Google

This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project

to make the world's bocks discoverablc online.

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the

publisher to a library and finally to you.

Usage guidelines

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to prcvcnt abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automatcd qucrying. We also ask that you:

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for Personal, non-commercial purposes.

+ Refrain fivm automated querying Do nol send aulomated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project andhelping them find additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.

+ Keep il légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search mcans it can bc used in any manner anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite seveie.

About Google Book Search

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders discover the world's books while hclping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web

at|http : //books . google . com/|

Google

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en

ligne.

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont

trop souvent difficilement accessibles au public.

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d'utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public cl de les rendre ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un quelconque but commercial.

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en aucun cas.

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.

A propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //books .google. com|

p

S"

f

*■ «

BIBLIOTHÈQUE CHOISIE,

POÉSIES

DB

EMILE DESGHAlfPS.

Imprlmerte de wonMS, bouif Tan Pigaie, «o (ex»m mftroi).

POÉSIES

I>B

SlffZZaX DSSOSiLlCPS.

41'

NOUVELLE ÉDITION,

BeToo et eoniidérablement aigmentéc par Paulaur.

A wfm nÈBfi Amrom.

4(«

PARIS

H.-L. DELLOYE, ÉDITEUR

PLACB DB LA BOrRSK. 13.

1841

î4i /H/

4-

AVANX-Î^HOPOS.

^ La Fi^trce a eu sa poésie avant d'avoir sa lan- ^ ' gue ; ses chants inspirés sur un instrument incom- >^ plet ou à demi-barbare. Du Bellay, Ronsard, Kémi S Belleau, d'Auliigné, et quelques autres poëtes de 4i) la Pletade du xvr"» siècle, étaient, à vrai dire, des 1^ Théocrite, des Horace, des Tibulle,pour lagr^ce, '^ la verve, la fraîcheur et le coloris. Ils se ser- vaient merveilleusement d'un idiome rebelle et d'une grammaire défectueuse, sans avoir pourtant la force ni la volonté de les régulariser et de les épurer.

Enfin, Malherbe vint, et la belle langue française avec lui..., mais la poésie s'en alla peu à peu, à me- sure que le langage se perfectionnait ; l'instrument fut créé, mais on ne créa plus de mélodies ; le chan- teur avait fait place au luthier. Phénomène unique dans l'histoire des littératures ! la poésie et la lan- que française sont nées à un siècle de distance, et n'ont presque jamais pu marcher ensemble ( si ce n'est au théâtre ) jusqu'à notre époque, elles se sont enfin reconnues et embrassées sous la lyre d'André Ghénier, pour ne se plus quitter.

Ceci a besoin d'une courte explication pour ne pas ressembler beaucoup à un blasphème. Je com- mence par me prosterner avec tout le monde devant le génie de nos grands poètes dramatiques des deux derniers siècles ; je reste dans la même attitude en récitant les poésies légères de Voltaire ^ les épi- tres et les poëmes didactiques ou héroï-comique de Boileau, et i^rtout les fables de l'inimitable La Fontaine...; mais je suis forcé de reconnaître linféAorité de nos deux siècles classiques dans

ï Epique, le Lyrique et YElégiaque, c'est-à-dire dans ce qui est la poésie même.

Il était réservé aux poètes du xix*«* siècle d'ap- pliquer à ces trois genres suprêmes les procédés perfectionnés de la languç telle que l'ont faite les maîtres , et de poétiser encore les autres genres, sans oublier la chanson. Notre époque peut avoir de grands torts, même littéraires ; ne lui dénions pas au moins ses mérites et ses gloires incontes- tables.

Ma préface des Etudes françaises et étrangères , qui soulevait, en 1828, ces questions et beaucoup d'autres, souleva en même temps une vive polémi- que. Tout cela s'est apaisé ; le champ de bataille étant resté aux écrivains dits de la nouvelle école. Il y aurait donc peu d'utilité à reproduire cette pré- face après les différentes éditions de mes Etudes» Cependant , je regrette que l'espace manque ici pour ce trop long manifeste : le suffrage de l'illustre Goethe, douce compensation de tant de critiques, m'ayant fait un devoir sacré d'en répandre, en toute circonstance, les principes et les applications.

Et que de beaux talents poétiques se sont élevés depuis que je rendis hommage à nos grands poêles de répoquel II faut du courage pour lancer huit mille vers au milieu de toutes ces belles et fortes poésies. Mais, une fois sur la pente littéraire, on ne s'arrête pas : on écrit ce que l'on éprouve ; on pu- blie ce que Ton écrit; et il arrive ce qui peut de ce qu'on publie.

Un mot pourtant de ce recueil :

Il est composé de mes Etudes, moins quelques pièces, qui m'ont paru maintenant trop faibles à moi-même , et plus quatre mille vers environ qui n^avaient pas encore été imprimés ou réunis. I41 première partie , consacrée à la poésie éiran-

w m

VIJ

gère, contient la traduction de la Cloche de Schiller, et de la Fiancée de CoHuthe de Goethe : deux poë- mes que M""* de St^ël ne croyait pas qu'on pût faire passer dans le vers français. J'ai bien peur qu'on ne croie M""* de Staël sur sa parole et plus encore sur les miennes. Mon œuvre, de ce genre, la plus importante, est le poëme de Rodrigue , tiré de ces admirables romances espagnoles, si bien nommées une Iliade sans Homère. J'en ai traduit quelques- unes et j'en ai développé ou inventé entièrement plusieurs autres enm'inspirantde toutes les chroni- ques du temps ; j'ai conservé la forme lyrique des romances, en prenant soin de varier les rhythmes comme les tons ; et j'ai tâché de coordoner tous ces matériaux de manière à présenter un intérêt suivi, une espèce d'épopée dramatique, ayant son exposi- tion, son nœud et sa catastrophe.— Viennent ensuite des traductions de poésies des différentes langues de l'Europe, depuis le Portugais de r4amoëns et Y An- glais de Shakspeare jusqu'au Turc de Reschid- Pacha : sorte de Spécimen littéraire j'ai voulu saisir et fixer quelques traits caractéristiques de la physionomie de chaque Muse. Enfin, la seconde moitié du volume est remplie des compositions qui m'appartiennent : Poésies de tout genre et de toute dimension, depuis l'Elégie et l'Epttre jusqu'au Ron- deau et au Madrigal; depuis l'Ode et l'Idylle , jus- qu'à la Chanson ; depuis le Sonnet et la Ballade, jusqu'à l'Epigramme.

Il y a dans tout cela des choses qui peuvent pa- raître surannées pour la forme comme pour le fond, et d'une toute autre Tamilie que les poésies alleman- des ou anglaises qu'on affectionne si justement de nos jours et pour lesquelles j'ai fait moi-même de ia propagande. Mais j'ai suivi naïvement les im- pulsions de mon cœur ou de mon caprice ; et je

vnj

pense d'ailleurs qu'autant il faut se faire un autre quand on traduit, autant il faut ébre soi quand on compose. J'ai Thorreur des imitations déguisées en prétendue originalité. Si donc, âr côlé de morceaux qui ont le sérieux ou la mélancolie actuels, on en trouve qui, par le ton et Tallure, sentent un peu trop leur Louis XY, c'est que mon idée était dans le moment; car, je suis sujet de la fantaisie et non de la mode. Au surplus, par respect pour le pu- blic et pour moi, je me suis toujours efforcé , du mieux que j'ai pu, de corriger la futilité du genre par la sévérité de l'exécution; bien persuadé que dans les arts, comme en toute chose, la manière est pour beaucoup. Et puis, de même que j'ai tenté de naturaliser parmi nous quelques fleurs de toutes les poésies de l'Europe, j'ai cherché à ressusciter, par échantillons, toutes les variétés de notre vieille poésie nationale. Enfin, à ceux qui me feraient le reproche d'avoir, en certains cas, répudié leste- ment les types des polies étrangères, pour retom- ber dans les moules français du dernier siècle, je répondrais, qu'à tout prendre, il vaut peut-être mieux quelquefois ressembler à son père qu'à son voisin.

E. D.

Août 1841.

POÉSIE ÉTRANGÈRE;

LiVRB X,

ESPAOITZ*

Zi33 POXliCa

DB

RODRIGUE,

DERinKK KOI DES COTHS.

(bnité da bobiancbro.)

FLORINDE.

I.

Florinde, aTec ses compagnes » Sort de la tour du palais; Folâtrant par les campagnes. Non , dans toutes les Espagnes, 'Rien n'est si beau, Toyez-lesl

Bientôt, leur riante foule, En chantant, s'arrête auprès D'un ruisseau d'argent qui ronl« Des sables d'or, et s'écoule Sous un bois de myrlhes frais.

Leurs pieds, doux comme la soie. Par l'eau vive sont mouillés ; l^lorinde prend avec Joie Sa ceinture et la déploie, Et dit : Mesurons nos pieds.

Le ruban c^urt sops les branchei. Et Florinde, Diea merci , Môme au dire des moina franches, A les jambes les plas blanches Et les mieux faites aussi.

Chacune aussitôt dénoue Ses cheyeux bouclés et longs ; Le yent les berce et s'y joue. Ceux de Florinde, on Tayoue, Sont les plus beaux : ils sont blondi.

Et ces fliles ingénues Croyaient les hommes bien loin. Et leurs gr&ees inconnues Se réyélaient^ presque nues. Aux yeux d'un ardent témoin*

Caché sous sa jalousie.

Le roi Rodrigue put yotr.

Libres dans leur fantaisie

Ces nymphes d'Andalousie

Aux blanches mains, à Tœil noir.

Toutes, jusqu'à la dernière « Reyinrent enfin par ; Florinde marchait derrière ; Le roi, d'un ton de prière, De son balcon lui parla :

«c Belle Florinde, oh ! viens! Je t'ai vue et jQ t'aime : « Mon sceptre et mon orgueil s'inclinent devant toi. « La suprême beauté vaut la grandeur suprême ; « Pour payer ton amour c'est trop peu d'être roi.

« YienSjOn je vais mourir... Je veux que les duchesses « Sur leurs pliants dorés pâlissent à ma cour, «c Et détestent leur rang, leurs pages, leurs richesses. En voyant tes grands yeux, ta gloire et mon amour. »

t:^ 5 va

Fiorindeau roi de Castille Pas ua seul mot n'adressa ; Elle ferma sa mantille, Sur sa figure gentille Jeta son Yoile, et passa.

Mais attendez. Les rois sont cruels par nature; lËt ce n'est pas ainsi que finit Tavenlure.

RODRIGUE ET FLORBVDE

II.

Le cœur plein de bon te , Le front pâle monte Une rougeur prompte, Baigné de sueur; Sous des pleurs sans nombre. Ses regards dans l'ombre Jetant une sombre £t morne lueur ;

De ses mains craintives Retenant captives Les mains trop actives Du roi, jeune et fou , Une faible femme Rebelle à sa flamme, Et, Porgueil dans l'Ame, l^liant le genou ;

^ 6 «j

Morte de faligue. Parle au fier Rodrigue^ Et prie et prodigue Sanglots et clameurs ; Comme si les larmes, Avec tant de charmes, Devenaient des armes Contre un roi sans mœurs h

« Seigneur, qu'allez-vous faire ! O barbare faiblesse!.. Que faites-vous, seigneur.'.. Je suis d'un noble sang. Un roi doit^ avant tout, respecter la noblesse; Et Dieu veille sur moi, car mon père est absent.

« Il est absent pour vous ; il combat les rois Maures. Cherchez-vous dans sa honte un infâme bonheur?... Laissez-moi regagner Tombre des sycomores... Ma vie est en vos mains, mais ccn pas mon honneur 1 »

Mais Rodrigue vite De plus prés Tinvite ; Florinde l'évite Et fuit sur les Heurs ; Il poursuit sa trace. Et déjà l'embrasse ; Et, voyant sa grâce, Ne voit pas ses pleurs.

« Quand mon père, les nuits, veille auprès de sa lance. A ses vieux ans guerriers réserves-tu ce prixP Roi, que diront Tolède et Grenade et Valence P... Fuis! d'elles et de moi n'attends que le mépris 1 »

Elle disait.... et se dégage. Or, qu'advint-il de ce langage, De ces refus pleins de fierté P Florinde perdit l'innocence. Le roi Rodrigue sa puissance Et l'Espagne sa liberté.

Philtres d'enfer, nocturne embûche, sombre fntrigae

Et yiolence, tout Tint en aide à Rodrigue....

Puis de sa belle proie en un Jour il Tut las ; Et la noble fille outragée Gria vengeance , et fut vengée

De son lÀche vainqueur... mais sur l'Espagne, hélas !

Qui fut le plus coupable, en sa faute mortelle,

De Florinde ou du roi ? Comme alors, aujourd'hui

Les hommes disent que c'est elle ;

Les femmes disent que c'est lui.

LE COMTE JULIEN.

^

C III.

Le comte Julien, seigneur de Tarifa,

S'arrache les cheveux et la barbe en désordre ;

On le voit déchirer et tordre Ses bras, par qui cent fois l'Espagne triompha ; Il blesse son visage auguste, et sur ses armes Tombent de ses. deux yeux le sang avec les larmes.

Tantôt, d'un air faUl, le vieux chef espagnol Regarde le chemin de Xérès à Cordoue ;

Tantôt tristement il secoue Sa tète vénérable et regarde le sol ; Tantôt il la relève avec les yeux en flamme, Et regarde le ciel, portant l'enfer dans l'Ame s-

8 C$

« Ainsi, mes cheveux blancs d'opprobre sont couverts I Ah ! le roi leur a fait cette mortelle injure !

Haine ! vengeance I je le jure .' Pauvre vieillard, sur qui tous les y eux sont ouverts ! Un seul affront flétrit toute une belle vie Qui d'une belle mort aurait été suivie !

M Roi sans cœur, roi félon, si bas dana ta grandeur. Voluptueux tyran, de tes désirs esclave, Homme lâche en effet, si brave Pour corrompre une vierge et souiller sa pudeur!... Mort et damnation !... Prends garde, prince infâme! Cinq cent nulle Africains vengeront une femme.

(f Malheur au roi Rodrigue ! et malheur éternel ! Quand l'Espagne, témoin de mon ignominie,

Tout entière serait punie ! Les innocents paieront pour leur roi criminel. C'est juste : un peuple vil qu'un vil tyran domine, Doit accepter aussi la peste et la famine.

« Dieu m'est garant pourtant que, -ai d'autres secours A ma sainte vengeance ouvraient une autre voie.

Je les saisirais avec joie, Car l'Espagne est si belle, et je l'aime toujours !... Que le Maure entre donc dans l'Espagne abattue. Qu'il désole ses champs, qu'il y ravage et tue i -

« On m'a fait bien du mal, et j'en ferai beaucoup, Quand les dés une fois sont jetés sur la table,

La partie est inévitable, Nul ne peut fuir la chance ou retarder le coup. Malheur donc sur le roi qu'aucun remords n'arrête ) Qu'il perde tout, l'honneur, la couronne.... et la tête ^

« Il a cru que ma main n'atteindrait pas son ftont : Alors il s'est permis toutes les violences....

Toi qui dans de justes balances Pèses, Dieu des chrétiens, la vengeance et l'affront | Prends pitié d'un soldat que sa ferveur renomme. D'un vieillard qu'en jouant déshonore ao jeune homme, n

Ainsi parle et ragit le comte Jalien.

Sa main Croisse nn papier qu'à peine il vient de lire.

Et dont ses dents, en son délire. Ont arraché l'adresse et brisé le lien. Hélas ! c'est une lettre oii Florinde raconte Son malheur, si honteux pour la fille d'un comte*

LETTRE DE FLOREVDE.

IV.

Ah 1 monseigneur et père,* Vous en qui seul J'espère, Vous, le seul que Je crains Dans mes chagrins^

Gomme une pécheresse Prie nn moine, et le presse Et baise son cordon, Criant : pardon !

Comme une humble sujette Aux pieds d'un roi se jette En demandant merci. Je fais ainsi.^

Encore un regard tendre I Avant que de m'entendri^ Vous, mon prêtre et mon roi, Bénissei-moi.

Oh I mes belles années^ Qui fuyaient, couronnées D'innocence et d'honneur !..« Oh ! quel bonheur

Quand, près de yoas sans ceflMi

Ni reine ni princesse N'ayait un sort pareil Sous le soleil I

Quand, d'extase rayie. Vous me lisiez layie Des bienheureux martyrs, Les repentirs

De Sainte-Madeleine, Qui cacha sous la laine Ses attraits pénitents A dix-huit ans ,

Et la yisite étrange Que Marie eut d'un ange , Et la crèche et les rois. Mages tous trois !

Mon bon père, quels charmes Quand, dans la saHe d'armes pendaient aux pilien Cent boucliers,

Je chantais la romance Qui par ces mots commence : Le plus beau nom chrétien, C'est Julien !

Et les grandes armures Rendaient de sourds murmures. Gomme au réyeil d'un camp S'entre-choquant :

Et yous disiez : « Ma fille, L'âme de la Tamille, Ta mère, ange mortel, Est dans le ciel....

« Ta mère Ttl encore ; Sa grâce te décore ; Cest son regard, sa voix ; Je la revois! »

C'est alors qu'à Tolède Une f6te était laide Si je n'y voulais pas Suivre vos pas.

Dieu du ciel!., et naguère» En partant pour la guerre , Votre brillant exil» Vous souvient-il

Gomme sur la pelouse Ma cavale andalouse Suivit votre coursier Couvert d'acier ^

Et comme, après six lieues, Au chemin des Croix-Bleues^ Il fallm rarrèler Pour se quitter l

Hélas ! hélas ! que n'ai-je, De mes voiles de neige Me dépouillant alors, Chargé mon corps

De l'airain de9 «nirasses, M'attachant à vos traces. Comme un esquif léger Aime i nager

Aux flancs du grand naTlr% Et triomphe ou chavbre Avec le roi flottant Qtt'U chérit tanti

Pouri]uoi, de pleurs noyée, M'avez-vous renyoyée Seule dans cette cour. Fatal séjour

Peuplé dMnrftmes pièges, De complots sacrilèges. Plus noirs que les desseins Des Sarrasins ?

Et moi, près de la reine. Ma digne souveraine. Sans peur du roi, j'allais Dans le palais.

Plût à Dieu que la terre EnrermÂt ce mystère De crime et de remords Atvec ses morts !

Ah ! mes pleurs, j'en suis tûre^ Par qui sont, à mesure. Les mots que j'ai tracés Presqu'effacèsf,

Vous apprennent de reste Ce mystère funeste Que je ne puis celer, NiréYéler.

En un mot, votre fille, Votre sang qui pétille, Mêlé plus d'une fois Au sang ^es rois,

A souffert ^iveorige Le plus horrible outrage De leur vil successeur !..•• Aimez ma sceur.

^15 «I

Oubliez-moi.... Biais, eomti^ N'oublies pas la bonté Faite i Yoire maison ; Tirez raison

De tant de perfidie, Par le fer, l'incendie... Dites à l'étranger De nous venger ;

Et que l'Espagne apprenne Mon injure et ma baine Par rédat seulement Du chfttimeni!

RODRIGUE

PENBAirr LA BATAILLE. V.

C'est la buitième journée De la bataille donnée Aux bords du Guadalèté; Maures et Chrétiens succombent, Gomme les cédrats qui tombent Sous les Ûècbes de l'été

Sur le point qui les rassemble Jamais tant d'hommes ensendile N'ont combattu tant de joarz| C'est une bataille immense Qui sans cesse recommence, Plus formidable tov^ourii.

Enfin le sort se.décide^ Et la Victoire homicide Dit : Assez pour aujourd'hui t Soudain l'armée espagnole Devant TArabe qui vole Fuit .... les Espagnols ont fui !

Rodrigue, au bruit du tonnerre. Gomme un vautour de son aire. S'échappe du camp, tout seul ; Sur son front, altier naguère, Jetant son manteau de guerre Comme on ferait d'un linceul.

Son cheval, tout hors d'haleine, Marche au hasard dans la plaine, Insensible aux éperons ; Ses longs crins méconnaissable!, Ses pieds traînent sur les sables. Ses pieds, autrefois si prompts.

Dans une sombre altitude , Mort de soif, de lassitude. Le roi sans royaume allait. Longeant la côte escarpée, Broyant dans sa main crispée Les grains d'or d'un chapelet.

Les pierres de loin lancées, Par son écu repoussées. En ont bosselé le fer; Son casque déformé pèse •Sur son cerveau, que n'apaise Signe de croix ni PaUr»

Sa dague, à peine attachée. Figure, toute ébréchée. Une scie aux mille dents; Ses armures entr'ouverteSi Rougissent, de sang couvertes, Gonmie des charbons ardentt»

^ I5«

Sur la pliu haute collioe Il monte, et^ sa javeline Soutenant ses membres lourds, Il Toit son armée en fuite, Et de sa tente détruite Pendre en lambeaux le velours.

Il voit ses drapeaux sans gloire Couchés dans la fange noire, Et pas un seul chef debout ; Les cadavres s'amoncellent. Les torrents de sang ruissellent... Le sien se rallume et bout.

Il crie : « Ah ! quelle campagne! Hier de toute l'Espagne J'étais le seigneur et roi ; Xérès, Tolède, Sévllle, Pas un bourg, pas une yille. Hier, qui ne fût à moi.

Hier, puissant et célèbre. J'avais des châteaux sur l'Ebre, Sur le Tage des châteaux; Dans la fournaise rougie. Sur Tor à mon effigie Retentissaient les marteaux.

Hier, deux mille chanoines Et dix fois autant de moines Jeûnaient tous pour mon salut; Et comtesses et marquises. Au dernier tournois conquises, Chantaient mon nom sur le luth.

Hier, j'avais trois cents mules. Des vents rapides émules, Douze cents chiens haletants, Trois fous, et des grands sans nombre. Qui, pour saluer mon ombre. Restaient au soleil longtemps.

Hier, j'avais douze arméei, YiDgt forteresses fermées. Trente ports, trente arsenaux... Aujourd'hui, pas une obole, Pas une lance espagnole. Pas une tour à «aréneanz !

Périsse la nuit fatale Où, sur ma couche natale. Je poussai le premier cri ! Maudite soit et périsse La castillane nourrice A qui d'abord j'ai soort!

Ou plutôt, folle chimère ! Pourquoi le sein de ma méro Ne fût-il pas mon tombeau?... Je dormirais sous la terre. Dans mon cayeau solitaire. Aux lueurs d'un saint flambeau ;

Avec les rois, mes ancêtres. Avec les guerriers, les prêtres Dont le trépas fut pleuré; Ma gloire eût été sauvée. Et l'Espagne préservée De son Rodrigue abhorré !...

Et mon père, à ma naissance, En grande réjouissance. Fit partir deux cents hérauts! Et des seigneurs très-avares Aux joutes des deux Navarres, Firent tuer leurs taureaux !

Chaque madone eut cent cierges. On dota cent belles vierges Pour cent archers courageux ; On donna trois bals splendides. On brûla trois juifs sordides.... Ce n'était qu'amours et jeux

^ 17 «)

Ah! que Dieu m'entende et m'aide> Ce fer est mou seul remède. Mais Saint- Jacques le défend. Ce que je veux, je ne Tose ; Car ré?6que de Tolose, Qui m'a béni tout enfant»

Promènerait sur la claie Mon cadavre avec sa plaie, Aux regards de tous les miens ; Puis, sur une grève inouï le. Le livrerait à Tinsulte Des loups et des Bohémienr.

Mais les trahisons ourdies, Les chagrins, les maladies Sauront bien- me secourir. Assez de honte environne Un front .qui perd la couronne. Pour espérer d'en mourir.

Car, quelle duègne Insensée Me croirait l'humble pensée De vivre avec des égaux ?... Celui qui de si haut tombe De son poids creuse sa tombe. Mort au dernier roi des Gotbs I

18 €3

BERTRAND INIGO.

VI.

Quand nous parltmes tous pour aller au-devant

Des Arricains, jelés dans nos plaines fécondes.

Plus nombreux que les grains de sable au fond des ondes,

Ou les feuilles des bois que tourmenle le vent,

Nous jurâmes ensemble, au nom du Dieu vivant ,

Que celui d'entre nous qui mourrait aux bataillas

Serait au camp du roi saintement rapporté,

Afin que sur son corps un psaume fût chanté ,

Et qu'en terre chrétienne il eût ses funéraillAs*

Et comme (heureux les morts tombés en combattant !) Gomme les Sarrasins, par trahisons et crimes Furent vainqueurs, au fort du combat nous perdîmes Don Bertrand Inigo, l'invincible pourtant! Sept fois de suite au sort les fuyards, à Tinslant, Tirèrent, pour lui rendre un honneur qu'il e8pèr.\ A qui Tirait chercher, au risque de ses jours. Chose étrange I sept fois, le sort tomba toujours Sur le bon vieux guerrier, son vénérable père.

Les trois premières fois ce fut bien le hasard ,

Les quatre auires ce fut une fraude notoire ;

Fraude inutile, hélas ! car dans leurs rangs sans gloire

Il ne fût pas resté l'héroïque vieillard.

II recommande à Dieu son âme, d'un regard ;

Détourne son cheval, et, dévorant ses larmes,

Sans que nul l'accompagne en son pieux devoir,

Furieux de douleur, riant de désespoir.

Il apostrophe ainsi tous ses compagnons d'armes ;

« Bien ! allez retrouver tos sœuri et toi enfants ; Fuyez^ chrétiens^ pour qui vivre infâmes c'est vivre ! Je vais revoir mon fils. Gardez- vous de me suivre : Ce serait une gloire, et je vous le défends. Une mort glorieuse ou des jours triomphants. Tel est le but du brave et le prix de ses tâches. Dieu le sait, je n'ai craint qu'une fois le danger ; Cest quand j'ai vu mon fils, en héros, s'y plonger; Hais je ne crains plus rien que vos regards de lâches.

» Au camp des Sarrasins je ne retourne pas A cause du serment, saint nœud qu'on ne peut rompre, Ou du sort qu'à mes yeux vous avez pu corrompre: La vengeance et l'amour y conduisent mes pas. Si mon fils, mon cher fils, en courant au trépas. Ne s'est point souvenu du vieux père qu'il laisse, Je veux, en retournant aux plaines de Xérès, Lui montrer que son père, expirant de regrets , Ne Ta point oublié, comme lui ma vieillesse.

« Et vous, lâches guerriers, si les serments sur vous Ont quelque poids encor, que nul de vous ne croie. En m'en voyant trouver la mort, ma seule joie, Échapper au trépas qui vous appelle tous. Jetez encor les dés, faussez encor les coups : Il faudra bien savoir, escadrons de la fuite. Qui viendra me chercher ; car, par ce crucifix , Je ne vais point là-bas pour rapporter mon fils Hais pour tuer longtemps et pour mourir ensuite. »

fi» » d

FUITE DE RODRIGUE

VIL

A l'heure les oiseaux cessent leurs chants diDt l'air, Od la terre, le sein voilé comme les veuves.

Semble attentive au bruit des fleuves

Qui descendent jusqu'à la mer ,

Où^ docile aux appels de la magicienne, Chaque étoile à son tour perce le firmament.

Brillante comme un diamant

Sur le front d'une Égyptienne,

Préférant l'humble habit des derniers paysans A la pourpre royale, aux aigrettes guerrières,

Qu'il enfouit dans les bruyères.

Plus pâle que ses courtisans ,

Cherchant dans les marais un fétide breuvage. Dévorant l'herbe jaune et l'écorce des glands,

Et quelquefois aux loups sanglants

Disputant leur chemin sauvage ,

Bien différent, sans or, sans insignes royaux. De ce superbe Goth qui, sur un char d'ivoire.

Se présenta pour la victoire

Tout élincelant de joyaux,

Sa barbe et ses cheveux collés d'un sang bleuâtre^) Moitié du sien, moitié de celui du vainqueur,

Un Christ d'ébène sur son cœur

Qu'il baise comme un idolAlre,

21 <

La tète sans arnut, le Tisage noirci

De poussière, aux reOets d'une orageuse loue,

Triste image de sa fortune

Qui s'est réduite en poudre «wsi ;

Monté sur Orélfo, fon beau cheTal de guerre. Si las qu'il pousse à peine un sourd gémissement»

Et qu'il s'en yient à tout moment

Donner du poitrail contre terre j

Ainsi Rodrigue, seul, comme en proie aux démons, Loin des champs de Xérès, grande et morne campagne.

Cette Gelboe de l'Espagne,

Fait par les bois et par les monts.

Il courbe i chaque pas sa gigantesque taille ; Devant les yeux il n'a que spectres et tantours.

Et dans son oreille est toujours

Le bruit lointain de la bataîHe.

Tout l'accuse et l'efflraie et le remplit d'horreur, n ne sait porter tes regards ^ s'il regarde

Le ciel , c'est le ciel qui lui garde

Le châtiment de sa fureur ;

S'il regarde la terre, ah! la terre qu'il foule « Cette terre des Goihs dont il était te roi.

Elle ne connaît plus sa loi.

Les Maures y régnent en foule.

S'il rentre dans son cœur et veut s'y reposer. Oh ! c'est qu'il retrouve un combat plus terrible

Cent fois que la mêlée horrible

son sceptre vint se briser.

Quelques fuyards blessés, perdus dans les ténèbres. Se traînent, maudissant Rodrigue i son côté,

Et glacent son esprit hanté

Par mille visions funèbres.

Donc, la terre et le ciel, les yivants et les morts. Tout lui semble taché d'un sang indélébile ;

Tout, dans sa pensée immobile,

Prend la forme de ses remords.

Et Florinde! Florinde !... II croit la yoir encore. Debout, échevelée, et sur tous les chemins, Qui pleure, et de ses faibles mains Tantôt le repousse, ou Timplore,

Ou conjure les Saints.... mais que rien ne sauva Des brutales amours d'un prince, aux fureurs viles,

Ni du mépris de trois cents villes.

Ni du surnom de la Cava.

Il croit l'entendre encor sur sa tête adultère Appeler par trois fois les vengeances de Dieu, Sinistre et formidable adieu Dont la voix ne peut plus se taire!

Voilà donc quelle nuit d'inconcevables maux Passait le roi Rodrigue en s'enfuyant, farouche ,

Et, parmi les soupirs, sa bouche

Laisse pourtant tomber ces mots :

« C'était alors, Rodrigue, auteur de tant de larmes, Que tu devais t'en fuir I Roi lâche et corrompu, Insensé, toi qui n'avais pu Contre l'amour trouver des armes,

H Comment espérais-tu résister au malheur?

Si tu n'avais montré cette indigne faiblesse, Action d'un roi sans noblesse, D'un guerrier, d'un Golh sans valeur,

« L'Espagne encor vivrait libre, puissante, altière. Et sa brave jeunesse, héroïque moisson,

Dans ses champs, avant la saison.

Ne dormirait pas tout entière.

e ^

« Ma bonté n'aurait pas mes vassaux pour témoins $ Mes palais n'auraient point un Arricain pour mattre

Et la fortune aurait peut-être

Une dérision de moins.

« Mais toi, souillant encor ta vieillesse flétrie» Toi, comte Julien, père aveugle, pourquoi,

Quand la faute n'est que du roi,

En punir ainsi la patrie P

« Tu devais me frapper à grands coups de poignards ^ C'eût été bien agir, et la chance était bonne ;

Mais non : aucun pouvoir ne donne

Le cceur des lions aux renards.

« Quelle noble pensée en un cœur vil peut nattreP Avec tes Sarrasins va conquérir Penfer... Ah ! si dans le combat ce fer Eût pu du moins te reconnaître !... »

Rodrigue allait poursuivre encor, les yeux ardents; Mais la rage étouffa sa voix et ses pensées^

Et de ses paroles pressées

Brisa le reste entre ses dents.

Son cheval tomba mort. Parmi tant de désastres. Sur ce dernier ami le roi pleura penché,

Et, prés du cadavre couché,

Tandis que s'enfuyaient les astres ,

& dit : « Espagne, adieu ; misérable séjour , Terre inf&me ! Adieu donc, esclave autrefois reine !

Puis, embrassant Thumide arène.

Muet, il attendit le jour.

m

> 24 •^

RENCONTRE

QUE FIT RODRIGUB.

Vin.

Cependant les jours se succèdent. Le roi, que les remords obsèdent, Spectre, avec les regards d'un fou. Et, pour distraire sa pensée, Entrant ses ongles dans son cou. Par le soleil, la nuit glacée, Marche, marche sans savoir où.

Seul, cherchant Poublî de son être. Comme un loup, un soir, il pénétre, Hurlant, prés des lacs en repos. Parmi des montagnes sans bornes. Où, devant lui, couvert de peaux, S'offre un berger, qui, les yeux mornes. Comptait lentement ses troupeaux.

« Bon homme, lui dît-il, écoute : Ne peux-tu m'indiquer ma route. Et m'enseigner, de ce côté. Quelque village, quelques chaumes l'on voulût, par charité^

Avant les heures des fantômes. Me donner l'hospitalité?

« Car je suis brisé de fatigue. » Le berger répond A Rodrigue :

« Vous chercheriez pendant huit jours, L'ami, sans rien voir davantage :

Dans ces déserts, pays des ours, On ne trouve qu'un ermitage prie un ermite toiyours. »

» «I *•

Le roi fut content ; Tespérance Éclaircit un peu sa souffrance : Tel dans l'ombre un rayon paraît. Il pensa que dans ce refuge Sa pénitence enfin pourrait Obtenir du souverain juge Quelque moins formidable arrêt

Et, pourvu que Dieu le soutienne, Qu'il ferait une mort chrétienne, A quoi certe il allait songer. Mais, sa faiblesse étant extrême. Il demanda vite au berger S'il pouvait, dans cet endroit mème« Trouver quelque chose à manger.

Le berger tira tout de suite Du pain et de la chèvre cuite Et deux limons de Portugal De sa besace dégonflée. Le souper était bien flrugal, Le pain noir, la viande brûlée... Pour le roi ce fut un régal.

Toutefois, sa faim assouvie, Des brillants tableaux de sa vie Il recomposa les couleurs. Vers ces festins où, sur la moire^ Riaient les dames et les fleurs, 11 retourna par la mémoire. Et se prit à verser des pleurs.

Puis, « donc, dit-il, est Termite? Et des monts que le ciel limite Il prend la longue route encor^ En laissant à son hôte agreste Une chaîne et sa bague d'or. Seule fortune qui lui reste. Hélas ! de son royal trésor.

t^ 86 ^

SON REPENTIR.

IX.

« C'est pour racheter nos faut«» Que vous êtes descendu Parmi nous, indignes hôles, Jésus, sauveur attendu l Divin Jésus, que je nomme Dans un saint effroi, si l'homme N'eût pas péché sans reraord , Voire nature suprême Ne se fût pas elle-même Faite homme, en bulle à la mort.

« Voilà Rodrigue, l'infâme. Ce roi vil et déhonté, Et qui voudrait, dans son âme» Ne l'avoir jamais été ; Seigneur, c'est un adultère Qui baise humblement la terre. D'où ies morls se lèveront, Et qui, devant voire trône. Marcherait sur sa couronne, . S'il l'avait encore au front.

« Le sang de mon peuple crie.

Versé par le Sarrasin ;

L'Espagne entière vous prie

Contre un monarque assassin.

O mon Dieu ! comme un peu d'herbe^

Je foulais d'un pied superbe

Les villes et les hameaux ,

El, dans mon règne prospère,

Je vous oubliai, mon père,

Vous que j'invoque en mes maux.

SI

^ 27 €3

« J'ai ri des avis célestes. J'ai méprisé vos décrets ; Les conseils les plus funestes Sont ceux que je préférais. Cent favoris, vaine tourbe, Au front Joyeux, au cœur fourbe. M'adoraient pour un coup d'œil ; Et j'enfernnais vos ministres, Gomme des oiseaux sinistres, Dans leurs églises en deuil.

« Possédé du mauvais ange, Mon cœur, loin de vous jeté. N'est qu'un abtme de fange, De Tice et d'impureté. Pourtant, Seigneur, je déplore Mon crime, et de vous j'implofA Miséricorde et pardon ; Mais une voix implacable, Qui me poursuit et m'accable Comme les coups d'un bourdon^

« Crie en mon âme troublée! Qu'il est trop tard aujourd'hui, Que la mesure est comblée. Que Dieu m'écarte de lai , Et que la mort demandée IVe peut pas être accordée Gomme une rémission. Au chrétien de qui la vie D'un bout à l'autre dévie De la roule de Sion.

« Dois-je espérer?... Je me flatte^ Je dis : Ce n'est pas en Tain, Doux Jésus, que, sous Pilale, Coula votre sang divin. Tous les jours la sainte messe Consacre votre promesse ; Vous êtes mon créateur : Vous n'aurez pas le courage D'anéantir votre ouvrage, O mon Dieu , Dieu rédempteur!

28 «t

« Je suis le bouc émissaire ,

Mais vous êtes le Sauveur

Que mon repentir sincère

Intercède en ma faveur!

La pénitence et ses larmes

Pour vous, Seigneur, ont des charm«s«

Je suis assez châtié :

Grâce !... et, si la inort propice

M'ouvre quelque précipice.

De mon âm&ayez pitié! »

Telle est la prière sainte Que le plus pauvre des rois Adressait, rempli de crainte, Au Dieu mort sur une croix; Tandis que sa marche lourde, Avec le bâton, la gourde. Se traînait péniblement Vers les hauts rochers qu'habit» Le bon père cénobite, Tout auprès du firmament.

LES BRIGANDS.

X.

« Quoi! lâches, vingt contre un ! et sommeil me preste, El, dans ces rochers sourds, d^une voix de détresse

Vainement cr!rail-on ! Et la nuit vient, versani ses funèbres alarmes. Et vous avez du fer et toutes sortes d'armes, ^

Et )e n'ai qu'un bâton !

iS 29 «s

« Point de pleurs cependant, point de prières vaines. Je ne sais quelle flamme a passé dans mes veines,

Mais qui s'avance est mort ! Comme autrefois Samson, gardé par vingt cohortes, Qui de Gaza, la nuit, déracina les portes,

Je sens que je suis fort ! »

Et, chargé d'un rameau, noueux débris d'un orme, Rodrigue encor semblait lever sa lance énorme.

Ou son sceptre de roi ; Et, devant son rocher, comme aux marches d'un trône. Les Brigands, dont la foule humblement l'environne,

Restaient muets d'effroi.

n fait un pas : tout tremble et fuit A son approche, Tous, ensemble mêlés, roulent de roche en roche

Gomme un sombre torrent , Arrachant leurs manteaux et jetant sur la terre Javeline, poignard et large cimeterre.

Et toujours murmurant.

Rodrigue les poursuit du regard ; il ramasse D'une main une épée et de l'autre une masse.

Et, debout sur le roc. Les écoutant bondir et tomber des montagnes, Des milliers d'Africains vomis dans les Espagnes

Il n'eût pas craint le choc.

Certes, dans ce moment, si de sa vieille armée Eût paru quelque reste i sa vue enflammée

En criant : Liberté ! Il eût jusqu'à la mer, borne du monde antique. Balayé les turbans, et du sceptre gothique

Rétabli la fierté.

Un des brigands, sauvé par hasard dans sa chute, A confessé, depuis, que l'étranger en butte

A leur piège assassin N'avait pas d'un mortel l'attitude ordinaire; Qu'avant de s'échapper, sa voix comme un tonnerre

Mugissait dans son sein ;

ï^ 30 a,

Qu'il avait devant eux grandi de vingt coudées ; Que, de rouges éclairs ses prunelles bordées,

Comme un phare avaient lui Que ses deux pieds marchaient du pas des avalanches, £t que deux anges purs, velus de robes blanches^

Se tenaient près de lui.

C'est Dieu dont la bouté suscita ce miracle

Pour qu'un trépas subit n'apportât point obstacle

Au salut du pécheur; Pour que l'âme du roi, qu'il était prêt à rendre, Aux sources de la grâce eût le temps de reprendre

Sa native blancheur.

PENITENCE

ET MORT DB RODRIGUE.

XL

Heureux celui que le Seigneur afflige ! La nuit pesait tristement sur la mer Lorsque le roi, d'un repentir amer Tout obsédé, comme avant le prodige. Arriva faible et l'esprit inquiet Vers la cabane l'ermite priait.

Il l'aperçut à genoux sur la pierre, Calme, éclairé par deux cierges tremblants. Et rose encor sous ses longs cheveux blancsr..i Des pleurs pieux couvrirent sa paupière. Jamais le roi n'avait vu nulle part. Depuis son père, un aussi beau vieillard.

9 31 ^

Il s'approcha. L'ermiie lui Qt signe

De le laisser finir son oraison.

Rodrigue au seuil de la sainte maison

S'agenouilla, quoiqu'il en fût indigne.

Bientôt : « Entrez, dit le saint homme, et puis

Âpprenez-moi pour vous ce que je puis.

u Mais il est tard, vous êtes las sans doute; Étendez-vous sur ce Teuillage épais. Nous parlerons demain ; dormez en paix. Et touierois, pour vous remettre en roule, Gardez sur vous celte pièce d'argent ; On est toujours trop pauvre en voyageant. »

Le roi rougit. Mais quelle horreur subite Quand sur l'aumône il retrouva ses traits \ Un cri terrible, et des larmes après, Enfin ces mots étonnèrent Termite : « Je suis Rodrigue ; hier j'étais le roi t Si vous l'osez, priei encor pour moi ! -

c Je suis venu, conduit vers vous, mon père, Par mes remords et par le Saint-Esprit. Oh ! dites-moi : le sang de Jésus-Christ, En qui le monde et Tenrer même espère, Sufflra-t-ll pour laver mes forraits ? Mon front maudit se courbe sous leur faix. »

<c C'est vous! c'est vous! dit Termite... N'importes

Vous avez pris le chemin du salut.

Confessez-moi vos péchés. Dieu voulut

Au Paradis ouvrir plus d'une porte;

Et la plus large, à ne vous point mentir,

Ce fut toujours celle du repentir.

« A genoux donc, et songeons à votre Âme ;

Nous penserons plus tard à votre corps. »

Comme Saûl s'apaisait aux accords

Du saint pasteur qu'un feu céleste enfiammej

Ainsi Rodrigue a par degrés senti

Se soulever son front appesanti. »

32 <Q

Le roi s'étant confessé, le vieux prêtre Le sermona d'un ton grave et touchant ; Puis en prière il se mit sur-le-champ, Suppliant Dieu de lui faire connaître La pénitence, horrible assurément, D'un tel pécheur trop juste châtiment.

Il demeura trois heures en prière. Frappa souvent sa poitrine ; enfln Dieu Lui révéla qu'il fallait qu'en ce lieu Rodrigue entrât vivant dans nne bière l'on aurait d'avance renfermé Une couleuvre au dard envenimé.

L'ermite, heureux de cet avis suprême, L'apprit au roi, qui, plein d'un saint espoir. Se rejouit, et se mit en devoir D'exécuter les ordres de Dieu même.

Il fit sa tombe et quand il s'y plongea.

Une couleuvre y remuait déjà.

Trois jours après celte épreuve accomplie. L'ermite au roi s'adressa d'un air doux : « Bon roi, là-bas comment vous trouvez-vous ? >. -* « Dieu n'entend rien ; la couleuvre m'oublie. C'est trop languir : priez, mon père, afin Que le pécheur fasse une bonne fin. »

Le saint pleurait et priait, immobile, Encourageant le prince, sans le voir. Le lendemain il revint sur le soir. Et l'entendit qui, d'une voix débile, Se lamentait et gémissait. « Gomment Vous trouvez-vous, dit-il, en ce moment. î>

« Votre compagne est-elle enfin à l'œuvre ? »

Et le bon roi Rodrigue répondit ;

« Bien, très-bien î Dieu prend pitié du maudit ;

Jésus n'a pas plus souffert! La couleuvre

Suce mon foie et de ses dents le mord. Priez toujours, priez jusqu'à ma mort ! »

L'ermite alors lui chanta quelque psaume Eq Tarrosant d'eau béoite et de pleurs, El sur sa plaie, aux cuisantes douleurs, De la prière il épancha le baume. Le roi mourut^ et, le prêtre étant là, Son âme en paix droit au ciel s'envola.

CONCLUSION.

XII.

Oh! qui peut de l'amour éteindre en soi les flammes ^ Quel roi ne s'est pas fait l'esclave heureux des dames? Quelle dame n'oublie, un Jour, de refuser P Oh ! quel trésor vaudrait, oh ! qui pourrait décrire Le trouble d'un aveu, la langueur d'un sourire, La saveur d'un premier baiser !

Toujours, tant que les yeux et la rougeur des belles Démentiront leur bouche^ aux paroles rebelles ; Tant que leur chant aura la douceur du ramier, Que les bals dénoûront leur tresse noire ou blonde, Que Tolède verra leur taille svelte et ronde Se balancer comme un palmier ;

Toujours, tant que le fer, parure des batailles. Les éperons d'acier, et les cottes de mailles, Et le noir gantelet, et le panache noir, Et le casque à visière, et la lourde cuirasse, Légèrement portés, ennobliront la grâce

Du guerrier qui part du manoir,

Toujours un vague instinct, un charme involontaire, Un céleste besoin sauront avec mystère Aux bras de la moins tendre enchaîner le plus fier ; Et les maux qu'on endure, et les maux qu'on soupçonne, Et ceux que j'ai chantés... n'empêcheront personne D'aimer comme on aimait hier !

54 «3

Le comte lulien ayail quille Cordoae. Malheureux d'un succès, que son cœur désavoue, Il avall pris congé du gouverneur Muça. Aussi bien, les vainqueurs faisaient assez paraître Le mépris qu'à la Gn leur inspirait un traître Qui, pour se grandir, s'abaissa.

Avec ses serviteurs et quelques hommes d'armes, Il s'était retiré, pour dérober ses larmes, Au fond d'un bourg, caché dans un vallon étroit, Où, sous des orangers, finit l'Andalousie, Et que vient caresser, d'une vague adoucie, L'onde orageuse du détroit.

Florinde... la Gava (comme disait l'Espagne), Avec sa jeune sœur, qui partout l'accompagne. Et leur vieille nourrice, habitaient à Tanger ; Sur un avis du comte, elles vinrent le joindre ; Car le plus grand des maux c'est l'absence , et le moindre Des obstacles, c'est le danger.

Ni 4a mer qui grondait et s'ouvrait au naufrage, NI tous les Sarrasins, plus cruels que l'orage. Ni quelques Espagnols encor plus furieux,

Rien n'arrêta Florinde a Un bateau, partons vile;

Je cherche le péril comme un autre l'évite,

Partons; et »i je meurs, tant mieux ! »

Dieu s'arme quelquefois pour nous quand tout est contre. Leur voyage se fit sans trouble. A leur rencontre, Julien, faible et vieux, se traîna sur le port. Dès qu'il vit ses enfants, il courba son front chauve. Pour adorer la main qui punit et qui sauve,

Puis, vers Florinde, avec transport.

Il accourt, rajeuni de toute sa tendresse, Sans même voir sa sœur qui cherche une caresse. M Car, c'est toi, mon enfant, qui fis tous mes malheurs. Ma Florinde, et c'est loi qui dois à ton vieux père. Parmi tant de chagrins, un mot qui dise : espère ! Un sourire, après tant de pleurs!

& 3S <

« Oh ! souris-moi, ma GUe, et dis-moi que tu m'aimes, J'oubltrai mes chagrins et mes remords eux-mâ mes .' » « Je vous aime, et pourtant je tiens de vous le jour ! Je vous aime, et bénis l'instant qui nous rassemble. Mon père, et vous auriez tous les bonheurs ensemble. S'ils étaient avec mon amour ! »

Voilà ce que disait LA Cava ; mais sa bouche Ne put former qu'à peine un sourire farouche, Plus triste que les pleurs qui brûlaient dans ses yeux. Les baisers de son père, et ses paroles tendres, Ne purent sur son front, pâle et couvert de cendre^;. Ramener un rayon joyeux.

Elle se rappelait, le jour, la nuit, sans cesse, La gloire de l'Espagne, hélas l et sa bassesse; Le trône des rois goths, écroulé dans le sang, Tant de Chrétiens captifs ou passés par le sabre ; Et les clochers aigus du vieux pays Cantabre Dominés tous par le croissant ;

Et le Christ insulté, ses vierges massacrées, Ses évéques détruits, et les choses sacrées Voyageant vers Damas pour un profane emploi. Puis, elle s'accusait dans son àme flétrie, Disant : « Tous les malheurs tombés sur la patrii .. Les crimes, les fléaux... c'est moi.' »

Ce qui rendait ses jours affreux, dans sa famille. C'était de ne se voir ni femme, hélas ! ni fllle ; De rester sans honneur, sans nom, sans avenir ... Elle n'écouta plus nul conseil salutaire. Nulle crainte de Dieu, nul amour de la terre... Elle résolut d'en finir.

Un soir, elle monta sur une tour très-haute (Phare éteint qui jadis surveillait celte côte) Elle en ferma la porte avec précaution. Afin que Ton ne pût y monter derrière elle; Evde là, d'une voix lout-à-fait naturelle, El sans aucune émotion.

La Gava, donna l'ordre aux Temmes de sa suite, D'amener vers la tour, par les Romains construite.

Son père avec sa sœur, Ils vinrent tous les deux

Alors, d'un ton lugubre et de fatal présage^ Et tout-à-conp pleurant, meurtrissant son visage, Et jetant des regards hideux,

Elle leur dit qu'au monde il n'était pas de femme Si malheureuse qu'elle ; et que, pour vivre infâme, Elle aimait mieux mourir du plus cruel trépas, Et qu'elle implorait d'eux sa grâce, et la promesse De faire, tous les mois, dire une sainte messe. Pour que Dieu ne la maudit pas.

Et du pied de la tour, haletants. Ils suivirent Tous ses mouvements... puis, malgré leurs cris, la virent Monter jusques au faite et s'en précipiter. Dans leurs bras, relevée, hélas .' à demi-morte, Elle vécut encor trois jours entiers ; de sorte Qu'un chapelain put l'assister

La jeone sœur mourut d'épouvante. Le comte, Dans cet abtme affreux de douleur et de honte , "^taùt... Heureusement, il perdit la raison. Et la nourrice, d'âge et de chagrins courbée. Seule de la famille, autour d'elle tombée. Resta pour garder la maison.

Ainsi des Juliens, la race a s'éteindre Ainsi, rois goths, la mort, l'oubli dût vous atteindre ; Ainsi l'Espagne... Non, non, Pelage viendra : Et les rois Sarrasins, dans Grenade elle-même, Un jour ne laisseront de leur pouvoir suprême, Que les lions de l'Alhambraf

FIN DU POÈME DE RODRIGUE.

LES

SUR

BERNARD DE CARPIO (Imité dtt romancero).

Bernard 4e Garpio était fils naturel de riafante ChiméDe, sœur da roi Alphonse-le-Cbaste, etdaeomte de 8aldagna,-qui paya par Qoe étemelle captivité le bonheur d'avoir été Tamant de la sœur de son souTerahi.

1.

PLAINTES

DUCOMTB DE SALDAGNA.

Le comte don Sancho Diaz de Saldagna Versait, dans sa prison^ des larmes bien tméres; Dans sa prison, oé, seul, du monde on l'éloigna. An bel âge d'amour et des folles chimères! Promenant sur lui-même un farouche regard , Il exhalait ainsi ses plaintes sans réponse Contre la grande Infante » et le roi don Alphonse, Et son propre fils don Bernard .*

« O funestes instants mes mains décharnées^ les lourds battements d'un sang à peine chaud , mes cheveux tombés disent combien d'années J'ai passer hélas ! dans ce morne cachot ! Lorsque j'y fus conduit, j'étais l'heureux dotf Sanche, Jeune page du roi, frais et beau, disait-on ; A peine si j'avais de la barbe au menton...

Maintenant, elle est longue et blanche !

^ 38 «1

« On me jette nn pain noir, avec des mois plus durs.

De l'eau verte; et j'entends que l'on rit quand je pleure,

Et jamais le soleil ne daigna sur ces murs

Marquer de ses doigts d'or ni la saison , ni l'heure !

Ma mère eut un oiseau chéri : le lait, le grain

Et les caresses, rien ne manquait dans sa cage ;

Fleurs, fontaine, verdure, on eût dit un bocage

Et l'oiseau mourut de chagrin !

« Et je vis dans ma cage infecte I Espagnol lâche! Comment le désespoir ne t'a-t-il pas tué? Ou pourquoi n'as-tu point d'un tourment sans relâehe Délivré par la faim ton corps exténué? Ou fracassé ta tète aux murs de cette enceinte ? Qui m'arrête?... O Jésus! doux vainqueur des enfers, C'est qu'après tant de maux, si saintement soufferts, Vous montâtes sur la croix sainte !

« Mail, parle, don Bernard, mon sang qui coule en toi, Ne t'a-t'il pas crié de forcer mon repaire ? Le sang que te donna ta mère, soeur du roi Mon bourreau, t'a-t-il fait oublier ton vieux père? Quel est donc mon destin affreux, si mon enfant. Mon propre fils, saisi d'une indigne faiblesse. Se joint â mes tyrans pour laisser ma vieillesse Croupir dans ce bagne étouffant!...

« Cependant, mon cher fils , sous mes murailles noires L'éclat de tes hauts faits a pénétré souvent; Mon geôlier me les conte. A quoi bon tes victoires , Si ton père Jamais n'en peut jouir vivant ?>— Si tu sais ma prisoa, sans que tu m'en relires , Doit-on penaer là-haut, dans ce monde tu vis , Que Je suis mauvais père ou toi plus mauvais fils?... Yiens ; Je souffre tous les martyres ;

59 «4

« La misère, le froid, les chatoes, l'abandoo. Le tien surtout !... Commdnt, sous les roses de Tâge, Porter un cœur déjà tout de glace !... Ah ! pardon , Je t'orfense ; pardon, la plainte me soulage. Je pleure, que veux-tu, comme un pauvre vieillard ; Et tu ne réponds rien, car le tyran sans doute Te cache mes malheurs, mon fils , tant il redoute Ou ton épée ou ton poignard ! >

II.

DON BERNARD DE GARPIO

APPABMD DE QUI IL BST FILS.

Or, voici ce qu'un Jour Elvira, la (iourrice, A dit au valeureux Bernard :

Sachez, mon fils ( pourvu qu'il ne soit pas trop tard !^ Sachez-le, ce qu'on sait de Grenade en Galice,

Que vous n'êtes point le b&tard Du roi don AIphonse-/e-CAâs/e.

Alors, quel est mon père?... Ou suis-Je un orphelin?

Votre père est de bonne caste. Mon fils, an gentilhomme et non pas un vilain.

Écoutez : Don Sancho Diaz, seigneur et comte

De Saldagna, vous eut d'amour Avecdona Chiméne, étant page i la cour. Le Roi, pour se venger de sa sœur, n'eut pas honte

De faire arrêter en plein jour

Votre père devant l'armée ; Il le lient prisonnier au château de Luna,

Et votre mère est enfermée Dans un lieu que personne encor ne soupçonna^

^ 00 «j

Sachez de plus qu'un bon et secret mariage Unit l'Infante au comte. Ainsi,

Vous n'êtes point bfttard, mon enfant, Dieu merci I

Sachez enfin qu'aux cris de meurtre et de pillage. Et sans nul remords ni souci , Votre oncle au sein des douze Espagnes

Appelle les Français, dans le but déloyal De Tendre cités et campagnes ,

Et, roi, de vous ravir l'héritage royal.

Le monde trouve mal, mon fils, que votre lance

Ait si longtemps dans sa prison Laissé le bon vieux comte ; et le monde a raison.

Nourrice, c'est ta faute, i toi, dont le silence

M'avait trompé sur le blazon

De mon père et sur ma naissance.

J'avais peur du tyran, mon fils; mais aujourd'hui

Vous avez de tout connaissance. Le peuple aime à parler : c'est entre vous et lui.

Bernard l'interrompit, bondissant dans ses armes : Assez, nourrice, assez parlé

Pour exciter le fils d'un père désolé t

Et, relevant ses yeux chargés de grosses larmes , Le sein de colère gonflé. Et mordant ses lèvres en flamme.

Il dit : Que mes amis soient de mon amitié Honteux comme de chose infâme.

Que les dames partout me prennent en pitié.

Que ]e sois fait demain prisonnier par les Blaures ;

Que mon coursier me jette i bas Devant tous mes vassaux, et me traîne à grands pat. Me heurte et me déchire à tous mes sycomores,

Mon père, si je n'obtiens pas

Du Roi, que j'honorais naguère , Qu'il te rende rhqnneur avec la liberté,

Ou si je ne lui fais la guerre Gomme au plus vil tyran que le trône ait porté!

41 «{

LE RETOUR DU CHATELAIN

(Ballade.) I. LE CHEVALIER, LA DAME.

LIS CHEVALIER.

Vous êtes plus blanche , 6 ma reine. Que la lune en mou hem f ommeU ; Votre Joue, 6 ma souveraine, Est rose, il faut qu'on Touf l'appreni^ Gomme la fstm au leinl lermeil.

Mais on cueille la fraise mûre... Voilà bientôt sept ans, oui sept , Que je n'ai quitté mon armure : Je la quitterai sans murmure Si Tou« dénouez ce lacet.

Oh ! je la passerai, ma belle, Ayec TOUS je la passerai, Cette nuit que mou cœur appelle Depuis le jour la chapelle Vous Tit, fort maussade, iJ estTrai^

Votre main dans celle du comte « Prononcer bien bas ce grand oui Dont le bon époux fit son compte. Et dont, i ce que Ton raconte. Il est toujours plus réjoui.

C'est assez pour lui d'allégresse, C'est assez de gloire pour lui. J'ai réTé, sur les mers de Grèce ,

Que sa femme était ma maltresse

Est-ce un rêve encore aujourd'hui F

4f «<

J'ai vu de bien belles esclaves

Dans les marchés de Bassora :

Leurs yeux noirs domptent les plus bravai,

Et de saints évêques très-graves

Se battent à qui les aura.

Eli ! bien, je ne leur ai pas même Touché le bout du petit doigt. Mon cœur a fait un long carême , Jeûnant pour la dame que j'aime Gomme un bon chevalier le doit.

Donc, si par votre souvenance Chaste j'ai pu me conserver. J'arrive, en sainte contenance « Pour que de mon vœu d'abstinence On daigne enfin me relever.

LA DAME.

C'est le moins qu'on vous en dispenie t Tant souffrir par pure amitié , Beau sire !... Et cela, quand j'y pense^ Reste eneore sana récompense 1 Sainte Vierge! c'est grand'pitié !

Passez, passez sans alarmes , Chevalier; n'ayez nul souci Et très-vite quittez vos armes.— J'ai versé sans vous bien des larmes .' Priez-moi« je dirai : Merci.

Le comte (ma joie est bien vraie) Est en chasse aux monts d'Aragon. Que ses chiens, qu'aucun loup n'effraie. Meurent enragés ! que l'orfraie Mange les yeux de son faucon I

i

43 ^4

Qu'il blasphème plus qu'il pleure t £t que le grand diable d'enfer Par les pieds le tratne en une heure De la montagne à sa demeure Ayes ses dix ongles de fer !

Ils en étaient sur ce bizarre Chapitre, et sur d'autres encor Que n'a point redits la guitare, Quand du comte, en aigre fanfare, On entendit sonner le cor...

IL LE COMTE, LA DAME.

LE COMTE.

Qu'est-ce ? quel désordre ici règne, La blanche fille aux chastes vœux f Et que faites-vous làsansduègo''?

LA DAME.

Seignenr, vous voyez, je me peigne; Je tresse en pleurant mes cheveux ,

Parce que veuve et sans compagnes Vous me laissez à la maison , Pour courir seul dans les montagnes.

LE COMTE.

Par le vieux patron des Espagnes ! Ces mots sentent la trahison !..•

fe» 44 ^

A qui, ma Colombo chérie, Est donc ce cheval qti'à présent J'entends hennir dans l'écurie?

LA DAME.

C'est à mon père, qoi vous prie De le recevoir en présent.

LE COlfTS.

Je n'ai pas reconnu la housse Des seigneurs de Bellamonté. A qui sont, damo noble et douce» Ces armes d'une teinte rousse Qu'on voit dans la salle i côté?

L4 DA1I9.

C'est une armure que m'envoie

Mon frère, aux croisades vainqueur. Pour que j'y brode avec la soie Un ramier blessé qui tournoie.... Ou bien un dard qui perce un cœur*

LE COMTE.

Ou la flèche, ou l'oiseau, n'importe^ Mais votre Trëre a bien grandi ! - Et cette lance longue et Torte Qui brille contre la porte , A qui donc cette lance, di?

LA 1>AM£.

Prenez-la, voici ma réponse ; Prenez-la, comte, et sans remord Qu'en mon cœur votre bras l'enronce ; Et croyez, par sainte Ildefonse ! Que j'ai mérité cette mort !

Livre II.

▲ZaZaBlAiAC^XrS.

to 4T«

LA CLOCHE

Poëme. (SCHILLII. )

A M. Pierre Le Brun.

Compagnons , dans le sol s'est affermi le moule , La cloche enfla va natire aux regards de la foule : C'est le jour si longtemps appelé par nos vœux ! Qu'une ardente sueur couvre vos bras nerveux : L'honneur égalera la peine et le courage Des Joyeux ouvriers^ si Dieu béoit l'ouvrage*

Il faut associer, comme un puissant secours ,

Au travail sérieux de sérieux discours ;

Le dur travail, rebelle à des esprits frivoles,

S'accomplit sans efforts sous d'heureuses paroles.

Méditons entre nous sur les futurs bienfaits,

D'une cause vulgaire admirables effets.

Honte i qui ne sait pas réfléchir pour connaître 1

Par la réflexion l'homme annoblit son être.

S'exalte; et la raison fut donnée aux humains

Pour sentir dans leur cœur les œuvres de leurs mains.

Choisissons les tiges séchées Des pins tombés sous les hivers, Pour qu'au sein des tubes ouverts Les flammes volent épanchées ; Dompté par les feux dévorants. Que le cuivre à l'étain s'allie« Afin que la masse amollie Roule en plus rapides torrents.

48«3

Ce pieux monument que vont avec mystère Édifier nos mains dans le sein de la terre. Il parlera de nous des sommets de la tour. Vainqueur, il franchira les temps, et tour à tour Comptera des humains les races disparues; On verra dans le temple, à sa voix accourues, Des familles sans nombre humilier leur front ; Aux pleurs de l'affligé ses plaintes s'uniront ; Et ce que les deslins, loin de l'âge nous sommes, Dans leur cours inégal apporteront aux hommes. S'en ira retentir contre ses flancs mouvants , Qui le propageront sur les ailes des vents.

Je vois frémir la masse entière , L'air s'enfle en bulles. Cependant, Des sels de l'alkali mordant Laissez se nourrir la matière. Il faut que du bouillant canal L'impure écume s'évapore, Afin que la voix du métal Retentisse pleine et sonore.

La cloche annonce au jour, avec des chants joyeux. L'enfant dont le sommeil enveloppe les yeux. Qu'il repose!... Pour lui, tristes ou fortunées. Dans l'avenir aussi dorment les destinées. Mais sa mère, épiant un sourire adoré , Veille amoureusement sur son matin doré. Hélas ! le temps s'envole et les ans se succèdent : Déjà l'adolescent, que mille vœux possèdent. Tressaille, et de ses sœurs quittant les chastes jeux. S'élance, impatient, vers un monde orageux. Pèlerin engagé dans ses trompeuses voies. Qu'il a connu bientôt néant de ses joies ! Il revient, élanger, au hameau paternel ; Et devant ses regards, comme^un ange du ciel. Apparaît, dans la fleur de sa grâce innocente , Les yeux demi-baisses, la vierge rougissante. Alors un trouble ardent, qu'il ne s'explique pas. S'empare du jeune homme. Il égare ses pas.

Cherche les boif déserts et les lointains rivages. Et, de ses compagnons fuyant les rangs sauvages, Anx traces de la vierge il s'attache, et, rêveur, Adore d'un salut la douteuse faveur. Des aveux qu'il médite il s'enivre lui-même ; Aux nuages, aux vents il dit cent fois qu'il aime; Sa main aux prés fleuris demande, chaque Jour« Ce qu'ils ont de plus beau pour parer son amour; Son cœur s'ouvre an désir, et ses rêves complices Du ciel anticipé connaissent les délices. Hélas 1 dans sa fraîcheur que n'est-elle toujours Cette |enne saison des premières amours .

Gomme les grands tubes brunissent ! Qu'un rameau, dans la masse admis , Plonge... Quand ses bords se vernissent, On peut fondre ; courage, amis ! Tentons cette épreuve infaillible Par qui doit être révélé Si le métal dur au flexible S'est heureusement accouplé.

Car, l'on voit la force à la douceur unie,

De ce contraste heureux natt la pure harmonie.

C'est ainsi qu'enchatné par un attrait vainqueur,

Le cœur éprouvera s'il a trouvé le cœur.

L'illusion est courte^ et sa fuite est suivie

D'un amer repentir aussi long que la vie.

Voici, des fleurs au sein, des fleurs dans ses cheveux,

La vierge, pâle encor de ses premiers aveux ;

Sur son front couronné, sur sa pudique Joue,

Le voile de l'épouse avec amour se joue

Quand la cloche sonore, en longs balancements,

A l'éclat de la fête invite les amants.

La fête la plus belle et la plus fortunée.

Hélas! est du printemps la dernière journée ;

Car avec la ceinture et le voile, en un Jour,

La belle illusion se déchire, et l'amour

Menace d'expirer quand sa flamme est plus vive.

A l'amour fugitif que l'amitié survive ,

Qu'à la fleur qui n'est plus succède un fruit plus doux.

»■

^ 50«3

Déjà la vie hostile appelle au loin l'époux ;

Il faut qu'il veille^ agisse, ose, entreprenne , achève ,

Pour atteindre au bonheur, insaisissable réye.

D'abord il marche, aidé de la faveur des cieux :

L'abondance envahit ses greniers spacieux ;

A ses nombreux arpents d'autres arpents encore

S'ajoutent; sa maison s'étend et se décore ;

La mère de famille y règne sagement ,

Du groupe des garçons gourmande l'enjoûment ,

Instruit la jeune fille, aux mains laborieuses ;

Vouée aux soins prudents des heures sérieuses.

Des rameaux du verger elle détache et rend

Tout le linge de neige à son coffre odorant ,

Y joint la pomme d'or que janvier verra mûre ,

Tourne le fil autour du rouet qui murmure.

Partage aux travailleurs la laine des troupeaux.

Les surveille, et comme eux ignore le repos. '

Du haut de sa demeure, au jour naissant, le père

Contemple, en souriant, sa fortune prospère ,

Ses murs dont l'épaisseur affronte les saisons ,

Et ses greniers comblés des dernières moissons^

Quand déjà du printemps les haleines fécondes

De ses jeunes épis bercent les fraîches ondes.

D'une bouche orgueilleuse il se vante : « Aussi forts

Que^ces rocs du temps s'épuisent les efforts,

Pèsent les bâtiments que mon or édifie.

Vienne l'adversité : leur splendeur la défie ! »

Malheureux I qui peut faire un pacte avec le sort f

Le ciel rit, un point noir paraît : ia foudre en sort!

Bien. Le rameau fait son épreuve. Commençons la fonte... Un moment! Avant de déchaîner le fleuve, Avez-vous prié saintement? A présent, allons! qu'on se range; Ouvrez les canaux. Ah ! que Dieu Nous aide ! Voyez le mélange Accourir en vagues de feu!

Il est de l'univers la plus pure merveille

Lo feU| quand l'homme, en paix^ le dompte et le surveille,

^ 51 «I

Et e^est par son secours que rfaoinme«st souverain. Mais qu'il devient fàial lorsque, seul et sans frein , Pour dévorer au loin les vieux pins, les grands chênes. Il part comme un esclave affranchi de ses chaînes ! Malheur, lorsque la flamme, au gré des aquilons , A travers les cités rouie ses tourbillons ! Car tous les éléments ont une antique haine Pour les créations de la puissance humaine. £ntendea-vous des tours bourdonner le beffroi ? A la rougeur du cieL le peuple avec effroi S'interroge.— Au milieu des noirs flots de fumée S'élève, en tournoyant, la colonne enflammée ; L'incendie^ étendant sa rapide vigueur. Du firent des b&timents sillonne la longueur* L'air s'embrase, pareil aux gueules des fournaises; La lourde poutre craque et se dissout en braises ;

Les portes, les balcons s'écroulent Plus d'abris;

Les enfants sont en pleurs sur les seuils en débris.

Les mères, le sein nu , comme de pâles ombres.

Courent ; les animaux hurlent sous les décombres ;

Tout meurt, tombe ou s'enfuit par de brûlants cbemini |

Le seau vole, emporté par la chaîne des mains.

Ce fils qui va tenter l'effrayante escalade,

Sauvera-t-il du moins son vieux père malade?....

L'orage impétueux accourt de l'Occident :

I^a flamme s'en irrite et l'accueille en grondant.

Sur la moisson séchée elle tombe et serpente,

Se redresse, et des toits soulève la charpente

Comme un affreux géant qui veut toucher les cieux.

L'homme sous les destins fléchit silencieux.

Ses œuvres ont péri ; partout la flamme est reine.

Les murs brûlés debout restent seuls, sombre arène.

des Aroids ouragants s'engouffre la fureur i

La nue en voyageant y regarde, et l'horreur

Bans leurs concavités profondément séjourne.

Une dernière fois l'homme, en priant, se tourne

Vers sa fortune éteinte, et bientôt, plus serein.

Prend avec le bâton les vœux du pèlerin.

Tout ce qui fut son bien n'est plus qu'un peu de cendre;

Miifl an rayon de joie en son deuil viept descendre»

Voyez : il « compté les têtes qu'il chérit.

Pas une ne lui manque ; et^ triste, il leur tonrit.

Le métal que la terre enferme A comblé le moule. Ab ! du moins , L'œuTre, arri? é pur à son terme, Palra-t-il notre art et nos soins?... Mais si l'enveloppe fragile Rompait sous le bronze enflammé !••• Peut-être dans la sombre argile Le mal est déjà consommé !

Nous confions au sein de b terre profénde L'ouvrage de nos mains ; dans son ombre féconda Le prudent laboureur laisse tomber cnoor L'humble grain, en espoir riche et flottant trésor; Vêtus de deuil, hélas ! nous venons i la terre D'un germe plus sacré déposer le mystère. Pleins de Tespoir qu'un jour du cercueil redouté Ce dépôt fleurira pour l'immortalité. Des hauts sommets du dôme, aux épaisses ténèbres^ La cloche a du tombeau tinté les chants ftxnébres. Écoutez! Ses concerts, d'un accent inhumain. Suivent un voyageur sur son dernier chemin. C'est la mère chérie, hélas I la tendre épouse Que vient du roi des morts Pavidité Jalouse Séparer des enfants, de l'époux expirant. L'époux les reçut d'elle; et tous, l'an déjà grand, L'autre dans ses bras, l'autre encore à sa mamelle , Us souriaient... Alors, rien n'était beau comme elle! C'en est fait, elle dort sous le triste gazon. Celle qui fut longtemps l'âme de la maison. Péjà manquent tes soins, ô douce ménagère ! fit demain, sans amour, va régner l'étrangère !..

Laissons froidir la elocfae ; et vous, Comme l'oiseau sous la feulllée Libres et joyeux, courez tous : Voici l'heure de la veillée. Le compagnon vole au plaisir; pans les cieux, en paix , il voit naître

^ ss ^

Et briller les aslrei : le maître Doit se tourmenter mbs loiiir.

Sons It forêt, gliése que p&le lumière,

O voyageur, hAtes yoi pas vers la chaumière.

L'ÀDgelus des hameaux reteotit dans les airs;

Le filet allongé pend sqr les flots déserts;

L'agneau deyant les chiens fers le bercail se sauve ;

Le troupeau des grands bosaCs, au (ront large, au poil fiiaf

S'arrache, en mugissant, aux délices des prés;

n s'avancCyCOUTert de festons diaprés.

Le lourd char des moissons criant sous l'abondance,

Et les gais moissonneurs s'échappent vers la 4Mise.

Cependant tous les bruits meurent dans la oité ;

Prés de l'ardent foyer, par Paleul excité,

S'arrondit la famille, et quelque vieille histoire

Enchante, en l'effirayant, Timmobile auditoire.

La porte des remparts se ferme pesamment;

Sons son aile l'oiseau courbe son firont dormant.

La nuit, qui des méchants éveille le cortège,

Du citoyen que l'ordre et que la loi protège

N'épouvante Jamais le sommeil innocent.

Ordre sacré, tes nœuds, Joug aimable et puissant,

Besserrent les anneaux de l'égalité sainte ;

Tu traçu des cités, et tu défends l'enceinte;

Ta noble voix, du fond de ses antres lointains,

Appela le sauvage à de meilleurs destins ;

Sous le toit des mortels, dans leur premier ménage.

Tu pénétras timide; et, plus fort d'âge en Age,

Soumis au trein des mœurs leurs rebelles penchants.

C'est toi qui présidas aux limites des champs.

Toi qui créas enfin cette autre idol&trie ,

Le plus saint des amours , l'amour de la patrie.

A son nom, mille bras d'un mutuel secours

S'animent ; an milieu de cet heureux concours.

Sur tous les points rivaux les forces dispersées

Tendent au bien commun, librement exercées;

Chacun, heureux et fier du poste qu'il a pris,

Des grands an cœur oisif brave les vains mépris.

plus noble attribut du citoyen qui pense,

54 ^

Cest le traTail ; son œuvre en est la récompense. Si les rois de splendeur marchent environnés. De nos créations nous brillons couronnés ; Ils sont par le hasard, et nous par le génie. Paix gracieuse, douce et divine harmonie, Que nos bras fraternels enchaînent vos attrait! i QuMl ne se lève plus le jour j'entendrais Des hordes d'étrangers, turbulente mêlée. Parcourir en vainqueurs ma tranquille vallée. l'horizon du soir, rouge de pourpre et ^or, Des chaumes embrasés resplendirait encor I

Maintenant, brisez l'édifice Pour que^otre œil soit récréé. Que notre cœur se rejouisse De l'œuvre par nos mains créé. Que le marteau pesant résonne Jusqu'au moment où, des débris De l'enceinte qui l'emprisonne Nattra la cloche au jour surpris.

C'est le mattre prudent qui doit rompre le moule ;

Mais, lorsqu'en flots brûlants l'airain s'échappe et roule»

Quand sa puissance même a rejeté ses fers.

Il mugit et, semblable aux laves des enfers,

De sa captivité court punir ses rivages.

Tel le flot populaire étend ses longs ravages.

Ah I malheur lorsqu'au sein des états menacés

Des germes factieux fermentent amassés,

£t que le peuple, un jour, las de sa longue enfance.

S'empare horriblement de sa propre défense !

Aux cordes de la cloche, alors, en rugissant.

Se suspend la révolte, ivre et rouge de sang;

L'airain, qu'au Dieu de paix la piété consacre.

Sonne un affreux signal de guerre et de massacre ^

Un cri de toutes parts s'élève : Egalité !

Liberté ! Chacun s'arme ou fuit épouvanté.

La ville se remplit ; hurlant des chants infâmes.

Des troupes d'assassins la parcourent; les femmes.

Avec les dents du tigre, insultent sans pitié

Le cœur de l'ennemi déjà mort à moitié,

Et du rire d'un monstre avec l'Horreur se Jouent.

55 «3

De l'ordre loefal les liens se dénouent ;^

Les gens de bien font place à la Rébellion.

Certe il est dangereux d'éreiller le lion,

La serre du vautour est sanglante et terrible :

Mais Thomme, en son délire, est cent fois plus horrible.

Oh ! ne confions point, par un jeu criminel^

Les célestes clartés à Taveugle éternel !

Il iten fait une torche, et d'une main hardie»

An lien de la lumière, il répand l'incendie.

Dieu ne veut plus nous éprouver : Yoyez du sol qui l'environne, Lisse et brillante, la couronne En étoile d'or s'élever 1 Déjà le cintre métallique En mille reflets joue à l'œil ; Déjà l'écusson symbolique Du sculpteur satisfait l'orgueil.

Que le chœur de la danse à pas joyeux s'approche!

Venez tous, et donnons le baptême à la cloche ;

Trouvons-lui quelque nom propice et gracieux.

Qu'elle veille sur nous en s'approchant des cieux;

Balancée au-dessus de la verte campagne,

Que sa bruyante joie ou sa plainte accompagne

Les scènes de la vie en leurs jeux inconstants;

Qu'elle soit dans les airs comme une voix du temps ;

Que le temps, mesuré dans sa haute demeure.

De son aile, en fuyant, la touche heure par heure;

Aux voluptés du crime apportant le remord.

Qu'elle enseigne aux humains qu'ils sont nés pour la morlt

Et que tout ici-bas s'évanouit et passe

Comme sa voix qui roule et s'éteint dans l'espace 1

Que les cables nerveux, de son lit souterrain. Arrachent lentement la cloche aux flancs d'airain. Oh ! qu'elle monte en reine à la voûie immortelle ! Elle monte, elle plane, amis, et puisse-t-elle. Dissipant dans nos cieux les nuages épais, pe son premier accent nous proclamer LA paix !

{•M

LE PECHEUR.

Ballade, ( sqmuui»» )

L'onde gémit, la vague se balance. Le pécheur suit du bord, Dans un ardent silence, Sa ligne, pend la mort. Soudain, tandis qu'il rêve. S'agitent les roseaux; Puis une femme élève Son beau corps sur les eaux.

La nymphe parle et chante : (c Pourquoi, pècsh«ap, pourqn^ « De Fonde gémiasante «c Tirer mon peuple à toi P « Si tu pouvais connaître c Gqmme ils j sont bien toui , « Toi-même, pour renaître, * Tu plongerai! vers nous.

La lune au lac se mire, « Le roi du iour s'y plaît ; <c Deux (ois on les admire, « Plus beaux dans leur reflet. « L'aïur du ciel qui nage, « Tous ces mouvants tableaux» « Et ta flottante image « T'appellent sous les flots. »

L'onde gémit, la vague se balance. Et mouille son pied nu. Son cœur troublé s'élance Vers un charme inconnu. La nymphe parle et chante... Pour lui iT9p doux attrait I Il cède, il suit la pente. L'eau s'ouvre... il disparaît.

57 ^

LA. JEUNE NONNE.

Baîlctde. (schillir.)

Gomme il souffle et mugit, rouragan, dans les tours ! Les murs craquent, li-bas les grands arbres se cassent. Le tonnerre est sur nous, les éclairs brillent., passent... Et la profonde nuit retombe aux alentours.

Ainsi Je n'ayais nul repos ; Mes pensers s'agitaient comme fait la tempête ; Mes membres frémissaient comme ici les Titrtuz ; De flamboyants éclairs s'allumaient dans ma tète... Puis mon cœur est rentré dans la paix des tombeaux..

£h bien ! gronde, ouragan, et redouble tes cçiips : L'inaltérable paix babite enfin mon âme ; L'amante est épurée aux feux chastes et doax.

Aux feux de la mystique flamme ; Et, dans l'ombre, elle aspire à son divin époux.

Oui, j'attends mon sauTCur, l'œil humide d'amour. Viens donc, mon fiancé^ chercher ta fiancée; Viens enlever mon être à la terre glacée... Paix ! la cloche dans l'air s'éveille avec le jour !

Sa voix doucement me convie,

M'attire au céleste séjour ;

Je plane avec elle, et ma vie liemonteau pur foyer qui de tout temps brilla !— >

AUeluia !

LES PLAINTES

DE LA JEUNE FILLE.

Ballade, ( sghillbk. ^

La cime des forêts frissonne sous Torage... Au bord du fleuve ému la vierge ya s'asseoir. Ees vagues à ses pieds se heurtent avec rage ; Sa plainte se répand dans les ombres du soir, Et des pleurs baignent son visage :

« Mon cœur est mort, la flamme à ce cœur est rario Le monde est un désert , son prestige est brisé. Sainte, rappelle i toi Tenfant qui t'a servie :

Des bonheurs de la terre, ah .' j'ai tout épuisé; Ayant aimé, j'ai clos ma vie. »

« Aux plaintes vainement ta douleur s'abandonne : Les pleurs sont impuissants à réveiller les morts; Mais dis, quelle autre fête ou bien quelle couronne Remplacerait pour toi l'amour et ses transports ?

Moi, la sainte, je te les donne. »

« Coulez donc, 6 mes pleurs ! éclatez, plaintes Tainet I Eclatez et coulez sans réveiller les morts.

Pour celle qui d'amour vit se rompre les chaînes Il n'est plus d'autre joie, hélas ! ou de trésors Que ses soupirs même et ses peines. »

t»»«9

LA FIANCÉE DE CORINTBUË.

Poème, ( goêtbb. )

Un jenne homme d'Atlièoe A Gorînthe est yenu ; C'est la première fois. Cependant il espère Chei un noble habitant^ vieux hôte de son père, Entrer comme un ami trop longtemps inconnu. Les deux pères, rêvant une seule famille, Fiancèrent Jadis et leur fils et leur fille.

Hais ne patra-t-il pas bien cher cette faveur ? Doit-il même prétendre à des faveurs si hautes ? Il est encor payen comme en Grèce , et ses hôtes Des premiers baptisés ont toute la ferveur. germe un nouveau culte, hélas ! Famour s'effraie, . Et souvent meurt détruit comme la folle ivraie.

Déjà dans la maison tout reposait sans bruits Le père et les enfiints ; la mère seule encore Veillait. Elle reçoit le jeune homme, etThonoi» De la plus belle chambre, où, rêveur, il la suit. Des mets lui sont servis avec le vin qui mousse , Puis elle lui souhaite une nuit longue et douce.

Mais les gâteaux dorés, le vin frais et vermeil N'éveillent point ses sens, que la fatigue enchaîne. Encor tout habillé, sur la couche prochaine Il se Jette, et bientôt s'abandonne au sommeil... Lorsqu'en criant voilà que la porte pesante S'ouvre, et qu'un hôte étrange à ses yeux se présente!

Aux lueurs de la lampe une pâle beauté

S'avance : un bandeau noir,oû l'or brille en étoile.

Règne autour de son front ; l'albâtre d'un long voile

De sa tête à ses pieds tombe de tout côté.

Et| comme elle aperçoit l'étranger qui se penche

Hors du lit, elle étend et lève sa main blanche :

^ 60 «3

-*M Sais-je dans la maiion étrangère à ce point < (Au fond de ma cellule aux ennuis réaeryée) « Que d'un hôte nouveau J'ignore l'arriyée ? « Ea honte me surprend ici... Ne bouge point ; « Que ton calme sommeil sans trouble continue; « Moi, je sors promptement comme je suis venue.

« Demeure, belle fille ! » et d'un pied triomphant Ëe jeune homme a poussé la couche qu'il déserte.

« Vois, Bacchus nous sourit ; Gérés nous est offerte ;

u Toi, tu conduis TAmour avec toi, chère enfant...

« Es-tu pâle de peur P... Viens voir de nos délices,

« Viens éprouver combien tous ces dieux «ont complices ! »

< Jeune homme, reste loin... Eh î qu'oses-tu m'offrir l « Va, je n'appartiens plus à l'amour, à la joie :

« Le dernier pas est fait dans la pénible voie « Par le vœu d'une mère, hélas ! qui, pour guérir, « Crut devoir, à son Dieu me donnant en pAture;, « Enchaîner la jeunesse et tromper la nature.

« Le culte de nos dieux n'est plus ce que tu crois :

« Leur troupe a fui brillante ; et dans ces murs funèbres

« On n'adore qu'un être entouré de ténèbres

« Et qu'un dieu misérable expirant sur la croix.

« On épargne et taureaux et brebis, mais l'on mène

« A l'autel, tous les jours, quelque victime humaine. »

Il pèse de ces mots le sens mystérieux.

Puis interroge encore, et rêve : « Est-il possible .

« Eh quoi ! dans cette chambre, à cette heure paisible,

« Ma douce fiancée est devant mes yeux !...

« Vierge, c'est toi, c'est moi !... Le serment de nos pères

« Nous rend l'hymen jtacile et les destins prospères. »

I

« O bon ange, jamais tu ne m'approcheras ! i « A ma seconde sœur, au cœur simple et crédule, , « On te marie, et moi, dans ma froide cellule

« Je dois languir... Ami, pense à moi dans ses bras ,

« Moi qui pense à toi seul, moi qui t'aime et qui pleure...

« Et que la terre, hélas ! cachera tout à l'heure! » i

^61 «)

•>- « Par ce flambeau propice aux chaa tea entretiens, « Pour le bonheur, pour moi, non, tu n'en pat perdue ! « Dans ma maison d*Alhène 6 déesse attendue , « Viens enchanter mes Jours en y mêlant les tiens ! « Viens ici, chère enfant, par les dieux amenée, « Célébrer sans témoin le festin dliyménée/ »

Ils échangent déjà les gages de leur foi :

Elle offre à son époux la chaîne d'or fidèle ;

D'une coupe d'argent, rare et parfait modèle.

Lui Teut la doter... « Non ! elle n'est pas pour moi,

« Dit-elle; seulement, en signe de mémoire,

« Donne de tes cheveux, donne une boucle noire. »

Et l'heure des esprits vient i sonner. Alors

Elle fut plus i l'aise. Avidement, dans l'ombre,

Avec sa lèvre pftle elle but un vin sombre

De la couleur du sang... qui traversa son corps.

Mais vite elle écarta de sa vue inquiète

Le pain de pur firoment, sans en prendre une miette.

Des lèvres du Jeune homme elle approche à son tour La coupe, qu'il épuise avidement comme elle. Mais au repas du soir bientôt l'amour se mMe (Car le cœur du jeune homme était souffrant d'amour); Et, comme elle résiste indocile et farouche, Lui, pleurant et priant, retombe sur sa couche.

Elle 7 vient près de lui. « Mon Dieu! que J'ai regret,

« Dit-elle, d'attrister ainsi tes fiançailles!

« Mais, hélas ! touche un peu mes membres... Tu tressailles !

« Tu connais maintenant mon funeste secret :

« Blanche comme la neige et comme elle glacée,

« Beau Jeune homme, voilà quelle est ta fiancée »

Il l'enlève et la serre entre ses bras nerveux

Avec toute l'ardeur de la mâle Jeunesse :

« U Haut sous mes baisers que ta chaleur renaisse,

m Fusses-tu de la tombe envoyée i mes feux *

« Brûlez, torrents d*amour! douce et cuisante extase!...

« Tiens, tiens, ne sens-tu pas tout mon corps qui s'embrase P

G

De douleuri en plaisirs, de plaisirs en douleurs, L'un par l'autre tous deux semblent mourir et vivre. Du nectar des baisers, muette, elle s'enivre ; Son désespoir sourit et sa joie a des pleurs. Mais, parmj ces transports, cette ivresse chagrsne, On ne sent point de cœur battre dans sa poitrine.

La mère, cependant, qu'attire un bruit confus.

Retourne sur ses pas : elle écoute avec crainte.

Elle écoute longtemps un murmure de plainte.

De rires effrénés et de vagues refus.

Et ces mots inconnus et ces accents étranges,

Ces cris que l'homme emprunte aux voluptés des anges.

Immobile, à travers la porte, au bois épais.

Elle distingue enfin mille expressions folles.

Et les plus grands serments du monde, et des paroles

D'amour, de flatterie et de tristesse. « Paix !

« Le coq s'éveille : adieu. Mais, demain au soir, tâche...

« Reviens !... » Et les baisers succèdent sans relâche.

La mère, en ce moment, sans craindre aucun danger.

Ouvre avec violence et referme la porte :

—Il Est-il dans la maison des femmes de la sorte,

« Qui se rendent si vite aux vœux d'un étranger ! »

Elle parlait ainsi : la rage en ses yeux brille.

Elle approche, elle voit... grand Dieu.' sa propre fille!

Le jeune homme d'abord, de frayeur agité. Sous les voiles épars qu'il rassemble et tourfnente, Et sous l'ample tapis veut cacher son amante ; Mais elle, hors du lit, fantôme révolté. Avec force s'échappe, et se dévoilant toute. Longtemps et lentement grandit jusqu'à la voôte :

« O ma mère, ma mère, pénètrent vos pas? « Pourquoi me disputer ma belle nuit des noces ? « Enfant, j'ai du malheur goûté les fruits précoces ; « Ma tendre mère, eh quoi! ne vous suffit-il pas « De m'avoir, sous les plis de ce pâle suaire, « Etendue avant l'heure en mon lit mortuaire !

63 «3

« Mais un arrêt falal, de ma sombre prison «•Me tire« spectre ardent, jeté parmi les Atres ; « Vos prières, les chants murmurés par vos prêtres, « N'ont tous aucqp pouvoir, hprs de cette maison. « Malgré le sel et Teau, le cœur ne peut se taire ; « Ah ! Famour ne s'est point refroidi sous la terre !

« Ce jeune homme est à moi. Libre, on me le promit « Quand Tautel de Vénus brûlait prés du Permesscw « Ma mére« deviez-YOus trahir votre promesse « Pour je ne sais quel vœu dont la raison frémit f « Aucun dieu n'a reçu les serments d'une mère tf Qui refusait l'hymen à sa fille... Chimère 1

« Fanatisme insensé !... Je m'enfuis des tombeaux « Pour goûter les plaisirs qu'on m'a ravis, et comme « Pour éteindre ma soif dans le sang d'un jeune homme. « Si ce n'est lui, malheur ! d'autres sont grands et beaux ; « Et partout la jeunesse épuisée et livide « Succomberait bientôt à mon délire avide.

« Jeune Grec, tu ne peux vivre longtemps encorj « Tu vas languir ici : je t'ai donné ma chaîne; « Et j'emporte avec moi dans ma prison de chêne « Ta boucle de cheveux, tardif et vain trésor* « Tous les autres demain vont blanchir sur ta tête; « Et ne rebruniront que -bas, pour la fêle...

« Il pâlit !... Entendez au moins mon dernier vœu,

« Ma mère : ouvrez le seuil de ma demeure étroite^,

u Elevés le bûcher que mon ombre convoite ; .

« Placez-y les amants... Quand brillera le feu,

« Quand les cendres seront brûlantes, il me semble

f Que vers nos anciens dieux nous volerons ensemble I «

64 ^

LE ROI DE THULE.

Ballade. (gobtji*.)

Il fut à Thulé, dit l'histoire.

Uni roi tendre et fidèle encor.

Sa mbttresge, en mourant, pour boire

Lui fit don d'une coupe d^or.

Rien n'avait pour lui tant de charmes ; Soir et matin il s'en servait; Ses yeux se remplissaient de larmes A chaque foi» qu'il y buvait.

Et quand l'éciiyer sombre en cronpo Vint le prendre, à son héritier Il laissa son royaume entier. Mais non, certes, sa belle coupe*

Il siégeait, au royal gala, Dans la grfinde salle gothique, Dans son château sur la Baltique; Tous ses chevaliers étaient là.

La mort au cœur, le vieux convive Réchauffa sa force en buvant Et sur la mer, loin de la rive. Jeu sa chère coupe au vent.

Il la vit tomber, s'emplir toute,

Et s'engloutir en moins de rien ;

PsOis, fermant les yeux, dit : « C'est bien! »

^t plus onc ne but une goutte.

{»68 «3

MARGUERITE AU ROUET.

Ballade, (gobthb. ) ,

Ma paix est loin, mon cœur est lourd ! La paix N'T reviendra jamais, oh I non, jamais î

Ah ! c'est ma tombe, lui n'est pas. Un voile tombe Devant mes pas Ma pauvre tête Tourne déji. Avec ma fête Elle s'en va.

Ma paix est loio, mon oœiir est lourd .' —La paix N'y reviendra jamais, oh î non, jamaU l

C'est lui que je guette Aux vitres toujours ; Dehors, inquiète, Pour lui seul je cours. Voilà (quel délire.') Son port gracieux, Son tendre sourire. L'éclair de ses yeux , Sa voix qui résonne Pour m'éleclriser. Sa main qui Trissonne... Ah ! Dieu ! son baiser !

Ma paix est loin, «mon cœur est tourd !— La paix N'y reviendra jamais, oh ! non, jamais!

^ 66 «

Après lui, sans rien craindre. S'élance mon désir... Ne pourrai-je l'aileindre Bien loin et m'en saisir , El puis, libre et maîtresse, De baisers le couvrir?... Dussé-je enfin d'ivresse Sous tous les siens, mourir L..

Ma paix est loin, mon cœur est lourd!...

A MIGNON.

( GOËTHS, )

Dans les cîenx qui font silence Du soleil le char s'élance. Ab i faut-il que^ dans son coors^ Il redouble encor mes peines Et les tiennes!... C'est ainsi de tous les jours.

La nuit même, plus de trêves : Je conserve dans les rêves Le secret de ma douleur ; Des fantômes de nos peines Mes nuits pleines Me rejettent au malheur.

Des vaisseaux que les vents chasseni Sous mes yeux les voijes passent Yers son port chacun s'en va; Mais au cœur il est des peines

Surhumaines Que nul vent n'emportera.

67 «)

Aujourd'hui pourtant j'apprête Mes plus beaux habits de Tète } Car c'est fêle pour eux tous. Ils ignorent quelles peines

Sont les miennes, Quel mystère est entre nous

Ma pauvre âme se déchire ; Mais, voyez, je sais sourire Et montrer un joyeux front.*. A quand la fête mes peines

Et les tiennes Avec nos jours finiront ?

CHANT DE MIGNON-

( GOETHE. )

La connais-tu cette contrée fleurissent les citronniers, sous les soleils printaniers S'enflamme l'orange dorée ? Un vent doux souffle du ciel bleu, Le myrte penche un front débile ; Tout repose, et dans l'air en feu Le laurier s'élève immobile... ^a connais-tu? c'est que je voudrais, un joui» Aller avec loi, mon amour I

La connais-tu celte demeure Dont cent colonnes sont les mursP Les salons brillent clairs et purs , La chambre élincelle à toute heure; Et, sur leurs grands socles debout. Les marbres, rangés en famille. Me regardent... puis tout à coup : « Que vous a-t-on fait, ô ma fille?.* La connais- lu ? c'est que je serais si bien Avec loi, mon ange gardien !

fi» 68^

I>a connais-tu celte montagne Pont le front fume dans Tazur, le mulet de son pied sûr Fend l'épais brouillard qui le gagne? Dans le ravin noir et profond La race des dragons habite ; Le rocher tombe et roule au fond. Le flot sur lui se précipite... La connais- tu? c'est que s'en ?a mon chemin. Père, allons, donne-moi la main.

Lïi iU)I DES AULNES.

BalkUt^. (GOETHE.)

Qui donc passe i cheyal dans ta nuit et le vent ? C'est le père avec son enfant. De son bras crispé de tendresse Contre sa poitrine il le presse , Et de la bise il le défend.

Mon fils, d'où Tient qu'en mon sein tu friuonnes?

Mon pèfit... )i... Tois-tu le roi des aulnes,

Couronne au front, en long manteau P... Mon fils, c'est un brouillard sur l'eau.

« Viens, cher enfant, suis-moi dans l'ombre : « Je l'apprendrai des jeux sans nombre; « J'ai de magiques fleurs et des perles encor, « Ma mère a de beaux habits d'or. »

—N'entends-tu point, mon père (oh ! que tu te dépèches !) Ce que le roi murmure et me promet tout bas? —endors-loi, mon cher fils, et ne t'agite pas : C'est le vent qui bruit parmi les feuilles sèehes.

« Veax-tu venir, mon bel enfant? Oh i ne crains rien! « Mes filles, tu Terras, te soigneront si bien !

« La nuit« mes filles blondes

M Mènent les molles rondes...

<t Elles te bereeront,

« Danseront, chanteront. »

Mon père, dans les brumes grises Vois ses filles en cercle assises ! ^ Mon fils, mon fils, j'aperçois seulement . Les saules gris au bord des flots dormant.

« Je t'aime, toi ; je suis attiré par ta grâce? « Viens, viens donc I Un refus pourrait l'être fatal ! » -— Ah ! mon père.' mon père! il me prend... il m'embraase.M Le Koi des aulnes m'a fait mal !

Et le père ftémit et galope plus fort ; Il serre entre ses bras son enfant qui sanglotte... U touche i sa maison ; son manteau s'ouvre et flotte... Dans ses bras l'enfant était mort !

LES ASTRES.

Fragment, ( elopstogk.

L'antique forêt, les prés verts, I Les monts brûlés, le vallon sombre,

L'humble voix du ruisseau, Ie*s vastes bruits des.mers,

Et l'aurore et le jour et l'ombre Proclament saintement le Dieu de Punivers I

C'est lui par qui tout fut -créé. Dont la gloire aux cieux se flaft lira i

Et qui d'un soleil d'or fit l'espace éclairé. Sous sa main la céleste lyre

Pes astres immortels conduit le chœur sacré 1

70 «

Béni soit le dieu des douleurs

Qui Tait briller, quand Tespoir tombe.

Cette nuit de la mort si douce aux yeux en pleurs ! O belle terre, notre tombe.

C'est lui qui sur ton deuil jette un voile de fleurs.

LES LIEDER DE SCHUBERT (1)

I.

DÉSIR DE VOYAGER,

Mon père, en quelle gène Je sens mon cœur languir A voir, libres de cbatne, La nue et Tombre fuir!

Les flots et les nuages. Exempts de nos douleurs. Vont légers en voyages, - 8ans regarder les fleurs.

Ils partent dès qu'ils naissent Et ne s'arrêtent pas ; On dirait qu'ils connaissent Un beau pays là-bas.

'Hélas ! la nue et Tonde M'ont légué leurs amours s A parcourir le monde

Je sois poussé tovg^urs.

«

(1) Les quinze morceaux qui BuiTeni sont extraits d'une nouTelle édition complète des Lieder de Schubert, qui se publie, avee la mq- fique, cbez l'éditeur Maurice Scblésinger.

'•••

^ 71 <

Nos vergers pleins d'ombrage. Qu'an autre en prenne soinl Mon cœur est un orage Qui veut s'étendre au loin.

Il le faut, mon bon père ; C'est le baiser d'adieu... Bénissez-moi, ma mère s J'irai béni de Dieu.

Ab ! Totre enfant tous aime Et pleure en tous quittant Et TOUS pleurez de même..* Il TOUS quitte pourtant !...

L'aTenir porte nn Toile» Hais n'ayez point d'eflh'oi t Li-haut j'ai mon étoile. Et Totre Image en moi.

Nul danger ne se cache El le chemin est sûr, Car c'est le cœur sans tache Qui fait le ciel d'azur...

Et puis, si dans la ferme Vous m'attendiez en Tain, C'est que j'aurais, au terme. Touché le port dîTin.

II.

LE VOYAGEUR,

Mes pas descendent des montagnei-i Le Talion est noir, et l'orage est ;

Je Tais triste par les campagnes; Un iniUnct secret me dit toujours .-.Va I.,«

^ 7 j «a

Eh quoi ! le soleil est sans flamme. Et les fleurs saos parfum comme les fruits sans goût ; Les paroles qu'on dit ne vont pas à mon âme ;

Je suis un étranger pactout.'

Hélas ! Oii donc es-tu, pays aux belles choses» Longtemps cherché^ jamais trouyé, Pays fleurissent mes roses.

Pays le bonheur ne sera plus rêvé ?

Pays mes amis m'attendent. revivent mes morts chéris, Pays tous les cGQurs m'entendent ! donc est ce lointain pays ?

Plus triste, je poursuis ma route ; Un instinct secret me dit toujours : Ya ! * Mais une voix dans l'air ajoute : Frère, tu n'es pas, le bonheur est *.

III.

LE VIEILLARD.

La neige des années

Blanchit mon front; Sous les hivers fanées,

Mes fleurs s'en vont. Pourtant, je garde en l'âme

Mon jeune essor. Et dans mon cœur la flamme

Rayonne encor. Le temps, qui me caresse. De ma première ivresse Me conserve le doux trésor. Oui, purs et sans nuage

Ont fui mes jours j Et leur fidèle image. Plus fraîche i travers l'âge,

Revient toujours.

L'eipoir, à^que anrore,

S'éTeille en moi ; Joyeux et jeime encore

Je la re? oi. Sous Tombre solitaire

Yooi mes pas Les peines de la Mrre

N'arriTenl pas. IVun Age heoreux et tettdre L'écho se fait entendre Dans mon cœur loupirant tout bat. La coupe de ma vie

N'a point de fiel ; Sans crainte et sans envie. Mon Ame, ainsi ravie.

Habite au ^L

IV.

LA CLOCHE DES AGONISANTS.

Voix dv leaiipîe sombre, RoMe à travers Fombre, Du chautte au {mlaisl Cloche an loin-bénie, 6ur tonte agbiUe Fais planef la pai>

A'Ia pauvre mère Dont la vie amére N'a plus son trésor Dis, lorsqu'elle pleure : « Je t'annonce l'heure « De le voir encor ! »

Quand ton glas réfonne, Le pécheur frissonne, Seul derant la mort... Oh ! fais qu'il espère... Le parA)n du père N'attend qu'un remord.

£at-ce nn cœur trop tendre Qui n'a pu se prendre Qu'à des cœurs iograta ? Sonne, je t'implore ! Sonne, sonne encore ! Dieu hii tend les bras.

•Hais, si c'est une Ame Que l'amour enflamme De son doux nectar, Elle n'est pas prête... Triste cloche, arrête ! Par pitié,., plus tard !

V. ELOGE DES LARMES.

Quelle grâce, quel mystère Qu'une larme dans les yeux C'est un baume salutaire Qui pour nous descend des cieuz. Sous les pleurs l'Ame brisée Se relève par degrés , Comme on Toit sous la rosée Reverdir l'herbe des prés !

De nos peines si les larmes Amollissent les rigueurs. Elles donnent plus charmes Aux plaisirs des jeunes cœurs. D'une main folle et profane Les plaisirs jettent des fleurs, Dont l'éclat bientôt se fane S'il n'est point baigné de pleurs.

Loin des routei infidèles

Quand deux cœurs se sonl élus.

Les paroles, que sont-elles?

Une larme en dira plus.

L'amour tremble... et, vainqueur mème«

Est à peine rassuré...

On apprend combien l'on s'aime,

Lorsqu'ènsemble on a pleuré.

VI.

LE CHANT DE LA CAILLE.

Qui fait ouïr ce refrain si louchant?

Aimez Dieu ; Cest la caille au monotone chant. Dans les grands blés, invisible pom' nous. Elle nous dit par ce refrain si doux ;

Ahne% Dieu, le pasteur et le père de tous !

Aux GQBurs émus ce doux chant dit eneor : louet Dieul sous le chaume ou sous les lambris d'or. Si vos bonheurs vous ont fui tour â tour, Il saùsa bien vous les payer un Jour. Louez Dieu l ses rigueurs sont aussi de Tamour.

Sur vos moissons quand l'éclair luU déjà, triez Dieu l vous dit-elle; et l'orage s'en va. Au jour funèbre étes-vous arrivé , Le fer sanglant sqr vous est-il levé : friez Dieu, plus de crainte et vous voiU atavé 1

VII. LA BERCEUSE.

Don, bel enfant aùsfi beau qae les angei * Ta mère ett qui Teille autour 2te im , Et qvà, te berçant dans tes langes, Croit bercer plus qu'un fils de roi !

Dors dans Tosier, gai semblant de la tombe;

Mon bras Jaloux t'y couye et garde encor» Ayec son aile la colombe Protège ainsi son cher trésor.

Dors chaudement, dors dans la plume douce l L'amour, plus doux, préserve ton sommeil. Une rose est dans sa mousse. Qui fleurit pour ton frais réveil* «

VIII. LA. PLAINTE DU PATRE.

Du haut de ces bleuâtres cimes. Penché sur mon bAton noueux. Dans les vallons, riants abtmes. Tout morne, je plonge mes yeux.

Et puis, du troupeau que je garde Sur la pente je suis les pas; Je rêve... et, sans que j'y regarde^ Mes pieds arrivent jusqu'au bas.

Des fleurs que sème au loin i'auror» Je vois la plaine se couvrir; Je les cueille, hélas ! et j'ignore..* Et j'ignore i qui les offrir I

«» 77 «}

Je fais sous l'épaisso ramée L'orage dans les airs luttant... La porte là-bas est fermée ; Personne au sentier ne m'atteint ï

Et rarc-en-rciel sur Thumble chaume Descend du nuage éclairci ; Mais ËiOiV, mon divin fantôme... Elle n'habite plus ici !

Loin, bien loin, sur la ^er peut-être, Son cœur me demande éperdu, é. Pauvres brebis, cherchée un Btellré» Car le vôtre «st déjà perdu !

IX.

LES PRESSENTIMENTS DU GUERRIER-

Autour de moi mes frères d'aroMs

Keposent Jusqu'au Jour... Mon pauvre cœur est gras larmes

Et tout brûlant d'amour.

Ah ! oomme dans ses bras d*albàtre

Je «"èvais deusement ! Gomme il brillait le feu de l'Atre

Sur son beau troni dormant!

Ici la flamme ne rayonna)

Que sur les dards sanglants ;

Mon cœur bondtt sans que pertonne Réponde à ses élans.

Pauvre cœur, aux pleurs faisons trêve :

La guerre nous poursuit. Bientôt je dormirai sans rôve...

Chère ange, bonne nuit!

^78€<

X.

LA ROSE.

Des rayong diaphanes M'attiraient avant l'heure : C'étaient des feux profanes 1... Voilà pourquoi je pleure.

Durant toute Tannée Je pouvais fleurir belle : Hélas ! sitôt fanée, Déjà la mort m'appelle *

L'aurore avec délice M'enivra de ses larmes. Et j'ouvris mon calice, se voilaient mes charmef^M

J'aurais longtemps encore Mes parfums, ma couronne..» Le soleil, qui dévore. Me brûla sur mon trône.

Ce que le soir apporte, Je n'en veux rien apprendre. En moi la joie est morte : Pourrait^il me la rendre?

Je sens le froid m'atteindre; La couleur m'est ravie... J'ai voulu dire et plaindre Ma triste et courte vie ^.•

79

XI.

LA TRUITE,

Pareille au trait qui vole, Au fond d'un ruisseau clair La truite alerte et folle Passa comme un éclair. Moi, j'éuis sur la rire, Suivant au loin, des yeux. Dans Tonde pure et tIto Tous ses ébats joyeux.

Un pécheur, sur sa ligne Courbé, muet toujours, De la bêle maligne Guettait les mille tours. Tant que le flot, pensai-je, Sera clair jusqu'en bas, Le poisson i ton piège, Pécheur, ne mordra pu.

Mais, de perdre ainsi rhenre Le méchant ennuyé, Usant d'un nouveau leurre, Troubla l'eau sans pitié* La ligne sort de Tonde t La truite y pend déjà.. . Dans les flots comme au monde Faut-il finir par LftP

XÎI.

ADIEU!

Adieu ! des Toix étrangef T'appellent dans les airs ; Charmante sœur des anges^ Leurs bras te sont ouverts. Parmi le chœur céleste, Vas-tu prier un peu Pour le banni qui rest9 Et qui te dit adieu?

Adieu ! tu sors du monde.... Je ne veux pas pleurer : Ma peine si profonde Doit bien me rassurer t Demain j'irai^ chère Ame, Te joindre au sein de Dieu^ ceux qu'amour enflamma Ne disent plus adieu*

XJUI.

LA CHANSONNETTE DU RUISSEAU.

Bon sommeil ! clos enfin tes yeux. Dors, Jeune homme, le cœur joyeux. Je t'offre un bon lit sous les eaux ; Pose ton front sur mes roseaux.

Ne crains rien : mon cristal est pur. Je t'ouvre un frais palais d'azur. Venez, doux flols, le caresser ; Jusqu'au jour il le faut bercer.

Si le cor sonne au fond des boii, Je t'assoupirai par ma ¥oix. Lys biens, ondulez sans rumeur, Vous troubleriez mon beau dormeiirb

Jeune fille au regard malin^ Fuis ; quitte le pont du moulin. Heureux, il dort : parle tout bas -^ Tu l'éveillerais, ne ris pas.

Bon sommeil! Toot se tait pow lof. La lune aux cieux se mire en mol. Va, les nuits consolent des Jours... Dans mon sein berce-toi toujours !

XIV. LA COULEUR FAVORWR

Le Jour J'ai yu Bertliè, Un Toile en gaze tert»

Flotuit sur sa pàienr. Depuis ce Jour, loin d*e1le, Partout mon cœur fidèle Choisit cette couleur.

Au bord des vertes ondéi, Dans les forêts profondes J'égare ma douleur... Belle ange que j'adore. Je crois te Toir encore Quand brille ta couleur.

S'il faut que Je succombe. Amis, couvrez ma tombe De myrtes sans la fleur ; Ni roses ni croix sombre Le vert gazon sous l'ombre , Ah I rien que sa couleur !...

i»n«i

XV.

LE C H 0.

Ma bonne mère, en grftce, Non, non, pas tant d'émoi... Hier Colin m'embrasse : Est-ce ma faute à moi?... •i-Ah ! disart-il, la chance M'amène en ce berceau, Mais j'ai bien peur d'avance.»

Avance, Répond soudain l'écho.

Colin me dit encore Que dans le bois souvent Il guette dès l'aurore Pour me suivre en rêvant; Que tout serait prospère Pour notre amour nouveau , Mais qu'il en désespère..

Espère, Répond soudain l'écho.

Et lui, croyant m'en tendre Dans cette voix de Tair, Sion doux regard plus tendre Brilla comme un éclair « Veux-tu, quand tout repote. Dit-il, dans le hameau, Que sur ce teint de rose?...

Ose, I^épond soudain l'écho.

19 83^

Colin viendra^ ma mère, Te demander mon cœur. Dis-lui, si c'est chimère : L'écho fut un moqueur. Mais, si ton indulgence Te dit qu'un feu si beau Mérite récompense. Pense Que moi j'étais l'écho.

LA CHARGE GUERRIERE

DE LUTZOW. (kOBRNBR.)

» Qu'est-ce donc là-bas qui brille au soleil? Écoutez ! Quel bruit sourd s'avance Le long du Rhin sombre, à la mer pareil F Et des cors perçants sonnent un réveil Tel que l'âme a frémi d'avance!... Le noir compagnon s'écrie aussitôt :

« Houra i houra ! « C'est la charge de Lulzow

Qu'est-ce donc qui passe au fond des forèls

Et court de montagne en montagne? Dans l'ombre embusqués, les voili plus prèi; Un cri part d'abord, le mousquet après... Et les bleus Jonchent la campagne.

Et le noir chasseur s'écrie aussitôt :

« Houra 1 houra 1 « C'est la charge de Lutzow 1 »

jaunit la vigne est couché le Rhin.

Sa fureur semblait endormie, Mais, grossi d'orage, il bondit sans (tein. Et jette en grondant son flot souverain

Sur toute la rive ennemie.

Et le noir nageqr s'écrie aussitôt :

« Houra! houral « C'est la charge de Lutzow ! »

>84<

—Sut la plaine, au loin, quel fracas d'enfer Sort de la bataille agrandie î

Tous les cavaliers ont croisé le fer ;

Et la liberté, d'abord pftle éclair.

Yole comme un rouge incendie!...

Le noir cavalier s'écrie aussitôt :

c< Houra ! houra ! « C'est la charge de Lutzow !

Hélas ! qui se meurt, entouré là-bas

D'étrangers mordant la poussière? Son front a déjà le froid du trépas, Et son cœur s'éteint, mais ne tremble p«9«

Car l'Allemagne est libre et fière !

Et le noir mourant t'éorie aussitôt :

« Houra! boura! « G'était'la charge de Lutsow! »

image:.

(JEAN - PAUL ftICHTER.)

Les colombes, dtt-OB, ae baignsnt avec joie Dans les grands lacs d'argent, i£n d'y voir nagw

L'image des oiaeaaK de proie Qui sur leur tête en vain font planer le danger. Pourquoi l'oiseau du fondre et le vautour des lombes Ne glisseraient-ils point de mène sur les flots Afin d'y voir passer, en snsves tableaux,

L'ombre paisible des colombes?

LivBB m.

ZaAxroiras ditsrsbs.

t»97«l

POÉSIE ANGLAISE.

TITANIA

BBINE DKS FBES,

Fragment du songe d'une nuit d'étéX shamsmarb.)

(Un jeune berger est étendu foui l'ombrage; TiUDia lai parle aimi

de son amour.)

Ne cbercbe pas» mon ange, à sortir de ce bois, Pe ma belle prison de mousses et de feuilles. Tu resteras ici, mortel, que tu le Teuiiles Oinon; car mon oreille est ine de ta Toiz Et mes yeux de ta forme, et je commande en reine A ce peuple d'esprits qu'à ma suite je traîne. Sur mon empire un seul été régne toujours ; Tu règnes sur mon cœur, toi!... soleil de mes jours! Viens; je te donnerai pour tes pages des fées GouTertes d'ambre et d^r et de perles coiffées : Elles t'iront chercher dans l'abtme des eaux Mille joyaux sacrés que n'ont point vus les hommes ; Puis elles chanteront durant tes légers sommes Sur un doux Ut de fleurs caressé de roseaux ; Et je saurai si bien par ma toute-puissance Epurer, en jouant, aux flammes d'un éclair. Les éléments grossiers de ton humaine essence. Que tu prendras le toI d'un jeune esprit de l'air... Holà ! Fleur-de-pois, Mite, et Graine-de-moutarde, St TQile-d'araignée , allons, et qu'on ne Urde !

{Quatre féet se presetUeia.y

»B8 « PREMIÈRE FÉE.

^e voilà toute prête.

DEUXIÈHE FÉE.

Et moH 4s Bidve.

TROWI^MK FJIE.

fil QUATRIÈME FÉE.

El moi, reine. faui-il aller P

TITARIA.

VQili nuui roi Et le YÔtre . Soyez aimables et polies Pour ce fils de la terre^et faUi|ft-¥âa8 Jolies i Chantez autour de lui , danMx deyant ses pas. D'abricots saTQureux, de la grappe des treilles, De mûres au sang noir« si de poches vermeiUes» Et de figues d'Athène embanioez ses repas. Dérobez tout leur miel «ux fécondes abeilles Pour tempérer son vin de Cr&le ou de MaiLOS; Et dévalisez-les de leur cires, pareilles. Dans leur cuisse gonflée, i la moeUe des os. Pour en faire un flambeau, nocturne météore Que vous allumerez i Tosil du ver luisant» Et qui caressera d'un rayon complaisant L'enivrement rêveur du mortel que j'adore. Aux insectes, de l'ombre et du silence amis^ Arrachez doucement leurs ailes bigarrées Pour écarter, avec leurs gazes colorées, Les longs dards de Pbœbé de ses yeux endormis. •!— Esprits, inclinez-vous comme devant un mage, Et d'un culte divin prodiguez-lui l'hommage !

PttBMlÈBE VtEi

SaliU, mortel, salui !

DECJXIÈHE FÉE.

Siiul !

TROISIÈME FÉE.

Salul!

QUATRIÈME FÉE.

Salul !

TITAHIA.

maintenant, anx accords d'un ioTiaible luth. Portez-le sous mon myrte en berceau... Preooi; firdo!... Bien... La lune d'un œil humide nous regarde ; Et, qi^nd son cbasle front laisse échapper des pleurs. C'est qu'elle plaint, hélas ! la jeunesse des fleurs. Si rapide sourire, ou qu'elle se lamente Sur quelque vierge en peine et qui devient amante... Dors, mon enfant ; je vais t'enfermer dans mes bras. Allons^ dispersez-yous^ sylphides, fuyez toutes !... Ainsi le chèvrefeuille en amoureuses voûtes Se courbe et s'entrelace... Oh ! va, tu m'aimeras ! Ainsi dans ses anneaux la liane avec force De son sauvage époux emprisonne Técorce... Oh ! j'ai soif d'un bonheur inconnu ! Laisse-moi Boire le pur nectar de ta lèvre chérie... ^e donnerais, vois-tu, pour un baiser de toi. Tout mon royaume de féerie !

\

t»eo «

ROSALINDE.

Fragment de la comédie Gomme il tous plaira, (shikespbare.)

(RosaliDde, déguisée en jeune garçon, s'amnsé iéprooTor et i intriguer Orlando, son amant, en lui disant d'agir .comme si C'était la Traie Rosalinde qui fût devant ses yeux.)

ORLAHDO.

Ah ! j'ai quelque plaisir i dire que vous l'êtes. Parce que je voudrais parler d'elle.

ROSALINDE.

Et vous faites Fort mal ; car je vous dis, en sa personne, moi : Je ne veux pas de vous.

ORLANDO.

Il faut donc que je meure

En ma personne ?

ROSALINDE.

Non s mourez comme j'en vol, Par procuration, jeune homme, à la bonne heure. Le pauvre monde est presque âgé de six mille ans ; Et,*depuis qu'à grands pas le vieux faucheur moissonne» Il ne s'est jamais vu d'hommes assez galants Pour expirer d'amour, expirer en personne. Ce type des amants, Troîlus, eut, un jour, Le crâné Tracassé d'un bon coup de massue; Et cependant voyez l'espérance déçue ! •— Il avait fait, dix ans, tout pour mourir d'amour, Léandre, si vanté, sans l'accident funeste D'une très-chaude nuit, eût vécu tout le reste De ses jours, fort heureux ainsi qu'auparav«n^

91 «}

Quand même Héro, par goût, se f At mise an couTenV Car sachez que, n'ayant que la lune pour lampe, Léandre se baignait, un soir, dans FHellespont, Mais que sa jambe y Tut prise par une crampe, IVoù vint qu'il se noya... Voila tout, j'en répond. Et les historiens nous dirent , d'âge en âge. Que c'était pour Héro de Sestos. Badinage! Purs mensonges que tout cela, je tous promets! Il est vrai qu'avant nous nos pères disparurent. Que les frêles humains dans tous les temps moururent, Et que les vers toujours s'en sont régalés, mais. Qu'il en soit mort un seul pour fkit d'amour, Jamaiil

FRAGMENT DE GHILDE-HAltOLD^

(lord byron.)

O mort ! tu m'as tout pris, faucheuse universelle.

Une mère, un ami, trésor si rare ! et celle

Qu'un sentiment plus doux attachait à mon sort !

A qui furent tes coups plus terribles, 6 mort !

Toujours de nouveaux deuils, compagnons de mes courses.

Ont pour moi du bonheur empoisonné les sources.

Quel est le plus cruel malheur, qui, sur le front, Des rides, plus avant, nous imprime l'affront : Malheur de la vieillesse et plus grand qu'elle-même ? N*est-ce pas d'avoir vu rayer tout ce qu'on aime Du livre des vivants? n'est-ce pas d'être seul, Comme je suis déjà... d'être un mort sans linceul? Je fléchis le genou devant le bras céleste Qui démon pauvre cœur a déchiré le reste. Coulez rapidement, jours vains et superflus. Marchez vite i l'abtme !... Hélas ! vous n'avez plus A m'apporter jamais de douleurs ou d'alarmes , liC temps ayant détruit ce qui faisait les charmes De ma vie, et versé sur mes trop jeunes ans pe l'âge des vieillards tous les chagrins pesants !

M 4:^

POÉSIE POLONAISE.

KASIMIR PREBIIER

DIT iE MOINE,

Légende hùtorique. (nibmcbwibs.}

A M. LOURDOVEIX.

La Pologne était forte : elle était donc beiireiue.

Elle ayaitun grand roi, le glorieux Ghrobry;

Ses Toifini redoutaient aou aigie aveotureuieu

L'aigle blanche au toI large ! ~- Et, août ce coble «brli Les serfs, jouant avec leurs chaînes. Semaient Tor des moissons prochaines ;

Tandis que dans la lice, casques et harnois S'entre-choquent aux bras des chênes.

Les seigneurs s'élançaient des I\estins aux tournois..

JAiéczyslas, après lui, des combats incapable. Prit d'une main pygmée un sceptre de géant. Indulgent sans yertu, sans crime roi coupable» Il gagnait, Jour à jour, son nom de fainéant.

Avec d'indignes fils des Slaves,

Ducs et barons à cœurs d'esclaves. Il noyait d'hydromel l'oubli des grands exploits...

Et cependant au front des braves Son épouse Ryxa Jetait ses dures lois.

fe» 95 «3

I^'an pays eiiBemi ««tte femme «rrivée Sur la Pologne en deuil régnait pour s'en venger : Ce n'était dans les chaoïps que rapine et cory^e Pour nourrir des flatteurs le ramas étranger. Et quand l'indolent i la terre Fut rendu;... quand, las de se taire. Le peuple un peuple entier osa tout haul gémir.

Couverte d'or et de mystère, Elle fuit, emportant le Jeune Kasimir.

Alors les Polonais d'une faydre d'anarchie Sentirent se presser les anneaux étouffants; Toutes les nations dans la poudre affranchie Traînèrent de Ghrobry les faisceaux triomphants;

La Bohême, la Moscovie,

Relevant leur tête asservie, Des frontières partout insultèrent l'orgueil ;

Et, découragé de la vie. Le peuple aux saints autels n'implorait qu'un eerenefl.

Gnèzne, royal séjour, noble cité des maîtres, La ville des palais, des amours, des festins, En proie à Bretyslaw, vit ses trésors, §e§ prêtres Et ses vierges partir pour des exils lointains. •» Tout ce qui restait du royaume Dans les chAteaux et sous le chaume Se ressouvint alors de Rasimir absent :

« Lui seul a le glaive et le baume : m Allons vers lui ! Ghrobry vit encor dans son sang ! »

Dans un pays bien loin, au fond d'un monastère. Us trouvèrent le Roi saintement enfermé, A 'deux genoux devant un autel solitaire. Avec l'habit du cloître et le cierge allumé : Prince, notre Pologne expire ;

<c Son peuple décimé soupire m Après sa vieille gloire, après son jeune roi.

« Ayez pitié de votre empire, « Prince ; prençz ce glaive et dites : Suivea-moi ! *

91 «)

»- « Suiyez-moi ! » dit le prince. Et, de ion yœa de moine Délié par le pape, il fondit du coteau Dans la plaine, et reprit son royal patrimoine Bataille par bataille et château par château...

<c Enfin c'est toi, ma capitale !

« Tends-moi tes bras. Tille natale , « Gomme, à la Toix du Christ ému d'humanité,

9

« Ecartant la robe fatale, « Cette mère embrassa son fils ressuscité ! m

Le Sénat, le Clergé, le Peuple à sa rencontre Se portèrent : « Salut ! et sois le bien venu, « Petit-fils de Ghrobry , Le mattre enfin se montre I « A ton œil fier et doux nous t'aurions reconnu. M Ta vue A nos maux qu'elle apaise « Est comme l'onde à la fournaise ! « Ne souffre pas qu'un feu se rallume en nos chairS|

« Et que la race polonaise , « Terreur des étrangers, tombe encor dans leurs fen \

Kasimir dépassa tant d'espoir. A son ordre , L'anarchie étouffa sa torche; et blonds Rusiieni Et pâles Allemands, balayés en désordre, Jurèrent le tribut. Et, comme aux jours anciens,

Le serf, jouant avec ses chaînes,

Sema l'or des moissons prochaines ; Tandis que dans la lice, casques et harnois

S'enire-choquent aux bras des chênes, Lm seigneurs s'élançaient des festins aux tournois*

98 ^

POÉSIE RUSSE,

L'ANE ET LE ROSSIGNOL.

Fable. ( KRiLorp. )

Un ftne ( il t'en trouye partout )

Se promenait dans un bocage. N'admirant pas et mangeant le feuillage; Il jouissait bêtement, mais beaucoup. Voilà qu'il aperçoit, retiré sous l'ombrage. Un rossignol. Alors, prenant son air badin :

« Ah ! c'est toi ! Salut mon confrère,

« Se met-il galamment A braire. « Tu chantes, m'a-t^on dit, comme un petit Martin t Voyons, de ton gosier dérouie les merveilles.

« Devant moi tu peux tout chanter :

« Je suis digne de t'écouter;

« Regarde plutôt mes oreilles. »

Soudain le chantre du printemps Éleva dan* les airs sa voix sonore et tendre : Il pressait, suspendait ses concerts éclatants ; Il chantait le plaisir, puis gémissait longtemps ; Et les oiseaux groupés se Uisaient pour Pentendre, Et les vents s'arrêtaient, et les troupeaux charmés Oubliaient l'onde flrafche et les prés embaumés Et, guidant ses amours sous l'ombre bocagère , Le pAtre, plus hardi près d'un sein plus troublé, Soupirait, sur les chants du troubadour ailé. De longs «veux plus doux au cœur de sa èergèra.

96 et

L^oiseau divin a fiol sa chanson. L'àne aussitôt : « Pas mal. Nous ferons quelque chose,

«f Fett bonne qualité de son ! « Qui sait! tu deviendrais peut-être un virtuose, m Si notre coq l'avait donné quelque leçon. »

Contre l'arrêt grotesque implorant un refuge. Le pauTre rossignol, loin, bien loin s'envola ;

Et dans les déserts s'en alla Chanter pour les échos et non pour un tel juge.

Vous êtes parmi nous des rossignols aussi ,

Poètes; fuyez les profanes ; Chantez, mais à l'écart, hélas ! dans ces temps-ci. Qui trouvez- vous souvent pour vous juger? Des ânes I

LA BRANCHE €OUFÉÈ,

(MIATLEV.)

Od t»-ta ftottantie «ur Ponde, Pauvre branche? Tu ne tais^pas. Prends garde ; la ner têlpnfhnàe, La mer est méchante , là-bas.

Avec la vague muijfssatrte Tu n'auras qu'un monïetft lutté , Comme l'orpbeKne innocenta Arec notre perYcrsHé.

La terrtbTe, quoi que tu souffres.

Te terrassera mille fois

Et t'entraînera dans ses gouffres...

Branche, prends garde, entends ma voix 4

97 «3

Quai-je besoin de prendre garde P Répondit la branche^ et pourquoi ? Je suis déjà sèche, regarde : La vie, hélas ! n'est plus en moi !

Bu tronc paternel, presque morte , L'aquilon vient de m'arracher... Que la vague à tout vent m'emporte Je ne fais rien pour l'empêcher.

Aussi bien, sois juste, à cette heure Qu'ai-je à désirer que mourir? A mon cher arbre qui me pleure Je ne pourrais plus refleurir !

LA STATUE.

(DD WtltE.)

Statue, oh ! que te voilà belle ! £t mon kme est pfeine de toi 1 C'est bien là, c'est justement celle Que je m'imaglnttis pour moi. Que je sculpte dans ma pensé», Que je caresse en mon sommeil , Et qui se p&me, caressée. Bien longtemps après mon réveil !

Car ce n'est pas d'hier, va, que tu m'es ooniHie !

Déjà, par ton fantôme ou mon rêve abusé

Déjà plus d'nne fois j'ai, malgré toi, Imé

Ton sourire innocent, ta gorge demi-nue;

J'ai pressé ton corps vierge entrâmes brasamttfltfl;

J'ai joué, sans te craindre, avec te» pieds charmant!.

Oh ! si je pouvais donc trouver... si je devine

Un moyen d'animer cette forme divine

9^

Et de yerser en elle un de ces pars amours Tout semblable à celui qui m'enivre et me tue.» , Insensé! Je me perds en stériles discours ! Mon destin est d'aimer, d'adorer la statue ; Le sien est de rester un marbre froid toujourt.

LE NUAGE.

(OO MÊME.)

Que dans les champs du ciel coure un nuage noir i Il s'en ya de la lune éclipser le visage. Et m'obscarcir au loin mon beau chemin du soirt Et je frémis déjà, plein d'un sombre présage.

Dans notre vie il est des nuages aussi ; Et sa joie à l'instant se ternit et s'attriste , Quand la main du malheur sans dire : Me voici ^ Sur le cœur stupéfait se pose à l'improviste.

Mais, chassé par les Tcnts, fuit le nuage noir. Et comme elle brillait la lune brille encore ; Elle argenté Ui-bas mon beau chemin du soir, Partout l'obscurité dans les airs s'évapore.

Les nuages épais de la vie et du sort.

Ah ! si du moins le temps les chassait de son aile 1

Et si le lourd chagrin, tombé sur nous d'abord,

"Se marquait pas le cœur d'une empreinte éternelle!..,

Par cet hdte terrible une fois visités, Nous le gardons toujours. Mais il est une vie Sans nuage..... et c'est là, vers les pures clartés , Que monte ma pensée incessamment ravie !

^ 99 €3

POÉSIE ITALIENNE

fragment du Roland- Furieux* ( ariqsvb, )

Renaud, en proie i ses regrets amers. Monte un nsTire ; et la Tague soumise Le porte au lieux od la riclie Tamise Mêle en grondant son onde aux flots amer»; Et par le flux la Yoile secondée Aux murs de Londre est bien vite abordée.

Mais comme on yoit sur I9 mol in8trum.ent Courir Tarcbet d'un fils dePolymnie; De mille accords variant l'harmonie. D'un mode à l'autre il passe habilement ; Ainsi, mes chants doivent suivre avec grAce Les tons divers que mon sujet embrasse.

Et, puisqu'Ici Renaud vient par hasard Me rappeler Angélique, échappée A son ardeur par la fuite trompée , Je vais la suivre auprès du saint vieillari) A qui sa peur demande avec instance Do port voisin la route et la distance.

^ 100 <^

DEUX IMPROVISATIONS

DE G1AN1.

l

Sht le portrait de madame la comiesse D***

^u Vénus, mère d'amour, vaine 4e Tiinivers» Apparais-moi, disais-je, U beftulé 8iyir6me ! Viens !... Je brûlai toujoucs de peindre dans mes ?«rf Ton image divine et semblable & toi-même.

Elle m'entendit dass les cieux ; Mais un regard mortel ne peut pas voir les 4iei|Z ;

Et la déesse complaisante X revêtu soudain ta forme ravissante

Pour se dévoiler à mes yeux.

u

Sur le buste de la princesse Borgh4»f,

Ne crois pas voir ici la reine des amours, Passant. C'était, hélas î une jeune morlelle Que la belle Vénus, en la voyant si belle, t;urieu8e, a changée en marbre pour toujours.

^ iO\ C<

M. GLAUDIUS JAGQUAND.

TraducUon des yen îtaiieDS improTisés par H. Kegaldi devant Je

tableau : t/ayrij (i).

Glaudius, ion pinceau, trempé des saint* mystères, Emporte mon esprit dans les vieux monastères, Et lui montre Infamie, Amour et Piété. Fulgence est assis sur une informe pierre : La Bible, le cHice offrent à sa prière La paix du ciel, trésor loin du monde abrité.

De fleurs enYironnée, une croi^ suspendue S'appuie au mur, qui seul entrnd la voix perdue De Tauslère vieillard, au siècle déjà mort. Un frère du couvent s'approche plein de crainte : La colère de Dieu sur ses traits est empreinte !... Il a sans doute au cœur un horrible remord !

Pâle et sans pouvoir dire un mot, il se prosterne ;

Il attache au pavé son œil sanglant et terne ,

Ses ongles convulsifs mordent ses bras croisés.

A la fin, suffoquant et parlant tout ensemble :

« Mon père. Dieu me pousse à vos pieds, je tremble 1

Ecoutez... pour m'absoudre après, si vous l'osez !

Elle priait, pleurait à l'autel de la Vierge Lorsque je l'aperçus aux doux rayoQS d'un cierge , Cette ange de beauté qui fascina mes sens. J'avançai... Vers les deux elle élevait son âme Pour fuir une pensée, une image de flamme Qui la suivait partout de ses charmes absents.

ri) Cette pièce, ainsi que les vers italiens de M. Regaldi, a été publiée dans la Francti^ Littéraire (fer d'octobre IS40) qui a égale-. ment donné une reprcducficn du tableau de M. Jacquand.

^ 109 «t

Un Jour qae le soleil commençait à décrotlre, Elle inToqua, plus forte, un ministre du dotlre, Pour se régénérer sous le pardon chrétien. Confesseur, j'entendis les aveux de la femme : Je connus son péché ; puis, sacrilège infâme , Matlre de son secret, je lui parlai du mien.

Elle, que Dieu touchait d'une ferveur si vraie, Qui de son pauvre cœur m'avait ouvert la plaie. Tomba froide A mes pieds... et presque i moi dé'^ Et je la possédai !... D'une extase fatale Dans mon être courut l'étincelle infernale ; Le misérable frère en démon se changea...

Ah ! Fulgence, attendez ! je n'ai pas dit encore 1a moitié du supplice affreux qui me dévore, Vous n'êtes pas encore assez épouvanté !... Malheur ! Je la revis dans ma chambre isolée , Mon esclave, y venant honteuse et désolée, Et funeste toujours par sa grande beauté I

Àh ! Dieu !... je devins père !... Et, de crimes en criracf^ Pour cacher les premiers j'immolai deux victimes !... Quelle nuit je passai d'angoisse et de fureur ! J'enfouis de mes mains le meurtre sous la terre; Mais les remords sont qui ne peuvent se taire El qui de cette nuit éternisent l'horreurl

Toujours l'enfant, la femme !... ils obsèdent sans trêves

Ma prière à l'autel, et dans mon lit mes rêves !

Mon secret orageux déborde de mon cœur !

La cellule, l'autel, ma parole confuse,

I^ voix du ciel, la voix des morts, ah ! tout m'accuse !

Pitié I... je me repens devant le Dieu vainqueur...

Grâce!... »

Mais, Claudius, à quoi servent ces rimes ? Tu fais dire au pinceau des histoires sublimes. Des histoires de pleurs que tous répéteront. De son trône descend la blanche Poésie : Elle admire longtemps ta palette choisie, £t du laurier delpbiquc elle entoure ton front (

fe» 103 <

POÉSIE PORTUGAISE.

Fragment du poîme des lusiades. (camoers,)

Au Poète Béiiaiiger.

Pans le 7* chant Vaseo de 6ama eommenee à eiplfqaer aux ehefa indiens les combats représentas sur les bannières portugaises.... Tout à coup G«mo<$os intf rrçmpt ce récit pour (aire un retour sur lui-même.

Des exploits qu'aux regards raconte la peinture L'Indien dévorait la yiyante imposture... Mais que Tais-Je, insensé ! Ma Yoix meurt sans écho. Muses du Tage, ô tous, nymphes du Mondégo, Oserais-Je, sans vous, de ces faits mémorables Tenter le cours lointain ? Soyez-moi secourables ; Mon esquir est livré, sur une mer sans Tond , A la guerre que Tonde et tous les vents lui font : Sauvei-le, sauvez-moi, Muses, de leur furie !

Tous le savez, mes chants, voués à la patrie. N'ont conjuré jamais orages ni périls ; De malheurs en malheurs et d'exils en exils Far le souffle du sort poussé comme une paille, Et toujours sur les flots ou les champs de bataille, Je lutte, je combats... et j'écris cependant. J'écris encor, semblable , en mon délire ardent, A la fille d'Eole expirante, qui l^ve I<e style d'une main et de l'autre le glaive.

104 «3

Tantôt ayant pour sœur l'indigence et la faim.

Sans amis que mes vers, sans autre asile «nfio

Que la triste demeure ouverte dans la ville

Par la pitié publique à la misère vile.

Si je retrouve encor Tespérance flottant

Devant mes yeux, c'est pour la reperdre à l'instant ;

L'abîme qui s'était fermé , comme une pi;iie,

Se rouvre plus profond sous mon pied qui s'effraie ;

Tantôt couché lugubre, ainsi qu'Êzéchiiis,

Sur un lit de douleur, je n'attends plus, hélas !

Qu'un bras pour me jeter au dernier habiUcio ;

£t, comme lui, j'échappe à la mort par miractie.

'Pour comble d'injustice et de calamités , Je dois mon infortune à ceux que j'ai chantés; Elle est le prix des vers consacrés à leur gloire. Au lieu du saint repos qu'espère la victoire. Au lieu de ces lauriers qu'a mérités mon front, Je n'ai donc récolté que torture et qu'affront Et les jaloux dédains de ces ingrats superbes !...

Nymphes qui de vos jeux foulez les molles herbes, Huses du Tage, eh bien ! soyez mon seul trésor ! Soutenez du regard mon homérique essor, Ne m'abandonnez pas à mon aile incertaine Lorsque je vais chanter la gloire Lusitaine : Vous ne me verrez point , couronné de vos mains, Prostituer vos dons à d'indignes humains. Je l'ai juré par vous ; et, jamais mon Ame Se traînait bassement danj un parjure infAme, Puissent mes oppresseurs contre mes jours proscrite A leur ingratitude ajouter leurs mépris !

Voilà, donc cependant le destin qu'au génie Réservent les enfants de la Lusitanie 1 Aussi, les malheureux ! leur idole est Plutus ! Contempteurs du poëte, ils rampent sans vertus, O Plutus, dieu de l'or, dieu de sang et de boue, Seule idole qui règne et que le siècle avoue. L'opulent et le pauvre avec même ferveur, Luttant d'avidité, harcèlent ta faveur.

106 «j

Le crime entre ausiilôl dans l'âme qui t'adore. C'eit pour avoir lea biens du riche polydpre Que le roi de la Thrace, intrépide guerrier, Se changea sans remord en lAche meurtrier ; L'impénétrable tour s'ouvrit à cette pluie Dont l'or divin baignait la captive éblouie; L'or égara^ devant les grands dieux protecteurs, Tarpéia qui, la nuit, aux Sabins corrupteurs Livra le Gapitole, et mourut étouffée Du poids des boucliers, funéraire trophée.

L'or conseille ardemment la bassesse aux grands cœura ;

Il attache la fuite aux étendards vainqueurs ;

Il fait les faux amis, les sujets infidèles ;

Mieux que le fer il prend les fortes citadelles ;

Dans le sein de la rierge, à son bruit suborneur,

Se taisent les combats pudiques de l'honneur :

Il tente quelquefois les enfants de Minerve,

Et l'inspiration se déprave et s'énerve.

L'or, qui tient la balance et le glaive soumis. Interprète et corrompt les arrêts de Thémis : Il condamne, il absout, il Juge, il interroge; I^s lois qu'il suscita^ plus lard il les abroge } I^ parjure avec lui surgit entre parents Sacrilèges pour lui, les rois se font tyrans... On l'a TU se glisser Jusques au sanctuaire , Eblouir et troubler, presque sous le soair». Le cénobite au seuil de son éternité, Et des chastes autels souiller la sainteté.

> 106

POÉSIE TURQUE.

ROSE-ROSSIGNOL.

RESCHID-PACBà,

 mademoiselle Eudoxie de Chancouriois,

Au jardin debeauié combien de fratches roses!

Mais en elles n'est pas la yoix du rossigilol ;

Le rossignol , sa Toix surpasse toutes choses^

Mais réclat de la rose est absent de son vol.

Des amants tous les deux bien quMIs soient les délices,

Tous les deux ont leur gloire à part, couleur ou bruit:

L'œil du Jour suit la rose au fond des bois complices,

Le rossignol ravit Toreille de la nuit.

Si chacun est doué seulement d'un prestige,

On peut prés de chacun sauver sa liberté ;

Quand l'un règne dans l'air et l'autre sur sa tige.

Comment s'uniraienl-ils dans la même beauté ?

Moi, J'ai trouvé les deux nectars dans un seul vase

La grâce mariée au charme de la voix ;

Hélas ! et Je m'égare au vallon de l'extase.

J'ai vu le rossignol et la rose à la fois!

Oui, j'ai vu dans Paris une nymphe chanteuse:

Le rossignol se tait devant son chant vainqueur;

La rose l'aperçoit, et se cache honteuse;

El Rose-Rossignol est son nom dans mon cœur

(07 «<

ODES D'HORACE.

r

PROPHETIE DE NEREE.

Pastor cum traheret, «tf.

QiMnd PArig emportait sur ses lAches taisi eaaz La fille de Léda^ parjure i rhyménée, Nérée, au loio^ fit taire et lee Tenta et les eaux, Pour prédire au Trojen la sombre destinée :

« Celle que tu conduis aux palais paternels. De tous les Grecs ligués y porte la colère; Leur glaive brisera vos liens criminels, Et du vieux roi Priam le sceptre populaire.

Des guerriers, des coursiers, quelle sueur, bélas ! Tombe 1 Pour Ilion quel deuil et quel outrage! Du casque écbevelé déjà s'arme Pallas, Tout est prêt, son égide et son char et sa rage.

Protégé de Vénus, tes longs cheveux dorés En vain se poliront sous Tivoire ou l^ébéne; En vain, dans tes concerts, des femmes adorés. Tu mariras tes chants à la lyre thébaine.

Les pas de Mérion et son dard frémissant Viendront de ton palais troubler les doux mystères; On verra, mais trop tard ! dans la fange et le sang Traîner honteusement tes cheveux adultères.

» 108 «{

N'>mcnd«-tu pas d'Ajax siffler les javelois? vois-tu pas coarir, ardents pour ton supplice, Teuccr de Salamine, et Nestor de Pylos, Et ce grand inventeur des trahisons, Ulysse !

Tu verras Sténélus, redoutable assaillant. Habile à diriger les coursiers et la lance ; Voilà, plus que son père et terrible et vaillant , Diomèdeeû fureur qui t'appelle cl s'élance.

Et loi, pareil au cerf, qui des prés savoureux, Fuit, quand le loup, de loin, a hurlé dans la pUine, Tu fuiras, oubliant tes festins amoureux. Et les exploits menteurs promis à ion Hélène !

Achille désarmant ses vaisseaux courroucés, D'Agamemnon vengeur reculera la proie ; Mais, les temps accomplis, par le destin poussés. Les feux grecs brûleront les grands palais de Troie. »

II.

AU PEUPLE ROMAIN.

Quà, (fuà, scelesti rnifis, etc.

Arrêtez ! arrêtez ! courez-vous barbares. Tous, le glaive nud dans la main ? Quoi, Neptune et ses bords avares

Ne sont-ils pas rougis d'assez de sang romain !

Encor, s'il eût coulé dans les murs de Carlhage Aux feux latins abandonnés. Ou pour dompter l'Ebre et le Tage,

Ou 4ralner au sénat les Bretons enchaînés!

t> f 09 -«Q

M^ig non ( et pour le Parlhe, 6 Rome, quelle joie ! ) , ' Dans ton sein ton bras s'est plongé. L'ours de Tours ne fait pas sa proie. Le tigre ne meurt point par le tigre égorgé.

Romains, qui tous égare? Est-ce un démon farouche. Le crime, une aveugle fureur ? Parlez.... Us se taisent ; leur bouche

Tremble ^ leur front slupide a pAli de terreur.

19* en doutons plus : Rémus, victime fraternelle, Dénonça Roibe aux Dieux puissants , De qui la vengeance éternelle

Poursuit le'meurtrier dans ses fils innocents.

m.

A VALGIUS.

Non semper imbres.

Les fleuves sous de lourdes chaînes Ne sont pas captifs en tout temps. Cher Valgius, ni les grands cfa6nes Toujours insultés des autans. De Tonde méditerranée Voit-on la tempête obstinée Sans cesse éveiller la fureur , Ou, dans les plaines fécondées. Chaque mois, les froides ondées Noyer l'espoir du laboureur ?

10

4

Kr d'un fils que la mort t'enlèTt Tt TOix déploriat le destin Soupire quand Vesper f e lére, Quand rougit l'astre du matin ?..•• Nestor répandit moins de larmes Sur Antiloque, par les armes Moissonné si Jeune et si beau ; Et la tendresse maternelle N'a point d'une plainte éternelle Honoré Trolle au tombeau.

Viena, que les douleurs étouCTées N'osent plus amollir ton cœur ; Vien^ chantbns les nouveaux tropbéea Du grand César, toujours vainqueur : Le Niphate, i sa voix bardie. Et les vieux fleuves de Médie AJDaissant leurs flots subjugués ; Et dans les étroites barrières Prescrites par ses mains guerrières Les coursiers gelons reléguét.

IV.

A QUINTIUS.

Çuid bellicosus Cantalert etC*

Laisse, cber Quintins, le Gantabre et le Scythe

Aléditer loin de nous les fureurs de Palias ;

Ne prends pas trop de soins pour une vie, hélas !

Qu'attend déjà le noir Gocyie. D'heure en heure pâlit l'éclat de nos beaux Jours ; La Jeunesse s'envole, et bientôt, sur ses traces,

L'âge arrive, chassant les Grâces, Ki le sommeil facile et les joyeux Amours.

A.Tee le printempi meurt la rose panagère; Pbœbé montre et tantôt cache ton front d'argent : Pourquoi dans l'avenir chercher, en t'affligeant,

Des maux que la crainte exagère? Que n'allons- noua parmi ces pins aux long^ rameaui, Tandis qu'une heure encor nous est abandonnée^

De fleurs la tète couronnée, En inTOquant Bacchus boire l'oubli des maux?

Baechus dissipe au loin les dévorantes peines. Enfants, prenex la coupe et le yase écumeux ! Qui de TOUS plongera le Falerne fumeux

Pans les fraîches eaux des fontaines P Qui Ta chercher Lydie, au lascif enjoûment ?.... Ab ! eonrex ! qu'elle vienne avec son luth d'ivoire,

Et, comme à Sparte, en tresse noire, Ses ondoyanti oheveux noués négligemment !

V.

A GROSPHtS.

Otlum dwoSj «tff.

Lorsque la sombre nnit, de tempêtes chargée, Dérobe aux matelots leurs guides radieux. Le voyageur, battu par les* flots de l'OEgée, Demande le repos aux Dieux.

Que demandent, Grophus, et la Thrace indomptée El le Mède aux longs dards ? C'est le repos encor» Que Ton n'achète point par la perle argHitée, Ni par la pourpre, ni par l'or.

fi» ilS€|

Non, lei dons de Plutos, lei UiMeaux consuiairet FTéloigncht pas des cœurs les soucis abhorrés , Hoir essaim qul^ fuyant les chaumes populaires^ Voltige sous les toits dorés»

Heureux qui Toit s'orner la table paternelle De la salière antique et de raisins vermeils ! L'a?arice et la peur, sa compagne éternelle.

N'abrègent point ses doux sommeils l

Pourquoi perdre en projets nos heures passagères ? Pour des trésors d'un jour pourquoi tant s'agiter ^ L'insensé qui s'exile aux rives étrangères Peut'il soi-même s'éviter ?

Il part sur un coursier : le chagrin monte en croupe, Plus prompt que le vautour qui fond du haut des airs ; Il fuit dans un vaisseau : le chagrin sur la poupe Avec lui traverse les mers.

Jouissons du présent ; par de follet alarmes Gardons-nous d'attrister le douteux avenir ; Kemplaçons par les ris ce bonheur que nos larmes Ne pourraient pas noue obtenir.

Le Styx du grand Achille a reçu la jeune ombre ; Tilhon meurt lentement par un long âge usé ; La Parque de mes jours pourra grossir le nombre D'un jour à tes vœux refusé.

Dans tes champs spacieux cent taureaux paissent l'herbe ; Tu vois rentrer, le soir, mille blanches brebis, Et grandir pour ton char la cavale superbe ; La pourpre enflamme tes habits.

Moi j'ai reçu du ciel, plus généreux qu'avare , Quelques pauvres arpents, mais l'amour des neuf sœurs» Un peu du souffle grec, avec le don si rare De rire des malins censeurs.

riN DE LA POfiSlE ÉTRAUGÈRB.

POÉSIE FRANÇAISE

Litre I,

ÉLÉGIES, ÉPITRES, IDYLLES.

»1I9|«

AVZ KAVSS

DE

JOSEPH DELORME

J'ai beau me rappeler... Joseph Delonne... non, Nul écho dans mon cœur ne l'éf eillc i ce nom. Joseph!... Lisons toujours.- Ah ! Jeune aiglon s«tH*» Cygne plalniif, amour des eaux et du rivage , Pour souffrir et chanler.sur la terre ?enu, f^

Tu meurs enfin... Pourquoi ne t'ai-Je P" «jn«»« ' Car le les connais tous ceux qui seront célèbres. Leurs rayons fraternels éclairent mes ténèbres.

Je n'èlais qu'un enfant (Paris, fers ce temps-là. Pleurait a?ec Malhilde et riait d'Alala ), Que, du siècle Voltaire égalait les couronnes Voyant encor debout les dernières «^^f^^»*'' ^^ Je fus conduit, tremblant, yer. ces ^f « '«^^^^^^^ Par mon père, vieillard, hélas ! couché comme eux. C'était Lebrun, armé de sa strophe *°«'8»q«e^^^^ Fougueux comme Pindare... et plus mythologique , Duds, qu'on Vit grandir à l'ombre d'un géan^ Brûlant ImiUteur qui s'éleiht en créant ; Chénier, poêle sage, orateur téméraire. Génie académique, immortel... par »on frêro; Fonunes, qui teilla, flambeau pur et b"""»J^- Comme un autre Boileau, près de Chateaubri" ; Parny, qui, cinquante ans, des salons aux ruelles VoUigetnl, ne trouva ni censeurs ni cruellesi

116 «9

DeliUe, chef heureux d'un fytlème tombé, Très-hardi, très-poëte enfin... pour un abbé ; Et Bernardin, du inonde enseisnanl l'harmonie^ £t, comme Dieu fit Eve, enfantant Virginie. Et moi, tout palpitant, j'écoutais, j'admirais ; Et, dans mon jeune cœur, d'impatients regrets, De turbulents désirs d'une gloire impossible Roulaient, comme un orage au fond d'un lac paisible ; Et, de ces noms vantés idolâtrant l'honneur. Je ne séparais point la gloire du bonheur : Car le poëte en vain meurt de ses rêves sombres ; Le laurier de son front nous en cache les ombres. Le temps vola rapide, et, lambeau par lambeau. Tout entier le vieux siècle entra dans le tombeau ; Mais des restes poudreux de ce cadavre immense Jaillit la fraîche fleur de l'âge qui commence. Et, tel qu^un villageois qui tristement s'assied Sur les grands arbres morts, et pousse de son pied Les branches qui longtemps ombragèrent sa tète. S'il aperçoit^ parés comme pour une fête, Dejeum plants ouvrir leurs bourgeons au soleil, Et de la vie aux champs annoncer le réveil Avec leurs fronts riants, leurs bras gonflés de sève. Leur taille qui déjà se courbe et se relève. Leur verte chevelure et l'espoir de leurs fruits, Et des vents alentour les inefi'ables bruits ; Il s'émeut, il sourit, il semble qu'il renaisse Devant tant de fraîcheur, de force et de jeunesse... Ainsi je fus heureux quand, je ne sais pourquoi. Les poètes nouveaux vinrent tous jusqu'à moi : Oracles dédaignés, rois méconnus naguère. Levant leur sceptre enfin et foulant le vulgaire, Chênes puissants, grandis sous les vents orageux. J'ai suivi leurs combats, et j'assiste à leurs jçux ; Leurs triomphes, leurs chants m'enivrent; je les aime De tous ces dons du ciel que je n'ai pas moi-même. Delorme ! C'est ainsi que je t'aurais aimé* Un front timide, avec un regard enflammé,. Un sourire, à bien voir, plus triste que les larmes, Laissant tomber les vers comme un guerrier ses armes

117

Quand, sûr de la vicloire, il s'endort triomphant L'âme d'un philosot>he et le cœur d'un enfant» Enthousiaste et froid, amoureux et stoïque. Faible athlète, pourvu d'un courage héroïque» Offrant contre les sols, sans l'avoir consulté. Le secours du génie au génie insulté ; Et bien souvent, après une Journée amère, Bendant grâces â Dieu dans les bras de ta mère.^! Tel tu serais, Joseph ; tel je te rôve au moins !

Mais n'avoir de ses maux que de muets témoins, Pour quelques pleurs amis>un sourire de femme,. Trouver partout la haine et Tégoîsme infâme; Dépenser le trésor de ses beaux ans virils En calculs de vieillard, en travaux puérils ; Marcher sans avancer et gravir sans atteindre ; Sentir au fond de soi l'amour môme s'éteindre ; Dire sur tous les siens la prière des morts ; Passer incessamment des douleurs aux remords; Incessamment en proie â sa double nature. Dans la lutte de l'âme et de la créature Se débattre, Untôt vaincu, tantôt vainqueur; Et puis mourir longtemps dans les tourments du cœur !... Ah ! qu'il vaut mieux mourir en commençant de vivre ! Et n'aurais-tu pas vu rire de ton beau livre FaU et pédants, pareils sous des habits divers, Qui ne comprendraient point tes peines ni tes vers. Qui n'ont Jamais pensé ni souffert de leur vie ! Car ce n'est pas chez eux liniustice ou l'envie. C'est un sincère amour du commun et du faux, Un merveilleux instinct pour flairer les défauts Perdus dans les beautés dont un chef-d'œuvre abonde. Au milieu d'un verger, ainsi le porc immonde Passe devant les fleurs, ne voit point le duvet Dont la pèche arrondie au soleil se revêt ; Mais, qu'on ait oublié plus loin un peu de fange , Il y court en grognant, se réjouit et mange. Voilà, Joseph , voilà quel specUcle hideux Tes égaux sur la terre ont sans cesse autour d'eux ! Ah! qu'il vaut mieux mourir, et d'étoile en étoile 8'envoler, soulevant un coin du sombre voile

^ fi» il8 «)

Qae Dieu Jeta lui-même, et qui eaelie i nos jeai Les grands germes du monde et le secret des cieux !... Pourtant, arant. qu'un ange à ta gloire éternelle Loin, des Tiles clameurs t'emportât sur son aile. J'aurais voulu marcher trois pas dans ton chemin^ T'appeler par ton nom et te serrer la main.

PLAINTE

DE LA JRUIfS EMMA.

Parce que je suis jeune et vive, On me croit légère : oh ! non pas ! '

Je chante ? Ecoutez bien : une note plaintive

Accompagne le rire et s'y mêle tout bas.

C'est que j'ai rencontré des regards dont la flamme Semble avec mes regards ou briller ou mourir,

Et cette Ame, sœur de mon âme, Hélas! que j'attendais pour limer et souffrir.

Ta bouche, ô moti ami , trop timide ou trop fière, N'a trahi qu'à moitié le secret de tes vœux : Moi, rien que pour te voir je chéris la lumière, Et, chaque nuit, un songe achève tes aveux.

Aussi, pleine de trouble et d'ivresse et d'alarmes, J'ai Tui de tes yeux noirs la brûlante douceur ; Loin de toi, contre toi j'ai cru trouver des armes; - Mes pas du bois natal ont cherché l'épaisseur ; La biche y vient A moi se sauver du chasseur... Tout ce qui me charmait n'a plus rien de ses eharmei^ Et même sans joie et sans larmes J'ai revu ma mère et ma sœur.

^m«i

Vte« .hii!î! . "* "*"'' "*'» compagnes Vleox Château loui peuplé de souvenirs si doai.

Verlsseouers. mon beau lac, mes.forôls. me. monUgnes Cesl me, c'est votre Emma... la recon naisse,- vous f

Kl vous, mes églantiers, qui, fôunt ma présence Balanciez ma parure à vos rameaux tremblants Oscrez-vous refleurir blancs . ' Comme aux jours de mon innocence P

^^ «ooffre : on ne me comprend pas ;

Qu'il faut nre et chanter... Je vais chanter, hélas .'...

Pourvu qu'une note plaintive Aeeompagoe le rire et s'y mêle tout bas!

I^A LAMPE.

Li lune, sur les pas des hearei, Ao trône des nuits va s'asseoir, El le sommeil dans nos demeures Descend avec Tombre du soir. Des longs plis de son voile il touche Vos beaux yeux i demi fermés ; La lampe est près de votre coach»» Elle veille et brûle : dormez î

Si, dans la nuit, Taile d'un songe En s'enfuyant rouvre vos yeux, « Oh î direz-vous reviens des cieux, « Reviens à moi, riant mensonge ! « Ma lampe veille et brûle encor. m. Et, couronné de pourpre et d'or. Demain, quand sur son char d'opale Remontera le roi des Jours, Vous la reverrez faible et pâle, Mais veillant et brûlant toiiioars î

c

fi» 120 €1

Pniite alors une ? oix secrète

A Totre eœw parler tout bas

D'une flamme ardente et discrète

«Et que les ans n'éteindront pas ;

Soit que, dans Torgueil de tos charmesi

Vous regardiez, sans voir ses larmes,

Celui qui n'ose tous nommer ;

Ou soit qu'à ?ous-même ravie ,

Vous abandonniez votre vie

Au douloureux bonheur d'aimer !

REVE.

Elle est bien loin de nous, mais nous sommes près d'elle;

Dans les flots inconstants son image est fidèle ;

Nos fleurs gardent son souffle et nos échos sa voix ;

On dirait que sa robe a frémi sous nos bois ;

Voilà son pas léger, sa rêveuse attitude...

Son absence pour nous n'est point la solitude .*

Nous écoutons ses chants, les yeux sur elle ouverts.

Et quand ils ont cessé, nous lui faisons des vers ;

O bonheur si connu! le jour f^it... Les étoiles

Des nuits et de son cœur vont écarter les voiles ;

Sa main i mes deux mains se livre sans combats ,

Et nous pensons tout haut, et nous parlons tout bas ;

Son doux regard, plus doux qu'un regard de la lune, ,

Cache son feu d'azur sous sa paupière brune ;

Et ma bouche idolâtre effleure ses cheveux.

Et la sienne, en tremblant, s'enhardit aux aveux,

Et le mot d'amour... Dieu ! Dieu ! tout n'était qu'un 80D|;e i

Tant de bonheur enfin a trahi le mensonge 1

» iM «

PREMIÈRE PAGE

D'UN

ALBUtf.

A MON AMI Auguste Bressise.

Sur cet album tout fraternel Tous m'hoDorei du premier chiffre I J'accepte ce rang solennel : An fait, le tambour et le fifire Ont le pas sur le colonel ; Chantres et bedeaux, en campagne. Marchent en tôte des prélats» Et le gros vin, dans nos galu. Circule avant les vins d'Espagne; Tous nos muséum ont grand soin IVabandonner leurs vestibules Au pinceau faible, aux toiles nulles, Et les Raphaël sont plus loin. Tout suit la loi de TÈvangile, les premiers sont les derniers | Et, quand Dieu de l'inculte argile Tira les mondes par milliers, n créa, ce ftat son envie. D'abord les minéraux sans vie. Puis les fleurs, miroir du soleil, Et puis les animaux sans âme. Puis l'homme à lui-même pareil. Et puis son chefHl'ouvre, la femme !

Et voilà pourquoi j'ai fini Par préluder sur cette lyre ; C'est l'accordeur qui se retire Lorsqu'arrivent les Kossini,

11

in^f

Mais, si mon eiprit se récuse Ety de peur d'un revers choquant, Se tient i la porte du camp Pendant le tournoi de la muse , Croyes qu'avec tous de moitié, Mon cœur tout autrement raisonne, Et qu'il ne redoute personne Au grand concours de l'amitié.

LE FLEUVE.

A MON AMI HtPPOLITB BaLESTB..

Soit que l'onde bouillonne et se creuse, en grondont^ Parmi les durs rochers un lit indépendant ; Soit qu'elle suive en paix une pente insensible; Un pouvoir inconnu, vers un but invisible L'appelle : elle obéit, et, torrent ou ruisseau, Ne reverra jamais les fleurs de son berceau. Le fleuve réfléchit, dans sa course limpide, Et l'immobile azur et l'orage rapide ; I^s chants joyeux d'amour, les cris des matelots. Rien ne l'arrête ; il passe, arrosant de ses flots Tantôt de frais gazons, des bois, de beaux rivages, Tantôt d'impurs marais et des landes sauvages ; Puis apparaît soudain la sombre et vaste mer. Et le fleuve gémit et tombe au gouffre amer.

Cher Hyppolite, ainsi nos douteuses journées. Le front chargé de deuil ou de fleurs couronnées^ S'écoulent flot à flot jusqu'au jour redouté Où, pour les engloutir, s'ouvre l'éternité !

^1««

LE MATIN D'UN BAL.

***

Çk, moDSienr le coiffeur, i cinq heorei préciiei»

On voas attend -bas, au quartier des marquises.

Gourez rite, ou le diable à Yotre seuil, Je crois.

Accrochera vos fers et vos peignes en croix l

Allei donc, et cberchez dans toute votre télé

Quelque rare.coiffure i surprendre une fdte ;

Mais coiffure légère et jeune, car, ce soir,

Il s'agit de danser, et non pas de s'asseoir

Sur le rouge yelours de ces mornes banquettes

gisent les débris des anciennes coquettes.

Donc, point de hauts turbans, aux aigrettes en pleurs^

Point d'or, point de rubis.... des fleurs, et puis doi flean 1

Quelque rose mêlée i ses cheyeux d'ébène

Piattés en rond, ainsi qu'une dame tbébaine ; '

Ou quelque, plume encor, blanc panache du bal ,

Enseigne de danger, comme un cimier royal.

Que si, par un oubli funeste à la toilette; Batton a renvoyé sa corbeille incomplète. Oh ! les fleurs pour cela ne tous manqueront pas ! La danseuse est déesse, il en natt sous ses pas. Regarde! : tous n'ayez que l'embarras du nombre. Quelque souci jaunâtre y répand->il son ombre? Pousses cet étranger du pied avec dédain^ Et rapportei-le moi... J'en ai tout un jardin*

Mais.qa'importe, pourvu qu'elle soit belle et gaie, Qu'elle ait de doux propos l'oreille fatiguée, Qu'elle jette, en tournant, son charme à vingt miroirs , Et se fasse un bonheur de tous nos désespoirs ; Pourra qu'après le bal, quand, de retour cbex elle. Madame ira trouver son lit de demoiselle, EUe dise, en rouvrant mes vers à peine lus : G'eil loi qae j'oubliais, et qui m'aime le ploi !

»!««*

UNE PAGE DES MARTJTRS.

C'était uDe des naiti dont Tombre transparente De la Grèce ose à peine effacer le beau ciel ; L'air était aussi doux que le lait et le miel ; £tron sentait i vivre une joie infinie. Les sommets de l'Athos,- la mer de Blessénie, Colonide, Acrilas, tous ces caps enchantés Brillaient i l'horizon des plus tendres clartés ; Une flotte ionienne, aux lueurs des étoiles, Entrait dans Goronée en abaissant ses voiles, . Gomme, au tomber du Jour, un essaim passagei De colombes, voguant vers un ciel étranger, Pour dérober son vol aux ombres infidèles. Sur un rivage ami ploie, en jouant, ses ailes. Alcyon dans son nid gémissait doucement ; yx la brise des nuits, de moment en moment. Fraîche et molle, apportait Jusqu'à Cymodocée Ëes parfums des lauriers, la plainte cadencée De Philoméle, en pleurs sous les tilleuls mouvants,, Et la voix de Neptune, au loin battu des vents. Le berger contemplait, assis dans la vallée, La lune, suspendue i la voûte étoilée. Des astres au front d'or guidant le chaste chœur, Et se réjouissait dans le fond de son cœur.

âDTBB.

Quoi! la fortune a fui, vous êtes malheureux. Et vous parlez d'amis, et vous comptez sur eiux ! Vous ne savez donc rien du monde ?—

Un Moabite Descend vers Jéricho des rochers qu'il habite. C'éUit au printemps; l'air était frais, époré. Le Moabite alors n'était point altéré :

^ 185 <

Il trouve à chaque paf des torrents pleins d'éaux claires. II revient dans ses monts aux jours caniculaires ; La soif, des feux du ciel sur la terre épanchés, Brûle le Moabite : il cherche quelque goutte De cette eau qui naguère abondait sur sa roate.. Tous les torrents sont desséchés ! (i)

(1) On n'avait pas besoin de mes vers pour être convaincu de tout ce que la prose de M. de Chateaubriand perdrait de charmes, de puissance , de poésie enGn à se soumettre au rhythme de nos aUxandrîiu ; mais une étude d'après le tableau d'un maître est. toujours un hommage i son génie.

DEUX SOEURS.

Cécilia, Rosa, nratemellei rivales,

De gr&ces et d'esprit diverses, mais égales ;

Sœurs charmantes, que Tart d'un charme encor lia.

Doux trésors ignorés, Rosa, Cécilia !^

De la nuit qui vous cache, oh! secoues le voile!

Dans un ciel noir s'allume et perce chaque étoile ,

Du sol profond jaillit éméraude ou saphir ;

Toute fleur doit livrer ses parfums au xéphyr.

Dieu vous doua d'un art ; et, frères que nous sommes,

Des dons sacrés de Dieu nous devons compte aux hommes |

lïous devons aide et force â nos propres talents.

Et d'un sang courageux leur prêter les élans.

La mer que nous tentons ne connaît point de calme ;

L'ouragan^ sur un roc^ tourmente au loin la palme^

El, d'abtme en abtme et d'écueil en écueil.

C'est li qu'il faut chercher un trône ou le cercueil.

Point de souflQes amis, point de port, point de phare I

Mais, si l'âme s'exalte et chante sa. fanfare,

Si l'artiste en soi-même a l'amour et la foi.

Tonnerre, abtme, écueil, qu'importe P il sera roi.

^ it6 «a

Ceit ainsi qu'inyoquaDt la gloire, sa patronne, Dante à travers l'orage emporta sa couronne. Foulez le dur chemin, en regardant le ciel ; C'est ainsi qu'on devient Ingres ou Raphaël !

Jeunes sœurs, au grand jour pourquoi rougir contaietF Vous passez au milieu du chaste chœur des muses ; Et, comme un réseau d'or couvre deux tendres fleurs, La palette aux rayons de flamme, aux cent couleurs, D'un manteau lumineux protégera vos grâces. Marchez, et les respects germeront sur vos traces ; Marchez, et gloire à vous ! Et ( je tous le prédi Quand votre aslre est bien loin encor de son midi). Si d'un vol obstiné vous combattez ensemble Ces brumes qu'au matin un noir esprit rassemble. Un jour vous monterez, libres de tous hasarda. Comme une double étoile à rhorizon des arta.

Rosa, Cécilia, peut-être alors, peut-être Aimerez- vous i voir quelquefois reparaître Celui qui, le premier, pour vos pinceaux posa En dviant : Gloire à tous, Cécilia, Rosa !

RETOUR A PARIS.

K MADEMOISELLE LOUISB DE CbOZK

Château de Chassaigne... octobre 18S.

Il faut que je vous parle aujourd'hui que je pleure, Louise ; à m'écouter voulez-vous perdre une heure ? On peut bien perdre une heure alors qu'on a sept ans. Oui, prêt i fuir, hélas ! bien loin, pour bien longtemps Ces grands bois, ces grands monts, celte Auvergne chéri*^ De mon cœur orphelin adoptlve patrie. Et votre frais château que d'avance j'aimais.. t

Qui fera déji noir, si j'y reviens jamais ,

Il faut que je tous parle ; et vousj petite folle.

Gomme au lit d'un mourant pesez chaque parole.

Je ne le roulais pas, mais, c'est toujours ainsi,

Votre mère le reut et je le veux aussi.

Je ne le voulais pas, car j'ai l'âme si sombre

Que c'est pilié vraiment qu'elle yerse son ombre

Sur Tos regards en feu, sur votre joue en fleur...

Yous demandez pourquoi je soqffre, et quel malheur ?...

Eh ! mon Dieu I qui voudrait recommencer sa vie

Au prix des maux qui l'ont de jour en jour suivie?...

Quel malheur ?... Un destin manqué, le monde à voir;

Un chaos de pensera que nul ne doit savoir ;

Vœux déçus, repentirs, lames empoisonnées ;

Couleuvres dans le cœur sans cesse retournées;

Ou des rôves dorés, un fantôme charmant

Qu'emporte chaque aurore impitoyablement ;

Ou des amis jetés loin de nous; quelque femme

Qui jouait un caprice à peine contre une &me ;

On le mal lent et sourd d'un cœur qui se souvient

Dm morts... Ou bien peut-être est-ce l'âge qui vient...

C'est tout cela. Donc moi, je suis sombre et morose,

Comme vous, mon enfant, vous êtes blanche et rose.

£t puis je ne suis pas de ces flatteurs d'enfants Qui se pâment d'un mot et s'en vont, triomphants, liC conter i la mère en criant au miracle... ]levenez dans dix ans, et ce petit oracle Sera quelque bégueule, ou quelque fat musqué Bons i parler Herbault, ou danseuse, ou jockei, Stque la mort, un jour, avec ses mains glacées, Viendra prendre au milieu de ces graves pensées.

Mais, Louise, â nous deux ! Plusieurs vous apprendront

Que la grâce vous pose un diadème au front,

Kt que, toute petite encore que vous êtes,

U n'est guère de taille et de jambes mieux faites ;

Que vos yeux sont très-noirs et vos cheveux très-blonds

( Double et rare beauté ! ) ; que vos cils fins et longs

5'abaissent palpitants sur votre belle joue.

Comme un grand papillon qui dans les fleurs se joue ;

Que Youi aurez bientôt la Yoix d'un roisignol, Dea pieds i rendre fou tout un bal espagnol. Et que Dieu mit en tous Tharmonieux mélange D'un esprit de lutin ayec le cœur d'un ange. *— Que sais-je ? ces messieurs répandront sur vos pas Mille douceurs encor. •-- Moi, je n'en parle pas. Tous ces charmes d'ailleurs, auréole éphémère, Le beau miracle, étant fille de yotre mère !

Ce dont il faut parler, c'est du futur emploi D'une si riche dot. Jurez, oh ! jurez-moi De ne la point user dans un monde profane. Où, comme la beauté, l'âme aux flambeaux se fane. les hommes n'ont point d'amis s'ils n'ont point d'tf ; des femmes, niant la pudeur» leur trésor, Vous diraient que, pouryu qu'on soit la plus jolie» Aller s'inquiéter d'autre chose est folie; mille sots blasés se creusent, jours et nuits , A chercher des plaisirs qui les changent d'ennuis !... Kiez pourtant, dansez et bondissez de joie Sur Totre banc, sitôt que l'archet se déploie; Soyez reine d'un bal, c'est bien ; j'applaudirai i Ainsi que la douleur , le plaisir est sacré ; Mais qu'il soit, à travers les devoirs et l'étude, Une distraction et non une habitude. Malheur à vous, heureux du siècle ! Je tous plains: Une fête tous prend, d'une orgie encor pleins ; Le reflux du raoût vous berce et tous emporte ; Mais avec Tolre groom le spleen est à la porte . Quand le feu d'artifice est tiré, ce n'est plus Qu'un échafaud, squelette aux bras noirs, Tcrmoulus^ Qui devant nous se dresse horrible, et dont la tète Se détache plus sombre aux lampions de la fête ! -—

Et puis, qui saitpTotre ange, enfant, tous gar^e-l-it Des palais et des bals, ou l'ombre d'un exil ? Qui peut saToir ? Gomment serez-Tous adorée ? Sur la Tcrte pelouse, ou la moire dorée ? Belle en manteau de cour, ou belle en blanc corset^ Vous dirai-je : Princesse ou Louise ? qui sait P Peut-être que le ciel, ainsi qu'à votre père

(Qui De fait dans ses bois qu'une halte, j'espère),

Vous prépare un destin orageux, des combats

D'où l'on ne sort plus grand que pour plonger plus bas.

Mais pour cueillir plus tard des palmes peu communes

Quand on a, comme lui, porté ses deux fortunes.

SaTODS-nous rien, sinon que tout est incertain ?

Armez- TOUS de douceur et de force au malin

Pour tout le jour. C'est être heureux que d'être sage.

Que Tonlez-Tous P la vie est comme un paysage Qui fuit, se transformant à l'œil du voyageur. C'est la lune : tantôt, dans sa pleine largeur. Sur le bord d'un nuage elle s'arrête, et passe Gomme le front d'un spectre égaré dans l'espace ; Tantôt, frêle croissant, elle se penche aux yeux Comme un vaisseau d'argent échoué dans les cieux , Ce soir c'est une reine, écartant tous ses voiles, Qui rassemble autour d'elle et tient sa cour d'étoiles « Hier, morne et sanglant son disque avait surgi. Comme un grand bouclier dans la forge rougi ; Et demain elle aura, loin du ciel, effacée. Caché sa honte, ainsi qu'une épouse chassée. Telle est la vie, avec ses retours inconstants. Depuis le péché d'Eve, et surtout dans nos temps, Où, du monde vieilli précipitant les phases. Dieu laisse les méchants en ébranler les bases, Et s'arracher entre eux le saint manteau des roif, El pour l'arbre de sang déraciner la croix ; Cependant que son souffle, amoncelant les nues. Pousse du Gange au Rhin des pestes inconnues ... Pourquoi les bons punis ? pourquoi le mal vainqueur P Mystères ! Adorons, et vivons par le cœur; Vivons par la vertu, vivons par la pensée, Triple don, négligé de la foule insensée •- Force, Amour et Lumière, humaine trinilé, Symbole temporel de la Divinité!

Vous souriez, Louise, et sans doute vous dites Que Je tiens des discours bien forts pour des petites De sept ans. Mais toujours l'orgueil se glisse en nous, £t c'est pour les mamans que sont les beaux joujoux»

. fi» 130 «s

Ah ! rivez par le cœur ! Tout le reste est fragile : Ambition? colosse avec des piedr d'argiie; Vanité? faux brillant que le Jour amortit, Fruit de cire, qui tente et trompe Tappélit ; Fortune ? fastueuse et basse courtisane Qui rend cher ses faveurs, nous énerve et nous damne^ Sale idole debout sur tous nos saints débris. Et, dans son temple grec, patronne de Paris. Ah ! vivez pour aimer, aimer Dieu, la nature, Les artSp passion chaste et sublime imposture , La sainte poésie, au feu sombre ou vermeil, Par qui l'âme s'épure et remonte au soleil ; Pour aimer les travaux, les fêtes domestiques ; Les fabuleux récils des merveilles antiques, Et les jeux fraternels sous le large noyer Qui défend des chaleurs et chauffe le foyer ; Pour aimer vos parents, si joyeux de leur fille. Et leurs amis, qui sont encore une famille; Et pour aimer aussi quelqu'un... de cet amour Qu'il vous faudra connaître en l'inspirant un Jour, Mais l'amour idéal, Jeune, exclusif, austère. Qui traverse une vie et n'est pas de la terre; D'abord faible et tremblant comme un astre qui point, Bientôt comète ardente et qui ne s'éteint point; L'amour enfin^ et non cet amour des coquettes. Volant qui rebondit sur toutes les raquettes, Qui va, fuit, tourbillonne, insensé de plaisir. Gomme un oiseau magique impossible à saisir. Hais qui, lorsque le jeu se prolonge et s'allume. Se prend l'aile, et toujours y laisse quel<[ue plume. Et d'ailleurs, dans ce monde étourdi, froid, moqueur, ?renez-7 garde, il peut se rencontrer un cœur... Un seul regard de femme v verse un incendie. Ke jouez pas ainsi ! C'est une maladie, Un sort que vous jetez avec un front serein. C'est ainsi que l'on brise un homme , et qu'on chagrin. Quand ses jours pâlissants commencent i décroître. Le pousse i la folie, au crime ou dans le cloître.

Un exemple vaut mieux que toui les grands diicourt ; Je le prends â Paris, et presque de nos jours.

iSl M

\oni entradres partout crier à vos dreitlai

Qu'on n'aime plus— Propos de banquiers ou de ?ieitles ! . . .

Eh I quel homme aima plus une femme!... C'était Un amour frais, brAlant, qui souffre et qui se tait. Le feu longtemps caché qni grandit sous la cendre. A force de se taire, il sut se faire entendre...' Yous peindre son extase alors, un séraphin Le pourrait... Mais Toilâ -ce qu'il lui dit enfin : « Ob ! TOUS m'a?ez placé sur un trône céleste ! Oh ! J'ai pitié des rois si Totre cœur me reste! Tout ce que J'ai perdu, tout ce que J'ai rêvé, Vos yeux cherchent mes yeux, et tout est retrouvé. Ayals-Jo des chagrins ? Je ne sais pas, j'oublie ! Avec mon avenir Je me réconcilie; . . Comme Lazare, un dieu me vient toucher du doigt : Je renais... Qu'il est beau le Jour que l'on vous doit ! Mais parlai, ordonnez : voulez-vous que le monde Aux appels de ma voix par mille échos réponde? J'occuperai le monde à répéter mon nom. Ifele voulez-vous pas, mon amour? Ehl bien, non. Pourvu que Je vous serve et que Je vous adore, Et que Je vous le dise et vous le dise encore, Tonte antre gloire est folle ; et mon nom ne m'est doux Qn'enchalné près dn vôtre et prononcé par vous... Comment ! c'est vous, c'est, moi, là, tous deux, loin des autres ! Ces deux mains dans mes mains sont-elles bien les vôtres ? Dites, est-ce bien vous? est-ce bien moi?... J'ai peur !.., Si tout n'était qu'un rêve, une ombre, une vapeur !... Yous-mème , oh ! si Jamais, pour un autre sensible, Yous deviez de mon trône... Oh! non, c'est impossible, N*eit-ce pas? » Et déjà, sortant de leur linceul. Tous ses malheurs éteints revivaient dans un seul...

Mais elle souriait d'un langoureux sourire, Comme elles font ; et lui se prenait à redire : « Impossible^ mon ange, impossible!... Pardon!... C'est que ce qui suivrait de près votre abandon. Ce qui suivrait de près... Dieu seul peut le connaître !... Yous m'aimez, dites-vous : c'est un péché,, peut-être..; Si vous ne m'aimiez plus... ah! malédiction I Je chargerais d«ux fois votre confession...

Je suif rou... Non, Je ria... Ces beaux cheveux de Mie, Oh! oui, dénoues-Ies : que ma tête t'y noie !... Vous pleurez 1... Et pourquoi pleurez-Yous, met amours?... M'aimerez -TOUS longtemps? Je ne sais, mais toujours !

Or, la première fois qu'il revit sa ffdéle , Un étranger marchait d'un certain air près d'elle... Disons tout cependant : trois mois s'étaient passés... Qui peut tromper des yeux d'amant? C'en Tut assez: Le rêve en cauchemar bien vite dégénère. Et la source en torrent. L'arbre atteint du tonnerre Croule avec tous ses fruits qui ne mûriront pas— C'en Tut assez, vous dis-je; et, se mourant tout bas. Fort gai d'ailleurs afin de n'égayer personne. Il jeta trois dés, puis... Mais c'est midi qui sonne !... Ma Louise, êtes-vous gentille et moi bavard!... AMez donc ; vous saurez mon hisloire plus tard. Avec vos grands cheveux, allez, petite reine. Secouer mes leçons au pont de la Garenne; Mais songei-y le soir ; et priez le bon Dieu Pour celui qui vous prêche et qui va dire adieu 1

Paris, novembre las.».

L'adieu fut prononcé. J'ai revu la grand'ville, Od la guerre étrangère et la guerre civile Ont dressé tour i tour et traîné vingt drapeaux ; La ville sans raison, sans air et sans repos. Et sur qui, tonales ans, l'ange maudit secoue Quatre mois de poussière après huit mois de boue. M'y voilà cependant. Oh ! le sombre séjour Par une fin d'automne et vers la fin du Jour ! sont mes rocs brûlants, mes fraîches promenades. Les cris de l'aigle i jeun, le fracas des cascades. Les soupirs des forêts et des beaux lacs ?... Au lieu De ces grands bruits qui sont comme la voix de Dieu , C'est la voix des crieurs de la Bourse, Gomorrbe

Qa*il faudra bien qu'un Jour le feu du ciel dévore...

Le chagrin est plus noir dans la noire cité ,

Et partout le brouillard, comme un crêpe jeté...

La pAle aurore touche au pâle crépuscule.

Ce monde est triste à yoir, et le soleil recule...

Deuil au ciel !... deuil au cœur!...

Quel magique univers Rejette, éblouissant, le linceul des hivers P Pour un soleil mourant, des milliers de bougies, Et splendides galas, et dansantes orgies, ' Et fleurs de mousseline, et femmes de satin. De leur nocturne joie insultant le matin ; Et musique de Naple, anglaises tragédies, Bayadères de l'Inde avec rage applaudies ; Et grands drames nouveaux, et systèmes changeants Pour qui, sans y rien voir, se battent tant de gens; Et la vapeur, le gaz en feu... que vous dirai-]e?... Et le Musée ouvrant ses salons^ Gorrége Revit avec Rubens, Rembrandt et Ganova Sous des noms, jeune espoir du vieux siècle qui va ; Et romans de Tenfer, céleste poésie, Double ivresse de punch brûlant et d'an\broisie ; Et tout le jour, amsi qu'à Moscou les traîneaux, Comme à Gènes, les soirs, masques et dominos ; Et, dans les salons d'or, les longues causeries D'aventures, de guerre et de galanteries; Tous ces rires, ces pleurs, tous ces chants, tous ces cris. Ce prisme, ce chaos harmonique... Paris 1 Ce temple à mille dieux, ce bazar, cette fête, Paris, la vie ainsi que les hommes l'ont faite, Opposant, fils rivaux du monarque du ciel. Leur monde fantastique à l'univers réel : Monde dont le caprice enfanta la merveille. Monde qui dans l'hiver et dans les nuits s'éveille. Monde qui vous fascine et l'âme et les regards; Car la nature est belle... un peu moins que les arts; Car, bien que morne au bord de cette mer qui roule, Et muet dans ce bruit, et seul dans celle foule, Tant de preiliges, tant d'éclat, de mouvement

12

134 «

Vous entoure, qu'il faut s'y mêler par moment ; La vapeur du festin malgré vous vous enivre ; Et l'on croyait mourir, et l'on se prend i vivre.

Saint, gouffre sauveur, Babylone du nord ! Toi que je blasphémais, toi l'orage et le port, Salut! Il n'est que deux séjours sur celle terre : L'exil, saintement s'accomplit le myslére De quelque belle amour cachée à tous les yeux, Lieu qu'en mourant on quitte à regret pour les cieux ; Et Paris, grand foyer, lumineuse tempéle, Od le cœur s'étourdit, Ton vit par la léte. Salut donc ! De ton luxe et de tes arts pompeux Réveille mes regards éteints ; et, si lu peux. Couvre de tous tes bruits les cris d'une âme en peine. Entendre et voir, c'est vivre. Allons, Paris, en scène ! Je veux du drame immense, aux huit cent mille acteurs. Suivre la marche, assis au banc dès spectateurs. Tristes soulagements d'un maf irrémédiable, Passeï, maux et douleurs des autres ! Et toi, diable. Qui eent ans dans ta fiole est demeuré honteax, Casse encor ta prison avec ton pied boiteux. Jamais pays, jamais siècle ne fut plus digne Du fouet élincelant de ta verve maligne. Sottise, vice heureux,' faux amours, folles mœurs , Tout est mieux qu'à Madrid... Sors, sors donc, ou tu meurs ! Bien ; il est nuit : partons. D'un coup de ta béquille Des maisons, des palais fais sauter la coquille ; Eiale devant moi les cœurs, la vie à nu. Et des types humains le revers inconnu ; Ole aux hommes leur masque, à nos dames leurs voiles ; Qu'au fond de tout, partout, l'œil ardent des étoiles Plonge ; et dans ses comptoirs, au bal, au club , au lit, Prenons Paris entier comme en flagrant délit.

Viens, démon 1 Tu seras le plus fêté des angei Si^ parmi ces tableaux, ces mystères étranges, Je puis, sous la magie tu vas me tenir. De moi-même, un instant, perdre le souvenir !

9 1S5 «}

A ALEXANDRE SOUMET.

Lorsque, frais écolier, je revins d'Orléans, Jeté, nain curieux, au pays des géans, Certes, je n avais pas assez d'jeux ni d'oreilles, Dans ce vaste Paris, la ville des merveilles. Dont la plus merveilleuse était son empereor !

Un jour ( étais-je enfant ! ) j'appris^ non sans terreur,

Qu'Alexandre Soumet, lui-même, le poëte

Dont les vers, au -collège, avaient tourné ma tête.

Désertait son Toulouse, et, dans notre maison

Précisément, venait passer une saison t

Tout mon corps de quinze anà, devant cette nouvelle^

Trembla, comme Psyché quand l'amour se révèle ;

Et j'attendis muet, et dans le saint effroi

D'un vassal averti de l'approche du roi.

Mon front rougit ensemble et d'orgueil et de honte.

C'es( que, dès mon enfance et sans m'en rendre comptt.

J'écoutais dans les airs un invisible chœur,

El je souffrais d'iïn feu de poésie au cœur ;

C'est qu'une voix intime, oracle sans parole,

M'avait juré souvent que ma têie si folle.

Si rebelle à tout joug, se courberait plus tard

Devant la majesté du génie et de l'art.

Le voyageur venu, l'œil collé sur la vitre, Comme je le suivais, sans plume ni pupitre. D'un bout à l'autre bout de son royal salon. Peuplé de marbres dieux, Vénus, Flore, Apollon, Dieu lui-même, jetant d'une voix énergique Ses défis glorieux à la muse tragique ! Et j'approchai le dieu... qui me tendit la main Et me fit essayer trois pas dans son chemin. Comme autrefois Jésus ordonnait à saint Pierre De marcher sur les flots ainsi que sur la pierre.— C'est lui qui^ du cerveau démêlant chaque fii« Et croyant Misir l'Aae aux lignes du proQl.

i36 ^

Vint me dire un matin, avec sa voix amie : « Vous avez dans le cœur une lyre endormie ; Ne le saviez-vous pas ? Chantez ! a Et je chantai, Et du cœur et des yeux je ne l'ai plus quitté.

Combien de fois nos pleurs^ ô mon frère Alexandre, De nos foyers en deuil ont humecté la cendre ! Bien jeunes, dans le ciel nos mères nous ont fuis ; Votre père et le mien dorment sous les grands buis, Nous livrant sans pilote A la tourmente amère ; Ma sainte Bonne l,„ morte aussi, cette autre mère !

Ah 1 songeons au bon temps ! Le soir, je m'envolais

Chez vous; et là, fermant et portes et volets, j

J'accordais ma yoix faible à votre grande lyre; j

Dans Talphabeth divin vous m'appreniez à lire ;

Et mes jours n'étaient plus qu'harmonieux élans ;

Et mes rêves chantaient vos vers étincelants,

Et j'habitais Sion, Rome, Athène ou Palmyre,

Et je vous admirais... oomme je vous admire !

Et si jamais des vers me revient quelque honneur.

D'avance je vous l'offre, 6 mon mattre et seigneur !

Mais votre Gabrielle est qui m'en dispense;

Sa lyre filiale est votre récompense.

Et, fier d'éire égalé, vos rayons éclatants,

Vous les voyez plus beaux sur son front de vingt ans !

UNE FETE.

^ Eh! bien? que tardez-vous, tous les deux ? le cortège. Que de soldats pressés un double rang protège, ^'ébranle ; entendez-vous, des hauteurs du rempart, Tonner, à coups joyeux, le canon du départ? ^'entends la voix des chefs dont l'ordre se répète, 4u bruit des sourds tambours et de l'aigre trompette ;

tk 157 ^

Et, comme aux jours de mort, les .chevaux bennisant,

Et sur le dur pavé leur fer retentissant;

Et du peuple amassé sur la publique voie,

Les confuses clameurs, langage de sa joie ;

Puis, tout à coup, les chants des trompes et des con,

Entretenant la paix de belliqueux accords.

Voyez étinceler ces lances et ses haches,

Ondoyer sous les vents Talbâtre des panaches,

Comme un champ de blés mûrs, que le précoce hiver

De son manteau de neige aurait déjà couvert.

Mais^ les flots de la foule, en murmurant, augmentent;

La ville est attentive, et tous les toits fermentent.

Oh! voyez, avançant leurs beaux fronts éclairés,

Que de femmes, là-bas, sur les balcons dorés !

Des carrosses du roi l'on aperçoit le faîte ;

Hâtez-vous, l'heure fuit, vous manquerez la fêle.

AUeZj nous vous suivons.

Et toi, mon ange, et toi. Par cet autre chemin si détourné, suis-moi ; Et UDdis que la fête, à grand bruit les rassemble. Ainsi que deux oiseaux envolons-nous ensemble, Et savourons, en paix, ces rapides instants. Ces fraîches oasis dans le désert du temps. N'as-tu point des pensers de la couleur des roses? Parle, en marchant toujours, et dis-moi de ces choses Que tu n'as pas osé dire jusqu'à présent. Ce massif de tilleuls» d'un voile complaisant Nous enveloppe... Avant qu'on ne mêla ravisse. Accoutume aux aveux ta bouche encor novice ; Et tes yeux sur mes yeux, et ta main dans ma main. Comptons par nos baisers les arbres du chemin... Et, quand ils reviendront, crions à leur oreille Qu'on ne verra jamais une fête pareille f

SIMILITUDE.

à M. INGRES.

Quelquefois le soleil, quelquefois le génie, Ces frères radieux, naissent dans les brouillards ; . Parce qu'ils sont Toilés ou caplifs, on les nie ; La nuit lâche contre eux tous ses oiseaux criards.^

Grêle, trombe, tempête, en grondant, les entravent ; Tous les écueils des cieux heurtent leur cfaar vermeil Leur vol n'hésité pas cependant, car il savent L'un qu'il est le génie, et l'autre, le soleil !

Bientôt l'immensité de leurs feux se colore. Ces obstacles jaloux, sont-ils maintenant?.. Ceux qui jetaient l'insulte à la douteuse aurore Exaltent de plus bas le midi rayonnant.

Ainsirqu^ils blasphémaient, ils prOnént sans courage; Plus que trombe et brouillard l'encens s'étéve épais ; El les deux voyageurs, nés dans l'ombre et l'orage. Se coucheront, en rois, dans la pourpre et la paix.

Voilà comme chantait mon âme satisfaite,

O Raphaël de France, en sortant de la fête !... - ^

El je rêvais, les sens de vertiges émus, ^ . . >;

Descendre du Portique aux bois d'Académus,

Et te montrer, là-bas, sous l'ombrage sonore,

IjC moderne Platon, le chrétien Pylhagore, . . «o

Ballanche, environné d'immortels écrivains,

Recevant d'eux la lyre et les honneurs divins !

.... Juin 1841

\

t> 1S9 «3

LE PLUS BEAU DES CONCERTS.

(A madame B"* de V".)

Oh ! les cœurs sont brûlants, les têtes échaaffées !... Un de nos soirs a Tai dans le palais des fées, C'était Rome, Bagdad... ou Kalifs... ou Césars... L'empire de la grâce, et du luxe et des arts, La musique d'un rêve... Oh ! c'était une fêle Gomme en ont les Croyants dans le ciel du prophète ! Oh ! c'est de quoi se tordre et mourir, quand il faut Retourner de si loin et tomber de si haut ! Lorsque pour le réel, les régions amères, Il faut TOUS 4ire adieu, beau pays des chimères !

«

ku moins le souyenir nous ramène enivrés

k ces premiers salons d'un )our tendre éclairés..,

Oui, je Terrai toujours, des yeux de la mémoire,

Toujours les flèches d'or dans l'azur de la moire, '

L'or courant des sophas aux plafonds, puis encor

Le grand lustre endormi dans le cristal et l'or...

Enfin la salle, aux murs de marbre, aux belles fresques.

Grenade eut donné ses bals chevaleresques,

La salle élincelante, et ses larges miroirs,

£t son flambeau géant allumé, les grands soirs.

Parmi les voiles blancs, sous les ceinires altiques, .

Comme le candélabre, aux sept branches mystiques ;

£t dans ce tabernacle, arrondi mollement.

L'orchestre et les chanteurs, muets^ jusqu'au moment

la voix de leur reine et déesse, ô merveille !

Par un magique appel tour à tour les éveille ;

votre voix, madame, avec son doux accent.

Annonce le concert au salon frémissant ;

Et l'assemblée est folle et s'élance, hâtive,

Comme si vous disiez : et qui m'aime me suive !

140 «3

Yolre cour vous salue : Alors, l'archet vainqueur, Glisse amoureusement sur les cordes du cœur ; Et la gamme impossible, aux bravos de la foule Part, et comme un colier de perles se déroule.

Alors, les deux rivaux, les empereurs du chant!... (Et haut plus d'un ange écoute en se cachant) Et jamais au combat tous deux n'ont mis tant d'âme, Car c'est chez vous, ce soir, et c'est pour vous, madame

Alors, le merveilleux enfant, homme à présent, Au trépied musical poëte improvisant, Listz, Listz, qui changerait, sans changer de délire. Les notes pour les vers, le clavier pour la lyre !

Et c'est Louise encor, qui d'un doigt yif ou lent,. Verse au piano son cœur l i Tel un beau ramier blanc Rase un lac de son aile ou court de feuille en feuille.

Isaure enfin, qu'un cri d'enthousiasme accueille ! Et son chant retentit si pur, si ravissant, Qu'élancé vers le ciel, on croit qu'il en descend .'

Voilà quels souvenirs et bien d'autres encore Me suivent dans ma nuit que leur prisme décore. Mais plus mon cœur s'y prend, madame, plus je vois, A vouloir les chanter que je perdrais la voix. Qui vous connaît, dirait : la louange est légère; Qui ne vous connaît pas, dirait que j'exagère.

I

^ 141 Ci

CHENONCEAUX.

Sainte et magnifique dcmenre

Vouée au culte du passé»

De tout ce qu'autre pan on pleure

Chef TOUS rien ne s'est effacé.

Le temps, qui ravage et moissonne,

Semble endormi sous vos grands bois ;

Votre horloge aujourd'hui nous sonne

L'heure qu'il était autrefois.

Et ce Heu, par un charme étrange.

Est ancien et non pas yieilli;

Et japaais rien de beau n'y change,

Pas même pour être embelli.

TeMe, en ces contes que l'on aime,

I^ princesse, aux palais flottants.

Se réveillait jeune et la même

Après un sommeil de cent ans.

Ah ! du feu céleste échauffée,

L'humaine volonté peut tout ;

Le sceptre des arts et du goût

Vaut la baguette d'une fée.

C'est pourquoi Çhenonceaux toujours

S'ouvre comme un magique livre

Dont chaque page fait revivre

Le doux fantôme des vieux jours.

Du Portique à la Galerie,

Du Donjon i la Librairie

Et de la Chapelle au Dortoir,

L'étranger, ardent à tout voir,

Marche en pleine chevalerie.

Nous venons à peine d'entrer

Qu'ici nous croyons respirer

Les nobles mœurs de nos ancêtres.

Tant il nous y faut admirer !

Et l'hospitalité des maîtres.

lia «<

Celte prompte séduciion , Par la courtoisie el la grâce D'un cercle enchanié nous embrasde Et complète l'illusion.

SOUVENIR DU DAUPHINÉ.

A M. H. MONIER DE L4 .SlZERANME.

Des hauteurs d'un de vos châteaux, IVoû TOUS apercevez, comme un roi sur son irône. Vos vendangeurs fouler la grappe noire ou jaune Du brûlant ermitage, autre roi des coteaux, £t, plus bas, tournoyer la vapeur des bateaux. Gomme un grand aigle noir, sur les flots clairs du Rhône ^

Aux charmes de ce beau séjour. Ami poëte, avec ces accents que la muse Vous prodigue encor mieux qu'elle les refuse,

Vous nous conviâtes un jour. Qui pourrait dire : Non, quand le plaisir iqvile ? Quand vous dites : Venez, qui ne romprait ses fers ? A votre doux appel je répondis bien vite;.... Le moins facile était de répondre à vos vers.

Je m'y prends après coup. que veut-on ? le poëte.

Au plus fort du bonheur, ne le chante jamais :

Le regret rend la voix à sa lyre muette.

Hélas ! on dit mal : j'aime; on dit si bien : j'aimais t

Oui, lorsqu'on est heureux par hasard dans la vie,

L'âme à peine suffit i jouir en secret ; *

Mais de traduire en vers sa joie, on n'en aurait

H'i Ja puissance ni l'envie. *

Cela vient plus lard; et d'aillears C'est qu'un tableau lointain de plaisir ou de gloire

Se peint de plus vives couleurs

)».1U «s

Dam le prisme île U mémoire, Ely comme l'are-en-ciel, brille mieux sous les pleurs. Des échos, des reflets TinefTable magie

DoDoe aux contours, donné aux accen ta

Plus de flnesse ou d'énergie. Il en est pour notre Ame ainsi que pour nos sens. Des rives de l'çxil, la patrie est plus belle; Penché vers Thorizon, le banni se rappelle

Jusques au moindre enchantenient

De sa montagne ou de sa plaine; Et l'alliage amer, dont toute chose est pleine,

Disparaît dans l'éloignement. I/absence est un optique tout luit et s'-épure. Le souvenir choisit, ingénieux miroir : Chacun alors, suivant la loi de sa nature. Fixe en rhythmes nombreux, en accords, en peinture, Les fanlômes aimés, qu'il croit ainsi revoir. Moi qui viens de chez vous, mon souvenir fidèle

Choisit tout ; et c'est aujourd'hui, Qiund ma fête du cœur comme un vain songe a fui,

Que mes vers vont s'occuper d'elle.

Tel, de ténèbres entouré.

Le peintre, dans la chambre obscure. Voit chaque objet absent s'approcher éclairé: Il touche, il reconnaît le char ou la figure Qui passe sur la route, et les calque à son gré ; Tel, du sein mon deuil, mes longs regards embrassent -Ces beaux jours du voyage, et tous ils se retracent

Sur mon luth qui chante, éploré. Car les maux qui de l'homme ont envahi l'asile, . La peur, les noirs ennuis et le chagrin rongeur , I*fe suivent pas le vol de l'heureux voyageur...

Il les retrouve au domicile.

Assei de lamentations. Dois-je à vos vers brillants répondre Par un dithyrambe hypocondre ? D'ailleurs, ce poids d'arfliclions Mon Agiaé chérie avec moi le partage ;

PIous sommes deux pour l'alléger |

> 141 €3

Ah ! je ploiraii bien d'avantage Sous nn bonheur dont seul il faudrait me charger. Enfin, de tout celui que TOtre toit rassemble, Elle et moi, nous YOilà qui devisons ensemble, Les pieds au feu, les mains dans le poil de Grisou : Vous savez, mon beau chat, si bon, qui ne ressemble

A. nul autre chat, ce me semble; Qui, sans jamais froisser mantille, oucanezou. Pendu, comme un enfant, au cou de sa maîtresse. Du velours de sa patte, en ronflant, la caresse;

Fait le mort, ressuscite , et court, je ne sais où.

Flairer un jeune oiseau, tout nu, sur quelque branche; Le mange, comme un. tigre, et revient an salon. Finir innocemment sa cr6me rose ou blanche; S'assied, entend des vers, bâille quand c'est trop long, Se réveille au dernier, puis agace et secoue Le grave manjiscrit, et, sans peur du dieu, joue

Avec les feuillets d'Apollon ;

Et qui, lorsque poëme et drame

Sont répandus sur le parquet. Saute, sur notre table, onduleux et coquet ; S'en va dire, i l'entour, bonsoir à chaque dame,

Et se couche prés d'un bouquet. Il suivit notre bonne et mauvaise fortune, Sans se glorifier, ni se plaindre d'aucune.

Voilà douze ans, ce pauvre chat !

Douze ans! Ah ! du terme funeste

Serait-il vrai qu'il approch&t !

Du peu de famille qui reste

A nos cœurs, faut-il voir encor

S'éclaircir l'indigent trésor? Cher ami, tu n'es plus ni si gros, ni si leste ; Et ton oreille est chaude, et tu perds tout, je voi,

La fourrure et le badinage !

C'est notre faute, aussi ! pourquoi

Te quitter trois mois, à ton âge?

On l'a bien nourri, bien logé.

Mais la peine ! Pardon. Peut-être

Plus d'un autre ami de ton maître

Sera bien autrement changé !

Toi, tes aentimenls sont les mêmes.

Et comme lu m'aimais, tu m'aimes...

Tandis... Allons, qu'est-ce que J'ai? donc en étais-je!... Ah \ je disais que ma Temme Et moi, nous ne pensions qu'à la vôtre et qu'à vous ; A son cœur prompt, ardent et pur comme une Oamme^ A TOtre amour si vrai, si puissant et si doux ; A ses yeux, beaux reflets du ciel ou de son flme ; A TOtre front penseur et poêle entre tous. Sur qui tombe, au midi de vos belles journées, I^ neige des travaux et non pas dès années. Et puis, nous évoquons, tant que nous sommes seuls,

Arbre par arbre, heure par heure « Tout votre Beausemblant, dix jours notre demeure : Nous arrivons encor sous ses larges tilleuls. Si frais ombrage après la montagne brûlée ; Et votre Alix accoutt du bout de l'autre allée. Avec ses deux amours qu'aurait pris pour filleuls Ia fée aux cheveux d'or, sans retour envolée.

Vous, ami, vous n'accourez pas. Car, jusqu'au bord du fleuve, est-il un pareil hôte ! - Vous étiez deâcendu pour escorter nos pas

Aux sentiers pierreux de la côte. A peine se dil-on : c*esc donc voui .' que d'abord Un fouet claque à la grille, et voilà , doux prodige ! Nos chers amis d'Auvergne, oui ce sont eux, vous dis-je. Embarqués au couchant, ainsi que nous au nord. Et par le même flot arrivant dans le port. Et tous alors de lire et de ^eurer ! La joie A toujours quelque larme son éclair se noie.

De ces premiers inslanis jusqu'aux derniers, hélas !

Ce n'est qu'une chaîne de fêles Dont chaque anneau doré roule encor dans nos tôles.

Nous recommençons ces galas Od votre blonde Hébé nous versait l'ambroisie. Et ces courses^ bien loin, dont on n'est jamais las Dans votre Dauphiné, la province choisie ; Et nos soirs mélangés de chants, de poésie. De contes i fantôme, et de rire aux éclats.

^ 146 ^

Nous refoyons U jeune épouse, en vingt manières. Balancer ses deux beaux enrants, comme un lilas Qui berce i tous les Tenls ses grappes printannières , Et ce petit Fernand gronder avec douceur. Ou gravement flatter sa plus petite sœnr. Delà, notre mémoire, en son cercle agrandie, Nous ramène, joyeux, à voire nuit de bal, Grand Roût, égayé de cette comédie. Si bien faite par vous, j'ai joué si mal. I/beure fuyait, fuyait... et lorsque les bougies Nous dirent : c'est le jour, par leurs flammes rougies. Les adieux des amis, comme autrefois Tamour, Eurent leurs Roméos qui détestaient le Jour.

Et moi, de toute la contrée

J'étais heureux de voir ainsi

L'élite, à ce bal rencontrée,

De cœur, de vœux s'unir aussi En 80 disant tout bas j'ai Toreille très-floe Mille choses de vous, que je dois taire ici. Mais, modestie à part, que votre esprit devine,

El qu'en lieu très-grave bientôt

Trois cents voix vous diront tout haut.

«

Ah I du moins, secouant un préjugé gothique,

N'allez pas mettre de côté

Votre diplôme poétique

Pour le mandai du député !

Sous les Dieux, l'univers antique

Dans Orphée, immortel chanteur^ .

Vit son premier législateur ; Et Numa recueillit son code politique Des lèvres d'une nymphe au souffle inspirateur ; Tandis que s'épanchant en sublime cantique, Sur le mont où, plus lard^ devait pousser la Croix. l^e poëte David fut le plus grand des rois. Cette noble alliance en tout temps fut commune ;

Et, vainqueur dans son double essor, Devant nous, Lamartine a conquis la tribune,

.Tenant en main sa lyre d'or !

147

N'abdiquez point de l'art la céleite couronne LAmUté TOUS en prie, et Corinne l'ordonne (i).

Nous n'avons garde d'oublier Notre halle à Chanlalouette , le génie hospitalier Sut pour nous si bien allier Tout ce que l'esprit rêve et que le cœur souhaite. Nous gravissons, aidés par les buissons voisins Ce coteau merveilleux, dont rien ne peut distraire Pain de sucre géant, tout flanqué de raisins. Voire frère, si bon, oh ! c'est bien votre frère »— Nous reçoit, comme un prince.-oui, dites le contraire.^ ht puis votre neveu charmant, quelques cousins, Je crois, tant ils étaient aimables, En mille soins inexprimables Vont se multipliant; et, sans transition, Sans nous laisser Jeter les yeux à gauche, à droite Nous font entrer soudain, par une porte étroite, ' Dans un kiosque imprévu, riant échantillon. Devant qui Marly même eût baissé pavillon. 14, dans les fleurs, banquet de royale apparence. Poissons monstrueux, gibier fin. Primeurs d'Amérique, et pour vin U vendange du crû, le meilleur vin de France;

Puis, après le moka divin, Un bastion glacé de vanille, aux framboises. Et des bassins de punch^ au feu d'azur ; enfin Chevet et Tortoni complets, é cinq cents toises Au-dessus du niveau de la mer ! Si la faim Eût, dans ce moment-là, d'un mendiant qui rAle Parmi nos fronts vermeils jeté la face pâle, Tel qu'aux banquets romains le masque froid des mortf. Convives saturés, comment de nos remords Aurions-nous étoufl'é la voix à son approche, El du spectre afiTamé soutenu le reproche.'»...

Mais le jour tombe, on s'est levé ; Toui le monde est sur la terrasse ;

(1) Allusion à deux ouvrages dramatiques de M. de la Sizeranne.

148 «(

D'un spectacle enivrant mon œil est abreuvé, Et Tadmiration est prèle à crier grâce ! Car le soleil mourant sous l'or de ses réseaux Des monts de la Savoie enflamme au loin la neige. Et le Rhône, à nos pieds, emporte dans ses eaux La lune, au vol d'argent, avec tout son cortège. Et cependant un chœur d'invisibles oiseaux Prélude, saluant l'ombre qui les protège ; Et nous tous, oublieux de Fbeure qui s'enfuit,

Nous jetons des vers à la nuit. Que la lyre, autre amour, comme l'amour abrège ! C'est alors que, levant son front prédestiné. Un pâle adolescent (l), Mozart, Tasse ou Corrége, Hasarde quelques vers, non sans dire : Oserai-je? Et subjugue, en tremblant, Tauditoire étonné. Noble enfant ! déjà maître, à l'âge du collège. Dans l'art Chapelain fut toujours écolier; Cet art, tout de nature, et partant le premier, Langue sans rudiment, masique sans solfège.

Et peinture sans atelier.

Malgré tout, il nous faut descendre De ces doubles hauteurs qui rapprochent du ciel ;

L'instant est venu de reprendre Le chemin de la plaine et du matériel.

Mais dans votre ville natale

Les beaux rêves nous ont suivis ;

Et quand Véioile orientale

Ouvre les célestes parvis,

Tout en haut de la maison neuve

Par vous assise au bord du fleuve.

Avec son toit napolitain.

Me voilà, cherchant à vingt lieues

Le cirque de montagnes bleues

Qui borne l'horizon lointain. Ces géants dégageaient de leur humide voile

(1) M. Anatole de 6...., jeune poêle qui se fera connaître.

> 149 <

Forêts, lâcs et glaciers, dont sont vêtus leurs corps ;

Ainsi qu'à VOpéra, quand on lève la toile,

Se déroule aux regards la splendeur des décors.

Tous les matins, par chaque pore, Les Alpes boivent le soleil. Et dans le ciel clair s'évapore Leur manteau brumeux du sommeil* Les croupes des montagnes fument Gomme des autels qui s'allument, •Ou comme des coursiers souflOants, Quand, tombés au bout du voyage^ La sueur, en épais nuage, S'élève ardente de leurs flancs.

Adieu, magique Eden ! l'heure de partir sonne ; Mos souvenirs, du moins, ne quitteront personne* Le Rhône est traversé : Tout change ! désormais Plus de ces grappes d'or quo septembre moissonne, Plus de fleurs, de soleil. Rien que d'âpres sommets El des champs sans culture où, sifiQe un vent de glace. Des ravins desséchés , et seulement, par place» Quelques vieux châtaigniers, squelettes caverneuxt Tordant sur les chemins leurs bras chargés de nœuds. Dauphiné ! Yivarals ! Dieu d'en haut fit un signe, , Et le Rhône, en tombant, refoula d'un côté La joie et l'abondance, attributs de la vigne. Et de l'autre le deuil et l'infécondité l Dans notre vie ainsi l'âge trace une ligne, Qu'on ne peut prévenir, qu'on n'ose pas prévoir { En-deçà tout est rose, au-delà tout est noir.

Pourtant par cette triste route,

Notre voyage était charmant ; Car vous reconduisiez avec nous, lentement, Ces amis que l'Auvergne, à grand'peine sans douiez

Nous avait prêtés un moment ;

Et dans une double calèche

Nos trois ménages voitures,

Entr'eux s'embellissaient TArdéche,

fe» ISO «5

De qui la tristesse revèchc S'égayait sous le feu de vos propos dorés ;

Toute Yue est brillante et Tratcbe Prise à travers l'éclat des vitraux colorés.

Avec si bonne compagnie,

A quoi donc n'aurais- je pas goût ? On transporterait Naple et Gêne en Laponie !.. Les choses ne sont rien, les personnes sont tout.

Puis nous avions en perspective

Chassaigne, la terre adoptive

Et de mon cœur et de mes chants;

Chassaigne, élégant et sauvage,

Port hospitalier, doux rivage

Ëcueil des sots et des méchants,

Qui déjà pour nous , je parie»

Déployait la robe fleurie

De ses jardins et de ses champs.

En attendant, c'est que nous sommes

A Saint-Bonnet-le-Froid, mourant de faim Voilà

Un reste de vieux lard, du lait aigre et des pommes...

Certes, avec ces pommes-là

Eve n'eût point perdu les hommes!... Nous n'en souperonspas moins gatment pour cela. D'un verre d'eau Xercès, un jour, se régala ; Et J'ai vu nos dandys, vingt fols jeter des sommes Aux grands turbots truffés du célèbre Rocher, Que leurs dames lorgnaient sans à peine y toucher. Mais c'est l'heure où, sans bruit, l'essaim des légers sommes Rend aux vierges l'ami qu'elles n'osent chercher ; C'est... plus communément... l'heure de se coucher. ~- Un long suif à la main, aux pieds une semelle Qai compte chaque marche en grimpant l'escalier, La nymphe de l'auberge (6 digne chevalier Ta llalitorne ici trouverait sa jumelle ! )

Cette Quasimodo femelle

Enfin, nous conduit aux dortoirs

Bouge informe et crasseux comme elle, les lits, dans les murs, espèces de tiroirs.

Offraient un galant péle-méle>

& i»i Ci

De bouviers el de charreliers. Fumant, buvant, mangeant, couchant à la gamelle

Et Jurant comme des portiers, Quand nous rentrons du bal à des heures cruelles Pour les arracher nus et froids de leurs ruelles.

Nous ne sommes point des mugneis Que tout blesse et qu'un rien agile, Mafs nous voilà tous aux aguets Pour découvrir quelqu'autre gîte. On le conçoit. Vous souvieni-il, Ami, comme alors notre hôtesse, Avec fa rude politesse, Nous introduisit de profil, Par je ne sais quelle échancrure, Porte sans gonds et sans serrure, I>ans une salle, autre taudis, . Tapissé de lits à punaises Parfaits pour dormir... sur des chaises j Mais qui nous fut un paradis. Puisque nous Tavions sans partage Seuls^ à nous sept, pas davantage. Et loin du sabat des maudits. Je me rappelle avec délices Nos prudents apprêts du sommeil ; Cet ingénieux appareil De grands châles et de pelisses. Et ces moitiés d'anciens rideaux Pour s'isoler les uns des autres. Et quels rires étaient les nôtres Dans ce sévère dos-à'dos! «Les nuits blanches, toujours si noires. Allaient se réhabiliter; Puis, viennent les bonnes histoires,* Puis, j'entends des voix se vanter De vieux parents qui reverdissent. Ou de beaux enfants qui grandissent ; Et se dire : « Si maintenant M J'embrassais ma petite fille ! « Comme elle doit être gentille

^ 155 «j

« Pour un mois de plus ! El Fernand, « Et Charte ei Gustave ! Aux étrennes, « Comme ils vont aimer leurs marraines, « Si leurs maîtres sont contents d'eux ! »

Ou bien : « C'est le jour de naissance « De mon bon père ! Et cette absence... «( Sommes-nous étourdis tous deux ! »

Ou bien : « Je gage que ma mère « Se forge encor mainte chimère .^ «c Sur mon voyage hasardeux ;

« Que, la nuit, son pauvre cœur souffre, « Rêvant de bras cassés, de goufre, u De loups et de brigands hideuî ï « Aussi, ces larmes de tendresse, M Quel plaisir de les essuyer ! « Et comme je vais lui payer « Mes arrérages de caresses!..*

Ainsi, parlant entr'eux , nos fortunés amis

Réveillaient les chagrfhs dans mon ftirie endormit.

Moi, qui n'eus pas de fils, et qui n'ai plus de père

IVi de raére à fêter, à soigner...., j'enviais

Leurs bienheureux tourments, leurs j)onheurs inquiets |

Je disais : « Aglaé, si, comme \e l'espère,

V Tu restes seule, un jour, frêle esquif naufragé,

w Parmi ces flots d'humains qui recouvrent le globe,

«< de toi ni de moi rien n'aura surnagé

M Pour jeter quelques fleurs sur le deuil de ta robe;

M Tu chercheras mes vers autrefois publiés,

«< Pauvres enfauts perdus et de tous oubliés,

m Afln d'y retrouver une confuse image

ic De celui que l'amour et l'art ont excité,

« Et que mon ombre, au moins, riche de cet hommage,

«< Se rêve dans ton cœur une immortalité !

€c Pujs tu rassembleras, le soir, dans notre chambre,

« Nos amis les plus cbers, ceux-là qui sont itr,

te Et vous direz, autour d'un foyer de décembre :

« Pourquoi ne vient-il pas se réchauffer aussi! «

Eh bien! voilà les pleurs qui m'arrivent encore ! Quand notre voix connaît les notes du chagrin.

1S3

Si parrois elle essaie ua chant vif et sonore, Aussitôt reparatt le douloureux refrain ! Il raut 96 taire alors. Ma muse, on lui pardonne , Au milieu du voyage, Henri, tous abandonne ; Comme un guerrier blessé que la souffrance abat. Retourne dans sa tente à moitié du combat. Kl gémit, jusqu'à Theure ses compagnons d'armei D'un laurier fraternel viendront toucher ses larmes. Venez donc, dans la nuit de mes gombres accès, Ami, faire briller l'aube vos succès ; Venez m'en apporter la nouvelle première. Sur les pas de votre ange, à la douce lumière Des yeux de votre Alix, venez sans plus tarder^ Que dans votre bonheur je puisse regarder! Gomme an nocher, dont l'^ir a déchiré les voiles. Contemple dans les cieux la beauté des étoiles Ei sent jusqu'à son cœur, plus que l'onde agité. Pénétrer un rayon âe leur sérénité i

X QUELQUES RICHES.

Incapables d'amour oomme d'enthousiasme. Chaque fêle, en fuyant, vous rejette au marasme. Cependant, voulez-vous qu'en vos cœurs sans désir Un doux parfum survive aux roses du plaisir P Essayez d'être bons et d'être charitables, Conviez l'indigence aux miettes de vos tables ; £t, sous des pleurs de joie oubliés trop longtemps. Votre âme sentira refleurir son printemps, Et l'ennui, seul chagrin des riches de ce monde. Mourir enfin, détruit comme une herbe inféconde.

^ i«* m

A M. ALFRED DE YIGNY.

N'entonds-je pas Trémir la harpe des prophètes, DoDt les accenls, échos du Ciel et des Enfers, Parlaient de malheurs dans les fêles, Et de triomphes dans les Ters !

A peine le sacré cantique

S'éloigne et meurt à l'Orient,

Entendez-vous, pur et brillant.

Un accord de la lyre antique : Cette lyre que Thébe a transmise aux Romains, Qui sait chanter les dieux, et Néere et la gloire, Que Ghénier réTeilla, si fraîche... et dont rkoire.

S'échappa, sanglant, de ses mains î -*

Du lierre des donjons quels chants ont percé l'ombre ! Des ménestrels du Nord c'est le luth ingénu. Rempli, comme autrefois, de merTcilles sans nombre, Toujours rêveur, toujours amoureux, mais plus sombre» Plus mâle et tourmenté par on souffle inconnu ;

On sent à ses élans de flamme.

On sent que Byron est venu Et que la corde humide a vibré dans son àme.

Cher Alfred, loin, bien loin des profanes moqueurs,

Interrogez le luth, et la harpe et la lyre ;

Tous les lieux, tous les temps i vos appels vainqueurs

En rhythmes variés répondent... et nos cœurs

Ne changent point d'idole en changeant de délire !

155 41

l'E CHATEAU D'ARQUES.

Henri poursuivit en ce lieu El ses ennemis el sa belle;

Enflammé conlr'eui el pour elle, Ni les Ligueurs ni Gabrielic

Ne résisièrent â son feu.

Voici la plaine ella tourelle,

Oii, Yainqueur à ce double jeu.

Ce roi, comme il en est si peu,

Fier d'une journée immortelle.

Cachait des nuits dignes d'un dieu.

Charmer, yaincre était son seul vœu ; Aucune ingrate, aucun rebelle, QuMI n'enchaînât à sa querelle, Par son glaive ou par un aveu. A la gloire, aux amours fidelle. S'il leur dit une fois adieu... ' Ce fut pour l'absence éternelle.

UN NID.

Château de Chassaignc, le...

L'alfflaoach dit le quinze aoât Et nos cœurs disent votre fêle; Moi, page, mon beau rêve en tête. L'aube aujourd'hui m'a vu debout Chantant « madame et souveraine Votre patronne dans les deux Est la première, c'est la Reine, Comme vous l'êles à nos yeux. « Et j*ai couru d'abord sur l'herbe.

156 <s$

Que YOt pieds ne dédaignent pas. Pour TOUS faire un bouquet superbe Des fleurs qui Tiennent sous vos pas : Et, tout en cherchant les plus douces Et les plus belles, j'aperçus Un nid tombé parmi les mousses , Gomme j'allais marcher dessus. Tremblant, mais d'une main avide. Je le pris amoureusement..* Le nid encor chaud, éuit vide. J'arrivais trop tard d'un moment : Gela su£St. Ainsi, madame, Je me rappelle qu'une fois Je courais vous chercher ; je vois Bans la lampe un reste de flamme, La psyché qui s'incline encor, Gants et nœuds jetés là... trésor Qui met son désordre dans l'âme, Et flacons ouverts, coffrets d'or... Toute l'absence d'une femme! Et je me sauvai^ comme on part Lorsque vous êtes autre part. Quant & mon nid, Cest autre chose ; (On se console d'un oiseau) Sur mes deux genoux je le pose Et du miraculeux berceau. Chef-d'œuvre d'un volage Eudide, J'admire, dans tous ses détails, La structure frêle et solide. Mais quoi! d'un de vos évenUiU, N'est-ce pas quelque parcelle? Ce bout de satin vienlrtl point De votre ceinture, de celle Qui vous fil unt d'honneur, au point Qu'à ce bal, plus d'une jalouse Disait en se mordant le poing : « C'est une taille d'Andalouse! » Voilà bien, à n'en pas douter. Trois fils de votre jarretière ; Oh! je la connais toute entière.,.

187 «t

Pour TOUS avoir vu Tacheter !

Et puis, cette petite branche

Qui serpente à Tenlour du nid.

Dans vos beaux cheveux noirs s'unil

Un jour, à quelque plume blanche

Dont je liens le duvei aussi ;

Et pour comble de tout, voici

Deux boucles de vos cheveux même!..*

Les oiseaux de ce pays-ci

Sont vraiment d'une audace extrême.

Et ce qu'ils dérobent aux gens

Feraient la fortune suprême

De vingt pages très exigeants.

Fuyez aux plus lointaines eàiM, Sur les montagnes les plus hautes, Pauvres oiseaux ; quand vous sériel Colibris, faisans d'or, fuyei ! La maison vaut mieux que les hôtes! Qu'ils n'y remettent plus les pieds 1-^* Je m'en empare, et l'inventaire. Aidé de quelque commentaire, Ne finirait pas d'aujourd'hui ; Que de choses donc il faut taire l Pourtant, ce petit papier... oui. C'est vraiment de mon écriture! Étant très-fort sur la lecture. J'y puis déchifrer à moitié Les mots de constance... amitié... Doux serments que parmi vos gazeSj Vous laissez, hélas! traîner... Mais Qui ne s'envoleront jamais Comme l'oiseau qui de leurs phrases S'est fait un ciment des plus sûrs Pour les angles ronds de ses mura.

Cependant l'orage au loin roule Sur les montagne! du midi ; Le torrent, longtemps engourdi.

14

t9 158 ^

Devient pretcpiean ruisseau qui coule. «

Puis soudain un fleuve hardi ,

Et, dans une heure, je prédi

Qu'avec la terre qui s'éboule

Comme un tigre il aura bondi.

Rentrons. Aussi bien c'est la cloche

Qui sonne Tbeure du banquet

Et chacun aux flambeaux s'approche

Avec ses vœux et son bouquet.

Celui du page, sans reproche,

Ne sera pas le moins coquet.

Quant aux vœux, si j'étais poëte,

Je les tournerais à ravir ;

Mais n'étant bon qu'à vous servir

El c'est beaucoup, je vous souhait»,

En termes des plus ingénus,

Madame, et sans que l'art y brille.

Tous les plus grands bonheurs connus.

Bonheurs d'orgueil et de ramiUe :

Père, mère, petite fille

De la première qualité ;

Deux garçons, au cœur le plus tendre.

Avec quelque vivacité...

Pas précisément pour apprendre ;

Mais ce sont plus tard les mei Heurs»

Ainsi que je l'ai dit ailleurs ,-

Un époux dévoué, fidèle

A sa dame comme à ses rois.

D'esprit, de cœur rare modèle.

Digne et fier d'être sous vos lois.

Je vous souhaite de ces lyres

Qui réveilleraient vos sourires.

Hélas ! par la mienne endormis ;

Et des amis nombreux qui naissent

A mesure qu'ils vous connaissent,

Et qui mourront tous vos amis ;

Et, tous les jours, grAce nouvelle

Qui, modeste, en vous se révèle

Aux yeux dans votre cour admis ;

Et, tous les ans, six mois rapides

Au milieu dei arts de Paris, Et six mois calmes et limpides Dans une villa, frais abris. Que le goût surveille et décore; Je vous souhaiterais encore... Mais on m'avertit que mes vœux Ne sont autre que votre histoire. C'est se battre après la victoire... Vous avez tout ce que je veux. II faut donc, sans plus de tapage. M'en aller avec mon bougeoir, Et Je n'ai plus, malheureux page, Qu'à vous souhaiter... le bon soir 1

IDYLLE

A MON FRÈRE AnTONI DbSCHAHN*

LE VIEUX PATRE.

Quand l'Orient blanchit des premières clartés. Que cherches- tu déjà sous les bois écartés. Jeune inconnu ? Viens- tu^d'une flèche ennemie. Attaquer sur la mousse une biche endormie, Ou tendre au faible oiseau de perfides appâts? Ou, si J'en crois ton âge et tes yeux, n'est-ce pas Que tu Tiens épier, sortant fraîches de l'onde.

160 ^

Nais, aux noirs cheveux, ou ThéooeU blonde; Car, tout le Jour, errant, tu cherches, et le seii^ Sur le rocher du lac, rêveur, tu viens t'aaseoir^ Tantôt levant au ciel une naain frémissante Tantôt laissant tomber ta tête languissante. Ou, de tes doigts distraits, déchirant une fleur. Va, j'ai connu l'amour, je comprends ta pâleur. Mais je sais quels secrets, par une épreuve sûre. Des cœurs tumultueux appaisent la blessure. Viens ; nos hardis pasteurs t'appellent à leurs jeux t Soit qu'ils tentent les flots, et d'un bras courageux Disputent au torrent la brebis disparue; Soit, quand de ses forêts la louve est accourue. Que de l'épieu mortel ils croisent son chemin ; Tu peux les suivre, l'arc ou la fronde A la main ; Ou t'armer de la hache, et de l'antique érable Ebranler lentement la tête vénérable ; Ou, luttant de vigueur et d'adresse avec eux. Mêler aux durs travaux des plaisirs belliqueux. Ainsi des passions, fièvre ardente de l'Ame, Sous de mAles sueurs tombe et s'éteint la flamme. Crois-moi, crois-en celui dont le cœur a souffert, £t, saluant le port i tes tourments offert. Fuis dans nos rangs actifs l'amour et ses orages.

us POÈTB.

Par vos cheveux, encore humides des naufrages.

Vieux nocher, averti des embûches des flots.

Vous prêchez le rivage aux jeunes matelots!...

Mais les Grâces n'ont point mes soupirs ; d'autres belle»,

Les Muses, i mes vœux se dérobent rebelles ;

Car les Muses, ainsi que les Grâces leurs sœurs.

Ne cèdent qu'A regret de tardives doseeurt;

Elles veulent aussi qu'on pâliss* pour elles.

Et chastes, pour finir d'amoureuses «perelte»,

Cherchent la grotte sombre et la boiquets toviras,

Od s'en Tont de la vierge expirer les refus.

LE VIBVX PâTItE.

Quoi! tn ferais (quel Tut mon aveugle délire ! ) De ces mortels diyios, de ces roie de la lyre, Dont la bouche abondante en sons mélodieux. Accoutuma la Grèce an Imgage des Dieux !... Et moi qui t'arrêtais i mes conseils profanes! Pardonne, l'ignorance habite nos cabanes; Votre Homère jamais n'a chanté parmi nous... Pardonne au Tieux pasteur qui tombe i tes genoux.

tE POÈTB.

C'est le sort des pasteurs, hélas I que je souhaite ; XJn orage étemel tourmente le poëte!... 'Vous, conserves longtemps, ob ! conservez tot^fouri .£t vos mâles labeurs, et vos chastes amours. Et les danses, le soir, au penchant des collines, Xt des antiques moeurs les sages disciplines. Je ne sais quels ennuis, quels troubles dévorants... £t pourtant aux ftivenrs des Ptarinés^ des tyrans, Je ne vends point les dons que m*aceorda la muse! Vieillard, vous connaissez, au nord de Syracuse Ce vieillard, au cœur jeune, au regard inspiré, Des sages, des enfants et du temps révéré ; Les ans, sans la blanchir, ont passé sur sa tète; Il est mon père ; et moi ( car demain est sa fête) Je venais, d'Erato sollicitant l'appui, Inventer sur la lyre un chant digne de lui, Qui, doux et caressant son oreille ravie. Impliquât notre amour en rappelant sa vie :

« Amour et gloirv à toi ! c'est toi qui dans tes fils Et de l'âme et du corps guidas la double enfance ; Sous ton aile, du sort nous bravions les défis ; Toi, de notre faiblesse à funique défense ! Tu donnas le bonfaeor, le bonheur t'est bien ; C'est un prêt généreux que nous t'aurons rendu. Quand un ruisseau, grossi dans sa grotte profonde, S'est é!ancé« creusant ses rivages, soudain

9 I6f Si

Jaillissent près de lui, comme dans un jardin, Mille arbrisseaux, nourris des bienfails de son onde. Ils grandissent enfin et penchés sur ses eaux. De leur ombre pieuse ils protègent la source Qui bientôt eût langui. dans son lit de roseaux. Sous les feux du Cancer, ennemi des ruisseau; Leur feuillage entretient la fraîcheur de sa course, El balançant leurs fronts, de rosée inondés. Ils fécondent les flots qui les ont fécondés... »

Apollon, sur ma I jre, oh ! par pitié, secoue Ta chevelure d'or od le laurier se joue ! Jette un rayon sur moi. C'est pour mon père.. .

LE ¥IEIIX PATRE.

Adieu.

Le pâtre, en soupirant, te laisse avec le Dieu. Pourquoi mes lourdes mains, hélas ! ne peuvent-ellet Faire passer mon Ame aux cordes immortelles!... Car le plus bel emploi de notre Ame, vois-tu, C'est (après Texercer) de chanter la vertu.

SOUVENIR.

La grille était oaverte et j'entrai sans encombre ; Et j'écrivis en pleurs cette idylle sous l'ombre. Car, c'était le jardin et la maison d'Anteuil, Od nos premiers amis nous firent tant d'aceneil ; mon père souvent fut fêté comme un père ; Où, dans une famille, et charmante et prospère. Mon frère et moi, comblés de si tendres douceurs. Nous trouvâmes toujours des frères et des sœurs! i

Livre II.

€)IE)ISS DJ&ILIUIDlSê «©1010179.

165 <

LA PAIX CONQUISE

ODE(I)

A M. LB COMTE DE LàS-GaSBI.

FoUe Albion, ta dis ; « Je fait reine ! la terre Enfante Tor ponr moi dans «on sein tributaire, La mer s'enorgueillit de gronder sons ma kri. i* Tu le dis : tes noeberr, snr la fol des étoiles,

Ont déployé les Toiles^^ Tu ne Tois pas la mort qni s'embarque arec foi.

A tes mâts suspendu, Tinipatient fantôme Déjà compte tes fils, promis à son royaume; Car, TEmpereur l'a dit, Toi« tes fils, vous mourrei. Son épée atteindra ta rame Tagsfaandn,

Et ta chute profonde Kéjouira longtemps les peuples délivrés.

Le béros et TEorope ont proscrit l'insulaire. Dieu lirrera demain an vent de sa colère L'édifice croulant de tes prospéritét* Tu ne vomiras plus sur nos riantes grèves

Les feux de tes congrèves, Tes matelots tremblants et tes dons empestés.

Tu peux encor, troublant les ondes subjuguées, Promener sur les mers tes flottes fatiguées; Le trident fabuleux en tes mains resplendit ; Et cependant, fixée^aux bords de la Tamise,

Sur des trésors assise, La f^m, spectre hideux, chaque Jour s'agrandit.

(i) Cette ede, composée et publiée dans la première Jeunesse de i^uteur, en 1811, a été, depuis quelques années, insérée dans plu- sieurs recueils atee des fautes aHci grtrss. On la rétablit ici telle qu'elle doit ém.

166 «a

Parmi d'impurs brouillardi, aux noirs pensers eu proie. Le peuple de tes champs, sans soleil et sans joie , Recueille un grain ayare et de lourdes boissons ; Gesse de comparer ton tle ténébreuse

A notre France heureuse. Terre de la vendange et des blondes moissons.

La France avec ses bois, ses plaines embaumées, Sa gloire, son beau ciel, ses palais, ses armées, Gomme un astre éclatant domine runlvers ; Et l'Angleterre, triste et le front chargé d'ombre,

Gomme une tache sombre. Importune et noircit l'azur brillant des mers.

Français, montrons^nous fiers du sort et de nous-mêmes i Nos armes «font les rois, et sur leurs diadèmes Réfléchissent l'éclat d'un règne triomphant ; De ses héros éteints le Tibre se console,

Et le yieux Gapitole Attache sa fortune au sceptre d'un enCint.

Mais quel deuil obscurcit les palmes de la gloire ? Quelle plainte se mêle aux chants de la tictoire. Ainsi qu'une onde amère i des flots purs et doux. De cent climats divers un même cri s'élève !

Devant le roi du glaive. Peuples, pourquoi ces cris, et que demandea-vous P

Ils demandent la paix ! car c'est assez de veuves, G'est assez d'orphelins! et déjà tous les fleuves Se lassent de rouler du sang dans tous leurs flots* Ils demandent la paix ! Qu'est-elle devenue?

Quelle rive inconnue De ses jeux i nos bords dérobe les tableaux ?

Elle est dans Albion... Sous leurs mains criminelles L'avarice et l'orgueil, farouches sentinelles, Gardent la douce Vierge, amour des nations. Elle est dans Albion la belle fugitive. Elle y gémit, captive ; Ses yeux, noyés de pleurs, cherchent nos pavillons.

167 «1

loodain le héros a fait signe à ses brades ; Les braTes sont debout : les mers, longtemps esdares, Koulent arec orgueil sous nos yaisseaux sacrés.. En Tain tous les Anglais avec des cris sauvages

Gourent sur leurs rivages : L'Aigle a m les vautours et les a dévorés.

A ses heureux sauveurs la Vierge s'abandonne. Notre appareil guerrier la rassure et Pétonne ; La Paix» sous des drapeaux , brille plus belle encor. Le loldat empressé la contemple; il admire

Et son chaste sourire, Et la oonpe Joyeuse et sa couronne d'or.

La victoire a chanté l'hymne retentissante... Mais les doux souvenirs de la famille absente Sur le char triomphal poursuivent le guerrier ; Son cœur rêve déjà la grotte solitaire.

Le chaume héréditaire. Et Im longs entretiens, délices du foyer.

La France nous revoit... Ainsi qu'aux Jours antiques. Déjà nous suspendons à nos pieux portiques Des ennemis vaincus les sanglants étendards, La mère a couronné le fils qu'elle idolâtre,

Et U beauté folâtre Nous arrache en riant nos casques et nos dards.

t68«t

SOMBRE OCEAN.

A M. Alphoksk db LAiURTim.

Sombre Océan, du haut de tes Maitet Que J'aime i Toir les barqaei du pécheur , Ou de tes vents, sous Pombre des mélèzee, A respirer la lointaine fraîcheur ! Je yeux, ce soir, Yisilant tes rivages, Y promener mes songes les plus chers ; Encore ému de ses premiers ravages. Mon cœur souffrant s'apaise au biuit des mers. Sombre Océan, pousse tes cris sauvages ! J'aîD^ei rêver près de tes flots amers.

Sombre Océan, j'épuiserais ma vie A voir s'enfler tes vagues en fureur: Mon corps frissonne et mon âme est ravie; Tu sais donner un charme à la terreur. Depuis le jour cette mer profonde M'apparut noire aux lueurs des éclairs, Nos lacs si bleus, la langueur de leur onde N'inspirent plus mes amours ni mes vers. Sombre Océan, vaste moitié du monde. J'aime à chanter près de tes flots amers.

Sombre Océan, parfois ton front s'égaie. Epanoui sous l'astre de Vénus ; Et mollement ta forte voix bégaie

Des mots sacrés à la terre inconnus

Et puis ton flux s'élance, roule et saule Comme un galop de coursiers, aux crins verts , Et se retire en déchirant la c6ie D'un bruit semblable au rire des enfers. Sombre Océan, superbe et terrible hôie, J'aime à frémir près de tes flots amers .

fi» 160 <

Sombre Océan, soit quand tei eaux bondissent, Soit quand tu dors comme un champ moissonné. De ta grandeur nos pensers s'agrandissent. L'infini parle i notre esprit borné. Qui, devant toi, quel athée en démence Ntrait tout haut le Dieu de l'univers ? Oui, rÉternel s'explique par l'Immense ; Dans ton miroir J'ai tu les cieux ouverts... Sombre Océan, par qui ma Toi commence. J'aime i prier prés de tes flots amers.

SAINT-GERMAIN.

A Edouard Dblprat.

ChAteau désert, forêt profonde tenaient leur cour autrefois Les rois, qui commandent au monde, La beauté, qui commande aux rois :

Balcon muet, morne colline. par de nocturnes accords Une amoureuse mandoline Répondait aux soupirs des cors ;

Vieux murs, abri des hirondelles. les Dunois et les Nemours Etalaient leurs armes fidèles, Cachaient leurs fidèles amours ;

Noble chapelle, humble oratoire. ces guerriers, simples de cœur, Tenaient prosterner leur victoire Devant l'autel du seul vainqueur ;

^ 170 ^

Tint plas d'une grande reine Faire i la Sainte-Vierge un vœu Pour qu'un beau page à sa marraine Késerv&t son premier ayeu ;

Longue el pompeuse galerie nos rois, avares de morts. Par an mot de chevalerie Forçaient la révolte an remords ;

Od quelque ambassade dorée. Le cœur d'un rude effroi transi, D'Antiocbe et de Gésarée Arrivait, demandant merci ;

Où, parmi les fleurs en trophée, Le soir, la dame de beauté Régnait, tenant comme une fée Le prince esclave à son côté ;

Séjour de la gloire suprême, De l'amour, aux molles douceurs ^ Royal manoir, oublié même De vos indolents possesseurs ;

Monument de la vieille France, Passé plus frais que l'avenir. trouverai-je une espérance Égale à votre souvenir P

... novembre 1829

iTi n SONNET.

A Mademoiselle de Fauyeau.

Colombe qui de Taigle ai dépassé Tessor, Chaste Sapho du marbre, écho de Michel-Ange ; Lys de l'Eden, fleuri si par dans notre fange; Sons notre ciel de plomb étoile aux rayons d'or !

Chevalière accourue au mftie appel du eor, Que la guerre a blessée et que la gloire ?enge ; Parmi tout ce qui rampe, ou qui tombe, ou qui change, Muse plus catholique et plus (k-ançaise encor !

Ah ! quand leurs fers cruels chargeaient ta main bénie. Aux murs de ton cachot tu sculptas ton génie, Seul bien, avec ta foi, qu'ils ne t'aient pas oté;

Car, à l'entour de loi (miraculeux exemple 1 ) Chaume, exil, prison, tout se transfigure en temple Pour tes rois, et pour l'art^ cette autre royauté.

AUTRE.

(Victor.)

Il est des noms dotés d'un espoir immortel. Dont le bruit merveilleux vibre dans la mémoire , Qui demandent un sceptre, un laurier, un autel. Qu'on ne peut prononcer sans parler de victoire.

Il en est un surtout, un dont l'empire est tel Qu'il suffit i lui seul pour une triple gloire « Celui qui le porta d'abord, tout droit au ciel Prit son vol, et c'est le beau de son histoire ;

Le second, proclamé par la voix des combats.

Mit trente ans Espagnols et Prussiens à bas ;

Et la paix, comme au feu, le trouva noble et calme.

Mais le fier maréchal (et certe il n'a pas tort ) Changerait son bâton et le grand saint sa palme Pour un des luths divins du poëte Victor.

APPEL POETIQUE.

Â. M. A. Brijii.

Eil-ee pour lei tenir en Tous-mème cdéi^ Comme un or qu'à tous on refuse,

Que sont faits les trésors dont tous dota U Muse ? Levez-vous, jeune homme, et parlet !

Le monde est incrédule à la gloire muette.

Gomme un dieu dans le bloc caché. Du fond de votre cœur avec force arraché.

Faites donc jaillir le poète.

Oui, votre lyre, ami, quaad noua chanloof nos ver» Parmi les pleurs on les aourires.

Oui, Yotre lyre manque au grand concert des lyref Gomme une fleur aux buissons verts.

Dans l'orchestre incomplet on entend son absenoe i La symphonie^ aux mille accords,

A besoin que votre âme anime son grand corpa Rendez-lui toute sa puissance.

Poète, rendez-'noos cette sublime toIh»

Que l'écho des cieux nous envie.

Et que, sous les tilleuls qui couvrent votre vie. Nous entendîmes une fois.

Dites ! que craignez-Tous pour si longtemps vous taire f Les sots ? On rit même des sots.

Si noua jetons souvent nos perles aux pourceaux» Elles ne restent point i terre.

Quelqu'un passe toujours sur le bord du chemin

Qui les ramasse et s'en empare ; J'en sais qu*un roi marchande, et plus d'une qui pare

On noirs ôheveux ou blanche main.

^ 173 «9

Lt§ mécbanti ?— Gardei-Ieur plutôt votre indulgenc* <

Hélas ! ils sont si malheureux ! Ils font tout eontrenous, ne faisons rien contre eux;

Des succès pour toute vengeance î

La vertu dans le cœur et le génie au front, Mérites deux fois qu'on vous loue.

Les envieux deux fois vous Jettent de la boue : Qu'y faire? ils donnent oe qufils ont.

L'impur crapaud croasse au chant de la colombe.

Un esclave insulta César, Et des fanges de Rome éclaboussa son char ;

Qu'importe i César dans sa tombe?

Donc, piège, assaut, péril vous attend an début.

Plus d'un reculerait sans doute; Mais vous, mortel choi8i,marchez sans voir la route.

Chantant, les yeux fixés au but*

Quand l'ouragan fougueux court parmi les campagnes, ' Que la grêle, fléau des épis jaunissants, Tombe et bondit au bords des toits retentissants. Et que la foudre au loin roule dans les montagnes^ Le passereau timide et le faible ramier Cherchent l'abri du chaume ou l'arbre hospitalier. Tandis qu'au bruit des eaux et des vents en furi«

Sortant de son puissant sommeil, L'aigle traverse en roi la céleste patrie

Des orages et du soleil !

*p^

174 4

DERNIÈRE OFFRANDE.

D'an fol amour gage timide, Que la complaisante amitié Accepte aujourd'hui par pitié , TDesae brune, de pleura humide,

A ion oreille, 6 mes cheyeux , Vous serez placés pour entendre Ou prière ou reproche tendre, Bien des serments, bien des aveux...

Ah! qu'elle trouve un cœur sincère L'amour qui change est si cuisant ! Et son bonheur m'est nécessaire. Je n'en ai pas d'autre i présent.

Si J'ai voulu de sa jeune âme Posséder les amours constants. C'était pour qu'elle fût la femme La plus heureuse de son temps.

Eh bienl privé d'elle, auprès d'elle, Déchu du rêve de mes jours , Qu'elle soit heureuse toujours : le la croirai toujours fidèle.

Hais, s'il se pouvait que d'un fat, Chantant l'amour pour qu'on l'adule. L'hommage insolent triomphât De ce cQBur perfide... et crédule ,

O mes cheveux, vous serez : Sonnez l'alarme à son oreille. Criez ; Au trompeur! Sauvez-la P'upft vie à mon sort pareille ;

175 «

Car Je mourrais de son regret. De mon front brûlant mon ivresse N'a détaché que cette tresse : Mon désespoir achèverait.

Quand le vent d'Afrique profane Le frais empire du printemps , Tout à coup pâlit et se fane La rose, aux boutons éclatants ;

Et, sous le même vent flétrie, La couronne du peuplier Tombe autour de la fleur chérie Qu'il aimait tant à voir briller.

Et vous, mes vers, les seuls sans doute Que Je puisse encor soupirer. L'ingrate en son cœur vous redoute, Et les feux vont vous dévorer...

Mourez aussi dans sa mémoire ; Et jamais. Jamais, croyez-m'en. Ne lui racontez mon histoire, |)e peur d'attrister son roman.

SONNET.

SUR UN BOUQUET.

Tout humides encor de rpsée et de pleurs, Que le vent du mutin vous porte et vous caresse Jusqu'où l'on fête Emma, fraîches moissons de fleurs, Symboles passagers d'éternelle tendresse.

Comme au fond du désert une onde enchanteresse. Gomme un gentil sourire au milieu des douleurs, Comme aux cris de la foule un doux chant delà Grèce, Comme sur un ciel noir l'écharpe aux sept couleurs,

176 «I

Jeunes gœurs du printemps» vous êtes apparues Dans le feu des mousquets et dans le sang des raes. Trou? ant dans ce chaos Je ne sais quels abris...

Ainsi quand les chagrins, sous qui Tàme est pliée , Ravagent tout en nous, l'amour, fleur oubliée, Rit dans un coin du cœur, caché sous des débris.

99 Juillet 1830.

AUTRE..

Mortrontaine, le...

Quand le Temps, grand changeur des hommes et des chosef. Aura sur ce beau lieu Jeté Toubli des ans; Quand chênes et sapins, brisés comme des roses Ne seront plus que cendre et cadavres gisants.

Qui sait si, du chaos de ces métamorphosée Ressuscitant nos bois, aux détours séduisants. L'histoire saura dire à nos vieux fils moroses Quels rois y poursuivaient sangliers et CaisansP

Mais peut-être mes vers â la race lointaine

Diront : «Elle passa deux mois i Mortfontaine,

Et ces deux mois pou): nous passèrent comme un Jour ;

Et c'est pourquoi les fleurs, les biches inquiètes. Et les oiseaux chanteurs, et les amants poètes. Pleins du souvenir d'Eue, aimaient tant ce séjour!»

frm««

AMOUR.

je foulais méditer, et vers vous mes pensées S'envolent, de jeunesse et d'amour insensées; Je voulais combiner des mots savants... mais non : A cette ingrate absente il faut encor sourire... Et ma plume en courant tremble, et ne sait écrire Que les lettres de votre nom.

Eh bien 1 n'écrivons pas ; tout ce travail me pèse. Rêvons d'EUe, ô mon cœur, flamme que rien n'apaise l Ces papiers sont glacés et tombent de ma main : Rêvons i sa voix d'ange, i son corps de sjlphide , A ses yeux de gaielle, à sa grâce perfide ; Rêvons... nous écrirons demain.

Demain, toqjours demain ! Eh ! depuis trois annéef N'en estait pas ainsi de toutes mes journées ? Demain, je me connais , sera comme aujourd'hui. H'enivrer des parfums de son souffle infidèle; De peur d'être compris des autres, fUir loin d'EIle... Et la chercher quand j'aurai fui !

Voilà demain, voilà ma vie '... Ah ! pauvre escitve, Chex tes amis joyeux va donc faire le brave 1 Et, tout gonflé de pleurs, va rire de l'amour I Ou sur la lyre épique et la flûte champêtre Ya cadencer des vers, pour que ton nom peut-être Vive plus tard que toi d'un jour !

Que m'importe un vain nom sans Elle ? pourquoi faire P C'est l'oubli que j'attends, l'oubli que je préfère ; Son nom mourra de même, et Je serai vengé. Adieu donc, luth chéri, de l'âme écho sonore. Gloire longtemps rêvée, adieu, je vous abhorre De tout le sombre amour que j'ai !..•

i> 178 ««

Si pourtant, comme aux bords des eaux se courbe un saule^ Le front, tel qu'autrerois, penché sur mon épaule. Vous me disies : « Ami, je ne t'ai point quitté ! •» Oh ! que ma nuit serait d'un jour brillant suivie !... Esiayei : un seul mot peut me rendre la vie, Un regard l'immortalité.

SERENADE.

Nuit calme et sombre, Délices des chaleurs^

Verse ton ombre Sur les balcons en fleurs ! Quand les jaloux sommeillent, Sous tes Toiles s'éveillent

Le rossignol Et le luth espagnol.

Gomme i Grenade, Qu'on soit ici fêté !

La sérénade Suit partout la beauté. Quand les jaloux sommeillent, Dam les ombres s'éveillent

Le rossignol fit le luth espagnol.

A. Paris même L'amour nous appela ;

Pourvu qu'on aime. Nos guitares sont là. Quand les jaloux sommeillentp Dans les ombres s'éveillent

Le rossignol

fit le luth espagnol.

La Jeune femme Nous entend sans nous Toir,

Et dans son âme Se glisse un vague espoir... Quand les jaloux sommeillent, Dans les ombres s'éveillent

Le rossignol Et le luth espagnol.

VERSAILLES.

A M. Francis Lacombe.

Ij» Toilice splendide et funèbre Versatile, Qu'ose seule habiter Tombre du grand Louis ! Des fêles d'autrefois mon cœur encor tressaille ; Je rêve... et les héros de Lens et de Marsaille, Les dames, les seigneurs, sous mes yeux éblouis, Tons, fantômes de gloire et de magnificence. Repeuplent ce palais, solitaire cité. Dont aucun roi vivant, dans toute sa puissance, Ne peut remplir l'immensité.

Levez-vous donc, géants exhumés de nos fastes ! Vieux et jeune passé, pressez-vous sur le seuil ! Héroïsme, génie, arts féconds, vertus chastes. Hôtes sacrés, à vous ces olympes trop vastes! A vous parcs et châteaux, nations du cercueil 1 Si Jamais en ce lieu, par un appel suprême. Tout ce qu'a vu de grand la France est évoqué, La gloire y fera foule, et dans Versailles même L'espace^ un jour, aura manqué !

novembre 18<9.

180 ««

SONNET.

A Madame db Girardiu. (Delphine Gat. )

la France a va longtemps le tceplre poétique D'homme en homme tranimis comme un sceptre de rois. Laissant aux filles d'Eve, heureuses de leurs droiis< De la frêle beauté l'empire despotique.

Corinne, sous tos traits* du rivage italique Aborda parmi nous, plus reine qu'autrefois ; Et, si la grâce encore impose mieux ses lois. Dans la France de l'art s'éteint la loi salique.

Dieu tenait ses trésors avec soin renfermés : Il dotait, peu prodigue envers ses plus aiméS| L'un d'esprit scintillant» l'autre de poésie ;

Mais, désarmant, an jour, ses avares décrets, Dans la coupe votre âme a puisé ses secrets Sa main mêla le sel atiique i l'ambroisie.

■r

JE SUIS MORT.

Oh ! dites-moi, vous qui vivez encore: Fait-on la guerre â ceux qui font l'amour ? Soupire-t-on sur la harpe sonore De longs serments qui ne durent qu'un jour? Donneriez-vous tous les biens qu'on envie P Pour un des maux que l'on souffre en aimant ?.. Que font-ils ceux qui sont en vie« Moi, je suis mort pour le moment.

181 ^

Oh! dites-moi, quand la lune se voile, Ya-t-on encor rdver deux sous les bois ? Et des regards, dans les feux d'une étoile, Se cherchent-ils de loin, comme aulrerois ? Et la beauté, courroucée et ravie, Reruse-t-elle un peu trop tendrement?

Que font-ils ceux qui sont en vie?

Moi, je suis mort pour le moment.

Oh I dites-moi, des écrits pleins de flammes Sont -ils cachés parmi les Heurs du bal? Sait-on troubler le cœur des jeunes femmes? Avec Tamour l'hymen est-il bien mal ? Au noir hibou la colombe asservie Se venge-t-elle... on ne dit pas comment?

Que font-ils ceux qui sont en vie?

Moi, je suis mort pour le moment.

Oh ! dites-mol, la belle poésie

A-t-elle encor les rnjures des sots?

Profanent-ils sa coupe d'ambroisie,

Sa lyre d'or, son prisme, ses pinceaux ?

Mais, n'est-on plus, contre leur froide envie,

Encouragé d'un sourire charmant ?

Que font- ils ceux qui sont en vie?

Moi, je suis mort pour le moment.

Oh ! dites-moi, vous, que pour être aimée, Mon plus beau songe, une nuit, vint m'oflfrir, Légère et tendre, et si vite alarmée, Divine enfant, qui m'avez fait mourir; Vous que tout haut je nommerai... Sylvie, Lorsque tout bas je vous nomme... autrement;

Dites-moi : « Reviens à la vie. >

Et je renais en un moment I

i$

182^

« Mais son amour est autre part. C'est an cavalier de Figuière, Tu sais, qui depuis ton départ, 1/a prise et ne s'en cache guère. Qu'as-tu donc à guetter ses pas ? Rappelle-toi... » Je me rappelle Qu'elle a vingt ans et qu'elle est belle^ Le reste, je n'y songe pas.

Je Taime parce que je l'aime ; Je l'aime partout et toujours; Si j'ai fêté d'autres amours Pitié I je mentais i moi-même. En vain J'ai couru, combattu... Car je i'aime tant cette femme ! De mon cœur les autres n'ont eu Que la cendre... Elle avait la flamme ?

Je l'aime comme la voilà : Double nature, humble et divine, Qu'un soir de Prado révéla, Et qu'il faut toujours qu'on devine. Je l'aime pour ses peurs d'enfant. Pour sa nonchalance créole» Et pour son esprit triomphant Coquette et magique auréole.

Je l'aime pour le doux satin Et l'ivoire de son épaule. ses bruns cheveux, le malin, Roulent comme les pleurs du saule. Je l'aime pour sa jeune voix, Et pour son haleine plus fraîche Que n'est la saveur de la pêche, La souffle prinlanier 4es bois.

fi» 183 «I

Je l'aime pour ses pieds de biche. Pour ses bras dorés, éclatants, Qui feraient un collier plus riche Que tous les colliers des sultans ; Pour son corps de Gircassienne, Pour ses yeux, saphirs du sérail. Et pour sa bouche de corail Qui me disait non... sur la mienne.

Et pour son délicat profil. Pour son front, beau lys qui se penche , Pour sa joue, une fleur d'ayril Rougissant sur la neige blanche; Pour sa narine, qui soudain, Gomme une aile encor retenue. S'enfle d'amour ou de dédain Au gré d'une brii»e inconnue...

Loin de Lui, si mes deux genoux Pressent jamais les liens, chère ange« Ah! te dirai-je : « trompons-nous !... La Tie est un mystère étrange !... On subit plus d'un joug vainqueur; Qui sait oA l'amour nous emporte?... Ton baiser 1 ton baiser !... Qu'importe, S'il n'entraîne pas tout ton cœur ! »

SONNET.

A Mon Ami Gout*Desmartres. ( Réponse sur les mêmes rimes. )

Voire cœur est à peine i sa verte saison : Le monde vous atiire en ses routes fleuries; Les Muses dans leur sein bercent vos rêveries, El les Grâces, bas, dansent sur le gizon.

184 <

Richement déployé, comme un double horizon. Des temples d'un côlé, de Tautre des prairies, L'avenir s'ouvre i vous. Nos âmes attendries Soupirent vos soupirs, chantent Yotre chanson.

Oh! savourez- la bien celte manne choisie!

Ami, fêtez l'amour, fêtez la poésie.

Tandis que vous avez la jeunesse et la Toix ;

Aimez, chantez, riez !*— Le mal yienl i son heure. £t je vous dis cela comme, avant qu'il ne meure. Un vieil oiseau blessé prêche encor dans les bots.

AUTRE. A ÉvARisTE Boulay-Paty.

( Réponse sur les mêmes rimes. )

Oui, noble sort de voir l'ami dans le poëte ! L'amitié quelquefois est de la gloire aussi. Ton luth, d'un seul accord, nous réalise ainsi Ce que rêve l'orgueil, ce que le cœur souhaite.

Il couvre d'un laurier notre vie inquiète,

Perce d'étoiles d'or noire ciel obscurci^

Et, nous tenant charmés loin d'un monde endurci,

Dit : « C'est le Rossignol, et non pas l'Alouette ! »

Oh ! chante eneor ! Tes chants consoleraient l'Enfer s Transformés i ta Toiz, ses lourds piliers de fer S'arrondiraient d'eux-même en colonnes attiques.

Je crois presque à mon nom dans tesrbythmes vanté; Et mon frère, aspirant tes baumes poétiques, A senti de son mal fléchir la dureté.

185 ^

àUTRE.

\ Jules l.acroix ( Réponse sur les piêmes rimeê, )

Que parlez-vous de poésie Qui fait au monde ses adieux ? Tant qu'il nous restera des dieux, Nous leur verserons Tambroisie.

Si les sots n'ont point fantaisie Du théorbe mélodieux, Ni de Tart jeune et radieux, Autre soleil qui vient d'Asie ;

Si l'harmonie et les couleurs

De nos poëtes ciseleurs

Touchent peu les cœurs prosaïques;

Loin du tréteau des bateleurs, D'autres font sur vos mosaïques, Jules, pleuvoir lauriers et fleurs.

AU TOMBEAU DE PICHAT.'

Us avaient déposé dans la terre muette Ce corps, que dévora 'son Ame de poëte; Mais nous tous, ses amis, nous revînmes, le soir. Prés de ses restes froids saintement nous asseoir; Et nous jetions des vers à son ombre ravie. Gomme, en signe de deuil, pour saluer leurs noms, Tonne au tombeau des rois la douleur des canons ; Quand soudain ( c'était bien sa voix pendant la vie ) Parvint à nous ce chant tel que nous le donnons :

«» 186 «3

« O songes, confidents de Tétemel mystère,

K Songes, doux messagers des astres à la terre ,

« Apprenez à cette ange, hélas! qui manque au Ciel,

M Qu'au sein des purs esprits et du bonheur réel,

«c Triste, je cherche encor ses fleurs, ses eaux limpides,

« Et le bruit de son rire, et le bruit de ses pas,

K £t de son front Yoilé les modestes appas ;

« Et que des beaux instants, près d'elle si rapides,

« Mon inunortaliié ne me console pas. »

Et tous, Ie?és ensemble, attentifs au prodige. Nous nous taisions. Enfin : ô mes amis ! leur dis-je, Vous voyez bien (et^ certe, on ne peut démentir Cette voix que la tombe en s'ouvrant fait sortir : ) Quand on croit le peëte occupé d'un vain faste. Qu'on ne lui croit un cœur, des pensers et des yeux Que pour son nom , il iratne un mal silencieux, El trop jeune s'éteint, brûlé d'un amour chaste Qui survit à It mort et souffre dans les cieuz!

am

N'ECOUTEZ PAS LES AUTRES.

Sans doute ils vous diront : « Vous êtes bien crédule ! N'allez-vous pas souffrir plus que lui de ses maux? Poète, son chagrin s'évapore en vains mots, Se cadence en soupirs que sa lyre module.

« Vous partez : il languit, il se meurt... un Instant ; Puis, de son art chéri rappelant la magie. Il voit dans votre absence un sujet d'élégie, Et de son désespoir se console en chantant. »

Voilà ce qu'ils diront. C'est leur joie et leur vie De blasphémer les arts , de nier l'amitié ! Mais vous, les croirez-vous ces discours de l'envie, Qui refuse au talent jusqucs à la pitié ?

^ 187<

Non, la douleur n'est point la muse du poêle : il lui faut dei parfuma, des sourires, des fleurs.... Quand mon cœur parle trop ma voix devient muette. Et mon luth, loin de vous, se détend sous mes pleurs.

LES DEUX ITALIES.

À Jules de Saint-Félix, Lk Mère des Césars.

« Ma sœur, ma jeune sœur , je règne , et tu l'amuses

A mêler des fleurs, des accords ! As-tu bien, nymphe grecque, oisive enfant des Muses»

L'âme de Rome en ton beau corps ? La Sibylle a promis (malheur à tout rebelle ! )

Que l'univers serait à nous : Il est à moi. Regarde un peu : n'est-on pas belle

Avec cent rois à ses genoux? Yois-lu mes légions, mes cirques, mes navires,

Mes festins, rivaux du nectar ? Jette tes chants, tes fleurs, tes rêves aux zéphires,

Et sois déesse sur mon char ! »

L\ Fille des Muses.

« Reine de la terre et de l'onde, Divine impératrice, augusie sœur, salut !

Je me prosterne avec le monde Au bruit de tes clairons... mais je garde mon luth.

Qui sait si les guerriers sauvages, Sombre ouragan poussé vers l'aslre des Césars,

N'arrêteront pas leurs ravages. Enchaînés par la grâce et vaincus par les arts ;

Et si ma couronne de roses Ne sera point vivante et toute fraîche encor.

Quand, sur la pourpre tu reposes. Le temps aura brisé ton diadème d'or ! >x

«88 <

SONNET.

A Mademoiselle Louise Bertin.

Saint délice se prend Thomme immatériel, Interprète du cœur, volupté salutaire, Chaste langage, exempt de mélange adultère. Pur nectar que jamais ne corrompt aucun fiel ;

Musique ! le seul art d^s anges dans le ciel !... Une remme, jeune ange envoyée à la terre, Une seule a surpris votre plus çrand mystère. Et vos sonores fleurs lui donnent tout leur miel.

C'est que pour sa ferveur mâle et laborieuse

Votre charme toujours fut chose sérieuse ;

C'est qu'elle songe à l'œuvre et non pas aux bravoi.

Or, au culte du beau dès l'enfance vouée,

Mozart, en l'écoutant^ l'a bénie et douée

Pour chanter sans rivale entre quelques rivaux !

ECOUEN.

Revoyez ces lieux pleins de charmes^ Où, tremblant d'espoir et d'alarmes. Votre mère, un jour, vous mena

En larmes. Et revint, appelant : Anna!

Anna !

Venez, montrez-nous votre place Dans la chapelle et dans la classe, Et le ruisseau qui, vous servant

De glace, !

Vous vit heureuse et bien souvent

Rêvant.

N'eiUce pas à ceti6 fenêtre,

Lei soirs, avant de nous connaître,

Que vous chantiez un chant d'amour

Peut-être? Et les oiseaux restaient le jour

Autour.

Voyons la chambre calme et sombre Où, parmi vos sœurs en grand nombre^ La lune glissait doucement

Dans Tombre, Pour baiser votre front charmant

Dormant.

donc est la salle profonde

Qui vous applaudit jeune et blonde,^

Quand le guerrier qui gouverna

Le monde Comprit vos yeux et devina

Anna?

Là, brillaient d'une même flamme Votre esprit, vos regards, voire âme ; Li, TOUS mettiez les cœurs en feu,

Madame ; Tout change, hélas ! en temps et lieu...

Fort peu.

A FERDINAND HILLER.

Le roi de l'opéra, le roi des symphonies, Qui savait des concerts d'anges et de démons, Ambitieux pour l'art, comme tous les génies, Quitu son Allemagne, et, par de-là les monts Emportant son trésor d'immenses harmonies. Voulut voir si Bologne ou Naples, par hasard. N'auraient point des secrets inconnus à Mozart.

«» 190 «s

C'est tins! que ce chef puissant des deux écoles Se répandit au loin, fleuve clair et profond, Roulant avec ses eaux, mugissantes ou molles. Des fleurs à la surface et de l'or pur au fond ; Et c'est ainsi qu'un jour, au sein des villes folles. Il jeta le don Juan, régnent A la fois L'orchestre et la couleur, le dessin et les voix.

Parti, comme Mozart, de la terre allemande,

Gomme lui, voyageur aux cicux italiens,

Vous allez, à l'appel du dieu qui vous commande,

Y dorer pour les cœurs de sonores liens.

Mais la France vous aime , elle vous redemande ;

Et Paris ce que n'eut jamais Mozart vivant

Couronnera votre œuvre idéal et savant.

Paris est le champ clos des talents. La victoire N'est belle nulle part comme chez nos Français ; Leur silence est l'oubli, leur suffrage est la gloire ; Londres n'a que de l'or, Paris a le succès. L'opinion attend qu'il ait jugé pour croire ; Et dans cette autre Atbène un nom proclamé roi Peut aller par le monde et dire à tous : C'est moi !

A JULES DE RESSEGUIER.

C Réponse. )

Oui, quoique l'aveugle amitié Dans ta poétique louange Soit beaucoup plus que de moitié, Il m'en reste un orgueil étrange.

Cher poêle, quand je relis Ces strophes jeunes et vivantes, Ces vers charmants tu me vantes, Je crois les miens presque jolis.

^ 191 «<

Hélas ! mais quand je viens ensuite A regarder mes vers auprès De tes vers si purs et si frais. Voilà toute ma gloire en fuite ;

Je Tois clair dans tous mes défauis. Rien ne fait ressortir la fraude Comme quelque riche émeraudo Mêlée à des diamants faux.

Après tout, cher Jules, qu importe? Si mon amour-propre est en toi , Et si, de ma nuit, J'aperçoi Le char rayonnant qui t'emporte ?

A M»» L\ BONNB ALEXANDRE GUIRAUD.

Le bonheur n>st pas fait pour la tête qui pense; Tout amour fuit un cœur pris de l'amour de l'art ; Le poëte ici-bas n'a point sa récompense ; De ses combats divins la palme est autre part.

Voilà ce qu'on disait ; mais on vous vit descendre Des belles régions de l'ange et des élus, Et vous refaire un ciel sur le cœur d'Alexandre, O Harie.^. et voilà ce qu'on ne dira plus.

Son génie est déjà payé par votre grâce •* Ses mains sont dans vos mains et ses pas dans vos pas. Lorsqu'il a vingt succès, vingt fois il vous embrasse ; Et qu'il ait un revers... mais il ne l'aura pas!

Assez pour son bonheur : parlons enfin du nôtre. Il ne sera pas long, madame : vous partez ! Vous partez tous les deux ; je ne plains l'un ni l'autre. ?laindrez-T0US pa^ un peu les gens que vous quittez?

N'allez pas croire au moins, si mon vers vous encense, Qu'on TOUS trouve parraile en tout point : vous avez Quelque chose de trës-disgracieux, Tabsence. Que Dieu vous en corrige, et nous sommes sauvés I

A M. DE mATLEW,

qui a traduit mes poésies en russe.

Toute fière d'un tel hommage,

Ainsi reraite à votre image,

Ma poésie, humble en naissant, '

Sous son habit russe doit élre

Belle... à ne pas la reconnaître.

C'est ce qui m'arrive à présent.

Sûre, à ce prix, qu'elle est charmante. Mon ignorance la tourmente, La froisse des mainâ et des yeux ; Elle m'échappe, ombre légère , Et de sa splendeur étrangère Se fait un voile radieux.

Telle une beauté sous le masque .* Le caprice ardent et fantasque La tourne et retourne cent fois , On brûle d'en voir quelque chose ; Et l'élégant domino rose Nous dérobe jusqu'à sa voix.

Mais, à sa molle et svelte allure. Aux parfums de sa chevelure, A je ne sais quel vague attrait. On s'aperçoit avec ivresse Qu'il s'agit d'une enchanteresse, Et que tout le cœur s'y prendrait.

19S «4

A MME MARIE MÉNESSIER-NODIER.

Ai:^ourd'hui que la vieille Europe, Moitié Titao, moitié Gyclope, Hongtre cupide et factieux. D'un bras, avec idolâtrie. Plonge aux forges de Tindustrie, Et de l'autre insulte les cieuz;

On Toit le chaste chœur des Muses

Fuir comme des biches confuses

Que pressent la meute et le cor ;

Elles tremblent comme les trônes,

Et... Mais quelle est^ sous vingt coaronneij

Cette muse si jeane eneor ?

Pour la fête le trépied funke ; L'air autour d'elle se parfume , Et s'anime de bruits charmants. Faisons lui des bouquets par mille... Il est un peu plus difficile De lui faire des compliments.

Aux notes que sa voix soupire.

Le rossignol qu'amour inspire

Suspendrait ses concerts jaloux ;

Sa danse aux Nymphes eût fait honte;

Une colombe d'Amalhonte

A le cœur et les yeux moins doux.

Si son Ame, longtemps nuiette, Tente un voyage de po6te Et vogue, esquif sans aviron, *

Ses vers ont la suprême grâce Que son p^re hérita d'Horace Avec le souffle de Bjvoii.

^ 194 «

Voudrait-on chanter ses louanges? Autant Touloir flatter des anges ; La lyre humaine n'y peut rien. —Sur la terre, mal célébrée ; Contentei-vous d'être adorée, Et, pour cela, tous Têtes bien !

Ces discours yous fâchent peut-être t Qu'y faire? Le Roi n'est pas mattre Dans ce siècle des libertés. Les belles sont aussi des reines : Il faut bien que ces souTeraines Entendent quelques vérités.

LYRE CAPTIVE.

A M. Alphonsb Esquiaos.

La gloire, comme un beau fantôme^ M'apparut! son doigt immorlel Me montrait dans le noir royaume Une palme, un sceptre, un autel. J'adorai ses promesses vaines. Son feu s'alluma dans mes veines. Je crus l'affreux oubli vaincu... Et mon nom s'éteint sans mémoire , Et je mourrai sans que la gloire Ait raconté que j'ai vécu !

D'obscurs travaux de mon délire

Tiennent les élans enchatnés.

Et je ne dirai qu'à ma lyre

Mes vers à l'oubli destinés.

Telle, au fond d'un bois, Philoraéle

A ses petits» craintifs comme elle.

Enseigne de» airs ignorés ;

Ou tel un oranger sauvage

Laisse tomber sur le rivage

fleur blanche et ses fruits dorés.

Souvent, oh ! bien soayent encore Je Tois, du sein de mes ennuis. Un ange qu'un laurier décore Passer i l'horizon des nuits... Fuis» bel ange de poésie, Avec ta coupe d'ambroisie, Avec ton prisme radieux ; Fuis ! Ne regarde pas Tasile ma Jeunesse en pleurs s'exile Sans chanter même ses adieux !...

SONNET.

A Madame Molinos-Lafitte.

ÏT8if wwirs doit le sourire est une récompense Tersent dans notre nuit.comme un reflet divin, Donnant à l'âme chaste, i l'esprit noble et fin Les extases qu'Amour aux Jeunes cœurs dispense.

Point maux qu'au-delà leur faveur ne compense V C'est la musique sainte, écho du séraphin ; lia peinture, art des rois; la poésie enfin , Peinture qui se meut et musique qui pense.

TJne foule idolâtre implore leurs autels ; Mais chacune décerne à bien peu de mortels Du souflle inspirateur le céleste délire

'On accuse en cent lieux leurs refus inhumains , JMadame... et toutes trois viennent entre vos maiût Déposer la palette avec la double lyre.

•-J

B>1«6«

MA PENSEE.

Oh ! qai me rendra ma jeanene,^ Ma jeunesse de dix-hnit ans ! Qu'avec tous encor je renaisse^ Première saison, heureux tempt,

Tazur du ciel se reflète Au fleuve indolent de nos jours, Age la famille est complète. Age Ton aime pour toujours I

Auprès d'une mère et d'un père Quel malheur peut nous effrayer? On s'endort, on rêve, on espère... Une mort Tient nous réveiller.

Hélas ! i des lois infinies L'univers marche résigné ; Il est d'étranges harmonies, Tout a son poste désigné :

Aa printemps des chants et des Cétes^ Des zéphyrs à la jeune fleur, Au sombre Océan les tempêtes , Au cCBur de l'homme la douleur.

Heureux du moins (et je l'éprouve) Si dans la femme de son choix Celui qui perdit tout relrouvo Un écho de ces douces voix»

Un reesonvenir de ces Aïoefl,

Un reflet des regardi l^talns

Qui réchauffaient comme des flanuxiM/

Et comme elles se sont éteints !

»f9T<

SI JETAIS UN COMTE.

Que ne suis-je un comte ! Je n'aurais pas bonté. Je vous dirais sans détour Mon amour ; Et vos yeux, madame. Peut-être à ma flamme Daigneraient sourire un jour! Hais, hélas ! je ne suis qu'un ménestrel sans gloir«- Qui n'ai rien que des vers à jeter sur vos pas ; Et mon amour, plaintive histoire, Je n'en parlerai pas.

Si, sur la fougère, Vous étiez bergère, Je vous dirais : « Prends mes jours Pour toujours ! » Et vouspourriei dire : « Rien ne vaut, beau sire, Les chansons et les amours. > Mais non, je vois en vous grande et noble comtesse Qui ne trouvez que rose et laurier sur vos pas; Et mon amour, fleur de tristesse, Ke s'y montrera pas.

RÉPOnSE.

Ménestrel ou comte. Ne faut avoir honte : Chacun est servant d'amour Jk «on ionr. On peut bien, beau «ire, Aimer ou le dire Sans demander du retour. A.h ! bergère ou comtesse, enfla n'est-ce pas gloire Qu'entendre avens galants se presser sur nos pas? On est trop sjige pour y croire. Mais on ne s'en plaint pas.

i9S xi

JEUNE ALLEMANDE.

Nous ayioDs et PEIbe et le Tibre, Nous avions le Tage et l'Oder ; Et déjà notre aigle, au vol libre, Dans cette Europe manquait d'air. De si haut Taut-II qu'on descende ! Ges]ours de gloire étaient si doux .... Hélas ! hélas ! jeune Allemande, Ne resterez- vous pas chez nous ?

Ils ont encbatné sans courage

Le fier colosse impérial

Qui passait, comme un sombre orage,

Du Kremlin à FEscurial ;

Vingt rois ont crié : « Qu'il se rende !•.•

Il est mort, mais non à genoux...

Hélas f hélas ! jeune Allemande,

Ne resterez-vous pas chez nous ?

Chevaux et lion de Venise, Drapeaux, orgueil de nos lambris. Forte épée à Berlin conquise, Marbres grecs, ils ont tout repris : Et la Diane svelte et grande. Flore, Apollon, tous les dieux, tous !... Hélas ! hélas ! jeune Allemande, Ne resterez-vous pas chez nous ?

Mais, comme pour venger nos larmes. Tout ce qui mérite un suecés, Succès de génie ou de charmes , Nous arrive et se fait français. Lorsqu'avec sa magique offrande Nul ne manque au grand rendez-vous^ Hélas ! hélas I jeune Allemande, Nt resterez-vous pas chez dous?

199 «t

Eit-il Tral P Dantzick vous appelle f QaMI appelle!... N'écoulez rien. Paris est beau pour une belle f Et votre mère le sait bien. Oh ! si quelqu'un tous y demande Ce oui qui fera cent jaloux... Hélas ! hélas ! jeune Allemande» Ne resterez-vous pas chez nousP

SONNET.

A M. Alphonse lb Plaquais.

Paris, qu'eût envié 1t Rome des Césars, Des rayons de la France est le gouffre et le centre ; Tout gravite vers lui ; rien n'en sort qu'il n'y rentre ; li'or français lui bâtit et temples et bazars;

lia vie ailleurs n'a plus que stériles hasards ; Le lion du pouvoir dans Paris a son antre ; Et de Paris encor tout peintre ou divin chantre Date sa gloire, et prend son vol au ciel des arts.

Un poëte pourtant, cygne de Normandie, Dédaigne un joug pompeux que le reste mendie, El s'obstine à chanter Dieu posa son nid t

C'est toi, cher Le Elaguais ; et ma Joie étincelle Lorsque j'entends Paris, la voix universelle, Se faire écho pour toi, que ta ville bénit !

MO

CE QUE J'AIME, CE QUE J'ADORE.

Ce que j'aime, c'est l'avaluche, L'aigle qui joue avec Téclair; C'est la lune, veilleuse blanche Suspendue aux voûtes de l'air ; Ce que j'aime, c'est l'éphémère Qui nait et meurt dans un rayon , C'est la rose et le papillon... Ce que j'adore, c'est ma mère !

Ce que j'aime aussi, c'est Grenade, Aux lions de marbre, aux toits d'or; C'est Venise, veuve et malade^ Mais toujours |eune et belle enoor; Ce que j'aime, c'est l'onde amère Qui vient s'endormir mollemeot Au seuil de ses palais dormant... Ce quei'adero, c'est raa mère l

Ce que j'aime, c'esl la magie

Des pinceaux, dii chant et des veri;

C'est le grand lustre la bougie

Rayonne, soleil des hivera...

Ce que j'aime c'est la chimère,

Fée aux sympathiques miroira.

Qui court dans nos bals tous les 6oirf..i

Ce que j'adore, c'est ma mère^

LA NOCE D'ELMAMCE,

A M. Edouard Tvrqubtt.

« Beaa choTalier, au pays maure, m Voyage et combat pour la foi. « Tous les soirs, sous le sycomore, « Il s'assied en rÔTant à moi j « Et moi, les yeux sur son étoile, « Tous les soirs j'attends en ce lien, « de sa décroissante yoile « Me parvint le dernier adieu. »

C'est ainsi qa'Elmanee, la blonde. Chantait sur la tour des remparts. Li, naguère, aux bruits sourds de l'onde, OsYal lui dit : « J'aime, et je pari ! » Là, sous cette ogive qui penche, La vierge, en croyant refuser, Laissa fuir son écharpe blanche^ El pensa mourir d'un baiser.

Elmance allait chanter encore.

Mais sa mère alors la rejoint.

Sa mère, qui sans doute ignore

Que l'amour ne se guérit point :

« Cesse tes plaintes éternelles f

« Ton Osval là-bas a cherché

« Quelque amante, aux noires pruneU» ,,

« Ou flous les sables est couché.

« Écoute : George d'Êristole « Demande ton ccnur et ta main « Il a ma foi, j'ai sa parole ; « Tu seras sa femme demain. « Ciel! s'écrie Elmance em-ayée, « Quelle image osez-vous m'offrir ! « Osval ne m'a point oubliée... « Et s'il .941 mort, je Veux mourir. »

¥» 902 d

George, baron Tarouche et sombre. Au pied de la tour vient s'asseoir t Debout, deyant lui, comme une ombre, Elmance apparaît vers le soir. Il s'émeut ; une joie étrange Brille sur son front menaçant ; Mais elle, de la TOix d'un ange. Lui dit ces mots en rougissant :

« J'aime Osval ; la fée Armanline « M'a promise au beau chevalier ; « A son départ en Palestine, «< J'ai pleuré sur son bouclier ; « Osval! il a baisé ma bouche « ( Trop faible amante que |e fui ! ) «I Lui seul doit visiter la couche « D'où sont bannis tous les refus.

« Mais, si mes plaintes étouffées

u Ne me rendent pas mon Osval,

« Tu connais le pouvoir des fées :

«c Malheur, malheur i son rivai !

« Qu'il tremble 1 au moment l'infâme

m Croirait triompher de ma foi,

« Il n'aurait qu'un spectre pour remnie.i.

« A présent, George, épouse-moi \ »

Elle dit, et dans les ténèbres Fuit et précipite ses pas En murmurant des mots funèbres, Que George écoute et n'entend pai» Mais est-il un frein légitime Pour cet impie au cœur de ferP Il rit des pleurs de sa victime Et des menaces de l'enfer.

Déjà la gothique chapelle

S'orne de feaiUage et de Oeura,

£t la cloche Joyeuse appelle

L'époux aombre et, l'épouse en pleura.

Vingt pages, en grande toilette,

Yont cherchant Elmance... Un d'entre eux

La trouve enfin près d'un squelette.

Lisant dans des livres hébreux.

On l'entraîne... Triste et parée, La victime est devant l'autel. La foule, en deux rangs séparée, S'amuse i son chagrin mortel. Vers son épouse inrortunée George se tourne en souriant... Déjà la couronne fanée Ne couvrait qu'un spectre effrayant»

La cérémonie e^t troublée; Le prêtre se tait,répoux fuit... Voilà qu'à travers l'assemblée Le fantôme ardent le poursuit.' Il le poursuit pendant une heure Parmi les grands bois d'alentour, El le ramène à sa demeure. Et monte avec lui dans la tour.

Depuis, quand l'horloge prochain» Lentement a sonné minuit. Une morte traînant sa chaîne, Du cercueil s'échappe à grand bruil» Au lit du veuf elle prend place. Froide, à côté de lui s'étend. Et par un sourire de glace Réclame un hymen réf oltanl.

Il crie, et se signe, et récite Mille oraisons... V«ins taUsminst Le spectre s'acharne, et l'excite Par d'horribles embrassementi ; Et, pour un instant, sMI succombe Au poids d'un sommeil plein d'eflhii, Une Toix qui sort de la tombe Soudain lui crie : « Epouse-moi I »

PARTONS.

Partons, partons ! C'est l'heure les songes du soir yont descendre sur nous j

la nacelle effleure Des bords plus embaumés au sein des flots plus doux. Kh 1 quel charmant rivage ! Quel frais ombrage ! Oui, la plus sage Verra finir d'un ail jaloaz Le voyage.

Chantons, chantons dans l'ombre ; Sous le saule, en passant, chantons de ces ?ieux arrs

Que sur leur bateau sombre Chantent les gondoliers aux longs échos des mers, Quand sous sa mante grise Fendant la brise, £a Tierge éprise A fai les grands palais déserts De Venise.

Aimons, ataions encore Le temps fuit comme l'onde : aiOMms vite aujourd'hui

Trop tôt viendra l'aurore. A demain les grandeurs et la ville et l'ennui : Aimons !... Amour désole Jeunesse folle; Hais s'il s'envole, O belles , rien jamais de lui He console !

20B «a

L.A COLOMBE DU CHEVALIER

A M. Ferdinand Denis.

C'était aux anciens jours de France, Quand les dames faisaient la loi, Lorsqu'on aimait sans espérance, Et qu'aimé, l'on gardait sa foi. Un romancier du temps raconte. Que sur les rives de l'Adour, Echappée aux bois d'Amathonte, Apparut colombe d'amour.

On l'appelait EsptAf'des^Belles ; Messagère des feux discrets , Les amants à ses blanches ailes Confiaient leurs plus doux secrets. Son cri joyeux annonçait l'heure Du berger et du troubadour. Et vers la propice demeure Son Tol léger guidait l'amour.

Hais des amants de la contrée Ceux que sa faveur préférait, C'étaient la jeune Pbœdorée, Et Raymond, seigneur banneret ; Raymond, d'un nombreux vasselage Fier comme le roi dans sa cour , Pbœdorée, enfant du village, Mais riche de grâce et d'amour.

Tous les soirs, quand de sa lumière La lune argeniait le coteau, Raymond pour la douce chaumière Quittait les pompes du cbâléaU ; Et, quand l'étoile matinale Brillait au céleste séjour , C'est toi, colombe virginale. Qui venais l'apprendre à l'amour.

17

^ 906 ««

Voilà que mille archers d'Espagne» Cinq cents cavaliers Navarrois Désolent au loin la campagne ; Car la guerre amusait deux rois. Toutes les filles sont en larmes ; La colombe a peur du 'vautour. Donc, Raymond vole avec ses armes Au dernier rendez-vous d'amour.

Les hauts barons ont pris la lance

Et la devise et les couleurs ;

Sur les blancs coursiers on s'élance ;

Le sang va succéder aux pleurs.

Aux longs baisers Raymond s'arrache;

Parlant de Tête et de retour ,

Il s'éloigne ; et sur son panache

Voltige colombe d'amour..

Ils allaient, voyageurs fidèles. Et, quand il fallait sommeiller, La colombe ployait ses ailes Dans le casque du chevalier. Lui rêvait et ne dormait guère ; Mais, quand la bataille eut son leur. Il devint un foudre de guerre Celui qui ne rêvait qu'amour.

u Ma colombe, vers Phœdorée « Vole, vole, dit le guerrier, « Et porte i la vierge éplorée u Rameaux de myrte et de laurier. Et chaque soir son aile blanche, S'abattant sur la vieille tour. Laissait tomber la double branche. Gage de victoire et d'amour.

907 «9

Un Jour, tout le ciel était lombre. Le printemps semblait défleuri ; Ce Jour-Iiy le front chargé d'ombre. L'aurore n'ayait point souri. Le soir tombait, des voix Tunèbres S'élevaient des bois d'alentour ; Et seule, attentive aux ténèbres, Phœdorée invoquait Tamour :

« Oh ! qui viendra, quand je succombe»

« Me parler de mon bien-aimé ?

« A quels zéphyrs, douce colombe,

« Livres-tu ton vol parfumé P

«( L'horizon fuit, se décolore,

« L'etpoir s'éteint comme le jour ;

« Et tu ne parais pas encore

« Avecle message d'amour I »

Elle vint. Plus de toi folàbrei Elle approchait en gémissant; On avait sous son col d'albâtre , Tracé des mots avec du sang. Elle étendit son aile blanche, Mais au pied de la vieille tour Ne tomba point la double branche. Gage de victoire et d'amour.

Le lendemain , sur la bruyère Un monument fut élevé. Le nom de Raymond sur la pierre, Hélas ! ne fut pas seul gravé. Le pèlerin qui voit la tombe Pleure encore, en passant l'Adoar» Et le guerrier et la colombe Et la vierge, morte d'amour.

L'HSlRIknTE

DES QUATRE CHÊNES.

A M. Pxoi. Lacroix.

Quatre chênes, dans la forêt,

Se sont mêlés comme un seul arbre,

par une fente apparaît

Un homme... Est-ce un homme? est-ce un marbre^

Il souffre là, coupable ou non,

Tout ployé sous de lourdes chaînes ;

Son âge est trois cents ans ; son nom

Est THermite des quatre chênes.

Les chenilles, les moucherons Et les fourmis lui font la guerre -, Et quelques pauvres bûcherons Lui donnent à manger, mais guère. Et pourtant il languit, dit-on. Autrefois en plus douces chaînes... Priez, amoureux du canton. Pour rHermite des quatre chênes !

C'était un beau psige de cour ; Il aima trois filles de reine, Oui, trois... elles pria d'amour Avec une voix de sirène .* Elles aimaient les belles voix, Et, trompant leurs royales chaînes, Te suivirent toutes trois, Bon Hermite des quatre chênes.

Ce qu'il en advint, on ne sait... Mais une fée, absurde vieille , Qui sur sa licorne passait , Oyant du bruit, prêta l'oreille ; « Mes filleules ! Jésus, bon Dieu ! «< Les trois!... On rivera vos chaînes ; » Et toi, pour calmer ton beau feu, M Sois rHermite dés quatre chênes.

209«|

« Cloué comme au creux d'un rocher, « Là, tu vivras mille ans par force, « Sans que rien puisse t'arracher « Aux nœuds redoublés de Pécorce... « A moins que deux voix et qu'un luth « Ne fassent tomber clous et chaînes « Mieux qu'Orphée aux enfers... Salut « A THermite des quatre chênes !

« Mais, dit la vieille en ricanant,

M II faut des voix comme la tienne ;

« Sans quoi, bernique !... Et maintenant

« Dieu te garde une mort chrétienne ! »

C'était joindre l'insulte au mal.

Il va donc croupir dans ses chaînes !

trouver un chanteur rival

De l'Hermite des quatre chênes ?

Las ! hélas ! par un chant divin

(Car il a gardé sa richesse)

Il supplie, il supplie en vain

Bergère qui passe ou duchesse

« Pour avoir aimé... d'amitié,

« On me fait mourir dans les chaînes ;

« Un tout petit air, par pitié,

« A l'Hermite des quatre chênes ! »

Le voyant souffrir à ce point. Quelquefois duchesse ou bergère A chanté ; mais leur voix n'est point Assez suave, assez légère ; Avec lui duo ni trio Ne peut s'arranger... Et les chaînes S'alourdissent comme un fléau Sur l'Hermite des quatre chênes.

t»ilO ^

BNVOI.

Seriez-vous tes angei... méchants, Cécile, Julia, Gélesle ? De votre harpe et de vos chants Rompez enfin l'exil funeste; Chantez ; les oiseaux sont témoins , Les voix du ciel brisent les chaînes; Chantez, sinon poar nous , du moins Pour THermite des quatre chênes !

OLIVIER.

A M. Louis Belmontkt*

La France attend sa dernière heure« La mort sur sa gloire a passé : Seul, Olivier vers sa demeure. Le soir, revient triste et blessé. Cachant son armure éclatante Et ses larmes sous son manteau, Pour la nuit il dresse sa tente Tout près des murs de son château i

« Oserai-je suspendre encore

« Ma bannière â la vieille leur ?

« Oserai>je aitx lèvres d'Isauro

« Ravir le baiser du retour ?

« Que répondrai-je à mon vieux père,

« Qui viendra dans mes bras tremblants

* Chercher le laurier qu'il espère,

« Pour rajeunir sm cheveux blancs ?

» 211 ^

« Et pourtant parmi lea alarmes « J'ai combattu trois jours entiers, « Et pourtant sous mes jeunes armes « Se sont courbés de vieux guerriers.... « Aux caprices de la tictoire « Il Tant accoutumer son cœur. Les deslins changent ; et la gloire « N'est pas toujours pour le vainqueur,

i( Mais quoi ! d'un belliqueux murmure é Mon coursier fidèle a frémi, c Et mon cœur bat sous mon armure « Comme s'il chargeait l'ennemi ! •< La fortune, un moment légère, « Nous ramènera les succès ; « Et jamais la palme étrangère « N'a grandi sur le sol français ! »

VOTRE FETE.

PLAINTE d'un absent.

Aujourd'hui, noble châtelaine , Pour en décorer vos lambris. On a de leurs trésors fleuris Dépouillé les bois et la plaine. Mais si, par hasard, dans un coin, Quelque fleur chagrine et pâlie Frappe vos yeux, que nul n'oublie...

Pensez à moi qui suis bien loin !

Anjourd'hui, quand descendra l'ombre,

De magiques feux colorés

Avec les flambeaux élhérés

Vont lutter d'éclat et de nombre.—

Mais, des plaisirs morne témoin,

Au fond du ciel si quelque étoile

D'un nuage de deuil se voile...

Pensez i moi qui suis bien loin !

^ 212 ^

Aujourd'hui, le luth du. trouvère Ose exhaler i vos genoux Ses rerrains, dont Taccent trop doux Fait sourire la plut séyère. Mais si, d'échos ayant besoin. Quelque voix, dans l'air fugitive, Mâle aux chants sa note plaintive,

Pensez à moi qui suis bien loin !

LES CHANTEURS ITALIENS.

A M. Paul Joillbrat.

Cest la Toscane et la Sicile vivre est doux, vivre est facile ; Là, chants divins, amour docile. Soleil, beauté,

Et liberté ! j

Sœur d'Athène, antique Italie, Par le temps encore embellie, Tes fils aiment avec folie Ton sol de feu El ton ciel bleu.

Tu pardonnes Aux plaisirs ingénus;

Tes madones Ont les traits de^Vénus*

C'est la Toscane, etc., etc., etc.,

Terre des fleurs fit des oranges, Terre des amours et des anges, Des Dantes et des Michel-Anges^,

s'embrAsa

Gimarosa!

> ils «

O princesse, Ta maia tombe au hasard, Et sans cesse Prend le sceptre d'un art.

C'est la Toscane, etc., etc.

Quand vers le nord, chez ies barbares» De soleil et d'amour avares, Noua allons avec nos guitares,

Ah ! c'est toujours

Pour peu de jours

Tout nous gêne, Leurs plaisirs, leurs ennuis !...

Naple et Gfine, sont vos belles auits P.. .

C'est la Toscane^ etc., etc.

Hais l'étranger, ma souveraine, Étouffe ta voix de syrène... Relève-toi 1 fais voir la reine

Des Yaticans

Et des volcans !

Vienne l'heure Du réveil éclatant! Que je meure Combattant et chanUot :

C'est la Toscane et la Sicile

OU vivre est doux, vivre est facile;

Là, chants divins, amour docile,

Soleil, beauté.

Et liberté ! (*)

(*) Cette pièce et quelques autres ont été mises en musique par Mme Pauline Duchambge, qui en a fait desotefjfsd'çeuvre d'exprès* bion et de mélodie, selon son habitude.

M

LA CHASSE ENCHANTEE

Danf un noir Talion la Creufe Détourne ses flols écumants Emma, jusqu'à quinze ans heureuse, Cachait sa Tîe et ses tourments. Là, sur le tombeau de sa mère Elle soignait de tristes fleurs, Parure fragile, éphémère, Mais qui re?i?aitsous ses pleurs.

Un jour, l'écho de la vallée Renvoie un bruit lointain de cor : A ce bruit la belle isolée Cherche un abri plus sombre encor. C'était une biche tremblante Fuyant le chasseur matinal. Hélas ! dans sa fuite brûlante Elle emporte le trait fatal.

« Pauvre biche, dit la bergère,

« Comme te voilà toute en san^ I »

Et déjà, d'une main légère.

Elle presse et lave son flanc.

« Quel monstre t'a si fort blessée,

« Toi, des bois l'orgueil et l'amour.^.,. »

▲h ! ce monstre, jeune insensée,

Pourrait te blesser à ton tour !

Or voici, palpitant de joie.

Le chasseur qui court à grands pas :

Des yeux il dévore sa proie ;

Et son àrc ne pardonne pas.

Déjà la mort est préparée.

Le trait va s'échapper... « Méchant,

« Méchant ! » dit la vierge éplorée,

&0US ses longs cheveux se cachant.

« Va, la liberlé t'est rendae, « Blonde biche, dit le chasseur ; <c Mais la mienne, Je Tai perdue 1... Sera-ce amertume ou douceur P «( Et toi... Les autres, que sont-elles? « Dis -moi, de grâce, si je vois « La plus charmante des mortelles « .Ou la déesse de ces bois ! »

« Je ne suis qu'une pauvre flile

« Qui n'ai plus, hélas! qu'à souffrir.

« Ma mère... son âme au ciel brille,

« Et pour la voir je veux mourir.»

« Non, tu ne mourras point, bel aoge!

Il Tait un signe, et la forêt

S'anime d'un murmure étrange,

El toute uni9 cour apparaît.

Nobles écuyers et beaux pages, Sur un geste de leur seigneur. Venaient en galants équipages. Et le front nu, lui rendre honneur, «c Vous voyez cette pastourelle, M Dit-il, humble fleur du coteau .- K Que tous les saluts soient pour elle, « Car c'est la dame du château. >

Et de ce nom chacun l'appelle... Emma rêvait... Le lendemain, Sire Enguerrand^ dans la chapelle, Mit un anneau d'or â sa main. Grands festins â la cour ravie Ne cessèrent durant vingt jours... Dieu seul, qui mesure la vie. Sait quand finiront leurs amours.

r\

» 916 «»

EIÏVOI.

Acceplez-Ia cette romance Bien indigne de tant d'honneur, Qui dans la tristesse commence Et va finir dans le bonheur. Puissiez-vous sentir, à l'entendre, Quelque trouble, non sans appas. Et vous embellir d'un cœur tendre, Seul charme que vous n'ayez pas 1

UNE SCÈNE DES APENTSINS.

A M. G. DU TlLLBT.

. Et cependant cet homme

était bon, mais il fut

trahi par elle et alors!..-

Amis, en endbuscade Au bas de l'Apennin. Et moi... La sérénade Sur le bord du chemin. Malheur à qui s'arrête Pour écouter ma voix... Son argent et sa tête ! C'est cher... pour une fois.

' ( Il chante : )

« Sous un balcon de Véronne, « lia nuit, j'avais les pieds froids... « Ces nuits là, sous leur couronne, « J'avais grand'pitié des rois! »

.^ Quoi ! pas un voiturin... Pas même un pèlerin !...

•( Il chante : )

tl7 m

m J'étais pauvre et sans maîtresse

« Quand ]e vis Térésia :

« Elle plaignit ma détresse,

« Un seul regard nous lia.

« Ses parents, an cœur avare,

« Nous suivaient comme un fléau;

u Mais est-il rien qui sépare

« Juliette et Roméo !

« Sous un balcon de Yéronne ,

«c La nuit, J'avais les pieds froids...

'< Ces nuits-là, sous leur couronne,

J'avais grand'pilié des rois ! »

Chut ! chut ! n'entends-je pas ?..• Oui, la poste, bas ! Cli chante.)

« Un jour, toute blanche, aux Carroes, .

« J'aperçus Térésia :

<f Elle versa bien... troia larmes,

«< Puis, elle se maria !

« Voilà donc ce qu'on y gagne,

te Dis-je alors en me cachant!...

« Je m'enfuis dans la montagne,

« Et je devins trés-méchant.

«c Sous un balcon de Véronnc, «c La nuit, j'avais les pieds froids... « Ces nuits-là, sous leur couronne, « J'avais grand'pitié des rois ! »

^Un beau landau, parbleu!... Halte-là !— Bravi,feu!

Pan, pan ! et qu'on soit preste ! Hommes, femmes, c'est bien ! Par saint Pierre, il ne reste Ni personne, ni ritn. Voyez : l'aubaioe est forte !... Mais que voiS'je à mon tour!... Ciel !... Térésia, morte!... Allons !... vive l'amour !!!

is

LA NOCE DE LEONOR.

A M. Gaspard db Pons.

LE SPECTEE.

Allons, flambez, torches fatales! Bruyants démons, peaplez les salles ! Grincez, frappez, aigres cymbales ! Mugissez tous, clairons de fer ! Sombre galop, ruez -tous dans la fête; Plus fort, plus fort!... Et comme la tempête! Il est minuit : sans qu'on s'arrête, Jusqu'au matin le bal d'enfer !

Vois, je suis Mendoce... Ne tremble pas ainsi.

C'est ta nuit de noce : C'est donc la mienne aussi I

Tournons et bondissons!... N'es-tu pas bien heureuse, Ma Léonor, si prés de moi ?

LA HARIÉE.

Gomment! toi ! loi. mon!... Mendocel... Nuit affreuse !. Cette voix funèbre !... Tais-loi !

LE SPECTRE.

Jamais !

Allons, flambez, torches fatales !

Bruyants démons peuplez les salles !

Grincez, frappez, aigres cymbales !

Mugissez tous, clairons de fer! Sombre galop, ruez-Tous dans la fête!... Plus fort, plus fort!... Et, comme la tempête!

Il est minuit : sans qu'on s'arrête,

Jusqu'au matin le bal d'enfer 1

fi» SI9 «3

Tu m*as dit : « Je l'aime, La mort n'y fera rien. »

J'en fis vœu de môme ; Je viens prendre mon bien.

Tournons et bondissons !,.. Prends mon anneau, chère ange ! Et qu'un baiser m'unisse i loi !...

LA MAMÉE.

Ton bras me glace... Dieu ! ma raison se dérange î Mon cœur se brise... Ah î lâche -moi !

LE SPECTRE.

Jamais .'

AllonSy flambez, torches fatales !

Bruyants démons, peuplez les salles !

Grincez, frappez, aigres cymbales!

Mugissez tous, clairons de fer ! Sombre galop, ruez-vous dans la fêtei Plus fort, plus fort !... £i comme la tempèie!

Il est minuit .- sans qu'on s'arrête,

Jusqu'au matin le bal d'enfer !-

Quel est-il ce comte Qu'ils disent ton mari ?

Dis-leur donc sans honte : Mendoce esi mon chéri.

Tournons et bondissons! la lune nous invile...

Viens dans les champs, suia ton époui I

LA MARIÉE.

Je n'y vois plus !... je meurs !... Ciel !... vai-tu li vile? Quand donc nous arrêterons-nous?

LE SPECTRE. Jamais !

Dthors, dehors ! torches fatales !

Bruyants démons, quittez les salles !

Grinçant toujours, suivez, cymbales !

Et TOUS aussi , clairons de fer ! Roule, galop! roule, folle tempête!... J'entends le coq !... Allons, sans qu'on s'arrête

Allons ! C'est là-bas notre fête.

Là-bas, les noces de l'enfer !.'!

DON FËRNAND.

... Ce jour-là, dans l'église Saint- Jean, à Malte, on procédait à la réception d*un noureau chevalier.

Jules de Rssséguibr. Almaria»

Je suis d'un nom que la Gastille exalte ; Gomme le roi j'avais toute une cour ; Quand je passais, les Seigneurs faisaient halte... Madrid s'apprête à fêter mon retour... Mais Dieu le veut, et je m'exile à Malte. Que fait la gloire à qui n'a plus l'amour !

Cloîtres saints et guerriers, C'est en vous que j'espère. Oh ! cachez-moi, mon père. Parmi vos chevaliers !

Déjà la barque, à nos rives offerte, Me ramenait mon bel ange mortel... Almaria !... La vague s'est ouverte Pour t'engloutir sous un voile éternel!... L'Espagne est morte et la terre est déserte... Ton Ame attend sur le chemin du ciel...

> 2âl «S

Rochers hospitaliers, C'est en vous que j'espère. Oh ! gardez-moi, mon père, Parmi vos chevaliers !

Dans tous mes sens la tempête s'élève Gomme l'orage périt mon trésor ; Ma vie, hélas ! n'est plus qu'un sombre rêve. ton regard me jette un rayon d'or. Avec la croix, ah ! j'ai besoin du glaive : Dieu contre toi serait trop Taible encor.

O combats meurtriers. C'est en vous que j'espère... La mort, la mort, mon père. Parmi vos chevaliers !

L'ETRANGERE.

Oh ! j'ai rêvé d'nne étrangère

Plus douce qu'un enfant qui dort.

Puis soudain rieuse et légère

Comme la fée aux cheveux d'or.

C'était, parmi les filles d'Eve,

Une blonde sœur d'Ariel,

Qui venait nous parler du ciel...

Je vous vois : ce n'est plus un rêve

Ob ! j'ai rêvé que ce bel ange Passait, chantant dans nos chemins ; £t moi, saisi d'an charme étrange. De loin je lui tendais les mains. Et, comme le flot qui s'élève. Je sentais mon cœur se gonfler, Et ma vie en pleurs s'en aller... •— Regardez : ce n'est plus un rêve !

Oh ! j'ai rèTé ( car dans ce monde

J'ai tant de bonheur en rârant !)

Que, voyant ma peine profonde»

Vint à moi la divine enfant ;

Et qu'alori (faut-il que j'achëTe?),

Tremblante, elle me dit tout bas :

« Heurs- tu d'amour? Oh ! ne meurs pas... >•

—Las ! hélas ! ce n'était qu'un réTe L

BEPPA.

Ainsi qu'une enfant Termeille Dans sa riante corbeille, Naples s'endort et s'éveille Nous chantant que tout est bien ! O ma reine, ainsi tous faites ; Et moi, je meurs dans vos fêtes... Beppa, du tréne od vous êtes,. N'en saurez-vous Jamais rien ?

Si, ponr étourdir ma peine, A San-Carlo je me tratne, Les jeux, l'éclat de la scène , O Beppa, je n'en vois rien. Mais, dans cette loge i frange. Vos bras dorés, vos traits d'ange, Les doux regards qu'on échange, Hélas! je les vois trop bien!

Pour vous rencontrer peut-être Lorsqu'au saint lieu je pénètre. Les chants de l'orgue et du prêtre, O Beppa, je n'entends rien ; Mais votre mante qui passe. Vos pleurs secrets sous la châsse. Votre prière à voix basse. Oh .' je les entends trop bicnl

Jt>323 «3

Et Youf êtes la madone

Pour tous les pauvres si bonne;

D'autres que vous font raumôDe,

Nulle ne la fait si bien.

O Beppa, de tous bénie,

Je souffre, hélas ! Je mendie...

Quoi ! pour me rendre la vie

Me me donnerez- vous rien ?

NELLA.

Qu'elle chante sous la brise, Qu'elle pleure dans l'église, C'est la perle de Venise, Blanche et fine... Yoyei-Ia . . C'est la rose sans rivale, La colombe virginale, C'est l'étoile matinale; Mieux encore, c'est NellaJ Dans mon cœur J'ai son image. Sur ses pas est mon hommage.. . Elle est pauvre; c'est dommage; Mais Je l'aime : tout est !

I

Des madones d'Italie

Quand on est la plus Jolie,

I^oac les anges c'est folie

De garder ces trésors-là.

Vois mes bals, mes sérénades,

Ma devise des croiudes,

Mes sequins et mes crusades,

Mou palais et ma villa I...

~ « Non, seigneur, non... J'aime un page.

Qui me Jure mariage.

S'il est pauvre, c'est dommage :

Mais Je l'aime tout est ! »

>2M«

NIZZA.

Niiza, Je puis sans peine. Dans les beautés de Gène, Trouver plus douce reine;

Mais Plus beaux yeui, jamais ! Tu peux trouver sans peine Plus haut seigneur dans Gène Pour te nommer sa reine ;

Mais Plus d'amour, jamais !

Tu peux avec tes charmes Remplir mon eomir d'alarmes Et le noyer de larmes, Mais

Le changer, jamais ! Je puis, mourant d'alarmes, Les yeux brûlés de larmes, Maudire un jour tes charmes; Mais

T'oublier , jamais \

LA NUIT DE JEANNE.

Minuit frappait à la grande pendule.

Et la grand'mère avait les yeux fermés ^

Mais l'ombre est chère au cœur tendre et crédule..

Et vous veillez, Jeanne, car vous aimei !

Vos longs regards, perdus dans une étoile, Y vont chercher des regards enflammés... Mais quoi ! déjà le bel astre se voile : Jeanne, aime-t-il celui que vous ainez ?

^ 325 4i

Les chants d'un cor ont percé la nuit sombre ; Un doux frisson court dans vos sens charmés... Mais quoi ! U-bas les chiens hurlent dans Tombre!. Jeanne, vient-il celui que vous aimez P

Et puis, soudain s'arrête la pendule, Les deux flambeaux s'éteignent consumés... Tout est présage au cœur tendre et crédule : Jeanne, est-il mort celui que vous aimez?

LE MESSAGE.

La nuit d'hiver étend ses voiles ; Au ciel neigeux quelques étoiles

A peine ont lui. Tiens, 6 ma colombe fidèle. Cache ce billet sous ton aile, Car c'est pour lui... Ah ! qu'il fait noir sous les bois de Saint-Gu}"

Vole, vole vers sa demeure ! Pourquoi laisse-t-il passer l'heore,

L'heure d'amour ? La vieille Hélène est endormie : Il m'appelerait son amie

Jusquesau jour!... Ah ! qu'il fait noir sur l'étang de la tour .

Comme un flambeau, blanche colombe, A travers le givre qui tombe

Guide ses pas \ Chante de loin s'il vient... s'il m'aime!*.. Et ne reviens jamais toi-même S'il ne vient pas... Ah ! qu'il fait noir dans les ravins là- bas !

S> 3S6 <

KITTY-BELL.

GhAre lune, bonsoir . Ne te cache pas, Je te prie ! Qu'à tes rayons Je puisse voir L'ami dont je suis tant chérie.

Voici l'heure, c'est lui I C'est lui qui passe, grave et sombre ; Mais ses yeux sur ma vitre ont lui. Pareils i deux flammes dans l'ombre !

C'est ainsi tous les jours! C'est ainsi que je sais qu'il m'aime. Pas un seul mot de nos amours... Le roman s'achève en nous-mênie.

« Kitly-Bell f Kitly-Bell ! » Le poëte, en pleurant, me nomme.. Est-ce un adieu que cet appel ? Reviens, reviens, pauvre jeune homme

Chère lune, bonsoir! Ne te cache pas, je te prie ! Hélas ( hélas ! dois-je encor foir L'ami dont je luii tant chérie?...

^ 117 «

TOBIE.

K M. Ludovic Odtot, auteur du poëme de Tobie,

« . . * Et le Tieux Tobie bénit le Seigneur M de ce quMI lui avait rendu les yeux, et 0 « ne pouvait se lasser de regarder sou fils «( Tobie, et Sara , sa compagne, et l*ango « qui les amenait. » (Samte^Bible, )

I.

C'est toi, mon fils, car J'entends bien ta voix... Que ton absence eut de Jours et d'alarmes ! Ton père aveugle a des yeux pour les larmes, Larmes d'angoisse et d'ivresse à la fois !

Ob ! parle encor ! Quand je t'écoute.

Il me semble que je te vol. Mais tout est noir... Mon Tobie est sans doute Plus beau qu'un ange, et ce n'est pas pour moi !

Hélas! quel baume d'Arabie, Quel mage me rendra mes yeux

Pour voir les cieux

Et mon Tobie!

IL

L'ange de Dieu, qui te ramène au port. Ne peut-il point d'une céleste flamme Percer la nuit s'engloutit mon Ame P Car, voir c'est vivre ; un aveugle est un mort.

Mais... les doigts touchent ma paupière.

Qui s'ouvre au feu de ton amour... Mon fils ! je vois ! je vois !... C'est la lumière *.•• Tu m'as rendu la vie avec le jour I

Ma longue épreuve est donc subie ! Oh ! double trésor de mes yeux !

Je vois les cieux

Ei moii Tobie I

»

«

S> 238 «t

III.

Oui, te voilà !... Que je t'admire encor !

Et l'ange aussi qui sur nous prie et veille ;

EU cette autre ange, enfant toute pareille

A Rébecca près du puits de Nachor ! Viens, Sara, fleur de la famille, Sur mon sein tremblant de bonheur !

Merci, mon fils, je n'avais pas de fille !

Chantons tous trois un cantique au Seigneur \

Seigneur du juste et de l'impie, Seigneur, tu peux fermer mes yeux :

J'ai vu les cieux

Et mon Tobie !

SAINTE CATHERINE.

A Mademoiselle Anna Géré.

Ècolières gentilles. Dont la grâce fleurit à l'ombre des couvents.

Pour les chastes quadrilles Jetez la robe brune et les livres savants ;

Car, du haut de son trône, Qu'au travers du martyre elle a conquis Jadis,

Votre douce patronne Vous obtient, pour sa fête, un jour de paradis.

Mais, dans ce jour riant de vacance lutine, Ayez mémoire encor de sainte Catherine ; Et dites : Nous aussi , plutôt que de pécher, Bien jeunes pour la morl, nous irions la chercher.

Or, des chrétiens captifs sur la côte africaine. Qui labouraient le sol sous les fouets sarrasins. Heurtèrent dans le sable une tombe romaine. Ce qu'elle contenait, leurs dix bras, à grand'peine L'allèrent déposer sous trois palmiers voisins.

Et de la mort l'un d'eux ayant ouvert les langei ; « Gardons que ce dépôt, dit-il, ne soit trahi! » Et tous cachaient le corps, lorsqu'une troupe d'anges Descendit, de la sainte entonnant les louanges, Et l'emporta bien loin yers le mont SinaT.

s'élevaient les murs d'un trés' vieux monastère, les oiseaux divins s'abattirent, le soir. L'Evoque reçut d'eux ce beau corps que la terre Respecta cinq cents ans; et, dans un saint mystère, Le parfuma trois fois au feu de l'encensoir.

Puis il balsa le bout des ailes angéliquet, Qui balayaient le marbre en glissant sous la nef; Puis la cloche éveilla les frères catholiques, Qui tous, de Catherine adorant les reliques* Répondirent Amen aux oraisons du chef :

« Sainte Catherine, la vierge. Qui résistâtes seule au second Maximin, Reléguant dans sa pourpre un empereur romain Afin de mourir pure et chaste sous la serge ;

Tendez-nous du ciel voire main !

« Sainte Catherine, savante, Qui, dans Alexandrie, et du sang de ses rois. Aux rhéteurs de l'école enseignâtes la croix, Tant TOUS étiez de Dieu la parole vivante ;

Frétez-nous là-haut votre voix !

« Sainte Catherine, martyre. Qui, sur la roue infâme, au plus fort des tourmenta, Confessâtes Jésus et ses commandements, l^riant pour vos bourreaux au lieu de les maudire ;

Priez pour nous à tous moments !

« Sainte Catherine, l'étoile

5U plus blanche qui soit dans le septième ciel,

Splendeur, flamme invisible à l'œil matériel,

De votre éclat brûlant, oh ! dépouillez le voile,

Pour sourire fur voire autel ! »

J9

Comme rÉvèque-Abbé cessait la litanie,

III placèrent la sainte en une châsse d'or.

Et, pour glorifier sa mémoire bénie,

Lui Yotèrenl la fête et la cérémonie

Que dans tous les clochers on 'carilioune eneor.

Quand, le ciel nous aidant, il nous reprend l'enTie De juger Catherine aux actes de sa vie, Ce qui frappe surtout, et surtout lui valut, Son martyre excepté, la palme du salut :

C'est rineffabie accord, ^harmonique alliance De tant de modestie et de tant de science ; Comme si le cœur simple et doux de Jésus-Christ Se mariait en elle au feu du Saint-Esprit.

Elle savait qu'il faut que toutes les lumières Remontent vers le ciel à leurs sources premières. Que la science humaine elle seule est bien peu^ Et que c'est tout savoir que de connaître Dieu.

De Tient qu'elle fut pour TÉglise fidèle Des enfants de son sexe et patronne et modèle^ Et que la docte sainte, en ses divins loisirs. Ainsi que leurs travaux ordonne leurs plaisirs.

Écolières gentilles Dont la grftce fleurit à Tombre des couvents.

Pour les chastes [quadrilles Jetez la robe brune et les livres savants ;

Car, du haut de son trône. Qu'au travers du martyre elle a conquis jadis,

Votre douce patronne yous obtient, pour sa fête, un jour de paradif î

> 931 <

POUR LA PREMIERE COMMUNION.

A Mauehoisellb Léorib Daclim. CHGEUR.

Allons yen le Seignear, ô mes jeunes compagnes ! Déjà brille à nos yeux Taube du jour sans fin- Comme au soleil terrestre une fleur des montagnes» Notre âme, en s'éleTsnt, s'ouvre au soleil diTio.

I.

Ici^ mes sœurs, toutes petites, On nous présenta sur l'autel, Tendres lys, sous les eaux bénites, Marqués pour les jardins du ciel. Aujourd'hui, dans notre sein même. Brûlant d'espoir et de ferveur, Nous venons, pour second baptême> Recevoir le sang du Sauveur.

CHOEUR.

<

Allons vers le Seigneur, etc., etc.

ir.

Nos mères, dont l'amour éclate. Nous guident vers le roi des rois. Plaignant celle qui, sous Pilate, Suivit son fils jusqu'à la croix. Nos premiers cris, nos corps si frèlei Furent bercés sur leurs genoux : Prions, mes soeurs, prions pour elles... Elles ont tant prié pour nous.'

CBOEUB.

Allons vers le Seigneur, eic, etc.

m.

Et toi, le plas aimé d«s anges. Qui dans nos berceaux nous déCmds, Sous nos Toiles, comrae en nos langes, Garde et rassure tes enfants ; Et, vers le monde qui s'apprête. Quand notre aile prendra Tessor, Autour de nos robes de Tète Promets-noui de Teilier encori

CHCEVR.

Allons vers le Seigneur, 6 mes jeunes compagnes ! Déjà brille à nos yeux Taube du jour sans fin ; Gomme au soleil terrestre une fleur des montagnes. Notre âme, en s'élevant, s'ouvre au soleil divin.

SONNET.

r

Au FRINCE EliM MeTTSCHERBU.

Cher Français de Moscou, blond Scalde, dotti le luth Assouplit à nos vers ses eordes boréales ; Prince qui, courtisant nos Muses, tes féales. Obtins, à nos dépens, que leur faveur t'élût;

Si quelques-uns de nous ont péché ; s'il leur plut. Littéraires frondeurs, se faire rois des halles, La chaste poésie, aux fbrmes idéales, A dans ton saint laurier «a branche de saint.

Qui pourrait voir d'un iisil de haine et de colère Se lever dans nos cieux ton étoile polaire, A leurs astres rivaux mêlant ses rayons d'or?

La France à ses tournois t'accueille sans alarmes ; Tu triomphes, mais fort et paré de ses armes : Ta victoire pour elle est un hommage encor !

> 133 «t

AUTRE A M. Alexandre Cosnard.

Quelque chose qui jette en mon cœur agité Un saint étonnement que rien ne peut distraire t C'est un sonnet de Tasse i Camoëns, son frère. Son riial d'infortune et d'immorlalité.

J'y Tois que sur un ton de calme dignité lis parlaient de leur muse, à l'aile téméraire, Des triomphes divins, du sceptre littéraire, Gomme deux rois traitant de leur autorité.

Pourtant la destinée était loin d'être bonne Au Cygne de Ferrare, à l'Aigle de Lisbonne : Tous deux se répondaient du fond d'un hôpital .'•••

A?ec l'amour ingrat et la gloire muette,

La faim les a tués ces dieux! Et maint podte

Se plaint, chez Tortoni, que son astre est fatal ]

ENVOI.

Chez TOUS, qui les aviez vu naftre, Mes vers, enfants voilés pour tous , Qui les caressiez, et peut-être Vous plaisiez à faire paraître Gomme ils se plaisaient avec vous ;

Chez vous, d'un air froid et moroM, Mon livre, un jour, fut accueilli... Les papillons laissent la rose Du moment qu'elle est toute éciose. Et les oiseaux le fruit cueilli.

^ 254 «$

Li lyre a chanté sans mystère : Son chant vous devient Importan ; L'encens qui brûlait solitaire Vole en nuage sur la terre , El TOUS n^aimez plus son parrum.

Vous aimiez la source inconnue Qu'entourait un ombrage épais ;/ Bien souvent, quand grondait la nue. Sur ses bords vous êtes venue Chercher son murmure et la paix.

A son petit bruit attentive, Vous perdiez les heures du jour, Laissant quelque larme furlive Tomber dans son onde plaintive Gomme un chant de deuil ou d'amour.

Puis, TOUS vous preniez à sourire A VOS traits Trémlssant dans l'eau, Gomme les cordes d'une lyre Que balancerait le Zéphire Aux faibles branches d'un bouleau.

Jamais, le soir, vous n'en revîntes' Sans en rapporter quelque fleur, Quelques plumes mollement peintes De ses ramiers, chanteurs sans crainlet Loin des pièges de l'oiseleur.

Et, comme un écho qui s'enflamme, Vous répétiez tous leurs accords ; Et, J'en suis sûr, aucune femme Ne se réjouit dans son âme Plus que vous ne faisiez alors.

Mais la paresseuse fontaine Dans l'ombre a lentement grossi ; Et, comme une biche incertaine, Vers quelque pelouse lointaine Elle veut s'échapper aussi.

S3S es

Elle sort de son lit de mouise. Et déjà son flot diligent. Cédant à Finslinct qui le pousse, Fuit parmi l'herbe épaisse et douce. Comme une couleuvre d'argent.

Et, plus fort d'épreuve en épreuve,

Le ruisseau devient un torrent,

Et le torrent un .arge fleuve

des grands bœufs, plonge et s'abreuve

Le troupeau, d'Ile en Ile errant.

Et vous, comme si chaque aurore N'arrivait pas i ion midi ; Comme si, plus brûlant encore» Avec tout ce qui vous décore Notre amour n'avait pas grandi ;

Vous en voulez à l'humble source De marcher en fleuve i la mer; Vous semblez dévouer sa course Aux froides haleines de l'Ourse, Aux dards enflammés du Cancer.

Quoi ! l'abandonner de la sorte Parce qu'il prend un libre essor !... Hélas 1 hélas ! que vous importe. S'il passe obscur, ou s'il emporte Dans son sable quelque grain d'or ?

Avant que le matin se lève, Vous informez-vous seulement. Si sur les cailloux de sa grève. Une vierge, en pleurs, fuit le rêve Qui ressemble aux pas d'un amant?

Si, lorsque l'ombre s'amoncelle Sous le vol nébuleux du soir. Chaque astre, dont l'œil étincelle. N'aperçoit pas dans la nacelle Deux êtres différents s'aiseoir ?

Si, parmi tant claineara viles, Le fleuve élève au ciel sa voix ? S'il baigne d'opidentes villes, Et, loin de leurs palais serviles. Quelque fier donjon d'autrefois?

Savez- vous S'il soupire ou gronde? SMl fertilise on S'il détruit? Si dans la candeur de son onde. Se dégorge la fange immonde Des égouts, léchés A gratid bruit P

Ou s'il roule, aux yeux du yulgaîre,

Sous quelque beau pont, habité

Par ces vieux grands hommes de guerre,

Que David a dotés naguère

D'une double immortalité ?

Que TOUS importe?... Ah ! c'est dommage J Car toujours, orageux ou non. Chaque flot, d'hommage en hommage. Aurait promené votre ioAge, Tout eo murmanmt votre nom !

A MADAME RÈCAIHËR.

Celle qui, sous les bois de l'antique abbaye, Projette un pur reflet de grâce et de beauté, Sans commander jamais, à toute heure obéie. Je l'ai vue exerçant sa douce royauté.

L'Ange de bienveillance est assis auprès d'elle ; Et le génie, un jour enchaîné sur ses pas^ Forme autour de sa vie une garde Adèle, Luxe miraculeux que d'autres rois n'ont pas!

Litre III,

MÉLANGES

' ETRENNES.

!•' janiier

A MOR AMI LB BÂROIf JuLES DE CrOZE.

Le baromètre à la tempête, ^

La conscience au-dessous de zéro,

L'intrigue au premier numéro,

Des c<Burs tristes, des airs de fête, De farouches Brutus prenant Tair du bureau, Des grands seigneurs n'ayant d'éle?é que la tète ,

Des Grésus allant à la quête , De vieux nains pour conduire un peuple de héros;

Des gens d'en bas, montés au fatte, Prenant tout... et parlant d'intérêts généraux ; Les chrétiens se croisant pour l'honneur du prophète»

Des saints... qui seraient des bourreaux,

Et d'anciens mouchards... libéraux;

Puis le génie en proie aux bêtes.

Et la plèbe criant haro

Sur la couronne des poëtes ;

Et, dans les bals comme au barreau, Les hommes moins polis sans être plus honnêtes ;

Et nos Jeunes gens i conquêtes Laissant les dames pour celle de carreau; Le jeune amour traité de fable surannée; Devant le pauvre, à Jeun, sur les bornes tremblant, L'égotsme, en traîneau, sous ses poils s'étalant; Par le vice enrichi la loyauté bernée ;

La palme en tous lieux décernée A qai prouve n'avoir ni vertu ni talent ;

Quelque duchesse un peu fanée

Promenant un bel indolent ;

L'agiotage calculant, 4 tant ehaque malheur, le gain de sa Journée ; L'opinion à droite, à gauche s'en allant. Gomme la girouette à tous les vents tournée; Sont aoB manteau troué le sage se voilant ;

^ f fo «;

L'ingratilade déchaînée

Contre les dieux tombés armant ion dard sifflant,

Ainsi qu'une guêpe acharnée

Sur un lion qui saigne au flanc...

Oui, mais quelque âme aussi yers sa sœur entraînée»

Mon âme, sur vos monls, à toute heure volant

Vous porter et chercher un baume consolant...

Eflfln, rien de nouveau pour la nouvelle année. t

SALTARELLE

Venez, enfants de la Romagnel Tous, chantant de gais rerraioi,

Quittez la plaine et la montagne Pour danser aux tambourins !

Rome la sainte vous les donne Ces plaisirs que la Madone De son chêne vous pardonne. Se voilant quand il le faut.

Le carnaval avec son masque. Ses paillettes sur la basque. Ses grelots, son cri fantasque. Met les sbires en défaut.

Venez, enfants, etc.

Frappons le sol d'un pied sonore! Dans nos mains frappons encore ! La nuit vient... et puis l'aurore s Rien n'y fait ; dansons toujouri]

Plus d'un baiser s'échappe et volet Se plaint-on ? la danse folle Coupe aux mères la parole , C'est tout gain pour les amourt.

Venez, enfants, etc.

fi» sai «a

Le bon curé qui pour nous suivrb Laissa (oui, mais qui sait yivre. Ne voit rien, avec son livre, De ce qu'il ne doit pas voir...

Mais quoi ! demain les Gamaldulet Sortiront de leurs cellules; Puis, caréme« jeûne et bulles Sur la ville vont pleuvoir !...

Allons, enrants de la Romagnel Tous, chantant de gais refrains,

Quittez la plaine et la montagne Pour danser aux tambourhis!

-^

A M. ADOLPHE DUMAS.

Poêle aux nobles chants, flatteur aux douces choses, Comment 1 mon nom timide en ton vers étoile ! C'est l'humble lizeron mêlé Parmi les lauriers el les roses ; C'est, dans une fanfare, un son faible et voilé.

Ton beau livre adoré, J'étais bien sûr d'avance D'y trouver la palette, aux magiques tableaux,

Et l'harmonie, aux larges flots,

Et le soleil de ta Provence Avec tous les trésors sous son amour éclos ;

Mais pouvais-je songer (et puis-je encore 7 croirt?) Que mon pâle joyau ne siérait point trop mal

Au bord de ton manteau royal;

Que j'aurais place dans ta gloire, Et que J'y brillerais d'un reflet amical?

20

^ 342 «t

A M. AUGUSTE DESPLAGES.

J'aime ta roie du Bengale. Quelle fleur, sous les cieux égale Sa grâce qui vaincra le temps ! Poële^ sur nos jours moroses Répand), à flots toutes les roses De Ion harmonieux printemps.

IMAGE.

Le Génie, autre solitaire, Dédaigné comme la vertu, Loin des possesseurs de la terre, Passe, d'un vil manteau vèJLu. Biais au gouffre du siècle immonde. S'il périt consumé, le monde Voit sa gloire, et rappelle grand ; C'est récrevisse humble et mulâtre Qui revêt au brasier de l'âlre, Sa robe de pourpre en mourant !

Quand les divinités entraient dans les cabanes, (La fable nous l'apprend et j'y crois un peu lard) En adorations on voyait les profanes Et tout prenait uo^ air de temple et de nectar.— Pour nous faire espérer que vous viendrez encore. Supposez ces vieux murs quelque temple enchanté; Supposez le nectar en buvant notre thé... Et ne supposez pas surtout qu'on vous adore !

t> us ^

Cet ouvrage en natte, humble èerin ; VoilA, sous sa triple muraille, Madame, comme, en son chagrin. Un pauvre prisonnier travaille. Ah ! si tous vos captifs tressaient ainsi la paille, La paille deviendrait plus chère que le grain !

SUR

L'ALBUM DE Mme ADOLPHE S^-VALRT.

Au poétique appel de notre cher Adolphe,

Ses frères de la Muse, ici rassemblés tous,

Comme grands et petits vaisseaux dans un beau golfe,

N'attendent qu'un bon vent qui les conduise à vous.

Moi, par droit d'amitié, sinon de poésie.

Je me mêle, humble esquif, i l'escadre choisie.

Partons ! et traversée heureuse ! sous nos yeux.

Votre image à la poupe, aplanira les lames.

Et du poëte ami l'étoile, aux douces flammes.

Sourit et nous répond de la faveur des cieux.

EPIGRAMME

Vive Aristote, Rome et Sparte ! J 'aT fait mes classes assez mal. J'étais censeur sous Bonaparte^ Je suis classique et libéral.

^ 944 «a

DIEU SOIT EN AIDE AUX ÉCOLIERS.

CHANSON,

Amis, c'est bientôt le grand jour Des prix et des couronnes. De nos mères si bonnes Notre gloire patra Tamour. Â Touvrage, Du courage l Tâchons d'être tous les premiers l Dieu soit en aide aux écoliers t

Tenez, comptons bien sur nos doigts j Dans huit jours les vacances ! Beaux galas, chasse et danses... Et point de latin pour deux mois ! C'est merfeitlet ! Gare aux treiOef, Gare aux boutreuils, aux espaliers : Dieu floit en aide aux écoliers !

Et puis, quand vous n'y penses pas. Soudain revient novembre; Adieu, petite chambre, Adieu, grand psfrc et grands ébats... A nos places. Dans les classes. En voilà pour dix mois entiers... Dieu soit en aide aux écoliers !

Mais, travaillons avec amour.

Et d'enfants que nous sommes, Nous deviendrons des hommes Qui conduiront le monde, un jour !... A Touvrage, Du courage ! Tâchons d'être tous les premiers l Dieu soit en aide aux écoliers !

fis «I

LA DOUBLE VENTE

I.

LES EFFETS DE VOTRE MARI.

Un manteau, non pai de salin ; Des lorgnettes, mais en besicles -, Un chapeau qui sait le latin ; Et quelques autres gros articles... Tout cela, madame^ entre nous, Goûta bien cinq cents francs, Je gage; Si l'on en donne trente sous, N'en demandez pas davanUge.

II.

LES VOTRES.

Des gants qui tous serraient la main, Des nœuds qui vous serraient la taille, Le bouquet mort sur votre sein, Un Jour de fête ou de bataille : Tout cela, soyons un peu francs, Coûta bien trente sous, Je gage; Si Ton en donne cinq cents francs... Ah ! demandez-en davantage !

La poésie, hélas 1 n'est rien par elle-même, Tant que d'un cœur, touché de la grâce saprême, Elle n'éveille point le sympathique amour. C'est Galatée ouvrant ses yeux de marbre au jour t Pour qu'elle vive, il faut qu'on l'aime 1

t»Mft«

ACROSTICHES.

I.

leane blonde,' li la grâce, à la Toix souteraine. Une fée a Jeté tous les dons sur tos pas ; I.'œil TOUS nomme Sylphide et l'oreille Syréne;. il faut pour échapper à tos lois, blonde reine, Etre aTeugle, être sourd... et je ne le suis pas l

IL

Humbles fleurs, c'est sa fête/ emportei auprès d'elle, Emportez notre encens mêlé dans tos parfums. Nos souTenirs aussi , troupe heureuse et fidelle, BêTes, miroirs TiTanis de nos plaisirs défunts. Il est des jours si doux qu'ils font tort i la Tie, Eclairs trop fugitifs, trop rares oasis ! Tout ce charme est fatal A notre âme raTîe, Tant sa fuite, madame, est de regrets suivie!... Et Dieo, prés de tous seule a mis ces jours choisis.

m.

Imaginez un être au-delà des louanges

Syréne, au cœur naïf; nymphe, i la Toix des anges;

Ajoutez, par miracle, aux lèvres des houris

Un élégant parler des dames de Paris;

Rêvez palmier, gazelle, étoile... mieux encore...

Embellissez le tout. Vous aurez presque Isanre 1

BARDES5 TROUVÈRES 5 TROUBADOURS.

En ce bas inonde il n'est complète chose; Les mieux pourvus ont, au plus, demi-dose. Du bel oiseau qui Poësie a nom Aucuns ont-ils tous les attributs ? non. Si Troubadours en prirent le ramage, Trouvères donc en eurent le plumage ; Et dans son cœur puisent Bardes bretons, Moins curieux de couleurs et de tons.

FRAGMENT.

Diea, irlnité, cause des causes, Clatrs symboles à qui sait voir 1 Nulle obscurité dans les choses, C'est en nous-mêmes qu'il fait noir. Dans l'Eden, aux regards de l'Ame, Les mystères en traits de flamme, Faisaient luire leur sent. caché; Mais depuis sa chute première,. L'homme a Jeté sur la lumière Les ténèbres de son péché !

IMAGE.

Voyei ce dogue en feu,! l'ardente hydrophobie,

Empruntant ses fureurs aux tigres de Nubie,

Presse ses flancs; il fuit. Ses yeux rouges, hagards,

Jettent autour de lui leurs sinistres regards.

Il mord son mattre, et passe ; et sa gueule écumante

Multiplie en fléau le mal qui le tourmente.

La soif aux bords du lac le pousse tout sanglant»

Il YoU l'onde et t'irrite et se roule en hurlant... —>

- <-'

S48 «(

Mais qu'un serpent, sorli de la Corel profonde, Le perce do son dard, le poison abonde; Les venins ennemis lullent, rivaux affreui, El dans ses flancs calmés se délruisenl en ire eux.

A UN MÉGALANTHROPOGÉNÉSIAQUE.

l/n ami du progrés et de l'humanilé

Nous démontre comme on opère Pour avoir des enfants d'esprit à volonté...

C'est grand dommage, en vérité, Qu'il n'ait pas enseigné son secret i son père.

UN NOM.

Beau nom romain, beau nom créole,

Paré d'une double auréole.

Sous tous les cieuz favorisé;

O Virginia I Virginie!

Doux nom, au souffle du génie

Par deux foii immoftatlfeé l

Oh ! que ne puis-je une troisième Te donner la gloire de même! Tu Tas encor bien mérité. Car, Jamais, dans l'histoire anlique, Ni dans le roman poétique ; Jamais tu ne fus mieux porté !

Jamais l'esprit n'eut plus de charmes; Jamais le rire ni les larmes N'eurent tant de puissance; oh! non ! Et jamais l'heure, sur ses ailes, N'a fui si vile auprès de celles Qu'on appela de ce doux nom !

L'HOMME AUX TIGRES.

Ses voluptés sont des mystères Qui font trembler de toutes parts ; Il est lécbé par des panthères. Chatouillé par des léopards.

Cet Américain met sa jambe Entre les dents de son chacal, Et loin qu'il en sorte tfancd. Il en est, par Dieu, plus ingambe.

Deux heures là, sans dire mot. Cloués en attendant ses fôtes. Il nous fil croquer le marmot. Que* voudraient bien croquer ses bétes.

Il dompte les rébellions Des animaux les plus Tarouches... Et sa Temme fera ses couches Dans la crinière des lions.

On dit que de cet homme uniqae, Épris, plus qu'il n'est de bon goAt, Un philanthrope britannique Depuis dix ans le suit partout.

Dans l'espoir, mal fondé peut-être» Qu'un jour, enhardi par la faim, Un tigre, sur la scène enfin. Se plaise à goûter de son matlre.

Mais chaque soir, l'homme est sauvé ' BU, de rivages en rivages, L'Anglais couirt, d'autant plus privé Que les tigres sont moins sauvages.

On dit encor ( et je le croi ) Qu'une mère des moins bégueules. Demain, pour vingt francs, sans effroi, Louera sa fille à leurs vingt gueules !...

S80 «s

Mais, pour les plaisirs da public. Une sage mesure est prise ; Chassons tout fâcheux pronostic : Si quelque béte mal apprise

Mord la petite et la pourfend... Autorisés par la police, Une autre mère, un autre en faut , Sont là, tout prêts, dans la coulisse.

X M. ALBERT DE RESSÉGUIER.

( ... Octobre 1827. )

Cher enfant, vous arez des yeux,

Très-bleus, très-beaux, qui parlent mieux

Cent fois que la bouche d'un autre,

Et presque aussi bien que la vôtre.

Votre sourire et vos cheveux

Dont Tor joue avec le Zépbyre,

Sont les cheveux et le sourire

De Tenfant qui nous dit : Je veux.

La Muse vous guette, et les Grâces

De vos manières ont pris soin.

Et ceux qui marchent sur vos traces

Y marcheront toujoiirs de loin.

Vous voit-on une heure? on vous aime.

Vous aime-t-on? c'est pour longtemps.

Trouveriez-vous, à Paris même;

Des amis froids ou peu constants ! ...

Et vous grandirez, je l'espère.

En esprit, en talent, beaucoup ;

Vous en aurez trop... et surtout

Pas plus, que n'en a votre père.

î» 251 «S

MADRIGAL.

On passe loin de vous des heures languissantes ; Vos bouquets vont donner un charme à nos douleurs ; El nous regarderons souvent ces belles fleurs, Pour que vous soyez moins absentes !

POUR LE MARIAGE DE JULES LEFÈVRE.

CHANSON.

Hier, comme dernier serment, El de par le code et la messe, Vous files, d'une voix d'amant, Une conjugale promesse ; Au moment de s'en souvenir. Plus d'un cœur se trouve indocile; Mais, pour vous, ne pas la tenir Sera, je vois, le difficile.

Poêle, votre âme autrefois, D'un orage était poursuivie; Souvent du cœur et de la voix Vous avçz accusé la vie. Gémir encor serait plaisant, A tous les regards j*en appelle... A moins qu'il se plaigne, à présent. Que la mariée est trop belle !

Lorsque Apollon, pour s'égayer. Approchait la nymphe riante; Elle se changeait en laurier... On n'est pas plus contrariante. Nous valons mieux de ce côté; Et, grâce à vous deux, il me semble Que le génie et la beauté Feront fort bon ménage ensemble l

fe» 259 «3

SUR LE GASTEL DE M. DE BEAUCHÊNE.

Vous qui passez sur le eheiùin. Quel est doue ce manoir, aux tourelles gothiques.

Aux murs de lierre et de jasmin ; Antiihèse adorable au siècle des boutiques ?

Par ses trois porches blasonnés. Par tous ses vitraux peints et par sa moindre flresque,

Il crie à nos cœurs étonnés ; « Amour et poésie et foi chevaleresque 1 » Inutile séjour, qui n'est que saint et beau ; Noble terrain perdu, pierres improductives.

Comme un temple ou comme un tombeau ! Des grands âges lointains magiques perspectives ! Tout honneur, nul profit. C'est bien ! Et Ton prétend Qu'un homme d'aujourd'hui ( mais qui pourrait y croire ! ) A bâti ce castel enchanté ! Quelle histoire ! Cet homme, c'est Beauchêne... Ah / vous m'en direz tant l

SUR L'ALBUM DE Mbi-" LOUISE G***.

Quoi de plus gracieux qu'une perle P une fleur.

Qu'une fleur ? une blonde étoile.

Qu'une étoile ? un ange que voile

Un doux nuage de pAleur.

Et qu'un ange ? •— une Jeune fille

Qui, sainte à la fois et gentille, Se nomme : étoile, perle, ange, Louise ou fleur t

CHANSON.

Air : Du concert à la cour.

Dites-nous Pour vos goûls Ce qu'il faut faire; Dites-nous Tous vos goûts... On est à vous. Ah: ah! ah! etc., etc. De sentiments quoique chacun diffère, Chacun, ici, trouvera son affaire. Ah ! ah ! ah! etc., etc.

Voudrait-on La maison Des Muses même ? Voudrait-on Pour maison Un Parthénon? Ah ! ah ! ah î etc., etc. vUla-l'Éveque , au numéro treizième... Là, tous les arts ont leur temple suprême ! Ah ! ah ! ah ! etc., elr

Aime-l-on Au grand ton La grâce unie ? Aime-l-on Le grand ton Et l'abandon ? Ah ! ah ! ah ! etc., etc. Antonia, par un coup de génie, Nous en compose une aimable harmonie. Ah ! ah ! ah .' etc., etc.

21

fe»lS4 ^

Voulez -VOUS Parmi nous Chant de syrëne ? Voulez-vous Voir de nous ciel jaloux? Ah ! ah ! ah ! etc., etc. C'est elle encor qui, deux fois, nous entraîne Par sa voix d'ange et son charme de reine ! Ah/ ah ! ah ! etc., etc.

Voudrait-on Un garçon Orgueil de mère P Voudrait-on Un garçon Gentil et bon ? Ah 2 ah! ah ! etc., etc. On n'en voit plus , dites-vous. Au contraire! N'avons-nous pas Ludovic et son frère ? Ah ! ah ! ah ! etc., etc.

Cherchez-vous Des yeux doux> Un doux langage ? Cherchez-vous Des yeux doux, A rendre fous? Ah! ah! ah ! etc., etc. Dam ! à voir Claire» amis, on vous engage ; Regardez bien !... plus ne cherchez, je gage ! Ah ! ah ! ah ! etc., etc.

Voulez-Tous Un époux Traître ou morose ? Voulez-voua Un époux... Gomme ils sont tous ? Ah ! ah ! ah ! etc., etc. Prenez Achille ; on tous le dit pour cause : Vous trouverez, je crois... tout autre chose ! Ah ! ah ! ah ! etc., etc.

RESTITUTION.

A M. A. BRIZEDX.

Belle plume lisse et marbrée, Dans un triste greffe égarée,

Loin de l'azur des lacs ou de l'azur des cieux ; Va retrouyer l'aigle ou le cygne Qui t'aura, sur ce bord indigne,

Perdue en secouant son vol harmonieux.

SUR UNE COUPE.

Coupe légère, allez dans une main plus blanche Et plus transparente que vous ;

Que dans votre calice, en ruisseaux purs et doux, L'onde des fontaines s'épanche.

Que Bacchus s'en éloigne et d'un flot lourd et noir

N'en ternisse jamais la flralcheur salutaire... Quand la Nymphe se désaltère

Dans son breuvage encore elle cherche i se voir.

^ 'i56 <i

DERNIÈRE PAGE D'UN ALBUM

Sous vos yeux qui, par jour, fonl plus d'un prisonnier. De la joule des vers je veux poser le terme ; Je veux que sur mon nom voire livre se ferme : J'ai bien du moins le droit de passer le dernier.

Ce privilège du poêle,

Je le réclame comme ami. Long cortège du cœur, votre Jules en tête, Me précède, à grands pas ; c'est juste... et j'en gémi.

Dans mon humble place affermi, Puissé-je dire : Enfin, c'est à moi qu'on s'arrête !

Son cœur ne se met plus en frais;

Beaucoup avant, personne après!

IMPROVISATION-

A ***.

Chaque fois que l'on voit sa bouche s'enlr'ouvrir, Elle en laisse tomber les plus divines choses; Gomme un jeune rosier qui, sûr de refleurir. Prodigue à tous les vents ses roses !

» 557 «S

ÉPILOGUE

A M. SAINTS - BSUTS.

De ton Tol dana ma main je tiens l'immensité , Trois fois béni le livre, ù mon cher Sainte-Beuve, rayonne, à nos "S^ux, ta multiple unité ! Gomme des séraphins la robe toujours neuve, Ta poésie est fraîche, et son souffle agité Ressuscite en noos-même , après bien des années ^ Tout un printemps de fleurs que Ton croyait fanées.

Ton vivace laurier traverse les hivers;

Et moi qui,' dans les temps, te saluai poëte,

Qui de ton auréole ai protégé mes vers ;

Ma voix, plus que mon cœur, ne sera pas muette.

Aujourd'hui que j'apprends, sur ces feuillets ouverts.

Quelle angoisse céleste et quels douloureux charmes

De vivre encor ta vie et repleurer tes larmes !

Protée, au cœur naïf, dans la foule isolé, A. tes vers, comme toi, mon âme se transforme, Ainsi qu'an vêtement sur les membres collé. Oui, je souffre et je meurs avec Joseph Delorme; Plus tard, tu l'as voulu, je renais consolé ; Puis, ton brûlant août me verse ses pensées, D'orages flamboyants et d'azur nuancées.

Ton astre poétique a décrit dans le ciel

Sa courbe d'harmonie, et de tontes ses phases

Mon cœur ému suivit le jeu continuel ;

Car, tu pleuras sans faste et chantas sans emphases;

Car, sous ton art toujours palpite le réel;

Bt la ronce ou la fleur, la moisson ou l'ivraie.

Gonflent tes vers, nourris de toute chose vraie*

»8 €}

Et qaelques-uns l'ont dit infidèle et changeant !... Non ; la Tariélé n'est pas de l'inconstance. Selon le ciel, selon ses bords, le lac d'argent Prend une autre couleur, de distance en distance ; C'est la même onde vont mille reflets nageant Et pourpre du soleil^ et brumes de la terre... Et plus le lac est pur plus son cristal s'altère.

Je n'ai glorifié que le poëte encor ;

Cette gloire suffit et les comporte toutes.

Ta prose cependant épancha son trésor,

Et de la foule aveugle ayant vaincu les doutes.

Aux talents contestés donna la palme d'or.

Toi, dont on parle tant, tu vins parler des autres...

Le Dieu s'est bien souvent mis au rang des apôtref*

Ah ! si tous avaient su, comme tu le voulais,

Se tenir en faisceau d'amour et de génie ;

De cités en cités on dirait : Voyez-les !

Sous leurs simples lambris ces rois de l'harmonto

Egaleraient les Rois, habitants des palais;

Et l'on n'aurait pas vu de cyniques harpies

llèler leur sale Joie à nos guerres impies !

FIN.

TABLE DES MATIÈRES.

AVANTPROPOS. V

POÉSIE ÉTRANGÈRE.

LIVRE I. Espagne. 1

LiYBE II. Allemagne. 45

UYRE III. Langues diverses. 85

POÉSIE FRANÇAISE.

UTRE I. Elégies.— Epttres.— Idylles. 1 1 3

UYRE II. Odes. Ballades. Sonnets. 163

LIVRE m. Mélanges. 237

Epilogue. 257

J

BIBLIOTHÈQUE CHOISIE.

POÉSIES

ANTONI DESGHAIIPS.

POÉSIES

DB

NOUVELLE ÉDITION,

ReTae et considérablement augmentée par l'autear.

A MON nÈRE ÉmLB.

^1

. PARIS,

H.-L. DELLOYE, ÉDITEUR,

PLACB DE LA BOUBSB, tS.

1841

«^

Imprfinerie de WORMS, boulevart Pigale, SO {extra mwM),

LiFRE I,

LES ITALIENNES, TRADUCTIONS, SATIRES.

iTAXiZSisrainBS .

PROLOGUE.

A DANTE ALIGHIERI.

G diTiB exilé ! sar un mode nouveau

Je Tais dire aux Françaia ton antique berceau ;

Veille sur moi du ciel» dana ce monde nous tommes^.

Car j'ai quitté pour toi le grand troupeau des hommes.

De tt. savante main, Dante, conduis mes pas,

£t sous l'ardent soleil ne m'abandonne pas»

Gomme In ftai guidé dans ton falal ▼ojage. Guide moi. Tiens Toictn, dans mon pèlerinage. L'œil baillé de reipect, Je tieni ton livre laint. Et du Jone coniacré mon eorpi eit déjà ceint : Marche donc défaut moi, mattre et lacré poète, Et J'entrerai lani peur dani la route lecrète !

I.

LE JOUR DES MOGGOLI.

Le Jour des Moccoli, lorsque Rome 4a sAinte Laisse errer la Folfe en sa bruyante enceinte. Ceux de Gastel^Gandoire et ceux de Tivoli, Portant au pied la boucle en argent mal poli. Les filles de Nettune, au corset d'écarlaie. Ornant de médaillons leur sein Tor éclate, Et dans un réseau Tcrt enfermant leur cheveux, Et celles de Lorette Voh fait tant de vœux, Celles de Frascati, dont les beaux yeux sans voile Luisent sous le panno comme une double étoile. Hommes, femmes, enfants, s'avancent d'un pas lent Vers la nocturne fête et le Corso brûlant ; Alors le ciel s'embrftse et la flamme agrandie S'étend le long des murs comme un vaslé incendie; Et les Moccoletti courent de mains en mains Brillant et s'éteignant; tel au bord des chemins On voit le ver luisant, dans la nuit qu'il éclaire, Paraître ou se cacher au mois caniculaire. An milieii 4u tumulte et des Joyeux propos, Quelques femmes d'Albane, assises en repos , Imitent par leur taille, et leur antique tête Des déesses de marbre assistant à la fête. Cependant le temps fuit, la lumière pAlit Et la Jeune mininte *, en regagnant son lit. Voit à regret mourir le dernier feu 1... La foule Sur la place du peuple, en murmurant, s'écoule ; Les Toix sont déji loin, l'écho n'a plus de sons. Et les balcons muets ont fini leurs ehansoni; Par la Inné éclairés, quelques dominos sombres Dans le Corso désert glissent comme des ombres )

* FeouM da peoplc à Rome.

'10 ««

Mais le Saltarello prés du Tibre a cessé. Le joar des Moccoli tel qu'un rêT« a passé ; Et l'on n'aperçoit plus dans une teinte grise , Que les murs dentelés du palais de Venise; Et Rome se repose, et la paix des tombeaux Succède- au bruit des chars, à l'éclat des fltnibeaux.

Et puis le lendemain, sortant de leurs cellules, Et les bruns Tranciscains, et les blancs camaldules, S'emparent de la ville, et leurs yeux pénitents Disent qu'il faut enfin commencer le saint temps ; Ils marchent en silence et la pierre des dalles Retentit longuement sous leurs larges sandales, Qui foulent dans ces lieux, la veille profanés, Et des flambeaux éteints, et des bouquets fanés. Ainsi l'âme s'endort quand sa fête est finie. Et soucis, et chagrins, à la face jaunie. Reviennent la fouler dans les sentiers humains, Gomme les pieds pesants de ces moines romains.

n.

UN SOIR DE CARNAVAL

Un soir que je venais du Barbier de SétiUe, Qui faisait à Valle courir toute la ville; Par la folle musique en marchant poursuivi, Je vis des groupes noïta sur la place Trevi , Car un jeune officier, telle était la nouvelle. S'était non loin de fait sauier la cervelle. La balle .avait brisé le cr&ne, et tellement Défiguré les traits, qu'en ce même moment,

il ^

Son père, magialiat, Tieillard octogénaire,

Rentrant dana aa maiaon i aon heure ordinaire,

Et voyant tant de gens, aana deviner aon aort«

Leur avaijt demandé que) était ce corps mort ; *

Il venait de l'apprendre ; or sur la place obscure

La foule se pressait^ voulant voir la blessure,

Gomme elle fait partout ; et J'entendais ces voix

Du peuple, nazillant et criant i la fois :

Ah ! quel malheur, Jésus 1 Ciel ! un si beau jeune homme !

Un fils unique, auquel son vieux père économe

Amassait des trésors ; se tuer... se damner.

Quand on a de quoi vivre, et toujours i dtner I

Puis une voix de femme ; Ah 1 quelle horrible affaire ;

Non, sor Gaettno, je ne peux pas m'y faire;

Moi qui Tai par la main promené tout pelity

Dans le temps des Français! Ah ! qui Teûi Jamais dit!...

C'est moi qui le portais à côté de sa mère

Alors que de l'exil revint notre saint-père,

En dix-huit cent quatorze au Vatican, le soir,

.Etqui, dans mes deux bras l'élevant, lui fit voir

Le beau feu d'artifiee et l'ardente coupole ;

Pauvre petit ! je crois que J'en deviendrai toile.

Ce matin même encore, iTendroit que voili, »

Il m'a crié de loin : bonjour, Sora-Nanna !

Et dire qu'à Jamais c'est une chose faite !—

Une vieille ajoutait tout en branlant la tète :

Je vous l'avais prédit, moi, qu'il finirait mal .

C'était un libertin, passant les nuits au bal,

Un vrai Carbonaro, grand faiseur de mystère,

Hantant matin et soir ces payons d'Angleterre I

Jamais Je ne l'ai vu priant dans le saint lieu ;

Car, lorsqu'il y venait, ce n'était pas pour Dieu,

Comme font les cb retient et les dévotes Ames,

C'était pour présenter de l'eau bénite aux dames.—

Aux pays du midi, oomme aux paya 4a nord.

Tel s'agite le peuple alors qu'un homme est mort.

Or en les écoutant je m'approchai dans l'ombre.

D'un moine qui, caché soi» son grand manteau sombre.

Et libre, en son parler, d'hypocrite jargon,

Causait en s'appuyant sur le bras d'un dragon.

t> IS «9

Ce Gatti, dlsait-il, et vous pouvez m'eu croire.

Car je le connaissais, et]e sais son histoire,

Ce Gatli donc était garde noble ; ravi

IVarifeiir, H faisait l'œil à la Campinovi,

Coquette du Corso, cette femme si belle

Qu'un Anglais Tan dernier s'empoisonna pour elle ;

Se voyant dédaigné, lassé de ses mépris,

D'un grand dégoût de vivre à la fin il fut pris.

Il s'est tué; nous donc, prions Dieu pour son âme...

«c Frère lui répondis-je : ah ! prions pour la femme l

« Pour la femme, qui fait qu'à cette heure de nuit,

» Parmi ces inconnus, au milieu de ce bruit,

« Un père au désespoir^ dont les vieilles paupières,

« Suivant l'ordre, auraient se fermer les premièref ,

«c Tient le corps de son fils entre ses bras tremblants,

« Et dans ce jeune sang trempe ses cheveux blancs.

« Moine, je te le dis, ah ! prions pour la femme,

« Ce sont-elles, vois-tu, dont la vie est infâme,

<c £t qui, pour expier leurs plaisirs dépravés

«c Devraient s'user la lèvre à baiser les pavés. »

Ah ! femmes d'Italie en ce temps nous gommes

Si vow laisset^mourir pour vous les jeunes hommes

Ce n'est pas chasteté ni devoir, c'est qu'au fond

Vous sentes mal un cœur et son amour profond.

Qu'on ne parle donc plus ici de Messaline,

Vous avez surpassé la luxure latine 1

Et n'avons-nous pas vu la comtesse Galli

EtPietro, l'armurier, aller i Tivoli

En Caratelle ouverte, un jour de promenade,

Et de leur sale amour nous faire ainsi parade ;

Et pourtant cette femme est belle ! Et Raphaël

Aurait donné ses traits i la vierge du ciel !

Quant à celui qu'elle aime, il est laid, c'est un homme

De la classe Mininte , ainsi qu'on dit à Rome :

Il trompe la comtesse, et la publique voix

Dit qu'il mange son bien et la bat quelquefois ;

Mais il est fort, or donc à parler sans scrupule ,

Pour soutenir son bras la Galli veut Hercule.

Comme je m'enfonçais dans cet amer penser

Ceux qui parlaient du mort allaient se disperser.

Et je vil à leur place, en reieyant la tête,

Des visages riants et des habits de fête,

C'étaient des gens masqués qui s'en allaient au bal ; *

Car on était alors au temps de carnaval.

III.

LE VENDREDI - SAINT.

«

A MADAME DE GIRARDIIV. ( Delphitib Gat. )

Après l'ave-marie, au tomber de la nuit, Le ciel étant serein et jusqu'au moindre bruit S'éteignant par degrés : vers le midi de Rome, 4

Dans le quartier des Juifs et dans le lieu qu'on nomme Le Campo Yaccino, tout respirant la paix. Près de l'arc de Titus, sur les marbres épais De la via sacra, la solitude telle Qu'on n'entendait passer ni bœufs ni caratelle ; La foule s'avança vers le Trastevere, Car c'était vendredi, jour du miserere» Les carabiniers verts, ceints de jaunes ceintures. Maintenaient sur le pont la file des voitures, En laissant au milieu celles des cardinaux. Qu'on distinguait de loin aux plumets des chevaux. Près du chftleau Saint-Ange un piquet de la troupe, Des Anglais à cheval, des capucins, un groupe De ces Romains du peuple, à l'œil sévère et noir, La veste sur l'épaule, à la tête un mouchoir. Debout et s'appuyant au parapet de pierre. Regardaient les passants qui couraient à Saint-Pierre.

s

^ 14 «i

El moi, dans ce pays toyageur inconnu, De Paris la grand'ville au Vatican ^enu, le cheminais, pensant à mes amis de France, Dont le silence alors me tenait en souffrance : Que c'était mal, très mal, après l'avoir promis, De «e pas se rejoindre à nos autres amis, Quand c'eût été plaisir et Térilable fêle. Comme «n cicérone, moi marchant à leur l^e, De visiter ces lieux tous ensemble, et d'aller Le matin au Forum, et le soir d'en parler, Sur le Monie-Pincio, près de l'Académie ; Quand la place d'Espagne au bas est endormie. Et que le Colysée, en son champ isolé. Semble au clair de la lune un géant mutilé ; Puis, autour de la lampe au triple bec de cuivre, De rire, de causer musique, et de poursuivre L'entretien suspendu la veille au soir très-iard, Touchant la poésie et le naïf dans l'art, El Raphaël d'Urbin que l'Italie adore, El l'école d'Alhèneou bien l'Héliodore.

Or tout en caressant ce penser de mon cœur, ' J'entrai dans la chapelle, et je vis dans le chœur Le Pape sur son trône avec son blanc costume, Et de chaque côté les éventails de plume. Alors les soprani commençant i chanter, Je me mis dans un coin, tout seul, pour écouler. C'était une musique à nulle autre pareille, Et par-deçà les monts inconnue à l'oreille : De vingt bouches sorti, le son faible en naissant. S'enflait et grandissait comme un fleuve puissant. Qui, jaillissant ruisseau des flancs de la montagne, S'épand majestueux à travers la campagne. J'entendais se grossir l'harmonieuse mer. Et ses flots isolés en vague se former. Et me laissant bercer à la rumeur sublime, Pareil au voyageur penché sur un abîme, Qui, lorsque le soleil au fond du gouffre a lui. Aperçoit les rochers tournant autour lui, Les genoux frémissants et la lèlc troublée,

Je n'apercevais plus la pieuse assemblée :

Mes esprits s'envolaient dans le vague emportés.

Et des illusions dansaient à mes côtés :

Puis, sous les lambris peints d'une couleur étrange.

Je croyais voir passer Tàme de Michel-Ange

Qui, ce saint vendredi, jour de la passion,

Venait se réjouir en sa création ;

Et donnant une vie aux voûtes immobiles.

Balançait sur mon Tront prophètes et sybilles ;

Tandis que sur le mur, son divin monument.

Montaient et descendaient les morts du Jugement !

Tout ce que dans mes Yers ma plume ici rappelle,

Je réprouvais alors en l'antique chapelle :

Mais lorsque revenait le verset récité.

Pareil au cri plaintif de notre humanité^

Je sentais aussitôt mon extase flnie,

La vision cessait quand cessait Tharmonie.

Alors reparaissaient encore à mes regards,

Et ces fronts tonsurés^ levés de toutes parts,

Et les dames de Rome, et sous leurs sombres voiles

Leurs yeux étincelant comme font les étoiles ;

Les hommes noirs debout et sans cesse ondulant

Gomme des flots poussés par un vent faible et lent,

Le sénateur , les clercs en longs babits de fête.

Les prélats violets; et puis, le casque en tête,

La pertuisane au poing, dans les angles obscurs,

Les Suisses bigarrés, rangés le long des murs ;

Et plus loin, dans le chœur, qu'une grille protège,

Les pères des couvents, et le sacré collège.

Les cierges de l'autel, et leur éclat tremblant.

Et sous un grand dais rouge un vieillard seul et blano.

Voili comme toujours dans sa sphère bornée

De r idéal au vrai notre âme est ramenée.

Et liée à ce corps qui ne la suivra pas,

Est contrainte soudain de regarder en bas.

Or, on avait fini TofÊce des ténèbres. Le dernier cierge éteint, sous des crêpes funèbres, L'autel avec la fresque ei les sainlfl colorés. Tout avait disparv •'«ffaçant par degrés s

16 <

Et sans répondre amen à l'épitre latine,

lia foule avait quitté la chapelle Sixline ;

Et moi, prenant dans l'ombre à gauche mon chemin.

Je suivais lentement Tarcade du Bernin ;

Et je n'entendais plus que des rumeurs lointaines, ,

Et le murmure égal des deux grandes fontaines

De la place Saint-Pierre , e( les pas des chevaux

Traînant à leurs palais princes et cardinaux*

IV.

LE MONT-GASSnV.

Deux anges du Seigneur, les ailes entr'ouvertes ,

Abaissant jusqu'au sol leurs longues plumes vertes.

Marchaient pour accomplir un céleste dessein,

A côté de Benoît, montant le mont Gassin ;

Us répétaient : Avant que le jour ne décline

Tu trouveras la paix en haut ide la colline.

Or les moines venaient après le Bienheureux*

Le suivant à la file, et se plaignant entre eux

Que la route était longue et que c'était folle

De quitter pour ce roc les plaines d'Italie;

Par Jésus 1 que c'était un travail surhumain,

Et qu'il fallait au moins s'arrêter en chemin.

Afin de secouer ainsi par intervalles

La poudre et le gravier qui souillaient leurs sandales.

Voilà ce qu'ils disaient, car ils ne voyaient pas

Les deux blancs messagers qui conduisaient leurs pas.

Mais le saint, l'œil au but, ferme dans la carrière.

Montait, montait toujours sans regarder derrière.

N'écoutant ni leur voix, ni celle du torrent.

De rochers en rochers sous ses pieds murmurant .

Ainsi, dani ce chemin qu'on appelle la vie, L'âme qai Teat monter, toujours est poursuifie. Par une TOix d'en bas qui lui crie : yas-tuf Car le monde est débile i suivre la vertu ! O TOUS qui» rœil au but od notre Ame se fie, Sentei la poésie et la philosophie Gomme deux anges purs vous échauffer le sein, Imitez parmi nous l'homme du Mont-Gassin, Et malgré la tourmente et sa clameur sauvage, Certains de cette paix qui repose au rivage, Entraînez avec vous ce vulgaire hébété, Ainsi que l'en remorque un vaisseau démftté ; Car il faut dissiper la nuit noire et profonde Qui cache à ses regards l'aspect d'un autre monde,^ Afin que dans ce temps de grande nouveauté, Il puisse sur vos pas chercher la vérité.

V.

NAPLES.

A M. SAINTE -BEUYB.

Si vous entrez i Naple, un de ces beaux malins Du mois de Juin, laissant dans les marais PontiniL L'air épais et mal sain^ et cette crainte folle Des brigands de montagne, i la longue espingole | Et ces pauvres soldats que la fièvre éprouva. Aux yeux creux et minés par Taria catliva, Qui U, pendant l'été, comme an fort de la bise^ Pâles, vont firissonnant sous leur capote grise ; Si vous entrez â Naple, ainsi que je le dis. Vous verrez devant vous s'ouvrir le paradis : D'abord le golfe bleu, réfléchissant l'albâtre De la cité bâtie en vaste amphitéâtre. Le mont Vésuve â gauche, â droite Nislda !

18 C3

A l'horizon Ischia, Gaprée et Procida, Iles qui, celte nuit, à Tbeure tout sommeille, Lasses de la chaleur et des jeux de la veille, * Dormaient en se couvrant d'un épais voile noir ; Tandis que la rosée et la brise du soir, Sous rœil froid de la lune et sa p&le lumière, De leurs gris oliviers balayaient la poussière. Comme trois cygnes blancs qui, sur un lac lointain^ Étalent leur plumage aux rayons du matin, Ces trois tles sortant de celte nuit profonde. S'élèvent lentement sur l'écume de l'onde. Et, regardant les flots et le beau ciel vermeil, Sèchent leur front humide à ce brûlant soleil. Donc, pendant que la mer reluit, et que l'aurore D'une teinte rosée enveloppe et colore Les toits de Pouzzolane, allez et librement ' Contemplez des hauts lieux ce grand enchantement. Naples va s'éveiller*: tout, du port à la ville Fermente autour de vous : une race servile Va surgir et soudain, vous flairant étranger, De gestes et de cris viendra vous assiéger. La Vuole, la Barca, Gnor, la voiture est prèle!. Clameurs i vous donner le vertige à la tèle. Vous, sans les regarder et sourd à ce fracas, Tout en les maudissant, vous presserez le pas. Alors vous reviendra le souvenir de Kome, La ville du silence et de la paix, l'homme Isolé, sans affaire et jamais agité, Sur son antique sol marche avec dignité.

Cependant au milieu de celte immense foule.

Qui se croise dans Naple, et qui crie et qui roule

Sur ce pavé poudreux, au milieu de ce bruit.

Quelquefois revenant, au tomber de la nuit,

De la fête de l'arc ou bien de Carditelle,

Gomme un ancien Plaustrum passe une caralelle ;

Un jeune homme est devant, le corps ceint d'un lien

De pampres et coiffé du bonnet phrygien.

Une femme d'Ischia, l'Isle blonde, aussi belle

Que la Bonne Déesse ou la grande Cybèle,

Repose sur le char, et d'un œil grave et doux

Regarde, en appuyant ses mains sur ses genoux.

Or à YOir ce Plaustrum et cette marche antique

Traverser lentement quelque place publique,

A voir ce beau jeune homme, et son thyrse couvert

De noisettes des bois et de feuillage vert.

Et cette femme assise avec tant de noblesse.

On respire «n parfum de la terre de Grèce,

Un invisible chœur s'élève, et dans ces lieux

Chante Evoë, Liber, comme au temps des faux dieux.

Mais les payons s'en vont, et le peuple moderne Reparaît ; car vos yeux rencontrent la giberne D'un grenadier^ ou bien le petit manteau noir D'un abbé parfumé, qui court se faire voir Aux dames de Chiaja, dans la villa Réale. Adieu donc le beau char et la femme idéale / A leur place voilà, près des Acquajoli, La file des landeaux et les corricoli, A l'agile cocher, qui, debout par derrière, Fouette son cheval gris courant dans la poussière ; Puis des enfants tout nus et les lazzaroni. Sur le môle, avalant les longs maccaroni. Moines et matelots, officiera de marine Vêtus à l'autrichienne et tendant la poitrine, Promenant de Tolède au largo du palais Et leur cocarde rouge et leurs sabres anglais , Près du Castel-Nove la folle Tarentelle, Avec son grand nez noir le blanc polichinelle. Et le tambour de basque et les vives chansons, Les cris étourdissants des marchands de poissons^ Les bottes, les pétards faisant un tel tapag« Qu'on dirait par moments que Naple est au pillage : Puis des processions, des danses, et ce bruit Purant avec fureur et le jour et la nuiu

Assez pour les vivants. En cette terre esclave. Laissons-les s'agiter sur leur pavé de lave. Et nous, pensons aux morts, à tous ces morts romains Pont les vieux monuments croulent sur les chemins.

Je Toax demain matin, là-haut, d'un pied agile,

Monter avec la chèvre au tombeau de Virgile,

Et de regarder le Yésuve et la mer,

Et me nourrir longtemps d'un souvenir amer ;

Puis, quand j'aurai pleuré sur Tantique poète,

Lorsque j'aurai tout dit à sa cendre muette.

Nous causerons, mon àme, avec Gimarosa,

Autre cygne dont Taile ici se reposa.

Que de fois j'ai maudit la reine Caroline

Qui ferma pour jamais cette bouche divine,

Parce que dans les murs de la belle, cité,

Elle voulut un jour chanter la liberté.

Or, j'ai toujours aimé ce roi de mélodie;

C'est lui qui réveilla mon enfance engourdie^

Qui me vint prendre au cœur et par son art puissant

Avant un autre amour fit bouillonner mon sang ;

Car, en ce pauvre monde, il est vrai que tout homme

De ce divin amour, n'a qu'une faible somme

Qu'il promène sans cesse, et comme sans projets,

De pensers en pensers et d'objets en objets.

Quand l'orchestre aux cent voix, à la douce harmonie,

Épanchait tout à coup ces notes de génie.

Se déroulant ainsi qu'un fleuve oriental,

Ou sur un marbre pur un collier de cristal ;

A ces sensations mon âme fraîche éclose

Nageait dans un parfum d'aloës et de rose ;

Puis^ quand cette musique, au vague enchantement,

Avait cessée marchant dans mon enivrement.

Comme le pèlerin qui revient, se rappelle

La châsse d'or massif et l'ardente chapelle,

Et de ses pieds foulant la poudre des chemins,

Est au ciel en idée avec les séraphins ;

Je sentais tous ces chants retentir dans ma tête

Et par la rue encor continuer la fête;

Or, comme en ces plaisirs dont plus tard j'ai goûté.

Je n'ai vu qu'amertume et fausse volupté.

Que triste abattement et plus triste folie ,

Comme en toute liqueur j'ai rencontré la lie.

Quand me revient encor l'air Ptia che spunti.

Voyant que ce beau temps à jamais est parti,

21

A ce doux fOUTenir je m*arrète et demeure,

Tel qu'un homme qui pense, et qui souffre et qui pleure.

VI.

A M. INGRES.

Maître, au savant pinceau, toi dont la pureté. Dans Todalisqne nue a peint la chasteté; Et qui, rendant les traits d'une tète que j'aime, As semblé défier la nature elle-même, Tant ce front vénérable et plein de majesté. Du grand crayon d'Urb^n a la naïveté; Combien de fois J'ai vu surgir en ma pensée Ton Iliade armée et sa sœur l'Odyssée ! Belles filles de Grèce, à l'œil calme et serein. Assises aux genoux de leur père divin ; Apelle, Alighieri, Virgile, cour sublime, Demi-dieux du pusé que ta palette anime, Convives du nectar au splendide festin, D'un air religieux se tenant par la main ; Tandis que, comme un roi qui règne sur sa ville. Présidant de son trône à l'auguste concile, L'aveugle couronné d'un laurier radieux. Est le point éclatant tendent tous les yeux.

Et pourtant on m'a dit qu'au printemps de ta vie, Sous le soleil romain doutant de ton génie> Tu vis les hommes froids dédaigner tes tableaux. Et tu voulus alors jeter tes pipeeaux. Disant avec douleur, et pourtant sans murmure : Je me suis donc trompé, je laisse la peinture ! Tu ne l'es pas trompé, non, fils de Raphaël,

^ 92 C)

Si Tarlisle sacré doit réfléchir le ciel,

Si l'art fut toujours saint, et si son bras sévère

A toujours de son temple écarté le vulgaire.

Tu ne t'es pas trompé ; car, dès les temps anciens,

La foule a ses plaisirs et l'artiste les siens. '

Tout ce qui dans ses flancs porte un cœur de poêle

Et qui reçut d'en haut la mission secrète,

Sur tes chefs-d'oevre purs, inspirés par les cieux,

Attache avec respect et son Ame et ses yeux,

Et te nomme le maître, à l'art franc et sincère.

Le peintre de Virgile et le peintre d'Homère!

vn.

G ARA VANNE GUERRIERE.

Le soleil a quitté les coupoles d'étain

El dore, en s'en allant, le minaret lointain,

La voix du Moèzzin, du haut de la barrière.

Appelle avant la nuit le peuple à la prière;

£t, depuis le matin, sous les sombres cyprès.

Par les sentiers étroits, le long des saules frais,

Passent, passent toujours les chameaux, au poil fauve,

Les harnais, sous le faix courbant leur tôle chauve,

Les topchis basanés, au large pantalon,

La mèche d'une main, de l'autre le tromblon ;

Et puis les Mogrebins, au long manteau de laine.

Aux pistolets d'argent, à la lance africaine,

Et les cumbaradgis traînant les lourds mortiers.

Les spahis accroupis sur des chevaux entiers.

De la selle de bois soutenant leur poitrine;

Ceux du Nizam-dzedid portant la carabine,

La giberne d'Europe et la veste des Francs,

Marchant au son du fifre, et sans rompre les rangs;

» 35 <

Et les jaunes Tatart, rapides émissaires,

( On ne YOit point passer l'orta des Janissaires ;

Parce qu'en ce temps -là Mahmoud est empereur.)

Mais les Egyptiens, à l'œil plein de fureur,

Précédés des émirs aux brillantes ceintures,

A Tyatagan chargé de bizarres peintures.

Les oulémas vêtus de doiimans épais,

Au lieu du turban vert, insigne de la paix.

Portent autour du front le schall blanc du prophète.

Tous marchent vers le Nord avec des chants de fêle ;

Car, si Monkir Tordonne, ils vont bientôt revoir

Les schakos évasés au plumet de crin noir ;

Les giaours sont là-bas. qui viennent, et la plaine

D'hommes aux blonds cheveux est déjà toute pleine.

vm.

SUR LE SPASmO DI SIGILIA.

TABLEAU DE RAPHAËL.

Près d'OD pharisien, le proconsul romain,

A cheval et tenant le bâton à la main.

Chemine comme un homme à quelque doute en proie ;

Il suit le condamné dans la pénible voie.

Et courbé sous son doute, ainsi que sous un poids.

Il semble aussi porter une part de la croix.

Et plus bas, à ses pieds, je vois les saintes femmes.

Par leurs yeux tout en pleurs montrer leurs tendres âmes,

Paraissant ignorer, dans leur, humilité.

Que d'un beau cercle d'or leur front est surmonté ;

24

Et plas loio le «oldal qui lient l'aigle romaine Remplissant son devoir sans plaisir et sans peine, Et dans cette peinture, tout parle du ciel, Représentant tout seul l'homme matériel.

IX.

A M. GH. DE MONTALEMBERT.

Quand le pape officie, alors que la cité

Assiste toute entière à la solennité,

La sainte eucharistie, au son d'un pur cantique,

Tra?erse lentement la grande basilique.

Et partant de Tautel au milieu des flambeaux.

Et du groupe sacré des rouges cardinaux.

Au pied du trône d'or va s'offrir elle-même

Au pontife coiffé du triple diadème ;

Celui-ei cependant, le front respectueux.

Immobile, muet et sans lever les yeux«

Croisant ses vieilles mains sur sa blanche poitrine.

Attend avec amour la victime divine.

X.

SUR LA CÈNE DE LÉONARD DE VINCI.

Effacée à moitié, la Cène, en Italie, Frappe encor les regards dans l'église abolie,

Comme après son eoucher dans l'Océan vermeil,

L'œil se rappelle encor ce qiîe fut le soleil ;

Ainsi pour Léonard : A travers la blessure

Que les siècles ont faite à sa vieille peinture.

L'homme qui voit par l'âme autant que par les yeux

Recompose, muet, ce tableau précieux.

Et, dans l'enthousiasme son ardeur se livre.

Sent le contour saillir et la couleur revivre.

Et, comme aux jours brillants du roi François premier.

Voit surgir devant lui Léonard tout entier ;

Les apôtres assis i cette longue table,

Le front calme, entourant le convive adorable,

Ces cheveux d'or tombant sur leurs simples habits.

Et frisant, comme on voit, la toison des brebis,

Révèlent à ses yeux une touche si fine,

Qu'on les dirait peignés par une main divine ;

Même ceux de Judas, qui met an plat la main.

Mais que de vanité dans le génie humain !

Et comme cette plante est promptemeni flétrie !

Le temps a transformé l'Eglise en écurie

Et la table, Jésus soupait avec les siens,

A servi de mangeoire aux chevaux autrichiens.

XI.

A M. ETEX.

Elève des deux Grecs, Phidias et Praxitèle, Etex, élancez- vous vers leur palme immortelle. Et qu'aux jours à venir votre jeune ciseau Nous rende Michel-Ange et son pensieroso; Et fasse resplendir au beau soleil de France Tous les marbres divios de la vieille Florence !

^ 16 ^

Celte fièvre de feu dont voua fûtes s&isi. En sortant du tombeau des anciens Me^i Prouve que sur Tautei de leur sainte chapelle, Etex, vous aviez vu le Dieu qui s'y révèle Se dresser^ et dans Tair levant sa grande main« Vous indiquer de Tari le glorieux chemin ; Ainsi, lorsque Colomb quitta Gênes, sa mère, Pour aller découvrir une nouvelle terre. Au sein de l'Océan, en son chemin fatal, Seul, il vit dans une lie un guerrier à cheval Qui, tourné vers les lieux s'endort la hunière* Lui montrait TOccident avec son doigt de pierre.

XII. LE COHSO.

Le sénateur descend du haut du Gapitole

Et traverse à pas lents la mascarade folle ;

C'est aujourd'hui le jour de la course aux chevaux,

Les dames sont déjà sur les bleus échafauds :

Et le patricien, comme autrefois l'édile,

Préside dans ce temps aux plaisirs de la ville.

A la place du peuple on vient de toute part...

C'est U qu'on va donner le signal du départ.

Là> dix jeunes Romains, avec leurs mains puissantes.

Pressant des Aarfreri les narines fumantes,

La sueur au visage et l'écume aux cheveux,

tes tiennent en arrêt sur leurs jarrets nerveux ;

Tandis que sur leurs dos et sur leurs brunes croupes

On met rapidement de brûlantes étoupes.

Qui, pour les libres flancs de l'agile coursier.

Soient comme un cavalier, à l'éperon d'acier.

^ 27 <w

Au bruit de la trompette on ouvre la barrière, Et tous en hennissant volent dans la carrière ; Et faisant retentir le. Corto sous leurs pas Effleurent en passant les armes des soldats Et courent à la fois au palais de Venise, pend la housse d'or i leur ardeur promise. II arrive souvent que l'un d'eux, barrasse. S'arrête et s'en revient d'un air embarrassé. Gomme un homme, à Aïoitié du chemin de la vie, En voyant que la gloire, hélas ! n'est que folie, Que c'est un but menteur le bonheur n'est pas, Se retourne soudain et revient sur ses pas; Ainsi le Barbero : mais la foule le hue Et de longs sifflements le poursuit dans la rue. « Au Tibre, le maudiL.. honte du carnaval l ACCIDENTE, malheur à l'ignoble cheval, » Et bientôt le vainqueur, au son de musique, Paré de beaux plumets, va par la Tille antique Recevant les bouquets et les joyeux bombons... Que de tous les côtés font pleuvoir les balcons. Et saluant ainsi que le ferait un homme. Voilà ce que j'ai vu lorsque j'étais à Rome. La fête finissait, quand un emininte Frappa d'un grand couteau quelqu'un i son côté { Et ce meurtre pourtant ( dont encor je frissonne ) Étant la Vendetta ne révolta personne !

XIII.

CIMAROSA.

L'an quatre-vingt-dix-neuf, à Naple, au Mercato, Un homme en habit rouge, en perruque à marteau,

S8 «3

Les manchettei au poing, au côté la rapière

Et tenant i la main sa riche tabatière ;

Au milieu des enfants des bruns Lazzaroni

Et mangeant ayec eux de leur macaroni,

A ce groupe aux pieds nuds, qui, Joyeux, Tenvironne,

Chantait à pleine TOix quelque aria bouffonne ;

Et Toyant les yeux noirs de toutes parts briller,

Écrivait i Tinslant son air sur le papier.

Gomme autrefois Fauteur qu'en tout pays l'on vante,

Molière, en son réduit, consultait sa servante.

Or ce Napolitain, chantre de la galté.

Mourut six mois après, chantant la liberté!

XIV. MEDITATION.

L'obélisque afk-icain de Monte-Cavallo Formait devant mes yeux un imposant tableau ; Le Jour allait mourir, et pour dissiper Tombre Qui tombait lentement sur la colline sombre, La madone qui prie au palais Quirinal Devant elle allumait son nocturne fanal. Ému de tout cela, par la place déserte J'allais le front levé. D'une fenêtre ouverte Sortait un chant joyeux et d'un charme infini, Qui, si je m'en souviens , était de Rossini. Et Je disais tout bas : Ah ! ma belle Italie, Seras-tu donc toujours le sol de la folie ! Pauvre reine , sans sceptre, en vètemens de deuil. Ah 1 chanteras-tu donc Jusque dans le cercueil ? Suspends ta lyre d'or aux branches de tes saules, * Me leDS-tu pas la mort qui vient sur tes épaules,

* La morta l'é sovra le spalle. (PiTRiauui.)

t:» sd «a

Et, tandÎB que lu perds ta dernière heure enjeux,

Gomme un voleur de nuit le saisit aux cheveux ?

Tes enrants bien-aimés pourrissent dans le bagne.

Ou meurent étouffés aux bras de l'Allemagne ;

Et tous ceux qui devaient un jour te faire honneur

Reçoivent devant toi le plomb mortel au cœur ;

Et ta voix est toujours veloutée et sonote;

Et tes chants, je le crois , vibrent plus doux encore !

Cependant pour briser tes ignobles liens

La valeur vit encore aux cœurs italiens....

Quand tes fils vont combattre, 6 Irop débile mAre !

Ne saurais-tu trouver quelque rerrain de guerre P

Mais non : ton luth toujours sonne le même son,

Et tu ne sais jamais qu'une douce chanson ;

Pareille au rossignol, à son malheur en proie,

Qui chante-la douleur comme il chantait la joie.

Ah ! du moins puisses-tu, dans tes chants expirants,

En trouver de si doux qu'ils touchent tes tyrans !

Et J'allais i pas lents et la tête baissée,

Comme celui qui porte une triste pensée ;

Et la fenêtre ouverte au soude du midi

Me renvoyait toujours cet air de Rossini...

Une petite fille, ayant dix ans à peine,

Assise à l'obélisque afin de prendre haleiie,

A côté d'un panier sur sa tête apporté.

Voyant qu'à l'admirer je m'étais arrêté,

Levant ses beaux yeux noirs avec un air de reine,

(le dit : Regardex-moi ; car, moi, je suis Romaine !

XV.

UNE JEUNE FILLE

Ah ! c'était. Dieu du ciel ! une bien pauvre mère ! Elle tordait ses bras et le roulait par terre,

30 «3

Près de sa fiile morte i Varia Cuttiva,

Quand Thomme au masque noir devant elle arriva.

Elle prit dans ses bras la Jeune trépassée.

Et, courant par la chambre ainsi qu'une insensée.

Avec le blanc Linceul et le rameau bénit.

Gomme on cacbe un trésor, la cacha sous son lit;

E t devant, accroupie, hurlant conmie une chienne,

S emblait lui dire ainsi : Tu n'auras pas la mienne !

Elle poussa des cris pendant un jour entier.

Et de sa grande voix ébranla le quartier.

Je u'aurais jamais cru que la poitrine humaine

Fournit aux hurlements une si longue haleine 1

La nouvelle en courut dans toute la cité,

El le bourg de Saint-Pierre en fut épouvanté.

Et les pénitenta noirs sur la lugubre voie

Passaient et repassaient en' attendant leur proie ;

Car nul n'osait entrer dans la maison de deuil

Dont ce gardien fidèle interdisait le seuil ;

Le lendemain pourtant les hurlements cessèrent,

Et les quatre porteurs avec le peuple entrèrent...

f^ pauvre mère, hélas ! de même qu'Ugolin,

Sur le corps de sa fille était morte à la fin,

Et les cheveux épars, avec sa main glacée,

bur son cœur froid aussi la tenait embrassée,

Et la couvrait ainsi que le saule pleureur

Couvre de ses rameaux une petite fleur :

On pouvait approcher... Alors fut accomplie

i^ loi touchant les morts au pays d'Italie.

XVI.

A M. HECTOR BERLIOZ.

Quand i Naple, autrefois, le jeune Pergolèse^ jpc son génie ardent ainsi qu'une fournaise

31 «;

Fil sortir du Stabat les yersets gémissants, Eo extase ravi par ses propres accents. Il n'apercevait pas, à celte heure suprême, L'Envie à Toeil de plomb, au teint livide et blême, Qui récoutail chanter et tenait à la main Le poison qu'il devait boire le lendemain. Tu n'empoisonnes plus tes hommes de génie Mais de mille dégoûts tu tourmentes leur vie. Ingrate humanité ! mais lu leur fais payer La rançon de la gloire et le prix du laurier ; Et quand à ses ennuis le grand homme succombe. Tu vas d'un pied distrait le conduire à la tombe. Ainsi pour Beethoven, Jk^ozart, et ceux encor Qui voudront après eux le faire entrer au port, A ce port glorieux, où, malgré ton outrage, L'art chaste et généreux l'attend sur le rivage. Lecteur, veux-tu savoir ce que peut l'art divin Quand un maître le prend dans sa puissante main ? Vas entendre LÉAR, chancelant de folie. Chercher à pas pesants sa fille Cordélie. Sa tunique flottante embarrasse ses pas ; Il veut marcher, hélas ! mais il ne le peut pas > ëa vue est altérée, et sa tète affaiblie L'abandonne, ô mon Dieu ! Mais voici Cordélie ! Cordélie, ange saint envoyé par les cieux ! Quel nom égalera Ion beau nom gr&cieux ? Et vous, maître sévère et pur, dont le génie Doit enfin aux Français enseigner l'harmonie, Laissant les flots jaloux, battre votre vaisseau, Sous des cieux inconnus cherchez cet art nouveau : Vous braverez la mer et les vents en îurie ; Car vos étoiles sont les beaux yeux d'Ophélie.

^3S«

XVII.

L'AVE -MARIA,

A M. DUBOIS, PEINTRE.

VtlnA ange Tenait i l'horizon lointain, Tremblottant comme fait l'étoile du matin, !Et frappant Tair du soir avec sa plun^e verte Approchait, approchait de la fenj&tre ouverte. Bans la petite chambre, en silence a^rrivé, Il salua Marie en lui disant : Ave l Et cependant la Vierge en son saint oratoire, Demeurant humble et calme an sein de tant de gloire* Répondit au salut d'un ton plein de douceur : Vous voyez devant vous l'esclave du Seigneur.;

XVIII.

V^ ENTERREMENT

Nous étions. réunie près du café Creco, Quand nous fûmes frappés par un lugubre échoj Les capucins, pieds nus, sur une double file. S'avançaient, en chanUnt, du centre de la ville, Et gagnaient lentement la via Condotli : C'était l'enterrement de Rosa Minotti, Que des pénitents noirs, la longue confrérie, Accompagnait, suivant l'usage d'Ilalie. Quatre hommes la portaient, visage découvert.

Eolre sei bras croisés tenant un rameau vert ;

Et sur son pAle Tront une blanche couronne

Senablait, par sa pâleur, tenir à sa personne.

Or, près de moi, celui qui fit les moissornbors,

Quand le cercueil passa, répandit quelques fleurs

Sur cette pauvre enfant i la terre ravie,

Belle aux bras de la mort, comme au sein de la viel

Rt sa chaleur de peintre exaltant sa beauté.

Il la suivit longtemps d'un regard attristé.

Et nous devions, je crois, à la Philarmonique

Entendre, ce jour ^lâ, quelque folle musique.

Nous changeâmes d'avis. Emus par tout cela,

Nous allâmes ensemble â VAcquâ^Paola.

Après avoir parlé de celte jeune femme

Dont l'aspect ne pouvait s'effacer de notre âme,

Hèvant de l'antre vie et de Téternité,

Nour revînmes muets, le soir, dans la cité ;

Suivis du tintement d'une cloche lointaine.

Et de la grande voix de l'antique fontaincr.

XIX.

AM. L. BOULANGER.

fiOrsque Paul Véronèse autrefois dessina

lies hommes basanés des noces de Cana,

Il ne s'informa pas au pays de Judée,

Si par l'or ou l'argent leur robe était brodée;

De quelle forme étaient les divins instruments

Qui vibraient sous leurs doigts en ces joyeux moments ;

Mais le Vénitien en sa mâle peinture

Fit des hommes vivants comme en fait la nature.

Sur son Musicien on a beau déclamer,

Je ne puis, pour ma part, m'empècber de l'aimer ;

Qu'il tienne une viole, ou qu'il porte une lyre,

Sa roain étant de chair, je me tais et j'admire !

» Si «)

XX.

LA NUIT DE PAQUES.

Lorsque la huit de PAque illumine SainuPierre, Le peuple vient s'asseoir sur les marches de pierre, £t la veste au bras' gauche, il joue à la mora, En attendant IMnstant tout, s'embrasera. Or, dans la basilique^ une cloche résonne, Et sans que sur le faite on découvre personne. De larges pots à feu, par leur vive splendeur, liiffacent tout à coup les verres de couleur Et si l'on m'a dit vrai, ce changement étrange, Ainsi que la coupole, est du grand Michel-Ange. Mais un coup de canon interrompt tout cela Et nous dit qu'il est temps d'aller à Ripetta. Alors, au haut des cieux, la belle girandole, Sur ses ailes de flamme en frémissant s'envole. Et la bombe, partant de l'ancien monument, A régal du tonnerre éclate au firmament. Cependant, quand parfois s'éclaircit la fumée. Suspendu dans les airs, sous la nue enflammée» On aperçoit toujours le céleste gardien Qui tient l'ardente épée au topnbeau d'Adrien : Ainsi l'âme au milieu des plaisirs de la terre Retrouve quelquefois le calme et le mystère, Et quand les feux d'été commencent à passer, Revient plus reposée à quelque saint penser t

»35 «t

XXI. A ROSSINI

SONNET.

A. toi, mattre ! Seigneur de la sainte harmonie ^ Honneur du beau pajs résonne le si. Qui, frap))ant de la main ton ceryeau de génie, Fis jaillir ce torrent qui nous entraîne ainsi.

A Yoir tant de jeunesse à tant de gloire unie. Et ton laurier précoce en dix ans épaissi ; On eût dit que ta course était déjà finie Et, Tenvie aptinée, on t'imitait aussi.

Tels quand le rossignol gémit sôus le feuillage, Les terrestres oiseaux, jaloux de son ramage. Vont bégayant ses chants, à son bec suspendus :

Mais c'est Tolie, oiseaux, d'imiter Philoméle : Elle change de ton, et tous sont confondus. Honneur à toi chanteur, qui sait faire comme elle.

xxu.

LA VILLE ENCHANTEE,

J'ai vu ce que je dis : La ville toute entière Par un magicien était changée en pierre ;

i»36 €4

Les marchands déployant la soie et le drap d'or, A Tachetenr debout semblaient les vendre encor ; Et les eunuques noirs, en un morne silence, Dormaient dans le palais appuyés sur leur lance. Et des dames en blane, dans le café voisin, Près de leur bouche avaient le sorbet à la main . L'iman de la mosquée^ auprès de la barrière, Tenait encor les bras levés pour la prière. Et plus loin, des enfants semblaient jouer au mail Et pousser devant eux les boules de corail. Cependant vers la droite, i côté de la porte. Un homme encor vivant dans cette ville morte Etait assis tout seul sur un large divan : C'était un grand vieillard qui lisait TAlcoran.

XXIIL

A M. GH. DE MALARTIC.

A rave-Maria« quel est donc ce jeune homme Qui traverse, pensif, la campagne de Rome, Uu carton sous le bras, un fusil dans la main ? Je ne me trompe pas, c'est le guaspre Poussin, Qui, sous la fratche brise et le ciel diaphane. S'en revient de Tibur ou des coteaux d'AIbane. Il écoute mourir les agrestes chansons Et se tourne souvent vers les grands horizons ; Quand la cloche du soir le rappelle à la ville, Le peintre i ce retour est toujours indocile, Et semblable à l'enfant paré de blonds cheveux Que sa mère, en grondant, vient ravir à ses jeux, Il voit avec douleur s'éteindre la lumière. Ses pieds vont en avant et ses yeux en arrière ; Car il laisse là-bas, sous les nuages d'or, Les chênes verts, les pins et tout son cher trésor.

ï» 87 ««

tt est doux au printemps de mener cette tie !

De suivre le matin sa belle fantaisie,

El, lorsque le soleil de la mer est sorti.

D'aller peindre d'abord auprès de Frascati,

Et de monter ensuite en haut de lA colline

D'où Ton découvre au loin les monts de la Sabine;

ï>uis de s'acheminer i Grotta-Ferrata,

Et, fatigué du jour, de se reposer î

Ami, combien de fois en ma plus douce année

N'avons-nous pas ainsi consumé la journée 1

Et puis nous rétournions dans notre après-midi,

Par Saint-Jean de Latran, à Casa Lucidi ;

Et nous allions revoir celte excellenie femme.

Aimant le pape et Dieu du plus fort de son âme,

Et, lorsque la douleur la clouait sur son lit

Suspendant à son col un chapelet bénit ;

Et le vieillard Brùschi, jovial et digne homme,

Pauvre et simple de cœur comnte un bourgeois de Rome,

Ayant fait une fois, à Tâge de trente ans,

Le voyage deNaple; et de cet heureux temps

Qui fut, n'en douions pas, le plus doux de sa vie,

Parlant incessamment, la face épanouie,

Et sachant retrouver un rest^ de chaleur

Pour nous vanter David, le céleste chanteur.

Auprès de quelque prince il faisait son service,

Puis allait à Saint-Pierre entendre un bel office,

Et racontait, le soir, avec naïveté,

La nouvelle courant dans l'antique cilÀ ;

Du reste, ayant un peu de tout dans sa mémoire ,

Et sur les cardinaux récitant mainte histoire.

En son étroite chambre, il n'avait qu'un tableau j

Mais ce Ubleau saos cadre était ancien et beau ;

El lorsqu'un étranger venait dans sa famille,

Il prenait par la main sa plus fketite fille,

El les menant tous deux â l'objet précieux.

Sur les yeux du Français il fittil ses grands yeaxt

Et puis il demandait, d'une voix attendrie,

Si l'on aimait aussi les arts dan» sa patrie.

Ma divine Italie ! 6 mère de beauté !

Terre de grand savoir et de simplicité,

:u «3

Od mourir est calme et le tivre facile! 'On voit encor chez toi, comme au temps de Virgile, Quelques hommes choisis, yrais enfants des Latins, 'Cacher aux feux du jour leurs paisibles destins; £t sans brûler leur sang des passions nouvelles, Aimer encor Sylvain et les nymphes jumelles; 'Gardant à l'étranger un tott hospitalier £t des lares d*argile auprès de leur foyer.

XXIV.

RAPHAËL.

« Tu montes an milieu d'un bruit confus qui roule, AiBsf que le coupable, escorté par la foule.» « Et toi, tu descends seul de ton noir échafaud, Gomme après l'acte fait, redescend le bourreau. »

En ces mots Raphaël et le vieux Michel-Ange,

Dans leur grand Vatican, échangeaient la louange.

C'est qu'ils vivaient alors en pleine humanité.

Et qu'ils ne savaient pas farder la vérité :

Se renvoyant ainsi cette ironie amère.

Comme aux champs d'Ilion, les combattants d'Homère»

J'admire l'homme seul ; mais mon cœur est ravi

Par celui qui montait de la foule suivi.

Raphaël , Raphaël l avant que ma pensée,

Ne soit à tout jamais dans ma tète glacée.

Il me convient à moi, sur le seuil du tombeau.

De dire ici combien j'adorai ton pinceau,

Et ta Vierge à la chaise, et ta sainte CécUe,

Et du grand sacrement le sévère concile.

Et Jean dans le aêsert, assis d'un air rêveur,

Enfant qui doit un jour baptiser le Sauveur.

Et puis la Farnesine, et là, ta Galatéet

Fille de l'Océan eo sa conque porlée

Sur le dos des Triions, aux écailles d'argent,

Triomphante au milieu de son peuple nageant.

Et cependant Michel, du Ûrmament s'élance,

Kt dompte le démon qui se tord sous sa lance ;

Mais l'ange ne sort pas de son calme divin :

Sa main est irritée, et son front est serein ;

Et puis je vois Saint-Pierre et son bourg en alarmet.

Ce Romain aux yeux noirs qui fut ton mattre d^arm'es

Et ton Transfiguré sur le haut du Tbabor,

Eclatant comme un astre en un beau cercle d'or,

Et noyant tout à coup dans des flots delumiére

Ceux de chair et de sang couchés sur la poussière;

Et dans le Vatican, aux murs de Cameré,

Tous les miracles nés de ton cerveau sacré :

Ces deux blancs messagers des portes éternelles.

Volant dans le saint lieu sans l'aide de leurs ailes,

Terrassant sous leur bras armé du fouet vengeur *

Celui qui profanait la maison du Seigneur;

Et Jules II, porté par ses bruns ségettaires.

Dans un coin de la scène assiste â ces mystères ;

Et promenant ses yeux sur le grave tableau.

Par l'effet tout-puiaaant du magique pinceau,

Est l'image ici-bas de TÊglise vivante,

Dévouant à l'en fer l'impiété mourante.

Or, moi qui fais cela dans mes jours de malheur

J'avais Juré cent fois, brisé par la douleur,

Ne songeant pas aux Ters que vous venez de lire

De ne plus accorder une profane lyre ;

Si donc, en ce moment, j'ai chanté Raphaél,

C'est que, pour moi, cet homme est un ange du ciol l

t»40 «I

XXV.

LA SENTINELLE

Un jour que je passait à la Yilla-Reale,

Un jeune grenadier de la garde royale,

Qui veillait, Tarme au bras, Tair grave, et d'un pas lenu

Auprès d'une figure, un buste en marbre blanc,

He cria tout à coup, du haut de la terrasse,

En français : « Saluez ! c'est le portrait du Tasse. »

Et j'obéis, lecteur, sans peine à cette voix.

Car j'honore en mon cœur et respecte les rois»

Etait-ce le devoir de cette sentinelle

Ou l'inspiration d'une âme noble et belle.

Qui, fiëre de ce poste le sort la mettait.

Me Taisait partager tout ce qu'elle sentait ?

Quoi qu'il en soit, soldat, je tiens ta voix bénie^

Pour m'avoir'fait payer ce tribut au génie.

Par ta bouche, en ce jour, le sévère destin

Me rappelait, hélas l pauvre Napolitain,

Qu'en mon noble pays qui méprise le vdtre.

Le génie est un roi méprisé comme l'autre

Car l'envie et sa sœur, la fausse égalité,

Y jettent de la boue i toute majesté !

XXVI. SAN LUIGI DE' FRANGESI.

A M. TOM MASSE.

Saint-Louis des Français est une ancienne église, " pTès ilu joyeux Corso pieusement assise,

41 «i

Portant en lettres d'or, autour de aon fronton, Le jour de son baptême et son glorieux nom. Or, un des derniers jours de la sainte semaine, Que sa nef renfermait la noblesse romaine, Je vis monter en chaire un prêtre dans ce lieu. Pour dire aux assistants la rolonté de Dieu; Il était jeune et beau ; sa bouche gracieuse Répandait i grands flots la parole pieuse i Si bien qu'autour de lui, Tattentif auditeur Ne savait s*il aimait le Verbeou l'orateur. Ainsi, divin Jésus, tu subjuguais les âmes; Et les cœurs palpitants de ces trois saintes femmes Qui, jusqu'en Galilée accompagnant te&pas, T'aimaient d'amour peut-être, et ne le savaient pai. Tant chez ces orgueilleux, -que si fort on renomme^ Une idée a toujours besoiadt se fair« homme Pour attirer leurs yeux» pour pénétrer leurs cœurs. Et dans leurs sens. émus tarder bm traits vainqueurs. Aussi, celui qui flt l'humain^ -créature,. Voyant qu'elle était faible et d'Infirme nature. De ses deux mains de père a*t-II voulu toujonrt En un faisceau divin unir tous les amourf*

xxvn.

r^ MAI.

Mois cher au laboureur, mois des belles prairies, Mois qui pousses le cœur aux vagues rêveries, El qui fais reverdir et les champs et les bois, pour mon père malade écoule un peu ma voix t Viens rafraîchir son front de ta douce rosée ; Car, par ses trois enfants qui t'adressent leurs voux, Sur sa tête chérie et sur ses blancs cheveux Ia couronne de fêle en ce jour est posée.

XXVIIÏ.

MONTE-PINGIO.

Dans la ville de Rome il est une heure sainte : Quand, VAte-Maria sonnant dans son enceinte, Le divin Angebti vient sur Tailedn vent, Et que la cité prie, ainsi qu'un grand couvent. Les bruits du ïonr ont fui; Tair est pur et tranquille , Tous les peintres flrançais reviennent à la ville ; Et, portant sous le bras leur fidèle carton. Regagnent à pas lents la Trinité du mont ; Et les enfants romains, sur les marches de pierre, Suspendent un instant le jeu pour la prière ; Et le ciel et la terre, en ce pieux moment. Ne respirent qu'amour ei que recueillement. Alors ritalien sent dans son Ame ardente Retentir tout à coup ces deux beaux vers de Dtntt « c Car la cloche du soir vient émouvoir son caour, « En paraissant pleurer le beaa Jour qui le meurt.

^ 43 «

TR^DTTOÏIOWS.

SOXNETS ET MADRIGAUX

DB PBTRARQUB.

A M. DE L'ECLUSE. I.

Amour qui me gouTerne et me Ta décevant M'a mis, pour mon malheur, aoui les yeux de ma dame, Comme neige au soleil, comme cire à la flamme, Comme but à la flèche et comme plume au vent (

Le matin il s'éveille et me vient au-devant, Me Tait la révérence et me plonge dans l'Ame, Voyant que je le crains, une poignante lame, i^ï tout le long du jour y reste bien souvent!

Ainsi passe ma vie ! ainsi, l'âme blessée,

Je promène ma peine et ma triste pensée

Loin du beau fleuve Arno, sur les monts, dans les boisl.

Mais pourtant, que je souffre et que je me lamente, Je ne puis oublier combien elle est charmante. Combien son œil est doux, combien douce est sa voix !

^ 44 IL

Ah ! béni soit le jour, et le moii, et l'année. Le teaips, et la saison, et Theure et le moment. Le beau pays, le bois, la rive fortunée Oik ses yeux m'ont soumis à Tamoureux tourment.

Et béni soit le coup d'oà ma blessure est née! Béni soit le sourire et le regard charmant, Les flèches, le carquois et la pointe empennée Qui, jusqu'au fond du cœur, me Yont tout consumant.

Bénis soient les soupirs et les accents de flamme Que j'ai jetés au vent en appelant ma dame. Et les pleurs, et les cris, et les vagues désirs !

£t bénis soient les vers tonte la journée Ma plume la dépeint de tant de grâce ornée. Et ne s'amuse pas i plus gentils loisirs.

iii.

De penser en penser, de montagne en montagne, Amour me va guidant et toujours m'accompagne ; Car les «hemins frayés sonf mortels au repos. Si par des champs déserts coulent de fraîches eaux. Si prés de quelque mont s'enfonce une vallée. s'arrête un moment mon Ame désolée : Selon qu'amour l'invite, elle pleure, elle rit. Elle craint, elle espère, et se calme, et s'aigrit ; Et puis le corps qui marche l'âme le convie, DeviAi calme ou tremblant, au gré de son envie. Voilà pourquoi tout homme, expert en ce tourment, pirait : Celui-ci Tit et ne sait pas comment !

as ^

Dans les lieux ou descend l'ombre d'une colline, Je m'arrêle souvent ; et mon Ame dessine Sur le premier rocher son visage charmant ; Et bientôt en moi-même un doux frémissement M'avertit que mon cœur est tout prés de se fendre ; Et je murmure alors d'une voix faible et tendre : Las l suis-je venu ? d'où suis-je séparé? Mais si je laisse aller mon esprit égaré, Je sens amour si près, que Famé tout à Taise De ce charme trompeur se nourrit et s'apaise ; Si belle je la vois, que si durait l'erreur. Je j^entirais enfin du calme dans mon cœur.

Souvent (qui me croira P), dans l'eau d'une fontaine

Je l'ai vue, et souvent autour du tronc d'un chêne ;

Et regardant en haut, j'ai vu son front vermeil

Briller comme une étoile à côté du soleil.

Plus les lieux sont déserts, plus mon penser fidèle

A mes yeux abusés la représente belle.

Puis quand la vérité, libre de passion.

Efface devant moi la douce illusion.

Je m'asseois sur la pierre, et, tout triste, demeure

Gomme nn homme qui pense, et qui souffre, et qui pleure !.

Vers le plus haut sommet et le plus dégagé. Pans l'espace le sol n'est jamais ombragé. Me pousse quelquefois un désir indomptable. Je marche le front bas, ou, couché sur le sable. Je mesure mes maux et compte mes douleurs. Et décharge mon sein gros d'ennuis et de pleurs. Bientôt un noir frisson de tout mon corps s'empare^ Lorsque je vois, hélas ! combien d'air me sépare De ce gentil visage, et du regard vainqueur Qui toujours est si loin et si près de mon c4Bur 1

^46 «t

IV.

Vois doDC, amour, quelle gentille dame Méprise ainsi ton empire et ma flamme I Demeurant calme entre tels ennemis^ Tu tiens ton arc ! et, dénouant sa tresse. Parmi les fleurs elle rit et caresse, Sans y penser, ses chevreaux endormis I Las ! je suis pris, ce que bien je déplore l Par ses yeux noirs, et ne rêve que d'eux ; Mais si ta trousse a quelque flèche encore, Mattre, dii-moi, venge-nous tous les deux!

V.

Voir marcher par le ciel flamboyantes étoiles, Sur la tranquille mer, vaisseaux aux blanches voiles, Dans les prés verdoyants, beaux chevaliers armés Et timides chevreuils sous les bois embaumés ; Danser parmi les fleurs et les claires fontaines. Dames aux blonds cheveux, à la taille de reines, Sont choses qui déjà ne me disent plus rien , Tant elle a sU) partant pour les rives lointaines, Emporter, Dieu du ciel ! mon cœur avec le sien.

47 «t

VI.

Tu peux bien emporter dans tes puissantes eaux. Grand fleuve italien, Técorce de mon âme ; Mais celte âme qui soufîre et meurt loin de sa dame Se rit autant de toi que des Taibles roseaux.

Derrière nous déjà, par des chemins nouveaux. Volant à son amour sur des ailes de flamme, Elle voit en pitié les vents , Tonde, et la rame^ Et s'en va parle ciel ainsi que les oiseaux !

Père plus vieux que tous, toi qui parmi la plaine, De raisins et de. fleurs et d'épis toute pleine» Rencontres le soleil, quand il mène le jour ;

Tu t'en vas entraînant ma mortelle partie; Mais l'autre, qui tantôt de moi s'est départie. S'en retourne gaiement vers son gentil séjour.

VII.

Les chérubins ailés, plus légers que les vents, Les citoyens des cieux, les divines phalanges, Quand ma dame passa, chantèrent ses louanges, Au milieu des splendeurs et des soleils mouvants.

Quel éclat merveilleux, quels rayons décevants ! Disaient les bienheureux ; non, des terrestres fanges, Jamais rien de si beau n'est monté chez les anges, Depuis qu'on vient ici du monde des vivants.

Elle, sans écouter, paraissait en prière. Jetant à chaque pas des regards en arrière. Pour voir si je pouvais la suivre dans le ciel.

^Mm

Voilà pourquoi je pleure; et toute la Journée, MoD âme, qui f'abreuye et se nourrit de fiel. En l'eatendant prier, Tera le ciel est tournée.

VIII.

APRÈS LA MORT DB LADRE.

La Yie afance et fuit sans ralentir le pas^ Et la mort Tient derrière à si grandes journées Que les heures de paix qui me Turrint données- Me paraissent un rére et comme n'étant pas !

Je m'en yais mesurant d'un sévère compas Mon sinistre aYcnir, et vois mes destinées De tant de maux divers encore environnées, Que je veux me donner de moi-m6me au trépas l

Si mon malheureux cœur eut jadis quelque Joie, Triste^ je m'en souviens ; et puis, tremblante proie» Devant Je vois la mer qui va me recevoir ^

Je vois ma nef sans mftt, sans antenne et sans voiles ^

Mon nocher fatigué, le ciel livide et noir^

Et les beaux yeux éteints, qui me servaient d'étoiles.

. «

« I

Lii RESURRECTION.

HYMNE DB MAUZOIII.

Il est reuuflcilé ! le linceul et la terre Ne couvrent plus son front ! Ineffable mystère ! Du sépulcre désert le marbre est soulevé ! Il est ressuscité I comme un guerrier Adèle, Que le bruit du clairon à son poste rappelle, Peuples, le Seigneur s'est levé!

Ainsi qu'un pèlerin, à moitié du voyage,

Sous Tabri d'un palmier couché durant l'orage.

Se lève, et le cœur plein de ses célestes vobux, \

Secoue en s'éveillant une feuille sécbée

Qui, pendant son sommeil, de l'arbre détachée.

S'était mêlée i les cbeveui. <

Ainsi le mort divin, i l'aube renaissante, * A jeté loin de lui cette pierre impuissante, Sacrilège gardien de son cadavre roi : Quand son âme, du fond de la sombre vallée, Au corps qui l'attendait, tout i coup rappelée, A dit : Me Toili, lève*toi !

O pères d'Israël ! quelle voix bienbeareube Vous a fait agiter votre tète poudreuse ? Oest lui, l'Emmanuel, le Christ littérateur ; Il a vaincu l'enfer frémissant sous son glaive... O vous qui l'attendiez ! oui, TOtre exil s^achève; C'est lui ! c'est lui, le Rédempteur !

Quel mortel, avant lui, dans le séjour suprême, Vivant, aurait pu Toir ce brûlant diadème

Que l'œil des chérubins n'ose jamais braver? >

Patriarches, c'est lui, qui dans le noir abîme, \

Des coupables humains yolontaire victime, Est descendu pour vous saoyer !

50 «s

Aux prophètes anciens il voulut apparaître,

Quand ces bommes disaient les jours qui doivent natlre,

Gomme un père i ses fils raconte le passé ;

Tel qu'un soleil brillant dans les déserts du vide,

Il se montrait d'avance à leur regard avide

Le Christ par Dieu même annoncé;

Quand le juste Isaïe, aux ardentes paroles, Proclamait sous les Touets, en face des idoles, Celui qui pour le monde un jour devait venir ! Quand Daniel, confident des sombres destinées. Roulait dans son esprit les futures années. Se souvenant de l'avenir.

Or, c'était le matin, Salome et Madeleine, Tout bas s'entretenant du sujet de leur peine, Pleuraient amèrement l'homme crucifié. Voilà que du saint temple a chancelé le faite... Les bourreaux ont pâli, croyant voir sur leur tête Le Dieu qu'ils ont sacrifié !

Un jeune homme étranger, appuyé sur sa lance. Au pied du monument est debout en silence ; Ses vêlements sont blancs, son visage est de feu ^ Celui que vous cherchez, 6 femme désolée ! Dit- il avec douceur, il est en Galilée...

Ne le cherchez plui ea ce lieu !

Chantons ! qu*à la douleur succède enfin la joie Que l'or accoutumé, que la pourpre et la soie Resplendissent encor sur l'autel attristé 1 Que le prêtre vêtu de la robe de neige, A l'éclat des flambeaux, dans un pieux cortège, Annonce le ressuscité !

U Sl'tt

FRAGMENT. ( ALm... j

Une église, une église!... Allons, qu*un camaldule,

Sous son blane capuchon le cache en sa cellule,

Car on n'a de pitié que pour le meurtrier,

Kl Taulre est qui meurt, et s'épuise à crier :

Au secours .' Malheureux, n'en attends de personne !

Comme ton assassin, la foule t'abandonne.

Car il est dangereux, lorsque la garde sort,

De se trouver, le soir, auprès d'un homme mort.

A Rome, la justice est aYeugie... et capable

De prendre l'innocent i défaut du coupable.

SONNET DE GIANNI.

SUPPLICE DE JI7DA8 DANS L'BHFEE.

fiOrsqn'ayant assouvi son atroce colère

Judas enfin tomba de l'arbre solitaire,

L'effroyable démon qui l'avait excité

Sur lui fondit alors avec rapidité.

Le prenant aux cheveux, sur ses ailes de flamme,

Dans l'air il emporta le corps de cet infâme ,

Et descendant au fond de l'éternel enfer '

Le jeta tout tremblant à ses fourches de fer.

Les chairs d'Iscariote avec fracas brûlèrent

Sa moelle rotlt et tous ses os sifflèrent.

Satan de ses deux bras entoura le damné,

Puis, en le regardant d'une face riante.

Serein, il lui rendit de sa bouche fumante

Le baiser que le traître au Christ avait donoé. »

I»8i «1

FRAGMENT «mm.)

A l'heure Jésus-Chriit , au sommet du calTiire, Poussa le grand soupir et mourut sur la terre, Dans l'autre monde Adam fut ému de pitié. De sa couche de fer se loTant à moitié, Tout pâle, il se pencha sur Eve, notre mère. Puis, en la regardant d'un œil triste et sévère : Femme, s'écria-t-il d'une funèbre voix, Cest pour vous que ce Juste expire sur la croix 1

PENSEE DE S^'-THERESE.

Ah ! ce n*est pas, Jésus, ta promesse divine

Qui fait que je t'adore ; ô Christ, c'est ta poitrine,

Ce sont tes pauvres pieds tout traversés de clous,

C'est ton front ruisselant et tout meurtri de coups;

Et sans ton paradis, sans l'espérance même.

Je l'aimerais, Seigneur, tout autant que Je t'aime.

S8

SCENES DU ROI LEAR

DK SBAK8PBARB.

LEAR, LE FOU.

( Une tempête gronde. )

LÉAR.

Vents, ouragaoi, soufflex; alloni , creTez tos joues» Et toi, qui dana les airs en ragissant te Joues, Tempête, ferse donc tous tes torrents ! accours : Engloutis sous tes flota les clochers et les tours Venei, descendez tous sur ma tète glacée I Vous, éclairs sulfureux, prompts comme la pensée, Brûlez mes chef eux blancs! terreur de TuniTorsy Tonnerre, tombe donc sur ce globe pervers ; Anéantis le moule, oâ, dans sa sombre étude, La nature produit l'homme et l'ingratitude !

LB rOD.

L'eau bénite do cour, N'oncle, dans la maison. Vaut mieux que Teau du ciel sur ce triste gazon : Cette nuit n'a pitié ni du fou ni du sage !...

LfiAR.

Bien, épuise tes flanci, tempête! pluie, orage !

Grondez... tous n'élea pas mes filles! Eléments,

iJe ne vous dirai point ingrats dans mes tourments!

Je ne vous ai Jamais ni donné de royaume.

Ni nommé mes enfants... Vous voyei un pauvre homme,

Un malheureux vieillard, faible, infirme, et soumis

A toutes vos ftareurs, célestes ennemis f

Gependant je peux bien vous nommer vils ministres,

B4 «t

Vous qui, ligués avec deux sorcières sinistres, Ayez choisi pour but de vos affreui combats Une lêle si vieille et si blanche.'... Oh ! c'est bas !

LES MEMES , LE COMTE DE KENT.

LÉAR.

Je veux èire un modèle ici de patience ! Je ne dirai plus rien.

LE FOU.

N'oncle^ quelqu'un s'avance ! KENT, dans Ut ténébret. Qui va 'là? répondez.

LE rov.

Un pauvre avec un roi ! Un sage avec un fou I

KENT.

Mon bon seigneur, eh quoi! Vous ici sans abri ? dans ce lieu solitaire, Sur ces bruyères! Bien de ce qui sur la terre Aime la nuit, Seigneur, n'aima de telles nuits ; Ces nuages de Teu, ces effroyables bruits Repoussent dans le fond de leurs antres funèbres Jusqu'à ces animaux, vagabonds des ténèbres. Je ne me suis jamais cru si près du trépas Depuis que je suis homme, et ne me souviens pas D'avoir vu tant d'éclairs, et de la nue immonde La pluie à flots si grands descendre sur le monde ! La nature de l'homme en ce jour odieux Ne peut pas supporter tant de maux !

LÉAR.

Que les dieux Qui font gronder ces bruits au-dessus de nos têtes, Distinf uent donc enfin, au milieu des tempêtes, Leurs ennemis! Fuis, toi dont le coupable sein Recèle des forfaits.' loi, main de l'assassin, Cache-toi ! frémis, traître ! et loi, lâche, hypocrite, Arrache donc le masque i ta face maudite ! Tremblez, incestueux ! tremblez, empoisonneurs! El vous, qui de la terre usurpez les honneurs. Crimes cachés aux yeux de notre aveugle race, Levez tons votre voile ; allons ! et criez grâce A ces grands punissenrsl... Je suis un homme, moi. Qui souffre plus de maux que Je n'en ai fait !

KERT.

Quoi! Seigneur, la tête nue... ah / venez, mon bon maître, Une chaumière est 1^, venez vous y remettre; On vous la prêtera contre ce temps affl'enx. Venez, tandis que moi Je retourne vers eux, Vers ces hommes plus durs que la pierre insensible Qui bâtit leur demeure!... Ah ! qu'un sommeil paisible Rafraîchisse vos sens... Je n'ai pu les loucher ! Toul-à-l'heure, Seigneur, J'allais vous y chercher ; Ces gens, de leur maison m'ont refusé la porte; Cependant J'y retourne »... il faut que Je l'emporte !

l£ab. Hélas! mon pauvre esprit commencée se troubler!

(A son fou,)

Viens mon enfant ! Eh quoi ! tu me parais trembler. Tu meurs de froid !... moi-même, oh l Je suis tout de glace ! trouver de la paille, un lit qui nous délasse.'» Noire sort est étrange!... il nous rend précieux. Voir-lu, ce qui naguère était vil â nos yeux !

56

Il nous faut oublier noire splendeur première. Ne m'abandonne pas, viens dans cette chaumière; Viens . Tiens, mon pauvre fou ! viens, ton malheureux roi A dans son cœur un coin qui souffre aussi pour toi l

tiB FOU chante.

Pour peu qu'un homme ait de cervelle Il peut pleuvoir, il peut venter ! De tout il doit se contenter : A jour nouveau douleur nouvelle!

U&AR.

Vrai, très-vrai, mon enfant; entre dans la cabane.

LB For. Celte nuit doit glacer plus d'une courtisane !

LES MEMES, EDGAR, il sort de la caverne, déguisé ei eoiilr»'

faisant Tinsensé.

EDGAR.

Va-t'en! le noir démon me poursuit... A travers Les buissons épineux, de neige tout couverts, Soufile la bise aiguë ! Ah ! vois cette lumière ! Va, va te réchauffer au feu de ta chaumière !

LiAR.

As-tu donc donné tout i tes deux filles P... toi ; En es-tu réduit là?...

EDGAR.

J'ai froid ! secôurei-moi» ïloi que le noir esprit a, malgré mes prières,

^ 57

Promené sur les lacs et sur les fondrières ;

Il a mis des couteaux sur mon dur oreiller,

l)es cordes sur mon siège, et pour me réYelller,

Dans mon lit de fagots il a porté la flamme.

Il a soufflé Tenvie et Torgueil dans mon Ame!

Monté sur un cheval courant, courant toujours,

Il m'a fait galopper et les nuits et les jours.

Et poursuivre mon ombre en croyant suivre un tratlre.

Dieu garde les cinq sens !... Hélas ! au pied du hêtre

Tom a froid; que le ciel te préserve des vents ,

Des lutins bigarrés, des follets décevants !

Mais je le vois; ici, non, li, voilà sa trace...

Je le tiens.' Je le tiens!... la charité de grâce!

. LÉAR.

Quoi! ses filles ainsi Font donc abandonné! N'as-tu pu rien garder? leur as-tu tout donné? .

LE POU. Il a fort i propos gardé sa couverture.

LÉAR.

Eh bien ! que les fléaux qu'enfante la nature Tombent sur les enfants !

keut.

Seigneur, il n'en a pas !

LÉAR.

Quoi! traître, il n'en a pas! tu mens, par le trépas! Rien ne peut l'avoir mis dans celte servitude Que ses Slles, te dis-je, et leur ingratitude ! C'est la coutume donc, que, repoussés partout, Les pères par leur sang soient dépouillés de tout? Juste punition !... et notre sang fait naître Ces filles-pélican !

M «t

EDGAR.

-bas, au pied du hêtre Pillicock est assis ! Holà! Tentendez-Tous?

LE FOU.

Je crois que cette nuit va tous nous rendre fous .

EDGAR.

Prends garde au noir esprit ! obéis à ton père ; Sois Yrai ! garde la foi! ne jure point; tempère La chaleur de ton sang, et ne détourne pas La femme qui d'un autre a suivre les pas ; Ne mets point de collier au col de ton amaMe, Ni de bague à son doigt ;... Pillicock tae tourmente !.

LËAR.

Qu'étais-tu ?

EDGAR.

J'étais fier, Torgueil gonflait ma peau^ Je frisais mes cheveux ; j'avais sur mon chapeau Les gants de ma maltresse, et sans remords funèbres. Je commettais souvent l'action de ténèbres ; Je proférais autant de serments que de mots. Et sans penser au ciel, qui comble ici mes maux, Les violais bientôt, à sa face sacrée ; Mon àme était toujours de débauche enivrée ; Des voluptés du jour j'allais me délasser. Et ne me réveillais que pour recommencer ; J'aimais le jeu, le vin ; dans mon libertinage. Je surpassais le Turc, qui, dans les plaisirs nage "- Mon cœur était perfide et mon esprit léger. Et mon bras dans le sang aimait à se plonger... Ne livre pas ton cœur à la fille de joie. Grains le frémissement d'une robe de soie» Écarte bien tes pas du séjour ordurier

» 89 «

Et U main du registre impur de l'usurier. Et garde- toi surtout de Tesprilde rapine... Ob ! j'ai froid : i trayers les buissons d'aubépine Soufle la bise aigûe !

LÉAR.

Il vaudrait mieux pour toi Etre dans ton cercueiU que dans ce lieu d'effroi; Vivre ainsi seul et nu! Voilà donc ce qu'est Thomme! Considère-le bien ! tu ne dois pas de baume A la civette ; point aux brebis de toison. Ah ! trois hommes ici sont privés de raison ! Mais moi, ne suis-jepas la folie elle-même? Dépossédé des biens que notre nature aime, L'homme n'est comme moi qu'un stupide animal, Pauvre, infirme et soumis au noir esprit du mal. Allons, quittez-moi donc, habits, peaux étrangères. Honteux déguisements, parures mensongères. Loin de moi !...

( Il se déshabille. )

LE FOU.

Calme-toi, réfléchis au danger ; N'oncle, car cette nuit ne vaut rien pour nager ! Ecoute ! un peu de feu dans cette aride plaine De ronces, de chardons, de frimats toute pleine, Ressemblerait au cœur de ce vieux débauché, Par le plaisir enfin vers la tombe penché, A ce cœur végète encore une étincelle. Quand le reste du corps faible et glacé chancelle... Regardez, regardez ! Ah ! c'est un feu follet !...

EDGAR.

C'est le mauvais lutin ! c'est Stiberligibet! Il commence sa courte à l'heure solennelle Du couvre-feu ; tantôt, nocturne sentinelle. Il se promène autour des bruyantes cités; Tantôt, loin de la ville et des lieux habités.

» 60 «

II corrompt des moissons le germe salutaire, Et jusqu'au chant du coq, va rôdant sur la terre. Pendant notre sommeil, il vient... etdesesmaine La cécité descend sur les yeux des humains !

LES MEMES, LE COMTE DE GLOGESTER

avec un flambeau.

LÉAR.

Quel est cet homme-là ?

EENT. Qui ya-li ? répondez ! GLOCESTER.

Vous-même, dites-moi ce que vous demandez !

EDGAR.

Je suis le pauvre Tom, qui, parmi les fenouilles.

Se nourrit de crapauds et d'immondes grenouilles,

Lorsque le noir démon Tagite par hasard.

Il mange le vieux rat et le jeune lézard ;

Il dévore le chien enterré de la veille ;

Et si la aoif ardente en son gosier s'éveille,

Il boit le manteau vert des marais enttormfs ;

Au foyer qui pétille il n'est jamais admis ;

Errant, battu, chassé de village en village ,

Partout il est en butte à l'insulte, à l'outrage.

Lui qui jadis avait trois habits pour son dos.

Six chemises, un beau poignard i manche d'os»

Et sur une cavale , à grands frais équipée,

Eo guerre s'en allait, ceint d'une longue.épée !

Mais des souris, des rats et semblable Dretin,

Tom, depuis sept ans, ont servi de festin!

Prends garde au noir esprit ! ah ! laisse-moi, de grâce {

Smolkin, arrête.

61 «I

glocester.

Eh quoi ! bon Seigneur» voire Grâce A de tels compagnons P

EDGAR.

L'esprit noir, je l'ai yu ^ On l'appelle Modok et quelquerois Mahu ! Il est gentilhomme.

GLOCESTER.

Oh ! notre chair, mon bon matire, Repousse donc toujours celui qui la flt naître?

EDGAR.

Tom a froid.

GLOCESTER, au roi.

Ah ! venez. Je n'obéirai pas A leurs ordres cruels; Seigneur, suivez mes pas * Quoiqu'ils m'aient commandé de laisser votre lêie Fendant toute la nuit en butte à la tempête, Je viens pourtant ici vous conduire en un lieu vous allez trouver et du pain et du feu.

LÉAR.

Je veux m'enirelenir avec ce philosophe : Qu*est'ce que le tonnerre?

ME9T.

Ah! venez; qu'on réchauffe Votre corps.

LËAR.

Non, je parle à ce savant Thébain : A quoi travaillez-vous?

6

^ 61 «3

EDGAR.

A fuir le noir iulin. Le prince de la nuit.

f.ÉâR.

J\ii deux mots à tous dire A part.

KENT à Glocesler.

Hélas ! voyez Gomme il tombe en délire. Pressez- le de marcher.

GLOGESTER.

Ah ! de grâce, Seigneur, Venez.

LÉAR à Edgar.

Pardon, pardon, vous, sage plein d'honneur. Restez, soyez toujours ma yiyante lumière I

EDGAR.

Tomafroidl

GLOGESTER.

Camarade! entre dans ta chaumière/ El Ta l'y réchauffer !

LÉAR.

Allons ! enlrons-y lous ! keut. Par-ici, mon bon maître; oh! Tenez arec nous!

LÉAR, montrant Edgar. Avec lui ; près moi je yeux toujours mon sagel

63 «I

GLOCESTER.

Faisons donc ce qu'il veut.

KE.^T i Edgar.

C'est ici le passage ! Allons, Tami, Tenez et n'ayez point d'effroi !

LËAR à Edgar.

Viens, bon Athénien.

GLOCESTER.

Silence ! Pauvre roi l ( JSjpfunf)

EDMOND seul.

Nature, ma déesse ! à toi toujours Hé, Je me voue à ton culte^ en ce monde oublié. Pourquoi donc ramperais-je abreuvé d'amertume Et courbé sous le joug de Taveugle coutume ^ Et pourquoi permeltrais-je aux lois des nations, A des caprices vains, à des conventions. Qui donnent à mon Trère un trésor sans parlaf;e^ De me déposséder de mon juste héritage? Parce que je suis douze lunes plus tard. Pourquoi me flétrit-on de ce nom bâtard ? Et pourquoi suif-j® ^'*^ ? quand les traits de ma face Sont aussi bien formés, et malgré que Ton fasse. Lorsque ma taille est droite et souple sans effort. Mou regard aussi fier et mon bras aussi fort. Et que Je porte enfin tout une aussi belle Ame Que si j'étais sorti de quelque honnête dame? Pourquoi donc tous ces noms injurieux ? Pourquoi

64 «

M'appeHeni-ilf bâurd, ignoble I ignoble ! moi f Moi ! qui, dans l'acle libre et saint de la nature, Ai pris une substance et plus forte et plus pure Que n'en peuvent fournir ces époux épuisés, Faibles et languissants, par l'habitude usés, Qui, méthodiquement, yont dans un lit déglace Travailler sans plaisir à créer une race Faite entre le sommeil et le réveil ! Oh bien ! Mon légitime Edgar, je prendrai votre bien ! L'amour de notre père, i ce que j'en estime, Appartient au bâtard ainsi qu'au légitime! Je grandis, et du sort je brave les retards ! Allons ! Dieux ! rangez-vous du parti des bâtards i

CASSAIVDRE

PENDANT LE HEUBTEE D'AGAMEMNON. (SSCHTLI.)

O (lieu, tueur des loups, Apollon conducteur.

Dieu vainqueur de Python, mon divin prolecteur,

A^olon, Apollon, dien stuvenr de la Grèce,

donc as-tu conduit ta tr ist* prophétesae !

Tes présents, Apollon, tes présents, reprends-les

Les larves de l'enfer habitent ce palais.

Vois-tu tous ces enfants, ivres de funérailles,

N'apporter en riant leurs famantea entrailles ;

Reprends ton sceptre d'or et (on sacré bandeau,

Ta robe prophétique et ce fatal manieau ;

Hélas .' ils n'ont servi, dans les lieux nous sommet,

Qu'à me faire la fable et le jouet des hommes ;

En l'absence, Apollon, du lion généreux.

Les loups ont conspiré , dans la nuit sombre, enlr'eux,

Et sans pudeur, hélas ! la lionne infidèle

A reçu l'un d'entr'eux dans sa couche , près d'elle !

Pourtant, quand dans Argos rentra le souverain,

Elle a comme autrefois léché sa noble main.

()5 44

Mais écoulez, qaels cris !... Apollon, une femme Oser tuer un homme !... ah ! n'est-ce pas infâme ! Et tout seul, dans son bain, nu, sans précaution Dans ce yase de mort et de perdition ! J'entends leurs pieds lutter sur le pavé sonore. Il crie, il se débat, mais elle frappe encore ; Elle redouble, ô ciel ! ù mon père Apollon, Reçois le dernier vœu du grand Agamemnon !

La Tapeur de la morl règne dans celte salle. Et des dieux s'accomplit la volonté fatale ; Implacable destin ! le triomphe, 6 douleur ! ici fait encor plus pitié que le malheur. Et moi, triste témoin du sanglant adultère. Moi, qu'on ne croyait pas, qu'on raillait sur la terre, Fatiguée à la fin de mes indignes fers, Jb demande i sortir de ce morne univers ; Pareille au pauvre oiseau que va pressant le piège, Lorsque de l'Achéron la grande nuit m'assiège. Puisse, en un léger souffle, Apollon, s'exhaler Mon lime, et tout mon sang doucement s'écouler !

LES CITOYENS ET LA PAUVRETÉ.

(ARISTOPHANE.)

Une place publique à Athènes.

LES CITOYENS.

Fuyons, 6 citoyens, fuyons par ce chemin, Ce monstre qui vers nous étend sa large main ; Cette femme en lambeaux, elle est notre ennemie, Athènes, sous sa loi, jadis fut asservie.

LA PAUVRETÉ.

Lâches, od courez-vous ? je suis la pauvreté! Oui, c'est moi qui jadis b&tis votre cité.

CO sj

Lâches, vous me Tuyez, moi qui suis voire reine^

L'anlique pauvreté, la nourrice d'Alhène,

Qui la berçais Jadis, la mère des vertus,

Que craint, sous son dais d'or, refféminé Plutus.

C'est moi qui, combattant au pas des Tbermopyies.

Du satrape d'Asie ai délivré vos villes.

Et vous le savez tous. Athéniens, c'est moi

Qui sous mes javelots ai vaincu le grand Roi.

Je suis la pauvreté, l'active travailleuse

Qui fait sur les oisirs la cure merveilleuse,

Le grand réveil-matin du bon et du pervers,

Et le chien de berger qui mène Tunivers;

Pourtant vous me Tuyez, vous fuyez votre mère !

Ah ! je vous poursuivrai jusqu'au bout de It terre.

LES CITOYENS.

Fuyons, fuyons ce monstre, et par tous les moyens ËclMippons à ses traits, fuyons, 6 citoyens 1

LA PAIJVEETÉ.

Je vous atteindrai bien, lâches aux cœurs de femmes , Juches aux pieds de cerf, dégénérés, infâmes! Pour toujours, citoyens, je m'attache à vos pas Et vous ramènerai pâles entre mes bras !

FRAGMENT DE SIMONIDË.

Qu'aulour de nous tout dorme et les vents et Neptune,

Et nos malheurs, hélas I et l'injuste fortune !

Et toi, mon fils, ei toi, pauvre enfant sans raison.

Dans ce fragile bois qui te sert de maison.

Dors en paix, sans penser â la douleur future ;

LiJsse les flots baigner ta blonde chevelure !

En le voyant dormir peut-être Jupiter

Apaisera son aigle aux deux ongles de fer l

»

^ 67 «a

I.

J'aime avec passion la terre d'Italie! Et j'en parle toujours, et c'est ma folie ! C'est la terre du Trai, du beau, du naturel. Or, aujourd'hui, je toux élever sur l'autel Ces femmes qui, sans prendre un petit air malingre, Regardent comme fait cette odalisque d'Ingre, Ne grimacent jamais sous un front emprunté, Et marchent librement, belles de leur beauté ; Aiment ce qu'elles font, le font avec franchise. Se mettent à genoux par terre, dans l'église. Et le soir, sans penser à ce qu'on en dira. Battent nafyement des mains à l'Opéra ; Portent dans leur poitrine et l'amour et la haine, Et ne rejettent rien de la nature humaine; Gardant i leur fidèle un cœur chaud de désir, Et le stylet romain i qui veut les trahir.

Mais au nord, quelquefois, on Toit de ces poupées, De linge et de chiffons sans cesse enveloppées. Que Ton pourrait sonder à toute profondeur Sans rencontrer jamais ce qu'on appelle cœur. Leurs sens sont accablés de molles léthargies ; Plantes de serre chaude écloses aux bougies. Elles veulent pour vivre un air artificiel, El se fanent aux feux de l'œil brûlant du ciel. Des hommes de boudoir, plus efféminés qu'elles, Se sont chargés du soin de façonner ces belles ; Et comme on fait des airs pour certains instruments»

^ 68 «s

t^our elles on réduit tout, jusqu'aux senlimenis. Auti! qu'en ce pays se rencontre une femme Aimant, comme on le doit, avec toute son âme, Quelqu'un ou quelque chose, ou même simplement La musique, la danse, un divertissement. For shame l dit le monde, ô Temme inconséquente / Et pour ces puritains, c'est presque une Bacchante.

Or, ces êtres moraux, indifférents, usés.

Traînant dans les salons leurs yisages blasés ;

Ainsi que d'un grand yice, en leur hypocrisie,

Se gardant de l'amour et de la poésie.

N'est-il rien qui les touche et les remue au fond.

Et les montre i la fin sans masque et tels qu'ils sont ?..

Gomme pour déyoiler sa féroce nature,

Le maître d'un lion lui jette sa pâture.

Qu'on leur jette de l'or, et tous les verrez tons,

Hommes, femmes, bondir ; et d'un regard jaloux

Le couver, témoignant par de longs cris de joie

Que tendait leur âme et que c'était sa proie.

Et ces yeux languissants et fermés à moitié

Vont s'ouvrir; et ces mains, froides à l'amitié,

S'allonger, et montser à qui voudra les peindre.

Que lorsqu'il s'agit d'or elles savent étreindre :

Car cet amour de l'or est notre mal cuisant.

Et c'est le seul amour qu'on avoue à présent.

Parisiens ingrats, oublieux des grands hommes I Un homme pur vivait dans le siècle nous sommes. En son sein habitait l'antique loyauté. Et son cœur ne battait que pour la liberté. Quand la cupidité tourne toutes vos têtes. Lui n'était tourmenté que de pensers honnêtes. Ce juste est mort, hélas ! et comme un lourd fardeau. On s'est vtie empressé de le mettre au tombeau ; Et le soir, dans vos murs, on ne parlait qu'à peine Du mort que doit pleurer la terre américaine Qui, ne pouvant avoir comme vous son cercueil. Plus loin que vous du moins saura pousser son deuil. Gomme Jériisalen autrefois des prophètes.

69 C3

Yousriex aujourd'hui des saints et des poêles T Paris, que veux-tu donc quMI advienne de toi, Quand tu n'as plus un grain de respect ni de foi f Quand, respirant encor l'odeur du cimetière, Qui recèle â jamais Lafayette en poussière, Le front voilé de crêpe et l'œil humide encor, Tu reviens sans pudeur adorer le veau d'or !

Donc, bien qu'en ces beaux jours la féconde industrie

Couvre de ses trésors le sol do la patrie.

Que chaque citoyen, tout gonflé de ses droits,

A leur juste valeur estime enfin les rois ;

Que la France, suivant la forme consacrée,

Ait repris ses couleurs et soit régénérée ;

Que la Charte i présent soit une vérité,

Et qu'on nous Tait redit jusqu'à satiété ;

Qu'une fausse Thalie, opprobre de la scène !

Chaque soir i vos fils montre sa flace obscène,

Et qu'au lieu de chercher À corriger les mœurs.

Elle jette partout le vice dans les cœurs ;

Que la mauvaise foi, l'ignorance et l'envie,

Ces trois chiennes sans yeux, poursuivent le gènfe^

Que des gens sans aveu, sans foi ni sentiment

Dans tous les carrefours parlent de dévouement;

Que de cet heureux temps la jeunesse dorée,

De cigarre et de vin encor toute enivrée.

Pour distraire, en fumant, ses futiles cerveaux ,

S'occupe de croiser les races de chevaux ;

Tandis qu'au même instant, à Ées pieds, sur la terre»

La grande race humaine expire de misère...

Pour cet amour de l'or, ardent, universel.

Pour le culte assidu de son ignoble autel.

Ce siècle ayant fini sa brillante carrière,

Kt, comme ses aïeux, ayant fait sa poussière.

Par l'inflexible doigt de la postérité,

Entre les plus mauvais, un jour, sera compté.

Ab! Plutus,Dieu de l'or! par ton souffle flétrie. Autour de tes autels se tratne ma patrie ; Partout règne la fraude et la cupidité.

î> 70 «5

Ton temple est le seul temple aujourd'hui visité ! fous y sont à genoux : les hommes et les femmes Ne sentent plus en eux que tes terrestres flammes, foi seul es Dieu du siècle, ô Plutus ! et les cœurs Ne brûlent plus d'encens aux dieux supérieurs ! Ces grands dieux qui jadis ont traversé le monde Pour lui faire oublier sa misère profonde, La foi, le dévouement, la pudeur, l'amitié, Sans lesquels les humains ne vivent qu'à moitié. Ah ! belles fleurs du ciel, descendez donc encore, Et, sous nos pieds poudreux, venez, venez éclore. Venez embaumer l'air de vos parfums divins Et, comme au premier âge émailler les chemins , Et toi. Dieu des Chrétiens, notre céleste père. Oh ! vrai Dieu, prends pitié de cette pauvre terre , Et de la profondeur de ton éternité. Laisse sur nos enfants tomber la CHARITÉ !

u.

L'autre jour, à Paris, dans la ville nous sommes^

Un courtier, en causant avec un de ces hommes,

Un de ces financiers, déposa son chapeau

Sur le maroquin vert du splendide bureau.

Le financier trouva la licence incongrue,

Et d'un revers de main le jeta dans la rue.

Or, l'autre avait du cœur ; mais une femme aussi.

El des petits enfants qu'il nourrissait ainsi.

Et venait au Mondor demander une affaire...

Il se mordit la lèvre, et foreé de se taire.

Maudit l'homme au cœur sec, et l'implacable faim

Qui l'obligeait, hélas ! d'en attendre du pain ;

Et ce père, navré jusques au fond de l'âme,

Lâche pour ses enfants et lâche pour sa femme»

Immobile et muet dévora son affront.

Et sortit sans cracher sur cet ignoble front.

71 «

Ah ! par le ciel ! Messieurs de la haute finance, Qui traitez vos vassaux avec tant d'insolence. Votre aristocratie est plus lourde à porter Que celle que nos fronts viennent de rejeter ! La première n*est plus ; prenez garde à la vôtre : On en ferait bientôt ce qu'on a fait de l'autre !

III.

Je voudrais bien eneor parier de l'Italie ;

Car, je l'ai déjà dit, je l'aime avec folie!

Et, comme un homme ayant regardé le soleil,

Dans Tombre voit encor son beau disque vermeil.

Moi, je vois toujours Gène au pied des monts couchée,

Naple et ses orangers, Pise et sa tour penchée ;

Et le dôme de Sienne, au clocher jaune et noir ;

Les dames de Venise, en gondole, le soir ;

L'athénienne Florence^ antique et noble ville,

Montrant encor le sang de la guerre civile

Sur le mur crénelé que le temps a noirci.

Et les anneaux de fer du vieux palais Strozzi ;

Et puis le Vatican et sa splendeur étrange;

Et Raphaël d'Urbin, et Dante, et Michel-Ange;

La campagne de Rome et ses grands horizons,

Ses terrains sillonnés de sublimes façons,

El les beaux chênes verts, amour de la peinture ;

Et ritalie enfin, et sa large nature ;

Et puis j'ai toujours là, présent devant les yeux,

Ce prêtre en cheveux blancs qui tient la clef des cieux.

Sans puissance aujourd'hui, pauvre vieillard austère,

Accomplissant, muet, son divin ministère

Et portant dans sa main le sceptre épiscopal.

Comme un marbre aboli tient le sceptre augurai...

Adieu donc cependant, Naples, Rome, Florence,

Terre que je chéris ainsi qu'une autre France !

Et dont l'ardent soleil à la fin éveilla

Un feu qui dans mon sein trop long-temps sommeilla^

72 «^

Terre, dont la pensée ft tonte heure m'enivre,

fit pour laquelle, un jour, j'ai commencé ee livre ;

"Car il faut de Tamour, un eosur libre et joyeax y

A qui veut déployer ton manteau radieux ;

Et mon âme est de plomb ; je souffre, je soupire ;

Et tout ce*que je vois me pousse i la satire,

Et je sens tous mes nerfs se tendre, et chaque four,

<>randir en moi la haine et décroître Tamour.

Le moyen, dites-moi, de souffrir, sans colère. Ce qu'on jette à présent au stupide parterre. Ce qu'on lit le matin dans d'infâmes journaux, Ce qu'on entend le soir sur d'infâmes tréteaux ? Ah ! laissez donc en paix descendre dans la tombe Les prêtres et les rois, enfin tout ce qui tombe^ Même ceux que le peuple, avec sa main do fer. Poussait au mois d'août du côté de la mer. Laissez Napoléon, dans son tle lointaine, Dormir tranquille au bruit do la vague africaine. Si vous le réveillez, que ee soit fcaréiment : Tirez-le tout entier de son froid monument, Afin qu'on puisse voir, sur cette ombre sublime S'il n'est point une tache, indice de son crime. Montrez-vous revêtus de votre dignité, Poètes, dévoilez toute la vérité. Or, il est quelque chose, aux fossés de Vincenne, Qu'on pourrait exhumer et tratner sur la scène > Le fait est historique... il est tragique ttus$ï. Mais chacun, direz- vous, le siflQerait ici : Il faudrait se résoudre à braver le vulgaire^ Qui sait? les étudiants... Cela ne se peut guère. Depuis que nous avons conquis nos libertés, Nous nous sentons les bras liés «le tous côtés... Eh bien ! silence donc ! faiseurs de vaudevilles, Qui trafiquez chez nous des querelles civiles En d'ignobles couplets, le parti des morts Est lâchement foulé sous les pieds des plus forts j Gens qui voulez de l'or, et dont la frénésie Va profanant partout la sainte poésie, Vous que je voudrais voir, ceints de vils tabliers.

{^ 73 43

Croupir dans une échope à faire des souliers ;

Car à ce métier-là Ton gagne aussi sa vie.

Et c'est du moins sans crime et sans ignominie !

Certes, si vous avei à répandre du fiel.

Le temps est bon, messieurs, j'en jure par le ciel .

Sur les vainqueurs du jour on peut se satisfaire :

Mais, de grftce, épargnez des ennemis à terre :

C'est le vice debout, le vice envahissant.

Qu'il faut stigmatiser d'un fouet retentissant.

Votre dos main4«ft«nt, flatteurs; der p0|»ataiaQr ;

Les courtisans de rois vous ont cédé la place.

Votre dos, courtisans de Plutus, dieu de l'or ,

Nobles du temps présent , qui passerez encor.

Et qui, dans ces instants de publique souffrance,

Avec les avocats vous partagez la: France.

Aussi grands citoyens, mais moins intelligents,

Ces banquiers, après tout, sont d'assez psuvres gens;

Ils ne comprennent bien qu'un c6té de vie ;

Done la religion, l'art, ta pMIoBophie,

Dans leurs étroits cerveaux se ssuraient pénétrer,

Yu que ces cboses-là ne se peuvent driffrer.

Aussi souhaitent-ils qu'enfin netre ptlsie

Se change toute entière en* foyer dMndvstrie ;

Car l'homme, suivant eui, vit seulement de pain;

Mais ainsi que son corps, mesiieiirs, son âme a faim !

Et ce n'est pas i vous, gens d'épaisse- nature,

Qu'halle ira damauder ss'soblhne pâture :

C'est à ceux qui s'en jont piPodiguaiit de leurs mains

Une manne céleste aux profanes humains,

Les consolent des jours- passés diss la poussière,

Et soulagent l'esprit du poids de la- matière ,

Les poètes divins que voua placez sl^ bas,

Et qui, lorsque vaincus dans les prochains conibats,

Vous dormirez couverts par une nuit profonde.

Ainsi qu'aux jours anciens, gouverneront le monde ;

Kux qui, dans la ferveur du siècle inihistriel,

Qusnd tous sont prosternés, seuls regardent le ciel;

l-U tandis qu'à grands f^ais vous faites de l'uli/e,

Et des chemins de fer pour des- passants d^argile,

Chantent, de peur qu'on dise en voyant tout cela; Ah ! le monde est si vieux que son âme s'en va !

Décembre ISSO.

IV.

A ALFRED DE VIGNY

Napoléon, despote, à la France sut plaire ;

Ce mitrailleur du peuple est toujours populaire :

C'etft que le peuple admire et craint les hommes forts,

El ne bronche jamais quand il sent bien le mors ;

C'est un cheval rétif au cavalier timide,

Et docile à la main qui lui tient haut la bride.

Or, le peuple français comprend l'égalité,

Mais il profane encor la sainte liberté.

Ces paroles, lecteur, doivent te sembler dures ;

Tu peux, si tu le veux, les prendre pour injures:

Mais, dût-on m'appeler ami de Charles dix,

C'est ce que je pense, et parlant, je le dis.

Donc, messieurs du pouvoir, qui, dans ces temps de crise»

Avez courbé le dos sous la grande entreprise,

Gouvernei, gouvernez, c'e:)t lA votre métier;

Et tenez-vous toujours fermes sur l'étrier;

Et si votre cheval a l'humeur volontaire.

Qu'il yeuille, en se cabrant, jeter son maître à terre,

Il faudra, cavaliers, le mater rudement.

Arrêter, et non pas régler son mouvement.

Voyez en quel état est notre pauvre France, Et comme son beau corps se lord dans la souffrance \ Ses enfants bien-aimés en pleurs, et leurs cerveaux Se creusauit à chercher remède à tant de maux;

^ T.'î 4

Ses lugubres cités, champ de bataille étrange.

vainqueurs et Taiucus sont couchés dans la Taniic ;

Les plus Torts abattus, el ceux-là consternés,

Qui portaient leurs Tronts hauts el d'espoir couronnéi^.

L'ambition partout, nulle part le génie ;

La foi morte en nos cœurs, l'E^^lise à l'agonie ;

Gomme des histrions avides de succès,

Des prâtres chantant vêpre et la messe en français.

Et dans une boutique, en autel travestie,

Faisant couler le sang de la divine hostie ;

Et, cependant, l'Europe entr'ouvrant à la fois

Mille volcans nouveaux sous les pieds de ses rois,

Qui, pâles de terreurs, se lèvent sur leurs trônes,

Et portent, tout pensifs, la main à leurs couronnes:

Le iol tremblant sous nous, et la société

Marchant comme un aveugle, et sans but arrêté !

Ah! par le ciel] messieurs, punissez les coupables;

Et si, comme on le dit, vous en ^les capables.

Ailleurs que sur les plis d'un drapeau tant fêté

Unissez donc enfin l'ordre et la liberté !

Et toi, peuple, torrent dont le flot indocile

Gronde et bondit encor dans celte grande ville,

Laisse, laisse debout ces sacrés monuments,

Vénérables témoins de tant d'événements,

Contempler, à travers leurs rosaces gothiques.

L'émeute, au pied confus, sur nos places publiques.

Que les coups du bélier cessent de retentir :

Assez, assez détruit ! il est temps de bâlir.

Citoyens, balayez ces monceaux de ruines.

Et cherchez Tarcbitecie, aux belles mains divines 1

Mais si, le long des quais, les jours étant venus, La rouge Guillotine élevait ses bras nus. Alors frappez, marteaux, et vous, fourches pesantes. Abattez, renversez, et sous vos dents puissantes Faites craquer ses os, et lambeau par' lambeau, Déchirez re£frontée, avant que son couteau. Luisant comme l'éclair au fort de la tempête, Ne jette au vil panier une coupable léte ;

b 76 «3

Car, après le coupable il faudrait IMonoceol, Ce monslre-là buvant toute espèce de sang.

Mais, à quoi bon prévoir de si grandes misères.

Et rappeler ces temps si funestes aux mères ?

Temps qu*on ne verra plus ; car^ on nous l'a jure,

Depuis six mois entiers Tbomme est régénéré!

D'ailleurs, les nations valent-elles la peine

Que pour leurs intérêts on affronte la haine

De ces écervelés, Brutus d'estaminet.

Planteurs de l'arbre droit au sinistre bonnet ?

Certe, à voir ce qu'on gagne aux affaires publiques,

Je prends en grand'pitié les homnies politiques.

Qui passent devant nous d'un air si dédaigneux.

Kl qui devraient garder tout ce dédain pour eux ;

Pour eux, dont le cœur vide obéit i la tète.

Dont le deuil est si long, et si courte la fêle ;

Pour eux, tristes jouets de Taveu^le destin.

Qui sur leurs gradins verts vient les prendre un maiiti.

Les perle à la fortune avec un tour de ro.ue^

Avec un autre aussi les jette dans la boue ;

Papillons qui s'en vont, d'un vol précipité,

Se brûler au flambeau de la publicité ;

Puis, traînant l'aile, vieux, dans une solitude.

Se plaignent des partis et de ringratitude !

Alfred, ce n'est pas toi qui voudrais, à ce prix,

T'asseoir i leurs côtés, sous leurs vastes lambris;

Comme un cygne tombé dans un marais immonde.

Souiller ta plume blanche en la fange du monde,

Et mêler, pour la perdre en ce broyant séjour.

Ta parole immortelle à leur fracas d'un jour <

Non, non, ce n'<^8t p^g li le poste «lu poète t

La muse chante au temple, aiileuT/S elle jbi t -«iiiAiie !

Gomme on fait aiijourd'bui , toi* lu ne vo^dr-ais jias

Prostituer la lyre aux choses d'ici-ba;i :

Tu J'eslimes trop sainte, et méprisant la ruse,

l'a n'attachas jamais de cocarde à ta muse.

Les dieux lares sont tout , et le Foirum s'est rifpi.

Pour moi, qui place l'homme avant [fi «i^jeu,

fe» 77 «^

Fi de rambiiioD, vieille i Pftumeitr grondânle, Épouse que Tob prend quMi4 on n'a plnsd^nnanle. Quand aux émotions, qui Pavaient tani thHmi , Le pauvre cœur hnmain est Aont entier fermé!

Ami, l'amour de Dien, de Tart et de Temmo Est le seul aliment digne d'une belle Ame : Celui qui ne sent pas, au midi de ses Jours, Habiter en lui-même un de ces trois amours. Est mauvais â mon sens, et Tût-il populaire^ le le liens enranté dans un jour de colère ; Et je ne voudrais pas, pour son fragile bien, Porter dans ma poitrine un cœur pareil an sien.

Avril J*3I.

O toi, mère du Gid, |oi^ M belle patrie, Espagne, vieux bercean de la chevalerie. Tu n'as plus les bûchers .de les inquisilejvrs ; Mais prends garde à préjpeAl aPf ;règ|§pié|'atenr9 ; Prends garde qu'au miUeM .«de tg iu>ble/:arriàr9 A tes TORQCEMADA «ucc^.yu[i KQheipitrf.f, Par le fer ou le feu, toujours, iQulpvr; 4tf HV^J^t Hélas ! c'est le pro^j^ès don^ on mn» p^^lfi t^i ' Que le passé du monde et de ta sœvjr atné,e, Soit présent i tes yeux ^danji cejltip gr994e 9.n|ii(e. I^ France, tu le sais» fXQur jBissuy,er se? pl^ufs, Vit arriver un Jour un l^ d'adorateurs; Et trois cenjt bouches d'or, pKeine? de belle? chojçf^ Sur son front rajeuni répandirent des rosie.s; On l'endormit enfin par j;e jargon iiouveau... Elle se réveilla dans les bras du boorreau ! Tous les bons à cet homme iavaieal livré Uar iMe ;

78 «}

Deux justes surviTatcnl en celle horreur muette, L'homme avait une lyre, et la femme on couteau. Et tous les deux ainsi montaient à Técharaud : Car .l'un faisait au crime une implacable guerre, El l'autre, de Marat avait purgé la terre .'

Vï.

Quand le grand Hayden, donl Vienne était ravie.

Sentit qu'il approchait du terme de sa vie,

Ce vénérable roi des chants mélodieux.

Gomme un père mourani, vint faire ses adieux»

Avant que son oreille à jamais fut fermée,

A la Création, sa fille bien>aii|)ée.

La loge impériale avec respect s'ouvrit,

Et près du souverain le vieux mattre s'assit.

Au milieu des flambeaux et des parfums de Pambre ;

Et l'on était alors â la fin de décembre.

La princesse Thérèse, enfant de l'empereur,

Qui sous son corset d'or avait pourtant un cœur,

Jetant l'étiquette, au cri de la nature.

Entoura le vieillard de sa riche fourrure,

Et tous les spectateurs, se levant à la fois,

Applaudirent soudain d'une commune voix

El l'artiste divin et la royale fille.

Qui semblaient ne former qu'une seule famille.

Sur cet antique sol de l'hospitalité.

C'est ainsi qu'à la cour le génie est traité ;

Non pas ainsi chez nous, et la royale hermine

Rougirait de toucher son épaule divine !

Quelquefois seulement, lorsque les temps 8o:it froids»

Le bruit de sa détresse arrive jusqu'aux rois ,

Et pour le réchauffer, pour couvrir sa misère,

* André Chénier etCberloHe Gorday.

t* 7:r xi

On lui jette du Iràne un vêlement vulgaire. Kl l'homme de génie et l'homme de bureau (llieminent tous les deux sous le même manteau!

Un poète du ciel, au printemps de sa vie. Mordu de tous côiés par la dent de l'Envie, Grandissait cependant, et d'iiu bras de géant, Fendait l'humide sein du terrible Océan; Qui rugissait sous lui ; le» vents et la tempêta Fendant dix ans entiers avaient battu sa tête ; Et se jouant des vents, l'intrépide nageur. Avançait, avançait, tant il avait de cœur ! Et sur les flots, malgré l'effrayante marée, Levait toujours sa tête, et sa lyre dorée. Ce nageur i la fin, par un dernier effort, Et tout blanchi d'écume, est entré dans le port. Et sur le sable assis, après tant de souffrance, Sèche ses blonds cheveux au beau soleil de Franco, Dont les plus purs enfants, venant par les chemins, Lui font avec amour un trône de leurs mains : Et la terre partout â son souffle fleurie, Bondit tous le poète, honneur de la pairie 1

La sainte poésie et la musique sainte,

Paris, ne régnent plus dans la coupable euceinte !

Mais, comme aux temps impurs des antiques Césars,

La danse à l'œil ftscif, le dernier des beaux-arls,

El la chanson lubrique, et la peinture obscène,

Le drame sans pudeur , opprobre de la scène.

Et Plutus, dieu de l'or, chargé de sacs pesants.

Et tous les dieux du venire, et tous les dieux des sens 1

Si bien que le burin, en gravant notre histoire.

Appellera ce temps le second Directoire !

Ce règne de la chair pourtant devra finir,.

Et ce n'est pas à vous qu'appartient l'avenir ;

Car après ces moments de rut et de délire.

Ceux-là qui croient à l'Ame entreront dans l'empire.

fi» m «!

VIT.

A M. ALFRED IME MO?

I.

I.ft terrible boulet araU brisé tes os ;

Et sur son lit de camp, en proie à mille maux.

Abandonné de tous et de la médecine,

Tirant avec effort sa Toix de sa poitrine.

Sans r<»9sentir pourtant faiblesse ni terreur,

Tl s'écriait toujours : VEmperenr^ VÊmpereur!

Qu'il voulait l'Empereur, lui parler et Tenteudre,

Lui dire qu'il devait vivre pour le défendre.

« Ah Sire .' r/est>ce point que je ne mourrai pas,

m Qu'ils mentent tous Et puis il lui tendait les bras.

Et, s'attacfaant h lui, comme on fait à sa proie,

Comme à l'esquif sauveur le marin qui se noie.

Et menaçant toujours de l'œil les ennemis.

Il lui prenait les mains, il touchait ses habits.

Comme si celui-là, par 9on puissant génie.

Pouvait, pareil au Christ, suspendre l'agonie.

•« Non, tu ne mourras pas, répondait l'Empereur,

« Pour me servir encor, j'aî besoin de Ion ctrur ! »

Pourtant, comme Dieu seul ôte et donne la vie.

Cette Ame généreuse au monde fut ravie.

Napoléon pleura !... la grande armée en deuil.

Vint le voir sous sa tente et suivit son cercueil ;

Et l'Empereur fit plus, pour honorer sa cendre ,

Que pour Kphestion n'avait fait Alexandre.

fi» M «1

IfI.

Les grenadiers à pied, aux larges revers i>l«ncs,

S'avançaient les premiers et venaient à pas lents.

Les fusils renversés, Taspect sombre -et sévère,

Les crêpes aux drapeaux, l'œil baissé vers la terre:

Et les lourds artilleurs conduisant leurs eanons,

El faisant retentir le sol sons les caissons ;

Puis après, les dragons, ceux derimpéralrice ;

Les chasseurs à cheval , à la verte pelitse,

Sabreiache pendante, au bras le doltman,

Suivis des Mamelucks au moresque tuttan,

Avec ces Arricains, leurs vieux compagnons d'trtqes.

Confondant en ce jour leurs aigles et leurs larmes ;

Et les ehevau-légers, ces braves Polonais,

Qui versaient tout leur sang pour nous autres Français ;

Pour nous, qui n'avons su dans sa grande agonie,

Qu'envoyer une aumône à leur pauvre patrie !

Et puis venaient des chants et de pieuses voix,

Le clergé de Paris avec toutes ses croix ;

Car, afln d'honorer si haute renommée,

L'Empereur unissait et T Eglise et l'armée ;

Et le cercueil enfin, entouré de drapeanj^.

Et tiré lentement par quatre noirs chevaux,.

Et derrière le char, ,le cheval de ikalailles

Suivant, le col baissée le^ 4»0lle«i funérailles;

Et les tambours voilés mu nombres roulements.

Et le umum d'Asie .^aiw aJgcea iinlements.

Et moi, qu'en ce moment le noir malheur assiège,

Tout enfant, |e voyais défiler ce cortège^

El son aspect lugubre a biep jp'^atiriAter,

Puisque après vHlgt'^inq MS |e piM h raconter.

HI.

Hoche, Lannes, Desaix, natures héroïques ! Beaux restes de courage et de verius antiques.

8<2 «a

Votre cœur élail pur A l'égal de vos mains. I^ peuple, à T08 soldats, venait par les cbemins. Sans jamais redouter le vol ni la rapine, Présenter le froment et la liqueur divine ; I.e luxe n'était point assis dans vos palais. Gomme aux palais du Russe et des nababs anglaii». A d'autres les trésors volés à l'Allemagne, Les madones d'argent de la chrétienne Espagne, Et ses flambeaux d'église, et ses doublons iroyaux , Et ses moines priant dans ses graves tableaux ! Hélas ! ea ces moments de publique souffrance, Votre vertu romaine eût consolé la France ; Et lorsque sous ses coups l'Algérien tomba. Pour elle eût conservé l'or de la Casauba ; Mais avec vous, grand Dieu ! la vertu militaire Dans son cercueil d'airain dort-elle donc sous terre?

vm.

Le démon précurseur des discordes civiles

Fait retentir sa voix au milieu de nos villes ;

L'Europe tout entière écoule, et sourdement

Se prépare en silence au grand enfantement :

Et des hommes, fauteurs de toutes ces tempêtes.

Osent encor lever leurs méprisables tètes ;

Et les rois aveuglés, de crainte du trépas.

Les nomment leurs sauveurs et courent dans leurs bras ;

Ces bras qui, maintenant, tendus à la rapine,

Resteront froidement croisés sur leur poitrine,

I>e jour où, délivrés de ce fatal bandeau,

Pauvres rois ! vous serez sur le bord du tombeau !

Malheur, malheur à vous qui perdez ma patrie I

A vous qui la pillez après l'avoir flétrie ,

A vous qui ferez dire à nos derniers neveux :

85 «)

En France il n'eil donc pai six hommes vertueux l Ëh bien ! s'il en est un dans l'obscure lanière , Qui conserve en secret sa pureté première. Qu'il sorte donc enfin de cet infâme lieu. Et, revoyant le ciel, qu'il rende grUce à Dieu ! Séparez aujourd'hui le bon grain de l'ivraie, De peur qu'ayant enfin pitié de notre plaie, La foudre en écrasant ce cénacle hideux, Ne rencontre demain un juste au milieu d'eux !

IX.

Ceux qui sont purs de vice et de cupidité,

Vivant dans la retraite et dans l'austérité.

Quand ils viennent, un jour, sur la place publique.

Satisfont, par le fer, leur amour politique.

Ceux-là qui sont plus doux, n'ont pas d'autres vertus,

El sont tous courtisans du roi de l'or, Plutus ;

Ils n'aiment pas le sang, ils ont de l'indulgence ,

Mais, comme dans un bois, dévalisent la France !

Ne trouvera-t-on pas, enfin, Dieu tout-puissant ,

Un homme qui n'ait soif ni de l'or ni du sang ?

X.

Lorsqu'ayant apaisé la discorde civile,

Henri de France entra dans Pari», sa grand'ville,

Il entendit la messe, embrassa les ligueurs.

Et, comme son royaume, il reconquit leurs cœurs ,

Sans plus penser à ceux dont la loyale épée

Lui remettait au front sa couronne usurpée.

^ 84 «9

Aioii l0 monde Ml n(P;aiii«l «fiMnlè et petft»» Habitant tout le chamie le« «MrérlbnitMf^fs, Nous oublions celai quf n€W9 déaue son* être; Et nouf courons après le easut sec ou le t^lttr^ ; Car l'ami, c'est le cliinf dtr Iqgis dans son coin, Qu'on flatte quelquafoisv et qu^on baVau besoin, El qui lèche toujours et demeure fldète: L'autre, c'est une b6te, indocile' et reëefle. Sur laquelle le pietï ne peul se reposer , Et qu'enfin on voudrait pouvoir apprivoiser !

XT.

JESUS-CHRIST

JtV% VOVmCAfBX PBAniBlKNS;

«( Lorsque les Sèraphiirr, dii haortifii fifroanrem,

Fixaient sur les humains letirs* yeux de cfiamant,

Et pour me voir- mourir au sommet du Calvaire ,

Sur les nuages d'or se- penchaient vers la terre,

J'espérais, en mourant, qu'au lointain avenir.

Et la haine et la guerre, un jour, devraient finir ;

(^r j'avais aboli les anciens sacrifices,

Le ciel ne voulait plus de boucs ni de génisses.

Et mon sang devait être, à vos sacrés autels,

Le dernier sang versé par la mamdes mortels.

Vous êtes revenus i la loi de Moïse,

Vous avez mis du sang aux maioa. de mon Église,

Et TOUS avez tué ! Votre, perveraiié

K souvent méconnu la douoeGharilé.

Vous avez oublié qu^'au- temple, sur U terre,

Je pardonnai jadis i la^ femme aduUère.

Vous avez été durs, inOexihles^ glaeés,

» <^

fil TOUS avei marché MT des coetrrt femifés-,

Exigeant la rertu dans fovterresfref fanfer,

Quaud mon père a Wonyé le rice cher se» aitget .

Or, moi, je le décktrtf et le dtten ce jour.-

Docteurs, la loi nouTelleesf mie lojLcTftmoiir.

Un homme cependant, mon grand rincent de.PauIe.

A suivi l'Évangile et compris ma parole;

Aussi, Je tous le dis, serein et radieur,

Il voit incessamment mon père dans Tes cieux ;

Et s'il n'était pour tous^ tout le jour en prière.

Maudits, vous seriez tous rentrés dans la poussière,

Car, je vous le répète, et fe dis en ce jour,

I<a première vertu des chrétiens, c'est l'amour! »

O toi 1 crucifié, qui reçus sur fa terre.

Par la main des Hébreux, une mort volontaire ,

Pardonne, si le Teu de Pindignation

M'inspire ce discours et cette fiction.

Le monde, hélas 1 depuis le temps des paraboles,

N'eut Jamais plus besoin de tes saintes paroles :

Tout homme règne ici, plus d'ordre ni de rangs,

Et la terre de France eat pleine de tj.rans.

De sectaires, qui vont pressant ton cœur de père,

Pour en faire sortir et l'épée et la guerre.

Toi seul peux les con Coudre, 6 sacré Rédempteur j

Car toi seul es le matire et le Révélateur;

Toi seul, divin Jésus, de celte fange immonde

Une seconde fois tu peux tirer le moucU) ;

Or toi seul apportas la saJato égalité.

En apportant l'amour avec la Churiié.

Xli.

Jusqu'ici trois Héaux ont désolé U terre : Îj» supersiltfon, l'égoïsme et la guerre.

M «a

La première n'esl plui; la guerre veut en vain.

Terrassée à demi, lever son bras d'airain ;

I/égoïsme est debout et tout p&Ie de crainte,

Presse une bourse d'or d'une dernière étreinte.

Et voyant qu'à la fln son règne va passer,

Il caresse cet or et parait l'embrasser.

Ah ! caresse-le bien ce Dieu qui Tait ta joie ;

Car le bel avenir te ravira ta proie!

Sens-tu sur tes vieux os souffler de tout côté

I/air brûlant de l'AMOlJR et de la charité ?

ÉgoTsme !- égoîsme! Ab ! de sa noble enceinte

Près d'enfanter le jour de Végalité tainte,

La France le repousse et te rejette enOn,

Comme la grande mer qui se lève, et soudain

Rejette puissamment, au jour de la tempête,

Une algue sans valeur qui profanait sa tête.

¥a vous, gens de Vempire et de la cour des rois.

Ou de la Hépublique, enfln, gens d'autrerois,

Ne sentez-vous donc pas que, depuis tant d'années

Que vous nous ballottez dans vos mains décharnées.

Quelque chose de pur, invisible à vos yeux.

Sur la terre de France est descendu des cieux ?

Et que ce jeune siècle, espérance du monde,

Sur vos fronts décrépits lève sa tète blonde,

Et regarde à Tentour s'il n'apercevra pas

Une main jeune aussi pour diriger ses pas?

A vous voir, spectres blancs, vous disputer encore

Le droit de gouverner l'âge qui vient d'éclore.

On dirait trois mourants, les pieds dans le tombeau.

Se disputant à qui prendra soin d'un berceau !

Votre règne est passé : je vous le dis. Arrière !

A d'autres, maintenant, l'orageuse carrière ;

A d'autres la tempête ou bien le ciel serein ;

A d'autres le navire, au grand timon d'airain.

Tout l'Occident écoute, et, sur sa plume oisive,

Naples est palpitante et demeure pensive ;

Londre attend comme un homme, et Madrid est rêveur...

C'est que le siècle est qui sera le Sauteur !

» n«t

XIII.

L'EGOÏSME ET LA PEUR.

A M. SIVAMNB.

I.

Dans une vision mon Ame fui ravie :

Je vis les corps des rois acquittés de la vie^

Et l'un d'eux me sembla marqué d'un sceau divin ;

Il portait devant lui sa tête dans sa main ;

Et jusque chez les morts, gardant son rang suprême,

Cette tète coupée avait un diadème.

Dans ce jour sur moi le vil couteau tomba.

Dit-elle, tout mon peuple, hélas 1 m'abandonna.

La voix de son amour aurait pu Taire taire

Le roulement de mort du commandant Santerre,

Mais une voix parlait, plus haute dans son cœur,

Et cette voix, c'était l'égoTsme et la peur !

Quand il eut achevé, cet illustre fantôme

S'endormit pour toujours dans son dernier royaume.

II.

Et d'un mire cdté mon regard se tourna, Et je vis les noyés de la Bérézina. Ils étaient tout couverts de hideuses blessures; Des glaçons hérissaient leurs blondes chevelures. Ils s'écrièrent tous : L'égoîsme et la peur Nous vendirent jadis f n France à l'Empereur ; Nous ne maudissons pas son nom et sa mémoire, Car il nous a donné ce qu'il avait : la gloire *

Mail opprobre élemel à ce sénat flalleur, A sei deux conseillera, i'égofaine et la peur !

m.

Puis je vis s'avancer une Temme livide. Couverte de haillons et le regard timide ; Elle allait se plaignant d'une mourante voix. Dans ses bras amaigris s'élevait une croix. Non pas cette croix d'or que l'Eglise romaine Suspend comme un hochet A son collier de reine , Hais cette croix de bois que porte un monde entier , Cette pesante croix, la croix du charpentier. Et J'entendis ces mots : <— Notre sœur l'Angleierre A dans son sein des ooeura qui plaignent ma miaère, Mais deux choses, hélas l ont corrompu ma saur. Et ces deux cbofea mouI l'égoïsme et la peuri

IV.

Et cette remme en pleurs, sous le Caix oppressée, Absorba tout à coup mon Ame et ma pensée , Et Je n'aperçus plus, quand J'entendis sa vois, Ces hommes du passé, ces soldats et ces rois ; Car celte pauvre Temme , en sa misère immonde, Parut grosse à mes yeux de l'avenir du monde. Angleterre, me dis-je, en ton vieux parlement. Tu plains l'esclave noir et son affreux tourment; Ton peuple entend le Touet qui aonne en Amérique , Et ne voit pas le sang dont lui-même trafique. Kh ! qu'aura donc produit ce schisme tant yanié, i»'il garde l'imposLur« et perd la cbarilé ! Fanatiques puissants et de Londre et de Uome, Sous un froc différent v^us êtes le même homme.

V.

Soif abflont, Robeipierre, et toi, N«poléoo, Car nom afons baisé votre iceptre de plomb | Vous ayez aceompU Toa deux terribles tâches \ Hais opprobre étemel i ce troupeau de lAcheSi Sans vicea ni vertus, sans haine et sans amour, Qui laisse la colombe aux serres du Taulourl A ces deux ennemis de l'humaine exisience Qui Jusques au tombeau nous suivent dés Tenfance, A ces empoisonneurs qui rongent notre cœur, A ces deux grands fléaux, Tégoïsme et la peur !

VI.

El j'étais tont pensif, méditant en silence,

Quand je fus transporté dans une salle immense.

des hommes assis, couverts de cheveux blancs,

Paraissaient i regret juger des jeunes gens |

Et tout i coup je vis entrer dans cette salle

Et cet noyés sanglants et cette ombre royale.

Et cette femme en deuil avec sa grande croii,

Et tous ensemble alors élevèrent la voix :'

La faiblesse, vieillards, est la mère du crime ;

C'est vous qui nous avez enfoncé dans Tabtme.

C'est nous qui vous jugeons, malheur à vous, malheur

Plusieurs sont parmi vous Tégoîsme et la peur 1

ÉPILOGUE.

Pourtant, ô jennea gtM j eet juges peu sévértt Qui sont vos aceusés» ont Page de vo» pères ; Vous porterez cooMiie eux, an Jour, detetevcm bUmes, Et vous ferez oomme e«i iraHéf par vos tniMtf .

90

Le monde va toujours, et bien folle est la tdte Qui conçoit le penser de lui crier : Arrête ! On a Tait, par le ciel ! un grand pas en avant ; Il faut le proclamer : on ne veut plus de sang ! N'étalez pas ainsi ce facile courage; Siècle, fleur d'avenir ! respecte le vieil âge ; Et puisses-tu laisser, quand tu seras vainqueur, A ton atné mourant, Tégoîsme et la peur !

XIV.

A M. PHILIPPE BUSONI.

Il est trois êtres vils, trois ignobles pourceaux,

Flairant partout It mal de leurs sales museaux,

Ëi quand ils l'ont trouvé s'en faisant une fêle,

Et dans la fange encor se remettant en quête :

Mensonge, Médisance et Curiosité ;

Enfants du yieux Paris et de l'Oisiveté,

Etres pour qui le mal et le bien de la terre.

Et tout ce qu'en ses flancs ce pauvre globe enserre,

Et le malheur du peuple, et la chute des rois.

Et l'émeute aux grands cris, et la France aux abois.

Et la fraude et le vol, l'assassinat infâme,

El le deuil û'un foyer, et l'honneur d'une femme,

Ne sont que même chose et même amusement,

Un sujet pour causer et pour rire un moment.

Le plus hideux des trois, le monstre Calomnie

S'accouple quelquefois avec l'Hypocrisie,

Et ce qui sort alors de cet accouplement

N'a ni forme ni nom sous le haut firmament ;

Kt d'absynthe et de miel c'est un affreux mélange.

C'est un cœur de serpent avec un regard d'ange.

Tandis que l'inuoeence, au sein tranquille et pur,

S'endort enveloppée en son réseau d'azui;

Le monstre veille; il vient en ses mines Tunèbres,

£t la chose s'avance au milieu des ténèbres.

Elle approche, elle approche... Ah ! lève -toi, Seigneur 2

Défends Thomme de bien de ce l&che imposteur;

Ne laisse pas. Seigneur, sa langue de vipère

Profaner plus longtemps ton saint nom sur la terre;

Lève-toi, lève-toi ; dis-lui : Je te connais ,

Je t'arrache aiyourd'htii ton makque pour jamais;

Tantôt religion, tantôt philanthropie,

Tu t'appelles pour moi l'infâirae Hypocrisie!

91 <

XV.

CONTRE LA GUERRE CIVILE.

France, terre de deuil et terre de douleur, Navire sans nocher sur la mer en fureur, Dans ta grande cité si paisible naguère, Les citoyens se font une implacable guerre. Et ceux qu'un même mur entoure, malheureux ! Se déchirent le cœur et se mangent entr'eux, Je descends à leurs cris du haut de ma montagne, Et pareil à Pétrarque errant dans la campagne. Voyant ces insensés se ruer aux forfaits, ^e vais criant partout : La paix ! la paix ! la paix ! La paix, 6 citoyens ! et des Jours d'allégresse Luiront, quand reviendra cette blanche déesse; La paii, pour vos travaux qui restent en suspens ; La paix pour vos sillons, la paix pour vos enfants. Défiez-vous, grand Dieu ! des gens à théorie Qui saignent en bourreaux notre belle pairie^ Disant qu'ils ont du ciel une Uche i remplir.

» M d

Que c*esl U misnon qu'Ut ^toivent aoMmplir.

Il 8 menienl par le ciel. Au noa de ceUe Idée,

La terre en tous les tenps tal de sang inondée,

Depuis lef scSnls bûchers de rinquiaition,

Jusqu'au grand couperet de la Convenlfon.

Et YouSy soldats ft-ançals, songea qu'ils sont fot frères,

Ces enfants anrMhéa à l'amour de leurs mères.

Et qu'ils ne savent pas, ees enfiints généreux,

Sous le même drapeau qu'its se èaltent contre eue,

Et que s'ils remportaient une triste victoire,

Leurs cœurs désenchantés ne voudraient pins rien croire.

Ah ! peuple, maudis-li celte guerre, où, vois^tu.

Le vainqueur est sans gloire ainsi que le vaincu.

Car, malheur à celui qui montre par la ville

Son glaive teint du sang de la guerre civile !

En quel temps vivons-nous ? Sous quel astre ennemi ?

Est-ce aujourd'hui le jour de Saint-Barthélémy P

D'illuslrcf écrirsini, <)'un noble caractère.

Portent de tous cdièa des paroles de guerre.

Et vont, le front baissé, Seigneur Dieu tout puissant !

De crainte du bourbier se jeter dl^ns le sang !...

El "VOUS, enfants du ciel, chantres divins, poètes I

En cette extrémité vos voix seraiepl muettes ?»..

Dussent tous les partis un jour vous re|iier«

Et dussiez-vous périr ainsi qu'An<|rè Gbénier^

Protestez, protestez, iliin9 çe i«ipp9 Û^ «QuHriQCQ ,

Et seuls parlez 4e |i«lx à notre p«uvr« FriPCe *

LiTRB n.

DERNIÈRES PAROLES

I.

Depuii qualre ans entiers, je ne sais pjus, mon Dieu I

Comme est-ce que je vis, en quel temps, en quel lieu.

De sinistres clameurs mon oreille est Trappée,

El je suis nuit et jour regardé par l'épée !

El cependant, yoyez, je n'ai point enlevé

Le pain de Torphelin couché sur le pavé.

Je ne aaia point félon, et couvert de mystère;

Je n'ai pas cbei autrui fait entrer l'adultère;

J'ai connu le foyer et la sainte amitié;

Des pauvres malheureux j'ai toujours eu pitié;

Mais depuis que je vis dans ce monde nous sommes.

Je n'ai jamais vécu comme les autres hommes :

Ce que j'avais de bon, ne se fit jamais jour

Au travers de l'airain qui, sous un triple tour.

Emprisonna sans cesse et mon Ame et ma vie.

Et fermé pour l'amour, s'ouvrit i la folie

Mon cœur poète, ardent, qui toujours adora

Le sublime et le beau quand il le rencoBlra.

Pour les femmes, seigneur, votre image divine,

Hélas! n'a point assez battu dans ma poitrine.

J'étais froid, sans amour, et j'oubliais souvent.

Insensé que j'étais, que tout être vivant,

Qui tente de marcher sans appuyer sur elles,

Kst comme un passereau qui veut voler sans ailes!

» H m

Auiti, qutnd chaque jour, par la douleur vaincu

Je réfléchis, hélas! comme J'ai mal Yécu ,

Quaud je porte, pensif, mes regards en arrière,

Je ne Yois que le vide en ma triste carrière;

Tel qu'un soldat, la nuit en Tedetle placé,

Le bien rare, isolé, perdu dans mon passé,

L'inutile partout dans cette solitude...

De pour Tavenir ma grande inquiétude!

Et cependant, mon Dieu, Seigneur Dieu de bonté

Qui m'allez recevoir dans votre éternité.

Vous pouvez sMl vous platt, voyant un tel supplice.

Relever le pécheur au bord du précipice;

Car j'ai lu qu'autrefois, dans le monde premier,

Vous avei sauvé Job assis sur son fumier !

II.

Quelquefois, au matin, je vaft à Saint-Deiris, Chez un prêtre bien vieux, queje connus jadis, Qui de bonne heure en moi jeta cette semence Destinée i germer quand finit Pexistence : £t quand la p&Ie Mort, noue tenant aux cheveux. N'écoute rien de nous, ni repentir, ni rmtix; Lorsque je suis assis dans son saiirt presbytère, Cet homme pur me parle avec un ton de père, Ëi j'y vais bien souvent pour raourtr dan» ses brat; Mais je suis si mauvais que Dieu ne fe veoff pm )

Kl.

SONNET.

Depuis long-temps je suit taire 4etii «a L'un s'appelle'la »orl, «i Tawlre U Fftiie;

«» »T a

L'an m'a pris ma raison, l'autre prendra ma-vie. Et moi, sans marmurer Je suis fulme et soumis !

Cependant, quand Je songe i tous mes chers amir. Quand je vois, à trente ans, ma pauvre âme flétrie, Gomme un torrent d'été ma jeunesse tarie, J'entr'ouvre mon linceul «I sur moi J9 géipli.

Il respire pourtant, disent entre «lu i^4 homoieat El, debout comme nous sur la terr4 oiX nous sojnogtQs, Nous survivra peut-être çtvcor plt|^ <l'uq hiveT !

Oui, comme le Polype aux poissons de la mer ; Ou comme la statue, en sa pierre immortelle, Survit à ceux de chair q\i\ passent devant elle !

IV.

Imagination, reine aux ft-atchey couleurs,

Toi qui couvres nos nronts d'un nuige de fleurs.

Ravissant les humains d'eytaseï non pareilles,

Quand même cent clairons sonnant à leurs oreilles,

Dis-moi, reine, dis-moi, parle, comment fais -tu

Pour visiter encore un homme si perdu ?

Et comment, le matin, lorsque je me réveille,

Yois-je encor rayonner ta flgure vermeille ?

Et je me lève alors, et tout près du trépas.

Sans trop savoir pourquoi, je m'attache ^ tes pas;

Et marchant comme faitl'aYeugle dans la rue.

Je suis en trébuchant uqe route connue;

Car, tout courbé qu'il est sous une main de fer.

L'homme fait aujourd'hui ce qu'if a fafi hier;

Et bien fol est celui dont la tète affaiblie

Croit, au bord du cercueil, pouvoir changer de vie !

I»M«3

V.

Je me disais un jour : Je vivrai sans douleur !

Je ne sais ce que c'est que les peines du cœur ;

Je n'ai senti l'amour qu'au livre de Shakspeare «

Et la réalité sur moi n'a pas d'empire !

C'est ce que je disais dans ma perversité ,

Croyant tromper la loi de notre humanité.

Or, tandis que cela se passait sur la terre ,

Dieu disait dans le ciel , retenant son tonnerre t

t< O loi qui te vantais de n'avoir pas souffert ,

J'étendrai sur tes reins une verge de fer ,

£t je te frapperai d'une plaie incurable ,

A te faire envier le dernier misérable.

De même qu'un voleur qui se glisse sans bruit ,

Le malheur dans tes os pénétrera la nuit.

Après avoir, un soir, en disputes frivoles ,

Avec feu , dépensé d'inutiles paroles ,

Tu te réveilleras , le matin , desséché

Comme l'arbre pourri sur la terre couché ;

Pourtant tu paraîtras encore à quelque fêle,

tu transporteras un corps privé de tète :

Tu parleras encor comme un homme vivant,

Immobile, au milieu de ce monde mouvant ;

Et puis tu rentreras le soir dans ton alcôve,

Ainsi qu'en sa tanière entre une bête fauve ;

Et le mal travaillant tous les jours sourdement,

Tu sentiras enfin l'odeur du monument.

Alors lu jetteras un coup d'œil en arrière ;

Et voyant tant de vide en ta courte carrière.

Comme le moissonneur, qui sent la nuit venir,

Se courbant sur sa faulx se hâte de finir,

Tu voudras bien remplir tes dernières journées.

Par un mois de vertu racheter tant d'années ;

Mais sachant mal attendre et l'homme et le moment.

Tu n'agiras jamais avec discernement ;

99 «3

Tu Tondras loul à coup sortir de ta nature Et tu feras le bien sans règle ni mesure ; Et les hommes, Yoyant cette conrusion. Diront, branlant la téie : Il n*a plus sa raison ! Le bien que tu feras s'appellera faiblesse : Si tu veux aux enfants faire quelque caresse, Malheureux ! les enfants ne sauraient plus t'aimer. Voyant ta main s'ouvrir et ton cœur se fermer ; Et toi, qui dédaignais les hommes de ton flge, Les trouvant au-dessous de ton grave langage. Tu seras trop heureux, dans tes derniers instants, D'échi&iiger ce langage avec quelques enfants^.' »

Grâce, grâce. Seigneur, grâce pour le coupable !

Exterminez en moi ce penser qui m'accable !

Ce que ]e viens de lire, hélas ! est arrivé!

Puissé-je user ma lèvre i baiser le pavé,

Etre forçat au bagne et, courbé sur la rame.

Entendre chaque, coup retentir dans mon âme;

Mais sentir que je vis .' souffrir du moins, souffrir '

Et puis dans la douleur succomber et mourir !

Mais c'est trop demander! la Juste Providence

M'a même refusé cette amère existence ;

Pleurer, c'est encor vivre/ Ah ! pauvre humanité,

Courbée au joug de plomb de la fatalité,

Chaque homme dans ce monde a quelque chose à faire ;

Et vivre sans sentir, moi, c'éuit moii affaire/

El d'un mal inconnu je devais être pris.

Et je devais écrire un jour ce que j'écris !

VI.

Jeune homme qui jadis en l'humide Angleterre Avex accompagné ma constante misère,

fe» 100<

Et qui, depuis un an, revenu daoi Parif,

Relrouvei toui les loirt lea plaisirs et le* ris;

El le matin, penehé dans TOire solitude,

Savourez à longs traits les livres et Tétude :

Quand la neige au dehors couvrira la maison.

Quand le sol frémira sous sa blanche toison,

Alors que vous serez au sein de la famille,

Près de la table ronde et du feu qui pétille.

Avec votre bon père et vos deux jeunes sœurs.

Do ce vrai paradis goûtes bien les douceurs ;

Et, poussant vers le ciel une ardente prière.

Demandez qu'il vous fasse une longue carrière,

Si vous devez garder, pendant long-temps ftntof.

Le foyer paternel, eo pr^ieux trésor .'

Gomme l'a dit Stellô t LA SOLITODK UT SAllkTB l

Le poète doit vivre en une triple e nceinle,.

Voir les hommes agir et ne pas s^y mêler,

Pour qu'au moins m vivait! puisée Us eontcûter.

Que d'autres, soulevant de sanglaRtei tempêtes.

Couvrent la mer d'exils et réebaEaiid de télés ,

Et jetant i tous vente le nom de liberté

Ecrasent à ce nom* la pattVte biuilanité ;

Vous, écartez vos pas de le plaee publique»

N'estimez pas si beat cet amour politique^

Qui, pour se satisfaire en ses goûte dépravés,

Voudrait de sang hcmMia arroser iee pavés.

Demandez de l'amour à qnei%ue jeune fiUe

Qui vienne rougissante augmealer Ia famille;

Et, quoique le sectaire en poiteo déclamer.

Jeune homme de vingt ans, ne craignez pas d'aimer I

Car, moi, je vous le dis : alors que dans une âme

L'amour chaste, ici-bas, vient allumer sa flamme«

Au lieu de l'affaiblir et de Peffémtner,

C'est un ressort de plus qu'il semble lui donner ;

Ce qui paraissait dur devient facile à faire.

Et l'homme alors bénit ce flambeau qui l'éclairé ;

Et, nourri chaque jour du céleste aliment.

Il se conserve pur pour le grand dévouement.

Ami, jusqu'à ce jour que votre eœnr envie,

Ne troublez pu sitôt l'azur de votre vi«,-

101 <9

Car tout sentier est bon qui mène à bonne fia» Et l'on n'arrite parque par le grand chemin.

VIL

âPRÈS LA ItBPItÉSElITATIOlI

LUCRÈCE BORGIA.

Parmi les assistants, hier, la mort dans Pâfme, J'étais moi-même acteur dans ce terrible drame ; Et quand la Borgia, comme un diable aux damnés. Apparat tout i coup à ses empoisonnés, Ainsi que Gennaro, devant la salle entière, Je fus près de crier : Il faut une autre bière ! €ar sur mon siège même, i cause de mon mal. J'étais enteloppé par le cercle fatal ; Et ces moines romains, au masque redoutable. Qui, de leur noir cordon cernant la grande table, Refoulaient la chanson aux gosiers interdits, Gbantaieot aussi pour moi le saint ne proftmdis^

VllI.

« Les oiseaux, qui chantaient Tan passé, tout petits, « Ami Sancho, ?ois-tu, ne sont plus dans lenrs nidi. « C'est ainsi que parlait d'une voix expirante, L'insensé cbeTalier de l'Espagnol Cervante, Quand, auprès de son lit, son fidèle écujer

103 <a

Ea le voyaot fi malt s'efforçait d'essuyer, Du pan de son pourpoint, les véritables larmes Qui de ses pauvres yeux ruisselaient sur ses armes. Vous qui l'avez aimé, lecteur, souvenez-vous : Sage était son discours, ses actes étaient Tous.

IX. A M" SOPHIE BLANCHE.

Quand la douce santé loin de sa couche a fui. Celui-là peut mourir qui ne vit que pour lui. Mais vous, vous souvenant dans la douleur amére. Que vous êtes épouse et que vous êtes mérc, Puisque le Dieu du ciel vous donna des enTants, Detnandez-lui pour eux de vivre encor long-temps. Les hommes ont besoin d'abord qu'on les élève; Fuis, lorsque en eux circule une bouillaiise sève, Celte main qui jadis fut leur premier soutien. Doit les guider toujours et les conduire au bien; Ainsi pour vos enTunts ; avec volrecourage, Madame, vous pouvez les servir à tout Age ; Car l'amour maternel, qui jamais ne s'endort, Donne le lait au Taible et puis le pain au Tort.

X.

Pellico, Manzoni, N , belles âmes,

Qui brûlez tout te jour des plus divines flammes, Nobles Italiens, tendez-moi donc la main; Car, en voire pays, j'ai tant (ait de chemin, Qu'arrivé sans haleine au bout de la carrièro, Je suis comme l'aveugle assis sur une pierre!

O 103 C4

Toi, surtout, Pellfco, le plus jeune des trois. Qui te courbas pourtant sous la plus lourde croix; Je lisais Lier soir dans ton livre sincère. Le temps qui précéda ton atroce misère- Comment i Saluzio, dans ton jeune printemps, lu fus chéri, jadis, par tes bons vieux parents; Et venu dans Milan, de ta ville nitale, Tu visitais le soir la porte orientale, ' Avec Monli, de Brème et le comte Porro, Kncore insouciant du Carcere Duro, Comme l'agneau qui joue, et va par la prairie Sans prévoir le couteau qui lui prendra sa vie; Puis ton triste voyage aux pays allemands, Ou pourtant tu trouvas encor des coeurs aimants.

Avant d'être frappé de la verge fatale,

Hélas! j'eus comme loi ma porte orientale;

Un riant avenir alors m'était promis,

El je me promenais avec mes chers amis.

Avec Léon, chez qui, de la terre étrangère,

Deux fois je vins trouver l'âme et les soins d'un frère.

Comme au tomber du jour, le Adèle ramier

De tous les points du ciel revient au colombier.

Quand quelque chose encor me ravit et m'enivre.

Je l'apporte à Léon, je lui porle ton livre ;

M par hasard sans lui je me plais quelque part.

J'en suis fâché, je crois que je vole sa part.

Depuis quatre ans, vois-lu, son influence arrête

La mort, qui tout le jour vole autour de ma lêle.

Et mieux que tous les soins du grave médecin, '

L'empêche d'approcher et d'entrer dans mon sein.

QuaHd je suis loin de lui, je retombe en démence.

Hélas I et ne suis plus qu'une pierre qui pense,

El je ne dirais pas, vois-tu, ce que j'écris;

Car avec mes amis, ou je chante ou je ris !

Silvio, lu le connais en amitié divine,

Esi-ce bleu elle, dis, qui vil dans ma poitrine P

Ame dps anciens jours, illustre Italien,

lu m'as dit tes amis, moi je le dis le mien.

f04«|

XI.

Que De roit-je couché' daiks un tombeau proXood !

Percé comme Farcy d'une balle de plomb,

Lui, dont l'âme était pure, et si pure la \ie.

Sans troubles ni remords également suivie ?

Lui qui, lorsque j'étais dans 171e Procida,

Sur le bord de la mer un mattii m'aborda^

Me parla de Paris, de nos amis de fVance,

De Rome qu'il quittait, puis de quelque souffrance..*.

Et s'asseyant au seuil d'une blanche maison^

Lut, dans André Ghénier t. Q Smànthée Apollon l

Et quand il eut fini cette belle lecture,,

Emu par le climat et la douce nature^

Se leva brusquement,, et me i«ndaat la main^,

Grimpa, cobum ub chevceau^ suc le eôt«aa v4)MiBs.

xu.

Auprès d'un arftre thiti titaient^ deni aTbrisseaiis; Faibles et tout souffi^Bti» foui- lev heorcox raflMtav, L'un s'en va reverdir au soleil dlMie; Et, séparé du tronc qui protégeaH sa vie^ L'autre meurt sur ce mont: voisin dto la oitéî Od le ?ent du malheur> an jtwr, l'a-traMpertéi

U tG5 4t

xm.

Tout touyenir d'enfanee en mm âme i^éveille, Et J'oublie aujourd'hui ce que j'ai fait la veille; Il me vient en l'esprit, dans cesmomens de deuil, Que J'allais tout petit à la maison d'Auteuil, demeurait alors un ami de mon père : Tous les deux à présent reposent sous la terre. Il était vertueux, mais uns austérité, Allemand de nais«aii<ïe, et touC pteîA de bonté; Moi, J'ai toujours âittié les gens dDift patrie ; Ils ne connaisseiit pat Pairide mo((Uerie; Kt quand i leur foje^ se pré^ntéf un ââiî, Ils n'en font pas profit comixie d'uflf è&nemi. Et cela me rappelle une frafche' tàUéb vit une famille, i Mulhouse élevée. Les hommes sont actifs, priideiitf, laborieux, Et les femmes, l'esprit à leurs devoirs pieux, Sans prétendre forcer la natiirltf fi^agile. Observent simplement ce que dit l'Evangile. Cette maison respire un air de pureté. Et sur le seuil s'asseoit la douce Charité.

XfV.

Vous qui, me renconiTâht dans mon triste chemin, Ble souriez souvent et me tendez la main. Vous qui, prenant pitié ma triste existence, Patients, écoutez mon récit de souffrance. Hommes, femmes, enfants, ici Je vous unis :

& 106 «

\ous m'avez consolé, soyez donc tous bénis ! Non, je ne me plains pas de la nature humaine, Car toot être vivant a soulagé ma peine. Et sa seule présence et le son de sa voix Ont soulevé mon corps sur sa pesante croix.

XV.

Depuis que du malheur je me suis fait la proie. J'éprouvai cependant certains moments de joie, Quand auprès de quelqu'un que je ne nomme pas, A qui je penserai pourtant jusqu'au trépas, J'entendis retentir la musique divine, Et dans Cimarosa, la voix de Caroline.

XVI.

Léon, Alphonse, Tom, ô tous tous, mes amiib Qui saviez réveiller mes esprits endormis, El qui, prenant pitié de ma tête tffaiblie. Me parliez si souvent de ma chère Italie, Comme pour apaiier les plaintes d'un enfant. On lit les contes bleus que cet âge aime tant ; Ah ! choisissez, de grftce, une chose en la vie, Qui soit par vos efforts chaque jour poursuivie ; Sans cela l'on s'éteint dans le désœuvrement. De même qu'une lampe à défaut d'aliment.

107 «a

XVII.

Quand celui qui irafaille avec les bras du corp, A force de labeur en brise les ressorts Avanl le grand sommeil, il peut faire une pause, El chacun trouve bon alors qu'il se repose , Puisqu'avec ses enfants, à l'entour du hameau, Il ne peut plus porter la bêche et le hoyau. Mais quand le laboureur divin de la pensée De l'invisible bras sent la force glacée, Qui t'arrête, dit-onp Car ainsi que Thomas. S'il ne touche et ne voit, le monde ne croit pas.

XVIII.

Salut, enfants martyrs! sur le seuil do la vie

Tombés dans les douleurs, Que le fer moissonna comme un vent en furie

Abat déjeunes fleurs.

El ces pauvres petits, au pied de l'autel môme,

Dans leur simplicité Jouaient avec la palme et le beau diadème

Par leur ung acheté.

tM«|

XIX.

M Parmi les épis mûrs une fleiir s'çft trpïiv^ ; « Pour parer sa moisson Dieu l'îir^ii Yès^THP * ** Ce que je cite li m'4 toujours p^ru ^e{iq, Et je pense à quelqu'un çouphé dav^s.!^ towlïe^îip, Qui, lisant des Martyr; U pjrpç^ cjl4i;qp0?> Nous dit ainsi comment nyoturiM CiiPQ<Ji.osc«e. C'était mon bon temps, ç'çi,ait ^lon ^e d'Qr» Où, pour se faire aimer, Pichat mtit eppQV, Cygne du paradis, qui travçjrs? le unoi^de, Sans s'abattre un moment suj* c^lQ fAi^ if^wQAdc, Soumet , Airred, Victor, Parseval, vous enfin. Qui dans ces jours heureux tous teniexpar la main. Rappelez-vous comment au fauteuil de mon père Vous veniez, le matin, sur les pas de mon frère. Du feu de poésie échauffer ses vieux ans. Et sous les fleurs de mai cacher ses cheveux blancs. Les plus jeunes vantaient Byron et Lamartine, Et frémissaient d'amour à leur muse divine ; Les antres, avant eux amis de la maison, Calmaient cette chaleur par leur froide raison, Et savaient, chaque jour, tirer de leur mémoire. Sur Voltaire et Lekain quelque nouvelle histoire, El, le cœur tout ému d'un innocent plaisir, Avec les jeunes gens se sentaient rajeunir. El moi, le front penché près de la cheminée, Je passais bien souvent toute une matinée, Ainsi qu'un pèlerin, au coin de Tâtre assis. Ecoutant ces beaux vers et tous ces beaux récits. Et recueillant, muet, les paroles savantes Qu'épandaientl grands flots ces bouches éloquentes ; Et dans mon jeune sein les voyant fermenter, J'attendais que ce fut i mon tour de chanter. Il est venu ce tour 1... me voilà dans la lice, El depuis ce moment un atroce supplice

109

A broyé tous mes os sous une dent de fer, Et m'a jeté vivant aux flammes de l'enfer, Car mon destin était d'écouter les poètes Mes lèvres auraient toujours rester muriirsî

XX.

A MON FRÈRE EOIILE

Nous fûmes élevés par une sainte femme

Qui de belles leçons ensemença notre âme.

Et qui, depuis trente ans, vivant dans la maison,

Soigneuse, cultiva notre jeune raison.

Avant lui, toute jeune ayant connu ma mère,

Quand il vint à Paris, elle suivit mon père;

Elle avait traversé le temps de la terreur,

El nous disait souvent qu'elle aimait TErapereur,

Parce qu'il rétablit après les jours de crises

Le culte du Seigneur et rouvrit les églises.

Poussé par ma nature et la fatalité,

Qui me fit dur pour ceux qui m*ont trop bien traité.

Un jour que je sorlais, suivant mon habitude,

Peut-être un peu trop tard pour aller à l'étude,

Comme elle me grondait là-dessus tendremeni.

M'en disant son chagrin et tout son sentiment.

J'écoutai ses conseils avec indifférence ;

Et comme elle y mettait encore plus d'insisiance.

Jusqu'à la repousser j'en vins à m'oubiier.

Et puis je descendis, en chantant, l'escalier.

Celle qui tout à l'heure était pleine de vie,

Quand je rentrai, gisait mourant d'apoplexie.

Pendant deux Jours entiers je la tins dans mes bras,

Assistant sur son lit aux progrès du trépas.

10

Et sans Jamais quilier celle funèbre place, J'épiais le moment de lui demander grâce ! Le mal était trop fort, elle n'entendait plus !

Et mes efforts, hélas! Turent tous superflus

Le lendemain malin sans avoir pris haleine,

J'accompagnai le corps jusqu'à la Madeleine.

Un jeune homme étranger (je crois que je le voi).

Salua, près du seuil, le modeste convoi.

Et lorsqu'il fit cela pour cette pauvre femme,

Il mit sans le savoir du calme dans mon âme :

Quand le cœur est nftvré, tout nous est précieux.

Et ce qui n'était rien devient grand à nos yeux 1

Nous perdîmes ainsi noire seconde mère ;

Je conservais encor et mon père et mon frère j

Mais depuis ce moment, bien qu'entouré d'amis,

Près des plus saints foyers, bien qu'à toute heure, admi^,

Celte mort en mon cœur ne s'est point effacée,

El je suis souvent pris d'une amère pensée

En songeant, Dieu du ciel, quand je rentre le so.r.

Qu'on se quitte si mal pour ne plus se revoir -.

Et que la douce femme à notre amour ravie

Qui nous guidait, enfants, aux sentiers de la vie^

Pour s'en aller là-haut devait m'abandonner.

Sans avoir pu m'entendre et sans me pardonner i

XXI.

Quand Jésus, l'àme au ciel el les yeux à la terre. Sous une croix de bois gravissant le calvaire, Entendait à i'entour les mobiles Hébreux Frapper leurs boucliers et murmurer entre eux ; Du milieu de la foule, il sentait chaque injure Entr'ouvrir dans ses flancs une ardente blessure. Et bien qu'il fût le Christ, à son sort résigné. Depuis les temps anciens à souffrir condamné,

IM Si

Ainsi qu'un corps pesant tombant dans l'eau proPonde,

LMnjure euiraii au cœur du Rédempteur du monde ;

C'est qu'il avait vêtu la pauvre humanité,

Qu'il en avait le sang ei la débilité,

ri que moins beau serait son divin sacrifice

S'il eût senti moins fort l'épine du supplice.

xxir.

F^ Saint- Louis, sans moi, cette fois s'est passée,

.le n'ai pu la fêter qu'en ma triste pensée;

Car lorsqu'un homme meurt sous des maux dévorants,

Il doit tourner le dos aux fêles des vivants...

Mais quelque soit mon sort, je ne puis oublier

Le tranquille vallon, le loti hospitalier,

Va la verte campagne où, depuis tant d'années.

Ont coulé doucement mes plus belles journées.

XXIII.

Sous la douche de glace et le moxa de feu Je te proclamerai. Seigneur, le juste Dieu, Toi qui sus par le feu purifier Élie Et qui voulus par l'eau baptiser ton Messie.

XXIV.

Homère vécut pauvre et le Dante exilé ; Milion était aveugle et Camo(<ns mutilé ;

fi» 113 <

Le poète Gilbert mourut dans le délire,

Tellement que sa mort nous fait horreur à lire;

Malfiifttre encor jeune expira par la faim :

Cent autres, comme lui, firent la même fin.

Quand Michel de Montaigne, allant en Italie,

Visita Torquato, tout perdu de folie.

Et prononça le nom de son grand Godefroid,

Le Poète insensé se leva d'un air froid,

Et sans se rappeler son immortel ouvrage.

Comme un homme hébété retomba dans sa cage :

Le jeune André Chénier, ce front prédestiné.

En Pan quatre-vingt-treize est mort guillotiné...

Et moi« pour avoir trop admiré leur génie.

Depuis quatre ans je meurs d'une lente agonie :

Car tout excès, hélas \ doit s'expier ici,

Et trop d'enthousiasme est une faute aussi!

Ce fut longtemps la mienne ; en mes jeunes années

L'amour de l'art divin absorbait mes journées .*

Je ne voyais que l'art, je ne rêvais que l'art,

Et Dante et Raphaël, Cimarose et Mozart.

J'y pensais nuit et jour, et ces images vaines,

Seules, faisaient bouillir tout mon sang dans mes veines,

Le monde était pour moi comme s'il n'était pas ;

Jamais pour le réel je ne faisais un pat.

L'inutile, pour moi, c'était le nécessaire.

Et le reste était bon pour le pauvre vulgaire!

Or je vécus ainsi pendant dix ans et plus,

Ne trouvant de plaisir que dans le superflus ;

Tout en me nourrissant de divine ambroisie,

Je croyais à jamais prolonger cette vie :

Et voilà qu'à présent, à peine à mon midi^

Tout plaisir est en moi pour toujours engourdi ;

El moi qui me croyais pétri d'une autre argile^

Formé, vivifié d'une essence subiiie ,

Ainsi qu'un animal je vivrai pour manger ;

Et la brute avec moi ne voudra pas changer ;

Car elle a ses petits à nourrir au repaire,

Et je n'ai que moi seul i nourrir sur la terre !

Encor ce n'est pas moi qui peux prendre ce soin

Et je me laisserais dépérir de besoin ;

113 es

Car lorsqu'un homme est pris de celte maladie, Il perd jusqu'à l'instinct de conserver sa vie , El si quelque valet ue venait pas enfin, Il mourrait, Je le jure, ou de froid ou de Taim. C'est pourquoi quelques-uns de cette étrange race Furent trouvés tout nus au milieu de la glace. Et r'habiliés de Torce, en ces tristes instants. Devinrent, en plein jour, la fable de enfants.

XXV.

Qua:.d le noir choléra, de son souffle empesté.

Vint empoisonner Pair de la grande cité;

En voyant qu'aujourd'hui ma longue maladie

Avait presque en mon sein anéanti la vie,

Je songeais à soigner, au fond d'un hôpital,

Les indigents atteints par le terrible mal.

Quand l'homme sent craquer son écorce fragile,

C'est alors qu'il aspire i devenir utile;

Mais une voix lui crie en ces derniers instants .-

Ton cœur s'ovivre trop tard, hélas ! i^ n'est plus tempf f

XXVI.

Dans le temps que le mal arrivait en géant. Poussant, chaque matin, ma pauvre âme au néant. Après avoir causé, comme on fait dans le monde, Tout à coup, je parlais de ma douleur profonde. Et les hommes disaient, sans vouloir m'écouter : « Il n'est pas grand le mal qui fait rire et chanter!

ts Mi «3

Je répondais : Je chanle, ainsi que dans la rue Chanlenl les malheureux qui perdirent la vue El je ris, ô mon Dieu ! de ce rire forcé Qui grimace souvent aux traits de l'insensé !

xxvu.

Mon cœur bat, 6 Rubens ! chaque fois que je vois Tes hommes suspendus aux branches de la croix. Puis au. milieu le corps de la grande victime. Gomme un fruit mûr tombant de cet arbre sublime, El reçu dans le sein et dans les chastes bras Des femmes tout en pleurs qui L'attendent au bas . Oh ! comme son col blanc et sa tôle divine Sans force et sans ressort penchent sur sa poitrine! Oh ! comme il saigne encor; et comme son beau front De répine tranchante a conservé l'aiïront ! Apporte des parfums, ô femme désolée .' C'est ton divin Jésus, Jésus de Galilée ! Accours, ù Madeleine! accours, il en est temps. Il est temps d'apporter et la myrre et l'encens î L'encens dont tu couvris sa blonde chevelure Éiait pour honorer en lui sa sépulture; Répands le vase entier; les hommes de la. chair, Femme, ne diront plus : Ce parfum est trop cher, Car l'heure est arrivée Pierre et les apôtres Doivent croire et mêler leurs pleurs avec les vôtres : El doivent expier dans la triste cité. Par des larmes de sang, leur incrédulité.

xxvm.

J'allais fra*s et léger au village voisin : Un dimanche, au moment de folBce divin»

t3 lit n

Et les cloches sonnaient; l'église était en face;

J'entendais le curé qui chantait la Prérace;

I.a porte était ouverte, et de loin, au dedans.

Je voyais à genoux tous les petits enfants.

Et sur les bancs de bois, attentifs, par derrière,

rieurs bons parents, de l'œil surveillant la prière;

Cependant le soleil s'avançait dans le ciel,

r/air était embaumé comme un rayon de miel,

Des bruits charmants passaient au-dessus de ma lêie,

Ei toute la nature avait un air de fête.

XXIX.

c:;)mme depuis deux ans, dans mes moments de crises.

J'entre, pour y prier, dans toutes les églises,

l'^n marchant au hasard, un dimanche, il me plut

D'entrer à Saint-Sulpice, à l'heure du salui.

Kl je vis dans un coin, près du seuil, une dame

Qui lisait TÉvangile avec ^oute son Ame,

Et jamais^ je le jure, aux offices romains,

Je ne vis ce beau livre en de plus belles mains ;

Et je disais tout bas : Sous ta robe de laine.

Femme, tu viens peut-être, ainsi que Madeleine,

Maudissant tes péchés, et le cœur alarmé,

Taccuser d'être faible et d'avoir trop aimé P

Ce n'est point pour cela qu'on tombe dans l'abtme».

Mais n'avoir point aimé, femme, c'est le crime.

C'est le mien, c'est le mien ; c'est pour cela, vois-tu,

Que je suis triste, hélas ! et pour jamais perdu,

Et que, lorsque je vois deux jeunes cœurs en fèie,

Mes eheveux, de douleur, se dressent sur ma kéte.

O 116 <

XXX.

Bladame Blanche, liélas ! celle femme de cœur, Depuis huit jours est là, sur son lil de douleur ; Kl des êtres roouranls, et tombés en démence. Ont rompu ce malin leur slupide silence ; Et retrouvant soudain un éclair de raison. Ont dit : Qu'est devenu range de la maison?

XXXI.

Tout homme dans le ciel a son ange gardien : £t moi je suis maudit, car je n'ai pas le mien ; Si comme un autre, hélas 1 j'avais aussi mon ange, Me laisserait-il donc dans celle immonde fange, Écrasé sous le poids de la fatalité. Traîner aux yeux de tous mon inutilité ? Ouvrant ses ailes d*or, et posant sa couronne Devant le saint Triangle cl le céleste Trône, Il dirait : Sur la terre un homme s'est perdu , Il gémit, et d'en haut noua l'avons entendu. Et moi qui suis son ange, ô Seigneur î à son aide Je vole, s'il est temps de lui porter remède. Et peut-être qu'alors la grande Trinité Aurait étincelé d'une douce clarté^ Et ce rayon d'amour de l'éternelle flamme Dans sa profonde nuit aurait frappé mon Ame^ Qui, s'éveillant soudain comme un ressuscité. Qui s'en revient joyeux au jour qu'il a quitté^ De sa longue prison secouant la poussière, A genoux, sur le seuil, aurait failsa prière :

&> 117 ^

Honneur ! honnjeur et gloire in excelsls Deo l

Dieu qui m*a délivré du terrible fléau.

Béni, trois Toii béni, Dieu qui perd et console.

Et rachète celui qui croit en sa parole.

Si la plainte Tut longue, en mon affreux destin,

Ah ! le remerciement, mon Dieu ! sera sans fin.

Au milieu des chemins, dans les bourgs, sur les placps,

Je chanterai partout le cantique de grAces!...

Et triomphant!... Tout homme a son ange gardien :

Et moi je suis maudit, car Je n'ai pas le mien !

xxxu.

LES FOUS A ATHENES.

J'ai yu ces insensés, le Tront tout radieux. Se croire initiés au service des Dieux, Et dans le Partbénon, en leur erreur Tatate, Avaler à longs traits la coupe d'eau lustrale. On les chasse du temple ; alors, désespérés. Ils se jettent en pleurs au Tond des bois sacrés, Et ruyant les humains dans ce lieu solitaire. Comme des animaux restent couchés par terre ; Leurs parents, leurs amis, viennent pour les chercher , Mais quand ces malheureux les voyant approcher. Ils tombent tout à coup dans un affreux délire, Ils répandent des pleurs, ils se mettent A rire. Apollon, disent-ils, ô Dieu ! tueur des loups^ Les voilà, les voilà! qu'ils meurent sous ies coups. Ainsi passe la nuit, et quand revient l'aurore. Dans la même démence on l^s retrouve encore.

fe» llï{ C3

XXXI il

Sur ce globe bizarre, il faut bien qu'on L'avoue, Qui songe au dévouement rarement se dévoue ; Tandis que bien souvent, ceux qui n'y pensent pas» Rencontrent tout à coup un glorieux trépas. C'est qu'on voit rarement sur ses pas élancée L'action apparaître et suivre la pensée, Et que chez les humains le bras et le cerveau Sont deux grands ennemis luttant jusqu'aa tombeau.

XXXIV.

J'apprends, hélas! depuis que je vis loin des nôtres. Qu'il est dur de monter par l'escalier des autres, Kl je ne savais pas, en traduisant ce vers. Qu'il devait s'appliquer un jour à mes revers. Or, lorsqu'après un mois de grande solitude, Je reviens à Paris, poussé par l'habiiude. Je revois quelquefois, chez un de mes amis, La chambre hospitalière jadis je dormis. Et je suis sur le point de m'y coucher encore^ Tandis que ce penser sourdement me dévore. Celui qui me conduit soiidain vient m'avertir. Du ton accoutumé, qu'il est temps de partir, Et je remonte morne en haut de ma montagne Sans détourner mes yeux sur la verte campagne.

» 119 «

XXXV.

Le prince Ëthiopus retournait en Asie,

Lisant sur son chariot le prophète Isaïe,

Kl revenant pensif de la sainte Cité,

Qui célébrait le jour de la nativité ;

Et comme il cheminait vers sa terre loin laine,

Il rencontre soudain auprès d'une fontaine

Le grand apôtre Paul, qui, le long du chemin^

S'en allait en priant, un bAton i la main :

Au nom du Dieu vivant donne-moi le baptême !

Dit le prince, et du char descend à l'instant même;

Et tombant à genoux, avec recueillement,

Attend, les yeux baissés, le divin sacrement.

Et quand il a reçu celte nouvelle vie

Il remonte et reprend le prophète Isaïe.

Ainsi, quand un jeune homme entrevoyant Tamourj

Dans sa profonde nuit devine enfin le jour,

Et voit de tons côtés, au lever de l'aurore.

Les êtres adorer ce grand Dieu qu'il ignore.

S'il trouve par hasard dans les sentiers humains.

Une femme au front pur, aux deux beaux yeux divins,

Semblable à ce payen qui lisait Isafe,

Il crie à cette femme : Ah ! donne-moi la vie !

Et soudain de ses yeux la sublime clarté.

Du livre de son cœur perce Tobscuriié.

xxxvi.

O toi, rubis du ciel. Triangle souverain ! Attendris donc un peu ces poitrines d'airain.

^ 1-20 <

El Terse leur, du sein de ta splendeur profonde,

Une goutte, ô mon Dieu ! de Tamour qui l'inonde ;

Que cet amour embrase et pénètre leurs sens.

Et s'en exhale ensuite ainsi qu'un pur encens ;

Que tous ces hommes durs, hélas! que rien netouclie.

Qui dorment, le cœur sec et glacé, sur leur ouche ;

Eblouis tout à coup d'une sainte clarté,

Se lèvent murmurant des mots de charité ;

Qu'ils partent à l'aurore avec un pied agile,

A la maison des pleurs qu'ils marchent par la ville;

Et les voyant ainsi courir à pas pressés.

Que les enfants de loin les nomment insensés.

Ils le sont en effet; l'égoïste est le sage;

C'est des enfants d'Adam le stupide langage

Qui, devant le soleil, en tout lieu répété.

Dans l'éternel bourbier retient l'humanité.

XXXVII.

Lorsque pour les mortels le temps est expiré,

Chacun possède alors ce qu'il a désiré.

Newton découvre enfin le grand secret du monde,

L'athée ira dormir dans une nuil profonde.

Et le feu de l'amour et de la charité,

Embrase saint Vincent pendant l'éternité.

Car lorsqu'au grand cadran sonne la dernière heure.

Quand nous allons trouver la funèbre demeure,

L'esprit vole à l'esprit, en ce terrible jour,

Le corps à la matière, et l'amour à l'amour.

Or pour qui comprend bien la nouvelle alliance.

L'amour mérite encor bien plus que la science.

Cherchez donc, ô chrétiens! cherchez ce feu divin.

Sans lequel tout le reste est inutile et vam :

Il n'en est pas dans l'autre ainsi qu'en cette vie,

Et l'amour siégera plus haut que le génie !

121 «a

Le génie, 6 mon Dieu ! quel déplorable don !

Étouffer tout instinct affectueux et bon.

Avare à ses amis du foyer de son âme.

Pour ce qu'on dit son œuvre en réserver la (la m me!

Et c'est le génie ? Ah ! plutôt mille fois,

Que de traîner ici le destin de ses rois,

Etre tout simplement une pauvre sœur grise,

Suivant avec candeur la règle de TEglise,

Et visitant le soir, dans leur réduit honteux,

La veuve aux longs soupirs, et le nécessiteux !

xxxvm.

Heureux qui, terminant la vie et ses hasards. S'éteint de cette mort dont meurent les vieillards, De cette inclinaison si douce et si légère. Qui courbe pour jamais les vieux corps à la terre ! Heureux le sage ! Au sein de son réduit obscur, Il écoute chanter son cœur riant et pur Coulant, insoucieux, des jours exempts de peine, Il ignore le peuple et la chose romaine; Et les adulateurs au regard empressé, Et le bruissement du Forum insensé. Combien pour avoir fui ce foyer tutéiaire. Sont tombés abattus par le vent populaire, Et, fatigués du jour, bientôt ont regretté Les temps silencieux de leur obscurité. Ils l'ont quittée, hélas ! pour un nom périssable. Des choses sans amour, des projets sur le sable, L'ingratitude enfin, et le remords fatal D'avoir semé le bien et récolté le mal.

il

» ui ti

XXXIX.

Dans ce grand univers, comme lu Tas pu voir, Tout est travail, lecteur, et souffrance et devoir. De ces nécessités de l'humaine existence, J'accomplis la plus triste, 6 lecteur ! la souffrance! La souffrance sans but, hélas ! sans avenir La souffrance inutile et qui ne peut finir. Et dans ses bras de plomb, se voyant seule et nue, Mon âme, à cet aspect, de frayeur diminue ; Et la nuit et le jour je me sens défaillir, Comme celui qui croit qu'il va bientôt mourir.

XL.

J'ai rêvé cette nuit qu'à genoux je priais,

Par un temps sombre et froid devant un grand palais,

Et du fond du palais sortaient des voix étranges,

Qui ressemblaient aux voix des démons et des anges,

Et les unes disaient : Ce pécheur est à nous,

Et les autres : Non, non, tant qu'il est à genoux.

El moi, comme celui dont on lit la sentence.

J'attendais, l'œil baissé, dans un morne silence,

Et ce combat dura pendant toute la nuit.

Et ceux qui le livraient faisaient un très grand bruit.

Le matin, quand le jour reparut sur la terre,

Une femme sortit du palais solitaire.

Et sous son voile blanc, elle approcha de moi.

Et me prenant la main pour calmer mon effroi :

Ton sort s'est décidé cette nuit, me dit-elle,

El lu n'appartiens plus à la race mortelle,

Ton atroce malheur t'a bien purifié,

fi» 133 O

Et ton péché nalif ei t assez expié. Pauvre enfant égaré, relève donc Sa fête, Et sans peur ni remords affronte la tempête ; L'homme doit redouter le crime seulement, Le reste ne doit pas le troubler un moment; Debout, allons, \a-i'en chez ton ami fidèle Et dis-lui ce qu'ici ma bouche te révèle. Que ce jour soit sacré, passe-le tout entier Chez celui dont le cœur sent si bien la pitié, Puis va dans une église, et là, séchant tes larmes Ainsi qu'un chevalier, fais la veille des armes, El croisant tes deux mains attends, sur le pavé, Que ton corps mort, demain matin, soit relevé : Depuis longtemps je sais que c'est ta pensée, El lA-haut on a dit : Qu'elle soii exaucée l

XLL

Souvent les bras croisés et la tète baissée,

Comme dans un manteau, marchant dans ma pensée.

Je me dis : J'ai connu le divin Raphaël,

Mozart, qui maintenant chante avec ceux du ciel,

J.e vieil aveugle grec, et Tasse, et Cimarose,

J^ gai Napolitain i la bouche de rose,

El Dante Alighieri, mon prince, mon auteur,

Et Shakspeare, après Dieu, le plus grand créateur !

El repassant alors tous ces noms dans mon Ame,

Je sens se ranimer ma primitive flamme.

Et je m'écrie alors : Illustres trépassés.

Flambeaux toujours brûlants des grands siècles passés,

Mes maîtres, mes seigneurs, votre mâle génie.

M'a souvent allégé le fardeau de la vie,

El sur ce mont aride, aujourd'hui même encor,

De Ja chappe de plomb décharge un peu mon corps.

134 «I

XLII.

Moiartdaos mon été saisit moR âme ardente, Ensuite j'adorai Timpérissable Dante, Cl maintenant Jésus, me prenant par la main, Me conduit doucement jusqu'au bout du chemin. A.h ! que ces trois amours et leur divine flamme, Après avoir brûlé tour i tour dans mon àme. L'embrasent donc enfin dans ce grave moment, Et la consument toute en leur embrasement.

XLIII.

Noos sommes ici-bas ; mais pensons au dépari , Lorsqu'une matinée il faudra, tôt ou tard. Que rftme seale et nue, et laissant son bagage, Au pays inconnu fasse le grand voyage.

XLIV.

Quand un homme en ce monde éprouve un grand chagrin.

Il soupire, il gémit, se plaint de son destin.

Et l'accusant partout, jusqu'à perdre l'haleine,

Fatigue ses amis du récit de sa peine :

Lorsqu'une femme souffre, elle baisse les yeux.

Son chagrin est discret, craintif, silencieux,

Le front sur son aiguille et sur sa broderie,

£t gardant en son cœur sa triste rêverie.

Plutôt que d'en parler, se résigne à mourir.

C'est que la femme seule ici-bas sait souffrir*

» I3S «

XLV. LEVIATHAN.

Gomme des boucliers qui se tiennent entre eux.

Cent mille écailles sont sur son dos montueux,

Il nage puissamment, et quand il élernue,

L'onde de ses naseaux monte jusqu'à la nue.

Ses reins sont Torts, ses yeux sont des charbons ardents,

Kt la terreur habite i Tentour de ses dents.

Tel est Léviathan : au jour de sa colère.

Dieu le suscitera pour ravager la terre.

El quand ce grand poisson des eaux sera sorti,

Nul ne pourra jamais prévaloir contre lui.

XLVI.

Je suis la mort, le roi des épouvantements, Je marche avec la peur et les Trissonnements. Quand je viens à passer au sein d'une tempête, Les autres rois du monde inclinent tous la tète, Kt de tous fes côtés, les timides humains Se mettent à genoux et me tendent les mains. El moi, sans écouler leurs vœux et leur prière. Sur mon pâle cheval je poursuis ma carrière. Fa parmi ces troupeaux à ma voix rassemblés, 3e vais comme la Taulx au milieu des grands blés I

196 «I

XLVIl.

J'ai passé yingl-cinq ans, sans me sentir un cœur. Le regard sec et Troid, et le rire moqueur, * El pourtant j*adorais la sainte poésie. Je pleurais en voyant Léar et sa folie ! Rendu meilleur enfln, par mon affreux malheur, Je cherche à compatir A Thumaine douleur ; Mais malgré mes efforts, malgré ma peine extr6m« Ma nature revient, revient toujours la même. Quand je vois un enfant qui pleure ; quand Je veux L'embrasser et passer ma main dans ses cheveux, Mes compliments sont froids, mes caresses de glace, De mes bras sans amour l'enfant se débarrasse, Et sentant que je veux forcer mon naturel. S'enfuit tout effrayé dans le sein maternel .'

XLVIII.

Quand des hommes de cœur, soutiens de leurs familles. Lorsque chaque matin de pauvres jeunes filles. Sous la dent de la fièvre, aux yeux de leurs parents Expirent sans se plaindre au milieu des tourments. Moi qui suis inutile, et qui, depuis l'enfance. Traîne, sans la sentir, ma sinistre existence. Moi qui suis sans espoir, sans but, sans avenir, Dans des bras étrangers moi qui devrai finir. Moi qu'on voit bien souvent, le regard fixe et morne. Les habits en désordre, assis sur une borne, Moi qui suis fol enfin, c'est le mot ! ô Seigneur i DoiS'je donc voir venir la mort avec terreur.'

^ ft7 «S

XLIX

Tandis que devant Dieu, dans Paris nous sommes, Des hommes, sans pudeur, pillent les autres liommes, D*aulres s'en yont craintifs la rougeur sur le front, Se reprochant la mort du moindre moucheron. Vois donc, 6 Conscience / ô vierge sainte et pure ! D'un bien léger.délit quelle large blessure? Doit' on s'en applaudir, doit-on plaindre son sort, Est>ce que l'innocent connaît seul le remord P

L.

Je ne suis ni félon, ni Joueur, ni cupide ;

Du bien de mon prochain je ne suis pas avide;

Je me nourris de tout, et sans privation

Je boirais de l'eau pure, ainsi que le lion ;

Je n'ai pas da mollesse, et lorsque je voyage.

Je coucherais par terre et nu comme on sauvage ;

Et tout cela n'est rien, car chacun ici-bas

Se corrige aisément du défaut qu'il n'a pas ;

Mais ma langue souvent manque de tempérance :

Pour les fautes d'autrui je suis sans indulgence.

Ces vices, et plusieurs dont je ne parle point.

Me tiennent fort au cœur, et c'est le grand point;

Et c'est-là. Je le crains, la chemise dernière

Que je dois dépouiller au seuil du cimetière !

198^

LI.

Dans ce temps d'égoïsme, la cupidité

Avec ses doigts crochus règne dans la cité.

Targent est le Dieu de toutes les familles.

Ou chaque femme compte, les plus jeunes fliles

Calculent si Tépoux, que bientôt Ton prendra,

Aura tous les hivers sa loge à l'Opéra;

Si par hasard on voit une jeune personne.

Une femme sans fard, simple, timide et. bonne,

Un de ces êtres purs, qui vivent pour aimer,

Dont la voix est si douce et sait si bien charmer,

<)ui, bien qu'accoutumés à la belle opulence,

N'ont ni caprice vain, ni frivole exigence,

Qui, souriant toujours avec naïveté,

Nous savent gré d'un mot, d'un bouquet apporté,

(Quand on n'obtiendrait rien, rien de telle autre femme

Au moment pour elle on donnerait son âme),

On contemple cet être avec ravissement ;

On se sent plus à l'aise, on vit plus librement.

On se réconcilie avec l'espèce humaine

Et l'amour peu-i-peu remplace enfln la haine.

ui.

Si tu n'as pas perdu toute ombre de raison.

Tu verras le devoir, lecteur, dans ta maison :

Auprès de ton foyer et de ta vieille mère,

Qne tu dois jusqu'au bout soutenir sur la terre,

Tout près, dans ta maison, sans en franchif le seuil ;

Car, plus loin, ce n'est pas le devoir ; c'est rorgueii.

» I9D «

LUI.

Je le dis, Tégoïste est un arbre inutile, Qui n'abrite jamais ceux qui vont A la ville ; Sur le bord du chemin, c'est un arbre isolé, Sombre et dont le Teuillage est rare et désolé ; Les filles des hameaux, Tété* durant l'orage, Ne s'arrêtent jamais sous son funèbre ombrage. Et les oiseaux du ciel l'ont en éloignement : Le plus sûr égoïsme, ah ! c'est le dévouement ! C'est être utile à soi que d'être utile aux autres ; Imitons le Sauveur avec ses douze apôtres. Allons faisant le bien, et tenons pour certain Qu'ici-bas, c'est encor le plus heureux destin .'

LIV.

Le ciel depuis cinq ans l'avcrlit tous les jours ; Et tu rais des projets, et tu plantes toujours , Et la vie en ton sein est à moitié glacée. Et tu ne verras pas l'arbre de ta pensée.

LV.

Grand Dieu ! Si la vertu, chex les fils de la terre, Ainsi que la fortune était héréditaire, Plus que moi quel autre homme eut été vertueux f Car quel autre reçut de la bonté des cieux, Pour adoucir le flfêl de cette vie amère,

» 130 «)

Un père plus aimant, un plus Tertueux père? Mais, bélas ! sur ce sol d'épreuyes et de maux, La fertu ne va pas du tronc dans les rameaux ; Ainsi le Teut celui qui dans le ciel commande, Afin que tout mortel en naissant la demande,

LVI.

A PIERBE LEROUX.

O sublime insensé, Pascal, divin génie, Tu savais l'univers et sa vaste harmonie, £t pourtant i genoux devant Tautorité^ Tu passeras chrétien à la postérité ! Mais i côté du tronc tu posas la coignée : D'autres s'en sont servi ; par sa base minée, Ta croix sainte chancelle, et ton bras n'est plus Pour soutenir debout l'arbre du Golgolha.

LVII.

L'homme est jeté pleurant sur une terre nue.

Et bientôt pour fêter au jour sa bien -venue.

Il voit les passions et les infirmités,

Comme des serviCeurs, marcher à ses côtés ;

C'est pourquoi, le cœur pris d'une douleur profonde.

Quelques-uns, autrefois, ont pensé dans le monde.

Que le plus grand bonheur, puisqu'on natt pour souffrir»

Serait de ne pas naître; étant né, de mourir.

iSI tt

LVIII.

« Pour moi j'ai reconnu le voyageur divin,

« Quand il fil devant nous la Traciion du pain ! »^

M Et moi quand il parlait, comme une sainte flamme

« Pénétrait peu i peu jusqu'au fond de mon âme ! »

Voilé ce que disaient, par le Sauveur émus,

I^s deux jeunes Hébreux disciples d'Emmaûs :

Ainsi, lorsque je sens autour de ma poitrine

Circuler doucement une chaleur divine,

Quand après le repos le travail est venu.

Quand je me sens saisi de ce transport connu.

Je me dis : C'est la muse, esprit saint comme l'autre,

Qui vient dans le chemin visiter son apOtre ;

Et je m'incline alors, et je baisse les yeux ;

J'écris ce qu'elle dit, le front respectueux ;

Et quand je n'entends plus la céleste parole,

Je me lève et je vois la Sainte qui s'envole.

LIX.

Sans pressentir pourtant ce qui viendrait un jour. Divin Paisiello, ta Folle par amour ( Courte félicité comme un rêve passée ) Avec son bien-aimé chantait dans ma pensée. Et celte pauvre Agnès et son père, insensé. Qui repose aujourd'hui sur le marbre glacé. J'aimais surtout le roi Léar et Cordélie! Les autres sont des fous ; mais lui c'est la folie ! Alfred, souvenez-vous de ce vieux souverain Tenant à peine, hélas l son sceptre dans sa main, Contre ses deux enfants, opprobre de la terre, Sur sef genoux pesans implorant le tonnerre.

Et nom deux, à l'aspeci de si grandes douleurs. Dans le vaste Odéon nous étions tout en pleurs; Et nous disions après, Tàme encore enivrée : Nous ne reverrons plus une telle soirée. C'est ce qui fait vivre, et sentir, et souffrir, C'est en sortant de li que l'on devrait mourir, Avant de retrouver sur le seuil de la porte Ce tourbillon poudreux qui vole et nous emporte A la débauche, au Jeu, dans le monde en tout lieu l'homme s'avilit et va renier Dieu.

LX.

IMITÉ D'ÉZÉCHIEL.

Voici : le Seigneur Dieu des hommes et du ciel

A dit : J'abreuverai cette cité de fiel :

Ses veuves pleureront assises prés des saules ;

Le roi sera porté dehors sur les épaules

Et la Tuite aura lieu quand le temps est obscur :

Pour le faire sortir on percera le mur ;

L'escorte marchera dans la nuit du mystère.

Le bouclier aux dents, l'œil baissé vers la terre.

Et le coupable aura sur sa tète un drap noir

Afin que les passants ne puissent pas le voir !

LXL

Le jour comme un roi tu t'assis sur ma iètt\ Que ce jour là, malheur^ me soit un Jour de féie Merci, je te le dis, trois fois merci. Malheur, Puisqu'àla fin, c'est toi qui m'as rendu meilleur !

133 «I ^

Mattre, Je te l'avoue, avant ta bien-venue, J'aiiais le front levé, sans pudeur, par la rue Et le bien n'était pas mon penser le plus doui, Et ceux qui le faisaient me paraissaient des fous. Mais depuis que je souffre, une sainte lumière A comme à mon insu dessillé ma paupière, Et je fuis à présent le mal que je hantais, Et je cherche ardemment le bien que j'évitais. Le jour comme un roi tu t'assis sur ma tête, Que ce jour-là, Malheur, me soit un jour de fêle ! Merci, je te le dis, trois fois merci, Malheur,| Puisqu'à la fin c'est toi qui m'as rendu meilleur !

LXIL

Causons un peu, mon Ame, avant que de mourir : Avons-nous pour longtemps, ici bas, i souffrir ." Et quand nous aurons vu notre dernière aurore, Dans un monde nouveau souffriroas-nous encore? Depuis les jours d'Adam, toute l'humanité Redit incessamment ce mot d'Éternité ! Et cette éternité, son espoir et sa peine, Comme un chien de berger la maintient en haleine.

LXUI.

Quand le riche au cœur sec, aux entrailles de pierre.

Enfin s'endormira dans la froide poussière.

Il n'emportera pas un denier de son bien.

Il ouvrira les yeux et ne trouvera rien,

La pauvreté viendra comme une eau débordée,

Et son Ame en sera toute entière inondée ;

12

151 «3

Il voudra Tuir en vain, la main de Taquilon Ed l'air Tenlèvera dans un grand tourbillon ; Et, voyant tout i coup le coupable aublime. Crouler comme une tour dans le fond de Tablme Ceux qui voyageront alors par les chemins Applaudiront de loin et frapperont des mains.

LXIV.

DC LIVRE DE JOB.

Qui donc me donnera d'être comme autrefois. Quand je marchais Fégal des princes et des rois? Lorsque je me rendais aux portes de la ville. Mes cliens m'attendaient sur une double flie ; Les jeunes se tenaient à l'écart, par respect. Et les vieillards étaient muets A mon aspect. Comme on fait d'un manteau, je vêtais la justice; De mes fruits au Seigneur j'apportais la prémice, Je visitais la veuve et le nécessiteux, J'étais l'œil de l'aveugle et le pied dii boiteux; Le pauvre me suivait et me nommait son père, Mon bras était sur ceux qui n'avaient pas de iL6re« Par les sentiers do bieu je dirigeais mes pas, El m'instruisais des faits que je ne savais pas ; Je brisais la mâchove et les dénis de l'impie, Et me disais, content de cette belle vie : Je mourrai dans le nid que je me suis formé. Et, par mes serviteurs avec soin embaumé, Je resterai trois jours sous un dais de verdure, Comme sous une treille est une grappe mûre. Puis l'on me portera, sous le bleu firmament, A réclat des flambeaux, dans un beau monument. U je serai couché parmi les morts superbes, Comme une gerbe d'or au milieu d'autres gerbes, Comme les hommes forts et les grands potentati,

^ 135

Qai jaiqo'à la mer Roage élendaient leuri éUtf ;

Et Je reposerai daot une paix proronde

Avec les rois du siècle et les consuls du monde,

Avec ceux que couTrait une robe de lin

Et dont le cœur était Tespoir de l'orphelin.

Qui, vi?ani sous le ciel exempts d'inquiétudes.

Bâtissaient leurs tombeaux au fond des solitudes.

M Or, je disais cela dans ma prospérité,

> Et ce beau rê?e a fui comme un torrent d'été. »

Et maintenant Je suis méprisé par des hommes Qui sont un poids honteux pour la terre nous iommas. Des hommes qui n'osaient se chauffer près des miens. Que Je n'aurais pas fait manger avec mes chiens ; Et maintenant Je suis la fable du vulgaire. Et chacun se détourne en voyant ma misère; Je vais comme celui qui n'a plus de raison. Et Je suis étranger dans ma propre maison. Mes amis, en riant hier devant ma face. Se sont tous écoulés comme ui| fleuve qui passe ; Quand Je crie et me plains, ines cris sont superflus, Et ceux que Je payais ne me connaissent plus ; De moi-même, la nuit, moi-même Je m'effraie. Et je pousse des cris comme ceux de l'orfraie ; Car J'ai soif du sépulcre, et Je cherche la mort, Gomme en creusant le sol l'homme cherche un trésor I

LXV.

Amédeous-Mosart, mallre illustre et sacré.

Que ta Meise des Morts et le Dies iraSf

Derniers et purs enfants de ton mâle génie.

Couronnent dignement par leur sainte harmonie

Les Noces et Titus, le Sérail Mufulman,

Et la Flûte enchantée, et le grand Don Juan.

Je voudrais, dans la tombe avant que de descendre,

Assister aux honneurs qu'on va rendre à ta cendre;

& 136 «$

Mais puisque je me meurs ei oe pourrai jamaii Te voir manirester aux regards des Français, J'ajouie celle fleur à la palme de fêle Que deux savanies mains vont poser sur ta télé i

LXVI.

IMITÉ DE L.4 BIBLE

Moi qui jeune aulrerois buvais à pleine coupe L'orgueil au premier rang,

Je me suis abaissé plus vile que ne coupe Son fil, le tisserand.

El je me suis flétri comme un lys sans ombrage Au feu de ma douleur,

El comme Tolivier au souffle de l'orage Laisse tomber sa fleur. *

Gomme le pélican dans une solitude, Sur son rocher lointain,

Mon pauvre cœur, hélas ! languit d'inquiétude Du soir jusqu'au malin.

Ma force n'étant point la force de la pierre,

Je me raidis en vain, El sortie, 6 mon Dieu ! de Phumaine poussière.

Ma chair n'est pas d'airain.

Après avoir suivi de l'océan du monde

Le flux et le reflux , Celui qui descendra dans cette mer profonde

N'en remontera plus.

Il sera pour le toit qu'il orna de feuillage Ainsi qu'un inconnu ,

Et le lieu dans lequel on berça son jeune âg« Lui dira : Ouc veux-lu?

157 «4

Qu'est-ce que rhomme, hélas . pour que voire colère

Consente à l'éprouver ? Quand vous pouvez, grand Dieu ! d'un éclat do lonuerre

L'écraser comme un ver.

Mais vous le visitez, le matin, dans sa couche,

Quand le soleil a lui ; I-U sitôt, ô Seigneur ! que votre main le touche,

Le malheur est sur lui !

Au milieu de mes maux je suis sans espérance ,

Ainsi qu'un condamné ! Ki mes frères, hélas ! en voyant ma souffrance.

M'ont tous abandonné*

Ayant perdu l'espoir de vivre d'avantage,

Mon cœur est en émoi. Tous mes jours du néant vont être le partage ;

Seigneur, épargnez-moi.

J'ai bu l'iniquité sur la terre nous sommes Gomme on boit l'eau des puits !

Relirez -moi, de grAce, ô Rédempteur des homiues ! De l'abtme je suis.

Hélas ! contre le mal ardent qui me dévore

Tout sera superflus, Kl celui quj viendra me chercher à l'aurore

rie m^e trouvera plus.'

LXVII.

DIES IRiG.

Jour de colère, ce Jour-là, Du haut du ciel il doit descendre, Kt réduira le ciel en cendre. Tente David cum Sibilld,.

138 «9

Tout l'Univers devra rirémir. Lorsque, porté sur les nuages, Au sein des feux et des orages, II verra le Juge venir.

La trompette et sa grande voix Répand une terreur profonde Parmi les sépulcres du monde , Qui s'ouvriront tous à la fois.

IjB mort sera dans la stupeur. En voyant toute créature Se lever de sa sépulture Pour répondre à son créateur.

Alors le livre s'ouvrira. Qui porte écrit ce que les hommes Ont fait sur la terre nous sommes : Sur quoi le Maître jugera.

Que dirai-je alors, misérable, El quel défenseur appeler, Lorsqu'en ce moment redoutable, Le juste même doit trembler P

LXVIII.

Il est un beau tableau, de TAlbane, Je crois, I/enfant Jésus qui dort, étendu sur sa croix . Tout homme en le voyant se recueille et l'admire, Essayant l'instrument de son prochain martyre ; Car ton père le veut, hélas I divin Enfant, Ce bois sera bientôt tout couvert de ton sang; Et quand U destinée ici-bas sera mûre. Ce qui fut ton berceau sera la sépulture. Par-là lu nous apprends, à jeune Rédempteur ! A préparer notre âme au grand jour du malheur; Et comme tu le fis en ce monde de boue^ A coucher sur la croix avant qu'on nous y cloue*

LXIX.

STANCES.

Je croyais sans regret abandonner la vie

A force de souffrir ; Et TOilà qu'à présent mon âme à Tagonie

A crainte de mourir.

Qu'est-ce donc, ô mon Dieu ! qu'est-ce donc que ce monde.

Pour qu'on l'ait tant à cœur? Comme par le plaisir à cette range immonde

Tient-on par la douleur ?

Est-il si doux encor d'entrevoir la lumière

Au bord du monument; El de lever son front tout chargé de poussière

Vers le bleu firmament?

LXX.

Un homme meurt heureux aux bras de la paresse ; Ses os étaient garnis et recouverts de graisse ; Par ses nombreux clients, le jour, environné, Il allait dans la ville ainsi qu'un couronné.. Un autre ayant maigri de travail sur la terre Aura vécu malade, et pauvre et solitaire ; Et tous les deux pourtant, malgré leur sort divers. Dans le froid monument seront mangés des vers ; se reposeront ceux qui souffraient ensemble. Et qu'un anneau de fer par les talons rassemble. C'est qu'on ne sent plus la faim ni la douleur )Cl qa'oa n'entendra plus la voix de l'exacieur

I«) 1J0<:}

LXXI.

Dormani mal, cette nuit, le vingl-neuf de décembre, J'ai fait un rêve triste, et j'ai va dans ma chambre, Tendue en noir, ainsi que dans un jour de deuil, Une Temmeau Tront pur, et debout près du seuil! C'était celle qui vient toujours à ma pensée, Relie et grande, aox yeux bleus, à la taille élancée, Qui, l'an dernier encor, d'un ton plein de douceur. Me disait : Antoni, comme aurait Tait ma sœur !

LXXII.

Léon, mon cher Léon, qui m'avez accueilli Souffrant, pauvre-perdu, par le mal avili. Combien de fois, durant ces deux longues années. la mort avançait à si grandes journées. Que je la sens enfin sur ma tête s'asseoir, Sans pouvoir relever mes deux yeux pour la voir. Vous m'avez, en sortant pour aller dans le monde, Laissé près du foyer, dans ma stupeur profonde. Posé plutôt qu'assis, malheureux, sans raison, Comme un meuble de plus tenant à la maison ; Puis, quand minuit sonnait, quand s'éteignait la flamme, Entendant, près du seuil, la voix de votre femme, Qui me fut une sœur, je m'en allais ouvrir, Et quoiqu'il fut bien tard, et l'heure de dormir. Sans fin et sans motif j'allongeais la soirée. Ainsi qu'un condamné, sa dernière journée; Et puis le lendemain, dans mon lit étendu. Rongeant mes draps, l'œil terne et le cerveau perdu. Je demandais un prêtre, un médecin, un être Qui jusqu'à ce moment n'avait pu me connaître.

î» 141 «4

Ei qui, Tenant novice à mon chevet glacé»

ÉcoulAt sans ennui ma longue infirmité.

Et vivant au rebours en ma grande misère,

Dans ce premier venu je croyais voir un frère;

Kt, chose étrange, ô Dieu ! traitais en ennemis

Mon vériiablo frère et tous mes vrais amis !

Pour tous ces inconnus gardant ma bienveillaDce,

Ceux-là selon mon cœur n'avaient que mon silence l

Or maintenant je vis avec des insensés,

A les étudier mes jours se sont passés,

Et je ne me plains pas du sort qui me menace ,

Car je puis sans rougir les regarder en face ;

Ils ne comprennent pas que je suis l'un d'entre eux.

Et, puisque je le sais, un des plus malheureux !

Plût au ciel que mon corps fût devenu de pierre,

Et pareil à celui qui, perdant son vieux père,

Se laissa revêtir de son habit de deuil

Ainsi que d'une housse on babille un fauteuil !

Mais, bêlas! toute froide et morte qu'est mon âme,

Pour sentir la douleur elle ^rde sa flamme,

Et quand j'ai retourné ma plaie en tous les sens.

Quand j'ai prié, poussé de funèbres accents,

Je compte jusqu'à mille, et puis je recommence,

De peur que ma raison ne cède à la démence.

Voilà ce que je fais alors que je suis seul,

Et ce que je ferai jusqu'au jour du linceul.

Hélas ! combien de fois, connaissant ma folie,

J'ai souhaité, noyé dans la mélancolie,

Vivre ce qui me reste avec égalité,

El mourir, comme on doit, en toute dignité!

Mais non ; les malheureux frappés de mon délire,

Jusqu'à la fin. mon Dieu! sont condamnés à rire;

Aussi n'inspirent-ils ni regrets ni pitié.

Et sont-ils repoussants même pour l'amitié !

îNon pas pour vous, Léon, qui m'avez, comme un frère,

A tout heure du jour reçu dans ma misère î

Mon Dieu ! depuis quatre ans que voire main de fer

Me fait anticiper les tourments de l'enfer,

Voyes comme je souffre et comme ma pauvre âme

Est haletante au sein de sa cuisante flamme ;

us

Sani changer de douleur, changeant dix fou dellM, Du supplice de Teau, J'ai passé dans le Teu ; Mes reins sont calcinés, m^ tête est desséchée Et sans séye se meurt, conime une herbe arrachée. Quelle que soit pourtant ma désolation, Quoique mon âme assiste i sa destruction. Bien que je sois broyé sous ma lente torture, Et bien que je soupire après ma sépulture : Du monde, par ma main^ je ne sortirai pas, El je vous bénirai, mon Dieu ! jusqu'au trépas !

LXXIII.

Père du ciel, après tant de jours de misère. Perdus à me traîner sur cette pauvre terre, Et passés tout entiers i nourrir mon.chagrin, N'aurez-vous pas pitié de mon affreux destin ? Voyez, je n'en puis plus, i mon mal je succomba» Et je n'aspire plus qu'à dormir dans la tombe ; Mais avant que je sorte, hélas ! de ma prison^ Olei ourendei-moi tout-à-fait la raison.

Livre in.

RESIGNATION.

Et Kraneesco me dit : « Veu-taquejetefatse voir CaroliDa qoe tu as tant aimée? » Et, me prenait par le bras, il me eondoisit à la porte OrienUfe, et je la vis passer sans qu'elle m'aperçût Elle tenait par la main deoz beaux enfaDts, et moi , me rappelant les jours d'autrefois, je me prisa pleurer

( Il conts g )

OlfiV SOIT LOUÉ DB TOUT *

AU LECTEUR.

Relire du monde depuis longtemps , TAuteur de ce Recueil a rail un livre philosophique et non une œuvre politique ; il a donc aitaqué le vice et loué le mérite et la vertu partout il les a rencontrés, sans disiinciion de personnes ni de partiiL

145 «a

i.

A LEON DE WAILLY.

Trois fois heureux celui qui sait louies les causes,

Les effets, la nature «t Tessence des choses;

Mais plus heureux celui qui sait les dieux des champs,

1^ flûte et les bergers et les agrestes chants.

Et sans ouvrir son cœur à toutes nos querelles,

Connaît le yieux Sylvain et les Nymphes jumelles.

Le poète Virgile, au temps des dieux menteurs.

Apprivoisait ainsi ces fiers triomphateurs,

Ses frères les Romains, qui, sur la terre et Vonde,

Affectaient la couronne et l'empire du monde !

Quelle voix pourra dire i nos jeunes Français :

Redouiez le Forum et ses tristes excès.

Croyez é d'autres dieux qu'au démon politique,

N'estimez pas si haut la rumeur du Portique,

Ouvrez enfin les yeux, que tos fègers cerveaux

Cessent donc désormais se payer de mots;

Croyez qu'on peut bien vivre, 6tre bon sur la terre,

Aimer Inhumanité sans être humanitaire /

Fuyez le dogmatisme en toat temps, en tout lieu,

Qu'il règne au nom d'un homme ou bien au nom de Dreii

Détestez ce tyran du phn fort de votre Ame,

Car c'est un comédien, un hypocrite infâme;

Il change volontiers et d'habit et de nom.

Il est docteur, tribun, ou de ilaistre ou Danton.

Oh ! bizarre destin de notre espèce humaine.

L'amour descend du ciel et l'homme en fait la haine !

Jésus vient aax mortels prêcher la liberté;

Un docteur aussitôt conclut : autorité l

Plus une chose est pure et plus elle est divine,

l^us on l'éloigné, hélas ! de sa belle origine,

Car il est sur la terre un génie infernal

Qui fait pouvoir de tout, et du bien et du mal.

Qui corrompt nuit et jour les semences écloses,

13

Et tire du poison du, calice des roses.

Plusieurs de nos malheurs sont enrants de l'orguei].

C'est lui qui nous a fait de si longs jours de deuil.

Tous voulant labourer le champ de la pensée,

^.e sol trompeur a fui sous la foule insensée.

Il en est un plus sûr qui ne faillira pas.

C'est celui qu'on remue avec de puissants bras :

Honorez, Jeunes gens, la sainte agriculture,

Suivez la volonté de la grande nature,

L'esprit a fait sa tftche, ah ! fatiguez le corps.

Qu'il déploie à son tour sa force et ses ressotts.

Et le pain et le vin sont enfants de la terre.

Demandez-les tous deux à celte bonne mère.

Et que chaque printemps, >e diadème au front,

Le roi creuse lui-même un auguste sillon;

Qu'à son exemple alors une mâle jeunesse

Suive le soc pesant de la bonne déesse.

Homme, donne ton cœur à la création

Et tout ce qu'il contient de douce émotion;

Aime le ciel, les fleurs, les forêts, les campagnes.

Le fleuve qui descend du sommet des montagnes;

Aime les animaux, créatures de Dieu«

Ils ont aussi leur âme, et sont bien en leur lieu ,

Comme toi dans le tien; sans soulever leurs voiles,

sans les interroger, admire les étoiles,

Accepte l'univers, adore son auteur,

N'en cherche pas le mot ailleurs que dans ton cœur.

Car aimer, c'est savoir posséder et connaître,

Le reste est le chaos et l'éternel peut-étre l

L'Océan sait la place son flot doit toucher,

Et le soleil connaît l'heure de son coucher.

Tous les êtres créés savent leur nom : la terre

Sait qu'elle tourne, et sait quel est son divin père,,

Car tout est animé, tout respire ici-ba%

Et tout vit de sa vie et meurt de son trépas.

La plante humaine, hélas! est la plus éphémère,

Roseau toujours battu par un souffle contraire,

Jusqu'au jour où, disant son éternel adieu,

Elle ira refleurir dans le jardin de Dieu.

» 147 «3

L'OUBLI ET LA PITIÉ

VlSlOIff*

Quand les rois à présent déposent leurs couronnes, Et pour Yoir le soleil descendent de leurs trônes, Le crime est qui veille et le fer assassin Les guette dans la rue et menace leur sein;- £t les reines en proie à d'horribles alarmes, Attendent sur le seuil les yeux remplis de larmes. Dis-moi, peuple envieux, dis-moi la vérité. N'est-ce pas là, réponds, la graude égalité ?

Je plaignais une nuit cette auguste misère, Quand je vis devant moi s'élever de la terre Un spectre lamentable, à mes yeux éblouis. Le roi décapité, rinforluné Louis; On eût dit qu'il voulait parler, et sa poussière S'agitait, et semblait me faire une prière.

Puis je vis d'un tombeau se lever àdemi- Les vieux assassinés de Saint-Barthélemi. Ils étaient tout criblés de grands coups d'arquebu$;e Nous avons succombé sous la force et la ruse, £t nous te demandons qu'on grave notre nom- Sur le sanglant airain du terrible balcon !

Ces esprits palpiuient, semblaient souffrir encore.

Et pour se retirer ilt attendaient l'aurore.

Et moi je regardais, tout pâle de terreur.

Même au sein de la mort survivre la douleur.

Car, nous autres vivants, savons-nous quel mystère.

Ombre des trépassés, vous pousse sur la terre.

Quand vous avex besoin, aux lieux inférieurs»

î» «48 <:,

De retrouver la paix et la calme en toi cœurs,

Ombres, apaisez-vous, disais-je ; pour exemple

A rexpialion je veux bAlir un temple,

On n'immolera pas de génisse en ce lieu,

Car ici la victime enfin sera le dieu.

Mais comme je parlais, une voix plus austère

Percale firmament ainsi que le tonnerre :

Sur cette terre rois et peuples ont Tailli,

Ce qu'il faut élever, c'est un temple à l'oubli,

A ce grand médecin de la nature humaine,

Qui guérit de l'amour ainsi que de la haine.

Qui, secouant partout tes pavots de son firoBt,

Sur les choses du monde étend sa main de plomb,

Car chez les fils d'Adam, tout enlle a sa victime,

Tout drapeau sa souillure et tout p»rti son erime ! <«•>

La nu II était partie avœ èm visloBB, Sel spectres suppliant! ei tes illusion». La lumière du jour commençait i renaître, Et lei petits oiseaux chantaient i ma fenêtre, D'4in laint pressentiment je me sentis saisir. Et, p reil à celui que brûle un grand déstr, Je dis : Assez de sang ! que notre pauvre France Respire donc enfin après tant de souffrance.

Meurtre, tigre affamé, te reposeras- tu ? Hier c'était le crime, aujourd'hui la vertu ; Tu dévores toujours ; toujours ta triple serre Saisit un des enfants de cette irtsle terre. Et cependant, hélas ! les orgueilleux humains Pensent qu'ils ont ouvert de plus heureux chemius, Qu'ils commencent i vivre une nouvelle vie^ Et leurs mœurs ont encor la vieille barbarie. Tant que l'assassisat, le supplice et le duel Dans leurs griffes de plomb te tiendront, 6 mortel 1 Tant que le meurtre, * rac» aveugle et misérable! Le plus grand des déliiSy le crime irréparable. Aura toujours son glaive, oh î ne te vante pas. Triste présomptueux, Savoir fait un seul pas ! Déesse de la paix, règne enfin sur la t«rre,

ii9 «)

Et toi, grande Thémit, détarme la premUre; Couperets el poignardi, rentrei dans vos fourretux. Ou malheur au coupable el malheur aux bourreaux , La loi de mort n'a plus de puissance morale. Comme l'assassinat, elle-même est brnlalo; On dirait qu'elle a peur, car le pâle bourreau Dans l'ombre el le silence élève Téchafaud.

Chaque mois, chaque Jour, ces machines funèbres S'entourent à nos yeux de plus sombres ténèbres, El le glaive des lois, sans éclat et sans bruit. Comme le malfaiteur ne frappe que la nuit.

Depuis un an, hélas ! une force fatale

Fait tourner la patrie en la roue infemaie ;

Le meurtre monte au trône et le meurtre en desctiit. ,

Car le sang a toujours sollicité le tang.

Que le plus grand s'arrête, et s'il est sur te trOne,

Qu'il n'en rougisse pas, car le fort seul pardonne

Redoute, ô roi ! la race i la sinistre voix.

Acharnée en tout temps à la chute des rois,

De l'absolu pouvoir infatigable apôtre.

Car elle te perdrait comme eHe a perdu l'iulre.

Cruels ambitieux qui ne font leur chemin

Qu'en portant devant eux une tète à la main;

Accusateurs publics, gens de sang et de corde,

Voilant toujours l'autel de la miséricorde.

C'est elle qui pourtant, au tribunal des cœurs. Un Jour accusera ces grands aecuMteuri, Auxquels, chaque matin, il tant une rieliae, Vivant du criminel comme lui vit du crime* Piiié, vierge sublime, ô belle déilél Descends enfln du sein de ton éternité. Viens dire aux fils d'Adam, i celte race dure : Souveraine Justice est souveraine injore ! Et que ces mots dictés par U louchante voix Soient i jamais gravés dan» la templa des lois.

«s 150

m.

A VICTOR HUGO

l/univers tout entier a gémi de son sort,

Et le bien et le mal, et la vie et la mort ;

Kt Tablme, poussant lui-même un cri sublime

A dit : Seigneur, mon Dieu, pourquoi suis-je Pabline ?

Mais le Seigneur a dit à la création :

-^ Accomplis ton devoir avec soumission.

J'ai créé le vautour, ainsi que la colombe,

Pour suivre leur instinct jusqu'au bord de la tombe ;

Le mal, que j'ai voulu dans un dessein fatal.

Ne sera pas puni d'avoir été le mal ;

Car le remords ne naît que quand la créature

Altère son essence et force sa nature :

Mais l'homme peut choisir ou du bien et du mal.

Car il a sa raison, ce sublime fanal ;

Ne l'éteins pas, mortel, cette sainte lumière;

Il vaudrait mieux pour toi n*6ire plus que poussière.

Et cependant, mon fils, ne crains pas ees tourments.

Les flammes de l'enfer, et tes grands cbAtimenta ;

Si tu fais mal, hélas 1 dans ce lieu de mifière.

Si tu désobéis à ton céleste père ,

En ce jour, que l'on dit de colère et d'effroi.

Ton supplice sera d'être privé de moi.

Car, moi, je suis l'amour et le bien par essence ;

Et c'est seulement qu*est toute ma toute-puissance.

C'est pourquoi je te dis que, si tu n'aimes pas,

Tu ne pourras jamais dormir entre mes bras !

Homme, le paradis et le ciel d'une mère

Sera de voir l'enfant qu'elle aimait sur la terre.

De l.e bercer toujours sur un nuage d'or,

Sans craindre désormais de le reperdre encor.

Chaque action éclose en votre conscience.

Dès ce monde, reçoit ou peine ou récompenie.

151 «3

Mortels, Je vous le dis el répèle en ce Jour,

La haine, c'est Tenfer ; el le ciel c'est Tamour.

Le dernier des vivants sur votre pauvre terre,

Voudrait-il accepter le hideux caractère

Que vos prêtres souvent impriment à mes traits P

Mol, cruel i mon œuvre, aux hommes que j'ai faits !

Enfants, je ne connais Mahomet ni MoTse,

Mais J'aime mon Jésus, sa croix et son église ;

Car c'est lui qui, du sein de son éternité,

Un Jour , vous amena sa sœur, la charité.

Chrysalide enfermée en un terrestre lange.

Chaque nouveau soleil te transforme et te change,

Et tu t'élanceras le papillon divin

Qui vole à la Justice, et qui la trouve enfin.

O mon fils! aime-la, dès ce temps périssable;

Ne bâtis pas, hélas ! tes projets sur le sable;

Aime de tout ton cœur, car c'est ainsi qu'un jour

Tu me posséderas, moi qui suis tout amour :

Mais conserve surtout la céleste espérance ;

Car plus que la justice, ah I Je suis la clémence ;

Je vois sans m'irriier le tumulte mortel,

Et Je suis patient, car Je suis élerneh

IV.

CASTEL VEGGHIO.

A. AlîGlJSTE BARBIER.

Gouchédans son château, sur un lit fastueux, Un ministre mourant fait ses derniers aveux : C'est un simple curé, pasteur 'sur son domaine. Qui pardonne aux péchés de la pourpre romaine. Debout à son chevet, Mazann el Dubois Tendent en souriant leur oreille à sa voix.

Le moribond vers eux par noBiests se loulève,

Et ces luattresde i'œil approuvent leur élève.

Celte confession dure depuis trois Jours

£t rillusire pécheur parie, parie loujoura.

Et peut-être, ô mon hïeu, qu'une nouvelle aurore

Sur ses rideaux pompeux reviendra luire encore

Avant que ce vieillard ait enfin rejeté

Ce qu'il contient de h'aude et de perversité !

Habile diplomate, ah ! grand chercheur de ruses.

Tu cherches ta dernière ici, mais tu t'abuses ,

Ainsi qu^un vieux renard traqué dans son terrier

Après ses mille tours ; en vain tu peux prier,

En vain, poussant au ciel une voix lamentable,

Tu tâches d'éviter la chose inévitable,

La mort, qui vient enfin, cette reine, à son tour.

Éternel courtisan, te faire ausai sa cour.

Malesherbes, Baiily, Turgot, ombres heureuses, Quittez pour un moment les sphères lumineuses ; Approchez- vous aussi de ce triste pécheur, Centemplez les tourments qui dévorent son cœur, Car il apprend, cet homme, en sa lente agonie, Que la vertu vaut mieux que le petit génie De tous ces charlatans joueurs de gobelets Qui fascinent les rois au fond de leurs palais, Monstres que la Pudeur et la Vérité nue. Quand leur sœur la Justice enfin sera venue, Du sein de Tuuivers qu'ils ont tant abusé, Rejetteront ainsi qu'un vêlement usé, Un objet sans valeur, une chose abolie, Un vase au fond duquel est une ignoble lie , Qu'on pousse dans la rue et que les promeneurs Foulent d'un pied distrait en regardant ailleurs.

Ailleurs est la justice, ailleurs est la droiture Kl ce qui vient du cœur de la sainte nalure. Ailleurs est la franchise avec la loyauté, Uegardcz donc aussi, mortels, de ce côté.

u fin <

Depuis que ce flambeau qui uous éclaire, Ô monde^ Darde ses traits de feu sur ta surrace immonde, N'as'tu pas essayé de lout^ qu'en penses-tu ? Si pour dernier essai, tu tentais la vertu?

LES PRISONNIERS DE HAM.

AD ROI.

INTRODUCTION *.

O TOUS, homme de bien, tous puissant orateur. Qui seul, dans le Forum, êtes mort par le cœur, ' Mort pour ayoir aimé ; dont la douce poitrine Exhalait sans effort une yoix si divine, Martignac, pardonnez, ai Je viens à Bkoa tour Défendre dans mes vers vos clients ea ce jour ; Je sais combien est grande eBtr« nous la distance, A défaut de talent J'iBveque seuffrMiee. Car ma Muse à présent s'appeUe la douleur ; Le malheur plaidera la eanse da malheur !

SUPPLIQUE,

O Roi, pardonne-leur, qoe la doucse «nnislie Passe sa blanche main sur lenr tôle Qétrie, Qu'on ouvre leur prison, et que la liberté Éclate avec le Jour dans leur obseurilé; Qu'ils sortent, et foulant dans cette grande ville. Le pavé tout brûlant de la guerre elvile. S'ils rencontrent parfois, à Tangle d'uu chemin, La veuve qu'ils ont faite et le pauvre orphelin, Voyant qu'au lien de cris et de haine et d'injures, Nous plaignons les auteurs de nos larges Ueasitres,

Celle pièce a été remi8<<'auRoi par M. le général d'Houdftet

154 «3

Que aotre aspect 8c?ère en ce fatal moment, Soit désormais pour eux Tunique châtiment ! Hélas! depuis cinq ans cette nouvelle Alhène Sur de plus jeunes fronts a déversé sa haine, .Car on l'obtient bien moins cet hommage éclatant En violant les lois qu'en les exécutant. Voyez comme tout passe et comme le temps vole. Comme la chose humaine est petite et frivole ! Les condamnés d'hier aujourd'hui sont absous Et leurs juges demain seront à leurs genoux. O Roi, quand il faudra que l'Âme seule et nue Fasse le grand voyage à la rive inconnue. Que deviendront alors ces brillants oripeaux. Sceptres, hochets virils, cocardes et drapeaux, Que pour se consoler de leur chute profonde Portent les fils d'Adam par tous les coins du monde f Deux choses seulement resteront en ce jour Et plaideront pour vous, la clémence et l'amour.

Ecoutez la clémence, écoutez les poètes : Des volontés du ciel ils sont les interprètes. Que deux divinités, nouveau Roi des Français, Marchent i tes côtés, la Clémence et la Paix ! Sois le roi de la paix, le roi de la justice ; Foule aux pieds la Vengeance et son fils, le Supplice. O prince, tu le sals^ toujours l'homme de cœur Devient bon et grandit sous la main du malheur. L'un de ces prisonniers a su par son courage Tirer l'enseignement du pain de l'esclavage; Que ce cœur généreux intercède aujourd'hui Pour ces pauvres proscrits qui souffrent comme lui . Pardonne, la vengeance est bonne pour les femme**, C'eist le plaisir du faible et des petites âmes. Si le fort quelquefois entend gronder son sein. Il le calme bientôt sous sa puissante main, Et, sobre envers autrui d'injure et de blasphèmes, Laisse aux ingrats le soin de se punir eux-mêmes. O Roi, soyez clément, vous pouvez m'écouter : Je dis ce que je pense et ne sais pas flatter;

D'ailleurs, je souffre tant, ma plaie est si profonde Que je n'attends plus rien des maîtres de ce monde. Rien de la République ou du juste-milieu ; Je n'attends qu'une chose, elle viendra de Dieu !

VI.

A M. L'ABBE DE LAMENNAIS

Qui descend donc ainsi sur la place publique,) Jetant un peuple entier à l'hydre politique, Au liev de ses detoirs lui parler de ses droits ! Prêtre de Jésus-Christ» parle-nous de la croix ; Parle-nous de la croix, de cette croix austère Que ton mattre a portée au sommet du Calvaire, Que porte le vulgaire et que porte le Roi, Que tu portes toi-même , et que je porte, moi. *Oh ! quand aura sonné Theure de ta victoire, Quand, tant de fois trompés, nous ne voudrons plus croire, Comment soutiendras-tu ce peuple furieux Qui viendra tout sanglant apparaître à tes yeux ? Quand, demandant leurs fils, viendront ces pauvres mères Te dire, en le montrant leurs souffrances amènes : Gomme il Tétait hier, le mal est tout-puissani. Hier, c'était la boue, aujourd'hui c'est le sang. Tous tes projets dorés sont tombés en poussière. Une chose est debout, hélas ! c'est la misère. N'es- tu donc plus le Christ, ô prophète vanté ! O grand prophète, donc est cette égalité ? Ainsi qu'aux jours passés, la rouge guillotine Boit le sang des Français qu'épargna la famine ! Les meilleurs ne sont plus ; toi-même, homme de bien, Tu n'as plus d'auréole et ton nom n'est plus rien. Ceux qui marchaient naguère au gré de ton envie Ne le connaissent plus et demandent ta vie ,

&^ 156 «s

Et s'en Tont marmut-ant dans la*grande cité s Ce prêtre n-'airaait pas assez la liberté.

Alors, voyant ce people en proie à tant d'aSarmes, Gomme Notre-Sejgneur tu répandras des larmes, Et ne pouvant pas, toi, multiplier les pains, Tu répondras, prenant ta tête dans tes mains :

Frères, résignez-y oflis, comme je fais moi-même ;

Laissez à renvieux Tinjure et le blasphème ;

Connaissez à présent toute la vérité :

Bans nn cercle étemel tourne rfaumanilé ;

Et le bien et le mal, en égale mesure.

Tombent incessamment des mains de la nature.

Le siècle a fait deux mots : Progrès et mission ;

11 en est un plus grand, c'est Késigoalion ;

Car, tels qu'un champ de blé, dans le monde od nous snnimos^

Toujours la main du sort labourera les hommes ;

La soufllrance est la loi de ce triste univers ;

La matière demeure' et la forme se petrâ,'*^

¥«fBz comme déjà, par delà rAHantique,

Le serpent de douleur entoure r Amérique ;

L'homme libre et resclave, en touttemps> en V>ut tieu,

Palpiteront toujours sous le souffle de Dieu ;

Frères, déflez-vous des rois de la pensée.

Leur esprit est brûlant, mais leur ftme est glacée ;

Tous ils sont orgueilleux, sachez-le en ce jour.

Tout mal vient de l'orgueil, et tout bien de l'amotir.

Tous reraient, pour servir leur belle théorie.

Couler à gros bouillons le sang de la patrie ;

Partout sur cette terre est l'inégalité.

Mais nous serons égaux devant l'ctemité ;

Frères, pensons toujours, sur ces terrestres rives,

A la sueur du sang du jardin des Olives !

Hais le prêtée se tait, et près d'un grand palais. J'entends parler tout bss un troupeau de valets :

Depuis cinq ans, hélas, tout est devenu pire; Il faut pour noos sauver Je sabre de l'empire»

' ^ "• *■ ' I

Il faut an (ïrein de fer i ce peuple indompté,

Il ftat ! Moi, je tous dis qu'U Caat la liberté !

Mais la liberté sainte, et leote, et mesurée, Et marchant comme fait ane femme sacrée ; Vous prêtre, et tous ralets, qui murmurei tout bas, La sainte liberté, tous ne la sentez pas ! Vous, TOUS mettez dm sang à sa robe divine. Et TOUS, TOUS étouffez la Toix de sa poitrine; Vous n'êtes pas ses fils, et sur Totre tombeau, Nattra de TOtre oeadre un grand peuple nonveiu.

O liberté diTine ! 6 ma belle déesse ! Combien ces insenséi te teusent de tristesse 1 Comme ils comprennent mat ta voix et ton flambeau 1 Comme je vois tes pleurs couler sous ton manteau ! Ne désespère pas pourtant de notre France ; Keste au milieu de nous, malgré eette souffirince; Laisse-les, ces mortels, obscurcir ta clarté, Et toi, déesse, attends avec tranquillité. >

Lorsqu'au pays de Naple, une immonde tempête De la terre et du ciel. Tient inspendre la lête. Le grand astre, un morneni, TOlle ion flroot fermeil, Car il sait que teajours il sera le soleil.

VIL

Un enfant est tiré, dans une angoisse «mère, Et par des ferrements, du Tentre de sa mère; Par ordre naturel, et non pas par hasard. Ce formidable enfant sera Jules Géaar. On est lent à mourir quand on est lent à naître ; Tel est l'ordre immuable et la loi de notre être. I^ souffrance et le temps, e'est la condition Et le premier degré d'iniliatioa.

14

158 ^

Voui qui iouffrei, pleurez ; et vous donl le ^nie Asfombrit la pensée el tourmeole la vie, Sojez donc consolés, car cette adversité, Hommes, vous garantit votre immortalité.

vui.

A M. AUG. BOULLAND.

I^rayetle, Franklin, Washington, Matesherbes,,

Combien vous surpassez les conquérants superbes I

Apôtres du devoir et de Thumanité,

Vrais défenseurs du peuple et de la liberté.

On verra nuit et jour, ainsi qu'une âme en peine.

Le monde occidental se tenir en haleine.

Tant que la noble idée, enfant de votre cœur,

Ne l'aura pas soumis à son pouvoir vainqueur.

Vous avez pris parti dans la grande querelle

Pour la vertu divine, et combattu pour elle ;

lEt maintenant votre Ame est, au plus haut des cienx.

Au sacré diadème un rubis précieux.

Et votre souvenir une brise embaumée.

Présents que fait la sainte à ceux qui Tont aimée :

Car les jours ()e Tépreuve étant tous révolus,

IjtL vertu de sa main couronne ses élus.

Vous deux, nobles Français, dans cette paix profonde,

Qui, comme un océan, tout entiers voua inonde.

Peut-être plaignez-vous, près du trône enflammé,

Ce qu'autrefois, hélas ! vous avez tant aimé.

Ames, rassurez-vous ; car votre belle France

Est encore aujourd'hui, comme aux jours de souffrance.

Ardente et prompte au bien : le fléau corrupteur,

L'égoTsme, n'a point encor touché son cœur.

Forte comme un lion, quand on Tattaque en face,

Faible comme'un agneau, quand la ruse l'enlace.

C'est toujours la guerrière à l'auguste cimier,

La France du roi Jean et de Françoia Premier,

Que Ton peut dépouiller, et mettre nue i terre,

Mais qui garde toujours son divin caractère,

Qui dédaigne le corps, et prise haut le cœur.

Et qui peut perdre tout, perdre toiU^ fors Vhonneur.

Conserve, ô mon pays î celle vertu sublime ;

Va si, dans Tavenir, tu dois être victime,

Victime de Vamour ei de la liberté,

Va toujours dans ta force et dans ta dignité :

L'Océan Pacifique et ses Fointaines tles

Te verront aborder i leurs rives tranquilles ;

Et, comme un vêtement aboli d'autrefois,

Jetteront Tégoîsme i ta puissante voix :

Oui, ce sont les Français ; il n'est plus de misère :

Ils nous portent l'amour, comme ils portaient la guerpe.

Peuples, embrassez-vous, et dites en ce jour :

Oh ! quMls sont beaux les pieds qui marchent pour l'amour !

Et toi, France, poursuis ton illustre carrière ; Sur les peop(es obscurs fais pleuvoir la lumière. Et quand aura sonné le triste et grand adieu, Tu te reposeras entre les bras de Dieu.

IX. ABD-EL-KADER

Le bouclier est saint, mais Tépée est impie. Honneur à qai défend le sol de la patrie ! Le grand Napoléon, vaincu par Tunivers, Quand le jour fut venu de ses derniers revers. En touchant cette terre en deuil qu'il a quittée, Betrouva sa vigueur comme le Grec Antée; 1i veillait nuit et jour autour de nos hameaux, Comme les chiens-bergers autour de leurs troupeaux. Accomplissant, enfin, sa dernière campagne, Il parcourait, hagard, les plaines de Champagne.

160 ^

Volant toajoon eniembley et l'aigle et l'Empereiir Aax plumets de crin noir renToyaient la terreur ; Et la garde sairait sans murmure ni plainte : Car c'était le devoir, c'était la guerre sainte ! C'est la tienne à présent, 6 terrible Arricain ! Bien que ton ennemi, moi Je te tends la main. Enfant du Tieil Atlas, fier de ta belle cause, Ne désespère pas de la publique chose, Fais la guerre sacrée, et s'il faut en finir. Gomme tu combattais sache du moins mourir : De peur, noble lion, que, malgré ton courage. Un cupide Français ne te promène en cage, Et qu'un erieur, au son de quelque méchant air« Ne dise : Ici Von voit t Arabe Abd-el-Kader ; Car, en France, aujourd'hui, sur cette illustre lerre« On Tendrait pour de l'or le tombeau de son père. On trafique de tout, et l'austère vertu Marche les yeux baissés et le liront abattu. Parce qu'à tout moment la fraude et la rapine Salissent en passant sa tunique divine.

Prince, au pied de l'Atlas, sous les brouillards du del,

Vous avez vu le bois de Huley-Ismaël,

Tout un peuple étalant à votre âme attendrie

1a résignation de sa vieille patrie ;

Récitant les versets de ses livres divins

Sur ses fils massacrés, au milieu des ebemins $

Les blés incendiés, le temple aux blanches dalles.

Subissant i vos yeux d'impures saturnales,

Et cette mère juive entre ses quatre enfants.

Contrainte de laisser la part des yatagans.

Et cette pauvre femme assise dans la fange.

Avec sa main coupée et son ddUx regard d'ange,

Jetant à nos soldats un éternel adieu.

Et leur disant : Partez, moi je reste avec Dieu !

Prince, vous avez vu cette atroce misère. La famine enfantée au ventre de la guerre. On apprend vite, hélas ! en ce siècle agité! Vous savez maintenant tonte l'hamanlté !

^ t6fl «9

Instruit par cet exemple, aieti «lueTotrcpère, Vous porterez un jour le diadème austère, Et TOUS TOUS souviendrea de celte ville en ftu Et de la guerre enfin, cet exécraUe Jeu !'

LE JUIF ET L'HOSTBE.

A SAIST.VALRT.

Le dimanche de Pâque était proche. La veille.

Chez Samuel Musson, vint une pauvre vieille

Afin d'en emprunter trente sous parisis

Sur le nantissement de trois mécfaanta habits.

Je t'en donnerai cent et je te tiendrai quitte,

Lui dit, en souriant le fourbe Israélite.

Si tu constM^ demaîB, i eeUe heure, eu ce Iieu^

Vieille nazaréenne, à m'apporter ton Dieu.

La vieille i son logis retrouva la misère

Et la faim, cette p^e et vile conseillère,

Et revint apporUr^ dans un blanc parchemin.

Ce que le juif voulait, le lendemain matin.

Lorsque le réprouvé fut seul avec sa proie,

Son œil oriental étincela de joie.

Dieu des Nazaréens, je te tiens donc enfin ,

Dit-il ; il le froissa de fureur dans sa main

Et prenant un marteau, dans son ivresse impie.

D'un clou sur la muraille il traversa l'hostie.

Le sang k gros bouillons en jaillit à TinsUnC,

Et la chambre s'emplit et regorgea de sang

Et les enfants» voyant le sang couler i terre

Se mirent à genoux et s'écrièrent : Père,

Oh ! ne le tuez pas une seconde fois.

Et le bourreau tut sourd à leur touchante voix.

|l la plongea de rage au foiNl de se chaudière ;

les «(

Mais l'hostie en sortit rayonnant de lumière, Et rélévation vint i sonner. Alors La femme et les enfants s'en allèrent dehors , Et s'adressant à ceux qui passaient^dans la rue : Votre Christ est chez nous, et mon père le tue , Dit le petit Jacob. Une sourde rumeur Circula sur le juif meurtrier du Seigneur ; Le prévôt des marchands^ et l'évèque à leur tète. Vinrent en grand cortège et firent une enquête ; Le Dieu fut emporté par le prélat tremblant, Et dans le tabernacle enfermé tout sanglant. Le juif fut brûlé viC son nom flit anathème. Et sa femme et ses fils reçurent le baptême. La maison fut rasée ; on faisait chaque fois. En passant sur la place, un grand signe de croix. Lecteur, ainsi finit la vieille comédie, La légende du juif et de la sainte hostie.

Ainsi, faibles mortels, infortunés pécheurs.

Nous rouvrons chaque jour la plaie et les douleurs

De celui qui mourut pour le salut des hommes.

Quand nous faisons le mal, insensés que nous sommes.

Ne semble-t^il pas dire, avec sa douce voix :

Vous me crucifiez une seconde fois ?

Car toujours, ô chrétiens, cette grande victime

Souffre et nous tend les bras sur son arbre sublime,

Et toujours nos péchés pénètrent dans le cœur,

Et font encor saigner le flanc du Rédempteur.

XI.

A CHARLES LOIVINS,

AGfi DE CINQ Ans

Cliarles, mon bel enftnt, vois-tu cet arbre blanc ? Il porte des bonl>ons au nouveau jour de l'an.

Set branches soni de sucre et, comme par prodige,

Un étui de cristal emprisonne leur tige.

Pourtant n'y touche pas, jeune fou ; car soudain

Le grand ft*oid de la mort te gèlerait la main,

Tu roTiendrais pleurant cette méprise amère,

Kéchauffer cette main dans le sein de ta mère,

El la petite yoix appellerait méchant

L'arbre aux boutons de neige, ô trop crédule enfant !

Plus tard, quand parcourant le jardin de la Tie,

Tu suivras au hasard une autre fantaisie.

Tu Terras te sourire à leur tour d'autres fleurs;

Ah ! souviens-toi de Tarbre aux trompeuses couleurs.

Quand tu seras plus grand, enfant, pense i ton père

Usant i l'élever son existence austère ;

A moi qui t'ai porté tout petit dans mes bras

Et qui t'ai vu jadis former tes premiers pas ;

A moi qui, contemplant les hommes et la vie

De l'abtme Je suis, sens que Je les envie^

A moi qui vis sans vivre en mon étrange mal.

Roseau toujours battu par l'ouragan fatal.

Ah ! chaque homme a sa part de douleur sur la terre«

Lorsque Je dis folie on me répond misère.

Car chacun, le ftont bas et courbé sous le poids,

Nt voit que sa douleur et ne sent que sa croix.

XII.

A CELLE QUI NOUS ELEVA.

Celle qu'on appelait l'âme de la maison.

Qui veillait avee nous dans la froide saison ,

Celle qui dès longtemps était sur cette terre

Pour mon frère et pour moi notre seconde mère.

Celle qui prévenait notre moindre désir

Et quand tonnait minuit nous regardait dormir.

164 «S

Puis faisait ses cent lours et toujours en haloiiie Quand Tenait le matin se reposait à peine, Se repose à présent, et pour tooSours, liélatt Dort du dernier sommeil dans le sein dn trépas; Plus rame qui s'étejnC était ardente, aelive» Plus sa nature était et vigilante et vive, Et moins on s'accoutume au silence proTond Qui pour réternité doit peser sur son front. Mais l'amour ne raeuri pas ; par un divin rayUOre, Il se rallume au ciel s'il s'éteint sur la terre.

XIII.

LE DEVOIR.

ÈV CÔMMAlHDAirr CHAOlGAitllER.

France ! calme le Dieu qui gronde en ta poitrine.

Et vou8> dormez en paix autour de Consuntioe;

Reposez doucement sous les champs de mais.

Loin des bords fortunés de votre cher pays.

Qu'un autre, en votre honneur, éveillant la vengeance,

Verse sur vos tombeaux tout le sang de la France ,

Moi, je dis seulement, frères, dormez en ptix.

Voilà, concitoyens, le seul vœu que je fais,

Car Je dis, 6 guerriers, que la gnerre est impie

Ëi qu'elle ne vaut pas la plus obscure vie !

La guerre I opprobre, haine à son infâme nom,

A son dernier amant, le grand Napoléon,

A tous ceux qui jadis par le fer ou la flamme

Ont brigué les faveura de cette horrible fenne.

Je dis ce que je crois être la vérité.

Et je foule i met pieds ta popularité.

Mais il est une guerre et plus noble et pliu bftte^

Celle qu'une grande âme accepte et livre «■ elle ;

^ 165 «3

Respect i la défaite, à la Tîetoire honneur,

Car le meartre Jamait n'y souille le Yainqueur

Admirons et Boissy, dont l'âme bien trempée

Regarda sans pâlir cette léte coupée,

Et Mucius Scévola, Pinlrépide Romain,

Qui fut aux jours passés sévère pour n main i

Et le diTin Socrate, au sac de Polidét ,

Gomme d'un bouclier couvert de son idée ;

Et Laurent le martyr qui de son gril brûlant,

S'élevait vers le ciel en un sublime élan ;

£t ruiustreBailly, dont la rieilte pottriM

Ne irembla que de fk'oid devant la goillotioe :

Victimes dont le sort avec soo bras pnisfant.

Consacrait le beau flront da baptême de sang.

Tandis que le devoir, de set maina souveraiaei.

Ravissait leur grande âme aux régions sereines.

Au trône de porphyre, an palais immortel

ne monte jamais le aoiifle du réel.

Admirons Changarnier, de son âme enflamnéea

Faisant jaillir Tamour qui doit sanvcr Tarmée.

Commandanti! gloire à vous, à vous, sage guerrier,

La couronne de chêne ei celle de laurier»

A Yous rhonneur civique et l'honneur militaire,

Jeune homme, bonnew i vous, honneur à vo4re nftre I

XIV.

AUX ESPAGNOLS.

Etes-vous hommes? Non. Eh bien 3 bêlea léreces. Quand donc flnirei-voos vos vengeances atroces? Ah ! ne craignei-vous pat, 6 Castillans pervers ! D'être mis quelque Jour an ban de l'univers. Et que, pour se garder de son baleine impure, L'Europe ne vous fasse une ardente ceinture.

166

Ah ! malheurease Espagne, ouvre tes bras sanglants^ Et dans ton grand giron recueille tes enfants ; Presse-les sur ton cœur, apaise leurs alarmes, Et, de ta blanche main, essuie enfin leurs larmes. Ceux qui faisaient la force et ta gloire autrefois Frémissent de te voir douée à celte croix : Espagne, tu n'es plus leur Mustre patrie. Cette fleur de savoir et de chevalerie. Quand tu tenais Tépée et le luth dans ta main. Et ne te rougissais que du sang africain. Le grand roi Charles-Quint se lève dans sa tombe, Et te voyant si bas, en gémissant retombe. Dans le ekH des guerriers, le Cid Campeador, L'œil morne et consterné sous son beau casque d'or« Te regarde souffrir, et dans cette misère Il ne reconnaît plus sa belle et noble mère. Les ombres des Zégris, que ton glaive sabra. Rentrent de tous côtés aux murs de TAlhambra ; Et le front triomphant, dans la sainte Cordoue, Ton antique ennemi de ton malheur se Joue, En te voyant plonger dans ton flanc généreux Le fer qu'aux» jours passés tu dirigeais contre eux.

Christine, reine, et toi, Carlos le Catholique, Prenez enfin pitié de la chose publique : Sans quoi, malheureux rois, malgré tous vos efforts. Vous ne régnerez plus bientôt que sur des morts.

XV.

HIVER DE 1837.

A M. HYPPOUTB BALESTB.

CARITAS.

O riches de Paris, faites, faites l'aumône

Car, peut-6tre, ô chrétiens, c'est le Christ en personne

167

Que dins la rue eo pleurs vous irouverei demain^ £t qui sous ses baillons, tendra sa froide main. Riches, réchauffez-la cette main dans la vôtre, Ne Je reniez pas comme le fit Tapôtre, àOn qu'au Jour de gloire, en son palais divin, Pour la dernière fois, il vous la tende enfin. On n'oblige jamais celui qu'on humilie ; Faites le bien secret eomme on aime et l'on prie, Donnez sans calculer ; donnez, donnez ; un jour Tout vous sera rendu, dans le ciel, par l'amour, 1/Mnour au cœur de feu, dont, sur ce globe sombre> Le ndtre, fils d'Adam, ne fut jamais que l'ombre, L^amour supérieur, le seul grand, le seul bon, Qui sait gré d'un denier que l'on donne en son nom.

xvi.

A M. *♦*♦.

Conservons jusqu'au bout le céleste délire. Le saint amour du bien et l'amour de la lyre. L'illustre vieillard Grec, le poëte divin, À souffert plus que nous et mendié son pain. Pourtant, quand vint le soir de la grande Journée, Quand la Parque trancha sa noble destinée. Sur son luth détendu l'aveugle harmonieux De sa mourante voix chantait encor les dieux.

xvn.

PARADIS DE NEWTON.

Le firmament était comme un navire immense. Au pilole invisible et flottant en silence^

S> 168 «9

Bitos .monde! punieii, t'eatre-clKNittant entre eux Et jetant dani l'espace un brait lurmoi(^enx ; Une âme regardait de sa Toe Immortelle Ces globes tressaillir en panant devaàt elle. Or, cette Ame, lecienrf cette Ame était Newton, Qui, par la volonté dn Seigneur juste et boa, Voyait se dissiper robscurilé profondoi Et découvrait enfin le grand secret du monde. Et Fâme d'une môre, en ses feux ondoyants. Semblait envelopper deux tout petits enfanta. Et pour elle, c'était k seule récompense Qu'inventait dans le ciel la sainte Providence ; Car, dans l'éternité, Je juste doit un jour Posséder ce ifui f«t l'ofctjetde son amour.

xvin.

A J. DE SAINT-FÉLOL.

n est, dans les Martyrs» une page divine

Qui fit battre toujours mon cœnr dans ma poitrine ;

La bataille des Francs^ quand Constance empereur^

Devant toute l'armée en proie i la terreur,

Pour conserver l'honneur de foa aigle païenne,

Fait avancer enfin la légion chrétienne.

La légion se met A genoux pour prier,

Et l'empereur alors dépose son laurier.

En lisant tout cela, je respecte et j'admire

Les chrétiens combattant pour les dieux de l'empire.

Et j'aime l'empereur, pour la première fois,

Sans croire, ufaiant l'étendard de la croix.

t«9 CI

XIX.

A M. DE LAMARTINE.

Tout ayait un écho daus celte Babjlone^

Et l'esprit et le corps, et Tautel et le troue.

Seule, assise i l'écart sur le bord d'un chemin.

Une femme ayait mis sa cause dans ta main

Cette femme, c'était la sainte poésie

Que foule sous ses pieds la terrestre industrie.

Le jour de la défendre enfin est arrivé,

EU sur les gradins verts tu ne t'es pas levé ;

Gomme l'apôtre Pierre aux portes du grand prêtre.

Viola sa parole et renia son maître,

Parmi ces pharisiens et ces nouveaux Hébreux,

O toi, le premier-né de son flanc généreux.

Au lieu de fustiger ce profane vulgaire,

Tu viens de renier ta noble et pauvre mère !

Tu protèges des forts, des riches, des ingrats ;

Et ceux qui t'aiment tant, tu ne les défends pas !

Bel ange, descendu de la céleste sphère,

Pourquoi bégayes-tu la langue de la terre?

Quand tu chantes si bien, dis- moi, pourquoi parler ?

Si l'oiseau marche, hélas ! qui donc pourra voler?

Quelle que soit pourtant ta noble destinée.

En France, dans cent ans, ainsi que cette année.

Tes armes, ton blason, crois-moi, seront '^ncor

Une lyre d'ivoire avec un archet d'or

15

170

XX.

Vierge, retourne au ciel, au Ormament, crois-moi. Au ciel qui ne peut plus se séparer de toi; C'est lui qui souffre, hélas ! de ta trop longue absence, £t qui t'appelle i lui de toute sa puissance; Vierge, retourne au ciel, ?a, rubis précieux. Luire encore une fois au front ravi des cieux.

XXI.

A LA MEMOIRE

DU DUC DE FITZ-JAMES.

Tu reposes en paix, 6 noble cheralier ^

Ce siècle fk'oid pourtant ne pourra t'oublier.

Vois s'avancer vers toi cet illustre fantôme,

Le vieux roi Charles Dix, dans son nouveau royaume.

Qui te dit : Viens, mon preux, viens, mon loyal ami.

Oh ! viens, je t'attendais, embrasse-moi ! merci

La fortune mauvaise, aussi bien que la bonne.

T'a retrouvé toujours fidèle à ma personne ;

Et ta bouche éloquente a défendu ton roi.

Ici plus d'ennemis, plus de flatteurs pour moi :

Je regardais du ciel vers l'endroit solitaire

nos amis rendaient ta dépouille i la terre,

£t je sentais monter, de ce temple attristé.

Comme un parfum d'honneur et de fidélité ;

Car s'étaient pressés tous ceux dont le courage

Dans les jours de malheur a fait tète i l'orage.

Tous mes vieux compagnons, ceux qui n'ont point encor«

l'ordre de Plutus, adoré le veau d'or.

171

xxn.

A M. LE COMTE SCHOUWALOFF.

La grande antiquité, la main aar ses beaux yeui, Dans un nuage d'or emporta tous ses dieux,

L'errante lo, le triste Oreste, Et la pauvre Médée, et le sanglant Thyeste, Achille aux pieds légers, et Phébus-Apollon, El le maître des rois, le fier Agamemnon. Mais elle l'oublia, douce Gymodocée ; Dans un coin de la Grèce elle t'avait laissée. Chateaubriand te vit sur le bord du chemin, Et comme tu pleurais, il te prit par la main : Dans notre vieille France il te mena tremblante. Te plaça prés de lui, pensive et rougissante ; Puis il te mit au front une couronne d'or. Et tu devins son sang, sa fille et son trésor !

XXIQ.

A M. JULES JANIN,

BK REVENANT PBS OBSÈQUES DE NOTEE AMI «TIENNE B**

Il est sous le soleil deu^ adorables choses.

Un matin de printemps, parmi des fleurs éeloses,

Pour réconcilier avec ra.uteur du Jour,

Et ces deux choses sont le travail et l'amour.

Toutes deux elles ont embelli votre vie,

El prouvé que le cœur est frère du génie : Ellei ont toutes deux servi vos vieux amis Et ceux qui pour jamais, hélas ! sont endormis Quand l'heure du danger i la fin fut venue, Vouf ont vu de ce mont gravir la crête nue, Les consoler long-temps, recevoir leurs adieux, Et leur serrer la main, et leur fermer les yeux. Travail, amour, hélas ! quand tout près de l'abtme Nous chancelons, c'est vous qui sauvez la victime; Qui venez doucement la prendre par la main; Lui relever le front et marquer aoa chemin. Travail, amour, par vous notre âmo est ennoblie; Travail, amour, c'est vont qu'on appelle la vie : Car celui-là déjà sent le froid du trépas, Qui ne travaille point, ou bien qui n'aime pas !

XXIV.

A SPONTINI.

Celle qui résonna de tes sublimes airs,

S'éUit donnée, hélas ! à vingt amants divers;

Et comme Ulysse, un jour, rentrant dans sa patrie,

Tu no reconnus plus celte épouse chérie;

Elle n'entendait plus les accents de ta voix.

Et, ne t'adorant ptos comme aux jours d'autrefois.

Semblait insoucieuse i ta nouvelle gloire.

Elle a'éveille enfin l chantr-e de la victoire.

Reconnais-toi loi-môme, et prends ta lyre d'or.

Et comme aux jours passés, ah 1 chante, chante eaoor.

Après un si long temps sois-nous encor fidèle.

Comme en tes chants divins, la France te rappelle.

Déjà tressaille en toi ton génie enfiammé;

Le feu de la Vestale est encore allumé ;

Le grand prêtre à la main tient le lugubre voile ;

Je vois du grand Cortex étinceler l'éioile;

173 «

Les Mexicains sont là, les captifs enchaînée i Parle, et tous vont rerirre, à la voit entraînés,* Fais sonner la Irompelle, ei leur troupe immortelle Se lèvera! Cortea : la France te rappeîleî

XXV.

AU COMTE DE PARIS,

Des flatteurs, autrefois, caressant ton enDance, T'auraient dit les attraits de la toule-puissauce : Qu'un roi c'est comme mi dieu, qui peut à volonté Se jouer et du peuple et de la liberté; Mais aujourd'hui, celui que chacun de nous nomme A bien assez souffert pour savoir qu'il n'est qu'homme. Quand tu pourras entendre et comprendre sa voix. C'est lui qui t'apprendra le grand métier des rois : Il te dira comment, au pays d'Helvétie, Il donnait des leçons pour soutenir sa vie; Gomment il travaillait tout le jour^ et comment S'écoulait sans ennui ce long bannissement. II a souffert les maux que Tindigence donne. Il a souffert en homme, et gagné sa couronne^ Et peut dire aujourd'hui, comme cet ancien roi : Je la cède à celui qui vaudra mieux que moi.

XXVI.

Jeune fille aux yeux clairs, à la pean iransparciHe Qui laisse voir la vie en les veines errante,

174

Toidonl le cœur esl pur, et chante â ton réveil,

De même qu'un oiseau qui guette le soleil :

Du côté de Paris, voyant le jour renaître,

Sur tes deux petits pieds dressée à ta fenêtre,

Tu te lèves souvent, comme pour éprouver

Si le vent du matin ne Tient pas t'eniever.

Toi, belle enfant de Tair, si frêle et si légère.

Qu'à ce monde pesant tu parais étrangère.

Oh ! quand tes froids parents, au salon rassemb es ,

De terrestres pensers incessamment troublés,

Traiteront de fortune, et comment une fille

Doit choisir un épeux pour plaire à sa famille.

Te diront indocile, et d'un air de courroux,

Pour te faire pleurer, toi, t'appelleront : VOrs !

Moi, je t'appellerai la muse du poète,

Moi, je te donnerai le nom de JulieUe

Ou celui d'ÊUsOf qui, dans Tlnde, li-bas.

Sèche aux bras d'un Nabab, qui ne la comprend pas !

xxvn.

DISTRIBUTION DES PRIX,

A MADAME SOPHIE BLAHCHE

ET A SES ENPANTa.

Notre maison, hier, était pleine d'enfants;

C'éUit le jour des prix. Joyeux et triomphants,

Dans leur petit jargon ils célébraient la fête,

Kt faisaient un tapage à nous casser la tête :

El moi, je me disais, à leurs ébats bruyants,

Quand donc finirez-vous, implacables enfants ?

Ils ont fini; ce soir, par la nouvelle allée.

Comme un essaim d'oiseaux, leur troupe esl envolée.

lia sont partis, enfin; tout«st calme, tout dort; Plus de jeux, plus de bruit; mais hélas! c'est la mort. Aimons le mouvement : les enfants, c'est la vie; Aimons leurs jeux, leurs cris, et portons-leur envie; Ils sont meilleurs que nous : leur âge est innocent^ Et dans leur jeune veine il bouillonne du sang. Ne les attristons pas par des conseils moroses; Ils verront assez tôt le grand revers des choses En attendant ce jour que garde l'avenir. Avec eux, sans orgueil, aimons 4 rajeunir. Devant eux est le monde, et devant eux la vie. Qui toujours de devoirs doit être bien remplie; Car, aux mains des mortels, c'est un vase d'airain le vide souvent pèse plus que le plein.

xxvm.

JUSTIMEN.

A EU6È1IB DELACROIX.

Avez -vous, dans le Louvre, attaché votre vue

Sur ce jeune homme en noir, debout, la télé nue,

Le regard ferme et droit, naïvement posé.

Et tenant dans ses doigts un vieux gant jaune usé ?

Il semblerait souvent que la noble figure

Parle quand elle veut, comme fait la nature.

Et ce savant portrait, ce beau Vénitien,

Est sorti du cerveau du peintre Titien.

Formé depuis long-temps à cette grande école.

Il n'a pas fait de l'art une élude frivole.

Celui qui, pénétré de ce modèle ancien,

Peignit avec du feu César Juslinien,

Et le beau messager soufflant dans sa poitrine

La volonté du ciel avec la loi latine.

Et dictant les statuts que la puissante mais

¥^n silence écrivait sur le grand parchemin.

^ 170 «

XXIX. LE TRAVAIL ET LA VAPEUR.

A V. V. DE SAGT.

Etre proméihéen, 6 céleske machine, Âb ! comme la saeor oooI« de ta poitrine; Après tant de fatigue, ainsi qu'un noir eonrMd^ Tu reposes enfin tes qaatre piedf d'acier. Oui, Je te chanterai, bixarre créature; Je ne résiste plus, tu domptes ma nature; Tu respires, tu ^is, Je te promets la paix. Et peut-être entends-tu le serment que Je Tais. Le travail, le travail, sur la terre et sur Tonde ! C'est désormais la loi de l'avenir du monde. Que tout travaille et sue, et que la liberté Savoure avec bonheur le fruit qu'elle a porté. Laissons tout paradoxe et tout dédain futile : L'utile, c'est le beau; car le beau, c'est l'utile. Guitemberg, Raphaël, Jenner, groupe divin ! Aux lieux supérieurs vous vous donnez la main. La féconde Tapeur, s'élevant de l'usine, Est aussi douce A Dieu, dans sa -maison divine, Que la prière ardente ou la brise du soir, Ou le parfum qui sort du pieux encensoir. Travailler, c'est prier. O mortels ! sans murnwre. Comprenez donc enfin votre large nature; Tout est bien & sa place en la création, Et le bras et la tête, et l'Ame et l'action : Et le poète aura, dans ce tout adorable, Dans cet ensemble immense, un devoir admirable Que nul être, ici-bas, ne peut lui contester, Le ptus pur des devoiri, celui de le chanter.

» 177 <

XXX.

A O'CONNELL.

Ah ! malheur à eeloi qui s'en va sur Is terre, Affligeant son semblable, et fait pleurer son frère; A celui qui conlrisle un esprit immortel. Racheté comme lui du sang de t'EterneK Anglais, malheur à toi ! toi, bourreau de Tlriande, Qui viens à des mourants Taire payer l'offrande ! Anglais, peuple égoïste ! ah ! peuple trop Tanlé, Nous savons ce que vaut ta belle liberté ! Et vous, sets voyageurs, riches cosmopolites. Qui promenez chez nom vos faoM hypocrites. Allez porter votre or, allez porter du pain Aux pauvres Irlandais qui se tordentdeCaim; Qui, semblables, hélas) à des bêles sauvages. Grattent pour se nourrir te sol de vos rivagei. Tout sur le continent semble prendre une ve»z. Et rhomme et la nature, et crier à la fols : Les fruits sent assez doax, ta terre aasee fleurie. Le soleil assez chaud, quand e'est dans la patrie : Anglais, le continent ne vent plus de vos biens* Allez porter votre or à voseoncitoyena !

Et loi, grand citoyen, dent ta noble bannière Guide ce pauvre peuple en ta sainte oarrière, Dis-lui, si Dieu le vevt, qu'il sacbe attendre en paix, Et, comme le Sauveur, se courbe sous le faix; Dis-lui quMl se résigne, et qu'il cesse de croire Qu'ici-bas le bon droit suffit pour la victoire : La Justice, O'Connell, a son triomphe ailleurs : La terre est aux plus forts et le ciel aux meilleurs .'

XXXI.

A M. DE CHATEAUBRIAND

Les ancieni dieu t'en vont de la terre de France :

Adieu les cheTaliers, et les grands coups de lance ;

A.dieu peut-être aussi Panlique loyauté.

Et de nos bons aTeux la sainte probité ;

Adieu les beaux lauriers, les drapeaux et la guerre,

te travail est Achille : il lui faut un Homère.

I^e travail, fils de Tordre et de la liberté,

Est désormais le dieu de la grande cité;

Chateaubriand sera son prêtre sur la terre.

Quel autre mieux que lui connaît son culte austère ?

A Taube matinale, il s'éveille, et soudain

Le coin de la pensée ouvre son front d'airain.

Pareil i ce géant, orgueil de l'ancien monde,

Qui voyait devant lui passer la mer profonde,

Un pied sur le passé, l'autre sur l'avenir,

[1 voit d'un œil serein l'éternité venir.

Quand plusieurs de notre âge, hommes de peu d'haleine,

Palpitent sous la muse, et respirent à peine ;

Comme son vieux Sachem, sous le soufiQe divin

Il poursuit, sans broncher, le glorieux chemin.

Parce que le malheur, élément du génie,

Dans ses puissantes eaux a retrempé sa vie :

Ainsi, le vieillard grec, l'aveugle harmonieux.

Sous la main du destin chantait encor les dieux.

^ 179 d

XXXII. A LA MEMOIRE

DE PRISCESSB MARIE.

Entre sainte Cécile et le grand Raphaël,

Vous êtes à présent assise dans le ciel

ÀYee les rois de l'art et les rois de la terre,

Ensemble confondus au fond du sanctuaire.

Vous tenez les crayons et le ciseau d'airain,

Beaux comme on sceptre d'or aux mains d'un souTerain,

Car la sculpture sainte a dans sa noble veine

Un sang aussi divin que le sang d'une reine.

Vous ayez sans vous plaindre accepté votre sort,

Et TOUS avez été si douce envers la mort

Que l'on faisait silence autour de votre couche.

Croyant encor ravir un mot i votre bouche^

Quand dégagée enfin de son lien mortel

Depuis longtemps votre ftme était montée au ciel,

Au ciel qui vous ravit dans sa toute-puissance

Pour que tous le priez de plus près pour la France!

XXXUI.

A ALEX. SOUMET.

L'argent coule à grands flots chez la femme perdue. Et la vierge est sans dot, la vertu méconnue.

■A.

^ 180 «3

>

La Tettve délaissée, et le pauvre orphelin

Ne sait pas, 6 mon Dieu ! s'il mangera demain ;

Car le riche au cœur sec, aux entrailles de pierro,

Ainsi qu'un dieu de bois est sourd à sa prière.

A tout mauvais plaisir prodigue de son or,

S'il s'agit de malheur il garde son trésor.

Nous sommes retombés dans une nuit proronde,

Et l'amour et le feu sont partis de ce monde.

Alors les yeux baissés et le front abattu

La jeune flile dit .* A quoi sert la vertu?

Car elle ne sait pas encor que celte belle,

Que la vertu vaut bien qu'on l'aime un peu pour elle,

Pour elle toute nue, et simple et sans atour.

Et le front rougissant à la clarté du jour.

XXXIV.

A ALFRED DE VIGNY.

Dans le séjour des morts mon dme fut ravie.

Je vis les corps des rois acquittés de la vie.

Voudriez-vous, leur dis-je, ù superbes humains,

Revivre et repasser par les mêmes chemins ?

Et de leurs larges fronts secouant la poussière,

Je les vis se lever à moitié de leur bière,

Et me faisant, muets, un signe de la main,

Retomber lentement sur leurs cpuches d'airain.

Kl vous, criai-je alors, habitants des campagnes,

Vous, pauvres villageois, vous, leurs douées compagnes.

Parlez ! voudriez-vous. ô malheureux humains.

Revivre et repasser par les mêmes chemins?

Et j'entendis soudain, dans ce lieu solitaire,

Tous ces corps s'agiter et sourdre sous la terre.

Et cette voix, sortant de leur sombre prison,

Percer légèrement les tertres de gazon : Kend-nous la, rends-nous la, cette vie et ses larmes. Malgré les mauvais Jours elle eut pour nous des charmes. Et nous sortons joyeux de l'ombre du tombeau Pour reprendre ici-bas la bêche et le râteau.

XXXV.

A M""» LOUISE BERTIN.

Quand le chantre d'OEdipe, en proie à tant de balBe, Devant l'Aréopage eut désarmé le sort. Mercure, messager, descendit dans Athène, Et posa sur son front une couronne d'or ; Et les jeunes garçons et les vierges pudiques, Les palmes et les chants, dans le mode thébain, Et les enfants joueurs sur les places publiques, Fêlèrent à l'envi le ])oèle divin. Ainsi, lorsque l'enfant de votre pur génie Aura chanté, vers vous descendra Polymnie, El levant doucement son voile radieux : Mozart, mon fils aîné, t'écoule dans les cieux. Et je viens de sa part le couronner, 6 femme ! Car il m'a dit : jamais depuis que je suis dwc, Aucune vierge, encore habile aux divins chants. N'a jeté vers le ciel de plus mâles accents. Reçois donc celte palme et ce beau diadème, Et porle-les tous deux, pour la muse qui t'aime. Parmi les chœurs sacrés, je te le dis ce soir, Aux lieux supérieurs on te verra l'asseoir j Regarde avec mépris les vents et la lempéle, Comme le fait Victor, lève toujours la lèle. Car avec lui bientôt, après le grand effort. Sur ton esquif vainqueur tu loucheras au port.

iO

m 4

XXXVI. A LA MEMOIRE

DE FOUTAHEY.

Dans ce monde, toat n'est que mal et que sooflnrance

Mais conserTons pourtant la céleste espérance,

Lorsque son temps d'épreuve, un Jour étant fini,

Le juste aura trouvé les champs de l'infini,

La timide pitié, cette fille immortelle.

Des dominations la troupe fraternelle.

Les ardents chérubins et les beaux séraphins.

Le prendront palpitant entre leurs bras divins.

Ils couvriront de pleurs ses terribles blessures

Et, des chardons humains les saignantes morsures.

Et l'enlevant dans l'air sur leurs ailes de feu.

Le porteront en chœur jusqu'au trône de Dieu.

C'est lui, c'est lui. Seigneur, c'est l'enfant de la terre.

La semence d'Adam, c'est l'homme notre frère ;

Il a vaincu le mal, il a vaincu l'enfer,

Il est plus pur que nous, car il a plus souffert;

Recevez-le, Seigneur, dans votre sein de père.

Que l'éternel amour enfin le désaltère.

Et que ce revenu des ombres du trépas

Pour la dernière fois s'éireille entre vos bras.

RÉPONSE DU PERE.

\f

O mon pauvre exilé ! vois, mes anges eux-mêmes Déposent à tes pieds leurs brûlants diadèmes ; Car, peut-être, ô mortel ! ces fils du firmament, Sous leurs grands boucliers forgés de diamant. N'auraient pas supporté la vie et son outrage. Et ses mille tourments avec tant de courage.

Rassure, mon enfanl, ton esprit alarmé ; Lève, ié?ele front; vois, je suis désarmé. Aujourd'hui pour jamais ton épreuve est finie; L'enfer, ô mon enfant! l'enfer c'était la vie. Vois, tout autour de toi rayonne de bonheur, Le ciel entier t'admire, et les trônes en chœur Fêtent ta bien- venue, et soulevant leurs voiles^. Mes vierges, sous tes pas ont semé les étoiles; £t pour toi, mon soleil a doublé sa splendeur ; Mon fils, abtme-toi dans le sein du Seigneur, Le principe et la fin des choses de la terre ; Viens, repose à jamais entre ses bras de père.

XXXVII.

Quand tout sera fini, nous serons, je le crois, ' Mesurés le grand jour, au métré de la croix, Et c'est du bois divin la sublime mesure Qui fera notre vie ou notre mort future. Ahl bienheureux celui dont en ce jour, le corps Pourra, sur l'arbre s^nt, s'étendre sans efforts.

XXXVIII,

GRACE POUR L'HOMME

L'assassiné royal, que chaque Français nomme, De sa mourante voix criait grâce pour J'homme. Grâce pour l'homme ï Sire, il faut le dire encori Touchez son pâle front de votre sceptre d'or Pardonnez, pardonnez, Sirel que la clémence Aux mains de l'assassin désarme la vengeance:

*i

^ 184 CI

Peut-être obtiendra-t-elle, avec sa douce voix, Ce qu'on refuse tant à la hache des lois. Non, Sire, il n'est pas vrai, toute noble semence N'est pas morte à jamais dans la terre de France. Essayez s'il n'est pas quelques grains de vertus Dans les replis du cœur de ces nouvjsaux Brutus, Et quoi qu'autour de vous et l'on dise et Ton fasse. N'écoutez que ce cri : Faites, faites-lui grâce .'

XXXIX. A MADAME MAXIME****.

Thérèse, Juliette, et toi, belle Anligone,

Vous êtes, jeunes sœurs, près du céleste trône

Et du triangle saint, d'où le divin amour,

L'amour supérieur, sur vous fondit un jour,

El, divisant enfin ses adorables flammes,

En trois langues de feu vint embraser vos âmes.

L'Italienne alors, à ce charme nouveau,

Tomba toute tremblante aux bras de Roméo^

Gomme un parfum jaillit de quelque antique vase,

Thérèse s'éleva dans une douce extase ;

El la fille thébaine, en ce moment fatal.

Pressa l'aveugle roi sur son cœur virginal.

Ces trois femmes brûlaient de trois divines flammes.

Et toutes trois alors étaient de saintes femmes ;

Car en modes divers, dans cet illustre jour.

Elles obéissaient i la loi de l'amour;

Et ces trois saints amours, aujourd'hui dans votre âme,

Par un heureux accord, sont réunis, madame.

^ 185 «$

XI.

BEETHOVEN*

IDYLLE ANTIQUE.

A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Beethoven vieux et sourd est assis sur une colline; à ses pieds est une campagne riante couverte de troupeaux , de bergers et de jeunes filles. Le vieillard regarde de la colline un pâtre qui joue du chalumeau.

Que ce p&lre est heareux prés de ces Tratches eaux!

11 écoule, atteniir, le ion de ses pipeaux ;

ToHt son être est en paix et nage dans la joie

Car toute la nature à ses sens se déploie ;

Âh ! Phomme le plus simple, hélas ! le plus obscur,

Existant tout entier jouit d'un bonheur pur,

Et pour moi qui me crois à part entre les hommes ,

Dont le nom retentit sur la terre nous sommes,

Dont les cheveux blanchis aont ceints de magesté ,

La moitié de ce monde est dans l'obscurité.

El pour moi qu'on nommait le roi de Tharmonie,

Qui pour les sons divins ai consumé ma vie,

Dans la création tout est sourd et eonfUs,

Les chants que j'ai créés, je ne les entends plus.

Du Seigneur tout- puissant, la plus douce merveille,

La sainte mélodie est morte i mon oreille;

Silencieux, j'avance aux portes du trépas,

Mes frères, et pourtant je ne vous en veux pas. '

Le ciel depuis longtemps m'accable de soaCfrance

Mais ne m'a pas encore ôlé la bienveillance ;

Je vous aime toujours, mes maux sont infinis.

Mais vous, soyez heareux, frères, je vous bénis !

" Cette pièce parut d'abord dans la Fi-ance littéraire qui, depuis plus d'un an, s'occupQ avec tant de sollicitude et de succès des choses il'dirt et de poéaie.

» 18C «a

Si Diea le veut encor, sur la m6me colline Je viendrai respirer cette brise divine, Vous voir rire et jouer sous les verts arbrisseaux/ O vous tous qui vivez» hommes, enranis, troupeaux ! Oui, j'aurai mes plaisirs, si vous avec les vôtres. Puisque je ne vis plus que du bonheur des autres.' Frères, peut-être ainsi ratrouverai«-je entier Ce bien dont seul, hélas ! je n'ai que la moitiés

'UN P^TRE àH8 compagnons.

Mes frères, voyez-vous, assis sur la colline,,

Ce vieillard?... sur son front une marque divine,

Jetant tout à Tentour un prisme radieux ,

Nous dit que c'est un ange envoyé par les cieux.

Ah! prenons dans nos mains ces branches de terdure

Afin d'en couronner cette sainte figure ; ,

Suspendons un instant nos jeux et nos chansons»

Amis et prions-le de bénir nos moissons;

Il le fera sans doute; avant sa chute immonde

Cest ainsi qu'en secret Dieu visitait le monde. .

POLTMNIE paràtt $ur la coUine, er, étendant sa main sur le

vieillard, dit aux bergers :

Vous ne vous trompez pas ! c'est bien un immortel. Et vous pouvez, enfants, lui dresser un autel ; Car c'est lui qui reçut, ainsi qu'un beau trophée, J^a lyre et l'archet d'or du grand poète Orphée, Qui, dans l'antique Grèce, à sa puissante Toix Faisait marcher jadis les chênes dans les bois ; Apprivoisant ainsi sur ces lointains rivages L'homme encore indocile et les bêtes sauvages. Car toujours, ô mortels, par ces chantres divins Le ciel civilisa le monde des humains. i Le beau, splendeur du bien et sou auguste fMre, De myrte couronné descendit sur la terre Pour consoler aussi ce séjour corrompu. Anges dtt firmament, génie et toi veriUi^

187 «4

L'àm» vous inspirez votre adorable ivrease

GonsefTera toujours réiernelle jeunesse

Et c'est pourquoi, malgré sa triste infirmité,

Ge barde a tant d'éclat et de sérénité.

ii'art dÎTin n'est jamais flétri par la souffrance;

L'art di?in c'est la foi, l'amour et l'espérance ;

Le cœur qui vil pour lui n'est jamais abattu,

Car le génie est fort ainsi que la vertu.

C'est par lui, mes enfants, que ce yieillard sublime,

Qui semble du destin une auguste victime.

Est toujours grand et bon et porte son malheur

Gomme Alcide portait le manteau de douleur.

Le génie est un feu dévorant comme l'autre.

Et qui toujours hélas I consume son apôtre .

Ah ! tandis qu'il habite encor votre univers,

Cueillez pour lui les fleurs, cueillez les lauriers yetXs ;

Et couronnez, enfants, au déclin de sa vie,

Beethoven, le plus grand des fils de Polymnie!

XLI. DERNIER RETOUR DE L'HOMME.

A H. BÉRAHGEB. I.

Les rois ont palpité de frayeur sur leurs trônes Et porté tout pensifs la main A leurs couronnes, Com!ne au Jour soudain dans^ ce port retiré 11 apparut suivi du bataillon sacré; Car ils craignent, au sein de leurs palais iranqDtllei, Que l'ombre du héros ne prenne encor leurs villes Les soldats d'Austerlitz et ceux de Friediand Dans le ciel des guecriers s'avancent d'un pas |niVf

& 188 «4

Ces marlyrt de l'honneur, sur la nue enflammée

Regardent à leurs pieds et le peuple et Tarmée,

Puis appelant, Joyeux, de tous les points du ciel,

Les soldats de Bayard et de Charles-Martel,

De leurs bras mutilés, ils leurs montrent la France,

Et le rront rayonnant d'amour et d'espérance.

Les pressent sur leur sein et leur disent en chœur

Venez le voir, c'est lui, venez, c'est l'Empereur '

Et la terre et le ciel dans ce moment sublime

Ne respirent qu'amour pour l'ombre magnanime.

Quelques hommes pourtant se tenant à l'écart

De cet enivrement ne prennent point leur part.

Ils ont beau le lever, toujours leur front retombe ;

C'est parce qu'ils ont peur que sortant de sa tombe.

Le grand Napoléon ne leur dise en courroux :

Que Taites -vous ici, traîtres, retirez-vous.

Vous ro'aimiez'pour de l'or, race à l'âme commune,

Ce que vous chérissiez n'était que ma fortune,

Mais ils m'aimaient pour moi tous mes vieux grenadiers.

Eux qui ne demandaient jamais que des lauriers.

Aspirant les combats sur ma dépouille même,

I.a jeune armée aussi c'est pour moi qu'elle m'aime,

Car toujours, ô Français, les morts prédestiné

Font tressaillir un jour ceux qui n'étaient pas nés ,

Et qui dormaient avec les semences fécondes ,

Quand les héros domptaient et la terre et les ondes.

II.

Deux fois vêtu de pourpre et deux fois dans la foudre.

Au milieu des Français deux fois tu tins la poudre.

Jl leur faut une idole et de chair et de sang.

Et tu fus cette idole, 6 colosse puissant !

En vain depuis vingt ans les rois de la pensée

Ont mis sur un autel l'abstraction glacée.

Le peuple a méprisé la lèle pour le cœur

Et n'a jamais aimé que son grand empereur :

Car en toi seul pour lui toute idée est comprise.

Toi seul es la patrie, et loi seul es l'église ;

îf '«solution poqr le peuple c-e,, ,o|. Dan, «,n .fflicUon e.«„, uvoir p^L^i un a>.gH,ue effet de .. gr,„de „«ïïê « tourne ,e, regard, Te«u noble flj«: Comme on roH le matin, à .on le.er ve^eil «j^ Plante, regarder l'œi, brûlant da7oW ' I 'appelle I,p,ix, t'appelle I, guerre '

A 1 ombre de ton nom i, „-, jamai. d'effroi Quand I ne croit en rien, il croit encore è,; toi pourtant u. couvri, la terre de carnage, T. ro,x fttt l'ouragan, et ton bra, r.4ge. Tu broya, dan, te, main, la pauvre humanité Et quand le jour fixé de tome éternité '

Br.ll, ,ur ton chevet, 0 profond politique.

Eto" « Lr r "'"!;""'" """ '" """""^ '««'•ol.qu.. wouffé par l'orgueil et la prMpérilé.

TuV^lT '°""''*"»»« " cœur t'était re,.é;

T.Mn.. ;""' *' """ ""™y»» * Dieu même T. m ,..on de ,ang et ton pouroir auprême.

De le porter tout seul cet écraaant fardeau !>

XLII.

NAPOLEON SEUL

4 «LPHONSE DE LAMURTIBIE.

L'Empereur était grand, l'Empire était infime; Proconaul,, ,énateur,. race vile et ,an, »me ,

Ertre"™!'"! .'7 """ ''^ P»""« genre humain.

Et d"r, , """"' *" " "•<>« "«nsle, ville,, El d autant plu, cruel, qu'il, é,aie„t plu, «ervilc;

190 49 P'

Gens de sang et de bono et faits pour obéir, < Ne pouvant point aimer, ne pouvant point haïr. Force aveugle et brutale et comme le tonnerre. Sans peine et sans plaisir nés pour brûler la terre. Ah I ne réveillons pas tout cet âge de deuil ; Qu'il dorme enseveli dans la nuit du cercueil, Avec tous ses muets et leur rage insensée. Sous le marteau funèbre écrasant la pensée; Et traquant en tout lieu la sainte liberté, Qui cachait dans sa main son beau front attristé* Elle était jeune alors, cette vierge divine; Sous sa toge prétexte et sa faible poitrine, Murmurait par instants une plaintive voix, Pour flétrir les bourreaux qui la mettaient en croix. Elle est femme aujourd'hui, mère d'un peuple immens Qui ne veut plus de vous ni de votre silence ; Car c'est un voyageur qui va jusqu'au trépas. Une fois en chemin> il ne recule pas. Français, comme l'a dit notre grand Lamartine, Appuyé d'une main sur sa lyre divine : Sur la tombe attendue et le sacré linceul, iBscrivoDS ces trois mots : A. Napoléon seul !

XLIII.

BALLANCHE.

Or, debout au milieu de ces divins rayons. J'en vis vêtus de pourpre et couverts de haillons. Ces hommes, dit la voix, sont grands par la pensée; Ils sont les saints flambeaux de la foule insensée. Partout tu verras ces divins malheureux, Tu les verras, troublés, sonffrants et généreux;

^ 191 «t

Oui, ces hommef> mon fils, sont de race divine, Car Tinspiration habite leur poitrine. L'univers agité par ses tristes combats, Les écoute chanter et ne les comprend pas; Des volontés du ciel, ils sont les interprèles; R«specte-le8, mon fils, car se sont les poètes. C'est parmi les élus de ce conseil sacré Que je vis, cher Barbier, ce vieillard vénéré. Le jour tombait, la nuit venant avec mystère, Enlevait à leurs maux ceux qui sont sur la terre; Quand je le rencontrai, ses longs cheveux épars Semblaient au gré du vent flotter de toutes parts. Et sur son front serein, une main paternelle Avait pourtant gravé la jeunesse éternelle; Ainsi cel«i d'Ithaque, en sa course surpris, Au fond du bois sacré trouva Thermosiris; Car la vertu, Balianche^ embellit ta vieillesse. Autour de toi respire un parfnm de la Grèce, Ancien et moderne au sublime vallon, Jésus- Christ te dispute à Tantique Apollon. Si tu passais soudain dans la sanglante rue rémeute , aux longs cris, aveuglément se rue. Vieillard, en ta présence, on ne se tuerait pas; Ta voix arrêterait la marche du trépas. Gomme on voit un enfant, calme sur un navire. Désarmer la tempête avec sou doux sourire.

xuv.

A F. DE LAMENNAIS

Dans ce siècle de doute et d'envie et de haines, Vois donc en quel état sont les choses humaines; Il n'est plus de respect, et la soumission Ne vient plus à la voix du vieux centurion.

S> 192 «<

TolU homme s'est fait Dieu, chacun marche à sa guiso.

Discute le pouvoir et commente Téglise;

Toutes les passions régnent en liberté.

Et les ailes au vent volent dans la cité,

Celle qui fait gronder les plus fortes tempêtes,

C'est Porgueil insensé prédit par les prophètes.

Ame de tant d'amour, esprit de tant d'ardeurs

Remonte, ô grand génie, aux cieux supérieurs.

Remonte, ô pur enfant de gloire et de lumière,

Avec l'obéissance, à ta splendeur première;

Et la terre et le ciel en oe sublime jour.

S'uniront à ta voix d'une étreinte d'amour.

Les vieux prêtres, debout au fond du sanctuaire.

Diront à léhovah leur dernière prière

Et chanteront, suivis des grands et des petits.

Le sacré te Deum et le nune dimittis.

Une grande vertu, l'ane des saintes flammes.

L'austère discipline entrera dans les Ames;

Les jeunes arbrisseaux ploiront leur front serein

En voyant se courber le chêne souverain.

Et Satan au Seigneur enfin rendra sa proie ,

Et le triangle saint tressaillera de joie.

XLV.

LES DEUX ELUS-

A THÉOPHILE GAUTHIER.

Dans un temple pompeux par l'mbre parfumé, Comme une torche ardente en tout point allumé. En ses brillants habits sur une haute estrade. Un mort est étendu dans nn lit de parade, I^ mttre sur la tête, en main la crosse d'or. Le front toujours vermeil, et Ton dirait qu'il dort;

El le palais voiain vomît l'antique foule

Des flatteurs dont le flot en murmurant s'écoule

Et s'en va saluer le nouvel arrivant

Comme un essaim d'oiseaux nit au soleil levant.

Et tout dans ce beau lieu respire un air de fôte;

Gar'pour le recevoir déjà le ciel s'apprête.

Or, plus loin cependant, sur le bord de la mer,

Dans un bagne bideux le mémejour d'hiver.

Un autre mort est là, dans une étroite chambre.

Ici point de flambeaux» point de parfums, ni d'ambre.'

Seulement une sœur auprès du trépassé

Lit l'office des morts dand ce réduit glacé.

Aux souffrances du corps comme à celles l'âme,

A. la vie^ àl« mort on rencontre une femme.

La chaîne qui traînait à ses deux pauvres pieds

Et qui les a meui^tris et tout estropiés,

Le suit dans le cercueil et comme sur la terre

Dit de l'autre côté : coupable et prolétaire.

C'est tout, rien n'est changé dans ce lieu de douleur.

Comme ils faiisaient la veille. Ils s'en vont au labeur;

Mais celui qui d'en haut connaît toute misère,

Frères, reçoit peut-être entre ses bras de père

Dans le séjour du calme et du suprême bien.

Avec le grand prélat, le pauvre galérien.

XLVI.

LA NATURE.

Grande et sainte nature, ô mère des humains. Sur teiB pauvres enfans étends tes blanches mains; Plusieurs sont devenus faibles et misérables Pour n'avoir pas suivi tes décrets adorables. L'orgueil les a poussés dans de mauvais chemins; Car ils fuyaient, hélas ! leurs frères les humains.

^ 194 <

IIi se sont égarés dans une terre obscure tu n'habitais pas, grande et sainte nature 1 O mère unîTerselle, ils sont seuls et souffrants. Ah ! dans ton grand giron ramène tes enfants .' Mère, ramène-les dans la commune voie. Qu'ils connaissent encor le bonheur et la joie. Dis-leur qu'il faut aimer j oui, dis-leur en ce jour , Qu'ils seront tous heureux quand ils auront l'amour : L'amour, le saint amour, l'amour, le Dieu suprême Que l'on ne connaît pas, hélas ! que l'on blasphème, Parce qu'il est au monde un infâme démon Qui prend sa robe blanche et qui porte son nom* Dis-leur que faiies-?ous sur cette haute ctme ? Sous Tos pas, ô mon Dieu, se creuse un noir abîme» Hélas ! que faites-vous sur ces rocs escarpés^ Ne voyez-TOUs donc pas que vous êtes trompés? Kegardez i vos pieds, descendez dans la plaine la brise à vos yeux, de sa tiède haleine. Courbe si mollement le front de ces roseaux. Et ride en se jouant la surface des eaux. Venez, ne craignez rien, c'est que je demeure. C'est que sans remords et Ton rit et l'on pleure. C'est qu'est ma chaumière et mon simple séjour. Au milieu des grands bœufs qui mugissent autour, lËt des petits enfans à l'haleine embaumée. Que le sauveur aimait, lui qui m'a tant aimée. Ah ! mes pauvres enfants, je vous avais perdus. Je vous ai retrouvés, ne vous tourmentez plus. Je saurai bien calmer votre souffrance amére, Pour la seconde fois, embrassez votre mère. Et tous ces malheureux palpiteront, et tous. Pour vaincre leur tyran se mettront à genoux, Car ils reconnaîtront leur nourrice divine Et voudront tous enfin descendre la colline. Mais l'implacable orgueil les tient par les cheveux, Et l'abtme, 6 mon Dieu, semble s'ouvrir pour eux. Car enfants d'Ërostrate, à son sinistre exemple, Ils ont déjà jeté la torche dans le temple. Or ce temple, aujourd'hui, c'est la société. Le grand temole moderne à la divinité,

i. I

195 ^

Temple saint commQ Taulre et moins impérissable. Car il n'est pas bâti, celui-là sar le satAei Temple qui, protégé du bouclier de Dieu, Saura longtemps braver et le fer et le feu. Ils l'ont assez miné ces deux terribles frères, £t fait assez craquer sous leurs mains funéraires^ Mais après ces assauts, le temple centriste £tait toujours debout avec la liberté.

« Nous rayons défendu ce temple, nous poètes. Nous dont toujours au mal les lèvres sont muettes ; Nous l'avons défendu plus que ces maltotiers Et tous les trafiquants de sordides métiers. Plus que les raconteurs de sales aventures, £t les impurs faiseurs de nouvelles impures. Que tous les envieux se nourrissant de fiel £t le crachant ensuite au front divin du ciel. Nous l'avons défendu, car sous nos pas éclose. Lorsque nous rencontrons quelque touchante chose, Le peuple ni le roi ne sauraient nous <)ter Le cœur pour la sentir, la voix pour la chanter. Nous n'avons pas joui des maux de la patrie £t nous n'avons point fait de l'art une industrie, £t nous n'avons jamais dans le saint jour de deuil. Quand un grand homme est mort insulté son ceroueil. Nous avons respecté les choses respectables. Gomme des malheureux , plaint les pauvres coupables | Nous avons arraché le faible au bras du fort , Nous avons crié grâce, i ceux qui criaient : Mort Les poètes ont fait cela, dans les années Qui viennent de passer, de cyprès couronnées ; Et- moi, leur frère à tous, comme eux po€te aussi. Ma volonté, lecteur est de le dire ici.

r

\

196 «I

XLVII.

LES DANDYS

A HYPOLITE LUCAS.

A rheore l'onvrier achète ses IraTau,

Ils retiennent montés sur leurs brillants ohefau.

Qui tout blancs de sueur, de leur forte poitrine.

Vomissent la poussière et la chaleur divine.

Ils déf orent, assis dans leurs riches festins.

Des poissons enyiés par les étangs romains ;

Et puis s'en tout, le soir, dans une grande salle

rOrient lascif atec orgueil s'étale ;

Couchés sur des coussins, d'un regard effronté.

Le lorgnon i la main, marchander la beauté ;

Impétueux au mal et remplis d'insolence,

De Tauditoire entier ils troublent le silenee ;

Et ces hommes pourtant, malgré tous leurs efforts»

N'ont que le bruit du vivre et dans le fait sont morti.

Car ainsi que Ta dit Berthaud, notre poète, i

Du lointain avenir ce fidèle interprète, i

Qui dans la sainte voie avance chaque jour,

La vie, à cher Luctu, la vie, ah ! c'est l'amour* i

Et vous qui dédaignez notre grande querelle.

Dandys, prenez pitié de la chose éternelle.

De la souffrance amëre et de la pauvreté \

Qui depuis si longtemps ronge l'humanité. I

Laissez, laissez tomber de votre main avare, !

Un peu d'or, 6 dandys, sur le pauvre Lazare.

Peut-èire, quand vos jours, enfants, seront comptés.

Cet or rachètera toutes vos voluptés.

w w<

XLVIII.

Dans ton recaeil, Victor, et dans tes puissants nombres^

J'ai bien va les rayons, Je n'ai pas vu les ombres.

Un jour, il semblera, ce poëme di? in.

Ecrit an temps des dieux, par un stylet romain ;

Et quand le monde aura pressé sa course agile.

Comme un li?re tombé de la main de Virgile.

Nous t'aimons, 6 Virgile, 6 poète du cœur,

O toi, de Libitine et de l'oubli vainqueur !

Soit que tu dises i'hymne aux muses de Sicile»

Aristée adorant la dryade facile.

Ou l'amour insensé deJa pauvre Bidon,

La pitié de l'Olympe, Iris et le pardon, .

Et Vénus entr 'ouvrant ses deux Ièvre8<r5ses;

Puis les malheurs de Troie et les larmes des choses^

Jeunes gens pleins d'espoir, i l'aube de leurs ans.

Placés sur les bûchers aux yeux de leurs parents

Aussi nombreux, hélas ! que les bruyants murmures

Et les oiseaux du ciel dans les forêts obscures ;

Et le pauvre exilé navré d'ennuis mortels,

Fuyant les yeux baissés loin des champs paternels. . .

Et cependant les bœufs reviennent des campagnes

Et les ombres i flots descendent des montagnes.

XLIX.

A LA MÉMOIRE DE MM. DOUAUO ET F AVRE.

DE CHAMBÉRY.

Quand partout à nos yeux les choses infernales Faisaient en liberté leurs viles saturnales;

^ 198 ««

Afnsl qtfe dans un port, il avait abrité, Dans son coeur, la justice avec la vérité. Chaque .penser sortant de sa noble poitrine, Paraissait enranté par leur âme divine. Et ces deux grandes sœurs, jusqu'au jour du trépas, Avec leurs blanches mains ont dirigé ses pas. Comme pour Quintilius, cet ami de Virgile, La pudeur a pleuré sur son urne d'argile.

L.

Hier, je rencontrai près du Pirée, assis» L'Athénien Melitas, du grand bourg d'Eleusis. Ecoute, me dit-il, sur ton âme pâmée Va passer tout â l'heure une brise embaumée. Or, les grâces cherchant par une belle nuit, Un sanctuaire pur qui ne fût pas détruit, Trouvèrent toutes trois, sous le ciel diaphane. Pour leur temple immortel, l'esprit d'Aristophane* Cette fratche^pensée est du divin Platon, C'est une fleur cueillie au jardin de Phédon, Sur ces lèvres, du beau, fidèles interprètes. Vous voyez qu'il a tort de bannir les poètes. Et même ces trois sœurs auront, sous d'autres deux» Pour leur temple nouveau le livre de Brizeux ; Kt la plus jeune alors, amiSj la plus jolie Changera son nom grec en celui de Marie.

LI.

li'ETUDE.

A L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE.

le suis l'amante chaste et qu'on ne quitte pas, La mattresse fidèle, amis, jusqu'au trépas,

199 «3

Qu!, par les Ycrls seoliers d'une lerre embaumée ^

Ai conduit doucement tous ceux qui l'ont aimée.

Je ne m'arrête pas au seuil des beaux palais ,

Ce n'est pas chez les grands, amis, que je me plais ,

Mais si je Yois briller vers le mois de décembre

Bien haut, comme une étoile, une petite chambre,

Je monte d'an pied leste, et je frappe, et je dis :

Veux-tu me recevoir, 6 mon joli taudis?

C'est moi, Tois-tu, c'est moi, qui dans la cheminée

Allumerai le feu pour passer la journée ;

Qui tout auprès du lit avec mes blanches mains

Poserai l'écritoire et les vieux parchemins ;

Je veille nuit et jour et toujours diligente

Je me nourris de peu, n'étant pas exigeante ;

£t cependant c'est moi qui dans la pauvreté,

Klevée à la peine avec l'humilité.

Ai créé tout ce qu! gouverne cette terre

Shakespeare, Raphaël et Newton et Voltaire :

Moi que plus d'une reine, amis, peut envier ;

Moi qui refis le monde avec le grand Cuvier ;

Des Antédiluviens recomposai les vies^

Et trouvai le berceau des races abolies;

Qui dans l'amphithéâtre, auprès de votre moût,

Interroge la mort qui^ pâle, me répond ;

Moi dont le regard pur dans l'infini se plonge ;

Moi qui berçai Sacy, qui fus l'ami de Monge,

Avec mon Dupuytren vingt ans fis la leçon«

Et qui pleure aujourd'hui mon bien-aimé Poisson ;

Lui qu'on ne vit jamais sur la place publique

Mêler sa voix naïve au fracas politique ;

Lui qu'hier dans mes bras l'inévitable main

Frappa, semblable, hélas ! à ce soldat romain

Qui tua le savant, honneur de Sjracuse.

O mes enfants chéris, écoutez, je m'abuse,

Ou la patrie, hélas ! sera lente à créer

Quelque chose égalant ce qui vient d'expirer.

Pressez-vous dans mes bras, mes fils, que la science

Règne, règne à jamais dans la terre de France ;

Ne laissez point passer son sceptre à l'étranger.

Enfants, je vous adjure au grand jour du danger,

{^ 200 <ss

Ècouiei-moi, me« ftlf, àm cette angoUte amère, Moi l'élude sacrée et fOlrc anlique mère l

Ul. A LA MÉMOIRE DE CASIMIR PÉRIER.

A MON AMI ALPHOIISB PÉPIS.

Quand, pâle de douleur et de sa mor^ f»'»'©»

Le grand Péricr montra sa sévère figure.

L'émeute recula devant l'homme de bie».

Et Paris admira l'illustre citoyen,

Après avoir lutté jusqtf à perdre rhaleiao ,

Comme un taureau sans peur il tomba 4a»» l'M^Pe-

Il porta la chaleur et tout le poids du iouf ,

De l'éternel enfant un autre aura l'amour.

De l'aveugle destin telle est la loi «prème

Le moissonneur n'est pas toujours e«M»i qui «toe.

Maîtresse du vaincu, maîtres*» du yainqueur.

Conscience, Cest toi qui consoUs son cœur.

O vierge inexorable l oh ! sainte conscience!

C'est toi le châtiment, Ceal toi la récompense,

Tl t'entendit un jour et sans pourtant te voir

Qui disais : Meurs content, car tu fis tou devoir .

Et moi, poète, après ces tristes jours d'orage,

A sa cendre je viens apporter cet hommage.

LUI.

Jeune homme soit béni, car ce chaste baiser Que sur mon front flétri tu viens de déposer

> 901 49

M'a rendu tout i coup ma pureté première Et dans ma triste nuit a porté la lumière ; Ils me traitaient si mal, ces hommes mal appris, Que je voulais enfin mériter leurs mépris. Plus on m'humiliait et plus j'étais mauvaife, Mais je sens à présent mon Ame toute à l'aise. J'étais tombée hélas ! sur le bord du chemin Et tu Tiens de passer pour me tendre la main, Ne crains pas que je veuille être ici ton amante. Mais, si tu le permets, je serai ta servante, Je t'accompagnerai jusqu'au jour du trépas ; Quoiqu'il advienne, ami, je ne me plaindrai pas, Et s'il est près de toi quelque vierge qui t'aime. Eh bien ! de tout mon cœur je l'aimerai de même.

uv.

Il n'oserait changer l'hémistiche d'un vers ; Mais il culbuterait, sans remords, l'univers $ Absurde doublement, cet homme a pour marotte i Guillottiner les rois, respecter Aristote ; Il est charmant partout et maussade chei lui ; Il dit toujours demain et jamais aujourd'hui; Il dit de beaux présents et de foUes emplètest Il donne à Pierre, à Paul, et néglige ses dettes; 11 pleura peu le jour du convoi paternel, Mais il va tous les ans au tombeau de Manuel; Il parle de devoirs et de vertus publiques. De réforme morale et bat ses domestiques; Il ne distingue pas les meilleurs des méchants« El nourrit tout le nondc excepté ses enfants.

t»iOi «

LV.

MATRES DOLOROSiE.

A M. A. DE LA TOCR.

Il est dans Tuaivers deax yénérables femmes Dont le divin amour purifia les âmes ; Tar leur sublime exemple et leur soumission ^'ous enseignant i tous la résignation. Ayant bu toutes deux à ces coupes amères Que le sort Tait passer des épouses aux mères ; Tremblant incessamment, sous le ciel en courroux, D'une pour son enfant, l'autre pour son époux; Symboles toutes deux de la noble souffrance : La mère du Sauvenr et la reine de France.

LES ARARES.

AU COLONEL LAMORIGIÈEB.

Peuple au cœur de granit, aux entrailles de fer, ' Que Tomit au soleil la bouche de l'enfer, Toi qui sait séparer le tronc d'avec la tdte. Et la main rouge encor, lorsque la chose est faite. Dort près de ton coursier sur le bord d'un sillon. Comme après son repas le ferait un lion ; Peuple, il faut que Tamour et sa divine flamme Kn bienfaisants rayons pénètrent dans ton Ame; Ou bien que toi, tes fils, tes cruels yaihagany. Tes longs fusils de fer et tes grands manteaux blancs, El ton cheval complice, avec sa charge immonde, Vous disparaissiez tous de la face du monde.

. LVI.

PAROLES DE JUAN DE MENA.

A M. ERNEST FOUINET

Africaine Gordoue, 6 ma mère chérie,

Belle fleur de savoir et de chevalerie,

Pardonne au fils Ingrat que tes flancs ont porté,

S'il n'a pas dit encor toute ta majesté...

Mais ton front radieux jette tant de lumière

Que je n'ose vers toi relever ma paupière,

Et de la profondeur de mon humilité

Regarder le soleil de ta divinité.

Sans cela, belle fleur de la chevalerie.

Africaine Cordoue, 6 ma mère chérie,

Je t'aurais fait des vers tous confits de douceur.

Et puis j'aurais parlé de Grenade, ta sœur,

Et, resserrant encor le nœud qui vous rassemble,

Je vous célébrerais toutes les deux ensemble ;

€ar vous êtes deux sœurs d'une grande beauté ;

Yoi yeux oui tant d'éclat et de sérénité

Qu'on croirait qu'autrefois la nuit, levant son voile,

Détacha de son front une quadruple étoile.

Et vous donnant, un soir, ce trésor précieux,

y ou a dit souriant : Faites vous en des yeux.

LVII.

UN EOUDISTE INDOUX.

A M. GASPARD DE PONS.

Il est assis tout seul, triste et les yeux hagards, Sa barbe est hérissée et ses cheveux épars; Une peau de serpent lui tient lieu de ceinture, La mousse et les lichens couvrent sa chevelure ;

I»i04 «s

Il a l'air d'an vieux ironc aaquel la main des ans N'a laissé pour tout bien que deux rannaux pendants , Deux pauvres bras tombant comme les bras des saules. Et les oiseaux ont fait leur nid sur ses épaules. Que fais-tu, malheureux, dans ce triste reposa Ne sens-tu pas la mort qui pénètre tes os ? Si tu le peux encore, ah ! lève toi, de grâce, Secoue au nom du ciel cette effroyable glace ; Oh ! mon pauvre Yoghi, sors de ce bois sacré, Rassure ton esprit et ton œil égaré. Rentre dans Bénarès et va revoir tes frères, Et partage avec eux leur joie et leurs misères ; Car l'homme, vois-tu bien, est pour travailler, Gomme l'eau pour courir^ et l'oiseau pour Toler.

Lvm.

AUX JUIFS D'ORIENT.

AUX HABITANTS DE DAMAS

A M. SAHOEIS de HAMBOURG.

I.

Le Caire était en deuH, la colère divine Promenait dans ses murs la peste et la famine ; Tout gémissait ; enfln les pauvres musulmans Sur les hauts minarets portèrent les enfants. Et les hommes, le front courbé dans la poussière, Se Joignirent d'en bas â leur douce prière, ( Et voyant s'élever vers lui leurs petits bras. Le' Seigneur suspendit la marche du trépas.

Afin de prévenir la veangeince suprême,

Habitants deDamas» faites vite de même ;

Expies votre crime envers ees malheureux ;

Le meurtre ne fut point commis par les Hébreux.

Et toi, peuple, courbé sous la dure avanie,

Qui relèves toujours ta tête à l'agonie.

Que l'Orient, hélas ! sous son splendide ciel

Abreuve si longtemps et d'absinthe et de fie),

Israël, Israël, au sein de ta souffrance,

Tourne tes yeux mourants vers la terre de France ;

La tolérance sainte est sa religion,

Et son cœur est ouvert à toute aflQiction.

Arrive du couchant, arrive de Taurore,

Israël, viens des lieux tu souffres encore ;

La France, c'est l'amour et l'hospitalité ;

La France est le refuge à toute adversité;

La France est aujourd'hui celte terre promise

Dont te parlait jadis teo. prophète Moïse.

II.

Salut, enfant martyr, mort pour la vérité.

Pour défendre Israël sous sa tente insulté ;

Toi, le frère dernier des jeunes Machabées,

Dans le jardin de Dieu, ces tendres fleurs tombées.

Au fort de la torture, ainsi que Daniel,

Tu célébrais toujours le Seigneur d'Israël ;

Ni le fer, ni le feu, ni le Pacha farouche

N'ont jamais arraché le mensonge à ta bouche.

Toujours, enfant martyr, devant le Tout-Puissant,

Ta voix disait : « Pacha, mon peuple est innocent. »

Mais vous, ses deux bourreaux, 6 vous, couple profane,

Vous périrez peut-être ainsi que l'Epiphane,

De la Syrie en deuil, cet antique fléau.

Dévorés tout vivants par les vers du tombeau.

18

S06 «I

LIX.

AUX ENFANTS

DE MADAMB AEMAUD B***.

Enfanli, pelîU enfants, ah ! ce simple langage Qui nous charmait hier et qu'ont ceux de votre â^ ConserYCZ-le toujours, que la toîx des humains Ne rétouffe Jamais dans vos paisibles seins ; Soyez francs et loyaux, aimez celte vallée votre âme si tendre un jour prit sa volée , vous avez formé jadis vos premiers pas. votre mère encor vous porta dans ses bras. votre père un jour rencontra votre mère ; El vous serez heureux, enfants, sur cette terre ; El puissiez-vous aussi, dans le même séjour. Quand viendra le moment, aimer «à votre tour.

LX.

A LISTZ.

Ainsi que Lamartine, en votre émotion.

Soit que vous promeniez votre inspiration.

Ou bien que tout à coup votrs fougueux génie

Rende de Beethowen la sublime harmonie.

Ou du divin Weber le chasseur infernal

Et la meute insensée et le cercle fatal;

C*est votre âme qui vient entre vos mains puissantes

Faire pleurer soudain les touches frémissantes.

Et moi, poète, ici d'un vers reconnaissant.

Je vous salue au nom du grand et pauvre enfant ;

Vous ravez accueilli comme un frère, et votre âme

De l'espoir dans son cceur a ranimé la flamme.

107

LXI.

A GEORGES SAND.

Les lexes isolés, malgré toas leurs efforts,

Seront le eorps sans P&me, ou Pâme sans le corps ;

C'est de leurs éléments une alliance intime^

Qui de rhomme complet forme Tétre sublime.

Or, pour constituer par des moyens divers

Ce tout harmonieux, dans ce vaste univers.

Il faut qu'obéissant à son essence pure.

Chaque être soit fidèle i sa propre nature.

Femme, il faut enfin vous le dire en ce Jour ;

L'homme c'est la Pensée, et la femme l'Amour,

Ah ! conservez-la bien votre part adorable.

Pour le pauvre malade et le pauvre coupable,

Vous la retrouverez dans les jours de malheur.

Comme un trésor secret au fond de votre coiur.

Et qui donc la prendra quand vous l'aurez laissée !

L'autre moitié du monde en proie à la pensée.

Ou bien i l'égofsme, est morte pour l'amour.

Et comme Promélhée aux serres du vautour

Pour TOUS, aimez toujours, car aimer c'est comprendre;

Se soumettre à l'amour, non, ce n'est point descendre.

Femmes, un cœur de flamme est un don aussi beau

Que l'esprit de Voltaire et son large cerveau.

Si vous abandonnez le copur pour la pensée.

Qui donc réchauffera la pauvre main glacée?

Qui donc, lorsque du jour la lumière pâlit,'

A petits pas viendra s'asseoir auprès d'un lit.

Et d'une blanche main présenter le breuvage,

Qui du travail sacré doit ramener l'usage?

Qui donc caressera les touts petits enfants,

Et les fera marcher au soleil, i pas lents?

908 ^

Qui donc oindra leurs pieds du baume salutaire Qui dût leur adoucir les ronces de la terre ? Qui donc leur donnera le pain de chaque jour, Si vous ne Pavez plus, qui donc aura Tamour !

Celte page, pour toi je ne l'ai point tracée, Puisque tu réunis le cœur et la pensée. Mais, femme surhumaine^ ah ! pitié de tes sœurs. Vois-les se tourmenter de douleurs en douleurs. Toutes, ainsi que toi, n'ont pas Tàme trempée; Par ton style de feu leur faiblesse est trompée. Dis-leur : Ah ! reprenez vos modestes sentiers. Voyez comme je suis pâle sous mes lauriers! Mes sœurs, ne tentez plus celte funeste Toié, Car vous y perdriez le repos et la joie; Laissez, laissez la gloire aux bruits retentissants. Mères, je vous le dis, embrassez vos enfants. Au nom de ces enfants, aiï nom des misérables. De ceux qui sont frappés de douleurs incurables^ Au nom de ces soldats parmi nous exilés. Et qui ne seraient plus désormais consolés. Au nom de tous les maux et de toutes les larmes. Des angoisses du cœur et des saintes alarmes. Mes sœurs, je viens ici vous le dire à mon tour. Au nom du ciel enfin, femmes, gardez l'amour : Car, la part qu'autrefois sur la terre mortelle Il vous avait donnée, est encor la plus belle.

Lxn.

CHATEAUBRIAND^ LAMARTINE, HUGO.

Groupe mélodieux, trinité du génie. Vous serez désormais et la force et la vie, Qui ferez circuler comme un fleuve paissant. Dans un corps fatigué, la chaleur et le aang;

» t09 <

Pour que l'on dise un jour : Il fut trois grands poètes

Des choses d'ici-bas, sublimes interprètes,

Egaux par la puissance, égaux par la grandeur,

Egaux par le génie et frères par le cœur ;

Ainsi que trois bergers sur la terre nous sommes,

Ils sur?eil!aient d'en haut le grand troupeau des hommes,

Et des mers du couchant au monde oriental

Etendaient doucement leur sceptre pastoral.

Ils sembaient au dessus des autres rois du monde,

Tant la paix autour d'eux était calme et profonde.

Le pouvoir de ces rois n'était plus contesté;

Car leur règne était doux et plein de majesté,

Et tous les trois avaient au front une auréole.

Les peuples en silence écoutaient leur parole,

Et celui qui portait de nobles cheveux blancs

Etait ainsi qu'un père avec ses deux enfants.

Lxm.

LE TASSE.

A M. DE BEAVCHESHE.

Quand tant d'autres, mon Dieu t si le malheur les touche,

Ont aussitôt les cris et l'injure à la bouche.

Toi, divin Torquato^ miné par le malheur.

Tu portas saintement le manteau de douleur.

Pas un mot, pas un cri, pas une plainte amère

Contre le vil geôlier, cause de ta misère.

Quand on connaît ta vie, on ne peut t'oublier.

O mon noble insensé, poète chevalier,

D'autres ont le front ceint de ton beau diadème.

On les admire autant, quand c'est toi que l'on aime!

t»2IO«

LXVI.

SAINT- JEAN (A|.OCilLTPSE).

Et regardant en baut, à l'horizon vermeil. Je vis un ange pur, debout dans le soleil. Il semblait tout joyeux, et comme dans l'attente; Et tout à coup, jetant une voix éclatante Que répéta l'écho de ce sublime lieu. Il appela les bons au grand souper de Dieu. Et puis après je vis, avec leur robe blanche, S'avancer à leur tour les enfants du Dimauche: Sbakspeare, Raphaël, Gimarose et Mozart; Car, ainsi que les bons, ces divins roii de l'art Ont payé leur tribut dans la mortelle vie. Et pour eux la vertu se nomma le génie.

LXV.

Toujours, toujours le peuple, et de sa large veine Le sang coulant à flots, comme d'une fontaine. Ah ! comme il jaillirait, ce sang, à gros bouillons. Si vous veniez encor heurter nos bataillons, Étrangers, qui de loin, dans ses jours de souffrance^ Avec un œil moqueur regardez notre France; Aveugles ! sur lui-même il prélude aux combats Ce peuple dont bientôt vous sentirez le bras.

Aigle noir de Russie et tigre d'Albion, Vous vous êtes joués du sommeil du lion; Pendant dix ans entiers il vous a laissé Taire, Contenant dans son sein le souffle de la guerre.

tu «s

Et TOUS vous approchiez de cet ancien vainqueur Si bien que tous avez, un jour, touché le cœur. Il se réveille enfin, secouant sa crinière^ Et tous, vous retombez, tremblants^ dans la poussière.

Et vous, gens d'autrefois, au moment du danger Tendrez-vous donc toujours la main à l'étranger? Pourquoi n'avez-vuus pas dans son angoisse amére Avec ses autres fils embrassé votre mère; Et quand sa grande voix, frères, vous appela, Pourquoi n'avoir pas dit : nous aussi nous voilà ! Confonds-nous dans ton sein , France, France, chérie, Nous n'avons tous qu'un roi, ce roi, c'est la patrie.'

LXVI,

LA JEUNE ARMEE.

AU GÉNÉRAL DROUOT.

Salut, beaux bataillons, dignes des anciens jours, Salut, ô jeune armée, et vous qu'on voit toujours Combattre aux premiers rangs, ô valeureux zouaves. Dont le nom étranger semble dire, les braves; Vous qui vous approchant de son camp endormi, Avant de l'attaquer appelez l'ennemi. Et pressés par ses feux et ses noirs cavalles, Emportez vos blessés sous la grêle des balles ; Soldats qui vous battez en vrais désespérés, El dont plusieurs, là-haut, sont des soldats sacrés; Chrétiens et Musulmans, illustrer frères d'armes , Qui confondez toujours votre joie et vos larmes, B6ni soit voire nom glorieux et si beau, Kl béni soit aussi votre jeune drapeau!

&> 212 «S

Davifier, Changarnier et toi Lamorieière, Qui semblez au combat les grands dieux de la guerre Veut-on pour tous donner le haut commandement Que TOUS soyez couchés au fond du monument P Ah ! laissons donc enfin de son Ame enflammée Un jeune général guider la Jeune armée. Alors disparaîtra la lenteur du conseil» Prompts comme la lumière arriTant du soleil^ Et l'acte et la pensée, et le bras et la tête Fondront sur Tennemi, pareils à la tempête. Hoche, Marceau, Desaiz, tous illustres héros, Aux jours de tos lauriers tous n'étiez pas plus beaux« Vous n'ariez pas au cœur de plus noble Taillance; Vous êtes seulement grandis par la distance, Par le temps et la mort qui font les demi-dieux Et tarissent le fiel des pâles enTieux.

Lxvn,

Tout passe sur la terre, 6 nobles pairs de France ! Une chose est durable et belle... la clémence. Pardonnez, oublions tous ces tristes débats. Le cœur palpite et sent et ne raisonne pas. Ce fut li tout son crime^ il aimait sa patrie, Cet éternel objet de son idolâtrie; Il Taimait, nobles pairs, d'un amour désolé, Gomme aime une jeune âme, une âme d'exilé. Hélas! n'attristons pas le beau jour qui s'apprête, En mêlant des cyprès aux palmes de la fête. Que le nom de celui qu'on ne peut oublier Couvre ce jeune prince, ainsi qu'un bouclier; Et que Napoléon, au milieu de sa gloire, Appelle ce beau jour, sa dernière victoire.

b- >l3«t

Lxvni.

PALESTRINA.

Divin Paleslrina, comme une douce aurore

Qui, lortquele soleil sur les monts ylent d'édora,

Avançant peu à peu, de son Teu matinal

Colore lentement le ciel orienta);

De ta sainte harmonie, ô mattre ! la meryeille

Envahit doucement notre Ame et notre oreille.

Et tout notre art moderne imiterait en yain

Ses sons entrelacés comme un collier divin.

C'est d'abord un oiseau qui chante sur la rive,

Puis, en chantant aussi, son compagnon arrive,

Puis bientôt un troisième, et puis tous à la fols;

C'est un puissant concert formé de mille voix,

C'est le garnd océan, alors qu'il est paisible;

Et te louer ici serait chose impossible !

C'est comme le soleil i l'heure de midi;

Ainsi que le soleil l'harmonie a grandi.

Et de l'astre brûlant suivant la destinée,

Elle meurt lentement ainsi que la journée.

Et poussant yers le ciel un dernier chant d'amour

Un soupir^ tendre et lorfg, finit comme un beau Jour.

Qui s'éteint par degrés sous le ciel diaphane, i

Dans les paisibles tlots du divin lac d'Albane.

Et l'auditeur, ravi de ce qui s'est passé,

Ecoute encore, après que le charme a cessé,

Tant l'harmonie avait jeté de douce flamme

£,t de sérénité dans le fond de son Ame,

^«14 <q

LXIX.

Cet homme avait rioBtinct de tous le bons désirs ,

Honnête en ses amours, honnête en ses plaisirs.

Il se sentait brûler des innocentes flammes,

Il aimait les enfans^ et les fleurs et les femmes ;

Cependant, pour lui seul ne voulait aucun bien^

Et jouissant de tout, il ne possédait rien.

Il s'en allait aimant, par les chemins du monde,

Et sans rien acheter arait la terre et Tonde.

Il entrait dans le Louvre, il avait Raphaël,

Il sortait et soudain il possédait le ciel.

Et rœillet sur sa tige et l'enfant dans sa couche,

Les beaux et grands yeux noirs^ la jeune et fraîche bouc)

Et les palais de marbre et le monde et le jour.

Il avait tout enfin, car il avait Tamour:

Sans jamais les cueillir, il respirait les roses.

Et sous la main de Dieu, les autres fleurs écloses.

Et ((uand on s'étonnait, disait, le front vermeil :

Mes enfants, on ne peut acheter le soleil.

Voir c'est avoir, voyons et comprenons la terre.

Et loin de nous fuira la hideuse misère;

Aimer c'est posséder, laissons sur son trésor

L'avare suputer ce qui lui manque encQr.

LXX. A LAMARTINE.

Pour faire le bonheur du pauvre genre humain, Jiii de la vieille Europe, ah .' donnez-vous la main,

Comme frères jumeaux tiés dans la même yiHe, Car la guerre entre tous, c'est la guerre civile. Que rOccident enfln repasse, en souriant. Le flambeau précieux, à Tanlique Orient, Et le voyant mourir dans une nuit profonde, Pour le civiliser, se partage le monde; Et les peuples émus répèleront en chœur : ^ Ab ! la diplomatie avait pourtant un cœur! C'est qu'il est dans son sein une lyre divine, Et qu'un de ses enfants s'appelle Lamartine ! Partout le poète, ô mortels, a passé, Sur le sillon brillant que son pied a tracé, Au milieu des écueils de la sombre carrière, Parmi les flots dorés d'une pure lumière, On verra tout i coup vers l'œil brillant du jour, GouHne une fleur du ciel, s'épanouir l'Amour.

LXXI.

A MON FRERE EMILE.

Le monde extérieur et la marche des choses, Et les heures en blanc ou bien en deuil écloses, Ne font point les mortels heureux ou malheureux. Et le bien et le mal ils portent tout en eux; En eux est la tristesse, en eux aussi la joie; Noue sommes à la fois le vautour et la proie. Notre ami le meilleur, notre grand ennemi ! Alors que nous dormons, le monde est endormi ; Quand nous veillons, il veille et nos pensers moroses Mettent un masque noir à la face des choses Qui souriant tantôt, semblaient nous appeler Et nous tendre les bras et tout bas nous parler. En nous est le ciel calme, en nous est la tempête, L'Univers croulerait autour de notre tête,

Si nous ayons la paii et le repos du cœur, Dans cet affreux chaos, noui seroDS sans terreur* Or, le travail sacré, c'est le repos de l'âme; C'est lui qui sans l'user, alimente sa flamme, C'est lui qui la relève et lui rend sa vertu, Et qui console, un jour, le lutteur abattu. Que tout nocher vaincu^ guidé par une étoile, Dans ce sublime port abrite enfin sa. voile ; Car après l'Océan, ses revers et ses maux, O saint travail, peut-être est-ce toi le repos .' Lorsque nous sommes nés sur la terre de France, Tu choisis le travail, moi, j'ai pris la souffrance ; Et ces deux puissants Dieux nous donneront la main Ainsi que deux amis jusqu'au bout du chemin.

LXXII.

A JOSEPHINE DE BEAUHARNAIS.

Par l'amour éveillée en ce grave moment

Ton ombre s'est penchée au bord du monument.

Pour regarder passer dans sa funèbre bière

Celui qui te chérit autrefois sur la terre,

El l'empereur lui-même a dans son grand linceul

Tressailli, car c'est toi qui l'aima pour lui seul;

Pour lui seul, quand laissant les splendeurs de ton trône.

Entre tes bras charmants il plaçait sa couronne

Et sur ton cœur de flamme et ton sein conjugal

Keposait son beau front marqué du sceau faial.

Toi seule^aurais souffert de son cruel supplice,

Toi seule tu l'aimais, c'est toi l'impératrice.

LXXIII. A LA FRANCE.

A M. ANT^IIIE DE LA TOUR.

Enlhouiiasme, ardeur, nobles élans de Tâme, Vous embrasez nos seins de yotre vive flamme ; Mais quand elle est éteinte, ah ! le cœur attristé Retombe encor plus bas dans son obscurité ; Et plus Pacte passé rut brûlant et sans borne. Plus le calme présent lui semble froid et roorne. Frères, la yie humaine est travail et devoir : C'est , seulement, frères, quMl faut la voir. Travail, devoir, hélas ! votre flamme est moins belle, Elle a bien moins d'éclat, mais elle est éternelle. Ceux qui pratiqueront vos modestes vertus Auront la paix de Tàme, et ne souffriront plus ; Ils braveront les traiis de la noire misère. Car c'est le bonheur, s'il existe sur terre. 0 mes concitoyens ! Je chanterai la paix , La paix et le travail, la paix et ses bienfaits. Tenant dans ses deux mains la corne d'abondance, Et de tous ses trésors inondant notre France, Et mûrissant, au bruit des agrestes chansons. Non moins que le soleil, la vigne et les moissons ; Et, dussé-je à vos yeux n'être pas populaire, O mes concitoyens 1 Je flétrirai la guerre. Renfermant la rapine et le meurtre en ses flancs, Et prête à dévorer vos malheureux enfants, La guerre aux mains de flamme, aux angoisses amères, La guerre et ses fléaux si détestés des mères ! Mais si de l'ennemi les sombres bataillons Venaient dans leur orgueil menacer nos sillons. On verrait le poète, épris d'un saint délire. Au mur de son foyer suspendre enfin sa lyre,

918 «3

Et, luÎTant !• deToir au glorieux chemin, Sortir de sa maison un fuiil k la main. Fermant sa bouche au chant, ainsi que son oreille, Et laissant sur les toits babiller la corneille ; Car la guerre est un fait que Ton ne chante pas, Mais que Ton accomplit en face du trépas.

En sommes-nous donc là? Non ; le destin contraire

Nous menace aujourd'hui d'une plus triste guerre.

Que Tois-je ? des partis qui se donnent la main.

Au risque, s'il le faut, de s'égorger demain ;

Des hommes qui pleuraient et qui portaient naguère»

Quand le ciel souriait, les yeux baissés à terre.

Les levant aujourd'hui, rayonnant d'un espoir

Que sans frémir, hélas ! on ne peut entrevoir ;

Et tirant, sans respect pour sa noble souffrance.

Chaque pan du manteau de notre pauvre France;

Si bien qu'elle sera, dans le jour du danger.

Seule et nue et sans force aux yeux de l'étranger.

Qui contemplé de loin la grande abandonnée.

Et se dit dans son cœur : Âh ! ton heure est sonnée .

Puis prenant son essor en ce funeste jour

Étendra sur nos flancs sa serre de vautour.

Ah ! prenez donc pitié de son angoisse amére.

Et vous tous, ses enfants, embrassez votre mère,

Et confondez-vous tous dans la belle unité»

Fille de sa sagesse et de sa liberté.

Des provinces du sud, de celles de l'aurore

Et du septentrion, Tenez, venez encore;

Et, quand sa yoix chérie enfin retentira.

Dites tous à la fois : O France! nous Toiiâ;

Sous la même bannière, armés des mêmes armes.

Nous venons tous ici pour essuyer tes larmes,

£t, s'il le faut encore, i ton appel puissant.

Dans tes larges sillons répandre notre sang.

Frères, tout jusque-là ne serait qu'anarch\e

Et que coups de poignards au cœur de la pairie,

El que déchirements, et que calamité.

Sans honneur ni profit pour votre liberté.

Si le gant etl jeté, si la guerre est jurée,

219 ^

Frérei, lerroDs nof rangs pour la came facrée ; Comme un Taisceau d'acier, soyons tous réunis. Et que Dieu soit en aide à. notre cher pays !

LXXIV.

MAGNIFICAT.

Klle souiïrit toujours dans la terrestre fange ,

Kt cependant sa vie était une louange ;

El son âme, à l'étroit dans sa sombre prison,

El la nuit et le Jour, était en oraison,

Tandis que tout son corps, étendu sur la claie.

Brûlait en holocauste et n'était qu'une plaie.

Et nous qui la mettions au dernier monument.

Nous baisions, 6 mon Dieu ! son simple vêtement

Et ses haillons sacrés , et je dis : Point de plainte,

Chantons le Te Deum, car c'était une sainte !

LXXV.

A M. GRABOWSKI.

Ne dit plus, ô Pologne, au grand jour du besoin :

U Seigneur est trop haut, les Français sont trop loin.

I-e Seigneur entendra le cri de ta souffrance.

Et pour te délivrer, enfin viendra la France :

Car j'ai vu tes enfants, ces hommes au grand coeur ,

Porter légèrement le fardeau du malheur.

El parmi nous eocor, tur la terre étrangère. Parier avec amour de ceux du Belvédère, Les quatorze héros, au gracieux surnem, Ces fils d'Harmodius et d'AristogIton , Qui rendirent un jour, pour sauver la patrie, Le sang que leur donna leur mère Varsovie.

LXXVI,

L'INGRATITUDE.

Régane, Gonerill, enfants dénaturés, Filles au cœur de roc pour votre pauvre père> Que vos noms soient maudits à jamais sur la terre. Je comprends l'univers, ses mystères sacrés. Ses symboles divins, ses sublimes figures, Et les choses du siècle, et les choses futures. Et les grandes vertus, et les plus grandsforfaits. Et le bien et le mal, tels que Dieu les a faits : Mais toi, crime hideux, lèpre ignoble de Pâme,. Etre seul et sans cause, ingratitude infâme , Renversement fatal des choses d'ici-bas. Monstre de toi seul, je ne te comprends pas !

LXXVII.

En sommes-nous venus i ce point de misère. Que les hommes de haine accusent la colère ; Que Gaîus Gracchus de ta sédition Se plaigne, et que Sylla blâme l'ambition ;

Que les plus forts, hélas ! semblent perdre la tète. Et le pilote même appeler la tempête ! LMntrigue marche, avaDce, et de ses mille bras Enveloppe la France et prélude aux combats. Vous seul, TOUS regardez la méprisable chose^ Gomme fait un lion alors'quMl se repose. Plus le monde s'agite autour de vous, au bruit Que fait Taile du monstre en passant dans la uuit; Et plus. Chateaubriand, sur votre haute cime. Votre obstiné silence est auguste ef sublime 1

LXXVHL

A LA MEMOIRE DE MON PÈRE.

Epuise tes poumons, souffle et poursuis la lutte ; Bien ! hiver, tu ne peux que retarder ta chute ; Vois-tu ce bel enfant avec son air moqueur. Qui vient i pas de loup ; il sera ton vainqueur. Déjà, tenant en main ses flèches de verdure. Il guette en tapinois les vents et la froidure, Ne rattends pas, crois>moi ; fuis, maussade vieillard. Avant que dans tes flancs il n'enfonce son dard. Et que de ton front pftle avec ses doigts de rose , Il n'arrache, en riant, ce masque si morose. Ainsi, s'il t'en souvient, le Philistin géant Fut désarmé jadis par la main d'un enfant. Puissent, comme les vents, mes amères pensées. Vers les pôles lointains être par toi chassées. Et je te bénirai, jeune dieu que j'attends, Amour de la nature, 6 gracieux printemps ! Puisse aussi^ jeune dieu, toute souffrance humaine S'éloigner au contact de ta tiède haleine, Et comme les frimats, tous les cœurs des heureux Se fondre à la chaleur de ton souffle amoureux * Et toi, Père de tous, qui répands sur la terre Des réservoirs du ciel tes trésors de colère^

Rends-nous Taube argentée el le couchant vermeil ;

Seigneur, Dieu tout-puissant, ah ! rends-nous le soleil ;

Rends-le pour les moissons, les raisins en arcades,

Pour les bois, pour les champs, pour les pauvres malades ;

Exauce-nous, soleil, roi de Thumanité,

Remplaçant de la gloire et de la liberté.

Viens, grand consolateur de la noire souffrance.

Viens encore^ 6 soleil, revoir ta belle France !

Ses enfants. Dieu du Jour, ses enfants sont les liens;

Car comme toi, soleil, ses ardents citoyens

De leurs brûlants cervaiix font Jaillir la lumière,

£t réchaufifent le sein de la nature entière.

LXXIX.

A M. FERDINAND DÉNIS.

Gamoëns, Camoëens, illustre Portugais \

Te quittant autrefois, ton pauvre Javanais

Mendiait vers le soir, dans l'ingrate Lisbonne,

Pour son illustre mattre une chétive aumône.

Car toujours, ô mon Dieu I la triste pauvreté

Veille près du génie, et marche à son côté -,

El toujours les enfants de la céleste lyre

Ont gémi sous la faim ou l'horrible délire.

lis adorent pourtant et le grand et le beau ;

Ils sont simples de cœur et nobles de cerveau ;

Ils nous semblent enfants, insensés que nous sommes!

Et ces enfants pourtant sont plus grands que des hommes*

O sainte poésie 1 honneur, honneur à toi !

Car, dans ce siècle mort et d'amour et de foi,

Pareille à ces consuls de l'antique Italie,

Ne désespérant pas du sort de la patrie,

Toi seule sur la terre, en ce lieu corrompu,

Tu crois à la justice, au bien, à la vertu ;

El couvrant les humains dp tes puissantes ailev

IVe désespères pas des affaires mortelles.

' LXXX.

Tu rail un cercle à Dieu de ton triste comiMS.

Ev tu lui dis après : Tu n'eu sortiras pas.

Mais Dieu, c'est l'univers, et la matière et l'âme ,

C'est la terre et le ciel, c'est l'homme et c'est la remme,

C'est tout ce qui respire et tout ce qui se meut,

C'est l'arbre et le torrent, c'est la mer et le Teu.

Partout l'on travaille, et partout l'on prie,

Et partout l'on vit, c'est Dieu ; Dieu, c'est la vie ;

Te croyant une sainte et grave mission,

Tu veux faire è ta guise une création ;

Tu dis, dans ton orgueil, telle chose est impure.

Et dans lea bras de Dieu tu châtres la nature.

Et de quel droit, viens-tu de ta profane main.

Retrancher une branche i cet arbre divin ;

Il est bien comme il est, puisque le planteur même.

Avec tout son Teuillage et le cultive et l'aime.

LXXXI

PRASCOVIE LOPOULOFF.

A MADAME DE BAWR.

Jeune Sibérienne^ à toi ! sœur d'Aniigone,

Qui flt répandre au Tzar des larmes sur son trène,

Si ce froid univers avait ton dèvoûment ,

^ous serions les égaux de ceux du firmament,

Car tu fus surhumaine ; aussi, belle héroïne,

Ta vertu fut nommée une vertu divine.

Quand son terrible exil ici-bas fut fini,

Le Christ ouvrit enfin les bras à l'infini,

Et l'ange de la mort qui tenait son épée

^*'osait pas en frapper cette tète sacrée.

Mais Jésus lui disait, se soulevant un peu

« Ange, fais ton devoifi et remonte vers DieukI

Or, la mort hésrtaii, parce que, sur la terre, C'était le Fils faisant la volonté du Père.

LXXXII.

LES ANTONEVS.

A M. ALFRED BLAHCHE,' AVOCAT.

En troit corps différents, une seule et même Ame Éelaira Tunivers de sa céleste flamme ; Ce fut de la vertu la légitimité. Plus que ces fils du corps, Tempereur adopté. Ce nobl^ et chaste enfant de Pftme et du génie. De celui qui mourait continuait la vie. Le monde respira sous vos sceptres divins; Vous fûtes plus chrétiens, 6 Césars-Antonins ! Que bien des successeurs de Tapôtre saint Pierre, Qui foulèrent des rois sous leur sandale allière : Vos adorables lois et vos décrets humains Enseignèrent le juste aux barbares Romains. Par vous'jes délateurs furent chassés de Rome, Locuste et ses poisons disparurent, et Thomme, Si désaccoutumé du spectacle des cieux. Au jour de la pudeur habitua ses yeax. O sages couronnés ! votre génie habile A côté des faux dieux fit régner TÉvangile ; Et quand il pense avons, Punivers voit encor Briller à Thorizon l'éclat de l'âge d'or.

LXXXIII.

A LAMÉMOIREOE H. 'FOUGEROUX.

Noble inconnu qui fais le bien sur cette terre, Ton àme dans le ciel recevra son salaire.

0. 325 «(

Si ta caches ta fie, 6 mortel simple et bon ! Celui qui connaît tout, là-haut connaît ton nom , Tu n'échapperas pas à son regard de père : Vincent et Fénelon, et Tapôtre leur rrére. Présenteront à Dieu, dans son éternité. Celui qui sur leurs pas suiyit la charité : Et tous les orphelins sauvés par tes aumônes De leurs petites mains t'offriront des couronnes ; Tes œuvres surgiront en foule autour de toi, Et le grand firmament sera tout en émoi : Car rien n'est aussi doux à la cour éternelle Que le modeste aspect de la yertu mortelle.

LXXXIV.

Que penser, juste ciel ! et que dire et que faire? Le monde tourne, hélas ! en dehors de sa sphère : Rien ne marche et ne va comme aux jours d'autrefois. Les rois sont des acteurs, et les acteurs des rois. Au premier coup du sort, un homme veut descendre Chez les morts, et voilà qu'on honore sa cendre ! Et pourtant il a fui ; pourtant «on action Demanderait l'excuse et non l'ovation ! Que n'allez-vous plutôt, sur la terre étrangère. Chercher, concitoyens, la dépouille guerrière De vos vieux défenseurs. Fouillez les monuments, Et, revenant chargés de leurs grands ossements. Portez-les en triomphe au sein de la patrie. Et ces illustres corps, acquittés de la vie. Qui, lorsqu'ils respiraient, portaient l'adversité Et la souffrance amère avec sérénité. Mettez-les, ô Français ! sur un bûcher immense. Et découvrez vos fronts : un autre honneur commence Tu seras Juste, alors, ô grande nation ! C'est à ces saintes morts qu'on doit l'ovation.

S> 386 «I

XXXV.

LA VOLONTE.

A MH. ALIGNY, COROT ET EDOUARD BERTl».

Un jour je me disais, voyant la grande mer

Écumer et monter en bouillonnant dans l'air,

El jusqu'au firmament pousser son cri sublime :

Que soQMnes-nous, bêlas ! devant un tel abîme .'

Ella bouche entr'ouverte, et le sein agité,

J'étais tout en émoi devant l'immensité.

Et cependant voilà qu'à l'éclat des étoiles.

Un vaisseau dans le port entrait à pleines voiles :

Les matelots debout, Técume encore au front,

Et leurs cabans trempés, étaient tous sur le pont ;

Et leurs yeux, rayonnant du prisme de la gloire,

Semblaient comme en triomphe et disaient la victoire ;

Et l'homme suspendu sur le gouffre béant

Me paraissait alors plus grand que l'Océan.

Soudain je m'écriai : Purs enfants de lumière,

N'admirons donc pas tant l'insensible matière;

Car elle suit toujours un instinct arrêté.

Immuable et fixé de toute éternité.

L'homme son propre arbitre, est changeant par nature^

El partant, au-dessus de toute créature ;

Car seul, il a reçu de la divinité

Ce qui fait sa grandeur, la sainte volonté.

Artistes grands et forts, c'est votre souveraine.

Votre maîtresse à vous, et votre illustre reine.

Par elle, artistes saints, vous avez combattu

Pour le beau, ce divin frère de la vertu ;

Cultivez-le toujours, cet art pur et sévère ;

Foulez aux pieds ces dieux adorés du vulgaire :

Et Ton verra vos noms, quand viendra le moment,

Entre Claude et Poussin briller au firmament.

LXXXVI.

DEUX JEUNES FEMMES.

A M. BOULAY-PATY.

Soas un regard de feu cachant an cœur de glace,

Votre beauté divine en tous lieux nous enlace ;

Chacun de nous la chante, et quand il a cessé.

L'instrument dans yos mains esta l'instaut brisé;

Car chaque Yoiz peur vous du môme son résonne ;

Vous recevez de tous, ne rendant à personne ;

Et de tous les côtés, ces hommes à genoux

Sont un miroir ardent ne reflétant que vous.^

Vous ne voyez que vous, vous seule en tout visage ;

Vous, dans toute parole, et vous, dans tout hommage :

\nssi le mal pour vous est à l'égal du bien,'

Et croyant aimer tout, hélas ! vous n'aimez rien.

Vous avez des enfants, et vous n'éles pas mère ;

Vous êtes froide, enfin ; froide, et non pas sévère

C'est manque de sentir, chez vous, et non pudeur.

Car TOUS êtes, madame, une femme sans cœur.

Et pourtant j'en sais une, une autre jeune femme,

Sous deux grands sourcils noirs, lançant un œil de flamme.

Une autre, belle aussi, dont le front calme et pur

A la sérénité du firmament d'azur ;

Mais il n'est pas menteur, le front de cette femme.

Et sa candeur est bien l'image de son âme.

Gomme la Vierge mère, entre ses bras charmants -

Elle porte son fils, sujet de ses tourments .

Et de ses pleurs cuisants, et de sa peur si vive,

Quand la première dent vint percer sa gencive:

Et ceux qui sont près d'elle, avec respect lui font

De toutes ses vertus une guirlande au front.

Elle, les yeux baissés^ et sans paraître y croire, -

Comme Marie est humble au sein de tant de gloire.

S>tt8 «3

LXXXVII.

A M. ÉMIL BLANCHE.

Dante fit autrefoii dani son voyage aastère Un damné dont le corps semblait vivant sur terre, France, ô mon cher pays, pareille à ce Génois Tu marches et tu vas, tu fabriques des rois ; Mais tu n'es plus, hélas ! notre belle patrie, Ton corps est sain et sauf et ton ftme est partie. Esprits supérieurs, ayez pitié de nous. Calmez, Seigneur, calmez enfin votre courroux. Ayez pitié de nous et de notre souffrance, Rendez-nous le soleil et Fâme de la France.

Mais une voix du ciel dit tout-à-coup : mon fils. Ah ! ne blasphème pas ton glorieux pays; fit son âme et sou corps sont toujours sur la terre» Et respirent, mon* fils, dans leur antique sphère. La France en dévorant cet imprudent affront. Qu'ime main étrangère avait mis sur son front. Aux yeux du monde entier a fait un sacrifice; Le fort seul peut le faire. En refusant la lice , Elle a conquis mon fils, de plus nobles lauriers, Que ceux dont sont couverts ses généreux guerriers. Et peut-être on dira quelque Jour dans Thistoire : Le repos de la France est sa grande victoire.

LXXXVIII. A MM. MARDUEL ET LAVÉRAN.

Sophronyme, chargé des plus riches présents, Au mois des fleurs, partait de Crète tous les ans. Pour aller visiter dans son lie lointaine Un sage solitaire, Erésiclbon d'Athène ;

Et li, près de la mer, sous le ciel radieux, Les deux vieillards longtemps s'entretenaient des Dieux , De la nature ensemble ils sondaient le mystère. Les fleuves et la mer, et le c^el et la terre, ^t pourquoi la marée, et comment les saisons, Et Phœbus mûrissant les vin» et les moissons. Le dixième printemps, la brise parfumée N'amenait pas, hélas ! la nef accoutumée. Elle arriva pourtant ; mais ses voiles en deuil Disaient que dans ses flancs elle avait un cercueil. Un étranger, tenant une urne funéraire, Parut, les yeux baissés, et descendit à terre; £t tous les deux sur Turne ils pleurèrent longtemps. Et sans dire un seul mot partirent i pas lenis, L'un pour se retirer dans sa lointaine ville, El l'autre pour aller pleurer seul, dans son Ile.

LXXXIX.

A MADAME CELESTE ***♦

£Ue n'était point p&le ou défaite, mais telle Que la neige tombant sur le sommet d'un mont, Tout son être était calme encor ; sur son beau front La mort en ce moment elle-même était belle : Gomme après un travail elle semblait dormir; Et les hommes pourtant nomment cela mourir.

Après avoir passé, dans cette courte vie. Les jours à travailler et les nuits à souffrir. Vous êtes arrivée à ce mont pour mourir ; Vous suivez dans le ciel la prmcesse Marie, Et maintenant, enfin, dans ce sublime lieu Vous êtes toutes deux égales devant Dieu.

20

2S0 «

XC. A BERLIOZ.

VoilA, voilà la Toiz du chasseur inrernal.

Et la meute insensée et le cercle fatal

De Carie de Weber^ la bizarre harmonie

£t le génie, enfin, assistant le génie.

Ainsi Virgile nn jour, de sa savante main,

Conduisit le Toscan dans son âpre chemin.

Il est beau, quand on est soi-même un météore.

De s'éclipser ainsi devant une autre aurore

Et de voiler un peu sa divine clarté

Pour Taire élinceler une autre majesté.

A Gluck, à Beethowen, à Weber, sur la terre

Berlioz tendit la main, c'était la main d'un Trère ;

Et ces grands trépassés, de la splendeur descieux.

Sur cet hommage pur ont abaissé leurs yeux.-

XCI.

Hier je rencontrai sur le bord d'un chemin Thalie assise en pleurs, la tète dans sa main : O Muse, qu'as-tu donc et quel est ce prodige. Si tu pleures, réponds, qui donc rira, lui dis-je. Elle me répondit d'une touchante voix, Que ses sanglots, hélas! coupaient plus d'une fois : C'est que je ne vois plus mon cher enfant Monroset Il emporte avec lui ma guirlande de rose , Et les joyeux propos et les chants et les ris Avec l'âme et le cœur de ses amis chéris. Muse, rassure- toi, sous une main amie. Sa cuisante douleur enfin s'est endormie. Avec lui rentreront dans les sacrés parvis. Et les joyeux propos, et les chants, Al les ris, Et les fêtes du soir sans regrets accomplies Et jusques à minuit les charmantes folies.

t> 951 «S

ÉPILOGUE.

LE POETE

à M. VICTOR HUGO.

ODE.

Comme autrefois Macbelb, ramenant son armée, De sang et de carnage encor toutp enflammée. Rencontra les trois sœurs et fut muet d'effroi ; Lorsque posant le doigt sur leurs bouches livides, Elles flrent sortir de leurs mâchoires vides : Salut Macbeth, tu seras roi !

Et puis, Fesprit troublé par les j^eilles sorcières» Ne vit plus ses soldats passer sur les bruyères. N'entendit plus des cors le murmure lointain ; Mais pâle, et l'œil hagard, et la tète baissée. Marchant vers Inverness , parlait à sa pensée» Impatient de son destin ;

Ainsi, tout palpitant sous un regard sublime. D'une autre royauté la future victime Rencontre le génie à son fatal moment; Et lui : Salut, dit-il, car tu seras poète ! Et comme les trois sœurs, cet incomplet prophète Montre la palme seulement.

Alors pour accomplir sa redoutable tâche.

Le condamné s'avance, agité sans relâche.

Tel qu'un yaisseau qui suit le flux et le reflux j

Il veut se reposer tonnant à son oreille,

Une voix formidable en sursaut le réveille : Debout l tu ne dormiras plus.

Gomme un simple convive il s'asseoit à la table Et veut prendre sa part ; mais le Sort indomptable Change les cris de fête en un funèbre écho .* Il veut boire à la coupe et sa lèvre se glace; Car il voit se lever à sa lugubre place

L'ombre sanglante de Banque.

Que de fois s'enfonçant dans la sombre carrière, Il se rejetera tout-à-coup en arrière Et voudra voir le but s'éloigner de sa main ! Poussé par le génie et par ses destinées, Il marchera bientôt à plus grandes journées, Foulant les ronces du chemin.

Enfin, on le verra, triste, asaîB sur un trône Que cette foule aveugle en criant environne, Comme si celui-là pouvait être usurpé; Et se tournant alors vers sa belle complice. Le poète dira, lui montrant son supplice: Muse, pourqaoi m'as- tu trompé?

Mais, non plus qu'à Macbeth, if omme de la femme

Pf e pourra lui ravir celte divine flamme

Qui sans cesse l'anime et le consumera ;

Et quand viendra le temps, il rendra la couronne

Et ce sceptre si lourd, à celui qui les donne

, Et seul aussi les reprendra.

FIN.

TABLE DES MATIÈRES.

LIVRE I.

S 1er. LES Italiennes S Traductions. S Satires.

7

' 48

67

LIVRE II.

Dernières Paroles. v»3

LIVRE III. Vlâsignation. 143

ÉPILOGUE. 981