COMMISSION tftS ECOLES CATHOtlQUES

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V

Ecole GAIERIE HISTORIQUE

PIERRE BEDARD

ET SES FILS

PAR

N.-E. DIONNE, IvL.D., M.S.R.C.

Professeur d'archeologie canadienne a 1'Universite' Laval Biblioth£caire de la Legislature provinciate

QUEBEC

TYP.

& PROUIyX

1909

36417

AVANT-PROPOS

N

OUS commengons aujourd'hui la publication d'une Galerie Historique sur des sujets es- sentiellement canadiens, avec Pespe'rance d'en poursuivre le cours jusqu'au VIIIe volume. Notre intention, cependant, est de la com- pleter davantage, en y ajoutant quatre autres volumes, pourvu, toutefois, que la Providence, dans sa bont£, nous accorde une prolongation de vie.

L'idee de cette publication n'est pas neuve. Des l'anne"e 1895, nous 1'avions £mise au moyen d'une lettre-circulaire, qui fut alors distribute parmi le clerg6 et un certain nombre de laiques. Nous dumes renoncer au projet, f aute d'encouragement suffisant.

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Aujourd'hui que les circonstances sem- blent plus favorables, nous sommes par- f aitement decide a entreprendre une oeuvre de cette nature, quel que soit le sort qu'on lui reserve.

Ce sont des monographies et des bio- graphies tirees de notre histoire, et qui en couvrent, pourrions-nous dire avec verite, toutes les periodes. Du reste, on pourra facilement en juger par les titres de cha- cun des volumes, et par le court sommaire annex6 a chacun d'eux.

VOL. I

PIERRE BE:DARD ET SES

Pierre Bedard est le nom de 1'illustre patriote qui, 6tant de'pute' a 1'Assemblee legislative, reso- lut, avec le concours de quelques amis, de fonder le Canadien. Ce journal, fut saisi, en 1810, par 1'ordre du gouverneur Craig, ses proprietaires et son imprimeur furent jetes en prison. Bedard

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fut relache au bout d'un an, sans avoir pu obtenir le proces qu'il reclamait.

Be*dard eut quatre fils : Pierre- Hospice, Elze*ar, Isidore et Zoel. Les trois premiers devinrent avocats, Elzear fut juge et depute, Isidore, le poete, fut aussi depute.

Nous donnons la biographie de ces quatre fils de Pierre Bedard.

VOL. II LES TROIS COMEDIES DU STATU QUO

Ce sont des souvenirs politiques de 1'annee 1834. Ce fut en cette anne*e m6morable que 1'Assemblee legislative adopta les fameuses 92 Resolutions. Elles ne rencontrerent pas 1' appro- bation generate, meme parmi les Canadiens francais. Des discussions s'ensuivirent, surtout dans la presse. Trois petites comedies se firent jour a ce propos, dont deux favorables au main- tien de 1'etat des choses, c'est-a-dire au statu quo. Toutes trois sont assez gentiment tourne'es, bien qu'elles n'aient aucune pretention litteraire.

personnages les plus marquants qui figurent dans ces pieces sont F. - X. Garneau, 1'historien, Btienne Parent, redacteur du Canadien, le juge Duval, le notaire Glackemeyer, Hector Huot, depute* de Portneuf, Jacques Cr6mazie, le juge Winter, le juge David Roy, le juge A.-R. Hamel, etc.

L'auteur fait preceder ces comedies d'une lon- gue preface, dans le but de mieux faire connaitre la valeur et la portee des 92. II donne, en outre, une biographic de tous les figurants, ainsi que le texte des 92 Resolutions avec commentaires.

VOL. III. HISTORIQUE

DE LA

PAROISSE DE STB-ANNK DE LA POCATI^RE

Cette paroisse, une des plus anciennes du pays, est surtout interessante par ses seigneurs, ses cur£s, son college et son fondateur, M. Pabb6 Painchaud.

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Bien que cette monographic ne se de'sinte'resse nullement de la vie civile de cette paroisse, elle est plut6t consacrde a sa vie religieuse. Aussi 1'histoire des cures de Sainte-Anne est-elle aussi complete que possible. Elle est suivie d'un assez long Memoire du cure Porlier sur les eve'nements qui ont eu lieu a Sainte-Anne, lors de 1' invasion americaine, en 1775-76.

VOL. IV L'CEUVRE DE MGR DE FORBIN-JANSON

DE NANCY

EN CANADA

Les anciens n'ont pas oublie cette grande et noble figure d'eve'que, qui consacra pres de deux ans de sa vie au developpeinent de la religion catholique en Ainerique, et surtout dans notre province, ou il precha des retraites, des neuvaines, fonda 1'oeuvre de la temperance en plantant des croix un peu partout, et travailla a la redemption des exiles canadiens. Mgr de Forbin-Janson doit

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done etre considere comme un des plus grands bienfaiteurs de 1'Kglise du Canada, et les Cana- diens ne sauraient oublier la memoire d'un prelat aussi distingue.

VOL. V. L'ODYSSfiE

DE

DEUX CANADIENS-FRANCAIS

AU XVII*

Ces deux Canadiens s'appelaient M6dard Chouart des Groseilliers et Pierre-Esprit Radis- son. On ne saurait se faire une juste idee de Pactivite de ces hommes et du r61e qu'ils surent jouer, non seulement en Canada, mais en Angle- terre et en France. II faut les suivre pas a pas dans leurs peregrinations a travers le monde pour les bien connaitre. Bien qu'il y ait matiere a blame dans leurs agissemeuts, il y a aussi raison de les louer. II faut tenir compte qu'ils etaient avant tout des coureurs de bois et des trafiquants,

xm

deux e"tats de vie qui les exposaient a subir de nombreuses vicissitudes et a mener une vie quel- que peu desordonnee.

Voi,. VI L'ABBIC GABRIEL RICHARD

CURS DE DETROIT

Ne en France, cet abbe passa en Ame'rique, lors de la tourmente r6volutionnaire, en m£me temps que Chateaubriand. Apres plusieurs annees de courses apostoliques, il finit par se fixer en qualite de cure", dans la petite ville fondee par Lamothe-Cadillac, et il y demeura jusqu'a sa mort.

L'abbe Richard joua un r61e considerable dans ce milieu oii il y avait des Anglais, des Yankees, des Canadiens francais et des sauvages. II fut depute* au Congres a Washington, il fonda un journal, batit une e"glise. I,a persecution 1'a rendu surtout interessant. Trois fois il fut incar- cere, pour des raisons plut6t futiles.

Cette vie extremement mouvementee meritait d'etre connue, parce qu'elle nous rappelle beau- coup de souvenirs canadiens. L/a ville de Detroit n'est-elle pas de fondation francaise et canadienne?

VOL. VIII.

I/ABB£ JEROME DEME;RS

SUPERIEUR DU SEMINAIRE DE QUEBEC KT

LABB£ THOMAS MAGUIRE

CHAPELAIN DES URSUtlNES

La vie de de M. Demers est bien attrayante. II fut pendant longtemps I'&me de son s£minaire. Son grand m£rite est d' avoir su donner une forte poussee a 1' education superieure, en composant des manuels a 1' usage des colleges. Inutile de rappeler I'mfluence dont il jouissait dans le clerge et meme dans le monde de la politique. Sa pro- fonde humilit6 lui fit refuser la mitre a deux reprises.

Le grand-vicaire Maguire, chapelain des Ursu- lines, ayant public, uu jour, un Manuel des diffi-

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culte"s inhereutes & la langue francaise, M. Demers crut utile de critiquer ce livre dans de nombreux articles qu'il insera dans la Gazette de Quebec. Cette critique lui apporta des r6ponses de Pauteur du Manuel. Nous publions en appendice cette critique et ces reponses. Cette polemique me'ri- tait d'etre ressuscitee, ne serai t-ce que pour d6montrer que deja, en 1841, lorsque, pour ainsi dire, tout etait a creer. 1'on pouvait se quereller sur des questions de linguistique.

Voi,. VIII

Ce volume comprendra un certain nombre de lettres du fondateur du college de Sainte-Anne de la Pocatiere, et celles qui lui furent adressees par ses amis au cours de sa vie, depuis son entree au grand sdminaire de Quebec jusqu'a la fin de sa carriere. Ces lettres sont ine'dites, et la plupart ont un intere't tout particulier, au point de vue

des missions de la baie de Chaleur, et de 1' admi- nistration de la paroisse et du college de Sainte- Anne. Ces correspondants, pour ne citer que les plus marquants, sont : Mgr Plessis, 1'abbe" Mailloux, 1'abbe J.-B.-M. Cadieux, 1'abbe" C.-F. Baillargeon, 1'abbe J. Demers, 1'abbe J. Raim- bault, sup6rieur du college de Nicolet, 1'abbe" J. Holmes, P. -A. de Gasp6, etc., etc.

Ces volumes seront publics d'apres 1'ordre indiqu6, dans 1'intervalle des deux ann6es qui vont suivre, sans interruption.

N.-B. DIONNE.

INTRODUCTION

« C'est la marque de la grandeur, que Pe'loi- gnement la fait mieux paraitre : ainsi le temps en s'avan£ant, donne aux homines leur ve"ri- table inesure.

« Nul n'a besoin, plus que les combattants de la vie publique, de ce long regard de 1'histoire, parce qu'ils sont, plus que d'autres, exposes aux ferveurs passionne"es de leurs amis et de leurs adversaires. Quand les enthousiasmes sont eteints et les col£res tombe*es, quand les disputes sont taries et les discordes oublie'es, alors, seulement, se l£ve sur certains noms, pour les consacrer & jamais, 1'aurore d'une calme et immuable justice.

« Devant ce tribunal du temps, ni les applau- dissements, ni les succes, ni me'me 1'illustration

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du passe, ne sont, pour la gloire, des temoins suffisants. Elle n'attache de durable couronne qu'au front de ceux dont une grande idee a possede" les times. Ceux-la peuveut avoir 6t6 des vaincus : ils sont les vaiuqueurs de la

Belles paroles, dues a la plume de 1'infati- gable apotre des oeuvres catholiques de France, M. le comte de Mun. Je n'en ai pas trouve" de plus vraies ni de mieux approprie"es a celui dont je me propose d'esquisser la vie. Pierre Be"dard est une de nos belles figures du .com- mencement du XIXe sie"cle. II ne s'en trouve guere, a cette epoque, de plus rayonnante. Papineau, Bourdages, Taschereau, Panet ont eu la gloire, les honneurs, et parfois de grandes deceptions, mais ils n'ont pas subi la perse"cu- tion £ un degre aussi marque*. Bedard obtint aussi des succ£s et, sans les rechercher, les applaudissements de ses compatriotes. Vaiiie gloriole, bien au-dessous de son merite ! Bedard s'immola sur Pautel du patriotisme, sans regar- der ni aux siens, ni a son interet personnel.

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Eiiferrne' entre les quatre murs de sa prison, il y resta malgre tout le monde, fort de son droit d'etre juge* par ses pairs. II souffrit de cette re*clusion injuste ; il faillit me'me en mourir.

Si la justice des hommes ne lui fut pas cle- mente, 1'opinion publique, 1'opinion honne"te ne lui me"nagea pas son approbation, et le plus admire", en cette occasion, ne fut pas celui qui lui avait manage" cette e"preuve amere.

PIERRE BEDARD

ET SES FILS

CHAPITRE I

Naissance de Be"dard. Ses premieres anne"es. II embrasse la carrie~re d'avocat. Son mariage. Son entree dans la vie politique en 1792. Elu de'pute' du comt6 de Northumberland.

Bedard naquit le 13 novem- bre 1762, et non 1763, comme on 1'a e"crit si souvent, du inariage de Pierre-Stanislas Bedard et de Marie-Josephte Thibault, de Charlesbourg. II fut baptise, le 14, par l'abb£ Morisseaux, cure de cette paroisse. Cette belle famille a eu pour chef, en Canada, Isaac Bedard, de Paris, marie en 1645, ^ Marie

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Girard. Bile a found a 1'Eglise une petite phalange de pr^tres et plusieurs religieuses dont les annales des ursulines et de I'h6pital ge"ne*ral pourraient donner les noms et citer les ceuvres avec un legitime orgueil. Parmi les plus remarquables entre ces homines de Dieu, citons, pour memoire, Pierre-Laurent Bedard, qui, pendant cinquante-huit ans, dirigea la paroisse de Saint-Francois (riviere du Sud); Thomas-Laurent Bedard, superieur du se'mi- naire de Quebec ; le sulpicien Jean-Charles Bedard ; Laurent-Thomas, chapelain de Ph6pi- tal general, de 1829 £1851. II n'y a gu£re de figures oubliees parmi ces apotres de Dieu, et toute famille canadienne, n'eut-elle que des noms semblables a mettre en Evidence, pourrait & bon droit se re"clamer de la reconnaissance publique J.

I . Pierre £tait l'ain£ de huit, dont sept garcons : Joseph, avocat ; Jean-Baptiste, cur£ de Saint-Denis de Richelieu ; Louis, cure1 de la Baie-du-Febvre ; Charles, sulpicien ; Thomas, notaire a 1'Assomption, et Flavien, mort d Saint-Denis. Joseph mourut a un age avance", le 28

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Pierre Bedard fit ses etudes au petit se*mi- naire de Quebec. Entre tous il se distingua par son amour du travail, sa bonne conduite et aussi par ses succe"s. Ses dernieres anuses furent surtout brillantes. Bien qu'il se fut adonne* avec fruit aux Etudes litttfraires, il se livra plus specialement aux sciences mathe- matiques, et I'ele've devint bientot maitre de son sujet, tant il deploya de zele et d'ardeur. On le verra plus tard, dans sa prison, consacrer presque tout son temps a debrouiller les pro- blemes les plus ardus de cette science aride.

Bibaud a e*crit que Bedard avait une sorte de passion pour les mathematiques. Le fait est qu'il e*tait tr£s verse* dans les cliiffres, sans leur trouver toutefois d'autre application pra- tique que dans ses affaires personnelles, car il ne les enseigna a personne, ni se livra-t-il au commerce, qui aurait €t€ sans doute un champ

novembie 1882 ; il £tait le doyen du barreau de Montreal. Sa veuve, fille de M. Hubert Lacroix, lui survdciit. II laissa deux filles, dont 1'une avait £pous£ M. J.-W. Marett, et 1'autre M. Philippe Bruneau, marcliand de Quebec.

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d'action tout a fait conforme & ses dispositions naturelles.

Be'dard pre"f era embrasser la profession d'avo- cat, et non settlement il r£ussit, apres le stage requis, a faire inscrire son norn sur la liste des membres du barreau, mais il y acquit vite un rang honorable l. Quelques annees de pratique lui suffirent pour obtenir la repu- tation incontestee de premier avocat de son temps. Or, a cette e*poque tourmente*e, il £tait difficile, pour un Canadien-francais, d'arriver a un rang £leve* et lucratif, alors que tout le patronage reposait sur le bon vouloir d'une bureaucratic e*goiste et rageuse. Pour dominer les autres, il fallait, outre un talent incontes- table, une perseverance presque heroique.

Le 26 juillet 1796, Pierre Be*dard conduisait a 1'autel Jeanne-Louise-Luce-Fran^oise Fr6miot de Chantal Lajus, fille de Fra^ois Lajus, , et d'Ang^lique-Jeanne Hubert, soeur

i. Bddard re9ut sa commission d'avocat, le 6 novembre 1806.

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de M*r Hubert, eV£que de Quebec. Ce fut 1'abbe* L.-L. Bedard, missiounaire a Saint- Fran£ois (Beauce), et frere du marie*, qui pr£- sida a la cere'uionie, en presence d'Antoine Panet l , de Joseph Plante 2, de Berthelot d'Artigny 3, de W. Bouthillier *, et des parents des deux families. On tie doit pas £tre surpris de voir figurer ici des homines de la politique, entre autres 1'orateur de 1' Assemblee legislative, M. Panet, car B6dard etait lui-m£me entre*, et depuis deja quatre ans, dans la vie parlemen- taire. II avait 6t€ €\u depute" de Northumber- land 5 aux Elections gen^rales de 1792.

Pierre Bedard ne devait cesser de faire partie de la deputation qu'en 1812, apre"s avoir tour a tour represent^ Northumberland, la basse

1. M. Panet €tait orateur de la Chambre.

2. M. Plant^, notaire.

3. M. Berthelot d'Artigny, avocat.

4. M. Bouthillier, huissier a la verge noire.

5. Ce comt£ s'£tendait depuis la seigneurie de Beauport jusqu'aux bornes de la province, en descendant du cot£ nord du fleuve.

ville de Quebec et le cornlc" de Surrey *. I/orsqu'il quitta la politique pour accepter d'etre juge a Trois-Rivieres, il e"tait le seul, avec M. Panet, qui avait re*ussi a se faire e"lire sans interruption, depuis 1'ouverture du pre- mier parlement dont avait e"te" dote"e la province de Quebec, en vertu de la constitution de 1791. II siegea done pendant pr£s de six parlements consecutifs, mettant au service de ses compa- triotes tout son talent oratoire et sa science constitutionnelle.

i. Surrey commer^ait a" la limite-ouest de la paroisse de Saint-Ours, et finissait a la limite-ouest de Varennes, et comprenait Saint-Ours, Contrecoeur, Verch^res, Varen- nes, Saint-Antoine et une partie de Belceil.

CHAPITRE II

Be"dard sur la question de la tenure seigneuriale. L'acte constitutionnel de 1791. Ouverture du premier parlement en 1792. D£bat sur 1'emploi officiel de la langue frangaise. Role que joue Be"dard dans la discussion.

A VANT merae d'entrer dans la carriere parle- mentaire, Be"dard s'etait inte"resse a la chose publique. Ainsi le voyons-nous, en 1 791, s'opposer de toutes ses forces au projet de changer le systeme de la tenure seigneuriale. Sur les representations d'un comite* special nomine pour etudier la question, quelques personnages auraient voulu faire adopter le jree and common soccage, ou la tenure franche anglaise, et aussi donner aux seigneurs et £

"BiCLiOTHEQUES SCOLA1RES",

leurs censitaires le privilege de commuer la tenure de leurs terres. « Les charges seigneu- riales, dit Garneau, et les taux de redevances etaient assez moderes sous 1'ancien regime. Apres la conqtiete, plusieurs Anglais, qui avaient achete des seigneuries de Canadiens Emigrant en France, hausserent ces taux et furent imites par quelques-uns des anciens seigneurs. Bientot 1'abus fut pousse* par eux a un tel point, qu'il arracha des plaintes aux censitaires, pour qui 1'usage, la coutume e*tait la loi. Les nouveaux proprie'taires attendaient depuis longtemps 1'occasion de changer la tenure de leurs seigneuries afin d'en retirer de plus grands revenus ; ils crurent que le moment e*tait venu d'accomplir leur dessein ... Ils s'e*taient deja entendus avec des Emigrants ame*- ricains pour leur conceder leurs terres apr£s 1'abolition de la tenure, preferant ces derniers aux Canadiens, parce qu'ils les trouvaient dis- pose"s a payer des rentes plus e'leve'es \ »

i. GARN^AU, III, pp. 99 et 100, 4e Edition.

[ '3 1

II est avere que les esprits n'etaieut pas encore prepares a un changement. Du reste, un nouvel £tat de choses dans la direction poursuivie par quelques-uns des seigneurs, eut €t€ funeste aux colons canadiens-frangais. L,e seminaire de Quebec, liautement concerne* dans ces affaires, ne desirait pas de changement, et B^dard, en cette occasion, ne fit rien de plus que de deman- der le statu quo.

Mais pareil episode ne compte gu£re dans la vie publique d'un homme, fut-il me'me le meilleur avocat de la meilleure des causes. C'est sur le terrain de la politique que Bedard donna toute la mesure de son talent et de ses ressources oratoires. II y entrait bien prepare, connaissant de*ja, pour les avoir e'tudie's a fond,, tous les ressorts de la constitution britannique, mieux, en somme, quebeaucoup de nos hommes d'Etat anglais qui, au lieu de se pe*ne*trer de la lettre et encore mieux de 1'esprit de la grande charte, s'en tenaient au syst£me d^j^ ancien,, mais non vieilli, de vouloir gouverner la pro-

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vince a 1'aide d'un fonctionuarisme brutal et non pondere*.

La nouvelle constitution, accordee par 1'An- gleterre, en 1791, aurait du, ce nous semble, amoindrir le prestige et 1'autorite* de la petite oligarchic qui, jusque-la, avait conduit le pays a coups de batons, comme on traitait les ilotes dans 1'antique Sparte. Loin de la, elle se crut encore reine et maitresse dans un pays conquis, et elle ne se preoccupa de respecter la consti- tution que dans les limites qu'elle se tragait elle-m£me.

L'acte constitutionnel de 1791, sans etre un modele du genre, accordait, du moins, aux Canadiens-franc.ais le droit de se gouverner, de faire des lois et de les appliquer. Malheu- reusement il n'y avait pas de ministere respon- sable, et le Conseil legislatif qui pouvait refuser, son concours a 1'Assembl^e, 6tait nomme par la couronne. II y avait la deux d^fauts se*rieux, propres a rendre le fonctionnement du rouage administratif presque impossible. «Sans mi- nist^re, dit Macaulay, un gouvernement parle-

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mentaire, tel qu'il existe chez nous, ne petit jamais fonctionner surement. II est indispen- sable, pour nos libertes, qtie la chambre des communes ait le moyen d'exercer sur le pou- voir executif un controle r£el, une influence souveraine 1. »

« Le grand merite de la constitution, e*crivait lord Brougham, consiste dans la nettete' avec laquelle elle reconnait et pratique le principe fondarnental de tous les gouvernements mixtes, d savoir : que le pouvoir souverain de 1'Etat re*sidant £ la fois dans plusieurs corps se'pare's, le consentement de chacun d'eux est indis- pensable pour la validit^ d'un acte legislatif quelconque, et qu'on ne peut apporter aucune modification aux lois existantes, ni leur ajouter un seul article, ni prendre aucune mesure qui affecte si peu que ce soit 1'existence, la liberte, la proprie'te' des citoyens, sans avoir pre*alable- ment obtenu le complet assentiment de tous

i MACAUI.AY, Histoiredu Regne de Guillaume HI.

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les pouvoirs dirigeants, c'est-a-dire du souve- rain, des lords, et de la charabre des commu- nes. . . Le principe fondamental de la consti- tution est plus serieusement compromis si 1'un des trois pouvoirs de 1'Etat se permet, sous un pre*texte quelconque, d'agir sans le consente- mens des deux autres, et sans y £tre autorise" par quelque loi ge'ne'rale bien connue, & laquelle le peuple soit tenu de preter obe"issance l. »

L'opinion de Macaulay et de lord Brougham nous font bien saisir le vice capital de la constitution de 1791 : pas de minist£re res- ponsable, un conseil le"gislatif irresponsable et tout & la disposition des gouvcrneurs qui le nomment. Quoi qu'il en flit, cette constitution fut accueillie avec joie par les Canadiens, car elle leur accordait un role £ jouer dans les affaires publiques.

i. Lord BROUGHAM, De la Democratic et des gouver- nements mixtes, pp. 369 et 370, traduit de 1'anglais par le vicomte d'Haussonville, Paris, 1872.

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Les elections eurent lieu en juillet 1792, et le parlement s'ouvrit le 17 de'cembre de la m£me annee. Le premier grand debat fut consacre £ 1'usage de la langue franchise dans la publication des documents ofEciels. II y avait en chambre seize de*pute*s anglais et trente-quatre canadiens. Les premiers ne vou- laient que 1'anglais, les autres ou presque tous, beaucoup plus conciliants, opinaient en faveur des deux langues mises en regard. Le pro- cede etait plus couteux, mais il e*tait plus juste, caril ne fallait pas oublier que la grande majorite de la population 6tait d'extraction franchise. Les partisans de la langue anglaise donnaient pour raison que c'e*tait la langue du souverain et de la mere-patrie. A cette objec- tion M. de Lotbiniere re*pondit ainsi :

« Je dirai, avec cet enthousiasme qui est le fruit d'une ve'rite' reconnue et journellement sentie, que notre gracieux souverain est le centre de la bonte" et de la justice ; que 1'ima- giner autrement, serait de*figurer son image et

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percer nos cceurs. Je dirai que notre amour pour lui est tel que je viens de 1'exprimer ; qu'il nous a assures de son attachement et que nous sommes persuades que ses nouveaux sujets lui sont aussi criers que les autres. Enfants du meme pere, nous sommes tous e*gaux £ ses yeux. D'apre"s cet expose", qui est 1'opinion generate de la province, pourra-t-on nous persuader qu'il refusera de nous entendre, parce que nous ne savons parler que notre langue ? De pareils discours ne seront jamais crus : ils profanent la majeste* du trone, ils le de"pouilleut du plus beau de ses attributs, ils le privent d'un droit sacre*, du droit de rendre justice! Non, ce n'est point ainsi qu'il faut peindre notre roi ; ce monarque Equitable saura comprendre tous ses sujets, et en quelque langue que nos hommages et nos voeux lui soient ported, quand nos voix respectueuses frapperont le pied de son trone, il penchera vers nous une oreille favorable, et il nous enten- dra quand nous lui parlerons frangais. D'ail- leurs, cette langue ne peut que lui etre agre*able

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dans la bouche de ses nouveaux sujets, puis- qu'elle lui rappelle la gloire de son empire et qu'elle lui prouve, d'une mani£re forte et puissante, que les peuples de ce vaste continent sont attaches a leur prince, qu'ils lui sont fideles, et qu'ils sont anglais par le coeur avant meme de savoir prononcer un seul mot de sa langue. »

L,a seconde raison allegue'e par 1'element anglais centre 1'introduction du frangais dans les documents officiels, 6tait que 1'usage exclu- sif de la langue anglaise assimilerait plus vite les Canadiens a la m£re-patrie, c'est-a-dire qu'elle les rendrait plus loyaux. La raison se refutait d'elle-me'me, car avait-on eu j usque- la quelque motif de suspecter la loyaut£ des Canadiens ?

« Rappelons-nous l'anne*e 1775, s'dcrie M. de Lotbini£re. Ces Canadiens, qui ne parlaient que francais, ont rnontre leur attachement a leur souverain de la mani£re la moins e*qui-

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voque. Us ont aide £ de"fendre cette province. Cette ville, ces murailles, cette Chambre meme ou j'ai 1'honneur de faire entendre ma voix, ont e"te en partie sauve*es par leur z£le et pai leur courage. On les a vus se joindre aux fiddles sujets de Sa Majeste" et repotisser des attaques que des gens qui parlaient bien bon anglais faisaient sur cette ville. Ce n'est done pas 1'unif ormite1 du langage qui rend les peuples plus fiddles ni plus unis entre eux . . .

M. Taschereau fit un vigoureux discours dans le me'me sens :

« Je denianderai, dit-il, si la representation est libre. Personne ne me dit que non. Etant libre, il pouvait done se faire que cinquante membres qui, comme moi, n'entendent point 1'anglais, auraient compose cette chambre ; auraient-ils pu faire des lois en langue anglaise ? Non, assurement. Et bien, 9'aurait done etc"

une impossibility, et une impossibility ne peut exister. »

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Bedard prouoiiga un assez long discours qui fit sensation dans la Chainbre et dans la ville de Quebec, comme le fit du reste toute cette discussion sur un sujet aussi vital que celui de la conservation officielle de la langue fran- 9aise.

A ceux-la qui pretendaient tirer un fort argument centre 1'emploi du fran^ais dans les documents legislatifs, du fait que le conquis doit parler la langue du conquerant, Bedard repondit : Si le conquis doit parler la langue du conquerant, pourquoi les Anglais ne parleut- ils plus le normand? Ont-ils oublie que les Normands se rendirent maitres de leur ile et y ont fait souche? Aujourd'hui, leurs descen- dants ne parlent plus la langue des ancetres, ce sont les Canadiens qui la parlent. Les Canadiens sont des conquis, mais des conquis qui sauront montrer aux autres nations le chemin de Phonneur. Us ne savent pas etre infideles & leur roi ; ils ne sont pas de la trempe dont on forme des Yankees.

A ceux qui disaient que les Canadiens

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devaient abandonner leur langue, parce que c'etait le seul moyen de les rendre loyaux, Bedard r£pondit : Si la langue anglaise est si n£cessaire pour attacher les colonies au roi et au gouvernement de la Grande-Bretagne, pour- quoi les Etats-Unis d'Ame*rique, ou la langue anglaise est la langue dominante, se sont-ils reVoltes et soustraits £ la domination de 1'An- gleterre, leur m£re-patrie ? N'est-il pas ridicule de vouloir faire consister la loyaute* d'un peu- ple uniquement dans sa langue?

Que peut-on reprocher aux Canadiens? La langue anglaise est introduite dans la province de Quebec autant qu'elle peut l'£tre. Les hommes instruits la parlent ge'ne'ralement, parce que le texte de la loi est anglais ; la langue dans laquelle s'exprime le representant du roi est anglaise. La pensee d'introduire la langue des vainqueurs dans les cours de justice plus qu'elle ne 1'est, serait absurde aux yeux de ceux qui ont une juste id£e de ce qui s'y pratique.

Ceux qui parlent d'obliger £ parler une

langue plutot qu'une autre, m£me dans une colonie, ne savent pas ce qu'ils veulent dire, & moins qu'ils n'entendent qu'il faut exterminer tous ceux qui ne comprennent ni ne parlent cette langue.

L,e discours de Be"dard lui attira la sympathie de ses colle'gues et 1'admiration du public. Ce jeune homme de trente ans & peine, avail de la voix, du souffle et du cceur. On devait s'en assurer encore mieux, plus tard, lorsque des questions d'un inte"r£t non moins palpitant viendraient £ la surface.

CHAPITRE III

Joseph Papineau et B£dard jug£s par Garneau. Leur role dans la politique. B£dard fait une e"tude appro- fondie de la constitution britannique. La liste civile. Session de 1808. I^a question de 1'^ligibi- bilite" des juges a l'Assembl6e legislative.

T ES deux hommes qui vont fixer les premiers 1'atteution sur le theatre parlementaire, seront, dit Garneau, M. Pierre Be*dard et M. Joseph Papineau, que la tradition nous repre- sente comme des patriotes doues de ve*ritables talents oratoires. Us furent dans la legislature les plus fermes defenseurs de nos droits, et les partisans les plus fideles de 1'Angleterre, au service de laquelle le dernier s'e'tait distingue*

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par son z£le durant la revolution ame'ricaine. Sortis tons les deux des rangs du peuple, ils avaient re$u uue Education classique au college de Quebec . . .

K A une figure, dont les traits fortement prononces e"taient irre*guliers et durs, Be*dard joignait un maintien peu gracieux et un exte*rieur tres neglige*. Bizarre et insouciant, par caract£re, il prenait peu d'inte're't & la plupart des matie'res qu'on discutait dans la Chambre ; et en ge*ne*ral il parlait negligem- ment. Mais lorsqu'une question attirait vive- meiit son esprit, il sortait de son indifference avec une agitation presque febrile. Bmbrassant d'un coup d'ceil son sujet, il 1'abordait large- ment, mais non sans quelque embarras. En commenQant, sa parole e*tait.. difficile et sacca- dee ; mais bient6t la figure ^nergique de 1'ora- teur s'animait, sa voix devenait ferme et puissante. De ce moment sa phrase jaillissait avec abondance et avec e*clat. II combattait ses adversaires avec une force de logique irre'- sistible : rien n'etait capable d'intimider son

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courage ou de faire flechir ses convictions. « Tels sont les deux personnages que les Canadiens prendront pour chefs dans .les pre- mieres annees du regime parlementaire l. »

Ces deux patriotes sembleront s'entendre sur la politique la plus favorable & leur pro- vince. L/'union de ces deux forces, rendues plus puissantes par le groupe de deputes cana- diens formant les deux tiers de la Chambre, eut produit de merveilleux resultats sous un regime franchement constitutionnel. Mais, en ces temps-la, la force primait le droit. Tout Canadien vraiment digne de ce nom, attache* £i sa langue, a" sa foi, quelqtie loyal qu'il fut, e*tait marque" du sceau fatal. On voyait tou- jours en lui un ennemi-ne de 1'Angleterre et du gouvernement despotique. On traquait les n6tres, on leur refusait souvent la plus e"le*nien- taire justice, par haine ou par un sordide inte*ret. C'etait le syst£me organise de la

i. GARNEAU, III, pp. 81 et 82, 46 £d.

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persecution, et ce systeme ne pouvait finir, e*tant donnee une constitution informe, mal comprise et encore plus mal mise en oeuvre.

Nous avons deja dit que Bedard, de"s le de*but de sa carrie*re politique, s'e'tait livre" avec passion & Petude de la constitution britannique. II en comprit bient6t le fonctionnement, 4 1'aide des auteurs qu'il avait sous la main. Aussi le vit-on ^ la Chambre soutenir les grands principes qui r£gissent les peuples souinis a la couronne anglaise, avec un talent et un savoir-faire prodigieux pour l'e"poque, alors qu'en Angleterre m£me, les id£es n'etaient pas encore tr£s nettes sur ce sujet aussi delicat que difficile. Le Canadien, dont Bedard etait 1'ame, renferme des theories accepters aujour- d'hui comme les plus rationnelles. II y avait en cet homme un sentiment inne de liberte et de justice, qui devait le guider durant toute sa carriere parlementaire. La devise du Cana- dien : Fiat justitia ruat ccelum, explique bien 1'idee de celui qui la choisit, et elle explique encore mieux pourquoi cette gazette

fit tant de bruit et amoncela tant d'orages sur la tete de ses redacteurs. C'est a cause de son amour pour la liberte" que Bedard travailla £ fonder un journal, qu'il entreprit une lutte journaliere avec des journaux hostiles a notre race et a notre religion. C'est a cause de son amour pour la justice qu'il reussit & faire con- troler par la Chambre les defenses de la pro- vince, qu'il contribua plus que tout autre & 1'exclusion des juges de la politique active, etc. Be"dard fut done un grand patriote, comme nous allons pouvoir en juger nous-memes en le voyant a 1'oeuvre. Patriote par la parole, patriote par la plume, patriote par 1'action, tel il fut toute sa vie.

Le 28 mai 1829, quelques semaines apre"s la mort de Bedard, la Minerve e"crivait :

« Si la province, en se chargeant de ses propres defenses, acquit aux Canadiens ou £t la Chambre d'assemble'e quelque poids ou quel- que influence dans les affaires du pays, c'est & M. Bedard qu'on le doit.

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« Le paietnent de la liste civile fut son ouvrage.

« C'est a lui que nous devons 1'exclusion des juges de la Chambre d'assemble'e.

« Ce fut lui qui, le premier, fit sentir au pays la ne'cessite' d'avoir un agent en Angleterre. »

Examinons si ce te*moignage de la Minerve rend justice a la me'moire de BEdard.

C'e'tait en 1810, a la veille du coup qui devait terrasser le Canadien et ses rEdacteurs. Depuis trop longtemps deja, la province, faute de preVoyance ou de calcul de la part de ses repre'sentants a la Chambre, acceptait de 1' An- gleterre les deniers destines au paiement des traitements et appointements des fonctionnaires publics. Ceux-ci se trouvaient par la me"me a jouir d'une certaine independance, dont ils abusaient a coup sur. Jamais ils ne perdaient une occasion d'insulter les deputes canadiens- fran9ais. Cette conduite Etait revoltante, car, d'ou que leurs Emoluments vinssent, ces fonc- tionnaires n'en restaient pas moins les officiers

de la Chambre, les serviteurs de la province.

La Chambre d'assemble'e declara que le pays £tait assez riche pour defrayer ses propres defenses. Bedard fut le premier a se pronon- cer en faveur de cette mesure, qui allait mettre un terme a des abus intolerables. L'Angle- terre accueillerait sans doute avec plaisir la demarche de la petite colonie, puisqu'elle aurait pour resultat de de*grever son propre budget. Malgre 1'opposition du gouverneur, qui ne voulut pas transmettre a la Chambre des com- munes, non plus qu'a la Chambre des lords, 1'adresse de la deputation canadienne, mais seulement au roi, la proposition prevalut, et bientot la Chambre d'assemblee eut sa liste civile et la petite oligarchic bureaucrate se trouva muselee.

Dans le cours de la merne session de 1810, la Chambre, de*sireuse de se proteger et de venir au secours des Canadiens-frangais honnis, conspues, accuses de trahison, de menses sedi- tieuses, de complots ourdis dans 1'oinbre, etc, etc, resolut d'envoyer en Angleterre un agent

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specialement charge d'eclairer le public anglais sur la colonie. L,a-bas on se renseignait comme on pouvait, et le plus souvent tr£s mal. lye fait est que les Anglais ne nous connaissaient ni de loin ni de pres. Les quelques gazettes anglaises, imprime'es ici, n'avaient que du venin a distiller sur le compte des notres. On les appelait the French rascals ; on les traitait d'ignorants, de gens toujours prets & s'insurger centre les lois et centre les gouvernants. II importait done de mieux renseigner la metro- pole, et on crut que le mieux serait de main- tenir a" Londres un agent adroit, instruit et verse" dans la langue anglaise. Be"dard, qui avait le plus pousse" la Chambre dans cette voie, rec.ut la nomination. Mais, pour des raisons inconnues, le choix tomba plus tard sur un autre, et lorsqu'il fut question de lui voter un traitement, la resolution de la Chambre fut jetee au panier, a la suite d'une prorogation inattendue.

Ce fut £ la session de 1808 que les juges furent de'clare's inhabiles & sieger comme de"pu-

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t£s. Une majorite de vingt votes le voulut ainsi. Be*dard en £tait. Son vote fut ainsi motive* :

« En Angleterre, les juges sont ine"ligibles. LA lex parliamentaria donne pour raison que les juges peuvent singer £ la Chambre des lords ; alors comment pourraient-ils singer aux Com- munes ? Cette raison ne peut £tre applique*e a la province de Quebec.

« Mais la principale raison qu'on peut invo- quer centre l'e*ligibilite" des juges, c'est leur influence comme juge. Cette influence, mise au profit d'un parti politique, est ille*gale et tend & la corruption du peuple et des juges eux-me'mes, c'est-a-dire a la corruption 1'un par 1'autre du pouvoir l^gislatif et du pouvoir judiciaire. La supposition que les juges sont incorruptibles, ne tient pas dans les ide*es du populaire qui s'imagine, & tort ou £ raison, avoir plus a attendre d'un juge en votant plut6t pour lui que centre lui. II y a une grande difference entre 1'influence d'un juge candidat

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et un candidat ordinaire. I/'influence du der- nier peut s'accroitre en raison de la bonne reputation dont il jouit, tandis que celle de 1'autre peut augmenter a cause de sa mauvaise reputation ; plus elle est mauvaise, plus il a £i esperer ou £ craindre de son vote.

« Supposer les juges incorruptibles, qui le ' prouve ? Us le seront peut-£tre tant qu'on leur < eVitera les occasions de se laisser corrompre ;j

ce n'est pas aux legislateurs a les leur fournir.J

I

Les juges sont des homines pe*tris du m£me| limon que les autres. Tout ce qu'on peut] accorder a la fragilite humaine, c'est de la] croire infaillible, me'me avec les pr^cautiona que la prudence requiert. Celui qui cherchej 1'occasion trouve le p^ril, celui qui 1'aime d n'est pas loin d'en aimer la consequence.

« Perdre les lumieres des juges ! II n'y a qu« deux juges actuellement dans la Chambre, et il n'y en aura pas d'autres qui auront 1'effron- terie de briguer le suffrage populaire aux elec- tions prochaines, a rnoins qu'on en nomme express^ment dans ce but. Qu'on examine la

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yie prive"e de ces juges, puisqu'ils nous en ont lonne le droit en se faisant elire repre"sentants iu peuple ; qu'on examine les tergiversations ie leur conduite politique ; qu'on ecoute leurs iiscours et leurs arguments pitoyables, et qu'on nous disc ce que valent les lumie'res qu'on est menace de perdre. II faut avoir perdu tout sentiment d'honneur, il faut etre peu pre'occupe' ie la dignite* royale et de I'inte'ret du public, pour ne pas etre indigne de voir la judicature sxposee en pareil spectacle. »

Ce ne fut que plus tard, d'apres les represen- tations expresses de 1'Angleterre, que les juges cesserent d'etre eligibles. Elle ordonna au gfouverneur de sanctionner la loi qui aurait pour resultat de priver ces fonctionnaires d'un privilege susceptible de tant d'abus.

CHAPITRE IV

Points faibles de la constitution de 1791. La taxe sur le peuple discute'e en Chambre. Fondation du Cana- dien. Son programme. La liberte" de la presse.

"VTouS avons vu combien e"tait informe la constitution de 1791. Pas de minist£re, dans la veritable acception du mot ; un conseil nomm£ par la couronne, par consequent hos- tile a la Chambre d'assembl^e composed en grande partiede Canadiens fran9ais. Si une mesure ne plaisait pas au gouverneur, il n'avait qu'a frapper ^ la porte du Conseil pour la faire rejeter. II devait ne'cessairement rdsulter des conflits entre ces deux corps. La Chambre s'insurgea souvent centre un e"tat de choses

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aussi grave, qui ruinait son ind£pendance. Be*dard avait des idees justes sur la question.

Le premier devoir de 1'Assemblee, troisieme branche de la legislature, disait-il, est de de- fendre son ind£pendance, meme centre les tentatives que ferait le Conseil executif pour la restreindre. En adoptant le sentiment de ceux qui disent qu'il n'y a point de minist£re au Canada, il faudrait ou qu'elle abandonnat son devoir et renongat a se maintenir, ou bien qu'elle dirigeat ses accusations centre le repre*- sentant meme du roi, ce qui serait une chose monstrueuse, parce que nous devons voir en notre gouverneur la personne sacr^e de Sa Majeste" et lui appliquer les m£mes maximes.

II est vrai qu'il n'y avait pas de minist£re tel que nous le concevons aujourd'hui ; mais il y avait des ministres secrets, des personnages de marque occupant de tres hautes charges, les- quels, tout irresponsables qu'ils fussent, con-' seillaient le gouverneur en petit comite. Mais qui cut ose veuir devant la Chainbre ou devant le public, et dire : « C'est moi qui ai conseill^

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le gouverneur en telle et telle circonstance » ? Ces conseillers etaient bien connus, bien qu'ils se tinssent dans 1'ombre. Quand il deviendra necessaire de les connaitre, s'ecriait Be"dard, la Chambre en trouvera le moyen ; on sait bien que les ministres aiment mieux se tenir caches, et qu'ils n'ont pas toujours e"te connus en Angleterre comme ils le sont aujourd'hui.

Ces paroles devaient susciter bien des ani- mosite*s et provoquer centre Be*dard 1'ire des personnages exposes a etre mis en seen e. Aussi fut-il des lors consider^ comme un revolution- naire, et la presse gouvernementale 1'accusa de vouloir fomenter la sedition parini le peuple.

Le juge de Bonne, depute du cointe de Quebec, protesta centre la the'orie de Bedard : «I/admettre, disait-il, serait avilir I'autorit6 royale et le souverain lui-menie. II ne faut pas agiter de pareilles questions dans un moment ou 1'attitude des Etats-Unis est mena- £ante : ce serait montrer des symptomes de division. Prenons garde aussi de faire paraitre de la jalousie centre les autres pouvoirs, et de

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justifier ce qui a €t& dit touchant les signes de rebellion dans le discours du gouverneur. »

M. de Bonne £tait 1'organe de sir James Craig. Rien de surprenant qu'il s'elevdt centre une the"orie a laquelle le representant de Sa Majeste ne croyait pas ou feignait de ne pas croire.

I/a Chambre ne voulut pas non plus endosser la responsabilit£ d'une doctrine constitution- nelle qui pouvait paraitre trop hardie aux yeux de quelques-uns, peut-£tre risquee pour les autres. Voila pourquoi elle refusa d'adop- '• ter le paragraphe que Bedard aurait voulu faire insurer dans 1'adresse au discours du tr6ne ; de meme elle rejeta une proposition de M. Bourdages, ayant une portee a peu pr£s identique.

Ce paragraphe propose par M. Bedard se lisait ainsi :

« Nous ne pouvons nous empecher de regret- ter que Votre Excellence ait cru necessaire de rappeler £ notre attention les circonstances

particuli£res des differentes parties dont le peuple de cette province est compose, ainsi que nous, et qu'elle ait eu 1'idee qu'il fut pos- sible qu'il existat parmi nous des soupgons et des jalousies centre le gouvernement, sous les soins protecteurs duquel nous sommes parvenus a l'e*tat de notre felicite' actuelle. Nous sommes trop assures de la droiture et de la g6n6rosit6 du coeur de Votre Excellence pour lui attribuer ces id£es. Nous les attribuons aux insinua- tions de personnes inal connues de Votre Excellence, qui n'ont a cceur ni le bien du gouvernement de cette province, ni celui du peuple dont le bonheur lui est confie. »

Re'sumant la question, Garneau s'exprime ainsi au sujet de B£dard :

« II lui paraissait qu'un ministere etait un rouage absolument ne"cessaire dans le gouver- nement parlementaire du Canada. II fit obser- ver qu'en fait et inde'pendainment de toute maxime constitutionnelle, le gouverneur, qui

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dtait dans le pays depuis si peu de temps, ne pouvait connaitre les dispositions des habitants que d'apres les renseignements qu'on lui don- nait . . . L'orateur, dans ce discours remar- quable ou il indiqua si nettement le principal de*faut de la constitution de 1791, et on il exposa un systeme qui devait etre accorde au Canada quarante ans apr£s, fut regarde comme I'ap6tre d'une ide"e reVolutionnaire . . . »

Au cours de la session de 1805, un long de"bat surgit au sujet de la taxe. Comme il fallait batir des prisons, il importait de tronver des ressources pecuniaires. Taxerait-on la proprie*te fonciere ou les articles de consom- mation importe's dans le pays ? Les marchands, il va sans dire, s'elev£rent en masse centre ce dernier projet, lequel pourtant paraissait le plus rationnel. De fait, la Chambre imposa des droits sur la classe mercantile, voulant ainsi e*pargner la classe agricole. L,es mar- chands s'insurgerent et demand£rent a grands cris que le roi apposat son veto au bill des

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prisons. L,a Chambre, de son cote, insista pour sa sanction, et elle envoya en Angleterre un me*moire dans ce sens. Be"dard fut 1'insti- gateur de cette demarche que commandait 1'etat des esprits. On trouve dans ce rne'moire le passage suivant :

« Iv'Assemble'e estime qu'il n'y a aucun parallele a faire entre les pays de 1'Europe et le Canada, pour ce qui regarde la justice et 1'a-propos de taxer les terres. En Angleterre et dans les pays ou 1'agriculture a rendu les terres a peu pr£s d'egale valeur, une taxe terri- toriale p£se e"galement sur toutes ; mais en Canada, ou 1'agriculture laisse tant d'inegalite', une taxe par arpent, comme celle qu'on a proposed, serait inegale et sans proportion, car celui dont le fonds ne vaut que six deniers 1'arpent, paierait autant que celui dont le fonds vaut 1'arpent soixante livres (de France). L,a taxe peserait done plus sur ceux qui commen- cent a defricher que sur les autres, et par la les nouveaux colons seraient charges de la plus

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forte partie du fardeau, tandis qu'ils ne doivent recevoir que des encouragements.

« Une taxebasee sur la valeur approximative de chaque terre, est pareillement impraticable. I<es frais d'estimation et de perception seraient plus a charge que la taxe m£me. Du reste, une taxe fonciere serait in juste, en ce que les habitants des villes, dont les richesses sont en effets mobiliers, en seraient exempts.

« L,' Assemble croit qu'un impot sur le com- merce en general, et sur les articles taxe"s par la loi en particulier, sera moins senti et plus e'galement reparti ; que le consommateur paie en dernier lieu ; que bien qu'il ait etc* objecte" que les marchands sont ici dans des circon- stances plus de"savantageuses qu'ailleurs, parce qu'ils n'ont pas la facilite de re"exporter leurs marchandises, cette circonstance, au lieu d'etre desavantageuse est favorable, puisqu'elle leur permet de regler le commerce et de f aire payer I'imp6t par le consommateur, vu qu'ils ne sont en concurrence qu'avec des marchands qui paient les monies droits qu'eux. »

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En vain voulut-on faire tomber la proposi- tion de M. Be"dard, la loi re$ut 1'approbation de la Chambre, et le gouverneur general la sanc- tionna.

C'en e*tait assez pour soulever la col£re des marchands centre Be*dard. Us devaient bientot se venger en le livrant aux coups du Mercury, journal francophobe et tout devoue aux inte*- r£ts du commerce. « Cette province, disait-il, au lendemain de la victoire de B£dard, est de*J£l trop frangaise pour une colonie britannique . . . Que nous soyons en guerre ou en paix, il est essentiel que nous f assions tous nos efforts, par tous les moyens avouables, pour nous opposer & I'accroissement des Francois et de leur influ- ence . . . Depuis quarante-sept ans que nous la posse'dons, il est juste que la province devienne anglaise. »

Ceci se passait en 1805. M. B£dard devait re"pondre bientot aux diatribes saugrenues du Mercury par la publication du Canadien.

Le prospectus du Canadien fut lanc£ le

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novembre 1806, et le premier numero parut le 22 du meme mois.

« II y a deja longtemps, lisons-nous dans ce prospectus, que des personnes qui aiment leur pays et leur gouvernement, regrettent en secret que le rare tre*sor que nous posse*dons dans notre constitution deuieure si longtemps cache", faute de 1'usage de la liberte" de la presse, dont 1'office est de re"pandre la lumi£re sur toutes ses parties.

« Ce droit qu'a un peuple anglais, sous line telle constitution, d'exprirner librement ses sentiments sur tous les actes publics de son gouvernement, est ce qui en fait le principal ressort.

ft Iv'exercice de ce pouvoir censorial, si redou- table pour tous ceux qui sont charges de 1'admi- nistration, est ce qui assure le bon exercice de toutes les parties de la constitution, et surtout 1'execution exacte des lois, en quoi consiste la liberte d'un Anglais, qui est a present celle d'un Canadien.

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« Ce pouvoir est si essential a. la liberte, que 1'Etat le plus despotique ou il serait introduit, deviendrait par la meme un Etat libre ; et qu'au contraire, la constitution la plus libre, telle que celle d'Angleterre, deviendrait tout a coup des- potique par le seul retranchement de ce pou- voir.

« C'est cette liberte de la presse qui rend la constitution d'Angleterre propre a faire le bon- heur des peuples qui sont sous sa protection. Tous les gouvernements doivent avoir ce but, et tous desireraient peut-etre 1'obtenir, mais tous n'en out pas les moyens. Le despote ne connait le peuple que par le portrait que lui en font les courtisans, et il n'a d'autres conseillers qu'eux. Sous la constitution d'Angleterre, le peuple a le droit de se faire connaitre lui-meme, par le moyen de la liberte de la presse, et par 1'expansion libre de ses sentiments, toute la nation devient, pour ainsi dire, le conseiller prive du gouvernenient.

« L<e gouvernement despotique, toujours mal informe", est expose sans cesse £ heurter mala-

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droitement les sentiments et les inte'rets du peuple qu'il ne connait pas, et a lui faire, sans le vouloir, des maux et des violences dont il ne s'apercoit qu'apre"s qu'il n'est plus temps d'y reme"dier, d'ou vient que ces gouverne- ments sont sujets £ de si terribles revolutions. Sous la constitution d' Angleterre, ou rien n'est cache, ou aucune contrainte n'emp£che le peuple de dire librement ce qu'il pense, et ou le peuple pense pour ainsi dire tout haut, il est impossible que de pareils inconv^nients puissent avoir lieu, et c'est la ce qui fait la force etonnante de cette constitution, qui n'a recu aucune atteinte, quand toutes les consti- tutions de 1'Europe ont €t€ bouleverse'es les unes apr£s les autres . . .

« Mais, pour que 1'exercice de la liberte de la presse ait de bons effets, il faut qu'il soit general pour tous les c6te*s. S'il e*tait asservi & un parti, il aurait un effet tout contraire, il ne servirait qu'st cre*er des divisions odieuses, & entretenir d'un c6te* des pre*juge*s injustes, et a faire sentir profond^ment a 1'autre c6te*

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1'injustice de la calomnie, sans lui laisser les moyens de la repousser.

« Les Canadiens, comme les plus nouveaux sujets de 1'empire britannique, ont surtout inte"ret a n'etre pas mal repre*sente*s. II n'y a pas bien longtemps qu'on les a vus fle'tris par de noires insinuations, dans un papier public" en anglais, sans avoir eu la liberte* d'y insurer un mot de r6ponse ; tandis que certain parti vantait sans pudeur la liberte" de la presse dans les exercices peu libe"raux de ce papier. Si les Canadiens ne me*ritent pas ces insinuations, la liberte" de la presse a laquelle ils ont droit aussi, leur off re le moyen de venger la loyaute de leur caracte"re, et de de'fier 1'envie du parti qui leur est oppose", de venir au grand jour avec les preuves de ses avances. Ils ont inte"- rit a dissiper les pre'juge's qu'entretient ce parti envieux dans 1'esprit d'un certain nombre des anciens sujets de Sa Majeste" avec qui ils ont a vivre unis en ce pays ; ils ont inte'ret surtout a effacer les mauvaises impressions que les coups secrets de la malignite" de ce parti

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auraient pu faire dans 1'esprit des sujets de Majeste" ; et ils y ont d'autant plus d'intert que les bienfaits qu'ils ont re£us les rendraient coupables d'ingratitude, et qu'ils meriteraient de perdre ces memes bienfaits et les avantage de leur constitution, si ces insinuations etaient vraies. »

Le principe de la liberte" de la presse invoqu^ par le Canadien, ou mieux par Bedard, a c'est lui qui tenait la plume, n'etait pas neuf mais il importait de le faire accepter poi tous, sans distinction de partis ni de races Comment le Mercury aurait-il eu la liberte tout dire, si le Canadien eut etc prive" du mei privilege? L'injustice aurait etc* trop criante et, cependant, c'est ce qui devait arriver.

En Angleterre, la liberte" de la presse n'exis tait pas chez les Tudor?, ni sous les deux pre miers Stuarts. Le long parlement et Cromwel se montr£rent aussi .peu Iib6raux. Le premie bill relatif a cette mati^re fut vote apres Restauration. Le licensing act armait le got

vernement d'un droit de censure absolu sur les livres et les gazettes. Renouvele"e en 1685 et en 1693, cette loi fut enfin abolie en 1695.

En 1793, lors de la discussion pour lerenou- vellement du licensing act, on vit, pour la pre- miere fois, se faire jour un sentiment, bien faible il est vrai, mais tres re*el, en faveur de la liberte de la presse.

Pendant toute la duree du licensing act, il n'y eut pas d'autre journal que la Gazette de Londres. Lorsqu'il fut supprime', on vit parai- tre un grand nombre de feuilles. Chose remar- quable, la liberte de la presse produisit tout de suite un excellent resultat sur le ton des jour- naux. Us se montr£rent en general respec- tueux et surtout plus moderes que les anciens pamphletaires. Le regime prohibitif avait transforme les ecrivains en contrebandiers. Us avaient exerge le journalisme comme un veri- table braconnage.

La liberte de la presse permit aux hommes

I e"minents, qui se tenaient a 1'ecart par degout

ou par de"dain, de recourir a cet e*nergique ins-

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trument de propaganda. Le ton s'e"leva. Le langage reprit les allures de la bonne compa- gnie.

C'est de cette e"poque que date la purification de la litte"rature anglaise. Le gouvernement put se faire respecter en face de la licence de la presse. Le juge souverain entre la presse et le gouvernement, c'est la nation constitute en jury : le cel£bre bill de Fox ( libel bill) rendit le jury arbitre quant au droit et quant au fait. Des condamnations severes ont enseigne" aux journalistes anglais le respect d'eux-memes et le respect d'autrui.

« Mais, dira-t-on, il y a des abus ! Les abus qui les ignore ? Tout peut devenir abus en ce monde. On peut mesuser de ses yeux, de ses mains, de ses pieds : est-ce une raison pour mu- tiler 1'homme ? La presse a donne* lieu et peul encore donner lieu £ des abus e*normes ! Mz qu'est-ce que cela prouve? II n'en reste pz moins de'montre' pour tons les hommes de boi sens, que les avantages de la presse libre sont

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de beaucoup superieurs £ ses inconve"nients. Qui a fait pe*ne"trer dans les couches les plus profondes de la socie'te', ces notions, ces prin- cipes qui font de 1'homme aujourd'hui un £tre respecte" ?

« L,a presse ! Quelle injustice reste inapercue sous son regard vigilant ? Quel est 1'homme politique qui n'ecarte pas de son coeur la pen- see d'une prevarication, lorsqu'il songe que sa voix implacable n'est jamaisfatigue'e? Je con- fesse que le mobile est quelquefois aussi mau- vais chez le de"nonciateur que chez le de*lin- quant. Qu'y faire? Accordez-moi que les mobiles ordinaires sont nobles et Sieves l. »

Bedard connaissait, sans doute, les avantages et les inconve"nients de la liberte" de la presse. Pour lui les avantages primaient les incon- ve"nients, car il voulait instruire le peuple, et non le pousser £t la reVolte. II voulait e"tre prudent, mode're, ennemi des personnalit^s.

i. L'Angleterre, Etudes sur le Self-government, par M**», Paris, 1864.

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Instruire le peuple, lui inculquer le gout des sciences et des arts, lui apprendre & mieux connaitre sa langue, & 1'aiiner, afin de la mieux conserver. Tels £taient les principaux mobiles de la fondation du Canadien. Nous aliens maintenant le voir & Pceuvre, et le suivre presque pas & pas, jusqu'au moment ou, frappe" par le gouvernement, il dut briser une carri£re qui s'annon£ait brillante et surtout utile.

CHAPITRE V

Le Canadien et la tactique de ses r£dacteurs. Le parti francophobe et ses accusations. I,es milices cana- diennes. l,eur loyaut£ a 1' Angleterre. L,e Yankg- isme d£nonc£ par le Canadien. Protestations de Ioyaut6 de la part du Canadien.

£T E Canadian ne vecut que trois ans et quel- ques mois ; il £tait hebdomadaire. Pour l'£poque, un journal paraissant une fois par semaine, ^tait consider^ suffisant. Aujourd'hui, un journal militant, hebdomadaire, serait tout a fait inf^rieur a la tache ; c'est la lutte de tous les jours et meme de toutes les heures qu'il faut. II peut cependant y avoir des exceptions a cette re"gle lorsqu'un journal, me'me politique, se tient en dehors des partis pour ne se livrer qu'a des observations ou a des

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critiques plus ge'ne'rales, abstraction faite des hommes. Celui-la peut encore exercer une bonne influence sur 1'opinion publique, surtout s'il est bien ponde're', et si son re"dacteur est ve"ritablement lui-me'me un homme sachant planer au-dessus des mise'rables passions de la vie politique.

Quoi qu'il en soit, la besogne de redacteur d'un journal canadien-francais, £t cette e*poque tourmentee de notre histoire, etait parfois bien rude et bien pe*nible. La presse anglaise n'avait jamais e"te beaucoup sympathique aux notres, mais £ 1'apparition du Canadien^ elle ne sembla plus connaitre de bornes. Que d'injures et d'accusations nial fondees jet^es en pature au public !

Les Canadiens, disait-elle, sont des ignorants, et par consequent ils sont incapables d'exercer leur droit de suffrage en connaissance de cause, d'apres une saine appreciation des homines et des choses ! L,es Canadiens sont des gens gros- siers, mal Sieve's, sans de*licatesse. Ils sont in- solents envers leurs superieurs!

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Les Canadians sont devenus une menace constante pour la conservation a 1'Angleterre de son empire en Ame'rique !

Les Canadiens ne sauraient £tre instruits, ils n'ont aucune maison d'education qui puisse former leur intelligence ! C'est tellement le cas, qu'on rencontre a la Chambre des deputes qui ne savent ni lire ni e*crire !

Devant ces accusations re'pete'es journelle- ment par une presse salaried, e*tait-il possible, vraiment, que 1'unique organe des Canadiens frangais gardat le silence? Non, il devait parler, repondre a ces diatribes insensees, mais en des termes nullement provocateurs. Or le Canadien ne fit jamais autre chose.

Lorsque la grande majorite* des electeurs est d'accord sur une question politique vitale, il faut avouer, disait-il, que ce jugement doit £tre fonde" sur la connaissance des faits et ne re"sulte point du hasard.

Les Canadiens ne sont pas des gens grossiers ! II r£gne parmi eux beaucoup de gaiete ; la bonne socie'te' est tres polie, tr^s aimable et

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recherchee meine par les Anglais. Ceux qui disent le contraire, lie 1'ont jamais frequentee. Quant au peuple des campagnes, il est aussi tr£s jovial, il est poli, hospitalier, intelligent et honne'te & l'e*gard de n'importe quelle autre nation. En general, les Canadiens sont soumis a" leurs supeVieurs civils et eccle"siastiques. Us respectent leurs eV£ques et leurs pretres, ils respectent le gouverneur, les fonctionnaires, mais ils n'aiment pas qu'on les calomnie ni qu'on les insulte & tous propos et hors de propos.

Les Canadiens-Frangais sont aussi loyaux qu'on peut I'e'tre sous le regime colonial. Ils le sont tellement, que 1'Angleterre ne pourra conserver le Canada qu'en vertu de la loyaute des notrts. L,e cel£bre Fox disait ^ qui voulait 1'entendre, que les Canadiens seuls pourraient conserver le Canada & 1'Angleterre.

En fait d'&lucation, les Canadiens ne sont pas trop mal pourvus. N'ont-ils pas les semi- naires de Quebec et de Montreal pour aller y puiser les connaissances necessaires a la forma-

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tion des caracteres, de 1'intelligence et du coeur? En supposant que ces deux foyers de la science seraient insuffisants, est-ce la faute des Canadiens franc.ais? Us ont demande les biens des Jesuites, qui avaient ete destines £ leur Education. Us ont demande des e*coles de paroisse ; ils n'ont pu les frequenter, parce que ces e"coles etaient de nature a leur inspirer des craintes pour leur religion.

II y a eu a la Chambre des de*pute"s qui ne savaient ni lire ni ecrire ! C'est vrai, il y en a eu trois ou quatre dans les cinq parlements qui se sont succede depuis 1'Acte constitutionnel de 1791. L'art de lire n'est qu'un moyen d'acque"rir des connaissances, et ne doit pas £tre mis au rang des connaissances me'mes, car ceux qui savent lire et £crire et n'ont jamais lu ni ecrit, ou n'ont jamais fait que des lectu- res d'amusement, sont exactement dans les memes conditions que ceux qui ne savent pas lire du tout. Les barons qni ont obtenu la Grande Charte, ne savaient pas lire.

Le Canadien fut modere, syst^matiquement.

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A part quelques correspondances venues de 1'exte'rieur, ou 1'on per£oit assez souvent de la passion, ce fut un journal calme, re*serve\ II e*tudie les grandes questions du jour, et il les aborde avec sang-froid et sans pousser a 1'exa- ge"ration. Les questions constitutionnelles, si chores £ son re"dacteur, viennent se ranger tour a tour sous la plume de Be*dard. On sent qu'il est plus a 1'aise dans ce milieu fami- lier. En habile tacticien, il laissait croire dans son journal qu'il existait re'ellement une admi- nistration responsable, dont les discours du trone n'e"taient que 1'echo fiddle. II vantait la loyaute" des Canadiens-francais et les bienfaits <ie la constitution britannique appliquee sage- ment a notre province.

« Elle est peut-^tre, disait-il dans le Canadien du 4 novembre 1809, la seule ou les inte'rets et les droits des differentes classes dont la socie'te' est cornpos^e, sont tellement m^nag^s, si sage- ment opposes et tous ensemble lies les uns aux autres, qu'elles s'e"clairent mutuellement et se

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soutiennent par la lutte meme qui re"sulte de 1'exercice simultane* des pouvoirs qui leur sont confie*s ...»

« Vous avez peut-etre ve"cu dans ces temps mallieureux qui ont prece'de' la conquete de ce pays, ou un gouverneur e*tait une idole devant laquelle il n'e'tait pas permis de lever la tete. II existe encore dans la ville de Quebec un vieillard, dont 1'existence semble se prolonger pour attester un fait peu connu et digne de 1'etre, qui peut nous donner une id£e de l'esp£ce de gouvernement de cette colonie £ cette e"po- que. C'est un navigateur ; il etait a Montreal. II en partait lorsqu'on annon5a la nouvelle de la victoire de Carillon. Un vent favorable le conduit & Quebec avant que les courriers char- ges de la nouvelle 1'eussent apporte"e officielle- ment au gouvernement. En arrivant en ville, le brave capitaine la r£pandit avec enthou- siasine, sans songer qu'il en put re"sulter aucua ' danger, et avec la joie que devait sentir un bon citoyen de la gloire qui en revenait d son pays. Malheureusement la nouvelle alia chez 1'inten--

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dant ou quelque autre grand subordonne du gouverneur qui, pique", fit mettre en prison 1'imprudent navigateur, et ce, pour la raison qu'il aurait du Pen avertir le premier, et qu'en fait c'etait lui manquer d'egards. . .

« Je voulais vous faire comprendre par cet exemple la difference avec le temps ou nous vivons. Un homme, le peuple n'e"tait rien ou moins que rien. Un gouverneur aurait cru s'avilir, s'il eut souffert qu'on lui fit eprouver la rnoindre contradiction. Une remontrance, un avis, un reproche eussent e*te des crimes irremissibles . . .

« Nous jouissons maintenant d'une constitu- tion ou tout le monde est & sa place, et dans laquelle un homme est quelque chose. Le peuple a ses droits ; les pouvoirs d'un gouver- neur sont fixe"s et il les connait ; les grands ne peuvent pas aller au dela des bornes que la loi met a leur autorite\ Qu'un gouverneur soit trompe" et entraine dans de fausses mesures, ce n'est pas un dieu qui lance la foudre, sans qu'on puisse se soustraire & des coups inevitables ;

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c'est un ange conservateur qui, dans le temps me'me ou il exerce le droit supreme qui lui est deVolu pour faire valoir son autorite", soutient sans s'en douter, l'e"difice qu'il pourrait etre tent6 de vouloir e"branler. C'est qu'il existe un e"quilibre tellement menag£ entre les droits du peuple et les siens, que s'il va au deli des bor- nes que la constitution lui a assignees, ou s'il fait de son autorite un usage inutile, le peuple a un moyen sur et juste de 1'arreter dans sa marche. »

Le parti anglais, du moins la faction des fanatiques, des francophobes, accusait les Cana- diens en general de manquer de loyaut£ & la couronne britannique. Elle ne voyait partout que complots et menses sourdes centre le gouverneur et son gouvernement. Etait-elle convaincue de ses dires, ou n'agissait-elle ainsi que pour provoquer l'autorit£ & seVir centre des gens incapables de se defendre ? Une accusation est bientot lance"e, et le mal qu'elle produit est toujottrs a redouter, me'me si I'ave-

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nir prouve qu'elle est. fausse. Or, il est abso- luinent contraire & la ve'rite' que les Canadians eussent de 1'hostilite" centre le gouvernement de Sa Majeste. Nous etions & la veille des e've'nements de 1812 ; les Etats-Unis ^talent toujours 1£, depuis 1775, prets £ faire le coup de feu centre la petite colonie qu'ils n'avaient cesse de convoiter depuis la de*route de Mont- gomery et d' Arnold. Partout dans les campa. gnes, nos volontaires se preparaient, par des exercices militaires, a recevoir Pennemi comme il le me'ritait. En veut-on des preuves ?

Au mois d'aout 1807, les milices canadiennes furent averties de se tenir prates en cas d'atta- que. Le colonel Dupre" re"unit aussitot le pre- mier bataillon de Quebec, le sien, et dans une harangue a ses soldats, il leur rappela la bra- voure de leurs anc£tres, et il leur dit, en outre, qu'ils auraient peut-etre une belle occasion de montrer leur loyaute" & la face de tout 1'uni- vers.

« Chaque capitaine, dit le Canadien, fit appe-

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ler hors des rangs les miliciens qu'il voulait commander. Les miliciens sortaient des rangs avec des figures aussi gaies que si c'eut etc" pour entrer en danse ; on n'en vit pas un seul qui montrat le moindre signe de tristesse. Des personnes qui avaient vu faire des commande- ments en Europe, dans les autres parties de 1'empire britannique, disaient qu'ils n'avaient jamais vu une telle gaiete" dans ceux qui £taient commandes. Les officiers et soldats de lagar- nison paraissaient en sentir du plaisir ; on en entendit qui disaient qu'ils n'avaient plus aucune inquietude sur la defense du pays. La joie paraissait sur les visages de tous les Cana- diens, et 1'on peut m£me aj outer, des Cana- diennes ; il semblait que chacun £tait fier d'etre Canadien 1. »

Dans les campagnes, m£me denouement qu'a la ville. Le colonel Perrault fit aussi 1'inspec- tion de son bataillon de Kamouraska, et il

I. Le Canadien du 26 aovit 1807.

5

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courut & la Riviere-Ouelle et a Sainte-Anne-de- la-Pocatiere, oil se recrutait surtout son petit corps de volontaires. A Sainte-Anne, le pre- mier milicien appele, fut un nomine" Michel L,evesque, de la corapagnie du capitaine Beau- lieu. II sortit gaiement des rangs en criant : « Vive leroi ! » Unautrejeunehommedit: « Je comptais me marier sous peu ; j'aime mieux tarder ; a mon retour, ma fiance'e ne in'en ainiera que mieux. » Un autre disait : « Me voici done invite" des noces ; je n'en suis pas faclie", mon capitaine, car j'avais grande envie d'y aller en survenant. »

Du reste, le commandant des milic Thomas Dunn, ne put s'empe'cher de reco naitre, par un document public, que les troupes canadiennes avaient montre" le plus grand empressement a obe"ir au premier appel. « Je crois avoir raison, disait-il dans sa proclama- tion du 9 septembre, d'affirmer que dans aucune partie des domaines britanniques, il n'a jamais €ii temoigne" de devouement plus ardent pour la personne de Sa Majeste et pour

C 67 ]

son gouvernement, et 1'on doit plus particu- lierement remarquer que l'ide*e de defendre leurs propres families et leurs proprietes a paru, en quelque sorte, dans 1'esprit des sujets de toutes les classes, en cette province, £tre un objet de bien moindre consideration, pour eux, que celui de la defense de la cause d'un souve- rain justement cheri, et du soutien d'un gouver- nement qui, par experience, a ete reconnti le plus propre a promouvoir le bonheur et assurer la Iibert6 du genre humain. »

Le Canadien du 19 septembre contenait des conseils aux troupes, en vue du succ£s. « II faut, disait-il, un accord parfait et une deter- mination ferme et durable, de la part des Anglais et des Canadiens, d'etre a 1'avenir indulgents les uns envers les autres, et de se traiter comme des fre"res qui veulent verser jusqu'a la derni£re goutte de leur sang pour la cause commune. Plus de ces animosites qui avilissent et degradent, plus de ces distinctions choquantes qui humilient et indisposent, plus de ce titre distinctif d'anciens et de nouveaux

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sujets. Tout cela tourne au detriment des sages mesures qu'on pourrait prendre pour le bien g6ne*ral. Quarante-huit ans de conquete doivent ensevelir dans un profond oubli cette difference d'opinions qni existait peut-etre dans le principe. Nous voila arrives au jour de la conciliation . . . Soyons tous amis, si nous voulons vaincre nos ennernis . . . Soyons una- nimes, que 1'esprit de patriotisme se perp£tue, que 1'envie et la jalousie ne viennent jamais troubler Pharmonie. »

C'est le meme journal qui, moins de deux anne*es plus tard, devait €tre supprime pour des raisons qui n'ont jainais ete connues. En tous cas, ce ne pouvait £tre pour son manque de loyaute", car jamais journal ne montra plus de fide'lite' £ la couronne, et nos compatriotes eux-memes n'avaient rien & se reprocher sous ce rapport. D'un autre cote, il est notoire que, durant 1'invasion americaine, en 1775, des Anglais du Canada commirent la lachete' de s'enroler dans la milice ennemie pour com- battre 1'Angleterre, leur patrie ; d'autres, d,

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Montreal, refus£rent de se rendre a Saint-Jean d'Iberville ou les Yankees s'etaient masses, lorsque les Canadiens soutenaient seuls le si£ge en comraun avec les troupes reguli£res. Un ne"gociant anglais, de Montreal, courut nuitam- ment avertir 1'ennemi qu'on etait a sa pour- suite. A Quebec, plusieurs citoyens anglais, plutot que de s'exposer a endurer les privations d'un sie"ge, se sauv£rent dans les campagnes environnantes, a Charlesbourg, £ L,orette.

Telle avait e"te la mesure du patriotisme de certains fils d'Albion £ cette periode critique de notre histoire, lorsque, cerne" de toute part, le Canada aurait pu, du jour au lendemain, passer sous un autre drapeau, si les Canadiens fran^ais Peussent voulu. Et ce sont ces raemes Canadiens que Pon accusait, trente aiis plus tard, d'etre traitres £ leur roi.

Sir James Craig, & son arrivee au pays, croyait a la loyaute" des notres ; il vantait meme leur bravoure. Ainsi, dans un ordre general du 24 novembre 1807, un mois apr£s son arri-

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vee \ s'il exprimait quelque inquietude sur les actes d'insubordination commis en certains quartiers, c'etait les e*missaires ame"ncains qu'il avait en vue, et nullement le peuple canadien. Les journaux ame'ricains du temps sem- blaient croire que les Canadiens francais etaient pr£ts a secouer le joug de 1' Angleterre, advenant une guerre avec les Btats-Unis. Ces rumeurs, puisnes a des sources suspectes, pour ne pas dire plus, e"taient propres a nuire a la bonne reputation des n6tres. Aussi le Cana- dien en fait-il bonne justice. « Ces Merits con- tre les bonnes dispositions des Canadiens, qui remplissent les papiers americains, sont plutdt un effet de la crainte que leur a inspired le zele que les Canadiens ont montre pour la de- fense dc leur pays. Les editeurs americains connaissent tr£s bien eux-memes la loyaut^ des Canadiens et leur attachement & leur roi et a leur patrie, et c'est ce qui les engage a forger ces ecrits pour rassurer le peuple effraye 2. »

1. 18 octobre 1807.

2. I,e Canadien du 16 Janvier 1808.

Le fait est que des Yankees. re"fugies au Canada, lors de la guerre de 1'Independance, se montraient plutot favorables aux Etats-Unis qu'a 1'empire britannique. II y avait alors, dans les deux provinces canadiennes, environ huit cents personnes qui, a diffe'rentes e*poques, avaient de*serte le service militaire des Etats- Unis. Les prisons en renfermaient cent-qua- rante autres qui avaient refuse* de prendre les armes centre les Yankees. Tous ces gens-l& avaient €t€ attire's au Canada dans 1'espoir de faire de grandes acquisitions de terrains et partant de s'enrichir. L'Angleterre, pour eux, ne devait gu£re de*ranger leur patriotisme, si tant est que ce noble attribut d'un loyal sujet existat chez eux. Or, rien d'e*tonnant qu'avec la connaissance de ces faits, grace a des espions habilement disse*mine*s dans notre pays, la presse ame*ricaine ait essaye de mettre en sus- picion la loyaute* des Canadiens en general, quand elle avait sous les yeux le chiffre des families qui de*sertaient le Canada pour aller se fixer dans le Vermont. Eu deux mois, trois

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cents families avaient ainsi f ranch! la f rontiere canadienne.

Les Chambres s'ouvrirent le 29 Janvier, (1808). Dans son discours, le gouverneur general rend homuiage a la loyaute" de la milice de la province. Entre temps, la presse ame'ricaine debordait d'articles centre les Ca- nadiens, disant que la conquete du Canada serait le r£sultat des seuls efforts des Canadiens M. Be*dard ne trouve pas, dans son journal d'expressions assez fortes pour demasquer cette nouvelle supercherie du yank&sme. K Nous ne craignons pas de le dire, s'ecrie-t-il, les intri- gues de 75 sont encore pretes a se tramer parm: nous. Mais nous esperons que les braves et loyaux Canadiens ne se laisseront point sur- prendre par les intrigants, et que cette feuille saura les de*fendre centre quiconque osera atta- quer leur reputation J ».

« Les Canadiens ne furent jamais plus atta- ches au gouvernement qu'a cette epoque »,

i. I,e Canadien du 13 f£vrier 1808.

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voila ce que dit Garneau dans son Histoire. La conduite de Be'dard, les articles vigoureux du Canadien faisant des appels a la bravoure et a la loyaute des notres pour de*fendre le lien colonial, tout aurait du tranquilliser le gouver- neur sur 1'etat des esprits. S'inspirant toujours des conseils de son entourage, sir James Craig semblait voir des ennemis partout, et parmi eux les plus fortes tetes de la Chambre, entre autres Be'dard et Taschereau. Pourtant le Canadien conservait toujours la note juste a travers toutes ces accusations mensong£res dirige'es contre lui.

« Qui peut nous reprocher une tache ? disait-

il, qui peut nous montrer en aucun temps, un

Canadien abandonnant le chemin de Phonneur,

I trahissant ses devoirs, sourd a la voix de sa

1 patrie, je ne dirai pas se ranger du c6te" de ceux

qu'il devrait combattre, marcher sous leurs

^tendards, mais demeurer dans Pinaction a la

vue des ennemis ? Non, non, de pareils faits ne

souillerent jamais notre histoire. Que 1'on

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cousulte ses f astes, 1'on y verra que nos anc£tres defendirent genereuseinent leur pays, signale"- rent leur courage, et ceux qui Pont conquis 1'eprouverent plus d'une fois : les monuments de leur gloire subsistent encore. Us nous ont transmis, avec leur courage, avec le sang qui les animait et qui coule maintenant dans nos veines, le noble d£sir de les imiter et de suivre leurs traces dans le sentier de 1'honneur. Depuis, les Canadiens combattirent avec autant de valeur pour de"fendre et conserver la con- que'te des Anglais devenus leurs maitres, et verserent gene'reusement leur sang pour eux. Us combattirent seuls, et seuls ils repousseTent leurs ennemis. L,es soi-disants Anglais (du moins ceux que la frayeur n'avait pas aveu- gle*s) furent te"moins de leurs efforts et ne les partage"rent pas ; ils en furent spectateurs, ainsi que de leur gloire, et en retirement tranquille- ment les fruits. »

Nous croyons en avoir assez dit pour prouver que les Canadiens francais etaient, £ cette

[ 75]

] e"poque de 1806 a 1810, aussi loyaux que les plus loyaux des Anglais du Canada, et que ce loyalisme puisait son fond du caractere propre de la nation, qui est le respect de 1'autorite" constitute, quelle qu'elle soit.

CHAPITRE VI

I<e Canadien en Intte ouverte avec le Courier de Quebec^ et les amis du pouvoir. Querelle entre Be"dard et J.-F. Perrault. Attaques du Mercury. Le Cana- dien proteste de sa loyaute" et de"finit de nouveau son programme.

T is, Canadien n'avait pas une aunee d'exis- tence, et deja il etait en butte £ des atta- ques, nou settlement de la part des Anglais, mais aussi de sources francaises ; ces divisions mal- encontreuses entre gens de meme origine, affai- blissaient ainsi leur position. II y avait done deux partis en presence : celui des amis du gouvernement ou du chateau, et celui des adver- saires. Parmi les premiers se recrutaient le juge de Bonne et le colonel Perrault, deux amis intimes et tous deux puissants par le rang et

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1'influence. Us avaient fonde un joui nomine" le Courier de Quebec, dont le premie nume"ro vit le jour le 3 Janvier 1807, un plus d'un mois apres 1'apparition du Canadiet II e*tait bi-hebdoinadaire, et il parut ainsi sai interruption jusqu'au 27 juin 1807. II disj rut alors de la scene; mais il n'e"tait qu'ei dormi. II sortit de sa lethargic le 16 de'cembrc de la m6me aniie'e, pour vivre encore jusqu'£ la fin de I'anne'e 1808. Son premier re"dacteur e"tait le Dr Jacques Labrie, homme d'e"ruditi( et en general d'un vrai me'rite. II n'etait ^ la hauteur de Be"dard par le caractere, mi il posse"dait, comme B^dard, de fortes e"tud€ sur la constitution anglaise et, de plus, il e"U verse* dans les choses de 1'histoire du Canac Pour un re"dacteur de journal, cet ensembl de connaissances pouvait devenir pre"cieux, un moment donne".

Le r6dacteur officiel du Canadien 6tait Jeai Antoine Bouthillier, mais Pierre B£dard ^crivait peut-^tre plus r^gulierement.

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articles sont facileinent reconiiaissables, car ils portent Pempreinte du maitre.

I,c-s deux organes canadiens-fran9ais vdcurent d'abord en assez bonne intelligence. A preuve qu'a la premiere disparition du Courier, les colonnes du Canadien furent ouvertes aux respondants du journal du Dr Labrie, qui lient au public leurs dole"ances £ 1'occa- de cette mort pre"mature"e. Mais cette le amitie" ne pouvait durer toujours. Au mois d'aout 1807, le Canadien publia article, intitule" le Patelinage, mode*re* dans forme, mais un peu offensant pour M. •ault, major du ier bataillon de Quebec et employe" au greffe du palais de justice *. Be"dard n'avait voulu faire qu'un badinage ; il en 6sulta uue chicane en rfcgle, qui dut se vider •ublic par la voie des journaux.

J.-F. Perrault, avocat, ^tait n6 en 1753. le McCarthy en Janvier 1783. Greffier de la pair et aotaire en 1795, <16put£ de Huntingdon en 1796. 16 le 5 avril 1844. Joua un rdle considerable comme de I'&lucation de la jeunesse.

Voici le fait :

Au cours d'une conversation tenue au greffe avec Perrault, Be*dard, qui etait capitaine de' milice, s'e"tait informe" s'il serait du nombre des officiers que 1'etat-major se proposait de recommander en vue de la reorganisation de la milice. « Comment pouvez-vous espe*rer une telle recommandation, lui avait re'pondu Per- rault, vous qui n'avez pas assiste dix fois au: exercices depuis que 1'acte de milice est e: vigueur? Vous savez que le gouvernement n< veut nommer que des officiers de talent d'infmence: or, vous n'avez aucune de c< qualifications. Cependant, offrez vos servic< peut-£tre parviendrez-vous par ce moyen obtenir votre nomination.))

Be*dard ne parut pas goiter cette semonc< et il se retira de 1'entrevue un peu vexe*, et il e*crivit son article sur le patelinage.

Perrault y re*pondit dans la Gazette de bee, e"tablissant les faits sous le jour le pli favorable a sa cause.

Bedard ^crivit ^ son tour dans la Gaseti

qu'il n'avait jamais demande a M. Perrault d'etre mis sur la liste des officiers. Tout ce dont il avait etc question entre eux, disait- il, c'e"tait de savoir s'il e*tait vrai que l'e*tat- major n'avait recommande* que les officiers qui avaient offert leurs services. Du reste, ajoutait Bedard, sa demande n'avait e*te" faite qu'en passant, comme pour badiner, parce qu'il savait d'avance que Perrault ne le recomman- derait pas. « L,a preuve, dit-il, que cette ques- tion n'etait pas faite s£rieusement, c'est qu'elle vint a la suite de compliments que je fis a M. Perrault sur sa majorite" ; je me rappelle m£me lui avoir dit qu'il devrait changer de perruque lorsqu'il ferait le personnage de major. Ce a quoi il me re*pondit avec bonne humeur, qu'il avait de"ja pourvti. »

[. Perrault publia dans le Canadien du 26 )tembre une declaration de son clerc, L,. london, attest^e sous serment et re*affirmant

qu'il avait d£J£l dit, accusant ainsi M. idard de mensonge.

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Le Canadien du 3 octobre publia la note suivante signe*e par MM. Plante et Borgia :

« Nous qui sommes les deux amis de M. Bedard auxquels M. Perrault fait allusion dans son e*crit dernierement inse're' dans la Gazette de Quebec, certifions a M. Perrault, et si besoin est, a tous autres qu'il appartiendra, qu'il n' pas fait en notre presence, ni mot a mot ni ei substance, la re"ponse suivante mentionnee ei son e*crit : « Vous saurez que le gouvernement « nous charge de ne lui presenter que des oi « ciers d'influence, de capacite* et de talents « or, n'ayant aucune de ces qualifications, noi « eussions trompe" la confiance du gouverne « ment en vous recommandant. »

Cette petite querelle n'eut d'autre effet qu< de jeter un grand froid entre des homines qi auraient du s'entendre pour le plus grand biei de tous.

BeMard f ut nomme capitaine pour la ville Quebec, faubourg et banlieue, le 26 novembre

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1807, et il retint son grade jusqu'au mois de juin de 1'annee suivante. L,e Canadian du 18 annon£ait comme rumeur que Panet, Bedard, Taschereau, Borgia et Blanchet allaient perdre leurs commissions, parce qu'on les soup£onnait d'etre les proprie"taires du Canadien, et que M. Plante serait ddmis de sa place de greffier du papier terrier et d'inspecteur des domaines idu roi, pour la m£me raison.

L,e Canadien du 2 juillet s'el£ve contre cette mesure draconienne, qui frappait dans leur liberte" des homines haut places dans la hierar- chic militaire. Ryland, le trop ce"l£bre secre"- taire du gouverneur, avait envoye" a chacun i'eux une lettre ainsi con^ue : « Son Excellence me charge de vous informer qu'elle a du pren- ire cette mesure, parce qu'elle ne pent avoir aucune assurance dans les services d'un homme ju'elle a bonne raison de croire 1'un des pro- prietaires d'une feuille s&litieuse et dififama- :oire, quiser^pand de tous cote's pour deprimer j.e gouvernement, exciter au me'contenteinent >pulation, et cr^er un esprit de discorde et

' d'animosite* entre les deux Elements qui la composent ». ,

Le Canadien se contenta de prendre la de*- f ense de Panet, qui Etait colonel. « M. Panet dit-il, est un homme dont la loyaute est recon- nue. II est un de ceux qui ont de*fendu le pays en 1775. II a toujours exerce* avec honneur les offices de milice dont il a €t€ honore* par le gouvernement. On ne 1'a jamais vu recher- cher de la popularity par le moyen de ces offices, quoiqu'il les exergat au milieu de ses electeurs ; et quand, aux approches des Elec- tions, on lui a suscitE des difficulte's pour le faire e*chouer, il a continue avec fermete' de f aire strictement son devoir. II a eu 1'honneur detenir une commission dejuge de Sa Majeste* dont il a rempli les devoirs dignement, et qu'il aurait pu garder s'il cut voulu. II a eu Phon-; neur d'etre orateur de la Chambre d'assemblde depuis son commencement, et 1'on peut dire! d'une Chambre d'assemble'e loyale et qui a constamment le t£moignage de la part de tot les gouverneurs, de la part m£me de S(

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Excellence. II est difficile de penser qu'un homme deloyal puisse avoir etc* choisi constam- ment par une Chambre aussi loyale pour £tre son orateur. Comment un homme, qui a tant de te*moignages de sa loyaute*, aurait-il pu etre declare* deloyal dans un instant, sur 1'accusa- tion on ne sait de quoi, sur le te"moignage on ne sait de qui, sans avoir eu 1'occasion de se justi- fier ni me'me de voir son accusateur en face ? Son Excellence a pu luiretirersa commission, comme Elle en a le droit, mais Elle n'a sure- ment pas declare deloyal un homme de ce

iract£re ».

Get acte injuste devait soulever les esprits itre un gouverneur qui ne faisait que d'arri- au pays, et de*ja broyait de son talon les

:es les plus respectables du parti canadien.

ir quelle autorite* s'appuyait-il pour croire Panet et les autres e*taient proprietaires du Canadien? L'eussent-ils e*te" vraiment, quel rap- port cette coincidence pouvait-elle avoir avec leurs commissions de miliciena volontaires ? bici des hommes haut places dans la socie'te',

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qui veulent defeudre 1'Angleterre dans une guerre de plus en plus menagante, et le repre"sen- tant du roi refuse leurs services sous le pretexte qu'ils sont les proprietaries d'un journal soi- disant libelleux, pre'chant la discorde, semant la zizanie entre les deux races. Or, nous avoi eu sous les yeux la preuve que ce journal tint une conduite re'servee, prudente et tou jours constitutionnelle. II y eut sans doute des taches, un peu de laisser-aller ; mais comment aurait-il pu ne pas se laisser emporter, alors que le Mercury, organe du cMteau, ne tarissait pas en invectives centre les Canadiens f rangais, centre leur religion et contre tout ce qui por- tait 1'empreinte frangaise.

Kn veut-on des preuves ? Qu'on Hse le Mercury durant toute cette longue periode d'agitation, surtout sous 1'administration de sir James Craig, aide* du fameux Ryland, d'odieuse me'moire, et 1'on se sentira, a quatre- vingts ans ;de distance, meme avec les ide*es qui ont cours aujourd'hui sur la liberte* de presse, 1'on se sentira, dis-je, indigne de tant

[ 8; ]

de grossiers mensonges lances en plein public dans le but de detruire tout ce qui, dans notre province, e"tait le plus respectable : clerge, communaute's religieuses, citoyens inte'gres et franchement devours au ctilte de la patrie.

« Nous avons parcouru attentivement, page par page, le journal en question jusqu'd, sa saisie par 1'autorite*, et nous avons trouve, e"crit Garneau, a cote* d'une reclamation de droits par- faitement constitutionnels, 1'expression con- stante de la loyaute* et de 1'attachement le plus illimite' a la monarchic anglaise. »

I,a conduite du Canadien fut toujours loyale comme celle de ses re*dacteurs. Sans cesse atta- qu^ avec la plus grande violence par le Mer- cury, Bedard se voyait force de riposter avec vigueur, mais toujours avec dignite, ne per- dant jainais 1'occasion de bien de*finir le carac- te"re de 1'ceuvre qu'il avait entreprise. C'etait la lutte a entrance d'un journal centre uu autre journal, 1'un accus<5, 1'autre accusateur,

[ 88]

1'un, faible, 1'autre fort et appuye" en hauls lieux. Voila pourquoi il arrivait souvent aux re"dacteurs du Canadien d'exposer sous son vrai jour le but de la fondation du journal, arm que personne n'en put ignorer.

Le Canadien, disait-il, a entrepris de mon- trer au peuple ses droits et les avantages que lui donne la constitution. II a parle d'aborc librement contre ceux qui e*taient opposes aux Canadiens fran£ais et les traitaient de French^ et il leur a fait voir que le Roi et le Parlement de la Grande-Bretagne ne les avaient pas lais- s£s ici a leur discretion ; qu'ils n'avaient laisse" aucune distinction entre eux et ceux qui pr£-

tendaient se faire regarder comme les seuls

^ Anglais et les regarder comme leurs conquis.

Tout cela dit avec assez peu de management contre ces memes personnes pour bien persua- der que la chose e"tait vraie.

Le Canadien a releve" les insinuations sour- des qu'on avait faites contre la loyaute des Canadiens ; il a defie" ceux qui avaient eu la l&chete de faire ces insinuations, de venir au

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md jour avec des preuves de leurs avance"s. leur a reproche' a eux-me~mes leur deloyaute t les a trace's de maniere & n'avoir aucun i^nagement £ attendre de leur part, s'ils ivaient eu quelque chose £ dire ouvertement mtre la loyaute des Canadiens. Le Canadien a ensuite montre" aux Cana- liens qu'ils e"taient libres, qu'ils n'etaient plus les esclaves des gens en place ; et le ton libre ivec lequel il 1'a fait, le peu de management ju'il avait pour ces memes gens en place, faisait bien voir que ce qu'il disait e"tait vrai. Enfin les Canadiens ont vu 1'excellence du >re"sent que leur avait fait la Grande-Bretagne : Is ont vu qu'ils avaient une M^re Patrie.

La maniere dont ils avaient traites par quelques-uns des anciens sujets, avait pu leur donner une idee peu favorable du nom anglais. Ils ont vu la maniere dont les avaient traites les Anglais en leur donnant leur constitution. La conduite et la reputation de certaines gens en place, qui avaient toujours ici exempts du controle de la presse, pouvait leur

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avoir donne une idee de*savantageuse du gou- vernement de Sa Majeste", qu'ils confondaient avec les gens en place, suivant les anciennes ide'es. Cette presse leur a montre a" faire la distinction, suivant les vrais principes de notre gouvernement actuel.

Tout cela ne s'est pas fait sans beaucoup de cris de la part des gens en place, et de la part des gens opposes aux Canadiens ; mais leurs cris impuissants ont fait voir aux Canadiens que ce que publiait cette feuille £tait vrai. Plus ils ont crie, plus les Canadiens ont €t€ persuades que ce n'e*tait plus comme autrefois. Plus ils ont crie, et plus le gouvernement a paru bon aux Canadiens, et plus ils ont connu la bonte du Roi et du Parlement de la Grande- Bretagne a leur e"gard. Ils ont vu clairement qu'ils etaient traites en enfants egaux avec tous les autres sujets de 1'empire, et que le Roi avait voulu etre leur pere autant qu'il 1'est de tous ses autres sujets.

Voila les seditions, voila les divisions qu'au- rait cree'es cette publication, voila comment

elle aurait avili le gouvernement de Sa Majest^.

Les Canadians ont etc" fideles avant qu'ils eussent ces avantages et qu'ils les connussent ; ils ont conserve ce pays a Sa Majeste, dans le temps ou ses autres sujets en Ame'rique 1'avaient abandonne. Que ne feront-ils pas depuis qu'ils connaissent ces avantages ?

Ils ont d£J£t eu 1'honneur de conserver ce pays £ Sa Majeste", et ils auront peut-£tre encore 1'honneur de le conserver, par le moyen ; de cette frele feuille m£me, qui est la seule qui ait ose" parler du plan des concessions des terres de la Couronne, dont 1'effet inevitable sera la perte de ce pays pour Sa Majeste, si elle ne parvient pas a faire entendre ses plaintes.

Les Canadiens seront connus ; elle les fera connaitre, et on ne pourra pas toujours faire croire qu'ils sont ingrats l.

Nous-meme avons parcouru le Canadien de

i. L,e Canadien du 16 juillet 1808, supplement au

° 35-

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1806 £ 1810 et nous partageons absolument 1'opinion de Garneau. Quelques jours avant sa saisie, le Canadien de"plorait la diffusion de couplets vraiment se"ditieux, et ou nous trou- vons ces vers :

' ' Quand oserez-vous done chasser, Peuple, cette canaille Que le gouverneur veut payer A meme notre taille?"

Nous sommes sincerement fa'che's que des expressions semblables soient sorties de quel- que endroit que ce soit Nous prions tous les e"crivains de notre parti de prendre garde de se laisser aller dore"navant £ ces extre'mite's, et porter le respect du au repre"sentant du roi. On plaide mal sa cause en employant de moyens ill^gaux, et on gate quelquefois un bon 6crit par des sorties semblables, les expres- sions de canailles, etc., que les anticanadiens ont employees dans leurs chansons centre les membres de 1'Assemble'e, retombent assez sur les anticanadiens me~mes, pour que les membres y f assent la moindre attention, et pour me*riter

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une reponse, surtout une reponse insultante au representant du roi, quand ineme il serait possible de supposer qu'il eut part ou con- naissance de cette autre chanson. Defendons- nous avec dignite" et sans dire d'injures, et gardons-nous des libelles et autres moyens ille- gaux et injustes. Si on veut desapprouver une mesure du gouvernement, il faut le faire avec respect, et de la maniere que la constitution et la liberte britannique nous le permettent. Nous prions nos partisans de bien remarquer que nos antagonistes sauront bien montrer ces passages malheureux, en Angleterre, et qu'ils n'y montreront point les passages qui seront en notre faveur ; tout ce que nous demandons, c'est de soutenir nos droits, et nous serons sup- ds en Angleterre, malgre* le ministe're de ce pays, lorsqu'on verra que nous soutenons ces droits avec f ermete', e*nergie et sans tomber en f aute 1. »

Est-ce le langage de la sedition, de la I. Le Canadien du 14 mars 1808.

C 94]

r^volte centre I'autorite' ? Cependant le Cana- dien devait £tre brutalement saisi, trois jours plus tard, et ses pre*tendus proprie'taires jete*s dans les cachets, deux jours apre"s. Le Met cury ^tait U qui veillait sur sa proie, attendant 1'occasion favorable pour la deVorer ou plutdt la faire devorer par plus puissant que lui.

CHAPITRE VII

'ann£e 1810 fertile en e"ve"nements dramatiques. Saisie du Canadien et incarceration de ses proprie"taires. Proclamation de Craig. Details sur le gouverneur et son action. B£dard sojourn e en prison pendant plus d'un an. Son elargissement.

FIN de mieux faire connaitre V animus qui guidait le journal a la devotion des anti- canadiens, lisons Particle qu'il publiait peu de temps apr£s 1'arrestation de Be"dard :

« Nous voudrions, dit-il, pouvoir donner cre*- dit de bonnes intentions aux directeurs du Canadien quand ils mettent, comme ils se complaisent a le dire, sous les yeux des Cana-

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diens toute l'e"tendue de leurs droits et leur font comprendre 1'excellence de notre consti- tution, dans le but de les engager a 1'aimer et a la de"fendre. On nous permettra de dire, sans manquer a la charite", que nous avons, de concert avec la masse qui . constitue notre clientele de lecteurs, trop souvent diffe're' d'opinion avec eux. Si le fiel cut 6t6 le plus mauvais ingredient dans leur encre, le public aurait pu se pre"munir contre son amertume, mais leurs Merits ne sont trop souvent que la dicte"e de passions malveillantes et e"goistes.

« Avant de conclure, on nous permettra de rappeler aux plaignants que, durant 1'election du comte* de Quebec, une affiche a €t6 public dans laquelle le gouvernernent e"tait accuse; de faiblesse. Ceux que cette affiche concerne, savent qu'ils ne sont pas tout a fait sous le gouvernement du roi soliveau.

« Ses re"dacteurs se vantent que le Canadien est le journal le plus libre de la province; dans 1'injure, nous sommes pr£ts a 1'admettre. De fait, il nous apporte la preuve qu'il est ce

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que nous avons toujours cru qu'il serait, le plus grand ennemi de la liberte* de la presse par son esprit licencieux. II n'a pas plus consulte ce qui convenait a la presse cana- dienne, que ne le fit la Chambre d'assemblee, il y a quelques anndes, sur la question de privilege.

I « Nous nous flattions, il a quinze jours, en

lisant le nume'ro 32, de*truit depuis a cause de

isa reserve, que 1'esprit trouble* du Canadien

se calmerait. Malheureusement, nous avons

constate* que c'est un de ces mauvais esprits,

dont 1'heure de courir le monde sous la forme

du de'mon de la discorde, n'est pas encore ter-

imine'e. Nous craignons qu'il ne soit condamne'

\ une nouvelle ^preuve, en vue d'une complete

[purification. »

DifE^rer d'opinion avec le Mercury dtait done iin acte criminel ou licencieux ! C'e"tait la un les plus justes reproches que 1'on pouvait Sidresser au Canadien ; mais qui aurait pu em- cela ? La divergence d'opinions entre

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journalistes n'a jamais e*te* conside*re*e comme un crime de I^se-majest6, quoi qu'en ait dit le Mercury de 1809.

Ce nume*ro 32, condamne* a la destruction, ne renfermait, a vrai dire, qu'une communica- tion avec notes sur les droits et les devoirs des Chambres d'assemble'e, extraite des papiers de Kingston (Jamaique) du 4 avril 1809. Des difficulte's £tant survenues la-bas entre le gou- verneur, le due de Manchester, et la Chambre, celle-ci porta ses plaintes en Angleterre ; cette attitude fut approuve*e comme constitution- nelle.

Ces notes re'dige'es, sans aucun doute, Be*dard, sont absolument anodines. Biles ont pour but d'e'tablir les pouvoirs de la Chambre d'assernble*e de faire des lois et de chasser d( son sein les deputes indignes. Ces pouvoirs d'apres Be"dard, sont inde"finis, afin qu'ils puis- sent £tre ^tendus a tous les cas impreVus. Ces cas peuvent £tre nombreux, comme il 1'dtablit si bien dans ses remarques. Jugeons-en nous- memes :

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« Ce n'est pas une chose qui soit au de*savan- tage de la Chambre d'assemble'e que ses pou- voirs ne puissent £tre d&finis; c'est, au contraire, dit Be*dard, ce qui montre leur e*tendue, et ce qu'on peut regarder comme la plus grande marque de leur ressemblance avec ceux des Communes de la Grande-Bretagne, car les Communes de la Grande-Bretagne n'ont eu soin de conserver leurs pouvoirs ind&finis, qu'afin qu'ils pussent £tre e*tendus a tous les cas auxquels il pourrait y avoir besoin de les e*tendre, cas qu'il est impossible de preVoir d'avance. Si on entreprenait de fixer par une loi l'e*tendue de ces pouvoirs, ils se trouve- raient bient6t insuffisants, quelque e*tendue qu'on s'efforc£lt de leur donner, parce qu'il arriverait bien vite quelque cas qui n'aurait pas etc* prevu. En Angleterre, ou la consti- tution existe depuis si longtemps, il se pre"sente encore tous les jours des cas nouveaux ; de sorte que cette qualite* qu'ont les pouvoirs de I la Chambre d'assemble'e d'etre indefinis, est ce

li leur donne la plus grande e*tendue possible,

en ne leur laissant d'autre limite qne celle du besoin m£me de les employer. Bt c'est la, certai- neinent, le plus grand trait de ressemblance qu'ils puissent avoir avec ceux des Commu- nes de la Grande-Bretagne, et celui dont de*coulent tous les autres. >;

On se demande, en re'alite', ce qu'il pouvait y avoir de condamnable dans cette the'se, jete*e un peu au hasard de la plume au bas d'un article ou il n'etait nullement question du gouvernement de la province de Quebec. Qu'il y eut un rapprochement a faire avec le cas la Jamaique, le lecteur e"tait bien libre de le faire, mais il n'y e*tait nullement oblige*.

Mais comme il fallait seVir, on seVit. 1,'an- ne*e 1810 devait etre fertile en e've'nements trag^iques. Avec elle s'ouvrit une ^re de ma- laise, qui allait d^g^n^rer bient6t en des trou- bles se*rieux. Le parti anglais, a la t£te duquel se trouvaient le juge Monk et le juge Sewell, avec le Mercury pour organe, crut qu'il valait mieux en finir avec 1'e'le'ment frangais, devenu trop

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puissant a la Chambre,. t,es critiques du jour- nal francophobe devinrent de plus en plus acerbes ; les conseillers in petto de Sir James Craig reussirent a soulever 1'esprit de ce der- nier, au point de lui faire croire que les Cana- diens frangais complotaient dans 1'ombre des projets de rebellion. Or, c'etait de la plus evi- dente faussete", car les sommites canadiennes, parmi lesquelles se dressait de toute sa hauteur la tete de M5*1 Plessis, revaient bien autre chose que la reVolte centre 1'autorite" constitute. I^es mauvais ferments germaient ailleurs qu'& 1'eveche* de Quebec et dans les bureaux du Canadien. Les allies de la bureaucratic vou- laient un coup d'Etat et ils 1'obtinrent a leur aise. Ce f ut le Canadien qui f ut f rappe, parce qu'on ne pouvait s'adresser ailleurs et d'une fagon aussi propre £ attirer 1'attention publique. Done, le 17 mars, un petit peloton de soldats armes, precede" d'un rnagistrat et de deux con- stables, fit soudainement irruption dans 1'atelier du journal de la rue St-Frangois, et s'empara de la presse et des papiers epars dans les bureaux

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de la redaction. M. Lefransois. imprimeur, f ut appre'hende' au corps et jete* en prison, ainsi que le plus vulgaire malfaiteur. Une patrouille organise*e sur un bon pied, se mit ensuite £ circuler dans les rues, comme s'il y avail eu, en re*alite, des conspirateurs dans tous les coins de la ville. C'en etait assez pour jeter 1'alarme dans les families, sinon la consternation.

Deux jours apre's, c'est-st-dire le 19, MM. Be*dard, Taschereau et Blanchet, trois proprie"- taires connus du Canadien, furent a leur tour arr£te"s et incarce're's. A Montreal, des policiers s'emparerent £galement de Pierre Laforce, de Pierre Papineau, de Chambly, ainsi que de Fran£ois Corbeil, de 1'ile Je*sus, accuses, eux aussi, de mene'es traitresses (treasonable prac- tices). On n'a jamais pu savoir pourquoi tous ces personnages, surtout ces trois derniers, furent arrete's. L,e mot trahison est bien vite l^che*, mais on cut empech^ de dire en quoi et comment ces paisibles citoyens avaient trahi le drapeau britannique. Les vrais traitres, n'e*taient-ils pas plut6t ceux-la m^mes qui ne

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faisaient que compromettre le representant de Sa Majest^ en asservissant son autorite* a des fins inavouables ? Ou encore ceux qui, au len- demain de la suppression du Canadien^ e'cri- vaient : « Le coup est porte". Le Canadien a recu le coup mortel. Le plus grand malheur qu'il puisse arriver £ la presse, c'est qu'elle tombe entre des mains invisibles et licencieuses. Nous n'en dirons pas plus long, car nous ne lerroyons pas centre des morts. »

Les autorite*s civiles firent de minutieuses recherches £ travers les papiers saisis dans 1'atelier du Canadien, mais elles s'en retour- n£rent comme elles e*taient venues ; aucune trace de conspiration, aucune trame suspecte. Pendant ce temps-lsi, le public attendait avec la plus grande anxiete* qu'on lui fit connaitre les crimes des inculpe*s. « Que 1'on juge main- tenant, dit Christie, si les procedures auxquelles on avait eu recours a cette occasion, re*sultaient d'une apprehension bien fondee de troubles ou Pun exercice abusif du pouvoir. »

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Le 2i mars, an milieu d'un brouhaha sans precedent dans nos annales politiques, sir James Craig lan$ait une proclamation dans laquelle il essaie de se d6fendre des attaques auxquelles il e"tait en butte de la part des Canadiens, anglais et fran£ais, qui condam- naient vertement son autocratic. Ce document est plut6t, dans 1'ensemble, un essai de justifi- cation qu'une lec.on constitutionnelle. C'est 1'oeuvre d'un homme effraye de sa propre con- duite.

« Vils et te'me'raires fabricateurs de mensoi ges, disait-il, sur quelle partie ou sur quelk action de ma vie fondez-vous 1'assertion que je cherche & opprimer vos compatriotes ? Qi savez-vous de mes intentions ? Canadiei questionnez sur moi ceux que vous consultie autrefois avec attention et respect ; questionnez les chefs de votre Eglise, qui out occasion de me connaitre. Voilsi des hommes d'honneur et de lumieres. Voila les hommes dont vous devriez aller prendre les avis. Les chefs de

faction, les demagogues ne me voient point et ne peuvent me connaitre.

« Pourquoi vous opprimerais-je ? Serait-ce pour servir le roi ? Depuis qu'il r£gne, ce monarque Men-aime* n'a pas donne" a votre e"gard un seul ordre qui n'ait eu votre bonheur pour objet. Serait-ce par ambition ? Serait-ce pour acquerir de la puissance? He*las, mes bons amis, avec une vie qui decline rapide- ment vers la tombe *, sous le poids de maladies contractees au service de mon pays, je n'ai pas d'autre desir que de passer ce qu'il plaira £ )ieu de m'en laisser, dans les douceurs de la straite, au milieu de mes amis. Je ne reste irmi vous que pour obeir aux ordres de mon

La proclamation du gouvernetir e'tait desti- & produire un grand retentissement. Elle

I. Sir J. Craig £tait alors ag6 de soixante-et-un ans. devait mourir un pen plus d'une ann^e plus tard, au tis de Janvier 1812.

fut lue du haut de la chaire et a la porte de nos e"glises l. A la cathe'drale de Quebec, Plessis en fit quelques commentaires foi approprie's, se contentant toutefois de deman- der a son petiple Pobe'issance a 1'autorite* It time, comme il avait toujours fait, du rest* depuis son accession au tr6ne pontifical.

M. de Gaspe", dans ses Mbmoires, not apporte des details inte*ressants sur cet Episode de 1'incarce'ration de Be*dard et des autr« Canadiens. Nous avons la le re*cit d'un te*moii oculaire ve*ridique.

« Ce serait une £tude curieuse ^ faire aujour- d'hui que de rechercher les causes qui out induit le gouvernement d'alors a perse"cutei ces citoyens si respectables £ tous e'gards Personne n'ignore que les griefs qui motive rent les actes de rigueur de 1'oligarchie, pre naient leur source dans le journal le Canadie

i. Voir en appendice la Circulaire de Mgr Pies (Piece A) et la Proclamation du gouverneur (Pi£ce B) .

[ I07

que les patriotes du temps publie'rent pour se de*fendre des attaques envenime'es et grossie"res que de*bitaient centre eux les gazettes anglaises. La presse, les caracte"res, etc., qui servaient £ 1'impression de ce journal, furent saisis par un piquet de soldats commandos par un juge de paix ma f oi, il f aut 1'avouer, par mon beau- pe're, le capitaine Thomas Allison, du 5e rdgi- ment d'inf anterie, mais retire alors du service et furent deposes dans les voutes du palais de justice. Ce serait certainement une lecture pleine d'inte*ret et des plus curieuses que celle de 1'ancien journal le Canadian, depuis le premier nume'ro jusqu'au 17 mars 1810, qu'il fut saisi par le gouvernement. On prdtendait alors que plusieurs articles de ce journal ten- daient & soulever le peuple, ce qui fut cause que les e*diteurs-proprietaires et les correspon- dants accuses de pratiques se*ditieuses furent incarce're's. Les moins coupables aux yeux des autorite*s, soit officiers de la milice, ou exerc.ant quelque fonction sous le gouverne- ;nt, furent congedie's. Oh ! oui, ice serait

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une etude tres curieuse que de chercher a de'couvrir les crimes qu'avaient commis tant de loyaux et respectables citoyens d'origine fran£aise, qui leur valurent une persecution si cruelle de la part du gouverneinent britanni- que. Je jette aujourd'hui le gant au tory le plus farouche, pourvu qu'il ait quelque; teinture de la constitution anglaise, et je veux passer pour le plus sot individu du Canada, s'il peut me montrer une phrase, une seulej phrase dans ce journal qui put motiver 1< rigueurs de 1'oligarchie sous 1'admiuistration Craig.

« Au physique, le chevalier Craig £tait d'une petite taille, quoique malade des son arrived au Canada. II y avait beaucoup d'expression dans ses traits, qui devaient avoir ete beau: dans sa jeunesse. Son regard e"tait percent comme celui du faucon et semblait chercher jusqu'au fond de 1'ame les pensees les plus secretes de ceux auxquels il parlait d'une voi* aigre. On 1'appelait, en Angleterre, Little King Craig parce qu'il aimait la pompe et le faste.

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II passait pour un homme vain. Fier, orgueil- leux, oui ; mais il avait trop d'esprit pour £tre vain ; c'est toujours 1'apanage d'un sot que la vanite. Je vais porter un jugement bien extra- ordinaire sur un homme dont la memoire est encore odieuse aux Canadiens frang.ais, apr£sun laps de cinquante-quatre ans. Quoique bien jeune alors, ma position dans la societe me i mettait en rapport avec ses amis et ses enne- mis ; j'entendais constamment le pour et le centre, et j'en conclus que loin d'etre uu me- diant homme, un tyran, sir James avait un excellent coeur, et je vais en donner des preu- us. Je tiens d'une autorite* non suspecte, de ion oncle Charles de L,anaudie"re, membre du mseil legislatif, haut tory s'il en fut, et qui jprouvait m^me presque tous les actes arbi- dres de 1'oligarchie, je tiens, dis-je, de cette >urce non suspecte, que Sir James Craig, qu'il rait fre*quemment (il 1'avait connu en Angle- re, et me'me au Canada, pendant la guerre 1775), lui avait dit peu de temps avant son depart pour 1'Europe : « qu'il avait e"te" indi-

[ no]

gnement trompe", et que s'il lui avail £t£ donne" de recommencer 1'administration de cette col< nie, il agirait diffe'remment ». Cet aveu n'est pas celui d'un homme m^chant. Comment fait-il qu'un homme si pe'ne'trant se soit lais abuser? c'est ce qu'il m'est difficile de re"sou- dre. Ses amis pre"tendaient, pour 1'excuser, qu'e"leve* dans les camps, il avait pe'che' pt ignorance de la constitution anglaise. Halte la ! Sir James Craig e"tait un litterateur distil gue", une des meilleures plumes, disait-on, de 1'arm^e britannique ; et il avait, tout jeum homme, occupe" la situation de juge-avocat de 1'arm^e, ce qui exige une etude plus que superficielle des lois anglaises. II a souvent, ma connaissance, preside" la cour d'appel Quebec, et ses remarques e"taient celles d'ui homme qui posseMe des connaissances l£gale que 1'on rencontre rarernent en dehors de h profession du barreau. Quelqu'un lui fit obser- ver un jour que M. Borgia, qui avait plaid^ devant lui, le matin, n'e"tait pas naturellement Eloquent : « C'est vrai, dit-il, mais je crois qu'il

[ III ]

« y a peu d'avocats dans cette colonie qui aient « une connaissance aussi profonde du droit ro- « main. » Et sir James ne se trompait pas. II e"tait de bonne foi lorsqu'il sanctionna les me- sures tyranniques de son conseil ; sa conduite comme commandant de la garnison le prouve. II croyait £ une rebellion imminente des Ca- nadiens frangais, lorsque les Be"dard, les Blan- et et autres f urent ^crones. »

Dans le cours du mois d'avril, des amis de Bedard tent£rent, mais vainement, de faire e'mettre un writ & habeas corpus en faveur du prisonnier et de ses compagnons d'infortune. lye gouverneur se montra impitoyable ; les portes de la prison resteTent ferme*es sur les victimes d'un despotisme sans frein. Ce ne fut qu'en juillet qu'un des prisonniers, malade, fut relaxe*.

Quelques semaines plus tard, un autre obtint son elargissement pour la m£me raison de

.nte.

frangois sortit de sa prison au mois d'aout.

II ne resta plus bientot que Be*dard, qui demandait, comme faveur, qu'on lui fit sou proems. On le lui refusa perse've'ramment, car on savait bien que devant un jury, me* me le plus mal dispose", aucune preuve ne pourrait e"tablir la culpabilite" du re"dacteur du Canadien. Le gouverneur voulait qu'il demanddt pardon, afin, sans doute, de laisser croire au public qu< son prisonnier e*tait coupable. Mais au chi teau 1'on ne connaissait pas Be"dard, ou on connaissait mal. II cut pre'fe're' la mort plutc que de prononcer 1'aveu d'une faute dont il e"tait innocent. Be*dard attendit done patiem- ment dans sa prison le proems auquel il avait droit, au grand me'contentement de la factioi Sewell, qui eut desir6 donner aux e've'nemenl une autre tournure.

M. de Gaspe" nous donne de nouveaux detail sur le sort de B&lard, durant toute la period* de son emprisonnement :

« De toutes les victimes de la tyrannic dt gouvernement de cette e*poque, monsieur

juge Be*dard, avocat alors, fut celui qui endura sa captivite avec le plus de patience. Ce dis- ciple de Zenon, toujours occupe* d'e*tudes pro- fondes, pouvait se livrer a" ses gouts favoris sans etre expose* aux distractions dans la chambre solitaire qu'il habitait. Homme prati- que, connaissant £ fond la constitution anglaise il ne communiquait avec les autorite's que pour leur demander de quel crime on 1'accu- sait, et pour les prier de le mettre en jugement, s'il y avait mati£re £ indictment au criminel. On se donnait bien de garde d'instruire son proce's : il etait & peu pr£s aussi coupable de trahison ou de pratique se*ditieuse, que je le suis de vouloir m'emparer de la tiare de notre Saint-P£re le pape. On lui signifia, apre"s une anne*e de detention, je crois, qu'il e*tait libre.

« Je ne sortirai d'ici, re*pliqua M. Bedard, « que lorsqu'un corps de jure*s aura bien et dument declare* mon innocence ».

On le laissa tranquille pendant une dizaine

8

[

de jours, espe*rant lasser sa Constance, mais £ 1'expiration de ce terme, le gedlier lui signifia que s'il ne sortait pas le lendeinain, de bon gre", il avail re£u ordre de le mettre a la porte. M. Be*dard haussa les e*paules et continua ses calculs alg^briques. Comme plusieurs mem- bres de sa famille, M. B6dard e*tait un profond mathe*maticien.

« Le ge61ier patienta le lendemain jusqu'sl une heure de releve"e, mais voyant alors que son prisonnier ne faisait aucun pre'paratif de depart, il lui d^clara que s'il n'eVacuait pas les lieux de bonne volonte", il allait, avec 1'aide de ses porte-clefs, le mettre a la porte. M. Bedard, voyant que 1'on prenait les choses au se"rieux, et que contre la force il n'y a pas de resistance, dit au gardien : « Au moins, mon- « sieur, laissez-moi terminer mon probleme. » Cette demande parut si juste au sieur Reid, le gedlier, qu'elle fut accordee d'assez bonne gr^ce. Monsieur Be*dard satisfait, a Texpira- tion d'une heure, de la solution de son probleme

["5]

g£om£trique, s'achemina a pas lents vers sa demeure l. »

i. De Gasp6, Memoires, pp. 341 et 342.

CHAPITRE VIII

I/ann£e 1811. Memorandum du gouverneur. Sa con- duite appr£ci6e.

elections generates eurent lieu le 27 mars (1810), c'est-a-dire huit jours apres 1'incarceration de Be"dard. Celui-ci fut mis en nomination dans le comte* de Surrey, et il fut llu.

Lorsque la Chambre s'ouvrit, vers le milieu de de'cembre de la meme anne"e, le gouverneur avertit la deputation que Bedard avait ^t^ arret6 et incarce"r6 pour pratiques traitresses. Cette demarche officielle etait sans doute desti- a faire rayer de la liste des deputes le nom

[n8]

du depute* de Surrey. La Chambre mit la question £ 1'etude, et elle d^cida que Be*dard etait habile £ singer, manifestant en me"me temps le de"sir de le voir prendre son si£ge. Elle resolut de presenter au gouverneur une adresse fonde'e sur les resolutions pre'ce'dentes. L'adresse fut adoptee, mais elle ne put jamais se rendre j usque chez le gouverneur.

En 1811, les esprits s'e*tant un peu apaise"s, M. Papineau cut une entrevue avec sir James Craig au sujet de Be"dard. Mais elle n'aboutit & aucun re"sultat, car le gouverneur comptait toujours que son prisonnier ferait des aveux.

Dans le cours de la session de cette me'me anne*e, sir James Craig, voyant que la position n'e'tait plus tenable, re*solut d'adresser £ la Chambie une esp£ce de memorandum, qui est 1'expose" complet des ev6nements relatifs & 1'incarce'ration de Bddard. Ce document, peu connu, nitrite d'etre cite dans son entier :

« Messieurs, « En attirant votre attention sur 1'emprison-

nement de M. Be*dard, je desire profiler de 1'occasion pour vous exposer le re'sume' suc- cinct des circonstances qni s'y rattachent. Mon but est de consigner dans les proc£s-ver- baux du Conseil les motifs qui m'ont amine" en cette affaire.

<c II n'est pas ne*cessaire que je revienne sur les eVe"nements qui ont donne" lieu & cet em- prisonnement : vous vous en souvenez tous tres bien, et je crois que rien n'est survenu depuis qui ait pu jeter un doute sur 1'i propos de cette mesure. Je trouve dans 1'unanimite* de suffrages qui preValut alors, la confirmation de 1'opinion que je m'e'tais forme*e sur la ne"ces- site des moyens que j'ai du prendre pour arr£- ter le mal qui nous mena^ait ; car 1'on ne doit pas perdre de vue que la detention de M. Be*dard e*tait une mesure de precaution et non de cMtiment ; une mesure de ce dernier carac- t^re n'eut pu lui ^tre appliqu^e qu'd la suite d'une decision des tribunaux de son pays.

D'aprds ce principe, les personnes empri- mn^es en m€me temps que M. Bedard, ayant

[ 120]

fait aveu de leur erreur, je n'he"sitai pas a con- siderer ces aveux conime line garantie suffi- sante d'tme autre conduite a 1'avenir, et voyant que la sante de ces deux personnes etait se"rieu- sement menacee & raison de leur internement, je trouvai volontiers en cela une raison de proposer leur e'largissement en exigeant toute- f ois des garanties de comparution, si besoin en e'tait, ce a quoi vous avez donn£ votre assenti- ment.

« D'apr£s le ineme principe, je n'ai pas de doute que vous auriez consenti, comme moi, a 1 'e'largissement de M. Be*dard. Mais, quand j'ai mis sous vos yeux une petition que ce mon- sieur m'avait presentee, elle n'a paru a per- sonne de nous propre a laisser croire qu'il ces- serait de tenir la conduite qui avait necessity la mesure de precaution que nous avions prise. Comine je n'ai pas pense" devoir re"pondre a sa demande, il s'en est suivi entre lui et M. Foy *, une correspondance dont je n'ai pas a parler

i. Secretaire du gouverneur en 1'absence de M. Ryland.

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autrement que pour inentionner quelle en a €t6 1'issue.

« Ayant compris qu'il de"sirait savoir ce qu'on attendait de lui, j'ai envoy£ chercher son fr£re, un cure *, et en presence de I'un des membres du Conseil, j'autorisai ce dernier a faire connai- tre & sou f r£re les raisons de 1'emprisonnement. Je n'avais en vue que la se'curite' du gouver- nement de Sa Majeste* et la tranquilitt? publi- que, et je ne de"sirais aucunement que M. Be"dard fut retenu plus longtemps qu'il n'e*tait necessaire. Du moment qu'il reconnaitrait sa faute, je conside*rerais cet aveu comme une garantie pour 1'avenir, et je vous proposerais aussitot son elargissement. Sa reponse, par le me'me canal, etait couch^e en terrnes respec- tueux, mais il refusait de reconuaitre uue faute dont il ne se croyait pas coupable.

I. Ce frere ne pouvait etre autre que le cur6 de Saint- jph, riviere Chambly, ou Charles, le sulpicien, hormis

le 1'eccl^siastique ainsi mand6 fut le cur^ de 1'Ancienne rette, qui n'^taitqu'un cousin eloign€ de Pierre Be'dard. leau mentionne a tort le cur^ de Charlesbourg, qui

lit M. de Boucherville.

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« M. Be"dard ayant e"te" re"e"lu membre de la Legislature provinciale, il n'e"tait pas difficile de pre" voir que son emprisonnement deviendrai un des sujets de discussion, quand la Chamb d'assemblee se re"unirait. Aussi je me suis d nouveau occupe" de la question de la mani£re la plus se"rieuse, et, en consequence, me suis arre'te" £ une ligne de conduite que je n'indi- querai pas pour le moment. J'aurai & le fain ci-apr£s et en des termes qui ne differeron gu£re de ceux que je pourrais employer ici.

« Vous £tes tous au courant de ce qui s'e passe" £ la Chambre £ cette occasiou. J'avais de"ja recu une copie des resolutions qu'elle se proposait d'adopter, et je m'attendais de jour en jour & les voir presenter, lorsque je recus une demande d'audience de la part d'un de chefs, 1'aine' des messieurs Papineau, depute" de Montreal. II s'agissait de resolutions. II n'importe pas de rapporter ici notre conversa- tion : qu'il suffise de dire qu'elle me conduisit & e"noncer ma decision finale, fondde sur des motifs que je lui exposai dans les termes sui-

vants : « Aucune consideration, ni de droit ni « de faveur, lui dis-je, ne me fera consentir a « 1'eiargissement de M. Bedard a la demande « de la Chambre d'assembiee, et a aucune con- t dition n'ordonnerai-je sa liberation pendant « la presente session. Je n'hesite pas a vous « dire pourquoi. Par leurs discours et leurs « propos, les membres de 1'Assembiee ont « repandu partout le bruit qu'elle fera ouvrir « les portes de la prison de M. Bedard, et cette K rumeur est si bien etablie maintenant, que x 1'on ne la met plus en doute. Je crois le » temps venu ou la securite et la dignite du » gouvernement commandent qu'on apprenne au peuple quelles sont les veritables limites du pouvoir respectif des divers corps de 1'Etat, et que ce n'est pas a la Chambre de gouver- r ner le pays. »

En rendant compte de ma conversation M. Papineau, en tant qu'elle a rapport au t dont il est question, j'ai mis devant ce eil les motifs qui m'ont fait agir jusqu'a ent. J'ajouterai que j'ai juge necessaire de

ne rien faire pour 1'e'largissement de M. Be*- dard, tant que les deputes ne seraient pas retourne's chez eux, afin que, par leurs fausses representations des faits, il ne leur fut pas possible de faire croire que leur intervention m'a force* a agir. Chacun e*tant maintenant rendu chez soi, et la tranquillity re*gnant assez ge'ne'ralement dans la province, je vous prie d'examiner si le temps n'est pas venu de mettre un terme a la detention de M. Be'dard ».

II e*tait grandement temps, en effet, de sortir ce pauvre gouverneur de 1'impasse ou il s'etait empire* lui-m£me. Nous avons vu ailletirs de quelle mani£re Be'dard sortit de sa prison, sa fi£re et noble attitude devant son geolier. II ne put obtenir de proems re"gulier, mais 1'opi- nion publique, qui vaut bien celle d'un jury de douze citoyens, avait decide, depuis longtemps de"ja, que le criminel, en toute cette affaire, n'&ait pas Pierre Be'dard. Du reste, la con- duite de Craig ne re5ut jamais 1' approbation j des autorit6s d'Angleterre. Sir Robert Peel i

disait, quelques mois plus tard, au faineux Ryland, 1'dme damne'e de Craig : « Ne pensez- vous pas qu'au lieu de Jeter en prison les £di- teurs du Canadien, il eut mieux valu avoir recours & des proce'de's plus doux, plus cbnci- liants ? Est-ce que la question n'aurait pas e*te*, par ce moyen, plus vite re'gle'e ? »

Iv'histoire 1'a dit et elle le redira longtemps : Craig fut le tyran de cet homme de bien, de ce patriote qui aimait 1'Angleterre et ses insti- tutions, et qui fut puni pour avoir revendique" en faveur de ses concitoyens la protection effi- cace des lois britanniques.

Aujourd'hui, la me'moire de Be*dard est res- pecte*e, tandis que le nom de Craig est exe*cre* comme celui du plus fe*roce ennemi des Cana- diens fran5ais. Ainsi le veut souvent la jus- tice humaine qui, bien que faillible, rend quel- quefois des arr^ts que ni le temps ni les cir- Constances ne sauraient changer.

CHAPITRE IX

sse de Be"dard a ses electeurs. Arrived de Sir George Prevost. Be"dard nomine" juge. Sewell. Accusa- tions d'Ogden sur le compte de Be"dard. Action de la Chambre. Maladie et mort de Be"dard.

u lendemam de son renvoi de prison 1, Bedard adressait a ses eUecteurs du comt£ le Surrey, la circulaire suivante :

« Le passe ne doit pas nous ddcourager, ni linuer notre admiration pour notre consti- ition. Toute autre forme de gouvernement

Nous avons essay e", mais sans succe's, de retracer la ; precise de 1'^largissement de Bedard. ly'&rou de la Inison de Quebec ne remonte pas plus haut qu'sl Tannge

814.

[128]

serait sujette aux memes inconve*nients et £. de bien plus grands encore ; ce que celui-ci a de particulier, c'est qu'elle fournit les moyens d'y remedier. Toutes les difficulty's que nous avions de"ja e*prouvees, n'avaient servi qu'£ nous faire apercevoir les avantages de notre constitution. Ce chef-d'oeuvre ne peut e*tre] connu que par l'expe"rience. II faut sentir une bonne fois les inconve*nients qui peuvent re"sul- ter du de"faut d'emploi de chacun de ses ressorts j pour £tre bien en e"tat d'en sentir 1'utilite*. faut d'ailleurs acheter de si grands avantag par quelques sacrifices. »

Pouvait-on parler avec plus de dignite" surtout de loyaut^? Get hornine venait subir une peine terrible pour une faute imagi- naire ou, pour le moins, pardonnable. Au lieu de murmurer, de se plaindre, il be"nit presquej la main qui Pa frappe", parce que derri£re cett main il voit la constitution de 1'Empire qu' respecte et le repre*sentant d'une autorite qu'i aime. Ce document pond^r^, plein de candei

et de soumission, peint bien 1'homme sage que fut Be"dard. Combien d'autres & sa place, en vue de quelque avantage politique, ou par esprit de vengeance centre le gouverneur, eussent voue aux ge'monies toute Padministra- tion, depuis le gouverneur jusqu'au geolier de la prison, en passant par le juge en chef Sewell et sa petite arme'e de slides ? Mais non, Be*dard J sut conserver son sang-froid, et il retourna a la Chambre, le 21 feVrier 1812, le jour me'me de 1'ouverture de la session x. II prit une part tr£s active aux deliberations, et pas une fois on ne le vit se detacher du groupe franc.ais.

Sir George Prevost venait de succ6der £ sir James Craig. D£s son arriv^e au pays (sep- itembre 1811), il s'etait efforce de calmer les csprits que 1'administration de son pre'de'cesseur avait quelque peu irrites. II montra beaucoup de confiance aux Canadiens fran9ais, en leur ouvrant la porte aux charges publiques. M.

i. C'^tait la deuxieme du septieme parlement. Kile du 21 tevrier au 19 mai 1812. 9

[ 130

Bourdages fut nomine* lieutenant-colonel de milice ; M. B£dard fut re'integre' dans ses fonc- tions de capitaine 1. Non content de re*parer 1'injustice commise envers Bedard, le nouveau gouverneur le nomma bientot juge aux Trois- Rivi£res. Cette nomination fut bien accueillie du public. B6dard e"tait pauvre, & la tete d'une famille, et il souffrait d'une maladie contracted dans sa prison, qui pouvait 1'empecher, £ bref de'lai, de prendre une part active aux affaires publiques. Citons a ce propos M. Etienne Parent :

« N'est-il pas regrettable, pour la gloire Pierre Bedard et pour nos propres inte"ret qu'il ait alors abandonne* la cause qu'il avait bien servie jusque-li, cause qui en e*tait encore & un premier succes, rien moins que decisif, comme 1'e've'nement le prouve ?

i. Sa nouvelle commission est dat6e du ler octobre ; 1812, et porte la signature de X. de Lanaudi^re, sous-ad- judant g^n^ral de milice.

« A cela nous ne repondrons pas que notre he*ros etait sans fortune et charge d'une famille dont il avait jusque-la neglige les int^rets, pour se devouer tout entier a la chose publi- que ; nous ne rappellerons pas me'me qu'il avait contract^ en prison une maladie dont il ne guerit jamais ; ces raisons, toutes valables qu'elles soient, seraient une injure a sa m6- moire, si nous les donnions pour motifs de sa itraite de la sc£ne politique. II avait pour itte determination d'autres motifs plus dignes lui. Son av£nement a la haute magistra- ire etait la consecration du triomphe de la luse pour laquelle lui et ses amis avaient combattu et souffert, 1'aveu formel qu'on les , avait calomnies et cruellement persecutes, et j un puissant encouragement au peuple et a ses I defenseurs de perseverer dans les nobles reven- j dications du passe.

« II y a plus ; a cette epoque, nous etions & |la veille d'une guerre avec les Etats-Unis. Or, Bedard, avec le jugement sur qu'on lui mnaissait, avait compris que 1'inter^t,

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autant que le devoir, nous commandait de rester unis a 1'empire britannique. II e'tait, pour 1'avoir etudie* a fond, admirateur du regime constitutionnel anglais qui lui paraissait assu- rer, a la fois, et le libre exercice de toutes les Energies sociales le"gitimes, et la compression des instincts pervers, en d'autres mots : 1'ordre et le progre"s. II e'tait un loyal sujet anglais en m£me temps qu'un chaud patriote canadien, et il sentit qu'en ces deux quality's il devait prater la main a 1'ceuvre de conciliation de sir George Prevost. Accepter une charge judi- ciaire, dans les circonstances, c'etait, pour M. Be*dard, faire un solennel acte de confiance dans le nouveau gouverneur, et cet acte de sa part devait £tre tout puissant aupres du peuple et le porter a se rallier en masse autour du drapeaulbritannique. C'est ce qui arriva, et le Canada fut conserve* a 1'Angleterre, et notre nationality e*chappa cette fois encore £ Pal sorption.

« En'montant sur le bane, M. Be*dard ren- dit done un nouveau service politique a soi

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pays, et ne fit qu'ajouter un nouveau titre a sa popularite l. »

On serait peut-£tre porte a croire qu'en rev£- tant 1'hermine, Be"dard entrerait dans la voie de la tranquillity parfaite,et que ses adversaires ic chercheraient plus a lui rendre la vie am£re. H£las ! il n'en fut rien. Sewell etait toujours la, guettant sa proie pour la devorer. Mais qu'e*tait done cet homme si vindicatif en appa. rence, avec ses allures de lion de'chaine' ? Gar- neau va nous le faire connaitre en deux mots :

« Sewell, dit-il, e"tait un homme poli, grave, souple, capable de jouer le role que voulaient lui confier les ministres. Quoiqu'il fut 1'ennemi le plus dangereux des Canadiens, il se montrait toujours tr£s gracieux envers eux. II fallait a la politique de PAngleterre, ou plut6t de son

i. E. PARENT, Pierre Bedard et ses deux Fils. Voir le Journal de V Instruction publique, reproduit par le Foyer domestique, vol. I., fasc. i, pp. 32, 33, 34 et35.

minist£re, un homme qui, en conduisant le parti oppose* aux repre"sentants du peuple, sut la dissimuler. II dirigea ce parti jusqu'a" la fin de sa vie dans les deux conseils, surtout au Conseil le*gislatif, ou vinrent dchouer presque toutes les mesures demande'es par les Cana- diens. »

C'est le meme qui, par ses inspirations secr£- tes, travailla toute sa vie & ruiner la race canadienne-frangaise. C'est lui qui conseilla au ministre des colonies le projet d'unir toutes les provinces anglaises de 1'Amerique britan- nique du Nord sous un seul gouvernement, afin de mieux ^eraser notre race. Si nous n'avons pas pe*ri, ce n'est pas dti au manque d'efforts et de travail de son c6te\

Sewell fut puissant en Canada et influent 4 Londres. Mais il rencontra aussi de redouta- bles adversaires. M. Stuart, qui fut juge un peu plus tard, avait eu souvent maille & partir avec lui. On les conside'rait me'me 'un peu comme ennemis. En 1814, le Conseil, que

dirigeait Sewell, rejeta plusieurs lois impor- tantes, entre autres le bill excluant les juges du Conseil le"gislatif, et un autre autorisant la nomination d'un agent aupr£s du gouverne- ment imperial. La Chambre d'assemble'e ne crut pas mieux faire que de voter une adresse au roi renfermant des accusations centre la conduite de Sewell. Sur dix-sept chefs, deux portent sur la conduite du juge en chef £ 1'^gard de Be'dard. Nous les reproduisons d'apres la version officielle :

« Jonathan Sewell, e"tant juge en chef, Ora- eur du Conseil le*gislatif et President du

nseil exe*cutif de la Province, pour avancer ses projets traitres et me'chants, dans Pinten- tion d'opprimer des individus supposes e"tre ennemis de sa politique et se defier de son caract£re et de ses vues, et pour les perdre dans Pestime publique et empecher leur reflec- tion comme membres de PAssemble'e du Bas- Canada, a conseille, avis6 et approuv^ 1'arres- tation de Pierre B6dard, Francois Blanchet et

['36]

Jean-Thomas Taschereau, buyers, sous pre*texte faux et mal fonde" qu'ils e"taient cou- pables de pratiques traitresses, afin que par la ils fussent priv£s de 1'avantage d'etre admis caution, et par les moyens de Pinfluence resultant de ses emplois Sieve's sous le gouver- nement, les a fait emprisonner sur la dite accusation dans la prison commune du district de Quebec, pour un long espace de temps, et enfin eUargir sans qu'on leur ait fait leurs proems.

« Jonathan Sewell ... a conseille, avise* et induit sir James Craig a publier une proclama- tion extraordinaire et sans exernple, tant pour le style que pour la mati£re, dans laquelle il etait fait mention de I'ernprisormement arbi- traire, injuste et tyranuique des dits Pierre Bedard, Francois Blanchet, et Jean-Thomas Taschereau, de mani£re a faire croire qu'ils e*taient coupables, et a exciter centre eux la malveillance publique, et dans laquelle, par le langage que Pon y tenait, Ton donnait a enten-

[ I37]

dre que la Province e"tait en un £tat voisin d'une insurrection et rebellion ouverte. « Samedi, 26 feVrier 1814. »

ewell se rendit a Londres, ou il se deTendit lien qu'il re*ussit £ capter la confiance des

.torites impe'riales. Du reste, il avait eu beau jeu, vu que M. Stuart, nomme" par la Chambre pour aller appuyer 1'adresse, avait vu e"chouer sa mission en presence de Popposition du Conseil legislatif, qui refusa de voter le credit demande* pour en de*frayer les depenses l.

Ce fut pendant la seconde session de 1812 que B6dard rec.ut sa commission de juge ; elle est datee du u de'cembre. II remplagait le juge Louis-Charles Foucher, qui venait d'etre reVoque par voie & impeachment. Le nouveau juge commenga a sieger en mars 1813, et il remplit ses fonctions jusqu'au mois de septem-

[. B6dard avait d'abord £t£choisi par la Chambre pour mission, mais on suppose qu'il refusa de s'en char- Le credit vot6 par la Chambre £tait de 2,000 livres.

bre 1828, avec de le*g£res interruptions. II a peu a dire sur la mani£re dont le savant magistrat presida la cour, mais il parait certain, d'apre's la tradition, qu'il fut toujours a la hauteur de sa position.

En 1819, Ogden, deput£ des Trois-Rivi£res, porta contre le juge Be*dard des accusatio d'une haute gravite", entre autres: d'av prostitu£ son autorite" judiciaire pour satisfai sa malice personnelle ; d'avoir viole* libert^ de plusieurs sujets de Sa Majest d'avoir, par une conduite perverse, obstin et tyrannique, deshonor£ sa position.

La Chambre nomma un comite" pour s'e: querir des faits. Ce comite* etait compost MM. Panet, Neilson, Borgia, Blanchet, T; chereau, Stuart et Vanfelson. II tint scan £ diverses reprises, depuis le 9 fevrier jusqu'ai 19 avril 1819, et re5ut les depositions d' grand nombre de temoins assign^s par 1'acc sateur.

A la session suivante (1820), M. B&la s'adressa, par petition, a la Chambre pour ob

[ 139]

nir plus ample justice, car bien qu'il efit e"te* prouve* que les accusations porte*es centre lui , n'e"taient pas f onde'es, il £tait de*sireux d'avoir 1'occasion de prouver & son tour que ces accu- , sations etaient malicieuses, pre'me'dite'es et .concertees. M. Bedard voulait une nouvelle •enqueue. L,a Chambre nomma un nouveau comite de sept membres, pour examiner le contenu de la requete et faire un rapport. L<e comite se declara pr£t a singer, mais M. Be*- dard declina de proce*der, vu qu'il lui e"tait possible de s'absenter de son district judi- ciaire, ^. moins d'obtenir line permission spe"- ciale du juge en chef, ce qu'il conside*rait ssible dans les circonstances.

/affaire n'eut pas de suite. Bedard, il est rai, avait e"te exone're' par la Chambre d'as-

ible*e. Mais cet incident regrettable lui Icausa beaucoup de chagrin. Tous les jours, le digne juge venait en contact avec ses accusa- teurs, qui, a part Ogden, se recrutaient surtout dans le barreau des Trois-Rivieres.

[

Les armies et le mal qui minaient la const tution physique de Be'dard, ne sembl£rent poii diminuer son gout pour les sciences mathe'rm tiques. II e*tudiait sans relache. Isidore L,ebrui auteur du Tableau des deux Canadas, It attribue la paternite" de deux ouvrages, 1't intitule : Observations critiques sur les Ouvrc ges de Lamennais et de M. de Bonald ; 1'autre Traite du Droit naturel demontre par de Formule.s algebriques. Nous n'avons pu de*coi vrir ces deux ouvrages, et nous .croyons qu'il n'ont jamais vu le jour, si tant est me'me qu'il aient e*te composes par Bedard. Quant & paternite des Merits politiques parus dans Canadien de 1806 a 1810, elle est certaine incontestee. II ne signait pas, ou il mettail des noms de plume au pied de ses article mais on les reconnait aise*ment par le style quelque peu diffus de leur auteur, et par note constitutionnelle qui y domine toujoui

L'une des plus constantes preoccupations dt grand patriote et qu'il entretint durant tout soi s6jour aux Trois-Rivi£res, fut de venir re*sidei

Quebec, sa ville de predilection J. II n'aima jamais Trois-Rivie"res, ou il n'avait aucune attache particulie're. Du reste, sa famille pou- vait avoir ses preferences, et il est naturel de penser que, ne voulant pas la contrarier, il lui donnat a entendre qu'il irait avec elle passer ses derni£res annees 1& ou il avait v£cu pendant sa jeunesse et sa maturite*.

En 1823, lorsqu'il fut question d'envoyer £ Londres un agent canadien fran£ais, afin de contrecarrer le pro jet d' union des provinces anglaises, projet invente* par Sewell et large- ment patronne' par le parti anticanadien, les yeux d'un grand nombre se porteTent sur le juge Be*dard. Afin de donner une idee exacte des sentiments alors existants au sujet des affaires du pays, laissons la parole a un journal anglais public £ Montreal, le Canadian Spec-

I. B£dard avait demeur6 £l Quebec au coin des rues Haldimand et Mont-Carmel, dans la maison occup^e aujourd'hui par 1'honorable juge Gagne". Cette propri€t6 fut mise en vente par sa femme, le 6 f^vrier 1811.

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tator. Voici ce qu'il disait dans son num& du 22 Janvier 1823 :

« II y a eu grande prudence de la part certains enragks, de promoteurs outres d'l projet d'union discordant, et de quelques indi vidus qui ont eu la main dans les affaires notre province, a agir de telle fa£on que juge B&Iard ne put aller en Angleterre ave les autres agents du Bas-Canada. Us ont, ce moyen, de*tourne" habilement un coup vigoi reux. En effet, on ne pouvait supposer qu'il exposeraient eux-m£mes leur carrie"re politiqi & la ruine qu'auraient infailliblement prove que"e la presence en Angleterre et le t^moignaj de cet homme. L'esprit de conservation, tout le monde le sait, les a force's a restreindre autant que possible la liberte" du juge. Mais cet homme honorable ira bon gre" mal gre", et quoi qu'il en coute, & ces personnages.

« La Chambre des communes d' Angleterre peut signifier aux ministres et nous croyons qu'elle le signifiera son de*sir de faire compa-

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itre 1'honorable juge a sa barre, et le minist£re jlais, en conformit£ de ce de*sir, ordonnera

iccorder au juge un conge d'absence. Que,

idant cette absence necessitee par des affai- res publiques touchant aux intere'ts vitaux du pays, et nullement due & des considerations privees ou personnelles, le juge re£oive son traiteinent, il peut y avoir des doutes sur ce point ; la question pourrait etre portee quelque part ou le juge est tr£s bien vu, y £tre exami- ned et jugee d'apres les vrais principes provin- ciaux.

« Quoi qu'il en soit, le juge partira, et ce qu'il en exposera de calomnies, de fausses representations, d'intrigues, d'actes despotiques et de conseils ego'istes !

« On a stupidement assimile* le cas du juge BeMard allant en Angleterre au cas d'un juge candidat sollicitant ses justiciables de le porter, par leurs suffrages, a I'Assemble'e legislative.

« Un juge qui, grace aux suffrages de ceux qui ressortissent a son tribunal, occupe un dans une legislature, y est expose" aux

[M4]

passions, amide*, gratitude ou ressentiment qui naissent d'une lutte electorate et de la politique ; et, tous les jours, il exerce ses foi tions de magistrat parmi ceux-la me'me qt ont excite* chez lui ces passions.

« La situation n'est pas la meme. I/a mis sion du juge Bedard serait un e've'nement S] cial. Pendant sa dur£e, il ne serait virtuelle ment pas juge. Quand elle serait accompli* et qu'il reprendrait sa place au tribunal, 01 peut dire que jamais 1'occasion ne s'en pre*sei terait de nouveau ...»

Le juge Bedard n'alla pas en Angletem malgre' la prediction du Spectator. La Chai bre, voyant que M. James Stuart ne serait agree comme agent de la province, choisit Marryat, de'pute' aux Communes d'Angleterrc qui refusa, parce que sa nomination n'avait regu la sanction du Conseil le*gislatif. Ml Papineau et Neilson regurent la nominatioi et ils partirent tous deux pour Londres, poi teurs des petitions de soixante rnille Canadiei

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| francais centre 1'union du Haut avec le Bas- I Canada.

Le juge B&lard fut, pour des raisons de <sante, force" de se soustraire & ses fonctions de juge, a partir du mois de mars 1827 jusqu'au mois de Janvier 1828. Les juges Uniacke et I Fletcher le remplacerent. II couruta Saratoga Ou, n'e"prouvant pas de mieux, il ne fit pas nn long se"jour. II passa l'e"te de 1827 ^ Kamou- Taska, restant ainsi absent pendant dix mois, bien que son conge" ne Mt que de trois semaines. Son traitement lui fut paye r^guli^rement.

En Janvier 1829, ^e JuSe B^dard voyant que •sa maladie s'aggravait, re*solut de demander une pension de retraite, et la Chambre la lui accorda, apres avoir fait une enquete sur 1'etat de saute* du p^titionnaire. Ses deux fils, Elzear, alors avocat a Quebec, et Isidore, ^tudiant en droit, furent appel^s ^ rendre temoignage.

« La sante de mon pere, dit le premier, a e'te' g^n^ralement mauvaise, pendant les deux dernieres annees ; elle est devenue pire par

I'assiduite" et le travail inherents a sa il paraissait tr£s afnige' des difficult£s qui 01 eu lieu lorsqu'il lui fallut obtenir tin conj d'absence, et lors de la revocation et du renc vellement de sa commission. »

« La sant£ de mon pere, dit Isidore, a e"t gene"ralement mauvaise. L,es me'decins ont dit qu'il souffrait de dyspepsie. II a une ennui aux jambes depuis dix ans. Cette enflure renouvelle le printemps et Pete, depuis qu' avait €t£ emprisonne" a Quebec, en 1810 1811. »

Bn 1820, le juge Be*dard avait atteint soixante-sept ans. C'e"tait un vieillard, us€ le travail et les chagrins de toute nature, fin ne pouvaite'tree'loigne'e. Nous aliens lais a la Minerve le soin de nous raconter ses de niers moments :

« Le dernier jour du petit terme d'avril nier (1829), ^ endura du froid en se rendant

[ 147 ]

la cour : il ne crut pas ce froid dangereux ; cependant le mal fit de grands progre"s en peu de jours, et sembla ensuite s'apaiser. II sortit tous les jours de la semaine qui preceda le dimanche du 26 avril dernier. L,e samedi, 25, il sortit en voiture dans 1'apres-midi.

« Le dimanche matin, 26 avril, il se sentit

k tres mal, mais il ne voulut pas se mettre au lit. II passa la journe'e assis sur son sofa, se promenant de temps en temps dans sa chambre,

« chose qu'il faisait lorsqu'il e*tait en saute". II

! prit son diner & 1'heure ordinaire.

« A cinq heures et trois quarts, il fit un tour

I dans la chambre sans vouloir permettre £ per- son ne de le supporter ; il regarda a la fene'tre et vint s'asseoir sur le sofa.

« A six heures, il voulut se lever pour mar- cher encore ; il reposa sa tete sur le bras du sofa, ferma les yeux et ne les rouvrit plus *. »

Pierre Be"dard fut inhume dans 1'eglise pa-

i. La Minerve du 28 mai 1829.

ans;

""

roissiale des Trois-Rivi£res, ou il repose encore aujourd'hui.

Le regrette defunt laissait une veuve et quatre enfants : Pierre-Hospice, age" de 32 ans ; Elzear, age de 30 ans; Isidore, age* de 23 etZoel, de 17 ans.

Madame Bedard mourut & Quebec, le 20 feVrier 1831, a Page de 52 ans. Bile avait vecu dans une certaine aisance, grace aux sages economies de son mari, qui lui avait laij a sa mort, une maison aux Trois-Rivie~res, terre a Nicolet, et le revenu qu'elle retirerait i la vente de son ancienne residence a Que*t

Quant aux enfants du juge Bedard, ils pure se tirer eux-memes d'embarras par leurs talei distingues. Le juge Elze'ar a illustre le judiciaire par son integrite et sou caracti fortement trempe. Sa mort prematuree, aii que celle de son fr£re Isidore, a mis fin a carrieres qui, suivant toutes les previsk humaines, auraient fait honneur aleur famil Aucun d'eux n'a laisse d'enfants pour per tuer son nom. Quoi qu'il en soit, leur sou)

[ 149 ]

nir restera vivace parmi nous, car chacun, suivant 1'expression de M. Etienne Parent, a laisse" un modele pour un des ages dont se compose la vie publique : jeunesse, age mur et vieillesse.

PIERRE-HOSPICE BEDARD

I

iierre-Hospice Bedard 1797-98**

T 'AINE; des enfants de Pierre Be"dard etait ne a Quebec, le 21 mai 1797. II fut baptise a la paroisse de Notre-Dame par M. 1'abbe" J.-B. Bedard, vicaire, son oncle. Apres avoir frequente 1'ecole primaire, 1'enfant entra bien- tot au petit seminaire et il y termina ses e*ttides eu 1826, en meme temps que le Dr Parant jet F.-N. Blatichet, qui, plus tard, devint arche- v^que d'Oregon-City.

Hospice Bedard se livra ensuite a 1'etude du droit et, le 29 mai 1823, il recevait sa nomi-

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nation officielle d'avocat. Tout aussit6t il courut a Montreal pour s'y faire une clientele, et nous le voyons plaider en cour de justice jusqu'en 1827; Puis son nom disparait de la liste des membres du barreau.

Une saine tradition nous autorise & croire que Be*dard alia se re*fugier aux Etats-Unis, d'ou il ne revint jamais dans son pays. II y passa tr£s certainement les derni£res anne*es de sa vie et y mourut l.

Hospice Be*dard est surtout connu par sa fameuse lettre a M. Pabbe* Chaboillez, cure de L,ongueil, relative au gouvernement eccle*sias- tique de Montreal. Cette lettre fut publie'e a Montreal, en 1823, sous IE forme d'une brochure de quarante pages. Elle est dat^e du premier jour d'octobre 1823. Bien que cette let porte la signature de P.-H. B&lard, il nous est impossible d'admettre qu'il en soit 1'auteur.

i. Lorsque M. George-Manley Muir, autrefois greffier de 1'Assembl^e legislative, se convertit au catholicisme, a Windsor, Ontario, ce fut Pierre-Hospice B£dard qui lui servit de par rain.

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M. 1'abbe Chaboillez, dans sa re*plique, ne se gene pas de le lui dire :

« Vous vous etes couvert d'un ridicule qui ne s'oubliera pas de longtemps, en pretant, dit-il, votre signature a la lettre que j'ai refute'e. Car tout le monde sait, £ n'en pas douter, que vous n'en e'tes pas 1'auteur. Vos amis meme, et les gens du parti que vous avez de*fendu, le disent hautement. II est heureux pour vous que vous soyez encore jeune ; vous pourrez survivre £ cette disgrace ...»

La ve'rite' est que 1'auteur de cette brochure, signed « P.-H. Be*dard », fait preuve de tant de science, surtout en droit canonique, qu'il est presque incroyable qu'un avocat de vingt- quatre ans, si bien dou£ soit-il, puisse atteindre & une si grande hauteur.

Quoi qu'il en soit, Bedard dut supporter les »ups qui s'abattirent sur sa tete £ cette occa- ion. M. Chaboillez connut d'habiles contra- dicteurs dans les rangs du clerge*, mais les

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pretres ne sign£rent point leurs Merits, afin, sans doute, de inenager les susceptibilites de leur eminent confrere.

Pour revenir a la reponse de Bedard, il importe de connaitre ce qui donna lieu a ce travail aussi e"pineux. Des difficultes grave s'e*taient eleve'es a propos de la situation equi- voque dans laquelle se trouvait place Lartigue, e"veque de Telmesse, appele" depuis peu a 1'episcopat et place* a la tete du distri( de Montreal. Les marguilliers de la parois de Montreal e"taient intervenus dans le r£gl< ment des honneurs qui pouvaient etre accord^ a 1'eveque suffragant, et il fut meme questioi de decider, entre eux, si on le laisserait siegei sur le trone episcopal. La presse s'etant em- parde de cette question, les esprits prirent ft meme dans les rangs du clerge, et plusieui pretres, inns sans doute par d'excellents motifs mais imparfaitement renseignes, reprocherent a M81" Plessis de ne pas avoir consulte soi clerg^ avant d'en venir a une determinatioi aussi grave que le morcellement d'un diocese.

M. 1'abbe Chaboillez coimnensa a jeter en pature au public line brochure de quarante pages, intitulee : Questions sur le Gouverne- ment Ecclesiastique de Montreal, dans laquelle il pose cinq questions pour les rdsoudre £ sa maniere.

L,'auteurs'objecte£tcroire: que le district >de Montreal, tel qu'organise*, soit un district Episcopal ; que MS* Lartigue soit ou puisse €tre PeV£que diocesain de ce district ; que Mgr Lartigue ait droit de se faire rendre, dans ce meme district, les honneurs dus a un evdque diocesain ; que les pouvoirs dont il est revetu par ses bulles doivent subsister, meme apres la mort de Mgr Plessis ; enfin, que les ecclesiastiques de la ville et du district de [ontreal soient obliges de le regarder comme »ur superieur immediat, et de s'imaginer faire partie d'un clerge qui se relive de son itorite.

Hospice B^dard etudie chacune de ces ques- ions, et il s'efforce d'en faire ressortir les cotes faibles. Son travail est etnaiHe" de textes et

de citations tires d'auteurs dont il ne pouvait pas meme connaitre les noms, et il argumente comme un docteur de 1'Eglise.

De son c6t£, Mgr Plessis, qui se trouvait serieusement concern^ en toute cette affaire, chargea M. Pabbe* Painchaud, cure de Sainte- Anne de la Pocatiere, et M. 1'abbe Cadieux, cure* des Trois-Rivie"res, de repondre & la brc chure de M. 1'abbe" Chaboillez. Les deu: cures accepterent la tache qu'on leur imposait et chacun envoya son mdmoire a 1'eveque, qi donna la preference d celui de M. Cadieux. Entre temps, M. Chaboillez re*pondit a la brc chure de Be*dard, et il n'alla jamais plus loii

ELZEAR BEDARD

II

ELZEAR BEDARD

1799-1849

PIERRE Bedard avait eu quatre fils de son mariage avec Jeanne-L,ouise-L,uce-Fran-

joise Fremiot de Chantal L,ajus. Le plus emarquable des quatre fut, sans contredit,

j'vlzear, qui, apres avoir £t€ maire de Que"- ec le premier sur la liste et avoir pris ne part proe"minente dans la politique de i province, re^ut sa nomination de juge, alors u'il n'e"tait ag^ que de trente-sept ans. Elzdar Bedard naquit a Quebec, le 24 juillet 799. M. 1'abbe Antoine Bedard. pr^tre du

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seminaire, fut son parrain et pre*sida £ son bapteme. II eut pour marraine Franchise Chauveau, Spouse de Charles Pinguet.

L,e jeune Elzear entra au s6minaire de Nicolet en 1812, a peu pre"s dans le meme temps que son pere allait aux Trois-Rivi£res remplir ses nouvelles fonctions de juge. En 1814, il quittait Nicolet pour entrer au pet seminaire de Quebec ou il devait terminer sc cours en 1818. II n'avait encore que dix-nei ans. Ses compagnons de classe de physiqt devinrent presque tous des hommes marquant Ce furent Mgr Bourget, Mgr A.-M. Blanchet, grand-vicaire C. Gauvreau, le Dr P.-M. Bare «t M. 1'abbe" Etienne Chartier. Joignant noms illustres celui de Be*dard, juge, nous avons sous nos yeux la saintete* coudoyant le patriotisme, la science donnant la main & toutes les vertus civiques.

Ses etudes termine'es, Bedard entra chez Andrew Stuart comme 61^ve en droit. Stuart £tait, a cette epoque, une des lurniere du barreau. Le jeune disciple de Themis

mit resolurnent & 1'oeuvre, et il reussit, apr£s le stage requis, a se faire admettre dans les rangs d'une profession qui comptait, a cette 6poque, des avocats comme Vallieres de Saint- Re*al, Justin McCarthy, Louis Moquin, George Vanfelson, Jean-Thomas Taschereau. Be"dard icquit bientot une place honorable parmi ses confreres, et si on veut j tiger de sa valeur ora- :oire, on n'a qu'& lire le plaidoyer qu'il fit in jour en faveur d'un sauvage condarnne' ^ nort pour meurtre 1.

Le 15 mai 1827, Elze"ar Bedard e*pousait, a Quebec, Julie-Henriette Marett, fille de James vempri^re Marett, marchand, et d'Henriette iJoone, native du Haut-Canada. Une seule nfant naquit de ce mariage : Julie-Luce, dece*- lie'e le 3 novembre 1831, & 1'dge de six mois et .emi. Se voyant plus tard sans espoir de .escendance, il adopta une jeune fille du nom ulie-Hel£ne McEnnis, qui devait e*pouser,

Voir, en appendice, le discours qu'il prononga pour fense de ce sauvage.

le 28 avril 1849, M. J.-A. Berthelot, devenu juge par la suite.

Se sentant attire" vers la vie politique qui, a cette e*poque, offrait un champ d'action assez vaste, Bddard accepta, aux elections gene*- rales de 1830, la candidature dans le comte de Kamouraka ou il exer^ait quelque peu sa profession. II y comptait des amis personnels* assez marquants, entre autres le cure" Pain- chaud, de Sainte-Anne de la Pocati£re. Bedard eut a faire la lutte, conjointement avec Piei Marquis, centre Amable Dionne et Charles Casgrain, tous deux influents par leur forti et leurs alliances. C'etait une grosse ent prise, pour un Stranger an comte", que de battre de tels hommes. Aussi sa d£faite fi elle ecrasante.

Be"dard ne se de"couragea pas devant premier re vers de fortune politique. Philij Panet, depute* de Montmorency, ayant nomine* juge de la cour du Bane du roi, Quebec, B£dard n'hesita pas & accepter candidature que lui offrirent les electeurs

Montmorency. Son Election se fit par accla- mation, dans le courant de juillet 1832. Le Canadien du ler aout contient une adresse de Be"dard £ ses commettants : « C'est le sujet d'une vive satisfaction pour moi, dit-il entre autres choses, que I'unanimite' qui a re"gne en cette Election, car ce n'est que par 1'union que es Canadiens peuvent s'assurer la jouissance 3e leurs droits constitutionnels. »

Cette election avait attire davantage les /eux des Que*becquois sur le fils du grand >atriote, et 1'on en eut une preuve palpable orsqu'il s'agit, en 1833, d'elire un maire. usqu'£ cette e"poque, la ville de Quebec n'avait »as connu le syst£me d'un conseil avec un naire £ sa te"te. En 1827, $ Y avait eu, au >alais de justice, une premiere reunion des itoyens sous la prdsidence de Vallieres de Jaint-Real. Un comite" de onze personnes vait ete choisi pour jeter les bases de 1'Acte estine ^ un projet d'incorporation. Ce ne fut qu'en avril 1833 (lue ^a L^gisla- e donna force de loi & cet Acte qu'elle avait

mis a 1'etude et ^labore" de son mieux. L'elec- tion des conseillers cut lieu le 25 avril ; Elzear Be"dard fut e"lu pour le quartier Saint-Louis. Le ier mai, le conseil-de-ville choisit Be*dard pour son president. Les suffrages semblaient d'abord partag£s entre Bedard et Rene"-Edouard Caron. « Kn tout cas, disait le Canadien, le choix ne peut manquer d'etre excellent. » Le nouveau maire dut s'occuper activement de 1'organisation policiere, sanitaire et financiere de la ville. Appele" lui-meme a prendre pz aux deliberations et a voter comme les consei lers, Be"dard ne recula jamais, et son adminis- tration fut remarquablement heu reuse. Cepen- dant il ne fut pas re*elu a la mairie aux Elections du printemps de 1834. II n'obtint que huii votes sur dix-huit ; son adversaire de 1'ann^ prdcedente, M. Caron, en reQut dix, et fut On alle*gua pour raison de ce changenient, qi c'eut €t€ consacrer un inauvais precedent que de garder un maire en sa fonction pendai plus d'un an. Ce qui n'emp£cha pas M. Carol d'etre £lu ^ onze reprises diff^rentes, sans intc

mission. Ainsi va la logique humaine, soit dit sans prejudice a la me'moire de M. Caron, mi fut un maire irre*prochable.

* * *

Be*dard cessa de sieger au conseil-de-ville au intemps de 1835, et il ne brigua plus les rages des electeurs municipaux. II prefera jeter tete baissee dans le tourbillon poli- e ou, comme nous 1'avons vu, il e"tait entre" en 1832. Apr£s avoir pret6 le serment d'usage, il prit son si£ge en Chambre, le 21 novembre 1832, pour se mettre immediate- ment ^, la besogne, comme un vieux roue" parlementaire. Le depute" Bourdages ayant Isoumis des resolutions de nature ^ amener un Ichangement dans la constitution du Conseil l^gislatif, Bedard prononc.a a 1'appui du chan- gement projet^ un vigoureux discours, appuye" sur des arguments s^rieux. Bourdages venait de donner des explications quant aux motifs i 1'avaient induit a soumettre ses resolutions,

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par lesquelles il demandait 1'eligibilite du Conseil, lorsque B6dard, a la seance du 16 Janvier (1833), se leva pour appuyer les dites resolutions. II prouonc.a un bon discours au cours duquel il proposa des reformes tr£s acceptables, et qui devaient etre agre*ees plus tard par un comit6 special de la Chambre.

Bedard parlait les deux langues avec la ph grande facilite*. Etienne Parent nous dit que le fils du grand patriote avait he'rite' de sol p£re d'un esprit clair et logique, sans avoii cependant son Eloquence vigoureuse et puis sante.

Le Conseil legislatif n'avait jamais joi d'une bien grande popularity. Mais, & cett€ e*poque, il £tait tomb^ dans le plus profonc discredit. Christie, historien et depute, a ecrit que ce corps n'avait rien d'aristocratique, et que les personnes qui le composaient e"taient peu faites pour le relever dans la confiance et 1'estime du pays.

Les reformes, tant de fois desirees, u'avaient jusqu'alors abouti ^. aucun resultat. La Chai

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bre, apres avoir delibe're* pendant un mois sur ce grave sujet, finit par dernander au roi de rendre le conseil e'lectif. Naturellement Bedard vota avec la majorite*.

Quelque temps auparavant, la Chambre d'assemblee avait declare vacant le si£ge de M. Mondelet 1, par suite de son Elevation au Conseil exdcutif. II nous semble qu'elle avait outrepasse* ses pouvoirs et de plus, elle faisait mine de ne pas reconnaitre le syst£me respon- sable, dont la nomination de M. Mondelet pouvait £tre conside*re*e comme un bon symp- t6me. Bedard, avec son grand sens de la constitution anglaise, qu'il semblait tenir en heritage de son p£re, s'e*tait e'leve' contre la conduite de la deputation. Un memorandum ine"dit le prouve :

« Par 1'acte constitutionnel, clause vingt- deuxieme, les conditions d'eligibilite de la

I. Dominique Mondelet, alors de'pute' du cornte" de lontr^al.

Chambre sont fixers. Par la clause pre*ce*dente ou vingt-unie'me, les raisons d'exclusion ou plutot d'ineligibilite" sont detaill^es. M. Mon- delet avait en sa faveur toutes les conditions de la clause vingt-deuxie'me et n'avait centre lui aucune exception de la clause vingt-unieme.

« II a fallu un acte du Parlement imperial et un acte du Parlement provincial pour eten- dre le uombre des personnes e"ligibles. II a fallu e'galement une loi pour restreindre ce droit *.

« Les resolutions de la Chambre ne peuvei militer centre un acte formel du Parlement Si elle eut cru ces resolutions suffisantes, elle n'eut jamais consent! £ passer 1'acte e"gard, qui est maintenant soumis & la consid^ ration de Sa Majeste*. Que ferait-elle de pit apres la sanction royale accordee a ce bill ?

« On cite le cas de M. Christie : c'est une toute autre question. Toute cour, ine'ine celle

i. Voir 1'acte centre C.-B. Bone, et celui an sujet des juges.

tenue par un seul juge de paix, a le droit de punir pour contempt / c'est une condition de sa propre conservation.

« N'est-ce pas forcer le gouvernement £ jouer un role singulier, que de le faire consentir a puuir un membre, uniqueinent parce qu'il a obtenu sa confiance ? l »

C'etait, en effet, un curieux proce"de que de mettre £ la porte de la Chambre un de ses de'pute's les plus influents et des plus respected, parce qu'il e"tait appele* par la Couronne & devenir 1'un des membres du Conseil exe*cutif. Evidetnment, 1'on n'avait encore, & cette £poque, qu'une ide*e imparfaite de la responsa- bilite* gouvernementale, ou bien Ton preferait n'en pas tenir conipte.

Apr£s la nomination de M. Mondelet, le gouverneur s'etait oppose* £ ce qu'on proce*dat a une nouvelle Election, car, disait-il, la Cham- bre avait outrepasse' son pouvoir ; et il avait eu

I. Papiers in^dits de Bddard.

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raison. Du moins, le ininistre des colonies, Lord Stanley, abonda dans son sens. Le comic" de Montreal resta veuf de 1'un de ses repre- sentants jusqu'aux elections gene'rales de 1834. Ce fut Come-Seraphin Cherrier qui remplaca Mondelet.

L'adresse de la Chambre d'assemble'e fut envoye*e en Angleterre et soumise a la consi- de*ration de Sa Majeste*. Bile cut le sort qu'on devait attendre : elle fut jete"e au panier a cote* des autres resolutions de la Chambre exposant griefs sur griefs sans re*sultat.

Lord Stanley repondit que le roi ne donnera jamais son assentiment £ ce qui doit £tre regarde* comme incompatible avec 1'existence meme des institutions monarchiques ; mais il e*tait toujours pret a sanctionner toute mesure capable d'assurer 1'independance du Conseil legislatif et d'en rehausser le caract^re.

C'est alors que Papineau, prenant 1'iniative, resolut de s'entendre avec ses amis, les Cana- diens, pour exposer les griefs de la Province, dont il avait adresse" uii tableau cornplet.

le commtmiqua aux deputes qu'il pouvait considerer comme ses partisans, entre autres a Bedard. Des reunions furent tenues a la resi- dence de ce dernier, rue d'Auteuil, et la on discuta longuement les resolutions que 1'on avait sous les yeux, mises au clair par A.-N. Morin, depute" de Bellechasse. Apres leur avoir fait subir quelques modifications, on finit par decider que ces resolutions, au nombre de quatre-vingt-douze, seraient soumises et pro- pose*es par Be*dard. Ces resolutions furent agre*ees par la Chambre, qui chargea M. Morin d'aller en Angleterre les remettre a M. Viger, agent officiel des Canadiens a L,ondres.

Des elections g^n^rales eurent lieu dans 1'automne de 1834. Bedard fut r^elu dans le comte" de Montmorency. Ici, comme partout ailleurs, les candidats durent se prononcer pour ou centre Peligibilite des conseillers le"gislatifs. Soixante-dix-sept deputes favora- bles au chaugement de la constitution re£urent Papprobation populaire, tandis que onze adver-

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saires seulement furent elus. Le vote doni 480,000 suffrages centre 28,000.

Ce fut tine deroute pour les uns et une victoire signalee pour les autres. La contes- tation occasionna des troubles assez serieux dans divers comic's, surtout & Montreal et £ Sorel.

La Chambre s'ouvrit le 21 feVrier 1835. Depuis quelque temps d6ja, B£dard ne donnait qu'a contre-coeur son appui au parti de Papi- neau. Celui-ci se laissait emporter bien trop loin par sa fougue oratoire. Ses discours respiraient souvent la passion, la ve'he'mence. Lors de la discussion sur 1'adresse en reponse au discours du trone, le tribun s'etant lanc£ dans une diatribe en r£gle centre la couronne anglaise et surtout centre lord Aylmer, B£- dard crut devoir manifester son dissentiment, et il le fit a plusieurs reprises en donnant son vote au parti de 1'opposition, qui de"testait Papineau. La conduite du de'pute' de Mont- morency ne surprit personne, car on savait, -et d6ja depuis plusieurs mois, qu'il avait de'cide'

de roinpre avec le chef des patriotes, et de former un nouveau groupe, le Canadien a sa t£te, afin d'eviter tout conflit. De"ja, au cours de la session de 1'hiver pre'ce'dent, B£dard et plusieurs de ses amis avaient commence" a donner des velleite*s d'ind^pendance a 1'egard de Papineau, et il est notoire qu'au lendemain du vote des 92 Resolutions, les Canadiens francais s'etaient aussi divises sur leur oppor- tunite' 1.

Quoi qu'il en ait €t€ de ces querelles intes- tines, les affaires de la province semblaient aller de mal en pis. L,'arrive'e de lord Gosford jeta une sorte d'accalmie sur cette mer ora- geuse ; il y eut, de la part du nouveau gouver- neur, un grand effort pour apaiser les esprits et les arnener a se soumettre aux decisions de 'autorite anglaise. II donna, le jour de la linte-Catherine, au chateau Saint-Louis, un

I. De notnbreux details sur ces divisions sont exposes is le second volume de cette Galerie Historique, inti- : Les trois Comedies du « Statu quo. »

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grand bal, dont la magnificence 6blouit 1< tout Quebec social et politique. Lord Gosforc cut des attentions particulieTes pour madarm Be'dard ; c'etait sans doute un hommage qu< le noble lord voulait rendre a la nationality canadienne-frangaise, si dignement repre*sentt par la femme d'un de ses membres les plus distingue's et maire de la ville de Quebec Quelques Anglais virent d'un mauvais ceil ces provenances du gouverneur, et ne se rent pas d'en faire tout haut la remarque. bruit commensa de"s lors a courir que Be*darc serait bientdt nomine" & la place du juge Kerr, qui avait e"te" renvoye* d'office quelque temj auparavant.

* * *

A 1'ouverture de la Chambre, en octobrc 1835, Lord Gosford fit un tre"s long discours, promettant des re'formes, dans un langage moddrO et bienveillant envers les deux natk nalit^s. aConsid^rez, dit-il, le bonheur dont

vous pourriez jouir sans vos dissensions. Sortis des deux premieres nations du monde, vous possedez un vaste et beau pays ; vous avez un sol fertile, un climat salubre et 1'un des plus grands fleuves de la terre, qui porte jusqu'd votre ville la plus eloignee les navires de la mer. »

Be*dard prit encore une certaine part aux debats, mais il ne sembla pas y mettre autant d'activite qu'aux sessions prece'dentes. Evi- demment, il y aurait bientot du nouveau sur son compte. Peut £tre y avait-il une nomina- tion en perspective.

Le 22 fevrier 1836, le Canadien annonc,ait enfin la nouvelle que le nouveau titulaire en ^emplacement du juge Kerr serait Bedard. « II est certain, disait ce journal, que le nou- veau juge est ou sera M. Bedard . . . Digne fils en tout du grand patriote de 1810, moteur 4es 92 Resolutions, doue par la nature de :nts distingu^s, et d'une vigueur corporelle

»able de les faire fructifier, et par-dessus 12

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tout, jouissant d'un caractere de probite et de droiture presque proverbiale, joint aux qualite*s du coeur les plus aimables et les plus bienveil- lantes, e'en e*tait plus qu'il n'en fallait pour rendre son e*leVation au bane de la magistra- ture une des nominations les plus agreables au peuple qui aient 6t6 faites depuis longtemps. Nous espeVons qu'elle tendra puissamment a raffermir la confiance publique dans 1'adminis- tration de lord Gosford, et £ faire cesser 1< murmures et les inquietudes que 1'inaction Son Excellence, sous ce rapport, avait pu citer ...»

La nomination de Bedard, rendue publiqm quelques jours plus tard, ne f ut pas du gout dc tout le monde. La Gazette de Quebec I denon9a en disant qu'elle £tait universelh ment desapprouve'e. Le Canadien, de soi cote", 1'approuva hautement, et ce jourm comptait pour beaucoup dans 1'opinion. peuple, dit-il, ne pouvait pas recevoir de not velle plus consolante que cette nominatioi

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L,e souvenir toujours cher du venerable pa- triote de 1810, de celui qui fut la victime du systeme odieux dont nous voulons nous debar- rasser, est un nouveau motif de joie qui con- sole nos cceurs jusqu'ici abreuv^s d'amer- tuines . . . lyord Gosford veut que le fils de celui qui a souffert une si cruelle persecution pour la justice, soit recompense' des services importants et nombreux et du deVouement heroique de son illustre p£re ; tout le pays applaudit a cette action le*gitime.

« Quelques reproches ont e"te* faits a M. Bedard au sujet de ses apprehensions, de ses hesitations dans certaines questions importan- tes, de sa confiance trop aveugle dans 1'admi- nistration actuelle ; neanmoins nous rendrons justice a ses sentiments, en le reconnaissant pour un patriote sincere et devoue a la cause sacree de son pays, il en a fait preuve en

dntes occasions et nous ne pouvons que le

lercier des bons offices qu'il a rendus a sa itrie et le prier de les continuer, quoique

me autre maniere. »

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Cette disparition de la scene politique de celui que 1'on conside"rait comme le chef du parti canadien de Quebec, devait, d'apr£s les calculs ordinaires, nuire a ce parti meme. L'intention de lord Gosford en faisant cette nomination pouvait etre excellente, mais le gros public s'imagina, peut-£tre avec raison, qu'en agissant de la sorte, le nouveau gouver- neur voulait de*truire une opposition g£nante et dangereuse pour son gouvernement. Mais comme il n'y a pas d'hommes ne*cessaires, Be'dard rev£tit 1'hermine et d'autres prirent sa place sans que cela parut trop embarrasser les affaires du parti populaire. Papineau etait alors dans toute sa gloire ; on eut en vaii essaye" de le f aire descendre du pie*destal ou ses talents brillants 1'avaient place*. La nomina- tion des trois commissaires anglais charge's de re*gler les questions en litige avait exaspe're' cet homme aux ide*es chevaleresques, et dans son emportement, il ne connut bientot plus de bornes. II voulut de 1'agitation, puisque les autres moyens ne lui avaient point jusque

la" reussi. On sait ce qui s'ensuivit : les trou- bles dans la region de Montreal et leur r£pres- sion a main arme'e, au grand detriment de nos campagnes, d'ordinaire si paisibles ; puis 1' union des deux Canadas, union si redoute'e des notres et que les autorite's anglaises avaient tenue suspendue sur leur tete depuis vingt ans.

Bedard avait eu 1'occasion de donner son opinion sur cet acte d'union des provinces. Nous avons sous les yeux une piece inedite

;qui nous fera connaitre ce qu'il en pensait. C'est, a notre avis, tin document qui nous

"donnera une meilleure ide"e de cet homine interessant :

« II semble, dit-il, qu'avant de parler d'unir les deux provinces, il se pre'sente une question preliminaire a decider. Le gouvernement veut-il mettre de cote, tout d'un coup, les lois, coutumes et usages de la population cana- dienne-franc.aise, sa langue et eVentuellement sa religion ?

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« L'union une fois de'cre'tee, cette population qui a 1'immense majorite* de trois contre un, tomberait tout a coup dans une minorite de quatre contre six.

« Dans ce cas, I'inte're't de la majorite* devant naturellement pre*dominer, il est Evident que la legislation devant £tre une, les intents de la minorit^ devront c^der ; 1'exe'cution des capitulations, traite*s, actes du parlement impe*- rial, deviendra extr£mement difficile, sinon impossible ; il est facile, quoiqu'il ne soit pas tou jours prudent, de changer un acte du parle- ment, mais les capitulations et trait£s, les droits stipule's au profit d'un tiers ne peuvent gue"re se changer ainsi. Cette reunion force*e et pre'cipite'e pourrait joindre les territoires sans re*unir vraiment les habitants.

« On m'objectera peut-etre que je m'oppose a ce que le Bas-Canada devienne une colonie vraiment anglaise. Non, ce n'est pas le cas, mais je voudrais qu'elle le devint naturellement et sans effort, par le laps du temps, par 1'aug- mentation de la population, bref par 1'imrni-

gration de la Grande- Bretagne. Ce procdde est plus lent, mais plus sur ; cela ne paraitra pas le fait de Pautorite*, mais le fruit du cours ordinaire des choses, auquel personne ne peut raisonnablement s'opposer.

« Outre la justice de la chose, il est encore politiquement utile que les usages, les mceurs, la langue du pays soient conserves dans ce Canada. C'est la meilleure barriere centre les Etats-Unis dont les citoyens ne s'etablissent pas en aussi grand nombre ici qu'ils le font dans le Haut-Canada. Le principal danger du Haut-Canada, dans la dernie're crise, est venu de la part des sujets ame'ricains domicilie's depuis longteraps dans cette province. Us y conservaient Paffection de leur pays natal et le d£sir de le voir s'agrandir aux depens de la rrande-Bretagne.

« Les Canadiens n'aiment pas les Ameri- cains, avec lesquels ils n'ont rien de commun, ni lois, ni usages, ni moeurs, ni religion. II est utile de conserver cette barriere.

« Quant a 1'union de toutes les colonies de

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1'Amerique sous un gouvernement g£n£ral quoique avec des legislatures se"parees, je ne puis ine convairicre de 1'utilite de ce plan, soit pour la metropole, soit pour les colonies. Ce que j'y vois de plus clair, c'est que ce serait le moyen d'avancer leur separation de 1'Angle- terre, en leur donnant 1'air d'un Etat complet, compose de plusieurs provinces, au lieu de se conside"rer chacune comme un membre isole" de la grande famille britannique 1. »

En de*pit de toutes les petitions qui furent envoye"es a Londres contre un e*tat de choses que 1'on redoutait coinme contraire a la con- servation de la langue, des lois, et de la religion des notres, la couronne britannique resta in- flexible, et 1'union fut consomm^e. Mais elle n'eut pas tous les inconvenients prevus, et jarnais notre nationalite ne s'est rnontree aussi vivace et aussi ferme dans 1'action que durant cette periode de 1840 a 1867. On ne vit £l

i. Papiers in^dits de B6dard.

aucune epoque de notre histoire une semblable e"closion d'hommes £minents, dans la politique surtout, mais aussi dans la magistrature, dans |e clerge et au barreau : Lafontaine, Morin, Cartier, VallieTes de Saint-Real, Be*dard, Gar- neau, Ferland, les abbes Demers, Holmes, .-J. Casault, et tant d'autres dont 1'enumera- tion n'en finirait plus.

Lorsque Bedard fut nomme juge, on ne se gena pas de dire qu'il eut mieux fait, dans I'inte'ret de son parti, de refuser une charge qui allait priver ses compatriotes des lumi£res |t de la direction d'un chef aime, inspirant la confiance. L,e fait est qu'il eut e*te peut-etre preferable de faire face, comme ses amis, a la crise qui se preparait depuis plusieurs annees, quitte ^ en subir toutes les consequences. Lafontaine et Morin sont restes fermes & leur poste, et certes leur reputation n'en a pas souffert. Eux aussi se retirement de la politi- que pour rev£tir 1'hermine, mais ils arriverent £ cette determination, lorsqu'ils eurent com- pris que leur role £tait termini et qu'ils pou-

vaient ceder leur place sans comproinettre 1'avenir de la nationality canadienne-francaise. Tous deux n'auraient pas faibli s'il y cut eu pe*ril en la demeure.

Cependant Be*dard, juge, se montra ferme et inflexible dans des circonstances les plus graves, entre autres, lorsqu'en 1838, il eut £ se prononcer sur la question de V habeas corpus. Des rebelles avaient £t€ emprisonne's un peu partout. A Quebec, un nomine" Teed s'e"tait adress£ £ la Cour par son avocat, M. Ayhvin, pour obtenir 1'^mission d'un writ fthabet corpus, bien que lord Colborne eut fait de'cre'tei par le Conseil special que 1'Acte de Charles I] n'avait pas force de loi en Canada.

Les juges Panet et Be"dard durent se pro- noncer seuls, en Pabsence du juge en chef et du juge Bowen, retenu chez lui par la maladie. Us furent tous deux du meme avis, et ils accord£rent le inandat demande*.

Le raisonnement du juge Be*dard sembh inattaquable. Son entree en matiere merite d'etre reproduite :

« J'ai serieusement pense, dit-il, aux conse*- uences que des individus, plus ardents que re'fle'chis, peuvent d^duire d'une difference d'opinion entre Pautorite* legislative apparente locale et 1'autorite judiciaire ; je sens combien il serait avantageux que 1'une et 1'autre mar- chassent de pair. Je dirai plus : si, comme individu, j'etais appele", dans un moment de trouble, a" faire pour la paix et le bonheur de mon pays le sacrifice personnel de mes droits

; particuliers, je pourrais le faire ; mais charge comme juge de preserver intactes les lois de

1 1'Etat, comme aussi de conserver au plus humble des individus dans la societe tous les droits que la loi lui accorde ; tenu a ces devoirs sous la sanction d'un serment dont j'ai a" rendre compte £ un tribunal bien supe'rieur & aucun tribunal humain ; persuade*, comme je le suis, que la surete" de 1'Etat depend de 1'adminis- tration de la loi de 1'Etat, et que la force morale de 1'Etat est en raison de la certitude que doit avoir chacun de rencontrer la protec- tion comme 1'animadversion de la part de la

loi, suivant qu'il a droit £ 1'une ou a 1'autre ; je ne puis hesiter a donner mon opinion dans la question actuelle. Si j'avais le moindre doute, je declare que je ferais peser ce dout en faveur de 1'autorite" legislative ; mais n'( ayant aucun, je ne voudrais pas que mon goi vernement eut £ rougir dans la personne de 1'un de ses juges. »

Puis, traitant la question au mbrite, le ju| Bddard se demande quel serait 1'effet de suspension de V habeas corpus dans un comme celui de Teed, soupgonne* de haul trahison. En vertu seul de 1'axiome que pei sonne ne peut £tre emprisonne" sans caus legale, V habeas corpus devrait £tre accorde at prisonnier puisqu'il offrait un cautionnement La regie de la loi est quelque chose de pit sur que 1'accusation du premier venu dont cerveau peut etre de'range', et qui peut s'irm giner que tel ou tel a trahi son pays, qtiand, ei r^alite", il n'a rien trahi.

L'Ordonnance suspendant Pacte fthabeai

corpus est-elle legale? De'truit-elle le droit flu'a chaque sujet anglais, en vertu de 1'Acte Imperial de 1774, d'avoir un bref & habeas corpus ? L'Ordonnance n'a pas tel effet, parce qu'elle ne pretend pas d£roger nornmement a 1'Acte Imperial de 1774, et qu'elle ne le pour- rait pas, quand bien m£me elle en aurait la prevention. La legislature locale, subordonne*e au parlement imperial qui 1'a cre"e"e, ne peut enfreindre aucune des dispositions de 1'Acte [ten vertu duquel elle existe. Ses attributions, ses pouvoirs, dependent enticement des dis- > positions de 1'Acte Imperial, i, Viet., chap. 9, | acte dont chaque paragraphe, chaque ligne, ij chaque mot est autorite" souveraine pour le i> Conseil special comme pour les cours de justice. , La troisi£me clause de cet Acte se lit ainsi : « Et il ne sera pas loisible a tel Gouverneur en conseil de rappeler, suspendre ou changer \\aucune disposition d'aucun acte du Parlement Imperial, ou aucune disposition d'aucun acte de la Legislature du Bas-Canada qui rappelle ou change aucun acte des dits parlements de

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la Grande-Bretagne ou du Parlement du Re yaume-Uni. »

Une des dispositions de la loi impe*riale de 1774, (14, George III, chap. 83), est d'etablii comme lois du pays les lois criminelles anglai- ses; or, le statut 41, Charles II, chap. 2, fait partie du code criminel anglais ; la 56° George III, chap. 106, a enleve" tout doute & ce sujet. Done, la Legislature n'a pu y toucher, et POrdonnance n'avait pas non plus ce pouvoir.

Le savant juge passe ensuite en revue, pour les de"molir, les diverses objections soulev^ par le solliciteur ge'ne'ral Stuart, puis il ter- mine en disant : « I/e privilege de Vhabec corpus est trop sacre, il a coute" trop de sang PAngleterre, pour qu'un sujet britannique veuille blamer un juge anglais de n'avoir voulu trahir sa conscience pour le lui faire perdre. »

En somme, le jugement du juge Bedard porte a sa face Pempreinte d'un travail con- sciencieux, allie* a une science juridique pro- fonde. On pouvait diffe'rer d'opinion avec lui,

is la sienne etait eminemment respectable.

Du reste, elle fut bientot confirmee par un jugement du juge Valli£res de Saint-Real, appe- le", lui aussi, a accorder un bref & habeas corpus dans un cas £ peu pr£s analogue & celui de Teed. Or, 1'on sait que le juge Vallie"res e"tait, a cette epoque, la gloire du bane judiciaire, comme il avait 6t6 1'ornement du barreau. Ce fut deux semaines apr£s avoir connu la decision des juges Panet et Be*dard, qu'il fut appele" a porter la sienne. Le savant juge cut done tout le temps suffisant pour mettre a l'e*tude tine question aussi importante qu'epineuse. Aussi son jugement est-il un veritable chef- d'oeuvre par la lucidite", 1'expose* des faits et la logique impitoyable de 1'argumentation. En lisant ce morceau e"crit sans prevention, on voit que Vallieres connaissait a fond son sujet. Sa decision fut accueillie avec joie par les Cana- diens et par leur orgaue, qui, quatre jours plus tard, e*crivait ces lignes memorables, annongant la nouvelle de la suspension des juges Panet jet Be*dard, en me'me temps qu'il publiait in

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extenso le motive* du jugement de Vallie"res:

« Les honorables juges Panet et B£dard ont re9U ce matin (10 de*cembre) notification de leur suspension pour la conduite noble et inde*pendante qu'ils ont tenue dans 1'affaire de Vhabeas corpus. Nous les felicitous de ce coup du pouvoir militaire, qui ajoute le der- nier fleuron a leur couronne civique. I^e nom ' canadien se trouve illustre par eux pour un acte de courage le plus difficile et a la fois le plus rare. On ne peut compter ceux qui ont montre* le courage du soldat, mais 1'histoire a pu conserver la me'moire des magistrats fermes et integres, que le pouvoir arbitraire n'a pi £branler dans leurs devoirs. Cette affaire manquera pas d'etre porte'e, sans doute, devai les autorite's de la me"tropole, ou Pon sait appi cier et respecter I'inde'pendance des juges. »

Trois autres juges, Stuart, Bowen et Rollanc furent appele"s, un peu plus tard, £ prononcc un jugement sur la m£me question. Tot

rois opinerent centre 1'existence du droit de ^habeas corpus, mais deux settlement Bowen Rolland furent d'avis que 1' Acte Imperial le la 3ie Charles II, n'avait jamais fait partie lois criniinelles du pays. Le juge Stuart fclara que cet acte e*tait en force ici, mais que pouvoir du Conseil special s'e"tendait jusqu'zt ispendre ou revoquer cet acte. En faisant *tte declaration, le juge Stuart se mettait en >position avec le Conseil special aussi bien I'avec ses deux colle'gues. Ce conflit d'opi- lions contrastait singulierement avec 1'unani- lite* et la clarte qui caracte*risaient la decision trois juges canadiens fransais.

*

* *

La cause fut porte'e en Angleterre. Bedard

irtit de New- York, le 26 de'cembre, pour

fendre son opinion devant les autorites impe'-

iles de Londres. Nous voyons qu'£ la date

28 avril 1839, il eut une longue entrevue

c lord Normanby, au Bureau Colonial.

Le 5 aoiit, le Canadian Colonist publiait un

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long article sur la suspension de nos juges. Nous en de"tachons les points les plus saillants :

« La revocation re*cente du proviso de sir Wil- liam Follett, dans le bill de coercition, et le discours de lord John Russell en cette occasion, ne laissent aucun doute sur la ve'rite' du rap- port que les juges suspendus ont e"te* re'habilite's. Les objections amene'es centre la decision des juges ont 6t6 renverse'es les unes apr£s les autres. Le savant juge en chef de la province fit d'abord disparaitre les doutes supposes 1'egard de V habeas corpus anglais de la 31° Charles II, et confirma ainsi les decisions de son ve'ne'rable pre'de'cesseur le juge en chef Sewell, et comme consequence ne"cessaire, tout ce qui, dans le jugement des juges canadiens, reposait sur ce principe que cet Acte e*tait loi en Canada. Le Conseil special fut aussi forc< de reVoquer ce monument d'ignorance par lequel il declare en opposition au fait cornme en de*pit de la loi, que la 31° Charles II n'avait jamais €t€ en force ici. M. le juge Rolland

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maintint qu'il e"tait du devoir des juges de s'assurer s'il y avait conflit entre la legislation impe*riale et la coloniale, et de donner force a la premiere a 1'exclusion de 1'autre.

« Ce principe, qui est trop e"tabli en droit pour €tre ^branle", f ut ne*anmoins 1'objet d'ignorantes attaques, dans la colonie, de la part d'hommes qui s'appellent le parti britannique et qui ne voyaient pas que la supre*matie de la m£re patrie reque*rait absolument que les lois impe- riales fussent souveraines, et qui glos£rent sur la nullification d'une loi provinciale comme e"tant un acte de trahison, tandis qu'ils nulli- fiaient virtuellement la loi de 1'Empire.

« Nous avons maintenant 1'autorite* du par- lement en confirmation de 1'attestation publi- que de sir William Follett, que son proviso e"tait expresse"ment destine a empe'cher le Con- seil special de toucher £ V habeas corpus / . . .

« I^a suspension des juges a porte* ie coup le

plus fatal qui ait jamais e*te" dirige" centre

1'administration de la justice. Bile a proclame0

)ubliquement que dans les contestations avec

la Couronne, on s'attend a ce que les juges mettent la justice de cdte", et que, comme dans 1'ancien temps des Stuart, le gouvernement s'abouche avec les juges, avant qu'ils de"cident. Quel juge peut e"tre impartial maintenant, lorsqu'il n'a plus a attendre la correction de ses erreurs d'une cour de justice, mais qu'il a a faire cadrer ses decisions avec les inte'rets et les vues de l'exe"cutif, et que I'e'pe'e d'Etat est suspendue sur sa te"te, tandis que le glaive de la justice repose entre ses mains.

« Les juges ont etc" maintenant reliabilites, et on a fait rescinder sa propre ordonnance au Conseil special, mais a-t-il £t€ fait justice? Nous repondrons : non ! II y a eu des de"lin- quants, mais on ne leur a ni fait leur proems, ni inflige" de punition, et la justice demande maintenant qu'ils soient punis . . .

« Lorsqu'il a e"te commis publiquement un outrage centre I'administration de la justice et I'mdependance judiciaire, et que le Bane a €ii livre au mepris et a 1'opprobre, il est difficile de trouver un remade ; mais quelle que soit la

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difficulte, quel que soit le sacrifice, il est injuste pour MM. Vallieres, Panet et Be*dard, injuste envers tout le corps judiciaire du pays et envers le peuple de cette province, s'il faut que les juges reprennent silencieusement leurs places, et que les audacieux de*linquants qui insult£- rent la justice sur son siege, et leurs conseillers criminels et leurs complices, e*chappent impu- nis. »

Get article d'un journal anglais n'etait pas sans signification. Malheuseusement, il n'avait pas 1'importance de la Gazette et du Mercury, qui n'abondaient pas dans le sens des juges frangais. De fondation toute re*cente encore, le Canadian Colonist ne pouvait jouir d'une autorite* bien grande parmi le public anglais ; sa note re^ut 1'approbation de plusieurs citoyens importants. Toutefois, la conduite de nos trois juges canadiens ne re$ut pas en Angleterre la sanction des autorite"s impe'riales, malgr£ le travail auquel se livra Bedard durant le long se"jour qu'il fit la-bas. Une correspondance

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volumineuse eut lieu entre lui et le secretaire des colonies, mais on ne sut jamais le resultat de ses demarches. Quoi qu'il en fut, si les officiers en loi de la Couronne prononc£rent un verdict, celui-ci resta inconnu. Mais il est a presumer que lord Sydenham rec.ut des instruc- tions secretes portant la re'inte'gration des trois juges. Elle eut lieu, en effet, alors que le suc- cesseur de lord Durham jugea le moment opportun. Vallieres retourna & Trois-Ri- vieres, Panet et Bddard rest£rent a Quebec pour y singer comme auparavant. Us reprirent leur besogne avec une ardeur toute nouvelle. Le juge Be*dard sie*gea & Quebec jusqu'au mois d'avril 1848, date de son transfert a Montreal. Son arrive*e dans la me"tropole commerciale souleva une question de pre'se'ance qui fut longuement de*battue et dont on trouve tous les details dans les journaux de la Chambre d'assernble'e.

II y avait alors sur le bane, a Montreal, le juge Day, dont la commission, date"e du 21 juin 1842, se trouvait posterieure de plus de

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six ans & celle du juge Bedard, qui avait ete* nomme le 22 fe"vrier 1838. Celui-ci aurait voulu avoir la pre'se'ance sur son collegue.

« La regie e"tablie, dit sir L.-H. Lafontaine dans un me*moire adresse" a lord Elgin, est que lorsqu'un juge r£signe son si£ge dans une cour et qu'il est ensuite nomine" & une autre, son rang dans ,cette derni£re cour n'est pas re"gle* par la date de la commission qui 1'y nomine, mais par celle de sa commission, lors de sa nomination a la premiere cour ; et parmi les juges de la cour 4 laquelle il a €t€ transfer^, il prend son si£ge en consequence, qu'il ait transfer^ d'une cour infe"rieure a une cour superieure, ou vice versa.

Sir H. Lafontaine cite ^ 1'appui de son opinion trois pre'ce'dents anglais : i ° celui de [sir Joseph Yates, en 1763; celui de sir Francis Buller, en 1778; celui de sir John Vaughan, en 1834. D'ou il infere qu'en An- gleterre le droit de preseance est re"gle\ quand

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un juge est trausfere d'une cour a une autre, non pas par la date de sa derni£re commission, mais par la date de sa premiere, inde'pendam- ment de la supe"riorite par le rang d'une cour sur une autre.

Les juges du Bane de la Reine ont souveut eu occasion d'aller singer dans des districts judiciaires Strangers, soit a Quebec, soit Montreal. Dans chaque cas, ils ont pris rang et pre'se'ance suivant 1'anciennete que leui donnait la date de leur nomination dans leur district respectif.

En 1846, le juge D. Mondelet, de Trois Rivieres, fut requis de singer a Montreal. II prit preseance sur le juge Day lui-meine, ei vertu de son droit d'anciennete.

Dans le cas de Bedard, le juge Day pre"ten- dait que, vu son droit a tous les privileges, incidents et emoluments de sa charge, il avait, par la resignation du juge Gale, acquis le droit legal de singer coinme plus ancien ou premier juge puine", droit que, d'apres lui, la Couronne

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ne pouvait lui 6ter. II tirait cette conclusion l£gale des dispositions du statut Canadian, qui avait decid^ que les juges tiendraient leurs commissions sous bon plaisir.

La reponse £ cette prevention est facile. La commission du juge Day ne lui accordait aucune preseance ; il avait e*te* tout simplement nomme juge puine". II avait jusque-la rempli sa charge avec tous ses privileges et emolu- ments ; il n'en est nullement prive par les let- tres patentes accorde"es au juge Bedard. Nul patronage n'etant attache & cette charge, le juge Day ne se trouvait pas expose* & perdre aucun incident ni Emoluments par la preseance de ?son collegue.

Le ier juillet, le juge Bedard demanda un conge d'absence, et le m£me jour, le juge en chef Holland, et les juges Day et Smith de*ci- derent que le juge Day devait avoir la pre"- se*ance sur le juge Be*dard, £ 1'encontre de la decision de lord Elgin, qui avait confere" au juge Be*dard le rang auquel il avait droit par la date de sa commission.

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Le juge Day en appela en Angle terre. dard adressa, de son c6te", une supplique a It Reine, dans laquelle il faisait valoir ses titres 4 la prese*auce. La question est de savoir, disait-il, lequel des juges doit prendre rang el preseance comme le plus ancien. La reponse est claire : celui que la loi recounait comrm tel, soit par son operation meme, soit par 1'exercice de I'autorite* le*gale qui reside dans la Couroune. L'une ou 1'autre de ces deu: propositions e*tant prouve*e, le droit du juge Be"dard est e*tabli. II est e"tabli par la loi an- glaise et par 1'ancienne loi fran9aise, que li Couroune a le pouvoir de fixer le rang parmi les juges. Le souverain a le droit de noinrnei qui il veut pour son substitut, et de donner a ce substitut le rang qu'il juge couvenable, excepte lorsque la prerogative a ete restreiute a cet e"gard d'une maniere particuliere.

S'il en e*tait autrement, le souverain ne serait plus conside're' comme la source et la fontaim de toute justice et de tout honneur. II ne serait plus le chef de toutes les cours, et il

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.erait prive" de tout pouvoir dans son doniaine pecial.

Maintenant, le juge Bedard aurait-il eu lega- ement droit a la pr£se"ance, en vertu de sa Dremi£re commission de 1836, meme si sa jre"seance n'eut pas €t€ maintenue dans ses ettres patentes de 1848? Le savant juge rap- >orte sous serment dans ses « Raisons » expo- e"es devant le juge en chef Rolland, dix cas & il y cut tant6t translation d'une cour infe- ieure £ une cour superieure et vice versa, et :haque fois la pre'se'ance fut accordee au juge e plus ancien. Peu importe si ces juges pri- •ent leur rang en vertu d'une clause inse"re*e a :et jeffet dans leurs lettres patentes ou autre- nent. S'ils 1'ont fait en vertu de telle clause, ilors le droit le*gal de la Couronne est reconnu, inon, ils n'ont pu prendre pre*seance qu'en /ertu de la loi commune e"tablie dans Comyn Digest 1, qui dit: «Si un juge est transfdr6

i. v. iv, P. 559-

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d'un bane £ un autre, il aura la pre*seance suivant son anciennete. »

La question est de savoir si, en Canada, le rang ou la preseance dans une cour a toujours £te" re*gle par la date de la premiere commis- sion.

Deux cas rapporte"s dans le Revue de Juris- prudence \ et discute"s devant la Cour du Bane du Roi & Quebec, les juges de Quebec e"tant e*galement divise*s, e"tablissent que le juge Rol- land fut, par une commission speciale dans laquelle l'anciennet£ et la pre'se'ance avaient e*te omises, nomine* juge ad hoc, et qu'il vint Quebec et qu'il prit rang et pre'se'ance imme'- diatement apr£s le juge Bowen, le plus ancie par sa commission, et avant les juges Panet e B6dard.

Le juge Gale, de Montreal, dans une circo stance semblable, prit son siege £ Quebe avant le juge Be"dard, dans 1'affaire des Ur lines vs Botherell.

i Vol. I., p. 122.

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L,a m£me chose cut lieu dans 1 'affaire Cuth- oert et Tellier, en juillet 1846, alors que le luge Mondelet, de Trois-Rivie"res, sie*geant & Montreal, prit pre*s£ance sur le juge Day.

Si le principe invoque* par le juge Day xmtre le juge Be*dard cut ete* reconnu, les luges Rolland et Gale, £ Quebec, et le juge Mondelet, £ Montreal, eussent pris rang imme*- iiatement apres le dernier des juges puine*s, et raivant la date de leurs commissions sp£ciales respectives. Aucun d'eux n'avait jamais eu de juridiction en dehors de leurs districts.

Lord Grey, dans sa de"peche du 4 juillet & ord Elgin, donnait raison au gouverneur i'avoir confe"re au juge Be"dard le rang auquel 1 avait droit par la date de sa commission, it Si, disait-il, un juge qui est transfere d'un >anc dans une division de la province a la meme cour dans une autre division, devait perdre son rang et prendre une position subordonne*e 4 celle des autres juges inferieurs a lui sous le rapport du rang, cette regie aurait 1'effet serieux d'einpecher le gouvernement de pouvoir faire

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des change tnents semblables que. sous certain* circonstances, il est tr£s avantageux de pouvoi faire ; et la coutume suivie en Angleterre absolument conforme a cette mani£re d'etn sager la question. On a souvent trouve" prc pos, pendant ces derni£res anne"es, ainsi qu' des e*poques recule"es, de transfe*rer dans in autre cour les juges de la cour supe*rieure de Westminster. Toutes les fois que ceci a 6t€ fait, Sa Majeste" a confe're' au juge ainsi trans- fere « les meme place, pre"se*ance, doyennet^ anciennetd » qu'il avait en vertu de sa premier commission. Au lieu de venir apr£s ceux qt moins anciens que lui, £taient d6j^ sur le fo il ^tait place" au meme rang qu'il aurait eu s'i y cut sie"ge depuis sa premiere nomination, conse"quemment au-dessus des autres juges qui e"taient moins anciens que lui, etc., etc. »

* * *

Cette malheureuse divergence d'opinioi entre le juge Be*dard et ses collogues de Mont

real dura un an. Dans 1'intervalle, Bedard, fort de son droit, ne voulut jamais consentir a\ prendre place sur le bane, afin de ne pas blesser le juge Day, et aussi pour ne pas leser les interests du public. Un quart d'heure avant sa mort, sir H. Lafontaine vint lui annoncer la decision en sa faveur des autorites judi- ciaires d'Angleterre. Le moribond, incapable fle proferer une seule parole, fit un signe ndgatif, en montrant le ciel avec la main, comme s'il eut voulu dire : « II est trop tard, ge n'appartiens plus au monde, et je vais com- paraitre dans un instant devant le supreme tribunal du juge des juges. »

e juge Bedard mourut a Montreal, a sa residence de la rue Craig, le n aout 1849, ^ peine age de 50 ans. La force de son tempe'- rament et les heureuses dispositions de son caractere, semblaient lui promettre une plus longue carrie're. Le chole'ra qui, en 1849, ^ de nombreuses victimes, fut la cause de cette mort pre*maturee.

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Le coup fut terrible pour sa fanrille et pour ses nombreux amis. La presse lui rendit de magnifiques tributs d'eloges que nous nous faisons un devoir de reproduire :

« La socie'te canadienne, ecrivait la Minerve, perd en lui un de ses membres les plus honorables et les plus considers, la magistra-1 ture un de ses ornements, 1'Etat un fonction- naire inte'gre et e'claire', un cercle nombreux d'amis, un homme dont les qualite"s aimabl* repandaient le charme et le bonheur sur toi ce qui 1'approchait.

« Digne fils du grand patriote Pierre Bedarc il s'enr61a de bonne heure au service de h patrie dont il d£fendit avec deVouement It cause, jusqu'au moment ou la distinction qu'i avait de'ja acquise sur la sce"ne politique, 1< d&signa, quoique jeune encore, pour le ban< judiciaire, a lord Gosford, comine une d€ nominations qui pouvaient sans doute le ph tendre a se concilier la confiance du peuple canadien . .

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« Bientot apr£s, M. Be*dard cut occasion de faire eclater son courage et son inte'grite' com me juge. Tout le monde a encore pre"sente a la me'moire la noble inde*pendance avec laquelle il maintint sur le bane 1'existence de Vhabeas corpus, dans un temps ou cet acte de vertu civique devait mettre en danger la haute position qu'il occupait. II ne faut pas oublier, non plus, qu'ayant £ lutter en cette occasion centre plusieurs de ses confreres, dont 1'un e*tait le juge en chef Stuart, son argumenta- tion put se montrer sans palir £ cdte" de la leur.

« En effet, il y fit preuve d'un talent et de recherches qui lui donn£rent d£s lors un rang e*leve dans notre magistrature, rang qu'il a maintenu depuis par ses talents, 1'assiduite" de son travail et de ses recherches, et la lucidite" de ses opinions.

I « Re'inte'gre avec honneur apr£s les troubles, il remonta sur le bane avec une reputation de capacitd et d'inte'grite' de*sormais & 1'abri meme du soupcon. Devant lui s'e"tait rouverte une

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carriere, aussi honorable pour lui qu'utile k son pays, carriere dans laquelle une mort pr£- mature'e vient de 1'arreter, e*tant a peine au milieu de sa course.

« Si, un jour, la poste'rite' veut connaitre la vie de ceux qui, dans notre Canada, ont par leur parole, leur plume, leur exemple et leurs vertus publiques, contribue* notablement a 1'^tablissement de la liberte politique en ge'ne'- ral et £ la conservation de nos intdrets nati( naux en particulier, Elze*ar Bedard ne devra pas etre et ne sera pas oublie".

« De'sinte'resse', bienfaisant, ayant toujoui exerce" une hospitalite des plus g^nereuses, il laisse, dit-on, peu de fortune apr£s lui, si ce n'est un nom honor^ et des souvenirs affectueu^ qui ne s'efiFaceront jamais des coeurs de ceux qui ont eu 1'avantage de son intimite. Ceux qui le connaissaient moins, et me"me ceux que les distinctions de politique ou d'origine por- taient a des prejuges centre lui, le respectaient '[ et 1'aimaient invariablement aux premiei rapports qu'ils avaient avec lui, soit en sa ca-

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pacite judiciaire, soit dans la vie prive*e...»

Les Melanges Religieux, de Montreal, di- saient :

« Ce fut, samedi, vers huit heures du soir, que la patrie perdit en M. Be*dard un de ses meil- leurs et de ses plus utiles citoyens. II avait re£u avec une grande pie*te les derniers sacre- menes de 1'Eglise. Jusqu'au dernier moment, il a parfaitement conserve" sa connaissance ».

Le Journal de Quebec, du 14 aout, s'expri- mait ainsi :

« Si cette mort est pe*nible pour la famille et les amis de ce citoyen distingue, elle Pest aussi pour le public qui coinprend le prix de la jus- tice int£gre et inde*pendante. Le pays se rap- pelle avec reconnaissance les sacrifices que firent en 1838 ies juges Vallieres de Saint-Real, Panet et Bedard, pour sauver ses libertes poli- tiques menac^es de faire naufrage sous les coups

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de la tempete ; il se rappelle la noble position que prirent ces trois hommes integres qui, tandis que d'autres juges comme eux flechis- saient le genou, la voix et la conscience, se placerent en face de la tyrannic pour lui dire : « Voici la loi, advienne que pourra. » L,a tyran- nic frappa, mais la lutte f ut noble, glorieuse ; le souvenir ne s'en perdra pas, car on n'oublie pas les actes ge*ne"reux, et d'ailleurs ce deVoue- ment £ la loi et aux liberte*s du citoyen, ils 1'exercerent dans la tempete. Deux de ces juges sont descendus dans la tombe, 1'autre reste pour les regretter. »

L,e Pilot, journal anglais de Montreal, paie un juste tribut d'eloges au juge Be"dard au sujet de sa conduite dans 1'affaire de la pre- s£ance :

« Nous ne pouvons nous empecher de signa- ler la noble conduite de Be"dard, quand il fut requis par le gouvernement de prendre son siege durant la dernie're session criminelle de

ce district. On remarquera qu'en cette occa- sion, il mit de c6te" le droit que ltd donnaient et la loi et 1'opinion bien connue du Conseil prive" qui seulement n'avait pas e*te annonce'e officiellement, et laissa la pre"seance au juge Day plutot que de faire souffrir le public. On ne savait pas s'il consentirait a se de"sister pour un temps de son droit. Sa re*ponse indique le caractere de 1'homme : « II y a honneur par- tout ou il y a devoir. »

Voici enfin 1'opinion d'un autre journal iglais sur la vie du juge Be*dard. Le Herald, le Montreal, ecrivait a la date du 16 aout :

e juge Bedard e*tait dou6 de qualites tr£s imarquables, lesquelles prirent plus d'exten- sion grace a son Education et par des Etudes sui- vies, plus fortes qu'on aurait pu croire, si on le juge par ses mani£res et sa conversation, gaies au point d'etre souvent volages. II s'^tait adonne, dans sa jeunesse, a des exercices de sport, et il conserva jusqu'a la fin ses habitudes d'enjoue-

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ment, qu'il etait aussi bieu dispose & mettre en jeu qu'^ partager avec d'autres, ses disposi- tions e"tant tout amicales, ses gouts gentilhom- mesques ; bref, il fut un joyeux compagnon, agre'able et hospitaller.

« Au Barreau, £ la Chatnbre et sur le Bane, on peut dire qu'il fut plutdt distingue" par la clarte et 1'alacrite" de son esprit que par ses faculty's d'application, ses habitudes d'affaires et ses qualite's de rhetoricien. II lisait beau- coup et e"tudiait avec plaisir les differentes questions le"gales qui attiraient son attention, mais il semblait n'avoir aucun gout pour le travail lui-meme, et bien qu'il e*crivait avec e'le'gance, en anglais aussi bien qu'en fran£ais, il avait un le"ger d^faut de langage, consistant dans un ze'zaiement pr^cipit^, qui le rendait presque inintelligible lorsqu'il £tait sous le coup de 1'excitation, de sorte que ses discours en public ne lui rendaient pas complete justice. II fut un des grands favoris du Barreau £ rai- son de sa douceur et de ses mani£res de gentil- homme comme juge.

[2I5]

« Le juge Bedard avait accompli ses cin- quante ans quelques jours seulenient avant de mourir. . . Un fait aussi honorable pour lui que pour son savant collogue 1'honorable juge Day : tous deux conserveTent de 1'estirne 1'un pour 1'autre et continuerent leurs relations jusqu'si la fin, malgre la divergence d'opinion sur la question de preseance ...»

Les funerailles du juge Bedard eurent lieu ins l'e"glise paroissiale de Montreal, en pre- ice d'un concours noinbreux des priucipaux :itoyens. Lord Bruce, fr£re du gouverneur y£neral Elgin, y assistait. Le poele etait jrte* par MM. Etienne-Pascal Tache, F.-A. )uesnel, le juge Day, J.-H. Price, A.-N. Morin et le solliciteur ge'ne'ral Drurnmond. Apres in service tr^s solennel, le corps du distingue lefunt fut depose dans les voutes de Notre- )ame.

Le Barreau de Montreal se reunit le 15 aout, »t adopta des resolutions retnplies des plus mx sentiments a 1'dgard du juge disparu.

[ 216]

L'on remarqua parmi les avocats presents : MM. W.-C. Meredith, C.-S. Cherrier, S.-C. Monk, A.-A. Dorion, C. Drolet, T.-J.-J. Loranger, G.- E. Cartier, J. Rose, S. Bethune.

L,e Barreau de Quebec ne voulut pas rester Stranger a ce mouvement sympathique, et dans le me1 me temps, il adoptait une resolution vantant 1'affabilite, les talents, 1'inte'grite' et 1'independance du juge Be*dard. Nous trou- vons a cette assembled : MM. J. Duval, I,. Fiset, J. Chabot, Iv.-G. Baillarge*, J.-U. Ahern, J.-O. Gauthier, D. Ross, J. Cremazie, C. Dela- grave.

Henriette Marett, veuve de Bedard, conti- nua de resider a Montreal, ou elle termina ses jours le 18 mai 1874. Les gouvernements lui avaient toujours, depuis la mort de soi mari, vote" une pension annuelle de \ Pendant son sejour & Quebec, Madame Bedard fit preuve d'un grand zele en faveur de 1'edu- cation et des socie'te's charitables. On la vit faire partie de la « Societe" d'education des dames de Quebec. » A Montreal, elle d€-

[217]

ploya la meme activite, secondant, par cette conduite si louable, les nobles efforts de son digne mari, qui fut 1'ornement de la socie'te' par sa jovialite et sa de*licatesse de manidres et de sentiments. On ne lui connut pas d'enne- mis, meme parmi ceux qui eurent £ lutter contre lui dans les questions du domaine public. Bedard laissa une reputation d'inte- grite fort enviable : il fut le digne fils d'un digne pere.

JOSEPH-ISIDORE BEDARD

Ill

Joseph-Isidore Bedard

1806-1833

JOSEPH-ISIDORE, le troisieme fils de Pierre Be*dard, naquit le 9 Janvier 1806. Comme, en 1816, Bedard remplissait, & Trois-Rivie"- res, ses fonctions de juge du district, il envoya Isidore, alors age" de dix ans, au college de Nicolet, ou il fit un cours assez brillant. II se livra ensuite £ l'e"tude du droit, et lorsque son p£re mourut, Paspirant au Barreau e"tait & la veille de terminer ses Etudes l^gales. En effetr il fut inscrit sur la liste des avocats le 14 octo- 'bre 1829; son P^re ^ta^ mort ^ la fin d'avril precedent.

[ 222 ]

Isidore Bedard fut tin de uos jeunes poetes les plus estimes ; sa fibre, tou jours patriotique, sut parfois remuer les coeurs de nos Canadiens. Etienne Parent Pa compare £ Rouget de 1'Isle, 1'auteur de la Marseillaise. Nous ne som- mes pas pret & endosser ce te*moignage d'antan, mais il est certain qu'& cette e"poque recule"e Sol canadien terre cherie * sut compter de be'ne'voles admirateurs. Nos poetes actuels sont arrives aise"ment & depasser Bedard ; tou- tefois, ils ne nous ont pas fait oublier cette strophe de cet hymne vraiment patriotique :

Si d' Albion la main che"rie Cesse un jour de te prote'ger, Soutiens-toi seule, 6 ma patrie ! M£prise un secours Stranger. Nos p£res, sortis de la France, Btaient 1'elite des guerriers, ^St leurs enfants de leur vaillance Ne fl^triront pas les lauriers.

Aux elections g^n^rales de 1830, Isidoi Bedard fut elu depute du cointe" de Saguenaj Ses talents et 1'avantage d'etre 1'un des fils de

I. Voir en appendice la pidce D.

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Pierre Bedard, lui valurent 1'honneur d'un tel choix. Du reste, les electeurs du Saguenay avaient eu la main heureuse en se donnant un repr6sentant aussi bien doue\ D£s la premiere session, Be"dard fit sa marque dans 1 'enceinte legislative. Ses allures inde*pendantes lui auraient, sans aucun doute, suscite* de lourdes e*preuves, si sa carriere n'eut ete trop t6t brisee.

Son premier vote fut en faveur de Christie, depute* de Gaspe*, que la Chambre, par une majorite de treize, avait de'clare' indigne de prendre son siege. A.-N. Morin venait de pro- noncer un long discours en faveur de Pexpul- sion. Be"dard lui re*pondit avec beaucoup d'a propos. Voici la substance de cette r£plique :

« Je suis de 1'opinion de ceux qui ont parle" de 1'importance de cette question, car il ne s'agit de rien moins que de priver un sujet de ses droits de citoyen. J'ai lu attentivement Penquete concernant M. Christie, et j'ai €t€ surpris de la f aiblesse des raisons alle'gue'es par

[ 224]

les partisans de Pexpulsion. II aurait fallu prouver deux choses : premie"rement, que M. Christie etait coupable; secondement, que la Chambre avait le droit de 1'expulser apre"s une nouvelle Election. La seule raison qu'on donne est, qu'ayant deja ete expulse, il devait 1'etre encore, et partant que les resolutions de 1'an- cienne Chambre liaient la nouvelle. L'argu- ment se refute de lui-meme. II n'y a aucune resolution de la Chambre qui ne puisse £tre changed et r^voquee. Les regies m£mes de cette Chambre sont sujettes a varier, et ell< varient souvent.

« On a accuse M. Christie d'avoir cause le renvoi d'office de plusieurs magistrats a cause de leurs opinions politiques. Quelles preuves a-t-on donnees de cette accusation ? Je les ai examinees attentivement et j'ai ete surpris de leur faiblesse. Mais on a paru dispose a condam- ner systematiquement le depute de Gaspe et crier : « Pendez-le ! pendez-le ! » tout comme les Juifs, autrefois, a clamer la mort de Notre- Seigneur en criant : «Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! »

[225]

« Mais admettons que la preuve soit plus complete qu'elle ne le parait £t premiere vue. Est-ce que cette Chambre n'aurait point pu permettre a M. Christie d'interroger les te'moins £ la barre de cette Chambre ? On a pre*tendu que c'eut etc" centre 1'usage parlementaire. Ne se rappelle-t-on plus le cas de M. Bouc, e"lu pour la quatrie"me fois, et toujours expulse" ? Cette Chambre ne lui a-t-elle pas permis de se faire entendre et de produire ses temoins dans cette nceinte m£me ?

« Admettons, enfin, que la preuve soit par- aite, avons-nous le droit d'expulser M. Christie n qui les £lecteurs de Gaspe viennent de pla- er a nouveau leur confiance ? Disons qu'il y a un doute sur ce point ; alors ce doute doit etre n faveur du de'pute', et le respect que nous evons £ la franchise electorate nous indique assez de quel c6te* nous devons faire pencher la balance. »

Bddard se trouvait sur cette question en pleine opposition avec les chefs du parti cana-

[ 226]

dien, si bien represente par Papineau, Morinet Lafontaine. II lui fallut done un certain courage pour affronter les perils d'une voie ou il pouvait facilement trebucher. Les vieux parlementaires tinrent compte, sans doute, de la jeunesse et de la fiere independance du nou- veau depute. Certes, Be"dard n'e*tait qu'£ son delbut, et il y allait allegrement, sans se pre*oc- cuper de savoir s'il plaisait ou de*plaisait aux Canadiens ou aux Anglais.

Au cours de la meme session, Bddard se fit remarquer une seconde fois par la verte re"- ponse qu'il fit £ 1'adresse de M. L,ee, de'pute' de la basse-ville de Quebec, qui, s'adressant aux jeunes membres de la Chambre dans un appel vigoureux, leur demandait de s'unir £ lui pour reque'rir un Conseil l£gislatif electif.

« M. Lee en a appele" aux jeunes, s'ecrie B^dard, mais il n'a pas exprime leurs senti- ments lorsqu'il a deplore* le malheur qu'avaient eu nos ance"tres de ne pas se separer de la Grande-Bretagne. Nos aieux ont agi sage-

[227]

inent en ne se rendant pas a Pinvitation des Etats-Unis. C'est de la me*tropole que cette province tire toute sa force ; et qui osera revo- quer en doute sa libe*ralite* a notre egard? Quelle liberalite, en effet, de nous avoir donn6 un gouvernement semblable au sien ! Que 1'on jette les yeux sur 1'Europe, que 1'on envisage les maux qui accablent les peuples de 1'ancien continent, et 1'on pourra demander s'il y a un pays plus heureux que le notre. L,e langage qui vient d'etre tenu n'est propre qu'a corro- borer celui que 1'on tenait en 1810, qu'£ faire regarder comme fondles les accusations que 1'on portait sur la loyaute" des Canadiens ; et si 1'honorable membre croit avoir exprime' les sentiments de la jeune ge"ne"ration, quant a moi, je suis loin de les partager. »

Bedard vota pour le bill d'indemnite", mal- gre" la forte opposition que ce projet de loi devait rencontrer parmi ses collogues. II appuya rne'me la proposition faite a ce sujet par Young.

[228]

Bedard si^gea £ plusieurs reprises comme president du comite" des griefs, et 1'on voit son nom au pied des deux premiers rapports de ce comite. En somme, le jeune depute prit une part tre"s active aux deliberations de la Chambre, ne s'absentant jamais et acceptant toutes les besognes qu'on voulait bien lui confier.

Vers la fin de la session, la Chanabre resolut d'envoyer en Angleterre un agent charge de repre*senter aupres du gouvernement de Sa Majeste*, les interets et les sentiments des habitants de la province de Quebec et d'ap- puyer les petitions de la Chambre d'assem- bl£e. Be*dard r^solut aussitdt de suivre M. D.- B. Viger, 1'agent en question. II firent en- semble la traversed de l'oce*an, sur le Hudson, et arriv£rent ^ Liverpool le 13 juin 1831, apre's vingt-quatre jours de trajet. Rendu Londres, Be*dard visita la grande ville, puis il courut en Irlande, et enfin il se rendit ei France et en Italic, pour venir echouer Paris en 1832. A L,ondres, il avait fait rencontre d'un Canadien, quebecquois comme

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lui : c'etait F.-X. Garneau le futur historian du Canada a pen pres du me'ine age que Be*dard, et qui remplissait deja aupres de M. Viger les fonctions de secretaire.

« Je connaissais a peine Be*dard, ecrit M. Garneau ; mais la connaissance fut bientot faite, et quelques jours apres son retour en Angleterre, il vint loger avec moi. C'etait tin esprit gai qui, sous une surface mathematique et raisonneuse, cachait beaucoup d'imagina- tion et des passions ardentes. Sa societe ne m'en etait que plus agre"able. Mais je cms m'apercevoir que ses courses sur le continent avaient allume en lui une passion funeste, celle du jeu. Sans avouer sa faiblesse, il me parlait de la roulette comme d'une invention qui pouvait faire la fortune d'un habile calcu- lateur. Je badinai sur ses illusions, sans pou- voir les detruire. Neanmoins, il fut fort tran- quille tout le temps qu'il resta a Londres ; mais 1'ennui le rappela bientot en France, ou une maladie mortelle s'empara de lui et le

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conduisit au tombeau l'anne"e suivante. Je lui avals conseille" vainement de retourner en Ca- nada ; une fatalite" semblait 1'attacher a cette vieille terre d'Europe, ou il devait laisser son nom et ses cendres. Je me se"parai de lui avec regret et le triste pressentiment d'une fin qui ne se re"alisa que trop t6t. »

Bedard sut bientot a quoi s'en tenir sur la gravite de son mal. II e"crivait de Paris a M. Garneau, retourne" a Londres, une lettre assez explicite a son sujet :

« Cher Garneau,

« J'apprends, ce matin, que vous etes de"ja de retour, ce qui m'a cause un plaisir infini. C'est un Canadien qui viendra £ mon enterrement, je ;ne reviens pas de la maladie dont j'ai et subitement et violemment attaque". J'ai et une rechute il y a huit jours ; je suis rnieu: mais tr£s faible. Je sors de mon lit pendai quelques heures, depuis deux jours. Je n'* pas recouvre" la voix le moindrement, rnoi qi

[ 231 J

avals, comme Fiset, une voix & animal! Si vous pouviez venir me voir, que vous me causeriez du plaisir ! sinon, e*crivez-moi. Est- ce par quelque accident que vous etes de retour, ou votre voyage etait-il termine"? M. Viger est-il avec vous? Vous rne ferez le plaisir de porter cette lettre a son adresse, au plus tot, dans la cour de Somerset House; on prend une petite rue qui descend a droite, 8 ou 9. Si M. Viger est de retour, vous ne porterez pas cette lettre. Vous la garderez par devers vous jusqu'& mon retour. « Adieu, cher Garneau.

IS.

C'e"tait apres une promenade de dix jours qu'il avait faite & Paris, vers la fin de juillet 1832, que M. Garneau avait rec.u cette lettre de son ami Be"dard. Le u mars de Panne'e suivante, il recevait de M. Berthelot la note qui suit :

« Bedard est toujours a Paris, et se propose

[ 232 ]

d'etnbarquer pour le Canada au commence- ment du mois prochain. Sa sante a ete faible, et j'ai €t€ du nombre de ceux qui lui ont con- sent de ne pas se hasarder sur la mer dans une saison aussi orageuse que celle-ci. »

Le 24 mars, M. Delagrave apportait £ M. Garneau une autre lettre contenant ces lignes :

t< II ne me reste que le temps de vous dire que ce pauvre Isidore Be*dard avec qui j'ai dine, il y a aujourd'hui quinze jours, est tombe*, le soir m^rne, tr£s malade d'un renouvellement de son crachement de sang. II a e*te* dange- reusement malade depuis ce temps ; mais il est mieux, et les me'decins m'assurent qu'il sera capable de s'embarquer au commencement de juin prochain pour le Canada. »

« C'etait une illusion, e*crit M. Garneau. eut, il est vrai, vers le commencement du im d'avril, quelque mieux, et on esperait qu'i pourrait bient6t supporter la voiture pour se reudre dans une inaison de sante; rnais cela

[233]

tie dura gu£re. II languit quelque temps encore, et finit par succonaber a une maladie de poitrine sans avoir la consolation de revoir sa patrie ».

* * *

Isidore Be*dard mourut a Paris, le 14 avril 1833, ^ 1'age de vingt-sept ans et trois mois. Son corps f lit depose* au cimetiere Montmartre.

M. Garneau a ecrit de Be"dard une apprecia- tion dont il serait difficile de surpasser 1'exac- titude.

« M. Bedard, dit-il, avait le plus bel avenir devant lui. La reputation du pere etait pour le fils une recommandation toute sp£ciale au- pres de ses compatriotes. Des talents ajoute's & cela pouvaient le mener loin, s'il niontrait le caractere et la consistance qui conviennent a un liomme appele* a jouer un r61e dans la poli- tique de son pays. II joiguait £ ces avantages une elocution facile et une voix male et

[ 234]

agreable qui le faisaient de"j& rechercher dans les assemblies publiques.

« Tout cela s'enfouit pour jamais dans la tombe sur une terre etrange"re. Les devices et les tentations de 1'Europe avaient ouvert sous les pas du jeune Canadien un abime qu'il n'avait pu eViter, et dans lequel il s'e*tait pre"- cipite avec toute 1'ardeur d'un temperament fougueux qui s'abandonne a ses passions. Le voyage qui devait former le plus bel episode de sa vie, e*tait ainsi devenu la cause de sa perte. »

Etienne Parent a laisse* une note appreciative d'Isidore Be*dard que nous nous complaisons & reproduire :

« Isidore n'ayant fait qu'apparaitre sur la scene politique, et n'etant encore qu'un tout jeune homme £ sa mort, laisse pen de chose dire sur sa vie publique. A son depart du pays, il n'avait guere pu que faire concevoir les plus belles espe"rances. On allait se disant

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que les principales qualites du pere allaient revivre dans le fils, et cela faisait le plus bel e"loge qu'un jeune homme put meriter. Cepen- dant la memoire d'Isidore vivra aussi longtemps dans la Nouvelle-France, que celle de Rouget de 1'Isle dans la vieille France. L,e jeune Be- dard a laisse quelques couplets qui ont eu le merite de 1'emporter dans la faveur publique sur tous nos autres chants patriotiques, tr£s nombreux pourtant et 1'ceuvre des talents les plus distingue*s parmi notre jeunesse lettree. Ce n'est pas que la partie litteraire de ces couplets ne prete un peu £ la critique, et que, sous ce rapport, elle ne soit infe'rieure a quel- ques-unes de nos chansons patriotiques ; mais Be"dard sut, mieux qu'aucun de ses concurrents lalgre les negligences du style, trouver le :hemin des cceurs et faire vibrer la fibre natio- nale. C'est, il est vrai, ce qui fait le poete, le reste est du versificateur. Avec le temps sans doute, notre jeune po£te aurait apporte plus de soin et de gotit ^ ses compositions. »

On rapporte de Be"dard plusieurs traits de son esprit jovial et caustique. L,orsque lord Dalhousie proposa l'e"rection d'un monument £ Wolfe et Montcalm, il fut question de 1'ele- ver dans le jardin infe'rieur ou se trouve aujour- d'hui une partie de la terrasse. C'e'tait alors un jardin potager. M. Chauveau dit qu'on y posa meme la premiere pierre. Be*dard ecrivit £ la Gazette de Quebec une courte correspon- dance, pour tourner en ridicule le choix du gouverneur. Nous trouvons sa lettre dans le nume'ro du 15 novenibre 1827:

« En voyant, ce matin, la ce're'monie qui a ei lieu a 1'occasion du monument eleve a Wolfe et Montcalm, j'ai songe comme suit : Si, par une figure de rhe*torique, Wolfe et Montcalm reve- naient de ce monde, ue diraient-ils pas: « He'las ! vanites des vanites ; nous esperions « une place parmi les he'ros, et 1'on fait de nous, « en Canada, des admirateurs de patates, de « choux, et des garde-legumes dans le potager « du gouverneur. »

[ 237 ]

Jadis dans les combats balangant le destin Voila Wolfe et Montcalm priapes d'vm jardin !

« A moi la medaille offerte ! »

On sait que le comite forme a Quebec pour 1'erection de ce monument, avait offert une medaille d'or pour le meilleur projet d'inscrip- tion. Ce fut le Dr Fisher qui sortit victorieux du concours. C'est a cette me'daille que Be- dard fait allusion dans sa lettre. L,e comite avait d'abord jete les yeux sur la Place d'Armes pour y e"riger 1'obelisque en question.

Une autre espi£glerie de Bedard, et qu'on nous a don ne'e comme parfaitement authentique. C'etait durant son se*jour a Paris ; il y avait fait de nombreuses connaissances dans le monde the'atral ; il put meme pene*trer j usque dans les

mlisses ou le commun des mortels n'a guere icces. C'est grace £ ces circonstances qu'il reussit un jour ^, se faire admettre en qualit6 d'acteur dans une pie"ce destinde d produire un grand effet. II devait figurer dans un costume indien avec tout Pattirail voulu de plumes, de fleches, carquois, etc. Un wigwam ou cabane

[238]

de sauvages devait complete! le decor. Le tout se fit sous la direction de Bedard. La piece fut jouee au jour dit, et un sauvage de six pieds apparut aux yeux e'bahis des specta- teurs. On le vit se donner ainsi en spectacle, et il entra enfin sous sa tente pour donner 1'auditoire une chance de respirer.

Dans un deuxi£me acte, le sauvage, accrou] dans son wigwam, se l£ve tout a coup poi entrer en scene ; rnais oubliant sa haute taillt il sotile've la cabane tout entiere, et parait coiffe" de ce bonnet phenomenal. On voit d'ic la sc£ne burlesque qui s'ensuivit, les quolibet de la foule et Pabrutissement de Bedard, qi n'avait pas songe" & un tel denouement.

On serait tente* de croire, apr£s ce recit qu'Isidore Bedard ne fut pas un homme se"rieu: et que, s'il eut ve"cu plus longtemps, sa carri^i n'aurait pas aussi brillante que ses debut le faisaient preVoir. Le fait est qu'il y avail deux homines en lui : 1'homme rempli 1'ambition de faire sa marque, soit dans .politique, soit dans les lettres, ou merne dai

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les deux carrieres ; puis I'hoinme enclin £ s'amuser, £ prendre la vie par le cote attrayant et seduisant. En France, Bedard ne connut guere que les amusements, le jeu, le theatre, les flaneries sur les boulevards ou dans les jardins publics. En Canada, Bedard montra des dispositions plus se*rieuses, bien qu'il ne fut alors qu'a ses debuts. Nous avons vu le role qu'il joua dans la politique. Comme citoyen, il avait pris part £ un mouvement important en faveur de la temperance. Le 26 avril 1831, une assemble avait e*te" tenue au palais de justice, £ Quebec, pour preVenir 1'abus des liqueurs alcooliques. Des citoyens de toute origine assistaient £ cette reunion ou 1'on elut des officiers. Le comite* de direction fut compose" de Philippe Panet, Gauthier, Glackmeyer, Remain, sir John Caldwell, Dr Douglass, W.-S. Sewell, J.-H. Kerr.

Bedard n'avait alors que vingt-cinq ans. ^enons-lui done compte de ses bonnes dispo- sitions, pour adoucir le jugement se*v£re que

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nous serions tenths de porter contre sa conduite la-bas, et que ceux qui sont sans p£ch£ [ltd jettent la premiere pierre !

FRANgOIS-ZOEL BEDARD

ie

Frangois - Zoel Bedard

1812-1867

T E quatri£me fils de Pierre Bedard naquit le JW 14 aout 1812, et fut baptist a la paroisse de Notre-Dame de Quebec par 1'abbe" Barthe'- lemy Fortin, vicaire. Le parrain s'appelait Francois Bellet, et la inarraine Francoise Nor- mand, fern me de Guillaume Bouthillier. Son pere 1'envoya d'abord ^tudier a Sorel, puis aux ^coles de Quebec. Zoel ne fit pas de cours classique ; aussi ne put-il arriver a une position bien considerable dans le monde. Quand son p^re mourut, il n'^tait &g€ que de dix-sept ans.

[ 244 ]

Nous perdons ensuite sa trace jusqu'a ce que nous le retrouvions & la Pointe-des-Monts ou il avait €t€ nomine" gardien du phare. II avait 6t€ place" sous lord Metcalfe avec un salaire de quatre cents piastres par anne"e. Zoel con- serva cette position plus ennuyeuse que difficile & remplir, jusqu'a sa mort qui arriva en avril 1867. II avait ainsi ve"cu dans 1'isolemei pendant les vingt-deux dernieres anne*es de vie. S'il lui arrivait quelques rares visiteui ce n'etait que pour un temps bien limitt Cependant il eut le plaisir d'he*berger, pendai un hiver, le reVe"rend P£re Durocher, oblat qui voulait apprendre la langue sauvage, qn Bedard poss6dait bien.

Zoel ^tait marie, mais il n'eut pas de descei dance. II avait adopte" deux jeunes filles, dont 1'une, du nom de Hall, epousa A.-S. Comeai pere de Napoleon Comeau, de la riviere G( bout. Sa deuxi£me fille adoptive Epousa manchot dont le nom nous est inconnu. Mai tous deux ve"curent assez longtemps a Quebec

Zoel Bddard fut inhum^ dans le cimetiere de

[245]

Betsiamis par un P£re Oblat, qui faisait alors ia mission de la rive-nord du fleuve Saint-

aurent.

Nous ne connaissons que peu de choses de la

ie de cet homme. Retire* comme il l'e*tait,

a'ayant de communication qu'avec des sauvages

;t des navigateurs, il ne pouvait rien transpirer

le lui qui fut digne de mention.

En 1856, un nomine* Dean se plaignit que Be"dard retenait en sa possession des effets qu'il ivait sauve"s du naufrage de la barque Peruvian t PIle-aux-CEufs.

A une couple de reprises, Be*dard avait lemande* la permission de quitter son poste de jardien du phare pour venir se promener a

En 1855, son salaire fut augmente* de cent- oixante piastres par anne"e. C'e*tait encore »ien peu, mais il f aut croire qu'il s'en contenta, oiisqu'il resta attache" & son poste jusqu'au .ernier jour de sa vie.

Apr£s la mort de son mari, Louise L,anglois ourut se re*fugier a Saint-Anaclet, dans le

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comt£ de Rimouski, et la elle fut recueillie par un citoyen de la paroisse, du nom;d'Heppell, qui lui donna 1'hospitalite jusqu'a ce que la pauvre veuve se vit appele"e a Dien. Elle mou- rut le 26 Janvier 1868, a 1'age de soixante-seize ans, et fut inhume'e le 28, par M. l'abb£ C.-J.- O. B61and, cur£ de la paroisse.

APPENDICE

APPENDICE

PIECES JUSTIFICATIVES

PIECE A

IyETTRE-CIRCUI,AlRE DE MGR PLESSIS

X SON

Messieurs,

Cette lettre accompague une Proclamation de Son Excellence le Gouverneur en Chef, tendante a detruire les impressions dangereuses qu'aurait pu faire sur les esprits des sujets de cette Pro- vince, la circulation de certains ecrits propres a creer de la defiance, de 1'eloignemeut et du mepris du pouvoir Executif de Sa Majeste.

[ 250 ]

Son Excellence le Gouverneur en Chef nous a charge de vous uolifier son intention positive que vous eussiez tous a publier vous-memes cette Proclamation au peuple de vos paroisses respec- tives, comrae il a droit de 1'exiger en vertu du Statut Provincial du n aout 1808, que vous pourrez consulter.

La coudescendance avec laquelle le Gouverneur en Chef veut bien, dans cette Proclamation, rendre compte de sa conduite aux sujets de cette Province, le langage paternel qu'il y tient, la confiance qu'il vous y manifeste, la persuasion ou il est de votre influence sur les peuples et du bon usage que vous en saurez f aire ; voila autant de motifs qui doivent exciter votre empressement a seconder ses vues uniquement dirigees vers le vrai bonheur de votre patrie.

Vous ne rempliriez done qu'imparfaitement ses intentions, si vous vous borniez a la publica- tion qu'il vous ordonne et a laquelle nul d'entre vous ne peut se soustraire. Son Excellence attend de plus, que dans vos instructions publi- ques aiusi que dans vos conversations particu- lieres, vous ne laissiez echapper aucune occasion de faire prudemment entendre au peuple que son bonheur a venir repose sur 1' affection, le respect et la confiance qu 'il montrera au gouvernement ; qu'il ne peut, sans courir les plus grands risques, se livrer aux idees trompeuses d'une liberte con-

[251]

stitutionnelle que chercheraient a ltd insinuer certains caracteres arnbitieux, et ce au mepris d'un Gouvernement sous lequel la Divine Provi- dence n'a fait passer cette Colonie que par 1'effet d'une predilection dont nous ne saurions assez benir le Ciel.

Nous n'ajoutons pas ici que vous etes vous- memes interesses de tr£s pres a maintenir les fideles dans le respect et la soumission qu'ils doivent a leur Souverain et a ceux qui le repre"- sentent, parce que nous savons qu'independam- ment de tout inter^t, le Clerge de ce Diocese a toujours fait hautement profession de ces prin- cipes qui portent sur la plus solide de toutes les bases, savoir sur les maximes de la Religion Sainte que nous pre"chons aux peuples, qui est essentiellement ennemie de 1'independance et de toute reflexion temeraire sur la conduite des per- sonnes que Dieu a e*tablies pour nous gouverner.

Puissent tous vos paroissiens graver profon- dement dans leurs esprits et dans leurs cceurs ces belles paroles du Chef des Ap6tres, que vous ne manquerez pas de leur inculquer au besoin. « Soyez done soumis, pour 1' amour de Dieu, a tout homme qui a du pouvoir sur vous, soit au Roi comme au Souverain, soit aux Gouverneurs comme a des personnes envoyees de sa part pour punir ceux qui font mal, et pour traiter favora- blement ceux qui font bien. Car c'est la la

[ 252 ]

volonte de Dieu, que par votre bonne vie vous fermiez la bouche aux homines ignorants et insens6s : etant libres, non pour faire de cette liberte un voile qui couvre de mauvaises actions, (i, Petr., 2, 13 et seq.)

Je suis bien parfaitement,

Messieurs, Votre tres obeissant serviteur,

(Signe) f J.-O., Ev. DB QUEBEC. Quebec, 21 mars 1810.

PIECE B

Par Sou Excellence Sir James Henry Craig, Chevalier du Tres Honorable Ordre du Bain, Capitaine General et Gouverneur en Chef des Provinces du Bas-Canada, Haut-Canada, Nouvelle-Ecosse, Nouveau-Brunswick, et leurs diff£rentes dependances, Vice-Atniral d'icelles, General et Commandant de toutes les forces de Sa Majeste dans les dites Pro- vinces du Bas-Canada, et Haut-Canada, Nouvelle-Ecosse et Nouveau-Brunswick, et leurs differentes dependances et dans 1'Ile de Terre-Neuve, etc., etc.

[253]

PROCLAMATION

Vu qu'il a ete imprime, public et disperse divers ecrits mechants, seditieux et traitres, dans cette Province, dont le soin et le gouvernement m'a 6te confie, et vu que ces Merits ont ete expres- sement calcules pour seduire les bons sujets de Sa Majeste, pour remplir les esprits de defiance et de jalousie centre le Gouvernement de Sa Ma- jeste, pour detourner leur affection de sa personne sacree et pour faire mepriser et vilipender 1' admi- nistration de la justice et du gouvernement de ce pays ; et vu que pour accomplir ces desseins me*- chants et traitres, leursauteurs et partisans nese sont pas fait de scrupule d 'avancer avec audace les faussetes les plus grossieres et les plus effron- t6es, tandis que 1'industrie qui a ete employee a les disperser et a les repandre a grands f rais, dont la source n'est pas connue, fait voir fortement la perseverance et 1' implacability avec laquelle ils se proposent de venir a bout de leurs desseins, et vu qu'en consequence de mon devoir envers Sa Majeste, et de 1' affection et des egards avec les- quels je considere le bien-etreet la prosperite des habitants de cette colonie, il m'a ete impossible de passer plus longtemps sous silence des prati- ques qui tendent si directement a renverser le Gouvernement du premier et a detruire le bon- heur du dernier, j'annonce en consequence, avec

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1'avis et concurrence du Conseil Executif de Sa Majeste, qu'avec les me'mes avis et concurrence il a etc pris des niesures pour y mettre fin, et qu 'ayant 6te donnee due information a trois des dits Conseillers Executif s de Sa Majeste, il a ete e'mane des Warrants, tels qu'autorisespar la loi, en vertu desquels quelques-uns des Auteurs, imprimeurs et editeurs des ecrits susdits ont ete pris et arretes.

Vivement anime du desir de promouvoir a tous egards le bien-£tre et le bonheur du bon peuple de cette Province, et agissant d'apres les instruc- tions du plus bienveillant et du meilleur des Souverains, dont j ' ai ete le fidele serviteur presque autant de temps que le plus ancien habitant a etc" son sujet, et dont j'encourrais la disgrace, si je prenais autre chose que ce bonheur et ce bien-etre pour regie de ma conduite, ce serait avec le plus grand regret que je verrais lieu de croire que les artifices de ces honimes factieux et mal inten- tionnes eussent produit aucun effet, et qu'il fut parvenu des doutes et des jalousies dans 1' esprit de personnes induites en erreur, et qu'ils y eussent pris racine.

A ces personnes, s'il y en a, et au Public en general, je rappellerai 1'histoire de tout le temps depuis qu'ils ont 6t6 sous le gouvernement de Sa Majeste. Qu'ils se rappellent l'6tat ou ils etaient lorsqu'ils devinrent sujets Anglais, et qu'ils se

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ressouviennent des avancemeuts progressifs qu'ils ont faits dans la ricliesse, le bonheur, la securite et une liberte sans bornes, dont ils jouissent maintenant. Duraut cinquante anne"es qu'ils ont ete sous la domination Anglaise, ont-ils jamais vu un Acte d' oppression, ont-ils jamais vu un exeniple d'emprisonnement arbitraire, ou de vio- lation de propriete ? Avez-vous, dans aucun temps ou dans aucune circonstance, ete troubles dans 1'exercice libre et non controle de votre Religion? Et enfin, tandis que toute 1' Europe a nage dans le sang, et que plusieurs des autres colonies et possessions de Sa Majeste ont experi- meute les horreurs de la guerre, et quelques- unes meme sous les vicissitudes de cet e"tat ont ete privees du bonheur inestimable de vivre sous les lois et sous le Gouvernement de 1'Angleterre, en devenant la proie de conqu£tes temporaires, n'avez-vous pas joui de la plus parfaite surete et tranquillite sous la protection puissante de ce meme Gouvernement dont les soins paternels ont ^te egalement employe's a promouvoir votre bien- etre au-dedans ?

Quels peuvent done e"tre les moyens employe's par ces personnes me'chantes et mal intentionne'es par lesquelles elles puissent espe"rer de venir a bout de leurs desseins traitres et ambitieux, par quels arguments peuvent-ellesespe'rerqu'un peu- ple dans la jouissance de tous les biens qui peu-

O56]

vent contribuer au bonheur en ce monde, renon- cera a ce bonheur pour entrer dans leurs vues ? Par quels arguments peuvent-elles esperer qu 'un peuple brave et loyal jnsqu'a present, rempli du plus grand et du plus sincere attachement envers le meilleur des Rois, dont tout le regne a 6te une suite de bienfaits pour lui, abandonnera cette loyaute et deviendra un raonstre d' ingratitude propre a etremontre* a 1'Univers comme un objet de detestation, pour avancer leurs projets ? II est vrai que les faussetes les plus basses et les plus noires, sont insidieusement publiees et repan- dues. Dans une partie, on dit que c'6tait mon intention de vous incorporer, et de faire des sol- dats de vous, et que m'etant adresse a la derniere Chambre des Repr£sentants, pour mettre en etat d' assembler douze mille hommes, et qu'ayant refuse de le faire, je 1'avais en consequence dis- soute. Ceci est non seulement directement faux, une pareille ide"e n'e"tant jamais entree dans mon esprit, et n'en ayant pas 6t6 fait la plus legere mention ; mais c'est doublement mediant et atroce, parce que cela a £te avance par des per- sonnes qu'on doit avoir suppose parler avec cer- titude sur le sujet, et etait par consequent mieux calcule pour vous en imposer. Dans une autre partie on vous dit que je voulais taxer vos terres, et que la derniere Chambre d'Assemblee ne voulait consentir qu'a taxer le vin, et que pour

[ 257 ]

cette raison j' avals dissous la Chambre. Ceci aussi est directemenf faux ; je n'ai jamais eu la plus petite idee de vous taxer ; ce n'a jamais et6 un seul moment le sujet de mes deliberations, et lorsque la derniere Chambre offrit de payer la Liste Civile, je n'aurais pu faire aucune de- marche, sur une matiere de si grande importance, sans les instructions du Roi, et par consequent, il y avait encore bien du temps avant que nous ne vinssions a la consideration de la maniere dont elle devait etre payee. Au vrai, il ne fut pas dit un seul mot, a ma connaissance, sur ce sujet.

Dans d'autres parties, desesperant de produire des exemples de ce que j'ai fait, on a recours a ce que je me propose de faire, et on vous dit effrontement que je pretends vous opprimer. Vils et temeraires fabricateurs de faussetes, sur quelle partie, ou sur quelle action de ma vie, fondez-vous une telle assertion ? Que savez-vous de moi ou de mes intentions ? Canadiens, deman- dez a ceux que vous consultiez autrefois avec attention et respect ; demandez aux Chefs de votre Eglise qui ont occasion de me connaitre. Voila des homines d'honneur et de connaissances. Voila les hommes a qui vous devriez demander des informations et des avis ; les chefs de Fac- tions, les Demagogues d'un parti ne me voient point, et ne peuvent me connaitre.

Pourquoi vous opprimerais-je ? Serait-ce pour

[ 258 ]

servir le Roi ? Ce Monarque qui, durant cin- quante annees n'a jamais eraane un ordre qui ne vous cut pour objet, qui ne fut a votre avantage et pour votre bonheur, ira-t-il maintenant, cheri, honore, adore" par ses sujets, couvert de gloire, descendant vers le tombeau, accompagne des prieres et des benedictions d'un peuple recon- naissant, ira-t-il en contradiction avec la conduite d'une vie d'honneur et de vertus, donner main- tenant des ordres a ses serviteurs d'opprimer ses sujets Canadiens? II est impossible que vous puissiez pour un moment le croire. Vous chas- serez avec une juste indignation de devant vous le me'creant qui vous suggerera une telle pensee. Serait-ce done pour moi que je vous opprime- rais? Pourquoi vous opprimerais-je ? Serait-ce par ambition? Que pouvez-vous me donner ? Serait-ce pour acqu£rir de la puissance ? He"las ! mes bons amis, avec une vie qui decline rapide- ment vers sa fin, accable de maladies acquises au service de mon pays, je ne desire que passer ce qu'il plaira a Dieu de m'en laisser, dans la dou- ceur de la retraite avec mes amis. Je ne reste parmi vous qu'en obeissance aux ordres de mon Roi. Quelle puissance puis-je desirer? Serait-ce done pour les richesses que jevoudraisvousoppri- mer? Inf ormez-vous de ceux qui me connaissent, si je fais cas des richesses. Je n'en ai jamais fait aucun cas, lorsque je pouvais en jouir ; je prefe-

[259]

rerais a la valeur de votre Pays mis a mes pieds, la persuasion d' avoir une seule fois contribue a votre prospe'rit^.

Ces allusions personnelles, ces details, en tout autre cas pourraient £tre indecents et au-dessous de moi ; mais rien ne peut e"tre indecent ou au- dessous de moi, lorsque cela tend a vous sauver de Tabime du crime, et des calamites dans les- quelles des hommes coupables voudraient vous plonger.

II est maintenant de mon devoir d'en venir plus particulierement a 1' intention et aux fins pour lesquelles cette Proclamation est emanee. En consequence, par et del' avis du Conseil Exe- cutif de Sa Majeste, j'avertis par le present, et j'exhorte tous les sujets de Sa Majeste d'etre sur leurs gardes contre, et de faire attention comment ils ecouteront les suggestions artificieuses d' hom- mes mechants et mal intentionnes, qui en repan- dant de faux bruits, et par des ecrits seditieux et traitres, attribuent au Gouvernement de Sa Ma- jest6 de mauvais desseins, ne cherchant par la qu'a aliener leurs affections et les porter a des actes de trahison et de rebellion ; requerant tou- tes les personnes bien disposers, et particuliere- ment tous les Cures et les Ministres de la Sainte Religion de Dieu, qu'ils emploient leurs plus grands efforts pour empecher les mauvais effets

[ 260 ]

de cesactes inceudiaires et traitres, qu'ils detroin- pent, qu'ils mettent dans la bonne voie ceux qui auront ete trompes par eux, et qu'ils inculquent dans tons les vrais principes de loyaute envers le Roi et d'obeissance aux lois.

Et de plus, j' enjoins strictement et je com- mande a tous Magistrals dans cette Province, a tous Capitaines de Milice, Officiers de Paix et autres bons sujets de Sa Majeste, de faire chacun d'eux line recherche diligente, et de chercher a decouvrir tant les auteurs que les editeurs et dis- seminateurs d'ecrits me'chants, s<§ditieux et trai- tres, comme susdit, et de fausses nouvelles, qui derogent en aucune maniere au Gouvernement de Sa Majeste, ou qui tendenten aucune maniere a enflammer 1' esprit public, et a troubler la paix etla tranquillit^ publique, afin que par une vigou- reuse execution des lois, tous delinquants dans les premisses, puissent e"tre amenes a une puni- tion qui puisse detourner toutes personnes de la pratique d'aucun acte quelconque, qui puisse aucunement affecter la surete, la paix et le bon- heur des loyaux et fideles sujets de Sa Majeste en cette Province.

Donne1 sous mon seing et le sceau de mes armes, au Chateau St-L,ouis, dans la Cite1 de Quebec, dans la dite Province du Bas- Canada, le vingt-unieme jour de Mars dans 1'an de

[26l]

Notre-Seigueur mil-huit-cent-dix, et dans la cinquantieme annee du regnedeSa Majeste.

J.-H. CRAIG, Gouvr.

*ar ordre de Son Excellence,

Jno. TAYLOR, Deput.-Secr.

iduit par ordre de Son Excellence,

X. LANAUDIERE, S. et T. F.

Vive le Roi !

PIECE C

PLALDOYER POUR UN SAUVAGE r

Appele a exercer en favetir de 1' accuse les nobles fonctions de mon etat, j'ai de grandes difficultes a surmonter. Je crains de ne pas bien saisir la pensee de mon client ; je crains de ne pas me faire bien entendre de lui. II n'appar- tient point a tel Etat, a tel Royaume dont les conventions des hommes ont trace les bornes, et determine les limites. C'est un enfant de la

i. Malgre l'£loquence de son d£fenseur, ce sauvage fut pendu a Trois-Rivieres, en face de 1'eglise auglicane.

[ 262]

nature et des fore'ts, c'est un de ces homines que le Cre"ateur a, pour ainsi dire, seme" dans toutes les parties du monde, de ces hommes qui peu- plaient anciennement le Nouveau Monde. Rien ne les rapproche de nous; leur langue, leurs usages, leurs lois, leurs mceurs nous sont etran- gers, et je crains que notre orgueil d'Europeens ne nous porte a conside"rer ces usages, ces lois, ces mceurs comme barbares, parce qu'ils nous sont Strangers. Je crains qu'on ne soit porte" a les condamner parce qu'ils ne sont que des mise'rables sauvages. Et ces sauvages sont des hommes. Issus de la grande creation, ils ont droit a la grande redemption. Ce sont nos fr£res.

Dieu seul connait I'antiquite" de leur race et la longueur de leur possession. Mais nous nous sommes empare's de leur pays, de 1' heritage de leurs peres dont nous les avons force's de reculer les tombeaux ou d'enlever les ossements. Nous ne les avons pas initie"s aux avantages de la civi- lisation dont nous sommes si fiers, nous leur en avons apporte" les vices sans leur en faire gouter les bienfaits, puis nous voulons les punir des maux que nous leur avons apportes. Un seul de nos funestes presents, 1' eau-de-vie, suffit non seulement pour les punir, mais m£me pour les de"truire.

Aujourd'hui on veut appliquer a ce pauvre sauvage des lois qu'il n'a jamais connus, pas plus

que le nom de la nation qui les a promulguees. Comment lui faire entendre qu'il doit ob6ir a des lois que les anciens de sa tribu n'ont jamais connues? Comment lui faire comprendre qu'il est sujet de 1' Angleterre ? I^orsque j'ai voulu lui en donner une id£e, vous 1'eussiez vu bondir et s' Verier en frappant la terre d'un pied impatient : « Voila ma mere, c'est elle qui me nourrit ! » Puis d'un geste rapide montrant le ciel : « Mon pere, le Grand Esprit demeure la. Je ne depends que d'eux, je ne connais pas d'autres maitres. » A ce mouvement sublime succeda sur son visage mobile une expression d 'horreur ; il avait entendu le son de ses chaines, et des pleurs ne coulerent pas, mais jaillirent de ses yeux.

II y avait (au moins il me semblait ainsi), il y avait une amere decision a expliquer a cet infor- tune la loi p£nale de 1' Angleterre, ses statuts et ses commentaires, dedale plus long et plus tor- tueux que le labyrinthe de Crete et tout aussi Stranger pour lui. Heureusement, j'ai trouve dans les observations de mon client un mode de defense inattendu, et dont toute ma craiute est de diminuer la force en les traduisant, comrne de leur faire perdre quelque chose de leur touchante simplicite.

II me parlait ainsi, apr£s que je 1'eusse informe que je voulais le de"fendre : « Je ne te connais pas, tu ne me connais pas non plus ; tu dis que

tu veux me faire sortir d'ici. Mon cceur te remercie. Mais je n'ai plus de pelleteries a te dormer pour te recompenses L,e Grand Esprit le fera lui-merne. Je ne conuais pas vos lois, elles n'ont pas ete faites pour nous autres. Qui est venu nous les dire? Ecoute, mon frere. Depuis que je suis dans cette cabane de pierre, il est venu uu vieillard habille en noir, c'est le vieillard de la priere. II s'est iuteresse a moi, et~ quand nous avons pu nous entendre, il m'a parle d'un livre contenant les ordres du Grand Esprit qu'il appelle Dieu, donnas, dit-il, depuis long- temps sur uue montagne en feu, loin, bien loin du c6te du soleil levant. II m'a dit que son Dieu voulait que celui qui tuait fut tue, que celui qui arrachait un ceil en perdit un. Je lui dis : c'est bien, cette loi est comnie la notre, et si un sauvage en tue un autre, c'est au veugeur du sang a faire justice. II ajouta que son Dieu defeudait expressement de priver un liomme de la vie, sur le tenioignage seul d'un autre homine. A ces mots, j'ai saute de joie, car il ii'y a qu'un temoiu. I,e vieillard de la priere ajouta que ce livre ordonnait que tout le peuple fut juge selon la loi, que cette loi fut lue tons les ans, a fill que persouue ne fut surpris, et bien d' autres choses. Je ne sais pas lire, moi, dans ce livre des blancs. Si je me trompe, c'est 1'houime de la priere qui in' a trompe. Eh bien,

£26$ 3

qui uous a lu cette loi qui dit que nous seroas juges ici par dottze hommes blancs qui ne cou- naissent ui notre pays, ni la langue, ni les usages de notre nation ? Si douze guerriers de ma nation m'avaient dit : « Tu mourras », j'aurais dit : « c'est bien. » Mais ici, on me tuera comnie un sauvage tue un chevreuil. Lui, il ne dit pas qu'il le juge.

Pardonnez-moi, Messieurs, d' avoir essaye de vous reudre la simple logique de I'homnie des bois defendant sa vie et luttaut contre des lois inconnues. J'ajouterai seulement, qu'en cher- chant les textes de la Bible auxqueis il faisait evidemrnent allusion, d'apres ses entretiens avec le pieux et venerable pretre qui 1'instruisait, j'ai trouve en effet la defense formelle et repetee, donnee par Dieu, me" me de faire perir meme le meurtrier sur le temoignage d'un seul homuie. {Dealer, ch. xvii, V. 6, 7, ; ch. xix, v. 15 ; Nombres, ch. xxxv, v. 30; S. Mathieu, ch. xvin, v. 16.)

Ce serait saus doute une impiete que d'essayer de prouver la sagesse d'un ordre de Dieu. Seul auteur de la vie, seul il a pu permettre de 1'oter, et il ne veut pas que la vie d'un honinie depende du temoignage unique d'un autre homme.

Chretiens ! que sont les lois les plus positives des homines contre la loi formelle de Dieu ? Que sont tous les legislateurs contre le Legislateur

[ 266 ]

supreme dont la loi s'6tend a tous les homines comme a tous les lieux ?

Messieurs les jures, si 1' accuse" a pu commettre un meurtre, est-ce que le temoin unique ne peut pas se tromper ou se parjurer ? Le meurtre serait- il done plus facile a commettre que le parjure?

La vie d' un homme est entre vos mains : elle pese de tout son poids sur votre conscience.

PIECE D

CHANT NATIONAL

Sol canadien, terre che'rie !

Par des braves tu fus peupte ;

Us cherchaient, loin de leur patrie,

Une terre de liberte".

Nos pdres, sortis de la France,

Etaient l'e"lite des guerriers,

Et leurs enfants de leur vaillance

Ne fle"triront pas les lauriers.

Qu'elles sont belles nos campagnes ! En Canada qu'on vit content ! Saint, 6 sublimes montagnes, Bords du superbe Saint-Laurent. Habitant de cette contr^e Que nature sait embellir, Tu peux marcher tete lev^e, Ton pays doit t'enorgueillir.

Respecte la main protectrice D'Albion, ton digne soutien ; Mais fais £chouer la malice D'ennemis nourris dans ton sein. Ne fl^chis jamais dans 1'orage, Tu n'as pour maitre que tes lois. Tu n'es pas fait pour 1'esclavage, Albion veille sur tes droits.

Si d'Albion la main che'rie Cesse un jour de te prote"ger, Soutiens-toi seule, & ma patrie ! M6prise un secours Stranger. Nos pdres, sortis de la France, Etaient I'^lite des guerriers, Bt leurs enfants de leur vaillance Ne fle'triront pas les lauriers.

I. BljDARIX

TABLE ONOMASTIQUE

Ahern, J.-U., 216. Allison, Thomas. 107. Arnold, Benedict, 64. Aylmer, lord, 174 Aylwin, 186.

B

Baillarg£, L.-G., 216.

Bardy, Dr P.-M., 162.

Be"dard, I'abbe' Antoine, 161.

B£dard, Elz6ar, 161-217.

BMard, Flavien, 6.

B£dard, Isidore, 221-240, 267.

B6dard, 1'abbe" Jean-Baptiste, 6

Be'dard, I'abbe' Jean-Charles, 6.

BMard, Julie-Lucie, 163.

B£dard, 1'abb^ Laurent-Thomas, 6

B£dard, Louis, 6.

B^dard, Pierre, 1-150.

B£dard, Pierre-Hospice, 153-158.

BMard, l'abb£ Pierre-Laurent, 6.

BMard, Thomas, 6.

B&lard, 1'abb^ Thomas-Laurent, 6.

B£dard, Zoel, 243-246.

B^land, I'abbe C.-J.-O., 246.

Bellet, Francois, 243.

Berthelot, J.-A., 164, 231.

Berthelot d'Artigny, 9

Bethune, S., 216.

Bibaud, M., 7.

Blanchet, Mgr A.-M., 162.

Blanchet, MgrF.-N., 153.

Blanchet, Francois, 102, 135, 136, 138.

Bonne, juge de, 39, 40, 77.

Boone, Henriette, 163.

Borgia, 83, 138.

O69]

Bouc, C.-B., 170, 225. Boucherville, 1'abbe" de, 121. Bourdages, 40, 130, 167. Bourget, Mgr, 162. Bouthillier, A.-W., 9, 78. Bowen, juge, 186, 192, 193, 204. Brougham, lord, 15, 16. Bruce, lord, 215. Bruneau, Philippe, 7.' Buller, sir Francis, 199.

c

Cadieux, l'abb£J.-B., 158.

Caldwell, sir John, 239.

Caron, R.-E-, 166, 167.

Cartier, G.-E., 216.

Casault, l'abb£ L.-J., 185.

Casgrain, C.-E., 164.

Chaboillez, I'abbe', 154, 155, 157, 158.

Chabot, J., 216.

Chartier, I'abbe' E., 162.

Chauveau, Fran^oise, 162.

Chauveau, P.-J.-O., 236.

Cherrier, C.-S., 172, 216.

Christie, Robert, 168, 170, 223, 224, 225.

Colborne, sir John, 186.

Corbeil, Francis, 102.

Comeau, A.-S., 244.

Craig, sir J., 46, 69, 73, 86, 101, 104, 105, 107, 108, 109,

no, in, 118, 124, 125, 129, 252, 261. Cre'mazie, Jacques, 216.

D

Dalhousie, lord, 236.

Day, le juge, 198, 200, 201, 202, 205, 207, 213, 215.

Dean, 245.

De Gasp£, P. -A., 106, 112, 115.

Delagrave, C., 216, 232.

Demers, Pabb£ Jerome, 185.

Dionne, Amable, 164.

Dorion, A. -A., 216.

Douglass, Dr, 239.

Drolet, C., 216.

Drummond, soil. g£n. 215.

[ 270 ]

Dunn, Thomas, 66. Dupre", colonel, 64. Durham, lord, 198. Durocher, O. M. I., R. P. Duval, J., 216.

E

Elgin, lord, 199, 201, 203.

F

Ferland, I'abb€,?i8s. Fiset, Louis, 216. Fisher, Dr, 237. Follett, sir William, 194, 195. Fortin, 1'abbe" Barthelemy, 24. Foucher, juge, 137. Fox, 58. Foy, 120.

G

Gagn6, juge, 141.

Gale, juge, 200, 205.

Garneau, F.-X., 12, 27, 41, 87, 185, 2:9, 230, 231, 232, 233,

Gauthier, J.-O., 216, 239.

Gauvreau, Tabbe" C., 162.

Glackemeyer, J., 239.

Gosford, lord, 175, 176, 177, 178, 180, 208.

Grey, lord, 205.

H

Haussonville, d', 16. Heppell, 24. Holmes, 1'abbe", 185. Hubert, Mgr, 9. Hubert, Jeanne, 8.

K

Kerr, juge, 176, 177. Kerr, J.-H., 239.

L

Labrie, Dr J., 78, 79

Lacroix, Hubert, 7.

Lafontaine, L.-H., 185, 199, 207, 226.

Laforce, Pierre, 102.

Lajus, Francois, 8.

Lajus, Luce, 8, 148, 161.

L,anaudi£re, C. de, 109

[ 271 ]

Lanaudiere, X. de, 130, 261. Langlois, Louise, 245. Lartigue, Mgr, 156, 157. Lebrun, Isidore, 140. Lee, 226. Lefrancois, 102. LeVesque, Michel, 66, Lotbinidre, de, 17, 18, 19.

M

Macaulay, 14, 16.

Marquis, Pierre, 164.

Marrett, Julie, 163, 216.

Marrett, J.-L,., 163.

Marryat, 144.

McCarthy, Justin, 163.

McCarthy, Ursule, 79.

McEnnis, Julie-H., 163.

Meredith, W.-C., 216.

Metcalfe, lord, 244.

Mondelet, D., 169, 170, 171, 200, 205.

Monk, juge, 100, 216.

Montcalm, 236, 237.

Montgomery, 64.

Moquin, Louis, 163.

Morisseaux, l'abb£, 5.

Muir, G.-M., 151.

Mun, de, 2.

N

Neilson, John, 138, 144. Normanby, lord, 193.

O

Ogden, 138, 139.

P

Painchaud, Tabbed 158.

Panet, J.-A., 9, 83, 84, 85, 138.

Panet, Philippe, 164, 186, 191, 192, 197, 198, 204, 211.

Papineau, Joseph, 26, 118, 144.

Papineau, L.-J., 172, 174, 175, 180, 226.

Papineau. Pierre, 102, 123.

Parant, Dr, 152.

Parent Etienne, 130, 133, 149, 168, 222, 234.

Perrault, J.-F., 65, 77, 79, 80, 81, 82.

Pinguet, Charles, 162.

Plamondon, i,., 81.

Plant^, Joseph, 9, 83.

Plessis, Mgr, 106, 156, 157, 158, 249, 252.

Prevost, Sir G., 129.

Price, T.-H., 215.

Q

Quesnel, F.-A., 215.

R

Rolland, juge, 192, 193, 194, 201, 203, 204, 205.

Romain, 236.

Rose, J., 216.

Ross, D., 216.

Rouget de 1'Isle, 222.

Russell, lord J., 194.

Ryland, 83, 86, 125.

s

Sewell, Jonathan, 100, 129, 133, 134, 135, 136, 137 141,

194.

Sewell, W.-S., 239. Smith, juge, 201. Stanley, lord, 172. Stuart, Andrew, 162.

Stuart, James, 137, 138, 144, 190, 192, 209. Sydenham, lord, 198.

T

Tache", E.-P. 215.

Taschereau, J.-T., 20, 73, 83, 102, 136, 138.

Taschereau, J.-T., 163.

Taylor, John, 261.

Teed, 186, 188, 191.

Thibault, Josephte, 5.

V

Valli£res de Saint-Re"al, 163, 165, 185, 191, 197, 198, 211. Vanfelson, G., 138, 163. Vaughan, sir John, 199. Viger, D.-B., 173, 228, 229, 231.

w

Wolfe, 236, 237.

Y

Yates, sir Joseph, 199. Young, 227.

QTHEQUES SCOLAIRES'!

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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRA$C

F Dionne, Narcisse Eutrope 5452 Pierre Bedard et ses fils B3D4

Wallace

F.I

WALLACE ROOM