DID) DD?) > A ANA NUE : , NN SR ETS LE CN AE TRE Me SEY RAI VT ' ve y. « LM VUE y ALT NT F EAP LM AAENU EEE NETNN EEE LES SPP 2 LEE EMA PESTE Net on MALE V ee PA NI APR MSSUUS 64 NS NOW CR we) NY YVES dy" VNNNN ET OR VUE: EPA MN 22 MAN \ à NAN" N N: NL MISE TT SENS M YVAN VEN SE ERA RAGE AA RAR A7 SALÉE AMTENE APP MANS VS N NV VE CLEO FF YVET MR HA UC: V (VEUVE { MS TO REA ARAAA UE DR TT MAT MMM VE COUPS EEVRLES [R CEE L& Ge _e da cu Œ «€ k cc LE c LE Le le Le Lt 4 « € € < LCR C (@ ft ’ EU JYVE | LU Vy YE NIV LAS din «€ & : EU " Ÿ Ses GUY wi NY so LE sé D Ni se "1 ane év DNS ir MMM > y JUPE y MS UMP EE NM EE /\ ( V AT PAL Can MM Ne VMS EE VOL T6 œ\ e % press LME EU UOVE Û - GUL ANT vw ÿ à PALAU LL ARR AT NU PRENEN de Mg OM UE SE SEE eut ML De Lu ÿ MŸ Vi fl SC RS 4: ses ba MMM | Wu LA ÿ UV ’ vvy v à è Vi : u = Ah L AMP AE / Vo, VUE JV VV MU | /VY WE LR NC LAS * 17/0 A1 Av Pi = rio PRÉCIS ANALYTIQUE DES TRAVAUX DE L'ACADEMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN. PENDANT L'ANNÉE 1849. PRÉCIS ANALYTIQUE DES TRAVAUX L’ACADÉMIE DES SCIENCES , BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN, PENDANT L'ANNÉE 1849. ROUEN, IMPRIMERIE DE ALFRED PÉRON, RUE DE LA VICOMTÉ, 55, 1849. mr EXTRAIT des Statuts réglementaires du 50 août 1848. Article 39. — L'Académie déclare laisser à leurs auteurs toute la responsabilité des opinions et des propositions consignées dans les ouvrages lus à ses séances ou imprimés par son ordre. Cette disposition sera insérée , chaque année , dans le Précis de ses travaux. PRÉCIS ANALYTIQUE DES TRAVAUX DE L'AGADÉMIE Des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Uouen, PENDANT L'ANNÉE 1849. Li DISCOURS D'OUVERTURE De La Séance publique du 16 Aoùt 1849, Prononcé par M. HOMBERG , Président. Messieurs, Il y a cinq ans , à pareil jour, l'Académie célébrait sa fèle séculaire, et, à cette occasion, le professeur distin- gué qui la présidait (1) vous faisait l'histoire de cette longue vie, sans enfance et sans vieillesse, toujours activement, toujours utilement employée dans le triple intérêt des Sciences, des Lettres et des Arts. Depuis lors , Messieurs , de grands évènements ont agité le monde , une révolution a passé sur la France. (1) M. Magnier. ACADÉMIE DE ROUEN. 19 L'an dernier , sous le coup d'émotions encore récentes, cette enceinte, d’ailleurs , envahie par l'appareil militaire qui défendait la Cité, nous ne pûmes vous réunir , et ce fut un deuil pour l'Académie, car, si nos travaux s'ac— complissent dans le silence de la retraite , c'est pour nous un heureux jour , celui où nous venons en soumettre les résultats à l'appréciation bienveillante et éclairée de nos concitoyens. Ce jour, Messieurs, nous est rendu cette année plus précieux encore par le souvenir de ces orages que nous venons de traverser, et après lesquels il paraît si doux de se reposer dans le calme des occupations littéraires. Heureuse, Messieurs, est la république des lettres. Celle- là demeure à l'abri des émeutes, et ne craint pas les ré- volutions. Aussi ancienne que le monde, les empires s’écroulent autour d'elle, et elle fleurit sur leurs ruines. C'est, Messieurs, que, dans la république des Lettres, il existe un pouvoir dictatorial dont l'autorité n'est jamais méconnue. Ce pouvoir, c'est le goût, c'est l'opinion publique. La démocratie la plus turbulente se calme devant lui, l'aristocratie la plus orgueilleuse se courbe sous son joug. En vain, la médiocrité ambitieuse rève-t-elle des usur- pations et cherche-t-elle à s'insurger ; sous le sceptre de l'opinion , l'intrigue n'obtient que des succès éphémères, et, sans secousses , sans violence, le vrai mérite, un ins- tant méconnu, sait bientôt reprendre ses droits. Disons aussi que, dans cette république , il y a place pour tout le monde , et, que là, une position prise n’est point une position enlevée à l'ambition d'autrui. DISCOURS D'OUVERTURE. 3 L'envie cherche bien, là, comme ailleurs, à lancer son dard de reptile contre le succès qui s'élève ; mais sa rage est impuissante, etle ridicule en fait promptement justice. Aussi, avons-nous vu, à toutes les époques, des hommes éminents, fatigués des agitations de la vie politique, se réfugier dans le calme de la vieliltéraire, et y venir cher- cher des appréciations plus justes et moins passionnées que celles que l'on rencontre sur le terrain décevant des affaires publiques. Est-ce à dire, toutefois, Messieurs, que les bruits du monde politique n'aient pas leur retentissement et leur écho dans le paisible domaine du monde littéraire ? Vous auriez de nous mauvaise opinion, Messieurs , si vous nous croyiez à ce point absorbés par les spéculations théoriques de la science, ou par la délectation des œuvres purement littéraires, que nous demeurions étrangers au mouvement de la vie positive, et indifférents à la solu- tion des grands problèmes qui agitent en ce moment la société et la font trembler sur ses bases. Non, Messieurs, ce n’est pas ainsi que nous avons com- pris notre mission, et le compte qui va vous être rendu de nos travaux vous montrera que nous leur donnons principalement pour direction et pour but ce qui nous paraît pouvoir le plus efficacement contribuer à l'amélio- ration physique et morale du sort de nos concitoyens. Ne vivons-nous pas, d’ailleurs, dans un temps où la vie active , la vie publique pénètre tous les membres du corps social, et ne leur permet pas le sommeil de l'indifférence ? Sous un gouvernement où chacun a sa part de souve- raineté , où chacun est appelé à l'exercice des fonctions 4 ACADÉMIE DE ROUEN. publiques , les esprits se tendent naturellement vers les devoirs que la Société impose , et vers les problèmes dont elle fait désirer la solution. Cette situation , Messieurs , mérite d'être remarquée, car elle n'a pas d'analogie dans le passé. Autrefois le monde littéraire avait comme son domaine à part où l'on se préoccupait peu des intérêts sociaux, et où les agitations de la vie publique se fesaient peu sentir. Chacun alors vivait isolément pour soi el pour les siens. On cultivait les arts pour le seul amour des arts, les let- tres pour le seul amour des lettres. Une palme littéraire satisfaisait l'ambition et paraissait un mobile suffisant à l'activité du génie. « On parle beaucoup aujourd'hui, dit M. Guizot dans sa belle Histoire de la civilisation, de l'intérêt, du mou- vement qui, dans le cours de ce qu'on appelle vaguement le moyen-âge, animaient la vie des peuples. « Il semble que de grandes aventures, des spectacles, des récits, vinssent sans cesse émouvoir l'imagination; que la société fût mille fois plus variée, plus amusante qu'elle ne l'est parmi nous. Il en pouvait bien être ainsi pour quelques hommes placés dans les rangs supérieurs ou jetés dans des situations singulières ; mais, pour la masse de la population, la vie était au contraire prodigieusement mo- notone , insipide, ennuyeuse. Sa destinée s'écoulait à la même place ; les mêmes scènes se reproduisaient sous ses yeux ; presque point de mouvement extérieur, encore moins de mouvement d'esprit. Elle n'avait pas plus de plaisir que de bonheur, et la condition de son intelligence n'était pas plus agréable que son existence matérielle. » DISCOURS D'OUVERTURE. o Nous trouvons là, Messieurs, la raison d'une différence sur laquelle je veux appeler votre attention, entre les tra- vaux des premières sociétés qui se sont formées sous l'ins- piration de l'amour des lettres et ceux de nos Académies modernes. Permettez-moi, Messieurs, pour mettre en relief les caractères de cette différence, de vous entretenir quelques instants d’une sœur aînée de l'Académie , célèbre dans les fastes littéraires de notre province , et qui, pendant plu- sieurs siècles, a fait à elle seule tous les frais des encoura- sements décernés dans celte ville aux productions de l'esprit. Vous pressentez, Messieurs, que je veux vous parler de cette Académie des Palynods qui, déjà sans doute, vous est bien connue par les intéressantes notices qu'à publié dans le Précis de nos travaux notre érudit con- frère, M. Ballin, et par deux articles élégamment écrits et tout récemment insérés dans la Revue de Rouen par un jeune littérateur de notre ville, M. Paul Baudry. Mon intention n'est pas de vous conter après eux l'his- toire détaillée de l'Académie des Palinods. Je veux seule- ment, Messieurs, constater avec vous, comme une sim-— gularité qui doit paraître fort surprenante au milieu du mouvement immense qui, de nos jours, se fait dans les esprits, les étroites limites données au programme des travaux de cette société littéraire. Ce fut, Messieurs, en 1486, trois ans après la mort de Louis X[, que cette association qui, déjà existait depuis quatre siècles à l'état de confrérie religieuse, commença à devenir littéraire. 6 ACADÉMIE DE ROUEN. Elle avait alors pour Prince, (c'était le nom qu'elle donnait à son directeur), maistre Pierre Darré, seigneur de Chäteau-Raoul et lieutenant général du Bailli de Rouen Par ses soins, et avec la permission de l'archevêque Robert-de-Croix-Mare, de nouveaux règlements furent dressés pour la confrérie qui se trouva transformée en un véritable gymnase littéraire . et, comme ses productions consistaient principalement dans des stances dont le sens amenait la répétition du même vers à la fin de chaque strophe, on l'appela d'abord la confrérie, puis, plus tard, l'Académie des Palinods , des mots grecs : m&Aëy o7n Qui signifient chant réitéré. Tous les ans, Messieurs, le dimanche qui suivait la fête de la Conception de la Vierge, dans l’église de Saint-Jean- sur - Renelle . on dressait une sorte de tribune (un Puy, comme on disait alors), et, sur ce Puy, le prince des Pa- linods, entouré de juges assesseurs, distribuait des prix aux poètes qui lisaient les meilleurs vers C'était là, Messieurs, quelque chose de considérable dans la province. Les hommes les plus distingués par leur naissance où par leurs dignités, les Bassompierre, les d'Harcourt, les de Harley, les de Pontcarré, des lieutenants-généraux de Rouen, des conseillers et présidents du Parlement, des gouverneurs de la province, tenaient à honneur d'être élus Prince des Palinods, et, parmi les lauréats, nous trou- vons des noms chers aux lettres, Jean et Clément Marot, Jacques Lelieur, Jean Déhommets, Claude Groulard , Jacqueline Pascal, Antoine et Thomas Corneille. DISCOURS D'OUVERTURE. 7 L'afluence des spectateurs était telle qu'en 1515 (1"an- née du règne de François 1), l'église de Saint — Jean étant devenue trop petite, le Puy fut transféré dans la belle église des Carmes, laquelle s'étendait alors sur toute la place qui porte aujourd'hui ce nom. Cinq années plus tard, en 1520, une bulle du pape Léon X approuvait les statuts de l'association, et lui accor- dait de grands privilèges canoniques. Que dirons-nous enfin ? Philippe-de-Champagne fit pour elle ce magnifique ta- bleau de l'adoration des bergers, qui, aujourd’hui, décore l'abside de notre Cathédrale ; Guillaume Tasserie, Leroux- de - Bourgtheroulde, Marin - Le-Pigny, Ch. Delaroque, Alph.de Bretteville, Hallé d’Argeville, le seigneur de Ben- netot, Louis de Crosne, l'enrichirent successivement de leurs bienfaits. Assurément , Messieurs, un si grand éclat et de pareils honneurs ne sont pas réservés à la Compagnie qui vous occupe aujourd'hui de ses travaux. Eh ! bien, l'académie des Palinods s'occupait de célé- brer l'immaculée Conception de la Vierge, et ne s'occu- pait pas d'autre chose. C'était la le but unique, le pro- gramme constant, le sujet toujours invariablement le même de ses productions littéraires. Chaque année, les œuvres des poètes couronnés sur le puy des Palinods, étaient imprimées ou soigneusement écrites à la main par les soins de la Société. Nous avons eu sous les yeux le recueil de ces œuvres, depuis l'année 1525 jusqu'en 1789, et, en vérité , nous 8 ACADÉMIE DE ROUEN. ne savions ce dont nous devions nous étonner davantage, ou de la fécondité des auteurs, eu égard , du moins , au grand nombre de leurs vers, ou de la stérilité du champ ouvert à l'activité de leur esprit. Pour des hommes profondément religieux comme l'é- taient nos ancêtres, c'était assurément, Messieurs, un beau sujet à traiter que la Conception immaculée de la mère du Seigneur ; mais quand on considère qu'il fallait chaque année produire, sur ce sujet-là : 1° Un chant royal de cinq couplets, dont chaque cou- plet devait avoir 11 vers de 10 à 12 syllabes ; 2° Une ballade de trois couplets, non compris lallu- sion ; 3° Des stances de six quatrains, en vers de 12 à 13 syl- labes ; 4° Un sonnet en vers de la même longueur ; 5° Une ode de six couplets, dont chaque couplet de 9 vers’, 6° Une ode latine de 12 strophes; 7° Une épigramme latine de 30 vers héroïques ; 8° Et, enfin, un discours latin d'environ un quart d'heure de lecture, On se demande quelle était la veine poétique qui pou- vait satisfaire à de pareilles exigences ? I parait, toutefois, que les concurrents ne fesaient pas défaut. En tête du recueil imprimé de l'année 1710, nous lisons ce singulier avertissement : DISCOURS D'OUVERTURE. 9 « On ne recevra aucune pièce pour être lue sur le Puy, qui ne soit sur le sujet de la Conception, et on ne répon- dra point aux injures verbales, ou par écrit, de ceux qui auront manqué les prix. C’est bien assez qu'on ait eu la fatigue de lire leurs mauvais vers. » Oh ! sans doute elle devait être grande. cette fatigue, si nous en jugeons par la lecture de ceux-là même qui ont été trouvés dignes des palmes palinodiques. La Vierge, soustraite au moment de sa Conception à la souillure du péché originel , est représentée par nos poètes lauréats sous une infinité d’allégories toutes plus bizarres les unes que les autres. Tantôt c'est : Le laurier verd tout bean par excellence, Le luth rendant souveraine harmonie, Ou bien : L'oiseau tout pur, qui dans la nuit éclaire, Le poisson enflammé dans l'onde, Ou bien encore : Hercule seul victorieux d’Anthie, Orphée exempt du charme des Sirènes , Pour d’autres, c’est : L’unique fleur que l'insecte n'offense, Le seul métal que l'arsenie n'outrage..... Enfin, un poête, amoureux du blason, termine ainsi, en 1647, un chant royal qui a emporté la palme : Sur cet eseu que je prends pour défense, Le genre humain rougit de son offense ; 10 ACADÉMIE DE FE OUEN. La Vierge seule, avec tant de candeur, Par son argent nous est représentée, Que je l'appelle, honorant sa grandeur, En champ de gueule une face argentée. Il ne faudrait pas, Messieurs, que la singularité de ces images vous fit concevoir mauvaise opinion de l’Académie des Palinods. Vous rencontreriez bien d’autres pauvretés si vous ouvriez les recueils des Puys d'Amour de Cambray, d'Arras, de Lille, de Valenciennes, ete , contemporains du Puy des Palinods, et même ceux des célèbres jeux floraux de Toulouse, ou bien encore si vous parcouriez ces innombrables romans de chevalerie, auxquels a donné lieu l'histoire apocryphe du roi Arthus et de ses chevaliers de la Table Ronde. Les troubadours qui chantaient leurs belles , les trou- vères et les jongleurs qui célébraient les grands coups de lance des barons qui les protégeaient , n'étaient certes pas mieux inspirés que nos pieux ancêtres célébrant la gloire immortelle de la Reine des Cieux. Vers le milieu du xvu siècle, sous l'influence du grand mouvement qui se faisait alors dans les esprits, le cercle des travaux littéraires de l'Académie des Palinods s'élargit un peu. Une allusion , une dédicace, un hommage offert à la patronne de l'Académie, fut d'abord jugé suffisant pour remplir les conditions du programme. Ainsi, nous trouvons, dans le recueil de l'année 1770, un poème remarquable sur les phares de la Hève, dont l'auteur s'est contenté de prendre pour épigraphe : Ave Maris stella Plus tard, le cercle s'élargit encore, et, en 1778, un DISCOURS D'OUVERTURE. 1 prix fut proposé pour un mémoire dans lequel on établi- rait quels sont les moyens les plus conformes à la religion, à l'humanité et à la politique pour faire cesser la mendi- cité dans la province de Normandie. Le choix d'un pareil sujet, essieurs, révèle toute une révolution déjà faite dans les esprits,et qui devait bientôt en amener une dans la constitution politique du royaume Aujourd'hui, Messieurs, que cette révolution est ac- complie, la préoccupation du bien-être général est dans tous les esprits ; car si, d'abord, les mœurs font les insti- tutions . les institutions font ensuite les mœurs. L'homme du moyen-âge, courbé sous la domination d'un pouvoir absolu, étranger au mouvement des affaires publiques, vivait naturellement reployé sur lui-même et absorbé par la préoccupation de ses intérêts individuels. Quand il chantait, il chantait ses amours ou bien il cé- lébrait les hauts faits du Seigneur qui le protégeait; ou bien encore, élevant plus haut ses pensées, il cherchait dans sa foi religieuse des inspirations poétiques Mais aujourd'hui. les individualités s'effacent devant des intérêts collectifs. Le poète de nos jours est tout d'abord citoyen. Nos trouvères et nos troubadours font le service protecteur de la cité, s'occupent des élections et écrivent pour les comi- ces. Il s'en suit que la littérature n'est plus comme autre- fois un simple délassement pour l'esprit, une jouissance pour le cœur. Elle est devenue un moyen d'influence et d'action. 12 ACADÉMIE DE ROUEN. Elle fait de la propagande et cherche l’utie avant l'agréa- ble. La mission des poètes n’est plus seulement de charmer, mais aussi et surtout d'instruire et de convaincre. La science, de son côté, dédaigne les travaux stériles pour s'occuper des intérêts positifs de l'humanité. La chimie est devenue agricole , la physique s’est faite in- dustrielle, et la philosophie a pris le nom d'économie sociale. Cette tendance, Messieurs, fâcheuse peut-être , mais inévitable conséquence du progrès des idées nouvelles, a porté une altération profonde dans la constitution et dans le principe de toutes les sociétés instiluées, comme l’Académie de Rouen , pour la propagation des Sciences, des Lettres et des Arts. Cette altération irait même jusqu'à compromettre leur existence , si elles voulaient demeurer obstinément atta- chées aux traditions de leur passé. Les sympathies du public déserteraient bientôt un gym- nase poétique , qui, comme l’Académie des Palinods dont nous vous entretenions tout à l'heure, ne s'occuperait qu'à scander des vers, et à couronner des stances, des odes et des ballades ; mais un bel avenir est encore réservé à nos Académies si elles savent comprendre les besoins de leur époque. Dans un temps où le désir du progrès agite tous les esprits, où la société est en travail, où les améliorations sociales sont cherchées dans toutes les voies de l'intelli- sence humaine , où toutes les idées nouvelles se produisent avec hardiesse et sont accueillies avec avidité, chacun DISCOURS D'OUVERTURE. 13 ne sent-il pas l'utilité de nombreux centres intellectuels , mürissant, dans le silence de l'étude, dans le calme de la retraite , toutes ces idées, tous ces plans, tous ces projels, qui naissent en foule dans le tourbillon des affaires, au choc répété des intérêts et des passions. Telle doit être désormais , Messieurs, la mission des Académies, telle la direction à donner à leurs travaux. Il faut que , semblables au miroir ardent qui concentre les rayons du soleil, elles deviennent le foyer de toutes les lumières répandues dans la société ; qu’elles les atti- rent à elles pour les renvoyer ensuite plus pures , plus vives , plus fécondes, éclairer , échauffer , vivifier toutes les parties du corps social. Rapport SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÈMIE Dans la Classe des Sciences, PENDANT L'ANNÉE 1848-1849, PAR M. J. GIRARDIN, Secrétaire de la Classe des Sciences Messieurs, L'année dernière, à pareille époque, les esprits étaient trop vivement préoccupés des graves événements qui ont modifié si profondément notre constitution politique, pour que l’Académie songet à entretenir le public de ses pai- sibles travaux. Pour la seconde fois, depuis vingt ans, elle manqua à ses habitudes séculaires , attendant avec impa- tience que le rétablissement de l'ordre matériel lui permit de concourir, dans la sphère de ses attributions, au réta- blissement de l'ordre moral , à l’aide de la science, de la philosophie, de la littérature, qui pacifient en éclairant. Grâce à Dieu, le calme est revenu; et maintenant que la société française n’a plus qu'à se raffermir, nous pou- CLASSE DES SCIENCES. 15 vons reprendre nos discussions scientifiques, et vous dire ce que l'Académie a fait, depuis un an, pour seconder cette double tendance de notre époque : la solution des plus hautes questions spéculatives , l'application des vérités acquises au bien-être des individus. Avant tout, laissez-moi payer, Messieurs, un juste tri- but de regrets à la mémoire des col ègues que nous avons perdus. Depuis quelque temps, la mort a largement mois- sonné dans nos rangs, mais jamais son contingent n'avait été ni si fort ni si regrettable qu'en 1849. Pour la seule classe des sciences, cinq correspondants, et un membre rési- dant nous ont été enlevés. Les premiers sont : M. Morin, ancien ingénieur des ponts et chaussées ; M. Jourdan, si connu par de nom- breuses traductions d'ouvrages médicaux ; M. Loiseleur- Deslongchamps, qui rédigea, avec notre modeste et sa- vant Marquis, la partie botanique du Dictionnaire des Sciences médicales ; le jeune professeur Philippar, qui a doté la pratique agricole d'une infinité d'excellents écrits ; enfin M. de Moléon, que recommandent divers ouvrages de statistique et d'économie industrielle. Je raconterai plus tard les titres de ces hommes à l'estime publique (a) *. Une intimité plus grande , une communauté journalière de travaux rendent encore plus vive pour l'Académie la perte de son doyen, le docteur Blanche, qu'une doulou- reuse catastrophe a prématurément enlevé aux malades pauvres , qui l'aimaient comme un père; aux élèves de nos écoles , qui l’honoraient comme un maître savant et dé- voué; aux grands corps de la cité, qui l'estimaient pour l'ampleur et la générosité de ses vues; à ses nombreux amis, qui le chérissaient pour l'amabilité de son esprit, les belles qualités de son cœur. On peut dire à la louange * Voir les notes à la fin du rapport. SCIENCES MATHÉMA- TIQUES. Thèses d'astronomie et de mécanique, de M. Girault. 16 ACADÉMIE DE ROUEN. de notre respectable confrère, qu'il a pris une part active à toutes les mesures utiles, conçues et réalisées, depuis un tiers de siècle, en faveur de l'humanité, de la science, de la littérature et des arts. Sa parole élégante et facile, son érudition variée, ses connaissances étendues en botanique, son expérience consommée en médecine, donnaient à ses communications académiques un haut degré d'intérêt, un attrait toujours nouveau. Le temps qui m'est réservé dans cette séance ne me permet pas d'insister sur les droits qu'avait M. Blanche à nos sympathies, je dirai mieux, à notre affection. L'amitié, plus encore que le devoir, me guidera dans la rédaction d'une notice biographique que je m'efforcerai de rendre digne et de celui qui en fera l’ob- jet, et du corps au nom duquel j'écrirai (b). Après avoir satisfait à ce besoin du cœur envers des hommes dont la valeur personnelle et les ouvrages ont honoré l'Académie, voyons ce qu'ont produit ceux qui doivent continuer ses glorieuses traditions. La Compagnie a fait, cette année , plusieurs excursions dans le domaine des sciences mathématiques. Avec M Girault, elle a examiné quelques-uns de ces imposants phénomènes qui se passent dans l'immensité du ciel. et dont le génie de l'homme a su découvrir les lois, malgré les difficultés de l'observation et l'imperfection des appareils destinés à suppléer à la faiblesse de ses sens. « L’astronomie , ainsi que l’a si bien dit l’élégant écri- vain du bureau des Longitudes , est la science dont l'esprit humain peut le plus justement se glorifier. Cette préémi- nence incontestée, elle la doit à l'élévation de son but, à la grandeur de ses moyens d'investigation, à la certitude, à l'utilité, à la magnificence inouïe de ses résultats (1). » (1) Notice sur les pricipales découvertes astronomiques de Laplace, par M. Arago. (Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1844.) CLASSE DES SCIENCES. 17 M. Girault s'est principalement occupé des variations des éléments des orbites des planètes, et des mouvements relatifs du soleil, de la terre et de la lune. Ces grandes questions que notre immortel Laplace à traitées d’une manière générale dans sa Mécanique céleste, méritaient d'être étudiées dans tous leurs détails, approfondies dans toutes leurs conséquences. C'est là ce qu'a entrepris M. Girault avec autant de courage que de succès. Grâce à la facilité avec laquelle il manie le calcul, ce précieux instru- ment de l'astronomie moderne, incontestable dans ses principes, infaillible dans ses résultats, notre nouveau con- frère a su découvrir les valeurs approchées des variations dans les mouvements des planètes, la nature et la durée des approximations, si bien qu'il lui a été permis d'établir ce théorème que : la stabilité de notre système planétaire est assurée pour plusieurs milliers d'années. Bien plus, en partant des équations différentielles qui donnent le mou- vement du centre de gravité de la lune et de la terre autour du soleil, ainsi que celui de la lune autour de ce centre de gravité, 1l a pu encore constater que la troisième approxi- mation fournit une expression non périodique et assez simple, au moyen de laquelle on détermine les termes de l'ordre le moins élevé parmi les variations du grand axe lunaire, qui sont indépendantes des moyens mouvements. Ces données du calcul infinitésimal ne sont pas, comme on pourrait le croire au premier abord, de pures abstrac- tions scientifiques ; elles ont un but réel d'utilité, car elles conduiront évidemment à rectifier les tables dont l’art nautique tire un si admirable parti. Laplace, en perfection- nant les tables actuelles de la lune, mérite d’être rangé parmi les bienfaiteurs de l'humanité. Avoir introduit dans la science, ainsi que l'a fait M. Girault, de nouveaux moyens de correction pour ces tables, qui donnent aux marins la certitude de ne plus s'égarer dans les vastes so- 2 D:omographe planétaire, par MM. Lévy et Lewandowski. Observations météoro- logiques, par M. Preisser. is ACADÉMIE DE ROUEN. litudes de l'Océan, c'est avoir conquis un titre réel à l'es- time des savants , à la reconnaissance des navigateurs. Nous devons à MM. Lévy et Lewandowski un Dromo- graphe planétaire, c'est-à-dire un tableau synoptique du cours des divers corps célestes de notre système planétaire pour l’année 18/9. Une ingénieuse disposition de lignes et de teintes permet de suivre chaque jour, sur ce tableau, le cours du soleil et des planètes, depuis leur lever jusqu'à leur coucher. Des lignes verticales indiquent les jours de l'année; des lignes horizontales, les heures et les minutes ; le jour est représenté par la partie blanche , le crépuscule par une demi-teinte, et enfin la nuit par une teinte foncée. Chaque mois est traversé verticalement par deux courbes indiquant le lever et le coucher de la lune. — Le cours des autres astres est figuré, depuis leur lever jusqu'à leur cou- cher, par diverses courbes traversant le tableau dans le sens horizontal, et enfin une courbe coloriée donne l'é- quation du temps. Quelques explications sur les phénomènes célestes et les principaux articles du calendrier accompagnent ce tableau. L'idée de ce dromographe planétaire n'est pas neuve, puisque l'un des Membres de l'Académie a entre les mains un tableau presque semblable, fait à la main, pour 1787; néanmoins, c'est une heureuse pensée, dont il faut savoir gré à MM. Lévy et Lewandowski, que d’avoir essayé de vulgariser, avec autant de simplicité que de perfection, une série de connaissances qui manquent à la généralité des gens du monde. L'histoire naturelle de l'atmosphère est l'objet des études de M. Preisser. Nous avons eu connaissance de ses obser- vations météorologiques pendant l'année 1848-1849. Elles seront insérées en entier dans le Précis de l'Académie. CLASSE DES SCIENCES. 19 Si de la mécanique céleste nous passons à la mécanique industrielle , j'aurai à vous parler des louables tentatives de M. de Cologne, de Canteleu, pour améliorer la construc- tion des pompes à incendie, dont l'emploi, de plus en plus général, rend journellement d’inappréciables services. Dans plusieurs notices soumises à l'Académie, ce savant amateur, qui a très habilement perfectionné le bélier hy- draulique au moyen duquel la ville de Conches est ali- mentée d'eaux pures et salubres, avait signalé comme un des vices principaux, dans le jeu des pompes, l'abaissement tardif de la soupape dormante qui est à la base du corps de pompe , à l'instant où le piston est au point le plus haut de sa course et commence à opérer son mouvement des- cendant. Ce retard aurait pour effet de permettre à l’eau que refoule le piston de rentrer en partie dans le réservoir. Une portion de la force développée serait donc perdue pour l'effet, car l'eau qui s'échappe ainsi devrait diminuer d'autant le débit de la pompe. Pour remédier à cette défectuosité qu'il supposait , M. de Cologne substituait à l’écrou simple, dont l'axe des sou- papes est armé , un disque découpé à jour, présentant la forme d’une roue à quatre bras. Ce disque était placé au- dessous de la grille, et la soupape devait l'entraîner dans son mouvement ascensionnel. Dans ce cas, ce disque devait opérer la fermeture complète de l’orifice inférieur du corps de pompe, au moment où l'aspiration cesse, et, par suite, l’eau qui tend à fuir par l'orifice était arrêtée par cet ob- stacle ; l'effort exercé par elle contre lui devait même contribuer à abaisser la soupape avec plus de rapidité qu'elle ne l'eût fait dans les circonstances ordinaires. La commission, chargée par l'Académie d'examiner les modifications proposées par M. de Cologne, était loin d'adopter a priori les idées de ce mécanicien. Néanmoins, elle crut devoir recourir à l'expérimentation directe, et, Modifications proposées par M. de Cologne dans les pompes à incendie. SCIENCES PHYSIQUES. Chaleur latente de fusion des corps solides, par M. Person. 20 ACADÉMIE DE ROUEN. grâce à la complaisance du maire de Rouen, qui mit à sa disposition une pompe à deux corps et à jet continu; grâce encore aux bons oflices de M. Besongnet, capitaine de la compagnie des pompiers , la commission a pu exé- cuter une série d'expériences comparatives qui ont démon- tré, d'une manière évidente, que le disque de M. de Cologne n'influe aucunement sur le débit de la pompe, pas plus que sur la portée du jet. Ces expériences ont encore prouvé que les pompes de la ville, à en juger par celle qui avait été confiée à la commission , sont parfaitement construites et ne réclament pas de grands perfectionnements, puisque la différence entre la dépense théorique et la dépense effective n’est que d’un seizième environ de la dépense totale. L'année dernière , notre confrère M Person avait soumis au jugement de l'Académie, la première partie d'un im portant travail sur la chaleur latente de fusion des corps solides. Je rappellerai ici les deux lois remarquables dé- couvertes par le savant physicien de Besançon : « 4° La chaleur latente d'une substance, qu'on avait considérée jusqu'ici comme invariable , varie cependant avec la température à laquelle s'effectue le changement d'état. « 2 On peut obtenir la chaleur latente d’un corps sans avoir recours à une détermination directe; il suffit de multiplier la différence des deux chaleurs spécifiques de ce corps, par un nombre d'autant d'unités qu'il y a de degrés depuis — 160° jusqu’au point de fusion du corps en ques- uon. » Dans la deuxième partie du mémoire que l’auteur nous a envoyée cette année, et que M. Boutan a su très habi- lement analyser, M. Person explique les deux lois précé- dentes , en admettant qu'à — 1609, les corps ne possèdent CLASSE DES SCIENCES. 21 plus de chaleur, de telle sorte que, d’après lui, la tempé- rature atteindrait son minimum à — 160°, et les diverses substances, à partir de ce point, ne seraient plus soumises qu'à l’action d’une seule force , l'attraction moléculaire. Cette conclusion nouvelle sera-t-elle admise sans con- teste par les physiciens? Nous en doutons , Car plusieurs objections se présentent immédiatement à Ia pensée, et M. Boutan considère la théorie de M. Person comme établie sur des hypothèses un peu hasardées. Mais, à côté de ces idées spéculatives controversables, M. Person nous à fait connaître des résultats certains d’ex- périences qui résolvent , d’une manière satisfaisante, plu sieurs problèmes, jusqu'ici bien obscurs, de physique et de chimie. Les voici réduits aux termes les plus simples : L Les métaux fondus sont des liquides très-imparfaits, car la chaleur spécifique à l'état solide diffère à peine de celle qui convient à ces alliages devenus liquides, et ce- pendant la variation dans les valeurs de la chaleur latente suit pour eux la même loi que pour les liquides véritables (l'eau, le soufre fondu, etc.) — De Jà, l'explication ration- nelle des nombres toujours assez faibles qui expriment la chaleur latente des alliages. IL La chaleur spécifique d'un alliage est sensiblement la même que celle d'un simple mélange fait dans les pro- portions de Palliage. M. Regnault avait déjà établi cette loi pour les températures inférieures à + 50°. M. Person l'a étendue aux alliages en pleine fusion. IT. Au moment où certains alliages se forment, il y a production spontanée de chaleur, et celle-ci n’est pas, comme on le croirait au premier abord, de la chaleur créée par l’action chimique : c'est de la chaleur qui se trouve en excès pour la constitution de l’alliage. M. Person l'a prouvé d'une manière très ingénieuse et tout à fait incontestable. 99 ACADÉMIE DE ROUEN. ni si IV. Après qu'un alliage s'est complètement solidifié, si on l'abandonne au refroidissement ordinaire, il arrive un moment où sa température s'éleve brusquement d’une manière spontanée ; c'est alors qu'il s'opère une décom- position véritable, qu’il se produit un changement molécu- laire nouveau; l’alliage était une combinaison, il est devenu un simple mélange. Ainsi, à cette question, depuis si longtemps débattue : Les alliages sont-ils des combinaisons ou des mélanges? la réponse devient facile. Oui, il peut y avoir combinaison pendant la fusion et dans le voisinage de la fusion; mais, à la température ambiante , la combi- naison est détruite ; le mélange l’a remplacée. V. Il n'existe pas d’alliage binaire stable qui soit mono- atomique. Il faudrait, pour que cela fût, unir deux métaux ayant le même point de fusion, et on n’en connaît pas. VI. Les chaleurs latentes de fusion des corps sont pro- portionnelles, non pas au coëfficient d’élasticité de ces corps, mais à une certaine fonction de ce coëflicient re- présentant le travail nécessaire pour détruire la cohésion des molécules renfermées dans l'unité de poids : si bien qu'aujourd'hui on peut obtenir la chaleur latente d’une substance , en la faisant vibrer avec un archet et en intro- duisant dans une formule très simple le son musical qu'elle à fait entendre. VIT. Cette loi est encore vraie pour les alliages; on pourrait même prévoir quelle serait la note musicale que rendrait une tige de mercure solidifiée, de dimensions connues, s'il était possible de la faire vibrer comme un diapason. Les résultats précédents sont si curieux, et, pour la plu- part, si inattendus, que je n'ai pu résister au désir de vous les signaler. CLASSE DES SCIENCES. 23 M. Isidore Pierre, professeur de chimie à la Faculté des sciences de Caen, nous a fait juges de ses nombreuses Re- cherches sur les propriétés physiques des liquides, et en particulier sur leur dilatation : ces recherches ont une connexion intime avec la physique moléculaire, cette branche si intéressante de la science, dont M. Dumas a posé les premiers principes, il y a une vingtaine d'années, et qui, dans ces derniers temps, a préoccupé si fort les savants de l'Allemagne, surtout MM. Kopp et Schræder. M. Pierre voulait principalement découvrir un liquide qui permît de construire, pour les basses températures, un thermomètre vraiment comparable et d’un usage plus commode que le thermomètre à air. Les thermomètres à alcool, même ceux qui sortent des mains des meilleurs praticiens, cessent de donner des indications exactes vers — 30°. Le chimiste de Caen a reconnu que les moins dé- fectueux seraient les thermomètres construits avec léther ordinaire , l’éther chlorhydrique et l’éther bromhydrique de l'esprit de bois. Chemin faisant, il a recueilli plusieurs faits nouveaux d'un haut intérêt, que j'exposerai iei de la manière la plus brève possible ; ainsi, il a constaté : 1° Que l’eau est le seul liquide qui présente un maxi- mum de densité, contrairement à l'opinion de plusieurs physiciens , et notamment de Muncke ; 2° Que les liquides isomères, identiques au point de vue de la nature et de la proportion de leurs éléments constituants, différent essentiellement par leur dilatabi- lité ; 3° Que les composés homologues de l'esprit de vin, de l'esprit de bois, et probablement aussi de l'huile volatile de pommes de terre, suivent la même loi de contraction ; 4° Que la même loi ne se maintient plus pour les com- posés liquides produits par la combinaison d'un élément Propriétés physiques des liquides , leur dilatation, par M. Isidore Pierre. Propriétés physiques des huiles, par MM. Boutan et Preisser. CHIMIE, 2% ACADÉMIE DE ROUEN. simple commun avee des corps simples ou des radicaux isomorphes. Les travaux de M. Pierre se font remarquer par la netteté et la rigueur des expériences, par la précaution extrême qu'il prend pour éliminer les moindres causes d'erreur ou pour en Lenir compte dans ses calculs. C'est, pour tout dire, en un mot, un physicien de l’école de M. Regnault. L'Académie ne pouvait mieux faire que de s’adjoindre l'habile professeur de Caen. Les nombreuses et journalières falsifications dont les huiles commerciales sont l’objet, la difficulté et parfois Fincertitude des procédés chimiques pour les constater, ont engagé MM. Boutan et Preisser à rechercher dans les phénomènes de dilatation et de réfraction que ces liquides présentent, de nouveaux caractères différentiels plus sûrs et plus commodes à vérifier. Ils sont arrivés en partie au but qu'ils voulaient atteindre, au moins pour ies huiles de colza et de morue , dont les coéflicients de dilatation sont assez distincts pour qu'il y ait possibilité de reconnaître l'addition de la dernière aux huiles à brüler. On peut en- core, en consultant les différences qu'elles offrent dans leurs indices de réfraction , distinguer les unes des autres les huiles d'olive, d’arachide, de colza et de morue ; mais il n'est pas aussi facile de déterminer nettement leur mélange, quand il a été pratiqué dans des proportions restreintes. Nos confrères ne sont, au reste, qu’au début de leurs recherches, et il faut espérer qu'une étude plus approfondie des diverses propriétés physiques des huiles leur fera dé- couvrir de nouveaux moyens d'essai dont l'industrie et le commerce ne manqueront pas de profiter. En chimie, les communications faites à l Académie n'ont CLASSE DES SCIENCES. 29 pas été moins importantes et moins variées que pour les sciences précédentes. Voici celles que nous devons à M. Pierre , de Caen : 1° Dans l'union de l’eau et de l'acide sulfureux , une difficulté se présente : Y a-t-il simple mélange où combi- naison chimique à proportions bien définies? La question est résolue par M. Pierre d'une manière très nette : il montre que ces deux corps donnent naissance à un hydrate cristallisé contenant 28 p. °,, d'acide ; seulement l’action chimique que les deux corps exercent lun sur l'autre n'a lieu que dans les limites de température entre lesquelles l'hydrate peut exister. 2° L'équivalent du titane est, non pas 303,686 comme l'avait dit H. Rose, mais 314,690. L'erreur probable du chimiste prussien provient de l'emploi du chlorure de titane que l’eau décompose. 3° Les chimistes ne sont pas encore tombés d'accord sur la formule qu'il convient d'attribuer à l'acide silicique. M. Pierre a entrepris une série d'expériences qui l'enga- gent à donner la préférence à la formule proposée depuis longtemps par Berzélius et Thénard. &° M. Pierre a complété la série des dérivés chlorés de la liqueur des Hollandais par la découverte d’un nouveau composé qu'on peut désigner sous le nom de liqueur des Hollandais trichlorurée, qui jouit de propriétés analogues à celles de ses congénères. MM. Chevalier et Gobley nous ont fait part de leurs in- téressantes recherches sur la présence de l'arsenic dans les eaux minérales et dans les dépôts qu'elles fournissent. Ven ai parlé par anticipation dans le compte-rendu de l'année dernière. Mémoires de M. Pierre. Arsenic dans les caux minérales, par MM. Chevallier et Gobley. Fer dans les eaux de rivières, par M. Marchand. Inflammation des plantes qui ont bouilli dans l'huile, par le même. Analyse d'un pain avarié , par le même. 26 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Marchand, de Fécamp, nous a envoyé de bonnes observations sur la présence du fer dans les eaux de ri- vières. L'analyse des eaux de Valmont et de Ganzeville, qui se jettent dans la mer, à Fécamp, a démontré à notre confrère qu'il se trouve dans ces rivières une quantité sen- sible de fer à l’état salin, 10 à 12 milligrammes par litre. Ceci n’a rien d'étonnant, puisque ces deux rivières pren- nent leur source dans la Marne crayeuse qui contient une petite quantité d'un composé ferreux, soluble dans les aci- des faibles et même dans l'acide carbonique. On devra donc toujours, dorénavant , rechercher le fer parmi les principes constituants des eaux terrestres. Les procédés indiqués par M. Marchand permettent de décou- vrir un demi-millionième des composés de ce métal. On emploie en frictions, contre les douleurs rhumatis- males, de l'huile d'olive qu’on a fait bouillir sur plusieurs plantes aromatiques et narcotiques. C’est à ce médicament qu'on donne le nom fort impropre de baume Tranquille. Il arrive souvent qu'après l'expression de l'huile, les plan- tes, abandonnées en tas, prennent subitement feu On a diversement expliqué ce phénomène. M. Marchand s'en est occupé à son tour, et il en trouve la cause dans l’état de porosité du tissu végétal et dans l'absorption rapide de l'air, ce qui détermine une élévation de température sufli- sante pour provoquer l'inflammation de l'huile quiimprègne encore le résidu ligneux. Cette explication est rationnelle et d'accord avec ces combustions spontanées qui éclatent si fréquemment dans les magasins d'huile, dans les ateliers des lampistes, et surtout dans les filatures où l’on accu- mule imprudemment des déchets de coton imbibés d'huile. M. Marchand nous a encore communiqué la série des expériences au moyen desquelles il a constaté qu'un pain, mis en vente à Fécamp, avait été confectionné avec des CLASSE DES SCIENCES. 27 farines de blé avariées et de la farine de seigle. On interdit avec raison l'usage d’un aussi mauvais aliment. Le rapport de M. Marchand aux autorités est fort bien fait, et annonce un homme habitué aux procédés délicats de l'analyse des matières organiques complexes. M. Gobley, dans ses recherches chimiques sur le jaune d'œuf, a également fourni la preuve d’une rare habileté. La connaissance exacte des éléments qui entrent dans la com- position du jaune de l'œuf des oiseaux, présente un grand in- térêt au point de vue du développement physiologique. Les travaux antérieurs n'avaient que très imparfaitement éclairé ce point de la science. Les patients et nombreux essais de M. Gobley, qui lui ont fait découvrir et isoler une vingtaine de principes différents. et constater surtout sous quelle forme existe le phosphore qui se trouve si abondamment dans le jaune d'œuf, ont comblé cette lacune d’une manière très heureuse. L'Académie, en accordant son approbation au beau tra- vail de M. Gobley, a émis le vœu que ce chimiste le com- plétât par l'étude des modifications qu'éprouvent, sous l'in- fluence de la vie, et pour toutes les phases de lincubation, les divers principes immédiats qu'il a découverts dans l'œuf. Les animaux domestiques offrent fréquemment dans la vésicule , dans les reins, et notamment dans les intestirs , des caleuls ou concrétions d'apparence pierreuse. L'ana- lyse de ces productions anormales est utile , car en faisant connaître leur composition chimique, elle procure les moyens de découvrir les causes de leur formation, ce qui peut conduire à la prévenir. C'est à ce point de vue que M. Girardin s’est livré à l'examen de calculs trouvés dans la vessie d'un bœuf. Bien différents des calculs humains , ceux-ci renfermaient moitié de leur poids de carbonate de chaux ; l'autre moitié consistait en phosphate de chaux, recherches sur le jaune d'œuf, par M. Gobley. Analyse de calculs trouves chez un bœuf, par M. Girardin. Analyses comparatives de plusieurs espèces de courges, par le même. BOTANIQUE. 28 ACADÉMIE DE ROUEN. matière organique azotée, carbonate de magnésie avec des traces de sel marin et d'une matière colorante rose parti- culière. L'étude chimique des végétaux alimentaires mérite plus que jamais de fixer l’attention des hommes de science et des économistes , en présence de la diminution progres- sive dans la récolte de la pomme de terre, qu'unfléau, in- connu dans ses causes, menace d'anéantir complètement, malgré tous les moyens tentés jusqu'ici pour prévenir une si redoutable calamité Certaines familles de plantes pré- sentent dans leurs fruits des aliments salubres et agréables, dont on ne saurait trop multiplier l'usage, car plus on in- troduit de variété dans le régime nutritif de l'homme et des animaux, plus on assure une bonne et complète alimenta- tion. Dans ces derniers temps, le Cercle pratique d’horticul- ture et de botanique de Rouen à propagé dans nos jardins une nouvelle variété de courge, venant de Corfou, et dési- gnée sous le nom de potiron pain du pauvre. Elle offre sur ses congénères l’inappréciable avantage de donner des fruits plus sucrés, plus savoureux , d’une conservation fort longue , et, sous ce rapport, c'est une excellente acquisi- tion pour la marine. M. Girardin la soumise à l'analyse comparativement avec les autres variétés principales de cucurbitacées , et il a reconnu qu'à poids égal, c'est le potiron pain du pauvre qui contient le plus de principes alimentaires. Tout se réunit donc pour engager nos horti- culteurs à répandre le plus possible la culture de cette nouvelle plante. Me voici amené , tout naturellement, à vous entretenir des autres travaux académiques qui se rapportent au règne végétal CLASSE DES SCIENCES. 29 Jusqu'ici, ila été, pour ainsi dire, impossible d'établir une formule approximative de l'accroissement annuel de cha- que espèce d'arbre, faute d'observations faites en divers lieux sur un très grand nombre d'individus. Decandolle re- commandait aux botanistes d'enregistrer avec soin toutes les remarques qui peuvent conduire à la solution de cette importante question. M. Dubreuil a tenu compte de ce conseil du grand physiologiste français; la première partie d’un mémoire qu'il nous a présenté sur l'accroissement des arbres exogènes, est consacrée à l'indication de tous les faits relatifs aux principales espèces forestières de la Nor- mandie. Etant donné un certain nombre d'arbres exogènes ap- partenant tous à la même période de la vie végétale, de même essence, placés dans le même sol, sous le même climat et dans des conditions identiques, il est possible, d’après M. Dubreuil, de fixer approximativement l'âge de chacun d'eux, en déterminant l'épaisseur moyenne des couches concentriques de l’un d'eux pris comme type, en mesurant la circonférence des autres à la hauteur de 50 centimètres au-dessus du sol, et établissant ensuite une règle de proportion entre cette circonférence et celle de l'arbre pris comme type. Après des observations multipliées, continuées pendant un grand nombre d'années, et après avoir contrôlé les ré- sultats du calcul par les données précises qu'il a su se pro- curer sur l’âge des arbres qu'il a étudiés, M. Dubreuil s’est cru autorisé à formuler une loi générale d'accroissement pour chaque essence principale d'arbres forestiers ; loi qui varie nécessairement suivant la nature du sol, le climat, le mode de plantation, les opérations d'élagage ou de taille que les arbres ont pu subir, suivant encore que les arbres sont dans leur période de jeunesse, ou d'âge adulte, ou de vieillesse. Accroissement des arbres exogènes , par M. Dubreuil fils. Greffe naturelle 30 ACADÉMIE DE ROUEN. En raison de toutes ces circonstances et de plusieurs autres qui peuvent jeter de la perturbation dans la crois- sance régulière et normale des arbres on a contesté qu'il füt possible d'appliquer aux faits de physiologie végétale les formules précises des mathématiques, et, par consé- quent de pouvoir établir une loi générale d’accroissement, non pas seulement d'une exactitude complète, mais même approximative. Mais il ne faut pas perdre de vue que les études de M. Dubreuil ne sont présentées que comme un point de départ pour des observations ultérieures, plus nombreuses, plus variées, susceptibles, par conséquent, de modifier les formules qu’il a présentées. Il y aurait uti- lité, sous ce rapport, à ce que ces premières données scien- tifiques sur une question d’une si haute importance pra- tique, fussent poursuivies par les soins de l'administration forestière dans toutes les parties de la France. Dans la seconde partie de son ouvrage, M. Dubreuil se sert des lois qu'il a découvertes pour déterminer l’âge de quelques-uns de ces géants de nos forêts, qui semblent défier impunément les outrages des saisons. De ce nombre sont la vigne d'Amfréville-la-Mi-Voie qui produit quelquefois jusqu'à 250 kilogr. de raisins, et dont on peut évaluer l’âge à 100 ans; le poirier de cueillette de Dieppe, âgé de 150 ans , et qui porte souvent jusqu'à 6,000 fruits ; le chêne dit de la cuve de la forêt de Brotonne, qui aurait 427 ans; l'aubépine de Bouctot (Eure), 460 ans; l’'aubé- pine d'Allouville, probablement aussi âgée ; le hëtre dit du Fondrel de la forêt de Roumare, qui compte aussi bien des années; le chéne de Pessine (arrondissement de Saintes), vieux de 850 ans ; le chéne d’Allouville, de 870; enfin, les 1fs de la Haye-de-Routot dont la plantation re- monte à 1,400 ans. Nous devons encore à M. Dubreuil la connaissance d’un CLASSE DES SCIENCES. ol autre fait non moins intéressant de physiologie végétale. Le voici. Le pin et le sapin ne jouissent pas du privilége des autres essences de bois de revivre par leurs racines, la souche de ces arbres se décompose en terre au lieu de pousser de nouveaux jets. En 1843, Gœpert signala une exception à la loi commune. Quelques souches d'arbres verts, placés dans le voisinage d'arbres encore sur pied, non seulement ne s'étaient pas décomposées, mais se re- couvraient chaque année de nouvelles couches ligneuses. Le physiologiste allemand expliqua ce phénomène par la greffe naturelle des racines de ces souches avec celle des arbres voisins. M, Dubreuil a vérifié dans la forêt de Bord (Eure) le fait curieux signalé par Gæpert et il en a donné la même explication, en dévoilant, par de belles planches, l’ingénieux mécanisme à l’aide duquel la nature préserve de corruption un être mort en l'enveloppant de couches pleines de vie. M. Le jolis, de Cherbourg, qui s'occupe spécialement de la botanique descriptive, nous à fait connaître un certain nombre de plantes qui, peu communes en France, se rencontrent dans les environs de Cherbourg. Plusieurs sont originaires de la Bretagne , de la Gascogne (Sene- biera Pinnatifida, D C ), du littoral méditerranéen ( Pha- laris minor, Retz), des Açores (Erythræa diffusa , Woods), (Spergularia rupestris, Lebel }, et même du Cap ( Gna- phalium undulatum, L.), ete. Une cryptogame, le Lunu- laria vulgaris, Micheli , n'avait jamais été vue chez nous à l’état de fructification. L'Erythræa diffusa , dont l'exis- tence en France était fort problématique , a été trouvée par M. Le Jolis dans un assez grand nombre de localités fort éloignées les unes des autres. Ce naturaliste en a donné la description complète et une figure. Il a aussi décrit le Digitalis purpurascens de Roth, plante excessivement des arbres verts, par M. Dubreuil fils, Plantes-rares des environs de Cherbourg, par M. Le Jolis. Sur le Phormium tenax , par le même. 32 ACADÉMIE DE ROUEN. rare en France , dont il a rencontré un seul pied sur une colline des environs de Cherbourg, parmi des touffes de Digitale pourprée. Il n'ose se prononcer sur la question tant controversée de savoir si cette plante est une espèce primitive ou seulement un hybride. Nous devons encore à M. Le Jolis un très bon mémoire sur l’Introduction et la floraison. à Cherbourg, d'une espèce peu connue de lin de la Nouvelle-Zélande , et une Revue des plantes confondues sous le nom de Phormium tenax. Les Phormium sont des plantes vivaces , et, dans leur lieu natal, presque ligneuses . qui croissent en abondance à la Nouvelle-Zélande . et des feuilles desquelles les na- turels retirent les fibres qui leur servent à fabriquer des tissus et des cordages. De là, le nom de Lin de la Nouvelle- Zélande que portent ces végétaux. Pour donner une idée de l'importance de ces produits , il suflit de rappeler les expériences de notre célèbre compatriote Labillardière sur la ténacité comparative des fibres de phormium et des fibres du chanvre et du lin ordinaire ; les premières ont une force moyenne de 23 5/11, tandis qu’elle n’est que de 16 1/5 pour le chanvre , et de 11 3/4 pour le lin. Un pied de phormium, rapporté directement de la Nou- velle-Zélande à Cherbourg par le capitaine Doucet, et qui a fleuri dans cette dernière ville en mai et juin 1847, a fourni à M. Le Jolis l’occasion de débrouiller la syno- nymie si obscure du Phormium tenax , et d'établir trois espèces distinctes dans ce genre de plantes , à savoir : le Phormium tenax , le Phormium flavovirens et le Phor- mium cookianum Cette dernière est celle qui a fleuri à Cherbourg. La question relative au nombre des espèces ou des variétés que l'on doit admettre dans le genre Phormium CLASSE DES SCIENCES. 33 ne sera définitivement résolue que par les botanistes voya- geurs qui pourront étudier ces végétaux dans leur pays natal. L'Agriculture , cette fille aînée de la Botanique , a encore AGRICUL- eu pour interprète, cette année , au milieu de nous, l'ho- TURE. norable M. Bergasse. Il nous a successivement entretenus Rapport de des nombreux essais, malheureusement infructueux, de à. Bergasse. régénération de la pomme de terre par la voie des semis, de la culture du maïs tentée avec succès dans le départe- ment, du chaulage du blé, et de l'organisation des cham- bres consultatives d'agriculture. M. Bergasse a donné son entière approbation au projet proposé par la Société centrale d'agriculture de Rouen pour constituer une représentation légale au profit des exploitants du sol, et il a exprimé ses regrets de ce que le ministre, M. Tourret, sans avoir consulté les associations agricoles composées d'hommes pratiques, ait fait voter, par l’Assemblée nationale , sa loi sur l'enseignement , vé- ritable lit de Procuste qui, en prétendant satisfaire d’une manière uniforme les divers besoins de la France, n’en satisfait aucun complètement. M. Bergasse a rendu un compte favorable de la courte Instruction sur Instruction sur l'emploi du sel en agriculture, publiée par l’emploidusel, le Secrétaire de la classe des Sciences, et, à cette occasion, par il a signalé, à propos de l'emploi du sel, des faits peu M- Girardin. connus ou des opinions d'auteurs anciens qu'il a puisés dans sa profonde érudition (ec . Si du règne végétal et de l'application de ses produits, ZOOLOGIE nous passons au règne animal , nous aurons à vous parler, mo pour un instant, non de ces animaux qui peuplent nos ee de fermes ou nos forêts, non de ces gracieux habitants de infusoires, par l'air , non de ces myriades d'êtres qui vivent au sein des M. Pouchet. 3 3% ACADÉMIE DE ROUEN. eaux , animaux dont nous pouvons toujours connaître les mœurs, saisir les habitudes; mais d’un monde invisible, peut-être encore plus vaste que le premier , et dont l’exis- tence ne nous est révélée que par le microscope. Vous comprenez qu'il s’agit ici des animalcules , des infusoires, mieux nommés microscopiques OU microzoaires , puisque , dans une seule goutte d’eau croupie, des milliers de ces infiniment petits nagent comme dans un océan immense , offrant à l'œil , armé du verre grossissant d'Hartzocker , les formes les plus singulières et les plus variées. Un débat très animé , à leur sujet, divise depuis long- temps déjà les naturalistes en deux camps. Les uns ne leur accordent aucun vestige d'organes intérieurs ; les autres, et à leurtête marche le savant Ehrenberg, de Berlin, pensent , au contraire , qu'ils possèdent des appareils vi- taux assez compliqués. Il était important de revenir sur cette question, et de découvrir, par une nouvelle étude , de quel côté se trouve la vérité. C’est à quoi notre confrère M. Pouchet s’est attaché avec une persévérance et une sagacité que le suc- cès le plus éclatant devait couronner. A l’aide d'un ingénieux procédé, que je regrette de ne pouvoir vous exposer, faute de temps, M. Pouchet a par- faitement constaté que, dans les infusoires appelés Poly- gastriques par Ehrenberg, il y a certainement des estomacs vésiculaires , plus ou moins nombreux, puis des vésicules contractiles, remplies d’un fluide jaunâtre, qui sont de véritables organes circulatoires représentant le cœur unique ou multiple des animaux élevés, enfin un appareil respira- toire qui se montre, chez les vorticellcs, sous la forme d'un sac dont l'intérieur offre des mouvements moléculaires très apparents, dus à la présence de cils vibratoires. Pour lever tous les doutes sur l'existence de cette struc- ture anatomique, assez complexe, comme on le voit, CLASSE DES SCIENCES. 39 M. Pouchet s'est astreint, malgré les fatigues de pareilles observations, à étudier le développement des infusoires, et il a été assez heureux, soyons plus juste, disons assez habile, pour reconnaître, sous les enveloppes de l'œuf, les divers organes précédents , et même pour compter les mouvements de la vésicule cardiaque. I n’y a donc plus à hésiter. Dieu, dans sa toute-puis- sance, a donné à ces êtres microscopiques des organes et une vitalité, tout aussi bien qu'à la baleine et à l'éléphant, ces colosses de la création. C'est en constatant des faits aussi curieux, en décou- vrant de pareilles merveilles, que le naturaliste, éperdu et enthousiasmé, se prend à s'écrier, avec cette foi vive de l’orateur chrétien : Dieu EST GRAND ! Du ciron à l'homme, la transition est peut-être un peu SCIENCES brusque? mais qu'y faire? La mort ne tarde pas à MÉDICALES. combler la distance entre eux , et c’est justement des ma- ladies qui lamènent qu'il me faut vous entretenir actuel- lement. Le retour du fléau asiatique a tout naturellement excité Choléra le zèle de nos médecins et même de plusieurs autres membres de l’Académie, que leur position mettait en état de recueillir des renseignements sur la marche et les effets de l'épidémie dans notre département. M. Duchesne-Dupare nous a vanté l'efficacité de la mé— Méthode thode d’Alibert, à savoir : l'administration du sulfate de q'Alibert, par quinine dans la première période de l'invasion , avec le M. Duchesne- concours des moyens les plus capables de réchauffer les Duparc. malades, puis l'emploi des vomitifs dans la seconde pé- riode. Suivant notre correspondant de Paris, ce mode de médication serait le plus rationnel et le plus eflicace. Notre confrère M. Hellis, bien compétent en pareilles matières, Invasion du choléra dans le departement, par M. Lecadre. Invasion et marche du choléra à Saint- Yon, par M. Mérielle. Marche du choléra dans l'intérieur de Rouen, par M. Mauduit. 36 ACADÉMIE DE ROUEN. ne partage pas cette opinion, et ne reconnait pas dans le choléra cette analogie de propriétés avec la fièvre inter- mittente pernicieuse de Torti qu’Alibert avait eru y trouver. Un de nos correspondants du Havre, M. Lecadre , nous a raconté les diverses circonstances dans lesquelles le choléra a fait invasion à Yport , à la fin de novembre 1848, à Fécamp, vers la fin de décembre de la même année, à Octeville, à Sanvic et à Ingouville, au commencement de février 1849, enfin au Havre, dans le courant de mars. D'après toutes les observations recueillies par lui depuis 1852, M. Lecadre se prononce contre la contagion. Les faits de transmission qui ont pu y faire croire s'expliquent par l'imprégnation miasmatique de l'air dans des localités basses, humides , obscures , où l’atmosphère ne se renou- velle pas ou ne se renouvelle que fort diflicilement, où il y a agglomération de personnes, où les soins de propreté ne sont pas SUIVIS. Telle est aussi l'opinion du docteur Mérielle, qui nous a décrit l'invasion et la marche du choléra dans l'intérieur de l'asile des aliénés de Rouen. C'est le 2 mars dernier que le fléau a fait irruption inopinément dans une division qui n’a aucune communication avec l'extérieur. Rien n'a été plus bizarre que la propagation du choléra dans cet hospice. On le voit, pour ainsi dire, sauter d’une cour dans l'autre , aux deux extrémités de la maison, sans qu'on puisse expliquer son arrivée et son départ. Grâce aux moyens rationnels adoptés par les médecins , les pertes ont été peu nombreuses; elles ont surtout porté sur des individus affaiblis par l'âge ou les maladies antérieures. M. Mauduit, de son côté, nous a rendu compte, jour par jour, de ce qui s'est passé dans les divers quartiers de la ville pendant tout le temps qu'a duré l'épidémie. Voici les faits principaux que je puis indiquer ici. C’est le 18 fé- CLASSE DES SCIENCES. 37 vrier dernier que le premier cas bien caractérisé de cho- léra asiatique a été constaté sur la personne d’une femme, à bord d’un bateau amarré au quai du Mont-Riboudet. La marche du fléau à été ensuite errante comme en 1832 : il y en à eu un peu partout. Les arrondissements qui ont le plus souffert, sont les 1'r et ke (Martainville) , et surtout le 8° (Saint-Sever); cela s'explique naturellement par le peu d’aisance de leur population et par la pernicieuse influence des rivières et des fossés. Des faits nombreux qu'il a réunis, en sa qualité de se- crétaire de la Commission sanitaire, M. Mauduit, comme les observateurs précédents, conclut à la non-transmissibi- lité par contact, puisque les personnes qui ont donné des soins aux malades n’ont point été atteintes. La mauvaise disposition des lieux, la malpropreté des habitations , la cohabitation avec des animaux domestiques, sont les causes apparentes du mal qui ne s'est jamais communiqué à aucun voisin. Ainsi que M. Hellis l’a fait remarquer, les quartiers dans lesquels le choléra a sévi, en 1849, avec le plus d’in- tensité, sont précisément les mêmes que ceux qui ont été ravagés en 1832. En comparant les observations barométriques et ther- mométriques des mois d'avril et de mai 1849 avec celles faites, en 1852, par M. Hellis dans les deux mois corres- pondants, M. Preisser à fait ressortir qu'il n'y a aucun rapprochement à établir entre ces deux époques. Il en a été de même, par rapport à l'état du ciel et des vents Il n'y a donc aucune déduction à tirer de ces faits pour expliquer la marche et la cause de l'épidémie à ces deux époques correspondantes. En résumé, le choléra a fait beaucoup moins de victimes en 1849 qu'en 1832. Erreurs et pré- jugés sur le choléra Mémoire de M. Hélot. 38 ACADÉMIE DE ROUEN. Lorsqu'une maladie aussi inconnue dans sa nature, aussi rapide dans son développement , aussi terrible dans ses effets que le choléra vient à exercer ses ravages sur les populations, les esprits fermentent, et, de toutes parts, sur- gissent des théories plus ou moins singulières sur son ori- gine. Les miasmes, les effluves pestilentielles, les animaux microscopiques répandus dans l'air, le poison, l'électricité atmosphérique, sont tour à tour mis en jeu. Et ce n'est pas seulement le vulgaire qui recourt à des causes mer— veilleuses ou surnaturelles pour expliquer ce que l'état actuel de la science dérobe encore aux érudits; des hommes graves et instruits tombent également dans les mêmes travers, et, cette année encore, la baguette divina- toire a été invoquée pour constater, suivant un savant d'Orléans , une surabondance de fluide électrique chez les cholériques et dans l'atmosphère qui les entoure !..… M. Preisser, chargé de rendre compte d'un opuscule intitulé Études physiques sur le choléra, n'a pas eu de peine à démontrer l'inanité de pareils systèmes , qui nous reportent au xv siècle. Mais laissons ces rêveries qui déshonorent la science , pour ne nous occuper que des faits qui peuvent la faire progresser, à la condition, toutefois, qu'ils seront bien vus et assez nombreux pour permettre des déduetions lo- giques. Avec les communications dues au docteur Hélot, nous allons nous trouver sur un terrain solide, car ce sont des observations pratiques, des résultats d’expéri- mentation que nous avons à résumer. Je glisserai sur plusieurs mémoires, antérieurement pu- bliés dans les journaux de médecine, tels que : Du varico- celle et de sa cure radicale; De la forme phagédénique de la syphailis et de son traitement spécial; Du testicule syphi- litique ; pour ne m'occuper ici que d'un travail médit sur CLASSE DES SCIENCES. 39 les abcès que le chirurgien en chef de l'Hospice général a soumis au jugement de l'Académie. Dans la première partie, consacrée à la Physiologie et à l'anatomie pathologique des abcès phlegmoneux, la seule terminée , M. Hélot ne se borne pas à une critique judi- cieuse des opinions admises par les chirurgiens modernes les plus célèbres , et qui ont constitué la science sur cette question ; il expose une théorie nouvelle et qui semble avoir pour elle la raison et l'observation ; il démontre parfaite- ment l'insuffisance des opinions de Hunter, de Delpech, de Dupuytren, pour rendre un compte exact de tous les faits observés. Suivant lui, il existe une désorganisation des liquides et des solides avec transformation en pus, qu'il place sous une loi générale de formation Il indique, avec un soin minutieux , les différentes phases et le double méca- nisme de l’évolution pathologique, les règles de l'inflam- mation éliminatoire générale ou isolée par un kyste, la constitution de la séquestration purulente , les phénomènes successifs qu'elle présente , et l'organisation nouvelle qui forme la conclusion de la maladie. M. Hélot étudie encore, d'une manière toute particu- lière, les lois qui président à l'ouverture spontanée du foyer, dont il rend compte par la propagation directe de l'inflam- mation aux couches vasculaires contiguës suivant leur degré de réceptivité pour les phénomènes inflammatoires. La loi établie par M. Hélot à paru à M. Avenel , rap- porteur de la Commission chargée d'examiner le travail en question, d’une grande importance en anatomie patholo- gique ; il a également admis celle que l'auteur formule sur la gangrène des aponévroses par l'oblitération inflam- matoire des vaisseaux destinés à les alimenter. L'Académie, en donnant son approbation au mémoire de M. Hélot, à invité l'auteur à se hâter de compléter son œuvre par l'étude des complications des abcès au point de vue de la syphilis et de la scrofule. Sur les tumeurs blanches, par M. Boileau de Castelnau fils. STATISTIQUE. Suspension des travaux indus- triels dans les prisons, par M. de Castel- nau pére. h0 ACADÉMIE DE ROUEN. À la suite de ces communications si importantes, M. Hélot a été appelé à faire partie de l'Académie. Un jeune médecin de Nismes, M. Raimond Boileau de Castelnau, fils d’un de nos correspondants, à continué les travaux de son père sur les tumeurs blanches et sur leur traitement, en ayant surtout pour but de répandre, dans la pratique médicale , l'usage de l'appareil ou traite- ment de Scott, recommandé par le docteur Mathew de Lausanne , et Broussonnet de Montpellier. Les détails anatomiques contenus dans le mémoire de M. Boileau de Castelnau, décèlent une connaissance approfondie de l'anatomie normale et pathologique des organes malades dans les tumeurs blanches ; les progrès de l'observation et les recherches faites à l'un et l’autre point de vue y sont parfaitement exposés. Aussi l Académie s'est-elle empressée d'adresser ses félicitations à l’auteur, qui débute d'une manière distinguée dans la carrière médicale. Un travail qui touche et à la médecine et à la Statistique, nous à été soumis par M. Boileau de Castelnau père. Il a pour titre : Influence heureuse de la suspension des tra- vaux industriels dans les prisons sur la santé des détenus. Le médecin de la maison centrale de Nismes a pour but d'établir que la mortalité a considérablement diminué dans cetté maison pendant les 9 mois qu'a duré la suspension des travaux industriels, ordonnée par le Gouvernement provisoire. Suivant lui, #0 détenus doivent la vie à cette mesure. Dans la maison de Nismes, la population est, en moyen- ne, de 1209 , la moyenne des décès de 91,82 , c'est-à-dire de { sur 13, 17 par année, ce qui est à peu près la même proportion que dans toutes les autres prisons centrales, CLASSE DES SCIENCES. { En présence de ces faits qu'il a constatés , M. de Castel- nau appuie la proposition déjà formulée par plusieurs éco- nomistes , et notamment par notre confrère M. Vingtrinier, de créer des colonies ou ateliers nomades de travaux pu- blics. Il y a partout d'immenses terrains couverts de friches ou d'eaux stagnantes ; les chemins ruraux ne peu- vent être construits ni entretenus par les communes ; beaucoup de grandes routes sont inachevées ; les rivières et les fleuves endommagent leurs rives et couvrent les ter- rains adjacents par leurs débordements. Voilà des travaux qui, selon M. de Castelnau, pourraient occuper utilement les détenus au grand avantage du pays, et sans établir aucune concurrence dommageable aux ouvriers libres. Puisque les prisons tuent et ne moralisent pas, qu'on les transforme en ateliers mobiles de travaux publics, utiles à tous , économiques pour le trésor. Telle est la conclu- sion définitive de M. de Castelnau. Si l'Académie a donné son approbation à cette partie du mémoire de M. de Castelnau , elle a regardé comme fort contestable l'opinion qu'il professe à l'égard de l'influence pernicieuse des travaux industriels sur la santé des détenus. Il faudrait savoir si cette diminution de la mortalité dans les prisons, à la suite de la suspension de ces travaux, à été remarquée dans les autres maisons centrales. En tout cas, ce n'est pas après neuf mois seulement d'observations qu'il est permis de poser une conclusion générale. M. de Castelnau s’est trop hâté de vouloir résoudre le problème si complexe de la plus grande mortalité dans les prisons. Cette grave question en a suscité une autre non moins importante. M. Bergasse à signalé ce fait anormal qu'à Rouen , le nombre annuel des décès surpasse celui des naissances. Quelle en est la cause ? Il est impossible de l'entrevoir dans Fétat actuel des choses , car on manque Mortalité dans Ja ville de Rouen. Lettre sur la statistique, par M. Lallin. Tableau dé- cennal des opérations du Slont-de-Piété, par le même. Ilistoire de la Seine-Mari- time, par M. Rondeaux. 12 ACADÉMIE DE ROUEN. de renseignements précis sur tout ce qui a trait à la mor- talité dans la ville de Rouen. C’est là une grande étude à entreprendre. La vérification des décès , la recherche de leurs causes , la vérification des naissances, la consta- tation du sexe des enfants , voilà des points capitaux , fort négligés jusqu'ici, et qui réclament des mesures admi- nistratives nouvelles. M. Mauduit s’est engagé, au nom de la municipalité, à y donner tous ses soins. Dans une lettre adressée à M. Auguste Le Prevost , à l'occasion de son intéressante Histoire de Saint-Martin- du-Tilleul, M. Ballin a exposé sommairement le plan de son propre ouvrage intitulé : Essai sur la Statistique du canton du Grand-Couronne, et l'Académie a ordonné l'impression de cette lettre, qui lui a paru contenir d’utiles indications. Le même membre nous a présenté le Tableau décennal des opérations du Mont-de-Piété de Rouen, pendant la période de 1839 à 1848 inclusivement , et l’a accompagné de réflexions qui en font ressortir les résultats les plus remarquables. M. Rondeaux nous a fait part de l'introduction de son intéressant mémoire sur l'Histoire de la Seine maritime. I rappelle d’abord qu'en 1662, Colbert, cherchant les moyens de faire refleurir le commerce en France, et vou- lant faire visiter et interroger les villes manufacturières et les ports du royaume , chargea le chevalier de Clairville de parcourir la Picardie et la Normandie. M. Rondeaux a extrait, du compte-rendu de cette mission, ce qui concerne le Havre et Rouen , pour montrer, comme une sorte de curiosité historique , les jugements que portaient nos aïeux sur plusieurs questions commerciales qui nous occupent encore aujourd'hui. CLASSE DES SCIENCES. 43 Dans quelques observations préliminaires, le chevalier de Clairville établit d'abord que, pour faire refleurir le commerce , il ne faut que de l'ordre , et puis encore de l'ordre. Passant ensuite à ce qui concerne la ville de Rouen, il en fait l'éloge en disant que c’est une des plus fameuses écoles où l’on puisse s’'instruire de tout ce qui regarde le commerce. Le résultat de ses conférences avec les prin- cipaux commerçants est qu'il faudrait songer à établir de puissantes compagnies, qu'il distingue en compagnies d'Etat, c'est-à-dire ayant pour objet la création de nou- velles entreprises , les découvertes de terres inexplorées , et en compagnies particulières, pour l'exercice des com- merces déjà connus De ses observations sur le Havre , il résulte que cette ville , tant par le mauvais état de son port que par la gêne de ses fortifications et la médiocrité de ses finances, se trouvait encore tellement inférieure à Rouen qu'elle ne se considérait que comme un entrepôt de cette ville, et qu'elle pouvait à peine armer quinze vaisseaux pour la pêche de la morue, qui était le seul objet de sa navigation. Enfin, M. Rondeaux fait ressortir le contraste qui naît de ce tableau, entre deux situations respectives au— jourd'hui si complètement interverties, et se demande s'il n'est pas possible de rendre au commerce maritime de Rouen son ancienne splendeur. C’est pour répondre à cette question qu'il a entrepris son mémoire. J'aurais voulu, Messieurs, vous parler des nombreuses publications scientifiques dues à la plume de plusieurs des correspondants de l'Académie, tels que MM. Philippar , Payen, Boutigny, Mérat, Civiale, Prévost, Soubeiran, de Caumont, Balme, Reiset (d), et de plusieurs rapports très intérressants de l'honorable M. Bergasse sur des ma- 44 ACADÉMIE DE ROUEN. tières fort diverses, appartenant toutes à la classe des Sciences (e); mais j'ai cru devoir me restreindre , et ne vous entretenir que de nos travaux les plus saillants , que de ceux surtout qui m'ont paru susceptibles d'applications générales. Malgré mon désir d'être concis, je crains de m'être per- mis encore trop de développements dans l'exposé des matières que j'avais à traiter. Mon excuse , c’est le besoin que j'éprouvais de mettre en vive lumière les conscien- cieux efforts de l'Académie pour ajouter le plus de vérités nouvelles à la masse des connaissances humaines : c’est l'impartialité qu'il me fallait apporter dans l'indication des services rendus par chacun de mes confrères La position d'un secrétaire d'Académie est beaucoup plus délicate qu’on ne pense. Placé entre l’écueil de ne pas satisfaire , par la briéveté de ses analyses et la sim- plicité de ses narrations , les hommes d'élite dont il doit faire valoir les travaux , et celui non moins redoutable de fatiguer l'attention du public par l'étendue du tableau qu'il place sous ses yeux, étendue commandée par la multiplicité desobjets à y encadrer; ce n’est qu’en tremblant qu'ilaccom- plit sa mission, sachant bien qu'il s'expose, quelque soin qu'il prenne , à ne contenter personne. Il n’est pas donné, en effet , à tout le monde d'écrire l’histoire des COrPS sa— vants à la manière de Fontenelle et de Cuvier ! Plus qu'à tout autre, Messieurs, vous me tiendrez compte des diflicultés de mon ministère , et votre indul- gence couvrira ma trop grande infériorité. COMPLÉMENT DU RAPPORT pU SECRÉTAIRE DE LA CLASSE DES SCIENCES. (a) NOTICES BIOGRAPHIQUES Sur les Membres correspondants décédés. Mori (Pierre-Etienne) , né à Rouen en 1791, fit ses études au Lycée de cette ville, et entra, dès l’âge de 16 ans, à l'Ecole Po- lytechnique. Il en sortit avec le titre d'Ingénieur des Ponts-et- chaussées, dont il exerça les fonctions successivement au Puy, à Saint-Etienne, à Nevers, à Mulhouse , à Saint-Brieux et à Vesoul. Il ne quitta le service actif qu'en 1845 , époque à la- quelle il revint définitivement dans sa ville natale. C’est-là qu’il mourut, à la fin de décembre 1848, emporté bien longtemps avant l’âge par une maladie insolite contre laquelle l'expérience médicale échoua. La carrière scientifique de notre confrère a été fort active. En dehors de ses fonctions officielles, il se livra avec passion à l'étude des sciences physiques et naturelles, et il publia bon nombre d'ouvrages quile posèrent comme un homme fort érudit dans les diverses branches de la physique générale du globe. Dès 1819, il fit paraître un Æssai sur la nature et Les pro- priétés d'un fluide impondérable,ou nouvelle théorie de l'uni- vers matériel, 4 volume in-S, imprimé au Puy. En 1835, il reprit la même question dans une brochure intitulée : Zntro- duction à une théorie générale de l'univers; et en 1841, il rédigea une réponse développée à cette question du Congrès scientifique de Besancon : « Quelle est la nature de la ma- 46 ACADÉMIE DE ROUEN. tière éthérée ou repulsive remplissant l'univers 2? Comment déduire de ses propriélés l'équilibre de l'univers , la forma- tion de la Lumière , de la chaleur, de l'électricité et du ma- gnétisme ? la force de cohésion ne serait-elle pas le résultat de l'attraction des molécules attractives des corps sur leurs molécules répulsives ? » Dès 1827, M. Morin se dévoua à une entreprise pour ainsi dire gi- gantesque, celle de mettre en rapport tous les météorologistes du monde civilisé, de coordonner leursobservations, de les comparer entre elles, afin d'arriver à constater les lois qui régissent les phé- nomènes qui se passent sur la terre, simultanément , en des points éloignés, phénomènes qui sont si différents d'une année à l'autre ; étude compliquée, longue et pénible, mais la seule propre à conduire à l'art de prédire le temps, qui ne consiste que dans la connaissance de ces dernières lois. C’est cette manière d’envisa- ger la météorologie qu'il prit pour l'objet de la correspondance qu'il parvint à établir et à continuer jusqu'en 1841 au moyen d'un Journal dont il fit paraitre 8 livraisons sous le titre de : Mémoires composés au sujet d’une correspondance météoro- logique, ayant pour but de parvenir à prédire le temps veau- coup à l'avance sur un point donné de la terre. Cette collec- tion est précieuse par la masse considérable d'excellents docu- ments pratiques qu'elle renferme, par l'exposé des décou- vertes obtenues en météorologie de 4827 à 1841 , enfin, par les observations propres à l’auteur sur les moyens de prévoir le temps quelques jours à l’avanee , dans certaines circonstances et certaines localités, avec une assez grande précision. Ses instruc- tions sur la manière de faire les observations météorologiques , sa persistance à engager les savants de tous les pays à s’y livrer, ses nombreux articles sur l'utilité d’une pareille étude, ses appels continuels aux Sociétés savantes et au Gouvernement pour l'établissement de Sociétés spéciales de météorologie, à l'instar de celles qui existent à l'étranger , et notamment dans le nord de l'Euroçe, ont singulièrement contribué à développer en France le goût de cette branche intéressante de la physique, et il y aurait ingratitude à ne pas reconnaître tout ce que la science doit à M. Morin sous ce rapport. Tels étaient l'activité et le courage de notre confrère , qu'au CLASSE DES SCIENCES. #7 milieu des occupations incessantes que lui suscitaient les corres- pondances qu'il entretenait , à propos de la météorologie, avec tous les points du globe , il trouvait encore le temps de composer les ouvrages suivants : Sur l'ouverture et l'entretien des routes du royaume de France, in-8°, 1828. Mémoire sur la meilleure proportion à donner entre la hauteur et le diamètre d’une cheminée, in-80, 1835. Mémoires sur les mouvements et les effets de La mer , com- prenant : {er Mémoire : Sur les encombrements des ports de mer, in-80, 1835. 2e Mémoire : Du mouvement orbilaire, in-8°, 1837. 3e Mémoire : Des Travaux qu’on peut faire dans quelques ports de France sans en diminuer les avantages , in-8°, 1858. Il se livra avec une égale ardeur à l'étude de la géologie, dans les différentes parties de la France où il résida, en qualité d’In- génieur des ponts-et-chaussées. Il rendit sous ce rapport d'in- contestables services à la Société industrielle de Mulhausen, lorsqu'elle entreprit la statistique du Haut-Rhin; il lui fournit la carte géologique de ce département ; et un tablean des hauteurs au-dessus de la mer de 150 points différents. La Société reconnut ces services en décernant à M. Morin une médaille d'argent dans sa séance générale du 28 mai 1850. C’est sur sa proposition que la même Société créa, dans son sein, un Comité d'Histoire Naturelle, qui manquait à son orga- uisation premiere. Il lui tit, en outre, un graid nombre de communications intéressantes qui sont insérées dans les Bulletins de cette Compagnie, dont il était membre honoraire. Eu 4841, il traita, dans un Mémoire, la question suivante , posée par le programme du Congrès Scientifique de Besançon : « Ne faut-il pas rejeter en géologie le système des souléve- ments, ee n’est-il pas plus probable que les divers terrains se sont formés à mesure que la hauteur de la mer diminuait par le refroidissement du globe? Lorsqu'en 1845, M. Morin , aprés avoir pris sa retraite, vint se fixer à Rouen, il voulut rendre ses loisirs profitables à sa ville natale en la dotant d'une École Industrielle et commerciale , destinée à former des contre-maitres pour l'industrie, des sujets 18 ACADÉMIE DE ROUEN. iustruits pour la grande et la petite voierie , de bons commis de magasins, des maitres charpentiers et tailleurs de pierre , ete. IL fit paraitre, en 1846, le prospectus de cette École profes- sionnelle , mais ses efforts louables vinrent se briser contre une foule d'obstacles qu'il n'avait pas prévus, et qu'il n'était pas en état, dans son isolewent , de surmouter. Lorsqu'après la révolution de Février, les idées et les proposi- tions les plus diverses sur la question brûlante du prolétariat furent jetées en pature aux économistes des carrefours et du Luxem- bourg , notre confrère qui, dès 1829 , s'était occupé sérieuse- ment des moyens d'arriver à l'extinction de la mendicité dans le département du Haut-Rhin , fut un des premiers à répandre de bons conseils dans la classe ouvrière , et à indiquer les améliora- tions pratiquement réalisables à l’aide desquelles il est possible de relever la condition du pauvre et du travailleur, sans recourir à ces utopies dangereuses, à ces systèmes fallacieux qui n’au- raient d’autres résultats que de faire régner partout le désordre , la misère et la mort. L’écrit que M. Morin fit paraitre , en juin 4848, sous le titre de l’ Amélioration du sort de la classe ou- vrière, nous révèle le bon citoyen, l’économiste prudent et sage. Notre confrère a clos sa carrière d'écrivain par une bonne action. Journax (Antoine-Jacques-Louis) , né à Paris, le 29 décembre 1788, fit de brillantes études au collége Sainte Barbe , et com- mença sa carrière médicale sous le professeur Duméril, au Mu- séum d'histoire naturelle. Le 2 juin 1807, Il partit pour la grande armée, en qualité de chirurgien sous-aide ; nommé aide-major au 72e de ligue en 4808, il passa dans le même grade au Val-de- Grâce en 1811, et, peu de temps après , aux ambulances de la garde impériale. Le licenciement général de l’armée, en 1814, le rendit à la vie civile. Il se fit recevoir docteur en 1819, mais il n'en exerça pas les fonctions , et il continua , dans la retraite, à ue s'occuper que de la littérature scientifique , dont le goût s'é- tait développé chez lui pendant son séjour en Allemagne. [nfatigable travailleur, Jourdan passa trente années de sa vie à la manière d’un bénédictin : son univers était son cabinet, ses livres sa société presqu’exclusive. Profondément savant, d'un jugement droit et sûr, d'un esprit philosophique et méthodique, notre con- CLASSE DES SCIENCES. 49 frère se donna la mission de faire connaître, en France, le grand mouvement intellectuel qui succéda, en Allemagne, aux agitations guerrières et patriotiques du commencement du siéele. Initié aux délicatesses des langues du Nord, en relation avec les hommes les plus distingués de toutes les parties de l’Allemagne , il tra- duisit et popularisa en France les ouvrages allemands les plus importants; il rendit ainsi un signalé service aux deux pays , en même temps qu'il exerça une influence considérable et salutaire sur leurs travaux. Il est certain que les traductions des écrits ana- tomiques de Tiedemann, de Meckel, de Carus, des recherches d'é- rudition de Hensler, de Gruner et de Sprengel sur la syphilis, de l'histoire de la médecine de Sprengel, des traités physiologi- ques de Rolando, de Tiedemann et Gmelin, de Burdach, de Muller, des ouvrages estimés de Zimmermann , de Hufeland , de Thomson, de Hahnemann , des traités de chimie de Berzelius, de Rose, de Liebig, de l'histoire de la philosophie moderne de Buhle, de l'histoire du droit romain de Hugo , etc., ont réagi d'une manière très puissante sur les progrès des sciences dans notre pays. Jourdan ne se contenta pas d'enrichir notre littérature scien- tifique des œuvres les plus remarquables de l'Allemagne, au nom- bre de soixante-douze ; il composa huit ouvrages originaux d’un incontestable mérite, et un fort grand nombre d’articles pour le Dictionnaire des Sciences médicales , la Biographie médicale, l'Encyclopédie moderne, les Ephémérides universelles, la Biographie universelle ; on lui doit un tiers environ du Dic- tionnaire abrégé des Sciences médicales, et il a rédigé en chef, de 1818 à 14852, le Journal complémentaire des Sciences mé- dicales. Ses principaux ouvrages originaux sont : Dissertation sur la Pelagre, thèse du doctorat. — 1819. Traité complet de la maladie vénérienne, 2 vol. in-80. Pharmacopée universelle, ou Conspectus des Pharmacopées étrangères , etc., 2 vol. in-80. — 1828. — 2me Edition en 1840. Esquisse historique des principales époques des sciences physiques et mathématiques, in-8°. — 1832. Dictionnaire raisonnée, étymologique, synonymique et poly- glotte des termes usités dans les sciences naturelles, 2 vol., in-80. — 1854. n « 50 ACADÉMIE DE ROUEN. Tant de bons et excellents travaux valurent à M. Jourdan d’ho- norables distinetions. En 4815, il reçut la décoration de l'Ordre de la Réunion; en 4821, celle de l'Ordre de la Légion-d'Honneur. Un grand nombre de sociétés savantes , nationales et étrangères, tinrent à honneur de l'avoir pour membre ; il appartenait à l’A- cadémie royale de médecine. L'Académie de Rouen lui conféra le titre de correspondant en 1824. Jourdan est mort le 2 janvier 4848, des suites d’un érésipèle au visage, qu'accompagnèrent des symptômes encéphaliques per- sévérants. Il s'était retiré à Saint-Mandé depuis quelque temps, pour présider à l'éducation de son fils. Voici ce que M. Bégin a dit de l'homme privé, lorsqu'il prononça l'éloge funèbre de ce médecin au nom de l'Académie de médecine : « Jourdan était doué du caractère le plus élevé, le plus digne ; il aimait à obli- ger et, sans paraître attacher de prix à la reconnaissance, il y était sensible. C'était une de ces natures logiques et droites qui, dans toutes les questions , vont directement au résultat et l’abordent sans hésiter. Expansif seulement avec ses amis et dans l'intimité, il était, dans le monde, réservé ou silencieux ; mais sa pensée était hardie, son langage tranché, ses opinions absolues ; il heur- tait au premier abord, et, cependant, derrière cette rudesse appa- rente, c'était l'homme le meilleur , le cœur le plus noble et le plus compatissant ; le mari, le père le plus tendre ; l'ami le plus dévoué » (1). LoisezLeur-DescLonecuamps ( Jean-Louis-Auguste), né à Dreux, le 24 mars 1774, s’est fait connaître successivement comme bota- niste, médecin , agronome et horticulteur (2). Son premier ouvrage est une flore de France suivant le sys- tème de Linné, qui parut en 4806, sous le titre de Flora Gallica, 4 vol in-12; il lui donna plus tard (1810 et 1827 ) deux supplé- ments, et, en 1898, il en fit paraitre une seconde édition , 2 vol. Ze —— — (1) Discours prononcé par M. Bégin, au nom de l’Académie royale de médecine, sur la tombe de M. Jourdan ( Bulletin de l'Académie royale de médecine , tome 13, page 511.) (2) Je dois une grande partie des détails biographiques qui vont suivre à la notice rédigée, par notre confrère M. le docteur Mérat, pour la Société centrale d'horticulture de Paris. CLASSE DES SCIENCES. 51 in-8e , à laquelle son ami Marquis ajouta vingt-huit planches re- présentant quarante-huit plantes, la plupart nouvelles. Plus tard , il donna, en commun avec Marquis, le plan d’une nouvelle classification botanique, suivant les familles naturelles , basée sur la position de l'ovaire , bien plus appréciable que celle des étamines, sur laquelle est fondée la méthode de Jussieu. Cette classification a été adoptée par beaucoup de botanistes ; le doc- teur Mérats’en est servi pour la 2e édition de sa Flore des envi- rons de Paris; l'école de botanique du Jardin-des-Plantes de Rouen est rangée d’après cette méthode. Les deux amis écrivirent encore ensemble les articles de bota- nique du Dictionnaire des sciences médicales de Panckoucke. La botanique doit encore à Loiseleur plusieurs ouvrages impor- tants , tels qu'une nouvelle édition de l'ouvrage de Duhamel sur les Arbres fruitiers (1814), des Recherches historiques, botaniques et médicales sur les Narcisses indigènes (1815), Un nouveau voyage dans l’empire de Flore, ou principes élémen- aires de botanique (1816), Un manuel des plantes usuel- les (1819) in-8o, la continuation de l'Æerbier de l'amateur, commencé par Mordant Delaunay, avec des suites (1850 et 1838), quelques années du Bon jardinier, etc. Loiseleur a fait une application fort utile de la botanique à la thérapeutique en étudiant les propriétés médicales d’un grand nombre de végétaux indigènes et en les substituant aux médica- ments exotiques dont la pénurie et le prix excessif rendirent la pratique médicale si difficile dans les dernières années de l'empire. Après de nombreuses expériences, Loiseleur démontra qu’on pouvait très bien remplacer l’opium par lextrait de pavot indi- gène, le suc de laitue, le Datura stramonium ; le quinquina par l'extrait des fleurs de Narcisse des prés, l'ipécacuana par l'asarum, plusieurs de nos euphorbes, la dentelaire, la bé- toine, etc.; le séné, par le globularia alypum, la camélée, l'anagyris, le garou; le jalap, par les liserons et surtout Ja sol- danelle, la bryone, l’eupatoire. Loiseleur publia ses résultats sous forme de tableaux où la manière d'administrer, la dose et les effets de chaque médicament nouveau , sont notés avec soin et mis en regard. Ces travaux perdirent sinon de leur prix, au moins de leur à- propos, lorsqu'en 4844 la liberté fut rendue au commerce exté- 52 ACADÉMIE DE ROUEN. térieur; mais ils resteront toujours comme modèles d'expéri- mentation et comme faits acquis à la science. On trouvera ces précieux documents réunis dans la 2e partie du Manuel des plantes usuelles. C'est vers 4820, que Loiseleur-Deslongchamps commença à appliquer ses connaissances botaniques à l’horticulture et à l’a- griculture, sciences qui attirent tous les amis de la nature en avançant en âge. Il préluda dans la dernière par des études sur la culture des müûriers; il en planta, éleva des vers à soie, fit ensuite de grandes plantations de peupliers, puis se livra à des expériences sur les céréales, notamment sur le blé, dans un terrain que le grand référendaire de la Conr des Pairs mit à sa disposition au Luxembourg. Il a publié, comme résultat d’un travail de trois années, un volume in-8°, en deux parties , sur la culture du froment, sous le titre de : Considérations sur les céréales et principalement sur les froments (1841). C'est là un ouvrage d'une haute importance qui mérite d'être lu et médite par tous les cultivateurs. Nous citerons encore du même auteur un Hémoire sur un moyen économique d’engraisser les poulets et la volaille en général (4843); Des considérations sur les boutures des arbres fores- tiers et sur le parti qu’on pourrait en tirer pour le reboise- ment , etc. (4846) ; un mémoire sur les plantes tuberculeuses destinées à suppléer à l'insuffisance des céréales (4847) ; un second mémoire sur l'insuffisance des récoltes des céréales en France et les moyens d'y remédier (1848) ; enfin un assez grand nombre de notes et de rapports présentés à la Société centrale d'Agriculture de Paris. En Horticulture, on doit encore à Loiseleur-Deslongchamps une multitude d'articles relatifs au jardinage, à la culture des fleurs, à des procédés de greffes, ete., qui ont paru dans les journaux spéciaux. Mais son ouvrage le plus considérable en cette partie, c'est son Zraité de la rose, un volume in-80 (1844), qui ren- ferme l'histoire de cette reine des fleurs depuis les temps les plus anciens , l'indication des plus belles espèces , leur culture, etc. Il laisse inachevé un travail sur la vigne dont il s’occupait encore au moment de son décès, bien qu'il fût accablé d'infirmités , et âgé de 75 ans. Jamais carrière scientifique n’a été aussi labo- rieuse et si utilement remplie. CLASSE DES SCIENCES. D3 Loiseleur-Deslongchamps était membre de l'Académie de méde- cine , des Sociétés centrales d'Agriculture et d'horticulture de Paris, et d’un grand nombre de Sociétés savantes des départe- ments et de l'étranger. Il appartenait à l'Académie de Rouen depuis 1816. L'Académie de médecine obtint pour lui, en 1834, la déco- ration de la Légion-d’honneur. Paizippar ( François-Allen) , est né à Vienne, en Autriche, en 4802. Il fut amené en France à l'âge de 4 ans. Dès l’âge de 46 ans , il se livra aux travaux de la culture, sous l'habile di- rection de son père, chef des Jardins de Trianon, et, pendant les trois premières années qu'il passa aux pépinières royales en qua- lité de simple ouvrier , il sut mettre à profit ses moindres loisirs pour acquérir de bonnes notions du dessin, de géométrie , de levée des plans, et pour commencer ses collections d'histoire na- turelle. Poussé par le besoin de s’instruire dans la carrière qu’il embrassait avec goût, il alla passer un an à la pépinière du Roule , alors dirigée par le savant Du Petit-Thouars, et de là, deux années au Jardin des Plantes de Paris, où il suivit avec assiduité les leçons d'André Thouin, de Desfontaines, et les herborisations de Jussieu. De retour à Versailles , il prit la di- rection des travaux de son père pendant plusieurs années, tout en poursuivant ses études sur les sciences applicables à la culture. Devenu simultanément savant et praticien exercé , il fut appelé à régir, dans le département de l'Aisne , une vaste propriété. C'est là que, pendant quatre années , il se perfectionna de plus en plus dans les différentes branches de l’économie rurale. Revenu dans sa famille, dont il ne pouvait plus rester séparé, il commença à tirer parti de ses nombreux travaux et des masses d'observations qu'il avait recueillies, en présentant plusieurs mémoires à la Société d'Agriculture de Versailles qui s'empressa de s'associer un membre aussi zélé qu'érudit. C'est après la publication de son voyage agronomique en An- gleterre , qu'il fat nommé professeur de culture et de botanique appliquée, et chargé de la direction des cultures d'étude à l’Ins- tüitut agronomique de Grignon. Lorsqu'en 1832 , une école normale primaire fut établie à Versailles, il saisit cette occasion pour faire comprendre au Gouvernement que la création d'un cours d'agriculture dans 5 ACADÉMIE DE ROUEN. cette école serait un des moyens les plus efficaces de répandre les connaissances agricoles dans les campagnes. Ses observations furent écoutées ; le programme raisonné du cours qu’il proposait fut approuve par le Conseil royal de l'instruction publique , et il fut nommé professeur. C'est à l’âge de 29 ans qu’il fut appelé au professorat ; il en remplit les devoirs avec un zèle et une ardeur infatigables. Les succès qu'il obtint prouvent que ses efforts n’ont pas été inutiles. Doué d'une grande activité, l'emploi utile de son temps était chez lui une habitude , le travail une passion ; une partie de ses nuits y était consacrée ; aussi le nombre de ses publications seien- tifiques est-il considérable. Toutes se font remarquer par un talent d'exposition , un cachet d'utilité , une précision dans les expériences, et une justesse d'appréciation , qui dénotent l'homme savant et consciencieux , l'observateur habile , le pra- cien consommé , parfaitement maitre de son sujet. Voici les principales : loyage agronomique en Angleterre, 1 vol. in-8°, avec planches. Traité des maladies des céréales, la carie, la rouille, le charbon, l'ergot , etc., 1 vol in-Sv, avec planches. Mémoire sur la culture et l'exploitation des oseraies, in-8°. Mémoire sur l'agavé d'Amérique, in-8°, avec planches. Notice sur le chauffage des serres , in-8°, avec planches. Etudes sylvicoles, 1 vol. in-8, avec planches. Moyen d’oblenir une fécondité continue sur les arbres frui- tiers, dirigés en plein-vent , garnissant les vergers et les plantations fruitières , in-8°. : Mémoire sur la renouée des teinturiers ( Polygonum tinc- torium), considérée comme plante indigofere, in-8°, avec planches. Études organographiques sur les champignons, in-8°, avec planckes. Notice sur le madia oléifère (Madia sativa). broch. avec pl. Votice sur une maladie observée sur les feuilles du mürier blanc. Votice sur quelques outils, instruments et machines em- ployes en cullure, in-$°, avec planches. CLASSE DES SCIENCES. 95 Mémoire sur la maladie des pommes de terre, in-8°, avec planches. Notice sur la Serradelle, plante fourragère , in-8°, avec planches. Notice descriptive, culturale et économique sur deux plantes tuberculeuses, l’Ulluco et le Boussingaultia , in-8°, avec planches. On doit encore à Philippar la création du Jardin Botanique de Versailles , où il professa gratuitement pendant 16 ans ; la création d’un Musée agronomique à la Société d'Agriculture de Seine-et-Oise ; la fondation des Sociétés des Sciences naturelles et d'Horticulture du même département. Il était membre d'un grand nombre de Sociétés savantes, françaises et étrangères, notamment de la Société nationale et centrale d'Agriculture, du Conseil d'administration de la Société d'encouragement, des Géorgofiles de Florence, de la Société royale d’Agriculture de Turin, de l’Académie des Sciences naturelles de Madrid, de la Société d'Agriculture et d'Horticulture de Liége , ete. 11 appartenait à l'Académie de Rouen depuis 1841. C’estavec un profond sentiment de chagrin qu'on voit se termi- ner si brusquement et si prématurément une vie si laborieuse , si méritante, si digne sous tous les rapports des sympathies et des respects des ames élevées et honnêtes. Un de ses confrères l’a dit avec grande vérité sur sa tombe : « Si, par de nombreux ser- vices rendus au prochain ; si, par une bienveillance toujours prompte à agir ; si, par l'application au travail; si, par l’atta- chement au devoir ; si, par la bonté, la charité, la piété sincère , on se rend recommandable aux hommes et agréable à Dieu, M. François Philippar aura atteint ce double but sur cette terre, et mérité la récompense que Dieu a promise à ceux qui passent dans ce monde en y faisant du bien (1). Tuceu pe Moréon ( Jean-Gabriel-Victor), ancien élève de l'École polytechnique , ingénieur en chef des domaines de la liste civile, ancien ingénieur en chef du cadastre , né en 178%, à Agde (Hérault), est mort à Paris , le 25 juillet dernier. (1) Discours prononcé aux obsèques de Philippar par M. Du- mouchel, directeur de FEcole normale primaire de Versailles. 56 ACADÉMIE DE ROUEN. Toute la vie de M. de Moléon a élé consacrée à l'étude des sciences , de l’économie publique , et aux progrès de l'industrie manufacturière et agricole. On lui doit de nombreuses publi- cations, parmi lesquelles nous mentionnerons particulièrement : 1° Du développement à donner à quelques branches de notre industrie, pour faire suite à l’ouvrage de M le comte Chaptal , intitulé : De l’Industrie française ; 2° Annales de l'industrie nationale et étrangère, ou Mercure technologique ; 3° Recueil industriel, manufacturier , agricole et commercial de la salubrité publique et des Beaux-Arts ; 4° Annales de la Société polytechnique-pratique ; 5° Annales de statistique ; 6° Bulletin de la Compagnie algérienne de colonisation ; 7o Annales des prisons ; 8° Journal des commissions sanitaires ; 9 Statistique de plusieurs pays étrangers ; 10° Mémoire sur le commerce de la Villette, et aperçus sur la question de l’entrepôt à Paris; 11° Du Choléra morbus , avec une carte ; 12° Documents sur la liste civile du roi d'Angleterre. De nombreuses distinctions récompensèrent M. de Moléon de ses travaux incessants. Il était chevalier de la légion- d'honneur , de l'ordre de Saint-Wladimir de Russie , de l’ordre de l'Etoile-pôlaire de Suède , commandeur de l'ordre du Christ du Brésil, En 18927, il fit partie du Jury central de l'exposition de l'industrie nationale. Il appartenait, comme titulaire ou correspondant, à la plupart des Sociétés savantes de Paris et des départements ; l’Académie de Rouen l’associa à ses travaux en 1828. Les Sociétés des Arts et médico-botanique de Londres, impériale d'Agriculture de Moscou, littéraire et philosophique de New-York, des prisons de Philadelphie, des Sciences , Lettres et Arts d'Anvers, des Sciences naturelles de Bruxelles, l’Institut de Francklin , la Société ducale de minéralogie et de géognosie d'Iéna, la Société royale des Beaux-Arts et de littérature de Gand ; l'Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bru- xelles , s'empressérent de s'attacher un publiciste aussi distingué. M, de Moléon est mort, comme il a vécu, avec résignalion , el dans lessentiments les plus religieux. re] ACADÉMIE DE ROUEN. 57 (b) La notice biographique sur M. le docteur Blanche n'a pu, faute de documents suffisants, être rédigée assez à temps pour pouvoir être imprimée dans cette partie du rapport. Elle sera publiée dans le Précis de 1850. (ce) Relativement à l'opinion de certains cultivateurs qui révo- quent en doute une partie des bons effets que d'autres attribuent à l'administration du sel aux animaux, tels que celni d'augmenter la saveur de la viande, M. Bergasse oppose une bien ancienne autorité. « Voici ce que nous lisons, dit-il, dans Fa 40e homélie de Saint-Grégoire-le-Grand : « Sæpè vidimus quod petra salis brutis animalibus ante ponitus ut ex eàdem salis petrà lambere debeant et meliorart. » Aux faits rapportés par M. J. Girardin sur cet avantage du sel, de faire manger certains aliments qui, sans cette addition , se- raient repoussés par les bestiaux , M. Bergasse en ajoute un autre non moins frappant : « Les parties des départements des Bouches-du Rhône, du Gard , de l'Hérault, et des Pyrénées-Orientales qui avoisinent la mer, renferment de nombreux troupeaux de moutons qui passent l'hiver dans les bergeries. N'allez pas croire qu’on leur donne de la luzerne, du foin , de la paille d'avoine, comme dans vos riches fermes de la Seine-Inférieure !... Ces fourrages sont trop rares et trop précieux; on les garde pour les chevaux et les mulets. On donne pour toute nourriture aux moutons de gros roseaux qui croissent au bord de cette ceinture d’étangs salés, dont la nature a entouré la Méditerranée. S'ils se jettent dessus avec avidité et dédaignent tout autre fourrage, d'où provient cette préférence , si ce n'est du sel que ces roseaux contiennent en abondance ? La compagnie du canal de Beaucaire retire plus de 80,000 fr. par an de la vente de ses roseaux. » (d) Dans son rapport sur Le 4° volume de l'Annuaire de Chi- mie, publié par MM. Millon et Reiset, M. J. Girardin à inséré les phrases suivantes, que nous croyons devoir reproduire ici «_ Notre confrère, M. Reiset, à pris aux travaux chimiques de 1847 une participation fort active. Ainsi, on lui doit : « 1° Des expériences fort intéressantes sur la composition du 58 ACADÉMIE DE ROUEN. lait dans certaines phases de la traite, et sur les avantages de la traite fractionnée pour la fabrication du beurre; « 20 L'analyse de l’air contenu dans les vésicules du fucus ve- siculosus ; « 3° Des recherches sur la composition de l’eau de mer, en collaboration de M. Pelouze ; « 4° Une méthode pour l'analyse des mélanges gazeux ; « 5° Des remarques sur la véritable constitution de l'air at- mosphérique ; « Ces deux mémoires ont pour auteurs MM. Reiset et Re- gnault. « Enfin 6° Des recherches chimiques et physiques sur la res- piration. « Ce grand et beau travail a été exécuté avec l'assistance de MM. Regnault et Millon. « L'Académie doit voir avec satisfaction qu'un de ses membres sache si noblement et si utilement employer les loisirs que lui fait une brillante position. « Un autre enfant de Rouen, placé dans les mêmes conditions que M. Reiset, et qui, comme ce dernier, consa-re tous ses instants à l'étude des sciences physiques, M. Izarn fils, à construit, sous la direction du savant M. Regnault, son maître, une table pour réduire à 0° les hauteurs barométriques. L'an- nuaire de 4848 reproduit en entier cette table pour l'utilité des chimistes et des physiciens qui la consulteront dans toutes leurs expériences sur les gaz et les vapeurs. » (e) Dans son rapport sur le Journal des Savants, M. Bergasse a résumé en peu de mots l'histoire de la poudre à canon et de ses divers emplois, en s'aidant des recherches de MM. Chevreul , Regnaud et Savé. «_ IL est incontestable que, dès le vue siècle de notre ère, les Chinois connaissaient quelques-unes des propriétés du melange de soufre, de charbon et de salpêtre. Faut-il faire remonter parmi eux cette invention jusqu'à deux cents ans avant Jésus-Christ, comme le veut le père Amiot? Ce point historique parait dou- teux à M. Chevreul. « En 675, l'on voit, pour la première fois, les Grecs faire CLASSE DES SCIENCES. 59 usage , à Cyzique, contre les Musulmans , du feu grégeois, dont Callimaque leur avait enseigné la composition. Callimaque l’avait- il découverte lui-même, ou bien l'avait-il apprise, sinon des Chi- nois, du moins des Tartares? M. Chevreul ineline vers cette dernière opinion. « Quoi qu'il en soit, à compter de 675, les Grecs ne cessérent pas d'employer le feu grégeois. Inutile de citer les nombreux historiens qui font mention du parti qu'ils avaient su en tirer, soit pour l'attaque, soit pour la défense. «_ Ils avaient diverses recettes pour la composition de ce feu. Dans quelques-unes, il entrait un mélange de nitre, de soufre et de charbon. C'était notre poudre à canon. « M. Chevreul n'hésite pas à proclamer qu'ils connaissaient parfaitement et la force explosive de ce redoutable mélange, lorsqu'il est introduit dans un pétard, et sa force motrice, lors- qu'il est introduit dans le eylindre d'une fusée. De là, à l’em- ployer pour lancer des projectiles, il n'y avait qu’un pas. Ce pas, ils ne le firent point, mais ils poussérent très-loin l'art de l'artificier. « Les recettes des Grecs pour la composition du feu grégeots nous ont été conservées par un de leurs auteurs, Marcus Græcus, que quelques savants ont fait vivre, à tort, au ix° siècle, mais qui était certainement antérieur à Albert Le Grand et au moine Roger Bacon. « Albert Le Grand et Roger Bacon n'ont fait que lui dérober quelques-unes de ses descriptions en les obscurcissant. Ils n'ont aucune part à revendiquer dans la découverte. « On sait avec quel empressement les Arabes empruntérent aux Grecs tout ce qui avait trait aux sciences. On sait comment ils traduisirent une partie des œuvres d'Aristote. « Rien ne prouve, jusqu'à présent, qu'ils aient traduit Marcus Græeus. Mais, s'ils ne le traduisirent pas , ils s'approprièrent ses procédés et les perfectionnérent. « C'est ce qu'on à droit de conclure d'un manuserit arabe qui existe à la Bibliothèque nationale; il remonte au moins à 1295 et a pour auteur un Arabe, Haham Alramma. n Cette date est importante. En 1295, l'on n'avait pas encore 60 ACADÉMIE DE ROUEN. songe à se servir des gaz produits par la combustion de la poudre dans un canon pour lancer des projectiles. L'ouvrage d’Haham, intitulé : De l’Art de combattre à cheval et des Machines de guerre, où l'état de la science militaire à cette époque est dé- crit, n'en parle point. « Et, cependant, nous voyons, dès les premières années du xive siècle, les canons adoptés comme machines de guerre dans les pays voisins de la mer Noire et en Hongrie De la Hongrie, leur emploi se répandit, par l'Italie et l'Allemagne , dans l’Eu- rope occidentale. C’est en Hongrie qu’on a appliqué, pour la première fois , la poudre à canon à l'exploitation des mines. » Mémoires DONT L'ACADÉMIE À DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION EN ENTIER DANS SES ACTES. MÉMOIRE SUR LES ORGANES DE LA CIRCULATION ET DE LA DIGESTION DES ANIMAUX INFUSOIRES OU MICROZOAIRES , Par M. F. POUCHET, Professeur d'Histoire Naturelle. Les naturalistes ne sont point encore fixés relativement au degré d'organisation qu'atteignent la plupart des Micro- zoaires. Les uns ne leur accordent pas d'organes intérieurs ; les autres, au contraire , pensent qu'ils possèdent des ap- pareils vitaux assez complexes. Müller, Lamarek , Meyen et MM. Oken et Dujardin , professent presque exclusive- ment la première opinion Leeuwenhoek, Spallanzani , Dugès, et MM. Nitssch , Ehrenberg, Carus, Owen, la seconde. La célébrité de ces naturalistes a donné au débat une Solennité toute particulière. Quoique , dans ces der- niers temps, l'organisation interne des Animaux infusoires ait été fort habilement démontrée par M. Ehrenberg , ce- pendant quelques savants l'ont niée avec plus d’insistance que de raison, en admettant même à cet égard les plus étranges théories. La science attend done encore la solution de la question. 62 ACADÉMIE DE ROUEN. Je pense pouvoir aujourd'hui contribuer à élucider celle-ci, et à démontrer la précision des découvertes du savant zoologiste de Berlin, relativement à l'appareil di- gestif des Polygastriques ; et je pense aussi pouvoir donner exactement la signification des vésicules contractiles qu'on remarque à l'intérieur de beaucoup d'Infusoires. Le peu de précision de nos connaissances, relativement à l’organisation de ces animaux, était due à ce que , à l'exclusion des Vorticelles, qui sont peu propres à l'étude des phénomènes vitaux , on n’observait pas assez long- temps les mêmes individus, ceux-ci se dérobant subite- ment au champ du microscope. Je suis parvenu à exé- cuter des observations plus longnes et plus précises, en plaçant des Microzoaires sur de la batiste très forte , et en pressant légèrement celle-ci avec le compresseur ; alors on obtient des mailles ou des intervalles de 0,10, à 0,12 de millimètre dans chacun desquels il ne tient ordinaire- ment qu'un seul Microzoaire d’un assez fort volume. Là , sans désemparer , on peut suivre successivement le mode d'introduction des substances alnnentaires , le procédé par lequel celles-ci se répartissent dans les vésicules sto- macales, et enfin, celui de leur expulsion à l’état d’ex- créments. Là aussi, on peut compter les contractions des vésicules destinées à la circulation , en déterminer les in- tervalles, en mesurer l'étendue. Voici jusqu'à ce moment ce que j'ai pu bien voir , et les points sur lesquels je ne crois pas que, par la suite, on puisse faire d’objections sérieuses : 1° Dans les Infusoires appelés par M. Ehrenberg Poly- gastriques, il existe évidemment des estomacs vésiculaires plus ou moins nombreux. 2’ Le nombre et le diamètre de ces estomacs est fixe CLASSE DES SCIENCES 63 sur chaque espèce ayant acquis tout son développe- ment. Ces organes présentent aussi une forme et une struc- ture invariables. Ils sont presque constamment globuleux , et leurs parois offrent une minceur extrême. On aperçoit très bien la forme, et l’on peut apprécier facilement le dia- mètre de ces organes, sans même avoir besoin qu'ils soient remplis d'aliments colorés par les soins des observateurs. Il suffit qu'ils se trouvent remplis d'aliments au moment où l’on examine ces animalcules, ce qui a ïieu dans la plu- part des cas. Les parois des vésicules stomacales sont excessivement minces ; aussi, lorsque les cavités digestives ne sont point distendues par la substance alimentaire, on ne les distingue nullement. 3° Dans les Vorticelles, on compte trente à quarante es- tomacs vésiculaires, ayant un diamètre de 0,008 à 0,010 de millimètre , lorsqu'ils sont remplis d'aliments. Dans les Kolpodes, il existe constamment vingt à trente estomacs vésiculaires, de 0,010 de millimètre de dia- mètre, dans l’état de plénitude. k° Jamais les vésicules gastriques ne se fondent en- semble lors de leur contact. On s'aperçoit très bien qu’elles ont des parois distinctes. La prétendue rotation de ces estomacs est une étrange illusion d'optique. Ces or- ganes sont fixés dans leur région respective , et ne s'en éloignent que dans le rapport de l’élasticité des tissus. 5° L'aliment ne forme pas des bols avalés tout d’un coup , pour aller , au hasard , engendrer des vacuoles dans le tissu de l'animalcule. Il est, au contraire, introduit peu à peu; on le voit d'abord remplir partiellement chacune des vésicules gastriques; puis, enfin, les combler totalement. 6% ACADÉMIE DE ROUEN. Eu arrivant successivement dans ces organes , l'aliment s'épanche vers leur fond , comme le ferait un corps pulvé- rulent , déposé dans un vase sphérique qui serait rempli par un liquide. Aussi, apparaît-il d’abord comme un segment de cercle coloré, et à mesure que de nouvelles portions sont surajoutées , la cavité se remplit de plus en plus. On aperçoit tantôt des vésicules qui ne sont pleines qu'à moitié, et tantôt des vésicules qui le sont aux trois quarts; mais le plus ordinairement elles sont totalement occupées par la substance nutritive. 6° Les vésicules contractiles des Microzoaires sont de véritables organes circulatoires, représentant le cœur unique ou multiple des animaux élevés. Il est impossible de les considérer comme des organes respiratoires ou génitaux, ainsi que l'ont fait quelques savants. 7° Ces vésicules contractiles ou cardiaques sont ordinai- rement uniques , et contiennent un fluide analogue au sang, offrant une teinte d’un jaune fauve extrêmement clair, ce qui les rend faciles à distinguer. 8° Chez les Vorticelles, la vésicule cardiaque est unique, et acquiert un volume énorme comparativement à celui de ces animalcules. Sur des Vorticelles de 0,080 de milli- limètre de longueur , elle offre, totalement dilatée, jus- qu'à 0,020 de millimètre de diamètre. Il semble, en outre, que sur ces Microzoaires elle ait des parois distinctes , et qu'elle se termine en avant par un conduit jaunâtre. Sur les Kolpodes, la vésicule cardiaque est également unique , mais proportionnellement plus petite ; elle offre 0,0115 de millimètre de diamètre, sur des individus de 0,10 de millimètre de longueur. Sur les Glaucomes, elle n'a que 0,010 de millimètre de diamètre. Chez les Dileptes, il y a deux vésicules cardiaques qui se contractent succes- CLASSE DES SCIENCES. 65 sivement : lune est située à l'extrémité postérieure du corps, l'autre vers le centre. 9° Chez les Vorticelles , la vésicule cardiaque se remplit très lentement et ne se vide qu'à de longs intervalles, mais subitement. Elle se contracte toutes les deux à six minutes, selon la température ou la vitalité des indivi- dus. Chez les Kolpodes et les Glaucomes, les mouvements de cette vésicule imitent tout-à-fait ceux du cœur : ils sont très rapprochés , et l'organe se dilate et se remplit instan- tanément du fluide sanguin. Les contractions ont lieu toutes les sept à dix secondes, à la température de 20 degrés centigrades. Les objections tirées de la marche des fluides dans les tubes capillaires, ne peuvent donc pas être employées pour contester la circulation des infusoires. Enfin , il résulte de mes travaux , que les micrographes n'ayant pas indiqué d’une manière précise la position de l'appareil circulatoire , qui est toujours fixe, et souvent fort apparent, et ayant négligé les proportions du volume des organes entre eux, l’iconographie des Microzoaires , pour atteindre sa perfection, devra être considérablement modifiée. Mes observations ont été faites sur les espèces suivantes : Vorticella infusionum, Duj.; Kolpoda cucullus, Mull : Glaucoma scintillans, Ehr.; Dileptus folium, Duj. Lorsque j'eus terminé ces observations sur l'organisa- tion des Infusoires, je demeurai parfaitement convaincu que ceux-ci possédaient une structure anatomique assez complexe ; mais désirant enfin réfuter, sans réplique , les assertions des savants qui professent des doctrines toutes différentes, je sentis qu'il n'y avait qu'un seul moyen, c'était d'observer le développement de ces animaux, et 5 66 ACADÉMIE DE ROUEN. de reconnaître, sous les enveloppes de l'œuf, l'existence et les mouvements de la vésicule cardiaque, comme je les avais souvent aperçus dans les œufs de beaucoup de mol- lusques. Mes recherches furent longues et difficiles ; et ce ne fut qu'après de nombreuses tentatives que je les vis cou- ronnées de succès ; mais elles ne me laissèrent alors au- cun doute. Ehrenberg avait prouvé l'existence d'un appareil diges- tif, en gorgeant les Infusoires d'aliments colorés ; j'ai con- firmé et étendu ses observations , et, en outre, en décou- vrant la vésicule contractile dans l'œuf, j'ai démontré que celle-ci n’était, et ne pouvait être qu'un véritable centre circulatoire ou cœur. Enfin, j'ai aussi reconnu qu'outre ces deux appareils, 1l en existait encore un troisième qui me paraît affecté à la respiration. Voici le résumé de mes observations : 1° En suivant les développements de plusieurs Micro- zoaires, j'ai reconnu que les uns sortent de l'œuf avec les formes qu'ils doivent présenter dans tout le cours de leur existence { Xérones, Vorticelles); que les autres su- bissent , en se développant, des métamorphoses très ap- parentes ( Kolpodes, Dileptes.) C’est à cause de cela, qu'on à souvent décrit, comme des espèces différentes, les in- dividus jeunes et les individus adultes de la même espèce. Il est certain , par exemple, que le Glaucoma scintillans , Ehr., n’est que l’état fœtal ou imparfait du Kolpoda cu- cullus, Mull. 20 Sur les œufs de Vorticelles parvenus à 0,04 de milli- mètre de diamètre, le vitellus présente des mouvements gyratoires très manifestes et tout à fait semblables à ceux qu'on observe chez les Mollusques et d'autres animaux. CLASSE DES SCIENCES. 67 Lorsque la jeune Vorticelle est tout-à-fait développée et sur le point de sortir de l'œuf, à cette gyration succèdent des mouvements d'une autre nature ; ce sont des contrac- tions de tout l'Animalcule qui, comme on l'observe par exemple chez les jeunes Lymnées, semble ramper sous l'enveloppe transparente de l'œuf. 3° Sur des œufs de Vorticelles, dont les animalcules étaient à la veille de sortir de leur coque, j'ai, sur plusieurs d'entre eux , reconnu l'existence de la vésicule contractile et constaté ses mouvements. Cette vésicule était propor- tionnellement moins volumineuse que sur les Animalcules entièrement développés, et ses pulsations moins fréquentes. Ces œufs, alors totalement occupés par l'embryon, of- fraient 0, 04 de millimètre , et la vésicule contractile, qui était placée vers leur centre, présentait, dans son plus grand développement , 0, 005 de millimètre ; Be Chez toutes les Vorticelles, il existe un sac parfois fort apparent , situé du côté opposé à la vésicule cardiaque ou contractile , et qui s'étend dans presque toute la longueur de ces Animalcules. L'intérieur de ce sac présente des mouvements moléculaires très apparents qui paraissent évidemment dus à la présence de cils vibratiles. Parfois, ce sac se contracte d'avant en arrière, et semble transpor- ter dans cette direction une masse en mouvement, très distincte des vésicules stomacales qu'elle refoule. Ce sac, selon moi, est l'organe respiratoire. Ses mouvements sont ce qui en à imposé à certains micrographes, soit en leur faisant croire qu'il se creusait des vacuoles dans le tissu , comme la professé M. Dujardin, soit en leur faisant admettre qu'il existe chez les infusoires une espèce de cir- culation de granules , semblable à celle que l'on observe sur certains végétaux, ainsi que l'a avancé M. Meyen. D'après ce qui précède, la vésicule contractile ne peut 68 ACADÉMIE DE ROUEN. donc être assimilée qu'à un cœur. On la voit déjà se ma- nifester comme le punctum saliens des embryons ovipares. D'après cela aussi, on ne peut plus considérer les vési- cules contractiles comme appartenant, soit à l'appareil génital, comme le voulait M. Ehrenberg , soit à l'appareil respiratoire, comme le professait Spallanzani. En effet, l'opinion de ces deux savants ne peut nullement résister à l'examen. Si, avec l’illustre zoologiste de Berlin dont les beaux tra- vaux excitent mon admiration, on prétendait que la vésicule cardiaque appartient à l'appareil génital mâle , et que ses contractions correspondent à l'émission du fluide sperma- tique qui la remplit; comme cette vésicule offre un volume considérable comparativement à celui de l'animal, il en résulterait qu'en peu de minutes , souvent un microzoaire aurait secrété et expulsé un volume de sperme considéra- blement plus fort que le sien, et qu'il répéterait cet acte durant tous les instants de sa vie, ce qui est totalement inad- missible. D'un autre côlé aussi, il est certain que l'appareil ne peut pas être destiné à la respiration et qu'il n’est point un appareil aquifère ; car si réellement , le fluide qu'il con- tient était expulsé au dehors lors de ses contractions , on verrait, tant l'organe est volumineux, l’animalcule s'af- faisser ou se contracter, et diminuer sensiblement de vo— lume, ce qui n’a pas lieu. Il faut donc que la vésicule contractile soit un organe central de circulation, et qu’elle ne se vide qu’en répartis- sant son fluide dans d’autres régions du corps , fluide qui ne peut être que le fluide sanguin. | | : GE TES ETTLURE 1 el etai air ? Æ | F L éd + “st L Vs | foi DURE) RS : | SA trO DIE VAS QUI A [A] LE: (RÉCIT EL Le l Tr EE A Q be TT Ha te, 4) ML UE see HA » “1 É |; LV 4 DEAN | sas nila PTE tt RE LOI He LS 14 ; OPEL e. A. NI vi ose Poe | d'or T'en , « RS LA Fu Me à <ÿ DU LT és dé Au 24 L 119 + Î 0 Fa EXPLICATION DE LA PLANCHE, a © © — J'ai accompagné mes figures d’échelles métriques, parce que les infusoires et leurs divers organes internes offrent constam- ment des dimensions fixes, et parce que j'ai procédé après lesavoir mesurés rigoureusement. Je ne crains nullement que l’on conteste l'exactitude de mes observations. Les Infusoires offrent, dans leurs formes et dans les proportions de leurs organes, cette symétrie que nous avons figurée. Si celle - cine se rencontre pas toujours dans les dessins de certains auteurs, c'est qu'ils ont représenté des individus déformés par la compres- sion, par l’agonie ou par la mort. Fig. 4e. Œufs ou corps reproducteurs de Vorticelles. b. c. d. Œufs plus développés. e. Œuf dont l'embryon va bientôt sortir et dans lequel on voit sensiblement les pulsations du cœur. c. Cœur. o. Lieu par lequel sort l'embryon. Fig. 2. Vorticella infusionum , (Pouchet), qui est, je crois, la même espèce à laquelle M. Dujardin donne également ce nom, mais qu'il a représentée tout différemment dans ses planches. À. Individu dont le cœur vient de se contracter et est devenu absolument invisible. b. Appareil respiratoire branchial, animé de mouvements ciliaires. — Vési- cules intestinales gorgées d'aliments, peu nombreuses. B. Individu dont le cœur commence à se dilater. C. b. Appareil respiratoire. c. Cœur plus dilaté. V.i. Vésiculesintestinales gorgées d'aliments, nombreuses. D. Cœur encore plus dilaté. E. Cœur ayant atteint son maximum de dilatation et permettant d’apercevoir le vaisseau qui en part. Fig. 5. Vorticella infusionum. Individu contracté libre. Fig. 4. Kolpoda cucullus. Mull.—A. Individu sortant de l'œuf. —B. C. D. Individus de plus en plus développés.—E. Individu adulte. b. Bouche. V.1. Vesicules intestinales gorgées d'aliments. c. Cœur.— F. Individu ayant huit vésicules intestinales totalement remplies de carmn, et trois qui le sont seulement en partie. —G Individu n'ayant que trois vésicules pleines de carmin et une seule qui commence à se remplir. “dur PUOUMT CN à | HN "SHJpNons vpodo\ à Ma :qonog UUNUOISNUI VIISOTAON L'RCL 128 Jopn() ‘PP topono,] Le OA} ULI}}T p fumaju 21 DAJOUI}}rt Jp LG 004 7 au PU N L r TR SNJNono vpodjou + à fra noq NUGISNIUL VODNAIO À 6 FT HE opnO PP Pyon04 OT te AR LT LAAJIUIIIIUL IP SU RECHERCHES SUR LES PROPRIÉTÉS PHYSIQUES DES RULES. PAR MM. BOUTAN ET F. PREISSER. Il y a peu de produits du commerce qui soient soumis à d'aussi fréquentes falsifications que les huiles. Les huiles d'olives sont mélangées avec des huiles d’arachide , de palme , de colza, et les huiles de graines sont additionnées d'huiles animales. Ces dernières seules sont généralement à l'abri de toute fraude , parce qu'elles occupent le dernier rang sous le rapport du prix. Malheureusement, pour le commerçant honnête, il n'est pas facile de distinguer toutes les sophistications que l'on fait subir à ce produit commercial, et quand on est obligé de fixer des chiffres pour représenter les quantités de matières ajoutées , le chimiste se trouve souvent fort embarrassé. Convaineus de lPutilité qu'il y aurait de posséder des procédés simples et exacts pour déterminer la nature des 70 ACADÉMIE DE ROUEN. huiles fraudées , nous avons entrepris une série de re- cherches surles propriétés physiques des huiles. Nous avons pensé qu'en les examinant sous ce nouveau point de vue , nous pourrions arriver à découvrir de nouveaux caractères différentiels, à l'aide desquels la fraude se dévoilerait mieux à nos veux. Les procédés chimiques à l’aide desquels on cherche à reconnaître la nature d'une huile dont on soupçonne la pureté, se réduisent en général à des appréciations de couleurs et de consistance sous l'influence de certains réactifs. C’est ainsi que l'essai de Boudet, pour les huiles d'o- lives, repose sur ce fait que l'huile pure se solidifie au bout de 73° quand on la mélange avec de l'acide nitrique et hyponitrique ; la teinte du produit solide obtenu est le vert bleuâtre ; quand l'huile a été fraudée , la nuance devient verte, bleu sale , jaune doré, jaune brun , etc., et la solidification se trouve retardée. Ce procédé laisse fréquemment de l'incertitude dans l'esprit du chimiste, et il ne peut en être autrement quand il s'agit de prononcer sur une fraude en se fondant seule- ment sur un changement de couleur et de consistance. Nous en dirons autant du procédé que Fauré, de Bor- deaux , a indiqué en 1839. Ce procédé consiste à mettre sur une lame de verre 9 gouttes de l'huile soupçonnée , et de la mélanger avec une goutte d’ammoniaque. La pâte prend alors une coloration différente , suivant les diverses variétés d'huiles , et elle devient en même temps plus ou moins grumelée. Ainsi, par exemple, l’alcali avec l'huile de lin forme un savon mou, uni et très lié, si cette der- nière est pure, et grumelée plus où moins sensiblement , si elle contient de l'huile de chenevis. CLASSE DES SCIENCES. 71 On conçoit tout ce que ces caractères, inconstans d’ail- leurs , doivent laisser de doute dans lesprit de l'obser- vateur , et combien il lui devient difiicile de se prononcer dans les contestations qu'il peut être appelé à juger. Nous préférons la méthode employée par M. Fauré, pour reconnaître les huiles animales ajoutées par fraude aux huiles de graines. L'essai consiste à faire passer un courant de chlore à travers le liquide soupçonné; dans le cas où il renferme une huile animale , il y a coloration qui augmente avec la durée de l'expérience et la dose d'huile animale. Ce procédé exige que l'on fasse passer, pendant très longtemps , le courant de chlore à travers l'huile. Il nous a paru souvent infidèle et surtout peu sensible, car il ne dénote pas les petites quantités d'huile ajoutée ; en outre , il ne permet pas de doser la fraude et de fixer un chiffre , ce qui est souvent nécessaire dans les contestations judi- ciaires. Nous en dirons autant de l'essai des huiles au moyen de quelques gouttes d'acide sulfurique. Les colorations diverses que l’on observe sont loin d’être bien tranchées , et sont d’ailleurs diversement appréciées par les observa- teurs. Une foule de causes , telles que le lieu de prove- nance, le mode d'extraction , l'ancienneté, peuvent modi- fier les effets du réactif. On a bien senti, dans ces derniers temps, toute l'in- suflisance des procédés chimiques pour résoudre cette question, car déjà plusieurs tentatives ont été faites pour découvrir les falsifications des huiles en s'appuyant sur leur densité , soit à une température constante de 100°, soit à toute autre température. L'Académie se rappellera sans doute que deux rapports lui ont été adressés sur ce sujet ; le premier sur loléo- 72 ACADÉMIE DE ROUEN. mètre à chaud, de M. Laurot , le second sur l’oléomètre à froid , de M. Lefèvre. Le premier appareil est destiné à reconnaître les falsifications de l'huile de colza non épu- rée ; le second sert à déterminer la pureté des huiles mé- langées, au moyen de la densité, et en faisant les correc- tions de température indiquées par une table. Certes, l'un et l'autre de ces deux instruments sont destinés à rendre de véritables services à l'industrie, et il est à regretter que le commerce n'en fasse pas un plus fréquent usage. Ils donnent, dans la plupart des cas , des indications précieuses sur la nature et la pureté de l'huile soupçonnée; sans être des instruments d'une grande précision , ils sont cependant d'une exactitude sufisante dans beaucoup de cas Nous leur adresserons néanmoins quelques reproches. M. Lefêvre , dans la construction de son oléomètre , suppose que toutes les huiles se dilatent également pour une même élévation de température, et, pour les ramener au même degré , il propose une correction uniforme. Selon l'auteur , il suflit d'ajouter un millième à la densité pour une élévation de température de 1°1/2. Cette supposition est tout-à-fait gratuite ; de plus , elle est erronée , comme nous le démontrerons plus tard. Nous prouverons aussi que la dilatation n’est même pas constante pour la même espèce d'huile. Nous devons ajouter encore que bien des causes peuvent faire varier le mouvement de la tige de l'aréomètre. Si elle est plus ou moins polie, plus ou moins humide , il y a des actions capillaires qui exercent leur influence sur les indications de l'instrument. Quoi qu'il en soit, les appareils que nous venons de signaler n'ont pas arrêté les fraudes que l'on-exerce sur les huiles, et les négociants honnêtes sont découragés en CLASSE DES SCIENCES. T3 voyant qu'une concurrence effrénée éloigne tous les jours le commerce de ses habitudes de loyauté dont il était au- trefois si fier. Nous avons entendu bien des plaintes sur ce sujet, et c'est à l'instigation de quelques commerçants effrayés de ce triste état de choses , que nous nous sommes décidés à nous livrer à quelques recherches sur les pro- priétés physiques des huiles. C'est une partie de ce travail que nous avons l'honneur de lire aujourd'hui à l'Académie Nous avons porté d’abord notre attention sur la dilatation des huiles , et nous nous sommes proposés de rechercher avec soin leurs coëfliciens de dilatation, pour savoir si quelque différence notable dans les chiffres ne nous per- mettrait pas de fonder un instrument pour découvrir les fraudes. 1° Détermination du coëfficient de dilatation des huiles. Nous avons soufflé une petite boule à l'extrémité d'un tube capillaire. Le tube a été divisé en divisions égales et arbitraires dans toute son étendue. L'appareil fut rempli de mereure, puis plongé dans la glace fondante ; le liquide s'arrêta à... .. 1904, 1 Panscetétat"1lfa pesé", 21.28 # 605". Plongé de nouveau dans la glace fon- dante, après que l’on en eut fait sortir un peu de mercure, l'instrument ne pesait MIS QUE Re eue 2 cut ". 605", 145 Le métal affleurait alors à la division 79, 5. Le pression barométrique était de 776, 3; la tempéra- ture du mercure, de 11°. D'où division corespondant à l'ébullition de FOR RS FENTE PRES ADS ACADÉMIE DE ROUEN. EX | +” Température de l’ébullition............... 100 ,55 Il résulte de ces données que le poids du mercure à 0° contenu dans une division du tube... = 0%, 0053786 Le volume d’une division. ....... = 0°%.,0003958 L'augmentation de volume de 0 à 100% 55'est de. 100. : ....... = 0".,02725083 On déduit de ces nombres que la dilatation apparente du mercure dans le verre, qui forme le tube, CNE En: «OS: f- = 0,00015773% Et la dilatation absolue du verre... — 0, 000023796 Le volume du réservoir jusqu'au zéro des divi- ST SU me Release MMA 0087 L'appareil étant une fois gradué et jaugé, nous avons pu procéder à la détermination des coëflicients de dila- tation. Les huiles sur lesquelles nous avons opéré et que nous avons pu nous procurer pures, sont : Les huiles d'olives, Id. d'arachides, Id. de colza, Id. d'œillette, Id. de morue. Ces diverses huiles ont été successivement introduites dans l'appareil, et ce dernier fut mis dans un manchon plein d'eau dont on pouvait élever à volonté la tempéra- ture, Nous avons fait ainsi des observations correspon- dantes avec les deux thermomètres à mercure et à huile, CLASSE DES SCIENCES. 75 et, de ces observations, nous avons pu déduire les coëfli- cients de dilatation suivants : Coëfficient Coëfficient de dilat. apparente. de dilat. absolue, Huile d'olives... .. 0,0007564% 0,0007602, entre 13 et 50,5 Id. Id. 0,000729 0,000778, eutre 50 et 40 Moyenne , 0,000769 Huile d'arachides, 0,0007#42 0,00076799 Id. d'œillette,.. 0,000729 0,0007327, entre 10 ct 14°, 3 Id. Id. 0,000730 0,000753, entre 41,5 et 320, 7 Moyenne de 40 à 30 — 0,0007528 Huile de colza,... 0,00075709 0,0007608, entre 13 et 47 Id. Id. 0,000726$ 0,0007506, entre 143 et 53 Id. Id. 0,0007420 0,0007638, entre 33 et 47 Moyenne de 10 à 50 — 0,000739 iluile de morue, .. 0,0006614 0,0006832, entre 52 el 47 Id. Id. 0,000654 0,0006778, entre 24 et 47 Id. Id. 0,00063545 0,0006551, entre 24 et 52 Moyenne de 20 à 50 — 0,0006737 On voit par ce tableau que le coëflicient de dilatation des huiles varie avec la température, et que les huiles ani- males, comme nous nous en sommes assurés pour d'autres variétés que l'huile de morue, se dilatent moins que les huiles végétales. Malheureusement, il n'en est pas de même des huiles d'olives et d'arachides, et les différences si faibles que nous avons observées dans leurs coëflicients de dilatation, ne laissent pas d'espoir de les distinguer par ce moyen. Nous nous sommes contentés de construire un thermo- mètre à huile pour distinguer les falsifications des huiles de colza par les huiles de poisson. L'appareil se compose d'un thermomètre à gros réservoir, dont le fond peut être bouché au moyen d'un petit bouchon en cristal. Nous 76 ACADÉMIE DE ROUEN. l'avons d’abord rempli d'huile de colza pure et entouré d'eau à une température de 20°. Au moyen d'un trait de diamant, nous avons marqué la hauteur de l'huile dans le tube capillaire. En poussant la température de l’eau Jusqu'à 40°, nous avons obtenu une seconde indication. Le tube fut ensuite vidé, lavé avec de l'alcool et séché. Nous y introduisines ensuite de l'huile de poisson, en ayant soin de maintenir la hauteur jusqu'au premier trait de dia- mant, à la température de 20°. En portant ensuite cette dernière à 40°, la différence de dilatation devenait aussitôt sensible sur la tige du thermomètre. L'intervalle compris entre les hauteurs de l'huile de colza et de poisson à 40° fut ensuite divisé en parties égales, de telle sorte qu'en exposant l'huile fraudée dans l'appareil à ces deux températures suc- cessives, on peut juger de sa pureté, et estimer la quantité d'huile de poisson ajoutée, par le chiffre auquel la colonne liquide s'arrête. En opérant la graduation entre 20 et 100”, nous aurions observé une différence plus grande encore et rendu l'appareil plus sensible. Nous nous sommes ensuite adressés à une seconde classe de phénomènes physiques pour y découvrir des caractères différentiels, facilement constatables, et qui nous permissent de distinguer les différentes huiles. Nous avons pensé que l'étude de leurs propriétés optiques pourrait peut-être nous fournir de précieuses indications : mais, en général , la détermination des coëfficiens numériques, quand il s'agit d'étudier les modifications éprouvées par les rayons lumi- neux, offre des difficultés très sérieuses. La mesure des indices de réfraction des liquides constitue à elle seule une expérience très délicate, et qui exige l'emploi d’appa- reils assez compliqués lorsqu'on suit les procédés ordi- naires. Nous avons donc eu tout d’abord à nous occuper de simplifier autant que possible les méthodes habituelle- CLASSE DES SCIENCES. Li] ment employées, et de les convertir en un procédé presque mécanique , qui, sans rien faire perdre à la précision des résultats , fournit en peu de temps, avec une très petite quantité de la substance examinée, l'indice de réfraction véritable de cette substance. La méthode fondée sur l'observation de la déviation minimum dans les prismes, celle qui repose sur la réflexion totale produite dans les prismes de verre, ne pouvaient en aucune façon remplir notre but, Ces méthodes exigent qu'on mesure des angles avec beaucoup d’exactitude , et c'est-là, comme on sait, une difficulté réelle qu'il fallait à tout prix éviter. Le procédé indiqué par Brewster et le duc de Chaulnes, procédé qui exige l'emploi du microscope composé, est beaucoup plus simple dans la détermination des données qu'on doit obtenir. Maisil est nécessaire, pour l'utiliser, d’a- voir à sa disposition un microscope offrant une disposition spéciale , à savoir une vis micromètrique adaptée au porte- objet, qui permette de mesurer avec une grande exactitude les plus petits déplacements de ce dernier. Or, nous ne possédons qu'un microscope Lerebours et un microscope Chevalier qui n'offrent point cette disposition. La méthode de Brewster était donc pour nous inapplicable. Notre esprit s’est alors reporté à une remarque très judicieuse faite par M. Regnault dans ses cours d'optique au collége de France. Selon ce physicien, il doit être plus commode de remplacer la mesure des déplacements du porte-objet par celle du grossissement. Cette remarque a été récemment développée par M. Bertin, professeur de physique à la Faculté des sciences de Strasbourg, dans une note insérée dans les Annales de physique et de chimie, où se trouve la véritable formule qui donne la valeur de l'indice de réfraction d'un liquide quelconque en fonction, de l'indice de réfraction du 78 ACADÉMIE DE ROUEN. liquide pris pour terme de comparaison, et des nombres qui expriment les trois grossissements d’un objet vu d’abord à vide, le microscope étant dans l’état ordinaire , vu en- suite au travers d’une lentille plan concave du liquide pris pour point de départ ; vu enfin au travers d’une lentille sem- blable du liquide soumis à l'observation. Voici cette formule : g g’,g" étant les trois grossissemens observés dans les trois circonstances que nous venons de signaler et n l'indice de réfraction connu d'avance du liquide auquel on com- pare les autres. Tout se réduit donc dans ce procédé à mesurer seule- ment le grossissement du liquide examiné ; car le grossis- sement à vide et celui qui est fourni par l'interposition de l'eau, notre liquide type, ont été mesurés une fois pour toutes. Voici maintenant comme nous avons adapté un de nos appareils (le microscope Chevalier) à cette nouvelle manière de calculer l'indice de réfraction. L'objectif de notre microscope est formé de trois lentilles plan-convexes achromatiques, la face plane de ces lentilles étant tournée vers l'objet, nous dévissons la lentille imfé- rieure et nous la plaçons à une distance de 2 millimètres des deux autres; elle pose sur une lame mince de verre parfaitement fixe et qui se rattache par une tige de cuivre au corps même de l'appareil. Cette lentille isolée est pla- cée de telle façon que son axe optique se confonde avec celui des deux autres lentilles. Ceci effectué, on met sur le porte-objet un micromètre CLASSE DES SCIENCES. 19 en verre qui présente un millimètre divisé en 100 parties igales et on fait marcher le porte-objet jusqu’à ce que les divisions soient parfaitement nettes. On mesure alors le grossissement par un moyen que nous indiquerons tout-à- l'heure et on a la valeur de g, c'est-à-dire le grossisse- ment à vide. Pour obtenir g’, on introduit entre la lentille isolée de l'objectif et celle qui est immédiatement au-dessus d'elle , une goutte d'eau qui se moule dans cette espèce de vase en touchant à la fois la face plane de la lentille supérieure et la face convexe de la lentille inférieure isolée. Cette introduction diminue le pouvoir convergent du système, et on est obligé d’éloigner le porte-objet pour mettre le micromètre au foyer ; on mesure de nouveau le grossisse- ment et on a g'. | Enfin on suit exactement la même marche avec le liquide à examiner, après avoir eu soin toutefois d'essuyer par- faitement les deux lentilles que l'eau a touchées ; on a alors la valeur de g”. Il ne reste plus qu'à substituer les valeurs de g, g' et g” fournies par l'expérience précédente et celle de n qui se trouve dans tous les livres de physique, dans la formule déjà indiquée pour en déduire l'indice de réfraction cherché. Tout revient donc, en définitive, à une mesure de grossissement. Le moyen qui nous à paru le plus simple, consiste à placer en avant de l'oculaire un petit miroir métallique cireulaire de trois millimètres de diamètre en viron, dont le plan est incliné de #5° sur l'axe du micros- cope. L'œil placé un peu au-dessus du petit miroir, aperçoit par réflexion les divisions grossies du micromètre qui sé projectent sur une feuille de papier blanc placée au-dessous ; on marque alors avec une pointe très fine les 80 ACADÉMIE DE ROUEN. lignes sur lesquelles se projettent deux des divisions, faei- lement reconnaissables par leur plus grande longueur, et on mesure leur distance à l'aide d'une règle graduée et d'un vernier qui la donne facilement à 1/100 près. Le rapport de cette longueur, mesurée à la grandeur réelle des divisions , donne le grossissement cherché. L'expérience se fait avec une facilité telle que deux ou trois minutes suflisent pour l’exécuter avec tout le soin dé- sirable. Il est bon toutefois de signaler la nécessité de remplir certaines conditions pour arriver à un résultat rigoureux. Le grossissement apparent dans un microscope varie avec la position de l’oculaire , le plus ou moins de netteté avec laquelle l'image est aperçue , et enfin avec la distance de l'œil à la surface horizontale sur laquelle les divisions grossies sont projetées. Il dépend enfin de la structure de l'œil de celui qui expérimente. Pour nous placer dans les circonstances les plus favo- rables, nous avons d'abord cherché quelle était la position la plus convenable de l’oculaire pour l'œil de chacun de nous, et nous avons maintenu cette position invariable pendant tout le temps de nos recherches. Nous avons ensuite placé la feuille de papier blanc qui reçoit les 1/100 de millimètres grossies à une distance constante de l'œil, 33 centimètres, distance ordinaire de la vue distincte. Pour être bien cer- tains que nous distinguions toujours les traits du micro- mètre avec la même netteté, nous avions placé au foyer de notre oculaire un fil très fin qui nous servait de point de repère. Enfin, de peur que le micromètre fut mal divisé, nous recherchions toujours la distance de deux mêmes divi- sions sur la feuille de papier où nous les recevions agrandies. Voici les résultats que nous avons obtenus en appliquant cette manière d'opérer à la recherche des indices de ré- fraction des huiles. CLASSE DES SCIENCES. s1 Le grossissement à vide étant g = 137. L'introduction de la lentille d'eau diminua le grossisse- ment ; il devint g' = 183. En introduisant successivement les espèces d'huiles on a obtenu : pour l'huile de morue g° = 161 l'huile d’arachide g” = 163 l'huile de Colza g” = 160 l'huile d'olive Dr 166 En prenant pour indice de réfraction de l'eau 1,335 et appliquant la formule, on obtient pour l'indice de réfraction. de l'huile d'olive n—1"1, 459 l'huile de colza n° = 1,477 l'huile d’'arachide n° =1,459 l'huile de morue n'=1,#71 On voit par ces chiffres que même , au point de vue de leurs propriétés optiques, les huiles présentent des carac- tères qui permettraient de les distinguer ; seulement tandis que pour la dilatation les huiles de graines se séparent nettement des huiles animales, pour les indices de réfrac- tion, au contraire, l'huile de morue est placée entre l'huile d'arachide et l'huile de colza. Le nombre d'huiles pures que nous possédions ne nous à point encore permis d'étendre nos recherches sur leurs propriétés physiques aussi loin que nous l’aurions désiré ; nous espérons nous trouver len mesure prochainement de combler plusieurs lacunes, et d'arriver ainsi à des lois qui offriront un plus haut caractère de généralité. 6 RENSEIGNEMENTS SUR LES OPÉRATIONS DU MONT-DE-PIÉTÉ DB ROUEN, PRÉSENTÉS À L'ACADÉMIE LE 2 Mars 1849, Par M. A.-G. BALLIN,. Messieurs, J'ai l'honneur de vous présenter le Tableau décennal des opérations du Mont-de-Piété de Rouen, pour la période de 1839 à 1848 inclusivement. La révolution qui s’est effectuée au commencement de 1848 devait avoir une certaine influence sur les opérations du Mont-de-Piété; la stagnation du commerce et de l'industrie , l'extrême difficulté de se procurer de l'argent, auraient dû faire penser que des prêts nombreux seraient demandés par des ouvriers sans ouvrage; cependant, il n’en a pas été ainsi, car les petits prêts ont été moins nom- breux qu'à l'ordinaire , ce qui pourrait faire supposer que, parmi les habitués du Mont-de-Piété, quelques-uns des plus pauvres ont trouvé d’autres ressources. A la fin de mars, les prêts d'une certame importance CLASSE DES SCIENCES. 83 ont augmenté, de sorte qu'il a été nécessaire de les limi- ter, comme à Paris, au maximum de 100 fr. pour chaque emprunteur, et j'ai dù repousser quelques commerçants, d’ailleurs en petit nombre, qui voulaient obtenir, sur des marchandises , des sommes plus fortes que celles qui sont généralement demandées en temps ordinaire ; mais cette restriction à été levée le 20 juillet. Depuis ce temps, le nombre des nantissements en magasin a toujours baissé, quoique l’action des ventes ait été fort ralentie, afin de donner aux emprunteurs la facilité de renouveler leurs engagements ; et ilest à remarquer que l'administration , en accordant ce retard, qui, pour quelques-uns, a été de trois mois, n'a pas exigé le paiement des droits corres- pondants. Pendant les trois premiers mois de 1848, les dégage- ments ont été moins nombreux et d’une valeur moindre que les engagements ; c’est le contraire qui a eu lieu pen- dant les neuf mois suivants pris ensemble, où il y a eu 41,268 engagements pour #09,293 fr de prêts, et k3,671 dégagements pour 412,700 fr. Ce résultat qui , au premier aperçu, semble satisfaisant, ne l'est peut-être pas autant qu'on pourrait le croire, car les anciens employés du Mont-de-Piété, notamment les commissionnaires, qui sont plus particulièrement en rap- port avec les emprunteurs, assurent que, dans les temps de prospérité, lorsque le travail est abondant et bien payé, les mutations sont plus fréquentes, et cela peut s'expliquer ainsi : L’ouvrier qui gagne de l'argent facilement, le dé- pense de même, et, s’il vient à en manquer, il engage les objets qu'il a achetés et qui ne lui sont pas indispensables ; il les dégage et les réengage fréquemment, sans s'inquiéter de la perte qu'il en éprouve, et pour satisfaire le besoin du moment. Au contraire, quand il gagne peu, il devient 84 ACADÉMIE DE ROUEN. forcément économe ; il n’achète des effets neufs ou ne dé- gage ceux qu'il a déposés au Mont-de-Piété que lorsqu'il y a nécessité absolue, et cesse d'engager, parce qu'il ne possède plus que le strict nécessaire. ‘| Quoi qu'il en soit de ces réflexions, il résulte du tableau suivant que les opérations de l'année dernière sont presque toutes inférieures à la moyenne décennale. En voici la comparaison : Engagements et Renouvellements. Moyre décle. 94,683 articles pour 1,043,466 fr. de prêts. 1848... 86,715 — 1,024,135 — Dégagements. Moy: décle. 66,297 articles pour 639,367 fr. de prêts. 1848... 57,058 — 563,299 —— Dégagements par Renouvellements. Moyre décle. 21,530 articles pour 317,499 fr. de prêts. ! 1848... 28,240 — 435,239 — ; Ventes. Moyr: déc. 6,063 articles pour 65,408 fr. de prêts. 1848... 6,820 — 79,472 a. La diminution des engagements s’est fait sentir princi- palement sur les prêts de peu de valeur ; en voici les diffé- rences en nombre : M. d. 26,673 prêts de 3 fr. | 13,402 de 4 , | 12,691 de 5, | 22,320 de 6 à 10. 1849, 22,738 = 12,645 — 11,098 — 20,397 — CLASSE DES SCIENCES. 85 J'ajoute que le Mont-de-Piété du Havre a fait plus d’en- gagements en 1848 qu'en 1847, tandis qu'à Rouen, c’est le contraire qui a eu lieu. Le nombre des dégagements a été, au Havre, au-dessous de la moitié des engagements, tandis qu’à Rouen, ce nom- bre a dépassé les 5/8**. 11 semble qu’on doive inférer de là que, pendant l'année 18#8, la gêne a été plus grande au Havre qu'à Rouen; toutefois, on ne saurait se pronon- cer d'une manière absolue sur cette différence, qui peut tenir à des circonstances locales que nous ne connaissons pas. P.S. Ilest à remarquer qu'à Paris comme à Rouen, les opérations du Mont-de-Piété ont diminué en 1848. Voici, à cet égard, les observations que M. A. Blaïze, direc- teur du premier établissement, a consignées dans un rapport du 15 février dernier, dont je n'ai eu communication qu'en septembre : « Quelle est la cause de cette diminution dans les opé- rations du Mont-de-Piété ? Au premier abord, il semblerait que ses opérations doivent être en raison directe de la misère ; il n’en est rien, et l'on peut avancer hardiment le contraire. Nous n’entendons pas dire que les besoins sont d'autant moins grands que la misère est plus profonde, ce serait absurde ; mais, d’un côté, le Mont-de-Piété a été obligé de réduire à 100 fr. le maximum de ses prêts (1), et, de l’autre, il ne vient pas seulement au secours de l'extrême misère, il est encore la providence du petit commerce. Or, lorsque le mouvement général des affaires diminue, la petite industrie , la petite production, restent dans linertie, et ne viennent plus solliciter le Mont-de- Piété. » (1) Ien a été de même à Rouen, du 24 mars au 20 juillet 1848. LETTRE A NM. Auguste LE PREVOST, SUR LA STATISTIQUE, COMMUNIQUÉE A L'ACADÉMIE LE 50 MARS 1849, PAR M. A.-G. BALLIN. Monsieur et très honoré Confrère, Vous avez bien voulu m'offrir votre Histoire de Saint- Martin du Tilleul, et j'ai admiré ce qu'il vous a fallu de zèle , de patience et de lumières pour coordonner le fruit des immenses recherches auxquelles vous avez dû vous li- vrer, afin d'arriver à prouver qu'il n'y a point de si petit coin de terre sur lequel il ne soit possible de faire germer une riche moisson de documents et de souvenirs (1). En pu- bliant un spécimen si brillant , si complet, de ce que peut une érudition bien dirigée , vous avez pu espérer d’exciter Fémulation de ces hommes qui se dévouent consciencieu- sement à des études souvent bien arides ; mais n’avez-vous pas craint, en même temps, de décourager ceux qui réfléchiraient à l'incommensurable travail qu'exigerait la (1) Ouvrage précité, p. 81, CLASSE DES SCIENCES. 87 statistique complète de chacune des 5 à 600 communes et plus dont se composent certains départements ? N'avez- vous pas pensé d’ailleurs, qu'en supposant qu'on trouvât ces travailleurs aussi éclairés qu'infatigables , il se présen- terait d'insurmontables diflicultés d'exécution? Car, si l'on voulait entreprendre une statistique départementale dont toutes les parties fussent traitées aussi abondam- ment , aussi largement que vous l'avez fait pour l'histoire seulement de la petite commune de Saint-Martin du Tilleul, l'entreprise deviendrait gigantesque , et il faudrait néces- sairement renoncer à l'espérance de la voir conduite à bonne fin. C’est ce qui m'a décidé, indépendamment de mon insuflisance , à me restreindre beaucoup dans mon Essai sur la statistique du canton du Grand-Couronne , que j'avais cru pouvoir offrir au Conseil-Général, si non comme un modèle, du moins comme un premier point de départ, pour la confection d’une statistique complète du département de la Seine-Inférieure, ouvrage consi- dérable et difficile sans doute , mais que M. de Murat au- rait probablement eu l'honneur de faire exécuter , s'il fût resté plus longtemps Préfet , lui qui avait eu le bon esprit d'appeler à y concourir, non seulement l’Académie et la Société d'agriculture, mais encore toutes les autres Sociétés savantes et tous les hommes studieux du département. Par suite de son éloignement , le plan qu'avait dressé avec tant de soin l'Académie est tombé dans l'oubli, et mon ouvrage est resté sans application, bien qu'il ait obtenu l'approbation de l'Académie des Sciences de l'Institut, {Séance du 26 avril 1847) ainsi que celle de la Société d'Émulation de Rouen ; et puisque vous m'avez fait l'hon- neur de me demander une série de questions pour la for- mation de statistiques partielles, j'espère répondre à votre désir en vous retraçant ici un aperçu de mon travail. 88 ACADÉMIE DE ROUEN. Lorsque je l'ai entrepris, je pensais et je pense encore aujourd'hui que , pour faire une bonne statistique de dé- partement , il faut commencer par traiter chaque canton en particulier , puis en résumer les points principaux, les faits analogues , les traits caractéristiques dans un discours préliminaire qui embrasse l'ensemble et donne tout d’a- bofd une idée générale du pays. Pour arriver à un résultat satisfaisant, ilfaut s’astreindre à des recherches innombrables, demander des rensei- gnements partout où l'on peut espérer d'en obtenir, les examiner scrupuleusement , les vérifier avec soin, et sou- vent les rectifier les uns par les autres. C'est ainsi qu'a- vant de commencer mon travail, j'étais entré en corres- pondance avec le juge de paix et le curé du canton, avec les percepteurs, les maires, les desservants, les instituteurs, les médecins et autres habitants notables. Je leur avais adressé une série de questions dont je joins ici un exemplaire (1). J'aiensuite coordonné et comparé leurs réponses, et, lorsqu'elles étaient incomplètes ou contra- dictoires , je n'ai point hésité à faire de nouvelles demandes, afin d'éclaireir mes doutes et d'arriver , autant que pos- sible , à la vérité. Il va sans dire que j'ai profité, non-seule- ment des documents qui existaient, soit dans les archives départementales , soit dans les bureaux de la préfecture , mais encore des mémoires imprimés ou manuscrits que j'ai pu me procurer, et parmi lesquels je n'ai eu garde d'oublier celui où vous avez retracé l'histoire et la des- cription de l'Église de Saint-Julien-de-Quevilly , dont j'ai cHé un long extrait. J'ai cité aussi votre dissertation sur l'emplacement de l'ile d'Oissel. 1) Ces questions sont trop nombreuses pour être rapportées ici 2! CLASSE DES SCIENCES. 89 LA PREMIÈRE PARTIE est consacrée à des Considérations préliminaires et générales. Après avoir exposé brièvement l'origine et le but de la statistique , et en avoir indiqué les bases générales dans le 1°" chapitre , je passe dans le 2°, à l'Histoire et à l’Archéologie ; le chapitre 3 est consacré à la Biographie , et le 4° aux mœurs, usages , fêtes et diver- tissements. La DEUXIÈME PARTIE contient la Description générale du pays. Le chapitre 1° est intitulé : Topographie , situation, surface, bornes, méridien ; le chapitre 2 traite de la Constitution hygiénique en trois articles ; Aperçu géné- ral, nourriture des habitants, maladies épidémiques (Choléra , vaccine) ; le chapitre 3, qui s'occupe de l'His- toire naturelle, est aussi divisé en trois articles : Règne végétal et règne animal ! chasse, pêche ) ; la population est l'objet du 4° chapitre ; l'Agriculture , celui du 5°, qui se divise en six articles : 1° Nature des produits du sol; 2e Détails relatifs à la culture ; 3° Animaux employés dans les exploitations agricoles ; #° Ferme principale de chaque commune ; 5° Vaine pâture ; 6° Domaines nationaux. Je crois devoir vous faire remarquer , sur l’article #, qu'après avoir rapproché et comparé les détails recueillis pour chaque ferme réelle, j'en ai composé une ferme fictive de 100 hectares , où se trouve indiquée la proportion des di- verses cultures, les produits en nature, ainsi que leur valeur approximative en numéraire, et, si je ne me trompe , un semblable travail, exécuté pour chaque canton, donne- rait une idée très juste et très précise de l’agriculture des diverses parties du département , et de l'importance de leurs produits respectifs. Le chapitre 6 se rapporte à l'Zn- dustrie, et se divise en quatre articles : 1% Professions les plus généralement répandues ; 2° Etablissements in- dustriels; 3° Machines à vapeur ; #° Poids et mesures ; 90 ACADÉMIE DE ROUEN. le chapitre 7 présente l'Etat politique, en six articles : 1° Culte ; 2° Droits politiques ; 3° Ordre judiciaire; 4° Di- vision du territoire, Administrations civils: 5° Instruc- tion primaire ; 6° Garde nationale. Le 8° chapitre fait connaître les communications. Le 9° a pour sujet les Con- tributions directes et les budgets des communes. LA TROISIÈME PARTIE se Compose de renseignements particuliers sur chacune des communes du canton, et sur les villages et hameaux qui en font partie ; on y trouve l'étymologie des noms, ainsi que l'indication des lieux et monuments remarquables , et des souvenirs qui s’y rat- tachent. Enfin, la QuATRIÈME PARTIE est une collection de 18 tableaux dont quelques-uns ont un grand nombre de colonnes; J'ai réuni dans chacun les renseignements particuliers à chaque commune, et je les ai additionnés pour faire connaître l'ensemble de ces renseignements , par rapport au canton tout entier. Voici la nomenclature de ces tableaux : 4e Tableau des divisions du territoire par nature de terrains , avec l'évaluation de leurs produits ; 2e Tableau concernant la population. (Nombre de maisons , leurs couvertures. }) 3° Mouvement de la population en 183% et 18% ; ke Tableau des jeunes gens soumis au recrutement de 1825 à 184% ; 5° Tableau comparatif des jeunes gens soumis au re- crutement depuis 20 ans dans le canton et dans le dépar- tement ; L. { l CLASSE DES SCIENCES. gt 6° Tableau des professions des jeunes gens compris dans le contingent de 1825 à 1844 ; 7e Détails comparatifs sur l'instruction des jeunes gens du canton et du département ; 8 Tableau relauf à l’agriculture, indiquant la valeur et le produit des terres ; 9e Tableau des animaux employés dans les exploita- tions rurales et autres détails ; 10° Désignation de la principale ferme de chaque commune. {1e Détails concernant les eaux et les incendies ; 12° Résumé sommaire des ventes de domaines natio- naux , de 1791 à 1813; 13° Tableau comparatif des contributions directes de 1821, 1836et 1845, en principal et centimes additionnels ; 14° Tableau des patentables et des professions les plus communes ou les plus remarquables ; 45° Tableau des électeurs des membres de la Chambre des Députés ; 16° Tableau des électeurs municipaux ; 17° Tableau de divers renseignements relatifs à l'admi- nistration des communes ; 18° Tableau des distances réciproques , en kilomètres, de toutes les communes du canton du Grand-Couronne et du chef-lieu du département. Enfin, l'ouvrage est accompagné d'une Carte topogra- phique du canton. OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES $faites à Rouen PENDANT L'ÊTÉ ET L'AUTOMNE DE L'ANNÉE 1848, ET PENDANT L'HIVER ET LE PRINTEMPS DE L'ANNÉE 1849, Présentées et lues à l’Académie à diverses époques, PAR M F. PREISSER. Éré DE L'ANNÉE 1848 (Juin, Juillet, Août ). Pression atmosphérique. — Pendant les trois mois de l'été, les pressions moyennes ont été : de 755,75 en juin, de 760,28 en juillet, de 759,36 en août. La moyenne de la saison a donc été de 758,46. En 1335, elle a été de 756,35; En 1836, —1" ‘de 758,27; En 1837, — de 761,09. Les limites de la variation barométrique ont été de 744» 22 et 770,76, de sorte que l'amplitude de l'oscillation peut être représentée par 26,54. Elle a été plus considé- rable que celle de l'été des trois années précédentes, pendant lesquelles elle n'a varié que de 18"",92 à 24,77. CLASSE DES SCIENCES. : 93 Température. — La température moyenne de la saison a été de 16°,4 ; Savoir : en juin, de 14°,8; en juillet, de 19°,4 ; en août, de 15°,1. Elle à été moindre que dans les années précédentes. En 1845, la moyenne de l'été a été de 17°,2; En 1846, — de 20°; ; En 1847, — de:4:7°,9. La plus haute température a été observée le 6 juillet ; elle a été de 30° ; le minimum, le 6 juin, a été de 7°,6. La température entre ces deux extrêmes a donc présenté une oscillation de 22°,#. Cette oscillation est également plus faible que celle des années précédentes. Pluie. — La quantité totale de pluie tombée à Rouen, pendant cette saison, a été de 24°°,690 ; Savoir : 6,975 en juin; 5,702 en juillet ; 12,013 en août. Pendant l'été de 1845, il est tombé 21,319; _— 1846, — 16,654 ; _— 1847, — 21,723, L'été de cette année a donc été plus pluvieux que celui des années précédentes. Il y a eu 39 jours de pluie: 10 en jun, ji en juillet, 18 en août. 9% ACADEMIE DE ROUEN. J'ai observé, à Rouen, 9 orages pendant cette saison : 4 en juin, 3 en juillet, et 2 pendant le mois d'août. Trois ont été amenés par un vent d'Ouest, Deux par un vent de.... ...... . S.-S.-E. Un'par/unventues.."". 0. E.-S.-E. Deux par un vent de............ S.-S.-0. DÉRRATE EN NRERA ACES.. . N.-N.-0. Nous devons observer que les orages qui éclatent dans nos contrées sont bien plus intenses quand le vent souffle de l'O, S.-0. ou S. , que quand il nous arrive d'un côté opposé. La marche du baromètre est aussi bien plus influencée dans le premier cas que dans le second. En général, dans notre contrée, un changement brusque dans la direction du vent et une dépression d’une dixaine de millimètres dans la colonne mercurielle , sont les précur- seurs ordinaires d’un bouleversement atmosphérique, et surtout d’un violent orage. L'apparition des Cirri indique presque toujours un chan- gement dans l'état du ciel. — Après des jours pluvieux, quelques cirri ramènent un ciel serein. Voici comment on peut ranger les vents par ordre de fréquence : Vents 1d'OM 219 de N.-E.... #4 de S.-S.-0. 15 de N.-N.-E. 3 de S.-S.-E. 11 de O.-S.-0. 2 de N.-0...11 deiS.=E. .: 92 de S.—0.…. 10 de N.-E. ... 2 de O.-N.-0. 7 6 (oe L 1 de N.-N.-0. 4 de E.-S.-E. 1 CLASSE DES SCIENCES. 95 AUTOMNE de l'année 1848 (septembre, octobre, novembre.) Pression atmosphérique. — La moyenne pression de la saison à été de . . . 758,49 Savoir : en septembre. . . 761,22 en.octobré 0. .1755,75 en novembre 758,29 Moyenne. . . 758,42 La pression la plus élevée a été de 772,30, le 16 sep— tembre , et la plus faible de 741,29 le 23 novembre. Le baromètre a donc oscillé dans une étendue de Don OI Température. — La température moyenne de la saison aété de. . . . . 1195. Savoir : en septembre. 1629 en octobre . 11°,9 en novembre. … . 6°,5 Moyenne . . . 11°,5 Si nous calculons cette moyenne d'après les observa- tions du thermomètrographe, c’est-à-dire d'après les maxima et les minima, nous trouvons le nombre 100,7. Le minimum de la température a été de 26° le 5 septem- bre, et le minimum de 1e le 12 novembre ; de sorte que l'oscillation thermométrique peut être représentée par 27. Dans cette saison, le thermomètre n’est descendu que trois fois au-dessous de zéro , et la plus basse température n'a été que de 1°. Comme on peut le remarquer par l’ins- pection des tableaux synoptiques , la direction des vents a une grande influence sur la température. Ainsi, nous 96 ACADÉMIE DE ROUEN. voyons que dans cette saison, les vents du S O ont dominé. En les rangeant par ordre de fréquence, nous trouvons : Se Urie ee 0e 2 NN RE. 3 SRE LES NES 3 07725 269710 O.-N.-0. 5 N=D NP HET A0 S -S.-E., . 2 NEN= 0er 7 Budemiés 1 Diet nr 7 0.-S.-0. 1 Dh sue 45 E.-N E. 1 IN CE 4 Pluie. — Si la saison a été très douce, en revanche elle été très pluvieuse. La quantité de pluie recueillie dans l’udomètre a été de . . 21,121 Savoir : en septembre. . . 7,761 en octobre. . . - 6,095 en novembre. . : 7,265 Total... MOTO Le nombre de jours de pluie s'est élevé à 25. Il n’est tombé qu'une fois de la grêle. Il y a eu deux orages pendant le mois de septembre. Celui qui a éclaté dans la nuit du 22 au 23 a été remar- quable par sa violence. Le baromètre est descendu de 10 millimètres , et il est tombé une quantité énorme de pluie (5%,28.) Je n'ai jamais eu l'occasion de constater à Rouen la chute d’une aussi forte quantité d’eau. Portons maintenant nos regards sur les quatre années qui viennent de s'écouler, et pendant lesquelles nous avons fait des observations météorologiques régulières. Quoique ce laps de temps ne soit pas encore suffisant CLASSE DES SCIENCES. 97 pour établir la chmatologie d'un pays , il pourra cependant déjà nous fournir des renseignements précieux. Température. — À Rouen, la température moyenne, établie d'après # années d'observations, est de 10,7. Savoir : en 1845 , de 9,8 eu 1846, de 12,2 en 1847 ,de 9,8 en 1848, de 10,9 Moyenne, 10,7 Mes instruments étant placés à une hauteur de 39" au-dessus du niveau de la mer, si nous admettons une diminution de 1 degré dans la température, pour une élévation de 180", il en résulte que la température moyenne de Rouen, réduite à ce qu'elle avait au niveau de la mer , est de 10,9. Paris , dans les mêmes circonstances , a une tempéra- ture à peu près égale à celle de Rouen, puisque la diffé- rence n'est que de 1 dixième de degré. Elle est de 11°. Celle de la France est sensiblement de 12, d'après les observations faites dans les villes où elles ont été déter- minées avec une précision suflisante , et en excluant le plateau central dont le elimat nous est entièrement inconnu. Après la température moyenne , il reste à déterminer deux éléments très importants ; ce sont les températures de l'hiver et celles de l'été. En effet , deux moyennes égales peuvent correspondre à des climats fort différents, l’un à température uniforme et tel que les hivers soient doux et les étés sans chaleur , l'autre à températures extrêmes , tel que les étés soient très chauds et les hivers très froids. la France présente, sous ce rapport, d'assez grandes cl 98 ACADÉMIE DE ROUEN. différences pour qu'on y distingue des climats excessifs ou continentaux , et des climats à température uniforme ou marine. Isothènes et Isochimènes. — Les lignes d'égale tempéra- ture en été (Isothènes) et celles d’égale température en hiver (Isochimènes) ont un trajet fort différent les unes des autres, et fort différent aussi de celui des Isothermes ou lignes d'é- gale température moyenne. Ainsi, pour n'en citer qu'un exemple, l'isotherne de 20° part de l'embouchure de la Gironde, coupe la Loire au niveau de Moulins, la Saône à son confluentavec le Doubs et le Rhin non loin de Mulhouse. Le trajet de ces lignes est d’une grande importance, car il se lie intimement à celle des courbes qui limitent les ré- gions occupées par certains végétaux sauvages ou cul- tivés. À Rouen, d’après # années d'observations , la tempéra- ture moyenne de l'hiver est de 3°,3, et celle de l'étéde 17°,7, comme le démontre le tableau suivant : Années 1845, 1846, 1847, 184:, Hiver. Li 59,2; 1:60: s CUT Hé + 10 20,1, 172,2, 16°,4, à Paris, les moyennes sont de 3°,3 pour l'hiver et de 18°,1 pour l'été. La différence de température entre les deux saisons est donc de 14°,8 pour Paris et de 14°4 pour Rouen. Ces nombres confirment cette loi générale en météoro— logie que les différences entre les températures moyennes de l'hiver et de l’été vont en diminuant à mesure qu’elles se rapprochent de l'océan ou de la méditerrannée. CLASSE DES SCIENCES. 99 L'hiver à Rouen est précisément égal à celui de Paris, mais l'été est moins chaud. La différence entre les deux saisons est la même exac- tement à Rouen qu’à la Rochelle. Quant aux moyennes des printemps et de l'automne, nous voyons qu'elle est de 10°,2 pour le printemps, et de 11°,6 pour l'automne. A Paris, elles sont de 10°,3 et 11°,2. Ainsi notre printemps est de 1 dixième de degré plus froid et notre automne de 4 dixièmes de degré plus chaud. Vents. — Les vents sont les grands arbitres des change- ments atmosphériques. Ils exercent l'influence la plus marquée sur la température moyenne des saisons. Voici comment on peut classer en moyenne les vents dominans à Rouen. Nous avons soin de les ranger par ordre de fréquence pour chaque année. Année 1845. 0. 50 GS 14 S.-0. 48 N.-N.-0. 13 SES 97731 S.-E. 8 N.-0. 30 SSE. 8 O.-N.-0. 29 N.—E. 3 N.-N.—E. 19 N. 3 E.-N.-E. 19 F: 3 OS EDS HSE; 3 Année 1846. S.-0. 117 NE 0. 54 E. 27 S. 52 N.-0. 27 N.-E 46 S.—E 12 100 ACADÉMIE DE ROUEN. Année 1847. S.-0. 10% E. 10 NE. 56 0. 7 N.-0. 55 O.-N.-0. 6 N 51 S.-S.-0. 2 S. 38 S.-S.-E. 1 S.-E. 19 Année 1848. S.-0. 69 S. 15 N.-0. 58 N.-N.-0. 15 0 44 S.-E. 9 N.-E. 33 0.-S.-0. 8 S.-S.-0. 33 E. 2 S.-S.-E. 21 E.-S.-E. 1 N. 18 Moyenne des 4 années. S.-0. 84,5 S.—E. 12,0 N.-E. 33,5 E. 10.5 N.-0. 42,5 N.-N.-E. 8,5 0 38,7 O.-S.-0 7,5 S. 27,2 SES ET, S N. 27,2 N:=N°0:°.7:0 S.-S.-0. 14,0 E.-N.-E. 5,0 O.-N.-0 12,7 E.-S.-E. 1,0 Si nous comparons maintenant les vents qui ont soufflé, en moyenne, de l’ouest vers l’est, à ceux qui ont eu une direction opposée, nous verrons que les premiers sont aux seconds dans le rapport de 304,1 à 125,2. A Paris ce rapport est de 638 à 362. CLASSE DES SCIENCES 101 Enfin, le tableau suivant indique la fréquence des vents de la région d'ouest et de ceux de la région d'est pour chaque mois de l'année. Vents d’O. Vents d'E. Vents d’'O. Vents d’E. Décembre 22,5 77 Juin 45,9: 49,2 Janvier LOL AL: 5 Juillet 21,2 9,7 Février 18,2 9.7 Août 22,7 8,7 Mars 20,2 9,5 Septembre 19,5 10,5 Avril. 17,5 14,0 Octobre 24,0 6,2 Mai. 19/5415 Novembre 20,2 9,7 Les mêmes moyennes pour chaque saison de l'année seront ainsi représentées : Région O. Région E. Hiver. 20,0 9,6 Printemps. 19,0 4457 Été. 19,7 10,2 Automne. 21,2 8,8 Ainsi, comme on le voit, les vents de S.-0. d'O. et S.-S.-0. prédominent à Rouen dans une très forte pro- portion. Ce sont, en général, ceux qui nous amènent la pluie. Les vents de la région © diminuent en nombre à partir de l'automne. Pendant le printemps ils sont à leur minimum, mais leur nombre va croissant dans les saisons suivantes. Pour les vents d'E., la marche est inverse, c'est-à-dire que le plus grand nombre de ces vents souffle pendant le printemps et le plus petit pendant l'automne. Pluie. — La quantité moyenne annuelle de pluie qui tombe à Rouen est de 907,18 millimètres savoir : 979,22 en 1845. 905,47 en 1846. 869,29 en 1847. 883,73 en 1848. 102 ACADÉMIE DE ROUEN. A Paris cette quantité n’est, en moyenne, que de 456 mil- limètres sur la plate-forme de l'Observatoire, située à 28 mètres au dessus du sol. Ce résultat est fort remarquable et montre bien l'in fluence des vents humides de S.-0., qui soufilent si fré- quemment sur notre contrée. La quantité moyenne d'eau qui tombe à Rouen pendant l'hiver est de.........-....-:.... 243,67 pendant le printemps..............:.:... . 230,62 pendant J'é.n0200 0. te PEN .. 220,96 en automne...:.....-. het 52 RER 219,42 Comme le démontre le tableau suivant : Année 1845. Année 1846. Année 1847. Année 1848. Hiver..... 274,54 255,98 257,19 157,69 Printemps - 275,06 209,69 199,79 237,93 | 57-200 OR 213,19 166,84 217,23 246,90 Automne .. 21,643 263,96 186,08 211,21 On voit qu'à Rouen la quantité de pluie va en diminuant depuis l'hiver jusqu'à l'automne. Le nombre de jours de pluie par année est de 122,2. A Paris, il est de 144,5. Les averses sont bien plus fortes à Rouen qu’à Paris. Voici un tableau qui nous donne la moyenne des jours de pluie dans les différentes saisons : 1845. 1846. 154 Fe 1858. Moyenne par saison. Hiver 20021 36 25 25 27,2 Printemps. 31 42 33 3% 35.0 Élésciole es 29 49h rest 25,5 Automne .. #1 40 32 #25 34,5 — — ————_— — — —— Totale: cr118 137 112 123 _—. Observations météorologiques faites à Rouen pendant Les mois de Juin, Juillet et Août ISA. MOIS DE JUIN 1848 T AT — . = D = es 1 . O0 h Ÿ , PT me re ___ MOIS DE JUILLET 1548. | MOIS D'AOÛT 1848. Jones Fan Gas [um [fat [um | à |aucit| 0 |Œtuie Ru tint |fou Joie. Joan doir.Ehenmenene[Uvents [Et | loin Obsuvations Euita [oo [atoudoie. [ot doir,|th vus | l Observat | ati 800 feu] à 0 |estés |masimanions| Ait |à jitiot | fitages | Jon fatal en le lroticelie men Ie sécu Die A UE has) Nid | Soudoic. | doit. Chine | ets | tai | Sue 2 Obsersations | = NE —|— Ù d | 20 fun |ëo fetu.llso anse ln let nuages More fe He AE | he AN AUS F k Le suc Li LUS te pastluss| jaulasu) spot 16 n Sal er rnlRe, —— | = ee | û Û so [at so let lao [enta.l à o fit |inasima fininies| AND | Ati nuage SANS) DO ALL DC DS 1 LIST DRE OC LS PCR EU 10 6 1 CA ES ES à | mul ol neul içel tél mel lus IE sl FR = — — — —|—— » l'ustélas lg a louçonl nl Fe Ar As 18-39 | Ciihoneatemen = 2 El fol js be se 2 ju | cul ak ee a 5e £ Fe le Ms Gression Raromenique fois | : D A A AS NPA US BU GS “i jai Raront à |'sasas liés | yraulhien | qyuié Lung s pu = | 3 te | Lim w leu) | Al ER AIRE sea | ne ON LA ae u lle rs & à jan queitgenne = 750 | 2 él 6sléoulags| el sl alert gel mal &e () o 14 Guessien Barométiquemaenne = 119.36 5 pl isel sigle | spuelins f ||" EL | pt ua |(e Re set cr ee RES me halles 2p 1] SENS 41 ME nes te CDI A EP AT RPC AC RTC AE TON EC SE TE ECS TS ES SOUS Maximun Jéhe (leu ) masse) 16628 lus least 14 Ke 14.6 | 90 | L 2 | | 5 er ee Poe à je 4 ; e [S fs Cg k 11h Minutes Jhpsh Ce w) mn ETÉACC MDN TEEN SEC RTC HR LS EE TOC DS CS 9 IT SOC CUT Cr dt CNT Minimum jus (ler ) AE sal 44|; nelle Ile: ; Arr [hres6 nn ai Sa | us a œ%6.|) vs | Cn , | 5 À gant el guslal qual sol) al walusll se | ey | st | 151 ï "m4 1 À He ee # + rl k °° | CH Cm ét us | =T 4 Me “ Al É à En Je 4 < ue LE fs È à | ; ; fe 4 Fe Le Ct Co - FOUTÉS de À WOsciffarion 6 | qgusl @algaglinelpes| mal til qu) tulfimtln es | 04 = .| Gnplinte De L'Oseiflarion o lagon il tent 16x | tél or ane eU sat le Ra RE ER ES EE male lee SN re 1 | Parenenque = 188 À 5 al ol élec) gl we! gg gi) 031 wub sen|noue |ftinen . | Entenehique En IR ILLO) ROC TER IRON ET Alt. HE “ : À JA REUTERS perd Ur EDERS | 9 | 68/80 560) ahkl vise ao | 1h L _ “ü / Ée le dun CC TE OC LE OO D ONE COAU TS A OS A de Es : RER LE ce le A L = € C.s 1. fe D'apri | Pr y 3 Je aie ie sin $ Des Cns À | (NGC LP ETEEIHIEE CE] Y A o Lure golquulaselhgien | angl qinul nel agp ]hut| S:5e love Lee dt Ja | Orpi nee to 21 œ |apuslane | spu6o) as triatl age ol JP es OUR OC = \ fe 1h sph = 45 “ 1 ap late luéens litre ti | x à qi Fe se La : ; es e En jun ! 1 g a en No ao À jaucl qi fé) nl tiuss) vol éslhsa]) 195 [ag] 20e) |) ex, Ext rte. Renan 5 Éspalhuul julie latoline HT DRE :|1e € |Y Oupi| Cm dr, | 4,90 | Maximume la tenpéinfine Eat (lets) ane te on Lien er DE RES pre TE Rat EN EN Le DT ee = 114 D RETRO) TAC CO CC NE CC SU ECHECS SCT ; . | te thenometrographe » . = 1616 TN re EE Cle f ï al ml 98 e p 4.09 | Minima 5 2 DONNAIT ea ee ee RIRE Ls Fee Sel ci ST IONE SEI EE LU a ua) gl lhang) éttplhage aies ape anis frame 0. | sup [en dt | Ga) Mozimiuma fahnpaanue z182{11) 15 spa isol pysau rase | fs é Ù ee 5 El oinplipenentosrilanss | 14 | 35804 | 400) j6nanl ap ie se e 10 ë AR ° “à $ FE Une à An d A I ER NI ER AL UGS LEUR VASE US Ca ras A Li AA PEN dicton ER DE 1 Wal jy usé M6 6) © 68 [Lee c Ron tiaue LE | MR li Hp EE ES UOTE ON 0 . | Ainplin®e Re l'osxillation CT CC TE AE LT EC ON BC SION TE eue. | cp 5 ft | aunplitite De flosrillation > h \ iplahol pal sol spot » » | | 15 | jéspe| auf ét. bague xs fu agua) Nféhnn tie |, 168 || io J.Je.| 6h. | Ce. Cin thesmometiique = AU | 15 TR TN TOC EC RTE CE RTE LOT ja 30 | we |A Un - | Hhermominiique = HA 1 Pagaié gate sels) nf molbmel un) Séo:|he ee ro LUE 16e lost gépn | tepl gén lualgéhic ass | ol 96) Ssol 5 : k Te ts Ne are Lagon ao legale | 1951 altonce lc Pr F Le sn NE Reese Dé) LES PSE 0 ARE EN PS en Initfinetres or . [AR D les dE JEU j din se I me 6 | Cm prnepiére false PTE A RC TE A ET ECC PAC CCC CCS ECO SU . | quantirée ptüte rentes évalute os ee ce ee RÉ LR RO ES Sense D 0 | plie) jean ne ral alle ere AN ML PR CO ETC A SC DEC ET EE DO] CI SCTIUTOI SSACN SN RS . [raiiftiunees =ayAt un |'jénelqn) jénel el jenlie ; à à ; el FE ‘og DB 50 |LCt Cme H Drogue STE MIERE Rail ai : s j ; ï nes ( F nl 25) d DE - SA CE RE PEN TT 1e paplual qupel aol au hgssé ue) af} nf )00:8:600 00680 M Cu qui 48 Jours e plie ù ssl us) ssl ul 1h ES En enr DRE Ce A ga EG A EE [ES HELP D On Lau ol ml optio) ému) ail me | auf cm d + Gragts : ] SSL LL) EI Lys | ste lenagol ie Ua in | Cm 1h | f 8 SL EC PEL CON AN CN SCO DS OL AE uk] uk] 45€ | 204.01 | Cmt à 4 FCO IC NT EI CL 20 BIO D CU 6], 1604] d® cp n 14,99 UE A ONENRN SE QUES [A A a Es Du a GB vs a a a bte Rs ne al eo RUE 2 PALAU LA ESA US GS C . RU RE pe LH A RQ NACOIRAUE 408 à | gent el tel pal eu | tas) no ét lus e| ep |: Cm CAT] ia Dent lea RS LUS D tal qal alu] Vents al ARS + il "3° el qe LE ELU L20 DUT Lu . a pull eu] as nee) 6e) jean fans) 16 ]hito | 032.8; nou p Cm dt Sa CE Are Si 4 LEE à jp 1e LL ae A nt | YU 0 3 te à | DAMES date LA 113 (f] is LAN) ar EN EE qe : ASS ents 25 |éfl nul jeune) (pal fée) a6/héRGE) ae) An RAnS ®.| cy % ki Nents = : Lxe is ip 2 301) 454) jé las) sie j| 35 < He ; 21 1f : 2 Ls) do Jus se 11616 e ia | af tue © ä Lo a j Q 1 FA al ql éel jé 4al fol qol 17/114| 0.5.6 96» | On vr > 9%. : Que “ 1 Ant lreé Le + par A pS ESS RON c SATCANT ma | au JA MERS FE | RS ASS ae cé + MS UO CE er ù Êe 1 ÜÙ ses | jeu) aug) jé) as) je) pol ana | 16e e.| 2%yy | Cmt 3,6 NE $ A ns fs 1 OS ART ST OO CT ga + 4 li EN Es ai 160 2 LE Sa) se SRG D EME er ul g6apl 65] fé) aps) jénhgu | an uol eue, | ües, |emst ue L ESS ] m LD) AU ATEN es OCR CUVE! EU LA ÎL£ Cyr {60 $ \ Le 1 ; ni ARR EUR A ski) A 0. 4 | Cm Cr Me k se, $ s9 Léna gl jéapl angl jeuul mil fui| tel 20h| Al S:8.|, 9mu LI ET Maitnne | FER ON EU EE AE EN ILE A AE Sens JU 0 fasslhpe) nsnllun) téslus thus el urlence| os |Cmwr ù . Pau 10 | 7598 = — - je 1 |. D, QUO | ETS N NLIOeS | SEAL Hi] ml as) s 5e), 908 || On e. fa par Us Losplglgau) wa) jeusf asslhféspel ke) age) gel 108;} ouj in St DROITE STENTIRTE RTE) PEN Panne, | — — — | moyenne — — — Aer D COUT ONU Poule | fat] 166 |/jfeu8 | 04 jégpilius || guy | | dulou to | 466) 168! 15687) 10) 158 MEET ÿa]h es |e us 120 Ka pre 50 JJéoi 198 hfégeltes) jf68 flip | tit auto CR EONES msly6l ul w fous auto jé 2 SE OC AE AE PRO OO + tons | LA RO BL SU AE AC LE A ES [er haut \pilau| av is auto st iso 16.6 1686] al jençl ns) jeiglal win 1 2 —— Il SE FENTE À ED LAN MN EC CN IL) Pas il 16.8 as Ml jgusl 18) w6| 116 MOIS DE SEPTEMBRE 1848. Observations météorologiques faites à Rouen pendant Septembre, Octobre et Lovembre 1S46. | | | , | ce les ; —— | MOIS D'OCTOBRE 1848. MOIS DE NOVEMBRE 18/8. Et Cent AGE ou doit oo doit. | Ghernemee | Mens || Etc Fane Observations | Eu me (s rm F ê | Jours Pirten: Than arm: Then | au. [ibm fiston. [run a à w [Pie æ | 9"duifatin | AUD [Pre doir. |g'axdoir Cheunomete | Neits | Etai- | orme Observations abaultlatie | Didi Son Joir gta voir Cheunomene | ets | Etain | orme Obsersations so foi] so [an |ao ext] : 0 Jin. |marima nimes midi | sidi | nuages aan Adour, Een Hem [atom en) hat | hum atom | Bite TEEN | 0° M Prrvcitti)| Bras Pluie : Ce IS CI A TO CNE à laucit | 7% | Pluie us ==; 4 =. (2 $ | EH 20 fut] 20 feta.| ao [exta,| à o |estés.|naxime fininieal ANIDE | a Ait | nuages Aoïçeniea so [lot | so letnlaào [ext à 0) fentix. |masima |minims AND | a Adi nuages ATloyeimear 1 JÉRAST 1 | 166.60 | 16h 167.(8 | agé | 168 ” or ZT “ d g l ] 3, 20 D # © % Le) = =— PL D PL D AL LS TB 2œ0.| es | Ca | Gttsion Baronétiquemmnne = 1634 D A NE AE EE EE ON TE ON SC : (ET D \ sl malo pauses age) Se: )96spn)h Cm | 7550 , ) gousse ge fol ua és ac) aus] 89 | ee glisse) solex fa el ua ant se c 2 Gesion Rrontiquemagnne = 1541 n po | gailaus| fie luss filon est sel Cr (60 Cesion Éstomihiquemapnne = fu È É u 186 16f-5f | au6 | 64e | 4e) 165.9 me SRE ne ch ne | » HAE sh] (paul 16) {6x 160 ip all 166 le ÿ0 © & Maximin jh fi (es ) ; ga | {ff aux it 6h{ io) jfouk| But ag ff à. €. Ce F # Maximum qe y (kw) ; W Ml galet as) ul siege se D E) fée ACL CON DRE O2 DEC 12 DT 090 EST Or BIT Qt ©. | Ys |Cnt : ë Minime ALI (te ) | mn CO RS TT ENT DOC A ETC CRIS L'CSTCI ES OS 10 | «| me |C n y e f-40 -.. Minimum (M4 (ess ) DO TL ON A PIE OU D EDP NEEN BUS om. Gmplinide De fWsciffation AE 166 ue yspatlugo | 114) gjle Se-lugm; |Cn ir & | ; ED ETC ARC EC PRE ST AS CS e.| Cr . 3.69 dés qil fe éshel 184 | 76261] 10,9 | j65.q0 870 GRR P AT ; 6 |1674f faute lutin) auquel Se o : , | Gnplinèe Re À Oseiflaton | 6 38 | js6nl on) {sis | 4] {919 64) ao | Hg e. (1 .| @nplinte 2e | Osecitlarion QU ELEC AE LEE AE TT Or TT e%.0 cm SO 1 |yéese fétap has fé ape |e au ave ss | cn . | Batemehique = th 1 191 gui ls6lpasl ssl jpaflsol wo au) els c ; - | Baremehique - = y 9 Afiuél ol tésti | te) Jéses| 460 | 16118 se ne Ta en 4 qéeu éhkio! too! 6660) io |, 106 lieu 5.0. | Ms Cm è LIL fl qi (TON 14 160 ol ag 50) vol me s ‘ 10 14 oué) 1fg0gl gun] 16687 | toi || 5fh.16 se Ch gt js do A er 9 |fé6us ptie| 194 |iéngu sf) 10) qi se. | Ye Cm Dunpétatire mette Qitinoi= 419 e qu leyés | fre “Es au fol qésal ax 46) uA 20.| Yi: dE « Cunpérature prie Qu mois &f a ie MIE 15 : 1 3 DECITRE % © 7% lai) Minnie La pére 2 449 3) È Hs i} . 18 lets 13 u dpdfggel ss | 164) js d0.| Jsp,|Cm ut ju | le fheimometrographe = ho 1 sal gel hol sas] hulféstel sol, fs sn 26.9: Ü c- lire fheumometrogtaphe- As EUR DRAC A NTION ETATS me 6 M AT TE 4 RATES) L En A CE SO AC OU ES sa 9 © - | Maximum faunpaanue = ALU (RE) in pégh| ns) je] mel és) Sa) 16643) aa) pal2u)uIme; (2 ë Maximum de la Rinprialute = 4ke/ CUS PS LE PE PE LE CA AT GE LE CE ENT O7 D LIN ve 6 D ACT bstillation. | 1% y Jo 08.8 aff AS Euto Eten of asp feile 07.0. U = Minima w = LAltku) 15 LLC REC PE CE PL CN EE D SL BL GEO BCE °1%%00.| © , | Minimum » = 7 15 | yéniug!qess|aff) es | ap) 70 ve. | 30: | © nreUterre à ae | 1h À CCE CN ACER RATE 8 CHE DS PS DUT QT TG DST QC 7) v . = || ainplihoe Re t'oscillatton un Àajual 60/46) sy] f6rau) où sl 1! go «| me c ; . | ainplih®e De t'oscillation È RAERD RELIC PRE CE CO TER TOP TOC ET eme.| 1 | Cost i = | 15 ff6as qu) 6selouelphat) os |fsfel paul gl uell ue C2 S z thesmometique = 1} 15 weiñl auli46gusl 46 1169 ni pe guagl sa) 43! 101970: Ts |Cm dt - | Mhermometuque = 4] ÿ 1 Go uo6 | 709.14 | 16.0 | 16830 | (AI) 169.9f e s k ro ten toate 16 gun) pol fout na) ffootl 100! fut) 40! 10 kil ve | ose [my 3. ho 16 | sx ji | 68 166 gl qpolqéceg] nul pal sal de | x z 5 18 1664plakel 66 | af) 1658 labo) 166 js 2.0.| Ya Cm en Dtiffinétres” TT | il paul sal gout tel fil og fait au | 113) aile Cale joe] quanririme fine lombee évalute 1] CNRS TE T) 04e sol jé sal #3] hldse| Ce 2 ÿ-10 quantire De fie lombee évalue 19 byeifl ah 6engl ts | fra 16e | 1f76s del me |Cr en : 4 Jours à pluie ce, | 18 |jhhug} julie Bal jhsasl [Al jhfe) fa | 44) Aslune Cp 4.60 | en litiffimenres = 60.4 18 yeuwl ja) sçuygl 4h agp) sal wo) fol se) ep : au | en liifféments = JL Jéjau| ape! 16.67) 46.5 | 16494] ago) 1ç7:48 SSE s x l À 19 |hhusl 6e th fl Al h6gul fil hépE sl VAL pelimiee © = À 40 Jours 2e phue 1 Lugaul al gel qu jpagl 62 | ia allant sel s AU Jours De plaie fAsequl aug lys ans |yépag sie 166 jh 5.8. | vs Ce teititorr du dqpyel palyjotel Gel f{oanl 6oljpui) fol so çulorme CHAR 10 Panel taljén| 98! 4fssl 4e! 99! 611450, cr > 10-60 4 jour ne quil J6fa6 Liga | 46fap | 424 | 16kaf| 10.81) 164.4 $.40.| 56e. | En nu [l'ont T PCT il DA LEU D PE 16 2712 D LE BLUE CO SU CICS BITES SU 401 | LUTTE C-y , 40H Lif M | 6h ER go mn y last {ffql ol 40.9 | 60 5. ».0. C . 1-19 ; ÿ Î TEL TE TOC A TYPE TER TT ETES sel os | en PSP PA EE EN DEC fe Ban ROC NE é = um ul sol ul eg) ss pugsl ass) molbunlssel © [ar n fosglupslieggluns | jar gn | pass Sel Ma lens é tee sense 2 fyfpmlacsipuéol ol asp nu) 1 fpulsse | Sos | Ci - 15 At Ja jupl sufaul sf Ha gl 99! polis se) ch : | 25 patlagal quel ml jauge) 190 |quçis s.8.| 9% ee ù Nents LE ES ES A RE CR ARR USE EE OS ER COS Yes |ew gr : ù lou 61 pu JA jus] ja lysaisl 60) 19 oy|s.5.0: an ; st : pe Fe LE cn ie As €. om ce : % Ed al] = HE ui y % A en 7e Fe RS ES Nents as Leu oo sul lun leg ul spllils sel © Re 10.91 Nents à TIRE 9.4! 1{ogu| 174 | 16047 5.0. [Th 0 Cr 3.70 m0. Me : Rae f 1,692) 44 | (1 ak| 4kol. 83) 550 | Yws [env x Ÿ f (2 nn 25 jéeas | (| fée) pal jfha| 2 | f9f AS) ton | ti 5. à. ©. Cp | a = 62.0 %.e..4 + Ve fn pie je au) 480) 7/36 se. mi le 5 More. «à VUE ;l JRgU aol papas) do {has hs lyhgusluon | 164 90 ô C : : CCHPES\ | ne. L 11 LCECN BOL RS CL SN ECM SICICE GITE IG ECTS SORT Se) Cm dr. : Se. ..] ace À L Je i Ex ie ; l à CCE LE BTOC O0 sa Ja |Cm sr -| 2096.06. : (CACHET . fe L'ONTEE EE TEE TR TOUR DS 68 12 STI 8 GS SCT SENS ho! 84 dp [ . 1-41 50 Ê | 966.0 1 18 oil 60) 6h) 97 $h6g| 190 | 16h17 #6 40.0 | 6o ©. Ce ou : 550. ..8 2m.€...1 x 0 LIEN ETS LE BE 9 DST ANT NT se | ai |en sr $ Te GÉER À CD ALES SCO PS DES D SCO DS LE SST0 © BL SES GLES SERA ESS | © = |. o$0..1 { JUGÉE. 5 Û s9 fau fu jénquh ame) gffishnl 6e «9 lugl d.sel c & = 8. ..$ 2%... Û 30 pal gélqfel mel font alpes | 16 $ U " 2 CCE AM NN TAN so |4800ù| 4) qjgun) sxlqnusl) 61 | fsau) #n] ut Eu o.| 00h |Ce Cm =] d.58...1 = us | | si jynasl sal fon) 93! fugul 408 jen al mal qu | Se D doi M re 1634 us er Ron Moyenne 1640 sx L ['LNUNO DINRUU 169.39 du Pau 40 MINT 19 | À onu ou to [40 En 1 ë (ILE) W3 | 43:03 1J541 > Bit auto 54) 368 FLENTI jé 88 | Us is autiaus | 646| 141 6) 83/1668 155.6 Re T PO CE || pafinisl 18 14. auf'au 3 | 4f1a 13 | 36 M CLASSE DES SCIENCES. 103 Les deux saisons les plus pluvieuses à Rouen sont le printemps et l'automne, mais la quantité de pluie recueillie est plus grande pendant l'hiver que pendant les autres saisons. La moyenne , par année, des jours de neige est de 6,7. En effet, il yen a eu: 8 en 1845, 12 en 1847, en 1846, en 1848. D Qt La moyenne des jours de grèle est de 4,2. 1 en 1845, 11 en 1847, 4 en 1846, 5 en 1848. ORAGEs. — Nombre annuel moyen, 7,5. Année 1845. 1846. 1847. 1848. 5 orages. > orages. 7 orages. 13 orages. {1 en mai. 2 en juin. {enjanvier. {enavril. { en juin. 2 en juillet. 3 en juin. {en mai. 3 en juillet. {en août. 2 en juillet. #enjuin. 1 en août. 3 en juillet. 2 en août. 2enseptembre. Orages par saisons. 2 > ad F Œ . . ns _ Tr DEL... 0, Printemps... 0, Comme on le voit, presque tous les orages éclatent à Rouen pendant l'éte, 10% ACADÉMIE DE ROUEN. PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. Tableau des hauteurs moyennes du baromètre. Année 1845. 1818. 1847. 1848. Moyenn. Hiver... ... 756,84 755,96 755,96 755,36 756,28 Printemps... 755,33 754,44 757,67 754,56 755,50 ÉEE 756,35 758,27 761,09 758,46 755,29 Automne... 357,08 755,41 760,78 758,42 757,92 Moyennne de l'année... 756,40 756,27 758,85 756,70 757,05 Oscillation moyenne... 27,85 42,97 50,47 44,17 41,19 A Paris, la hauteur moyenne annuelle du baromètre est moins haute qu'à Rouen; elle est de 756,03. C’est pendant l'automne que la pression atmosphérique est la plus forte à Rouen. L'oscillation barométrique moyenne est de 41", 19. Hiver DE L'ANNÉE 1849. (Déc. 1848, Janv. et Février 1849). Température. — On peut dire qu'il n'y a pas eu d'hiver à Rouen, en 1849. La température moyenne de la saison a été de 5°,6, à savoir : de 5°,7 en décembre, de 5°,2 en janvier, et de 6°,0 en février. Le thermomètre n'est descendu que rarement au- sous de zéro, à savoir : 5 fois en décembre , 7 fois en jan- vier et 5 fois en février. Le plus grand froid a été de — 6°,2 (le 3 janvier) ; CLASSE DES SCIENCES. 105 La plus haute température de + 16, #, de sorte que le thermomètre a oscillé dans une étendue de 22°,6. Nous rappellerons ici que la température moyenne de l'hiver à Paris et à Rouen, est de 3°,3. Vents — Ce sont les vents chauds et humides de la ré- gion Ouest , qui ont dominé pendant cette saison dans une très large proportion, Ils sont , aux vents de la région Est, dans le rapport de 61 à 19, ou de 3à 1. On peut les ranger de la manière suivante par ordre de fréquence : Vents d'O me: - 29 d'E.... .. #4 de S.-S.-0.. 10 de S-S-E.. #4 de O.-S.-0.. 9 de N.-E... 3 de N.-N.-0.. 6 de N.-0... 2 de O.-N.-0.. 6 DEAN... 1 de 9-0... 9 de N.-N.-E. 1 Pluie. — La quantité totale de pluie tombée pendant cette saison a été de 21%, 043, savoir : de 5,763 en décembre, de 11,133 en janvier, etde 4,1#% en février, Le nombre de jours de pluie a été de 33 , à savoir : 10 en décembre, 17 en Janvier, et 6 en février. Il est tombé cinq fois de la grèle, et il y a eu trois brouillards épais, un en janvier et deux en février. 106 ACADÉMIE DE ROUEN. La quantité de neige tombée est insignifiante, et n’a pas pu être mesurée. On l’a observée deux fois en décembre et une fois pendant le mois de janvier Un orage de peu d'intensité a éclaté en décembre, par un vent d'O.-N.-0. Pression atmosphérique. — La hauteur moyenne du baromètre a été de 761"®,12 pendant cette saison, à savoir : de 759,0% en décembre , de 758,21 en janvier, et de 766,10 en février, Le baromètre s'est élevé à 780,63, le 11 février, à 9 heures du matin. (est la plus grande hauteur qui ait été observée à Rouen. La plus petite élévation a été de 741,15, le 11 janvier. Le mercure a done oscillé dans une étendue de 39,48. Les vingt premiers jours de février ont été remarquables par la grande élévation de la colonne mercurielle dans le baromètre. L'instrument s'est, en moyenne, constamment maintenu au-delà de 771 millimètres. La moyenne, à Rouen, n’est, pendant l'année , que de 757,05, comme nous l'avons démontré dans notre résumé général. PRINTEMPS DE L'ANNÉE 1849. (Mars, Avril, Mai.) Pression barométrique. — La pression barométrique de la saison a été de 756,34 ; à savoir : ERIMATSER EE AM 761,53 En AVC Re. UE 750,65 RAA RS LS NA nc 756,86 Moyebne4. nt-m6r NE 756,34 CLASSE DES SCIENCES. 107 Cette moyenne est un peu plus forte que la moyenne annuelle du printemps, déduite des observations des quatre années précédentes (755,50). Le baromètre a oscillé dans une étendue de 377,65. C'est pendant le mois de mars que les plus fortes oscil- lations de la colonne mercurielle ont été observées. Pen- dant le mois d'avril, le mercure s’est tenu constamment très bas, et, pendant le mois de mai, la moyenne a été à peu près celle de l'année dernière. Température. —La température moyenne de cette sai son a été de 10°.1 ; à savoir : Enimars rte #2 04m 6245 ERA DE. 20. Ne: OU Hnmanr den ec ace 15°,5 Moyenne 44. 90.4 27e 10°,1 Et de 9°,2, en la calculant d'après les maxima et les minima. Nous avons trouvé que la moyenne de cette sai- son à Rouen, en 1848, était de 40°, 2. La différence pour l'année 1849 est donc peu considérable. Le thermomètre a oscillé dans une étendue de 34°. Mais il y a eu de brusques variations de température. Ainsi, dans le mois d'avril, pendant la seconde dizaine , le thermomètre a considérablement baissé : il est même des- cendu au-dessous de zéro, et il est tombé pendant deux jours une neige abondante. Nous devons aussi observer que, dans la dernière dizaine du mois de mars, il y a eu un refroidissement général de l'atmosphère; le thermomètre s'est constam-— ment maintenu plus bas que dans les deux premières di- Observations météorologiques faites à Houen pendant Les mois de Décembre 1348, Janvier ct Sévrier 1849. HPÉCECSNRRE NE HE _MæÆ ASE. | DRSPRrS DH D A TR) MECS "1 8. =D = ] ISRCDESS HDI NÉ WERNENE MS AD. oït. | Ghemomene | 445] Soi | Gaine Obierrations | no | Cheunonene| Vents | £tai- | one Obseryations | Tab Mlitatin | "ON fou Soir dou Joie. | Cbernemee | Vents || Etou- 41 Obseuations Thon Ts À 7 loucuhle D | Phuie & c frere Den EESTI 1 u Jours | Ke De fans [ibn Fate tb LE Te | à |aucit | ni |Iftite ce | lle 0 fain|o feté) 20 Jiatine|masim (mis) nid | a sidi quon Ioeinea | ao ét] oo leu. | à 0 letu | à o inte rez ininna| AGDE | a sidi | nuages | Mopennex so lat | 30 lat la o lextu.l à 0 est [mesima [misasl A1idi | à snidt nusges Moyenne L | | = ) | l t kj| 210 dE er \ tétig] 1! jétay] tof yesss| 50! jérih) 10 his loso | Cp . 14f | \ 166168! 16qu) AaË fEISE pal qépfil 24 Egg 9 U - - E | | u|sse 3.15 | itssion Baromen quernaenne = — 149 24 2 og ul pet bal vaut s0! in Lao Le 11 Léo le 50 D Cieson Facoméhique manne = jt u | ss) quel 60! jus) 6j egul gel ul ox s| cn . | Cession Haronihiquenngme ue) a | SSL Cm st =. Mazimun fig (le in) ER TOC ES ETCOCTN PO TETE ETC F o | 18 ben © || Cr : Sp... Maximum Ma (leu ) > ua) sol qenl col quh effet out 6 Eatl S 5€ | Ce 64] .-. Maximum ‘jlois de ; ) CNE EI RCD Cm_ôt - Minimum MjAAB (le Lo) | M gosse) qpito 0! gp L vol puma s | 09 Leu s € D . EE Minimum jh (le 7 A gpl el ul sf ges seb fal 461 fs (] e : Se Minunum jai (le 15) (| »f £ Cim dt \a.8k | ÿ fut] 16 (A MA 6 ge 4 qfiqe | 19 9.4 Sd t|Céap 1.1 | LÉ ALES CHEN LE QE PE D LC BCE 0 BE LOUE BL 2. 50 ù (2 ul pi SSL 153 | Gnplinoe D Oscitfaren | 6 | 596) ou LE 1 1e à L 4 ie L L» di su s|e Amphirite De ? Wsciffation 6 | nuls AE ja quil poly) 64 a los C .| @mphine 2e ? Oscittation A | 1 $ Em sr Batometique = af4i 1 lagégel sl) toleuy| selptuleog] 1 fus ice |ovsp Cul 1079 | Barometrique z HU 1 dm] sf quil qu) quo tel quel ul sut pal 050! © Baromehique = st mil &|s5so Cr'Cm 8 gg! onljéul dé jéea) 26/ tell nef) 55 0 eur M 1 4 spl qal in] sel dun] pofiquel 6j] ste D || ' x sa | Dre 2 , Vrnpriahiesneune Bios =: 9 |eju| gel jm jalaçeas| talents EC 9 | ay |CrCw] so1 | Ennpérntue ie Du fai) = JA 9 | mul cul aus) 85) mel 90! just) fil go) va ©| Jwt.| Cr En .| Cimprratite metrine su : | ion | 54 | € s’ ñ n Pam 10 |og! o6l ju) 5e] ua ya! 64 | ag lis | Soe o : à P .?'amo 0 |utul eu pal 25] math sel qua) Gif po) pal Sue | ! a : L Re | lé] 31 £ ü fe fheumemétrogrphe sh | M pu] Salquas] pales | alu ja 51 |3n| 55e! C; tot | le fheumemetegtaphe =i M pen] 60! jeu) 14! noel gets) ki] 4614) € ù .|'e Sur e ces AT | ga | à 9 c = Maximum De la inptiafite m 416U (le) [Cu jéuty| 16 jé] 26465 tail os 34 | 44 € Un fe 4 | Maine la npeatute = tgfluluis [Ce pub ce qunl-pal mel Gplaé) 9] 6e bus) © 5 se = | Maximum la minperarur ; ( ee | ue) W|29EE ep | Ca Cm Ji | Minimum à =-Ée(hu) | 13 je) sys) gebyru lumens) Gal ve) js © Yen |Cnir Lu | Minimum w aét(us | 15 ques) pal él push sphyesthogl 6fl=ret 20 5 Gin « ne + ne ne x Los | al je 0 | Yep Cr 10.39 | Qsnglitie De l'oftillation 1 th) 54) ip) dos) era a) ww | fe © | C+ : six asmplitide De f'oscillation | 1k mil 4f! sup fel-quiif SobyyatE gl | 04 , 9 C : = cu inde De t'Oscillation AC el gr | $0 c 5. | Mheimomitiique = tt 15 65 5) 6584) 6al jus pale pe pelue Cr OE Ê 6.6 | fheumemettique = | os ipulau) fuel ele) ail spi Ps l asp asfaeme 206 | Cm à exmomettique =159 lus 5e )ÈNT se | 6 lupl pal gps) oalgoul sales | ut Îhpe o| ce L | 6 | cul plus) jebquu) 19! nl phuspul 0! € ; Rene wjlplsse c quentin Re plucfembe cvafuee | 7 |qinel mél fus) wsl paul uslinasl aa) na ls o|e, she | quantire Re pluie lombee évaluée nas psneal sm) mal pet) 6af ao ut = ne F Eee RES RE: LA ; sale | sse Ù en IMiffimettes = {1:69 18 qéo.6o) bf gévul ag fjésie) 4 | 16) se || to | to e [up |Cmor U 94 [en iffonetu = m.# | 18 hot} de) pal élu) 6e) ms 69! 43) Le ( | Chr en ni Que ne | sl 1tl 550) 1 | ex ; 10 Jours % pie À 9 Limgl vol jéuaol mal jeun) ua jeeu lier | ms | ça e d : | 1 Jours @e pluie U 19 |uisl s6Piseul tal yes) psfiébunl fu) get ui 8 = = : He RE Gale e e L ip 0 Elu so yen) palyioo) sal jéeul soul pol ns Ô C 2 à feir acte vise su | goul sus) ss] gel vol yen) gl walpeh soc - 52 AE EL FE ol nil £ Û Ce - L que merEhriae dt dyétor) palpiguel 09135986! 1016956! fa | 109 | 90 lavavo | 20, | Cm se } 3 ges pute quite TM IE ja) joel 54! ep] ji psé) 69l ssl fal 3e | Jbsy = 6% Eure OS £ $ DEretir | st seul 26e) 4) 560) o6luçe) 61 90|6olmœe lc. ju 1 {ri un pois nie [| (OST ANA ANT DEC DECO STE TOUS BOXE ISF 0 GNTECE D s | Le Œ à 14 -u | É Û - ÜÙ 15 |spuldqspl sal pal wolqeut 0! 160! 61 Jovrvo Ce Us nul pal nt tffgyf 26) pote) 44) gap Jui FE uslus| JU£ © 4 ut) velghul 06/44 solnpgsl til wie se || Ji (Te ; U Osù Van 62 pus) walgu ga tpul su unf) xs) 550 | 20 ee = E ent | fa | >| C-n w 680 91} jétuil wi! 6909 | 106 36 | 54 | 106 | 63 | eme 206 | Cm dt Nents | CI tfascl ol jhgul 44! put 26 fhtgo) 6jE ans! at) 5 50 ee SA LR © À 7VIES 6,| 11 Cyn È 4 K | 6 pat pole) s4fipnl valgéwl pol 196 fou io | cc, 1 jo @ n ‘ TUYÉE Ok 16 quhai qua] 64 qupsol pol huh goal 4224 15) 9 80 Cr = j SAR re | LOI ET © © 2 | + jet sabyonol Qu) pion! 6olypgl jo) ppfailesmo ve, Cain su 30 à DE À n] qiose) Gal yionp) qulqénte | 4g lyétu bal got set S 9 Oo Ecpgr 1 050 5 WE ; | JA) 1e so | Cy - CRE k | 19 jnl Galqnpul Gel qussl Galjusag no [lue So |1%jps Cm (Er CE OS MYVE à Et] sal él nef def que) ET TURN | ph ak] #5 a Cyy a $5® 1 FOIS 141 16 Cp 1.6 Ü 39 mnt sglqueas) malin! jelqéal sal çjoluul so! c° Fe ge A 1] DE 2 QUO || TT 20 à % 1 | tel lo5e e : 9 Cr" so ssl till pole) (als sl piliplmnel © L Her QuE | » | ftls3l 050 [2 | pl 16510! faltétis) 6ol6hu6| pal sans) na fl 14) 00 © ' : el ME | ME ut à vemarauuer que fe Bsnumine sut maman | A | 2 1 Moyenne (ES) s | oyenne =) Bagues le Commeneamenr Butnais à ut Ni sante us] y] Jin Aoubauo | gant of sal aoljpul sulipulisl sel uu55 dou to | je 261 juul sb | 19 nent JE PAL sg Rouen jtieafabt nat megeans kgtame | ss! 19 dun suto | {fl Sly) sélapegl vs ue) 64! 9! te dleuto | 1j91f) sad sue) 6 put | Dé ep MIS Bey 29 (D Le trimemine nur Bttunae que Sfrs me aalos Pannes Les] colssgl clin poluétusl ps | #5) 16 Auttoutt | 1943) pal él si pan) Gel hu 6al 5 orale Ne 9-29 duo 4 | 1j847) mule) file] salirasl nul 5 À vu auf 3 Observations météorologiques faites à Rouen pendant Les mois de Mars, Avril rt Mai 1849. ET = AGDE DEC [n/a ME AS». == om _ | MENT fo Soit Can Joit Tan Noits | £tor. | Sn |] TE F .æ DE — ] = CARTE REDTES DS is æ Er | = BOSS BEC TN = AD Ha [RAS [re NO LES TS a au ciel | w [Pure | Le k Jo [RTE EN A EE UE g di Doit, Chtrinentèlte Nents | toi | Soune Obsersations | NI Su Soir gfou doit Cheunonetre | Vents | Étas | Soie Obsetyations | D LT 2 0 [eutu,| S OM fatés |merina [mms] AND L|a anti | nuages Monnet ts (CTI pr PE LES RE LURES OS AT le 2 ciel 2 | Pie Ce Jours Roca Mire Laon [ht l'atome lun VO : A ci wo | Paie ui | ls 7 es en | Fo foie|éo fat Ro fut.) 5 0 fiat [marina nine] AniDi |Là srièi niages iMosfennee so [ainlao foutu] à 0 rats. [marinn nine] Adi | it | nuages Moyenne ù Ml pe nan) ja los] | qéple pe) nl ss eme] Cr 1h s | | = = —| — - | —| —|— — — —| — 2 Aus) épluénee) su ééanluexlianapt «ul 0 | sl Cnse HAT TRE. 2 1 1 ! 64) jp 56 jeun | jé | mul ns fa | mé Cm Æ- | ‘ gl eulasl gelé lp spl def et 180 MCE CSI sonne lens lnrereg nl rte mlet ln ts 1 Lox AE RS so + LE : net} sel ga sil que) ssl jun) 6 melslsse le; qu s ae.1f. |) Grass Batomihiquemegenne = 31261 AU natal gent malaultgpnlpat el julie © $ | Fusion Paronénique manne =jûs GR) LUCE 2 RO D NEC CE A A 1 BAC SET SE TR Ter L Mec 1 TEA) Du EE EAN EE SG AN RE CSSS) Es CSS le. Maximum hay (let ) | 5 Lula qualusl plage) acpioes w|) = [ee Maximum EU (le 5 Nul alpes) sapins] aux] me | 541 CI || I LIÉE M] 19) pulse url faut pe! Ah sg 6 | J%e | CrCm sé Minimum Jhty (le 1) A A ÉDE D SCENE DE TEL) 1 REC D PR OO EAST EE ECTS ESS ELEC me C "Minimum kb (lou | ILE MEONN TP CE D NU Qu AC ET LL ol | namernnenet Osfieten | Ë | Le 2 D DL NP LS CN ECO SES SO 0 | 9% | Cm 4 | 5 goulot qaulatl pal asaljueottun long la; one | | J0s Elle : ] 1641) #ilépan) afghan los [téesolosg lt us) 14 e | ÉreiiNtate = sf | ; CE M EDS LL LA GET 00 ET 9 OO 9 PCR CSP DS CN BE © |; 2% Cm - - | @mplinne Re L'Oseiffarion 6 | peu qal jm un) qpuérf ae lnetlué| mil sul 9u9 06e 01 p | Ci dt jus | Qmplirie De © Oseillatt 4 ins gl pluen] palsmlbsn) 50 1bo Cnil | ETES | 1 DEEE RES ES ETATS UE RE LE ENSERUR S [9% p | Cm sr 2 1f | Baremehique = tu U 9 Lainalnel pelage pale) mutant ape l na E Ce F . |Baremenique = ui CN DLL VOULU EL CE AL EU ACC D GI OO SL QC Mein | Cr © nntelie nette eu TE) JS APE 'APABPN AUS ASS AN EU RE A EUR AE Ra RES | CORRE a À yat el pl cg | ge Da pu lé lonargitex |'avotite 10 06 (086) MERE [co use! pm) nolimnl seluisllu6] çoleso C | [ OR 9 publ gain l tafqhiée lan iuuss) 14| sf Sels 50 U s. | Pinpératue Anti Du tes = | 9 autel pol qguul sel al o6| gun) se) as fau [00e D a =. | Cunpératine amet Du Mois = 1f4 Ji uk | mel) pal ntiniers (4 [ou en | à PAR F RE LC je) go! phil 4 qubay | Al qhjinl St up! | 550 C ‘ D. 1 n...?'a 10 aus ju gra ul tél soyons) atlas foire 96 | Cr. Cm Se 5 n.. Tai EXT LDC BCE LOS BU GTS SE e ee Le AN ATEST d LC NAT BOSS PO) Ur NE TE SO OS % e S = | le fhtrinemétiogtaphe =11 opulaglgnalonlagul algoutul sol slam | obs |Cx en], te Honiinométiogtaphe. : = 15 Ahréae] eu) géo nn fées lisner) au] su ci] Minnie n = hotls) | NE EE NEA ÉD EEE © e è | Maximum De lahinpéatuse = 4169 (ls) mn élue) pepe age pas late l épis) pe al © M | cn.sr . [tonne la mnpérarue 238] D Léna) pu ét) nl 6a lun) j4l love e 2 me SA [ 0 sogif sf goauelhas tu) quan) sal 14 o| Cp qu 10.68 | Minimum i) = (au) 5 eut as) paul ailgou lutin) malus SM h.p. Gui | 4160 | ninimum o = hu 15 paf galere) slim! slips] 0! 9 | ome c HD SRE de + GI 1k |gubel gel his] ge liquunt| atlas) fa sé to sSso | C : OT Oimpline e l'osillation un guet nel qguaslml ul api imuluul 45) fs sel l2.p n 64h | Aunnlihèe De f'oxillation 16 | alu lutte) nalmlaul nel sl 68e c | 1 - Fe Jess qu) péounl sa quan ll js yutac | 6u| en] vs s0|Cp qe tar | Hhermemetiique = | 15 mylape lou! delaunluel qujusl GE J66.p | Ein dr j.08 | Mhermematiique =; 1] LL ELU PCT ALL CT s|tés) ns) tels url 1 one e | A D Line | fe fist joel pnail 86 gs ag lun 11436) 6e ns 14 © Te1 Cm # 16 el as japan liés | ht 116 wo is 0 € 34 D | fuel je je) niliin] selle) «il nl 6% c , .fen tittimeties er) | a 18 miles) feligul aslgunl sel pilisleso|)@ypn 5 u kel quantireme plaie lombee évalue Û 1 mul sliuaulnelnulus) œofux se fers" ao || quentiree plie fombes wall 1 | jé) fol élus vos| s4 11e 1] 11] emo e | x NS Re PE | QE 1 FEES) PC 1 PC EC 6 UE PC 2 EC SEE VS CN EC 20| 9Bu | Cm sr ; [en Ntiffémetre" = jt 18 ylal gels t anpluafs 50 Ÿ : exittonette" = bn du él ul polopl salu! go | ny us |") 0 s | ; AE ÿ : | 19 JAYIL |, hf jheus (a ljhaie | (el juge | su sal 4e F1 Cp N LL 13 Jours D pluie 19 détail 6h ae) Jésgu | ii y luc ve bn | Cm dt AS 1 Jours plue A0 ééatl nl jé) dal énet) 10 | re tglire 04 o M6 Cu à LD we À | < Jhitol do) jus] hay) plu) 1 .| »5 0) | Cpnt x hf A fus sotn LT au FLE LEON TT D] NT] NT Hunt agp hi ù (2 " » An Ça le guile [PO LL FECILEN ICE RICE O0! AT) je 1] 00€ D | 21 1544) palin) 6alagssl pal gps 1 so) su © 2% | Cnsr A fair mots quite CI] al ayljpul gulinpaluel élus) Se Cr “ [EL , Crau 4 1 pa COCA RTC RECEPTOR RTC NOT fal-uo| 9086 ce | É 1 {eut faljjeas| pales pa l4jésn) pe | prlsse Cp + 310 a ETECN EC A TES CO RTC DETTE D) ESC TE CE ICE C 10) SCA É: ta] CON NUEN usée kel plant mali 200 | Cnas si | | 6 Quel ja) gl) safe tal jh el ss el cp ; 66e 13 gage faqal qu pal pente fuss un women © ; DA IA LUJRA | CiPpMent ut) 95e) Cu : Nents | D RE CAN ae 2 AT Sr AS EEE SE œ , sh ul alu usl sels) aafual mé, Jb6 |Ccm| - aa sl oalihtesil sl a 6.|| Jos | Cm st en ce 6 gba} got gas) jeun! goal qal el pol 0 50 Cp 5 us Nents ( eut ap los isaliéeslust sel jal 26e |0bu Cm : Nents a1 TT ju) 34 1waflen fallu à a | a. APS AO a 5 16 QE LEA DICO 2 DST O7 TE BNTR NE TES TU BETA SLT OC EDS NS wbl. pulse (A Lin D JE : 26 16083 | 486 | jEL6) | aa se4gl ape |" ang fau 2%6 1 16: Cm d € » un lu peu) Gluten dal nl ovel ce lee à ei | 4 as) mspabaafpelualpegl sl ils ® e 7 se an Don a plu] mal gel taules Leur Il TO ou RP LE TA js {srl al ha] 80 6 Oo 6 Me VO 4 igul plgl malgpol nage sel gel ja a. °% pa 550 1 % FT: julie) mljoulugl mile Sléoce Fa cJovve 2 | < in Li] CETTE ETES LECIT CN DST) DSSPEPT SP S CE) LEO CE LS ETO, PSC RL AO TEE LIT ECS ST EN DO db | Ds pe eu SEC Este : 9 À Gun) lac) wnlqum| y} guu{hyu)) ne ju oove|s x CL PSE h 1h] fil {84 | its al 3 30 F CL MCCAIN TA leo les FO 16 CES De ui Fat R | je 0 js) 4 ki} LR CAS | “ + IN RLLE) Î } 9! ; © J6Y Cm si : DLONEE DE UEI LS CLIQ) BRL E LES D BELUR SC E ; FE NÉE Er PO OT er re 6 Per Les Le U | omoyune Fe D HA EU LUS D LS een LEE FILE He uw] sale à mx © PIN di lou 10 LED LT ON ARTE RL CON TON ET OPT RE nc je LL fan il a) js ea like) 160) 7j Coo3 |, LEE du) laps lan nul | me 14 ( FLO A L da ee D | RCTTTIETE fall 66ljusn | gulqun ne si) LS =, dus mute | jpg) 60! paul gift) apulriens ire [Pan yes hole sal fé) nl) | alert 4 Qutiouh | 76h) nl fée) nl afem | «pliée Bal we] 6 Aution 1 | jé] 469 | 16.99 4 np anp/écis L ne | fonc! nf) pol ose) spl) splapul sel nil ns ananas) al aguel 00e) alien CLASSE DES BELLES-LETTRES. happort M. LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE LA CLASSE DES BELLES-LETTRES ET DES ARTS, Messieurs, Il est un usage que les académies, fidèles gardiennes des institutions qu'elles se donnèrent à leur naissance, ont toujours soigneusement maintenu; c’est celui qui impose à leurs secrétaires l'obligation de venir périodique- ment exposer au public, dans un rapport circonstancié , l'ensemble de la collaboration annuelle, le résultat des travaux accomplis. Cet usage a bien moins pour objet de revendiquer, pour chacun des membres de ces sociétés, le juste tribut d’éloges auxquels il peut avoir droit pour sa participation à l’œuvre collective, que de projeter sur la société entière la vive lumière d'une manifestation pu- blique, et de lui permettre de justifier son existence et son but par le témoignage de ses actes et de ses efforts. 112 ACADÉMIE DE ROUEN. Cette obligation fait peser sur les secrétaires, chargés de cette tâche délicate, une grave responsabilité. C'est, en effet, de leur talent d'exposition que dépend l'opinion plus où moins favorable que le public doit concevoir. En abordant, pour la première fois, cette œuvre diffi- cile , qui exige, pour être traitée avec nne parfaite conve- nance , tant de tact, d'expérience, de judicieuse critique et d'élégante concision, nous protestons sincèrement de notre complète insuflisance ; et cet aveu , qui ne nous coûte point à prononcer, nous le consacrons, en hommage de regrels , au souvenir de notre digne prédécesseur, M. Ch. Richard, que les fonctions administratives ont, si fächeu- sement pour nous, ravi à la littérature et aux études histo— riques locales qui souffriront longtemps de son éloignement. En le remplaçant, sans aspirer à le faire oublier, nous nous efforcerons d'imiter sa loyale exactitude dans la juste appréciation des mérites de chacun, sa critique toujours littéraire et bienveillante : et, surtout, nous nous conforme rons à cette maxime qu'il pratiquait avec tant de bon goût : que la brièveté est la politesse des secrétaires d’ Académie. Pour introduire l’ordre et une sorte de classification dans le vaste ensemble de mémoires originaux où ana- Iytiques dont nous allons relever les traits principaux, nous le diviserons , à la manière des bibliographes, suivant les cinq grandes classes entre lesquelles se partagent toutes les connaissances humaines : Théologie, Jurisprudence , Sciences et Arts, Belles-Lettres, Histoire. THÉOLOGIE. — La TnéoLore fournit matière à peu de communications, aujourd'hui que la controverse religieuse est à peu près bannie de nos mœurs, et que la grande famille chrétjenne adore en paix son divin auteur sous le libre abri de la tolérance. Cependant M. l'abbé Louvel, ayant pour interprète CLASSE DES BELLES-LETTRES. 113 M. l'abbé Picard, nous a entretenus de la Divinité de la Religion, prouvée par le fait incontestable de la Résur- rection. Dans cette dissertation, aussi brillante par le style que solide par les arguments, l’auteur, groupant toutes les preuves intrinsèques du fait de la résurrection : éta- blissant les caractères de crédibilité qui se trouvent réunis dans la personne des Apôtres , témoins principaux de ce grand miracle; exposant la série d'arguments mis en avant pour réfuter les objections soulevées dans les tems anciens et modernes ; prouvant enfin que les Apôtres n'ont été ni trompés ni trompeurs, arrive à porter dans l'esprit une évidence qui doit convaincre les plus incrédules. Dans une notice analytique sur un opuscule de M. Coup- pey, de Cherbourg, le même membre nous a raconté la vie et les vertus d'un pieux pasteur, contemporain de Saint-Louis, connu sous le nom du bienheureux Thomas- Hélie de Biville. du nom de la paroisse obscure des en- virons de Cherbourg, où il passa sa vie dans la pratique de toutes les perfections chrétiennes ; ce qui lui mérita , aussitôt après sa mort, et en quelque sorte par acclama- tion populaire, les honneurs d'une canonisation improvisée. L'humble chapelle que desservait ce vénérable apôtre , et qui, jusqu’à nos jours, a survécu à tant de ruines amon- celées autour d'elle; le calice dont il faisait usage et dont le pieux roi, son ami, lui avait fait don; la chasuble exqui- sement travaillée dont la richesse atteste encore une mu- nificence royale; un poème en vieux français du temps qu'un prêtre, qui avait été le compagnon du saint, consacra à célébrer ses vertus; toutes ces précieuses reliques d'une noble époque et d'un homme vénéré , fournissent à l’auteur d'intéressantes digressions pour développer autant d'éru- dition que de sagacité. La Tolérance religieuse, sujet traité par M. l'abbé Auger, 8 Le 11% ACADÉMIE DE ROUEN. a fourni à M. l'abbé Neveu l'occasion de faire l'éloge de cette vertu, si importante à recommander, dans ce siècle où tous les liens de la vie sociale tendent si violemment à se relacher ; où tous les esprits droits sentent si généralement le besoin de se rallier, sur tous les points, à l'ordre et à l'union. JURISPRUDENCE. — La JurisPRUDENCE, cette science des droits et des obligations de l’homme en société, est, à notre époque, l'objet des méditations de trop d’esprits émi- nents pour qu’elle faillisse jamais à occuper une large place dans notre contingent annuel. Quelques-uns des membres de l’Académie l'ont considérée au point de vue historique, d’autres sous le rapport de ses applications pratiques. Parmi ces derniers, notre digne président, M. Hom- berg, nous a communiqué les conclusions des études qu'il a depuis longtemps entreprises et traitées avec une lo- gique puissante, pour établir les avantages et les incon- vénients comparés des deux modes de contrats matrimo- niaux, connus sous les noms de Régime dotal et de Communauté légale. Dans cet important travail, livré de- puis à l'impression , il a pour but d'établir que, dans l'in- térêt bien entendu des époux et des fanrles , les dispositions restrictives du régime dotal, dont il fait apprécier les en- traves , l’'insuflisance et même les dangers, au point de vue des garanties presque toujours illusoires, devraient dispa- raître entièrement de notre législation. Mais, toutefois, comme il ne saurait méconnaître la puissance de l'esprit de routine et d’asservissement aux habitudes reçues, il propose un moyen de transition pour arriver à ce résultat désirable ; ce moyen, qui, tout en conservant la plupart des garanties du régime dotal en ce qu'il a de moins absolu, ferait disparaître ses plus graves inconvénients, sans avoir même besoin, pour être appliqué, de nouvelles disposi- pe CLASSE DES BELLES-LETTRES 115 tions législatives, est destiné, nous n’eu doutons pas, à ob- tenir l'approbation de tous les jurisconsultes éclairés. En analysant le Compte général de l'administration de la justice civile et commerciale en France, pendant les an- nées 1845 et 1846, cet immense répertoire de chiffres qui semble aussi muet aux yeux et à l'esprit qu'une table d’hié- roglyphes, le même M. Homberg a su en faire sortir une foule d'observations piquantes sur les mœurs processives de notre province, et il a pu conclure avec certitude que trois départements au moins, entre ceux qui la composent, peuvent toujours soutenir avec avantage lancienne répu- tation des plaideurs normands. Parmi les membres de l'Académie qui ont traité quel- ques points de jurisprudence ancienne en historiens criti- ques, M. l'abbé Picard , ayant à nous faire connaitre une savante dissertation de M. Couppey, sur la preuve judi- ciaire au moyen-âge en Normandie, nous à initiés à la connaissance des curieuses vicissitudes de la législation de notre province, à ces époques anciennes où le droit écrit étant inconnu, tout se jugeait par l'observation, l'expé- rience et le bon sens. Il nous à raconté l'histoire de ces as- sociations solidaires , appelées dizaines et centaines, qu'in- troduisirent en Gaule les conquérants Germains. Puis , il nous a montré le christianisme dévéloppant un élément nouveau, celui de la communauté chrétienne : la paroisse, groupée autour de son pasteur; puis enfin la féodalité créant les relations du seigneur avec ses nombreux feu- dataires, tenanciers et vassaux ; et chacun de ces liens donnant naissance à des juridictions diverses dont l'exer - cice avait toujours pour moyen le jury, c'est-à-dire le ju- gement du pays. Ayant à nous rendre compte d'un important ouvrage de notre confrère, M. Chassan , sur la Symbolique du Droit, 116 ACADÉMIE DE ROUEN. M Decorde nous a développé le vaste ensemble synthé- tique de la jurisprudence, s’élevant, par degrés, depuis les règles d'une pratique presque routinière, jusqu'aux plus hautes spéculations de la philosophie ; et il nous à montré l’auteur , appartenant, par la nature de ses recher- ches, à ces intelligences d'élite qui se plaisent à scruter les parties abstraites et idéalisées de la science, et dans lesquelles la patience studieuse s'unit à l'esprit de suite et d'enchaînement logique. Nous ne saurions aborder les détails de cette remar- quable étude analytique qui a pour objet, en suivant l'ou- vrage de M. Chassan , d'exposer ce que les traditions ont pu nous transmettre de ce premier langage, tout de sym- boles, dans lequel se formulait le droit à sa naissance , et qui n'a pas dù s’effacer entièrement devant le mode plus parfait d'expression de la pensée qu'a amené la civilisation. D'ailleurs, l'ouvrage qui a servi de base à cette appré- ciation, est depuis longtemps publié, et tous les scrutateurs de nos antiquités juridiques ont pu vérifier l'exactitude de cette conclusion de M. Decorde : que, dans un travail où l’érudition a tant de part, deux mérites élèvent infiniment l'auteur au-dessus du rang de simple compilateur : d’une part, la méthode à l’aide de laquelle il fait de la symbolique une science spéciale ; de l’autre, la hauteur de vues et l'esprit philosophique qui règnent dans toutes les parties de cet ouvrage. Lorsqu'une perte , d'une foudroyante rapidité, vint, il y a quelques mois, consterner l'Académie , et la contraindre à effacer, entête de la liste de ses membres, un nom qui depuis si longtemps y figurait avec honneur, elle ne déses- péra pas que ce nom ne lui füt bientôt rendu; et, en effet, après un délai qui lui parut bien long, mais que justifiait une immense douleur filiale , l'Académie ouvrait ses portes CLASSE DES BELLES-LETTRES. 117 à M. Antoine Blanche, heureuse de voir le fils s'asseoir à la place que le père avait. pendant plus de trente ans, honorée. M. Blanche a choisi, pour sujet de son discours de récep- tion , l'étude d’une question grave qui, naguère, préoccupa profondément les esprits sérieux , lorsque le gouvernement provisoire manifesta l'intention de porter atteinte à quel- ques-unes de nos institutions les plus vénérées, celle de savoir s'il était désirable que les procès civils, qui ne peuvent se juger que par la combinaison du droit et du fait, fussent soumis à l'appréciation du jury. Afin d'étudier cette question sous toutes ses faces, l’'au— teur croit devoir remonter aux plus antiques origines du jury dans notre patrie ; il saisit la trace obscure de cette institution dans les lois saxonnes et les capitulaires de nos rois ; mais il ne reconnaît son organisation à peu près défi- nitive, dans les lois anglo-normandes, qu'à partir du xun° siècle. Pour bien faire comprendre quelles étaient les attribu- tions du jury à cette époque reeulée, M. Blanche établit une savante distinction entre les preuves évidentes et les preuves conjecturales ; et constate que les dernières seule- ment réclamaient , pour être validées , la déclaration asser- mentée des jureurs qui fut le premier rudiment du jury. Cette déclaration pouvait être invoquée dans le cas de pour- suites criminelles comme dans celui d'un débat purement civil. Tour àtour suivant les époques etles nationalités, le choix des jureurs est laissé à la discrétion du juge ou au choix des parties. En Angleterre, là déclaration de ces jureurs forme une part essentielle du jugement à rendre, et continue de s'appliquer aux procès de toute nature; en France , elle n'est qu'une preuve conjecturale , laquelle va bientôt céder à la preuve écrite; dès lors, le droit et Le fait entrent dans 118 ACADÉMIE DE ROUEN les éléments qui la constituent. et l'on ne peut en laisser l'appréciation qu'aux ofliciers de judicature. Ainsi, le jury disparait peu à peu de la législation fran- çaise. Il faut descendre jusqu'à l'époque de la première Constituante , pour le voir instituer de nouveau , mais seu- lement pour le jugement des affaires criminelles. Toute- fois, on tente alors de l'appliquer aux affaires civiles, mais les plus grands publicistes, les hommes d'état les plus expérimentés, voire même les révolutionnaires les plus ardents , repoussent énergiquement cette innoyation , dont la proposition, réitérée de nos jours, suecombe encore une lois, condamnée par le bon sens de la nouvelle Consti- luante. Tout ceci n’est, on le conçoit, qu'une brillante intro- duction historique à la discussion du ford même de la question ; discussion d'où l'auteur fait surgir l'expression définitive de son opinion. Produisant done ses conclusions, avec la sincérité d’une conviction profonde , mûrie par seize années d'expérience et de pratique , l’auteur déclare que l'institution du jury, en matière civile, est incompatible avec notre esprit national, nos mœurs et notre législation, qu'elle augmenterait les lenteurs du litige, les frais de la procédure , et que, en un mot, ce serait le chaos dans la justice. Pour répondre au discours du récipiendaire, M. Hom- berg a su extraire, du sujet même traité par ce dernier, un sujet neuf qu'il s'est plu à traiter parallèlement: c'est l'historique de l'application du jury aux matières civiles chez nos voisins les Anglais. W a donc étudié à son tour la marche de la procédure dans les temps primitifs et barbares ; c’est, d’abord, l'appel à la conscience des par- ties, puis à la sincérité des témoins et des jureurs, et enfin . en désespoir de connaître la vérité l'appel au juge- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 119 ment de Dieu, constaté par le combat judiciaire ou par les épreuves de l’eau et du feu. Le duel et les épreuves écartés par les progrès de la civilisation , deux voies subsistaient pour arriver à la con- naissance de la vérité ; chacune des deux nations qui sont l'objet de cette étude comparée, s'est emparée de celle qui convenait le mieux à ses habitudes et à son génie par- ticulier. Ainsi, tandis que, éclairés des lumières du droit romain, nous lui empruntions, en France, un merveilleux système de présomptions juridiques sur lequel nous avons fondé notre procédure civile ; en Angleterre , pour obvier à l'em- barras des juges du droit primitif, on a établi la loi des déci- sions collectives et rendu le concours des jurés obligatoire. C'est à suivre les conséquences de cette institution , suflisante quand les procès ne pouvaient guère soulever que des questions de fait, aisément résolues par la preuve testimoniale et le bon sens des jurés, que M. Homberg consacre la principale partie de son travail. Alors on voit se dérouler tous ces singuliers expédients de procédure auxquels contraignent bientôt de recourir la complication des rapports et la multiplicité des contestations suscitées par l'esprit de chicane. Pour échapper à cette confusion du droit et du fait que la loi veut les forcer à débrouiller, on voit les jurés inventer mille subterfuges, dont le moindre inconvénient est de rendre les procès interminables. Aussi, à l'aspect du tableau de ces pratiques incohé- rentes, de cette barbarie organisée, M. Homberg a-t-il raison de s'écrier en terminant : « Étudier beaucoup les lois, les mœurs, les institutions de nos voisins, c'est le plus sûr moyen d'apprendre à aimer notre pays! » Quoique les Screxces aient , dans l'Académie, un brillant interprète, cependant une part de cette section nous est SCIENCES ET ARTS. 120 ACADÉMIE DE ROUEN. encore dévolue que nous ne saurions passer sous silence ; c'est la Philosophie, l'Economie politique et les Beaux- Arts. M. Decorde, en venant prendre place dans nos rangs, nous a communiqué le résultat de ses profondes études sur une science qui fait l’objet de ses constantes médita- tions : la Philosophie. Définir cette science, expliquer les acceptions diverses qu'a reçues le mot par lequel on la désigne ; caractériser les trois systèmes entre lesquels se sont partagés de tout temps ceux qui se livrent à ses spé- culations, et les bases de certitude que cherchent à poser chacun d'eux ; faire pressentir qu'une fusion peut s’opérer entre ces sectes rivales; parler des applications de la philosophie à l'éducation ; développer les avantages des sociétés savantes, instituées pour concourir aux progrès de l'esprit hurnain ; tels sont les points principaux de ce dis- cours, consaeré aux plus hautes abstractions, et qui, par l'enchaînement étroit de ses pensées, se refuse à une courte analyse. M. Homberg, en répondant à M. Decorde, rend hom- mage à la pensée de conciliation qui a dicté son discours. Faire cesser la division qui existe entre les sectes des phi- losophes, ce serait sans doute concourir aux progrès d'une science dont tous les efforts doivent tendre à l'unité. Mais la fusion est-elle possible ? M. le président ne le pense pas, quoiqu'il rende hommage aux nobles sentiments que l'auteur a montrés en cherchant les moyens d'opérer cette conciliation. M. Decorde a encore trouvé l'occasion de développer quelques-unes des hautes spéculations que son esprit aime à poursuivre, en rendant compte d'un ouvrage de M. Beugnot sur les doctrines antisociales et sur leurs con- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 121 séquences. Cette analyse, qui touche sur tous les points à la plus brûlante actualité, n'est guère susceptible d'être reproduite en présence de ce sage article de notre rè- glement qui interdit à l'Académie de s'occuper de politique. C'est pourquoi, nous nous contenterons de mentionner que son auteur s’y livre à de hautes considérations philo- sophiques sur la loi de perfectibilité et de progrès, sur la loi d'action et de réaction dans l’ordre politique, sur les institutions qu'on doit s'attacher à rendre immuables dans l'état social, et enfin sur les penchants de l'homme, par rapport à lui et à autrui; considérations qu'il termine en émettant l'espérance que la société trouvera bientôt enfin cette base stable qui rendra impossibles les chances de révolutions M. Decaze, fixant son attention sur des sujets d'une nti- lité plus pratique, nous a entretenus de la polémique incisive et vaillante que M. Jobard, directeur du musée d'industrie Belge, soutient sans relâche contre la concur- rence industrielle, et en faveur de la pérennité des brevets en matière d'invention et de perfectionnement. Notre confrère, qui s'associe entièrement aux idées du spirituel économiste, a fait valoir, avec son talent ordinaire de dis- eussion , les arguments émis pour soutenir la nécessité des marques de fabrique, dans l'intérêt de réhabiliter notre industrie aux veux de l'étranger, et pour revendiquer la propriété absolue des brevets, faute desquels tant d'il- lustres inventeurs sont morts dans la misère et l'oubli. M. Homberg. prenant pour occasion la circonstance de cette communication, et, pour texte, un autre ouvrage de M Jobard, s’est appliqué à combattre énergiquement l’as- similation qu'on voudrait établir entre la propriété matérielle et la propriété intellectuelle ; assimilation d'où découlerait un droit nouveau, celui de l'inventeur sur son idée, au 122 ACADÉMIE DE ROUEN. mème titre que le premier occupant possède le terrain qu'il a enclos et défriché. Il s'attache à démontrer la fausseté de cette doctrine , au point de vue des législations anciennes et modernes, son injustice et ses dangers au point de vue de la liberté de l'industrie. Il entrevoit que son application nous ramènerait au régime étroit des jurandes , et conclut en déclarant que la liberté , en matière d’indus- trie, ne doit pas être sacrifiée même à la juste rémuné- ration de l'inventeur qui dote son pays d'une grande découverte. La suppression ou le maintien des tours, c'est-à-dire l'admission libre, restreinte ou interdite des enfants abandonnés dans les hospices, est une question qui intéresse au plus haut degré la morale, l'économie politique et la charité chrétienne. Aussi les grands corps consultatifs ou administratifs de l’état, les moralistes, les économistes, et une foule d’esprits éminents de toutes les classes, font-ils de cette question l'objet de leurs plus graves méditations. Notre digne vice-président, M. Bergasse, qui excelle à jeter, sur ces arides discussions , tout l'intérêt d'un vaste savoir et l'émotion entraînante d’un cœur chaleureux , à traité ce sujet avec les plus amples développements à propos de deux mémoires de M. Nepveur; et son travail résume ou fait connaître tout ce qu'on a publié à cet égard depuis quelques années. La brièveté qui nous est imposée nous interdit, à notre graud regret, de donner l'analyse de ce vaste traité, qui a pour bat de déterminer : ce qui fut autrefois, sous l'empire des législations antiques , toutes sans pitié pour les enfants naissants; sous la loi de l'évangile, qui inspira pour ces tendres êtres des sentiments plus humains ; enfin sousles théories de l'économie politique qui substitua trop souvent de froids calculs anx généreuses suggestions de la charité; d'apprécier ce qu'on propose 4 Le CLASSE DES BELLES- LETTRES. 123 aujourd'hui, et de faire entrevoir les résultats probables des changements que l'esprit de réforme a provoqués. Des excursions instructives dans le domaine des législations diverses actuellement en vigueur ; des résultats curieux de statistique comparée ; un examen approfondi des causes qui, suivant les localités, les régimes admis , la moralité des populations, font varier le nombre des enfants trouvés ; enfin, de lumineux aperçus sur la recherche de la paternité considérée comme étroitement liée à l'institution des tours ; tous ces sujets et beaucoup d'autres , traités avec logique et chaleur, font de ce travail, au point de vue de l'application pratique, un des plus intéressants qui nous aient été communiqués. L'ordre que nous avons adopté, pour le classement des sujets, nous amènerait à parler en ce moment des Beaux Aurs, si cette classe brillante ne nous faisait à peu près défaut. Toutefois, pour ne rien omettre, nous devons men- tionner le rapport de M. Hellis sur le mémoire envoyé pour concourir au prix Gossier, et le rapport du secrétaire de la Classe des Lettres sur les encouragements à décerner aux Beaux-Arts, rapports qui font partie des lectures de cette séance. Mais, à défaut des mémoires qui nous manquent, nous pouvons citer une œuvre d'art, suggérée par un noble but, exéeutée sous l'influence d'une généreuse inspiration, et que l’auteur a voulu soumettre au jugement de PAca- démie , afin qu'un aussi éminent suifrage en sanctionnàt la destination. Nous voulons parler du portrait en pied de P. Corneille, exposé dans cette enceinte, et dont un rapport spécial va bientôt apprécier le mérite et désigner l'auteur. Les Bezces-Lerrres ue nous fourniraient cette année, ainsi que les Beaux-Arts, qu'un contingent peu important, si, pour le grossir, nous ne faisions quelques emprunts à la BEAUX-ARTS BELLES- LETTRES. 12 ACADÉMIE DE ROUEN. classe qui doit suivre. L'absence presque totale d'œuvres de pure fantaisie, de compositions d'imagination , dans une de ces académies de province qui consacraient jadis leurs plus belles solennités à la glorification du chant royal et du rondeau redoublé, n'est-elle pas un indice frappant des changements profonds que le temps, les institutions et les événements ont apportés dans les habitudes et les mœurs? Hélas ! c'en est fait, l'éloquence et la poésie ne règnent plus despotiquement dans les académies ; la science et l’histoire les ont détrônées. Aussi, les Belles-Lettres figu- reraient à peine dans notre revue annuelle, si, pour leur faire cortège, nous n’appelions à elles, par droit d’aflinité, l'Histoire littéraire. Nous ouvrirons cette classe par la piquante monogra- phie anecdotique que M. Clogenson, entrant dans le sein de l’Académie, a insérée dans son discours de réception. Elle à pour but de peindre Voltaire , ce président de la ré- publique des lettres, (comme l'appelle M. Clogenson!, dans ses rapports avec les académies. et principalement avec l'Académie de Rouen , à la naissance de laquelle il avait en quelque sorte présidé, et dont cependant il ne fut jamais membre. De fines réparties , des traits malins et des révé- lations imprévues jaillissent en foule du cliquetis des dates entrechoquées et des lambeaux de correspondance inopi- nément rapprochés. Qui se serait imaginé, par exemple, que Voltaire attendit quinze ans aux portes de l'Académie française, avant que l’auguste Compagnie daignât les en- {rouvrir , et qu'il se vit préférer des évêques de province, quand il avait pour lui le silence de Louis XV et la voix de madame de Châteauroux ? L'histoire de la fondation de noire Académie se retrouve là, avec ses détails authentiques. C'est Voltaire qui lui im- diqua sa devise et son titre, si même il ne les lui blasonna CLASSE DES BELLES-LETTRES. 125 de sa main. Aussi, la traitait-il en fille préférée : et rare- ment 1] écrivait à Cideville, sans ajouter : Mes respects à votre illustre Académie. Puis, ce sont de bons souvenirs, des vœux, des regrets qu'il envoyait de loin à cette belle Normandie qui avait abrité son exilet ses plus belles an- nées : Faites-moi renaître Normand ! disait-il ; et, dans un autre moment , avec une intention plus malicieuse : Fon- tenelle était Normand , il a trompé la nature. M. Homberg, en répondant à M. Clogenson, s'est félicité de ce que tant de bons rapports aient jadis existé entre l’Académie et l’auteur de Zaïre : on devra donc désormais rejeter bien loin ces sarcasmes inventés par la malignité, que le vulgaire persiste à colporter comme étant de Voltaire. Quoi ! Voltaire aurait feint de prendre Rouen pour une an- nexe de Sotteville ! il aurait dit de l’Académie, la fille de son cœur, qu'elle était trop honnête pour faire parler d'elle! Erreur et calomnie ! Voyez plutôt le protocole de ses let- tres. Toutefois, M. ie président fait ses réserves ; il accepte de se laisser convaincre, mais non persuader. De Voltaire à Bossuet , la transition est un peu brusque , et nous serions, en vérité, embarrassé de sauver les difii- cultés du rapprochement : M. Floquet va lui-même, de son cœur chaleureux et de sa voix pénétrée, nous ra- conter : La première thèse de Bossuet, dédiée au grand Condé , et soutenue au collège de Navarre, en présence de ce prince, le 26 janvier 1648; ce qui nous défend toute analyse. Si nous n'avions hâte d'arriver au terme de notre tâche, nous entreprendrions une excursion dans le domaine va- rié des Mélanges, à la suite de quelques-uns de nos mem- bres , rapporteurs exacts des livres confiés à leur examen. M. Decaze nous apprendrait les vicissitudes subies par la 126 ACADÈMIE DE ROUEN. Bibliothèque de Poitiers pendant l'époque révolutionnaire, qui, pourtant, lui donna naissance, ainsi qu'à toutes ses sœurs , les bibliothèques de province. M. Lévesque nous raconterait de naïves légendes des environs de Cherhourg, recueillies sur la double lisière de cet immense retranche- ment appelé Haguedike , qui défend le cap de la Hague. M. Bergasse nous peindrait les sauvages beautés de cet ilot obscur, ancré sur l'Océan , près des rivages de la Ven- dée, appelé l'Ile-Dieu, quoique aucune tradition ne justifie ce nom, et qui garde , toujours vivants , les souvenirs, sacrés ou glorieux , de saint Amand, l'apôtre des Belges , qui S'y réfugia au vie siècle . et ceux des La Trémouille, des Clis- son, des Rieux et des Rohan , tous ces fiers bretons qui la possédèrent tour-à-tour. M. Bergasse nous raconterait en- core, en interprétant M. Magnin, les naïves témérités du théâtre français à son berceau, dressant ses pompes rusti- ques dans les châteaux et les palais, les abbayes et les cathédrales ; quand , suivant Boileau , De pelerins, dit-on, une troupe grossière, En publie, à Paris, y monta la première ; Et sottement zélée, en sa simplicité, Joua les saints, la Vierge el Dieu par piété. Puis encore, il exhumerait, pour nous les faire appré- cier, les productions dramatiques d’une pieuse nonne du xe siècle, nommée Hroswitha , qui, nourrie de la lecture de Virgile et de Térence , avait conservé dans le cloitre les traditions de l’art et du goût antiques, et parlait encore la langue de ses maitres , alors que tous, autour d'elle, sem- blaient l'avoir oubliée ; ou enfin, prenant pour guide M. de la Villemarqué et ses chants traditionnels de la Bretagne, il nous introduirait dans cette merveilleuse contrée de l'Armorique. toute peuplée de paladins, de fées et de lutins, qui s'exalte encore aux récits des combats d'Arthur, _ CLASSE DES BELLES-LETTRES. 127 frissonne de terreur au souvenir des enchantements de Merlin, et qui, depuis quinze siècles, gardant opiniâtre- ment ses traditions , ses usages et sa foi, commence à Brocéliande et finit à Quiberon. Mais d'autres mémoires, d’un intérêt plus sérieux , ré- clament que nous revenions à eux et à leurs auteurs. M. Frère, qui a longtemps étudié les précieux monuments typographiques des anciennes époques, pour les repro- duire avec fidélité dans quelques élégantes éditions publiées par ses soins , a tourné, vers la question des Origines de l'Imprimerie, ses patientes investigations. Dans le mémoire qu'il nous a lu sur cet objet, il ne s’est pas proposé de consigner de nouvelles découvertes, de reculer de quel- ques années cette date tant disputée qui vit éclore le pre- mier livre imprimé. Il a voulu seulement déduire avec lucidité, raconter avec élégance et intérêt tout ce que les découvertes acquises jusqu'à ce jour ont pu nous appren- dre de plus certain sur l’art inventé, selon les uns à Strasbourg, suivant les autres à Mayence ou même À Harlem. Toutefois , il ne s’est pas borné à ce point de dé- part; mais, scrutant les annales des Chinois, demandant même à Pline le secret d'un procédé inventé par Varron, puis, constatant plus tard le fait d'impressions exécutées avec des planches solides , il s’est demandé laquelle de toutes les inventions rapportées à ces diverses sources , avait pu mettre sur la voie Guttemberg , que l'assentiment universel reconnait comme le véritable inventeur de l'im- primerie à l'aide de caractères mobiles. L'histoire des essais successifs de Guttemberg, celle de ses tentatives malheureuses d'association avec des artistes peu scrupu- leux, qui, en définitive, dérobèrent à l'inventeur ses succès, ses bénéfices, et même une partie de sa gloire, est racontée par M. Frère avec un intérêt simple et touchant. 128 ACADÉMIE DE ROUEN. L'étude des premiers monuments de l'art naissant, l'é- numération des productions, variées de date, de caractère et d'origine, qui leur succédèrent en foule, la spécification des différents perfectionnements de détail qui amenèrent peu à peu l'imprimerie à cet état de perfection élégante qui la caractérise à notre époque, et qui semble ne devoir plus être surpassé ; tels sont les compléments que M. Frère a donnés à son œuvre, et qui en font, pour l'homme du monde, un memento aussi élégant que substantiel. La Linguistique, cette science des principes sur lesquels reposent la formation, la filiation et le mécanisme des langues, a occupé épisodiquement une des séances de l’Aca- démie. Un savant professeur , M. l'abbé Latouche . ayant obtenu la faveur de venir exposer devant elle les bases du système en vertu duquel il prétend ramener les mots de toutes les langues à quelques radicaux peu nombreux , a étonné ses auditeurs par la prodigieuse variété de ses con- naissances grammaticales , par la hardiesse et le bonheur de ses rapprochements étymologiques , sans toutefois réussir à les convaincre de la certitude des bases de son en- seignement. La Poésie , nous l'avons déjà fait pressentir, occupe une si petite place dans nos travaux , qu’elle pourrait à bon droit être considérée comme un hors-d'œuvre. Non pour- tant que l'Académie répudie aujourd'hui cette noble fille de l'inspiration , qu’elle environna jadis de ses plus chères prédilections et favorisa de ses plus belles récompenses ; mais la tendance sérieuse des esprits emporte toutes les préoccupations vers un but utilitaire, et la poésie craint ou dédaigne de se produire. Toutefois , nous aimons a cons- later que sa retraite n'est point absolue ; et de gracieuses Canzonnettes élégamment imitées de Métastase, par M. Bal- = CLASSE DES BELLES-LETTRES. 129 lin, de beaux vers, pieusement inspirés, que M. l'abbé Picard va nous lire , suffisent pour témoigner que la poésie fait encore parfois entendre son divin langage parmi nous. L'Histoire, cette science divinatrice, qui apprend à lire, dans le passé, l’enseignement du présent et la révélation de l'avenir ; l'Archéologie, sa compagne assidue , qui aide à constater l'état des civilisations éteintes, à perpétuer les traditions de. l’art et du goût ; l'histoire et l'archéologie ont trop de droits au culte des esprits méditatifs pour ne pas tenir une large place dans les occupations de l'Académie. C’est surtout aux recherches historiques lo- cales qu'est dévolue la meilleure part de ces travaux. M. Fallue nous a communiqué deux fragments impor- tants du grand ouvrage qu'il consacre à retracer l’histoire de la Cathédrale de Rouen , depuis l'époque de sa fondation jusqu'à nos jours. L'un embrasse le pontificat d'Odon Rigaud , au xiu° siècle, et l’autre les vicissitudes de la persécution que subit l’église pendant la période révolu- tionnaire. C'était, sous une forme inattendue et sans avoir cherché à provoquer ce contraste, amener un rapproche- ment des plus intéressants entre cette époque de ferveur religieuse, où la foi accomplissait des miracles; où le primat vénéré, régulateur suprême de la discipline et de la morale , arbitre des contestations, occupait laborieuse- ment sa longue carrière à parcourir ses diocèses, dictant des décisions, réformant les mœurs, punissant les crimes, semant des aumônes, consacrant des autels , faisant en un mot l'office de souverain pasteur des peuples; et cette autre époque néfaste, où la religion vit fermer ses temples, renverser ses autels, persécuter ses ministres; où d’in- dignes pasteurs usurpaient, presque sans consécration, des fonctions que le mépris des fidèles rendait aussitôt vaines entre leurs mains. Ces deux fragments ont fait 9 120 ACADÉMIE DE ROUEN. apprécier à l'Académie tout l'intérêt de cette vaste com- position, que l'Institut, dans son récent concours, a jugée digne d’une de ses plus honorables mentions. Une notice de M. l'abbé Cochet, sur le manoir de l'Ali- hermont, près Dieppe, ancienne demeure seigneuriale des archevêques de Rouen , nous ramène au temps d'O- don Rigaut, qui, s'il ne fut pas le fondateur de cette splendide résidence, contribua du moins à lui donner tous ses développements ; et qui témoigna pour elle un si constant intérêt que, dans l’espace de vingt années , il y séjourna plus de cent-cinquante fois. Avec M. Chéruel , nous franchissons l’espace qui sépare le xin° siècle du xvn®, et, de saint Louis, nous passons à Louis XIV. Dans un fragment détaché d’un ouvrage qui a pour objet de caractériser le gouvernement personnel de ce dernier monarque, longue période politique qui se di- vise en trois phases : le règne de Colbert, le règne de Louvois et le règne de madame de Maintenon, l’auteur nous à retracé la première de ces phases avec cette exac— titude de détails et cette science de mise en œuvre , qui donnent à ses ouvrages une si haute valeur historique. C’est à cette phase, comme on sait, qu’appartiennent toutes les grandes mesures législatives, financières, admi- nistratives, commerciales et maritimes, qui jettent sur ce règne organisateur un si grand éclat ; c’est également sous cette influence féconde qu'on voit le génie littéraire et le génie des arts acquérir ce magnifique développement qui fait, de cette époque privilégiée, l'une des gloires de la France. Dans le cours de l’année dernière , M. Chéruel nous a lu un mémoire sur l'instruction publique à Rouen pen- dant le Moyen-Age, et l'Académie a voulu que ce travail, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 131 dont les matériaux étaient si dificiles à rassembler , fût inséré dans son Précis. Cette année , M. Chéruel nous a communiqué un nouvel extrait faisant suite à ce mémoire, et embrassant à peu près la première moitié du xvnr siècle. C'est l’époque féconde en intrigues subalternes, où les jésuites, s’attaquant tour-à-tour à tout ce qui leur faisait obstacle où ombrage : ordres religieux , corps municipal, parlement, pouvoir archiépiscopal , réussissent à lasser leurs contradicteurs, déjouer leurs ennemis, supplanter leurs rivaux, et à s'assurer un triomphe qui devait être , au reste , de courte durée. Tout le monde connaît l'intéressante série d'ouvrages ou de notices que M. Delaquérière a consacrée depuis de longues années à illustrer les monuments civils, les habi- tations privées de notre ville, et, par suite, l'histoire de l'architecture domestique de nos ancêtres. C’est encore un point eurieux de cette monographie qu'il est parvenu à éclairer à l’aide de ses persévérantes recherches ; il s’agit des Enseignes, dont l'emploi remonte à l'antiquité et dont l'usage, généralisé au Moyen-Age, servait à la désignation des habitations, alors que le numérotage était inconnu. L'auteur a su tirer de ce sujet, en apparence stérile, une foule d'observations piquantes dont l'histoire sérieuse des mœurs et des coùtumes ne dédaignera pas de faire son profit. Nous touchons enfin au terme de cette longue excursion rétrospective, pendant le cours de laquelle nous avons plus d'une fois, nous le redoutons , transgressé la règle de brièveté que nous nous étions imposée. La faute en est, non à notre bon vouloir . mais à l'étendue de notre tâche, si variée d’aspects, si féconde en œuvres remarquables de tout genre. L'Académie de Rouen n'a, certes, point à justifier l'emploi des instants qu'elle consacre à ses labo- 132 ACADÉMIE DE ROUEN. rieuses études, à ses savantes discussions ; mais, Si on était tenté de lui nier le mouvement et le progrès, elle pourrait, en montrant ce résumé si bien rempli, faire comme le philosophe antique et prouver qu'elle a marché. L'usage veut que, pour clore ce compte-rendu , nous constations les pertes que l’Académie a faites dans le cours de cette année, les adjonctions qu'elle s’est données ; en un mot que nous établissions la balance de ses espé- rances et de ses regrets. Nous le ferons sommairement, des notices spéciales devant être consacrées, plus tard, à chacun des membres décédés. L'Académie a donc perdu, dans la classe des lettres, un membre résident, M. Thinon, avocat à la Cour d'Appel de Rouen, et quatre membres correspondants : M. De Kergariou , ancien préfet de la Seine-Inférieure, ancien pair de France; M. Thil, ancien député, président à la Cour de Cassation; M. l'abbé Labouderie, littérateur et philologue ; et enfin monseigneur Fayet, évêque d'Orléans. Elle a, en outre, perdu, par leur éloignement de notre ville, et leur passage dans la classe des correspondants , trois membres résidents : MM. Destigny, Giffard et Deville. Mais elle a admis dans son sein , comme membres rési- dents, pour la classe des lettres : M. Nepveur, conseiller à la Cour d'Appel ; M. l'abbé Louvel, chanoine honoraire, aumônier au Lycée de Rouen ; M. Léonce de Glanville , inspecteur de la Société fran- çaise pour la conservation des monuments historiques ; Et,comme membres correspondants pour lamême classe: M. Couppey, juge au tribunal de Cherbourg ; Et M. l'abbé Auger, chanoine honoraire de Compiègne et de Bayeux. Mémoires DONT L'ACADÉMIE À DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION EN ENTIER DANS SES ACTES. RAPPORT SUR LES PRIX D'ENCOURAGEMENT A DÉCERNER AUX ARTISTES, Rédigé au nom de La Commission des Beaux-Arts(1), Par M. A. PoTrTiEr. L'Académie de Rouen, qui ouvre son triple portique aux Sciences, aux Lettres et aux Arts, qui accueille dans son sein, avec la même distinction et sur le même rang, le savant, le littérateur et l'artiste; jusqu'à ces dernières années n'avait point encore institué d’encouragements à décerner périodiquement aux Arts, ainsi qu'elle le faisait aux Sciences et aux Lettres. Mais, il faut bien le dire, les (1) Cette Commission était composée de MM. Hellis, Barthelemy, Gustave Morin, Grégoire, Dutuit, Levesque , Decazes, et A. Pottier rapporteur. 13% ACADEÈMIE DE ROUEN. Arts, quoique honorablement pratiqués en province par quelques talents distingués, ne s’y montraient cependant que sous forme d’exceptions , trop peu nombreuses pour qu'il parût utile ou même expédient de les appeler à des concours publics. C’eut été peut-être les provoquer à dé- clarer leur insuflisance et leur isolement. L'Institution des Expositions de peinture dans la plupart des grandes villes, la construction et la réparation de nombreux monuments, et, plus que tout encore, le pro- grès universel du bien-être et du goût, ce fruit précieux de la prospérité et des loisirs de la paix, onttellement multiplié, pour les artistes , les chances de se produire avec succès en province, que l'existence de ces hommes n'y semble plus un objet d'étonnement et de singularité. Conseillers du luxe et arbitres du goût , leur participation à notre vie d’inté- rieur , à nos plaisirs , à nos fêtes, est devenue en quelque sorte une nécessité. Bien plus, la centralisation exerçant sur eux une influence moins attractive que sur les écri- vains, ils se développent , au sein de la province , avec plus d'expansion , d'éclat et de fécondité que ceux-ci ne pour- raient le faire. Ce sont eux qui ont surtout le privilége d’exciter l'intérêt du public, de faire naître en lui le goût du beau, de l'initier aux plaisirs de l'intelligence. De sorte qu'on peut facilement entrevoir le jour peu éloigné où les Arts obtiendront, en province , la priorité sur les Lettres , forcément réduites au cercle étroit des études locales. L'Académie de Rouen a senti que le moment était venu d'appeler les Arts au partage des mêmes priviléges que les Sciences et les Lettres. Déjà, deux fois en six années, ses encouragements sont venus stimuler des vocations heu- reuses, honorer des talents déjà faits. Aujourd'hui , l'Aca- démie réitère le même concours, mais en le fondant sur une plus large base. Ce n'est plus dans le champ limité CLASSE DES BELLES-LETTRES. 135 d’une Exposition de peinture qu'elle choisit ses lauréats. C'est la Normandie entière qu'elle appelle à participer à ses récompenses , et la Normandie a noblement répondu. Nos espérances , à cet égard, ont été surpassées; car nous avons la conviction que les artistes que nous présentons aux applaudissements du public peuvent dignement tenir leur rang, chacun dans sa spécialité , à côté de ceux que la Capitale couronne avec orgueil dans les concours na- tionaux. Nous diviserons ce rapport en quatre parties, suivant ces quatre divisions : Architecture ; Peinture et Dessin; Sculpture ; Musique. ARCHITECTURE. L'Architecture a trop peu d'occasions, en province, de développer largement toutes les ressources dont elle dis- pose, soit comme science, dans la construction et la dis- tribution des grands édifices, soit comme art, dans la décoration des façades et des intérieurs, pour que l'Aca- démie ne s’empresse pas d'accorder tout son intérêt aux œuvres capitales de ce genre qui lui sont signalées. Le Musée-Bibliothèque, que la ville du Havre à fait cons- truire, et que ces dernières années ont vu achever, réunit toutes les conditions que l'art et la science exigent pour sceller une œuvre de leur nom : importance de la desti- nation, noblesse des proportions, convenance et Juste mesure de l'ornementation. M. Brunet-Debaines, qui est l'auteur du plan de cet édifice, et que recommandent de nombreux succès dans les concours publics, ayant invoqué le jugement de l'Académie sur son travail, cette 136 ACADÉMIE DE ROUEN. Compagnie s'estime heureuse de reconnaître et de pro- clamer que l'artiste a tous les droits à une honorable dis- tinction. Le programme que M. Brunet-Debaines avait à remplir consistait à édifier, sur un terrain assez restreint, de forme à peu près carrée, et isolé sur trois faces, un monument destiné à contenir un Musée de tableaux , des galeries de Bibliothèque , et des collections d'histoire naturelle. La combinaison adoptée par l'architecte, pour satisfaire à toutes les exigences de cette triple destination , est remar- quablement ingénieuse. D'abord, à l'extérieur, l'édifice présente , au-dessus d'un soubassement élevé, deux étages, dont le supérieur, terminé en terrasse, porte, comme couronnement, sur la façade antérieure, quatre statues et un petit édieule contenant une horloge. Une ordonnance de deux ordres superposés : l'Ionique et le Corinthien , se produisant en colonnes engagées . simples ou accou- plées , séparées par de larges baies ouvertes en arcades , décore cette façade pleine de mouvement dans les lignes et de ressauts heureusement distribués. C'est le système adopté par les anciens , au Colysée de Rome , aux Arènes de Nîmes ; la fusion réalisée de la plate-bande et du plein- ceintre , l'alliance des architectures grecque et romaine. A l'intérieur, chaque étage se compose d’une vaste salle carrée, placée au centre de l'édifice, et enclavée entre quatre galeries. A l'étage inférieur, cette salle, qui n'est séparée des galeries latérales que par de vastes arcades ouvertes en haut, fermées en bas par de petits murs de refend, forme un magnifique vestibule qui semble embras- ser, dans son immense étendue , l'aire entière de cet étage. Grâce à cette ingénieuse disposition, la lumière pénètre à flots dans ce vestibule, qui ne reçoit pourtant le jour qu'à travers les galeries latérales consacrées aux collections CLASSE DES BELLES-LETTRES. 137 d'histoire naturelle. Rien de plus splendide, de plus gran- diose que cette somptueuse introduction, si vaste à travers ses échappées latérales, si richement découpée de colon- nes, de balustres et d'arcades, qu'au Louvre même on chercherait vainement sa pareille. A l'étage supérieur, la même disposition produit un effet tout différent. La vaste salle du centre , séparée des galeries qui l'enveloppent par des murs pleins, n’est éclairée que par un dôme vitré; c'est le musée de tableaux. Les galeries de pourtour, éclairées latéralement par les trois façades, sont consacrées à la bibliothèque. L'escalier, qui s'ouvre au fond du vestibule, en face de la porte d'entrée, d’abord par une montée unique , qui se divise, à la hauteur du premier palier, en deux rampants faisant retour, aboutit, au premier étage , tout à la fois à l'entrée du Musée et aux deux galeries de la bibliothèque. De cet ensemble de dispositions, il résulte : que les gale- ries d'en-bas, isolées du vestibule par les murs de refend peu élevés dont nous avons parlé; que la salle centrale consacrée aux tableaux; et même que les galeries de pourtour servant de bibliothèque, sont toujours d'un libre et facile accès, et peuvent être cependant, soit l’une, soit l'autre, interdites et fermées au public, sans que la circulation des autres en soit gênée. Nous n'insisterons pas sur les critiques plus ou moins graves, plus ou moins fondées, que l'examen attentif de cette œuvre peut faire surgir ; nous les citerons seulement pour faire preuve d'impartialité. Ainsi, par exemple, il est évident que les montées du triple escalier, n'ayant pour tout développement longitudinal que la largeur de la galere du fond. sont beaucoup trop rapides et les degrés trop étroits. Mais on comprend que l'architecte avait à lutter en cet endroit contre une difficulté à peu-près insurmontahle 138 ACADÉMIE DE ROUEN. On trouve encore, non sans quelque raison, que la porte d'entrée de l'édifice, taillée exactement sur le même patron que les fenêtres de l'étage inférieur, sans orne- ments saillants qui la distinguent , est beaucoup trop nue, surtout eu égard au somptueux vestibule qu’elle précède et doit annoncer. Enfin, l’édicule terminal qui surmonte la façade et qui contient le cadran d'horloge , paraît trop un hors-d'œuvre, accepté par l'artiste comme une nécessité gênante , et qu’il n’a pas assez cherché à masser convenablement, soit par de riches amortissements latéraux, soit par tout autre moyen que son expérience n'eût pas manqué de lui faire rencontrer. Si l'imposante composition monumentale que nous ye- nons de décrire et de tenter d'apprécier, n'eût pas suffi pour fixer le jugement de l'Académie, nous eussions pu, en passant en revue tous les travaux exécutés par M. Brunet-Debaines pour la ville du Havre, dont il est l'architecte , trouver assez de motifs pour décider ce juge- ment. Ainsi, cet artiste a construit, pour loger le person- nel de la douane du Havre, composé de 1,500 habitants, dont plus de 300 ménages, une vaste cité qui est la pre- mière réalisation du système mixte d'habitation et de nourriture en commun ou en particulier; avec tous les accessoires : buanderies , chauffoirs , crèches, école, etc., que comporte un pareil établissement. Cette belle création d'utilité publique, qui fonctionne depuis deux ans, peut être proposée comme modèle pour la fondation des cités ouvrières dont l'intérêt des classes pauvres sollicite l'éta- blissement dans les grandes villes industrielles. M. Brunet-Debaines a également construit au Havre, pour emmagasiner les tabacs en feuilles de la régie , un — — —— CLASSE DES BELLES-LETTRES. 139 vaste entrepôt dont l'achèvement remonte à peine à quel- ques mois. On lui doit, enfin, la restauration de l'antique église de l'abbaye de Graville, ce spécimen si curieux de notre , primitive architecture normande ; un projet de restaura- tion du château d'Harfleur, et quelques autres projets im- quelq portants, en ce moment exposés au salon de Paris. L'Académie de Rouen, rendant hommage au talent de création , à la science pratique que révèlent de si impor- tants travaux, et félicitant surtout lartiste de ce que, chargé d'élever un monument consacré à la science et aux arts, il a compris que , pour une si noble destination, l’art lui-même devait manifester toutes ses inspirations et déve- lopper ses prestiges, l'Académie s'empresse d'accorder, à M. Brunet-Debaines le plus signalé des encouragements dont elle dispose, et lui décerne une Mépaizce D'OR. Si un zèle ardent, infatigable, pour la restauration des églises anciennes que le moyen-âge a prodiguées sur le sol de l’un des arrondissements de la Basse-Normandie les plus riches en ce genre ; si de consciencieux travaux entrepris dans le but de mettre en lumière tous les trésors ignorés de cette terre favorisée, suffisaient pour avoir droit aux encouragements que l'Académie propose, cette Com- paguie n'eut pas hésité à décerner à M. Delaunay, archi- tecte de l'arrondissement de Bayeux, l'une de ses meilleures récompenses. En effet, pendant le cours de ces dernières années, cet artiste a multiplié les travaux, accompli les plus louables efforts, pour reconnaître et constater l’état des monuments religieux confiés à sa tutèle vigilante ; pour faire classer les plus importants parmi les monuments historiques: pour appeler sur eux l'intérêt du Gouvernement et des communes; pour procéder à la restauration des 140 ACADÉMIE DE ROUEN. plus endommagés par le temps; pour restituer enfin, aux plus compromis par de maladroites rénovations, leur forme et leur caractère primitifs. Il a en outre exécuté, d'après les plus remarquables de ces monuments, une série de plans et de dessins qu'il se propose de publier; enfin, il a mérité que la Société française pour la conservation des monuments historiques déclarât, dans un rapport public, que, de tous les arron- dissements de la Basse-Normandie , il n’y en avait pas un seul où l’on pût citer autant de travaux de restauration convenablement exécutés, que dans celui de Bayeux. Cependant, malgré tous ces titres à l'éloge et à la recon- naissance des amis de nos antiquités, l'Académie , ayant mürement examiné la plupart des dessins et des projets de restauration exécutés par M. Delaunay, a remarqué qu'il manquait encore à cet artiste la connaissance com-— plète des variétés de style qui caractérisent les différentes époques ; que, dans ses restaurations, il était fréquem- ment porté à confondre ces nuances , à jeter du désaccord entre le caractère des masses et celui de l'ornementation ; enfin que, dans ses propres compositions de portails, d’autels , ete., il introduisait de nombreux détails hybrides qui n'avaient d'analogues exacts dans la décoration d’au- cune époque. L'Académie se borne donc à tenir compte à M. Delau- nay de son zèle et de ses nombreux efforts ; elle l'engage à persévérer dans l'étude et la comparaison raisonnée des monuments qui sont l'objet de ses travaux ; et, reconnais- sant tous les services qu'il a rendus et qu'il rend encore chaque jour aux édifices religieux de son arrondissement, elle lui décerne une mention très honorable. | | CLASSE DES BELLES-LETTRES. 141 PEINTURE. Lorsque l'exposition municipale de peinture concordait avec chacune des séances publiques de l'Académie, celle- ci pouvait facilement se rendre un compte précis des ré— cents travaux des artistes du pays , et des progrès accom-— plis par eux depuis une certaine période. Cet avantage lui manquant aujourd'hui, à cause du long intervalle qui s’est écoulé depuis la dernière exposition , l'Académie n’a pu porter son examen et ses appréciations que sur les artistes qui ont répondu à son appel. Ils sont malheureusement peu nombreux ; mais le mérite incontestable des œuvres présentées peut consoler de l'infériorité du nombre des concurrents. M. Auguste Lebrun , ancien élève de l’école municipale de peinture de Rouen, et ancien pensionnaire de la ville , mû par un louable sentiment de reconnaissance envers sa cité natale qui a généreusement favorisé ses études et sou- tenu ses premiers pas, a désiré lui offrir uue œuvre de sa composition qui témoignât tout à la fois de sa gratitude et de ses progrès. Le sujet qu'il s’est donné ne pouvait être plus heureusement choisi. C’est le portrait en pied du poète illustre dont notre ville est si fière d’avoir abrité le berceau, et dont elle se montre toujours empressée de multiplier l'image et le souvenir. Plus consciencieux que la plupart des artistes qui l'ont précédé, M. Auguste Le- brun , pour reproduire les traits du grand Corneille, n’a voulu s'adresser qu'à la tradition la plus authentique. Bien plus, après avoir choisi ce type préférable, que les récentes recherches de M. Hellis sur le précieux portrait de Ch. Le- brun avaient déjà suflisamment désigné, il s'est fait une loi de transporter, dans toute son intégrité, sur sa toile, cet ensemble de traits vénérables et touchants. Pour lat- 142 ACADÉMIE DE ROUEN. titude, le geste, le costume et les accessoires, il s’est donné libre carrière, et c'est ainsi que d’un portrait il a fait un important tableau. Pierre Corneille est représenté dans son cabinet, composant sa tragédie d'Héraclius. Le peintre, subissant la nécessité de se conformer à l’expres- sion sereine et reposée du portrait, ne pouvait songer à donner, à la figure du poète, une attitude et un geste d'inspiration. C'est donc avec l'apparence de la méditation calme et attentive que Corneille se présente à nos yeux, levant la main qui tient la plume, comme s’il se préparait à fixer la pensee qui va jailhr. L'artiste a heureusement surmonté les difficultés de son sujet; difficultés plus grandes qu’on ne le supposerait au premier abord, et qui consistait à enchaîner son invention et sa pensée dans les liens étroits d’une inspiration étran- gère. Toutefois, il n’était pas possible que la liberté , l'ai sance de la pose n'en reçut pas quelque atteinte ; aussi trouve-t-on le geste du bras droit un peu guindé. La partie inférieure du corps paraît également un peu courte , et les mains ont été jugées un peu lourdes par quelques connais- seurs délicats. Mais, ces concessions faites à la critique, on doit reconnaître que ce portrait est peint avec largesse et vigueur ; que les étoffes, dans leur sombre éclat, sont d’une grande transparence ; que les nombreux accessoires sont rendus avec une frappante vérité; et que l’ensemble de cette œuvre manifeste une intelligence remarquable du clair-obsceur et de l'effet. L'Académie, qui, il y a quel- ques années, couronna un tableau de M. Auguste Lebrun, représentant les Adieux de Cymodocée , n'hésite donc pas à déclarer aujourd'hui que ce jeune artiste est dans une voie de rapides progrès ; que son œuvre, dont l'intention l'honore, est digne de la noble destination qu'elle a reçue ; et, pour encourager son zèle pour les fortes études, sa CLASSE DES BELLES-LETTRES. 143 persévérance et son désintéressement, elle lui accorde une Mépaizze D'Or. PEINTURE ET LITHOGRAPHIE. L'art de reproduire avecfidélité , par la peinture , le des- sin et la lithographie, les monuments dont tous les siècles passés ont jonché notre sol, est réputé, à juste titre, un art de haute importance , aujourd'hui que nous nous som- mes épris, pour ces vénérables restes, d’une si légitime ad- miration. Les artistes capables d’exceller dans cette spé- cialité délicate, sont encore fort rares, quoique beaucoup y prétendent; car il leur faut unir, au sentiment du pay- sagiste, le calcul du perspecteur et la science de l’anti- quaire. Les services que les artistes, doués de ce triple mé- rite, rendent à l'histoire, à l'archéologie , quoique juste- ment appréciés , ne sont pas encore estimés à leur véritable valeur. Par leurs œuvres, en effet, ils rendent possible l'étude constante, la comparaison simultanée des monu- ments de tous les pays et de tous les âges ; et l'archéologie, théoriquement enseignée , ne se propage que grâce à leurs travaux. La Normandie doit s’estimer heureuse et fière de posséder un artiste à qui ne manque aucun des mérites que nous avons signalés; c'est M. Bouet, de Caen, peintre d'intérieurs et d’extérieurs, dont une touche fine et suave rehausse la sévère exactitude ; dessinateur consommé dans la science de la perspective, lithographe usant en maître de toutes les ressources de son procédé, antiquaire exercé dont les plus savants , dans notre province , estiment et re- cherchent la collaboration. Sans parler des tableaux et des dessins à plusieurs P l crayons dont quelques-uns ont figuré à nos expositions et ont été favorablement appréciés ; une nombreuse suite de 144 ACADEMIE DE ROUEN. vues des principales maisons de Caen, remarquables par leur antiquité ou par la singularité de leur décoration ; une monographie complète , en douze planches in-folio, de ce mont fameux , situé aux confins de la Normandie , et sur- nommé la Merveille au péril de la mer ; puis , enfin , d’in- nombrables dessins semés dans les publications de M. de Caumont, dans les mémoires des sociétés savantes; telles sont les productions par lesquelles M. Bouet se recom- mande à l'intérêt de l'Académie, et qui, au jugement de cette Compagnie, lui ont mérité une MÉDAILLE D'ARGENT. SCULPTURE. La sculpture , dans son application la plus élevée, c'est- à-dire la statuaire , est un art dont la pratique est , à peu près , exclusivement concentrée dans la capitale. Ce n'est guère , en effet, qu'avec l’aide protectrice du gouverne- ment, et dans les travaux qu'il ordonne , que cet art dis- pendieux peut trouver un suffisant emploi et de larges dé- veloppements. La sculpture , en tant que pratiquée par des artistes fixés en province , est donc limitée à des applica- tions secondaires , telles que l’ornementation , l'ivoirerie et quelques autres industries spéciales. Mais, sous cette forme plus modeste , avec moins de prestige et d'éclat, cet art peut encore manifester de nobles inspirations , créer des œuvres dignes d’éloges, et réclamer une juste part dans nos encouragements. Parmi les artistes qui ont appelé sur leurs travaux l’at- tention de l’Académie, M. Graillon, sculpteur-modeleur, à Dieppe, mérite une mention spéciale. Cet artiste pour- rait, à juste titre, être cité comme un rare exemple de ces dispositions natives, de ces vocations spontanées qui, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 15 surgissant au sein d'une détresse profonde, sans guide et sans appui, sans études régulières, par la seule force d’une organisation courageuse et d'une persévérance à toute épreuve, gravissent péniblement tous les degrés d'une laborieuse initiation, et réussissent à conquérir talent , ai- sance et renommée. M. Graillon a raconté lui-même, dans une Notice empreinte d’un touchant intérêt, ses luttes douloureuses, commencées sous l'humble échoppe où lan- guirent ses premières années; sa poursuite opiniâtre, à travers obstacles et privations, pour atteindre à ce titre d'artiste, son ambition et sa récompense. Il s’est peint naï- vement et sans emphase, cherchant longtemps sa voie, s'essayant à la peinture , pratiquant avec quelque succès la ciselure de l’ivoire , puis, enfin, pour répondre à sa fougue d'inspiration, se créant à lui-même un art original et nou- veau, dans lequel il n'avait ni précédent ni modèle. Intro- duire , dans la sculpture, ou plutôt dans l’ébauche plasti- que, la libre allure de la fantaisie; contraindre cet art, jusque-là sérieux, à descendre, sans déroger, jusqu'à l'observation caustique des physionomies et des mœurs po- pulaires ; unir intimement, dans l'expression des senti ments et des passions , le pathétique au grotesque; jeter enfin, sur l'ensemble de son œuvre, ce qui suflit pour en- noblir, dans l'art, toute trivialité du choix et de la forme , la vive amorce d’une touche pleine de verve et d'improvisa- tion ; tels sont les traits caractéristiques, les qualités et les mérites des productions de l'artiste dieppois qu'on a déjà surnommé le Callot de la sculpture. L'Académie de Rouen, qui estime avec raison que l'art, dont le domaine est infini, n'a point établi de privilége entre les modes variés de ses innombrables manifestations ; qu'ilpeut, quand le génie et l'observation l'inspirent , trans- figurer toute forme et sceller toute matière de son em 10 146 ACADÉMIE DE ROUEN. preinte , l'Académie a jugé que l'artiste, par la courageuse persévérance qu'il a déployée, par la multiplicité et le mé- rite de ses œuvres, aujourd'hui si universellement appré- ciées , avait droit aux distinctions qu’elle délivre ; en con- séquence, elle décerne à M. Graillon une MéDaiLLE EN VERMEIL. Il est un art qui brilla au xv* et au xvr siècle d'un vif éclat ; c'es! celui de la sculpture sur bois, appliquée à la dé- coration des édifices religieux et civils, à l'ornementation des meubles et des ustensiles domestiques. Qui n'a ad- miré, en les considérant comme des chefs-d’œuvre de pratique , aujourd’hui presque impossibles à renouveler, les merveilleux dosserets des stalles , les jubés, les van- taux, les buffets d'orgue qui décorent encore un grand nombre de nos cathédrales gothiques, et les dressoirs, les crédences , les bahuts ouvragés que, de nos jours, le goût de la curiosité a fait exhumer des obscurs récep- tacles où ils gisaient méprisés? Les traditions de cet art si fécond et si multiple dans ses créations , comme celles de la peinture sur verre , de l'émaillerie , et de tant d'autres arts qui firent la gloire des derniers siècles-du moyen- âge, semblaient entièrement perdues. Le sentiment de la convenance et de l'harmonie des styles dans la restaura- tion des édifices anciens, sentiment trop longtemps mé- connu , mais qui s'est développé de nos jours jusqu'à se formuler en règle absolue de bon goût, a provoqué une tardive résurrection de cette industrie ornementale. Quel- ques artistes, {rop peu nombreux encore , se sont mis à étudier les œuvres de nos vieux maîtres huchiers, à ana- lyser leurs coupes savantes , leurs assemblages si ingé- nieusement combinés , et surtout cette taille hardie, vive et franche dans l'exécution des reliefs et des parties fouillées, qui semble donner au bois, assoupli par leur nt CLASSE DES BELLES-LETTRES. 147 ciseau, la ductilité de la cire. Parmi ceux qui ônt su s'ap- proprier le plus complètement ce faire habile et cette exécution aussi savante que légère , M. Boudin, de Gisors, occupe sans contredit un des premiers rangs. Fils d'un artiste distingué, chez qui une propension décidée pour la sculpture sur bois développa un rare talent dans l'art délicat de la restauration et de limitation des boiseries gothiques ; ayant longtemps partagé tous les travaux de cet excellent guide , M. Boudin a hérité en. quelque sorte tout à la fois de la vocation de son père et de l'habileté de son. maître. Les œuvres qu'il a produites, pendant le cours de ces dernières années, sont trop nombreuses pour que nous entreprenions de les faire connaître toutes. Nons nous bornerons à citer les principales. Pour la décoration du maïître-autel de la cathédrale d'Evreux, il a exécuté une custode servant à déposer le Saint-Sacrement : magnifique flèche gothique , en bois peint et doré, décorée dans toute sa hauteur de fenestrages à jour, de pinacles et de clochetons , dans le style de la fin du xv° siècle. Pour la même église, il a fait la boiserie d'un orgue d'accompagnement placé dans le chœur ; œuvre d'un mérite secondaire , à la vérité, sous le rapport de la décoration, mais dont l'infériorité ne saurait être im- putée qu'aux dificultés résultant de l'emplacement , aux vices de la forme obligée, et surtout aux restrictions d'une économie trop rigoureuse. Il a encore exécuté, pour la même église, mais avec plus de latitude dans la dépense , une clôture de chapelle, richement décorée , dans le style gothique fleuri de la fin du xv° siècle ; cette œuvre , importante à tous égards, peut rivaliser, sous le rapport de l’exacte imitation du style et de la perfection d'exécu- tion, avec les productions les plus vantées de là menui- serie ancienne. 118 ACADÉMIE DE ROUEN. Les critiques adressées à l'orgue d'accompagnement de la cathédrale d'Evreux peuvent également s'appliquer à la décoration de l'orgue principal de l’église Saint-Taurin de la même ville, que la pénurie de fonds a d’ailleurs contraint de laisser inachevée. Il est hors de doute que les formes carrées, les façades planes et sans ressauts dans lesquelles les facteurs modernes enfermentileur mé- canisme, ne présentent au génie des décorateurs qu'un motif ingrat qui limite leurs créations à d'insignifiants placages. Le grand pupitre de chœur de la même église Saint- Taurin est une des œuvres les plus recommandables du sculpteur de Gisors. On peut en dire à peu près autant du maïître-autel de l'église de Pîtres. Dans ces deux compo- sitions , l’artiste , libre d'entraves gênantes et moins res- treint par l'économie, a su donner aux masses cette am- pleur de formes, aux contours ces reliefs vigoureux et mouvementés, aux détails enfin cet irréprochable fini qui rendent le Moyen-àâge presque inimitable. Mais la pièce la plus capitale, sans contredit, de l’œuvre de M. Boudin, celle qu'on vante le plus, et que lui-même place au-dessus de toutes les autres, c’est la chaire à prê- cher qu'il a récemment exécutée pour l'église de Vernon ; travail considérable, qui a exigé de l’artiste près de trois années de soins et qui a coûté plus de 15,000 francs. Isolée entre deux piliers et s'élevant sous l’ogive d’une travée , cette chaire est portée sur un support unique , et représente assez bien, dans sa forme générale , depuis le sol jusqu'au niveau de l’accotoir, un vase à pied ou un ca- lice. De la partie postérieure, à laquelle viennent se rattacher deux petits escaliers tournants , monte un dossier suppor- tant l’abat-voix en forme de pyramide surbaissée. Toute CLASSE DES BELLES-LETTRES. 149 cette composition architecturale est décorée dans le style gothique ouvragé de la fin du xv° siècle. Les quatre faces du pilier de soutènement , les pans de la cuve, la face du dossier , et les différents étages de l’abat-voix sont décorés de fenestrages , de dais , de grandes et de petites figures , du travail le plus exquis. Sur la cuve, ce sont les quatre évangélistes et les douze apôtres; sur le dossier, saint Pierre et saint Paul et deux anges adorateurs ; sur l'abat-voix, les vertus théologales ; enfin, au sommet, saint Jean le précur- seur. Cette magnifique chaire à 20 pieds de hauteur , non compris le saint Jean qui la termine. Un banc d'œuvre , dans le même style, et destiné à lui faire face, est en voie d'exécution entre les mains du même artiste. M. Boudin, nous avons peut-être omis de l’'exprimer suffisamment, quoique nous l’ayons assez laissé entrevoir, exécute toutes ses œuvres importantes d'après ses propres dessins. A ce titre, son talent complexe participe de celui de l'architecte, du menuisier constructeur et du sculpteur. Sous ces deux derniers rapports , nous n’hésiterons pas à le proclamer, il peut être considéré comme irréprochable. La science pratique de l'artiste égale son habileté d'exécu- tion. Toutefois, comme créateur, comme imitateur fidèle et rigoureux du style d’une époque déterminée, M. Bou- din , il faut bien l'avouer, laisse quelque chose à désirer. Ses masses manquent quelquefois de relief, de mouvement et d’ampleur. En cherchant le svelte et l’eflilé , il lui arrive de tomber dans la maigreur. En outre, il ne se tient peut- être pas assez en garde contre cette tendance si commune chez tous les artistes restaurateurs de notre époque, de confondre, dans une même composition, toutes ces nuan-— ces variées de style et de nationalité, qui se succédèrent rapidement lors de la décadence de l'art gothique. Mais ces défauts, que nous signalons avec franchise , 150 ACABEMIE DE ROUEN. ne sauraient atténuer les éminentes qualités que nous avons mises en évidence D'ailleurs, il serait injuste de trop exiger. S'assimiler complètement, par la recherche et la comparaison persévérante des modèles , les différents sty- les des époques écoulées, est une tâche qui suflit à l’occu- pation d’une vie entière. Cette étude n’est-elle pas exclu- sive de cette supériorité d'exécution manuelle qui n’exige, pour être atteinte et maintenue, ni moins de travail , ni moins de dévouement? L'Académie n'hésite donc pas à reconnaitre , en M. Boudin, un artiste précieux , qui, par l'importance , le fini, la multiplicité de ses œuvres, rend à l'art religieux d'inmenses services dans notre province ; -et, persuadée qu'aucun autre artiste, en Normandie, n’a autant ni aussi bien fait que lui dans la spécialité qu'il pratique , elle lui décerne une MépaiLce EN VRRMEIL. MUSIQUE. La musique, quoique procédant d’un principe différent de celui qui préside aux arts dépendant du dessin , quoique constituant une science à part, à été jugée par l'Acadé- mie digne de participer aux encouragements qu'elle dé- cerne. L'appel qu'elle a fait entendre n'est pas resté sans résultat ; des travaux ont été signalés , des œuvres se sont produites dont l'importance et l'intérêt sont véritablement en rapport avec le but sérieux que s’est proposé la Société. La musique , appliquée à rehausser les pompes du culte catholique, à moduler ce concert solennel de supplica- tions et d'actions de grâce que les fidèles réunis font m- cessamment monter vers l'Eternel, est plus qu'un art d'ingénieuses combinaisons, c'est une perpétuelle inspira- Re PP EEE CLASSE DES BELLES-LETTRES. 151 tion. À ce titre, les artistes qui cultivent ce genre élevé, plein de diflicultés et souvent trop légèrement apprécié , ont droit à toute la sympathie des corps institués comme juges des tentatives généreuses et des nobles efforts. C’est donc avec un véritable empressement que l'Aca- démie saisit l'occasion de payer, à M. Vervoitte, maître de chapelle de la cathédrale de Rouen, le tribut d’éloges que lui méritent ses importants travaux. Appelé, par la confiance du digne prélat placé à la tête de ce diocèse , à opérer la réforme du chant ecclésiastique, et à substituer le chant à plusieurs parties , établi dans une tonalité accessible à toutes les voix, au plain-chant que l'u- sage enfermait dans la seule étendue des voix de basse, M. Vervoitte a exécuté cet immense travail, qui embrasse la série complète de loflice annuel, avec une réussite qui satisfait le goût exercé du connaisseur, sans dérouter l'o- reille du fidèle, habitué aux graves modulations du plain- chant. Ce serait une tâche trop étendue, pour les bornes de ce rapport, que d'essayer de faire apprécier la portée et les avantages de cette magnifique réforme , dont le résultat est de cimenter de nouveau l'intime alliance du clergé et du peuple , dans leur commune participation au chant des can- tiques sacrés. Nous nous bornerons à constater, avec tous les juges compétens, qu'ea ramenant le chant ecclésiastique à ses véritables traditions , telles que nous les ont transmises les grands maitres du xv° et du xvi' siècle, et l’oftice choral à son but qui est l'édification générale, M. Vervoitte a rendu un éminent service à l’art et à la religion. indépendamment de son vaste travail d'ensemble sur le chant Nturgique, des principes de son enseignement aux 152 ACADÉMIE DE ROUEN. élèves de la maîtrise, dont notre ville peut, à chaque so- lennité, apprécier le succès, M. Vervoitte avait encore soumis, au jugement de l'Académie , diverses compositions de chant, à plusieurs voix , sur des paroles empreintes d'un sentiment pieux et touchant. Ces œuvres, bien que déta- chées et de peu d’étendue, témoignent, chez leur auteur, d’une inspiration aussi élevée que féconde , d'une COnnaIS- sance approfondie des règles et des conditions de l'art. Mélodies naturelles dans leur piquante originalité; ex- pression juste, formule distinguée ; style correct, forme élégante, sentiment exquis de l'unité; enfin, harmon e pure , savante, et remplie d'heureuses combinaisons ; telles sont les qualités que manifeste l'examen des compositions indiquées. Aussi l'Académie, rendant un hommage mérité au talent du consciencieux artiste, comme compositeur , comme professeur de musique vocale, comme organisa- teur du chant sacré à la cathédrale, lui décerne une Mé- DAILLE EN VERMEIL. L'Académie avait encore à porter un jugement sur une œuvre musicale envoyée à son concours par un amateur cultivant avec succès la composition : M. Nestor Desrue , déjà couronné en 1837, et mentionné honorablement en 1843. Il s’agit d’une messe à trois voix , avec accompagne ment d'orgue. L'Académie reconnaît que l’auteur possède à un degré distingué la connaissance des principes de lhar- monie pratique, élémentaire , et l'habitude d'écrire à plu- sieurs parties pour les voix. Une facile émission de pensée musicale et une mélodie régulière caractérisent également, dans son œuvre, les parties chantantes et l'accompagne- ment. Mais l ue approfondie des hautes combinaisons de l'art, ainsi que la connaissance des grands modèles du genre , ne Jui sont pas assez familières pour qu'il lui soit CLASSE DES BELLES-LETTRES. 153 donné d'écrire, avec un succès complet, et dans un style parfaitement convenable , une œuvre classique telle qu'une messe. L'Académie ne peut done qu’encourager M. Desrue à poursuivre de sérieuses études sur les maîtres du grand style religieux , avant d'aborder des compositions d'un ordre aussi élevé , et, toutefois, pour lui témoigner tout l'intérêt que lui inspirent son zèle et sa persévérance, elle lui décerne une mention très honorable. apport SUR LE CONCOURS POUR LE PRIX GOSSIER, Août 1849, PAR M WELLIS Les travaux des antiquaires et des archéologues nous ont appris que la Normandie, qui s’est illustrée par ses guerriers, ses littérateurs et ses jurisconsulles , fut aussi la terre des églises et des châteaux ; Fart y brilla jadis du plus vif éclat, sous des formes aussi nouvelles qu'origi- nales, tout à fait étrangères aux productions de la Grèce et de l'Italie. L'admiration pour les œuvres dut nécessai- rement remonter jusqu'à leurs auteurs. Ua sentiment de curiosité, non moins que de reconnaissance, a fait de ces recherches une nouvelle branche de l'archéologie. Déjà Limoges possède la liste entière de ses émailleurs ; Bour- es, celle de ses vieux artistes en tous genres ; Tréguier , celle de ses peintres verriers. La Normandie ne pouvait nn _ ge 1 CLASSE DES BELLES-LETTRES. 155 rester en arrière dans cette voie de réhabilitation; elle a voulu réveiller le souvenir de ceux qui l'avaient si digne- ment ennoblie. C'est là ce que l'Académie a compris en proposant pour sujet du prix Gossier : Des Recherches sur les Artistes normands au xvr° siècle , et sur les œuvres d'art pendant la même période. C'est au nom d’une commission composée de MM. Bar- thélemy , Gustave Morin, Grégoire, Dutuit, Lévesque et Pottier, que je vais avoir l'honneur de vous rendre compte du résultat du concours. Unseul mémoire nous est parvenu , mais je m'estimerai heureux si je parviens, dans une courte analyse, à vous donner une idée de ce qu'il renferme. L'auteur envisage d'abord la question dans toute son étendue. 11 examine nos diverses écoles ; il dit quelle était la vie des artistes en ce temps; puis, il fait Pinventaire de nos richesses, i1 se livre à l'étude des monuments; ik les explore avec sagacité , les compare avec intelligence , les classe avec méthode. Des monuments, il passe aux œuvres d'art : la sculpture sortie du ciseau du tailleur d'images, les tableaux créés par la main du peintre, les objets portatifs qui dépendent de l’art du dessin, vases ciselés par les orfèvres, terres cuites ornées de couleurs et de formes élégantes, tapisse- ries animées de personnages, brodées à images et his loires ; rien qui ne soit examiné et savamment apprécié Les architectes , les sculpteurs et les peintres normands au Xvi° siècle, modestes aulant qu'habiles, ne prenaient pas même le nom d'artiste, si usurpé de nos jours: ils S'honoraient d'être maîtres-jurés dans leurs corporations, et leur génie n'était souvent qu'une longue patiénce. Si, 156 © ACADÉMIE DE ROUEN. parmi eux , quelques-uns comme Jean Goujon , Germain Pilon, Bernard Palissy, furent entourés d’honneurs de la main des Valois, c'est parce que le style qu'ils avaient adopté luttait avec les productions de l’Italie. Mais ceux qui bâtissaient ou exécutaient more gallico, on les laissait dans leur province perpétuer l'ogive et le pendentif ; ils étaient qualifiés de gothiques par ceux qu'avaient séduit le style de Philibert de l'Orme et de Du Cerceau. Félici- tons-nous de cette méconnaissance, nous lui devons plus d'un chef-d'œuvre que la capitale nous eût ravi, si ces ar- tistes, qui nous restèrent fidèles, avaient fixé les regards des grands et de la cour. « Ces artistes, dit l'auteur, ne faisaient pas partie de l'a- ristocratie normande ; ils semblent avoir poussé loin le sentiment de leur obseurité, puisque jamais ils ne signaienit leurs œuvres ; modestie remarquable à côté de la vanité excessive de deux professions exclusivement libérales alors : celle d'avocat et celle de médecin. » Cette première partie du mémoire donne une idée fort juste de l'artiste normand au xvi° siècle ; elle fait appré- cier sa condition sociale , son éducation , son instruction. Sortant ensuite du cercle des généralités, l’auteur aborde les œuvres d'art les plus notables dont notre province s’est enrichie. Nous tâcherons de le suivre dans sa rapide revue. Pendant tout le moyen- âge, l'architecture a joui d’un grand privilége parmi les arts ; Lout ce qu’elle à produit de beau révélait une pensée religieuse ; l'orientation des mo- numents, leur forme, leur distribution, tout était mys- tique, tout était symbolique et émanant du dozme chrétien ; sa pensée avait pour but d'élever l'âme en lui rappelant les bienfaits de son auteur. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 157 Si, au xvr siècle, l'architecture avait déjà perdu de la sève qui l'avait rendue si vigoureuse, elle avait encore conservé assez de puissance pour garder le premier rang parmi les arts; mais, modifiée par l'époque de la renais- sance et dominée par des influences locales, elle a revêtu, depuis Louis XII jusqu'à Henri IV. une individualité que l'auteur cherche à constater. 11 divise ce siècle de transi- tion en trois styles successifs : le premier, ou style de la première époque, encore empreintde l'influence du siècle précédent , a pour principe l'art ogival ; pour caractère do- minant , les formes prismatiques ; pour symbole, la naï- veté jointe à un luxe extrême d'ornements. Le second style est venu d'Italie, son principe généra- teur est le plein-cintre. Ses formes préférées sont arron- dies et pleines de mollesse. L’afféterie y prend trop sou- vent la place de la naïveté; le luxe s’y montre dans toute son exubérance. Enfin , dans la troisième époque, venue aussi d'Italie, les masses carrées obtiennent la vogue , les surfaces nues se multiplient , et le parallélogramme tend à détrôner le plein-cintre. L'art, en se partageant ainsi, fut l'expression véridique de l'état des esprits. La naïveté du style gothique règne jusqu'à l'invasion des doctrines protestantes Le paganisme de la renaissance , l'idolatrie de l'art pour l'art sont con— temporains des doctrines nouvelles ; enfin , l'appauvrisse- ment de l'architecture , la nudité et la lourde enflure de ses créations , résultant du commencement des troubles du règne de Henri IV, sont en harmonie avec la sécheresse de l'esprit protestant ct avec le rigorisme extérieur du siècle qui naissait. On ne peut qu'être saisi d'étonnement en songeant 158 ACADÉMIE DE ROUEN. qu'une grande partie des monuments dont s'enorgueillit notre province, est due à un petit nombre de familles ; per- mettez-moi d'entrer dans quelques détails sur ce chapitre, qui me semble , dans le mémoire , traité avec une juste prédilection. Qui ne sait le goût et la munificence du cardinal d'Am- boise , ce fidèle ministre de Louis XII, de ce grand car- dinal qui faillit être un autre Jules I. L'achèvement de la tour de Beurre , la construction du nouveau portail de la Cathédrale, le Palais-de-lustice si habilement terminé de nos jours, la fontaine de la Croix- de-Pierre et la restauration de beaucoup d'églises, sontses ouvrages. Aussi, on a dit avec raison que Léon X n'avait pas plus fait pour Rome que d’Amboise pour sa cité de Rouen. | Ce n'était pas assez; après avoir créé tout ce que le genre gothique put inspirer de noble et de gracieux, il laissa poindre, dans le château de Gaillon , les premiers essais de ce style nouveau qu'il avait #dmiré en Italie, et dont la Normandie ne soupçonnait pas encore l'existence. Son neveu, qui lui succéda dans le siége archiépiscopal de Rouen , ne resta point au-dessous de son oncle ; il éleva à sa mémoire ce magnifique cénotaphe dü aux dessins de Pierre Leroux, fameux déjà par l'exécution du Palais-de- Justice ; et cet artiste, après avoir imaginé tout ce que la pierre pouvait offrir de plus dentelé, de plus fleuri, se trouva comme entraîné, suivant l'expression de M. De- ville, vers la nouvelle architecture , dont il avait admiré les naissantes merveilles au château de Gaillon. L'architecture gothique commençait alors à décliner dans Rouen, l'arcade de la voûte de la Grosse-Horloge était CLASSE DES BELLES-LETTRES. 159 en plein style de la renaissance, ainsi que l'aître de Saint- Maclou construit à cette époque. Cependant, l'architec- ture ogivale expirante se révéla encore dans les pinacles, les crètes , les clairvoies et les fragiles dentelles de la cha- pelle de la Vierge. Thomas Béquet puisa aussi à cette source pour élever la flèche qui Fa immortalisé. Qui ne sait le nom de la famille de Leroux, inséparable de l’admirable hôtel du Bourgtheroulde? Qui ne connaît l'abbaye d'Anneval, le château de Boissy-le-Châtel et celui d’Acquigny ? Les cardinaux d’Amboise ont trouvé de dignes rivaux dans les diocèses d'Evreux et de Lisieux; la famille des Leveneur , qui compta trois évêques et un cardinal, fut aussi possédée de la passion des beaux-arts; le temps me manque pour exposer ce qu'on leur doit et je le regrette. Abbés de Lyre, de Saint-Thaurin, de Saint-Evroult, de Jumiéges, cardinaux, évêques grands aumôniers, les Leveneur eurent d'immenses richesses pour subvenir à des travaux qu'on ne saurait énumérer ; quelles ressources pour des artistes que ces hommes éclairés et pleins de goût, et, pour eux, quel heureux patronage ! Après les d'Amboise et les Leveneur, les troubles de l'Eglise arrêtèrent la marche des arts et tarirent la muni- ficence de leurs protecteurs. Les évêques littérateurs rem placèrent les évêques artistes. Claude de Saintes, évêque d'Evreux , en 1575. passa sa vie à écrire contre les héré- tiques. Mais, à Lisieux, l'évèque D’Annebaut fut encore un évêque bâtisseur. Je citerai aussi l’abbesse de Saint- Amand , la famille de Blosset; enfin, deux négociants viennent clore cette liste glorieuse : Duval de Mondrain- ville, à Caen, el Ango, de Dicppe. L'architecture, qui joue un si grand rôle dans l'histoire 169 ACADÉMIE DE ROUEN. de l’art au x ver siècle, ne renfermait pas tout ; c'était un tronc robuste d'où s'échappaient en foule des rameaux verdoyants qui, moins empreints de force et de majesté. se prêtaient davantage à la grâce, et faisaient valoir à l'in- fini, et l'adresse de la main et les ressources de l'imagi- nation. Du maçon tailleur de pierres au maçon tailleur d'i- mages, il n'y a pas loin ; souvent même , alors, ces deux professions se confondaient. On sait toutes les formes que la pierre revêtait sous Île ciseau, surtout à l’époque qui nous occupe, où s'écartant de sa simplicité primitive, l'art succombait sous le luxe de l’ornementation : aiguilles dentelées, feuillages à mille formes, rosaces tourmentées, dais merveilleux , pinacles à jour. statues, figurines, gar- gouilles, chimères, animaux, pendentifs merveilleux. nervures flamboyantes, figures mystiques et histoire ani- mée de l’ancien et du nouveau testament, tout prêtait à développer le talent et à multiplier les œuvres de la main. Aux premiers temps du moyen-âge, la décoration plus simple était d'ordinaire confiée à ceux qui avaient posé les fondements de l'édifice ; une plus grande richesse réclama de nouvelles aptitudes , et dès-lors, s’élevèrent les sculp- teurs et les imaginiers. Un nom plane sur cette époque de brillantes ciselures , celui de Jean Goujon; voilà, dans l'ignorance où nous sommes. l'artiste auquel on attribue toute œuvre qui sort de la médiocrité. Mais combien d'hommes oubliés ont droit à notre reconnaissance ! La pierre et le marbre ne s’embellirent pas seules sous la main de nos artistes. Le bois prit des formes variées et produisit aussi des chefs-d'œuvre. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 161 Les boiseries jouaient un rôle important dans l'ameu- blement des églises : portes, vantaux , stalles, lutrins, autels, orgues, chaires à prêcher ; que d'objets merveil- leux et dignes d'être contemplés ! Mais aussi, que de re- grets ! De cette myriade, c’est à peine si l'on retrouve quelques témoignages qui justifient nos expressions. Evreux, Caen, Bernay, offrent encore quelques vantaux de l’époque la plus pure ; Rouen , Gisors, Louviers, Mor- tagne , s'enorgueillissent de quelques portes dues au ci- seau des maîtres de l’art, à l'époque de la renaissance. Des lutrins , il n’y en a plus ; des débris de stalles se voient encore aux églises modestes des Brottaux et du Bourg- theroulde. Celles de Bayeux et de Louloy attestent une ère de dégénérescence ; celles de Saint-Pierre-sur-Dives mé- ritent d’être mieux connues, et rivalisent avec celles de Saint-Jacques de Lisieux pour leurs cartouches ornés d’a- rabesques et de sujets chimériques, aussi remarquables par le dessin que par l'exécution. Les boiseries d'orgue sont surtout à regretter, car, l'ar- tiste, plus au large, pouvait mieux faire valoir et son adresse et sa fécondité. Les amateurs connaissent en ce genre ce qui existe à Sainte-Croix de Bernay, à Saint-Vivien de Rouen, à Bre- teuil, enfin à Saint-Maclou et à Notre-Dame d'Alençon : ces débris attestent ce que l’art avait su produire. On sait qu’une grande partie de ces chefs-d'œuvre ont disparu sous le souffle de la réforme. De Bras de Longueville raconte longuement ces scènes affligeantes. Ce qui avait échappé alors, a péri à partir de 1791. Un nombre infini de boiseries ont été arrachées et vendues à l’encan : à Évreux, les seuls lambris de l'église des Jacobins ont sufli pour bâtir deux maisonnettes : ils 11 162 ACADÉMIE DE ROUEN. étaient recouverts de sculptures dans le style des portes de Gisors et de Saint-Maclou. Ces chefs-d'œuvre servent encore à clore des lucarnes. Quant aux panneaux qui, plus profondément fouillés, étaient impropres à de pareils usages, ils ont été fendus pour faire du barreau destiné à soutenir le terris des planchers. Comme si ce n'était pas assez du vandalisme pour anéan- tir ces objets précieux , le croirait-on , à une époque où le mot de gothique était un terme de réprobation, on vit disparaître des jubés , des stalles richement ornées , sous prétexte de meilleur goût et du mauvais effet de leurs sculptures élégantes et de leurs riches dentelles On sait encore les désastres en ce genre qu'opéra la manie du ba- digeon au commencement du siècle. Si, au xvr° siècle , l'art du miniaturiste s’éleignait avec la découverte de l'imprimerie , il n’en était pas de même de la peinture sur verre. Jamais elle ne brilla d'un plus vif éclat. Elle subsiste encore dans d'innombrables monu- ments dont la beauté primitive n’a pu être altérée. Beau- coup de noms de peintres ont été conservés dans les re gistres des fabriques des églises. Les départements de la Seine-Inférieure et de l'Eure pos- sèdent encore d'admirables verrières ; mais , dans la Man- che et le Calvados, on n’aperçoit plus que de tristes dé- bris de cette brillante peinture. Une fureur inconcevable y a détruit ces fragiles ornements , au point qu'à Bayeux, par exemple , on serait tenté de croire que la peinture sur verre n'a jamais été employée. Le temps me presse, mais je ne puis passer sous silence les verrières de Gisors, de Saint-Ouen , de Pont-Audemer, et surtout de Conches, qui sont les plus admirables monuments de cet art mer- veilleux. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 163 Dans ces œuvres , la pureté du dessin se joint aux plus brillantes couleurs ; celte précieuse collection offre tant d'harmonie, de pureté et d'homogénéité , qu'on est tenté d'admettre qu'elle sort de la même main, ou du moins de la même école. Si les verrières abondent encore dans notre province , il n'en est pas de même de la peinture à l'huile et de la pein- ture murale; ces derniers genres étaient beaucoup moins cultivés. La passion pour les tableaux modernes et le mé- pris pour les artistes provinciaux , de la part des direc- teurs des musées sous l'Empire, ont causé l'anéantis- sement de presque tous les ouvrages en ce genre. Ajoutez à cela le grattage et l'humidité des murailles, et l’on s’é- tonnera peu de cette complète destruction. Tout est venu en aide au vandalisme ; l'ignorance et le mauvais goût ont achevé ce que la fureur des partis avait respecté. Ainsi, à Evreux, la vie de saint Cosme et de saint Da- mien a disparu d’abord sous le badigeon à la chaux, puis, sous une couche récente de solide peinture couleur beurre frais. Sous une meilleure inspiration , à Bayeux, le barbouil- lage blanchâtre qui recouvrait plusieurs chapelles du chœur a été enlevé adroitement , et l’on a vu reparaître de grandes peintures murales dont on soupçonnait à peine l'existence. 3 Bayeux possède encore des peintures murales impor- tantes aux voûtes si gracieuses de l'ancienne chapelle de l'évêché. Là, des scènes complètes, peintes dans les par- ties unies, s’entremêlent aux enluminures rehaussées d'or et d'argent qui recouvrent les moulures et les parties sculptées. L'art chrétien féconda toutes les sources du génie ; non- 164 ACADÉMIE DE ROUEN. seulement il éleva de somptueuses basiliques , enfanta des sculpteurs et fit naître une brillante pleyade de peintres pour les revêtir de tableaux resplendissants , l'artiste croyant avait encore à payer un autre tribut, et, dans un but si élevé, ne pouvant faillir, rien ne devait être au-des- sous des plus nobles inspirations. Le culte religieux réclamait des vases pour ses sacrifices, la pompe des cérémonies exigeait des ornements sacerdo- taux, les temples et les autels attendaient leur parure de fête ; de là, le besoin de jeter un coup d'œil sur ce que fu- rent , au xvi' siècle, l'orfèvrerie et les travaux à l'aiguille. Du temps de Benvenuto Cellini , la France était renom-— mée pour ses ouvrages de grosserie, et la corporation des orfèvres de Rouen était riche et puissante. Malheureuse- ment les productions manquent pour bien apprécier les objets dont la valeur et la mobilité devait surtout exciter la cupidité des barbares. Qu'on aille à Rome, aujourd’hui, on pourra juger que si, dans de pareilles crises, les mo- numents résistent , tout ce qui les décore ou les enrichit ne jouit pas du même privilége. On ne peut se faire une idée de la richesse des ciselures qu’en contemplant les va- ses peints sur les verrières qui nous restent. L'auteur ne cite que deux objets d'orfèvrerie de cette époque : la coupe dite de Guillaume le Conquérant, con- servée à Caen , et deux beaux calices en argent, gardés dans le trésor de la cathédrale d'Evreux. La plupart des églises étaient pourvues de tentures qu'on déployait avec orgueil dans les jours de fête. Cha- cune d'elle avait ainsi l’histoire de son patron. Outre cela, les riches maisons en étaient abondamment pourvues. Ces objets, aux armes des familles normandes , où la phy- sionomie locale était si fortement empreinte, où l'on CLASSE DES BELLES -LETTRES. 165 trouve jusqu'aux paysages et aux sites du pays, ne pou- vaient provenir de lointaines fabriques, quand on sait qu'a- vant le xvrr° siècle il existait à Rouen, et surtout à Elbeuf, des ateliers pour ces sortes de tissus. Hélas ! il ne reste guère de ces anciens ouvrages, dis- persés par le temps et par les orages révolutionnaires; parfois , l’antiquaire a la douleur d'en apercevoir des lam- beaux prostitués aux tréteaux de la foire. Parmi celles qui sont conservées, je ne puis résister à vous parler d’une tapisserie curieuse par sa naïveté : La famille de Mathan , des environs de Caen, prétendait au- trefois descendre de Mathan qui figure parmi les ancêtres de la sainte Vierge. La tapisserie faitallusion à cette illustre origine ; elle représente le noces de Cana. M. et M"e de Ma- than entrent dans la salle du festin, de longues banderolles indiquent les propos qui sortent de la bouche des divers personnages. Tandis que le seigreur de Mathan, en costume du temps de Charles IX, tient respectueusement sa toque empanachée à la main, l'héritière de Jessé se tourne de son côté et lui dit : Couvrez-vous done, mon cousin. Je passe, malgré l'intérêt qu'il présente le chapitre où l'auteur traite de la broderie et des ornements d'église, pour citer ce qu’il rapporte d’un tisserand de Caen , nommé Graindorge; cet habile homme parvint à faire pénétrer le dessin dans la fabrication des toiles ; on lui doit les tissus damassés dit de haute-lisse, que l'étranger nous envia longtemps. Sortant d’abord de l'ornière où il avait vécu, Grain- dorge orna de fleurs les tissus qui étaient unis ; bientôt, il représenta des animaux et des écussons blasonnés. Son talent, grandissant avec le succès , il parvint à y figurer des personnages, des fêtes et des batailles avec une rare perfection; c'était du Jacquard au dernier degré. 166 ACADÉMIE DE ROUEN. Cahaignes cite, entr'autres , les toiles destinées au car- dinal de Joyeuse, et une autre où étaient figurées les ba- tailles d'Henri IV, présent de la ville à la reine Marie de Médicis. Le roi en fut si émerveillé que , malgré les ma- nières incultes de l’auteur, il n’hésita pas à anoblir sa famille. Certes , il était bien digne de cet honneur celui qui, joignant la patience au génie . avait su doter son pays d'une aussi merveilleuse industrie. Me voici arrivé à la fin de ma tâche ; j'ai tout fait pour l'abréger ; elle m'eût été plus facile si j'avais eu le droit de m'étendre davantage. Cherchant à être court, je crains d’avoir été obscur ; je le regretterais si je n'étais point ar- rivé à vous donner une idée complète du mémoire remar- quable que je devais analyser. Si l’auteur ajoute peu de noms à ceux déjà connus, c'est qu'il est impossible de les exhumer. Les noms ne se re- trouvent consigrés que dans les archives des villes et dans les comptes des églises ; peu d’entre elles, comme Rouen, ont eu le bonheur de les conserver. Les beaux ouvrages étaient commandés par de grands personnages ou donnés par de riches habitants. On n'omettait point d'y inscrire les armoiries et les titres des donataires; mais les artistes n'y figuraient que par exception L'auteur, il est vrai, n'accroît pas de beaucoup nos lumières sur ce point, mais il nous dédommage ample- ment en traitant des objets d'art. Dans un mémoire de près de deux cents pages, tout est de faits, de recherches, et de savante appréciation. Il trace avec habileté le caractère propre du siècle, on sent qu'il a vécu au milieu des anti- quités ; néanmoins, il ne cite pas tout ce qui existe, et nous nous permeltrons de signaler qu'il n’a pas exploré avec le CLASSE DES BELLES-LETTRES. 167 même soin tous les départements de l’ancienne Norman die, mais il a vu beaucoup et bien apprécié ce qu'il a vu. Son style est clair, rapide. dépouillé d'ornements su- perflus , parfois élégant et fleuri, ce qui n'ôte rien au mé-— rite descriptif. Il puise, ilest vrai, large ment dans les ou- yrages écrits sur la matière, et les membres de cette Aca- démie lui ont été d'un puissant secours; mais il justifie aussi qu'il a l'habitude de juger par lui-même. Son mé- moire est un tableau vif, animé et fidèle de l’art au xvr° siècle. Je pense que c'était là ce que demandait la Compagnie. Si elle a été heureuse dans le choix de son sujet , elle doit se féliciter d’avoir suscité un pareilathlète. Aussi, votre Commission , à l'unanimité , pense que l’au- teur du mémoire, ayant rempli les conditions du pro- gramme, a de justes droits au prix proposé. L'académie , adoptant les conclusions de ce rapport, a décerné le Prix Gossier à M. Bordeaux, juge à Évreux. DE L'APPLICATION DU JURY AUX MATIÈRES CIVILES, Par M. Antoine BLANCHE, Premier Avocat-Général à la Cour d'Appel de Rouen. (Discours de réception, 20 Juillet 1849.) Messieurs, Lorsque vous m'avez fait l'honneur de m'accueillir parmi vous, la société française était travaillée par une foule d'idées dangereuses et désorganisatrices. Je pensai que le devoir de tous les citoyens, dévoués sincèrement à leur pays, était de lutter, chacun dans la limite de ses forces et dans la sphère de ses connaissances, contre le débor- dement des erreurs qui menaçaient d’abimer la civilisa- tion. Je me hasardai à prendre ma part de cette grande tâche ; je la mesurai aux études spéciales, objet des oc- cupations de toute ma vie et mon seul titre à votre bien- veillance. Certaines publications du Gouvernement provisoire ré vélaient l'intention de supprimer la magistrature française , cette magistrature qui est, permettez-moi de le dire, une des forces vives de notre organisation moderne ; on vou— lait la remplacer par le Jury. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 169 Je savais que, parmi les membres les plus modérés et les plus influents de la Commission , chargée par l’Assem- blée Nationale de préparer la Constitution, il y en avait qui, «considérant le Jury comme une institution amie «de la liberté, comme une magistrature d'équité et de «bon sens, imprégnée des sentiments populaires dont « elle sort, où elle se retrempe sans cesse, auraient voulu « la développer et l'étendre progressivement au jugement «des matières correctionnelles et de quelques procès & civils (1). » Je savais aussi que, réduits et résignés au silence , certains Constituants « n’en conservaient pas « moins la confiance qu'il viendrait un jour moins dur « pour le Jury, et où la loi simplifiant, abrégeant, éla- « guant les broussailles souvent épaisses de la procédure, « donnerait raison à leur opinion, qu’ils n’ensevelissaient «que provisoirement dans la solitude de leurs espé- « rances (2). » Je me proposai alors de rechercher avec vous, Mes- sieurs , si ces regrets étaient légitimes , et s’il était dési- rable que les procès civils, qui ne peuvent se juger que par la combinaison du droit et du fait, fussent remis un jour à l'appréciation du Jury. Immédiatement je me mis à l'œuvre, avec l'espoir d’être à la disposition Ge l'Académie dans les délais indi- qués par le règlement. Mais bientôt l'horizon s'agrandit devant moi; il me devint impossible de lui assigner une limite. Je cherchai l'origine du Jury dans la législation (1) Rapport fait par M. Marrast sur le projet de Constitution, présenté par la Commission , après avoir entendu les Représentants délégués des bureaux. ( Honiteur du jeudi 31 août 1848, 2° supplé= ment. } (2) Même rapport. 170 ACADÉMIE DE ROUEN. romaine ; j'en poursuivis les traces dans les lois saxonnes, anglo-saxonnes, anglo-normandes.... J'en étais arrivé là , lorsque vint me frapper l'un de ces malheurs irrépa- rables qui paralysent la liberté de l'intelligence , confon- dent la raison, et ne permettent pas même la consolation de l'étude. Malgré les témoignages généraux d'affection , d'estime, de respect, donnés à la mémoire de celui que je pleurais , il me fallut bien du temps pour reprendre le cours de ces méditations lentes et laborieuses , qui ne se font que dans le calme de l'esprit et l'entière possession de soi-même. Vous le dirai-je, Messieurs, si vous n’aviez pas été les anciens collègues de mon père, si vous ne l'aviez pas environné de votre affection, de votre estime , de vos regrets, je ne me serais pas senti le courage de venir jusques à vous; j'aurais attendu , dans l'abattement de ma douleur, la résolution qui vous aurait été imposée par mes lenteurs et les dispositions fort sages de vos sta- tuts. Mon intention , Messieurs , aurait été de vous offrir un travail complet sur l'institution du Jury ; mais le temps et les forces m'ont fait défaut. Daignez recevoir avec bien- veillance l'ébauche que j'ai l'honneur de vous présenter. Un jour, vous m'autoriserez sans doute à en couvrir les imperfections. Faut-il placer le berceau du Jury moderne dans les législations anciennes? Les juges (judices), les arbitres (arbitri), les récupérateurs (recuperatores), les centumvirs (centumoiri), devant lesquels les magistrats romains ren- voyaient les plaideurs, étaient-ils ou n'étaient-ils pas des jurés ? Ce sont des points dont je ne veux pas aborder la discussion devant vous ; il me suflit de dire que cette procé- dure était déjà bien loin lorsque l'empire romain s'écroula , et qu'il n'est pas vraisemblable que la pensée en ait été CLASSE DES BELLES-LETTRES. 171 transmise, que le souvenir en ait été conservé chez les peuples du Nord. Au lieu d'être une importation posthume des législa- tions de l'antiquité, le Jury est, ce me semble , une créa tion appartenant en propre aux populations de l'Europe septentrionale. Cette institution passa par bien des tâätonnements avant d'atteindre un certain degré de perfectionnement. Si les rudiments s’en trouvent et dans les lois saxonnes et dans les capitulaires de nos rois, il faut descendre jusqu'aux lois des Anglo-Normands , jusqu'à celles qui régissaient la Normandie au x: siècle, pour en rencontrer l’organisa- tion à peu près définitive. Veuillez ne considérer ces affirmations comme témé- raires que si je ne les appuie pas sur des textes positifs. Avant d'entrer dans l'exposé des recherches que j'ai entreprises, je dois vous rappeler, Messieurs , que les lois des peuples barbares, que les lis des sociétés du moyen- âge admettaient deux espèces de preuves fort différentes : la preuve évidente , la preuve résultant des apparences. Cette distinction , inaperçue ou négligée par la plupart des publicistes, et destinée cependant à rendre à ces anciennes législations leur véritable caractère , était obser- vée dans la pratique judiciaire, qui en tirait des déductions fort rationnelles. Lorsque la preuve était évidente , la partie qui la con- tredisait, le magistrat qui l'examinait, ne pouvaient l'une demander, l’autre ordonner aucune espèce de preuve con- jecturale. La preuve évidente faisait la loi, et la loi inat- taquable, du plaideur et du juge. Dans ce cas, il était défendu de recourir, soit au jugement de Dieu, soit à toute preuve incertaine. « Nous voulons, disent les capi- 172 ACADÉMIE DE ROUEN. « tulaires de Charlemagne, que les jurements (sacramenta) « n'aient pas lieu promptement, mais que chaque juge « commence d’abord par examiner les faits de la cause, « pour voir s’il ne découvrira pas la vérité, et pour qu'il « n’en vienne pas facilement aux serments (1). » «II faut, « ajoutent les mêmes capitulaires , d’abord que les juges « informent avec soin, afin que tout se termine suivant « les règles de la justice..... Ce n’est que dans les cir- « constances douteuses qu'il faut abandonner à Dieu le soin « de juger. Dieu s’est réservé le jugement de ce que la « pénétration de l’homme n’a pu éclairer (2). » Ces règles, qui amoindrissent singulièrement , il faut l'avouer, les reproches adressés à la procédure du moyen- âge, notre province ne les avait pas méconnues. «Nul ne « doit être damné sans jugement, dit le Coutumier de « Normandie, au titre DE FORFAITURE, S'il n’est pris à « présent forfaict d'homicide, ou de larcin ou d'autres « crimes, par-devant tels gens qui en doivent estre crus ; «en ce cas, ses œuvres font apertement jugement contre «lui. Si aucuns reconnaît en commun le crime dont il est « saisi, lui-même se damne et juge (3). » Qui oserait soutenir, en présence de ce texte, si éner- gique dans sa simplicité, que le flagrant délit, que l'aveu, que la preuve évidente pouvait être, comme celle qui ne l'était pas, subordonnée à l'incertitude des présomptions ou aux chances du combat judiciaire ? Au contraire, lorsque la preuve n'était qu'apparente, la loi, obligée de pourvoir à l'insuffisance des moyens de ———————_—————————_—_—_—_— (1) Capit. de Charlemagne, Viv. V, ch. 197. (2) Mèêmes Capil., Jiv. VIE, ch. 198. (3) Édit. de 1534, f° xx13. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 173 convietion , autorisait, soit dans les procès civils, soit dans les procès criminels , l'emploi des preuves conjectu- rales. Les preuves de cette espèce, auxquelles on pouvait alors recourir, étaient le serment individuel des plaideurs, la déclaration assermentée des jureurs , et, suivant les pays, le duel ou l'ordalie. Je n'ai pas, Messieurs, à m'étendre sur le serment individuel des plaideurs , à raconter les formes qu'il devait revêtir , à énumérer ceux qui ne pouvaient pas le prêter. Le duel et l’ordalie ne m'arrêteront pas plus longtemps : le duel, admis comme preuve conjecturale par les an- ciennes lois de la France , par le Coutumier de Normandie, en un mot, par la plupart des législations du moyen âge, inconnu à la législation Anglo-Saxonne, introduit en Angleterre par une charte de Guillaume-le-Conquérant (1); l'ordalie, que les lois Anglo-Saxonnes, non moins supersti- tieuses que celles du continent, avaient classée, au lieu du duel, parmi les preuves conjecturales, et qui, s'il faut en croire le jurisconsulte Houard, ne dut être prati- quée qu’une seule fois en Normandie , avant la conquête de l'Angleterre (2). Mais je dois vous entretenir, avec quelque soin, de la déclaration assermentée des iureurs, qui est, à mon avis, le premier rudiment de l'institution du jury. Les jureurs n’ont jamais été confondus avec les témoins. Ils n'étaient pas appelés, comme ces derniers , pour attes- (1) Ancient laws and institutes of England; 1840, p. 210. (2) Houard , Lois des Francois, 1. 1, p. 210. 174 ACADÉÈMIE DE ROUEN. ter la matérialité du fait, objet de la contestation ; ils n’é- taient pas, suivant l'expression des gloses du moyen- âge (1), mis en preuve de certain. Leur mission était de déclarer si, à raison des présomptions, qu'ils avaient re— cueillies , ils avaient lieu de croire ou de ne pas croire à l'existence du fait. C'étaient des témoins de crédence. La déclaration assermentée des jureurs a été acceptée comme preuve conjecturale par tous les peuples venus du Nord ; et, chose digne de remarque , c’est que les parties intéressées pouvaient invoquer cette déclaration, non seu- lement lorsqu'elles étaient l'objet de poursuites crimi- nelles, mais encore lorsqu'elles étaient engagées dans un débat purement civil. En vous retraçant le caractère des jureurs et leur mode d'action, je n'ai pas l'audace, vous le comprenez, Mes- sieurs, de me livrer à des hypothèses, que rien ne sau- rait légitimer. Je me borne à résumer les textes que j'ai rencontrés en foule dans l’ancienne législation de la France, et dans les lois des Anglo-Saxons. Veuillez entendre la lecture de quelques-uns de ces textes, et en apprécier vous-mèêmes la valeur, « Si quelqu'un est expulsé de son état d'homme libre, « et que celui qui l'en expulse ait une réunion de parents « qui l’appuie , alors, que celui de qui l’état est contesté «trouve huit co-jureurs légaux, du côté paternel et du « côté maternel, dans la famille dont on veut l’exclure, « et quatre choisis dans d’autres familles, mais possédant « aussi les qualités légales, et jurant avec eux qu'il reven- (1) Glose anonyme du Coutumier de Normandie, titre des Jureurs ; édit. de 1534, {° LXXX VII. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 175 « dique sa liberté. Si l'expulseur n’est point accompagné « de parents , il suflira à l’autre de produire douze témoins, « hommes libres, quelle que soit leur extraction, qui, & jurant avec lui, attestent son état d'homme libre (1).» Un fait historique , fort mémorable, nous donne inême Ra certitude que Charlemagne n'introduisait pas un droit nouveau dans sa législation, et qu'il ne songeait qu’à rap- peler un usage observé en France , dès les premiers temps de la monarchie. Nous lisons, en effet, dans Grégoire de Tours (2), que trois cents jureurs attestèrent avec Fré- dégonde que Clotaire était fils de Chilpérie. Ce capitulaire est la preuve irrécusable qu'il était loisible aux parties de recourir à la déclaration assermentée des jureurs dans les contestations civiles, Un autre va nous apprendre que les jureurs pouvaient être également appelés à statuer sur le sort des criminels. Le voici : «A l'égard des voleurs et autres malfaiteurs, nous « voulons que si cinq ou sept hommes de bonne foi, sans « aucune inimitié, jurent qu'ils croient quelqu'un coupable, « que celui-ci meure selon la loi (3). » Les lois anglo-saxonnes fourmillent de dispositions ana- logues à celles de ces capitulaires ; il serait hors de propos d'en faire ici le dénombrement. Il me suflira de vous en citer une seule qui, franchissant les limites précédemment tracées à l’action des jureurs, (1) Capit. de Charlemagne, Viv. 1V, ch. 26. (2) Liv. Vrxr. (3) Capit. de Charlemagne, iv. VR , ch. 184. 176 ACADÉMIE DE ROUEN. lui a imprimé, en Angleterre, une impulsion nouvelle , premier acheminement vers l'institution du jury. Sous les capitulaires, comme sous les lois des premiers rois anglo-saxons , les parties avaient le choix des jureurs. C’étaient elles qui les désignaient et les amenaient devant la justice. Cet usage subsista dans l'heptarchie saxonne , jusqu'au règne d'Ethelstan. Mais, sous ce roi, vers la fin du x° siècle , l'institution des jureurs est profondément modifiée : les jureurs ne sont plus choisis par les parties ; le magis- trat est chargé d'indiquer à l'avance ceux qui, dans l’éten- due de son ressort, sont considérés comme dignes de foi et comme propres à remplir l'oflice de jureur. Permettez-moi, Messieurs , de vous donner la traduction de cette loi anglo-saxonne , que l'Angleterre a conservée dans son texte primitif : « On désignera, dans chaque ressort, les hommes dont «la véracité est connue , afin qu'ils fassent partie des « jureurs (1). » Sans doute la déclaration de ces nouveaux jureurs n'avait encore que la valeur d’une preuve conjecturale , laissée à la discrétion du juge. Cependant, il faut convenir que ces jureurs, dont le choix n'appartient plus aux parties, et dont la liste est dressée à l'avance par le magistrat, ont déjà plus d’un trait de ressemblance avec ceux qui viendront plus tard prendre place aux côtés du juge, et constitueront la jurée ou le jury. Les développements que l'institution des jureurs vient ———_—_—— (1) Ancient laws and institutes of England, 1840, p. 94. CLASSE DES BELLES-LETTRES 177 de recevoir en Angleterre, et ceux qu'elle est destinée à y recevoir dans la suite, ne se propagèrent jamais en France. Les jureurs , jusqu'à ce qu’il n’en fût plus ques- tion, y restèrent ce qu'ils étaient primitivement, des témoins de crédence, au choix des parties. Quant à la Normandie, qui était détachée du royaume depuis le traité de Saint-Clair-sur-Epte, et dont les nouveaux habitants étaient venus des mers du Nord, comme les peuples de l'Heptarchie saxonne , il est pos- sible que, même avant la conquête de l'Angleterre, ses ducs, selon la pratique d'Ethelstan, aient réservé aux magistrats la désignation des jureurs, mais personne ne pourrait, ce me semble, l’affirmer. Les textes nor- mands, que le temps a épargnés, ne sont pas assez anciens pour éclaircir ce doute. Il est vrai que les lois dictées par Guillaume à l'Angle- terre, ordonnent, comme celles du roi anglo-saxon, que les jureurs soient nommés à l’avance et désignés par le magistrat (1); mais ces lois, que Guillaume rédigeait, comme vous le savez, Messieurs, plus particulièrement pour le peuple conquis , consacraient-elles une institution (1) Ancient laws and institutes of England, 1840, p. 204 (*). (*) Nora. Le texte des lois de Guillaume-le-Conquérant, donné par cette collection, est préférable à tous les autres. Voici ce qu’on lit à cet égard dans la préface de cette publication : The franch text of the conqueror’s laws is chiefly from a valuable manuscript at Holkham, formerly the property of sir Edward Coke, bearing his autograph, and still in the possession of the hight honourable the Earl of Leicester, the text contained in this manuscript bears signs of great antiquity, and (if the laws of William were really composed in French) is, from its Dialect, much more likely to be à nearly faithful representation of the original, than that most corrupt one transmitted to us in the work bearing the name of Jngulph. 12 178 ACADÉMIE DE ROUEN. depuis longtemps commune aux deux nations ? N'étaient- elles , au contraire, que la reconnaissance d’un usage suivi par les vaincus, et que le conquérant respectait? Encore une fois, c’est une question que je ne saurais résoudre. Au reste, ce qui n’est pas douteux, c'est que, depuis Guillaume, la Normandie, peut-être à l'exemple de l'An- gleterre, remit aux magistrats la désignation des jureurs. L'institution va se développer simultanément des deux côtés du détroit, et, au x siècle, chez les Anglais et les Normands , elle sera parvenue, pour ainsi dire, à son plus haut période de perfection. La déclaration des jureurs ne figurera plus alors parmi les preuves conjecturales ; elle formera l’une des parties essentielles du jugement , que le justicier restera chargé de prononcer. F'étendrais trop les limites de cet exposé si je vous ra- contais toutes les phases de la révolution qui, commencée sous Henri Ie, se poursuivit sous ses successeurs, pour s'accomplir définitivement sous les règnes de Henri I et d'Édouard I. Je ne vous dirai donc rien, Messieurs, ni des lois de Henri Fer, ni de l'ouvrage si curieux, attribué, peut-être à tort, à Raoul de Glanville, le grand justicier de Henri II. Mais ce que je dois vous rappeler, c'est que les juris- consultes anglo-normands du xim° siècle nous fournissent la preuve que le Jury avait alors pris définitivement racine: en Angleterre. Ce que je dois vous rappeler aussi, c’est que le rédacteur de notre vieux coutumier et celui du style de procéder en pays de Normandie nous ont conservé des documents fort intéressants sur la jurée, qu'ils n'ont pas omis de comprendre parmi les institutions judiciaires de notre province. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 179 Les premières traces de la transformation qui s'était opérée en Angleterre, nous les trouvons dans Bracton , l'un des juges de ce pays vers la fin du règne de Henri HE. Nous les suivons également dans Britton, évêque d'Her- ford , professeur de droit civil et de droit canonique sous le même roi. Loin de moi la pensée de citer les nombreux passages que l’auteur anonyme de la Fleta, qui écrivait sous Édouard I, nous à transmis sur la jurée ; mais je ne peux résister au désir de vous mettre sous les yeux les règles qui dirigeaient une séance du Jury anglais au x siècle. Je ne suis que le traducteur fidèle de l’auteur de la Fleta 1) : « Les récusations s'exercent d'abord, puis le Jury se « constitue et le débat commence. Les jureurs prêtent « serment. En voici les termes mêmes : écoutez, justi- « ciers ; je dirai la vérité sur le litige qui m'est soumis et « sur les faits que j'aurai examinés par l’ordre du roi; et, « pour rien, je n'omettrai de dire toute la vérité ; que « Dieu et ses saints Évangiles me soient en aide. Le chef « de la jurée prête d’abord le serment, et les autres le « répètent. « Après la prestation du serment, le greflier lit aux « jureurs les questions qu'ils ont à résoudre. Le justicier « leur expose aussi, pour compléter l'instruction, l'objet « de la demande, et les invite à déclarer ce qu'ils consi- « dèrent comme le meilleur parti. « Les jureurs se retirent alors et discutent entre eux. (1) Fleta, liv. 1V, ch. 9, Dans Houard, Coutumes anglo-nor- mandes, t. WI, p. 503. 180 ACADÉMIE DE ROUEN. « Cependant , un étranger pénètre-t-il jusqu'à eux, ou « s’entretient-il avec eux sans la permission du juge, il « est mis en prison. « Les jureurs ne peuvent indiquer à l'avance, soit par «un signe, soit par une parole, le parti qu'ils se propo- « sent de prendre. « Que les jureurs soient en dissentiment et ne puissent « s’accorder de façon à n'avoir qu'un avis, le justicier a « le choix ou d'appeler de nouveaux jureurs ou d'inviter «les mêmes jureurs à s'entendre. Dans ce dernier cas, «le vicomte fait garder les jureurs, et les laisse sans « nourriture jusqu’à ce qu'ils soient tombés unanimement « d'accord. « Lorsqu'ils ont prononcé leur verdict soit pour l'une, « soit pour l’autre partie, le jugement est rendu selon ce « qu'ils ont décidé. » Le Jury anglais a donc bientôt traversé six siècles ! Il a conservé la double compétence qu'il tient du moyen-âge : Juge des faits criminels, il est également juge des faits civils. Les textes normands ne sont pas, à la vérité, aussi précis que les ouvrages de l’école anglo-normande ; néan- moins, ils ne permettent guères de douter qu'au xm* siècle la jurée ne présentât, dans notre province , à peu près les mêmes caractères qu'en Angleterre. Les jureurs normands sont chargés de dire vérité des querelles, selon ce qui leur est ordonné par le Jjusticier ou celui qui est en sa place (1). 0 (1) Coutumier de Normandie, titre des Jureurs, édit. de 1534, CTERNIT CLASSE DES BELLES-LETTRES. 181 Ils ne se bornent pas à émettre un conseil, un avis, une opinion ; mais ils rendent une véritable sentence , fon- dement nécessaire du jugement que le justicier prononce. Le serment des jureurs finit les contendz ; il condamne ou sauve et délivre (1). Dans les procès civils, les jureurs statuent au nombre de douze ; la simple majorité fait loi : l’une des parties est réputée avoir faict sa preuve par sept d'iceulx douze témoings d'enqueste (2). Dans les procès criminels , la jurée se compose de vingt- quatre hommes, lesquels sont des plus prochains du lieu de la demeure au prisonnier, telz qu'ilz puissent cognoïstre ses meurs, conditions et gouvernements ; et, fait digne de remarque , vingt voix sont nécessaires pour la condamna- tion : Se vingt des dicts gens d'enqueste croient que le dict prisonnier ait commis le cas, incontinent se faict le juge- ment contre le dict prisonnier, et est pugny selon l’exi- gence du dict cas, et se moindre nombre que de vingt hommes croient qu'il ait commis , les autres non, le pri- sonnier est absouz et mis à plaine délivrance (3). Le Jury normand paraît avoir prolongé son existence jusqu'aux premières années du xvr° siècle ; mais alors cette institution tomba en désuétude , et la Normandie revint à la législation de la France. Elle réserva aux ofliciers de jus- tice la connaissance de toutes les contestations judiciaires. (1) Coutumier de Normandie , titre des Jureurs , édit. de 1534, PEXXXVII. (2) Stille de procéder en pays de Normandie, à la suite du Cout. de Normandie, édit. de 153%, p. LXX. (3) Ibid. 182 ACADÉMIE DE ROUEN. Aussi, lorsque les états de la province arrêtèrent, en 1585, la rédaction définitive de la coutume, l’ancien titre des jureurs fut-il abrogé comme inutile (1). Résumons, Messieurs , ces traditions de l'histoire. Si je vous en ai si complaisamment entretenus, c’est qu'elles renferment un premier enseignement sur la question que je me suis proposé d'examiner avec vous; c’est qu'elles démontrent, ce me semble, que l'application du jury aux matières civiles ne fut jamais compatible avec le génie de la législation française. La France et l'Angleterre, comme nous avons eu l'occa- sion de le constater, ont connu, toutes les deux, dès leurs premiers siècles, la déclaration assermentée des jureurs. Mais cette déclaration n’a jamais été pour l'une, qu'une preuve conjecturale, tandis qu’elle est devenue pour l'au- tre le principe élémentaire du jury. Pourquoi ces résultats différents, lorsque les prémices sont les mêmes ? Est-ce l'effet d’un hasard capricieux et mintelligent? Oh! non, Messieurs, vous ne le croyez pas; vous savez que des lois d'un ordre plus élevé président à la destinée des peuples et aux développements de leurs institutions. Au x siècle, la France et l'Angleterre supportaient avec peine les incertitudes de la preuve testimoniale. La France marchant hardiment dans la voie du progrès, et se souciant peu de rompre avecses anciennes habitudes, songea à profiter de l’art d'écrire , que la première résur— rection des lettres propageait. Tous ses efforts tendirent à substituer la preuve écrite à la preuve orale. saint Louis TE EE ——— (1) Bourdot de Richebourg, Coutumier general, t. IV, p. 122. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 183 créa les premiers notaires. Bientôt la vieille maxime : témoins par vive voix passent lettres, devint impuissante contre les actes marqués d’un scel authentique (1). Un peu plus tard , les écritures privées et reconnues, furent elles-mêmes mises hors des atteintes de la preuve testimo- niale. L’ordonnance de Moulins, due aux lumières et à la sagesse du chancelier de l'Hôpital, preserivit de passer écrit de toutes choses excédant la somme ou valeur de cent livres. Ce fut ainsi que la preuve judiciaire atteignit pro- gressivement en France son plus haut degré de perfection- nement. L’Angleterre suivit une autre direction. Singulièrement attachée à ses habitudes nationales, elle ne se résigna pas à l'idée d'enlever à la preuve testimoniale la faveur que les temps les plus reculés de sa législation lui avaient attribuée. Elle ne chercha que le moyen de la régulariser ; c’est dans ce but qu’elle plaça la vérification du fait hors de la compétence des magistrats chargés de l'application du droit. La France, en imprimant à la preuve un caractère légal, en combinant le droit et le fait dans les éléments qui la constituent, ne put qu'en laisser l'appréciation aux ofliciers de judicature. L'Angleterre, en lui consgrvant, au contraire, sa nature primitive, et en même temps si dangereuse, en livra la constatation au juge du fait, au jury. La législation de la France n’a pas changé : comment admettre le changement de ses institutions judiciaires ! 1) Boutciller, Somme rurale, Ut, 106, 107 18% ACADÉMIE DE ROUEN. En 1789, lorsque l'heure de la Révolution française sonna, les publicistes anglais étaient fort préconisés. Depuis que Voltaire, Montesquieu, et tant d’autres après eux, les avaient mis à la mode, on traduisait, on lisait leurs ou- vrages. La connaissance des pratiques judiciaires de l’An- eleterre était devenue familière en France. On y vantait surtout la législation criminelle de nos voisins d'outre-mer ; et il faut convenir que la nôtre ne gagnait pas à la com- paraison. L'humanité de Louis XVI avait. il est vrai, aboli la question préparatoire , mais l'isolement de l'accusé , le secret de la procédure , l'arbitraire des peines révoltaient encore les esprits contre la dureté de l'ordonnance de 1670. Les circonstances étaient admirablement préparées pour l'application du jury aux matières criminelles ; la loi du 30 avril 1790, qui la décréta , fut reçue avec enthou- siasme. Les réformes tentèrent d'aller plusloin. L'application du jury aux matières civiles fut proposée et vivement appuyée dans l’Assemblée constituante. Mais les plus grands juris- consultes de ce corps politique, Tronchet , Thouret, com- battirent énergiquement ce projet. « Nous risquerions , « disait Thouret, de perdre pour jamais la jouissance du « jury, si nous voulions la précipiter (1). » « Gardez- « vous bien, ajoutait Régnier , de vous exposer aux « reproches des siècles à venir, en décrétant un principe « d’une exécution impraticable (2). » Après une des lut- tes les plus brillantes que puissent offrir les efforts de l'intelligence et l'éclat de la parole, la Constituante décréta: qu'il n'y aurait point de jurés en matière civile. 1) Voniteur du 7 avril 1790. 2) Moniteur du 8 avril 1799, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 185 Les terribles novateurs de la Convention renouvelèrent la proposition qui avait succombé devant la sagesse de leurs devanciers. Deux hommes, tristement fameux , Cou- thon et Maximilien Robespierre , associèrent leurs efforts pour la repousser. « Le système de l'établissement des € jurés au eivil n'est qu'un beau rêve, s’écriait Couthon ; « comment entend-on composer le jury? Ce sera sans- « doute un certain nombre de juges qui prononceront sur « le fait; viendront ensuite trois autres juges, plus ou « moins, d'une autre espèce , qui appliqueront la loi... « Vous voulez détruire la procédure et vous en créez une « monstrueuse..…. Vous voulez détruire les abus , et vous « en créez de plus dangereux (1). » Robespierre, qui, dans la discussion de 1790 (2), s'était montré lun des adversaires les plus impatients et les plus intraitables des officiers de justice, Robespierre , qui ne voulait pas alors qu'on différät jusqu'en 1792 l'établissement des jurés au civil, Robespierre, en 1793, attaque avec non moins d'é- nergie cette institution. « Faites attention, dit-il à la Con- « vention étonnée de son incroyable conversion, faites « attention que si l'institution des jurés nous à paru si in- « téressante autrefois, ce fut moins par sa nature que par « la position dans laquelle nous étions. Jugés ou plutôt « opprimés par des hommes qui en avaient acheté le « privilége du despotisme, nous avons dû trouver su- « blime la nomination de nos juges par un oflicier public, « qui avait la confiance du peuple. Mais raisonnons dans « l'état où nous sommes aujourd'hui. Si vos jurés ne sont « pas nommés par le peuple, ils valent moins que les juges actuels; s'ils le sont , l'institution n'a d'autre = & {) Moniteur du 22 juin 1793. 2\ Moniteur da 9 avril 1790. 186 ACADÉMIE DE ROUEN. « avantage que de multiplier les juges, d'en donner pour « le fait et pour le droit. Et cependant vous devez remar- « quer que le plus grand intérêt qu'on ait attaché à cette « opinion, C'était la facilité d’extirper la chicane. Je ne « crois pas que le meilleur moyen d'y réussir soit de « multiplier les juges (1). » L'opinion de Couthon et de Robespierre prévalut : l'ap- plication du jury aux matières civiles ne fut pas décrétée. D'autres constitutions ont passé sur la France. Aucune d'elles n’a eu la pensée d’ébranler notre organisation ju- diciaire. Après la révolution de février 1848, les idées que n’a- vaient accueillies ni la Constituante ni la Convention , re- prennent leur cours menaçant ; elles pénètrent même dans la nouvelle Assemblée nationale ; mais grâce à Dieu, elles s'arrêtent bientôt devant le bon sens de nos Constituants. Ces discussions solennelles demeureront-elles donc sans profit et sans vertu pour notre génération ? Est-ce sans utilité pour le pays que des hommes, venus de directions si opposées, lui auront déclaré, du haut de la tribune na- tionale, que le jury civil n’est qu’un rêve, qu’une chimère, dont la réalisation compromettrait jusqu'aux fondements de la société française ? Victimes d’une orgueilleuse pré- somption, ne dédaignons pas lexpérience de ceux qui nous ont précédés dans la vie politique. N'ayons pas la sotte et folle vanité de ne les considérer que comme des insensés, des aveugles ou des incapables. Enfin , Messieurs, oublions, s’il le faut, les leçons de {) Moniteur du 22 juin 1793. CLASSE DES BELLES-LETT:ES. 187 tout ce passé, qui date de plusieurs siècles ; consultons les entrailles mêmes de la question, et demandons à cet exa- men l'expression définitive de notre opinion. Comment le jury pourrait-il être appliqué au jugement des affaires civiles ? Le ferait-on juge du droit et du fait ? Le juge, simple di- recteur de justice, ne serait-il que l'organe authentique de la décision arrêtée par les jurés ? Mais les partisans, même les plus ardents, du système que je combats, avouent qu'il y aurait témérité à tenter une si rude épreuve ; ils ne sont pas des derniers à re- connaître que la raison la plus vulgaire défend de livrer à l'appréciation d'hommes pris au hasard dans toutes les positions de la société, l'examen de ces thèses juridiques , si ardues, si difhciles , si inextricables, souvent même pour ceux qui en ont fait l'objet de leurs constantes et sérieuses études. Le jury ne deviendrait donc que juge du fait ; le droit resterait l'apanage des officiers de justice. Cette théorie est-elle réalisable? Son application serait-elle utile ? Toute législation, qui restreint la preuve testimoniale à des cas rares et à de mesquins intérêts, qui prescrit des formes pour la régularité des actes. qui définit le lien des obligations et les modes de libération, qui interprète les conventions par des règles de droit, est incompatible avec l'emploi du jury civil. Pourquoi, Messieurs ? C'est que sous l'empire de semblables règles, le fait et le droit de- 188 ACADÉMIE DE ROUEN. meurent confondus, et ne peuvent s’apprécier et se saisir l'un sans l’autre. Cette législation, dont je viens d’esquisser l’ébauche est celle de la France. Veuillez, Messieurs, me croire sur parole. Il serait trop fastidieux et trop long de vous prou- ver, même par des exemples peu nombreux , que je n’al- tère pas la vérité. Puisque tels sont les principes de nos lois , il est clair que, dans la plupart des contestations civiles qui s’agitent devant les tribunaux de notre pays, le fait est absolument inséparable du droit. Lorsque le fait et le droit sont réunis par une si intime cohésion, il est assurément impossible de les discuter sé- parément et de les reconnaitre l’un ici, l’autre ailleurs. Me donnerai-je l'avantage de vous faire le tableau de tous les jurys qui vont couvrir la France, s’il faut orga- niser, à côté des jurys criminels, les jurys correctionnels et les jurys civils? Croyez-vous que la France si active, si laborieuse, si désireuse de la vie intime et personnelle, concçoive une bien vive reconnaissance pour une constitu- tion qui l'arracherait à ses travaux, à ses habitudes , et transformerait tous ses enfants en jugeurs? Mais je veux faire à l'opinion que je combats toute espèce de concessions: j'admets que le jury civil soit compatible avec notre législation; j'admets que mes compatriotes, peu soucieux de leurs intêrets domestiques, soient heureux de prendre à l'administration de la justice la large part qu'on veut leur faire ; n’aurai-je pas encore à rechercher si la France retirerait un avantage réel de l'application du jury aux matières civiles ? Lo CLASSE DES BELLES-LETTRES. 189 Le fait serait-il alors examiné avec plus de soin, plus d'intelligence , plus d'impartialité? Membre de la magis- trature française depuis seize ans, je l'ai traversée dans tous ses degrés ; n'ai-je pas acquis le droit de vous dire son dévouement à ses devoirs, ses lumières, et, par-dessus tout, son admirable et scrupuleuse probité ? Les embarras, les frais des procédures seraient-ils au moins diminués ? les prôneurs du jury n’en doutent pas et ne cessent de le répéter , mais ce n’est encore qu'une incroyable illusion. Que l'utopie se réalise! en maintenant les juges du droit , elle crée ceux du fait, et substitue à la science du magistrat l'impéritie du juré. Au lieu d’une procédure, elle en organise au moins deux. Loin de diminuer les lenteurs du litige , elle les augmente. Elle a la prétention de dimi- nuer les frais , elle les double. Est-ce là cette garantie, cette simplicité, cette économie, cette rapidité, dont on prétend nous faire un si merveil- leux éloge ? Malheur à la France, si jamais elle pouvait être dotée d'une pareille institution ! Ce serait le triomphe de la chi- cane et la ruine de la société. Ah! Messieurs, je vous le dis dans toute la sincérité d'une conviction profonde : l'application du jury aux matières civiles, c’est le chaos dans la justice. me Qt — LA PREMIÈRE THÈSE DE BOSSUET. (JANVIER 1648 ). PAR M. A. FLOQUET. C'était en novembre 1647 , Bossuet , tout récemment , avait accompli sa vingtième année, ses rapides progrès , ses triomphes sans nombre à Navarre, où il étudiait de- puis cinq ans , avaient fait oublier les plus éclatants succès dont l’Université eùt mémoire ; son nom, chaque jour, retentissait, honoré, dans les écoles, et l’orgueilleuse Sorbonne enviait au Collége de Navarre un disciple si bril- lant, qui en était l'ornement et la gloire. Le moment était venu pour lui de se préparer à soutenir sa première thèse, dite la Tentative. Dans un examen qu'il devait préalabie- ment subir (examen très rigoureux, de tout temps, et où il ne fallait point espérer de grâce |, trois docteurs des plus habiles(1) choisis pour l'interroger , ne purent taire leur étonnement d’avoir rencontré un Répondant de cette (4) MM. Coquerel , Guyard , De Flesselles. en CLASSE DES BELLES-LETTRES. 191 force. Sur leur favorable rapport , la Faculté de théolo- gie, dans une assemblée générale des prima mensis , avait admis, par acclamation , ce sujet si rare à l'acte impor tant qu'il lui tardait de subir ; puis, le jeune Bossuet ayant été introduit et accueilli de tous avec honneur, un théo— logien très renommé (le docteur Le Moyne), lui fut donné pour le diriger, selon l'usage, dans ses prépara- tions à la tentative , que l'on fixa, sur l'heure, au 26 janvier suivant. Tous , dès ce jour , et en Sorbonne , et dans la maison de Navarre, s’attendaient, sans hésiter, à un acte très notable, et qui ferait bruit. Mais qu'il dût, cet acte , être dédié au grand Condé , le héros de la France : qu'une vulgaire solennité de collége pût être honorée de la présence de ce prince, qu'on savait, d’ailleurs, fort occupé , pour l'heure, en Catalogne ; qu'enfin, cette première thèse d'un étudiant, qui n'était point bachelier encore, dût être soutenue avec une pompe inouie jusque-là , et laisser de tels souvenirs qu'il en sera parlé toujours , aucuns, assurément, ne l'auraient pu prévoir, mais le jeune Bossuet, moins que tous les autres, lui si profondément humble , et tout entier d’ailleurs à la pensée de sortir avec honneur de cette première et redoutable épreuve. Pourrions-nous, sans quelque plaisir, retrouver ici Claude Bossuet . cet oncle si tendre , que nous voyions autrefois, à Dijon, tenir lieu , à Jacques Bénigne, de son père , retenu en Lorraine par de graves fonctions et d'impérieux devoirs ! Depuis qu'en 1642, Jacques Bénigne eut quitté le collége des Godran et sa ville natale pour aller étudier à Navarre , toujours ce dévoué parent eut présent à la pensée un neveu qu'il chérissait comme un fils, un élève qui lui faisait tant d'honneur. Pour lui, après avoir , pendant 32 ans , siegé avec distinction , parmi les con- 192 ACADÉMIE DE ROUEN. seillers du Parlement de Dijon , il avait résigné son oflice , et n'aspirait plus qu'au repos. Mais Condé , qui, après la mort du prince son père , était devenu gouverneur de Bourgogne , voulut qu'un homme dont tous, en ce pays, admiraient la capacité autant qu'ils honoraient son carac- tère, dévoué , d’ailleurs , à sa personne , et dont il était sûr, se laissât élire Vicomte-maieur de Dijon. En vain, Claude Bossuet avait-il cherché à s’en défendre. Toutes les voix l’appelèrent à ce poste éminent, où avait paru avec éclat , 35 ans auparavant , Jacques, son père , aïeul et parrain de Jacques Bénigne , l'étudiant de Navarre. Claude , lui aussi, se devait signaler par de notables services, rendus chaque jour à l'État, au Gouverneur, à Dijon, sa ville natale , à la province tout entière. Ayant su, chose rare dans cette charge , se concilier tous les esprits et tous les cœurs, les vieillards crurent revoir en lui Jacques Bossuet , si vivement regretté d'eux ; le fils héritait , si on le peut dire, de l'attachement qu'ils avaient eu pour le père. Succession touchante , dont le souvenir est demeuré. Des jetons , frappés, dans le temps, par l’ordre de la ville de Dijon, témoigneront , à jamais , par une ingénieuse devise, de la persévérante gratitude de cette cité pour le père, et de la vive affection qu'à son tour avait su mériter le fils. Condé, ce fidèle, alors, autant qu'invincible tenant de la France, étant prêt sans cesse à voler pour elle partout où il y avait hasard et gloire, combien Claude Bossuet , en une telle charge , lui devenait nécessaire ! Quelle fortune pour le prince d'avoir trouvé dans ce vi- comte-maieur , de son choix, un autre lui-même, sur qui, sans souci aucun, il se püt entièrement remettre , pendant ses fréquentes absences, des plus difficiles affaires de son Gouvernement, l'un des plus importants du royaume" CLASSE DES BELLES-LETTRES. 193 Aussi, d’étroites et cordiales relations avaient-elles existé - bientôt entre Louis de Bourbon et Claude Bossuet, plus cher, de jour en jour , à l'illustre gouverneur ; à ce point que toute la famille du loyal vicomte-maieur y avait part, et que jamais , dans la suite , un Bossuet , recourant au grand Condé , n’eut de refus à appréhender de lui, tant qu'il eut vie. Le moment était proche où Jacques Béni- gne , l'étudiant de Navarre , allait, à son tour , être l'objet des bontés du prince. Après un assez long séjour en Ca- talogne , Condé, revenant en France, à la fin de l’année 1647, voulut, quoique attendu à la cour, passer d'abord quelques jours dans son gouvernement de Bourgogne, Au premier bruit de son approche , le vicomte-maieur de Dijon l'était allé chercher jusqu’à Beauregard , à la tête des échevins et de tous les officiers de la cité. Puis, tous ensemble revenant en ville , on aurait pu remarquer que le prince s’entretenait vivement et volontiers avec le vi- comte-maieur, qu'il s'était , d’ailleurs, montré charmé de revoir. C'était un mois environ après que la Sorbonne eut admis avec honneur Jacques-Bénigne Bossuet à sou- tenir sa Tentative, dont même nous avons vu qu'elle avait fixé le jour. Que se passa-t-il dans ce trajet de Beaure- gard à Dijon ? De quoi s’était-il agi entre Claude Bossuet et Louis de Bourbon ? Tous le purent deviner dès le soir, en apprenant que la première thèse du jeune Bossuet serait dédiée à Condé , qui promettait d'être à Paris pour le jour marqué , et voulait honorer l'acte de sa présence. La tendresse d’un parent affectionné venait de ménager ainsi à Bossuet une journée , l’une des plus douces de sa vie , et dont le touchant souvenir lui devait être présent dans la suite. Claude Bossuet , en cette rencontre , avait été heureu- sement inspiré , hâtons-nous de le dire ; et, pour un tel 13 19% ACADÉMIE DE ROUEN. acte, on n'eût pu trouver , tout ensemble , un plus illustre témoin , ni un juge plus compétent et plus capable. Condé ( qui l’ignore aujourd'hui ?) , a été, sans contre- dit, non point seulement l'un des plus grands hommes de guerre des temps modernes, mais aussi, et de l'avis de tous ceux qui l'avaient pu connaître , le prince le plus lettré de son siècle, le plus docte, le plus insatiablement avide de lumières. Dès le jeune âge , lorsqu'il ne se par- lait point encore de ses faits d'armes , son rare savoir , son goût exquis , sa vive pénétration étant choses notoires pour tous , l'Académie française (Richelieu venant à mou- rir}), avait voulu se donner pour protecteur le duc d'En- ghien , alors âgé de 21 ans à peine , tant étaient grandes , dès-lors , et l’estime de cette Compagnie pour la capacité du prince , et la confiance de tous les lettrés en sa sym- pathie et son appui! Après, d'ailleurs, ce que nous en ont dit, tant après la mort de Condé , que durant sa vie, Pellisson, Huet , Boileau, Rapin, La Fontaine, et Bossuet lui-même , qui, tous l'avaient vu de si près , une place d'honneur est due à Condé, non point seulement parmi les grands guerriers , mais aussi parmi les hommes qui, aimant les lettres avec ardeur, sentant, d’ailleurs, vi- vement et sûrement le beau et le vrai, savaient , dans un si grand siècle , juger le mieux des productions de l'esprit. Comment s’en étonner, au reste , après les brillantes et fortes études que, tout jeune enfant encore , il avait faites, à Bourges , en un temps où son père, Henri de Bourbon-Condé, résidait dans cette ville, ayant alors en charge le gouvernement du Berry ? Les lettres latines , qu'adressait le jeune duc d'Enghien à son père absent, nous ayant été conservées , on voit que, familier déjà, en un âge si tendre , avec les classiques , il avait (et on peut CLASSE DES BELLES-LETTRES. 195 en être surpris davantage), il avait, disons-nous, lu, dès-lors avec goût, et traduit même les quatre livres des Institutes de l'empereur Justinien. Surtout sa thèse de philosophie, soutenue à 14 ans (en 1635}, avec un succès sans exemple , avait fait bruit. Long-temps on put voir, à Chantilly, un tableau, peint peu de jours après cette thèse du jeune prince, en mémoire d'un triomphe qui avait étonné les plus anciens docteurs. Le duc d'Enghien, adolescent à peine, y paraissait, vif, bouillant , hautain, faisant bravement face, déjà, à tous ses adversaires, comme on le devait voir, dans la suite tenir tête aux en- nemis de la France. Le docte Doujat s'était trouvé à cette action, et de beaux vers, que l'admiration lui inspira sur l’heure , conserveront à jamais l’intéressant souvenir de ce curieux et regrettable tableau qui a péri, et du fait notable qui en avait été le sujet. Qu'en 1647 , à douze ans de là, Condé se souvint ou non de cette particularité de sa jeunesse, qu'avaient suivie, coup sur coup , tant d'éclatants faits d'armes, tout autrement remarqués , toujours cette dédicace de thèse, cette prière de présider à la Tentative d'un sujet distingué, d’un enfant de Dijon, du neveu d’un homme qu'il aimait fort , comme on a vu, avaient dù, pensons-nous , ne lui point déplaire. — Au jour convenu, quoi qu'il en soit, c’est-à-dire le 2% janvier 1648 , sur le soir, tout étant prêt à Navarre pour la solennité annoncée , Condé , à l'heure sonnante , entrait dans les cours de cet antique et re- nommé collége , où, pendant cinq siècles, se sont for- més tant de grands hommes , l'honneur éternel de la France. Le prince était venu aux flambeaux , accompagné de jeunes seigneurs , ses braves et dévoués compagnons d'armes , prompts toujours à le suivre en tous lieux. Peut- être aussi tardait-il à cette curieuse jeunesse de connaître , 196 ACADÉMIE DE ROUEN. de voir à l’œuvre le précoce et brillant prédicateur , doné quelques sermons , improvisés, il y avait long-temps déjà , à l'hôtel de Rambouillet et chez l'évêque de Li- sieux, Cospéan , avaient fait , alors , dans la capitale , une sensation , dont le souvenir était présent encore à tous les esprits. Ce nombreux et brillant cortége survenant dans la grande salle des actes publics , aussitôt, prélats, docteurs, étudiants , et toute une multitude de gentilshommes , de magistrats , de gens d'église et de lettrés s'étaient levés ; de bruyantes et chaleureuses acclamations saluèrent joyeu- sement un héros, alors le rempart de la France et son idole. Puis, Bossuet ayant pris la parole , les acclama- tions , peu après , avaient recommencé plus tumultueuses , adressées au prince de Condé encore , mais aussi, mais en partage avec lui, cette fois , à Jacques-Bénigne Bos- suet , le tenant de la journée. Par une harangue au prince, allocution pleine de modestie, d'à-propos , de délicatesse et de grâce, le jeune orateur venait d’électriser tous les esprits, et le héros, si dignement loué , était , on le put voir , surpris, ému, attendri jusqu'au fond de l'ame. Commença alors la tentative , dont la matière, comme toujours, était : De Deo trino et uno ; (de Dieu un, en trois personnes.) Ce que Bossuet put trouver sur un sujet si élevé ; combien son fécond génie avait su rendre d'in térêt , de nouveauté à une matière traitée déjà tant de fois avant lui ; ce que , si bien préparé , et, d’ailleurs , excité par la présence, par l'attention manifestement sympathique de l'illustre guerrier, venu là tout exprès pour l'entendre , il put faire en une telle conjoncture , à peine le saurions-nous imaginer ; mais comment , surtout, le pourrions-nous dire? Pour le ravissement de Condé, entendant parler de telles choses si hautes , si sublimes, = * CLASSE DES BELLES - LETTRES 197 et en parler avec tant de savoir, de profondeur , de dialec- tique , de chaleur tout ensemble , il faut aussi renoncer à le peindre. Représentons-nous ce prince ardent « dont le grand génie embrassait tout , l'antique comme le mo- derne , l’histoire , la philosophie , la théologie La plus su- blime , les arts, les sciences », au point « qu'il n'y avait livre qu'il ne lût, » pour qui toutes ces questions, si vivement débattues ici, en sa présence , avaient un intérêt saisissant, qu'à peine, dans nos mœurs , nous pourrions nous expliquer aujourd'hui ; — Condé, donc, voyant le jeune Bossuet , assailli qu’il était, sans ménagement et sans relâche , par de nombreux et robustes adversaires , les plus rudes champions de l'Ecole , leur tenir tête, fière ment , paisiblement, répondant à tous , triomphant de tous, ce prince (le dirons-nous?) se sentit violemment en proie , un instant , à la tentation la plus étrange. Son génie , son ame , en une si vive mêlée, s’échauffant tou- jours plus , et se retrouvant, ce lui sembla , sur le champ de bataille, on l'avait vu, la bouche entr'ouverte, ses yeux lançant des éclairs, se lever presque, mesurant du regard un si intrépide, un si redoutable athlète ; et tout prêt (il s’en fallut de bien peu) à joûter, lui aussi, avec l'invincible Répondant. A grand’peine avait-il pu s’en dé- fendre ; et, cent fois, dans la suite , il le devait gaiement confesser. C'eût été là , sans doute , un curieux chapitre à ajouter au long récit de ces vives disputes , si fréquentes . on le sait, dans la vie de Condé, et que poliment , on était convenu alors ( à Chantilly}, d'appeler les contestations de Monsieur le Prince, chaudes et âpres, mêlées « où toujours cet ardent vainqueur semblait vouloir tout em porter. » La Fontaine , qui s’y trouva quelquefois , nous peint Condé, en ces rencontres, «s’acharnant dans la dispute avec ardeur, et n'ayant ( S'il l'en faut croire) , jamais plus d'esprit que quand il avait tort. » 198 ACADÉMIE DE ROUEN. A combien peu avait-il tenu qu'à Navarre il ne prit feu aussi ; nous le voyions tout à l'heure. Mais quel éclatant éloge c'était faire de l’habile et intrépide soutenant , dont la dialectique , dont l’éloquence , dont les triomphes re- doublés et incessants, parmi tant de rudes attaques, avaient pu électriser et mettre hors de lui, à ce point, un auditeur de cette force , toujours si prompt à tout com-— prendre , à tout sentir, à tout pénétrer ; ajoutons , à tout contredire avec tant d’à-propos, d’impétuosité et de succès ! Faut-il parler , après cela , des tumultueux transports, des joyeuses clameurs de cet innombrable auditoire , où s'était venu entasser , ce jour-là, tout ce que la capitale renfermait alors d'hommes éminents , d’érudits et de let- trés ; des chaleureuses et tendres félicitations du prince à ce jeune répondant , qui l'avait charmé , et, tout ensem- ble ému, jusqu’au point de se sentir tenté de s’élancer aussi dans la lice , pour se mesurer avec lui. A Bossuet devait demeurer la victoire, que , sans doute , en un tel champ de bataille, n’eùt pu lui arracher Condé lui-même. D'autres palmes attendaient le prince à Ypres, à Furnes , dans les plaines de Lens ; et bientôt ces lieux l’allaient revoir tel qu'il avait paru naguère à Fribourg, à Thionville et à Rocroy. Mais de pressants devoirs l’appelaient d’abord à Dijon, et là, lorsque le Vicomte-maieur , Claude Bossuet, s’alla présenter à lui, à son arrivée, Louis de Bourbon put sciemment , raconter au bon oncle , charmé , ce que son neveu savait faire; lui rendre grâces de l'avoir convié à une telle fête ; lui dire quelle pensée singulière lui avait , un instant , ce jour-là , traversé l'esprit ; l'assurer , enfin, qu'à Navarre il avait voué à ce prodigieux jeune homme un attachement cordial et profond, qui ne devait finie qu'avec lui. Ta # CLASSE DES BELLES-LETTRES. 199 — À quarante ans de là, dans la cathédrale de Paris, toute tendue de noir, en présence des restes inanimés de Condé, un évêque aux cheveux blancs, les yeux en pleurs, adressant, d’une voix émue , à ce prince son ami, de suprêmes et touchants adieux , annonçait tristement à la multitude émerveillée et attendrie, que l'éloge d’un si grand homme serait le terme de ses discours. Des princes, en effet , des grands du royaume , venant dans la suite à mourir, on ne devait point entendre , à leurs funérailles , cette voix solennelle , si chère à Condé, qui, du fond de la tombe, en avait agréé les derniers efforts. De la brillante Tentative de Navarre, datait, entre ces deux rares génies, l'union la plus étroite , la plus intime , la plus douce qu’on eût vue jamais. Et aujourd'hui, une tendre et respec- tueuse gratitude , une admiration passionnée , venaient d'inspirer au sublime orateur, à l'ami vrai, reconnaissant , navré de douleur , le dernier , et peut-être le plus éton- nant de ses chefs-d'œuvre. PROCESNION VOLENNELLE A NOTRE-DAME-DE-BONSECOURS, PRÈS ROUEN, A L'OCCASION DU CHOLÉRBA, Par L'ABBé PICARD. Lue à la Séarice publique de l’Académie. —_—"“ñ — I. Le temps est froïd , le vent murmure, Le Ciel est sombre et nuageux, Un voile de brouillards s'étend sur la nature, Elle a perdu son aspect radieux. Marie , Ô céleste Patronne ! Ce jour vous était consacré, Faut-il donc , qu'oubliant votre nom vénéré , Votre peuple vous abandonne ? IT. Mais, déjà, voici qu'il s'ébranle Ce peuple gémissant sous le poids du malheur, De toutes parts, dans un pieux ensemble, I vient à la Maison qu'habite le Seigneur. CLASSE DES BELLES-LETTRES. A la multitude empressée Le Temple ouvre ses vastes flancs, Et, de chacun l'âme oppressée Révèle sa douleur par de plaintifs accents. Pleurez, pleurez, peuple fidèle, Le bras de votre Dieu s'appesantit sur vous. Ses tonnerres sont prêts et son glaive étincelle. Qui fléchira ce Dieu jaloux ? A sa voix, du fond de l'Asie, S'élance un fléau destructeur. Rien ne résiste à sa furie. Quel est ce spectacle d'horreur ? Terrible , à l’égal des batailles , Il marque par des funérailles Les lieux où se portent ses pas, Et, dans sa course vagabonde , Il vient épouvanter le monde En semant partout les trépas. Pleurez , pleurez , peuple fidèle, Le bras de votre Dieu s’appesantit sur vous, Ses tonnerres sont prêts et son glaive étincelle. Qui fléchira ce Dieu jaloux ? IL. Le Pontife a paru, devant lui la croix brille , C'est le père , c’est le pasteur ! Oh! combien les chagrins de sa triste famille, Pénètrent ses esprits et pèsent sur son cœur ! 201 202 ACADÉMIE DE ROUEN. Ainsi qu'un autre Borromée , Holocauste pour tous , dans le malheur des temps. Il va gravir la colline sacrée. Puissent pour nous ses vœux n'être pas impuissants ! Saint cortége, sortez, déployez vos phalanges, Traversez l'antique cité. Devant vous marcheront les Anges , Ils vont prier pour vous le Seigneur irrité. Et, de la noble Basilique Je vois sortir tout un peuple priant. La foule inonde le portique , Ce n’est partout qu'un cri, qu’un seul gémissement. Ayez pitié de nous , à Dieu ! Trinité sainte ! Père, Fils, Saint-Esprit, ayez pitié de nous ! Voyez nos pleurs, écoutez notre plainte , Désarmez votre bras , calmez votre courroux. Priez pour nous, bonne et tendre Marie ! Priez pour nous, consternés, suppliants. Priez pour nous , Anges, troupe chérie , Qui, devant l'Eternel , faites brûler l’encens. Priez pour nous, Patriarches , Prophètes, Saints de l'antique loi, nous recourons à vous. Du lieu de paix, de splendeur où vous êtes , Abaissez un regard sur nous. Priez pour nous, vous, serviteurs fidèles , Apôtres de la foi, vous, martyrs glorieux, Vous qu'attendaient les palmes immortelles , Et qui les portez dans les cieux. Tan + CLASSE DES BELLES-LETTRES. 203 Priez pour nous , Pontifes vénérables, Saints Prêtres, saints Docteurs, Épouses de l'Agneau. Oh! que par vous, à nous tous secourables, Ce jour soit à jamais délicieux et beau. Ils marchent, parcourant et les rues et les places, Criant tous au Seigneur , implorant le pardon. Leurs chants ont pénétré jusqu’au trône des grâces Et franchi les remparts de la sainte Sion. Spectacle ravissant ! pompe auguste et touchante ! C'est le vieillard, aux pas timides, chancelants , La vierge aux yeux baissés, la mère vigilante, Et des flots de petits enfants. C'est le guerrier, oubliant son armure, Le magistrat, ses insignes d'honneur, Pour venir, humblement , prier la Vierge pure, L'auguste mère du Sauveur. De loin en loin brillent les oriflammes, Les étendards sacrés et les belles croix d’or. A leur aspect, se ravivent les flammes Qui consument les cœurs dans leur brülant essor. Saint cortége , marchez, déployez vos phalanges, Traversez l'antique cité. Devant vous voleront les Anges ; Ils vont prier pour vous le Seigneur irrité. 20% ACADÉMIE DE ROUEN. IV. Salut! auguste sanctuaire , Temple divin, vrai séjour de bonheur Où, tant de fois , refuge salutaire , Marie, à ses enfants, ouvrit son tendre cœur. Gloire au Pasteur infatiguable Qui t’éleva, merveille de nos jours ! A l'artiste inspiré, qui, d’un style admirable Traça tes vastes plans, tes gracieux contours. Oui, de notre belle Neustrie, Tu seras l'honneur à jamais, A nos derniers neveux, tu diras de Marie Et les splendeurs et les bienfaits. Enfin les pieuses cohortes , Ont atteint le terme sacré , Mais aux lévites seuls peuvent s'ouvrir les portes Du sanctuaire révéré. A la voix des pasteurs, vous eussiez vu la foule, Ainsi qu'un fleuve qui s'écoule . Du temple inonder les abords. Le temple saint paraît une île Que caressent les flots de ce peuple mobile, Et dont ils arrosent les bords. Peuple, prosternez-vous , à mystère sublime ! Le voici ce moment si terrible et si doux, Où descendant des cieux , l'éternelle Victime Sur son autel va s’immoler pour vous. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 205 Saint, saint est le Seigneur, le grand Dieu des armées, Notre espoir, notre amour , il est saint à jamais ! Par lui, par sa bonté, nos âmes alarmées, Retrouveront enfin et le calme et la paix. Et tous se courbent vers la terre , Immobiles, silencieux. Is adorent le Dieu qui lance le tonnerre, Le Dieu de majesté qui règne dans les cieux. LE Le Pontife a fini son oblation sainte ; Le sacrifice est consommé. Il va franchir le seuil de la divine enceinte, Mais il veut accomplir le vœu qu'il a formé. A son appel, la multitude, Vient se presser , sur le sacré parvis. Témoins de sa sollicitude , Tous dirigent vers lui leurs regards attendris. Alors, d’une voix solennelle, À la mère de Dieu consacrant son troupeau, Le cœur brulant et d'amour et de zèle, Il l'invoque ainsi de nouveau : Reine du Ciel, à puissante Marie ! Je viens me confier , en ce jour , à vos soins, Ma vie et la fin de ma vie, Je les remets entre vos mains, 206 ACADÉMIE DE ROUEN. En ces jours de douleur amère, Nous implorons votre secours. Vous nous exaucerez, vous êtes notre mère, Vous nous obtiendrez d'heureux jours. Priez pour nous, pure et chaste colombe. Bergère qui, du Ciel, veillez sur vos brebis, Sans vous , le malheureux succombe , Par vous l’espoir revient aux cœurs brisés , flétris. Marie ! en ces jours de tristesse Nous venons à l’envi, nous consacrer à vous, Implorer vos bienfaits , bénir votre tendresse , C'est notre bonheur le plus doux. Ainsi-soit-il ! dix mille voix émues Ont répété ce cri d'espérance et de foi. Bon peuple ! ne crains plus ! bien au delà des nues , Dieu se prête à tes vœux, sa grâce est avec toi. DES RELATIONS DE VOLTAIRE AVEC LES ACADÉMIES, ET EN PARTICULIER AVEC L'ACADÉMIE DE ROUEN, PAR M. CLOGENSON, Conseiller à la Cour d'Appel de Rouen. ( Discours de réception, lu le 27 juillet 1849 ). “ Ho l'incombenza di pronuaciare » un lungo e tedioso discorso. » ( VOLTAIRE , 8 mai 1746 ). Messieurs, Honoré de la bienveillance de M. l'abbé Picard, qui vous présidait alors, de l'amitié de M. Chéruel et des encourage- ments de MM. Girardin, Richard, Avenel et Ballin, aux- quels je dois, bien plus qu'à moi, la trop indulgente unani- mité de vos suffrages, je viens enfin vous prier d’agréer, d'une manière plus solennelle, des sentiments qui, pour être exprimés tardivement et en termes brefs, n'en sont ni moins réels, ni d’une nature moins durable. Pourquoi faut-il que, au plaisir de vous témoigner ma gratitude, il vienne se mêler des regrets, et même un cha- grin ? Du milieu de cette enceinte académique , je ne peux plus adresser que de lointains remerciments à MM. Des Michels, Bénard, Bigourdan et Guiard, ainsi qu'à MM. De- ville, Destigny et Richard ; je peux encore bien moins re- 208 ACADÉMIE DE ROUEN. mercier le docteur Blanche (1), qui me donna son amitié, à Paris, si longtemps avant de me donner ici sa voix. Plusieurs d’entre vous, Messieurs, m'’ayant fait espérer que vous écouteriez volontiers le récit abrégé des relations de l’auteur de la Henriade avec les principaux savants et lettrés de la Normandie, j'ai cru devoir appeler votre atten- tion particulière sur l’origine de ses rapports avec votre Académie, de même que sur leur durée. J'omets donc ici, à dessein, tout ce que François-Marie Arouet, qui bégayait des vers au sortir du berceau, enten- dit raconter de P. Corneille et de ses principaux et immor- tels ouvrages, chez son père, à la fin du xvn siècle, et pen- dant les premières années du siècle suivant. Je ne vous di- rai rien de ses premières liaisons d'amitié avec Le Cornier de Cideville, au collége des Jésuites ou de Louis-le-Grand, collége où il entra en octobre 1703, et dans lequel il vit arriver successivement, de 1705 à 1710, Cideville, les frè- res d’Argenson, Pont-de-Veile et d'Argental. Arouet n'avait pas dix ans quand il connut la famille normande à laquelle appartenait le bon, mais trop rêveur abbé de Saint-Pierre. Dès le milieu de 1706, il rencontrait l'abbé de Chaulieu et Fontenelle dans la société de Ninon de Lenclos, ancienne amie du normand Saint-Évremont. Sorti définitivement du collége, au mois d'août 1710, Arouet vit la Normandie, pour la première fois, aux cam- pagnes d’Ivri, quandil alla avec Chaulieu au château d’A- net, chez le duc de Vendôme, arrière petit-fils de Henri IV. C'était bien débuter avec la Normandie, à laquelle, au prin- (1) Mort à Rouen , en cette année 1849, le 24 janvier ; remplacé , à l’Académie, par monsieur son fils ainé, 1°" avocat-général à la Cour. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 209 temps de 1723, dans Rouen mème , il demanda la secrète permission de faire imprimer son poème de a Ligue, ou Henri-te-Grand, plus tard baptisé à Londres, au commen- cement de 1728, du titre définitif de La Henriade. P. Corneille, en 1659, avait mis deux mois à composer son OŒEdipe.— François Arouet (1), né à Saint-Loup, en Poitou, et safemme, Marie Malpart, alors riches et loyaux mar- chands, établis depuis longtemps à Paris, rue Saint-Denis, avaient admiré cette tragédie ni plus ni moins que tout le monde, sans se douter en aucune sorte qu'un de leurs petits-fils oserait un jour traiter lemême sujet. En 1713 et 1714, ce petit-fils, non sans consulter Chaulieu, em- ploya deux ans à faire aussi un OEdipe. Cette tragédie, d’un jeune homme non encore majeur d'âge, eût pu être repré- sentée sous Louis x1v, au règne duquel elle appartient. Elle ne le fut qu'en 1718, le 18 novembre. Ce futalors, ou en décembre suivant, que le nouvel auteur tragique, déjà poète épique en portefeuille, crut devoir ajouter un nom de sa composition, plus doux et plus sonore, à celui d'Arouet. Vers le milieu de février 1719, au moment où le jeune poète, qui appelait Chaulieu son maître, allait ac- complir son cinquième lustre, on vit paraître à Paris, chez P. Ribou et trois autres libraires, la première édition de : OEdipe, tragédie, par Monsieur DE VOLTAIRE. La brève épitre dédicatoire , en simple prose , adressée à Madame , femme du Régent , fille de Louis XIV, était (1) Un acte, passé à Saint-Loup le {5 mars 1639, donne à ce François Arouet les titres de marchand et de bourgeois de Paris. Il mourut en 1667, laissant un fils nommé Francois comme lui. Ce fils, né à Paris, non à Saint-Loup, vers 1652, était notaire au Châtelet quand il se maria, le 7 juin 1683. 11 mourut à Paris, à la fin de 1721, quand Francois-Marie, son second fils, déjà auteur d'une tragédie restée au théâtre , songeait à publier un poème épique. 14 210 ACADÉMIE DE ROUEN. signée : Arouet de Voltaire. C'était la première fois que le second de ces deux noms apparaissait imprimé. La première épigramme où le nom euphonique de Vol- taire se trouve emprisonné, fut composée en décembre 1718 .par le rimeur abbé de Chaulieu, en dépit d'Apol- lonet de la charité chrétienne. En ce même temps, préci- sément, Voltaire donnait déjà à l’auteur du Cid ,de Cinna, de Polieucte et du Menteur ce titre de Grand qu'il lui dé— cerna, en 1761, dans ses Remarques sur les Horaces, adressées à l'Académie française, avec l'approbation, non seulement de la Normandie, mais encore de la France en- tière. Si le plus brillant des élèves du P, Porée n’alla jamais jus- ques à Caen, ville natale de son professeur et de plusieurs poètes justement célèbres, il visita souvent Rouen et ses environs, en 1723, 172%, 1725, 1729 et 1731. Quelque envie que j'en aie, Messieurs, je ne vous raconterai rien des re-— lations de Voltaire avec Cideville, Madame de Bernières, Des Alleurs, Formont, Du Resnel, Fontenelle et autres de 1713 à 1744, année de la naissance de notre Académie. Avant de vous rappeler les relations de Voltaire avec cette Société, de 1744 à1768, pour ne pas dire jusques en 1778, qu'on me permette une digression sur l’auteur de la Henriade, d'OEdipe, de Brutus, de Zaïre et de Mé- rope, considéré lui-même sous le rapport Académique. Vers 171%, dans ses premières idées d'indépendance trop absolue, le jeune auteur du nouvel OEdipe, en sortant des soupers souvent faits avec le vieil abbé de Chaulieu, s'était promis de ne jamais appartenir à aucun corps. Il ne voulut être ni avocat, ni magistrat; il ne songeait pas même à être un jour académicien, quel que fût, de 1713 à 1722, son penchant irrésistible pour la poésie tragique et épique. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 211 Quand il se fut müri en Angleterre, et lorsqu'il sentit le besoin de se créer en quelque sorte une famille et un appui parmi les hommes de savoir et de lettres, ses idées se mo- difièrent beaucoup au sujet des Académies. L'abbé d'O- livet, auquel il avait souvent parlé de son amour d'indé- pendance littéraire, et qui avait été son préfet, au Collége, fut précisément celui qui, comme directeur, le reçut à l'Académie Française. Houdar de La Motte, au grand déplaisir de l'abbé de Chaulieu, avait osé, comme censeur d'OEdipe, dès le 2 dé- cembre 1718, promettre à la France, dans Arouet de Vol- taire, « un digne successeur de Corneille et de Racine ». Pour remplir de son mieux cette promesse approbative, Voltaire, de décembre 1718 à décembre 1731, avait donné Marianne, composée au château de la Rivière-Bourdet, près de Rouen, en 1723, et Brutus. Pendant qu'il corri- geait, à Rouen et à Canteleu, les épreuves de la première édition de l'Histoire de Charles XII, ouvrage achevé et imprimé à Rouen, en 1731 ,4l venait de composer Ériphyle et la Mort de César. Houdar étant mort, vers la fin de cette mêmeannée 1731, les amis de Voltaire s’imaginèrent que l’auteur de ces tra- gédies, et de la Henriade, pouvait le remplacer dans le dix-huitième fauteuil de l'Académie Française. L'abbé de Bussi, homme très aimable, tout aussi mondain que son ami et correspondant Voltaire, fut préféré d'emblée à celui- ci. Bussi, plus tard évêque de Luçon, est connu pour n'a- voir jamais publié ni vers ni prose. Gros de Boze, qui, par esprit d'humilité probablement, avait succédé à Fénélon, en 1715, dans la même Académie, ne se contenta pas de refuser son suffrage à Voltaire, qui 212 ACADÉMIE DE ROUEN. ne le lui avait probablement pas demandé , il déclara que l'auteur d'OEdipe, de Brutus et de la Henriade « ne pou- « vait jamais devenir un sujet académique. » Voltaire répondit à cette sentence lourdement doctorale par les meilleures épigrammes, c’est-à-dire par Zaïre, Alzire, Mahomet et Mérope. De Boze vécut assez pour entendre le vibrant et long retentissement des applaudis- sements mérités par ces tragédies, et pour voir admettre leur auteur dans presque toutes les Académies de lEu- rope, y compris l’Académie française, seulement de 1743 à 1746. Voltaire, toujours plus près de rentrer, pour la troisième fois, à la Bastille, que de se voir ouvrirles portes de l'Aca- démie française, songea enfin à se faire une espèce de rem- part des Académies contre les persécutions qu'un écrivain, revenu d'Angleterre plus grave et plus libre penseur, devait toujours craindre en France, en ces temps-là. Il est curieux de lire, sur ce point, une lettre qu'il écrivait plus tard, en septembre 1751, de Potzdam, au maréchal de Richelieu. Cette lettre est restée mal placée, jusqu’à présent, dans le mois d'août 1750 de sa correspondance. Quand le juste succès de l'Histoire de Charles XII, au grand déplaisir de Desfontaines, encourageait Voltaire, en 1732 et 1735, à grossir les matériaux amassés par lui, de- puis 1716, pour la composition de son siècle de Louis XIV, Moncrif, auteur de l'Histoire des Chats, que Richelieu ou le comte d’Argenson appelait historiogriffe , entrait dans une Académie dont la porte restait fermée à un historien des hommes. Lorsque, en 1736, il fallut donner un successeur à Malet, qui passait pour n'avoir fait qu'une ode très inconnue, %s CLASSE DES BELLES-LETTRES. 213 l'Académie ne manqua pas de préférer, à un écrivain qui avait beaucoup travaillé, un certain Boyer qui n'avait jamais rien écrit ni publié du tout. Boyer, alors précepteur du Dauphin, était investi d’une place donnant apparemment l’Académie, comme d'autres fonctions donnaient la noblesse. Repoussé par Boyer et par Maurepas d'une compagnie à laquelle celui-ci n’appartint jamais, Voltaire s'en consolait en acquérant de nouveaux titres à lagloire, et en disant: Homère et Platon , Phidias, Sophocle et Apelles, Virgile et Vitruve, Cicéron et César, l'Arioste et Michel-Ange (il eût pu ajouter Molière), n'étaient d'aucune Académie. Mais tout en parlant ainsi, il était persuadé que les Académies « servent à entretenir le feu que les grands génies ont al- « lumé. » Dès 1738, Voltaire conseillait à Frédéric, encore prince royal, de fonder, quand il serait roi, une Académie des Sciences et Belles-Lettres à Berlin. Déjà même il indiquait Maupertuis au prince, comme pouvant le seconder en cette entreprise. Voltaire, membre né de cette société, y fit sa première entrée, en personne, au mois de septem- bre 1743, année de son second voyage en Prusse. Quant aux Académies de province, en France, voici ce qu'ilen pensait, de 1736 à 1746, et ce qu'il en disait plus tard , en général : « Elles avaient fait naître l'émulation , « forcé au travail, accoutumé les jeunes gens à de bonnes « lectures, dissipé l'ignorance et les préjugés de quelques « villes, inspiré la politesse, et chassé, autant qu'on le pou- « vait, le pédantisme. » Vers 1740, et de 1740 à 1744, Voltaire et Cideville, dans leurs entrevues, non plus à Rouen, mais à Paris, s'entre- 21% ACADÉMIE DE ROUEN. tinrent souvent du bon effet que produirait une Académie dans la capitale de la Normandie, ville où Voltaire avait trouvé, dès le mois d’avril 1723, « nombre de gens d’es- « prit et de mérite, avec lesquels il avait vécu, dès les « premiers jours, comme s'il les avait vus toute sa vie. » Les poètes , les savants et les artistes étaient pour lui des frères , comme il le disait à la fin du Discours préliminaire d’Alzire. Le cardinal de Fleuri mourut le 29 janvier 1743, lais- sant vacant le trentième fauteuil de l’Académie. On eût pu accorder cette place à l’auteur de Mahomet, joué en 1742; on la refusa net à l’auteur de Mérope donnée au théâtre avec des applaudissements inouis jusqu'alors, le 20 fé- vrier 1743, jour où l'illustre petit-fils du marchand poite- vin, accomplissait sa quarante-neuvième année. En atten- dant que Voltaire en appelât au pape même, en dédiant Mahomet au tolérant et très pieux pontife, les intrigues de Boyer, concertées avec celles de Maurepas, firent donner le fauteuil à d'Albert de Luines, évêque de Baïeux, non d’après les règles de la justice littéraire , mais, comme le disait Voltaire, selon les canons de l'Eglise. De Luines, plus tard cardinal, avait pu mériter le ciel par ses bonnes œuvres, mais il ne méritait aucunement l'Académie française, n'ayant pas composé un seul ou- vrage. La première Académie ouverte à Voltaire, alors à Berlin, fut celle de cette ville, en septembre 1743. Revenu à Paris, vers la fin de novembre suivant, l’académicien de Berlin fut bientôt admis dans les Sociétés académiques de Lon- dres, d'Edimbourg et de Bologne. En recevant ces hom- mages du Nord et du Midi, Fami de Frédéric Il et de Mafffei écrivait de Paris : « Tutti à letterati sono del medesimo CLASSE DES BELLES-LETTRES. 215 paese.» Mais l’Académie française, l'Académie du propre pays de l’auteur de la Henriade, de Brutus, de Zaïre et de Mérope, continua d'être fermée à Voltaire, en 17% comme en 1743. L'académie dont l'auteur du Temple du goût, imprimé pour la première fois à Rouen, en 1733, s’occupa le plus, avec Cideville, à Paris, à la fin de 1743 et au commen- cement de 1744, dut être celle de Rouen. Voltaire habi- tait déjà son appartement de l’ancienne rue Traversière , . près de la modeste fontaine transformée , depuis quelques années , de nos jours, en Fontaine de Molière. Cideville, alors conseiller honoraire du parlement de Normandie, demeurait rue Neuve-des-Petits-Champs. Les deux an- ciens condisciples se virent souvent alors, soit Fun chez l'autre, soit chez la duchesse de Luxembourg, née Col- bert-Seignelai, dont le mari était gouverneur de la Nor- mandie depuis 1726. La duchesse , belle et-bonne, mé- ritait les vers délicats et spirituels que lui adressait l’auteur d’Alzire. Ce fut au coin du feu du gouverneur et de la duchesse gouvernante, que furent arrêtés les projets rela- tifs au prochain établissement de notre Académie. Cide- ville s’entendait avec Lecat sur tous ces projets, et avec Charles-Thomas de Bettencourt, jeune avocat rouennais, faisant de bonne prose, et, au besoin, de bons vers, dans la ville de madame du Boccage. Vous savez beaucoup mieux que moi , Messieurs , com- ment notre Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts fut établie , au mois de juin 174%, et comment elle fut ouverte, le 18 août suivant, en présence de Cideville4 Lecat et Bettencourt. Celui-ci, que Voltaire ne connaissait personnellement que depuis le mois de mars 1743, et au- quel l’auteur de Mérope avait adressé, en ce temps-R , des vers encore inédits en 1849, fut nommé secrétaire 916 ACADÉMIE DE ROUEN. pour les Lettres. L'Académie attendait de son zèle de longs services. La mort l’enleva bientôt à ses naissantes fonctions; on fit son éloge funèbre dans la première séance publique tenue par l'Académie, le mardi 1* juin 1745. Son cercueil toucha au berceau de notre Académie, aujourd’hui plus que centenaire. Voltaire, en 174% comme en 1745, et jusques en 1778, se contenta de rester lié d'amitié avec les principaux membres de notre Compagnie, sans en faire partie. J'en dirai plus tard les raisons en quelques mots. Repoussé, jusqu'à la fin de 1744, par la coterie des fanatiques, et par celle, plus haîneuse encore, des en- vieux, la première ayant Boyer pour chef, la seconde étant représentée par Maurepas, l'auteur de Mahomet, en attendant la vacance d’un fauteuil à l'Académie française , jugea à propos d'adresser cette tragédie au pape , et même de la lui dédier. Dès le 22 août 1742, Voltaire s'était écrié : « Puisque je suis victime des Jansénistes , je dédie- « rai Mahomet au pape. » Aussi peu ménagé par les Molinistes que par les Jansé- nistes. Voltaire se souvient que le grand Corneille, ca- lomnié dans sa croyance, avait dit autrefois : « Je soumets « mes écrits au jugement de l’église. » Il imite l'auteur de Polieucte ; il soumet la tragédie du Fanatisme au chef de la vraie religion. Benoît XIV, jugeant l'œuvre du haut d’un trône unique, et, grâce à Dieu, impérissable dans l'univers, déclare l'avoir lue avec un grand plaisir, con sommo piacere. Alors, c’est-à-dire le 17 août 1745 , Voltaire s'incline, d'esprit et de cœur, devant le vicaire et l'imitateur d’un Dieu de vérité et de paix . et lui dédie la satire , en cinq actes, du faux prophète, non sans lui demander sa CLASSE DES BELLES-LETTRES 217 protection pour la tragédie, et sa bénédiction pour l’au- teur. Le souverain pontife, l’un des hommes les plus spiri- tuels du temps de Voltaire et du grand Frédéric , était en même temps un des meilleurs , parmi les excellents. Dans sa réponse , du 19 septembre suivant , il remercia Voltaire de sa bellissima tragedia di Mahomet, en lui donnant à lui-même sa bénédiction apostolique. Ce succès, obtenu par Voltaire, dans un temps où il n'avait encore composé aucun des écrits échappés plus tard, de 1754 à 1778, à l'irritation de son long et trop cruel exil, dans le voisinage de Genève, sembla calmer, pour quelque temps, les hypocrites et les jaloux. Aucune place ne devint vacante à l'Académie française, en 1745. Quant à l'Académie de Rouen, Cideville avait demandé à Voltaire une devise pour elle, à Paris, en septembre 1745. Voltaire était à Fontainebleau, quand il reçut la bénédiction du pape , par lettre pontificale. En faisant part à Cideville de cette bénédiction, voici ce que l’auteur de Mahomet mandait à son ami, le 6 octobre suivant , au su- jet de l'inscription désirée : Votre académie, disait-il, « réunit trois genres. Sielle prenait pour devise une Diane, « avec cette légende : Tria regna tenebat ; avec l'exergue : « Académie des Sciences, de Littérature et d'Histoire, à « Rouen , 1745? — Mes respects à votre Académie. » Ce passage d’une lettre de Voltaire nous prouve que notre Académie n'avait pas encore de devise bien arrêtée, en octobre 17#5, et qu'à l’auteur de la Henriade remonte la première idée de notre Tria limina pandit. 218 ACADÉMIE DE ROUEN. Sur ces entrefaites, le président Bouhier étant mort à Dijon , le 17 mars 1746, personne , de cette fois, n'osa disputer à Voltaire le trente-troisième fauteuil de l'Acadé- mie française, dans l'enceinte de laquelle , en sa cinquan- te-troisième année , il alla s'asseoir, avec ses devanciers normands , Fontenelle et l'abbé Du Resnel, le 9 mai 1746. Le 16 décembre précédent, Desfontaines avait quitté ce monde, en digne compatriote de Pradon. Voltaire, qui avait eu l'imprudence de le tirer de Bicêtre , à la fin de mai 1725 , et de lui rendre d’autres services depuis, n’a— vait plus rien à redouter, en mai 1746, de sa venimeuse reconnaissance. Mais l'envie, ce monstre qui ne mourra jamais, comme l’a dit Molière, ne s'en déchaîna guère moins contre le nouvel académicien de Paris. Au milieu de ce déchaînement général parmi les plus bas esprits, on apprit l'admission de Voltaire à l'Aca- démie des Arcadiens, à Rome, à celle de La Crusca, à Flo- rence, et à l'Académie de Cortone. Ces sociétés imitaient l'exemple de l'institut de Bologne, et le Midi; ainsi que je l'ai dit, se montrait juste, comme le Nord, à l'égard du poète et du prosateur. La première Académie de province qui reçut spontané- ment Voltaire, comme membre associé , fut celle de Bor- deaux , le 12 fin 1746. Quelques années plus tard , il était membre de dix-huit Académies, nombre qui augmenta encore de 1760 à 1778, car il devint membre de l’Aca- démie de Dijon, le 3 avril 1761, et, le 29 avril 1778, au moment où Franklin et lui s’embrassaient , à l’Académie des Sciences de Paris, les membres de cette Société le fai- saient siéger parmi leurs membres honoraires , aux accla- mations de la plus brillante assemblée. Comme Voltaire avait donné la dernière main à son CLASSE DES BELLES-LETTRES. 219 poème de La Ligue, à Quevillon (La Rivière-Bourdet), et à Rouen, en 1723; et à sa première édition de l’His- toire de Charles XIT, dans la même ville , en 1731 ; comme enfin, il avait composé , à Rouen , et dans ses environs, Marianne, l Indiscret, le chant VI de son poème épique (1), Eriphyle et la Mort de César, de 1723 à 1731, on se de- mande pourquoi l’auteur de ces ouvrages, productions plus ou moins normandes, ne fut jamais membre de notre Académie, avec Fontenelle, Du Resnel et Cideville, sous le titre d'associé. Il serait plus facile de se répondre , sur ce point, en plusieurs pages qu'en quelques lignes. Il faut se rappeler très brièvement que Voltaire, en 1733, avait fait imprimer par Jore, à Rouen, en grand secret, et sans permission, ses Lettres philosophiques ; que Cideville et Formont, dans la confidence, avaient corrigé les épreuves clandestines de cet ouvrage , à la suite duquel l’auteur avait ajouté une vingt-cinquième lettre, consacrée , non aux Anglais , comme les vingt-quatre pre- mières, mais à l'examen de quelques pensées de Pascal. IL faut se souvenir enfin que le parlement de Paris, dans sa fougue janséniste contre cette vingt-cinquième lettre , avait condamné tout le volume au feu par un arrêt du 10 juin 173%, et que le parlement de Rouen s'était empressé de juger de même , comme le dit Voltaire, dans une lettre du 24 juillet 1734 à Cideville. (1) Le chant vi de la Henriade ne date que de 1724; il fut , en grande partie, composé à Forges-les-Eaux, en juillet de la même année. La première idée du poème remonte au mois d'avril 1716. — Le chant 11 fut composé sous les verroux de la Bastille (1717 ), où le jeune auteur fut privé de plumes et de papier pendant onze mois. 220 ACADÉMIE DE ROUEN. L'auteur de ces Lettres, brûülées par le bourreau de Messieurs, pour se soustraire à une lettre d’un autre genre , à une lettre de cachet, avait été obligé de se réfu- gier dans un château alors délabré et très solitaire , celui de Cirei. En 1736 et 1738, dans deux libelles, Desfon- taines n'avait pas manqué de rappeler tous ces faits, et de les envenimer, selon sa coutume , contre son ancien bien- faiteur. Voilà en grande partie pourquoi, en 174%# et en 1745, quand le premier président Geoffroi-Macé Camus de Pontcarré , esprit étroit et servile , exerçait une trop grande influence sur le parlement comme sur l'Académie de Rouen, Cideville et Voltaire jugèrent prudent de ne pas se lier par le titre de confrères, dans notre Acadé- mie. Cette circonspection , au reste , n'empêcha pas Voltaire d’appartenir en quelque sorte à cette Société pendant plus de trente ans , par l'amitié qu'il conserva pour une grande partie de ses membres, et par la respectueuse estime qu'il ne cessa de témoigner, dans l’occasion, à toute l'Aca- démie. | La première femme couronnée par l'Académie française avait été une normande , M‘: de Seudéri, en 1671. Quand l’Académie rouennaise couronna, le 12 juillet 1745, sa compatriote Me du Boccage, Cideville reçut, le 19 août suivant, une lettre où Voltaire lui disait : « c’est une belle « époque pour les lettres et pour votre Académie. » Le 31 août 1765, Voltaire écrivait de Fernex, à Cideville, alors en son château de Launai, voisin de Duclair, au su- jet de La Harpe, récemment couronné à Rouen , pour son poème de la Délivrance de Salerne : « Mon cher et ancien « ami, j'ai pensé comme l'Académie de Rouen, j'ai trouvé « les conquérants normands très bien chantés, et j'ai été . CLASSE DES BELLES-LETTRES. 2921 « fort aise que vous ayez donné le prix au jeune M. de La «Harpe ; il a passé quelques jours dans mon ermi- « tage. » Vers le milieu d'octobre 1768, Maillet du Boullai adressa au commentateur de Corneille , au nom de l’Aca- démie de Rouen, une lettre dans laquelle il lui annonçait l'envoi de deux éloges de P. Corneille, l’un de Gaillard , qui avait eu le prix ; l’autre de La Harpe , auquel elle avait accordé l’accessit. « Monsieur, lui répondit Voltaire, le 20 « du même mois, la lettre dont vous m'honorez au nom « de votre illustre Académie, est le prix le plus honorable « que je puisse jamais recevoir de mon zèle pour la gloire « du grand Corneille. L'éloge de ce grand homme devait « être proposé par ceux qui font aujourd'hui le plus d’hon- « neur à sa patrie. » La qualification d'illustre, donnée par Voltaire à notre Compagnie, Messieurs , avait alors une grande valeur. De- puis 1743, année de Mérope, il avait fait représenter Sé- miramis , Rome sauvée , l'Orphelin de la Chine et Tan- crède, nom cher à la Normandie. Il avait publié le Siècle de Louis XI, et l'Essai sur les mœurs et l'esprit des Na- tions. Il était, en outre, agriculteur, jardinier comme le grand Condé, et, plus heureux berger qu'Apollon, il fondait une petite ville. Enfin, à ce président déjà reconnu de la République des Lettres , ses admirateurs , princes et plébéiens , amis des Sciences. des Lettres et des Arts, allaient élever une statue , en dépit de l'envie contempo- raine. Quand Voltaire, après un dernier exil d'environ vingt- cinq ans , rentra , le 10 février 1778, dans ce Paris que, depuis la mort de Louis XIV, il n'avait pas habité la valeur de quinze années , il y retrouva encore d'Argental, an 299 ACADÉMIE DE ROUEN. cien condisciple de Cideville, et Me du Boccage ; mais Cideville, Formont , l'abbé Du Resnel, Des Alleurs, et bien d’autres normands , y compris la présidente de Ber- nières, n'existaient plus. Cette ancienne châtelaine de la Rivière-Bourdet était morte dès la fin de 1757 , après son compatriote Fontenelle. Voltaire, en 172% et 1725 avait habité l'hôtel de Mr° de Bernières , devenu, sous Louis XVI, l'hôtel du jeune marquis de Villette. Ce fut en ce même hôtel que le défen- seur des ( alas alla descendre , et qu’il embrassa , pour la première fois , Elie de Beaumont et sa femme , tous deux enfants de la Normandie. Quand Voltaire, le lundi 30 mars 1778, alla rendre à l'Académie française , réunie en corps, les visites particu- lières, et par députations , qu’il avait reçues d'elle, on le fit asseoir au fauteuil du Directeur, et il fut nommé, par acclamation, à ces fonctions , pour le trimestre d'avril. L'abbé de Boismont , né dans un village près de Rouen, et longtemps propriétaire du château du Landin, avait rem- placé Boyer à l'Académie française, en 1755 ; il fut un des académiciens qui accueillirent le plus cordialement Voltaire, en cette mémorable séance. On raconte que Mercier, le dramaturge, étant allé, comme presque tous les gens de lettres de son temps, faire visite au patriarche de Fernex, vers la fin d'avril, trouva moyen de lui notifier cette phrase préméditée : « Vous avez tellement surpassé tous vos confrères, en « tout genre, que vous surpasserezencore Fontenelle dans « l'art de vivre longtemps. » — « Ah! Monsieur, répliqua « bien vite l'anteur des Adieux à la vie, en clignant deux « yeux noirs qui brillaient encore comme des escar- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 223 « boucles, Fontenelle était un normand ; il a trompé la « nature. » Le 4 mai suivant, Voltaire, qui eût pu tromper la na- ture, comme Fontenelle, à Fernex, mais non à Paris, se trouva trop faible pouraller présider l'Académie française, et ylire son dernier opuscule , la Lettre dédicatoire d’Irène à cette même Académie. Cette lettre, où il est principale- ment parlé du grand Corneille , et de l’auteur d'Afhalie , se termine par ce vœu éminemment patriotique , et digne du membre de tant d'Académies (1) : « Je finis ma carrière en souhaitant que les siècles à ve- « nir égalent le grand siècle de Louis XIV , et qu'ils ne dé- « génèrent pas en croyant le surpasser. » (1) Voltaire, dès 1772, avait eu pour confrère, à l’Académie de La Rochelle, Louis Fontanes, déjà auteur, à l’âge de 17 ans, d’une Epitre à M. de Voltaire, remarquable, selon ce grand maître de la littérature, par de beaux vers , « pleins de ce feu qui annonce le « génie. » Voltaire, par malheur, vers cette même époque, ou de 1760 à 1772, était dans une assez grande ignorance au sujet des travaux de la Société Academique de Châlons, qui n'existait pas encore , lors- qu'il traversait cette ville pour aller de Paris en Champagne et en Lorraine, en 1748 et 1749. Un membre de cette Académie , assez mal renseigné sur son ancienneté, ayant prétendu un jour, dit le mar- quis de Villette (œuvres de Villette, 1788, p. 118) qu'elle était la fille aïnée de l'Académie française, M. de Voltaire, qui l'écoutait, lui répondit : « Assurément , c’est une bien bonne fille, et qui n'a « jamais fait parler d'elle. » Cette anecdote, telle qu'elle est racontée par Villette , en relation avec Voltaire, de 1765 à 1778, n'a jamais eu le plus léger rapport de plaisanterie, quoi qu'on en puisse dire encore, avec l'Académie de Rouen. 22% ACADÉMIE DE ROUEN. Le samedi, 30 mai, à onze heures et un quart du soir, Voltaire moutait dans une maison longtemps normande , puisque , dès 1723, elle appartenait aux propriétaires du château de la Rivière-Bourdet. C’est celle de la rue de Beaune, n° 1, donnant principalement sur l'ancien quai des Théatins , devenu quai Voltaire. Si l'auteur de la Henriade disait de son discours du 9 mai 1746 qu'il était long et ennuyeux, que devrais-je donc dire, Messieurs et très patients Confrères , de celui que vous venez d'entendre ? . CONSIDÉRATIONS SUR LES ORIGINES TYPOGRAPHIQUEN, Par M. En. FRÈRE. (Lu dans la séance du 1'° août 1849). Messieurs , Malgré les plus sérieuses études, malgré les plus mi- nutieuses recherches, les origines typographiques sont encore entourées d'incertitude et d’obscurité. Les contro- verses auxquelles cette intéressante question a donné lieu, la passion, si nous osons le dire , que de savants biblio- graphes ont mise à ces investigations et à ce débat, n'ont point amené de solution complètement satisfaisante : de- puis quatre siècles, les cités jalouses de Mayence, de Stras- bourg et de Harlem , ont toujours trouvé des champions pleins d'ardeur, revendiquant pour chacune d'elles, avec une apparence d'équité, de droit même, l'honneur de la découverte de cet art qui est devenu le principal véhicule des progrès de l'esprit humain. C'est en vain que de judicieux critiques ont cherché à découvrir quel fut le premier qui tailla, sur des planches de bois, des lettres immobiles ; qui marqua d'une em- preinte la première planche gravée ; quel fut celui qui 15 296 ACADÉMIE DE ROUEN. imagina de changer ces premiers essais, d’abord en ca- ractères de bois mobile , puis en caractères de métal fu- sible , indépendants les uns des autres ; quel fut celui enfin qui, fixant cet alphabet épars dans un chassis de fer, et re- produisant d’un seul coup de presse des milliers de lettres, créa réellement l'art merveilleux de l'imprimerie. Ce fut en vain aussi que ces mêmes critiques se deman- dèrent si cette invention avait été le résultat d’un heureux hasard ou bien celui d’une méditation profonde et graduée ; qu'ils cherchèrent à statuer si ces phases du mécanisme de l’art, ces changements de matière et de forme des élé- ments premiers, ne révélaient pas une association d'efforts multipliés , s'ils ne donnaient pas au moins à penser que l'invention de l'imprimerie ne peut être attribuée à un seul et même homme , ne peut avoir pris naissance dans une seule et même ville. Ces questions sont restées jusqu'à présent inexpliquées sur plusieurs points , et nous sommes loin de penser qu'ils nous soit possible, à nous personnellement , d'apporter la lumière là où nos maîtres en bibliographie ont laissé l'obs- curité ; nous confessons avec humilité que nous n’espérons pas arriver à établir d’une manière incontestable l'histoire des commencements grossiers de cet art, non plus qu'à déterminer les débuts de sa marche. Admirateur de cette magnifique invention dont l'histoire tient si étroitement au développement des intelligences, admirateur non moins fervent des immenses progrès que l’art de l'imprimerie ne cesse de présenter dans ses splen- dides et modernes créations, nous avons voulu étudier ces questions déjà tant étudiées , et ce sont les très mo- destes résultats de ces recherches, ce sont plutôt même les quelques considérations qu'elles nous ont suggérées dl CLASSE DES BELLES-LETTRES. 227 ni dû sur la difficulté d'assigner aux découvertes humaines un point immuable de départ, que nous nous bornons à vous présenter aujourd'hui. Plusieurs savants Orientalistes aflirment que les pre- mières notions de l'imprimerie ont été importées de Chine. Suivant cette opinion, des négociants Européens dont la route a été tracée, pour les uns , à travers la Tartarie et la Russie, pour les autres à travers l'Hindoustan et le golfe Persique , auraient rapporté quelques-unes de ces feuilles fugitives dont la vue pouvait faire naître une fé- conde pensée. M. Klaproth aflirme que si les Européens avaient pu étudier les historiens Persans , l'imprimerie , originaire de la Chine, aurait été connue en Europe 130 ans avant le moment où elle le fut , le procédé employé par les Chinois se trouvant clairement exposé dans Djem ma’a et tewarikh, de Râchid-Eddin qui termina cet immense travail vers l'an 1310 de J.-C. M. Stanislas Julien s'appuyant sur un docu- ment tiré de l'Encyclopédie Chinoise, (Ke-tchi-king- youen) dépasse son savant confrère dans l'appréciation de l'antiquité des connaissances typographiques répandues dans le Céleste-Empire , et assure que , dès le vr° siècle , la Chine possédait déjà l'art de l'imprimerie. Ce docu- ment dit textuellement, selon M. Stanislas Julien, que « le huitième jour du 12° mois de la 13° année du règne «de Win-ti, fondateur de la dynastie des Souïi (l'an 593 « de J.-C.) il fut ordonné, par un décret, de recueillir «tous les dessins usés et les textes inédits, et de les gra- « ver sur bois pour les publier. » LA Ce fut vers 90% que l’on commença en Chine à graver en creux des textes sur pierre, en sens inverse, pour les imprimer en blanc, sur fond noir. Cette impression se 228 ACADÉMIE DE ROUEN. fesait à la main, en posant le papier sur la pierre après l’a- voir encrée. Dans la période de 10#1 à 1049, eut lieu l'impression en types mobiles. On raconte dans les Mémoires de Tchin- Kouo (reçu docteur en 1056) qu’un homme du peuple, un forgeron, nommé Pi-ching , inventa une nouvelle ma- nière d'imprimer avec des planches mobiles formées de types en pâte de terre cuite. La description exacte de ce procédé se trouve dans un passage des Mémoires de Tchin- Kouo, traduits par M. Stanislas Julien (1). Mais ce procédé (1) Voici cette description : Pi-Ching prenait une pâte de terre fine et glutineuse, en formait des plaques régulières, minces comme une pièce de monnaie, et y gravait les caractères les plus usités. Pour chaque caractère, il faisait un cachet ou type , puis il fai- sait cuire au feu ces cachets pour les durcir. Il plaçait d’abord sur une table une planche en fer, et l’enduisait d'un mastic très fusi- ble, composé de résine, de cire et de chaux. Quand il voulait im- primer, il prenait un cadre en fer, divisé intérieurement etdans le sens perpendiculaire par des filets de même métal, (on sait que le Chinois s'écrit de haut en bas) l’appliquait sur la planche de fer, ct y rangeait les types, en les serrant étroitement les uns contre les autres ; chaque cadre rempli de types ainsi assemblés formait une planche. Il prenait cette planche, l’approchait du feu pour faire fondre un peu le mastic, puis il appuyait fortement sur la composition une planche de bois bien plane , et, par ce moyen, les types s’en- fonçant dans le mastic, devenaient égaux et unis comme une meule de pierre. Lorsqu'on avait achevé le tirage d’une planche , on la chauffait de nouveau pour faire fondre le mastic, et l’on balayait avec la main les types qui se détachaient d’eux-mêmes, sans garder la plus légère particüle de mastic ou de saleté. — Documents sur l'art d'imprimer à l'aide de planches en bois, etc., inventé en Chine bien longtemps avant que l'Europe en fit usage; extraits des livres chinois, par Stanislas Julien. Paris, imp. roy. 1847 , in-8° de 16 pages. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 229 typographique , d’ailleurs fort curieux, ne fut pas long- temps en usage ; après la mort de Pi-Ching , on reprit jus- qu'en 1662 l’ancienne manière d'imprimer avec des planches de bois gravées, ou avec des planches stéréotypes de cuivre , gravées en relief, qui paraissaient, sans doute, mieux se prêter à la nature de la langue Chinoise. A cette époque de 1662, des missionnaires Européens, qui jouis- saient d'un grand crédit auprès de l'empereur Kang-Hi, le décidèrent à faire graver 250 mille types mobiles, en cuivre , qui servirent à imprimer une collection d'ouvrages anciens et modernes formant 6000 volumes in 4°. Actuellement, les moyens typographiques sont, dans cette contrée de l'Asie (Empire du milieu), semblables à ceux que nous employons en Europe, et l’on signale dans le palais même de l'Empereur, à Pékin, un édifice appelé Wou-ing-tien, où s'impriment, chaque année, avec des ty- pes mobiles obtenus à l’aide de poinçons gravés et de ma- trices, un grand nombre d'ouvrages dont notre bibliothè- que nationale renferme plusieurs éditions d’une finesse et d’une beauté admirables ; ils portent le cachet de cette imprimerie, dont les types mobiles ont reçu de l'Empereur le nom élégant de perles assemblées. Les premiers livres imprimés en Europe paraissent avoir été imités en certains points des Chinois. Comme les œuvres typographiques de ce peuple, ces livres sont tirés sur des planches de bois, ils n’ont reçu d'empreinte que sur un seul côté du papier; le verso du feuillet restait blanc. Il est probable que, pour ces livres tabellaires et à images, on à suivi le procédé chinois qui consiste à faire transcrire le texte et les dessins sur un seul côté de feuilles d'un papier mince et transparent, puis à faire coller chacune 230 ACADÉMIE DE ROUEN. de ces feuilles du côté de lécriture sur une planche de bois dur et poli, enfin à suivre avec une pointe tranchante lestraits du dessin, et à tailler les caractères en relief, abattant et évidant tout le reste du bois où rien ne se trouve tracé (1). Cependant, et malgré ces faits que nous venons de résu- mer, nous devons dire que les droits réels du peuple chi- nois à l'invention première des moyens typographiques, ont été souvent contestés. Quoi qu'il en fût, on ne peut “manquer de remarquer avec le savant orientaliste Langlès, que l'apparition presque simultanée en Europe, dans un siècle peu éclairé, de la boussole, de la poudreà canonet de l'imprimerie, donnerait fortement à penser que ces trois puissants agents dans les affaires humaines ont été em- pruntés à la nation circonspecte et éclairée, qui, malgré sa rigoureuse défense de tout rapport avec l'étranger, n’a pu empêcher que ces sublimes inventions ne dépassassent sa grande muraille. Bagford, écrivain Anglais du 18° siècle, combat l'opinion des orientalistes, relativement à la prescience typographique des Chinois (2) ; il pense que l’origine de l'imprimerie doit être rapportée à l'invention de Varron, procédé reproduc- teur que mentionne Pline dans son histoire naturelle (3). Notre savant confrère, M. Deville, croit pouvoir aflir- mer que l'invention dont parle Pline, s'applique à la gra- vure et touche à l'imprimerie ; que pour avoir fait dire à ce (1) P. Capelle, Manuel de la typog. p.48. Il est à regretter que cet estimable ouvrage n’ait pas été complété. (9) Philosophical transactions 1700 à 1720; in-4°. (3) Hist. nat. lv. XXXV, chap. H, des portraits. _ CLASSE DES BELLES-LETTRES. 231 naturaliste que cette invention est digne d’exciter l'envie des Dieux, il fallait que Varron eût trouvé, eût réellement inventé quelque chose de nouveau, de particulier et d’ex- traordinaire (1). M. Léon de Laborde (2), de son côté, pense que pour expliquer ce fait curieux, il faut supposer un moyen multiplicateur qui ne soit pas l'impression, et qui, dans son application, n'ait offert aucun des éléments qui pouvaient en donner l’idée; un moyen qui, dans un premier emploi, pouvait exciter l'admiration et suflire à la publica- tion de l'ouvrage de Varron, mais qui, par l’insuflisance de ses résultats, devait être bientôt abandonné même des dé- corateurs d'appartements, auxquels Pétronne fait allu- sion. Ce moyen, c’est le patron découpé, repris et abandonné à toutesles époques, selon qu'il se trouvait un homme as— sez habile et assez persévérant pour l'employer. On s’en servait communément vers l’an 1400, pour l'enluminure des cartes à jouer, et on continua, dansles xv‘et xvr' siècles, ce procédé pour colorier les images et gravures qui font l'ornement des livres d'heures et d'histoire naturelle de ce temps. Les anciens ont gravé en creux et en relief des figures et des caractères sur le bois, sur l’ivoire, sur la pierre, sur le marbre, ainsi que sur les métaux. Plusieurs textes latins principalement tirés de Cicéron (pensées), de Quintilien (Institutions orat. liv. I chap. Il) et de Saint-Jérôme (épitres), sembleraient indiquer qu'ils ont eu quelque idée des carac- méme (1) Examen d'un passage de Pline, relatif à une invention de Varron ; Mémoires de l'Académ. de Rouen, année 1847. (2) Nouv. recherches sur l'origine de l'imprimerie, p.15. Paris, Techener,1840, in-4. 232 ACADÉMIE DE ROUEN. tères mobiles, et qu'il leur restait dès-lors peu de chose à faire pour arriver à là typographie. Mais ces diflicultés, en apparence si faciles à vaincre, ont été bien longues à sur— monter, et ce n’est qu'après l'immense travail des siècles, qu'on est parvenu, par un moyen ingénieux, merveilleuse- ment rapide et sûr, à multiplier lexemplaire à l'infini, à le perpétuer à jamais, enfin « à éterniser l'idée », selon l’heu- reuse expression d’un spirituel écrivain (1). Quant à nous, nous le disons encore, nous hésitons à for- muler une opinion arrêtée au milieu de ces opinions si op- posées, de cette controverse tant débattue (2) ; nous voyons que toute invention humaine fait naître d'interminables discussions, que les moyens même de perfectionnement de certaines parties d’un art, quels que soient son but et sa nature , restent souvent entourés d’obscurité. Ainsi les inventeurs du microscope et du télescope ne sont pas encore généralement reconnus les mêmes chez telle et telle nation ; ainsi encore la découverte de la gra- vure des estampes sur métal, cet art, frère de l'imprimerie, attribué par les uns à l’orfèvre-nielleur Thomaso Fini- guerra (en 1452), comme résultat d’un heureux hasard, est revendiqué par les Allemands, qui affirment avoir pos- sédé des empreintes de gravures sur papier, avant l’exis- tence de celles qu'a obtenues l’artiste Florentin. Le baron Heinecken, désirant concilier, en critique paci- (1) Philarète Chasle, Études sur les premiers temps du Christia- nisme et sur le moyen-äge. Paris, Amyot, 1847, in-12. (2) M. Isreali , dans ses 4menilies of literature (Paris, Baudry, 1842,t. 1°), compare la découverte de l'imprimerie à un roman, rempli d'aventures mystérieuses, dont on aurait arraché les pre- miers feuillets. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 233 ficateur, ces opinions contradictoires, dit, dans son ou- vrage sur les estampes et sur la gravure des premiers livres (Idée générale d'une collection complète d'estampes), que Finiguerra a bien pu découvrir à Florence lart de graver sur métal, ou plutôt l’art d'obtenir l'impression de plaques métalliques gravées en creux, sans savoir que cet art était déjà inventé en Allemagne. Mais nous ne voulons pas insister ici sur les origines de la gravure, sujetqui nous entraînerait trop loin, et qui ne rentre pas absolument dans notre cadre; d’intéressants documents à cet égard sont fournis par l'Histoire de la Gravure au moyen-âge, ouvrage justement estimé de M. Emmeric David. D'utiles lumières peuvent aussi être puisées dans Essai sur les Nielles de l'honorable conservateur des estampes à la Bibliothèque nationale, M. Duchesne ainé. Enfin, si dans notre appréciation du peu de certitude des jugements des hommes, nous arrivons jusqu'à l'histoire des faits contemporains, nous voyons également que le nom de celui qui, de nos jours, pour ainsi dire, appliqua le premier à l'industrie et à la navigation la découverte déjà ancienne de la puissance de la vapeur, est encore con- testé, et que plusieurs grandes nations se disputent la gloire de cette application. En considérant cette incertitude sans fin, en mesurant ces essais innombrables, ces perfectionnements incessants dont la gradation est quelquefois imperceptible, et quelque- fois aussi rapide que la pensée qui est son premier véhi- cule, nous serions, nous aussi, tenté de dire comme l'é- crivain que nous avons déjà cité (M. Ph. Chasles): l'inven- teur c'est le genre humain. L'histoire de l'imprimerie semble justifier ce point de vue des origines. Pendant le xv' siècle , au moment même 23% ACADÉMIE DE ROUEN. où « la foi s'affaissait , où les pouvoirs chrétiens perdaient « le sentiment de leur but et de leur devoir, l'amour de «l'antiquité se réveillait avec une ardeur toute nou- « velle » (1), un besoin incommensurable de savoir s’empa- rait de chacun ; Louis XI quoiqu'ennemi de l'imprimerie, effrayé qu’il était de l'immense puissance de ce nouvel élé- ment de civilisation, facilitait ses progrès par la faveur qu'il accordait au tiers-état dont l'intelligence voulait être développée , et qui allait jouir avec avidité du moyen rapide apporté à la propagation des idées. Instrument de la Renaissance, l'imprimerie était deve- nue nécessaire à l'humanité qui ne pouvait plus se conten- ter de la faible fraction de savoir que la rareté et l’énor- mité de prix des livres écrits lui permettaient d'acquérir ; le procédé de la transcription était tellement lent que cent bibles auraient demandé 7000 jours de travail ou près de 20 années. La rareté du parchemin et du vélin . la cherté du papier même , la lenteur de main des calligraphes , l'or- nementation et le fini plus ou moins riche des miniatures, les dessins souvent très compliqués desinitiales ainsi que ce- lui des arabesques, des fleurs, des fruits, des oiseaux, des insectes, formant encadrement pour chaque page, tout faisait des manuscrits un objet de luxe tellement précieux qu'ils n'étaient généralement acquis que par des princes ou par de hauts dignitaires ecclésiastiques ; la possession en était léguée comme le serait maintenant l'immeuble le plus magnifique (2). El fallait done au mouvement intellec- D ———— UT (1) Ott, Man. d'hist. univ. t. W, p. 378. Paris, Paulin , 1842, in-12. (2) Les rubricatores , illuminatores , miniatores, miniculatores , classe d'artistes si nécessaire à la confection des manuscrits, se maintint pendant le 1°" siècle de l'imprimerie, ainsi qu’on peut le voir par les livres du xve siècle et du commencement du CLASSE DES BELLES -LETTRES. 235 A tuel un agent nouveau, un agent actif et peu dispendieux, et cet agent fût créé. Mais loin de reconnaitre le bien inappréciable dont allait être pour l'humanité le procédé qu'ils venaient de décou- wrir, loin de chercher à en répandre les divines lumiéres , les inventeurs de l'imprimerie s’appliquèrent au contraire à entourer d’un profond mystère les moyens qu'ils em- ployaient. Ces moyens restèrent donc, dans l'origine , en- veloppés de ténèbres. Tout porte à croire, néanmoins, que malgré les efforts des premiers imprimeurs, quelques ré- vélations indiscrètes répandirent au dehors le germe d’une pensée semblable à la leur : des tentatives infructueuses eurent lieu à la fois dans plusieurs villes différentes par plu- sieurs hommes différents. Cependant, au milieu de ces vagues essais, ce fut à Strasbourg que paraît avoir été pratiqué le procédé vrai ment heureux dont le résultat eut enfin quelque va- leur. Jean Genssfleich de Sulgeloch , dit Gudenberg ou Guten- berg , du nom de l'hôtel qu'il occupait à Mayence, jeune et pauvre habitant de cette ville dont les études premières avaient été dirigées vers l’alchimie , cherchait depuis xvi°®, non seulement dans les gravures miniaturées , dans les grandes lettres capitales, mais encore dans les majuscules du dis- cours où l’on remarque l'emploi de l'or, de l'argent , des couleurs pourpre , verte, bleue, etc. La plupart des imprimeurs avaient de ces rubricateurs, enlumineurs, miniaturistes, écrivains , attachés à leur établissement. Il est juste de signaler l'excellente qualité de papier dont ils se servaient alors pour leurs impressions. Ce pa- pier, par sa force, ressemblait au parchemin etau velin qu'il devait un jour remplacer complètement 236 ACADÉMIE DE ROUEN. longtemps, mais inutilement, à tirer des empreintes de figures ou de caractères en relief, lorsque s'inspirant enfin des moyens de reproduction employés dès cette époque pour obtenir non-seulement des empreintes de sceaux ou de cachets, mais aussi des épreuves de gravures sur bois, il appliqua ces procédés, en les perfectionnant toutefois ,* à l’art merveilleux qui devait immortaliser son nom. Dénué de ressources pécuniaires, Jean Gutenberg, que quelques historiens ont cité comme étant né dans une classe inférieure de la société, et que l'habile Thorwaldsen lui-même a eu le tort de représenter vêtu en ouvrier, mais que des documents authentiques ont établi être fils d’un gentilhomme de Mayence, chevalier de nom et d'armes, frère de la digne et respectable Berthe Genssfleich , de Sulgeloch, religieuse à Sainte-Claire de Mayence , Jean Gutenberg, disons-nous, est obligé. pour avancer dans son œuvre hardie , de s'associer en 1436 avec trois bour- geois de Strasbourg : André Dritzehen , Jean Riffet André Heilmann, auxquels il promet la fortune en leur révélant tous ses secrets et arts tenant du merveilleux. Malheureu- sement le succès ne suit ni les espérances , ni les tentatives des associés ; Dritzehen meurt, et le procès qui eut lieu à cette époque entre ses frères (Claude et George) et Guten- berg qui refusait de les recevoir dans sa société commer- ciale, est un renseignement des plus précieux , établissant d'une manière authentique la vérité des essais typogra- phiques tentés à Strasbourg en 1439. D'après la déposition des témoins appelés dans l'enquête qui eut lieu à propos de ce procès, on voit que le principal de ces arts et secrets merveilleux était l'invention de l'imprimerie ; que Guten- berg avait une presse montée ; que dans cette presse il y avait des formes fermées par des vis; qu'en ouvrant ces vis, on décomposait ces formes, décomposition qui dé- Tv" CLASSE DES BELLES-LETTRES 237 montre , en quelque sorte, la mobilité des caractères , les éléments d'une imprimerie (1). Le jugement rendu par le sénat de Strasbourg ne fut pas favorable aux Dritzehen; cependant, mécontent du procès qu'on lui avait suscité, fatigué et épuisé par l'insuccès, mais toujours plein de foi dans sa pensée créatrice, Gutenberg quitte Strasbourg et retourne à Mayence en 145. Là, ce Christophe-Colomb de l'impri- merie , ce chercheur d’un monde nouveau, de ce monde où tant d'intelligences allaient apparaître et se combattre, tour à tour victorieuses et vaincues , contracte en 1#50 une nouvelle société avec le vieux et rusé orfèvre Fust (2) dont le nom est à jamais adjoint au sien, mais qui, dans cette association , n’apporta que son or là où le savant gentil- homme prodigua les trésors de son génie. Toutefois, l'or du marchand devint un élément puissant dans l'œuvre commencée, en permettant à Gutenberg de tenter de nouveaux essais. Ainsi l'on vit bientôt paraître Les lettres d'indulgence accordées par le pape Nicolas V à ceux qui aideraient de leur bourse la cause du roi de Chypre, feuillet portant la date de 145%, et, vers la même époque, une Bible latine in-folio qui, n'offrantencore ni nom d'im- primeur ni indication de date, conservait une parfaite res- semblance avec les manuscrits que ses créateurs voulaient qu'elle imitât. Les frais d'impression de cette Bible , mo- nument prodigieux et colossal de l'imprimerie , furent tellement considérables, malgré son imperfection, que Gutenberg ne put rembourser à Fust les sommes qu'il s'é- (1) Essai d'annales sur La vie de Jean Gutenberg; par J.-J. Ober- lin. Strasbourg, Levrault, 1840, in-8°, p. 18. — Débuts de l'Impri- merie à Strasbourg, etc.; par Léon de Laborde. Paris, Techener, 1840, grand in-8°. (2) Jean Fusth ou Faust. On présume qu'il mourut à Paris, de la peste, qui ravagea cette capitale en 1466. 238 ACADÉMIE DE ROUEN. tait engagé à lui payer pour sa part dans la société qu'ils avaient constituée. I perdit le procès que Fust lui intenta à cette occasion , et, obligé de lui céder la majeure partie du matériel de l'imprimerie , il abandonna (6 novembre 1:55) cette seconde association aussi malheureuse que la première. En 1455 , il en forma une troisième dans cette même ville avec le docteur Conrad Humery , de famille noble , membre du syndicat de Mayence (1). Deux imprimeries rivales étaient donc alors, dès 1456, établies dans cette ville ; mais celle de Fust avait déjà reçu un nouvel élément de succès. Pierre Schoiffer de Gerns- heyn 2), vulgairement appelé Schæffer, esprit pénétrant et ingénieux, calligraphe des plus habiles, que quelques his- toriens disent graveur dans l'imprimerie des deux associés, Gutenberg et Fust, puis associé lui-même de ce dernier dont il épousa la fille Fusthine, imagina de mélanger en semble les métaux qui pouvaient concourir à la fonte, de donner aux caractères un degré suflisant de force, en même temps qu'une dimension et une forme plus régulières et mieux proportionnées ; il trouva la taille des poinçons, il fit de nouvelles matrices abécédaires, rendit l'encre plus propice à l'impression, et apporta enfin d’autres perfec- ——_—_—_—_—— (1) C’est probablement durant cette association que parut en 1460, à Mayence, la première édition du Catholicon (V. Capelle, manuel de la typographie francaise, 1826, in-4°.) (2) Il est désigné sous le nom d’Opilio (Berger) par Trithème dans les annales du monastère d’Hirlange ; suivant quelques biographes, Schæffer naquit à Augsbourg, et mourut à Mayence, en 1491; sui- vant Fischer, (Essais sur les monuments typographiques de J. Gu- tenberg, Mayence an X , in-4°) , il reçut le jour à Gernshein, petite ville de l'électorat de Mayence où on lui a érigé une statue. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 239 tionnements qui créèrent véritablement l’art typographi- que. L'invention de Gutenberg constituait seulement lim primerie. Alors, dans cet atelier de Fustet de Schæffer, enveloppés de ce même mystère qui avait entouré les es- sais de Gutenberg, s’élaborèrent ces immenses travaux : les magnifiques Psautiers de 1457 et de 1459, et ce chef- d'œuvre de l’art qui, après 400 ans d'existence, excite en- core l'admiration des bibliophiles, la Bible de 1462, con- nue en bibliographie sous le nom de Bible de Fust et de Schæffer. Tandis que l’orfèvre Fust, que les circonstances avaient rendu imprimeur, encouragé par les immenses bénéfices qu'il prélevait sur l'ignorante crédulité du peuple, en ven- dant comme manuscrit ce qui était imprimé, continuait ses opérations de librairie, Gutenberg se trouvait complè- tement éclipsé dans ses productions typographiques (1). Il surgissait dans le même temps un compétiteur nouveau. Ce compétiteur, Laurent Janssoen, surnommé Custos ou Coster, d'après son emploi de sacristain dans l’église de Harlem, travaillait opiniètrement dans cette ville à la re- cherche de l'imprimerie. Ses essais cependant n'offrent pas l'authenticité de ceux de ses concurrents, et malgré l'opinion de Boxhornius, de Scaliger, de Lambeth, de Scriverius, de Maittaire et surtout, de Meerman. ses zélés partisans, qui le déclarèrent inventeur de l'imprimerie, malgré les honneurs princiers qui lui ont été rendus comme tel par les Hollan- (*) Henne (Jean) Gutenberg naquit à Mayence, vers 1100, et mou- rut en 1467 ou dans les premiers mois de 1468. 11 fut enterré dans sa ville natale, où depuis peu d'années seulement (1839), on lui a érigé une statue en bronze d’après le modèle de Thorwaldsen, Une seconde statue, également en bronze, a été élevée en son honneur à Strasbourg ( en 1840), sur les dessins de David d'Angers. 240 ACADÉMIE DE ROUEN. dais, les titres de Laurent Coster, reconnu toutefois comme l'un des premiers imprimeurs xilographes, ne paraissent pas suffisans pour détruire les justes prétentions de Ma- yence et de Strasbourg à la découverte de l'imprimerie. On attribue à l'imprimeur de Harlem la publication de Donats (1), de petits livres à images accompagnées de quel- ques lignes de texte grossièrement gravées au bas de chaque feuillet, du speculum salutis, et de plusieurs autres produc- tions de peu d’étendue, toutes précurseurs de la typogra- phie. Maisces publications, dont quelques-unes, selon ses adeptes, remontent à l'an 1430, restent aux yeux de plu- sieurs bibliographes un point hypothétique et conjectural. Ce qui ne paraît pas contestable, c’est que ces impressions naissantes sont toutes xilographiques, c’est-à-dire tirées sur planches de bois gravées en taille d’épargnes, ou en re- lief, comme le Saint-Christophe de 1423. Ce procédé ren- dait l'impression beaucoup plus simple et plus facile que celui nécessité par la gravure en creux, sur métal. Au reste, nous devons le dire encore, il est excessive— ment difficile de déterminer le point de départ des impres- sions avec caractères mobiles de bois, ainsi qu'avec des caractères mobiles de métal. Il est également très embar- rassant de fixer d’une manière précise la date de certaines éditions. Parmilesdates assignées aux éditions princeps, il y en a de douteuses, de fausses, d'absolument imaginaires (2). (1) Le Donat est une sorte de Grammaire très abrégée, extraite de celle composée dans le iv° siècle par Ælius Donatus , usitée dans les écoles du moyen-âge. (2) Beaucoup de livres portent des dates antérieures à 1457, et même à 1454, mais on a fait justice de ces dates; elles sont recon- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 241 Les premiers monuments typographiques, tirés la plu- part au nombre de 275 à 300 exemplaires, dont quelques- uns sur vélin, ne portent point de dates, non plus que d’in- dication de noms d'imprimeur ; Fust et Schæffer sont les premiers qui fournissent ces indications. Quant à Gutenberg, en vrai gentilhomme, il gardait l'anonyme dans ses entre- prises commerciales, et n’a jamais placé son nom sur aucun des livres sortis de ses presses, reportant, comme il le dit lui-même dansles souscriptions qui terminent ses publica- tions, toute la gloire de l'invention à la ville de Mayence, et tout son mérite à Dieu. L'absence de ces deux circonstances dans l'imprimerie (la date et le nom) a dû occasionner plus d’un jugement erroné sur l’époque précise de la mise au jour de ces livres primitifs. nues depuis longtemps ou pour fausses, ou pour être celles de la composition, de la traduction ou de Ia transcription de ces ouvra- ges. Personne ne croit plus qu'on ait imprimé en 1443, à Leyde, l'Histoire des deux amants, Eurial et Lucrèce, composée par Enias Sylvius ; en 1446, à Cologne, Les sermons de Léonard d'Udine; en 1452 et 1453, les actes des conciles de Wurtzbourg, dates qui ne sont autres que celles de la tenue de ces conciles. La date de 1459, pour Oxford, n’est pas plus exacte; c’est à peinesi on reconnaît l'existence de ce Corseil ou Corsellis, à qui on attribue l'établissement de l’im- primerie dans cette ville universitaire. Le premier livre qui soit connu par la souscription d’une date précise, des noms des artistes et du lieu, est l’inimitable Psautier de 1457 (Psalmorum codex), volume grand in-f°, imprimé en lettres rouges et noires, faites sur le modèle des manuscrits liturgiques du xv° siècle, et dont la grosseur peut être comparée à celle du caractère connu en typographie sous le nom de Gros-canon. Composé de 175 feuillets,à longues lignes, chaque page contenant 20 lignes [excepté la première pagé qui en a 19 et le verso du 137° feuillet où l'on en compte 21), et au moius 640 types ou lettres, ce Psautier est décoré de 288 capitales délicatement gravées en bois, et tirées d’une manière surprenante, par rentrées à deux couleurs : en rouge lorsque les ornements sont en bleu, eten bleu lorsque les or- uements sont en rouge, 16 242 ACADÉMIE DE ROUEN. A ce moment, 1462, malgré le serment qu’avaient fait prononcer Fust et Schæffer à tous leurs ouvriers, leur ate- lier venant d’être presqu'entièrement détruit pendant le siége de Mayence par Adolphe de Nassau, le secret mer- veilleux qu'ils avaient promis de tenir caché était divul- gué. De tous côtés, des tentatives ont lieu par des artistes Allemands, artistes voyageurs, avides à leur tour de cher- cher la fortune, sans tenir compte des déceptions qu’on rencontre souvent pour l'acquérir; quelques-uns échouent et succombent, d'autres persévèrent et réussissent, et, en bien peu d'années, une foule d'imprimeries s'élèvent partout. Albert Pfister, graveur sur bois, ami de Gutenberg, et qui imprimait déjà à Bamberg en 1459, publie, en 1462, les quatre histoires de l'Ancien Testament, livre des plus cu- rieux sur lequel M. Camus, de l'Institut, a fait paraître une intéressante dissertation (1), — Ulrich Zell s'établit à Cologne en 1462, —Jean Mentel ou Mentelin imprime à Strasbourg, en 1466, le de arte predicandi, ouvrage extrait des œuvres de Saint-Augustin, une Bible sans date. et d’autres ouvrages moins importants(2).—ÆEn 1470, Ülrig Gering, Martin Crantz et Michel Friburger, appelés de Mayence à Paris par Jean Dela Pierre, prieur de la maison de Sorbonne, et par Guil- laume Fichet, son ami, docteur en la même communauté, car le clergé auquel avait été dû , au milieu du chaos géné- ral du moyen-âge, la préservation de la science, ne pou- vait rester étranger à ce grand mouvement intellectuel, introduisent en France l'art merveilleux que Fust y avait déjà révélé par la vente frauduleuse de sa Bible. En Italie, (1462—1%65 }, Nicolas Jenson, Conrad Swey- nheym et Arnold Pannartz, — en Angleterre, (1474), op Ne 2 D Foret met Es RE VE OO ER LE C4 SES (1) Notice d'un livre imprimé à Bamberg , en 1462. Paris, Beau- doin an vi, in-4°, fig. (2) Les essais de Gutenberg à Strasbourg, de 1436 à 1445, ne portent ni date ni nom de lieu; ils ne constituent aucune pièce à citer 101. — sé es déié e CLASSE DES BELLES-LETTRES. 243 William Caxton, — en Espagne , (1475), Mathieu Flan- der, (1) — en Suède , (1483) Jean Snell, — en Dane- mark, (1493), Godefroy de Ghemen (2) fondent des éta- blissements typographiques. De tous côtés, enfin, la nou- velle conquête étend sa puissance , et ses progrès ne peu- vent bientôt plus être mesurés ; de remarquables perfection- nements dans l’art se font sentir d’une manière incessante. Le compositeur se familiarise avee la connaissance de la casse , formée alors non-seulement de lettres abécédaires , mais aussi d’une foule d’abréviations, de ligatures, de syl- labes et de mots les plus usités; limposition, le registre , la signature, la réclame, la pagination, les accents , inconnus dans l'enfance de l’art, sont adoptés graduellement ainsi que la diversité des formats et des caractères romains, ita- liques, grecs et hébreux. Richard Pynson, de Normandie, importe le premier en Angleterre le caractère romain, dont Nicolas Jenson avait préparé à Venise, vers 1465, la gravure des poinçons, (3) de même que William Caxton (1) Recherches historiques et critiques sur l'établissement de l'art typographique en Espagne et en Portugal , par Née de la Ro- chelle. Paris, 1830, in-8°, p. 18. (2) Histoire de l'origine et des premiers progrès de l'Imprimerie, par Prosper Marchand. La Haye , 1740, in-40. (3) Nicolas Jenson à qui l'imprimerie est redevable des caractères dont elle se sert aujourd’hui, était graveur des monnaies à Tours. Ayant été envoyé à Mayence par ordre du roi Charles VII, (vers 1458) pour apprendre le nouvel art par lequel on faisoit les livres, il s'acquitta de cette mission en homme intelligent ; mais après avoir été instruit dans l'art d'imprimer à l’école de Fust et de Schæffer, Jenson, au lieu de revenir en France, porta son talent à Venise. C’est là qu'il détermina les proportions du caractère romain. Il en fut de même du rouennais Pierre Maufer qui avait été envoyé en Allemagne par la famille Lallemant, pour s'initier aux secrets de l'imprimerie ; au lieu de retourner dans sa patrie pour y fonder un établissement , il se dirigea vers l'Italie où il exerça son art avec distinction, à Padoue, à Véronne, à Venise et à Modène. 24% ACADEMIE DE ROUEN. y avait introduit la ponctuation, telle qu'elle était usttée en Italie. Le trait ou ligne perpendiculaire était alors la seule ponctuation usitée. On s’aperçut cependant qu'en mul- tipliant et variant certains signes pour couper une phrase, on en rendrait le sens plus clair et la lecture plus facile- L'élégante virgule ne tarda pas à remplacer le trait uni- forme ; quant aux deux points, au point et virgule, ils ne furent employés que vers le milieu du XVI: siècle. On re- marque même qu'en Angleterre, Shakspeare n’a jamais employé le point et virgule, et que de son temps ce signe n'était pas encore usité. (1) A Venise, où il avait été précédé par les Jenson et les De Spire, le chef de la docte famille des Manuce , Aldus-Pius Manutius, en 1476, apporta dans l’art de l'imprimerie une correction , une beauté et en même temps une perfection inconnues jusqu'alors. On vit les plus grands personnages, les hommes les plus célèbres, entre autres, Erasme, l'ora- cle du goût, de la critique et de la science de son siècle, solliciter leur admission dans l'atelier de Manuce ; et Lu- crèce Borgia, cette femme que ses vices odieux semble- raient pourtant avoir dù éloigner de tout ce qui se ratta-— chait à la puissance de la pensée , enthousiaste de cette merveille nouvelle, offrir à l'artiste vénitien l'appui de ses immenses richesses. Dès l'origine, la profession d'imprimeur s'était classée à la tête de la société : Léon X avait accordé à Alde Ma- nuce un privilége de quinze années pour le garantir des contrefaçons des ouvrages dont il était ou se rendrait édi- teur, comme aussi de la contrefaçon ou de l'imitation du caractère italique qu'il avait inventé ou employé le pre (t)Isracli, 4menréies of literature —w * CLASSE DES BELLES-LETTRES. 245 nier dans le Virgile et dans l'Horace de 1501. Pie IV por- tait une tendre affection à Paul Manuce, fils d'Alde Manuce ; il l'appela à Rome en 1561, pour ériger une imprimerie où il désirait voir publier sous ses yeux tant les livres sacrés que les ouvrages des Pères de l'Eglise ; il se chargeait de toutes les dépenses d’établissement et assignait un traite- ment de 500 ducats d’or au savant administrateur qui comptait parmi ses meilleurs amis les cardinaux Moroni, Mula et Trani (1). Sixte-Quint, en 1585, fondait au Vatican même une bibliothèque et une imprimerie qui n’ont pas peu contribué à éterniser son règne. Louis XII, par décla- ration du 9 avril 1513, exempte le corps des libraires d’une contribution de 30,000 livres qui lui était demandée. Cette exemption est accordée en considération du « grand bien qui est advenu dans le royaume au moyen de lart et science de l'imprimerie. » François EF, enfin, qui restait debout pendant que Robert Etienne était occupé à corriger une épreuve, honorant tout à la fois l'homme et la profes- sion, protégea d’une manière particulière cette famille des Etienne dont les chefs-d'œuvre typographiques rivahsèreni avec ceux des Aldes , et dont les immenses travaux philo- logiques et littéraires dépassèrent de beaucoup ceux de lil- lustre famille vénitienne (2). (1) Renouard, Annales de l'Imprimerie des Aldes. Paris, Jules Renouard, 1834, in-8°. Crapelet, Des Progrès de l'Imprimerie en France et en Italie a XVI siècle. Paris, 1836, in-8°. (2) Parmi les plus célèbres imprimeurs du’x vif siècle, il faut citer encore : Froben, à Bâle; Plantin, à Anvers, à qui le roi d'Espagne Philippe 11 décerna le titre d'archki-imprimeur ; Wynkin de Worde, Thomas Berthelet, Richard Grafton, John Day, à Londres; et à Paris: Verard, Rembolt, Badius (Josse et Conrad), Michel Vascosan , Morel (Guillaume et Frédéric), Chevalon , Simon de Colines, qui intro: 2h46 ACADÉMIE DE ROUEN. Cependant , au milieu de cette marche triomphale de l'art, quelques sombres revers attestent l'inquiétude que donnait aux puissants cette nouvelle puissance. Le mystère dont les premiers imprimeurs, comme nous l'avons déjà dit, entourèrent leurs productions, ne contribua pas peu, d’ail- leurs, à laisser planer sur eux quelque soupçon de magie, soupçon qu'accréditèrent une foule de copistes et de calli- graphes mécontents, privés qu'ils étaient de leur industrie par ce moyen reproducteur. Cherchant à envelopper leurs travaux de la plus complète obscurité , ces premiers impri- meurs démontaient eux-mêmes leurs presses, leurs formes, aussitôt que l'opération était terminée, et dispersaient leurs caractères. Ils appelaient leur art, « l'art magique d'écrire sans main et sans plume. » Tantôt nous les voyons avertir le lecteur, dans un avis placé à la tête du livre imprimé, que le volume qu'il tient dans ses mains est l'œuvre de quelque agent surnaturel ; tantôt ils affirment que ce même vo- lume n’est ni peint, ni écrit (1). I n’est donc pas difficile duisit en France les‘caractères cursifs ou ilaliques , perfectionnés par les soins du célèbre Garamond (connu par l'élégance et la grâce qu’il sut donner à la gravure des typesgrecs et romains), et Charlotte Guillard ( 1538—1555), instruite dans l’art typographique par Rem bolt, son premier mari, puis par Chevalon, qui la laissa veuve une seconde fois. La noble maison des Elseviers eut son règne à Amster- dam et à Leyde, de 1580 à 1712. (1) Dans le Recuyell of the history of Troye, limprimeur Caxton emploie le style hyperbolique de Pesprit mystérieux et mercantile de ses confrères contemporains. « J'ai pratiqué et appris à grands frais, dit-il, (nous traduisons littéralement) à mettre en ordre cet ouvrage imprimé d’après la manière et forme que vous pouvez voir ici; il n’est pas écrit avec la plume et l'encre, comme tous les au- tres livres, et cela dans le but que chacun puisse le posséder chez lui à la fois, car tous les chapitres qui composent cette histoire intitulée : Recueil des Histoires de Troie, imprimés tels que vous CLASSE DES BELLES-LETTRES. 247 de croire que les premiers imprimeurs aient passé pour pratiquer leur art à l'aide de moyens cabalistiques; ce que l'on croirait plus difficilement, mais ce qui, cependant, est aussi probable que douloureux à penser , c'est que plu- sieurs furent pendus après avoir été accusés et convaincus du crime de sorcellerie. Telles sont les principales vicissitudes auxquelles fut soumis l’art de l'imprimerie. Quant à mesurer les résul- tats que l'esprit humain a tirés de cetté découverte; quant à apprécier les avantages dont elle a doté la civilisation, vous tous, Messieurs, êtes bien plus à même que nous de traiter cette grave question. Un bibliographe distingué , M. Daunou, que les études historiques ont perdu, il y a quelques années , assure que nous sommes trop près en- core des premiers jours de l'imprimerie pour juger de son influence, comme nous sommes déjà trop loin de ses commencements pour en connaître avec certitude les cir- constances. (1) Il serait donc sage , d’après l'opinion de ce savant, de rechercher maintenant ce qui peut rester de clarté sur la question d’origine, et d’attendre que de nou- velles années nous apportent de nouvelles lumières sur la les voyez ici, furent commencés et terminés en un seul jour.» J. Ames and'T. F. Dibdin, Typographical antiquities of Great Britain; London 1810, in-4, t. 1, P. 20. Le miracle annoncé par Caxton a été en quelque sorte accompli de nos jours, et ce n’est pas sans sourire qu’on s’imagine l’étonne- ment qu'aurait le vieil imprimeur anglais sil pouvait revenir parmi nous, émerveillé qu'il serait à la vue de cette majestucuse et puissante machine cylindrique, mue par la vapeur, qui porte par tout un empire, avec une rapidité sans exemple, les paroles de l'orateur dont la voix est encore vibrante à nos orcilles. (1) Analyse des opinions diverses sur l'origine de l'imprimerie. Paris, an XI, in-8, p. 1. 218 ACADÉMIE DE ROUEN. valeur réelle des changements que «cette seconde déli- vrance de l'homme , » comme l'appelait Martin Luther, a produit sur le monde entier. Tout en professant le plus profond respect pour les opi- nions bibliographiques de M. Daunou, il nous semble pourtant que ce serait attendre beaucoup pour juger si le fruit de ce nouvel arbre de la science du bien et du mal, mis à notre disposition, a été trop tôt arraché par notre avide convoitise; et quoique regrettant autant que personne les dangereux et inévitables résultats de cette possibilité, donnée à chacun ; de puiser, sans discernement , à cette source nouvelle, nous voulons qu'il nous soit, dès à présent, permis de manifester notre enthousiasme pour la grandeur de’ cet art, au moyen duquel les trésors de l'esprit humain se répandent sur le globe tout entier avec une immense profusion, et qui, ayant subi lui-même les heureuses con séquences du perfectionnement général dont il a été l'un des plus puissants moteurs, offre tout à la fois de nos jours une rapidité de procédés qui tient du prodige, et une ma- gnificence d'exécution qu'il nous semble impossible de jamais dépasser. DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE A ROUEN, Depuis la fin du Moyen-Age jusqu'à l'établissement défi- nitif du Collège des Jésuites; PAR M. CHÉRUEL, Professeur d'Histoire au Lycée de Rouen. Lu à l'Académie de Rouen , à la Séance du 13 décembre 1549. La Renaissance a laissé à Rouen des traces profondes. Plusieurs monuments de notre ville portent le caractère gracieux et un peu maniéré de ses créations. Est-il néces- saire de rappeler l'hôtel du Bourgtheroulde , les tombeaux des cardinaux d'Amboise, le bureau des Finances , la Chambre des Comptes, le monument de la Fierte, et plu- sieurs/maisons dont on admire encore les bas-reliefs? La littérature normande ne pouvait rester étrangère à ce mou- vement intellectuel. Le parlement de Normandie venait d'être institué par Louis XIE, et il comptait dans son sein 17 250 ACADÉMIE DE ROUEN. plus d'un magistrat célèbre par son érudition (1). Tout le monde connaît Jean de Selve , qui fut quelque temps la gloire du parlement de Normandie. Non moins illustre comme jurisconsulte que comme diplomate , Selve était si vénéré, même à la cour frivole de François I, que le roi allait à sa rencontre , dès qu'on l'annonçait, et témoignait par cette marque d'honneur inusitée son admiration pour le génie du magistrat. Le Chandelier, de Bures , Jac- ques le Lieur, poètes aujourd'hui oubliés, alors célèbres comme lauréats et princes des Palinods de Rouen , entre- tenaient le goût des lettres. L'avocat général , Emeric Bi- got, et le président de la Cour des Aïdes, Dubosc d'Emen- dreville , étaient renommés pour leur savoir. Le second a même laissé un ouvrage écrit en latin et plusieurs traités sur les sciences et la légistation (2). Hors du parlement, la Normandie comptait des savants illustres, tels qu'Adrien Turnèbe et Pierre Leroy ; le second fut un des premiers professeurs au collége des Trois-Langues (aujourd'hui col- lége de France), que François I venait d’instituer. Il était impossible que ce mouvement intellectuel ne relevât pas l'Instruction publique de l’état de décadence où elle était tombée vers la fin du Moyen-Age. Les Etats de Normandie comprirent la nécessité de cette Renaissance des études et s'adressèrent à Charles IX pour demander la fondation d’un collége à Rouen. Une ordon— nance , datée de Moulins (février 1566) et rédigée pro- bablement par l'Hôpital , fit droit à leur requête. En voici (1) Voyez dans la savante histoire du Parlement de Normandie par M. Floquet, t. 1, p. 334 et suiv., des extraits d’un poème latin de le Chandelier, conseiller au Parlement de Rouen. Il porte pour titre : Virorum omnium consularium , ab instituto Rothomagensi senatu hactenus ordine promotorum , lib. IV. (2) Floquet, hist. du Parlem. de Normandie ,1. II, p. 404. Eu CLASSE DES BELLES-LETTRES. 251 le début : « Nous avons reçu l'humble supplication de nos «tres chers et bien amés les gens des Estats de nostre « pays de Normandie par deputés d’iceulx, contenant, «entre autres choses, que l'un des grands biens qui pour- «roit advenir aux habitants du dict pays seroit d’establir « en nostre bonne ville de Rouen , qui est le lieu capital « d'icelui pays, un college pour instituer les jeunes en- « fants aux lettres et bonnes meurs(1). » En conséquence, le roi accordait aux échevins les bâtiments appelés l Hospi- tal du Roi (situés dans la rue de l'Hôpital) , à condition qu'on y établirait un collége «fourni d'hommes de sçavoir, « bonne vie et conversation, lesquels interrogés et ap- «prouvés en presence des Conseillers-Eschevins d'icelle « ville ou leurs delegués seroient institués par l’archeves- « que de Rouen ou ses vicaires (2). » Les chapelains de l'hôpital devaient obtenir, en compen- sation des bâtiments qu’on leur enlevait, l’ancien collége des Bons-Enfants. Mais l'échange leur parut désavanta- geux, et ils s'opposèrent à l'enregistrement de l'ordonnance comme subreptice et obreptice (3). Leur procureur repré- senta au Parlement de Normandie que l'hôpital du Roi avait été fondé, en 1277, par M° Guillaume de Saane, tré- sorier de la Cathédrale , avec cette clause qu’on n’en chan- gerait jamais la destination. La compensation offerte était d’ailleurs insuflisante. L'hôpital du Roi contenait vingt- cinq lits pour les « pauvres passants » ; les bâtiments va- laient plus de douze mille écus et rapportaient trois cents livres de rente. Le collége des Bons-Enfants était en ruines et ne valait pas plus de six ou sept livres de rente. D'ail- Es (1) Archiv. municip., reg. De {183 verso. (2) Ibidem, f° 184 resto. (3) Ibid, f°° 185-188. 252 ACADÉMIE DE ROUEN. leurs, ajoutaient les chapelains, ies Echevins pouvaient établir un collége dans l’ancienne école de saint Ouen, que les moines étaient disposés à céder. Elle renfermait quatre classes et pouvait contenir cinq cents écoliers. Enfin les chapelains de l'hôpital invoquaient l'autorité du Grand- Aumônier de France, sous la juridiction duquel ils étaient spécialement placés. En effet, le procureur du Grand- Aumônier appuya leur opposition. Emeric Bigot répondit au nom des conseillers de la ville, réfuta toutes les objections des chapelains de l'hôpital, et lança contre eux le trait suivant : « si l’on examine leurs « comptes, il ne s’y trouvera pas qu'il ait esté fait une « seule lessive pour les pauvres, mais seulement pour les « chapelains et leurs chambrieres (1).» Le Parlement se dé- clara pour la ville, et, le 7 mai 1566, enregistra la dona- tion faite par Charles IX, à condition que la ville procédé- rait à l'établissement immédiat d’un collége. Ainsi mis en demeure , les Echevins s'adressèrent à un des ordres mendiants , et s’entendirent avec les Cordeliers de Rouen pour l'ouverture du collége. Le conseil des Vingt-quatre accorda à ces moines, dans sa séance du 13 juin 1566 (2), une aumône de 50 liv. tournois , pourvu qu'ils reçussent toutes personnes à leurs leçons. Des motifs, que nous ne connaissons pas, empêchèrent l'exécution de ce projet. Ge fut alors que le cardinal de Bourbon, arche- vêque de Rouen, mit en avant les Jésuites, En 1569 , il appela à Rouen pour prêcher le carême le P. Antoine Pos- sevin, recteur du collége d'Avignon, que les historiens de cet ordre s'accordent à représenter comme un des Jé- (1) Arch. munic., Reg. À, f° 87 verso. 38 (2) lbid., registre des délibérat., à cette date. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 253 suites les plus habiles. Les sermons du P. Possevin ga- gnèrent beaucoup de Rouennais à la cause des Jésuites. Qu'on se rappelle d’ailleurs la situation de notre ville à cette époque. Après avoir été pendant quelques mois sous la domination d'une minorité protestante , elle s'était reje- tée avec violence dans le parti opposé ; de là des persécu- tions et même des massacres. Une démagogie passionnée agitait la population et était entretenue par quelques me- neurs. Ce parti accueillit favorablement les Jésuites, et le cardinal de Bourbon voulant les établir immédiatement à Rouen leur fit don , par un acte du 6 novembre 1569, de deux mille livres de rente à prendre sur sa terre et seigneu- rie de Graville (1). Mais aussitôt le Chapitre, les ordres mendiants, le Par- lement s’élevèrent contre les Jésuites, et, par des motifs différents, protestèrent contre leur établissement à Rouen. Le Chapitre s’obstinait à maintenir son ancien droit de sur- veillance sur les Ecoles , et le monopole de l'école capi- tulaire. Le Parlement de Normandie , fidèle aux traditions de l’église gallicane consacrées par une assemblée du clergé en 1561 (2), enjoignait aux Jésuites de changer de non et de soumettre à son examen les statuts de leur ordre et les bulles qui l'autorisaient (3). Enfin, le Conseil de Ville, sans opposer une résistance directe à l’établisse- ment des Jésuites à Rouen , refusait d'y concourir par un subside. Il répondait aux instances du cardinal de Bourbon qu'il y avait procès pendant devant le Parlement de Nor- mandie et que les ordres mendiants et tous les colléges de la ville étaient en lutte avec les Jésuites (4). Enfin, les Eche- (1) Archiv. municip., tir. 87, n° 2. (2) Mém. du clergé, t. 11, p. 3 et 128. (3) Archiv. municip., tir. 87, n° 1. (4) Ibid, reg. des délibér,, 25 mars 1573. 254 ACADÉMIE DE ROUEN. vins ajoutaient qu'après avoir consulté les anciens registres, ils avaient trouvé que « Messieurs du Chapitre estoientobli- « gés d'entretenir les grandes Ecoles de la ville et les mai- « sons à ce destinées (1). » Pendant plus de vingt ans tous les efforts du cardinal de Bourbon échouèrent contre ces résistances. Vainement il écrivait au chapitre : « Je desire qu’on regarde en ceci «mon honneur, afin de ne me donner occasion d'y em— «ployer le credit que j'ai envers le Roi, pour en venir à « bout, ainsi que j'y suis entierement resolu. » Vainement les conciles provinciaux pressaient le clergé de seconder le zèle du prélat: « Il est honteux pour nous, dit un Concile « de Normandie tenu en 1576 (2), il est honteux que les he- « retiques, pour obtenir des escoles, soutiennent la guerre, « et fassent les plus grands sacrifices afin de nourrir leurs «enfants dans l'impieté, tandis que les catholiques ne «montrent aucun zele ni public ni privé pour entretenir « des escoles de pieté, mais s'efforcent au contraire de les « destruire.» A ces instances, le cardinal de Bourbon ajouta de nouveaux sacrifices pécumiaires. Ne pouvant ob- tenir des Rouennais aucune dotation pour les Jésuites, il donna à cet ordre 4,000 1. de rente à prendre sur la Forêt Verte, par un acte du 30 juillet 1583 (3). La même année, il acheta de Jean de Quievremont, S. de Bosctillant, l'Hôtel du Grand Maulévrier, qui lui coûta *#,000 écus, et il le donna, le 31 juillet 1583, à la compagnie de Jésus. L'emplacement qu'occupait cet hôtel correspond à la grande cour des classes du Lycée, aux bâtiments qui l'en- (1; Archiv. municip., ibid., 15 juin 1575. 2) D. Bessin, Coucil. Norm., p. 395-396. (3) Arch. municipales, tir. 7, n° 3. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 255 tourent, et à la principale cour de récréation jusqu'à la rue des Minimes (1). Malgré ces donations multipliées, le cardinal de Bourbon ne vit pas s'établir à Rouen le collége des Jésuites. Les troubles de la Ligue, auxquelles le Cardinal prêta son nom, la guerre civile fomentée par son parti, la proclamation de ce prélat comme roi de France, sous le nom de Charles X, les deux attaques dirigées par Henri IV contre Rouen, tout contribua à retarder l'ouverture du collége. Enfin, en 1592, au mois de septembre, lorsque Rouen eut vû pour la seconde fois Henri IV s'éloigner de ses murs, le parle- ment de la Ligue couvoqua à l'Hôtel de Ville les représen- tans du Clergé, de la Noblesse et du Tiers-Etat. Dans cette séance solennelle, tenue le 17 septembre 1592 ‘2), il fut arrêté que, « suivant la volonté du feu Roi Charles dixieme, « archevesque de Rouen et abbé de Saint-Ouen, les peres « Jesuites seront priés de s’acheminer en cette ville pour «instruire la jeunesse, et, pour les entretenir, seront pris les «4,000 liv. de rente, assignés par ledit seigneur sur la «ventedes bois de la Verte Forest, ensemble six deniers « pour mines de sel, attribués à l'Université de Caen, et «autres droits levés sur le sel tant supprimés que destinés « pour le paiement des officiers absents non payés, sans «préjudicier toutefois à l'institution du college des Bons- « Enfans, et autres colleges de ladite ville. » Le Parlement approuva cette délibération le 3 octobre 1592 (3), et adressa (1) Ces détails sont tirés d’un registre mscr. des Archives dépar- tement, qui porte pour titre: Znventaire général des titres du col- lége de la compagnie de Jésus, etc., f 29. 11 a été rédigé par un J.suite au commencement du XVII* siècle. (2) Archiv. municipales, regist. des délibérations, à la date du 17 septembre 1592. (3) Ibid., à ladate du 3octobre 1592 256 ACADÉMIE DE ROUEN. une lettre aux Jésuites pour les inviter à se rendre à Rouen (1). La réponse du P. Du Puy, provincial de l'ordre, fait connaîtreles dernières conditions imposées à la ville par les Jésuites (2). Ils demandaient qu'on leur garantit, outre les 4,000 liv. de rente léguées par le cardinal de Bourbon, 2,000 liv de rente sur les gabelles et vingt-cinq aunes de drap noir. Tout fut accordé (3), et les Jésuites vinrents’établir à Rouen à la fin de l’année 1592. Le premier supérieur de leur collége dans cette ville fut le P. Innocent Piquet, qui prit le titre de vice-Recteur (4). Cependant l’hôtel de Maulévrier, où se logèrent les Jé- suites, n’était pas disposé pour tenir un collége. Les mem- bres du’ Parlement se cotisèrent pour subvenir aux pre- miers frais. Les conseillers payèrent 30 liv., et les prési- dents 60 liv. La ville écrasée de dettes après les guerres de la Ligue, ne pouvait supporter de nouvelles charges, et, dès l’année 1594, le procureur de la ville protesta qu'elle n'était obligée envers les Jésuites que pour an an. On dressa la liste des enfants qui suivaient leurs leçons, et on en envoya deux dans chaque quartier pour quêter de mai- son en maison {5). Ces mesures avaient à peine assuré l’é- tablissement des Jésuites à Rouen, lorsque l’attentat de Jean Châtel contre Henri IV les fit bannir de France (159%). Le roi céda alors à la ville de Rouen l'hôtel du Grand Maulévrier, à la condition qu’elle y entretiendrait un collége (6); mais on ne put l'organiser avant le retour des (1) Archiv. municip., tir. 87,n°3. (2) Ibidem. (3) Ibid., tir. 8, n°1. (4) Regist. des Archiv. départem. cité plushaut, f° 4. (5) Archiv. municip., reg. des délibérat., 21 janv. 1594. 6) Archiv. municip., tir. 87. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 257 Jésuites, qui rentrèrent à Rouen en 1603. Ils obtinrent im médiatement l'autorisation de rouvrir leurs écoles, et, dès le 16 juin 160%, un traité entre la ville et le P. Ignace Ar- mand, provincial des Jésuites, garantit à ces religieux une rente annuelle de 6,000 1., à condition qu'ils fourniraient au collége de Rouen neuf régents « doctes et capables » (1), six de grammaire, deux de philosophie, et un de théolo- gie. Le Parlement approuva cette transaction le 18 juin de la même année. Etablis définitivement à Rouen, les Jésuites augmentè- rent rapidement leurs revenus et leurs domaines. Ils avaient. déjà dix mille livres de rentes garanties, par la ville et par les donations du cardinal de Bourbon ; il faut y ajouter les présents de blé que les Échevins avaient accordés aux Jé- suites à titre d’aumône, mais que ceux-ci revendiquaient comme un droit. Je lis, en effet, dans un de leurs manus- crits conservé aux archives du département (2): « nous «n'avons aucune des ordonnances qui nous adjugent du « bled tous les ans, parce que les fermiers ou regisseurs «des moulins les retiennent quittancées du pere procu- «reur pour s’en faire tenir compte par le receveur de la « ville. Mais elles sont toutes sur les registres des delibe- «rations de la ville où l'on pourra les trouver en cas de «besoin. Peut-estre n'est-il pas à propos de leur faire « cognoistre que nous pretendons ce bled comme une « chose qui nous soit deue, tandis qu'ils voudront bien «nous le donner, crainte de leur faire venir la pensée de « nous le retrancher tout-à-fait. Mais, s'ils entreprenoient « de le faire, on pourroit tenter la voye de la justice rigou- « reuse sur tout ou sur une partie des titres dont on va « voir les extraits dans ce chapitre. » (ty Archiv. départem. registre cité, © 5. (2) F° 21 du même registre. 258 ACADÉMIE DE ROUEN. En 160%, les Jésuites ajoutèrent à l'hôtel du Grand Maulévrier l'hôtel d'O, qui correspond à la cour des cuisines du Lycée actuel , à la sacristie , à la salle d'administration, au logement de l'Econome et à une partie du chœur de la Chapelle (1). En 1605, ils reçurent de Louis XII une somme de 6000 liv. à prendre sur les amendes dans les diverses juridictions de Normandie. Grâce à ces royales libéralités et aux dons particuliers qui se multipliaient, les Jésuites achetèrent , de 160% à 162%, toutes les maisons qui s'étendent de la rue des Minimes à la rue du Grand- Maulévrier , et commencèrent en 1617 la construction de la chapelle du collége qui ne devait être terminée qu’en 170%. Ce fut la Reine mère , Marie de Médicis, qui posa la première pierre de ce monument. Louis XIII donna aux Jésuites les matériaux provenant de la démolition du Chà- teau-Gaillard pour les employer à la construction de leur Eglise. Enfin , de 162% à 1650, ils achetèrent la plupart des propriétés qui s’étendaient au nord jusqu'à la rue des Levrettes (aujourd'hui rue du Petit-Maulévrier), et ils possédèrent dans Rouen un terrain plus vaste que celui qu'occupe notre Lycée. Hors de Rouen, ils se donnèrent , en 1621 , une maison de récréation | j emploie l'expression du registre des Jésuites (2) ); c’est la belle propriété du Montfortin, qu'ils avaient achetée de M. Le Brun, conseiller au Parlement. Le cardinal de Joyeuse leur avait bâti, dès 1615, le séminaire qui a porté son nom, avec une dotation de 96.000 liv. Elisabeth du Moucel, veuve du baron de Crepon, avait fondé le noviciat des Jésuites (aujourd'hui Bicêtre ). L'abbé de la Victoire leur céda le prieuré de Bacqueville (3). Ils achetèrent successivement les prieurés LE tt RP EN RENE de 21e ARR RETRO Re APRES — (1, Arch. départ., ibidem, f° 29. (2) Ibid., f° 6. (3) Ibidem. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 259 de Saint-Gilles (1610), des Deux Amants (1617), de Gram- mont (1635), de Gany (1693) et de Saint-Ouen de Gisors (1713). Leur revenu dépassa, en peu d'années, 60 liv. de rentes de monnaie du temps ( plus de 120,000 francs de nos jours ). Il faut ajouter à ces richesses l'influence que leur don- naient leur habileté comme instituteurs de la jeunesse et la supériorité de leurs prédicateurs. Nulle part, les Jésuites ne furent accueillis avec plus de faveur qu'à Rouen, et M. Floquet a pu dire sans exagération qu'ils régnaient dans cette ville vers 1610 (1). Le témoignage de l'Etoile ne laisse aucun doute sur ce point. On lui écrivait de Rouen (2) : « Nos Fibulaires (nom tiré de lagraffe « qui rattachait sur l'épaule le manteau des Jésuites ) nos « Fibulaires s'establissent fort en cette province | de Nor- « mandie). Ils entreprennent fort sur les autres ordres, «et par leurs artifices crochetent plusieurs bons benefices ; « pour quoy le plomb de Rome ne leur manque non plus « que la cire de France. Ils ont tant de partisans dans le « Parlement { de Rouen qu'ils sont juges et solliciteurs, et « on passe par dessusles appellations d'abus les plus justes. « Un conseiller (de ce Parlement) estant allé solliciter, ces « jours-ci , un de ses confreres, en faveur de ces Peres , «et luy remontrant combien ils sont utiles , et, au con- «traire , deprimant certains moines qu'il disoit n'estre que « des ventres et des ignorants : « Je vois bien ce que c’est, «a repondu l’autre, vous voulez deferrer ces pauvres «asnes pour ferrer ces genets d'Espagne. » Les assertions de l'Etoile sont amplement justifiées par la conduite du Parlement de Rouen. En 1612, il prohibait (1) Floquet, Hist. du Parlement de Normandie, t. AV, p. 412. (2) L'Etoile, journal de Henri 1, édit. Petitot, t. XLVIHI de la première série , p. 369 et 370. 260 ACADÉMIE DE ROUEN. la vente des plaidoyers prononcés à Paris contre les Jé- suites (1). En 161%, il s'opposait à la publication de l'arrêt du Parlement de-Paris contre les propositions régicides du Jésuite Suarez (2). D'un autre côté , le cardinal de Joyeuse, archevêque de Rouen, était dévoué aux Jésuites, et il voulut reposer après sa mort au milieu de ceux qu'il avait richement dotés. Les Jésuites, encouragés par ces puis- santes protections , s’efforcèrent de détruire toute concur - rence. Le collége des Bons-Enfants existait toujours. L’ar- chevêque voulut s’en emparer et le donner aux religieuses Ursulines qu'il appelait dans Rouen. Mais les Echevins s'y opposèrent. Leur délibération, en date du 23 avril 1615 (3), -me semble digne d’être transcrite. « En l'assemblée des vingt-quatre du Conseil, sur l'a- « vertissement que nous avons eu que l’on veut establir au « college des Bons-Enfants un ordre de femmes que lon « dit Ursulines. et s’il est à propos de s’y opposer , attendu « que la place est destinée pour l'instruction de la jeunesse « et qu’elle est proche des remparts de cette ville , a esté « conclu, attendu que M. le Coadjuteur [ François de Har- « lay coadjuteur du Cardinal de Joyeuse], ni autre personne «na pouvoir de son propre mouvement et autorité ad- « mettre ni introduire en cette ville aucun ordre ni esta- «blissement de religion, nouvelle compagnie et societé, « sous quelque pretexte que ce soit, et que la place en la « quelle les dites Ursulines pretendent s’establir appartient « à la ville , que defenses seront faites en clameur de haro, « en la presence du sieur maistre des ouvrages, d'y faire « aucune demolition, construction et reparation, et que (1) Floquet, ibid., t. IV, p. 412. (2) Ibidem. 3) Archiv. municip., regist. des délibérat., 23 avril 1615. a « CLASSE DES BELLES-LETTRES. 261 «requeste sera presentée à la Cour pour empescher le dit «establissement et tous autres , et, en cas qu'il y ait au- « cunes des dites Ursulines ou stipulants pour elles qui «aient pris possession de la dite place et college des Bons- « Enfants, seront prises les clés de la dite maison et mises «en seure garde, description et inventaire au prealable « fait des meubles trouvés au dit lieu , appelés les voisins, «et, au cas où icelles Ursulines ou leurs agents seroient «au dit lieu, sommation leur sera faite d'en sortir. » En même temps, le Conseil de ville décida que, pour ôter à l'Archevêque toute idée de s'emparer du collége des Bons-Enfants , il fallait y mettre deux régents, l’un pour enseigner les premiers principes , l’autre les institutes (1). Mais cette délibération ne reçut pas d'exécution , proba- blement par le même motif qui avait paralysé tant de résolutions du Conseil de ville, relatives à l'instruction publique ; il était arrêté par la nécessité des subventions pécuniaires. L'année suivante, le 16 mai 1616, l'adminis- tration municipale , appelée à donner son opinion sur lin troduction des Pères de l'Oratoire , à Rouen, fut d'avis de les recevoir, «à condition qu'ils instruiroient gratuite- « ment les jeunes gens aux Bonnes-Lettres , jusqu'à les «rendre capables d'entrer en la quatrieme classe (2). » C'était opposer un établissement rival au collége des Jé- suites. On allait voir en présence, à Rouen, deux ordres, dont le caractère opposé me parait Justement et éloquemment marqué dans le passage suivant (3) : « L'un universel, sans (1) Arch. munic., délibér, du 19 mai 1615. (2) Ibid. , délibér. du 16 mai 1616. (3) V. Cousin , défense de l'Université et de la philosophie. 259 ACADÉMIE DE ROUEN. «autre patrie que l'Eglise , voué à sa défense et toujours «prêt à marcher où elle l'envoie , à Paris ou à Pékin, « dans les cours ou au désert , au confessionnal , dans la « chaire ou au supplice ; l’autre, exclusivement français , « soumis à l'Eglise de France, et créé dans la fin particu- « lière de former des maîtres pour l’enseignement des « séminaires et des collèges, que les évêques ou les villes « voudront bien lui confier ; congrégations presque con- «temporaines , bientôt rivales et ennemies ; celle-ci, née « pour la guerre, la soufflant partout pour y déployer les « qualités qui la distinguent , l'ardeur , la constance et la « ruse; celle-là venue après les grands orages du xvr° siècle « pour concourir au rétablissement de l'ordre , zélée, mais « modérée , et, sans être incapable de paraître avec avan- «tage et même avec éclat dans la chaire et dans le monde, « chérissant pardessus tout la retraite et l'étude. La pre- « mière condamnée par l'esprit même de son institution «à une discipline de fer, à une obéissance immédiate et « absolue, trop occupée du but pour être fort scrupuleuse « sur les moyens , ennemie née de l'esprit d'examen , in- € clinant par nature et par habitude à une foi aveugle , et «attachée aux plus étroites observances ; la seconde , au « contraire, amie des lumières et d’une liberté tempérée , « mêlant volontiers les leitres et la philosophie à une reli- « gion généreuse, libre compagnie d'hommes pieux, unis « par le seul lien de la charité, sans aucuns vœux parti- « culiers, et qui a été merveilleusement définie : une société «où on obéit sans dépendre , où on gouverne sans com- « mander (1). » La concurrence d'un pareil ordre inquiétait vivement les Jésuites, et, pour empêcher qu'il ouvrit un collége à (2) Bossuet , Oraison funèbre du Père Bourgoing. 263 CLASSE DES BELLES-LETTRES. Rouen , ils s'adressèrent au fondateur même de l'Oratoire, au cardinal de Berulle. Il céda à leurs instances, comme le prouve sa lettre à Richelieu, datée de 1623. « Il avoit « refusé, disait-il(1), la ville de Rouen , qui donnoiït un « college aux Peres de l'Oratoire , et ce, pour satisfaire «aux desirs des Jesuites. » Les Oratoriens ne vinrent que plus tard s'établir à Rouen, rue de l'Hôpital , et n’y tinrent pas d'écoles. Ce danger écarté, les Jésuites en revinrent au projet de détruire le collége des Bons-Enfants. L'archevèque François de Harlay . qui avait succédé au cardinal de Joyeuse , insista , en 1617, pour établir les Feuillants dans les bâtiments qui avaient servi au Collége des Bons-Enfants ; mais le Conseil de ville persista dans sa résistance, et choisit immédiatement pour principal du Collége , le sieur Forestier (2). L'Archevèque fut prié de donner son consentement à cette nomination. Sur son refus, le Conseil passa outre (3), et, le 19 mars 1618 , les échevins installèrent le nouveau principal. Mais, à la longue, la ville se lassa d’une lutte onéreuse et impuissante, et le collége des Bons-Enfants finit par passer aux Feuillants. Toutefois, les échevins en gardèrent rancune aux Jésuites, et ils le leur témoignèrent en refusant , en 1622, d'assister à une procession en l'honneur des PP. Ignace et Xavier-(4), qui venaient d'être canonisés. Les Jésuites avaient dû leur victoire, en grande partie, au Parlement , dont beaucoup de membres étaient leurs (1) Cité dans la Dénonciation au Parlement de Normandie contre les Jésuites, p. 86. (2) Arch. munic., regist. des délibér. , 23 décembre 1617. (3) Ibid., séance du 17 mars 1618. (4) Ibidem , 28 mai 1622. 264 ACADÉMIE DE ROUEN. partisans dévoués , et même leurs affiliés (1). Mais les intrigues des Jésuites finirenti par blesser ce corps. En 1625, deux Jésuites ayant été impliqués dans un procès criminel qu'instruisait le Parlement, l'ordre eut assez de crédit pour faire évoquer l'affaire à Paris (2); un des prin- cipaux Jésuites , le P. Brisacier, osa dire au premier Pré- sident , Faucon de Ris, « qu'il s’estoit pris à la plus forte « Compagnie du monde, et qu'il s’en repentiroit (3). » Dès-lors , le Parlement résolut de combattre l'esprit domi- nateur de cette société , qui, après s'être glissée avec hu- milité, et enrichie d’aumônes, se montrait maintenant fière et menaçante. Dès 1630 , il porta aux Jésuites un coup redoutable. Ils venaient de faire imprimer à Rouen, par Tanquerel , un livre intitulé : Tablettes chronologiques. Ce résumé d'histoire universelle ne portait pas de nom d’au- teur, mais Tanquerel déclara, plus tard , que le manuscrit lui avait été remis par le Père Bertrix, recteur des Jésuites de Rouen (4. Le Parlement poursuivit cet ouvrage qu renfermait une audacieuse apologie de la Ligue: L'avocat général Le Guerchois prononça un discours célèbre, qui fut multiplié par la presse et répandu dans toute la France. Les Jésuites , sans être nommés, étaient désignés à chaque page ; leurs doctrines et leur enseignement historique flétris comme mensongers et pernicieux (5). Le Parlement fit droit à la requête de l'avocatgénéral et condamna, en 1630, les Tablettes chronologiques. (1) Floquet , Hist. du Parlem. de Norm., t. IV, p. 425. (2) Ibidem , p. 420-422. (3) Idem , ibid., p. 422. (4) Idem, ibid. , p. 427. (5) Idem , ibid , p. 424-497. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 265 Malgré cet arrêt , les Jésuites persistèrent dans leur sys- tème d'empiétement. Une de leurs prétentions était de se soustraire à l'autorité de Ordinaire ; c'était ainsi qu'on désignait alors l'autorité épiscopale. Ils ne voulaient relever que de leur Général. Un recteur du collége de Rouen , le P. Cellot, insinua cette opinion dans un livre sur la Aïérar- chie ecclésiastique (1). L'archevèque François de Harlay condamna sa doctrine et menaça de chasser les Jésuites de son diocèse. Cependant les Pères réussirent à le cal- mer par leur apparente soumission , et, en 1639 , le gé- néral de l’ordre, Mutio Vitelleschi . adressa à François de Harlay , une longue lettre d’une latinité ambitieuse et d’une humilité équivoque (2). En voici la traduction : « Ilustrissime et révérendissime seigneur, je respire «enfin un air plus libre, je jouis d'une lumière plus «pure, depuis que votre illustrissime Seigneurie a jeté «un regard favorable sur ses serviteurs, et dissipé le « nuage de tristesse qui trop longtemps nous avait affligés, « parce que votre piété était irritée contre nous. Je gé- «a missais de voir que notre ordre, dont le plus grand «avantage à mes yeux était de seconder vos saintes volon- « tés, vous fût odieux ou du moins peu agréable. Je re- «cherchais avec soin si c'était la faute de quelqu'un de «nous ou peut-être la mienne , prêt à punir le coupable , «si je le découvrais. Mais toutes mes recherches m'ont « prouvé que notre plus vif désir était de servir avec zèle « votre Illustrissime Seigneurie et d'exécuter ses ordres avec « le plus profond respect , et que rien ne nous aflligeait « plus profondément que de voir s'éloigner de nousla bien- « veillance d’un père aussi excellent. Mais la charité si re oo (1) Floquet, ibid., p. 424-497. (2) Mercure de Gaillon; cet ouvrage fut imprimé par ordre de François de Harlay et dans son château de Gaillon. 18 266 ACADÉMIE DE ROUEN. « marquable de votre Ilustrissime Seigneurie a calmé « notre sollicitude, en se montrant apaisée , si toutefois « elle avait été réellement irritée , et si plutôt elle n’a pas « cédé aux perfides insinuations de ceux qui répétaient de «toutes parts : Cette Société attente à votre puissance. « Loin , bien loin de vos humbles serviteurs et de vos « loyaux enfants une pensée aussi téméraire ; la puissance « des prélats si utile au salutdes peuplesest notre bonheur, « notre but, notre vœu suprême. Qu'elle grandisse même « par notre confusion et notre abjection ; que Dieu et ses « prélats soient glorifiés , le peuple sauvé, et qu'on nous «abreuve de mépris. La franchise et la sincérité de mes «paroles , la vérité des sentiments que professe notre so- « ciété, deviendront , je l'espère, de jour en jour plusma- « nifestes à votre sagesse , si elle continue de nous hono- « rer de sa bienveillance et de son paternel amour. En at- «tendant , je remercie aussi vivement qu'il m'est pos- « sible votre bonté de ce qu'elle nous a rendus à elle , et, «par le même acte et le même bienfait , a rendu le collége « de Rouen et notre Société à la paix, à une joie sainte, « à une religieuse allégresse, et nous a obligés, par des « motifs nombreux et puissants, de faire des souhaits et « des prières pour que votre Illustrissime Seigneurie veille « longtemps au bien de l'Eglise, et aussi, nous en avons « pleine confiance , à la protection de notre Société « À Rome, le 15 juin 1639, De votre illustrissime et réverendissime Seigneurie ; Le très humble et très obligé serviteur, Murio ViTELLESCHI. » Une année ne s'était pas écoulée depuis cette réconci- liation, que le P. Beaumer jésuite attaquait en pleine chaire, à Saint-Ouen, la hiérarchie ecclésiastique. François de mn CLASSE DES BELLES-LETTRES. 267 Harlay exigea une satisfaction publique du haut de la chaire du collége des Jésuites , et des excuses solennelles qui lui furent faites dans son château de Gaillon, « luy séant en sa « chaire sous le daiz de la croix (4) ». Mais cette fois l'Ar- chevêque ne se contenta pas des rétractations des Jésuites, se défiant de leurs intentions , et ne pouvant voir dans le collége fondé par cet ordre un établissement soumis à son autorité , il résolut d'instituer dans son palais de Rouen un collége archiépiscopal , collége qui a existé, en effet, pendant six années (1642-1648 ), et qui mérite d'être tiré du profond oubli où l'ont laissé nos historiens (2). Le collége archiépiscopal ressemblait plus à une faculté qu'à un établissement d'instruction secondaire. Il avait cinq professeurs qui faisaient des leçons publiques de théo- logie, de philosophie , de rhétorique et de grammaire (3). L'Archevêque avait choisi des hormmes éminents pour lut- ter contre les Jésuites. L'enseignement de la grammaire était confié à Nicolas Laignel, docteur en l’un et l’autre droit, ancien professeur de rhétorique et recteur de l'Uni- vérsité de Caen ; il expliquait et commentait à ses audi- teurs les meilleurs ouvrages de l’antiquité grecque et la- tine, Virgile, Ovide , Cicéron , Isocrate et saint Jean- Chrysostome (4). Le professeur de Rhétorique était Guil- laume Marcel, de la congrégation de l’Oratoire, qui déve- (1) Mercure de Gaillon; voy. dans ce Recueil tous les actes rela- tifs à cette affaire. (2) Farin le mentionne, mais sans aucun détail, Les autres histo- riens de Rouen n’en disent pas un mot. J'ai réuni tout ce qu'il m'a été possible de trouver sur le co/lége archiépiscopal. (3) Voy. à la fin du Mercure de Gaillon le programme des cours pour l’année 1643. (4) Voy. le programme d’un de ses cours, à la fin du Mercure de Gaillon. 268 ACADÉMIE DE ROUEN. loppait les préceptes de l’éloquence en lisant à ses disciples les plus beaux modèles des littératures anciennes (1). Il y ajoutait des leçons de géographie universelle. Deux pro- fesseurs de théologie , Nicolas Paris et un Oratorien, trai- taient les questions de dogme et dediscipline ecclésiastique, en s'appuyant sur l’Ecrituresainte. Enfin, un docteur en mé- decine, M° Jacques Pierius (ou Poirier) était chargé de la philosophie. Son enseignement eut d'autant plus de reten- tissement qu'il traita des questions à l’ordre du jour, et auxquelles les expériences de Toricelli et de Pascal don- naient un nouvel intérêt. N'oublions pas qu'à cette époque Pascal habitait Rouen en même temps que Corneille, et que jamais notre ville ne fut agitée d’un si puissant mou- vement intellectuel que de 1640 à 1648. En 1640, Jacqueline Pascal obtenait le prix de la Tour au Puy de la Conception, et Corneille se chargeait en son nom duremerciment poétique qu'il était d'usage d'adresser au prince des Palinods (2). Blaise Pascal, âgé d’à peine vingtans, en 1643, portait déjà la vigueur et l'âpreté de son caractère et de son esprit dans les questions les plus diverses. Îl poursuivait et obtenait la condamnation d’un prêtre de Rouen, nommé Jacques Forton, dit Saint-Ange, qui s'était écarté de l’orthodoxie (3). Il inventait dans no- tre ville plusieurs de ses machines ingénieuses (%); enfin il {0 Mercure de Gaillon. — Lenom de ce professeur ne se trouve pas dans le programme, mais il est en tête d’un discours qu’il pro- nonça pour la prise de Perpignan (1642), au moment de l'ouverture de l'école archiépiscopale. Voy. Bibl. publiq. de Rouen, recueil de pièces sur la Normandie, U, 1285, t. II. (2) Biblioth. de l'école des Chartes, t. V, p. 330 (3) Ibid., t. IV, p. 111 etsuiv. (4) Voy. Tallemant des Réaux, notice sur le Président Pascal : «Ce garçon {Blaise Pascal) inventa une machine admirable pour « l’arithmétique. I n'y a qu'un ouvrier qui est à Rouen qui la sa- «che faire; encore faut-il que Pascal y soit présent.» CLASSE DES BELLES-LETTRES. 269 faisait à Rouen, même avant la fameuse expérience du Puy de Dôme, des recherches sur la densité de l'air. Nous avons sur Ce point un passage décisif d’un livre imprimé à Rouen en 1647. On excusera cette digression qui touche à la biographie d’un si puissant génie, peint l’état in- tellectuel de Rouen au milieu XVI siècle, et d’ailleurs se rattache à l'enseignement du collége archiépiscopal où l'on traitait les mêmes questions (1). « M. Paschal ayant fait depuis quelque temps plusieurs « experiences en ceste ville en la presence de tous les plus « Sçavans hommes de sa connoissance, me fist aussi la fa- «veur de me convier aux deux dernieres, ausquelles vou- «lant montrer que le vuide estoit possible en la nature, il « fist bien voir aussique le vuide n’estoit pas en son esprit; «mais au contraire qu'il estoit rempli de plusieurs belles «connoissances que ses soins et sa curiosité luy avoient « heureusement acquises. » En traitant cette question neuve et curieuse de la densité de l'air, le professeur du collége archiépiscopal, Me Jacques Pierius, attirait un nombreux auditoire. Il avait lui-même composé un traité sur ce sujet (2). Mais, en 1648, son cours cessa par suite d'un accordentrel'Archevêque et les Jésuites. Ces derniers s’engagèrent à donner à leur collége le titre de Collège Archiépiscopal, et, à cette condition, obtinrent de François de Harlay la fermeture du collége qu'il avait ouvert à l'archevêché. Quelques bourgeois reclamèrent la continuation des leçons de Me Pierius, et s'adressèrent au qq — — (1) Discours du vuide sur les expériences de M. Paschal, par Guif- fart, docteur en medecine, agregé au collége de Rouen, p. 7. (2) Il est souvent cité et réfuté dans le livre du médecin Guiffart, sur le œuide. On trouve en tête de cet ouvrage, une leçon latine de Pierius au collége archiépiscopal. 270 ACADÉMIE DE ROUEN. Parlement, qui les renvoya au Conseil de ville. Le 14 jan- vier 1648 (1), les Vingt-quatre du Conseil prirent l'arrèté suivant : « En l'assemblée convoquée pour deliberer, sui- « vant l’arrest de la Cour du neuvieme jour du present mois, « sur larequeste presentée à la dite Cour, par plusieurs es- « coliers estudiants en philosophie sous M° Jacques Pierius, « à ce qu'il lui soit ordonné de continuer le cours de phi- « Jlosophie auxdits suppliants en tel lieu qui sera trouvé «commode en cette ville de Rouen pour esviter la perte de « temps et autres dommage que souffriroient lesdits esco- «liers de la cessation des leçons, ainsi qu’il est plus au « long contenu dans leur requeste ; « Lecture faite de ladite requeste et arrest, il a esté « resolu de faire la response qui ensuit : « Les Conseillers-Echevins de la ville de Rouen, ayant «eu communication de la requeste presentée à la Cour par « les escoliers estudiants en philosophie, en cette ville de « Rouen, sous M° Jacques Pierius, professeur de la dite « philosophie, tendant à ce qu'il soit ordonné audit Pierius «de continuer, « Et pris sur ladite requeste, l'avis des Vingt-quatre du « Conseil, disent sous le bon plaisir de ladite Cour que le- « dit Pierius, ayant esté revoqué par M'l'Archevesque de « Rouen avec les autres professeurs de grammaire et de « rhetorique qu'il avoit ci-devant establis en l’archevesché, «ils ne peuvent consentir le restablissement que le sieur « Pierius fait demander en quelque autre lieu de ladite « ville, l'institution des bonnes mœurs qui se doit particu- «lierement enseigner dans les leçons de la philosophie, (t)Archiv. de la ville, regist. des délibérat., séance du 24 janv. 1648. CLASSE DES BELLES-LETTRES, 271 « estant trop importante pour estre commise à la conduite « d’une personne privée;estant loisible aux escoliers dusieur « Pierius d’aller prendre, si bon leur semble, les leçons « de la philosophie au college des Jesuites de cette ville, «où ils seront admis et reçus, suivant l'obligation que les- « dits Jesuites en ont passée à M° l'Archevesque lors de la « revocation desdites escoles de l’archevêché, et ce, sans « prejudice des droits et libertés de la ville. » Je ne sais ce que firent les disciples de M° Jacques Pie- rius ; mais, Ce qui est certain, c’est que les Jésuites triomphaient, ils avaient détruit toute concurrence ; ils avaient fait disparaître le collége des Bons-Enfants et in- terdit l'enseignement aux Oratoriens de Rouen; le collége archiépiscopal venait d'être fermé; ils s'étaient assuré le monopole de l’enseignement , la suprématie intellec- tuelle, en même temps qu'ils acquéraient de vastes pos- sessions territoriales. Leur domination était donc soli- dement établie à Rouen au milieu du XVII siècle. DES ENSEIGNES comme Signes indicatifs DES MAISONS PARTICULIÈRES, PAR M E. DE LA QUÉRIÈRE. Les anciens, de même que les modernes, ont connu l'emploi des Enseignes comme moyen de reconnaissance des maisons particulières. Les villes d'Herculanum, de Pompéi (:), sorties de leur ensevelissement, nous ont trans- . mis des types fort curieux et significatifs. Le Moyen-Age nous a légué des exemples très multipliés de ces marques distinctives données aux maisons. (1) Nous pouvons citer de Pompeï, entr’autres, celle qui était placée à la porte de la boutique d’un marchand de vin ou taver- nier. Deux esclaves portent à la ville une amphore de vin. Les sculptures sont de relief, en masse, et coloriées sur Ja terre cuite. Une autre enseigne , de même fabrique , représente une chèvre. Malheureusement l’inscription qui la caractérisait est tombée avec l’enduit sur lequel on l'avait peinte. (Les Ruines de Pompeï, par F. Mazois, p. 88, pl. 46). On a quelque raison de penser qu'elle était celle d'un marchand de fromage ou de laitage. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 273 Dans un manuscrit de l'année 1645 contenant la décla- ration des rentes dues à l'archevêque de Rouen sur les maisons de Dieppe, on distingue, entr'autres maisons, celles qui sont désignées par les enseignes suivantes , sa voir : La Ville d'Anvers. Cette curieuse enseigne retirée de la place pour laquelle elle avait été faite, se voit encore au- jourd'hui même à Dieppe , à l'intérieur de la maison n° 31, quai Henri IV. Le bas-relief en bois, de deux mètres de large sur soixante-six centimètres de haut, porte le millésime de 1697. Il représente une ville , et, au-des- sous on lit l'inscription que nous transcrivons : 16 LA VILLE DANUERS 97 La Bonne-Rade, la Béte-Vêtue, la Barbe-d' Or, le Grand- Sauvage , le Mouton-Rouge, la Fleur-de-Lys, Notre-Dame de Boulogne, le Pot-d'Etain, Marion Turpin (quand il n’y avait pas d’enseigne , on rappelait le nom de la famille qui avait fait bâtir la maison ; la Folie (maison), Le Rossignol, le Mouton-d'Or. la Croix-d’'Or, l'Ecu-de-France, le Vase- d'Or, la Ville-de-{ondres, le Pélican, la Lanterne, la Croix-Blanche, les Eperons, l'Aigle-d'Or, le Cheval-Blanc, la Coupe d'Or, le Grand Porc Espy, le Petit-Porc-Espy, l'Age-d'Or, les Trois-Boursettes, la Croche-Noire (Crosse), le Gros-Chouquet , la Tête-Noire 1). La maison du célèbre Ango , négociant-armateur de Dieppe , était dite la Pensée, du nom d’un de ses vais- seaux qui, sous la conduite de Parmentier, fit en 1529 le (1) Archives du département de la Seine-Inférieure. Documents communiqués par M. Barabé archiv. 274 ACADÉMIE DE ROUEN. voyage à l'ile de Sumatra, d’où il revint avec un riche chargement d’épiceries (1). Les archives de l'Hôtel-de-Ville de Rouen et surtout les actes du tabellionage (gardes-notes, notaires ) nous four- niraient au besoin une longue série d'Enseignes dont nous nous abstiendrons de parler, pour ne pas ajouter à ce que de pareils détails ont de fastidieux. Toutefois , nous ne pou- vons, Messieurs , nous dispenser de vous entretenir de do- cuments fort curieux, relatifs au sujet qui nous occupe, et qu'a exhumés un écrivain moderne, dont les œuvres sont encore dans le mémoire,des amis de la science et de la littérature. Sous le tire de : Echantillons curieux de statistique , Ch. Nodier, dans une de ses Notices publiées en 1835, et réunies en un volume in-8, rappelle un certain nombre d’en- seignes des tavernes de Rouen, qu'un édit du Parlement de Normandie, de la fin du xvr° siècle , interdit aux seuls habi- tants, en défendant à ceux qui les tenaient ouvertes d’as- seoir désormais aucun homme du lieu. Nous le laissons parler : « Il y avait au bout du pont : le Croissant (2), la Lune , «l'Ange,les Degrés, les Flacons, et l'Image Saint-François. (1)Recherches sur les Voyages etles Découvertes des Navigateurs Normands en Afrique , par Estancelin, p. 51. (2) La maison et son enseigne sont indiquées sur les plans du précieux et très curieux manuscrit des Fontaines de Rouen, dont M. de Jolimont a publié des fac simile reproduisant les originaux avec la plus serupuleuse exactitude, Cette maison se trouvait en ville près de la porte Grand-Pont, à la place où le Théâtre des Arts a été construit. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 275 «IL y avait sur les quais : !’Espée, le Baril-d’Or, le Trou- « du Grédil, le Penneret (ou Pavillon), l'Eléphant , « l'Agnus Dei(1), le Hable, le Cerf, le Gros-Denier , le « Moustier , l'Esturgeon , le Daulphin, le Chauderon, le « Hola du Bœuf, la Chasse-Marée, le Grand-Moulin et « la Fontaine-Bouillante. « Il y avait au port du salut : le Sa/ut-d'Or, la Pensée, «la Teste-Sarrazine (2), la Verte-Maison et les Pelottes. « Il y avait au pied du Mont Sainte-Catherine ou aux «environs : l'Image Sainte-Catherine, le Petit-Lion , la « Salamandre (3) et le Chaperon. Q IL y avait près de la halle : La Teste-Dieu , la Croix- & Verte(h), les Saulciers, l'Ours, le Coulomb (ou le Pigeon), & la Coupe, la Fleur de lys, la Barge(5). l'Ecu de « France, le Grand-Grédil, le Loup, la Hache et la Hare. » Il y avait, sur Robec : la Pelle, les Avirons (6), le (1) Une maison de l’Agnus Dei, indiquée ainsi sur les mêmes plans , existe encore rue Saint-Vincent, à l'angle de la rue de la Vicomté, Décorée de pilastres , elle fut rebâtie en 1542. (2) La Teste sarrazine, toujours suivant les mêmes plans, avait bien certainement donné son nom à la rue appelée aujourd'hui rue des lroquois. (3) Nous avons la rue de {a Salamandre , communiquant de la rue du Bac à la rue de Epicerie , et une maison rue Eau-de-Robec, 13, portant une salamandre sculptée. (4) Près de la place Saint-Ouen , un bout de rue s'appelle de ce nom. (5) La maison de {a Barge existe encore rue Grand-Pont ; elle porte le n° 36, mais son relief curieux lui a été retiré, il y a 28 ans (6) Nous avons la rue des Avirons, débouehant rue Malpalu. 276 ACADÉMIE DE ROUEN. « Chaperon-Saint-Nicaise , le Coq (1), les Balances , la « Petite-Taverne, qui était particulièrement fréquentée « par les jeunes gens de mauvaise conduite ; l’Escu de « Sable, l’Agnelet , le Pot-d' Etain, le Rosier (2), la Rose, « le Moulinet , la Chèvre , les Maillots , les Signots, les « Vittecoqgs , Saint-Martin, la Cloche (3) et l'Arbre-d'Or. QI y avait au Marché-Neuf : les Coquilles, le Petit- « Pot , le Pélerin (4), la Tour-Carrée et la Croix-Blanche. «Il yavait près de Beauvoisine : le Chapeau-Rouge , « la Bonne-Foi , les Trois-Mores (5), le Lièvre, l'Estrieu, « le Barillet et la Pierre. « Il y avait {& Pomme-d'Or, près de la Porte Cauchoise , « et on avait laissé ouvertes aux Cauchois les tavernes de « Saint-Gervais. « Quant à l'Image Saint-Jacques . elle fut privilégiée. « Il paraît qu’elle eut le précieux monopole des Tribal- « les(6). a ” (1) Rue de la Grosse-Bouteille, n° 28, un coq, de grandeur na- turelle , servant d’enseigne, sculpté sur pierre et d'un relief exhaussé , se voit entre le rez-de-chaussée et le premier étage de cette maison qui nous paraît dater du seizième siècle. (2) Nous avons les rues du Rosier. de la Rose, de la Chèvre, du Moulinet , des Maillots et Pomme-d'Or , noms d’anciennes en- seignes. (3) La maison rue Ganterie, n° 73, était appelée la Cloche d’Ar- gent. (4) Le Pelerin se voit sur le {Manusc. des Fontaines, ainsi qu'il est dit, page 285. (5) Les Trois-Mores sont l'enseigne d’une auberge rue Bcau- voisine , n° 132. (6) Triballe ou Trimballe, du vieux verbe trimballer, trainer , rouler , conduire après soi ( Ch. Nodier. ) Los Le CLASSE DES BELLES-LETTRES 277 « Je dois, continue M. Ch. Nodier, tout bonnement cette « érudition de haut goût à la lecture d’un mauvais bouquin «de huit feuillets très petit in-8, imprimé par Jacques « Aubin, à Rouen, où il se vendait au portail des Librai- «res(1), chez Jehan du Gors et Jaspar de Remortier. Ce « livre en rimes fort maussades, à pour titre un qua «train qui suflira pour donner une idée du talent poétique « de l’auteur : & Le Discours demonstrant sans feincte « Comme maints Pions font leur plainte Et les Tauernes desbanchez « Parquoi les Tauerniers sont faschez. A Dans la même Notice se trouvent rapportées quelques Enseignes de la ville de Paris dont l'indication trouve na- turellement sa place ici. Nous ne croyons mieux faire que de laisser parler encore le spirituel auteur lui-même , en supprimant toutefois ce qui est hors de notre sujet. Ainsi nous passerons de suite à l'énumération des En- seignes qui suivent : « La Pomme-de-Pin, le Petit-Diable, la Grosse-T êle, «les Trois-Maillets, Saint-Martin , l’Aigle-Royal, le & Riche-Laboureur, le Grand-Cornu , la Table du Valeu- Creux-lioland , la Galère, l'Echiquier. » « Les courtisans que leur ambition ou leurs affaires re- «tenaient trop longtemps au Louvre trouvaient bon gite (1) L'entrée ou aître du portail nord de la Cathédrale s’appelle le Portail des Libraires , parce qu'il y avait, à droite et à gauche, le long des murailles, une allée de retites boutiques, occupées, dans ce temps-là par des libraires. Elles ont été démolies il y a peu d'années. 278 ACADÉMIE DE ROUEN. «et chère lie chez la Boisselière , mais ce n’était pas au- « baine pour les poètes et pour les enfants sans souci. La « Boisselière ne faisait jamais crédit , et l'on ne dinait pas «chez elle à moins de dix livres tournois , somme incon- « cevable pour le temps. « Les Trois Entonnoirs, l'Escu, la Bastille, l'Escharpe, « l'Hôtel du Petit Saint-Antoine , les Torches , les Trois « Quilliers. «.… Ces belles curiosités historiques, termine notre «auteur, sont prises. dans un bouquin fort ignoré qui a « pour titre: Les visions admirables du Pélerin du Par- «nasse, ou Divertissements des bonnes Compagnies et des « esprits curieux, par un des beaux esprits de ce temps. & Paris , Jean Gesselin, 1635 , in-8° de 254 pages. » Un fou de cabaretier de la rue Montmartre avait pris pour enseigne la Tête-Dieu ; le feu curé de Saint-Eusta- che eut bien de la peine à la lui faire ôter ; il fallut une condamnation pour cela, dit Tallement des Réaux (t. 3, p. 195). Tallement raconte aussi l'histoire d’une enseigne de Notre-Dame, sur le Pont Notre-Dame, à Paris, que le peuple croyait avoir vu pleurer et jeter du sang : l'Arche- vêque la fit ôter (t. 3, p. 194). Dans le chapitre 298 des Naïvetés et bons mots, le même auteur raconte qu'un commis borgne ayant exigé d'un cabaretier des droits qu'il ne lui devait pas, le caba- retier pour s’en venger, fit représenter le portrait du com- mis à son enseigne sous la forme d’un voleur, avec cette inscription : au Borgne qui prend. Le commis s'en trou- vant offensé, vint trouver le cabaretier, et lui rendit l’ar— gent des droits en question , à la charge qu'il ferait réfor- ee un CLASSE DES BELLES-LETTRES. 279 mer son enseigne. Le cabaretier, pour satisfaire à cette con- dition , fit seulement ôter de son enseigne le P ; si bien qu'il resta : au Borgne qui rend. Afin de rabattre l’orgueil de eeux qui croient le monde plus spirituel qu'il y a trois siècles, qui se figurent que le moderne charlatanisme surpasse tout, il convient de faire observer que ces enseignes burlesques dont l'étymologie semble bizarre à plus d’un négociant parisien, sont les ta- bleaux morts de vivants tableaux , à l’aide desquels nos ancêtres fins matois réussissaient à amener les chalands dans leurs maisons. Ainsi a Truie qui file, le Coq-Héron, le Singe Vert, etc., furent des animaux en cage dont l’a- dresse émerveillait les passants, et dont l'éducation prou- vait la patience de l'industriel au quinzième siècle. De semblables curiosités enrichissaient plus vite leurs heu- reux possesseurs que les Enseignes dévotes, telles que la Providence, la Grâce de Dieu , la F'onne-Foi, la Dé- collation de Suint-Jean-Baptiste ; le Signe de la Croix, qui se voient encore rue Saint-Denis , et dans d’autres vieux quartiers. ( Bazzac, Nouvelle du Chat qui pelotte.) L'ouvrage intitulé : Histoire et Recherches des Anti- quités de la ville de Paris (4), par Henry Sauval, dit quelques mots des enseignes où se mêle le ridicule, ainsi que de celles composées de mauvais rébus, comme les suivantes : A la Roupie, une Pie et une Roue. Tout en est bon, c'est la Femme sans tête. A l'Assurance, un À sur une Ance (anse.) (1) Tome 3, Paris 1733. 280 ACADÉMIE DE ROUEN. La Vieille-Science, une Vieille qui scie une Ance (anse.) Au Puissant-fin, un Puits dont on tire de l’eau. Le Bout du Monde, un Bouc et un Monde. Les Sonneurs pour les Trépassés, des Sols neufs et des Poulets tués. « De ces sept enseignes, dit Sauval , celles du Bout du Monde et de la Femme sans tête ont donné des noms à des rues. » « Celle de la Truie qui file, qu'on voit à une maison «du marché aux Poirées, rebâtie depuis peu, est plus «remarquable et plus fameuse par les folies que les garçons « de boutique des environs y font à la mi-Carême, comme «étant sans doute un reste du paganisme. » Il ne paraît guère que nos aïeux aient mis beaucoup de choix dans l'emploi des marques ou symboles qu'ils appli- quaient à leurs demeures. Ils nes’y sont pas toujours mon- trés équitables et galants envers le beau sexe, en exposant par exemple, comme on vient de le voir, {a Femme-sans- Tête, le Trio de Malice, composé d’un singe, d’un chat et d'une femme. Le plus souventils employaient pour emblème un animal ou un objet quelconque, quelquefois une idée bizarre ou absurde, comme le Chien qui rit (1) : très ra- rement une pensée, comme le grand Passe Partout, repré- senté par un Louis d'or, ou bien comme le Long-Vétu, enseigne du grand père de Colbert qui était marchand de laine à Rheims. Une multitude de titres témoignent du grand nombre (1) I existait à Rouen une rue du Chien qui rit, nommée, depuis l’année 1795 , la rue du Guay-Trouin. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 281 de maisons auxquelles étaient attachés les noms de leurs enseignes. I paraît que l’origine juridique de l'Enseigne remonte à l'ordonnance de Moulins de 1567, laquelle prescrit à ceux qui veulent obtenir la permission de tenir auberge, de faire connaître au greffe de la justice des lieux leurs noms, pré- noms, demeurances, affectes et enseignes. Plus tard, l'Enseigne fut exigée par l’article 6 de l'édit de Henri III, de mars 1577, qui ordonne aux aubergistes d'en placer une aux lieux les plus apparents de leurs maisons, à cette fin que personne n’en prétende cause d’ignorance , même les illétrés. Sous Louis XIV, l'enseigne devint purement facultative, et l'ordonnance de 1673 permet aux hôteliers de mettre, pour la commodité publique, telles enseignes que bon leur semblera, avec une inscription contenant les qualités por- tées par leurs lettres de permission (1). Mais en 1669, avait paru une autre ordonnance pour ré- primer l'abus que commettaient les marchands par des enseignes d’une grandeur excessive, ou en avançant leurs tableaux quelquefois au-delà du milieu des rues, ce qui, dans le jour, les faisait paraître plus étroites et plus serrées, et empêchait que, pendant la nuit, elles ne fussent suflisam- ment éclairées par les lumières des lanternes publiques. Cette ordonnance de 1669 que je trouve relatée dans le Traité de la Police (2), t. 4, p. 336, porte que : : (1) Traité des locations en garnt, par M. Masson, Paris, 1846. (2) Traité de la Police, par Delamare, conseiller, commissaire du Roy au Châtelet de Paris, in-f°, 4 vol. 1738. 19 282 ACADÉMIE DE ROUEN. « La hauteur du tableau des Enseignes en quarré long «de 18 pouces de largeur sur 2 pieds de haut, et, dans «le tableau, sera compris l'écriteau du nom de l’Enseigne. Suit le détail des dimensions et mesures de la peinture des Enseignes : « Barreau montant d’un pied neuf pouces, ete , etc. « Deux gâches de fer quarré, etc. « Grande console d’une seule pièce, ete., etc. v Nous avons vu des modèles d’armatures, potences et cadres d’enseignes du seizième siècle, composés par Jacques Androuet du Cerceau , et gravés en 1570 dans ses détails de serrurerie. Les Enseignes des boutiques des marchands de Paris et autres lieux, étaient jadis suspendues à de longues potences en fer ou en bois, au-dessus de la rue, au grand péril des passants. Pour remédier à cet inconvénient, le lieutenant de Police, de Sartines, publia en 1761, le 17 septembre, une ordonnance qui enjoignait à toutes les personnes se servant d'enseignes, de les faire appliquer en forme de ta- bleaux contre le mur des boutiques ou maisons, et de telle sorte qu'elles n’eussent pas quatre pouces de saillie. (1) Cette mesure de police fut successivement adoptée par les autres villes du royaume, et depuis bien longtemps, il n'ya guère que les bourgs qui aient conservé l’ancien usage dés enseignes pendantes, (1) Dictionnaire historig. de la ville de Paris, par Heurtaut et Magny, Paris, 1779, t.2°, au mot Enseigne, et aussi Dictionnaire encyclopédique de la France (Collection de l'Univers pittoresque, au mot Enseigne.) CLASSE DES BELLES-LETTRES, 283 L'usage de numéroter les maisons est tout-à-fait mo- derne (1). Ce n'est qu’en 1788 qu'eut lieu pour la première fois à Rouen le numérotage qui avait été ordonné à Paris vingt ans auparavant, dit-on, mais qui ne fut mis à exécution que beaucoup plus tard, puisque même, en 1788, on ne voit encore que des exemples partiels de numérotage sur des maisons de librairie. A Évreux, c’est en 1786 qu'il fut décidé. Successivement toutes les villes de France, à peu d’exceptions près, ont adopté ce mode si simple et si facile, de reconnaître les maisons (2). Autrefois, pour aider à trouver la demeure des habitants, souvent on divisait une rue en plusieurs parties portant un nom dif- férent. Mais le moyen qui facilitait le plus la reconnaissance des maisons, était l'emploi d’enseignes appartenant en propre à un grand nombre d'elles, comme on en voit en- core de nos jours aux hôtelleries. Ces signes ou enseignes étaient sculptés à même la pierre ou le bois, ou bien étaient figurés sur une feuille de tôle peinte, pendante à (1) Voici comment s’exprime sur ce sujet M. Vaudoyer, architecte du Gouvernement, dans un savant article inséré an Magasin pitto- resque année 1841, p. 382, et intitulé: Tableau des Villes de France au moyen-âge : « Les maisons n'étaient pas numérotées, et l'on se servait pour les « désigner de quelque qualification particulière, empruntée, soit à «leur forme, à leur situation ou à leur décoration ; on disait : la « grande maison, la maison jaune, Ja maison du coin, etc. Quant « aux marchands, ils avaient comme aujourd'hui des enseignes le « plus ordinairement symboliques de leur profession. Ces enseignes, « qui duraient autant que les maisons, étaient souvent sculptées en «bois, quelquefois même en pierre. Il y a peu de temps, on voyait « encore au-dessus d’une porte d'une ancienne maison de la rue de « la Licorne, dans la Cité, à Paris, une gerbe de blé sculptée, qui « permettait de supposer que là devait être un boulanger ou un « marchand de farine, à l’enseigne, sans doute, de la Gerbe- « d'Or. » (2) Croirait-on que la ville de Coutances ne jouit pas encore de la commodité inappréciable du numérotage des maisons ? 28% ACADÉMIE DE ROUEN. une potence mobile fixée à la façade, comme cela se pra- tique encore de nos jours pour les auberges qui sont hors des grandes villes. Richard Goupil, célèbre imprimeur du commencement du seizième siècle (1510), habita la maison de la Tuile d'or, que nous avons vue rue Malpalu n° 2%, entre la rue des Augustins et la porte Jean-le-Cœur (1). Ce bout dela rue Malpalu s'appelait très anciennement, de l'enseigne de cette maison, rue dela Tuile d'Or. est aujourd'hui compris dans la rue de la République. Cette enseigne consistait en une Tuile d'or, figurée sur une feuille de tôle, non plus libre à sa potence par suite d'une mesure de police, mais clouée à la muraille comme toutes les autres. La même mesure de police a fait aussi appliquer sur la façade de l'auberge du Papegaud (2) rue Saint-Hilaire n° 85, (111 esthors de doute queles imprimeurs de cestemps-là nese ser- vissent, pour enseigne deleur maison, de la marque qu’ils avaient adoptée, ou bien qu'ils n’employassent l'enseigne de leur maison comme marque de leurslivres. Ainsi firent , certainement, Jean Dumoulin,imprimeur-libraire en 1519 ; sa marque représen- tait un Moulin à vent, par allusion à son nom. Jean du Gort, imprim-lib. de 1544 à 1557 ; sa boutique était au portail des Libraires, et sa marquereprésentait deux pécheurs ti- ° rant leurs filets de l'eau. Martin le Mesgissier, imp-lib., de 1549 à 1581; sa boutique était au haut des degrés du Palais, et sa marque représentait un Mégissier, par allusion à son nom. Jean Berthelin, de 1615 à 1660; avait sa boutique cour du Palais, à l'enseigne du Forgeron-. François Behours, en 1740 ; demeurait rue Écuyère, à l'enseigne de l’Zmprimerie du Levant, Jacques Besongne, en 1694; était derrière le Palais, aux Armes de France. (2) Perroquet. A Blois il existe une rue des Papegauds. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 285 à l’encoignure de la rue du Pas-de-Gaud (1), son ancienne enseigne de tôle peinte. de forme carrée, découpée en ac- colade et du règne de Louis XV. Le précieux manuscrit relatif aux cours des fontaines de la ville de Rouen, dont nous avons eu plusieurs fois oc- casions de parler, reproduit des enseignes flottantes; telles sont les suivantes : Le Beuf, (sic), place du Vieux-Mar- ché , entre les rues de la Prison et Sainte-Croix-des-Pel- letiers ; Le Pan (sic) ; le Croissant , près de la porte Grand- Pont ; le Pellerin, (sic), rue auxduifs, près du Neuf-Mar- ché : cette enseigne avait donné son nom au bout de da rue , vers la rue Massacre ; la Crosse, rue des Carmes près de la fontaine de ce nom. Le bas-relief de la rue Etoupée que nous avons fait gra- ver représentant une ville où deux voyageurs arrivent, offre un exemple remarquable de ces marques distinctives données aux habitations parmi celles qui n'étaient pas con- sacrées au commerce. Cette maison s'appelle encore la Cité de Jérusalem. ( date de 1580 ). Une autre curieuse enseigne existe encore à la devan - ture de la maison numérotée 80, rue Grand-Pont, bien que masquée par un panneau de bois. C’est un grand bas- relief où se voient , sur un fond de paysage , des moutons paissant gardés par leurs chiens. C’est ce qu’on peut appe- ler une Bergerie. La maison de LA SAMARITAINE , rue Caquerel n° 13, (date de 1580 ) tire son nom du sujet qui s’y trouve sculp- té sur pierre au-dessus de l'ouverture du cintre surbaissé de la boutique, clairement expliqué par l'inscription que nous venons de rapporter, gravée au-dessus. La rue du Bon-Espoir prend son nom d’une figure de © ———_—_—_— a — ——_—— ——— —— (1) L'écriteau du nom de la rue est écrit ainsi. 286 ACADÉMIE DE ROUEN. l'Espérance sculptée en bois sur la maison qui porte le n° 11 «date de 1622 ). Nous ne devons pas manquer de rappeler cette belle enseigne de l'Ile du Brésil que l’on voyait rue Malpalu avant le percement de la rue Royale, aujourd’hui rue de la République , laquelle se trouve déposée au Musée d’an- tiquités de la Ville; enseigne dont la sculpture sur bois était dépassée par les charmantes figurines nues, presque de ronde bosse, qui ornaient les montants ouvragés de cette très curieuse façade , promise au Musée d’Antiquités par le propriétaire, et perdue à toujours par l’incurie d’un char- pentier. Pour en revenir à l'enseigne en question, onyvoit des hommes nus occupés à abattre des arbres dont ils trans portent les morceaux qu'ils embarquent dans un navire. C'est, sans aucun doute, uneexploitation de bois du Brésil, propre à la teinture, et probablement à la destination de Rouen dont les négociants entretenaient des relations avec le Nouveau-Monde. Il est aussi très vraisemblable que ce bas-relief fut exé- cuté vers l’année 1550, c’est-à-dire à l’époque où Henri IE, roi de France, et Catherine de Médicis sa femme, firent leur entrée à Rouen. Une relation du temps rapporte qu'entr’antres divertissements , on les régala du singulier spectacle de la représentation du pays et des Naturels du Brésil dans lequel figurèrent plusieurs espèces de singes et grand nombre de perroquets et autres oiseaux que les navires des bourgeois de Rouen avaient apportés du pays pour la circonstance, ainsi que trois cents hommes façon- nés et équipés à la mode des Sauvages, parmi lesquels il ÿ en avait bien, dit la relation, cinquante naturels sauvages. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 287 Nous venons de rappeler plusieurs des bas-reliefs que nous avions précédemment cités dans notre Description historique des Maisons de Rouen, etc., parceque nous ne les avions pas signalés alors comme de véritables enseignes qu'ils sont. Nous croyons pouvoir profiter de l’occasion pour expli- quer trois bas-reliefs, auxquels est attaché le millésime de 1607, qui décorent la façade de la maison rue des Ermites, n° 23. Cette maison était bien certainement occupée, comme elle l'est encore aujourd'hui, par un tanneur. A la gauche du spectateur, on voit sculptés en pierre, un Saint-Jean-Baptiste, patron du propriétaire-construc- teur ; à droite, une Sainte-Marguerite, patronne de sa fem- me, et au milieu, un arbre quiest un chêne dont l'écorce s'emploie dans les tanneries, symbole de la profession du maitre de la maison. D’anciennes enseignes, appartenant à la construction première de quelques maisons, se voient encore. Nous al- lons en parler avec quelque détail, pour constater leur | existence avant qu'elles n'aient disparu comme les au- tres. Le Havre de Grâce, rue Écuyère, n° 20, sculpture sur bois de la fin du seizième siècle. Des navires voguent sur une mer fermée, d'un et d'autre côté, par deschâteaux forts; à droite et à gauche est, comme ornement, à demi couché, un homme nu embouchant une trompette. Dans la même rue, à côté, n° 22, avec la date de 1603. A l'appui du premier étage, quatre sculptures en pierre, de haut relief, représentant les quatre saisons. Ce travail, d'un Style un peu lourd, parait sortir d'un ciseau flamand. Il est masqué par un tableau 288 ACADÉMIE DE ROUEN. Une porte de ville, en-bas relief et sur bois, était sans doute l'enseigne de la remarquable maison en bois et en pierre, datée 1602, située rue Cauchoise n°* 68-70. Rue Eau-de-Robec, n° 186, avec la date de 4588, un grand bas-relief en pierre offre, sur le premier plan, un cheval sellé et bridé dans l'attitude de la marche, mais sans cavalier. Une espèce de fort se voit à la gauche du spectateur; des arbres occupent la droite et le fond du bas- relief. IL existe sur ce sujet une tradition en laquelle nous avons peu de confiance. Cette tradition veut que le pro- priétaire de la maison ait été attaqué dans la forêt de Mou- lineaux par des malfaiteurs, et renversé de dessus son che- val qui revint seul au logis de son maître. Ne serait-ce point tout simplement une Enseigne? Rue du Bac, n° 39, à l’angle de la rue Potard, sur la clé de voûte du cintre de la boutique, une coupe ou ci- boire. Une harpe sculptée sur la muraille d'une maison située rue Eau-de-Robec, à l'angle de larue de la Harpe n° 1°, a donné, sans nul doute, son nom à cette dernière rue, comme une Gerbe, sculptée sur une maison datée de 1617, a donné son nom à la rue Gerbe-d'Or ou d'Orge. Trois Toupies, deux et une, comme un blason, avec la date de 1628, enfermées dans une bordure de feuillages, sont sculptées sur un linteau de porte à la maison rue Saint- Mare, portant les n°° 29-31, à l'entrée de la Cour dite des Trois- Toupies. Dans la rue Cauchoise, au n° 80, est une maison de bois portant le chronogramme de 1750 coupé en deux 17 50 CLASSE DES BELLES-LETTRES. 289 par un cœur couronné, sculpté sur la même pièce de bois. Il existe aussi , sur la porte de la maison numérotée 54, rue Sainte-Croix-des-Pelletiers , bâtie dans le xvrre siècle , contiguë à l’église paroissiale de ce nom , supprimée en 1791 , une croix etune S superposées. Cette maison devait ètre le presbytère. Quelquefois , la marque ou l’insigne de la profession de l'habitant se voyait reproduite en sculpture. Un baril indiquait un tonnelier ou un cabaret , etc. Trois petits barils se voient sur la clé de voûte de la porte de la maison rue Eau-de-Robec, n° 182. Parmi les maisons qui possédaient des bas-reliefs , per- sonne n’a oublié la maison à l'angle de la rue Saint-Romain et de la rue de la Croix-de-Fer, où se voyaient les arts libéraux mis en action : la Grammaire , la Rhétorique , la Dialectique, Y Arithmétique , la Musique , la Géogra- phie et l'Astronomie , et qui ont été placés au Musée d’An- tiquités. Le Musée d’Antiquités a aussi recueilli deux portions d'un grand et remarquable bas-relief sur bois , provenant de la splendide maison de la renaissance , Grande-Rue , n° 115-117. D'une part, on voit Phaëton qui veut diriger le char du Soleil , et de l’autre, sa chute dans la mer (1). Une des plus vieilles enseignes peintes sur panneau de bois dont il reste infiniment peu, si elle n'est même à présent la plus vieille (elle doit avoir plus de cent ans), (4) 1 à été lithographié en deux parties. ra) 290 ACADÉMIE DE ROUEN. se voit à la maison n° 26, rue des Bons-Enfants , en face de la rue Senécaux. Elle a traversé sans encombre toutes nos révolutions politiques, protégée qu'elle a été par une couche de poussière noire que le temps y a déposée. Sue C'est celle d’un fabricant de pompes à incendie, qui, dans son temps, eut une grande réputation de talent. Elle est divisée en trois parties. La partie du centre offre, dans un cartouche ornementé, comme au milieu du xvurr siècle, une pompe à incendie avec cette inscription : A LA POMPE ROYALE , et autour : N° THILLAYE FABRICATEVR DE POMPES, PAR PRIVILEGE DY ROY. A gauche de ce cartouche , deux hommes font manœu- vrer une pompe. À droite est un atelier de machines (1). Si la sculpture d’enseignes paraît abandonnée comme décoration inhérente à la construction des maisons, en revanche, la peinture y est encore de nos jours employée parfois avec quelque supériorité, surtout à Paris. Il y a une quarantaine d'années qu'un peintre de talent exécuta , pour un quincallier, l'enseigne qui offre un beau sujet assez faiblement indiqué par ces mots : AU COMMERCE érTenpu. Elle se voit à l’ancien hôtel-de-ville , à la maison la plus rapprochée de l'arcade de la Grosse-Horloge. Outre les symboles , les allégories , les allusions , les rébus , les chiffres (2), les monogrammes et les chrono- (1) L'usage des pompes à incendie commença à Rouen, en 1719. Elles avaient été inventées en Hollande. (2) Voyez l’écusson qui décore la délicieuse petite porte gothique de la maison rue Malpalu, n° 90-92, au coin de la rue Tuvache. Il est chargé d’un chiffre assez compliqué. Voyez aussi la traverse de la boutique de la maison rue Ecuyère , n° 22, avec la date de 1603. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 291 grammes , nos pères se plaisaient à inscrire sur les mu- railles de leurs demeures, tant à l’intérieur (1) qu'à l’exté- rieur (2), des paroles de l'Ecriture , des versets , des sen— tences et des devises. Sur la traverse de bois qui court au-devant des fenêtres du rez-de-chaussée de la maison rue Ganterie, n° 65 bis, au milieu d’ornements sculptés rappelant le xvne siècle , on lit : AIME TON DIEV PAR-DESSVS TOVTE CHOSE ET TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME. On voit encore, sur la pièce de bois qui règne aussi au- dessus du rez-de-chaussée d’une petite maison rue du Gril, n° 14, des lettres gravées qui se lisent très difficile- ment : A MON DIEU, MON ESPÉRANCE ! trois fois répétés dans d'étroits listels, sur l’un desquels est sculpté un petit mou- ton, et sur le dernier , le millésime de 1674. — + (1) Nous rappellerons ici l'inscription qu'un sage à gravée à l'intérieur de sa maison, rue des Arpents , n° 88. (Description hist. des Maisons de Rouen ,t. W.) CVI DOMVS VICTVSQ. DECENS ET PATRIA DULCIS SYNT SATIS HÆC VITÆ; CÆTERA CVRA , LABOR. Une maison , une honnête aisance , une douce patrie , c’est assez pour vivre; le reste est souci et peine. (2) La Description hist. des Maisons de Rouen, t. K', cite le distique suivant , gravé à la maison du xvif siècle, n° 88 , rue Martainville, sur la pièce de bois qui porte la façade en pierre. POVR TOVT ESPOIR DIEV A MON AYDE. Le même ouvrage, t. Il, p. 44 et suivantes , fait connaitre un grand nombre d'inscriptions prises dans plusieurs ville de France , et le premier tôme rapporte textuellement les distiques relatifs aux sujets curieux des bas-reliefs de la jolie tourelle de l'hôtel du Bourgtheroulde. 292 ACADEMIE DE ROUEN. Jusqu'ici nous n'avons parlé que des maisons bourgeoises ordinaires; nous devons ajouter que les portes cochères des grandes maisons leur valaient de signes de reconnais- sance ; mais les hôtels des Grands et les habitations des personnes qui appartenaient à la noblesse , se distinguaient par les armoiries sculptées au-dessus de leurs portes, et, plus anciennement, par leurs tourelles , par leurs panon- ceaux et leurs girouettes. Pendant la révolution, les écussons armoriés ont presque tous été effacés. Cependant, nous en avons retrouvé quel- ques-uns dans leur intégrité. Nous ne concevons pas comment on a pu être assez mal avisé pour anéantir une jolie décoration qui existait na— guères encore sur la clé de voûte de la porte cochère de la maison rue Saint-Nicolas n° 39, et faire disparaître , en même temps, cette sentence du sage Salomon : ET OMNIA VANITAS. et tout est vanité. C'était un écusson soutenu par deux génies, dont la devise philosophique aurait dù garantir son blason de la proscription qui l'a atteint comme toutes les armoiries , à l'époque de notre première révolution. Nous avouons que ces détails, qui appartiennent aux usa- ges de nos aïeux, peuvent paraître de mince importance. Toutefois, nous croyons bonet utile d'en conserver le sou- venir. Ce sont des matériaux pour l’histoire générale des époques antérieures à celle où nous vivons, et d'habiles metteurs en œuvre pourront en tirer parti. Nous aurions désiré compléter cette notice, en y faisant entrer ce qui peut exister dans les autres localités, de re— latif à l'objet de nos recherches. mais nos pérégrinations et CLASSE DES BELLES-LETTRES. 293 les renseignements que plusieurs de nos amis ont bien voulu nous communiquer, n’ont, relativement, ajouté que peu de chose à notre instruction. Ce fait prouve encore une fois que la ville de Rouen est toujours la ville par excellence, quand on veut reporter ses regards vers le passé: d’abord à cause de son importance et de son étendue, et ensuite parce que, l’une des dernières, elle a conservé son caractère d'ancienneté. Malheureusement, et il ne faut cesser de le redire, la ri- gidité des alignements, le vandalisme et l'ignorance feront bientôt totalement disparaître, sans compensation aucune, et c’est là le plus fâcheux, les demeures décorées que nos pères nous ont léguées, etqui portent avecle cachet de l'ori- ginalité, celui du talent et du goût dont sont trop souvent dépourvues les œuvres modernes, à commencer par celles qui se produisent chaque jour à Rouen. Dans ces dernières, les dimensions, les proportions; les conditions de solidité, de durée ; la science, le bon goût, les convenances, l'hy- giène , tout y est presque constamment sacrifié à l'in capacité ou à la cupidité. CANZONETTE DE MÉTASTASE, TRADUITES Par ME. A.mGe BALLIN, archiviste. Messieurs, Le poète Métastase, si célèbre par ses tragédies Iyri- ques, a composé aussi un grand nombre d’autres poésies qui ont eu beaucoup de vogue en Italie, notamment deux petites pièces intitulées: le Départ et la Liberté; je vais essayer de vous les faire connaître par une traduction qui, à défaut d'autre mérite, me paraît avoir celui de l'exactitude. L'abbé Guyot-Desfontaines a fait, dela dernière pièce, une traduction en prose, que Guilbert a citée tout entière dans ses Mémoires biographiques et littéraires. LE DÉPART. Le voilà cet instant funeste, Tu pars, Nicette, et moi je reste; Au désespoir, en t’éloignant, Tu vas donc livrer ton amant ! La douleur sera mon partage, Je ne verrai plus ton image , CLASSE DES BELLES-LETTRES. Et saurai-je, hélas! quant à toi, Si tu te souviendras de moi ! Du moins, aimable fugitive, Permets que mon esprit te suive Pour reconquérir cette paix Que me dérobent tes attraits. Toujours, dans ta cruelle fuite, Oui toujours, il vole à ta suite, Et saurai-je, hélas ! quant à toi, Si tu te souviendras de moi! Bientôt vers un lointain rivage, Déplorant mon triste servage, Je courrai par monts et par vaux, Demandant ma nymphe aux échos ! Toujours, de l’une à l’autre aurore, Je dirai le nom que j'adore, Et saurai-je, hélas ! etc. Je reverrai cette prairie, Ces lieux charmants, Nice chérie, Où par toi je vivais heureux, Lorsque nous y vivions tous deux. Tout me rappellera ma joie ! A quels ennuis vais-je être en proie ! Et saurai-je, hélas! etc. 295 96 ACADÉMIE DE ROUEN. Près de cette fontaine claire, Dirai-je, éclata sa colère, Puis, de la paix gage certain, Elle me présenta sa main. Ici nous vivions d'espérance, Là nous caressait l’indolence, Mais saurai-je, hélas ! etc. Dans cette demeure nouvelle Où le sort contraire t'appelle, De quel nombreux essaim d’amants Tu. vas recevoir les serments ! Dieux puissants ! parmi tant de larmes, Tant d’honneurs rendus à tes charmes, Pourrai-je savoir, quant”à toi, Situte souviendras de moi! Ah! pense à ma douce blessure , A tous les tourments que j'endure ! Pense que, sans rien espérer, Philène voulut t'adorer ! Nicette, quel adieu terrible ! Combien mon malheur est horrible ! Pense... Ah ! saurai-je, quant à toi, Si tu te souviendras de moi! CLASSE DES BELLES-LETTRES. LA LIBERTE. Grâce à tant de serments trompeurs, 0 Nicette ! enfin je respire ; Les dieux, touchés de mes malheurs, Ont mis un terme à mon martyre. D'un joug trop longtemps supporté Mon âme enfin débarrassée A recouvré sa liberté, D'un songe elle n’est plus bercée. J'ai senti mourir mon ardeur, Et l'Amour, tant je suis tranquille, Par le dépit même, en mon cœur, En vain chercherait un asyle. Que j'entende parler de toi, Je ne change plus de visage, Et si tu passes devant moi, Mon cœur n’en bat pas davantage. Je rêve, mais dans mon sommeil, Tu n'occupes plus ma pensée, Et tu n’esplus à mon réveil L'objet de ma première idée . Loin de toi, je puis séjourner Sans que le désir me ramène ; Près de toi, je puis retourner Sans avoir ni plaisir ni peine. 20 297 298 ACADÉMIE DE ROUEN. Je puis, sans m'en laisser toucher, Faire l'éloge de tes charmes, Je puis, sans me les reprocher, Rappeler mes torts et tes larmes. Tu ne saurais produire en moi L'émotion la plus légère ; Mon rival me parle de toi Et n’excite point ma colère. Ton regard doux ou menaçant A perdu toute sa puissance ; Je reste bien indifférent A ta tendresse, à ta vengeance. Par tes discours insidieux Tu ne maîtrises plus mon âme, Et le feu brillant de tes yeux Ne rallumera plus ma flamme. Et mes plaisirs et mes soucis Ont cessé d'être ton ouvrage ; Jose, sans prendre ton avis, Blâmer ou donner mon suffrage. Sans toi, j'admire de beaux lieux Etje me plais dans la prairie ; Tandis qu'un endroit ennuyeux Me déplait en ta compagnie. J'avoue, avec sincérité , Que je te trouve toujours belle, Mais, à mes yeux, de la beauté Tu n'es plus l'unique modèle. CLASSE DES BELLES-LETTRES. Bien plus, sur ton joli minois, Sans t'offenser, je veux le dire, Je vois des défauts qu'autrefois Louait mon aveugle délire. Je conviens et dois en rougir, Qu’au moment de briser ma chaîne, De chagrin je croyais mourir, Tant mon âme éprouvait de peine ! Mais, pour s'affranchir du malheur Et pour redevenir son maître, L’esclave affronte la douleur Ou plutôt sait la méconnaître. L'oiseau souvent, dans un filet, Abandonne un bout de son aile, Ce sacrifice le soustrait Au danger d’une mort cruelle. La nature en bien peu de jours A renouvelé son plumage ; L'expérience, pour toujours, L'a rendu prévoyant et sage. Je le sais, à mon changement Ton orgueil refuse de croire, Par cela seul que, trop souvent, Je me vante de ma victoire. Oui, je me plais à répéter Que de mon cœur je t'ai chassée ; Ainsi chacun aime à conter Une calamité passée. 299 — ares 300 ACADÉMIE DE ROUEN. De même, au retour des combats, Le guerrier, avec complaisance, Sans cesse ne parle-t-il pas De ses travaux, de sa souffrance ? Rentrés sous leurs paisibles toits, Avec joie ainsi les esclaves Montrent les fers dont autrefois Se composèrent leurs entraves. Je parle, mais je n’ai toujours Que le but de me satisfaire 2 Crois-moi, doute de mes discours, Cela ne me tourmente guère. Je parle sans m'inquiéter Si Nice m'approuve ou me blâme ; Si tu parais me regretter Ou sila paix règne en ton âme. Tu perds un cœur bien amoureux, Un cœur infidèle me quitte, Je ne sais lequel de nous deux Doit se consoler le plus vite ; Je ne sais si tu trouveras Un autre amant aussi sincère, Mais moi, je netrouverai pas Une maîtresse plus légère. #60 "7 NOTICE NECROLOGIQUE SUR M. DE KERGARIOU, Lue à L'Académie, Le 16 Monembre 1849(1), Pan M. À,-G. BALLIN, archiviste. M. de KerGariou ( Joseph-François-René-Marie-Pierre) est né à Lannion , petite ville de Bretagne, sous-préfec- ture du département des Côtes-du-Nord, le 25 février 1779 ; dans sa jeunesse , il sut se faire bien venir de Na- poléon, qui l’admit au nombre de ses chambellans et lui conféra le titre de comte ; en 1811 , il fut, pendant quel- ques mois, sous-préfet du Havre , etle 26 décembre de la même année, il passa à la préfecture d’Indre-et-Loire , qu'il occupa jusqu’à la fin de l'Empire. Le 15 octobre 181%, il fut nommé préfet du Bas-Rhin, et promu au grade d’oflicier de la Légion-d'Honneur. Aussi dévoué à Louis XVIII qu'il l'avait été à l'Empereur, il donna sa démission en mars 1813, malgré les ins- tances du maréchal Suchet, et alla demeurer à Versailles. Au retour du roi , il fut désigné pour la préfecture des Bouches-du-Rhône , mais ayant appris que M. de Girar- (1) Les renseignements nécessaires pour la rédaction de cette notice et des deux suivantes étant parvenus tardivement, elles n’ont pu être soumises à l’Académie que dans sa séance de rentrée. 302 ACADÉMIE DE ROUEN. din , préfet de la Seine-Inférieure devait être déplacé , il sollicita et obtint la préfecture de ce département, qui lui fut conférée par ordonnance du 2 août 1815 ; il se fit ins- taller le 10 du même mois. Au bout de trois ans, le 15 juillet 1818 , il fut remplacé par M. Malouet et fait conseil- ler d'Etat en service ordinaire. Plus tard il fut élevé à la dignité de pair de France par Charles X. A la révolution de 1830 , il cessa d’appartenir à la Chambre des Pairs , se retira du conseil d'Etat, et alla se fixer en Bretagne, après avoir fait liquider sa pension. Arrivé à Rouen, après les perturbations qu'avaient oc casionnées la chute de l'Empire , la rentrée de Napoléon et l’invasion étrangère, sa mission offrait d'autant plus de difficultés que son ardeur pour le nouvel ordre de choses ne pouvait faire oublier le zèle qu’il avait montré sous le gou- vernement précédent, et lui suscita beaucoup d’ennemis, parce que l'esprit calme et froid de notre population se prêtait difficilement à une conversion aussi subite,quoiqu'elle parût sincère. On ne sera donc pas étonné que son admi- nistration , d’ailleurs fort courte , n’ait laissé que peu de souvenirs dans notre pays. M. de Kargariou avait à rem-— plir une tâche assez pénible pour ne pouvoir s'occuper de ces grandes entreprises qui sont le fruit de la méditation et de la tranquillité; cependantilcréa, au mois de février 1818, la Commission des antiquités quiexiste encore aujourd'hui, et dont les travaux sont appréciés par tous les amateurs d’études archéologiques ; ilyréunit alors plusieurs hommes d'un mérite éminent, parmi lesquels nous citerons nos confrères de regrettable mémoire, MM. Gosseaume , Mar- quis et Licquet, qui en fut le premier secrétaire. Notre Académie s'était empressée d'ouvrir ses portes à M. de Kergariou, dès le 1° décembre 1815. Il y fit son entrée par un discours dans lequel il exprimait le vœu que les Sociétés savantes s’occupassent très particulièrement CLASSE DES BELLES-LETTRES. 303 de l’histoire et des productions de leur pays ; « Ce serait , disait-il , le moyen de repousser l'imputation de légèreté et d'inconséquence que les étrangers font au peuple français ; d'alimenter les sciences et les arts; de créer un véritable esprit public; de confondre toutes les divergences d'opinions dans une seule ligne et d’anéantir cette présomptueuse philosophie, ce cosmopolisme prétendu, par le sentiment de l'amour de la patrie. » Elu vice-président pour 1817 , il n'aurait pas manqué. de devenir président l’année suivante, s’il fût resté à Rouen, et l’Académie n’a pas oublié qu'elle a dû, en grande partie, à son influence les 2,000 fr. qu'elle a obtenus du Conseil général, à la fin de 1818. Je dois vous rappeler aussi, Messieurs, un autre fait qui se rapporte à la même époque : bien que tous les soins relatifs à la confection de nos jetons actuels aient été con- fiés à la diligence et au zèle de notre confrère M. Auguste Le Prevost (Séance du 15 mai 1818), il est présumable que M. de Kergariou a dù aussi s’en occuper fort active- ment, puisqu'il a été décidé , dans la séance du 12 mars 1819, qu'il lui serait offert dix de ces jetons, en recon- naissance, dit le procès-verbal, de l'intérêt qu'il a pris et de la part qu'il a eue à la bonne compositionde cette médaille. Quant à sa vie privée, on se souvient que M. de Ker- gariou , qui avait six enfants, était un homme très esti- mable et un très bon père de famille ; quoiqu'excessi- vement vif et quelquefois violent, il avait un excellent cœur. M. de Kergariou , président d'honneur de la Société ar- chéologique et historique des Côtes-du-Nord , à laissé dans la Bretagne les plus honorables souvenirs. Il est mort à Portrieuc, près de Saint-Brieuc, le 15 juin 1849, à l'âge de 71 ans. NOTICE NÉCROLOGIQUE UR MB Pb Lue à l'Académie, Le 16 novembre 1849, Par M. A.-G. BALLIN, archiviste. Messieurs, Nous avons perdu, dès le commencement de cette année, l'un de nos membres les plus éminents, qui a laissé de longs et honorables souvenirs dans notre ville. Je veux parler de M. Thil, qui a siégé rarement parmi nous , mais qui s'était acquis au barreau de Rouen une belle réputa- tion , non-seulement comme orateur, mais surtout comme savant jurisconsulte, et c’est à ce titre qu'il a été accueilli dans le sein de l'Académie, à la fin de l’année 1818. Son discours de réception , qu'il a prononcé le 23 avril 1819, avait pour sujet l'Amour de la Patrie. Le récépiendaire expose d’abord des considérations générales sur ce noble sentiment par lequel il a vu lui-même toutes ses affections dominées , en fixant ses regards sur la France et sur les grands hommes dont elle s’honore ; il en recherche en- suite l'origine et croit la trouver dans l'attachement natu- rel de l'homme pour le berceau de son enfance, dans le charme attaché au souvenir des premières sensations, dans CLASSE DES BELLES -LETTRES. 305 cette fusion des intérêts privés qui, formant l'intérêt com- mun, constitue l'esprit public, complément de l'amour de la patrie et dont l'exaltation même lui paraît une vertu. Vous savez tous , Messieurs , à quel point M. Thil avait su se concilier l'estime de ses concitoyens et la position élevée qu'il devait à sa haute capacité. Ce peu de mots suflirait donc à constater ses justes titres à nos regrets mais je crois aller au devant de votre désir en vous don- nant, sur son compte, des détails plus circonstanciés, que je puiserai dans des notes communiquées par notre confrère M. Lévy, qui les tenait de la famille du défunt. Jkan-Baprisre-Louis THIL , né à Caen le 1# décembre 1781, fut le huitième et dernier enfant de parents qui n'a- vaient qu'une fortune médiocre, acquise honorablement dans le commerce. Il fit ses études à l’école centrale de sa ville natale , au plus fort de la tourmente révolutionnaire ; il les commença très tard, mais il les termina rapidement, après s'être signalé, surtout en rhétorique ; il s'était par- ticulièrement appliqué aux sciences mathématiques, qui lui donnèrent cette rectitude de jugement dont il fit preuve dans toutes les circonstances de sa vie, et, voulant se faire recevoir à l'école polytechnique , il s'était rendu à Paris pour y subir ses examens. Mais deux de ses frères avaient péri dans les rangs de l’armée française, une mort subite l'avait privé de son père, et son frère aîné , qui avait été avocat au Parlement de Caen et avait émigré pour se soustraire aux fureurs révolutionnaires, venait de mourir à Londres. Ces circonstances malheureuses déterminèrent sa mère , pour laquelle il professa toujours la plus grande vénération et le plus tendre attachement , à lui faire chan- ger de carrière ; sans quoi, disait-il lui-même à ce sujet , il aurait été tué ou fait général sur le champ de ba- taille. 306 ACADÉMIE DE ROUEN. Il se résigna donc et se livra, avec une nouvelle ardeur, à l'étude du droit : six mois lui suffirent pour posséder à fond Les lois civiles de Domat, et iln’avait que dix-neuf ans lorsqu'il vint, vers 1800, suivre le Palais de la ville de Rouen, où l’une de ses sœurs était établie. A cette époque, l'ordre des avocats n'existait point, on était encore sous le régime des défenseurs officieux , dont la profession était libre. M. Thil, qui était doué d’une grande justesse d'esprit , d’une conception rapide, d'une sensibilité profonde et d’un bel organe , avait acquis l'habitude des affaires dans le cabinet d’un des premiers jurisconsultes de Rouen; aussi s'était-il assuré, dès l’âge de 22 ans, une place honorable parmi ses émules, et , lors de l’organisation de l'ordre des avocats , il obtint un diplôme sans être soumis aux examens. Le jeune défenseur fit son début dans une affaire de vol , jugée par la cour d'assises de Rouen. Son premier combat fut une victoire. Voici comment il racontait lui- même cet événement : &ÏL y avait, disait-il, quelque temps que j'assistais aux audiences de la cour d'assises , cherchant une occasion de m’essayer. Un jour on allait juger un homme accusé de vol; sa figure me prévint en sa faveur et me fit écouter avec attention tous les détails de l'affaire. Je crus m’apercevoir que l’on pouvait tirer un parti avantageux des dépositions des témoins. Mon plan fut fait à l'instant , et, lorsque le président de la cour de- manda si quelqu'un se présentait pour défendre l'accusé , je m'offris ; je plaidai pendant plus d’une heure sans m'in- terrompre, et le jury acquitta l'accusé, » Satisfait de ce succès, M. Thil rentra chez lui, rassuré sur son avenir et s’applaudissant de sa hardiesse. Après CLASSE DES BELLES-LETTRES. 307 s'être distingué dans les affaires criminelles , il s’adonna aux affaires civiles . en première instance d’abord , puis à la Cour d'Appel, où il eut occasion de déployer un talent qui l'avait placé en première ligne, dès 1816 , époque de son mariage. Il fut bâtonnier de l’ordre des avocats de Rouen et plaida souvent avec avantage contre les membres les plus renom- més du barreau de Paris. La carrière politique de M. Thil ne commença qu'en 1827, au moment où la lutte des partis s'engagea si sérieuse- ment dans toute la France ; il fut nommé membre de la Chambre des Députés au grand Collége de Rouen, par l'opposition constitutionnelle. En 1829, il se prononça contre le clergé d’une manière qui put paraître un peu trop acerbe, à propos du cumul des fonctions ecclésiastiques , et, dans un discours remar- quable , il attaqua l'Archevêque de Rouen avec une cer- taine malignité , à l’occasion des diverses dignités dont ce prélat était revêtu Il prit une large part à la discussion de la loi sur la pêche fluviale et soutint fortement les intérêts de la Normandie. Les événements de 1850 vinrent le surprendre dans son lit, où le retenait depuis longtemps une cruelle maladie ; mais, quoiqu'à peine convalescent , il n’hésita point à descendre sur la place publique pour s’efforcer de modé- rer le mouvement, afin d'éviter toute collision sanglante , et, ce fut en partie à son énergie, que la ville de Rouen dut le calme dont elle jouit à cette époque. Réélu député de la Seine-Inférieure , il fut nommé pro- cureur-général près la Cour d'Appel de Rouen, le 16 août de la même année, sous le ministère de M. Dupont (de l'Eure. ) 308 ACADÉMIE DE ROUEN. Soumis à la réélection, il fut encore réélu, et, à la Chambre, il fut nommé rapporteur de la commission char- gée de la liquidation de l’ancienne liste civile. La nouvelle loi électorale ne lui permettant plus d’être élu député dans le ressort de la Cour d'Appel de Rouen, il cessa , au com- mencement de 1832, d’appartenir à la Chambre des Dépu- tés, mais, dès le 19 août de la même année, il fut élu par le collége électoral de Pont-l'Evêque, où il fut réélu sept fois jusqu’en 18#7. Le 27 juillet 1832, sur la proposition de M. Barthe , et sans l'avoir demandé , il fut nommé conseiller à la Cour de cassation , fonctions auxquelles il semblait prédestiné , car elles lui avaient déjà été offertes deux fois précédem- ment, mais il n'avait pas cru devoir les accepter ; enfin le 9 août 14847, il fut, sur la proposition de M. Hébert, promu à la présidence de la Chambre civile de la Cour de cassation. D'un autre côté, M. Thil était, depuis le 13 janvier 1833, membre du Conseil général du Calvados, dont il fut vice- président en 1841, ct président de 1843 à 1846. Notre confrère prit une part active et souvent heureuse à la discussion de la plupart des questions importantes que la Chambre des Députés a eues à résoudre : je citerai entr'autres les lois relatives à l'organisation départemen- tale et municipale (1833), aux faillites et banqueroutes (1835 et 1838) aux chemins vicinaux (1836), auxtribunaux de commerce et à la responsabilté des propriétaires de na- vires (1840 , aux ventes judiciaires et à l’expropriation forcée (1841), à la police du roulage (1843), à la police sur la chasse , aux brevets d'invention (1844), à l'organisation du conseil d'Etat (1845 , ete., etc. En 1847 , il fut élu président de la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'instruction secondaire , CLASSE DES BELLES-LETTRES. 309 dans laquelle il eut à lutter contre M. Thiers, dont il ap- préciait l'immense talent. Je ne dois pas omettre de vous dire, Messieurs, qu'en 1839, sous le ministère de M. Molé, la loyauté de notre confrère le porta à soutenir la conduite du président du Con- seil au sujet de l'évacuation d'Ancône ; l’année suivante, la loi sur le travail des enfants lui donna occasion de procla- mer le vif intérêt qu'il leur portait, à cause des souffrances qu'il leur avait vu endurer dans nos filatures ; en 4842, il insista vigoureusement en faveur du projet de loi tendant à proroger le privilége de la Banque de Rouen ; en 1843, il fut rapporteur du projet de loi relatif à un crédit supplé- mentaire de # millions, pour le prêt consenti par l'Etat à la compagnie du chemin de fer de Paris à Rouen , et il ré clama alors avec force contre la prétention de la compa- gnie de ne pas couvrir les voitures de 3° classe. Membre de la Légion-d'Honneur dès le {f mars 1831, M. Thil en devint oflicier le 6 mars 1838, et commandeur le 29 avril 1846. La révolution du 24 février 1848 mit fin à la carrière politique de notre confrère , il n'avait alors que 66 ans et sa forte constitution semblait lui présager une longue exis- tence qui ne devait pourtant avoir qu'une trop courte durée. Au mois de novembre, n'étant pas encore bien remis d'une congestion du poumon , M. Thil, craignant que son service ne souffrit de son absence, voulut, contre l'avis de son médecin , reprendre l'exercice de ses fonctions ; au retour de l'audience il fut saisi par le froid et contracta une affection catarrhale dont il ne s'inquiéta pas d’abord , mais qui s'aggrava bientôt : le jour de Noël, il eut une altaque d'apoplexie qui détermina la paralysie du côté 310 ACADÉMIE DE ROUEN. gauche. Dès-lors, tous les secours de l’art devinrent im- puissants ; cependant le malade recouvra son entière con— naissance, et reçut avec satisfaction ou plutôt avec grati- tude les visites du vénérable curé de Saint-Severin, dont les doux entretiens portèrent la consolation dans son âme, et le préparèrent à une fin toute chrétienne. Plein de résignation , il chercha à calmer la douleur de sa famille fondant en larmes, autour de son lit, et, au mo- ment de s'en séparer à jamais, il la bénit en disant : « Ne pleurez pas, mes enfants, la bénédiction d’un père porte toujours bonheur. » Enfin, le mardi 2 janvier, il s'éteignit si paisiblement qu'après la mort ses traits reprirent une admirable séré- nité. Son corps, déposé provisoirement dans les caveaux de Saint-Sulpice , au milieu d’un nombreux concours de ma- gistrats de la Cour de cassation , de membres de l'ordre des avocats , de parents et d'amis, fut ensuite inhumé à Saint-Nicolas de la Taille, dans notre département , où ses talents et sa probité seront longtemps en honneur. M. Thil laisse trois fils qui marchent sur ses traces, deux sont avocats, et l'aîné est auditeur au Conseil d'État. NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR Mg FAYET, évêque d'Orléans, Que à l'Academie, Le 16 Movembre 1849, Par M. A.-G. BALLIN , archiviste. Messieurs , En portant mes regards en arrière , je ne puis me dé- fendre d’être frappé d’une remarque bien triste, car je vois que, depuis trente ans , le personnel de l'Académie a été entièrement renouvelé. M. de Bernis venait d'être nommé archevêque de Rouen ; il fut installé le 27 no- vembre 1819, et, dèsle 17 décembre suivant, l'Académie lui conféra , par la voie ordinaire du scrutin , le titre de membre résidant ; mais aucun de nous , Messieurs , n’a concouru à cette élection. C'est dans cette même année que l'archevêque appela près de lui, avec le titre d'official métropolitain, M. l'abbé FAYET, qui s'était déjà acquis une brillante réputation ; il la soutint à Rouen par les conférences qu'il fit au Collége, et qui furent suivies avec le plus grand empressement ; sa parole vibrante , son élocution facile , sa prononciation dis- tincte, et même son accent méridional, donnaient un grand 312 ACADÉMIE DE ROUEN. charme à son débit , que rehaussaient encore de belles pensées et de nobles comparaisons, telles que celle-ci, que j'ai conservée dans ma mémoire : les livres saints sont comme le soleil , ils éclairent le monde entier. Un orateur de ce mérite devait appartenir à notre Aca- démie ; aussi ne manqua-t-elle pas de l'admettre au nom- bre de ses membres. Il fut élu dans la séance du 15 mars 1822 , mais il ne tarda pas à retourner à Paris, même avant la mort de M. de Bernis , arrivée le 4 février 1823. Le nouvel archevêque , le prince de Croï, fut installé le 91 février 182%, mais ce ne fut qu'en 1833 qu'il s'at- tacha, en qualité de vicaire-général, official et archidiacre des arrondissements du Havre et de Dieppe , M. l'abbé Fayet, qui, devenu, dès 1836, premier vicaire-général et doyen, fit cette fois un séjour de près de dix ans dans notre ville , qu’il ne quitta qu'en 1841. Aux termes du règlement , M. l'abbé Fayet ne pouvait rentrer à l'Académie qu'au moyen d’une nouvelle élection ; mais sa place était si bien marquée dans la Compagnie , qu'il n’hésita pas à se représenter en 1835 ; toutefois , une circonstance imprévue retarda son élection , qui n’eut lieu que l'année suivante , et il fit son entrée le 25 novembre 1836. Voici le début de son discours de réception : « Messieurs, appelé, pour la seconde fois , par la bien- veillance de vos suffrages , à prendre part aux travaux de cette illustre Compagnie , ce n’est pas seulement pour rester fidèle aux sages traditions de modestie qui font ou- blier aux récipiendaires tous les titres qu'ils peuvent avoir à cette faveur, afin d'en exalter le prix , mais c’est dans un sincère sentiment de reconnaissance que je viens vous remercier aujourd'hui , et de l'indulgence qui m'a ouvert deux fois, à de longs intervalles, les portes de votre Aca- démie , et de la condescendance non moins douce et bien- Tu CLASSE DES BELLES-LETTRES. 313 veillante qui a daigné excuser jusqu'à ce jour la lenteur involontaire avec laquelle je me suis rendu au milieu de vous. » Le récipiendaire entre en matière par le tableau des divisions qui , à une époque déjà éloignée de nous, ont existé entre les Sciences , les Lettres et les Arts, qui se prêtent aujourd’hui de mutuels secours, grâce à la salutaire médiation que leur ont offert les compagnies savantes et lettrées. Je regrette, Messieurs, que la crainte de trop allonger cette notice ne me permette pas de vous rappeler en entier ce discours remarquable dont voici les derniers mots : « Ainsi, Messieurs, vos dignes prédécesseurs vous ont transmis un bel héritage de gloire ; à votre tour. vous avez su le conserver et l’enrichir encore par vos talents et vos travaux, et le jour où je suis venu siéger au milieu de vous, ne sera ni le moins beau, ni le moins heureux de ma vie.» La réponse de M. Gors, alors président , a aussi captivé votre attention, et je crois devoir en rapporter ici la péro- raison qui s’adressait plus directement au récipiendaire. « Vous avez conçu, Monsieur , une juste opinion des sentiments qui animent l'Académie de Rouen : oui , amis et protecteurs des Sciences morales, amis et protecteurs des Sciences naturelles, amis et protecteurs des Lettres et des Arts, nous avons voué à leur gloire et nos talents et nos travaux. La Compagnie, qui a été privée si long- temps du plaisir de vous voir siéger dans son sein , espère que vous lui en offrirez un juste dédommagement. Vos lumières et votre zèle lui donnent, d’ailleurs, le droit d’at- tendre beaucoup de votre participation à ses travaux. Si le jour où vous êtes venu au milieu de nous ne doit être, 21 314 ACADÉMIE DE ROUEN. comme vous le dites, Monsieur, ni le moins beau, mi le moins heureux de votre vie, il sera aussi, n’en doutez pas, du nombre de ceux que l’Académie se plaira à compter parmi ses beaux jours. » Tel est le récit succinct des rapports de M. l'abbé Fayet avec Rouen et notre Académie ; je vais essayer maintenant de retracer très brièvement, trop brièvement peut être, les principaux détails d’une carrière si bien remplie, qu’elle pourrait devenir le sujet d’une longue histoire où l'intérêt ne ferait pas défaut. Jean-Jacques FAYET naquit à Mende, le 26 juillet 1787 ; son père , ancien avocat au bailliage du Gévaudan , puis juge de paix à Mende , fut un homme de bien et un digne magistrat, que ses vertus ne préservèrent point des dan- gers de la Terreur ; il faillit perdre la vie, sa maison fut dévastée , et sa femme en fut tellement épouvantée qu'elle mourut des suites de son effroi. Son fils n'avait alors que six ans; plus tard, il fut placé dans une institution de Lyon, où il fit de brillantes études; il obtint tous les premiers prix, et se distingua particulièrement en rhétorique ; il alla ensuite à Paris, où il fit son droit, et fut reçu licencié ; mais à peine avait-il commencé son stage qu'une vocation soudaine lui inspira la volonté irré- vocable d'entrer au séminaire de Saint-Sulpice ; il fut in- flexible aux représentations de son père., qui dut enfin céder à son désir, et il ne tarda pas à se distinguer parmi des condisciples qu'il n’était pas facile d’égaler : c'étaient MM.Affre, Maréchal, Tharin, Menjaud et autres. C'est là qu'il reçut les ordres mineurs et le sous-diaconat. En 1811, M. de Mons, évêque de Mende, le fit revenir dans son pays, l'ordonna prêtre au mois de juillet , et le chargea d'organiser les catéchismes sur le modèle de ceux qu'il avait faits avec beaucoup de succès à Saint-Sulpice. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 315 Les vieilles divisions entre les catholiques et les protestants se réveillèrent plus ardentes que jamais ; M. l'abbé Fayet parvint, en quelques mois, à les apaiser. En 1814 et 1815, ses compatriotes , reconnaissant en lui un homme non-seulement éclaré, mais encore ferme et modéré, le nommèrent , à l'unanimité , président du comité royal qui, dans ces temps difficiles, sut maintenir l'ordre , malgré l'effervescence des passions. Après la seconde restauration , il alla rendre compte à Paris de son administration à M. le duc d'Angoulême, qui lui conféra la décoration de la Légion-d'honneur ; plus tard , Charles X le fitoflicier de l’ordre, à l'époque de son sacre. L'œuvre des missions venait d'être fondé par MM. de Rauzan et de Janson, qui proposèrent à l'abbé Fayet de les seconder, ce qu'il accepta ; dès-lors commencèrent ces prédications qu'il fit en 1817 et 1818 , d’abord dans les villes voisines de la capitale et ensuite dans la Touraine, à Clermont , à Bordeaux et à Grenoble , où , par suite de tant de fatigues , il fut atteint d’une hémoptysie qui le força de prendre du repos; il se retira momentanément aux missions étrangères, où il rédigea, pour le Conservateur, des articles dont la plupart traitaient de matières religieuses. C'est à cette époque qu'il vint pour la première fois à Rouen , mais bientôt il fut rappelé à Paris par M. Frayssi- nous, grand-maître de l'Université, qui l'investit des fonctions d'inspecteur général des études. En 1827 , il fit un voyage à Mende , et ses compatriotes désirant l'avoir pour député , il fut élu au second tour de scrutin , mais il se désista en faveur de M. le général Brun de Villeret. Il fut atteint alors d'une maladie grave, pen- dant laquelle il eut la douleur de perdre son père, nommé 316 ACADÉMIE PE ROUEN récemment conseiller de préfecture. Lorsqu'il fut rétabli, il retourna à Paris reprendre ses fonctions qui lui furent enlevées par la révolution de juillet. A la fin de 1832 , il fut nommé professeur et doyen de la faculté de théologie qui fut alors organisée à Rouen ; l'archevêque le chargea en même temps de l'administra- tion de son diocèse , et Iui confia la rédaction de ses man- dements , qui peuvent être considérés comme des modèles du genre , et ont été traduits en plusieurs langues. Le prince avait en outre le bon esprit de ne pas s’en attribuer l'honneur. Au mariage de son neveu , M. le duc d'Havré , il lui adressa une charmante allocution; comme on le pense bien , ce fut pendant le repas le sujet de la conver- sation ; les éloges ne tarissaient point, mais avec cette grâce et cette bonté qui le caractérisaient, le prince dit, en se tournant vers l'abbé: M. le grand-vicaire , tous ces compliments vous appartiennent. Ah bien , Monseigneur, répliqua-t-il , si vous le dites , je ne vous en ferai plus ! Nommé curé de Saint-Roch, au mois d'août 1841, M. l'abbé Fayet passa, en octobre 1842, à l'évêché d'Or- léans, où son épiscopat , quelque court qu'il ait été, laissera de longs souvenirs. Voici ce qu’on lit, à ce sujet, dans les Archives des hommes du jour : « Personne n’oubliera jamais dans l'Orléanais la géné- reuse conduite qu'il tint lors des inondations de 1846. Les cent orphelins, surtout, alors adoptés par lui, pourront-ils jamais prononcer son nom sans le bénir? Ajoutons qu'il a fait construire, dans le diocèse d'Orléans , un petit sé- minaire , le plus bel établissement de ce genre qui soit en France. » Après la révolution de 1848 , ses compatriotes de Ja Lozère , au nombre de 19,200 sur 2% mille votants , le choisirent pour leur représentant à l’Assemblée consti- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 317 tuante, et ce fut son nom qui sortit le premier de l’urne électorale. Sans entrer dans l'examen de la ligne politique qu'il a suivie , et dont il est facile de retrouver la trace au Moniteur, ces archives irrécusables de notre histoire con- temporaine , je citerai l'observation qu'il fit sur le passage du préambule de la Constitution exprimant que le but de la République est une répartition plus équitable des charges ( Archives des hommes du jour ) : «il me semble, dit-il, que le but de toute société ne doit pas être seule- ment une répartition plus équitable des charges publiques, mais l'allégement de ces charges», et cette idée fut adoptée à-peu-près dans les mêmes termes. C'est ici le lieu de consigner un de ses bons mots que m'a rapporté l’un de nos confrères, qui est allé le voir il y a peu de temps à Paris. Les socialistes prétendent , disait-il, que le com- munisme est fondé sur l'évangile , et ils ont raison , mais avec cette différence néanmoins que, dans le leur , tout le monde prend, et, dans le nôtre, tout le monde donne (1). Monseigneur Fayet semblait pouvoir fournir encore une longue carrière , lorsque le fléau qui a fait tant de vic- times, le choléra , vint le frapper au commencement de cette année d'une mort presque subite, dans la 63° année de son âge. Il rendit le dernier soupir le 4 avril 1849, et, dès le lendemain , fut tirée au sort la députation de l'Assemblée nationale qui devait assister à ses funérailles. Le 8 au matin, son corps, après avoir été embaumé , fut déposé provisoirement dans les caveaux de Saint-Roch , et ensuite transporté à Orléans, où ses obsèques furent célébrés avec la pompe et le respect dus à l’un des prélats de l'Eglise de France. (1) Ontrouvera des renseignements plus étendus sur Monseigneur Fayet dans 'es Archives des hommes du jour, déjà citées, et dans la Biographie du clergé contemporain. PROGRAMME DES PRIX Prorosés pour 1850, 1851 Er 1852. 1550. L'Académie décernera, dans sa séance publique du mois d'août 1850, une médaille d'or de la valeur de 300 fr. au meilleur Mémoire manuscrit et inédit, dont le sujet sera : Un petit Traité d'Hygiène populaire, dégagé de toute considération purement théorique, à l'usage des ouvriers des villes et des habitants des campagnes. Ce livre, qui sera particulièrement applicable au dépar- tement de la Seine-Inférieure, devra présenter, sous la forme la plus simple et la plus attrayante possible, les préceptes généraux qu'il importe surtout de vulgariser. Le Ministre de l'Instruction publique ayant reconnu l'utilité de cette question et voulant augmenter l'émulation des auteurs , a, par arrêté du 12 octobre 1848, doublé la valeur de ce prix, qui sera en conséquence de 600 francs. 1851. L'Académie remet au concours le sujet suivant : Recherches biographiques sur Thomas CoRNeILLE, et revue critique de ses ouvrages. Une médaille d'or de la valeur de 300 fr. sera décernée à l'auteur couronné, dans la séance publique du mois d'août 1851. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 319 PRIX GOSSIER.— 1852. L'Académie décernera, dans sa séance du mois d'août 1852, un prix de 800 fr. à l'auteur du meilleur Mémoire manuscrit et inédit sur la question suivante : Quels sont les systèmes d'appareils galvaniques qui, sous le rapport de la force, de l’économie, de la réqu- larité et de la simplicité, doivent être préférés par ceux qui essaient de tirer parti des courants électriques pour obtenir une force motrice applicable à une branche quel- conque d'industrie. Observations relatives à tous les Concours. Chaque ouvrage devra porter en tête une devise qui sera répétée sur un billet cacheté, contenant le nom et le domi- cile de l'auteur. Dans le cas où le prix serait remporté, l'ouverture du billet sera faite par M. le Président, en séance particulière , et l’un de MM. les secrétaires donnera avis au lauréat de son succès, assez tôt pour qu’il lui soit pos- sible de venir en recevoir le prix à la séance publique. Lesacadémiciens résidants sont seuls exclus du concours. Les mémoires devront être adressés, francs de port , pour chaque concours, avant le 1° suix 1850, 1851 ou 1852, TERME De RiGueur , soit à M. J. Girardin , soit à M. À. Pottier , secrétaires de l Académie. MogBBIIIEIIIIARISIEIISIRIIIII III III IA TABLE DES OUVRAGES Reçus pendant l'année académique 1848-1849 , et classés par ordre alphabétique, soit du nom du l’auteur, ou du titre des ouvrages anonymes, suit du nom de la ville où sont publiés les ouvrages périodiques et ceux des Socielés savantes. Dressée conformément à l’art. 7 du règlement. Ga Amiens. Soc. des Antiquaires de Picardie. Bulletin w° 4, 1847. 1,2,3et 4, 1848. N° 1%el2, 49. — Mémoires, T. 9 , 1848. Angers, Suc. industrielle. Bulletin 19° année. 1848. Artur (J.-F.). Suite de la théorie élémentaire de la capil- larité , ete. , 1849. Auger (l'abbé). Dissertation sur la tolérance religieuse. Balme ( CI.) Observations et annotations pratiques sur le choléra morbus , 1849. Baufield (Thomas C.). Four lectures on the organization of industrie and the connexion between profits and Wages. —— Liverpool 1845. Beauvais. Athenee du Beauvaisis. Bulletin 2° sem. 48. Belhomme. 5° Mémoire sur la localisation des fonctions cérébrales et de la folie. Paris 1848. Beugnot. Réflexions sur les doctrines antisociales , 1849. Boileau de Castelnau fils. Des tumeurs blanches et de leur traitement. Thèse pour le doctorat en médecine , 1848. Bonnin (T.) Notes, fragments et documents pour servir à l'histoire de la ville d'Evreux. 1623-1816, — :647. Bordeaux. Académie drs Sciences, ete. Recueil des actes , 10° année ,1, 2, 3elh° trim. 1848. TABLE DES PUBLICATIONS. 321 Boucher de Perthes. Petites solutions de grands mots, fai- sant suile au petit glossaire administratif , 1848. — Anti- quités celliques et antédiluviennes. Mémoire sur l'indus- trie primitive et les arts à leur origine , 1849. Boulogne-sur-Mer. Soc. d'Agriculture. Séance semestrielle du 28 octobre 1848. Id 24 mars 1849. Bourdin. De la propriete hémostatique du coton. Boutigny (P.-H.) Quelques faits relatifs à l'état sphéroïdal des corps , épreuve du feu , homme incombustible , etc. Caen. Association normande. Annuaire des cing départements de la Normandie, 1849, 15° année. —Soc.d’Agricultureet de Commerce. Extrait des Séances, 1848. Cap (Paul-Ant.) Casimir Delavigne, éloge couronné par l'Académie de Rouen en 1846. — ( Nota, l'envoi de cet ouvrage donne occasion de réparer l’omission involontaire qu'a fait M. le Secrétaire des Lettres, en ne mentionnant pas, dans son rapport de 1846, le nom de M. Cap, au- quel l’Académie à décerné une médaille d’or , à la Séance publique du 10 août de la même année. ) Chälons-sur-Marne. Soc. d'Agriculture , etc. Séance publique année 1847. Cherbourg. Sociéié d'agricullure , etc., Mémoires, 1847. Chevalier fils (A. ) Notice historique et chronologique sur l'emploi de la pomme de terre et de sa fécule dans la pa- nification , 1848. — Pétition sur les falsifications. Civiale. De l’urétrotomie ou de quelques procédés peu usités de traiter Les retrécissements de l’urètre , 1849. Clermont-Ferrand. VW, Lecog. Coste. ( Prosper). Recherches balistiques sur les vitesses initiales, le recul et la résistance de l'air. Paris 1823. — Des déviations ou de la probabilité du tir des projectiles. Paris 1825. Couppey. Recherches historiques concernant Thomas Hélie de Biville, connu sous le nom de Bienheureux Thomas. 1843. 322 TABLE Defosse, Du Mode de Remboursement des Caisses d Épargnes par le Gouvernement de la République, et du moyen de les rembourser intégralement en espèces, si l’on voulait. Novembre 1848. Dénoix (M°° Fanny.) Aux gardes nationales de l'Oise, de la Somme et de la Seine. Strophes. Des-Alleurs. Séance de rentrée de l'Ecole préparatoire de médecme et de pharmacie de Rouen , 4 novembre 1848. Despréaux. Jntroduction de l’art dans les étoffes par les procédés Despreaux. Deville Histoire du Châtean d'Arques, 1839. — Notice sur feu Théodore Licquet (placée en téle de l'Histoire de Normandie de ce même Licquet ) Du Breuil fils. Quelques mots sur l’accroissement des arbres exovènes , 1847.— Projet de décret relatif à l’enseignement de l'horticulture, x°48. — Note sur l'accroissement en diamètre de quelques souches d'arbres résineux , après la suppression de leur tige , 1849. Duchesne-Duparc. De l'efficacité du traitement anti-cholérique d’Alibert, à l'hôpital Saint-Louis , pendant l'épidémie de 1832, etc., 1849 Dumesnil ( Pierre) Alain Blanchart. Chronique normande. Duranville ( Léon de}. Notice sur la côte Sainte-Catherine près Rouen , elc.. 1849. Gannal. De la boulangerie, des vices de son organisation actuelle, de sa réorganisation dans l'intérêt général des consommuteurs. Girardin. Jnstructions pour le peuple. Fabrication des vins et autres boissons. (79° Liv. Traité 758. ) — Rapport sur deux écrits de M. Moreau de Jonnès et Loiseleur-Deslong - champs , relatifs à la richesse agricole de la France, et à l'insuffisance des récoltes de céréales, 3848. — Courte Instruction sur l'emploi du sel ‘en agriculture ; 1849- — nr de a — mm DES PUBLICATIONS. 323 Notice sur une nouvelle conserve alimentaire pour la marine. — Un dernier mot sur la courge-potiron de Corfou. — Potiron pain du pauvre. 1849. Girault (Ch.) Thèses d'astronomie et de mécanique. Paris, 1843. Glanville { L. de). Discours lu dans la seance de la Societe Jrançaise, pour la conservation des monuments français , tenue à Rouen, le 14 décembre 1847. — Notes sur quel- ques médailles gauloises inédites , 1848. Hébert (J.-B.) Exposé complet du système géncral d'imma- triculation des personnes , des immeubles et des titres, 4° div. , 1847. Hélot (J ) Du varicocèle et de sa cure radicale, 1844. — 2° p. 1845. — De la Syphilis phagédénique et de son traitement, 1845. — Memoire sur le testicule syphilitique , en deux articles, 1846. Homberg. Abus du régime dotal au point de vue des intéréts du pays et de creux de la famille, Histoire et critique de ce régime , 1849. Hombres Firmas (d’). {inéraire proposé à la Société géolo- gique de France, dans sa reunion extraordinaire a Alaïs, le 30 aaût 1846. — Trois'ème Mémoire sur les ossernents Jossiles des environs de Paris. Alais , 1847. Houël (Juste). Annales des Cauchois depuis les temps celti- ques jusqu'à 1830 , 3 vol., 1847. Jobard. La Mémoire des yeux appliquée à l'enseignement du dessin , 1848. — Bulletin du Musce de l'industrie 1848, 118 ef 2° lio. 1849. — Projet de loi sur les brevets de prio- rilé, 1849. Kerckhove (vicomte J.-R-L. de). Quelques mots à la mémoire de $. A. R.le Grand-duc de Hesse Louis IT. Anvers, 1848. Lecadre. Note Sur la transmissibilité du choléra. Le chanteur de Pontaumont. Des romans de Charlemagne 324 TABLE considérés comme documents historiques du moyen-âge. 1844. Leclaire. Des améliorations qu'il seruit pussible d'apporter dans le sort des ouvriers peintres en bâtiments, etc. Lecoq (H.) Annales de l'Auvergne. T.21, mai el Juin, juillet et août, novembre et décembre 1848 Le Jolis. Mémoire sur l'introduction et la floraison, à Cher- bourg, d'une espèce peu connue de lin de lu Nouvelle-Zé- lande , et revue des plantes confondues sous le nom de Phormium tenax , 1845. Lelong. Essai pour parvenir à la solution de la plus grave question qui puisse préorcuper les amis de l'ordre #t de l'humanité. Amélioration du sort des travailleurs, 1848. Le Mans. Societé d'agriculture , etc. , de la Sarthe. Bulletin, 1% trimestre ; 1849- Lemire (A). Exposé des travaux de la Chambre de Commerce de Rouen , pendant l'exercice 1847-1848. Lemonnier. Discours prononcé à la séance publique de la Soc. académique des Enfants d’Apollon , le dim. 20 mai 1849. Le Prevost ( Aug. ) Histoire de Saint-Martin-du-Tilleul , par un habitant de cette commune , 1848. Lévy et Lewandowski Dromographe planétare , Calendrier pour 1849. Lewandowski. #. Lévy. Lille. Société des Sciences , et. Mémoires , annee 1846. Lombard (J.) Pie IX, ou la Semaine Suinte, poème en quatre chants, avec la traduction des lamentations de Jérémie , 1848. Louvel (l'abbé). La divinité de la Religion chrélienne par le fait de la résurrection de Jesus-Christ , mauuscrit. Lyon. Acauémie des Sciences. Mémoires, T. 2 ,2° div., 1848. Sciences. — Id. Lettres, 3° liv., Sciences. DES PUBLICATIONS. 325 Mancel Ærxtrait des séances de la Sor. d'Agriculture de Caen, annee 1848. Mérat ÆEtudrs des rosiers et en particulier des rosiers sur tiges, { 849 Metz. Soc. d'Histoire naturelle de la Moselle. Bulletin, 5° cahier , 1848-1849. Millon (E,) e’ J, Reiset. Annuarre de chimie. Munich. Academie royale. Dre chemie ïn ihrem verhült- nisse zur physiologie und pathologie, 1848. — Abhandiun- gen der mathematisch physikalischen classe, etc. , 1848. — 14. der philosophisch-philogischen classe , 1849. — Id. der Historischen , classe, 1849. — Ueler das Ethische Element un Rechtsprinzip , etc. , 1848. — Denkrede auf Joscph Gerhard Zuccarini , 1848. — Bulletin der Konigl. Académie der Wissenchafien, 1848, N° 1 à 52. Nancy. Société des secours. Memoires, 1847. Nepveur. De la réorganisation des Mout-de-Pieté , etc. — De la condition physique et morale des enfants trouves au 19° siècle et du système qu'il convient d'adopter comme règle unique du service de ces enfants. Néville ( Hilaire de). Election d'un haut doyen de l’église métropolitaine de Rouen au xvinre siècle. Manuscrit. Paris. Institut historique. L'Investigateur. Lio. 164° à x71°. Paris. Ministère de la Justice. Compte général de l’adminis- tration de la Justice civile et commerciale de France, pen- dant l'année 1846. Paris. Journal des Savants, août 1848 à juillet 1849. Paris. Société de géographie. Bulletins, 3° série. — T.9, n° 5u , mars 1848. — T.io, n% 52 à 62. Paris. Societe de la morale chrétienne. Journal, 4° serie. — Mas ,:1849, n°2 à 4. Paris. Soctété de l'Histoire de France. Bulletin n° 8, octobre 1848. N°6 , juin 1849. Paris, Société française de statistique universelle. Journal des travaux, n° 1 à 3, 1848-1849: 326 TABLE Paris. Societe libre des Beaux-Arts.— Annales. T. 16, 1846- 1847- Paris, Société philothecnique. Annuaire de la Société. 1847 , 1548 , 1849, Person. Recherches sur la chaleur latente de fusion, 2° partie. — Sur la congélation du mercure et sur sa chaleur latente de fusion. Pierre (J.-Isidore). Recherches sur la dilatation des liquides. Thèse de physique , 11 août 1845. — Recherches sur les proprieles physiques des liquides, el en purticulier sur leur dilatation. 1847. — Recherches sur la dilatation des li- guides , 1847. — Note sur l'équivalent du titane. — Note sur quelques faits relatifs à la théorie des radicaux orga- niques , 1847. — Recherches sur les combinaisons du si- licium , 1848. — Note sur l'acide sulfureux et sur sa com- binaison avec l’eau , 1848. — Recherches sur la dilatation et sur quelques autres propriétés physiques de l'acide sul- fureux anhydre, et du sulfite d'oxyde d'éthyle. — Sur un nouveau dérivé chlore de la liqueur des Hollaudaïs. Poitiers. Sociélé académique d'agriculture. Bulletin. Nou- velle série, n°7 el 8. — 5°et4°tr., 1847 ; 1848. Poitiers. Societé des antiquaires de l'Ouest. Compte-rendu du 3° trim. 1848, 1° tr. 1849: Prévost. Observalions sur les ravages causes par les mans, et sur les moyens d'en arrêter les progrès, 1849. — Note sur quelques arbres, la plupart exotiques, très remarquables par leurs grandes dimensions. Reims. Académie. Séances et travaux , 1848-1849. — N°1, Led DE o 1 1 Ù Lo 20 6 À Reiset (J.) W. Millon. Reville., graveur en taille-douce. O/ffrande à l'Académie de deux épreuves du portrait de P. Corneille, et d’une épreuve de Th. Corneille. DES PUBLICATIONS. 327 Rochefoucault-Liancourt ( dela ). Achille à Troie, Poème, 1548. Rondeaux (J.) Recueil de faits divers et de pièces inédites ou déja publiées, concernant la Seine maritime , 1849. Rouen, Cercle pratique d'horticulture. Bulletin. N® 1à7, 1848. Rouen. Chambre de Commerce. Statistique du commerce ma- ritime de Rouen et du commerce d'exportation des tissus de coton et de laïne, pendant l'année 1846. — Id. , pendant les années 1847, 1848 et 1849. Rouen. Corporation des tisserands de Rouen. — Enquête. Rouen. Société centrale d'Agriculture. Extrait des travaux , 108° el 109° cahiers. 1 cahier de tables. 110€, 1119, 112€ cahier. 1% trim. 1849. Rouen. Societé centrale d'herticulture. Bulletin. T.2, 6° Cahier de la Pomologie. — T'. 3, année 1848. — Caisses de retraites et Sociétés de secours muruels. Rouen. Societe libre d'Emulation. Bulletins, 1847 , 1848. Rouen. Suciélé libre du commerce et de l'industrie. Bulletin. &° n°, décembre 1848. — Mémoire sur la suppression de l'Académie universitaire de Rouen. — Mémoire sur le projet de décret relatif à la responsabitité de l’administra- tion des postes. 1% mai 1849. Saint-Lô. Annuaire de la Manche. 20° année , 1848, par AT. Julien Travers. Smyttere (P.-J.-E. de —, de Cassel). Notice statistique , historique et médicale sur l’Asile public des aliénes de Lille, 1847. Stassart {le baron de). Notice sur le baron Ladoucette, 1848. (F, le Précis de 1848 , p. xev). — Dix-huit lettres de Frédéric-Guillaume de Brandebourg , surnomme le Grand- Electeur , précédées d’une Notice sur la vie de ce prince, 1848. — Notice sur Guillaume-Eugène-Joseph , baron de Wal, commandeur de l'Ordre Teutonique. 328 TABLE DES PUBLICATIONS. Tailliar. Rerueil d'actes des xu° et xuui° siècles, en langue romane-wallonne du Nord de lu France, avec une in- troduction et des notes , 1849. Thierry. Notice sur M. Le Chanteur. Cherbourg , 1848. Tisserands. Corporation des. ( V. Rouen, }) Tougard. Notice soumise à la Socicie centrale d’horticulture , sur les terrains submergés ou inondes. Toulon. Société des sciences etc. Pulletin 16° année. N°1 à &, 1848. Toulouse. Académie des Jeux floraux. Recueil, 1849. Toulouse. Académie des Sciences. Histoires et mémoires de l'Académie royale des Sciences . Inscript. et Belles- Lettres de Toulouse. T 1%, 1782. — T. 4, 17990. — Histoire et Mémoires , etc. Années 1828 à 1833 , 1834. — 1837 à 1839. 1839. — Années 1839, 1840, 1841, 1843. NP yet Ni D 38 Sen, 1044 — T2, 3° sène, 1846. — Statuts et règlements de 1 "Académie. — Trois Annuuïres de l’Acudémie , 1846, 18/48 et 18,9. Travers (Julien). /ns/ruclion et amélioration du peuple. Caen, 1849. — Annuaire de la Manche. 20° année, 1848. Tristan père (J.de). Etudes physiques sur le choléra de 1832. — 1849. Versailles. Société des Sciences morales de Seine-et-Uise. Mémoires. T. 2, 1849. Wagner (neveu). Mémoires sur les échappements simples usités en horlogerie , 1847: HER TABLEAU DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN, POUR L'ANNÉE 1849—1890. OFFICIERS EN EXERCICE. M. BERGASSE K, Président. M. AveneL, Vrce-Président. M: J. GirarnIN #, Secrétaire pour la Classe des Sciences. M. A. Porter, Secrétaire pour la Classe des Belles-Lettres el des Arts. M. Herus, 7'résorier. M. Bar, Bibliothécarre-Archiviste. Nora Ea conformité de l'article 70 des statuts réglementaires du 30 août 1848, la liste complète ne devant plus être imprimée que de cinq en cinq ans, on se borne à indiquer ici les additions et retranchements à faire aux listes de 1847-48 et 1848-49. RÉSIDANTS TITULAIRES, MM. 1849. CLOGENSON, conseiller à la Cour d'Appel de Rouen, 2, rue du Loup. A. BLANCHE, premier Avocat-(Grénéral , 27, rte Brhorel. Nepveur, Conseiller à la Cour d'Appel, 44, rue de l'École. Hécor ( Jules), docteur-médecin, chirurgien en chef à l'Hospice-Général, 78, rue des Bons-Enfants. GirauzT, Professeur de mathématiques spéciales au Lycée de Rouen, 2, rue du Æampart. Louvez (l'abbé), aumônier du Lycée. Léonce DE GLANVILLE, Inspecteur de la Société-Française pour la conservalion des monuments historiques, 19, rue Bourg-l'Able. 22 330 MEMBRES CORRESPONDANTS, ETC. CORRESPONDANTS, MM. 1849. Devize (Achille), ancien résidant, Receveur général à Alençon (Orne). Parcapre, Inspecteur général des établissements d'aliénés, à Paris. Courrex, Juge au Tribunal de Cherbourg. AuUGER ( Jean-Baptiste Amand), Chanoiïne honoraire de Beau- vais et de Bayeux, docteur de la Faculté des Lettres de Paris, etc., etc., à Paris, 93, rue de Vaugirard. Prerre (Isidore), Professeur de physique à la Faculté de Caen. Le Jours, secrétaire de la Société d’horticulture de Cherbourg. CHÉRUEL, ancien résidant, maître de conférences à l'École normale, rue de Las-Cazes, à Paris. CORRESPONDANTS ÉTRANGERS, MM. 1847. M. HergerGer ( D.—-Édouard ), membre de plusieurs Acadé- mies, professeur de technologie, ete , à l'Université de Wurzbourg (Bavière ). MEMBRE DÉMISSIONNAIRE. M. Decorpe , Conseiller à la Cour d'Appel de Rouen. MEMBRES DÉCÉDÉS depuis la fin de l’année 1848. MM. de Mirville, Dupasquier, Guersant, Bignon, de Martain- ville, Ribard, Verdière, Ladoucette, Jullien (de Paris), Blanche, Dubois- Maisonneuve, Loiseleur- Deslongchamps, de Kergariou, de Moléon, Jourdan, De la Quesnerie, Morin ( ingénieur en retraite des ponts et chaussées), Thil, Philippar, Fayet, ct, pendant l’im- pression de ce volume, Francœur , l'abbé Labourderie et Brunel. a — # TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE PRÉSENT VOLUME. Discours d'ouverture de la séance publique du 16 août 1849, sur la différence entre les travaux des anciennes et des nouvelles Sociétés savantes, et,en particulier, sur l’Académie des Palinods de Rouen, par M. Homberg, président. CLASSE DES SCIENCES. Rapport sur les travaux de l'Académie, par M. J. Girardin, secrétaire de la classe des Sciences... MEMBRES DÉCÉDÉS. MM. Morin, 15—43; Jourdan, 15—48; Loise- leur-Deslongchamps, 15—50; Philippar,15—53; De Moléon, 15—55; et, enfin, le docteur Blanche , 15—57. MATHÉMATIQUES. Thèses d'astronomie et de mécanique, de M. Gi- RENE SET RARE EE OO TP ARE Dromographe planétaire ,par MM. Lévy et Lewan- doswki . Observations météorologiques , par M. Preisser. . 18— Modifications proposées par M. de Cologne dans les pompes à incendie. SCIENCES PHYSIQUES. Chaleur latente de fusion des corps solides, par M. Parson. . 14 16 18 92 19 20 332 TABLE ÿ Propriétés physiques des liquides , leur dilatation , par M. Isidore Pierre. - Propriètes physiques des huiles, par MM. Boutan et Preisser. MATE CHIMIE. Mémoires de M. Pierre . : Arsenic dans les eaux minérales, par MM. Cheva- lier et Gobley.. Fer dans les eaux de nivbres, par M. Marchand. Inflammation des plantes qui ont bouilli dans l'huile, par le même. Analyse d’un pain avarié, par le même. Recherches sur le jaune d' œuf , par M. Gobley.… Analyse de calculs trouvés chez un bœuf par M. Girardin , Analyses comparatives de plusieurs espèces & courges, par le même. . . . . . . . BOTANIQUE. Accroissement des arbres exogènes par M. Dubreuil Is ne 2 - Greffe naturelle des arbres verts : par ler même . Plantes rares des environs de ln | par M. Le Jolis.. : £ur le Phormium tenax, par se même. AGRICULTURE. Rapports de M. Bergasse. Instruction sur l'emploi du sel, par M. Girardin. ZOOLOGIE MICROSCOPIQUE. Organes des infusoires , par M. Pouchet. SCIENCES MÉDICALES. Choléra. Methode d'Alibert, par M. Duchesne- Duparc. 53-61 Al DA DES MATIÈRES. Invasion du Choléra dans le département, par MAN LECAQT EN CU, = Invasion et marche du Choléra à Saint-Yon par MARMMENtELUC CET A i- Marche du Choléra dans Pinténieur Fe Hotien , par M MAUCUT. D ue Erreur et préjugés sur le ‘Choléra. Mémoires de M. Hélot.. Sur les tumeurs blanches, par M. ‘Boileau de Cas- telnau fils. STATISTIQUE. Suspension des travaux industriels dans les pri- sons, par M. de Castelnau pére. Mortalité dans la ville de Rouen. : Lettre à M. Auguste Le Prevost, sur la statistique. par M. Ballin. Tableau décennal des opérations du Mont. de- 21 par le même. . Histoire de la Seine maritime, par M. J. ontaur, Complément du rapport du Secrétaire de la classe des sciences. SRE Travaux chimiques de M. Re. ste Histoire de la poudre à canon. NÉCROLOGIE. Notice sur M. Morin. . . -— M. Jourdan. È s — M. Loiseleur- Deslongchamps.. — M. Philippar.…. — M. Tuleu de Moléon. — M. Blanche.. . 333 MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE A DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION EN ENTIER DANS SES ACTES. Mémoires sur les organes de la circulation et de la digestion des animaux infusoires et microzoaires, par M. Pouchet.. 33 TABLE Recherches sur les propriétés physiques des huiles, par MM. Boutanet F. Preisser.. . . . . . . . Renseignements sur les Gpérälons du Mont-de- Piété de Rouen, par M. Ballin.. . . . . = Lettre à M. Auguste Le Prevost , sur la statistique, Dar MPalOn ee 0 D Observations room gar M. F. “Preisser. CLASSE DES LETTRES. 24-69 42-82 42-86 13-92 Rapport sur les travaux de la classe des Lettres et des Arts, par M. À. Pottier, secrétaire. THÉOLOGIE. De la Divinité de la Religion, prouvée par le fait incontestable de la résurrection , par M. l'abbé Louvel.. Le Notice de M. on Fe anne sur de vie Y bienheureux Thomas-Elie de Biville . . La tolérance religieuse, par M. l'abbé Auger... JURISPRUDENCE. Du régime dotal et de La communauté légale, par MCHOMbET ge en NANTES Compte général de l administration de Ja justice ci- vile et commerciale en France, EE diet les an- nées 1345 et 1846. A . Dissertation de M. Couppey, sur la preuve A judé. ciaire au moyer-dge en Normandie . La symbolique du droit, par M. Chassan. à Discours de réception de M. 4. Blanche, sur la question de savoir s'il est désirable que les proces civils, qui ne peuvent se juger que par la combi- naison du droit et du fait, soient soumis à l’ap- préciation du jury. Réponse de M. Homberg, président : contenant l'historique de l'application du jury aux matières civiles, chez nos voisins les Anglais. 111 112 113 113 114 . 117-168 118 DES MATIÈRES. SCIENCES ET ARTS. De ia philosophie, par M. Decorde . . Sur les doctrines anti-sociales et sur leurs consé- quences, par M. Beugnot.. . . . . . - Sur la concurrence industrielle et Les Hasare din, vention, par M.Jobard. . . . . . à Sur la Suppression ou le maintien des tours, par M Nepveur et Bergasse.. BEAUX ARTS. Bapport de M. Hellis, sur le concours pour le dé Gossier . : Rapport de M. Pottier, sur les encouragements à décerner aux Beaux-Arts. ; ; Portrait en pied de Pierre Corneille, par #1. Lebrun. BELLES-LETTRES, HISTOIRE LITTÉRAIRE. Discours de réception de m. Clogenson: Foltaire dans ses rapports avec les Académies de province, et principalement avec l’Académie de Rouen. Héponse de M. le Président. = La première thèse de Bossuet, par M. Floquet.… Mélanges : MM. De l'aze, Lévesque et Bergasse. Sur les origines de l'imprimerie, par M. Frère. Système de linguistique de M. l'abbé Latouche . Canzonette de Métastase, traduites par V. Ballin, et Pièce de vers par 4. l'abbé Picard. ne Histoire de La Cathédrale de Rouen depuis l'époque de sa fondation jusqu'à nos jours, par M. Léon Fallue. . Notice sur ‘le manoir r de l’ AHher mont, par 1. L'abbé Cochet. AD DUR DO TR AE A USE ec + EE Fragment d un ouvrage sur le gouvernement per- sonnel de Louis XI, et suite du mémoire sur l'instruction publique, pendant le moyen-äge, par M. Chéruel.. 335 ib.—155 124—207 ib.—190 123 127—295 428 ib. 129 1450 ib.—249 336 TABLE Notices sur les Enseignes considérées comme signes distinctifs des anciennes maisons particulières, par M. De la Quérière. . . . . hs SN 151 Mutations dans le personnel des membres de l'Aca- DERMRO. Re = Le demo unit et te CLP ED) MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE A DÉLIBÉRÉ L’'IMPRESSION EN ENTIER DANS SES ACTES. Rapport sur les prix d'encouragement à décerner aux artistes, par M. À. Pottier. . . . . . 125—155 ARCHITECTURE. 1 Brunet-Debaines, médaille &or. 155 — — M. Delaunay, mention très honorable. 159 PernTure.— M. Auguste Lebrun, médaille d’or. . . 141 PEINTURE ET LITHOGRAPHIE. — M. Lui medaille DOFGENC SCENE zu STE er Éc 145 SCULPTURE .— M. Graillou, nue en PE. ANER 144 — —M. Boudin, médaille en vermeil . . . 146 Musique.— M. Vervoitte, médaille en vermeil . . . 1°0 — —M. Nestor Desrue, mention trés hono- HADLE SEINS LE EEE ne 152 Rapport sur le concours pour le A Gossier, par Ar SR ed Reel pan te Nota. Le lauréat est M. Raymond BorDEAUX fils, docteur en droit, avocat à Evreux. Il y a eu erreur dans la désignation de la page 167. De l'application du jury aux matières civiles, par M. …Ant. Blanche, (Discours de réception) . . . 117—168 La premiere thèse de Bossuet , par M. 4. Floquet.. 125 —190 Procession solennelle à Notre-Dame de Bonsecours, par M. l'abbé Picard... > REA: 200 Des relations de l’oltaire avec les. tculémies at en particulier avec l'Académie de Rouen, par M. Clogenson. (Discours de réception). . . . . 124—207 Considérations sur les origines typographiques, par M. B4., FTET OS NO ER RE ee. EU CASTERD DES MATIÈRES. 337 De l'instruction publique à Rouen, depuis la fin du moyen-äge jusqu'à l'établissement définitif du Collège des Jésuites, par M. Chéruel.. . . . 130—249 Des Enseignes considérées comme signes distinctifs des maisons particulières, par m. De la Quérière. 151—9272 Canzonettes de Métastase, traduites par M. Ballin. 294 Notice necrolog. sur M. de Kergariou, par le même. 501 Notice nécrologique sur M. Thil, par le méme. 504 Notice sur mg Fayet, par le même . . . . . . 511 Programme des Priæ pour 1850, 51 et 52 . Table des Ouvrages reçus pendant l'année aeadé- mique 1848—1849 . 318 2 ERRATA. Pag. 5, lig. 14, Palynods, lisez Palinods. Id. lig. 145 et 146, qu’à publié, Lisez qu'a publiées. Pag. 89 lig. 14, après en trois articles, ajoutez : Règne minéral. Pag. 467, l'indication portée à la dernière ligne, est erronée : l'auteur du Mémoire qui a méritéle prix Gossier, est M. Raymond BORDE AUX, fils, docteur en droit, avocat à Évreux. PRÉCIS ANALYTIQUE DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN, PENDANT L'ANNÉE 1849-1850. PRÉCIS ANALYTIQUE DES TRAVAUX L'AGADEMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN, PENDANT L'ANNÉE 1849-1850. ROUEN, IMPRIMERIE DE ALFRED PÉRON, RUE DE LA ViICOMIE, 55, ——— 1850, EXTRAIT des Statuts réglementaires du 30 août 1848. Article 39. — L'Académie déclare laisser à leurs auteurs toute la responsabilité des opinions et des propositions consignées dans les ouvrages lus à ses séances ou imprimés par son ordre. Cette disposition sera insérée , chaque année , dans le Précis de ses travaux. PRÉCIS ANALYTIQUE DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE Des Sciences, Belles-Lettres et Arts DE ROUEN, PENDANT L'ANNÉE 1849-1850. 0] DISCOURS D'OUVERTURE De La Séance publique du 4% Aout 1850, Prononcé par M. BERGASSE, Président. MESSIEURS, C'est assurément un jour honorable pour l'Académie, que celui où, renonçant à ses habitudes d'isolement et de retraite, elle expose aux yeux du public sa vie intérieure , ses études , le résultat de ses recherches , et appelle l'exa- men et la critique sur le culte que, pendant une année tout entière, elle a rendu aux Sciences, aux Belles-Lettres et aux Arts. Obligé de commencer en son nom le long entretien qu'elle va avoir avec vous, j'ai cru ne pouvoir mieux entrer { 2 ACADÉMIE DE ROUEN. dans l'esprit de cette solennité qu'en vous faisant connaître la pensée unique qui a présidé aux travaux dont le récit va bientôt vous être présenté par d’habiles interprètes. Si chaque siècle a son caractère, il a aussi des besoins qui lui sont propres … A l’époque où la nature avait été plutôt explorée qu'étudiée, où les divers domaines de l'intelligence n'étaient cultivés que par le petit nombre, exciter l’activité de l'esprit humain, lui signaler des voies nouvelles, l'encourager à s’y élancer, devait être la préoc- cupation des hommes alors en possession de donner le branle à leur siècle, et dont l'irrésistible ascendant impri- mait aux œuvres de leurs contemporains un si remarquable caractère de grandeur et d'unité !.. Cette préoccupation, ils surent la communiquer aux compagnies savantes dont ils faisaient partie... Le succès le plus éclatant vint cou- ronner leurs efforts... Quel est l'ami des connaissances mathématiques et naturelles qui pourrait avoir oublié com- bien l’Académie des Sciences contribua à leur avancement, en appelant au travail les Bernouilly, les Euler, et plus tard les Lagrange , les Monge et les Laplace ?... Quel ami des Lettres ne se ressouviendrait pas que c'est le programme d'une modeste académie de province qui mit la plume à la main de l’auteur du Contrat social, et vint révéler au monde l’immensité de son talent et la fatale source de ses erreurs... Aujourd'hui , Messieurs, il importe bien moins d'exciter l'activité de l'esprit humain , que de le diriger dans des voies qui puissent lui assurer des progrès réels... A côté et tout autour des anciens temples dédiés aux Sciences et aux Lettres, et où l’on ne fait plus, suivant quelques-uns, que leur offrir un vain et stérile encens, il s'est élevé une mult'tude de hauts lieux où leur culte compte de nombreux adorateurs.. .. I n'est aucune partie du champ si vaste de DISCOURS D'OUVERTURE. 3 nos Connaissances qui pe soit exploitée... Chacun consul- tant plutôt ses instincts que ses forces, choisit celle qui lui convient, et la sécurité sur les résultats devient d’au- tant plus universelle que le principe de la division du travail, introduit avec tant d'avantage dans l'industrie, a prévalu aussi dans les domaines de l'intelligence. Partout ont succédé aux études d'ensemble les études de détail, aux théories les applications , à l'esprit de syn- thèse l'esprit d'analyse. Si cette tendance , utile à quel- ques égards, funeste sous beaucoup d’autres, n'était contrebalancée par une tendance contraire, n’arriverions- nous pas à une ère de décadence ?... Et puisque la race de ces hommes forts qui, dans une puissante étreinte, savaient embrasser tout ce qu'il nous est donné d'étudier est éteinte, pourquoi donc les sociétés savantes qui, sous ce rapport, les représentent, ne s’efforceraient-elles pas de les remplacer, en rappelant sans cesse les Sciences à la spéculation et à l'unité, les Lettres et les Arts aux prin- cipes si simples du vrai et du beau, et à l'étude des modèles qui les ont mis en pratique ?... C'est ainsi du moins que nous avons compris leur mission. Il nous à semblé que , si elles y étaient infidèles , cette lumière calme et pure qui remplit encore l'horizon des intelligences, cèderait bientôt la place à d'innombrables lueurs toujours errantes et douteuses , funestes avant-coureurs des longues nuits de l'ignorance... Un rapide coup-d'œil jeté sur l'état des Sciences, de la Littérature et des Arts va vous permettre de juger si nous nous sommes trompés. La situation des premières semble n'accuser que d'im- menses progrès sur le passé... Le ciel se dévoilant de plus A ACADÉMIE DE ROUEN. en plus, grâce à la perfection de nos instruments et à la bonté de nos méthodes, et des étoiles inconnues à nos pères, venant par milliers s'offrir à nos yeux et grossir nos catalogues; les richesses que l'histoire naturelle se charge de décrire , l'anatomie et la physiologie d'étudier, s'accroissant chaque jour, et d'imparfaites théories, de défectueuses nomenclatures, disparaissant devant des théories plus satisfaisantes et des nomenclatures plus rationnelles ; la physique et la chimie agrandissant continuel- lement leurs domaines , et la mémoire ne suffisant plus à retenir les noms des nouveaux composés qu'une savante analyse met à chaque instant à découvert; la géologie, née il y a peu de jours de leur alliance , ayant déjà recueilli presque autant de faits que ses ainées, et opposant avec orgueil la vraisemblance de ses conjectures à la certitude de leurs résultats; les mathématiques planant sur toutes les autres études, leur servant de guide et de régula- teur, sans abandonner les régions de l’abstraction et de l'infini qui leur appartiennent ; voilà assurément, Mes- sieurs, un magnifique tableau... Reconnaissons, toute- fois, que nous ne pourrions, sans injustice, en attribuer exclusivement la gloire à notre siècle, puisqu'il n’a fait que marcher dans la brillante carrière que lui avait ouverte le xvu°..…. Mais une gloire qui lui appartient tout entière , c'est celle d'avoir fait descendre les sciences des sommets souvent si peu accessibles qu'elles habitaient, pour venir an secours des besoins, des jouissances , j'oserai même dire des caprices de l’homme , et pour répandre sur l'agri- culture et tous les arts industriels, en les élevant presqu'à leur hauteur , le vif éclat qu'à leur tour ils réfléchissent maintenant sur elles. Ne nous dissimulons pas cependant tout ce que cette situation si florissante recouvre de dangers! Plus une TN * DISCOURS D'OUVERTURE. ù science s'enrichit de faits et d'observations, plus elle tend à oublier son point de départ et à se séparer de ses com- pagnes. Et néanmoins leur union ne fait-elle pas leur puissance ?... Qu'étaient la physique et la chimie avant qu'elles se fussent rapprochées et que la géométrie leur eüt prêté son langage, ses formules et la rigueur de ses démonstrations ?... La nature n'est-elle pas simple et une dans ses voies? Et nous est-il permis de confondre sa force avec la faiblesse de l'œil qui la considère ?.…. Mas c'est surtout l'alliance des sciences avec l'indus- trie qui pourrait leur devenir funeste. Qu'arriverait-il si, éblouies par les prodiges qu’elles lui ont fait opérer, et ne cherchant plus qu'à en obtenir de nouveaux , elles venaient à perdre de vue leur vocation primitive; si, après avoir épuisé leurs forces au service d’une étrangère, elles en demandaient de nouvelles non plus à ces longues médita- tions qui, seules, ont la vertu d’enfanter des découvertes vraiment fécondes, non plus à cette austère et puissante synthèse qui, employée par Newton dans l'ombre et le silence , lui révéla le secret des cieux, mais à cette multitude d'observations de détail qu'elles auraient re- cueillies dans des routes où l’aveugle intérêt aurait conduit leurs pas? Bientôt, frappées d'impuissance , elles ne se- raient plus traitées qu'en mercenaires... Et cette grande , cette noble, cette sublime étude de la création, qui exalte et fait épanouir toutes nos facultés, qui, laissant l'homme à sa place , l'amène à s'incliner devant l'auteur des merveilles qui l'entourent , ne serait plus qu’une grossière et sordide exploitation à son profit des forces et des ressources de l'univers dont il deviendrait le centre et comme la Divinité.….. Voulons-nous éviter un aussi triste résultat dont un pays voisin nous offre de déplorables et honteux exem- 6 ACADÉMIE DE ROUEN. ples?.. N'oublions jamais la grandeur originelle de ces filles du ciel! Encourageons-les, sans doute, dans la gé- néreuse assistance qu'elles nous prêtent pour satisfaire aux besoins de la civilisation moderne !.. Ne rougissons pas quand elles matérialisent leurs abstractions les plus rele- vées !.. Mais gardons-nous de les retenir dans les régions inférieures !.… Faisons-les souvent remonter sur les som- mets qui sont leur véritable séjour !.. Qu'elles s'y retrem- pent dars une union toujours de plus en plus intime !.. Qu'elles y puisent une nouvelle vie dans une contemplation de plus en plus désintéressée de la nature et de ses voies !.. Que le domaine enfin de la spéculation s'agrandisse à me- sure que celui de l'application s'étendra ".…. Ces vérités salutaires n'ont pas cessé d'être présentes à la pensée de l'Académie et de la diriger dans ses études. Vous le reconnaîtrez, nous osons l'espérer du moins, Messieurs, dans la nature des travaux dont il va vous être rendu compte. Si le besoin de direction et d'unité se fait si vivement sentir dans l'empire de la Science, où les objets à étudier se trouvent clairement indiqués par la nature, pourrait-il ne pas en être de même dans cet autre empire dont il nous reste à vous parler, dans celui de la Littérature et des Arts?.… Là, aucune limite ne se trouve assez irrévocablement placée, aucun contour assez nettement décrit pour que l'esprit humain, laissé à sa propre liberté, ne soit amené à franchir l’une et à méconnaître l'autre... Lorsqu'à la suite d'une révolution qui joncha notre sol de tant de débris, une main puissante voulut rapprocher les tronçons épars de la société et les rappeler à la vie, la nécessité de retourner aux sources anti- DISCOURS D'OUVERTURE 7 ques dut se présenter à tous les esprits. Ce retour ne put manquer d'imprimer une apparente uniformité aux œuvres de la Littérature et des Arts. Nous la leur reprochons avec amertume. Les générations qui nous succèderont , sans éprouver pour elles l'injuste froideur que nous leur témoi- gnons, ne verront, comme nous, dans les premières années du xix° siècle, qu'une transition aux nouvelles destinées que préparaient à la Littérature et aux Arts un prompt échange d'idées et d’impressions entre des peuples qu'avait longtemps divisés et préoccupés la guerre, et un élan général vers l'indépendance nationale et la liberté.…. C'est à ces généreux sentiments que demande ses plus vives inspirations le jeune poète que la patrie de Schakes- peare et de Milton ne tarde pas à saluer, comme leur brillant successeur... Si le souvenir toujours présent à sa pensée des anciens modèles ne cesse de maintenir chez le chantre de Childe-Harold et de Lara la diction à une hauteur, le style à une pureté que ses élèves n'ont pas toujours imitées ; comment ne pas reconnaître qu'il ouvre des sources d’é- motions nouvelles , soit qu'il flétrisse le despotisme , qu'il montre les ineffaçables traces que son pied laisse au front des peuples, soit qu'il peigne la sauvage indépendance des nations primitives , soit qu'il appelle l'Europe entière à la délivrance d'une noble contrée, notre patrie à tous, Messieurs , s’il est vrai que nous ne vivions que par l’intel- ligence. Plus tard, si son génie précipité dans les sombres abimes du doute, emprunte à ses maîtres le funeste dogme de la destinée, ce n'est plus la destinée calme et sereine des temps antiques. devant les arrêts de laquelle les chœurs de ‘ophocle et d'Euripide abaissent religieuse ment la tête ; c'est une destinée ardente , implacable , fu- rieuse , entourée du cortège des poignantes douleurs et des lugubres angoisses , que, dans nos temps modernes , 8 ACADÉMIE DE ROUEN. produit la triste lutte d'une raison égarée avec de célestes vérités dont elle veut en vain méconnaitre l'empire. S'adressant à l'amour-propre national si fortement ré- veillé par des événements récents , un autre poète , son contemporain , et un instant son rival , après avoir chante les traditions mythologiques de sa patrie, en reproduit les temps héroïques et le glorieux passé dans des compositions éclatantes de fraîcheur et de coloris. Promptement répan- dues dans toute l'Europe , elles y excitent partout le besoin d'interroger les annales de chaque peuple, et déter- mine cette ardente étude du Moyen-Age, qui, de nos jours , semble être devenue la préoccupation de tous les esprits... Habituée à précéder les autres nations, la France pou- vait-elle rester en dehors du mouvement !... Un de vos plus illustres concitoyens, Messieurs, prouve au monde que le pays qui a su produire Corneille et Racine sait aussi leur donner des successeurs. Les couleurs , les formes , la majesté du style antique , sont employées, dans les Vêpres siciliennes et dans Marino Faliéro, à reproduire les situations les plus compliquées et les plus attachantes de la civilisation moderne. En voyant la muse dramatique apparaître si belle , si noble, si pure, et en même temps si pathétique et si vraie, chacun se crut transporté au grand siècle. Ce n'était pas à elle, cependant, que Casimir Delavigne avait demandé ses premiers triomphes. Les humiliations de la patrie lui avaient inspiré de généreux accents. Mais quel- que élevé que füt son vol dans cette carrière, il est bientôt dépassé. La lyre antique dont Lord Byron avait su tirer des sons à la fois si nouveaux et si pénétrants , passe dans d'autres mains... Employée , non plus seulement à chanter de terrestres regrets où d'humaines espérances, mais à cé- lébrer les perspectives sans bmites, qu'ouvre devant nous DISCOURS D'OUVERTURE. 9 un culte tout divin, elle atteint un degré inconnu de puis- sance , et nous assure de nouveau une supériorité, que , Jusqu'ici , aucune contrée ne nous a enlevée, Cette supériorité ne nous était-elle pas due ?... N'’était-ce pas un Français, qui, le premier, avait indiqué à la poésie les nouvelles sources où elle devait puiser ?... Ce Français n'avait-il pas aussi, lui, foulé le sol de l'antique Grèce , redemandé Lacédémone à ses champs désolés, interrogé les échos du Taygète, appelé la pitié de l'Europe sur la plus illustre des infortunes !... Et parce que, au milieu de nos discordes civiles, il a disparu d'entre nous, sans bruit, sans éclat, sans retentissement, comme le voyageur frappé sur une terre étrangère par la main du destin, devons-nous nous montrer moins empressés et moins fidèles à payer un tribut de reconnaissance à sa mémoire ?.….. Ah! Messieurs, qu'il était resplendissant ce nouvel essor de Ja pensée humaine et quelles espérances ne devait-il pas faire concevoir ?.. Dépouillée du sceptre de l'érudition et de la critique qu'elle avait tenu d'une main si ferme sous Louis XIV, la France semblait vouloir le ressaisir par des ou- vrages d'où la profondeur etla sagacité des recherches n’ex- cluaient pas l'étendue des vues et l'éclat du coloris .. A la voix d'habiles maitres dont elle n’a point oublié les éloquentes leçons , et dont elle déplorera longtemps encore le silence, elle s’élançait dans la voie des recherches littéraires et des études historiques... Les arts obéissaient à l'impulsion 1m primée à la littérature. Ils s'animaient, reprenaient de la vie , de la couleur , donnaient à leurs œuvres un caractère d'originalité, et si l'ftalie se félicitait des triomphes de Rossini, à votre tour, Messieurs, vous vous énorgueillissiez de ceux de Boieldieu.…. Pourquoi toutes ces espérances n'ont-elles pas été te- 10 ACADÉMIE DE ROUEN. nues? D'où vient que le progrès s’est ralenti et que sur beaucoup de points nous ayons la douleur de constater la plus affligeante décadence ?.. Faut-il en accuser exclusi- vement les événements politiques , qui ont donné un autre cours à l’activité des esprits et arraché les plus nobles intelligences à une carrière où elles avaient obtenu tant de succès et où l'avenir leur promettait encore tant de gloire? Qui pourrait méconnaître l'influence fatale de ces circonstances ?.. Mais ne faut-il pas aussi, Mes- sieurs , que nous reconnaissions que ce nouvel essor de la pensée portait en lui-même la cause de son ralentis- sement … Il lui manquait un but précis, déterminé , sai sissable par toutes les intelligences.. L'affranchissement des anciennes règles avait été établi en principe par quel- ques esprits supérieurs... Aux temps de l'inspiration ont succédé ceux de limitation, aux soudaines illuminations du génie les laborieux enfantements de la médiocrité... Alors la Littérature et les Arts ont dù nous offrir et nous ont offert, en effet, le plus désolant spectacle. D'un côté, une foule d’individualités , les unes, et c’est le plus grand nombre , profitant du dogme de l'indépendance pour ob- tenir des effets nouveaux par le sacrifice de tout ce que nous étions habitués à respecter , les autres, puisant en- core aux sources antiques et leur devant des productions grandes, pures, irréprochables.... De l'autre, un public se reposant quelquefois des émotions trop violentes que lui font éprouver les premières, par les émotions plus douces et plus vraies que lui procurent les secondes, mais don- nant trop souvent la preuve d’un goût de plus en plus dé- pravé, et déclinant vers la barbarie. Un genre d’études a su se préserver de cette marche ré- trograde. Que dis-je, Messieurs ? I semble avoir emprunté, des circonstances extérieures, de nouveaux éléments de DISCOURS D'OUVERTURE. 1i force et de durée... Je n'examinerai pas si, comme le pré- tendent quelques censeurs, le goût si vif que témoigne notre siècle pour les œuvres du Moyen-Age, ne tiendrait point à son impuissance d'en produire qui lui fussent propres et qui transmissent à la postérité d’impérissables et écla- tantes preuves de sa fécondité et de sa vigueur... Je ne relè- verai pas tout ce qu'une admiration trop exclusive et trop passionnée pourrait avoir de funeste, si elle nous entraînait Jusqu'à blasphèmer contre la plus brillante page peut-être de l'histoire de l'esprit humain , celle de la Renaissance. Je féliciterai mon pays de la noble émulation qui s’est éta - blie entre tous les départements , toutes les villes, je de- vrais dire toutes les bourgades, et qui les porte à étudier avec tant de soin leurs monuments , à recueillir si religieu- sement les moindres vestiges de leurs annales, à faire revivre leur passé dans des récits à la fois si instructifs et si attrayants.. J'applaudirai aux généreux efforts d’une jeunesse ardente et studieuse.….. Mais à la vue des succès qu'obtiennent, de nos jours, des ouvrages d’érudition où la passion tient la plume et foule aux pieds toutes les règles de la critique, me pardonnera-t-on de demander où sont les successeurs des Ducange et des Mabillon qui seront appelés à rassembler en un seul faisceau cette foule de documents si précieux pour lhistoire générale, et, supposé qu'il s’en présente, dans quelle solitude assez profonde, assez à l'abri des stériles préoccupations qui con- sument nos forces, assez impénétrable à cet esprit de parti qui altère la limpidité de notre regard , assez inac- cessible à cette prévention qui, comme la si bien dit d'Aguesseau , est le crime des gens de bien, ils pourront se placer, pour élever un monument digne de l'admira- tion des siècles à venir? …. Ces réflexions, Messieurs , qui ont eu pour objet de 12 ACADÉMIE DE ROUEN. justifier les constantes sollicitudes de l'Académie , je pour- rais les étendre davantage. . Mais, n'en ai-je pas déjà trop dit devant l'auditoire si éclairé qui m'écoute et où nous retrouvons avec tant de bonheur une administration ha- bituée à répandre chaque jour , autour d'elle, les plus pures et les plus vives lumières de l'intelligence ?.. . Et puis, est-ce bien dans la patrie de Fontenelle et de Boïeldieu , est-ce bien devant l’image du grand Corneille , qu'il siérait d’insister plus longtemps sur le besoin d'é- tudier leurs œuvres immortelles et d'y puiser le feu sacré qui les inspira ?... CLASSE DES SCIENCES. apport SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE PENDANT L'ANNÉE 1849-1850, M. J. GIRARDIN, Secrétaire de la classe des Sciences. Messieurs, Le domaine des Sciences mathématiques et physiques s'étend et s'agrandit chaque jour davantage. Les siècles passés nous ont légué de nombreuses et mémorables dé- couvertes ; la fin du xviu et le commencement du xix°, surtout, ont été marqués par un développement moui de l'histoire naturelle, de la physique, de la chimie, de la mécanique ; et, cependant, le champ des spéculations est si vaste, la mine de l'expérimentation est si féconde , qu'il n'y a pas à craindre de voir les savants arrêtés dans leur essor. Cette marche incessante de l'esprit humain est due en très grande partie, on ne saurait le nier, à l'influence des diverses sociétés savantes. Toutes, à Fenvi, par les pro- 1 ACADÉMIE DE ROUEN. vocations qu'elles adressent, par les encouragements qu'elles décernent, par la publicité qu'elles assurent aux travaux sérieux et durables, par l'honneur, enfin, qu'elles font rejaillir sur ceux qu’elles s'associent , entre— tiennent une vivifiante émulation parmi les hommes inven- tifs. Et ce n’est pas seulement, comme autrefois, dans quelques grands centres privilégiés que se manifeste ce mouvement de l'observation et de la pensée ; partout, sur les points les plus reculés du globe, les mêmes effets se révèlent , les mêmes progrès s'accomplissent. Ce qui caractérise essentiellement notre époque, c'est la tendance qu'ont toutes les Sciences à élargir le cercle de leurs applications. Jamais plus qu'aujourd'hui on ne s’est préoccupé de faire servir les découvertes au bien-être des populations. Les abstractions les plus élevées se traduisent immédiatement en conceptions pratiques ; des travaux pu- rement scientifiques font éclore des industries nouvelles. Dans les Arts, la fabrication des bougies stéariques , la conversion du coton en poudre de guerre , la galvano- plastie, le dorage par la pile , la télégraphie électrique, le daguerréotypage 'et la photographie, la locomotion par la vapeur; en agriculture, la pratique des assolements, la confection des engrais, la modification des espèces domes- tiques, la fécondation artificielle des poissons , ne sont que l'expression usuelle des indications les plus ardues des sciences physiques , chimiques ou naturelles. — Pour sa- tisfaire à des exigences absolument matérielles, l'esprit humain fait à chaque instant des efforts nouveaux , et nous étonne par des prodiges imprévus. C'est là une heureuse direction où l’action des sociétés savantes ne saurait être méconnue, car ce sont elles qui, les premières. ont montré que s'il y a de la gloire à faire avancer les Sciences dans leur partie spéculative , il y a CLASSE DES SCIENCES 15 aussi de l'honneur à acquérir en tournant au profit de tous les nouvelles et sublimes clartés des théories scientifiques. En présence des importants résultats déjà obtenus dans une voie où toutes les sympathies suivront constamment les Sciences, les travaux particuliers des Académies offrent un intérêt plus général. Je vais donc, sans redouter d'épuiser votre attention, vous exposer ceux que l'Aca- démie de Rouen a menés à bonne fin depuis sa dernière séance publique. Il n'est pas donné à tout le monde de pénétrer dans les hautes régions des mathématiques, de s'élever jusqu'au calcul infinitésimal. Ce puissant instrument d'analyse, dû au génie de Newton et de Leibnitz, fournit au géomètre le moyen d'établir , dans tous leurs éléments , la figure et l'étendue des corps , et fait rentrer dans son domaine tous les phénomènes mesurables, quelques complications qu'ils présentent. En entendant le discours de réception de M. Girault, il semblait à tous qu'aucune difficulté sérieuse n’existât plus, tant le professeur du Lycée a su répandre d’éclatantes lu- mières sur l'une des matières les plus abstraites qui puis- sent occuper l'intelligence humaine. On comprend l'intérêt qui s'attache à un pareil sujet, lorsqu'on sait que c'est à laide du calcul infinitésimal que l'homme, après avoir pénétré dans la vaste étendue des cieux, à pu y étudier les mouvements des innombrables sphères dont la main de Dieu l'a parsemée. M. le Président, en répondant au récipiendaire, a dé- roulé le magnifique tableau des découvertes mathéma- tiques depuis les temps les plus reculés jusqu'à ce jour. Tout en reconnaissant l'immense supériorité des modernes SCIENCES MATHÉMATIQUES Discours de M. Girault sur le calcul infinitésimal. Histoire des mathéma- tiques, par M. Bergasse. Sur les nombres incommensu- rables, par M. Girault. 16 ACADÉMIE DE ROUEN, à cet égard , M. Bergasse n'est pas injuste envers les an- ciens qui avaient acquis un haut degré de perfection dans ce que nousappelonsles mathématiques appliquées. En effet, les observations astronomiques faites par les Grecs, leurs calculs et jusqu'à leurs erreurs, ont, assurément , quelque chose de prodigieux... . Thalès prédisant une éclipse, Pythagore enseignant à ses disciples Ia sphère céleste, la cause des éclipses, la sphéricité de la terre et son mouve- ment diurne autour du soleil vingt et un siècles avant Copernic , Hipparque découvrant la précession des équi- noxes et préparant le catalogue des vingt-deux mille étoiles que Ptolémée devait un peu plus tard introduire dans son Al- mageste, ne sont-il pas eux-mêmes autant de problèmes dont l'histoire ne peut donner la solution qu'en prêtant aux anciens une sorte de faculté d’intuition refusée anx mo- dernes. Mais quel que soit le mérite des travaux des anciens , on y cherche en vain une idée générale, féconde, rassem- blant sous ses lois tous les faits détachés; le champ de l'infini ne s'ést point ouvert pour eux! Î n'appartenait qu'à la religion chrétienne, en révélant à l'homme la sublimité de son origine et de sa fin, de vulgariser, pour ainsi dire, cette précieuse puissance d’abstraction qui nous permet de spiritualiser les objets les plus matériels, de généraliser nos perceptions, de conce- voir la notion de l'infini, et qui ouvre à nos méditations comme un horizon sans limites et sans bornes. Dans une autre dissertation consacrée à l'étude des quantités qui n'ont point de commune mesure, etque, pour cette raison, on appelle incommensurables, dans le langage mathématique , M. Girault a examiné si le mot nombre doit s'appliquer aux quantités incommensurables aussi bien CLASSE DES SCIENCES. 17 qu'aux nombres entiers et fractionnaires, et, contraire ment à l'opinion de certains traités d'arithmétique , il conclut à l’aflirmative. Soumettant à une analyse rigoureuse les principes fon- damentaux sur lesquels repose la science du caleul , il à parfaitement lémontré que la notion de rapport doit, en arithmétique, précéder toutes les autres, comme étant inhérente à l’idée de nombre , et il a mis, non moins clai- rement en évidence, que cette notion renferme implicite- ment celles de la multiplication et de la division. Ces considérations donnent au Mémoire de M. Girault un cachet spécial, et l'élèvent à la hauteur de la philoso- phie des sciences. M. Auguste Lévy, de son côté, a examiné , dans son discours de réception , s'il est vrai, comme on l'a dit , que l'étude des mathématiques flétrisse et déssèche l'imagina- tion , pervertisse le jugement à l'égard de tout ce qui sort de leur domaine, enfin conduise, par la certitude même de leurs résultats, à un scepticisme absolu dans toutes les questions qui n'admettent pas les démonstrations rigou- reuses des sciences exactes. Ces reproches , on pourrait aussi les adresser à la phy- siologie , à l'anatomie , à la philosophie , à l'économie po- litique ; et l'on se trouverait ainsi conduit à repousser l'étude de toutes les sciences comme fatale et dangereuse, à dresser en quelque sorte le procès au savoir humain ! Etranges et tristes conséquences d'une fausse logique qui veut rendre les sciences responsables des aberrations de quelques-uns de leurs adeptes , et qui n'aperçoit pas que c'est l'oubli de la méthode qui amène inévitablement les » Discours de réception de M. A. Lévy sur les mathé- matiques. Réponse le M. Bergasse au discours de M. Lévy. 18 ACADÉMIE DE ROUEN. erreurs auxquels échappent toujours les véritables sa- vants ! Peut-on accuser les mathématiques de déssécher l'ima- gination, lorsqu'on voit Newton et Le Verrier trouver dans leur génie de nouveaux procédés de calcul , décou- vrir dans les cieux les secrets du Très-Haut , et dévoiler ces admirables lois qui maintiennent dans une si parfaite harmonie ces milliers d’astres qui gravitent majestueuse- ment dans l’espace ? Peut-on leur reprocher de conduire au doute sur ces imposantes vérités devant lesquelles l'humanité s'incline depuis des siècles? Pas davantage; car le scepticisme n'est pas le partage des hommes vraiment instruits ; et à ceux qui deshonorent la science par le scandale de leurs erreurs, M. Lévy oppose Newton et Pascal dont l'immense savoir était joint à un grand fond de religion. « Rois par l'intelligence , leur esprit planait dans de trop hautes ré- gions pour ne pas voir encore beaucoup au-dessus d'eux cette puissance infinie qui a créé les mondes. » M. Bergasse , en répondant au discours de notre jeune confrère, a su trouver de nouveaux arguments pour dis- culper les mathématiques des torts qu’on leur prête injus- tement. Le funeste pyrrhonisme à l'égard des faits physi- ques ou moraux qui échappent aux formules algébriques , et dont malheureusement tant d’esprits sont imbus de nos jours, M. Bergasse l'attribue quelquefois à un défaut de jugement qui ne permet de considérer qu'une seule face du même objet, mais plus souvent à un dérèglement du cœur qui fait oublier que si l'homme est un colosse pour tout ce qui est au-dessous de lui , il est un ciron pour tout ce qui est au-dessus ! CLASSE DES SCIENCES. 19 Aux hommes illustres, bien convaincus de cette vérité dont M. Lévy a évoqué le souvenir , M. Bergasse ajoute le grand Euler qui, dans un siècle incrédule , montrait dans tous ses écrits un si profond respect pour les faits révélés. En terminant son éloquent plaidoyer , l'honorable Pré- sident cite ces mémorables paroles de Newton : « Je ne sais pas ce que le monde pensera de mes tra- vaux ; mais pour moi, il me semble que je n'ai pas été autre chose qu'un enfant jouant sur le bord de la mer et trouvant tantôt un caillou un peu plus poli, tantôt une co- quille un peu plus agréablement variée qu'un autre , tan- dis que le grand océan de la vérité s'étendait inexploré devant moi. » Indépendamment des observations météorologiques , faites à Rouen , dont M. Preisser à continué de nous don- ner connaissance à chaque saison, nous avons eu plusieurs communications intéressantes relatives à ces grands phé- nomènes qui se passent dans latmosphère ou dans la masse solide de notre planète. Ainsi, M. Marchand nous a fait part d’un magnifique halo solaire observé par lui à Fécamp, le 22 mars, à 4 heure 50 minutes du soir. €e halo, qui a duré à peu près trois misutes, était remarquable par la vivacité de ses couleurs, par l'intensité lumineuse de lune de ses parhélies, et surtout par des ares elliptiques et latéraux placés sur le même axe que les parhélies, circonstance non encore signalée par les météorologistes (a) ". " Voir les notes à la fin du Rapport. PHYSIQUE GÉNÉRALE. Météorologie. Halo solaire, à Fécamp. Étude des trombes, par M. Lévy. Tremblement de terre à Caen. 20 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Lévy s'est spécialement occupé de l'étude des trom- bes, météores aussi mystérieux que terribles dont nos vallées de Monville et de Malaunay gardent encore , après cinq ans, les douloureux stigmates. La dissertation qu'il nous a lue à ce sujet, est un bon résumé de l’état actuel de nos connaissances sur ces phénomènes étranges qui troublent, par moments, l'ordre apparent de la nature, et portent, à la surface de la terre, l'épouvante et la mort. — Il nous a dit l'action des trombes sur la mer, les édi- fices, les métaux, les plantes, les individus ; il a re- cherché la cause probable de leur formation, la manière dont elles agissent dans les désastres qu’elles occasionnent, et il s’est appliqué à prouver que ces masses nuageuses , renfermant incontestablement dans leur sein la matière même du tonnerre , produisent des effets qui ressortent de l'électricité. Les commissaires de l'Académie , chargés d'examiner le mémoire de M. Lévy, n’ont pas une conviction aussi profonde, que l'électricité joue seule un rôle dans les scè- nes de désolation qui suivent l'apparition des trombes, surtout en présence de ce fait signalé par Peltier , que sur 116 trombes observées, #1 seulement ont été accompa- gnées manifestement d’éclairs , de tonnerre et de phéno- mènes lumineux. Il faut attendre les résultats d'études ultérieures pour forrnuler une théorie générale. M. Isidore Pierre nous a donné la relation d'une assez forte secousse de tremblement de terre qui s’est fait sentir à Caen et dans ses environs, à # heures #0 minutes du matin , le 12 novembre 1849. Des personnes debout ont failli être renversées , des pièces de vaisselle ont été cas- sées, Notre correspondant a été réveillé en sursaut par un CLASSE DES SCIENCES. 21 craquement qui lui a fait croire à un mouvement de tasse- ment de la maison qu'il habite. Ce craquement a été suivi pendant 2 secondes d’une sorte de roulement compa- rable à celui d'une voiture qui s'arrête brusquement sous un passage voûté. De ces phénomènes qu'il nous est permis simplement d'observer , passons à ceux que nous pouvons produire et qui ne sont pas moins merveilleux. Nous entrons ici dans le domaine de la physique expérimentale et de la chimie. Si nous en croyons M. Boutigny , on peut impunément plonger ses mains dans de la fonte en fusion , exposer des parties vivantes à des températures excessivement élevées, sans qu'il y ait douleur, sans qu'il y ait altération des tis- sus. Notre confrère nous affirme avoir introduit le doigt, puis la main, dans des bains de plomb , de bronze, d’ar- gent, de fonte de fer , et toujours être sorti victorieux d’é- preuves aussi effrayantes. Les seules précautions à prendre pour se préserver de l'action désorganisatrice de la matière fondue , c’est de faire l'expérience avec confiance , si ns avoir peur, et de passer la main rapidement Si l'on enduit celle-ci, à l'a- vance, de savon, et si, avant de l'entrer dans le bain de métal , on l’immerge dans une solution de sel ammoniac , ou même plus simplement dans de l'eau fraiche , la main devient, pour ainsi dire, invulnérable. L'éther ordinaire est encore plus propre que l'eau à soustraire les organes vivants à la chaleur du plomb fondu, si bien même que M. Boutigny assure que la main de femme la plus blan- che, la plus délicate , pourrait se plonger dans le bain métal- lique sans le moindre danger, bien mieux, sansle plus léger inconvénient. PHYSIQUE EXPÉRIMENTALE Incombusli- bilité momentanée des tissus organiques , par M. Boutigny. CHIMIE. Sur la respiration des animaux, par MM. Regnault et Reiset. 22 ACADÉMIE DE ROUEN. Ces résultats, que le professeur Sémentini de Naples avait déjà constatés, il y a plus de 40 ans, rendent moins invraisemblable ce que tant de vieux ouvrages nous ra— content sur les épreuves du feu, les homnws incombustibles, et nous permettent de croire à ces ouvriers qui font danser dans leurs mains des loupes ou grumeaux de fonte sortant de la fournaise, qui courent nu-pieds sur des coulées de métal encore rouge de feu. L'un des membres de l'Académie, M. Preisser, qui a ré- pété avec succès les singulières et hardies expériences de M. Boutigny , n'est pas aussi disposé que ce dernier à ad- mettre que la petite quantité d'humidité qui recouvre la peau nue, passe à l'état sphéroïdal au moment de l'im- mersion dans le bain métallique , et reste ainsi à une tem- pérature inférieure à 100°. Ne pourrait-on pas expliquer la non-perception de la chaleur, parle peu de conductibilité de la peau , un défaut de contact entre l'organe et le corps incandescent , et aussi par la vaporisation subite de l'humi- dité qui revèt toujours le premier ?.… Ces idées théoriques, on peut les contester , tandis que les faits avancés par notre confrère de Paris ont été reconnus vrais par plusieurs expé- rimentateurs , et c'est là le point capital L'une des questions de statique chimique des ani- maux lesplus importantes à résoudre, c'est assurément celle de la respiration. C'est aussi celle qui a le plus attiré lat- tention des physiologistes, des chimistes et des physiciens, mais ce n'est véritablement que depuis la découverte mé- morable de la composition de l'air et du sang, c'est-à-dire depuis la fin du siècle dernier , que les théories de cet acte si essentiel ont pu se formuler d'une manière plus nette et plus satisfaisante. Depuis les expériences de Lavoisier, qui ont marque une 4 k CLASSE DES SCIENCES. 23 ère nouvelle pour la physiologie moderne , en substituant des faits précis à des suppositions vagues , Allen et Pepys, Edwards, Despretz , Dulong, Valentin et Brunner , Erlach, Marchand, Boussingault, Barral, ont successivement accru le domaine de nos connaissances sur les phénomènes ex- cessivement curieux, qui s'accomplissent dans l'intérieur du poumon. On sait, à n'en plus douter , grâce à cette longue suite d’expérimentateurs , que, dans la respiration, il y a tou- jours absorption d'oxygène , exhalation d’acide carbonique et de vapeur d'eau, et que l'oxygène, l'acide carbonique, l'azote, préexistent dans le sang avant son arrivée dans le poumon. Mais bien des points de la perspiration animale restaient encore à éclaircir. Un membre de notre Académie, M. J. Reiset, aidé de M. Regnault de l'Institut, s'est mis à l'œuvre avec un dévouement et une persistance dignes des plus grands éloges, et après plusieurs années de travaux exécutés sur des animaux pris dans toutes les classes, les deux chimistes ont pu saisir les principales lois de l'acte physiologique qui entretient la vie. Le mode d’expérimentation qu'ils ont suivi offre la plus rigoureuse exactitude. Les animaux ont été placés dans les conditions normales de leur existence pendant toute la durée des expériences ; l'appareil ingénieux qui a servi pour apprécier les changements que l'air subit par le séjour de chaque animal, fonctionnait avec tant de perfection et de simplicité, que toutes les causes d'erreurs qui entachaient les travaux antérieurs ont pu être évitées; de plus, MM. Regnault et Reiset ont tenu compte du mode d'ali- mentation, du régime auquel chaque animal est soumis dans son état de santé, ce qui influe d'une manière si pro- 2% ACADÉMIE DE ROUEN. noncée sur son mode de respiration On peut donc accor-— der une foi entière aux résultats obtenus par les deux habiles chimistes. Je ne puis, à mon grand regret , signa- ler que les principaux. A cette question encore indécise : Y a-t-il plus d'oxygène absorbé qu'il n’en faut pour produire tout l'acide carbo- nique exhalé? MM. Regnault et Reiset répondent : Le rapport entre la quantité d'oxygène contenu dans l'acide carbonique et la quantité totale d'oxygène consom- mé paraît dépendre beaucoup plus de la nature des ali- ments que de la classe à laquelle l'animal appartient. Il est plus grand avec le régime du pain, plus faible avec celui de la viande , intermédiaire entre les deux avec le régime des légumes. Tous les animaux à sang chaud présentent, lorsqu'ils sont à l'inanition , la respiration des carnivores. Pour les animaux d'une même espèce et à égalité de poids, la consommation d'oxygène est plus grande chez les jeunes individus et chez les animaux maigres que chez les adultes et les animaux très gras. Elle varie beaucoup avec la grosseur absolue des individus ; ainsi, elle est dix fois plus grande chez les petits oiseaux que chez les poules. Relativement à l'azote, MM. Regnault et Reiset nous apprennent qu'un animal à sang chaud , soumis à son ré- sime habituel, dégage toujours de l'azote, mais en très minime proportion. Il y a, au contraire, absorption de ce gaz lorsque l'animal est souffrant ou à l'inanition. Resterait à savoir d'où vient l'acide carbonique exhalé, où il prend naissance , quelle est la force qui l'expulse du sang veineux pour le mélanger avec l'airexpiré. Ces points n'ont pas été abordés par nos deux expérimentateurs ; mais CLASSE DES SCIENCES. 25 nous devons espérer qu'ils complèteront leur beau travail par l'examen de cette dernière question, non moins capi- tale que les autres. Il y aurait aussi à déterminer quels sont les organes et les liquides du corps animal qui déterminent les altérations éprouvées par l'air dans l'acte respiratoire; mais l'état encore peu avancé de nos connaissances biologiques ne permet guère d'entreprendre actuellement de pareilles re- cherches. Quelques essais ont néanmoins été tentés déjà dans cette direction ; le soin de les poursuivre est laissé à nos successeurs. L'Académie se plaît à reconnaitre que MM. Regnault et Reiset ont introduit dans les études physiologiques une méthode expérimentale qui doit servir de modèle, et assu— re, par là, à une science encore bien incomplète, un avenir de progrès sérieux. Quoi qu'il arrive, leur travail, dont M. Boutan nous à fait une brillante exposition, restera comme une œuvre Capitale. M. Cahours à soumis à notre approbation une grande partie des recherches de chimie organique qu'il à exécu- tées depuis plusieurs années, et qui lui assurent dans le monde savant une place distinguée. Ce qui caractérise surtout les travaux de notre confrère, c'est l'habileté peu commune avec laquelle il sait analyser , modifier , métamorphoser les uns dans les autres les pro- duits si délicats de la nature organique , créer les dérivés de chaque composé défini, et réunir sous des lois géné- rales les faits en apparence les plus disparates. Ses tra- vaux ont ouvert de nouvelles voies à la chimie végétale et montré le parti que l'on peut tirer de l'emploi de certains Mémoires de M. Cahours. 26 ACADÉMIE DE ROUEN. agents, tels que la potasse caustique, le perchlorure de phos- phore, le chlore, le brôme, le mélange desacides sulfurique et nitrique fumants, pour opérer des dédoublements, des effets d'oxydation et de chloruration, pour reconstruire des composés connus, déjà produits par d’autres métho- des, pour obtenir aussi des corps entièrement nouveaux. M. Cahours est, sans contredit, l’un des chimistes mo- dernes qui sait le mieux pénétrer dans la constitution in- time des substances organiques, dont les éléments si mobiles ne se prêtent pas, avec autant de facilité que les substances minérales , à ces réactions chimiques qui, seules, peuvent nous éclairer sur l'arrangement moléculaire des particules de la matière. Je regrette de ne pouvoir vous énumérer tous les com- posés nouveaux, tous les résultats curieux dont M. Ca- hours a enrichi la science ; mais pour vous montrer toute la puissance des chimistes modernes, je vais vous indiquer, en quelques mots, l'une des plus singulières découvertes de M. Cahours; celle-là vous donnera une idée de Fimpor- tance des autres. On emploie, depuis plusieurs années , dans le commerce de la parfumerie européenne, une essence désigné sous le nom d'huile de Vintergreen, et qui est fournie par une plante de la famille des bruyères, le gaultheria procum- bens. Cette huile est expédiée de la Nouvelle-Jerséy, où la plante croît en abondance. Chose bien digne de remarque, cette huile, qui prend naissance sous l'influence de la vé- gétation, présente la composition d’un éther composé, du salicylate de méthylène ; c'est ce que M. Cahours a constaté par l'analyse. Guidé par cette indication, ce chimiste a essayé de reproduire l'essence en question au moyen de l'esprit de bois et de l'acide salicylique, deux composés inconnus dans la nature, et il y est parvenu si bien, qu'il De CLASSE DES SCIENCES. 27 n'y a pas moyen de distinguer l'huile créée artificiellement de l'huile naturelle. C'est , assurément, un événement heureux pour la scien- ce que la reproduction de certains produits naturels par des procédés de laboratoire d’un emploi infaillible; mais l'industrie et l'économie domestique en profiteront à leur tour, et déjà, par ce qui a été réalisé depuis quelques années, nous pouvons entrevoir le moment où grand nombre de principes végétaux, médicamenteux, tincto— riaux ou aromatiques, au lieu d'être tirés à grands frais de contrées lointaines, sortiront de toutes pièces des fabri- ques de produits chimiques à des prix modestes qui en généraliseront l'usage. La création des alcalis végétaux par une méthode syn- thétique récemment signalée nous donne l'espoir que, dans un avenir prochain, le pharmacien n'aura plus besoin d'opium pour obtenir de la morphine , de quinquina pour fabriquer le sulfate de quinine. Cette espérance est si légitime, qu'une Société savante de Paris, la Société de pharmacie , a fait de la préparation artificielle de la quinine l'objet d'un prix de #,000 fr., auxquels le ministre de la guerre vient d'ajouter # autres mille francs. L'intervention du département de la guerre, dans une semblable question, ne paraîtra pas étrange, lorsqu'on saura que notre seule armée d'Afrique à consommé jusqu'à #00 kilogrammes de sulfate de quinine , dont une partie a été payée au prix de 390 fr. le kilogramme En attendant que l'important problème proposé par la Société de pharmacie soit résolu, ce qu'il y a de mieux à faire . c'est de simplifier le procédé d'extraction de la qui- nine, c'est de livrer au commerce un sulfate de quinine aussi pur et à aussi bas prix que possible, C'est à quoi s'est attaché notre confrère M. Henry. Fabrique de sulfate de quinine , au Javre. Sur Fhuile et l'eau distillée de laurier- cerise, par M. Lepage. 28 ACADÉMIE DE ROUEN. L'année dernière, MM. Labarraque et C*, négociants au Havre , ont créé, aux environs de cette ville, une fabrique de sulfate de quinine, dont ils ont donné la direction à M. Henry; ils ne pouvaient mieux choisir, car tout le monde sait que ce chimiste a associé son nom d'une ma- nière durable à la découverte des alcalis des quinquinas. Le sel est préparé par un mode particulier ; il jouit d'une grande blancheur, est parfaitement cristallisé, beaucoup plus pur et plus riche en quinine que les autres sels du commerce ; c'est ce qui ressort de mes analyses compara- tives , et ce qui donne au sulfate du Havre une supériorité marquée sous le rapport thérapeutique. La création de la fabrique du Havre est donc un événe- ment heureux , médicalement parlant, et ce qui doit encore en augmenter l'intérêt, c'est qu'elle à fait baisser le prix du sulfate de quinine, que la rareté toujours croissante des quinquinas de la Bolivie avait porté à un taux inusité jusqu'alors. En nous envoyant des échantillons des produits de cette fabrique, M. Henry nous a fait connaître un nouveau procédé pour déterminer exactement la proportion de sul- fate de cinchonine qui peut être en mélange dans le sulfate de quinine ; nous avons vérifié les avantages de ce pro- cédé , et nous lui avons donné notre approbation (b). Les travaux de Robiquet, de Wohler, de Cahours et de plusieurs autres chimistes nous ont appris que certaines essences , extraites de fleurs ou de semences par la distil- lation, ne préexistent pas dans ces organes, et qu'elles doivent leur origine à la réaction de matières analogues à l'albumine sur des principes neutres inodores, réaction qui s'effectue sous l'influence de l'eau pendant opération ou * CLASSE DES SCIENCES. 29 de la distillation. C'est le cas, entre autres, des essences d'amandes amères, de moutarde noire, d’ulmaire, de raifort , de petite centaurée. L'un de nos membres correspondants , M. Lepage, de Gisors, a recherché si l'huile volatile et l'acide prussique qu’on extrait des feuilles fraîches du laurier-cerise ne sont pas aussi des produits de réaction , comme les corps pré- cédents. Ses expériences l'ont conduit à aflirmer qu'une partie de ces deux principes existe toute formée dans les feuilles ; mais nous devons dire qu'il est combattu par MM. Bouchardat, Dorvault et Gobley. Quoi qu'il en soit, M. Lepage a fait une étude conscien- cieuse des eaux distillées de laurier-cerise et d’amandes amères, dont les pharmaciens et les médecins pourront pro- fiter. Entre autres faits intéressants qu'il signale, je men- tionnerai l'existence d'un sel ammoniacal dans ces eaux, l'infériorité de l’eau de laurier-cerise préparée avec des feuilles sèches, la plus grande richesse en essence et en acide prussique de l’eau préparée avec des feuilles récoltées au milieu de l'été. La constatation de l'alcool, dans un cas d'empoisonne- ment, est un des problèmes les plus difficiles de la chimie légale, attendu qu'habituellement les recherches ne peuvent avoir lieu que longtemps après la mort. M. Morin a eu l'occasion d'opérer sur le cadavre d'un homme mort d'ivresse, presqu'immédiatement après le décès. Le corps répandait, à l'autopsie , une forte odeur éthérée ; le liquide de l'estomac contenait beaucoup d'a- cide acétique. Par un procédé rationnel et simple, notre confrère en a retiré, non de Falcool, mais de l'éther en proportions notables, Alcool considéré sous le rapport toxicologique, par M. Morin. Analyse d’eaux minérales. Eaux de Cransac, par M. Henry. 30 ACADÉMIE DE ROUEN. Celui-ci s'était évidemment formé dans l'estomac aux dé- pens de l’eau-de-vie ingérée, et cette métamorphose curieuse a dù se produire sous l'influence de ce principe «le la salive que les chimistes ont nommé diastase animale. On sait, en effet, qu'en moins d’une minute, les substances féculen- tes, maintenues dans la bouche, et par conséquent imbibées de salive, présentent des signes manifestes de saccharifica- tion ; d’où il suit que la diastase de la salive est un ferment puissant, qui peut parfaitement convertir les différents principes organiques les uns dans les autres. Nous pouvons conclure , avec M. Morin, que si, jusqu'ici, il a été impossible de constater la présence de l'alcool dans les cas de mort par suite d'ivresse , cela tient à ce que les chimistes ignoraient la formation de l’éther en pareilles circonstances, et qu'ils ne prenaient pas les précautions nécessaires pour recueillir un liquide aussi volatil. L'histoire des eaux minérales , ces agents thérapeutiques naturels de plus en plus appréciés, s'enrichit chaque jour de faits curieux qui nous donnent des indications plus précises sur leur véritable mode d'action. Le perfection nement incessant de l'analyse chimique y fait mainte- nant découvrir des éléments nouveaux très actifs dont, il y a 20 ans à peine , on n'aurait pas soupçonné l'existence. Nous devons, dans cette catégorie de travaux , un inté— ressant mémoire à M. Henry sur les eaux de Cransac, dans l'Aveyron. Ce qui caractérise surtout ces eaux, c'est la présence du manganèse à l’état de sulfate, dans une proportion telle qu'il leur communique des propriétés toutes spéciales. Des six sources distinctes employées, deux ne renferment pas de fer, mais beaucoup de sulfate de CLASSE DES SCIENCES. 34 manganèse, et ce ne sont pas les moins actives. Dans les autres . le fer y est sous forme de sulfate ferroso-ferrique. Dans quelques autres , il y a une telle quantité de sulfates de fer et d'alumine, qu'elles sont toxiques. (c) Les récentes applications médicales des préparations de “manganèse, faites par Thomson, Ure, Gendrin, Hannon et Pereyra , mettent hors de doute la puissance thérapeuti- que de ce métal, surtout dans les affections scrophuleuses et le traitement des fièvres quartes rebelles, Les sources de Cransac jouissaient, dès le x° siècle, d'une certaine importance ; elles allaient être détruites par des fouilles, projetées par une compagnie industrielle, dans la montagne d'où elles sortent. M. Henry est parvenu, fort heureusement, à empêcher cette destruction. C'est là un im- portant service rendu à la médecine par notre correspon- dant ; et vous le savez, Messieurs, la science lui en doit déjà beaucoup d'autres. Un autre confrère , M Marchand , a fait l'étude de deux sources qui alimentent la ville de Fécamp, la fontaine Goyer et la fontaine Bigot. Outre les matières minérales qui sont communes à presque toutes les eaux potables, ces fontaines offrent ceci de particulier qu’elles contiennent des traces de lithine , d'iodure et de brômure de potassium. Frappé de ces résultats, et désireux de démontrer, d’une manière plus probante encore, l'existence de l'iode dans ces eaux, M. Marchand a fait l'analyse des cendres du Ranunculus aquatilis qui croît en abondance dans tous les ruisseaux, et y à reconnu sans peine l'existence de ce métalloide. 1 l'a également retrouvé dans un Batrachos- perme qui tapisse les silex déposés dans les lits des sources de Fécamp. Eaux de la ville de Fécamp, par M. Marchand. HISTOIRE NATURELLE. Recherches de la houille, à Sotteville, 32 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Marchand n'évalue la quantité d'iodure de potassium dans l’eau de ces sources qu'à dix milligrammes 1,4 pour 100 litres d’eau. Cette proportion d'iode , si infinitésimale qu'elle soit, mérite cependant d'être notée avec soin , en raison de son influence sur la nature des principes salins contenus dans les plantes d’eau douce , et de ses consé- quences pour la physiologie végétale. Notre confrère a constaté la présence de la lithine , non seulement dans les eaux de Fécamp, mais aussi dans l’eau de la mer. Il y a déjà plus de 18 mois qu'il a annoncé ce dernier fait au secrétaire de l'Académie. Si M. Marchand n'a pas attendu la fin de ses recherches sur les eaux de sa localité pour nous faire part des résultats curieux auxquels il est arrivé, c'est que tout dernière- ment un chimiste de Paris, M. Chatin, à informé l'Institut qu'il venait de constater l'existence de l’iode dans les plan- tes d'eau douce. Notre confrère n'entend pas réclamer la priorité de cette découverte ; il tient seulement à ne pas perdre date. M. Pimont nous a tenus au courant des faits relatifs à la recherche de la Houille aux portes de Rouen. Les premiers travaux, vous devez vous le rappeler, remontent à 188. Après une assez longue interruption, occasionnée par des tentatives infructueuses pour utiliser le puits absorbant des abatoirs , on a recommencé le 29 décembre dernier. Une machine à vapeur est installée , et toutes les disposi- tions sont prises pour conduire le forage jusqu'à la fin. Au 25 juillet 1850, la sonde avait atteint la profondeur de 125 mètres. M. Pimont a présenté à l'Académie la série des échantil- lons des terrains traversés ; des marnes , des calcaires ; = CLASSE DES SCIENCES. 33 des sables, des argiles , des grès de diverses couleurs, au milieu desquels on a trouvé quelques coquilles fossiles, des pyrites et des fragments de lignites. M. Largilliert nous à soumis des considérations sur la Conchyliologie et nous à gratifiés des prémices de la des- cription de 20 coquilles nouvelles. Au dire des commissaires de l'Académie , dont M. Pouchet était l'interprète, les des- criptions de M. Largiliert révèlent un observateur judi- cieux, etles points de doctrine qu'il a traités dans son mé- moire montrent chez ce naturaliste, non seulement la science de l'homme pratique , mais encore le coup-d'œil exercé d'un savant de cabinet. On lui doit la connaissance de 171 autres espèces nouvelles qui ont été décrites et ont fi- guré dans le journal de Conchyliologie publié à Cassel par M. Philippi. M. Largiliert a pu largement favoriser la publication du D D naturaliste allemand , car il possède une des plus riches et des plus belles collections de coquilles que lon puisse voir. M. Prevost , professeur d’arboriculture, nous a lu des observations pleines d'intérêt sur quelques points contro- versés d'organographie et de physiologie végétales. Il a sur- tout discuté les deux théories qui se partagent le monde savant à l'égard du mode d'organisation et de dévelop- pement des végétaux ligneux, c'est-à-dire celle de M. de Mirbel et celle de M. Gaudichaud. Notre confrère a établi, tant par le raisonnement que par de nombreux exemples empruntés aux plantes dicotylédonées , que le système Gaudichaud , qui n'est d'ailleurs que la reproduction de celui de Lahire , expliqué par le savant Dupetit Thouars 3 Conchyliologie Physiologie végélale, par M. Prevost. Floré normande. 3% ACADÈMIE DE ROUEN. il ya25 à 30 ans, rend compte d'une manière satisfaisante du phénomène de la végétation , tandis que celui de M. de Mirbel est souvent démenti par l'observation pratique. M. Prevost a présenté sous forme d’aphorisme les parties de ce dernier système qui sont en désaccord avec ce qui se passe journellement sous nos yeux , et il en conclut , en définitive , que la théorie de M Gaudichaud est un guide beaucoup plus sûr pour l'arboriculteur. La Flore de Normandie acquiert journellement de nou- velles espèces de plantes et éprouve d'importantes recti- fications. Ainsi, notre correspondant de Cherbourg M. Le Jolis, nous a fait part de la découverte d’une nouvelle es- pèce d’ajonc, aux environs de la Hague, espèce qu'il croit être l'Ulex Legallii de Planchon. (d) M. Bignon, de Rouen, a signalé, pour la première fois, le Rumezx scutatus dans le voisinage des roches de Caumont. M. Pouchet, de son côté, a trouvé, le premier, dans nos environs l’Ornithoga- lum nutans, le iilium martagon, le Sagina capitata (e). M. Harel vient de rencontrer dans le département de l'Eure une jolie fougère , l'Osmunda regalis. Nos catalogues présenteront des lacunes et des erreurs , tant qu'on n'aura pas réuni une collection complète des plantes de notre région , tant que cette collection n'aura pas été soumise à la critique des naturalistes du pays. On s'explique par le manque d’un herbier central , par l'ab- sence des relations scientifiques entre les botanistes de la Normandie , les fautes nombreuses relevées par M. Bignon dans la 2° édition de la Flore de M. de Brébisson, de Falaise. Ilexiste déjà au jardin botanique de Rouen un commence- ment d'herbier qui contient environ 5,000 plantes, parmi CLASSE DES SCIENCES. 39 lesquelles se trouvent bon nombre d'espèces du département. Pour activer la formation de l'herbier régional dont le pro- fesseur Pouchet s'occupe depuis 6 ans avec le plus grand zèle, l'Académie fait un appel aux botanistes de notre Province , et même à tous ceux qui cultivent en France la science des fleurs Elle les engage donc à lui envoyer les espèces et variétés de leurs localités respectives. Leurs dons seront inscrits dans les procès-verbaux, leurs com- munications insérées dans le précis annuel de ses travaux , et leurs noms cités avec honneur dans sa séance publique. Tous comprendront, nous en sommes certains , les avan- tages qui résulteront, pour les progrès futurs de la science, d'un centre commun où toutes les découvertes viendront se contrôler. L'intérêt de ces réunions de plantes, de miné- raux , de roches, d'insectes, d'oiseaux, en un mot des productions naturelles de chaque département , ouvertes aux étrangers comme aux naturalistes nationaux , est trop évident pour qu'il soit nécessaire d’insister davantage à cet égard. A Paris, les collections générales, en province les collections locales ; c'est là le seul moyen de complèter rapidement et d'une manière exacte la géographie physique de la France. De la botanique à l'agriculture, la transition est natu- relle; mais dans cette partie, toute d'application, nous n'aurons que peu de travaux à enregistrer, et cela se conçoit : l'Académie ne doit s'occuper que de la partie scientifique , une Société spéciale embrassant toutes les branches de l'art. M. Isidore Pierre, de Caen, nous a instruits de ses essais sur l'influence de diverses substances salines sur le rende- ment du sainfoin. Notre confrère a ea pour but, non de contrôler les essais exécutés antérieurement par divers AGRICULTURE Action des substances salines sur le sainfoin , par M. Pierre. 36 ACADÉMIE DE ROUEN. agronomes, mais de vérifier si les résultats obtenus dans une certaine contrée de la France seraient plus ou moins avan- tageux dans une autre région. La diflérence du climat, de la nature du terrain, peuvent, en effet, singulièrement modifier l’action des agents employés, selon qu'on expéri- mente dans telle ou telle localité. C’est surtout en agriculture qu'ilne doit point y avoir de règle générale. En lisant les écrits des agronomes, il faut en extraire ce qui convient au pays qu'on habite, au sol qu'onexploite. Celui qui s’astreint à l'observation rigoureuse des préceptes d’un auteur est presque sûr de ne pas réussir; car, sur un même territoire, dans une même pièce de terre pour peu qu’elle soit grande , il faut souvent labourer à des profondeurs différentes , ne pas semer le même grain, ne pas mettre le même amendement. On l’a dit avec beaucoup de raison, et c’est, je crois, notre célèbre Mathieu de Dombasle, dans les opérations agricoles il faut se tenir en garde contre les conséquences que l’on peut déduire de la théorie ou des analogies, et l'on ne doit considérer ces conséquences comme des cer- titudes , que lorsqu'elles ont été confirmées par des expé- riences faites sur le même sol où l'on veut les appliquer. Mais pour que ces expériences aient quelque valeur, il faut savoir les faire avec soin et précision, en tenant compte des diverses influences qui peuvent intervenir et en recourant constamment à l'emploi de la balance, seul moyen de traduire leurs résultats en chiffres certains. Les simples praticiens sont inhabiles à ces sortes d'essais, car il leur manque l'habitude d'opérer méthodiquement , et, d’ailleurs, les préjugés dont ils sont imbus ne leur per- mettent pas d'interpréter sainement les moindres faits scientifiques. Ce n'est réellement que depuis l'invasion, dans les rangs Eve CLASSE DES SCIENCES. 97 des cultivateurs, des hommes rompus à l'observation des phénomènes naturels, et principalement des chimistes, que l’art agricole a pris une marche régulière et progres- sive. Et cela se conçoit, les savants , à l'opposé des culti- ateurs , sont constamment dirigés, non par le hasard, mais par la raison M. Isidore Pierre réunissant toutes les conditions de savoir, d'habileté, d'exactitude qu’on est en droit d'exiger aujourd'hui de ceux qui se livrent à l'agronomie, ses expé- riences méritent d'être prises en sérieuse considération. Pour connaître l'influence des diverses substances salines sur le rendement des fourrages, le chimiste de Caen à fait choix d'une prairie artificielle, et spécialement du sainfoin. La plaine de Caen cultive cette légumineuse d'une manière toute spéciale , ce qui donne aux expérien- ces de notre confrère une importance à la fois générale et locale. Les substances chimiques employées comme en- grais étaient : les carbonates et sulfates de potasse et de sou- de, le salpêtre, le sel marin, le nitrate et le sel ammoniae, le plâtre cru et cuit, soit seuls, soit associés au sel marin. Ces diverses substances ont été répandues, à des doses ariables, sur des surfaces égales placées à côté de bandes qui ne recevaient aucun engrais. La récolte entière de chaque parcelle à été pesée immédiatement après le fau- chage et après le fanage. Pour l'appréciation des résultats en argent, les substances employées ont été cotées aux prix du commerce. Je me garderai bien de fatiguer votre attention de l'énu- mération des nombreux faits consignés dans les tableaux synoptiques quiexposentles résultats obtenus par M. Pierre. Je ne bornerai à dire que toutes les substances salines employées ont produit un excedant de récolte,mais que Ouvrage e M. Saladin. 58 ACADÉMIE DE ROUEN. plusieurs ne pourraient être utilisées en raison de leur prix élevé ; que, de toutes, le plâtre cru et le sulfate de soude sont celles qui réunissent, au plus haut degré, la faculté d'activer la végétation du sainfoin, et, fort heureusement, ce sont précisément celles que l'on peut se procurer au plus bas prix. A la dose de 133 kilogr., qui coûtent 13 fr., le sulfate de soude fournit un excédant de récolte égal à 3,819 kilogr. de foin, et procure ainsi un bénéfice net de 166 fr. 5 c, par hectare. A la dose de 266 kilogr., qui ne coûtent que 6 fr. 67, le plâtre cru fournit en plus 3,898 kilogr., ce qui donne un bénéfice net de 185 fr. 40. Les expériences de M. Isidore Pierre ont un caractère réellement utile. L'Académie désire qu'elles soient ré- pétées une seconde année, pour faire disparaître les quel- ques anomalies qu'elles présentent. Outre les renseigne ments qu'elles fournissent , elles peuvent servir de règle dans les soins à apporter à de nouveaux essais et les sim plifier, en permettant de n'opérer que sur les substances qui ont produit des résultats hors ligne comparativement aux autres. Un autre membre de l'Académie , M. Saladin, de Mou- lins , mérite également nos éloges pour le petit livre qu'il vient de publier sous le titre de : Notions usuelles des scien- ces physiques , chimiques et géologiques, dans leurs rapports avec les arts, l'agriculture et l'économie domestique, à l'usage des propriétaires ruraux et des curés de campa- gne. C'est là une publication utile, car les deux classes de citoyens auxquels elle est consacrée ; sont encore fort étrangères , il faut bien le dire;, aux principes les plus éle- Eu CLASSE DES SCIENCES. 39 mentaires des sciences d'observation ; et c'est un malheur considérable , car elles pourraient concourir à la vulgarisa- tion des connaissances physiques et naturelles dont l’art agricole n'est, en réalité, que l'application directe, et elles deviendraient ainsi des intermédiaires précieux entre les savants et les simples praticiens. I faut done, par tous les moyens possibles , si lon veut que l’agriculture française progresse rapidement, commencer par répandre, parmi les propriétaires et les curés de campagne, des notions saines et positives, par rendre accessibles à leur intelligence ces grandes lois de la nature, ces faits si nombreux de l'expé- rience, qui ne sont guère connus que de quelques hommes privilégiés, et dans l'étude desquels se sont consumées, sans que la masse de là nation en ait conscience, tant de vies actives et laborieuses. Notre confrère, M. Saladin, à eu un noble but, et sison livre laisse à désirer sous quelques rapports , on doit tou - jours lui tenir bon compte de ses efforts, et l'engager à persévérer dans la mission qu'il s’est imposée. C'est une sainte mission que de chercher à détruire l'ignorance, car l'ignorance, c’est le principe du mal, en agriculture comme en toute autre chose, Une question économique qui se rattache à l'agriculture et dont je dois immédiatement vous parler, c'est la taxe du pain, dont l'Académie s’est occupée à l'occasion de Communications qui lui ont été faites par M. Marchand, de Fécamp, et par M. Bresson, de Rouen Le premier de ces économistes, sachant qu'à Paris, la taxe est calculée de manière que les boulangers gagnent moins lorsque le pain est cher que lorsqu'il est à bon mar- ché, à cru devoir proposer au Conseil municipal de Fécamp un nouveau tarif d'indemnité décroissante, pro- Taxe du pain. #0 ACADÉMIE DE ROUEN. portionnelle à l'augmentation du prix du ble. L'Acadénne a discuté les motifs sur lesquels cette proposition est basée, et a repoussé le système de M. Marchand, parce qu il repose sur une idée fausse et injuste ; elle trouve de beaucoup préférable celui qui est adopté à Rouen, depuis longues années, et qui consiste à accorder, pour les frais de manu- tention. une indemnité fixe de 6 cent., ajoutée au prix de revient de chaque kilogramme de pain, dès que le sac de farine vaut 40 fr. Quant à M. Bresson, qui a embrassé la question de la boulangerie dans tout son ensemble, 1l pense que cette profession ne saurait être affranchie, sans danger, des entraves salutaires qui lui sont imposées, notamment à Rouen, dans l'intérêt général, mais il croit aussi que l’état de choses actuel est susceptible de plusieurs améliorations. Il reconnait, en définitive, que le prix du pain doit toujours être taxé par l'administration ; que celle-ci doit exiger des boulangers un approvisionnement de réserve, et limiter le minimum de cuisson; qu'il y a nécessité d'empêcher les boulangers de quitter leur profession où de changer de quartier sans déclaration préalable ; qu'il faut conserver le syndicat, surveiller le poids et la qualité du pain , réduire le nombre des boulangers, enfin, maintenir la concurrence des boulangers forains, mais avec quelques dispositions spéciales, telles que l'obligation d'un dépôt de garantie, et la défense de porter du pain à domicile ou de le colporter sur la voie publique. Les idées de M. Bresson ont été presque toutes adoptées par l'Académie, qui a renvoyé son mémoire, ainsi que celui de M. Marchand, à l'administration municipale, avec les observations dont elle a cru devoir les accompagner. Ce que l'Académie désirerait surtout , c'est que la corpo- ration des boulangers eût une connaissance plus parfaite CLASSE DES SCIENCES #1 des perfectionnements que la science à introduits dans l'art de faire le pain; que la surveillance de la vente de cet aliment de première nécessité füt exercée par des agents plus au courant de la pratique de l'art, et que le consom- mateur fût assuré d'avoir, en tout temps, un bon pain, fait proprement, cuit à point, et vendu à poids réel. ’arlons maintenant d'hygiène et de médecine. Les mé- ditations de l'Académie ont été appelées bien des fois sur ces graves matières. Il y a deux ans, l'Académie a mis au concours la rédaction d'un petit traité d'hygiène populaire, à l'usage des ouvriers des villes et des campagnes. Ce sujet, dont l'importance a été appréciée par le Ministre de l'instruction publique, qui a double la valeur du prix , a provoqué de nombreux con- currents. Vous entendrez, dans un instant , le rapport de la Commission chargée d'examiner les onze mémoires inédits qui nous sont parvenus. Un douzième est arrivé après la fermeture du concours; deux autres, étant im- primés, ont dù être écartés ; mais l'un d'eux a été renvoyé à une commission spéciale; c'est celui que le docteur Ebrard, de Bourg, a publié sous le titre de : Avis aux habitants des campagnes, sur les moyens de conserver la santé, suims d'instructions aux femmes sur la manière d'élever les enfants et sur les soins à leur donner pendant leurs maladies. Le petit livre, bien modeste en apparence, du docteur Ebrard, est destiné à faire plus de bien que de gros vo- lumes. « Ce n'est pas, a dit M. Hellis, rapporteur , une petite tâche que d'écrire pour les masses; il faut, pour cela, savoir beaucoup et le dissimuler; il faut se réduire aux proportions de la conversation qu'on Uent aux enfants, nemployer que des images simples, des termes clairs, HYGIÈNE. Concours pour le traité d'hygiène populaire. Ouvrage de M. le Dr Ebrard. Notice sur le Havre, par M. Lecadre. MÉDECINE. Choléra à Trieste, par le De Guastalla. 42 ACADÉMIE DE ROUEN. dépouillés de tout ce jargon qu'on est convenu d'appeler de la science , et qui compose, à lui seul, la plus grande partie du bagage littéraire de plus d’un auteur. Il n’est pas donné à tout le monde de se faire petit avec les petits. » I est à regretter que la publication anticipée du livre dont nous parlons. ait empêché de le comprendre au nombre des mémoires inédits qui, seul, d’après notre pro- gramme, pouvaient concourir, car, par la manière dont il est conçu et écrit, il a obtenu tous les suffrages de l’Acadé- mie. Nous devons à notre confrère du Havre , M. le docteur Lecadre, une notice intitulée : Le Havre considéré sous le rapport hygiénique L'insertion de celte notice, dans les journaux du département, me dispense d'en parler ici en detail. Le choléra qui, l'année dermère, a parcouru presque toute l'Europe , comme en 1832, a été l'occasion de re- cherches et d'observations que la science doit enregistrer avec soin. Un de nos membres correspondants étrangers, M. le docteur Guastalla, nous a envoyé d'excellentes ob- servations, faites par lui, à Trieste, en 1849, pendant le séjour de l'épidémie en cette ville. Elle y a sévi bien cruel- lement, puisque dans l’espace de huit semaines , elle fit 3,640 victimes, sur environ 65,000 habitants, tandis qu'à Paris, sur 1,200,000 âmes, on a compté, à peine, 19,700 mortsen 8 mois. Le terrible fléau ne fit aucune distinction d'âge, de sexe, de tempérament, ni de position. Le luxeet la misère, la sobriété et l'intempérance, la bravoure et la couardise lui payèrent un même tribut. Sous l'influence de cette idée que le choléra est conta- EE + CLASSE DES SCIENCES. 13 gieux, ce qu'il cherche à prouver par une infinité d'exem- ples, le docteur Guastalla attribue la violence avec laquelle il a sévi à Trieste, au défaut de précautions prises pour éviter la contagion , et il approuve les mesures rigoureuses qui lui paraissent avoir rendu le fléau moins intense à Milan et à Mantoue. Mais à Paris, à Londres, à Rouen, où l'on n'a pas pris plus de précautions qu'à Trieste, la morta- lité n'a pas dépassé proportionnellement celle de Milan et de Mantoue. M. le docteur Lechaptois a écrit, de son côté, ce qui s'est passé à Lillebonne en 1849, pendant l'invasion du choléra. C'est le 20 mai que cette petite ville de 3,000 âmes, dont les 4/5 des habitants sont occupés dans des ctablissements industriels, et qui, par sa position, est sou— mise à l'influence d'une atmosphère constamment humide, a été envahie ; à la fin de juillet , elle était débarrassée de l'épidémie ; mais pendant ces deux mois et demi, le chifire de la mortalité s'est élevé à 150. Les femmes ont un peu plus souffert que les hommes , les hommes plus que les en- fants. Le fléau a surtout frappé les ouvriers, la plupart étrangers au pays, qui habitent dans des garnis dont l'insa- lubrité est odieuse. Dans la rue de la Vallée , située au pied de la montagne qui la met à l'abri des vents du nord, et qui, par cela mème, est dans des conditions continuelles d'humidité, il y à eu presqu'autant de malades que d'habi- tants. Au nombre des causes déterminantes qui ajoutent à l'intensité de la maladie, si elles ne lui donnent naissance, M. Lechaptois place l'encombrement , les maisons insalu- bres, la fraicheur de la nuit, l'ivsufisance de nourriture, les écarts de régime , l'abus des alcooliques , les émotions vives , les fatigues du corps et de esprit. Toutes ces canses Choléra à Lilleboune, par le De Lechaptois. Thèse de M. Pouteiller. 4 ACADÉMIE DE ROUEN. s'étant rencontrées à Lillebonne , l'habile docteur n'est pas surpris qu'elles aient étendu leurs effets pernicieux sur la classe ouvrière, pour ainsi dire marquée d'avance ; cette classe a fourni les 19/20‘ des victimes. Mais, tout en admettant avec le médecin de Lillebonne que les causes précédentes ont pu exercer de l'influence dans cette localité, il ne faut pas oublier que ces mêmes causes agissaient en 1832, et que, cependant, à cette époque, le fléau n'a point sévi à Lillebonne. Il y a donc, dans le développement du choléra, bien des inconnues qui échapperont encore pendant longtemps aux recherches de la science. Quoi qu'il en soit la notice de M. Lechaptois est écrite avec talent, simplicité et prudence ; c'est un document précieux à conserver. Un autre fléau, plus à redouter que le choléra, c’est la guerre civile ! De récentes et douloureuses occasions ont porté de nouveau à étudier les plaies produites par les armes à feu. Un jeune médecin de notre ville, M. Jules Bouteiller, a fait, de cette partie si importante et si con— troversée de la chirurgie militaire, l'objet de sa thèse inaugurale qu'il a cru devoir soumettre au jugement de l'Académie. C’est un tableau clair, suceinct, et néanmoins fort complet de tout ce qui a été écrit et mis en pratique à cet égard ; ce n’est pas toutefois une simple compilation, car on y trouve des observations extrêmement curieuses , des faits nonveaux recueillis dans les hôpitaux de Paris et de Rouen, des aperçus originaux Le début de M. Bou- teiller, dans la carrière médicale, est trop brillant pour ne pas légitimer de flatteuses espérances que l'avenir réalisera bien certainement. CLASSE DES SCIENCES. — (| Un autre élève de nos écoles, M. Duclos, a voulu égale- Thèse ment que l'Académie jugeñt sa dissertation inaugurale. La de M. Duclos. thèse de ce jeune docteurtraite de la nomenclature médicale. et, dans ce sujet ingrat, l'auteur a fait preuve d'une grande érudition, d'un bon jugement et d'une dialectique serrée. II expose en détail la nomenclature du professeur Piorry, son maitre , signale avec impartialité les avantages et les dé- fauts de ce nouveau langage, et propose les modifications qui peuvent le rendre plus simple et plus euphonique. L'Académie approuve les tentatives de M. Duclos, et le féli- cite du talent avec lequel il a conçu et exécuté son premier travail scientifique. Un de nos correspondants , M. le docteur De Lamare, Traitement nous a envoyé un mémoire qui contient des observations de la phthisie, d'une utilité pratique sur / traitement curatif de la phthisie Par M. le pulmonaire par le mucilage animal à haute dose. Ce De moyen n'est pas nouveau assurément, mais M. De Lamare a indiqué une méthode d'application plus rationnelle et plus efficace. C’est la décoction graduellement chargée de 10 à 25 limaçons par jour, que notre confrère fait prendre à ses malades ; il administre le même remède sous forme de tablettes sèches plus faciles à prendre pour certains ma- lades, et composées de 150 limaçons hachés, comprimés et mêlés à 500 gr. de sucre. Ce traitement, qui doit être long pour être certain, semble justifié par les nombreuses observations rapportées dans le mémoire de M. De Lamare. M. Vingtrinier, qui vous en a rendu compte, doute d'autant moins du succès qu'on peut en attendre, que lui-même, dans sa pratique , a constaté plusieurs fois de semblables guérisons, à la suite d’un emploi long et assidu de l'huile de foie de raie Je Ja mort parente , par _ Lecoupeur. #6 ACADEMIE DE ROUEN. et de morue. Il ajoute qu'il ne peut y avoir aucun inconvé- nient à faire un usage simultané du mucilage animal et de l'huile de foie de raie. Lorsque là mort a triomphé de la science du médecin , celui-ci n'a pas terminé sa mission. Il lui reste à acquérir la certitude que tout espoir est à jamais perdu, et que la tombe ne va pas recouvrir un être conservant encore quelques étincelles de vie. La mort apparente a dù être, dans tous les temps et chez tous les peuples, un des plus redoutables malheurs qui puissent atteindre l'humanité ; c'est un fléau d'autant plus terrible qu'il est moins connu, et qu'il frappe sans cesse autour de nous, silencieusement, dans l'ombre , une quantité considérable de victimes , dont quelques-unes seulement échappent par hasard à ce triste sort. Hâtons-nous de dire cependant que notre confrère M. Avenel , qui a été chargé de très nombreuses vérifica- tions de décès, regarde ces accidents comme beaucoup plus rares qu'on ne le suppose généralement. M. le docteur Lecoupeur nous à communiqué sur cette question la première partie d'un ouvrage qu'il se propose de publier, et dans laquelle il déerit minutieusement les caractères distinctifs de la mort apparente, ainsi que les moyens de constater la mort absolue. L'auteur a une pré- dilection marquée pour le galvanisme. M. Avenel reconnaît à cet agent une supériorité réelle pour indiquer la cessa- tion de la vie, mais il est presque impossible d'y avoir re— cours partout ailleurs que dans les grandes villes. Le mémore de M. Lecoupeur se recommande par une vaste érudition et par des recherches consciencieuses qui font autant d'honneur à son mérite scientifique qu'à sa philanthropie. CLASSE DES SCIENCES. F7 Un dernier travail sur la médecine me reste à analyser : c'est celui que M. Hélot nous a offert, lors de sa réception. Il a pour titre : De la valeur scientifique de la médecine. Les gens du monde , les savants, les philosophes s'ac- cordent à nier cette valeur scientifique; les médecins , de leur côté, en vont prendre les bases partout ailleurs que dans la médecine elle-même ; aussi, ne l’envisagent-ils point comme une science mère ou indépendante. C'est une erreur cependant, d'après M. Hélot ; car, aussi bien que l'histoire naturelle, la physique, la chimie, la médecine offre un ensemble de connaissances coordonnées d'après un même principe , éternel, immuable. Ce principe, c'est celui de la fixité, de l'immutabilité des maladies : l'invariabilité des noms imposés à chaque sorte d'affections bien déterminées , le témoignage una- nime des hommes compétents de tous les temps et de tous les lieux sur cette fixité des espèces morbides, sont des preuves incontestables de l'existence et de la nécessité du principe scientifique. Mais ce principe suflit-il à lui seul pour la coordination des faits médicaux ? M. Hélot répond aflirmativement, attendu que le diagnos- tie, le pronostic, le traitement, n’ont de valeur que par- ce qu'ils reposent sur des faits anciennement connus, fidè- lement observés, se présentant constamment les mêmes dans les mêmes circonstances. Sans limmutabilité des maladies , serait-il possible de diagnostiquer une affection, de prévoir ses phases, sa durée, sa terminaison prochaine, de trouver enfin , dans l'arsenal des agents thérapeutiques. les moyens les plus eflicaces et les plus constants d'en faire cesser les effets ? Valeur scientifique de la médecine, par M. Hélot Réponse M. Bergasse u discours M. Hélot. 48 ACADÉMIE DE ROUEN. [a médecine est une science , au même titre que l'his- toire naturelle , la physique et la chimie , puisque, comme ces dernières, eile a pour base l'immutabilité de son objet. Sans doute, cette science à ses erreurs, ses imperfec-— tions, ses lacunes Mais quelle science, même parmi les plus exactes est infaillible et complète? La médecine, en tant que science ne procède pas autrement que les autres, et, plus que les autres peut-être, elle a un but élevé, une utilité de chaque instant, des applications mul- tiples dont on ne saurait méconnaître l'importance et la grandeur. N’est-elle pas au service d'un art pour lequel il faut tant de dévouement, tant d’abnégation, d’un art qui a ses dangers, ses périls de toutes sortes, et dont la pratique entraine avec elle une responsabilité souvent si M. Bergasse , chargé de répondre au discours si remar- quable de M. Hélot, a reconnu la fixité des maladies ; mais , dans son opinion, cette invariabilité dans son objet ne suffit pas pour qu'on puisse mettre la médecine sur le même rang que la chimie, la physique et les autres sciences. Il faudrait, pour cela, suivant lui, qu'il y eût quelque chose d'immuable dans ses lois et dans ses théo- ries. Or, en interrogeant son histoire , depuis Hippocrate jusqu'à nos jours, on ne découvre rien de semblable , rien qu'on puisse comparer à cette grande et immutable loi de l'attraction moléculaire devenue, pour ainsi dire. le pivot indestructible de la chimie moderne. Toutefois, l'orateur ne refuse pas à la médecine un ca- ractère scientifique ; il ne méconnaît pas non plus qu'il y ait, sur un très grand nombre de points, un enseigne- ment fixe et traditionnel dans la manière d'observer et de traiter les maladies, et, alors même que les moyens diffè- CLASSE DES SCIENCES. #9 rent, il remarque, avec surprise, une identité de vues entre les anciens et les modernes. Mais c’est essentiellement comme science d'observation , comme science expérimen- tale que la médecine a droit d'occuper une place immense dans l'édifice des connaissances humaines. Il serait peu rationnel de rêver pour elle une perfectibilité chimérique ; ce n'est pas la faiblesse de ses moyens, c’est la grandeur et l'essence même de son sujet qui en sont cause. Dans le livre de la nature que Dieu a remis aux mains de l'homme, il est des pages qui resteront toujours illisibles. Des infirmités matérielles de l'homme, passons à ses faiblesses morales ; les unes sont fort souvent dans la dé- pendance des autres. M. Vingtrinier nous a présenté un aperçu de la statis- tique criminelle du département pour l'année 1849 , COM- parée aux années antérieures. Des chiffres officiels, que je ne reproduirai pas Ici, éta- blissent que, depuis 1845 le nombre des condamnés a été constamment en diminuant. Ceci démontre l'erreur de certains économistes quisoutiennent que, grâce à la faiblesse de nos lois pénales , il y a augmentation croissante de crimes et de récidives, abus des circonstances atténuantes ot des acquittements. Il y à 18 ans, un conseiller à la cour d'appel de Dijon, M. de la Cuisine, écrivait que le chiffre annuel de 7,000 criminels, pour toute la France, s'élèverait à 15 mille en 50 ans. Il y avait erreur ou exagération, car, comme l’établit M. Vingtrinier, ce chiffre loin d'augmenter depuis cette époque, a diminué, puisqu'il est resté le même alors que la population a augmenté. STATISTIQUE Statistique criminelle du département, par M. Vingtrinier. Jpérations du nt- de-Piété, r M. Ballin. Statistique du commerce maritime et des exportations du port de Rouen. 50 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Ballin nous a présenté son Tableau décennal des opérations du Mont-de-Piété de Rouen, pour la période de 1840 à 1849 inclusivement. Il nous a fait remarquer que les opérations de 1849 sont à peu près égales à celles de 188, et toutes deux inférieures aux années précédentes , ainsi qu’à la moyenne décennale. On aurait tort de penser que la diminution des engagements soit un signe d’aisance, car le nombre des objets vendus a augmenté en même temps, ce qui est certainement un signe contraire. En résumé, il y a eu, en 189: 86,225 engagements et renouvellements pour. EEE. HÉGE. EU ENT. 986,748 fr. 60,737 dégagements pour. + : . « - 600,655 Et 8,887 articles vendus pour . . . . . 115,434 Nous saisirons cette occasion pour rappeler la mesure généreuse de la municipalité de Rouen qui, au commence- ment de 1849, a consacré une somme de 1,731 fr. au renouvellement gratuit de 2,732 prêts de 3 et 4fr. L'admi- nistration du Mont-de-Piété a aussi fait preuve de désinté- ressement en retardant de deux à trois mois, sans augmentation de droits, la vente de la plupart des nantis- sements de cette catégorie. M. Ballin nous a encore présenté l'analyse de l'intéres- sant document publié par la Chambre de commerce sur la staistique du commerce maritime et des exportations de tissus de coton et de laine du port de Rouen pendant les années 1847, 1848 et 849. Les renseignements relatifs à 1849 sont encore incomplets. En comparant le nombre des navires entrés dans notre CLASSE DES SCIENCES. 51 port pendant les trois années précédentes, on voit qu'il y a eu une diminution de 40 p. 100 en 1848 , et de plus de 39 p. 100 en 1849. Le tonnage des navires offre une pro- gression croissante. Relativement au cabotage, notre port reçoit plus qu'il n'expédie ; cette différence a diminué cependant en 1848. La navigation à vapeur a donné des résultats plus favo- rables ; elle a été constamment en augmentant. Les droits de douane offrent une diminution d'environ 37 p. 100 en 1848. Cette proportion n'a pas dépassé 35 p. 100 pour toute la France ; mais , à Paris , elle a été de 50, à Marseille et à Nantes , de 30 à 32 p. 100 , tandis qu'à Bordeaux et au Havre, elle n’a été que de 19 p. 100. Le commerce d'exportation des tissus de coton n'a pres- que pas varié dans les trois années comparées. La dimi- nution sur les cotons filés a été considérable en 1818, mais il y a eu à peu près compensation en 1849. Un fait assez remarquable , c’est que l'exportation des tissus de laine a été beaucoup plus considérable en 1848, où elle s'est élevée à 15% mille kilog. , qu'en 1847 et 1849, où elle a atteint à peine la moitié de cette quantité. Je ne quitterai pas ce sujet sans faire observer que l’an- née 1847, marquée par la disette des céréales, est une année exceptionnelle pour lé nombre de navires entrés au port de Rouen. Les nombreuses importations de blés et de mais qui eurent lieu à cette époque , rendent très bien compte des différences que signale la Chambre de com- merce dans les nombres respectifs de navires entrés pen- dant les trois années comparées. veloppe- ment ‘industrie es tissus \mérique. 52 ACADÉMIE DE ROUEN. Mais, comme si ce n’était pas assez, pour notre COMMerCe, d'une année de disette et d’une révolution politique, qui a ébranlé le sol de la patrie jusque dans ses profondeurs les plus considérables , voici que l'Union américaine grandit rapidement et constitue pour l'Europe entière une con— currence aussi redoutable pour le présent, qu'effrayante pour l'avenir. Affligé de cette situation , M. Simounet , ancien Consul général de France aux États-Unis, a cru devoir, pour éclai- rer et stimuler nos industriels, présenter l'exposé complet de l'état actuel des fabriques de la NouvelleAngleterre. Dans l'enquête à laquelle il s’est livré , et quiapour objet principal l'examen du travail des tissus , il paraît n’avoir négligé aucun détail. Outre le chiffre d'affaires propre à chaque centre industriel, à chaque maison importante , M. Simounet indique le nombre d'ouvriers employés, celui des métiers et des forces mécaniques , la quantité de ma- tières mises en œuvre , la somme des capitaux engagés , le taux des salaires , les règlements intérieurs des fabri- ques et la condition morale et matérielle des ouvriers. Il n'omet, enun mot, aucune des circonstances qui per- mettent de juger combien l'industrie manufacturière est actuellement affermie , comment elle prospère dans les États du Nord de la Fédération, dans ceux surtout de Mas- sachussett, du Maine, du New-Hampshire, qui s'adon- nent, avec un succès remarquable, à la fabrication et à l’im- pression des tissus de coton. M. Frère, en nous rendant compte de lintéressant mémoire de M. Simounet , nous a présenté des échantillons d'indiennes qu’on dirait sorties de nos fabriques , tant elles reproduisent la perfection de nos belles couleurs et de nos gracieux dessins. Les deux mille échantillons d’étoffes , en CLASSE DES SCIENCES. 93 tous genres. qui ont été exposés dernièrement dans une des salles de la Bourse, ont dù convaincre nos industriels de la nécessité de redoubler d'efforts pour lutter contre cette puissante rivale , qui, bien que placée à l’autre extré- mité du globe, ne tardera pas, si nous n'y prenons garde, à chasser nos produits de tous les marchés étrangers. Ce qui favorise surtout la marche rapide des manufactures dans ce pays . naguère couvert de forêts séculaires , et où les villes s'élèvent comme par enchantement , c'est l'abondance des capitaux , c’est l'esprit d'association bien entendu , ce sont les innombrables cours d’eau dont le génie des habitants sait utiliser la force, c’est enfin la pré- sence de bon nombre de contre-maîtres français dans les ateliers américains. Je suisloin, Messieurs , d’avoir épuisé la liste des tra- vaux accomplis par les membres de la classe des Sciences, pendant l’année académique qui expire aujourd'hui ; mais il m'a fallu faire un choix , qui, je le crains, ne vous aura peut-être pas paru encore assez restreint. Je me hâte de clôre ce trop long exposé, en vous disant quelques mots de nos pertes et de nos acquisitions. Nous avons le regret de ne plus compter dans nos rANgS : M. Guérard de la Quesnerie , agronome distingue , qui contribua, en 1819, au rétablissement de la Société d'Agri- culture du département ; Jean-André De Luc, de Genève, géologue éminent, qui a publié d'instructifs mémoires sur divers sujets de géologie, de physique et de météorologie ; Louis-Benjanin Francœur , habile géomètre, membre NECROLOGI JUuvVeaux embres Académie. 54 ACADÉMIE DE ROUEN. de l'Institut, qui fut choisi par le premier Consul pour être l’instituteur de son frère Jérôme ; Enfin Marc-Isambart Brunel , qui doit nous être cher à plus d'un titre, puisqu'il était un des ingénieurs les plus savants, une des célébrités de l'Angleterre qui l'avait adopté comme un des siens, et qu'il était normand , j'allais pres- que dire enfant de notre ville , car il y fit ses premières études , et y puisa le goût pour la mécanique et les sciences exactes qu'il devait plus tard illustrer. M. Frère a rédigé, sur ce célèbre compatriote , une notice détaillée , qui enri- chira notre précis de 1850. (f) Comme compensation à ces pertes, nous avons acquis la collaboration de : MM. Hélot. chirurgien en chef de l'Hospice-Général ; Girault, professeur de mathématiques spéciales au Lycée ; Aug. Lévy, professeur de sciences mathématiques et physiques ; Largilliert , conchyliologiste , directeur de la Banque ; Bignon , botaniste, Juge de paix du 3° arron- dissement ; Isidore Pierre , professeur de chimie à la Faculté des sciences de Caen ; Le Jolis, secrétaire de la Société d'horticulture de Cherbourg ; Cahours, professeur de chimie à l'Ecole centrale et répétiteur à l'Ecole Polytechnique. Maintenant que j'ai résumé les travaux de mes confrères, CLASSE DES SCIENCES. 55 en m'eflorçant de mettre en relief ce qu'ils ont de capital, si vous jetez avec moi, Messieurs , un regard d'ensemble sur ces faits nombreux que j'ai réunis, vous reconnaîtrez facilement que l'Académie , comme toutes les autres cor- porations scientifiques modernes, obéit à cette tendance que je vous signalais en commençant, et qui forme le trait le plus prononcé de la physiononie générale de notre époque, à savoir : Qu'elle se détourne des utopies pour marcher droit aux applications ; Qu'elle renonce à ce qu'elle ne saurait expliquer pour s'attacher à ce qu'elle peut connaître ; Enfin qu'elle se préoccupe, par dessus tout, de servir les besoins et les progrès de la société, en s'appuyant sur la méthode expérimentale, et en restreignant , autant qu'elle le peut , les chances du hasard. COMPLÉMENT, 56 ACADÉMIE DE ROUEN. COMPLÉMENT DU RAPPORT DU SECRÉTAIRE DE LA CLASSE DES SCIENCES. (a) Voici la description succincte que M. Marchand a envoyée à l’Académie relativement au halo solaire qu'il a observé à Fécamp. « Le 22 de ce mois, à 4 h. 50 m. du soir, par une température de +597, un temps sec succédant à 18 jours de beau temps, par un vent de N. O., (qui quelques instants auparavant, à 4 h., et dans l’espace de 40 minutes, était remonté au N., descendu à l'O, puis au S., puis remonté au N. N. O., en passant par 0. et enfin fixé définitivement au N. O.), j'ai observé un halo so- laire qui m’a présenté les caractères suivans : « Autour du soleil, qui conservait toute son intensité lumi- neuse, un espace plus foneé que le restant du ciel était com- pris dans une sorte d’arc-en-ciel, dont les rayons rouges étaient tournés vers le soleil. En dehors de ce cercle coloré, et sur le même axe que le soleil , se voyaient deux parhélies, dont le plus vif en lumière était à ma droite. Ces parhélies qui se prolon- geaient en cônes, dans une direction opposée au soleil, étaient reliés à celui-ci par une petite bande lumineuse très blanche , et ils allaient se perdre dans deux segmens irisés peu sensibles et dirigés en sens inverse du cercle coloré dont je viens de parler. Celui de droite était le plus visible; l'autre était peu sensible. CLASSE DES SCIENCES 57 « Deux segmens elliptiques, irisés, partaient du sommet du cercle compris entre les parhélies et le soleil (cercle qui était lui-même surmonté d'un are opposé et tangent, faiblement co- loré) , et traversaient bien évidemment les deux parhélies. « Enfin, deux ares opposés, tangens l'un à l’autre et se rap- portant assez bien à un demi diamètre de 26 à 28°, se faisaient remarquer au-dessous du soleil, par l'intensité de leurs rayons rouges et jaunes. « Dans tous ces anneaux colorés, les rayons rouges étaient dirigés vers le soleil. « L'ensemble du phénomène a duré à pen près 3 minutes dans toute son intensité. « A partir de sa terminaison, le baromètre qui, à midi, était à O0 m. 759,1 (à zéro), est descendu trés rapidement, car le soir à 10 heures il ne marquait plus que 0 m 752, et le 23 mars à midi , il était tombé à Om. 743. 8. Le vent est toujours resté sensiblement dans la direction du N. N O0. La température à suivi aussi une marche décroissante, et le 25, à 4 heure du soir, c'est-à-dire 24 heures après le commencement de mon observa- tion , il a commencé à tomber quelques flocons de neige. Il en à été ainsi jusqu'au 29 mars, jour qui a produit une couche de neige de 12 à 13 centimètres d'épaisseur, correspondant à 16 millimètres 2 d'eau. Le 27 et le 28, la température et la pres- sion barométrique se sont relevées sensiblement. « Cette observation est curieuse, en ce qu'elle confirme plei- nement la théorie admise du halo, et aussi à cause des arcs ellip- soïdes et latéraux que j'ai observés, et qui ont été parfaitement bien vus par les personnes qui m'accompagnaient. J’insiste for- tement sur leur existence qui n'a point encore été signalée par aucun des savants observateurs qui m'ont précédée. » (b) Voici quelques passages du rapport que M. J. Girardin à lu à l'Académie , dans la séance du 30 mai, sur le sulfate de quinine préparé au Havre et sur le procédé que propose M. Henry pour rechercher dans les sulfates du commerce le sulfate de cinchonine. «Le sulfate de quinine préparé au Havre ne contient que 1 1/2 p. 0/0 de sulfate de crmchonine Les autres sulfates du 58 ACADÉMIE DE ROUEN. commerce m'ont donné depuis $ jusqu'à 12 et même 18 p. 0/0 du même sel. « Sous le même poids, il renferme à la fois moins d'eau , d'a- cide sulfurique et plus d’alcaloïde que le sulfate du commerce, qui est un sulfate bibasique. En effet, voi-i la composition que je lui ai trouvée sur 400 parties en poids : Quinimet. "1e IE 148075 GINCHONM ES. LT 5 Acide sulfurique . . . 7,0 EAU EME RES HE 2 RMI 100, 0 « Or, si l’on compare cette composition à celle des trois sul- fates de quinine connus, et que je reproduis ici : Sulfate neutre Sulfate Sulfate en gros prismes. bibasique. tribasique, Quinines tn (59508 nc T4 GO LR ESS Acide sulfurique 14,5 . . . 90727 6,6 AUS EE 26,2 D - 15,30 sale 1159 400,0 100,00 100,0 « On voit que le sulfate de M. Henry a tout-à-fait la constitu- tion du sulfate tribasique. Comme il est parfaitement eristallisé , il est évident que c’est un sel bien défini, à 5 équivalents de base. Il contient donc, par conséquent , un équivalent ou 6,87 p. 0/0 de quinine de plus que le sulfate bibasique du commerce. « Par toutes ces considérations, je pense que les médecins doivent, sans aucune hésitation , accorder la préférence au sul- fate de quinine provenant de la fabrique du Havre, puisque, d'une part , il est plus pur que tous les autres sulfates du com- inerce, et que, d'autre part, il est plus riche en quinine , point capital sous le rapport thérapeutique. « Dans la fabrication en grand du sulfate de quinine , il est à peu prés impossible de ne pas avoir naturellement la proportion de 1 à 2 p. 0/0 de sulfate de cinchonine en mélange Mais, lors- que ce dernier sel dépasse celte proportion normale , c'est qu'as- surémerit, il a été ajouté après coup , par fraude , le sulfate de einchonine ayant beaucoup moins de valeur que le sulfate de quinine. CLASSE DES SCIENCES 29 « Le procédé pour la découverte de cette fraude repose sur les caractères annoncés par Pelletier et Caventou , à savoir : la grande différence de solubilité, dans l’eau froide, des acétates à base de quinine et de cinchonine. (Voir la description de ce procédé dans le Journal de Chimie el de Pharmacie , novembre 1849.) « J'ai misen pratique le mode opératoire proposé par M. Henry, el j'en ai été satisfait, car J'ai pu doser très approximativement le sulfate de cinchonine que j'avais ajouté à dessein à du sulfate de quinine pur. Je préfère ce procédé à celui de Liebig , que lon emploie généralement dans le commerce , parce que ce dernier ne permet pas de recueillir assez exactement la cinchonine pour la peser et en constater les véritables caractères. » (e) I'est juste de rappeler ici que le sulfate de manganèse a été signalé dans les eaux de Cransac, pour la première fois, il y a une quarantaine d'années, par notre célèbre Vauquelin. (d) Voici un extrait de la lettre dans laquelle M. Le Jolis a fait connaitre à l’Académie la découverte de lespèce d’ajone qu'il croit entièrement nouvelle pour la flore de notre province : «Il y a quelqne temps, je remarquais dans les falaises de Jobourg, puis sur le bord des chemins et dans les landes des hautes parties de la Hague, des touffes d'ajones en pleine fleur, et qui me frappèrent, au premier abord, par l'époque de leur flo- raison différente de celle de l'Ulex europœus. En les examinant de plus près, je m'aperçus bientôt qu’elles n’appartenaient pas à notre espèce commune, et, en les comparant avec les échan- tillons de mon herbier, je vis que cette plante était identique avec des échantillons reçus du Morbihan sous le nom d'Ulex provincialis, mais non pas avec le véritable Ulex provincialis de Desfontaines qui m'a été envoyé du midi de la France. Je me rappelai alors une lettre dans laquelle mon correspondant de Vannes, M A. Taslé, m'annonçait que l'Ulex breton, décrit comme l'Ulex provincialis par M. Légall dans sa Ælore du Mor- bihan (qui est sons presse) venait d'être reconnu pour une espèce distincte et publié par M. Planchon, dans le #ortus l'an Houtteanus , sous le nom d'Ulex Legallii. 60 ACADÉMIE DE ROUEN. « Quoique je ne connaisse pas encore la description de M. Plan- chon, j'ai tout lieu de croire que ma plante appartient à cette espèce. Dans tous les cas, ce n’est ni l'Ulex europæus ni l'Ulex nanus. Je vais, du reste, en soumettre à l'Académie les prinei- paux caractères : « Calice couvert d'une légère pubescence apprimée et parais- sant glabre au premier aspect | à nervures à peine saillantes , à lèvres concaves carénées, triangulaires-aiguës à dents conni- ventes, plus courtes que létendard — Etendard un peu veiné, ovale, assez profondément bilobé, à lobes divergents — Ailes de même longueur que la carène , mais plus étroites. Celle-ci velue et un peu courbée au bord inférieur — Calice accompagné à sa base de deux bractéoles très petites, arrondies, égalant à peine la largeur du pédicelle, appliquées. — Pédicelle couvert d'une pubescence apprimée très courte et grisètre, égalant la feuille florale, accompagné à sa base d'une petite bractéole semblable aux deux situées au-dessous du calice. — Tiges très rameuses, à rameaux divariqués et entrelacés, courts, formant des buissons, Le plus souvent arrondis, hémisphériques, de 1 dé- cimêtre à { mètre de hauteur — Flor. août! septembre ? — Se trouve probablement, dans toutes les landes du nord et de l’ouest du département de la Manche, et sans doute aussi aux iles anglaises. » (e) Voici les rectifications aux flores de Normandie que M. Pouchet indique depuis longtemps, soit dans ses cours, soit dans ses herborisations : L'Eriophorum polystachion qu'il faut remplacer par £. Vaillantii. Le Bunium bulbocastanum — — B. denudatum Le Cineraria integrifolia — — C. campestris. L'Hesperis matronalis — — H. incisa. Le Cochlearia officinalis — — C. danica. M. Bignon signale, à son tour, le tamarix anglica comme fort commun au Havre, tandis qu'il n'est indiqué par M. de Brébisson que dans les fossés maritimes du Calvados et de la Manche. L’'Ombilicus pendulinus est faussement désigné comme une plante commune en Basse-Normandie, tandis qu'il n’appar- lient qu'aux sols granitiques et schisteux. CLASSE DES SCIENCES. 61 M. Bignon avait aussi reconnu, comme M. Pouchet, l'erreur commise à propos du Cochlearia danica , qui croit sur la falaise d'Etretat, et qu'on avait confondu jusqu'ici avec l’Officinalis. (f) Voici quelques détails biographiques sur trois des mem- bres correspondants que nous avons perdus. GUERARD DE LA QUESNERIE , né à Rouen, le 2octobre 1776, était fils d'un jurisconsulte distingué. Son père, qui fut successi- “ement procureur général à la Cour des Comptes et membre du Conseil des Cinq Cents, lui donna une brillante éducation. Sa position de fortune lui permettaut de suivre ses goûts, il se livra entièrement aux études agricoles et passa la plus grande partie de sa vie à faire valoir un bien qu'il possédait à Cailly, dans l'arrondissement de Rouen. Homme de pratique et de théorie tout à la fois, M. de la Ques- nerie rendit de grands services à la Societé centrale d'agriculture du département, au rétablissement de laquelle il contribua en 1819. Les mémoires de cette société renferment un grand nom- bre de notices intéressantes , qu'il écrivait avec autant de sim- plicité que de talent. Il aimait surtout à essayer les nouvelles cultures, et on lui doit l'introduction dans le département de beaucoup de bonnes plantes, telles, entre autres, que la pomme de terre dite tardive d'Irlande, celle dite longue naine hative d'Angleterre, plusieurs variétés de blés , Notamment le blé de Talavera , le blé Pictet, le chéne-quercitron , le chou collet de telgique, ete L'un des premiers, il préconisa la culture de la betterave et de la carotte en lignes, et adopta daus sa ferme l'assolement quadriennal. En 1822, il fit paraître un Annuaire agricole du départe- ment de la Seine-Inférieure, qui ne fut pas sans influence sur l'essor que prit l'agriculture à cette époque. En 1535, il fonda le Comice agricole de Cailly, dont il fut le président pendant plu- sieurs années. Dans les derniers temps de sa vie, il remplit les fonctions de juge de paix, et ne fut pas moins utile aux babi- tauts des campagnes, sous ce rapport, que par les utiles enseigne ments , les bons exemples de culture qu'il leur donnait, On peut avancer, sans aucune exagération, que M. de la Quesnerie est un 62 ACADÉMIE DE ROUEN. des agronomes qui ont le plus contribue au perfectionnement de notre agriculture normande. L'Académie se l'associa, Le 16 janvier 4824, en qualite de mem- bre correspondant; d’autres sociétés savantes lui conférèrent aussi le méme titre, entre autres la Société nationale et centrale d'agriculture de Paris. Il est mort en 1849 ? DE LUC (Jean-AxDné) naquit à Genève le 16 octobre 1765. Son père, frère cadet du célèbre Jean-André De Luc, auteur des Recherches sur les modifications de l'atmosphère, cultivait lui-même les sciences physiques et naturelles, et avait formé une collection minétalogique, riche surtout en coquillages pétrifiés. Il fit suivre à son fils les études publiques à Genève, et il lui fit même commencer celles du droit. Mais l'inelination du jeune De Lue le portait vers l'histoire naturelle; son entourage , sesentre- tiens avec son père et les courses qu’il faisait fréquemment avec lni étaient très propres à développer ce goût. De 1738 à 1800, il résida en Angleterre, comme précepteur de jeunes anglais avec lesquels il fit de nombreux voyages , à Spa, eu Irlande, dans les montagnes du pays de Galles, à l'Ile de Wight, ce qui lui donna l'occasion de recueillir beaucoup de notes et d'observations d'histoire naturelle, notamment de géologie. Pendant un séjour à Londres , en 4795, M. De Luc avait fait la connaissance du général Melville, écossais, retiré dn service d'Angleterre. Celui-ci lui parla de l'étude qu'il avait faite du récit de l'historien grec Polybe, du passage d’Annibal et de son armée à travers les Alpes , et de l'opinion qu'il avait conçue et confirmée par une confrontation faite sur les lieux, que c'était par la route du Petit-Saint-Bernard qu'Annibal avait pénétré en Italie. Le général Melville ayant engagé M. De Luc à publier cette opinion , après qu'il l'aurait soumise à un examen ultérieur, celui-ci se rendit sur les lieux au mois d'août 1812, et acquit, par l'estimation exacte des distances et l'examen attentif des locali- tés comparés au récit de Polybe, une conviction de plus en plus prononcée que l'explication du général Melville était la véritable. Il publia à Geneve, en 4818, en un volume in &°, d'environ 300 pages, son Histoire du passage des Alpes par Annibal , CLASSE DES SCIENCES. 63 ouvrage trés bien composé, qui à fait honneur à son auteur ; ilen à paru , en 4823, une seconde édition revue et angmentée. M. De Luc a publié, de 1813 à 1846, soit dans la Bibliothèque britannique et la Bibliothèque universelle, soit dans le Bulle- tin et les Actes de la Société helvélique des sciences naturelles, dans les Annales de chimie et physique, dans le Bulletin des sciences naturelles de Férussac, et dans le Zullelin de la Société géologique de France, environ quarante-cinq mémoires ou articles sur divers sujets de géologie , de physique ou de mé- téorologie ; je citerai surtout : Mémoire sur la matière première des laves, etc., juin 18146, Genève. Examen de l'opinion géneralement recue en Suisse que les neiges des montagnes influent sur la température de l'air dans les plaines voisines — Bulletin de Berne, 1817. Mémoire sur la chaleur intérieure de la terre. — Bibliothè- que universelle , 1821. Sur les glacières naturelles et la cause qui forme la glace dans ces cavités. — Annales de chimie et de physique, 1822. Sur les sèches du lac de Genève.—Société helvétique, 1854. Sur les coupures transversales qui donnent passage aux rivières dans les chaînes de montagnes. — Bibliothèque uni- verselle. Expériences de température faites dans des mines pro- fondes de Cornouailles. — Bibliothèque umverselle, 1839. Sur les blocs erratiques à l'entour du Mont-Blanc. — Bull. de la Soc. géologique de France, 1839. Sur les escarpements des montagnes et sur les vallées à fond plat. — 1bid. Fn 4847, alors qu'il avait plus de 83 ans, M. De Lue lut à la Societé de physique et d'histoire naturelle de Genève un mémoire de près de GO pages sur la gréle, accompagné de dessins de divers grélons faits d'après nature où copiés par lui. Ce mémoire comprend de nombreux extraits de relations diverses d'orages de gréle, une série de chapitres sur les principales circonstances que presente ce phénomène et quelques idées théoriques sur sa cause. M. De Luce à publié deux ouvrages relatifs à des matières 6% ACADÉMIE DE ROUEN. théologiques. Le premier a pour titre: Zæxamen de la doctrine de l'Ecriture touchant la personne de Jésus-Christ, la Ré- demption et le péché originel, suivi d’une dissertation sur la religion naturelle. — Genève, janvier 4830. — Le second, qui a paru à (renève en 1853, est intitulé : Æclaircissements sur l’Apocalypse et sur l'épitre aux Hébreux, ou analyse de leur composition, suivis de remarques sur les deux premiers cha- pitres de St Mathieu. Doué d'une haute stature et d'une très robuste constitution, M. De Luc était arrivé à un âge fort avancé, sans éprouver d'autre infirmité qu'un peu de surdité. Il est mort subitement, le 44 mai 4847, par suite d’un malheureux accident, tout-à-fait imprévu et involontaire. M. De Luc était un ohservateur exact et consciencieux. Il ai- imait la science pour elle-même, et jusque vers les derniers jours d’une carrière fort prolongée, il a trouvé dans sa culture assidue d'intéressantes occupations et de nobles jouissances. Un grand nombre de Sociétés savantes l'avaient honoré de leurs suffrages et se l’étaient attaché. Ce furent deux lettres sur les comèies, qu'il adressa, en 1827, aux frères Martin, et qui furent imprimées daus le Journal de Houen, qui lui valurent le titre de membre correspondant de l’Académie, distinction dont il se montra toujours fort reconnaissant. FRANCŒUR (Louis-BENJAMIN) , fils du surintendant de la musique du roi, naquit à Paris, le 46 août 1775. Il fit son éduca- tion au collége d'Harcourt. En 1792, son père ayant été nommé administrateur de l'Opéra, le jeune Francœur fut placé dans cette administration en qualité de sous-caissier, dont il ne remplit pas longtemps les fonctions, son père ayant été incarcéré comme suspect, et lui-même ayant atteint l'âge de la réquisition. Toute- fois, Francœur avait mis à profit les instants de loisir que lui avait laissé son emploi de sous-caissier , et s'était livré, avec ar- deur, à l'étude des mathématiques. Aussi, après avoir passé quelques mois à l'armée du Nord, revint-il à Paris, sans autori- sation, pour solliciter son admission dans l'arme du génie; mais la position de son père fit douter de ses sentiments, et sa demande CLASSE DES SCIENCES. 65 fut rejetée. Il se vi alors contraint d'accepter une place dans une fabrique de fusils. Lors de la création de l'Ecole centrale des travaux publics (de- puis Ecole polytechnique), Francœur y entra comme élève, fut choisi pour être un de ses chefs de brigade, et, peu après, répéti- teur. Il ne tarda pas à étre nommé ingénieur-géographe, mais bien- tôt il abandonna cette partie pour être employé au trésor publie , d'où il entra dans l'arme d'artillerie avec le titre d'officier ; plus tard il fut choisi par le premier Consul pour être instituteur de son frère Jérôme. A cette époque, Francœur s'était fait connaître par unouvragede botanique , intitulé : La Flore parisienne (Paris, 4800), et par un Zraité de mécanique élémentaire et théorique (Paris, 4800), dont le mérite est plus incontestable que celui du premier. En 1805, Francœur fut nommé professeur de mathématiques élémentaires à l'Ecole centrale de la rue Saint-Antoine. L'année suivante, il cessa ses fonctions de répétiteur à l'Ecole Polytechni- que, pour prendre celles d'examinateur des candidats à la même école, et en 1803, quand les Ecoles centrales furent organisées en Lycées, il passa de la chaire des mathématiques elémentaires à celle de mathématiques transcendantes au Lycée Charlemagne. En 1809, à l'organisation de la Faculté des sciences, il fit partie des savants qui furent chargés d'y professer. Il remplit ces divers emplois jusqu'à la seconde Restauration , époque à laquelle ils lui furent retirés par le gouvernement de Louis XVI. Dans les dernières années de l'Empire, Francœur avait publié un Cours de mathématiques pures, 2 vol. in-8° (Paris, 4810, qui a eu plusieurs éditions, et une Uranographie où Traité élémentaire d'astronomie, in-8° (Paris, 1812), dont quatre éditions successives attestent le succès. Sous la Restauration , il publia un 7raité du dessin linéaire pour l'enseignement de toutes les écoles élémentaires , in-8° (Paris, 4819), et une Goniométrie ou art de tracer sur le papier des angles dont la graduation est connue, et d'évaluer le nombre de degrés d’un angle déjà traité, accompagné d'une table des cordes de 1 à 10,000, 1 vol. in-8 (Paris 4820), I prit part, en outre, à la collaboration du Dictionnaire tech- 5 66 ACADÉMIE DE ROUEN. nologique , de la Hevue encyclopédique, et de l'Encyclopedie moderne. On doit encore à ce savant mfatigable les ouvrages suivants : Eléments de statistique, in-8°. Géodésie ou Traité de La figure de la terre et de ses parties, comprenant la topographie, la géomorphie, et la navigation. Cours fait à la Facuité des Sciences de Paris, ete., { vol. in-8e, 1835. Eléments de technologie ou description des procédes des arts et de l'économie domestique, in-8°, avec planches. Notice sur Plombières et ses eaux thermales, 4 vol. in-8°. Astronomie pratique, usages et composition de la Connais- sance destemps, ete., in-8°, 2e édition, 1840. Mémoire sur l’aréométrie et en particulier sur l'aréométrie centigrade, suivi d'une instruction à l'usage des fabricants d'aréomètres, broch. in-4°, 1842. M. Francœur appartenait à un grand nombre d’Académies et de Sociétés savantes. L'Académie de Rouen le nonuna membre correspondant en 1809. Dès 4819, il ft partie du conseil d'admi- nistration de la Société d'encouragement, et plus tard, il en de- vint un des vices-présidents. En 1857, la Société nationale et centrale d'agriculture le nomma un de ses associés ordinaires, et eu 1842, l’Académie des sciences le l'institut l'élut académicien libre en remplacement de Costaz. Il était de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg , et chevalier de la Légion d'Hon- peur, Il est mort à Paris, le 46 décembre 4849, après une longue et cruelle maladie. Semoires DONT L'ACADÉMIE A ORDONNÉ L'IMPRESSION EN FNTIEN DANS SES ACTES. NOTICE HISTORIQUE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX bE Manc-Esamparr BRrunez. Par M. Épouarp Frère. {Séance du 5 Juillet 1850.) Messreurs. Un historien dont le nom est connu de chacun de vous, et dont les appréciations sont tout à la fois pleines de finesse et de profondeur , afirmait , il y a peu de temps, que les corps savants , comme les familles , avaient des an- cêtres. Ces ancêtres , disait-il, en développant sa pensée, sont les hommes de génie qui ont illustré les générations passées, agrandi les connaissances humaines, perfectionné la civilisation du monde par leurs découvertes, et dont les chefs-d’œuvre continuent de ravir les esprits. (1) La mort qui vient de frapper l'un des membres corres- pondants de cette Académie, un de nos compatriotes, Marc-Isambart Brunel, nous a rappelé la justesse de cette (1) Mignet, Notice historique sur la vie et les travaux de Cabanis. Moniteur universel, 17 juin 1850. 68 ACADÉMIE DE ROUEN. opinion de M. Mignet. Nous aimons à penser que nous accomplissons un pieux devoir en rendant hommage à l’un de ces ancêtres de la science ,à cet aïeul tout moderne, qui, bien qu'étant inscrit des derniers sur ce livre d'or de l'intelligence, n'en a pas moins vu sa paternité fécondée magnifiquement , et nous sommes heureux d'avoir à re- produire ici les traits principaux de cette vie si pure, à suivre la marche de ce puissant génie qui grandissait en présence des obstacles et qui a rempli l'univers d'un nom impérissable. Ce fut en 1769, le 25 avril, à Hacqueville, commune du département de l'Eure , et non loin du village qui fut le berceau du plus grand peintre de l'École française , que naquit, au sein d'une honorable famille de cultivateurs, l'homme remarquable dont nous avons à vous entretenir aujourd'hui. Aîné de quatre enfants, deux filles et deux garçons, Marc-Isambart Brunel manifesta dès l'âge le plus tendre un goût très prononcé pour la mécanique et les sciences exactes. Elève du Séminaire Saint-Nicaise à Rouen , il se fatigua bientôt de la lecture de Démosthène et de Cicéron ; la marine, l'étude des machines, des ma- thématiques et du dessin , occupèrent toutes ses pensées. Pendant les vacances qu'il passait chez son père, son plaisir le plus grand était d'aller travailler dans l'atelier du menui- sier d'Hacqueville qui écoutait avec bienveillance les ques- tions du jeune Brunel et s’empressait de répondre , autant qu'il le pouvait, aux besoins de cet esprit investigateur si avide de savoir. C'est au milieu de cet atelier qu'il apprit à connaître l'usage de tous les outils , à les manier avec aisance, et qu'on vit germer dans le cerveau du futur ingénieur, les premières idées de mécanique. À douze ans, il exécutait sur le tour des pièces dont un bon ouvrier eût été satisfait. CLASSE DES SCIENCES. 69 Des modèles de vaisseaux , des instruments de musique et de marine sortirent bientôt de ses mains (1) et furent loin d'exciter l'admiration de son père, homme positif qui voulait faire suivre à son fils la carrière de l’église , peut- être celle du commerce , et qui repoussait de toute son autorité de père la pensée de le voir chercher dans l'étude des arts mécaniques une profession, un état, une chance d’aisance et de succès. « Mon cher Isambart », disait-il : après avoir opposé aux rêves de son fils une foule d'objec- tions en apparence pleines de sagesse, « Mon cher Isam- & bart, si tu prends ce parti-là, tu végèteras toute ta « vie. » Avant de sourire, comme nous serions tous portés à le faire, en entendant ce pronostic paternel que l'avenir de Brunel a si brillamment démenti » l'eportons nous à l'épo- que où M. Brunel père mettait aux projets de son fils une Opposition aussi persistante, Rien, à ce moment, ne pouvait faire pressentir la puissante impulsion que reçurent bientôt, d’une longue paix , la marche des arts industriels et méca- niques. Rien encore n'annonçait, comme prochain du moins, ce besoin de création qui surgit si rapidement, et que l'application de la vapeur à toutes les branches de l'industrie développa avec tant de promptitude. La filature et le tissage étaient dans leur enfance ; à Rouen même, en 1793, il n'y avait pas une seule filature de coton ; Puni- que établissement de ce genre qui existait alors , se trou vait à Louviers. La populace de Rouen , aveugle dans son effroi, avait anéanti les diverses tentatives qui avaient été £ == — ne (1) H était à peine sorti du séminaire, qu'il entreprit, (pour l'offrir à Pun de ses intimes amis, M. Allard), la construction d'un instrument destiné à reproduire les sons de l'orgue, en n'employant qu'un seul tuyau. — Pendant un séjour qu'il fit à la Guadeloupe, il Irouva moyen de confectionner un piano. 70 ACADÉMIE DE ROUEN. faites pour créer dans cette ville des métiers à filer , ainsi que des métiers à la navette volante propres à la fabrica- tion du bazin, des mousselines et mousselinettes. (1) Un fait remarquable cependant allait presqu'aussitôt marquer un pas immense dans l’industrie : l'introduction en France de la première pompe à feu. Cette machine importée d'Angleterre et destinée à l'usine de MM. Périer, à Chail- lot, près Paris, fut débarquée dans le port de Rouen, en 1793, et sous les yeux même de Brunel. (2) On peut donc, en considérant cet ensemble de circons- tances, s'expliquer l'opposition de M. Brunel aux désirs du jeune Isambart, quoiqu’on regrette qu'il n’ait pas compris instinctivement le génie de son fils, et permis, par de pa- ternels encouragements, à cette naissante intelligence, de se développer sur le sol français. Persistant cependant dans ses désirs et dans ses projets, Brunel quitta le séminaire en 178%, c’est-à-dire à l’âge de 15 ans. H obtint de son père la permission d'aller passer quelque temps à Rouen; là, sous les veux d’un vieil ami de sa famille, M. François Carpentier, négociant et ancien capitaine au long cours, il suivit des cours de dessin, de perspectiveet d’hydrographie, et laissa percer encore dans ces divers genres d’études cet esprit observateur et im- ventif qui devait bientôt devenir du génie. Tout charmé (1) Jusqu'en 1787, on fitait encore le coton à la niain dans Rouen et tout le département. Vers cetie époque, on essaya quelques ma- chines importées d’Angleterre, mais elles furent brisées par les ouvriers dans l'insurrection qui eut lieu à Rouen, en juillet 1789. En 1789, on faisait filer le lin à Rouen par des enfants dans VPaitre Saint-Maclou , sous la surveillance du curé &e la paroisse de ce quartier populeux. La famille Adelire a été lune des pre- mières à introduire à Rouen des machines destinées à la fabrica- tion des étoffes, en usage chez nes voisins d’outre-manche. (2) Lettre de Brunel à M, l'abbé Gossier, du 27 novembre 1839, CLASSE DES SCIENCES. 71 des notions astronomiques qu'il acquérait par ses études nautiques, il cherchait, durant les jours qu'il retour- nait passer près de son père. à faire, dans une plaine située au nord d'Hacqueville, des observations sur les corps célestes, observations qui émerveillaient les paysans de son village, tout ébahis de voir M. {sambart « mesurer le Soleil. » Ayant remarqué un jour chez son répétiteur d'hydrographie, M. Fouré, un octant , instrument dont la précision est si utile au navigateur et dont il devina l’in- génieux mécanisme , il en construisit un semblable, ayant pour seul guide le traité de navigation de son professeur, M. Dulague. Cet instrument, cependant , ainsi rapidement ajusté, ne satisfit point le jeune Brunel ; il chercha, réflé- chit, s'appliqua de nouveau, et, avec l'aide de quelques écus que son père voulut bien risquer en cette circonstance, il en monta un second en bois d’ébène, et fut content de son œuvre. Les deux seuls octants dont Brunel se servit plus tard, comme marin, sont l'ouvrage de ses mains. Cette précocité intellectuelle ne peut être comparée qu'à celle de Vaucanson, construisant avec les outilsles plus grossiers une horloge en bois, imaginant une pompe hydraulique pour fournir de l'eau à la ville de Lyon, et exécutant des automales qui tiennent du prodige. Les études hydrographiques que Brunel venait de faire, peut-être aussi l'influence de cet ami, M. Carpentier, qui, marin lui-même, aimait cette aventureuse carrière, ame- sèrent Brunel à s'embarquer, comme simple volontaire, en 1786. Protége par le maréchal de Castries, il fit plusieurs voyages aux colonies et navigua jusqu'en 1793, sans pré- tendre à aucun grade. Dans ce rude métier de marin, il se faisait constamment remarquer par sa douceur, sa gailé, son adresse et son extrème intelligence. M. Marc LE. (Mar- quis) comme on l’'appelait à bord, en faisant un jeu de mots sur son nom de Mare-Isambart, était auné de léqui- 72 ACADÉMIE DE ROUEN. page et des passagers : nouveau Robinson, il était propre à toute chose, et ses diverses capacités émerveillaient chacun. Ayant obtenu du Ministre de la marine un passeport qui lui permettait d'aller faire des achats de grains et de farines en Amérique, mais qui limitait, toutefois, son absence à une année, Brunel quitta Paris le 17 janvier 1793 , à la suite d’une affaire sérieuse qu'il avait eue au café de l'Echelle , rue de ce nom, et qui aurait pu compromettre sa liberté. Repoussant les propos sanguinaires que de misérables insensés tenaient dans ce lieu publie sur le drame lugubre qui se préparait alors dans la capitale , il avait eu le courage, en cœur vrai et généreux, de blâmer hautement le sinistre jugement que venait de prononcer la Convention. En se rendant en Amérique, notre jeune compatriote avait le double but de se soustraire au joug du gouverne- ment révolutionnaire qui pesait sur la France, et de trou- ver dans un pays nouveau, où tout était à créer, l'occasion de mettre en œuvre les projets qui germaient dans son vaste Cerveau. Ce fut le 7 juillet 1793 qu'il dit adieu à la France, dont il ne se séparait qu'à regret, et le 7 septembre de la même année , il arriva à New-York. Surpris et mécontent de trouver dans ce port l'escadre française et tous ceux qui s'étaient échappés de Saint-Domingue, il n'y séjourna que peu de jours, dirigeant ses pas vers Albany où il rencontra deux de ses compagnons de traversée qui se disposaient à entreprendre un voyage d'exploration jusqu'au lac On- tario, au N.-0. de l'Etat de New-York Ceux-ci, dont l'un était M. Pharoux, habile architecte de Paris, accueillirent avec empressement l'offre que leur fit Brunel non-seulement de les accompagner, mais de leur servir de capitaine dans cette lointaine et difficile expédi- CLASSE DES SCIENCES 73 üon. Partant au nombre de sept, quatre naturels du pays, que Brunel s'était prudemment adjoints, et trois Français , ils allaient ainsi lever les plans ét prendre possession , au nom d'une compagnie française, d'immenses terrains dont l'étendue était d'environ 220,000 acres. Ils savaient que ces terrains étaient situés à plus de #00 kilomètres de New- York, compris entre le 44° degré de latitude et le cours de la Black River. Ils emportaient avec eux deux tentes, et, confiants dans ces simples indications , contents de la richesse de leur matériel, ils entreprenaient cette aventu- reuse expédition en septembre et octobre 1793, au milieu d'une contrée inhabitée, presque sauvage, dans un pays dont le sol, la végétation, les accidents leur étaient com- plètement étrangers. Longtemps après avoir accompli ce voyage , et guidé ses compagnons vers ces immenses terrains, devenus depuis une propriété de Joseph Bonaparte , Brunel aimait à rappeler que Louis-Philippe , alors roi de France , en l'écoutant raconter son expédition au lac Ontario , et citer la judicieuse précaution qu'il avait prise de se munir de deux tentes et d'une escorte de quelques Indiens , lui avait dit qu'il avait voyagé en prince. Louis-Philippe d'Or- léans avait aussi parcouru ces contrées en 1796, allant visiter , avec ses deux frères le duc de Montpensier et le comte de Beaujolais , la chute du Niagara et les lacs du nord de l'Union ; mais moins prévoyants , moins heureux que notre voyageur , ces petits-fils de rois n'avaient aucune suite, et manquaient presque toujours de refuge contre les rigueurs des nuits, car les habitations des new-settlers {colons }, se rencontraient bien rarement dans les con- trées inexplorées qu'ils parcouraient alors. (1) (1) Ce voyage des jeunes d'Orléans au Niagara et aux lacs, est raconté dans une lettre du due de Montpensier à Mademoiselle 74 ACADEMIE DE ROUEN. Que de réflexions seraient à faire sur les merveilleux changements que soixante années ont amenés dans ces pa- rages. Là où, si récemment encore, les hautes et sombres savannes , les fleuves immenses, les rapides tourbillonants empêchaient toute communication . nous voyons, comme par enchantement , les canaux se percer , les routes s'ou- vrir, les chemins de fer et les ponts s'établir, les villes se créer, les voitures et les steamers se croiser en tous sens, et l'industrie américaine marcher si rapidement qu'elle élève déjà contre l’ancien monde une concurrence redoutable. Les riches habitants de New-York ont à présent des maisons de campagne sur les bords du Niagara, comme les Parisiens en ont sur les rives de la Seine maritime, Dans quelle partie de l'histoire des nations trouve- rait-on l'exemple d'une activité si entreprenante, d'une prospérité si promptement obtenue ? Après être retourné à New-York , Brunel fut de nou- veau appelé vers le lac Ontario. L’un de ses amis, M. Pha- roux, avait été chargé de tracer les plans du canal Albany ( ou Champlain ), qui unit la rivière d'Hudson au lac Champlain, et demandait à Brunel de venir s'associer à cet important travail, (1) Ce fut à ce moment, en 1794, que Adélaïde , datée des États-Unis, 1797, el insérée dans l Æéstoire de Louis-Philippe, par Amédée Boudin ; Paris, 1847, gr.in-8°, t. [°*, p. 257. (1) À New-York, Brunel fit la connaissance de deux français qui, comme lui, s'y étaient réfugiés. L'un était M. Le Boulanger de Bois- fremont, peintre d'histoire , membre de cette Académie, et l'autre M. Fevret de Saint-Memin, archéologue , membre de l’Académie de Dijon. Ces deux français venaient de s'associer pour l'exploitation d'un instrument qu'ils avaient inventé et au moyen duquel ils obte- naient une ressemblance parfaite pour des portraits de profil qu'ils gravaient ensuite. Comme de Boisfremont , Brunel avait étudié le dessin à Féeole de Descamps. Dés les premières leçons, il se fit remarquer par um CLASSE DES SCIENCES. 75 commença réellement pour Brunel la carrière d'ingénieur. Ayant à remonter les rapides du Mohawk , à faire flotter sur le Wood Creek, dont la profondeur n'était que de 0,10 à 13 centimètres, le bateau que lui et son ami montaient ({), à débarrasser ces rivières obstruées de masses de rochers, d'arbres séeulaires déracinés par les ouragans , et n'ayant pour moyen d'exécution que la hache , le seul outil dont se servent les habitants dans cette contrée boisée , il fallut que Brunel mit en œuvre cette fécondité mépuisable de ressour- ces, qui devait être un des caractères de son génie ; il fallut en un mot qu’il devint ingénieur. Dès ce moment, Brunel s'occupe sans relâche de des- sins , de plans et de projets ; sa réputation s'établit. Faut- un ingénieur pour faire des nivellements de terrains ? Brunel est appelé et s’en acquitte avec succès. S'agit-il de l'érection d’un palais à Washington pour la tenue des séances du Congrès? Brunel présente des plans d'une composition savante , noble et hardie , réunissant l'élé- gance des formes à la majesté de l'ordonnance, et ilef- face tous ses rivaux (2)? Un concours est-il ouvert à New— aptitude extraordinaire, saisissant la ressemblance avec une grande vérité, copiant avec la plume tout ce qu'il voyait , même les gra- vures du burin le plus délicat. ! dessinait surtout les vaisseaux avec une exactitude et une précision remarquables. (1) Ce compatriote, cet ami que Brunel avait été si heureux de reucontrer loin de la France , périt très peu de temps après, asec sept de ses compagnons, dans la grande chute de la Black-River qu'ils avaient eu l'imprudence de vouloir traverser. (2) Ce projet tout admiré qu'il fût, nereçui pas son exécution, ayant été considéré comme trop dispeudieux et trop magnifique pour un palais de législateurs. Reproduit plus tard avec quelques change- ments, à l'occasion de la construction d'une salle de spectacle à New-York, il fut accepté. D'après ce plan , s'éléva le théâtre Bowery, L'un des plus beaux théätres du monde 76 ACADÉMIE DE ROUEN. York pour la construction d'une salle {de spectacle ? Son plan obtient la préférence , et le théâtre Bowery s'élève. Faut-il exécuter des fortifications pour la défense de ce premier port des États-Unis , défense confiée à un colonel français du génie? Brunel est réclamé et employé avec distinction à ces travaux , au nombre desquels il faut com- prendre l'établissement d’un arsenal et d’une fonderie de canons (1). Partout enfin sa haute intelligence se révèle , la puissance de sa persévérante volonté amène de grands résultats. Après avoir séjourné quelques années dans la Nouvelle- Angleterre , où , loin d'une concurrence sérieuse , il avait essayé ses talents d'architecte , de mécanicien et d'ingé- nieur , Brunel sentit qu'un plus vaste théâtre l'attendait, que la luttte avec des hommes de science lui serait non- seulement possible, mais pleine d’attrait ; il songea à reve- nir en Europe et à se fixer en Angleterre. De tendres affections, dont l'origine précédait son départ pour l'Amé- rique , l’appelaient d’ailleurs dans cette partie de l’ancien continent. En 1799 , il épousa M'e Sophie Kingdom qu'il avait connue à Rouen chez M. Carpentier, et dont les heureuses qualités embellirent la vie de l'homme émi- nent qui l'avait choisie pour compagne. Arrivé en Angleterre , sans être précédé d’une grande réputation , Brunel ne tarda pas à s'y faire connaître d'une manière avantageuse. Il débuta par une machine dite autographe , destinée à copier les dessins et les cartes, ainsi que les écritures de commerce. Cette machine est (1) L'ingénieux mécanisme qu’il imagina pour exécuter l'opéra- tion du forage des canons, ses nouveaux alézoirs, l'adaptation des mouvements par le moyen desquels il remuait et faisait tourner facilement des masses si lourdes , une foule d’inventions et d'idées fécondes qu'il mit au jour, suffiraient pour établir sa célébrité CLASSE DES SCIENCES. DE basée sur le principe du pantographe , et composée d'or- ganes mécaniques très compliqués (1). Cette invention, d'une importance secondaire, fut cependant pour Brunel un commencement de fortune. A dater de ce moment, il ne cessa plus d’habiter le pays qui lui donnait si libéra- lement l'hospitalité, et toujours il repoussa les proposi- tions qui lui furent faites de quitter sa patrie adoptive pour se fixer ailleurs sous les auspices d’autres gouver- nements. En Angleterre. vous le savez, Messieurs , il n'y a pas de corps privilégié d'ingénieurs dont l'organisation puisse être comparée à celle des ponts-et-chaussées , en France. Certaines conditions d’études préalables sont indispen- sables en France, pour obtenir le droit de faire partie de ce corps dont les travaux importants émanent, pour ainsi dire , du Gouvernement ; chez nos voisins d'outre-mer, chacun a le droit de se dire ingénieur , chacun peut, avec de l'intelligence et de la capacité, arriver à diriger les entreprises les plus considérables ; mais chacun doit aussi donner preuve de cette intelligence et de cette capacité, avant d'espérer être employé par les puissantes compa- gnies auxquelles est due , en Angleterre , la plus grande partie des immenses travaux qui y occupent tant d'in- dividus. Cet ensemble de choses permit donc à Brunel, dont le mérite était incontestable , mais dont l'instruction pre- mière avait cependant été moins complète que celle de beaucoup d'hommes consacrés, dès leur jeunesse, à l'étude des sciences abstraites, de se classer, en première ligne, au nombre des ingénieurs anglais. Le succès qui avait (1) Bulletin de La Société d'encouragement pour l'industrie na- tionale , année XL , p.426. — Annales des arts et manuf., t. V, page 5. 78 ACADÉMIE DE ROUEN. suivi l'apparition de sa machine autographique l'encoura- gea bientôt à faire de nouveaux essais ; sa machine à pou- lies en bois, qui devait être pour lui une souree de gloire et d'avantages pécuniaires, fut bientôt livrée à l'admiration des hommes de l'art. Brunel avait conçu la première idée de cette machine en Amérique , mais voyant qu'elle ne pouvait être utilisée avec avantage que par une marine militaire importante , il attendit , pour la faire connaître , son arrivée à Londres. Après avoir eu à vaincre une opposition jalouse, à lutter contre mille mauvais vouloirs que son titre de français rencontrait, il parvint enfin à faire exécuter ses plans dans l'arsenal de Portsmouth , grâce à la bienveillante interven- tion de lord Spencer , alors ministre de la marine, grâce aussi à l'appui que lui prêta le général Bentham, mgénieur des plus distingués , à qui la marine anglaise est redevable de magnifiques établissements ; ce général avait formé des projets pour des machines tendant au même but ; il s'ap- prétait à les mettre à exécution, lorsque Brunel (alors peu connu) vint lui présenter d'autres plans. La supériorité réelle que le général aperçut bientôt dans les plans de Brunel, fut généreusemant et noblement reconnue par lui. Non seulement il renonça, dès cet instant, à son propre travail, mais encore il se déclara pour l'adoption des projets de son compétiteur (1). L'ingénieuse machine fut achevée en 1806 , et depuis lors elle n'a cessé de fone- tionner avec une admirable précision, et de fournir à la flotte anglaise des poulies supérieures , sous tous les rap- ports, à celles employées jusque-là. Le Gouvernement anglais, voulant donner à Brunel un témoignage d'estime (1) Ch. Dupin, Forces ravales de la Grande-Bretagne, t. W, p- 257; Paris, 1825, in-4. CLASSE DES SCIENCES. 97 et de bienveillance, lui fit compter la somme de 500,000 fr. représentant l'économie de main-d'œuvre queses machines apportent, chaque année , dans cette partie du budget des constructions navales. On emploie, soit pour l'usage de la marine, soit pour les travaux des ports et des arsenaux, environ 80 sortes de poulies de grosseur et de forme différentes , les unes plus compliquées , les autres plus simples , à plusieurs et à un seul rouet, traversées quelquefois par un seul ou plusieurs axes ; c'est à cette multitude de formes qu'il a fallu joindre , pour chacune d'elles, l'égalité, la précision, la solidité. Nous n'entreprendrons pas de décrire ici la poulierie de Portsmouth, avec les merveilleuses machines dont elle se compose; il faudrait, Messieurs, vous présenter des plans , entrer dans des détails techniques qui pourraient fatiguer votre attention, détails dans lesquels, étranger nous-même à la science, nous pourrions nous égarer. IL nous suffira d'indiquer qu'entièrement construites sur le principe de l'instrument des tourneurs , ees machines ne s'écartent jamais d’une simplicité remarquable ; que la pre- mière opération due à leur marche, consiste à débiter les bois en blocs de dimensions convenables ; la deuxième à porter, à la machine à percer, les bois ainsi débités: la troisième à exécuter l'opération de mortaiser ; la qua- trième à abattre les angles des poulies et à les arrondir ; la cinquième à pratiquer les rainures dans lesquelles doivent être adaptés les liens ou frettes des poulies ; la sixième, enfin, à creuser la gorge des galets ainsi que des rainures annulaires latérales, destinées à recevoir des frettes en bronze coulé (1). (1) Dictionnaire des arts et munuf., par CG. Laboulave, t. 1: Paris, Mathias, 1847, gr. in-8, col. 3147-3152. — Fncyclopédie 80 ACADÉMIE DE ROUEN. Émerveillée de ce magnifique résultat, l'amirauté, quel- ques années après (1810), chargea Brunel de visiter les arsenaux de Chatham et de Woolwich , et il rétablit, par des moyens aussi simples qu'ingénieux , l'ordre et l'écono- mie où il n'avait trouvé que désordre et dilapidation. Elle le chargea aussi de construire des scieries mécaniques à mouvement continu, mues par la vapeur, pour le service de ces arsenaux. Les scies verticales et circulaires qui fonctionnent, avec autant de simplicité que de précision dans ces établissements, sont animées d'une extrême vitesse, et leur travail est immense (1). C’est encore à la singulière fertilité de son esprit que sont dues quelques autres inventions, telles que la scie cireulaire servant à débiter en feuillets de 2 à 3 millim. d'énormes pièces d’acajou pour le placage des meubles, et dont les applications se multiplient chaque jour dans une foule d'industries ; la machine à fabriquer ces boîtes en bois, de dimensions et de formes différentes, dont le commerce de détail fait une vente journalière ; celle à faire des clous, au moyen de laquelle un enfant peut, dans l'espace d’un quart d'heure, confectionner plusieurs mil- liers de clous ; la presse hydraulique pour emballage, employée à réduire au moindre volume possible les ballots de toute espèce, qui ne peuvent être endom-— magés par ce mode de compression; deux machines simples et d'un petit volume, destinées l'une à tordre , à d'Édimbourg, in-4°, avec planches. — Brunel confia l'exécution de la machine à poulies, de même que la plupart de ses inventions , à M. Henri Maudslay, constructeur-mécanicien à Londres, qui s'en acquitta toujours avec une grande habileté. (1) Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie natio- nale, année XXI, p. {. — Dupin, Mémoires sur la marine et les ponts-et-chaussées ; Paris, 1815, in-8. CLASSE DES SCIENCES. si mesurer et à pelotonner le fil de coton à coudre , l'autre à régler le papier à registre et à musique ; la fabrication du moiré métallique appliquée aux feuilles d'étain aux- quelles leur flexibilité permet de s'adapter à toutes les matières et de revêtir toutes les formes (1) ; la construc- tion des arches de pont très surbaissées et à large ou- verture , en briques et ciment hydraulique, sans cintres ni échafauds, au moyen de la seule force d'adhérence d'un mortier dans lequel figurent des substances fibreuses ou métalliques (2) ; la disposition de plusieurs ponts sus- pendus, notamment ceux destinés à l'ile de la Réunion , en 1823, remarquables par une solidité à toute épreuve (3); (1) Bulletin de la Socicté d'encouragement pour l'industrie na- tionale, année XVHEX , p. 15. (2) Bulletin de La Société d'encouragement, etc., année xxxIV, p. 355 et 520. Ce mode de construction présente l'avantage de ne pas inter- rompre la navigation. Pour éviter l'emploi des charpentes d’écha- faudage pendant l'exécution des voûtes, ou pour les abandonner sans appui avant qu'elles soient terminées, il faut ajouter à la qua- lité intrinsèque du ciment le concours simultané d’une autre puissance. Brunel à eu recours à des bandes de fer plat, des fils de fer et même du chanvre, et autres substances fibreuses — Zul- letin du musée de l'industrie, publié sous la direction de M. Jobard. Bruxelles, année 1850, p. 150 et 156. (3) De l'Asie et de l'Amérique, où les habitants avaient senti le besoin de jeter, sur de larges fleuves et sur des précipices d'une largeur non moins considérable, des voies de communication fa- ciles et peu dispendieuses, l'application des ponts suspendus fut transportée en Europe. Brunel fut un des premiers à construire des ponts suspendus. Il en a disposé les éléments avec cet esprit de perfectionnement et d'invention qui caractérise tous ses travaux. En 1823, il a fait fabriquer à Sheffield, les pièces en fer de deux ponts destinés pour l'ile Bourbon. L'un et l'autre devaient être assez solides pour résister à ces ouragans impé- tueux qui déracinent les arbres et engouffrent les vaisseaux par des coups de vent qui exercent d'énormes pressions non 6 82 ACADÉMIE DE ROUEN. et enfin une machine à fabriquer des souliers sans cou- tures, pour l'usage de l’armée (4). Dans la manufacture qu'établit Brunel en cette dernière occasion (1813), des soldats invalides étaient seuls em- ployés. C'était à l’instigation du due d'York qu'il avait créé cette machine au moyen de laquelle 30 ouvriers fabri- quaient, en un jour, environ 100 paires de souliers. Si ces souliers différaient en quelque chose des souliers ordi- naires, c'était plutôt par la perfection apparente du travail que par aucune autre particularité. Il était impossible de deviner à l'examen le plus attentif que la semelle était non pas cousue, mais clouée à l’'empeigne. Cette chaussure présentait cependant l'inconvénient de ne pas pouvoir être remontée. La paix ayant amené une réduction considérable dans l'armée, tant en Angleterre que sur le continent, Brunel renonça en 1815 à cette singulière et curieuse fa- brication. La navigation à vapeur ne pouvait manquer d'attirer l'attention de Brunel. Chargé de la construction d’un des premiers bateaux à vapeur de Ramsgate, ce fut lui qui introduisit, dit-on, le principe des doubles pompes à va- peur. Sur ses pressantes instances, l’amirauté consentit à construire un bâtiment propre à faire l'expérience du re- morquage à la mer, opération dont on avait jusqu'alors nié la possibilité (2). En 1823, l'un des chimistes les plus habiles de la Grande- seulement dans le sens horizontal, mais dans la direction, et, tour à tour, de bas en haut et de haut en bas. — Ch. Dupin, Force commerciale de la Grande-Bretagne , voies publiques, etc.,t. 1, p 275; Paris, Bachelier , 1824, in-4. (1) Bulletin de La Société d'encouragement , année xIV , p. 128. (2) Article sur Brunel inséré dans le journal Ze Times du 14 décembre 1849, traduit par le Mémorial de Rouen , le 29 janvier 1850. CLASSE DES SCIENCES. 83 Bretagne, Faraday, alors préparateur de l'illustre sir Hum- phrey Davy, établit par des expériences décisives que le chlore, l'acide carbonique et plusieurs autres gaz, exposés à une basse température et à une forte pression, se con- densent en un liquide qui se vaporise par une chaleur peu élevée et acquiert une grande force d'expansion. L'acide carbonique, entr’autre, soumis à la température de 0 degré sous une pression de 39 atmosphères, constitue un liquide incolore et très fluide, tellement expansif, qu'il distille entre 17 degrés et 0 degré dans les tubes qui le contiennent. A zéro, sa vapeur exerce une pression égale à 36 atmos- phères, et, à 11 degrés, elle est encore égale à 23 atmos- phères ; de sorte qu'un changement de température de 11 degrés, occasionne une différence de pression équivalant à 13 atmosphères. Sir Humphrey Davy conclut le premier de ce fait important que les gaz comprimés pourront un jour être employés comme agents mécaniques et substitués à la vapeur d'eau, puisqu'il sufira de légères différences de température pour produire des changements de pression de plusieurs atmosphères, qu'on ne peut obtenir dans les machines à vapeur ordinaires qu'en brûlant une grande quantité de combustible. Peu de temps après ces belles découvertes de la chimie moderne, Brunel s'occupa de réaliser les idées de sir Hum- phrey Davy, et construisit un appareil dans lequel l'acide carbonique liquéfié, alternativement raréfié par la chaleur et condensé par le froid, put développer une force motrice considérable. I prit un brevet d'invention , et il avait Fin tention d'appliquer cet appareil aux opérations manufac- turières , mais la difficulté d’avoir des enveloppes métal- liques assez solides pour résister à la haute tension de la vapeur d'acide carbonique, et d'éviter les explosions qu'occasionne l'acide liquéfié par la moindre élévation de température, arrêtèrent les utiles applications dont la ma- 8% ACADÉMIE DE ROUEN. chine de Brunel paraissait susceptible. Un brevet d'impor- tation fut pris en France en 1826, mais en France, pas plus qu'en Angleterre, on ne put vaincre les obstacles que pré- sente l'emploi des gaz liquéfiés dont la prodigieuse énergie centuplerait la puissance humaine. Si, plus tard, ou par- vient à maîtriser cette terrible puissance, l'honneur de la première mise à exécution en reviendra à notre célèbre ingénieur normand (1). Nous le voyons pourtant, après avoir exercé son éton- nant génie sur des questions d’un ordre aussi élevé, ne point dédaigner de s’abaisser jusqu’à des choses véritable- ment futiles : On raconte qu'étant un jour chez lady Spencer, où des tables de jeu étaient ouvertes, l'honorable hôtesse lui demanda en riant un moyen pour que les cartes se mêlassent ct se distribuassent elles-mêmes. Quelques jours après le moyen était trouvé, et, au grand étonnement de la comtesse, Brunel lui apportait une petite machine qui donnait le résultat désiré. Lady Spencer douée d'un caractère noble s’il en fut, ne se borna pas à un suf- frage stérile, elle employa sa haute influence pour encou- rager et mettre en œuvre de si rares talents. Brunel ne fut pas toujours heureux dans ses entreprises particulières , par suite de la mauvaise gestion de ses associés, et aussi à cause du peu de souci qu'il portait aux détails de la vie matérielle. Ne songeant qu'à ses machines, il n’en avait pas plutôt terminé une qu'il pensait à en créer de nouvelles, sans jamais s'inquiéter de l'application de ses découvertes à ses intérêts financiers. Deux fois ses beaux établissements de Battersea furent (1) Bulletin de la Sociète d'encouragement pour l'industrie natio- nale, année xx, p. 76-80 avec une planche. — Chimie élémentaire, par J. Girardin, 3° édit.; Paris, Fortin et Masson, 184€, ia-8°, t. 1°, p- 33. CLASSE DES SCIENCES. 85 consumés par le feu. C'est dans ces ateliers de Brunel qu'il fallait aller admirer ces efforts d’un génie inépuisable, celle composition, à la fois élégante et savante, cette netteté de principes, cette simplicité de moyens , cette perfection d'exécution qui lai étaient particulières. C'est dans la voûte hardie, légère et solide dont il avait couvert son nouvel atelier, qu'on pouvait prendre une idée des moyens qu'il avait employés pour couronner le théâtre Bowery ; c'est dans les grands ouvrages confiés par le gouvernement à son habile direction , et qui ont si puissamment enrichi les arsenaux de Portsmouth, Plymouth, Ch: tham, Woolwich ; c'est dans les villes manufacturières , en Ecosse, où la réputation de ses talents le fit appeler plusieurs fois ; c’est encore et surtout dans cette voie sous-marine, entre- prise grandiose, au succès de laquelle toute l'Europe s’est intéressée , qu'il faut voir ce que lFhorame peut enfanter, el ce qu'aucune description ne saurait rendre. Après la conclusion de la paix, en 1815, l'Empereur de Russie fit un voyage dans la Grande-Bretagne, et alla visiter à Chelsea l'ingénieur français dont il appréciait le rare mérite. Brunel saisit cette occasion pour lui soumettre plusieurs plans, et, entr'autres, celui d'un tunnel sous la Newa, fleuve sur lequel l'accumulation des glaces en hiver, et leur rupture soudaine au printemps, rendaient la cons- truction d'un pont extrêmement difficile. C'est ee projet dont l'exécution n'eut pas lieu , qui fit naître la pensée de pratiquer un passage sous la Tamise, non plus comme à Saint-Pétersbourg, dans le but d'éviter l'effet dangereux des glaces, mais pour établir une communication facile entre les comtés de Surrey et de Middlesex. entre les fau- bourgs de l'Est de Londres, sans nuire à la grande naviga- tion qui fait la principale richesse de cette inimense capitale. Deux fois déjà on avait essayé de percer le lit du fleuve ; ces tentatives avaient eu lieu en 1799 à Grave- 86 ACADÉMIE DE ROUEN. send , en 180% à Rotherhithe, vis-à-vis Limehouse, et étaient restées sans succès. Aussitôt que Brunel eut (en 1823) proposé et développé son plan pour construire, sous la Tamise, une double route sur de grandes dimensions , son projet reçut non-seulement l'accueil le plus favorable, mais il fut très libéralement appuyé et adopté par les per- sonnes les plus éminentes dans l'état et dans la science. En Angleterre, disons-le sans récrimination ni épi- gramme, en Angleterre, dès qu'un homme d'un talent reconnu et prouvé par des antécédents a conçu un projel utile, il trouve facilement des capitalistes prêts à le secon- der, Une compagnie s'organise , des actions sont émises , et le Parlement approuve l'acte d'association. La compagnie du chemin sous la Tamise, après avoir examiné le projet de Brunel et entendu ses moyens d'exécution , lui dit : « Nous « ne sommes point à même de juger ce que vous venez de « nous exposer, c'est en quelque sorte votre secret; mais « ce que nous savons et ce qui mérite notre confiance, « c'est que vous êtes un homme d'honneur et de science , « déjà avantageusement connu parmi nous. Vous avez, de « plus, pour vous, la grande leçon de l'expérience , vous « savez en quoi votre prédécesseur a échoué en pareille « entreprise, et vous vous êles sans doute préparé les « moyens de vaincre les obstacles qui l'ont fait succomber. « Voilà de l'argent, mettez la main à l'œuvre, faites que « notre pays jouisse d'un nouvel avantage (1). » Un pareil langage honore autant ceux qui le tiennent que celui auquel ïl s'adresse, et cette confiance absolue ne devinait-elle pas instinctivement l'immense succès qui (1) Frissard, Chemin souterrain sous la Tamise, dit tunnel; Bulletin de l'Académie Ebroïcienne , année 1834. CLASSE DES SCIENCES. 87 devait couronner le chef-d'œuvre de notre compa- triote ? Le passage entre Rotherhithe et Wapping fut considéré comme le seul endroit entre le pont de Londres et Gree- wich, où une voie souterraine pouvait être tentée sans nuire aux nombreux établissements commerciaux élevés sur les deux rives de la Tamise. Ce point est situé à environ 3 kilomètres au-dessous du pont de Londres. Entouré d’une population considérable, il est à proximité des docks de Londres, de ceux du Commerce, et des docks des Indes-Occidentales. Les sondages que l’on fit préalablement à l'exécution des travaux , à travers le lit du fleuve, sur trois lignes parallèles, pour connaître la nature du sol, apprirent qu'il existait, au-dessous de là Tamise, une couche épaisse d'argile bleue qui permettait de tenter le passage , mais que, plus bas, se trouvait un banc de sables aquifères qui n'avait pas moins de 15 mèt. Il fallait donc se tenir entre ces deux couches, et éviter d’une part l'invasion de l'eau , produite par la rupture de la couche protectrice, de l’autre le banc de sable dans lequel il aurait été impossible de s'établir, à cause de son peu de consistance et de sa per- méabilité. A 37 mèt. du fleuve, sur la rive de Rotherhithe, on creusa un puits de {6 mèt. de diamètre, qui devait con- duire à l'entrée du tunnel. Pour le murailler, on établit sur un cercle tranchant en fonte, vaste emporte-pièce , une tour en briques de même diamètre, et de 0,91 centim. d'épaisseur. On enleva, au moyen d’une machine à vapeur, et avec de grandes précautions , le terrain placé dessous et intérieurement , et on fit descendre la tour par son propre poids jusqu'à 11 mèt. A cette profondeur, on ren- contra une couche solide , et l’on put murailler directe- ment ; à 20 mètres, on retrouva encore les sables , et l'on 88 ACADÉMIE DE ROUEN. fut contraint de construire , à l'intérieur de cette grande tour, une autre tour de 8 mèt. de diamètre, que l'on des- cendit jusqu'à 8 mètres, et qui devait servir de puisard. La tour et le puisard ayant été complètement terminés, on commença l’excavation des galeries au corps du tunnel, à la profondeur de 17 mètres, et pour se ménager une suffisante épaisseur de terrain au-dessous de la partie la plus basse du fleuve, on conduisit l’excavation sur une pente de 0,67 cent. par 30 mèt. 30 cent. La base de Fexcavation se trouve ainsi à 22 mèt. 53 cent. au-dessous du niveau des plus hautes eaux. Pour percer la galerie, les procédés ordinaires n'étaient pas applicables, en raison de la mauvaise qualité du sol et de la grandeur de l'excavation qui devait avoir 414 mèt. 40 de largeur, sur 6 mèt. 70 de hauteur. Brunel imagina alors, un appareil appelé bouclier et dont la première pen- sée, a-t-il dit lui-même, lui vint dans l'arsenal de Cha- tham, à la vue d’un morceau de bois d'environ un pied carré qui avait fait partie de la quille d’un vaisseau, et était percé d'outre en outre par un petit insecte nommé Taret. La structure de cet insecte qui porte sur sa tête une sorte de bouclier dont la nature l’a doté pour résister à l'irrup- tion de l'eau au milieu de laquelle il entreprend son opé- ration de mineur, donna à Brunel l'idée de lappareil protecteur qu'il employa si habilement dans le même but pour effectuer son audacieuse entreprise. Cet appareil consistait en douze grands chassis en fonte , placés les uns à côté des autres; chaque chassis était divisé en trois compartiments, formant trois étages qui contenaient chacun un ouvrier ; le tout ensemble présentait trente-six cases ou cellules pour les mineurs. Il était buté contre la maçonnerie, déjà forte, au moyen de vis de pression qui servaient à le faire avancer quand il le fallait. Le terrain était maintenu en haut et latéralement par des planchettes CLASSE DES SCIENCES. 89 s'appuyant sur le chassis. Quand un ouvrier voulait exca- ver, il déserrait la vis qui retenait chaque planchette contre le terrain, et enlèvait 0,20 eent. de terre environ. Cela fait, il replaçait la planche contre la paroi de l'exeavation et la maintenait de nouveau au moyen de la vis. Lorsque tous les ouvriers avaient excavé 0,20 cent. dans toute la hauteur, on fesait avancer les cadres, au moyen de grandes vis de pression qui étaient appuyées contre la voûte faite, et l'on effectuait simultanément le muraille- ment partiel Un chariot servait à amener les matériaux et à enlever les déblais Malgré de nombreuses et immenses diflicultés, on avancça d’abord de 167 mèt. 50 cent. en dix- sept mois, mais lorsqu'on arriva vers le milieu du fleuve, la couche d'argile devint si mince, qu'elle ne put empêcher les infiltrations. Du 1% septembre 1826 au 12 mai 1827, plusieurs irruptions de la rivière se manifestèrent ; on y remédia sur le champ, mais non sans peine. Le 12 janvier 1828, une nouvelle irruption plus formidable que toutes les précédentes donna lieu de craindre que cette grande entreprise, qui avait excité tant d'intérêt, ne füt aban- donnée. L'épuisement des finances de la compagnie dont le chiffre s'était élevé à 4,500,000 fr., semblait ne plus permettre d'exécuter les travaux que nécessitaient ces terribles accidents répétés pour ainsi dire coup sur coup. (1) (1) Le duc de Wellington s'exprimait ainsi dans une assemblée nombreuse d'actionnaires, en juillet 1828, « le Tunnel de la Tamise « est une entreprise pationale qui fait autant d'honneur à la science “ qu'elle procurera d'avantages au pays. Ce n'est point un effort pu- « rement expérimental du génie, quoi qu'il soit généralenrent « apprécié sous ce point de vue; mais un grand intérêt politique, « militaire et commercial est attaché à son entière exécution. Le « bon état dans lequel il se trouve, après les accidents que lon à 99 ACADÉMIE DE ROUEN. Lors de cette irruption de 1828 , il s'était produit dans le sol formant voûte une sorte d'entonnoir dans lequel s’élan- çait avec violence l’eau du fleuve qui envahit les travaux. Pour combler ce trou , cratère d'une nouvelle espèce, on avait placé une grande voile goudronnée au-dessus de l'ouverture pratiquée par les eaux, et l'on jeta sur cette voile des sacs remplis de glaise représentant au moins un volu- me de 20,600 mètres cubes de terre. En épuisant le tunnel au moyen de la même machine à vapeur qui enle- vait les terres, on obtint une diminution de hauteur d'eau ; alors les eaux de la Tamise pressaient la charge de glaise , et, à mesure que la différence de niveau était plus grande, la pression augmentait et faisait entrer avec force les sacs de glaise dans toutes les anfractuosités de l'excavation. Ces sacs formaient avec la voile une espèce de tampon qui fer- mait hermétiquement l'ouverture. A l'aide de eet ingénieux procédé , on parvint à épuiser entièrement le tunnel (1) Après une interruption de sept années dans les travaux, un emprunt fut autorisé par acte spécial du Parlement. Les commissaires du Gouvernement auprès de l'Échiquier « rencontrés, est en mème temps une épreuve de solidité et de « durée, et une justification des talents de l'ingénieur, » Sa Grace ajouta : « qu’aucuneentreprise n'a excité à un si haut point l'intc- « rêt des nations étrangères » Quelques nouveaux détails sur le Tunnel, par Henry Germain ; Bulletin de l Académie Ebroïcienne, année 1835 , part. 2, page 226. (1) Dictionnaire des arts et manufactures, par Laboulaye , t. If, colonnes 3714-3715 ; Paris, Mathias, 1847, grand in-8°. — Chemin souterrain sous La Tamise , dit tunnel ; par M. Frissard , ingénieur en chef des ponts et chaussées. Bulletin de l'Académie Ébroi- cienne, année 1834. — Explication des travaux entrepris pour la construction de la Tonnelle ou passage sous la Tamise, entre Rotherhitheet W'apping, à l'effet d'ouvrir une communication per- manente entre les deux rives de ce fleuve, Londres, W. Warrington, 1836, in-16, avec grav. — nu CLASSE DES SCIENCES. 91 chargés du prêt, avancèrent les fonds nécessaires pour l'achèvement de l'entreprise , malgré la vigueur des atta- ques d’un grand nombre d'hommes de science qui niaient la possibilité de l'exécution , basant leur opinion , tant sur la nature molle et friable de ce terrain d'alluvion que sur la masse formidable d'eau qui roulait au-dessus. Le suc- cès vint justifier les efforts de l'ingénieur , et désormais les travaux ne furent plus interrompus. Le tunnel, com- mencé le 2 mars 1825 fut achevé et livré à la circulation le 25 mars 48%3. Entièrement construit en briques liées entr'elles par du ciment romain, ce tunnel , ou cette ton- nelle, comme le disait Brunel, se compose de deux ga- leries parallèles de 365 mètres de longueur. La calotte de ces galeries est un demi cercle de 4 mèt. 20 cent. de diamètre, les côtés sont deux ares de cercle d'un plus grand rayon, et le radier est un are de cercle renversé, en sorte que, de tous côtés, des voûtes opposent une résis- tance à la poussée des terres et à celle de l'eau. La hau- teur totale d'une galerie est de # mèt. 67 c. et sa largeur à la base est de 3 mèt. 66 cent. L'un des trottoirs de 1 mèt. 91 c. de largeur est destiné aux piétons; l’autre n'a que 0,35 cent., et sert aux conducteurs des voitures. Ces galeries sont séparées par un piédroit de 1 m. 20 cent. d'épaisseur moyenne , percé d’arcades qui établissent la communication entre les deux galeries. C’est sous ces ar- cades que sont placés les réverbères à gaz nécessaires à l'éclairage du tunnel. Les piétons accèdent à l'entrée des galeries par des escaliers pratiqués dans une tour de 20 mèt. de hauteur, et 15 mèt. 2% cent. de diamètre. Les voitures descendront par des rampes soutenues par des voûtes, et se dévelop- peront dans l'intérieur d’une grande tour de 150 mèt. de diamètre. Au point de vue scientifique, cette entreprise gigantesque 92 ACADÉMIE DE ROUEN. à laquelle on ne peut opposer que la récente merveille de Robert Stephenson (1), sera toujours regardée comme la plus haute manifestation du talent de l'ingénieur. Mais que d'inquiétudes , que d’angoisses même l'homme remar- quable auquel est dù ce chef-d'œuvre n’eut-il pas à suppor- ter ? Secondé par un fils aussi habile que courageux (2), entouré d'ouvriers dévoués à leur chef, et pleins de foi dans son habileté , il était à tout instant sur la brèche. Capitaine vigilant , il étudiait tous les points d'attaque , et surveillait , jour et nuit, ce fleuve qui semblait se révolter contre cette volonté humaine , assez audacieuse pour s'emparer de son lit. Aux obstacles, aux dangers , aux périls qui se pré- sentaient sans cesse , Brunel opposait une énergie, une persévérance , une activité, une confiance et surtout une (1) Le tunnel aérien, pont-tube en fer jeté sur le détroit de la Ménaï, pour le service du chemin de fer de Chester à Holyhead. (2) M. Brunel fils donna des preuves d’un rare dévouement, lorsque deux fois le tunnel fut envahi par les eaux, et qu'il fallut visiter le lieu même de l'accident, pour aviser aux moyens d’y remédier. Il avait sauvé à la nage plusieurs de ses compagnons en s’exposant à une mort presque certaine. C’est à regret que la place nous manque pour reproduire ici ce touchant récit dans lequel nous voyons le jeune Brunel, encore convalescent, revenir visiter les travaux à l'heure du dîner des ouvriers. Is étaient dans la cour d'entrée, leurs femmes près d’eux. A peine M. Isambart Brunel parut, ce fut un cride respect et de bonheur ; tous Pentouraient, pleuraient en l'embras- sant, et les femmes à genoux autour de lui Jui demandaient sa bénédiction pour leurs enfants; d’autres coupaient de petits morceaux au pan de sa redingote. IL fallut dérober ce généreux jeune homme à ces émotions qu'il n'était pas en état de suppor- ter. ( V. Constitutionnel de juin 1833. ) On doit à M. Brunel fils la construction du pont de fer de Clifton, d’une seule portée de 227 mètres de longueur, entre les deux points de suspension, et de 74 mètres d'élévation au-dessus du niveau de l’Avon. On lui doit aussi les plans de plusieurs lignes de chemin de fer et de plusicurs autres travaux importants. CLASSE DES SCIENCES. 93 présence d'esprit sans égales (1). Les immenses ressour- ces de son génie grandissaient en proportion des difficultés; c'était une lutte constante entre l'homme et les éléments ; et, cette fois, Dieu voulut que sa créature triomphât. Appelé en France, en 1829, par le Gouvernement, pour donner les plans d'une distribution d'eau dans toutes les maisons de la capitale, à l'instar de ce qui existe à Londres, Brunel ne put s'entendre avec le ministère Mar- tignac. Certaines conditions que lui imposait ce ministère au sujet des machines et ustensiles à employer, parurent à Brunel un motif d'insuccès. 11 renonça à ce travail, et ne fut pas plus heureux dans la proposition qu'il fit au Gouvernement français pour la création d'un chemin de fer de Paris à Rouen, par la vallée de la Seine, moyen- nant l'acceptation de capitaux anglais pour au moins un üers de l’entreprise. Sous le ministère de lord Melbourn (Mars 1841), Brunel avait été élevé à la dignité de chevalier. Il était vice-président de la Société Royale de Londres et de l'institution des ingénieurs civils, membre correspondant de l'Institut de France, (Académie des sciences , section de mécanique), et d’un grand nombre de sociétés savantes. Ce fut au sein de notre Académie , à laquelle il appartenait comme cor- respondant, qu'il reçut, en 1829, sa nomination de cheva- lier de la Légion d'honneur, en présence de M. de Murat, préfet du département, et d’une nombreuse assemblée , fière de voir l’un de ses membres représenter si digne- (1) « Outre une profondeur d'eau moyenne de 5 mètres qui se trouve doublée par l'effet des marées, nous avons à écarter des gaz, les uns méphytiques , les autres d'une nature explosive ou qui brûlent des heures entières; de sorte que les quatre éléments se trouvent en ligue contre nous.» [ Lettre de Brunel à M. Baroche, son cousin, du 3 novembre 1837. ] 9% ACADÈMIE DE ROUEN. ment le génie français, et même, s’il nous est permis de le dire, le génie de notre pays normand dans l'industrieuse Angleterre. Presque tous, Messieurs, vous avez connu Brunel, quelques-uns même s'honorent de l'amitié qu'il leur por- tait. Sans doute vous n'avez pas oublié l'empressement que chacun mit à fêter sa présence lors de ses deux der- niers séjours dans notre ville, où tant de choses et tant de précieuses relations le reportaient aux jours de sa jeu- nesse. Les traits de son visage ne sont pas effacés de votre souvenir; vous savez, comme nous, combien ils étaient empreints de cette douceur, de cette modestie , de cette bienveillance qui captive, et qui caractérise l'homme vraiment supérieur ; vous vous rappelez la péné- tration de son regard et l'ampleur de son front, siége de ce vaste cerveau qui enfanta tant de merveilles. A la suite d'une longue maladie dont les premières atteintes remontent à l'époque de l'achèvement du tunnel, 3runel fut appelé à un repos éternel le 12 décembre 1849. I! était âgé de 81 ans; il laisse une veuve, un fils dont la réputation comme ingénieur égale celle de son père, et deux filles mariées, l'une à M. Benjamin Hawes , actuellement sous-secrétaire d'État au départe- ment des colonies et membre du parlement (1), et l’autre à M. Harrissor , vicaire de New-Bratford. Entré dans la vie comme le plus humble des enfants , ne devant, comme Laplace , Monge, Vauquelin, Conté, (1) Nous devons des remerciments à l'honorable M. Hawes ainsi qu’à plusieurs anciens amis de la famille de M. Brunel, pour la communication qu'ils ont bien voulu nous faire de notes et de renseignements sur la vie et les travaux de notre très regretté compatriote, CLASSE DES SCIENCES. 95 Gay-Lussac, Franklin, Watt et tant d'autres, sa renom- mée qu'à ses propres efforts ; sans cesse aux prises avec les événements, avec les nombreux rivaux que lui susei- tait sa gloire, souvent même avec la fortune , Sir Isambart Brunel, notre glorieux compatriote, a mérité, par l'éclat de ses inventions, par la dignité d'une carrière vouée tout entière au travail, par l'élévation de ses vertus privées , la célébrité qui entoure son nom, l'admiration de tous les hommes de savoir et de labeur, et le souvenir affectueux de tous ceux qui, assez heureux pour le connaître person- nellement , ont pu apprécier son caractère à la fois si simple et si noble. MÉMOIRE SUR LES NOMBRES, PAR M. GIRAULT, Professeur de Mathématiques supérieures au Lycée de Rouen. Lu le 7 Juin 1850. 1. — Préliminaires. Lorsque, voulant connaître la dé- finition du mot nombre, on consulte différents traités d'arithmétique, il s’en faut bien que l'on obtienne de chacun d'eux la même réponse. Pour les uns, il résulte de cette définition qu'il ne peut exister que des nombres en- tiers ou des nombres fractionnaires ; pour les autres, il ya lieu de considérer non-seulement des nombres entiers et fractionnaires, mais encore des nombres incommensu- rables. 2, Ainsi, par exemple, ÿ/? (racine carrée de 7) désigne en arithmétique une quantité qui, multipliée par elle-même, donne 7 pour produit. Or, aucun nombre, qu'il soit entier ou fractionnaire, ne remplit cette condition ; ce qui n’em- pêche pas de considérer |/7 comme une quantité, et même de la comparer, sous le rapport de la grandeur, aux nombres entiers ou fractionnaires. C’est ainsi que V3 est dit plus grand que 5/2‘ et plus petit que #. CLASSE DES SCIENCES. 97 3. Cela étant, faut-il dire, comme certains auteurs, que V7 n'est pas un nombre, que les nombres sont des quantités commensurables, tandis que W/ 7 est une quantité incommensurable ? Faut-il dire comme d’autres que #, 5 2°* et V sont tous trois des nombres ? Sans doute, on peut faire à ce sujet telle convention que l'on veut. Remarquons toutefois que, par cela même que l'on compare ces diffé- rentes quantités, sous le rapport de la grandeur, en disant que V/7 est plus grand que 52% et plus petit que #, on reconnaît que ce sont-là des choses de même nature. Si donc, on voulait réserver à l’entier # et à la fraction 5,2, à l'exclusion de V3 , la dénomination de nombre, ce qui est bien permis sans doute , il en résulterait seulement que ces choses de même nature n'auraient pas d'appellation commune. Or, il nous semble à cause de cela plus rationnel de donner aux quantités #4,5/2% et V/7 un nom commun, celui de nombre, puisque d’ailleurs l'expression de quantité incommensurable, applicable à des grandeurs d'une toute autre nature que V/7, ne peut suflire, malgré l'emploi qu'en font certains auteurs, à désigner cette dernière quantité. 4. Il est vrai, toutefois, que si nous prenons le mot nombre dans cette acception plus large, sa définition va perdre la précision et la netteté qu'elle avait d'abord et ne possédait du reste qu'aux dépens de son étendue. Cer- lains auteurs même jugent inutile pour cela de définir les nombres et se bornent à dire que ce sont des quantités dont tout le monde a l'idée. C'est qu'en effet, il est dans chaque science certaines notions, antérieures à toutes les autres, que l'intelligence doit saisir en quelque sorte de prime saut. Pour ces notions premières, les définitions, incomplètes le plus souvent, ne font en quelque sorte qu'avertir l'intelligence des objets qu'on lui désigne, sans les lui peindre dans leur entier, à peu près comme les 98 ACADÉMIE DE ROUEN. traits d'une esquisse éveillent l'idée de la forme sans en être la reproduction complète. C’est ainsi qu'après avoir défini un nombre entier une collection d'unités, si l'on ajoute qu'il y a des nombres qui ne sont pas entiers mais fractionnaires , qu’il y en a d’autres qui ne sont ni entiers ni fractionnaires, mais incommensurables , l'esprit accepte le plus souvent, avec docilité, cette extension de significa- tion du mot nombre , sans qu'une définition générale lui soit absolument nécessaire pour saisir la notion des gran- deurs abstraites que l’arithmétique envisage. 5. Quoi qu'il en soit, il peut être intéressant de soumettre à une analyse rigoureuse les principes fondamentaux sur lesquels repose la science du calcul, et d'établir avec pré- cision ce que l’on doit admettre comme évident à priori, et ce qui ne doit être accepté qu'à titre de conséquence des axiômes une fois posés. C'est ce que nous allons essayer de faire, en insistant plus particulièrement sur les nombres incommensurables, et nous appliquant à mettre en évi- dence que la notion de nombre renferme implicitement celle des principales opérations de l'arithmétique. 6. — Définitions. On peut définir un nombre en disant que c’est un symbole parlé ou écrit, destiné à représenter à l'esprit une certaine grandeur, quand on en connaît une autre de même nature à laquelle on la compare. On donne le nom de grandeur relative ou de rapport à la notion fournie par un nombre. Ainsi on peut dire encore qu'un nombre est l'expression de la grandeur relative d'une quantité, ou l'expression du rapport de cette quantité à une autre prise pour terme de comparaison et que l’on appelle unité. 7. On peut comparer entre elles les grandeurs relatives comme on compare les grandeurs absolues. Ainsi, qu'il s'agisse de deux quantités À et B de même nature rappor- CLASSE DES SCIENCES. 99 tées à la mème unité, on dit que leurs grandeurs relatives sont égales si leurs grandeurs absolues sont égales ; que la grandeur relative de A surpasse celle de B, si A est plus grand que B ; et en général on entend par rapport des grandeurs relatives de À et de B le rapport des gran- deurs absolues de A et de B. On étend même la compa- raison aux symboles a et b qui représentent les grandeurs relatives de A et de B ; et l'on dit que les nombres a et b sont égaux, ou que le nombre & surpasse le nombre b, ou que le rapport du nombre a au nombre b, a une valeur déterminée , selon que A est égal à B, ou que A surpasse B, ou que le rapport de A à B a une valeur déterminée. 8. L'idée de grandeur se trouvant ainsi reportée , des quantités concrètes A et B, aux symboles a et b qui les représentent, et le choix de ces symboles étant indépen- dant de la nature des quantités À et B, on est amené alors à étudier la grandeur, abstraction faite de la nature des objets auxquels elle s'attache. De à vient que l'on donne aux nombres a et b, ou aux rapports qu'ils expri- ment le nom de grandeurs abstraites. Examinons comment on peut former les nombres, c'est- à-dire comment on peut exprimer les rapports. 9.— Des nombres, ou de la représentation symbolique des rapports. Lorsque la grandeur à mesurer A renferme une ou plusieurs fois exactement la grandeur B à laquelle on la compare , on donne le nom de nombre entier à l'expres- sion du rapport de ces deux grandeurs. Ce cas se présente en particulier , toutes les fois que l'on veut compter une collection d'objets. On connait les règles de la numération des nombres entiers et nous ne nous y arrêterons pas ici. 10. Ïl peut se faire encore que, l'unité B n'étant pas comprise une ou plusieurs fois exactement sur À , on puisse 100 ACADÉMIE DE ROUEN. néammoins , en fractionnant cette unité en un certain nombre de parties égales, obtenir une grandeur que À ren- ferme une ou plusieurs fois exactement. Par exemple, il peut se faire qu’en divisant B en cinq parties égales, l'une des parties soit comprise 17 fois exactement sur A. On est conduit alors à exprimer le rapport de À à B par le nombre fractionnaire 17,5%. Nous ne rappelerons pas non plus ici les règles relatives à la numération des nom- bres fractionnaires. 11. Dans les deux cas qui précèdent, les grandeurs A et B sont dites commensurables, parce qu’elles ont en effet une commune mesure , qui est l'unité dans le premier cas, et dans le second une certaine portion de l'unité. 12. Mais deux quantités À et B prises au hasard n'ont pas nécessairement de commune mesure. On peut même dire en général que si l’on partage B en un nombre quel- conque de parties égales , il est infiniment peu probable que l’une de ces parties soit comprise une ou plusieurs fois exactement sur A ; en sorte, qu'il est infiniment peu probable aussi que le rapport de A à B puisse s'exprimer exactement , soit par un nombre entier, soit par un nom- bre fractionnaire ? 13. Les quantités A et B étant incommensurables , il est bien vrai que si l’on partage B en un très grand nombre de parties égales, et que l’on porte l’une de ces parties sur A autant de fois qu'il est possible, la partie excédante , s'il s'en trouve , sera très petite; en sorte qu'en négligeant cette partie excédante , on en déduira sous forme de frac- tion , le rapport à B d'une quantité très peu différente de A. Sans doute, une pareille manière de procéder est le plus souvent suffisante , parce que, dans les applications les plus usuelles du calcul les quantités très petites sont impunément négligeables ; mais il n’en est pas moins vrai aussi que l'expression fractionnaire ainsi obtenue , ne peut CLASSE DES SCIENCES 101 être considérée comme donnant une notion complète de la grandeur de À, puisqu'elle ne fait rien connaître sur la grandeur de la partie que l’on y néglige, et permet par conséquent de confondre A avec une infinité de grandeurs voisines qui n'en difièreraient que par cette partie né- gligée. Voyons donc au moyen de quels symboles nous pour- rons exprimer les rapports des quantités incommensu- rables. 1%. Soit toujours la quantité À dont on veut déterminer la grandeur relative, lorsque B est pris pour unité. On partage B en dix parties égales, et l’on trouve par exemple que À renferme plus de 27 de ces parties et moins de 28. A est alors compris entre deux grandeurs dont l’une est les 27/10°* de B et l'autre les 28/10, et l’on dit que le rap- port de A à B est comprisentre 27/10 et 28/10. On par- tage ensuite Ben 100 parties égales ; on trouve que A ren- ferme 273 de ces parties, plus un reste plus petit que l’une d'elles; c'est que le rapport de A à B est plus grand que 273/100% et plus petit que 274/100%. On est conduit de même, en partageant B en 1000 parties égales , à renfer- mer le rapport de À à B entre deux fractions que nous sup- poserons être 2735|1000% et 2736 1000, etc. On voit qu'à mesure que lon subdivise B en un plus grand nombre de parties égales, on resserre le rapport de A à B entre de plus étroites limites ; et chacune de ces limites , exprimée par un nombre fractionnaire , représente le rapport à B d’une quantité très peu différente de À, soit par défaut, soit par excès. Ainsi les nombres croissants 27/10, 273/100*, 2,735/1,000,etc., se rapprochent de plus en plus du rapport de A à B, sans jamais l’atteindre ; et il en est de même des nombres décroissants 28 10°, 274/100%, 2,756 ,000°*. Si done on peut indiquer au moyen d'un symbole S les opérations qui permettent de calculer ces deux séries de 102 ACADÉMIE DE ROUEN. nombres , prolongées aussi loin que lon voudra, il est facile de reconnaitre que ce symbole S déterminera d’une manière complète le rapport de À à B, non seulement parce qu'il en fournira des valeurs très approchées , mais encore parce qu'il ne permettra de le confondre avec aucun autre rapport. Soit en effet une autre grandeur À ? si peu différente de A que l’on voudra , d’un cent millio- nième de B par exemple ; considérons, dans les deux séries indéfinies , les nombres qui ont un billion pour dénomi- nateur ; soit ces nombres 273,52%,803/1,000,000,000 et 273,524,804/1,000,000,000° ; ils renferment le rapport de À à B, ce qui veut dire qu'en réunissant 273,524,803 parties de B divisé en un billion de parties égales , on n'at- teint pas À , et qu'en ajoutant une partie de plus on le dépasse. Or, A’ diffère de A de plus de la billionième par- tie de B ; on est donc assuré que le rapport de A à B n'est pas compris entre les deux fractions précédentes qui ne diffèrent entre elles que d'un billionième. Ainsi, lorsque l'on prend B pour unité, le symbole S désigne la quantité A , exclusivement à toute autre grandeur A’, si voisine de A qu'on la suppose. $S est donc encore un nombre ; seule- menton le distingue des nombres entiers ou fractionnaires, en disant que c'est un nombre incommensurable. 15. L'arithmétique et l'algèbre présentent des exemples nombreux de ces symboles dont nous venons de supposer l'existence. Nous en citerons seulement quelques-uns. 16. Nous avons déjà dit qu'il n'existe aucun nombre qui, multiplié par lui-même , donne un produit égal à 7. Opé- rons néanmoins, Comme si nous voulions découvrir un pareil nombre. Le carré de 2 n’atteint pas 7, le earré de 3 le dépasse ; le carré de 2,6 n'atteint pas 7, le carré de 2,7 le dépasse ; le carré de 2,6% n'’atteint pas 7 , le carré de 2,65 le dépasse ; le earré de 2,65 n'atteint pas 7, le carré de 2,646 le dépasse ; ete. , ete. Ainsi, les nombres ge de CLASSE DES SCIENCES. 103 2,2,6,2,6%, 2,645 jouissent de cette propriété que leurs carrés se rapprochent de plus en plus de 7; il en est de même des nombres 3, 2,7 ,2,65, 2,646, etc. D'ail- leurs, les premiers vont toujours en croissant , les seconds décroissent sans cesse ; et les nombres des deux séries , pris deux à deux, diffèrent de moins en moins et d'aussi peu que l’on veut à mesure que les séries se prolongent. Si done on suppose que ces nombres représentent des grandeurs d'une certaine nature, des lignes droites par exemple comparées au mètre pris pour unité, on aura deux séries de droites dont les unes augmenteront et les autres diminueront toujours , et les unes en augmentant , les autres en diminuant , se rapprocheront de plus en plus et d'autant que l'on voudra, d'une certaine longueur qui est leur limite commune et ne peut s'exprimer exactement par un nombre entier ou fractionnaire. Gette longueur se trouvera donc définie par les deux séries de longueurs dont elle est la limite, Or, nous venons d'obtenir les nombres qui mesurent ces longueurs au moyen de certaines opé- rations; si done, nous convenons de représenter l'ensemble de ces opérations par le symbole L/; , nous pourrons dire que > est le nombre qui exprime la grandeur dont nous approchons sans cesse; ce nombre étant dit d’ailleurs incommensurable , parce que la graudeur qu'il représente est incommensurable avec l'unité C’est ainsi que si l'on mène à travers une circonférence de 2 mètres de rayon une ligne droite passant à { mètre et demi du centre, Îa portion de cette ligne interceptée dans la circonférence est dite égale à ÿ/7. 17. Prenons un autre exemple. Considérons une frac- tion continue composée d’un nombre infini de fractions intégrantes , et supposons que l'on connaisse la loi suivant liquelle les quotients incomplets s'y succèdent. Calculons les réduites successives. On sait que les réduites de rang 164 ACADÉMIE DE ROUEN. pair sont toutes plus grandes que les réduites de rang im- pair; mais que les premières vont toujours en diminuant, les secondes toujours en augmentant , en sorte que la diffé- rence entre la dernière réduite de rang pair et la dernière réduite de rang impair décroit sans cesse, et devient même aussi petite que l'on veut, pourvu que l'on pousse assez loin le calcul. I en résulte que, si l'on considère les quantités concrètes dont ces réduites seraient l'expression numérique , on aura deux séries de grandeurs , les unes croissant toujours , représentées par les réduites de rang impair , les autres représentées par les réduites de rang pair, plus grandes que les premières et décroissant tou- jours; les premières diffèreront de moins en moins , et d'aussi peu que l'on voudra des secondes ; d'où il faut conclure que les unes en augmentant , les autres en di- minuant, tendent vers une certaine grandeur qui est leur limite commune. Cette grandeur, incommensurable avec l'unité (comme on le démontrerait aisément), se trouve alors définie par l'ensemble des grandeurs commensura- bles qui s’en rapprochent sans cesse ; et, comme ces der- nières sont représentées par les réduites successives que fournit la fraction continue , on voit que celle-ci peut être regardée comme représentant la grandeur incommensu- rable elle-même. On dit donc que cette fraction continue est un nombre incommensurable, et que ce nombre est la limite vers laquelle tendent les réduites successives. 18. Enfin, pour citer un dernier exemple, le polynôme æ-2»-5 ne peut être rendu nul pour aucune valeur de x, entière ou fractionnaire ; mais on peut toujours trouvel deux séries de valeurs de æ, les unes indéfiniment crois- santes , les autres indéfiniment décroissantes, pour les- quelles le polynôme diminue de plus en plus et devient aussi peu différent de zéro que l'on veut. Les valeurs de x fournies par ces deux séries et comparées deux à deux, LEE CLASSE DES SCIENCES. 195 diffèrent de moins en moins et d'aussi peu que l'on veut ; on dit alors qu’elles tendent vers une limite commune , que l'on définit en disant que c’est la valeur de æ qui rend nulle le polynôme æ'-2x-5. C'est ainsi que l’arète d'un cube de même densité que l’eau, et pesant 5 kilogram- mes , serait exprimée symboliquement par la racine posi- tive de l'équation x-2x-5=0 , en prenant le décimètre pour unité, et supposant que l'on eût pratiqué dans l’in- térieur de ce cube , d'une face à la face parallèle , une ouverture parallélipipédique de 2 décimètres de largeur sur 1 décimètre de hauteur. 19. On voit donc que c’est la nécessité de représenter symboliquement toutes les grandeurs qui nous conduit à considérer des nombres incommensurables. 20. — Comparaison des rapports ou des nombres. Les grandeurs relatives étant définies et exprimées en nombres, il nous sera facile de les comparer entre elles. S'il s’agit par exemple des nombres a et 4° qui représentent les rap- ports de deux quantités A et A’ de même nature à une troisième quantité B prise pour unité, nous avons dit précédemment que l'on entend par rapport de ces deux nombres le rapport des quantités elles-mêmes A et A’. Il résulte évidemment de à que A se rapprochant autant que l’on veut de A , a’ se rapproche aussi de a autant que l'on veut , et réciproquement. C’est pour cela que nous avons pu dire que les réduites successives d’une fraction continue d'un nombre infini de termes , se rapprochent de plus en plus de la valeur de la fraction continue elle- même. Si maintenant nous voulons comparer deux gran deurs relatives pour lesquelles l'unité n’est pas la même , et peut différer de nature , il faudra représenter ces gran- deurs relatives par des nombres, et comparer ces nombres considérés comme représentant des grandeurs de même T 196 ACADÉMIE DE ROUEN. espèce rapportées à la même unité. Ainsi, le rapport de deux volumes A et B étant 3/8, et le rapport de deux poids A et B’ étant 7/9, on dit que ce dernier rapport est plus grand que le premier, parce qu’une quantité concrète d’une nature quelconque exprimée par la fraction 7/9 est plus grande qu'une quantité de même nature , rapportée à la même unité, et qu'exprimerait la fraction 38. Etablissons quelques principes relatifs à la comparaison de deux grandeurs abstraites de même espèce, et pour les quelles l'unité serait différente. 21. Comparons le rapport de A à Bau rapport de A à B’, dans le cas où B est plus grand que B”. Il est facile de voir que le premier rapport est moindre que le second : en effet B et B’ étant divisés dans le même nombre de parties égales, les premières parties sont plus grandes que les secondes , et si elles sont suffisamment petites, À contient moins des premières que des secondes (1), ce qui suflit pour établir la vérité de ce que nous avons avancé. 22, Supposons maintenant que B° se rapproche de B de plus en plus ; je dis que le rapport de A à B° se rapproche de plus en plus du rapport de A à B. En effet, divisons A en M parties égales; on peut toujours, quelque grand que soit —————_———— (1) Soit en effet B et B’ partagés dans le même nombre n» de parties égales; ou bien A contiendra moins de parties de B que de parties de B’, ou bienil en contiendra autant. Dans ce dernier cas, la partie excédante R, obtenue en portant sur A autant de parties de B que l’on peut, sera moindre que la partie excédante R' obte- nue en portant sur A le même nombre de parties de B’. Si l'on sub- divise alors chacune des parties de B en parties égales plus petites que l'excès de R’ sur R, et chacune des parties de B’ dans le même nombre de parties remplissant à fortiori les mêmes conditions, on sera sûr que le reste R’ renferme plus de parties de B° que le reste R ne renferme de parties de B,et par suite que A renferme plus de parties de B’ que de parties de B. CLASSE DES SCIENCES. 107 M, prendre B’ assez rapproché de B, pour que tous deux renferment le même nombre N de parties de A; il résulte alors de ce qui précède, que les deux rapports sont compris M entre FN et Fr toujours faire en sorte que ces deux fractions diffèrent aussi peu que l’on veut ; il en est donc à fortiori de même des deux rapports. 23. Soit maintenant à comparer le rapport de A à B au rapport de A’ à B’, sachant que A’ se rapproche indéfini- ment de À, et B’ de B. Je dis que la difiérence entre ces deux rapports ira toujours en diminuant et autant qu'on le voudra. En effet, comparons-les tous les deux au rapport de A à B’. Il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'ils s’en rapprocheront de plus en plus et autant qu'on le voudra ; ils se rapprocheront donc aussi de plus en plus et autant qu'on le voudra l'un de l'autre. Aiosi la limite du rapport de deux grandeurs variables A’ et B’ quitendent vers certaines limites A et B , est égale au rapport de ces limites A et B. D'où il résulte encore que la limite du rapport de deux nombres a’ et b qui tendent vers certaines limites a et b, est égale au rapport de ces limites a et b. . Or, en prenant M assez grand, on peut 2%. — Opérations effectuées sur les grandeurs concrètes. La considération des rapports nous conduit à envisager trois questions principales relatives aux quantités concrè- tes. Appelant N l'expression numérique du rapport de deux quantités de mêine nature Aet B, on peut supposer que l’on donne deux quelconques des quantités À , B et N, et que l'on demande de déterminer la troisième. Nous allons indiquer comment on peut résoudre ces trois questions au moyen d'opérations que Fon peut appeler concrètes, et qu'il ne faut pas confondre avec les opéra- 108 ACADÉMIE DE ROUEN. tions abstraites de l'arithmétique effectuées uniquement sur des nombres. 25. Si l’on donne A et B, leur rapport N se détermine par la méthode dite des superpositions successives , et qui consiste à porter la plus petite sur la plus grande autant de fois que possible ; le reste. s’il s’en trouve, sur la plus petite autant de fois que l’on peut; le nouveau reste, s'il en existe, sur le précédent, et ainsi de suite. On sait que cette méthode, qui fournit les quotients incomplets successifs de la fraction continue d’où dépend le rapport, en donne la valeur exacte , s’ilest commensurable ; et per- met, s’il est incommensurable , d'en approcher de plus en plus, ce qui est la seule chose que nous nous proposerons ici. 26, Supposons donné B et N et cherchons A. — Si N est entier, égal à 9 par exemple, en répétant 9 fois B nous aurons À. — Si N est fractionnaire et égal à 28/13'°, nous partagerons B en 13 parties égales, et réunirons 28 de ces parties pour avoir A. — Soit enfin N incommensu- rable ; considérons un nombre commensurable N° qui ait N pour limite ; et cherchons, comme dans le cas précé- dent, la quantité A’ qui, comparéeà B, aurait N° pour mesure ; cette quantité A’ se rapprochera indéfiniment d'une certaine limite qui sera précisément la valeur de A. 27. La dernière question est celle où l'on donne A et N, et où l’on demande de trouver B. — Si N est entier et égal à 12, on divise A en 12 parties égales et l’on a B, — Si N . . , x - , + est fractionnaire et égal à 18/5°*, on remarque que À étant les 18/5: de B, la 18° partie de A est le 5° de B; en sorte que cette 18° partie, répétée 5 fois, donne B. — Si N est incommensurable, on prend un nombre commensurable N° qui ait N pour limite; on cherche , comme dans le cas précédent , quelle unité B’ il faut prendre pour que A soit représenté par N'; et la limite vers laquelle tend imdéfini- De de CLASSE DES SCIENCES. 109 ment B° est la valeur de B. Ceci résulte de ce qui a été dit au n° 22, 28.— Opérations effectuées sur les nombres.— Nous al- lons supposer maintenant que l'on considère, non plus les quantités A et B elles-mêmes, mais les nombres a et b qui représentent leurs rapports à une troisième quantité prise pour unité. Dans cette nouvelle hypothèse , nous allons reprendre les trois questions précédentes, et sub- stituer ainsi à des opérations effectuées sur des quantités concrètes , des opérations effectuées sur des nombres. 28. 1'e Question. On donne a et b, on demande de trouver leur rapport N. Soit ces nombres a et b commensurables et égaux, l'un à 8/7, l’autre à 5/9°*; on les réduit au même dénomi- nateur, et l'on a 72/63 et 35/63“; on aperçoit alors qu'en divisant Ben 35 parties égales, et ‘réunissant 72 de ces parties, on a A. Ainsi le rapport de A à B est 72/35°°, Soit les nombres a et b incommensurables. On prend deux nombres commensurables 4 et b° ayant a et b pour limites, et l'on s'en sert pour calculer le rapport N° des quantités A’ et B°’ que a’ et b' représentent, et qui ont A et B pour limites. En vertu de ce qui a été dit au n° 23, la limite du nombre N° est la valeur de N. Ce premier cas est celui de la division de deux nombres, quand le dividende et le diviseur sont de même nature. 30. 2° Question. On donne b et N, on demande a. Soit bégal à 27/5°, et N à 8/7*%. On prend 8 fois la 7° partie de 27/5°* , et l'on a le nombre a qui représente A. Si bet N sont des nombres incommensurables, on prend deux nombres commensurables D" et N', ayant b et N pour limites ; on cherche le nombre a° dont le rapport à best N'; et la limite de ce nombre a est a. 110 ACADÉMIE DE ROUEN. Ce second cas est celui de la multiplication des nombres. 31. 3° Question. Enfin, on peut donner a et N et de- mander b. Soit a égal à 18/7 et N à 23/12“. Les 23/12* de B étant égaux à À, le 12° de B est égal à la 25° partie de A, et B tout entier à 12 fois cette 23° partie de A. On prend donc 12 fois la 23° partie de 18,7, ce qui donne le nombre b expression de B. Si a et N sont incommensurables, on considère les nombres commensurables a et N° dont ils sont les limites; on cherche le nombre 4’ pour lequel le rapport de a à b' est N°, et la limite de b’ donne le nombre b qui repré- sente B. Ce troisième cas est celui de la division des nombres, quand le dividende et le diviseur sont de nature différente. 32. Nous avons donc établi dans ce travail que la notion de rapport doit, en arithmétique, précéder toutes les autres , puisqu'elle est inhérente à l'idée de nombre. Nous avons fait voir en outre que cette notion renferme impli- citement celles de la multiplication et de la division. ne SUR LE CALCUL INFINITÉSIMAL. (ExTRaIT de la Féponse de M. BERGASSE, Président, au Discours de réception de M. Ginaurr. ) Qui n'a entendu parler du calcul infinitésimal, et de l'immense révolution que sa découverte pressentie par Fermat , due à la fois au génie de Newton et à celui de Leibnitz, a opérée!.., Qui ne sait qu'avec cette arme puissante , l’homme qui venait de pénétrer dans la vaste étendue des cieux, a pu y étudier tous les mouvements des innombrables sphères dont la main du Tout-Puissant l'a parsemée, en déterminer les lois, en prédire les pha- ses, assister en quelque sorte à ce mystérieux concert dont Pythagore croyait avoir écouté les divines harmonies, et dont Cicéron , dans son magnifique langage , à cru pein- dre les merveilles. (1) A qui enfin serait-il permis d'ignorer qu'à partir de l'époque où elle fut remise dans ses mains, il put se frayer des routes nouvelles antérieurement RE — RCE EE. (1) Voir le songe de Scipion. 112 ACADÉMIE DE ROUEN. inconnues aux anciens, soumettre à ses appréciations toutes les combinaisons possibles des éléments de l'étendue et des nombres, s’élancer dans l'infini, créer enfin cette partie des mathématiques qn'on à si justement appelée transcendante ! Quels degrés a-t-il fallu parcourir pour arriver à cette précieuse découverte! quels incroyables efforts ont été employés d’abord pour parvenir à la notion que vous avez su nous rendre si claire et si transparente, puis pour utiliser cette notion et se créer une méthode!... Voilà, Monsieur , des questions que je me garderai bien d’abor- der, certain que je serais de ramener l'obscurité R où vous êtes parvenu à la dissiper. Rechercher pourquoi la pensée de l'infini ne s'est point présentée aux anciens , pourquoi elle s’est offerte aux modernes , pourquoi , alors même que la spéculation semblait devoir s'élever le plus haut chez les premiers, elle revêtait toujours des formes individuelles et tangibles, si j'ose ainsi parler, voilà, Monsieur , une tâche qui m'a semblé inieux proportionnée à mes forces et plus propre à captiver l'attention de ceux qui veulent bien m'entendre. Tout en reconnaissant l'immense supériorité des moder- nes dans la science qui a pour objet l'étude des lois du temps et de l'espace, ne soyons point injustes envers les anciens !... Rendons hommage à leur génie !... N'hési- tons pas à proclamer ce que leurs travaux eurent d'admi- rable ! Sans nous préoccuper de ce que furent les mathé- matiques chez les Chaldéens, les Indiens, les Chinois et les Egyptiens, dans l’histoire desquels, lorsqu'on veut remonter aux temps primitifs, il est si difficile de discerner le vrai du faux et la réalité des exagérations qui sont venues la travestir, bornons-nous à considérer la belle et noble civilisation grecque !... Quand les récits de ses historiens, dont chaque jour vient nous démontrer la 2x CLASSE DES SCIENCES. 113 véracité, ne nous apprendraient pas que , dans son sein, ce que nous sommes convenus d'appeler les mathémati- ques appliquées, avait atteint un haut degré de perfection, ce qui nous reste de ses monuments ne sufirait-il pas pour l’établir ?.. Est-ce que tous les jours nos géomètres et nos ingénieurs , en les visitant , n'éprouvent pas la plus vive surprise, et ne se demandent pas comment les seules forces de la synthèse ont pu permettre de résoudre des problèmes, dont ils se voient obligés de demander la solution à la plus savante et à la plus laborieuse analyse. Si de la mécanique et de ses diverses branches nous pas- sons à l'application la plus élevée des mathématiques , à l'astronomie, est-ce que les observations faites par les Grecs, leurs calculs et jusqu’à leurs erreurs n'ont pas quelque chose de merveilleux !.. Thalès prédisant une éclipse à une époque où la géométrie était à peine sortie de son berceau ; Pythagore enseignant à ses disciples la dis- tribution de la sphère céleste , l'obliquité de l'écliptique , la cause &es éclipses, la sphéricité de la terre , et leur révélant , vingt-et-un siècles avant Copernic, son mouve- ment diurne autour du soleil, mouvement qui fut si vite oublié ; Hypparque découvrant la précession des équinoxes et préparant le catalogue des mille vingt-deux étoiles que Ptolémée devait un peu plus tard introduire dans son Almageste, ne sont-ils pas eux-mêmes autant de problèmes dont l'histoire ne peut se procurer la solution qu'en prè- tant aux anciens une sorte de faculté d'intuition refusée aux modernes. Que si, des mathématiques appliquées, nous passons aux mathématiques pures ou plutôt à la géométrie spéculative, la seule branche de cette science que les Grecs aient étu- diée , est-ce que les travaux des Archimède et ceux de l'Ecole d'Alexandrie n'indiquent pas la plus surprenante sagacité ? Les éléments d'Euclide, si remarquables par la 5 114 ACADÉMIE DE ROUEN. lucidité et l’enchaînement des démonstrations, ne servent- ils pas encore à l’enseignement dans la Grande-Bretagne ? Les nouvelles démonstrations ont-elles détruit l'éblouis- sante certitude qui jaillit des anciennes ? Quel que soit cependant le mérite des travaux sur lesquels nous venons de jeter un rapide coup-d'œil, quand on veut se rendre compte de l'ensemble, on est surpris de n'y trouver que des résultats individuels, isolés, mais nulle part une idée générale, féconde, rassemblant sous ses lois tous les faits détachés. La faculté d'abstraire existe sans doute chez les Grecs ; mais elle est loin de se douter de sa puissance. Tout y revêt des formes matérielles. Le champ de l'infini ne s’est point ouvert pour eux. Is n'avaient pas, a-t-on dit, à leur disposition le lan- gage algébrique! .. L'eussent-ils eu, a-t-on ajouté, il leur aurait manqué un Descartes pour l'appliquer à la géométrie !.. Ne nous faisons point illusion sur la perfectibilité de l'esprit humain !.. gardons-nous de penser qu'il ait plus de ressort, plus d'énergie, plus de vigueur naturelle dans les temps modernes que dans les temps anciens !.. La civilisation qui, à son aurore, produisit Homère , qui vit apparaître Pythagore , qu'illustrèrent les Socrate, les Platon, les Archimède, et qui, sur son déclin, nous montre Cicéron, le génie le plus universel peut-être qu'elle ait enfanté, aurait produit Descartes, si le milieu dans lequel ces grands hommes et tant d’autres dont nous pour- rions ajouter ici les noms, pensèrent, vécurent et agirent, eût ressemblé à celui où se trouva jeté l’immortel philoso- phe dont nous venons de prononcer le nom. Le culte de la forme matérielle, voilà ce qui a caractérisé la civilisation grecque, voilà ce qu'on retrouve au fond de ses productions intellectuelles, comme dans ces chefs-d'œuvre que créèrent les arts, et qui excitent à un si haut point = CLASSE DES SCIENCES. 115 notre admiration et nos respects. La supériorité de l'esprit sur la matière et les hautes destinées auxquelles il est appelé dans une autre vie enseignée dans les écoles, exercèrent peu d'influence sur les idées dominantes et les mœurs. Platon entrevit l'infini. Mais ses doctes leçons ne laissèrent aucune trace appréciable, et Cicéron, son dernier écho, ne nous en a transmis qu'un faible retentis- sement. Il appartenait à la religion chrétienne, en révélant à l'homme la sublimité de son origine et de sa fin, en l'éle- vant au-dessus des sens et l'appelant, par la contempla- tion , dans d’autres régions que la terre, de vulgariser, de rendre populaire , si j'ose ainsi parler, l'usage de cette puissance précieuse d’abstraction qui nous permet de spi- ritualiser en quelque sorte les objets les plus matériels, de généraliser nos perceptions en les rassemblant et en faisant la part de ce qu'elles avaient originairement d'individuel et de terrestre; de concevoir la notion de l'infini, et d’avoir devant ses méditations comme un horizon sans limites et sans bornes, et il n’appartenait qu'à elle de proclamer la grande loi du travail, du perfectionnement moral, et d'imprimer une incessante activité à l'intelligence humaine. Les questions religieuses durent absorber et absorbè- rent en effet cette activité pendant les premiers siècles qui suivirent son triomphe. Les sciences mathématiques et physiques étaient stationnaires au moment de son appari- tion. Elles ne firent pas de progrès sensibles dans l'inter- valle qui sépara l’époque la plus brillante de l'Empire ro- main de celle de sa chute. Si l'histoire nous montre Dio- phante au rv° siècle inventant l'algèbre ou introduisant son langage dans les mathématiques, ce qui nous reste des écrits de ce mathématicien prouve qu'il ne fit qu'entre- voir les conséquences de sa découverte. Il était réservé 116 ACADÉMIE DE ROUEN. à un Français, à Viète, de donner, douze siècles plus tard, à l'algèbre les proportions d’une science , et de dévoiler, par la transformation qu'il lui fit subir , les fécondes et im menses ressources qu’elle pouvait offrir à tous les calculs. Les travaux de l'École d'Alexandrie semblèrent dès lors devenus le dernier mot de l'esprit humain dans le champ si vaste des mathématiques {1). Ce dernier mot oublié de l'Europe , pendant les convulsions et les déchirements de la féodalité, fut religieusement recueilli par les Arabes , qui , aidés de l'algèbre, firent faire de remarquables pro- grès à la science des nombres, puis reporté , à la suite des croisades , à l'Europe chrétienne où il fut reçu avec re- connaissance. Quand on relit les ouvrages de Roger Bacon, et qu'on parcourt l’épître dédicatoire adressée par lui au pape, placée en tête d’un de ses traités, qu'on devient témoin de l'enthousiasme avec lequel il parle de la science et des nouveaux pas qu'il lui a fait faire, et dont il reporte tout le mérite à la divinité, on se rappelle involontairement Pythagore immolant cent victi- mes aux Dieux pour les remercier de lui avoir découvert une vérité géométrique. On éprouve encore une autre impression à cette lecture. Les efforts souvent stériles et impuissants de Roger Bacon pour se débarrasser des langes qui l'entourent , s'élever au-dessus des doctrines des anciens, et arracher à la nature quelques-uns des voiles dont ils n'ont pas su la dépouiller, nous révèlent chez lui un secret pressentiment du magnifique essor que , trois siècles plus tard, doivent prendre les sciences mathématiques et naturelles, et au- quel son époque sert de transition. Il n’est plus permis aujourd'hui d’appeler le moyen- (1) Voir le Dictionnaire des Sciences mathématiques, art. Euclide. mu CLASSE DES SCIENCES. 117 âge le sommeil de l'esprit humain. Si cette expression tigurée peut convenir aux siècles qui creusèrent le tom- beau de la civilisation antique et y ensevelirent jusqu'à ses moindres débris, elle ne saurait sans injustice être appli- quée à ceux qui préparèrent la civilisation moderne , qui créèrent la société nouvelle, qui, dominés par une pensée unique, la pensée chrétienne et par conséquent la pensée de l'infini, de l'immensité, de l'éternité, en imprimèrent l'empreinte et le cachet sur leurs monuments , leurs lois, leurs institutions, leurs mœurs. La philosophie scolasti- que conservée . cultivée précieusement , regardée comme une chose sacrée, précisément parcequ'elle était le seul souvenir que l’on eût conservé de la civilisation grecque , le seul anneau qui püt s’y rattacher, tout en enchaînant l'esprit humain dans ses formes artificielles, servit mer- veilleu sement à développer sa puissance d'abstraction, à aiguiser cette puissance, et, en la comprimant quelquefois, à en augmenter le ressort. Mais le moment où l'esprit moderne, l'esprit d'inno- vation et de perfectionnement , si longtemps retardé dans sa marche par les déchirements intérieurs de l'Europe , va prendre tout son essor et est arrivé. La rénovation se mani- festera d’abord dans le langage, la littérature et les arts, parce que le langage, la littérature et les arts s'adressent à la multitude, et que les sciences mathématiques et naturel- les, cultivées par quelques privilégiés, n’ont point encore jeté d'éclat et sont étrangères aux jouissances sociales. Bientôt le mouvement se propage dans les sciences naturelles et le ciel se dévoile. Il ne saurait entrer dans ma pensée de présenter ici le magnifique tableau de toutes les décou- vertes dont les xve et xvu: siècles les enrichissent.. . . Je ne m'occupe que des sciences mathématiques Elles firent de notables progrès pendant le xvi° siècle ; mais les auteurs de ces progrès choisirent toujours , pour point de départ, 118 ACADÉMIE DE ROUEN. les méthodes anciennes qu'ils perfectionnèrent et agrandi- rent. Je ne les rappellerai pas, j'ai trop de hâte d'arriver au père, au créateur de la philosophie moderne. Bien différent de ses prédécesseurs , Descartes rejette, loin de lui, tous les travaux des anciens. Il s'isole, se replie, se concentre en lui-même, demande à sa conscience le premier chaïinon des vérités qu’il va chercher ensuite dans toutes les directions. Le domaine de la philosophie est encore ce qu'il était au moyen-âge. Il comprend et les sciences morales et les sciences physiques. L'ontologie , la psycologie, la morale, toutes les mathématiques, la physique sont soudainement visitées et illuminées par lui. L'ensemble de ces doctrines n'est qu'une immense, une gigantesque abstraction. Mais cette abstraction sublime dut saisir profondément ses contemporains, et faire prompte- ment évanouir les abetractions qui l'avaient précédée. Appliquée aux phénomènes matériels, elle a presque tou- jours disparu devant l'expérience. Appliquée aux phéno- mènes de la pensée, elle a plus d’une fois dépassé le but ; mais, appliquée aux mathématiques, elle leur fit faire les plus immenses progrès ; elle les anima d'un souffle géné- ralisateur qui, jusque là, leur avait manqué. En créant la géométrie analytique, Descartes ouvrit un sillon étince- lant de lumière, dans lequel toutes les générations de ma- thématiciens qui l’ont suivi se sont précipitées… Parmi ces mathématiciens , ou plutôt parmi les philo- sophes qui marchèrent sur ses traces, il en est un dont le génie moins fort peut-être que le sien, et certainement moins original, mais plus étendu, plus positif, plus sage, parcourut aussi tous les domaines de la pensée, et y ré- pandit une lumière moins éclatante, mais plus durable. Sans doute , personne ne sera tenté de confondre l'infini des mathématiciens avec la notion de infini telle que la perçoit la philosophie. Mais il est permis de douter que Lie 2 CLASSE DES SCIENCES. 119 si Leibnitz ne se füt pas familiarisé avec les abstractions les plus élevées de l’ontologie, il eût, aussi vigoureusement qu'il le fit, étreint les plus difficiles, les plus inabordables problèmes, et créé les mathématiques transcendantes. La même observation, j'en conviens, Monsieur, ne peut s'appliquer à cet autre inventeur du calcul dont vous avez si bien décrit le point de départ ! Newton se voua tout en- tier à la philosophie naturelle. Trouvez bon que je rappelle ici quelques-unes des cir- constances de sa découverte. Copernic mourant avait laissé tomber, de ses mains dé- faillantes, le magnifique ouvrage dans lequel il substituait au système de Ptolémée un nouveau système qui détrui- sait toutes les idées reçues, mais dont trois siècles et demi d'observations ont démontré l'exactitude. Ce système n'était encore qn'une brillante hypothèse, lorsque Tycho- Brahé, obéissant à d'étranges projets de conciliation, re- cueillit des milliers d'observations. Ces observations transmises par lui à Keppler, son disciple, devenaient de la part de ce dernier l’objet d'immenses caleuls auxquels la vie de ce grand et infortuné géomètre fut consacrée. En s’y livrant, Keppler reconnaissait que les planètes ne dé- crivaient pas, comme on l'avait cru si longtemps, des or- bites circulaires, mais des ellipses plus ou moins allongées. La détermination des lois de leur mouvement fut la con- séquence de ses travaux. C’est en étudiant les lois mathé- matiques de Keppler, en cherchant à se rendre compte des phénomènes célestes par les principes de la mécanique, que Newton, sur le point de s’élancer dans l'infini créé. pour en rapporter le secret de l'attraction, inventa la mé- thode des fluxions , la seule qui pût le guider dans ces ré- gions. Cette sublime découverte n'offre pas, ce nous semble , dans ses mains, le même caractère de grandeur que dans celles de Leibnitz et de son illustre continua- 120 ACADÉMIE DE ROUEN. teur, géomètre et métaphysicien comme lui, le grand Euler. Le calcul infinitésimal fut pour le premier un moyen, un instrument : pour les deux autres , il fut une fin, un but qui, une fois atteint, leur permit d’embrasser la vérité pure dans les plus hautes régions des mathématiques. Je m'arrête iei, Monsieur; j'allais montrer comment, au xvre siècle et au xix°, la grande étendue des do- maines conquis par l'inteligence ayant obligé de séparer plus soigneusement qu'on ne l'avait fait auparavant la philosophie physique de la philosophie morale , d'illustres Français continuèrent l'œuvre de Leibnitz et d'Euler, perfectionnèrent leurs méthodes , et donnèrent à la science les magnifiques proportions qu'elle a aujourd’hui. Mais je m'aperçois que j'ai déjà bien usé du privilége de me faire entendre. D'ailleurs, en marchant dans une région qui urest inconnue , je courrais risque de m'égarer. J'aime mieux , en terminant, rappeler la plus éclatante preuve de leur puissance qu'aient donnée , de nos jours, les mathématiques. Vous comprenez déjà, Monsieur , que je veux parler des observations de M. Leverrier sur les perturbations éprouvées par l'orbite qu'Uranus décrit autour du soleil à près de huit cent millions de lieues de la terre (1), et de l'existence d’une planète perturbatrice que, sans sor- tüir de son cabinet. et sans employer d’autres instruments que le calcul , il a signalée, planète qui aété en effet tron- vée, au jour et à la place qu'il avait indiquée, par un astro- nome de Berlin, M. Galle. (1) Sa plus grande distance de la terre est de 826,875,829 lieues. Sa plus petite est de 687,204 515 lieues. Sa plus grande distance du soleil est de 787,661,512 lieues de 2,000 toises. Sa plus petite est de 717,418,832 lieues. I! met environ 8% ans à décrire son or- bite, ( Voir Dictionnaire des Math. p. 598.) CLASSE DES SCIENCES. 121 Pour louer dignement M. Leverrier, j'emprunterai le passage que voici à son brillant interprète, M. Biot (1). « L'histoire de l'astronomie moderne conserve , avec hon- « neur, les noms d’un petit nombre d'observateurs heu- reux , qui, par une étude attentive du ciel, ont décou- vert l'existence de planètes jusqu'alors ignorées. Les mesures angulaires , par lesquelles ils avaient reconnu et défini les mouvements apparents de ces corps, ont servi aux géomètres pour calculer leurs mouvements réels, en les réglant sur les lois de l'attraction newto- nienne, qu'on à trouvé toujours en donner l'expression d'autant plus fidèle, qu'elles avaient été appliquées plus exactement. Mais dans tous ces cas. la vue précédait l'intelligence, la méthode suivait l'astre et ne le prévoyait point. Oneut, sans doute, une grande preuve de sa puissance lorsque l'on vit, après soixante-seize ans, la comète de Halley revenir des profondeurs de l'es pace, au temps fixé, à quelques jours près, par Clai- raut, à la suite d'immenses calculs, dont la fidélité inespérée aurait été encore plus précise, si l'on avait mieux connu alors la masse de Saturne , et si, au-delà de Saturne , il n'eût pas existé d'autres planètes, dont Clairaut put seulement signaler l'influence, comme supposable , en dehors de ses calculs. Toutefois, l'astre avait été vu antérieurement , et lon savait qu'il devait revenir. L'incertitude, et elle était grande, portait seulement sur l'époque de son retour, au sommet de sa longue ellipse, le plus proche du soleil. Mais constater d'avance et a priori l'existence certaine et nécessaire d'une planète que nul œil humain n'avait encore aperçue; déterminer la position et les dimensions de son orbite ; 1) Journaldes Savants , 1848, p. 577, octobre. 192 ACADÉMIE DE ROUEN. « évaluer sa masse, régler son mouvement, assigner pour « telle année, tel jour, telle heure, sa place absolue « dans le ciel, le point précis où elle doit être, où on la « trouvera, et où on l’a trouvée, voilà ce que personne «n'avait jamais fait et ce que M. Leverrier vient de « faire. » DE L'ALCOOL CONSIDÉRÉ SOUS LE RAPPORT TOXICOLOGIQUE, Par M. MORIN, Professeur de Chimie à l'École de Médecine. { Séance du 23 Novembre 1819.) La constation de l'alcool dans un cas d’empoisonnement est un des problèmes les plus difficiles de la chimie légale, à cause de la propriété très diffusible de ce liquide. Appelé plusieurs fois pour en déterminer l'existence dans des cas de mort par suite d'ivresse , nous n'avons pu y parvenir. Mais il faut dire que nos expériences n’ont été faites que longtemps après la mort. La dernière cireons- tance dans laquelle nous avons opéré , est la suivante : LenomméL .., après avoir passé quelques heures dans une maison de tolérance, y but une certaine quantité d’eau-de- vie qui produisit une grande exaltation d'idées et sans doute de l'ivresse. Bientôt il fallut régler le compte de dé- penses diverses, et, de son refus, résulta une rixe vio- lente…. Le lendemain , le cadavre de ce malheureux fut trouvé dans la Seine ; le docteur Béchet, chargé de l'autopsie, fut frappé de l'odeur étherée qui se dégagea du cadavre. L'estomac nous fut remis avec le liquide qu'il contenait ; notre premier soin fut de déposer ce liquide dans un flacon 12% ACADÉMIE DE ROUEN. parfaitement bouché , afin de s'opposer à la volatilisation du liquide dont l'odeur accusait la présence de l'éther. Le liquide contenu dans l'organe avait, indépendamment de l'odeur que nous venons de signaler , une réaction acide très prononcée. Cette dernière propriété ne nous offrait rien de surprenant , car nous avons constaté plu- sieurs fois l'existence de l'acide acétique dans quelques cas de mort par suite d'ivresse. On sait d’ailleurs que cet acide se produit en grande quantité dans les mauvaises digestions. L'acidité remar- quable du liquide de l'estomac nous prescrivit le mode d'opérer que nous allons exposer, et qui était commandé par la crainte de transformer l'alcool en éther par le con- cours de l'acide. En conséquence, nous avons saturé le liquide par du bi- carbonate de soude, jusqu'à cessation d'effervescence ; la préférence accordée à ce sel pour la saturation de l'acide, au lieu du carbonate de soude ordinaire , est fondée sur la propriété qu'il possède de n'avoir qu'une faible action sur les matières organiques. Ensuite nous avons procédé à la distillation en observant les précautions qu’exige l'obten- tion de liquides aussi fugaces que l'alcool et l'éther . Lors- qu'on eut obtenu la moitié du liquide contenu dans la cornue, on démonta l'appareil et on trouva dans le réci- pient un liquide aqueux, légèrement opalin , d'une odeur éthérée très sensible, et d'une saveur qui rappelait aussi celle de ce liquide. Le produit de la distillation introduit dans un flacon à l'émeril, fut additionné de carbonate de potasse pur jus- qu'à ce qu'il refusàt d'en dissoudre , et en abandonnant le mélange à lui-même , on vit apparaître une faible couche d'un liquidé qui possédait l'odeur déjà constatée et la pro- priété de s'enflammer à la manière de l'alcool par l'ap- proche d'une bougie. ne CLASSE DES SCIENCES. 125 La présence de l'alcool et de l'éther étant constatée , il était important sous le rapport de la science , de savoir si la victime n'avait point ingéré d’éther. L'instruction judi- ciaire a établi que cet homme jouissait d'une santé parfaite, et n'avait été soumis à aucune médication depuis long- temps. Or, l'éther s'était formé dans l'estomac, mais com- ment expliquer sa production ? S'est-il developpé, sous l'influence de la vie . une élévation de température qui ait pu favoriser l'éthérification de l'alcool par le contact de l'acide acétique ou des autres acides contenus dans cet organe ? Cette supposition ne peut être accueillie ; n'est-il pas plus probable que la diastase animale admise par M. Mialhe dans la salive secretée plus abondamment par le passage de l'alcool dans la bouche , se trouvant mêlée avec ce liquide, à, par une sorte de puissance catalytique, donné naissance à de l’éther ? Cette hypothèse serait admissible en présence de plu- sieurs résultats curieux obtenus récemment : à savoir que l'amidon désagrégé, maintenu dans la bouche pendant une minute environ, se trouve transformé en Glucose. Cette action de la salive sur les matières amylacées rend raison de l'existence du sucre dans le sang et dans le foie où on l'a récemment découvert. Les résultats de ce travail démontrent qu'il ne faut pas négliger en pareille circonstance de lier avec soin l’esto- mac et de le conserver dans un bocal parfaitement bouché. Si, jusqu'ici, il a été impossible de constater la pré- sence de l'alcool dans un cas de mort par suite d'ivresse , cela est dû à ce que les chimistes ignoraient la formation de l'éther en pareille circonstance et à la négligence des précautions à prendre pour la conservation de liquides aussi volatils que ceux que nous avons constatés. OBSERVATIONS SUR QUELQUES POINTS CONTROVERSÉS DU SYSTÈME ORGANIQUE ET PHYSIOLOGIQUE DES VÉGÉTAUX. PAR M. PRÉVOST. {Séance du 21 Juin 1850. ) 3 à ee —— La culture qui. autrefois, faisait la principale richesse de la France et à laquelle une population qui semble devoir être bientôt exubérente forcera de revenir plus sérieuse- ment qu'on ne l’a fait depuis la fin du siècle dernier, a pour auxiliaires indispensables la botanique , la chimie et la zoologie. La chimie agricole rend depuis plusieurs années d’émi- nents services aux Cultivateurs, surtout en leur indiquant d’une manière précise les meilleurs procédés de fertilisa- tion du sol, les éléments nutritifs les mieux appropriés aux besoins de chaque espèce de plante utile. La zoologie agricole, quoique laissant beaucoup à désirer au point de vue des moyens de destruction des animaux nuisibles, donne des notions d’une haute utilité pour lé- ducation et l'amélioration des animaux domestiques. Mais la phytologie semble être restée stationnaire en ce qui concerne la connaissance des organes élémentaires des végétaux ainsi que celle des fonctions réelles de ces or- ganes. Li 2 CLASSE DES SCIENCES. 127 Ce serait pourtant une grave erreur de croire que cette partie ardue de la science des végétaux n’est pas d’une grande utilité pratique, car, il est hors de doute que l’art de multiplier artificiellement, de diriger, soigner et faire produire les arbres et les plantes, art dont les avantages et l'utilité sont incontestables , repose essentiellement sur la connaissance de l'anatomie , de l'organogénie et de la physiologie végétales. L'état peu avancé de cette partie de la botanique tient aux difficultés qu’elle présente, puisqu'on ne peut l’étudier eflicacement que l'œil armé d’un microscope, et aussi aux divers systèmes développés par les savants qui s’en sont occupés, lesquels se sont vus souvent dans la nécessité de raisonner par inductions, circonstance qui fait qu’une pre- mière erreur à pu, a même dù en produire beaucoup d'autres, et de nouvelles expériences faites en commun n'étant malheureusement pas en usage entre des hommes qui sont également persuadés d’avoir bien vu, chacun soutient son système, et chaque système ayant ses par- üsans , il en résulte que les praticiens qui attendent des hommes de savoir d'utiles enseignements , n’en reçoivent que des indications contradictoires qui les embarrassent, et qui les portent parfois à douter de la science. C'est dans cet état, ou à peu près, que se trouve main— tenant l'étude de l'anatomie et de la physiologie végétales, et, sans nous arrèter 1c1 à l'opinion émise il y a quelques années par un savant contemporain qui croit que le déve- loppement d'une plante, d’un arbre, est l'ouvrage de myriades d'animalcules qu'aucun verre grossissant n'a pu encore faire apercevoir, nous trouvons en présence deux systèmes explicatifs de l'organisation et de l'accroissement des végétaux, lesquels sont en opposition sur beaucoup de points importants , ont réciproquement des partisans haut placés dans la science, et font école chacun à part. 128 ACADÉMIE DE ROUEN. Ces deux systèmes ont pour auteurs M. Mirbel et M. Gaudichaud. Nous n'avons pas la ridicule prétention de nous consti- tuer juge entre ces deux hommes éminents, mais notre humble position de cultivateur, mais les maltiplications artificielles auxquelles nous nous livrons journellement depuis plus d'un demi siècle, nous ont souvent fourni loc- casion d'observer des phénomènes de végetation que les savants haut placés sont rarement à même de remarquer. C'est donc et seulement par la citation de faits incon— testables, faciles à vérifier, que nous entendons manifester notre opinion sur les systèmes de MM. Mirbel et Gaudi- chaud. M. Mirbel, dont les savantes recherches ont rendu de grands services à la science des végétaux, à souvent vu juste dans leur organisation, mais par fois aussi il s'est singulièrement trompé sur plusieurs points principaux, sur lesquels repose toute la science de l’arboriculteur. Présentons d’abord, sous la forme d’aphorismes, les parties du système de M. Mirbel qui nous paraissent en désaccord avec ce qui se passe journellement sous nos yeux. Nous n'entendons parler iei que des végétaux ligneux dicolytédonés. 1° La sève monte par le centre du corps ligneux ; 2° La sève descendante passe par les couches extérieures du bois, non par l'écorce, et si une ligature serrée autour de la tige ne détermine pas au-dessous d'elle la formation d’un bourrelet semblable à celui qui se forme au-dessus, c'est que cette ligature ne peut avoir d'action sur les cou- ches intérieures du bois, tandisqu'elle en a sur les couches extérieures ; 3° Le cambium est créé dans le tissu tubulaire du bois et de Faubier. CLASSE DES SCIENCES. 129 4° Les couches du liber se changent en bois, en s'ap- pliquant successivement sur le corps ligneux. 5° L'écorce s'épaissit du tissu cellulaire que la pression fait échapper des mailles du liber, et repousse au dehors. Voici maintenant les principales bases du système d’or- ganographie végétale indiqué par Lahire , expliqué par le savant et regrettable Aubert du Petit-Thouars, il y a 25 à 30 ans, et parfaitement développé par M. Gaudichaud dans les mémoires qu'il a soumis au jugement de l’Aca- démie des Sciences, vers 1834. 1° Les couches ligneuses du centre de la tige, en s'ob- struant, cessent de fonctionner , durcissent et prennent le nom de Bois parfait. La destruction complète de ces couches intérieures dans les arbres depuis longtemps creux, et qui n’en continuent pas moins à végéter, est une preuve de l'inutilité postérieure de ces mêmes couches. 2° La sève des racines monte par les couches extérieures de l'aubier. 3 La sève descendante passe par les couches intérieures du liber, et donne naissance au cambium qui se produit en abondance entre l'écorce et le bois, au temps de la végétation. ke I se forme, chaque année , entre l'écorce et le bois, une couche ligneuse qui s'applique extérieurement sur celle de l'année précédente , et une couche de liber qui se produit en dedans de celles existantes qu'elle repousse au dehors ; de là l'augmentation d'épaisseur de l'écorce. 5° Ces deux couches, produits de la sève descendante, se composent des filaments ligneux qui partent de la base de chaque feuille et se prolongent à travers le cambium jusqu'à l'extrémité des racines. Telle est, en substance, la théorie de ces deux sys- tèmes ; passons maintenant à l'application. 9 130 ACADÉMIE DE ROUEN. Lorsque nous voulons faire prospérer une greffe de côté sur une tige que nous laissons entière , ou bien lors- que nous voulons faire développer d'un œil ou bouton éteint sur cette même tige un bourgeon vigoureux, néces- saire pour remplir un vide , nous pratiquons immédiate- ment, au-dessus de cet œil ou de cette greffe, une en- taille en A renversé dans l'épaisseur de la dernière couche d'aubier , dans le but d'arrêter la sève montante, de l'o- bliger à développer ou la greffe posée ou le bourgeon désiré, et le résultat espéré est toujours obtenu. Or, si la sève, au lieu de monter par cette couche ex- térieure d'aubier, comme le dit M. Gaudichaud , ne faisait qu'y descendre ainsi que l'indique M. Mirbel, notre en- taille , loin de détourner la sève au profit de la végétation espérée, produirait l'effet contraire en la retenant au-des- sus du point opéré , et, dans ce cas, nous ne réussirions qu'en pratiquant l'incision en sens contraire et au-dessous ou de la greffe ou de l'œil éteint. Si la substance organisatrice, le cambium , se formait dans les couches ligneuses, comme le dit M. Mirbel , com- ment expliquer le non succès des greffes insérées dans ces couches, lorsque leur liber mtérieur n'est pas mis en contact avec celui de l'écorce du sujet ? Si le cambium ne se formait pas dans les parties supé- rieures externes, comment se ferait-il qu'on le trouve beaucoup plus abondant immédiatement au-dessous d’un rameau très vigoureux que sur toute autre partie de la tige , lorsqu'on greffe en écusson un peu tardivement ? S'il était exact de dire que l'épaississement de l'écorce n’a lieu que par l'addition du tissu cellulaire annuellement échappé des mailles du liber, comment pourrait-on comp- ter assez facilement, à l'œil nu, de 15 à 18 couches et plus de liber dans l'épaisseur de l'écorce de la plupart de nos arbres? comment trouverait-on , dans celle du CLASSE DES SCIENCES. 131 tilleul, par exemple, ces nombreuses couches fibreuses , minces et souples . qui sont journellement employées pour la confection des cordes à puits et pour celles de nattes dans lesquelles le commerce nous fait parvenir du nord de l'Europe des matières tinctoriales? Car on comprend que le tissu cellulaire seul ne peut jamais avoir la force du tissu fibreux. M. Mirbel dit que si une strangulation par ligature faite sur une tige d'arbre ne produit pas un bourrelet au-des- sous comme elle en occasionne un au-dessus , c’est qu’elle ne peut avoir aucune action sur l'ascension de la sève dont le trajet a lieu par le centre , mais qu'elle agit sur les couches extérieures d'aubier qui charrient la sève des cendante, et l'arrête ainsi de manière à former un bour- relet où renflement supérieur. Ex. : branche exposée du Pinus longifolia. Pour ne pas perdre le temps à contreverser ce raison- nement, je l’admets pour un instant comme vrai. Mais alors je demande aux partisans du système de M. Mirbel une explication acceptable des effets de l'excoriation ou incision annulaire ; cette opération n'exerce aucune pres- sion sur quoi que ce soit, elle laisse le corps ligneux par- faitement libre dans toutes sesparties, seulement elle en met une petite portion à découvert, et cependant le résultat est le même que celui de la strangulation , à cela près que l'effet est souvent plus complet et plus prompt, parce que la solution de continuité des vaisseaux corticaux est ins- tantanée. L’affaiblissement et la mort plus ou moins prochaine de la partie supérieure au point opéré, sont le résultat de l'exco- riation circulaire assez grande pour ne pouvoir être cica- trisée. L'affaiblissement amène la cessation d’accroissement : la production de beaucoup de fleurs , la chûte prematurée 132 ACADÉMIE DE ROUEN. des feuilles, et la petitesse de celles qui leur succèdent , l'abondance , la maturité plus précoce des fruits, etc. D'après M. Gaudichaux, cela peut s'expliquer ainsi : La dernière couche d’aubier continue à charrier la sève montante , laquelle s’amasse au sommet de la tige ou de la branche excoriée , tandis que la sève descendante , ar- rêtée par l’excoriation, forme au-dessus un bourrelet plus ou moins prononcé, de quoi il résulte une sorte de plé- thore qui accélère la production des fleurs et des fruits , engorge les feuilles , obstrue leurs pores et les fait tomber prématurément. Bientôt la couche extérieure d’aubier , desséchée au point excorié par l'action immédiate de l'air et de la lumière, ne pouvant plus transmettre au sommet la sève ascendante , la mort de cette partie devient inévi- table. La mort suit d’assez près l’excoriation dans les arbres à bois dur , parce qu'ordinairement la seule couche exté- rieure d’aubier sert de passage à la sève montante , tandis que dans les arbres à bois blanc , à tissu ligneux plus mou , la mort de la partie supérieure à lexcoriation peut n'arriver que plusieurs années après l'opération, attendu que dans ces arbres , plusieurs des couches extérieures de l'aubier paraissent charrier également la sève ascendante, et qu'après la désorganisation de la dernière , l'avant-der- nière qu'elle protège , peut encore fonctionner quelque temps. Si nous voulons expliquer ces résultats par le système de M. Mirbel , nous en sommes empêché par cette circons- tance , que la sève montant, selon lui, par les couches ligneuses intérieures , les couches extérieures protègent suflisamment cette ascension pour qu'elle ne puisse être entravée par l'enlèvement d'un anneau d'écorce. L'embarras n’est pas moins grand pour expliquer la sup- Lo CLASSE DES SCIENCES. 133 pression immédiate de la sève descendante au-dessous de l’excoriation et l’épaississement de la tige au-dessus, car ce système fait descendre la sève par les couches extérieures du bois , et nie formellement que cette circulation puisse avoir lieu par l'écorce. De ces quelques exemples auxquels il est inutile , quant à présent , d'en ajouter d'autres , il ressort que le sys- tème de M. Gaudichaud explique d'une manière satisfai- sante la théorie ou la cause des phénomènes de végétation que nous voyons Journellement, tandis que celui de M. Mirbel est souvent en opposition avec ce qui résulte des expériences et des observations que chacun peut faire ; d'où je conclus que le système de M. Gaudichaud est un guide beaucoup plus sûr que celui de M. Mirbel pour éclairer le botaniste dans ses études et le cultivateur dans ses opérations. J'ai dit que le traité d'anatomie et de physiologie végé- tales de M. Mirbel contient et de graves erreurs et d'u- tiles et incontestables vérités. Qu'il me soit permis de citer encore un exemple à l'appui de chacune de ces deux asserfions. M. Mirbel a dit: « Les épines ne sont pas, comme le prétendent quelques naturalistes , des rameaux avortés.….. elles n'ont point de canal médullaire. Cette erreur est suflisamment démontrée par la simple inspection des épines de Gleditsia et de Maclura, que je présente ici, et dans lesquelles il est facile de remarquer un canal médullaire, formé d'un étui ligneux rempli de moëlle, exactement comme dans les rameaux de ces mêmes arbres. Ailleurs , M. Mirbel a dit que le nombre des couches ligneuses que l’on remarque sur la coupe transversale de la tige d'un arbre , n’est pas toujours en rapport avec son âge, parce que plusieurs couches peuvent se former dans 134 ACADÉMIE DE ROUEN. une seule année , tandis que dans d’autres , il peut ne pas s'en former du tout. A l'appui de cette vérité, je présente trois tronçons de tige du Paulownia imperialis , lune âgée de 2 ans présentant 4 couches concentriques ; une autre n'ayant qu'une année et qui est composée de deux couches ligneuses très dis- tinctes , enfin, { de 3 ans qui en a 6. Rouen , le 21 juin 1850. OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES Faites à Rouen PENDANT L'ÉTÉ ET L'AUTOMNE DE L'ANNÉE 1849, ET PENDANT LE PRINTEMPS ET L'HIVER DE L'ANNÉE 1850, Présentées et lues à l’Académie à diverses époques, PAR M F. PREISSER,. Éré pe L'année 1849 { Juin, Juillet, Août.) Pression. — La pression barométrique moyenne de l'été 1849 a été de 759,17. A savoir : En juin, 758,78, En juillet , 758,60, En août, 760,37. Moyenne , 759,17. La plus haute élévation de la colonne mereurielle a été de 713,08 le 20 août, et la plus basse de 748.19 le 2% juillet. Le baromètre a donc oscillé dans une étendue de 24.89. En général , d’après mes observations des années pré- cédentes , le baromètre ne s'élève pas à Rouen, pendant l'été , à une hauteur moyenne de plus de 755,29. L'année 1819 est donc sous ce rapport exceptionnelle. 156 ACADÉMIE DE ROUEN. Température. — La température moyenne de la saison a été de 20,1 ; à savoir : En juin, de 22,4, En juillet, de 19,4, En août, de 18,6. La moyenne , d'après les observations faites au moyen du thermométrographe , n’est que de 18,3. Quoiqu'avec une pression barométrique plus élevée, la température de l'été a été plus forte que la moyenne annuelle , qui est de 17°,7. La température la plus élevée a été observée le 3 juin, (32,9), et la plus basse, le 12 du même mois (k,9). Ainsi, le thermomètre a oscillé dans une étendue de 28°,0. Pluie. — I est tombé pendant cette saison 186,97 mil- limètres d’eau ; à savoir : 82,58 en juin, 65,73 en juillet, et 38,66 en août. Le nombre des jours de pluie a été de 26 : 8 en juin, 9 en juillet, et 9 en août. Il n'est tombé qu'une fois de la grêle. Il y a eu six orages : 3 en juin (2 par un vent de S. et 4 par un vent d'O.) 2 en juillet par des vents de S.-0. et de S.-S -0 , et 1 en août par un vent de S.-S.-0. En général , dans nos contrées , les orages sont toujours accompagnés de vents souflant presque toujours de la même direction. Observations metéorologiques faites à Houen pendant Les mois de Juin, Auillet ct Août 1849. SRapass mp BuER me __ IDn@DBES BDE= 47- (ler) | n sel Golf) éslqasnl plus pal 651 slawmel c + 4 8j | Maximum fa rinperntute 19 (Îete) nt 165 sl à 15 È ds 1 ane de Mans : =-( us 1h60! 18.- | 3h0.(0 | D unes | Minimiun w = jt(lets) in JH6gi| 6 jp) 6. jhogt| 62) its) [6 63) (.| LE (2 © e | Minimum 1 = these) 19 1619f 69| 611 js j Fa Es TE | : 1664) 1j. | jé su | Cr 64 à 61 | Omphitite De f'oscillalion Don djpaulp-liet qelqunéol nluintol 101 ul hol 0e C + | Amplinèe De f'oscillation CU ni T CILL) ARTE ILE D e 159 ; 4 RSS : Thcimomiliique = u4 ù lyépssl fl 6x je Cm | . | Mhcimemittique =194 5 agul pete) pal ja) valet à s1| j.] me © : . | Meumemitrique =jét Ne te SEEN îe is w Le & MATE : || 6 | LTORLINETTET alt Ca | | , 16 al 19 faites] 92! 10. fl n6| 69] 9% œ Ë : 18 DE] OT AEU SE al is je n | Quantité De pluie leumber | 1 | 66e) 1721) 16863 Cm $t - | QuantiieQe pluie tonber value À 17 Lena lagsel palace pl 1çs jen. | [jl vol 0: Cr quantité Me plaie fenber évalue | 17 sg] selrésul 161 16 : 1 Le ï relate É Us état 136] f6os ES 11 . [eu iflonen" = Gé 18 À 6609) us | jéss | 16.) 666) nel jé ul ys| jol 6€ $ , [es Miffimentes = 16.685 (LS 1 202 0 CE 0) ISLE 1N 0) Ù fil E s $ Pons van Rs | 5 quo ik | jjosé INC A1 douxs 3 pluie U ug annl we |fgasl 169) 15908) qulpfgnsl ha qgjln.| 6€ 5 JA Jouu à pluie 19 | jpul sul 9 pe LUN ie J Cat DÉRFRPNUE | to | 76837! 15. | 76687 Nc tonte véfe jar un ent Be | 4o À ACCC DMC DE TCONT ON DCE TS DE PTT ET CNT DIT 1. | 10,] 550 (2 EL PANNE) Vin 3: E Es | n ÉNCONLESEENE LA | * JE) 15/1768 10 [re À 4 Gtagus por dents de NO .OLNE. -S50 no sel mag) al pepe) ns 604) ul 6l s1l 550! e.+ : h.60 CC 1 LA OL) ETES CE DCS CIEL LA CHUU |, ELU u | 1 A | j au pnéel 26! 746 3 gl spl ss | ver his frites, spas | | 46e CR [ou sul males) ge laénlusljenlual œulu.l ssel € : Ê Ë 11* 191 : | LERL | Emsr | | s jun 66) pal j66 10! 16... | 66.40l 192] 1641 8 so © ; MON NN LION CHI ON GDS LES sas = us Cr.Cm Vo on sis woulies ts) sl aeeul ele nl.) «su. se $ à ; e" pou) sulquas| jo2! jun) 96/7468 = || a RE 25|| 191.14 ce Ua eg linuliéenl salés mot enl ul 1621 w8| 5e s |gc : vents | PAL A OO ACT ON AL TEST | Se ! 2e ss [MC ON l 6 Jimi) male matinal wall ssel ep |, io ik 0... MICO.. 1 DO A FU SET N EC) MAN OENN CONTHELE | | FLE ; 1 ji .| so. : Ua pete) 4/16) sl jm nl enlassl as] 4.) ssel © + ; L60 MN So 1 ji EE CF CAL SCENE DC tr) 4 CET | | 6 3 28 | ef APT à : | 1 dépif a péosl al sos 16 eat aa) pal do: © Cp 4 195 ss0 $ MIE | | 28 ski 08] jigie) 08! jhguo| o2| 16091 | | | = 39 LL) | 1e 4 ! | 29) légal eat ing qgogul 19l ol 94| 2T6e| Ji | cn 0$0...1 1€ 3 | 19 1535l-2|586h| nul fon ok] ét oeil À £ : = 1ages| | | sul ene. « ù D se Pagnl gelée) nl acanlipilésulasl cl ul 060 | à ; JO. k Sen À se yen ns) te) 7e | pe < : "| Ê :| | sr. ; ls nl (18) gel aol nl pal nl sl 5 ï .| emo à ÿ fn si 4] 1 ; 2 | | —|— = = Mayenne | =} (= en — — nyunne = 1 — —|— k = | | géo) 111] qjose] mal 15aal | | 6561| oufauto | jpgsl nel joe 48 l sl qu) sy | qgeuel nil gel 0.1 © 1663 Re A ET ES EG | | "9 Pl eut | Et 457] 161 pif 4641 16009! 50] | (2 | Biteuto | 1h83) gt jfagel 4081 1146) 04! 160) 1] 12] 69 | _— ARCS LU TE LPS NS 4 CAC 1 CCE SE NY PC ss date 3e! 16 gs | 1/56) 1717678) 61 | 116 95 tation | 16066! 166) él anal géant an lpéssl ail ça 14 Lautieuso | jpg) sifapags) sf ypus Sage) sil) al n6| | duftau 3] 1694 | fa jioasl 18) jisqt) el 1685 | | lanron y as mais malaenlarlagnalusl al 19 Joufoude) 1épul Elise) TSi69) HIbySEg|) fol #8] 1 | | = Se [Es ES. 21 || du | || | ue a LL — 1 = - CLASSE DES SCIENCES. 137 Vents. — Voici comment on peut ranger les vents par ordre de fréquence : Di=De + 08 conte 0.-S.-0... 5. NEO: 27 49; N.-N.-E... 5. Abe dés 11, N.-E..... 4. SR 0 MO ; O.=N.-0:. : 3. SSD SN T7, S.-S=E.s 2. | TPE li, Ne. ie N.-N.-0 6, Les vents qui ont soufflé de la région O. sont donc à ceux qui ont soufllé de la région opposée dans le rapport de 73 à 19. AUTOMNE DE L'ANNÉE 1849 (Septembre, Octobre, Novembre.) La pression barométrique moyenne de la saison est de 757.67. A savoir : en septembre, de 755,11, en octobre , de 757,04, en novembre, de 755,88. Moyenne.... 756,67. Le 29 octobre, le baromètre s'est élevé à la hauteur de 776,12. C'est la plus grande élévation de la saison. Le 25 novembre, il s’est abaisse à 740,68. L'oscillation barométrique de la saison peut donc être représentée par 39, 1#. Température. — La température moyenne de l'automne a été de 18,8 ; savoir : 16,9 en septembre, 11,8 en octobre, et 6,6 en novembre. Moyenne , 11,8. » 138 ACADÉMIE DE ROUEN. Le 1° septembre . le thermomètre s'est élevé à la hau- teur de 27°, et le 26 novembre il s’est abaissé à—5, de façon que l'oscillation du thermomètre peut être repré- sentée par 32°. Pluie. —Ilest tombé pendant cette saison 22 cent. 023 de pluie ; à savoir : 6,867 en septembre, 7,663 en octobre, et 7,993 en novembre. La pluie est tombée 33 fois. On a observé trois fois une chüte de grèlons, une première fois par un vent de S., et une autre fois par un vent de S.-S.-0. Le 26 novembre, par un vent de N.-E., il est tombé un peu de neige , mais en trop petite quan- tité pour pouvoir être mesurée. Un vent de N.-E., après quelques journées chaudes, a amené des brouillards fort épais le 11 et le 12 novembre. Voici comment on peut ranger les vents par ordre de fréquence : N.=-E... #74: 16, SO... n S.—$S.-0 1h, S.-S.-E n (0 RME à 11: Sete rs + 3 NEO TE 8, O.-N.-0 3 SH er 8, ue ut rt tes 3 LARGE PQ PE à Te 0.-S.-0 2 N.-N.-E SE N -N.-0 À E.-S.-E. 2 Prinremps DE L'ANNÉE 1850 (Mars, Avril, Mai.) Température. — La température moyenne du printemps a été de 9,8 et d’après le thermométographe de 9°,2. CLASSE DES SCIENCES. 139 2 à savoir : de %4',7 en mars. de 11°,# en avril. et de 13°,# en mai. La température la plus élevée a été observée le 30 mai, elle a été de 26°,1 ; la température la plus basse a été de 6°,5, le 27 inars. Ainsi le thermomètre a oscillé dans une étendue de 52°,6. Pression barométrique.— La hauteur moyenne du baro- mètre pendant cette saison a été de 7577%,35. à savoir : de 763,42 en mars. de 753,5% en avril. et de 755,29 en mai Observons que la colonne mercurielle s'est constam- ment maintenu à une hauteur considérable pendant le mois de mars. Pendant ce mois, les vents venant des ré- gions N. et N.-E. ont dominé. Le 6 mars, le mercure s’est élevé à 774,90, et le 2 avril, il est descendu à 7#1"%,08, de sorte qu'il a oscillé dans une étendue de 337% 82. Pluie. — West tombé 113"%%,75 de pluie. à savoir: 27" 87 en mars. 26,58 en avril. 29,30 en inai. Le nombre de jours de pluie a été de 22 — 5 en mars, 7 en avrilet 10 en mai. Cette saison peut être considérée comme ayant été peu pluvieuse, comparativement à celles des années précédentes. I y a eu en mars # jours de neige. Trois orages ont éclaté sur Rouen et les environs, 2 pendant le mois d'avril et { dans le mois de mai. Ils ont été amenés, { par le vent de S -0. et 2 par les vents de S.-S,-0. 110 ACADÉMIE DE ROUEN. Vents. — Les vents peuvent être classés ainsi par ordre de fréquence. S-S 0... 26 S.-0 # SE 15 OLMEURE 3 N.-E..... 10 S.—E.. 3 N.-N.-0 9 O.-N.-0.. 2 N.-N.-E 9 E....:2.8 l NE 5 S.-S.-E .. 1 NU" ns Où voit que les vents qui ont soufflé de la région ouest sont à ceux de la région opposée dans le rapport de 63 à 29: Hiver DE L'aNNée 1850 ( Décembre, Janvier, Février. } Pression baromitrique. — La pression barométrique moyenne de la saison a été de : 759% 07, Savoir : de 757,68 en décembre, de 758,08 en janvier, de 761,4 en février. Moyenne , 759,07. La pression maxima a été de 775,10 (le 27 janvier), et la pression minima de 739,13 (le 15 janvier). De sorte que l'amplitude de loscillation barométrique, pendant cette saison, a été de 35,97. Les plus brusques variations de la pression ont été ob- servées dans le mois de janvier, pendant lequel le ciel est resté complètement couvert 26 jours sur 31. Dans le mois de décembre 23 jours sur 31, et dans le mois de février 15 sur 28. Pendant ces trois mois, le soleil n'a paru qu'à de très rares intervalles, Haies su nt DÉS... d Observations météorologiques faites a Rouen pendant Le mois de Décembre 1849, et Les mois de Janvier et Fevrier 1850. F h 16 2 LE. 1 s»ac LAC nCmRNENEe ME LR ELLE LE. | DE JS SN WE NE = 2225 ap. BRGDRES HbNQ nOÉC num MOME MEELE | [ - 1 n _ ! 1 |# IR. ; , y puent . vue ù : Ex ] LUTTE) | lin dune Obietations | | fee, | Atten | u . J L . CLS Ce | nr PP) ES LE : ! » Flie u ee TR LES : nel * Mi & da | 4 ‘ |" . : “| * tnlie lou: 3 ; à “| à mn [ae Jen | à 0. [eh Jan wub là ia | nage TANT | | S ; jun! sfr Alim n| [ » so " ul, (l n ' “lue stlueul tal : ann| | su . Mosimun Cds (16 ) sb . Dem it Minima Jp Ce & ) i à on : … ju \ mi il mis nt Gmplin®e De l'Oseiffetton i t AT à ul € él in : Ca veméhique jun | ' nl iv | tu : \ ‘ | Wunpétahiue seu Du old AU | ' à de dt ù d'ami k de | te mensuel MU L he de À Mani Ne la npeanne nb} lun) 1 Min ù 1.|hn) | ‘ anpl da l'osuillatien ù a | aimeminique (LU i k è- hu \ ' : ñ i | Quentin plie lenbte dalite j (ni " à ‘ Mimme ‘ . TON . t ( ul tel sul à } | CN a ttinar [TT - L , + ' ” { i | a Joux ee pue à Le! ' uit [TAN ul 1 | 4h à free me quil L à |. NN er i 1 | ji it anne LOT U L hi L [1 {l (} : ' L) i | PT i 4 : $ : | Î hi i L ; ke: L - Re ui | (n MAT ‘il A » N | Nuls nn JUN] ) A “ i i i i t . € y voue | Agiles k i " ' ha . 1 ‘ ï t y À t ‘ | ' (LU “ 16 ‘ l su i i 6 i | YO .h À 06 \ \ 14 ‘ : ' \ [Ni Hu \ à 1 ‘ | ‘ ' [1 hi ' ' n “ = u QU | [! 0 ' “ (| 1! k "1 [ns ' L Lt 0 | i _ h. 4 | Observations météorologiques faites à Mouen pendant Les mois de lacs, Avril ct Mai 1850. = = =] REGLES DE EAN 12H57 ] F— ISE@DES HP 2 V7 HE NH Æ ep. EE = Er = TE ie Neuts | Etar | Soume on Observations - Observations 9° lan LE 2 : cit | %s | Pluie Ce = > k f. we. Loto doit. | Oherinonene | Vents | Etais | Fouine ob: ; pl æ |ucie l dou Joir. | géau doit Eten | Foue Observations \ ÉD POELE Pa vo. Sénior CES “ ru ciel ms | Pure CE Jours fe GONUe mer q see] Adi | x nid nusges Morand. } | ne [bee ffiaion. [1É ru cit | %s | Pie el À Jours Haies Than fan [bon [aim [lou Faro [rhum ee ï ve ce Fes den rl ; Jours | © Den are: | lActe Re < x “la | So esta |[inctima |mirins dat | qd |nun don | äo Jeta.| «0 [esta æ sidi |unges icujenitta | COS, En | CMNEO NERO QI FFIEUTS ON US || Eos à À Pr 3 — El nhoe D ” 2 E ï = gai) pulpe) es fan ge ; Gitsson Fatométique amp = 1ÿj15 = f [LL ® C “ Le (2 . s quan à | IQ 8 | éttsl 62 l6on) (6 © ; a se MATE NS SN AUS NATBS QU ss © ! ee Giessien Baron Fi man = {53h EE LENCI CN RL OUT BCE 1 LLST) NS no D 1... Mosimum 18646 (les dll je S 1 nées | ss jee pl 4 Mi | cm , | Cession Fatonéhiqu mmgrac SEE || 20 ATHENA ANT EAN ON A us SUN = t l ; -. Mazimun CAFE (fes ) 9 asp) ph lsétel pal réf l fe n£l cal . Minimum JM. (k_6 à sas ‘| fe 11 | de Fe ee .. maximun Cia (66 ) | EE L'LS CI RECU DCE RTS RSC TE DST D ES TPS NT ; “© La ni ”. . ne EE) à gg lueljénes/ain.| es) nf RME 4 s | 3 sn EN D a RTS nine Jhéne (le 137) | h à LES) D RTL DE LAC XL DS L'EST CSS DS POS CBS 0 SCC | fil $ QE ls il af H quete inh| jan 16. | jar) + ie él Û | à Ampfiride De F'Osciffation k UBODIEE D | | 5 Lurnles lues) oise) neliul se) nul sélonolns lens! su @mplinne De ('Oseiffarer CO REC NOEL EES ER BEEN REC NOTS, : HIS ; Re : ï 4 s | 1 A | 50 e +4) Smplfinr = sciffæhon EN romehié = ! e || | k SG nphiride De FCO$ciflation | 6 gris et) phan | if) Rap full g6l jh), 6e S 8 | C | pou Set 1 qu6os (una | qu | nul quenl ass He Ë rÉcTe Al $ | - | Baromehique = up AN LEO RCE 9 ETC RTE 0 BC BUOL B YOICYY BCE BCE BCE CSS SEE x Î a a |jpalualsueul s1ljmelex - Er e Le ei ] Rae ; je D sante eue as quol ul mil 6.) Solema| 0 DHD fun /qps) s6/1séq line grue : Sets F 4 DIET $ " | 1 £ Lil ss lt 4 Cr Dunpératine inoyeine Du IMoid= JL M gMUAT 1 A he Cm Ê HERVE $ ral Wree ineyueDu inois = 1 | 9 fanuels.lquisl salue} lue) 13) fa «| si ë ve & u Fi CR D'aprés 0 sys es | j{ghs | ah] qpae| 154 ‘ à els cu | te ftimemitrageghe 16 | (Ie s | ae = { m € | ” ni NC 7. D'apé VAE LH A GC A A LP GR À JOTE a = À je Mumominogephe = 1 di fagus|uth|jéuss hp) Est hum ere ts] || maximun de Le Repas L mule) mi | ee | lt Done =h CC LC) BE SN COCO NE CE ETS ANT SN CON NC PE ere Het = taf) CL PACE EE DONS BRU S EOUU TS MsSol. c LANTERNE L .|-1.|00meE | nu = | Maximum De fa runprianue 2169 (e4) À où |ipolas ago ljpenl ann) jguus 90) SSSNASs nn 2] | ee : = 16h) 19 [ya lions) «6 pat) 16 FES ne IDE jan | Gonplitaèe à f'osdillalion | 1 | me $ - AUDE ja peR= RUE) ON SD | RE An AUS Ag AT A VE NE asnplih®e Re l'oscillalion 1h ét |afgst | gnfhifaa | Ms | nf ; Er Del fhaimemetrique =% al à ME e | Arnplitide De 1'oscillalion Un aigus) sel sprael uen gps) malien Bk} Mal De] [ue EN | EUR He 15 dagolus lime) nie ss0| cr a] &L ca î 2 | "we| © : | À | ie S | vin iq = 466 à sul ne C 4 fheumomettique = uk 15 qhétol os! qui | 1h] jhkso! 143 | jus) | 16 | £ ; È Le Ares | , 16 TC OO ETCETN ETTON ETTE) nno Cp | , don delete suLulsnel © 2. LE | HRON AU LANTA AU Hp LE RNA A RS ARR UGS ANUS CSS : ne plueleitbeen évalue 1 sn) sal jful ml sous AIS | nitfémètues” CHRIS 2 5 ; ts e < al ssl vil (6e | ml Sssolns, Cm 4 sh guanrire e plie lou ë sse |* h; CSN | tn if} 46 Lau none Îe Cm | guantire Re Fi le lobe evalure 1 uk. agua lama gas] aps lc | | | | # are | a nitlnate = jf 55 asp fou ligue fuel 8 40 % + ru Le + | # J | k 34 Lo | Cm Lu 1 s1Lsslmnel mm | cu à Leu ittimènes 2 Ào06 [infusion gel inpl ré a i ÿ Res | : Monnet 19 dypaligi quel males AE et ss | mnt D 4 Jours Be pfuie Uoug |isn) spé) nel ét) qu) 98) 16] #4] ss! ; ed ù | As uw ons lee a ne | | = 4 pol usant ns. mal wolsanl el aile 5 50 | Mo |Cm. SO 1j.100| v Ce PO EI COLE nl eten| ET $ # ml 6e| 3.| LE e | ? H bourr Re nige nan 11152570 LA ]f | | PES FD Ce CR ET ss a qu luns|1f 1, hi é | mul nnel np | cu ju 2 CAE ALBERT a GE SE LS GE SES œ e Ep) S a |manlannl queen. lue) s $ x = | ER So) ro | ONE JO Quén) nléanel ges) null 65) pl sa) nie 2 re : a up lisulquois| nl jusso s) nt , 16| o1| mo Cons 371 JO 2 ann on lag) mage) oxlspul sel Ms Rs 9150 ds (Me an quart iqalqaétl qilqun ss0! Cr Sa) JE Nents DAS me 4 Fa | an | 6 dafaéeel salée) ds) jéas) 6.) nl | 50 HUILE Ë Nents CEA ETCUE CO RECU NS LC 0 DECO ET CENT Ssb| pr |Cn ft | ra k - 1 9 muy | [he | Ale sel c : : ets ; AIR | : $ uljpmul os 1113] some TN ne sa Vents JU 25 |iénlhes| gel nul ppt ul sul 65) mes yul dE | | Rd RU 26 |ygnsol malins) quil jets SOC EC lee = HOTTE ulisul ssl C0 ON SOON EC | #| SL ofo0..1 U 26 |asraios ges) nl 1f6as) sel just 82 fil pl ss AA LE ; el! a $ RTE y linsluc/ jou) als sso| cp , e ge : 6 [is ra 6 Leg ss 0 lCmpabatl Ir nn 1 lou JA ASE SE LS Ce di uw asie lasse © 2 Les a a] À PE ? | | LE éoul ul jun ol nuls mi né (o S$0L° Sels Ca | n sl 50) 0 ls me $ | | | 40.1 ne 6 28 6i1g 1 I ai] A "no. 1 hs 39 J66st| 169! 46h08) ab 765211 | EG | | mn » Al 61 IE GI | .| gsso.s nn. 9 JO 19 rss jose NES He SNS RE RE SR AE NO à este Li, 5 agen ualagnl als LEUTLA EC | | [ae | Fed | | | 0 6 G ki (ous| 64 GC LION EN ® ; EN Ce s-lnskip| to js IR CONNUE S | IMROEN ‘4 ARE EAU D US ESS | ohño.1 3 fasgar| ss) qigest) 46) Thohe | : | | | ER RTE TNT ss! 1h6| 6.| ® œ | | | | | Aoenne K px || | age | =] | = | | IE =] = |) || nur Mau io | 456nl 103! fus) anal 15h6sl sum yjhasl 831 ass | ke (le | | | 41.51 | Bu au 10 jUtAk | 404 | 437 | 8 jus 146 |jhem sl (4 69 | DE bullleuto | j4ob) A | jensl 57 | j56nt | a | ter | 101 || 46,5 LES | E 16 | | | (ae tee foieute | je) 09] 26e da tps ss ape) a NÉE LE | | | Rutieu 51 | jpasy | dal jqu36l 19 lsguue) 16 flifhus | RU) top fou | | ne | | [ration so! 386 ghlqiao | nul sçeml nl fout 14! mul pal | | LLC LUI CES CA ACL 1 DS STEP ET OS VS CNT QE DS TE CO ST CE 9 AS | | | | , | || auf'an $0 (DEN ETEN TE ET ul 64| jf] 44] 166 sul | | ] | ] , 8x | IE vafes| jf 111 (nf) | | | A MANS pe 24 | | | BE = ts DPI —l. = CLASSE DES SCIENCES. 11 Température. — La température moyenne de la saison a été de 3 degrés 9/10 *, À savoir : de k degrés au mois de decembre, 7/10: de degré au mois de janvier, 7,1 au mois de février. D'après les indications du thermométrographe , cette moyenne n'est que de 3 degrés, #. Le maximum de la température a été de 14 degrés 9, le 19 février. Le minimum, de — 6 degrés 9, le 28 décembre. L'oscillation thermométrique peut donc être représentée par 21 degrés 8. Le changement de température a été brusque entre janvier et février, comme le démontre la moyenne 0,7 et 7 degrés 1. Pluie et neige. — La quantité de pluie tombée pendant cette saison a été de 166 "®, 13, à savoir : 81,72 en décembre, 50,91 en janvier, et 33,50 en fevrier. I y a eu 23 jours de pluie, 9 en décembre, 3 en janvier et 11 en février. C'est le mois le plus pluvieux qui a été le plus chaud. Il est tombé # fois de la neige : 2 fois en décembre par un ciel couvert et après l'apparition de quelques eirri au ciel, et 2 fois en janvier. La chûte de la neige a toujours été accompagnée d'un notable abaisse- ment de la colonne mercurielle. Grêle. —N n'est tombé qu'une fois de la grêle en février. Orages. — Le 5 février il y a eu un très fort ouragan venant du S.-0. à 11 heures du soir; le 3 janvier égale- 142 ACADÉMIE DE ROUEN. ment par un vent du S.-0., il y a eu un orage avec tonnerre et éclairs. Vents. — Voici comment on peut ranger les vents par ordre de fréquence : SDL 19 NNCDERE 20 ND Em ones 10 NB ere e 10 SEL RSS: 8 N.-N.-E:..... 2 fs ae à PM £ NE=N-0... ri 0.-S.-0. .. ... 2 O.-N.=0.:...: 1 Seche ua 1 RAPPORT SUR LE CONCOURS POUR LE PRIX D'HXGIÈNE POPULAIRE, PAR M. HELOT. MESSIEURS , Une commission, composée de MM. Hellis, Vingtrinier, Avenel, Boutan et Hélot, m'a chargé de vous rendre compte de l'examen que nous avons fait des mémoires déposés, suivant les formes académiques, pour le Concours d'hygiène populaire. Je dois tout d’abord vous rappeler les termes du pro- gramme , ainsi CONÇU : « L'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de « Rouen décernera, dans sa séance publique du mois « d'août mil huit cent cinquante une médaille d'or de la « valeur de 300 francs, au meilleur mémoire manuscrit ct « inédit , dont le sujet sera un petit traité d'hygiène po- « pulaire , dégagé de toute considération purement {héo- « rique , à l'usage des ouvriers des villes et des campagnes. « Ce livre, qui sera particulièrement applicable au dépar- « tement de la Seine Inférieure, devra présenter, sous la « forme la plus simple et la plus attrayante possible , les 1% ACADÉMIE DE ROUEN. « préceptes généraux de l'hygiène qu'il importe de vul- « gariser. » M. le Ministre de l'Instruction publique , dans sa géné- reuse sollicitude pour les classes pauvres, à voulu . lui aussi, encourager les efforts des concurrents, en ajou- tant une somme de 300 francs au prix proposé par l'Aca- démie. Donner aux ouvriers, dans un petit traité d'hygiène , les règles à suivre pour conserver et entretenir leur santé était une œuvre toute de bienfaisance ; l'appel de l'Aca- démie a été entendu ; onze concurrents se sont efforcés de remplir le programme que je viens de vous faire connaître. Aussi devons-nous rendre un éclatant hommage à ce zèle empressé des compétiteurs qui se distinguent par le plus vif désir d'être sincèrement utiles aux ouvriers de nos villes et de nos campagnes Mais était-ce chose facile que de répondre au pro- gramme ? Non assurément. Si vous en pesez bien les termes, vous comprendrez combien il était difficile de ne pas échouer. Il fallait être court et pourtant se bien faire comprendre : il était nécessaire d'oublier en quelque sorte sa propre science, pour se mettre naïvement à la portée du lecteur; il fallait n'en dire ni trop, ni trop peu, écrire avec cette simplicité de style qui peint les choses, les rend saisissables à tous , frappe l'imagination, parle au cœur et persuade. Ce n'était pas tout encore ; pour parler avec fruit au peuple, il fallait avoir vécu avec lui, s'être initié à toutes ses habitudes, bonnes ou mauvaises, afin de connaître ses instincts, ses passions, ses besoins et toute la profondeur de ses misères. Alors, en interrogeantson cœur étsaraison, à l’aide d'une science bien modeste, on eût, plus facilement quedans les livres,trouvé ces conseils salutaires, réellement CLASSE DES SCIENCES. 1#5 utiles et faciles d'application, qu'ilimportait de donner aux ouvriers. C’est ainsi qu'on aurait évité l’écueil où sont tombés presque tous les auteurs dont les mémoires sont soumis au jugement de l’Académie, et qui ne sont que des analyses plus ou moins bien faites des grands traités d'hygiène. Dans leurs dissertations hygiéniques , les auteurs géné- ralement ont eu beaucoup plus en vue notre Académie que les pauvres ouvriers pour lesquels nous leur deman- dions d'écrire. Aussi des considérations philosophiques, physiologiques, anatomiques, se trouvent-elles trop sou- vent mêlées aux conseils qu'ils donnent quelquefois, sans le moindre égard pour la position des ouvriers qui ont à peine ou n'ont pas même le nécessaire. Si à ces difficultés vous ajoutez celles résultant de l'ari- dité du sujet, que, suivant le programme, on devait rendre, bon gré malgré , attrayant afin d'amuser le lec- teur, de le distraire, de le captiver en l'instruisant sur les moyens de conserver sa santé, vous comprendrez toutes les difficultés d'un semblable travail. Mais sans plus de préambule, entrons dans l'examen critique de ces mémoires. L'auteur du mémoire classé sous le n° {, après un pré- ambule très moral, bien écrit, au chapitre premier, traite des habitations d’une manière insuflisante. Nous pouvons en dire autant des autres chapitres relatifs aux vêtements, aux bains, à la nourriture, à la boisson, au travail, au coucher ; tout dans ce traité est incomplet. IT prétend qu'il faut éviter de manger froid , parce que la chaleur de: aliments se répand dans le corps et répare les forces. Il serait bien difficile de justifier un semblable conseil, du reste impratiquable, du moins pour le repas que les ou- vriers font à l'atelier. 10 146 ACADÉMIE DE ROUEN. Lorsqu'il parle des crudités, il engage les ouvriers, lorsqu'ils auront mangé des artichauds à la poivrade , par exemple, de prendre deux verres de bon vin. C'est très bien quand on en a. Le bon vin réjouit le cœur de l'homme, ce n’est pas douteux, nous le savons tous ; mais c’est une réjouissance un peu chère pour l'ouvrier. Afin d'éviter de se casser les dents avec la pointe d'un couteau , il recommande l'usage des cure-dents. Ce con— seil, bon en lui-même , est-il applicable, et ne serait-il pas mieux placé dans un traité de civilité puérile et honnête ? L'auteur de ce mémoire, qui pourtant ne manque pas d'intérêt, connait peu la manière de vivre des ouvriers, leurs habitudes et leurs besoins. Un mot seulement sur le mémoire classé sous le n°2, qui se compose de cinq pages. Pour en écrire si peu sur l'hygiène du peuple, l'auteur n'en a pas moins pris les choses de très haut et de très loin, puisqu'il est re- monté jusqu'à nos premiers pères, Adam et Eve. 11 donne aux ouvriers d’utiles conseils, autant qu'il est possible d'en donner toutefois en cinq pages, mais il ne dit pas un mot d'hygiène, ce qui rend ma critique plus facile. Le mémoire n° 5 se divise en cinq parties La première traite de l'importance de l'hygiène , des préceptes géné- raux , de l'air, de la chaleur, de la lumière, des vête- ments, de la propreté, des aliments, des boissons , du mouvement , du repos, du sommeil , et de l'influence de l'âme sur le corps. Tout ce qui concerne cette partie est nettement exposé, clairement formulé , mais manque de détails suffisants. Les préceptes hygiéniques sont indiqués, mais sans dé- veloppements ni applications directes aux ouvriers. On CLASSE DES SCIENCES. 147 peut , du reste, en juger par le nombre de pages qu'il consacre à Lous ces nombreux articles. 18 petites pages mal remplies , qui ne formeraient pas une feuille d'impres- sion, ont suffi à l’auteur pour tout dire. Si la concision est un mérite, être incomplet et superficiel est un défaut. La seconde partie, beaucoup plus étendue , est un hors d'œuvre complet. II traite des premiers secours à donner avant l'arrivée du médecin dans les diverses espèces d'empoisonnements, dans les morsures d'animaux véni- meux, enragés, charbonneux, morveux, dans les asphy- xies , dans les blessures. Donner des conseils aux ouvriers pour leur fournir les moyens d'éviter de semblables dangers, de se préserver de tels accidents , rentrait dans le cadre d’une hygiène populaire. Mais exposer les moyens curalifs de ces mala- dies , c'était faire de la médecine et non pas de l'hygiène. Aussi pouvons-nous dire que la plus grande partie de ce traité est étrangère à la question du concours Nous avons cru devoir écarter également du concours le mémoire n° 10 , par la raison toute simple que l'au- teur s'est tenu constamment en dehors du programme. Nous demandions de présenter, sous la forme la plus simple et la plus attrayante , les préceptes d'hygiène qu'il importe de vulgariser, en ayant surtout égard aux con- ditions particulières où se trouvent les ouvriers des villes et les habitants des campagnes. Croyant pouvoir se dispenser d'entrer dans aucune des généralités de l'hygiène , l'auteur aborde de suite chaque profession en particulier , sans oublier même celles qui sont les plus étrangères à notre département. I les décrit toutes ( ce qui n'est pas de l'hygiène ), et à propos de chacune d'elle, il se trouve sans cesse obligé à des répé- ülions inutiles. 118 ACADÉMIE DE ROUEN. Toutefois, ce travail contient des détails nombreux et fort intéressants sur l'hygiène des professions, qui nous font regretter vivement que la question n'ait pas été mieux comprise. L'auteur du mémoire n° 11 , dans son introduction, s'adressant du ton le plus paternel aux ouvriers , leur donne de sages avis ; ses paroles sont dignes, simples, mais son plan laisse beaucoup à désirer. Presque tout, du reste, est incomplet. Vous ne saviez sans doute pas, Messieurs, quel titre avait Titus à la reconnaissance publique L'auteur vous l'ap- prend en vous disant que les cheveux longs, épais, prédisposent aux congestions cérébrales , à la migraine , à l’apoplexie. Vous regretterez sans doute que la mode de couper les cheveux à la Titus ait si vite cédé la place à une autre plus gracieuse , mais si funeste. Les dangers à éviter les précautions à prendre, dans l'exercice des professions particulièrement exercées dans notre département, n’y sont point traités. On y trouve des considérations souvent trop médicales, trop scientifiques, quelques erreurs de détails. Enfin l'honorable médecin au- quel nous devons ce mémoire est un homme fort instruit, si nous en jugeons par quelques parties de son travail qui sont très bien traitées. Il eût pu certainement faire beaucoup mieux; l'Académie lui doit des encouragements. Le mémoire n°7, divisé en 15 soirées, est écrit sous forme de dialogues. La première soirée est une longue conversation peu intéressante , qui se termine par une classification beaucoup trop savante et bien au-dessus de la portée des interlocuteurs Dans la quatrième soirée nous avons trouvé un conseil dont il est impossible de comprendre le motif. A près CLASSE DES SCIENCES. 149 avoir dit qu'il est dangereux de laisser tourner les ailes des moulins à vent pendant l'orage , ce qui est fort contes- table . il engage les ouvriers à se couvrir de laine pour se préserver de la foudre. Personne , jusqu'ici que je sache, n'avait soupçonné cette vertu préservatrice de la laine. Les troisième , cinquième et sixième soirées sont con— sacrées à ce qui concerne l'air pur, les vents, l'humidité, l'air vicié par des émanations , à tout ce qui est relatif au milieu qui nous entoure. Ces chapitres sont pleins de bons conseils. S'agit-il des vêtements ? on trouve dans ce mé- moire beaucoup de choses utiles, mais l’auteur se laisse aller à faire trop de science. Ainsiil cite Platon et Aristote, à propos de l'usage d'emmailloter les petits enfants. Parle- t-il de l'alimentation? il se livre à des digressions fort peu pratique sur la nature chimique des aliments. Il donne la composition atomique de la fibrine et de la gélatine ; mais à quoi bon tous ces détails scientifiques pour des ouvriers ? Dans la douzième soirée , il s'occupe des sécrétions qui ne devraient pas le moins du monde entrer dans le cadre d'une hygiène populaire ; par exemple il parle des muco- sités intestinales, de la bile, du suc pancréatique. A propos du mouvement , du travail , il cite les décrets de l'Assemblée Constituante , les instructions préfecto- rales sur les heures du travail. C'est un hors-d'œuvre complet. Dans la quatorzième soirée , au sujet des professions. il doune de sages conseils aux ouvriers, Dans la quinzième soirée , il traite des facultés de l'âme, de l'imagination , de la mémoire , du jugement ,; mais ces considérations, bonnes en elles-mêmes , sont fort inu- tiles dans un traité d'hygiène populaire. Dans le para- graphe intitulé religion, conduile , les avis donnés aux ouvriers sont pleins de sagesse. 150 ACADÉMIE DE ROUEN. Sous le rapport de la forme dialoguée , l'auteur l'a jugée lui-même mauvaise, puisque s'apercevant que ses conversations ralentissent inutilement sa marche, ilen fait généreusement le sacrifice , pour se charger seul du soin d'instruire ses auditeurs Ce n'est pas, Messieurs , que nous pensions qu'il soit impossible d'écrire de bons dialogues sur l'hygiène. Des dialogues où le rôle des interlocuteurs se trou- verait bien distribuée, où l'action serait bien soutenue entre {ous , ne manqueraient pas d'intérêt. Relativement à l'hygiène des professions , faire intervenir un ouvrier qui signalerait les dangers , les difficuités de son état , et motiverait de bons et sages conseils de la part du mé- decin , mêlé sans prétention à ces entretiens familiers, serait un bon moyen d'instruire ct d’amuser. Mais ne mettre dans la bouche de ses interlocuteurs que äes bana- lités, se réserver le rôle principal et presqu'unique, était-ce comprendre ce genre si difficile , du reste. L'auteur adopte d'abord la forme dialoguée, l’aban- donne, y revient ensuite ; enfin il n'y a pas d'unité dans ce travail qui nous parait inacceptable, bien que, sous le rapport du fond, on puisse dire qu'il y aurait peu de chose à ajouter, peu à retrancher pour en faire un bon traité d'hygiène populaire. L'auteur du mémoire n° 6 commence son introduc- tion par la phrase suivante : J'ai toujours été d'avis qu'on n'instruira jamais personne avec de niais dialogues entre gros Jean et petit Pierre. Nous sommes facilement de son avis. Ia su éviter un écueil, nous l'en félicitons, mais son travail est Join de présenter l'intérêt que nous avons trouvé dans le précédent travail. L'auteur du n° 8 ne semble pas le moins du monde avoir compris la question ; au lieu de présenter des règles CLASSE DES SCIENCES. 151 simples d'hygiène, dégagées de toutes théories, il a plutôt fait un traité d'hygiène et de médecine , dans lequel , au milieu de bonnes choses, on rencontre quelques propo- sitions hasardées. Son style est trop prétentieux, sa marche inégale et son cadre incomplet. Ce qui regarde l'influence des métiers et des professions sur la santé des ouvriers, est si abrégé, que l'auteur semble n'en parler que pour mémoire ; et, par opposition, des chapitres fort longs sont consacrés à des sujets moins importants quelquefois même complètement en dehors du cadre. Ainsi, il s'oc- cupe des diverses espèces d’empoisonnements, des mor- sures d'animaux vénimeux , d'asphyxies, toutes choses fort utiles , sans doute, à connaître, mais qui, envisagées au point de vue de l’auteur , ne peuvent entrer dans le cadre d’une hygiène populaire. Se livrer à des dissertations sur la nature, les effets, la marche des empoisonnements en général et en particu- lier, en développant la médication qui convient à chacun d'eux , c'est vraiment avoir oublié le but de l'ouvrage , et n'avoir tenu aucun compte de la nature et de l'étendue des connaissances véritablement utiles aux ouvriers. Le mémoire classé sous le n° 9 se présente avec cette épigraphe : « mens sana in corpore sano. » Après une courte introduction où l'auteur se fait connaître de ses lecteurs, non comme un utopiste moderne, non comme un savant professeur drapé dans sa Loge, mais comme un bonhomme de médecin, leur ami tout dévoué, il entre en matière, définit l'hygiène, trace le plan de son ouvrage, parle ensuite des différences individuelles, et des tempé- raments en particulier ; plus loin, des idiosyncrasies. Ces considérations sont bien exposées, mais aussi sont au- dessus de la portée d'intelligence de la généralité des ouyriers. 152 ACADEMIE DE ROUEN. J'en dirai autant des descriptions anatomiques beaucoup trop savantes, pour le moins inutiles, et dont le luxe de détails blesserait, non sans raison, les oreilles les moins délicates. S'agit-il de régler le régime de convalescence d'un ou- vrier ? on voit se dérouler sous la plume de l'auteur une carte des plus variées. Le bouillon de poulet, de veau, de bœuf, le consommé, les légers potages au sagou , au tapioka , à la farine de riz, les conserves de fruits, telles que gelée de pomme, de groseilles, d'abricots, les épinards, la chicorée, la laitue cuite , les filets de sole, le bon vin vieux, froid et géné- reux de Bordeaux , le poulet rôti; rien n'y manque, mais paiera qui pourra. Je vous le demande, tracerait-on autrement le régime de convalescence d'un haut et puissant seigneur, fût-il duc, pair de France , s'il y en avait encore, ou même président de la république la moins démocratique. Les conserves de fruits, le bon vin de Bordeaux, sont des choses excellentes. personne n'en doute, tout aussi bonnes pour l'ouvrier que pour le mylord; mais en à qui peut. Ce serait du reste une grave erreur que de penser qu'il soit impossible de diriger le traitement de convalesence d'un ouvrier sans avoir à sa disposition toutes ces excel- lentes choses ; il suffit de donner, avec unegradation bien calculée sous le rapport de la quantité et de la qualité , les aliments dont le malade avait l'habitude de faire usage dans l'état de santé. Mais ce n'est pas tout; lorsque le convalescent pourra se lever, il devra, suivant le même auteur, passer quelques heures près du feu dans un bon fauteuil. Je pense qu'il eût été plus simple et plus pratique de lui dire, lorsqu'il serait fatigué sur la chaise, de faire un canapé de son lit. CLASSE DES SCIENCES. 155 Plus loin lorsqu'il parle de l’action des vents, il décrit le mistral, le siroco, qui soufflent sur les bords de la Méditerranée. C'est peu utile pour nos habitants de la Normandie. J'en dirai autant des dissertations de l’auteur sur la quantité d'air respirable, nécessaire pour entretenir la vie évaluée en mètres cubes. Ces évaluations importent peu à l'ouvrier A quoi bon, dans un traité d'hygiène populaire, les conseils donnés aux administrations municipales d'élargir les rues, de bien les aligner, de leur donner une bonne exposition ; à moins que les ouvriers ne deviennent un jour, comme naguère, de puissants administrateurs. Quoi de plus inutile que ces détails. En ce qui concerne l'alimentation, je trouve encore une erreur qu'il importe de signaler ; pour obtenir du bouil- lon, dit-il, les recherches de M. Darcet ont démontré qu'il suffisait de la gélatine dont dix grammes fournissent autant de bouillon qu'une livre de viande ; oui, mais quel bouillon !! Ilest depuis longtemps très bien établi qu'en nourrissant des chiens avec de la gélatine, on les voit rapidement dépérir et mourir d'inanition en fort peu de temps C'est en dire assez pour juger le bouillon de géla- tine et le conseil d'en faire usage. Dans ce chapitre, il y a d'excellents préceptes, des détails fort intéressants sur tout ce qui concerne la pré- paration des aliments et des boissons. On doit regretter d'y trouver encore des considérations trop scientifiques et étrangères au sujet de concours. Je pourrais faire les mêmes remarques sur les chapitres relatifs aux sécrétions, aux vêtements , à la veille et au sommeil. Toutes ces questions sont bien traitées, mais elles ne le sont pas en vue d'une application directe aux ouvriers. 15% ACADÉMIE DE ROUEN. Dans des chapitres successifs, l'auteur examine les in- fluences hygiéniques de la nature des eaux courantes, des eaux stagnantes, du sol et de sa nature variée; il parle des localités en général , et du département de la Seine en particulier ; il fait preuve de connaissances géologiques, sérieuses , approfondies ; mais toute cette partie est beau- coup trop savante pour des ouvriers. Nous aurions la même remarque à faire sur le chapitre consacré au climat de la Seine-Inférieure et à l'accliimatement ; toutes ces considérations générales fournissent d'utiies renseigne- ments à l'hygiène publique, mais elles sont de trop dans un traité d'hygiène populaire, au moins en ce qui concerne la partie scientifique Aussi ce travail n'est-il pas un traité d'hygiène populaire mais une analyse des ouvrages d'hygiène publique et privée faite avec soin , clarté et méthode , qui ne peut être à l'usage des ouvriers. Nous regreltons vraiment l'emploi malheureux que l'auteur a fait de son érudition. Si, pesant bien les termes du programme, il avait su se restreindre , en ne perdant pas de vue qu'il écrivait pour des ouvriers, sauf la ques- tion des professions où il est trop bref et qu'il ne sem-— ble pas connaître d'une manière suffisante, son travail laisserait peu à désirer. 11 y a dans ce long mémoire tous les éléments nécessaires pour faire un bon traité d'hygiène; tous les matériaux s'y trouvent, mais leur mise en œuvre est à recommencer sur un plan mieux approprié au but que se proposait l'Académie. Le mémoire n° 3 porte pour épigraphe: « Elever l'âme, « développer l'intelligence d'un homme, c’est lui vouloir « et lui faire du bien, » L'auteur donne de bons avis sur la manière d'élever les enfants, mais en général il fait trop de science. CLASSE DES SCIENCES. 155 Souvent incomplet dans ce qu'il importe le plus de faire connaitre aux ouvriers, on peut en outre Jui reprocher quelques erreurs de détails qu'il serait trop long de vous signaler. J'aurais voulu vous citer en entier un passage vraiment bien traité, dans lequel l'auteur s'élève avec une sainte indignation contre le culle voué à ces petits insectes qui par milliers peupient la tête des enfants; il s'indigne en- suite contre la guerre à outrance et souvent bien injuste, faite sans raison, sans motif, aux malheureux et bien inno- cents vers intestinaux. Si je n'étais obligé de me restreindre afin de ne pas abuser trop longtemps de vos moments, je vous lirais quel- ques pages sur la première éducation de l'enfance, sur la manière de corriger les petits défauts naissants, sur la réserve dans les paroles, les gestes, le calme et l'esprit de vérité qui sont si nécessaires aux parents dans leurs rapports avec les petits enfants; vous auriez reconnu un homme plein de sagesse ct d'expérience. A la page 15, il traite des mouvements trop multipliés, fort inutiles, que se donnent les ouvriers, qui ainsi épui- sent leurs forces sans nul profit. Les conseils qu'il donne sur ce point sont trop absoius. Il y a dans la cadence calculée de certains mouvements, qui ne concourent pas directement à l'exécution du tra- vail, quelque chose qui facilite, au moment donné, Fappli- cation d'une force plus grande avec moins d'efforts. Nous aurions aussi désiré qu'il s'adressât au peuple avec un ton de simplicité et de douceur qui vaut à lui seul toute une démonstration quelque savante qu'elle puisse être. Quelque bonnes que soient les considérations qu'il dé- veloppe sur l'insalubrité des ateliers, elles seraient beau- coup mieux à l'adresse des maîtres qu'à celle des ouvriers 156 ACADÉMIE DE ROUEN. qui en sont la victime nécessaire, puisqu'ils ne peuvent y rien changer. En ce qui concerne la propreté, il donne des conseils utiles, fait ressortir avec soin les avantages de cette vertu. Lorsqu'il parle des habitations , il déprécie trop nos villes et l'air qu'on y respire, fait trop l'éloge des habitations rustiques dont l'humidité et la malpropreté n'est que trop connue. Pour ce qui est relatif au mode d'alimenta- tion , il est trop bref, n'entre pas dans assez de détails, et ses conseils ne sont pas assez directement applicables aux ouvriers. Il oublie de parler de l'usage du tabac, source de dépenses considérables, et dont l'abus si ré- pandu n'est pas sans danger. L'auteur traite de l'usage des liqueurs fortes, de manière à faire bien sentir les dan- gers sans nombre, résultant d’une habitude funeste qui ruine et tue tant de malheureux ouvriers Après avoir sligmatisé avec force, en style un peu trop élevé , les coupables entraînements du cabaret , il termine en faisant un titre d'honneur aux ouvriers de n'être pas ivrognes. C’est aller trop loin, la pratique des hautes vertus seule honore , mais on ne s’honore pas en évitant de tomber dans le vice le plus dégradant. Enfin, Messieurs, dans ce travail intéressant, plein d'excellents préceptes, on regrette d'avoir à signaler l’ab- sence de méthode. La marche de l’auteur est embarrassée, on le suit avec peine , les divisions sont mal établies. En lisant attentivement ce Mémoire, on est obligé de recon- paître qu'il est souvent au-dessus de la portée d'intelli- gence et d'instruction de nos ouvriers des villes et des campagnes. Je dois vous signaler encore une lacune bien autrement importante et regrettable Nous n'avons rien trouvé de relatif à l'immoralité , aux maladies si déplorables qui en sont la suite, et qu'on peut toujours éviter; c'était cependant un point de la plus CLASSE DES SCIENCES. 157 haute importance, dont l'omission est une faute. Mais, Messieurs, si la moralité est le bien le plus réel, la source de bonheur la plus féconde pour tous et pour l'ouvrier en particulier , il n’est pas moins vrai de dire qu'elle n'a de sanction que dans la religion. Aussi, regrettons-nous que rien, dans ce travail, ne soit venu montrer à l'ouvrier la nécessité de se reposer de ses fatigues, au sein de la fa- mille , dans les douces et consolantes inspirations de la foi, par l'observance du dimanche. En résumé , ce travail mé- rite des éloges à plus d'un titre, mais il est impossible de ne pas reconnaître son insuffisance à remplir le but que s’est proposé l’Académie. Le Mémoire n° # porte pour épigraphe : « benè adhibita ratio cernit quid optimum sit neglecta multis implicatur erroribus. » Enfin, Messieurs, nous voici arrivés au dernier Mé- moire à analyser, c'est aussi, à notre avis, celui qui mé- rite le plus d'attention, car il approche plus que les autres des intentions de l'Académie. Méthodique , concis, écrit dans une forme simple , bien à la portée des ouvriers, ce petit traité dit beaucoup de choses en peu de mots ; cependant , on peut lui reprocher, en général, d'indiquer les choses plutôt que de les déve- lopper de manière à les rendre saisissables dans leurs détails, ce qui était pourtant très important; car ceux qui ont vécu avec le peuple savent combien il est néces- saire de presenter, sous des formes variées, la pensée, pour frapper davantage l'imagination et se faire bien comprendre. Les soins de propreté sont bien exposés, ce qui concerne les vêtements est bien traité; il en est de mème pour ce qui est de la propreté des habitations , seulement c'est trop abrégé. Le chapitre relatif à la tempérance ne manque pas d'in- 158 ACADÉMIE DE ROUEN. térêt, les avis qu'on y trouve sont sagement exprimés : je vous signalerai une bonne petite lirade sur l'ivrognerie et l'usage immodéré des liqueurs fortes. Les considérations sur le travail sont trop abrégées ; lorsque l'auteur examine en quoi doit consister la tempé- rance dans les plaisirs, il trace un tableau fidèle des cir- constances qui, le plus souvent, conduisent par degré les enfants à la dépravation morale. Mais. Messieurs, il eut été nécessaire de bien peindre les mœurs si déplorables du peuple , leurs funestes consé- quences, et de signaler franchement l'unique remède à cette licence effrénée qui ne peut se trouver ailleurs que dans le sentiment profond du devoir que la religion seule inspire et féconde. L'hygiène relative aux professions est on ne peut plus incomplète , on pourrait y signaler de nombreuses omis- sions et quelques erreurs de détails. Ainsi, on ne trouve rien dans cet ouvrage qui soit relatif aux travaux de la cam- pagne , et dans ceux au milieu desquels les ouvriers sont exposés à respirer une poussière chargée de duvet, l'auteur leur conseille de faire usage de masques ; l'utilité de ce moyen, dans ce genre de travail, est fort contestable , ce me semble ; il n’en serait pas de même pour les casseurs de pierres, qui se préserveraient ainsi les yeux des éclats de pierre qui, trop souvent, deviennent une cause de cécité. Enfin, après un exposé assez rapide des soins hygié- niques à donner aux malades, l’auteur trace quelques considérations morales, bien dites, mais trop abrégées, et qui se trouvent dépourvues de la seule base véritable et essentielle, la religion. En résumé, ce petit traité d'hygiène incontestable- ment le plus exact, le plus exempt de divagations scien- tifiques étrangères au sujet, est écrit simplement, sans CLASSE DES SCIENCES. 159 prétention. Nous nous plaisons à reconnaître que la dif- ficulté seule du sujet suflil à excuser les imperfections , les petites erreurs et les omissions que nous ayons signa- lées. Ce travail mérite des éloges et les encouragements de l'Académie. Ainsi, vous le voyez, le programme de l'Académie n'a pas été compris : donner au peuple les préceptes généraux de l'hygiène appropriés à sa position, descendre de ces généralités aux applications relatives, aux professions en particulier, tel devait être, ce nous semble, le plan naturel de l'ouvrage. Dans les généralités de l'hygiène exposées avec ordre et méthode, ne rien omettre de ce qui était utile et né- cessaire à l'ouvrier ; retrancher , sans crainte, tous les aperçus scientifiques, sans objet dans un traité d'hy- giène populaire ; faire passer la persuasion et la convic- tion dans le cœur de l'ouvrier par un ton de douceur et de simplicité naïve, tel est le but que devait se proposer chaque auteur. Mais, Messieurs , il s'en faut de beaucoup qu'il ait été atteint. Aussi, à son grand regret, la Commission a-t-elle jugé qu'il n’y avait pas lieu de donner le prix ; que même il était impossible de décerner de mention honorable au Mémoire n° 4, supérieur aux autres il est vrai, mais {trop incomplet pour obtenir un témoignage de distinction aussi marqué. Si quelqu'un était tenté de juger notre critique trop sévère, qu'il se souvienne qu'elle n'a rien de blessant pour personne, puisque les noms nous sont complètement inconnus , qu'il était impérieusement nécessaire de jus- tifier notre apparente sévérité, et, qu'enfin. il était beau- coup plus utile de signaler, avec la plus entière liberté, les erreurs, que de distribuer des éloges insignifiants, tout en réservant les couronnes. 160 ACADÉMIE DE ROUEN. Les compétiteurs auraient-ils, du reste , gagné quelque chose à une critique restreinte par une bonhomie men- songère ? non, assurément. L'œuvre était difficile, la tâche ardue, un échec n'est pas une défaite, et, si l’un d'entre eux pouvait être pris de découragement, nous regrelterions vivement que les limites restreintes d’un rapport nous aient interdit de citer bon nombre de passages vraiment remarquables. Aussi , espérons-nous que, remise au concours pour 1852, cette question , qui intéresse tant le peuple, recevra une solution digne des encouragements du Ministre, et ré- pondant pleinement aux vœux de l’Académie. Les conclusions ayant été approuvées par l'Académie. le prix d'hygiène populaire est remis au concours pour l'année 1852. ——22 © @ © — - CLASSE DES BELLES-LETTRES. apport DE M. LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL De la Classe des Belles-Lettres et des Arts. Messieurs, A cette époque d’universelle publicité, où toute pensée, à peine jaillie du cerveau qui l'a conçue , aspire à se pro- duire au grand jour ; où tout travail, hâtivement élaboré, s'empresse de demander son salaire , les études désinté- ressées , l'instruction poursuivie pour elle-même et pour soi, le culte de l'art pour l’art, risquent fort de passer pour de brillantes superfluités. Les Académies littéraires de province , que leurs usages obligent à observer, dans leurs séances habituelles, un huis-clos rigoureux; dont les publications tardives et à longues périodes ne peuvent obtenir que bien rarement le mérite de là-propos ; et dont enfin la voix, calme et grave, périt presque toujours étouflée dans le fracas de la presse quotidienne, peuvent être considérées , à juste titre, com- 11 162 ACADÉMIE DE ROUEN. me le sanctuaire de ces études discrètes, de cette science spéculative et choisie, qui dédaignent de conquérir au de- hors leur part d'influence et leur vain bruit de renommée. Cette disposition à s’isoler, en se détachant de l'impulsion précipitée des tendances contemporaines , a depuis long- temps provoqué la critique des esprits impatients, au jugement desquels toute marche, ralentie à dessein, est un mouvement rétrograde. Les Académies de province ont donc souvent vu contes- ter leur utilité, et elles ont eu à subir l'information de cet esprit inquisilif de notre époque, qui va scrutant sans cesse et demandant à chaque principe son application pratique, à chaque institution sa raison d'être et sa fin. De ce que l'action lente et restreinte de ces sociétés s'exerce en dehors de la sphère d'activité générale, on se laisse aller, dans le monde indifférent qui les entoure , à nier cette action; de ce que leurs travaux intérieurs ne se révèlent guère au dehors que par quelques résultats de choix, on va jusqu'à mettre en doute la fécondité et la constante succession de ces travaux. L'appel que l'Académie de Rouen adresse . chaque année, au public pour le convier à venir entendre le compte-rendu général de ses séances, a surtout pour but de protester contre cette injuste mésinterprétation. C'est en s’astreignant à soumettre fidèlement, au jugement éclairé de ses concitoyens , l'exposé succinct de ses discus- sions et de ses actes, les résultats de son initiative et de ses efforts, qu’elle espère justifier, par l'autorité des tra- vaux accomplis et des services rendus, ses titres à la reconnaissance des hommes de savoir, et ses droits à l'estime de tous. La classe des Lettres et des Arts, dont l'honorable mais délicate fonction d'énumérer et d'analyser les travaux nous est dévolue , ne s'est pas moins distinguée cette année que __ CLASSE DES BELLES-LETTRES. 165 dans le passé par le nombre et la variété de ses produc- tions , par l'étendue et l'importance de ses recherches. Si, dans la revue rapide que nous allons en faire, bien des œuvres, dont les amples et riches développements ont captivé l'attention de la Compagnie, sont réduites aux infimes proportions d'un simple intitulé ou d'une sèche analyse, on n'oubliera pas, pour notre excuse, que la brièveté est surtout ici une nécessité de circonstance, et même un devoir d’urbanité. Sans nous astreindre à suivre des divisions techniques , nous partagerons notre travail en plusieurs sections, en observant la logique des idées et l'enchaînement des divers sujets entre eux. Philosophie Religieuse. — À ne considérer que la grandeur majestueuse du sujet, l'élévation de la pensée qui sert à ses développements , et la moralité religieuse de l'enseignement qui en découle, personne ne s’étonnera de nous voir accorder la priorité au discours par lequel M. l'abbé Louvel a signalé son entrée à l'Académie , et qui a pour objet l'accord de la science et de La foi, dans l'expli- cation des grands phénomènes cosmogoniques et géolo- giques. Partant de cette pensée si profondément vraie : qu'un peu de science éloigne de Dieu , que beaucoup de science y ramène, l'orateur, après avoir énuméré les merveilleux progrès de la science moderne, dont les audacieuses conquêtes ne semblaient aboutir à rien moins qu'à précipiter les générations de l'avenir dans des abimes de scepticisme et d'orgueil, arrive à porter ce glorieux témoignage : que l'œuvre de la science ne détruira pas l'œuvre de la foi, et que, s'il plait à Dieu de dissiper, devant l’homme, les nuages qui couvrent l'admirable structure de l'univers, c'est pour ‘€ faire lheureux témoin de ses propres grandeurs. 164 ACADÉMIE DE ROUEN. Loin donc de repousser l'influence des découvertes de la science, de s’effrayer de ses conquêtes , la religion s'en réjouit en les bénissant, et demande à Dieu d'ordon- ner que la lumière se répande partout ; car ce n'est pas seulement l'idée religieuse qui a trouvé dans la science un tutélaire appui, le Christianisme lui-même peut lui demander aujourd’hui des armes invincibles. M. le Président, en répondant à M. l'abbé Louvel, est entré après lui dans ce magnifique sujet de la science prè- tant à la foi son appui , de la religion toujours ferme , tou- jours immuable, n'apercevant , dans les découvertes nouvelles, que la confirmation de ce qu'il a plu à Dieu de nous révéler sur l'origine et le commencement des choses, que des motifs de bénir et d’exalter sa grandeur. Pour expliquer cette contradiction que présentent des esprits de nature diverse, s'élançant concurremment à la recherche de la vérité, tout en suivant les mêmes voies, er sondant les mêmes problèmes , et dont les uns, écoutant les suggestions de leur orgueil, arrivent au doute et à l’er- reur , tandis que les autres sont amenés à s’incliner devant la sagesse et la puissance infinies; il montre, chez les uns, cette tendance toute personnelle qui fait du moi humain comme un foyer vers lequel convergent leurs efforts et leurs succès , et, chez les autres , cette sainte ardeur qui les porte à chercher la vérité pour elle-même, et pour les pures jouissances qui accompagnent sa manifestation. Aux premiers, la triste mission que s’attribuèrent les philo- sophes du dernier siècle , de saper les fondements de la foi, en attaquant les livres saints sur lesquels elle repose; aux derniers, parmi lesquels brillèrent les Galilée, les Kepler, les Newton, de découvrir les importantes vé- rités qui viennent confirmer le peu que Dieu a révélé à l'homme. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 165 Enfin, après avoir sommairement établi la preuve de l'antériorité de la Génèse sur leslivres sacrés des plus anciens peuples de l'Asie , pour répondre aux esprits graves que préoccupait la haute antiquité de la civilisation égyptienne, et qui doutaient que le premier foyer des arts eût brillé sur les bords du Tigre et de l'Euphrate, il fait apparaître Ninive, sortant tout-à-coup du sein de la terre, et mon- trant, en preuve irrécusable de son droit d’ainesse , ses immenses et somptueux débris. Economie sociale. — Après la foi, la charité ; après les sublimes contemplations de la religion , les touchantes inspirations de la bienfaisance ; c’est une transition si évidente, qu'elle n’a pas besoin d'être autrement justifiée. Nous rappeilerons done , sans autre préambule, que M. Nepveur, en venant prendre place au sein de lAca- démie, a développé, dans son discours de réception, cette pensée : que, de toutes les doctrines mauvaises , jetées chaque jour au vent de la publicité , il n’en est pas de plus fausse que celle qui tend à établir que , dans ce monde, tout est ménagé pour le riche, et rien n’est fait pour le pauvre. Pour convaincre de mensonge cette perfide allégation , il lui a sufli de mettre en paralièle la condition du paysan, de l’ouvrier, au xvn® siècle, avec celle de l'homme du peuple de nos jours ; de réveiller le souvenir de la misère profonde qui étreigoait l'un, de mettre en regard le tableau consolant des améliorations physiques qui profitent à l'autre ; de prouver enfin que la bourgeoisie d'aujourd'hui n'est autre que le peuple d’' hier , et que , chaque jour, l'orgueilleux blason héréditaire s’efface pour laisser dominer la noblesse du travail. Comment peut-on accuser la société moderne de fermer ses yeux au spectacle des misères humaines , quand on la 166 ACADÉMIE DE ROUEN. voit multiplier de toutes parts ces institutions charitables quiont pour but d'offrir, à chaque douleur un soulage- ment, à chaque effort une espérance, et qui, depuis la naissance de l’homme du peuple jusqu'à sa mort, vien— nent prêter à chaque âge leur secourable appui ? Sans doute on ne saurait espérer de faire disparaitre complètement la misère, puisque Dieu ne l'a pas voulu ; mais on peut en alléger le poids ; on peut, en faisant inces- samment agir, sans les confondre , ces trois grandes ver- tus : la charité religieuse, la charité privée et la charité publique, améliorer , étendre, perfectionner ; et s'il n’est pas donné à la société d'arriver au but désiré , sa gloire, au moins, sera d'y marcher. Dans son discours de réponse , M. le Président , loin de déserter le terrain choisi par notre nouveau confrère , s’y est au contraire engagé plus avant , en faisant usage de tous les moyens d'investigation qu'une haute expérience et de longues recherches spéciales mettent à sa disposition. Suivant lui, l'étude de la condition des travailleurs, sous Louis XIV et sous ses successeurs , révèle ce fait impor- tant : c’est qu'une ligne de démarcation profonde séparait alors les travailleurs des villes et ceux des campagnes. Le sort des premiers occupa toujours le monarque et ses habiles ministres ; il inspirait à Colbert les adinirables rè— glements destinés à favoriser l'essor naissant de l'industrie; il s'élevait avec la marche constamment ascendante des salaires ; il semblait, en un mot, en s’éloignant du servage des campagnes , toucher à une sorte d'anoblissement. Il n'en était pas de même , à beaucoup près, du sort des cultivateurs. Leur condition variait, il est vrai, suivant les progrès réalisés dans l’agriculture au sein de chaque province, suivant lappesantissement ou lexemption de linpôt des gabelles, et suivant une foule d'autres causes CLASSE DES BELLES-LETTRES. 167 locales ; mais, nonobstant ces différences , on peut consi- dérer comme un fait positif, qu'aucune amélioration dans le régime alimentaire , dans les vêtements et les conditions hygiéniques de l'existence de l'habitant des campagnes n'avait été apportée avant 1815. A partir de cette époque, et surtout par l'effet d’une paix prolongée, l'esprit d'amé- lioration à rayonné, pour ainsi dire , autour des grandes villes ; peu importe le signe par lequel cette amélioration s’est traduite , elle est désormais un fait incontestable. Mais que dire maintenant de cette autre classe de tra- vailleurs qui, en 1789, formait une fraction presque im- perceptible de la population, et qui aujourd'hui en constitue la partie la plus puissante par l'agglomération de ses forces? Si le xix° siècle ne connaît plus le fléau des disettes qui venait régulièrement, tous les trois ans, afliger le xvmm°, n'y a-t-il pas aujourd'hui le fléau du chômage ? Qui oserait dire lequel des deux laisse le plus de misères sans soula- gement? Où donc l'ouvrier trouvera-t-il des ressources pour supporter le poids des années de détresse et celui des années de chômage? Dans la charité religieuse, la charité privée, la charité publique? Mais quel état de choses que celui où une moitié de la population serait ap- pelée à nourrir l’autre. Nous sommes, dit en terminant l'orateur, en face du plus redoutable des problèmes; espérons qu'on parviendra à le résoudre. Histoire, Archéologie. — Des hautes spéculations de la science économique qui intéresse si vivement le présent, nous passons aux doctes méditations de la science qui embrasse l'étude du passé, c'est-à-dire à l'histoire et à l'archéologie. Un des membres que l'Académie s'honorait le plus de compter dans ses rangs, et qu'une promotion à de hautes fonctions dans l’enseignement allait, quelques instants 168 ACADÉMIE DE ROUEN. plus tard, lui ravir, à son éternel regret ; M. Chéruel nous a fait part de l'introduction de l'ouvrage qu'il était sur le point de publier et qu'il consacrait à faire connaître l'administration de Louis XIV, depuis 1661 jusqu’en 1672. Retracer à grands traits les vicissitudes de la royauté française luttant contre la féodalité et les résistances pro- vinciales, depuis le xu° siècle jusqu'au xvi*; constater que, à cette dernière époque, il n'y avait plus en France qu'un seul souverain ; signaler les efforts que fit dès-lors la royauté pour imposer à la France une administration plus homogène, eflorts souvent entravés par les guerres de religion , l'autorité des gouverneurs de province et les luttes de la Fronde , mais qui ne rencontrèrent plus d'ob- stacles à partir du moment où Louis XIV commença à gouverner par lui-même; tel est l'objet de cette brillante introduction, dans laquelle l'intérêt des considérations est constamment soutenu par l'attrait d’un style net et lu- mineux. Les onze premières années de l'administration person- nelle de Louis XIV furent les plus fécondes ; elles lui méritèrent le nom de roi administrateur, qu'un historien moderne considère comme le plus beau de ses titres. M. Chéruel compare , sous ce rapport, ce monarque a Premier Consul, après la tourmente révolutionnaire, quand lois , finances, hiérarchie administrative , tout sem- blait sortir du chaos pour s'organiser sous l'œil du génie. La numismatique est un des plus puissants auxiliaires de l'histoire ; tel est le sujet, fécond en développements, que M. Léonce de Glanviile, membre nouvellement élu , a traité dans son discours de réception. Pour circonscrire cette ample donnée dans de justes limites, et lui assurer, en l’appropriant à nos fastes, cet intérêt spécial qui s'at- tache à tous les souvenirs de la patrie, lorateur a princi- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 169 palement considéré la numismatique dans ses rapports avec l'histoire de notre pays. C'est ainsi qu'il nous à montré les Gaulois, nos premiers ancêtres, ne laissant, sur ce sol qu'ils ont habité, pour unique document qui puisse nous instruire de leur existence et de leurs usages, que des médailles, d'abord informes, puis bientôt décorés d'emblèmes sacrés, de noms de tribus et de chefs. Les Romains, vainqueurs après des luttes héroïques, couvrent la Gaule de leurs fastueux édifices, aujourd'hui pour la plupart ensevelis sous le sol. Les événements se pressent, les règnes se succèdent avec une telle rapidité que souvent l’histoire suflit à peine à enregistrer ces usur- pations d’un moment, ces empereurs d'un jour. Qui nous révèle aujourd'hui tous ces noms oubliés? Les médailles qui nous redisent en même temps tous les titres ambitieux dont ces fantômes de puissance paraient leur orgueil. Avec Clovis, là numismatique devient chrétienne. Jusque bien au-delà des Croisades , la croix est le seul symbole que l’on aperçoive au revers des monnaies françaises. Avec le xvr siècle, on voit poindre l'aurore d’une grande révolution artistique. L'art monétaire donne nais- sance à un nouveau genre de monuments : les médailles , destinées à perpétuer le souvenir des nobles actions , des grands événements. Les médailles, a dit M. le Président, en répondant au récipiendaire , ne nous aident à remonter qu'une partie du cours des siècles ; car il y aurait de la témérité à dater les plus anciennes de plus de huit siècles avant notre ère. Toutefois, malgré le silence équivoque gardé par Ho- mère , il est impossible d'admettre que les puissantes monarchies de l'Assyrie et de l'Égypte fussent , à l'époque de la guerre de Troie, privées de ce principal agent de civilisation. C’est d'ailleurs ce que réfutent la découverte 170 ACADÉMIE DE ROUEN. de bas-reliefs sculptés il y a plus de quarante siècles , et retrouvés dans les ruines de Thèbes, et surtout le témoi- gnage de la Bible, le plus ancien des monuments écrits, qui , par l'histoire de Joseph, vendu vingt pièces d'argent par ses frères , prouve que les Egyptiens et les Chaldéens employaient la monnaie dès le temps d'Abraham. Ces monnaies, frappées par les Pharaons et les rois d'Assyrie, ont disparu. Les plus anciens siècles hébreux sont postérieurs à la captivité de Babylone. Les Dariques de Perse , retrouvées de nos jours, sont peut-être contempo— raines de Darius qui, le premier, les fit frapper. Les nécro- poles de l'Étrurie nous fournissent es monnaies grossières, antérieures de plusieurs siècles à la fondation de Rome. C’est aux Grecs qu'il appartint d'employer à plus noble fin ce qui n'avait été créé que pour les nécessités les plus matérielles. Chez eux , le type monétaire s'élève à la plus haute expression de l’art. Leurs colonies le répandent en tous lieux, et les monnaies que celles-ci frappèrent sont souvent aujourd'hui les seuls monuments qui subsistent de tant de cités florissantes. Rome , au faite de sa puissance , s'empare de la civi- lisation grecque , mais pour corrompre sa plus splendide expression : l’art sous toutes ses formes. Avec elle, et en suivant les progrès de sa décadence , l’art monétaire s'altère et se dégrade , et , le jour où le colosse s'anéantit, cet art semble avec lui descendre dans la tombe. M. Fallue vous a communiqué une note intéressante sur un curieux fragment qu'il a recueilli près du châtean de Montpoignant, et dont il a fait don au Musée d’Antiquités. ’est une plaque de bronze, estampée d’un médaillon représentant une licorne. L'auteur, à propos de cette empreinte, vous a cité les singulières traditions qui avaient cours au moyen-àge sur cet animal fabuleux, dont on CLASSE DES BELLES-LETTRES. 171 faisait le symbole de la pureté virginale et l'emblème de la vierge Marie. Le château de Radepont, célèbre à juste titre par le site merveilleux qui l'entoure, par les eaux abondantes qui l'enserrent de leurs replis, par l'antique donjon ducal qui le couvre de sa grande ombre , par tous les souvenirs his- toriques que son nom réveille, a fourni au même membre le sujet d'une notice descriptive qu'il vous a communiquée, et à laquelle il a su rattacher avec intérêt la peinture de quelques localités environnantes ; Fontaine-Guerard , go- thique monastère aux nobles débris ; Pont-Saint-Pierre , la vieille forteresse des sires de Breteuil ; Bonnemare , ren- dez-vous de chasse et d'amour de l'insouciant Charles VII = enfin la côte des Deux-Amants, poétisée par une touchante légende qui se perpétue d'âge en âge, malgré les doutes de la science et les ruines des révolutions. Biographie. — L'Académie s'est, de tout temps, fait un devoir sacré de rechercher les noms, les productions ou les services de tous les hommes célèbres que la ville de Rouen peut revendiquer comme ses enfants de naissance ou d’a- doption. Une Commission permanente est même instituée dans son sein, pour recueillir les documents, pour provo- quer auprès de l'autorité de justes réparations d’oubli, et peu d'années s'écoulent sans que d'honorables initiatives soient prises à cet égard. Tout en concourant collective- ment à cette œuvre de patriotisme et de reconnaissance , le zèle individuel de la plupart des membres s'exerce à remettre en lumière des noms méconnus, des titres négli- gés ; et ce sont quelques-unes de ces généreuses tentatives que nous avons à vous signaler. La ville de Rouen eut l'avantage, à la fin du dernier siècle, d'attirer et de fixer dans son sein un médecin il- lustre, normand d'origine, dont les immenses services , 172 ACADÉMIE DE ROUEN. quoique à peu près oubliés de la génération actuelle, n’en sont pas moins présents à la mémoire de tous les hommes de science; nous voulons parler de Lépecq de la Clôture, l'immortel auteur des Constitutions épidémiques du climat de Rouen et de la Normandie. Malgré les hautes fonctions médicales qu'il exerça avec tant de distinction pendant le cours d’une longue carrière, malgré la prodigieuse acti- vité et le dévouement sans bornes qu'il sut déployer pour arrêter le développement des épidémies, et qui lui valu- rent, de la reconnaissance du monarque, des lettres de noblesse rehaussées du plus magnifique éloge, aucune inscription ne redisait son nom, aucun portrait, conservé dans un lieu public, ne rappelait ses traits. Heureusement l'Académie venait d'accueillir dans ses rangs le petit-fils de cet homme illustre. Gardien fidèle de cette glorieuse mé- moire, gardien non moins soigneux du portrait de son digne ancêtre , M. Léonce de Glanville comprit combien ce sou- venir serait cher à la Compagnie que, vivant, Lépecq avait éclairée de ses travaux , il s'empressa donc de lui offrir une exacte copie de cette unique et précieuse image. A l'occasion de cette touchante inauguration, M. Hellis, qui s’honore de succéder à Lépecq comme médecin en chef de l'Hôtel-Dieu, vous a chaleureusement retracé tous les titres de ce praticien vénéré à la reconnaissance pu- blique, et vous a fait partager son étonnement de ce qu'au- cun monument, rappelant son souvenir, ne ie montràt, au peuple comme un bienfaiteur, aux élèves comme un encourageant exemple. Une autre renommée glorieuse, celle de Lecat, le grand chirurgien, vous a paru non moins digne d'obtenir les honneurs d’une tardive commémoration. Accueillant donc avec empressement cette occasion de provoquer la double réparation d'un injuste oubli, vous avez immédiatement adressé à l'autorité compétente une CLASSE DES BELLES-LETTRES. 173 instante sollicitation ; et l'Administration municipale, la Commission des Hospices, ont aussitôt répondu à votre généreux appel par une entière adhésion. Tout ce qui rappelle le nom de Corneille, tout ce qui peut contribuer à éclairer d’un rayon nouveau la vie de notre grand poète. est assuré de votre bienveillance. M. Ballin, qui s’est fait, avec un zèle bien digne d'éloges, le collecteur assidu de tous ces nombreux détails biblio graphiques que négl'gèrent inconsidérément les biogra- phes passés, et dont profiteront les éditeurs futurs , vous a signalé deux rares éditions rouennaises de fragments des deux premiers livres de la traduction de l'Imitation ; et, plus heureuse trouvaille encore, il vous à révélé l'existence, dans un recueil de poésies non moins rare qu'oublié, de deux petites pièces restées jusqu'alors inconnues, et qui sont incontestablement l'œuvre de notre grand poète. Notre confrère, M. Floquet , a eu l'insigne bonheur de rencontrer une longue lettre autographe de Jouvenet, et il s'est empressé de vous faire partager cette bonne for- tune. C’en est une, en effet ; car une lettre de Jouvenet est une relique tellement rare, qu'une longue vie d’ama-— teur pourrait se consumer inutilement à la poursuivre. Celle dont il s'agit est adressée au Parlement de Bretagne, et concerne des peintures que cet artiste était chargé de faire pour le Palais de Justice de Rennes; peintures que notre confrère, dans une suite d'explications du plus haut intérêt, démontre présenter la plus complète analogie avec celles que, plus tard, Jouvencet exécula pour la seconde Chambre des Enquêtes du Parlement de Rouen. Beaux-Arts. — L'art musical, considéré au point de vue historique ou mème seulement au point de vue théorique, 174 ACADÉMIE DE ROUEN. a rarement le privilége d'occuper l'attention de lAca- démie. Cette année, toutefois, grâce à l'introduction de deux nouveaux membres qu'il nous reste à faire connaitre, et grâce à une circonstance fortuite, cet art, considéré dans ses principes d'enseignement, et dans ses vicissitudes rela- tivement à la musique d'église, a occupé une notable place dans le programme de vos lectures. Notre confrère, M. Martin de Villers, que les préoccu- pations de sa mission législative , si assidument remplie, n'ont point empêché de vous donner ce témoignage de constant intérêt, à propos d'un opuscule renvoyé à son examen , s’est élevé aux plus hautes considérations sur la théorie et sur les méthodes d'enseignement musical ; de telle sorte qu'un simple compte-rendu est devenu, grâce à sa profonde expérience en ces matières abstraites , un mémoire éloquent et disert, dont les plus habiles théori- ciens et les principaux professeurs de la Capitale ont immé- diatement apprécié la haute portée, et vivement réclamé la publication. Votre prochain Précis devant s'enrichir de ce précieux travail, consacré à l'examen comparatif des différents sys- tèmes de notation musicale , il serait superflu d'en donner par avance une analyse forcément insuflisante. Nous dirons seulement qu'on doit vous savoir gré d'apporter, à la discus- sion si vivement engagée entre les partisans des méthodes opposées, l'autorité d’une parole grave et conciliante, dont on ne saurait contester la compétence et l’impartialité. Appelé par vos suffrages à siéger parmi vous, M. l'abbé Langlois vous a lu, comme hommage de sa gratitude et comme tribut de ses recherches , une Histoire de la musi- que et du chant dans L'Église métropolitaine de Rouen. Recueilli à l’aide de patientes investigations , principale- ment dans l'immense collection des registres capitulaires , t CLASSE DES BELLES-LETTRES. Ê7: y ce riche enchaînement de faits spéciaux , dont les premiers remontent jusqu'à l'apostolat de Saint-Victrice, et dont les derniers nous conduisent jusqu'à Boïeldieu, n'est guère susceptible d'analyse. Ce n’est que dans l'ouvrage même qu'on peut suivre avec intérêt cette longue série de mai- tres de chapelle, d'organistes, de chanteurs, dont les noms eurent en leur temps un vif retentissement, et dont la plupart seraient aujourd'hui pour nous comme s'ils n'existaient pas , sans cette réhabilitation inattendue. Au reste, appréciant toute la valeur de ce travail, dont tous les documents sont inédits ou peu connus, vous avez décidé qu'il serait imprimé dans votre Précis. Vous avez déféré le même honneur à la réponse que M. le Président a adressée au récipiendaire, et dans la- quelle il vous a exposé l'histoire des deux grandes révolu- tions que le chant liturgique éprouva en Occident ; la pre- mière du 1v° au v° siècle, par l'adoption de la psalmodie et de l’antiphonie orientales ; la seconde, vers la fin du vun® siècle, par la réforme opérée par Saint-Grégoire qui lui a légué son nom. C’est encore à l’histoire de la musique religieuse que, en entrant à l’Académie, M. Vervoitte, l'habile maître de chapelle, a emprunté le sujet de son discours. C'est à grands traits qu'il a esquissé cette histoire; signalant les illustres pontifes qui s’attachèrent à conserver au chant ecclésiastique toute sa pureté originelle, à corriger les altérations que le temps , la barbarie où le mauvais goût avaient réussi à lui faire éprouver ; prouvant que la connais- sance approfondie de la science musicale était exigée de tous les aspirants aux fonctions élevées du ministère sacré ; établissant enfin que l'Église possède, dans le plain-chant, un reste vivant des anciens âges, que tous ses soins doi- vent tendre à conserver dans sa primitive simplicité. 176 ACADÉMIE DE ROUEN. Dans une courte mais éloquente réponse, M. le Président invoque la présence de l'image de Boïeldieu dans la salle de nos séances, pour témoigner que l'Académie ne saurait demeurer étrangère à la marche de l’art musical et insensible à ses progrès; puis il montre l'esprit de rénovation s'introduisant, à la suite du jeune et habile professeur, dans la modeste école qui éleva Boïeldieu , se communiquant au dehors, et bientôt faisant redire , aux voûtes de l’ancienne basilique , les accents qu'elles avaient depuis longtemps oubliés. Poésie. — La poésie, comme nous le fimes observer l'année dernière en pareille circonstance, paraît devoir tenir désormais la plus modeste place dans les comptes rendus de l'Académie. Fille du loisir et de la fantaisie, elle ne rencontre plus guère que par exception, pour lui donner asile,ces esprits d'élite qu'efleure à peine le souffle des agitations, le tourbillon des intérêts qui nous emporte aujourd'hui. M. Leroy, qui se délasse, en écoutant les muses antiques, des rudes travaux de la magistrature, vous a traduit, d'après Ausone , Claudien et Catulle , trois piquants opus cules de forme et d’intentions diverses, dont le premier, tout empreint d’une aimable philosophie, vous sera redit dans quelques instants. M. l'abbé Picard , qui sait tempérer les sévérités de ses austères fonctions par une bienveillante indulgence , vous a offert cinquante fables, dont le sujet ingénieusement présenté, la moralité d'une fréquente application , et le trait d'une causticité spirituellement aiguisée , ont été par- faitement appréciés par M Hellis qui vous a rendu compte de ces gracieuses productions. Enfin, M. Deschamps, se faisant, pour un instant, le critique de joyeux ridicules, appliquant d'une main légère le CLASSE DES BELLES-LETTRES. 177 castigat ridendo, vous a lu une petite’ comédie versifiée , en un acte, intitulée M. Bonœæil, ou l'observateur en dé- faut, dont notre malin Andrieux a fourni le sujet, et dont on croirait volontiers qu'il a aussi fourni l'esprit. Arrivé au terme de ce long compte-rendu de tous les travaux originaux présentés à l'Académie par ses mem- bres, dans le cours de l’année qui vient de s’écouler, notre tâche serait pourtant bien loin d’être épuisée, si nous devions encore vous rendre un compte raisonné de tous les rapports qui, pendant le même laps de temps , vous ont également été soumis. La brièveté , qui est en ce mo- ment notre loi, comme elle est notre excuse , nous interdit l'application de ce principe d'équité : À chacun selon ses œuvres. Cependant, qu'on nous permette d'en exprimer ici notre vif regret ; car, s'il est un2 matière féconde en aperçus solides , ingénieux ou piquants, c’est, sans contre- dit, celle que présente cet ensemble de rapports sur toutes les productions qui vous sont adressées , et qui, embras- sant les parties les plus diversifiées de la science , font , à chaque pas , surgir les oppositions les plus heureusement contrastées. D'ailleurs, n’est -ce pas un dévouement bien digne d’éloges que celui de tant de membres zélés qui, mettant de côté tout intérêt de publicité, tout amour- propre personnel, se résignent à cette tâche ingrate de simplifier , de produire avec art, de mettre avantageuse- ment en relief les idées des autres, quand ils ont tant de fois prouvé, par l'exemple, que celles de leur propre fonds n'étaient pas de moindre valeur. Payons donc, avec une juste expression de regret et de reconnaissance , le tribut d'une simple mention à tous ces travailleurs dévoués , qui nous ont mis en communi- cation facile , rapide , intelligente, avec les œuvres dont 12 178 ACADÉMIE DE ROUEN. ils nous ont traduit la pensée , et que sans eux nous au- rions pu ne jamais connaître. A M. Vingtrinier, dont tous les rapports sur les Sociétés de secours mutuels, sur l’allégement des souffrances de la classe pauvre, sont empreints d’une si sincère philanthropie; A M. l'abbé Picard , dont les études sur l'Esthétique de Hégel nous ont rendu accessibles les régions élevées de l'art envisagé dans ses plus sublimes manifestations; A M. Lévesque , dont les travaux d’analyste patient et profond ont fait passer sous nos yeux , et comme en un mobile tableau , tous les sujets traités dans les mémoires de trois ou quatre Sociétés savantes ; À M. Bergasse , qui sait tirer du Journal des savants des séries de tableaux ou de considérations d’un si haut intérêt ; A M. Ballin, qui fait, de la statistique et de la biogra- phie , l’objet de ses plus fréquentes communications ; Enfin , à MM. De Caze , Homberg , Clogenson, Barabé, de Glanville , qui, à divers titres, et dans une mesure proportionnée à leurs loisirs ou à leur zèle, ont servi d'interprètes à de nombreux auteurs pour faire arriver, sans effort et sans lassitude , leurs pensées jusqu'à vous. Parmi les nombreux correspondants qui entretiennent avec vous des relations plus où moins fréquentes, mais dont nous avons pour usage de ne citer les productions qu'autant qu'elles ont été spécialement composées pour l'Académie , il en est un dont un acte de haute libéralité, récemment accompli à votre égard, mérite une distinction signalée : c'est M. Pécheux, ancien peintre d'histoire , à qui la ville de Rouen doit la décoration de la coupole et des principales chapelles de l’église de Saint-Romain. M. Pécheux est auteur d'un recueil considérable de grands et beaux dessins , exécutés à la plume, d’une main har- die et savante, d'après les monuments antiques et les CLASSE DES BELLES-LETTRES. 179 ouvrages les plus accrédités, pour servir de manuel icono- graphique et mythologique à l'usage des peintres et des décorateurs. Ces dessins devaient former la base d’une splendide publication qui reçut un commencement d’exé- cution, mais que les événements de 1830 forcèrent d’in- terrompre. L'auteur, sentant approcher le terme de sa longue car- rière , et redoutant qu'une mort inopinée ne vint disperser, anéantir cette œuvre de prédilection d’une grande partie de sa vie, n’a pas cru pouvoir en faire un plus noble usage, ni la confier à des mains plus fidèles que de loffrir à l'Académie de Rouen. Les vœux du généreux donateur seront pieusement accomplis, et son œuvre, digne objet d'étude, d’admiration et de respect, transmettra le sou- venir de son nom et de son bienfait jusqu'à nos derniers successeurs, L'Académie , avons-nous dit dans le cours de ce rapport, s’est donné la patriotique mission de signaler les noms ainsi que les titres à la célébrité de tous les hommes nés à Rouen , que des talents supérieurs ou de hautes fonc- tions glorieusement remplies ont rendus dignes d'être rappelés au souvenir de leurs concitoyens, et d’être en quelque sorte proposés en exemple. Son but est d'obtenir de l'autorité compétente un témoignage publie et durable de souvenir en faveur de ces illustrations. Déjà, nous avons cité deux actes émanant de cette initiative, l'un en faveur de Lépecq de la Clôture , l’autre en faveur de Lecat. Nous devons, pour ne rien omettre, en ajouter deux autres qui ont pour objet de signaler à l'autorité et de re= commander à sa sollicitude , comme dignes de cet hono- rable témoignage , les noms de Samuel Bochard , le savant orientaliste, et du comte Mollien, le ministre intègre du trésor publie sous l'Empire. 180 ACADÉMIE DE ROUEN. Signaler les distinctions, les récompenses obte- nues par des membres de l'Académie, c'est accom-— plir, dans cette circonstance solennelle, un acte de justice dont personne ne contestera la convenance. Nous constaterons done que l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres , dans son dernier concours sur les ouvrages relatifs à l’histoire de France, a décerné à M. Fallue, membre résident , une mention très honorable, pour son Histoire politique et religieuse de l'Église et du diocèse de Rouen , et une autre mention également très honorable à M. Auguste Le Prevost, membre correspondant , pour son Histoire de la commune du Tilleul. L'Académie a, cette année, admis dans son sein, comme membres résidents, pour la classe des Lettres et des Arts : M. l'abbé Langlois , supérieur de la maîtrise de la cathé- drale de Rouen; M. Vervoitte, maître de chapelle et directeur des études musicales à la même maitrise ; M. Delzons, professeur de seconde au Lycée de Rouen ; Et M. Léon de Duranville , auteur de nombreux tra- vaux historiques sur la ville de Rouen et sur la Haute- Normandie. Ici se termine la longue énumération que nous avions à parcourir. Tel est le contingent apporté cette année, par l'Académie de Rouen , à l'œuvre collective qu'elle amasse avec une infatigable persévérance ; il suflira sans doute pour témoigner que pas une de ses séances ne s’est écoulée sans que les Lettres ou les Arts y aient fait entendre leur voix toujours si justement appréciée. NOTICE sur LÉPECO DE LA CLÔTURE, À l'occasion de l'hommage que M. Léonce de Glanville à fait à l'Académie du portrait de ce médecin célèbre, PAR M. HELLIS. (Séance du 7 Juin 1850.) L'Académie s’est de tout temps montrée fidèle au culte des souvenirs; elle n’a cessé d’entourer d'hommages et de reconnaissance la mémoire de ses bienfaiteurs. Il sufit de jeter les yeux dans cette enceinte, pour apprécier avec quel empressement elle a saisi l'occasion de conserver les traits des membres qui ont concouru à son illustration. Ce sont là en eflet ses plus précieuses archives et ses meilleurs titres de noblesse. Je viens aujourd'hui vous parler d'un médecin qui fut une de nos gloires. Son zèle pour la Compagnie, son goût pour la littérature, sa profonde érudition, les prix qu'il fonda , doivent le placer au nombre des membres les plus distingués de l'ancienne Académie. Admis en 1780 , il la présida en 1783 ; il n'a cessé d'en 182 ACADÉMIE DE ROUEN. faire partie jusqu'à sa dispersion en 1793, et il figura de nouveau parmi ses membres jusqu'en 180%, époque où il cessa d'exister. Les travaux d'un membre et ses succès jetant un reflet d'honneur sur la Compagnie qui l'a adopté, permettez- moi de rappeler quelques-uns des titres de Lépecq de la Clôture au souvenir de ses concitoyens. Nul ne pratiqua son art avec plus de distinction, de noblesse et de générosité; nul ne rendit de plus grands services à la province qu'il habitait , ne l’éclaira davantage par ses écrits, et nul peut-être n'a été plus complètement oublié. Arrivé à Rouen avec une réputation déjà établie . il ne tarda pas à être recherché et chargé d'importantes fonc- tions. Médecin à l'Hôtel-Dieu, médecin des détenus et de la conciergerie , il fut en outre nommé inspecteur de la santé sur les côtes de la Normandie. Éminent partout , ce fut surtout dans l'exercice de ces dernières fonctions qu'il rendit d'immenses services. À une époque où sans doute la négligence des lois de l'hy- giène publique favorisait le développement d'épidémies qui décimaient les populations , il montre une intelligence , une activité, un dévouement au-dessus de tout éloge. Si les resultats qu'il obtint n'étaient pas certifiés par les actes du temps , on y croirait à peine. Ses vues ne se bornaient pas à porter remède au mal présent, il se préoceupait aussi de l'avenir, et c'est en grande partie à ses conseils, à ses vues éclairées, qu'on doit la disparition de ces fléaux qui désolaient la province. ies villes de Caen, du Havre , de Dieppe , d'Honfleur , de Louviers, de Rouen, lui ont, sous ce rapport, les plus grandes obligations. Chez lui, le désintéressement rehaussait les autres qua- lités. Toutes les fonctions qu'il remplit pendant 25 ans avec — CLASSE DES BELLES-LETTRES. 183 tant de zèle furent toujours gratuites, ce qui justifie pleine- ment la distinction que lui accorda le roi Louis XVI, en 1785. Là ne se bornent pas les services de Lépecq ; illes à perpétués en consignant , dans 3 volumes in-# , le résultat de ses observations , ses moyens curatifs, et l'histoire dé- taillée d’un grand nombre des malades qu'il à traités; précieux répertoire pour ceux qui se destinent à exercer dans les mêmes contrées. Un mérite aussi éclatant attendait sa récompense : il l'obtint comme savent la donner les révolutions , pour lesquelles la vertu et la supériorité sont des crimes irrémis- sibles. Menacé du Tribunal révolutionnaire , il subit une longue détention ; échappé providentiellement au sort qui l'attendait , il ne crut pouvoir faire un meilleur usage des jours qui lui étaient conservés, qu'en les consacrant au soulagement de ses semblables, avec un empressement et une générosité qui étaient trop selon son cœur et ses habi- tudes pour qu'il s’en départit jamais. H fut l'ange tutélaire de la modeste campagne où il exerça pendant les 10 der- nières années de sa vie. Il mourut, emportant les regrets de ceux qui l'avaient connu et les bénédictions de tous ceux qu'il avait soulagés. Une vie pareille mériterait bien , Messieurs , d'être étu- diée dans ses diverses phases; ce serait, ce me semble , un beau modèle à proposer, et un puissant motif d'ému- lation pour les amis de leur pays, et surtout pour Îles médecins de la province. Ses écrits , dictés par le meilleur esprit d'observation, demanderaient à être mis en lumière ; car, chose remar- quable , connus de toute la France, appréciés à l'étranger, ils ne sont ignorés que de ceux pour lesquels ils ont été dictés. A l'Hôtel-Dieu, où Lépecq exerça avec tant de dis- 18% ACADEMIE DE ROUEN. tinction , je n'ai pas une seule fois entendu prononcer son nom. Nos élèves n’ont appris que par moi l'existence d'ou vrages dont la lecture leur serait si profitable. Quant aux causes de cette méconnaissance , je pourrais vous les développer et vous révéler ici bien des faits igno- rés, mais ce n’est pas aujourd'hui mon but, et cela sé carterait trop des motifs de cette communication. Les œuvres de Lépecq ont été pour moi une source féconde d'instruction. Voué au même culte, remplissant les mêmes fonctions. je l'ai toujours regardé comme le plus illustre de mes ancêtres. Souvent, en méditant sur ses écrits, j'ai formé le vœu que sa mémoire fut réhabilitée, et plus d’une fois j'aurais souhaité d'avoir son image de- vant les yeux , pour m'animer au bien et me donner plus de courage dans les luttes désormais inséparables de l'exer- cice des fonctions publiques. Dans un temps où le Conseil municipal et l'Académie honoraient à l'envi les noms de ceux qui avaient bien mérité de la ville et de la province , j'ai demandé comment aucun témoignage public ne rappelait la mémoire d'un homme qui avait rendu des services aussi signalés. Il me semblait que le nom de Lépecq n'eut point été déplacé auprès de ceux de Lecat, Thouret, Géricault , Dulong , Lémery, du Tronché, et de tant d’autres. Mes réclamations ont été accueillies avec empressement, mais aucun effet n’est venu réaliser mes espérances. Quant au second point, j'ai été plus heureux. A peine avons-nous admis parmi nous le petit-fils de cet homme si digne d’être renommé, que j'ai pensé pouvoir trouver, dans les archives de la famille, ce qui faisait l'objet de mes désirs. Cet espoir n’a point été déçu. Je dois à la bien- veillance de M. de Glanville l'image fidèle d'un confrère que je regarderai toujours comme mon guide et mon maitre, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 185 Je n'ai pas voulu jouir seul de cette bonne fortune ; j'ai engagé notre nouveau confrère à faire hommage à l'Académie du portrait de Lepecq, et je pense n'avoir rien hasardé en lui garantissant un accueil favorable pour un savant de premier ordre, pour un académicien des plus distingués , pour le médecin dont la Normandie doit par-dessus tout s’honorer. LETTRES DE NOBLESSE DONNÉES A LÉPECQ DE LA CLÔTURE PAR LE ROÏ LOUIS XVI. Louis , etc. Notre cher et bien amé le s' Louis Lépecq de la Clôture, médecin à Rouen, n’a cessé et ne cesse de rendre les ser- vices les plus importants. Ses connaissances et son travail lui ont procuré toutes les distinctions et tous les emplois qui peuvent être analogues à son état; il est associé de la Société royale de médecine, professeur honoraire de la Faculté de médecine, et membre de l'Académie des Belles- Lettres de Caen, ancien directeur de l'Académie des Sciences de Rouen , agréé au collége des médecins de cette ville, médecin militaire de l'Hôtel-Dieu , médecin bréveté par nous, et inspecteur de la santé en Normandie. Dès 1765 , il a été l'auteur du mémoire de la Faculté de médecine de Caen, sur les avantages et les inconvéniens 186 ACADÉMIE DE ROUEN. d'un nouveau canal navigable de la rivière d'Orne. Cette Faculté n’a pas cru pouvoir mieux répondre à la confiance qu'on lui marquait par rapport à cet objet , qu'en en char- geant le sieur Lépeeq de la Clôture dont elle connaissait déjà les lumières et les talents. Elle l'a aussi chargé de correspondre avec le Gouvernement, pour la fondation de deux chaires , l’une d'anatomie, et l’autre de chirurgie. C'est à ses soins et à son intelligence, c'est à tous les mé- moires qu'il a rédigés qu’elle est redevable de ce précieux établissement ; elle lui en a témoigné sa reconnaissance, en lui faisant expédier des lettres de professeur honoraire. I exerce, depuis vingt-cinq ans , la médecine dans la pro- vince de Normandie ; il a été envoyé successivement dans tous les endroits infectés de maladies épidémiques, et notamment en 1767, dans les paroisses de Noyers et de Mizay, où il régnait la plus terrible dyssenterie; en 1770, au lieu du Gros-Theil, où il y avait jusqu'à 1500 malades; dans la même année, à Louviers, où les ravages d'une fièvre pestilentielle avaient répandu de si vives alarmes, que les habitants fuyaient leurs foyers. et qu'on n'osait plus approcher de cette ville; en 1776, à Dieppe, où tant de matelots étaient attaqués, que la pêche se trouvait presque interrompue ; en 1778, à Honfleur, où la dyssen- terie s'était emparée des gens de mer dont on avait le besoin le plus urgent ; en 1780, au Havre, où il y avait une épidémie des plus meurtrières ; enfin, dans les prisons de Rouen, qui éprouvèrent aussi les ravages de l'épidé- mie. Le sieur De la Clôture a porté partout les secours les plus eflicaces ; il a montré partout le zèle le plus infati- gable, le plus grand courage , et les ressources de la plus grande capacité ; il s’est exposé à tous les dangers de la contagion . et il a conservé à l'État une multitude de ci- toyens dont, sans lui, la perte était inévitable. Il continue de veiller sur toute la province de Normandie , il est par- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 187 ticulièrement chargé de l'hôpital de Rouen, des différentes prisons et du dépôt de mendicité Sa maison est ouverte tous les jours pour des consultations gratuites, et il donne à chaque instant de nouvelles preuves de son amour pour l'humanité, et surtout de sa charité pour les pauvres. Il ne s’est pas borné à une pratique si distinguée et si labo- rieuse ; voulant se rendre utile dans tous les temps et dans tous les lieux, il a fait un recueil en trois volumes de ses observations sur les maladies épidémiques. Cet ouvrage a obtenu l'approbation générale , et il a paru si important, qu'il a été imprimé à nos frais, déposé dans toutes les bibli- othèques publiques, et envoyé aux sous-intendants et commissaires départis dans les provinces, et à tous les hôpitaux du royaume. Le sieur De la Clôture a fait plus encore ; il a provoqué l’émulation de ses confrères et des savants par plusieurs prix qu'il a fournis à la Société royale de médecine , et à l'Académie de Rouen, pour être distri bués à ceux qui donneraient les meilleurs mémoires sur la millière et sur l'histoire naturelle et médicale de la Nor- mandie. La réunion de tous ces services nous a paru si frappante, que nous avons cru devoir accorder des lettres de noblesse au sieur Lépecq de la Clôture, tant pour lui donner une marque éclatante de notre satisfaction, que pour faire connaître notre attention à récompenser ceux de nos sujets qui montrent ainsi l'exemple du zèle et du désin- téressement ; et nous avons jugé ledit sieur De la Clôture d'autant plus susceptible de cette grâce que, fils du méde- ein de la Faculté de Caen, il parait issu d'une ancienne famille ; qu'il a toujours occupé des places honorables dans l'université et dans l'administration municipale. A ces causes, de l'avis de notre conseil et de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale , nous avons anobli, et par ces présentes signées de notre main, nous anoblissons ledit sieur Louis Lépecq de la Clôture , 188 ACADÉMIE DE ROUEN. et du titre et qualité de noble et d’écuyer l'avons décoré et décorons , etc. " Donné à Versailles, au mois d'août l'an de grâce 1785, et de notre règne le 12. Signé Louis ; et plus bas, par le Roi, Gravier de Vergennes. Enregistré à la Chambre des Comptes, aides et finances de Normandie , le 27 janvier 1786. (Elles avaient été enre- gistrées au Parlement, le 22 novembre 1785) — 8 août 1785, Règlement d'armoiries, par M. d’Hozier pour le sieur Lépecq de la Clôture : Un écu coupé, le chef de sable à trois bandes d'or ; l4 pointe aussi de sable à une montagne à cinq coupeaux d'argent ; et une fasce de même en devise ; ledit écu timbré d’un casque de profil, orné de ses lambrequins d'or, de sable et d'argent. hs du LETTRE INEDITE DE JOUVENEY, NOTICE À CE SUJET, PAR M. FLOQUET. (Séance du 3ù Novembre 1819 ) Le nom de Jouvenet , si honoré en France , est cher surtout à la ville de Rouen qui le vit naître. L'Académie, recherchant curieusement, il y a peu d'années, la maison où était né l’illustre enfant de notre ville, et, après qu'elle l'eut trouvée, faisant placer, au frontispice de l'humble demeure, berceau du grand artiste, un marbre, une inscription commémoratifs, à, ainsi, témoigné haute- ment combien lui est précieux le souvenir de ce com- patriote si célèbre , et combien est vive en elle l'admira- tion des ouvrages qu'il nous a laissés. Ils sont nombreux les tableaux dus au pinceau de notre Jouvenet, l'un des peintres les plus originaux et les plus féconds, tout ensemble, que mentionnent les annales des arts. Mais, en revanche , il nous reste bien peu de lettres, nombreuses aussi, sans doute, que, dans le cours d'une vie si longue, si laborieuse, si bien remplie, il avait dû nécessairement 190 ACADÉMIE DE ROUEN. se trouver dans le cas d'écrire, ne füt-ce que pour répondre à ceux de ses admirateurs qui, faisant un appel à son génie, sollicitaient de lui quelque ouvrage. Le Parlement de Normandie, par exemple, avait eu recours à Jouvenet, et lui dut le beau tableau du Triomphe de la Justice, œuvre admirable qui a péri dans la puit du 4 au 2 avril 1812, qu'il m'a été donné de voir, qu'il m'est interdit de juger, mais qu'il ne m'était pas défendu de sentir. Mon cœur, à la vue de ce chef-d'œuvre, ne se put défendre d’une vive et profonde émotion, dont le souvenir ne saurait s’y effacer jamais. Au bas de cette toile magnifique, étaient écrites ces nota- bles paroles, que je crois lire en ce moment même où je les redis : Johannes Jouvenet, dextrà paralyticus, sinistrà pinxit. Ces paroles, je ne les devais oublier jamais, ni la belle composition dont elles semblent rendre, s’il se peut, la perte plus déplorable encore. Dans les recherches auxquelles, autrefois, je me livrai pendant seize années , au Palais , j'avais espéré rencontrer quelques traces de correspondance entre Jouvenet et la cour souveraine qui obtint de lui le beau tableau dont je par- lais tout à l'heure. Malheureusement je n'ai rien pu, ou su découvrir, et de tout ce que put et dutécrire un homme si célèbre, si intéressant pour nous, pour la France tout entière , je n'avais jamais vu que sa signature, seulement, apposée au bas d’un acte très insignifiant en lui-même. Mais voilà que, depuis peu, m'est venue la copie fidèle et très authentique d’une longue lettre inédite du grand peintre ; lettre relative à des peintures qu'il fit pour un parlement , non point, à la vérité, pour le nôtre , mais pour celui de Rennes, qui, longtemps avant celui de Rouen, avait eu recours à son pinceau. Ces peintures que Jouvenet fit pour le parlement de Bretagne, Rennes, plus heureuse que Rouen , les a su religieusement conserver ; CLASSE DES BELLES-LETTRES. 191 elles sont le plus bel ornement de son imposant palais de Justice, où chaque jour les Français, les Étrangers vont les admirer à l'envi. de les vis il y a quelques mois , et je fus informé dans le même temps de l'existence d’une lettre autographe, étendue, de Jouvenet, relative à ces peintures qu'il m'avait été si doux de contempler. La copie promise alors, venue en effet depuis peu , de cette lettre désirée , m'a causé un vif plaisir auquel prendront part, je l'espère, des confrères appréciateurs si éclairés des productions des beaux-arts, et auxquels, d'ailleurs, la mémoire de Jouvenet est si chère. Cette lettre, quoique relative à des peintures que possède, non la ville de Rouen, mais celle de Rennes, intéresse toutefois la capitale de la Normandie presque autant que celle de la Bretagne. Car , entre ce regretté plafond de la deuxième Chambre des Enquêtes de notre Parlement , dont je vous parlais tout à l'heure , et le tableau de Rennes , dans la lettre que vous allez entendre , existait une analogie frappante , j'ai presque dit une entière identité , le sujet au fond étant le même ; et, à quelques accessoires près, l'exécution étant la même aussi À l'aspect , enfin , de ces deux tableaux naissaient les mêmes pensées, les mêmes sentiments dans les- prit, dans l'âme de ceux qui purent contempler Fun et l'autre. Lisons, ilen est temps, la lettre annoncée, écrite à Paris, à la date du 8 décembre 169? ; elle fut adressée au Parle- ment de Bretagne , et est ainsi conçue : « MESSEIGNEURS « Pour obéir aux ordres dont il vous a plu m'honorer , je vous envoie les dessins des tableaux qui doivent être placés dans la Chambre du conseil; où j'ai exprimé les principaux attributs de la justice sous des figures allégo- riques. 192 ACADÉMIE DE ROUEN. « Le grand tableau du milieu est de forme octogone. La Religion est au milieu de ce tableau , assise sur une espèce de trône ; la Justice est appuyée sur la Religion. « À droite de la Religion , sont l'Autorité et la Vérité. A la gauche, et du côté où est la Justice, sont la Raison et l'Eloquence. Au bas du tableau, on voit la Force , qui, par l’ordre de la Justice , chasse l'Impiété , la Discorde , la Fourberie et l'Ignorance. Au-dessous de la Raison, sont deux Génies de la Renommée qui publient les décrets de la Justice. « Toutes ces figures ont chacune leurs symboles, autorisés par les antiques ou par la coutume. « La Religion tient un calice d'une main , et le feu divin de l’autre. « La Justice a Sa balance et son épée , elle repose dans le sein de la Religion , parce que la Justice des hommes est fort imparfaite quand elle n'est pas appuyée sur la Religion. « L'Autorité a un sceptre et des clefs , qui sont les mar- ques qui lui sont données dans les saintes écritures. Le sceptre, orné de fleurs de lys, signifie que le Parlement estle dépositaire de l'autorité royale. L'Autorité est appuyée sur la Vérité, pour marquer que ses voies sont la Vérité et le Jugement , suivant l'expression de David. La férité est nue , elle tient un soleil à la main droite , parce qu'elle aime la lumière , comme le Mensonge les ténèbres. Elle a un livre ouvert dans sa gauche , les vérités morales sont dans les livres des lois divines et humaines. L'Éloquence a un rouleau à la main; son air , son attitude et la persuasion peinte, pour ainsi dire, sur ses lèvres et dans ses yeux, font connoître aisément ce qu’elle est. La Raison se recon- noît à son air grave et sérieux ; elle s'appuie sur un lion, pour donner à entendre que c’est elle qui réduit ce qu'il y a de plus féroce. ZX CLASSE DES BELLES-LETTRES. 195 « Le premier des quatre ovales représente l'Étude , dépeinte par un jeune homme qui escrit à la clarté d’une lampe ; il a, à son costé, un coq, qui marque sa vigilance et son activité à estudier la jurisprudence. Il est accom- pagné des Génies et des Amours des sciences. « Le second des quatre ovalles représente la Connois- sance, sous la figure d’une femme qui tient un flambeau à sa main, et une horloge de sable. Un génie tient un livre ouvert, qu'il lui présente, pour exprimer, par ces attri- buts, que la Connoissance a besoin de beaucoup de lu- mières et du secours des bons livres pour se faire de belles idées , et les régler par une sage conduite , marquée par l'horloge de sable. « Dans le troisième ovalle , j'ay mis l'Équité. C'est une femme d'un air majestueux, qui tient, d'une main, une couronne, et, de l’autre, des chaines, pour marquer qu'elle dispense les récompenses et les peines. Plusieurs génies, autour d'elle, portent différentes couronnes, pour signifier qu'elle honore et qu'elle récompense plus volon- tiers qu'elle ne punit, rendant néanmoins à un chacun ce qui lui appartient. « Dans le quatrième ovalle est représentée la Piété sous la figure d'une femme extrêmement belle, ayant du feu divin autour de sa tête; qui, d'une main, répand une corne d'abondance, pour montrer que la justice étant bien rendue par un esprit de religion et de piété, fait naître l'abondance partout. Elle met la main sur son cœur, pour montrer l’ardeur et la sincérité de son ame, La Piété est accom- pagnée d'un Génie qui lui soutient le bras, pour si- gnifier qu'elle est inséparable de l'innocence et de la vérité. Et pour conclure et terminer ces allégories , j'ai exprimé les suites de l'Abondance par des Amours on Génies re- présentés dans deux montants, qui font deux bandes aux deux costés de la Chambre [du Conseil l. Ces Génies 13 19% ACADÉMIE DE ROUEN. font une décoration de festons, de fleurs, qui conviennent à la beauté et à la magnificence du lieu. « Je n’ai point envoyé de dessein du Crucifix, parce que c'est une figure qui se doit peindre après le naturel. Je me flatte que vous aurez confiance à ma probité sur cel ouvrage comme pour les autres. « Je vous envoye deux models de la manière que les panneaux doivent être peints ‘qui seront tous différents les uns des autres, tant sur la cheminée qu'aux deux autres endroits que j'ai disposés.) Ils seront faits par les plus habils hommes qu'il y ait en France , et je meslerai dans ces dits panneaux des figures qui auront rapport aux ou- vrages du plafond , et je vous supplie de considérer la différence de ces ornements à ceux de vostre Grande- Chambre. Les Armes de France seront d’un costé, et les Armes de Bretagne de l’autre. A Fégard de l'or qui est sur les models, il ne devient jamais beau sur le papier ; il sera incomparablement plus beau sur les dits ouvrages. « Messeigneurs , j’aurois pu m'estendre davantage pour vous marquer sur chaque figure, en particulier, toutes leurs qualitez, de la manière dont elles sont marquées dans les médailles antiques et dans les anciens auteurs qui m'ont donné ces lumières de ces figures allégoriques. Quand je ferai ces ouvrages, je vous demande la liberté de changer ce que je jugerai à propos pour l’embellissement et la per- fection de l'ouvrage. Je m'attacheray très particulièrement à vous donner de beaux airs de teste, où j'exprimeray le plus noblement qu'il me sera possible les passions de toutes ces figures allégoriques . et je n'espargneray rien pour vous conten'er, et pour vous marquer que je suis, avec un profond respect , « Messeigneurs, « Vostre très humble et très obéissant serviteur, « JOUVENET. » CLASSE DES BELLES-LETTRES. 195 Tel est, Messieurs, le texte de la lettre de Jouvenet, dont j'avais à cœur de vous faire hommage. Entre le prin- cipal sujet qui est décrit et celui qu'il exécuta dans la suite pour le Parlement de notre province, existait , je le répète, analogie, parité, presque identité, on le pourrait dire; vous en croirez volontiers votre confrère qui a vu les deux tableaux, et qui, de plus, possède une esquisse peinte par Jouvenet lui-même, du grand plafond qui décorait au- trefois la salle de la deuxième Chambre des Enquêtes. Je puis, au reste, produire un autre témoignage con- temporain de Jouvenet lui-même , je veux dire la descrip- tion de son tableau de Rouen, rédigée, imprimée au moment où les habitants de notre ville furent admis à con- templer ce tableau , qui venait d’être placé sous la direc- tion du peintre et sous ses yeux. Car ce tableau, que Jouvenet avait fait à Paris, et que le Régent, la Cour, la Capitale étaient allés admirer au Collége des Quatre Na- tions, où était l'atelier de l'artiste, Jouvenet vint à Rouen le faire placer lui-même, et si j'osais mentionner ici une Anecdote intitulée : Le Carosse de Rouen, ce serait uni- quement pour assurer que foi est due à ce qui y a été dit de Jouvenet dans sa ville natale, pour la pose de son pla- fond peint pour la deuxième Chambre des Enquêtes. Nous en avons pour garant le neveu, l'élève de Jouvenet, Restout, qui raconte le fait dans des Notes écrites mani- festement sous la dictée de son oncle. Voici, quoi qu'il en soit, la Description de ce plafond, imprimée à Rouen sous les yeux de Jouvenet, et sur des indications qui émanaient de lui : Description du tableau de la seconde Chambre des En- quêtes (du Parlement de Rouen) (1. (1) C'est ici la reproduction fidèle d’un émprèmé du temps, distribué dans Rouen à l'époque où Jouvenet vint à Rouen faire placer son tableau. 196 ACADÉMIE DE ROUEN. « Le dessein que M. Jouvenet a eu, dans ce tableau, a été de représenter le Triomphe de la Justice. Rien de plus juste que cette idée, puisque le Parlement de Rouen est un des plus augustes sanctuaires qu’elle ait dans notre France. « La Religion, assise dans un trône noblement et modes- tement paré d'une draperie également simple et majes- tueuse, est facile à reconnaître à cette simplicité, et au ca- lice rayonnant qui est le symbole de son adorable sacrifice. « La Justice, qu'on reconnaît aisément à la balance qu'elle tient à la main, est appuyée sur la Religion, parce que ses décisions ne sont justes qu’autant qu'elles sont établies sur les règles éternelles et les maximes inviolables de la reli- gion. «La figure de Minerve réunit dans ses ornements les symboles de l’église et de la prudence, qui sont les fidèles compagnes de la Justice « Sur un nuage, on aperçoit la Vérité; elle est repré- sentée par une femme nue, mais très modeste; elle tient de la main droite un soleil, et de la main gauche un livre ; ce sont autant de symboles qui désignent sa simplicité, son élévation, et qui marquent qu'elle seule doit instruire et éclairer les juges par la plus pure et la plus brillante lu- mière , et qu'il leur est glorieux de s’y soumettre. « Au-dessous, est représentée la Paix, qui amène l’Abon- dance ; l'une et l’autre sont procurées aux hommes par la Justice. «L'Eloquence, dont la figure est peinte d’après une très belle personne, est aux pieds de la Religion ; son attitude, pleine de grâce, exprime parfaitement bien les charmes de l'Eloquence. Cette agréable figure donne une idée vive et naturelle du beau talent de la parole, dont notre auguste Parlement a donné, dans tous les temps, de parfaits mo- dèles. Deux petits Génies accompagnent l'Eloquence, et fournissent à sa mémoire le discours qu'elle prononce. «Pour n'obmettre aucune des vertus qui sont inséparables CLASSE DES BELLES-LETTRES. 197 de la Justice, on a exprimé la Force par une femme qui tient une massue et s'appuie sur un lion; ce qui marque que la Justice se rend la maîtresse et soumet à ses lois les choses les plas indomptables. « La Renommée est au hant du tableau, qui va publier les décrets de la Justice, ce qui fait un contraste très agréable au tableau. « Le Groupe qui est au bas de ce grand ouvrage, re- présente tous les vices renversés et foudroyés par le Génie de la Justice, qui tient un bouclier où sont les armes du roi, dont le Parlement fait respecter la souveraineté, comme l'image et la splendeur de la première majesté du Tout-Puissant. La principale de toutes les figures des vices est la Fourberie , qui a son masque à la main et laisse voir son visage; ce qui marque que la Justice découvre le Mensonge et l'Imposture. «La Discorde est exprimée par la figure qui tient deux flambeaux , pour porter le feu de la guerre dans l'Eglise et dans l'Etat, et animer les passions des hommes par la mauvaise chicane et les disputes pernicieuses. «Au-dessous de la Discorde, on voit un homme renversé, dont Pair sépulcral et l'habillement magique ou pha- risaique désignent tout à la fois : la superbe hérésie, la folle superstition, la dévotion erronée, le faux zèle, qui, sous prétexte de religion, violent la religion même en at- taquant sa véritable doctrine, et en méprisant les puis- sances établies de Dieu pour la protéger ; mais la Justice venge la Religion des pernicieux desseins de ses ennemis, elle étouffe . par son autorité divine , l'esprit d'envie et de sédition qui les anime, et les précipite avec indignation dans les noires ténèbres d'un affreux désespoir «L'Avarice est bien dépeinte par une vieille femme qui a une bourse pendue à son cou, et qui se cache dans l'obscurité. « l.'Assassin est représente le poignard à la main, et re- 198 ACADÉMIE DE ROUEN. vêtu d’une peau de tigre, l'animal le plus féroce. On voit, à côté, une femme qui exprime la Lubricité; elle se pré- cipite, avec tous les autres vices, sous le voile de l'ini- quité. « L'Ignorance, que ses oreilles d'âne font assez connaître, est mise en fuite; à côté est une espèce d'Esclave, qui a la figure d'un faux témoin. « Entre les autres figures du tableau , on remarque en - core un homme d'une grande taille , qui tient un poignard ; c’est un ministre de la Justice. La jeune femme, dont les cheveux sont liés d’un ruban vert, est une séduisante et corruptrice solliciteuse de procès. « Voilà ce qui compose le tableau allégorique que M. Jou- venet , de Rouen, peintre ordinaire du roi, et ancien di- recteur et recteur de l'Académie royale de peinture et sculpture, a traité d'une manière admirable, et qu'il a peint de sa main gauche, étant paralytique de sa main droite. Il y a un contraste, dans tout ce bel ouvrage, qui fait un effet merveilleux. Les règles de la peinture, tant pour la correction du dessin que pour les expressions, la distribution des lumières qui font un beau clair obscur, et la perspective qui met toutes les figures en leur place. y sont ob-ervées avee un goût , un soin el une attention qui répondent à l'amour que cet illustre citoyen a pour l'orne- ment et la gloire de sa patrie. » Ici finit imprimé , et doit aussi finir ma tâche. Le nom de Jouvenet, Messieurs, et votre attachement pour sa mé- moire vous porteront, j'ose l'espérer, et je vous en supplie, à excuser la prolixité de cette Notice tracée à la hâte, vous ne l'avez que trop bien aperçu. Mais, en vérité, le temps m'a manqué absolument, à mon très grand regret, pour la faire plus courte et un peu moins indigne de votre in dulgente attention DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. L'ABBÉ LANGLOIS, contenant LA REVUE DES MAITRES DE CHAPELLE ET MUSICIENS DE LA MÉTROPOLE DE ROUEN, Prononcé dans la Seance du 28 Juin 1850. Messieurs , Dans votre dernière séance solennelle (1) , dont le sou- venir restera toujours gravé dans mon cœur , Vous avez bien voulu ouvrir cette enceinte à la musique de notre mé- tropole, et encourager ses essais par des applaudissements et des lauriers. Aujourd'hui, en m'aceueillant avec tant d'indulgence parmi vous, vous me décernez un honneur qu'elle partage avee moi. J'essaierai d’acquitter la dette de la reconnaissance, en retraçant sommairement l'histoire du chant et de la musique dans notre église métropolitaine. Le plus ancien monument littéraire de Rouen, le dis— cours de Saint Victrice à la louange des saints, nous montre l'usage du chant ecclésiastique et de la psalmodie, en pleine vigueur dans cette ville à la fin du nv siècle. (1) Séance publique de l'Académie, le 16 août 1849. 200 ACADÉMIE DE ROUEN. Lorsque ce saint évêque déposa les reliques du martyr Gervais dans l’église qu'il avait lui-même bâtie , des trou- pes de fidèles , des colléges de moines et de vierges y entonnèrent des cantiques sacrés , et de nombreux enfants la firent retentir des sons joyeux de leurs voix innocentes (396) (1). La renommée du chant ronennais avait même passé les monts avec le nom de Victrice : « Votre ville , lui écrit « Saint-Paulin de Noles, était à peine connue jadis, même « des pays voisins. Aujourd'hui nous l'entendons citer avec « éloges dans des provinces lointaines, et comme une « des cités les plus riches en édifices sacrés. Chaque jour « dans des églises nombreuses et de pieuses solitudes, «votre troupeau réjouit le ciel par les concerts harmonieux « de la psalmodie (2). » Que dans ces temps reculés, on mêlât le son des instru ments aux chants liturgiques, au moins dans les plus célè- bres églises, c’est ce que les poèmes de Fortunat ne permet- tent guères de révoquer en doute. «D'un côté, dit cetévêque, « l'enfant mêle sa voix douce et perçante aux instruments «bruyants, de l'autre, le vieillard pousse de son gosier une « voix large et éclatante comme la trompette. Le bruit des « eymbales se marie aux sons aigus des instruments à « vent, et la flûte fait entendre ses modulations variées .. = ({ Hinc monachorum caterva... Hinc ilibatarum virginum cho- rus... Hine innocentium puerorum sonora lætitia.. Psalmorum verba libemus.. Sacræ virgines, Psallite! Psallite! (Sancti Vitric. Rothom. archiep. Liber de Laude sanctorum... retrouvé par Dom Mabilion , dans la bibliothèque de l’abbaye de St.-Gal., édition de l'abbé Mignot, Auxerre 1769, p. 75 et suiv.) (2) Quotidiano sapienter psallentium per frequentes ccelesias, et monasteria secreta, concentu. { Paulini ad Victric. epist. apud Mabillon, de Cursu Gaïlicano, p. 408. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 201 « Les paroles suppléent aux accords muets de la Iyre … « A l'ordre du pontife , le clergé , le peuple , les enfants «entonnent la psalmodie » (1). C'est ainsi qu'à l’arrivée des barbares qui déjà inondaient nos contrées , l'art musi- cal, comme tous les autres, trouvait son salut dans l'église. Au vi‘ siècle, notre évêque Saint-Prétextat se console dans son exil de l'ile de Jersey, en composant des chants religieux qu'il soumit plus tard à l'examen d’un concile(2). (577-584). — C'est pendant qu'il préside au chant alternatif des psaumes, qu'il est frappé mortellement par un sicaire de Frédégonde (589). Au vf, Saint-Ouen est sacré évêque à Rouen , avec Saint-Eloi, au milieu d'une nombreuse assemblée de clercs et des chœurs des chantres (3) (640. Jusqu'au milieu du vur siècle, l'église de Rouen, comme toutes celles des Gaules, avait sans doute emprunté ses chants, partie aux églises d'Orient, partie à Saint- Ambroise (4). Sous le pontificat de Saint-Remi, frère du roi Pepin , une réforme radicale s'opéra dans sa liturgie ; une école de chant grégorien s’ouvrit dans la cathédrale de Rouen sous la direction de Siméon , maître habile , que Remi avait lui-même ramené d'Italie. Rappelé par le pape pour diriger l'école romaine, Siméon enleva ses élèves à Rome pour les perfectionner dans leur art, etils (1) Venantii Fortunati carmina, lib. 11, p. 59, édition de Bro- Wwerus, 2) Gregor. turon. col. 393, et apud Chéruel, hist. de Rouen , t. 1, p. XIII. (3) Inter agmina clericorum, inter choros psallentium, consecrati sumus ( Vita Eligii ab Audoeno, lib. 11, cap. ?. ) & Voir Dom Guéranger PAMT. HI, p. 88. , t.1,p. 204,et Lecerf de la Vieuville, 202 ACADÉMIE DE ROUEN. fondèrent plus tard des écoles dans les Gaules (1). Grâce à leurs efforts, soutenus des édits de Pepin et de Charle- magne , les chants et les rites romains régnèrent bien- tôt sans partage dans notre patrie. L'église de Rouen avait, en grande partie, donné l'impulsion à cette révolution , devenue fameuse dans les annales de l'Eglise (2). Charlemagne multiplia les écoles de chant dans tous ses états. Celle du monastère de Fontenelle , depuis Saint- Wandrille , devint très florissante sous l'abbé Gerwold (5); mais la science du chant dut beaucoup souffrir de linva- sion des Normands. A chaque instant, moines et prêtres délogaient en tumulte pour se dérober à la fureur des barbares. Les livres périssaient dans les flammes avec les églises et les monastères Ils étaient devenus si rares, qu'en certains lieux, le même missel servait à plusieurs églises à la fois, et voyageait sans cesse de l’une à l'autre (#). Après la conversion des chefs normands, on vit bientôt refleurir un art inséparable du eulte extérieur. Au milieu du xr° siècle , l'abbé Isembert l’enseignait avec gloire dans son monastère de la Trinité du mont Sainte-Catherine ( Bonsecours ). Il y forma des élèves très habiles, et popu- larisa par ses chants l'histoire de Saint-Nicolas , encore inconnue dans nos contrées (vers 10#0, (5). Sous le pontificat de Maurile (1065), l'église métropo- (1) Apud Sirmond concilia Galliæ , t. If, p. 58. (2) Remigius cantum et ritus romanos in Gallias introduxit (Gall. Christ, t. XI, col 20. ) (3) Gallia christiana , t. XI, col. 172. (4) Denina. Révolutions de la littérature, p. 98. (5) Apad chronicon triplex et uuum Manuscrit de la biblio- thèque de Rouen , folio 40, 41, etc.; et apud Chéruel. hist. de l’en- seignement publie à Rouen , au Moyen-âge CLASSE DES BELLES-LETTRES. 205 litaine retentissait jour et nuit du chant des psaumes, des répons, des hymnes, des graduels. Les chanoines, lescleres, les enfants y prenaient part alternativement. La liturgie avait des formes arrêtées, une organisation complète. C'est ce que nous apprenons de notre archevêque dean d’Avran- ches , dans son livre si curieux des offices ecclésiastiques. A la fin du xu° siècle, la bibliothèque de la cathédrale abonde en livres de chant , tels que graduels , missels, bénédictionnaires , tropaires , hymnaires , etc; on y con servait aussi les livres de Boëce et de Martianus Capella sur la musique (1). C'est en 1377, sous le pontificat de Guillaume de Les- trange, que les registres capitulaires mentionnent, pour la première fois, une maîtrise proprement dite, composée de quatre enfants, et à leur tête un maître appelé Médard (2). Le 1% décembre 1386 . le chapitre choisit un organiste nommé Labbé, et s'engage à remunérer son talent par un traitement annuel de 10 livres. L'usage des orgues re- monte-tl plus haut dans l'histoire de notre cathédrale ? Je l'ignore (3) ; ce qu’on sait bien, c’est qu'à la fin du xu° siècle, le clergé normand s’effarouchait encore de ce superbe instrument , comme d'une nouveauté profane. Les critiques du temps tombèrent sur les moines de Fécamp qui en avaient construit un dans leur abbaye (#). On sait aussi que la métropole de Lyon, les Chartreux, les Oratoriens en repoussèrent constamment l'usage, et que le bénédietin Dom Bastide, en plein règne de Louis XIV, écrivit sa (1) Catalogue des livres de la cathédrale de Rouen, sous les ar- chevèques Rotrou et Gautier, au livre d'ivoire , F° 128, et dans le cartulaire de Notre-Dame , f° 53, recto, Biblioth. de Rouen. (2) Reg. capitul., 13 nov. 1377. 3) Voir la note qui suit la liste des organistes, ad calcem. 4) Neustria pia, p. 230 20% ACADÉMIE DE ROUEN. dissertation de organis ë monachorum monasteriis elimi- nandis. En 1#10,le nombre des enfants est porté à six. Ils chantent sous la direction de Jean Guerout (1405), de Robert L'Abbé(1#19), de Jean Langlois (1423), de Nicolas Decan , maitre-ès-arts (1425), de Jean d'Eudemare, aussi maître-ès-arts et chanoine (1433). A partir de Jean d'Eudemare, le chapitre continua de choisir dans son propre sein les maîtres des enfants. Le grand chantre Robert-le- Sueur les instruisit pendant sept ans dans sa propre mai- son , et fut autorisé, dans un temps de famine , à engager un calice d’or pour payer leur nourriture (1). Les chanoines Radulfe de Hangest (14%4) , Pierre de Lagny (1446). Guillaume Poulart (1#5%), Jean Quatreul (1454), Mathieu Gaudin (1456), Pierre Escoulant (1457), remplirent , comme Robert-le-Sueur, là charge de maître des enfants Pierre Escoulant , maïître-ès-arts , les instrui- sait dans la maison d'un autre chanoine nommé Guil- laume du Désert. Il mourut curé de Sainte-Marguerite- sur-Duclair, léguant à ia bibliothèque capitulaire plu- sieurs importants manuscrits (2). Qu'on ne s'étonne pas de voir ces dignitaires de l'église occupés à gouverner et à instruire leurs enfants de chœur. Ce fut dans le même siècle (vers 1429), que l'illustre chancelier Gerson écrivit son traité de l'éducation des enfants de chœur de Notre-Dame de Paris (3) , et traça des règles minutieuses , pour leurs études, leurs jeux, (1) Unum calicem auri ad impignorandum pro nutriturà eoruni- dem puerorum. ( Regist. cap., I junii (450. ) (2) L'un contenait les épitres de Saint-Jérome, l'autre était in- titulé : De casibus virorum illustrium. (3) Doctrina pro puerisecclesiæ parisiensis ; inter opera Gersonis, € 1V- CO 7117 CLASSE DES BELLES-LETTRES. 205 leurs vêtements , et le régime propre à la conservation de leur voix. On trouve des règlements analogues dans les actes du chapitre de Rouen, qui défend aux enfants l’u- sage de l'huile et de la chair de pore , pour prévenir lalté- ration où l'embarras de leur voix : Ne voces illorum cor- rumpantur vel impediantur (21 et 26 septembre 1471 et 6 mars 1483). Le pape Saint-Grégoire-le-Grand avait lui même enseigné le chant , et, au siècle dernier, on montrait encore à Rome le fouet avec lequel il stimulait la paresse des enfants qui prenaient ses leçons (1). Mabillon raconte que ceux de l'abbaye de Cluny , choisis exclusivement dans les familles nobles, étaient élevés et instruits avec des soins extraordinaires (2). Gui, chanoine et archidiacre de Rouen , puis préchantre du Mans et successeur du cé- lèbre Hildebert dans l'évêché de cette ville, apprenait aux enfants à chanter (5). On allait de Normandie apprendre le chant , sous Arnould , grand chantre de Chartres , et dis- ciple du célèbre Fulbert (4). Les maitrises des cathédrales et des abbayes étaient les seules écoles de chant. Des hommes illustres en tout genre en sortirent ; nous cite- rons seulement le pape Urbain IV, enfant de chœur de la cathédrale de Troyes (5); Erasme , enfant de chœur à Utrecht (6) ; Roland de Lassus ; Giroust; Grétry ; Méhul; Le- brun : les deux Haydn ; Lesueur, ete., etc...tous , élèves de diverses maitrises. (1) Danjou, De Pétat du chant en France, et Jean Diacre ; vita Gregor. Magoi , Dib. 11, Cap. 6. (2) Annal, benedict, t. V, p. 252. (3) Traité du chant par Lebœuf , p. 21, et apud Analecta, p. 320 (4) Ibid. p. 24 , et Ordric Vital, apud Duchesne , p.485. (5) Lebœuf, traité du chant , p. 13. (6) Fétis, biographie des musiciens, au mot : Hobrecht. 206 ACADÉMIE DE ROUEN. Les enfants de chœur jouissaient de privilèges sin- guliers , comme de porter le manipule au bras gauche , à Cluny (1) , et entre les doigts de la main gauche, à Saint- Jean de Lyon, en chantant les prophéties du samedi- saint (2). A Rouen, ainsi qu'à Vienne, le jour des Saints- Innocents , ils remplissaient toutes les fonctions du chœur, et occupaient les hautes stalles ; l'un deux portait mème le titre d'évêque (dominus episcopus), marchait revêtu d'une chape magnifique, la mitre en tête et le bâton pastoral à la main, il entonnait l'invitatoire, le Te Deum, la prose, etc., et bénissait solennellement le peuple (3); tout chevalier qui entrait dans le chœur avec des éperons, était tenu de les lui abandonner. Contre la coutume établie , Vincent Roussel, de Harfleur , refusa ses éperons au petit-évêque , et le frap- pa même de son épée ; il fut contraint , dès le lendemain , de venir faire satisfaction au Chapitre (30 Janvier 1391). Au milieu du xv’ siècle, la chape du petit-évéque fut vendue, et la Féte des Enfants remplacée par quelques jours de congé qu'ils passaient souvent chez les moines de Jumiéges , de Saint-Wandrille ou de Bon-Port (1452-53); mais ils conservèrent le droit de s'emparer des éperons qu'ils trou- vaient dans le chœur; ils voulurent même l'étendre aux nefs de l'église ;le chapitre le leur défendit sous peine d’être châtiés rigoureusement ( 1# janvier 1632 ). Du reste, leur condition était fort pénible : soumis à une discipline rigoureuse , levés longtemps avant l'aube . vêtus légèrement , la tête rasée, ils assistaient, en toute saison, aux offices du jour et de la nuit. Selon une ancienne cou- (1) Lebrun-Desmarettes , voyages liturgiques , p. 150. (2) 1bid., p. 63. (3) Apud Johann. Abrinc. lib. de officiis ecclesiasticis, édition de 1679, p. 36, 121, 202. par Lebrun-Desmarettes. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 207 tume ; il y avait des verges en permanence derrière le maître autel, pour châtier leurs omissions et leurs fautes (1). Moins docile aux conseils de Saint-Augustin qui ne voulait pas qu'on fit entrer la science par le sang, qu'à ceux de Gerson qui autorisait l'usage modéré des verges (2), le Chapitre le permettait aussi (3), et, à la maitrise de Rouen comme à celle de Vienne, lillustre Haydn eût pu se plaindre de recevoir plus de taloches que de bons mor- ceaux (+). Souvent la correction par les verges s'adminis- trait devant tous les chanoines réunis (5). Quelquefois les enfants prosternés à terre et les mains jointes, obtenaient une sentence de pardon (6) ; ou bien, ils s’insurgaient et fuyaient. Cinq d’entr'eux s’enfoncèrent un jour dans le pays de Caux par une marche de douze lieues ; on les rejoignit au village de Cliponville (7). Jusqu'au milieu du xv° siècle , le simple plain-chant pa- rait être seul en usage dans l’église de Rouen, et les études des enfants se bornent à l'antiphonaire et au graduel (8). Si l’on y connut le déchant qu'on fait remonter au x° siè- cle (9), qui prit le nom de contre-point au x1ve (10°, et que (1) Juxta morem antiquum reponantur virgæ retro majus altare (reg. cap. , 26 déc. 1477.) (2) Fiant puuitiones de virgis temperatè (Gerson, t. IV, col. 720. (3) De virgis cum matura correctione (reg. cap. 1443. ) (4) Fétis au mot Haydn. (>) Registres capitulaires , 1° mai 1481. (6) Genibus flexis, et manibus juncetis , ibid. 4 avril 1503. (7) Tendendo apud caletum ultrà undecim leucas, ab hâc urbe, advenerant parrochiam de Cliponvillà. (Ibid, 20 et 21 juillet 1503.) (8) Ibid., 10 juillet 1399. (9) Castil-Blaze, Hist. de la chapelle royale de musique, p. 41 10) Fétis, Kesume de l'Histoire de la musique, p. EXCVHE. 208 ACADÉMIE DE ROUEN. l'église de Paris rejetait encore au temps de Gerson (1), nous n'en trouvons aucune mention dans nos archives. Mais vers 1450, la musique fut introduite dans presque toutes les églises d’occident (2), et celle de Rouen se laissa entrainer au mouvement général. Le Chapitre or- donne qu'un motet sera chanté par les enfants, lorsque la reine d'Angleterre visitera l'église (22 mars 144%). Peu après, des virtuoses de la ville viennent bénévolement au chœur, aider à l'exécution des motets dont le goût va croissant (1466). Le chanoine Jean Quatreul, maître des enfants, reçoit l'ordre positif de les instruire dans la science musicale (3). On accueillit avec transport les pre- miers essais de cet art enchanteur. On priait les enfants de répéter leurs motets devant le portail Saint-Romain pour l’amusement du peuple (177). Les évêques de Laon et de Coutances , à leur passage à Rouen, sollicitent comme une grâce de les posséder un moment et de les entendre (1446-1452). Le Chapitre les envoie au bailli d'Évreux , pour le consoler d'une perte cruelle par leurs doux ac- cents (*) ; il en refuse un aux ardents désirs de Jean Henri, grand-chantre de la cathédrale de Paris (5). Un marchand du Neubourg en enleva deux que les courriers du Chapitre EEE (1) Gerson, ubi suprà. (2) Traité de la coutume de prier debout, par Lelorrain , cha- pelain de la cathédrale de Rouen, t. 1, p. 295. (3) Ministrabit eis doctrinam in musicà. — Reg capit., 1 sep- tembre 1467. (4) Si eos velit audire, pro consolando eum. [ Reg capil., 1°: nov. 1449 ]. (5) Scribatur Johanni Henri, cantori Parisiensi , excusando capi- tulum, super quodam puero Albæ quem affectabat habere. [ Ibid. 24 août 1467. | CLASSE DES BELLES-LETTRES. 209 ramenèrent heureusement du bourg d'Elbeuf (1) { 1488). Leur nombre était alors de 8. Une bulle papale, transmise de Rome par le cardinal d’Estouteville, leur accordait cent livres de rente sur la cure de Saint-Maclou (1471. L'orgue de petite dimension et relégué dans une cha- pelle du bas-côté nord (2), ne répondait pas à la grandeur du vaisseau. L'archevèque Robert de Croixmare , transfor- mant pour plusieurs années son palais en atelier, y fit construire un nouveau jeu d'orgue , d’une admirable ma- gnificence ( miræ magnificentiæ ) , qu'on plaça au fond de la grande nef (3). Jean Fleury , Robert Martin , Guillaume Duval, Raoul de Sainne , sont les premiers artistes appe- lés à toucher le puissant instrument ; en même temps, les enfants apprennent l’art du chant sous les chanoines Jean Letourneur et Pierre Mésenge , tous deux particulièrement chers à Georges [°" d'Amboise , qui éleva le premier à la dignité de grand-chantre (1500). La musique , partout cultivée avec passion au xvr° siè— cle (4), prit à Rouen un essor extraordinaire sous les deux cardinaux d’Amboise. Alors les registres capitulaires nous montrent les chanoines constamment en quête de musi- ciens à Paris, à Chartres, à Noyon , à Troyes, à Vienne, en Lorraine , et surtout dans les villes de Flandre, d'où sortirent les plus grands artistes de cette époque (5). La musique absorbe toutes leurs pensées, elle revient à chaque page de leurs délibérations. Pierre Mésenge leur offre un troisième jeu d'orgue d'une grande beauté ( pulchræ ma- (1) ... A burgo de Elleboto.[ Reg. capit., 23 octobre 1488.] (2) La chapelle St-Sever. [Voir les Reg. capit., au 23 sept. 1636.] (3) Reg. capit., 25 juin 1488, 28 janv. 1490, 6 déc. 1491, 20 déc. 1492, et 23 nov. 1493, (4) Fétis, Résumé de l'histoire de la musique, p. cevr. (5) Ibid., p. xx1. 14 210 ACADÉMIE DE ROUEN. gnificentiæ ) qu'ils installent au sommet du jubé (1); puis ils le font dorer et azurer entièrement , ainsi que le grand orgue dont les tuyaux mesuraient 32 pieds de haut (2). Leurs enfants de chœur ne paraissent plus sans revêtir par-dessus leurs aubes des tuniques de damas rouge à fleurons d’or (3). A la tête de leur maîtrise , ils placent des musiciens de la chapelle royale. C’est Mathurin Dubuis- son qu'ils détachent de la cour , en lui glissant un présent de vingt écus d'or, avec la promesse d'un bénéfice que le cardinal ne fit pas longtemps attendre (#). C’est Guil- laume Leroi, ancien chantre-basse de Louis XIT, habile contrapuntiste dont il nous reste encore un motet à cinq voix sur le texte : O Oriens (5). Cependant , l'archevêque Georges]IT, qui était à la tête de ce mouvement, leur faisait présent d’un livre de musique, du prix de 50 écus d’or , et de 2,000 livres pour augmen- ter le nombre des musiciens {29 mars 1525.) Il corres- pondait à l'étranger pour découvrir les meilleurs musi- ciens, les plus habiles organistes (6); lui-même il les examinait et les jugeait (7). Ceux-là surtout étaient les bienvenus qui possédaient la science de l'harmonie et du contrepoint (8). (1) Reg. capit., 24 juillet 1519. (2) Ibid. , 17 mars 1515, 23 déc. 1517 , et Pommeraie , cathéd., p. 30. (3) Tunicas de panno Damasceno rubro ad floronos aureos. [Reg. capit., à juin 1503. ] (4) Ibid., 14 sept. 1507. (5) Fétis, Biographie des Musiciens , v° G. Leroi. (6) Reg. capit., 16 avril 1929 , 2 juin et 12 juillet 1530. (7) Ibid., 1 juin et 28 juillet 1529. (8) Voce organisatà et modulatà, et de contrapunctu, ibid. , 9 janvier 1530 et passim. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 211 Bientôt la musique de l’église ne suffit plus au cardinal, il lui faut sa chapelle, ses enfants de chœur, ses orgues, et son organiste à lui 1535); il remplit son palais de musiciens qui le suivent dans ses belles résidences de Gaillon et de Vigny (1). Plus d'une fois, il Jui arriva de ravir à sa cathédrale ses plus rares voix d'enfants. C'est en vain que les chanoines désolés lui adressaient des remon- trances et le conjuraient d’avoir pitié de son église qu'il laissait au dépourvu (2). La ville comptait alors plusieurs écoles de chant sou- mises à l’autorité du grand-chantre de la métropole (1523), et une corporation particulière d’organistes qui solen- nisèrent la fête de Sainte-Cécile dans la nef de l'église, en 1539. Ce fut surtout, si j'ose le dire, le temps de la gloire des enfants de chœur Tel était le charme de leur voix et de leurs accents, qu'en 1517, les gens de François KE, profitant des ténèbres, en dérobèrent deux dont l'un se nommait Dominique Dujardin (3). Les chanoines plaidèrent bravement pour les recouvrer , et gagnèrent leur procès. Le maréchal de Lautrec leur écrivit même une lettre d’excuses(#); mais sur les ordres exprès du roi lui-même, il leur fallut bientôt laisser partir Regnart d'Andeli, Nico- las Testart , et un troisième nominé Ardant, enlevés tout jeunes pour la chapelle royale, et dans toute la beauté de leurs voix (1532, 1545, 15406) ; ils ne purent refuser aux (1) Reg. cap., 14 février 1535, 22 octobre 1522, et passim. (2) Reg. capit., 1 juin 1535... Ecclesia remäneret omnino impro- visa... nullus remanebit qui possit cantare. à janvier 1537, — Re- monstrandum fore Domino cardinali ececlesiam suam pro nune destitutam esse. 31 janvier 1548. (3) Substracti et furto sublati de serû , 24 août 1517, (4) Reg. capit., 10 septembre 1517. 212 ACADÉMIE DE ROUEN. instances de Henri II, Guillaume Denis, Robert de Fré- mont , Guillaume Pellerin (1554, 1556, 1557). Ce petit collège de huit enfants faisait l'admiration et l'envie des plus illustres personnages. Le cardinal de Bour- bon , abbé de Saint-Denis , le cardinal de Lorraine , l'ami- ral d'Annebault, Louis de Brézé, évêque de Meaux , grand aumônier, le mirent tour à tour à contribution, à l'exemple du roi (4). Le dauphin en détacha un enfant nommé Pierre de Tocqueville, pour la musique de son château de Com piègne (27 nov. 1537). Le roi en demande un pour suivre à Rome le cardinal Jean du Bellai, évêque de Paris (2). Claude de France, reine d'Écosse , en emmène un autre dans ses états, malgré les larmes du père qui ne peut consentir qu'un si faible enfant soit enlevé hors de sa pa- trie(3). Pour en conserver quelques-uns, les chanoines sont obligés de les cacher dans leurs propres maisons, sous prétexte de maladie (4). J'insiste trop peut-être sur ces traits, mais ils peignent la Renaissance avec son enivre- ment musical et sa passion effrénée des beaux-arts. Alors, on voyait Henri II se mêler aux chœurs des chantres de sa chapelle. Charles IX se mettait de même parmi eux, dit Brantôme , et chantait la taille et le dessus fort bien. Henri HI chantait très bien aussi (5); c'était l'époque de (1) Reg. capit., ann. 1933, 1535, 1540, 1536, 1554. (2) .. Causà eum cum Domino cardinali Parisiensi episcopo apud Romam transmittendi. [ Ibid. 5 juillet 1547.] (3) Non volebat quod filius ejus adhuc debilis transferatur extrà hanc patriam. | Reg. capit., 29 mars 1536.] (4) ... Domini concfuserunt principales choristarum transpor- tari in aliquà domo canoniali, fingendo quod sunt infirmi. [ Ibid., 15 juillet 1534.] (>) Lecerf de la Vieuville, Comparaison de la musique italienne et francaise, partie 2, p. 96 et 97. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 213 Josquin Desprez , de Du Caurroy, de Claude de Sermisy, de Roland de Lassus , grands artistes qui mirent un mo- ment, aux mains de la France, le sceptre de la musique ; mais les écoles d'Italie et d'Allemagne devaient bientôt nous le ravir (1). A Rouen, parmi les horreurs des guerres civiles, on continua de chanter ; des seigneurs complotèrent d’enle- ver les enfants de chœur dispersés par l'invasion protes- tante (10 nov. 1562). Le cardinal de Bourbon porta leur nombre à douze (2), et nous les retrouvons chantant , non seulement au chœur , mais encore en plein air, devant la madone de la porte Saint-Hilaire (3), chez quelques cha- noines curieux d'entendre aucuns psalmes en français (4), aux compaygnies et banquets, tant dedans que dehors la ville (5), devant le roi Henri HE qu'ils divertirent par leurs chants, pendant sa collation à l'hôtel de ville{6 , enfin dans une grande solennité musicale qui eut lieu dans l'église cathédrale le jour de Noël 1596. Henri IV y assistait à la messe célébrée par le cardinal de Florence, légat du Pape, « laquelle haulte messe fut chantée en musique, « cornets, buceines , et aulitres instruments musicaulx par « les chantres de la chapelle du roi, avec ceulx de l'église « et enfants de chœur » (7). Dans la dernière moitié du xvi° siècle, les maîtres de la (1) Danjou , De l'état du chant en France , p. 32. (2) 13 janvier 1971. (3) 9 sept. 1581. (4) 25 janvier 1564. La musique des psaumes de Marot Îles rendit très populaires. [ Voir Lecerf de la Vieuville, 2°* partie, p. 97.] (5) Reg. capit., 20 août 1588, 6) Ibid., 17 juin (1978. (7) Ibid., 25 déc. 1296. 21% ACADÉMIE DE ROUEN. musique de Notre-Dame sont Dominique Dujardin , autre- fois enlevé par les courtisans de François I (1) ; Nicolas Morel , deux fois vainqueur dans le combat de la Iyre et du luth au puy de musique d'Évreux (2 , et le dernier des chanoines qui ait gouverné les enfants (8 , et Claude Bavin , dont les compositions enlevèrent les suffrages des plus experts musiciens de la ville et de la chapelle du roi (4). A ces artistes succèdent Henri Frémart, appelé à la maîtrise de Paris après 1# ans d'exercice à Rouen, et qui a laissé sept messes à quatre, cinq et six voix (5) ; Lazare Yves, chanoine de Notre-Dame-de-la-Ronde (6), et Michel Martin, ancien enfant de chœur de Rouen, qui avait enseigné à Paris et dirigé la maitrise de Laon. Mais la réputation de ces habiles maîtres était loin d'éga- ler celle de Jean Titelouze , chanoine et organiste de notre métropole. C'était un prêtre du diocèse de Saint-Omer qui avait obtenu l’orgue au concours en jouant tout ce qu'on voulut à l'ouverture du livre ; il le tint pendant 45 ans qui furent pour lui un continuel triomphe (1588, 1633). André Raison et Nicolas Gigault, célèbres organistes du xvn° siècle, sont des élèves de Titelouze (7); on a de lui une messe à quatre voix, des hymnes et d'autres œuvres. Son rare talent inspira de beaux vers à plusieurs poètes (1) En 1517. (2) Bonnin, Puy de musique d Évreux , p. 58 et 59. ‘3) De 1580 à 1597. (4) De 1598 à 1601. (3) Voir Fétis, au mot Frémart. (6) Maitre à Rouen, de 1632 à 1644. 7) Voir Biographie universelle des musiciens, par Feétis. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 215 rouennais. Bardin, depuis membre de l'Académie fran— çaise , s'adresse à ses hymnes : Beaux airs qui, sortant de ces lieux Remplis d'une douceur divine, Portez notre âme vers Les cieux D'où vous tirez votre origine : Que vos mélodieux accords Produisent des effets étranges ! Mes sens vivent dedans mon Corps Et pensent être avec les anges. Vraiment je ne m'étonne pas Que dedans l’infernal empire Orphée ait charmé le trépas Avec les accents de sa Iyre. Si vos bruits se faisaient ouyr Dedans ces demeures funestes , Les damnés penseraient jouir Du bien des régions célestes. Saint Amand , aussi membre de l'Académie française , complimente, en ces termes, notre chanoine-organiste : .... Quand je dirais que tes doigts Donnent naissance à mille voix Qui nous font mourir d’allégresse , Et que tu mets hors de crédit Les plus fameux maîtres de Grèce , de penserais n'avoir rien dit. Tu charmes si bien les mortels Lorsqu'ils vont devant les autels Rendre à Dieu leurs dévots hommages , Que, sans certains tours d'yeux qu'ils font, On les prendrait pour des images (1). Le jugement de l'histoire n'a pas démenti les éloges un () On trouve ces pièces en tête des hymnes de Titelouze, pu- bliées en 1623. 216 ACADÉMIE DE ROUEN. peu suspects de la poésie : &Il y a Eeaucoup de talent dans « les pièces d'orgue de Titelouze, dit le docte Fétis, maître « de chapelle du roi des Belges; son style a de l’analogie «avec celui de Froberger.» Or, Froberger, élève de Frescobaldi, passait pour le plus savant organiste de l'Eu- rope au xvrni siècle (1). En parcourant les annales du chapitre de Rouen, on y trouverait difficilement une époque plus brillante et plus féconde que celle de Titelouze. A côté de cet habile musi- cien , siégeait au Chapitre une foule de savants qui défri- chaient avec ardeur le champ de l’érudition et des lettres. Est-il nécessaire de nommer les chanoines Dadré (2), Nagerel (3), d'Eudemare (#), Behotte (5), Ridel (6), Mallet (7), Lebrun(S), Pierre Acarie, fondateur de la bibliothèque (9) , Barthelemy Hallé (10), le grand-chantre Gaulde, qui fait exécuter des messes de sa composition (11), Jean Leprevost, homme aussi simple que savant, qui veut que ses cendres reposent au pied de lescalier de la (1) Fétis, Biographie des musiciens, articles Titelouze et Fro- berger. {2) Auteur de la Chronologie historiale des évêques de Rouen. (3) Auteur de la Description du pays et duché de Normand, (4) Auteur d’une Histoire de Guillaume-le-Conquérant. (5) Auteur d'une 4pologie de saint Romain contre Rigaud, d’une Défense du Privilége, d’écrits sur les droits des archidiacres , etc. (6) Coopéra à la première édition de Jean d’Avranches , en 1641 (7) Collaborateur du précédent. (8) Auteur d’un livre intitulé : 4rchidiaconus , sive de archidia- conorum dignitate et officiis liber. (9) En 1632. (10) Fit une très riche collection de livres, qu'il donna à la biblio- thèque capitulaire. (11) Reg. capit., 26 nov. 1640. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 217 bibliothèque (1), François Métel de Boisrobert, qui préside dans sa maison de Paris les premières séances de l'Aca- démie française, et à qui le grand Corneille adresse des vers (2); Enfin, à la tête d’une si docte assemblée , l'ar- chevêque François de Harlai, écrivain érudit. éloquent orateur, qui harangue à volonté dans la langue de Cicéron ou de Démosthène , et prend place parmi les plus géné- reux protecteurs des arts dans notre cité, en donnant 40,000 liv. sur ses bois de Gaillon pour la musique et la bibliothèque de son église (3). Le puy de Sainte-Cécile , dont nous n'avons pas parlé, parce qu'il mérite à lui seul une histoire , était alors dans toute sa splendeur. En 1634, quatre grands théâtres, dres- sés dans la nef de la métropole par les soins de Titelouze, suflirent à peine pour contenir tous les chanteurs et instrumentistes rassemblés pour la fête de Sainte- Cécile (#). À faut dire aussi que, sous Louis XIIT, le plus musicien de nos rois, qui mit lui-même en musi- que quatre des psaumes de Godeau (5), l'entrainement musical était plus grand encore , s'il est possible, qu'au siècle de François Ier. Alors la France se couvrit d'une nuée de musiciens ambulants , qui allaient, le sac sur le dos, de presbytère en presbytère, d'abbaye en abbaye. C'étaient quelquefois des maitres habiles, des prêtres, des prébendés ; ils se faisaient entendre une où deux fois dans une cathédrale , dans un monastère , chez quelque (1) Éditeur de Jean d’Avranches, auteur d'une Héstorre de Nor- marndie , restée en manuscrit (2) Voir OEuvres diverses de Cornerlle , in-12, p. 164. (3) Notice sur Gaillon, par M. Deville, dans la Revue de Rouen, avril 1847. 4) Reg. capit., 11 nov. 1631. (so) Apud Lecerf de la Vieuville , 2° part, pe 97. 218 ACADÉMIE DE ROUEN. seigneur ou capitaine, jaloux d'entretenir bonne cha- pelle (1), puis ils continuaient leur pélerinage (2). Le 21 juin 1629 , je cite un exemple entre mille (3) , notre cathé- drale en entendit un qui avait dirigé les maîtrises du Havre et de Marseille, d'Aix et de Montauban, de Grenoble et d'Auxerre ; il s'appelait Annibal Gantez, prieur de la Ma- deleine en Provence , auteur de l'Entretien des Musiciens, livre très curieux sur la musique et les mœurs musicales du temps, et d'une messe que la fille du maréchal de Saint-Géran paya 30 pistoles (+). Dans la dernière moitié du xvu® siècle, François de Minorville, prêtre lorrain, Michel et Germain Yart, artistes rouennais, et Jacques Boivin, tiennent successivement l'orgue de la cathédrale. Ce dernier trouva , dans un nom- mé Maréchal, un rival redoutable. Le concours eut lieu dans la bibliothèque, en présence d’une commission de chanoines, Les deux concurrents se donnèrent l’un à l’autre le sujet de composition qu'ils traitèrent sans instrument. Le célèbre Dumont , maître de la chapelle royale, au- quel on soumit leur travail , décerna la palme à Boivin (1674). Jacques Lesueur dirigeait alors la maîtrise de la cathé- drale, dont il avait été autrefois enfant de chœur. Homme d'un génie heureux et fécond , latiniste habile , il pouvait prétendre à une place de maître dans la chapelle du roi. Lulli y avait introduit l'orchestre. Dumont et Robert ve- naient de se retirer par scrupule de conscience. Lesueur (1) Voir le Mercure de décembre 1738, p. 2552. (2) Histoire de la Chapelle royale, par Castil-Blaze, p. 91 et suivantes (3) Voir , dans les Xeg. capit. du temps, la multitude des musi- ciens passants. (4) Mercure de décembre 1738, p. 2591. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 219 se présenta au concours ; huit concurrents, choisis entre un grand nombre, furent enfermés avec lui dans une maison où ils ne parlaient à personne , et travaillèrent de leur mieux pendant six jours, sur le psaume Beati quo- rum remissæ sunt iniquitates. Lalande Goupillet, Colasse et Minoret, l'emportèrent. Lesueur fut écarté pour quel- ques imitations de mauvais goût, mais il n’en est pas moins un des meilleurs maîtres de l’époque. Découragé et guéri pour jamais de la manie des images pittoresques, il revint à Rouen, jeta au feu toute sa musique, et n’en composa plus, dit un auteur, que de sage et de sévère jusqu'à la sécheresse (1) Il paraît que la plupart des œuvres de Lesueur ont péri. Fétis ne mentionne de lui qu'une messe et une symphonie lugubre, qu'il fit exécuter chez les dominicains de Rouen, en 1683. Il mourut dans cette ville, en 1693, après avoir introduit dans le chœur de la cathédrale l'usage de l'orgue et de la basse-viole (2). Muni d'une permission de monseigneur Rouxel de Médavi, Lesueur s'était marié à l'insu du Chapitre dans la chapelle du château de Canteleu (2 mai 1692). Le lendemain de sa mort, les chanoines arrêtèrent qu'à l'avenir, personne n'exercerait les fonctions de maitre de la musique , à moins d'être prêtre. Cependant, quelques mois après, ils écar- tèrent plusieurs prêtres pour élire un simple clerc dont la renommée les éblouissait ; c'était François Lalouette , ex- secrétaire de Lully, aux opéras duquel il avait beaucoup travaillé. Lalouette était un des meilleurs violonistes du temps, et passait pour un beau génie. Lecerf de la Vieuville 1) Lecerf de la Vieuville, 2% partie, p. 139, et Castil-Blaze , ubi suprà , p. 130-134. 2) lirg. capil., passim. 290 ACADÉMIE DE ROUEN. préférait son Miserere à un volume de pièces italiennes (1). Sa réputation le fit appeler à la maîtrise de Notre-Dame de Paris ; celle de Rouen fut confiée à Michel Lamy, ex- maître de la musique de Saint-Innocent, à Paris. C'était un prêtre austère , qui prenait fort au sérieux l'art de la musique sacrée. Il porta résolument sa démission au Chapitre, plutôt que d'employer aux grandes fêtes le se- cours des musiciens de l'Opéra (2). On a de lui un grand volume de motets et de cantates (3). François Dagincourt organiste de Saint-Ouen , obtint l'orgue de la cathédrale au concours, en 1706, et le garda pendant 52 ans, sauf ses apparitions à la chapelle de Louis XV C'était un temps de mauvais goût et de déca- dence. Dagincourt inférieur à Couperin, égalait presque en mérite Calvière, organiste du roi ; il l'emporta même un jour sur lui dans un concours, au sentiment de Couperin lui-même qui était au nombre des juges (4). Demazures de Marseille remplaça dignement Dagincourt, et commença Broche qui devait se perfectionner en Italie, sous le savant père Martini, un des premiers harmonistes de l'Europe. Broche éblouit le public rouennais par la plus étonnante facilité d'exécution et d'improvisation dans tous les genres. il jouait une heure sans se répéter sur un motif de quel- ques notes. À propos de la bataille de Jemmapes , il pei- gnit, par la combinaison de ses jeux , le bruit des instru- ments militaires , le choc des bataillons , le fracas de l’ar- tillerie, les gémissements des blessés, les chants de triomphe des vainqueurs (5). C'était là du talent, sans (1) Fétis , au mot Lallouette, et Lecerf, 2%° partie, p. 551. (2) Lecerf, 2° partie, p. 183. (3) In-folio, Paris, 1721. (4) Fétis, au mot Dagincourt. (5) Mémoires biographiques, par Guilbert , au mot Broche. \« CLASSE DES BELLES-LETTRES. 221 doute, peut-être même du génie. Les hommes de l'art jugeront si c'était le génie de la musique religieuse. On accuse l'école du xvrm® siècle d’avoir négligé ces inspi- rations graves, cette harmonie posée , ces sons dévolieux de l'orgue, qui, joints à la majesté sombre de nos tem ples, ébranlaient le sceptique Montaigne, et le mettaient en défiance de son opinion (1). Si le goût de la musique sacrée avait faibli aux appro- ches de la révolution , l'amour de l’art s'était du moins conservé dans notre ville. C’est dans Rouen même, qu'eurent lieu les longs débats de l'abbé Raguenet et du conseiller Lecerf de la Vieuville , sur le mérite respectif de la musique italienne et de la musique française. Jamais l'église métropolitaine n'avait eu autant de compositeurs à son service. Outre les messes de Michel Hermier, de Michel Lamy et de Henri Madin, maîtres de là musique , on y chantait celles de Navet et de Branchart, simples chanteurs (1710-1722), de Quemin , de Philippe Abdé , de Louis Fromental, simples enfants de chœur ( 1695- 1752-1727 ). En une année , Louis Fromental, doyen des enfants, offrit au chapitre cinq à six motets à grande symphonie (2) ; éblouis par un talent si précoce et si fécond, les chanoines le firent monter du rang d'enfant de chœur , au grade de premier maître de la musique (19 avril 1728 ) ; il mourut prêtre , et à la fleur de l'âge, en 1737. Henri Madin prêtre de Verdun, d’une famille Irlandaise qui avait suivi Jacques Il en France , passa alors de la maitrise de Tours à celle de Rouen (1737); il était aussi maître de la musique de la chapelle et des pages de Louis XV, qui le récompensa par un canonicat de la collégiale de Saint- Quentin. Outre des messes , il a laissé un traité du contre- (1) Montaigne. Essais, livre 11, €. 12. (2) Reg. Capit. passim. 299 ACADÉMIE DE ROUEN. point simple ou du chant sur le livre (1). Ses successeurs sous les cardinaux de Saulx-Tavannesetde la Rochefoucauld, furent les abbés Pélisson de Tours , buluc de Bazas. Bel- lenger de Beauvais, Riquez de Tournai, et Cordonnier d'Amiens (2) qui ferme cette longue série de nos maitres de chapelle. Cordonnier , simple clerc , ex-maitre de la mu- sique de la cathédrale d'Evreux, avait aussi enseigné à Paris , où il avait compté parmi ses élèves le célèbre vir- tuose Garat , dont la reine Marie-Antoinette voulut prendre les leçons ; vers 1786, il admit au chœur de la cathédrale de Rouen un jeune enfant nommé Adrien Boïeldieu , fils d'un employé de l'archevêché. A 50 ans de là (3), la même cathédrale se revêtit entièrement de deuil, 250 mu- siciens firent retentir ses voûtes de la marche de Bethowen et du requiem de Cherubini ; ils célébraient les funérailles de ce même Adrien Boïeldieu, qui avait rempli l'Europe de sa renommée musicale. Ici se termine cette revue, trop incomplète des musi- (1) Reg. Capit. et Fétis, V° Madin. (2) Devenu commerçant et père de famille après la révolution , Cordonnier continna de cultiver son art. Sous l'Empire , il dirigea pendant quelques années la musique de la cathédrale de Valence. Une de ses dernières œuvres est le psaume Beati omnes.. exécuté à l'hôtel de ville de Rouen , le 20 mars 1811 , à l’occasion de la naiïs- sance du roi de Rome. C'est à l’obligeance de sa veuve que nous devons ces détails. (3) Le 13 octobre 1834.— Boïeldieu avait eu pour condisciple à la maitrise de Rouen, sous Cordonnier et Broche, Goulley, depuis professeur de chant , et compositeur remarquable de notre ville. Goulley ou Goulé ( Jacques-Nicolas ), né vers 1774 , à Saint-Jean du Cardonnay, entra à la maitrise par la protection du marquis d'Herbouville, Il était doué d'une voix ravissante et d'une rare apti- tude pour les études musicales; à quinze ans, il composa et fit exé- cuter une messe à grand orchestre. Plus tard, il donna plus'eurs ouvertures, un TeDeum, son beau motet Zncipite Domino, morceaux + _ CLASSE DES BELLES-LETTRES. 223 ciens de notre métropole ; beaucoup furent des artistes studieux , des compositeurs féconds ; quelques-uns comp- tent parmi les grands maîtres de leur époque. Apôtres de l'art du chant , et longtemps les seuls représentants de la science musicale dans notre ville , ils y firent l'honneur du culte divin, l'admiration de nos pères , les délices des grands et des rois même. Je m'estime heureux d’avoir exhumé leurs norns des catacombes de nos archives D'au- tres examineront leurs travaux au point de vue de l'art, leur donneront des éloges à la hauteur de leurs talents et plus dignes que cette humble chronique d'être entendus dans le sanctuaire de la science et des arts. LISTE Des Maîtres de la Musique et des Enfants de Chœur dans l’église cathédrale de Rouen : 1. Smméox Romain, sous le pontificat de Samt-Remis 2: motats susoses 755-771. DRMEDARDE 2/00. 10 CRE Ne 1971: d.0Jean LAURENT. . 1... 1379. à grand orchestre, et une cantate dédiée à M. Berton de l'Institut. Iexcellait surtout dans les romances du genre grandiose ; il en composa au moins trente, à deux ou trois voix. Une est devenue très populaire : O ma patrie ! O mon bonheur !.…. Boïcidieu promettait les plus grands succès à son ancien condis- ciple , S'il eût quitté la province On peut dire que Goulley tenait le sceptre de la musique à Rouen , sous l'Empire ; 11 y mourut le 30 mai 1818, à 44 ans. Nous devons ces renseignements à l'obli- geance d’un de ses élèves, M. A. Godefroi ainé, qui a été orga- niste de notre métropole, et maitre de musique des enfants de chœur pendant vingt ans. (1824-1844. 22% ACADÉMIE DE ROUEN. k. Jean MAÇONNET. . . . . 1399. 5. Jean Guérouzr, prêtre. . . . . . . 1:05. 6. Robert LaBBé. k 1#19. 7:0PierrePICLCHE MEN AN. LURMEMAE RE Mai 1423, 8: Jean Lanecois. - : . ACCUS," Juin 1423. 9. Robert LaBBé et Pierre Praienk en-— sembler AUÉMAUR NET. (Octobre 1423. 10. Nicolas DEcan, maiître-ès-arts et Jean Desquesnes, ensemble. £ 1495. 11. Robert Lassé pour la troisième fois, avec Jean DESQUESNES . M 1431. 12. Jean d'Eupemare , chanoine et ancien enfant de chœur de Rouen , maître- ès-arts. - 1433. 13. Pierre PRevosr et CE MenneEnr ensemble. : 110. 14. Jean d'Eunemare, pour la A ré 1441. 15. Radulfe de HanGesr . chanoine. 1444. 16. Pierre de Lacny , chanoine. 1416. 17. Robert Lesueur, chanoine et fil chantre 0. - D LE 1:46. 18. Guillaume Pourarr, De : 1453. 19. Jean QuarreuL , chanoine , sous-chan- tree re cran dede) HMS EE, 20. Mathieu Gaunw ., chanoine. è 1456. 21. Pierre EscouLanT , chanoine , maître- ès-arts . FRE EE 1456. 22. Jean Quarreuz, deuxième fois. . 1461. 23. Jean de Croray , prêtre 1:62. 2%. Jean Quarreuz , troisième fois. 14:67. 25. Jean Morteucr, prêtre. 1974. 26. Jean du CrorTay, deuxième fois. 1478. 27. Jean Lerourneur , chanoine, grand- chantre. 1:82. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 225 28. Jean Morieucr, deuxième fois. . . . 1494. 29. Pierre MÉSENGE , chanoine. . . . .. 1504. 30. Mathurin Duguissox. . . . - 1506. 31. Guillaume Beaucawe , prêtre d Efrause Sept. 1508. 32. Jean Lerrançois, prêtre. . . . . .. 1508. 33. François Duror , de Saint- Det. pa 1522: 3%. Guillaume Leror, diacre. . . . . . 1530. 35. Dominique Dusarnix , prêtre. . . . . 1536. 36. Pierre Ouivr. . . . . . . . . . . Janvier 1548. 37. Guillaume LaBBé. . . . . . . . . . Mars 1548. 38. Herbert LEcouTEux. . . . Fe sont 1559. 39. Dominique Dusarnin, 2% se . + + Mars 1559. 40. Pierre Caro, curé de Roncherolles, près Darnétal.. . . . . de 1565. k1. Nicolas More , de Paris, ue. ; 1580. k2- Jacques Caner. … à . - . . . . . 1597. 43: Claude, Biviy. . ENEMAAUNR . : . 1598. k4. Eustache Prcor.…. .… . . - . . . . | 1601. 45. Michel CHEFDEVILLE.. . . - . . . . 160%. 46. Henri Frémarr, prêtre, chanoine de Saint-Aignan . . . . e 1611. #7. Lazare Yves, chanoine dé h Houie 1625. k8. Michel Marrix . . . es AUS 16392. h9. Clément Le non, prâtre.srmé 1634. 50. Jacques Lesueur. . : . . . k 1667. 91. François LALLOUETTE , déto de Patis: 1693. 52. Pierre Durann. . . . Avril 1695. 93. Michel Herurer , prêtre ân Fe èse de Rouen. . ù PRES Mai 1695. 9%. Michel Lamy, vééthée LE 1697. 99. Louis Lecras, clerc du diocèse dolians Mars 1728. 56. Louis-Nicolas FROMENTAL . . .: . . . Avril 1798. 97. Henri Manix, prêtre du diocèse de Verdi... mu sien 0. 1737. 15 226 ACADÉMIE DE ROUEN. 58. Louis-François Touraix, clerc d'Evreux. 1741. 59. Pierre Péisson , prêtre du diocèse de Tours. ane te: à Sorel 1746. 60. Louis-François Tourain, 2° fois . . . 17 50. 61. J.-B Duiuc, prêtre du diocèse de Haras : Prucles Traitement de la phthisie, par M. le Dr De Lamare. De la mort apparente, par M. le I Lecoupeur. . De la valeur scientifique de la médecine, discours de réception de M. le D' Hélot. Réponse de M. Bergasse , président . STATISTIQUE. Statistique criminelle du département, par M. le D: Vingtrinier . Tableau décennal des Dertons 5e Mon de piété de Rouen (1840-1849), par M. Balin . Statistique du commerce et des pce à du port de Rouen Développement del industrie des tissus en Ané- rique NÉCROLOGIE. L'Académie a perdu MM. Guérard de la Quesnerie, De Luc, Francœur et Brunel. Nouveau membres. : Notice nécrologique sur M. Guerard de la Ques nerie, par M. J. Girardin . à Notice nécrologique sur M. De Luc, par en méme. . _— — M. Francœur, id. 46 62 MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE A DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION EN ENTIER DANS SES ACTES. Notice historique sur Marc-Isambart Brunel, par M. Édouard Frère . 67 TABLE DES MATIÈRES. Mémoire sur les nombres, par M. Girault . . . Sur le calcul infinitésimal, par M. Bergasse . . . De l'alcool considéré sous le rapport toxicolo- gique, par M. Morin . Observations sur quelques points controversés du système organique et physiologique des végé- taux, par M. Prevost. À: : Observations météorologiques, par M. Preisser, avec tableaux . . . .. apport sur le concours pour te priæ d hygiène populaire, par M. Hélot CLASSE DES LETTRES. Rapport sur les travaux de la classe des Lettres et des Arts, par M. À. Pottier, secrétaire PHILOSOPHIE RELIGIEUSE. Discours de réception de M. l'abbé Louvel sur l'accord de la Science et de la Foi. Réponse de M. le Président. ÉCONOMIE SOCIALE. Discours de réception de M. Nepveur sur les insti- titutions de bienfaisance. Réponse de M. le Président HISTOIRE, ARCHÉOLOGIE. L'administration de Louis XIV, par M. Chéruel . Discours de réception de M. Léonce de Glanville, sur la numismatique Las par rapport à l'histoire. Béponse de M. le président | : - Sur une plaque de bronze, par M. Fallue ; 383 161 163 164 163 166 168 ib. 169 170, 305 38% TABLE DES MATIÈRES. Notice sur Radepont, Fontaine-Guerard et Pont- Saint-Pierre, par M. Fallue . BIOGRAPHIE. Notice sur Lépecq de la Clôture, par M. Hellis, el portrait de ce grand chirurgien offert à l'Aca- démie par M. Léonce de Glanville. Souvenir accordé à Lépecq et à Lecat . : Détails bibliographiques relatifs à P. Corneille, communiqués par M. Ballin. Lettre inédite de Jouvenet, communiquée par M. Floquet. BEAUX-ARTS. Examen comparatif des différents systèmes de notation musicale, par M. Martin de l’illers . Discours de réception de M. l’abbé Langlois, sur l’histoire de la musique et du chant dans l’église métropolitaine de Rouen. Réponse de M. le Président : Discours de réception de M. Vervoitte, sur v lis toire de la musique religieuse Réponse de M. le President. - Collection de dessins orignaux offerte à D scadémie par M. Pécheux . POÉSIE, Traductions de M. Leroy, Fables de M. l'abbé Picard, Comédie de M. F. Deschamps . SUJETS DIVERS. Mention des rapports de divers membres Hommes célèbres rappelés au souvenir des Rouen- nais. 171 1745481 Le 1/5 615 173, 189 174, 257 174, 198 175, 298 ib. 476 178 176, 506, 310, 320 AT TABLE DES MATIÈRES. Mentions lrès honorables décernées, par l'Institut de France, à MM. Aug'° Le Prevost et Fallue. Nouveaux membres. 180 ib. 389 MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE À DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION EN ENTIER DANS SES ACTES. Notice sur Lepecq de la Clôture, par M. Hellis. Lettres de noblesse accordées à cet homme célèbre. Lettre inédite de Jouvenet et notice à ce sujet, par M Floquet. : : Discours de réception de M. L'abbé Langlois Liste des maîtres de chapelle de la cathédrale de Rouen. . . - _—-- Sur l’histoire deschants religieux, “par M. Bergasse Sur la numismatique, par M. Bergasse . : Dissertation sur l’enseignement de la musique par la méthode Galin-Päris-Cheve, par M. Martin de Fillers. Note sur une plaque de bronze trouvée au one poignant, par M. Léon Fallue . Fables, par M. l'abbé Picard . ne Traductions libres, en vers ou. de nu pièces de vers latins, par M. Leroy . . hs Notes relatives à Corneille, recueillies par M. Ballin. NRA RARE Monsieur Bonœil, ou l'observateur en défaut, comédie, par M. E. Deschamps . Table des ouvrages reçus pendant l'annee acade- mique 1849-50 Tableau de l'Academie pour l'année 1850-3 2) r t (ON RES | 99 Yæ'! 2 \ t " > 7 19 19 29 520 5ü4 380 ASS À S HMEEE Ke M an MA M | FL A ee ut LÉ AE LES V° re PSE y A4 ne Char | vé, M SÉYvE es ee y céceus AAA AAA UN F < Ye VU sn ce LU Soeovoue CRE G JU SEE RUN SE MUUUe UVV ou WU ARETTE y RS ER NNS te MUR AAA SELYYY SR V d'A ci (Si VE. ÿée CLEA A MATIN de SAS NE es LA 28 MNT COUUM VW MR VA au go a EE TERRE APRES HAS - . V PE PERRIN" | 4 y POSE NN MCE RE ESS AN PPPEPÉEEE PP RME PEU E UNE ME Uu ANR RE ” 6 SEE AAC VS M te PUPER À 4 (4 À | Ë RASE vou A | AVS ÿ hd VYS DRE S - PNR EN RES RUN ke Ÿ| 3 WE dv 4 y v ad Go NUVNTY MW VEUT E NW se ee RASE RUE RU VUS Jr! - Ÿ HU vv a : UN ŒvY Vo AN ne je | RAS NON MU HUM WU 4 N V4 À VUS M UV Ni W V AU A MEMCMEMENEON EN EREEAREEEENNENEN EEE ER sun re AA RAA nue