tout ensemble et d'un seul coup, et que le

AiO PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

moavement transmis succède après quelqu'iotervalle de temps an mouvement reçu. Le mobile cesse bien d'être mu au moment même que le moteur cesse de moayoir; mais le mobile devient moteur à son tour, et il transmet le mouvement au corps suivant, qui lui-même le transmet de la même façon à un autre. La force , ainsi commu- niquée, devient de moins en moins capable d'agir, et elle finit par s'arrêter, quand le corps précédent ne donne plus au corps qui le suit assez de force d'impulsion pour que ce dernier corps puisse à son tour en mouvoir un autre. Le dernier corps de toute la série reçoit encore le mouve- ment; mais il ne le transmet plus. Tout cesse alors néces- sairement du même coup; il n'y a plus ni moteur ni mobile, et toute la série des phénomènes est arrêtée.

Telle est l'explication qu'on peut donner pour le mou- vement des choses qui n'ont pas un mouvement étemel, et qui sont tantôt en mouvement et tantôt en repos. Pour elles, à vrai dire, le mouvement n'est pas continu ; mais il semble l'être, parce que les corps qui sont mis en mou* vement, ou se suivent mutuellement, ou se touchent; car le moteur n'y est pas unique, comme dans le cas que nous venons d'analyser, et il y a mouvement de la part de tous les corps qui composent la série^ et qui agissent mutuellement les uns sur les autres. Il y a une suite de moteurs qui se succèdent, quand les milieux traversés sont, comme l'air etcomme l'eau, susceptibles d'être mus et de mouvoir. On appelle par fois ce phénomène d'impul- sion reçue et transmise, du nom de résistance réciproque ou répercussion. Mais il est impossible de résoudre les questions que nous avons posées autrement que par notre explication. Cette résistance réciproque fait bien

DARISTOTE, LIVRE VIII, CH. XV. 411

que le système entier peut être ma et mouvoir successif yement ; mais elle suppose aussi qu'il y a un repos pour Teusemble. Or, dans le cas du 'projectile, il n'y a qu'un corps unique dont le mouvement est continu sans un seul moment d'interruption, jusqu'à ce qu'il cesse. Par qui donc ce mouvement continu est*il donné? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne l'est pas par le même moteur ; et l'on ne peut pas dire, par conséquent, que le mouvement soit absolument continu au sens nous l'entendons.

Au contraire il y a nécessairement dans le monde et l'ensemble des choses un mouvement continu et unique, et il faut non moins nécessairement qu'il s'applique à une grandeur une comme lui; car, ce qui est sans dimension et n'a point de grandeur quelconque ne peut recevoir le mouvement. Il faut de plus que ce soit le mouvement d'un seul et unique mobile, de même que c'est le meuve-* ment d'un seul et unique moteur. Ces trois conditions sont indispensables pour que le mouvement soit vraiment continu. Car, autrement, un des mouvements suivrait l'antre ; et le mouvement total, au lieu d'être continu, se- rait divisé en plusieurs mouvements. Quant au moteur, qui doit être unique, ou il donne le mouvement après l'avoir reçu lui-même, ou il donne le mouvement tout en étant lui-même immobile. Si on suppose qu'il est mu, il faudra remonter toute la Béxie ; et comme il subit un chan- gement, il est clair qo'il doit être mu par un antre mo- teur. Mais, dans cette recherche, il faudra finir par s'ar- rêter en arrivant à un mouvement qui sera produit par l'immobile. Arrivé à ce dernier terme, on verra que celui- n'a plus besoin de changer comme changent les autres; et il aura la puissance de {uroduire le mouvement tout en

hVl PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE

étant immobile, parce qu'il n'aura aucune peine ni hu* cune fatigue à le produire ainsi. Le mouvement créé de cette façon est uniformément égal, et il Test tout seul parmi le reste des mouvements ; ou du moins, il l'est plus que tous les autres; car, dans ce cas, le moteur immobile ne subit aucun changement. J'ajoute que le mobile lui- même, du moins relativement au moteur, ne doit point en éprouver davantage, afin que son rapport au moteur immobile étant immuable, le mouvement soit toujours uniforme et semblable. D'ailleurs, il faut nécessairement que le moteur ait une de ces deux places, ou le centre, ou la circonférence ; car ce sont les deux seuls points d'où le mouvement puisse partir. Mais ce qui est le plus rap- proché du moteur est toujours animé d'un mouvement plus rapide; et c'est bien ce qu'on observe dans le mouvement du monde et de la sphère universelle. Donc c'est à la circonférence qu'est le moteur immobile qui donne le mouvement à toutes choses.

Mais le mouvement une fois produit, reste toujours à savoir comment il est possible qu'un mobile qui reçoit le mouvement du dehors le communique lui-même d'une ma- nière continue, ou si sa continuité n'est pas plutôt comme une suite d'impulsions qui se répètent l'une après l'antre. Ainsi un moteur, qui ne produit le mouvement que parce qu'il le reçoit lui-même, ne peut agir qu'en poussant ou en attirant, ou en produisant ces deux actes à la fois, ou en subissant une action qui peut être réciproque de la part des deux corps, comme dans le cas des projectiles que nous expliquions tout à l'heure. Hais alors le mouve- ment n'est plus continu et un ; c'est un mouvement con- sécutif et composé de parties successives ; car l'air et

D'AfilSTOTE, LIVRE VllI, CH. XV. 413

I

Teaa, se produit ce mouvement du projectile, trans- mettent le mouvement parce qu'ils sont divisibles; et il faut qu'Us soient mus constamment par des impulsions qui viennent à la suite des autres. Donc, encore une fois le mouvement vraiment continu ne peut être produit que par l'immobile, puisqu'alors le moteur étant éternelle- ment semblable, il sera à l'égard du mobile qu'il meut dans un rapport toujours le même et continu.

Ainsi, je conclus d'après tous les principes précédem- ment exposés, que le moteur premier et immobile ne peut pas avoir de grandeur quelconque ; car s'il avait une grandeur, elle serait ou finie ou infinie. Or, nous avons démontré plus baut dans nos Considérations physiques (Livre III, ch. VII) , qu'il ne peut pas y avoir de grandeur infinie, et nous venons de prouver que le fini ne peut pas posséder une force infinie, pas plus qu'une chose finie ne peu^ produire le mouvement pendant un temps infini. Mais le premier moteur produit un mouvement éternel pendant une infinie durée. Donc, le premier moteur doit être indivisible ; donc il est sans parties ; donc il n'a absolument aucune espèce de grandeur ; et c'est à ces conditions seulement qu'il donne un mouvement indéfec- tible à l'univers entier.

PIN DE LA PARAPHRASE

DE LA PHYSIQUE D^ARISTOTE.

DISSERTATION

SDR LA

COMPOSITION DE LA PHYSIQUE D'ARISTOTE.

Il ne peut s'élever aucun doute sur Tauthentlcité de la Physi- que, et les preuves surabondent pour démontrer qu^elle est bien Tœuvre d^Aristote. Ces preuves sont de plusieurs sortes : d'abord les citations faites en assez grand nombre dans d'autres ouvrages du philosophOt reconnus pour authentiques ; en second lieu, les témoignages unanimes de Tantiquitê; et enfin, la forme de l'ou- vrage lui-même, qui ne peut être attribué à personne autre qu'A- ristote, par tous ceux qui connaissent ses idées et son style. Si la Physique n'était pas de lui, il n'y aurait pas une seule des œuvres portant son nom qui pût dès lors passer pour authentique ; et en soutenant qu'Anstote n'est pas l'auteur de celle-ci^ il resterait à découvrir quel est le personnage à qui il faudrait faire honneur d'un tel monument

Parmi les nombreuses citations tirées des autres ouvrages d'A- ristote, je rappelle les suivantes, sans prétendre que ce soient les seules qu'on puisse alléguer.

Dans les Derniers Analytiques, Livre II, ch. &il, $ 8 (page MS de ma traduction, p. 95, b, il de l'édition de l'Académie de Ber- lin), Aristote annonce qu'il a traité de la question de la conti- nuité, et exposé ce qu'il faut entendre par continu, dans son Traité général du mauvemenL Cette dénomination indique la

416 DISSERTATION

Physique, où^ en effet, cette explication du continu est donnée spécialement, Livre V, chap. V, $ 11 ; et dans tout le C€furs de la Physique, Tidée de continuité entendue en ce sens tient une très- grande place et revient très-fréquemment, parce que le mouve- ment est un continu, tout aussi bien que Tespace et le temps (Voir la Physique, Livre V, ch. YI, $$ 10 et suiv., et aussi Livre Vf, ch. I ).

Au Traité du Ciel, la Physique est plusieurs fois rappelée comme un ouvrage dont on emprunte des théories sur lesquelles on ne veut pas revenir en détail, parce qu'on les a antérieurement éta- blies. Ainsi, Traité du Ciel, Livre I, ch. Y (page 272, a, 30, édition de Berlin), Aristote rappelle qu'il a démontré dans ses Études sur le Mouvement^ quMl est impossible de parcourir Tinfini dans un temps fini. C'est là, en effet, une théorie qui est exposée tout au long dans la Physique, Livre YI, ch. I, $ 22, et Livre YI, ch. n, S 1. Ailleurs encore, dans le même premier livre du Ciel (page27A, a, 21, édition de Berlin), Aristote s'en réfère à la théorie de l'in- fini qu'il a développée dans ses Études sur les principes. Il a ef- fectivement exposé la théorie de l'infini dans la Physique, Livre m, chap. lY et suivants. Enfin au troisième livre du Ciel (page 299, a, 10, édition de Berlin), l'auteur se résume en disant qu'il a dé- montré qu'il n'y a pas de longueurs indivisibles dans ses Études sur le Mouvement. Cette démonstration a été régulièrement don- née dans la Physique, Livre YI, ch. I, $ 11.

Dans le Traité de la* génération et de la corruption, Livre 1, ch. III ( page 318, a, 3, édition de Berlin), 11 est dit que l'on a an- térieurement discuté la théorie de la cause motrice. On peut trou- ver cette théorie dans le livre III de la Physique, chapitres lY et suivants.

Au début de la Météorologie (page 338, a, 20, édition de Bertin), Aristote résume ses travaux sur toutes les parties de l'histoire de la nature, et il cite en particulier ses recherches sur les premiers principes de l'être et sur les différentes espèces du mouvement Ce sont les sujets spéciaux et du premier livre de la Physique, et du second et des quatre derniers.

Au Traité du mouvement dans les animaux, ch. 1, $ 2 (page 698, a, 10, édition de Berlin, page 238 de ma traduction).

SLR LA PHYSIQUE. 417

Aristote rappelle en termes généraux ses études sur Tétemité du mouyement et sur le moteur immobile, cause première du mou- vement La question de Tétemité du mouvement est traitée tout an long dans la Physique, Livre Vni, ainsi que celle du moteur immobile. Il est vnd que les mêmes théories se représentent dans la Métaphysique également ; mais dans la Physique, elles sont bien plus développées, et il semble que ce soit plus spécialement leur place propre.

La Métaphysique à elle seule contient presqu'autant de citations que les autres ouvrages réunis, et cela se comprend quand on voit rétroite relation de la Physique, telle que la conçoit Aris- tote, à la Métaphysique telle qu'il Ta fondée. Ainsn, au livre I de la Métaphysique, ch. III (page 983, a, 33, édition de Ber- lin), il rappelle quMl a déjà, dans d'autres ouvrages, traité des causes, et en particulier de la cause du mouvement; et il aionte que c'est dans ses lAvres sur la nature. Cette désignation s'appli- que à la Physique, Livres I et II, et livre VUI. Dans ce m$me I** Livre de la Métaphysique, ch. X (page 993, a, il, édition de Berlin), il parle des quatre causes, et il expose à fond la grande théorie que l'on sait ; puis il rappdle qu'il a traité ce sujet im- portant dans la Physique* C'est en effet le si^et même du livre n, ch. III, de la Physiqua A ces deux premières citations qu'offre la Métaphysique, on peut en Joindre bien d'autres non moins pré- cises; l'une au livre YIII, chap. VIII (page 1049, b, 36), le TraiUé sur ie Mouvement est cité à propos de ce principe, que, dans tout mouvement, il y a toujours eu un mouvement antérieur (Physique, YI, 9) ; l'autre au livre XT, chap. I(page 1059, a. Sa, édition de BerUn), il est question des causes exposées dans la Physique, Livre II, ch. III ; l'autre encore à ce même livre XI, ch* VI (page 1062, b, 31, édition de Berlin), il est rappelé comment dans la Physique il a été expliqué que l'être vient tout à la fois de l'être et du non-étre (Physique, livre I, ch. IV, S 7) ; la quatrième au même livre XI, chap. VIO (page 1073, a, 32, édi- tion de Berlin), Aristote dit qu'il a traité du moteur immo- bile dans la Physique (Physique, livre vm, chap. VII et VIII et passim) ; enfin la cinquième, au livre XIII, chap. I (page 1037, a, 30) Aristote, citant sa théorie sur la nature des Contraires,

27

I

418 DISSERTATION

que la plupart des philosophes ont pris pour les principes des êtres, dit que cette théorie se trouve dans la Physique. G*est bien là, en effet, le siiyet traité dans le livre I, cbapé VI^ de la Phy- sique.

A toutes ces citations de la Métaphysique, qui sans doute ne sont pas les seules^ il faut sg'outer des preuves plus directes encore, ' s'il est possible. Je veux parler de ces emprunts si nombreux et si larges que la Métaphysique a faits à la Physique. Des chapitres entiers de ce second ouvrage ont été transposés presque root pour mot dans l'autre ; ou bien, quand ils n'y sont point passés textuellement, ils y ont été analysés de manière à ce que Tiden- tlté des pensées ne peut être méconnue. Ainsi, le chi^pitre III du II* livre de la Physiquet est reproduit presque textuellement dans le chapitre U du IV* livre de la Métaphysique (page 1013^ a, 2^ édition de Berlin). H en est de même des trois premiers chapitres du livre V de la Physique, reproduits et analysés dans la Métaphy- siqu0 , livre X, chap. II (pages 1067 et 1068 de Tédition de Ber- lin). De quelque façon que ces passages soient passés de la Phy- sique dans la Métaphysique, il n'importe guère, et il est asses probable que c'est Aristote lui-même qui aura puisé dans un de ses ouvrages antérieurs pour compléter ce qu'il avait à dire dans un suivant; mais ces Identités ou ces ressemblances lient tel- lement les deux traités l'un à l'autre qu'il faut les déclarer ou tous les deux authentiques, ou tous les deux apocryphes*

Ajoutez encore qu'indépendamment de ces liens palpables et étroits, la Métaphysique soutient avec la Physique d'autres rap- ports qui, pour être plus généraux, n'en sont pas moins démons- tratifs. C'est de part et d'autre le même système sur lesiiuestioos les plus graves qui sont agitées dans les deux ouvrages : les prin- cipes de l'être, le nombre et l'espèce des causes, le temps, l'eiK pace, l'infini et enfin le mouvement II faut même compter en- core une foule de pensées de détail et de définitions, qui sont toutes semblables, et qui attestent une même et seule doctrine^ une seule et même pensée^ un seul et même auteur. Par consé- quent, ou la Métaphysique n'est pas d'Aristotesi la Physique n'est pas de lui, ou l'une et l'autre lui appartiennent^ non-<seulemeBt comme deux œuvres dont il est le père, mais, en outre, comme

SUR LA PHYSIQUE. 419

deux œuvres qai ont ontr'eUes la conne:don la plus intime. Chacaoe est en quelque sorte inséparable de sa sœur; c^est leur matière commune qui les rapprœhe et les unit; ce n^est pas uni* quement leur titre qui fait de Tune la suite et le comi^ément in- dispensable de l'autre : la Physique, la Métapliysiqua

Eu regardante toutes ces citations faites par Aristote lui-même dans ses œuvres les plus incontestables, on peut voir qu'il donne à la Pl\ysâque plusieurs noms différents. Ainsi, tantôt il l'appelle Traiié générai sur Le mouvement y Traiié au Études sur le mou^ vement^ Études sur les principes; tantôt il l'appelle Livres sur la nature; tantôt aussi il l'appelle simplement la Fkysique^ et cette dernière dénomination se rencontre surtout dans la Métaphysique, elle est en effets ne serait-ce que par le contraste, une nécessaire opposition mieux placée qu'ailleurs. Ces différences notables d'ap- pellation ne peuvent pas cependant susciter la moindre équi- voque sur l'ouvrage unique et spécial qu'Aristote entend désigner par ces noms divers. Évidemment, il ne s'agit que de la Physique telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous, puisqu'elle renferme bien exactement toutes les doctrines et toutes les théories auxquelles Aristote entend se référer ou fure allusion.

On n'a point assez remarqué que c'est de ces divergences admises par l'auteur lui-même, et autorisées par lui, que sont venues plus tard ces variations signalées par les commentateurs grecs. Simplicius, qui nous a conservé toutes les traditions anté- rieures, nous apprend qu'Adraste, assez célèbre commentateur du II* siècle de notre ère^ avait fait un livre spécial intitulé : De l'ordre des écrits éT Aristote^ et que dans cet ouvrage, mal- heureusement perdu, il avait discuté les différents titres que de son temps on donnait à la Physique. Les uns l'intitulaient : Des Principes ; les autres Tintitulaient : Leçons de Physique. Adraste j^oute qu'on partageait souvent les huit livres de la Physique en deux grandes divisions : l'une composée des einq premiers livres, qu'on intitulait dans leur ensemble : Des Principes; l'autre, com- posée des trois derniers, qui étaient intitulés^ quand on les réantasait ainsi : Du Mouvement. Adraste inclinait encore à eroire, et Simplicius plus tard avec lui, que cette division s'ap- puyait sur Tautorité d^Artstote lui-même; et l'on vient de voir

420 DISSERTATION

par les citations rapportées plos haut qu'elles pôuvent^ en effet; justifier jusqu'à un certain point cette tradition. Saurai Toccasion de revenir un peu plus loin sur ce sujet; mais, ici, je constate simplement que les commentateurs grecs, en divisant autrement que nous ne le faisons la Physique, qui, à nos yeux, forme un tout indissoluble, la connaissaient toutefois avec toutes les parties qu'elle nous présente aijgourd^huL Ce qui a pu encore donner naissance à cette division reçue dans TÈcole, c'est peut-^tre la fin de la Physique elle-même, Aristote semble séparer saPhy- sique, à laquelle il renvoie, des théories sur le mouvement qu'il vient de présenter et qu'il achève en les résumant (Voir Livre VIII de la Physique, ch. I, $ 6, ch. VI, $ 2, ch. xn, S 23, et ch. XV , S 26 et dernier.;

Mais je poursuis afin d'établir les autres preuves de l'authen- ticité de la Physique. Après les preuves tirées d' Aristote lui-même, viennent celles que nous devons à ses disciples et à ses commen- tateurs.

Le successeur direct d'Aristote, Théophraste, avait fait Sur la Nature un ouvrage tout à fait analogue à celui de son mattre; et Simplicius le cite plus d'une fois. Il avait fait aussi, d'après le témoignage de Simplicius, un, ouvrage intitulé Du mauvemeni^ qui devait avoir au moins dix livres. (Voir le commentaire de Simplicius sur le livre I, ch. III de la Physique.) Budème, un des principaux disciples d'Aristote, et qui a eu l'honneur d'être pris quelquefois pour l'auteur de l'ouvrage qui, après la morale &Nico- maque et la Grande morale, porte le nom de morale à Eudème, (Voir ma traduction de la Morale d'Aristote, tome I, préface, page GcxGvi, et tome III, page 205) avait fait également, d'après Simplicius, un ouvrage de physique calqué sur la Physique du Maître. D'après les citations nombreuses qui en restent, on peut coi^ecturer que c'était un commentaire et une paraphrase fidèle, bien que dans l'occasion le disciple ne se fit pas faute d'expri- mer sa pensée personnelle et indépendante.

Ainsi, dès le temps même d'Aristote, l'authenticité de son œuvre était confirmée et garantie par l'imitation de ses élèves, et cette œuvre transmise jusqu'à notre temps par la suite des siècles et avec des témoignages non-interrompus, est bien celle

SUR LA PHYSIQUE. 421

que nouséiQdioDs encore et que nous admirons. Au second siècle de notre ère^ Alexandre d^Aphrodisée » un peu plus récent qu^Adraste^ et le plus illustre des commentateurs péripatéticiens dans Tantiquité, avait composé un commentaire complet sur la Ptiysique. Malheureusement ce traité, qui aurait pu sans doute dissiper bien des ténèlH'es, n*est pas arrivé jusqu^à nous. Mais, au vr siècle, Simplicius le possédait encore; et, comme il le cite à tout moment, il nous le fait assez bien connaître, et surtout il en démontre ainsi Texistence et la haute valeur. Porphyre, dans le m* siècle, avait analysé les huit livres de la Physique, d*après ce que nous apprend Simplicius (préface au Y* livre de la Physique) , et il la divisait en deux parties composées chacune de quatre livres, la première qu'il appelait Des PrincipeSy et la seconde Du Moucemenî^ \Aea qu'il connût la division en cinq et trois livres. La paraphrase que Thémistins, vers la fin du IV* siècle^ a donnée de la Physique, apporte peu d'éclairoissements aux difficultés du texte; mais du moins elle empêche la tradition d*ètre suspendue; et elle nous conduit au grand et excellent commentaire de Sim- plicius, qui est un des plus abondants et des plus précieux qu'il ait faits sur les œuvres du philosopha Avec Simplicius, un de ces professeurs d'Athènes, qui en 539 se refugièrent en Perse auprès de Ghosroès II, finit l'antiquité ; et les témoignages sur la Physique d'Aristote, qui viennent ensuite, n'ont plus rien qui puisse nous intéresser pour la recherohe dont nous nous occupons ici.

Nous pouvons donc conclure sans aucune hésitation que la Physique est bien l'œuvre d'Aristote, soit d'après les citations que l'auteur en a faites lui-même, soit d'après les travaux dont elle n'a cessé d'être l'utile objet, depuis le moment qu'il l'a écrite.

Reste maintenant à étudier ia composition du monument, et à voir si par hasard il renfermerait quelques passages de nature à susciter des doutes légitimes sur la main à laquelle il est dû. Une étude longue et attentive ne m'a laissé à cet égard aucun scru- pule; et J'ose affirmer que tous ceux qui auront pratiqué assez familièrement Aristote le reconnaîtront sans la moindre peine d'un bout à l'autre de la Physique, sauf de très-légères excep- tions que Je vais signaler tout à l'heure. 11 n'y a que lui dans toute l'antiquité qui ait pu écrire un tel livre, et l'écrire du style qui

A22 DISSERTATION

lui est propre, avec des expressions aussi pleines et aussi con- cises, quoiqu'avec des répétitions ft^qnentes et peu néces- saires. La gravité magistrale de la pensée, la grandeur de Tédifice et Tordre général qui y éclate malgré de nombreuses redites, ne peuvent appartenir qu'au seul Aristote ; et quiconque» Je le répète, a suffisamment médité sur ses œuvres, retrouvera dans la Phy~ dque sa vivante et incomparable empreinte. Il n'y a que lui dans toute Tantiquité qui ait jamais parlé de ce ton ; c'est le lan* gage qui lui est exclusivement personnel ; et qui que ce soit n^au- rait été capable de le prendre ni même de le contrefaire de telle sorte que la postérité pût s'y tromper.

Tout à rtieureje recherchais les citations de la Physique dans les autres ouvrages d'Aristote; on pourrait faire une recherche inverse, et se demander quels sont les ouvrages que la Physique cite à son tour. Elle ne présente guère que trois citations directes dans toute son étendue, et ces trois citations ne concernent que le fameux traité de la Philosophie ou de la Philosophie premièra Elles se trouvent au I*' livre, chap. X, $ 9, et au livre II, cfaap. II, SS 13 et 15. C'est évidemment la Méts4)hysique que l'auteur a voulu désigner, comme c'est encore elle & laquelle il est fait allu- sion, livre I, chap» IX, $ 15, et livre III, chap. I, $ 11. Voilà à peu près toutes les citations directes ou indirectes. Mais dans tout le cours de la Physique, la doctrine des Catégories est perpétuelle- ment employée comme parfaitement connue ; et toutes 1^ théories de la Métaphysique sont également supposées et sous-entendues. Ce ne suffirait pas, sans doute, pour établir l'authenticité de la Physique ; mais il n'y a certainement qu'un auteur qui puisse être sufl^mment pénétré de ses propres pensées pour les sous-en- tendre à chaque moment avec une telle exactitude et un tel à- propoB.

Puis à côté de ces preuves de détail, je trouve que la composi* tion générale de l'œuvre est à elle seule une preuve bien autre- ment forte, et l'on sent partout dans cette simple et majestueuse ordonnance une main puissante et exercée qui a quelque chose d'infaillible et d'irrésistibla Dans la Préface qui précède cette Dis- sertation, j'ai analysé la Physique pour montrer l'enchaînement de la pensée et du systèma Je ne veux pas recommencer ici un

SUR Lfi PHYSIQUE. «23

travail déjà fait; mais il faut dire cependant en quelques mots ccmiment toutes ces théories s^engendrent mutuellement, et com- ment elles se développent Le but général et unique de tout Ton- vrage^ c'est une théorie du mouvement ; et comme le mouvement est la vie même de la nature, Aristote établit d*abord comment en partant des principes de Tètre, le mouvement est possible et même nécessaire; puis, après avoir expliqué ce quMl entend par la nature, il définit le mouvement; et trouvant dans les termes mêmes de cette définition, les idées d^espace et de temps, Tun et Pautre infinis, il fait la théorie de Tinfini, celle de Tespace avec celle du vide et la théorie du temp& Enfin, il en vient au mouve- ment lui-même, et il consacre les quatre derniers livres à exa- miner le mouvement dans ses diverses espèces, dans sa divisibi- lité, dans sa proportionnalité, dans sa continuité, et enfin dans son éternité, urivant ainsi à ce grand principe du moteur immo- bile, dont 11 achèvera Tétude dans la Métaphysique.

Telle est Tordonnance aussi simple que solide de ce grand mo> nument, un des plus beaux et des plus parfaits sans contredit qu'ait élevés le génie d' Aristote. Les théories b> succèdent dans Tordre le plus rigoureux et le plus clair, et il n*y a place, ni au moindre changement, ni à la moindre lacune. La Physique est tout ce qu^elle doit être, depuis Texposition de la méthode qui rouvre si régulièrement jasqu^& la dernière théorie, qui vient bien en elTet doit venir Tétude du principe suprême, duquel dérive le mouvement dans Tunivers entier. G*est Tachèvement de Tédi- fice; et le faîte le plus élevé qui puisse être posé à un ouvrage de physique.

Il n'y a selon moi^ sanf quelques répétitions inutiles, qu'une seule partie de cette belle conception qui dépare l'ensemble et le trouble. C'est non pas le septième livre tout entier comme on Ta souvent répété, mais les quatre premiers chapitres de ce livre. Je fais cette distinction, qu'on n'a pas toujours assez aperçue, et qui me semble tout à fait juste.

Déjà dans|rantiquité on avait bien reconnu que ce septième livre ne se liait pas comme il faut au reste de l'œuvre, et Simplicius avait remarqué les deux caractères qui le distinguent : la double rédaction de quelques chapitres, et la répétition de théories, ou

A2A DISSERTATION

antérieurement, ou postérieurement traitées. Sous le rapport de la forme, et sous le rapport du fond^ ce septième livre fait donc une sorte de double emploi dont il est assez difficile de se rendre compte.

Je parie d'abord de la double rédaction^ qui ne s'applique qu'aux trois premiers chapitres. Elle avait cours déjà indifféremment dès le temps de Simplicius, et il nous en donne lui-même la raison : c'est que Tune de ces rédactions ne différait point sensiblement de l'autre pour le sens et Tordre des pensées ; elles ne se séparaient que par des diversités d'expressions, et les mots seuls étaient changés. Cest ce dont on peut se convaincre en comparant les deux textes qu'offrent les manuscrits parvenus jusqu'à nous. Simplicius ne dit pas, comme on l'a cru, à qui il faut attribuer la seconde rédaction; et il semble y attacher peu d'importance par le motif que Je viens de dire. Ce n'est pas la paraphrase de Thé- mistius qui a été mise en lieu et place du texte; car Thémistius n'a point paraphrasé, par exemple, le premier chapitre de ce septième livre, sans doute parce qu'il n'y trouvait que des répé- titions inutiles de théories déjà connues. Quel est donc l'auteur de la seconde rédaction? M. L. Spengel, qui a fait un mémoire spécial sur cette question intéressante (1), a émis l'ingénieuse coigecture qu'elle pourrait bien être d'Eudèma Sur quel fonde- ment s'appuie cette conjecture? Je ne sais; mais il est certain qu'elle peut paraître assez plausible, au premier coup d'œil, quand on se reporte aux fk*agments que Simplicius donne très-auvent de l'ouvrage d'Eudème. Evidemment il se tenait toijyours fort près de celui d'Aristote, et il est bien possible que dans ce septième livre et au début, un copiste ioattentif ait pris l'un pour l'autre.

Quoiqu'il en soit de cette controverse qui est presque purement littéraire, il y en a une seconde qui a plus de gravité. Ce n'est rien qu'une différence de style et de forme tout extérieure ; mais le septième livre semble en entier une sorte de hors-d'œuvre.

(4) Mémoires de T Académie Royale de Munich, i** classe, 111' volume, 2* partie, pa^ 805-350.

SUR LA PHYSIQUE. A2&

parce qu'il répète, sans aucan avantage, des théories qu*oii a déjà voes, oa qu*on doit voir dans le livre saivant Simpllcins nous apprend qa^Eudème, qui avait suivi pas à pas les six premiers livres, ne commentait pas celui-là, et qu'il -passait immédiate^- ment du sixième livre au huitième. Ceci porterait une atteinte ir- rémédiaUe à la conjecture de M. L. Spengel, sMl n'était possible de supposer encore que précisém^t ce septième'livre manquait dans £udème, parce qu'il avait été transposé dans Aristote. Mais Alexandre d'Aphrodisée, qui ne connaissait peut^tre pas le dou- ble emploi, trouvait les démonstrations de ce livre moins rigou- reuses que celles des autres; elles lui paraissaient plus logiques, c'est-à-dire moins fortes ; et il semble qu'il Jnclinait quelque peu à suspecter Tauthenticité de cette partie de la Physique. Quant à Thémistius, les lacunes qu'on peut remarquer dans sa paraphrase ne prouvent rien, parce qu'il ne se pique jamais de rester fidèle- ment dans les traces du maître, et il passe ici des chapitres tout entiers comme il en passe ailleur&

Simplicius, qui peut être regardé comme un bon juge, re- trouve dans le septième livre la pensée et la manière Aristoté- liques, et il le commente comme tous les autres. Seulement il soupçonne qu' Aristote aura d'abord écrit ce livre pour ébaucher en quelque façon les théories qu'il développe plus à fond dans le huitième; et, à son avis, c'était une préparation assez commode et assez utile. Four moi, je ne partage pas tout à fait cette opi- nion, malgré la déférence que je me sens pour Simplicius ; et je ne vois pas que le septième livre prépare du tout le huitième, pas plus qu'il ne résume les précédents. Je pense donc que les quatre premiers chapitres du septième livre sont une redondance, qui peut venir de la main d' Aristote aussi bien que d'une main étran- gère. C'est en effet une simple esquisse, comme le croit Simpli- cius, non pas des théories que le huitième livre donnera avec étendue, mais de diverses théories qui appartiennent à la Phy- sique péripatéticienne, et qui sont répétées là, sans beaucoup d'ordre ni de clarté. Si c'est Aristote qui a écrit ces quatre cha- pitres, 11 n'en aura pas été satisfait, et il les aurait très-probable- ment laissés de côté dans une révision que la mort ne lui a pas permis de faire. Si c'est à un étranger qu'est ce morceau, il ne

A26 DISSERTATION

Taura point composé, selon toute apparence, avec rintentfoa de Tiiitercaler dans l'œuvre du maître ; mais la maladresse de quelque commentateur Ty aura interpolé, sans remarquer assez attentive- ment qu'il n'y était point à sa place.

Voii& ce que sont à mes yeux les quatre pruniers chapitres du septième livre; mais, quant aux deux derniers, je n*hésite pas k les reconnaitre pour authentiques; et J'y retrouve tout à fait la manière d'Aristoteu Cette appréciation ne serait pas à elle seule suffisante; et dans les choses de goOit, les jugements peuvent beau- coup varier. Mais il me semble que la théorie de la proportionna^ lité du mouvement est une des plus importantes de tout le sys- tème; et elle ne pouvait y manquer sans y causer une lacune regrettable. Arlstote vient de traiter dans le cinquième livre des diverses espèces du mouvement, et il a examiné commmit le mou* vement peut être simple, un ou contraire, naturel ou forcé. Il poursuit ces études dans le sixième livre, et il y traite surtout de la continuité et de la divisibilité du mouvement Surviennent après tout ceci les quatre premiers chapitres du septième livre, qui ne font que redire en mômes termes des généralités fort rebattues sur les rapports du moteur au mobile, et présenter des considéra^ tions assez bizarres sur les reUtions du mouvement et de la sen- sibilité. Puis après ces quatre chapitres vient la théorie de la proportionnalité, qui forme une suite très*convenable aux discus*- sions du sixième livre, et qui me semble s^y rattacher fort étroi- tement par le fond, aussi bien que par la forme. Enfin, après la comparaison des mouvements entr'eux, il ne reste plus que la grande théorie de l'éternité du mouvement, qui remplit tout le huitième livre.

C'est donc ainsi que Je divise le septième : j'en fais deux parts, dont l'une comprend les quatre premiers chapitres, et dont l'autre se compose des deux derniers, il y a peu de cas à faire de la pre- mière partie, et on pourrait la sacrifier sans trop de peine, si elle n'était dès loi^tesips comprise dans la Physique, et si elle n'y figurait déjà du temps d'Alexandre d'Aphrodisée, au UI* siècle de notre ère. Biais quant à la dernière partie du septième livre, elle me parait entièrement indispensable ; et si elle était retranchée, ce serait une fftcheuse lacune dans la Physique.

SUR LA PHYSIQUE. A27

Pour tflmdDa* ce qui regarde la ONnposftioii de la Phytkfoe prtoe non plus dans qaelqaes-uDes de ses parties, mais dans son ensemble Je dois dire qoe la division en cinq livres d*ane part et en trois livres d'autre part, ne me semble pas acceptable, bien qn^ellealt ponr elle le suffrage de Tantlquité, non plus que la di- vision en deux fols quatre livres. Oes divisions ne répondent pas du tout à la réalité ; et il est bien dlfllcUe de les admettre, quand regarde attentivement k la doctrine entière de la Physique. Elles sont purement arbitraires en ce sens que oe n*est pas Tau- teur lui-même qui les a faites, et qu'elles ne peuvent que servir à s'orienter plus régulièrement dans sa penséa Mais elles sont plus ou moins acceptables les unes que les autres ; et à mon sens, la vraie manière de diviser la Physique, ainsi que nous Tawons dé^k Dût pressentir, c'est de réunir les deux premiers livres il n'est traité que des principes, soit de l'être, soit de la nature, et d'en faire la première partie de l'œuvre; c'est ensuite de réunir au môme titre les six derniers livres, il n'est réellement question que du mouvement, d'abord défini au début du troisième livre, et étudié méthodiquement dans les autres, soit dans ses accidents de temps et d'espace, soit en lui-même et dans son immuable éter- nité.

Ce partage de la Physique en deux grandes portions a pour lui l'autorité deZabarella, un des philosophes qui ont scruté avec le plus de soin et de profondeur les idées d'Aristote. Zabarella éta- blit dans son petit traité De naiuraUs scientia catutUutiane liber ^ chapitres XI et XII, que les deux premiers livres sont consacrés aux principes, et les six derniers, au mouvement Cette distinction m'avait paru aussi légitime que frappante, quand Je traduisais le texte grec; plus tard, lorsque je l'ai vue recommandée par Zaba- rella, elle m'a paru encore bien plus autorisée, et je la présente ici comme la meilleure, si ce n'est comme la seule, qu'on puisse faire dans la Physique.

Le professeur de Padoue ne s'est pas trompé et je ne m'égare pas non plus en suivant ses traces. H n'y a que les deux premiers livres de la Physique qui soient réellement remplis de l'étude des principes; et c'est à eux seuls qu'Aristote pense, ainsi que les com- mentateurs, quand 11 parle de ses ouvrages sur les Principes^

AS8 DISSERTATION.

comme faisant partie de la Physique. Il n'y a pas trop des six au- tres livres pour exposer cette grande tibéoriedu mouvement, avec tous les détails qu'elle comporte et qu'elle exige, même au point de vue restreint l'antiquité devait nécessairement se placer. J'achève cette Dissertation sur la composition de la Physique, en disant quelques mots du titre qui lui est le plus habituellement donné, et qui a prévalu dans toutes les éditions, comme il pré- valait déjà au temps de Simplicius, et sans doute au temps d'A- lexandre d'Aphrodisée et d'Adraste. C'est le titre de Leçons de Physique. Aristote lui-même ne l'a jamais indiqué; et nous serions fort embarrassés aujourd'hui de découvrir d'où 11 vient II n'en est pas pour cela moins exact; et comme le dit notre mot de Leçons et le mot qui y correspond en grec, il est évident par le caractère même de l'œuvre que l'auteur a bien entendu l'adresser à ses élèves, en le composant, et leur rappeler l'enseignement qu'il leur avait donné de vive voix sur ces grands et difficiles sijjets. Je ne repousse donc pas du tout ce titre de Leçons de Physique, bien que je ne l'aie pas voulu mettre le premier au frontispice de ma traduction. Il est très-justifié ; l'école l'a bien choisi, et la tradition qu'il confirmait était bonne à recueillir. Je n'ai pas voulu, moi non plus, ni tout à fait le perdre, ni tout à fait l'adopter ; et je l'ai com- plété en y ajoutant et en le modifiant J'ai donc conservé le nom vulgairement reçu de Physique d' Aristote, et j'ai expliqué cette dé- signation générale par cette autre désignation détaillée : On Leçons sur tes principes généraux de la nature. Je me rapproche ainsi d'Aristote lui-même dans bien des passages, et je ne m'écarte pas trop non plus de l'appellation la plus habituelle.

•*é^t^'

LEÇONS DE PHYSIQDE

LIVRE I.

DBS PRIHCIPES DE L*£TRC.

CHAPITRE PREMIER.

De la méthode à suivre dans Tétude de la nature : II faut procéder des faits pardculiers et composés, qui sont pour nous les plus notoires et les plus clairs, et remonter par Tanalyse jusqu'aux principes universels, aux causes des choses» et à leurs éléments simples, qui sont les plus clairs et les plus notoires en soi. Exemple des noms par rapport à la définition; exemple des enfants.

g i . Comme on ne parvient à comprendre et à saToir

Lefonê de Pkgaique* SimpHeios aous apprend, dans la préfixe de son «oBDieDtaire, que oe titfe n'était pas le seul qui tùi donné à Touf rage d'Aiistote. Selon Adraste. dont Sini- plidns dte le Urre sur VOrdre de» enivres d^Aristote^ on Intitulait la Physique de diUérentés manières* TftntAt on rappelait : De» principe» ; lanlOC : Lefon» de Phffwiqiie. Par-

fois encore on employait des titres particuliers pour les Unes diTers. Les einq premiers réunis étaient in- titulés : de» Principe» ; les trois der- niers : Du Momemenu Ces deux der- niers titres sont presque les seuls qui soient cités par Aristole lui-même; par exemple, dans le Tredti dm eiel^ lîrre 1, chapitre 5, édiL de Berlin, page S72, a, 80; ibid. ch* 6, édit.

âSO LEÇONS DE PHYSIQUE,

quelque cbo9e dans tout sujet de recherches méthodiques il y a des principes, des causes et des éléments, que du moment on les connaît; car on ne pense jamais connaître une chose que quand on en connaît les causes premières, les principes premiers, et jusqu'à ses élé- ments; de même aussi pour la science de la nature, il est évident que Ton doit tout d'abord prendre soin de déter- miner ce qui regarde les principes.

de Berlin, p. 27&, a. Si ; id. livru III, OMdtre en personne une explication €h. i, édir. de Berlin, p. S99, a, 10. spéciale, pour être bien compris. Aristote parle aussi trèMouvent dans Ch. /, S i* ^ comprendre et à sa- la Métaphffsique de son Traité sur voir, pour cette théorie générale de ia nature. Pai préféré le litre de la science, il faut consulter les graves Leçanâ de Phydque à tous les autres, doctrines des Dernier» Analytiques : afin de conserver le souvenir de la voyez surtout le tome III, liyre I, Iradition, au moins en partie, puis- ch. 3, p. 7 et suivantes de ma Ira- qu^en général cet ouvrage est connu duclion. Des principes , des sous ie nom de PAyjt^tf ifilrisf 0le causes ou des éléments, ces trois Le litre le plus convenable est celui termes semblent ici à peu près syno- que donnent quelques manuscrits : nymes, ainsi que le prouve la fia de Des Principes de U nature; mais ce la phrase Tailleur n*emploie que titre, que Pacius recommande avec le mot de Principes. Quelquefois ces raison, n'a pas prévalu. Simpllcius, expressions présentent des nuances loc cîL, pense que cVst de la Phy- qui sont précisées dans le IV* livre de jtgw qu^il s'agit dans la lettre d'A- la Métaphysique, ch. i, 2, 3, à, etc., lexandre, il reproche à son pré- édit. de Berlin» pages 1,043 et sui- cppteur d'avoir publié ses doctrines vantes. On trouvera sans doute ésotèriqiics. Plutarqoe, dans sa vie que oette première phrase est un peu d'Alexandre^ croit qu'il s'agit de la longue ; nais je n^ai pas cru devoir Uétaphfsiqwe. %n»pKcius en réfu* hi diviser ; et J'ai laissé à la tiadae* tant Plutarque, ne dit pas sur quelle tion une physiooemie toute arîstolé- autorilè il s'appuie lui-même. La lîqoe. ^^Ce qm regarde les prin* qnestioo reste douteuse ; mais ce qui eipesj Aristote dit ici simplement : parait certain c'est que les LepMu Prinetpeê, enteodaut par ce aaot les de Physique^ comme Tindique celle prinoipes« les oauses et les élénseots^ dénomiDation , appartiennent aux dont il vient de parler quelques li- ouvrages d' Aristote qui exigeaient du gnes plus haut.

LIVRE I, CH. I, S 4. ASl

S 2. La marche qai semble ici toute naturelle, c*est de procéder des choses qui sont plus connues et plus claires pour nous, aux choses qui sont plus claires et plus con- nues par leur propre nature. En effet, les choses qui sont notoires absolument, et les choses qui sont notoires pour nous, ne sont pas les mêmes; et voilà comment c'est une nécessité de commencer par les choses qui, bien que plus obscures par nature, sont cependant plus notoires pour nous, afin de passer ensuite aux choses qui sont naturel- lement plus claires et plus connues en soi. § 3. Ce qui est d'abord pour nous le plus notoire et le plus clair, c'est ce qui est le plus composé et le plus confus. Mais ensuite en partant de ces composés mêmes, les éléments et les principes nous sont rendus clairs par les divisions que nous en faisons. $ A. Ainsi donc il faut s'avancer du gé- néral au particulier ; car le tout que donne la sensation

S s. Plu» connyeê et plus claires $ à. Du général au particulier^

pour nous. Voir les Derniers Ànaly- rexpression do texte est an pluriel

tiquest Uttc I, ch. 2, S i^# HI* ▼<>- et Ton poarrait encore traduire: Déj

lume, p. 10 de ma traductioD. Cette universaux aux individus, Le

distÎDction est très-fréquente dans le tout que donne la sensation, en eOfet,

système d'Aristote, et elle est parlai- la sensation nous apprend d'abord

tement juste. que Têtre que nous Tojons, par

S S. Le plus composé et le plus exemple, est un honune, et nous re-

eonfus^ il n'y a qu*un seul mot, au oonnaîssons ensuite que cet homme

lieu de deux, dans le texte. Par est un individu, un de nos amis. En

les divisions que nous en faisons^ ce sens, la notion générale ou géné^

c'est-à-dire par Panaljse. La sensa- rique a précédé la noUon partieu-

tion, qui est le moyen le plus hab»- lière et indiTiduelle. Cependant la

tuel d*inroniiations, nous donne tout méthode que recommande ici Aris-

d^abord une totalité très-complese ; tote n'est pas préasément la méthode

puis, en décomposant cette totalité, d'analyse, qui va au contraire du par-

notts arrivons aux éléments irréduc* ticnlier au général. Les théories ex-

tiblfs dont elle est formée. posées id ne sont pas tout à fait

Â3Î LEÇONS DE PHYSIQUE.

est plus connu; et le général est une espèce de tout, puisque le général contient dans son ensemble une foule de choses à Tétat de simples parties. § 6. C'est un rap- port assez analogue à celui-là, que les noms des choses soutiennent avec les définitions. Les noms, en effet, expriment aussi une totalité quelconque ; mais ils l'expri- ment d'une manière indéterminée; par exemple, le mot Cercle, que la définition résout ensuite dans ses éléments particuliers. % 6. C'est encore ainsi que les enfants ap- pellent d'abord Papa et Maman, tous les hommes, toutes les femmes, qu'ils voient; mais plus tard ils les dis- tinguent fort bien les uns et les autres.

d*accord avec ceUes des Derniers montant à ses éléments par la déânî-

Analytiqueêf Mrre 1, cb. 2, % h, tion, on découvre que le cercle est

page iO de ma traduction, et livre II, une figure terminée par une seule

dk 19, S 7, p. 190. ligne courbe dont tous les points sont

$ 5. Les nome du ehoêeê».. avu k égale distance d'un point central,

Uur définition^ on pourrait traduire dont tons les rayons, menés du centre

encore : le$ mots... avec Vidée; mais à la circonférence, sont égaux, etc.

la suite prouve qu*il s'agit spéciale- { 6. Les enfante,,» cette comparai-

ment ici de définition. Le moi son fort claire explique irès-bien ce

Cercle^ ce mot est le nom général quePauleura voulu dire un peu plus

d*une figure que Ton comprend d'à- haut par la totalité que donned'abord

bord dans sa totalité; mais en re- la sensation.

LIVRE 1, CH. H, S 1-

A3S

es:

CHAPITRE II.

Des principes; unité et pluralité des principes : Pannénide et Mélissus, les philosophes Ioniens et Démocrite. L'unité abso- lue de Tètre implique la négation de tous principes et détruit rétude de la nature; thèse d'Heraclite; erreur grossière de liélissus. L'être n'est point immobile ; il y a des êtres soumis au mouvement Méthode des Géomètres; démonstration d'Antiphon. Méthode à suivre pour critiquer les théories anté- rieures. .

S 1. Nécessairement il doit y avoir dans l'être ou un principe unique ou plusieurs principes. En supposant que ce principe soit unique, il doit être, ou immobile, comme le prétendent Parménide et Mélissns, ou mobile, comme l'affirment les Physiciens, soit qu'ils trouvent ce premier principe dans l'air, soit qu'ils le trouvent dans l'eau. En admettant qu'il y a plusieurs principes, ces principes sont en nombre fini et infini; s'ils sont finis, mais en étant toujours plus d'un, ils sont aloi*s deux, trois, quatre ou tel autre nombre; s'ils sont infinis, ils peuvent être

Ch. II, Si. Parménide et Méiiênu, loos deux de rÉoole d'Elée, qui ran- tenait l'aoité et rimmobilité de Pttre, et uiail par cooaéquent le moave^ meot, principe ettenliel de la nature, d'après Anatole. Voir le pedt traité spécial, Xénophane, Zénoo et Gor- gias, édîL de Beriin, p. 97A, et ia Métapkffnque, lifie I, eh. 5, p. 986, 2i. L«f Pkjfêieien», c'est-ft-

dire les philosofdies qui s^oocnpent pertinemment de Tétude de la na- ture, rÉoole d'Jouip, Thaïes, Anaxi- maodre et les antres. Voir plus loin, ch. 5. Dtuiê Voir, comme Dio- gèoe d*Apollonie et Aubximène, Mé- laphfsiifue, Hyre I, ch. 3, p. 98&, a, 5, édit. de Berlin. Dans Veau, comme Thaïes, MétaphtfsUfue, livre I, ch. 3, édit de Berihi, p. 988, b, }1.

28

A3& LEÇONS DE PHYSIQUE.

comme l'entend Démocrite, d'un seul et même genre, ne difiérant qu'en figure et en espèce ; ou bien ils vont même jusqu'à être contraires.

§ 2. C'est encore une étude toute pareille que font les philosophes qui recherchent quel est le nombre des êtres ; car ils recherchent d'abord si la source d'où sortent les êtres et les choses» est un principe unique, ou bien si ce sont plusieurs principes ; puis en supposant qu'il y ait plusieurs principes, ils se demandent s'ils sont finis ou infinis. Par conséquent, c'est rechercher encore si le principe et l'élément des choses est unique, ou s'il y en a plusieurs. § 8. Cependant, étudier cette question de savoir si l'être est un et immobile, ce n'est plus étudier la nature ; car de même que le Géomètre n'a plus rien à dire à un adversaire qui lui nie ses principes, et que cette

Démocrite, Métaphy$i^ve, livre I, bre des êtres et des choies de l'ani- ch. 8, édiU de Berlin, p. 985, b, 5. vers. Il en a parlé en termes à pen

Jusqu'à être contraires^ Aristole - près aussi yagues dans la Métaphy- ne nomme ici aucan philosophe t si^e, livre I, ch. 5, édît. de Berlin, mais il semble qne c'est Topinion p. 986, 15. Cest peut-être des Py- d'Empédocle et d'Anaxagore. Alexan- thagoriciens qu'il s'agit id.

dre d'Aphrodisée, d'après Simplicius, $ 9* Ce n'est plus étudiar la na-

croit que ces deux assertions se rap- ture^ parce que la nature est par es-

portent au seul Démocrite, qui lout en sence, selon Aristote, le principe même

admettant les atomes, qui ne diffèrent du roouvemenU Si l'être est un et

qu'en forme et en espèce, admet anasi lannobile, il n*y a plus à l'étudier

W plein et le vide, Q'cst»à-dtre les dans des phénomènes qn'fl ne pro-

coptraires. Dans la Mététphysique^ dutt pas ou qui ne sont qii*une ftlu-

livre I, ch, p, p. 985, 6, édiU de sion ) Il n'y a plnsqn^è le oontemp'«r

Berlin, le système des contraires est et à l'adorer, si l'on veut ; mais ce

formellement attribué aux Pjthago- n'est pas l'objet de la Physique.

ridens et à Aleméon de Crotone. À un aévorwire ^ M nie ses

% 2. Quel est le nombre des êêres^ prinàpes, la même pensée se retrouve

Aristote ne nomme pQs ces phlloi»- dans les ll0riit«rji4iia/yfifiiet,KvreT,

phes qui cherchent h prédan* le nom- ch. t2, p. 70 de me traduction. On

LIVRE, I, CH. 11, S 6. AS5

discussion appartient dès lors à uDe aatre scionce que la géométrie ou à ane science commune de tous les prin- cipes, de même le philosophe qui s* occupe des principes de la nature, ne doit pas accepter la discussion sur ce terrain. Du mmnent, en efiet, que Tètre est un, et un au sens d'immobilité on le prétend, il n'y a plus à pro- prement dire de principe, puisqu'un principe est toujours le principe d'une ou de plusie.urs autres choses. § i. Exa« miner si l'être est en ce sens, revient tout a fait à dis- cuter telle autre thèse tout aussi vaine, parmi celles qui ne sont avancées que pour le besoin de la dispute, comme la fameuse thèse d'Heraclite. Autant vaudrait soutenir que l'être entier se concentre dans un seul individu de l'espèce humaine. § 6. Au fond, c'est simplement réfuter

ne peat discaler une qoestioD dans les contraires se confondent ; il iCj a

les limites d*une science qu^en ac- plus ni Térité ni erreur ; et dès lors la

ceptant d*abord les principes de cette thèse même qn*on sontieot est anssi

science; on si on ne les admet pas, faine que la thèse opposée. Pour la

c'est qn'on passe à une science diflé- définition de la thèse, Toir les Tojn-

rente, on bien à la idence qui étudie ^ne*, livre I, ch. 3, page 38 de ma

d*une manière générale la valeur des traduction ( pour la théorie dallera»

principes ; et cette science snpérieore dite, voir Méiapkif9iqm£t livre I,

c'est la métapbjsique» *— Unt tciaiee cbap. 3, p. 984f 7, édition de Ber-

commune à tous Us principes, c'est Un. Dans un seul individu, peut*

la métaphysiqae et non la dialecti* être cette opinion avait-elie été soute-

qne» qui ne peut donner aucun fé* mfe par quelque philosophe qn'Aris-

sttltat vraiment scienlifiqae au sens tote ne nomme pas. 11 revient d'ail«

Aristolbe la prend. Voir les Der- leors nn peu plQs loin, ch^ 3, S iO«

niers Analytiques, livre I, ch. Il, S ^t «ir la thèse d'Heraclite, pour en ^

p. 08, et in Topiques, livre I, ch. 1, montrer tonte la (knasflté dmige-

SS & ^ 5, p. 2 d9 ma tmdnctioo. rense.

%k> Comme la fameuse thèse d' Hé' $5, Toat ce paiagiaphe est répété

raclite, & savoir que tout est dans an mol pour mot yn pe» pliw loin, ch. 4,

flux perpétuel. Ce principe admis, les S i' C'est ici, sans doute, qu'il doit

contradictoires sont également vraies, être supprimé, et c'est le parti que

à36 LEÇONS DE PHYSIQUE.

un argament captieux, défaut que présentent les deux opinions de Mélissns et de Parménide ; car elles reposent toutes deux sur des prémisses fausses, et elles ne con- cluent pas régulièrement. Mais le raisonnement de Hé- lissus est encore le plus grossier, et il ne peut pas même causer la moindre hésitation; car il suffit d'ime seule donnée absurde pour que tontes les conséquences le soient également; et c'est une chose des plus faciles à voir.

$ 6. Quant à nous, posons comme un principe fonda- mental que les choses de la nature, soit toutes, soit quelques-unes au moins sont soumises au mouvement; et c'est un fait que l'induction ou l'observation nous apprend avec toute évidence. § 7. Mais, en même temps, nous ne prétendrons point répondre à toutes les ques- tions, et nous ne réfuterons que les erreurs que Ton com- met dans les démonstrations en partant des principes ;

Bekker conseille, eo enfermant tonte cb. 5, p. 986, b, S7, édîUon de Ber-

œtte interpolation entre crochets. Je lin, Aristote Aiit à pen près la mène

l*ai laissée dans la traducUon, et je critique des opinions de Mélissns, aa-

crois devoir me borner è avertir le quel il réunit Xénophane, semblant

lecteur dans cette note. Le$ deux encore faire plus de cas de celtes de

opinions de Mélisnu et de Parme- Parménide. La Physique est citée

nide^ voir plus haut dans ce chapitre, dans ce même passage de la Èâita-

S i, Popinion de Mélissns et de Par- physique.

ménide sur Tunité et Pimmobililé de S O* VindMCiion et Cobservatiom^

l'être. Le raisonnement de Mélis^ il n*jr a dans le texte que le premier

sus^ ici Aristote ne dit point précisé- mot ; j*ai ajouté le second pour plus

ment en quoi le raisonnement de Mé- de clarté. Pour Tlnduction, Toir les

littsus s*écarte de celui de Parme- Premiers Analytiques^ livre H, dk

nide; mais il revient un peu plus Imn 23, p. SS5, et Derniers Analytiques,

sur cette différence. Voir le chapitre livre I, ch. 48, p. lit de ma traduo-

snivant, $$ & et 9. •« Le plus gros- tion.

sier, dans la [Métaphysique^ livre I, $ 7. En partant des principes^

LIVRE 1, CH. II, S 8- *57

nous laisserons de côté touies celles qui n*ea partent pas* C'est ainsi, par exemple, que c'est au géomètre de réfuter la démonstration de la quadrature du cercle par les seg- ments; mais le géomètre n'a plus rien à faire avec celle d'Antipbon. § 8. Néanmoins, comme sans traiter précisé- ment de la nature, ces philosophes touchent à des ques- tions physiques, il sera peut-être atile d'en dire ici

Arifllote ealend les prineipa quMI craies Qnaat à ToMigatiott pour cha-

adnet laiHiiêffle. La piadraiure que science, et poor la géométrie en

du cercle par iei jepneiiit, peat-étre parlicvlier, de oe UiMMiter que les

faot-il confondre la démonstration questions qui admettent leurs prin-

de la quadrature du cercle par les cipes, il faut ? oir le chapitre spécial

segments a?ec la démonstration par des Dernier» AnalytUfnest livre

les lunules, qu'Aristote attribue for- ch. 9, p. 53, de ma traduction.

meUement à Hippocrate de Chios, $ 8. Comme êons traiter préeiti-'

Réfutation* de» Sq»ki»te»f ch. 10, ment de la nature, ici le texte peut

p. 574 de ma traduction. Cette dé- avoir un autre sens, selon que Ton

monstretiun d*flippocrate de Chios cluinge la ponctuation, et signifier :

était fausse, puisque la quadrature Comme tout en traitant la nature,

du cercle est impossible ; mais du il» n'ont pa» touché à de» que»tion»

moins elle s^appujrait sur des prin- phifsique». Ce second sens parait le

clpes géométriques, tandis que celle meilleur à Alexandre d*Aphrodisée,

d*Antiphon s^appujait sur des prin- qui connaît les deux, et à Porphyre,

dpes contraires à toute géométrie, qui sans doute suit Alexandre. Le

Avec celte ttAntiphon, quelle était premier que j'adopte est préféré per

au juste la démonstration d*Anti- ThémistiuselSimplidus. Jecroisque

phon, c^est ce qu^il n^est pas facile de les deux sens peuvent également se

savoir d'après le peu qu'en dit Aris- soutenir. Parménide et Méliisus ne

toie. Antiphon est encore nommé un traitent pas réellement de la nature,

peu plus loin, livre II, cb. i, S i3« puisquMIs nient le mouvement ; et ils

et dans les Réfutation» de» Sophi»te», soulèvent seulement des question» qai

loc. dL^ p. 384, mais sans aucun dé- se rapportent à la nalure. Ou bien

mil ; et dans ce passage sa démonstre- on peut dire encore qu'ils traitent de

tion ne parait pas aussi dédaignée la nature, mab que les questions

qu'elle Test ici. Simplidus s'est ar- qu'ils soulèvent ne sont pas conformes

réié fort longuement sur les deux dé- aux principes de la Pbjsiqne. Aussi

roonstrations d' Antiphon et d'Hippo- Aristole ne les appelk-t-il pUs des

A38 LEÇONS DE PHYSIQUE.

quelques mots ; car ces recherches ne laissent pas que d'avoir leur côté de philosophie.

CHAPITRE IH.

Critique des théories qui admettent l'unité de Tètre; ce qu'on entend par Tunité de Tètre ; acceptions diverses des mots Être et Un ; théorie de Mélissus sur l'infinité de Fôtre^ et de Parménîde sur la finltude de l'être. Confusion absolue des êtres dans la théorie d'Heraclite et de Lycophron. L'être n'est pas un; et les êtres sont multiples.

g 1. Gomme le mot d*Ëtre reçoit plusieurs acceptions, notre point de départ le plus convenable sera d't^xaminer d'abord ce qu'on entend quand on dit que l'être est un. Comprend-on par que tout l'être est substance, ou bien que tout l'être est ou quantité on qualité? Si tout est substance dans l'être, comprend-on que c'est une subs- tance unique qui est tout l'être? et, par exemple, un homme un, un cheval un, une âme une, qui serait la

phjsloiens. Leur côté de pkUoêo- ni» du mot Être aont ceUes de subf-

pkU^ si ce D^est plus une discussion taooe et d'aocidenf , la substance for-

de phjrsiqne, c*est au moins une di»- mant la première catégorie, et TaocH

cussion de métaphysique. dent comprenant les neuf autres,

Ch, IJI, S i. Comme U mot ^Èlre quantité, qualité, etc. TuuX Citre

reçoit ptutieure aeeeptiaiu, voir les eet quamtité ou qualité, Aristote ne

CaUgorie», ch. 11, S P* &A de ma nomme que les deux premières caté-

tradttctiou,etill^tâ|»Ayti^rM9iivrelV, gorles après la substance; foir les

di. 7, p. 1,017, a, 7, édic. de BerKn. autres dans le traUé spécial des Car-

Les deut acceptions les plus gêné- tégorie», cbap. V, et snlv.

LIVRE I, CH. 111 S à.

AS9

substance de tout l'être? Si tout est qualité dans l'être, oomprend-on que c'est une qualité unique ? et , par exemple, que c'est le blanc, le chaud, ou telle autre qua* lité du même genre? Ce sont-là des points de vue trô»- différents; mais ils sont tous également impossibles à sou** tenir. § 2. En effets si l'être est substance et quantité et qualité, que d'ailleurs la qualité, la quantité et la subs- tance soient indépendantes et séparées les tines des autres ou ne le soient pas, il en résulte toujours qu'il y a plu- sieure sortes d'êtres. J 3. SI l'on dit que les êtres tout entiers sont qualité ou quantité, en admettant d'ailleurs ou en rejetant la substance, c'est une opinion absurde, si Ton peut qualifier d'absurde ce qui est impossible ; car rien ne peut exister séparément, si ce n'est la substance, puisque tout le reste se dit comme attribut de la subs- tance qui est le seul support. § A. Mélissus soutient que l'être est infini; à ses yeux, l'être est donc une certaine quantité, puisque l'infini est dans la quantité. Or, la subs- tance, pas plus que la qualité ou l'affection, ne saurait jamais être infinie, si ce n'est accidentellement, c'est-à- dire à moins d'être en même temps considérée comme des quantités à un certain point de vue. La définition de l'in*^ fini emprunte l'idée de quantité, mais ne suppose point

S 3. // y a ptutieHrê If rci, el qob point un être unique selon Thjpo- tbèse de Pannénide et de Mélisiua»

S S. Que U$ itres tout entière soHt qualité ou quantité, Aristole ne dit pas quels sont les phîlosopiies qui ont soutenu ceUe étrange théorie; mais elie ne répugne pas à la doe-

d^BéradilCi qui réduit lenonde à A*étise qa^one sooiitssioB de plién<H mènes sans substnaGe* Au fiwidi c'est le seeptidsMe. ^ Tout le régie ee dit comme attrikui de ia euhetanee^ voir

les Catéjforieê^ té, V, S &• !>• -^^ ma traduction. S 6. hiélUêui sovcienr, voir plus

hkO

LEÇONS DE PHYSIQUE.

celle de substance, ni celle de qualité. Si donc Tètre est à la fois substance et quantité, dès lors il est deux et non plus un. § 6. Si l'être n'est que substance, il n'est plus infini ; il n'a même plus de grandeur quelconque ; car il faudrait qu'il fût une quantité.

S 6. D'une autre part, comme le mot Un se prend en plusieurs acceptions tout aussi bien que le mot Être, il faut examiner à ce nouveau point de vue en quel sens on dit que tout l'être est un. Un se dit pour exprimer qu'une cbose est continue ou qu'elle est indivisible ; ou ce mot s'applique aux choses dont la définition essentielle, des- tinée à expliquer ce qu'elles sont, est une seule et même définition, comme, par exemple, la définition du Jus de la treille et celle du Vin.

g 7. Si par Un on entend continu, l'être alors est mul-

liaut^ ch. S 5, et plos bas, ch. &, Si. Si donc Cètre est à ta fois substance et quantité. Diaprés la doctrine d*Âristote, il n*y a pas d'être tans substance : et comme d'a- près Mélissus, Pètre est qualité en tant qu*infîni, il en résulte que Tétre n'est pas un, comme le dii Mélissus, mais qu'il est au moins deux.

S 5. Si Cètre n^est que substancCf il n'est plus infini^ la substance dans le système d'Aristote ne sort pas de l'individu ; et la théorie de la subs- tance infinie n'a été soutenue que beaucoup plus tard dans TÉcole d'Alexandrie. H faudrait qu^il fût une quantité, et dès lors il ne fierait plus une substance exclusive- ment.

$ 6. Tout auêii bien que le mot

Être, après avoir défini les diverses acceptions du mol Être, dans le S 1 etsuiv. l'auteur passe aux diverses acceptions du mot Un. Vn se ait, Aristote n'indique îd que trais nuances du mot Un ; il en indique davantage dans la Métaphysique, livre IV. cb. 6,^ p. 1,015, b, 16, édit. de Berlin. ^ Du Jus delà treille et celle du Vin, les deux expressions grecques diOèrent peut-être un peu davantage, la première comprenaat aussi ridée de l'ivresse, et l'autre ne comprenant que celle du vin.

S 7. Si par Un on entend continu, c'est le premier sens du mot Un, si- gnalé dans le S précédent. L'être alors est multiple, et il n'est plus un comme le prétendaient Parménide et Mélissus.

LIVRE 1, CH. HI, S tO. hki

tiple, puisque le continu est divisible à l'infini. § 8. Hais ici Ton élève sur les rapports de la partie et du tout une question qui, sans tenir peut-être bien directement à notre sujet, mérite néanmoins par elle-même qu'on l'exa- mine, c'est de savoir si le tout et la partie sont une seule chose ou plusieurs choses; de quelle manière ils sont ou une seule chose ou plusieurs ; en supposant que ce sont plusieurs choses, comment cette multiplicité a lieu, re- cherche qui peut également s'appliquer à des parties non continues; et enfin si chacune de ces parties, en tant qu'indivisible, est une avec le tout, attendu que chacune de ces parties constitue aussi une unité par elle-même.

g 9. Si l'être est un en tant qu'indivisible, il n'est plus alors ni quantité ni qualité, et il cesse d'être infini comme le croit Mélissus. Il n'est pas davantage fini, comme le soutient Parménide, puisque c'est la fin, la limite seule qui est indivisible, et non point du tout le fini lui-même. S 10. Si Ton dit que tous les êtres peuvent être un, parce qn'ils auraient une définition commune, comme, par exemple. Vêtement et Habit se définissent de même, on

S 8* Samê tenir Hen dbreeiewnent Uoos da mot Un indiquées plus haut

à notre mijêt, en efliet, cette qœ»- au S Comme le croit MétittUM,

tion est étrangère à celle qu'on dis- foir plus haut, cfa. S, $ 5. Comme

cote ici, et qui ccnsiste uniquement le eoutient Parménide^ îd. ibid. à rechercher les significations di» $10. Une définition commune^

tcrses du mot Un. La divisibilité à e'ett la dernière des accepUons du

l*infini emporte ridée de tout et de mot Un imtiqoées plus haut au

parties ,* mais c'est une digresaloo $ 0* Vêtement et BMt^ eu lanl

qui interrompt le raisonnement ; elle qu^objets destinés à eouTrir le corps

n'est peut-être qu'une interpolation, n'ont qu'une seule définition ; et, en

$ 9* Si CUre eêtunen îont pt'in- ce sens, ils ne sont qu'une seule et

divitible^ c'est la seconde des accep- même chose, comme plus haut le Jus

hhi LEÇONS DE PHYSIQUE.

ne fait plus alors que reproduire Topinion d'Heraclite. Désormûs tout se confond; le bien se confond avec le mal» ce qui n'est pas bon avec ce qui est bon ; le bien et ce qui n'est pas bien sont identiques ; l'homme et le che- val sont tout un. Hais alors ce n'est plus aflSrmer vrai- ment que tous les êtres sont un, c'est afiElrmer qu'ils ne sont rien, et que la qualité et la quantité sont iden- tiques.

S 11. Du reste, les plus récents, tout aussi bien que les anciens, se sont beaucoup troublés de la crainte de prêter tout ensemble à une même chose l'unité et la multiplicité. Pour échapper à cette contradiction, les uns ont supprimé le verbe d'existence et retranché le mot Est^ comme Lycophron. Les autres ont atténué l'expression pour la mettre en harmonie avec leurs idées ; et pour ne pas dire que l'homme est blanc, ils disaient qu'il blanchit; au lieu de dire qu'il eht marchant, ils disaient qu'il marche ; et tout cela pour éviter, en admettant le mot Bit, de faire plu-

de la Uville et le Vin. Vopbdon lait faire ici allosioo à PlatOD ; mais

d'Heraclite^ k sBToir que tout est Simplicius réftate œUe coujecture,

daos un flux perpétuel, Métaphy* qui, eu effet, parait peu souteoal»le.

êU/ue, livre Xlil, eh. 4, p. I,07S, b, ^ êimchit, dans le verte bUnchir

iA, édit de Berlin. «*^ Tomt se c<m- le ferbè d*existenoeMr« eil ooftlbodu

fomd , c*cst i^etajeetlon la plus ivec ridée de Mane ; eouine dans t7

forte contre un pareil système, marche, il est eonfonda avec ridée de

S 11. Comme Lfcapkron , on ne marober. On ne voit pas dd reste

sait point précisément ce qu*esl ce comment cet artiSce de langage dé'

Lycophron. Aristole le cite enéora truisait la oontiadictUm apparente

une autre lois, mais sans donner qne l*OD prélendallt évUer. L'eipé*

plus de détails, A^/«ia(ioiis dee 5ih dient était bien inutile; car dMM

pkùtes, ch. 15, S 46, p. SSa de ma cette locution : Vkomme élanekit ,

traduction. Le$ autres^ Aleiandre il y deot cboses tout énssi bien que

d'Aphrodisée croyait qu'Aristote vou- dans ceHe^si : Ch<mme eet Mmnu

LIVRE I, CH. m, S IS. hhi

sieurs êtres de ce qui est un, supposant sans doute que rUn et TËtre ne peuvent avoir qu'une seule acception. S 12. Mais les êtres sont multiples, d'abord par leur défi- nition ; car la définition de blanc, par exemple, est autre que celle de musicien , bien que ces deux qualités puissent appartenir à un seul et même être ; et, par con- séquent, l'Un est multiple; ou bien les êtres sont mul- tiples aussi par la division, comme le tout et les parties. Sur ce dernier point, les philosophes dont nous parlons s'embarrassaient fort, et ils avouaient que l'Un est mul- tiple, comme si la même chose ne pouvait pas être une et plusieurs à la fois, en ce sens seulement qu'elle ne peut avoir à la fois les qualités opposées, puisque l'Un peut exister et en simple puissance, et en réalité complète ou eotéléchie.

§ 13. En suivant la méthode qui vient d'être exposée, on peut conclure qu'il est impossible que les êtres soient un seul et même être.

$ii, Let étrêê 90ttt mmltipUê^ té- «si aatre 411e eodâdM daii»«lia€OBe

ftttatjon de Popinion qui Tient d^étre de ses parties, exposée. Muiieien , l'expression $ 13. // e$t impoiribU^ Aristote se

grecque est plus générale^ et elle si- proMiooe énergiqoenient oontie les

gpiBe t Un «l^e des Vnses ; Mils doctrines de rfiooie d'filée et contre

cette ooance D*iniporte^iol ici. l*oaité de l'être. Vdr sur tonte cette

L\m €êt muttipUy pnisqvc le néme disenssion , le Parmémiée et le 5o-

être pcttt fénnir ces denx qualités. pkUte de PlalOD, pasgim et surtout

Cmnme U fiml tt Im parties, pw SA 8 et soiv* de la traduction de

Tétre considéré oouime une totalité U. V. Cousin.

hhh LEÇONS DE PHYSIQUE.

CHAPITRE IV.

Réfutation de Mélissus; réfutation de Parménide; conséquences Insoutenables de ces deux systèmes. L*unité de Pôtre ne peut se comprendre. Systèmes qui ont admis à la fois l'unité et la division de Tètre; réfutation de ces estâmes.

§ 1. Même en partant des principes que ces philo- sophes admettent dans leurs démonstrations, il n'est pas difficile de résoudre les questions qui les arrêtent. Le rai- sonnement de Mélissus et de Parménide est également captieux; ils ont l'un et l'autre des prémisses fausses, et ils ne concluent pas régulièrement. Mais le raisonne- ment de Mélissus est encore plus grossier et ne peut pas même causer la moindre hésitation. Il suffit d'une seule donnée absurde pour que toutes les conséquences le soient également; et c'est une chose des plus faciles à voir. S 2. Il est de toute évidence que Mélissus raisonne mal ;

Ch, iVf% 1. Mime en parumt, œ $ S. MéUuuê raiMmme mo/v il ne

paragraphe est à peu près la simple senlile pas que le principe de Mélis-

répéCitioo de celui qui a été d^à sas, présenté oomme il Test ici* soit

denné plus haut, ch. S. $ 5. Mais id aussi Aui qu'AristoCeledIt ; du moins

ce paragraphe semble mieux à sa la réAilatlon n*e8t pas péremptoire,

place. Simplidtts, dans son commen- parce qu*elle n*est pas asset défelo|H

taire, ne paraît pas s'être aperçu de pée. H aurait ftiUu prouver que lliy-

cette répétition, qui indique sans pothèse de Mélissus est erronée» et

doute du désordre dans le texte ; car que ce qui n*a pas été produit peut

il n'est pas probable qu^à un si petit avoir un principe. J'aurais voulu ren-

intervalle, l'auteur ait voulu formel- dre ma traduction plus claire; mais

lenient se répéter mot pour moL ce n*est pas Pexpression qui ert obs-

LIVRE I, CH. IV, g A. AA5

car il admet cette hypothèse, que du moment que tout ce qui a été produit a un principe, ce qui n'a pas été pro- duit ne doit point en avoir, g S. C'est encore une erreur non moins grave de supposer qne tonte chose a un com- mencement et que le temps n'en a point; qu'il n'y a point de principe pour la génération absolue, mais qu'il y en a pour l'altéiation, comme s'il n'y avait pas tel change- ment complet qui se produit tout d'une pièce, g A. Eu- snite, pourquoi l'être doit-il être immobile, parce qu'il est un? En effet, quand une partie du tout qui est bien une, de l'eau, par exemple, se meut par elle-même, pour- quoi l'être entier ne pourrait-il pas se mouvoir, lui aussi, de la même façon? Et pourquoi l'altération y serait-elle

cure; c^est la pensée même, qui est nue. Non plus qtu pour Caltéra"

restée incomplète. Les commenta- tion, par Taltération, Anatole entend

tenn tant anciens que modernes ne no changement soeoessif qui se passe

donnent rien de satisfaisant snr ce dans Tètre lui-même et par des causes

passage auquel ils ne se sont pas en intérieures. La génération, au con-

général beaucoup arrêtés, coounes^it traire, vient nécessairement do de^

éUit parAitement intelligible. Sim- hors. Qui te produit tout d'une

plidus est à peu près le seul qui ait pUee, les commentateurs citent pour

essayé de Tapprofondir, et il a cité exemple, la lumière du soleil qui

un long et curieux fragment de Mé- éclaire tout à coup le ciel, l'eau qui

lissus, se trouve en effet Topinion se congèle tout à la fois, ou le lait

qu*Aristote se croit en droit de con- qui se coagule. Mais ces éclaireisse*

damner comme irrégulière et logi- ments laissent toujours à désirer,

qnement fausse ; mais les efforts de Pour comprendre pleinement la ré-

Simplicius n*ont pas trè^-bien réussi ; fotation d*Aristote, il faudrait avoir

et il ne fiiit pas voir non pins en quoi sous les yeux Poovrage même deMé-

pèche le raisonnement de Mélissus. lissus auquel il répond.

%l. EtqueU temps n'en a point, $ 4. Et pourquoi Vaiiération y te-

il parait donc qne Mélissus soutenait rait-eUe impo$MibU, Métissas, comme

l^étemité du monde. C'est une opi- Parménide, niait non-seulement le

nton qo*Aristote luinnême a soute- mouvement qui s'opère par le dépla-

hhd LEÇONS DE PHYSIQUE.

impossible? S 5. Enfin, il ne se peut pas que Têtre soit un en espèce, à moins que ce ne soit par l'identité dq prin- cipe d'où il sort. Il est même certains pbysioieps qui en- tendent l'unité de l'être entier en ce dernier sens, et qai ne l'entendent pas dans l'acception précédente; car, disent-ils, l'homme, par exemple, est en espèce di£R&rent du cheval, et lee contraires diffèrent également d'espèce entr'enx.

§ 6. Les mêmes arguments penvent être employés contre Parménide, bien qu'on puisse aussi lui en opposer de spéciaux ; et la réfutation consiste encore pour lui à démontrer d'une part que ses données sont fausses, et d'autre part qu'elles ne concluent pas. § 7. D'abord la donnée est fausse en ce qu'il suppose que le mot Être n'a qu'un seul sens, tandis qu'il en a plusieurs. §8. En se- cond lieu, il ne conclut pas régulièrement en ce qu'en admettant même que le blanc soit un, les objets blancs n'en sont pas moins plusieurs et non point un seul évi- demmQOt, En effet, le blanc n'est un ni par la continuité.

cément dans l*esp«ioe < mais en outre qni, dans Je système d^Arislote, crt

ce changement qui s^opère dans Tètre logiquement Pélément commun et in*

Ini-méme et constitue cette forme déterminé de tous les êtres,

partieulièrc du mouvement qu*on $6. Les marnes arpiiments, qa^on

appelle Taliération» vient de présenter contre la tiiéorie

S 5. Que l'âtre êoit un en ttpèee^ de Méliâsns. i~ Que ae» données umt

c^est-à*dtre que tous les êtres soient fausus, voir plus haut, $ 4. fie

de la même espèce ( car évidemment qu^elles ne concluent poi^ id. ibid.

les espèces sont différentes, et d'après S ?• Tandi$ qu*U en a plueieun^

Teiemple donné plus bas Pespèce de voir plus haut, chap. d, S$ I et sufv.

l'homme n'est pas oeHe du cheval. «««- quelques-unes des aeoeptioos princi-

Par CiUentité duprineipe d'oii il e4nru pales du mot Être,

on peut entendre par oaci la matièse $ S. -*- iVi par la continuité, ni

LIVRE I, CH. IV, S 0. Aâ7

ni par la âéfiohioo; car Teseeiioe de la blancheur est autre que Fesseoce de l'être qui reçoit cette blancbenr ; et, en dehors de Tètre qui est blanc, il n'existe pas de substance séparée, pnisqne ce n'est pas en tant que la blancheur est séparée qu'elle diffère de l'être blanc, liais, encore une fois, c'est que l'essence de la blan- cheur est autre qae l'essence de l'être à qai cette blan- cheur appartient; or, c'est ce que Paraiénide n'a pas su voir.

S 0. Ain^ donc, quand on soutient que l'être est un, il faut de toute nécessité admettre non-seulement que l'être exprime l'Un, bien qne l'Un lui soit attribué, mais qu'il exprime aussi tout ensemble et l'existence réelle de l'être, et l'existence réeUe de l'Un, puisque Taccident est tou- jours attribué à un sujet. Par suite le sujet auquel alors on applique l'être comme attribut, n'a plus d'existence propre puisqu'il est différent de l'être; et voilà un être sans existence qui existe. C'est que de fait rien n'a l'exis^ tence substantielle que ce qui est réellement ; car il ne se

par ta définition^ voir plus haut, pie attribut de Tun. Et Vexiêtence

ch» 3, S 6. *— X>« Vitre qui re^t réelUéePmnyqaietifn%9kneomme

cette blancheur, il n*y a que la subs^ sujet de Tétre. -* L'accident, qui est

tance qui ait une existence séparée et ici Tétrc joint à TDo comme atlribuL

indépendante. Voir la théorie de la Puie^'U est diférmt de Vitre,

substance dansi les Catégariee, ch. Vi qui lui est simplement attribué, tan^

S 1 S, p- 65 de ma traduction* dis que l'être an contraire devrait

% 9. Que Vitre est wi, peut-être être le sujel de tous les attributs. «^

faudrait-il traduire, au contraira, que Un être $ans eariêtanee qui eariete,

VVn eet Vitre^ pour que ceci s^ao- puisque dans les théories d^Aristote

cordât mieux arec ce qui suit. Le l'être seul, pris an sens d^indiridu, a

texte grec se prêterait à cette double une existence substantielle, tandis

interpréUtion.— L'farisf fiiC0 réeUeda que Pon n'est qu'on attribut. Qvét

réfr«,quiest pris alorsoorooie unsim- ce qui eei réeltement^ à TéCat d'indi*

4A8 LEÇONS DE PHYSIQUE.

peut pas qu'un être soit son attribut à lui-mèuie, à ofioins que le mot Être n'ait plusieurs sens qui permettent d'at- tribuer l'existence à chacune de ces choses particulières. Mais on suppose que l'Être ne signifie que l'Un. § 10. Si donc Tètre réel n'est jamais l'attribut accidentel de quoi que ce soit, mais qu'il reçoive au contraire les attributs, comment pourra-t-on dire que l'être vrai signifie l'être plutôt que le non^tre ? Car si l'être réel se confond avec le blanc par exemple, et que l'essence du blanc ne soit pas identique à celle de l'être, puisqu' aucun être ne peut jamais être l'attribut du blanc, il s'en suit qu'il n'y a d'être que l'être réel ; et le blanc dès lors n'est pas, non point en ce sens qu'il n'est pas tel être, mais en ce sens qu'il n'est pas absolument du tout. Ainsi l'être réel devient un non-être; car il est exact de dire qu'il est blanc, et le blanc n'exprimait pas l'être. § 11. En résumé, si le blanc exprime un être réel, il faut reconnaître dès lors que le mot. Être peut avoir plusieurs sens divers.

§ 12. L'être, tel que le comprend Parménide, ne sera même plus susceptible d'une dimension quelconque, du

▼idu ayant sa ftabstanoe propre et in- jamais être Pattrihut du blanc, puis- dépendante» A chacune des choses que le blanc lui-même est un attribut, partieulièree, c'est-à-dire à Tnn aussi et qu'il ne peut y a? oir attribut d'at- bien qu'à Pètre, aux attributs aussi tribut, au sens vrai da root. Uètre bien qu'aux sujets. Parménide réel devient un non-^tre^ si l'on con- êuppose^ le texte grec n*est pas aussi fond Pétre et Pacddeut ou attribut, précis, et il ne nomme pas Parme- $ 11. Le mot être peut avoir plu- nide, disant seulement : Il est gup- sieurs sens divers, et alors il n'est posé que^ etc., etc. plus au sens Peotendait Parmë- S iO. Comment pourra-t-on dire, nide, puisqu'il faut reconnattre tout dans le système de Parménide, qui au moins dans Pétre la substance et confond Pétre et l'un dans une seule les attributs, et même idée. <— iittaen être ne peut $ 4î. Tel que le comprend Par-

LIVRE I, ce. IV s 14. 449

nioment qae ce seul être est l'être réel, puisque chacune des deux parties du tout a toujours un être différent. § 13. Pourse convaincre que l'être réel se divise essentiellement en un autre être, il suffit de regarder à la définition d'un être quelconque. Par exemple, si l'homme est défini un certain être réel, il faut absolument que l'animal et le bipède soient également des êtres ; car si ce ne sont pas des êtres, ce sont des accidents, soit de l'homme soit de tout autre sujet; ce qui est évidemment impossible. S 14. En effet on entend par accident ou attribut dans le langage ordinaire, d'abord ce qui peut indifféremment être et ne pas être dans le sujet, et ensuite ce dont la définition comprend l'être dont il est l'attribut. Ainsi être assis est un simple accident d'un être quelconque, en tant qu'ac- cident séparable ; mais dans l'attribut Camard, il y a la définition de nez ; car c'est du nez seul que nous disons qu'il peut accidentellement être camard.

ménuUf j*ai ajouté ces mots pour ajouté le second mot pour pliis de

édaircir la pensée. A toujours un clarté. Voir pour la définition de Tac-

être différent, et alors Tétre est mol- cident. Métaphysique, livre IV, cli.

tiple,et non point un, comme le veut SO, p. 1025, a, iÂ, édit de Berlin,

Parméaîde. et livre XI, cb. 8, p. i06Â, b, 15;

S 18. Que Canimat et le bipède. Derniers Analytiques, livre II, ch. h,

lldée d^animal et celle de bipède en- J à, p. 2S de ma traduclion. Ce

lient essentiellement dans la dé6ni- ^t peut indifféremment être ou ne

Uon de rhomme. Ce sont des ac- pas être, c'est ce qui fait qu'il n'y a

cidents, ce qui est impossiUe ; car pas de science de raccidenl, comme

rhomme est essentiellement animal le dit Aristote, Métaphysique, liv.

a bipède ; ce sont deux attributs XI, ch. 7. Dans le sujet, c'est

substantiels qai se confimdent avec l'accident commun à plusieurs sujets,

l'être nécessairement, et ne peuvent Et ce dont la définition comprend

en être séparés, sans que l'être lui- têtre, c'est l'accident propre et spé-

même ne soit détruit cial à un seul être, à une seule chose ;

S ià. Accident ou attribut, j'ai c'est l'accident inséparable. L'édition

29

450 LEÇONS DE PHYSIQUE.

§ 15. 11 faut ajouter encore que tout ce qui est compris dans la définitiou essentielle d'une chose, ou quien fonne les éléments, ne comprend pas néanmoins nécessairement dans sa définition, la définition du tout lui-même. Ainsi, la définition de l'homme n'est pas dans celle du bipède; bien encore celle de l'homme blanc n'est pas dans la définition du blanc. § 16. Si donc il en est ainsi, et que le bipède soit un simple accident de l'homme, il faut né- cessairement que l'accident soit séparable, c'est-à-dire que l'homme puisse n'être pas bipède ; ou autrement, la définition de l'homme serait impliquée dans l'idée de bi- pède. Mais c'est ce qui est impossible, puisqu'au con- traire c'est l'idée de bipède qui est impliquée dans la

de Berlin indique ici une troisième Parménide. Voici, je crois, le lien espèce d'accident dans une phrase des idées : L^ètre n'est pas un comme que je ne traduis pas, parce qu'elle Parménide le soutient ; car dans la ne se trouTC point dans le texte de définition même d'un être qudoon- Simplicius, qui ne Ta point commen- que il y a toujours d'autres êtres que tée. C'est sans doute une interpola- lui, nécessairement impliqués. Les tîon. Du reste, on retrouve en partie deux parties de la définition ne sont crtie pensée un peu plus bas, $ i5. pas absolument équivalentes. On dè- Ètre assis est un simple eucidenty finit fort bien l'hommo en disant qne c'est la première espèce d'accident c'est un animal bipède» etc. ; mais ou attribut qui peut être ou n'être réciproquement on ne définit pas Ta- pas au sujet. Mais dans l'attrù' nimal ni le bipède en disant qu'ils but Camardy seconde espèce de l*at- sont hommes, bien qu'animal et bi- tribut, qui contient déjà dans sa dé- pède entrent dans la définition de finition Pidée même du sujet auquel Thomme. Ainsi, la définition prouve il est attribué. Camard suppose Pi- que l'être n'est pas un, et qu'au cou- dée de nei, et ne peut se définir que traire il est multiple. si Ton fait entrer cette idée dans sa ] i6. Soit un simpU Mditoif, définition. c'est-à-dire un accident ^arable qui S 15. /< faut ajouter encore^ ce peut être ou n'être pas dans le snjeL S est obscur, et on ne voit pas bien Ou autrement, voir plus haut, comment il continue la réfutation de $ lA. L'accident inséparable est ce-

LIVRE I, CH. IV, S 18. 4SI

défiaition de rhoamie. § 17. Si bipède, sÛDsi qu'animal, peat être l'acddent d'ua autre ôtre, il s'ensuit que ni fun ni l'autre ne sont des êtres réels, et que l' homme est aussi au nombre des accidents qui peuvent être attribués à un autre être. Mais l'être réel est précisément ce qui ne peut jamais être accident ou attribut de quoi que ce soit ; c'est le sujet auquel s'appliquent les deux termes, soit chacun séparément, soit même réunis dans le composé total qu'Us forment.

S 18. Ainsi donc, l'être total est composé d'indi- visibles.

lui qui comprend dans sa définition composé (tindivUibUB^ celte plirase

ridée même du sujeL Camard oom* qai n*a point été commentée par Siai-

prend l^idée de Nei. plicîas, qaoiqtt^elle paraisse avoir été

S 17. Si bipède^ ainti ^'animaly dans son texte, yient ici bien brus- bipède et animal compris dans la dé- qoement. Pacias proposerait de lui finition de llioaime ne sont pas des donner une fbrnie iatenrogatiTe, et accidents communs ; car Thomme ne alors ce serait une objection qn^Aris- peut pas indiflëremment être ou n^è- tote opposerait à Parménide : L*6tre tre pas animal et bipède. Ce ne sont total serait-il donc composé dMndiTi- pas non plus des accidents insépa- sibles? Mais cet expédient n'éclairdt râbles» puisque la définition de Tun pas dayantag e la pensée. Ce qui sem- ou de rautre ne contient pas néoes- ble le plus probable, c*est que Tau- sairement Pidée du sujet, attendu teur croit pouvoir conclure de la dis- quMl y a d^autres êtres que Thomme, cussion précédente que Tétre n'est qui sont animaux et bipèdes. pas un, comme le soutenait Parmé- V homme est aussi au nombre des ao-' nide, et que Pêtre n'est qu'un com- cidents, parce que l^homme équivaut posé d'autres êtres individuels, ce qui ^ sa définition : animal bipède, etc. ; implique la multiplicité de l'être, et que si animal et bipède sont de Thémistios aussi, dans sa paraphrase, purs accidents, l'homme alors le de- comprend qu'il s'agit de l'être dans vient tout comme eux. Or^ c'est im- sa totalité. « L'être réel, dit-il, se possible, puisque l'homme est essen- compose d'indivisibles et d'insépara- tiellement une substance. blés, qui sont .eux-mêmes des êtres

S 48. Ainsi donc l'être total est aussi réels que luL »

452 LEÇONS DE PHYSIQUE.

g 1 9. Quelques philosophes ont donné les mains aax deux solutions à la fois ; d'une part, à celle qui admet que tout est un, si l'être signifie Tun, et que le non-ëtre lui- même est quelque chose; et, d'autre part, à celle qui arrive par la méthode de division successive en deux, par la dichotomie, à reconnaître des existences et des gran- deurs individuelles, g 20. Mais, évidemment, il est faux de conclure, parce que l'être signifierait l'un, et parce que les contradictoires ne peuvent être vraies à la fois, qu'il n'y à pas de non-être ; car rien ne s'oppose à ce que le non-être soit non pas absolument quelque chose qui n'est pas , mais qu'il ne soit pas un certain être. Ce qui est absurde c'est de soutenir que tout est un par cela seul qu'il n'existe rien en dehors de l'être lui-même; car qui pour- rait comprendre ce qu'est l'être, s* il n'est pas un certain être réel? Et, s'il en est ainsi, rien ne s'oppose à ce que les êtres soient multiples, ainsi que je l'ai dit.

§ 21. Il est donc de toute évidence qu'à ce point de vue il est impossible de dire que l'être soit un.

J 19. Quelques pkilosophest c*esi homme ; le noir n^est pas le blanc,

de Platon qu^Aristote entend parler Dans ce sens, le non-étre est encore

ici, bien qu^il ne le nomme pas. quelque chose de relatif. Ce n^est pas

Des existences et des grandeurs, il le non-être absolu, au sens de Tècole

n*j a qu^un seul mot dans le texte, d'ÉIée. Ainsi que Je Cai dit, Totr

grandeurs, Individuelles, fai pré- plus haut, ch. 3, S 43.

réré ce mot à celui dMndi visibles. Du $ 3i. // est donc de toute évidence,

moment qu^on admet des grandeurs conclusion de tout ce qui précède;

Indivisibles, Pétre n*est plus un, et Tu- mais la discussion n'a point été aussi

Divers se compose d'êtres différents, claire et aussi précise qu^elle aurait

S SO. Qu'il ne soit pas un certain pu Têtre. Que Cètre soit un, ainsi

Kre, le non-être se réduit alors à la que le soutenaient à tort Parménide

privation : Le cheval n'est pas un et Mélissus.

LIVRE I, CH. V, S 2. 458

CHAPITRE V.

Réfutation de quelques autres systèmes sur TuDité de Têtre : les Physiciens, Platon, Anaximandre, Empédocle. Réfutation spéciale d'Anaxagore. U n'est pas possible que tout soit dans tout ; démonstration de Tabsurdité de ce principe. Autre erreur d'Anaxagore sur la génération des choses. Empédocle.

S 1. Pour étudier ce que disent les Physiciens, il faut distinguer deux systèmes. § 2. Les uns, trouvant Tu- nité de l'être dans le corps qui sert de sujet substantiel aux attributs, ce corps étant pour eux, soit un des trois éléments, soit tel autre corps, plus grossier que le feu et plus subtil que l'air, en font sorUr tout le reste des êtres, dont ils reconnaissent la multiplicité, par les modifications infinies de la condensation et de la raréfaction, de la den- sité et de la l^ëreté. Mais ce sont des contraires qui,

Ch, F, S 4. La Physiciens, c'est- sens 06 l'enteudAristole lui-même. ,à-dire les philosophes qui étudieot la Vn des trois éléments, Teau, Tair ou Datare sans nier, comme Parménide le feu, personne n*ayant proposé de et MéUssus, les principes mêmes de regarder la terre comme le principe la science en soutenant Tunité et Tim- universel des choses, si ce n^est peut- mobilité de Pétre. Voir plus haut, être HèiïioJe ; voir dans la Métaphy- cb. 2, SS i et 7. Les Physiciens, dans sique, liv. I, eh. 8, p. 989, a, 10, un sens plus spécial, sont surtout les édition de Berlin. Dont ils recon- philosophes de TÉcole d''Ionie« naissent la multiplicité, que niaient

S 2. Vunité de Cétre dans U corps, Parménide et Mélissus. De la den-

ce n'est plus Tunité de Têtre au sens siié et de la légèreté, l'élément qu'on

Tentendait TÉcole d'Élée; c^esl prend pour principe est supposé

Tunité de l'être dans Pindividu, au pouvoir produire tous les êtres selon

464 LEÇONS DE PHYSIQUE.

d'une manière générale, ne sont qu'excès et défaut, comme le dit Platon en parlant du grand et du petit. Seulement Platon fait de ces contraires la matière même, réduisant l'unité de l'être à la simple forme, tandis que ces physiciens appellent matière le sujet qui est un, et appellent les contraires des différences et des espèces. § 3. Quant aux autres physiciens, ils pensent que les contraires sortent de l'être un qui les renferme, comme le croient Anaximandre et tous ceux qui admettent à la fois l'unité et la pluralité des choses, par exemple, Era- pédocle et Aoaxagore. Car ces deux derniers philosophes font sortir aussi tout le reste du mélange antérieur ; et la seule divergence de leurs opinions, c'est que l'un admet le retour périodique des choses, tandis que l'autre n'y admet qu'un mouvement unique ; c'est que l'un regarde comme infinies les parties similaires des choses et les con-

qu*il se condense oo se raréfie. j*ai ajouté ce dernier moL Vùh

Platon en parlant du grand et du admet le retour périodique des duh-

petit, Yoir le Phédon de Platon, p. 288 m«, Toir le traité de la Génération et

de la traduction de M. V. Cousin. Il de la corruption^ livre I, ch. 1, p.

est possible aussi que Platon ait en- ziu, édiL de Berlin. G*est le Spbc-

core traité de ces sujets dans des ou- rus d*Empédode, mouvement alter-

vrac^ qui ne sont pas parvenus jus- natif d*enveloppement et de dévelop-

qu'à nous. pement des choses, idée tout in-

S 8. Quant aux autres physieiensj dienne. Vautre n'y admet q^un

c'est le second des deux systèmes . mouvement unique, c'est Anazagore

dont il a été parlé plus haut au S 1* qui attribue à Tintelligenoe divine le

Empédocle et Anaecagore^ voir les débrouillement du chaos, voir la Mé'

opinions d'Empédocle et d'Anaza- taphysique^ livre I, ch. A, page 985,

gore dans la Métaphysique, livre I, a, 18, édlt. de Berlin. Les parties

ch. S et &, p. 8Â9 et 985, édit de similaires , les Homceomérles d'A-

Berlin : et de la Génération et de la nazagore. Voir le traité de la Gêné-

corruption^Mvrt I, ch. i, p. 8iA, a, ration et de la corruption, livre I,

12, 15. Du mélange antérieur, ch. i, page 91&, édlt de Berlin, et

LIVRE 1, CH. V, S 5. 455

traires, tandis que l'autre ne reconnaît pour infinis que ce qu'on appelle les éléments.

3 à. Si Anaxagore a compris de cette façon l'infinité de l'être, c'est, à ce qu'il semble, parce qu'il se rangeait à l'opinion commune des Physiciens, que rien ne peut venir du néant; car c'est par le même motif qu'il soutient que « tout à l'origine était mêlé et confus^ » et que ce tout phénomène est un simple changement, n comme d'autres soutiennent encore qu'il n'y a jamais dans les choses que composition et décomposition. § 5. Anaxi^ore s'appuie de plus sur ce principe que les contraires naissent les uns des autres; donc ils existaient antérieurement dans le sujet ; car il faut nécessairement que tout ce qui se pro-^ duit vienne de l'être ou du néant ; et s'il est impossible qu'il vienne du néant, axiome sur lequel tous les physi- ciens sont unanimement d'accord, reste cette opinion qu'ils ont accepter, à savoir que de toute nécessité les

Métaphysique, loc laud. L'autre pie changement, Toir le traité de la

ne reeoKMit etmtme infini»^ c^est Bm- Génération et de Ut corruption. H-

pédocle qui. diaprés Aristote, a été le vre I, ch. 1, page 31 A, lAt édlt.

premier à distinguer les quatre élé- de Berlin. Composition et décom-

ments. Métaphysique, liTre l, ch. H, position, c'est le système d*Empédo*

p. 98^ a, 8, édii. de Berlin. clè, le Sphsnis, d*où sort le monde,

{ A* L'opinion commune des Phy^ et le monde qui rentre dans le Sphs-

sicienM, voir la Métaphysique, livre rus.

XI, cb. 6, page 1062, b, 25, édit de $ 5. Anaxagore s'appuie de plus,

Berlin. Tout d (^origine était le texte n^est pas ausû précis, et il ne

mèU et confus, opinion d* Anaxagore nomme pas formellement Anaxagore.

qui commençait ainsi un de ses ou- Les contraires naissent les uns

▼rages. Voir la Métaphysique, livre des autres, voir Platon, Phédon, p.

I, ch. &, p. 9Bh, a, 15, édit. de Ber- 282 et suiv. de la traduction de

lio^ et surtout le commentaire de M. V. Cousin. Les contraires

Simplicius sur ce passage de la Phy- naissent if éléments qui existent déjà,

sique, Tout phénomène est un nm- ainsi il y aurait dans le blanc les élé-

456 LEÇONS DE PHYSIQUE.

contraires naissent d'éléments qui existent déjà et sont dans le sujet, mais qui grâce à leur petitesse échappent à tous nos sens. § 6. Ils soutenaient donc que tout est dans tout, parce qu'ils voyaient que tout peut naître de tout, et ils prétendaient que les choses ne paraissent différentes et ne reçoivent des noms distincts, que d'après l'élément qui domine en elles par son importance, au milieu du mélange des parties dont le nombre est infini. Ainsi, ja- mais le tout n'est purement ni blanc, ni noir, ni donx, ni chair, ni os; mais c'est l'élément prédominant qui est pris pour la nature môme de la chose.

§ 7. Cependant, si l'infini, en tant qu'infini, ne peut être connu, l'infini en nombre et en grandeur étant in- compréhensible dans sa quantité, et l'infini en espèce l'étant dans sa qualité, il s'ensuit que du moment que les principes sont infinis en nombre et en espèce, il est im- possible de jamais connaître les combinaisons qu'ils forment, puisque nous ne croyons connaître un composé que quand nous savons l'espèce et le nombre de ses élé- ments. § 8. De plus, si une chose dont la partie peut être d'une grandeur ou d'une petitesse quelconque, dojt être

menls du noir ;' et réciproquement, la théorie d^Anaxagore, qui, si die

de même pour tous les autres con- était exacte, détruirait la science de

traires. Échappent à touM nos la nature, attendu que Tinfinî soit en

sens, alors il est impossible de dé- nombre et en grandeur, soit en es-

montrer la réalité de ces éléments. pèoe, échappe à Tesprlt de Thomme.

S 6. Que tout est dans tout, la Les principes étant infinis, selon

conséquence est rigoureuse ; mais le système d^Anaxagore. Les eom-

c^est le principe qui est faux. Voir la binaisons qu'ils forment, et par con-

Métaphysique, liyre III, ch. 5, p. séquent la nature qui se compose des

1009, a, 20, édit de Berlin. corps ainsi formés. Anaxagore pré-

S 7. 5t Cinfini, objection contre tendait que les parties similaires sont

LIVRE I, CH. V, S 9. AÔ7

elle-même susceptible de ces conditions, j'entends une de ces parties dans lesquelles se divise le tout; et s'il est possible qu'un animal ou une plante soit d'une dimen- sion arbitraire en grandeur ou en petitesse, il n'est pas moins clair qu'aucune de ses parties non plus ne peut être d'une grandeur quelconque, puisc|u'alors le tout en serait également susceptible. Or, la chair, les os et les autres matières analogues sont des parties de l'animal, comme les fruits le sont des plantes ; et il est parfaitement évident qu'il est de toute impossibilité que la chair, l'os ou telle autre partie aient une grandeur quelconque in- différemment, soit en plus soit en moins.

S 9. En outre, si toutes les choses, telles qu'elles sont, existent les unes dans les autres et si elles ne peuvent jaiçais nattre, ne faisant que se séparer du sujet elles sont antérieurement, et étant dénommées d'après ce qui domine en elles, alors tout peut naître de tout indistincte- ment ; l'eau provient de la chair, d'où elle se sépare ; ou la chair provient de l'eau indifféremment. Mais alors tout corps fini est épuisé par le corps fini qu'on en retranche.

infinies en nombre et en espèce» et puisque Tètre lui-même est limité

qtt*ellessont les plus peUtes possibles; dans son dèfeloppement, et qu'il ne

en d^autres termes» des atomes. peut être ni indéfiniment grand, ni

S 8. Susceptible de ce$ conditions^ indéfiniment petit,

c'est-à-dire indéfiniment grande on J 9. Emistent les unes dans les au-

petite, comme les parties mêmes qui fret, c'est une des opinions prêtées

la composent. *- Soient d'une gran- plus haut à Anaxtgore, $$ A et 5.

deur quelconque f et par conséquent Tout corps fini est épuisé, l'exemple

Anaxagore a eu tort de dire que les qui suit édaircit suffisamment cette

parties similaires étaient les plus pe- idéequi dans le texte n'est pas plus pré-

tites possibles; car les parties in- cise que dans ma traduction.— Qu'on

tégrantes d'un être, quel qu^il en retrancAe, j'ai cru devoir ajouter

soit , ont une dimension précise , ces mots que justifie le contexte.

A 58

LEÇONS DE PHYSIQUE.

et Ton voit sans peine qu'il n'est pas possible que tont soit dans tout ; car si de l'eau on retire de la chair, et que d'autre chair sorte encore du résidu, par voie de séparation, quelque petite que soit de pins en plus la chair ainsi tirée de l'eau, elle ne peut jamais, par sa ténuité, dépasser une certaine quantité appréciable. Par conséquent, si la décomposition s'arrête à un degré précis, c'est que tout n'est pas dans tout, puisqu'il n'y a plus de chair dans ce qui reste d'eau ; et si la décomposition ne s'arrête pas, et qu'il y ait séparation perpétuelle, dès lors il y aura dans une grandeur finie des parties finies et égales entr'elles qui seront en nombre infini; et c'est une chose impos- sible.

S 10. J'ajoute que, quand on enlève quelque chose à un corps quelconque, ce corps entier devient nécessairement plus petit. Or, la quantité de la chair est limitée soit en grandeur soit en petitesse. Ainsi, évidemment, de la quan- tité la plus petite possible de la chair, on ne pourra plus séparer aucun corps ; car, alors, il serait moindre que la quantité la plus petite possible. § 11. D'autre part, il y

Et €"*€§$ une ckoêe impoênUe^ eoD- léquenoe alwirde, qui implique la fausseté du principe admis par Aiia<- ngara, que tout est daua tout

S iO. J^QJoute^ ce nouTel argu* ment contre Anaxagora est en quel- que sorte la contre-partie de celui qui précède ; et il n*ea diffère que très-peu. L'auteur rient de prouver qn*en admettant la prétendue ana- lyse des corps sortant les uns des autres, il y a une limite nécessaire ;

car cette rèdaciioo sucoesslTe d'un corps fini doit Tanèantlr; mainte* nantil preuve que les éléments In- tégrants des corps ayant également une limite, il arrivera nécessaire- meot un point de ténuité d*oà Pou ne pourra plus rien retrancher. Moindre que la quantité la pluê pe- tite pOMsibie, ce qui est une hypo- thèse contradictoire.

S il. Û'autre part^ autre argu- ment contre la tliéorie d*Anaxagore»

LIVRE I, CH. V, g 12. A59

aurait déjà, dans les corps supposés infinis, une chair in*^ finie, du sang et du cerveau en quantité infinie, éléments séparés tous les uns des antres, mais qui n'en existent pas moins cependant, et chacun d'eux serait infini; ce qui est dénué de toute raison, g 1 2. Prétendre que jamais la séparation des éléments ne sera complète, c'est sou- tenir une idée dont peut-être on ne se rend pas bien compte, mais qui, au fond, n'en est pas moins juste. En effet, les qualités affectives des choses en sont insépa- rables. Si donc les couleurs et les propriétés des êtres étaient primitivement mêlées à ces êtres, du moment qu'on les aura séparées, il y aura quelque qualité, par exemple, le blanc ou le salubre, qui ne sera absolument que salubre ou blanc, et qui ne pourra plus même alors être l'attribut d'aucun sujet. Mais l'intelligence supposée

que toQt est dans touL D'aprts ce auendu qn^elle s*applique à an tout principe» on arri?e à cette consé- autre sujet, c'est-à-dire aux qualités quence que, dans chaque corps r6- aSectiTes des choses, qui en effet n*en puté infini, U y a une infinité d'autres sont jamais séparalries. Par exem- corps infinis qui sont eui-nièmes in«- pU^ U Hbmc et te $atuhrê, le texte finis. Ce que la raison ne peut coni- n*est pas tout à feît aussi précis. Le prendre. blanc représente les couleurs en gé- S 4S. QmeJamaU la êéparation de$ néral ; le salolire représente les pro- éléments ne $era eompUte, Texpres- priétés. •*- Qui ne aéra absolument sion est moins précise' dans le texte ; que blanc et salubre^ c'est-à-dire qui mais je suppose que ceci fait allusion ne sera rien, puisque les qualités des à Ifntert entlon de rinteHigence di- choses ne peuTent pas exister indé- vine ordonnant les éléments du chaos, pendamment de ces choses, et que comme Anaxagore le pensait. La se- rattribut n'a d'existence que dans paration des choses sera sans terme, son sujet. VlntelHgence^ c'est de puisque les éléments eux-mêmes sont l'intelligence dtiîne qu'il s'agit, or- infinis. Aristote admet que cette donnatrice du diaos selon Anaxagore. théorie est vraie; mais il croit qu'A- Supposée par Anaaagore, j'ai cru naxagore ne Ta pas bien comprise, pouvoir ajouter ces mois. Parce

460 LEÇONS DE PHYSIQUE.

par Anaxagore tombe dans Tabsurde quand elle prétend réaliser des choses impossibles, et quand elle veut^ par exemple, séparer les choses, lorsqu'il est de tonte impos- sibilité de le faire, soit en quantité soit en qualité ; en quantité, parce qu'il n'y a pas de grandeur plus petite ; en qualité, parce que les affections des choses en sont in- séparables.

§ 13. Enfin, Anaxagore n'explique pas bien la généra- tion des choses en la tirant de ses espèces similaires. En un sens, il est bien vrai que la boue se divise en d'autres boues; mais, en un autre sens, elle ne s'y divise pas; et si l'on peut dire que les murs viennent de la maison et la maison des murs, ce n'est pas du tout de la même ma- nière qu'on peut dire que l'air et l'eau sortent et viennent l'un de l'autre. § lA. Il vaudrait mieux admettre des principes moins nombreux et finis, comme l'a fait Em- pédocle.

quHl n'y a pa$ de grandeur pltu choisi. Les murs viennent de ta

petite, icirpXuB haut S iO. Parce maison, c^eal-à-dire quMls sont les

que les affections des choses en sont parties du tout que forme la maisoo.

inséparables^ principe posé au début ^ Et la maison des murs, c^est-à-

de ce S même. dire que la maison est composée par

J 13. De ces espèces similaires, les murs qui la forment. Il y a donc

le texte dit espèces, et non plus par- entre la maison et les murs les rap-

lies, comme plus haut La boue se ports de parties et de tout, tandis

divise en d'autres boues, quand la qu^entre l*air et Teau» il y aurait

boue est formée, les parties dans les- selon Anaxagore, rapport de véri-

quelles on la divise sont bien encore table génération, de la boue; mais si Ton veut remon- $ \à» Comme Ca fait Empédocle,

ter à ses éléments primitifs, elle se ceci ne veut pas dire d^ailleurs qu^A-

divisera en eau et en terre, éléments ristote préfère Empédocle à Anaxa-

qui ont servi tous deux à la composer, gore, pour lequel il a exprimé la

On peut trouver d^ailleurs que cet plus haute admiration dans le pre-

exemple de la boue est assez mal mïer]iTreée\BMétapkjfsique,ch, à.

LIVRE 1, CH. VI, S *• W*

CHAPITRE VI.

Toos les physiciens s'accordent à regarder les contraires comme des principes ; Parménide, Démocrite. Les contraires sont en effet des principes; démonstration de cette théorie, qui est exacte. Considérations générales sor les contraires; concilia- tion des différents systèmes. Les principes sont nécessairement contraires entr'eox.

§ 1. Tous les Physiciens sans exception, regardent les contraires comme des principes. C'est l'opinion de ceux qui admettent l'unité de Fètre, quel qu'il soit, et son immo- bilité, comme Parménide, qui prend pour ses principes le froid et le chaud qu'il appelle la terre et le feu. C'est l'o- pinion de ceux qui admettent le rare et le dense, ou, comme le dit Démocrite, le plein et le vide, l'un de ces contraires étant l'être aux yeux de ces philosophes, et l'autre le non-être. Enfin, c'est l'opinion de ceux qui

p. 9&à, b, «7, édit de BerUn. Cette ch. 5, $ i.^Comme Parménide, voir longue réfutation prouve même tout plos ^^U ch. S, S i, et Métaphy- le cas qu'il en faiL «^««» Livre I, ch. 5. Dans ce dernier CL F/, S 4. Tau* les PhytUien*, passage Aristote ue dit pas aussi net- ce terme général comprend ici tous tement qu'ici que Parménide a pris les phUosophes qui se sont occupé» pour principes la terre et le feu. Il de l'étude de la nature, soit de l'É- lui prête cette opinion en même coled'filée,8oitderÊcoled'Ionieou temps qu'à plusieurs autres philo- des autres écoles. Un peu plus haut sophes. Comnu U dit Démocrite, ce terme avait été entendu dans un voir la Métaphysique, Livre III, sens plus restreint. Voir plus baol, ch. 5, p. 1009. a, 27, édit. de

462 LEÇONS DE PHYSIQUE.

expliquent les choses par la position, la figure, Tordre, qui ne sont que des variétés de contraires : la position étant, par exemple, en haut, en bas, en avant, en arrière; la figure étant d'avoir des angles , d'être sans angles, d'être droit, circulaire, etc. Ainsi, tout le monde s'ac- corde, de façon ou d'autre, à reconnaître les contraires pour principes.

§2. C'est d'ailleurs avec toute raison; car les principes ne doivent ni venir les uns des autres réciproquement, ni venir d'autres choses; et il faut, au contraire, que tout le reste vienne des principes. Or, ce sont précisément les conditions que présentent les contraires primitifs. Ainsi, en tant que primitifs, ils ne dérivent pas d'autres choses; et, en tant que contraires, ils ne dérivent pas les uns des antres. Mais il faut voir, en approfondissant encore cette théorie, comment les choses se passent.

§ 3. Il faut poser d'abord cet axiome que, parmi toutes les choses, il n'y en a pas une qui puisse naturellement faire ou souffrir au hasard telle ou telle action de la part de la première chose venue. Une chose quelconque ne

Berlin. Par la posiiton, la figure possible dans la série des clioses : le

et Cordre, voir la Métaphysique^ froid et le chaud, le sec et Pliamide.

Livre I, cli. A, p. 985, b, iA, édit. Voir plus loin, $ il. de Berlin, Aristote ne nomme pas $ 8. Cet axiâme^ absolument op-

non plus les philosophes auxquels il posé à celui d*AnaxBgore que tout

attribue cette opinion. est dans tout \ristote établit au

S 2. Lee princtpea ne doivent, contraire que chaque chose a sa na-

voir tes Dernière Analytiques, Livre ture propre, et qu^elle ne peut indlf-

I. cb. 2, $ S, p. 9, de ma traduction, féremment agir sur telle autre choae,

Ni venir d* autres choses, car ni souifrir de cette autre chose une

alors ce ne serait plus à vrai dire des action quelconque. La nature a des

principes. Les contraires primi- lois spéciales pour chaque chose

tifs, c'est-à-dire pris le plus haut qu'elle produit.

LIVRE I, CH. VI, S 6. hô'A

peut pas venir d'une autre chose quelconque, à moins qu'on n'entende que ce ne soit d'une manière purement accidentelle. ]^ h. Comment, par exemple, le blanc sorti- rsdt-il du musicien, à moins que le musicien ne soit un simple accident du blanc ou du noir? Mais le blanc vient du non-blanc, et non pas du non-blanc en général, mais du noir et des couleurs intermédiaires. De même le musi- cien vient du non-musicien, mais non pas du non-musi- cien en général, mais il vient de ce qui n'a pas cultivé la musique ou de tel autre terme intermédisûre analogue. S 6. D'autre part« une chose quelconque ne se perd pas davantage dans une chose quelconque. Ainsi, le blanc ne se perd pas dans le musicien, à moins que ce ne soit en- core en tant que simple accident ; mais il se perd dans le non^blanc, et non point dans un tion-blanc quelconque, mus dans le noir, ou telle autre nuance de couleur in- termédiaûre. Tout de même le musicien se perd dans le non-musicien ; et non point dans un non-musicien queK

S à. Comment le Idane sortiraiuU $ 5. Une chou quelconque ne ae du muneien^ Pexemple pouTaît être perd pas davantage^ ce $ est la contre- mîeax choisi et plus clair. Lescom- partie de celui qui précède. Après mentateursenontprismiaotreetafec «foir considéré oomuent les dioses raison. L*aimant agit sur le fer quMl passent du non-ètre à Tétre, Pauteur attire ; il n^agit pas sur le bois; et ré- examine ici comment, au contraire, dproqoement, le fer subit linflnenoe elles passent de VèVre au non-éire. de Taimant; mais le bois n^en res- Le blanc ne se perd pas dans le nui- sent aucune action. Ainsi tout o^agit sicien , mêmes exemples que plus pas sur tont de la même manière. haut Le blanc ne peut pas plus sor» Mais du noir et des couleurs inter- tir de son genre pour disparaître, médiMres, parce qu^ll fout que les qu'il n'en sortait pour dcTenir blanc contraires soient dansie même genre; Mais dans le noir, qui est ao%i et ici le genre est celnï de la couleur dans le genre de la couleur et non et dans la catégorie de la qualité. dans un autre genre.

At5&

LEÇONS DE PHYSIQUE.

conque, mais dans ce qui n'a pas cultivé la musique, ou dans tel autre terme intermédiaire.

% 6. Cet axiome s'applique également à tout le reste, et les termes qui ne sont plus simples, mais composés, y sont pareillement soumis. Mais, en général^ on ne tient pas compte de tous ces rapports, parce que les propriétés op- posées des choses n'ont pas reçu dans le langage de déno- mination spéciale. § 7. Car il faut nécessairement que ce qui est organisé harmonieusement vienne de ce qui n'est pas organisé, et que ce qui n'est pas organisé vienne de ce qui l'est. Il faut, en outre, que l'organisé périsse dans l'inorganisé, et non point dans un inorganisé quelconque; mais dans l'inorganisé opposé. § 8. Peu importe qu'on parle ici d'organisation, ou d'ordre, ou de combinaison des choses. Évidemment cela revient toujours au même. Ainsi, la maison, pour prendre cet exemple, ou la statue ou telle autre chose, se produisent absolument de même. La maison vient de la combinaison de telles matières qui n'étaient pas antérieurement réunies de telle façon, mais qui étaient séparées. La statue, ou tout antre chose figu- rée, vient de ce qui était antérieurement sans figure. Et, de fait, chacune de ces choses n'est qu'un certain ordre ou une certaine combinaison régulière.

S 6. Les êtres qui ne sont plus sim- ples^ comme ceux qu^on vient de ci- ter : Musicien* blanc, noir. Mais composés de parties diverses, comme le prouvent les exemples cités plus bas.

S 7. Ce qui est organisé^ le mot du texte signifie peut-être aussi : harmonisé. J'ai préférê l'aulre mot.

qui esl plus clair et plus familier. // faut en outre, voir plus haut le $ 5. S 8. Qu'on parle ici d'organisa- tion, ou d'harmonie* Ou d'ordre, relativement à des choses qui se suc- cèdent avec une certaine régularité.

Antérieurement antérieure-

ment, j'ai ajouté deux fois ce mol pour plus de clarté.

LIVRE I, CH. VI, S 11. 465

S 9. Si doDc cette théorie est vraie, tout ce qui vient à naître natt des contraires ; tout ce qui vient à se détruire se résout en se détruisant dans ses contraires ou dans les intermédiaires. Les intermédiaires eux-mêmes ne viennent qne des contraires; et, par exemple, les couleurs viennent du blanc et du noir. Par conséquent, toutes les choses qui se produisent dans la nature, ou sont des contraires, ou viennent de contraires.

§ 10. C'est jnsqu'à ce point que sont arrivés comme nous la plupart des autres philosophes, ainsi que nous venons de le dire. Tous, sans peut-être en avoir d'ailleurs logiquement bien le droit, appellent du nom de contraires les éléments, et ce qu'ils qualifient de principes ; et Ton dirsdt que c'est la vérité elle-même qui les y force. § 11. La seule différence entr'eux, c'est que les uns admettent pour principes des termes antérieurs, et les autres des termes postérieurs; ceux-<^i, des idées plus notoires pour la raison, ceux-là, des idées plus notoires pour la sensi- bilité ; pour les uns c'est le froid et le chaud ; pour les antres le sec et l'humide ; pour d'autres encore le pair et l'impair; pour d'autres enfin l'amour et la» haine, qui

$ 9. Tbicf ee qui vient â naStre, et les couleurs Tiennent dn blanc et du

par conséquent n'est pas principe. noir, en ce sens qu'elles sont com-

Le$ couleur» viennent du blanc et du prises entre ces deux extrêmes.

noir, cette théoiie qui pent paraître $ 1 0. Ainsi que nous venons de le

étrange au premier coup d^œil, a plus dire, plus hant, { 1.

de Térité qu'il ne semble. La réunion $ 11. Des termes antérieurs... des

de tontes les couleurs du spectre so* termes postérieurs, selon que Pon re-

laire compose la lumière blanche ; et monte pins ou moins haut dans la se-

l'absorption de toutes ces couleurs rie des choses. Pour la raison...

compose le noir. Ainsi, la tradition pour la sensibilité, Toir plus haut,

que suit Aristote ne se trompe pas, ch. I, S 3, des théories asseï ana-

et Ton peut dire & la lettre que toutes logues à celles-ci.

30

466 LEÇONS DE PHYSIQUE.

sont les causes de toute génératiou. Mais tous ces sys- tèmes ne diffèrent entr'eux que comme je viens de l'indi- quer. § 12. J'en conclus que tous en un sens s'accordent, et qu'en un sens tous se contredisent. Ils se contredisent sur les points le voit de reste tout le monde ; mais ils s'accordent par les rapports d'analogie qu'ils soutiennent entr'eux. Ainsi tous s'adressent à une seule et même série; et, toute la différence, c'est que parmi les con- traires qu'ils adoptent, les uns enveloppent et que les autres sont enveloppés. C'est donc à ce point de vue que ces philosophes s'expriment de même et qu'ils s'expriment différemment, les uns mieux, les autres moins bien, ceux- ci, je le répète, prenant des notions plus claires pour la raison, ceux-là des notions plus claires pour la sensibi- lité. Ainsi, l'universel est bien plus notoire ponr la rai- son ; c'est l'individuel qui l'est davantage pour les sens,

J 12. On le voit de reste tout le veloppent, quand ils sont plus géné- mande, le vulgaire sait aussi bien raut. Les autres sont enveloppée, que les savants que le froid est le quand ils le sont moins. '—JeUré^ contraire du chaud, et que prendre p^te, c'est en effet ce qui vient d'être ces deux contraires pour principes, dit, quelques lignes plus haut, $ 11. c'est tout di(Térent que de prendre le L'universel est bien plus notoire sec et Phumidej ou Tamonr et la pour la raison, ceci semble contre- haine. Par les rapports d^analO' dire ce qui a été exposé plus haut au ffie, parce que le sec et l'humide sont début du traité, ch. 1, SS A et 5 ; dans leur série des contraires tout à mais il faut distinguer entre runiver- fait analogues au froid et au chaud sel, qui est en effet plus clair pour la dans la leur, au pair et k Timpair, ou raison, et le tout qui est plus dair à Tamour et à la haine. A une pour la sensibilité. Ce tout est d^a- seule et même série^ le froid et le bord pour la sensation qui le révèle chaud sont dans la même série de une sorte d'universel ; mais il se pai^ contraires; Tamour et la haine, de ticnlarise de plus en plus, à mesure même, etc. Et toute la différence, que Tesprit l'analyse en l'examinant, le texte n'est pas aussi précis. En- Au contraire, le véritable universel

LIVRE I, CH* VU, S 8. 4^7

puisque la sensation n'est jamais qne particolière. Par exempte, le grand et le petit s'adressent à la raison; le rare et le dense s'adressent à la sensibilité»

S 13. En résamé, on voit clairement que les principes dcMvent nécessairement être des contraires^

CHAPITRE VIL

Dd nombre des prindpes : leB principes sont finis suivant Empé- docle; et infinis^ suivant Anaxagore. *- Il n'y a pas un principe unique; et les principes ne sont pas infinis. Le système le plus vrai peut-être, c'est d'admettre trois principes : Tunité, Pexcès et le défaut; ancienneté de ce système; recherche de réléroent primordial

S 1. Ponr faire suite à ce qui précède, on peut recher- cber si les principes de l'être sont au nombre de deux, de irois ou davantage. $ 2. D'abord, il est impossible qu'il n'y en ait qu'un seul, puisque les contraires sont tou- jours plus d'un. S 3. Mais il est impossible* d'autre part.

derient d^aatant plus clair poar Plire, le lexte dit aimpleneot : Les

raison^ qu^il se généralise davantage, prindpes ; mais la suite prouve bien

Le grmndei U petit fadru$entà la qu'il s*agit Ici des principes de Pétra

rotfon, parce que c'est la raison qiû en général, en d'autres termes, des

compare les deux objets et tire de principes de tout ce qui est

cette comparaison les notions gêné* S S. Puuqme le» contraire» »ont

raies de grandeur et de petitesse. ^- taujour» pliu d*tm , et qu'il a été

Le rare et le den»e, il aurait peut- prouvé dans le chapitre précédent

être mieux valu dire : Le fraU et te que les contraires sont les principes

chawL des choses, dans tous les systèmes

CM* VII^ $ f. Si te» prineipe» 4e sausdistiiictioii.

A68 LEÇONS DE PHYSIQUE.

qu'ils soient en nombre infini; car, alors, l'être serait inaccessible à la science. § A. Et, dans tout genre qui est nn, il n'y a qu'une seule opposition par contraires; or, la substance est un genre qui est un. § 5. Mais les choses peuvent bien venir aussi de principes finis ; et, si l'on en croit Empédocle, il vaut mieux qu'elles viennent de prin- cipes finis que de principes infinis ; car il croit pouvoir expliquer par des principes finis tout ce qu'Anaxagore explique avec ses infinis. § 6. Il y a en outre des con- traires qui sont antérieurs à d'autres contraires; et il y en a qui viennent de contraires différents : ainsi, le doux et l'amer, le blanc et le noir. Mais, quant aux principes, ils doivent toujours rester immuables.

g 7. Je tire de tout ceci la conclusion, d'une part, qu'il n'y a pas un principe unique des choses, et, d'autre part, que les principes ne sont pas en nombre infini.

S 8. Car, alors^ Vitre $erait inac' loppée. Il a été établi dans le chapl-

cêssibU à la seienee, c^est un des tre précédent que les principes sont

principaui arguments qui ont été op> des contraires ; on pourrait en oon-

posés ou système d*Anaxa|fore sur dure réciproquement que tous les

rinfinité des principes; voir plus contraires sont des principes. Aris-

liant, du 5, S 7. tote va au-devant de cette liypothèse

S A. Une $euU opposition par con^ erronée, en distinguant des contraires traireSf une seule contradiction, par qui sont antérieurs les uns aux an- exemple, la substance et ce qui n'est très. Par conséquent, il y a des con* pas substance. traires qui ne sont pas des prindpes.

S 5. Si Con en croit Empédoele^ •— Ain$i le doux et l'amer^ U bUme

voir plus baut, ch. 5, $ ià, Aris- et le nair^ ces exemples ne répon-

tote donne la préférence aux théories dent qu*à la dernière partie de la

d^Empédode sur cdies d*Anaxagore. pensée précédente. Ce sont des

$6, H y a en outre des contraires, contraires qui viennent de contraires

cette pensée ne se lie pas très*bien à dlflérents ; Tamer vient dn doux ,

celles qui précèdent et qui suivent» comme le noir vient du blanc; et à

ou plutôt elle n*e«t pas asseï déve- 1*inverse. Buter immuables, tes-

LIVRE, I, CH. Vil, g 9. A69

S 8. Da momeot que les principes sont limités, il y a quelque raison de supposer qu'ils ne peuvent pas être seulement deux ; car alors on pourrait également se de- mander, ou conunent la densité peut jamais faire quelque chose de la rareté, ou à l'inverse comment la rareté pro- duirait jamais la moindre action sur la densité ; et de même pour toute autre opposition par contraires. Par exemple, l'Amour ne peut pas se concilier la Haine, ni en tirer quoi que ce soit, pas plus que la Haine ne peut rien faire de l'Amour. Mais tous les deux agissent sur un troi- sième terme qui est différent de l'un et de l'autre; et voilà pourquoi certûns philosophes ont imaginé plus de deux principes pour expliquer le système entier des choses.

g 0. Une autre difficulté qu'on rencontrerait si l'on re- fusait d'admettre qu'il y a une nature différente servant de support aux contraires, c'est que, comme l'observation nous le démontré, les contraires ne sontjamais la substance de rien. Or, le principe ne peut pas du tout être l'attribut de quoi que ce soit; car alors il y aurait un principe du

ter ce qa*ils sodI comme principea, la substance, a lieu le diangement

et par conséquent l'un ne peat jamais du contraire dans le contraire op-

étre antérieur à Tautre, puisqu'alors posé. Certains pkUosopkea^commd

le second ne serait plus un principe Bmpédocle qui a le premier admis

véritable. quatre éléments.

S 8. Oit pourrait égaUment sed^ $ 9. Servant de êuppori aux com- mander, il n'est pas possible qu'un fratres, j'ai rendu par cette péri- des contraires agisse sur l'autre con- phrase la force de l'expression grec- trairr, a moins qu'on ne suppose que. Le principe ne peut pa$ du un sujet substantiel dans lequel se lotit être l'attribut de quoi que ce passe le changement d'un contraire à sott, ceci contredit la théorie posée l'autre. Sur un troisième terme, plus haut, que les principes sont des

&70 LEÇONS DE PHYSIQUE.

principe, puisque le sujet est principe, et qu'il est anté- rieur à ce qui lui est attribué. $ 10. De plus, nous soute- nons que la substance ne peut être contraire à la subs- tance; et, alors, comment la substance pourrait-elle venir de ce qui n'est pas substance? Et comment ce qui n'est pas substance serait-il antérieur à la substance même? $ 11. Il résulte de ceci que si l'on admet à la fois l'exactitude de notre premier raisonnement et l'exactitude de celui-ci, il faut nécessairement, pour sauver la vérité des deux, admettre un troisième terme outre les deux contraires. $ 12. C'est du reste ce que font les philo- sophes qui constituent l'univers avec une nature et un élément uniques, prenant l'eau ou le feu, ou un élément intermédiaire. § IS. Mais il nous semble que c'est plutôt à cet intermédiaire qu'il faudrait prêter ce rôle, puisque

contraires, te $ujet eêt principe^ petit ; dans la ((vwlitéi le duiod est le

la substance, en elliet, est le principe contraire du froid, elc

et le support de tout le reste ; les at- $41. ftxaetitudë de notre pre-

attributs n'existent pas sans elle ; et, mier raisonnement, à saToir que les

par conséquent, elle les précède, bien principes sont des contraires. Voir le

qu*il n*y ait pas de substance sans at- ch. 6 tout entier. Et texaetUmde

tributs. Antérieur d ce qui lui est de ce/vt-ct, à savoir que les principes

ûitrituéf f oir les Catégoriee^ ch. 5, ne peuvent pas être des attributs ; et

$ 5, p. 62 de ma traduction. les contraires n*étant que des attri»

S iO. Dephu wm$ êoutemms^ voir buts, il ftiut supposer un troisièaw

les Caiégcrieê, ch. 5, $ 18, p. 68 de ternse outre les contraires.— Un troi-

ma traduction. Le caractère éminent eiàme terme, qui est la substance.

qu*Aristote donne à la catégorie de la S 12. Avec une nature et un éU-

substance, c'est de ne pouvoir être menfimiçiieSfj'ai ajouté ces mois: £f

contraire à la substance^ c'est-à-dire à un élément, que justifie la suite du

elle-niême, tandis que, dans toutes les texte et qui rendent la pensée pins

autres catégories, il peut y avoir op- claire. - Prenant Ceau om le feu,

position des contraires. Ainsi, dans la voir la Btétapkyeique, livre I, ch. 4,

quantité, le grand est le contraire du p. 98é, a, 6, édit. de Beriin.

LIVRE I, CH. VU, S 16. 471

le feu, la terre, Tair et Feaa sont toujours entremêlés de quelques contraires. Aussi, ou peut ne pas trouver dérai- sonnables ceux qui pensent que le sujet est encore quel- qu'antre chose que les éléments; pnis, viennent ceux qui prennent l'air pour premier principe ; car Tair est celui de tons les éléments dont les différences sont le moins sen- sibles; puis, enfin, ceux qui prennent l'eau pour principe de tout. S lA. Mais tous ces philosophes s'accordent à transformer leur principe unique par des contraires, telles que la rareté, la densité; le plus, le moins; et, comme nous le faisions remarquer un peu plus haut, ce n'est là, en résumé, qu'excès ou défaut. § 15. C'est, du reste, je crois, une opinion fort ancienne que de trouver dans l'excès ou le défaut tous les principes des choses. Seule- ment, tout le monde n'entend pas ceci de la même ma- nière; car les anciens prétendaient que ce sont les deux derniers qui agissent et que c'est l'unité qui souffre, tandis que quelques-uns des philosophes postérieurs avancent au contraire, que c'est bien plutôt l'unité qui agit, et que les deux autres ne font que souffrir son action.

§ 16. Ce sont ces arguments-là et des arguments ana- logues qui donneraient à penser, non sans raison, que les

$id. Le iujet, c*Mt le not dn S ih. Comme nous le fatsion» re^ texte ; peat-élre celui de substance marquer un peu ptus haut, Toir ch. serait-il préférable. Voir pour 5, S 2, et ch. 6, $ I. premier prineipe, c*e9t Anaiimène et $ 15. Dans funité^ rindirida, la Dlogèfie d'^ApoiloDîe, d^i>rè9 la Mé- substance qoî a certaines qualités. tapkjfnque, Itrre I, ch. S, p. 984, a, tantôt plus et tantôt moins. Les 5, édit de Berlin. -^ Qui prennent anetcns,.,,. les philosophes posté- Peau, c*e8t Thal&s, id. ibid., p. 988, rieurs, d*après Simplicius les Au- a, 20. ciens seraient les Pythagoriciens, et

472 LEÇONS DE PHYSIQUE.

éléments sont au nombre de trois, comme nous venons de le dire. § 17. Mais on ne peut aller jusqu'à soutenir qu'ils sont plus de trois. Car, d'abord, l'unité suffit à souffrir les contraires. $ 18. Puis, si l'on admet qu'ils sont quatre, il y aura dès lors deux oppositions par contraires, et il faudra, en outre, pour chacune d'elles séparément une autre nature intermédiaire. Or, s'ils peuvent, en étant simplement deux, s'engendrer l'un par l'autre, il y a, par conséquent, l'une des deux oppositions qui devient parfaitement inutile. § 10. Enfin, il est également impos- sible qu'il y ait plus d'une seule opposition primordiale par contraires ; car la substance étant un genre unique de l'être, les principes ne peuvent différer entr'eux qu'en tant que les uns sont postérieurs et les autres antérieurs. Mais ils ne diffèrent plus en genre, un genre ne pouvant

let Philosophes postérieure seraient foment, et ne changeant pas elle-

représentés par Platon. Voir plus même. l\ j aura dès lors deux suh-

haut, ch. 3, S 11. stances et quatre contraires, se divi-

S 16. Comme nauB venant de U sant en une substance avec deux ooo-

dire, Yoir plus haut, S 8- traires de chaque côté. On rerient

S 47. Car d'afford Punité Muffit, ainsi au système des trois principes, première objection contre la théorie En étant eimplement deux^ ces qui admet plus de trois principes mots que donne l^ition de Beriin des choses. L^unité, la substance, d*après quelques manuscrits sont in- suffit à recevoir les contraires; et du dispensables, bien quHls manquent moment qu*elle suffit, il n*est que dans quelques autres manucrits. faire de chercher au-delà ; car c^est $ 19. Primordiate, il feut admet- un principe fondamental de la pbilo- tre cette restriction ; car les opposi* Sophie d*Aristote, que rien ne doit tlons secondaires sont nombreoses être fait en vain, et qu*il ne faut pas dans chaque genre. On doit entendre multiplier les êtres sans nécessité. par opposition primordiale la contra-

S 18. Une autre nature intermé- diction la plus générale de toutes :

diaire, c*est-à-dire une substance « Une chose est ou n'est pas telle

susceptible des deux contraires, chose. Les une sont poêtérieun

éprouvant \v5 changements qu'ils et le* outrée antérieure^ voir plus

LIVRE I. CH, VllI, S *• 473

jamûs contenir qu'une seule opposition, et toutes les op- positions pouvant, en définitive, être ramenées à une seule.

g 20. Ainsi, évidemment, il ne se peut pas qu*il n'y ait qu'un élément unique; il ne se peut pas non plus qu'il y en ait plus de deux ou trois. est ici le vrai ? C'est ce qu'il est très-difllcile de savoir, aiosi que je l'ai dit.

CHAPITRE VIIL

Méthode à suivre dans cette recherche. Théorie générale de la génération des choses: la sabstance et la forme; la substance demeure et ne change point; la forme, au contraire, change sans cesse; rapports de la substance et de la forma Les principes sont au nombre de trois : le si^jet^ la privation et la forme; ou ils ne sont que deux, si Ton réunit le si^et etj la privation. De la matière première de Tètre; idée qu^on doit s*en faire. Résumé.

S 1. La méthode que nous comptons suivre sera de traiter d'abord de la génération des choses dans toute son étendue; car il est conforme à l'ordre naturel d'expliquer

haul, S 0* Qualifie êeuU oppon- qa*elle devait Aùre suite aui précé-

fion, toates ces théories auraient eu dentés.

besoin d'être édaircies par des exem- Ch, Vlll^ % i. H e»t conforme à

pies. Contre naturel, voir plus haut, cb.

S SO. Àinn que je Vtd diu vcHr 4, $ 2, la méthode qu*on regar-

plus haut, S i, au début du chapitre, dait comme la plus naturelle n'est

il a dit non pas précisément que pas fout à fait celle qu'on applique

cette recherche fût diflicile, mais ici. La Génération des choses ne doit

&7A LEÇONS DE PHYSIQUE.

en premier lieu les conditions oominuneS) pour arriver ensuite à étudier les propriétés particulières. § 2. Quand nous disons qu'une chose vient d'une autre chose, et que telle chose devient différente de ce qu'elle était, nous pouvons employer ou des termes simples ou des termes composés. Or, voici ce que j'entends par : quand je veux exprimer, par exemple, qu'un homme devient musicien, je puis dire ou que le non-musicien devient musicien, ou qu'un homme qui n'est pas musicien devient un homme musicien. J'appelle terme simple ce qui devient quelque chose, soit ici l'homme, soit le non-musicien; et ce qu'il devient est également un terme simple, à savoir musicien. Au contraire, le terme s'appelle composé quand on exprime à la fois et le sujet qui devient quelque chose et ce qu'il devient : par exemple, quand on dit que l'homme non-musicien devient homme musicien. § 3. De ces deux expressions. Tune signifie non-seulement qu'une chose

pas s^cnteDdre id dans le flem de pas muiieien, etc., let termes sont

Création, et la suite édaircit dans complexes dans le sojet et dans Tat-

quelles limites restreintes il faut com- tribut Cette distinction est ?raie cer-

prendre œtte expression. taioemeot ; mais on ne Toit pas bien

S s. Et que ttUe ekoae devient àif" h quoi elle sert pour arriver à con-

ferenre, le texte grec n^est pas tout à dure que, dans tonte chose qui

fait aussi clair ; mais les dévdoppe- change, il y a une partie qui subsiste,

ments qui suifeot m*ont autorisé à et que cette partie c'est l^esaence

préciser davantage les idées, en tra- même de la chose, ce qui la fait ce

duisant comme je Tai fait. Des quelle est Et ee qu'il devient,

terme* eimplee ou des termeê corn- c^est-à-dire son attribut

plexee, il semblerait donc quil s^agit $ 9. De ee$ deux exprestioni, la

id surtout de distinctions verbales, nuance indiquée dans ce $ est exacte;

Qu*un homme devient muiieien, mais elle peut sembler assez subtile,

les termes sont simples^ soit pour le Qufune chose devient telle chose,

sujet Homme, soit pour Pattribut comme te disent les scholastiques,

Musicien. Qu'un homme qui n'est le terme est alors énoncé au cas

f

LIVRE I, ce. VIII, s 5. 475

devient telle chose, mais encore qu'elle provient de telle situation antérieure; et, ainsi, un homme devient musi- cien de non-musicien qu'il était auparavant Mais Tautre expression ne se prend pas universellement; car elle ne veut pas dire que d'homme l'être est devenu musicien ; mais elle dît seulement que l'homme est devenu musicien. § 4. Dans les choses qui se produisent ainâ, au sens nous entendons que des termes simples peuvent devenir quelque chose, il y a une partie qui subsiste en devenant quelque chose, et une autre qui ne subsiste pas. Ainsi» l'homme en devenant musicien subsiste en tant qu'homme, et il est homme ; mais le non-musicien, ou ce qui n'est pas musicien, ne subsiste point, que ce terme d'ailleurs soit simple ou complexe.

S 6. Ceci une fois établi, on peut, dans tous les cas de génération, observer, pour peu qu'on y regarde, qu'il faut

direct, et Ton dit simplement au no- ?oir toos les attribots qui indiqneni

miiiatif:L1iomffle défient musicien, le changement. En devenant

Mais encore qn^elie ftrovient de quelque ehoee, j*ai ajoaté ces mots,

telie eitnation antérieure, et, par ipii ressortent d*aiUeon do eonteite.

exemple, on dirait : De non-mnsieien Que ce terme eeit d^aiiieurê

rtioiMBe devient nasiclen : c^est iimpie &u eompleae^ c*e8t-è-dire que

alon le cas obliqne et non plus le Ton dise : Lenon-musiden,oablett:

nominatif. L^homme non-mnsiclen. Dans ce

S &• Danê Ut ehùses qui ee pnh- dernier cas, en effet, comme dans

duieent ainsi, on pins exactement : IVratre, l*homme noo-mnsicien périt

Dans ces manières d*esprimer (es tout entier en devenant mnsideuy

choses qui se produisent. Des quoique l*liomme lui-même subsiste;

termes simples, dans les termes oom- mais lliomme en tant que non-musi»

plexes, au contraire, tout disparait et den a disparu, tout auisi bien que

rien ne subsiste. Le non-mosiden le non-musicien a disparu devant le

périt tout entier en devenant mnsi- musiden.

den; mais t*bomme sobsiste et de- $ 5. Ceci une fins établi, condu-

menre en tant que sojei, pour rece- sion tirée de ce qui précède. Dans

476 LEÇONS DE PHYSIQUE,

toujours, ainsi que nous venons de le dire, qu'il y ait une certaine partie qui subsiste et demeure pour supporter le reste. $6. Ce qui subsiste, bien qu'il soit toujours un sous le rapport du nombre, ne Test pas toujours dans la forme ; et, par la forme, j'entends aussi la définition qui remplace le sujet. L'un subsiste, tandis que l'autre ne subsiste pas. Ce qui subsiste, c'est ce qui n'est pas susceptible d'oppo- sition, et l'homme subsiste de cette manière; mais le mu- sicien et le non-musicien ne subsistent pas ainsi, pas plus que ne subsiste le composé sorti de la combinaison des deux, termes : je veux dire l'homme non-musicien, g 7. Mais cette expression qu'une chose sortant de tel état, de- vient ou ne devient pas telle autre, s'applique plus parti-

tous U$ cas de génération, au sens différemment pour l'autre, dans les

on vient de Texpliquer plus haut exemples qu'on vient de citer, quoi-

Et demeure pour supporter U qu^iis ne soient pas absolument iden- reste, la force de l'expression {p'ec- tiques. C^est ce gui n*est pas sus- que m*a paru exiger cette para- ceptibU d'opposition, en d'autres ter- plirase. mes, la substance, le sujet. Voir les

S 6. Un sous le rapport du nom- Catégories, cb. 5, S id, p. 6S de ma

bre, c'est une des propriétés de la traduction. La substance en restant

substance; fwlei Catégories, th* 5, une et identique à elle-même n'j

S 66, p. 15 de ma traduction. pas de contraire et n^est contraire

Dans la forme, ou dans l'espèce, à rien, bien qu'elle puisse recevoir

Ainsi, au lieu de dire qu'un homme les contraires» tout en conservantson

devient musicien, on dira que c'est identité essentielle. Mais le musi'

le non-musicien. Dans ce cas, non- cien et le non-musicien, ce sont en

musicien remplace homme et la effet, des opposés qui n'ont pas d'exls-

forme ou l'espèce est différente, bien tence substantielle, et qui ne peuvent

qu'au fond le sujet n'ait pas changé, exister que dans un sujet capable de

La définition, ou l'explication. les recevoir tour à tour.

Qui remplace le sujet, j'ai ajouté ces $7. Sortant de tel état, c'est ce

mots qui complètent et éclaircissent qui est exprimé par la préposition

l'idée. Ainsi homme et non-musi" Oe, quand ou dit que De non-mosi-

cien, un de ces termes se prend in* clen l'homme devient musicien.

LIVRE I, CH. VIII, S 8. 477

culièrement aox choses qui, par elles-mêmes, ne sub- sistent pas : par exemple, on dit que de non-musicien on devient musicien ; mais on ne dît pas que d'homme on devienne musicien. Néanmoins, on emploie parfois une pareille locution même pour les substances ; et l'on dit à ce point de vue que la statue vient de l'airain, et non pas que l'airain devient statue. En parlant de ce qui est op- posé et ne subsiste pas, on se sert indifféremment des deux expressions, et l'on dit ou que la chose vient de telle autre chose ou qu'elle devient telle autre chose. Ainsi, de non-musicien on devient musicien , et le non-musicien devient musicien. Vmlà comment on s'exprioïe aussi de même pour le composé, puisque l'on dit également que de l'homme non-musicien vient le mtisicien, on bien que l'homme non-musicien devient musicien. $ 8. Gomme le

Par e/Zet-mémet, f ai ajouté ces mots subtitte pas, ocmiiiie le musicien et qui complètent la pensée. Ne sub' le non-musiden. La cko»e vient rittent pas, c^est-à-diie, Ne sont pas de telle autre chose, ainsi du non- des substances capables de recevoir musicien vient le musicien. Ou des attributs. De non^nmsicien^ en qv^elU devient telle autre chose^ on effet. Non-musicien n^cst pas a ne bien en mettant les termes an nomi- substance, bien que ce terme rem- natif : Le non-musicien devient mu- place celui d*Ef omme qui désigne une sicieii.-~- De même pour le complexe, substance. Que d^hommje on de» voir plus baut S 2. De Vhomme vienne musicien, voir plus baut, $ 3. non ^musicien, terme compleze oà, à Même pour les substances^ Texem- le notion du sujet» est jointe la notion pie qui suit prouve que ceci s^ap- de Tétat antérieur quHl quitte pour plique aui substances purement en prendre un autre, et où, de plus» matérielles et factices. Non pas Texpression a pris une forme in- cite Pairain devient statue^ il semble directe. L'komme non ^ musicien que cette locution est tout aussi na- devient mvsidVn, tevme complexe, turelle que Taulre. -— De ce qui est la forme est directe, le sujet étant opposé^ voir au $ précédent. -- Et ne mis au nominatif.

A78 LEÇONS DE PHYSIQUE.

mot Devenir peut avoir plusieurs aoceplioos, et comme on doit dire de certaines choses non pas qu'elles de-- viennent et naissent d'une manière absolue, mais qu'elles deviennent quelqu'autre chose. Devenir pris abs<dunient ne pouvant s'appliquer qu'aux seules substances, il est clair que pour tout le reste il faut nécessairement qu'il y ait, au préalable, un sujet qui devient telle ou telle chose. Ainsi, la quantité, la qualité, la relation, le temps, le lieu, ne deviennent et ne se produisent qu'à l'occasion d'un certain sujet, attendu que la substance est la seule qui n'est jamais l'attribut de quoi que ce soit, tandis que tous les autres termes sont les attributs de la substance. $ 9. Que les substances proprement dites, et en général tous les êtres qui existent absolument, viennent d'un sujet an- térieur, c'est ce qu'on voit clairement, si l'on veut y regar* der. Toujours il y a un être subsistant préalablement d'où naît celui qui naît et devient : les plantes et les animaux,

$ s. Peui avoir plunenrs aceefh- Laquantitéf la qualité, etc., voir les

càonj, ?oir hàMétaphjfsique^ livre IV, Catégoritê^ ch. 6, 7, 8, p. 72 et sui?.

ch. SA, p. I»033, a, S6, édit. de Ber- de ma traduction. L'attribuu,,

Un, et livre VII, ch. 1, p. I,0ii8, id. U$ attributs, le texte n'est pas toat

Et naUtent, j*ai ajoaté ces mots à fait aussi précis ; et Aristote dît

<|iie justifie le contexte; devenir simplement qu'une chose est dite

d'une manière absolue, c'est naître, d'une autre. L'idée est au fond iden-

comme le prouve ce qui est dit au $ tique. Tout lu autres fermât^ le

suivant. ElUs deviennent quei' texte dit seulement : Tout le reste.

qu^autrt cho$e, c'est-à-dire qu'elles S 9. Tous Us être» qui existent

sont déjà existantes, et qu'elles su- absolument , soit qu'en effet lis

bissent un simple changement d'état, soient des substances réelles, soit que

•>— Aux seules substances, voir le $ le langage seul leur prête une exis-

qui sniL -~ Au préalable^ l'exprès- tence substantielle. Qui naSt et

sion du texte implique celte idée. devient, il n'y a qu'un seul mot dans

LIVRE I, CH. VIII, g 10. A79

par exeoiple, qui vienaent d'une semence. Tout ce qui naît et devient, généralement parlant, naît, soit par une transformation, comme la statue qui vient de l'airain ; soit par une addition, comme tous les êtres qui s'accroissent en se développant; soit par une réduction, comme un Hermès, qu'on tire d'un bloc de pierre ; soit par un arran- gement, comme la maison ; soit enfin par une altération , comme les choses qui souffrent un changement dans leur ' matière. Or, il est bien clair que, pour tout ce qui nait et se produit ainsi, il faut que tout cela vienne de sujets qui existent antérieurement.

% 10. U résulte donc clairement de tout ce qui précède que tout ce qui devient et se produit est toujours com- plexe, et qu'il y a tout à la fois et une certadne chose qui se produit et une certaine autre chose qui devient celle-là. J'ajoute qu'on peut même distinguer deux nuances dans cette dernière : ou c'est le sujet mèmCt ou c'est l'opposé; j'entends par l'opposé le non-musicien, et le sujet c'est

le texte. D^uiM temenee^ le mot produit, en d*aatres termes : Tout grec a un double sens, comme le changemeoL Une certaine choêe DÔtre, qui en cela n^est qu^une imita- qui se produit^ c'est Tattribut nou- lion. -— Généralement parlant, c*estr veau que prend le sujet, ou la forme à-dIre tout ce qui pisse du néant à nouvelle quMl revèL Une certaine Tétre, et non pas d*one certaine autre ehote qui devient celU'ld, c*est manière d'être à une autre manière, le sujet qui reçoit une nouvelle forme, Quis'aeeroinentenu développant, et qui devient ce qu'il n'était pas, en comme les plantes ou les animaux, recevant un nouvel attribut Ainsi, qui deviennent plus gros qu'ils n'é- l'homme non-musicien devient mu- taient au moment de leur naissance, siden. Dans cette dernière^ j'ai Un changement dans leur mit- ajouté ces mots, afin d'être plus pré- fixe , comme l'eau qui de froide cls. Ou c'est C opposé^ par exem- devient chaude. pie, le non-musicien ; voir plus haut, S 10. Tout ce qui devient et se % 6. L'opposé ou ce qui est suscep-

480 LEÇONS DE PHYSIQUE.

rbomme, dans l'exemple cité plus haut. L'opposé, c'est ce qui est privé de la forme, ou de la figure, ou de l'ordre ; et le sujet, c'est l'or, l'airaio ou la pierre.

§ 11. Une conséquence évidente de ceci, c'est que, puis- qu'il y a des principes et des causes de tous les êtres qui sont dans la nature, principes primordiaux qui font de ces êtres ce qu'ils sont et ce qu'ils deviennent, non point par accident, mais tels que chacun d'eux est dénommé dans son essence, tout ce qui devient et se produit vient à la fois et du sujet et de la forme. Ainsi, l'homme devenu musicien est d'une certaine façon composé de l'homme et du musicien, puisque vous pourriez résoudre les dé-

tibks d^opposilîon, c*e9t le contraire, à deux dans le S suivant, le sajeC et Tattribut, qui peut être dans un sens la forme, parce que le sujet est dou- ou dans Pautre ; mais le sujet sobsis- ble ainsi qu^on Tient de le dire, et tant par lui-même n*est pas suscep- qull renferme aussi la prlyation. tible d'opposition. Dana Cexent" $ 4 1. Dt9 principes et des causes, pie cité plus haut, j*ai ajouté ces voir plus haut, ch. I, $ i, la note mots. -^ Vopposé c'est ce qui est sur PbomonTmie de ces deux expres- privé de la forme, ainsi Non-musicien sions. Du sujet et de ta forme, au est Poppo^é dans cette locution : sens on vient de Pexpliquer dans Pfaomme non^musîclen, tandis que le S précédent. La privation est ea L*homme est le sujet Non-musiden quelque sorte déjà une forme néga- est appelé opposé, parce qu^en eflèt tive, si Pon veut ; et elle ne doit pas il est Popposé du Musicien, tandis élrc comptée parmi les éléments des que PHomme n'est Popposé de quoi choses, puisqu'elle disparait devant que ce soit. De ce $ on peut conclure la nouvelle forme que revêt le sujet, que pour Aristote les principes du Composé de Vhomme et du musi- changement ou de la génération des eien, Phomme étant le sujet, et le mu- choses sont au nombre de trois : le sicien étant la forme. Le sujet sub- sujet, la privation et la forme ; le su- sisle par lui-même, et il précède hi jet, qui est le lieu du changement; la forme qu'il revéL Vous pourriez^ privation, qui est l'état antérieur ; et cette forme assez étrange de la se- la forme, qui est l'état nouveau du su- coude personne du verbe est dans le jet. Ces trois principes seront rédoits texte grec. tes définitions de l*un.

LIVRE I, CH. VIll, S IS. 481

finitions de Fan dans les définitions des denx autres; et, par conséquent, on peut dire évidemment que tout ce qui devient et se produit vient toujours de ces principes. § 12. Le sujet est un numériquement , bien que spéci- fiquement il soit deux. Aussi, l'homme ou For, ou, d'une manière générale, la matière, est numérable ; car elle est davantage telle ou telle chose réelle, et ce qui se produit ne vient pas d'elle seulement par accident, tandis que la privation et l'opposition sont purement accidentelles, g 13. Quant à l'espèce, elle est une; et, par exemple, c'est l'ordre, la musique, ou tel autre autre attribut de ce genre.

e^est-ihdire de rhomme masiden, da la privation et les contraires, n*étant

composé. Dans la définition des que des attributs on accidents, n^exis-

deux amirest c^est-à-dire dans les tent jamais que dans un antre. On

définitions séparées de l'homme et du ne peut, en effet, compter que les

musicien. Celte phrase pourrait se individus. Davantage, c'est Tex-

comprendre aussi d'une manière plus pression du texte ; et peut-être eût-il

générale, et elle signifierait alors que mieux valu dire que la matière est

les définitions des choses peuvent se exclusivement la véritable et seule

résoudre dans les définitions des deux réalité^ au sens on l'entend ici.

principes de Tétre, le sujet et la $ iS. Quant à Pespèee, ou à la

forme. La fin de la phrase dans le forme, pour être plus précis ; mais

texte semblerait même impliquer ce f ai cru devoir conserver ici le mot

sens. De ces jurineipes, le sujet, même du texte. EUe est une,

ou matière, et la forme. comme le sujet; et alors les principes

$43. Spidfiquewisnt il sait deux, sont deux : la matière et la forme.

la privation étant comprise aussi dans Et par exemple, e*est tordre,

le sujet Voir plus haut, { 10. Ou pour bien comprendre ceci, il faut se

Par, qui servirait à faire une statue, reporter au $ 8 du ch. 6, Aristole

comme on Ta dit de Pairain, au S ?• établit que la génération des choses

La matière, c'est le terme dont se ne consiste souvent que dans un cer-

sert le plus habitudlement Ârislote tain ordre donné à des éléments an-

pour l'opposer à la forme. Est térieurement existants. Ainsi, la mai-

numérable, en tant qu'une et indi- son résulte de l'arrangement de%ma-

riduelle, subsistant en soi, tandis que tériaux. La musique, comme dans

31

i82 LEÇONS DE PHYSIQUE.

g lA. Ainsi» on peut dire en un sens que les priflcipes sont au Qoœbre de deux, et Ton peut dire ee un autre sens qu'ils sont trois^ § 16. £n un sens aussi ce sont des con- traires, quand on dit, par exemple, le musiciea et le non* musicien, le chaud et le froid, l'organisé et l'inorganisé ; mais, à un autre point de vue, ce ne sont pas des con- traires, puisqu'il est impossible que les contraires agis- sent jamais l'un sur l'autre. Mais on peut répondre à cette difficulté, en disant que le sujet est difiérent et qu'il n'est pas du tout un contraire. § 16. Par conséquent, en un certain sens,, les principes ne sont pas {dus nombreux

les exemples qui yienneot d^ètre cités ma UtiducUon, et la

si souvent de l'homme musicien et livre V, du iO, p. I,0i8, a, 20 édil.

non-musicien ; c'est la musique qui de Berlin. Au contraire, la fonne^

y compose Tattribut ; et alors on peut qui est un des principes, agit sur le

dire que la musique est la forme de sujet ou la matière, qui est Tautie

rhomme, comme Tordre est la forme principe. A eetu dt/UnUtét qui

de la maison. consiste à reconnaître les prindpes

S 14. Ainsi^ conclusion de la dis- pour des contraires et )i oootester

cussion précédente. Au nombre de qu'ils soient des contraires. Qme

deuatf le sujet ou matière et la forme, le mjet est différent^ sons-cqtenda :

Qu*\U sont troUf si Ton déoom- de la privation ; et alors le si^ en pose le sujet en deux : le sujet lui- tant qme matière n*est pas le co»- même et la privation. traire de la lbniie$ c^est la privalioB

$ 15. Ce êont des eontraires, voir seule qui pourrait être considérée

plus haut le cb. 6, il a été établi comme le contraire de la li»nne.

que tous les philosophes sont d*ao- U n*ut pas du tout un contraire,

cord pour reconnaître que les prin- voir les Catégories, ch. 5, S 18, pw

cipes sont des contraires. Quand 68 de ma traduction. G*est une des

on dtf , que le non-musicien devient propriétés principales de la snbsr

musicien, etc. ; mais j'ai cru devoir tance de n^ètre contraire à rien ; elle

conserver la tournure même du n'a pas de contraires» puisque c'est

texte, bien qu'elle soit moins clairei elle qui est le réceptacle et le lieu

Agissent Cun sur faufre, vonr les des contraires.

Catégories, ch. 11, $ 3, p. ISS de S ^6. Pas plus nomhrcux ifue les

LIVRE I, CH. VIU, S 18.

&88

que les contraires, et ils sont pour ainsi dire deax numé- riquement. Toutefois, ils ne sont pas absolument et pure- ment deux, attendu que leur essence est différente ; et ils sont plutôt trois, puisque, par exemple, l'essence de l'homme est autre que l'essence du non-musicien, comme celle du non-figuré est autre que celle de l'airûn.

% 17. Nous avons donc exposé quel est le nombre des principes dans la génération des choses naturelles, et nous ayons expliqué ce nombre. De plus, il est également clair qu'il faut un sujet aux contraires et que les con- traires sont deux. Mats, à un autre point de vue, ceci même n'est pas nécessaire ; et l'un des deux contraires suffit pour ^oduire le changement par sa présence ou par son absence. § 18. Pour bien savoir ce qu'est cette nar- tare, cette matière première qui sert de support, on peut recourir à une analogie : ainsi, ce que l'airain est à la slatoe ou ce que le bois est au lit, ou bien encore ce que sont à toutes les choses qui ont reçu une forme, la ma- tière et le non-figuré avant qu'ils aient pris leur forme propre, cette nature qui sert de support Test à la sub-

MMitrotret, ils aoat deux oonune les contraires. Pour otjux «d're, cette rastrictûm est justifiée dans ce qui suit. -^ Leur t$$emce e$t diférenu, ced s^applique exelusi?eineiit aux rapports da sujet et de la pri?ation, oomme le prouYeut les exemples ci- tés dans le texte. Veu&ue du nomviuaieien^ Yoir plus haut S$ 3 et Hiiv.

S 17. Ou par son at»enee, car les deux contraires ne peuvent coexister.

voir les Ctué§orie9, eh. 14, % S, p. 132» de na traduction.

{ 18. Cette matUre première, j*ai ajouté ces mots pour que Pidée fût aussi claire que possible. Qui sert ntpport, soit aux contraires, soit à. la forme. A une anaiogier ou une sorte de similitude et de rapport pcoportionneL Ou bien encore^ cet exemple est général, au lieu d*étie spécial comme les deux pre* miers. Cette nature qui sert de

àSk LEÇONS DE PHYSIQUE.

stànce, à l'objet réel, à ce qui est, à Fètre. g 19. Elle est donc à elle seule un principe ; mais elle n'est pas une, et elle ne fait pas un être, comme le fait un objet individuel et particulier; elle est une seulement en tant que sa no- tion est une, bien qu'elle ait en outre son contraire, qui est la privation.

S 20. En résumé, on a expliqué dans ce qui précède comment les principes sont deux et comment ils sont aussi davantage; car, d'abord on avait montré que les principes ne peuvent être que les contraires, et ensuite on a ajouter qu'il fallait nécessairement un sujet à ces contraires, et que par conséquent il y a trois prin- cipes. Maintenant ce qu'on vient de dire ici monti*e bien quelle est la difiërence des contraires, comment les prin- cipes sont les uns à l'égard des autres, et ce que c'est que le sujet qui sert de support. Ce qui n'est pas encore éclairci, c'est de savoir si l'essence des choses est on la forme ou le sujet. Mais ce qu'on sait à cette heure, c'est qu'il y a trois principes ; c'est en quel sens ils sont trois, et de quelle façon ils le sont.

suffport, le teite esl moins explicite, donc quMl soit non-musicien et af-

S 1 9. BUe est donc d elte seuU^ la fecté de cette prlyatioD poar devenir

matière première est un des deui musicien.

principes de Tètre, la forme étant $ 30. Bn rénsméf cette idée d*une

Tautre. Individuel et particulier, conclusion définitive n*est pas aussi

j*ai mettre ces deux mots pour nette dans le texte grec. - Sont

rendre la force de i^expression grec- deuXf la matière et la forme. lU

que. Que ta notiony ou sa défi- «ont aittsi davantage, la matière, la

nition. Qui est la privation, privation et la forme. /Va peMM»t

comme le non-musiden, quand on être que le$ contraire», voir pins

dit que l'homme devient musicien* haut, cii. 6. Un eujet d ce» con^

n ne pourrait pas devenir quelque traùree, e^est Tobjet du présent ciia-

chose qu'U serait déjà, et U font pitre. Ce qui n^eet pas encore

LIVRE I, CH. IX, S 2.

A86

Telle est notre théorie sur le nombre et sur la nature des principes.

CHAPITRE IX.

Explication de i'errear des anciens philosophes sur l'immobilité et Tunité de Tétre : distinction sur le sens des mots Être et Nan-étre, Autre explication parla distinction de Tacte et de la puissance.

S 1. Après ces développements, disons que cette théorie est déjà une manière de résoudre la question débattue par les anciens. % 2. Les premiers philosophes, malgré leur amour pour la vérité et leurs recherches sur la nature des choses, s'égarèrent, poussés en quelque sorte dans une autre voie par leur inexpérience, et il soutinrent que rien ne se produit et que rien ne périt, parce qu'il y a nécessité, suivant eux, que ce qui naît et se produit vienne de l'être ou du non-ètre, et qu'il y a pour l'un et pour l'autre cas égale impossibilité. Car, d'abord, di- saient-ils, l'être ne devient pas puisqu'il est déjà; et en

éetairei, voir plus loin, livre II, ch. 4, SS 15 et 17; Toir aussi la Métaplnf^ tûfue^ ItTTe Vly cb. i, p. 4,028, a, 26, édit. de Berlin.

Clu IX f S i. Déjà une maniàre, voir plus loin une seconde manière, SS et 16. La question débat- tue par ofictcns, voir pins haut

les ch. 2 et S est débattue la question de Tunité ou de la pluralité de rètre.

$ 2. Lee premiers phUoâophes^ Parménîde, llélissus, et les Ioniens ou physiciens, dont il a été parié plus haut ; voir plus haut, cb. 2 et suit. Rien ne $€ produit et rien ne

486 LEÇONS DE PHYSIQUE.

second lieu, rien ne peut venir dn néant, da non-ètre, puisqu'il faut toujours qu'il y ait quelque chose qui serve de support. § S. Puis, aggravant encore les conséquences de ce système, ils ajoutdent que l'être ne peut pas être plusieurs, et ils ne reconnaissaient dans l'être que l'être seul. S ft. Déjà nous avons fait voir comment ils ont été amenés à cette opinion, g 5. Hais à notre avis, entre ces diverses expressions, à savoir qu'une chose vient de l'être ou du non-être, ou bien que l'être ou le non-être fait ou souffre quelque chose, ou enfin que telle chose devient telle autre chose quelconque, il n'y a pas en un certain sens pins de différence que de dire ou que le médecin, par exemple, fait ou souffre telle chose, ou bien que de médecin l'être devient ou est telle autre chose. § 6. Mais conune cette dernière expression a un double sens, il est

périt y G^était nier le mouTement; et ou le non-être peut s^ntendre

Pétre était alors immobile et un. Ce dans un sens propre ou dans un

système était celui des Eléates. sens indirect, comme lorsqu'on dit

$ 8. Que l'être ne peut être plu^ qu'un médecin fait teUe chose, cda

«tncrs, en d*autres termes, ils soute- peut signifier ou quMl agit en tant

tenaient Tunité de Tétre, et ils ne que médecin ou quMl agit en tant

distinguaient aucune nuance dans quliomme et feit des actes qui n^ont

Feiistence des choses. Ce système a aucun rapport à la médeciae. Ainsi

été déjà réfuté plus haut,ch. 8 et A. donc. Rien ne vient de rien, est une

S A. Di^à noui avone fait voir, proposition vraie si on la prend au

voir plus haut. ch. 5, $ A, il est sens propre ; et, en effet, le néant oe

spécialement question des opinions peut rien produire; mais au sens

d^Anazagore. indirect, cette proposilion n^est plus

S 6. Qu'une ehoêe vient de Pêtre vraie; car pour qu'une chose de-

oMi^Kfiori-^ire, toute cette piensée est vienne ce qu'elle n'était pesante-

«posée dans le teite dHine manière rieurement, il ftut bien qu'elle parte

peu claire. Voici le sens. Quand de ce qui n'est pas, du non-^tre.

on dit qu'une chose vient ou de Ce$ diverses ewpressionSf qui pa-

ce qui est ou du néant, cette taissent toutes équivalentes, bien que

eipression a un double sens» L'être la forme soit divene.

LIVRE I, CH. IX, % 9. 487

clair qne celles-ci, à savoir que la chose vient de l'être et que l'être agit ou souflfre, ont également deux acceptions. S 7. Si en effet le médecin vient à construire une maison, ce n'est pas en tant que médecin qu'il construit ; mais c'est en tant qu'surchitecte. S'il devient Uanc, ce n'est pas davantage en tant qne médecin, mais c'est en tant qu'il était noir, tandis que s'il guérit ou s'il échoue en tentant la guérison d'une maladie, c'est en tant que mé- decin qu'il agit, g 8. liais comme on dit au sens propre, éminemment, que c'est le médecin qui £adt quelque chose ou souffre quelque chose, ou devient quelque chose de médecin qu'il était, quand c'est en tant que médecin qu'il fait cette chose ou qu'il la souffre ou qu'il devient quel- que chose, il est dair que, quand on dît qu'une chose vient du non-être, ou devient ce qu'elle n'était pas, c'est en tant que cette chose n'était pas ce qu'elle devient.

§9. C'est parce que les philosophes n'ont pas fait cette distinction qu'ils se sont tant égarés; et cette première

S^ Que êMu<^ qui tt nppor- S*Hdeviêikt bimu, seeond eas, le

teal à ociits ^*oii a dtte au $ pré- nâdedo souffre quelque chose sans

o6dcil, cC qm n^en sont que la re- queœ soèt bod jriua en tant que mé*

pradnetion presque leitaelle; seule- dedn. S'il guérit^ le védedn

OKnt id en a lelrandié ralternatire agit alors en tant que médedn»

de Pétre et du non-être. Ont égn^ S*U éekoue^ il souffre alors en tant

icmeiif éeux aeceptioMf Tune pro- que médecin,

pre* Poutre indirecte ; IVine en soi, $ 8. il« $enê proprs éminemment^

Pautre acddenlelle, comme le prouTe et non point dans le sens indirect

Teiemple qui soit. *— Ou dément ee qWeUe n'étaii pa$^

S 7. Si en efet le médecin vient à f al ajouté ces moU, qui ne sont que

eomtmire une mmetm^ c'eit le pre- la paraplvase de ee qui précède,

mier cas supposé au $5, oèlemÉde- mais qui m*ont senririé iadispensa-

dn api «1 hk quelque clwse, sans l»les pour la clasié complèle de la

que œ soit en tant que médecin. «— traductiOD.

A88 LEÇONS DE PHYSIQUE.

erreur les a conduits jusqu'à soutenir cette absurdité que rien autre chose en dehors de l'être ne se produit ni n'existe, et jusqu'à nier toute génération des choses. § 10. Noos aussi, nous disons bien avec eux que rien ne peut, absolument parlant, venir du non-être; mais nous admet- tons cependant que quelque chose peut venir du non- être, et, par exemple, indirectement et par accident. La chose vient alors de la privation, qui, en soi, est le non- être, et elle devient ce qu'elle n'était pas. Du reste, cette proposition est faite pour étonner, et il semble toujours impossible que quoi que ce soit puisse même ainsi venir du non-être. § 11. C'est encore de la même façon qu'il faut comprendre que l'être ne peut pas plus venir même de l'être que du non-être, si ce n'est par accident. § 12. L'être vient de l'être absolument de la même manière que

I 9. Les phUotapkeê anciens dont n^jr a qa*un senl de oea deux mots

il a été question plus haut, au $ i, en grec; j^ai mis les deux pour être

et qui soutenaient que le non-étre, le plus clair. —- Dt la privation, qui^

néant, ne peut rien produire, et que en soi, êêt U non^re, j'di préféré

rien ne peut Tenir du néasL Rien ce sens qui me semble s^accorder

autre chose en dehors de l'itre^ le mieux afcc tout le contexte» bien

texte est un peu moins précis et il qu^on pût comprendre aussi que la

dit simplement : « Rien du reste, chose qui en soi est le non^ètre vient

entendant, par le reste, les attributs de la privation. Voir plus bas, ch.

de Tètre en dehors de son essence &0> $ &•

substantielle. Toute génération $îi. Cest encore de la mèmefoF'

des choses, c'est-à-dire tout mouve- çon, il vient d^ètre établi qn*en un

ment. sens, Tétre peut venir du non-èlre,

$ 10. Avec eiuB, i*ai ajouté ces malgré ce qu'en avaient pensé les

mots qui sont implicitement compris premiers philosophes. On prouve

dans l'expression grecque. ÀbsO' maintenant ici que l^tre ne peut non

iument parlant, au sens qui vient plus venir de Tétre que par acddent,

d^étre établi un peu plus liaut. comme il vient du noo-éire. Voir

Indirectement et par accident, il plus haut $ 2.

LIVRE I, CH. IX, S <>• AS9

si l'oD disait que de Tanimal vient FanimaU aussi bien que de tel animal particulier vient tel animal particulier aussi ; et par exemple, si Ton disait qu'un chien vient d'un cheval. Le chien alors pourrait venii* non-seulement d'un certain animal, mais encore de l'animal en général ; mais ce ne serait pas en tant qu'animal qu'il en viendrait, puisqu'il est déjà animal lui-même. Quand un animal doit devenir animal autrement que par accident, ce n'est pas de l'animal en général qu'il vient; et si c'est d'un être réel qu'il s'agit, il ne viendra ni de l'être ni du non-être ;' car nous avons expliqué qu'on ne peut comprendre cette expression, venir du non-être, qu'en tant que la chose n'est pas ce qu'elle devient. $ IS. De cette façon, nous ne

S 13. Que de Panimal vient Pami- propre du moL Ce n'est pa» de malf MDS doute Tanimal vient de CaninuU en général quHl vient, mais raoinal d^uoe manière générale ; d^nn animal de son espèce partico» mait dans la réalité e^est certain Itère. Il ne viendra ni de Cétre animal d^ooe espèœ particulière qui ni du non-éfre, pris en soi i mais il Tient d^nn animal de la même es- Tiendra de Tètre ou du non-éire pèce. C'est donc indirectement et compris dans un sens indirect. Ainsi par accident qu'on peut dire que la chose ne fient pas de l'être : car ranimai Tient de l'animal ; car si si elle était déjà, elle n'aurait pas c'était au sens propre on serait con- besoin de derenîr ; mais elle Tient de duit à cette absurdité qu'on cbien la matière première, qui est bien pourrait provenir d'un cheval tout aussi un certain être, sans être un aussi bien que d'un chien, puisque être en soi, et qui peut reœToir in- le cheral est animal autant que le différemment la forme et les con- chien peut l'être, et qu'on a d'abord traires. On peut donc dire que la admis que l'animal Tient de l'ani- chose vient de l'être; et ainsi il est mal. D'un certain animait c'est- Trai qu'elle ne vient pas du non- à-dire d'un autre chien. Mais en- être; mais en même temps on peut eore de Canhnal en général^ œ qui dire qu'elle Tient du non-être, puis- est Aux. Autrement que par ae- que la privation est précisément ce eideni, c'est-l-dire en soi et an sens qui n'est pas.

A90 LEÇONS DE PHYSIQUE.

détruisons pas ce principe que toute cboae doit être ou n'être pas.

$ lA. Voilà donc une première manière de résoudre la question posée par les anciens philosophes.

g J 6. Il y en a encore une autre qui consiste en ce qu'on peut parler des mêmes choses, soit en tant que possibles soit en tant qu'actuelles; mais nous avons exposé cette théorie de la puissance et de l'acte avec frfus de précision dans d'autres ouvrages.

S 16. En résumé, nous venons de résoudre, comme nous l'avions promis, les difficultés qui ont amené néces- sairement les anciens philosophes à nier quelques-nns de nos principes. C'est aussi la même erreur qui les a tant écartés de la route ils auraient pu comprendre la gé- nération et la destruction des choses, en un mot, le chan- gement ; et cette nature première, s'ils avaient su la voir, aurait suffi pour dissiper leur ignorance.

% 18. Que toute eko$e doit être ou «atre distÎDCtioD de la pnisnnoe et

n'être pas^ e*eft le principe de con- de rade, de ce qui peut être et de

tradictîoD, qoi est le fondement même ce qui est, de la simple possibilité et

de tout raisonnement. Âristote veut de la réalHé actueHe et présente.

se défendre de l*ébranler en quoi 1>eBnM Vautrée ouvrages^ fa Miîit'

que ce soit, par cette distinction en-, phftique^ line VIII, ch. 1, pw 4ttA5

tre Tétre en sot et Tétre accidentel; et suir., édiL de Berlin, mais la forme sous laquelle 11 pré** $ IS. Comme noue f ovfoM fmh'

aenle sa pensée est trop concise; et mû, toir plus haut, di. 4, $ 4.

il eût été utile de la développer et Cette nature prenààre, le texte n*est

de Téctaircir dafantage. pas aussi préds. Voir plus haut, ch.

$ \h» La question posée par les 7, S 9* C^l^ phrase ne me paraît

anciens philosophes, le texte n*est pas d^un style très-aristotâique, Men

pas aussi explicite. Voir plus haut, qu'elle se rapporte d^îHeurs fort bien

S 1. h tout ce qui précède. G^est peut-être

S 15. Soit en tant que possibles, quelquinterpotation.

LIVRE I, CH. X, S A-

A91

CHAPITRE X.

Errenr de quelques autres philosophes^ qui, comme Parménlde, admettant Tunité de Pôtre, n\>nt pas distingué dans cette unité Tarte de la puissance. Définition générale de la matière et de la forme. Fin de la théorie des principes de rètre* de leur nature et de leur nombre.

g 1. U y a bien quelques autres philosophes qui ont touché à cette théorie de la nature première ; mais ils ne l'ont pas fait d'une manière suflSsante. $ 2. D'abord ils reconnaissent avec nous que quelque chose peut venir absolument du non-^tre» et qu'en ceci Parménide a toute raison. § 3. Mais ensuite ils prétendent que, la nature pre- mière étant une numériquement^ elle ne doit également qu'être une en puissance ; or, c'est une difiTérence aussi énorme que possible. § k. Pour notre part, nous affir- mons que la privation et la matière sont des choses très- diverses ; que la matière est le non-étre par accident,

Cfu Xf s 1. Queltfueê autres phUo- »opke$^ la soite pronTc qu'U s'agit de Platon et de 80D école ; toh* an pea Ifltis bas, $ 5 et la note. ->- JD^une manière w/Uaute^ ceci peut s*en- tendre d*nne Açon tonte générale, on bien en ce sens qne les philosophes dont II est îd question n^ont pas as^ sei approfondi cette théorie, pour pouToir résoudre les objections de rfioole d'Ëlée.

S S. Avec naui, j*ai ajonté ces mots

qnl sont implicitenient compris dans IVnqpression du texte. Parmé^ mde a toute roùan^ Toir le Parmé^ nide de Platon, p. 8, traduction de M. V. Cousin.

S S. Étant une numérùfuement, liÀT le Parmémdê de Platon. Au$êi énorme que pomble^ pnisqo^il 7 a toute la diflëreoce du néant à Pétre, du possible au réeL

% h* La privation et ta matière^ expliquées comme elle5 Tont été

492 LEÇONS DE PHYSIQUE.

tandis qne la privation est le non-ètre en soi ; et que la matière fort voisine de la substance est, à certains égards, substance elle-même, tandis que la privation ne l'est pas du tout. § 5. Mais d'autres philosophes placent le non-être dans le grand et le petit indifféremment, soit en les réunissant tous les deux ensemble, soit en les prenant chacun séparément; et, par conséquent, cette manière qu'ils ont d'entendre la triade est absolument différente de celle qui vient d'être indiquée. En effet, ils sont bien allés jusqu'à ce point d'admettre comme néces- saire l'existence d'une nature qui doit servir de support ; mais ils ont supposé que cette nature est une; et si quelque philosophe admet une dyade en la reconnaissant dans le grand et le petit, il n'en fait pas moins encore comme eux, puisqu'il oublie l'autre partie de l'être qui est la privation.

S 6. L'une de ces parties, en effet, qui demeure et sub- siste, concourt avec la forme pour produire comme une

plus haot, eh. 8, $S 10 et saiv. Cottôn, et la Métaphynque^ livre I,

Est le nan'^tre en sot, voir plus ch. 6, p. 987, b, 20, édiU de Ber-

haut, ch« 9, S 10. La matière est lin. D^entendre la triade^ cette

substance en puissance. ~~ La ma" triade étant composée du grand et

tière fort voUine de la aubstance, du petit, c*est-à-dire des deux con-

Toir les Catégories^ ch. 5, $ 16, p. traires et de Tidée qui les comporte.

67 de ma traduction, est exposée De celle qui vient 4tétre indiquée^

la Uiéorie de la substance. C^est la la matière, la privation et la forme,

forme qui achève la matière et lui Le texte est moins précis que ma tra-

donne tous les caractères de la suti- duction. Si quelque philosophe,

stance. c*est sans doute Platon. L'autre

S 5. Dans le grand et le petit m- partie de Citre^ Texpresslon du texte

différemment^ en tant que contraires, est moins précise. Quiest la priva-

voir le Parménide de Platon, p. 15, tion, j^ai cru devoir ajouter ces mots.

5h, 59, et 81, traduction de M. V. $ G. Comme une mère^ cette ex-

LIVRE I. CH. X, S 7. 493

mère tous les phénomènes qui adviennent ; mais quant à Taatre partie de l'opposition des contraires, elle pourrût bien plus d'une fois faire l'effet de ne point exister du toat, pour celui qui ne regarderait en elle que son côté destructif. § 7. En effet, comme il y a dans les choses un élément divin, excellent et désirable, nous disons que l'un de nos deux principes est contraire à cet élément, tandis que l'autre est fait par sa propre nature pour rechercher et désirer cet élément divin. Mais dans les théories que nous combattons , il arrive que le contraire désire sa propre destruction. Cependant il est à la fois impossible, et que la forme se désire elle-même, parce qu'elle n'a aucune défectuosité, et que le contraire la déshre, puis- que les contraires se détruisent mutuellement. Mais c'est précisément le rdle de la matière ; et elle est comme la femelle qui désire devenir mâle, ou le laid qui veut deve- nir beau; car la matière n'est pas le laid en soi ; elle n'est

pression me parait pour Aristote bien dans Us théories que nous eombai"

prétentieuse et bien recherchée ; c*est tons, le teite dit simplement : Mais

peut-être une interpolation, et une pour euXf pour les philosophes dont

sorte de glose. Mais quant à Cou- U a été parlé un peu plus haut. -—

tre partie de Popposition^ c^est-à- C*est le rôle de la wiaiière, la

dire la prifation. Que son côté matière désire la forme qui l'achève

destruetif, cette expression me sem- et la complète, tandis que le oon*

ble encore peu Aristotélique^ ainsi traire ne peut désirer la forme qui le

que tout ce qui va suivre jusqu'à la détruit, en le remplaçant par son con-

fin du S 7. traire. Elle est comwu la femelle^

S 7. Vn élément divin, c^est la cet eiemple peut sembler asseï bi-

forme ou Tidée, ou bien encore Pes- larre, et on peut trouver que la

pèce. - L'un de nos deux prin» femelle est dans sa nature aussi corn-

âpes, à savoir la privation. L'au- plète que le mâle; Voir sur le mftle

tre, à savoir la matière, qui tend à et la femelle, le Traité de la géné^

la forme, et désire cet élément divin ration des animau», livre II> p. IZi

que la forme représente. Mois et sniv. de Tédit. de Berlin,

49& LEÇONS DE PHYSIQUE.

laide que par accident; elle n'est pas non plus femelle en soi ; elle ne l'est qu'accidentellement, g 8. Dans un sens, la matière périt et natt ; et dans an autre sens, elle ne naît ni ne périt. Ce qui périt en elle, c'est la privation ; mais en puissance elle ne naît ni ne périt en soL Loin de là; il y a nécessité qu'elle soit impérissable et incréée. En effet, si elle naissait, il faudrait qu'il y eût antérieure- ment un sujet originaire d'où elle pût venir ; mais c'est justement sa nature propre ; et alors la matière exis- terait avant môme de naître ; car j'appelle matière ce su- jet primitif qui est le support de chaque chose, et d'où vient originairement, et non par accident, la chose qui en sort. Si l'on dit que la matière peut périr, elle rentrera en elle-même, puisqu'elle est le terme extrême, et il s'en- suivrait que la matière aurait péri avant même de périr, g 9. Quant au principe particulier de la forme, c*est le devoir de la Philosophie première de déterminer avec précision si ce principe est unique ou multiple, et d'étu-

$ 8* Dam» va «ans... dan$ nn awr quelques oommentateim leur ont

tre jefi«, ees deui alternatives Tont piétée. Si Con dit qwe ta mutHèn

êtres discutées; mais la coaclusioa peut périrj seconde altenatÎTe : La

est que la matière première de Tètre, matière ne périt pas plus qa^^e ne

au sens elle est eotendae ici, ne naH; elle detrait périr en elle-

liait ni ne périt. Ce qui périt en elle même comme 7 périssent les coo-

c'est la privation ; ce qui naît c*est traires» et il est aussi absurde de

la forme représentée par un des dire qu'elle périt en elle-même que

deux contraires. En puissance, elle de dire qu'elle nait d^eUe-mème. -—

subsiste toujours œ qu^elle est en Âvûnt même de périr^ impossibilité

soi. Impérietable et ineréée^ au égale à celle qui ferait exister la

sens restreint la privation périt matière avant même qu*elle ne

et la forme est créée; je ne crois fût née.

pas que ces expressions puissent $ 9. Le deooir ds Ut philiw^kie

avoir Ici la portée générale que premiiret la Métaphysique. Voir la

LIVRE 1, CH. X, S 10. A9Ô

dier la nature de ce principe spécial, on de ces principes, s'il y en a plusieurs. Nous renverrons donc pour cette occasion la théorie que nous ne faisons qu'indiquer ici, et nous nous résenrons seulement de parler des formes na- turelles et périssables dans les démonstrations qui vont suivre.

§ 10. En résumé, nous nous sommes borné jusqu'à présent à établir qu'il y a des principes ; nous en avons déterminé la nature et le nombre. Abordons à cette heure une autre théorie, en prenant un autre point de départ.

Métapkjftiquet lÎTre VII, cfa. A et d*aotres termes, sajettes aa change-

SUIT., et livre XII, cb. S, p. 1039 et ment

i0<l9, édit de Beriin. Qme nous $ iO. Qu'il y a du nrwcipes,

ne faisons qu'indiquer iâ^ le telle Toir ]iliis haut ch. 2. La netture

n^est pas aussi ezplidle. Des for-^ et le nombre^ Tolr plus haut ch. 8

mes naturelUs «f pérusahUs^ en et suiy.

FIH

DU PREMIER VOLUME

DE LA PHYSIQUE d'aRISTOTE.

A96 TABLE DES MATIÈRES.

TABLE DES MATIÈRES

DU PREMIER VOLUME

DE LA PHYSIQUE D'ARISTOTE

Préface i

Paraphrase de la Physique d*Aristote. ... 1

Dissertation sur la composition de la Physique. 415

Leçons de Physique, Livre 1 429

Table des matières du premier volume . . . 496

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JÉf