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LES ÉDITIONS

ALLEMANDE, ANGLAISE

ESPAGNOLE ET ITALIENNE

DE CET OUVRAGE

SONT EN PRÉPARATION

J»-Joachim NIN

Pour l'Art

PREMIÈRE EDITION

MCMIX

BIBLIOTHECÂ Ottavlan»^

■MSù

AUX MUSICIENS INTERPRÈTES,

TELS QU'ILS SONT, TELS QU'ILS DEVRAIENT ÊTRE

^

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Universityof Ottawa

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POUR L ART

AVANT-PROPOS

^

POUR L ART

LES idées que j'expose ici seront sans doute contredites par quelques-uns, acceptées par d'au- tres et même complétées, peut- être, par certains ; je profiterai volontiers des enseignements de ces derniers et je ne manquerai pas de répondre aux contradic- teurs, puisque c'est de l'Art qu'il s'agit et non de nous-mêmes.

Quelques amis se croiront peut-être visés dans ces pages ; ils auront grandement tort, car je ne m'a- dresse à personne en particulier. Si toutefois, quelqu'un tient ab- solument à se reconnaître, je le regretterai autant potir lui que pour moi : cela prouvera qu'il se trouve compris dans l'odieuse catégorie dont je vais parler. Au- quel cas, il ne pourra m'en vou- loir de suivre, en Art, une route

POUR L ART

Opposée à celle que nous suivons dans r Amitié et dans la Vie.

Quoi qu'il en soit, je tiens égale- ment à rendre hommage à ceux de nos virtuoses contemporains, qui, par leur sincérité et leur honnêteté artistique, m'ont ins- piré quelques-unes de ces ré- flexions. Certes, ils ne sont pas nombreux ; ils le sont assez, cepen- dant, pour que l'on ne puisse jamais opposer aux tentatives de purif cation de notre Art, des objections d'ordre utilitaire, con- trairement à l'opinion de ceux qui prétendent que l'honnêteté et la probité artistiques sont incom- patibles avec les avantages maté- riels.

Quant au style de mes écrits, je dirai une fois pour toutes aux puristes et grammairiens qui les liront, ce que disait Couperin-le-Grand, dans la Préface de son troisième livre de Pièces : « J'y parle de

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mon art, et si je m'assujettissais à imiter la sublimité du leur, peut- être parlerai s-je moins bien du mien... "

J.-JOACHIM NlN.

l^f

POUR L ART

envisager l art, .von comme ux prompt moyen d'arriver a d'Égoïstes jouissances, a une sté- rile célébrité, mais comme une force qui rapproche et unit les

HOMMES.

Franz LISZT.

l'art n'est qu'une sorte de religion.

Georges RODENBACH.

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o

N ne sait pas assez les difficultés qui entravent nos premiers pas d'artistes ; on voit trop peu les obstacles qui se dressent, au dé- but de notre carrière, dans l'ho- rizon de notre avenir ; on ne veut pas connaître les dangers qui nous menacent et les ennemis qui nous guettent sur le difficile chemin de la Gloire. L'un de ces ennemis, chaque jour plus re- doutable, car il grandit et gran- dira peut-être jusqu'à tuer notre âme, bien avant que nous soyons arrivés au but. c'est le mercanti- lisme.

Cet agent destructeur d'un Art auquel nous avons voué nos exis- tences et nos énergies est devenu dangereux surtout par la faute des faibles, de ceux qui, n'osant pas lutter sainement et pure- ment pour l'idéal, se sont ven-

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dus au public qu'ils craignent ' de toute leur lâcheté et reçoi- vent en échange une illégitime célébrité, rendue stérile par leur faiblesse même. Oubliant que leur devoir était de s'imposer au public, de l'enseigner et de le conduire par la vérité à la com- préhension de l'œuvre, aux dé- pens même de leur vanité per- sonnelle et de leur ambition, ils se sont avoués vaincus d'avan- ce par crainte de la lutte; et, dans leur égoïste pusillanimité, ils n'ont songé qu'au succès fa- cile, à la consécration anonyme et inconsciente de la foule, et à la recette, qui en est la consé- quence immédiate.

Fascinée par cet appât factice et vil qu'on appelle la virtuosité, la foule naïve et souvent igno- rante les paye, les approuve, les acclame, comble tous leurs dé- sirs, satisfait tous leurs ca- prices et ne leur accorde, en un

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POUR L ART.

mot, cette consécration, que ponr devenir ensuite leur victime leurrée mais convaincue.

Auprès de ces cabotins, dont la ruse égale la dextérité, tout pâlit, car leur auréole n'est point faite de la bonne lumière qui guide et éclaire les esprits ; c'est l'éclat criard et éblouissant du cir- que ou du music-hall, reflété à l'infini par le succès mondain. Ils sont les idoles de notre siècle ; et cependant, lisez les bons criti- ques : vous verrez ce qu'ils pen- sent de ces sinistres pantins : fréquentez les meilleurs cercles intellectuels : vous saurez quelle opinion on y professe sur tel ou tel virtuose consacré par une re- nommée en apparence immar- cessible.

J'ai nommé les deux fléaux qui rongent, en la torturant, notre vie d'artiste : le mercantilisme dont l'âpreté enlaidit tout, parce

II

POUR L ART

qu'il aboutit infailliblement à la virtuosité à outrance et quand même; la virtuosité parce qu'elle tue l'Art, en affaiblissant notre sensibilité et en faussant notre goût.

Ce qui devait être pour nous une mission est devenu, par la vir- tuosité, un moyen d'arriver, car c'est, en effet, par la virtuosité que l'on attire le plus facilement la foule ; c'est par la virtuosité que l'on est tombé dans les excès du mercantilisme que nous dé- plorons tous, et c'est encore par la virtuosité que l'on est par- venu à transformer les salles de concerts en boutiques et les ar- tistes en grotesques marchands.

C'est ainsi qu'aujourd'hui l'on nous juge par la quantité surtout : quantité de mémoire, quantité de force, quantité de vitesse, d'endurance, etc., éléments bien secondaires, pourtant, dans l'art

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POUR L ART.

de l'interprétation, mais qui y occupent actuellement la place prépondérante ; et c'est ainsi que la lutte entre l'artiste et le public devient de plus en plus pé- nible. Le public est gavé de vir- tuosité inutile; les performances l'on exécute toujours les mêmes tours de force, avec les mêmes gestes et le même appa- rat, ne l'intéressent plus que si elles sont réalisées par des sujets en vedette, c'est-à-dire par des gens qui, généralement, ont sa- crifié toute leur vie, non à ob- server et à étudier la Beauté pour la faire comprendre, mais à se faire une technique infaillible, grâce à laquelle ils ont évidem- ment plus de chances que les au- tres d'accomplir ces prodiges avec adresse et en toute sécurité.

POUR L ART

pas impossible. Il travaillerait, il cultiverait son esprit, il forme- rait son âme, et voudrait enfin faire part un jour à son prochain des saines pensées qui l'animent.

Alors, il parlerait, et il parlerait doucement, avec la sérénité que comporte le noble idéal vers lequel il aurait élevé son âme, après de graves réflexions. Il dirait de belles choses, et il les dirait avec la puissance, mais en même temps avec la sim- plicité que donnent la Foi et la Conviction. Ses idées seraient claires, parce qu'elles refléte- raient la lueur naissante et pure de l'aurore de sa vie, qu'il vou- drait belle et dégagée de la ma- tière.

Il s'écouterait, parce qu'il serait jeune et fier de sa jeunesse; mais, que verrait-il?... Qu'on ne l'écoute pas, qu'on ne l'entend plus !...

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POUR L ART

Il avait cru parler à son prochain^ et il se trouve en face d'une foule qui sourit narquoisement, avec cet air d'intelligence qui signifie presque toujours qu'elle ne com- prend pas.

Irrité, blessé dans ses croyance- et ses principes principes et croyances affermis un à un au prix des plus grands efforts d'observation intérieure et des plus volontaires renonciations il parle plus vite, plus fort : il crie, il gesticule, il s'emporte, il invective, et alors, seulement, on l'entend et on l'écoute ; alors on lui prête attention.

Découragé, écœuré surtout par ce premier contact avec la dure réalité, mais fort de sa raison, il songera bien vite à recommen- cer... Mais comment ?... Sous quelle forme exprimera-t-il ce qu'il croit, ce qu'il pense et ce qu'il sent ?...

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La lâche ambition sera pour lui dire : « Renonce à ta noble entreprise!... tu es jeune, mais faible. Tu fais fausse route ; tu n'aboutiras par qu'à la mé- diocrité, sinon à la misère. Si tu t'entêtes à parler intelli- gemment aux imbéciles, tu ne seras jamais riche!... Ici, de l'au- tre côté, la fortune t'attend. Ce sont les mêmes imbéciles, mais tu leur parleras sottement, et ils te comprendront, ils te combleront d'honneurs et de richesses. Va !... dis-leur des sottises ; ils t'écou- teront et te porteront en triom- phe, car tu leur donneras ce qu'ils réclament : la satisfaction sans l'effort. La foule est bête, mais elle t'aimera si tu ne l'obliges point à penser. «

Toutes les fois qu'une réaction fa- vorable se préparera dans l'es- prit du jeune artiste,, la même voix sera pour lui répéter les mêmes paroles démoralisantes et

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POUR L ART

les mêmes promesses corrup- trices. Alors, peut-être, il flé- chira et se décidera enfin à dire ces sottises, au lieu de prêcher la bonne doctrine, mais en même temps il en réglera le débit, il fixera le prix des inepties qu'on lui demande... Il reniera donc son passé jeune et sain, ses illu- sions légitimes, son avenir large et sans compromissions, car sa lâche faiblesse aura fermé tout à la fois sa conscience et son âme ! Et ce sera un cabotin de plus !..

Ainsi arrive- 1 -il à la plupart des jeunes gens qui ont le rare bonheur d'avoir des ambitions d'Art, mais qui, victimes de l'état d'esprit actuel, manquent de la volonté nécessaire pour tra- cer et suivre leur destinée.

De là, la virtuosité poussée jusqu'à ses limites extrêmes, car elle per-

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POUR I. ART

met de s'imposer par la ruse et la vanité, bien mieux que par la loyauté et la raison. De là, l'uni- formité des programmes actuels, car les choses absurdes sont d'au- tant plus appréciées qu'elles nous sont plus familières. De là, toutes les contrefaçons artistiques que d'habiles barnums nous offrent au nom de l'Art, dans le but, avoué ou non, de nous tromper par le faux, au lieu de nous con- vaincre par le vrai. De là, enfin, toutes les imitations, toutes les simulations, tous les trafics et toutes les forfaitures c^ue nous voyons commettre tous les jours, à toute heure, et par les mêmes individus, toujours au nom d'un Art qu'ils souillent de leur contact, d'une Beauté qu'ils ne comprennent ni ne compren- dront jamais, et d'une Vérité qu'ils ont méconnue pour eux- mêmes comme pour les autres !... Qu'importe!... On ne s'adresse plus à son prochain ; on s'adresse

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POUR L ART

à la foide. Le but devenant uni- quement mercantile, tous les procédés sont bons, et le pire sera sans doute le meilleur : la Vir- tuosité pour la Virtuosité.

Il faudrait donc réagir par tous les moyens, dans le rayon d'action il nous est permis de le faire, contre la virtitosité, considérée comme but et non comme outil, et, surtout, contre le mercantilisme.

Il faudrait nous libérer de l'état de mensonge et de convention nous sommes enchaînés par la turpitude et l'ambition des uns ; par la peur et la veulerie des autres.

Il faudrait nous affranchir de tout ce qui, de près ou de loin, peut être considéré comme une entra- ve à la Vérité, car sans elle, nulle beauté n'est possible, et tout l'Art n'est que Beauté.

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- POUR L ART

II

J AIME BEAUCOUP MIEUX CE QUI ME TOUCHE QUE CE QUI ME SURPREND.

COUPERIN LE GRAND.

AMANT ALTERNA CAMEN/€.

VIRGILE.

POUR L ART

Tl faudrait, autant que possible, ^ renouveler et élargir le réper- toire actuel, trop limité dans le domaine moderne aussi bien que dans le domaine ancien. La répé- tition constante des mêmes œu- vres, avec les mêmes gestes et dans les mêmes circonstances n'est pas favorable à la forma- tion du goût et du jugement du public; par contre, elle devient la source inévitable de perpétuelles rivalités techniques et de que- relles de détail aussi fastidieuses qu'inutiles. Sans doute, en sou- mettant au public des œuvres nouvelles ou inconnues, on s'ex- pose à le dérouter dans ses jugements sur l'interprète. Tant pis : c'est l'œuvre que l'on doit écouter et non celui qui l'exé- cute.

En entendant trop fréquemment les 2)

POUR L ART

mêmes œuvres, le public est porté à leur prêter moins d'attention et à placer l'interprète au premier plan, alors que celui-ci devrait toujours s'effacer devant l'œu- vre; ainsi s'est répandue, peu à peu, cette aberration qui consiste à ne voir, entendre et juger dans une audition, que l'exécutant, au mépris du respect au créateur et à son œuvre.

Connaître Bach. Hœndel et Mozart, par exemple, n'est pas connaître le xviiie siècle ; mais c'est sur- tout le xviiie siècle français et italien qui soufïre de l'indiffé- rence de nos virtuoses actuels.

Pour ne parier que des pianistes l'espèce la plus répandue com- bien d'entre nous connaissent à fond, et jouent les œuvres de François Couperm, dit le Grand, ou de Domenico Scarlatti, dont on s'entête à nous servir inva- riablement les trois ou quatre

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mêmes pièces truquées et défor- mées, avec de faux titres, tandis que nous avons de lui plus de trois cents Sonates ?...

Combien peuvent parler, en con- naissance de cause, de Jean-Phi- lippe Rameau, le grand Rameau, dont l'œuvre consiste exclusive- ment, pour beaucoup de gens, en une Gavotte variée, un fameux Tambourin et un certain Rappel des Oiseaux ?

Qui connait les Durante, les Dagm- court, les ]Martini, les Marcello : . . . Qui se doute que Daquin n'est pas seulement l'auteur du Cou- cou, et que Paradies écrivit des Sonates charmantes, l'on re- trou\'e toute la crânerie napoli- tame, alliée à l'élégance et à la simplicité latines ?...

Dans le xviif siècle allemand même, connaît-on les Sonates di- tes bibliques de Johann Kuhnau,

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POUR L ART

ce véritable monument que nous rencontrons, le premier, au début de ce siècle merveilleux ?

A-t-on joué souvent les Concerti et les Sonates de Karl-Philipp- Emanuel Bach, de Wilhelm-Frie- demann Bach, ou de Johann- Christian Bach ?... A-t-on vu mettre sur beaucoup de pro- grammes la belle Sonate en mi bémol, de Johann-Heinrich RoUe, et celles plus belles encore de Wilhelm Rust, ce précurseur de Beethoven que l'on veut trop ignorer ?...

Combien de fois a-t-on entendu les Sonates de Hœssler, empreintes d'une suprême élégance et d'un charme infini ?

C'est pourtant de la belle musique que je cite !... Point n'est be- soin d'être un érudit. ni un spé- cialisie (oh ! les vilains mots !), pour en comprendre la valeur 1...

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POUR L ART

Elle est à la portée de tous les esprits bien organisés pour la musique.

Et même du grand Johann-Sebas- tian Bach, dont l'œuvre colos- sale doit nous être familière, que joue-t-on habituellement ?... La Fantaisie chromatique et Fugue, piteusement revue et corrigée par les uns et les autres, le Ccii- certo italien, quelque autre Con- certo avec orchestre, plus rare- ment, mais surtout des arrange- ments et des transcriptions !... alors que tant d' œuvres origi- nales de toute beauté dorment oubliées et inconnues.

De Hœndel, joue-t-on généralement autre chose que les Variations du Forgeron harmonieux, dont le thème est précisément d'un au- tre auteur ?...

Si nous remontons au xvii^ siècle, l'on retrouve déj à Couperin-le-

POUR L ART

Grand, l'oubli est plus honteux encore, parce qu'il est plus géné- ral : Frescobaldi, Scheidt, Cham- bonnières, Kerll, Louis Couperin, Froberger, Pasquini (dont le Coucou est précisément un petit chef-d'œuvre), Johann Pachelbel, Purcell, Alessandro Scarlatti... autant de noms illustres aban- donnés jusqu'ici, par l'incurie des uns et l'ignorance des autres, à la seule curiosité des érudits, réelle- ment accablante pour beaucoup de musiciens.

En ce qui concerne le xvie siècle, qui d'entre nous a jamais eu sous la main les œuvres d'Antonio de Cabezôn, ce génial aveugle de la Cour de Philippe II, en Espagne, remises à jour, depuis quatorze ans déjà, par l'éminent maître espagnol Felipe Pedrell ?

Qui donc parle encore du Hollan- dais Sweelink, continuateur de Cabezôn ?

POUR L ART

Combien de fois avez-vous entendu les œuvres des virginalistes an- glais, comme Byrd, Bull, Gibbons et autres •>

Ce serait trop demander. A chacun de ces auteurs appartient, pour= tant, une œuvre, tout au moins, susceptible d'être jouée en pu- blic. Ne pas le faire ne revient-il pas à prétendre que dans notre public les imbéciles constituent la majorité ?...

Ce même oubli, cette même crainte de jouer une chose inconnue et d'encourir un risque ; cette même terreur à l'idée de faire un geste nouveau, de créer un précédent, se retrouve pour les auteurs mo- dernes, et combien injustement aussi !...

Les conséquences de cette manière d'agir sont trop nombreuses et trop palpables pour que j'y in- siste ici. Il ne faut cependant

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pas"oublier que nous sommes les premiers à en pâtir. Ceux qui ont connu l'insuccès n'ont jamais manqué d'en chercher l'origine dans l'ignorance du public. Cer- tes, le public est loin de savoir ce qu'il devrait, mais... à qui la faute ?... A qui revient la tâche d'initier le public, de former son goût, de le faire évoluer, de le guider dans ses inévitables hési- tations ?

Quelle est donc notre fonction so- ciale ?... Car nous en avons une, ce me semble !...

Rester indifférents aux époques passées et aux époques nouvel- les équivaut à faire preuve non seulement d'ignorance, mais encore de négligence envers notre public. Or, cela ne nous est pas permis. Solliciter du pubUc un appui et le payer d'indifférence serait du pur cynisme.

POUR L ART

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ODI PROFAXUM VULGUS...

HORACE.

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POUR L ART

IL faudrait donner aux program- mes une raison d'être, une orien- tation qui justifie leur existence, et leur développement. Le pro- gramme doit être l'expression la plus claire des intentions de l'in- terprète; son orientation, sa rai- son d'être, pourront, en tout cas, limiter bien des excès, et permettront, surtout, déjuger le degré de culture de celui qui l'a composé.

On se préoccupe beaucoup d'être personnel dans l'interprétation des œuvres, c'est-à-dire de se substituer, souvent, à l'auteur ; mais ceux-là mêmes que ce souci hante le plus fâcheusement, met- tent précisément en évidence leur profonde impersonnalité, en offrant au public des program- mes absolument dépourvus d'or- dre, d'initiative et de bon sens.

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POUR L ART.

Nous devrions considérer comme un plagiat le fait de composer un programme identique à celui d'un de nos confrères, et cependant, il n'est point de jour cela ne se fasse. Pour un programme intéressant, pensé, organisé, rai- sonné et construit logiquement, combien d'autres qui sont arle- quinesques en leur polychromie bigarrée, et absurdes en leur défaut total d'orientation ! . . . Nul souci de l'époque, du style ni de la forme!... Nulle préoccu- pation esthétique !... Nulle trace d'ordre ni de raison !... Combien un menu savoureux est plus intelligent que tous ces program- mes-là !...

Il est évident que si le progamme a été conçu avec logique, s'il part d'un principe qui en régit le déve- loppement et qui en fait une sorte d'organisme vivant, aucune addi- tion imprévue n'y sera possible, et sous aucun prétexte. On évi-

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POUR L ART

tera ainsi les « his » irrespec- tueux et le spectacle toujours pénible de l'enthousiasme dé- croissant, à chaque nouveau morceau accordé à la demande du public.

Quelques artistes consciencieux ont le soin vraiment louable de ne jouer comme « bis » que des œu- vres du dernier auteur présenté ; mais ceux-là sont rares. Généra- lement, on entend dans le chapi- tre des extra, soit des ignominies commises par le virtuose lui- même et imposées par lui, sub- repticement, soit des « laissés pour compte » des autres con- certs. Dans les deux cas, on s'ex- pose gravement au ridicule, sans justifier pour cela les épithètes si souhaitées de « prodigieux », « colossal », « génial », etc.. épi- thètes aussi disproportionnées que saugrenues, quand elles s'appliquent à un modeste inter- prète.

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POUR L ART

En réalité, il faudrait opposer tou- jours un refus formel au « bis « : d'abord, parce qu'on ne peut y obéir sans satisfaire, nécessaire- ment, les préférences de cer- tains auditeurs seulement ; et ensuite, parce que ces préféren- ces sont généralement injustes et souvent vexantes, sinon pour nous-mêmes, du moins pour les autres œuvres qui ont été jouées. Tous ceux qui ont quelque expé- rience du public le savent très bien.

Pour les artistes qui m.éritent vrai- ment ce nom, l'exécution d'une œuvre intéressante et on ne doit jouer que de celles-là exige une certaine préparation spirituelle, une sorte d'é!at d'âme dans lequel on doit chercher à concentrer toute son émotion. Recommencer, pour le caprice ir- réfléchi et puérile d'une partie des auditeurs, un effort considé- rable, est aussi peu naturel que

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POUR L ART

de répéter une phrase de notre conversation. sous prétexte qu'elle contient une idée juste ou que notre façon de la dire a plu à notre interlocuteur.

Pourquoi faire répéter une chose que l'on a parfaitement enten- due ?... Te comprends que l'on réclame avidement le « bis » pour un tour de passe-passe, pour quelque facétie d'escamo- teur, pour une plaisanterie de clown ou pour quelque merveille acrobatique; mais pour une œu- vre que l'on vient d'interpréter en y mettant toute son âme, toute l'énergie spirituelle dont notre volonté est capable aux plus beaux moments de notre vie. c'est-à-dire, tout ce qu'il y a de meilleur en nous... non !... je ne le comprends pas.

Au surplus, l'enthousiasme du pu- blic est toujours moindre à la se- conde audition, et pour cause,

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POUR L ART

car rien nes'émousse plus rapide- ment que la sensibilité auditive.

Il n'3- a qu'un cas nous devrions recommencer : c'est lorsque le public n'a pas compris. Mais alors il ne crie jamais « his ' » Si le public a compris parce que nous avons bien joué, c'est que nous avons tous deux fait notre devoir : alors, notre rôle est fini.

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POUR L ART

IV

ETIAMSI OMNES, EGO NON.

SAINT PIERRE.

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POUR L ART

L faudrait bannir sévèrement de toute audition publique, toute œuvre qui n'est pas abso- lument originale ; je veux dire par que les transcriptions, réductions, amplifications et ar- rangements devraient être con- sidérés, tout au plus, comme des sujets d'étude privés. Les œuvres qui peuvent être pré- sentées au public telles qu'elles furent conçues par leur auteur, ne devraient pas l'être autrement. C'est une déformation esthéti- tique trop fréquente encore au- jourd'hui, que celle qui consiste à arranger une œuvre ancienne au mo3-en de doublures, remplis- sages et ornements, sous pré- texte de l'embellir; ou bien, à jouer une œuvre écrite pour un instrument de caractère opposé à celui dont on se sert, croyant ainsi en augmenter la valeur, ou en fa- ciliter la vulgarisation.

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Nos aïeux l'on fait, mais nos aïeux ignoraient nombre de choses que nous ne voudrions pas igno- rer. L'acquisition des chefs-d'œu- vre, qui est aujourd'hui à la por- tée de tout le monde pour des sommes minimes, était malaisée et souvent très coûteuse, il y a cinquante ans. Mainte Fantaisie et mainte Transcription tirent de leur origine. Mais il n'en est plus ainsi à présent. Les sources sont accessibles à tous ; ce qui ré- pondait alors à un besoin n'a plus de raison d'être aujourd'hui.

De même que nous serions sévère- ment punis si nous osions retou- cher ostensiblement une œuvre de Velasquez, de Durer, de Michel- Ange, ou toute autre réalisation des conceptions artistiques hu- maines, ainsi l'on devrait pour- suivre ceux qui dénaturent ou- vertement, effrontément, les con- ceptions artistiques non moins précieuses pour nous, d'unjohann-

POUR L ART.

Sébastian Bach, d'un Haendel, d'un Rameau, d'un Karl-Phi- lipp-Emanuel Bach, d'un Schu- bert ou d'un Chopin.

L'œuvre doit être sacrée pour nous. Respectons-la, si nous voulons être respectés nous-mêmes : car il est évident que si nous jonglons avec les idées des autres, on jon- glera aussi, tôt ou tard, avec les nôtres... et nous l'aurons mérité.

Ce qui est simple doit rester sim- ple ; ce qui est petit doit rester petit ; toute violation de ce prin- cipe est un acte de vandalisme.

qc

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POUR l'art

V

Par le nom de pexsée, je comprends tout ce qui est tellement en

NOUS QUE NOUS l'APER- CEVONS IMMÉDIATEMENT PAR NOUS-MÊMES ET EN AVONS UNE CONNAISSANCE INTÉRIEURE...

DESCARTES.

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POUR L ART

L faudrait donner aux études techniques, dans le sens musi- cal du mot, et surtout aux étu- des d'analyse, autant ou plus d'importance qu'aux études ins- trumentales. Cela nous condui- rait à rechercher, dans les œu- vres que nous voulons jouer, la musicalité avant tout et toujours, le reste n'a^^ant, au fond, au- cune importance réelle ; à juger plus sûrement, avec plus de conscience, si la valeur esthé- tique de l'œuvre se trouve en rapport avec le travail matériel qu'exige son exécution ; à éli- miner de nos programmes et de notre répertoire toute œuvre dont la difficulté se trouve en évidente dispropor- tion avec l'émotion qu'elle est susceptible d'exprimer. J'ap- pellerais volontiers anormales de telles œuvres, dont le dyna- misme excessif dissimule mal

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l'absence de substance et la fai- blesse de conception.

A cette catégorie appartiennent toutes ces œuvres absurdes et hy- pertrophiées, contraires au bon sens, et dites « de virtuosité », qui constituent l'appât préféré du petit bourgeois, parce qu'elles agissent sur lui comme les boni- ments grossiers et chaotiques des charlatans, sur les naïfs et les ignorants.

Si elles sont applaudies, ces œu- vres-là, c'est parce qu'elles met- tent en jeu la périphérie ner- veuse — la sensibilité extérieure sans exiger, ni la collaboration du cerveau, ni surtout, la véri- table émotion.

Je comprends qu'on veuille quel- quefois effleurer l'âme sans la meurtrir ; mais, de à la « cha- touiller avec des plumes de paon >> , il y a une nuance !...

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POUR L ART

Et cependant, ces œuvres l'in- térêt ne trouve rien à quoi s'ac- crocher, ces œuvres, effrayantes de vacuité, encombrent notre vie de leur nombre et de leur tapage, sans mériter nullement le titre d'Œuvres d'Art, sous lequel elles se sont pourtant imposées à la foule, et sans avoir d'autre utilité que celle bien relative de cacher, sous des excès d'adresse, l'absence de pensée. Ce sont des pièges à l'aide desquels les vir- tuoses se livrent au braconnage dans les bois sacrés de la Gloire ; le gibier qu'ils rapportent s'ap- pelle argent et succès.

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POUR L ART

VI

IL FAUT TUER EN SOI LE VIRTUOSE POUR ÊTRE AR- TISTE ; ET SOUVENT, QUI A ÉTÉ VIRTUOSE NE PEUT JAMAIS CESSER DE l'ÊTRE.

André SUARÈS.

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POUR L ART

LES conditions d'évolution de notre Art rendent notre mission chaque jour moins aisée. Il fau- drait donc, par tous les moyens possibles, chercher à la simpli- fier ; nous pourrions ainsi être infiniment plus utiles à notre Art et à la cause commune.

Soyons modestes nous-mêmes, et, pendant que les grands favoris suivent, aveuglés par l'ambition, leur course insensée vers la re- cette, marchons, nous, d'un pas discret, lent, mais sûr et cons- cient, vers la clarté et la simpli- cité. L'emphase est odieuse sur- tout en Art. Jouons, peu importe en quelle tenue : en habit, en re- dingote ou en veston... comme chez nous !... Allons aux salles de concert l'humilité dans l'àme et la musique sous le bras. Met- tons celle-ci tout simplement sur

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POUR L ART

le pupitre, comme nous le faisons chez nous aussi, aux heures de bon travail, lorsque seule notre conscience nous écoute... comme le faisaient nos ancêtres, et comme le font encore quelques artistes, hélas ! trop rares, li- bres de préjugés et indifférents au « qu'en dira-t-on ».

Soyons sincères !... Jouer par cœur nous gêne souvent. A quoi bon ce nouvel effort ?... Est-ce l'ef- fort que l'on veut de nous, ou est-ce seulement l'évocation vraie et honnête de l'œuvre que l'on vient écouter ?... Peut- on considérer, en tout cas, un effort de mémoire comme une manifestation d'énergie volon- taire, ou bien faut-il n'y voir autre chose que le résultat de phéno- mènes passifs, secondaires et in- dépendants de notre volonté ?...

En outre, à quoi bon sacrifier le bon sens et la logique naturelle à une

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POUR L ART

idée purement conventionnelle d'ailleurs moderne et ins- pirée souvent par une inutile vanité ? . . .

Que sommes-nous, en effet, à côté des œuvres que nous jouons ?... Que devient notre faible effort, en comparaison de l'effort im- mense du créateur de l'œuvre elle-

Un jour, ;Mendelssohn ayant, dit- on. remarqué l'absence de sa partie de piano, au moment l'on allait commencer l'exécu- tion de son Trio en juinenr, refusa d'abord de le jouer, bien qu'il le sût entièrement par cœur, craignant, disait-il, de faire croire à une bravade ; on ne put le faire revenir sur son premier refus qu'en lui pro- mettant formellement de mettre devant ses yeux, sur le pupitre, une partition quelconque, dont on tournerait les pages à inter-

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valles réguliers, afin d'éviter que le public ne s'aperçût qu'il jouait par cœur.

Il se peut que cette anecdote soit fausse, mais en ce cas elle méri- terait d'être vraie.

Pourquoi nous exposer, si nous jouons seuls, au ridicule d'une défaillance de mémoire, ou, si nous jouons accompagnés par l'orchestre, aux conséquences pénibles de cette même défail- lance, puisque, dans un cas com- me dans l'autre, l'Art ne peut qu'y perdre ?... (i). Avant Liszt, on ne jouait pas autrement qu'avec la musique. Les orga- nistes en font généralement au- tant, sans que cela les empêche d'être très souvent des artistes, dans le sens le plus élevé du

(1) Quant à l'existence de ces défail- lances les plus grands virtuoses nous en donnent trop souvent le spectacle pour qu'il soit possible d'en douter.

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mot. Pour l'orchestre, pour la mu- sique de chambre, pour les chan- teurs de liedev, on admet la pré- sence du texte musical, et cela ne gêne aucunement l'auditeur.

On a voulu souvent comparer l'exé- cution d'une œuvre musicale à une représentation scénique, et les interprètes aux acteurs. C'est du pur arbitraire I

Dans l'œuvre théâtrale, dans le jeu scénique, il y a l'époque, le lieu et le fait à évoquer ; l'acteur re- présente un être vivant dans un cadre qui comporte des éléments de temps, de mouvement, d'ac- tion et d'espace, dont l'illusion scénique est le corollaire indis- pensable. Cette illusion scénique n'existe pas dans l'exécution musicale ; s'il y a un lieu, une époque, un sentiment ou un fait à évoquer, c'est d'une façon toute indirecte, subjective et d'ailleurs strictement conven-

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tionnelle. Au théâtre, l'effet est réel, alors que, seules, les causes restent conventionnelles.

D'autres prétendent que le seul fait de regarder le texte musical et d'en tourner les pages enlève toute poésie à l'interprétation de l'œu- vre. C'est, d'abord, admettre que la poésie d'une interprétation mu- sicale réside ailleurs que dans les rapports de sonorité et de mouve- ment, ce qui est scientifiquement inexact. Ensuite, c'est supposer que les éléments matériels indis- pensables à toute exécution musi- cale ont une valeur esthétique en rapport immédiat avec l'œuvre exécutée, ce qui est proprement absurde.

Si un simple cahier de musique peut nuire à la puissance évocatrice d'une interprétation musicale, que dire alors des lustres élec- triques qui nous aveuglent ; de la décoration écrasante et horrible

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de la plupart de nos "salles de concert ; du mouchoir avec le- quel on s'éponge après un long morceau ; de ce banal habit que nous retrouverons, en sortant, au restaurant le plus proche ; du bruit assourdissant par lequel l'auditeur moderne manifeste son assentiment ou son enthousias- me ; de l'estrade dénuée de tapis et couverte de poussière ; de nos monstrueux pianos ; de l'alignement, du numérotage des places et de l'argent qu'on a payé pour les occuper, etc., etc. ?

Autant de choses totalement in- compatibles avec l'idéal réclamé par quelques-uns !...

A les en croire, il faudrait un décor spécial pour l'exécution de cha- que œuvre !... Non !... N'allons pas si loin. Le faux apparat dont nous nous entourons souvent, nous rapproche déjà bien trop du théâtre. Restons.en !...

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Jouons donc naturellement, sans fanfaronnade, sans charlatanis- me, avec la musique devant nous, quand même nous la saurions par cœur, et nous ferons ainsi un pas de plus vers la modestie et la simplicité; car, en vérité, nous n'avons guère le droit d'être fiers, notre infériorité vis-à-vis de l'œu- vre étant trop évidente.

Peut-être les applaudissements se- ront-ils moins nourris, les rap- pels moins nombreux, les succès moins bruyants. Peut-être aussi des critiques s'élèveront-elles con- tre nous, car la routine règne parmi les faibles d'esprit !... Peu importe !... Pour nous du moins, la salle de concert doit être un temple d'où toute vanité sera sévèrement bannie. L'applaudis- sement, lui-même, est-il si néces- saire?..

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CONCLUSION

KAXXST DU NICHT GE- FALLEN- DURCH DEINE

THAT UXD DEIN KUXST- WERK.

m a c h ' e s w e n i g e n recht;vielen gefallen ist schlimm.

SCHILLER.

CULTIVONS NOTRE JAR- DIN ET NE LEVONS PLUS LA TÊTE POUR ENTENDRE CRIER LES CORNEILLES.

Gustave FLAUBERT.

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LE véritable Art le seul 'qui soit n'admet pas le men- songe; soyons donc lo^^aux. Atti- rons notre public, puisque son concours nous est indispensable, non pas avec des moyens fac- tices : virtuosité fanfaronne, ges- tes faux ou sensiblerie lar- moyante, mais par la sincérité et la valeur réelle de notre effort.

Plaçons-nous, pour communiquer avec lui, dans une atmosphèrede Foi, de Conscience et de Volonté, à travers laquelle nous pour- rons mieux prêcher la Beauté. Cherchons dans l'émotion qui se dégage de toute œuvre véritable- ment belle, le talisman qui doit nous mériter les suffrages des gens sensés.

Ne simulons pas l'émotion, si elle n'est pas en nous avec la Vie elle-même: moins encore, si l'œu-

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vre ne la contient pas : nous ne la retrouverions plus le jour nous la souhaiterions. Pensons que cette oppression inique du mensonge et de la parodie fini- rait, à la longue, par endurcir nos cœurs et par les rendre in- sensibles. Alors, notre vie, qui peut encore être très belle, aurait perdu toute sa valeur et tout son charme.

Et surtout, et toujours, et avant tout, songeons à ce que, de tous les sentiments que l'âme hu- maine peut éprouver, les plus beaux sont les plus simples : n'oublions pas, encore une fois, que tout l'Art est fait de Beauté. So3'Ons donc simples afin de le servir plus dignement.

J.-JOACHIM NIN.

Professeur honoraire de la Schola Cantorum de Paris.

Berlin-Chsrlcttenburg, XX octobre, MCMV III.

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