Do ep s . n - > A D Ro ge gemmes = a — >< SRE on nc, D om = me ns SE de cru ae s ee mn à 7 D HP DS Diet D En RU En D PT TE o - à - ET et og er Re DR RE GIVEN TO THE California Academy of Sciences BY The Academy of Natural Sciences OF PHILADELPHIA After the Farthquake and Fire of April, 1906 Lrctis 77 5731 «? Æ 7. f 5 < Le ; k + e F a+ à x : { « * 2 re , , ré L à À, ”. L] 4 7 - e di ED . r - _ de = SC C nE 'URS CRE, A0 RAS? Pad PP TP PP OM PT PORN ES 27 ET PES sr Digitized by the Internet Archive in 2012 with funding from California Academy of Sciences Library | http://www.archive.org/details/principesdephysi00bour 4 WP or LH PRINCIPES D E Et PHYSIOLOGIE COMPARÉE. OUVRAGES DÜ MÊME AUTEUR QUI SE TROUVENT CHEZ LES MÊMES LIBRAIRES. De l'influence de la Pesanteur sur les phénomènes de la vie; Paris, 4822 , in-8. | 78 c. Recherches sur le mécanisme de la Respiration et sur la Circu- lation du sang, etc. Paris. 1820, in 8. 2 fr. Mémoires que l'Institut a honcrés d'un accessit au premier con- cours pour les prix Montyon. Principes de Physiologie médicale; Paris, 4828. 2 vol. in-8. 42 fr. IMPRIMERIE DE Ve THUAU, rus du Cloître-St.-Benoît, n. 4. PRINCIPES DE PHYSIOLOGIE COMPARÉE av HISTOIRE DES PHÉNOMÈNES DE LA VIE DANS TOUS LES ÊTRES QUI EN SONT DOUÉS, DEPUIS LES PLANTES JUSQU'AUX ANIMAUX LES PLUS COMPLEXES ; PAR ISID. BOURDON , DE L’ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE, Histoire générale des Corps vivans , — de leur Génération ou de leur Repro- duction ,— de leur Accroissement , — de leur Nutrition. L PARIS. GABON,—9J.-B. BAILLIERE, Libraires , rue de l’École de Médecine; MONTPELLIER, LIBRAIRIE MÉDICALE DE GABON ; LONDRES ;, J.-B. BAILLIERE, 3 BEDFORD STREET, BEDFORD SQUARE; BRUXELLES; AU DÉPÔT DE LA LIERAIRIE MÉDICALE FRANÇAISE, 1830. ra jrs Lot La si de (LE : ï v 4 et VER ÿ th 4 re AT ol (eV D NN “stgsit 11940 50 notes sos eur Le PROTREREES SARA 1098 9b M EE inst sb - a 4 “adaia :Ÿ ‘# pnoebèit des TEUS ou | pri sAOHAD ad a TETE LUS ; AL à ; none create aug 1 UE A monsieur GBORFRRON SR HILAIRE, MEMBRE DE L'INSTITUT. AU MAITRE HABILE A ENCOURAGER, AU SAVANT TOUJOURS ACCESSIBLE, À L’AMI CONSTANT DONT JE M'HONORE, HOMMAGE VRAI, HOMMAGE DU COEUR. ISID. BOURDON. , À 5 ue HAT PRÉFACE. Chaque science a son époque de gloire, son temps de progrès et de maturité; chacune devient succes- sivement populaire. Tout siècle a sa science préfé- rée, et la Physiologie est celle de nos jours. Nous possédons déjà beaucoup de livres sur cette branche importante de nos connaissances ; par mal- “heur la plupart de ces traités n’envisagent que l’es- pèce humaine. Il en est quelques-uns consacrés aussi à l’histoire des fonctions des plantes; mais au- cun d'eux n’embrasse l’ensemble des corps vivans. À la vérité c’est un sujet d’une extrême difficulté, et d’une étendue immense. M. Cuvier, avant lui Perrault, Monro, Hunter, Blumenbach et Vicq-d’Azir, et après lui, MM. Eve- rard Home, Geoffroy St.-Hilaire, Blainville, Du- méril et Meckel, sont les principaux savans qui se soient occupés un peu généralement de l’anato- mie des animaux. Mais ces auteurs si estimables se sont presque toujours bornés à décrire les instru- mens, les organes : ils ont exposé, avec une exac- titude tantôt philosophique et tantôt minutieuse, la composition , la structure des machines vivantes, sans presque jamais en dire le mécanisme, sans en montrer l’admirable jeu , lharmonie. Si l'étude dont nous traitons a été jusqu'alors si généralement négligée, c’est qu'elle exige, ou d’heu- VIII PRÉFACE. reux et longs loisirs, ou un désintéressement qu: devient de plus en plus rare; c’est qu'outre cela, il faut des musées, de riches collections, où l’on puisse consulter sans cesse des matériaux indispensables à quiconque veut éviter l'erreur. Aussi ne doit-on pas s’étonner si l’on est obligé de remonter jusqu’à Aristote pour trouver une esquisse un peu suppor- table de la physiologie comparée : encore faut-il at- tribuer la généralité philosophique de l'ouvrage d’Aristote, à l'enfance, à l’imperfection de lascience, alors qu’Aristote s’en occupait. Un pareil livre, convenons-en sans dissimula- tion et sans flatterie , gagnerait beaucoup à être fait par M. Cuvier. Mais cet homme illustre, sérieuse- ment Gccupé maintenant de la réimpression et de l'achèvement des ouvrages de sa jeunesse, ne fera ja- mais pour la physiologie, nous avons de trop grands motifs de le craindre, ce qu’il a exécuté avec tant de bonheur et de succès pour l'anatomie. C'est ici d’ailleurs un de ces ouvrages qu’il ne convient d’en- treprendre que dans la deuxième partie de la vie, à cetàge d'illusions et d'espoir, où l’existence a tant de plénitude, que c’est à peine si l'on songe à en prévoir le terme, à en régler l'emploi et ménager le cours : sans compter que l'esprit même le plus vaste a ses limites, ou plus restreihtes, ou moins bornées, mais prescrites à tous et toujours infran- chissables. Si du moins M. Cuvier pouvait encore aban- donner, comme jadis, sans repentir, Sans im prudence , à la foule de ceux qu'il instruit et qui l'admirent, les précieux matériaux que ses collec- PRÉFACE, IX tions renferment! sil maintenaït toujours accessi- bles, sans restriction, sans réserve, les documens dont plusieurs ont besoin ! Mais la générosité et la complaisance ont aussi leurs Ltée : et s’il est une chose qui doive profondément attrister, c’estque ce soit l'ingratitude des hommes, l'injustice de ses con- temporains, qui ait ainsi forcé M. Cuvier à se réser- ver pour lui seul des trésors où, de son noble con- sentement, le monde entier puisait à loisir et sans limites il y a peu d'années. Heureusement nous avions consulté autrefois tout ce que le Musée du Jardin du Roi, tout ce que les cabinets de M. Cuvier offrent de plus important. Ces matériaux nous sont d’un grand secours au- jourd’hui. Nommé de l’école des naturalistes du gouvernement, fondée en 1819 par M. Decazes, à l instigation de M. de Mirbel et des professeurs du Musée d'histoire naturelle de Paris, j'eus le bon- heur alors d’être attaché à M. Cuvier en qualité de disciple particulier, d’être personnellement choisi par lui après concours. Ce fut alors que j'étudiai et l’histoire naturelle, et l'anatomie comparée, sous les maîtres les plus habiles et dans les circonstances les plus propices qui se puissent jamais rencontrer. Mais il faut bien le dire aussi : ce n’était point là que je pouvais ap- prendre la physiologie comparée; la vie ne peut être étudiée que sur des corps vivans, et tout est mort, tout est inanimé dans les musées d'histoire naturelle. Je dus donc recourir à l'étude des corps réellement vivans. J’observai les animaux et les plantes, je lus les observateurs, je fis des expé- x PRÉFACE, riences; et comme j'avais avant tout, et plus atten- tivement que tout autre être, étudié l’homme lui- même, mes premiers travaux et mémoires, et mon premier ouvrage, eurent l'homme pour uni- que objet. Sans donc perdre de vue mon projet de tracer l’histoire de la vie dans tous les êtres, je publiai d’a- bord une physiologie de l’homme, cette Physiologie médicale, à l’occasion de laquelle les médecins les plus distingués de Paris ont déjà publié, dans le seul but de la critiquer, plus de pages que ce livre lui- même n’en contient ; cet ouvrage qui a soulevé tant de passions, et qu’on a traité, pour tout dire en un mot, comme on traite ordinairement une décou- verte. Je veux dire qu'on a commencé par soutenir avec vivacité qu'il contient des erreurs, quelques contradictions, quelques paradoxes (ce qui peut bien être vrai), et l’on a fini par assurer qu’il n’é- tait pas nouveau, dernier reproche assurément beaucoup plus endurable que les autres , la lu- mière du jour et l’impartialité du siècle étant là pour me défendre , et devant suflire pour m'en jus- tifier. | Toutefois ce livre si vivement critiqué, contient tous les grands principes de la physiologie, la science de l’homme, mes opinions et mes croyances per- sonnelles, et par anticipation aussi, les corollaires du livre que je publie aujourd’hui. Je me hâte d'a- jouter qu’à son tour, la Physiologie comparée ren- ferme la plupart des faits particuliers que l’on espé- rait peut-être rencontrer dans le premier ouvrage. Je souhaite qu’on veuille se donner la peine de PRÉFACE. xj lire entièrement eette première partie, avant d’ex- primer aucune opinion au sujet de ce nouvel ou- vrage. Mais je crains bien que l’on ne le feuillette d'abord, encore animé de cette vive colère que la Physiologie médicale a excitée. À la vérité, j'en suis sûr, et cela du moins me tranquillise, on finira par y mettre plus de calme, et aussi plus d’impar- tialité; je n’ose encore compter sur beaucoup d’in- dulgence, et pourtant j'en aurais besoin. Je ne publie maintenant que la première partie de la Physiologie comparée : quatre livres composent ce volume. Le premier traite de la Vie, de ses lois gé- nérales, de ses diverses manifestations , et des corps qui en sont daués. Le deuxième Livre contient l’his- toire de la Génération ou de la Reproduction dans les animaux des différentes classes et dans les plan- tes. Le troisième renferme tout ce qui concerne les progrès et les lois de l’Accroissement des corps vi- vans, ainsi que beaucoup de chapitres qui, bien qu'imprimés depuis long-temps, ont trait à la grande question des analogues qui a été tout récem- ment débattue entre deux célèbres naturalistes, de- vant l’Académie des sciences de Paris. Le quatrième Livre traite de la Nutrition des corps vivans. Dans la deuxième partie, qui suivra d’assez près celle-ci, il me restera à faire l'histoire de la respi- ration des corps vivans , de leur chaleur propre, et des causes productives de cette chaleur ; des fluides, humeurs et émanations des corps vivans, de leur sécrétion , de leurs sources , et de la circulation de plusieurs ; des sensations des animaux, de leurs di- vers instincts, de leurs mouvemens , dispersions et xij PRÉFACE. voyages, et aussi de leurs langages ; enfin des causes qui, modifiant leur nature, produisent leurs nom- breuses variétés, et des principales influences qui en déterminent la multiplication et la distribution sur le globe. Je termine en appelant de tous mes vœux la cri- tique et les avis de mes émules : qu'ils soient vrais | qu'ils soient impartiaux et judicieux , et ils verront combien je serai docile et reconnaissant ! ERRATA. Page 28, ligne 2° du chapitre IX, — composent, lisez : couvrent. 48 25 , — mais on ne voit d'œufs , ajoutez : véritables, Go 12 , — Goudyles , lisez Gongyles. 113 6,— plus léger que l'air, lisez : plus léger que lalbumen. 128 , au bas de la page , corrigez plusieurs singuliers mal à propos mélés à des pluriels. 101, Ligne 17 , — effacez: presque. 219 30, — effacer : l'est. _ 391 20, mettez : plumule , au lieu de: vradicule. 420 17 , — lisez : ne se transforment jamais l’une en l’autre. _426 23,— ne se fondent , lisez : ne se soudenit, 425 15,-— méme changement. 483 4 , — nécessaires , lisez : naturels, . 505 4, — attérer , lisez : altérer. 556 23, — maniére , lisez : matière. e PRINCIPES DE e PHYSIOLOGIE COMPARÉE. LIVRE PREMIER. * Des Corps Vivans en général. CHAPITRE PREMIER. . Idée des Corps Vivans et des rapports qu'ils ont avec toutes choses. Quand on porte les yeux sur la terre, on la voit partout couverte de corps vivans. À l'exception des pôles, d'où le froid et l'obscurité les éloignent, les plantes et les animaux habitent toutes les parties du globe. On en retrouve d’anciens vestiges jusqu'aux profondeurs des terrains charriés par des fleuves , déposés par les mers déplacées, ou tourmentés par di- verses révolutions. La couche superficielle de la terre, formée des débris des générations détruites, sert à l'accroissement des plantes actuelles, et, par ces plantes, de nourriture aux animaux. Autour de la IL. “aie. 2 LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. terre, ainsi peuplée , tout est arrangé pour la vie : la lumière et la chaleur vivifient les corps organisés ; l'air lui-même, qui forme à la terre une enveloppe de plusieurs lieues d'épaisseur, entre dans la compo- sition de ces corps par des échanges côntinuels et toujours compensés. Enfin l’eau, qui pénètre le sol ou qui se vaporise dans l'atmosphère , l’eau, qui passe incessamment de la mer aux nuages et des nuages à la mer , est un autre élément nécessaire à la vie. Tous les êtres vivans, quelque diversifiés qu'ils soient, ont des caractères communs : tous naissent de corps semblables à eux, et s’accroissent, aux dé- pens de molécules étrangères qu'ils assimilent à leur propre substance ; tous sont formés de diverses parties qu’on nomme organes, ce qui les fait eux-mêmes nommer corps organisés; ces organes réunis forment pour chaque être vivant un tout ensemble, un tout concordant et d’une parfaite unité pour les formes, pour les phénomènes et pour la durée ; et comme un seul de ces organes ne saurait être distrait des autres sans nuire à l’ensemble de l'être, à cause de cela chaque corps vivant s'appelle individu. Tous ont une chaleur propre, différente, et jusqu’à un certain degré indépendante des corps environnans ; tous résistent aux lois d’affinité des corps bruts, et les composés qu'ils forment sont dus à d’autres lois que celles par qui s’opèrent les mixtes de la chimie; tous absorbent quelque chose du dehors et le transforment, et tous exhalent quelques principes nés de la vie; tous se reproduisent par des actes semblables aux actes qui les ont eux-mêmes produits ; tous durent un temps variable pour chaque être, mais à-peu-près le même , CHAP. I. IDÉE DES CORPS VIVANS. s: pour tous les êtres de la même espèce restés à l’état sauvage ou de nature : après cette durée active et : individuelle tous cessent d'exister, et enfin leurs corps se dissipent en leurs plus simples élémens y selon les lois de la chimie universelle. Ainsi chaque être vivant forme un petit monde par son ensemble , par sonsunité ; mais ce petit monde ne peut subsister isolé du grand. Il y a toujours pour la vie liaison et mutuelle dépendance d'organes , tou- jours concours et concordance d'actions ; il ÿ a pour chaque être vivant, commerce de chaque partie avec le tout , et du tout avec l’univers. | Si donc on veut distinguer un corps actuellement Wrant-d'enpe un autre Corps organisé , mais sans”. ; on n’a qu’à s'assurer s’il à commerce ave- . ‘1 ” toure, ou si, au contraire, ilne ““"°1V© plau enpuik rapport avec l'univers, &: "’* vens distinguer un corps: organisé qui.a ces 2 Vivre , d'avec un corps brut et inorganisé -“ Da qu'à voir si les différentes parties de -< Corps sont unies autrement que par l'attraction moléculaire, et si la libre action des élémens finit bientôt par le putréfier ou le consumer. CHAPITRE. I. Deux Classes d'Étres organisés : animaux et végétaux. Quant à l’universalité des corps vivans, leur sépa- ration en deux grandes classes, ou, comme on dit, en deux règnes, est tracée par la nature. Les uns, plus complexes , pourvus d’une cavité intérieure qui recoit leurs alimens, doués de sentiment et de mou- .e “hi h. LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL, vemens spontanés, mus par instinct vers ce qui leur convient , s’éloignant également de ce qui peut leur nuire, sont nommés animaux. Les autres, implantés dans la terre par une racine, privés de la faculté de sentir et de se mouvoir, entourés naturellement des choses nécessaires à leur existence, les absorbent directement sans instinct , sans déplacement, sans préparatifs, sans travail compliqué. Les animaux, pourvus d'organes sexuels, tantôt unis dans le même être , plus souvent séparés dans deux êtres de lamême espèce , conservent ces organes aussi long-temps que la vie : presque tous les végétaux ont les organes des deux sexes réunis dans le même être, et ces organes, "©. nerdent et les renouvellent chaque année. Les animaux sv. à ANESE à -nrtout compliqués à l’intérieur; c'est là que se passent Je, . . d P 7, + inCipaux phénomènes de leur existence : les végétaux, au ntraire, ont les prin- cipaux organes placés à leur surfau. | : é À . leurs fonctions sont plus extérieures. Dès en naissant, FLN (si l’on exceple quelques cas de métamorphoses) ER différentes parties de son corps déjà ébauchées ; par- fait dès son origine, ses organes n’ont plus qu'à se développer, qu'à s'agrandir. Le végétal, né d’une graine, développe successivement ses organes : une racine , une tige, des feuilles, des fleurs, etc. s et après que ces fleurs sont Épanouies ; bientôtle reste des organes dépérit, et bientôt tout meurt, ou seu- lement la tige, ou quelquefois seulement les feuilles : chaque année ou chaque floraison le détruit ou le renouvelle , ou partiellement , ou tout entier. Ainsi les deux classes d'êtres ont en commun la faculté de se nourrir ct la faculté de se reproduire ; l’animal a, CHAP. III. ÊTRES AMBIGUS. 5 de plus que les végétaux, le pouvoir de sentir el de se mouvoir spontanément ; il a seul des nerfs, seul des muscles, du sang et une espèce d'estomac , et tou- jours visiblement au moins l’une de ces choses : et comme les nerfs et les muscles sont intermittens dans leur action, il naît de là une nouvelle différence pour l'animal ; je veux parler du sommeil périodique au- quel il est assujetti. CHAPITRE IIT. Étres ambigus : eause d’erreur et de confusion. Existe-t-il des êtres intermédiaires aux animaux et aux plantes ? Celui qui ne connaît la vice que pour l'avoir étudiée dans l’homme et dans les gros animaux les plus rap- prochés de l’homme, lit avec dédain ces ennuyeuses discussions dent le but est de distinguer sans erreur un animal d'avec une plante : il regarde comme im- possible toute confusion entre des êtres si différens à ses yeux prévenus; tant de recherches lui semblent de vaines subtilités. S'il n'existait sur la terre que des animaux aussi bien caractérisés que le sont les oiseaux, les poissons et les quadrupèdes, sans doute il re serait pas besoin d'enseigner à les séparer d’avec les végétaux : la bar- rière mise entre eux par la nature devrait suflire. Leurs sens si manifestes , leurs mouvemens spontanés, la symétrie et la complexité de leur structure, et plus que tout cela, l'instinct qui dirige leurs actions, pré serveraient sûrement de toute erreur. Alors on pour- rait se contenter de dire avec Linné, Vegetabilia cres- 6 LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. cunt etvivunts Animalia crescunt , vivunt et sentiunt : et tout incomplète qu’elle est, cette courte et jolie définition serait suffisante. Il ne serait pas besoin non plus de distinguer , d'avec les végétaux, les insectes, les crustacés , les coquillages symétriques , espèces de vertébrés retournés et en miniature, Mais il faut re- marquer que les animaux n'ont pas tous cette per- fection apparente : tous ne sont pas aussi compli- qués, ni tous aussi visiblement mobiles, La preuve en est que Tournefort, homme d’un bon esprit et grand naturaliste, forma neuf des genres de sa dix-sep- tième famille des plantes avec les polypiers connus de lui et des savans ses contemporains. Depuis Tour- nefort, Trembley consacra un temps fort long à s’as- surer si l’'Hydre d’eau était un animal ou une plante, et les expériences auxquelles il se livra pour éclairer ses incertitudes , le conduisirent à une découverte que les écrivains d'alors ont vivement célébrée. Les tâtonnemens de Trembley sont d'autant plus re- marquables , que déjà avant lui Peyssonnel avait ob- servé que de petits animaux habitaient les différens compartimens des coraux. Cette découverte, Ellis et Solander l'avaient étendue à toutes les sortes de poly- piers; et Donati, Réaumur et B. de Jussieu la con- sacraient déja ou dans leurs leçons ou dans leurs ou- vrages. Cependant il resta long-temps des doutes dans les esprits et de Pobscurité sur la matière. Les grands naturalistes du dix-huitième siècle fu- rent tous frappés de ces difficultés; lillustre Buffon surtout sut les apprécier : il proposa, en conséquence, d'établir une classe d’êtres intermédiaires aux deux règnes, Linné , à qui cette idée parut juste, quoi- CHAP. HE. ÊTRES AMBIGUS. g) qu’elle fût de Buflon, la réalisa par le nom de Zoo- phytes (animaux-plantes), qu'il donna à ces êtres équivoques si nuisibles aux généralités dont sans eux les deux règnes seraient susceptibles. Le célèbre Pallas imita Linné en eette occasion comme en tant d’autres; M. Cuvier lui-mème admit le mot et la dis- tinction qu'il consacrait: mais M. de Lamarck a de- puis rejeté le mot et la chose. Tant d’hésitations et de doutes de Ja part d'hommes aussi éclairés ne tenaient pas seulement à l'obscurité du sujet ; ils avaient leur source essentielle dans une première et fausse direction de vues et d'études : con- centrés dans lears cabinets, les naturalistes étaient trop loin de la nature. On avait trouvé des corps so- lides, des coraux, des éponges, des alcyons, des po- lypiers de mille formes, tantôt nus, tantôt recou- verts de corps mous et mobiles. On confondit toutes ces choses; on ne distingua pas l'habitant d’avec sa demeure , le polype d'avec son polypier. Loin de re- garder le corps mou comme le fabricateur de la masse solide , on crut que ce dernier corps produisait Pau- tre; et comme on voyait ces polypiers s’aceroître et come végéter, on les prit sans cérémonie pour des plantes , et les polypes furent regardés comme les fleurs de ces plantes singulières. Ilest juste de dire qu’à l'époque où ces êtres se reproduisent, leur cerps est couvert de petits gemmes. où bourgeons qui ne sont pas sans quelque analogie avec de certaines fleurs. d’une stracture peu distincte. Maïs quand on vit que ces prétendues fleurs étaient mobiles , quand on vit qu'elles paraissaient sensibles, on fut alors dans un grand embarras ; et c’est pour en sortir qu'on les . 8 LIV. 1. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. nomma Zoanthes : c'est-à-dire animaux- fleurs ow fleurs animées. La vérité est (et cela est bien certain aujourd’hui) que les polypes composent eux-mêmes ces espèces de végétations solides qui leur servent de demeures, à-peu-près comme les mollusques forment leurs co- quilles, le taret son fourreau, l'écrevisse son test, les tortues leurs carapaces, les poissons leurs écailles, les insectes leurs élytres, les oiseaux leur plumage , les tatous leur toiture, les baleines leurs fanons, les quadrupèdes leurs poils et leurs défenses, et l’homme ses cheveux, ses ongles et son épiderme. Il y a dans tous les êtres vivans certaines parties qui végètent; et si l’on jugeait de chaque animal d’après ces parties. végétantes de son corps, il faudrait les ranger tous parmi les zoophytes de Einné et de Pallas. : Voici toutefois à quels signes on peut reconnaître si un corps vivant , si un Corps Crganisé, se nourris sant et s’accroissant par lui-même, si un être#doué d’une température propre et se reproduisant, est un végétal ou un animal. S'il se meut chaque fois qu’on l'irrite en fe tou- chant, si d'ailleurs il se meut spontanément pour vaquer à ses besoins, s’il est plutôt adhérent au sol qu’enraciné dans la terre, si son corps est pourvu d’une cavité centrale, si lorsqu'on l’a tué il se pu- tréfie, si les parties séparées de son corps et jetées au feu brülent avec une sorte d’effervescence et en répandant une odeur de corne ou d’ammoniaque , si en le décomposant par les procédés chimiques il donne plus d'azote que;de carbone; alors on peut être assuré qu’un pareil être est un animal. Mais si CHAP. III. ÈTRES AMBIGUS. (e le corps vivant, d'une nature équivoque, ne jouit d'aucun mouvement à-la-fois durable et spontané, s’il est dépourvu d’une cavité intérieure, s’il tient dans le sol et que, détaché de ses adhérences, il ne tarde pas à se faner et à mourir, si une fois mort il se dessèche ou fermente sans putréfaction, s’ii brûle sans odeur de plume ou de corne torréfiées, et si son résidu , très-considérable , est charbonneux; dors il s'agit là d'un végétal. Ces caractères sont suflisans et la plupart faciles à apprécier. Je n'ai point fait mention de la sensibilité dans cette distinction positive des êtres vivans, car pour les animaux inférieurs surtout ( les seuls dont il soit quelquefois difficile d'apprécier la nature ), ce n’est qu'à l'aide de mouvemens excités qu’on peut juger s'ils sont sensibles. de n’ai point parlé non plus des phénomènes de la reproduction : il est évident qu'il n’y a d'ambiguité embarrassante que pour des êtres dont les fonctions sont d’une grande obscurité ou tout-à-fait inconnues. Ce n’est point, comme on pourrait le penser , les plus parfaits, je veux dire les plus complexes des végétaux, qu'on est exposé à con- fondre avec les animaux les plus simples. Un peu de réflexion fait voir qu'il serait impossible de ne pas toujours discerner une plante feuillée et fleurie d’avec n'importe quel animal. Mais on a souvent confondu les êtres les moins caractérisés des deux règnes : l'ensemble des animaux et l’ensemble des plantes forment donc comme deux pyramides qui se touche- raient par leurs bases. ; Voyez combien il est difficile de caractériser par une formule courte, mais positive, ce qui conslitue 10 LIV. 1, DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAE. et différencie l'animal ! Aussi M. Cuvier , qui employa vingt annéés de sa vie à scruter l’organisation des êtres aimés, depuis le simple polype jusqu’à l'homme, s'est-il sagement abstenu d’une définition générale. Plus on à vu d'animaux, plus on a de peine à les définir. La difficulté n’est pas de savoir ce qui est propre aux seuls animaux, mais ce qui leur est commun à tous, parnñ ces choses qu'eux seuls possèdent. On sait bien qu'ils ont seuls un cerveau, des nerfs, des muscles , un cœur, des poumons, un estomac, un squelette : on sait qu'eux seuls se meuvent, digèrent , respirent , qu'eux seuls ont du sang et semblent sentir : maïs que leur reste-t-il de tous ces caractères, quand on redescend la longue chaîne qu'ils forment, depuis le dernier anneau jusqu’au premier? presque rien. On voit successivement disparaître les poumons , les olandes , le cerveau, le squelette , le cœur, les bran- chies, le sang, les nerfs, les muscles et enfin les vaisseaux ; à peine est-on sûr si tous ont une cavité digestive ou un estomac. Cependant , comme on re- trouve ce dernier organe dans la presqu'universalité des animaux, et comme on le retrouve manifeste- ment dans ceux même qui ne conservent plus aucun autre organe visible , on est porté à croire qu'il existe dans tous ; et si nos recherches sont vaines pour le découvrir dans plusieurs, il faut croire que c’est faute d'assez d’adresse , faute de sens assez délicats, et pro= bablement aussi à cause de l’exiguité des êtres où nous le cherchons sans le trouver. On admet, en conséquence , que tous les animaux ont un estomac et qu'ils digèrent : on suppose en outre que tous sont sensibles ; mais ce qui est sûr, c’est que tous, ét eux CHAP, IV. CONDITIONS DE LA VIE. La seuls , ont des mouvemens spontanés et durables. Ce dernier caractère est le plus évidemment universel. Résumé. S'il me fallait donner une définition géné- rale des animaux, je dirais : Estomacs servis par des organes. L'estomac est, en effet, la grande pièce essen- tielle de tout être animé , comme le grand ressort est Ja pièce indispensable d’une pendule. Je sais bien que les nerfs et les muscles, organes du sentiment et du mouvement , paraissent d’une nature plus relevée que l'estomac ; mais sans lui que seraient-ils ? On dirait un ressort d’acier faisant mouvoir des aiguilles d'or, les- quelles sans lui resteraient immobiles. CHAPITRE IV. Conditions de la vie. Organes indispensables, Unité dans l'action. Concordance et perfection dans la structure. Nous ignorons ce que c’est que la vie, son essence nous est cachée ; mais nous voyons comment sont faits les corps vivans, comment se succèdent et s’en- chaînent les phénomènes de la vie. Nous sommes forcés de borner là notre étude. | Tous les corps vivans sont organisés; ce qui veut dire qu'ils sont formés de différentes parties agissant chacune à sa manière, et remplissant diverses fonc- tions : ce sont là comme Îles instrumens de la vie. L'ensemble de ces organes forme un tout parfait pour chaque être, et l'ensemble des actions que ces organes exercent compose la vie en ce qu'il nous est permis d'en connaître, La vie ne saurait exister sans le bon 12 LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. état de tous les organes ; mais ces organes existent encore après que la vie a cessé d’être. Ce qui confond notre faible intelligence, c'est que nous ne voyons aucune différence entre les organes d’un corps vivant et les organes d’un corps qui vient de mourir. Nous voyons une machine à qui rien ne paraît manquer : d'où vient donc que son jeu a cessé ? tous les rouages en sont parfaits, il n’y manque que la main agissante de l’ouyrier. Nous en étudions les ressorts évidens après en avoir admiré le sublime mécanisme , mais le principe moteur nous échappe toujours. Tous ces organes solides sont baignés par des fluides: qui séjournent ou circulent dans des espèces de ca- naux ; el canaux comme organes, en quelques êtres qu’on les observe, sont toujours formés d'un tissu celluleux à mailles plus ou moins serrées. Ce tissu à cellules, les vaisseaux qu’il compose, les fluides qui remplissent ces vaisseaux, voilà ce qu'ont de commun tous les organes en tous les corps vivans. Le reste de la structure diffère en chacun. La plupart des êtres vivans ont des organes nom-— breux et des fonctions compliquées : plus les fonc- tions sont variées, plus la structure est complexe. Mais il existe une hiérarchie entre les fonctions comme entre les organes. Tous les corps vivansse nourrissent et se reproduisent, tous les animaux se meuvent spontanément au moins par quelques-unes de leurs parties, beaucoup respirent visiblement, l’homme pense : mais il est évident que le premier degré de loutes ces fonclions est la nutrition ; les autres phé= nomènes supposent toujours celui-là. Cherchons donc les organes de la nutrition; et si nous parvenons à les : CHAP. IV. CONDITIONS DE LA VIE. 13 trouvér , nous serons sûrs de tenir en nos mains le premier chaînon de la vie. La plupart des plantes ont une racine fixée dans la terre, une tige qui s'élance dans l'air et se dirige vers la lumière; cette tige porte des feuilles, des ra- meaux, des fleurs; ces fleurs, plus ou moins compli- quées, donnent des fruits ou des graines destinées à une postérité d'êtres analogues à l'être qui les a produites. Mais parmi ces organes quel est le plus essentiel? Otez les fleurs et leurs graines, le reste de la plante n’en subsiste pas moins ; la tige peut Eee ses feuilles sans en souffrir; et la tige coupée , la racine continue d'absorber et de vivre à sa manière; souvent même elle PARFUM des parties semblables à celles LI on en a séparées, Cette racine est donc la partie la plus importante du végétal, c'est donc par elle principalement que toute la plante se nourrissait. Voyons maintenant les animaux. à | Beaucoup d’entr'eux ont une structure très-com- plexe: un squelette ossetix, des nerfs, des sens, un cerveau , des muscles pour se mouvoir, un cœur pour répartir le sang, des espèces de poumons pour l’impfégner d'air, un estomac dans lequel la nourri- ture séjourne et se prépare, des glandes pour com poser des humeurs, des organes pour perpétuer l’espèce, une enveloppe générale pour protéger cet ensemble, et des membres pour le déplacer: tous ces organes et beaucoup d’autres composent leur substance. Dans des êtres aussi compliqués il serait impossible d’assi- guer précisément à chaque partie son degré dim- portance ; car on n'en peut soustraire aucune sans 1{ LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL, ‘ mettre le trouble dans l’ensemble, et l’on néspeut même toucher à plusieurs d’entr’elles sans détruire l'édifice commun. Mais cette dissociation d'organes que nous ne pouvons opérer, la nature l’a réalisée d’elle- même dans la longue chaîne-des animaux. En descen- dant des quadrupèdes vivipares aux oiseaux, des oiseaux aux reptiles et aux poissons, et des oiseaux et des pois- sons, par les insectes el les mollusques, jusqu'aux vers et aux polypes, nous voyons peu-à-peu se sim- plifier les machines vivantes, à ce point, que nous ne trouvons plus dans les derniers degrés que le premier principe, le principe indispensable à l’animalité. Le corps du polype ne forme en effet qu'un vaste esto- mac sans autre organe appréciable; et c'en est assez pour la nutrilion et l'existence d’un être si simple. Nous pouvons conclurt de là, que le premier élément du végétal est la racine, et que l’estomac est le fon-- dement de toute organisation animale. La nature elle- même confirme ce principe par ses œuvres: elle a créé des végétaux qui n'ont qu'une racine pour tout organe, comme elle a créées animaux composés uni- quement d’un estomac. Il est vrai que toutes les fonctions sont d’une extrême simplicité dans des corps aussi homogènes. Pour qu’un végétal puñsse se suflire à lui-même avec une racine pour tout organe, il faut que les substances propres à la nourrir envi- ronnent cette racine: il faut qu'elle tienne à un sol formé d’humus et imbibé d’eau: alors c'en est assez pour la vie individuelle. Quant à la reproduction, la chose est également simple : ce qui ne peut être pro- dut par des fleurs, il faut que des caïeux, des bour- geons, des divisions naturelles ou artificielles de la CHAP. IV. CONDITIONS DE LA VIE. 15 racine l'opèrent. C’est en se divisant que de pareils corps se multiplient. Mais comment peut vivre un animal , ver ou polype, dont un simple estomac compose tout l'être ? Comme cette poche nourri- cière est à l'intérieur, il est clair que les alimens y doivent être portés ; il est clair, par conséquent , qu'il faut que cet être se meuve vers ses alimens ou qu'il attire par des mouvemens partiels sa nourriture à lui; il faut pour la chercher qu'il la sente, qu'il l’ap- précie ; il lui faut même une espèce d'instinct pour proportionner de pareils mouvemens à ses besoins. Voyez combien cet être si simple, mais proies nous paraît déjà compliqué ! Je dis que cet être est infiniment simple, car il n’a pour tout organe qu'un estomac. Encore qu'il se meuve et quil doive sentir , on ne lui voit ni muscles, ni cerveau, ni nerfs : il a des actioniitdont les instru- mens restent cachés. Je dis aussi que malgré cette simplicité le polype forme un être parfait, car il pos- sède en lui tout ce qui le fait exister : il est donc aussi parfait qu’un oiseau, qu’un mamumifère. Il n’a ni cœur, ni poumons, ni vaisseaux intermédiaires, ni glandes, cela est vrai ; mais il n’en a pas besoin. Lors- que l'estomac occupe tout le corps d’un animal, et que ce corps est parfaitement simple et partout ho- mogène , il est évident qu'il n’est besoin pour une pareille structure, ni de poumons, ni d’un cœur, ni de vaisseaux diversifiés; une telle économie d'organes peut se passer de circulation et d’une respiration circonscrite. Chaque partie de l’animal peut isolé- ment puiser dans le canal commun la portion d’ali- mens dont elle a besoin ; elle peut la respirer, l'éla- 16 LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. borer à sa manière. Mais dès que le tout animé n’a plus cette homogénéité parfaite en tous ses points, il Jui faut dès-lors un estomac pour préparer la nourri- ture commune, il lui faut un cœur pour la distribuer, elle et le sang, entre les organes; et comme ce sang re- vient au cœur privé de ses principes , comme il y re- vient fort différent selon les organes qu'il a pénétrés et nourris, il faut bien qu'une espèce de poumon le purifie par son mélange à l’air et à de nouveau chyle, x qu'il le rende identique et homogène avant que le cœur ne le fasse de nouveau circuler par tout le corps. / L'unité est le premier principe de la vie : or, dans ces organisations compliquées, c'est le cœur et le poumon qui produisent cette unité pour la nutrition, comme le cerveau la produit pour les sensations. Il résulte de ce que nous venons de dire, que le corps vivant deflfapparence la plus simple et la plus chétive ne laisse pas de former un tout aussi parfait que l'être le plus complexe , puisqu'il possède en lui tout ce qui est nécessaire à son existence. CHAPITRE V. Dépendance mutuelle des organes, variable selon les êtres. Comme les corps vivans sont assujettis à la mort, l'organisation peut exister sans la vie; maïs qui dit vie , dit organisation. Buffon faisait donc un pléonasme lorsqu'il écrivait dans ses pages sublimes que les ani- maux sont des corps vivans et organisés. CHAP. V. DÉPENDANCE MUTUELLE DES ORGANES. (7 Cette organisation des corps vivans est soumise à de certaines régles qui par leur constance et leur géné- ralité ont mérité le nom de lois. Nous venons d’ex- poser deux de ces lois, je veux dire a perfection et l'unité de tout corps vivant. Quant à l’unité, cépen- dant, ce principe n’est pas absolu. L’individualité n'existe véritablement que pour les animaux d’une structure déjà fort complexe : elle n’est parfaite ni pour les plantes, ni pour les animaux les plus infé- rieurs : je m'explique. Ilest bien vrai qüe, tant que les divers organes de ces êtres restent intacts, ils vi- vent d’une vie commune, et ne font qu'un tout par- fait et concordant; mais il n’est pas impossible d’en distraire ou d’en élaguer quelques parties sans inter- rompre la vie dans le reste de l'être ainsi mutilé. On sait qu'on peut couper d’une plante ses fleurs, ses feuilles, ses branches, sans pour cela la faire mourir : ne restât-il qu’une racine elle-même divisée avec une tige tronquée, ce débris n’en jouit pas moins de la vie. Je dis-plus, c’est que plusieurs des parties détachées du tout ont souvent reproduit l’être complet, lors- qu’on les plaçait dans des circonstances favorables : il suffit quelquefois d’un rameau ou d'une feuille pour reproduire un végétal semblable à celui dont ces parties proviennent. C'est sur de pareils faits que repose la théorie des marcottes et des bou- tures. Il en est de même de quelques animaux : un polype nu, coupé en plusieurs parties, forme autant de nouveaux polypes parfaits qui continuent de vivre à la manière de leur souche commune : certains vers se comportent de la sorte. On a pu aussi dé- tacher plusieurs rayons complets d'une astérie sans, Ja JL. 2 15 LIV. L DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. faire périr. Des limaces sarvivent sans affaiblissement notable ‘à leur détroncation : Voltaire, à l’exemplé de plusieurs‘naturalistes de son temps, s’est souvent amusé à de pareilles expériences. Mais ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que les animaux vertébrés ‘eux-mêmes ont souvent souffert des mutilations ana- logues sans perdre subitement la vie + des tortues, des salamandres, à qui la tête avait été enlevée, ont néanmoins continué de vivre un temps notable, L'empereur Commode se plaisait à couper la tête à des autruches courant dans le cirque de Rome; et cette cruelle opération, assure-t-on, n’interrompait point subitement leur course. Enfin il n’y a pas jus- qu'aux mammifères nouveau-nés qui né puissent sur- vivre quelques instans, fort courts à la vérité, à de pareilles blessures. Maïs nous devons nous hâter de dire que toute soustraction d'organes importans n’est pas pour long-temps compalible avec la vie des mam- mifères , des oiseaux , et même d'animaux moins com: plexes et moins élevés que ceux-là. La mort suit de près ordinairement de semblables opérations : il n'y à que l’extirpation d'un membre, d'un appendice, d'une glande, d'un organe d'une importance secondaire, des organes génitaux, d'une partie superficielle enfin, qui puisse être supportée san$ préjudice notable pour ces animaux. C’est qu'il existe chez tous les vertébrés une solidarité parfaite entre les organes : un de ces organes Ôté, bientôt le reste du corps cesse de vivre; et si l’un d’eux est malade ou blessé, la souffrance en rejaillit sur tous les autres. Mais il est cinq or: ganes- dont l'intégrité est indispensable à l'existence des êtres vivans qui en sont naturellement pourvus : CHAP. V. DÉPENDANCE MUTUELLE DES ORGANES. 10 je Veux parler du cœur, du cerveau, des organes de la respiration, de la moelle épinière et de l’esto- mac (1). Ce sont là des parties inséparables lors- qu'une fois elles se sont associées pour former un être vivant : toute division notable au tronc d’un animal pourvu de ces cinq organes est promptement mortelle. | Si les diverses parties d’une plante sont de moins près enchaînées et plus indépendantes les unes des autres , si l’on peut en détruire plusieurs sans porter dommage au tout, c'est qu'il y a presqué homogé- néité entre ces parties : ce qu'il en reste est suffisam- ment pourvu de tout ce que possédait l’ensemble de être. J’en dis autant de ces animaux simples, formés presque entièrement d’un estomac s'étendant à Tout leur corps; ces êtres ne possédant aucun organe spé- cial et circonscrit, chacun de leurs segmens divisés a la complexité de l’ensemble, Mais il est clair que les résultats doivent différer là où des organes spéciaux vaquent isolément à des fonctions nécessaires à l’en- semble de l’animal. On voit bien que dans ces der: niers êtres l'individu résulte deél’exacte réciprocité des pièces variées dont le corps est formé. Règle gé- nérale : plus les animaux sont élevés, c'est-à-dire plus leur structure est complexe , et plus les organes essentiels à la vie sort concentrés et étroitement unis. Le monarchisme (qu’on nous pardonne ce terme ) est pour les grands états; le polyarchisme pour les petits. La multiplicité dans les rouages exige plus d’unité dans les ressorts. (1) Voyez la Physiologie médicale. 20 LI. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. CHAPITRE VE. Symétrie des Corps vivans. Il est remarquable combien sont symétriques la plupart des corps vivans. Je ne parle ni des racines des plantes , ni de l’ensemble des rameaux des grands arbres; car le sol étant fort irrégulier pour sa composition , les racines se portent toujours de préférence du côté où la terre est la plus meuble et la plus grasse; et quant aux branches, elles sont principalement attirées vers la lumière la plus intense. Aussi voit-on les arbres les'plus vivaces , je veux dire les arbres résineux et verts, ceux sur qui toutes les influences ont moins ‘d'action, conserver une symétrie plus parfaite. Cet arrangement régulier n'est dans aucune autre famille de plantes plus parfait que dans les labiées : je ne parle point de leurs fleurs, qui ont moins de symétrie que dans beaucoup d’autres ; mais leur tige carrée , leurs feuilles opposées, leurs rameaux, leurs pédoncules , tout y est dans un ordre admirable. Éga- lement chaque feuille prise séparément dans la gé- néralité des plantes, est disposée avec symétrie : il y a de chaque côté du pétiole , si nul accident n'est survenu, à-peu-près la même largeur de lymbe. L’ar- rangement définitif du contour est ensuite subor- donné àla distgibution des vaisseaux par qui les feuilles paraissent veinées. Selon que ces vaisseaux se ter- CHAP. VI. SYMÉTRIE DES CORPS VIVANS. 21 minent seulement aux bords, ou selon qu'ils s’anas- tomosent avant d'y arriver, les feuilles sont dentelées ou arrondies. Mais tout cela n'approche pas de la double symétrie des feuilles ailées des acacias , des feuilles de la sensitive ou du sapin. __ Il en faut dire autant des fleurs, au moins dans le plus g grand nombre des plantes : il y a presque tou- jours la plus exacte mesure entre chaque division du calice et de la corolle, entre chaque étamine, chaque pistil ‘chaque compartiment de l'ovaire et du fruit. À l'exception de certaines fleurs analogues à celles de l’acacia, à celles des labiées, des orchis, etc., les irrégularités que plusieurs d’entre elles présentent sont dues à des avortemens d'organes , à des adhé- rences ou à des transformations. Passant des plantes aux animaux, nous voyons ces derniers êtres déjà symétriques à partir des polypes pourvus de cils, munis de tentacules ou de petits bras : ces appendices sont arrangés avec régularité autour de leur bouche. Il n'y a pas jusqu'aux corps calcaires et arborisés qu'ils forment insensiblement et qu'ils habitent ; qui n’observent une semblable disposition. Nous retrouvons surlout cette symé- trie dans les compartimens étoilés des euryales et des oursins, Pour les insectes , elle est parfaite : on la retrouve aussi dans beaticdii de mollusques, au moins dans leurs coquilles ; mais principalement dans les crustacés du genre des crabes ou des écrevisses. Mais c'est dans les animaux vertébrés que cette symétrie est portée à sa, plus grande perfection : leurs os , leurs nerfs, leurs sens , leur cerveau : leurs muscles el leurs glandes ; leurs ouies ou leurs 29 LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. poumons , tout y est par paires latérales, ou bien en nombre impair, et placé au milieu du corps. Il faut convenir, cependant, que tous les organes intérieurs n’ont pas la même régularité : on ne la voit ni pour les intestins , ni pour le foire , nipour le cœur, etc. H faut dire aussi que quelques animaux font une ex- ception manifeste à cette grande loi de symétrie : la plupart des mollusques ont:les orifices digestifs et sexuels placés d’un côté du corps, ordinairement à droite ; les poissons plats, nageant sur le côté, ont les deux yeux placés sur celle de leurs faces qui est tournée vers le ciel, et c'est encore presque toujours le côté droit. Enfin, chez les animaux le plus symétri- quement organisés , il est avéré que l’un des côtés prédomine ordinairement sur l’autre côté, et cette moitié du corps la plus forte est presque toujours la droite. On le voit chez les crustacés, notamment chez les pagures ermites; on le voit mème chez les gros oiseaux, dont les plumes du côté droit sont toujours les plus fortes et de la meilleure qualité. La même inégalité se retrouve chez les mammifères, et peut- être chez aucun autre plus manifestement que chez l’homme , le moins ambidextre de tous les animaux. CHAPITRE VIE 1 y a moins d'analogie entre les organes des corps vivans qu'entre les , fonctions de ces organes. Dans les quatre premières grandes lois que nous venons d'exposer , nous n'avons vu que des analogies CHAP, VII. ANALOGIE DES ÊTRES VIVANS.. 20 assez parfaites entre tous les corps vivans des deux règnes. Nous avons vu chez tous Unité et Perfection dans l’ensemble, Dépendance mutuelle de parties. et Symétrie dans les formes. Nous voyons aussi la plus grande Analogie dans les fonctions essentielles de .ces êtres : analogie pour la reproduction, analogie pour la nutrition, pour la température propre à chacun, pour la nécessité que chacun d’eux éprouve d'être en contact immédiat avec un air renouvelé, etc: Les résultats sont'les mêmes pour tous; il n’y a que les moyens qui diffèrent. Ainsi tous ont besoin d’alimens pour se nourrir; mais les animaux sont les ‘seuls qui recoivent ces alimens dans une cavité , et: seuls ils les digèrent. Tous également ont. besoin d'air, tous l’absorbent et le respirent;.mais rien n'est:plus variable que les instrumens de la respiration dans tous les êtres. L'homme , les mammifères, les oiseaux et les reptiles respirent par des poumons; les poissons, les crustacés et-les mollusques par des ouies ou bran- chies; les insectes par des trachées ou pertuis dont. leur. surface est perforée ; plusieurs vers et les polypes paraissent n’absorber l'air que par la peau dont est formée leur enveloppe. Les végétaux le respirent parleurs feuilles, et même plusieurs plantes étant privées de ces feuilles, il ne reste. plus que leur écorce par qui, la respiration de l'air puisse avoir lieu. J'en dirais autant de la reproduction, qui a iemême terme chez tous, mais qui suit des voies extrêmement: variées pour y tendre. Quelles différences ne voyons : nous pas entre les mammifères, dont les petits nais- sent vivans et déjà parfaits, et la classe nombreuse 24 LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. des ovipares ! Quelles différences, enfin , éntre tous ces animaux à sexe visible, et les polypes, qui n’ont ni sexes , ni véritables germes, et qui se reproduisent par des bourgeons ; et les plantes, qui se reprodui- sent par des fleurs à sexes distincts, fleurs dont plu- sieurs même sont privées | Nous retrouvons pour toutes les fonctions cette analogie dans le but , cette diversité dans les instru- mens. Nous levoyons bien plus manifestement encore pour les fonctions particulières aux animaux. Tous paraissent sentir, et cependant plusieurs sont réduits à la peau seule pour unique crgane du sentiment; le cerveau manque chez un très-grand nombre , et plu- sieurs n’offrent pas le moindre vestige de nerfs. Tous se meuvent spontanément, cela est notoire ; et beau- coup n’ont aucun muscle visible. Nous ne finirions jamais si nous voulions montrer toutes les disparités que présentent les corps vivans entre leurs organes et leurs phénomènes. Il vaut mieux nous attacher à montrer l’éxtrème analogie de certains êtres. Or cette analogie n’est nulle part aussi manifeste que dans les animaux qu'on nomme avec raison vertébrés. Tous ont une colonne osseuse, composée de vertèbres empilées. Cette colonne solide loge dans son cänal une moelle épinière , et elle sup- porte , chez tous , une boîte esseuse qui renferme un cerveau. On trouve dans tous ces êtres un cœut, du sang rouge, des poumons ou des ouïes; dans tous, les organes plus ou moins parfaits des cinq sens, des nerfs, des musclés, un canal digestif plus ou moins compliqué , toujours un foie et un pancréas, toujours des organes génitaux manifestes. À la seule exceptien GHAP. VII. ANALOGIE DES ÊTRES VIVANS. 29 d’une espèce peut-être , tous ont la bouche dirigée horizontalement ; et lorsqu'ils ont des membres , ils n’en ont Jamais plus de quatre. Ils ont la plus grande analogie pour la charpente et pour les fonctions. Il est bien vrai que leurs surfaces varient prodigieuse- ment selon leurs diverses destinations : leurs organes du mouvement diffèrent beaucoup selen qu'ils sont destinés à nager, à voler, à seulement marcher, etc. Les organes de la respiration ne’sont pas non plus les mêmes dans ceux qui vivent dans l’eau et dans ceux qui vivent dans l’air, Mais cela n'empêche pas la plus exacte ressemblance de régner dans l’ensemble : il n'y a que leur extérieur qui diffère. Si nous voulions comparer un quadrupède avec un poisson, le premier coup-d'œil n’embrassant que les surfaces de ces ani- maux, ne nous laisserait voir entre eux que des dif- férences. Mais si nous prenions chaque organe un à un, nous verrions d'exacts équivalens dans les deux êtres ; l’analogie serait constamment pour les choses essentielles , Ja différence pour les détails et les acces- soires. Le poisson, à la première vue, paraît n’avoir ni cou ni poitrine ; mais en y regardant de plus près et plus profondément , on voit qu’il possède toutes les séries de vertèbres, et que les différentes pièces de sa poitrine sont venues se concentrer lout près du crâne, avec lequel elles se confondent. M. Geoffroy a fait de ce point curieux d'organisation une étude vraiment philosophique. Maïs une différence bien es- senlielle qui sépare les animaux vertébrés - aériens d'avec les vertébrés - aquatiques, c’est que ces der- niers ne respirant point d'air pur, sont privés et de la voix et des organes qui servent à la produire. 30". LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. L’analogie des animaux vertébrés est si exacte, que l'étude assidue qu'on en a faite a dans tous les temps porté préjudice à la connaissance complète du règne animal. On est presque toujours parti de ce qu’on voyait manifestement chez les vertébrés pour l’ad- mettre dans tous les animaux. Toujours plein de l’idée de leur structure et de leurs fonctions, on n’a dès lors pu concevoir rien de vivant sans circulation , sans cœur, ni sang, ni vaisseaux ; On a supposé des nerfs dans tout ce qu'on voyait sensible , des muscles par- tout où l’on voyait des mouvemens; Tournefort allait même jusqu’à admettre des muscles dans les plantes, et, qui plus est, jusqu'à les décrire. Mais de nos jours de pareilles erreurs ne sont plus à craindre. Encore que nous voyions la plus grande analogie dans les fonctions de tous les animaux, nous ne les regardons plus comme identiques pour la structure. CHAPITRE VIIT. Divers degrés d'organisation. Complication graduelle des êtres. Nous ne pouvons, dans ces prolégomènes , qu’es- quisser rapidement les premiers principes de la science des êtres organisés ; avant de sonder les profondeurs d’une pareille matière, il nous faut en explorer les sur- faces. Il serait imprudent de marcher droit au cœur d’un pays inconnu, sans en avoir constaté la position, étudié les limites, évalué l'étendue. Nous nous atta- chons donc d’abord'à ces élémens. CHAR. VIII. DIVERS DEGRÉS D'ORGANISATION 2% En parcourant la longue chaîne des corps orga- nisés, nous les voyons se compliquer par degrés pres- que insensibles el sans disparates subits. Les premiers, de ces êtres n'ontuniquement qu'une racine : les plus, complexes ont un cerveau d’une organisation lui- même fort compliquée. Si nous allons d’un .extrème à l’autre, nous trouvons des plantes imparfaites, Je veux dire d'une grande simplicité, qui ne sont com- posées, les unes, que d’une tige à parasol ajoutée à la racine , organe essentiel de tout végétal; les autres n’ont que des feuilles pour parties apparentes ; d’au- tres que des fleurs pédiculées sans feuilles. Enfin nous trouvons des plantes composées à-la-fois d’une ra- cine, de feuilles, d’une tige, de fleurs ; et ces fleurs elles-mêmes présentent, ou seulement un oôvaire, des étamines et des pistils, organes essentiels de la reproduction; ou, avec ces pistils, ces étamines et ces ovaires, des pétales et un calice plus ou moins compliqués. Dans le règne animal, la complication des organes a des degrés beaucoup plus nombreux : à l’estomac, que nous savons composer à lui seul les plus simples des animaux, nous voyons s'ajouter successivement des appendices, des tentacules mobiles, puis quel- ques vesliges de vaisseaux remplis d’un fluide blanc, quelques.filets nerveux épars, quelques fibres mus- culeuses incolores, et dès-lors le canal digestif se complique ; au lieu d’une ouverture , on Jui en voit deux ; l'intestin se contourne et s’allonge : ensuite on trouve des espèces de poumons, des trachées, des branchies, des muscles compliqués, occupés à mou- voir des pièces de plus en plus nettement séparées ; 28. LIV. 1. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. puis un ou plusieurs cœurs imparfaits , des sens évidens , des organes de la génération compliqués, des nerfs noueux , une moelle renflée à son extré- mité; et enfin un squelette vertébré, des sens par- faits , du sang rouge ; un cœur unique , une moelle épi- nière renfermée dans un étui osseux, un crâne, un cerveau. Du reste, cette chaîne progressive est fort difiicile à suivre dans les animaux inférieurs, depuis les vers jusqu'aux vertébrés, pour la raison que les organes de la nutrition et les organes du sentiment ont des progrès de complication qui discordent en plusieurs endroits de la chaîne. Les organes des sens et ceux des mouvemens sont déjà arrivés à une grande complication chez des êtres qui n'ont encore ni cœur , ni circulation évidente , ni respiration nota- ble. Ou bien, chez d’autres êtres, le cœur est déjà manifeste , les vaisseaux déjà évidens , les organes respiratoires déjà compliqués, sans qu'on voie les organes des sens et du mouvement faire parallèle- ment des progrès. Ceci même est une grande objec- tion à opposer aux faiseurs de chaînes universelles. CHAPITRE IX. Chaîne universelle des êtres, Si nous voulions établir une chaîne universelle des êtres qui composent le globe que nous habitons , nous n’aurions qu'à douêr , par la pensée, la roche des montagues ou le métal des filons de la facuilé de CHAP. IX, CIAINE UNIVERSELLE DES ÊTRES. 29 se nourrir et de s’accroître : nous aurions alors un être semblable au végétal, lequel possède deux ordres de fonctions, les unes essentielles à la conservalion de l'individu, les autres indispensables à la perpétuité de l'espèce. À ces deux ordres subordonnés, et néan- moins bien distincts, ajoutons la propriété de se mou- voir spontanément et la propriété de sentir, ajoutons aussi une cavité centrale qui dirige les alimens ; et nous verrons naître un animal des plus simples qu’on puisse observer. À cette masse mobile, sensible et digérante , joignons des nerfs nombreux et de toutes parts enchaïînés , des sens spéciaux d'une structure complexe , un-cerveau central, servant d’instrument à la perception et au vouloir ; ajoutons-y des muscles pour obéir, un squelette que l’action de ces muscles puisse déplacer, et nous verrons paraître les animaux de l’ordre le plus élevé , de la structure la plus com- pliquée. Au sommet de cette série d'êtres supérieurs, on trouve l’homme , être remarquable par la situation verticale de son corps, par le volume de son cerveau, par l'accord parfait de ses sens , par sa prudence , sa curiosité et sa sagesse , par la puissance de sa vo- lonté , par les lumières de sa raison et la sublimité de son génie. Plusieurs philosophes, mais surtout Donati et Ch. Bonnet, avaient eu l’ingénieuse pensée de su- bordonner les corps de la nature les uns aux autres, d’après l’analogie progressive qu'ils offriraient à l’ob- servateur, Îls voulaient que l’on passât par degrés d'une production à une autre production voisine , à- peu-près comme dans le spectre solaire on passe presque insensiblement de nuance en nuance, du 30 LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL, violet au bleu, du bleu à l’indigo, de celui-ci au vert, au jaune , à l'orangé, et enfin au rouge, et du rouge , par un nouveau cercle, au violet, etc. Les savans que je viens de nommer pensaient donc que tous les corps de la nature forment une longue chaîne sans interruption; et voici comment Bonnet concevait cette chaîne naturelle. Il croyait voir dans les talcs, dans les ardoises, dans les schistes, mais surtout dans l’amyanthe, un passage assez direct des minéraux vers les végétaux. La sensitive ensuite, ainsi que plusieurs algues et plusieurs fucus, forment (toujours d’après l'illustre Charles Bonnet) un lien fort naturel entre les plantes et les animaux Les plus simples. Après cela mille diffé- rentes Su Vi s’observent dans le règne animal etses nombreux embranchemens : si quelques espèces de simples polypes forment le moyen d'union des deux règnes de corps organisés, elles servent en même temps d'intermédiaires entre les animaux in- fusoires, les orties de mer et les méduses ; puis ces derniers animaux conduisent aux vers et aux mollus- ques d’un côté, aux insectes, aux arachnides et aux crustacés d'un autre côté et pour dautres motifs. Ensuite, les vers aquatiques s'unissent aux mollusques par les sangsues , et les mollusques aux reptiles par les limaces. Les reptiles, à leur tour , tiennent aux poissons par les tétards des grenouilles, comme les insectes, par une autre,division, liennent successi- vement aux vers, aux mollusques et aux reptiles par leurs larves et leurs chenilles. Les serpens d'eau res- semblent beaucoup aux anguilles; les poissons s’u- nissent à la classe des oiseaux par les poissons volans, CHAP. 1X. CHAINE UNIVERSELLE DES ÈTRES. 5i les trygles et les ‘exocæts; les oiseaux tiennent aux mammifères par les ornithorynques dans un sens , et par les chauve-souris et les écureuils volans dans un autre sens. A Bonnet admet encore beaucoup d'autres analogies : ainsi les oiseaux palmipèdes, selon lui, conduisent aux poissons, comme les manchots et les aütruches con- duisent aux mammifères. On va des mammifères aux poissons par les loutres et les baleines; des mammifères aux reptiles par les phoques , aux oiseaux par les chauve-souris et les échidnés, à l’homme par les singes, et à la divinité par l’homme. Toutefois le sage Vonhet ajoute avec son,éloquence ordinaire : « Un » seul être est placé hors de la chaîne, et c’est celui » qui l'a créée. » Je me serais bien gardé d’insister ainsi sur une idée toute systématique, si je n’étois persuadé que ces analogies et ces comparaisons même grossières, sont d’une grände utilité pour donner une première idée des êtres vivans aux personnes qui ignorent la zoologie. Rien n’attache comme les SR ne Mais nous devons dire que cette chaîne universelle des êtres est loin d’être aussi parfaite que Bonnet et ses parti- sans ont paru le penser. Dans plusieurs endroits cetté chaîne semble se ramifier et perdre ainsi de son unité. Elle présente, en outre, des lacunes trop évidentes pour rester inaperçues. Il existe un vide immense entre les mollusques, les insectes et les poissons : si l'on place les mollusques avant les insectes, il n'y a pas moyen de passer brusquement d’une mouche à une anguille; et si l’on place les mollusques après les insectes, voyez quel choquant disparate il y auraentre 52 LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. une huître, par exemple, et une carpe ou tout autre poisson. Nous devons donc absolument renoncer à cette chaîne de Bonnet comme moyen de classer les êtres vivans, et nous borner, afin de soulager la mé- moire, à diviser ces êtres par groupes ou familles d'espèces analogues; mais une pareille classification a des règles que nous devons dire. LL LS CHAPITRE X. Loi de subordination et de coexistence. Comment on peut juger de tout un être organisé par une de ses parties. Dans tout corps organisé une fonction suppose une autre fonction, comme certains organes supposent d’autres organes. Tout être qui se meut sous l'im- pression d’un irritant doit être sensible ; lè mouve- ment suppose donc du sentiment. La vie est tem- poraire de samature ; par conséquent, elle suppose la reproduction des individus ou l'extinction des es- pèces. Également , la circulation suppose une sorte de respiration; il y a donc des espèces de noumons partout où l’on voil un cœur, comme il y a des nerfs où l’on voit des muscles. Enfin , la vie apparente n’est qu'un enchaînement de phénomènes produits par des organes entre eux coordonnés. La chose importante serait de saisir la coexistence et la hiérarchie des ins- trumens de la vie dans leurs combinaisons diverses. L'étude réfléchie des fonctions donne une partie de ces connaissances ; mais il est des rapports qu'il eût CHAP. X. LOI DE SUBORDINAT. ET DE COEXIST. 93 été impossible de prévoir avant de les avoir une pre- mière fois constatés. Voici, par exemple, des coexis- tences que la réflexion seule n'aurait pu nous faire deviner. On a vu que toutes les plantes dont l'embryon est pourvu d’un ou de plusieurs cotylédons ; ou espèces de feuilles séminales, étaient composées de tissu cel- lulaire et de vaisseaux ; tandis que les plantes dont l'embryon n’a pas de cotylédons sont composées seu- lement de tissu cellulaire sans vaisseaux appréciables. On s’est en outre assuré (et ceci est une des plusjolies découvertes modernes } que les végétaux dont l’em- bryon a plusieurs cotylédons opposés l'un à l’autre ont les vaisseäux disposés par couches excentriques, et que les plus jeunes et les plus molles de ces couches sont placées à l'extérieur. On a ensuite examiné celles des plantes dont l'embryon est pourvu ou d’un seul éotylédon, ou de plusieurs cotylédons alternes et non pas opposés, et l’on a vu que leur organisation était absolument inverse de ce qu'on voit dans les autres ; je veux dire que leurs vaisseaux, au lieu d’être dis- posés par couches, le sont par faisceaux, et que les derniers formés de ces faisceaux sont dirigés vers le centre de la plante, au lieu de l'être vers sa surface; comme dans les précédentes. Or, comme ces rap- ports sont d’une grande constance et qu'ils ont trait à des parties essentieiles , on conçoit qu’il sufht de connaître un seul des caractères dont nous venons de parler pour deviner ceux qui lui sont toujours co-exis- tans. Voilà même pourquoi la présence et l’arrange- ment des cotylédons sont devenus la base d’une classi- fication des plantes qu'on s'est eflorcé de rendre natu- É. D 54 : LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL relle en l'établissant d’après la considération des organes les plus importans, et toujours selon les lois des coexistences organiques. On a fondé les divisions secondaires d’après la disposition des fleurs, et l’on s’est appliqué à mesurer l'importance comparée des organes qui les constituent , leur constance ou leurs variations, et leurs rapports entre elles ou avec d’autres parties des végétaux qui les produisent. On s’est d’a- bord assuré que certaines plantes sont Cryptogames, c'est-à-dire sans fructification connue, et la plupart de ces plantes sans fleurs visibles sont celles dont nous avons vu l'embryon manquer de cotylédons : de sorte : que cryptogames et acotylédones sont deux mots pres- que synonymes. On a ensuite découvert que lenombre des étamines répondait presque toujours aux divi- sions du ealice ou de la corolle ; qu'il était en général, ou exactement semblable , ou multiple de Patio et que le nombre des divisions des stygmates était so blable aux compartimens de l'ovaire, etc. On a aussi découvert des rapports entre la forme de la fleur et la configuration d’autres parties des plantes : on a vu, par exemple , que des fleurs configurées en papillon répondaient à des fruits en gousses ; que des fleurs labiées étaient supportées par des tiges ordinairement _quadrangulaires et dont les feuilles étaient opposées ; que la plupart des fleurs en rose avaient des fruits charnus; que les fleurs en épis écailleux avaient des tiges noueuses et engaînées , etc. Parmi les animaux , on a constaté que les uns avaient des vertèbres, et que d’autres en étaient dépourvus ; voilà un premier fait. On a vu ensuite Estate: qui sont Vertébrés ont tous une moelle épinière et un CHAP. X. LOI DE SUBORDINAT. ET DE GOEXIST. 39 cerveau compliqué ; tous, quatre organes des sens plus ou moins parfaits à la tête, et des mâchoires horizontales ; jamais plus de quatre membres, quand ils en ont, et toujours du sang rouge. On a examiné par comparaison les Animaux sans Vertèbres , et l’on s'est assuré qu'aucun n’a niun cerveau , ni une moelle épinière , ni des sens aussi manifestes; qu'aucun n'a de sang d'un rouge aussi vif; et que tous ont plus de quatre membres quand ils en ont. D En examinant comment les vertébrés se repro- duisent, on a vu que la plupart d'entre eux sont ovi- pares, tandis que d’autres font des petits vivans. On s’est ensuite assuré que ces derniers ont seuls des ma- melles pour allaiter leurs petits, et on les a nommés Mammifères. On a aussi observé que les organes gé- nitaux des mammifères ont un orifice are de l'issue des intestins, tandis que les ovipares ont un cloaque, ou issue commune pour l'intestin et pour les organes génitaux. On conçoit comment ces premières coexistences ont fourni les bases d’une classification des animaux. 11 a suffi de voir un animal pourvu d’une colonne de vertèbres osseuses , pour être assuré: que cet animal appartenait ou aux Mammifères, ou à l’une des trois classes d’Ovipares ; et voilà ensuile comment on a distingué les trois classes d’ovipares entre elles : on a nommé Oiseau, tout animal vertébré' et ovipare ayant des plumes et des poumons ; Reptile, tout ver- tébré ovipare pourvu de poumons, mais sans plumes; et Poisson, tout vertébré ovipare pourvu de branchies, sans véritables poumons. Et comme en serutant plus avant dans la structure, on a trouvé d’autrés diffé- Th JY 56 LIV I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. rences constamment coexistantes avec les différences essentielles , il en est résulté qu'on a pu assigner pré- cisément le rang d'un animal d’après la plus simple parcelle de quelques-uns de ses organes ; on a même été jusqu’à découvrir des rapports entre ces diver= sités de structure des animaux et leurs principales habitudes ou leurs instincts. On a vu que les animaux carnassiers , par exemple, avaient le canal digestif plus simple, plus court, moins puissant, et con- séquemment le corps plus grêle ; qu’au contraire, ils avaient les mâchoires, ou les parties analogues aux mâchoires , plus fortes, mieux armées, mues par des muscles plus énergiques. Les oiseaux de proie ont les ongles des pattes plus déchirans , le béc plus fort et plus crochu. Les lions et tous les chats ont pareillement des griffes redoutables et rétractiles, des dents tranchantes et alternatives , une mâchoire solidement articulée et mue par des muscles puissans. Ces premiers changemens rejaillissent ensuite sur toute la structure; de sorte qu’on peut, d’après la saillie d’une dent de mammifère carnassier, ou d'après le condyle de sa mâchoire, décrire tout le reste de sa charpente et faire l'histoire de ses habitudes: Pareillement, on peut juger de la force du vol d'un oiseau par la configuration du sternum, auquel se fixent les muscles de ses aîles. On peut affirmer que l'animal au bassin duquel on trouve deux petits os dits marsupiaux, on peut assurer, dis-je, que cet animal a une matrice dépourvue de col, que sa glotte est imparfaite , que ses petits avortent, qu'une poche placée sous le ventre de la femelle les reçoit et les proiègeé. Enfin on sait que les animaux ruminans ont RE CHAP. X, LOI DE SUBORDINAT. ET DE COEXIST. 37 tous le pied fourchu., que tous ent quatre estomacs, qu'ils n’ont pas de dents incisives à la mâchoire supé- rieure, et que ceux d’entr'eux qui portent des bois. ou des cornes au front n'ont pas de dents canines à la mâchoire d'en haut. L'histoire. des corps. organisés offre beaucoup. d'autres faits analogues qui trouve- ront place dans d’autres endroits de cet ouvrage. Mais faut remarquer que tous les organes con- cordent dans. chaque être vivant :. jamais la nature ne réunit dans une espèce. les parties contraslantes de plusieurs (1) ; on.ne voit jamais: s'associer des dents et des mâchoires de carnassiers:avee des pieds d’herbi- vores. Voilà ce qu'ont ignoré les peintres, poètes et statuaires qui dans des temps antérieurs ont voulu re- présenter des êtres singuliers dont: leur imagination. ou leurs croyances leur suggéraient les trompeuses images. Tantôt ce. sont des aîles immenses qu'aucun muscle ne saurait mouvoir ;: tantôt les têtes unies de plusieurs animaux d'espèces différentes , associées à un corps et à des membres qui conviennent au plus à l'une d'eHes. Or la nature n'offre en aucune créature. les traits discordans des anges ou du cerbère de nos artistes et de nos poètes. Aucune pièce dans ses admi- rables machines n’est en désaccord. avec l’ensemble : l'harmonie est le caractère de toutes ses œuvres. Malheureusement l'importance-et la subordination. des organes n’est pas aussi bien connue pour les ani- maux inférieurs que pour les vertébrés ;: aussi les. di- visions qu'on en a faites ne sont-elles ni très natu- relles ni parfaitement stables. Sur quelque principe (1) Voyez G. Cuvier : Ossemens fossiles. 3%, LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. qu'on se fonde , les quatre divisions des vertébrés sont les mêmes pour tous les savans; mais la divi- sion des invertébrés diffère pour chaque zoologiste. CHAPITRE XI. Quels sont les plus importans des organes? Premières bases de classi- fication des êtres vivans. Lorsqu'on envisage l'ensemble du règne animal, et qu'on voit dans beaucoup d'êtres l’estomac isolé de tout autre organe, sans nerfs visibles, sans mus- cles , sans vaisseaux, sans cœur , sans cerveau ni sens, on est porté à le considérer comme la partie la plus essentielle. Si les organes les plus variables sont ré- putés les moins importans, il faut bien regarder les nerfs et les muscles, le cœur, les poumons et le cer- veau comme des parties subalternes. Il est impossible, en effet, que l’inconstance d’un organe aille plus loin qu'être ou n'être pas. | Mais dans un animal complexe, pourvu de tous les organes que nous venons d’énumérer, l'étude de ses développemens successifs enseigne que le cœur est, sinon le premier formé des organes , du moins le premier visible et celui dont l’action est d’abord évi- dente. Lorsqu'on étudie des êtres monstrueux; on voit le cœur se passer des autres organes beaucoup mieux que les autres organes ne peuvent se passer de lui. Lorsqu'enfin l'on envisage l'animal venu au jour et déjà accru, on voit des organes, le cerveau et CHAP. XI. PRÉÉMINE\CE DES ORGANES. 39 la plupart des muscles , suspendre périodiquement leurs fonctions ; on voit les poumons eux-mêmes mo- mentanément cesser d'agir , tandis que le cœur ne discontinue jamais de palpiter tant que la vie subsiste : _pour tous ces motifs, le cœur paraîtrait donc le plus important des organes dans les animaux les plus com- plexes. Il faut avouer que dans un animal vertébré, sain, accru, d’une structure parfaite et dont chaque organe remplitexactement ses fonctions, il faut convenir que, dans un pareil être, il est difficile de préciser lequel des cinq organes principaux est le plus essentiel, Ilest en effet avéré que si l’ensemble des organes suppose l’action de l'estomac , qui les nourrit ; que si les pou - mons et les branchies ont besoin du cerveau, le cer- veau à. son tour a besoin de l’action du cœur, comme ce cœur lui-même ne peut se passer ni de l’action des poumons que le cerveau gouverne, ni de l'accession de la moelle épinière. C’est une chaîne de toutes parts adhérente. Il est vrai que si nous examinons un des organes subalternes en particulier, cet or- gane nous semble avoir besoin de sang plus que de nerfs, et pouvoir se passer plus long-temps de l’action du cerveau que de celle du cœur. Mais pour les rouages essentiels à la vie, l’enchaînement est réci- proque et plusieurs fois compliqué. Si pourtant nous remarquons que le cœur a commencé d'agir avant l'estomac et les poumons; qu'il continue de battre en l'absence ou après la cessation de la respiration ; que de profondes altérations du cerveau ne produisent pas toujours une mort instantanée , tandis que la des- truction de la moelle épinière fait promptement cesser Lo LIV. I. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. ét l’action du cœur et la vie ; nous aurons d'assez puis- sans motifs pour penser que la circulation du sang est la première condition de l'existence d’uñ animal com- plexe ; nous regarderons le cœur, en conséquence, comme la pièce essentielle d’une pareille organisa- tion; et puisque c'est la moelle épinière qui paraît fournir au cœur le principe de ses mouvemens , nous la regarderons comme l'organe le plus essentiel du corps; et comme nous verrons que la base de tout squelette osseux est une colonne de vertèbres des- tinée à envelopper cette moelle épinière , la considé- ration de ces vertèbres sera pour nous le point.de départ de toute bonne classification des animaux. Voici donc quelles sont les bases de notre classifi- cation , établie d’après l'importance comparée .des organes, d'après leur constance ét d’après les lois de leur subordination. | Une Racine représente à nos yeux tout le Règne Végétal , comme un Estomac tout le Règne Animal. Mais comme ces parties peuvent exister isolées de tout autre organe , nous devons avoir recours à d’autres parties pour établir les divisions secondaires des deux règnes. Pour les végétaux, nous prenons d’abord la graine, qui suppose des fleurs; puis les cotylédons, dont le nombre, la position ou l'absence entraîne avec soi de notables différences dans l’organisation de la tige; en- suite nous examinons la fleur, ses étamines, ses pis- tils, son ovaire , etc. Pour les animaux , nous avons à examiner s'ils sont vertébrés, et, dans ce cas, s'ils sont vivipares ou ovi- pares, c'est-à-dire s'ils ont des mamelles ou s'ils en CHAP. XI, PRÉÉMINENCE DES ORGANES. 41 manquent ; s'ils sont aériens où aquatiques, je veux dire s’ils respirent par des poumons ou par des bran- chies; enfin s'ils sont ou non carnivores, s'ils volent, s'ils marchent, s'ils nagent ou s'ils rampent, etc. Cela nous conduit de degrés en degrés des premières grandes divisions jusqu'aux groupes plus circonscrits de genres et d'espèces. Si, au contraire, ils sont sans vertèbres, nous examinons quelle est la forme de leur corps, quels sont leurs mouvemens , s'ils respirent par des branchies, par des trachées, ou seulement par la peau; s'ils ont un ou plusieurs cœurs, ou s'ils en manquent; s'ils sont pourvus d’aîles, de pattes, d'antennes, de tentacules, recouverts de tests, de coquilles ou d’élytres; s'ils ont des nerfs et une espèce de moelle noueuse, un cerveau imparfait, des in- testins plus ou moins compliqués, des métamor- phoses , etc. Nous aurons de cette sorte trais divisions princi- pales pour les plantes : IL. Les AcoryLépoxts. IL Les MonocoTYLÉDONES. IT. Les Dicoryrépones. et six grandes divisions pour les animaux : I. Les Ixrusorres ou Microscopiques ? Il. Les Poryres. HT. Les Vers et les RapratREs. IV. Les Morrusques. V. Les ARTICULÉs ( comprenant les crustacés , _les insectes et les arachnides ). VI. Les VeRTÉBRÉS (mammiftres, oiseaux , r'ep- tiles et poissons ). Cespremières divisions des corpsvivans doivent nous 42 LIV. 1. DES CORPS VIVANS EN GÉNÉRAL. suflire pour le moment. Nous verrons dans la suite de cet ouvrage le détail de leurs caractères et les bases de leurs subdivisions, à propos des organes et des fonc- tions qui fournissent ces caractères. | Nous faisons reposer les divisions secondaires des plantes sur la considération de leurs fleurs, sur le nombre, la position respective, l'isolement ou les adhérences de leurs étanines et de leurs pistils, sur la réunion de ces organes sexuels dans les mêmes fleurs ou les mêmes plantes, ou leur séparation sur plusieurs, etc. , etc. Quant aux subdivisions des ani- maux, elles sont fondées tantôt sur la forme des mâ- choires et des membres, tantôt sur la forme du corps, la nature de ses tégumens, et sur mille détails de structure qui ne peuvent être ni sagement exposés, ni suflisamment compris au point où nous sommes de cet ouvrage. Toute bonne division des objets sup- posant la parfaite connaissance de leur nature, la classification des êtres vivans sera mieux placée dans nos corollaires que dans cette introduction prélimi- naire. Une remarque à faire au sujet des nomenclatures naturelles, c'est la nécessité où se sont trouvés les savans de différencier par des détails excessivement minutieux une infinité d'êtres souvent très-analogues entre eux par l’ensemble (1). À la vérité, il est résulté de là une parfaite connaissance de la structure de chaque être : les différences les moins appréciables ont été remarquées avec un soin extrême; mais les analogies, les équivalens, les coexistences d’organi- (1) Voyez Ch. Bonnet et Gecffroy-Saint-Hilaire. CIAP. XI PRÉÉMINENCE DES ORGANES. 43 sation sont restées inconnucs. Tandis que l’anatomie faisait de grands progrès, la physiologie comparée est demeurée telle à-peu-près que nous la trouvons dans lesimmortels ouvrages d'Aristote, sans accroissement, sans lumières nouvelles. À force de distinguer tou- tes choses jusqu’à des degrés presque infinis, les généralités qui font les sciences ont été presque entièrement négligées. Excepté trois ou quatre na- turalistes dont les ouvrages font la gloire des sciences modernes, la plupart de ceux qui se sont occupés de l’histoire de la nature en ont fait une science remplie de puérilités. Encore que les méde- cins aient presque toujours borné leurs études à l'homme ; encore que ces études aïent été de leur part souvent trop peu réfléchies, par trop de causes interrompues, et souvent détournées d’un but sage par de vulgaires intérêts; il faut pourtant convenir que c'est presque exclusivement dans leurs ouvrages qu'on trouve le germe ou les développemens du petit nom- bre de grandes vérités que la science de la vie pos- sède, Pourquoi faut-il qu’elles s’y trouvent mêlées à tant de systèmes et à tant d'erreurs ! LIVRE SECOND. De la Reproduction des Êtres Vivans. É CHAPITRE PREMIER. Données incertaines sur la première origine des Animaux et des Plantes. La première origine des êtres vivans est un objet de croyance bien plus que de démonstration, On a fait beaucoup de systèmes sur cette matière sans la rendre plus claire et plus compréhensible. La version Ja plus probable , à ne la considérer même que par des motifs humains, est encore celle de Moise. Si. l'on prend les six jours de la Genèse pour des siècles, les récits de l'historien sacré paraissent d’une grande vraisemblance : les recherches des savans modernes. en vérifient chaque jour l'exactitude. En fouillant dans les entrailles de la terre , on trouve des débris d'êtres. organisés d'autant plus simples qu’on pénètre plus pro fondément : lesincrustations de fougères et d'animaux radiaires se trouvent dans les terrains les plus an- ciens ; après cela viennerit des plantes plus élevées, des animaux plus complexes, des coquilles, des crus- tacés , des poissons et des reptiles; enfin, les osse- mens fossiles de quadrupèdes et d'oiseaux ne se re- trouvent que dans des couches récentes, et plus on approche de la surface, plus les êtres dont on voit CHAP. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. 45 les dépouilles pétrifiées sont semblables aux animaux et aux plantes qui existent encore sous nos yeux. De ces faits bien avérés sont nés des systèmes bi- zarres. On adit que toutela terre étant primitivement à l’état fluide , les élémens des roches cristallines se précipitèrent et s'agglomérèrent d’abord pour former le noyau du globe ; qu'ensuite, dans le fluide bai- gnant toujours sa surface , se développèrent des ani- malcules, des polypes, des mollusques, des pois- sons, etc., et que les dépouilles de ces différens êtres, nés les uns des autres, donnèrent lieu aux terrains calcaires. On a ajouté que sur les premiers rochers mis à découvert, se développèrent les pre- mières mousses , les plus simples végétaux, el que de leurs débris vinrent les couches d'argile et de silex dont le globe terrestre est en partie formé. Demaillet et M. de Lamarck ont surtout insisté sur cette pro- position, que tous les êtres sont nés des liquides dont notre planète fut primitivement composée ou seulement recouverte , et qu'ensuite les différens corps vivans sont venus les uns des autres en se com- pliquant par degrés. Âvec de pareilles idées, tout s'explique , la création successive des êtres aussi bien que la possibilité d’un déluge universel. Admettez, en eflet, que la surface de la terre, déjà habitée, vienne à se recouvrir d’eau dans tous ses points, la difficulté n’a plus rien d’insurmontable, puisqu'il reste encore . la plusgrande partie des êtres vivans. Outre les graines des plantes et les germes de beaucoup d'animaux que l'eau ne peut détruire, tous les animaux aquatiques, les infusoires, les coraux , les radiaires, les vers et les mollusques, les crustacés , les poissons et les oi- 46 LIv. 11. DE LA REPRODUCTION DES ÀTRES VIVANS. seaux nageurs, beaucoup de reptiles et les cétacés, continuent de vivre pendant ce cataclysme général; les animaux aériens et terrestres sont les seuls dont la destruction soit inévitable ; mais comme, suivant nos auteurs , les animaux se reproduisent les uns des autres, vous voyez qu'il n'existe aucun embarras pour la reproduction des êtres détruits, puisque l’homme même, selon ces hypothèses , aurait commencé par ètre poisson. Nous l'avons dit, tout absurdes qu'ils paraissent, ces systèmes reposent sur des faits certains, mais non probans (1) : il est sûr que les corps pétriliés les plus simples occupent les terrains de la plus ancienne for- mation ; les quadrupèdes et les oiseaux ne se trouvent que dans les couches les plus modernes, et l’on n'a encore trouvé en aucun lieu de débris fossiles de l’homme. Cela permet de penser qu'il fut le dernier formé des êtres, et cela même confirme les traditions de la Genèse et rend vraisemblables les systèmes dont nous venons d'esquisser les principales idées. Mais c’est assez d'étudier comment se reproduisent les êtres actuellement existans, sans nous violenter en vain l'esprit pour dévoiler leur création première. Nous rechercherons plus loin par combien de causes physiques encore subsistantes les premiers êtres vivans ont pu être modifiés, et si les espèces connues au- jourd’hui sont les mêmes, sont les seules qui vécurent autrefois et dont on retrouve en beaucoup de lieux . les débris fossiles. (1) Voyez Telliamed (anagramme de Demaillet), Werner, G. Cu- vier, d'Aubuisson de Voisins, Brongniart, et Je l’entateuque. CHAP. I. LEUR PREMIÈRE ORIGINE. 47 CHAPITRE IT. Idée de la Reproduction des Êtres vivans. Il serait imprudent, il serait difficile de donner des règles générales sur une fonction qui offre presque au- tant de différences qu'il y a au monde d'espèces d’êtres vivans; qui varie dans chacune pour les instrumens qu'elle emploie , pour les voies qu'elle suit , pour le mode et la durée de ses phénomènes, et qui enfin n’a rien de général, si ce n'est son but, lequel con- siste à perpétuer les espèces et à réparer sans relâche les continuelles destructions dues à la mort. Le ca- ractère le plus universel de cette fonction est d’ap- partenir à tout ce qui existe; tout être vivant se ré génère. La vie étant de sa nature temporaire, la rénovation perpétuelle des espèces était indispensable. Aussi Dieu, lorsqu'il eut achevé le monde, commanda- t-il à toutes les créatures sorties de ses mains de croître etde multiplier. I ne dit pas : sentez et agissez, car il voulait une obéissance universelle. Ainsila vie semble n’être que pour se communi- quer : elle n’est jamais plus active qu’à l’époque de l'amour et de la reproduction , qui est son but comme son principe. Elle commence à s’affaiblir aussitôt que le grand acte de la rénovation des individus est achevé : on voit des animaux qui vieillissent et mcu- rent dès le moment où ils viennent de se reproduire, comme on voit des fleurs se faner et se fétrir bientôt AS Liv. 11. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. après la cérémonie nuptiale (1). Le mouvement per- pétuel n'existe donc nulle part hors des grands corps planétaires ; pas plus dans les machines vivantes que dansles mécaniquesingénieuses que l’homme a savam- ment combinées; même plus le mouvement est rapide, plus vite il est communiqué , et plus tôt il se perd. * C'est ainsi que l’ordre général est constamment main- tenu dans la nature : l'énergie de la vie conduit à la transmettre , et la reproduction est un acheminement vers la mort. Voilà comme la destruction est une con- séquence de la perpétuité qu'elle rend nécessaire, Nous comprenons bien le but de la génération sous quelque aspect qu'eile se présente, mais nous répé- tons qu'on ne peut énoncer rien d'absolu, rien de général sur les procédés selon lesquels se font ses opérations. Nous ne pouvons pas dire que cette fonc- tion exige toujours le concours des sexes, car, outre les plantes cryptogames et quelques vers intestinaux, où ce concours est fort douteux, et dans lesquelsmême l'existence des organes sexuels est loin d’être prouvée, nous savons que les polypes se reproduisent sans ces organes et sans ce concours. La plupart des corps or- ganisés naissent d'une espèce d'œuf qui éclot en-dehors ou au-dedans de l'être d’où il provient; mais on ne voit d'œufs ni pour les cryptogames ni pour cer- tains vers , et l’on est sûr que les polypes n'ont, au lieu d'œufs, que des bourgeons et des espèces de semmes. Presque tous les corps vivans ont un fluide pour élément ; mais encore ici la chose n’est pas gé- Ye À (1) Expression de Linné. Voyez sa dissertalion intitulée : Sponsalia plantarum , dans les Ameænitates academicee. CHAP. III. GÉNÉRATION SPONTANÉE. 49 nérale : il est des animaux qui se reproduisent par des fragmens solides détachés ou déchirés du corps principal. Enfin il est bien vrai que la plupart des êtres vivans proviennent d'êtres semblables à eux ; mais celte parenté n'est pas incontestable pour tous ; et cela même nous conduit à examiner s’il y a des êtres dont la production soit spontanée. CHAPITRE IIL Existe-t-il des êtres organisés dont la production soit spontanée? Parmi les savans qui ont soutenu la génération spontanée des êtres vivans, les uns l'ont fait par sys- tème , et ceux-là se sont beaucoup moins occupés des preuves avérées de leur opinion que de ses consé- quences finales ; les autres, adoptant celte doctrine sans arrière-pensée , sans parti pris d'avance, sans calcul délibéré , ont minutieusement examiné les faits les plus propres à l’établir. Or voici de iii données ils se sont autorisés. | D'abord il est des plantes cryptogames dont le dé- veloppement est si subit, qu'on ne peut assister à ses progrès, et dont les organes sexuels et les moyens de reproduction sont si cachés, qu'on ne saurait les dé- couvrir dans un grand nombre : c’est donc sponta- nément qu'elles naissent ! Mais voici une réponse à de pareils argumens. Peu-à-peu on découvre des organes sexuels dans des végétaux qu'on en avait crus absolu- ment privés : sibeaucoup d’entre eux semblent encore L. É L 5O Liv. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. dépourvus de cetordre d'organes, au moins trouve-t-on des espèces de graines dans la plupart (1). D'ailleurs, comme il naît en divers lieux et chaque année de ces ._ végétaux analogues entre eux, et pareils à ceux qui les ont précédés, cet air de ressemblance et de famille suppose une succession d'espèces; ces espèces démon- trent une origine commune par des germesidentiques: or,quecesgermes proviennent d'associations d'organes sexuels ou qu'ils naissent sans cela, assurément les générations d'êtres analogues que ces germes perpé- tuent ne sauraient être réputées spontanées. Autre fait. On a vu naître d’innombrabies animal- cules microscopiques dans les infusions des corps organisés ; on les à vus remuer à la manière des ani- maux; on les a ensuite étudiés sous tous les aspects et dans les circonstances les plus variées : et, comme on les trouvait tous à-peu-près de la même grosseur et qu'avant de les découvrir dans les infusions on n'avait pu voir dans les corps employés à ces expé- riences ni œufs, ni germes, ni aucun veslige d’ani- maux pareils, on en a conclu qu'ils s’y étaient formés de toute pièce et d’une manière apparemment spon- tanée. Or, a-t-on dit, ce que font ces animaux in- formes , pourquoi des êtres plus élevés ne le feraient- ils pas également ? On a alors cherché dans les liqueurs séminales des grands animaux; on a eu soin de se servir du microscope comme on l'avait fait pour étu- dier les infusoires, et l’on a découvert dans ces fluides des animalcules d’un autre genre, mais pourtant analogues aux ‘précédens. Alors les imaginations se (1) Voyez le bel ouvrage d'Hedwig : Historia muscorum. CIHAP. ITI. GÉNÉRATION SPONTANÉEF. 51 sont échauflées : on n’a plus dès-lors mis en doute ni la formation spontanée de ces petits corps réputés vivans, ni la propriété qu’ils ont de s’accroître, de se transformer , et de composer de plus grands ani- maux. L'observateur anglais dont Buffon se servit dans ses recherches microscopiques, le subtil Need- ham , était convaincu que tout provenait de ces ani- malcules ; qu'ils produisaient tantôt des plantes et tantôt des animaux : il alla même jusqu’à assurer qu’on avait vu des plantes se changer en animaux et des animaux redevenir plantes ; et par cette puissance qu'il nommait végétative , il expliquait comment les premiers animalcules, en se transformant , avaient pu former le premier homme; et comment ensuite Eve, la première femme, avait pu provenir d'une des parties d'Adam. Et pourquoi tous ces systèmes? parce que beaucoup de liquides semblent donner naissance à des animalcules, et que certains organes séparés de certains êtres les reproduisent ensuite dans leur totalité. Mais laissons-là ces chimères, et raisonnons. Est-il vrai que les petits corps infusoires soient des animaux? (1) Est-il vrai qu'ils se meuvent, et le mouvement de corpuscules aussi ténus les doit-il faire supposer doués de la vie? Enfin, en admettant que ces êtres soient animés, leur production est-elle réellement spontanée ? On a dit que les infusoires étaient des animaux, et pour quelle raison? parce qu'on les voit se mouvoir au microscope. Mais voici ce qu'il faut remarquer : (1) Voyez les ouvrages de Leeuwenhoeck, de Needham , de Hartsoc_ ker, de Spallanzani, de O. F. Müller , de M. Bory Saint-Vincent, de M. Vaucher, etc. 4* 52 Liv. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. 1°. ces corps sonl si petits qu'au dire de Leeuwenhoeck, le premier qui les ait observés, il en faudrait plus de cinquante milliers pour égaler le grain de sable le plus fin. 2°. Ces petits corps se rencontrent surtout dans les infusions des corps organisés ; or, les liquides où lon a fait macérer des débris de plantes ou d'animaux se chargent nécessairement de leurs molécules; et comme elles sont très-divisées, très-légères, elles y restent suspendues. 5°. On trouve aussi ces *animal- eules dans les liqueurs animales; mais songez à la nature , à la source de ces humeurs : le sang vient du chyle, le chyle des alimens, et toutes les humeurs, c’est ensuite le sang qui les fournit. Outre ce que le sang doit aux alimens, il est encore composé des débris peu à peu détachés et bientôt remplacés des organes : est-il donc étonnant d’après cela, qu’on voie des corpuscules dans la liqueur séminale, dans les urines et dans d’autres humeurs ? 4°. Mais, dit-on, ces corpuscules se meuvent! Qui vous l’a dit? le mi- croscope. Mais ce moyen d'exploration est-il toujours sans mensonge ? comment pouvez-vous être certain des actions précises d’un corps qui n'a pas la cent millième partie du plus petit corps que vous pourriez apercevoir sans lentille ? S'il était possible de voir un être à l'extrémité la plus éloignée de la terre , serait-il raisonnable d'espérer le décrire aussi exactement que l’animal qu'on voit marcher tout près de soi? D'ailleurs ne voit-on pas les observateurs microsco- piques se contredire sans cesse sur les objets selon eux les plus importans : leurs récits varient selon leur âge, selon l'habitude qu'ils ont acquise, selon l’ins- trument dont ils se servent, Enfin , sans parler de leurs CHAP. III. GÉNÉRATION SPONTANÉE. 29 «dissidences et de leurs disputes , nous savons à com bien de faux systèmes leurs observations ont donné lieu. On ne cesse de s’extasier sur le nouveau monde qu'a fait découvrir le microscope, mais prenez garde que ce monde ne se peuple de chimères ! Ces corpuscales se meuvent donc. Mais sait-on la nature de ce mouvement, sait-on ce qui l’excite et s’il indique sûrement la vie? ne peut-il pas dépendre de l’imprégnation de ces petits corps, de l’attraction , de l'électricité , etc. ? À coup sûr, du moins, on voit des mouvemens analogues dans tous les corps dont on a projeté quelques molécules, quelque poussière dans des liquides. À ce compte, ce seraient donc des animalcules qui composeraient tousles corps? 5°. Leur voit-on du moins exécuter quelques fonctions ? Müller a cru voir+sortir du corps de plusieurs d’entre eux, d’autres corps mobiles comme eux, et il en a conclu qu'ils se mangeaient les uns les autres. Mais n'est-il pas possible qu’on ait pris pour des animalcules se dévorant les uns les autres, des molécules inertes qui se divi- saient de plus en plus par l’effet de l’imbibition ? On a cru voir aussi qu ils se reproduisaient en se séparant par la moitié de leur corps, de sorte que chacune des divisions offrait le même aspect, les mêmes signes de vie que le corps entier : mais la confusion dont je parlais à l'instant, il serait encore possible qu’en l’eût commise ici. 6°. Sont-ils influencés par des substances irritantes ? Spallanzani l’a cru, et comme il s’agit du plus sage, du plus ingénieux des expérimentateurs, cette opinion est d’un grand poids. Il a donc vu que le vinaigre et d’autres substances mêlées à l’eau dans laquelle les infusoires élaient suspendus , en dimi- DA LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. nuaient le nombre ou même les faisaient disparaître. Mais en supposant que ce fussent des molécules pure- ment inertes, n'est-il pas évident qu'il arriverait un changement pareil? Un liquide qui se mêle à l’eau n’a- t-il pas pour effet d’en changer la nature ou du moinsla densité et l’affinité ? Une fois unie à cette nouvelle li- queur, elle laisse échapper les corps qu'elle tenait suspendus ou dissous : ces choses se passent chaque jour sous nos yeux. 7°. Sont-ils influencés par les choses extérieures? Spallanzani a fait beaucoup d’ex- périences à ce sujet. Il a vu que la chaleur de l’eau bouillante ( lorsque les vases restaient ouverts ) et un froid de six à sept degrés ne parvenaient point à les faire disparaître. Or, pense-t-on que des corps aussi frêles puissent résister à de semblables influences s'ils étaient vivans ? ils seraient donc les plus réfrac- taires des animaux, eux dont la structure est si fra- gile. 8°. On dit qu'on les a vus ressusciter après plu- sieurs années d'immobilité et de dessiccation : le ième Spallanzani a fait à ce sujet sur le Rotifère qui porte son nom, des expériences devenues célèbres. 11 desséchait ce petit corps imperceptible, il le tenait renfermé durant un temps très-long loin de l’air et de J'humidité , et lorsqu'il venait à le plonger de nouveau dans un fluide , il lui voyait reprendre ses mouvemens. Il obtint de pareils résultats d’un autre petit corps qu’on a appelé Tardigrade; et toutes les expériences : à il fit sur ces êtres , il les consigna dans un très-long mémoire , où l’on voit du moins une chose admirable, c’est l'extrême sagacité et la bonne foi de l'expérimen- tateur. Mais, maloré tousles systèmes et les singulières espérances que ce fait curieux a fait naître, peut-on CIHHAP. III. CÉNÉRATION SPONTANÉE. 55 concevoir sans miracle la résurrection d’un animal mort depuis des années? Je vais plus loin, ce fait seul n'encourage-t-il pas à douter si ces corpuscules mo- biles jouissent de la vie ? 9°. On conçoit d’ailleurs que des êtres assez petits, assez multipliés pour qu'une seule goutte d'eau en offre des millions, on conçoit que les espèces de ces êtres infinis pour le nombre et la petitesse devraient offrir des différences d'autant plus nombreuses que leur production serait spontanée : car là où la parenté disparait, la ressemblance cons- tante des individus n’est plus possible. Eh bien! le con- seiller d'état O. Fr. Müller, qui a décrit et figuré ces êtres , n’en a pu former qu’une quinzaine de groupes analogues, Peut-être pourrait-on arguer de ce fait que la reproduction de ces êtres n’est pas spontanée ; mais jaime mieux en conclure qu'ils sont inanimés, car si peu de différences dans les formes semble indiquer qu'il s’agit là des molécules très-divisées de corps inertes. J'avoue que ces difficultés m'ont paru assez fortes pour douter que les êtres infusoires ou microscopiques soient animés : d’ailleurs on ne leur voit d'organes d'aucune espèce ; comment donc vivraient- ils ? et quels rapports aurait une semblable existence avec celle dont nous voyons jouir les autres êtres vivans ? Ce n’est pas que je n’admetie de vie possible que dans des corps assez grands pour être aperçus par nos sens grossiers; mais qu'il est difhicile de constater et d'étudier la vie dans des êtres micros- copiques | Il est clair qu'un moyen décisif de trancher la question de savoir si la production de ces êtres est 96 LIV. If. DE LA REPRODUCTION DES ÈTRES VIVANS. spontanée , serait de révoquer formellement leur exis- tence en tant que corps animés. Mais en admettant même qu'ils vivent, rien ne prouve sans réplique qu'ils se produisent spontanément. Spallanzani , qui croyait à leur existence comme à la sienne , pensait que leur reproduction n’avait rien de particulier. Ses expériences lui prouvaient que les uns s'engendraient en se divisant, par scission. I] croyait que la plupart étaient en outre ovipares, et même il était persuadé que l’on prenait pour des animalcules très-petits des “œufs ou des larves d’animalcules réels et plus gros ; il ällait même jusqu'à croire que plusieurs d’entre eux étaient vivipares à la manière des pucerons et de. quelques poissons ou reptiles. Concluons donc de tous ces faits obscurs, qu'il serait peu raisonnable d’arguer. de l’histoire des animalcules infusoires que certains êtres vivans soient engendrés spontanément. Il est un fait qu'on pourrait alléguer à l'appui des productions spontanées des corps organisés, Je veux parler des Vers parasites ou intestinaux (1). Ce ne sont pas cependant ceux de ces animaux qu'on trouve dans le conduit digestif dont l’origine cause de: l'embarras ; car on conçoit que leurs germes peuvent y être importés du dehors par les alimens, par les fruits, par les boissons, etc. : on sait d’ailleurs que ces êtres, une fois établis dans les intestins, s’y re- produisent comme d’autres vers par des œufs ou par là division de leur propre corps. Toutefois, ces ani- maux n'ayant pas tous des analogues dans les vers qui (2) Voyez les ouvrages de Bioch, Rudolphi, Gœtz, Bréra, Bremser, Brugnières, D. de Blainville, Laëénnce, ele. CHAP, LIL. GÉNÉRATION SPONTANÉE. 37 habitent ou la terre ou dans les eaux, il est naturel de penser qu'ils ont leur origine dans les corps vivans où on les trouve, et que les germes s’en transmettent par la génération : et ce qui confirme encore celte pensée , c'est que ces animaux parasites ne causent en aucun temps de la vie plus de ravages que durant l'enfance : ils sont donc contemporains des organes. Mais d’où proviennent ces vers et comment s'en trans- mettent les germes ? Il aurait toujours fallu aborder cette difficulté de la transmission des vers des pères aux enfans, puis- qu'on en trouve dans le corps même des fœtus, £! que d’ailleurs plusieurs espèces de ces parasites oc- cupent des viscères solides qui n’offrent aucun accès aux choses du dehors. Cette question est fort em- barrassante. Il est sûr que si l’on ne trouvait dans le corps des animaux que des espèces de vers ana- logues à ceux qu'on voit sur la terre, on pourrait penser sans invraisemblance que ces êtres passent de la mère au fœtus par la même voie qui transmet une partie des alimens d'elle à lui, c'est-à-dire avec le sang par les vaisseaux ; et puisque ce sang de la mère pé- nètre égalément tous les organes du jeune animal, il n'est pas plus difficile d'expliquer la transmission et la présence de ces vers dans la substance des organes inaccessibles que dans les conduits digestifs ou autres. * Mais puisque la plupart des espèces de vers parasites sont particulières aux animaux ou même à certains de leurs organes, les vers trouvés dans les -enfans sup posent &e semblables parasites dans leurs auteurs, ou pl utôt seulement dans leur mère ; car pourle père, 5S Liv. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. on ne voit guère comment les germes pourraient pro- venir de lui par la semence. Il est des personnes qui expliquent toutes les choses embarrassantes de ce genre par des prédispositions obscures qu’ils nomment spécifiques; mais outre que de pareilles raisons ne peuvent porter aucune lumière sur ces questions dif- ficiles , cela conduirait droit à l'admission forcée des reproductions spontanées; et il faut avouer qu’un seul fait obscur ne doit jamais faire admettre un principe dont tant d’autres raisons certaines démontrent l’in- vraisemblance. Les savans dont je parle ont dit: la preuve que les animaux parasites se développent spon- ianément comme le cancer ou les tubercules, c’est que rien ne favorise leur production aussi bien que J'état maladif où d'extrême faiblesse. Ces auteurs avaient oublié que les prétendus animalcules de la semence et d’autres humeurs (qu'ils regardent comme animés et dont la production est aussi, selon eux, apparemment spontanée) ne se trouvent que dans des hommes doués de force et de santé, et qu'ils n'existent ni durant les maladies et les grands chagrins, ni dans l’enfance et la vieillesse ! Rien ne cache la vé- rité aux yeux même les plus éclairés comme la préoc- cupation d’un système. . Enfin on a prétendu que des animaux, même des ‘animaux d’une structure très-complexe, avaient été trouvés dans des troncs d'arbres intacts, dans des pierres solides et sans nulle issue, n’offrant nulles traces de brisures anciennes. Ces êtres vivaient et se nourrissaient là sans alimens, y respiraient sans air , S'y étaient formés sans germes, sans auteurs! Assurément CHAP. IV. SANS ORGANES SEXUELS. 29 si la superstition reprenait dans de pareilles histoires le merveilleux qu’elles lui doivent , nous n’aurions plus besoin ou de les combattre ou de les révoquer. CHAPITRE IV. Reproduction sans le concours d'organes sexuels. Tout le monde sait avec quelle facilité les plantes vasculaires ou pourvues de cotylédons se reproduisent à l’aide de boutures, de drageons, de jets, de caïeux, de coulans, etc. Je dis les plantes vasculaires, car celles qui ne sont composées que de tissu cellulaire sans vaisseaux, autrement les acotylédones, ne sont pas susceptibles de cette espèce de reproduction. Pour favoriser la végétation des boutures, on a sou- vent recours à des ligatures ou à des incisions , afin de faire gonfler l'écorce en forme de bourrelet ; car c’est de ce dernier point que naissent les nouvelles racines. Quelquefois aussi on place une semence de graminée dans une fente pratiquée à l'extrémité de ces bou- tures ; comme cette graine ne tarde pas à se gonfler et à germer, elle appelle vers le nouveau végétal l'humidité dont elle a besoin, outre que la chaleur développée dans la semence qui germe, favorise la végétation de la tige nouvelle. Nous devons dire que les végétaux provenant de boutures perdent à la longue la faculté de produire des graines. Mais il est remarquable que ce soient précisément les plantes pourvues de fleurs ou d’or- 6O iv, Il. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS, ganes sexuels qui jouissent de la propriété de se re- produire par des fragmens détachés. Elles ont ainsi un double moyen de multiplication. Les plantes acotylédones ou vasculaires ne se reproduisent ni par boutures, avons-nous dit, ni ordi- nairement par le concours d'organes sexuels: elles n’ont ni fleurs, ni étamines, ni pistils appréciables. Muis ces espèces de végétaux se perpétuent par des germes ou rudimens dont la forme varie pour chacun, et auxquels on a donné les différens noms de propa- gines (dans les mousses), de conides(dans les lichens), de gondyles ( dans les algues), de bulbes ou bwlbi- les , etc. Beaucoup de botanistes regardent ces rudi- mens comme de véritables graines : mais l’absence d'organes sexuels dans les végétaux d'où ils pro- viennent ne permet guère de partager celte opinion, Ces petits corps occupent ordinairement des espèces de cavités ou urnes d’une forme remarquable : leur stratification perpendiculaire dans les champignons mérite toute l'attention des observateurs : l'ouvrage d'Hedwig en offre de merveilleuses images. Ces espè- ‘ces de germes, ces bulbes ressemblent plutôt quelque- fois à des plantesen miniature qu'à des graines comme en produisent les fleurs. C'est à ce point, qu'on a re- yardé ceux des végétaux qui les produisent comme une sorte de vivipares : on voyait il y a quelques années au Jardin du Roi, un Agavé aui s’éleva à fa hauteur de vingt-sept pieds dans l’espace de six semaines; on s'attendait qu'il finirait par donner des fleurs, mais point : il en sortit des espèces de bulbes qui, tom- bés à terre , au lieu d’y germer à la manière des graines, y prirent aussitôt racines. Si cette manière de se re- Ÿ a ÜHAP. IV. SANS ORGANES SEXUELS. O1 produire ne ressemble pas à ce qu'on voit dans les animaux vivipares, assurément du moins elle a plus d’analogie avec les gemmes des polypes qu'avec = graines 52 végétaux à fleurs. Au reste, ce genre de reproduction n'est pas par- .ticulier aux plantes ; on le voit aussi chez plusieurs animaux , dont les uns ont des sexes et dont les autres n’ont d'organes sexuels d'aucune espèce. Par exemple, les polypes dont je parlais à l'instant , se reproduisent, sans sexes , de deux manières diffé- rentes : d’abord ils ont des gemmes , espèces de germes qui, développés dans l'épaisseur de leurs membranes, font saillie au-dehors et au-dedans de leur corps ; et lorsque ces gemmes sont parvenus à une certaine grosseur, ils se détachent de l’animal pour former autant de nouveaux polypes. L'autre manière dont ces êtres se reproduisent, c’est par boutures , par divisions spontanées ou artificiellement . opérées. Il pousse de la surface de leur corps des es- pèces de bourgeons, qui quelquefois s’en détachent pour donner lieu à de nouveaux animaux semblables au polype principal; et il suffit de quelques jours ou même de quelques heures dans les mers équatoriales, pour que des jeunes polypes détachés de la souche commune proviennent successivement plusieurs gé- nérations nouvelles. Mème chose arrive lorsqu'on les coupe par fragmens petits ou gros ; chaque tronçon devient un animal entier , et bientôt il naît de nou- veaux animaux de chacun des bourgeons, de chacune des cloches dont il se recouvre. Il faut remarquer que le polype n’a point d'individualité , précisément parce qu'il est partout homogène : chaque troscon 62 Liv. il. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. contient un estomac pour exister et des gemmes peur se reproduire , c'est-à-dire tout ce qui est néces- saire à l'être et à l'espèce. Il en est de même chez toutes les espèces de polypes, mais ces phénomènes de régénération artificielle ou spontanée ne sont dans aucun autre plus curieux et plus variés que dans l'Hydre d'eau, sujet célèbre des belles expériences de Trembley. Non-seulement chaque fragment déta- ché de cet être devient un nouvel animal, mais ces fragmens se greffent les uns sur les autres à la ma- nière des arbres d'espèces analogues ; la tête de l'un peut être substituée à celle de l’autre et s'attacher aussitôt et durablement au corps mutilé. On multiplie de cette sorte, par sections ou par greffes, les queues et les têtes du même polype ; il se forme des bouches nouvelles, des bras nouveaux : et après avoir assisté à de semblables expériences, l'histoire d’un des tra- vaux d'Hercule , en perdant tout son merveilleux, acquiert ainsi plus de vraisemblance. Ces phénomènes de reproductions non sexuelles ne se bornent pas à la seule et vaste famille des po- lypes: on les retrouve en d’autres êtres, en ceux même qui ont des sexes et qui portent des œufs. Il est plusieurs vers, plusieurs radiaires qu'on multiple ou qui engendrent ainsi d'eux-mêmes, par division. Beaucoup de vers peuvent être divisés par fragmens, chacun desquels redevient un vers parfait, parce qu'il jouit de la faculté de réintégrer toutes les parties de l'animal dont on l'a séparé. Ch. Bonnet a vu des vers aquatiques dont seulement la vingt-sixièine par- tie suflisait pour reproduire un animal parfait ayant au bout de quelques mois plusieurs pouces de lon- _ CHAP. Y. GÉNÉRATION DES PLANTES. 05 sueur. Toutefois chaque tronçon ne jouit pas égale- ment de la propriété de régénérer tout l'être : dans les vers un peu complexes, la tête et la queue ne re- poussent aucune des autres parties; mais ceux des tronçons du centre qui renferment des viscères, re- produisent bientôt tout l'animal. L'abbé Dicquemare a constaté de semblables sin- gularités en d’autres animaux. Il a vu des Actinies, ou anémones de mer, dont les ligamens membraneux se divisaient d'eux-mêmes par lambeaux , et chacun d’eux, après être resté quelque temps collé à la souche commune, devenait une actinie complète. Il a essayé d’imiter la nature par des divisions artificielles ; et soit qu'il divisât ces corps -gélatineux et animés par la moitié ou par fragmens plus ténus, les résultats étaient tous semblables et toujours certains. CHAPITRE VY. Reproduction sexuelle des plantes. Il résulte du chapitre précédent que tout être vivant ne provient pas d’un œuf, comme l’ont avancé des esprits systématiques qui ne tenaient compte que des faits favorables à leurs idées favorites : nous avons également vu qu'il est des reproductions possibles sans le concours d'organes sexuels. Mais dans la mul- tilude d'êtres dont il nous reste à parler, nous verrons partout des espèces d'œufs où sont contenus leurs premiers linéamens, leurs embryons, el partout l’in- G4 Liv. 11. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. tervention d'organes sexuels. C’est par les plantes que nous commençons l'histoire de cette génération vé- ritable (1). À l'exception des Cryptogames , lesquels, comme le nom l'indique , ont des mariages cachés ou des sexes invisibles, tous les végétaux sont évidemment pourvus d'organes sexuels. Les Pistils , les Stygmates, les Ovaires, sont les organes du sexe Femelle; les Étamines, les Anthères , les organes du sexe Mâle. Les ovaires sont occupés par les rudimensdes graines, par les Embryons; les anthères sont remplies d’une matière fécondante , c’est le Pollen ; ensuite des organes accessoires, les Pétales de la Corolle , les di- visions du Calice entourent, protègent ou décorent ces organes essentiels dont la durée n’est pas égale. Il faut remarquer qu’il existe une assez parfaite ana- logie entre les organes sexuels des plantes et les mêmes organes des animaux : les anthères sont l'équivalent destesticules; le stygmate et l'ovaire représentent et la vulve , et la matrice, et l'ovaire des animaux femelles ; s'il existe un conduit entre le stygmate et l'ovaire, il fait l'office et est l’analogue du vagin, ou plutôt des trompes : ensuite le Pollen est une espèce de sperme, et l'embryon des graines est l’image de l’ovule des animaux. Mais comme les plantes n’ont ni instinct ni locomotion , il était essentiel que le principe fécon- dant fût à l'extérieur, contigu avec l'organe femelle qui l’absorbe et en est fécondé, ou accessible aux Qi) WoyezMalpighi (1675); Camerarius, de Seæu plantarum (1694) ; Linné (1760) ; Ch. Bonnet ; Spallanzani (1777); Adanson: Kælreuter; Gœrtner : Volta; Mirbel (1810-11); Turpin; Decandole; A. Saint-Hi- laire ; Dutrochet; Amici; Rob. Brown (1826); Ad. Prongniart (1827). GHAP. V. GÉNÉRATION DES PLANTES. 65 vents qui le lui transportent ; aussi est-ce là ce qu’on observe. Par la même raison la matière fécondante des anthères ne devait pas être liquide comme celle des testicules; aussi est-elle pulvérulente et renfermée dans de petites outres qui se rompent pour la trans- mettre au stygmate, au lieu d'être à nu comme le sperme des animaux. Dans le plus grand nombre des plantes les organes des deux sexes sont réunis dans la même fleur, et non séparés sur deux êtres différens, comme dans la plupart des animaux : au lieu d’être unisexuelles, elles sont donc presque toutes hermaphrodites. C’est encore une conséquence de leur immobilité et de leur apathie : il est clair que pour des êtres qui ne peuvent ni se pressentir ni se chercher, le contact des organes par qui s'opèrent la génération et la per- pétuité de l'espèce était une condition nécessaire. Toutefois les plantes ne sont pas à beaucoup près toutes hermaphrodites : il en est dont les organes mâles et les organes femelles sont placés en des fleurs isolées sur la même tige; d’autres, dont les sexes sont séparés sur des tiges différentes. Il y a même des com- binaisons.de sexes encore plus compliquées. Chaque fois donc que nous dirons Hermaphrodites, cela indi-- quera des fleurs renfermant les organes réunis des deux sexes; nous nommerons Monoïiques, les plantes où les sexes sont isolés en des fleurs supportées sur la même tige; et Dioiques, celles dont chaque tige ne contient que les organes isolés d’un sexe. Ainsi les plantes sont pourvues d'organes sexuels comme les animaux. C’est une chose qui fut ignorée des anciens et qui n’a même été bien démontrée, L. 9 66 LIv. Li. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. bien avérée et connue que dans des temps assez rap- prochés de nous. L'illustre Tournefort lui-même , lui cependant qui fit des fleurs une étude si profonde, paraît n'avoir eu sur ce fait important de physique que des idées fort confuses. Il lui arrive de nommer femelles , avec le vulgaire , des plantes supportant des fleurs mâles : il va même jusqu’à prétendre assi- -gner pour usage aux anthères de purger les fleurs de tous les principes nuisibles. Millington ; à ce que dit Grew, mais surtout Ca- merarius, ont émis les premières idées justes sur cette matière : mais il est impossible de douter que l’exis- tence du sexe des plantes ne fût une tradition routi- nière des peuples avant de devenir une découverte scientifique. En 1759,'Linné adressa à l’Académie de Pétersbourg une dissertation fort instructive sur ce sujet; et malgré les expériences aussi équivoques qu'ingénieuses dont l'abbé Spallanzani embarrassa quelques années après ce beau fait de physiologie, trop d'expériences aujourd’hui le confirment , trop de témoignages l’attestent, pour quil ne s'empare pas des croyances de tous les hommes éclairés. Voici donc ce qu'on observe au moment de la fécon- dation des plantes : les anthères , qui sont divisées en deux espèces de bourses à la manière des testicules, ordinairement ne paraissent contenir de pollen fé- condant qu’à l’époque de l'épanouissement des fleurs. Toutefois cette règle n’est pas sans quelques excep- tions : ainsi les fleurs de l’ordre des œillets (les Ca- ryophyllées ) et celles de l’ordre des Solanées sont déjà à demi-fécondées quand la fleur vient à s'ouvrir. A l'instant de cette fécondation, les anthères sont RE — CHAP. V. GÉNÉRATION DES PLANTES. 67 couvertes d'une poussière ordinairement jaunâtre, qui s'en échappe; le stygmate , presque toujours placé dans l’atmosphère de cette poussière , «est enduit d’ure espèce. de mucus glutineux où elle se fixe s il est en outre hérissé de poils à sa surface, ce qui re- tient mieux les petits globüles, et il paraît percé de pertuis très-fins par où s'introduiraient, sinon ces glo- bules entiers, du moins les principes plus subtils qui en émanent. Nous verrons dans la suite de ce cha- pitre ce qu'il faut penser de cette apparence. Il est remarquable que le stygmate est toujours placé le plus favorablement possible pour se trouver en con- tact avec le pollen des. étamines : il est d'ordinaire moins élevé que les anthères; s’il est plus haut qu’elles, il se récourbe pour redescendre à leur niveau ; ou même au-dessous ; et, dans les plantes monoïques, les fleurs femelles (où se trouve ce stygmate } sont presque: toujours placées dans le bas de la plante ;rau- dessous des fleurs mâles. On à aussi observé (Linné) que les fleurs dont le pistil est plus long que les éta- mines sont ordinairement ;tombantes ;: ayant leur ouverture vers la terre; tandis que ; si les étamines sont plus courtes, alors les fleurs ‘restent RESSique toujours droites, {10 - Ces premiers faits que nous venons de relateration- trent déjà les grands rapports existant entre les anthè- rés et les stygmates , et ils auraient suffi pour mettre sur la voie de la génération sexuelle des plantes; mais les preuves positives qui l’établissent sont nombreuses. Lorsqwon coupe les anthères d’une fleur un peu avant qu’ellés soient devenues pulvérulentes , alors cette fleur reste stérile, ses graines avortent. Si l’on ob- 5* 68 Liv. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES YIVANS. 7 serve une plante monoique, on voit d’un côté que les fleurs qui ne portent que des étamines n’ont jamais de graines ; tandis que les fleurs à pistils en sont pour- vues. S'agit-il d'une plante dioïque ? si on la tient isolée de toute autre plante d’espèce analogue , elle reste inféconde. On a fait cette expérience pour le chanvre, pour les épinards , les palmiers, la mercu- riale et d’autres. Les paysans agissent en conséquence de ce fait lorsqu'ils ont le soin de n’arracher le chanvre mâle. (qu'ils nomment femelle par inattention ; par routine } qu’au moment où les graines déjà fécondées du chanvre femelle (le mâle selon eux) dénotent qu'ils le peuvent faire sans danger. Disons cependant que les expériences de Spallanzani ne s’accordent pas avec tous ces faits. Il assure , dans un style toujonrs persuasif , qu'il a vu du Étyuvre femelle prendre graines, quoiqu'il en eût séparé bien avant la floraison tous les pieds de chanvre mâle. Même Spallanzaninese borne pas à cette moitié d'expérience ; il l’achève avec sasagacité accoutumée : il a un fait à opposer à chaque objection prévüe. En vain dirait-on. que ces graines ne sont pas fécondes : il lès a semées et la plupart ont produit de:nouveau chanvre. C’est le vent, pour- rait-on dire , ce sont des insectes qui ont voituré le pollen d’un chanvre éloigné sur le vôtre : non, car -Spallanzani avait ensemencé d'assez bonne heure pour avoir du chanvre en fleurs à une époque où celui des campagnes voisines de son château est encore en herbe et loin de fleurir. Enfin Spallanzani a prévu qu’on pouvait objecter que peut-être des fleuys mâles se trouvaient réunies sur le même pied avec dés fleurs femelles : il avoue que la chose est possible, qu'il l’a CHAP. V. GÉNÉRATION DES PLANTES. 69 quelquefois observée ; mais que toujours il a eu soin d'examiner chaque fleur une à une, et d'enlever Îles fleurs rarement trouvées pourvues d’étamines. Cepen- dant , et quoique cet observateur assure avoir obtenu des résultats semblables d’autres expériences tentées sur des végétaux différens, les botanistes n’en persis- tent pas moins à penser qu'il s’agit là d’une erreur. Il faut se souvenir que Spallanzani était en corres- pondance suivie avec Ch. Bonnet, son ami; qu’aussi bien que Bonnet, il croyait à la préexistence du germe dans l’ovule des femelles et au rôle très-secondaire du mâle : on se rappellera ensuite combien la préoccupa- tion d’un système exerce d’ascendant sur les hommes mème les plus capables d'y résister. Toutefois, Spallanzani convient que pour ia plu-. part des plantes l'intervention des étamines est né- cessaire à la fécondation : il avoue avec tous les bota- nistes, que, sans pollen, sans étamines , presque tou- jours les graines avortent ou se dessèchent avant la maturité, ou mürissent imparfaitement sans pouvoir reproduire de plantes nouvelles. À ce sujet, les voix sont unanimes : Spallanzani est le seul qui admette des exceptions à une règle universellement regardée comme absolue. Cet habile expérimentateur était porté à penser qu'outre le chanvre, les épinards et la courge à écu pouvaient, comme les pucerons, engendrer sans l'intervention des organes mâles. Il avait encore un au- tre pressentiment à ce sujet : il ne regardait pas comme impossible que ces plantes pussent engendrer sans an- thères ; et voici pourquoi : il avait vu à l'extrémité des stygmates une poussière de même couleur que le pol- len, mais étrangère à la dissémination de ce dernier ; ct 50. LIV. Il. DE LA REPROPUCTION DES ÊTRES VIVANS. il n’était pas éloigné de croire que cetie matièrene pro-" vint des stygmates eux-mêmes, et qu’elle n’eûtlamême efficacité que celle des anthères. Mais les expériences. que le célèbre Volta a tentées depuis Spallanzani sur le même sujet, ont prouvé que celui-ci était dans l’er- reur, et que, s’il avait obtenu des graines fécondes des fleurs femelles isolées de plusieurs plantes, cela venait de ce qu'il n'en avait point séparé avec assez de soin les étamines qui s'y trouvent jointes. La généralité de la règle ne souffre donc plus aujourd’hui d’excep- tions. Tout le monde connaît l'exemple des palmiers femelles, lesquels restent toujours stériles lorsque aucun palmier mâle ou à fleurs pourvues d’étamines n’est dans leur voisinage. On cite ce palmier femelle de Berlin, ne produisant jamais rien, restant infé- cond parce qu'il était isolé : on fit venir de Leipsick, par la poste, du pollen d’un palmier mâle situé dans cette ville ; ce pollen, on le répandit sur les fleurs du palmier femelle jusques-là stérile, et pour la pre- mière fois on le vit produire. L’intermédiaire des vents fut remplacé dans cette circonstance par l'entremise. industrieuse des hommes. Nous disons donc que sans pollen il n’est pas de fécondation possible , pas de fruit, pas de graines, pas de reproduction. Lorsqu'on à coupé toutes les étamines chargées de pollen d’une plante hermaphro- dite, elle n’est cependant pas toujours stérile pour cela : du pollen peut parvenir aux stygmates de ses fleurs châtrées, par des fleurs analogues du voisinage. Plusieurs fois des expériences ont été tentées à ce sujet, et toujours avec succès. Il sufiit pour qu’elles réussissent , que ie rollen dont on saupoudre les styg- CHAP. V. GÉNÉRATION DES PEANTES. + mates étrangers provienne de fleurs analogues aux leurs ; il faut, pour que la fécondation soit parfaite, que les graines des unes et des autres emploient le même temps à se développer, à mürir. Par ce moyen, on remplace les étamines excisées par le pollen pris sur d’autres étamines; et les plantes qui proviennent de ces unions adultérines sont hybrides , c'est-à-dire qu'elles réunissent les caractères de l’une et de l’autre. Il est facile de pressentir par ce qui précède, de combien de causes peut provenir la stérilité des plantes, des plantes même qui ont des fleurs. 1°. L’ex- cision des étamines est l’une des plus sûres. Mais il faut que cette opération précède la dissémination du pollen : il faut que de nouveau pollen ne puisse être transporté sur les stygmates isolés, ni par les vents, ni par des insectes, ni par l'homme. Il faut que cette castration soit opérée de bonne heure ; car il est des fleurs dont la fécondation est déjà com- mencée avant l'épanouissement de la corolle. 2°. Les pluies abondantes, qui enlèvent subitement le pollen, peuvent amener l'avortement des graines et la stérilité. C’est ainsi que les temps pluvieux, à l'époque de la floraison des graminées, du pom- mier ou de la vigne, produisent souvent une diselte de blés, de cidre ou de vins; c’est pour la même raison , et par la prévoyance de la nature, que les fleurs des plantes aquatiques s'élèvent au-dessus des caux au moment de la floraison pour s'y replonger lorsque la fécondation est opérée (1). Toutefois il est des fleurs qui s'ouvrent dans l’eau et qui s’y fc- (1) Voyez Théophrasle, iv. iv, chap. x. 72, LIV. Il. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. condent sans en sorlir; mais voici par quelle voie: admirable se propage le pollen : il se développe une bulle d'air au milieu de la fleur épanouie et submer- gce, et par ce moyen le pollen se dissémine (1). Lesgelées et les coups de soleil brülans ont quelque- fois l'effet des pluies ; mais ils agissent différemment , je veux dire, en mortifiant ou desséchant le stygmate des fleurs à-demi épanouies. Toute atteinte profonde aux pislils ou aux ovaires a des effets analogues à la destruction des étamines ou à la disparition du pollen. 3° L’isolement des pistils ou l’isolement des éta- mines produit toujours la stérilité. Il est en consé- quence indispensable qu'une plante dioïique ait dans son voisinage une plante de son espèce et d’un sexe différent du sien : et s’il existe de grandes distances entre les. deux êtres, il faut la main de l’homme ou l'intervention des vents pour les rapprocher. | 4°. Ce n’est pas assez qu'une plante ait des fleurs mâles et des fleurs femelles, qu'une même fleur ait des étamines et des pistils , ou que les deux sexes des. plantes dioïques soient voisins l’un de l’autre ; il faut, de plus, que les étamines et les pistils, les fleurs mâles et les fleurs femelles croissent au même degré, et soient pour ainsi dire du même âge, arrivant en même temps à la maturité : mais celte concordance, ordinaire pour la plupart des plantes , n’est pas tou- jours assez parfaite. Si, par exemple, les fleurs fe- melles sont plus hâtives que les mâles, si déjà elles sont flétries quand les fleurs mâles sont disposées à donner leur pollen, alors la fécondation est impos- (1) Voyez Ramond, Bastard, A. Saint-Hilaire. CHAP. V. GÉNÉRATION DES PLANTES. m # sible. Linné cite des cas de ce genre. Lorsque ce sont les fleurs mâles qui s’'épanouissent d’abord, la chose n'est pas aussi embarrassante ; car le pollen pouvant se conserver plusieurs jours et même des semaines entières sans dommage, on le recueille d'avance, et on a sein ensuite de le projeter sur les premières fleurs femelles qui viennent à s'ouvrir. Le même et illustre Linné a fait de ces expériences sur le jatropa. 5°: Il est bien vrai qu'on n’a jamais vu d'espèce de plante qui eût exclusivement des fleurs femelles ou exclusivement des fleurs mâles. Mais les deux sexes ne se développent pas toujours également; et cela produit encore la stérilité. Linné avait dans son jardin d'Upsal du Chanvre de Crète qu'il était forcé de multiplier par racines, par la raison que cette plante n’ayant jamais eu que des fleurs femelles, il n’en pouvait obtenir aucune graine : désespérant d’en ré- colter chez lui, il en fit venir de Paris , et les sema; mais les plantes qu’elles lui donnèrent portaient toutes des fleurs femelles comme celles d’Upsal. Enfin, de nouvelles graines lui fournirent d’autres plantes , et parmi elles il se trouva un mâle. Comme celui-ci était éloigné des femelles, Linné prit le soin d'en recueillir le polien, de le répandre sur une ou deux plantes portant des fleurs femelles à pistils, et pour la pre- mière fois celles-là, et elles seules, furent fécondes et donnèrent des graines. Les plantes monoïques.et dioïques, ayant une fé- condation plus incertaine , à raison de l’isolement des organessexuels sur des fleurs ou sur des pieds différens,; c’est probablement à cause de cela que leur pollen est extrêmement abondant et que la terre environnante mA Liv. Il. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. en est quelquefois jonchée. C’est comme les œufs des, poissons, dont le nombre est prodigieux. Toujours attentive à la conservation des êtres vivans ,. la nature semble avoir multiplié les moyens propices à la pro- pagation des espèces, à mesure que cette propagation rencontrait plus d'obstacles et courait plus de dangers. On ne peut douter, d’après ces différens faits, que le pollen des anthères ne joue un rôle fort important à l'égard de la fécondation du fruit et des graines ; on ne peut douter non plus que le pistil ne serve d’intermédiaire entre le pollen et les graines rudi- mentaires que l'ovaire renferme. Mais comment toutes ces choses se font-elles, et quelle est la part d’in- fluence de l'organe mâle et de l'organe de l’autre sexe ? D'abord, si l’on examine une fleur encore en bouton, et par conséquent non ‘encore fécondée, on trouve dans l'ovaire, au-dessous des étamines et des pétales recoquillés, les rudimens très - petits et imparfaits des graines futures. Si l’on ouvre avec soin ces graines rudimentaires, on les trouve entièrement composées d'une humeur pulpeuse et homogène qui disparait toujours avant la maturilé (1), et qui ressemble à une gelée un peu consistante. Ces pelits grains se trouvent dans beaucoup de fleurs plus de vingt jours avant qu’elles soient ouvertes , long-temps donc avant que le pollen ait pu les féconder. Ces graines nais- santes sont massives ; leur centre n'offre aucune cavité, ni rien qu'on puisse prendre pour le germe ou l’em- bryon de la nouvelle plante qui en aurait dû naître. (3) Voyez Malpighi, Grew, Spallanzani, Mirbel, CHAP. V. GÉNÉRATION DES PLANTES. 75 Mais les choses prennent bientôt un autre aspect lorsque la fécondation est opérée, c'est-à-dire après que le pollen, devenu pulvérulent, a été mis en contact avec le stygmate correspondant aux jeunes graines. Alors ces graines se creusent vers leur centre; ces cavités sont remplies par une humeur vitrée que Malpighi a nommée amnios , par amalogie à ce qu'on observe dans l’ovule de quelques animaux : et l’on croit que ce liquide sert de nourriture à l'em- bryon , lequel paraît bientôt suspendu au milieu du fluide. Cet embryon, qui n’existe que dans les graines fécondes , n’offre pas d’abord de caractères bien dis- tincts ; mais bientôt on y aperçoit toutes les parties d’une plante en miniature : il est composé d’une ra- dicule, d’une plumule ( rudiment de la tige future }, et d’un corps de cotylédons , qui sont les premières feuilles que cette graine aurait produites. Nous voyons donc Fembryon paraitre après que la fécondation des ovules ou jeunes graines a été opérée par la poussière des anthères , mais sans pouvoir as- surer qu'il ne préexistât point à cette fécondation. Puisqu'on ne peut l’apercevoir que quelque temps après cette fécondation , et que lébullition nous le fait voir dans des graines où il paraissait invisible à froid , nous ne pouvous pas savoir de quelle époque date précisément sa première existence. Mais voici, ce qu'on sait être sûr, malgré les dénégations du ju- dicieux Spallanzani : c'est que, soit que l’embryon résulte de la fécondation ou qu’il lui préexiste, cer- tainement du moins il ne se développe et ne devient productif qu’alors que la fécondation de Fovule a eu lieu. Nous verrons cette question si délicate se re- produire à l’occasion des animaux. 6 LIV. 1I. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. Une chose porterait à penser que l'embryon, l'em- bryon inerte, préexiste invisible à la fécondation ; ce sont les liens, ce sont les rapports qu'on lui voit dès sa première apparition dans l’ovule. Nous avons déjà dit qu’il nage dans un liquide qui lui est contemporain ; mais, outre cela, on le voit presque toujours lié par deux de ses points, souvent opposés l’un à l’autre, à l’ensemble de la graine, L’amnios, qui le baigne, est entourée ordinairement d’une membrane; souvent au- delà de celle-ci est un autre liquide bientôt épaissi et qu'on nomme albumen, tant qu'il est à l’état fluide, et périsperme, lorsqu'il est solidifié autour de l'embryon. Autour de cet ensemble est ure nouvelle membrane protectrice. Or, les deux ligamens de l'embryon corres- pondent aux deux endroits de l’amande où ces mem- branes sont ou adhérentes ou perforées ,savoir : à l'om- bilic et au sommet de la graine. Celui de cesligamens qui est tourné vers l’ombilic ne va pas ostensiblement jusqu’à lui; il s'attache en dedans de l’amnios à un point qui correspond à la chalaze , et qui fait l'office comme d'un placenta interne; ensuite, ce placenta, cette cha- laze reçoit des vaisseaux de l’ombilic; et c’est par l'ombilic que la graine adhère à l’ovaire et reçoit des vaisseaux de la plante-mère, vaisseaux qui pour cette raison sont appelés ombilicaux. De cette manière l'embryon tient à la graine comme cette graine lent à la plante, et par les mêmes vaisseaux. Je dis que ces adhérences de l'embryon avec son ovule, au moyen des ligamens dont nous venons de parler, semblent indiquer une coïncidence dans l’ori- gine de ces deux corps. En effet, comment le principe fécondant du pollen pourrait-il exercer efficacement son action au milieu d’un fluide sans conduits inter- CHAP. V. GÉNÉRATION DES PLANTES. na médiaires? Je vais plus loin : en supposant la forma- tion spontanée de l'embryon au milieu du fluide, comment se trouverait-il subitement en commerce de vaisseaux avec l’ovule, et par celui-ci avec la plante entière? Ne semble-t-il pas plus raisonnable, je le demande, de regarder toutes les parties de la fleur et l'embryon lui-même comme étant d’une origine simultanée et contemporaine? Mais il faut convenir que les expériences qu'on a tentées pour découvrir l'existence de l'embryon dans des ovules non fécondés ont toujours été vaines. Ce n’est même que plusieurs jours après la fécondation qu'on parvient à le trouver : encore même n'est-ce qu'à l’aide de la chaleur ou de l'esprit-de-vin , lesquels le coagulent. Ainsi donc , il est certain que l'embryon n'apparaît et ne se développe que du moment où se fait l'émission du pollen. Mais comment cette poussière est-elle transmise de l’anthère jusqu'à l'ovaire ? quelle voie suit-elle pour y parvenir? quelle est sa structure, et est-ce par le stygmate qu'elle s’introduit? On a beaucoup examiné le Pollen dans ces derniers temps : on a donné la plus grande attention à sa forme, à son volume , à l’arrangement des petits grains qui le forment (1). On a vu que les corpuscules dont il est composé étaient contenus dans l’intérieur des anthè- res, disposés par compartimens, par cellules, et renfer- més dans autant de membranes particulières. Lorsque les fleurs Slépanouissent et que le pollen arrive à l’état de maturité, les anthères éclatent tout-à-coup , et les (1) Voyez de Gleichen , Amici, Rob. Brown, Guillemin, Ad. Bron- guiart, Raspail. 78 Liv. IN. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. srains de poilen en sortent avec vélocité , à-peu-près comme des grains de poudre enflammés sortent par la lumière d'une fusée. Après cela, si ces grains de pollen sont exposés à l'humidité, on les voit éclater de nou- veau; alors on s'aperçoit qu'il est sorti de leur inté- rieur un nombre infini de corpuscules excessivement déliés, formant une sorte de traînée; et de plus, on en voit tout-à-coup saillir un long tuyau membraneux qui semble n'être qu'un débris de l'enveloppe interne de ces petits corps. Lorsque les grains du pollen tombent sur le stygmate des fleurs, l'humidité qu’ils y rencon- trent les fait éclater comme nous venons de le dire; et l'on croit que l'espèce de canal qui s'échappe de leur intérieur avec les grains de poussière, s’introduit dans la substance même du stygmate. Il suit de là que les petits grains de pollen sont directement projetés dans le pistil, et que le stygmate n’a pas besoin de les ab- sorber. Aussi bien ne convenait-on pas que le pistil eût des ouvertures et des vaisseaux conducteurs; et cela causait beaucoup d’incertitudes et sollicitait sans cesse de nouvelles hypothèses, la plupart vraisembla- bles ,ilest vrai, mais peu dignes de confiance comme imaginaires. En supposant donc l'introduction immé- diate des grains de pollen au moyen des tuyaux mem- braneux dont il s’agit, il reste toujours de grandes difli- cultés pour expliquer comment ces corpuscules vont du pistil jusqu’à l’ovule. S'il ne s'agissait que d'hypo- thèses à faire, voici ce qu’on pourrait sup poser : 1°. le pistil est composé de petits globules unis et SE par du tissu cellulaire ; le pollen ne peut-il pas pé- nétrer jusqu'à l’ovule par ces intervalles celluleux ? Comme le stygmate ordinairement paraît avoir autant CHAP. V. GÉNÉRATION DES PLANTES. 79 de compartimens, autant de divisions que l'ovaire a de cellules, on avait cru que le pistil était percé d'autant de petits conduits : mais ces conduits, leur existence est mise en doute. Linné, qui les admettait comme certains, croyait que la fécondation d’un styg- mate n'avait d'effet que pour l’ovule correspondant ; mais on sait aujourd'hui qu’il suffit d’un seul stygmate pour féconder tout un ovaire. 2°. Toutes les parties de la plante absorbent apparemment par des vaisseaux exprès ; pourquoi donc le pistil, qui a sans doute les mêmes vaisseaux, n'exercerait-il pas la même absorp- tion? 5°, À l'instant de la fécondation , le stygmate et le pistil sont enduits et imprégnés de sucs ; mais dès que le pollen est disséminé , toutes les parties de la fleur se dessèchent et se flétrissent : or, n’est-il pas probable qu’une partie de l'humidité dont le stygmate était inondé se trouve attirée vers l'ovaire, lequel s’hu- mecte à son tour et se dilate de plus en plus? 4°. A l'instant de la fécondation, il se développe beaucoup de chaleur dans les organes sexuels de la plante ; or cela dilate les sucs dont ces organes sont imprégnés ; et comme le reste de la plante se trouve à une tem- pérature plus basse, et que le calorique tend toujours à se mettre en équilibre, cela même n'est-il pas une des causes qui font affluer les liquides du stygmate vers l'ovule, et avec ces liquides les émanations du pollen? Quel que soit le mode d'introduclion du pollen dans lovule , toujours est-il qu'il communique jus- qu'à lui, et l'on croit que cette communication a lieu parles vaisseaux déliés et presqu’imperceptibles qu’on trouve vers le mamelon ou le sommet de l’amande : c'est aussi vers ce point de la graine que s'attache l’un 80 [LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. des ligamens de l'embryon dont il a été question plus haut; c’est en ce lieu pareillement que les tuniques de l’amande sont perforées , ainsi que l’a prouvé M. R. Brown. Mais on ignore si ce sont les globules du pollen lui-même ou des fluides subtils émanés de lui qui s’introduisent dans l’ovule pour former ou animer l'embryon. Koelreuter, Adanson, Ad. Brongniart et d’autres ont émis différentes opinions à ce sujet. Comme on a cru voir remuer les globules du pol- len, on a pensé que ce pouvaient être des animalcules, et que peut-être ils’en introduisait dans la jeune graine pour former l'embryon. Mais il est évident que toutes ces choses sont hypothétiques, et que c'en serait fait de la physiologie si on lui donnait de pareilles bases. Toujours est-il que l'embryon n'apparaît que plu- sieurs jours après la dissémination du pollen, et lorsque déjà les différentes parties de la fleur sont fanées. C’est qu’en effet il est évident que n’importe comment les granules des anthères pénètrent jusqu’à l'ovaire , leur passage ne saurait être instantané ni leur action aussitôt manifeste. Le moment où le pollen s'intro- duit dans le stygmate est toujours marqué par la flétrissure de la fleur entière: on a remarqué que les fleurs châtrées et les fleurs femelles et veuves des plan- tes dioïiques conservaient plus long-temps leur frai- cheur que les fleurs hermaphrodites dont les anthè- res sont restées intactes. [Il en est de même desfleurs doubles et stériles , et pour la même raison (1). En récapitulant toutes les parties de la fleur ,ser- vant à la généralion sexuelle des plantes, nous trou- (1) Voyez Linné et Mirbel. CHAP. V. GÉNÉRATION DÉS PLANTES. 81 vons : les divisions vertes ou colorées du Calice ou de Ja Corolle, lesquelles entourent et protègent les vrais organes sexuels; les Étamines, ou organes mâles, terminées par des anthères; celles-ci , recélant dans leurs cellules de petits sacs formés de la matière sémi- nale nommée Pollen; le Pistil, ou organe femelle, dont l’évasement terminal prend le nom de Stygmate, et le support, le nom de Style;.les vaisseaux très-fins et très-délicats du sommet de l’amande, que l’on croit être le conduit de la matière fécondante émanée du pollen ; l'Ovaire ou fruit, réunion des semences et de leurs enveloppes ; la Graine, qui est formée de l’em- bryon et du périsperme ; l’'Embryon lui-même, lequel date ostensiblement de l’époque de la fécondation, est entouré d’un fluide nommé amnios, et commu- nique par des vaisseaux, d'un côté avec le pistil, et par lui avec le pollen des anthères, et d’un autre côté avec l’ombilic du fruit, et par lui avec le reste de la plante; enfin la Plantule, ou l'embryon grandi, of. frant les différentes parties d’une plante nouvelle : la Radicule , la Plumule ou jeune tige, le Collet, ou partie intermédiaire, et les Cotylédons ou feuilles sé.- minales. Les ofganes de la fructification varient rarement pour les plantes de la même famille, ou plutôt c’est surtout d’après l'examen de ces organes qu’on Juge de l’affinité ou de l'éloignement des espèces et des senres. Les végétaux qui se ressemblent par la dis- position des fleurs et du fruit diffèrent rarement pour le reste de la stracture : aussi les principaux bota- nistes ont-ils pris les organes de la ileur ou les diffé- rentes parties du fruit pour bases de leurs systèmes Ï. 6 S2 LiV. Il. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS.: de classification (1). Tournefort, envisageant avant tout l'apparence extérieure des fleurs, distinguait les plantes en campaniformes, infundibuliformes, cruci- formes , rosacées, personnées, flosculeuses , radiées, anomales, ‘etc. B. et À. de Jussieu ont fondé leur mé- thode, surnommée nätureile malgré ses grandes dif- ficultés , sur l’existence ou l’absence , sur le nombre et la disposition des eotylédons de la plantule ren- fermée dans la grai 2, I est sûr, en-effet, que les plantes qui se ressemblent en ce premier point sont analogues de toute manière. Linné , qui ne se dissi- mulait point la paresse des hommes, s’efforca .de créer un système d'une étude plus expéditive, d’une conception plus facile : ilaima mieux, en conséquence, fonder ses distributions sur le nombre , sur l’arran- _gement visible des organes sexuels, mâles et femelles, étamines et pistils. Nous croyons devoir donner, ici une idée de sa classification, D'abord, Linné considérait si les organes sexuels étaient visibles, s'ils étaient réunis dans la mênrte fleur, libres etnon adhérens entr'eux ; et, lorsque les élamines étaient égales entr'eiles, il les comptait, de manière à ce que ses dix premières classes reposassent uniquement sur ce nombre des étamines®, variant d'une à dix ; puis, unissant le nom de nombre grec avec un autre mot grec signifiant mari, il désignait ces dix premières classes par les noms suivans : Mo- nandrie, Diandrie, Triandrie, Tétrandrie, Pentan- drie, Sexandrie, Heplandrie, Octandrie, Eunéan- (1) Voyez les ouvrages de Tournefort , Linné , Adanson , Jussieu, Lamarck et D'ecandole. L. CHAP. V. GÉNÉRATION DES PLANTES. 83 drie, Décandrie ; et il rangeait dans la Dodécandrie les plantes dont les fleurs ont moins de vingt éta- mines, mais plus de dix. (Quant aux plantes ayant au moins vingt étamines, elles étaient de l’Icosandrie lorsque les étamines ad- héraient au calice, et de la Polyandrie quand'elles tenaient à l'ovaire ou réceptacle. Side quatre étamines renfermées dans la mème fleur deux se trouvaient plus longues, c’était la Didynamnie ; si sur six étamines il y en avait deux courtes et quatre longues, alors c'était la Tétradynamie, À l'égard des plantes dont les étamines adhéraïent entr’elles par leurs filets, il les rangeait dans la Mo- nadelphie , la Diadelphie ou la Polyadelphie, selon qu’elles formaient un, deux ou plusieurs faisceaux ; et lorsque cette adhérence des étamines se faisait par les anthères, il en faisait une dix - neuvième classe sous le nom de Syngénésie. Était-ce avec le pistil que ‘les étamines adhéraient , ou se trouvaient-elles posées sur lui, alors c'était là Gynandrie, Après cela venaient les fleurs ne renfermant chacune qu’une partie des organes sexuels: dans ce cas, lors- que les fleurs mâles et les fleurs femelles naissaient sur la même tige , la plante était classée dans la Mo- næcie ; dans la Diœcie, au contraire; lorsque les fleurs mâles étaient toutes sur un pied et toutes les fleurs femelles sur un autre ; enfin la Polygamie renfermait les plantes ayant des fleurs mâles, des fleurs femelles et des hermaphrodites , isolées les unes des autres, mais réunies sur la même tige, ou bien séparées sur deux ou sur trois individus différens. Einné formait sa vinot- 6* 84 LV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. quatrième et dernière classe avec des plantes n ayant point de fleurs visibles : c'était la Cryptogamie. Si cette méthode de classification des plantes n'est ni la plus profonde ni la plus philosophique , il faut avouer du moins qu'elle est la plus facile et la plus générale. : 11 n'existe aucune plante qui n’y ait sa place marquée. Elle est d’ailleurs la plus utile à connaître, puisque la plupart des grands ouvrages de botanique sont distribués d’après les Prigçipes de Linné, d’après le Système sexuel. CHAPITRE VI. Reproduction sexuelle des Vers et des Animaux Radiaires (1). Il y a peu de ressemblance entre les Vers pour les organes du sexe : les uns sont unisexuels, d’autres hermaphrodites, et d’autres androgynes. Les lombrics, ou vers de terre, sont de ce der- nier genre : ils réunissent dans un seul être les or- ganes des deux sexes et ils ont besoin d’un accouple- ment réciproque. Leurs organes génitaux sont placés vers l’extrémité antérieure de l'animal, près de la tête : ils consistent dans une espèce de corps glanduleux, apparemment le testicule, lequel communique avec une sorte de poche ; et ces différens organes ont deux issucs à l'extérieur. C’est probablement par ces ori- (1) Voyez Ellis, Cavolini, Bruguiïères , Rudolphi, R. Grant. CIAP. VI. GÉNÉRATION DES VERS. 82 fices que se fait leur accouplement ; accouplement non douteux, quoiqu'oh ne connaisse point les or- gaues destinés à l’opérer. On a aussi trouvé dans ces vers plusieurs paires de paquets d'œufs, rangés à la file les uns des autres comme des grains de cha- pelet. Il y a des vers dans le corps desquels on trouve un tas d'œufs éparpillés de toutes parts et sans aucun ordre. À l'égard des vers intestinaux, il en est plusieurs espèces qui ont les sexes séparés. Le mâle du grand ver lombric des intestins a une verge manifeste , sor- tant par la queue , et, près de ce lieu, une vésicule séminale qui s'étend au tiers environ de la longueur du corps. Une humeur laiteuse la remplit : c’est pro- babiement un testicule que l'espèce de corps pelo- tonné que l’on voit près de la. La femelle présente pour organes génitaux une suite de vaisseaux où l’on voit beaucoup d'œufs très-petils, nageant dans une liqueur laiteuse. Les ténias portent aussi des œufs destinés à la reproduction. La sangsue est androgyne comme le ver de terre. Ses vésicules séminales sont si considérables, qu'on a vu des personnes les prendre pour un cerveau. Elle a aussi deux testicules glanduleux rubanés, et deux conduits déférens qui versent le sperme. dans les vé- siculés séminales, lesquelles à leur tour le font cou- ler jusqu’à la base de la verge, qui est très-manifeste et très-flexible. M. Cuvier dit que cette verge peut se replier en arrière comme celle du limaçon. L’ori- fice par où cet organe sort de la sangsue cest voisin d'une espèce de vulve, et ces deux ouvertures sont situées vers l’extrémité antérieure de l'animal, et sur 80 LIV. LI. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. le côté droit du cou. Les sangsues s’'accouplent dou- blement:, et leurs œufs éclosent dans leur COrps : elles font des petits vivans. Les radiaires, les étoiles de mer, les oursins, tout cela est hermaphrodite, se reproduit par des œufs et sans accouplement préalable : chaque individu réunit les organes des deux sexes, ou du moins des œufs et le fluide propre à les féconder, Les ovaires forment ici des paquets énormes qui composent toute Ja partie mangeable de ces animaux. On a remarqué que les œufs de beaucoup de radiaires offraient des mouvemens manifestes à la manière des animaux par- faits. Il sont aussi garnis d’une sorte de cils ou de poils qui les disposent à flotter à la surface des eaux. IL paraîtrait d’après cela qu'ils ont besoin d’éprouver le contact de l'air. | CHAPITRE VIF Reproduelion sexuelle des Arachnides et des Crustacés (1). Les Araignées ont des sexes isolés et une espèce d’accouplement : les organes de la génération sont placés à la base de l'abdomen chez le mâle comme chez la femelle. Cependant les mâles des aranéides ou araignées fileuses ont ces organes placés dans des espèces de mains qu’on a nommées palpes. L'accou- plement de ces animaux est assez singulier: comme (1) Poy.Réaumnur, Swammerdam, Latreille, Walckenaër, Leach., etc, CHAP. VII. GÉNÉRATION DES/ARACHNIDES, elc. 87 plusieurs d’entr'eux:s'entre - dévorent, ce n'est pas sans d’extrêmes précaulions que le mâle se risque à aborder la femelle. Poussé par un besoin devenu irré- sistible , il approche de celle-ci; mais avant-de la toucher , de la caresser (car il y a de l'amour et une sorte de caresses partout où la reproduction des es- pèces exige des accouplemens); avant donc d’abor- der la femelle renfermée dans sa toile , le mâle suspend un peu plus haut un fil assez fort pour le supporter et lui servir de retraite en cas de surprise et de dan- ser. Après tous ces préparatifs de prudence qu'il fau- drait croire intelligens s’ils n'étaient pas les mêmes chez tous et dans tous tes temps sans nulle variation; après ces précautions machinales, l'animal approche de sa femelle , la touche , et aussitôt se retire , comme pour observer à quelle réception il doit s'attendre. Si la femelle paraît le souffrir ou le désirer, alors il s’ex- pose à en approcher de plus près, et c’est alors que se fait l’accouplement , lequel paraît résulter de l'in- troduction , dans les organes génitaux de la femelle, d'une petite antenne, sorte de bouton. qui est une dépendance des palpes renfermant les organes repro- ducteurs. Ensuite les femelles poudent des masses d'œufs dans des cocons, variables pour la couleur et la forme : plusieurs même portent patiemment ces œufs dans leurs pattes, et les petits venant à éclore se nt, quelquefois placés sur le dos de leurs mères. Îl est singulier que des animaux si voraces à l'égard des mâles aient quasi la tendresse des didelphes pour leurs petits. Les crustacés sont unisexuels : les mâles out deux verges siluces vers la cinquième paire de pattes, €t 88 LIv. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. la femelle a deux vulves répondant à Ja troisième paire; et ce qui est assez singulier, c'est que, quoique les organes de l’accouplement soient doubles , les or- ganes intérieurs , les testicules des mâles et les ovaires des femelles sont presque toujours uniques pour chaque animal. Lorsque les œufs sont pondus, bientôt les femelles les collent et les fixent aux membranes dont le dessous de leur queue est garni : et c’est là qu'ils éclosent. Cette particularité fait que les sexes sont faciles à reconnaître dans cette sorte d'animaux : la queue des femelles est plus large. CHAPITRE VIII. Comment se Reproduisent les Mollusques. Nous sommes loin de connaître la génération des Mollusques aussi bien que celle des animaux verté- brés sil est difficile d'étudier des êtres vivant presque toujours dans les eaux, souvent entourés de tesis ou de coquilles épaisses, et dont l’histoire toute entière a d’ailleurs si peu d'années d’existence (1). | Beaucoup de ces animaux réunissent sur un seul individu les organes sexuels mâles et femelles ; et parmi eux, les uns ont besoin d’un accouplement réciproque pour se reproduire; les organes des deux sexes qu'ils possèdent n'ont d'action que par le con- cours des mêmes organes d’un animal de la même (1) T'oyez Bruguitres, Denis de Montfort,G.Cuvier, Poli, Lamarck, Blainville, Savigny, Péron, Quoy, Gaymard, Chaisso, etc. CHAP. VIII. REPRODUCTION DES MOLLUSQUES. 89 espèce : ce sont par conséquent de véritables andro- oynes. D'autres s’engendrent d'eux-mêmes sans union double ou simple, sans accouplement : ce sont en d’autres mots de véritables hermaphrodites. Enfia , il est des mollusques ayant des sexes séparés, et quine se fécondent qu’en s’accouplant à la manière de la plupart des animaux. Pareillement leurs œufs diffè- rent : tantôt ils sont couverts d'une croûte calcaire comme ceux des oiseaux , tantôt mous comme ceux de beaucoup de poissons : ensuite les uns éclosent après leur sortie, et les autres dans le corps même de l'animal, ce qui fait paraître ces derniers vivipares. On ne pense pas qu'il y ait de véritable copulation dans aucun de ces animaux, quoique plusieurs d’entre eux afent une espèce de pénis et même une prostate ; mais on croit que la fécondation des œufs se fait par une sorte d’arrosement séminal comme dans beau- coup de poissons; et la ponte des œufs est ordinaire- ment précéaée, comme on le voit pour les grenouilles et les crapauds, par de longs embrassemens qui pa- raissent exciter les contractions de l’oviducte. Les œufs des Sèches sont gros, et enchaïnés en- semble en forme de grappe, ce qui les fait nommer raisins de mer. Les limaçons et les mollusques des co- quiiles univalves, ou pour mieux dire les gastéro- podes, ont, presque tous, les organes de la génération placés sur le côté droit du corps, et souvent près de la tête. Leurs organes sont nombreux et compliqués: ils ont un ovaire, un oviducte, une matrice, et de plus, un testicule , un conduit déférent, une verge, une bourse commune des organes de la génération. Cela est encore plus compliqué dans les colimaçons : O0 LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. ceux-ci ont des espèces de vésicales séminales; leur verge ressemble à un long fouet, et elle est percée en dessous : il faut même qu’elle se replie pour darder Ja semence. Chaque colimaçon a de plus une bourse à dard, laquelle pent se renverser sur elle-même à la manière de la bourse de la génération. Du fond de Ja première sort une espèce d’éminence tranchante à quatre pans , et à l’aide de laquelle ces animaux sem- blent chercher à se piquer réciproquement, au mo- ment de la double copulation. «Ce n’est qu'après ces » cérémonies préliminaires, dit M. Cuvier, que le » véritable accouplement a lieu par l'insertion réci- » proque des verges. Mais ce dard, à quoi sert-il? » est-ce pour réveiller un peu par sa piqûre l'énergie » de ces animaux apathiques ? mais alors pourquoi » mançquerait-il à la limace et à tant d’autres mol- » lusques qui n’ont guère plus de vivacité (1)? » 11 y a une espèce de paludine surnommée vivipare, qui, en effet, produit des petits vivans : même Spal- lanzani a prétendu qu'il en était de cet animal comme des pucerons observés par Bonnet , c’est-à-dire qu'é- levés séparément, quoiqu’assurément unisexuels, ils produisent plusieurs générations sans ‘accouplement. Cela est d'autant plus surprenant , ainsi que l’observe M. Cuvier, qu’on trouve parmi ces animaux autant de mâles que de femelles, et même des mâles dont le pénis est assez évident pour que l’examen le plus superficiel puisse toujours le faire distinguer de la femelle. Les mollusques acéphales, dont les différentes (1) Cuvier : Mémoires pour servir à l'Histoire des Mollusques. CHAP, VIir REPRODUCTION DES MOLLUSQUES. O1 espètes d'huîtes font partie, sont tous hermaphro- dite: : ils se f:condent sans accouplement, et même ils nont d'évidens que les organes du sexe femelle. Un jeul individu suffirait probablement pour perpé- tuer l'espèce entière. Les conduits des œufs commu- niqgent avec une espèce de vésicules glanduleuses qu peut-être sécrètent une humeur séminale par laquelle ces œufs sont fécondés. Tous ces mollusques achales font des petits vivans : ce ne sont pas des œus, ce sont de petits animaux réunis dans leurs cocuilles qui sortent de leurs corps. Voici, au reste, ce qu’on raconte de la production des huîtres pro- preument dites: « Les œufs sont rejetés sous la forme » de frai ou d’une sorte de fluide blanc assez sem- » blable à une goutte de suif : c’est au milieu de cette > liqueur qu’on aperçoit au microscope une quantité » innombrable de petites huîtres. Cette matière, dans » laquelle elles nagent, sert sans doute à les agglu- » tiner aux corps sous-marins et plus souvent aux » individus de la même espèce. Alors les jeunes hui- » tres, en se développant, étouffent pour ainsi dire » les anciennes, car elles empêchent l’eau d'arriver » jusqu'à elles et entravent même l'ouverture de leurs » coquilles. C’est ainsi que se forment ces énormes » bancs d’huîtres qui garnissent nos côtes, et qui » malgré l’immense consommation que lon fait de » ces animaux depuis plusieurs. siècles, semblent ne ». devoir jamais s’épuiser. » On dit qu'il en est de mème de plusieurs sortes de bivalves, dans les bran- chies desquels on trouve de petits mollusques vivans et pourvus de leurs coquilles. Mais il est des savans qui ont prétendu qu'il s'agissait là d'animaux parasites O2 LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊRES VIVANS. _et non de fœtus sortant des ovaires par les branchies de leurs mères : MM. Rathke, Jacobso, Blainvile, E. Home et Bauër, discutent maintenantsur cet objet à Londres, à Copenhague et à Paris. Pour'prouver combien de choses restent à éclarcir relativement à la génération des mollusques, 11 sifüit de citer ce qu'on rapporte de la reproduction les Biphores. On dit que non-seulement leurs œufs snt adhérens, mais que les petits qui sortent de ces oufs restent enchaînés entr'eux et nagent ainsi par agjlo- mérations constantes et régulières jusqu’au parait accroissement de chaque individu. On ajoute que es petits ne ressemblent nullement à leurs parens, °t que ce n’est qu’au bout de deux générations qu’aprts s'être transformés , cette ressemblance a lieu. CHAPITRE IX. Idée générale de la Génération chez les Poissons (1). Les Poissons sont ovipares et unisexuels. On a pré- tendu cependant que plusieurs étaient hermaphro- dites : on avait surtout insisté sur les lamproies, parmi lesquelles, disait-on , ne se rencontraient jamais d’in- dividus mâles : mais des hommes dignes de foi se sont assurés du contraire dans ces derniers temps. Les pois- sons sont donc unisexuels; mais la plupart engendrent sans accouplement. La femelle incommodée par une (1) Voyez Arisloie, Artédi et Linné, Gouan , Daudin , Lacépède , Jacobi , Ed. Ilome, etc. CHAP. IX. GÉNXATION CHEZ LES POISSONS. 03 masse d'œufs souven énorme (on en a compté jus- qu’à neuf millions dar une seule morue) , les dépose tantôt près des rivagedes eaux, tantôt dans la vase : le mâle , attiré là so. par l'attachement désinté- ressé d’un sexe pour l’&re, soit par l'instinct de so- ciété, soit enfin par Quques émanations échappées de ces œufs vers lui, réänd l'humeur séminale pro- venant de la laite, c'est-dire des testicules, sur le frai des femelles , et par\ les œufs sont fécondés, et des petits en naissent dis l'espace d'environ huit à neuf jours. Le premier Jour, ces peti œufs paraissent simple- ment composés de jaune sa. albumen, et entourés d’amnios ; le deuxième jour, paraît déjà comme un point animé et opaque au cen: du petit œuf; le troi- sième jour, on peut apercevole cœur et $es batte- mens ; l'embryon paraît tenir jaune et ne faire qu’un avec lui; ce jaune, Cobnu dans un double sac séreux, communique avec l'testin du jeune pois- son, comme nous le verrons poue poulet : la queue seule reste libre. Du cinquième: septième jour, la colonne vertébrale est déjà appente ; le huitième jour, on voit deux points noirs à tête , Ce sont les yeux : les nageoires pectorales sonbalement visibles; la queue est repliée; l'embryon site en tous sens. Le neuvième jour enfin, la queue be Les membranes de l'œuf, et le poisson sort de ses enloppes, empor- tant avec lui la portion du jaune à adhère à son ventre et dont il se nourrissait. Cesidu du jaune sert à le nourrir encore les premierours. Il croît ensuite le premier jour plus qu’il ne tra les vingt jours suivans. Ordinairement il acquit finalement 94 EIV..LI. DE LA REPRODUCTIOJDES ÊTRES VIVANS. une étendue cent fois plus congérable qu’elle n'était à sa naissance. Ainsi beaucoup de poisson: pondent leurs œufs , et c’est après la sortie de ces œufue le mâle les féconde: mais il n'en est pas ainsi d'tous les êtres de cetle famille. Il est d’autres poissis (les raies , les squales, les requins) qui font des etits vivans; Je veux dire que leurs œufs estés danl’abdomen y ont éprouvé une sorte d’incubation mernelle, après laquelle ils ont éclos avant d'être retés dans les eaux. Par con- séquent ces derniers aniaux s’accouplent ; car il est clair que des œufs écloiu dedans du Corps n'ont pu être fécondés sans l’inomission du fluide séminal. Mais quel que soit, lieu où ils éclosent, les œufs des poissons ne sont S toujours assez Di0US OÙ assez petits pour être expsés du corps sans difhicultés et par les voies natures : Ces œufs ont ‘quelquefois une conformation si siulière, leurs enveloppés sont si coriaces et leur m+e Offre un volume si grand , que, pour leur.livrer. psage ; il faut que ab se roUnpés alors voice qui arrive : ou bien l’abdomen s'ouvre tout-à-c® par une plaie sanglante que les inégalités des æ; ont produite ; ou bien, par suite de la pression exercent les œufs, les tissus peu-à- peu ramollis se-chirent insensiblement et sans trop de douleurs. | | CHAP. X. GÉNÉRATION CHEZ LES REPTILES. O9 CHAPITRE X. De la Génération chez les Reptiles (1). Les Reptiles ont les sexes séparés ; tous s’accou- plent, mais plusieurs sans intromission. Les mâles ont toujours et des testicules et des canaux déférens ouverts dans le cloaque ; les femelles ont des ovaires et des oviductes : ce sont là les organes essentiels de la génération. Chez les deux sexes, les organes repro- ducteurs ont la même issue que le conduit intestinal et les organes urinaires. Beaucoup de mâles n’ont pas de vésicules séminales; et cela, joint à la lenteur naturelle à ces animaux, rend leur accouplement souvent fort long. J'ai dit que plusieurs s’accouplent sans intromission ; ces derniers n'ont point de pénis. Les Serpens s’accouplent en s’entrelacant ; le pénis dont les mâles sont pourvus rend leur conjonction parfaite. Leurs œufs sont encroûtés ; et la chaleur du soleil, chez le plus grand nombre des espèces, suffit pour les faire éclore sans incubation. Cependant toutes les espèces ne pondent pas ainsi leurs œufs au grand air : les vipères, par exemple, les conservent dans leurs entrailles jusqu’à ce que les petits soient éclos. Ce sont donc de véritables vivipares , à cette difiérence près, que les petits n'ont aucune com- munication avec les organes et le sang de là mère, (1) Voyez Swammerdam : Valisnieri, Roesel ; Demours, Daudin. Prevost et Dumas, Dutrochet, mais surtout le judicieux Spallanzani. O6 LIV. IH. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. comme cela a lieu chez les animaux à mamelles : ils sont isolés dans leur coquille comme ils le seraient posés sur la terre, quoi qu’ait pu dire de contraire M. Dutrochet; seulement , ils sont échauftés par la chaleur vitale des organes qui les tiennent renfermés. Les Tortues s’accouplent aussi avec intromission : elles ont une verge, des testicules , des ovaires , etc. Mais cet accouplement des tortues est lent comme toutes leurs actions : on le voit durer souvent de quinze à trente jours. Les œufs de la femelle ne sont que glaireux et mous en sortant de l'ovaire; mais ils se couvrent d’une croûte calcaire en parcourant l’o- viducte. Ils éclosent sans incubation au bout d’un temps variable. Les Lézards ont tous les organes de la reproduc- tion, excepté des vésicules séminales chez le mâle et un clitoris chez la femelle : la plupart même ont deux pénis hérissés d'épines. Mais le crocodile n’en a qu’un. L'accouplement se fait à distance et sans intromission dans les Salamandres : les mâles de ces espèces n’ont point de pénis. Cependant ils embrassent leurs fe- melles, ils les stimulent en leur prodiguant des caresses. Mais la semence du mâle n'arrive dans le cloaque de la femelle que par l'intermédiaire de l’eau; de manière que l'émission séminale ne féconde que les œufs déjà sortis et ceux qui sont au moment de sortir. Ici, l’accouplement et ses préludes d'amour sont beaucoup plus courts que dans les tortues et les grenouilles. L'œuf de la salamandre une fois pondu et fécondé par le mâle, il en sort un tèlard au bout d'à-peu-près sépt jours : et quelque temps après, ce petitanimal se dépouille de ses organes de poisson, CHAP. X. GÉNÉRATION CHEZ LES REPTILES, 07 et il devient un vrai reptile par ses membres, par ses poumons et toute sa structure, Seulement, il conserve Jlong-temps ses nageoires. Dans les grenouilles et les crapauds, les étréintes des mâles sont vives et durent long-temps. Les bras des mâles sont appliqués sur les flancs de la femelle, et’lui forment comme une ceinture fortement serrée, ce qui ne laisse pas que de favoriser ses éfforts pour l'expulsion desœufs. Ces animaux (je parle des mâles) sont alors insensibles à la douleur comme à la farm et à tout autre sentiment que l'amour: On a beau les blesser ,. les amputer, les brûler avec cruauté jus- qu'aux os, ils ne quittent leurs femelles qu'aux ap- proches de la mort : on en a même décapité qui ne cessaient pas aussitôt pour cela leurs étreintes. Ils semblent conserver l’ardeur de la procréation aussi long-temps que la vie. C’est pendant cés embrasse- mens singuliérs que les œufs de la femelle sortent de son corps ; et le mâle ne cesse de les arroser de son fluide prolifique à mesure qu’ils paraissent au-dehors. Ces vives étreintes da mâle, ont une durée: variable comme la tempéfature du pays ou de la saison ; mais elles peuvent, continue jusqu’à dix jours, et mème par-delà. Îl paraît cependant que Roesel est parvenu à séparer ces animaux si ardens en coupant aux mâles les. petits tubercules de leurs pattes de devant : et c'est probablement d’an fait semblable qu'est vénue lopinion singulière que les grenouilles mâles et:les crapauds féeondent leurs femelles par le pouce gonflé de leurs membres antérieurs ! C’est pendant l’accou- plement que sé fait l'expulsion des œufs, et c'est ün- véritablé accouchement pour les difficultés et la len- L. 7 OS LIV. I. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. teur des résultats. Le mâle , outre la fécondation qu'il opère , est un aidé indispensable à l'expulsion des œufs. Si on sépare la femelle du mâle avant que les œufs soient tombés dans le cloaque , alors tout ac- couchement est impossible. C’est encore ici une pré- voyance de la nature, d’avoir uni et associé dans le mème acte et dans le même individu la puissance qui fait sortir le frai et celle qui le féconde. Linné avait prétendu que dans aucun corps de la nature la fécondation ou l'imprégnation des germes ou des œufs n'avait lieu hors du sein de la mère : les reptiles dont nous parlons maintenant offrent la preuve du contraire. Les œufs de grenouilles et de crapauds re sont féconds qu’alors qu'ils sont sortis , et sortis pendant l’accouplement. Ceux qu'on arrache ou qu’on fait forcément sortir de l’intérieur du corps sont toujours stériles si l’on ne fait pas in- tervenir le fluide séminal du mâle. L'abbé Spallan- zani, de judicieuse mémoire , a fait des expériences sans réplique pour prouver ce fait. Toutes les fois que cet habile physiologiste a tiré des œufs de grenouilles soit des ovaires, soit des .oviductés, il a eu beau les placer dans les circonstantes les plus favorables, ces œufs n'ont jamais rien produit ; mais ceux qui étaient sortis pendant l’accouplement étaient toujours féconds : au temps dit , des têtards en éclosaient. Il fit plus : pour s'assurer de l'intervention du mâle, il en cuirassa plusieurs au moment de l’accouplement ; il leur mit des calecons de tafetas ciré (s’inquiétant peu des railleries que ce genre d’expériences ne pou- vait manquer d'attirer à un pieux abbé), et il vit qu’a- lors les œufs de ces reptiles restaient stériles. Il essaya CHAP. X. GÉNÉRATION CHEZ LES REPTILES. 99 d’arroser quelques portions de frai du fluide dont il trouvait ces petits caléçons mouillés, et il vit qu’il s’y développait alors des têtards. En transportant ces rep- tiles dans l’eau limpide d’un bocal, ou bien en les tenant accouplés dans sa main , il assista à cette as- persion des œufs de la femelle par le fluide prolifique du mâle , et constamment alors le frai était productif. Voilà même pourquoi l’accouplement de ces animaux est si long, le mâle ayant à féconder les œufs à me- sure qu'ils sortent de la femelle. Spallanzani a trouvé en effet quaranle-trois pieds de long à un chapelet d'œufs sortis d’une seule grenouille, et cette masse de frai, composée de plus de douze cents œufs, avait été arrosée par le mâle successivement et de distance en distance. Cette sorte d’accouchement et de copulation , ce mélange de douleurs et de jouis- sances pour l’un des sexes, dure souvent l’espace de huit à quatorze jours. Cela est d'autant plus lent que les animaux frayent dans une saison ou dans un pays plus froid, plus long chez le crapaud que chez la gre- nouille , plus long en Allemägne qu’en Italie. Il y a eu , à l'égard de ces reptiles, les mêmes différences entre les résultats de Roesel et ceux de Spallanzani, qu'entre les expériences de Malpighi et celles du baron de Haller concernant la formation du poulet. Rien ne hâte ces choses comme la chaleur du climat. Les embrassemens du mâle sont si violens dans cette sorte d'animaux, que la mort des femelles en est quelquefois le résultat : souvent du moins les ovi- ductes se déchirent et les œufs passent dans le ventre ou dans la poitrine ; mais comme le: mâle n’a pu les féconder au milieu des organes , il est impossible ‘ * 7 100 LIV. I. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS: qu'il s’y développe jamais de têtards , impossible Éga- lement que ces animaux fassent jamais de petits vi- vans. Chez la plupart de ces reptiles le mâle reste ac- couplé et vivement uni à la femelle pendant la ponte de celle-ci, et s'il concourt à l'expulsion des œufs hors de leurs réservoirs, cela ne peut être que par les fortes pressions qu'il exerce sur les flancs de la femelle. Toutefois il ést une espèce de crapaud , je veux parler du Pipa, qui emploie ses pattes anté- rieures à tirer les œufs du corps de sa femelle et à les pelotonner avec adresse tout en les arrosant de l'humeur fécondante. Get animal, que ce genre d’ins- tinct a fait surnommer le crapaud accoucheur, finit par placer ces œufs sur le dos de sa femelle , qui les porte dans autant de cellules creusées dans sa peau jusqu’à leur entière maturité, à-peu-près comme la sarigue et le kanguroo conservent leurs petits dans l'espèce de poche qui protège leurs mamelles. Ce crapaud est pour ainsi dire le didelphe des reptiles. CHAPITRE XL. . Idée de la Reproduction des Oiseaux: Les oiseaux, comme on sait, sont ovipares Les fe: welles n’ont qu'un seul ovaire (le gauche), où sont renfermés tous les œufs qu'elles doivent pondre en plusieurs années. Ces œufs sont de différentes gros- seurs : ceux qui sont le plus près de sortir sont beau- CHAP. XI. REPRODUCTION DES OISEAUX. 101 coup. plus gros et déjà Jaunâtres ; ils ne contiennent point encore d’albumen. Les autres sont successive- ment plus petits et incolores. Les premiers sont les seuls susceptibles d’être actuellement fécondés par le mâle. Presque toujours cetté fécondation s'opère quelque temps avant Îa sortie des œufs ; cependant l'approche du mâle et le contact de la semence ne sont pour rien dans leur eXpulsion ni même dans leur accroissement. Ainsi donc , fécondés ou non, le pa- vilion dilaté de loviducte s'applique sur les œufs les plus gros, les plus mürs, et les détache de l'ovaire. Nous avons dit qu'ils étaient exclusivement composés de jaune sans albumen ; mais pendant leur trajet et leur séjour dans l’oviducte, le jaune s'entoure des slaires albumineuses qui lubréfient ce canal; et ces glaires auxquelles le jaune s’unit, composent ensuite le blanc de l'œuf. Jusque-là l'ovule était mou et sans. enveloppe résistante ; mais arrivé à l’extrémité de l’oviducte et dans le cloaque , il se trouve bientôt enveloppé par la matière calcaire que la surface de ces conduits sécrète. Ensuite l'expulsion de l'œuf est opérée: par la contraction musculaire du cloaque et des parois du ventre, et c’est par l’incubation que le jeune animal se développe. | À l'égard de la fécondation de l'œuf, elle est l'ouvrage de la liqueur séminale du mâle, avec-accouplément, mais d'ordinaire sans intromission. La plupart des oi- seaux n'ont, en effet, aucun organe visible pour une copulation véritable : à exception de l’autruche et de quelques oiseaux de l’ordre des canards, ces animaux n'ont point de verge ; seulement on apercoit près de 102 LIV. 1J. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. l'orifice du cloaque un petit tubercule imperforé qui est l'équivalent très-imparfait du pénis des autres ani- maux, de sorte que l’accouplement du plus grand nombre des oiseaux n’a lieu que par un simple con- tact de l’anus des deux sexes. Ces animaux sont pa- reillement dépourvus de vésicules séminales servant de réservoir au sperme; et leurs testicules, qui restent collés à la partie postérieure de l’abdomen dans le voisinage des reins , ne sortent jamais à l'extérieur et sont privés de toutes ces enveloppes qui composent les bourses des mammifères. Du reste, ils sont com- posés d'un tissu blanchâtre et délicat comme chez ces derniers; et l’immensité des petits vaisseaux dont ils sontformés aboutissent finalement à un conduit unique pour chaque testicule : ce sont les canaux déférens , lesquels ont leur terminaison finale dans le cloaque. Une chose paraît étonnante dans cette structure des organes génitaux des oïseaux : je veux parler de la puissange de fécondation attachée à la liqueur sé- minale de ce genre d'animaux. Nous avons dit, en eflet, que le sperme passe sans impulsion visible , sans copulation véritable , du cloaque du mâle dans celui de la femelle; et cependant ce fluide parvient constamment à travers la filière étroite des oviductes jusqu'aux ovaires , où il féconde plusieurs œufs à-la- fois. Une autre chose surprenante ici, comme chez les autres animaux, c’est que le pavillon libre de l’ovi- ducte aille précisément s'appliquer , pour l’en déta- cher, sur celui des ovules qui est le plus gros et le plus près de la maturité. Ne seraït-on pas tenté d'at- tribuer à ce tube contractile et sans conscience une CHAP. XI. REPRODUCTION DES OISEAUX. 109 espèce d’instinct au moins égal à l'instinct qu'on voit en des animaux entiers plus imparfaits ? Parmi les oiseaux, les uns vivent en polygames : je veux dire que le même mâle féconde plusieurs fe- melles , non sans choix, mais toujours sans constance. D'autres s'accouplent et vivent unis, du moins durant l’époque des amours , partageant en commun les soins de la famille. Ce sont les oiseaux de ce dernier ordre qui apportent à la construction de leurs nids l'industrie la plus admirable ; ce sont eux également qui, après l’éclosion de leurs petits, leur prodiguent le plus assidûment tous les soins attentifs que ré- clame léur faiblesse. Ce n’est pas que l’incubation des œufs soit toujours plus prolongée chez les oiseaux polygames ; mais les petits de ceux-ci sont ordinai- rement plus forts au moment de leur naissance , et plus capables, aussitôt après leur éclosion, de se mou- voir ét de subsister sans le secours, sans la protection de léurs parens. Nous retrouvons partout la mème prévoyance de la nature pour le parfait achèvement de ses œuvres : elle à donné plus de force aux jeunes animaux dont la conservation n'était point garantie par l’union et la tendresse mutuelles de leurs auteurs. EE SR NE ER LORS RE ER © CHAPITRE XIL. De la Composition et de la Structure de l'œuf avant et durant l'in- | cubation. Pour ne pas compliquer ce sujet déjà assez difficile par lui-même , nous nous bornerons dans ce chapitre 104 LIV. IL. DR LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. uniquement à ce qui concerne l’œuf des oiseaux (4). Cette espèce d'œufest revêlu d'une enveloppe cal- caire , poreuse, et dont la couleur varie suivant le genre d'oiseaux; mais la forme en est si invariable,, qu'on la cite pour modèle. Cette coque calcaire est doublée d’une épaisse membrane ; c’est la membrane commune de l’œuf. Au-dedans d'elle est l’Albumen oule-blanc d'œuf, au centre duquel se trouve le vi- tellus ou le jaune. Ce dernier a, comme dit l’illustre Haller , la forme de la terre 3; c’est un globe aplati vers ses pôles , lequel est de toutes parts entouré par Fal- _bumen. Outre cela, toute la masse fluide de l'œuf est attachée aux deux bouts de la coque par des espèces de ligamens blanchâtres qu'on a nommés Chalazes. Le vitellus est la partie, ia plus légère de l'œuf, de sorte qu'il tend toujours à se rapprocher dela sur-: face ; mais la structure des deux chalazes est telle, qu’elle rend ce déplacement impossible tant quê l'œuf reste plein. Nous devons ajoutér que. le_vitellus est entôuré d'une membrane fine qui lui est particu- lière; c’est elle qui empêche la diffusion du jaune. Une chose singulière , c'est que la cicatricule de ce jaune est constamment tournée vers le gros bout de la coquille : nous verrons avec quelles autres condi- tions cette première disposition coincide, et combien la nature se montre conséquente dans le plan de ses desseins. Le premier effet de l’incubation est d’élever la Lem- pérature de l’œuf et d’en évaporer l'humidité à tra- (1) Voyez Aristote, Fabrice d’'Aquapendente , G. Harvey, N. 8ténon,” A. Maitre- A , Malpighi, Lancisi , A. Haller, Needbham , Vicq- -d’ Azgr, Dutrochet, G. Cuvier, Prévost et Dumas. ns CHAP. XH. SYRUCTURE DE L'EEUF. 105. vers les porosités de la coque calcaire. Il résulte de cela que l'intérieur de l'œuf diminue à-peu-près comme diminuerait un liquide qu'on ferait chauffer dans un vase inerte, Alors il se forme un vide dans l'œuf, et la membrane de la coquille se sépare en deux feuillets vers le gros bout. Le feuillet extérieur reste adhérentà cette coquille ; l’interne suit la chalaze qui le tiraille , et s'applique sur les parties fluides de l'œuf. Ensuite la chalaze affaiblie de ce feuillet de membrane s'en détache , et c’est alors que tout l’albumen gagne le petit bout de l'œuf et que le jaune se rapproche du bout opposé, de manière à exposer la cicatricule, où se trouve renfermé le germe du nouvel être, en contact avec l’air qui remplit le vide. Cela fait que la mème chaleur qui détermine le développement du germe, lui procure en même tempsles moyens de res- pirer dès les premiers instans de son accroissement, Toutefois nous devons dire qu'il y a dans ce pre- mier phénomène autre chose qu’un pur effet physi- que. D'abord rien n’explique la rupture d’une chalaze plutôt que la rupture de l’autre, si elles n'avaient été organisées en conséquence. Ensuite, ce n’est pas une chose physique que la tendance du jaune à se porter vers le gros bout de l'œuf; car nous avons dit que ce Jaune est plus léger que le.blanc, et l'on voit bien que le gros bout de la coquille, comme le plus pesant, doit tendre à devenir le plus déclive : il y a donc ici quelque those de vital. Voilà.les premiers préparatifs pour la formation du nouvel être. Cependant on voit paraître des vaisseaux dans l'œuf aux environs de la cicatricule.. Ges vais- seaux , qui forment bientôt une belle figure veineuse < DEN en Be 106 LIV. 11. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. en auréole , sont le premier indice de la vie du nou- vel être ; mais est-ce de lui qu’ils proviennent? On ne voit encore. de vaisseaux nulle part ailleurs: ni dans l’é- piderme du vitellus, ni dans la membrane par qui la coque de l'œuf est revêtue ; et à l'égard de la mem- brane moyenne et du chorion, nous verrons qu’elles proviennent du nouvel être , et que conséquemment elles ne précèdent point l'incubation. Lorsqu'on exa- mine un œuf couvé seulement depuis trois jours , on s'assure , en dépouillant le vitellas de son épiderme, qu'il n’y a de vaisseaux que dans ce vitellus, c’est-à- dire autour du germe qui s'accroît. Mais Hiéntôl l'organisation de l’œuf éprouve d’autres changemens. Au lieu dé perdre de son volume, le jaune ou vitellus prend de l’accroissement, au point de rompre sa membrane propre : en même temps il devient plus fluide, moins consistant. Et comme . il n’a de rapports qu'avec l’albumen, et avec l’air par qui le vide de l'œuf est occupé, on conçoit que ce n’est qu'aux dépens de ces deux fluides qu'il peut s'accroître, car le nouvel animal dont il contient le germe ne peut rien lui fournir. L’épiderme du vitellus sé rompt spontanément vers lé quatrième jour de l’in- cubation , mais il est aussitôt remplacé par une autre membrane dont on aurait jusques-là vainement cher- ché les traces, tant le tissu en est délicat. Le jeune animal est renfermé sous cette fine enveloppe dujaune, il est de plus entouré d’une autre membräne qu’on nomme amnios, laquelle adhère à la tunique du vitel- lus vers le dos de l'embryon. | Ainsi le vitellas a sa membrane comme le jeune fœtus ala sienne: voilà presque tout ce qu'on peut #4 CHAP. XII. STRUCTURE DE L'éUF. 107 voir vers le quatrième jour de l’incubation. Mais alors les choses se compliquent. L'amnios , dont nous avons vu le fætus entouré, ne lui forme pas une poche par- faite qui ne permettrait aucun accès. La disposition de l’amnios n’est point telle. Cette membrane adosse ses feuillets de manière à laisser, juste vis-à-vis de l'ombilic du fœtus, un espace tubuleux qui sert de passage au cordon ombilical, très-compliqué dans ce genre d'animaux. C'est par cet intervalle laissé par l’'amnios que le vitellus communique avec le jeune animal , et celui-ci avec tout l'œuf, Étudions mainte- nant comment se font ces communications réci- proques de l’œuf et du fœtus. Jusqu'au quatrième jour nous n'avions trouvé que la membrane commune de la coque et l'épiderme du jaune; mais bientôt le déploiement successif de l’al- lantoïde va former deux nouvelles membranes. Voici comment a lieu ce déploiement d’abord obscurément indiqué per le grand Haller ; et démontré depuis avec tous les caractères d’une véritable découverte par Dutrochet, lequel d’ailleurs ignorait absolument ce qu'avait énoncé Haller à cet égard. L’Allantoïde est une dépendance de la vessie : elle tient à celle-ci jus- qu'à l'heure de l’éclosion par un canal nommé Oura- que; et, comine la vessie, elle est remplie >, à ce qu'on croit, par de l'urine. Ce sac urinaire sort de l’abdomen ‘de l'embryon vers le quatrième jour de l’incubation; elle traverse l'ouverture ombilicale entre les feuillets adossés de l’amnios , et, comme nous l’avons dit, en dehors de la cavité de cette dernière membrane. Ainsi c'est de l’intérieur même du fœtus que provient l’al- lantoïide, à laquelle nous verrons bientôt prendre un 108 BIV. If. DE LA REPRODUCTION DES ÈTRES VIVANS. grand accroissement. En même temps, dès la mème. heure , et pareillement à l’ouverture de Fombilie, on, aperçoit très-distinctement le pédieule aminei du vi- tellus qui va aboutir finalement dans l'intestin de l'embryon, de sorte que le jaune de l’œuf commu- nique avec la cavité intestinale. Mais ce n’est pas tout: ce vitellus et son pédicule est entouré de deux mem- branes. Nous avons dit comment la première de ces tuniques se rupture à l'époque où le jaune.se dilate ; nous avons dit qu'une nouvelle tunique apparaissait au-dessous de l’autre après sa rupture : eh bien t ces deux membranes accompagnent le vitellus vers l'om- bilic de l'embryon. La plus extérieure se joint avec le péritoine.costal du fœtus; la seconde , la plus interne , continue d'envelopper le vitellus jusqu’à Fintestin, et cile s'unit là avec cette partie du péritoinerqui. revêt. extérieurement le canal digestif. De cette. mapliène le. péritoine et Jes enveloppes du vitellus ne font qu'un; et si la tunique la plus superficielle du vitellusn’avait pas. d'abord été déchirée , le péritoine serait encore im- perforé dans tous ses points. H est impossible. d’assi- sner l’origine de ces connexions du jaune avec: l'in- testin du jeune animal, et du péritoine de l’un avec les tuniques de l’autre : on ne sait si cette parfaite union résulte de la fécondation de l'œuf ou seulement de l'incubation ; mais cette: connexion, tout mysté- rieux qu’en soient et la cause et le principe, n'en est pas moins du plus haut intérêt : c’est-là même vrai- semblablement qu’est le secret caché de la géné- ration. Il suit de ce que nous venons de dire que le ielle communique avec l'intestin du jeune animal, et les CAP, XII. STRUCTURE DE L'ŒUT: 105 ‘enveloppes de ce vitellus avec le péritoine ; de mème que la vessie du fœtus communique par l’ouraque avec l’allantoide. Or, nous avons laissé ces deux par- lies, je veux dire le vitellus et l’allantoïide , renfermées dans la tunique du vitellus ; par conséquent, ces deux poches se croisent et s'enclavent l’une dans l’autre vers l'ouverture ombilicale. Cependant, vers le cinquième et le sixième Jour de l’incubation , l'al- » Jantoïde prend un plus grand volume : bientôt , di- latée de plus en plus par le liquide urinaire qu'elle renferme , elle finit par rompre la tunique interne du jaune , par se juxtaposer à la membrane commune de la coque et par lui adhérer. Après cela, elle se plisse en mésentère pour entourer les vaisseaux qu'elle rencontre sur sa route, et, continuant toujours à s6 dilater, elle parvient vers la fin du neuvième ou dixième jour à entourer l'œuf dans toutes lés directions, à-peu- près comme une goutte d'huile répandue surune pétité sphère s'étend de proche en proche jusqu'à en enduire bientôt tout le contour. L'endroit de l'œuf où les ex-. trémités de l’allantoide se rencontgent est le petit bout ; c’est en effet là qu'elle éprouve le plus de dif- ficultés à s'étendre, à cause de la chalaze inférieure, qui jusqu'alors était restée persévéramment adhé- rente. Ge déploiement de l’allantoide autour de l'œuf produit deux membranes nouvelles : la plus antérieure _est collée à la membrane de la coque ; on la nomme Chorion (Harvey ), ou membrane ombilicale ( Halier) : c'est la plus vasculaire des deux , et l’on dit qu’elle remplit à J'égard du jeune être l’usage à quoi serviront plus tard les poumons : c’est elle , dit-on, qui rougit le sang et qui l’imprègne d'oxvgène; elle opère une 110 BIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. sorte de respiration. L'autre feuillet de l’allantoïde est plus interne; il enveloppe à-la-fois le vitellus et l'embryon, et ce qui reste de l’albumen : on lui donne le nom de Membrane moyenne : celle-ci est plus mince et un peu moins vasculaire que l’autre. Le canal com- pris entre les deux feuillets de l’allantoïde est rempli par un fluide urinaire dont la source est probablement aux reins du jeune embryon. Ce qui avait mis obstacle à la découverte des deux membranes nées du déploie- ment de l’allantoïde , c’est qu’on avait confondu ce li- quide urinaire avec l’albumen de l’œuf; et justement ce dernier diminue jusqu’à disparaître complètement à mesure que le liquide de l’allantoïde s’accroît. Ceci même est une harmonie remarquable. Puisque le liquide des reins augmente sans cesse , il fallait bien un espace où il pût s’accumuler sans inconvénient pour l'existence de l'embryon. Or, les deux feuillets de l’allantoïide s’écartent de plus en plus pour le con- tenir; ces feuillets vont même jusqu’à se séparer tout- à-fait l’un de l’autre. En même temps, par un accord parfait, l’albumen est absorbé par le vitellus qu'il délaye et qu'il liquéfie , et le vitellus lui-même se dégorge dans l'intestin du fœtus; ce qui même est apparemment la principale source où ce dernier puise sa nourriture. Quant au jaune, il conserve toujours à-peu-près le même poids et le même volume jusqu’à la fin de l’incubation : il augmente plutôt qu'il ne diminue. Haller pesa le jaune d’un œuf qui n'avait que sept heures d’incubation , il pesait trois gros; il en pesa un autre qui avait éprouvé une incubation de cinquante-quatre heures, son poids était de quatre gros. Mais si le jaune augmente d’abord, si même il ne CHAP. XII STRUCTURE DE L'ŒUF. til diminue guère avant l'éclosion, et si, rentré dans le ventre du jeune oiseau , on en retrouve encore des traces trente ou quarante jours après la naissance, il _ n’en est pas de même de l’albumen, qui diminue d’a- bord beaucoup et qui finit par disparaître en totalité dès le quinzième jour de l’incubation. Ainsi, le fluide qu’on trouve à l'ouverture d’un œuf déjà avaneé n’est point le blanc ou l’albumen; mais e’estle fluide urinaire de l’allantoïide. Cependant, vers la fin de l’incubation,. ce dernier fluide diminue pour faire place au fœtus. plus accru; et vers les derniers Jours de l'incubation , on ne trouve plus entre les deux feuillets de l’allan- toide qu’un enduit visqueux, mêlé à des flocons cal- caires. Nous examinerons plus tard comment il peut se faire que l'urine du poulet soit si abondante avant même que les reins soient visibles, tandis que ce fluide semble se tarir à une époque où les glandes qu’on en croit la source sont très-développées. Maintenant, nous devons parler des vaisseaux qui se distribuent dans la membrane de l’œuf. Ces vaisseaux sont de deux sortes, veineux et arté- riels ; et ces artères ont deux sources différentes. Les vaisseaux du chorion et de la membrane moyenne sont les ombilicaux : ils naissent par trois troncs comme chez les mammiferes. Il y a deux artères qui proviennent des iliaques primitives du fœtus, et une veine qui va traverser le foie pour se rendre au cœur : enfin, je le répète, c'est comme pour les mammifères. Mais les vaisseaux du vitellus et de ses tuniques Ont une autre source , ils proviennent des vaisseaux mésentériques ; l’ouverture s’en fait 112 LIV. II. DB LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. près du pancréas, et ils se rendent au vitellus en suivant le pédicule que ce dernier envoie à l'intestin du fœtus. Ceci offre la plus grande analogie avec ce que nous verrons en étudiant la vésicule ombilicale des maminifères. Il suit delà que les vaisseaux mésentéri- ques sont les premiers visibles sur les membranes de l'œuf, puisqu'ils ne sedistribuent qu’au vitellas et à ses tuniques: Ce sont eux qui composent cette figure vei- neusé que Malpighi a vue dans l’œuf dès la douzième heure, et que Haller, Harvey et Sténoû n’ont aperçue que plusieurs heures plus tard. Mais les vaisseaux om- ” bilicaux ne laissent voir leurs admirables réseaux qu'’a- près plusieurs jours d’incubation ; et ce qui précède én fait deviner la cause : effectivement , puisque ces der- niers vaisseaux ne se distribuent qu'aux membranes chorion et moyenne, autrement les deux feuillets de l'allantoide, ou voit bien que leurs réseaux ne peuvent être aperçus qu'après le déploiement de ce sac uri- naire. Cela explique un fait bien naturel qui causait l'étonnement de l’illustre Haller : c’est que la figure veineuse est déjà bien dessinée au bout de quarante à cinquante heures, tandis que ce qu'il nomme le beau cercle veineux, c’est-à-dire ce vaste réseau de vaisseaux qui entoure l'œuf en totalité, ne se voit bien que du septième au neuvième jour. Si maintenant nous récapitulons les différentes parties dont nous venons de faire l'histoire, nous aurons le tableau suivant : L 5 - { La coquille, dont la forme est ovale et la substance poreuse : elle est de bature calcaire ét perméäble à l'air et aux fluides aqueux réduits en vapeurs par l'incubation. ee Le CHAP. XII. STRUCTURE DE L'@ŒEUF. 113 Membrane commune : qui revêt la coque ct est dépourvue de vañsseaux. L'action de l'air et de la chaleur la sépare en deux feuillets vers la grosse extrémité de J'œuf; alors il se forme un vide que l’air extérieur vient remplir. Vitellus ou jaune : globe sphérique déprimé vers ses pôles ; ee léger que l'air , il surnage et se met en contact avec l'air inté- rieur. Il porte à sa surface une tache ou cicatricule blan- (Embryon.) châtre où le germe est renfermé : Malpighi a apercu les premiers linéamens du poulet dans cette cicatricule au . bout de six heures d’incubation , et même avant l'incu- bation. Albumen ou blanc : entourant d’abord le vitellus dans toutes les direc- tions, rejeté ensuite vers la petite extrémité de l'œuf après la rupture de la chalaze supérieure ; disparaît entièrement après le quinzième jour d’incubation. + Chalazes : ligamens blanchâtres par qui le vitellus était attaché aux deux bouts de l'œuf. L’évaporation détache d’abord celui d'en haut, et vers le neuvième jour le déploiement de l’al- lantoïde rompt celui d'en bas. Tuniques séreuses du jaune : Au nombre de deux, la plus superficielle est bientôt rompue par l’augmentalion du vitellus ; l'autre l'est ensuite par le passagé de l’allantoïde. C’est alors qu'on trouve le jaune de toutes parts diffluent lorsqu'on vient à ouvrir l'œuf incubé. Pédicule du vitellus : Il communique avec l'intestin de l'embryon, et est entouré jusqu'à l'ombilic d'un double canal formé par les deux tuniques du vitellus : la plus superficielle s’u- nit au périloine costal ; et l'interne, au péritoine dé l'in- ‘ testin. Amnios : Membrane propre et immédiate de l'embryon. Celui-ci est en- touré par elle jusqu à l'ombilic , qu'elle laïsse libre en se réfléchissant sur le cordon ombilical. Cette membrane existe dès Ja première origine du fœtus : il y a entre elle et lui un fluide aqueux formant une sorte d'atmosphère. Allantoïde : Prolongement de l’ouraque et de la vessie. Composée de deux feuillets ; un fluide cru urineux en remplit l'intervalle. Elle franchit l'ombilic vers le quatrième jour de l'incu- bation , et au bout de cinq autres jours elle entoure la (Ghorion.) totalité del'œuf de ses deux membranes vasculaires ainsi que [. e) li LIV. 11. DE LA REPRODUCTION DES ÈTRES VIVANS. de la cavité qui les sépare et du liquide que cette cavité ren- ferme; elle traverse le vitellus, rompt la chalaze infé- (M. moy.) rieure, adhère à la membrane commune, el communique d'abord avec la vessie du fœtus ; ensuite avec le cloaque. Son adhérence avec les uniques du vilellus empêche celui-ci d'entrer tout entier dans l'abdomen à l'époque de J'éclosion. | , Vaisseaux blancs : ceux qui, selon Hallker , intoduisent l’albumen dans le vitellus. Vaisseaux rouges : De deux sortes : les ombilicaux, veines et artères, lesquels se distribuent dans les deux feuillets de l'allan- toide ; et les mésentériques , qui se bornent au vitellus et à ses tuniques. Ceux-ci sont beaucoup plus précoces que les autres, parce que les tuniques du vitellus sont bien an- téricures au déploiement de l’allantoide. Figure veineuse ; Réseau formé par les vaisseaux mésenlériques dans les tuniques du jaune. Visible dès la douzième heure. Cercle veineux : Réseau né des divisions des vaisscaux ombilicaux dans les deux feuillets de l’allantoïde., c’est-à-dire le chorion et la membrane moyenne. Cordon ombilical : Réunion des vaisseaux mésentériques el ombili- caux, de l'ouraque, du pédicule du vitellus et des luniques séreuses de ce dernier. L’amnios se réfléchit sûr ces diverses parties, d'où résulle leur union. Nous verrons au livre suivant dans quel ordre ap- paraissent et selon quels progrès se développent les divers organes du jeune animal. Il nous suffit de rc- marquer dès à présent que le fœtus a près de lui ét uni à ses proprés organes tout ce dont il a besoin pour commencer d'exister : le vitellus charrié dans ses intestins peut le nourrir; les vaisseaux ramifiés dans les membranes superficielles de l'œuf peuvent exercer une sorte de respiration ; lui-même peut res- pirer véritablement au moyen de l'air que l'œuf tient en réserve ; son urine peut fluer vers l’allantoide ; CHAP. XIII. COMPARAISON DES ŒUFS. 115 enfin, indépendamment de l'incubation, il a autant de sources de chaleur qu'il exerce déjà de fonctions différentes. CHAPITRE XIIL Comparaison des OEufs de Reptiles et de Poissons avec les précédens. 11 paraît que les OEufs de vipère et ceux de tous les Reptiles qui ne subissent point de métamorphoses sont semblables aux œufs des Oiseaux : la seulé dif- férence est qu'ils sont dépourvus d’albüumen. Mais on y trouve , comitie dans ceux des oiseaux, un vitellus logeant le petit embryon; on y trouve le pédicüle de ce même vitellus allant communiquer avec l'intestin u fœtus. On y voit en outre la membrane commune de la coque, les deux feuillets de l’allantcide , la ca- vité de cette dernière communiquant avec l’ouraque et la vessie , et s'étendant par degrés, comme chez les oiseaux. Il y a de même un amnios entourant l’em- bryon, et deux sortes de vaisseaux : les mésentériques, destinés au vitellus, et les ombilicaux, se distribuant dans les feuillets de l’allantoide. Enfin les phénomènes sont'analogues comme la structure : on voit le vitellus rentrer dans l'abdomen des petits serpens qui sont près d’éclore, comme cela a lieu dans les ois*aux. On a parlé d’une autre analogie qui rapprocherait les vipères des véritables vivipares : on a dit que lorsque les œufs de ces animaux éclosaient dans leurs ovi- ductes. le jeune embryon , entouré de ses mem- S* 116 LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES TRES VIVANS. branes , finissait par contracter des adhérences et par avoir un vrai placenta comme les mammifères ; mais il est bien probable qu'il s’agit là d’une apparence trompeuse admise comme réalité sans assez d'examen. Ce que nous avons dit des œufs de serpens est éga- lement vrai des œufs de lézards et de tortues, à ce qu'on assure ; c’est-à-dire que tous les animaux qui ont des poumons dès leur première origine naissent d’un œuf pourvu d’une allantoïde. Au contraire , ceux des reptiles qui subissent des métamorphoses, ceux qui avant d’avoir des poumons n'ont d’abord que des branchies tant qu'ils sont à l’état de têtards, les gre- nouilles, les crapauds, les salamandres, ces animaux ont des œufs d’une grande simplicité et dépourvus d’allantoïde, tout comme les œufs ni poissons. Ces derniers téntilés ‘alors qu'ils sont à l’état d’embryon, n'ont pour toute enveloppe que là membrane amnios. Leur œuf ne contient ni d’allantoide, ni par consé# quent de membranes chorion et moyenne : on voit dans cet œuf l’ébauche d’un têtard de couleur noire ; ce têtard a un vitellus renfermé sous la peau et con- tinu à ses inteslins : il n’envoie au reste de l’œuf ni vaisseaux ombilicaux ni vaisseaux mésentériques ; enfin il vit absolument isolé de sa coque. Voilà ce qu'a observé M. Dutrochet. M. Cuvier assure que la structure de l’œuf des poissons est en tout semblable : dépourvu des mêmes parties , il a la même simplicité, et l'embryon qu'il recèle est dans le même isolement. Voici maintenant les conséquences physiologiques qu’on peut tirer de tous ces faits (1). (1) Voyez Blumenbach, Hochstetter et Emmert, Viborg, Dutro- chet, G. Guvier. CAP. XIII COMPARAISON DES @EUFS. 1r77 Puisque les Têtards des grenouilles et des salaman- dres, puisque les Poissons ont des branchies , il leur est possible, dit-on, de respirer dans un liquide dès leur première origine : ils n’ont donc besoin ni d’un autre liquide que l’amnios dont ils sont baignés , ni d’autres organes que leurs branchies. Ils doivent res- pirer dans l’œuf comme ils respireront dans les eaux, car ils y trouvent un fluide analogue et ils y ont les mêmes organes. Mais la chose est différente pour les reptiles sans métamorphose et pour les oiseaux : ces animaux, n’ayant jamais que des poumons , ne peu- vent assurément respirer dans l'œuf, car ïl faut de l'air à des poumons : cependant il faut bien que le sang soit respiré ; ce n’est qu’à cette condition qu’il sert à la vie, Lorsque ce fluide n’est pas aéré et rougi par la mère , comme dans les mammifères, il faut qu il le soit par le fœtus , comme cela a lieu pour les poissons et les têtards; et s’il n’est respiré ni par la mère ni par l'embryon, il faut qu’une partie de l'œuf lui-même subvienne jusqu’à l’éclosion du jeune animal à cette fonction nécessaire. Et d’abord on a prouvé qu'il se fait une espèce de respiration dans l'œuf : on a vu que le sang rapporté au fœtus du lézard et de l'oiseau par la veine ombilicale est plus rouge que celui qui-va du fœtus à l’œuf par les artères om- bilicales. L’académie de Copenhague a cherché à faire éclore des œufs dans des gaz irrespirables , et elle n’a pu y parvenir : l’incubation n’a rien produit. D'ail- leurs, il y a dans la structure même de l'œuf plusieurs particularités qui semblent indiquer qu'il s’y opère, une espèce de respiration : la coque est poreuse , tout près d’elle sont des tuniques très-yasculaires ét bai-- 118 LIV. Il. DE LA REPRODUCTION DES ÈTRES VIVANS. gnées d'un sang abondant ; et même l'incubation de l’œuf des oiseaux a pour premier effet d'y déter- miper un vide, et ce vide feront un réservoir d'air bon à respirer. Il se fait donc une espèce de respiration dans l’œuf des animaux privés de branchies; mais quel est l’or- gane de cette respiration ? I] est clair qu'il le faut chercher parmi les choses particulières à l'œuf des aiseaux et à l'œuf des reptiles privés de branchies à toutes les époques de leur existence. Or ce n’est ni l'amnios, ni le vitellus , ni la coque et sa membrane, puisque ces différentes parties sont communes à l’œuf des poissons et à l'œuf de tous les reptiles comme à celui des oiseaux. C’est donc l’allantoïde et ses mem- branes, c'est-à-dire la tunique moyenne et le chorion. Je dis que c’est J’allantoïde , car cette poche et ses tuniques n'existent que dans les œufs des animaux à poumons, dans les oiseaux, lés serpens, elc. Cette membrane recoit un grand nombre de vaisseaux, et l'air y a facilement accès à travers la coque criblée de pores. À la vérité cette poche n'étant pas de première formation , on peut demander par quelle autre par- tie elle est d’abord remplacée. On répond que jus- qu’à l'apparition de l’allantoide, c’est le vitellus qui est en contact avec les parois de la coque ; et comme les enveloppes de ce vitellus reçoivent beaucoup de vaisseaux des mésentériques , il est probable qu’il a pour usage, à cette première époque, de remplacer Vallantoïde. Ainsi ce serait donc l’allantoide qui ferait l'office: d'orgaue respiratoire dans les œufs des fœtus à poumons. Cependant on peut faire quelques objec= tions à cette théorie remarqnable : on: peut d’abord CHAP. XIII, COMPARAISON DES ŒUFS. 119 demander s'il est sûr que les œufs respirent. À ce sujet un physicien de Berlin a fait des expériences contradictoires avec celles que nous avons rapportées: ik a mis incuber des œufs dans toutes sortes de gaz, et cela n’aeu, à ce qu'ôn assure, aucun inconvénient pour les jeunes embryons : chaque œuf est venu à bien. Mais on peut élever des doutes sur cette expé- rience : comment est-il possible d'isoler des œufs d'avec l'air de l'atmosphère ? Ne faut-il pas, s'il s’agit d'œufs d'oiseaux , que la couveuse respire? or, com- ment vivrait-elle dans un air sans oxygène? D'ailleurs, ne faut-il pas qu’elle mange, qu’elle bouge, qu’elle se promène? Veut-on parler d'œufs incubés.artificiel- lement par la chaleur, ou seulement d'œufs de ser- pens et de lézards , qui éclosent sans incubalion® alors on peut encore répondre victorieusenent à cette nouvelle objection, car nous avons dit qu'ilse forme dans l'œuf, près du germe , une cavité que l'air vient remplir; et on aura beau placer Fœuf dans un air irrespirable , il faudra toujours qu'il reste pourvu de ee petit réservoir que nous avons vu S'y former. Mais il est une autre difficulté beaucoup plus forte : Je veux parler de l’allantoïde, que nous verrons exister dans les mammifères comme elle existe dans les oi- seaux. Cependant les mammifères reçoivent de leur mère un sang tout prêt respiré; d’ailleurs comment l’allantoide pourrait-elle servir chez eux à la respira- tion ? elle n’est entourée d'aucun fluide aérien , et les organes qui l'environnent sont tous solides et sans communication avec l'extérieur. On: pourrait dire que son objet est peut-être d'extraire des liquides qu'elle renferme le peu d'air qui s'y trouve mêlé , et qu'elle 120 LIV. If. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES YIVANS. sert ainsi d'organe supplémentaire aux poumons de la mère ; mais alors pourquoi son volume est-il si va- riable dans les animaux quadrupèdes, et pourquoi n’existe-t-elle nullement chez l’homme ? il y a donc encore quelque obscurité relativement à l’allantoïde, surtout dans les mammifères ; mais il parait certain qu'elle opère une véritable respiration dans les œufs qui en sont pourvus. En nous résumant nous devons dire , que les œufs des poissons et ceux des reptiles originairement pourvus de branchies n’ont point d’allantoïde ; qu'ils n'ont par conséquent ni de chorion ni de membrane moyenne. Une autre différence importante , c’est que les embryons renfermés dans ces œufs sont pareïlle- ment privés de vaisseaux ombilicaux et d’un véritable cordon ombilical. À la vérité les poissons ont une espèce d’ombilic, car c’est par cetie ouverture que le vitellus de l'œuf s’introduit dans l’abdomen et com- munique avec l'intestin ; c’est aussi par-là que sortent les petits vaisseaux mésentériques quivont se répandre dans ce vitellus ; mais le cordon ombilical est fort im= parfait, fort simple, puisqu'il ne contient ni d'ouraque ni de vaisseaux cmnbilicaux, partie essentielle à ce cordon. Au contraire, tous les animaux dont l’ovule est pourvu ou d’une allantoide ou d’un placenta , ont en même temps un cordon ombilical, renfermant une grosse veine qui va traverser le foie pour se rendre au cœur, et deux grosses artères qui naissent des iliaques primitives. Cette disposition est manifeste et incontestable dans les oiseaux, dans les serpens et dans les mammifères. Il n’y a donc que les embryons pourvus de branchies qui manquent d’un cordon om- CHAP. XIII. COMPARAISON DES @ŒEUFS. 121 bilical; ce cordon est donc l'intermédiaire entre l’em- bryon et la partie de l'œuf qui reçoit ou qui fabrique un sang nouveau, un sang rouge , aéré, artériel., On en pourrait conclure que l’allantoïde est l'organe par qui l’œuf exerce une espèce de respiration ; mais comme ce serait une pétition de principe , il faut se borner à émettre cette proposition incontestable , sa- voir : que les vaisseaux ombilicaux d’un embryon sont le signe assuré que le sang dont sont imprégnés ses organes est aéré et respiré au-dehors de lui; par con- séquent il y a dans l’œuf des oiseaux et dans l'œuf des serpens un organe chargé d'exercer cette respiration ; et comme c’est dans les feuillets de l’allantoïde que se distribuent les vaisseaux ombilicaux, il est fort pro- bable que c’est par elle que cette respiration s’ef- fectue. I! résulte de ce que nous venons de dire que les vaisseaux ombilicaux n'existent point chez les fœtus pourvus de branchies, et que toujours ils annoncent des poumons. On peut conséquemment juger de l’un per l’autre : les zoologistes sentiront l'importance de ce principe. | | Autrefois on pensait que les fœtus des vrais vivi- pares étaient seuls pourvus d’un cordon ombilical,; alors on regardait ce cordon comme indiquant tou- jours et certainement des mamelles : un de ces or- ganes faisait supposer l’autre. On sait aujourd’hui que cette règle prétendue est une erreur. Un cordon om- bilical indique certainement des poumons dans l’em- bryon qui le porte ; il indique de plus un placenta ou une allantoïde dans l’œuf d’où provient cet em- bryon , ou à-la-fois une allantoïde et un placenta : il _ 122 LIV. II DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. est le signe certain que le fœtus n’a point de bran- chies, et que le sang de ce fœtus est aéré par sa mèreou par ses propres enveloppes , lui-même ne pouvant res- pirer. J'ose espérer que les principes exposés dans ce chapitre obtiendront l’assentiment des physiologistes. CHAPITRE XIV. Des Enveloppes fœtales des Mammifères, et de leur analogie avec l'OEuf des Oiseaux. Nous n’avons pas le dessein d'étudier dans ce cha- pitre l’origine et les progrès de l'OEuf et de l'embryon des Mammifères ; nous ne voulons pour le moment que décrire la composition de cet œuf et larrange- ment des membranes ,' des humeurs et des vaisseaux. dont il est formé. En conséquence, nous le suppo= sons arrivé à sa plus grande perfection. Nous devons d’abord parler de ce qui diflérenL cie essentiellement les ovules des mammifères et les œufs des oiseaux. Le fœtus de ces derniers est tout- à-fait isolé de l'animal qui l'a produit; l'œuf qui le. renferme a tout son volume dès le premier moment, et doit suffire à tous ses besoins; l'embryon doit y trouver de quoi se nourrir, avec quoi respirer : jus- qu'à la naissance, c'est là tout son univers. Chaque _. Voyez C. Galien, Vésale, R. Columbus, Fallope, Eustaclie , “, d’'Aquapendente; G. Harvey, N. Sténon , G. Needham, A. Huller, 5 Hunter, Blumenbach, Baudelocque, Sœæœmmerring, Trevern, Oken, Hochstetter et Emmert, F. Meckel, Dutrochct, G. Cuviér , Velpeau. CHAP. XIV. OŒUFS DES MAMMIFÈRES. 123 partie de cet œuf lui est d’une aussigrande importance que les organes mèmes qui composent la trame de son propre corps ; l’allantoïde, s'il est sans branchies, lui sert de poumons; et le vitellus verse dans ses in- testins les matériaux de son accroissement. Mais les choses ne sont plus entièrement les mêmes dans les mammifères : l'embryon de ces animaux a bien à-peu-près les mêmes enveloppes; on le trouve entouré , dans la plupart de ces animaux, d’un cho- rion, d'une allantoide, d’un amnios et d'une vési- cule ombilicalez; ce qui forme en tout quatre mem- branes et trois humeurs. Ces parties équivalentes à ce qu'on voit dans l'œuf des oiseaux, n'ont plus ici ni la même importance, ni les mêmes fonctions : aussi les voit-on varier d'un quadrupède à l’autre; il y a même de ces membranes qui manquent absolu- ment dans certains genres. Mais ce qui caractérise essentiellement les ovules des quadrupèdes et de tous les animaux mammifères, c’est le placenta simple ou multiple dont l'extérieur du chorion est nanti. Cette masse sanguine el charnue retient le nom de pla- centa , lorsqu'elle est unique’ et concentrée comme dans l’homme ; et on l’appelle cotylédon, lorsqu'elle est multiple et par petits fragmens isolés les uns des autres, comme dans le cochon et la brebis. C'est dans ce placenta que viennent finalement se ramifier les vaisseaux ombilicaux ; il sert d’intermédiaire entre les vaisseaux de l'embryon et ceux de la mère: sa surface est hérissée de petites éminences qui sont reçues dans des sinus correspondans de la ma- trice , et c’est par ces points de contact intime que les vaisseaux des deux êtres s’abouchent ensemble, 12/4 LIV.II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. Ce n’est point assurément par le placenta que le sang du fœtus est aéré et renouvelé; mais cette espèce d'organe est le moyen de transition du sang d’un de ces êtres à l’autre. Nous avons dit que les vaisseaux ombilicaux indiquent des poumons et une respiration empruntée dans l'embryon pourvu de ces vaisseaux; nous disons maintenant qu’un placenta est l'indice que Fembryon ne respire ni par lui-même , comme les fœtus des poissons et @es grenouilles, ni par ses enveloppes, comme les fœtus des oiseaux. Il forme par conséquent un des traits distinctifs des vrais vi- vipares : lui et les glandes mammaires s’entre-sup- posent toujours. Voici, au reste, quelle est la dis- position de l’ovule des mammifères : Il est composé, avons-nous dit, de quatre mem- branes dans la plupart des animaux de cette classe. 1°. Le chorion est la plus extérieure de ces mem- branes : un placenta, simple ou multiple, lunit au tissu de la matrice. La partie externe de cette pre- mière enveloppe est ordinairement recouverte d’une pellicule que G. Hunter a nommée membrane caduque : c'est un enduit apparemment inorganique, et qui ,‘à cause de cela, finit par s’exfolier à mesure que le produit de la conception prend de l’aceroissement. Le chorion est en quelque sorte l’équivalent de la membrane commune de l’œuf des oiseaux, dont la caduque représente assez bien la coquille. 2°. L'amnios enveloppe immédiatement le fœtus jusqu’à l’ombilic; mais, en ce lieu, elle se réfléchit sur le cordon ombilical : c’est la mème membrane que nous avons indiquée dans les œufs des autres ani- maux comme entourant toujours les fœtus. CHAP. XIV. OEUFS DES MAMMIFÈRES, 199 3%. L'allantoide est un prolongement de la vessie, et elle s’unit à cette vessie jusqu’à la dernière heure de la gestation par l'ouraque. Elle forme ordinairement une double voûte entre le chorion et l’amnios; etson union avec ces membranes est formée par un lacis de vaisseaux dont quelques personnes voudraient faire une membrane à part, sous le nom d’arachnoïde fœtale. Cette membrane allantoïde est l’analogue de celle des oiseaux portant le même nom; mais elle en diffère en ce que son développement est en tout semblable à celui des autres enveloppes de l'œuf : à l'inverse de celle des oiseaux, son étendue relative diminue plutôt que d'augmenter à mesure que l'embryon s'accroît; et elle a, dès les premiers momens, les connexions qu'elle conserve durant Ja gestation ; d’ailleurs, elle ne paraît point servir à la respiration comme dans ces derniers. Enfin, l’homme est le seul des mam- mifères qui n'ait point d’allantoide, encore qu'il ait un ouraque, * 4. La vesicule ombilicale est la quatrième mem- brane de l’ovule des mammifères; elle tient ordinai- rement au chorion par des ligamens ou chalazes, et ne communique avec l'embryon que parles vaisseaux qu'elle reçoit des-mésentériques à la hauteur du pan- créas. Toutefois, on l’a vue adhérer par un mince pé- dicule avec l'intestin grêle ; mais cette disposition est rare. Cette poche est l’équivalent du vitellus des oi- seaux, avec cette différence qu’elle ne paraît pas communiquer avec la cavité intestinale du fœtus, qu'elle diminue beaucoup aux approches de la nais- sance du nouvel être ; qu’elle ne rentre jamais , comme le vitellus, dans l’abdomen.de l’embryon, 120 Liv. 1i. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. et que, si elle sert à sa nourriture, cela ne peut avoir lieu que par une absorption opérée par les SEUIS vais< seaux mésentériques. De ces quatre membranes, le chorion ne fournit aucun fluide ; mais les trois autres ‘en contiennent un, dont la nature diffère pour chacune. Ces diverses enveloppes, mais surtout l'allantoïde et la vésicule ombilicale, varient beaucoup dans les différentes classes de quadrupèdes. Ainsi la vésicule ombilicale, si petite et si vite disparue dans le fœtus de l’homme et dans ceux des animaux, a-au contraire un grand volume dans les carnassiers et dans les rongeurs. Elle l'emporte même de beaucoup sur l’allantoïide , dans ces derniers animaux. 11 y a dans ce genre d'êtres une véritable inversion entre ces deux membranes, in- version pour la situation et pour le volume; ce quia causé et qui cause encore , au moment où nous ÉcCri= vons ces lignes, beaucoup de démêlés et de contes- tations. Toutefois il faut vouloir l'erreur pour con- fondre ensemble la vésicule ombilicale et l’allan- toide : on reconnaîtra toujours celle-ci à l’aide de sa communication avec l'ouraque , et à l’aide des vais- seaux ombilicaux qu’elle reçoit sans mélange d’autres vaisseaux ; tandis qu'on peut toujours distinguer la vésicule ombilicale , en ce qu’elle recoit uniquement les vaisseaux omphalo- sr qu'elle les reçoit tous à elle seule, et qu’elle n’a pas d’autres moyens de communication avec le fœtus. Le liquide des deux membranes est de même dissemblable ; mais il varie tellement d’une classe à l'autre, qu'il serait ns sûr de fonder la distinction de ces Hénin d’après les caractères dece liquide. CITAP. XIV» OEUFS DES MAMMIFÈRES. 127 Nous voyons donc que l’allantoide des rongeurs est entièrement réduite, mais elle a de très-grandes di- mensions dans les chiens et les autres carnassiers ; cette membrane diffère autant, dans ces deux classes de quadrupèdes, qu’elle diffère dans deux œufs d'oi- seau , dont l’un à quatre jours d’incubation et l’autre neuf. Elle est aussi très-petite et en forme de boyau dans les ruminans ; et comme ce fut dans un de ces animaux que Galien l’étudia, elle doit le nom que cet illustre médecin lui a denné à sa disposition dans ces derniers êtres. À l'égard des vaisseaux de l’œuf des mammifères, ils ont deux sources, comme dans l'œuf des oiseaux; Je veux dire qu’ils se composent des ombilicaux et des mésentériques , veines et artères. Les premiers vont seuls , et vont tous se répandre dans la vésicule om- bilicale, à-peu-près comme nous les avons vus se distribuer au vitellus de l’œuf des ovipares; mais les vaisseaux ombilicaux ne se bornent pas à l’allantoide , comme ils s'y bornent dans l'œuf : après avoir formé de magnifiques réseaux sur celte membrane, ils la transpercent, elle et le chorion, toujours en se divisant et se ramifiant ; et finalement ils aboutissent à la matrice après ayoir traversé le placenta ou les coty- lédons, qui sont pour ainsi dire leur ouvrage, I ré- sulle de là de grandes différences entre l'embryon du mamwmifere et celui de l'oiseau : ce dernier se nourrit principalement aux dépens du vitellus; l’autre tire peu de secours de la vésicule ombilicale et de la li- queur de cette vésicule : sa nourriture lui vient toute préparée et presque ên totalité du sang de sa mère ; ensuite, c’est exclusivement par l’allantoide que l'oi- 128 LIv. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. seau respire avant de naître, tandis que le jeune mam- mifère reçoit par la matrice et le placenta un sang tout prêt chargé d’air comme de chyle : les poumons et l'estomac de sa mère agissent à-la-fois pour deux êtres. Une autre différence importante entre les vivipares et les ovipares, est celle-ci : comme le jeune ovipare emporte avec lui dans son abdomen le résidu du vi- tellus qui l’a jusqu'alors nourri, il en résulte qu'il peut presque toujours se suffire à lui-même dès le premier moment de sa naïssance ; il porte au-dedans de lui un réservoir de nourriture. Mais le mammifère n’a rien de semblable : il naît seul et dépouillé de Loutes ses enveloppes , sans forces pour agir , etsans réservoir pour subvenir à ses besoins sans action. Il naît d’ailleurs sans habitude de l'isolement; et, à l'exception de son cœur, aucun de ses organes n’a encore agi. Aussi voit-on la plupart des ovipares se nourrir seuls, ou au moins de la même nourriture que ses parens, soit qu’il la cherche seul ou qu'il la reçoive d'eux ; tandis qu'il faut à tout vivipare nouveau-né un fluide nourricier que lui donne sa mère aussitôt qu’elle a cessé de lui donner du sang. Voilà pourquoi tout vivipare est mammifère , pour- quoi toute femelle à placenta a des smamelles : tout fœtus qui a d’abord vécu d’un sang étranger, a besoin de lait pour première nourriture. CHAP. XV. ORGANES GÉNITAUX DES FEMELLES. 120 CHAPITRE XV. Organes génitaux des femelles. Origine de l'œuf et de Fembryon des Mammifères. Pour aller plus directement au but de ce chapitre, nous faisons abstraction pour le moment de la struc- ture génitale du mâle , des propriétés de la semence et de son émission pendant le coit : nous reviendrons plus tard sur ces différentes choses. Nous.ne devons parler maintenant que des organes génitaux de la fe- melle, et des changemens qui s’y font remarquer à la suite d’un coit fécondant (1). Les organes génitaux des femelles de mammifères se composent de deux Ovaires, de deux Trompes, canaux de communication entre les ovaires et la ma- trice ; de cette Matrice elle-même , laquelle est or- dinairement bifurquée dans les animaux portant à-la- fois plusieurs petits, et simple au contraire dans ceux n’engendrant d'habitude qu'un fœtus à-la-fois. Après la matrice vient le Vagin, dont l'ouverture extérieure, garnie de Nymphes , d’un Clitoris et d'un Méat uri- naire , porte le nom de Vulve. Comme la matrice ne communique au-dehors par le vagin qu'à l’aide d’une ouverture étroite et tou- jours fermée, qu’on nomme Orifice du col utérin, il est certain que rien ne $aurait s'en échapper hors de (1) Voy. les ouvrages d’Aristote, d'Harvey, 1651; de Coiter (Volcher) 1575; de R. de Graaf, 1671; de Malpighi. de N. Sténon, de A. Nuck, de Vallisneri, de J. G. Duverney, de G. Hunter, de Buflon, de Haller, etc. À re) 150 IAV. H. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. l'accouchement, et que par conséquent on doit y re- trouver , dès qu'il existe, le produit visible de la con- ception. Dans l’état ordinaire , on trouve le col de la ma- trice fermé ; les parois solides de cette matrice ac- colées sans intervalle appréciable, et son intérieur n'offrant aux yeux que quelques mucosités filantes et les orifices plus ou moins apparens de quelques vais- seaux. Les trompes, qui s’altachent à ses côtés, ont uné cavité excessivement étroite, ne contenant rien non plus : elles ont une petite ouverture souvent invisible mais réelle dans la matrice ; et leur ex- trémité opposée, libre et flottante dans le ventre, s’épanouit en une espèce de pavillon, et se trouve placée dans le voisinage des ovaires. Ceux-ci n’ont pas d'autre voie de communication avec le dehors que le canal des trompes et la cavité de la matrice ; le prétendu conduit excréteur qu'on à cru y voir est tout-à-fait chimérique , chimérique aussi est la se- mence qu’on a dit s’y former. Enfin , si tant d’écri- vains distingués ont cru voir dans les ovaires des fe- melles l’équivalent des testicules des mâles, si même ils sont allés jusqu’à leur donner ce nom de testicules, cela n’a pu provenir que d’un examen trop superficiel de ces organes, et peut-être aussi de ce qu’on s'était laissé prévenir par quelque hypothèse attrayante qui nécessitait des testicules et du sperme dans les fe- melles comme dans les mäles. C’est en particulier dans ce cas que nous semble s'être trouvé l’illustre Buffon. à Cependant ce nom d'ovaires que portent aujour- d’hui ces organes nous est une preuve que tout le CHAP. XV. ORGANES GÉNITAUX DES FEMELLES. 191 monde n’a pas partagé l’idée que ce fussent des testi- cules ét qu'il s’y formât de fa semence, car il faut remarquer que le nom de chaque objet exprime sou- vent beaucoup moins sa vraie nature que l'opinion de celui qui l’a dénommé. Or ce fut Sténon qui leur donna ce nom d’ovaires, fondé sur ce qu’on y trou- vait des espèces d'œufs dans les femelles de tous Îles animaux alors connus : c'est du reste à l'époque où Sténon vivait que l'étude plus cultivée de l'anatomie, et surtout les beaux travaux d'Harvey, faisaient naître l'idée que tout corps vivant provient d’un œuf; et ce fut une raison puissante pour mieux étudier ces organes. On les examina donc dans diverses circonstances et aux différens âges de la vie : chez le fœtus , dans l’a- dulte , après le coit, pendant la gestation. On vit qu'il ne paraissait aucun œuf, aucune vésicule dans les pre miers temps de la jeunesse ; mais qu'ensuite il s’en développait à mesure que l'animal approchait de la puberté. Ces espèces d'œufs, ces petites vésicules ne sont pas toutes de la mêine grosseur : il y en a de plus apparentes , il y en a de plus cachées. Ce volume varie selon l’âge, selon l'espèce de mammifère , selon la santé de l'individu ; il augmente surtout par le coït et la fécondation ; mais il n’est pas toujours en pro- portion avec la grosseur de l'animal + l'éléphant, par exemple , a ces vésicules fort petites. ll n’y a rien de constant pour leur nombre : Haller, il est vrai, n’en a Jamais compté plus de quinze dans un ovaire de femme ; mais d’autres auteurs y en ont trouvé jusqu’à cinquante, D’autres fois il n’y en a que six, ou même que deux. La mème inconstance existe pour le reste des mammifères. On remarque que le * 9 192 LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. nombre de ces petits corps diminue souvent dans les femelles qui ont fait des petits, non-seulement parce que plusieurs de ces œufs ont été employés aux fécon- dations précédentes, mais aussi parce que les autres se rapetissent et s'effacent même jusqu’à disparaître en- tièrement. Il paraît certain qu’il ne se forme jamais de nouvelles vésicules dans les animaux dont nous par- lons.. Lorsqu'on examine les ‘ovaires des vieilles fe- mélles , on n'y trouve plus que des grains miliaires solides, sans fluide intérieur, souvent même tout-à- fait endurcis et comme cartilagineux. Jamais ces pelits œufs n’ont de pédicule; le péri- toine leur forme à tous une enveloppe commune ; mais en-dessous de cette membrane séreuse sans vais- seaux visibles, chaque vésicule a sa membrane par- ticulière, et cette tunique propre a des vaisseaux. Le fluide renfermé dans ces petils corps est homogène ; il n’est pas composé de deux parties comme les œufs des oïseaux. Celie humeur est ordinairement trans- _parente ; souvent jaunâtre ; le feu et l'alcool la coa- eulent. Il paraîtrait que ce liquide est analogue au blanc d'œuf. Vésale, Fallope, Albert le Grand, Riolan, et tous les anatomistes jusqu’à Sténon, avons-nous dit, donnèrent à ces petits Corps le simple nom de Vési- cules; Harvey lui-même fit taire sa propre conviction pour céder à l’ascendant des vieilles traditions et de la routine; mais Sténon , restant plus conséquent et avec la théorie de ce grand homme et avec les faits eux-mêmes , fut le premier qui osa donner le nom d'Ofufs à ces granulations des ovaires. On prétendit ensuite non-seulement que ce n'é- tient point de véritables œufs, mais que l'existence CHAP. XV. ORGANES GÉNITAUX DES FEMELLES. 109 de ces corps n’était pas naturelle et résultait d'un état maladif ; qu'enfin ce n'étaient là que des Hydatides. Il est bien vrai qu’il se forme quelquefois des hyda- tides à la surface des ovaires ; mais leur groupement n’est pas semblable, leur situation est toujours limitée, et ordinairement ces espèces de kystes sont pédi- culés et deviennent très-gros. D'ailleurs , l'existence deshydatides est assez rare, tandis que celle des petits Œufs est constante dans les ovaires de tout mammifère femelle encore jeune. Il se forme encore d’autres es- pèces de kystes ou de loupes dans les ovaires , mais toujours fort diflérens des œufs dont nous faisons l’histoire. Nous voyons donc que la matrice communique avec lé vagin par un col saillant, dont l'ouverture étroite est toujours fermée hors le temps du coit, hors le temps des règles et de l'accouchement ; nous savons que cette matrice est percée vers les côtés de son som- met par les deux conduits très-étroits des trompes de Fallope ; que ces trompes, composées d’un tissu dila- tableet contractile comme la matrice, se terminent en s’épanouissant par une sorte de pavillon au-delà mais tout près des ovaires ; et que ces derniers sont com- posés de petites vésicules ou d'œufs, n’ayant ni con- : duits excréteurs ni aucune voié de communication avecla matrice autres que les trompes de Fallope. Main- tenant il s'agit d'examiner. quels changeméns, sur- wiennent.dans,ces différentes parties à la suite-ducoit et lorsque la conception est opérée : nous devons sur- iout nous-aliacher à montrer l'œuf et l'embryon,des mammifères dans ses premiers commencemens. Si l’on examine la matrice et les trompes peu après 154 LIV. I. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. Ja conception, on trouve ces organes plus colorés, plus imprégnés de liquides ; les trompes contiennent même quelquefois des mucosités sanguinolentes. Il paraît certain également que les trompes s’érigent, et que leur extrémité évasée se recourbe vers les ovaires en s’adaptant à l’une de leurs vésicules : Haller ayant ouvert une Japine six jours après l’approche du mâle , trouva la trompe collée à l'ovaire par son pa- villon, ainsi que nous venons de le dire; il vit aussi qu'un des œufs s'était séparé de l'ovaire , et il trouva cet œuf dans le canal déjà un peu élargi de la trompe. Nuck, avant Haller, avait cité une observa- tion encore plus décisive : cet anatomiste lia vers le milieu de sa longueur la trompe d’une chienne trois jours après l'approche du mâle ; au bout de quatre autres jours il trouva deux fœtus entre l’orifice libre de la trompe et la ligature qui en étreignait le canal. Santorini, Riolan , Duverney ont vu des fœtus dans les trompes. Les dénégations les plus formelles des auteurs ne sauraient infirmer un fait positivement articulé par un homme comme Haller , surtout lorsque tant d’autres observateurs l’attestent; aussi regardons-nous ce fait comme avéré. D'ailleurs, que trouve-t-on de douteux ou d'incroyable dans cette observation? est-ce la route suivié par l’ovule? Mais ne sait-on pas que la trompe a son ouverture libre près de l'ovaire, et qu’elle est percée d'un canal ayant issue dans la matrice? n'a-t-on pas vu des fœtus s’accroître plus ou moins complètement dans les trompes? Ces canaux sont à la vérité fort étroits ; mais les parois n’en sont- alles pas dilatables ? On ne comprend pas comment la trompe peut détacher l'œuf; mais est-ce une raison CHAP. XV. ORGANES GÉNITAUX DES FEMELLES. 190 pour nier la chose? Ou ne voit pas de rapport entre cet œuf et l'embryon ; mais en voit-on davantage en- tre l'œuf de la poule et le poulet? Onne conçoit pas enfin de conception possible sans le concours: du sperme (en cela on à raison }; ei l'on demiande comment le sperme lancé dans le. vagin peut :par- venir jusqu'à l'ovaire. , Mais sait + on mieux la voie du sperme dans les ovipares ,, où l'espace ,: sans être. aussi tortueux, est au moins aussi long? D’ail- leurs , trouve-t-on, le sperme qnelque part, une fois -qu'il a été introduit dans les parties génitales; et si l'on ne peut le trouver , même dans la matrice ; com- ment espère-t-on suivre ses traces ou s'assurer de soh absence dans les trompes? Mais , ajoute-t-on ; Fœuf s'introduisit-il dans les trompes pour'aller jusqu’à ki matrice, il est sûr au moins qu'il est trop petit pour être visible dans le canal où l’on dit l'avoir trouvé peu de jours après le coit; plusieurs bons observateurs. ly ont vainement cherché : Haller et de Graaf, conclut-on, se sont mépris. . Il faut avouer que cette dernière objection n’est pas sans quelque force; car effectivement les œufs de l'ovaire sont fort petits, et beaucoup d’anatomistes n’ont pu les trouver dans les trompes, nonôbstart l'attention extrème qu'ils ont apportée dans leurs re- cherches. Mais. voici d’autres faits qui vienhent à l'appui de l’observation que nous avons citée: On à ouvert des brebis et d’autres animaux, moins d’une: heure après l’accouplement et l'émission séminale : alors on a presque toujours trouvé une ou plusieurs vésicules de l'ovaire gonflées, quelquefois tachées de. sang, “et souvent si élevées au-dessus des autres. 156 EIV. El. DE EA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. œufs, qu'elles semblaient tout près de se rompre. En les examinant plus soigneusement, une heure ou deux après le coïit, on s’est assuré qu’il y avait des vaisseaux sanguins à leur intérieur, et qu’ordinairement elles paraissaient fendues par le milieu. On à vu que ces vésicules se vident au bout de quatre à cinq heures, qu'après cela les membranes s’en épaississent, que des vaisseaux s’y développent : vers la vingt-deuxième heure, la vésicule rompue est remplie d’un corps jaune que Hailler a rendu célèbre. Ce corps ensuite s'accroît beaucoup , est entouré d’un lacis de vais- seaux, et ressemble finalement, dit Haller, au mame- lon rosé d'une jeune fille. Au bout de quelques jours. la fente médiane n’est plus visible. Quel que soit l’u-- sage du corps jaune, et quoi qu’ait pu dire Buffon pour en nier l'importance, assurant, par exemple, qu’on le trouvait dans les animaux vierges comme dans les autres , le témoignage et les recherches de de Graaf, de Morgagni et de Haller établissent comme un fait très-certain qu'il n'existe que dans des femelles qui ont déjà concu ou qui viennent de concevoir. Ge corps Jaune finit par prendre l'aspect d’une petite glande; il commence, après quelques jours de fé- condation , par occuper une grande partie de l'ovaire; il diminue ensuite à mesure que la gestation avance vers son terme; mais il en reste presque toujours des traces , même après l'accouchement. Il persévère long-temps, principalement chez les femmes ; long- temps aussi on y remarque les indices de la fente primitive de la vésicule rompue. On a cru remarquer que les ovaires contenaient autant de corps jaunes qu'il y avait eu de fœtus : Haller n’en a trouvé qu'ua CHAP. XV. ORGANES GÉNIFTAUX DES FEMELLES. 197 après le premier accouchement de la femme, et dix- huit dans les ovaires d’une truie qui avait mis bas dix- huit petits d’une premièré gésine. Il faut d’ailleurs re- marquer que dans les femelles où l’on trouve des corps jaunes, la matrice offre en même temps les empreintes plus ou moins conservées des cotylédons ou placentas. On trouve, en outre, dans plusieurs femelles, une cica- trice au col utérin , des éraillures à la peau du ventre, et sensiblement plus de volume aux mamelons. Ce sont là autant de signes de la maternité, ces derniers principalement chez la femme. Buïlon assure que le corps Jaune est tout formé dars l'ovaire au moment de la conception ; mais c’est une conjecture que dé- truit l'observation impartiale des faits. Si nous réfléchissons un peu sur les détails pré- cédens , nous verrons que cette vésicule trouvée distendue après la conception, que la fente ou cica- trice de son sommet, que le corps jaune qui lui suc- cède et qui persévère souvent toute la vie; tous ces faits, dis-je, porteront à penser qu'il s'échappe quelque chose de l'ovaire au moment de la fécondation. Outre ces premières preuves, tirées d’une vésicule quise gonfle après le coit, et des trompes, dont l’ex- trémité dilatée s'applique à l’ovaire, et d’unescicatrice qui succède à la fécondation, il y a d’autres observa- tions qui démontrent que le prinçcipe du nouvel être provient de lovaire. i. On voit quelquefois le fœtus se développer dans le ventre des femelles fécondées par leurs mâles, et dans ce cas encore on trouve une des vésicules de l'ovaire ouverte, déchirée ét désemplie : c’est qu'a- 139 LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. lors probablement les trompes ont mal fait leur of- fice ; elles sont cbstruées ou malades. 2°, On a plusieurs fois trouvé dans un ovaire des débris de fœtus, chez des femelles qui avaient reçu les approches du mâle sans ‘engendrer : ces espèces de kystes contiennent ordinairement des os ; des cheveux, des dents, en un mot toutes les parties les moins destructibles d’un corps organisé. D'où toutes ces choses viendraient-elles, si ce n’est d’un embryon développé dans son premier berceau? 5°. On peut châtrer une femelle aussi bien qu’un mêle , l’extirpation des ovaires , comme celle des tes- ücules, produit toujours la stérilité : Ja chose est avérée pour les mammifères comme pour les animaux ovipares. Les ovaires servent donc à la génération : or, comment y concourent-ils, sinon par ces petits œufs, par ces vésicules qui le composent ; comment ensuite y serviraient-ils efficacement si les trompes ne les conduisaient pas dans la matrice. D'ailleurs, ces petits œufs ont été trouvés dans les trompes peu de temps après la copulation : de Graaf, il y a plus d’un siècle, et de nos jours MM. Cruikshanks, Pré- vost et Dumas ont observé ces petits corps dans ler ca- nalmême des trompes. Ils s’y trouvaient libres d’adhé- rences , étaient d’une extrême petitesse, et composés d’une sorte de petite sphère de liquide transparent , revêtue d’une tunique excessivement ténue : c'est du moins ainsi que ces auteurs en parlent dans leurs ou- vrages. Il faut ajouter que ces petits ovules ne sau- raient être confondus avec des hydatides , puisque ces dernières sont constamment adhérentes aux parois des CHAP. XV. ORGANES GÉNITAUX DES FEMELLES. 139 trompes, lorsque c’est dans leur cavité qu'on les trouve. On a même cru découvrir à leur surface, examinée au microscope , de petits prolongemens cotonneux ana- logues à ceux que présente plus tard et dans de grandes proportions la membrane caduque dont le chorion du fœtus est extérieurement revêtu : on a dit aussi qu'on apercevait à l’un de leurs pôles un point blanchâtre qu'on croyait être la cicatricule ré- sultant apparemment de l’action du fluide séminal. On ajoute encore que ces ovules angmentent en gros- seur mesure qu’ils approchent de la matrice, c’est- à-dire de l’orifice interne des trompes, et qu'on apu y découvrir les premières traces d'un fœtus dès le douzième jour de la conception. Voilà sans doute as%ez de détails sur les œufs des mammifères ; peut-être même est-ce parler avec trop de précision de corps auxquels ceux qui assurent les avoir observés n’accordent pas une demi-ligne de dia- mètre. Mais quand même on admettrait que de pa- reilles observations ont peu de certitude et méritent peu de confiance, ce que nous avons dit des change- mens visibles de l'ovaire et des trompes , ce que nous savons de l’organisation de ces parties, plusieurs phé- nomènes dont nous avons parlé, et surtout les gros- sesses extra-utérines sans rupture de la matrice, tous ces faits ne permettent pas de douter si c'est réelle- ment de l'ovaire que proviennent les linéamens de l'embryon et de ses enveloppes. On a dû remarquer , dans le cours de ce chapitre, à combien de conditions difficiles la génération des animaux vivipares est assujettie : la petitesse de leurs œufs , étroit canal qu'ils ont à traverser, la distance 140 LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. où ils sont des approches possibles des organes géni- taux du mâle, et surtout la circonstance que des corps si fragiles puissent parcourir, sans se briser mille fois, des conduits aussi solides que le sont les trompes ; j'avoue que tant d'obstacles à surmonter pour lachè- vement d’un seul acte, me semblent ajouter à ce qu'il a de merveilleux. Ne nous étonnons donc plus si la fécondité est beaucoup moins grande qu'ailleurs dans les gros anñinaux qu'on nomme mammifères ! Outre que ces animaux ont un bien moins grand nombre d'œufs que les vrais ovipares, nous voyons defhoin- breuses occasions de stérilité dans les détails de leur structure; mais nous n’en voyons dans aucune espèce autant que chez l’homme, à cause de sa longue en- fance et de l’immensité de $ès besoins ; à cause de l'excès de ses passions et des innombrables maladies. qu'engendrent ses vices. CHAPITRE XVI. Les Êtres organisés engendrent-ils tous par une sorte d'œufs ? Si l’on se rappelle ce que nous avons dit dans les chapitres précédens ,‘on verra que nous avons d’abord récasé comme improbablesles générations spontanées des corps vivans; qu’ensuite, pour les êtres dont'la gé- nération est connue ,.nous avons vu les plantes à fleurs se reproduire par des graines, et les champignous et d’autres cryptogames, et même les polypes, par des espèces de gemmes ou de bulbes : nous n'avons ensuite trouvé dans la longue chaîne des animaux que des CHAP, XVI OMNE EX OVO. 141 ovipares et des vivipares ; c’est une distinction qui date du temps d’Aristote, et qu'on voit établie dans les ouvrages de ce grand homme. La question , mainte- nant, est de savoir quelle idée on doit attacher à ce qu'on nomme œuf (1). Assurément , si nous prenions l'œuf des oiseaux pour type, il serait dificile d’en trouver. l'équivalent dans la plupart des autres êtres: il faudrait commencer par refuser cette dénomination d'œuf. aux gemmes des polypes et aux bulbes des plantes cryptogames ; car ces sortes de germes, com- posés d’une substance homogène , n’offrent ni enve- loppes, ni compartimens, ni le principe essentiel et séparé d'un embryon ; c'est la totalité de ces petits corps qui reproduit les êtres entiers dont ils sont les premiers rudimens. Ne pouvant donc les assi- miler aux œufs , nous ne verrions plus en eux qu'une sorte de bourgeons, ainsi que nous l'avons dit au commencement de ce II° Livre. Mais si nous Ap- pelons œuf tout corps duquel peut provenir un être semblable à l'être dont lui-même provient , les germes dont nous parlions à l'instant seroñt eux-mêmes des œufs, aussi bien que les graines plus compliquées des plantes à fleurs ; et il ne restera plus à examiner que les animaux distingués entr'eux par les noms d'ovi- pares et de vivipares. Quant aux ovipares, leur nom , tiré de leur genre de reproduction , ne permet pas de mettre en doute que ce soit par des œufs qu'ils naissent et se per- pétuent : la chose ne serait donc incertaine qu’à l'égard des vrais vivipares ou mammifères. Mais (1) Voyez Aristote, lib. 1; et Harvey, Exercit. vxrr. 1/2 Liv. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. comme nous avons vu ces derniers n'avoir eux- mêmes pour origine que des espèces d'œufs ou de petites vésicules ; comme ces vésicules ont certaine- ment leur source dans les ovaires, et qu'elles se ma- nifestent, soit dans les trompes, soit dans la ma- trice, plusieurs jours avant que l'embryon n’y devienne visible , il en résulte que les vivipares, nonobstant leur nom, naissent d’un œuf comme les oiseaux, comme les poissons et les reptiles; qu'enfin c'était avec justesse et vérité qu'Harvey disait : Omne ex Ov. CHAPITRE XVII. à Génératioif équivoque de l’Ornitliorhynque. L'Ornithorhynque de Blumenbach est un animal fort singulier à beaucoup d'égards (1) ; les détails de sa structure en font l'être le plus équivoque qu'il y : ait au monde. Quelques auteurs disent que, bien qu'il n’ait point d’ailes et qu'il ait des dents molaires, cependant il faut le ranger parmi les oiseaux à cause de son bec aplati, de ses pieds à ergots et de son cloaque. On dispute d’un bout de l'Europe à l’autre pour savoir si cet animal est ovipare ou vivipare : les uns tirent de son cloaque et de ses oviductes la preuve qu’il pond des œufs ; les autres soutiennent (1) Voyez Shaw, Blumenbach, Everard Home, Geoffroy-Saint- Hilaire, Lamarck, Cuvier, Blainville, Tiedemann, Quoy, F. Meckel, Garnot et Lesson , Knox , Rudolphi, Van-Der-Hocven et Isid. Gcof- froy. CHAP. XVII. GÉNÉRATION DE L'ORNITHORHYNQUE: 143 qu'il a des mamelles; M. Fr. Meckel a même décrit et figuré ces organes, et cela est un argument puissant en faveur de ceux qui affigment qu'il s’agit d’un vivipare. Néanmoins on réplique qu'on a vu les œufs assez gros de cet animal ; on ajoute que l'on prend pour des mamelles des organes étrangers à l'allaitement ; on va même jusqu’à faire entendre , assurément contre. les bons principes de physiologie, qu'un animal peut porter des mamelles sans être vivipare ! Tou- tefois la disposition de ses trompes utérines, la siruc- ture de son bassin, les poils dont son corps est cou- vert (1), la similitude de ses quatre membres, et la longueur de son urèthre, toutes ces choses portent à penser que l’ornithorhynque est un véritable vivipare ou mammifère. Il est étonnant qu'après tant de voya- ges à la Nouvelle-Hollande, la difficulté dont nous parlons n'ait pas été résolue. Espérons que nos com- patriotes MM. Quoy et Gaymard seront plus heureux ou plus habiles que leurs célèbres devanciers! On recoit à l'instant même (sept. 1828) de ces voyageurs infatigables, des lettres où l’on semble annoncer de grandes découvertes concernant la génération encore si conjecturale des ornithorhynques et des kanguroos. Observons toutefois que l'ignorance où l’on est tou- chant la réproduction de ces animaux ne saurait dé- truire la conséquence du chapitre précédent : que ces êtres engendrent à la manière des oiseaux ou des mam- mifères, ils auront toujours une sorte d'œuf pour première origine. (1) Voyez Aristote , de Animalibus : « Les animaux velus sont vivi- pares. » Lib. I, cap. M 1/54 LIV. 11. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. CHAPITRE XVIIL De la Liqueur Séminale des mâles et de la Fécondation des Fe Tout être vivant, avons-nous dit, naît d’un œuf; mais les œufs ne deviennent féconds que par l’inter- vention du fluide séminal : toute femelle séparée des mâles de son espèce demeurerait stérile. À l'excep- tion des hermaphrodites, qui ont les organes des deux sexes réunis dans chaque individu , les animaux isolés ne sauraient se reproduire. La génération né- cessitait donc l’association des êtres par couples ou par des rassemblemens plus nombreux ; or c’est par l'attrait du plaisir que la nature a formé partout des familles : l’origine des sociétés , c’est’ l'amour. Nous ävons montré en quoi les animaux femelles concourent à la génération, indiqué par quels organes, et d’après quel ordre , quelle succession : nous avons vu des vésicules de différentes grosseurs se former ou du moins s’accroître dans les ovaires, parcourir ensuite de longs conduits qui aboutissent , tantôt dans un cloaque où ils ne peuvent long-temps séjourner, tantôt dans une matrice extensible aux parois de la- quelle ils adhèrent tout le temps nécessaire au déve- loppement de l'embryon, dont ils recèlent les rudi- mens; et celte matrice, nous avons dit qu'elle cem- munique au-dehors par un vagin que termine une vulve garnie de nymphes charnues et dun clitoris. CHAP. XVIII. SPERME ET FÉCONDATION. 145 Mais, jusqu’à présent, nous ne nous sommes occupé ni des organes génitaux des mâles, ni du fluide que ces organes ont pour objet ou de produire où de projeter loin de sa source. Cela même va former la matière de ce chapitre ; mais nous éviterons tout détail étran- ger au but présent, qui est l’examen du mode selon lequel les œufs de la femelle sont Pré par la semence du mâle. Les organes génitaux des mâles sont presque aussi compliqués que ceux des femelles. D'ordinaire , voici de quoi ils se composent : 1°. de deux Testicules par qui le sperme est sécrété ; tantôt ces organes restent fixés dans l'abdomen sans jamais en sortir, comme dans les oïseaux et les reptiles ; tantôt ils sortent au- delà du ventre , et s’y revêtent de plusieurs enveloppes nommées Bourses , comme dans la plupart des mam- mifères; d’autres fois , ils séjournent habituellemént dans le corps, et ils n’en sortent qu'à l'époque du rut ou de l’amour, comme cela a lieu dans les rats : mais toutes ces choses ne changent nullement les fonctions de ces organes. 2°. Les testicules sont com- posés de petits vaisseaux très-déliés, et dont la réu- nion donne lieu à deux Conduits excréteurs ou défé- rens. 3°. Ces conduits déférens sefrendent quelquefois dans leurs réservoirs, nommés Vésicules séminales , et d’autres fois directement dans la cavité du cloaque ( chez les ovipares ), ou dans le canal de l’urèthre ( chez les mammifères ). 4°. Lorsque c'est dans le canal de l’urèthre qu’aboutissent finalement les con- duits spermatiques , alors cet urèthre est garni et for- tifié par des Corps caverneux très-vasculaires, très- extensibles, et susceptibles d'érection : ce Lissu érectite I. 10 1/6 LIV. I: DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. a pour effet de tendre:le canal, d'en augmenter là longueur et en, même temps de le rétrécir par des courbures, Moutes circonstances propres à donner plus: de rapidité aux jets de la semence chassée de ses réservoirs : l’urèthre, ainsi compliqué, porte le nom de Verge ou de Pénis. La forme en est très- variée selon l'espèce d'animal : il est tantôt simple et effilé, tantôt surmonté par une espèce de gland ou par des renflemens en forme de bourrelets, quel- quefois même il est en partie osseux. Mais la verge est surtout fort différente chez les animaux ovipares, dans lesquels elle est séparée de tout urèthre.et rare- ment perforée ; presque toujours alors elle offre sim- plement à sa surface des sillons plus ou moins pro- fonds, destinés à recevoir la semence et à la répandre. Le pénis a pour principal usage de projeter le fluide séminal dans les organes de la femelle, ou seulement sur les œufs qu'elle rend, le plus loin et le plus rapi- dement possible : le contact réitéré de ce corps est d’ailleurs un moyen de titillation et un élément de jouissances, d La Semence provient done des testicules: Ce fluide est blanchâtre dans tous les animaux ; il ést composé de deux parties , dont l’une est plus pesante que l’eau, tandis que l’autre, dit Haller , reste attachée à lasur- face. du liquide sous la figure de toiles d'araignées, Cette liqueur porte une odeur singulière extrème- ment pénétrante; les chairs et les humeurs. des ani+ maux s'en imprègnent désagréablement à l'époque.du rut. Le pollen de beaucoup de végétaux a une odeur en tout semblable, et ceci est d'autant plus digne d'attention, que le pollen est pour les plantes ee CHAP, XVIII. SPERME ET FÉCONDATION. 147 qu'est la semence pour les animaux. il serait curieux de comparer chimiquement ces deux liquides , mais ce n’est poirit notre objet: La sécrétion de la semence ñe date que dé l’é Avesnes de la puberté, et d'ordinaire elle tarit dans la vieil- lesse ; mais la durée du fluide prolifique.est bien dif- ficile à fixer chez l’homme , à cause de ses passions , qui devancent quelquefois les besoins réels et sou- vent leur survivent, Pour les animaux , ils n’ont guère de semence au-delà de l’époque de leurs amours : leurs testicules se rapetissent et semblent s’atrophier le resté.de l’année. Il en est iñême qui n’ont de. se- mence qu'une fois dans leur vie, et qui meurent après l'avoir répandue; à-peu-près comme on voit les éta- mines se flétrir après la dissémination du pollen : je veux parler des insectes, lesquels périssent. après qu'ils ont engendré. La chaleur du élimat, l’abon- dance de la nourriture , le bon état de la santé , le repos, un sommeil tranquille et prolongé , toutes ces choses ont beaucoup d'action sur la semence pour en accroître la puissance et la quantité : les animaux à qui l'homme fait partager les commodités dela vie domestique et les précieuses acquisitions dues à son industrie et à sa prévoyance, sont plus enclins à l'amour, sinon plus aptes à la propagation, que les, animaux des mêmes espèces vivant à l'élat sauvage. Rien n’agit sur le sperme autant queles longues priva- tions ,; les maladies et surtout les chagrins; ce fluide alors perd sa consistance et son odeur en, même temps que la quantité én est moindre; pour être propre. à féconder, le fluide séminal.des grands ani- maux doit être consistant et comme granuleux. 10° 1/48 Liv. IT. DE LA REPRODUCTIONDES ÀTRES VIVANS. Mais d'où provient et en quoi consiste la propriété fécondante du sperme? voilà ce qu'il nous importe d'examiner. Il est vrai de dire qu’on voit s’accroître les œufs de beaucoup d'animaux ovipares sans que la semence y soit intervenue ; mais on ne voil jamais d’embryon se développer sans cette intervention du fluide séminal. Les œufs même de grenouilles et de sälamandres, dans lesquels on croit voir des embryons ébauchés avant toute approche des sexes, ces œufs ‘ ne produisent jamais rien s’ils ne reçoivent le contact de quelques particules de sperme : Spallanzani en a fait plusieurs fois l'essai. L'action intime de ce fluide sur les œufs n’est pas connue, mais elle se manifeste à tous les yeux par des phénomènes qu’on ne saurait récuser. Lorsqu'il s’est répandu sur dés œufs de vers à soie un peu de la semence du mâle de cette espèce, de jaunes qu'ils étaient ces œufs deviennent violets ; ceux des poissons se troublent légèrement par un pareil contact; ceux des grenouilles, des crapauds ct des salamandres, déjà à moitié noirs dès qu’ilssortent, noircissent bien davantage aussitôt qu'on les a arrosés du fluide séminal; en même temps on remarque qu'ils se sillonnent de rides nombreuses ,‘se creusant de plus en plus. L'œuf d'oiseau a déjà une cicatricule à l’un des pôles de son vitellus avant l’imprégnation spermatique ; mais après l’imprégnation cette cica- tricule devient plus large et plus épaisse, de manière qu'il est impossible qu'une personne habituée à ce genre de recherches confonde jamais un œuf coché avec celui qui ne l’a pas été; mais l'effet du contact de la semence est encore plus marqué sûr l’ovule des vivipares. Les œufs des autres animaux peuvent du a CHAP. XYUT. SPERME ET FÉCONDATION. : 140) moins s’accroître et sortir avant d’avoir éprouvé ce contact , tandis que chez les mammifères ces petites vésicules ne rompent leur membrane, ne parcourent les trompes et ne parviennent dans la matrice: pour s’y accroître qu'après l'émission séminale du mâle. On croit même que le sperme en obscurcit un peu Ja transparence, el macule légèrement l’une des extré- mités ; mais comme ces corps sont excessivement petits , il faut se tenir sur ses gardes quant aux ob- seryations dont ils sont:le sujet. La semence du mâle , en quelque animal qu'on l'observe : a donc pour usage de féconder par son contact les œufs contenus dans la femelle où déjà expulsés de son corps ; mais cet arrosement sperma- tique se fait très-diversement selon les espèces d’ani- maux : dans les hermaphrodites, par exemple , il y a communication directe entre les conduits séminifères el les réservoirs des œufs , de sorte que la fécondation est opérée sans accouplement et par tes organes unis du mème animal; c'est ce qui arrive chez les huîtres et la plupart des mollusques. Cette fécondation est aussi simple que celles des fleurs réunissant däns la même corolle des étamines et des pistils. D'autres animaux portent aussi dans le même individu les or- ganes des deux sexes , mais trop séparés , trop éloi- gnés pour se suffire. Les animaux ainsi conformés sont obligés à un double accouplement avec d’autres êtres de la mème espèce, ayant à-la-fois des organes mâles el femelles : cela se voit pour les limaces , les sang- sues , pour plusieurs vers et plusieurs iollusques: ce sont ces êtres-là que nous avons nommés androgynes. 190 Liv. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. On ne trouve rien d’analogue dans les plantes: En- suite , depuis les insectes jusqu’à l’homme , tous les animaux sont à sexe simple, et la plupart s’accou- plent. Il y a bien dans quelques espèces des êtres neutres ou Mulets n'ayant les organes d’aucun sexe, comme on le voit pour les abeilles et les fourmis ; mais il existe toujours parmi ces animaux assez d’in- dividus à sexes distincts pour perpétuer la famille. L'accouplement des sexes n'est pas toujours visible ni même constant pour tous les animaux unisexuels : on doute, par exemple, que beaucoup de poissons s'accouplent jamais ; et comme on ne sait par quelle influence le mâle peut être attiré vers les œufs frayés par la femelle, on a douté qu'il les fécondât : on a vu des poissons femelles avaler la laite répandue des mâles, des mâles manger les œufs des femelles, et l'on a prêté à cela un but ét des motifs fort bizarres. Si Linné (1) avait tenu compte de la voracité dés pois- sons , s’il avait remarqué que les individus des deux sexes mangent également des œufs, souvent même dès qu'ils les ont frayés, et surtout s’il avait fait at- tention que les intestins où ces œufs s’introduisent n’ont guère de communication avec les organes for- mateurs du sperme ; alors sans’ doute Linné aurait moins vite partagé un préjugé antérieur à Aristote. Toutefois, comme beaucoup de ces animaux ont un cloaque, c'est-à-dire une cavité terminale servant d’aboutissant commun aux intestins , à la vessie et aux organes génitaux, peut-être ne serait-il pas lu: (1) Woyez l'ouvrage d'Artédi, publié par Linné , son ami, CHAP. XVHI. SPERME ET FÉCONDATION. 151 possible que des œufs avalés par quelques éspètes éprouvassent en cet endroit l'i im pression du fluide sé- iminal. Quant à beaucoup de reptiles, nous savons qu'ils se fécondent sans coiït et sans'intromission véritable ; les grenouilles et les salamandres mâles projettent immédiatement leur semence sur les œufs expulsés des femelles. On dit même chose des abeilles et de plusieurs autres insectes. Mais il y a émission inté- rieure de sperme dans les femelles des olseaux, dans les serpens, les tortues, la-plupart des insectes, et dans les mammifères. Cependant , et quoique les pénis des mâles soient en général proportionnés aux organes des femelles, on n'est päs certain que le sperme soit projeté jusqu'à l'extrémité des trompes ou des: oviductes: il y a plus, Harvey et Haller ne l'ont presque jamais trouvé dans la matrice des mam- mifères. Voilà ce qui a porté quelques personnes à conjecturer que peut-être la seule vapeur de la se- mence-suffisait à la fécondation des œufs des femelles, car conçoit-on que ce fluide puisse être lancé par le pénis jusqu'aux ovaires, au delà des conduits si déliés qui séparent ces ovaires d’avec la matrice ! On a donc pensé qu'il s'élevait du sperme éjaculé dans la matrice, une vapeur, un-esprit essentiel , un aura , comme on dit. Mais les expériences de Spallanzani sont venues détruire ces pressentimens. Cet illustre observateur a plusieurs fois exposé les œufs de divers animaux à cette vapeur de semence encore récente, et jamais il n'a pu réussir à les féconder : au lieu que le sperme en substance , le sperme pur ou mitigé, déterminait tou- jours le développement des embryons. 192 EIV. I. DE LA RÉPRODEGTION DES ÊTRES VIVANS. Piusl’action de lasemence paraissait surprenante, et plus on mettait d'attention, plus on mettait. de zèle à l'étudier. Le microscope une fois trouvé, on en fit bien- iôt usage pour examiner le sperme de plusieurs ani- _ maux; ce fut alors qu'on découvrit dans ce fluide d’in- nombrables petits corps mobiles, ayant une queue, por- tant une grosse tête, et présentant mille phénomènes singuliers (1). Cette découverte fut faite par un écolier nommé Louis Hamme, lequel s’empressa de la com- muniquer à Leeuwenhoek à qui finalement l'honneur en est resté; tant il est rare qu’une invention illustre le nom de son premier auteur. Toutefois Hartsoeker publia presque aussitôt que Leeuwenhoek des ouvrages sur les Animalcules spermatiques ; il lui disputa même la gloire de l’antériorité, et s'il en faut croire Fonte- nelle , ce fut à d'assez justes titres. Les observations se multipliant toujours nonobstant les diseussions de l'amour-propre, on grossit peu-à-peu l’histoire de ces corpuscules des détails les plus merveilleux. Comme on les voyait se mouvoir, on dit que c'était par une volonté délibérée : on ajouta qu'ils avaient dessexes, qu'ils s’accouplaient, qu’à leur tour ils répandaïent une sorte de sperme , apparemment aussi peuplé d’ani- maleules proportionnés à leur grosseur ; qu'enfin ils concevaient, engendraient , subissaient des métamor= phoses ; ; et tout cela dans l’espace de quelques heures qu’on assignait à leur durée ! On mesura leur volume, et l’on vit avéc -étonne- ment qu'il variait peu dans le sperme des différens (à) Voyez Leeuwenhoek (i675), Hartsoeker , Lieberkuhn, Leder- muller, Needham , de Gleichen, Vallisneri, Verhey en, Buflon, PE 4 Prévost et Dumas, Spallanzahi, Maupertuis ; elc. CHAP, XVIM: SPERMEYEM PÉCONDATION.. - 1953 aniwaux : car il faut dire qu'on trouva des animal- cules dans la semence de toutes les espèces. Il fal- lait aussi étudier les circonstances propices à leur développement ; et l'on assura qu'il y avait peu ou point d’animalcules dans le sperme des animaux ou tout jeunes, ou très-vieux, malades ou éjeunés. On n’en vit point non plus dans la liqueur imparfaite des mulets , peu ou point dans les autres humeurs; et . Fon a. assuré tout récemment que le fluide séminal des. oiseaux , à l'exception du coq et du pigeon, n'a d’animalcules qu’à l’époque des amours, une ou deux fois l'année. | Dans l’origine de cette découverte on mêla beau- coup de faits incroyables à ce que laissait voir de réel le foyer grossissant du microscope , et plusieurs aceré- ditèrent ces erreurs ; les uns par une crédulité exces- sive, d'autres dans le but de rendre ridicules des faits qu’ils regardaïient tous comme fabuleux ; d’autres “enfin, dans l'intérêt de quelque système déjà émis ou projeté ; carilest des personnes qui trouvent toujours les faits assez avérés, s'il doit en résulter un système. On prétendit donc qu'on avait vu des animalcules à longues oreilles dans la semence de l’âne, et un petit poulet déjà bien conformé dans le fluide séminal du coq; bien plus, on assura qu’un animalcule sperma- tique de l'homme s'étant par hasard dépouillé de son enveloppe , avait laissé voir une figure humaine, bien petite à la vérité, mais pourtant reconnaissable (1). Et ce qui mérite une sérieuse attention au milieu de {a} C'est Haller qui raconte ces faits : voyez Elem. Physiologie. . \ 154 EIV. II. DR LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. fables aussi ridicules, ce sont les conséquences qu'on crut pouvoir en déduire: on émit ce principe, par exemple, que toute femelle (sans excepter la femme) ayant reçu les approches du mâle, peut féconder une autre femelle, une femelle vierge, au moyen des petits animalçales se transportant dé l’une à Fautré. Il est facile de pressentir quel rôle on a fait jouer aux animalcules spermatiques dans les phénomènes de la génération. Nous entrerons dans quelques dé- tails à ce sujet, lorsque nous’ examinerons les prin- cipales hypothèses dont cette belle fonction a ététle motif. Nous avons déjà exposé, au chapitre des Gé- nérations spontances , les raisons qui nous font douter que ces prétendus animalcules soient des êtres ani- més. Il est certain, cependant, que tout est vivant dans un corps jouissant de la vie , le sang , la semence et toutes les humeuts, aussi bien que les organes eux- mèues : il serait donc possible que ce mouvement de molécules , observé dans le fluide séminal ; fût une manifestation de cette vitalité dans une ‘des parties qui se la partagent. Mais il ne faut point oublier qu'il s’agit là de véritables atômes , dont le microscope’ a fait des géans ; et comme nous ne devons donner à chaque chose qu'une importance méritée, il est sage de ne tenir compte de ces corpuscules qu’à raison de la réalité , et non d’après une apparence mensongère. Ruth donc à l'observation. On accordait beaucoup aux animalcules au temps où Spallanzani faisait ses expériences , et il tenta plu- sieurs essais pour s'assurer du fait : il avait observé que lorsqu'on projette du vinaigre sur la semence dé- CHAP. XIX. FÉCONDATIONS ARTIFICIELLES. 155 layée des reptiles, eela fait disparaître du fluide tous les corpuscules mobiles. Il fit son expérience , et elle eut un plein succès : quoique sans animalcules , la se- mence fut toujours fécondante, | Quelqu'un ayant LÉ gage bé ke peut-être la se- mence agissait à la manière de l'électricité, Spallan- zani en ût l'essai. Il vit bientôt qu'un courant élec- trique laisse inféconds des œufs non spermatisés, mais que cela influe sur le développement de l'embryon en des œufs fécondés; que ce développement devient. par là plus précoce et plus rapide. Il fit de semblables tentatives avec d’autres substances, et il n’en trouva aucune par quoi le sperme pût être remplacé. Cette puissance de lasemence une fois bien établie, nulle fécondation n’ayant lieu sans son contact avec les ovules des femelles, Spallanzani voulut en con- naître le degré d'énergie. CHAPITRE XIX. Fécondations artificielles. Spallanzani réfléchissant sur la manière dont beau- coup de poissons et de repliles fécondent les œufs de leurs femelles , il lui vint à la pensée d opérer ar- tificiellement de ces fécondations. Il commença par faire des essais sur les œufs des salamandres: or, tant qu'il n'employa que la semence purée des mâles pour en arroser les œufs des femelles, il n’obtint au- cun résultat ; les œufs ainsi imprégnés$ furent stériles, A 196 LI. IE DE EA REPKODUETION DES ÊTRES IVANS. Mais le sperme délayé dans l’eau les fécondait con — tamment. Îl répéta cette expérience: sur des. œufs de grenouilles et de crapauds ; ce furent toujours mêmes résultats. Il mêla la semence avec différens liquides , avec du vinaigre , de l’urine, du sang, de la bile ou d’autres humeurs ; et la fécondation continua de même. Le sperme conserve encore cette proprièle fécondante plusieurs heures après la mort de l’ani- mal qui le fournit , mais surtout dans un temps froid. Également les œufs de la femelle (je parle des rep- tiles de l’ordre des grenouilles ) sent susceptibles d’être fecondés dix à douze heures après la mort de l'animal. Mais ils demeurent stériles s'ils sont restés plongés dans l’eau plus de deuze minutes avant d'a voir reçu le contact du fluide séminal.. Spallanzani à voulu s’assnrer jusqu'où pouvait aller la puissance fécondante du sperme des reptiles+ il.a délayé trois grains de sperme dans douze onces d’eau ordinaire, et ce mélange spermatique a sufli pour fé- conder et amener à bien les œufs réunis de cinquante grenouilles. Peu importait même que ces œufs n’eus- sent été plongés que peu de temps ou un moment, qu'ils en fussent partout imprégnés ou touchés seule- ment par un point de leur surface. Il suffit, par exem- ple ; qu’une pointe d’aiguille trempée dans le fluide séminal soit appliquée sur un œuf pour féconder ce- lui-ci, etmême la fécondation s’étendra à un deuxième œuf collé au premier et non touché par l'aiguille. On a calculé dans quelles proportions étaient la semence et la masse d'œufs fécondés par elle , et l’on est arrivé à des résultats étonnans. Il a souvent suffi qu'un ins- trument eût approché des testicules pour transmettre CHAP. XIX. FÉCONDATIONS ARTIFICIELLES. 197 ‘une vertu fécondante à tout ce qu'il touchait en- suite, Spallanzani en cite un exemple: il avait plongé dans du sang des œufs non encore fécondés de cra- pauds ; il s attendait à à les voir rester stériles , maïs il fat trompé ; bientôtil vit paraître des têtards vivans et bien formés. Surpris de ce résultat, il finit par se rappeler que les œufs avaient été tirés de l’oviducte de la femelle avec des pinces qui avaient servi à dissé- quer les testicules d’un mâle de la même espèce. Ne dirait-on pas que nous faisons l’histoire de phéno- mènes électriques ou magnétiques ! On a varié ces opérations à l'infini; ôn a vu que l'eau spermatisée conserve plus long-temps sa vertu fécondante que le sperme pur; que la chaleur lui communique d’abord plus d'énergie, mais qu'ensuite elle la lui fait perdre par l'effet de la vaporisation; que lorsqu'on la filtre, elle perd sa vertu, tandis que le dé- pôt resté sur le filtre la conserve en entier ; que l’agi- tation à l'air lui est également nuisible; qu'egfin elle cesse bientôt d'être fécondante quand on l’expose à un froïd glacial ou à une chaleur de plus de trente-ciaq degrés, aussi bien que lorsqu'on la mêle à ‘de l’alcool ou à du sel marin. Ce dernier fail prouve, pour le dire en passant, que les poissons de mer ne peuvent fécon- der les œufs de leurs femelles qu’en répandant leur semence immédiatement sur eux. Mais les reptiles et les poissons d’eau douce peuvent opérer cette fécon- dation à distance ; l’eau sert de véhicule à leur se- mence, à-peu-près comme l'air sert d’intermédiaire au pollen des plantes dioiques. Les expériences de Spallanzani en sont la preuve. Ce judicieux et illustre physiologiste a été plus loin : il a mis des masses » 158 Liv: II. DE LA REPRODUCTION DES ÈTRES VIVANÉS. d'œufs de grenouilles non fécondés dans une eau qui contenait d'autres œufs fécondés , et tous ont été pro- ductifs , ils ont tous donné le jour à des têtards. I suit de à que l'émission séminale d’une seule gre- nouille suffirait pour féconder tous les œufs de mème espèce contenus dans la même pièce d’eau: Admirable providence ! | Le même expérimentateur a voulu voir si les tes= ticules avaient la même propriété que le sperme dont ils sont la source, et voici ce qu'il est résulté de ses essais 2 lorsque les testicules sont demeurés entiers , jetés dans de l’eau avec des œufs non fécondés, ils né leur font rien produire; mais ils les fécondent toujours quand on a eu soin de les couper par mor- ceaux, à re bn TC | Ces expériences de Spallanzani sur des grenouilles et des salamandres ont été répétées pour les poissons, et elles ont donné les mêmes résultats. On peut re- peuplerdes étangs et les viviers en y jetant les œufs artificiellement fécondés des poissons qu'on détruit. On s'est autorisé de ces faits remarquables pour con- clure que même les mammifères peuvent se féconder : à distance, leur semence ayant un liquide pour véhi- cule et pour intermédiaire : on a été jusqu’à assurer qu'une fille avait conçu (à la manière de quelques poissons et reptiles) pour avoir pris le bain spermatisé de, son amant ! Cependant les faits que l'abbé Spallan- zani raconte sont assez merveilleux sans y joindre des fables aussi ridicules : il est vrai qu'ils ont le tort d’êire d’une extrême exactitude, et que l'auteur en fait l'histoire dans un siyle simple comme la vérité. Spallanzani ne borna pas ses expériences sur les fé- LA GHAP. XIX. FÉCONDATIONS ARTIFICIELLES. 199 tondations artificielles , aux seuls reptiles. Malpighi avait essayé sans succès, de féconder les œufs du pa- pillon du ver-à-soie avec la semence du mâle ; Spal- lanzani .échoua aussi déhs. sé premières tentatives , mais il réussit à une seconde & épreuve. Des insectes el des reptiles, Spallanzani passa aux mamuwifères ; car, pourquoi des êtres si analogues à tant, d'égards vivraient-ils sous.des lois différentes ? Comment n'engendreraient-ils pas de la même ma- nière ?, Il injecta donc dans l'utérus d’une chienne en chaleur environ vingt grains de sperme pur éja- culé spontanément par un chien de sa race ; ce fluide ut maintenu avec soin à la température de 50° K., naturelle à à l'animal : au bout de soixante-deux jours, durant squels onla séquestra absolument de la so- ciélé de ses par eils, la chienne mit bas trois petits, qui ressemblaient au père encore plus qu'à la mère. Cette expérience fit du bruit ; on la répéta, et chaque fois elle eut de semblables résultat$ (1). Il restait à savoir si la semence d’une espèce pour- rait féconder les œufs d’une espèce différente. Linné \ avait fait des expériences à ce sujet pour le pollen des végétaux; Koelreuter et Gærtner en ont depuis tenté de nouvelles : ce fut Spallanzani qui résolut la queslion pour les animaux. Il répandit du sperme de crapaud sur des œufs de grenouilles ; il injecta aussi de lassemence de son même chien barbet dans l'utérus d’une chatte en chaleur , et jamais il n’y eut de fécon- datien par de semblables moyens. (1) Un physiologiste de nos jours a proposé de féconder des femelles en injectant du sperme dans leurs veines. 160 Liv. 11. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVARS. Spallanzani s’assura également que la semence d’une espèce de grenouilles ne saurait servir à fécon- der les œufs d’une autre espèce ; mais que le mélange des deux sortes de sperme "fouit de la prapriété de féconder les deux sortes d'œufs. D’où vient celle inac- lion du aide séminal passant .d'une race à l'autre ? Est-ce l'effet du volume ou de l’arrangement des mo- lécules? Est-ce l'effetdes élémens chimiques ou d’une affinité cachée? Nous ne savons rien sur,ces choses; mais nous en voyons les conséquences, et elles nous semblent dignes d’admiration. “id he Card Dans un univers rempli d'êtres aussi variés ; ayant chacun sa deslination , son but, son lieu, ‘ses besoins : L ses usages, il fallait bien que la confusion ne püût s'introduire parmi tant de créatures diverses gear leur donner les moyens d’assimiler leur nature c’eût été changer leurs rapports, compromettre leur existence et détruire le grand système dont ils font partie: L'’harmonie de l ALES dans un monde comme le nôtre, résulte de la diversité constante des élémens ; l'identité de deux rouages originairement différens eût entravé le sublime jeu de la machine. Je dis donc qu’il était nécessaire que tant d’êtres divers, de toutes parts unis comme individus , demeurassent éternelle- ment séparés comme espèces : il fallait qu'ils pussent vivre ensemble , s’entre-aider , s’entre-détruire , sans pouvoir jamais s'engendrer les uns les autres en con- fondant leurs grandes familles : il fallait assigner pour toujours des limites à chaque espèce, et nous venons ce voir que la nature a posé ces limites à la source mème des généralions. CIAP. XX. REMARQUES D’ARISTOTE. 161 CHAPITRE XX. Remarques d’Aristote sur les Sexes et l'Accouplement des animaux. L'histoire des sexes et de l’accouplement des ani- maux est une des choses que les naturalistes de l’an- tiquité ont le mieux connues : c’est effectivement un sujet plein d'intérêt et d’une observation facile; if ne demande ni recherches pénibles, ni longues expé- riences, ni dissections. Aussi Aristote s'y est-il parti- culièrement complu. Son immortel ouvrage sur les animaux renferme un grand nombre de détails inté- ressans sur cetle matière; et quoiqu'il s’y mêle sou- vent quelques préjugés des vieux âges, nous croyons faire une chose utile en empruntant quelques passages à cet ouvrage, sans modèle à sa naissance , sans pareil encore aujourd'hui; toujours original après lant de copies, toujours jeune après deux mille ans ; simple et fécond comme la nature, sublime et vrai commé le génie. Si nous citons ce grand homme, c’est pour la vérité, non pour sa gloire , car cette gloire est telle, qu’un suffrage de plus ne saurait l’accroître, On a raison d'admirer Aristote sur parole; mais que l’on gagne à le méditer! « .. La plupart des animaux ont des sexes, mais tous n'en ont point; et ce n’est que par métaphore qu'on dit de ces animaux qu'ils portent des petits et qu'ils les mettent bas. Chez ceux qui restent attachés à une place fixe , il n’y a point de mâle et de femelle, Ï. 11 162 Liv. II. DB LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. Mais cette différence de sexe a lieu chez les animaux qui se meuvent avec des pieds, bipèdes comme qua- drupèdes, et généralement chez tous ceux dont l’ac- couplement est suivi de la production d’un animal, d’un œuf ou d’un ver. En général , à l'égard des ani- maux qui ne sont n1 poissons ni insectes, on peut nier ou affirmer d'eux l'existence du sexe d’une manière absolue. Par exemple, dans tous iles quadrupèdes, chaque individu est mâle ou femelle; dans lestestaoés, au contraire , il n’y a ni mâle ni femelle (hermaph"o- dites); ils ressemblent aux plantes, dort les unes sont fécondes et les autres stériles (Aristote ignorait, comme on voit, que les plantes eussent des sexes). On ne saurait avancer rien de général pour les sexes des insectes et des poissons : il y a des espèces où la distinction des sexes n'a aucunement lieu ; par exem- ple, il n’y a ni femelle ni mâle parmi les anguilles : l’'anguille ne produit rien de soi. On prétend, il est vrai, avoir vu des espèces de vers adhérens à l’an- guie ; mais les conséquences qu'on veut tirer de cette observation ne sont pas rigoureuses , faute d’a- voir fait attention au lieu du corps où ces vers se trouvaient. Premièrement, aucun animal du genre de l’anguille ne produit de petits vivans qu'après avoir eu des œufs, et jamais on n’a trouvé d'œufs dans l'an- guille ( cela est encore vrai aujourd'hui) ; d'autre part, les animaux vivipares portent leurs petits dans la matrice où ils sont attachés : és ne les ont pas dans de ventre, car les petits seraient digéres tout comme les alimens. Quant à la différence qu’on dit être entre les anguilles mâles , qui ont, à ce qu'on prétend, la tête plus grosse et plus allongée, et les anguiiles femelles, CIIAP. XX. REMARQUES D'ARISTOTE. 103 qui l'ont plus aplatie, ectte diversité de forme n’est pas relative à la différence de sexes; elle indique seule- ment différentes espèces d’anguiiles. » Îl'y a de certains poissons qu'on nomme bréhuns, qui n’ont ni œufs ni laite. 11 s’en trouve de tels parmi les poissons des fleuves, parmi les cyprins et les £a- pvoc. Quelques poissons ont des individus qui con- çcoivent et produisent, comme les testacés et les plantes, sans avoir de mâles qui les fécondent : tels sont les plies, les rougets, les serrans. On ne trouve que des œufs dans les individus de ces espèces. » Chez les animaux qui se meuvent avec. des pieds et qui ont du sang, le plus ordinaire , quand ils ne sont point ovipares, est que le mâle est plus gros que la femelle , et qu'il vit plus long-temps. Il faut excepter le mulet, par rapport auquel on observe le contraire. A l'égard des animaux qui se reproduisent au moyen d’un œuf ou d’un ver, les poissons, par exemple, ct les insectes , la femelle est plus grande chez eux que le mâle. Voyez les serpens, les stellions , les ba- traciens ( grenouilles } , Îles ;sélaques , les poissons qui vivent par troupes, et tous ceux qu'on nomme saxatiles. La preuve que parimi les poissons la femelle vit plus long-temps que le mâle, c’est qu'on pêche des femelles plus vieilles qu'aucun mâle de même espèce. » Voici une autre différence qui distingue les deux sexes dans quelque genre d'animaux que ce soit : les parties les plus grosses et les plus vigoureuses sont, dans le mâle, les parties antérieures et supérieures ; dans la femelle, ce sont les parties postérieures et inférieures. La même observation est vrate peur * S 11 104 LIV. Il. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. : l'homme aussi bien que pour tous les animaux vivi- pares qui se meuvent avec des pieds. La femelle est moins nerveuse (musculeuse ) ; ses traits sont moins prononcés; son poil, lorsqu'elle en‘a, ou ce qui ré- pond au poil lorsqu'elle n’en a point, est plus fin; sa chair est plus humide, ses genoux sujets à craquer , ses jambes plus grèles, et si la nature de l’animal est d’avoir des pieds, ceux de la femelle sont mieux faits. Parmi les animaux qui ont de la voix, celle de la fe- meile est plus claire et plus aiguë que celle du mâle : il n'y a d'exception que pour l'espèce du bœuf, où la voix de la femelle est plus grave. Dans certaines es- pèces , les armes que la nature a données à l’animal pour se défendre, telles que les dents, les crocs , les cornes, les ergots et autres parties semblables, man- quent absolument à la femelle : le mâle les a seul. Ainsi la biche n’a point de bois, et dans le nombre des oiseaux à ergot, il y a des espèces où les femelles n’en ont point du tout. De même la femelle du san- glier n’a point de crocs saillans. Dans d’autres espèces le mâle et la femelle ont les mêmes armes; seulement celles du mâle sont plus fortes. Les cornes du taureau, par exemple, sont plus fortes que les cornes'de la vache (1). » .... L’accouplement à lieu dans les espèces qui out des individus de l’un et de l’autre sexe , mais il n’est pas partout le même; il ne se fait pas toujours de la même manière. Les mâies de tous les animaux qui sont vivipares et qui se meuvent sur la surface de ja terre avec des pieds, ces animaux ont tous un or- {a) Aristote, Fist. des Animaux, Liv. rv. CHAP. XX. REMARQUES D ARISTOTE. 165 gane destiné à l’œuvre de la génération; mais les ap- proches des sexes ne sont pas pour cela semblables : ceux qui jettent leur urine en arrière, comme les lions, les lynx, les dasypodes, s'approchent à reculons et s’accouplent en arrière (e’est-à-dire que c’est dans cetle position que le coit finit de s’accomplir, comme chez plusieurs autres quadrupèdes dépourvus de vési- cules séminales}. Entre les dasypodes, c'est souvent la femelle qui saute la première sur le mâle: c'est l'inverse chez la plupart des autres animaux , chez les quadru- pèdes , les oiseaux, les batraciens, etc. Quelquefois la femelle fléchit les pattes pour faciliter l’accouple- ment. Malgré l'élévation de ses jambes, la grue reste debout ; le mâle saute sur elle, et l’accouplement est aussi prompt que chez le passereau. » Pour revenir aux quadrupèdes, l’ourse se couche par terre, et elle recoit le mâle tout comme les autres femelles, qui demeurent sur leurs pieds pendant cette action, c’est-à-dire que le dessous du corps du mâle est sur le dos de la femelle, Les hérissons se tiennent droits, le devant du corps de l’un contre le devant du corps de l’autre. Les femelles des animaux vivi- pares ayant une certaine grandeur, la biche, la vache, par exemple, ne souffrent le cerf et le taureau que rarement, à cause de la roideur de la verge. Elles ne reçoivent la liqueur prolifique qu’en cherchant à se soustraire aux eflorts du mâle : on en a fait l’expé- ricnce sur des cerfs privés. Le loup s’accouple comme le chien. Les Chats ne s’accouplent pas à reculons, mais le mâle se dresse et la femelle se place sous lui. La chatte est naturellement ardente ; elle excite: le mâle à la satisfaire ; elle crie pendant l’accouplement 166 Liv. IE DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANXS. (le pénis du mâle disposé en croissant et comme hérissé d’épines la blesse). Dans Paccouplement du Chameau, la femelle fléchitles jambes de derrière, le mâle la cou- vre , et les croupes ne sont pas opposées : la situation du mâle est telle que dans les autres quadrupèdes. Ils demeurent dans cet état des jours entiers, mais ils se retirent alors dans les lieux écartés où ils ne se laissent approcher que du pâtre. La verge du chameau est si nerveuse, quon entire des hélas pour les arcs. Les tons ne s’accouplent non plus que dans les lieux solitaires ? ils choisissent le voisinage des rivières et les lieux où ils ont coutume de se retirer. La femelle s'abaisse et écarte les jambes, tandis que le mâle monte sur elle. L’accouplement des Phoques est le nême ae celui des animaux dont le canal urinaire est en arrière 3; 1ls restent attachés long-temps croupe croupe comme les chiens. » ...... L'union des serpens est si intime durant V Le cipiiient .qu ‘ils semblent ne plus for mér qu'un corps et un seul serpent à deux têtes. Les Lézards aussi s’entrelacent. L'accouplement de tous les Pois- sons, si l’on excepte les Sélaques, dont le corps est large, consiste à se glisser le ventre l’an contre l’autre. Les stlaques larges et qui ont une queue, la raie, par exemple, et autres de ce genre, ne se glissent pas seulement ainsi l’un contre l’autre : le mâle ap- plique son ventre sur le dos de la femelle, à moins que l'épaisseur de la queue n’y mette obstacle. Ceux qui ont la queue fort grosse, tels que la lime, ne font que se frotter le ventre l’un contre l’autre. On prétend avoir vu des séliques liés l’un à l’autre comme des chiens. Dans toute la classe des sélaques, la femelle CHAP, XX. REMARQUES D’ARISTOTE. 165 est plus grosse que le mâle : il en est assez générale- ment de mème de tous les poissons. La dénomination de Sélaques comprend les chiens marins , là torpille , la raie , ete. Leur accouplement a été plus facile à ob- server : on a pu voir qu'il se faisait de la manière que je viens de décrire , par£e qu'en général les animaux vivipares demeurent plus long-temps accouplés que les animaux ovipares. Le dauphin ét tous les Cétacés s’accouplent de même ; le mâle se frotte contre la femelle. La durée de cet accouplement n'est ni fort: longue ni fortæourte. Il y a des sélaques chez lesquels on reconnaît le mâle à deux appendices qui lui pen- dent auprès de Forilice par lequel sortent les excré- mens , appendices que les femelles n’ont point. Il est aisé d'étudier ces appendices dans les chiens de mer, car tous les ont. » .... [l est difficile de bien voir la manière dont s'accouplent les Poissons ovipares, et c’est ce qui a fait. croire à plusieurs personnes que les femelles des pois-. sons se fécondaient en avalant la liqueur que jette le mâle. I] faut convenir d’un fait dont on est assez sou- vent témoin : lorsque le temps de l’accouplement est: venu, la femelle suit le mâle, elle avale la liqueur qu'il jette , et en lui frappant sous le ventre avec la bouche elle. rend la sortie de cette liqueur plus prompte et plus abon- dante ; mais après le fraë, les mâles suivent les femelles à leur tour et avalent leurs œufs : les poissons ne naissent que de ce qui échappe à cette voracité. De ]à est venu, surles côtes de Phénicie, l’idée de se servir réciproque- ment des mâles et des femelles de quelques poissons pour les prendre les uns et les autres. On présente aux- muges femelles des muges mâles; elles se rassemblent: 163 LIV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. autour d'eux et les pêcheurs les enferment. On fait de même pour les muges mâles à l'égard des muges femelles. Ces observations souvent répétées ont fait naître sur la fécondation des poissons le système que J'ai exposé ; mais on aurait dû remarquer qu'il n’y a rien là de particulier aux poissons. Les quadrupèdes mâles et femelles distillent dans la saison de leurs amours quelque chose de liquide; ils se flairent l’un l’autre les parties génitales ; il y a plus, c’est assez pour rendre une perdrix féconde qu’elle se trouve sous le vent, plus bus que le mâle (comme les palmiers !); souvent même il a suffi qu’elle eût entendu le chant du mâle dans un temps où elle était disposée à concevoir , ou que le mie eût passé en volant au-dessus d’elle, et qu’elle eût respiré l’odeur qu'il exhalait (vieille erreur). Ces oiseaux, mâles comme femelles, tiennent le bec ouvert et la langue hors du bec pendant l’accou- plement. Dans l'exacte vérité, les poissons se séparent presque aussilôt qu'ils se sont approchés , et on les voit rarement réunis; mais j'ai rendu compte à cet égard des faits que l’on a vus. » :,.... Les sèches et les calmars nagent unis en- semble pendant l’accouplement, bouche contre bou- che , bras contre bras. Le mouvement commun se fait par rapport à chacun d’eux dans des sens opposés : la trompe de l’un est ajustée à celle de l’autre, et nageant ainsi accouplés, si l’un va en avant, l’autre va en arrière. » Les Crustacés, tels que les langoustes, les écre- visses, les squilles et autres semblables, s’accouplent comme ceux des quadrupèdes qui jettent leur urine en arrière : l’un des deux relève sa queue et en pré- CilAP, XX. REMARQUES D ARISIOTE. 109 sente le dessous ; l’autre y applique la sienne. La sai- son de cet accouplement est quand le printemps commence à paraître. On voit dès-lors ces difflérens animaux s’accoupler ? quelques-uns s’accouplent en- core lorsque les figues commencent à mürir. L’ac- couplement des écrevisses et des squilles n’a rien de différent ; mais les cancres s'unissent par leurs parties antéricures, en ajustant les unes sur les autres les tablettes écailleuses qui les enveloppent. Le plus petit des deux (le mâle ) monte le premier sur l’autre par derrière , et alors le plus grand se retourne sur le côté. On n’aperçoit ici d'autre différence entre les deux sexes , si ce n’est que la femelle a l'écaille plus grande , plus détachée du corps et plus velue à la partie où elle dépose ses œufs et par laquelle elle se décharge de ses excrémens. Leur accouplement n’est accompagné de l’intromission d'aucun membre. » On vient de voir, poursuit Aristoté, comment les animaux s’accouplent : il faut ajouter que leur ac- couplement a dans chaque espèce un âge et des sai- sons marquées. Le temps que la nature a indiqué à la plupart pour se reproduire est celui où l'hiver fait place à l'été , je veux dire le printemps. Dans cette saison , la plupart des animaux qui habitent l'air, la terre et les eaux, sont pressés du besoin de s'unir ; cependant quelques espèces d'animaux aîlés et d’ani- maux aquatiques s’accouplent et mettent bas en au- tomne et en hiver. L'homme à cet égard est plus in- dépendant des saisons qu'aucun autre animal. Plu- sieurs des animaux qui, vivant avec lui, jouissent d'une température d'air plus chaude et d’une nour- riture plus abondante, en sont moins dépendans aussi, 170 LIY. If. DR LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. pourvu que d’ailleurs lé temps de leur gestation ne soit pas trop long. Le porc, le chien, et les oiseaux dont la ponte se répète souvent en sont la preuve: Beaucoup d'animaux semblent” songer d'avance aux besoins de leurs petits , car ils s’accouplent précisé- ment dans le temps le plus favorable pour qu’en naissant leurs petits trouvent leur nourriture. Dans l'espèce humaine , on remarque que l’homme a plus d’ardeur en hiver, la femme en été (1). » Voilà ce que dit Aristote, et il faut convenir qu'it resie peu de choses à y ajouter. Nous avons eu soin de souligner quelques détails dont l'inexactitude est connue de nos jours. Chaque siècle a ses préjugés , ses crreurs, et il ne suflit pas toujours d’avoir du génie pour savoir les apprécier et les combattre. Par exemple, cette idée émise par Aristote, que les lions saccouplent à rebours, est un vieux préjugé qui s'est étendu à plusieurs animaux sauvages. Si l’espèce du chien ne nous était pas aussi familière, nous dirions même chose à son égard ; mais cette erreur était im- possible au sujet d’un animal qui accompagne l’homme entouslicux. Il faut remarquer que l’accouplement des animaux est presque toujours plus long dans ceux qui manquent de vésicules séminales : le sperme n'ayant chez eux aucun réservoir, son émission est plus lente, et Ja nature a conformé la verge de manière à en rendre le retour difficile avant son entier relàäche- ment. Voilà ce qui a lieu pour le chien, qui a le pénis lerminé par un gros gland en bourreiet. En général les deux sexes sont proportionnés et à- (1) Aristote, liv. v. GAP. XX. REMARQUES D ARISTOTE. 151 peu-près en même nombre chez lous les animaux. Si l’on a cru né trouver que des femelles dans cer- taines espèces, cela vient de ce qu'il s'agissait d’her- maphrodites, dans lesquels effectivement les organes mâles sont d'ordinaire les moins apparens. Il faut toutefois excepter les abeïlles , parmi lesquelles il n’y a que quelques femelles pour plusieurs cen- taincs de mâles et des milliers de neutres. Les sexes sont de même en proportion égale dans les plañtes : à la vérité les plantes hermaphrodites ont plus d'étamines que de pistils; mais dans les végétaux monoïques ct dioiques on ne remarque pas qu'il y ait de dispro- portion manifeste entre les fleurs mâles et les fleurs fe- melles. Il faut convenir qu’on observe quelquefois cette inégalité pour plusieurs animaux, soit seulément pou certains individus isolés, soit même pour certaines familles cantonnées dans quelques pays. 1l y a des individus qui ne produisent que des mâles, d'autres qui engendrent presque uniquement des femelles : cela est vrai en particulier pour l'espèce humaine. En gé- néral, le nombre des mâles prédomine chez tous les peuples, de sorte que les millions d'hommes massa- crés par les armes ont peu d'effet sur les populations futures. On a cru qu'il y avait des pays où l’autre sexe était en majorité, et c'est la plus forte raison que Montesquieu ait alléguée pour expliquer la polygamie de beaucoup de peuples d'Orient ; mais la chose est Join d’être certaine : si vraiment le nombre des femmes prédominait dans un pays où l’homme les asservit par volnpté , je regarderais cet excédent d'un sexe sur Pautre non comme Ja cause naturelle de Fa pely- gainie ,; mais comme l'effet de l’excès des jouissances 172 LiIV. Ii. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS, énervant les hommes. On pense également que dans les capitales il y a plus d’enfans femelles que d’enfans mâles, et que toutes les circonstances favorables à la: production des enfans naturels font prédominer le nombre des femmes. Îl paraît du moins prouvé que les peuples actuels de l'Irlande comptent beaucoup plus de femmes que d'hommes, et cela même accroît la population de ce malheureux pays. Est-ce l'effet de l'oppression et de la misère? et sérait-ce un signe de décadence ? Nous dirons dans l’un des chapitres suivans à quels signes On a prétendu connaître le sexe des fœtus pen- dant la gestation même. On a fait plus, on a dit qu’on pouvait à volonté procréer un sexe plutôt que l’autre. Voici de quelle manière. On a supposé que les fœ- tus mâles avaient leur source dans les ovaires droits des femelles, ou, selon d’autres systèmes, dans le tes- ticule droit des mâles, ou à-la-fois dans les deux or- ganes; les organes gauches ont été assignés à l’autre sexe. Or, il suffirait, dans une pareille hypothèse, que les organes d’un côté fussent extirpés, comprimés ou sensiblement altérés, pour que la progéniture füt d'un même sexe ; et l’on pourrait ainsi prévoir lequel. Otez, a-t-on dit, le testicule droit, ou comprimez- en le cordon ; ôtez pareillement l'ovaire droit de la femelle , ou comprimez, oblitérez la trompe droite, ou au moins que la femelle soit inclinée à gauche durant le coït et la conception, et toujours l'animal ainsi procréé sera du sexe femelle; du sexe mâle, au contraire , dans les circonstances opposées. Je répète, je répète avec insistance, que cela n’est qu'un systèmes, mais ce système, tout bizarre qu'il est, Lout inexact CHAP. XXI. LIMITES DES ESPÈCES. 155 que le montre l'observation désintéressée des faits, on lui connaît encore des partisans, sinon des défen- seurs. L'auteur de cette hypothèse aurait dû dire de quel sexe devrait être l'animal dont le père n'aurait que le testicule d'un côté, et la mère, le seul ovaire du côté opposé. D'ailleurs les oiseaux n’ont point d'ovaire droit. On a cru aussi pouvoir pressenlir le sexe des oiseaux à la forme des œufs qui en renferment le premier germe : mais on s'est assuré que les mâles naissent, non pas des œufs les plus arrondis, comme on l'avait prétendu, mais des plus volumineux; ou plutôt voici quel résultat on a obtenu. On a pesé comparativement des œufs de différentes formes en nombre égal , mais d'une forme semblable, pour chaque lot, pour chaque couvée;et l’on a vu qu'il naissait plus de mâles de ceux qui avaient été trouvés les plus gros et les plus pesans. CHAPITRE XXI. Limites des Espèces. Adultérisme. Bâtards. Métis. Mulets. On reconnait que deux êtres sont d'espèce Giffé- rente en ce qu'ils ne peuvent engendrer ensemble, encore qu'ils soient de sexes différens et féconds l’un et l’autre. Nous avons déjà dit la raison finale de cet isolement des espèces; nous allons maintenant en chercher les causes physiques. D'abord le pollen et le sperme d'une espèce ne jouit de la propriété fe- condante que dans les limites de cette espèce-: nous ignorons la cause de cette particularilé , mais nous avons cité les faits qui la constatent. Ensuite chaque 174 LiV. II. DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. plante a son temps de floraisou et de maturité, chaque animal son époque de rut et d’accouplement, sa durée d'incubation ou de gestation; et l’on concoit que deux êtres d'espèce différente ne pourraient engendrer en- semble qu'autant que toutes ces choses seraient dans une parfaite concordance dans les deux espèces. Ajou- tons à cela que les animaux n'ont de propension à s'accoupler qu'avec des êtres de leur sorte : jamais, dans l’état de nature, on ne voit les animaux d'espèces différentes s’entrechercher ni s'unir ; d’ailleurs les or- ganes génitaux sont quelquefois trop discordans pour permellre ces conjonctions adultérines. S'il arrivait qu'on ne pût distinguer entr'elles deux espèces d'une apparence semblable en toutes choses, on n'aurait qu’à allendre l’époque de la reproduction, etlon verrait l'amour ctablir ces démarcations douteuses. C'est qu'en effet le mème instinct qui rassemble en famille les animaux analogues, sépare par la même raison les animaux différens. Cependant on est parvenu à apparier des êtres qui naturellement ne produisent jamais ensemble. On a fécondé les pistils d’une plante avec le pollen pro- venant d'une plante d’une autre espèce, dans le cas toutefois où ces espèces n'étaient pas trop diflérentes : on est parvenu à faire accoupler ensemble la louve et le. chien, le lapin et le lièvre, l'ânesse étle cheval, le bouc et la brebis, le faisan et la poule, le serin et le chardonneret, le moineau et le bouvreuil,vetc. Les animaux nés de ces unions adultérines réssem- blaient aux deux parens également, ou quelquefois davantage à l’un des deux, mais ils étaient inféconds , eux ou leur progéniture. Si ces animaux mélis ou mulets s’accouplent , c’est d'ordinaire sans résultat : CIHAD. XXI. LIMITES DES ESPÈCES. 179 ils ne peuvent concevoir , ou, s'ils concoivent , ils avortent. Quelquefois , cependant , des animaux mi- partis ont produit de nouveaux êtres, mais ceux-ci étaient stériles. 11 en est de même des plantes : les graines provenant du croisement de deux espèces ou ne mürissent point, ou sont improductives. [l n’y à d'exception à celte loi que pour les métis de quelques oiseaux, lesquels paraissent conserver la faculté de se reproduire et de transmettre ainsi la bâtardise à plusieurs générations ; mais, même pour les oiseaux, jes métis n’ont pas une longue postérité : les descen- dans finissent bientôt par être stériles. | Ces unions hétéroclites ne sont point naturelles : on ne les obtient ordinairement que par la captivité d'animaux Jeunes , forts et abondamment nourris ; encore de pareilles tentatives échouent-elles souvent. Assu:ément du moins on ne voit jamais s’accoupler des animaux d'espèces très-différentes : ce qu’on a dit du commerce adultérin du taureau et de la jument, du lapin femelle et du chat, du canard et de la poule, d’un ciseau avec un quadrnpède , etc. , toutes ces choses me paraissent fabuleuses. Ce n’est pourtant pas l’accouplement entre des êtres aussi dissemblabies dont je mie la possibilité ; je dis seulement que de pareilles conjonctions ne peuvent rien produire. À la vérité, plusieurs auteurs estimés paraissent croire à l’existence des jJumars et d’autres productions aussi monstrueuses ; mais nous ne voyons pas que de pa- reils phénomènes se soient elferts aux observateurs modernes. Les progrès des sciences diminuent le nombre des prodiges. Il paraît prouvé que les ani- maux analogues pour la structure et pour les mœurs , 150 Liv. IL DE LA REPRODUCTION DES ÊTRES VIVANS. pour l'époque de leurs amours et pour la durée de la gestation ou de l'incubation, peuvent bien engen- drer ensemble dans quelques cas assez rares, et alors c'est l'espèce du mâle qui régit la durée de l’incubation ou de la gestation; mais toutes les fois que les deux êtres unisappartiennent à desespèces pourlesquellesla durée de la gestation diffère beaucoup, comme le taureau et la jument , la chatte et le lapin, alors toute con- ceplion adultérine est impossible. Il y a plus, le croi- sement entre des espèces voisines produit de grands changemens dans les organes génitaux femelles : par exemple, l’âne et le cheval sont analogues pour la structure ; ils entrent en chaleur à la même époque ; la gestation a chez les deux la même durée ;-eh bien! cp la matrice de la jument qui a d’abord pro- duit un mulet, a éprouvé par-là de si grands change- mens, que les poulains qu’elle produit ensuite con- serve ReAque chose du mulet. La bâtardise semble ‘étendre jusqu'aux productions légitimes. Les animaux métis Liennent or n ei de Dés deux parens, comme on le voit pour les mulâtres et les différens mélanges de l'espèce humaine. Nous en- trerons plus tard dans quelques détails sur le mélange des sangs, sur le croisement des races et les ressem- blances héréditaires: Nous devons dire dès à présent qu'il y a de certains caractères qui viennent du mâle et d’autres caractères qui viennent de la femelle. C’est même sur la constance .de pareilles transmissions qu'on a fondé des règles pour le perfectionnement de certaines races d'animaux, ou plutôt pour quel- ques-uns de leurs organes où de leurs produits. CHAP. XXII. GÉNÉRATION DE L'HOMME. 157 CHAPITRE XXII. Esquisse d'une Histoire critique et comparée de la Génération de l'Homme. Nous n'avons encore parlé de la Reproduction de l'Homme qu'à l’occasion des mammifères; ce n'est pas assez. Outre sa prééminence morale sur les autres animaux , l’homme se distingue du plus grand nom- bre par plusieurs endroits de sa structure, mais en particulier par quelques détails de la fonction servant à le procréer. D'ailleurs il n’est pas d'animal dont l’histoire ait été aussi bien, autant de fois étudiée-que la sienne : il y a dans le monde une classe entière d’observateurs qui consacrent à cette étude tous les instans d’une vie réfléchie. L'homme est donc le mieux connu de tous les êtres , et c'est pourquoi nous le choisirons toujours de préférence comme sujet de comparaison : non pour assimiler tout à sa nature, mais pour rendre plus sensibles les caractères distinctifs des autres espèces. Nous ne reviendrons pas sur les organes et les phénomènes que nous avons indiqués comme appartenant en commun à l'homme et à d’au- tres animaux : les ven + e \ 4 4 n'en ont d'oiseau. Cette règle est générale et cons- tante. CHAPITRE X. Le l'Hermaphrodisme accidentel des Animaux. — Rewarques sur les Organes sexuels et leurs Anomalies. . On pourrait regarder le sexe mâle comme un degré d'organisation plus avancé que le sexe femelle : quel- ques personnes ont même été jusqu’à affirmer que les organes génitaux mâles résultaient du développement ultérieur d'organes originairement femelles. Toujours est-il qu’il est une époque où tout embryon des classes supérieures, quel que soit son sexe, paraît formé sur un patron femelle : bien plus, alors que les différences sexuelles se sont nettement pronon- cées, les fœtus mâles offrent encore.de notables ana- logies avec les fœtus de l’autre sexe : les testicules sont encore contenus dans l’abdomen , et la verge à l’urèthre encore perforé en dessous, etc. Et dans l’en- fance même, ce n’est qu'avec une grande lenteur que les mâles prennent les caractères décidés de leur sexe; ils sont mâles depuis long-temps par les parties géni- tales, qu'ils restent encore femelles par le reste de la structure. Les jeunes garcons conservent de longues 358 LV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS YIFANS. années le menton lisse, le larynx étroit, la voix ar- gentine et les formes arrondies des jeunes filles ; les petits oiseaux de tout sexe ont d'abord le plumage de leurs mères, et muent en même temps qu’elles. Ilen est ainsi de tous les caractères extérieurs et distinctifs du sexe mâle : la crinière du Lion, les crêtes, les ergots ou les divers ornemens des oiseaux mâles, les ramures des Cerfs, les cornes des ruminans, les vives couleurs où la puissante énergie qui sont l'apanage des mâles de quelques espèces, tous ces caractères sont lents à se prononcer. Les diverses anomalies des organes sexuels peuvent être rattachées sans trop d'efforts au type normal, aux dispositions régulières : on peut leur trouver à toutes, de quelque sorte qu'elles soient, ües analo- gies évidentes, soit dans les accroissemens progressifs de l'embryon, soit dans les animaux achevés des classes inférieures , à l'être qui offre la difformité ou Vanomalie. Admettons d’abord que les organes géni- taux des deux sexes, formés sur le même patron, n’offrent originairement aucune. différence notable: il est clair que des organes toujours pareillement perforés et bifurqués, auront chez les deux sexes le caractère des organes femelles. Ensuite les organes mâles devenant plus saillans à une époque où la divi- sion médiane n’a pas cessé, les embryons des deux sexes auront tous à cet âge l’apparence d’hermaphro- dites : enfin, un plus grand développement donnera anx organes mâles leurs caractères distinctifs , et alors toute confusion deviendra impossible entre les indi- vidus des deux sexes. Mais supposons que les organes mâles cessent de croître avant leur entier dévelop- CHAP. X. HERMAPHRODISME ACCIDENTEL. 509 pement; il est manifeste que selon le degré où ils se seront arrêtés, les animaux conserveront le carac- tère ou d’hermaphrodites ou de femelles, encore qu’ils aient des testicules dans l’intérieur de l'abdomen. Supposons maintenant que ce soient les organes fe- melles qui restent inachevés ou qui avortent, alors les animaux seront neutres, ilsne paraîtront d'aucun sexe ; et cependant ils conserveront la plupart des caractères des femelles, quoiqu'avec de moindres développemens. Ainsi , les mâles seront des femelles en plus , comme les neutres des femelles en moins. Or, la partie de cette proposition qui concerne les. neutres, paraît démontrée par ce qu'on observe dans. les insectes hyménoptères, particulièrement dans le: genre Abeille. Cette famille d'insectes a des mâles assez: nombreux, peu de femelles, et le reste des laborieuses républiques qu’elles composent est formé d’abeilles neutres , n'ayant d'organes appréciables d'aucun sexe. Rien ne prouverait donc encore que ces êtres informes appartiennent plutôt à un sexe qu’à l’autre ; mais voici les expériences qui lontappris. On'a essayé de donner à ces animaux incomplets le développement qu'ont les autres insectes nés des mèmes larves et des mêmes parens qu'eux; on les a tenus renfermés comme se renferment d’elles-mêmes les abeïilles-mères; une ample et convenable nourriture leur a été abandon- née ; et l’on s’est aperçu que dans des condilions aussi favorables, elles acquéraient des organes sexuels. On pense bien, d’après la ressemblance qu'ont ces mouches neutres avec les vraies femelles, qu’elles deviennent des femelles lorsque leur crue est accom- . ’ , r . . plie ; c'est, en effet, ce dont on s'est assuré : jamais - 360 LIv. il. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. on n’a vu provenir de mâles, des larves d’où l’on savait que naïîtraient nalurellement des abeilles neutres; jamais on n’a vu de jeunes abeilles neutres se trans- former en abeilles mâles, Ces remarques sont égale- ment vraies des neutres d’autres espèces, parmi les Fourmis et parmi les Termites, etc. Cet accroissement artificiel flo organes sexuels des insectes neutres prouve, il est vrai, que leur stérilité et leur imperfection génitale dépendraient de l’avorte- ment des organes , il prouve que ces organes étaient femelles ; mais il faut aussi convenir, et avec impar- tialité , que le même fait est la preuve irrécusable que, tout ressemblans qu'ils soient , les organes pro- Pr à chaque sexe ont aussi leurs ses spé é qui ne se transforment jamais. | On a donc eu tort de croire que tous les herma- phrodites par anomalie n'étaient que des individus monstrueux du sexe femelle : c’est à tort , ai-je dit, qu’on l'a cru; car il est prouvé que beaucoup d’ani- maux mâles paraissent hermaphrodites par la seule raison que les organes sexuels se sont arrêtés dans leur développement.+Ces organes, dans les cas dont nous parlons, présentent de si grandes analogies avec les organes femelles, qu’il est souvent impossible de décider, à la première vue, quel est réellement le sexe de l'être ainsi conformé : en même témps aussi les autres organes du corps présentent quelque- fois des caractères trop ambigus pour ne pas accroître l'indécision. Il y a donc dans ce cas ressemblance et confusion des caractères distincts des sexes. Mais d’autres fois l’hermaphrodisme consiste dans l'absence d'un caractère sexuel. Enfin, il est une autre sorte CHAP. X. HERMAPHRODISME ACCIDENTEL. 3061 d'hermaphrodisme : celui-là consiste dans la présence d'organes sexuels superflus, sur-ajoutés à un corps bien conformé en toutes ses parties, et formant con- traste avec elles. Il y a donc trois variétés principales d'hermaphrodisme anomal ou irrégulier : l’herma- phrodisme par arrèt du développement, donnant lieu à la confusion de caractères encore mal dessinés ; l’hermaphrodisme par absence de quelque caractère ( par absence des testicules, du vagin, de la matrice, par exemple ); enfin, l’hermaphrodisme avec addi- tion et superfiuité d'organes ambigus et contrastans. Nous allons entrer dans quelques détails touchant ces difformités sexuelles , presque toujours congéniales ; et nous parlerons principalementde l'influence qu'elles ont sur toute la structure des corps où elles se ren- contrent. «À Nous venons de dire que les difformités des organes génitaux ont la plus grande influence sur les autres organes du corps; qu’ils en modifient l'aspect et souvent la structure , souvent aussi l’accroissement, et jus- qu'aux fonctions. Il est rare que toute la structure du corps soit dans un contraste parfait avec les organes sexuels ; je veux dire qu'il est peu ordinaire que des organes de femelles, par exemple , se trouvent asso- ciés à un corps paraissant mâle par toute son éco- nomie. Cela pourtant n'est pas sans exemple : les tribunaux français ont eu à prononcer tout récemment sur un cas de cette espèce; et il faut convenir que cette association d'organes sexuels contrastant avec l'aspect du corps, forme le genre d’hermaphrodisme le plus insidieux. Mais presque toujours le corps d’un vrai hermaphrodite porte universellement l'empreinte 362 LIv. III. DE L'ACCROISSEMENT DÉS CORPS VIVANS. ou de la réunion superilue d'organes génitaux des deux sexes , ou de l’imperfection , de Pavortement ou de l’absence des organes d’un sexe : il y a, par exem- ple, du mâle et de la femelle, dans toute la structure d’un animal dont le sexe est double ou ambigu. Et même, tant est puissante l'influence des parties gé- nitales sur le reste des organes, tant est grand le pou- voir qu'on a raison de leur accorder, qu’ordinaire- ment on conjecture qu'ils sont imparfaits, déformés, où débiles, dans un animal n’offrant que les traits incertains de son sexe. On augure peu favorablement des facultés viriles d’un homme dont les hanches sont larges, dont la barbe est étiolée et la poitrine étroite, dont les formes sont gracieusement arrondies , et dont la voix est douce et faible. Également, on conserve des incertitudes sur la bonne conformation de toute femme dont la voix a le timbre viril, qui a les hanches étroites, les extrémités volumineuses , et le menton velu. Le mutisme et le défaut de crête chez les coqs, l'inaptitude à couver chez les poules , sont presque toujours de sûrs indices d’impuissance chez l’un, de stérilité chez l’autre. L'espèce d’hermaphrodisme qui consiste dans le mélange ambigu d'organes génitaux des deux sexes, a fréquemment son siége d’un seul côté du corps, rarement des deux côtés. Notons bien qu’on observe tout le contraire pour l’hermaphrodisme résultant d’un arrêt dans le développement, et comme d’une sorte d’avortement des organes ; celui-là est tou- jours égal des deux côtés, toujours symétrique. On conçoit qu'il ne peut pas être autrement disposé , puisqu'il est la conséquence de la division primitive CHAP. X. HERMAPHARODISME ACCIDENTEL. 363 et accidentellement persévérante d'organes qui au- raient dû se réunir sur la ligne médiane du corps. Or, le premier genre, l'hermaphrodisme complexe, celui qui est unilatéral ou croisé , enfin l’hermaphro- disme véritable (avec organes associés des deux sexes) est plus rare que l’hermaphrodisme simple et symé- trique , résultant d’un défaut d’accroissement des or- ganes. Toutefois on en cite de nombreux exemples, surtout pour les poissons, pour des insectes et des crustacés, très-peu pour les mammifères, encore moins pour les oiseaux, et nul pour les reptiles. On trouve souvent dans quelques poissons, particulière- ment dans la Carpe, dans le Brochet et le Merlan, un testicule d’un côté du corps, et de l’autre côté un ovaire. On a de même trouvé, dans une poule, un testicule à droite et un ovaire du côté opposé. Morand a décrit un cas très-remarquable d’herma- phrodisme chez l’homme : d'un côté du corps on rencontra un testicule avec son conduit déférent ; de l’autre côté il y avait un ovaire et une trompe; et entre ces organes contrastans on trouva une matrice fort bien caractérisée et répondant à l’axe du corps. Mais presque toujours l’hermaphrodisme de l’homme est apparent plutôt que réel: ainsi voit-on des enfans qui n'ont qu'un testicule dans les bourses, et dont le pénis, arrêté dans son développement et percé en dessous, offre l'apparence trompeuse d’un clitoris. C’est là l'espèce d'hermaphrodisme que nousnommons simple , par arrêt dans l'accroissement, sans mélange, sans confusion des organes des deux sexes. Quant au véritable hermaphrodisme , celui qui est unilatéral ou croisé, on a observé que les organes femelles se ma- 504 LIV. III DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. nifestent plutôt à gauche, les organes mâles occupant le coté droit. Cela paraît d’accord avec ce qu’on sait des sexes et des deux moitiés latérales du corps: il est naturel que le côté droit, comme le plus fort et le mieux organisé , soit dévolu de préférence au sexe le plus énergique. Toutefois , cette disposition est loin d’être constante. Pii fl Les organes constituant l’hermaphrodisme par leur diformité ou par leur association vicieuse varient selon l'espèce d’hermaphrodisme. Ainsi, dans l’her- maphrodisme simple , onu par arrêt dans l’accroisse- ment, presque toujours la cause d'indécision vient, tantôt du pénis, qui est imperforé , tantôt de la matrice, qui est divisée ; d’autres fois, ce sont les bourses , qui sont fendues de manière à ressembler aux lèvres d'une vulve ; d’autres fois, le clitoris , à qui une saillie excessive donne l'apparence d’un pénis imparfait. L’hermaphrodisme par absence résulte or- dinairement ou de ce que les testicules sont arrêtés dans leur descente, ou de ce que le pénis est d’une petitesse excessive, ou de ce que la matrice ou le vagin sont absens ou imperforés, etc. Enfin, l’her- maphrodisme complexe, le véritable hermaphrodisme, a rarement son siége dans les parties extérieures de la génération : il consiste plutôt dans l’association d'un testicule et d’un ovaire, d’une trompe et d’un conduit déférent , d’une matrice jointe à quelque organe du sexe mâle. À raison de l’inaccés des organes mons- trueusement associés qui le constituent, ce dernier genre d'hermaphrodisme serait donc de tous le moins apparent , le plus incertain , de même qu'il est dé tous le plus rare, s’il ne déterminait pas dans le reste de “ CHAP. X. HERMAPHRODISME ACCIDENTEL. 363 l'économie quelques changemens propres à le mani- fester. Mais comme les organes génitaux ont une puissante action sur la structure entière du corps, il est sûr que l’espèce d'hermaphrodisme dont nous par- lons a des effets d'autant plus marqués sur toutes les parties, qu'il dépend lui-même de la difformité des organes les plus influens, des organes intérieurs, ceux par qui sont imprimés les traits visibles et caractéris- tiques des sexes. Aussi est-ce presque toujours par l'aspect général des animaux, par leurs caractères extérieurs et leurs instincts, qu’on juge d’un herma- phrodisme qu’on n'aurait pu reconnaître pendant la vie, à cause de la situation profonde des organes où il a sa source. Autre remarque importante. L’hermaphrodisme par absence d'organes et l’'hermaphrodisme par arrêt dans leur accroissement, exercent aussi des influences notables sur toute la structure d’un animal; mais comme ces hermaphrodismes affectent des organes uniques et placés selon l’axe du corps, comme ils affectent également les deux moitiés latérales de ce corps , l'influence à cause de cela en est universelle pour tous les organes, et semblable pour chaque organe habile à l'éprouver, à la ressentir. Il n’en est pas de même de l’hermaphrodisme véritable, né de la réunion anomale d'organes sexuels non similaires : cette dernière espèce rendant le même animal mâle d’un côté, et femelle de l’autre côté, on conçoit qu’un pareil. croisement dans les organes génilaux doit exercer une influence croisée ou plutôt alterne sur la structure de l’animal. Il en est effectivement de ces phénomènes à-peu-près comme des effets de la 5GG LIv. lil. DE L'ACCROTSSEMENT DES CORPS VIVANS. compression et des altérations du cerveau, C'est même uniquement par ces altérations locales , alter- nalives ou diversement variées, qu'on a coutume de juger , à l'extérieur des animaux, de leur hermaphro- disme vrai; et voici quelques-unes des remarques pleines d'intérêt qu'on a faites à ce sujet. On voit souvent des poissons offrir le plus parfait contraste dans la coloration de leurs deux moitiés latérales : la même disposition est extrêmement rare dans les oiseaux, mais très-fréquente dans quelques genres d'insectes, principalement parmi certains Pa- pillons. Dans les cas dont nous parlons, l’animal est tout femelle d’un côté, par la couleur, par la forme, par différens traits de la structure ; et de l’autre côté, il est tout mâle. Mais ce croisement de caractères sexuels et de couleurs contrastantes ne se fait pas toujours d’un côté à l’autre ;quelquefois il a lieu d’a- vant en arrière, de haut en bas, ou bien il alterne deux fois de droite à gauche. Aïnsi, dans les pa- pillons, entr'autres dans le Leparis dispar , tantôt les antennes, la poitrine et les ailes antérieures ont les caractères d'un sexe , et les ailes postérieures aussi bien que l’abdomen, les caractères de l’autre sexe. Tantôt l’antenne et les deux ailes d’un côté sont mâles, et les mêmes parties du côté opposé sont fe- melles. Choses semblables ou analogues se rencon- trent chez d’autres animaux plus élevés dans l'échelle des êtres : un Daim, plus femelle que mâle, n'avait, de bois qu’au côté gauche du front ;une Femme, ré- putée hermaphrodite , n’avait de barbe qu'au côté droit dela figure. On cite des hermaphrodites d'espèce humaine. qui, présentant: tous les traits: du sexe CAP. X. HERMAPHRODISME ACCIDENTEL. 367 par le haut du corps et par la face, étaient du reste mâles à partir du bassin, lequel était fort rétréci, les cuisses étant velues et carrées; mais l'observateur qui rapporte ce fait ne dit pas en quoi les parties géni- tales différaient des formes normales. Cela même, il faut le remarquer, esl une cause d'erreur, et une cause puissante; car de ce que l’hermaphrodisme véritable et à source cachée se décèle par des chan- gemens évidens qui rejaillissent sur la structure de tout le corps, et quise manifestent surtout à sa surface, de là résultent de grands changemens : dès que ces associations de caractères ambigus et contrasians ap- paraissent, on se hâte d'en conciure que l'être ainsi fait est probablement un véritable hermaphrodite ; et cependant on devrait convenir qu'on s’en est rare- ment assuré, et que la constante précision de ces ca- ractères extérieurs est loin d’être indubitable. Par exemple , il est certain qu'on a trouvé une des ma- melles très - développée dans un homme qui était entièrement mâle par le reste de la structure, sans en excepter les parties sexuelles. Mais c'est en particulier pour ceux des insectes dont l'extérieur semble déceler l’hermaphrodisme , qu’on s’est rarement assuré si la disposition des parties génitales concordait par son ambiguité avec l'apparence ambiguë des surfaces. Tou- tefois, un naturaliste italien, Scopoli, dont l'autorité, il est vrai, est d’une importance assez mince (1), ce (1) Scopoli prit un jour une trachée-artère d'oiseau pour une espèce d'animal inconnue, et il l'envoya, comme nouveauté , à la Société royale de Londres, où l’on découvrit aussitôt l'erreur. Cela valut à Sco- poli les raïlleries des savans d'Italie et des sarcasmes imprimés de Spal- lanzani ; mais terrible fut sa vengeance. 568 LIV. IIL. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. naturaliste a rapporté l’observation suivante comme lui étant personnelle. Un Papillon du genre phalène (ph. pini), mâle d'un côté et femelle de l’autre côté (quant à la coloration et aux formes extérieures), réu- nissait des organes génitaux des deux sexes. Cet ani- mal s'étant accouplé avec lui-même par la projection du pénis en avant, vers une sorte de vulve, on re- marqua que les œufs provenus de cet accouplement extraordinaire donnèrent naissance à des phalènes femelles qui furent fécondes à leur tour. On voit bien que cette observation prouverait que l’herma- phrodisme génital concorde avec l’hermaphrodisme signalé par les surfaces ; il prouverait que certains hermaphrodites peuvent engendrer avec eux-mêmes sans intervention d'un autre individu ; il prouverait, enfin, qu'il peut naître des animaux réguliers et uni- formes d'un hermaphrodite , et que peut-être même ce sont des femelles qui en proviennent toujours. Mais rappelons-nous que c’est Scopoli qui rapporte ce fait; ajoutons cependant qu’un naturaliste irrépro- chable a cité un phénomène tout pareil , observé dans un Homard aussi hermaphrodite. Toutefois, là preuve que l’hermaphrodisme appa- rent aux surfaces du corps, ou se manifestant par les habitudes, n'a pas toujours sa cause dans les parties génilales, c’est que ces changemens ostensibles ne surviennent quelquefois que très-avant dans le cours de la vie, après une existence déjà longue et cons- tamment calme et sans accidens ni souffrances. Ainsi, il n’est pas rare de voir de vieilles femelles d'oiseaux, devenues infécondes par l'âge, revêtir peu-à-peu le plumage des mâles de leur espèce, emprunter leurs CHAP. X. HERMAPHRODISME ACCIDENTEL. 369 crêtes , leurs ergots; imiter leur voix et leurs chants, etprendre jusqu'à leurs instincts distinctifs. Des chan- gemens analogues ne sont pas sans exemples même dans l'espèce humaine. Ajoutons que ce faux herma- phrodisme n’atteint que les surfaces, et qu’il n'arrive d'ordinaire qu’à cette époque de l'existence où les organes génitaux, d’ailleurs bien conformés, demeu- rent sans usage et sans énergie. Plus les organes génitaux sont simples, plus ils sont ressemblans dans les deux sexes, et plus les animaux où cette disposition s’observe sont disposés à l’her- maphrodisme : c’est le cas où se trouvent les pois- sons. Quant à la cause de cette difformité, et ici j'entends surtout parler de l’hermaphrodisme com- plexe, ou avec alliance d'organes sexuels hétéro- gènes, cette cause est, comme de raison, inconnue. On a prétendu, il est vrai, que cette sorte de mons- truosité était l'effet de l’entregrefflement de deux sexes différens. Mais alors, comment concevoir que les organes génitaux soient les seuls qui éprouvent de ces associations vicieuses et contrastantes? D'où vient ce choix, cette prédilection pour des parties occupant si peu d'espace ? À ce sujet on a fait du moins une remarque intéressante, c'est que lorsque les Vaches font deux veaux jumeaux et de sexe diffé- rent, on observe presque toujours que le veau femelle offre quelques caractères d’hermaphrodisme : comme si la nature, plus long-temps et plus occupée du mâle et de ses organes caractéristiques , moins prompts à s'achever , avait étendu jusqu’à la femelle les derniers efforts d’une puissance trop persévérante pour l’un des sexes. 1. 24 370 Liv. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. Ayons soin d'observer que nous n’avons eu em vue, dans ce chapitre, que le seul hermaphrodisme anomal ou irrégulier, et nullement l’hermaphrodisme naturel et ordinaire en quelques espèces , parmi les Mollusques êtles Vers, parmi les Radiaires , etc. Ces auimaux, naturellement hermaphrodites dans tous les cas, différent des hermaphrodites acciden- tels, en ce qu'ils sont habiles à se féconder d’eux- mêmes, sans l’advention d’un autre individu possé- dant à la fois les organes des deux sexes et toutes les conditions indispensables à une fécondation par- faite; ce qu'on ne voit jamais dans les hermaphro- dites irréguliers, à l'exception peut-être du Papillon phalène de Scopoli et du Homard hermaphrodite de Nichols, que nous avons cités comme phénomènes. Disons aussi que l’'hermaphrodisme anomal ne va jas mais jusqu'à l’'Androgynisme, comme F’hermaphro- disme nalurel : je veux dire qu'un hermaphrodite anomal ne possède jamais des organes assez parfaits, assez distincts et assez complets des deux sexes, pour pouvoir s'accoupler doublement avec un animal pareil à lui, exerçant alors simultanément tous les deux, l’un envers l’autre, la double fonction de mâle et de femelle. Non ; l’hermaphrodisme accidentel et anomal ne va jamais jusqu'à l’'androgynisme. CHAP. XI. MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. 3-1 CHAPITRE XI. Digression sur la Génération et les Métamorphoses des {nsectes. Disons d’abord quelques mots de la reproduction des insectes, sujet que nous avons volontairement omis au livre précédent , dans le dessein d'y revenir plus à propos et sans répétition à l'occasion de l’Ac- croissement et des Métamorphoses de ces animaux. Jusqu'à Rédi, jusqu'à Swammerdam et Malpighi, on erra beaucoup sur le mode de reproduction des insectes : on se persuadait que la génération en était spontanée, et absolument étrangere à un concours des sexes. Mais les auteurs dont je viens de dire les noms détruisirent cette erreur, et mirent à la place des faits précis. On voyait apparaître des vers dans des substances animales disposées à la putréfaction ou déjà -putréfiées , et l'on attribuait cette sorte de vers à la putréfaction mème. En effet, le moyen de voir quelque similitude de famille entre ces êtres -imparfaits et les insectes ! le moyen d’apercevoir entreux quelque caractère de parenté, quelque indice de filiation ! On ne savait pas encore les trans- formations subies par ces animaux; mais dès qu’on eut connaissance de ces métamorphoses , l’histoire entière de la génération des insectes ne tarda pas à se débrouiller, Rédi prouva que les vers de la viande sont le pro- duit des mouches qui voltigent à l’entour et qui s'en 24° 372 LIV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. nourrissent. Leeuwenhoek s’assura que les vers du fromage, espèce de Mittes, ont des sexes, et qu'ils s’accouplent et se reproduisent en pondant une sorte d'œufs d’où naissent de nouvelles mittes. D’autres ob- servateurs acquirent la certitude que les vers qu’on rencontre dans des feuilles, dans des fruits, dans du bois, etc. , proviennent d’autres insectes qui ônt déposé là leurs œufs, bientôt transformésen lar- ves ou vers temporaires; que ces vers donnent naissance à d’autres insectes parfaits, semblables à ceux d’où les œufs sont provenus; et que les petites: proéminences végétales qui leur servent d'asile, sont. le produit des piqûres de ces insectes au moment de la ponte. Pareille chose a été prouvée, quoique plus difficilement, pour les insectes et quelques prétendus . vers parasites des animaux ; on. s’est convaincu:que: tous proviennent d'un concours sexuel entre insectes. de la même espèce, et qu'aucun ne se reproduit spontanément. Enfin ,. on a vu quela putréfaction des animaux morts, que les maladies des animaux vivans , favorisent la multiplication de certains insectes , pa-.. raissant d'abord sous la forme insidieuse de larves , .- et que ce sont là des circonstances favorables, mais, non des causes réelles de leur reproduction. » | Ïl en est donc de la génération des insectes comme de la génération du plus grand nombre des animaux dont nous avons exposé l’histoire sous ce rapport : tous ont des sexes séparés , hors quelques cas excep- tionnels. d’hermaphrodisme ou djun accroissement. avorté; tous s’accouplent , mais diversement; toute femelle a des œufs, qu’un mâle d'espèce pareille fé- conde au moyen d’une sorte de liqueur séminale. CHAP. XI. MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. 379 Mais les femelles d'insectes ne pondent pas toutes des œufs; plusieurs mettent au jour des petits vivans, l'éclosion ayant eu lieu au-dedans du corps : voilà même pourquoi quelques inséctes sont regardés comme vivipares Ou ovo-vivipares. Îl faut remarquer que les insectes ne sont aptes à se reproduire qu’après avoir subi leurs métamorphoses, c’est-à-dire dans leur état d'achèvement parfait. Ainsi, tous ceux qui doi- vent avoir des ailes, ne se reproduisent jamais tant que les ailes ne sont pas achevées : et même ceux des in- sectes qui n’ont point d'ailes , n'engendrent qu'après leur dernière mue, ou dernière transformation. Tout ce qui regarde l’amour.et l’accouplement des insectes diffère pour chaque espèce : ainsi , il est bien vrai que, chez la plupart, c’est le mâle qui recherche et agace la femelle ; toutefois dans les espèces où les sexes sont inégalement répartis, dans les Abeilles , par exemple , où l’on ne trouve qu'une femelle pour des centaines de mâles, dans cette famille si intéres- sante d'insectes, c’est la femelle qui recherche les mâles, elle qui les incite à l’accouplement : chef d'un sérail , elle. prend l'initiative d’un sultan. Presque tous les insectes ont les organes génitaux placés vers l'extrémité du tronc ; et comme ces animaux légers s’'accouplent presque toujours au milieu de l'air, en volant , beaucoup de mâles ont des espèces de cro- chets dont ils se servent pour saisir et pour retenir leurs femelles. Ï1 résulie quelquefois de ce mode d’accouplement d'assez vives douleurs pour les fe- melles , et cela même les rend craintives-et fugitives, devant le mâle attaché à les poursuivre. Cela n’est nulle part plus remarquable que dans l'espèce élé- 374 Liv. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS FIVANS. gante des Demoiselles, dont l’organisation est d’ail+ leurs si digné d’exciter la curiosité du naturaliste. La femelle de ce genre d'insectes a les organes génitaux situés à l'extrémité d’un corps très-allongé ; et comme le mâle a les siens vers le milieu du corps, à-peu-près sur les limites communes du ventre et du corselet, on conçoit combien le concours nécessaire d'organes si étrangement disposés devait rendre bizarre et com- pliqué l’accouplement de ces insectes. Voici toute- fois comme il s'effectue : le mâle saisit sa femelle au cou , au moyen de deux crochets dont l'extrémité de son corps est garnie ; après beaucoup de mouvemens et de résistances , la femelle rapproche sa queue, où nous avons dit que se trouvent ses parties génitales, elle la rapproche du ventre du mâle, et c’est dans cette double et singulière jonction que la fécondation des œufs est consommée. Beaucoup d'insectes s’u- nissent pour l’accouplement comme les animaux des autres classes ; mais il en est qui se mettent ventre à ventre, à-peu-près comme les hérissons; d’autress côté à côté, par exemple les sauterelles; quelques papillons prennent les positions les plus bizarres. Beaucoup d'insectes, vivant peu de jours ou peu d'heures , s'envolent aussitôt qu'ils ont des ailes, et s’'accouplent en l'air dès leur premier vol. Les Ephé- mères et les Cousins sont particulièrément dans ce cas, et leur accouplement est aussi court qu'il est prompt. D’autres insectes, parmi lesquels il faut citer les Scarabées et les Papillons , demeurent plus long- temps unis: on remarque même que plusieurs d’entre eux montrent la plus grande indifférence à ce qui les szacite ou les entoure tant que dure la copulation, ce CHAP. XI. MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. ri qui leur donne un trait d’analogie avec quelques Rep- tiles, qu’on tue plus aisément qu'on ne les sépare. On assure que dans les Ephémères la femelle est placée sur le mâle, Il n’y a de constant hermaphrodisme dans aucune espèce d'insectes ; toutefois on en voit plusieurs pré- senter quelques individus réunissant les organes,des deux sexes ; on a fait cette observation parmi certains papillons : probablement aussi il y a des saisons de l'année où beaucoup de Pacerons sont hermaphro- dites ; je fonde cette opinion sur les faits suivans. On a observé que les pucerons sont ovipares en automne, et vivipares au printemps : dans la première saison, la distinction des mâles et des femelles est manifeste , et chaque ponte d'œufs féconds est précédée d'un accouplement. En été et au printemps, la chose est différente : alors on ne trouve pas de mâles, ou du moins ne les saurait-on distinguer des femelles ou femelles prétendues. Alors Aussi chacune de ces fe- melles, même lorsqu'elle a été réduite au plus par- fait isolement , accouche d’autres pucerons dont l'ap- parence est également celle des femelles; et ces lignées d'insectes nés successivement Îles uns des autres, sont Lous produits sans le concours des mâles, sans union sexuelle. Or , comment concevoir que de jeunes pûcerons, femelles encore xierges ‘produisent, dès qu'ils sortent de leurs œufs, d’autres pucerons fe- melles engendrant comme elles sans aucun accouple- ment, et cela pendant sept, neuf, douze générations successives , s'il faut en croire Bonnet? Non, la chose ne me semble pas croyable : si ces pucerons paraissent femelles, c'est qu'ils sont probablement hermaphro- 376 LIV. II. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. dites; et c'est par la même raison qu'ils se repro- duisent sans l'accession des mâles, du moins pendant la belle saison. Ordinairement les insectes pondent leurs œufs tous à-la-fois ou à diverses reprises, promptes ou lentes, près des lieux ou dans les corps même où chaque larve trouvera, dès sa mise au jour, de quoi exister et se nourrir : C'est ainsi qu'on trouve des œufs d'insectes dans des feuilles, dans des fruits, du bois, des dépouilles ou des substances animales, ou même dans le corps de certains animaux. De Geer a remarqué que même les œufs semblaient se nour- rir : il s'aperçut que des œufs de Mouches-à-soie , fixés ‘dans les pétioles d’une feuille verte et vivante, se ridèrent et se desséchèrent bientôt, dès que cette feuille fut arrachée. Il est des insectes, les Cochenilles par exemple, qui semblent couver leurs œufs, qui les abritent et les protègent, mème jusqu'à la mort. Mais nulle autre classe d'animaux ne prodigue plus de soins à leur progéniture que les insectes vivant en sociétés, en petites républiques : ces animaux con- sacrent une industrie admirable et tous les instans d’une prodigieuse activité à donner un gîte à leurs œufs, à préparer de la nourriture aux larves qui en naîtront, et une abondante subsistance à la mère commune de ces, grandes familles. Les ‘individus neutres ou mulets qui existent parmi ces espèces so- ciables, n’ont de sexe d'aucune espèce, et se bornent à prodiguer des soins aux petits des insectes fécondés, leurs pareils sous d’autres rapports. Les OEufs des insectes sont presque toujours fé- condés dans le corps même des femelles ; par consé- CHAP. XI. MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. TT quent le rôle du mâle est fini à l’époque de la ponte, mais ce ne sont pas des insectes parfaits qui naissent immédiatement de ces œufs; l’achèvement de ces animaux n'a lieu qu'après plusieurs transformations successives (1). Ils passent d’abord presque tous par l'état de Larves, puis par l’état de Nymphes; et fina- lement, des Insectes achevés naissent de ces der- nières; en tout, quatre états, quatre espèces de métamorphoses. Nous avons dit que l'œuf éclot quelquefois dans. le corps de la mère; il n’y a dès-lors, sur quatre, que trois transformations apparentes, la première s'étant faite, loin des yeux, dans le corps même de la femelle. Il est même des insectes qui produisent immédiatement des petits parfaits, au moins dans certaines saisons, et sous l'influence d’une tempéra- ture élevée : nous avons vu que les Pucerons en parti- culier sont dans ce cas. Les Hippobosques ne subissent ostensiblement qu'une métamorphose; ils n’appa- raissent à l’extérieur que sous la forme de nymphe: les autres métamorphoses ont eu lieu au dedans de la femelle. C’est à l’état de Larve, sa première forme , que l’insecte prend presque entièrement tout son vo- lume , tout son accroissement : voilà même la raison pourquoi cette larve éprouve plusieurs mues succes- sives, la même enveloppe ne pouvant long-temps suffire à un corps progressivement accru. L'insecte ne grandit plus aussitôt qu'il est insecte parfait, et sorti de ses dernières langes. ” (a) Consullez Rédi, Swammerdam , Malpighi, Goddaërt, Leeuwen- hoek , Vallisneri , Réaumur , Fabricius, Latreille, ete, ‘378 Liv. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS FIVANS. La Nymphe est un état intermédiaire à la larve et. à l'insecte parfait; comme la larve est un degré entre l'œuf et la nymphe. Dans cet état, l’insecte est déjà volumineux et ses différens organes déjà distincts : c'est déjà l’insecte parfait, mais dont les différentes parties, quoique discernables, sont encore em- maillotées et ne grandissent presque plus. La nymphe diffère de la larve principalement par le volume plus accru des organes, et par les rudimens déjà très-ap- parens des ailes. Beaucoup d'insectes, surtout parmi les Diptères, n’ont que des métamorphoses imparfaites; je veux dire qu’ils ressemblent infiniment , dans leurs divers élats, à ce qu'est la larve primitive et véritable, à l'exception que le volume du corps est plus grand et que les ailes sont déjà ébauchées. Au reste, l'extérieur est le même, les organes sonty non aussi manifestes ni aussi accrus , mais aussi nombreux; et les mœurs comme la nourriture sont pareilles. La plupart des in- sectes sans ailes, ou Aptères, n’ont qu'une métamor- phose, ou bien leurs métamorphoses sont presqu'in- sensibles; plusieurs même n’en ont d'aucune espèce. Nous ne rappellerons pas ici ce que nous avons dit ailleurs des métamorphoses de queiques Reptiles, et nous ne ferons que faiblement mention des transfor- mations faussement attribuées à d’autres espèces. Une chose étonnante, c’est que long-temps même avant de connaître les métamorphoses véritables des in- sectes, on croyait à d’autres transformations purement fabuleuses. On prenait encore les larves et les nym- phes des mêmes insectes pour des animaux d'espèces particulières, dans un temps où l'on croyait que les Anguilles provenaient des Écrevisses, que les Anatifs CHAP. XI. MÉTAMORPHOSES DES INSECTES. 379 engendraient des Canards, et que l'Épervier se méta- morphosait en Coucou (et cela apparemment parce que l’épervier disparaît dans la même saison où re- vient le coucou). Même en 1580 , ce qu'on a peine à comprendre, un M. de la Faille lut à l'Académie des Sciences de Paris, et inséra même dans les Mémoires de cette illustre compagnie, une dissertation dans le but de prouver que les oiseaux de mer, qu'on nomme Macreuses , ne proviennent pas des Huïtres, mais que seulement ces oiseaux composent leurs nids avec des écailles de divers mollusques. | Nous devons ajouter en terminant cechapitre sur les métamorphoses des insectes, que ces métamorphoses ne sont pas en réalité ce qu’elles paraissent. On ju- gerait en effet fort mal des révolutions qu'éprouvent les organes de ces animaux , si l’on se bornait à obser- ver les changemens de leur surface, leurs mues, leurs déguisemens successifs , leurs brusques transitions d'une forme, d’une couleur à l’autre. En pénétrant plus avant , la peau une fois enlevée, on voit, abso- lument comme dans les autres animaux, des organes qui se développent, qui s'accroissent, qui ont en un mot des progrès, bien plutôt qu'ils ne se trans- forment. 380 LIV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. CHAPITRE XIL De la Graine , de la Germination, et de l'Accroïssement des Végétaux. Nous n'avons guères parlé que de la fécondation des plantes dans le chapitre où nous avons traité de leur reproduction sexuelle, et nous n’avons rien dit de la graine, qui est le terme de cette fonction et qui renferme les linéamens d’un nouveau végétal : il nous reste par conséquent à en faire l'histoire. IL serait impossible de comprendre les phénomènes de la germination, si l’on ignorait l’organisation des se- mences et quel rôle jouent chacune de leurs parties. Ce que nous avons fait pour les ovules des animaux, nous devons le tenter également pour l'œuf végétal : la chose a le même but, la même utilité. Mais , afin d’abréger tant de détails , nous allons présenter , sous la forme de tableau , les difflérens organes dont le fruit se compose, ainsi que nous l'avons fait précé- demment pour l'œuf des oiseaux en particulier. L’es- sentiel est que ce tableau soit court, clair et simple. Nous regrettons d’être forcé d'employer beaucoup de mots techniques, m'ayant aucun cours dans le langage commun ; mais c’est une nécessité à laquelle il faut se résigner. CHAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 381 Analyse de l'OŒuf végétal (1). Fruit : On donne ce nom à l’ensemble des produits de la fécondation d’un végétal. Le fruit comprend les graines, leurs enve- loppes, et souvent quelques-unes des parties persistantes dela fleur à laquelle il succède et dont il provient. Péricarpe : enveloppe générale des graines supportées par le même calice. Le péricarpe communique à-la-fois avec le pistil de la fleur , lequel a charrié le pollen fécondant, et avec les vaisseaux séveux de la plante, par quile fruit est nourriet accru. On le divise en trois compartimens ou trois couches, souvent peu distinctes en réalité : L'Epicarpe : épiderme ou sur-peau du péricarpe. L'Endocarpe : qui est la peau ou membrane interne du fruit. Ce feuil. let avoisine les graines et leur forme des loges distinctes : c'est la partie ligneuse des noix, par exemple. Le Mésocarpe : Ge sont toutes les parties vasculeuses comprises entre l'épicarpe et l’endocarpe. Lorsque cette partie intermé- diaire est charnue , on lui donne le nom de Sarcocarpe. Placenta ou Trophosperme : espèce de bourrelet vasculeux au moyen duquel la graine s'attache au-dedans du péricarpe. Cordon ombilical, Funicule ou Podosperme : moyen d'union, lien _ vasculeux de la graine avec le placenta. C’est par le cor- don ombilical que la graine communique avec les vais- seaux nourriciers de la plante. Graine ou RIRES ovule fécondé , œuf végétal, contenant le rudi- ment d'une nouvelle plante. Elle comprend l'embryon lui-même , ou germe fécondé, avec ses annexes ou enve- loppes immédiates , et ses organes nourriciers. On a re- * marqué que les plus grosses graines , dans les plantes - dioiques, produisent ordinairement les mâles, les pieds à étamines, tandis que les petites graines engendrent des femelles, Spermoderme : peau de la graine. On divise ordinairement le spermo- derme en plusieurs couches (de même que poür le péri- carpe) auxquelles on donne les noms (a) Voyez Gœrtner , C. Richard, Jussieu , Mirbel, Decandolle, Corréa, Rob. Brown, ete, 382 LV. 111. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. De Test : C’est la pellicule la plus extérieure : elle est ordinairement hygroscopique, et attire vers [a graine l’éau nécessaire à la germination ; De Mésoderme ou Sarcoderme: c’est la partie vasculeuse ou charnue qui - est sous-jacente au Test : elle est très-distincte dans les baies; | D'Endoplèvre : C'est la membrane interne et presque toujours impr méable du spermoderme : elle est immédiatement con- tiguë à l'amande. | Ces différentes tuniques de la graine sont perforées vers le sommet ou mamelon de l'amandes, ainsi que l’a prouvé M. Rob. Brown; et l’on conjecture avec vraisemblance que c’est par là que le pollen des étamines, conduit par le pisül, vient féconder les ovules de la fleur. Ombilic, Hile ou Cicatricule : La parlie de la graine où s'attache le cordon ombilical. C'est ordinairement une sorte de cica- trice, Amande :,On donne ce nom à tout ce que conlient le spermoderme. C'est le noyau du fruit; autrement l'embryon lui-même, avec Les parties qui lui sont inséparablement unies. Albumen ou Périsperme : Substance non vasculeuse et comme inerte, ordinairement blanchâtre, qui entoure ou avoisine l’em- bryon, et qui sert à le nourrir durant la germination. C’est le résidu épaissi de l'amnios. L'existence de l’albumen n’est pas constante dans toutes les graines, Chorion : C’est la masse pulpeuse qui composait exclusivement les ovules avant l’advention du pollen, avant la fécondation. Spallanzanï s'y est mépris. (Woy. Cuar. V, Lav. Il.) Amnios : Jiqueur au milieu de laquelle nageaït l'embryon, et dont la solidification donne lieu à lalbumen. Il n'existe point | d’amnios dans les ovules non fécondés 1: ce kquide est con temporain de l'embryon, * Vitellus : admis par quelques auteurs, maïs sans aucun motif. C'est ce que nous nom mons chorion qu'on aura pris pour le vitellus. Chalazes : On doit nommer ainsi les deux ligamens qui tiennent ‘embryon attaché aux deux extrémités de l’amande : l'un au sommet ou mamelon (là où les tuniqués-sont perforées),, ét c’est par là que paraît pénétrer le fluide fécondateur & l’autre, à la base de l'amande, du côté de lombilic, et CHAP. XII ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 383 c'est la vraïe chalaze ou sorte d’ombilic interne. Cette dernière chalaze paraît contenir les vaisseaux ramifiés du cordon ombilical; vaisseaux qui servent d’abord à l’ac- croissement de l'embryon, et , plus tard, à la germination ou développement. Embryon : jeune plante en miniature, partie essentielle de la graine; n'apparaissant jamais avant la fécondation. L’embryon se compose des parties suivantes : Radicule : C'est l’origine de la jeune racine; elle est ordinairement " dirigée du côté de la vraïe chalaze et correspond à l'ombilic de la graine ; Plumule ; ou petite Tige : Cette partie est située plus intérieurement que la radicule, aussi n'apparaît-elle qu'après l'évulsion de cette dernière ; L Collet : C’est la partie intermédiaire à la radicule et à la plumule : elle üent de l'un et de l'autre. On l’a considérée comme le cœur du végélal, comme le nœud de la vie. La radicule ” tend toujours au centre de la terre, la plumule s'élève constamment vers le ciel; le collet ne manifesle aucune de ces tendances ; Cotylédôns : feuitleséninales ; premières feuilles apparentes dans la germination de la graine, et visibles même avant la germi- ” nalion. Comme ces corps servent à nourrir la jeune plante, \ on les a appelés mamelles végétales. Toute graine de plantes ayant des feuilles, présente constamment des co- iylédons. Cependant on assure que le Lecythis fait excep- tion à celle règle générale. Vaisseaux : On les admet et on les distingue bien plus pour les fonc- tions qu'on leur suppose que pour les avoir vus réellement isolés. Il y a d'abord les vaisseaux pistillaires ou polli- niques , par qui s'effectue Le passage du pollen dans l’ovule: ceux-là président à la fécondalion dela graine: ils sont situés vers le mamelon ou le :ommet de l'amande. I ya, de plus, les vaisseaux séveux, provenant du cordon ombilical et communiquant avec la plante. Ces derniers aboutissent à la chalaze principale et servent à la nutrition et à l’accrois- sement de la graine et de l'embryon qu'elle renferme. Nous werrons quel emploi ont c.s derniers vaisseaux dans la germination. 384 LIV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. 1l est aisé de voir combien la graine végétale a d’a- nalogie avec l'œuf fécond et déjà incubé des animaux : il y a dans tous les deux un embryon, des chalazes, un placenta, un cordon ombilical, une cicatricule, un amnios, des membranes, des vaisseaux nourri- ciers. Les cotylédons de la graine sont l’équivalent du vitellus des oiseaux ou de la vésicule ombilicale des mammifères ; l'albumen ou périsperme des graines est l’analogue du blanc d'œuf des oiseaux ou de l’allantoide des vivipares, etc. : enfin la similitude est frappante. PHÉNOMÈNES DE LA GERMINATION. À présent que nous connaissons toutes les parties dont l’œuf végétal se compose , nous devons étudier comment l'embryon s'y développe et comment il en sort. Nous allons done décrire rapidement les principaux phénomènes et les progrès de la germination des graines (1 ). La jeune plante est déjà toute formée , déjà dessinée en miniature dans la graine fécondée et müûrie ; mais elle y est comme dans un état d’assoupissement et d'inertie: la germination est pour elle le signal du réveil et le commencement d’une vie active. Placée dans une terre imbibée d’eau, la graine s’en imprègne; elle se gonfle, ses enveloppes se rompent; et bientôt la jeune racine d’abord , et plus tard la jeune tige, sortent par deux points souvent opposés de la graine, ou plutôt avec une tendance, une direction opposée, puisque la racine s'enfonce dans le sol, tandis que la tige se prolonge à la surface et s’en éloigne. Les cotélydons, (1) Voyez Ledermuller, Hales, Duhamel, Senebiér, Th. de Saussure , Mirbel, etc. CHAP. XII. AGCROISSEMENT DES VÈGÉTAUX. 989 d'abord gonflés, sortent de terre et deviennent de premières feuilles, ou d’autres fois restent étiolés sous le sol, continuant d’adhérer à la graine. On a fait des observations suivies sur les progrès de la germina- tion pour diverses semences; voici, par exemple, ce qu'on a observé pour le Seigle : dès la première heure le grain de seigle placé sous la terre était gonflé ; dès la deuxième heure onvit les premiers filets, les filamens déliés de la radicule ; au bout de vingt-quatre heures, toutes les parties de l'embryon apparaissaient hors de la graine; mais les premières feuilles sont encore enveloppées; le quatrième jour, quelques plantes déjà sortent de terre, on voit même alors les feuilles rouges, les vaisseaux séveux, un fin duvet, des-poils tendres; cinquième jour , feuilles déjà lon- gues d’un pouce et déjà vertes ; les’ secondes feuilles paraissent le sixième jour. Ces expériences ont été faites au printemps, par une douce tempéra- ture ; le sol était humide et meuble. Mais les graines sont loin de germer toutes avec cette rapidité : il en est pour qui ce premier développement dure une ou plusieurs années. Dès-à-présent nous devons dire quelques mots des agens extérieurs et des pre- mières conditions de la germination. Toute semence, pour germer , a besoin d’air, de chaleur et d’humi- dité. Les autres choses n’ont qu’une importance se- condaire. | Cuareur. La germination n’a jamais lieu dans une température au-dessous de zéro, et elle est prompie- ment arrêtée dans une atmosphère à 40° el au-dessus ; les Jeunes organes sont aussitôt détruits qu’apparus, et les graines restent improductives. La température I. 25 386 LIV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. la plus propice est de 15 à 20°; voilà pourquoi l’ense- mencement des terres ne se fait jamais lors des grandes chaleurs dans les régions méridionales : outre qu'on combine les semailles de manière à ce que les chaleurs de l’été servent à la maturité des graines. Si la difficulté des labours oblige à ensemencer dans les temps froids, alors la germination ne s'effectue de même qu'au printemps, au retour de la chaleur et des beaux jours. Disons'aussi que la germination elle-même a pour effet constant de développer un peu de cha- leur dans les semences : car la vie et la chaleur sont inséparables. Eau. Le sol, outre le soutien qu'il donne aux plantes, outre l'abri qu'il prête à leurs racines, n’a guère d'influence sur la germination qu’en raison de lPhumidité qui le pénètre. Une graine placée sur une éponge imbibée d'eau, germe aussi bien qu’au sein de la terre : on en a même fait germer dans de l’eau distillée, et dans l'éloignement de toute substance gazeuse. Mais alors la jeune plante avorte bientôt, ou du moins ne produit jamais de graines. L'eau seule, sans air et sans le secours du sol, paraîtrait donc suffire à la simple germination. Ordinairement le test de la graine est doué d’une propriété bygros- copique ; il attire vers la semence l’eau répandue autour d'elle. Ensuite l'humidité est absorbée, ou par toule la surface du test, ou seulement par la cica- tricule de la graine; mais comme la tunique la plus intérieure est difficilement perméable, quelle que soit la partie par où l’eau est entrée, cette eau ne pénètre jamais dans l'intérieur de la graine que par Pombilic , ‘et jamais dans Fembryon que par la chalaze : parce CITAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉFAUX. 3587 qu'en effet les vaisseaux qui l’absorbent sont tous dirigés dans ce sens. On vérifie aisément cette direc- tion des liquides absorbés par les semences, en: tei- gnant l’eau dont on fait usage, avec diverses subs- tances colorées qui la rendent visible dans les vais- seaux absorbans. Arr. Tous les gaz ne conviennent pas indifférem- ment à la germination: on s'est assuré que des graines ne germent ni dans le gaz azote pur, ni dans l'hydrogène, ni dansunair, quelle qu'en soit la nature, quirne contiendrait pas d'oxigène. Il faut à Pair qui entoure les graines en germination, au moins un huitième d’oxigène, et pas au-delà d’un quart. En plus grande quantité , il activerait beaucoup la pousse de la jeune plante, mais cette crue hâtive serait bientôt suivie de la mort: Il faut aussi observer que peu importe à quel autre gaz l’oxigène est combiné, pourvu qu'il soit dans la PPRATAE que nous avons indiquée. Ainsi, il faut de l’air, il faut de l’oxigène pour toute germination de semence: nul graine ne peut germer dans le vide. Les semences introduites trop profondément dans le sol pour communiquer avec l'atmosphère, se conservent sans germer. On voit quelquefois, à cause de cela, une terre remuée dans sa profondeur , au bout d’un siècle , donner naïssance à des plantes nouvelles, fort différentes de celles qui croissent tout à l’entour. Or, il est probable que ces plantes proviennent de graines enfoncées dans le sol et éloignées de l’air depuis long-temps. Il est vrai- semblable aussi que les semences ne germent dans de l’eau distillée qu’à cause de la portion d'air qui s'y « 25* 588 LIV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. trouve mêlée : car il est certain que les graines subh- mergées pourrissent ; et si quelques semences de plantes aquatiques parviennent à germer dans l’eau, cela vientipresque:toujours de ce que la chaleur déve- loppéë en elles par le premier travail de la germina- tion , les rend plus légères, et les élève à la surface du liquide, où elles jouissent du contact de l’air. Di- sons néanmoins qu'ilexiste une espèce d’'Icodendrum qui germe et végète dans l'air kbre sans le concours d'aucune humidité , sans arrosemens. Divers Excirans. L'électricité paraît favoriser la germination. Les temps d'orage font promptement germer les semences. Le chlore, et -ceux des oxides métalliques auxquels le gaz oxigène:est peu adhérent, par exemple l’oxide de manganèse, hâtent visible- ment la germination des graines. M. de Humboldt a fait, à cêt égard, des expériences intéressantes. Cet ingénieux physicien a fait germer, au moyen du chlore , des graines incapables de germer dansles cir- constances communes. Ces différens moyens ont un effet d'autant plus puissant, qu'indépendamment de l'oxigène qu'ils fournissent , ils augmentent en même temps latempérature. On voit, par ce que nous venons de dire des circonstances favorables ou nécessaires à la germination des graines, de quelles influences il faut préserver celles qu'on veut empêcher de germer. Mais c’en’est assez sur cet objet ; examinons mainte- nant quel rôle jouent, dans l’acte de la germination, les différentes parties de la graine. Enveropres SÉMINALES. La plus extérieure des membranes séminales , le test, comme hygroscopique, sert utilement à la germination ; la plus interne, l’endo- CHAP. XII. AGCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 900 plèvre, comme imperméable, fait que Fhumidité qui a transsudé: à travers le test, afflue toute entière vers l'ombilic de la graine, où des vaisseaux l’absorbent ; elle concourt manifestement aussi à la longue conser- vation des semences, en empêchant que l'humidité dont elles sont pénétrées ne se dissipe dans l’atmo- sphère. Toujours est-il que ces membranes ont une influence assez grande sur la germination , puisque des graines dénudées, ou ne germent point, ou ne cerment qu'imparfaitement. Il est probable qu’elles empêchent le trop prompt gônflement des sotylédors en modérant l’afllux des liquides; il est probable aussi qu'elles favorisent, par cette imprégnation de la graine qu’elles ralentissent, aussi bien que par la pression qu'elles exercent sur l'embryon et sur l'al- bumen , qu’elles favorisent ainsi, disons-nous, la disso- lution et l’'émulsion des sucs, sans cela insoJubles et réfractaires, de l’albumen et des cotylédons. Elles conservent d’ailleurs et concentrent dans l’em- bryon la chaleur développée dans la semence par le premier travail vital. Elles attirent, elles protègent, elles compriment, isolent ct vèêtissent. Mais le gonfle- ment des cotylédons donne à ces derniers la pro- priété de nourrir la jeune plante. Eusryox. Il est toujours situé dans les éiibelhes dont nous venons de parler. Il tient aux deux extré- mités de la graine par deux ligamens ou chalazes : celui de ces ligamens qui l’attache au sommet de la semence, luia apporté le principefécondant du pollen; l'autre ligament, ou la vraie chalaze , situé vers ou toul-à-fait vis-à-vis l’ombilic de la graine, est com- posé de vaisseaux où circulent les fluides absorbés 390 LIV. II. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. servant à le nourrir et à l’accroître. Il paraît certain que la surface de l'embryon commence par absorber l’amnios qui l'environne, et que là même estune des sources où Ja Jeune plante puise sa première nourri- ture. Quelquefois même la plantule absorbe tout cet amnios, et dans ce cas la graine est sans albumen, et totalement composée par l'embryon ; mais alors, par compensation, les cotylédons, plus gros, sab- viennent au défaut d'albumen. Quant à la radicule , comme elle est toujours dirigée vers l’extérieur-de la graine , et presque toujours vers l’ombilic, c'est elle qui absorbe d’abord les fluides qui ont transsudé à travers le test ou à travers la cicatricule , et ces fluides, elle les transmet au reste de l'embryon. La plumule ou jeune tige, plus intérieure, plus centrale, n’ab- sorbe rien d'elle-même, mais elle s'accroît aux dé- pens .des fluides transmis par la radicule, aux dé- pens aussi de la substance de l’albumen , et des coty- lédons, ou seulement de ces cotylédons, lorsque l’albumen manque absolament ; et lorsqu'une foisles membranes séminales sont rompues, la jeune racine, toujoursdirigée vers le centre de la terre, puise dans le sol les fluides nécessaires à l'accroissement du jeune végétal. | Coryrépoxs. Ce sont les premières feuilles de la plante ; et la preuve que ce sont des feuilles, c'est qu'ils verdissent à la lumière, qu'ils ont les mêmes vaisseaux, les mêmes glandes ou les mêmes mouve- mens que les feuilles véritables; qu'en outre les plan- tes sans feuilles, comme la Cuscute , n’ont point de cotylédons, et que la position en est entièrement semblable à celle des premières feuilles radicales ; de CHAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 991 sorte qu'on peut juger des cotylédons par les pre- nières feuilles de la tige, comme de ces feuilles par les colylédons. En un mot, les cotylédons sont les feuilles de la jeune plante , comme la plumule en est la tige, comme la radicule en est la racine. Mais quels sont leurs usages? de deux sortes , selon que les cotylédons sont charnus ou seulement foliacés. Ces derniers, toujours prolongés au-delà du sol, verdissent à la lumière comme les autres feuilles; et comme en outre ils ont des pores à la manière des feuilles véri- tables, ils absorbent l'air, ils en séparent le carbone pour se l’approprier ; et c'est activement qu'ils servent à la nutrition de la nouvelle plante. Les cotylédons charnus, au contraire, n'ont point de pores, n’ab- sorbent point l'air, ne fixent point le carbone, n’éla- borent pas de sève; mais ils nourrissent le jeune vé- gétal aux dépens du mucilage ou de la fécule qui compose leur substance, et par cela mème qu'ils n'ont point d'action sur l'air, ils restent souvent sou- terrains, au-dessous de la radicule déjà prolongée, voisins de la graine, ou continuant même d’en faire parte : cette dernière disposition est surtout com- mune dans les plantes monocotylédones. Une chose démontre combien les cotylédons ont d'influence sur l'accroissement de la jeune plante, c’est qu'on fait mourir celle-ci, on en fait avorter la germination, aussiÔt qu'on en sépare les cotylédons, surtout s'ils sont charnus ; au contraire , la germination continue, si l'en divise la graine et l’embryon de manière à ce que chaque portion de la plantule ait sa part des co- tylédons. L’embryon végétal se passe plus impuné- ment.de la plumule , ou même de la radicule ,.que de 592 LIV.'IIE,DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. ses cotylédons; et ce n’est pas sans raison qu’on a donné à ces derniers le nom de mamelles végétales. _ Cependantilfautdire que les plantes cryptogames, que tous les végétaux privés de vaisseaux , et même ceux des végétaux vasculeux qui n’ont pas de feuilles, toutes ces plantes, dis-je, et aussi le Lecythis Céméûre qu'il ait des feuilles), sont AÉPOUTVUES,, à ce qu'on croit, de cotylédons ; ct néanmoins elles ont une espèce de germinalion et elles s’accroissent. Quel autre organe leur tient donc lieu de cotylédons? et d'où trent-elles leur première nourriture? nous n’en savons rien. Ï est même probable qu'on range parmi tes acotylédones beauconp de plantes qu’on se verra forcé d’en ôter dans la suite, après un examen plus attentif; de la même manière qu'on avait entassé parmi les cryptogames beaucoup de végétaux dans fesquels on a reconnu _. organes réprodaétéahbi 11à- contestables. Les cotylédons commencent donc par se gonfler, une fois que les liquides absorbés par h radicule ont pénétré Jusqu'à eux, et bientôt Feur volume s'accroît assez pour rompre les enveloppes séminales : il faut que cette force d'expansion des embryons soit bien puissante, puisqu'elle suffit pour déterminer l ouver- ture de noyaux impénétrables ànosinstrumens. Toute- fois, et après s'être ainsi gonflés, les cotylédons se vident peu-à-peu et se flétrissent. Voici une expé- rience assez curieuse qu'on a faite à ce sujet : elle prouve combien est important le rôle des cotylédons durant la germination des graines. « On à pris des Ha- ricots mirs et secs, pesant en masse cent soixante- douze grains; à eux seuls, les-cotylédons. formaient CHAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. SO9 les ?* du poids total, c'est-à-dire, cent soixante grains. Une fois gonflés, ces mêmes cotylédons pesaient trois cent six grains ; mais après leur flétrissure, la germi- nation étant effectuée , ils se réduisirent tellement qu'ilsne pesaient plus que vingt-neufgrains. Ils avaient donc fourni à la jeune plante deux cent soixante-dix- sept grains de matière, dont cent trente-un de leur propre substance ; et les cent quarante-six autres grains provenaient des liquides que leur avait com- muniqués la radicule. Acsumex. Nous avons dit que c’est l’amnios épaissi, concrété; par conséquent il n'existe d’albumen que dans les semences dont l'embryon n’a pas absorbé tout l’amnios. Les graines dont les cotylédons sont charnus, mais principalement celles dont l'embryon a deux cotylédons, sont sujettes à manquer d’albu- men ; et alors la graine est entièrement formée par l'embryon. Ce mode d'organisation est plus rare parmi les plantes monocotylédones, et, comme lalbumen est la partie essentiellement nourrissante des semen - ces , il ne faut pas s'étonner si les différens peuples vont puiser leur nourriture principalement dans les graines des plantes monocotylédones. L’albumen sert à la germination de la même manière que les cotylé- “dons charnus : composé d’une substance huileuse ou amylacée , l'humidité dont le pénètre la radicule le ramollit peu-à-peu et le réduit presque à l’état d’é- mulsion. L’albumen lui-même est inerte ; ilne prend aucune part active à la végétation; -c'est uniquement un réservoir de nourriture , destiné à l'embryon qu'il avoisine, C’est comme le blanc des œufs d'oiseaux ct 59%. Liv. IN DE L'AGCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. les glaires des œufs de poissons et de reptiles batra: ciens : il disparaît peu-à-peu par les progrès de la ger- mination. Un embryon végétal , séparé de son albu- men où périsperme, el mis en terre, s’y conserve sans germer; de la même manière que le germe d’un œuf d'oiseau, alors même qu’il est fécondé, ne prend aucun accroissement dans l'ovaire tant que l’albumen ou blanc de l’œuf ne s’y est pas joint durant son pas- sage à travers l'oviducte. Ensuite, la radicule est déjà en état de suffire seule à l'alimentation du jeune vé- gétal , à l'époque où disparaissent l’albumen de la graine et la substance des cotylédons. Ge n’est même qu'alors que la jeune racine commence à s'acquitter manifestement de ses fonctions ; mais bientôt elle est secondée par l’action absorbante et carbonisante des feuilles nouvellement nées. | : [® Vaisseaux. If est manifeste que les vaisseaux chargés, lors de la germination, d’absorber les li- quides: et de les transmettre à la plantule, sont une émanation , une dépendance de ceux qui faisaient communiquer la graine avec la plante-mère. Or, la communication si constante et toujours si parfaite de ces vaisseaux du cordon ombilical avec les vaisseaux de la radicule, anncnce qu'il y avait eu préméditation pour une œuvre si bien accomplie, préexistence d’é- lémens pour des parties si merveilleusement assorties et concordantes, Nous voyons ici la répétition de ce que nous avons observé pour l'ovule des animaux : Je veux dire que les vaissearix de la graine , parfaitement äbauchés avec ceux de l’émbryon , émanent de la plante-mère , tout comme les premiers vaisseaux visi- CHAP. XII." ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 399 bles dans l'œuf proviennent des vaisseaux rompus de l'ovaire maternel. FLUIDES ET MATÉRIAUX NUTRITIFS. L'espèce de muci- lage dont l’ovule végétal est totalement formé avant la fécondation, finit bientôt par disparaître dès que l'embryon se manifeste, En même temps, et pour la première fois, on voit apparaître l’amnios, fluide aqueux , analogue à ce qu'on voit dans les ovules d’a- nimaux, et qui paraît servir de premier aliment au petit embryon caché dans la graine et dont ce fluide baigne toute la surface. Après ce premier développe- ment, et lorsque la germination s'effectue , da plan- tule tire sa nourriture de plusieurs sources: 1°. de l’albumen ou amnios concrété, qui l'avoisine ; 2°, de la substance succulente des cotylédons charnus, lesquels sont peu-à-peuramollis etrendus solubles par l'absorption de l'oxygène de l'air et le dégagement d'une portion de leur carbone ; 3°. desfluides aqueux absorbés par les membranes séminales, et transmis , par la cicatricule, au rudiment de la jeune racine ; h°. de l'oxygène de l'air, gaz qui a pour usage d’ex- traire ; en se combinant avec Jui , la portion surabon- dante de carbone contenu dans ja graine qui germe; de sorte que cette graine exbale de ce gaz acide car- bonique, à-peu-près l'équivalent de ce qu’elle absorbe en oxygène, absolument comme pour la respiration des animaux ; 5°. les parties déjà vertes:de la plantule, les cotylédons , par exemple, s'ils sont minces ,:s’ils sont pourvus de poresou stomates, en un mot, dés coly- lédonsréellementfoliacés, aulicu d’oxigène, absorbent du gaz acide carbonique, fixent le carbone dans la jeune plante , et le combinant aux fluides pompés par 996 LIV. IL. DE L'ACCROISSEMENT DES EORPS VIVANS. la radicule , en composent une première sève. Il faut observer que la lumière est nécessaire à la fixation du carbone dans les plantes. DIRECTION DE LA JEUNE PLANTE. Dès son premier dé- veloppement la radicule se dirige vers le centre de ta terre, et la jeune tige, au contraire, dans un sens diamétralement opposé. On aurait beau changer, contrarier cette direction naturelle des végétaux, ils y reviennent toujours et irrésistiblement malgré:les obstacles. On a essayé de tourner une plante bout * pour bout dans un tube ; on avait placé la tige en bas et [a racine en haut ; on avait eu soin, en outre, d'a- breuver celle-ci des sucs qu’elle a coutume de puiser dans la terre: mais la plante s’est retournée d’elle- même ; elle briserait plutôt ses entraves que de chan- ger sa pente. On a aussi placé une graine en germi- nation au centre d'une boule sphérique qu’on tournait sans relâche: elle se trouvait de la sorte toujours éloignée du centre de la terre , ou plutôt le globe dans l'axe duquel on l'avait mise lui tenait lieu de globe terrestre, et le peu de racines qu'elle produisit se tortilla autour d'elle précisément selon l'axe de sa sphère artificielle. Cependant on est parvenu, sinon à changer, du moins à modérer celte tendance cen- tripète de la racine, en plaçant une couche de terre très-sèche sous une autre couche de terre constam- ment imbibée d’eau : alors la racine descend toujours eu se tortillant, mais elle s'enfonce beaucoup moins qu’à l'ordinaire. C’est que, dans ce cas, l’avidité que la racine a pour l’eau contrebalance un peu sa propen- sion à s'enfoncer, à descendre. Toutefois, c'est la CHAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 997 preuve que ke besoin d'humidité n’est pas la cause unique de cette tendance centripète. Il paraîtrait que les racines sont influencées par le support auquel elles s’attachent, beaucoup plus que par une influence planétaire ; car les plantes parasites dérogent à cette propension centripète, si universelle pour les végétaux attachés à la terre. Le Gui, par exemple, pousse indifféremment dans toutes les di- rectigs; ses racines s'implantent du côté du zénith iout bien que du côté contraire : il n’a de point central que dans l'arbre où il tient attaché et qui le nourrit. X ACCROISSEMENT PROGRESSIF DES VÉGÉTAUX. Nous avons montré comment la plumule se dégage du sein de la graine, et comment elle sort de terre pour former la tige : il n'y a par conséquent , dans les plantes, qu'une partie qui demeure stablement à sa première place, c’est le collet ou nœud vital. Cette partie est intermédiaire aux fibres descendantes de la racine et aux fibres ascendantes de la tige. À mesure que cetle tige s'élève, elle se couvre de feuilles; chacun des bourgeons placés dans l'angle rentrant de ces dernières , donne lieu à des branches, à des rameaux; ces bourgeons s’accroissent absolument comme l’em- bryon primitif: et même on a considéré chacun d’eux comme autant de germes ou d’embryons, auxquels on a supposé jusqu’à des racines engainées dans le corps ligneux de la tige principale. La tige elle-même est composée d’une moelle centrale, d’une portion dure et ligneuse , d’aubier , de liber et d’une écorce. Ces différentes parties ont d’abord peu de consistance dans la jeune tige qui commence à croître : la moelle 398 LIV. IN, DE L'AGCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. est d’abord abondante, le corps ligneux est encore à demi fluide, et l'écorce a peu d'épaisseur. Ce n’est qu’au bout d’une année que la couche ligneuse se des- sine : et c'est le signal du dépérissement et de la pro- chaine destruction des plantes qui ne sont qu’an- nuelles. Ce durcissement du tissu végétal, en entra- vant le cours de la sève, favorise l'épanouissement des fieurs et la maturité des fruits; de sorte que la propagation de l'espèce est favorisée par lesêmes causes qui abrègent la durée de la vie. en 4 les végétaux qui ne durent qu'une année : mais, dans ceux qui vivent plus longtemps on voit une nouvelle couche ligneuse se former tous les ans. Que cette nouvelle couche résulte d’une transformation du liber, ou de l’organisation progressive de l'humeur végétale qu'on. appelle cambium., toujours est-il que chaque couche: annuelle entoure dans tous les sens les autres couches formées avant elle, et qu'elle n’en est séparée que par des zônes celluleuses que remplit un sue sé- veux, Zônes qui même s’effacent peu-à-peu à mesure que les premières couches solidifiées se pressent, en s'épaississant , les unes contre les autres. Ainsi Fon peut juger de Faccroissement des végétaux à deux cotélydons par le nombre des couches ligneuses et concentriques dont leur tronc est formé : et comme les plus extérieures de cescouches sont les plus jeunes, à cause de cela on a donné aux plantes dicotylédones le nom d'Exogènes : nous verrons pourquot les mo- nocotylédones ont reçu celui d'Éndogènes. Mais si le nombre des zônes ligneuses. peut faire apprécier l’âge d’une plante, il faut observer cepen- dant que ce calcul n’est exact que pour la portion CHAP. XII, ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 309 coupée de ce végétal; car chaque nouvelle couche se solidifiant chaque année, chacune d'elles en con- séquence ne s'étend point de l’un à l’autre bout du végétal. L'époque où la couche ligneuse se durcit est le terme de l'accroissement pour l’année entière : l’année suivante, la tige se prolonge ; et la première couche ligneuse de cette production nouvelle se con- tinue avec la nouvelle couche ligneuse du rameau de l'année précédente. De sorte que l’on peut juger, par la série des décroissemens des couches ligneuses , à quelle hauteur s'est prolongée la pousse de chaque année. On juge de l’âge total d’un arbre, par le nombre des zônes ligneuses de cette portion du tronc qui touche à la terre ; et de l’âge particulier de cha- que prolongement du fameau, par de nombre de ses propres couches. Lorsqu'il se développe une branche sur les côtés de la tige principale, cette branche se revêt chaque année; et de plus, toutes les couches ligneuses du tronc qui sont postérieures à Ja nais- sance de cette branche, en recouvrent exactement la base adhérente ; de sorteique son origine se trouve de plus en plus enfoncée dans le tronc principal. C’est de là que proviennent les:nœuds du bois, dont l’ex- trème solidité résulte d’une nutrition plus active , et aussi de ce que la base de la branche, progressivement accrue, a tassé les unes contre les autres, en les repoussant, ces couches ligneuses qui lui forment une sorte de virole. Si la portion endurcie de la tige ne croît plus dès- lors en longueur, il n'en est pas de même pour la tige encore jeune et non encore ligneuse. Lorsqu'on fait des marques à égales distances suivant la longueur 4CO LIV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. d'une tige nouvelle , on voit que ces marques de- meurant toujours à égales distances, se sont ncan- moins sensiblement écartées les unes des autres. On a la preuve naturelle de celte même élongation dans la disposition des feuilles sur les tiges : car elles y étaient d’abord comme groupées sur des points très- peu distans entr'eux; et bientôt on les voit s’isoler, s'éloigner les unes des autres et s'éparpiller. Quant à l'accroissement en épaisseur, il s'opère toujours, ainsi que nous l'avons dit, vers la surface, pour ce qui est des couches ligneuses ; c'est-à-dire, que les plus centrales sont les premières formées: tou- jours en dedans, au contraire, poyr ce qui regarde l'écorce , c’est-à-dire que la nouvelle couche corticale se forme au dessous de l’ancienne écorce, qui se gerce et meurt, étant devenue trop étroite pour re- couvrir le corps ligneux plus accru ; à-peu-près comme on voit muer les Crustacés et les larves d’Insectes à mesure que le corps de ces animaux s'accroît. Nous traiterons ailleurs des sources mêmes et de la forma- tion de lécorce et du corps ligneux ; mais nous devons insister davantage sur le mode de développement et les progrès de chacune des parties dont les tiges sont distinctement formées (1). MoëLLE CENTRALE. Ce tissu celluleux occupe le cen- tre des végétaux dicotylédons dans toute leurétendue ; mais tout continu qu'il paraît depuis le sommet d’un arbre jusqu'à sa base, il est réellement composé d’au- tant de parties distigctes qu'il y a de pousses succes- (1) Woyez Malpighi, Grew, Hales, Duhamel, Knight. Mirbe, Du Petit:Thonars, Dutrochet, Decandolle. CHAP. XII. ACCROÏSSEMENT DES VÉGÉTAUX. {O1 sives dans le même végétal. Au lieu de se renfler au niveau des branches latérales, comme la moelle épi- nière des animaux au niveau des membres, la moelle végétale se rétrécit ou s'interrompt vis-à-vis les en- droits d’où naissent des rameaux. Elle se creuse dans les Liges herbacées à mesure qu'elles croïissent en épaisseur ; elle s’endurcit et se dessèche dans les vieux arbres, mais sans disparaître absolument. Toutefois, si l’on transplante une branche peu volumineuse d'un vieux arbre, on conçoit que les branches nées de cette bouture n’auront qu'une moelle peu apprécia- ble; car le volume de la moelle est’ ordinairement proportionné à la grosseur des branches , comme sa consistance à leur jeunesse. Elle n’est molle et suc- culente que dans le premier âge des plantes ; et il pa- raît certain qu’elle donne une première nourriture à la jeune tige, de même que les cotylédons, ou le pé- risperme de la graine , nourrissent d’abord tout l’em- bryon lorsqu'il commence à végéter. CoucHEs LIGNEUSES. On nomme ainsi les zônes en- durcies qui composent la substance des arbres, et qui s'étendent depuis la moelle centrale jusqu’à l'écorce. Elles sont de deux sortes : les plus âgées, situées au cœur du végétal, composent le bois pärfait, tandis que les plus jeunes, les extérieures, portent le nom d’au- bier (à cause de leur blancheur), ou de bois impar- fait. Cette différence entre les deux sortes de bois est très-marquée dans les bois très-durs : ainsi l’ébène, qui est d’un noir si prononcé dès qu’il est endurci, est d’abord blanchâtre à l’état d’aubier. Les arbres qui croissent dans des lieux humides ont quelquefois des couches d’aubier très-nombreuses. Souvent aussi les L. 20 4o2 Liv. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS YIVANS. eouches d’aubier sont plus nombreuses d'un des côtés d'un arbre, celles de l’autre côté s'étant plus rapide- ment transformées en bois parfait. Du côté des moins nombreuses s’en trouvent aussi de plus épaisses, et cela dépend de.ce que les racines, plus grosses et mieux nourries de ce côté, donnent plus de volume aux cou- ches qui leur correspondent, en même temps qu'elles les transforment plus vite en bois parfait. Les mêmes causes qui multiplient les couches d’au- bier sont celles qui les rendent plus minces, la mau- vaise terre, de petites racines, en un mot le défaut d’une nouriture assez abondante. Comme l'aubier est moins solide quelebois, moins compacte , moins du- rable, plus atlaquable par l'humidité et les insectes, on a proposé d'écorcer totalement les arbres un an avant de les abattre ; par ce moyen il ne peut se for- mer de nouvel aubier , et la couche précédente de ce bois imparfait a le temps de se transformer en bois parfait, en bois solide. La dureté du'bois dépend beaucoup moins du tissu ligneux lui-même que de la consistance des sucs déposés dans ses cellules, dans ses maiiles ; or les sucs extravasés dans l’aubier sont plus abondans et presque fluides. On transforme du bois en aubier à-peu-près comme on change en car- tilages les os les plus endurcis, je veux dire en dis- solvant la matière qui s’est déposée dans le tissu pro- pre; à l’aide de l'acide nitrique, par exemple. Nous avons vu que chaque végétal à plusieurs coty- lédons acquiert chaque année une nouvelle couche Jigneuse; mais cette couche s’est-elle formée tout-à- la-fois et ‘tout d'une venue, ou est-elle composée d'autant de couches partielles qu’elle met de jours , de CHAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 403% semaines ou de mois à se former et à s’endurcir? Du- hamel a admis des formations partielles et successives, et il cite des expériences à l'appui de son opinion. On a remarqué que la couche d’une année se confondait quelquefois avec celle d’une autre année, et c’est ainsi qu’on explique pourquoi des ormes de cent ans, abattus aux Champs-Élysées de Paris, ont pu n’offrir que quatre-vinst- quatorze couches. On a aussi pré tendu qu'il y avait parfois deux couches ligneuses pour la mème année. Mais les couches de chaque année n'ont pas toutes la même grosseur : cela est #ubor- donné aux saisons, à la tempéraiure , et surtout à l'âge : c'est de vingt à trente ans que le tronc des chênes, par exemple , grossit davantage ; les couches de cette époque ont beaucoup plus d'épaisseur que celles de dix ans ou de soixante. Ainsiles couches ligneusesse recouvrent l’une l’autre et s’accolent à mesure qu'ellesse succèdent; et comme elles sont déjà endurcies et déjà engaînées au bout d'une année, il en résulte qu’elles ne peuvent plus alors prendre aucun accroissement, sicenest,encore quelque temps, en refoulant peu-à-peu ct faisant disparaître le Lissu cellulaire interposé entr'elles. 1] suit de là que ces couches n’éprouvent plus sen- siblement, après la première année, ni progrès, ni changemens de volume ou de forme; de sorte que si l’une d'elles a été ou gelée ou entamée , scuiptée ou couverte de chiffres et d'inscriptions, si des corps étrangers Jui adbèrent et la transpercent, ces mar- ques, ces corps étrangers, ces lésions, füt-ce même après un siècle, se retrouveront fidèlement conservés dans celle même couche et à leur date précise, C'est 26* 4o4 Liv. IIL. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. ainsi qu'on peut calculer, en additionnant les couches ligneuses superposées à une gélivure, à l'hiver de quelle année correspond cette dernière. C'est à ces enclavemens successifs qu’il faut attribuer ces corps organisés , fruits, graines de plantes , dépouilles d’ani- maux, découverts au centre de vieux arbres, et que certaines personnes ont attribués faussement à des productions spontanées. Un clou enfoncé dans la der- nière couche ligneuse d’un arbre, se retrouvera, vingé années après , vingt couches plus profondément : quoique fiché d’abord à la superficie, et demeurant sans déplâcement, sans attraction ni pereussion d’au- eune sorte , il aura cheminé vers le cœur de l'arbre, Cependant il est resté immobile, maïs tout a changé autour de lui. Demandez pourquoi les racines du Gui paraissent si profondes , pourquoi on les retrouve j us— que dans les couches centrales ; pourquoi les bran- ches paraissent s’enfoncer progressivement dans leurs troncs , et comment se forment les nodosités ligneuses : c'est par la même cause dont nous venons- de citer d’autres effets et d'expliquer l’action. C’est aussi par la même raison que toute compression long- temps persévérante d’un tronc ligneux y produit des. -excavations de plus en plus profondes. Éconce. Fibreuse à l’intérieur, celluleuse en de- hors , l'écorce a beauçoup d’analogie avec les couches ligneuses, quant à la superposition de ses lames, mais elle se développe en sens inverse. J'ajoute qu’elle est traversée, comme le bois, par des rayons médul- laires qu’on a supposés être une émanation de la moelle centrale. El se forme chaque année une couche d’écorce, GHAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 409 comme une couche de bois; mais la dernière écorce, au lieu de s'appliquer en dehors de la précédente, à la manière des couches ligneuses, se formant au contraire en dedans de la vieille écorce, il suit de là que la jeune couche corticale se trouve voisine de la jeune couche ligneuse, et que, l’année suivante, elles se trouvent séparées l’une de l’autre par deux nouvelles couches des deuxsortes. La nouvelie écorce, appélée Liber, est d’abord interne; maïs au bout d’une année elle est poussée vers l'extérieur; au contraire de la nouvelle couche de bois, ou de l’aubier, lequel tend à devenir central, elle tend, elle, à la surface. 1l est probable que la source commune de ces pro- ductions contiguës, mais opposées, se trouve au lieu de leur contiguité; et l’on croit que c’est le cambium dont nous parlerons ailleurs. Ainsi , il se forme chaque année une couche cor- ticale aussi bien qu'une couche ligneuse : mais il y a cette différence entr'elles, que les couches ligneuses se superposent , et persévèrent ense durcissant , tandis que la vieille couche d'écorce se desquamme ou meurt chaque année ; et nous devons observer que l'addition des couches de bois rendait indispensable ce conti- nuel renouvellement de l'écorce et sa destruction : car la même enveloppe corticale ne saurait contenir un tronc augmenté chaque année d’une nouvelle couche ligneuse. Ce qui paraît d’abord singulier , c’est que ce soit la plus petite écorce qui recouvre la plus grande ; mais ce qui rétablit les proportions, ce sont les ger- cures de l'écorce la plus vieille et la plus extérieure. Ajoutons que la destruction annuelle de l'écorce est déterminée par la circonstance même qui la nécessite, 4OG LIV. III. DE L'AGCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. je veux dire par l'accroissenient progressif du corps ligneux ; et voilà coment, L'’addilion d’une nouvelle ue de bois aux couches précédentes cause la distension de l'écorce, son amincissement, ses ger- eures, surtout la compression de ses vaisseaux , et bientôt l'écorce ancienne meurt et se dessèche par défaut de nourriture. Mais remarquons que , puisque Ja renovation de l'écorce est nécessitée par l'accrois- sement du corps ligneux, il faut nécessairement aussi que fa formation de fa nouvelle écorce ou du liber soit postérieure à l'achèvement parfait de la nouvelle couche ligneuse ; car si la formation de la nouvelle écorce et du nouveau bois, si la production du liber et de l'aubier était simultanée, on voit bien que le liber serait rompu et détruit par compression avant que d'être entièrement achevé. Non, il ne paraît pas probable que ces deux corps se forment à-la-fois dans Ja même saison , pas probable qu'ils puisent en même temps des matériaux à la même source; mais la pro-' duction em est successive , et vraïsemblablement Îa nouvelle écorce est formée du résidu des matériaux composant le bois nouveau. Puisque fa couche corticale tend toujours vers le dehors des végétaux, les corps étrangers dont on la traverse, les inscriptions qu'on y grave, ne disparais- sent poiDe vers l'intérieur, comme nous l'avons dit de ce qu on grave, de ce qu'on enfonce dans le corps ligneux. Setent , comme l'écorce est toujours dis= Lo d UE les empreintes qu'elle présente sout progres- sivement agrandies suivant l'épaisseur ; ; des Corps étrangers fèhés à la même hauteur dans son tissu , se trouvent, au bout d’un certain temps, plus éloignés CITAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 407 J'un de l’autre qu'ils n'étaient originairement , etc. C'est par le degré d’élargissement de lettres inscrites sur lé tronc monstrueux des Baobabs, qu'Adänson: supputa que ces arbres étonnans a it avoir cinq à six mille ans d'existence. À force de s'élargir, les inscriptions et les sculptures gravées sur l'écorce fi- _nissent par se défigurer et par devenir indéchifrables ; mais comme presque toujours le bois s’est trouvé en- dommagé en même temps que l'écorce superposée on peut espérer, en fouillant plus avant dans un trone d'arbre, de retrouver intacts et de grandeur primitive les caractères déjà presque méconnaissables de lé- corce, Supposons des inscriptions datant d’un demi- siècle, je dis qu'on peut retrouver dans la cinquan- tième couche ligneuse, en allant de l'extérieur vers le canal médaullaire, l'inscription des caractères ori ginaires dont l'écorce ne porte plus que des traces obscurcies. | ExveLorPESCELLULEUSE. Elle est située à l'extérieur des autres couches corticales : elle est pour ainsi dire Ja moelle de l'écorce, et elle est analogue à celle-ci par sa structure non moins que par son organisation. En effet, elle succède de dedans en dehors au liber et à l'écorce proprement dite, tout comme la moelle centrale succède, de dehors en dedans, à l’aubier et aux couches ligneuses ; or, noussavons que l’ordre des couches est en sens contraire dans le bois et dans l’é- corce. Cependant la position de l'enveloppe cellu- leuse au dehors du végétal la fait différer de la moelle- véritable , 1°. parce qu'au lieu d'être concentrée dans un canal, elle forme une zône autour des autres par- ties; et 2°. parce que son contact avec l'air lui permet 408 LIV. II. DE L'AGCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. d'agir sur lui, d’absorber , de fixer du carbone et de verdir. Cette enveloppe est excessivement mince dans le Platane ; très-épaisse , au contraire, dans le Chêne - liège, dont on la sépare artificiellement pour les be- soins de l’homme , une ou deux années avant sa des-. quammation naturelle. Elle partage les distensions, les gercures des couches corticales , et sa chute est périodique dans plusieurs sortes d'arbres ; mais il faut avouer que son mode de reproduction n’a pas été convenablement expliqué jusqu’à présent. Épiogrme. C’est la pellicule placée à la surface de. l'enveloppe celluleuse dont nous venons de parler : elle paraît tout-à-fait distincte de cette enveloppe ù seulement elle lui adhère et la revêt. On a plus ou moins de difliculié à l’en séparer. Si l’on fait attention à la manière dont les arbres s’accroissent et dont l’é- corce se renouvelle en se fendillant et se desséchant, on comprendra que l’épiderme doit être dilacéré cha- que année, et qu'il n'est bien distinct , avec les pro- priétés qui le caractérisent, que dans les jeunes troncs et les branches nouvelles, ou bien encore dans les intervalles des gercures des vieilles couches. Il ne faut pas prendre pour un seul épiderme cette masse in- forme , cette couche épaisse et inégale dont le tronc des vieux arbres est couvert ; ce sont là des débris, amoncelés et comme le cadavre de plusieurs écorces successives. Il y a des plantes qui paraissent avoir plu- sieurs épidermes superposés : le bouleau est dans ce, cas; aussi est-ce l’un des arbres de nos climats qui résiste le mieux au froid el qui redoute moins les ré- olons glaciales. | Racines. Les racines des plantes Exogènes croissent CHAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 409 en épaisseur absolument de la même manière que les tiges; elles forment en conséquence, par leur ren- contre avec ces dernières, deux espèces de cônes dont les bases s’adossent à ce point intermédiaire qu’on nomme le collet. Mais dans les plantes Endo- gènes ou Monocotylédones, au lieu de deux cônes, ce sont deux cylindres. Les racines ne croissent que par leurs extrémités ; le corps même de la racine n'é- prouve pas d’élongation totale comme nous l'avons dit pour les jeunes tiges : des marques placées à égales distances sur les racines encore tendres n’éprouvent jamais d'écartement sensible, et si on coupe ces ra- cines, elles ne s’allongent plus. D'ailleurs elles dif- fèrent des tiges en ce qu’elles n’ont ni trachées ni stomates ou pores, ni moelle centrale : toutefois elles ont comme elles des rayons médullaires, ce qui prouve que ces rayons ne sont pas nécessairement une éma- nalion de la moelle dans les tiges. Du reste, elles ont, comme ces dernières, une enveloppe celluleuse , une £corce , un liber, des couches successives, d’âges et de dureté différente ; car leur accroissement a lieu par zônes annuelles, comme pour les tiges. Elles sont pourtant très -différentes des tiges : elles ne verdis- sent jamais, lors même qu’elles seraient exposées à l'air; elles n'absorbent jamais de carbone, et quoi qu'on ait pu dire , jamais elles ne se transforment réel- lement en tiges, ni jamais les tiges en racines. Dans l'expérience de Duhamel, du retournement d’un ar- bre , on voit des racines naître des tiges , et des tiges provenir des racines ; mais les unes ni les autres ne se transforment; et même on voit périr, dans cette ex- périence , et les jeunes racines et les nouvelles pousses 410 Liv. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. de la tige. Nous avons vu que les branches des arbres dépendent des racines dans ce sens, que les plus grosses branches sont toujours du côté des racines les plus volumineuses, parce que ces dernières fournissent de ce côté une nourriture plus abondante. Par la même raison, les couches dubois sont plus rapidement parfaites, plus dures, plus épaisses, et l’aubier moins persévérant du côté des plus grosses racines. On: a aussi observé que les arbres situés sur ie penchant d'une montagne ont des branches parallèles aux ra- cines ; c'est-à-dire qu'elles sont courtes et verticales du côté de la cime, et longues et pendantes à cause: de leur poids plus grand du côté de la vallée ; parce que les racines n'éprouvent, en ce dernier sens, au- cun obstacle à s’accroître, aucune difficulté à des- cendre et à se nourrir dans le sol. I! suffit pour que les racines poussent des tiges our surgeons , qu'elles soient en contact avec l'air : et pour que dés racines naissent des tiges, il faut que celles-ci soient placées près d’un sol humide ou même qu'elles y pénètrent. Les tiges noueuses , et celles que beau- coup de fluides pénètrent, les plantes grasses our aqueuses , sont celles d’où proviennent plus aisément des racines ; et celles-ci naissent surtout versles nœuds et les articulations. Il est peu de parties vertes dans les végétaux qui ne puissent donner naissance à des racines: celles-ci naissent d'espèces de petites glandes ou Lenticules que l'écorce commune contient dans son épaisseur. Ces dernières racines sont nommées adventives. L'usage des racines est de fixer les plantes dans le sol et de les nourrir. On juge de leur âge comme nous avons dit qu'on juge de l’âge des tiges CAP. XII. ACCROISSEMENT DES VÉGÉTAUX. 411 exogènes , par le nombre des couches ligneuses con- centriques. Feurrres. Ordinairement avant de se développer les feuilles sont roulées , pliées ou diversement con- tournées dans leur bourgeon : mais leur mode d’é- panouissement a beaucoup de constance’et de régu- larité pour celles de la même espèce. On peutobserver, quant à leur disposilion, que jamais deux feuilles pa- rallèles ne se recouvrent immédiatement; mais que Ja troisième est ordinairement placée vis-à-vis de la première, et la quatrième en face de la deuxième ; que les plantes dicotylédones ou Exogènes ont cons- tamment leurs feuilles pr'imordiales opposées, tandis que les plantes Endogènes les ont alternes. Chaque année ordinairement les feuilles arliculées tombent d’elles-mêmes, en se désarticuiant ; celtes qui sont continues avec la lige meurent sans tomber, sans se détacher. Les feuilles qui absorbent et qui exhalent beaucoup, sont les plus promptes à se faner et à périr; également, celles qui ont un bouton dans leur aisselle sont plus Lôt tombées que les autres. Fruiurs. Eiles se développent, se déplissent, se déroulent et s’épanouissent à la manière des feuilles : ordinairement elles terminent les tiges ou leurs ra- eaux, ou naissent dans l’aisselle des fenilles ou des rameaux. Les différentes partics qui composent les Fleurs sont presque toujours alternatives : c’est-à-dire, que les divisions de la Corolle répondent à l'intervalle des divisions du calice ; que les Étamines sont situées vis-à-vis ces dernières, et en conséquence dans l’in- tervalle des Pétales ; et enfin que les Pistils sont pa- 12 Liv. Il. DE L'ACCROJISSEMENT DES CORPS VIYANS. rallèles aux pétales et qu'elles alternent avec les éta- mines. Cette disposition est rarement transgressée. Nous ne donnerons pas d’autres détails sur les fleurs: Il en a été fait mention dans une autre partie de cet ouvrage. { Joy. chap. V du livre l1. ) Nous n'avons eu en vue, dans ce chapitre, que ce qui concerne l'accroissement cet l’organisation des végétaux Dicotylédones ou Exogènes : nous ferons quelques remarques rapides, dans le chapitre qui va suivre , sur les végétaux à un cotylédon, ou Endo- gènes. Ces Léna sont en effet trop différens des autres pour n'en être pas séparés. CHAPITRE XIII. Remarques sur l'Accroissement des Plantes Monocotylédones ou Endogènes. Les plantes qui naissent avec un seul cotylédon se ressemblent, en outre, par d’autres caractères (i), mais surtout par leur mode d’accroissement. D'abord elles sont Endogènes, c'est-à-dire que ce sont leurs parties excentriques qui sont les premières formées, et que c'est à leur centre qu'elles produisent des couches nouvelles : voilà déjà deux caractères qui les diflérencient formellement des en à deux Coty- lédons où Exogènes. Outre cela, elles ne sont pas (x) Woyez D'Aubenton, Desfontaines, Mirbel , Decandolle, Richard, Du Petit-Thouars, Dulrochet, Lestiboudois, etc. CHAL. XIII. REMARQUES SUR LES MONOCOTYLEDONES. 413 formées de deux parties distinctes comme ces der- nières ; elles n’ont pas comme elles un bois nettement ‘séparé d’une écorce, elles ne sont pas formées de deux parties s’accroissant en sens contraire ; et si elles ressemblent à l’une de ces deux parties composant le tronc des dicotylédones, c’est uniquement à l'écorce, puisqu'elles s’accroissent en dedans comme celle-ci. Elles n’offrent donc qu’une seule masse uniforme et sensiblement homogène ; et de plus, elles n'ont ni de moelle centrale, ni de rayons médullaires. Si l’on coupe la tige d’un palmier , par exemple, « on voit qu’elle n’est composée que de fibres éparses, entremèêlées d'un tissu cellulaire qui les unit les unes aux autres. On remarque aussi que les fibres de la circonférence sont serrées les unes contre les autres, d'une consistance très-ferme, et évidemment plus âgées que les fibres intérieures. Ces dernières, au contraire , sont écartées , sont molles, d’une nature plus herbacée , et entourées d’un tissu cellulaire lâche et féculent. Chaque fibre est un faisceau mélangé de trachées et de vaisseaux divers, entremèêlés en outre ‘d’un tissu cellalaire allongé , et entourés d'un tissu cel- lulaire à mailles arrondies. La différence de consis- tance entre le centre et la cireonférence du tronc est toujours sensible , et quelquefois très-remarquable. IE est des palmiers dont la partie extérieure est tellement dure , que la hache ne peut l’entamer; tandis que Île centre est un tissu lâche et spongieux, qui s’altère par l'humidité. La circonférence des palmiers, quant à la consistance et à l’âge, représente donc le bois de nos arbres ; tandis que le centre est comme une sorte d’aubier. Toutefois il faut remarquer que ces deux 41% LIV. II. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. organes sont placés dans un sens inverse de ce que nous avons l'habitude de voir dans les exogènes. C'est de cet aubier central que naissent les feuilles et les fleurs ; c’est en un mot, c’est toujours par le centre que s'effectue le développement de toutes les parties des palmiers. Les jeunes feuilles des pousses annuelles des Dicotylédônes ou Exogènes naissent, il est vrai, semblablement en dedans des feuilles plus anciennes, ou à l’intérieur des bourgeons; mais si, sous ce rap- port, il yaressemblance entre les deux grandes classes de végétaux , elles n’en différent pas moins en cela, que tout le reste du développement du tronc se fait par l'addition de nouvelles couches ligncuses et en debors des premières ; tandis que, dans les Endo- gènes ou Monocutylédones, l'accroissement s'opère par l’interposition de nouvelles fibres, et seulement vers le centre du tronc, » On a comparé l'évolution ou développement des Palwiers au déploiement successif des cylindres em- boîtés d’une lunette d'approche. Dès son origine ; en effet, le palmier pousse une première rangée de feuilles qui lui forment comme un couronnement. Chaque année suivante, on voit naître à l'extrémité de la tige une nouvelle rangée ou touffe de feuilles, et ces feuilles elles-mêmes sont la terminaison et comme l'épanouissement d’une aouvelle couche qui s’est formée à l’intérieur de l’arbre , en dedans de la couche de l’année précédente. Il résulte de là que le palmier se compose de couches concentriques les unes aux autres, mais non distinctes entr'elles ; et ees couches se forment et se succèdent à l'inverse des souches ligneuses des plantes dicotylédones ou Exo- @HAP. XIIL. REMARQUES SUR LES MONOCOTYLÉDONES. 415 gènes : les couches les plus internes sont les der- nières formées. Et comme les couches les plus exté- rieures, de-toutes iés premières formées, sont trop dures, lors du développement des couches subsé- quentes, trop solides , pour céder à la pression que ces dernières exercent sur elles, à cause de cela les plantes monocotylédones ou Endogènes ne font de progrès qu'en hauteur ét nullement en épaisseur : bien plus , le développement des couches à l'intérieur produisant toujours chaque année des expausions semblables à l'extrémité de la vieille tige, il en résulte que les tiges des plantes monocotylédones sont sensi- blement de la mème grosseur dans toute leur étendue, sensiblement cylindriques. Car nous avons dit que les couches extérieures ne peuvenk; s'agrandir ni se dilater. Pour juger de l’âge des Palmiers ou des autres mo- nocolylédones vivaces, il suflirait de savoir le nombre des couches ajoutées intérieurement ct chaque année l’une à l’autre; mais puisque ces couches ne sont pas distinctes, nullement séparées , il faut recourir à un autre moyen. Or, nous trouvons une base plus sûre pour un semblable calcul , dans ces anneaux de feuilles qui couronnent annuellement ce genre de plantes. Si les feuilles tombent, il reste au moins des cicatrices indiquant leur présence et résultant de ieur chute ou destruction. La difficulté est que dans la suite des temps ces cicatrices même: finissent par s'effacer, et alors plus de moyens précis pour s'assurer de l’âge de ces végétaux : il ne reste tout au plus que l'appréciation de Ja longueur totale de la tige, composée de fractions à-peu-près égales pour chaque année , et par la com- 16 £IV. ITR DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS, paraison de la longueur totale avec la mesure d’une année , on peut juger quel nombre d’années il a fallu pour le développement du tout ensemble. Ilrésulte de cemode de développement des plantes monocotylédones. plusieurs particularités notables. Par exemple, comme ces végétaux ne croissent sen- siblement qu'en hauteur, on conçoit qu'ilsuffit qu’une seule pousse annuelle soit entravée, ralentie par n'importe quelle cause, pour déterminer un étran- glement manifeste dans la tige: on a vu des plantes de la famille dont nous parlons, présenter des étran- glemens sensibles par le simple effet d’une longue tra- versée sur mer par un temps inopportun. La même cause ne peut produire d'effets semblables sur la tige des exogènes ou dicotylédones; car comme elles croissent par couches concentriques superposées les unes sur les autres, il est clair que la maigreur, que : l'amoindrissement de l'une d'elles doit porter sur tous les points de la tige également, puisque cette nouvelle couche dépérie enveloppe toutes les parties alors existantes du végétal. S'agit-il, au contraire, des effets de compressions exercées sur ces tiges? ces compressions , on en voit la raison, produiront alter- nalivement des dépressions et des bourrelets sur les plantes exogènes ou dicotylédones (puisqu'elles s’ac- croissent à l'extérieur) ; tandis qu’elles n'auront aucun effet, aucun résultat apparent sur des plantes endogè- nes, dont la croissance se fait par le centre. Une Viorne, en conséquence, produit des empreintes sur un jeune Ormeau qu'elle enserre, et ne laisse aucune trace au contraire sur la tige d’un Palmier. Ge sont là des effets différens d’une cause semblable. CRAP. XIV. MONSTRUOSITÉS VÉGÊTALES. 415 Ce que nous venons de dire des palmiers est égale- ment vrai, à de faibles modifications près, de toutes les plantes à un seul cotylédon ou endogènes : toutes diffèrent des exogènes, en ce qu'elles croïissent en dedans , en ce qu’elles n’ont point d’écorce, point de moelle centrale isolée, point de couches annuelles appréciables, nul progrès pour l'épaisseur après les premières années, mais seulement un accroissement en hauteur par des pousses terminales. Autrefois, avant qu’on eût neltement différencié les végétaux endogènes des exogènes, on ne pouvait dire rien de uénéral sur les tiges et leur accroissement, sans être arrèté à tout instant par des exceptions embarras- santes ; aujourd'hui que ces généralités sont plus res- treintes , elle sont du moins d’une grande exactitude. La nature est si variée dans ses productions, si di- versifiée dans ses phénomènes, si féconde en causes secondaires, que pour découvrir la vérité dans ses œuvres, il faut ordinairement descendre jusqu'aux faits individuels. Les généralités ne sont souvent que de superbes mensonges. CHAPITRE XIV. Irrégularités, Anomalics réelles ou seulement apparentes des Végéteux. — Soudures. — Avortemens. — Métamorphoses. Les Anomalies et les Difformités sont encore plus fréquentes pour les plantes que pour les ‘animaux. Beaucoup sont purement accidentelles, et causées, L. 27 418 Liv. IN. DE L ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. soit par descompressions, d'où naissent de profondes dépressions dans les tiges exogènes; soit par des froids trop-vifs et trop prolongés, ce qui engendre des gélivures concentriques pour les plantes exogènes, et des étranglenrens insolites pour les endogènes ; soit par des piqûres d'insectes, d’où résultent des végé- tations irrégulières, des proéminences dilformes. La moelle centrale. peut aussi se trouver déjetée d’un côté de la tige et loin de son axe, par l'effet de l’'épais- seur plus g DAT des couches ligneuses du côté oppo- sé; et cela arrive toutes les fois que les racines trou- vent dans un sens, plus que dans les autres, de la facilité à s'étendre, à croître et à se nourrir. Il suffit quelquefois, ou de couper les bourgeons floraux, ou de détruire ceux des boutons à bois qui sont pré- disposés à prendre de l'accroissement, pour déter- miner la crue d’autres parties qui, sans cela, fussent demeurées stationnaires : et même celte opéralion si simple peut changer l'aspect et la physionomie de tout un végétal, au point de le rendre méconnais- sable à distance. | Mais il est vrai de dire que la plupart des diforaités sont natives, ou du moins originairement prédisposées dans quelques espèces. Les causes en sont diverses : tantôt ces anomalies tiennent à un avortement d’or- ganes, tantôt à une soudure , à une adhérence, ou bien à une sorte de élan oie de certaines parties. Nous allons citer des exemples de chacune de ces espèces d’irrégularités. Quant aux Avortemens de beaucoup d'organes, c’est une chose assez commune dans les plantes; il est impossible d'en nier l'existence. Ainsi la première CHAP. XIV. MONSTRUOSITÉS VÉGÉTALES. “19 fleur de la Rue a seule dix Étamines (et c'est à cause de cela que Linné a rangé cette plante dans la Décan- drie), mais les autres fleurs n’en ont que huit: les deux autres avorient constamment, Les fleurs tétra- dynames de beaucoup de crucifères deviennent quel- quefois simplement Tétrandres, par l'avortement des deux petites étamines ordinairement sur-ajoutées aux quatre grandes. Bexucoup d’autres plantes manquent souvent ainsi de plasieurs des étamines composant le nombre total naturel à leur espèce. On voit pareille- ment manquer, chez cerlains végélaux, des pétales, des pistils dans la fleur, des graines dans l'ovaire, un cotylédon dans l'embryon, elc. Le même arrêt dans l'accroissement, le même défaut d'organisation se remarque dans les autres parties de la plante: c'est ainsi que beaucoup de feuiiles se transforment en simples vrilles; que de jeunes rameaux, manquant de nourriture, se transforment en épines; et si quel- ques plantes ont la singularité de n'avoir d’épines que dansune culture plus perfectionnée et plus favo- rable. cela dépend de ce qu'une nourriture trop abondante a déterminé la production de rameaux supplémentaires qu'il n’est pas dans !a nature du vé- gétal de développer. Les exemples de Soudures sont aussi fort nombreux; et même ces adhérences sont si constantes dans cer- taines familles de plantes, qu'on pourrait aisément se méprendre en Îles confondant avec des dispositions normales et un état naturel. Il est assez fréquent de voir les deux cotylédons de quelques graines de dico- tylédones tellementunis, qu'on croirait qu'il n'existe réellement qu’un seul cotylédon: cela est vrai en 2 420 LIV. IL. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. particulier du Cycas. Deux graines se soudent aussi quelquefois pour n’en former qu’une, et cette dou- ble graine renferme alors deux cotylédons, 'il est vrai souvent imparfaits. Les étamines s'unissent de même, tantôt par leurs anthères (dans les fleurs composées ou Syngénèses ); tantôt par les filets, dans les plantes de la Monadelphie , de la Polyadelphie, etc. celles du Barnasia sont soudées à-la-fois par les anthères et par les filets. La même chose se remarque pour les pistils et pour les ovaires. Deux feuilles, deux fleurs, deux branches, deux troncs, deux racines souvent se gref- fent ensemble, de manière à ne plus former qu’un corps unique après leur soudure. val J'en dis autant des Transformations ou Métamor- phoses; les exemples en sont nombreux. Sans parler de la racine et de la tige, qui (quoi qu’on en ait dit) ne se transforment jamais l’une ou l’autre , on voit de jeunes rameaux se changer en épines, ainsi que nous l'avons exposé, par une sorte d'avortement;etcesépines redeviennent rameaux foliacés , lorsque le sol où vit la plante est plus riche, moins ingrat. Il est de même habituel que les feuilles du calice des composées se changent en aigrettes sèches ; que les étamines, et parfois aussi les pistils, dans les fleurs doubles } se transforment en pétales ; une chose plus rare, c’est la transformation des pétales en étamines. Enfin ; les feuilles se changent quelquefois en vrilles, les pétioles ou même les tiges en feuilles : il n’y a pas jusqu’au spermoderme, ou peau delasemence, à qui l’on n'ait vu subir de ces dernières transformations (1). (1) M. Du Petii-Thouars.— Consultez aussi, pour tout ce chapitre, Goëthe, Autenrieth, Decandolle, Corrca, Cassini, Rob. Brown, elec. . uuAr. XIV. MONSTRUOSITÉS VEGÉTALES. A21 Comme ces métamorphoses, ces avortemens et soudures d'organes sont d’une grande constance dans certaines espèces , il est résulté de là qu’on a souvent pris de pareilles anomalies pour l’état naturel; .et qu’au contraire, l’étatprimitifet de nature a passé pour une irrégularité, pour une anomalie. Ainsi on a vu des fleurs présenter plus d’étamines qu'elles n’en ont d'habitude ; d’autres, dont les étamines sont ordinai- rement soudées, les avoir isolées; on a vu des fleurs qui n'avaient habituellement que des pétales nom- breux , offrir tout-à-coup plus d’étamines et moins de pétales , vu des aigrettes changées en feuilles de ca- lice , des pétales redevenus pistils dans quelques anémones , des épines transformées en vrais ra- meaux , etc. ; etl’ona pris toutes ces choses pour des difformités, pour des anomalies , lorsqu’au contraire il n'aurait fallu y voir qu'un retour à l’état primitif et normal. st Cependant nous avons plusieurs moyens de nous assurer que ces développemens extraordinaires d'or- ganes soht l'état de nature. Indépendamment de ce que la symétrie des organes paraît visiblement aitérée, nous voyons, par exemple, certains Géraniums n'avoir que cinq ou sept étamines , tandis que la plupart des plantes de ce genre en ont dix; et c'est un,motif de croire quil y a dans ce cas avortement. | Outre cela, on retrouve presque toujours quelques rudimens des organes avortés, nouveau motif, Maintenant si la mème fleur, qui n'avait que sept étamines, vient à en offrir dix, n'est-il pas naturel de penser que ce dernier cas est la disposition régulière de cette fleur? On voit une rose avec des pétales nombreux, et peu 422 LIV. INT. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. ou point d’étamines; est-ce là l’état de nature? on transplante la tige où tenait cette fleur dans un sot moins fertile et d'une culture plus négligée, et alors on voit diminuer le nombre des pétales, et se mul- tiplier les étamines dans fa même proportion : est-ce à une anomalie ? est-ce là une irrégularité? n’est-1 pas évident, au contraire, que les pétales mültipliés de Ja fleur double n'étaient que des étamines, je ne dis pas avortées , maïs transformées ? C’est de la même manière qu'on voit parfois se transformer en étamines, des cornets de fleurs d’Ancolie; que les Anémones dont la culture avait changé les pistils en pétales , reprennent ces pistils, lorsqx’on les aban- donne sans culture. Maïs voici un exemple plus décisif. Je suppose qu’on trouve six glands au lieu d’un dans une capsute de Ghène, n'est-il pas vrai qu’on croira à une monstruosité ? ce ne serait pourtant là qu'une disposition normale et régulière ; car ïl est sûr que le jeune fruit du chène se compose originai- rement de trois loges contenant deux grains chacune; et si le gland est ordinairement unique , cela n’est dû qu'a l’avertement des cinq autres semences qui lui furent contemporaines : ilen est de même du fruit du marronier , mais je ne finirais pas si je voulais citer seulement la centième partie des faits de ce genre. Redisons donc que l'habitude des dispositions les plus irrégulières fait regarder souvent comme anoma- lie un retour à la régularité native; Je veux dire à la restitution d'organes habituellement avortés. Il est clair que, dans toute espèce où les monstruosités sont fréquentes, on est porté à regarder comme mons- tres, les êtres les plus réguliers : et c'est précisément CHAP. XIV. MONSTRUOSITÉS VÉGÉTALES: {25 ce qui arrive pour beaucoup de plantes. Il est facile de s’kabituer à prendre pour des tous uniques, mais seulement divisés, des organes réellement composés de parties distinctes. Ainsi on dit que le calice, que la corole se divisent , au lieu qu'il faudrait dire que ces. organes sont composés de pièces entr'elles adhérentes et soudées, comme on à raison de le dire des éta- mines et des pistils unis. I faudrait aussi changer le langage , ou du moins les idées, pour ce qui regarde Îes avortemens de di- vers organes. Ainsi, certains fruits n'ont qu’une loge cloisonnée, que parce que plusieurs fruits se sont soudés pour n’en former qu'un; certaines fleurs ne sont stériles, que parce que les étamines ou les pis- tils ont avorté : peut-être mème beaucoup de plantes ne sont-elles dioiques ou monoïques, c'est-à-dire à fleurs diversement unisexuelles, qu'à raison d'un. avortement des pistils dans certaines plantes ou dans une partie des fleurs, ou à cause d’un semblable avor- tement des étamines dans les autres. Et ce qui au- torise encore celle opinion relativement aux dioi- ques, c’est qu'il est peu de fleurs de cette nature qui ne présentent au moins parfois la réunion d'organes inâles et d'organes femeHes; et voilà même la source. des erreurs que commit Spallanzani au sujet des. graines du chanvre. ( Woyez chap. V, liv. I.) Remarquons à ce sujet qu’il paraît aussi naturel: aux plantes d’être hermapbrodites, je veux dire de. réunir les organes des deux sexes dans les mêmes. fleurs, qu’ilest naturel aux animaux supérieurs d’être unisexuels. Et même tout porte à penser que les. plantes ne deviennent unisexuelles , qu'en vertu des. 424 Liv... DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. mêmes causes qui font paraître les animaux vertébrés hermaphrodites, c’est-à-dire par un arrêt dans l’ac- croissement, par une sorte d’avortement des organes reproducteurs. = Il est encore plusieurs observations à faire à l’égard des anomalies et des monstruosités des plantes; voici les principales : 1°. Les organes des végétaux sont d’autant moins variables, d’autant moins exposés à se déformer, à devenir irréguliers, qu'ils sont moins nombreux : leur grand nombre les expose davantage à des compres- sions , et à cause de cela à des avortemens , à des sou- dures. Les fleurs en épi, les pédoncules multiflores, les fleurs composées, sont les plus enclins à des ano- malies , à des avortemens, et à des irrégularités di- verses. *. En général, les premiers organes développés sont les plus réguliers : la plante jouit alors de toute son énergie. Îlest rare que les premières fleurs éprou- vent des avortemens ; elles offrent presque toujours le caractère normal de l'espèce et de la famille : nous en avons cité un exemple pour la Rue. Il en est de même pour tous les autres organes : les feuilles pri- mordiales sont, à cause de cela, toujours plus signi- ficatives. Ainsi toute plante dont fra premières feuilles sont alternes , est monocotylédone : une disposition semblable serait monstrueuse dans les dicotylédones ou Exogènes. 3°. Les fleurs terminales sont les plus régulières, parce qu’elles sont les plus libres, et qu'elles sont d’ailleurs dans le sens direct des vaisseaux : la liberté et l'isolement favorisent la régularité de structure. CHAP. XIV. MONSTRUOSITÉS VÉGÉTALES. 429 4°. Il existe pour chaque organe des plantes une sorte de symétrie qui peut indiquer les anomalies qu'elle éprouve : il y a pour chaque famille de végé- taux un certain arrangement, un certain nombre arrêté d'organes, qui en font découvrir les transgres- sions. Ainsi les pétales , les sépales, les étamines, les pistils et les ovaires sont toujours dans des propor- tions relatives : le nombre des uns est tantôt pareil, tantôt double, tantôt multiple des autres. Outre cela les divisions du calice sont ordinairement parallèles à l’attache des étamines, les étamines alternent sou- vent avec les pétales et les pistls, et ces derniers, par conséquent, sont ordinairement parallèles aux pétales. | 5°. Les plantes dicotylédones ont une sorte de prédilection pour les nombres quatre et cinq, et leurs multiples : cinq ou quatre pétales; huit, cinq, dix, douze, vingt étamines ; quatre, cinq ou huit pis- tils , etc., sont, pour ces plantes, des proportions assez habituelles. Le nombre trois et ses multiples est surtout familier aux plantes monocotylédones ou en- dogènes. I} naît de là un nouveau moyen de décou- vrir des irrégularités, des soudures, des avortemens d'organes , un moyen de constater des anomalies. 6°. Ce qui serait régulier pour les plantes dicoty- lédones, est souvent irrégulier et monstrueux pour les monocotylédones. 7°. L'avortement d’un des organes floraux entraîne presque toujours à sa suite l’avortement d’autres organes, de sorte que les fleurs conservent leurs pro- portions et la plus parfaite symétrie au sein mème des plus grandes irrégularités, C’est ainsi, par exemple, 426 HBIv. I1I. DE E'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. qu'on retrouve sur une même lige des fleurs dont le calice a quatre divisions, la corolle quatre pétales, à huit'étamires et quatre pislils et ovaires; et d’autres fleurs à einq pistils, dix étamines, cinq pétales et cinq divisions au calice. La symétrie est par là con- servce. 8°. Souvent une plante imparfaite au moment de son épanouissement, élait parfaite un peu auparavant. C’est absolument comme pour les animaux : les ano- malies proviennent presque toujours de ce que les différentes parties n'ont pas fait parallèlement des progrès , de ce que plusieurs sont restées stationnaires à des âges différens. 0”. On prend souvent pour un état régulier, dans les plantes, une monstruosité habituelle, et l’on re- sarde, au contraire, comme anonralie, une simple restitution de l'état régulier et primitif. Ce qu'on ap- pelle Pélorie dans plusieurs fleurs, n’est point une monstruôsilé; c’est tout simplement la crue achevée, le développement régularisé d’étamines habituelle- mént avortées. | 10°. Il est commun que deux organes ne se fondent: entre eux qu’en conséquence de ce qu’une autre par- tie ne s’est pas accrue ; il est de même ordinaire qu'une. partie n’avorte que parce que d’autres parties abreu- vées des mêmes sucs se sont rapidement accrues. Ainsi, les bourgeons médians de certains arbres avor- tent par suite de l’élongation rapide des bourgeons latéraux; mais si ces derniers sont détruits où empê- chés, alors le bourgeon central se développe. I est bien vrai que, dans ce balancement des organes voi- sins, l’extrème développement de l'un dépend sou- CIIAP. XIV. MONSTRUOSITÉS VÉGÉTALES. 427 vent de l'avortement d'un autre, mais la règle oppo- sée est infiniment plus ordinaire. 11°. Ce que nous venons de dire s'applique aux métamorphoses. Il est difficile de dire, par exemple, si les bractées de l’Hortensia ne's’accroissent et ne se teisnent des plus belles couleurs que parce que ses fleurs véritables avortent, ou si l'avortement de ces dernières n’est dû qu'à l’excessif développement des autres. Le phénomène des fleurs doubles provient bien plutôt d'une métamorphose que d’un avorte- ment ; car il n’a jamaislieu que dans les circonstances lcs plus propices au rapide accroissement des végé- taux. 12° Lorsque deux organes ou deux parties se fondent pour n'en former qu'üne , il arrive alors presque toujours qu'il y a en même temps surcroît et diminution d'organes : deux fleurs ou deux graines soudées ont plus de parties qu'il n’en faudrait pour une seule, et moins que les deux ensemble. C'est ainsi que deux semences unies de dicotylédones, n’offrent que trois cotylédons, au lieu.de quatre, dans les deux embryons soudés qu’elles renferment( 1). Les monstres doubles d'animaux présentent des caractères absolu- ment analogues. | 19°. Les organes floraux contigus sont les plus en- clins à se métamorphoser les uns dans Îles autres ; ainsi le calice se change quelquefois en pétales colo- rés, les pétales deviennent étamines, les étamines (x) Observation de M. Decandolle Bls, Rquel se montre déjà digue de porter un nom qu'ont pour toujours illustré les travaux de son père. 438 LIV. 111. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. pistils ou même ovaires, ou de même en sens in- verse. + 14°. Il est certain qu on a vu des étamines se chan- ger tout à-fait ou partiellement en ovaires, c’est-à- dire contenir des ovules avec ou sans pollen (1). On a vu pareillement des pistils se changer en étamines et porter des espèces d’anthères remplis de pollen. Les organes floraux peuvent donc se métamorphoser réciproquement les uns dans les autres ; tous peuvent de même se transformer en pétales; il n’y a pas jus- qu'aux divisions du calice, jusqu'aux bractées, et qui plus est jusqu'aux feuilles de la tige, qui ne puis- sent ressembler aux pétales et en revêtir les brillantes couleurs. Il n’est pas, en outre, un seul de ces or- sanes reproducteurs des plantes, pas même les se- mences, qu'on n'ait vu parfois se transformer en feuilles. De toutes ces observations -on conclut que ces organes sont tous de même nature, tous ressem- blans aux feuilles; qu'enfin tout végétal ne se com- pose que de trois organes différemment configurés , savoir : la racine, la tige et les feuilles. CHAPITRE XV. Circonstances indispensables au premier Accroissement des corps vi- vans. — Incubation. — Gestation. — Germination. — Avortement singulier des Didelphes. Chaque être vivant a sa première origine dans un autre être semblable, à lui : beaucoup même prennent (1) M. Du Pelit-Thouars. CHAP. XV. DE L'INCUBATION, ETC. 429 leurs premiers accroissemens précisément dans le lieu ou du moins dans l'être où ils oft leur première source , et ils ne commencent à vivre d’une existence indépendante qu'au moment où ils quittent le sein maternel. Mais il est d’autres êtres très-nombreux qui se développent, loin de leur première origine , dans un ovule , séparé du corps vivant qui l’a produit, et au sein duquel le nouvel être trouve, en même temps qu'un abri, tout ce qui peut servir à le nourrir et à l’accroître : nous pouvons citer des exemples de ces différens modes d’accroissement. D'abord, les véri- tables Vivipares produisent des petits vivans , et la première crue de ces jeunes animaux s'effectue dans la matrice de leur mère. Quant aux animaux Ovipares, ils ne sortent ordinairement de l’œuf où ils prennent naissance, qu'un certain temps après que cet œuf est lui-même détaché de la femelle qui l’a produit. D'autres ovipares, il est vrai, éclosent au-dedans de leur mère, et on les appelle à cause de cela Ovo-vivi- pares. Enfin, les Plantes, déjà formées en miniature dans les graines encore adhérentes au réceptacle de la plante-mère, ne se développent d'une manière évidente qu'après la chute de ces graines dans un sol ou sur des corps favorablement disposés. Il est des végétaux qui donnent naissance , sans fleurs visi- bles, sans véritables graines , à des Bulbes conte- nant les linéamens de plantes nouvelles : il est de nême‘des animaux qui produisent de leur corps des bourgeons , des Gemmes, sortes d'œufs imparfaits, étrangers à toule espèce de fécondation ; et ces’ bour- geons , détachés de leur souche commune après y 430 Liv. 11. DE L'AGCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. avoir pris un notable accroissement, vont ensuite former de nouv@fux animaux: | Maintenant, outre Ja circonstance de provenir-tous d'êtres semblables à eux et d’avoir primitivement ad- hére à leur propre substance, outre cette autre cir- constance de naître tous d’une sorte de bourgeon ou d'un ovule au sein duquel le germe du nouvel être est d’abordinvisible , tous les corps vivans ont en commun cette autre perlicularité , que le premier accroisse- ment ne s’en effectue qu’à la condition, ou qu'ils adhèrent à leur mère, ou qu'ils en éprouvent le voi- sinage , qu'ils en reçoivent une bienfaisante chaleur, ou du moins une chaleur étrangère leur tenant lieu de cette chaleur maternelle et vivifiante. Tou- jours est-il que tous les corps vivans trouvent dans l'ovule qui leur sertde premier berceau, la première nourriture nécessaire à leur premier accroissement ; etque tous ont également besoin d’une chaleur étran- gère, agissant sur eux jusqu’à ce qu’ils jouissent d'une existence individuelle entière, jusqu’à ce qu'ils effec- tuent une sorte de respiration, en agissant pour le décomposer , sur l'air libre ou emprisonné qui les entoure. ‘ Ainsi donc, tous les êtres vivans éprouvent le be- soin d’une.sorte d'Incubation. Le jeune Polype ne se détache de sa souche originaire qu'après qu'il est déjà assez formé pour suffire seul à ses propres besoins. Cependant il faut remarquer que les polypes nés durant l'hiver on dans l’automne se détachent assez vite de la base commune pour se développer isolé- ment, tandis que ceux de l'été demeurent plus long- CHAD. XV. DE L'INGUBATION, ETC: 45 temps agurégés. Cetles des plantes qui se reprodui- sent par des bulbes ou des espèces de bourgeons, ressemblent beaucoup aux polypes en ce que nous venons de dire; les bulbes ne se détachent de la plaute-mère qu'après leur avoir long-temps adhéré, et seulement alors qu'ils peuvent s’enraciner et s’ac- croître. La graine encore renfermée dans l'ovaire où elle a été Dane , contient déja l'embryon visible d'une nouvelle plante : elle subit là une sorte d’in- cubation ; et comme elle reçoit sa part des vaisseaux ramifiés dans le tissa de la plante-mère, et d’ailleurs comme ces vaisseaux sont immédiatement continus aux siens , à cause de cela elle ressemble beaucoup mieux à ce qu'on observe pour les jeunes vivipares qu’à ce qui a lieu pour les onpars Ïl est même des graines qui germent avant de s'être détachées de la mie mère : les fruits du Manglier en sont un exem- ple. Une graine, q@elle qu’elle soit, étant déposée, loin du jour, dans un sol humide et assez léger pour per- mettre l'accès de l'air, l'embryon déjà formé qu’elle recèle continue de s’accroître. La radicule s'implante dans la terre, où ses nombreuses ramilcations puisent des sucs nourriciers; la plumule se prolonge en tige ordinairement hors du sol ; les cotylédons, ou pre- mières feuilles séminales, tantôt restent au-dessous de la plumule et tantôt et plus souvent la surmontent, et, sortis de terre ou se trouvant cachés par le sol, ils finissent par se flétrir, leur substance s'épuisant peu-à-peu par la nourriture quils fournissent à la plante nouvelle : ensuite on voit successivement pa- raître des feuilles, des bourgeons, des fleurs ; et de ces fleurs naissent de nouvelles graines, renfermant 452 TAV. III. DE L'ACÇROISSEMENT DES CORPS VIVANS. les embryons d’autres plantes. Ainsi la graine, tant qu’elle reste attachée à son réceptacle, est l’image assez parfaite de l’ovuüle des vivipares; mais une fois insérée dans le sol, elle éprouve une sorte d’incu- bation à la manière des œufs des ovipares. Tous les êtres vivans offrent la plus parfaite simi- litude en ce que rous venons de dire. Les Crustacés portent leurs œufs, jusqu'à ce qu'ils éclosent, sous l'extrémité évasée de leur queue ; beaucoup de Mol- lusques gardent les leurs à l’intérieur de leur corps jusqu’à ce que des petits en naissent : ils sont par conséquent ovo-vivipares. On voit des Araignées porter leurs œufs patiemment dans leurs mains et les échäuffer jusqu'à parfaite éclosion. Quelques Insectes, quoique se reproduisant tous par des œufs, mettent au jour des petits vivans ; d’autres accouchent de larves, ou de nymphes déjà deux fois transformées. Il en est d’autres qui déposent leurs œufs dans des feuilles , dans des fraits ou des corps ligneux , dans le con- duit digestif ou dans les narines d’autres animaux, dans des peaux ou des vêtemens, dans des immon- dices ou des chairs en putréfaction ; et ils éprouvent ; dans ces diverses circonstances , une chaleur favorable à leur développement et aux progrès de leurs méta- morphoses. On voit même des insectes qui couvent réellement leurs œufs : la Cocheniile , par exemple, couvre les siens de son propre corps façonné en bou- clier; et elle meurt en les protégeant , et les échaul- fant d’un reste de chaleur vitale. Beaucoup de Vers engendrent dans le corps d’au- tres animaux. Les Poissons, ou sont ovo-vivipares, ou déposent leurs œufs dans des plages et selon des CHAP. KV. DE L'INCUBATION , ETC. 435 expositions favorables à l’'éclosion de leurs petits, Les mères, en général, leur donnent peu de soins, et n’exercent d’incubation d'aucune espèce : les œufs une fois déposés , elles les abandonnent. Toutefois, il est plusieurs espèces qui tiennent leur frai renfermé dans une sorte de poche située derrière l’anus, ou appendue à la peau du ventre. Les Reptiles, presque tous, déposent leurs œufs à-peu-près comme les poissons ; seulement la longueur de l'accouchement, dans quelques espèces, détermine des effets équiva- lens à un commencement d’incubation. D’autres même prennent de leur progéniture des soins tout particu- liers : ainsi, le Pipa femelle reçoit ses œufs, des mains du mâle , qui-aide à l’accouchement, dans une sorte de cavités ou de cellules creusées dans la peau de son dos ; et c’est là qu'ils éclosent par l'effet d’une véri- | table incubation. La plupart des Oiseaux couvent eux-mêmes leurs propres œufs , ou d’autres pour eux. On a dit que quel: quesoiseaux des pays équatoriaux n'étaient pas soumis à ce long assujettissement , la chaleur naturelle au climat pouvant suflire à l’éclosion de leurs œufs : on disait chose pareille de l’autruche ; on assurait qu'il ne couvait jamais; mais Adanson s'est assuré , à l’ins- tigation de Réaumur, que cet oiseau couve au Sé- négal, au moins pendant la fraîcheur des nuits. Cette incubation' naturelle des oiseaux peut être remplacée artificiellement par la chaleur des fumiers, du soleil, ou des fours. Ces divers moyens, que nous ont d’a- bordenseignés les Égyptiens , ont été imités dans les divers états d'Europe. Reaumur a donné d'’inté- A. 20 234 Liv. IL. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. ressans détails et de bons préceptes au sujet des in- cubations artificielles. On peut même faire éclore des œufs en les exposant d'une manière persévérante à l'influence de la chaleur humaine : on assure que l’impératrice Livie eut recours à de semblables pra- tiques par superstition plutôt que par amusement ou curiosité. J’ai dit que l'oiseau d’une espèce peut couver les œufs-d'une autre espèce, sans dommage pour les jeunes embryons , la chaleur des oiseaux étant à- peu-près la même pour tous. Le Coucou, par exemple, dépose ses œufs dans le nid d’autres oiseaux qui les couvent pour lui. Une chose'étonne à ce sujet, c'est que les oiseaux ne produisent jamais au jour de petits vivans : je dis que la chose paraît étonnante, parce que beaucoup d’entr'eux conservent leurs œufs tout fécondés par les mâles à l’intérieur du corps, tout autant de temps qu'il en faut pour les faire éclore par l’incubation. On sait qu'un Coq, dans une seule copulation, féconde quelquefois de quinze à vingt œufs, dont les derniers ne sont pondus qu’au bout de vingt à trente jours ; or, il ne faut que vingt- un jours d’incubation extérieure pour en déterminer l’éclosion. Comment donc des œufs fécondés dans le même instant, et pondus à de si longs intervalles, ont-ils tous également besoin de la même durée d’incubation ? La chose paraît assez difficile à expli- quer : voici toutefois quelle en paraît être la cause. Les ovulesde l'oiseau ne sont pas encore assez parfaits, tant qu'ils restent attachés à l'ovaire, pour servir à l'accroissement du jeune oiseau; et ce n'est que durant le trajet que suit l'œuf dans les oviductes qu’il CIAP. XV. DE L'INCUBATION , ETC. 435 revêt toutes ses parties indispensables, qu'il se com- plète. Jusque-là il manquait d’albumen, fluide néces- saire à l’alimentation de l'embryon. À l'égard des animaux vivipares ou Mammifères, ils produisent tous, comme leur nom l'indique , ils mettent au jour immédiatement des petits vivans, fœtus d’abord continus à la substance de leur mère, existarit de son propre sang , et renfermés ,outre cela, dans les enveloppes'de l’ovule primitif, graduellement accru, au sein duquel ils nagent dans les eaux de l’amnios. Au terme de la gestation ces fœtus se séparent de leur mère, et ce n’est qu’au moment de leur sortie de l’utérus maternel que commence leur individua- lité, c'est-à-dire leur respiration. Quelques animaux continuent cette incubation à l'égard de leur progéniture , quelque temps encore après l'accouchement ; beaucoup d'oiseaux continuent de couver leurs petits après l’éclosion; les mamuni- fères exercent de même une sorte d’incubation tem- poraire par le fait de l'allaitement. Il est des cétacés qui portent leurs petits nouvellement nés dans leurs bras ; et même quelques animaux avalent leurs jeunes nourrissons et les gardent quelques instans dans leur bouche, soit pour les préserver d’un danger immi- nent, soit pour les réchauffer dans l'état de souf- france et de maladie. La grande famille des animaux Didelphes ou Mar- supiaux présente , sous ce rapport, les plus curieux phénomènes. Il paraît que ces animaux ont une ma- trice dépourvue de col et de rétrécissement , et que de là vient qu'ils avortent. Que cette cause soit réelle, qu’elle soit la seule ou qu'il y en ait d’autres , toujours 26. 456 LIv. 111. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. est-il que les animaux de cette classe, les sarigues , les kanguroos, les dasyures, les péramèles, les phas- colômes , les koala, mettent bas leurs portées avant l'époque où les fœtus seraient assez accrus et assez forts pour vivre isolés, pour se nourrir d'eux-mêmes et respirer. Afin d’'obvier aux effets naturels de cette sorte d’avortement, ies petits embryons encore in- formes sont transposés, on ne sait par quelles voies ni quels moyens, de l'utérus où'ils ont commencé d'exister , dans la poche mammaire que la plupart des animaux de cette famille ont sous le ventre. Ils se fixent par la bouche aux nombreuses tétines alors gonflées que protège la bourse abdominale ; ils leur adhèrent inséparablement ; et même leur bouche semble ne plus faire qu'un même tout continu avec les mamelons : c'est à ce point, que le sang de la mamelle paraît passer dans le corps du jeune animal qui s’y trouve attaché , ou que du moins les vaisseaux sanguins des mamelons paraissent s’anastomoser avec les vaisseaux'des lèvres des embryons. J’ai dit qu’on ne savait quelle voie suivent ces petits êtres informes pourj parvenir jusqu'aux tétines, jusqu'à la bourse ventrale. Il est cependant probable qu'ils sortent par la vulve , et que la mère les transporte après cela, avec une circonspection et une tendresse infinie , dans la poche protectrice où sont contenues et abritées les mamelles. Toutefois, quelques personnes ont assuré que la peau du ventre ét ses parois entières se fen- daient pour livrer un passage direct de l'utérus dans la bourse mammaire. Toujours reste-t-il un grand nombre de points fort incertains touchant l'histoire de ces animaux singuliers ; mais nous espérons fer- CHAP. XV. DE L'INCUBATION , ETC. 437 mement que les recherches de MM. Quoy et Gai- mard , maintenant à la Nouvelle Hollande { patrie des kanguroos et des phascolômes ), dissiperont bientôt la plupart de nos incertitudes. On ignore si les petits embryons fixés aux tétines de leurs mères en tirent du lait ou du sang ; si ces tétines leur tiennent lieu de placenta ou de vraies mamelles. Et même on n’a pu encore s'assurer si les traces du cordon ombilical étaient évidentes dans les jeunes Didelphes : il est du moins certain qu’à l’é- poque où ces embryons se fixent aux tétines de leur mère , l'ombilic est dès-lors véritablement transporté à la bouche, qui en tient lieu. On remarque que la bourse abdominale est fermée dansles premiers temps, et qu'elle ne s'ouvre qu'au moment où la respiration devient indispensable. Quelques personnes ont pensé que ces animaux n'habitaient en aucun temps l’utérus, qu'ils naissaient immédiatement aux tétines , et qu'ils n'avaient jamais ni vrai placenta ni-ombilie. Mais cette opinion a peu de probabilités. Les diflérens genres de la famille des Didelphes n'ont pas tous de poche sous le ventre : ceux de ces animaux qui en sont dépourvus, ont du moins des plis qui en occupent la place ; et ces espèces-là s'em- parent des nids délaissés des oiseaux pour y incuber leurs petits. * 438 Liv. II. DE L'ACCRCISSEMENT DES CORPS VIYANS. CHAPITRE XVI. Naissance des Corps vivans. Durée variable dé la Gestation, de lIncubalion, etc. La nouvelle Plante sort de sa graine ordinairement après quelques jours de dépôt dans le sol où on la: semée : la durée de cette évolution varie beaucoup selon l'espèce de graine , selon Fhumidité ou lépais=: seur de la terre dont elle est recouverte. Entre le Sei-+ gle , qui ne met que quelques henres à germer , et le Rosier ou le Cofrnouiller; à qui il faut des années, il est des degrés intermédiaires presque infinis. En général, la Germination est plus rapide à l’ombre qu’au soleil , “dans un terrain léger que dans une terre grasse et lourde; plus ranidé pour des graines nou- vellés et tendres que pour celles qui seraient vieilles et endurcies. La présence d’un air chargé de beaucoup d'oxygène est, d’ailleurs une condition favorable à la promptitude de la germination. Nous avons dit qu'il est des graines qui germent avant même d’être déta= chées de leur ovaire, de leur réceptacle : l'embryon du Mangjlier est si prompt à sortir, qu'on le voitrompre ses enveloppes avant même que le fruit se soit séparé de l'arbre qui l’a produit ; et mème la petite plante finit par se séparer de la graine avant la chute de cette dernière ; et sa radicule, comme la partie la plus pe- sante de cet embryon végétal, étant la première à toucher le sol, se cramponne dans la terre et s'y en- CHAP. XVI. NAISSANCE DES ANIMAUX, ETC. 439 racine. La manière dont la plantule sort du fruit et rompt ses enveloppes , varie extrêmement selon le genre de graine : il faut même avouer que cela est souvent fort irrégulier, et peu susceptible d’être ra- mené à des formes ou des lois précises. On ne sait point encore , par exemple, comment ni par quelles forces s'ouvrent les noyaux ligneux dont beaucoup de semences sont entourées. La durée de l’Incubation des œufs a Insectes n’est pas non plus la même pour toutes les espèces. Nous savons que c’est sous la forme de larves que les jeunes insectes sortent d’abord de leurs ovules, dont le vo- lume accru de leur corps a rompu l'enveloppe. En- suite, le jeune insecte prenant beaucoup de volume sous sa première forme de larve, mue à cause de cela à plusieurs reprises. Il est des insectes, surtout parmi les Scarabées, dont les larves ne se transforment qu’au bout de plusieurs années. Beaucoup de Mol- lusques éclosent au-dedans de l'animal femelle ou her- maphrodite, et plusieurs, dès en naissant, portent déjà des rudimens de coquilles. Les Crustacés , les Arachnides, sortent, sous la forme accomplie d’ani- maux , des œufs contenant leurs germes ; et c’est fina- lement par les mouvemens de leurs pattes et de leur tête qu'ils rompent les entraves qui les y retenaient. Les Poissons et les Reptiles en agissent de la même manière : c'est aux mouvemens de leur queue qu'ils doivent presque toujours leur expulsion de leurs ovules respectifs, dont ils brisent la coquille ou dé- chirent les membranes. Toutefois cette opération est assez difhcile en ceux de ces animaux dont les œufs ont une coquille dure, épaisse et calcaire. La chose 44O LIV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. devenait encore plus difficultuceuse chez les poissons cartiiagineux , à raison de l'enveloppe coriace dont leurs œufs sont pourvus. Mais la nature a obvié à cet obstacle en séparant ‘tout prêt, du reste de la co- quille, le segment formant l’une de ses extrémités ; et d’après cette disposition le petit poisson Chondrop- térigien na plus à rompre, pour éclore , qu’une mem- brane simple et assez friable. La plupart des poissons naissent dix à vingt jours après la ponte des œufs. Une remarque assez vraie, c'est quil sort généralement des fœtus plus accrus, plus parfaits, des œufs fécondés hors du corps des femelles. Mais la dur‘e de l'incubation est très-variable, surtout dans la nombreuse classe des oiseaux. La Poule couve ordinairement vingt-un jours; le Serin, quinze à dix-huit , selon la variété ; le Canard, vingt-cinq ; les Cygnes, de quarante à quarante-cinq jours; le Paon trente, le. Pigeon quatorze, et l’Oiseau-Mouche douze jours: On remarque que les jeunes oiseaux sont d'autant plus forts à l'époque de l’éclosion, qu'ils ont subi une incubation plus longue. Non -seulement le terme de l'incubation varie d’une espèce à l’autre ; mais il est même variable pour les individus de la même espèce, el qui plus est de la même couvée. Il est rare que tous les œufs incubés simultanément éclosent à la même heure ; les naissances sont ordinairement successives. On a vu des œufs de poules commencer d'éclore même dès le treizième jour (M. d’Arcet), et continuer par intervalles inégaux, mais de jour en jour et d'œuf en œuf, jusqu'au vingt-unième jour. Parini les causes qui accélèrent la naissance des oï- seaux , il n’en est pas dont la puissance soit plus ma- _ CHAP. XVI. NAISSANCE DES ANIMAUX, ETC. 441 nifeste que la chaleur du climat et l’abondance de l'électricité répandue dans l'air : il est sûr au moins que les progrès de l’incubation sont plus rapides dans les pays méridionaux et dans les temps d'orage , el ce- pendant les œufs de toutes les espèces d'oiseaux éclo- sent à la même température ; et quelques degrés de chaleur de plus, dans les incubations artificielles , ne produisent pas toujours plus de célérité dans l'éclo- sion. La manière dont le Poulet sort de sa prison est vraiment curieuse. D'abord, c'est-à-dire après les pre- miers jours, et toujours ensuite ; tant qu'il est ren- fermé dans sa coquille, le jeune animal est ramassé en boule, la tête placée sous l’aile droite , et la partie antérieure du corps tournée vers le gros bout de la coquille. C'est dans cette position, la tête placée sous l'aile , le bec dirigé du côté du dos et vers le côté droit, que le poulet prélude à l’ouverture et au bri- sement de sa coquille. Il frappe successivement de nombreux coups de bec de gauche à droite, et tou- jours en tournant, en pivotant sur lui-même ; de sorte qu'il finit par détacher , après lavoir circonscrit, un segment de couronne à la grosse extrémité de la co- quille , et ce qui est fort singulier , c'est que cette pirouette du poulet s'effectue toujours de droite à gauche, la tête continuant toujours de rester sous l'aile droite. | Cependant cette opération est quelquefois si lente, si languissamment accomplie , que le poulet peut suc- ‘comber dans de vains efforts, s’il n’est assez Lôtsecouru el-secondé. Alors que la couronne ou segment de coquille est détachée du reste , le poulet fait effort \ 443 LIV. III. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. pour le renverser , et il parvient à ce résultat en arc- boutant ses pieds contre le bout opposé de cette co- quille : dès-lorsil a üne issue libre pour son expulsion. C'est alors aussi, et pour la première fois, qu'il re- dresse le cou, et qu'il retire sa tête de dessous l’aile.! Quelquefois il arrive que l’air entre dans la coquille avant l’achèvement de son ouverture ; alors le vi- tellus épaissi peut agglutiner les plumes du jeune oiseau, et le retenir là invariablement collé : cette: adhérence a souvent lieu avant la cassure de la co- quille , et alors elle met obstacle à la rotation du Jeune oiseau dans sa sphère. Quant aux petits des Vivipares , leur expulsion de: la matrice s'effectue sans action de leur part, sans participation d'aucune sorte. Leur mise au jour paraît due principalement au retour sur lui-même de l'utérus loñg-temps et de plus en plus distendu, distendu par l'embryon toujours plus volumineux , en même temps que par les eaux de l’amnios qui l’environnent. L'é- vacuation de ces eaux précède la sortie du fœtus , et Je décollement da placenta ou des cotylédons , unis aux débris des membranes fœtales, ne vient qu'en- suite chez les vivipares : de même, dans la plupart des animaux, à l'exception peut-être des seuls Puce- rons, c’est la tête qui sort la première. Ordinaire- ment le bassin est assez large pour livrer passage au fœtus ; toutefois cette disposition n'est.pas générale : dans la Taupe, par exemple, cette cavité osseuse est si étroite, que la matrice s'ouvre et que l’accouche- ment s'effectue en dehors et par-devant le bassin. Nous avons dit que les Didelphes avortent naturel- lement et toujours. CHAP. XVI. NAISSANCE DES ANIMAUX, ETC. 443 La durée de la Gestation n'est pas la même pour les mammifères d’espèce différente : elle varie même pour les individus de la même espèce, par des in- flüuences qu’on n’a pas encore pu suffisamment éclaircir et préciser. Toutefois, voici ce qu'on sait de plus. exact sur la durée ordinaire de la gestation dans les animaux les plus connus : _: La Brebis, la Gazelle et la Chèvre portent 5 mois ; La Vache et la femelle du Morse, 9 mois ; Le Singe, égalemeut 9 mois; La Jument et l’Anesse , 11 mois ; L'Éléphant et le Chameau, 10 mois; La Truie et la Laie , 4 mois; La Biche et la femelle de l’Élan , 8 mois ; Le Chien, le Loup et le Reustde 62 jours ; Le Chat et la Fouine, 56 jours; Le Lièvre et le Lapin, 50 jours ; Le Cochon d'inde, 21 bi , durée de l'incubation du poulet. Nous avons dit que le terme de la gestation est sujet à varier encore plus peut-être que celui de l’incu- bation des oiseaux , lequel pourtant est loin d’être invariable ; et à ce sujet nous devons prévenir d'une exagération qui nous est échappée en traçant une es- quisse rapide de la Génération de l'Homme , page 184 de ce volume. Voici, au reste , des remarques et des expériences qu'on a faites à ce sujet (1) : Sur 577 Vaches , 21 ont vélé avant 9 mois; et 12 seulement, juste le 270° jour. Pour le surplus , 544 (1) Woyez un Mémoire intéressant dé M. Tessier parmi ceux de l'Institut de France , année 1817. 44} LIV. II. DE L'ACCROISSEMENT DES CORPS VIVANS. ont mis bas depuis 6e 270° jour jusqu’au 290"; et 10, du 299° au 521°. La plus hâtive a vêlé le 240°, et la plus tardive le 321° jour. Les Jumens ont pouliné depuisle 330° jour jusqu’au 419°; les Brebis ont mis bas du 1/45° au 156° ; les Chiennes , du 58° au 65°; la Truie, depuis le 112° jus- qu'au 12/4°; et le Lapin, du 27° au 55° jour, etc. On s’est de plus assuré que, ni l’âge ou la consti- tution des femelles ou des mâles, ni le régime alimen- taire, ni la race d'animaux, le sexe des fœtus ni leur volume , la saison de l’année ni les différentes-phases Junaires, ne produisaient ces irrégularités de la ges- tation. On ne conçoit pas davantage les causes de ces mêmes irrégularités dans l'espèce humaine ; on sait seulement que les causes d'incertitude de diverse nature y sont’extrèmement multipliées : de sorte que la latitude accordée par nos lois pour les probabilités des naissances légitimes, est sagement établie: sur la connaissance et la juste appréciation des lois de la nature. CHAPITRE XVII. Résumé du Livre TL. Nous avons décrit avec détails les commencemens et les progrès de l'embryon des Oiseaux et des Mam- mifères, nommément pour celui de l'Homme ; nous avons également énoncé ce qu'on sait de plus cer- tain touchant lévolution des Poissons et des Rep- CHAP. XVII. RÉSUMÉ DU BIVRE IL. 445 tiles ; nous avons suivi l’apparilion de chacun des organes principaux et les révolutions qu'ils éprou- vent. Nous avons vu qu'ils se forment de la circonfé- rence au centre, ou plutôt que c’est ainsi qu'ils appa- raissent : car leur arrangement toujours parfait, la constance de leurs formes et de leurs connexions’, et surtout la ressemblance si exacte des nouveaux êtres avec leurs auteurs, sont de puissans motifs pour croire que l'origine de tous les organes est contem- pofaine, encore qu'ils ne se manifestent qu'à des temps différens. Ces mêmes raisons et plusieurs autres que nous n'avons point tues, nous ont pareillement fait penser que chaque nouvel être préexiste dans l’'ovule maternel au sein duquel la fécondation sé- minale le fait apparaître, et nous avons dit de quelle manière l’emboîtement successif des êtres de la même espèce nous semble probable. Nous avons ensuite exposé les principales lois du développement des orga- nes dans les animaux supérieurs, dit quelles analogies s’observent dans l’organisation de ces êtres, et quels rapports existent entre les différens âges.des animaux supérieurs et les classes d'animaux déjà parachevés placés au-dessous d'eux. Toutefois n’avons-nous pas caché les restrictions qu’on est forcé de faire en éta- blissant de pareilles similitudes. Nous avons aussi dit quelque chose de l’accrois- sement des Animaux inférieurs, des métamorphoses des Insectes, et nous n’avons trouvé là rien de con- tradictoire avec ce que nous avions conclu touchant les animaux des classes plus éleveés. L'accroissement des plantes nous a ensuite occupé, el nous avons trouvé à leur sujet de grandes analogies 446 LIV. 1IT. DE L'ACGROISSEMENT DES CORPS VIVANS. avec ce que nous avions exposé pour les animaux : partout même connexion des nouveaux êtres avec l'être producteur, mêmes commencemens imper- ceptibles, même nécessité d’un fluide fécondant , mêmes progrès des organes, progrès s’effectuant chez tous sous l'influence d’une sorte d’incubation. Il n’est pas jusqu'aux irrégularités de structure, jusqu'aux anomalies paraissant les plus monstrueuses , où nous n’ayons retrouvé l'empire des lois selon lesquelles a lieu l’accroissement normal, le développementor- dinaire; et nous avons fait ces remarques pour les plantes tout aussi bien que pour les animaux : nous avons vu que les monstruosités chez tous sont pres- que toujours le résultat d’ua arrêt dans la crue de quelques-uns de leurs organes, l'effet de quelque compression, d'adhérences , de soudures, d’avorte- mens ou de transformations. Enfin nous avons conduit chaque être jusqu’à son parfait isolement de sa souche originaire, jusqu’à sa mise au Jour, et nous avons dit le terme ordinaire -et les phénomènes de la naissance pour la plupart des êtres. Souvent même nous les avons suivis par- delà leur naissance : nous avons agi de la sorte, en particulier pour les végétaux; et c'était chose néces- saire , puisque ces êtres continuent de croître long- temps même après avoir commencé à dépérir. Nous traiterons ailleurs des modifications qu'introduisent dans l’organisation des êtres, et dans les progrès de leur accroissement, les différentes circonstances de la vie, le sexe , l’hérédité ; nous dirons quelles variétés résultent de la bâtardise , de l'influence des climats, du régime alimentaire ; les changemens périodiques CHAP. XVII. RÉSUMÉ DU LIVRE HI 447 produits par les saisons, par l'hivernation, par l’a- mour, par la mue, etc. Nous n'avons guère envi- sagé, dans ce livre-ci, que les révolutions naturelles des êtres vivans dans leurs premiers âges, et les irré- gularités qu'ils éprouvent quelquefois par des causes inhérentes à leur propre nature. Nous allons rechercher, dans le livre suivant, com- ment les êtres vivans subviennent à leurs besoins d’ali- mentation , comment ils se Neurrissent. LIVRE QUATRIÈME. De la Nutrition. . ST CHAPITRE PREMIER. Objet de ce Livre. Nous n'avons 'pas besoin de dire que nous trai- tons de la Nutrition des êtres vivans, car si la vie ne subsiste qu'au moyen de la nutrition, il n’est pas moins vrai que la nutrition suppose toujours la vie, Les corps inertes se décomposent, se délitent, se combinent ou s’agglomérent diversement ; mais les corps doués de la vie sont les seuls qui se nourrissent en assimilant à leur propre substance , par des actes visibles et une puissance cachée, des molécules de corps étrangers. Étudier la nutrition dans tous les corps vivans, en observer les différens modes, en comparer les voies, les matériaux , les moyens, est une des grandes diffi- cultés de la Physiologie, une de ses parties les plus complexes. Il faut examiner, dans un pareil sujet, d’abord les Alimens dont les êtres vivans font usage, ensuite les Organes qui préparent ces alimens , qui les modifient , les altèrent, ou qui simplement les absor- bent: il est aussi nécessaire d'examiner la nature des CITAP. I. OBJET DE GE LIVRE, 419 changemens que subissent les substances alimentaires, combien d'agents y concourent, quels phénomènes en résultent, quel est le produit définitif des alimens digérés, comment ce principe est réparti dans les vaisseaux, distribué par eux dans les différens organes; et rechercher, s’il est possible, par quelle puissance et selon quel modé ces organes se l’assimilent. Nous remarquerons d’abord que la nutrition des Végétaux n'est pas aussi compliquée que la nutrition des Animaux. Les plantes commencent par absorber les substances dont eiles se doivent nourrir; sans doute aussi elles attirent à elles ces substänces, mais elles u'ont ni de sens pour Îës discerner, ni de mouvemens pour les prendre par choix ou préférence , ni de réser- voir central ou les introduire, ni d'organes compliqués servant à les digérer. Elles absorbent simplement dif- férens fluides , ces fluides circulent dans des vaisseaux où ils s’élaborent , où ils se décomposent; l'air vient s'y mêler par une sorte de respiration, et de toutes ces combinaisons résulte une sève parfaite qui se répand dans toutes les parties du végétal et qui le nourrit. Mais les choses sont plus compliquées dans les animaux : ces derniers êtres usent ordinairement d’alimens solides ; doués de sentiment, ils les sentent, les désirent et les choisissent ; pourvus d'organes mo- teurs, ils les saisissent et souvent aussi les atténuent, les divisent ; différens fluides imprègnent ces alimens dans la cavité centrale où ils s’'amassent, et c’est éga- lement dans ce réservoir que s’opèrent les change- mens collectivement exprimés par le mot de digestion. Après cela, la partie essentiellement nutritive des aliniens se trouve séparée des molécules inutiles for: k 29 450 LIV. IV. DE EA NUTRITION. mant résidu; ce résidu est rejeté hors du corps comme excrément, tandis que le principe nutritif, ou chyle, est absorbé par des vaisseaux, mêlé à l’air dans des espèces de poumons, réparti dans tous les organes à l’aide de conduits vasculaires, dans lesquels il a pres- que toujours les qualités de ce qu’on nomme sang. C'est ensuite dans ce fluide circulant que les organes puisent les principes dont ils ont besoin pour s’ac- croître, ou pour réparer les pertes qu'ils ne cessent d'éprouver. Nous traiterons aussi la question de savoir si les corps vivans se décomposent et se recomposent récllement et à de certains périodes. CHAPITRE II. De la Nutrition dans les commencemens de la vie. Nous ne pouvons que réunir ici ce que nous avons dit en plusieurs endroits du livre précédent sur la nutrition de divers embryons. Ainsi, l’Embryon végétal, apparu au sein d’un ovule fécondé par du pollen, se nourrit d’abord aux dépens de l’amnios qui l'entoure, et, ensuite, au moyen des fluides en circulation dans les vaisseaux que la plante-mère fournit à la Jeune graine. Après cela, pendant la germination, l'humidité du sol s'in- troduit par l’ombilic jusqu’à la plantule ; les cotylé- dons et l’albumen s’en imprègnent et se gonflent, et toutes ces parties, se ramollissant et devenant émul- sives, fournissent aux premiers accroissemens de la CHAP. II. NUTRITION DES FOETUS. A5: plante nouvelle. Pendant cela, la jeune tige s'élève dans l'air, la radicule s'enfonce de plus en plus dans le sol; et ces deux organes puisent dans:leurs milieux respectifs les matériaux nécessaires à la nu- trition du nouveau Végétal. Quant aux plantes qui proviennent de Bulbes ou d'Oignons, les bourgeons par lesquels elles commencent, s’accroissent aux dé- pens de lasubstance même de ces bulbes, qui ne sont, à vrai dire, qu'un réservoir de nourriture. Les gemmes formant l’origine de nouveaux Po lypes, communiquent long-temps avec le polype prin- cipal, et se nourrissent, comme lui, des alimens in- troduits et digérés dansesa cavité centrale; et lors- qu'ils viennent à s’isoler de cette souche-mère , ils sont en état de digérer individuellement à leur tour. Tous les animaux qui proviennent d'OEufs se nour- rissent, tant qu'ils y sont contenus, des différens fluides composant l’ovule. L'albumen dé l'œuf paraît être la première substance utilisée pour la nourriture de l'embryon. On sait, par exemple, que rien ne se développe dans un œuf fécondé tant que l’albumen en est absent : on sait de plus que cet albumen disparaît entièrement dans les œufs d'Oiseaux, plusieurs jours avant l’éclosion , et que l’autre fluide qu’on a quel- quelois pris pour de l’albumen , appartient à la cavité de l’allantoïde. Vers le terme de léciosion, et peu après qu'elle est opérée, c’est le jaune où vitellus qui pourvoit aux besoins du jeune animal. On sait que ce jaune rentre peu-à-peu dans le ventre du fœtus près d’éclore, el qu'il finit par se vider entièrement dans l'intestin, et par disparaître. L'espèce de glaires gluantes dont les œufs de Poissons et de Reptiles sont 29" 452 LIV. IV. DE ÉA NUTRITION. éntourés, est aussi de la plus grande nécessité anx fotus qui doivent naître de ces œufs : Spällanzani s’est plusieurs fois assuré que ceux qu’on en a privés de- meurent stériles. Il paraît également que lamnios sert à la nourriture-des fœtus des Ovipares, puisque ce fluide finit par disparaître entièrement âvant l’éclo- sion de beaucoup de ces animaux. Quant aux Insectes , indépendamment des sub- stances nutritives dont leurs œufs sont composés, ces anjinaux ont l’idmirable. prévoyance de faire leur ponte au milieu où dans le voisinage d’alimens tout préparés pour les preniers besoins de leur progéni- iure, Il ést certain d’ailleurs que ces êtres ont besoin d'alimens différens dans les diverses transformations. qu’ils subissent. Nous en parlerons plus loin. ‘On a acquis la certitude qu'il est des œufs qui gras- sissent sans s'être rompus. Or, cette augmentation du volume des œufs ne peut avoir lieu qu'à l’aide des gaz, de l'humidité ou des alimens quelconques qu'ils ont absorbés par leur surface. Nous avons déjà dit que de Geer a vu se flétrir des œufs d'insectes en- caissés dans des feuilles vertes, une fois que celles-ci furent détachées de leur support. Enfin, l'embryon des Mammifères a plusieurs sources de nutrition : si l’ainmios de l’ovule finit par n'avoir aucun usage à cet égard, il ést probable qu'il n’en est pas ainsi pour l'embryon commençant ; néanmoins la chose est loin d’être prouvée. La vésicule ombilicale, analogue au vitellus des œufs d'oiseaux, a certaine- ment pour usage de nourrir les jeunes fœtus : sa di- minution progressive pendant la gestation et ses con- nexions avec l'intestin sont de puissantes raisons CHAP, LL. NUTRITION DES FOETUS. 495 pour l’admettre. Mais la source principale où les fœtus de Vivipares puisent des alimens, est le placenta; c'est là que les ramifications de la veine ombilicale pom- pent le sang tout préparé de la mère, pour le transpor- ter dans les organes du fœtus. Il est permis de récuser les observations citées par quelques auteurs, où des fœtus de mammifères sont supposés avoir pu se nour- rir et s’accroître nonobstant l’absence du cordon ombilical. À l'égard de la gélatine de Warthon, espèce de mucus dont le cordon ombilicai est imprégné, il est diflicile de croire qu’elle ait une grande part dans l'alimentation du fœtus. Quelque chose qu’on sache sur la nutrition des embryons, il reste toujours une difficulté extrème en ce qui regarde l’origine de l’action nutritive, quant à ses moyens ct à ses premiers instrumeus. En effet, tant que l'embryon n'a encore aucun organe apparent, comment concevoir qu'il se puisse nourrir? quelle voie alors peut-on assigner à la nourriture , et quel est l'instrument qui sert à l’absorber , à la préparer et la répartir ? comment concevoir la fonction mème la plus simple dans un être dénué d'organes? L’admis- sion de germes préexistars dans les ovules détruit, il est vrai, une parlie de cette difficulté, puisqu'elle permet d'admettre des organes déjà ébauchés là oùles sens n’en découvrent aucune trace. Et cependant , comment concevoir une action quelconque à des or- ganes encore fluides? ou comment admetlre des pro- grès d’accroissement et de solidificalion sans l’action nutritive? Sans doute on peut répondre à cela par de vaines sublititéss mais de raisous solides, de raisons cerlaines, je dois Gire que je n’en sais, aueune. 54 LV. IV. DE LA NUTRITION. CHAPITRE III. Des Alimens et de la Nutrition des Plantes. Comme les Plantes sont dépourvues de mouvement pour aller chercher leurs alimens, pour choisir leur nourriture , il fallait bien qu’elles se nourrissent de sub- stances fluides circulant autour d'elles et s’y renouve- Jant sans cesse. Or la plupart plongeant constamment, par l’une de leurs extrémités dans l'air, et par l’autre dans ‘un sol humide, elles trouvent ainsi dans ces deux milieux les matériaux nécessaires à leur alimen- tation. Les racines, ou plutôt la seule extrémité des racines, absorbent l'humidité du sol avec une puis- sance dont nous chercherons ailleurs à évaluer le degré. Cette absorption peut être considérable; des plantes plongées dans des vases remplis d’eau en ont absorbé: des quantités énormes : Hales et Senebier ont fait à ce sujet d’intéressantes expériences. On ob- serve que les tiges pourvués de feuilles absorbent beaucoup plus que celles qui en sont dénuées : mais comme c'est par les feuilles que se dissipe la plus grande partie des fluides absorbés, les tiges sans feuil- les profitent plus que les autres de cette absorption. Je disais que c’est l’extrémité des racines quiab- sorbe : la chose est prouvée. Une racine dont le che- velu a été coupé et qui n’a plus qu’un trone mutilé, n’absorbe plus assez pour les besoins de la plante , et alors la nutrition languît ou cesse. On sait aussi qu'il . CHAP. III. NUTRITION DES PRANTES. 455 suffit de plonger dans l’eau l'extrémité des racines pour maintenir intacte l'absorption; tandis que le corps même de la racine ne produit sous ce rapport que des résultats, ou nuls , ou insuffisans. Senebier a cité des faits de ce genre qui ne laissent aucune prise au doute et à l'incertitude. Les plantes absorbent donc l'humidité du sol par l'extrémité de leurs racines, mais elles n’absorbent pas ordinairement cette eau seule et débarrassée des substances qu’elle dissout ou tientsuspendues. Elles la preunent säturée de sels divers, de gaz ou de certaines substances colorées. Seulement il est vrai de dire qu’elles absorbent d'autant plus des liquides qui leur sont accessibles, que ces liquides sont plus purs et moins saturés de substances étrangères. Plus l’eau est chargée, ou de débris de végétaux, ou de gaz acide car- bonique, de substances salines ou de molécules colo- rantes, moins est grande la quantité que les racines en absorbent. On peut voir les expériences de Du- hamel et de plusieurs autres à cet égard. Toutefois c'est à ces substances dissoutes dans l'eau, que les plantes doivent la plupart de leurs alimens et des di- verses matières dont elles se composent. M. Th. de Saussure à prouvé qu’elles ne forment de loutes pièces aucun des principes qu'on retrouve dans leur ana- lyse. Le sol où elles croissent, et l’air qui les environne, fournissent tous les élémens de leur composition. C'est pour cela que la végétation et les propriétés des plantes varient suivant chaque pays, d’après la naturé du sol: pour cela que la nature des végétaux doit être assortie à la composition des terres : pour cela que les planies saturées de soude ne croissent que sur 456 LIV. IV. DE LA NUTRITION. les côtes marines, et près des murs ou dans des ter- rains mêlés de décombres, les plantes chargées de nitre. D’autres conséquences relatives à la culture dé- coulent des mêmes faits ; par exemple, puisque les racines n'absorbent d'alimens que par leur extré- mité , on conçoit qu'à mesure qu’elles poussent, elles rencontrent de nouvelle terre contenant les principes dont le végétal a besoin ; elles abandonnent ainsi suc- cessivement la partie du sol qu’elles ont épuisée de ceux de ses principes que la nutrition des plantes rend nécessaires, On conçoit par là comment les plantes de même nature se nuisent par leur trop prochain voisi- nage, tandis que des plantes différentes, ayant des racines contrairement dirigées, peuvent croître l’une près de l’autre sans se nuire mutuellement. Si donc on faisait succéder dans le même sol des plantes de la même espèce, on voit qu'il serait déraisonnable d'espérer des récoltes abondantes, si le sol n'avait préalablement été remué, et renouvelé par des engrais: si l’on veut ensemencer sans relâche les mênies terres sans faire alterner les cultures, il faut les engraissee excessivement ; mais si l’on veut épargner les engrais, il faut faire alterner les espèces des plantes cultivées aux mêmes lieux. On voit bien où les végétaux puisent les matériaux de leur nutrition, mais on ne sait rien sur les altéra- tions qu'éprouvent ces principes : la chimie, nonobs- tant les incroyables progrès qu'elle a faits dans ces derniers temps, la chimie est encore inhabile à ex- pliquer de pareils mystères. Quelle foi peut-on ac- corder à l’explication d’un ordre de phénomènes dont on ne connait que Îes termes extrèmes ) on sait de CHAP. III. NUTRITION DES PLANTES. 457 quels alimens les plantes se nourrissent, on sait les principes chimiques dont elles-mêmes se composent, on connaît aussi leurs produits ; mais que sait-on des préparatifs , des changemens intermédiaires, et com- ment bâtir là dessus des systèmes? Toutefois ces difii- cultés n'ont point arrêté Senebier et surtout Th. de Saussure, et voici l'explication qu'ils donnent de la nutrition des plantes : « Les substances absorbées de- » rh 5 viennent les parties intégrantes des végétaux; elles se combinent avec eux en nature , ou leur fournis- sent leurs élémens pour cette combinaison qui forme la nourriture propre à les développer. L'eau intro- duit dans les plantes l’acide carbonique qu’elle a dis- sous; celte eau acidulée dissout à son tour la terre calcaire et quelques atomes de silice, surtout si cette dernière est combinée à quelques parties de potasse. La lumière décompose dans ia plante l'a- cide carbonique, et en précipite le carbone dans son parenchyme ; la terre calcaire et la siliceuse se précipitent de même par l'évaporation de l’eau et par Ja décomposition de l’eau et de l'acide carbo- nique. Ces deux élémens, en s'unissant avec l'oxy- gène , avec l'hydrogène et le carbone , fournissent l'élément des gommes, celui des résines , des huiles, des acides, qui rempliront les mailles du réseau primordial constituant les parties du germe; l'union des huiles , des acides, etc., forment à leur tour des sucs propres, en se combinant diversement. » (1) Mais nous n’avons encore parlé que des alimens vérilables que les végétaux puisent dans le sol au (1) Voyez Sencbhier. | é 58 LIV. IV. DE LA NUTRITION. moyen de leurs racines; il est incontestable pourtant qu'une partie importante de leur nourriture leur est fournie par l'air qui les entoure et qu'ils absorbent. Toutefois nous devons prévenir que ce sont exclusive- ment certaines parties des plantes qui absorbent une certaine partie de l’air : les seules parties vertes des vé- gétaux absorbent le gaz acide carbonique, sans cesse introduit dans l'atmosphère et par la combustion et par la respiration des animaux. Les plantes gardent pour elles et s'assimilent le carbone de ce gaz acide carboni- que , tandis qu’elles rejettent la plus grande partie de l'oxygène qui s'y trouvait combiné : et il résulte de là que le tissu solide des végétaux est en partie formé. par une substance primitivement à l'état gazeux. On s’est assuré de cette absorption du gaz carboni- que par les végétaux, et de cette fixation du carbone dans leur tissu 3 on s’en est assuré par des expériences irrécusables. On a mis des plantes dans un air mêlé de gaz acide carbonique , on a ensuite analysé cet air; et l’on a trouvé qu'il avait perdu du gaz acide carbo- nique : qu'au contraire, il avait acquis de l'oxygène, et que le tissu du végétal avait augmenté à-peu-près dans la proportion du carbone disparu par absorption. Il suffit même de placer des plantes dans une eau cou- rante , pour s'assurer qu'elles décomposent une partie. de l'air : on les voit dans ce cas dégager des bulles d'air, alors même qu'on les aurait préalablement sou- mises à l’action de la pompe pneumatique. Cet air que les plantes dégagent sous les eaux, est le produit de la décomposition qu’elles ont fait subir à la portion de gaz acide carbonique dissous dans le liquide qui les submerge ; et la preuve que la chose arrive ainsi, CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 499 c’est qu'il ne s'effectue aucun dégagement analogue dans les plantes qu'on a plongées dans de l’eau privée d'air, soit par la distillation , soit par l’ébullition. L’air dégagé est de l'oxygène pur, dont les plantes ont sé- paré le carbone pour se l’approprier. L'action de la lumière est nécessaire à cette dé- composition de l'air par les plantes; elles absorbent de l’oxygène au lieu de carbone dans l'obscurité. Et comme leur couleur verte est due principalement à la fixation de ce carbone, les plantes très-ombragées restent pâles et étiolées. Néanmoins la chose n'est pas sans exception : on voit des végétaux très-verts , loin du jour, dans des mines profondes; la plupart des embryons des différentes graines sont d'une belle couleur verte, quoique recouverts par d’épais tégu- mens qui les rendent inaccessibles à la lumière du jour. Tout cela prouve donc que le carbone peut se fixer dans les plantes sans le concours pourtant utile de la lumière. Nous reviendrons avec plus de détails sur ces diffé- rens faits, en traitant de la Respiration des végétaux. CHAPITRE IV. Des Alimens et de la Nutrition des Animaux inférieurs. Nous allons essayer d'exposer dans ce chapitre ce qu’on sait de plus certain touchant la nutrition des Animaux Invertébrés. Nous parlerons des alimens dont ils font usage, des organes qui reçoivent et qui pré- 460 LIV. IV. DB LA NUTRITION. parent la nourriture , et aussi, autant que cela est pos+ sible, des téalioté qu'éprouvent les alimens avant de devenir assinilables aux organes qu’ils nourrissent. Poryres. Tout ce qu'on sait sur la nutrition des Polypes est dû au célèbre Trembley. Après avoir dé- couvert ces animaux en 1740, il étudia, les années. suivantes, les fonctions de ces êtres singuliers, qu'il prenait d’abord pour des plantes, et que Réaumur lui avait aidé à distinguer d'elles, en leur donnant, le premier, le noi de Polypes. Ce fut en 1744 que Trem- bley publia, dans un second Mémoire , ses découvertes sur la nutrition de ces animaux; et les faits contenus dans ce travail font admirer la patience et l'exactitude scrupuleuse de ce grand observaleur, qui a trouvé limmortalité en traçant l’histoire de l'être apparem- ment le plus imparfait de la nature. J’analyse les faits qu'il raconte. Trembley avait fait ses premières découvertes sur les Polvpes verts ; mais il lui fut impossible de découvrir comment ils se nourrissaient. Toutefois, après qu'il se fut persuadé (à cause de leurs mouyemens) que c'étaient des animaux, il soupçonna que l'ouverture qui se fait remarquer à leur partie antérieure leur tenait lieu de bouche : mais, comme il ne rencontra depuis aucun autre polype de celte espèce, il ne put vérifier ses soupçons à leur sujet. Cependant il décou- vrit, tout en cherchant vainement les premiers, d’au- tres polypes rouges et plus grands; il expérimenta sur eux, il les trouva doués des mêmes propriétés que lui avaient montrées les premiers,-et de plus il vit comment ils se nourrissaient. Des Mille-pieds se trou- vaut dans l'eau -où nageaieut ces polypes, Trembley CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 464 s'aperçut bientôtque cesanimaux saisissaient les mille- pieds, qu'ils les enlaçaient de leurs longs tentacules, et que finalement ils les introduisaient dans leur corps. 1! doutait d’abord de ce qu'il voyait; mais en y re- gardant de plus près, il vit le mille-pieds dans l’inté- rieur du polype; il ly vit remuer, ly vit mourir, et il l'y aperçut ensuite déjà en partie digéré, Plus de doute alors que les polypes ne fussent des animaux voraces, eux à qui l’on refusait auparavant jusqu'à la qualité d'animaux. Trembiey vit par-là que les ten- tacules des polypes leur servaient de bras pour saisir leur proie , aussi bien que de pieds pour mouvoir leur corps entier; il se convainquit aussi que l'ouverture centrale leur servait de bouche, et qu'ils avaient à l'intérieur du corps une cavité leur tenant lieu d’in- testin. Une chose singulière, c’est qu'en quelque endroit que le mille-pieds touche aux bras d’un polype, il en est précisément saisi, et que quelque mouvement qu'il fasse ensuite pour se débarrasser, le tentacule a beau être très-faible, très-ténu , il ne saurait jamais ni le rompre nile faire céder. Souvent l’insecte entraîne le tentacule en divers sens, de même qu'un ‘poisson entraîne Ja ligne où il tient attaché , mais sans pouvoir le rompre. C’est qu'il y a là plus qu’une force phy- sique : il y a contraction d’un petit membre vivant. Dès que le polype a englouti sa proie, son corps se gonfle et se raccourcit ; en même temps il devient immobile, et semble dans unesorte d’engourdissement et de stupeur. Tous ces effets ont la durée de la di- gestion : ils cessent avec elle. | Les Mille -pieds ne composent pas uniquement la 462 LIY. 1V. DE LA NUTRITION. nourriture des polypes; ces derniers dévorent aussi d’autres insectes , et surtout des Pucerons. Pour prendre ces animaux dont il se nourrit, le polype étend ses bras et les dispose en filet, en réseau , à- peu-près comme l’araignée dispose les fils de sa toile 3 et les insectes tombent aisément dans ces embûches: Ainsi que l’observe Trembley , le polype ne peut se nourrir de ces animaux qu’à raison de l’excessive ex- tensibilité de son corps et des espèces de lèvres qui circonscrivent sa bouche; car ces insectes ; ces puce- rons, ces mille-pieds, sont aussi gros ou même plus gros que sa propre tête, et ce n'est qu’en se dilatant beaucoup que cette bouche peut leur livrer passage. Un polype peut renfermer dans sa cavité, à la file les uns des autres, jusqu'à une douzaine de pucerons , et alors il est rempli partout, et son corps présente au- tant de renfiemens qu'il contient d'insectes. Après cela, on le voit diminuer et s’amincir à mesure que la digestion s'effectue, et à commencer par la tête. Lorsque les pucerons viennent à manquer, les polypes peuvent se nourrir de différens Vers, et ils les avalent repliés sur eux-mêmes, puisque ces vers sont presque toujours plus longs que les polypes. Mais la chose la plus surprenante est de voir ces petits ani- maux informes, qui ont à peine trois lignes de lon- gueur et moins d'une demi-ligne d'épaisseur, avaler jusqu’à des Gardons et autres petits poissons, longs d’au moins quatre lignes. Toutefois ils trouvent moyen de les saisir, de les retenir, de s’en emparer à l’aide de leurs bras ou tentacules, fortement contractés à cet eflet : ils parviennent même presque toujours, à les introduire dans leur cavité centrale ; et cela tient CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 463 leur peau tellement ‘distendue , qu'elle devient alors assez transparente pour laisser voir le poisson à tra- vers son tissu, presqu’aussi distinctement que s’il était à nu. Îl est certain cependant que ce poisson perd la vie au bout d'environ un quart-d’heure , qu’ensuite il est ramolli et en partie sucé et digéré ; et lorsque le po- lype vient à le rendre, quelque temps après, par la même ouverture qui a servi à l'introduire , ce poisson est alors tellement défiguré qu’on a peine à le recon- naitre. Nous voyons jusqu'où va la voracilé des polypes : on s'estassuré qu'ils peuvent prendre un volume d’ali- mens trois ou quatre fois plus considérable que leur propre corps. Il faut ajouter qu'il est peu de sub- stances animales qui ne leur puissent servir d’alimens; Trembley les a plusieurs fois nourris avec des débris d'animaux, et même avec de la viande de boucherie finement hachée. Ils digèrent également toutes ces substances; mais les végétaux leur sont impropres : ils les rejettent sans les avoir altérés, et mème les in- fusions les font périr. Ces animaux singuliers semblent avoir quelques sens pour distinguer ce qui peut les nourrir, et une volonté pour s’en emparer : il est sûr au moins qu'ils laissent indifféremment s'échapper les vers ou insectes qui viennent s’embarrasser dans leurs tentacules, alors qu'ils n’ont plus besoin de nourriture. Au contraire, lorsqu'ils ont faim, ils saisissent avec un empresse- ment extrème les petits animaux qui leur sont ac- cessibles ; souvent même on voit deux polypes saisir à-la-fois, par ses deux extrémités, le même Ver, le .même Mille-pieds, l’avaler chacun de leur côté; et, 464 FIV. IV. DE LA NUTRITION. si l’un d'eux ne lâche prise, celui de ces añimaux qui a le plus de force ou de grosseur , parvient souvent à engloulir dans son petit corps et le Ver qu'il con- voite, et l'autre Polÿype qui lui disputait sa proie, À cette occasion il faut remarquer une particularité nou- velle : ces mêmes polypes qui tuent si rapidement et qui digèrent les animaux vivans qu'ils ont une fois avalés, n’ont aucune action sur les animaux de leur ‘ sortes ils les rendent intactset vivans comme ils étaient en entrant dans leur corps. Mème il leur arrive sou- veñt , tant feur voracité est extrême , d’avaler leurs propres bras avec la proie qu'ils doivent à leur action, et ces bras sortent de leur corps comme ils y étaient entrés. Trembley s’est ässuré par tous les moyens pos- sibles ; que les polypes ne se peuvent servir d’alimens à eux-mêmes, et qu'à l'instar de plusieurs autres animaux, quelque affamés qu'ils soient , ils ne se mangent jamais'les uns les autres. Trembley à aussi observé que le froid qui engour= dit les polypes, leur ôte l'appétit et le mouvement précisément dans une saison où disparaissent les ani maux dont ils font leur nourriture habituelle. Leur appélit et leurs mouvemens rënaissent avec le retour de la chaleur et des insectes dont Hs vivent ; et of les voit alternativement croître et décroître selon qu'ils reçoivent beaucoup ou peu de nourriture. Les polypes digèrent plus rapidement en été qu'en touteautre saison : lear digestion alors est ordinaire ment achevée en douze heures; leur corps est vide, et leurs excrémens sont déjà rejetés au bout de ce temps. Encore que ces animaux mangent beaucoup moins dans les saisons froides, il leur faut toutefois plus de CAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 465 temps pour digérer. Mais, mème dans les saisons chaudes, ils peuvent rester trois où quaire mois pri- vés d’alimens sans mourir : Trembley l’a expérimenté. Le mème investigateur s’est aussi assuré que les ex- crémens des polypes ne sont jamais rejetés que par la bouche , autrement, par l'ouverture antérieure , quoi- qu'il y ait une sorte d'ouverture termiaale au bout opposé. Cette dernière sembleraitn'avoir pour unique usage que de servir à mouvoir el à cramponneér les polypes en faisant l'office de ventouse. Muis quelles altérations subissent les substaness servant de nourriture aux Polypes? Comment s'en opère la digestion? S'il faut encore en croire Trem- bley, et personne à notre avis n’est plus digne d’une entière confiance; selon Trembley, donc, les Vers sont ramollis et comme déchirés à leur sortie du corps des polypes : mais les insectes ne sont qu’un peu macérés et changés de couleur ; les Pucerons, de rouges qu'ils étaient lors de leur introduction, sont pâles et incolores à leur sortie.! Or, comme la couleur rouge qu'ils avaient, dépendait des ma- tières renfermées dans l'intestin de ces insectes ; il est permis de penser que les polypes ont absorbé ces matières, destinées à nourrir les pucerons, et déjà digérées par eux , pour s’en nourrir eux#mêmes. La partie fluide que les polypes ont séparée de leurs alimens, circule à plusieurs reprises dans toute l'étendue de la cavité du polype , tantôt de bas en haut, tantôt en sens contraire ; et même elle passe durant ces flux et reflux, de la principale cavité du corps dans chaque petite cavité dont les tentacules sont creusés selon leur axe. Car il faut observer que ‘L 30 466 LIV, IV, DE LA NUTR{TION: chaque bras où tentacule des polypes est l'image exacté du corps lui-même. Trembley est parvenu à découvrir les ‘petits trous qui font communiquer chaque cavité des bras avec la cavité principale: Les polypes ont donc ; pour ainsi dire, autant d’estomacs accessoires que de tentacules. La couleur des polypes doit beaucoup à la quantité et à l'espèce de nourriture dont ces êtres font üsage : plus'ils mangent, plus leur couleur devient foncée ; le jeûne les décolore peu-à-peu. Nous disons aussi, et Trembley s'est assuré du fait, que les polypes pren- nent la couleur des alimens dont ils se nourrissent. Les pucerons, dont ils sucent le suc rouge intesti- nal , les font devenir rouges; les Limaces et surtout les tétards de Grenouilles les rendent noires ; ils de- viennent cramoisis lorsqu'on les nourrit d’Araignées rouges ; et verts, lorsqu'on leur donne des Pucerons verts, ete. Mais cette couleur n’est pas durable, en- core qu'elle imprègne le tissu même des polypes : au bout: de vingt'à trente jours d’un jeûne absolu ;tils deviennent incolores, On aurait tort d'inférer de là qu'ils ont besoin de ce temps pour se recomposer; car ne mangéant rien, comment se recomposeraient- 115? | | La voie que suit 4 nourriture pour pénétrer la sub- stance des polypesest fort peu connue. On n'a putrou- ver. de vaisseaux dans ces êtres ; on sait seulement que Jes grains nombreux dont leur peau est comme cri- blée, sont les premiers à’se colorer; mais on-ne sait ni par quel intermédiaire ils reçoivent cette couleur, ni par quels canaux ils la transmettent aux autres parties. Jl est remarquable que les polypes se nourrissant CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 467 à-peu-près indistinctement de toute substance ani- male, sont eux-mêmes impropres à servir d’alimens à aucun autre animal. Vers. La bouche des Vers est petite, circülaire ét terminale. Leur canal alimentäire est simple et sans péritoine appréciable : il est de. plus tout- à-fait adhérent au reste du corps, de sorte qu'il sem- ble une cavité creusée dans le parenchyme même de l'animal. 1l règne souvent selon toute la longueur du corps, quelquefois aussi il est incomplet, fort res- treints il est même des vers, appelés à cause de cela parenchymateux , où l’on ne découvre äbsolument aucun organe digestif, nulle trace d’intestin. C’est ainsi que le caractère regardé comme lé plus sûrement indicatif de l'Animal, n'existe même pas universel- lement et avec certitude dans tous lés animaux. Les vers n’ont ni dents, ni foie, ni pancréas , du moins n’en a-t-on encore pu découvrir. Il y a, dans quelques vers, un ou plusieurs cœcums: L’anus est terminal et parallèle à l’axe du corps, c'est-à-dire médian. | Beaucoup de vers semblent puiser leur nourrituré uniquement dans da terre : ils y trouvent sans doute des débris de corps organisés, et ils les séparent des substances minérales et inorganiques qui les envelop: pent. Les Vers aquatiques pompent le fluide dans le2 quelilsvivent, étils y trouvent app1remment quelques molécules alimentaires , par exemple des débris de mollusques, d'insectes, de végétaux, etc. Quant aux Vers parasites, ils $e nourrissent aux dépens des corps leur servant d'asile, ou au moyen des substancesintro- duites dans ces êtres pour leur propre alimentation, * 50 468 LIV. IV. DE LA NUTRITION. Les Ténias, par exemple , ne présentent aucun or- gane propre à exercer une digestion, sul réservoir pour contenir des alimens; ils trouvent leur nourri- ture toute préparée dans le corps des animaux où ils habitent. Ils ont tout simplement, sur leurs parties latérales , des pores ou suçoirs, et c'est par-là qu'ils absorbent leurs alimens. C'est comme les végétaux parasites, qui n’ont pas de racine , une fois qu'ils sont cramponnés à leurs supports. La Cuscute n’a une sorte de petite racine qu'à l'époque de sa naissance ; mais bientôt cette racine imparfaite, devenueïnutile, disparaît entièrement : il en est de la plupart des vers intestinaux comme des Ténias. Il est d’autres Vers pa- rasiles, comme les Ligules, qui même n'ont pas de pores ou suçoirs, et qui absorbent par la surface de leur corps à la manière des Graines en germination, Il est remarquable que presque chaque espèce d'animal a son espèce de Vers parasites ; et même il y a quasi une espèce particulière pour le parenchyme de chaque-organe principal. Le ver du foie n'est pas celui du rein ou du poumon, de même que celui des Oi- éeaux ne ressemble pas à celui du Chien ou du Porc. Ce sont ces vers développés dans la substance des or- ganes, dont.on ne connaît, ni précisément l'origine et le mode de propagation, ni les moyens de nourriture et les instrumens digestifs ; car ce sont ceux-là en qui l'on ne peut découvrir de conduits alimentaires. En général, les Vers intestinaux s’accommodent bien de la nourriture dont l'animal où ils vivent fait habituellement usage. Cependant les substances su- crées, le lait, les fruits, les crudités de toute sorte leur conviennent mieux que des”alimens plus subs- CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 40% tantiels ; le jeûne des animaux les fait eux-mêmes pâtir, et seft ainsi, par les souffrances qu'ils causent alors, à signaler leur existence. Je me souviens d'un malade qu'on traitait pour une inflammation de l’es- tomac : on le saigna par les sangsues, on le fit jeùner avec rigueur, et loin de diminuer, ses souffrances augmentaient, Bientôt le caractère des coliques, Pétat irrégulier de la pupille , de brusques. contractions musculaires, le calme du cœur et le défaut de fièvre, désignèrent la présence des vers : on fit manger le malade , les douleurs et les autres symptômes dimi- nuèrent : on lui donna des. vermifuges , et les vers furent expulsés, et tout rentra dans l’ordre. Nous avons dit ce qui convientaux Vers: il faut dire aussi ce qui les contrarie ou leur fait mal. Or, parmi ces dernières substances, aucune n’a plus d'action que les amers, les racines de fougère et surtout de grena-" dier, l'écorce de kina ou de chêne, les lichens, le petit chêne, la mousse de Corse, etc. Les substances désa- gréablement aromatiques, la tanaisie, le sewmen-con- tra ; l'huile siinple aussi, mais surtout l'huile animale de Dippel, l'huile de térébenthine, etc. ; toutes ces substances tuent presqu'immanquablement les vers intestinaux , ou du moins rendent leur expulsion plus facile , par l'espèce d’étourdissement et de faiblesse qu'elles leur occasionent. Il y a aussi des moyens mé- caniques pour expulser les vers : je veux parler des purgatifs très-forts, lesquels font lâcher prise’ aux vers el les font sortir du tube alimentaire, parles fortes. secousses qu'ils impriment aux parois du canal diges- tif, Quant aux vers de l’intérieur des organes solides, il n’est aucun moyen de les attaquer ou de les faire 45 - LIV. FV. DE LA NUTRITION. mourir, On sait seulement que leur multiplication est d'autant plus grande, que la santé des ‘animaux est elle-même plus faible et plus altérée : tout ce qui fa- vorise les forces et le bon état de la vie leur est donc nuisible; ils ne prospèrent jamais plus que dans l’état de maladie. Il est sûr que les vers ne se nourrissent et ne se multiplient qu’au détriment des animaux qui leur.don- nent asile : leur présence dans l'intestin de l’homme ou des animaux produit parfois une maigreur exces- sive , et des symptômes de véritable consomption. Je me souviens d’un jeune malade qui toussait sans cesse, qui maïisrissait à vue d'œil, et qu’on croyait phthisique. Je lui donnai du Lichen , presqu’autant par déférence pour des préventions de famille, que par conviction touchant le genre de la maladie , que par confiance ” dans le remède : toujours est-il que le lichen, qui peut-être eût eu de mauvais effets si le malade eût été réellement poitrinaire , lui rendit au contraire des forces, du calme et de embonpoint, fit cesser la toux et revenir la santé ; mais en voici la raison : l'a- imertume du remède détermina l'expulsion de vers nombreux, C'était là le mal, et on Favait méconnu. Au reste, ce n’est pas la première fois'qu’un malade a dû Ja fin de ses souffrances et sa guérison parfaite à une erreur de son médecin. Ixsteres. 1! y a des fnsectes qui ne sc nourrissent que’ de substances animales ou végétales, ilen est qui vivent indifféremment des unes et des autres. Il en est qui font leur nourriture de substances mortes ou déjà décomposées ou altérées ; et d’antres qui ne man- gent que des corps jouissant de Ja vie. On conçoit que CIIAP, IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 471 L 4 de pareilles différences dans les mœurs en doivent in- troduire dans la structure. On voit aussi quelques-uns de ces animaux qui se nourrissent d’excrémens ou de terreaux formés des débris de différens corps vivans; mais aucun ne fait sa pâture, ainsi qu'on l'a insinué par erreur ou par système, de corps inertes où de substances minérales. | Nous avons déjà dit que les insectes. pondent leurs œufs près ou dans des substances propres à servir de nourriture à leurs larves ou leurs chenilles: on en voit mème qui, comme les Papillons, se nourrissent du suc des fleurs , et dont les nymphes vivent dans des plantes qui ne conviennent qu'à elles et non à l'insecte parfait. De sorte que l'animal se trouve di- rigé dans le choix du lieu de sa ponte, par un antre instinct que celui qui préside à sa propre alimenta- tion. Pareillement, les. Cousins, tout aériens. qu'ils sont, déposent leurs œufs à la surface des eaux, parce qu'en eflet leurs larves sont aquatiques. Il en est de même de plusieurs autres. Beaucoup d'insectes vivant en société, et comme en républiques , ont l’habitude d’amasserdes alimens dans la saison propice à leur récolte ; pour les saisons de l’année où cette moisson ne pourrait se faire. Cela est vrai surtout des insectes qui vivent du suc des fleurs, car on voit bien que les fleurs n’ont qu'une durée assez courte. Les Abeilles, par exemple, ré- coltent du miel durant la belle saison pour les autres temps de l'année où les plantes se fanent où meu- rent; mais cette prévoyance de leur part a particuliè- rementpour objet l'alimentation de leur progéniture. Ona dit aussi que les Fourmis travaillaient l'été pour 4792 LIV. IV. DE LA NUTRITION. l'hiver , et elles ont paru à cause de cela un modèle salutairement proposable aux paresseux; mais, s’il est vrai que ces animaux travaillent sans relâche dans les beaux jouts de l’année , il ne l’est pas moins qüe c’est pour leurs larves bien plus que pour eux-mêmes qu'ils font tant et de si abondantes récoltes ; car il est in- dubitable que l’engourdissement où les jette le froid de l'hiver, les délivre alors de tout besoin de nour- riture. Certains insectes, certaines larvés au moins, vivent constamment des mêmes substances : on voit des chenilles ne se nourrir que desfeuilles d’une seule espèce d'arbre et mourir à leur défaut. Les Vers-à-soie se nourrissent exclusivement des feuilles de Mûrier. Enfin à y a presqu'une espèce de chenilles par espèce d'arbres ou d'herbes. Mème remarque à l'égard des Chenilles carnassières : Ja larve des Mouches à viande ne saurait vivre de substances végétales ; et même il y a dés chenilles qui ne sauraient s’iccommoder que d’une sorte de viande. Disons cependant qu'il en est qui souffrent plus de diversité dans leur nourriture. On en voit, par exemple, qui tout en se nourrissant de substances végétales, leur préfèrent parfois les débris dépecés de leurs semblables. Également, pour l'état parfait, certains insectes se nourrissent indifférem- ment de diverses substances : la Guêpe , par exeinple, se jette tour-a-tour sur des fruits, sur des alimens su- crés, sur des sucs de viande , sur des insectes, sur des cadavres même : le miel aussi leur convient infini- ment. Les Mouches à deux ailes, connues par l'im- portunité de leur vol et leurs titillations agaçantes, lés mouches ont des goûts presqu'aussi variés : tout leur est bon, et on les voit passer brusquement de la sub- CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 473 * stance la plus délétère sur les mets les plus savoureux, que leur contact peut ainsi imprégner de poisons. Beaucoup d'insectes changent de nourriture en passant de l'état de larves à l’état d'animaux parfaits ; plusieurs sont sarcophages dans un âge, et phytophages dans l’autre. Les chenilles se nourrissent de feuilles ordinairement, et les Papillons qui en proviennent ne sucent guère que Île suc épuré des fleurs : les Mouches préfèrent à tout le reste les choses sucrées, tandis qu’à l'état de larve il leur faut des substances animales mortes et déjà corrompues. Il faut aussi re- marquer que les insectes carnassiers, si voraces dans les occasions propices, peuvent se passer d’alimens un temps beaucoup plus long que les insectes her- bivores : ceux-ci mangent sans relâche, ou du moins tout je jour pour les uns, toute la nuit pour d’autres. Une remarque pleine d'intérêt, c’est qu'il est des insectes qui font leur nourriture, et presqu'unique- ment leur habitation , d’une certaine espèce de plante. On pourrait mème en classer beaucoup d’après l’es- pèce de végétal leur servant de pâture et d'asile. Un de mes anciens condisciples et mon ami, M. Havet, que tous les sayans de Paris ont connu, et dont plu- sieurs ‘ont déploré la mort prématurée, ce jeune botaniste à qui tant de connaissances étaient familiè- res, et qui savait tout abréger, tout simplifier, tout parer, tout embellir par les charmes d'ün esprit de- venu trop rare dans un siècle qu’envahissent insensi- blement les froids calculs d’une politique ambi- tieuse ,; M. Havet, avant d'aller s’ensevelir dans les marais meurtriers de Madagascar , sans profit pour les sciences qu'il aurait si bien servies à Paris même, { Â54 LIV. IV: DE LA NUTRITION. avec quelques encouragemens, inspiré par une idée. de Bernardin de Saint-Pierre, son auteur favori, avait entrepris, dès l’année 1817, un joli cours, mis à la portée des gens du monde, et où il divisait les. Insectes d’après le genre de Plantes servant à leur ha- bitation et à leur nourriture. Cet essai d’un homme «d'esprit eut un succès. remarquable. Il s'agissait là beaucoup moins d'un cours, que d’aimables confé- rences, où les réflexions de l’auditoire venaient, non contredire , mais parfois redresser les vues rapides eë souvent un peu hardies du nouveau professeur. On voyait assister à ce cours ce que Paris renfermait de plus distingué dans le culte mixte des lettres et des sciences : M. B. de Mirbel, qu'’ilest inutile de désigner autrement que par son nom ou par l'indication de ses ouvrages; ieu M. Thory, qui a eu le bonheur d’asso- cier d’inappréciables descriptions de roses aux fi- gures sans pareilles de Redouté ; madame À. Tastu, si chère à la poésie ; madame E, Voyart, traducteur d’Auguste La Fontaine , et auteur de plusieurs com- positions originales ; M. À. Thiébaut de Berneaud, le traducteur de. Théophraste, commenté par lui et par M. G. Cuvier; M. F. Lallemand , professeur de Montpellier, et si connu par ses Lettres sur l’Encc- phale, et vingt autres. Je dois ajouter que M. Havet faisait ce cours en commun avec M. V.: Audouin. Les chenilles qui rongent les feuilles ont deux mûâ- choires latérales, agissant et se. fermant comme des ciseaux. Beaucoup d'insectes, les Cigales , les Puce- rons, les Punaises, se nourrissent surtout en pom- pant, au moyen d'une trompe contractile, le suc des plantes où ils se reposent ou restent attachés. Les pet GHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 479 Pucerons particulièrement s’emplissent le canal di- gestif de la liqueur sucrée des jeunes pousses des végétaux. C’est à ce suc qu'il faut attribuer la couleur rougeâtre de leurs entrailles; et nous avons vu que le même liquide rougit la substance des Polypes qui se sont nourris de pucerons. Comme ce fluide a une saveur miellée , même lors de son expulsion du corps des pucerons , cela fait que les Fourmis, friandes de tout ce qui est sucré , s’attachent à la poursuite de ces petits animaux. Les Cigales à l’état de larves ou de nymphes, pômpent aussi la sève des plantes où elles sont fixées : maïs ce sug étant trop abon- «dant pour leur simple nourriture , est ensuite rendu ar. l'intestin sous la forme de bulles aériennes , et c'est dans ce liquide assez ressemblant à de la salive agitée et mêlée d'air, que l’on trouve les petites ci- gales avant leur complet développement. Elles finis- sent après cela par repomper peu-à-peu ce liquide séveux et nourricier, de sorte qu’il leur sert à-la-fois d’aliment et d'abri. Les Cochenilles demeurant cons- tamment fixées aux mêmes endroits, sont réduites à sucer la partie des végétaux où elles s’attachent. Mais à l'égard des insectes dont les œufs et les larves ont pour asile des fruits, des feuilles et des excroissances en forme de noix de galles,' etc., ceux-là sont alimentés dans leurs premiers états par la substance même des végétaux qui les recèlent et les abritent. Il y a une espèce de Chenille qui vit et se transforme dans une masse absolument résineuse ; je veux parler d’une chenille qui se trouve dans une galle où proéminence du Pin. Cet animal peut être plongé, sans mourir, même dans l'huile de térébenthinef, si nuisible à la plus 456 LIV. iV. DE LA NUTRITION. part des insectes. Les Abeilles se nourrissent de cette substance sucrée qu’elles pompent au sein des fleurs , et dont elles forment leur miel. Beaucoup d’autres in- sectes imitent ces derniers , si ce n’est pour leur admi- rable industrie, du moins pour la nourriture dont ils. font usage. La plupart des fruits charnus, des fruits à noyau et des différentes graines, recèlent assez souvent des larves ou des chenilles de différens insectes; mais ce sont toujours les mêmes espèces pour chaque sorte de graines ou de fruits. Tantôt les insectes imparfaits. se bornent à ronger la partie charnue et succulente des fruits; tantôt iis n’en attaquent que les pepins om les noyaux, et ce qui paraît d’abord singulier, c’est qu'on ne retrouve pas constamment les traces de l’ou- verture par où les germes de ces animaux ont dû être. introduits. Comme ils proviennent presque toujours d'œufs assez pelils pour pouvoir passer par les trous les. plus étroits, la simple piqûre qui a pu leur frayer une voie facile s’est ensuite effacée , sinon fermée, par l’ac- croissement du fruit qui les renferme : cela assuré ment en a imposé quelquefois, en faisant croire à des productions spontanées. On peut voir la preuve et des exemples de ce que nous disons ici dans la plu- part des fruils verreux. Reauwmur a décrit avec complaisance el aveemun vrai talent d'observation , la manière dont les Charançons et les Calandres rongent les semences de graminées , le Froment et surtout l’Orge. Les œufs de ces insectes sont introduits par les femelles dans ces semences encore jeunes, de sorte qué, ainsi que nous le di- sions à l'instant même , on ne parvient pas toujours à CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 477 découvrir l'ouverture qui leur a livré passage. Ces ani- maux restent là sous leur état de larves et dechenilles ; ils détruisent toute la partie nutritive des graines pour s’alimenter, ils exercent là toutes leurs fonctions: chaque semence est pour eux un petit monde tout-à- fait séparé du grand, et lorsqu'enfin l’insecte prend sa forme dernière et parfaite , il parvient à sortir de sa prison en soulevant une petite barrière facile à briser : c’est une espèce d’éclosion analogue à celle des Oiseaux et de quelques Poissons. Un fait rapporté par Réaumur et qui mérite d’être connu, c’est que les semences de divers Gramens renfermant de lrès-jeunes chenilles, contiennent beaucoup plus d’excrémens que d'autres semences, où l’on trouve des chenilles prêtes à se transformer en insectes parfaits ; de sorte qu’il semblerait résulter de là que ces animaux, d’a- bord trop avides et peu prévoyans, sont finalement réduits à se nourrir des débris et des résidus de leurs premiers alimens. Ce que nous venons de dire ne s'applique qu'aux Calandres, dont une espèce cause encore de plus grands dégâts que les autres , puis- qu’elle à la nuisible propriété de fairé adhérer en- tr'eux, à l’aide d’un enduit, plusieurs semences qu'elle corrode successivement. Mais le Charançon produit surtout de grands dommages; car après avoir rongé sourdement l’intérieur des grains de blé ou d'orge, lorsqu'il est à l’état de larve et de chenille , il con- tinue ses dégâts sous la forme d'insecte parfait. Les fumigations de soufre et de tabac’ sont les moyens dont on a retiré le plus d'avantages pour la destruction de ces dangereux animaux, qui affament l’homme en détériorant sa plus utile nourriture. 478 LIV. IV. DE LA NUTRITION. Il y a des larves d'insectes qui sé nichent dans les racines des plantes, qui les rongent, et qui par là font dépérir tout le végétal; d’autres , placées dans la terre, se nourrissent des débris des corps organisés qui se trouvent mêlés au sol; il en est enfin qui vivent de substances animales putréfiées , ou même d’excré- mens. Les Dermestes se fourrent dans les substances animales même desséchées; ils sont le fléau le plus re- doutable des cabinets d'histoire naturelle : la seule huile de térébenthine parvient quelquefois à les faire mourir. Ils attaquent les peaux, les cuirs, les re- liures de livres, les fourrures , les vètemens de tissu de laine ou dé coton ; ils en absorbent toute la sub-= stance animale, et finissent par les perforer , par les détruire. D’autres larves d'insectes 5e nourrissent avant que de se transformer, de la substance même d’ autres. animaux vivans, leur sérvant de berceau et d’asile ; on en a vu plusieurs fois dans différentes parties du corps humain. Les OËstres se développent et se nour- rissent dans le euir du dos des Bœufs et des Cerfs ; lieu où les femelles de cette espèce déposent les œufs d’où les petits éclosent: Les Hippobosques ont pour premier refuge l'intestin des chevaux ; même on les a vus quelquefois s’introduire jusqu’à l'estomac ; c'est donc dans la cavité digestive des animaux En ils vivent en parasites. Le Mouton loge aussi dans ses sinüs frontaux la larve d’une espèce d'Olstre:, qui se nourrit là, dans la membrane pituitaire , du sang qui la pénètre et des mucosités qui la lubréfient. Si les Hippobosques cau- sent souvent de grandes agitations aux Chevaux , si CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 4759 les OËstres des Bœufs donnent parfois à ces animaux beaucoup de souffrances, les OËstres des Moutons aussi deviennent quelquefois pour eux la cause dé- terminante dé mouvemens irréguliers, de sauts bon- dissans, dé vertiges ; peut-être même sont-ils capables de produire seuls tous les symptômes du mal singu- lier connu sous le nom de T'ournis. Les Taons n'at- taquent que lés chevaux:et les bêtes à cornes. L'homme a aussi ses animaux parasites : sans parler de ceux qui se fixent à la surface de son corps , qui ne pénètrent jamais au-delà de cette surface, et qui, se nourrissant surtout de son sang et de ses humeurs, se multiplient priucipalement par la misère, la dé- bauche où la malpropreté ; sans parler, dis-je, de ces espèces si connues , nous devons rappeler lé petit in- secte de la Gale, espèce de Ciron ou d’Acarus, lequel paraît être la cause déterminante des arte et du prurit incommode qui signalent la maladie degoûtante que nous venons de nommer. Linné croÿait égale- ment que la Dyssenterie était causée par un insecte analogue à celui de la gale , et cela lui servait à expli- quer pourquoi cette maladie devient quelquefois con- Lagieuse. aussi bien que l’autre. Chaque animal paraît donc avoir, sinon son espèce , du moins sa variété d'insectes parasites : la Puce n'attaque guère que l'Homme et le Chien, Mais il est d’autres insectes qui, sans ètre précisément parasites, n'ont pas moins d'in commodités pour les animaux qu’ils piquent, qu'ils titillent , d’où ils tirent du sang et qu'ils tourmentent, ou la nuit seulement, ou le jour et la nuit. Les Mou- ches et les Cousins , et principalement dans les pays du nord pour ces derniers animaux , sont le per- 480 LIV. IV. DE LA NUTRITION. pétuel tourment de l'homme et d’autres espèces ; en particulier dans certaines saisons. Les Punaises domestiques pompent le sang de l'homme pendant la nuit. Les Cousins s'attaquent surtout et presque sans relâche aux Hommes et aux Lièvres : de Geer assure même que ces insectes vont jusqu'à faire périr (il parle de ce qui arrive en Laponie) les premières, portées du Lièvre. On croit avoir remarqué que les femelles seules se nourrissent du sang de l’homme ou d’autres animaux, et que les mâles, au lieu dé faire de cuisantes piqûres, comme elles, se bornent apparemment à pomper les sucs miellés des fleurs. 11 n’y a pas jusqu'aux [Insectes eux-mêmes qui n’aient leurs Insectes parasites : plusieurs même , principale- ment du genre des Ichneumons, se nourrissent et sé développent dans le propre corps des chenilles de plusieurs insectes, et ne croissent qu'en détruisant el dévorant la substance de ces chenilles. On a remarqué l'espèce d'économie et de prévoyance que ces insectes mettent dans leurs déprédations ; par exemple ils mé- nagent tellement la substance des chenilles leur ser- vant et d'asile et de pâture, qu'ils en conservent juste jusqu’au moment de leur transformation finale et de leur sortie : et ce qui deit paraître encore plus singulier, c'est qu’il se niche des larves d’un petit Ichneumon jusque dans le corps des Pucerons, et même dans des œufs de Papillons. En voilà bien aësez pour montrer qu'il n'est pas de si petit animal qui ne puisse servir de refuge et de proie à d'autres animaux plus petits; mais quel est le dernier terme de cet enclave- ment, et de cette rétpRoeiEe de secours et de des- truction ? CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 481 Les insectes une fois accrus et transformés doivent la nourriture qui leur est nécessaire , soit à la force, soit à la ruse, usant pour l'obtenir des armes et de l'industrieux instinct qui leur sont nécessaires. Beau- coup portent la voracité jusqu à s’entre-dévorer, après des luttes meurtrières. Les Araignées, les Mouches et les Guèpes sont dans ce cas. On sait aussi par quels moyens admirables par leur complication et leur : ordonnance, l'Araignée parvient à s'emparer des insectes qui font sa nourrilure accoutumée. Non seu- lement cet animal saisit et immole à-ses besoins les Mouches qui s'embarrassent dans ses réseaux, mais Pélisson a prouvé, par ce qu'il raconte des récréa- tions de sa longue et dure captivité, qu'il est possi- ble d'attirer les araignées, promptes à s’apprivoiser, jusqu'aux insectes tenus loin de leurs toiles, et qu’on saisit en leur intention et pour leur usage. Les ruses ingénieuses de la Fourmi-lion sont connues, et ce n’est point ici le lieu de les rappeler. Il n’est pas d'insectes qui, plus que les Pucerons, soient aussi avidement recherchés comme proie favo- rite par d'autres insectes: ils doivent tant d’ennemis et tant de dangers à leur petitesse , à la fragilité de leur texture, à leur propre gloutonnerie ; qui fait que leur corps est pour ainsi dire un réservoir de nourriture ; enfin, ils le doivent à l'extrême facilité de leur accès, aussi bien qu'à la saveur miellée des sucs dont ils se remplissent. Au reste, ce n'est pas tou- jours pour eux-mêmes que tant d'insectes se mon- trent si voraces ; c'est souvent pour emmagasiner pour leurs larves qu’ils commettent tant de rapines : I 31 Â82 LIV. IV. DE LA NUTRITION. d’autres fois même ils portent des provisions à leurs chenilles ou à leurs larves , et leur donnent pour ainsi dire la becquée à la manière des oiseaux. Enfin , on observe la plus grande diversité dans les alimens dont les insectes font usage : on ne conçoit guère , par exemple, la bizarre préférence qu’une es- pèce de Teigne affecte pour la cire des ruches d’A- beilles, trouvant précisément près d'elle, et:à sa dis- position, un miel savoureux qu’elle dédaigne. Com- ment d’ailleurs cette cire peut-elle être dissoute? A quelle modification doit-elle d’être transformée en aliment? Il est remarquable aussi que certains in- sectes paraissent changer de nourriture : la Mitte du chocolat, par exemple, n’a pas toujours pu se nourrir .de cette substance , qui est d'invention moderne , à moins cependant qu'elle n'ait été importée avec le fruit même du Cacao. On pourrait élever de pareils doutes au sujet de beaucoup d’autres insectes des- tructeurs des alimens de l’homme. ORGANES ET ACTES DIGESTIFS DES INSECTES. Jci, comme partout, les Organes digestifs sont en rap- port avec l'espèce d’alimens, et les préparations qu'ils doivent subir: Ainsi les Insectes Suceurs ont une simple Trompe contractile pour prendre les ali- mens, des organes très-simples pour les préparer, des membres peu compliqués et mal disposés pour l'ag- gression, des puissances musculaires trop faibles pour d’heureux combats. Ceux de ces animaux qui se nour- rissent des substances végétales ont surtout des Lè- vres très-prononcées, une espèce de Langue, des Mâchoires : le derrière de leur tête s’élargit beaucoup CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 4835 dans le but prémédité par la nature, d'offrir aux puis- sances musculaires de larges surfaces pour attaches. En ce qui touche le conduit digestif lui-même, on a voulu y retrouver les divers compartimens qui le composent manifestement chez l'homme et les grands animaux : on l’a donc divisé dans les insectes , comme dans ces derniers êtres, en Pharynx, OEso- phage , Éstomac , Intestins petits et gros, etc. On s’est du moins assuré (et le fait est certain) que ce conduit a plus de longueur chez les insectes her- bivores que chez les carnassiers : il n’a guère que la longueur du corps entier dans ceux-ci, tandis que son étendue est double ou triple chez les autres, Le conduit digestif des insectes présente en outre plusieurs organes accessoires, sur l'usage et la desti- nation desquels les anatomistes sont divisés d'opinion. L'un de ces organes est un vrai Gésier;.il est placé à la suite de l'estomac , entre cet organe et le Duo- dénum ; deux valvules situées à ses deux extrémités le séparent au moins par moment de l'intestin et de l'estomac. On ne trouve cet organe que dans les in- sectes gloutons, herbivores ou carnassiers, mais il existe principalement dans les herbivores. C’est d’a- bord au sujet de ce gésier qu'il y a eu dissidence entre divers anatomistes : plusieurs ont cru voir en cet organe l’analogue de l’un des quatre estomacs des grands animaux ruminans; et comme plusieurs insectes herbivores , les Sauterelles entr'autres, re- jettent souvent par la bouche une matière brune provenant de l'estomac, on a cru que ces animaux ruminaient ; mais cette opinion n’a aucun motif so- LT 49h. x: : LIV..1Y. DE LA NUTRITION. lide (1). Il est bien vrai que plusieurs insectes de la famille des Orthoptères ont la singulière faculté de rejeter par la bouche, à volonté et comme moyen de défense, les sucs biliaires versés dans l’estomac ou dans l'intestin ; mais de Rumination véritable ,:ces animaux n’en exercent aucunement. Il n’y a chez eux qu'un canal unique pour les alimens; ils n’ont point, comme les ruminans, de prolongement supplémen- taire à l’æsophage faisant communiquer le gésier (re- gardé à tort comme l'analogue du bonnet des rumi- nans) aveclabouche. Ce qu'on avait pris pour des esto- macs supplémentaires ou pour des cæœcums, ne sont tout simplement que des vaisseaux particuliers, te- nant lieu du foie et engendrant une sorte de bile.. Ces vaisseaux et glandes biliaires sont de la plus sin- gulière structure : ce n'est que par les fluides qui en proviennent qu'ils ressemblent au foie. Ils n’ont absolument rien dela texture des glandes. Mais on a eu tort, je le répète , de les regarder comme des dé- pendances de l'intestin, car ils ne contiennent point ordinairement d’alimens. On a eu tort aussi.de les prendre pour des vaisseaux chylifères, car ils con- tiennent des sucs dans l’état de jeûne toutaussi bien qu'après des repas copieux. On remarque que les animaux voraces ont seuls deux ordres de vaisseaux biliaires: les supérieurs, s’ouvrant dans l'estomac, dans le gésier, ou tout près de ces organes, dans le duodénum ; les autres, les vaisseaux biliaires infé- (1) Voyez Swammerdam , Malpighi, Leeuwenhoek, Vallisneri , Réaumur , byonnet, de Geer , Fabricius , Latreille, Marcel de Serres, G. Cuvicr, Strauss, Audouin, M. Edwards, etc. CHAP, IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 48% #eurs , aboutissent dans le duodénuüum ou dans Ix suite du petit intestin. Le conduit alimentaire des insectes offre plusieurs valvules formant intersection. Quelquefois il y æ une de ces valvules entre l'estomac et l’œsophage, quand, par exemple, les vaisseaux biliaires s'ouvrent: dans l'estomac. Il en existe toujours une à chaque extrémité du gésier, quand cet organe ne manque pas; et une autre , à l'extrémité du petit intestin, comme dans les grands animaux. Et lorsqu'il n’y a pas de gésier, l'estomac est séparé du duodénum par une valvale épaisse, garnie de fibres musculaires, repré- sentant une sorte de pylore. Les insectes suceurs, se nourrissant de fluides, ont l’intestin beaucoup moins compliqué que les autres familles :: à peine y distin- gue-t-on des valvules, Les insectes digèrent leurs alimens à la manière: des grands animaux : leur nourriture a le mème cours, subit des altérations analogues. C’est surtout le con- tact des fluides biliaires qui opère de grands chan- gemens ;-c'est du moins après la mixture de ces fluides avec les alimens qu'on voit ces derniers chan- ser de nature, et qu’une sorte de chyle s’en sépare. La régurgitation de cette bile jusqu’à la bouche, dans plusieurs espèces, paraît leur tenir lieu de salive. Mais on ne sait nullement par quels vaisseaux ni par quel moteur cette nourriture essentielle est ensuite: répartie entre les organes ; nous verrons, en effet, que ces animaux n’ont point de cœur véritable, ni leur fluide central de mouvement sensible. On sait seulement que leur intestin est entouré de toutes parts par des vaisseaux aériens ou trachces, à J'aide. 456 LIV. IV. DE LA NUTRITION. desquels il s'opère une espèce de respiration sans dé- placement manifeste du fluide nutritif. Au reste, il sera fait mention ailleurs et de la Circulation et de la Respiration de ces animaux. CrusracÉés. Les Crabes, les Ecrevisses, etc., se nourrissent en général de substances animales, et par préférence même de celles qui sont presque putréfiées Plusieurs crustacés sont parasites et sucent à ce titre les fluides nourriciers des animaux dans l’intérieur des- quels ils se fixent ou sur lesquels ils se cramponnent. La bouche de ces animaux est fort compliquée: elle est formée, à la manière de celle de beaucoup d'insectes, de divers compartimens qui la rendent propre à broyer. Plusieurs ont l’estomac renflé , tou- jours dilaté et tenu constamment étendu par des mus- cles attachés à ses parties latérales. L’estomac des Ecrevisses est situé vers le haut du corps, près de la tête ; il est pourvu de plusieurs paires de dents pylori- ques, dont plusieurs sont supportées par des espèces d’arrêtes en crochet : les autres dents , situées dans le voisinage du pylore , sont aplaties et propres à broyer la nourriture. Une particularité remarquable , ce sont ces petites concrétions blanches et calcaires qu'on trouve dans l’estomac de tous les crustacés à longue queue, vers l’époque de la mue : ces petites pierres, nommées faussement yeux d’écrevisses, ne: sont pas plus des yeux qu'elles ne sont propres aux écrevisses ; tous les crustacés à test solide en présentent de sem- blables. L'intestin des crustacés est assez égal. Ceux de ces animaux qui ont dix pieds ont une valvule au milieu du canal digestif, et prèsde là (comme dans les animaux vertébrés) un appendice cœcal assez pro- CHAP. IV. NUTRITION DES ANIMAUX INFÉRIEURS. 487 longé. L’anus est inférieur et il termine le corps; le foie est volumineux , assez ressemblant au cerveau, et composé de tubes grêles et nombreux, éparpillés dans tout le corps : c’est ce qu'on nomme farce. Il s'étend , tant il est considérable , jusqu'à la queue des Pagures. On ne lui a pas trouvé de conduits biliaires distincts dans tous les Crustacés, mais il en a de me- nifestes dans les Décapodes. C'est une espèce de canal cholédoque qui s'ouvre entre l'estomac et l'intestin. Les crustacés n’ont, à ce qu'il paraît, ni pancréas ni péritoine. | Morcusques. La plupart des Mollusques ont une sorte de bouche et des lèvres; plusieurs même ont des espèces’ de dents cornées que l’on nomme mâ- choires à cause de leur largeur. Il en est aussi beau- coup dans la bouche desquels on aperçoit une petite éminence charnue que l’on prend pour une langue: ce mamelon charnu se meut ordinairement plutôt en arrière qu'en tout autre sens, mais il est presque toujours adhérent dans tous ses points, quelquefois même on le voit se continuer sous la forme d’une spi- rale fixée tout le long de l’œsophage jusqu’à l'estomac. D’autres mollusques ont une sorte de trompe, et dans ces deux cas, qu'il y ait prolongement de la langue en spirale, ou présence d’une trompe , alors il n’y a de dents d'aucune espèce. On n’observe non plus ni dents ni glandes salivaires dans les inol- lusques acéphales ; mais les céphalopodes ont des glandes salivaires. L'œsophage est ordinairement très-long; mais son ampleur varie. Quelquefois il forme une dilatation en forme de jabot. L’estomac est tantôt simple, ct 4 tantôt à plusieurs loges dans d'autres mollusques. 488 LIV. IV. DE LA NUTRITION. Celui des mollusques acéphales est creusé presqu'in- distinctement dans le foie , lequel l’entoure de toutes parts; et la bile passe directement, sans détours ni Jongs circuits, du foie dans l’estomac. Une chose sin- gulière ce sont ces stylets cristallins ; espèce de peti- tes végétations salines et transparentes, que l’on ren- contre dans les conduits biliaires de cette classe d’a- nimaux. Mais l'estomac n’est pas entouré par le foie dans les mollusques à tête. On remarque d'ailleurs qu'il est plus gros dans ceux qui vivent de plantes que dans ceux qui se nourrissent d’animaux, de coquil- luges. La bile est versée dans l'estomac chez plusieurs espèces: l'intestin des mollusques a des circonvolu- tions variables. L’anus est diversement disposé dans plusieurs classes ; ilest percé tantôt en devant, tantôt en arrière , souvent sur les côtés, et c’est le plus or« dinairement à droite : mais il se termine toujours à‘la partie postérieure du manteau dans les mollusques acéphales. | Les Mollusques dont la tête est garnie de tentacules, les Poulpes, les Calmars, saisissent leurs proies avee ces appendices : ceux-ci vivent ou de plantes ou d’au- tres animaux à la chasse desquels on les voit courir. Mais les Acéphales, ne pouvant discerner ni saisit leurs aliments, n ayant d'organes ni pour la salive mi pour la Lo de des alimens , paraissent se nourrir exclusivement avec des substances fluides. Beaucoup de mollusques ont la faculté de rester un temps fort long sans nourriture. Nous savons au reste fort peu de de touchant la digestion et les fonctions nutri- tives de cette classe d'êtres (1). (1) Woyez Poli, D. de Montfort, G. Cuvier, iris Péror.. Blainville, etc., et diflérens Voyageurs. CITAP. V. NUTRITION DES ANIMAUX SUPÉRIEURS. 489 CIAPITRE Y. Particularités sur la Nutrilion des Animaux supérieurs ou Vertébrés.. Les faits abondent tellement au sujet de la Nutri- tion des animaux vertébrés, que nous croyons devoir nous frayer une route au milieu de cette foule de choses curieuses, et choisir sur notre passage ce que nous rencontrerons de plus intéressant. ”, Maswwrirères. Parmi les animaux vivipares ou à mamelles , on remarque la plus grande diversité pour la nourriture. Il en est qui ne se nourrissent que de chair ou de substances animales ; d’autres, au contraire, ne se repaissent que d'herbes ou de pro- ductions végétales. Il en est aussi dont la nourriture est mixte, puisée à-la-fois ou indifféremment dans les deux règnes. On exprime d'ordinaire par les noms simples de carnivores , d’herbivores et d'oinnivores ,ou par ceux de sarcophages, de phytophages, et de poly- phages, ces propensions natives de certains. animaux pour une sorte d’aliment plutôt que pour une autre. Ces premières différences des animaux, quant à la nourriture, supposent ou entraînent d’autres diffé- rences quan£ aux organes. Un animal carnivore a plus de dents qu’un herbivore , et ces dents sont plus iné- gales, plus propres à déchirer, plus tranchantes; il a des mâchoires plus dégagées, plus puissantes , mues par des muscles plus gros et plus vigoureux; son esto- mac est moins vaste, ei les parois en sont plus 490 LIV. IV. DE LA NUTRITION. minces; ses intestins sont plus courts, et partant, son ventre moins volumineux , ses formes plus grèles. Les membres aussi sont disposés autrement que dans les berbivores, l'instinct de voracité ayant besoin d’ins- trumens déchirans et agiles, propres à le satisfaire. Enfin, il est peu d’organes sur qui n'e réagisse, sur qui ne s'imprime et ne se fasse sentir, et par qui ne se manifeste, pour des yeux exercés, l'espèce d’alimens dont un animal vivipare fait usage : cela rejaillit jusque sur son caractère, sur ses instincts et ses mœurs. Mais ce n’est point ici le lieu d'entrer dans de plus grands détaïls à ce sujet. Beaucoup d'animaux carnivores ont besoin de chairs vivantes, ce qui les oblige à des combats, à des agressions perpétuelles et au carnage. D’autres pré- férent à ces curées meurtrières et difficiles, des chairs mortes ou déjà putréfiées : le Lion tue tout ce qu'il mange, mais la Hyène tire sa nourriture du fond des charniers ou des tombeaux. Il est aussi quelques car- nivores qui se bornent à sucer le sang des animaux qu'ils massacrent; quelques espèces de Martes et de Chauve-Souris sont dans ce cas, nommément les Putois et les Vampires. Les Sarigues se nourrissent presque uniquement d'œufs d'oiseaux. Les Fourmil- liers, dénués de dents, se nourrissent de fourmis et d’autres insectes, qu'ils engluent au moyen de Jeur langue , FASO MDI Ent Hépotée à cet effet, Les animaux HMS dre ont, ainsi que nous l'a- nl vons dit, des mâchoires moins puissantes, mues par des muscles plusfaibles , armées de dents plus propres à broyer qu’à mordre ou déchirer, des membres peu disposés à l'agression; mais, en revanche, leur CHAP. V. NUTRITION DES ANIMAUX SUPÉRIEURS. O1 estomac est plus spacieux, il a des parois plus épaisses et plus musculeuses , et quelquefois il est multiple ou complexe; leurs intestins sont plus longs, plus gros; leurs formes plus massives. En général, les animaux qui Ruminent, c’est-à-dire ceux dont les alimens refluent vers la bouche par l'æso- phage, pour être broyés de nouveau après avoir déjà séjourné dans les estomacs, ceux-là ont presque tous des cornes ou des bois au front, et manquent de dents incisives à la mâchoire d’en haut. Tous, en outre, ‘ont quatre estomacs, ou un estomac divisé en quatre cavités. Voici, au réste, quelle est la disposition de ces estomacs. Le premier de tous est la panse, ou l’herbier; celui-ci est très-grand et il occupe presque entière- ment le côté gauche de l’abdomen; le deuxième esto- mac, ou bonnet, la plus petite des quatre cavités, est placé à droite et en devant de la panse; plus à droite en- core, et tout-à-fait en arrière du foie , est le troisième estomac ou feuillet, lequel communique par une ou- verture peu spacieuse, avec le quatrième estomac ou caillette. Ce dernier est l’analogue de ce qu’on voit chez les animaux qui n’ont qu’un estomac simple, et il communique avec le duodénum par une sorte de pylore. La séparation des deux premiers estomacs est peu sensible ;: mais les autres sont séparés l’un de l’autre par des rétrécissemens assez marqués pour ne permettre aucune confusion. L’œæsophage s’insère dans la portion droite de la panse, et, de plus, une espèce de gouttière de prolongement le fait commu- niquer avec le bonnet et le feuillet. Lorsque les herbes viennent d'être mâchées et pour la première fois avalées, elles sont introduites dans » * 493 LIV. IV. DE LA NUTRITION. Ja panse, de celle-ci dans le bonnet; et ce n’est qu'après avoir déjà subi l’action de ces organes , s'être imprégnées des sucs qui y sont sécrétés, et s’y être ramollies, qu'elles remontent par l’æsophage dans la bouche, afin de subir là. une nouvelle trituration plus parfaite que la première; et, celte deuxième fois, elles sont déposées immédiatement dans le bonnet, sans avoir de.nouveau séjourné dans la panse. Les ruminans tout jeunes qui se nourrissent du lait de leur mère, n'ont point encore de rumination, et le liquide dont ils s’abreuvent passe directement-dans les derniers estomacs, tout comme nous venons de voir que la chose arrive pour les alimens déjà ruminés des animaux adultes. Mais c'en est assez à ce sujet:. Plusieurs Cétacés ont un estomae presque aussi compliqué que les ruminans : le Dauphin et le Mar- souin, par exemple, ont pour estomac quatre cavités placées à la. file les unes des autres ; il existe de plus entre les trois premières poches une sorte de canal court , formant un passage étroit à l’aide duquet la communication s'établit de l’une à. l’autre. Toute- fois ces animaux ne ruminent point. Beaucoup de Rongeurs ont l'estomac divisé comme en plusieurs cavités par des étrangleméns j quelques- uns paraissent avoir deux estomacs, mais cette der- nière disposition est surtout bien marquée dans des Kanguroos, particulièrement dans.le Kanguroo-rat: Les herbivores qui ne ruminent pas ont d'ordinaire l’œsophage inséré .vers le milieu de l'estomac, ce dernier organe disposé de manière à prolonger Île séjour des alimens du côté de la rate, c’est-à-dire à gauche, et l'orifice du pylore fort étroit. Remar- CHAP. V. NUTRITION DES ANIMAUX SUPÉRIEURS. 4O9 quons aussi que les rongeurs ont ordinairement deux dents incisives, isolées des autres dents, à chaque mâchoire , et que leurs jambes postérieures, presque toujours plus longues que les antérieures, les prédisposent à sauter. Les ‘organes digestifs de l'Homme et des Singes tiennent à-la-fois de ce que nous avons dit exister chez les herbivores et chez les carnivores. L'homme a toutes les espèces de dents : des dents tranchantes et déchirantes, comme les carnivores, et des dents imolaires ou broyantessans inégalitéssensibles, comme les herbivores. Sa mâchoire inférieure se meut dans tous les sens : horizontalement comme dans les ani- maux se nourrissant d'herbes, et perpendiculairement comme chez les carnassiers. Son estomac est sim- ple, mais assez vaste et à parois moyennes. Le reste des organes tient le milieu entre les deux classes de mammifères dont nous avons parlé. L'Ours et le Blaireau , qui paraissent surtout orga- nisés pour être carnivores, se nourrissent toutéfois presqu'indifféremment de toutes sortes d’alimens ti- rés des deux règnes des corps organisés. Mais rien n’est plus-rare que de voir un herbivore se nourrir de choses animales , ou un carnivore se repaître de vé- gétaux : cela ne se rencontre guère que parmi les animaux que l’homme a su s’assujeltir et rendre ses compagnons et ses imitateurs. Ainsi, le Chien affamé mange du pain et quelquefois même des végétaux. On a vu des Chats, privés d’alimens, dévorer , pour as- souvir leur faim, jusqu’à des tissus de lin. Les Rats aussi, quoique organisés en tout comme les herbivo- res, mangent souvent des substances animales. On a 494 LIV. IV. DE LA NUTRITION. observé que des chairs déposées dans l’estomac du Cheval n’y subissent aucune altération { mais on a vu des Chèvres ne manger que des substances anima- les, et elles digéraient ces substances. À l'égard des boissons , les animaux carnivores en éprouvent moins le besoin que les herbivores. Mar-. corelle a prouvé qu'à conditions égales, on se passe plus facilement de liquides ayec des alimens gras. Toutefois le Chameau est un des animaux qui reste, sans en souffrir, le plus de temps sans boire. La manière dont boivent les mammifères varie beaucoup : l’homme avale les liquides tout comme les solides; mais il boit aussi par succion. Les animaux carnivores lappent, et, à-cause de cela, on pourrait (ainsi que je lai expérimenté) les faire mourir de soif ou de rage en leur tenant la trachée-artère ouverte à l'extérieur , cela leur ôtant la faculté d’aspirer les H- quides. L’Ours mord l'eau comme un fruit ou tout autre aliment ; il ne lappe ni ne suce. La plupart des herbivores boivent par succion , et pour les faire périr par la soif il suflirait de paralyser leur langue. On « dit que l’homme était le seul animal qui bût sans soif. Oiseaux. Les Oiseaux aussi ont une nourriture très-diversifiée ; les uns se-nourrissent de graines , et c’est le plus grand nombre ; d’autres préfèrent les insectes, quelques-uns ne dévorent que des pois- sons ; il en est qui se massacrent les uns les autres et qui font leur proie d’autres oiseaux ; plusieurs vivent du suc des fleurs; enfin , il y.a des animaux de cette classe qui font leur nourriture de cadavres. Nous devons répéter, à l’occasion des oiseaux , ce. que nous avons dit des mammifères : la conformation CHAP. V. NUTRITION DES ANIMAUX SUPÉRIEURS. 495 de leurs organes est toujours assortie au genre d’ali- mens dont ils font usage. Le bec des oiseaux carnas- siers est toujours plus fort, plus recourbé, mieux disposé pour le combat. Leurs pattes ont plus de puissance ; les ongles en sont plus aigus , plus redou- tables. Leurs ailes sont plus longues , leur sternum à plus de saillie, et leur vol plus d’étendue : ceux des oiseaux qui se nourrissent d'insectes ont surtout des ailes très-longues, et leurs pieds sont courts. Les oiseaux pêcheurs ont le cou long, le bec aussi est très-prolongé , et leurs pattes méritent pour la plu- part d’être comparées à des échasses. Ces animaux sont, en outre, organisés de manière à leur per- mettre de rester de longues heures debout sans fa- tigue , disposition nécessaire , ainsi que la patience, au succès de leurs entreprises et au maintien de leur existence. Leurs pattes sont presque toujours pal- mées , et tout leur corps disposé à surnager sans de grands efforts. Les oiseaux vivant d'insectes ont le bec effilé, le vol léger, des formes élégantes, et ils sont presque continuellement au milieu des airs. Ceux qui vivent de graines sont moins légers, moins dis- posés pour le vol ; ils sont plus terrestres qu'aériens. Leurs pieds ont plus de solidité que de puissance; leurs ongles et leur bec sont ordinairement obtus : mais ils ont un jabot souvent très-prononcé, et un gésier très-épais. Leurs ailes ont peu d’étendue. On trouve trois poches distinctes dans la cavité digestive des oiseaux; les deux premières ne sont que des dilatations de l’æœsophage, l’autre est le véri- table estomac. Le jabot est la première de ces ca- vités : placé au bas du cou, c’est là que les’alimens 496 LIV. IV. DE LA NUTRITION. avalés s'accumulent d’abord et font leur premier sé- jour. Cette poche est membraneuse , et composée de trois tuniques, ainsi que le reste du conduit diges- tif. La deuxième cavité, ou le ventricule succenturie , espèce d'estomac accessoire, est placé entre le jabot et le gésier. Les parois de ce deuxième sac contien- nent des glandes nombreuses. Le troisième estomac, l'estomac par excellence , est nommé gesier. Celui: ci a des parois beaucoup plus épaisses que les deux autres , il est aussi infiniment plus musculeux; il est tapissé à l'intérieur par une couche coriace et comme cornée, qui paraît inerte, et dont la résis- lance est extrême, Ces poches digestives présentent de grandes diférences dans les diverses familles d’oi- seaux, selon surtout les substances dont ils se nourris- sent. Le jabot est beaucoup plus prononcé dans les granivores qu'en aucune autre famille; et cependant l’Autruche manque totalement de jabot. Les oiseaux piscivores ou ichtyophages n'ont point de jabot non plus; mais leur estomac accessoire est plus vaste que chez le commun des oïseaux. En général, l'estomac succentuürié a -un volume très-considérable dans les oiseaux manquant de jabot. Ce sont les granivores qui ont le gésier le plus épais , le plus puissant : les carnivores l’ont presque tous très-mince: Le Héron, comme piscivore, n'a point de jabot, et ses deux autres estomacs n’en font qu'un. Le Coucou, selon la remarque d'Hérissant, pré- sente une disposition toute particulière quant à son estomac. Tous les oiseaux, en effet, ont l'estomac placé près de l’échine , au-dessus des intestins, tandis que le Coucou l’a placé tout près de la peau du ventre. CHAP. V. NUTRITION DES ANIMAUX SUPÉRIEURS. 407 Nous devons dire que quelques anatomistes ont cru voir dans cette disposition tout-à-fait insignifiante la cause pour laquelle le coucou abandonne ses œufs et ne les couve jamais. Il nous serait difficile d'énumérer sans omission toutes les particularités intéressantes que présente la classe de oiseaux sous le seul rapport des organes di- gestifs et des habitudes de nutrition. Par exemple, les Granivores ont constamment des cailloux, des graviers ou d’autres corps solides et à surface inégale dans leur gésier , etrien n’est plus malaisé que de dégarnir entiè- rement l'estomac de ces corps résistans, qui parais- sent destinés à seconder l’action du gésier : il n’y a de rendus avec les excrémens que eeux de ces corps étran- gers.dont la surface est lisse sans nulle inégalité. Les morceaux de cuivre qu'avalent les Autruches finissent par empoisonner ces animaux, par le vert-de-gris qui se forme dans les dépressions du métal. Les Oiseaux de proie nocturnes avalent indistinctement toutes les parties des oiseaux leur servant de pature, tout , os, plumes, viande, etc. Mais ils rejettent ensuite, rou- lées en masse, toutes les substances réfractaires à l'ac- tion de l'estomac. Les Pélicans conservent des alimens pour plusieurs jours dans le réservoir placé sous le bec, et les Cormorans, brisent les pattes des animaux qu’ils ont pris et qu'ils réservent pour des temps plus éloignés. ù Beaucoup d’Oiseaux granivores digèrent très-diffi- cilement, mais enfin digèrent les substances animales, les vers , les insectes , les débris d'animaux introduits dans leur estomac : mais les oiseaux carnassiers ne peuvent digérer les graines qu'on leur fait avaler ; des I. 34 498 LIV. IV. DE LA NUTRITION. graines de plantes! céréales sont restées absolumerit intactes pendant des jours entiers dans l’estomac des oiseaux de proie. Il est des oiseaux qui boivent par une vraie déglu- tition à tête redressée ; mais il en est d’autres, les Pigeons, par exemple, qui boivent par aspiration: On ne peut pas dire que ce soit par nccioM car la langue des oiseaux gallinacés et des pigeons, loin. d’être charnue , est presque entièrement osseuse, Il serait curieux de s'assurer de ce qu'il arriverait à ces animaux après qu’on leur aurait ouvert la trachée. Reprires. Presque tous les Reptiles ont un estomac dépourvu de cul-de-sac , un estomac très-allongé et de forme ovale. Les parois en sont minces et les fibres musculeuses peu marquées. L'estomac des Tortues va en se rétrécissant depuis le cardia jusqu’au pylore, lequel est sans valvule. Celui des Crocodiles présente un: grand cul-de-sac à parois fort épaisses, et une autre petite poche sé- parée près de l’œsophage. Les Serpens ont l'estomac configuré en forme de boyau, et pas beaucoup: plus gros que l'intestin lui-même. L’estomac des Gre- nouilles et des autres Batraciens, d’abord assez dilaté près de l’æœsophage, se rétrécit ensuite peu-à-peu-en approchant du pyloree et il forme en outre une cour- bure assez marquée. Du reste, il y a pour les reptiles et les poissons, aussi bien que pour les mammifères et les oiseaux, une exacte concordance entre l'orga- nisation et la nourriture : c'est à ce point, qu'on peut assez sûrement juger de l’une par l’autre. Les Tortues se nourrissent à-la-fois d'herbes , de poissons, de mollusques : elles brisent jusqu'à des CHAP. V. NUTRITION DES ANIMAUX SUPÉRIEURS. 409 coquillages, dans le but de dévorer les animaux qu'ils renferment. Les Batraciens, et entre autres les Gre- nouilles , sont herbivores à l’état de Têtards, et car- nivores à l’état parfait : aussi ces animaux ont-ils des intestins proportionnellement plus spacieux et plus longs dans leur premier état qu'après leur première métamorphose. On remarque précisément le con- traire dans les insectes nommés Hydrophiles , dont les larves sont carnivores. Les Crocodiles font une grande dépense de sub- stances animales: la largeur de leur gueule, qu’ac- croît encore la manière dont s'’articulent et se meu- vent simultanément leurs mâchoires, permet à ces animaux d’engloutir des proies énormes. Leur appétit est si insatiable , leur gloutonnerie si effrayante, qu'il est permis d'attribuer au désir de détruire des ani- maux aussi nuisibles par leurs déprédations , les so- lennels honneurs que l'Égypte superstitieuse ren- dait autrefois à leurs cadavres. Les Serpens et tous les Ophidiens sont omnivores: les chairs d'animaux, les œufs d'oiseaux, les larves d'insectes ou du moins de quelques insecte$, le miel, le sang de plusieurs animaux , le vin, les fruits, tout leur plaît, tout leur est bon. Les Couleuvres aiment surtout les Limaçons et les Grenouilles : on dit qu'ils sucent le sang dés animaux : cela veut dire qu'ils enfoncent leurs dents , souvent venimeuses, dans les chairs, et qu'ils avalent le sang des blessures qu'ils produisent ainsi; Car ces animaux n'exercent pas de vraie succion comme font les Sangsues, etc. On assure que les Serpens s’enivrent de vin; Aristote va jus- qu’à affirmer qu’on parvient sûrement à prendre des 32* 500 LIV. IV. DE LA NUTRITION. vipères en mettant près des haies qu’eiles habitent des vases remplis de cette liqueur. On sait que la plupart des Serpens avalent souvent: des animaux entiers sans division préalable : les gros serpens nommés Boas engloutissent ainsi, tant leur gueule a d’étendue, tant leur tube digestif.est dila- table , jusqu’à des quadrupèdes vivipares d’un volume bien supérieur au volume de leur propre corps. Et comme la digestion des Serpens est d’une lenteur extrème , il résulte de là que l’animal saisi par le ser- pent a le temps de se putréfier dans celles de ses parties qui restent exposées à l'air, pendant que les parties introduites dans le conduit digestif se ramol- lissent et sont digérées. Il résulterait encore de cette: particularité que Îles serpens périraient asphyxiés par privalion d'air, si l'extrémité de leur trachée-artère ne venait s'ouvrir assez près de l’orifice de la bouche pour n'être point obstruée par l’énorme-proie en- gloutie par l'animal. J'ai fait cette remarque il y a quelques années sur un Orvet : ce petit reptile venait d’avaler une grenouille beaucoup plus grosse que lui; une porlien de la grenouille était déjà entrée dans: l'œsophage ; l’autre portion , et c'était la plus consi- dérable, remplissait la bouche de l’orvet ou sortait au dehors. Je me demandais comment l'animal pou- vait , ainsi rempli, continuer de respirer ; j'examinai sa bouche, ses mâchoires , et je vis très-distinctement l'orifice de la trachée-artère tout près du bord de la mâchoire inférieure; de sorte que chaque fois que l’orvet éprouvait le besoin de respirer , il lui suilisait d'augmenter un peu l’écartement de sesimâchoires.: J'air alors pouvait entrer par l'ouverture découverte CHAP. V. NUTRITION DES ANIMAUX SUPÉRIEURS 5o1 de la trachée. Mème chose arrive pour tés autres serpens. Porssoxs. Obligés par lëur genre de respiration €t par la configuration de leur corps ete leurs mem- bres à séjourner constamment dans les eaux, les Pois- sons ne se nourrissent que de substances aquatiques. Je sais bien qu’Aristote à assuré qu'il existail un poisson qui venait à terre pour se nourrir ; mais c'est là une des mille assertions de cet auteur dont il nous est permis de douter, nonobstant nos respects pour sa haute raison. On sait que les poissons font leur nour- riture des algues , des plantes qui croissent dans la vase du fond des eaux; que la plupart dévorent leur propre frai au temps des amours, et même que plu- sieurs s’entre-détruisent pour se nourrir. Îl est cer- tain qu'ils mangent aussi d’autres animaux, des insec- tes, des vers, des mollusques, etc. : on connaît la voracité des Requins et le danger de leurs approches. Il y a pour les poissons, comme pour les autres ani- “maux, des carnivores et de vrais herbivores : il yen a aussi d’omnivores. On voit des Carpes et d’autres és- pèces manger jusqu’à du pain. La plupart aiment beau- eoup. les Vers et les préfèrent à tout le reste : aussi se sert-on de ces animaux pour appât. On sait que les poissons recherchent avec avidité les substances odorantes ou parfumées ; l’ambre, le muse, la coque da Levant, les attirent, et l’on fait un grand usage de plusieurs substances analogues dans l'art de la pêche. La viande pourrie aussi est un puissant appât pour plusieurs poissons, en particulier pour les An- guilles. Au demeurant, pour la nutrition comme pour Lo 5o2 LIV. IV. DE EA NUTRITION. leur histoire , il reste beaucoup de choses obscures au sujet des Poissons. Ils vivent habituellement si loin de nos yeux, et sont si peu susceptibles Ge résister quel- ques instans awconlact de l'air libre, que nous ne pouvons guères les étudier qu’à distance, et jamais entièrement isolés du liquide leur servant d’élément indispensable, Nous ne savons point, par exemple, comment peuvent vivre, des semaines entières , les poissons renfermés dans des bocaux où l’on ne fait pénétrer absolument aucun vestige de matière nutri- tive, animale ou végétale. La nutrition des Poissons dorés, que l’on a tout simplement pourvus d’eau, me semble un des problèmes de la physiologie le plus difficile à résoudre. Est-ce que les particules organi- ques imperceptibles, suspendues dans l'eau, suffisent à leur alimentation ? Est-ce qu'ils décomposent l’eau pour se nourrir de ses élémens ? où bien la lenteur de leurs fonctions leur permettrait-elle de vivre pen- dant des mois entiers sans autre ressource que l'air absorbé par les ouies pour la respiration? L’estomac des poissons se continue souvent sans limites sensibles avec l’œsophage ; sa séparation d’avec l'intestia n’est pas toujours beaucoup mieux tracée. La forme de l'estomac est celle d’une cloche allongée vers le lieu de son attache. Il est toujours simple, n’a jamais plus d’un cul-de-sac, et la saillie de celui-ci varie selon que le poisson est carnivore ou herbivore. L'intestin est variable quant à sa longueur et à sa con- figuration. Plusieurs poissons ont le rectum séparé des autres gros intestins par une valvule ; beaucoup ont des appendices pyloriques nombreux , espèces de cœæcums qui ont frappé l'attention de Spallanzani , CHAP. VI. MÉCANISME DE LA DIGESTION. 503 ét dont l’usage est ignoré. L'intestin de l'Esturgeon présente dans une partie de sa longueur une spirale fort remarquable, et celte spirale est formée par la membrane muqueuse. Quel en est l'usage ? Nous ne devons point quitter ce sujet sans relever l'erreur d’Aristote, qui prétend que le Scare rumine. Assurément Aristote aura confondu avec la vraie ru- midation les mouvemens que tout poisson ne cesse d'exécuter avec sa bouche et ses opercules pour at- tirer l’eau dans ses branchies et pour l’en chasser. CHAPITRE VI. Mécanisme de la Digestion, principalement dans les Animaux verté- brés, — Expériences et Théories à ce sujet. NourRITURE DES Animaux. Nous avons vu que tout animal ne peut se nourrir qu'au moyen de substances provenant elles-mêmes de corps qui ont eu vie ; la vie ne s’entretient que par la destruction des corps vivans. C’est pour avoir cru trop légèrement à de fausses appa- rences , que quelques personnes ont admis en de cer- tains animaux la faculté de se nourrir de corps iner- tes. Cette opinion est erronée. La terre jaune que des Loups affamés mangent parfois avec rage , ne sert qu'à tromper une faim dévorante ; les Mollusques ne digèrent pas davantage les débris des roches ou des vieux bois qu’ils perforent ou détruisent ; les Poissons ne vivent point de la vase inerte du fond des mers, ni les Vers , de la terre qu'ils introduisent dans leur 50/4 LIY. IV. DE LA NUTRITION. corps: tout au plus en séparent-ils quelques débris de corps organisés qui se trouvent mêlés avec ces sub- stances Inorganiques. Les Oiseaux ne digèrent nulle- ment non plus les substances minérales qui sont par- fois violemment brisées ou pulvérisées pär leur gésier. Si l'on à cru à de pareilles choses , c’est pour les avoir trop légèrement examinées. La nourriture des. animaux est, au reste, très- diverse. On remarque assez généralement que des êtres les plus simples n’ont besoin que d’alimens peu composés. Îl existe une concordance assez parfaite entre la complication des organes et l’ordre d’alimens dont les animaux font usage. Ensuite, peu importe pour notre objet présent qu’un animal se nourrisse de chair vivante, comme le Lion où l’Aigle ; de cada- vres, comme la Hyène, les Corbeaux ou les Vautours; de poissons, comme les Loutres ou les Oiseaux échas- siers ; de racines, comme le Porc ou le Sanglier; de fourmis, comume les Pics, ou de simples herbes, comme les Mammifères rongeurs ou ruminans : peu nous importe qu'ils soient omnivores comme l'Homme, les Singes et l'Ours. Nous n'avons qu'un but dans ce chapitre, c'est d'étudier au moyen de quels instrumens et selon quel mode les animaux digèrent. ORGANES ESSENTIELS SERVANT A LA DIGESTION. Les alimens d’abord doivent être saisis, soit par des mem- bres agiles, des palpes ou destentacules, quilesportent à la bouche ; soit immédiatement par la bouche, à l’aide de lèvres, de dents ou d’un bec; d’autres fois ils sont attirés à l’aide d’une espèce d'aspiration, comwe dans la Sangsue , ou englués par la langue, comme dans les Pics et les Fourmilliers. Une fois in- CHAP. VI. MÉCANISME DE EA DIGESTION. 9309 troduits:dans la bouche, ils sont soumis à l’action de :ombreux organes chargés de Îles diviser, de les im- iber, de les goûter, de les déglutir, de les faire heminer, de les attérer, en un mot, de les digérer, : d'en extraire une sorte de liquide particuliér qu’on nomme chyle (c’est l'aliment par excellence}, et fi- nalement d’en expulser le résidu ou l’excrément. La plupart des grands animaux ont les deux mâ- choires munies de dents ayant pour usage de diviser les alimens ; un bec corné et fort résistant remplit la même destination que les dents dans les Oiseaux, les Monotrêmes et les Tortues. La langue, qu’elle soit molle ou solide , sert à réunir les alimens dispersés dans la bouche; de plus elle apprécie leur saveur, et l'impression qu'elle en éprouve, transmise au cer- veau par les nerfs, rejaillit ensuite du cerveau vers les autres organes digestifs, pour les disposer, pour les exciter à l’action qui leur est propre. Les glandes sécrètent des sucs dont le bol alimentaire s'imprègne; la langue se gonfle, se raccourcit et fait la bascule ; le voile du palais s'élève vers les fosses nasales pour en fermer l'accès ; le pharynx se contracte sur le bol alimentaire et le transmet bientôt à l'œsophage ; la glotte se rétrécit et l'épiglotte la recouvre’et la pro- tège ; ce qui empêche l'introduction de tout frag- ment alimentaire dans le larynx. L’œsophage transmet à l'estomac les alimens qu’il recoit du pharynx. Res- tent encore les principaux organes de la digestion : l'estomac , qui les recoit et les modifie durant le séjour plus ou moins long qu'ils font dans sa cavité; les intestins, où ils se mêlent à diverses humeurs ; c'est pendant leur séjour et leur trajet dans ces der- 506: LIV. IV. DE LA NUTRITION. niers organes , que les alimens se séparent en deux parties, je veux dire en excrémens que rejette au- dehors ce dernier intestin, et en chyle, fluide nour- ricier qui, une fois absorbé, chemine dans des vais- seaux particuliers qui le mêlent au sang. HuuEurs. Plusieurs Humeurs, sécrétées par des glandes spéciales , par des follicules ou des mem- branes, concourent à produire les altérations que subissent les alimens dans le trajet du tube digestif. Nous parlerons d’abord de la salive, fluide fourni par des glandes placées en beaucoup d’animaux près des mâchoires , mais n’existant point chez d’autres, par- ticulièrement dans les oiseaux, chez lesquels ce fluide est pour ainsi dire remplacé par l'humeur abondante et visqueuse que fournissent les follicules nombreux de l’estomac succenturié, lequel est intermédiaire , ainsi que nous l'avons vu , au jabot et au gésier. Outre la salive, qui se mêle aux alimens pendant leur masti- cation et leur trituration, et qui dans l’état de jeûne et de vacuité de l'estomac afflue dans la cavité de ce vis- cère , il y a d’autres humeurs formées ou versées dans l'intérieur du tube digestif, savoir : 1°. le mucus de la bouche, celui du gosier, du pharynx, de l’œsophage, de l'estomac et des intestins; 2°. le fluide perspiraioire qu’exhalent à la surface de la muqueuse digestive les extrémités des vaisseaux artériels; 3°. l’humeur folli- culaire que forment toutes les cryptes muqueuses pla- cées dans l'épaisseur de la même membrane; 4°. la bile, humeur fermée par le foie, et que le conduit cholédoque verse dans la cavité du duodénum ou premier intestin ; 5°. l'humeur pancréatique, espèce de salive abdominale , dont le pancréas est la source, et GHAP. VI. MÉCANISME DE LA DIGESTION. 907. qu'un -conduit excréteur particulier verse aussi dans le duodénum, près de l'endroit où vient aboutir le conduit cholédoque. Ce qu'on nomme suc gastrique n'est point une humeur spéciale ou simple, ainsi qu'on pourrait le croire et que certaines personnes l'ont admis : ce li- quide , dont la quantité est parfois considérable’, est tout uniment un composé , un mélange de salive, de mucus , du fluide perspiratoire et de l'humeur follicu- laire des premières voies digestives. C’est un liquide peu homogène , contenant des flocons, d’une appa- rence louche, couvert de mousse , souvent salé, quel- quefois acide , et dont quelques personnes et certains animaux fournissent des quantités énormes, alors que l'estomac est à jeûn. Nous reviendrons sur les qualités et les propriétés de ce liquide. Le suc intestinal est encore plus composé que le précédent; car aux rési- dus des sucs gastriques qui ont traversé le pylore il se joint du mucus et d’autres fluides fournis par la mu- queuse des intestins , et de plus de la bile et du fluide pancréatique , quelquefois aussi des bribes d’alimens et du chÿle, et c’est justement à ce mélange de tant de choses qu’on donne le nom de suc intestinal. I se forme en outre différens gaz dans la cavité intestinale aux différentes périodes de la digestion. CHANGEMENS ÉPROUVÉS PAR LES ALIMENS DANS L'ESTO- mac. Comment pourrions-nous dire quelque chose de général. touchant les premiers préparatifs de la digestion , puisque ces premiers phénomènes difiè- rent dans les divers animaux? nous savons que la préhension des alimens varie beaucoup de classes à classes et souvent d'espèce à espèce : l'insalivation , . 508 LIV. IV. DE LA NUTRITION. il y a des animaux nombreux qui n’ont pas de salive; Ja gustation, la langue de beaucoup d'animaux est si solide, si complètement osseuse , qu'il est difficile d'admettre qu'un pareil organe perçoive quelque peu distinctement les qualités sapides des ahimens; la masticalion , les oiseaux granivores surtout n’en exercent aucune ; beaucoup d’autres animaux comme privés de dents, ne peuvent non plus diviser les sub- stances dont ils se nourrissent ; il y a aussi beaucoup de différence entre les vrais carnivores, qui déchirent et avalent les chairs sans les mâcher, et les herbivores ruminans, qui mâchent à deux reprises différentes les mêmes herbes. Nous devons donc nous borner ici à suivre les changemens qu'éprouvent les alimens une: fois qu’ils sont parvenus dans la cavité de l'estomac. Quelle que soit l'espèce d'alimeus, et en quelque: animal que ce soit, ordinairement il se passe une ow plusieurs heures avant qu’on puisse observer des: changemens notables dans'la masse alimentaire accu- mulée dans l'estomac. Après cela les alimens se ra= mollissent, s’altèrent, changent de couleur et souvent de saveur; à l'exception des graines qui sont recou- vertes d’un épiderme inattaquable, l’altération com- mence par la surface des substances alimentaires, et il faut remarquer que les qualités du chyme diffèrent extrêmement selon l’espèce d’alimens d’où il résulle : les herbes ramollies et deux fois triturées des rumi- nans donnent un autre produit stomacal ou chy- meux que des chairs ou que des graines de céréales. Nous devons dire aussi que la digestion des substan- ces animales est plus prompte que celle des alimens. fournis par des végétaux, Les animaux carnivores di CIAP. VI. MÉCANISME DE LA DIGESTION. DO gèrent plus vite que les herbivores , et l'Homme et les Singes, qui sont omnivores , ont plus tôt digéré des viandes que des légumes ou des fruits. Il arrive même assez fréquemment que des fragmens de végétaux parcourent toul le canal digestif sans avoir perdu leurs qualités naturelles et distinctives, sans s'êlre aucune ment altérées ; ce qui est fort rare pour lessubstances animales. | C'est à leur surface, avons-nous dit, que les ali- mens amassés dans l'estomac commencent à se -ra- mollir et à s’altérer; nous avons ajouté que les sub- stances recouvertes d’un épiderme faisaient seules exception. On remarque aussi que la digestion est d'abord manifeste pour les alimens placés à la super- ficie de la masse totale : les substances qui touchent aux parois de l’estomac sont déjà ramollies et d’une odeur aigre, que celles du centre n’ont encore perdu aucune de leurs qualités primitives. Il est fort no- table aussi que ce soit dans le voisinage du pylore que. la digestion commence : c’est constamment dans la portion pylorique de l’estomac que l’on trouve le pre- mier chyme. D'où cela vient-il? est-ce que les pre=. miers alimens digérés dans toutes les parties de l'estomac affluent vers ce lieu? ou ne serait-ce qu’en cet endroit, et à raison des mouvemens qui s’y exé- cutent, ou des fluides qui s’y forment, que le pre- mier travail peut s’accomplir ? | Les alimens ramollis et digérés par l'estomac, autre= ment le chyme, forment une masse à-peu-près ho- mogène, de couleur variable pour les divers ani- maux, ordinairement grisâtre dans notre espèce et dans beaucoup d’autres, d’une odeur et d’une sa- 510 LIV. IV. DE LA NUTRITION. veur aigres, et, à cause de cette acidité, rougissant le papier de tournesol. Souvent il se forme , il se dé- gage différens gaz dans l'estomac durant la digestion , mais principalement lorsque les animaux sont mala- des ou affaiblis : c’est le plus ordinairement un mé- lange d’azote , d'oxygène , d’hydrogène et de gaz acide carbonique. Nous en parlerons en faisant l’his- toire des fluides et des humeurs. Pour le plus grand nombre des animaux, c’est l'estomac, et uniquement l’estomacs qui opère le pre- mier travail de la digestion ou la formation du chyme; et même les intestins n’achèvent le grand ouvrage de la formation du chyle qu’autant que l’estomac a exac- tement accompli ce premier préparatif. Cependant la chose semble se passer différemment dans quelques animaux; je veux dire qu'il en est quelques-uns où les intestins et l'estomac paraissent avoir des limites et des destinations moins précises. Le Cheval, par exemple, qui n’a qu'un estomac fort étroit et qui néan- moins mange sans discontinuer durant des heures en- tières, le cheval n'aurait pu renfermer dans son esto- mac si restreint, Jusqu'à leur parfaite chymification , tous les alimens qu’il consomme. Qu'est-il donc arrivé? c’est que le pylore de cet animal reste toujours béant, et que les alimens passent sans obstacle de l’estomac dans l'intestin avant d’avoir été complètement chy- mifiés ; de sorte que les intestins complètent l’action par trop inachevée de l'estomac , sans que cette con- fusion de fonctions préjudicie à la digestion. La durée de la chymification varie beaucoup d'un animal à l’autre : les Mammifères et Oiseaux carni- vores n’ont besoin que de quelques heures pour ac- CHAP. VI. MÉCANISME DE LA DIGESTION. 511 complir cette fonction, tandis que les Serpens et la plupart des Reptiles emploient des jours entiers et jusqu’à des semaines à la parachever. Nous verrons à quelles conditions paraît tenir cette différence. Le même animal met souvent des temps très-inégaux à digérer ses alimens; sa digestion est prompte ou lente selon que sa santé est plus ou moïns parfaite , selon que les alimens sont peu ou trop abondans ; que leur division est plus ou moins grande, et aussi selon la nature propre de ces alimens. Tel animal ne saurait digérer ou digère péniblement tel aliment qu’un autre animal chymifie en peu d'heures et sans en souffrir. CONDITIONS DE LA DIGESTION ET PHÉNOMÈNES LOCAUX QUI L'ACCOMPAGNENT. À mesure que les alimens rem plissent l'estomac , leur volume distend les parois $ de l'abdomen et produit la compression plus considéra- ble de tous les viscères renfermés dans cette cavité : cela même fait affluer plus de sang veineux vers le foie par la veine-porte, et détermine une sécrétion plus abondante du fluide biliaire. L’estomac des mam- mifères est baloté à-la-fois par plusieurs mouvemens : et par les pulsations artérielles, et par les mouvemens alternatifs du diaphragme , et par les oscillations de l'extrémité inférieure de l’œsophage, lequel ne dis- continue. guère de se contracter durant l'inspiration et de se relâcher pendant l'expiration. En outre l’es- tomac lui-même , ainsi que le reste du tube digestif, a des contractions sensibles, s’exerçant d'ordinaire de haut en bas, de l’œsophage vers le duodénum, et se manifestant surtout vers la petite extrémité de l’es- tomac , là où les alimens commencent à se chymifier. Dès que le chyme est formé, ce sont ces mêmes os- 512 LIV. IV. DE LA NUTRITION. cillations de la portion pylorique de l'estomac qui font franchir le pylore aux alimens ainsi altérés. Le pylore, naturellement fermé chez la plupart des ani- maux, ne s'ouvre jamais que sous l'influence des contractions dont nous parlons. Ajoutons que les alimens sont soumis à l’action des sucs accumulés dans l'estomac ou sécrétés à sa surface , et entourés d'organes imprégnés d'une chaleur égale qui est tou- jours à-peu-près de 32° Réaumur. Ces différens phénomènes varient un peu pour quelques animaux : par exemple , les Oiseaux gallina- cés ont un gésier qui est susceptible de contractions non pas très-évidentes (encore que Réaumur et Spal- lanzani les aient vues distinctement), mais à coup sûr” plus puissantes qu'en aucun autre estomac. Le Cheval, non seulement a le cardia fermé, ce qui s’op- pose au vomissement; non seulement le pylore tou- jours béant, ce qui permet le passage continuel des alimens, de l'estomac dans le duodénum; mais en outre, les contractions de l'estomac dans celte espèce sont plus manifestes vers la portion splénique que : dans la pylorique. NÉCESSITÉ DES NERFS ET DES VAISSEAUX POUR LA DIGES- TioN. Il y a besoin de nerfs pour la digestion : nerfs servant à donner le sentiment de la faim ; nerfs ani- mant les muscles qui servent à la préhension des ali- mens, à leur mastication, à leur déglutition , etc. ; nerfs présidant à la digestion elle-même, ce sont les nerfs de la dixième paire ou pneumo-gastriques. On a fait beaucoup d'expériences au sujet de ces derniers nerfs, et ces expériences ont souvent conduit à des résultats contradictoires : les uns ont dit que CHAP. VI. MÉCANISME DE LA DIGESTION. #13 leur section, ligature ou destruction, empèêchait la di- gestion stomacale; d’autres ont assuré que ces nerfs envoyant des filets à-la-fois au larynx, aux poumons et au cœur, leur section ne produisait la mort ou n'arrêtait le travail digestif qu en raison de l’oppres- sion , de l’asphyxie, ou du ralentissement de la circu- lation, qui,en étaient la suite ; enfin, d’autres ont pré- tendu qu’èn coupant ces nerfs au bas de l’œsophage, la digestion n'était plus par-là empêchée , mais seulë- ment ralentie et rendue plus imparfaite, et ce dernier résultat a été vérifié à plusieurs reprises et tout ré- cemment encore. Il est sûr que des Chevaux sur qui la section des nerfs pneumo-gastriques a été pratiquée tout près du diaphragme , ont continué d’avoir faim, de manger, et même de digérer. La même opération ne produit pas d'effets fort sensibles sur les Oiseaux. M. W. Philipp a émis l'opinion singulière qu’on pou- vait remplacer l'influence de ces nerfs détruits, par un courant galvanique appliqué à leurs tronçons; mais ce résultat est loin d’être incontestable, outre que l’auteur qui l’atteste convient lui-même de son inconstance. À l'égard des vaisseaux sanguins, ils sont indis- pénsiblen: à la digestion par vingt raisons différentes : d’abord ils communiquent la chaleur aux organes, donnent le mouvement aux muscles , fournissent les sucs servant à la digestion, et le reste. LEs PRINCIPAUX ORGANES CONCOURENT A LA DIGESTION. Puisque les vaisseaux sanguins sont nécessaires à la préparation digestive des alimens , il est clair,que le cœur, par qui le sang est mu, que les poumons ou les branchies , par qui ce fluide est renouvelé et I. 33 -514 LIV. IV. DE LA NUTRITION. . parachevé, que le cerveau et la moelle épiniére , si nécessaires à l’action du cœur et des organes respira- toires , que tous ces organes ont une action au moins médiate sur la digestion des alimens. Le cerveau et la moelle épinière agissent d’ailleurs plus immédiatement dans le même but, par l'entremise des nerfs, pour _quelques sensations et certains mouvemerns qui ont des relations avee la digestion : ainsi, la faiua ne pour- rait être sentie sans cerveau ;le tube digestif cesserait enfin-de se mouvoir s’il était privé de ses nerfs, et les nérfs n’ont de puissance qu’autant qu'ils s'unissent ou au cerveau ou à la moelle épinière. Nous ne finirions point, si nous voulions suivre par combien de voies les principaux organes d’un animal vertibré se trou- vent liés à l’action de l'estomac et à l’accomplissement de la digestion. Les remarques précédentes nous pa- -raissent suflisantes. HYPOTHÈSES AU SUJET DE LA DIGESTION. — Triru- “RATION, Ce qu'’avaient expérimenté les physiciens de l’Académie del Cimento et beaucoup d’autres savans, au sujet de l'estomac des oiseaux gallinacés, la force étonnante de cet estomac, les corps brisés ou pal- vérisés par lui, toutes ces observations firent penser que la digestion résultait principalement d’une sorte de Trituration. Maison n'avait pas réfléchi que les autres espèces d'animaux sont loin d’avoir un estomac aussi énergique que les Poules et les autres oiseaux de basse-cour ; on oublia d'observer que la digestion ne consiste pas seulement dans la division et le ra- mollissement des ælimens , mais qu’en outre ceux-ci changent de nature, qu’ils se décolorent et s'acidi- fient. J'ajoute que lestomac de beaucoup d’aniçaaux CHAP. VI, MÉCANISME DE LA DIGESTION. 315 se contracte si faiblement, qu'à peine y peut-on dé- couvrir des mouvemens; et même, les pressions qu'il exerce sur les substances contenues dans sa cavité sont si faibles, qu'il n’en résulte aucun mal pour les vers délicats et fragiles que l’on rencontre souvent dans cet organe en beaucoup d'espèces d'animaux, notamment dans les Salamandres. FerMENTATION. La digestion ne consiste pas davan- tage en une simple Fermentation. Il est vrai qu’il se produit souvent quelques gaz dans un estomac rempli d’alimens , et que le chyme est légèrement acide ; mais tout cela ne ressemble point à ce qui se passe dans des substances en fermentation dans un vase inerte ; il n’y a point de mouvement général et instan- tané , il n'y a point non plus de tuméfaction subite dans la masse alimentaire, point de production rapide de gaz abondars : l’altération des alimens est lente et successive. D'ailleurs la chymification est telle, qu'il ne se produit jamais rien d’analogue en des alimens plongés dans de l’eau pureet mis en fermentation dans des vases inorganiques, exposés eux-mêmes à une tem- pérature élevée. Bien plus, if n’y a jamais de véritable fermentation dans les alimens plongés, hors de l’es- tomac, dans des vases remplis de suc gastrique récent; à plus forte raison n’en doit-il nullement survenir dans l'estomac, où les alimens se trouvent sous la puis- sance de la vie. Mais il faut convenir que la salive seule ne s'oppose point à la fermentation dans des: vases inertes, Les gaz rendus par la bouche durant la di- gestion résultent ordinairement de la vaporisation de l'air introduit dans l’estomac avec les alimens , et rs provient tout simplement de l'expansion 34 516 LIV. IV. DE LA NUTRITION. que lui fait éprouver la chaleur vitale. Si quelquefois il se montre quelques signes de fermentation pendant la digestion des personnes très-affaiblies ou malades, on voit bien qu'il n’y a rien à conclure de là quant à l'état ordinaire, et dans ce cas même l'exception alléguée appuie la règle. : PuTrÉFACTION. De ce que les animaux carnivores ont la plupart l’haleine puante, de ce qu’il se mani- feste quelquefois une odeur putride dans l'estomac de l’homme lui-même, on a conclu que la digestion stomacale n’était qu’une sorte de Putréfaction. Mais ce phénomène n'a lieu que dans les cas où la santé est altérée , encore la chose est-elle fort rare même alors. Il faut d’ailleurs observer : 1°. qu'il faut au moins dix à douze heures pour que la putréfaction s'établisse dans des substances animales, et que la digestion se fait en quatre ou six heures dans les oiseaux ou mammifères carnivores. 2°. Spallanzani mit un morceau de viande dans une petite fiole rem- plie d’eau, et le tout fut ensuite introduit dans l’es- tomac d’une corneille; l'estomac d’une autre Corneille reçut à nu un semblable morceau de viande pareille ; or, il arriva que la viande de l’estomac fut digérée au bout de trois heures, et que la viande de la bouteille ne commença à se putréfier qu'après la neuvième heure. 3°. Les Reptiles, dans l'estomac desquels les alimens sont si lents à s’altérer , ne présentent pas da- vantage de putréfaction. 4°. Le suc gastrique empêche la putréfaction, bien loin de la produire ; on l’a con- seillé contre des ulcères, on l’a employé pour déterger les plaies de mauvais aspect. 5°. On a vu des animaux entiers que n’avaient encore engloutis qu'imparfaite- CHAP. VI. MÉCANISME DE LA DIGESTION. 917 ment des Serpens, commencer à se putréfier en de- hors, tandis que la partie contenue dans l'estomac n’offrait aucun caractère de putréfaction. 6°. À a viande même putréfiée reprend les caractères de la viande fraîche dans l’estomac , ou mème dans le suc gastrique récent. 7°. Beaucoup d'animaux, les Corbeaux, des Insectes, des Vers, les Hiboux, les Vautours, la Hyène , le Chacal, se nourrissent de chairs pourries et de cadavres, mais ces substances perdent leur pu- tridité et leur puanteur dans l'estomac qui les digere : il en fut de même pour un Pigeon que Spallanzani rendit carnivore en l’affamant, et qu'il habitua même à ne se nourrir que de chairs déjà putréfiées ; ces chairs redevenaient fraîches et inodores dans son estomac. Acrion DE L'AIR. Varignon , l’ami de Fontenelle et de l'abbé de Saint-Pierre, pensait que la première division des alimens était l’effet du dégagement de l'air introduit dans l’estomac et dilaté par la chaleur du corps. Un chimiste moderne a été plus loin, en souténant que cet air se décompose , et qu’un de ses principes constituans est l'agent du ramollissement et de la dissolution de la masse alimentaire : opinion qu'on réfute assez en se bornant à l’exposer. Dissozurion. Spallanzani crut que la digestion con- sistait tout simplement en une Dissolution des alimens par le suc gastrique. Il fonda cette opinion sur de nombreuses expériences, entr’autres sur ce que beau- coup d'animaux carnivores digèrent jusqu'à des os, el sur ce que des coquilles et des coraux introduits dans. l'estomac d'oiseaux granivores perdent une partie de leur substance ; il crut voir de l’analogie 518 LIV. iv, DE LA NUTRITION. entre l’action du suc gastrique sur ces coquilles, et l'action du vinaigre sur des corps calcaires analogues. Enfin la digestion n’était pour lui qu’une véritable dis- solution. Mais il faut observer : 1°. que le suc gastrique n'agit sur les semences et sur les herbes, dans les Oi- seaux gallinacés et dans les Mammifères ruminans; qu'autant que ces substances ont été préalablement divisées et triturées; 2°. que la chymification n'est pas une véritable dissolution, puisqu'ilreste définitivement une masse solide, équivalente à la masse des alimens employés à saconfection. C’est un changement, une ai- iération dont la natureest peu connue, et à quoil’on ne produit rien de parfaitement analogue par les différens procédés chimiques. Mais on jugera mieux ce qu'il en faut penser par ce que nous allons rapporter des ex- périences entreprises au sujet de la digestion. Boërhaave a cru que la digestion résultait à-la-fois de toutes les actions dont nous venons à l'instant de montrer l'insuffisance; mais il est convenu de res- pecter éternellement le nom de Boërhaave, sans ja- mais ajouter d'importance à ses Le NE pertes giques: dieu merci le règne en est passé ! CHAPITRE VIT. Expériences touchant la Digestion. — Action de l'Estomac et du Sue gastrique. L'académie de Florence si célèbre sous le noi del cimento, Rédi, Magalotti, Reaumur, Vallisnert et : è 5 . di + DE de Spallanzani, ont fait, au sujet de la digestion, d’in- CAP. VIH EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 519 téressantes expériences, bien préférables aux con- jectures les plus ingénieuses. Nous nous proposons d’en exposer les principaux résultats dans ce chapitre. EXPÉRIENCES SUR LES.OISEABX GALLINACÉS OU GRANI- vores. Le gésier ou véritable estomac des Oiseaux granivores est doué d’une force étonnante; il brise des corps d’une grande solidité ; il émousse des instru- mens pointus ou acérés. Reaumur avait introduit dans l'estomac d’un de ces animaux six boules de verre remplies d'orge, ces boules furent brisées sans qu'il résiât de fragmens visibles lorsqu'il examina les par- ties. On calcula, par comparaison , que la force em- ploÿée pour produire un tel effet avait dù équivaloir à près de douze livres. Le même gésier aplatit ou brise des tubes de fer blanc, et jusqu’à des tubes de fer ou de cuivre d'nne épaisseur médiocre ; et l’on a supputé qu'il avait fallu pour cela une force équiva-. lente à 80 et jusqu’à 535 livres. C'est de la sorte que l'estomac des Poules et des Oïes, etc. , brise des noix, des noisettes, qu'il use des tubes de plomb , des mé- dailles, du verre, des pièces de monnaies , ainsi que Borelli, Duverney, Fontenelle, Reaumur, en citent des exempies. Un dindon a divisé fort menu de ja sorte jusqu’à vingt-cinq noix entières qu'on avait in- troduites dans son tube digestif, Des perles pousstes dans l'estomac des oiseaux gallinacés n’ont point été brisées, mais elles sont devenues plus belles, plus po- lies , plus éclatantes. Spallanzani avait introduit dans l’éstomac d’un de ces animaux, une balle de plomb traversée par douze aiguilles fort piquantes; ces ai- guilles furent toutes brisées sans que le gésier parût blessé où déchiré; il en fut de même d’une autre 520 LIV. 1V. DE LA NUTRITION. balle de plomb qui était débordée par douze pointes de lancettes neuves et acérées, et même plusieurs de ces fragmens d’aiguilles et de lancettes disparurent entièrement sans que l’on pût savoir ce qu’ellesétaient devenues : peut-être avaient-elles été pulvérisées. Il avait sufli de seize à trente-six heures pour obtenir de pareils effets. Un grenat à douze facettes , ou dodé- caèdre , avait presqu’entièrement perdu tous ses an- gles, était presque devenu lisse et sphéroïde, après un mois de stjour dans l'estomac d’un Pigeon. J'ajoute que le gésier commence à exercer son action si éner- gique sur les corps qu'il renferme, ordinairement au bout de deux heures, et en quelques heures tout est fini. : ; Je répète que le gésier brise les corps les plus bles- sans , les plus aigus, sans en éprouver de plaies ni de contusions visibles , sans en être traversé : cependant Spallanzani note qu’ayant introduit quelques épin- gles dans le conduit digestif d’une Poule , il en trouva deux qui s'étaient implantées comme dans une pe- lotte , dans le gésier de cet animal. L'énergie du gésier des Oiseaux granivores est telle, que plusieurs physiciens avaient attribué à cette seule action la digestion de ces animaux, commet- tant ainsi le tort de faire abstraction totale des sucs gas- triques , sans lesquels cette fonction ne pourrait s'opérer, même dans les gallinacés. Spallanzani a mieux apprécié les choses que ne l'avaient fait Reau- mur et ses autres devanciers; il a parfaitement vu que l’action du suc gastrique servait à la digestion de ces oiseaux comme à celle des autres animaux; il s’est assuré , en outre, que ces liquides n’avaient d'action CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 521 sur les graines, sur le pain dont on nourrit ces oi- seaux, qu'’autant que ces substances avaient été préa- lablement divisées, soit artificiellement, soit par le gésier lui-même. Il s’est servi, à cet effet, de tubes perforés et résistans, qu’il remplissait de graines et dans lesquels les sucs gastriques trouvaient facile- ment accès: si les graines occupant ces tubes étaient divisées, la digestion s’en opérait au bout de quelques heures aussi bien que si elles eussent été à nu dans l'estomac : mais elles ne subissaient aucune altération lorsqu'elles s’y trouvaient entières et sans broiement préalable. La trituration opérée par le gésier est donc né- cessaire à la digestion des graines , dont se nour- rissent les oiseaux gallinacés. Personne ne nie ce fait aujourd’hui, mais plusieurs physiciens ont attribué cette trituration , non à l’action immédiate du gésier, mais au contact des graviers, souvent fort nombreux, qu'on rencontre dans l'estomac! des oiseaux dont nous parlons. On fortifie cette opinion en disant que ces graviers et cailloux doivent avoir un usage; et quel autre usage peuvent-ils avoir, ajoute-t-on , si ce n'est de briser les alimens qui les heurtent? Spallan- zani a examiné cette question avec beaucoup plus de soin qu'elle ne méritait. Îl a vu qu'on trouvait cons- tamment de ces graviers dans les oiseaux granivores, qu'on en trouvait quelquefois jusqu’à deux cents dans le même animal, et que le volume en était propor- tionnel au volume des oiseaux ; que les oiseaux rete- nus, élevés et nourris par la main de l’homme, avaient moins de ces graviers que les oiseaux abandonnés à ‘eux-mêmes, mais qu'ils en conservaient toujours { 522 LIV. IV. DE Ë& NUTRITION. quelques-uns jusqu’à la mort ; de plus, il s’est assuré: que les oiseaux tout jeunes ont déjà des cailloux dans le gésier, leurs parens en mêlant toujours dans les premières becquées d’alimens qu'ils leur donnent, et le même physicien n’est parvenu à éloigner tout caillou du gésier que dans des oiseäux , dans: dés Pigeons qu'il avait fait éclore et qu'il avait nourris sans le secours et loin de leur mère. Il à vu après cela, que ces oiseaux privés de graviers, digéraient tout aussi bien que ceux qui € en étaient amplement À tan ai C'est donc l’action musculaire du gésier qui opère: les effets étonnans qu'on attribuait faussement à des corps étrangers, c'est par ses mouvemens propres qu'il broye les graines, qu'il triture les alimens et-les rend perméables aux sucs qu’il contient en abondance et auxquels il est assez ordinaire que labile se mêle, ce qui est cause de la saveur amère qu’on leur trouve ainsi qu'aux alimens qu'ils ont pénétrés. J'ajoute que Reaumur'et Spallanzani ont vu remuer le gésier mis à nu, et qu'ils ont même aperçu ces mouyemens à travers les parois du ventre restées intactes. Il faut aussi noter que les Oiseaux granivores digèrent lente- ment les viandes, surlout si elles sont crues et nom divisées, beaucoup plus lentement que les graines : ils ies digèrent moins rapidement que les Hérons, les Corneilles et les autres oiseaux carnassiers. Cependant leur suc gastrique est abondant : Spallanzani a obtenu d'un Pigeon, dans le jabot dnquel il avait introduit uné éponge, une once de ce liquide en douze heures, et jusqu'à sept onces en dix heures chez un rw d'Inde. CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 529 Nous devons observer que les graines ne passent : point subitement et à-la-fois du jabot, où elles se ramollissent et se gonfient, dans le gésier. qui les tri- ture et les digère; la progression en est lente, à-peu- près comme on le voit dans cette partie de nos mou- lins d'où la graine passe peu-à-peu sous la meule qui doit l’écraser. | ExPÉRIENCES SUR LES OISEAUX CARNIVORES. La diges- tion de ces animaux est beaucoup plus prompte que celle des oiseaux gallinacés, et elle peut s'effectuer dans des tubes résistans et percés de trous favorisant l'accès du suc gastrique, presque aussi promptement que lorsque les alimens sont à nu dans l'estomac. La di- gestion s'opère donc dans ces animaux presque exclu- sivement par l'action du suc gastrique, aidé de la cha- leur vitale; toutefois, des tubes fermés, n'ayant aucune communication avec la cavité digestive, de pareils tubes remplis de viande et de suc gastrique récent, introduits dans l'estomac des oiseaux en question, “ont offert la viande qu'ils renfermaient presque sans aucune altération après plusieurs heures. , Un poisson et une grenouille ayant été donnés à un Héron sans division préalable et sans enveloppe in- termédiaire , au bout de vingt-quatre heures le pois- son était entièrement digéré, et la grenouille n'était que ramollie. Ordinairement les Corneilles ont achevé leur digestion au bout seulement de trois heures. Or, ces oiseaux n'ont point, comme. les gallinacés, un gésier très-énergique par qui les alimens puissent ètre fortement pressés et triturés; la digestion, chez eux, je le répète, est donc presque entièrement éffec- tuce par l’action des sucs de l'estomac et de l'œsophage b24 LIV. IV. DE LA NUTRITION. | ‘sur les substances alimentaires. Toutefois on se tromperait beaucoup si l’on croyait que l'estomac de ces oiseaux est incapable de mouvemens : la plu- part des oiseaux carnassiers vomissent; ils vomissent les parties peu susceptibles d’être digérées, les plu- mes, les poils , les os, etc.; or, le vomissement, dans ces êtres, est principalement accompli par l'action propre de l'estomac, puisqu'ils n’ont point de vrai diaphragme propre à servir d’arc-boutant durant les efforts de ce genre. : L'expérience des tubes percés est aussi efficace dans les Chouettes, dans les Ducs, dans les Milans, les Aigles, les Vautours, les Faucons, eté., que dans les Hérons et les Corneilles. La digestion des subs- tances remplissant des conduits accessibles au suc gastrique , s'opère constamment et en peu d'heures, surtout dans les Faucons, dont la puissance digestive est extrême. Les Faucons digèrent jusqu'à des cuirs non tannés, et même la portion osseuse des dents. La plupart de ces oiseaux carnassiers ne peuvent digérer, quoi qu’on fasse pour les y porter et les y rendre propres, ni les graines de céréales, ni le pain, ni des plantes, enfin, rien de végétal (en exceptant toutefois les Corneilles). Cependant Spal- Janzani est venu à bout d’habituer un Aigle à manger du pain ; et bien plus, ce même aigle, très-affamé, digérait ce pain sans le vomir. Cela n est pas, au reste, plus étonnant que de voir le même expérimentateur habituer un Pigeon à manger de la viande et même des chairs déjà putréfiées. di nous devons dire que Reaumur ni Spallanzani n’ont pu faire digérer de sub- stances végétales ni au Milan, ni aux Ducs, ni aux CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 525 Faucons. Cela vient, quant aux graines entières, de ce que ces animaux n’ont point un gésier assez éner- gique pour faire éprouver à ces semences la tritura- tion qui est nécessaire à l’action subséquente des sucs gastriques. Haller, d’après un anglais nommé Cheyne, assure que les Corneilles ne se peuvent manger les unes les autres, ou que du moins la chair de l’une n’est point digérée dans une autre : ipsa cornit cornicis carnem ingestam non potest coquere..…. Mais Haller fut induit en erreur; les corneilles peuvent digérer la chair de leurs pareils : même chose est vraie du Loup, du Chien et de plusieurs autres animaux, à l'égard desquels on a eu le tort de la nier. Parmi les animaux carnivores, il n’y a guère que les Polypes qui ne soient bons à servir d’alimens ni à d’autres animaux ni à eux-mêmes. Observons cependant que les carnivores par excel- lence ont une chair trop animalisée, trop coriace, trop peu digestive, trop disposée à la putréfaction , en un mot, trop dégoûtante , pour que de nouveaux animaux puissent habituellement s'en nourrir ; mais elle n’est pas plus impropre à être digérée par les êtres de la même espèce qu’elle ne l’est pour d’autres es- pèces; et les carnivores se nourrissent de toute chair dans les cas extrêmes. FAITS RELATIFS À LA NOURRITURE ET A LA DIGESTION DE L'AIGLE. L’Aigle en liberté comme en esclavage se nourrit d'animaux vivans; les oiseaux sont sa proie préférée, mais à leur défaut toute chair lui est bonne, surtout sil peut la déchirer après avoir lutté pour l'obtenir. Si l'aigle est captif, ses plumes se hérissent et son regard devient plus féroce à la vue d’un animal 526 + LIV. IV. DE ELA NUTRITION. 4 1 d REA A « un à vivant, abandonné à ses entreprises et livré à sa vo- racité. Alors il déploie ses ailes, vole doucement autour de sa proie convoitée , et bientôt se préeipite sur le @os de l'animal qu'on lui sacrifie. Une serre fixée sur sa tête, afin d’en éviter les morsures, l'autre F f : e ? serre enfoncée profondément dans les flancsjusqu’aux entrailles , il assiste ainsi aux tourmens de sa victime, et n'emploie son bec pour la déchirer, qu'après que la vie s’est lentement éteinte dans les souffrances. L'aigle fait à la peau une déchirure d’abord très- étroite, mais il l’agrandit bientôt, dès qu'il parvient Et VA . } . CES 2. ! . ré à découvrir la chair saignante , qu'il dévore avec avi- dité et sans relâche jusqu’à ce qu'il en soit entière- ment rassasié. Quelque cruel que soit l'aigle , l'homme n’a rien à redouter de ses atteintes. | Quand l'aigle peut choisir ses alimens , il dédaigne la peau, comme trop coriace, les os, comme trop durs et blessans , le canal intestinal, comme peu di- cestible et dégoûtant par les matières qu’il renferme. Un repas par Jour lui sufit, et dans ce seul repas l'aigle consomme environ trente onces de viande. Son premier estomac est très-vaste el c'est dans sa cavité que s'accumulent d'abord les aïhnens, après quoi ils p{nètrent dans le deuxième et véritable estomac, qui vous semble être l'équivalent du gésier des Oiseaux granivores. Une particularité qu’on remarque’sur l'aigle , £'est qu'aux premiers morceaux de chair qu'il avale, il sort de ses narines deux petits ruisseaux de liqueur qui descendent jusqu’à l'extrémité du bee, où ils forment goutte ; et ce liquide qui coatinue de couler pendant toute la durée des repas de cet oiseau, entre CHAP. VIL. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 527 presque toujours dans l’intérieur de la bouche et se mêle aux alimens. Spallanzani , qui à surtout bien observé ce phénomène , assure que ce fluide est d’un bleu clair, que son goût est salé, et sa transparence aussi grande que celle de l'eau de source. On peut penser que cette liqueur provient de la glande lacryÿ- male, et qu'elle remplit ici le même office que fait ailleurs la salive : nous avons eu soin de dire que les oiseaux n'ont ni salive, ni glandes salivaires. ; L’Aigle boit, si on lui présente des-liquides abon- “dans, et pourvu que Îles vases qui les renferment en soient à-peu-près remplis. Dans le cas contraire , il ne se sert dédaigneusement des liquides qu'on lui présente que pour baigner son bec et arroser ses plumes. Tous les autres oiseaux de proie boivent éga- lement, encore qu'on ait prétendu le contraire. Ce- pendant il estvrai de dire qu'on est parvenu à nourrir un Duc durant huitmois entiers sans boisson; maisnous de- vons ajouter que cet animal mourut alors, et qu'il était très-maigre. Le Lion boit également. Toutefois il faut convenir que les animaux carnivores dont la digestion est plus rapide, ont moins besoin de boissons que les herbivores ; encore trouve-t-on parmi ceux-ci lé Cha- meau et le Dromadaire , qui peuvent rester plusieurs jours-entiers sans boire. L’aigle ne mange jamais de lui-même ni pain ni graines; si on en introduit de force dans son estomac, il rejette ces substances par le vomissement. Néan- moins Spailanzani est parvenu , non pas à faire manger du pain à l'aigle qu'il retenait captif et qu'il avait affamé à cet effet, ses efforts furent vains sous ce rapport ; mais il lui fit digérer, sans qu’il surviut de 528 LIV. IV. DE LA NUTRITION. vomissement , sans qu'il restât de résidu visible, jus- qu’à six onces à-la-fois de pain introduit de force ; et Spallanzani voulant s'assurer si les parois de l'estomac concouralent à cette digestion du pain par leur action compressive et triturante , fit usage de ses tubes per- forés ; il les remplit de pain , même de fromage , et ces différentes substances se trouvaient digérées au bout de vingt-quatre heures. Les graines écrasées et préalablement moulues, se digéraient aussi dans ces tubes; mais elles restaient sans altération et tout-à- fait intactes , lorsqu'on les introduisait entières et seu- lement ramollies, soit dans les tubes, soit à nu dans l'estomac. Ainsi le gésier de l'aigle est incapable d'exercer de trituration. Bien plus, le même Spallanzani s’est assuré que ce n'est point dans le premier estomac de l'aigle, dans l'estomac succenturié, que se digèrent les viandes et les autres alimens dont il fait sa nourriture ; cet or- gane ne fait que ramollir ces substances, et c’est dans l’autre estomac que s'effectue la préparation digestive : de sorte que le premier estomac de l'aigle n’a pas plus d’action sur les alimens que le jabot des oiseaux granivores n’en a sur les graines. À raison de la digestion, l’aigle digère plus tôt la cervelle que le foie, plus vite le foie que la chair musculaire , mieux les muscles du corps que la substance du cœur, et les tendons plus lentement que tout le reste, à l'exception des os, que cependant _il peut aussi digérer, surtout s'ils sont petits ou con- cassés, ramollis ou amincis. La digestion est beaucoup plus énergiquement ef- fectuée et plus rapide dans l’Aïgle qu’en aucun autre CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 520 oiseau de proie , plus rapide par conséquent qu'en aucun autre oiseau. Le Faucon même ne digère ni aussi vite ni aussi bien que l’Aigle des alimens peu digestibles : cependant l'aigle mange au moins trois fois autant que le faucon; mais ses sucs gastriques sont plus abondans, plus actifs, et c’est à cela principale ment que paraît tenir l'énergie de la digestion. Toute- fois ce n’est guères qu'à l'égard des os qu'on peut dire que l’aigle digère plus vite que le faucon et les autres oiseaux de proie ; car lorsqu'on donne à ces animaux une petite portion de viande , et la même quantité à à chacun, l'aigle ne digère pas la sienne sensi- blement plus vite que les autres oiseaux de proie. Mais, ce qu'il faut remarquer, l’Aigle digère trente onces de viande pendant que le Faucon en digère dix onces et la Chouette trois onces. Une autre chose singulière, c'est que le deuxième estomac de l’aigle ne peut con- tenir qu'environ trois onces de liquide, tandis que le premier estomac en peut recevoir environ trente-huit onces : cela même doit ralentir le passage des alimens d’une de ces cavités dans l’autre , et rendre en consé- quence la digestion plus parfaite. La grande capacité de l'estomac succenturié des oiseaux de proie fait aussi qu’ils peuvent rester long-temps sans manger après s'être repus jusqu'à satiété. Le deuxième estomac de l'aigle représente assez bien la jambe et le pied de l’homme : le pylore occupe la pointe de la partie de l'organe qui répond au pied. ExPÉRIENCES AU SUJET DE LA DIGESTION DE L'HOMME, ETC. Si un Homme sain et encore jeune, digérant bien ef faisant convenablement toutes ses fonctions, avale le matin à jeun un sac de toile claire , rempli par qua- I. 34 550 LIV. IV. DE LA NUTRITION. rante à soixante grains de chair de volaille cuite et mâchée , d'ordinaire cette viande est digérée entière- ment au bout de dix-huit à vingt-quatre heures. Si l’on emploie de la chair crue de bœuf ou de veau , au bout de trente heures environ ces viandes sont en partie digérées, surtout la viande de veau, et ce qu'il en reste dans la bourse de toile est aussi desséché et aussi dur que si on l'avait comprimée. Spallanzani, qui a fait plusieurs expériences pareilles à celle-ci, ne savait à quoi attribuer ce desséchement de [a viande rendue sans avoir été digérée ; il avait d’ailleurs observé semblable chose dans plusieurs mammifères, et il avait vu quele même effet se réalisait pour le pain comme pour la viande : il se demandait si cela ne dé- pendait pas de la compression exercée sur les alimens par l'estomac. Mais l'estomac de l’homme et de la plu- part des mammifères a peu de force , de faibles fibres musculeuses ; on ne lui voit exécuter que des mou- vemens peu étendus et souvent même peu manifestes ; il ne brise ni les graines, ni les noyaux introduits dans sa cavité, et même il en sort souvent sans qu'ils aient été rompus, des raisins mûrs, des cerises ou d’autres fruits dont le parenchyme mou n’est protégé que par uné légère pellicule. L’estomac de l'Homme n’a donc pas le pouvoir de comprimer les substances qu’il reçoit et digère , et ce n’est.point parce qu'il les comprime qu'il lés digère , ou qu'il dessèche ce qu’il n’a pu digérer. Pour mieux s'assurer du fait, Spallanzani a plusieurs fois avalé des tubes de bois remplis de viande , de pain, etc.;etil a vu constamment que ces alimens étaient tout aussi bien digérés et digérés presque aussi vite que s'ils CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 551 eussent été introduits à nu dans l'estomac : outre cela ils n'étaient jamais desséchés. Quelle est donc la vraie cause de ce desséchement des alimens imparfaitement digérés par l'estomac de l’homme et de plusieurs animaux ? cela dépend uniquement de l'absorption qui s'exerce avec énergie dans les intestins, ce qui prive les substances qui les parcourent des sucs dont elles sont pénétrées. Ce dessécheinent a lieu pour les alimens introduits soit à nu, soit entourés de tissus ; mais il n’a jamais lieu pour ceux qu’on a renfermés dans des tubes, par la raison que les vaisseaux ab- sorbans ne peuvent agir sur les substances que ces tubes contiennent, et que d’ailleurs les fluides intes- tinaux et le mucus pénètrent dans ces pelits vases à travers les trous dont.ils sont criblés. J'ajoute que les alimens ne sont jamais desséchés dans l'estomac et avant d’avoir franchi le pylore , ainsi qu'on peut s’en assurer en retirant ces substances du tube digestif assez tôt pour qu'ils n'aient pu encore passer dans l'intestin. | UriiTé DE LA MASrICATION. Nous avons dit ce qui arrive pour des alimens divisés et triturés par les dents, nous savons combien la digestion en est facile : mais il n’en est pas de même à beaucoup près pour les alimens non divisés. Pour préciser la différence de la digestion dans ces deux cas, Spallanzani a fait l’ex- périence suivante : il a rempli deux tubes d’égal ca- libre avec quarante-cinq grains pour chaque tube de chair de pigeon cuite ; mais avec l’attention de mâcher la chair renfermée dans l’unde ces tubes, et de laisser la chair contenue dans l’autre sans mastication ni division, mais entière. Ces tubes avalés en même 34” 532 LIV. IV. DE LA NUTRITION. temps par Spallanzani, sortirent naturellement de l'intestin au bout de dix-neuf heures , et voici quelles différences présenta la viande qu'ils contenaient : celle qui avait été mâchée était réduite de quarante- cinq grains à quatre, et il restait encore dix-huit grains de la chair entière de l’autre tube : la diffé- rence était donc de quatorze grains, c’est-à-dire près d'un tiers. On peut faire des observations analogues sur beau- coup d’autres animaux : plusieurs ne digèrent impar- faitement les substances végétales ou animales que pour les avoir trop incomplètement mâchées ou tri- turées. C’est même la raison pour laquelle plusieurs rendent encore reconnaissables et presque entières des portions des alimens dont ils font leur nourriture. OBSERVATIONS ET EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION DES cuiEns, ETC. Les Chiens rendent souvent des portions de chairs qui paraissent à peine altérées tant les fibres en sont bien conservées : seulement ces fibres sont desséchées , dures et privées de sucs. Cela a princi- palement lieu pour les ligamens, pour les tendons, les intestins, et pour les gros muscles des membres. Boërrhaave avait observé ces phénomènes, et il n’al- lait à rien moins qu’à en conclure que les chairs ne se chymifient point dans l'estomac du chien, et que toute digestion consiste chez cet animal dans une simple expression des viandes qu’il mange, et dans l’absorption des sucs nourrissans que ces viandes fournissent. Haller cita ces faits avec complaisance et parut disposé à les interpréter comme son maître. Spallanzani examina les choses de plus près : 1l vit d’abord que les Chiens ne rendent jamais de substances CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 53 animales, même parmi les moins digestibles , sans les avoir altérées, amoindries. Il s’aperçut, à la vérité, que des fragmens de chairs sortaient souvent du corps de ces animaux assez bien conservés et tou- jours très-durs et desséchés. Mais il présuma avec raison que cela tenait à l'extrême gloutonnerie de ces êtres, qui mangent beaucoup, qui avalent trop vite et souvent sans mâcher. Il vit de plus, que les alimens séjournent peu dans l'estomac des chiens, trop peu pour subir convenablement et autant qu'il faudrait l'action des sucs digestifs : il résolut en conséquence de prolonger ce séjour des alimens dans l'estomac par un moyen quelconque ; et puisque le pylore se montrait trop facile à franchir dans cette espèce, il joignit aux alimens de petites éponges, dans le but de boucher le pylore par ces corps si facilement dila- tables : à l’aide de pareilles précautions, il fitséjourner diverses sortes d’alimens dans l’estomac des Chiens; et les ayant retirés après quatre ou cinq jours, il vit que ces alimens étaient très-bien digérés, et qu'il n’en restait nul résidu. Ces expériences faites ou à nu, Ou avec des bourses de toile ou des tubes, don- nèrent des résultats analogues, LES DIFFÉRENS ALIMENS SONT DIYERSEMENT DIGESTIPLES. Nous avons eu soin de dire , autant que nous l'avons pu, quels alimens conviennent le mieux à chaque espèce d'animal, nous ne voulons parler ici que de ce qui concerne l'Homme. [l faut remarquer que la question de digestibilité variable des alimens n’a beau- coup d'intérêt que pour notre espèce : premièrement, parce que chaque animal n’use d'ordinaire que de la nourriture qui lui convient le mieux, et que les l D34 LIV. IV. DE LA NUTRITION. espèces d'alimens dont il fait usage sont presque tou- jours et à cause de cela fort restreintes ; tandis que l’homme estomnivore, je veux dire que toute sorte d’a- Jiment lui convient : secondement, parce que, même parmi les alimens qui lui sont le moins favorables ou les plus nuisibles , il n’en est aucun que ses caprices ne lui fassent désirer, que sa perfide industrie ne lui rende agréable ; aucun que les vicissitudes de la vie sociale, et quelquefois le plus affreux dénuement, ne lui fassent trouver délicieux ou ne lui rendent nécessaire. s On possède des faits exacts autant qu'intéressans au sujet des alimens qui conviennent le mieux à l’homme ; on a plusieurs moyens d'observer quelles. sont les substances qu'il digère plus rapidement ou qui lui sont le plus profitables. Le vomissement est l’un de ces moyens, soit qu'il dépende d’une maladie, soit qu’il résulte de l'emploi d’un émétique, ou qu'it soit volontaire, ainsi que plusieurs hommes ont la facalté de le produire. Nous devons à cet égard des remarques intéressantes à MNT. Gosse et de Montègre. On a de même su profiter des fistules, qui parfois per- mettent de voir à travers les parois abdominales détruites, ce qui se passe dans l'estomac. On a aussi mis à contribution, dans ces derniers temps, les cas assez rares d’anus contre nature : il suffit de consulter ce qu'ont publié à ce sujet MM. Lallemand et Du- puyiren. On a donc observé que les alimens les plus di- gestibles pour l’homme et pour beaucoup d'animaux sont : la chair de veau , d'agneau, de poulets et de volailles; les œufs de poule frais el à moitié cuits, le 224 CHAP. VIL EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 555 lait de vache, plusieurs poissons cuits à l’eau, et as. saisonnés tout simplement de sel et de persil; à l'huile, ou frits, ou avec diflérens apprêts compli- qués, les poissons se digèrent moins bien. Les végé- taux faciles à digérer sont : les épinards, le céleri , surtout la racine ; les jeunes asperges, les bourgeons de houblon , les placenta d’artichauts , la pulpe cuite des fruits à pepins ou à noyaux, surtout si elle est su - crée et aromalisée ; les semences farineuses des plan- tes céréales, le blé, le riz, les pois, etc. ; le pain, le lendemain de sa cuisson, mais surtout le pain salé, et principalement le pain blanc; les navets, les sal- sifis, les pommes de terre nouvelles; la gomme ara- bique. Moins digestibles sont les substances suivantes : la chair de porc et de sanglier, les œufs durs ou dilfé- remment apprètés ; les différentes salades crues, les choux , les cardons, les beites, les oignons, les ca- rottes , le raifort , le pain chaud, les figues, les pâ- tisseries, les fritures, et les assaisonnemens au vinaigre ou à l'huile : l’estomac n'attaque qu'imparfaitement ces différentes choses, mais la digestion s’en achève dans l'intestin. Enfin nous citerons parmi les alimens les plus in- digestes : les parties tendineuses et cartilagineuses , mais surtout les membranes du bœuf, du porc, du veau, des volailles, de la raie, etc. ; les os, alors même qu'ils sont très-divisés ; les substances grais- seuses ou huileuses , le blanc d'œuf durci par la eha- leur ; Jes champignons, les morilles, les truffes; les . semences huileuses, telles que les noix, les amandes, ee 536 LIY. IV. DE LA NUTRITION. pignons, pistaches; les pepins de raisins, de pom- mes , etc. ; les olives, le cacao; les différentes huiles, les raisins secs, les rafles de raisins frais, l’épiderme des diverses semences ou des fruits, les gousses de pois, les écorces, beaucoup de graines émulsives ou ligneuses, lesquelles subissent si peu l’action de l’es- tomac, qu’elles germent sans difficulté à la sortie de l'intestin; et c'est même ainsi que beaucoup de plantes se disséminent et se propagent d’un pays à l’autre. Disons aussi qu’il est plusieurs substances dont le mélange avec les alimens facilite la digestion ; par exemple : le sel marin, même pour les herbes dont se nourrissent les Ruminans; les épices, le vin, les liqueurs à petites doses, les différens fromages, le sucre, les substances amères, particulièrement le cachou. ? On cite au nombre des choses capables de troubler la digestion : l’eau, surtout si elle est chaude et prise en grande quantité peu après avoir mangé, car ce liquide fait sortir les alimens de l'estomac avant qu'ils aient été digérés ; les acides et le quina, pris après’le repas ; les corps gras, la douce -amère, le kermès, l’émétique et les divers poisons, à quelque petite’dose qu'on les prenne; la position assise, les travaux”"de l’esprit et les affections tristes, retardent aussi la digestion ou la troublent. Un célèbre chirurgien anglais, A. Cooper , a fait des essais analogues pour l'espèce du Chien, et il a vu que cet animal digère plus aisément le porc que le moutôn , le mouton plus rapidement que le veau, et le bœuf moins bien que tout le reste. Il a vu de GHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 5357 mème que le poisson et le fromage étaient fort di- gestibles, et que la viande bouillie était plus vite di- gérée que la viande rôtie. LES os PEUVENT-ILS ÊTRE DIGÉRÉSs ? Les Chiens jeunes, forts et dans un bon état de santé, digèrent les os; et même, ce qui est plus étonnant, Spallanzani leur a vu altérer profondément jusqu’à l'émail des dents. Quoique Boërhaave prétende le contraire, la chose est avérée. Les Faucons, les Aigles, les Corneilles, qui naturellement dédaignent les os ou les rejettent, néanmoins les digèrent, si, après les avoir introduits dans leur estomac, on trouve le moyen de les y faire séjourner : un Faucon peut manger un pigeon entier chaque jour , et les os sont digérés comme le reste de l'animal. Semblablement les Serpens et les Couleu- vres digèrent les os ; Spallanzani en a fait l'épreuve. Mais il faut dire que les petits os, les os peu solides, sont les seuls qui soient digérés entièrement et en peu de temps; les os les plus durs ont besoin d’avoir été divisés pour être ramollis et, dissous, autrement ils n'éprouvent qu'un amincissement et une simple perte de substance. Il est remarquable qu’avant d’être di- gérés , ils passent à l’état cartilagineux, et ressemblent à de la gélatine endurcie, comme s'ils avaient été sou- mis à l’action de l'acide nitrique. Je dois ajouter que la digestion de ces corps si durs et si réfractaires ne saurait être attribuée à l’action triturante de l’esto- _ mac, puisqu'ils ne sont digérés que par ceux des ani- maux dont l'estomac est le plus mince et le moins énergique : le gésier si.puissant des Gallinacés n’a absolument aucune action sur eux; et les animaux qui digèrent les os, n'ont absolument aucune action 296 LIV. IV. DE LA NUTRITION. sur Jes graines entières les plus tendres. La diges- tion des os est donc uniquement l'ouvrage du sue gastrique , et celui de l’Aigle est de tous le plus actif pour un tel résultat. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION DES RUMINANS. Les. résultats obtenus quant à la digestion des Mammifères ruminans ont beaucoup de rapport avec ce qu'on observe dans les oiseaux Granivores ; ces animaux ne digèrentles herbes et les graines introduites dans leurs estomacs, qu'autant que ces substances ont été préa- lablement divisées, mâcüées , triturées. C’est vaine- ment que des herbes entières, que des graines solides et intactes ont été introduites, soit à nu, soit enve- loppées de toile, ou renfermées dans des tubes per- forés, dans leur canal digestif : ces substances r'ont subi aucune digestion ; elles ont été humectées, ra- mollies , et voilà tout. Même chose arrivait lorsqu'on les avait imprégnées de salive. Au contraire, si on introduit des sacs ou des tubes remplis d'herbes ou de graines mâchées dans l'esto- mac des ruminans, alors la digestion de ces alimens est achevée, est parfaite au bout de quelques heures. On a fait de semblables expériences pour les Bœufs, pour les Moutons, etc. , et elles ont offert dans tous les ruminans des résultats semblables. On en a fait également pour le Cheval, qui cependant ne rumine pas , et les effets ont été pareils. | EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION DES REPTILES ET DES rolssons. Ces animaux ont la plus grande analogie avec tous ceux dont nous avons déjà parlé quant à Îa digestion ; seulement ïls digèrent plus ‘lentement qu'éux : il leur-faut souvent plus de jours pour pa- CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 999 rachever cet acte, qu'il ne faut d'heures aux Mammi- fères et aux Oiseaux de proie. Au reste, le suc gastri- que joue le même rôle ici que nous lui avons vu rem- plir ailleurs. Je crois avoir dit qu’on avait trouvé une souris en- tière dans l’estomac d’une Grenouille : l’animal n’était ni écrasé, ni divisé ; et cependant, sans qu'il pré- sentÂt aucun caractère de putridité, aucune, mau- vaise odeur, les chairs en étaient fort macérées, ct les os eux-mêmes étaient sensiblement ramollis et déjà amoindris. Tout cela était donc l'ouvrage du suc gastrique; et la preuve qu'il en était ainsi, c'est que des alimens introduits immédiatement dans l'estomac y ont subi une digestion, il est vrai fort lente, mais pourtant parfaite. Les Salamandres présentent une autre preuve du même fait : ces animaux se nourris- sent de vers; ces vers , ils les ramollissent, et sem- blent presque les dissoudre; or, cela ne saurait être l'effet de l’action de leur mince estomac, puisque les salamandres ont presque toujours et naturellement dans l'estomac de petits vers parasites très-délicats, faciles à écraser, qui vivent là sans trouble et sans Ja moindre compression. La plus légère pression exercée sur eux par l'estomac briserait bienlôt ces petits vers vivans si fragiles. Je ne pourrais que répéter ici ce que j'ai déjà dit, si Je voulais donner quelques détails sur la digestion des Serpens, des Couleuvres, des Tortues, des Lé- zards, etc. Je dois seulement insister de nouveau sur la lenteur extrème de cette fonction en ces animaux : la digestion des Couleuvres, pour exemple, s'est quel- | : à peine ébauchée au bout de six à huit jours; 540 LIV. IV. DE LA NUTRITION. on a trouvé un lézard dans l’une d’elles , lequel au bout de seize jours de macération n’était pas visible- ment altéré. Un Serpent garda un poulet durant trois grands mois dans son estomac, et après un temps si long l'animal n’était pas encore entièrement digéré. Remarquons à ce sujet combién il serait peu raison- nable d’assimiler la digestion à la putréfaction, puisque cette dernière est déjà très-avancée au bout de trois jours. La digestion s'opère à l’aide aussi du suc gastrique dans les poissons; et elle y est moins lente que dans les reptiles : les Carpes et les Brochets surtout, ont assez de quelques heures pour accomplir la trans- formation des alimens. Cependant l'estomac de ces animaux est peu capable d’aclion. LA DIGESTION PEUT-ELLE S'OPÉRER OU S'ÉBAUCHER DANS L'OŒSOPHAGE? Spallanzani ayant introduit dans l’œso- phage d’un Héron une grenouille qui pénétrait en même temps dans l'estomac de cet oiseau, il put s'assurer que la grenouille avait subi dans toute son étendue, au bout de quelques heures, une altéra- tion, un ramollissement notable: mais ce ramollis- sement et ce commencement de digestion était beau- coup moins marqué pour la portion qui avait séjourné dans l’æsophage que pour l’autre partie. 1] varia cette expérience. avec des tubes, avec des boulettes que retenaient fixement des fils, et il vit constamment que l’æsophage de ces oiseaux effectuait une sorte de digestion, mais beaucoup moins sensiblement que le véritable estomac. Mème expérience fut faite sur d’autres animaux, et elle eut le même résultat sur un srand nombre Un morceau de poumon de vache qui CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 9/41 avait séjourné treize heures dans l’œsophage d’un Oiseau de proie, et seulement dans l’æsophage , per- dit plusieurs grains de sa substance dans cette épreuve. On a trouvé des Brochets et des Carpes qui avaient avalé des poissons d’une longueur telle, que cette proie occupait à-la-fois et l'estomac et l’æsophage ; or on a remarqué que, dans ce cas, la portion de poisson qui était renfermée dans l’estomac était beau- coup plus digérée que le reste , et que le ramollisse- ment allait ensuite en diminuant de bas en haut, à mesure qu'on remontait du fond de l’estomac-vers le haut de l’œsophage. L’æsophage peut donc, jus- qu'à un certain point, ébaucher la digestion sans le concours de l’estomac véritable. . Cependant il n’en est plus ainsi si l’on passe des poissons aux Serpens. On a trouvé des Couleuvyres dont les premiers compartimens du conduit digestif étaient entièrement remplis, ou par une grenouille, ou par tout autre animal, et l’animal englouti ne paraissait ramolli et digéréqu’absolument dans la portion des- cendue dans l'estomac. . Dicesrions ARTIFICIELLES. Plusieurs physiologistes ont Lenté , avec des succès variés, d’effectuer des di- gestions sans le concours de l'estomac , en employant tout simplement des sucs gastriques extraits de diffé- rens animaux, et mêlant ensuite ces sucs à divers ali- mens. Nous allons citer brièvement quelques-uns des résultats obtenus de ces expériences. « a] Spallanzani, à qui sont dues les principales tenta- tives de ce genre, introduisit dans un tube de verre des grains de froment bien divisés, et il remplit un \ autre tube semblable au premier avec de la chair de / b/2 L1V. IV. DE LA NUTRITION, chapon cuite; au préalable, notre physicien avait eu soin de laisser macérer et la chair et les grains dans le jabot d’un coq-d’Inde , voulant ainsi réunir dans son expérience tous les préparatifs nécessaires à son succès. L'expérience de Spallanzani était parfaite, puisqu'elle réalisait toutes les. circonstances prélimi- naires de la digestion, puisqu'elle imitait ce qui se fait naturellement dans les digestions ordinaires, à l'exception de la seule circonstance qu’elle avait pour but de faire apprécier. Ces alimens , déjà macérés, furent baignés de sucs gastriques tout récemment ex- traits du gésier d’un coq-d'Inde , après quoi on ferma exactement les tubes avec de la cire d’Espagne; et afin de rendre l’expérience tout-à-fait à l’abri de repro- ches et d’objections, Spallanzani plaça ces petits vases sous ses aisselles, et ils ‘y restèrent sans déplacement durant trois jours. Ces tubes ayant été ouverts au bout de ce temps, on trouva les grains de froment en partie délayés et digérés ; la chair était ramollie et devenue bleuâtre, sans la moindre odeur de pour- riture ; cette chair, remise dans son tube avec de nou- veau suc gastrique, fut replacée sous l’aisselle durant un jour, et au bout de ce temps elle était totalement dissoute. Sans doute ce n’était pas là une digestion véritable, mais peu s’en fallait ; et, quand on ne tien- drait compte que du défaut de putréfaction de la chair, il est sûr que ce fait tout seul démontrerait, dans le suc gastrique , une énergie , une puissance incon- testable , et telle qu'aucun autre fluide n’en possède de semblable, Pour mieux faire ressortir les effets dus au suc gas- trique , Spallanzani répéta son expérience avec les CHAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA DIGESTION. 45 mêmes précautions el circonstances , à la différence près qu'il substitua de l’eau simple et pure au liquide de l'estomac, et voici ce qu'il eut occasion d'observer : au bout de trois jours de séjour persévérant sous les aisselles , la chair d’un tube paraissait légèrement dis- soute à sa surface, mais elle était restée fibreuse, rouge et cohérente à l’intérieur; elle était restée chair, et de plus elle sentait très-mauvais. La fécule des grains occupant l’autre tube était simplement dé- layée, mais non altérée, et partant fort reconnaissa- ble. Les conséquences de pareils faits saisissent d’eux- mêmes et les yeux et l'esprit. IL faut retenir que ces expériences échouent si le suc gastrique n’est récent. Ces essais , répétés pour plusieurs animaux, ont donné chez tous des résultats analogues. Cependant on a fait plusieurs remarques qui. méritent d’être rapportées # 1°. Le suc gastrique froid ne produit que des effets peu sensibles , seulement il s'oppose à la putréfaction ; 2°. il exerce sa propriété dissolvante et digestive à mesure que la chaleur, soit vitale, soit artifi- cielle, soit solaire, élève sa propre température; 3°. le liquide abondant de l’æsophage des Oiseaux n’a pas, à beaucoup près, la même force dissolvante que celui de l'estomac; /°. il suffit souvent que le suc gastrique ait élé retiré de l'estomac à l’aide d’éponges pour per- dre toute son énergie , ainsi que Spallanzani en a fait l'épreuve pour les Corneilles ; 5°. le suc gastrique ne dissout les herbes qu'on y plonge qu’autant qu'on a eu la précaution de les broyer, de les mâcher, et de les imprégner de salive ; 6°. le suc gastrique des Pois- sons et des Reptiles n’a qu’une action faible et extrè- mement lente ; 7°. celui de l'Homme, aidé d’une cha- 54 LIV. IV. DE LA NUTRITION. leur égale à celle de l’estomac, ramollit et semble di- gérer la chair de bœuf dans l’espace detrente-six heures; 8°. le suc gastrique d’une espèce agit souvent sur des substances extrêmement variées, et cependant celui d’une espèce n’a pas toujours d’aetion sur les alimens convenables à une autre espèce ; 0°. la graisse n’est nullement altérée par le suc gastrique, pas même lors- qu'elle en subit l'action dans l’iatérieur de l'estomac; la bile parvient seule à la dissoudre, aussi n’est-elle digérée que dans les intestins ; 10°. le pain, mêlé à du suc gastrique, s’altère peu, il s’acidifie seulement ; mais le fluide intestinal finit par dissoudre le pain, et par former, en se mêlant à lui, un liquide bomogène : ce mélange dégage ensuite une odeurintestinale. Bien entendu que les fioles dans lesquelles se font de pa- reilles expériences, sont exposées à une température équivalente à celle du corps de l’animaldont on em- ploie le suc gastrique. Quelques personnes ont voulu contester la réalité des digestions artificielles ; mais les motifs qu'elles al- lèguent nous semblent peu importans. Ÿ A-T-IL ENCORE DIGESTION APRÈS LA MORT? On pou- vait penser, d’après les expériences que J'ai rapportées touchant les digestions artificielles , que l'estomac lui-même, en tant que baigné de sucs gastriques, pou- vait continuer de digérer après la mort, et qui plus est se digérer lui-même. Hunter fut le premier qui énonça que le suc gastrique agit sur les parois de l’es- tomac après la mort, et il attribua à cette sorte de. digestion les érosions ou perforations que l’on ren- contre parfois à l’estomac des cadavres humains. Spal- lanzani fixa son attention sur ce phénomène sans par- CAP. VII. EXPÉRIENCES SUR LA Diéssrion, 545 venir à le vérilier; mais il constala qne l'estomac digère réellement encore après la mort les substances dont on l’a rempli aux derniers instans de la vie, ou même tôt après sa complète extinction. Ce judicieux physiologiste avait soin de déposer ses cadavres dans des étuves qui pussent leur conserver la même cha- leur qu'aux corps vivans, et au bout de quelques heures il trouvait les alimens sensiblement digérés. Les résultats qu’il obtint furent surtout manifestes sur les Oiseaux; moins marqués, mais pourtant encore appréciables dans les Poissons et les Reptiles, der- niers animaux dont les digestions sont naturellement si lentes. Spallanzani fit de semblables expériences sur des Chiens et des Chats, et les résultats furent pareils. I faut remarquer que pour fermer toute voie à l'erreur et à la confusion, on a soin de faire long-temps jeûner, avant de les tuer , les animaux dont les cadavres sont prédestinés à de semblables essais. Les estomacs morts digèrent jusqu'a des fragmens d’inteslin, et même des lambeaux d’autres estomacs dont on les remplit, “et pourtant ils ne ‘paraissent pas subir eux-mêmes J'action dissolvante du suc gastrique. Il faudrait re- chercher si les Hommes qui succombent à des vic- lences subites, à des accidens ou à des supplices, continuent également de digérer:alors que toute yie a cessé. C'est surtout après une mort pareille que Hunter disait avoir rencontré des perforations et des ulcérations à l'estomac des cadavres. Spallanzani voulut éprouver si l'estomac, détaché des autres organes aussitôt après Ja mort, effectuerait aussi bien la digestion, sous des influences extérieures I. 59 56 _: LIV. IV. DE LA NUTRITION. ‘en toul semblables, qu'un estomac conservant sa ‘place et toutes ses connexions, et ‘il s’assura que les digestions alors étaient moins parfaites. Il attribuait principalement cette différence à ce que l'estomac, alors séparé de tout vaisseau sanguin, laissait trans- pirer uve moindre quantité de suc gastrique ; mais “peut-être l'absence de tout nerf était-elle aussi là pour quelque chose. CHAPITRE VII. “Suite du précédent. — Progrès de la Digestion, action des Intes- ins, ctc.; formation, absorption et cours du Chyle. ! Nous ne nous sommes occupé jusqu'ici que des -changemens que subissent les alimens dans l’estomac; nous devons étudier maintenant, mais avec brièveté, les progrès et l’achèvement de la digestion dans les intestins. Et quant à ces derniers organes, on a cou- ‘tume de les distinguer, souvent sans beaucoup de motifs, en gros et grêles : on fait énsuite trois portions | fort peu distinctes de ceux-ci , et l’on désigne ces por- tions arbitrairement délimitées , parles noms inexacts ou insignifians de duodénum , jéjunum et iléum: A l'égard des gros intestins, on est convenu de les faire commencer à partir de la valvule de Bauhin, lorsque ‘cette valvule -existe ; et toute l’étendue de l'intestin comprise entre cette valvule et l'anus est: divisée en trois porlions plus précises que celles de’ l'intestin grêle , et on les désigne par les noms bizarres de cœcum, colon, et rectum. Voilà les organes à l'inté- CHAP. VIII. PROGRÈS ET SUITE DE LA DIGESTION. 547 rieur desquels la digestion s'achève. Les intestins grè- les sont contournés sur eux-mêmes et garnis de re plis ou valvules surnommées conniventes, encore bien qu'elles soient isolées les unes des autres; et cette double disposition du canal où cheminent les alimens ne pouvant qu'en ralentir le cours, n’est pas indiffé- rente à la perfection du chyle, non plus qu’à sa sé- paration et à son absorption. Outre cela, les conduits de la bile et du sûc pancréatique s'ouvrent vers le commencement de l'intestin, qui de plus est parlout arrosé de sucs abondans et de mucus , produits de la sécrétion de sa tunique intérieure. Pour ce qui est des gros intestins, c’est dans leur cavité que se mou- lent et se durcissent les excrémens ; aussi sont-ils dépourvus de valvules conniventes, abreuvés de moins de sucs, et pourvus de fibres musculeuses plus éner- giques. Suivons maintenant les progrès de la diges- tion , à partir du pylore où nous l'avons laissée. Mareue pu cuyme. Nous avons dit que le chyme formé lentement à la superficie de la masse alimen- laire que renferme l'estomac , s'amasse près du pylore à mesure qu'il se forme. Or les mêmes contractions, les tontractions douces et presque insensibles qui le font arriver là, lui font ensuite franchir , en devenant plus vives et plus étendues, l'ouverture étroite: du py- lore. Cependant nous devons dire que ces grandes contraclions, nécessaires pour l'expulsion du chyme hors de la cavité de l'estomac, ont coutume de com- mencer vers le milieu du duodénum, que de là elles se propagent äu pylore et de proche en proche à toute la périphérie de l'estomac; mais ce mouvement de bas en haut (pendant la durée duquel quelques per- Ja 51S BIV. IV. DE LA NUTRITION. sonnes éprouvent un si grand malaise) se convertit tout-à-coup en un mouvement opposé; et c’est à l’aide de ceite sorte de reflux que le chyme traverse enfin le pylore , entr'ouvert à cet effet et par la même cause. Ce mouvement se répèle ensuite et autant de fois que Fexige la quantité de chyme nouvellement formé. C’est de cette manière, successivement et comme par secousses, que l'intestin se remplit peu-à-peu des ali- mens chymifiés par l'estomac. J'ajoute que le cours du chyme est ensuile fort lent dans toute létendue de l'intestin grêle; lente aussi est la marche des excré- mens ; faibles sont les mouveinens de l'intestin, hors les cas de maladie ou de passion. | CHANGEMENS DU'CHYME. AcrTion pr LA B1LE. La plé- nitude de l'intestin grêle favorise l'écoulement de la bile et du suc pancréatique ; outre que son acidité excite la sécrétion de ces humeurs, aussi bien que des sues intestinaux et du muüucus. Tous ces fluides nouveaux, mêlés au chyme, en changent déjà la nature : ce chyme perd bientôt et presqu'entièrement son acidité, ce qui en arrête l'espèce ‘de fermentation sourdement commençante ; de grisâtre qu'il était il devient jaunâtre ; et sa saveur a de l’amertume. Cette amertume existe en beaucoup d'animaux dès l’esto- mac ; cela a lieu particulièrement dans les oiseaux; par la raison qu’en ces derniers êtres la bile a coutume de pénétrer dans lestomac par le pylore. Si les alt- mens contenaient de la graisse où des matières hui- leuses, ces substances nullement altérées par l'esto- mac, vont l'être dans l'intestin : la bile agissant isur sed les dissout’et en compose une sorte de savon Lai-même soluble. CHAP. VIII. PROGRÈS ET SUITE DE EA DIGESTION. 5/49 A l'exception des matières huilcuses et graisseuses , et à l'exception des herbes, l'intestin laisse passer sans les altérer, les substances que l'estomac n'aurait pas préalablement digérées. Les mêmes alimens produi- sent un chyme semblable dans des animaux d’espèce pareille, et les changemens que le chyme éprouve en- suite se ressemblent également. Remarquons ici que le chyme provenant de substances végétales n’est pas semblable au chyme qu'ont produit des matières ani- males : celui-ci est plus épais et plus visqueux, est rougeâtre et ne caille pas le lait; l’autre est presque fluide , jaunâtre , et il caille le lait. Le chyme fourni par les végétaux est moins riche en matière nourris- sante , et il ne contient pas de substance albumineuse comme le chyme résultantédes viandes. Il se dégage pendant la digestion intestinale , et selon le stade où elle est parvenue , différens gaz dont la nature varie suivant l'espèce d'animal, suivant les alimens dont il a fait usage , suivant son âge et son état de santé, et surtout suivant la partie de l'intestin où l'on a puisé ces gaz. Nous avons dit que nous reviendrions ail- leurs sur cet objet. Quelque temps après que le chyme est descendu dans l'intestin grêle, et après qu'il a subi l'action de Ja bile , il se divise en deux parties: une qui est fluide et qu'on nomme céyle , c'est la partie quisertà nourrir l'animal ; et l’autre qui est plus solide, plus grossière, moins homogène ; c’est le résidu de la nourriture, et ce que l'animal rejette de son corps sous.le nom d'excrémens. Cette séparation " chyle, et mème sa formation, _ paraît due surtout à l'accession de la bile ; du nicins 550 © IV. DR LA NUTRITION. est-il certain que la digestion est toujours imparfaite , et le chyle nul ou peu abondant, lorsque la bile n’a pu se mêler au chyme préparé par l'estomac. M.Brodie, Fun des plus savans physiologistes de l'Europe, assure qu'il a constamment empêché la formation du chyle dans les animaux dont il avait lié le conduit cholé- doque, ou canal de la bile. Nous croyons vrais tous les résultats qu’il raconte ; néanmoins un autre phy- siologiste fort habile aussi en a obtenu de différens: ‘Le chyle se forme ordinairement deux ou quatre heures après que le chyme a passé de l’estomac dans le duodénum. Mais cela est moins prompt dans les. Poissons, et beaucoup plus lent encore chez les Reptiles. | Quelques personnes nt assuré qu’elles avaient trouvé du chyle bien formé dans les vaisseaux blancs qui partent de l’estomac, et elles ont dit en consé- quence que l'estomac formait du chyle; mais il est probable qu’on n’a vu de pareiïlles choses qu’en des. animaux dans l’estomae desquels la bile se mêle fré- quemment aux sucs gastriques. Îl paraît que le Chien est dans ce cas; mais il faut se garder d'étendre cela à tous les animaux. LES INTESTINS DIGÈRENT-ILS DES ALIMENS NON CHY- MIFIÉS? On éprouverait de lembarras à résoudre cette question 4 prieri ; "car il existe des faits à l’aide des- quels on pourrait soutenir tour-à-tour le pour et le contre. Et d'abord, beaucoup d'observations prou- vent que l'estomac ne fait subir aucune altération sensible à de certains alimens, si l’estomac ne les à préalablement modifiés, digérés, chymifiés. D'autre part , les alimens éprouvent de l’altération en quelque CHAP. VIII. PROGRÈS ET SUITE DE LA DIGESTION. Db1 point du corps qu'on les introduise : les bribes de pain ou de viandes qui s'arrêtent dans le gosier , au: voisinage des amygdales, s’altèrent visiblement et se ramollissent ; un morceau de lard placé et retenu dans la bouche , a paru s’y être ramolli; il avait aussi. changé de couleur. Il n’y a pas jusqu'aux cataplasmes de fécule appliqués sur la peau, qui ne subissent une altération très-différente d’une simple fermentation. Il est donc certain qu’on ne peut rien conclure de. ces différens faits ; puisqu'ils semblent se contredire. Mais recourons à l'expérience: On a introduit des viandes cuites 'et des chairs crues dans l'intestin de‘plusieurs chiens ; on en a mème attaché au haut de l'intestin grêle afin d'en empêcher la descente trop rapide, et l'on a vu que ces matières. avaient éprouvé un ramollissément sensible, et même qu'elles avaient diminué de volume. IL faut ajouter que ces chairs avaient contracté là une odeur extrè- mement fétide, et que rien n’assure qu'elles fussent. susceptibles , dans l’état où elles se trouvaient ré- duites, de fournir une sorte de chyle ou quelque chose d’alimentaire à l’animal. Cela ne ressemble. guère à une vraie digestion; et quant au ramollisse- ment superficiel et à l'absorption légère des chairs ainsi introduites dans l'intestin, il n’est aucune partie du corps qui ne soit susceptible d'opérer quelque chose de semblable. Concluons donc de ces faits que nulle digestion bonne, complète et eflicace, n’est possible sans le concours de l’estomac. S'il en. était autrement, on pourrait nourrir par l'intestin les ma- lides dont l'estomac ne saurait plus ou rien recevoir, 552 LIV. IV. DE LA NUTRITION. ou rien digérer de ce qu'il reçoit : et de pareilles tenlalives n’ont eu jusqu’à ce jour aucun succès. FORMATION ET REJET DES EXCRÉMENS. Les excrémens, sÉpaMes du chyle qui les surnage et dont l’ LEotpipe s'opère dans le haut ded’intestin , perdent peu-à-peu , à mesure qu'ils descendent vers asie intestins, la fluidité qu’ils avaient dans le milieu de l'intestin grêle. Le mucus des gros inteslins en favorise la marche vers l'anus ; mais les loges que présentent ces conduits dé distance en diniges: en prolongent le séjour et en accroissent la consistance. C’est par l’action des fibres musculeuses des intestins que les excréinens sont peu-à-peû poussés vers l'anus, et c’est par les muscles abdominaux qu'ils sont finalement rejetés hors du corps. Cette expulsion résulte d’un mécanisme assez compliqué où Ja glotte au moins chez les mammi- fères, joue un rôle iinportant. Le rejet des matières fécales ést beaucoup plus facile chez les animaux ovi- pares et dans l’Ornithorrhynque ; et cette différence résulte de ce qué ces animaux ayant un cloaque , leurs urines s’amassent dans ce lieu aussi bien que les ex- crémens, qe elies délayent. Les excrémens diffèrent pour chaque espèce d’a- nimal ; mais la plus grande différence s’observe sur- tout énitre les carnivores et les herbivores. Le même animal, s’il est omnivore , a des excrémens très-dif- férens , suivant qu'il use d’alimens végétaux ou d’ali- mens tirés de l’autre règne. Les excrémens provenant d’une nourriture animale ont la propriété de faire cailler le lait, et il n'existe rien de semblable pour les fécès des alimens végétaux. C’est absolument le à CHAP. VIII. PROGRÈS ET SUITE DE LA DIGESTION. 599 contraire de ce que nous avons dit pour lé chymte des carnivores et des herbivores. Bordeu surtout a fait d'intéressantes remarques à ce sujet ; la curiosité naturelle à son esprit ingénieux lui a fait surmonter les dégoûts d’une étude si répugnante. Les recherches de Prout ont beaucoup moins d'intérêt, mais plus de précision que celles de Bordeu. Les animaux qui digèrent des os ont des‘excrémens particuliers et fort remarquables. On retrouve sou- vent dans les matières peu digestibles que l'estomac a laissé passer sans les altérer , des fibres de muscles desséchés , des lambeaux de membranes , des mor- ceaux d’inteslin surtout, des portions de tendons, de ligamens , de cartilages, et des fragmens d'os; on y retrouve principalement des végétaux, des graines entières, à cause de l’épiderme, lequel se montre toujours réfractaire à l’action du suc gastrique; on y trouve des noyaux, etc. Les animaux éjeûnés ou in- süflisamment nourris ont des excrémens plus solides. état de maladie produit soùvent un effet contraire, aussi bien que la glôutonnerie. : Ajoutons que les boissons aussi se digèrent : bien plus, beaucoup de liquides laissent: des excrémens dans l'intestin , encere qu’une grande partie en soit absorbée dès l'estomac. D'ailleurs il suffit qu'elles soient un peu irritantes pour qu'elles excitent la sécré- tion de Ja bile et du mucus, et ces fluides digérés avec les boissons laissent des résidus comme elles, On est quelquefois étonné de Ja masse d’excrémens que con- tient l'intestin d’un homme malade ou d’un animal éjeûné qui ne prend dépuis des jours entiers que des liquides. Ajoutons cependant que l'eau, les alcoo- 554 LIV. IV. DE LA NUTRITION. liqueset d’autres liquides simples, ne fournissent rien d'eux-mêmes ni pour lasnatrition ni-pour les: excrémens. MOUvVEMENS RÉTROGRADES. On nomme péristaltiques: les mouvemens à l’aide desquels la masse alimentaire parcourt l'intestin ; mais il existe d’autres mouvemens: qui s'effectuent en sens contraire , c’est-à-dire-de bas. en haut , et ceux-là ont reçu de nom d’anti-péristal- tiques. Ces derniers mouvemens produisent divers: phénomènes, tels: que la Régurgitation , la Rumina- tion, le Vomissement, etc. L'acte par lequel des Oiscaus et des Hhete partagent avec leur progé= niture des*alimens déjà digérés pour leur propre estô- mac, est une sorte de régurgitation due à de sem- blables mouvemens. J'en dis autant de cette humeur brune et toute bilieuse que rendent les Sautérelles, du suc’ miellé qui sort tout élaboré du corps des Abeilles, des humeurs noirâtres que beaucoup de Mollusques marins répandent autour ‘d’eux afin d’é- chappér à leurs énnemis : enfin , toutes les classes. d'animaux ont une sorte de vomissement ou de ré- surgitation. Les Oiseaux de proie vomissent naturel- lement après chaque repas, dans le but de se dé- barrasser de toute substance , ou dégoûtante ; ow réfractaire à l’action de l’estomac. Parmi les mammi- fères, aucun animal ne vomit plus aisément que le Chat. Ce phénomène s’observe aussi chez les Chiens, chez les Ruminans, chez les Salamandres et les Ser- pens parmi les reptiles, et quant aux poissons, surtout chez les Carpes. Mais tous les vertébrés, à l'exception du Cheval (chez qui la disposition du cardia met obs- tacle au retour des alimens vers l’œsophage), à celte , CHAP. VIII. PROGRÈS ET SUITE DE LA DIGESTION. 555 exception près, il n’est peut-être pas un animal ver- tébré qui n’ait la faculté de-vomir; et nous ne con- naissons pas d'exceptions pour les classes inférieures. I] y a plus, les Polvpes et les animaux voisins des polypes , les Radiaires, les Tuniciers , tous les êtres enfin qui n’ont qu'une seule issue, une ouverture unique à l'intestin , tous ces animaux ne rejettent chaque jour le résidu de leurs alimens qu’au moyen d’une espèce de vomissement. | Ce n’est point ici le lieu d'insister sur le méca- nisme de ce phénomène, en disant quelles puissances concourent à le produire. On peut voir ce que nous avons dit dans notre Physiologie médicale sur Ja Théo- rie des Efforts, et il sera facile dans faire l'application à l’objet présent (1). | .ABSORPTION ET COURS DU CHYLE. Nous savons que le chyle se sépare de la masse alimentaire après qu'elle a séjourné dans la cavité distendue du duodénum , et peu de temps après que la bile et le fluide pancréa- tique ont agi sur elle, on:ne sait précisément de quelle manière. Quant aux saractères et aux qualités du chyle, cette substance n’est bien visible et n’a pu être convenablement étudiée que dans les mammifè- res, et'il nous suflira de dire pour le moment que ce fluide est presque toujours d’un blanc opaque, ce qui lui a valu d’être comparé au lait; que de plus il a l’o- deur du sperme, et qu’abandonné à lui-même, et hors (x) Voyez, en outre, les Mémoires ex professo de Bayle de Toulouse, de Chirac, de Mageudie , de Legallois, d’Isid. Bourdon, de F. Lalle- mand, de Dupuy, de Portal, de Piedagnel, de Tissot de Lyon, de Maingault, de Bouvenot, de Lieutaud; quelques Rapports de MM. Hallé, Percy, Chaussier, Béclard, Mérat, G. Cuvicr, Humboldt, ete. ‘+ 556 EIV. IV. DE EA NUTRITION. de ses vaisseaux, il se sépare en deux parties , dont l'une est séreuse et saline, tandis que l’autre est fibri- neuse ; qu’enfin il se comporte à cet égard à-peu-près comme le sang. Nous devons ajouter que le chyle dé- posé dans un vase inerte prend ordinairement une teinte rosée, ce qui paraît dû à l’action de l'oxigène sur lui, et qu'en outre il surnage à sa surface une matière nd, 54 formant comme une sorte de nuage : on conçoit bien, d’après cela, qu'on ait pu comparer le chyle au lait, et qu'on soit allé jusqu’à regarder ce- lui-ci comme le produit de l'autre. Ce qu'il y'a de certain , c'est que rien n’influe sur l'abondance du lait ou du fluide prolifique, autant que la production abondante du chyle. Du reste, la naturé des alimens dont se nourrissent les animaux, introduit de notables différences dans le chyle qui provient de la digestion ; le même chyle ne résulte point d’alimens dissembla- bles : les matières grasses produisent un chyle plus blanc et plus opaque que les substances non graisseu- ses. Mais jamais le chyle ne prend la teinte des sub- stances colorantes introduites dans l'intestin 3 il n'en prend aussi que très-dificilement l'odeur. Une fois séparé de la manière chymeuse, dont il peut être regardé comme une sorte d'extrait, le chyle surnage cette matière, et s'amasse par petits ruisseaux dans les sinus des valvules muquenses, dont l’inté- rieur de l'intestin grêle est garni. Il séjourne là quel- ques instans, et c’est en ce lieu qu'il est absorbé par les petits vaisseaux qui le doivent transporter de pro- che en proche jusque dans la masse du sang. Dire pré- cisément de quelle manière , en vertu de quelle force et par quel mécanisme s'effectue cette absorption du CHAP. VIIT. PROGRÈS ET'SUITE DE LA DIGESTION. 597 chyle, ne rien laisser à désirer à'cet égard , nous se- rait impossible ; nous aimons mieux mésatisfaire la curiosité du lecteur qu'induire son esprit à errer, en exposant comme faits avérés, de pures conjec- tures. En examinant avec soin , et à l'œil nu, l’inté- rieur de l'intestin au moment où le chyle est déjà tout formé , on voit, à la surface de la membrane intesti- pale , de petites éminences ou villosités comme spon-. gieuses, qui paraissent s'ériger et se remplir de li- quide : si on comprime ces villosités, il en sort du chyle. On a examiné ces petits monticules au moyen du microscope, et l'on y a découvert les ramilications extrèmement rombreuses de divers vaisseaux ; on a a cru voir en outre, à leur surface, de très-petits pores, comme qui dirait des piqüres d’aiguilles, et l’on a dû penser que ce pouvait être là l’origine de ces vaisseaux blancs, dits lactés , ou chylifères, dans l'intérieur desquels on trouve incontestablement du chyle , là où on les voit serpenter dans l'épaisseur du mésentère. Ajoutons cependant que Spallanzani a observé des pores analogues dans l’intérieur de l'es: tomac de l'aigle , et qu'il n’a vu dans ces étroits per- tuis que l'issue probable des sucs gastriques. Mais que ces orifices qu'on a cru voir à la surface de l’in- testin soient réellement l'ouverture absorbante des vaisseaux du chyle, ou qu'il en soit autrement, tou- jours est-il raisonnable d'admettre qu'il doit.exister quelque chose d’analogue , et que c’est par de petites bouches de cette nature que le chyle se trouve pompé ou absorbé à la surface de l'intestin, Quelques per- sonnes n'ont vu quun pur effet d’imbibition toute physique et#toute inerte dans ce phénomène , et elles 558 LIV. IV. DE LA'NUTRITION. ont appuyé leur opinion sur ce que l'absorption du chyle persévère quelques instans encore après la mort. . Quel que soit le sabre selon lequel se fait l'absorp- tion du chyle , il estsür qu’on voit ce liquide dans les petits vaisseaux blancs qui parcourent le mésentère, entre les deux feuillets du péritoine dont ce repli membraneux est formé ; il est sûr que ces vaisseaux traversent les corps glanduleux qui chez les animaux mammifères sont fort mullipliés dans le mésentère , que de plus ïls communiquent tous avec le canal thoraciqué, simple ou double, lequel paraît être leur tronc commun et leur réservoir général. Ce conduit thoracique a lui-même sa terminaison dans la veine sous-clavière gauche, ét son embouchure dans ce vais- seau sanguin est garnie d’une valvule membraneuse Lx permet au wav de se mêler au sang , mais qui s'oppose à ce que Île sang de la veine s’introduise dans le canal du chyle. Ainsi le chyle séparé des alimens dans l'intestin, dé- posé et accumulé dans les sinus des valvules conni- ventes de la membrane intestinale , pompé on ne sait comment ni par quelle puissance, mais pénétrant incontestablement dans les vaisseaux lymphatiques de l'intestin, traverse les glandes mésentériques, est porté par ses propres vaisseaux dans le conduit tho- Diner et c’est par ce canal qu'il est définitivement versé dans le sang. Ce cours du chyle n’est pas seu- lement une supposition vraisemblable ; on s’est as- suré de sa réalité par des expériences. Il suffit d'ou- vrir le conduit thoracique pour s'assurer que le chyle y circule de bas en haut, ou plutôt de l'intestin vers CHAP. VIII. PROGRÈS ET SUITE DE LA DIGESTION. ‘539 la veine sous-clavière. Il est certain que les muscles abdominaux et tous les organes des efforts-ont la plus grande influence sur la rapidité de son cours : on voit le jet de ce liquide augmenter en volume et de- venir plus rapide, lorsque l'animal sur qui l’on fait l'expérience crie ou tente quelque effort à glotte fermée ou rétrécie. La pression mutuelle des organes du ventre les uns sur les autres, influe aussi beau- coup sur le cours du chylé; ce cours est sensible- ment ralenti par l'ouverture de labdomen. Les mou- ‘vemens respiratoires et les pressions causées. par le diaphragme ne sont pas non plus choses indifférentes à la rapidité du chyle dans ses vaisseaux. L'incision du canal thoracique près du lieu où il se termine dans la veine sous-clavière , a laissé couler chez un chien une demi-once de chyle dans l’espace de cinq minutes; ce qui ferait six onces par heure. Au reste, on conçoit que la quantité de ce liquide est subor- donnée à la quantité des alimens, à leur nature, et aussi beaucoup à leur digestion plus ou moins par- faite (1). LE CANAL THORACIQUE EST£IL LA SEULE VOIE DU CHYLE? On voit bien à la vérité tous les vaisseaux chylifères aboutir dans le conduit thoracique; on voit le chyle couler avec une certaine rapidité dans sa cavité, etil st sûr qu'il aboutit finalement dans la veine sous- clavière. Mais tout le chyle suit-il cette voie unique pour s’aller mêler au sang? et n’y a-t-il que les vais- (1) Woyez Pecquet , Rudbeck, Hewson, Monro, J. Hunter, Mas- cagni, Duverney, Cruiskshanck, Flandrin, Meckel l’ancien, Dupuy, Dupuytren, Magendie , Fodérà, Leuret et Lassaigne, Fohmann et Gmelin, Tiedemann, Ségalas, Lauth, Lippi, Rossi de Parme, An- tommarchi, etc, 560 ._ LIV. IV. DE LA NUTRITION. seaux blancs dits chylifères qui absorbent le chyle? Le canal thoracique est si étroit, les fluides dont il est rempli ont un cours si lent , que quelques per- sonnes ont pensé que, non seulement la lymphe, non seulement la sérosité et les différens liquides absorbés avaient une voie différente , un autre trajet et d’autres moyens absorbans; mais que mème le chyle ne pas- sait peut-être pas tout par les vaisseaux chylifères et leur réservoir commun. D'abord Duverney ne poavant rencontrer dans les Oiseaux ni vaisseaux chylifères, ni glandes mésentériques, cela lui fit conjecturer que’ la nourriture dans cette: classe d'êtres avait peut- être d’autres vaisseaux que les lÿmphatiques pour parvenir au sang : il en vint ensuite jusqu’à douter.de l'usage qu'on assigne exclusivement au canal thora- cique, mème quantaux mammifères. Dans le bat donc de s'éclairer à ce sujet, Duverney lia sur un Chien les veines sous-clavière et jugulaire gauches, un peu au- dessous de l'insertion terminale du eupak thoracique; et ce qui fortifia ses doutes, c’est que ce chien vécut quinze jours après cette opération, laquelle aurait dû le: tuer en peu de temps, si le chyle n'avait eu que ce pen de communication; cependant cet animal n'avait qu'un seul conduit thoracique , ainsi qu'on st s'en assurer par la dissection. Mèmes expériences ont été répétées pis de verney. Quelques personnes ont assuré que la mort arrivait toujours cinq à'six jours après l'opération pré- cédente chez les Chevaux £t Chiens dont les vaisseaux chylifères ne conservaient de communication avec le sang qu'au moyen du canal thoracique lié; tandis que , selon elles, les movens de communication CHAP. VIII. SUITE ET PROGRÈS DE LA DIGESTION. 561 étaient multiples en ceux qui avaient survécu à la mème expérience. M. Dupuytren, qui s'est long- temps et très-particulièrement occupé de cet objet, affirme qu'il s’est assuré de la réalité de ce qui pré- cède par l'injection des vaisseaux, et par la dissec- tion attentive qu'il en a faite. Cependant deux habiles expérimentateurs de l'École d’Alfort ont tout récem- mentinfirmécesrésultats: plusieurs fois illeurest arrivé dedier le canal thoracique sur des Chiens ou des Che- vaux. Ce conduit était unique , l'injection prouvait que les vaisseaux chylifères n'avaient plus de communica- tion avec la veine sous-clavière, et cependant plu- sieurs de ces animaux ont survécu des mois entiers à l'opération. Un Chien, entr’autres, a prolongé son exis- tence jusqu’à cinquante-huit jours après l'expérience, et cependant le conduit thoracique de cet animal n'of- frit aucune anastomose;, aucune bifurcation ni division allant aux vaisseaux sanguins. Les auteurs dont nous parlons ont conclu de leurs expériences, que les veines aussi absorbent le chyle , et ils assurent qu’a- près avoir lié la veine porte, ils ont distinctement reconnu le eaillot du chyle mêlé au sang de cette veine. Il faut convenir qu'il est rare qu'un gros animal ne succombe pas tôt après la ligature du canal thora- cique, lorsque ce canal est simple et sans vaisseaux de dérivation. Si donc quelques animaux résistent plus long-temps aux graves résultats d’une telle opération, voici quelles en sont les causes. D'abord il existe quelquelois des vaisseaux de communication et des anastomoses que les injections ne sauraient démon- trer , encore que ces canaux accessoires fussent aisé- À 36 562 RIV. IV. DE LA NUTRITION. ment perméables aux fluides vivans': car nul anato- miste n’a sans doute la prétention d'égaler l’art des injections au cours naturel des fluides pendant la vie. Ensuite beaucoup d'animaux ont la faculté de vivre long-temps sans manger; on cite pour notre espèce et pour beaucoup d'autres, des exemples étonnans d’abstinence. Les Animaux dormeurs , par exemple, restent des mois entiers sans prendre aucune nourri- ture , et ils vivent alors de leur propre sübstance. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi des animaux qu’on dit avoir survécu à la ligature du conduit thoracique ? La chose nous paraît d’autant plus naturelle, qu’une semblable opération trouble les fonctions, produit la fièvre; et l’on sait que lafièvre ôte tout appétit comme tout moyen de digérer. Mais on ajoute que plusieurs de ces animaux conservaient leur embompoint et la santé. À cela nous répondons que sans aucun doute le chyle est ordinairement absorbé par les vaisseaux dits chylifères; mais quand ces vaisseaux sont obs- trués, est-il défendu de croire que les veines les rem- placent? Nous avons cité une expérience à l'appui de celte prévention si naturelle : et d’ailleurs ne sait-on pas en combien d’autres circonstances nombreuses les veines absorbent ? ce sont elles , en effet, qui ab- sorbent les liquides simples, les substances odorantes et colorées , les médicamens, les poisons : c'est par leur moyen que ces différentes substances manifestent leur présence dans les urines et le sang, et leur action sur différens organes, avant que le chyle n’en puisse offrir aucune trace. C’est de même par les veines que disparaissent si rapidement de l'intestin et de l'esto- L CHAP. VIII. SUITE ET PROGRÈS DE LA DIGESTION. 563 imac des quantités énormes de différens liquides ; pourquoi donc leur refuserait-on absolument.la faculté d’absorber le chyle? | Mais un autre fait bien important, qui finit d’expli- quer et de rendre vraisemblablés toutes les expérien- ces contradictoires que nous avons citées, c’est qu’il paraît démontré que les vaisseaux blancs communi- quent de tous côtés avec Îles différentes veines : tou - tefois, comme ces communications ne sont pas égales, ne sont pas constantes chez tous les êtres de la même espèce, là même est l’origine de ces apparentes con- tradictions qui embarrassaient l'esprit. CE QUE DEVIENT LE CHYLÉ : QUELLE EST SA DESTINA- TION; QUELS EN SONT LES USAGES, Nous venons de suivre le chyle depuis la cavité intestinale, où des vaisseaux l’absorbent, jusque dans la veine sous-clayière gauche où il se mêle et se confond avec Île sang. Circulant ensuite avec ce liquide , traversant les organes respi- ratoires, mis en contact avec l'air, mu par le cœur et réparti dans les vaisseaux àrtériels qui naissent de l'aorte, que devient-il dans ce long trajet, et quel parti en tirent les divers organes du corps? voilà ce qu'il serait important de savoir. Comme le sang éprouve sans cesse des déperditions pour la formation des humeurs et la nutrition des organes, il faut bien qu'il répare les pertes qu'il faits or le chyle, à cela près de la couleur, a tant d’analogie avec le sang, et par sa séparation spontanée en plusieurs parties, et par la fi- brine qu'il contient, et aussi par l'oxygène qui le colore en rouge, qu'il est naturel de croire que ce fluide provenant des alimens digérés, se change en véritable sang lors de son passage à travers les organes de la res- 36* 564 LIV. 1V. DE LA NUTRITION. 1 piration, et qu'à parlir de ces organes il a perdu tous les caractères qui le distinguaient du sang préexistant, Mais revenons à la nutrition. ‘ CHAPITRE IX. Conditions principales de la Nutrition des Animaux. — Choses qui la modifient et la diversifient, elle et la Digestion. Nous ne pourrons aborder l'obscur mécanisme de la nutrition, et plusieurs grandes questions et con- Jecturés qüi Es y rattachent, qu après avoir envisagé les esndilions favorables ou défavorables à à . fonc Aü importante : c'est le seul moyen d'arriver à quelques résultats certains. Nous allons donc faire une revue rapide de choses qui ont manifestement le plus d'in- fluence sur la nutrition : le malheur est que nous ci- terons parfois des faits particuliers à une espèce d’a- nimal, et le plus souvent à notre propre espèce. Borssoxs. Au temps où les expériences du médecin Dodart faisaient le plüs de bruit (1), un autre membre de l’ancienne Académie des Sciences résolut de les poursuivre en les variant : il les répéta dans le but sur- tout d'apprécier l’influence des boissons sur la nutri- tion des organes et l’embonpoint du corps. À cet effet, Marcorelle passa deux mois entiers sans boire ni eau,’ ni vin, et il perdit pendant cela cinq livres et demie de son poids total {il pesait cent vingt livres). Après quoi s'étant remis à son régime habituel, mangeant (1) Voyez nolrc Physiologie médicale. CIHAP. IX. CHOSES QUI LA MODIFIENT. 565 toujours des mêmes choses, mais réprenant l'usage du vin pur et étendu d’eau, ce lui fut assez de six jours de ce nouveau régime pour récupérer six Hivres de substance , c’est-à-dire un onzième en sus de ce qu'il avait perdu. I observa en outre qu'aucun äli- ment autant que les végétaux ne donne le désir et le besoin de boire. Voilà ce qui prouve l'influence dés boissons chez l'hommeé ; mais s’ensuit-il que de boire beaucoup soit chose favorable à lémbonpoint? Non, assurément; les faits chaque jour observés prouvent le contraire. Trop de boissons fatiguent Festomac et: nuisenit à la digestion des alimens. Le thé, les bois- sons chaudes, hâtent la digestion, mais c’est en l’entra- vant : après de pareilles boissons, les alimens traver- sent le pylore avant d’avoir été suffisamment chymifiés. A l'égard des alcoholiques et de tous les liquides ex- citans, épicés, salés ou acides, ces fluides favorisent la formation du chyle , en ce sens, qu'ils déterminent ua flux abondant des sucs intestinaux, gastriques, pancréatiques et biliaires; mais les boissons alcoho- liques nuisent ensuite à la nutrition par l'excitation qu'elles causent à tous lés organes, en activant outre mesure les mouvemens du cœur; elles nuisent par lé sommeil, qu'elles rendent court ou qu'elles agitenL. Ajoutons encore , au sujet des animaux, qu’il en est qui re boivent jamais , ét ce sont presque lous dés Carnivores. Le Chameau aussi peut rester plusieurs jours sans boire , et cette abstinence de liquides ne paraît pas le faire souffrir : il est vrai qu’on trouve dans l'estomac de cet animal des espèces de poches dont la destination paraît être dé retenir des liquides en réserve , en s’eh remplissant et s’en imprégnant à la 566 ( REX, IV. DE LA NUTRITION. wanière des éponges. Au reste, la plupart des ani- maux paraissent engraisser d'autant plus vite qu'ils prennent moins de liquides. Les Cheyaux et l’Ane, au rapport d'Aristote , font exception à celte règle, à raison peut-être de l'énorme quantité d'herbes gros- sières.et souvent sèches dont ces animaux se remplis- sent sans relâche. On a coutume de supprimer peu- à-peu Les. boissons aux Porcs et à plusieurs autres animaux , lorsqu'on veut les engraisser. Aumens sozines. Îl n'est pas besoin de dire que les longs jeûnes et l’abstinence absolue amaigrissent : mais il faut rappeler que la privation d’alimens n'est pas également ressentie. par tous les animaux , ni toujours de la même manière par les animaux d’une même espèce, non ptus que par le mème animal placé dans des circonstances diverses. La jeunesse , les ex- cès, Ja fatigue, les veilles excessives , les passions (alors que les paroxysmes en ont cessé) , la convales- cence des maladies longues, les choses excitantes (après qu’elles ont produit leurs rapides effets), l'air sec et froid , et les climais et saisons où l’on en res- sent l'influence , ce sont là autant de causes qui rendent plus grand et plus vivement ressenti le besoin d’alimens solides; et au contraire, la vieillesse, le sommeil prolongé, l'hivernation , le repos parfait, les bains chauds, diminuent ce besoin :: la faim aban- donne l’oisive opulence pour tourmenter la pauvreté: En général , les animaux carnivores supportent beaucoup mieux l’abstinence que les herbivores. Le Lion , les oiseaux de proie, l’Aigle en particulier les serpens, les Âraignées, tous ces animaux restent quek quelois des temps Lrès-longs privés dalimens ,.sans , CHAP. IX. CHOSES QUI EA MODIFIENT. 267 paraître beaucoup en souffrir : ils,sont seulement à cause de cela, d'ordinaire, plus maigres que les ani- maux se nourrissant d'herbes ou de fruits. Dans l’es- pèce humaine, on a vu des vieillards, surtout des femmes, rester des mois entiers sans prendre d’ali- mens. On cile un insensé mystique qui, s’imaginant: follement être le Christ en personne, resta les qua- rante.jours du carêine sans user d'aucun aliment quel- conque ; il se bornait , sans jamais rien avaler, à pro- mener des liquides dans sa bouche. L’humidité et l'obscurité , unies au repos , affaiblissent les effets de l'abstinence : un Chien qui était dans les circonstances que nous venons de dire, resta près de cinquante jours vivant sans rien prendre. Les hommes à imagi- nalion vive , et principalement les fous furieux, ont une faim dévorante , une digestion extrêmement énergique , et ils consomment des quantités énormes d’alimens : il en est de même des idiats. Outre que le bon sens et la sagesse enseignent la tempérance ; rien: ne distrait de la faim , après le sommeil qui labolit, autant que l'exercice assidu de la pensée, Si chaque animal ne prenait d’alimens que tout juste ce dont il a besoin pour exister, la masse des destructions dans les deux règnes serait prodigieuse- ment moins grande, et cela même prolongerait la vie de toute manière. Cornaro, dont on eitait Pin tempérance durant sa Jeunesse, s’assujellit à ne plus prendre chaque jour, à l’âge de quarante ans, quetreize: onces de liquides et douze d’alimens solides , anssi simples que ceux d’'Iccus; et cette diète sévère et constante lui permit de vivre par-delà cent ans. Il est à remarquer que les excès de tous les genres fati- 568 LIV. IV. DE LA NUTRITION. guent beaucoup plus, causent des maladies et abrè- gent l'existence , bien plus que les privations. Il est plus aisé, en effet, je parle de notre espèce, de satisfaire aux simples besoins de la vie que de se défendre de les outrepasser : il est si fréquent de confondre avec l’aiguillon de la faim les perfides saillies de la sensualité ! Disons cependant qu'il faut à chaque animal plus d’alimens que n’en exigent les pertes à réparer et les dépenses journalières de la nutrition; il faut, de plus que cela, un surcroît d’exci- tans pour stimuler les organes, et ce superflu de nour- riture est lui-même nécessaire à l'énergie du corps, à - Ja plénitude de l'existence. Il est beaucoup d'autres considérations impor- tantes au sujet des alimens de l’homme et des maux qui résultent d’un régime mal ordonné ; mais ce n'est point ici le lieu de nous arrêter sur de tels sujets, et nous devons dire que c’est dans notre Physiologie médicale qu’il faut chercher des détails sur tout ce qui intéresse la conservation de la santé de l’homme et la prolongation de la vie. TEMPÉRATURE; Saison; CuimaT. Il y a discordance quant à l'influence de la chaleur sur la nutrition des. divers animaux. Je veux dire que cette chaleur est utile aux animaux inférieurs et aux derniers des ver- tébrés, ceux qu’on désigne sous le nom générique d'animaux à sang froid; mais elle est nuisible à la nutrition comme à la digestion du plus grand nombre des vertébrés dæ premier ordre, des oiseaux et des mammiières. Je dis du plus grand nombre, parce qu'il y a quelques différences quant aux Oiseaux qui émigrent et aux Mammifèrés qui dorment des mois CHAP. IX. CIIOSES QUI LA MODIFIENT. 569 entiers. Nous traiterons ailleurs de ces derniers êtres et des particularités qui résultent, pour tous les phé- nomènes de leur existence, des caractères dont nous parlons. | . Toujours est-il que les animaux de bas étage, de- puis les Polypes jusqu'aux Serpens, et à d’autres rep- tiles qu'il ne faut pas exempter de la règle, digèrent mieux et plus rapidement, prennent plus de nour- riture et d'embonpoint, dans les climats, dans les sai- sons chaudes, que sous des influences contraires. On peut même remarquer que ces animaux sont plus développés et plus multipliés dans les pays chauds qu'ailleurs. Les Couleuvres, entr'autres, digèrent mal au printemps, par la raison qu’alors ehes relèvent à peine de l’engourdissement où les a jetées le froid rt- goureux de l'hiver. Remarque analogue à l'égard des poissons. Mais la chaleur vive est nuisible à la nutrition des vertébrés supérieurs, et par l'amour qu'elle réveille en eux et les excès où elle les conduit, et par les transpirations de la peau qu'ellé rend excessives, et par la faim qu’elle affaiblit précisément alors où le besoin d’alimens est le plus réel pour les organes; nuisible enfin pour la digestion, toujours très-lente et très-difficile en ces animaux dansune température trop chaude. Trop de chaleur, en effet, affaiblit les forces digestives, à raison des sucs gastriques alors moins abondans, et parce qu’en outre les contractions de l'estomac et des intestins sont beaucoup plus faibles. Aussi, voitson la plupart des oiseaux et des mam- mifères maigrir durant les saisons chaudes et récu- pérer des chairs et de la graisse dans l’hiver, Quelque- 5ro HiV. IV. DE LA NUTRITION. fois même on remarque avec étonnement l’excessif embonpoint que prennent tout-à-coup certains oi- seaux au milieu de Ja saison la plus rigoureuse, et alors qué la terre est couverte de neige et de frimas. Mais cela provient des causes que nous avons indi- quées : de l'énergie accrue de l'estomac, de l’abon- dance des sucs digestifs, de la transpiration de la peau alors presque nulle, et surtout de ce que la Providence a veillé à ce que l’époque des plus grands froids fût précisément le temps de la parfaite maturité de quelques fruits d'arbres verts ou autres, dont ces oi- seaux se nourrissent. On peut vérifier ce que nous, disons ici à l'égard des Merles de notre pays, se nour- rissant, au milieu des neiges, des fruits mûrs et de- venus succulens du houx et de Flaubépine. Les Ortolans aussi offrent le curieux phénomène d'un embonpoint extrême acquis en quelques heures; mais cela dépend d’autres causes. PRATIQUES ÉPROUVÉES QUANT A ELA PRODUCTION DE L'EMBONPOINT; MUTILATION , HTC. Outre les circons- tances favorables à l’embonpoint, desquelles nous avons déjà et suffisamment parlé, outre le repos, la tranquillité, le sommeil, une abondante et conve- nable nourriture, obtenue régulièrement, sans longues recherches et sans efforts, et une dose plutôt petite que grande de boissons ; outre l'influence incontestée de l’âge mitoyen et du sexe femelle, on a observé les bons effets de certaines circonstances et de quelques procédés, et l’on a fait un précepte d'en régulariser l'u- sage. C'est ainsi qu'après avoir remarqué que les ex- cès des sexes amaigrissent beaucoup les mâles à l’é- poque du rut ou des amours, et s'être assuré que les CHAP. IX, CHOSES QUE LA MODIFIENT. 271 femelles, comme moins emportées et moins lascives, éprouvent à un moindre degré l’amaigrissement pro- duit par l’effervescence génitale , on s’est imaginé de pratiquer la castration des animaux mâles, non pas seulement (chez quelques-uns) pour les rendre plus doux, plus susceptibles d'être apprivoisés, plus atten- tifs à la voix de l’homme et plus dociles à sa volonté ; mais dans le but principal de donner plus de volume et d'ampleur à leurs organes, en un mot plus d’éner- gie et plus de régularité à leur nutrition. Nous voyons chaque jour pratiquer de semblables opérations chez lés animaux destinés à nos festins, et même chez les poissons conservés dans les viviers. Il est sûr que ceux des animaux que l'on a ainsi privés des organes prolifiques, prennent plus de volume et plus d’em- bonpoint à proportion des désirs et des déperditions souvent excessives dont on les préserve, et de l’é- nergie vitale qu'on leur ôte. Encore que le besoin des sexes ait moins d'effets chez les femelles que chez les mâles, cependant, comme la gestation et l'allaitement chez les uns, la ponte et l'incubation chez les autres, ne laissent pas que de les amaigrir quelquefois excessivement, on en est venu à praliquer la castration chez les deux sexes en certains animaux destinés à flatter la sensualité des riches délicats. Par exemple, ce procédé est mis en usage pour des Pois sons, pour quelques Oiseaux domestiques et les Truies qui viennent de naître. À ce sujet faisons une remarque. Nous venons de voir la castration utilisée pour favoriser Ja nutrition gt produire l’embonpoint ; ailleurs nous verrons précomiser le même moyen pour apprivoiser cer- Ge ÉIV. IV. DE LA NUTRITION. tains animaux ou sauvages ou trop ardens , pour répri- mer les fougueuses saillies d’un caractère autrement indomptable; ailleurs encore, et dans notre propre espèce , nous verrons la castration venir aw secours de la défiance et du despotisme chez les peuples tyrars ‘et tyrannisés de l'Orient; et, plus près de nous, chez un peuple ami qui nous ressemble sans nous imiter, que nous estimons sans l’enviér, nous verrons Île cruel euneuchisme tourné en habitude, afin de char- mer, par des sons plus suaves et plus mélodieux, les ennuis de l’opulence fatiguée dé plaisirs. Ainsi, la castration sert tour-à-tour, ou les besoins de la sen- sualité et de la gourmandise, ou l’amour du com- mandement, ou les justes craintes d’une jalousie cf- frénée touchant des infidélités toutefois pardonnables; elle est tantôt un instrument d'oppression , de poly- gamie ou d’esclavage , tantôt une sauve-garde contre la coquetterie et l’inconstance des femmes rendues captives pour la plus grande volupté d'un seul, et tan- tôt un raffinement du luxe, un criminel caprice de mélomanie, ou un infâme reméde contre la satiété la plus déplorable. Au rang des pratiques favorisant lémbonpoitit ; Aristote place l’insufflation ; il prétend qu'en son pays et de son temps on introduisait avec force de l'air sous la peau des Bœufs afin de les engraisser mieux et plus vite. Mais rien n’agit sur Îe bb ÉtaË de la nutrition autant que le brusque passage d’une grande fatigue au repos parfait, de l'agitation à l'indo- Jence, de l'inquiétude à la sécurité, et du jeûne à Fin- tempérance. Les bestiaux maigres qu’on mène au loig dans de gras pâturages, prennent un embonpoint plus CHAP. X. QUESTIONS ET CONJECTURES. 53% rapide que ceux qui n'ont point bougé de ces lieux favorables : l’on voit ici la double influence et du repos succédant à la fatigue, et de la profusion d’alimens ve- nant après f’abstinence. Il est beaucoup d’animaux que l’on fait ainsi préalablement jeûner plusieurs jours dans le but de les mettre plus vite en chair. L’obs- curité aussi, et l'esclavage, sont favorables aux mêmes vues, et ce sont des moyens dont en use ha- bituellement dans nos métairies, pour surcharger d'embonpoint des oiseaux et quelques quadrupèdes. Afin de rendre pour eux l'obscurité plus profonde, on va quelquefois jusqu’à aveugler les animaux qu’on veut engraisser jusqu'à l'excès : on recourt souvent à de semblables pratiques pour certains oiseaux de basse-cour;. et l’on peut observer qu’alors le foie de ces animaux est graisseux. Est-il quelque cruauté que la gourmandise ne fasse commettre! CHAPITRE X. Questions et Doutes sur la Nutrition des Animaux, On a coutume d’énoncer au sujet de la Mütrition beaucoup plus de lieux communs que de vrais prin- cipes. On dit, par exemple, que les animaux se dé- composent et se recomposent sans cesse; que leurs or- ganes puisent dans le sang, pour se les assimiler, les principes réparateurs dont ils ont besoin pour leur nu- trition ; que les végétaux et les animaux font incessam- ment entrcux des échanges mutuels et d'ordinaire assez parfailement compensés ; qu'il n’y a pas deux 554 LIV. 1Ÿ. DE LA NUTRITION. sortes’de matière, l’une morte, l’autre vivante , miäis que la même matière, subissant des transformations perpétuelles , est tantôt vivante et tantôt inerte, tour-à-tour animale , végétale, ou inorganique; on ajoute que tout, dans l'animal , provient des alimens dont il se nourrit, puisque les organes puisent dans le sang les élémens servant à les former et à les en- tretenir, et que le sang se répare avec le chyle, le- quel provient lui-même des alimens : on va jasqu’à assigner un terme précis à la rénovation entière des organes. Nous allons examiner successivement ces différentes questions, et plusieurs autres qui s’y trou- vent liées plus où moins intimement. | LES ORGANES SE RENOUVELLENT-ILs? Un chirurgien de Londres, nommé Belchier, observa le premier que les os d’un Cochon, qui s'était nourri de garance, étaient rouges. Ce fait attira l'attention des physiolo- gistes anglais, qui le firent promptement connaître à toute l’Europe. On refit l'expérience , Duhamel sur- tout s’attacha à la varier; et comme on obtint cons- tamment le même résultat, on ne craignit pas de con= clure que le fait était général : de ce que la garance rougissait les os, de ce qu'ensuite cette coloration disparaissait, on en tira la conséquence qu’apparem- mént le? os se renouvellent. Si les os se renouvellent, les autres organes aussi doivent se recomposer : on se laissa séduire par l’analogie , et l’on admit ce prin- cipe comme s’il eût été fondé sur des faits suffisans. Cependant le fait allégué ne me semble pas renfer- mer la preuve convaincante qu’on a cru y voir; et je trouve les raisons suivantes pour lui refuser l’impor- tance qu'on s’est plu à lui prêter : 1°. Il est prouvé que la garance ne colore d’une manière sensible que CHAP. X. QUESTIONS ÊT CONJECTURES, PT les os , ét nou les autres organes ; Ct nous trouvons dans les premiers un arrangementtout particulier d’où peut provenir la différence des choses observées. 2°, La ga- rancene rougit pas toute l'étendue, toute l'épaisseur d'un.os , elle n’en rougit que la surface : or, comme les os continuent de croître en épaisseur, il se peut que la garance ait une telle affinité avec les sels cal- caires dont se forme Ja nouvelle portion de l'organe, qu'elle y reste attachée ét comme combinée, et qu’en- suite le mouvement de la vie l'en sépare ; ne sait-on pas qu'il s'opère constamment, au sein de tous les organes, une absorption, une élimination de toute substance non participante à la vie? Il en est des ef- fets de la garance comme de toute coloration mala- dive ou accidentelle des organes ; l'absorption enlève aux tissus vivans tout ce qui lenr est ctranger : mais gardons-nous d'en tirer la conséquence que ces tissus formant trame vivante , éprouvent eux-mêmes une rénovation ! 3, De ce qu'une couleur appliquée à la peau, ou à tout autre tissu, disparaîtra au bout d’un certain laps detemps, je me garderai d'en conclure que l’organe ainsi coloré s’est lui-même renouvelé durant le temps qu'il a mis à se décolorer ; il est aisé de voir qu’un tel raisonnement serait forcé. Mais , ce qui est beaucoup plus opposé à la théorie que nous combattons comme fausse et improbable, c'est qu'il est des taches, des empreintes, des colora- tions d'organes, qui persistent toute la vie sans Jamais disparaître : la teinte noire produite par la pierre in- fernale, les figures tracées capricieusement sur la peau de nos soldats, cette sorte de tatouage est indélébile. 4°. Les cicatrices non plus ne disparaissent jamais; et 576 LIV. IV. DE LA NUTRITION. comment ce, fait, si universellement connu, pour- rait-1l se concilier avec la rénovation des tissus? 5°, Il est cgalement démontré qu'aucune partie des or- ganes ne se reproduit; et cependant siun organe pou- vait se renouveler totalement, comment, par la même raison, pourrait-il ne pas se reproduire quand il est ou détruit ou mutilé ? Concluons donc que la propo- sition par laquelle on énonce que les organes»se re- nouvellent est au moins basardée et ne repose que sur des faits mal interprétés. Alors même qu'il serait prouvé que les os éprouvent une sorte de réno- vation, il u’en faudrait rien conclure pour la masse des organes : les os, en eliet, ne sont qu’à moitié vivans el organiques; des sels abondans remplissent les mailles de leur tissu, et l’on conçoit que ces sels se renouvellent sans que les tissus eux-mêmes éprou-» vent de pareils changemens. LA RÉVOLUTION NUTRITIVE A-T- ELLE LIEU TOUS LES sepr Ans? La question de rénovalion totale des orga- nes en trois ans, selon les uns, et en sept années, selon les autres, est plus d'à moitié résolue par ce qui précède. Nous avons vu, en effct, que l’on a pris pour des reuouvellemens de tissus une simple éli- mination de molécules étrangères au corps vivant, de molécules ne pouvant prendre part à la vie. Or, cette élimination, comme celle de la garance, dont les os sont rougis, ou comme celle du nitrate d'argent , par qui la peau est colorée en noir, ne s'effectue pas dans le même laps de temps pour les différens organes et pour les substances de toute nature ; cela dépend de l'âge des animaux, du genre du tissu imprégné, et de la matière imprégnante, Mais il faut oublier pour CHAP, X. QUESTIONS ET CONJECTURES. 377 toujours ce conte tout fabuleux de la rénovation sep- tennale des corps vivans. COMMENT LES ORGANES S'EMPARENT-ILS DE LA NOUR- RITURE, ET QUE DEVIENT-ELLE ? Nous ayons suivi le chyle depuis l'intestin où en est la source, jusque dans les vaisseaux sanguins, partout ramifiés, qui le dis- tribuent entre les différens organes, chacun desquels en reçoit une quantité relative à son volume. Quant à ce que devient cette nourriture ou ce chyle mêlé au sang ét deyenu sang lui-même, on ne saurait qu'énoncer desconjectures à ce sujet. Îl est, au reste, trois différentes manières d'envisager la question ; ou plutôt, l'aliment renfermé dans le sang a trois desti- nations réelles ou probables. Premièrement, ceux qui admettent que même la trame des organes est Sans cesse renouvelée, supposent qué HG des parties vivantes extrait du sang, par une sorte de choix ou d’affinité élective, ce qu " faut à son renouvelle- ment, à sa recomposition. Mais nous avons montré combien de raisons rendent: improbable cette réno- vation des organes, et cette élection d’élémens pro- pres à les recomposer. Cette première destination des alimens n'est vraie qu'en des corps non encore accrus, qu’en des organes inachevés; car, une fois ac- complis, la trame en reste assurément toujours la même , ainsi que le prouvent les faits que nous avons cités. Secondement, le véritable usage que les organes font de la nourriture est relatif à la formation des humeurs et des fluides divers des corps vivans, et au continuel développement de la chaleur. C’est prin- cipalement sous le rapport des humeurs qu’ils pro- duisent, que ces organes exercent sur les principes I. 37 NT LIV. IV. DE LA NUTRITION. du sang et sur les élémens alimentaires qui s’y trou- vent confondus, cette sorte d’affinité élective, cette préférence dont nous parlions à l'instant; c’est par cette action, et dans ce but seulement, que ces or- ganes épuisent peu-à-peu tout ce que le sang contient de principes nutritifs. En troisième lieu, enfin, Jes organes ont besoin d’un sang nouveau, d’un sang chargé de principes alimentaires, et richement res-" piré, pour l entretien de leurs propriétés , pour le jeu de leurs fonctions. C’est un dernier et incontestable usage des principes nutritifs, répandus dans le sang, d'entretenir ainsi une excitation perpétuelle dans toutes nos parties. Îl est certain que même les organes dont ne provient aucune humeur appréciable, éprou- vent autant que tous les autres le besoin du contact répété, du cours rapide et continuel d’un sang nou- veau , d’un sang chargé d’air vital et de chyle, c’est- à-dire d’un sang constamment renouvelé par la di- gestion d’alimens convenables , et par la respiration d'un air chargé d’oxigène. Tout crgane dont l'artère est rétrécie s’amaigrit ; il s’atrophie et n’a plus de fonctions, si son artère est totalement supprimée. Peut-être pourrait-on arguer de cette diminution des organes qu'on a privés de vaisseaux accessibles au sang artériel, qu'il est donc vrai qu'ils se décompo- sent sans cesse, et qu'ils ne se renouvellent qu'au moyen du sang qui Îles Rae mais je réponds à cela, qu’un organe séparé de ses vaisseaux n’est plus dans l’état de vie et de résistance dans lequel le con- tact du sang a coutume de l’entretenir, et que d'ail- leurs l’action absorbante qui s'exerce ordinairement sur ces fluides abreuvant les organes , se tourne, alors CHAP. X. QUESTIONS ET CONJECTURES. 579 que le sang a cessé d’y pénétrer, sur le tissu même des parties vivantes ; ou plutôt , et cette dernière con- sidération est la plus importante, chaque organe, à l’ex- ception des os et des cartilages , est composé presque entièrement de liquides dont la disparition persuade à tort que l'organe même, que sa propre trame solide, a perdu de son volume. Ainsi la nourriture a donc pour destination de maintenir dans les organes la température et l'excitation qui leur sont indispen- sables , et de fournir les élémens des humeurs qu'ils sécrètent. Les alimens ne servent à la compo- sition de la trame mème de nos parties, que dans le premier âge et jusqu à la crue parfaite des animaux; et voilà pourquoi les jeunes animaux ressentent plus promptement et davantage le besoin de nourriture et les effets de l’abstinence. Errers COMPLIQUÉS DE L'ABSTINENCE. L’abstinence ou l'absence de nouveau chyle a pour premier effet de dimipuer la masse du sang et les principes alimen- taires qui s’y trouvent suspendus. Ensuite, la masse du sang étant diminuée et appauvrie , la température vitale baisse, la quantité des humeurs sécrétées est moindre et elles sont moins parfaites , l'excitation des organes est aussi affaiblie ; et par toutes ces causes les fonctions de la vie ne se font plus comme en santé. Le cœur ne bat plus avec la même force, les organes respiratoires ne combinent plus autant d'air avec le sang qui les traverse, cette combinaison est moins parfaite; et cela mème accroît encore les premiers efiets de trouble , d’irrégularité et de faiblesse pour le reste des organes et pour leurs fonctions. Si l’on vient à cesser l’abstinence, la nouvelle digestion ‘est 7 _X A a)": b80 LIV. IV. DE LA NUTRITION. moins parfaite, et parce qu'il y a moins de sang et un sang d'un cours moins rapide, ét moins de cha- leur; et parce qu'il y a moins de sucs salivaires et gastriques, moins de mucus, moins de bile, et que ces humeurs sont moins parfaites; et parce qu'aussi les fibres musculaires de l'estomac et des intestins ont moins d'énergie, etc., etc. La digestion étant plus lente , le chyle moins parfait, moins élaboré, moins abondant, respiré moins complètement, et réparti avec plus de mollesse et de lenteur dans des organes moins aples à s’en emparer , de toutes ces causes résulte l’amaigrissement du corps, la faiblesse des muscles, l’inaptitude à l’action, un état de langueur, de souffrance , et de décrépitude anticipée. Toutesles parties du corps éprouvent, chez tous les animaux, les effets d’une nutrition aussi imparfaite ; lesjeunes plus que les vieux ; ceux quidorment, moins que ceux qui veillent et agissent; ceux du nord plus que ceux du midi ,'les mâles plus que les femelles ; ceux qui sont maigres moins que ceux qui ont de l'embonpoint, les carnivores moins que les herbi- vores; ceux dont le cœur a quatre cavités, plus que ceux en qui cet organe est moins complexe; les ani- maux à grande respiration aérienne plus que ceux dont la respiration est plus restreinte ou aquatique. Les cheveux , les poils, plumes ou écailles, sont les premières parties à montrer les effets d'une abstinence prolongée ou d’une mauvaise nourriture; les parties pileuses tombent, blanchissent ou se détériorent. La cornée oculaire aussi finit par se ternir, par s’en- flammer, et parfois par s’ulcérer à son centre. Éga- lement, les dents perdent leur blancheur éclatante , CHAP. X. QUESTIONS ET CONJECTURES. 581 et souvent jusqu’au poli de leur surface ; et ce sont autant d'effets qui persévèrent jusqu’à la fin de la vie. YŸ A-T-IL DANS UN GORPS VIVANT QUELQUE PRINCIPE ÉTRANGER AUX ALIMENS DONT IL S'EST NOURRI? On de- mande souvent srles animaux forment en eux-mêmes, par le seul pouvoir de la nutrition, des principes Lo- talement étrangers à l'air qu'ils absorbent et aux ali- mens qu'ils digèrent. La réponse à celte question ne saurait être long-temps indécise. D'abord, à commen- cer par le sang, la chimie est inhabile à expliquer, et tout-à-fait incapable, par ses procédés ordinaires, d'imiter ce fluide vital où tous les autres fluides ont leur source commune. En considérant même le sang comme un ensemble combiné pour les besoins de la vie, de tout ce qui provient, et de l’air respiré , et des alimens digérés, on est loin de trouver dans ce liquide les divers élémens dont se composent tous les orga- nes, ou les élémens des humeurs que ces organes sécrètent. On ne trouve dans le sang, ni la géla- tine des os toute formée , ni l’acide urique de l'urine tout préparé. Îl est vrai que ces principes pourraient bien provenir des choses du dehors, et dissimuler leurs véritables qualités pour former le sang, et re- prendre ensuite ces qualités primitives pour compo- ser les organes non encore accrus. Mais toujours se- rait-il vrai de dire que la nutrition opère des combi- naisons telles, dans nos organes et nos humeurs, que les lois de la chimie ne sauraient en rendre compte ; en un mot, que le travail nutritif ne résulte point d’un simple dépôt des élémens puisés dans la nourri- ture. Ge sont les organes eux-mêmes qui assurément amalgament à leur manière et qui peut-être aussi. 582 LIV. IN. DE LA NUTRITION. modifient les substances dont ils se composent ; mais toujours est-il probable que les premiers prin- cipes des organes et des humeurs sont contenus dans le sang et proviennent élémentairement des alimens ou de l'air; puisque les animaux carnivores qu’on a soumis à une longué privation de substances ani- males ont ces humeurs autrement composées que ceux d’entr'eux qui ont continué de vivre selon leur instinct. Les physiologistes, admettant presque tous que les organes du corps ne cessent de se décomposer et de se recomposer tant que dure la vie, ne pouvaient se rendre compte comment il se faisait que des animaux nourris long-temps d’alimens non azotés continuaient d’avoir des organes aussi imprégnés d’azote que d’au- tres animaux soumis à un régime constamment ani- mal ; mais tout étonnement doit cesser à ce sujet , dès que l’on considère que la trame même des organes reste toujours la même. EsT-IL VRAI QU'IL N'Y AIT QU'UN ALIMENT POUR LA NUTRITION D'ORGANES SI DIVERSIFIÉS ? Ceux qui ont dit « qu'il existe plusieurs alimens, mais que néan- moins il n’y a qu’un aliment», ont cru proclamer là une chose profonde, lorsqu'ils ne faisaient qu’ex- primer prétentiensement une proposition obscure. Il est sûr, en effet, que ce prétendu principe a quelque chose de louche dans quelque sens qu'on l’envisage. Non seulement les alimens diffèrent infi- niment entr'eux, mais le chyle qui provient de leur digestion diffère aussi beaucoup selon leur nature :.le chyle qui résulte de la digestion de substances ani- males n’est pas semblable au chyle des végétaux, Les CHAP. X. QUESTIONS ET CONJECTURES. 583 produits chimiques des matières nutritives sont de même très-différens : on s’est assuré qu’une molécule de fibrine contient un tiers plus d'azote qu'une molé- cule d’albumine. Enfin, veut-on considérer les ré- sultats définitifs de la digestion? Quoi de plus dis- semblable qu’un carnivore et un herbivore ! Toutefois, il faut dire que, quel que soit le chyle, quelle que soit la nature des alimens qui l'ont pro- duit , il a toujours pour même résultat de recomposer le sang, de développer de la chaleur, d’exciter les organes et de leur donner de l'énergie , de fournir à la composition des humeurs, et de former primitive- ment les organes des jeunes animaux. Il est permis de s'étonner qu'un liquide d'une apparence aussi simple que le chyle, puisse suflire seul à la fabrication de tant d'organes différens, de tant d’humeurs distinc- tes ; et cela même qui cause notre surprise, fortifie la persuasion où nous sommes que chaque tissu, chaque organe exerce sur les principes du sang qui l'imprègne , une action, non seulement d’affinité et d'élection, mais vraisemblablement aussi de combi- naison et de transformation : chacune de nos parties est une sorte de laboratoire de chimie vivante, où se forment des produits que la chimie des hommes ne saurait imiter. ÉCHANGES MUTUELS DES DEUX RÈGNES. Les végétaux se nourrissent d'air et de liquides; le carbone surtout se fixe durablement dans leur tissu et le solidifie. Les animaux phytophages font leur nourriture de substan- ces végétales , et fournissent à leur tour des alimens aux animaux carnassiers. Voilà comme les substances alimentaires s’enchaînent et se graduent, depuis les 584 LIV. IV. DE LA NUTRITION. fluides gazeux jusqu'aux corps organisés, Les dé- bris des animaux servent ensuite à fomenter de nom- breuses] productions végétales, et les végétaux ali- mentent immédiatement ou médiatement tous les animaux. Ïl y à des échanges continüels entre les corps organisés des deux règnes ; les plantes ne peu- vent pas plus se passer des animaux que ceux-ci ne peuvent se passer des autres : la disparition de l’un des deux règnes dé corps organisés entraînerait iné- vitablement la destruction de Fautre règne. Nous re- viendrons sur ce commerce nécéssaire des animaux et des végétaux en parlant de leur Respiration. UNITÉ ET TRANSFORMATIONS DE LA MATIÈRE. Un végé- tal ou un animal, à sà première origine, ne doit à sa souche matérnelle qu'un peu de fluide renfermé dans des membranes : après cela, ses accroissémens successifs proviennent éntièremént, et de l'air qu'il respire , et des alimens qu'il absorbe ou qu'il digère. C'est donc la matière générale, répandue dans l’uni- vers, la matière brute, modifiée par l’action vitale, quicompose uniquement la substance des corps orgä- nisés. Lorsqu'ensuite les corps vivans ont perdu l'exis- tence et qu'ils se dissocient, les débris de leurs or- ganes , réduits à leurs plus simples élémens , vont se confondre ou avec l'atmosphère ou avec le globé terrestre ; en un mot, is redeviennent matière brute. C’est donc toujours la même matière, ainsi que Je lé disais, qui passe tour-à-tour de l'état inerte à l'état de vie; et les transformations qu'elle subit de la sôrté sont dues à cette force de nutrition dont nous venons d'étudier les instrumens et les actes compliqués. Quant à ce principe insaisissable qui anime, qui res CHAP. X. QUESTIONS ET CONJECTURES. 585 prend et quitte tour-à-tour et des millions de fois la même matière depuis le commencement de cesmondes dont nous admirons le merveilleux ensemble et le sublime enchaïînement, la nature ou l'essence nous en est totalement inconnue; l’origine même de la vie, qui remonte à l’acte mystérieux de la génération, ne saurait en être délerminée d'une manière précise ; et toutes les investigations des hommes pour découvrir le secret de sa reproduction ne saura jamais nous conduire qu'à l’aveu d’une entière ignorance. INFLUENCE DES NERFS SUR LA NUTRITION. Il est in- contestable que les nerfs sont nécessaires à la nutri- tion et à la parfaite conservation des organes : un organe dont les nérfs ont été coupés ou comprimés ne tarde pas à dépérir, à s’émacier ; quelquefois même il s'effectue des ulcérations dans les parties dont les nerfs ont été détruits. Après avoir coupé sur un Chien le nerf de la cinquième paire, ou trijumeau, on vit la conjonctive s'enflammer , les humeurs de l'œil deveair troublés, la cornée se ternir, et finale- ment s'ulcérer et se détacher. C’est ainsi qu'on voit des organes s’atrophier par l’unique raison que les nerfs qu'ils reçoivent ont souffert : c’est par une cause semblable, à laquelle se joint aussi l'influence défa- vorable de l'inaction, que les membres paralysés dent notablement de leur volume. | 586 LIV. IV. DE LA NUTRITION. CHAPITRE XI. Quelques Remarques supplémentaires sur la Nutrition. INFLUENCE DU SEL MARIN. Il est bien avéré que le sel de cuisine a d’utiles effets sur la digestion des alimens, qu'il l’accélère; et comme ce condiment n'est jamais employé dans nos mets qu'à doses assez faibles ,. on a tiré de Jà de singulières conséquences touchant le mode d'action dont quelques: personnes pensaient que la digestion résultait. On a dit : le sel marin n’est anti-septique qu'à grandes doses ; à doses plus faibles, loin de l'empêcher, il favorise la putré- faction et l’accélère. Par conséquent, a-t-on ajouté, le sel ne favorise la digestion qu’à raison de ce qu'il est employé à d’assez petites doses dans les alimens, pour en fomenter la putréfaction. Spallanzani n’a-pas dédaigné de faire des expériences propres à éclairer cet objet : il a vu que le sel marin à petites doses, comme à doses plus fortes, aidait toujours la diges- tion, sans jamais déterminer de fermentation pu- tride ; et il s’est assuré que les propriétés digestives de ce sel sont dues à ce qu'il sollicite par son contact avec l’estomac une sécrétion plus abondante de sucs gastriques. DER Marapies. On a souvent remarqué que la diges- tion Janguissait en des animaux soumis à divers essais, que quelquefois même il se manifestait chez eux un commencement de fermentation putride. Mais les __ CHAP. XI. REMARQUES SUR LA NUTRITION. 587 êtres sur qui l'on a fait de pareilles remarques étaient ou très-vieux , ou malades. Spallanzani parle d’un vieux Duc-à-huppe qui offrait des phénomènes fort curieux de cette nature. Mais on conçoit qu'il serait péu convenable de tirer aucune conséquence géné- rale de ces faits exceptionnels. RaAPPORT DU VOLUME DES ARTÈRES AVEC LA NUTRITION DES ORGANES. On peut remarquer que les artères ont toujours un volume parfaitement concordant avec celui des organes ; elles grossissent à proportion de leur développement. Mais il est difficile de dire où est le premier terme de cet accord : impossible de pré- ciser si l'artère se dilate avant que l'organe ne gros- sisse, ou si le progrès commence par l'organe, C’est donc moins une influence que nous signalons , qu’une relation constante dont nous faisons la remarque. ALIMENS TROP UNIFORMES SONT NUISIBLES (1). On avait Observé dès il y a long-temps ( malheureuse- ment ces observations n'avaient rien de précis ), on admettait vaguement que la variélé.des alimens était nécessaire à l'entretien de la santé chez les animaux omnivores; qu'une nourriture par trop uniforme pouvait aller jusqu’à comprontettre l'existence. On a fait tout récemment des expériences suivies à ce sujet, et l’on s’est assuré que le préjugé populaire était fondé sur des faits réels, et d'accord avec l’observa- tion. Des Chiens que l’on nourrissait exclusivement d'œufs durs et de fromage, se sont peu-à-peu amaigris, ont perdu leurs poils et ont fini par succomber. Un (1) Voyez les expériences de Dodart, de Marcorelle, de Spallan- zaui, de Gosse, de Magendie , d'A, Cooper, etc. 588$ LiY. IV. DE LA NUTRITION. Ane à qui l'on ne donnait que du riz, tantôt sec, tantôt humide et cuit, n’a résisté que quinze jours à un pareil régime. Îl est vrai qu’un Coq a supporté le même aliment toujours semblable , plusieurs mois sans dépérir; mais la règle générale n’en est pas moins rigoureusement exacte, appliquée à ceux des animaux pour qui il est naturel d’user d’alimens de plusieurs sortes. On s’est de plus assuré qu'après avoir été lentement affaiblis par un régime défavorable à raison de sa trop grande uniformité, c’était en vain qu'on redonnait à ces animaux une nourriture saine et. variée, en vain qu'on les soutenait par toutes choses bonnes et salubres; ils n’en continuaient pas moins de s’icheminer vers un entier dépérissement. Ils meu- rent tout comme s'ils n’avaient pas changé d’alimens, et leur mort esl aussi prompte. Parmi les observations curieuses qu’on a faites au mème sujet, on doit noter la propriété qu'a le pain bis ou de munition dé nour- rir long-temps le Chien sans le faire dépérir, tandis que le pain blanc ne tarde pas à l’amaigrir. On a aussi remarqué que les Rongeurs vivent plus long- temps en mangeant exclusivement de la chair mus- culaire , qu’en usant de toute autre nourriture. , NÉCESSITÉ DES ALIMENS AZOTÉS POUR QUELQUES ANI- maux. Lorsqu'on nourrit un Ghien avec du sucre seul, ou seulement avec de la gomme ou du beurre , sub- stances non azotées , ces animaux ne tardent pas à s'amaigrir , à s'émacier , à dépérir visiblement : leurs poils tombent , leurs cornées souvent s’exulcèrent, et la mort vient bientôt terminer cette lente décom- position d'organes qui ont cessé d’être abreuvés d'ali- mens azotés. De plus, la bile et l'urine de ces animaux CHAP. XI. REMARQUES SUR LA NUTRITION. D89 ont les mêmes propriétés et composans qu'on leur trouve dans les vrais herbivores ou ruminans. Mais de ce que des animaux carnassiers comme le chien ont besoin d’une nourriture azotée, c’est-à-dire animale , il n'en faut pas conclure qu'il y ait même nécessité pour tous les animaux : l'expérience con- tredirait à chaque pas une pareille conclusion. Dire que les carnivores ont besoin d’alimens azotés, c’est répéter en d’autres mots ce qu'exprime leur titre distinctif de carnivores. Nous pensons donc qu'on a fait de ce principe des applications beaucoup trop larges et trop exclusives à ce qui regarde le régime de l'homme et ses infirmités. Il est d’ailleurs probable que les substances non azotées, données toujours semblables durant de longues semaines à des chiens, doivent beaucoup de leurs pernicieux effets à cette uniformité de nourriture qu'à l'instant même nous déclarions si dangereuse. FIN DU PREMIER VOLUME. : & L+ k \ y] Ÿ } ñ < à À | 4 à Î “ 4 Nat 4 Chr À be À À )S pe é c 4 Le NU ” Hé y # ” à 2 D] à sorruurse he sin auras #4 LL EE ME a nu ë Aion pr pe “8 00 ip so b-ehorag of er TRE cad. quinasaitianoineiae, hs sgis e c) {got De 80; su 24 Mb a pot NE TABLE DES MATIÈRES DU PREMIER VOLUME. DÉDICACE. a . : : LIVRE PREMIER. Des Corps Vivans en général. CHAPITRE PREMIER. Idée des Corps Vivans, et des Rapports qu'ils ont avec PURES Chose “7. CC ORNE IS 2 © 1 + CHAPITRE I. Deux classes de Corps organisés : Animaux. et Végétaux. 3 CHAPITRE II. @ . Le E . Étres ambigus : cause d'erreur et de confusion. — Existe- til des êtres intermédiaires aux animaux et aux plantes? CHAPITRE IV. OX Conditions de la Vie : Organes indispensables ; Unité dans l'action ; Concordance et Perfection dans la struclure. 12 CHAPITRE V. Dépendance mutuelle des Organes , variable selon lesêines. 16 CHAPITRE VI. Symétrie des Corps Vivans. 4, :, 4 4, 0, culoghnril 20 . 592 TABLE CHAPITRE VII. Il ÿ a moins d’Analogie entre les Organes des 6orps vivañs qu'entre les Fonctions de ces organes. . . CHAPITRE VIE Divers Degrés d'Organisation : Complication graduelle des êtres. , . CHAPITRE IX. Chaîne universelle des Êtres. . : . . . . : CHAPITRE X. . Loi de Subordination et de Coexistence : Comment on peut juger de tout un être organisé par une de ses parties. CHAPITRE XI. Quels sont les plus importans des Organes ? Première base de Classification des Etres vivans. . LIVRE SECOND De la Reproduction des Corps Vivans. CHAPITRE PREMIER. Première Origine des Animaux et des Plantes, k . CHAPITRE II. Idée de la Reproduction des Êtres vivans. . . , CHAPITRE TL. Existe-t-il des êtres organisés dont la production soit spon- tahéebt ha ai aile moltustusT à CHAPITRE IV. Reproduction sans le concours d'organes sexuels. .:. CHAPITRE V. Reproduction sexuelle des plantes. . . . . 24 26 28 33 58 Ta 47 49 63 DES MATIÈRES. CHAPITRE VI. Reproduction sexuelle des Vers et des Animaux Radiaires. CHAPITRE Vil. Reproduction sexuelle des Arachnides et des Crustacés.” . CHAPITRE VII. Comment se Reproduisent les Mollusques. CHAPITRE IX. ‘Idée générale de la Génération chez les Poissons. CHAPITRE X. De la Génération chez les Reptiles. . . . . . CHAPITRE XI. Idée de la Reproduction des Oiseaux. CHAPITRE XII. De la Composition et de la Structure de l'OEuf des Oiseaux avant et durant l'incubation. . CHAPITRE XIII. Comparaison des OEufs de Reptiles et de Poissons avee les précédens. CHAPITRE XIV. Des Enveloppes fœtales des Mammifères, et de leur ana- logie avec l’OEuf des Oiseaux. CHAPITRE XV. Organes génitaux des femelles. Origine de l'œuf et de l'em- bryon des Mammifères. . . . . . . . . . CHAPITRE XVI. Les Êtres organisés engendrent-ils tous par une sorte d'OEufs? CHAPITRE XVII. Génération équivoque de l'Ornithorbynque. . CHAPITRE XVIIL. De la Liqueur Séminale des mâles et de la Fécondation des femelles. . 1. | 38 D93 84 86 88 92 95 100 103 115 122 129 140 142 91 TABLE CHAPITRE XIX. Fécondations-artificielles. 44 41,200 20e ON OM ,5% CHAPITRE XX. Remarques d’Aristote sur les Sexes et l'Accouplement des antbaux.. "#40 RL TA GRR. MSNM | CHAPITRE XXI. Limites des Espèces. Adultérisme. Bâtards. Métis. Mulets. 173 CHAPITRE XXII. Esquisse d'une Histoire eritique et comparée de la Généra- tion de l'Hommie. ..:7.21RQuit FA MSN ARR CHAPITRE XXII. Principaux Systèmes sur la Génération. . . . . . 7 192 CHAPITRE XXIV. Système d'Hippocrate : Mélange des Semences. . . . . 194 © CHAPITRE XXY. | Système d’Aristote : Forme et Matière. . , . , . 7 196 * CHAPITRE XXVL. Système d'Harvey : Contagion séminale. . . . . . . 198 CHAPITRE XXVIT. Système des OEufs. L’Embryon provient de la Mère. Swam- merdam , | Spallanzagi Metg/" 7 RM 7 en CHAPITRE XXVIIL. Système de Leeuwenhock ou des Animalcules. Tout vient Male... 78 0 LE ET ET SU CHAPITRE .XXIX. Système de Buffon : Molécules organiques, Moule inté- rieur. Égal Concours des Sexes. . , , . . .' . 916 CHAPITRE XXX. Conclusion de:.ce Livret, 24457025 drscin VERRE 3 Er DES MATIÈRES. QT We) QX LIVRE TROISIÈME. De l'Accroissement des Corps vivans : Del De À la première Apparitidé et de :s Âge com- paré de leurs principaux Organes; des. à RE ocphones et des Monstruosités. ” CHAPITRE PREMIER. Détails et Considérations sur l'Origine et les Progrès du A IRL a de tas dat de 0 à à énelelaua e La O0 OR RTS Le bte fu Wan et tie pie CS DEN dontesiceno anesové(l en. 164 hastrio #10 pi) 246 (Ponmans., .c-leirobaG nel cooso2 ‘auol anti 247 Dos 5: 4 nu" Cpéobutinecm. : 248 Estomac et organes dede, ; CE FEAR ib. PAGES ORANGTE ER ee ne de en dre een cg Ceryeau. host a sutlrraont rmotss dodo 250 DR Dan Mu à Dh un Lo Va 010 Jo RAS SE SE" 254 1 Paco) PRE REC ILREID ED AR. UE Re are Meuvibranes. * LV. AN ERNEE) US NT Lu," °a94 PARUS San ERs.) eue de Meus)s der Lotto M le 980 Élinderer mens en 590, HORAIRES 257 NE r pONCIDE 2 Was 288 DPI A RAD te, Le De ailes un 0 je Lee CR QU Respirainmiscains 2aidsc 0.40 faocmonau/aboil 363 an OI. ns Ho haoteon seusoul sb eguf. 264 Den ne its dun -0b-almtoc sun 0: Nutrition. . Fe MATE REV PERRET RUE CHAPITRE H. Accroïssement progressif des Reptiles et des Poissons. . . 267 CHAPITRE FH. “otmo 0 … : nn À Accroïssémens progressifs de lEmbryon de l'Homme et des Mammifères. ..% PEAR - « ee. 974 DR eur, EU le, fo dalpsdte OM- SE Cœur et Vaisseaux sanguins: POP RS er 7105 Poumésaioil luol 2 ciiene, sien re eo] #90D 287 58" 996 TABLE Glandes. s 287 Organes génitaux. . . . 290 s ; ystème nerveux. .. . . . . . . . . . . 292 Diane 008 An 4. 2: ie SU 297 Squelette osseux. . . DS. Si vas re 0e DNS Fiuides et humeurs de Lestius ti 022 1 OT 60 Nutrition. e . e e s,. de . e e e # . . 305 PCR AU Us. Lys (Lee RS 306 ice 7 QU AE 5 A AR NE NE CR RE e 308 CRAQUE Paie NN APSLETRURS ORE . “ib. CHAPITRE IV. Sur la première Origine des Organes et leur première Ap- parition. — La formation en est-elle simultanée ou suc- cessive, ou bien est-elle préexistante à la fécondation? 312 ; CHAPITRE V. Ce qu'on entend par Germes. Diverses opinions sur leur Nature, leur Source, leur Préexistence et leur Emboîte- monta das Sr 7 hs 7 ei NDNENRS 919 CHAPITRE Vi. Principales Lois selon lesquelles se développent les Organes des Animaux. : 627 CHAPITRE VII. Analogies de composition des Animaux vertébrés. 392 CHAPITRE VIII. Échelonnement des Organisations animales. (Les premiers âges de l'homme correspondent successivement, en quel- ques points de leur structure aux différentes classes des animaux vertébrés : aux poissons d’abord , puis aux rep- tiles, aux oiseaux et aux mammifères. ) . 357 CHAPITRE IX. Comment la Théorie des Monstruosités dérive des Lois de FAbcroissement, 2 4 5 47e ui 1 348 CHAPITRE X. De l’'Hermaphrodisme accidentel des Animaux. — Remar- ques sur les Organes sexuels et leurs Anomalies. . 307 DES MATIÈRES. CHAPITRE XI. Digression sur la Génération et les Métamorphoses des ln- sectes. . . . L . . L . . L] L . L L1 CHAPITRE XII. De la Graine, de la Germination , et de l’Accroissement des Végétaux. . .:. RMS TE Ducat: Analyse de l'OŒuf végétal. . . . . . . . Phénomènes de la Germination. : , . . . . ES OS Dpt LS Mie fe OS mt SR LS RS Lo Mn ss Un Ce a cu 0er ce Nate à DAVEES PROD. | 1 arr 07, Le ne AR 0 a Enveloppes séminaless :: .1, 4. . . . . Bbryohic la LE nn Ve Crime da "hs Se Moboldoné TN TR ré ie NS Abtal eh ee Aibumen." : HOMME LM MANS Prenuers VAISSEAUX" 2 2 She ME tt Fluides et matériaux nutritifs. - « « . «+ + + Direction de la jeune plante. . . . . . . . . Accroissement progressif des végétaux. . + + . MIOCIle CODMRS Late ne 6 y RU URL E Couches ligneuses, “27 715 . . . .. e:. Écorce, . ce . . . ° . . e. e . e e Qi . Enveloppe celluleuse. . . .". ,. 4 . . Fpidemne …- © . 14 4 (4, RMS. Tan rl nee de PL mn 11 nee Fleurs. cafe, 059 mie 00 RE, CHAPITRE XIII. Remarques sur l’Accroissement des Plantes Monocotylé- dones ou Endogènes. . . . . . . : CHAPITRE XIV. Irrégularités, Anomalies réelles on seulement apparentes des Végétaux. — Soudures. — Avortemens. — Métamor- * phoses. . L . . LA L L 1.1 d . L . L . L CHAPITRE XV. Circonstances indispensables au premier Accroïssement des corps vivans. — Incubalion. — Gestation, — Germina- tion. — Avortement singulier des Didelphes. . 417 428 298 TABLE CHAPITRE XVI. Naissance des Corps vivans. Durée variable de la Gestation, de l'Incubation , ue ce et RER CHAPITRE XVI. RERO AE ENRERE LAMPE SEE TND el db | sain dl LIVRE QUATRIÈME. | De la Nutrition. . CHAPITRE PREMIER. Objet de ce Livre. CV RER M | CHAPITRE 11. : De la Natrition dans les commencemens de fa vie... Su, 450 y CHAPITRE Hi, Des Aliens et de la Natrition des Pläntes. ta 4h + 0 RE CHAPITRE JV. x Dés Aliens ét la Nutrition des Jia inférieurs. 459 Polypes. | Nour Den? ue SOC SOUS More st pa Reel ee 6 pme ain ce SORA VU 467 Auséctes. : .#. ee RRQ 0 70 . Organes et actes digestif dés insectes. uit © 482 Crustacés, Éd ous lens © 4": 2 VOST RG UE it DR DAT AE à 00,20) DO id 487 PTS CHAPIARE vs mot à “ Particularités sur la Nutrition des Anim aux ibéelts ou Vertébrés, vs 050% AR SC R CNET 293091 Mamraifèveslusoz 140 g0/lo ailemonA, 23: 2nin a 489 me Qiseaux..;;0 2 WE | LT AP SHONOS —— .TURISgù Ÿ 29h 494. Reptiles. . , gas eee se" #00 408 Poissons. : 2 07 Een ONE dr 7 2020 0 LG TONNES À CHAPITRE VI : . US Mécanisme de la Digestion , principalement dans les Ani- fl at LA à in agx vertébrés, — Expériences et Théories à ce sujet 5oë DES MATIÈRES. 509 Nourriture des Animaux, .:4.,4fdpen le + + +, 909 Organes essentiels servant à la digestion. . . . . 504 Mumeuts "ue OS ANR He tDieuEe 7 RS of Changemens éprouvés par les alimens dans l’estomac. 507 Conditions de la digestion ét phénomènes locaux qui Pacçcompagselts, 4 °c peut. S. 5xs Nécessité des nerfs et des vaisseaux pour la digestion. 512 Les principaux organes concourent à la digestion. . 519 Hypothèses au sujet de la digestion.—Trituration. . 514 Peraedtaton.s ts. OMR NT Te à ROOMS CO SUR ES Érélicton: :. = 44000. MON MER NES Action de L'air. ue nement RO MNENN, Sr Ikssolionztés. 6 OR, DU TARN NM A TU, CT, ‘b., CHAPITRE VII Expériences touchant la Digestion. — Action de l'Estomac etidu Snaraastrique.sfoitihrt.n? ue, ADAM 5 18 Expériences sur les Oiseaux gallinacés ou granivores. 519 Expériences sur les Oiseaux carnivores. . . . . . 593 Faits relatifs à la nourriture et à la digestion de Aigle. 525 Expériences au sujet de la digestion de l’'Homme,etc. 529 Ütdité.de lan ASEaton me MP TE. 531 Observations et expériences sur la digestion des Liens SPORT CE ME AS LANCE A RE à Les différens alimens sont diversement dthestibles. AL Les os peuvent-ils être digérés? . , . . . , . 557 Expériences sur la digestion des Ruminans, . , . 538 Expériences sur la digestion des Reptiles et des Pois- SUR 0e MR RE ER en haie ei D LA AUS La digestion peut-elle s’opérer ou s’ébaucher dans Fésophage 25, M0 SUN Le NI Re TT, St Digestions artificielles. . . . . Fe ali et 3 1b 0 OUEE Y at-il encore digestion après la mort? . . . . . 544 CHAPITRE VU. Suite du précédent. — Progrès de la Digestion , action des Intestins , etc.; formation, absorplion et cours du Chyle. 546 Marche du chymeé. , . . . . AC REANAL N 5 Changement du chyme. Action de 7 bile. Nr DR Les Intestins digèrent-ils des alimens non chymifiés? 550 Formation et rejet dessexcrémens. . se 28 tp « 0 DA Mouvemens rétrngrades. _. . . . . . . .:,. 554 Absorption et cours du chyle..s ;6\"41: aient, 555 600 TABEE DES MATIÈRES. Le canal thorachique est-il la seule voie du chyle ? Ge que devient le chyle : quelle est sa destination ; quels en sont les usages..." ". "2 CHAPITRE IX, Conditions principales de la Nutrition des Animaux. — Choses qui la modifient et la diversifient , elle et la Di- ACT PA TPS VAR AIRES PRET FAURE 2 ET Hola ee M RTS SIMON. LIGNE Aimens soldes... 142.22 HOMME Température ; saison ; climat, . . + . 4. . . Pratiques éprouvées quant à la production de l’em= bonpoiat; matilation, eté, 1. OS ac ONE CHAPITRE X. Questions et Doutes sur la Nutrition des Animaux. . . Les organes se renouvellent-ils? . . . .-. . . La révolution nutritive a-1-elle lieu tous les sept ans ? Comment les organes s’emparent-ils de la nourriture et que devient-elle 2 4 4 me rrmesetdtie tt 4 0e Effets compliqués de labstinence. . . . . . . Yat il dans un corps vivant quelque principe étran- ger aux alimens dont il s’est nourri? . , , . . Est-il vrai qu’il n°y ait qu’un aliment pour la nutrition d’Organes si diversifiés ®. 1. jen ue) a, 81% + Échanges mutuels des deux règnes. . « . . . . Unité et Transformations de la matière. . . . . Influence des nerfs sur la nutrition. . , . . . . CHAPITRE XI. Quelques Remarques sur la Nutrition, . . . . . . Influence duselidnarins 946940 0108140 PSE Maladies. Se ae not Qi te le CET STONE Rapport du volume des artères avec la nutrition des organes... |{à 4h ul seed L - 1eme Alimens trop uniformes sont nuisibles. . . . . . Nécessité des alimens azotés pour quelques animaux. FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME. ps Imprimerie de Guorrrren ,; rue Mazarine , n°. 25. 559 * 565 564 cb. 566 563 D — + DL "al TAUPE de ABPALE CE Le. RAT" 4 st oO tes LA 4 PNR PES | dires « à »” \ toi: À $ Leu gs es * 6 i «:- ei PAL Ÿ dis L'YAL RU, Lu era te at 4 ART. sea Ron es sie. 3 0 | LA FR Han ds 6 mue es si 3 na Anvoh v 5 Fr où ones 14400 ik re is F1 1 l (l A v - ME TRME ar à Er (IL OL » Du [A } DÉC TN LR ne UE A A fe TURC LR [ ET MP? > [sa < [a a I 21 S LIB ji | IN CALIF ACAD OF | 3144 3 1853 100 26 : nn) mie … _ 22.8 » hd LE Gé L 2 #4 1re RTE 27 70 À id #, n n Le