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L, POLLEN er D, C. VAN DAN. Ouvrage dédié à S. M GUILLAUME III, Roi des Pays-Bas. 1e PARTIE. RELNEPON DE VOYAGE PAR FRANÇOIS P. L. POLLEN, Agent Consulaire de la Confédération de l’Allemagne du Nord à Schéveningue, aide-naturaliste honoraire du Musée Royal d'histoire naturelle des Pays-Bas, Chevalier de l’ordre Royal du Lion Néerlandais, Membre de plusieurs Sociétés savantes. 1e LIVRAISON, CONTENANT EXTE: Feuille 1—6G, N°. 5. Chasse aux Fossas. ‘ ». 6. Vue du village de Kisoumane. PLANCHES : DS CPAM n &'Anoronsanga. N°. 1. Les Voyageurs à Madagascar. ” 8. La forteresse d'Anoronsanga. 2. Rade de Saint-Denis. ” 9. Armes, ustensiles et instruments malgaches. » 3, Vue de la rivière d’Ambassuana. Carte de la partie nord-ouest de Madagascar et 4. Femmes Antancars, de l’île Mayotte. LEYDE, J, K. STEENHOFF, éprreur. 1868. 3 Voir le PROSPECTUS à la dernière page. FAUNE DE MADAGASCAR x : nn AA Lese À # Lt tn Er 4 BP Cr (a DAEUN AO PRÉFACE. En 1862 je pris la résolution d'entreprendre un voyage scientifique à Madagascar et dans ses dépendances , afin d'y étudier la Faune et la Flore encore peu connues, et de rassembler en même temps des objets d'histoire naturelle et d’ethnographie. L'idée de ce voyage auquel je consacrai trois des meilleures années de ma vie, me fut suggérée par mon excellent ami M. le Professeur Dr. H. Schlegel, Directeur du Musée royal d'histoire naturelle des Pays-Bas. ‘ Après m'être familiarisé autant que possible avec les connaissances nécessaires, et avoir étudié les ouvrages de mes prédécesseurs, dans l'étude desquels je fus secondé avec empressement par mes savants amis MM. les docteurs J. A. Herklots, $. C. Snellen van Vollenhoven et E. M. Beima, con- servateurs du Musée royal d'histoire naturelle des Pays-Bas, je désirais trouver un compagnon de voyage fidèle. Rencontrer un tel homme n'était pas facile d'abord, mais cette difficulté fut bientôt surmontée. J'avais un ami chasseur passionné, qui avait souvent exprimé le désir de visiter des pays étrangers et peu connus, où il pourrait chasser tant qu'il voudrait, puisque la chasse, sur un terri- toire réservé, d'un malheureux lièvre ou d'un couple de perdmix ne lui convenait plus. C'est pourquoi il désirait vivement passer quelques années dans un pays où le droit de chasse n’existât point et où les @ territoires réservés fussent des choses inconnues: un tel pays était pour lui le vrai paradis des chasseurs! Je ne m'étonnai donc nullement que lorsque je lui fis connaître mon plan de voyage pour le pays de chasse en question, il n’hésita pas à m'accompagner et à partager avec moi les hasards de ce voyage pour lés contrées lointaines, où il pourrait s’abandonner plus que jamais à sa passion pour la chasse. Cet homme était Monsieur Douwe. Casparius. van Dam, qui dit adieu à sa famille et quitta une bonne position, pour me suivre à Madagascar. Il vint d'abord bientôt me rejoindre à Leyde pour apprendre l’art de préparer et de conserver les peaux et les squelettes d'animaux, cet art lui fut en- seigné pratiquement par le préparateur en chef du Musée M. T. C. Termeer et il put aussi profiter en même temps des sages conseils de M. Schlegel. M. van Dam s'occupa de ce travail jusqu'à la fin de l'année suivante; époque à laquelle nous devions faire l'expédition. Par l'intermédiaire de notre Gou- vernement on nous avait procuré des lettres de recommandation ministérielles de l'Angleterre et de la France; grâce aux eflorts zélés des Curateurs de l'Umiversité de Leyde, qui favorisaient notre entreprise scientifique. Parmi ces hommes vénérables je dois exprimer ici ma reconnaissance à Messieurs le Baron van der Heim de Duivendijke, ancien commissaire de $. M. le Roi, dans la Province de la Hollande méridionale et le Chevalier Gevers d'Endegeest, ancien Ministre des affaires étrangères du Royaume des Pays-Bas; lesquels nous ont témoigné une sympathie, dont je conserverai toujours un souvenir précieux. Je n'ai pas besoin de dire que les autorités anglaises et françaises, dans les contrées que nous par- courions, nous traitaient avec distinction et appuyaient notre but. Nous devons pour cela des remerci- ments sincères à M. le Gouverneur de l'ile de la Réunion, le Contre-Amiral Baron Darricau et à son digne successeur M, Jules Dupré; au Gouverneur de l'ile Maurice et de ses dépendances, son Excellence Sir 1 Henry Barkly; au commandant en chef de Mayotte et dépendances, M. le commissaire de la Mariré Gabrié et à son successeur M. le Colonel Colomb; aux commandants des possessions Françaises sur la côte de Madagascar, Sainte-Marie et Nossi-bé, MM. Lagrange et Lucas; au commandant en chef des forces navales Françaises sur la Côte orientale d'Afrique M. Tricault: aux différents commandants des navires de guerre Français Mahé de la Bourdonaye, Loiret, Lynx et Dupleix; parmi lesquels je n’ou- blierai jamais des hommes comme Tétar de Cosquer, Biquerel et Conrad, que j'estime sincèrement. Je mentionne aussi avec plaisir les capitaines des navires français et hollandais: Polymnie, Mathilde, Desilles, Levant et Ary Scheffer, MM. Regnier, Delaroque, Hus et Day, qui nous traitèrent pendant notre séjour sur leurs bâtiments, comme leurs amis. Avant de finir ma Préface, il me reste une tâche à accomplir, c’est de remercier tous ceux qui nous ont reçu avec la plus grande hospitalité et qui nous soignaient avec empressement. Parmi ces personnes estimables je nomme en premier lieu: à l'ile de la Réunion les vénérables vieillards: MM. de Fondaumière et Rétout ainsi que ses fils à la Possession, ‘M. le docteur Lacaille et M. Crétien à Saint-Paul, MM. Brulon, Toudic et Boyer de Giroday à Sainte- Suzanne; les savants amis Charles Coquerel, Auguste Vinson, Alfred Grandidier, Lantz, Louis Morel, Achille Berg, les frères Bories, Emile Jacob de Cordomoy, Paul de Monforand, Bridet, Delval et Roussin, ainsi que MM. Boucherot, Lemazurier et Richard à Saint-Denis. A l'ile Mayotte MM. les planteurs Chaulier et Bourcher, nous ont donné les preuves de leur hospitalité et de leur amitié, ainsi que MM. Jules Verger, Escudier, O'Neill et le Chérif Kalyfan à l'ile Nossi-bé, A l'ile Maurice: notre digne compatriote M. E. M. Ooms, Chancelier du consulat des Pays-Bas à Port-Louis, ainsi que MM. Edward Newton, Fraser, Richardson, Caldwell, Meller, Bouton, Clark, Mullens et Madame la douairière Moon. Au Cap de Bonne Espérance; MM. Hugo et van Blerk à Simonstad. En France M. Emile Postel, à Cherbourg: MM. Geo. Gerhardi et van Houten au Hävre. J'éprouve un grand plaisir à faire connaître dans cette relation de voyage, la manière digne des plus grands éloges, avec laquelle ces nobles gens nous ont reçus et traités. Je m’empresse encore aussi de remercier les collaborateurs qui m'ont secondé d’une manière digne dans mon travail. Et à présent encore un mot à ceux qui comme naturalistes ou comme savants prendront mon écrit en mains et qui me feront l'honneur de le lire. Ce n'est pas seulement le simple récit de mes rencontres et de mes aventures de voyage, mais aussi celui de mon séjour et de mon passage dans les différents lieux pendant mon expédition. Je voudrais voir ma relation de voyage entre les mains de tout le monde; c’est pour cela que je l'ai écrite dans un style populaire, mais je me suis efforcé en mème temps de la composer telle que l'homme de science ne la lise pas sans fruit. Si j'ai contribué par.cet écrit à accroître les connaissances des pays que j'ai explorés, et des peuples et des productions de la nature et de l’art, que j'y ai étudiés, alors je me trouverai largement récompensé des sacrifices que m'ont imposés mes recherches, et je conserverai pendant le reste de ma vie le souvenir le plus doux et le plus agréable de mes voyages. Schéveningue, Juin 1868. Francois P. L. POLLEN. CHAPITRE I. CL — Départ. — Traversée de Rotterdam au Hävre. — Séjour dans cette ville. — Sainte-Adresse, — Harfleur. — Montevilliers. C'était par un jour brumeux et froid (le vingt-cinq Novembre 1863), que nous nous embarquâmes sur le steamer hollandais Levant pour faire la traversée de Rotterdam au Hävre, où le navire destiné à nous transporter à la Réunion était prêt à partir. Nous fimes nos derniers adieux à ceux qui nous accompagnaient jusqu'à notre demeure aquatique, et bientôt nous perdimes de vue ces chers parents et ces amis que uous aimions. Un moment encore je regardai ma ville natale, mais la brume la voila bientôt à mes yeux. Le coeur plem de tristesse je m’assis sur un des barils de pétrole qui encom- braient l’avant du navire. Flore et Bato, mes compagnons de voyage si fidèles, s'étaient couchés à mes côtés; et je me livrai à mes réflexions. Je ressentais une tristesse que je ne pouvais exprimer; le but de mon voyage était un pays lointain où plusieurs de mes devanciers étaient tombés victimes de la science, entraînés par leurs courageuses recherches. Ils ne purent résister à l'influence d’un climat si insalubre, dans un pays peuplé d'hommes sauvages et hostiles aux Européens; duquel le géographe français Eu- gène de Froberville avait dit avec raison: que ni un Marsden ni un Rafles n'étaient nés \ encore pour Madagascar. De telles réflexions étaient de nature à attrister un voyageur jeune encore, quittant sa patrie, où il n'avait connu que l'amour paternel et que l'insou- ciance de la vie. Je me demandais, si je pourrais devenir pour ce pays un Marsden ou un Rafles? et à ces questions qui s’emparaient à chaque moment de mon imagination je répondais en ma faveur, tant j'étais présomptueux. Mais j'avais le coeur plein d’espé- rance et cela me donnait le courage et les forces pour entreprendre l'expédition périlleuse; de plus que je me rappelais les mots de Commerson, qu'il écrivait au grand astronome son ami Lalande: Quel admirable pays que Madagascar! Il mériterait seul, non pas 1* 4 un observateur ambulant mais des académies entières. C'est à Madagascar, que je puis annoncer aux naturalistes qu'est la terre de promesse pour eux; c’est là que la nature "semble s'être retirée comme dans un sanctuaire particulier, pour y travailler sur d’au- tres modèles que sur ceux auxquels elle s'est asservie ailleurs; les formes les plus in- nsolites, les plus merveilleuses s'y rencontrent à chaque pas. Le Dioscoride du Nord ”(Linné) y trouverait de quoi faire dix éditions de son système de la nature et finirait »par convenir de bonne foi que l'on n’a encore soulevé qu’un coin du voile qui la couvre. ....” Je me trouvais l'esprit plein d'illusions et d'idées qui voltigeaient plus haut encore que les nues. L'espérance que je nourrissais me fit devancer, mais elle me donnait de la tranquillité au coeur pour braver avec courage les périls et les désappontements, qui devaient accompagner mon expédition. Le mauvais temps m’empêcha de demeurer plus longtemps sur le pont et me fit chercher une place dans la cabine, afin de trouver quelque distraction parmi les autres passagers. Mes chiens Flore et Bato, peu à leur aise, voulaient m’accompagner, mais guidés par leur instinct, ils comprirent très bien, que c’était impossible ici. Full speed!” criait le capitaine, et tandis que le Levant s'avançait rapidement dans la Meuse je descendais dans la cabine pour rejoindre mes compagnons de voyage. Nous avions peu de passagers à bord à cause de a saison, nous ne pouvions donc pas dire: plus de gens plus de charmes. En comptant nous-mêmes avec une dame et un allemand, nous étions quatre passagers en tout. Notre compagnie de voyage n'était donc pas heureuse. Ces deux passagers n’allaient pas plus loin que le Hävre, où l’une rejoin- drait son mari, un marin, et où l’autre chercherait une position quelconque. Je fusse plutôt resté sur l’avant-pont, avec mes quadrupèdes, si le temps avait été beau, que dans la cabine, où toute la compagnie était assise sur les coussins sans faire le moindre mouvement, sans dire un seul mot. Moi qui avais besoin de distraction! Heureusement que l'heure du dîner approchait. Le premier maître, qui était descendu après moi, commanda au maître-d'hôtel de servir le dîner et de lui donner un verre de bitter hollandais. A peine en eut-il avalé le contenu qu'il regarda d'un oeil sevère notre com- pagnon allemand, qui fumait tranquillement sa longue pipe: ”Dites-moi, Monsieur, que faites-vous ici; vous qui venez de prendre une place pour la cabine de seconde classe ?”.…. "da, aber dah ist es so kalt, und dah bin ich allein” lui répondait l'Allemand. Oui, ce n’est pas mon affaire !”” lui dit le maître d’un ton ferme. Si vous voulez rester ici vous paierez plus, ou sans cela je vous ferai mettre à la porte.” Ja, das kann ich nicht thun, ich habe so viel geld nicht bei mir” fut la réponse de l'Allemand, qui frappait tranquillement la cendre de sa grosse pipe. Eh bien, alors je vous prie de vous rendre à votre cabine sur l'avant et de quitter la nôtre,” lui dit le maïtre brusque- ment, comme son ultimatum. Et l'Allemand se leva tranquillement, comme toujours, et monta l'escalier du pont. Cet événement me procura quelque distraction. Je tâchai DS 5 d’attendrir le maître en faveur du pauvre diable, et afin qu'il lui fût permis de rester chez nous, puisqu'il y avait assez de place et que nous y donnions tous notre consen- tement. Monsieur,” me dit le maître je lui donnerais volontiers la permission, mais je connais cette espèce d’Allemands. Je sais qu'il a assez d'argent, mais qu'il tâche de voyager pour rien, et de vivre au compte de ma bourse. Le maître n'était pas un homme facile à attendnir, car lorsque je lui dis: Cet homme a du chagrin, il pleure,” il me répondit: C'est de la sottise, Monsieur; ces larmes, ce sont des larmes de caïman.” Je finis dont vite cet entretien, voyant bien que cela n’aboutirait à rien. Le marin est partout le même, bref et énergique d'expression, et trop souvent en- têté, quoiqu'il ait bon coeur, sous des formes grossières. Le steamer qui avançait assez bien portait sur Hellevoetsluis, où il demeura la nuit pour prendre le lendemain la mer. La brume qui n’avait pas cessé de voiler le ciel nous empêchait de continuer notre route, lorsque nous nous trouvâmes entre les nombreux bancs de sable qui rendent la navigation si dangereuse dans ces eaux peu profondes. Notre pilote voulait justement jeter l’ancre lorsque les premiers rayons du soleil, rouges comme des flammes, vinrent traverser les nues épaisses, et nous firent voir notre position, que nous reconnümes pour la pointe de Goedereede. A quelque distance je pouvais alors distinguer à l’aide de mes jumelles de marine sur un banc de sable une vingtaine de phoques (Phoca vitulina), auxquels nous aurions certainement donné la chasse, si le temps n'était pas devenu beau de plus en plus, de sorte que nous pûmes lever l’ancre à peine plongée dans les sables et continuer notre route. Il était curieux de voir avec quelle adresse notre pilote conduisait le Levant entre les bancs de sable qui encombraient l'embouchure de la Meuse, et de voir les bandes de mouettes (Larus canus) qui suivaient avec des cris perçants les ba- teaux pêcheurs de Pernis pour se régaler des petits poissons qu'on jetait hors des filets. Plus loin j'aperçevais aussi les grandes mouettes (Larus marinus) et des macreuses (Anas fusca) qui nageaient tranquillement sur les flots. Lorsque l'heure du déjeuner arriva, l'odeur des pommes de terre frites qui avec des beefsteaks ornaient la table, me donnait de ces mets excellents un dégoût qui me faisait mal à la tête; les yeux me tournaient en voyant l'appétit des autres convives, et cette vue seule me rendait malade. J'avais la première attaque du mal de mer, qui m'obligeait de me rendre en toute hâte sur le pont pour me débarrasser de ce qui maltraitait mon corps. Mon seul remède fut un morceau de pain sec avec du fromage, que j'avais eu l’idée d’emporter avee moi sur le pont. Il n’est pas agréable de se trouver mal ainsi, surtout quand les marins se moquent de vous, en vous disant: ”Un garcon hollandais malade à bord, quelle sottise! c’est bon pour les rats terrestres, mais pour des surmulots et des canards comme nous, c’est honteux! Une tasse de café très fort me remit dans mon état normal et je me félici- 5 lais de la bonté que Neptune avait eu pour moi. Nous pouvions à peine distinguer la côte belge, mais tout le soir et la nuit nous vimes la côte d'Angleterre éclairée par des phares de différentes couleurs. La nuit était froide, le ciel couvert de nuages, pas une étoile ne se montrait, à peine la lune venait-elle de temps en temps jeter une faible lumière sur les bateaux pêcheurs que nous passions, tandis que la variété de couleurs sur les flots peu agités produisait un effet tout particulier, et me fit remarquer plusieurs fois des objets blanes, que je croyais l’écume des vagues; le pilote à qui j'avais demandé ce que c'était me dit, que ces objets blancs n'étaient rien autre chose, que des oiseaux de mer, qui dormaient sur l’eau. Je ne pouvais le croire, mais lorsqu'il me l’indiqua en s’écriant: Voilà de nouveau un fou! je vis un oiseau qu'on appelle dans la science: Sula bassana, dormir sur les flots avec la tête cachée sous les ailes à l’instar des canards. Plusieurs fois le navire passa au milieu d'eux, sans qu’ils bougeassent ou qu'ils se dérangeassent. Nous nous trouvions alors à la hauteur d'Ostende; l'obscurité de la nuit it place à l'aurore, lorsque nous vimes les côtes françaises el anglaises à la hauteur de Calais et de Dover, dont l'aspect était bien différent. Derrière les collines de la côte française s'élevait majestueusement le soleil qui colorait tout le paysage sur lequel il se montrait d'un rouge éblouissant, avec lequel les teintes gris-verdâtres des roches anglaises nous offraient un contraste très visible. Les oiseaux dormants, il n’y a qu'un instant, se montrèrent alors dans la force de la vie, en bandes de quatre à six individus. Ils volaient comme les cigognes haut dans l'air en décrivant des cercles, en se tenant pendant quelques instants debout contre le vent. De cette hauteur ils épient les pois- sons qui se présentent à la surface de la mer; aussitôt qu'ils en aperçoivent un, ils se laissent tomber soudainement comme un éclair sur leur proie en fermant les ailes; cette chûte produit un bruit comme si l’on jetait une pierre dans l’eau. Souvent ils demeurent pendant une minute sous l’eau et en sortant ils reprennent leur vol circulaire pour recommencer la pêche. Il était remarquable que parmi la quantité de Sula’s qu’on voyait il ne se trouvait que des oiseaux dans leur robe de plumes parfaites. Ces oïseaux sont aussi nommés par nos matelots voleurs de harengs. Lorsque nous les vimes nous étions arrivés à la hauteur de Fécamp où nous marchions parmi une flotte de bateaux qui pêchaient ici des huitres; au même moment nous passimes le steamer Ary Schefler, avec lequel nous échangeâmes par les pavillons nos derniers adieux à la Hollande. Dans l'après-midi nous vimes encore des oiseaux plongeurs, c’est-à-dire des Alca torda, qui se plaisaient à se bercer sur les flots, mais craintifs de nature, ils plongaient à l'instant même au moindre bruit du vapeur, pour paraître de nouveau à une assez grande distance derrière le navire. Ils volaient comme les poules d’eau en ligne droite. Quelques moments après se présentaient encore des marsouins (Delphinus phocaena) qui poursuivis par une bande de mouettes se jouaient en sautant hors de l’eau. Vers le crépuscule quelques oiseaux de terre (Fringilla coelebs) parmi lesquels j'observais une Loxia curvirostra vinrent se poser dans les cordages. Ils étaient de bon augure pour notre arrivée, car peu de temps après le pilote français qui devait diriger le Levant dans le port du Hävre monta à bord. Le contraste entre celui-ci et notre pilote hollandais était frappant; car l’un avec son habillement fantastique, ses chaussettes rayées de couleurs et les souliers vernis, différait de l’autre avec son gros paletot ses hautes bottes de mer et son chapeau en cuir, comme un oiseau de paradis d’un ours polaire. Nous avançà- mes lentement entre les nombreux navires, qui nous entouraient le long de la côte rocheuse, qui éclairée par le feu du phare, donnait un aspect riant. Les deux pilotes rivalisaient pour conduire le navire sain et sauf dans le port, en criant tour à tour au maître mécanicien: un coup en avant! un coup en arrière! stoppen! etc.» jusqu'au moment où le Levant s’élança avec une courbe élégante entre les deux môles de pierres qui forment l'entrée du port du Hävre. La nuit était obscure; la ville nous offrait une vue pittoresque; les sommets des rochers de Saint-Adresse couverts de nombreux réverbères à gaz la paraient d’une robe magique et faisaient penser à une feu d'artifice. A huit heures nous mettions pied à terre dans cette ville commercante de France. Une quantité de magnifiques magasins de luxe ornaient les rues que nous traversämes pour nous rendre à l’Alcazar afin d’y passer la soirée. Nous enträmes dans un édifice bâti en style moresque, avec des murailles et le plafond peints de diverses couleurs éclatantes, richement éclairé par le gaz et des lanternes orientales. Le parterre était rempli d'une foule de monde qui appartenait à la fois au genre patricien et au genre plébéien. Dans les loges on voyait une quantité de messieurs et de dames, parmi les- quelles plusieurs gentilles filles, parées de dentelles, de mantilles où de shawls, mon- traient leurs charmantes figures. Des jeunes gens armés de cannes, de parapluies et couverts de lorgnettes flânaient comme des papillons et voltigaient autour de ces fleurs pour reconnaître les fraîches de celles qui étaient déjà un peu fanées. Nous nous amusämes de la vie indépendante de ces jeunes gens et primes place parmi l'assemblée, pour entendre avec empressement la musique animée de l'orchestre, en regardant de temps en temps l’élégante société. Il était à peu près minuit lorsque nous quittimes ce temple des plaisirs pour retourner à bord du Levant. Nous fimes nos adieux au pilote français qui nous avait servi de guide, en lui disant: au revoir! mais jusqu’à présent nous ne l’avons pas revu. On nous avait accordé le logis à bord, aussi longtemps que le navire demeurerait dans le port; ce qui nous était très agréable, parce que nous pouvions rester alors plus longtemps en société de nos compatriotes. Le lendemain le commis de mon correspondant vint à bord prendre soin de notre bagage et pour nous conduire au navire sur lequel nous avions pris passage pour l'ile de la Réunion. C'était une barque à trois mats de cinq cents tonneaux appelée Polymnie, qui attendait seule- ment un vent favorable pour mettre à la voile. Justement comme nous voulions monter 8 à bord, le capitaine M. Ferdinand Regnier vint à notre rencontre pour nous saluer et nous dire que le départ du navire tarderait encore de quelques jours, ce que nous trou- vâmes naturellement très désagréable. Mais nous profitämes néanmoins de l'occasion pour visiter la ville en tous ses détails. En quittant la Polymnie qui se trouvait dans le bassin du commerce, parmi un grand nombre d’autres navires de toutes les nations, nous fimes une promenade le long du beau quai qui l'entoure et qui est bâti de maisons régulières servant la plupart de maga- sins, de bureaux et de boutiques. Aux coins des rues aboutissant au quai nous vimes des ouvriers qui se régalaient de grosses huîtres, ce qui m'étonna fort, parce que dans notre pays, ce mets excellent est consommé en général par les personnes riches; mais le prix si bon marché ici est cause, que les gens pauvres peuvent en manger tant qu'ils veulent. Ces huîtres étaient moitié plus grandes que nos huitres de table, celles de l'île de Texel, mais la chair n'en était pas si fine et n'avait pas la même délicatesse de goût. On les nomme ici des huîtres de la rade, mais les ouvriers les connaissent sous le nom de pied de cheval, très probablement à cause de la forme d’un sabot de cheval. Les naturalistes qui établissent si volontiers des espèces nouvelles auraient pu leur donner depuis longtemps le nom d’Ostrea edulis major. Le prix moyen de ces mollus- ques est de deux francs la centaine; les ouvriers payaient la douzaine quatre sous. On les mange cuits, étuvés, conservés ou crus. Les bateaux qui pêchent ces huîtres sont en grande partie originaires de la petite ville voisine de Honfleur et du bourg de Trou- ville, et se rendent pour la pêche à quelque distance du Hâvre à la hauteur de Fécamp, Boulogne, Dieppe ete. Tandisqu'en me promenant les huîtres m'intéressaient d’un côté, c'étaient de l’autre côté du bassin du commerce les petites mouettes (Larus canus) et (Larus tridactylus), qui apprivoisé comme nos canards domestiques nageaient tranquille- ment ou volaient en criant entre les navires. Nous traversämes la place Louis XVI, ou se présentait à notre main droite le théatre et devant nous plusieurs cafés, parmi les- quels se distinguait le café des Arcades. Nous ne le visitämes pas pour le moment, mais nous tournâmes nos pas vers la rue de Paris, une rue élégante et très fréquentée, avec de magnifiques boutiques, magasins et hôtels aux deux côtés. Partout règnait ici une vie pleine d'activité. Des omnibus attelés de quatre ou de six chevaux encombraient à chaque instant la rue, ce qui nous fit marcher sur le trottoir, pour ne pas être ren- versés par les voitures de toutes sortes. Enfin nous arrivämes au bout du trottoir devant le Musée, but principal de notre promenade. Avant d’y entrer nous regardâmes première- ment les statues en bronze des deux hommes célèbres Bernardin de Saint-Pierre et Casimir Delavigne, qui se trouvent à côté de la porte principale. Ces statues sont faites dans une pose assise, par le grand artiste David (d'Angers). Ce bel édifice a deux étages, et sur la terrasse qui s’y trouve sont placées deux lignes de colonnes de l’ordre ionien et de l’ordre corinthien, qui donnent à la façade un aspect imposant, 9 La façade est ornée de quatre statues représentant la peinture, l'histoire, la science et la sculpture, ainsi que deux figures en bas relief représentant le commerce et la naviga- tion. L'intérieur du bâtiment contient à chaque étage un grand salon et quatre galeries. Avant d'arriver au premier élage, on voit au rez de chaussée pavé de marbre blane quelques objets de sculpture, parmi lesquels une Madeleine de Gayrard et une Psyché d'Oudiné sont remarquables. La collection zoologique ne se trouve que dans deux galeries, qui toutes deux sont ornées par les bustes de deux naturalistes français bien connus, l'abbé Dicquemare et Charles Lesueur, qui sont nés au Hâvre. Ces galeries contiennent aussi des objets paléontologiques et géologiques, ainsi que la collection de coquilles de M. Lesueur et celle de coléoptères de M. Lennier. Le dernier offrit cette riche col- lection lors de l'installation du Musée, à condition que son fils Gustave Lennier en aurait la surveillance. Avant qu'on le nommât conservateur, il fit un voyage scientifique au Sénégal. Si l’on jette un coup-d'oeil sur la collection zoologique, on remarque qu'elle est bien pelite. Le plus intéressant est la partie ornithologique, parce qu’on y trouve des oiseaux très rares, qui pour la plupart proviennent du voyage de MM. Lesueur et Péron. Je remarquai parmi ceux-ci quelques-uns, qui suivant M. Gustave Lennier étaient indé- crits, mais qui avaient peu de valeur pour la science, parce qu'on ne savait au juste de quel pays ils étaient natifs. Parmi les perroquets je vis deux Psittacus seneyalus, qui suivant M. Lennier étaient originaires de Madagascar, mais cela n’est pas certainement encore prouvé Jusqu'ici, et il serait même douteux que cette espèce de l'Afrique occiden- tale habitât l’île de Madagascar. Parmi les mammifères qui attirèrent mon attention se trouvait une petite espèce de lion, peut-être Leo persicus, avec la crinière épaisse et foncée, ainsi que deux morses (Trichechus rosmarus) qui à ma surprise venaient suivant l'étiquette du Cap de Bonne Espérance, ce qui était certainement une erreur, parce que les morses suivant notre connaissance ne se trouvent que dans les mers polaires boréales. Si on les avait observé dans les mers polaires méridionales, il serait encore possible qu'on les trouvât au Cap de Bonne Espérance. Au reste, la partie zoologique n'offre que peu d'intérêt aux naturalistes. Il est bien dommage cependant que la partie orni- thologique ne soit pas classée à la hauteur de la science et que les objets des diffé- rentes classes soient placés pêle-mêle. La réponse à la question que j'adressai au conservateur à ce sujet, fut que le Musée était installé plutôt pour le public que pour l'homme savant. Il est done aisé de com- prendre qu’il est très difficile d'en donner ainsi un aperçu détaillé. Puis on y trouve une collection de tableaux qui sont pour la plupart des peintures médiocres. Le salon où ils sont exposés est orné des bustes de l'Empereur Napoléon HI et, l'Impératrice Eugènie sculptés par M. Barre. Ce salon est entouré de trois côtés par des galeries, dans lesquelles on trouve une bibliothèque publique de près de 30,000 volumes, ainsi qu'une > 10 petite collection archéologique. La bibliothèque est surtout riche en livres théologiques, provenant presque fous des monastères supprimés au temps de la révolution, mais la collection archéologique à laquelle on a joint des boulets et des bombes russes, pris sur l’ennemi du crimée, est peu intéressante. Après avoir pris congé de M. Lennier qui nous avait reçu gracieusement, nous nous rendimes à bord par le même chemin que nous avions déjà parcouru. A peine le diner fini, nous dirigeñâmes nos pas vers le café des Arcades, pour lire les journaux et nous fortifier d'une bonne tasse de café noir, et nous rendre ensuite de nouveau à l'Alcazar. Le lendemain nous fimes un petit tour au village de Saint-Adresse, lequel est situé à un grand quart-d'heure de la ville. L'aspect en est magnifique, par sa position sur la côte rocheuse qui domine la Manche. Ce village est entrecoupé par de petits vallons couverts çà et là de bosquets; excepté ces parties qui sont pour la plupart les jardins des villas, la verdure y est rare. Pour le reste le sol rocheux n’est couvert que d'un simple tapis de gazon. Pauvre comme la flore, la faune n’est pas mieux partagée. Comme notre visite avait lieu en hiver, je me figurais bien ne pas voir beaucoup de sibier, et ce que nous en vimes ne méritait pas la peine d’en faire mention. Je voulais néanmoins savoir s'il y en avait en effet autant que je supposais, car celui qui voyait le paysage, où nous nous trouvions, comme chasseur, aurait dit que sur ce terrain il devait y en avoir assez. Comme nous étions fatigués, nous primes notre route le long des phares, afin de nous reposer un peu chez le garde-chasse qui tenait à cette hau- teur un cabaret; de plus je voulais lui demander quelle espèce de gibier se trouvait dans ces contrées. Suivant lui, il y avait peu de gibier à course, qu'on chassait trop, ce qu'on y trouve ce sont quelques lièvres, quelques lapins, puis des cailles et des perdrix, quelquefois des perdrix rouges, des alouettes; et dans les parties basses le long de la Seiue beaucoup de râles (Rallus aquaticus), des bécassines, des râles de genet (Crex pratensis), des marouettes (Gallinago porzana), ainsi que quelques bécasses; aussi presque tous les petits oiseaux de l’Europe se trouvent ici à leur passage vers le midi. LA Nous avions fait cette petite promenade en société de M. B'* jeune créole de l'ile de la Réunion, avec lequel nous avions fait connaissance comme futur passager à bord de la Polymnie. Il était venu en France pour chercher une épouse qu'il avait trouvée à Saint-Adresse, dans une charmante personne, laquelle nous saluions aussi comme notre passagère. Notre chienne Flore eut aussi le bonheur de faire connaissance avec le beau Tee, un fort joli chien de la race vendéenne, qui appartenait à M. B°*, et qui devait compter parmi les passagers quadrupèdes à bord. Celui qui est chasseur comprendra facilement que j'étais bien aise de voir ma Flore se marier avec Tec, parce que j'aurais besoin de bons chiens dans mes excursions de chasse à venir, que je pouvais avoir maintenant de bonne race et à bien bon marché. M. B‘*. était aussi bien content de 11 recevoir une chienne dans les veines de laquelle coulait du sang hollandais. Cette pro- menade nous avait diverti à merveille, dans une contrée si agréablement située, que nous voudrions bien y revenir, mais alors en été, parce que l'hiver y est froid et rude. En été cet endroit appartient aux plus agréables contrées du Hävre. La reine-mère d'Espagne Christine paraît s’y plaire aussi, du moins elle réside pendant la saison d'été à la magnifique villa, qu'elle possède là. Pendant la belle saison, elle préfère le climat de Saint-Adresse à celui de Madrid; ce qui n’est pas surprenant, puisqu'elle trouve dans ce lieu le repos loin de la cour, et en outre les impressions agréables du nord de la nature française, qui diffère tant de celle de l'Espagne. Autrement la reine se serait installée dans une villa à Bayonne, où elle aurait pu respirer aussi l'air de la France, mais elle savait trop bien que là le ciel est voilé par les nuages de Castille. C'est pourquoi la princesse prend les bains de mer avec plus de plaisir à Saint-Adresse qu'à Bayonne. L’ondulation plus courte des flots de la Manche paraît faire un meilleur effet que celle des flots de la Gascogne qui est plus longue. Mais ce n’est pas cela seulement qui lui rend plus agréable son séjour à Saint-Adresse; dans le type bayonnais, elle retrouve trop son genre, elle aime mieux se voir entourée par les belles Nor- mandes blondes. Durant la saison des bains, Saint-Adresse est visité aussi par un grand nombre d'étrangers. Souvent le nombre des visiteurs s'accroît tellement qu'il n'y a pas assez de maisons pour les loger. Les personnages les plus distingués doivent alors se contenter des demeures malpropres et humides de la rue d'Efretat et sont obligés de les louer à des prix exorbitants. Au bout de cette fameuse rue s'élève au côté gauche, la villa de la reine Christine, qui suivant les connaisseurs est bâtie sur un sol mouvant ce qui est très dommage, car qu'on y jouit d’une belle vue. A quelque distance le chemin se divise en deux routes, dont l’une, qui se trouve au côté droit, est entourée de jolies maisons de campagne. Elle conduit au village même de Saint-Adresse, où l'étran- ger ne remarque pas grand'chose d'intéressant. Suivant M. Morlent, Saint-Adresse appartenait au 183% siècle à la famille Vitanval, dont le chef nommé Noir Pel fit bâtir au milieu du vallon un petit château fort où Charles Il et Catherine de Médicis séjour- naient, pendant que le Hävre se trouvait entre les mains des Anglais. De là nous primes le chemin qui conduisait aux phares de la Hève; et que je recommande aux visiteurs, parce qu'on y jouit à chaque instant, en montant du vallon vers la Hève, de magnifiques vues sur le Hâvre, l'embouchure de la Seine, les rochers escarpés et la mer. En se promenant le long de la côte on remarque premièrement les deux phares carrés, qui sont éloignés l’un de l’autre d'environ 85 mètres et qui s'élèvent 20 mètres au-dessus de la surface de la mer. Ils sont pourvus d’un feu électrique immobile, qui indique aux marins à une distance de 20 milles en mer la position du port du Hävre. Un escalier de deux cents marches conduit à la plate-forme, de laquelle on a de la tour méridionale une vue pittoresque sur les alentours. À quelque distance de ces édifices on voit une 12 chapelle nommée Notre-Dame des flots, et bâtie en style gothique, où les marins vont souvent porter leurs offrandes et faire leurs prières, après être débarqués sains et saufs. À côté de cette chapelle on voit un monument connu chez les Hävrois sous le nom de Pain de Sucre, qui représente un mausolée ressemblant en grand beaucoup à un oeuf placé dans une écale. Ce monument bizarre fut élevé par la veuve du contre-amiral Lefèvre-Desnouettes, en souvenir de son époux qui perdit la vie en mer. A quelque distance de là on a une belle vue sur la côte escarpée dont le sein renferme encore iant de trésors scientifiques. A présent encore elle offre au naturaliste un riche terrain d'exploration pour les études paléonthologiques, quoique on doive déjà beaucoup de fragments fossiles remarquables aux recherches zélées du savant Ch. Lesueur, dont les restes mortels reposent non loin du lieu de ces explorations dans le petit cimetière de Saint-Adresse. Après avoir fait visite à l'épouse de M. B°*, qui habite avec ses parents une jolie villa dans ces charmantes contrées, nous retournâmes à bord, où nous ren. contrâmes notre correspondant. Celui-ci nous fit part que les douanes exigeaient l’ouver- lure de nos vingt-quatre malles, avant qu'on les embarquât sur la Polymnie. Nous fimes très étonnés de cette exigence, qui nous contrariait beaucoup; nous allâmes donc à la douane, pour déclarer qu'il n'y avait pas d'objets soumis aux droits dans nos caisses, et pour demander la permission de les embarquer sans les ouvrir. Après quelque discussion, les employés donnèrent leur consentement, excepté pour celles contenant des livres et des armes, quoique je leur assurais qu'elles ne renfermaient que des livres scientifiques et des armes de chasse Ils nous firent savoir alors que le directeur seul pouvait nous donner cette dispense; et en montrant à cet employé en chef nos lettres ministérielles, il nous donna la permission de tout embarquer sans visite, fort heureusement, car toutes nos caisses en renfermaient d’autres en fer blanc qu'il aurait fallu dessouder et ressouder ensuite, ce qui nous aurait été très désagréable. En peu de pays les douanes nous auraient montré une telle obligeance, et je suis encore reconnaissant des bontés de l'autorité française à notre égard. Le lendemain notre hôtel aquatique, le Levant, partait pour Rotterdam, ce que nous trouvions fâcheux parce qu'alors nous devions prendre congé de nos compatriotes et chercher une autre demeure à terre. Heureusement nous fûmes dédommagés en faisant la connaissance de M. van Houten, un Hollandais fort aimable, qui nous témoigna beaucoup d'amitié pendant notre séjour dans cette ville. Nous vinmes donc nous établir à l'hôtel de Normandie, où nous demeurämes jusqu’au départ de la Polymnie. Après notre installation nous fimes une promenade dans la rue de Paris pour visiter la poissonnerie, qui est non seulement bien située mais aussi bien organisée. Les grands crabes nommés par les habitants Tourteaux (Cancer pagurus) attirèrent mon alten- ion. On les vendait ordinairement un demi franc; quoiqu'il y en eût aussi qui pesaient cinq à Six livres et qui coûtaient de deux à quatre francs. Nous vimes aussi de magnifiques homards et beaucoup d'espèces de poissons de mer; parmi lesquels je 13 remarquai une quantité de requins, connus chez les poissardes sous le nom bizarre de chiens de mer. Ces poissons sont mangés en général par la population ouvrière et paraissent être un mets nourrissant. On ne vend pas seulement des requins à la pois- sonnerie, mais On en voit aussi sur des brouettes en grandes quantités, dans les rues populeuses, où les poissardes les vendent en détail, en criant à tue-tête: chiens de mer! chiens de mer! Il paraît donc qu'il y a peu de gastronomes parmi le peuple du Hâvre, car chez nous les pêcheurs ne les pêchent jamais pour les mettre en vente aux poissonneries ou ailleurs, parce que la population hollandaise aurait une répugnance pour ce mets. Il serait certai- nement à désirer qu'on fit connaître au peuple chez nous cette nourriture substantielle, et je crois en effet qu’une fois qu'il en aurait goûté, il en achèterait volontiers. Le 4 Dé- cembre nous visitâmes les petites villes du voisinage, Harfleur et Montevilliers, par un des omnibus qui stationnent sur la place Louis XVL Je n’ai pas besoin de dire que la saison ne nous était pas favorable pour voir la beauté des paysages. Les contrées que nous traversions en voiture quoique dans leurs tapis d'hiver étaient pittoresques; ce qui donnait à supposer qu’elles devaient être charmantes en été. Bientôt nos chevaux blanes de Normandie nous eurent conduits à Harfleur, villette située agréablement sur la Lézarde à peu de distance de la rive droite de la Seine, au pied des collines boisées dans un vallon fertile. Cette villette était autrefois, suivant l’histoire, un des principaux ports de commerce de la Normandie, et entretenait sous le règne de Charles V un commerce très-étendu avec Gênes, le Portugal et l'Espagne, mais vers la quinzième siècle, le port fut tellement ensablé que les navires de commerce ne purent plus y entrer. Tandis que Harfleur approchait de son déclin, le Hâvre s'élevait alors, et devint par l'accroissement de son commerce et de sa navigation le premier port et la principale ville marchande de la Normandie. Ce qu'il y a de plus remarquable à Harfleur c’est le clocher de l’église Saint-Martin, lequel est connu comme un chef-d'oeuvre d'architecture. Quelques savants prétendent que Harfleur serait bâti sur les fondements des ruines de l'ancien Carocotinum, dont parle Antoninus dans sa relation de voyage. Cette sup- position est admissible en tant qu'on a trouvé dans les collines du voisinage des fonde- ments d’édifices romains. Après une courte halte dans cette petite ville, nous poursui- vimes notre route avec nos chevaux vigoureux, vers la ville de Montevilliers. Le paysage que nous avions devant nous était charmant. Le chemin qui montait peu à peu, après avoir passé sous le pont du chemin de fer, serpentait sur le côté droit de la Lézarde bornée à l'Ouest par un vallon magnifique et à l'Est par des collines boisées. Le joli château de Colmoulins, situé sur une colline au milieu d'un forêt, était splendide à voir. On nous raconta que les grands salons de ce château renfermaient des tableaux de grand prix peints par des maîtres illustres, ainsi qu'un lit en bois qui avait appartenu au grand amiral français Jean Bart. Après avoir passé ce château, on a devant soi une suite de lerres labourées, de forêts épaisses et de prairies élevées parmi lesquelles on aperçoit dé loin au milieu d'une forêt la pointe grise du clocher de Montevilliers. Quatre pies, un geai, quelques corneilles, des pinsons et des mésanges, se firent voir à l'oeil de l'orni- ihologiste dans ces contrées fertiles avant d'arriver à Montevilliers. Midi était déjà sonné, lorsque nous entrâmes dans la ville, et comme cette heure nous convenait pour déjeuner, nous nous régalämes de bons beefsteaks, qu'on nous servit avec une bouteille de vin, dans le premier café venu; après avoir satisfait notre estomac, nous commençâmes notre promenade par les principales rues. Pour un archéologue cette promenade aurait été lrès instructive parce que la plus grande quantité des maisons datent du commencement du 16° siècle. Ce qu'il trouverait plus curieux encore, ce seraient les débris et les rumes couvertes de lierre d'un mûr de clôture, qui entourait la ville au 7° siècle. Les fossés desséchés sont changés en jardins potagers, et il est fort probable que les archéologues en les fouillant trouveraient parmi les navets et les carottes quelques antiquités de grande valeur. Puis on remarque encore les ruines d’une prison, dont la porte principale a échappé aux mains destructives du temps, ainsi qu'une vieille tour située au milieu d’un (orêt, dans laquelle on raconte que le roi Louis XI aurait dormi. L'église catholique romaine contient aussi beaucoup d'objets d’ancien art. Elle consiste en deux parties principales dont la première, qui porte le nom de Notre-Dame et qui était destinée à l'oflice des ecclésiastiques de l’abbaye, date du 9° siècle. La deuxième partie se nomme Saint-Sauveur et fut jointe dans le 16° siècle à celle de Notre-Dame, pour l'office des religieux et des religieuses de la paroisse. Plusieurs choses intéressantes y peuvent occuper pendant longtemps l’homme qui se voue à la science de l’archéologie. Les plus jolis objets de sculpture ancienne dans cette église sont deux colonnes à chapitaux, dont l'une représente une femme dont la tête est couverte d’un voile et le corps terminé par une queue de poisson, de sorte qu'on croirait en effet voir une sirène réelle; et l’autre un homme ailé à cheval sur un monstre. Je ne puis m'imaginer pourquoi on a placé de telles difformités dans un temple Chrétien; peut-être elles servaient jadis comme épou- vantails diaboliques pour les fidèles. On nous racontait qu'on a découvert, lorsqu'on lit quelques restaurations ici, un tombeau du 17° siècle lequel contenait une centaine de squelettes, ainsi que deux grandes urnes avec des ossements et plusieurs morceaux d’ardoise, sur lesquels étaient gravés des noms et des dates relatives à ce siècle. Cette collection d’ossements, ou comme dit un écrivain français, ce trésor archéologique se trouve dans la bibliothèque de la ville à Montevilliers. Pour ceux qui étudient l’os- iéologie et l'archéologie cette collection a quelque intérêt, puisqu'elle provient d'une cent cinquantaine de religieuses, qui ont terminé leur vie pieuse dans l’abbaye; parmi les débris se trouvent .plusieurs squelettes, dont la structure indique, suivant les asser- lations de certains savants, soi-disant imitateurs de Gall et de Lavater, qu'ils ont appar- tenu à de belles femmes. Ceux qui aiment à admirer les restes de cette beauté humaine 15 peuvent voir en même temps une collection de 1500 volumes; ce qui n’est pas peu de chose pour une villette comme Montevilliers. Dans l'après-midi nous quittämes l’ancien bourg pour retourner au Hävre. Je regrette que nous n’ayons pas eu avec nous un archéologue, autrement j'aurais pu me faire raconter plus de ces affaires anciennes, et alors notre promenade aurait eu peut-être quelque valeur pour MM. les antiquaires. Il y avait encore beaucoup de choses remarquables à voir pour nous dans les environs du Hâvre, mais le désir de voir arriver le jour de notre départ pour la Réunion l’emportait. Chaque matin le coeur nous battait d’impatience de ce long séjour dans ce port; mais néanmoins nous fümes très contents de n’avoir pas encore pris la mer, lorsque nous fûmes témoins le 3 Décembre d’une tempête violente et que nous vimes ce spectacle d’une beauté épouvantable et terrible. Mais après la tempête vint le calme, ce que nous éprouvâmes aussi, car trois jours après le mousse de la Polymnie vint fout à coup nous dire qu'elle était prête à partir. On peut se figurer notre panique, lorsque nous apprimes que le navire se trouvait déjà amarré au bateau à vapeur qui devait le con- duire en mer, et que tous les passagers excepté nous étaient aussi à bord. Avec la plus grande promptitude possible nous emballâmes notre bagage, payämes nos comptes et suivimes le mousse. En dix minutes nous étions arrivés au quai où se trouvait le navire dont le pont était encombré d’une multitude de gens de toute espèce. Le capitaine et les passagers nous attendaient avec impatience. Pas une planche, pas un escalier, pas une corde, pour monter à bord; nous fümes obligés de grimper par le bastingage à l’aide des mains et des pieds. Toujours encore sous l'impression de notre départ préei- pité, nous élions témoins des adieux touchants de quelques passagers à leurs parents, amis et connaissances, ce qui nous afttristait, parce qu'aucun des nôtres n'était là pour nous tendre la main ou nous dire un dernier adieu. Mais le bruit qui nous entourail de tous côtés étouffa pour quelques instants cette impression pénible. J'étais comme plongé dans un rêve, en me trouvant ainsi tout-à-coup parmi tant de gens avec lesquels je devais vivre pendant quelques mois, mais à peine fümes-nous quelques minutes à bord que parents, amis et connaissances de nos passagers quittèrent le navire en criant: adieu! à revoir! et le steamer se mit en mouvement pour remorquer la Polymnie en pleine mer. Remis un peu de notre embarquement précipité, je voulus faire connaissance avec nos passagers, tandis que M. van Dam se chargeait d’arranger nos cabines. Pendant ce temps la Polymnie avait quitté l’eau douce pour l’eau de mer et venait de mettre le cap au sud, lorsque tout-à-coup le navire fut accosté par plusieurs chaloupes, dans les- quelles se trouvait encore le chargement le plus nécessaire à notre voyage; c’est-à- dire les matelots. La Polymnie n'avait pas encore quitté les amarres du steamer pour se confier au sein de Neptune que ces gens joyeux se hâtaient de monter des chaloupes sur le navire en mouvement et de relever les agréeurs, qui nous avaient servi jusqu'ici d'équipage. Les gais matelots chargés de leur bagage grimpaient comme des singes 16 le long du bastingage, tandis que les agréeurs un peu moins alertes dans leurs mouve- ments se laissaient glisser dans les embarcations. À peine les matelots agiles étaient-ils à bord qu'ils montèrent dans la mâture et sur les vergues, déroulèrent les voiles, hissèrent les focs, les voiles de misaine; et la brigantine au commandement du capitaine, placé sur la dunette, déployant ses ailes s'élança vers le sud. Nous étions en roule pour notre expédition. CH'AP INR 'E ET. La traversée du Hâvre à Saint-Denis. — La capture des Pyrosomas. — L'équateur. — La chasse aux Albatros. — L'arrivée. C'était le 10 Décembre que nous primes la mer par une jolie brise de nord-est, qui nous fit bientôt perdre de vue la ville de commerce de l'empire français. Les premières impressions qu'on éprouve à bord ne sont pas très agréables. On cherche partout de la distraction et on a de la peine à en trouver. Sur le pont, sur la dunette, sur le gail- lard, dans les cabanes, en un mot partout règne le plus grand désordre auquel on ne s'habitue pas si vite. Dès qu'on arrive à bord chacun s'occupe dans le premier moment de ses affaires autant que possible, mais ce n’est pas si facile qu'on le pense, car on ne se trouve pas tout de suite à son aise et il se passe quelque temps, avant qu'on s'accoutume aux difficultés de la vie maritime. Mon compagnon de voyage avait eu la bonne idée et aussi l'envie de mettre d’abord tous nos effets en ordre afin de les avoir à notre portée. Notre cabine n'était pas des plus grandes, nous nous y arrangeâmes lant bien que mal; le capitaine nous avait donné l'assurance qu'aussitôt en pleine mer, il ferait un changement plus commode. Dans l'après-midi les autres passagers suivirent l'exemple de M. van Dam; ce qui nous donna l’occasion de faire connaissance avec eux. KHAK Notre voisin était M. GC un Parisien, et nos vis-à-vis M. B°” et son épouse, ainsi qu’une mulâtresse de l’île Maurice. Chacun de nous faisait de son mieux pour arranger sa nouvelle demeure aussi agréablement que possible, et l’on s’aidait mutuellement. Nos amis de Saint-Adresse avaient eu le bonheur d'obtenir la cabine spacieuse du maître, qui donnait sur le pont, tandis que M. OC”, la mulâtresse et nous, nous devions nous contenter d’une toute petite fenêtre donnant sur la mer. Nous n’étions pas du tout 17 ambitieux de la faveur de nos vis-à-vis, mais M. C** ne paraissait pas content et faisait des observations; comme Parisien il avait été habitué à une vie confortable et il ne pouvait pas être satisfait de sa petite demeure. Il se plaignait presque de tout, et comme c'était le premier jour de notre voyage, nous pouvions être assurés, qu'il aurait tout le temps de se plaindre. Nous entendions souvent ses soupirs et ses lamentations, à travers la cloison mince qui séparait sa cabine de la nôtre. Enfin le jour finissait vite, et ce n’était pas étonnant dans le mois de Décembre à cette hauteur. Les longues soirées étaient pour le moment très ennuyantes à bord; presque tous les passagers étaient assis à méditer, et personne d’entre eux ne paraissait avoir envie d'entrer en conversa- tion. M. C* était aller se coucher de bonne heure. Il avait senti quelque chose de désagréable qu'on nomme le mal de mer. De même Madame B** n'était pas à son aise; de sorte que son mari avait assez à faire à lui porter secours. M. van Dam et moi nous nous rendîimes donc pour quelques moments sur la dunette, pour nous distraire, mais nous n'y restâmes pas longtemps, car la fatigue s'était tellement emparée de nous, qu'à peine couchés le mouvement des flots nous fit tomber bientôt dans un profond sommeil. Néanmoms le mouvement du navire et le bruit des vagues me réveillaient en sursaut à chaque instant, avec l’idée qui s'était mise dans ma tête que nous touchions. En outre mon compagnon de voyage, qui dormait dans un lit sous le mien faisait du tapage en renversant les petits colis, entassés au bout du lit et qui roulaient çà et là. On peut se figurer ainsi que j'attendais avec impatience le jour, pour quitter le plus tôt possible le petit appartement dans lequel nous avions été renfermés pendant une longue nuit. KkKX De son côté notre voisin C”” faisait entendre de temps en temps une musique gutturale désagréable, qui ne m'étonnait point, puisque Neptune lui avait donné un vomitif très- XKKK fort. Je plaignais l'infortuné CG”, dans mon sommeil léger, quoique mon compagnon souhaitât souvent, qu'il eût étouffé son miaulement extraordinaire. A peine la lumière du jour pointait par notre petite vitre, que je quitta: mon châlit pour aller respirer le grand frais de la brise de mer. Mais en Décembre l'air du matin n'est pas agréable dans ces régions, et je m'empressai de rentrer dans la cabine, où je restai seul à m'ennuyer, car aucun des passagers n'était bien portant. La clarté du jour n'était pas encore assez forte pour pouvoir lire. J’allumai donc ma pipe, je croisai les bras, ayant mis devant moi les ”Ansichten der Natur”’ de Humboldt; et j'attendis avec impatience le moment où je pourrais distinguer les lettres pour lire. Peu à peu les passagers se levèrent, réveillés surtout par le fracas terrible de notre voisin, et je fus interrompu dans ma lecture. Je m’accoutumai cependant à cela dans la suite, heureusement pour moi, car je devais être souvent auditeur de cette musique gutturale. Il faisait plein jour lorsque quitta sa cabine pour se rendre avec peine à la dunette, souffrant qu'il #“kkk notre voisin C était. La vue de la mer le rendit plus malade que jamais, et dans ces moments il se régalait pourtant encore de chocolat, 3 maudissait son séjour à bord. Le pauvre C 18 ce qu'il disait être un probatum est, pour le mal de mer. Nous espérions vivement que son médicament le guérirait vite, pour pouvoir dormir à l’avenir plus tranquilles. Une quantité de mouettes (Larus canus et Larus marinus), suivaient la Polymnie, et me procuraient quelque distraction dans les moments désagréables que C‘** éprouvait en payant son tribut à Neptune. J'observais ces oiseaux, qui planaient sur le navire en jetant des cris aigus; il me semblait voir une foule de mendiants demandant l’aumône aux passants. Pendant que j'admirais la manière dont ils se régalaient des débris de nourriture que les matelots jetaient par dessus bord, on vint troubler mon plaisir orni- thologique en m'’appelant pour déjeuner. Nous étions quatre à table, car C°** et madame B**, encore malades, n’avaient point d'appétit. Probablement aussi C** avait mangé trop de chocolat! Quoique je fusse bien portant et que je n'eusse pas la moindre disposi- tion au mal de mer, mon appétit disparut, lorsque assis à table, je vis devant moi un plat d’escargots (Helix pomatia, Linn.), qu'on nous présentait pour repas, et je me con- tentai d'un morceau de pan, en cédant aux amis ces friandises, qui me dégoûtaient. Les premiers jours qu'on passe sur un navire sont plus ennuyeux, selon moi, que dans une maison, car l’espace dans lequel on doit se mouvoir est trop petit, et les affaires dont on s'occupe n’offrent pas beaucoup de matière à la distraction. Presque tout ce qu'on voit est nouveau, et pourtant n'intéresse pas, quoiqu'il y ait beaucoup à apprendre dans le petit ménage maritime, pour celui qui veut observer. Quant à nous, nous nous occupions de toutes les bagatelles et recherchions la société des matelots pour être témoins de leurs plaisanteries, qui souvent étaient ingénieuses. Nous ne désirions pas mieux que d’être bien avec ces marins, car c'était certainement dans notre intérêt, comme naturalistes, de pouvoir compter sur leur aide dans toutes les circonstances possibles, puisque nous nous étions fait l'illusion de rassembler beaucoup d'objets d'histoire natu- relle, pendant notre voyage de mer; mais nous ignorions les difficultés qui nous atten- daient. Pourtant ces illusions nous avaient fait entrevoir un agréable avenir; de plus le capitaine nous avait donné l'assurance de favoriser autant qu'il lui serait possible nos ex- plorations sur mer. Nous n'avions rien négligé pour rendre ce voyage très-profitable pour la science. Pour nous procurer les animaux, nous étions munis de tout le nécessaire, comme: de fusils de chasse, de poudre et de plomb, de filets, de drèges, de grappins, de hameçons etc., ainsi que de la matière conservatrice pour préparer les objets destinés aux Musées et aux collections zoologiques. Tous les matelots nous promettaient de nous aider à capturer les oiseaux de tempête les plus rares, des poissons, des crustacés, des mollusques ete. Quel bel avenir! comme j'étais heureux! Depuis longtemps J'avais des idées chimériques basées sur la théorie, mais non pas sur la pratique; c’est-à-dire que j'avais avec moi des ustensiles pour essayer s'ils seraient bons à l'épreuve. Un de ces appareils était une visée flottante, entourée d’un rets et pourvue au-dessous d’un filet à poche en guise de carrelet. Sur le carré se trouvaient deux verges en fer auxquelles 19 était attaché un filet avec des anneaux qu'on pouvait faire mouvoir à volonté par trois lignes, dont les deux cordes extérieures servaient à le fermer et celle du milieu à le tenir ouvert. L'appareil fut attaché au navire, qui le trai- nait au moyen de cordes fixées au carré. J'avais inventé cet appareil pour capturer, s'il était possible, des pétrels, des albatros, des goëlands etc. Le capitaine et l'équipage qui avaient vu et examiné mon Appareil pour capturer des pétrels, ete. invention me promettaient de l'essayer à la première occasion. J'étais presque sûr que cette épreuve devait réussir, si du moins la marche du navire n’en était pas retardée; si c'eût été un bateau pêcheur, je n'aurais pas eu de crainte, parce que ces navires sont faits pour le train des seines. Enfin c'était un essai à tenter; et pour le moment je me contentai de l'espoir d’une bonne réussite. Le lendemain nous nous trouvämes à la hauteur de l’île de Wight, le Vectus insula des Romains, où annuellement une quantité de malades se guérissent par l'influence du climat salubre. La Polymnie était trop éloignée, pour que nous pussions distinguer la côte, ce qui était fâcheux pour plusieurs de nous qui désiraient revoir la terre, quoiqu'ils fussent à peine depuis deux Jours en mer. Tandis que mon ami van Dam s’entretenait avec CO‘, je regardais les mouettes qui nous suivaient de loin; c’étaient les mêmes espèces du jour précédent, mais peu de temps après j'observai encore des alcas (A/ca torda) et une quantité de marsouins (Delphinus phoecaena) qui sautaient et jouaient autour du navire. Ce fut la seule chose que je vis ce jour-là de l’histoire naturelle. Je me mis ensuite à côté de C”*”*, qui commençait une espèce de relation de sa vie; du moins il racontait à mon ami la raison pour laquelle il allait aux Colonies. A Paris il avait appris à connaître le monde aux dépens de toute sa fortune, rude appren- tissage, qui l’obligeait à s’expatrier, afin de recueillir les fruits de sa coûteuse expérience et de tenter de nouveau la fortune. Un de ses frères, un homme riche, lui avait fourni les moyens de devenir un homme indépendant. A juger par l'extérieur de monsieur le Parisien il me semblait qu'il commençait un peu tard à faire fortune, car 1l me parais- sait avoir plus de quarante ans. Quoique sa figure le fit paraitre plus âgé, il était animé de l’ardeur d’un jeune homme, en un mot il se comportait en vrai Parisien. Cet homme avait les plus grandes illusions; il se figurait pouvoir s'enrichir en peu de temps, dans les Colonies, et espérait retourner dans quatre ou cinq ans avec ses richesses à Paris, où beaucoup de ses amis et de ses amies l’attendaient avec impatience. En théorie il s'était formé un plan bien audacieux pour s'enrichir en peu de temps; il voulait fonder 3° 20 à l'ile de la Réunion, ou même à Madagascar un magasin d'articles parisiens sur les- quels il gagnerait, disait-il, 50 pour cent. Il était convaincu que ses frères l'aideraient de leurs fonds, et que les lettres de recommandation qu'il portait avec lui, adressées à plusieurs personnes de Saint-Denis lui ouvriraient le chemin pour arriver vite à son but, qui était pour nous une chimère. Notre entretien avec G fut interrompu par l'annonce du diner. Le lendemain nous nous trouvions à la hauteur de Beachy-head, où nous nous amu- sions à regarder des oiseaux de mer qui suivaient notre navire. Ils se tenaient main- tenant plus près de la Polymnie qu'auparavant, de sorte que M. B”” et moi résolûmes de les tirer. Je tuai un magnifique exemplaire du goëland mantelé (Larus marinus), mais il nous fut impossible de le prendre, ainsi qu'une mouette en robe de passage (Larus tridactylus) que M. B°” avait blessée. Nous étions à présent convaincus, combien il est fâcheux de chasser d’une telle manière les oiseaux de mer, quand on n’a pas le moyen de s'emparer de ceux qu’on a tués. Avec la moindre vogue du navire, les oiseaux tués ou blessés sont chassés par les flots et s'éloignent dans un instant du bâtiment. Si l’on veut les avoir, on doit attendre le moment propice qu'ils passent au-dessus du navire, et si l'on à alors le bonheur de les tuer ils tombent sur le pont; mais cela arrive peut-être une fois sur dix. Combien de fois n’a-t-on pas eu l’occasion de tirer du navire sur les oiseaux aquati- ques, mais le plus souvent sans résultat. Il est inutile de blesser ou de tuer ces pau- vres animaux, parce qu'en tombant dans la mer, ils restent généralement hors de la portée du chasseur. Le naturaliste tâche de se procurer des oiseaux pour enrichir la science d'observations nouvelles, et les cabinets d'histoire naturelle d'objets rares et curieux. C'est pourquoi il déplore la perte d'un animal qu'il tue ou qu'il blesse, dans un but plus noble que celui d’un chasseur ordinaire. On ne trouve que rarement des capitaines assez complaisants, pour faire mettre un canot en mer, afin de recueillir le spécimen désiré. Si nous avions eu le bonheur de trouver en notre capitaine un homme comme M. Neuilly, alors nous aurions certainement recueilli plusieurs espèces intéressantes d'oiseaux de mer. M. Neuilly lui-même était amateur passionné d'histoire naturelle, et chaque fois que l'oc- casion se présentait, il tâchait de se procurer des oiseaux aquatiques pour ses amis scientifiques de Nantes; ainsi que le témoignait le grand nombre d’albatros empaillés, qui pendaient partout dans son navire ‘). Pour le moment mon désappointement ne fut pas très grand, car les mouettes desti- nées maintenant au repas des requins ou d’autres poissons de proie, n'étaient pas assez rares pour être une grande perte pour notre collection ornithologique. Plusieurs jours se passèrent sans que nous observâmes rien de remarquable, et nous fümes obligés d'occuper notre temps par la lecture et les entretiens journaliers, jusqu'au 1) Voir: Brieven van Hendrik Boïe geschreven uit Oost-Indie en op zijne reize derwaarts, p. 142, 21 23 Décembre, quand la vue de l'ile Madère, à une distance de 20 lieues marines , nous donna quelque distraction. Depuis quelques jours nous avions déjà éprouvé l’in- fluence d’un climat plus doux, M" B'** se sentant ranimée put jouir avec nous du zéphyr fortifiant de ces régions. Le ciel d'un bleu azuré ne montrait aucun nuage; il était clair et transparent. La mer était presque calme, une petite houle balançait seu- lement le navire sur les ondes, et une faible brise qui enflait à peine les voiles de la Polymnie nous portait le long de la partie ouest de l’île, laquelle quoique masquée un peu par un léger brouillard, se montra à nous toute la journée, et me permit d'en faire un croquis; ce qui nous fit voir qu’il existait encore quelque autre chose sur notre globe que le ciel et l’eau. Madère. Dès que le soleil fut levé, nous vimes au-dessus de l'extrémité de l'ile de petits nuages ronds (Cirro-cumulus) placés horizontalement, d'une couleur blanche au centre et grise à l'entour. Il était bien dommage que nous ne pussions pas distinguer plus parfaitement celte île, laquelle, suivant la tradition, ne doit avoir été qu’une immense forêt, delà son nom Madère, lorsque les Portugais J. Gonzales Zarco, Texeira et Parestrello, la découvrirent en 1419 ; on y mit le feu deux ans plus tard, et suivant la tradition l’incendie dura sept ans. Sur la cendre de ces arbres, on planta la vigne et la canne à sucre, qui y croissent au-delà de toute espérance. Les passagers commençaient de plus en plus à s’accoutumer à la vie maritime, et plusieurs d’entre eux étaient tellement changés d'humeur qu'on ne les reconnaissait pas. Dans les premiers jours, chacun se couchait aussitôt que l'obscurité remplaçait la lumière du jour, mais dès le moment que l’île Madère se trouva derrière nous, tous les passa- gers profitaient de la fraicheur des soirées, que la lumière blanche de la lune éclairait comme en plein jour. Alors on demeurait ordinairement jusqu'à minuit sur le pont à causer de la patrie lointaine, ou à écouter sur le gaillard les plaisanteries souvent fort amusantes des matelots. J'éprouvai une vive satisfaction, lorsque je vis treize jours après, pour la première fois, des oiseaux de tempête, au 27° 40’ Lat. N. et 24° 35’ Longt. O. Par. C'était la petite espèce bien connue du Procellaria pelagica, à laquelle nos matelots donnent les noms de Satanite et d'Alcyon, que je voyais voler à la surface des flots à l'instar des martinets. Au premier moment, je crus voir un grand papillon blanc, mais je vis bientôt que je m'étais abusé; la tache blanche au croupion de l'oiseau, qui est d'une couleur foncée, m'avait trompé de loin. Suivant les marins ces oiseaux ne prennent jamais leur nourriture avee le bec mais avec les pattes. Je doute fort que cette aflirmation soit juste. Ces charmants oiseaux aquatiques furent les seuls que nous observames, pendant que notre navire poussé par une excellente brise s’avançait si rapi- dement, que déjà le 29 Décembre nous aperçümes les montagnes pointues de l'ile du Sel, une des îles du cap Vert. ile du Sel. Nous l’entrevimes à 12 lieues marines, pendant un jour clair, comme une longue bande de terrain, mais lorsque le soir commença à tomber nous pûmes la distinguer plus par- faitement. Chacun, ainsi que moi, trouvait agréable de revoir la terre, car la vue d’une roche ou d’une pointe quelconque sur l'immense étendue de l'océan fait une impression, non seulement sur le simple passager, mais aussi sur les marins habitués à la vue de l’eau et du ciel. Aussi de chaque bouche on entendait le cri: terre! terre! Je cherchais à m'expliquer la raison de ce sentiment de joie à la vue de la terre. Quant à moi je crois que c’est plutôt l'idée imaginaire de se trouver moins en danger et moins aban- donné. Je me serais livré à ces réflexions philosophiques, si la vue d’une quantité de poissons volants, à la surface des flots, n'avaient attiré mon attention. Ils se montraient en bandes de trente à cinquante individus, et n'étaient pas plus grands que des sardines. Je comparais leur vol à celui d’un moineau qui vient de quitter son nid; à chaque instant ils touchaient de leurs nageoires les flots, qu'ils franchissaient plutôt en parachute qu'en vol. Peut-être les dorades ou d’autres grands poissons voraces les poursuivaient à l’envi, mais je ne pouvais les apercevoir; ce qui me fit penser qu'ils faisaient leurs courbettes pour s'amuser, en passant d’un élément à l’autre. Le dernier du mois, on caplura un poisson volant, à la hauteur de 10° 35 Lat. N. 24° 50’ Longt. O. Par., qui avait sauté le soir sur le pont. Il avait la grandeur d’un hareng ordinaire, et par la bonté du second, nous pûmes l’examiner et le conserver 23 dans l'alcool. Il avait perdu beaucoup de ses écailles par le mouvement qu'il venait de faire, mais comme c'était le premier exemplaire pour notre collection ichthyologique, nous étions heureux de le posséder, en dépit des voyageurs qui auraient bien voulu connaître le goût de ce poisson pour nous si précieux. Les poissons volants font un bruit extraordinaire quand ils tombent sur le pont d'un navire. Lorsque ce poisson venait de sauter sur le tillac, le second croyait qu’une corde tombait de la mâture. On m'assura que si un tel poisson de la plus grande espèce vient à rencontrer dans son saut un homme, il le renverse. Ces poissons sont considérés comme un mets délicieux, et c’est pour cela qu’on ne peut guère les obtenir pour un but scientifique, quand ils sont d’une certaine grandeur. Le jour de l'an, j'aperçus parmi les satanites de plus grandes espèces encore, que je crois être le Procellaria oceanica de Kuhl. Ils étaient moins farouches que les Proc. pelagica. La mer était calme, et bientôt nous eûmes le bonheur d’apercevoir derrière le navire trois dorades superbes, connues dans la science sous le nom de Coryphaena equisites. Aussitôt que les marins et les passagers les virent, ils se hâtèrent d’arranger des lignes de pêche, afin d'attraper ces beaux habitants de l'Océan: ce qui était bien naturel, puisque depuis notre départ nous n'avions pas eu l'occasion de manger de poisson frais. C‘** se fit connaître alors comme un pêcheur passionné, ce que j'attribuai plutôt à son grand désir d’en manger qu'à son talent de les attraper. Mais, quel désappointement! Les poissons n'ayant pas le désir de mordre à l’appât, M. C** dut se passer pour le présent de ce mets désiré. Les efforts même du maître d'équipage pour les harponner furent inutiles et ne servirent qu'à effrayer les poissons, qui abandonnèrent le voisinage de la Polymnie. Le capitaine qui eut la bonne idée de nous servir à table du vin de champagne, nous fit bientôt oublier notre désap- pointement. Avant le soir, nous observâmes encore quelques poissons pilotes (Naucratus ductor) qui nous firent supposer de voir bientôt des requins, mais tout le temps que je demeurai sur le pont, je ne vis aucun-squale; ce qui me fit croire que ces jolis poissons ne sont pas toujours les compagnons intimes de ces monstres. Nous revimes le 4 Janvier les deux espèces de satanites, et vers le soir nous enten- dimes le fort soufflement des baleines. Le jour suivant nous aperçümes à quelque dis- tance du navire une bande considérable de thons (Scomber thynnus), qui malheureuse- ment n'avaient pas envie de nous approcher assez pour qu'il fût possible de leur pré- senter l’appât. Depuis quelque temps, j'observais le soir dans la mer des êtres phosphorescents, qui avaient la forme de figures ovales. Ma curiosité fut tellement excitée, que j'aurais désiré les voir de plus près; mais comme ils disparaissaient à chaque instant de la surface de l’eau, je ne songeais pas qu'il fût possible d'en prendre. Me trouvant de nouveau près du gouvernail, où je me mettais d'habitude en observation, je ne pus réprimer le désir de posséder quelques-unes de ces lumineuses. Je m'adressai au capitaine pour lui de- mander d'en faire prendre, mais le bonhomme me répondit en souriant, que ces figu- ves que je prétendais être des animaux, n'étaient que des parties salines, qui se trouvaient dans l'eau de mer. Il consentit pourtant à faire prendre de ces objets, pour me prouver que lui, et non pas moi, avait raison. Comme les passagers et les matelots étaient curieux de savoir si ces choses étaient des êtres animés, ou bien des parties salines, ils se hâtèrent de me les procurer; il y en avait même parmi eux qui voulaient parier avec moi, que le capitaine avait raison. Comme naturaliste, nous savions que le Gentil!) el Forster 2), attribuent le brasillement de la mer à un frottement électrique des flots contre le navire avançant, et il n’est donc pas étonnant que notre capitaine, qui n’était pas naturaliste du tout, prétendait que ces figures phosphorescentes n'étaient que des parties salines se trouvant dans la mer. Heureusement que nous vivons dans un temps où l'on a pu mieux observer que Gentil et Forster; et que nous savons que le brasillement de la mer est causé par des millions d'animaux phosphorescents. ën un instant le maître d'équipage avait attrapé, au moyen d'un panier attaché à une corde, cent-quatre-vingt-dix de ces figures douteuses pour les spectateurs, mais que je reconnus de suite pour des Pyrosomas. Tous les assistants étaient en extase, et le capitaine fut le premier à s'écrier. Qui aurait jamais cru que ces choses fussent des animaux, ou pussent en contenir! — À quoi je lui répondis: Voilà le triomphe de la science, n'est-ce pas? Je plaçai alors les Pyrosomas dans une cuve remplie d’eau de mer; à peine s'y trou- vaient-ils qu'ils cessèrent de répandre leur lumière; mais lorsqu'on donnait de petites secousses à la cuve, pour les mettre en mouvement, ils recommençaient à luire de nouveau. D'abord chaque mamelon, qui se trouvait sur le cône, luisait, et ensuite toute la surface de celui-ci. La lumière blanche avait beaucoup de ressemblance avec celle du fer rouge, mais aussitôt que l'éclat s'amoindrissait la couleur tirait au bleu. Il était très curieux de voir qu'à l'instant où un seul cône répandait sa lumière, tous les autres le faisaient au même moment. Je pensais que les Pyrosomas, comme les Physalias, cau- saient une douleur brûlante à la main qui les touchait, mais au contraire, ils étaient froids au contact. En les pressant dans la main, le liquide qui en sortait ressemblait à des grains de pluie d'or, mais faisait perdre au cône une grande partie de sa force vitale, ou plutôt de son pouvoir lumineux. Cependant, replacé dans l’eau de mer, il recommençait bientôt à répandre sa lueur phosphorescente, mais moins lumineuse et d'une couleur bleuâtre. Je coupai aussi un cône en plusieurs morceaux, pour voir s'il perdrait alors son pouvoir lumineux, mais chaque morceau luisait aussi. Si on tient le cône pendant quelque temps dans la main, il se fond et les mamelons disparaissent. 1) Le Gentil, Voyage dans les mers de l'Inde 1779. t, 1. p. 685—6G98, 2) Forster, Reise um die Welt. 1783. S. 57, 25 En touchant le cône, on trouve qu'il a la nature du cuir, et à l’odorat, il a l’odeur des poissons. S'il ne répand pas sa lumière, il est d’une couleur blanche brunâtre, mais en le prenant dans la main, il ressemble à un petit morceau de glace limpide. On sait que les mamelons dont le cône est orné ne sont que de petits tubes dans lesquels se trouvent des animaux microscopiques. Le cône est pourvu au côté le plus large d’une ouverture, qui s'élargit ou se rétrécit à volonté. Dans le cône, qui est creux, on voit, quand on le divise en deux parties égales, une quantité de canaux, qui conduisent des mamelons à la cavité. En le disséquant, j'observai un grand nombre de petits points noirs filamenteux, probablement des restes de nourriture. Les mamelons étaient crochus; mais comme J'avais un microscope qui n'agrandissait pas assez, il me fut impossible de l’examiner comme je l’aurais voulu; de plus il m'aurait élé très utile de voir les animaux microscopiques qui vivaient dans les mamelons. A mesure que ces animaux meurent, le cône devient plus petit et perd presque tout à fait la vertu élastique qu'il possédait auparavant à un si haut degré. J'ai déjà dit, qu’en tenant le cône dans la main il fondait par la chaleur, mais ce fait a lieu aussi quand il demeure dans l’eau exposé au chaud. Alors la fonte se fait comme le dégel de la glace; il commence par les petites ouvertures et s'étend ensuite sur toute la surface du cône. La figure que je donne ici de la Pyrosoma, est copiée sur un dessin que j'ai fait d’après nature à bord; j'en avais mis aussi une trentaine dans Pyrosoma Polymnise 1). l'alcool, mais peu de temps après je ne retrouvai rien qu’une petite peau très mince et transparente. Ces animaux furent capturés au 4° 10° Lat. N., sur 25° 5’ Longt. O. Par. Ils avaient la longueur de 9 centimètres et la circonférence de la plus large partie mesurait 3!/, centimètres. Ce n’est certainement pas exagéré quand M. Bibra raconte dans sa relation de voyage au Chili, qu'il lisait à haute voix une petite description d’un manuel zoologique à un ami à l’aide de la lumière que répandaient six à huit Salpas, car si l’on avait été témoin de la lumière que les cent-quatre-vingt-dix Pyrosomas rendaient, on aurait pu voir qu'une grande partie de la dunette était éclairée. Il était curieux de voir que la lumière donnait une couleur bleuâtre à ceux qui entouraient la cuve qui contenait ces animaux remarquables. On peut eroire que les passagers et l'équipage étaient très divertis par la 1) En comparant cette Pyrosoma avec la Pyrosoma atlantica, je crois voir une telle différence en grandeur et forme, que je n'’insiste pas de la conférer, si ce n’est que provisoirement, le nom spécifique de Polymniae en souvenir du navire sur lequel elle fut capturée, 4 26 vue de ce beau spectacle de la nature, qui fit souvent encore le sujet de leurs causeries. Le 9 Janvier nous vimes pour la première fois quelques oiseaux de tempête à flèche (Procellaria cinerea), mais comme c'était justement l'heure du diner, je n’eus pas l'occasion de les observer convenablement. A peine étions-nous à table, qu'un matelot vint annoncer que nous serions le lendemain à la hauteur de l'équateur. Cette décla- ration fit rire tout le monde, puisque le messager vêtu de pied en cap en burail rouge était assis à cheval sur un de ses camarades, qui se promenait sur les mains et les pieds pour lui servir de sommier, tandis que le postillon tenait dans la main un petit panier dont on ne pouvait voir le contenu; mais notre curiosité füt bientôt CEL satisfaite, lorsque M. C*** voulant l’examiner de plus près reçut du postillon une telle poignée de farine sur la tête qu'il parut changé tout à coup en meunier; ce qui nous fit éclater de rire quoiqu'il se fâchât furieusement. On conçoit que le postillon bizarre se hâta de nous quitter, afin de calmer la colère de l'infortuné C°""; mais celui-ci voulut démontrer au capitaine que c'était un honte que ce matelot lui eût manqué de respect, et qu'il exigeait la punition de cet insolent. Le capitaine lui répondit que c'était sa propre faute, et la punition de sa curiosité à vouloir examiner le contenu du panier; qu'il ne pouvait pas punir cet homme pour une plaisanterie, et qu'il lui conseil- lait de ne pas s'emporter de la sorte; sinon il deviendrait le lendemain la risée de l'équi- page, puisqu'on devait passer la ligne, et que lui alors n'aurait rien à dire. Chacun” poursuivit le capitaine, »qui passe pour la première fois de sa vie l'équateur doit subir le même sort, que des milliers de marins de tout temps avant nous ont subi. Préparez- vous done tous, mes amis, à ce jour de fête, que mon équipage célébrera en l'honneur du dieu de l'océan, le fameux Neptune; et résignez-vous à supporter les plaisan- teries, qui seront plus fortes que celle dont M. C*"* à été la victime, mais dont l'unique but est de vous amuser, et non de vous tracasser, comme on pourrait le croire. Néanmoins vous ne devez pas vous attendre à voir une fête de Neptune, semblable à celles de nos ancêtres, dont nous parlent les anciennes relations de voyage. Je vous assure que demain, quand nous nous mettrons à table, et que j'aurai l'honneur de vous offrir du vieux vin de la Polymnie, vous aurez bien vite oublié les petites plaisan- teries de mes matelots, et vous emporterez avec vous un agréable souvenir de cette ancienne fête célébrée demain sous l'équateur.” En terminant ces paroles, le capitaine Kkkk se versa un verre de vin, qu'il but à la santé de M. GC”. AKkAX Non seulement C"*, qui s'était calmé pour le moment, mais nous aussi et quelques autres passagers, qui pour la première fois devaient passer la ligne et assister à cette fête bizarre, nous n'étions pas sans inquiétude, quoique les paroles du capitaine nous faisaient espérer que ce ne serait pas si barbare que nous l’avions supposé. 2" disait qu'il ne quitterait pas sa cabine de toute la journée pour ne pas se prêter au stupide badinage de l'équipage, car il avait déjà assez de l'avant-goùt. C'était puéril de notre part d’avoir quelque crainte, mais on nous avait fait entrevoir que nous serions exposés à toutes sortes de grossières impertinences. Toute la soirée nous causâmes ensemble sur ce sujet, de sorte que nous nous couchâmes vers minuit pleins d’appréhen- sions sur la fête du lendemain. Nous nous trouvämes déjà de grand matin sur le pont, pour avoir l'occasion de parler au maître d'équipage, qui devait figurer comme Neptune, afin de lui offrir un pour-boire pour l'équipage, ce qui d’après l'assurance du capitaine aurait un bon effet sur eux, et exciterait leur pitié envers nous. C‘***, qui était encore dans sa cabine ne savait rien de cette démarche, sans quoi il se serait aussi servi de ce moyen, comme nous, afin de gagner les matelots. L'équipage savait trop bien que C°” ne pouvait pas supporter le badinage, c’est pourquoi ils résolurent tous ensemble d'user de la liberté qu'ils avaient, pour le corriger pour toujours, à leur manière, de cette mesquinerie. Quelque temps après arriva sur la dunette le plus vieux matelot, accom- pagné d’un autre habillé d’une très drôle façon, portant un sextant monstrueux; il demandait à parler au capitaine. Ce sextant était d’une fabrication bizarre, et la vue nous fit rire de bon coeur; il était composé de trois douves clouées l’une sur l’autre en forme de triangle, au bout duquél était attachée une boîte de conserves vide, ainsi que de couvercles pareils, qui remplaçaient les lunettes. Aussitôt que le capitaine se présenta, le vieux marin porta cette espèce d’instrument à l'oeil, regarda le soleil, ensuite le quasi- radiomètre, après quoi il dit d’un ton ferme: Zéro degrés! Zéro minutes! Zéro secon- des! Vous l’entendez, capitaine, nous sommes à présent sous la ligne, et vous aurez la bonté de me confier maintenant la Polymnie, qui vient d’entrer dans les eaux de notre Prince.” Notre capitaine donna en souriant sa permission, et après que le nouvel amiral eut donné quelques ordres à ses subordonnés, il fit signe qu'on commençât la cérémonie. Tous les passagers, excepté C****, étaient réunis sur la dunette, lorsque l'équipage arriva en pompe de l'avant vers nous. La marche se composait de Neptune et de son épouse, un barbier, un diable, un curé, le père de la ligne et un bon nombre de Néréides. Chacun de nous ne pouvait s'empêcher de rire à la vue des costumes bizarres des acteurs. Neptune qui était représenté par le maitre d'équipage était très reconnaissable à sa très longue barbe grise, qu’on avait faite de corde eflilée; sa tête couronnée et son habillement de lambeaux de toile à voile, qui laissait voir ses bras musculeux lui don- naient un aspect comique. Il tenait dans sa main gauche une fouêne et dans l’autre, la main grossière de Madame Neptune, qui avait en outre sa crinoline, une vieille couver- ture de laine pour shawl, et un en guise de chapeau cabas, avec de petites ficelles gou- dronnées au lieu de rubans. Le barbier armé d’un grand rasoir de bois et d’un pot rempli de farine, avait un costume non moins bizarre. Le curé portait l'habillement de l’inno- cence. Ce costume était aussi celui des Néréides, qui avaient eu l'idée de faire voir leurs bras et leurs jambes; heureusement pour les bonnes moeurs, que ces Néréides ap- partenaient au genre masculin. Le plus curieux à voir de tous les acteurs était un jeune 4° 28 matelot, maigre, mince et d'une très longue taille, qui représentait le diable de mer, en costume d'Adam, son corps goudronné du haut en bas et ensuite recouvert de plumes de poule. Get homme d'un aspect affreux ouvrait la marche en dansant et en sautant; le cortège fit deux fois le tour du navire, et s'arrêta sur la place où la cérémonie du baptême devait avoir lieu. Elle était indiquée par deux grandes cuves remplies jusqu’au bord d’eau de mer, ainsi que par quelques seaux comme trabans. C'etait là que Neptune accueillait les nouveaux venus dans son empire. L'ouverture de la cérémonie commença par un appel de tous ceux qui devaient être baptisés, pour avoir la permission de franchir la ligne de son royaume. Tous les passagers, parmi lesquels nous nous trouvions aussi, vinrent un à un devant l'assemblée des juges, qui nous ordonnèrent de prendre place l’un après l’autre sur une planche, qu'on avait mise sur la cuve; après quoi Neptune ordonna à son barbier de nous raser, afin d’être dignes de recevoir le baptême. Celui-ci commençait par frotter la figure du nouveau client avec de la farine, après quoi il la raclait avec son grand rasoir en bois, de manière que le sang lui montait au visage; cette opération douloureuse terminée, deux des Néréides lui jetaient quelques seaux d’eau de mer sur la tête, et le baptême barbare était complet. Madame B°**, comme n'appar- tenant pas à notre sexe, fut exclue de ce baptême; elle reçut néanmoins de la propre main de Neptune quelques gouttes d’eau dans sa charmante figure. Nous n’étions pas jaloux de cet honneur dû à son sexe, heureux que nous étions de n’avoir reçu qu'un seul seau d’eau sur le corps; nous étions redevables de cette générosité du Dieu de la mer à l'offrande que nous avions faite le jour précédent. C** avait tenu parole, car il ne s'était pas montré lorsqu'on fit l’appel, mais cela ne lui servit à rien, car Neptune ordonna au Diable de mer d’aller lui-même annoncer à M. C** de paraître devant lui, et quoique le bonhomme dît qu'il était souffrant et qu'il se moquait de cette fête stupide, on le força néanmoins à subir la loi de Neptune. Le malheureux C7" \ fut placé à moitié habillé sur la planche et supporta la pénitence non sans résistance, car deux des Néréides furent obligées de le tenir assis, jusqu'à ce que l'opération fut faite par un baptême de plusieurs seaux d’eau sur la tête, ce que l’on fit d'une rude manière, en retirant la planche de dessous lui, de sorte qu’il tomba dans la cuve remplie d’eau. On peut se figurer la triste figure de GC”; tout le monde éclata de rire, Car personne n'avait pitié de lui; c'était sa propre faute, il n'avait pas voulu subir une plaisanterie qui existe depuis des siècles, et que maintenant on lui avait administrée rudement, à cause de son opiniätrété. Quant à moi, je détestais peut-être encore plus que lui cette grossière tracasserie, mais comme 1l me manquait la force de lutter contre ces usages sauvages, je m'étais résigné à subir avec patience cette cérémonie désagréable. J'étais étonné de moi-même, car mon caractère n'était pas moins vif que celui de M. C””. Mais à quoi bon se fâcher? C’eût été encourager davantage les plaisanteries de l'équipage. Chacun se hâta de changer de linge pour entendre, en revenant sur la dunette, le 29 sermon très drôle du matelot-curé, après lequel il rendit grâce au Dieu de la mer et aux Apôtres de la Polymnie, parmi lesquels se trouvaient quelques-uns qui avaient suivi dans une qualité bien inférieure l'exemple de St. Pierre comme martyr. Après ce sermon, le Père de la ligne offrit à chacun des baptisés un certificat de ce sacrement, qui devait le préserver à l'avenir de ce baptême extraordinaire. M. van Dam et moi nous eûmes soin de les bien conserver; de sorte que je suis à même de reproduire ici ces curieux spécimens, comme preuves d'orthographe et de style. Nous soucigné, père de la ligne et sa suite, déclarons que le nommé Mer. Polen a passé dans mes états le 10 Jeanvier 1864 et a reçu le Sl.-baptéme indispensable au passage de la ligne, en foi de quoi nous lui avons delivré le présent pour le servir ou Besoin sera, le otorisé du père la ligne. Signe Pre, À et le bout du gardéan. téte de caille mouton. Bossoir du tribord. vista per le padra Brasse a babord. de l’équatoria Brasse derrière. fernandez. Nous soucigné père la ligne et sa suite déclarons que Mr. Adam «a passé dans mes états le dix Jeanvier 1864 « voulu étre batisé pour renouvlé sa féte du St. Baptemme « voulu montré l'exemple a tous ses compatriotes et faire valloir les droits du père la ligne. En foi de quoi nous lui avons délivré le présent pour lui servir et valoir au besoin. Signé le père la ligne Neptune mostradamus. Le Bravissimo y so ragacha. Si un artiste d'esprit, comme Gavarni avait été témoin de ce spectacle bizarre; il n'aurait pas manqué de reproduire par son crayon les types comiques de ces acteurs, que je ne viens de décrire qu'imparfaitement. Je n'ai pas besoin de dire que tous ces gens, plus ou moins, étaient sous l'influence de Bacchus, puisque le capitaine leur avait donné plus d’une double ration de vin et d’eau de vie. Non seulement l'équipage, mais aussi les passagers avaient bu plus qu’à l'ordinaire. Grâce à l'obligeance du capitaine qui nous avait offert les meilleurs vins du navire, nous portâämes plusieurs toasts aux parents et amis lointains. La fête eut lieu par un de ces beaux jours qu'on trouve toujours sous l'équateur; le ciel était d’un bleu azuré et la mer d’un calme plat, mais les rayons du soleil perpendiculaires occasionnaient une chaleur étouffante. Il n’était donc pas étonnant, que plusieurs d’entre nous se couchèrent après le repas sous la tente de la dunette, pour se reposer de ces scènes fatigantes, mais ce ne fut que d'un sommeil léger, car l'équipage faisait un vacarme violent. Ces gens ivres s’amusaient à JÙ danser avec accompagnement d'une musique plus que dissonante, après quoi ceux qui élaient le plus accoutumés à ces Bacchanales jouèrent jusqu'à minuit aux cartes. Non seulement nous avions eu le bonheur de passer la ligne mais aussi de la voir; car le capitaine avait eu la plaisante idée, de tendre dans une longue vue un fil qu'on ne pouvait pas apercevoir à l'extérieur, mais qui se présentait à l'oeil en y regardant comme une ligne à l'horizon, et par ce moyen quelques-uns restèrent dans la ferme conviction d'avoir vu l'équateur. Après ce jour plein de fatigues, le repos de nuit nous était bien nécessaire de sorte que plusieurs d'entre nous furent plus paresseux que d'ordinaire. Etant venu sur le pont je vis quelques matelots qui s'amusaient au soleil du matin à fumer leurs pipes sur le gaillard ; l’un d’eux attira mon attention par le cri: Voyez, des galères !” Je croyais d'abord voir un certain genre de navire qu'on appelle ainsi, mais on m'indiquait dans la mer des espèces de boules rouges, qui se berçaient sur les flots. En les voyant de près il me parut que ce n'était autre chose que des Physalias pylagica. Suivant l'équipage on ne les rencontre que rarement à la hauteur à laquelle nous nous trouvions. Ce n’est pas à moi à juger si ces gens-là étaient encore plus ou moins sous l'influence de la fête du jour précédent. Quelques Procellarias voltigeaient autour de ces animaux flottants et tâchaient de s'en emparer. La hauteur méridienne à laquelle la Polymnie se trouvait était de 15° 0° Lat. Mér. 30° 5° Longt. O. Par. et nous eûmes alors la bonne fortune d'attraper les vents alizés dans toutes les voiles, qu'on avait déployées pour atteindre aussi vite que possible les 40° Lat. Mér. En observant les Physalias, j'apercevais qu'ils ne s’inquiétaient pas le moins du monde des fortes vagues qui troublaient la mer. Si je ne me trompe, tous les voyageurs ont observé les Physalias en mer calme, tandis que moi je les ai vus dans une mer forte- ment agitée. Il me paraissait qu'ils voyageaient en famille, puisque j'en comptai bien une cinquantaine, qui à de petits intervalles se présentaient à ma vue en petits grou- pes, tantôt de trois à quatre, tantôt de cinq ou plus à la fois. Je fus fortifié dans mon opinion, puisque je n'en vis plus un seul après ce jour, qui du reste n'offrait rien de remarquable. Nous nous réjouissions néanmoins du changement de notre vie maritime, car les vents alizés, que nous avions rencontrés, élaient cause que nous nous appro- chions de plus en plus de notre but. Le 12 Janvier nous renconträmes quelques Delphines (Delphinus delphis) ; mais nous ne fümes pas assez heureux d'en attraper; c'était la première fois que nous obser- vions cette espèce pendant notre voyage. Le lendemain nous aperçümes un oiseau de tempête tout noir, de la grandeur d’un Pierre garin. Le vol de cet oiseau était rapide et ressemblait beaucoup à celui du Sferna. de crois être certain que e’était le Pufinus Fulginosus de Strickland. Plusieurs des passagers s’amusaient à présent à pêcher à la ligne, afin d'attraper des thons, des dorades et d’autres poissons. C'était surtout M. C*”* o1 qui était amateur de cet amusement, et qui avait la patience de pêcher des heures entiè- res. Quelques-uns de nous avaient remarqué, que M. C** n'avait pas eu encore le plaisir d’en prendre; c’est pourquoi ils voulurent le surprendre d'une manière qui lui devait être désagréable. M. C** pêchait toujours à l'arrière de la dunette près du gouvernail, de sorte que sa ligne passait devant les fenêtres de la poupe, dont on s’en aperçüt du haut de la dunette. Alors tout LELES pouvait s’en emparer, sans que M. C à coup quelqu'un se rendit maître de la ligne; M. C mordu à l’hameçon, demanda l’aide du maître d'équipage, qui se trouvait tout près de lui sur le pont. Celui-ci, qui savait trop bien que c'était un poisson à deux pieds, voulut s'amuser à ses dépens et se hâta de lui offrir son secours. Au moment où l’on XKkKX croyant qu'un gros poisson avait faisait des efforts pour tirer la ligne, un d’entre nous, qui était à la fenêtre de la poupe, la coupa près de l’hameçon, ce qui fit croire à C°”* qu'un gros poisson l’avait rongée ; de plus le maître d'équipage cria: ”Sapristi, c’est dommage, voilà que nous venons de perdre un grand bougre. On comprend que C*** qui ne savait rien de tout cela était désolé de cette perte, dont il parla toute la journée, et nous en rimes de bon coeur pour le moment; mais lorsqu'une autre fois on pendit tout autre chose qu'un poisson à son hameçon, il comprit bien vite qu'on se moquait de lui; et aucun de nous n’eut la hardiesse de recommencer ce badinage, afin de ne pas exciter sa colère. On s’amusait souvent aux dépens de OC”, mais bien que j'avoue que c'était de l'im- portunité, je dois dire en même temps que C°”* lui-même en fut souvent la cause, car il était quelquefois bien excentrique. Ainsi il exigea du capitaine pendant quelque temps, chaque matm au lieu du café ordinaire, du chocolat, parce qu'il prétendait qu'il payait assez pour la traversée pour qu’on lui accordât son désir. Quand on mangeait des pou- lets, ce qui arrivait souvent, il se plaignait au capitaine qu'on ne lui donnait jamais le croupion, qu'il aimait tant. Chacun se moquait de cette observation puérile, mais le capitaine le punit en lui donnant, chaque fois qu’on mangeait du poulet, ce petit morceau, jusqu'à ce qu'il en fut rassasié. Dès ce moment M. C** reçut de l'équipage le surnom de Monsieur. Croupion. Le lendemain nous eûmes la bonne chance d’attraper un hareng volant, qui après un examen sérieux parut être une nouvelle espèce pour la science. Mon savant ami M. P. Bleeker, a eu la bonté de la décrire !) et me fit l'honneur de conférer mon nom 1) Voir: Description d’une espèce inédite d’Exocet, découverte par M. François Pollen, par P. Bleeker, dans le tome III du Nederlandsch tijdschrift voor de Dierkunde, 1866, p. 130. Cette espèce est fort voisine de l’Exocoetus speculiger, Val. et a les pectorales colorées parfaitement de la même manière. Cependant dans cette dernière espèce le corps ost plus trapu et plus large, la tête plus grande, l'espace interoculaire plus large que le diamètre de l'oeil, la longueur de la tête ne mesurant que 12/- fois la distance entre Vorifice bronchial et la ventrale, la pectorale dépassant notablement le dernier rayon de la dorsale, les ventrales atteignant les derniers rayons de l’anale; tandis que la formule de la dorsale et des pectorales y est comme D. 1/,, ou 1/,5° P. 1/4 L'espèce atlantique est bien positivement distincte de celle des Indes et de l'Océan pacifique. C’est une forme intermédiaire entre celle-ci et l’Exocoetus altipennis, Val., qui lui aussi, a une bande transparente et transversale 92 à cetle espèce. Avec quelque raison une de mes connaissances en la voyant, me disait: /Eh bien! Pollen, vous êtes donc devenu le Hollandais volant!” Comment, moi?” » Mais oui, puisqu'on à donné votre nom à un poisson volant.” C'était à deux heures du matin qu'on attrapa l'Exocoetus Polleni à 4° 34: Lat. S. 32° 44 Longt. O. Par, et que j'eus le bonheur de conserver pour la science, quoique j'aurais volontiers voulu faire frire mon homonyme pour Madame B°” qui était bien souffrante. Hareng volant. Le 19 Janvier nous vimes les mêmes pétrels que nous avions observés sous l'équateur, c’est-à-dire Procellaria cinerea; mais vers le soir, non loin de l’île de la Trinité, nous eûmes un joli spectacle. Plusieurs frégates (Tachypetes aquila) jouaient en l'air et se laissaient tomber de temps en temps soudainement dans les flots, pour faire la chasse à une bande de bonites, qui se montraient à chaque instant à la surface de la mer. Deux jours après nous eûmes le bonheur d'attraper un poisson sabre, qui devait orner la table, puisque tous les passagers désiraient manger du poisson frais; néanmoins en guise de consolation on nous donna la peau à conserver. L’équipage nous assura qu'il était bien rare d'attraper cette espèce; ce qui est bien probable, puisque un matelot qui avait navigué pendant vingt ans n'avait été témoin que deux fois de cette pêche. Le Gympylus serpens qu'on venait de pêcher, avait une longueur d’un mètre trois décimètres et mesurait sur sa plus grande largeur quatorze centimètres. La couleur du dos, de la tête et de l’avant-partie des mâchoires, ainsi que de la queue et des nageoires dorsales était d’un noir verdâtre, tandis que l’anale et les pectorales étaient d’un blanc sale. Le peau était unie, sans écailles et d’une couleur argentée éclatante, mais le ventre était blanc. De la queue jusqu'à l'implantation des pectorales on observe une ligne mince et noire. Les yeux sont grands, l'iris d’une couleur argentée et la pupille d'un noir verdâtre. sur le milieu de la pectorale, mais qui du reste se distingue de l'espèce actuelle par la longueur du museau, qui égale le diamètre de l’ocil; par des yeux plus petits, dont le diamètre va 31/, fois dans la longueur de la tête; par la hauteur de la dorsale et de l’anale, dont la première, à en juger du moins d'après la belle figure dans la grande Histoire naturelle des poissons, commence fort en ayant de l’anale, etc. 39 La vessie natatoire manque; la laite a la forme d’un tube et occupe en deux lobes la plus grande partie du corps; le foie et la cholécystite sont grands; la première nageoire dorsale à trente rayons épineux et la seconde en a dix-huit. Les grands rayons de la queue sont au nombre de sept et l’anale en a onze. Derrière cette nageoire se trouvent six petites pectinifères. Les nageoires pectorales sont très petites en comparaison du corps et ont quatorze rayons. La tête est grande, et la mâchoire inférieure est plus longue que la mâchoire supérieure et forme un point, qui en le touchant est de la nature du cuir. Le palais est garni de grosses dents pointues. Au déjeuner nous mangeämes de ce poisson, dont le goût rappelait celui des maque- reaux ordinaires, auquel genre il appartient du reste. La chair en était pourtant plus sèche et la peau était si mince qu'on pouvait à peine la détacher du corps. Quelque temps après le 23 Janvier, nous vimes devant la proue plusieurs dauphins, auxquels on donna la chasse. Un matelot en harponna un, mais il ne réussit pas à le tirer à bord. Je tenais l'espèce pour le Delphinus orca, puisque la coloration ressemblait beaucoup à celui-ci et qu'il mesurait à peu près six à huit pieds. Il est remarquable que si on blesse un seul parmi une bande de dauphins, toute la compagnie se sauve et ne se montre plus à la-surface de la mer. Ces animaux nagent comme un brochet qui est au guet, et se jettent tout à coup sur leur proie, mais toujours dans une direction oblique. Il faut beaucoup d'adresse et de force en les harponnant pour que la lame du harpon entre assez avant dans la chair; car si on ne lance pas le harpon avec assez de force et qu'il entre dans les côtes ou dans une autre partie du corps, on est sûr de le perdre, puisque la chair est molle et de la nature de l'huile de baleine. Cette chasse malheureuse eut lieu à 27° 4’ Lat. S. 30° 25° Longt. O. Le lendemain, on fut plus heureux, car le maître harponna une dorade (Coryphaena equisites), magnifique poisson d'une longueur de 7 décimètres 2 centimètres, mesuré de l'extrémité de la queue jusqu’à la pointe de la mâchoire inférieure. En ouvrant le ventre, on y trouva les débris d'un poisson volant qui est leur nourriture de prédilection. La chair de la dorade était sèche et molle, mais le goût en était excellent, ainsi que celui de la soupe qu'on avait faite de la tête. Nous nous amusions tous de la pêche des dorades, car ces poissons se montraient à chaque instant. M. C°* avait même repris courage, après la désagréable tracasserie, qu'il avait éprouvée il n’y avait pas longtemps. Le lendemain il eut même le bonheur d'en attraper une, mais il fut bien désappointé; lorsqu'il voulut la tirer à bord, le poisson se détacha de l’hameçon. Ce jour-là j'observai aussi un pétrel, que je croyais être le Procellaria conspicillata. Il était tout noir excepté quelques bandes blanches à la tête, c’est-à-dire aux régions frontales jusqu’à la nuque. Au vol il avait la grandeur d’une corneille (Corvus corone). Nos matelots nomment tous les pétrels noirs, des cordonniers, et ceux qui ont la tête os colorée, comme par exemple, le Procellaria conspicillata, cordonniers à lunettes. = J 34 Des dorades qui accompagnaient la Polymnie, on eut le bonheur d'attraper le 26 Janvier un magnifique exemplaire, qui pesait plus de dix kilogrammes. On était devenu plus prudent qu'auparavant, car lorsque le poisson avait mordu à l'hameçon, un des matelots lui jetait une fouêne au travers du corps. Il était plus beau que ceux qu'on avait déjà attrapés précédemment; sa couleur aussi était plus brillante. Cette dorade mesurait 44 décimètres, et le milieu du corps avait une circonférence de 24 centimètres. En l'examinant, je comptai 59 régions dans la nageoire dorsale, dans les pectorales 20, dans celles du ventre 6 et dans l’anale 25. La mâchoire inférieure était garnie de petites dents épointées irrégulièrement, ce qui donnait au palais l'apparence d’une râpe. En ouvrant le ventre je vis que ce poisson appartenait au genre masculin, et je tirai de l'estomac deux harengs volants, qui se trouvaient encore intacts. J’observai chez le plus grand de ces deux poissons une petite blessure, qui indiquait la place où il avait été mordu; mais dans le plus petit je ne vis rien. Il paraît donc que les dorades en poursuivant les poissons volants tiennent leur gueule assez largement ouverte pour que les petits poissons volants puissent se glisser dans leur estomac, sans que les dents ou les mâchoires les blessent; tandis que les espèces plus grandes reçoivent seulement au centre du corps un léger coup de dent. Il paraît done que les dorades sont très avides et qu’elles attaquent leur proie par devant. Je crois être assez sûr de cela, par l’obser- vation que j'ai faite de la situation de ces deux poissons dans l'estomac de la dorade eapturée. Les harengs volants ne paraissaient pas y avoir demeuré longtemps, car ils étaient encore assez frais, pour qu’on püt les manger. Les matelots français donnent aux Coryphaena equesitis deux noms, c’est-à-dire, à ceux qui ont les points bleus le nom de Dauphin, et aux autres, qui n’en ont point, celui de dorade. Ils prétendent que les premiers sont les mäles et les autres les femelles. II s’agit donc de savoir, si l’on trouve ces points bleus aux deux sexes, ou si seulement les mâles adultes les possèdent; ou s'ils ne sont visibles que dans le temps du frai, chez tous les deux ou seulement chez le mâle. Le premier Coryphaena equisites que nous avions attrapé et que j'examinai était beaucoup plus petit, moins beau: c'était une femelle, et à celle-ci manquaient les taches mentionnées. Ce jour-là on vit encore ces cordonniers à lunettes en compagnie de deux autres Pro- cellarias, dont la couleur et le vol me rappelaient notre vanneau (Vanellus cristatus) ; c'est-à-dire qu'ils étaient d’un noir brunâtre, mais de la poitrine jusqu'aux couvertures caudales d’un blanc pur, ainsi que l'intérieur des ailes. Les matelots donnaient à ces oiseaux le nom de baleinier, mais il me fut impossible de dire au juste leur nom scientifique. Probablement c’étaient des Procellarias obscura ou des Procellarias nugaz. Is volaient plus vite que les cordonniers à lunettes et en zigzag: ils luttent contre le vent le plus fort. La Polymnie qui labourait l'océan par une marche rapide vers le sud, se trouvait alors à 34° 15° Lat. S. 30° 10° Longt. O. Par. 99 Plusieurs d’entre nous commençaient déjà à calculer les jours qui nous séparaient encore de notre arrivée prochaine, mais suivant l'équipage il devait s’écouler encore enq semaines au moins avant d’avoir la terre de la Réunion en vue. On s'étonne souvent des calculs des matelots, lesquels ne sont basés que sur l'apparence de l'air et de l’eau; ils y sont devenus tellement habiles par une longue expérience, qu'ils savent presque toujours à peu près où ils se trouvent. S'ils se basaient encore sur le calcul que le capitaine fait journellement sur la carte, alors on comprendrait, comment ces gens peu- vent vous dire à quelle hauteur le navire se trouve; néanmoins leurs calculs approxima- tifs ne sont ordinairement pas loin de la vérité. Si on demande à un matelot expéni- menté à quelle hauteur on se trouve, il vous répondra par exemple: à deux jours à l'est de l’île Madère; à cinq jours de la ligne; à trois jours au sud de Tristan d’Acunha; à vingt heures de telle terre etc. Plusieurs fois je comparais la réponse que me donnait un vieux loup de mer à ce sujet, avec les calculs du capitaine et je m'étonnais de l'exactitude. Le lendemain nous vimes à 32° 49° Lat. S. 30° 18° Longt. O. les premiers albatros; c'est-à-dire Diomedea fulginosa et Diomedea melanophrys, qui étaient des habitants de l'ilot Tristan d’Acunha, suivant un matelot, qui m’assurait que nous nous trouverions bientôt dans la mer du Cap de Bonne Espérance, où nous rencontrerions une grande quantité de ces oiseaux, en compagnie de damiers (Procellaria capensis) , des cordonniers et des baleiniers. On peut se figurer, que nous étions désireux de nous trouver le plus vite possible dans ces parages, afin d’avoir l'occasion d'attraper une bonne série pour notre collection ornithologique, qui était bien pauvre jusqu’à présent. MM. C*"* et B°* nous aidèrent à préparer les lignes pour le moment où l’on aurait l’occasion de leur faire la chasse. De la première espèce nous vimes seulement trois individus, mais de l’autre il y avait une quantité, qui se berçaient au loin sur les flots à l'instar des goë- lands. Ils n'étaient point du tout farouches, mais comme la marche du navire était trop rapide, il nous fut impossible de leur présenter convenablement l’hamecçon. Du reste, pour cette chasse on doit avoir non seulement peu de vent et une mer peu houleuse, mais aussi les albatros ne sont pas toujours assez affamés pour mordre à l’hamecon garni de lard qu'on leur présente. Cette chasse fut malheureuse ce jour-là, de même le lendemain la fortune ne nous fut pas favorabie. Nous observämes une quantité de petits pétrels volant en tout sens autour du navire, mais principalement au- dessus et dans l’ouaiche, lesquels je reconnus pour le Procellaria oceanica ‘). Cette vue nous plaisait et nous engageait à tâcher d'en prendre quelques-uns; mais quelque peine 1) Capt. Hutton dit à propos de cet oiseau dans l’Ibis, vol. III, Avril 1867. p. 190: This bird was seen several times in the northern temperate zone, but not in the tropics. It reappeared again in about 33° S., and continued com- mon until May 2nd, lat. 39° 3’ S, long. 33° 9’ E. and was then only occasionally seen to May 18th, lat. 40° 40 S. long. 88° 19’, on which date the last was seen. re ) J6 que je me donnasse pour attraper ces pelits êtres rapides comme l'éclair, il me fut impossible d'en avoir un seul. Il est bien triste pour un naturaliste d'être entouré de {ant d'oiseaux et de ne pouvoir pas s'en rendre maître. Plusieurs jours se passèrent avant que nous eûmes le bonheur de voir d'autres oiseaux et ce ne fut que le 29 Janvier que nous observämes à 35° 57’ Lat. S. 21° 28° Longt. 0. deux Diomedias melanophrys, quatre Procellarias fulginosa, le même nombre de Procel- larias obscura vel nugaæ, ainsi que plusieurs Procellarias Wilsonii, auxquels le 30 Jan- vier se joignaient le Diomedia exulans et le Diomedia fulyinosus. Mais enfin notre im- patience fut contentée par la capture du dernier; le premier n’avait pas envie de prendre l'appât par lequel l’autre vint en notre possession. En le préparant je vis que c'était une femelle et que l'ovaire était déjà bien développé; l'estomac était rempli de deux sépiacées (Sepia officinalis) ainsi que d’algue. La longueur totale de ce magnifique oiseau mesuré du bout du bec jusqu'à celui de la queue était de 84 centimètres et son envergure mesurait plus que 41/, mètre. La couleur des yeux était brune de sépia et celle du bec couleur de corne avec une ligne mince d'orange clair à la mâchoire inférieure et celle des pieds couleur de chair avec une teinte bleuâtre. Lorsqu'on captura cette espèce nous nous trouvions à 38° 5’ Lat. S. 18° 13" Longt. O. et dans le voisinage de Tristan d'Acunha. En le tirant à bord il résistait de telle manière avec ses ailes et ses pattes palmées, qui mesuraient en largeur 13 centimètres 5 millimètres, qu’un matelot bien fort avait de la peine à le tenir. Pendant nous nous occupions à préparer la peau de l’albatros capturé, nous étions entourés de plusieurs spectateurs, MM. C*” et B°°”° s'empressèrent de nous aider, en tenant les pattes et les ailes pour nous; ce travail quoiqu'un peu dégoütant paraissait les amuser. Aussitôt la préparation faite, j'attachai la peau entre deux cordes dans notre cabine, afin de la faire sécher; van Dam en fut la victime, puisqu'elle occupait un grand espace dans sa couchette à l'instar du glaive de Damoclès. Le jour suivant, nous étions encore entourés des mêmes oiseaux, hormis un petit pétrel sris, que je reconnus pour un Procellaria vitata, dont le vol était tellement rapide que j'avais de la peine à le suivre des yeux. Jusqu'à présent nous n’observämes pas un seul Procellaria capensis, auquel les matelots donnent le nom de Damier. Ils disaient aussi que nous n’aurions pas la bonne fortune d'en voir, puisque c'était la couvaison. On sait qu'ordinairement, on voit ces oiseaux en masse et qu'on les attrape alors très facilement. Je n'étais pas très certain qu'ils eussent raison dans leurs suppositions; quant à moi je crois plutôt que nous nous trouvions trop au sud. Vers le soir nous vimes encore un magnifique albatros de la grandeur d'un Diomedea fulginosa, lequel était tout à fait blanc excepté les ailes qui étaient noires ainsi que le dos et le bec; tandis qu'on pouvait distinguer parfaitement ses sourcils. Au vol je croyais voir d'abord un vieux goëland mantelé (Larus marinus), mais en le regardant 97 de plus près je reconnus un très vieux Diomedea melanophrys, Boïé. Nous étions alors à 39° 25° Lat. Sud. 9° 15’ Longt. O; ce qui se faisait aussi sentir par la température qui était bien froide. Dans ces moments la Polymnie avait à lutter contre une mer agitée, dont les flots montaient tantôt au ciel et se perdaient après dans une profondeur incompréhensible, mais notre petit navire était bien bâti et ne se souciait guère de la force de Neptune. Le temps était brumeux et humide et la forte brise qui gonflait les voiles fortement risées, poussait le navire à vol d’aigle au travers des vagues mugissantes, comme s’il eut voulu hâter notre arrivée au 40° Lat. Sud. Le voyage avait été très favorable jusqu'ici, car nous n'avions pas eu de grandes tempêtes, ce qui remplissait non seulement notre coeur de Joie, mais aussi de reconnaisance envers le Seigneur, qui nous avait donné sa divine protection. Chaque jour, les dames s'étaient montrées sur la dunette, mais à présent, comme le temps était changé, elles devaient demeurer dans la cabine, ce qui était très ennuyeux pour elles, puisqu'elles étaient privées de promenades journalières, et qu’elles étaient obligées de tuer le temps, soit en lisant soit en faisant des ouvrages de main. Le mauvais temps est moins contrariant à bord pour un homme que pour une femme, puisque l’homme peut se distraire toujours sur le pont, quand 1il veut donner la main aux manoeuvres. Heureusement pour Madame B°” qu’elle avait quelque distraction dans la société de son chat Mimi qui la suivait partout comme un traban fidèle, ainsi que le joli vendéen et un coq de bonne race, surnommé Christine, qui provenait de la ménagerie de la Reine-mère d’Espagne à Sainte-Adresse. La charmante personne aimait beaucoup ces animaux, qu'elle soignait avec une tendresse maternelle, afin que ses compatriotes arri- vassent en bonne santé à la colonie, où elle devait accompagner son mari. Plusieurs fois cette société reçut la visite de nos favoris Flore et Bato, qu'elle protégeait aussi, et comme on s'attendait de jour en jour que la prennère deviendrait mère, on lui don- nait les morceaux les plus delicats, en dépit de Mimi, qui montrait sa jalousie en la griffant; mais cette vengeance était alors punie par le vendéen, qui prenait toujours le parti de celle qui bientôt allait lui donner une grande famille. Le 4 Février nous vimes, outre les Procellarias que nous avions déjà observés aupa- ravant: le Procellaria fulginosa Banks, et le Procellaria obseura; et dans l'après-midi toute une bande de dauphins, d’une couleur toute blanche, avec une tache dorsale d’une couleur brunâtre bien claire, chez lesquels manquait la nageoire dorsale. Ils nageaient si rapidement que c'était vraiment étonnant à voir; et comme notre navire s'avançait trop vite pour les harponner, il nous fut impossible de leur donner la chasse; je crois être sûr que cette belle espèce de dauphin de six à sept pieds de longueur, appartient à celui qu'on nomme dans la science Delphinus leucorhamphos. Nous étions alors arrivés à la hauteur désirée de 40° 11° Lat. Sud. 04° Q0' Longt. 0; JS où nous meltions le cap vers l'est, pour poursuivre ensuite notre route. Quelques Alba- tros se présentaient de temps en temps à nos yeux, qui étaient de l'espèce ordinaire du Diomedea exculans. W était remarquable, qu'ils se montraient depuis quelques jours seulement à une heure de l'après-midi et vers le soir tout près de notre navire, et qu'on ne les observait pas du reste de toute la journée. C'était surtout le cas quand nous nous trouvions dans le voisinage de petites îles ou de rochers.. Ainsi nous vimes, lorsque nous étions à la hauteur de Tristan d'Acunha plusieurs pétrels et albatros, qui prenaient vers le soir tous la même route dans la direction de cette île, et qui retournaient vers le midi à peu près par le même chemin pour faire quelques tours autour du navire, après quoi ils disparaissaient. Le 7 et le 8 Février nous eûmes du gros lemps, ce qui nous força de serrer toutes les voiles, excepté une voile de misaine bien risée, ainsi qu'un foc au bas ris. La tempête et le mouvement du navire étaient violents et les hautes vagues qui balayaient le pont et quelquefois la dunette nous forçaient de demeurer dans la cabine. Un moment que je me hasardai dehors je me sentis trembler et frémir à la vue d’un élément qui ne s'était jamais présenté ainsi à mes yeux. La Polymnie résistait pourtant aux vagues qui se brisaient contre la cuirasse cuivrée et le haut bastingage. Dans ce moment de fra- veur je tâchai de lire quelque chose pour me donner de la distraction; mais comment lire par un tel tapage! Si ce n'était pas impossible c'était du moins très désagréable et c’est pour cela que je me félicitai d’avoir l’occasion d'examiner une espèce de Siphonophüra (Velella sinistra) qui me fut apportée par le maître d'équipage, en me disant qu’une lame l'avait jetée à bord. Elle n’était pas grande, sa longueur n’était que de deux centimètres de diamètre. Le rebord de son contour était d'un beau bleu ultramarin, tandis que la partie du milieu, ainsi que la crête avait une couleur blanc mat. Lorsque j'en fis un croquis, la couleur bleue se détacha tout à fait Velella sinistra. sur le papier, où je l'avais posé, et aussitôt que je la mis dans de l’alcool très faible, elle se rétrécit tellement qu'elle n'avait plus de valeur pour l'observation. . Les jours suivants, nous observämes de nouveau quelques albatros et quelques pétrels; les premiers volaient majestueusement au dessus des flots et les autres à fleur d’eau, en rasant continuellement de leurs ailes l’ouaiche, dans laquelle ils pêchaient; tandis qu’à quelque distance les Procellarias fulginosa et Procell. obscura battaient l'air de coups d'ailes d’une rapidité étonnante. Mais journellement leur nombre diminuait, ce qui était suivant l'équipage un bon présage de notre prompte arrivée. Le 13 Février vers le soir, nous recûmes la visite de deux albatros Diomedea exulans et Diomedea melanophrys , qui paraissaient affamés par la tempête et la mer houleuse qu'on avait eues pendant quel- 99 que temps. Ils volèrent autour du navire, plus d’une demi-heure, ce qui nous fit apprèter nos lignes avec les hameçons. La plus grande espèce était plus gourmande que l’autre, car elle s’emparait à chaque instant du lard dont on avait garni l’hamecon, mais mal- heureusement sans saisir le dernier; c’est pourquoi nous changeâmes non seulement l'appât mais aussi l’hameçon. Un des matelots me prêta un croc de voilier, avec lequel on avait déjà capturé plusieurs albatros au cap Horn et que je garnis alors au lieu de lard de viande salée, que j'attachai fortement avec du fil à voile. A peine avais-je jeté Chasse aux Albatros. cette ligne ainsi arrangée, que l’albatros s'en empara, avec la bonne fortune qu'on le tira à bord, mais non pas sans peine, car deux matelots durent mettre la main à ce travail; ce grand oiseau tenait ses pieds palmés et ses ailes étendues contre les flots, en poussant des cris semblables au rugissement si fort des casoars. Lorsqu'il se trouva sur le pont, il battait des ailes et donnait des coups de bec bien appliqués, mais cette plaisanterie cessa bien vite, en le piquant avec une aiguille de voilier entre le crâne et l'atlas. Je pendis alors par les pattes l'oiseau qui avait montré il y a peu d'instants une vie pleine de vigueur. Dans cette situation, il se déchargea d’une grande quantité d'huile de baleine, ainsi que du peu de nourriture qui séjournait dans sa fale, eb parmi laquelle se trouvait à notre grand étonnement un hamecçon anglais, qui nous était inconnu et qui probablement provenait d’un autre navire. L’albatros capturé à 39° 20” Lat. Sud. 24° 98’ Longt. E. était un magnifique exemplaire, auquel les matelots don- naient le nom d’Amiral, à cause des taches noires, qui se trouvaient à la courbure de l'aile en forme d'épaulettes. Depuis quelques jours les passagers n'étaient plus en aussi bonne intelligence avec le capitaine qu'auparavant, ce qui avait été occasionné par quelques observations faites par 40 les premiers concernant la nourriture. Le capitaine fit tout ce qu'il pouvait pour rétablir la bonne harmonie, mais C°** usait de tout son pouvoir pour nous inciter à déposer une plainte contre celui-ci, dès notre arrivée à Saint-Denis. Cette situation était bien triste pour nous. Personne ne voulait faire la première démarche pour rétablir la paix; c’est pour cela que la visite de l’albatros à bord fut plus que jamais la bien venue; le capi- laine s'empressa de nous faire donner tout ce dont nous avions besoin pour faire la chasse; ce qui nous fit voir son désir de rétablir la bonne intelligence, et me donna l'idée de dire à haute voix: Ce n’est pas ici que l'empire fait la paix, mais c'est à présent l’albatros!” Le capitaine me comprit, il sourit en me tendant la main en pré- sence des autres passagers; ce qui eut le bon résultat que ce jour même, on noya la CET désunion dans le vin, en dépit de C°*” qui ne voulut pas partager nos toasts en faveur de ce rétablissement. Le lendemain, nous nous occupämes de la préparation de l’albatros capturé, qui mesu- rait de la pointe du bec jusqu'à celle de la queue 12 décimètres, et avait une enver- eure de 33 décimètres. Les yeux étaient noirs; la partie orbitaire nue avait une couleur de chair, ainsi que les pieds et le bec qui cependant à l'implantation de la mâchoire inférieure avait une couleur violette, laquelle disparut après la mort. En le disséquant, je vis qu'il appartenait au genre masculin, et en regardant exactement son plumage qu'il était dans sa livrée de passage, Les jours suivants nous offrirent peu à voir, si ce n’est les mêmes espèces d'oiseaux qu'auparavant, mais le 21 Février j'observai un Diomedea exculans à la hauteur de 85° 54° Longt. E., avec la tête et la nuque tout à fait blanches; cet oiseau a été considéré par feu le naturaliste H. Boie, comme d’une espèce différente, qu’il nomma Diomeden spadicea. Vis-à-vis l'entrée du canal de Mosambique nous eûmes à lutter contre une tempête violente, qui dura trois jours, et qui n’imposait pas seulement de la crainte à nous, mais aussi au capitaine et à l'équipage. Nous dérivions tellement de notre direc- lion que, si la tempête ne se füt pas calmée à temps, nous aurions été portés à la côte méridionale de Madagascar. On peut se figurer notre consternation, lorsque M. B°* vint nous dire en plaisantant: que ce serait justement une bonne fortune pour nous, puisque notre but était d'explorer Madagascar, et que nous pourrions alors commencer notre voyage par le sud au lieu du nord. Grâce à Dieu un débarquement si fatal n'eut pas lieu, et nous eûmes le bonheur d'échapper sains et saufs à la tempête, qui se changea en un calme de longue durée. (Cette différence sensible fut cause que notre séjour à bord de la Polymnie fut plus long qu'on avait espéré. Quoique le moment de notre arrivée avançât lentement, on voyait pourtant aux préparatifs que l'équipage faisait, que nous serions bientôt au mouillage. C'était principalement la vue de l’arrangement des chaînes d’ancres qui nous suggérait cette supposition, et qui nous donna aussi l'idée de inettre ordre à nos affaires, Notre bonne amie Flore exigeait aussi beaucoup de soins, A car elle avait mis bas à la hauteur du cap de Bonne Espérance dix petits, dont neuf femelles et un mâle, que nous espérions débarquer avec nous en bonne santé. Chacun de nous désirait ardemment voir la terre, car la vie maritime commençait à nous ennuyer. Les deux passagers de l’avant se plaignaient le plus de la longue durée de notre traversée; et non sans raison, puisque ces gens étaient des horticulteurs, qui faisaient le voyage avec une cargaison d'arbres fruitiers et d'ornement d'Europe, qui commençaient déjà à pousser. C’est pourquoi ils craignaient que ces arbres, qu'ils de- vaient vendre dans la colonie, ne pussent supporter l’acclimatation. Ils avaient néanmoins beaucoup d'expérience dans le négoce et l'expédition de ces articles fragiles, car ils avaient déjà fait plusieurs voyages fructueux au Brésil et dans d’autres pays des tropiques. Le # Mars nous vimes pour la première fois un paille en queue (Phaëton flavirostris), lequel, suivant l'équipage, s'éloigne très rarement à plus de cent lieues de la côte de l’île de la Réunion; ce que je dois croire, puisque nous nous trouvions déjà vers le soir tout près de cette île. Ce magnifique oiseau volait assez haut mais très lentement. Je comparais son vol à celui de notre petite corneille (Corvus monedula), mais il était beau- coup moins rapide. de ne le vis point planer, mais toujours se trémousser. La vue que nous offrit l’île, lorsque nous la passämes dans la soirée, était vraiment imposante. Elle se montra à nos yeux comme une longue chaîne de hautes montagnes et de rochers d’une teinte obscure. Le long de la côte nous ne distinguions rien que quel- ques lumières éparses çà et là, qui suivant l’assertion de notre compagnon créole étaient les feux des nègres qui préparaient leur sobre souper. Vers la nuit nous vimes encore le phare de la pointe de Bel-Air à Sainte-Suzanne, et bientôt le sommeil s'empara de nous, après que nous nous eûmes serré la main, dans l'espoir de pouvoir le lendemain mettre pied à terre dans cette belle île. Quant au créole, il était hors de lui de joie à l’idée de revoir bientôt son cher pays natal; et il s’écria avec un certain poëte: «Belle dans ton repos, belle dans ton délire, O nature Africaine! 6 mon île! Ô Bourbon! Je tadmire et je taime, et toujours sur ma lyre, Résonnera ton nom.” »Je chanterai tes monts , que couronnent les nues: De tes vallons déserts la fraîche obscurité, Le bruit de l'océan qui bat tes plages nues, Et de tes arbres d’or la splendide clarté.” Le lendemain, 5 Mars, fut un jour de bonheur pour chacun de nous, car au lever du soleil nous glissâmes par une brise légère le long de la côte de l'ile magnifique. De hautes montagnes couvertes d’une verdure splendide se montraient à nos yeux, tandis que leur couleur brunâtre offrait un changement de vue, qu'on ne peut décrire. Nous 6 42 avions le plus joli point de vue sur les paysages situés entre Sainte-Suzanne et Sainte- Marie, où l'on voyait le long de la côte de petites maisons, et plus haut sur la pente des montagnes des villas, des usines et d’autres bâtiments blancs d’un aspect riant, parmi lesquels on distinguait à l’aide d’une jumelle marine des cocotiers et des filaos. A droile on observait à une hauteur considérable une cataracte, qui se présentait comme une ligne blanche très claire entre une énorme masse de rochers. L'impression que la vue de ce magnifique paysage fit sur nous, ne peut être comprise que par ceux qui en furent les témoins oculaires. Le soleil qui s'élevait de plus en plus nous occasionnait sur le pont une chaleur insupportable, et nous faisait désirer à tous encore davantage d'arriver plus promptement au lieu de notre destination. Heureusement que nous nous dirigions vers le midi, non pas comme on avait cru vers Saint-Denis même, mais à deux kilomètres delà, vers le hameau de Butor, où l’on trouve un bon mouillage, ainsi qu'un établissement de marine sous la direction de M. Charles Richard, consul de Madagascar à Saint-Denis. Je n'ai pas besoin de dire comme nous élions heureux, lorsque nous entendimes les bruits du mouillage et que nous vimes appro- cher quelques moments après une chaloupe emmarinée de huit nègres, pour nous débar- quer de la Polymnie, qui nous avait donné asile pendant quatre-vingt-cinq jours sur l'océan. Mais notre débarquement ne fut pas très agréable, car le temps était bien changé, lorsque la chaloupe accosta le navire. Ce débarquement eut lieu par une grande brise, une pluie torrentielle et une mer agitée. On peut se figurer ainsi la disposition dans laquelle nous nous trouvämes, fati- gués d'âme et de corps par notre longue traversée. Personne du reste ne voulait plus passer la nuit à bord et se résignait à prendre place dans une chaloupe, qui se balançait rude- ment sur les vagues et dans laquelle on devait descendre à l’aide d’une échelle de corde. Cet exercice gymnastique n'était rien pour un marin expérimenté, mais difficile pour nous qui n'y étions pas accoutumés. Quoique notre débarquement ne füt pas sans danger, nous ne pûmes nous empêcher de rire, car lorsqu'on compta les passagers, qui avaient pris place dans l’embarcation au moment de démarrer, M. C°* manquait. Le temps qu'il avait employé à sa toilette était certainement la cause de son retard, et si un de nous ne l'avait pas aperçu sur la dunette, tiré à quatre épingles, on serait probablement parti sans lui. Heureusement pour lui qu'on l’entendit crier et qu'il vint encore à temps pour s'embarquer. Chacun de nous éclata de rire, lorsque M. C"* glissa le long de l'échelle de corde avec son costume de gala, puisque nous étions tous habillés en voya- geurs et lui seulement en prince. On peut se faire une idée dans quelle situation M. OC" mit pied à terre, quand on saura que nous nous trouvions dans la chaloupe em- ballés comme des harengs entre le bagage, qu'il n’y avait point de place pour s'asseoir convenablement et qu'on était arrosé par une grosse pluie et à chaque instant par les lames, qui passaient par dessus bord. De plus les chiens qui nous tenaient compagnie 45 nous incommodaient beaucoup, puisque ces pauvres bêtes étaient craintives et cherchaient continuellement un abri auprès des passagers. Grâce à Dieu, cette traversée ne dura pas longtemps, et nous arrivâmes bientôt sains et saufs, mais trempés jusqu'aux os au débarcadère où l'on devait monter le long d'une échelle de corde de l'embarcation, qui se balançait fortement. Aussi à peine à terre, nos compagnons de voyage se sauvèrent l’un après l’autre avec leurs familles ou leurs amis; tandis que nous fûmes obligés de: demeurer encore quelque temps, parce qu’on ne voulait pas laisser débarquer les chiens, avant qu'un vétérinaire les eût examinés, afin de se convaincre selon la loi qu'ils étaient en bonne santé. Par bonheur un Monsieur fut assez bon pour m'offrir une place dans sa voiture pour me conduire chez un vétérinaire, tandis que je confiais mes amis à M. van Dam: et en moins d’une heure j'étais de retour au Butor avec le vétérinaire, qui me donna la per- mission voulue, au grand plaisir de M. van Dam, qui désirait avec moi arriver le plus vite possible à l'hôtel, puisqu'il pleuvait constamment et qu'il faisait déjà si obscur, qu'on ne pouvait plus distinguer les paysages, qui se trouvaient le long du chemin. Bientôt arrivés à l'hôtel Joinville, que notre capitaine nous avait recommandé, nous sou- pâmes d’abord, après quoi, fatigués comme nous étions, nous nous couchâmes et dormimes assez bien, quoique nous fimes connaissance avec une quantité de mosquites et de punaises. Ce fut donc avec ces petits désagréments, que nous mîmes pied à terre à l'île de la Réunion, qui devait nous servir d'asile jusqu'au moment où nous pourrions com- mencer nos explorations. CHAPITRE III. Le Butor. — Saint-Denis. — Excursions de chasse. — Saint-Paul. — La Possession. — Départ pour Mayotte. Aussitôt levés, nous fimes une promenade au Butor, afin de voir si notre bagage pouvait être débarqué, mais quel fut notre étonnement et notre inquiétude, lorsqu'en arrivant là nous apprimes que la Polymnie avait filé sur ses ancres par la forte brise qui avait régné Ja nuit et avait disparu tout à fait. Heureusement que le temps s'était calmé et qu'elle se fit apercevoir bientôt de nouveau à l'horizon. Le capitaine qui était aussi à terre non moins inquiet que nous, fit armer une chaloupe, aussitôt qu'il vit son navire; mais chacun lui conseillait d'attendre, parce que la mer était houleuse et qu'il aurait à lutter contre beaucoup de difficultés, et qu'il allait hasarder non-seulement sa vie, mais aussi celle des hommes qui devaient le conduire. C'était vraiment un coup 6* 44 de hasard de prendre la mer avec une chaloupe qui a peu de stabilité, aussi, on voyait les rameurs se garnir le corps d'appareils natatoires, afin que, si l’embarcation chavirait par les lames, ils eussent au moins la chance de se sauver à la nage. Les nègres sont toutefois de bons nageurs et les appareils devaient seulement leur servir à diminuer leurs fatigues. Le capitaine eut cependant le bonheur d'atteindre son navire avec ces hommes intrépides, qui l'avaient conduit avec tant de courage, et ce fut le lendemain qu'il réussit à regagner le mouillage du Butor. Le Butor est une espèce de hameau ou plutôt un petit faubourg de Saint-Denis, situé sur le chemin qui conduit à Sainte-Marie. Ce chemin est très agréable et offre de jolis coups-d'oeil. Venant de la ville on y voit de chaque côté plusieurs maisons en bois, dans lesquelles se trouvent, pour la plupart, de petites boutiques et d'auberges; un peu plus loin on voit la caserne des mineurs et une poudrière, ainsi que plusieurs jardins plantés en partie de cocotiers autour desquels s’entortillaient prodigieusement le vanillier, des bananiers, des tamariniers et autres arbres exotiques. Ce hameau a reçu certainement son nom de Butor, parce que autrefois la petite rivière située près de la caserne mentionnée, était habitée par une petite espèce de héron connue sous le nom de Butor. Auparavant ce faubourg était mal peuplé et avait un aspect abandonné, mais depuis que M. Ch. Richard y a fondé son établissement de marine, sa condition s’est non-seulement améliorée, mais il est devenu peuplé et plein d'activité. Le Butor est à présent un lieu de déchargement et d'embarquement pour les navires de commerce, et un dépôt de charbon de terre pour les bâteaux à vapeur. Cet établissement érigé par une société d'actionnaires est très recommandable par les grands avantages qu'il offre aux commerçants et aux capitaines au long cours. Les navires y sont beaucoup plus vite chargés et déchargés qu’à la rade de Saint-Denis, et on y jouit en même temps de l'emmagasinement gratuit des marchandises pendant six semaines, sous une bonne surveillance; tandis que si les objets y demeurent plus long- temps on ne paie que la moitié du prix qu'on exige à Saint-Denis. Le déchargement des marchandises destinées à l'usage des différentes usines sucrières de la colonie se paie le dixième du prix fixe. On y fournit aussi du lest à meilleur marché qu'ailleurs dans la colonie. On y charge et on y décharge les navires au moyen de grandes chaloupes jusqu'au bout du débarcadère, où se trouve une grande machine à vapeur avec laquelle on enlève les grands fardeaux de ces embarcations et on les charge sur des wagons, qui les conduisent sur un chemin de fer, jusque dans les magasins Un chargement et un déchargement aussi prompls des navires sont de la plus grande importance pour les capitaines, puisqu'on est bien souvent forcé de quitter la rade à la hâte dans un temps orageux. On doit admirer l'énergie de M. Ch. Richard, quand on sait qu'il a réussi à établir cet établissement nonobstant les difficultés qu'on lui opposait. Les travaux qu'il a 45 exécutés sont gigantesques; ainsi, il a jeté sur la mer un pont de cent-dix mètres de long sur six mètres de large, porté par des pieux enfoncés à cinq mètres dans un fond rocheux; il à fait construire une gare de trente-trois mètres de long sur douze mètres de large, pourvue de bureaux aux extrémités. pour le service de la Douane et pour celui de l’ad- ministration de l'établissement, ainsi que parallèlement deux magasins en pierres, chacun long de soixante-cinq mètres et large de dix mètres, pouvant contenir huit mille tonneaux de marchandises. Dans le voisinage de ces bâtiments il a fait élever plusieurs petits magasins, hangars et écuries, ainsi qu’un chantier, une forge, un atelier pour une cen- taine de travailleurs et il a pourvu l’établissement de plusieurs moyens de transport. Vraiment il n'existe pas dans toute la colonie, une fondation pareille à celle dont il a enrichi une partie de la plage du Butor, autrefois pauvre et misérable. Cette entreprise est lucrative aussi pour les actionnaires, par la raison qu'ayant coûté en 1859 plus de trois-cent-mille francs, on l'estime à présent au double de cette valeur. L'ordre et l’activité qui règnent dans cet établissement sont vraiment admirables. Parmi la grande quantité de travailleurs qu'on y trouve, on y voit beaucoup de variétés de la race humaine, dont les anthropologistes auraient pu faire des études intéressantes. J'aurais désiré avoir la compagnie de savants, comme MM. de Quatrefages, Huxly et autres, pour y faire des observations et des découvertes remarquables. La vue de tous ces Mo- sambiques, ces Caffres, ces Macouas, ces Comoriens, ces Mascates, ces Malgaches, ces Malabares, ces Chinois, ces Anamites, ces Australiens et une variété de créoles de Bourbon les auraient certainement remplis comme moi d’étonnement. Souvent nous restions des heures entières parmi ces gens pour les voir à leur travail, qui était accompagné ordinairement de chants bruyants, et pour observer leurs différents types. Tous ces étran- gers vivent là dans la meilleure harmonie, et je crois bien faire d'occuper un moment mes lecteurs, en leur faisant voir de plus près ces différentes races humaines. Fixons d’abord notre attention sur les nègres de la côte orientale d’Afrique, qu'on rencontre à l’île de la Réunion. Ces gens appartiennent pour la plupart aux tribus de Macouas, de Yambanes et de Bibis. Il y a quelques années on évaluait à l'île de la Réunion l'importation des nègres de la côte orientale de l'Afrique à treize mille travail- leurs, qui devaient s'engager pour dix années. Depuis que les Anglais tiennent des croiseurs sur la côte orientale d’Afrique, l’importation est beaucoup diminuée. A l’aide de quelques bâtiments qu'ils font croiser dans le canal de Mosambique pour y empêcher la traite des esclaves, qui est toujours encore entre les mains des Arabes de Zanzibar et des îles Comores, ils confisquent souvent aussi des navires qui ont à bord des émigrants libres; c’est-à-dire des nègres qui s'engagent volontairement dans les colonies comme travailleurs pour dix années, et pour cette raison les Arabes ne se hasardent pas facilement à les transporter avec leurs chelingues. Qu'on commet le plus souvent des fraudes dans le transport et l'engagement de ce peuple noir n’est hélas! que trop vrai. Les Arabes ont A6 souvent à bord une cargaison d'hommes, parmi lesquels se trouvent plusieurs qu'ils ont forcés à quitter leur patrie, el quelques-uns restent par ignorance, au lieu des dix années pour lesquelles ils ont été engagés, quelquefois quinze années en service au profit de leurs maîtres, qui abusent de la stupidité de ces pauvres gens. L’Africain, pourvu qu'il soit chez un maître qui le traite bien, ne se soucie guère de le quitter, quand même celui-ci n’est pas assez honnête pour rappeler à son serviteur le temps exact de son engagement; car il s'habitue assez vite à vivre loin de son pays natal, et il se trouve ici plus heureux que là. Quand l'Africain reçoit un bon traitement du maître chez qui il s’est engagé d’abord, il le sert comme un bon serviteur et ne l’abandonne jamais, si le maître ne le dégage de son côté. Les nègres forts, connus sous le nom de Macouas sont toujours recherchés pour l'ouvrage pénible de l’agriculture pour laquelle ils sont impayables. Quoique lents dans leurs mouvements ils font plus que le double du travail des autres peuples de la couleur foncée; moins doués d'esprit qu'eux ils excellent néanmoins en fidélité et en soumission. Ils sont moins beaux que les autres noirs; les traits de leur visage d'un noir d'ébène offrent les dessins les plus extraordinaires et les plus horribles, qui sont occasionnés par d’informes cicatrices. Ils ont un front rayé, des joues tailladées, des oreilles et des lèvres percées d’une manière dégoütante; des dents limées en pointes aigues, ressemblant à celles d'un animal carnassier; mais un corps robuste et musculeux. Ces gens sont aussi très simples dans leur habillement; ils s’enroulent dans une pagne, d'une espèce d’étoffe quelconque, étroitement serrée ; restent tête nue, se coiffent d'un vieux chapeau, ou garnissent leurs cheveux crépus de plumes, d'un peigne en bois, de verroteries voyantes et d’autres objets brillants, soit comme ornements, soit comme féti- ches religieux. Ceux qui sont devenus, par une longue résidence dans la colonie, plus civilisés portent ordinairement une chemise blanche et un pantalon de la même couleur ou bien bleu ou en mauresque. Au loin les femmes sont à peine à distinguer des hommes, puisqu'elles portent le même habillement, excepté que la pagne au lieu d'être serrée au milieu du corps l'est au-dessus de la poitrine; mais quand elles ont été quelque temps dans la colonie, elles se procurent bientôt une robe pour cacher leur beauté noire, ainsi qu'un mouchoir de couleur pour coiffer leur tête. Les Macouas se distinguent des Yambanes par les entaillures en forme d'un fer à cheval sur le front, tandis que les Yambanes ont celui-ci garni, ainsi que le nez d'une ligne de verrues artificielles, qui divise verticalement le visage en deux parties égales, ce qui donne à ces gens un aspect bizarre. Ces tribus d'Afrique sont connues dans l'ile de la Réunion sous le nom de Caffres, mais on confond aussi avec eux quelquefois les Arabes d’une couleur noire, provenant de ces mêmes contrées ou des îles Comores et de Mascate, parmi lesquels il y a aussi des Abyssiniens. Ces gens, qu'on emploie dans la colonie presque toujours dans le service maritime pour embarquer et débarquer 47 les navires, ont les traits du visage beaucoup plus réguliers ét une taille plus élancée. Parmi eux, il y en a qui savent s'habiller d’une manière plus civilisée; c’est-à-dire que la tête coiffée d’un turban, le corps garni d’un gilet collant qui s'ouvre sur la manche de la chemise, une pagne retenue par une écharpe et qui retombe à gros plis sur les Jambes nues, le dos drapé par un large manteau et les pieds chaussés de sandales, leur font un costume élégant. Depuis l’année 1654 on a introduit des Malgaches à l’île de la Réunion, lesquels on doit considérer comme les premiers travailleurs émigrants de la colonie. Les différentes guerres civiles, qui ravageaient cruellement la grande île africaine, étaient cause qu’une grande quantité de ses habitants des diverses tribus cherchèrent un asile à l'ile de la Réunion, où ils trouvèrent de suite du travail. Durant les guerres de Radama I" et sous le règne barbare de Ranavola, l'émigration vers cette colonie était la plus considé- rable, mais à présent elle l'est beaucoup moins et le nombre des travailleurs que la colonie compte maintenant s'élève au chiffre de 14000. Le Malgache, quoique moins robuste mais plus développé d'esprit que le Caffre, est un bon travailleur et apprend bien vite un métier quelconque, il s’accoutume aussi bien au service, mais il est souvent opiniâtre et ivrogne. Plusieurs d’entr'eux, surtout ceux qui proviennent de la partie du midi de Madagascar deviennent de bons marins et s'engagent le plus souvent comme rameurs. Le Malgache aime surtout sa liberté, et pour l'obtenir il abandonne quelquefois son maître pour aller vivre dans les lieux les plus inaccessibles de l’île, ou pour chercher un asile dans les forêts des montagnes, afin de s'indemniser tant qu'il le peut de la perte de la vie naturelle qu'il a possédée si longtemps dans sa patrie. Le sentiment d'indépendance est chez lui enraciné et lui fait désirer plus que jamais de retourner dans son pays natal; et pour pouvoir satisfaire à ce désir il épargne une partie de son argent gagné, qu'il enterre dans un coin de sa case, afin de payer son passage. Dans le temps de l'esclavage il y avait des bandes d’esclaves Malgaches, qui se sauvaient dans les montagnes les plus inaccessibles et rendaient de temps en temps le voisinage si dange- reux par leurs courses, auxquelles se joignaient souvent la violence et le meurtre, que les planteurs furent obligés, avec leurs esclaves fidèles, de donner la chasse à ces enfants de la nature, et l’on en captura et l’on en tua un certain nombre. On coupait la main ou le pied du cadavre comme trophée, pour lequel le Gouvernement donnait des primes assez élevées. Plusieurs lieux dans l’intérieur de la colonie habités par ces esclaves déserteurs portent encore des noms Malgaches comme: les montagnes de Bénoun, de Cilaos, de Cimandef, d’Orère, des Salazes et tant d’autres. Les types Malgaches appartiennent aux plus beaux parmi la race noire Africaine, avec lesquels mes lecteurs feront connaissance, quand nous parlerons de nos voyages dans Madagascar même. Les Malgaches ont du reste la conformation la plus fine parmi la race humaine noire d’Afrique. Leur manière de s'habiller est très simple et nous rappelle 48 celle des autres peuples Africains. L'essentiel de leur toilette est la coiffure; la plupart font des tresses aussi minces qu'un tuyau de pipe, qui tombent du cou et du front en masse. On trouve cette coiffure aussi bizarre que gracieuse, tant parmi les hommes que les femmes. La plupart des ouvriers qu'on rencontre à la Réunion, sont presque tous originaires de l'Inde cisgangétique, et on leur donne le nom de Malabares. Ils viennent de Pondichery, Mahé, Madras, Calcutta et Bombay; où le Gouvernement a placé un agent pour l'engagement des ouvriers, afin de les envoyer à la Réunion. Là ils s'engagent pour cinq années, soit pour l’agriculture soit pour le service domestique , moyennant une somme de 3 à 400 francs, ou chaque mois 40 à 15 francs. Ceux qui prennent ces gens à leur service dans la colonie suivant un règlement du Gouvernement, sont obligés de les nourrir, de leur procurer des médicaments quand ils sont malades, et de les indemniser de leurs frais de voyage, quand ils sont forcés par une cause ou une autre de retourner dans leur patrie. Leur nombre dans cette île est évalué aujourd’hui à environ 38000. On rencontre parmi ces Indiens les types les plus variés, ce qu'on doit attribuer à leur origine différente. Ceux qui cherchent leur travail à Bourbon appartiennent toutefois aux castes de l'Inde cisgangétique. Parmi eux on trouve souvent de beaux hommes, bien formés, avec de beaux yeux larges et une belle bouche, avec des dents blanches comme de l'ivoire, lesquelles perdent malheureusement souvent lrès vite cette beauté par l’usage permanent qu'ils font du bêtel et des noix d’arec; ce qui est la cause que leurs dents deviennent d’une couleur brun rougeätre ou noir, par la masse de liquide qui se trouve dans ces plantes, et qui ressemble beaucoup à du sang caillé. Leurs formes diffèrent autant que leur manière de s'habiller; souvent on voit un homme habillé d'une redingote européenne bien usée ou d'une camisole des couleurs les plus variées; quelquefois ils portent un costume militaire du siècle précédent, tandis que la tête est ornée d’un turban blanc, ou bien d'une espèce de chapeau rond fait en carton et couvert d’une étoffe noire; d’autres encore préfèrent leur costume national. Celui-ci consiste en un pantalon bien large en soie ou en toile, des couleurs les plus voyantes, et qui descend jusqu’à la cheville, se rétrécissant par en bas et qui est attaché au milieu du corps par une ceinture et quelquefois par une chaine en argent. Ensuite ils portent une espèce de gilet bien serré, ordinairement blane et aussi souvent vert, bleu ou rouge selon leur goût. Leur tête ornée d’une belle chevelure soyeuse et tout à fait noire, arrangée en une espèce de chignon, est couverte d’un turban de laine ou de mousseline. Quelques-uns d'entre eux portent des sandales richement ornées de broderies en cuivre, ainsi que des pendants d'oreille et des bracelets en or. Les femmes aiment beaucoup à parer plusieurs parties de leur corps de bijauteries d’or et d'argent incrustées de pierres fausses. Elles portent aussi des ornements dans leur nez, leurs oreilles, autour du cou, des bras et des jambes, ainsi qu'aux doigts et aux petits doigts du pied. Leur habillement 49 consiste en un fichu coloré, qui couvre la tête, tombe ensuite sur les épaules et descend comme une jupe bien serrée jusqu'aux jambes, tandis qu’une partie des épaules et du dos reste découverte. A l'île de la Réunion on aime à avoir ces gens, tant les femmes que les hommes comme ouvriers pour différents buts. Leur travail principal consiste en des occupations domestiques, pour lesquelles ils semblent avoir beaucoup de prédilection, et s'ils ne s’abandonnaïent pas si souvent à l'ivresse et au vol, ils seraient de très bons serviteurs; aussi on peut les employer pour l’agriculture et l’horticulture, quoiqu’ils soient beaucoup moins forts que les Africains. Quelques-uns sont aussi passionnément adonnés au jeu et à la loterie; et souvent celui qui a eu la bonne fortune de gagner ou d'amasser une petite fortune, monte alors une petite boutique de colifichets ou de comes- üibles; du moins quand il à fini son engagement chez son maitre. Ayant fait à présent connaissance avec les races principales des travailleurs à l’île de la Réunion nous voulons encore énumérer les races étrangères qu'on rencontre en outre dans cette île; ce sont des Chinois, des Anamites et des Australiens. Les premiers sont venus dans la colonie en 1844, et se sont établis pour la plus grande partie dans la capitale même, où ils ont établi des boutiques où ils vendent et achètent en détail toutes espèces de marchandises. Comme acheteurs, ils sont connus comme des gens qui s’en- tendent avec les voleurs et les voleuses, auxquels ils rachètent les objets volés, indiffé- rents s'ils sont de grand prix ou de peu de valeur; de même les ornements précieux, comme les vieilleries, que quelques domestiques volent de leurs maîtres, trouvent souvent chez ces gens rusés un débouché sûr, pour lesquels objets ils ne reçoivent ordinairement qu'une bagatelle en argent. La plupart des Chinois de la Réunion sont donc aussi signalés comme une bande d’eserocs, de négociants rusés, de querelleurs et de gens avares, qui n’ont rien fait d'autre encore dans la colonie, que de favoriser le mal, qui trompent la police et qui savent presque toujours éviter adroitement les lois et les décrets municipaux. Ce peuple s’accoutume assez vite aux usages créoles, tellement qu'ils vivent avec des femmes du pays dans une union soit légitime ou illégitime; ce qui est étonnant puisqu'ils n'apprennent que très difficilement le langage et qu'ils ne prononcent que très imparfai- tement certaines expressions dont ils ont besoin dans leur commerce journalier. Il est déplorable qu'on ne trouve que rarement à l’île de la Réunion des Chinois bons et honnêtes, par la raison que le rebut des habitants des côtes de l'empire céleste s'est transplanté dans cette colonie, où ils ont amené les vices de leur race, en oubliant leurs bonnes qualités. Aussi plusieurs de ces émigrants célestes ont subi pour des crimes la mort infamante sur l’échafaud. Les Chinois que nous vimes à l’île de la Réunion appartenaient très probablement au peuple des côtes de la Chine. Les principaux caractères du type de ces gens sont les os zygomatiques très saillants, les yeux et les sourcils en ligne oblique, le nez petit et a 4 90 un peu applati, la couleur de la peau jaune olivâtre, la chevelure noire et raide, la tête rasée jusqu’au sommet, et les cheveux de derrière tombant en une longue tresse, comme une queue sur les reins, laquelle ils portent le plus souvent roulée autour de la tête comme un turban, qui est couvert par un chapeau d’une forme particulière. Leur habillement est très simple; il consiste en un large pantalon de toile, qui ne couvre les jambes qu’à moitié, et une blouse très courte d’une étofle blanche ou bleue; autour des reins ils portent une ceinture de cuir à laquelle est pendue un anneau avec des clefs, ainsi qu'un porte monnaie, qui leur sert en même temps de poche. Quand ces gens transportent des marchandises d'un lieu à un autre, ils le font en les suspendant en balance sur un bâton assez long qu'ils portent sur l'épaule, et souvent même ce sont des objets très lourds. Depuis quelque temps on a aussi engagé dans la colonie des Anamites, afin de vor s'ils pourraient être employés utilement comme travailleurs. Ces Cochin-Chinois y sont aujourd’hui encore en petit nombre et se sont fait connaître comme des gens de bon caractère, qui s’habituent assez vite aux travaux domestiques et ne s’adonnent que rarement à l'ivresse. Mais aussi contents que sont les gens qui les ont pris à leur service pour les travaux de la maison, aussi mécontents sont ceux qui les employent pour l’agriculture, puisqu'ils sont paresseux et souvent enclins à s'esquiver. Il faudra encore bien du temps avant qu'on puisse juger, si ces gens peuvent servir comme bons travailleurs, et de cela dépendera principalement leur importation dans cette colonie. Leur force musculaire et leur esprit intelligent font espérer qu'ils pourront rendre de bons services au profit du pays. Le nombre par lequel on a commencé la colonisation des Anamites à l’île de la Réunion est de plus de deux cents. Parmi d’autres peuples étrangers qu'on a voulu coloniser comme travailleurs, on trouve aussi une centaine d’Au- straliens; mais ces sauvages ne pouvaient pas se familiariser avec le travail qu'une nation civilisée leur donnait, et ils mouraient les uns après les autres de nostalgie; maladie qui se montre le plus souvent chez les peuples sauvages. Lorsque ces pauvres gens arrivèrent dans la colonie ils attiraient tellement l'attention par leur costume de nos premiers parents, qu'on devait interdire l'approche de leur campement aux promeneurs curieux. Ces Australiens étaient pour la plupart des hommes de haute taille ayant le corps bien fait et une figure qui n'était pas désagréable. Ce qui leur donnait un aspect bizarre, c'était que leurs oreilles étaient tellement déchirées qu’elles pendaient quelquefois jusqu'aux épaules et que leurs cheveux étaient imprégnés de chaux d’une teinte jaunâtre, ce qui ressemblait de loin à un bonnet de laine. À présent je crois en avoir dit assez sur les étrangers qu'on rencontre à l’île de la Réunion et qui sont devenus nécessaires dans cette colonie, après l'abolition de l’esclavage, pour y donner la main au travail libre. En 1862 le nombre de ces émigrants, s'élevait à 72,594, lequel se partageait en 46,410 Indiens, 418 Chinois et 25,771 Africains. o1 Revenons maintenant à la relation de nos promenades, car après avoir donné un coup d'oeil à l'établissement de M. Richard, nous retournâmes à Saint-Denis pour commencer à y regarder les choses remarquables. Le chemin était large et planté de filaos (Casua- rina laterifolia) qui le rendaient très ombragé par la quantité de leurs feuilles fines ressemblant à celles des sapins. Il nous conduisit au cimetière qui est situé si près de la côte que les lames de l’océan indien battent continuellement ce lieu des morts: les tempêtes et les ouragans balayent sans pitié le sable et découvrent les ossements blanchis, sur lesquels on n’a pas déposé une pierre sépulerale. Malgré cela ce cimetière est orné d'une quantité de tombes variées, qui donnent à l'étranger qui les aperçoit de loin l'aspect d'un village ou d’un campement. On dit que les habitants noirs sont enterrés ici séparément des blancs, ce que je trouve pourtant un peu trop systématique; car dans un Musée ethnographique on n'aurait pas mieux classé les espèces humaines. En passant devant le cimetière nous vimes non loin de là assis le long du chemin, un certain nombre de gens de couleur, dont quelques-uns étaient liés les uns aux autres par une forte chaîne, et qui brisaient des blocs de roche en petits morceaux pour servir à paver les routes dites Mac-Adam. Nous avions le coeur serré en voyant ces malheureux faire ce travail pénible, auquel ils sont condamnés le plus souvent pour des bagatelles. En poursuivant le chemin qui est bordé de chaque côté de cases qui nous montraient la misère et la pauvreté de leurs habitants, nous arrivämes à un champ ouvert connu sous le nom de place Candide, situé sur la côte et ombragé par une quantité d'arbres. C'est là que les créoles de Saint-Denis viennent dans la soirée prendre l’air du frais et agréable zéphyr de l'océan indien; et que le dimanche la population noire vient s'amuser en se livrant à leurs danses et à leurs chansons nationales. Tout près de ce lieu se trouve une batterie côtière que nous ne passämes pas, parce que nous poursuivimes notre chemin à droite, et nous nous retrouvämes dans la rue de l’église, ornée de chaque côté de maisons bien bâties et de jolis jardins, qui en montant, font place à des boutiques et à des magasins, Jusqu'à ce qu'on arrive au coin de la rue de Paris, au bout de laquelle se trouve la jolie église catholique romaine. On comprend que nous ne manquäâmes pas de regarder de près ce beau temple, quoique bien simple. Cet édifice bâti dans un style toscan majestueux est surmonté d'un clocher avec un carillon et une horloge. Sur la place devant l’église se trouve aussi un jet d'eau magnifique, qui est entouré de superbes palmiers impériaux de Cayenne (Euterpe cariboea, Spring) qui frappent l'oeil par leur beauté. Ce fut le 4 Novembre 1829 que la première pierre de cette église fut posée sur les fondements de l’ancien temple, dans lesquels M. de Saint Perne trouva une médaille en cuivre. Sur cette pièce se voyait d’un côté le portrait du Pape Clément XI et de l’autre côté la crosse avec l’inscription à chaque côté mil sept cent”, ce qui serait une preuve que l'église démolie aurait existé plus d'un siècle. 92 En contemplant l'intérieur du temple nous fümes frappés de la simplicité qui y règne. Il contient trois autels, ainsi qu'une chaire d’une construction assez élégante sculptée par M. Lacoste, suivant le dessin de M. Madrolle. Le tableau qui se trouve au-dessus de l'autel principal, représente notre Sauveur crucifié, et il est considéré suivant l'opinion des connaisseurs comme un chef-d'oeuvre. Cette même toile, que je regardais avec respect fut aussi remarquée par le célèbre Jacques Arago, qui visita aussi l'ile de la Réunion dans l’année 1830, lorsqu'il fit son voyage autour du monde; il rappelle ce tableau aussi dans sa relation de voyage quand il dit: ”Le seul trésor d’une pauvre église, oeuvre d'une bonne facture dans un méchant cadre”. Plusieurs autres tableaux couvraient les murailles parmi lesquels il y avait de très bonnes toiles. Le 28 Septembre 1860 cette église fut inaugurée pour le service divin par l'évêque de Saint-Denis M. Armand René Maupoint. En quittant ce temple, on voit devant soi un édifice très simple qui sert de caserne aux militaires disciplinaires. L'heure du diner étant arrivée, nous descendimes la rue de Paris jusqu’à la place du Gouvernement où notre hôtel était situé, vis-à-vis de la statue du célèbre amiral français de Labourdonnaye. Cette statue, quoique très bien exécutée paraît trop petite en proportion du grand espace dans lequel elle est érigée, on pour- rait dire même qu'elle s’y perd. En face on voit le bâtiment destiné au corps de garde, qui n'offrait rien d’intéressant à nos yeux; mais en tournant à droite l'hôtel du Gouver- neur attira notre attention par sa situation agréable qui donne sur la mer. Cet édifice est un palais simple mais d'un assez joli aspect, devant lequel on voit un jardin, quoique petit, arrangé avec élégance. Au milieu de la façade il y a une pelite tour en forme de coupole sur laquelle est arboré toujours le pavillon tricolore de France, quand le Gouverneur y réside, mais qu'on retire aussitôt que ce personnage se trouve à sa maison de campagne à Saint-François, où il reste presque la moitié de l’année. Il n’est pas étonnant que le chef de la colonie se retire quelque temps de la vie active de Saint- Denis, où il est pour ainsi dire caserné au milieu du bruit du commerce, ce qui doit souvent lui faire tourner la tête; et où on le dérange naturellement à chaque instant par mille questions et par de nombreuses requêtes. C’est pourquoi on ne s’étonne pas qu'il se réfugie à Saint-François pour se reposer des troubles de la vie active et pour jouir au milieu d’une nature si magnifique, d'un climat doux et tempéré qui lui rappelle celui de sa patrie. Ce séjour doit être très agréable; on a de cette hauteur une vue magnifique sur la ville commerçcante et non seulement sur l'océan, mais encore sur les contrées situées à une très grande distance. Cette résidence d'été est un vrai paradis entouré par de hauts rochers, entrecoupé par une quantité de petits ruisseaux qui parcourent une verdure luxuriante et qui se jettent en cataractes avec force comme une pluie de cristal sur les blocs luisants des rochers. Ombragée par une foule d'espèces d'arbres précieux, qui 53 procurent de la fraicheur, quand le soleil pointe ses rayons ardents à l'heure de midi; dans ces moments on se croit transporté sous les zônes tempérées. On ne s'étonne done pas, dis-je, que M. le Gouverneur se repose dans une maison de campagne élégamment installée, entourée par tant de belles choses et pleine des jouissances, qui excitent l’âme et le corps. La plupart des embellissements de Saint-François sont dus au Gouverneur le Baron Darricau, qui y a passé certainement les plus agréables heures de sa vie colo- niale, et qui sans doute en aura gardé dans son coeur les souvenirs les plus doux au sein de la France, c’est-à-dire à Paris, où il se trouve à présent. Comme le temps du diner approchait, nous nous rendîmes à l'hôtel de Joinville, bâti dans le genre oriental, d’une manière qui indique la simplicité, mais qui en même temps est mal entretenu par le propriétaire. Aussi est-il malpropre pour un Hollandais, obligé de loger dans des appartements, qui ne sont pas exempts d'insectes gênants et agaçants. On y voit une quantité de domestiques indiens, mais le service laisse cependant beaucoup à désirer. L’hôtelier est un homme prévenant, trop souvent la dupe de plusieurs de ses hôtes, qui s’esquivent sans le payer, et je crains que si cela continue ainsi, il devra liquider bientôt ses affaires. Il lient aussi un café, lequel est visité une grande parte de la journée par des habitués; mais malgré cela il ne pourrait pas se soutenir, si la plus grande partie des capitaines au long cours ne préféraient son hôtel à tout autre, parce qu'ils peuvent y observer, assis sous la grande veranda, leurs navires mouillés sur la rade, et même ceux qui se trouvent au Butor, quand ils montent sur la plate-forme de l’hôtel, de laquelle on jouit d’une vue magnifique sur la mer, où l’on aperçoit au lon le mouvement maritime. C’est pour cela que je recommande cet hôtel à ceux qui aiment une perspecive splendide, qui fait oublier bientôt les défauts que je viens de signaler. Le lendemain nous fimes déjà de bonne heure une promenade dans la capitale de la Réunion, afin d'y observer ce qu'il y avait de remarquable. Une invitation de M. Regnier pour l'accompagner au palais de Justice fut acceptée par nous, et nous montämes la rue de Paris, qui est la rue la plus belle et aussi la principale de Saint-Denis. Le premier édifice qui attira notre attention était l'hôpital militaire, lequel est spacieux, mais bâti très simplement et pourvu d’une grande cour intérieure. L’esplanade se trouve dans une situation mal entretenue et sert d'atelier à des tailleurs de pierres, à des charpentiers et à des délayeurs de chaux. Ce qui frappe surtout l'oeil de l'étranger ce sont les bar- biers indiens, qui exercent ici leur métier en plein air contre les troncs des acacias, qui bordent le devant de l’esplanade, avec tant d'adresse que plusieurs de nos Figaros pourraient aller chez eux à l’école. Une rue sépare l’hôpital du joh hôtel de ville, du- quel on pourrait dire, qu'il est bâti tant soit peu dans le style grec. Les murailles, les colonnes blanches et le petit clocher en coupole pourvu d’un cadran en porcelaine, qui est éclairé le soir, ainsi qu'un parquet colossal en fer, qui entoure le bâtiment, 04 donnent à l’ensemble un joli aspect. Nous suivions toujours la belle rue ornée de chaque côté de jolies maisons et de beaux jardins, jusqu'à ce que nous primes vis-à-vis du magnifique palais de l'évêque une rue de côté, qui conduisait au palais de Justice, un des beaux édifices de la ville; entouré d’une quantité de tamariniers, dont la verdure fait un grand contraste avec les murailles blanches du tribunal. L'activité qui régnait dans la cour au moment où nous y entrâmes, était grande, car un nombre considérable d'avocats, d’avoués, d'huissiers et de gendarmes s’y promenaient en causant à haute voix. Les petites hirondelles (Collocalia francica), qui volaient dans l'allée des tamari- niers attiraient pourtant plus mon attention que ces messieurs en habits noirs et bleus. Cependant j'eus la bonne fortune de faire ici la connaissance d'un avocat aussi savant qu'aimable, c’est-à-dire de M. Louis Morel, qui avait aussi la direction du Musée d'his- toire naturelle. C’est un homme bien affable, qui nous reçut comme il faut, et nous invita à venir voir les collections, qu’on avait confiées à ses soins, en nous promettant, de nous aider dans tout ce que nous aurions à désirer de lui. J'acceptai avec empres- sement l'offre qu'il nous fit de venir visiter dès le lendemain le Musée que je désirais connaître. Le 8 Mars, je dirigeai mes pas, en compagnie de M. van Dam, vers ce Musée, en prenant tout droit la rue de Paris, qui nous conduisit au bout ‘d’une place ouverte, nommée le jardin du Roi. Nous passâmes une grille bien vieille mais bien entretenue, laquelle donnait sur une allée de vieux manguiers (Magnifera indica), à l'extrémité de laquelle se trouvait un édifice, dont la façade triangulaire supportée par quatre colonnes, se montrait majestueusement à nos yeux. Le mot: Museum” en caractères dorés ornait la façade de ce temple de la science et de l’art, dont le contraste de sa couleur blanche avec la verdure des arbres qui l'entouraient était frappant, et me fit penser involontairement pendant un moment aux édifices dont parlent les historiens des anciens Hellènes. Ce Musée fut érigé au mois de Février 1854 dans l’ancien palais du corps législatif; et dans le salon où l'on trouvait autrefois les assemblées du conseil colonial sont exposées à présent les collections d'histoire naturelle. M. Lantz conserva- teur-préparateur de cet établissement nous reçut cordialement et nous servit de guide pour nous montrer les trésors qu'il renfermait. L'intérieur fit sur nous une bonne impression par sa propreté et le bon goût avec lequel les différents objets d'histoire naturelle sont placés; ce que nous n'aurions point du tout cru du Musée de Saint-Denis. La partie dans laquelle se trouvent les collections n’est qu'un salon avec une galerie; le tout est arrangé richement et avec élégance. Le pavé est fait de carreaux de marbre blanc et noir sur lequel sont placées des vitrines belles et commodes. Les colonnes qui supportent les galeries, les escaliers en limaçon qui ÿ conduisent, ainsi que les balustra- des qui les entourent, sont faites en fonte bronzée et ornées de festons dorés. La col- lection consiste en quelques mammifères, une quantité d'oiseaux, un bon nombre de 99 reptiles, une masse de poissons, ainsi que plusieurs espèces de crustacés, de mollusques, de coraux, d'insectes de minéraux et un herbier excellent. Parmi les premiers sont plusieurs espèces de Madagascar les principaux, dont quelques-uns sont très rares. Ainsi on y compte deux magnifiques exemplaires de l'animal curieux Aye-Aye (Cheiromys ma- dagascariensis !), plusieurs lémuriens, aussi bien que des animaux rongeurs et carnassiers de la grande île africaine. Parmi les rongeurs se trouve aussi l'écureuil malgäche (Sciurus madagascariensis), qui fut offert au Musée, selon l’assertion de M. Morel, par un missionnaire jésuite de Tannanerive. La collection ornithologique renferme beaucoup d’espèces rares de Madagascar et de l’île de la Réunion, ce qu'on rencontre aussi dans celle des invertébrés. La partie plus considérable est cependant le grand nombre de poissons de l'ile de la Réunion qu'on y observe, lequel s’enrichit journellement par les soins infatigables du zélé directeur M. Louis Morel; mais il est très dommage que les poissons soient pour la plus grande partie préparés à sec, au lieu de les avoir conservés dans l'alcool, ce qui fait perdre de leur valeur pour l'étude ichtyologique. Quoique M. Morel en ait fait décrire jadis plusieurs espèces par le célèbre ichtyologiste Valenciennes, la collection en renferme encore un bon nombre qui sont nouvelles, inconnues à la science et très rares. Ce sont pour la plupart des poissons de mer obtenus à grand frais le long de la côte de l’île de la Réunion. Aussi les insectes, les crustacés, les mollusques et les coraux sont remarquables, puisqu'ils proviennent presque tous des Mascarègnes et de Madagascar et qu'ils sont préparés et déterminés avec goût et à la hauteur de la science. Le nombre des minéraux de l’île de la Réunion qu’on y trouve de même est aussi très riche, pres- que tous intacts, d’une belle mesure et bien déterminés. Lorsque nous nous trouvämes sur les galeries, mon attention fut attirée par le portrait du naturaliste A. Ch. Jh. Bernier?), mort trop jeune pour la science, lequel parait dominer ici ces trésors scienlifiques. Ce savant bien connu de tous ceux qui s'occupent de l'étude de la grande île africaine s’est rendu célèbre comme explorateur infatigable de Madagascar, par ses nombreuses découvertes d'animaux et de plantes. Son portrait peint à l’huile par l’éminent Roussin a été fait d’après une mauvaise photographie. A droite de ce noble tableau, se voit le portrait du fondateur du Musée, M. Gustave Manès, dans ce temps là (1854) maire de Saint-Denis, auquel les habitants de cette ville doivent beaucoup. C’est aussi lui qui a doté la commune de la magnifique fontaine qui orne la place de l’église, dont nous avons parlé ailleurs, et qui ne cesse d’être utile à ses concitoyens. 1) J'ai réussi à obtenir par échange un de ces animaux curieux pour le Musée Royal d'histoire naturelle des Pays- Bas, grâce au bienveïllant concours de M. Louis Morel. 2) M. Bernier est né le 21 Novembre 1802 à Léoueil (Indre et Loire) et décédé à Saint-Denis (Réunion) le 4 Janvier 1858. 56 Dans le dernier temps le Musée s’est enrichi considérablement par les collections que M. Lantz a eu le bonheur d'obtenir dans ses excursions à Madagascar, pour lesquelles on ne peut manquer de lui donner de grands éloges, puisque, quoique souffrant à chaque instant de fièvres funestes, il n'a pas cessé de travailler pour la science. On doit done s'étonner qu'à peine aidé par des secours pécuniaires très minimes il ait conservé assez de courage et d'amour pour la science pour braver les mille et un obstacles qui entra- vaient à chaque instant sa marche pénible; et surtout qu'on n'ait pas encore su appré- cier les actions louables de cet homme, et qu'on lui ait témoigné si peu d'intérêt, après les dangereux voyages qu'il a faits en faveur du Musée de la Colonie et de la science naturelle; c’eût été pour lui un doux souvenir pendant le reste de sa vie, et une faible compensation des jours de misère, qu'il a éprouvés à Madagascar et qui ont miné sa santé. Non seulement M. Lantz a droit à la reconnaissance de la nation française, mais aussi M. Louis Morel, qui a rempli pendant nombre d'années sans le moindre profit pécuniaire, la fonction honorable de Directeur du Musée de la Colonie en complétant assidüment les collections par tous les moyens possibles. J'espère de tout mon coeur que ces gens eslimables ne partageront pas le sort de ceux qui ont travaillé pour un monde ingrat. Dans le Musée se trouve aussi une petite bibliothèque de livres bien choisis d'histoire naturelle, laquelle est ouverte en tout temps pour ceux qui étudient la science. Parmi les hommes savants qu'on peut remarquer, comme les véritables soutiens du Musée, on doit compter MM. Ch. Coquerel'), Aug. Vinson, Ach. Berg, Alfred Grandidier, Paul Bories et Em. Jacob de Cordomoy. Les premiers s'occupent de la détermination et de la description des objets de la partie zoologique, les autres de ceux de la partie botani- que, tandis que le frère du dernier s'occupe principalement des minéraux. Tous ces gens étudient ces différentes parties de la science seulement par amour pour elle, car ils ne sont pas payés pour leur travail. C'est uniquement le conservateur et l’aide- préparateur, qui exerce en même temps les fonctions de surveillant des collections, qui recoivent un traitement. Le jardin botanique dans lequel se trouve le Musée, vaut aussi la peine d’une visite, car dans ses pépinières on voit plusieurs plantes de Madagascar des plus remarquables. Depuis nombre d'années M. Richard en est le Directeur; mais ce vénérable botaniste ne peut plus soigner convenablement les plantes qui sont confiées à ses soins, puisque plus d’une fois, il y a eu un tel manque d’eau, que beaucoup des plus précieuses dépérissent. Il n’est donc pas étonnant, que M. Richard devenu vieux dans une occupation aussi chérie que l’horticulture compte ses jours avec ceux des plantes languissantes du jardin du Roi; du reste on a l'intention d'en faire un jardin d’acclimatation. 1) Cet homme estimable, un de mes mcilleurs amis à Saint-Denis, est décédé depuis mon retour en Europe le 13 Avril 1866, 57 Aussi longtemps que nous n’avions pas encore reçu la permission du Gouvernement de chasser dans l’île, nous devions nous en consoler, par des promenades dans les environs de la ville. Nous visitâmes le 9 Mars le quai de la rade, où il existe toujours un grand mouvement et beaucoup de commerce. Nous vimes avec étonnement un grand nombre de condamnés, qui subissaient la rude punition de tenir l’entrée d’un petit bassin libre des morceaux de rochers et de galets qui y sont jetés constamment par les vagues et qui le rendent innavigable, même pour les plus petites embarcations. La plupart de ces malheureux noirs étaient enchaînés deux à deux, de sorte qu'ils étaient obligés de se suivre l’un l’autre partout en travaillant. C'était même au point, que si l’un des deux avait besoin de s’absenter pour un moment, l’autre était forcé de le suivre. Ceux qui ont été témoins comme moi de cette punition terrible, reconnaitront qu'on ne peut guère imaginer un travail plus pénible. Le long du quai on voit quelques maisons du Gouvernement, comme les bureaux des douanes, du capitaine du port ') et des pilotes, et du directeur du génie; l'atelier et la caserne de l’artillerie, ainsi que le bureau des signaux. Sur cette maison à plate-forme est érigé un haut mat avec des vergues auxquelles on hisse les signaux, consistant en pavillons et en boules, quand le capitaine du port veut faire connaître ses ordres aux capitaines des navires sur rade, ou faire savoir qu'il y a des navires en vue, ou bien l’état de la mer dans les différentes parties de la colonie et la hauteur du barométre. Au lever et au coucher du soleil on y tire un coup de canon, par lequel on communique aux marins et aux habitants de la ville le juste temps de jour et de nuit. Le bassin, si du moins on veut lui donner ce nom, est bien petit et peu profond, ce qui fait qu'il est destiné seulement à contenir des chaloupes de petit tonnage. On s’en sert aussi pour d’autres buts, comme pour placer des bains d'hommes et d'animaux, car le peuple en fait usage journellement en société avec les chevaux, les mules et les chiens. Quoi- que ce bassin soit petit, il est néanmoins remarquable, puisque la muraille qui l'en- tourait ne put pas résister malgré sa solide construction à la force de l'ouragan qui y règna en 1863. Les ouragans occasionnent des ravages terribles et tourmentent souvent tellement l’île, qu'il faut des sommes considérables pour la restauration de toutes les choses qu’ils démolissent ou mettent hors de service. Les navires qui se trouvent alors par hasard sur la rade sont souvent la proie de leur violence fatale. Il n'y a pas un homme dans la colonie qui ait mieux observé les ouragans, qui ont tourmenté dans les derniers temps les îles Mascarègnes que M. Bridet, ancien capitaine du port à Saint-Denis. Celui-ci a donc aussi mis au jour ses découvertes et ses observations dans un ouvrage très scientifique, mais en même temps facile à comprendre ?), qui est devenu à présent 1) Ce nom est donné au surveillant en chef des mouvements de la rade des pilotes, etc.; il est en même temps observateur méteorologique et hydrographe. A Saint-Denis il n'existe pas un port comme dans toute l'ile; à Saint- Pierre il y à un en construction: voir les notes à la fin de l'ouvrage. 2) Bridet sur les ouragans de Saint-Denis, 1 vol. in 8°. 1861. 58 un manuel indispensable aux marins qui visitent ces parages ou y séjournent. Voici ce que M. Bridet nous fait connaître principalement des ouragans qui règnent dans ces contrées. À l'approche d'un ouragan, on voit cinq ou six jours d’avance le Cirrus se montrer dans le ciel, le couvrant de nuages largement séparés, d’une forme bien extra- ordinaire, puisqu'on ne les voit pas à la Réunion dans la belle saison, et qui souvent sont accompagnés d'un halo du soleil et de la lune. Deux à trois jours avant, la mer gronde contre la côte, ce qui est suivi d'un ras de marée très fort, qui se fait sentir d'abord dans les parties du vent de l'île et qui approche de plus en plus la rade de Saint-Denis, ou la houle se fait du Nord-Est, ce qui est un présage infaillible d’un ouragan prochain, puisqu'il n'a jamais visité la colonie sans qu’un ras de marée n'ait eu lieu. Plus l'ouragan s'approche plus les pronostics deviennent visibles. Le Cirrus est remplacé alors par le Cumulus. Du Nord-Est vers le Sud-Est s'étend une ligne noire bien large, qui donne au ciel un aspect sombre. Au lever et au coucher du soleil ses rayons colorent les nuages d'une couleur rouge cuivrée, qui devient plus forte à mesure que l'ouragan s'approche et qui donne à la mer et à tous les objets une nuance métal- lique. C'est alors que la mer devient de plus en plus agitée, les lames grossissent constamment et se brisent avec violence contre la côte. Le ressac devient terrible. Un coup de canon donne le signal aux navires qui se trouvent sur la rade, de lever avec précipitation les ancres et de hisser le petit foc et les voiles aux bas ris, pour s'éloigner le plus vite possible hors de vue de la côte, qui offre un aspect menaçant. Une quan- tité d'oiseaux de mer se dirige vers la terre à tire d’aile, afin de chercher un asile dans les fentes des rochers pour se mettre à l'abri du terrible élément, qu'ils ne craignent pas en temps ordinaire. Le baromètre qui marquait, déjà 72 heures avant que l'ouragan ne se fit sentir en pleine action, commence maintenant à baisser de plus en plus. Les vents qui règnent quelque temps auparavant n'indiquent pas avec assez de certitude quelle direction prendra le cyclone, à cause des petites brises qui viennent de tous les côtés, pendant le calme qui précède presque toujours l'ouragan. Le mouvement des nuages peut seulement donner quelque idée d'où les premiers coups de vent se feront sentir; puisque le Cumulus et le Nimbus, chassent toujours dans la direction d'où l'ouragan prend son origine. Pendant 24 heures d'avance il règne un calme plat dans l’atmos- phère accompagné d’une chaleur étouffante, qui est d’un mauvais augure. Il paraît alors que la nature semble réunir toutes ses forces pour commencer avec plus de violence la dévastation d’une partie d'elle-même. (Chacun est sur ses gardes, les portes et les fenê- tres des maisons sont fermées à deux verroux et fortifiées de manière à pouvoir résister à l'ouragan. Les chaloupes et les petites embarcations sont tirées sur la côte et bien amarrées par des chaînes et des ancres, les arbres fruitiers sont appuyés, en un mot dans chaque maison règne une grande activité, pour faire tout ce qui est possible afin de braver l'élément menaçant. Chacun se trouve dans l'inquiétude et l'angoisse, et la plus 59 grande partie des habitants de l’île s'enferment dans leurs maisons, et se livrent à leurs occupations journalières à la lumière d'une lampe. C’est comme si le ciel se couvrait de deuil, et que le jour tropical, autrement si clair, faisait place à une nuit polaire obscure. Bientôt l'ouragan se fait sentir dans toute sa force. Les maisons sont ébran- lées sur leurs fondements, les cheminées se brisent comme des roseaux, les toits mal bâtis et ceux des maisonnettes en bois sont enlevés et lanées à une distance considérable. Les plus vieux arbres sont déracinés et les branches même les plus flexibles se brisent. Les feuilles des cocotiers et des lataniers sont tellement fouettées, que les tiges pendent en lambeaux le long des troncs détachés. Les hautes vagues mugissantes, se jettent avec une force extrême contre la côte et brisent tout ce qu’elles rencontrent, les rochers s'écroulent, les ponts et les cales du quai sont renversés ou démolis. Toutes les terres cultivées, surtout les plantations de cannes à sucre, sont presque toutes dévastées pour la plus grande partie; en un mot les coups de vent sont si terribles qu'on peut se faire à peine une idée des ravages qu'ils occasionnent. On ne les voit complètement qu'un jour après, quand l'élément s’est calmé, lequel prend presque toujours congé par un orage terrible, accompagné d’une grosse pluie. Décrire ici le tableau qu'offre un tel désastre est presque impossible. Par une pareille catastrophe beaucoup perdent alors tout, même ce qui est le plus nécessaire pour vivre; un grand nombre de navires font naufrage, périssent sur les côtes, ou sont abandonnés à une mer agitée sans mâts, sans vergues, sans cordages, enfin privés de fous les moyens de salut. Il arrive même que les créoles les plus vieux pleurent comme des enfants, quand ils sont témoins de ce spectacle déplorable; non pas à cause des choses qu'ils ont perdu eux-mêmes, mais bien par la vue qu'offre la nature, qui avait encore quelques jours auparavant un aspect riant et plein de charmes et qui offre alors un coup-d’oeil triste et sombre. La vue de ces campagnes ravagées et désolées produit une impression pénible même sur le coeur le plus insensible. Si nous suivons la direction d'un ouragan à l’île de la Réunion, nous observons les faits suivants: Quand un cyclone passe au nord de l’île, alors les vents réguliers soufflent déjà 48 ou 24 heures assez fort du Sud- Est, avant qu'on sente les coups de vent violents de l'ouragan. Le flux augmente alors beaucoup dans les lieux plus au nord de l’île où la mer occasionne alors de grands ravages, tandis qu'elle est calme dans la partie méridionale, mais en pleine mer elle est aussi violente que dans les régions septentrionales. En cas contraire, c’est-à-dire, si l'ouragan passe vers le midi, alors les vents ordinaires du Sud-Est se font sentir un peu avant que le cyclone n'arrive, mais se changent bientôt en calme dans la partie sep- tentrionale de l’île, tandis que l'ouragan est en fureur dans les régions méridionales. C'est surtout quand l'ouragan tourne du Sud-Ouest vers l’ouest, que les contrées sep- tentrionales de l’île doivent éprouver le plus de ravages. Le résumé des signes qui précèdent un ouragan à l'ile de la Réunion sont alors: la g® 60 baisse du baromêtre, un grand ras-de-marée; au lever et au coucher du soleil, un ciel coloré d'un rouge cuivré, un calme plat accompagné d’une chaleur étouffante, un horizon obseur et menaçant, le Cirrus et la chasse rapide du Nimbus. Quand le cyclone s'éloigne de l'île ou diminue de violence, le baromêtre remonte, le ras-de-marée cesse peu à peu et prend enfin congé par un orage plus ou moins terrible, en inondant son champ de bataille d’une pluie torrentielle. Le rapide exposé de la description des ouragans dans l'hémisphère austral, qui rava- gent à leur passage ordinairement chaque année une grande partie de cette île, nous a éloignés un peu du récit de nos promenades le long de l'ile qui a subi si souvent la violence de ces météores. Au commencement du pont principal qui s'avance dans la mer, on voit des bancs qui sont tous les matins et tous les soirs occupés par une foule de monde, qui y viennent causer des affaires ou respirer les douces brises. On pourrait nommer conve- nablement ce lieu une bourse, puisque à des temps réguliers une quantité de négociants s'y réunissent pour traiter d’affaires; et aussi à l’arrivée ou au départ des bâteaux à vapeur, qui transportent les malles, ce pont est rempli de monde soit pour complimenter les nouveaux venus, soit pour dire adieu aux partants. Dieu sait quelles scènes tou- chantes ont eu lieu sur ce pont! Pendant ces belles soirées propres aux régions tropi- cales, au clair de la lune, c’est un petit endroit bien chéri des jeunes gens et des vieux garçons de Saint-Denis, qui y viennent plutôt je crois pour observer les baigneuses, que pour respirer l’air frais, dont on jouit après un jour de chaleur; ou bien ils attendent les chaloupes de service, qui arrivent de la Possession, afin de donner un coup-d'oeil au chargement, j'allais dire aux gentilles voyageuses des quartiers. Je ne dis pas que moi aussi je ne me dirigeais pas quelquefois vers ces côtés, pour être témoin de ce spec- tacle, mais j'avoue que le plus souvent j'éprouvais un doux plaisir en observant les petits sauteurs (Blenneus?) !), qui habitaient les rochers contre lesquels accostaient les chaloupes; car ces espèces de poissons bizarres sautaient dans l’écume restante, chaque fois qu’une lame couvrait les rochers. Quand l’eau se retirait, on les voyait à la manière des lézards grimper par les nageoires pectorales le long des blocs des rochers, mais aussi- tôt que l'eau montait, ils recommençaient unanimement leurs exercices gymnastiques. A quelque distance du barachois, nom qu'on donne au lieu dont je viens de parler, je voyais qu'on achevait une oeuvre gigantesque. C’est une digue, qui doit servir en cas de besoin à garantir la caserne d'artillerie et l'arsenal contre les boulets des ennemis éventuels du côté de la mer. Cette digue est élevée de plus de 60 pieds par des rochers et des galets qu'on a posés l’un sur l’autre et couvert en suite par des gazons. Suivant 1) Je ne sais pas au juste si c’est la même espèce à laquelle Valenciennes donne le nom de Blennoïdes Dussumieri, mais je crois être certain que ce sera le même poisson sauteur dont parle Bory de Saint-Vincent dans sa relation de voyage sous le nom de Boujaron de mer. 1 d y rl HT, “UESEAUO] auepuad SOILAUIL Sp UoQE ns El juonbipur Sa499]] Jj9 SOJa (Un S9T LU in 61 l'assertion des ingénieurs, elle sera impénétrable pour les plus grands boulets; mais suivant un de mes amis, oflicier des disciplinaires à Saint-Denis, l’action d’un boulet sur ces galets occasionnera une pluie de morceaux de pierres qui blesseront ou tueront les militaires, qui doivent défendre cette forte digue. Pour moi, quoique je ne sois pas connaisseur en ce genre de travaux, J'espère qu'il se trouvera des hommes capables de décider cette question et de prononcer sur la manière de voir de mon ami français; néan- moins ce serait dommage si c'était vrai, car alors le Gouvernement aurait perdu une somme énorme à construire ces travaux, qui ont coûté autant de peine que d'argent. Cette digue est située dans la contrée qu’on nomme la partie du vent. Au côté opposé, un autre ouvrage plus important encore attirait mon attention; c’est- à-dire qu'on y faisait un chemin le long de la côte de Saint-Denis à la Possession. Ce chemin doit consister pour la plus grande partie en tunnels, puisque les hauts rochers basaltiques ne peuvent donner autrement qu'un passage impraticable. Une petite partie de cette oeuvre colossale est à peine achevée, car on éprouve des obstacles énormes, non seulement dans le travail, mais surtout par manque de l’argent nécessaire. En voyant ces travaux gigantesques, il faut s'étonner des difficultés, que doit offnr le percement d’un haut rocher comme le Cap Bernard, et on doute fort si jamais on parviendra au bout de cette oeuvre pénible. Dans le voisinage du Cap Bernard, c’est- à-dire entre la ville et celui-ci, on observe la jolie et spacieuse caserne d'infanterie, ainsi qu'un abattoir bien installé. Ces bâtiments produisent un bon effet vus de la mer, en donnant un ornement bien distinctif à cette partie de la côte, à quelque distance de laquelle s'élèvent des montagnes d’une verdure foncée. L'heure du diner était déjà sonnée, et nous étions encore en contemplation devant ces choses qui nous intéressaient dans ce moment là, et si l'estomac n’était pas venu interrompre l'occupation de l'esprit, nous ne nous serions pas hâtés d'arriver promptement à la table d'hôte, où nous atten- dait un cuisse de cabri qu’on fit passer pour un gigot de mouton. Pour un créole il n'y avait pas une grande différence entre le mouton et ce mets, qui exhalait l'odeur du capricorne, mais le goût d’un Européen nouveau-venu en était offensé. Faute de mieux nous nous contentâmes des mets accessoires, en revanche du plat principal. Une quantité de fruits exotiques, comme nous n’en avions Jamais vu auparavant, con- stituaient le dessert et seulement le goût suave des bananes exquises, nous fit bien vite oublier le quasi gigot de mouton. Que ces fruits sont bons! que cette viande est mau- vaise !”” disais-je à un monsieur qui se levait de table avec moi pour prendre l'air sous le varangue, et en même temps une lasse de café suivie d'un petit verre de cognac. "Oui, Monsieur”, me dit le créole complaisant, /nos fruits valent mieux que nos bestiaux. Mais c'est certes le contraire chez vous, n'est-ce pas? Vous, Monsieur, vous êtes Hol- landais, à ce qu'on m'a dit. Alors vous regretterez bien les vaches des Pays-Bas et vous vanterez bien, j'en suis sûr, les fruits de notre bon petit Eldorado”. C’est bien 62 probable! Mais il me semble qu'il viendra bientôt un temps que j'oublierai aussi bien le goût de vos excellents fruits que celui de la viande hollandaise.” »Permettez moi de vous dire qu'on ne vous fait pas voir ici tout ce qui est bon. Oh! non, Monsieur, vous ne venez de voir qu'une faible esquisse de ces fruits délicats qu'offre notre colonie ; et comme je suis planteur moi-même, je me ferai un vrai plaisir de vous décrire les principaux arbres fruitiers que nous possédons dans la colonie, ce qui doit certainement vous intéresser, je suppose, comme naturaliste”, Oh, vraiment Monsieur! je suis très curieux de vous entendre; de plus il m'est agréable de faire votre connaissance”. Je passai loute la soirée avec ce Monsieur à causer de l’horticulture de la Réunion, el je fus enchanté d'apprendre beaucoup de choses intéressantes à cet égard. Ainsi il me cila non seulement les espèces d'arbres fruitiers qui croissent dans cette colonie et qu'il fixait à environ quatre-vingts espèces, mais il me raconta aussi beaucoup de leur histoire naturelle. Je m’empresse donc de communiquer à mes lecteurs, qui n’ont jamais eu l’occasion de voir, ou de manger des fruits exotiques qu’on trouve aux îles Masca- règnes ou d'en entendre parler, ce que je me rapgelle des espèces les ‘plus délicates. Presque tous les arbres fruitiers de ces îles y sont colonisés et acclimatés peu à peu sur ce sol fécond et sous ce ciel bienfaisant. On y trouve aussi bien le prunier, le poirier, ete. de l’Europe que le jamalac, le manguier, ete. des Indes qui y poussent à merveille et produisent des fruits en abondance. Heureux pays que la Réunion; le paradis de l’horticulteur! C’est là qu'il trouve les trois différentes zones pour sa culture. Car en bas des montagnes, il peut avoir un jardin d'arbres fruitiers des Indes, de l'Afrique et de la Chine, croissant sous l'équateur; en montant plus haut, ceux de l'Europe, de l'Amérique et de l'Asie tempérée; et dans le voisinage direct des sommets ceux des pays froids. Voyons donc ce que je me rappelle de ces fruits délicats des tropiques, dont me parlait ce planteur créole. Le roi de ces fruits est pour moi la banane, parce que chaque fois qu’on le mange il conserve son goût délicat, et c’est bien le seul fruit, dont on puisse le dire, car les autres n’ont pas cette vertu. Les espèces les plus recherchées sont celles, dont les variétés portent le nom de figue Mignonne et Gingeli, tandis que celle qui est la plus abondante se nomme figue Gabou. Non seulement ces fruits sont délicats et agréables au goût, mais ils sont aussi sains, et ont le grand avantage d’être de toute saison. A la Réunion il y a plusieurs espèces de bananiers, mais une quantité de variétés, dont beaucoup proviennent de l'espèce Musa sapientium. Parmi les espèces on compte le Musa sylvestris, originaire de nos colonies des Molluques, celle de la Chine le Musa sinensis, qui ne devient pas grande, ainsi que le bananier si utile Musa texti- lis, qui fournit des filaments dont on fait des toiles très fines; le Musa coccinea, dont les fleurs sont remarquables, par leur couleur écarlate, et le Musa paradisiaca, qui offre plusieurs variétés, parmi lesquelles il y en a une originaire de Madagascar, qui 63 \ fourmt des fruits énormes comparativement à ceux de ses congénères. Les fruits de celte espèce ne peuvent être mangés que cuits, ou préparés de différentes manières, sous les cendres, au four, en friture ou bouillis: ils constituent un mets sucré d'une digestion facile et utile même aux malades. Après la banane je préfère la mangue, parce que c’est un fruit dont la saveur, dans les espèces cultivées, est excellente et incomparable à bien des fruits. Celles qui sont les plus recherchées, appartiennent aux variétés dues à la greffe, connues dans la colonie sous les noms de: mangue Auguste, Charlotte, Divine etc. Ces fruits sont produits de l'arbre bien connu Magnifera indica, qu'on a transporté depuis un siècle de l'Inde à l'ile de la Réunion, où l’on prend le plus grand soin de sa culture. C’est pour cela que cet arbre donne des fruits exquis et rafraïchissants, car s’il croît à l'abandon les fruits ne sont pas mangeables par leur saveur acre et résineuse. Le plus curieux de ce fruit, même le plus excellent, c’est qu'il renferme parfois un petit insecte, qui se déve- loppe dans le noyau aux dépens de l’amande qu'il contient. C’est un petit coléoptère de la famille des Rinchophores, qui loge dans le fruit sans qu'il soit entré par une ouverture à l'extérieur. On suppose ainsi que l’insecte doit sa naissance à un oeuf qui est déposé dans l’ovaire de la fleur par une piqûre insensible pendant la floraison, sans gêner le développement du fruit, qui est en même temps celui de l'oeuf. "Parmi les fruits du genre ÆEuphorea, qui croissent à l’île de la Réunion ne mérite d’être mentionné, comme très délicat, que celui connu sous le nom de Lifchi, qui est originaire de la Chine et répandu dans la colonie par feu M. Hubert!) agriculteur de grand mérite. Le Lifchi est un fruit d'un goût semblable à celui du raisin muscat et très savoureux, mais comme dans fous les fruits, il y a de différentes qualités, non seulement sur le même arbre, mais aussi à la même grappe: mais l’excellence des fruits dépend pour la plus grande partie de sa culture. Les fruits qui ressemblent le plus à la forme d’un coeur sont toujours préférables aux autres, puisque la graine brune et luisante est plus petite, tandis que la chair a plus de développement. "Le Mangoustan est encore un excellent fruit de l’arbre originaire de la côte orientale de l’Inde Garcinia mangostana, mais qui est malheureusement peu abondant à l’île de la Réunion et c’est seulement aux mois d'Avril, de Mai et de Juin, qu'on les voit parfois au bazar de Saint-Denis. C'est des meilleurs de ces fruits de la colonie dont Bontius vantait déjà l'excellence au dix-septième siècle en disant: »Cedant hesperii longe hinc, mala aurea fructus Ambrosia pascit Mangostam et Nectare divos”. Le fruit forme une baie sphérique à épicarpe épais et fongueux, contenant à l’intérieur 1) Voir les notes à la fin de l’ouvrage. 64 ordinairement six loges qui renferment une pulpe blanche peu transparente et d'un goût exquis. Parmi les fruits qu'on aime encore beaucoup à manger à la Réunion, se trouve aussi sans contredit l’Atte, produit de l’Anona squamosa petit arbre, originaire de l'Amérique, transporté aux Indes et de là à l’île de la Réunion, où il croît à merveille et où l'on parvient en le taillant, à en obtenir des fruits bien beaux et ayant plus de parfum. Il y a encore d'autres espèces d’Anona dans la colonie, mais celles-ci sont plus inférieures et connues sous le nom de coeur de boeuf (Anona reticulata, D. C.) et de Corossol (Anona muricata, D. C.). ”Et maintenant, Monsieur”, me disait le causeur horticulteur, vous avez encore une foule de fruits qui ont un goût assez délicat, mais dont je ne dirai rien pour ne pas abuser trop de votre patience à m’entendre; cependant je vous citerai les espèces d’arbres fruitiers, qu'on cultive à l’île de la Réunion). N'oubliez pas aussi qu'il y a encore des fruits bons à manger, comme: l'avocat (Laurus persea, Lin.) d’un goût butireux exquis; le jamrose (Eugenia jamros, Lin.) d'un parfum de rose etc. Mais au-dessus de tous ces excellents fruits, je préfère pourtant l’Ananas et surtout cette variété, qu'on nomme Victoria. Comme le suc de ce fruit est rafraîchissant! Comme il possède les qualités nécessaires pour calmer une soif ardente, plus encore que nos espèces d'oranges dont vous trouverez à Madagascar une petite variété bien bonne qu'on nomme Vangasaye, laquelle on a introduite aussi dans cette colonie”. Quoique je trouvais agréable d'entendre la description de ces fruits, ce Monsieur com- mençait pourtant un peu à m'ennuyer par son récit; et J'étais bien content, lorsqu'il me dit, qu'il avait besoin de monter à sa chambre pour écrire encore une lettre avant minuit. Quant à nous, nous montâämes aussi, mais au lieu d'écrire des lettres, nous allâmes nous coucher, après avoir fait une petite chasse aux Cimex et aux Culex, qui nous maltraitaient toutes les nuits. Le lendemain nous nous rendimes après midi au jardin du Roi, pour entendre la musique de l'infanterie de la garnison, qui y donne toutes les semaines un concert militaire, lequel est bien médiocre, mais non sans charmes. A cette occasion on voit dans ce jardin une quantité de promeneurs, appartenant aussi bien au genre masculin, qu'au genre féminin, mais ce dernier compte pour la plus grande partie des femmes du demi-monde, ce qui fait que cette belle promenade n’est plus fréquentée par le beau monde de Saint-Denis, pour lequel ce beau jardin est à présent un Eden fermé, aussi longtemps que le Gouvernement municipal n'interdira pas aux personnes de conduite légère de se mêler aux rangs de la bonne société. C’est dommage qu'il n’y ait pas ici un kiosque de musique, car les musiciens sont obligés de rester debout en cercle, pour faire entendre leur musique. 1) Voir les notes à la fin de l'ouvrage, 65 , Ce concert fini, nous retournämes à notre hôtel par la rue de Paris, qui était remplie à présent de voitures et de promeneurs. Là nous primes place sous le varangue, où se trouvaient plusieurs joueurs de cartes et de dominos; mais fatigués de notre prome- nade, nous n'avions pas du tout envie de nous livrer à aucun jeu. En respirant l'air frais, nous entendîimes un autre concert que celui que nous venions d'entendre, c’est- à-dire, celui des Cigales et Cicades, qui faisaient un vacarme insupportable. En même temps les Geckos (Hemidactylus frenatus, Schleg.) ‘), qui marchaient avec une rapidité étonnante contre le plafond, en faisant la chasse aux mouches et aux moustiques, et même aux araignées, altiraient notre attention. Dans un petit moment je comptai une vingtaine de ces Hemidactyles, grimpant contre les murailles et les plafonds. Les gens ici aiment beaucoup à voir ces petits lézards, puisqu'ils sont inoffensifs et qu'ils rendent de grands services dans les maisons en détruisant les insectes nuisibles, notamment ceux qui nous tourmentaient le plus et que nous craignions tous les soirs avant de nous coucher. O, bon Dieu! pourquoi ces lézards ne font-ils pas la chasse aux misérables punaises, qui nous attendaient avec impatience pour se rassasier de nouveau de notre sang. Cette pensée s'empara de moi lorsque j'allumai la chandelle pour me convaincre si mes hôtes brutaux n'étaient pas campés sur le drap de mon lit. Oui, il y en avait de ces mau- dits insectes dans cet hôtel première classe. Soit, on s’accoutume assez vite à cela, aussi vite qu’en Hollande aux puces. Dans ces pays coloniaux on n’a pas de honte d'être familier avec cette vermine, puisque j'ai vu de bien grands personnages, sur les habits desquels on les voyait souvent se promener et qui les jetaient avec une certaine élégance devant vous à terre, en vous répondant d’un ton tout ordinaire, quand on attirait leur attention en disant: »Permettez-moi Monsieur, de vous débarrasser de ce petit insecte”. Ah, bah! »Comment? vous frémissez? Ce n’est qu'une punaise”. L’habi- tude est vraiment une seconde nature! Ce que je vous dis, c'est la vérité; et pourtant un hollandais, qui n’a jamais visité les colonies, aura de la peine à la croire?). En écrivant ces lignes je frémis encore à la pensée du moment où je fis connaissance pour la première fois de ma vie avec ces êtres dégoütants. J'espère que mes lecteurs me pardonneront de les avoir occupés de ce désagréable souvenir, que je dois à mon journal de voyage. Mais pourquoi dire les bonnes rencontres et ne pas mention- ner les mauvaises ? Le 41 Mars, nous fûmes surpris par une lettre du docteur Louis Lacaille *) de Saint- Paul, dans laquelle il avait la bonté de nous inviter à venir aussi vite que possible chez lui, puisqu'il avait reçu des lettres pour nous de la Hollande. On peut se figurer, que 1) Voir la Partie III de cet ouvrage (Reptiles). 2) Voir les notes 1. c. 3) Ce Monsieur avec qui nous avions eu le bonheur de faire connaissance par lettre avant notre départ de la Hol- lande, comme écrivain distingué sur la grande île Africaine, dont il avait visité les contrées situées sur Ja route de ‘Tamatave à Antanarivo, nous avait promis d'avance de nons faire un bon accueil et de nous être un bon conseiller. 9 66 nous élions très désireux d'apprendre quelque chose de notre famille et de nos amis, et que nous avions hâte d'arriver chez ce bon augure. Mais nous voulions faire le trajet à Saint-Paul en chassant, et comme nous devions avoir pour cela une permission de Monsieur le Gouverneur, il ne nous restait plus rien à faire qu'à la lui demander; car la chasse était close, et l’on avait prescrit une loi, qui interdisait de tuer ou d'attraper des oiseaux de quelque manière que ce fût, sous peine d’une amende considérable. Ce n'était donc point du tout agréable pour nous de demander une permission de chasse à Monsieur le Gouverneur, puisque nous devions lui demander en même temps de chasser des oiseaux pour enrichir notre collection ornithologique. Néanmoins nous demandâmes une audience au Gouverneur, afin de le prier de nous donner son haut appui pendant notre séjour dans la colonie, et aussi pour obtenir une permission de chasse. La réception chez le Gouverneur Baron Darricau fut contre notre attente très bonne, car il nous reçut cordialement, nous donna l’assu- rance d'appuyer notre but et de nous donner la permission voulue, si nous voulions lui adresser notre demande par écrit. Nous nous hâtâmes de satisfaire à son désir, qui était naturellement le nôtre, et nous retardàmes notre voyage à Saint-Paul jusqu'après la réception de notre permis de chasse. Le lendemain, je fis une petite excursion dans les environs de la ville afin de faire une petite chasse aux lépidoptères, coléoptères et autres insectes, mais elle ne me réussit pas comme je l'aurais désiré parce que les espèces qui volaient à ce moment, volti- geaient trop haut pour les capturer. Parmi les papillons c'était surtout le Papilio disparilis') que j'observai. Avec la plus grande peine j'obtins un butin minime, c’est-à- dire: quelques petits coléoptères, appartenant aux espèces les plus communes. Pendant que je m'occupais de cette malheureuse excursion entomologique, M. van Dam avait reçu l'avis que notre bagage était débarqué; mais quelque agréable que füt cette nouvelle, une difficulté se présentait: nous ne savions pas du tout où le placer. À mon retour nous allämes encore le même jour à l'établissement du Butor, afin de prier la direction de prendre encore pendant quelques jours soin de nos colis, jusqu'à ce que nous eussions trouvé un endroit où les loger. M. Richard eut la bonté de nous accorder celte grâce, ce qui fit que nous profitämes de ce délai pour chercher un magasin con- venable. Nous fûmes assez heureux pour en trouver un dès le lendemain à un prix assez modéré, par l'obligeance du Capitaine Regnier. Le local, que nous louâmes était encore assez spacieux pour nous servir en même temps de laboratoire zoologi- que. Installés convenablement pour nos affaires, nous désirions aussi changer notre demeure à l'hôtel Joinville contre une chambre garnie, que nous trouvâmes bientôt après dans la rue de Labourdonaye chez mademoiselle Elise Ormière, une bonne vieille, qui 1) Voir la Partie V do cet ouvrage (Insectes etc.). 67 connaissait assez le monde pour se voir entourée de plusieurs jeunes employés du Gou- vernement, auxquels elle louait des chambres garnies. Nous n’étions pas très contents de demeurer parmi tant de gens, puisque à cause de nos occupations, nous aurions aimé la solitude. Enfin il n’en était pas autrement, et comme la maison était assez agréablement située au milieu d’un petit jardin dans le voisinage immédiat de la rue de Paris, nous acceptâmes la petite chambre, qui devait nous loger en société de notre domestique mulâtre. Elle devait nous servir de chambre à coucher et d'étude, de salle à manger et de réception. Enfin nous étions installés comme naturalistes non loin de notre laboratoire, qui était situé tout près du mouvement de la rade, dans l’ancienne maison de Samat. Les premiers jours de notre déménagement, nous arrangeñmes de notre mieux notre petite demeure, et à peine en étions-nous venus à bout, que nous recûmes de Monsieur le Directeur de l'Intérieur le permis de chasse désiré, accompagné d’une lettre assez flatteuse !) ; ce qui nous encouragea à entreprendre bientôt une excursion de chasse dans les environs de Saint-Denis, afin de commencer nos occupations scientifiques depuis longtemps espérées. Nous fimes notre premier tour de chasse le long du chemin, qui conduit de Saint- Denis à Sainte-Marie jusqu'à la rivière des pluies. Cette route avec laquelle nous avions déjà fait connaissance jusqu’au Butor, est bornée de chaque côté d'arbres Filaos (Casua- rina laterifolia), qui ombragent des jardins et des champs plantés de cannes à sucre, situés au pied des montagnes. Dans la plupart de ces jardins se trouvaient aussi des Tamariniers (Tamarindus indicus) des Bananiers (Musa), des Manguiers (Magnifera in- dica), des Caféiers (Coffea arabica), des Flamboyers (Poinciania regia), des Cocotiers (Cocos nucifera) et des Vacouas (Pandanus utilis). Autour de presque tous ces arbres se tortillait le Vanillier (Vanilla planifolia). La chasse ne fut pas si heureuse que nous avions espéré, elle se borna à quelques espèces d'oiseaux, comme le Tec-tec (Saxicola borbonica) ?), des Cardinaux (Ploceus madagascariensis) *), des Serins (Crithagra chrysopyga)) et des Martins (Pastor tristis) 5). Les premières espèces se tenaient le long du chemin et ne nous craignaient point du tout; elles fon£ entendre incessamment leurs sons Tec-tec, en remuant continuellement leur queue et en faisant la chasse au vol aux mouches et aux mosquites. C'étaient surtout les Cardinaux, qui nous firent une impression agréable, par leur robe écarlate, qui se montrait le plus entre la verdure sombre des Casuarinas ; c'était seulement le mâle qui montrait cette jolie couleur. Nous observämes que ces oiseaux poursuivaient leurs femelles avec les plumes levées en l'air, si ardemment, qu'ils ne voyaient pas même le chasseur en quête. Leur son est monotone et consiste 1) Voir les notes I. c. 2) Voir p. 93 de la Partie IL de cet ouvrage (Mammifères et Oiseaux). 3) Idem p. 109. 4) Idem p. 154. 5) Idem p. 152. 9* 68 seulement, dans la syllabe fsil-tsit. Parmi les plus grands chanteurs que nous enten- dimes des oiseaux de l'ile de la Réunion, nous mentionnerons le gentil petit oiseau Crithagra chrysopyga; chez celui-ci domine la couleur jaune , et à cause de cela les habitants de cette île le nomment Serin, parce que son plumage a quelque ressemblance avec celui du vrai Serin de Canarie. Son chant a beaucoup de rapport avec celui du métis du Chardonneret et de la femelle du Serin de Canarie; il est doux et plein de mélodie el son faible appel consiste dans les sons: Pi-uit, pi-uit. Le Martin appartient au plus commun des oiseaux que nous renconträmes pendant cette excursion de chasse, et sa manière de vivre nous rappelait celle de nos Etourneaux. Ils se rassemblent dans les cimes des Filaos et Tamariniers et se bercent sur les branches en faisant entendre tour à tour pendant presque toute la journée des chants aigus el gais. Les autres oiseaux que nous observämes ce jour encore, étaient des Hirondelles (Collocalia francica) !), des Coutils (Loxia punctularia) *), des Senegalis (Estrelda astrild) *), des Bengalis (Estrelda amandava) *), des Cailles (Coturnix sinensis) 5), des Tourterelles (Turtur malaccensis)‘); ainsi que notre Moineau (Passer domesticus)*). Toutes ces espèces, excepté les Hirondelles, ont été introduites dans la colonie et s’y sont multipliées tellement qu’on les rencontre à présent partout dans l'ile. C'est Monsieur Poivre‘), qui introduisit le Martin de l’Inde, afin de détruire les insectes nuisibles à l’agriculture, il s’acquitte dignement de cet emploi; et c'est dans le même but que les habitants de l’île de la Réunion protègent les Moineaux; qu'on rencontre à présent à plusieurs endroits dans la colonie. Ils proviennent tous d'un seul couple à qui Monsieur Héry a donné la liberté au Butor, où ils commencèrent d’abord à se nicher et peuplèrent ensuite en peu de temps tout le voisinage par leurs descendants. Il est remarquable qu'après avoir peuplé aussi Saint-Denis, ils se dirigè- rent vers Sainte-Marie, Sainte-Susanne et les contrées au vent el non pas vers la Posses- sion, Saint-Paul et les contrées sous le vent, parce qu'ils ne parurent pas avoir beaucoup d'envie de franchir le haut rocher du cap Bernard. Pourtant ils surent trouver bientôt les champs cultivés situés derrière le cap escarpé, et arrivèrent après quelque temps à la Possession et plus loin. Dans l'après-midi nous retournâmes à la capitale avec notre maigre butin et arran- geïmes tout ce dont nous avions besoin pour commencer le lendemain la préparation des peaux, des espèces les plus précieuses pour nous. Tandis que M. van Dam s’oceu- pait de la taxédermie, en société d'une énorme quantité de mouches, qui le tourmen- taient assidûment pendant son travail, je tâchai de tenter de nouveau la fortune de Saint-Hubert. Ce jour là je fis mes courses cynégétiques le long des pentes du Bernard. Un nègre m'accompagnait et me conduisait d’abord sur un champ étendu avant d'at- 1) Voir la Partie II I. c. p. 67. 2) Idem p. 158. 3) Idem p. 158. 4) Idem p. 158. 5) Idem p. 162. 6) Idem p. 155. 7) Idem p. 154. 8) Voir les notes I. c. 69 teindre le terrain de chasse. Dans ce champ nommé la plaine de la redoute, on voit à quelque distance une poudrière et un peu plus loin un monument pyramidal, érigé par les Anglais en mémoire d’un jeune officier, tué sur ce lieu, dans un combat contre les créoles lorsque les Anglais s'emparèrent en 1810 de l'île de la Réunion. Sur ce simple monument situé sur une colline se trouvaient gravés ces mots: John Graham Munro, lieutenant du soixante-sixième régiment des grenadiers de S. M. B., mort à l’âge de vingt-deux ans en chargeant les créoles le 8 Juillet 1810; et, à l'autre côté, une inscription indiquait que les restes mortels des soldats tués du même régiment y reposent aussi. Le champ entouré de Filaos et situé entre les hauts rochers du Bernard et la ville, offre un joli aspect. Autrefois on y donnait annuellement des courses, mais à présent il est destiné aux exercices militaires de la garnison. Du côté de la mer, c’est-à-dire au bout, le champ est borné par la caserne de l'infanterie et l’abattoir, dont nous avons déjà parlé. Arrivé au lieu de chasse je tuai d’abord, outre les espèces mention- nées du jour précédent, le petit Oiseau vert (Zosterops haesitata) *). La manière de vivre de ces oiseaux charmants me rappelait celle des Nectarinias. Les Zosterops tués avaient la tête tellement garnie de pollen d’une certaine fleur jaune, que je croyais voir au premier abord des plumes jaunes sur leur front. Ces oiseaux doivent se nourrir d'in- sectes vivant dans ces calices, ou bien du nectar qui s’y trouve. Ils vivent en petites bandes de quatre à six, incessamment en mouvement, examinant chaque calice des fleurs, souvent suspendus à leur tiges, en sautant lestes et rapides d’une branche à l'autre, ou bien comme les Moucherolles voltigeant sur leurs ailes, ils faisaient entendre par intervalle, un petit cri semblable à celui des Roitelets (Regulus); vraiment ces petits fripons me tinrent longtemps en extase et m'intéressaient tant, que j'hésilais en effet, à être assez barbare pour priver quelques-uns d’entre eux de leur vie pleine de charme, même au profit de la science. Les rayons du soleil commençaient déjà à pointer forte- ment, lorsque je me rendis avec un butin de 16 oiseaux vers notre laboratoire. Toute la journée nous nous occupâmes de la préparation de leurs peaux puisque nous avions l'intention d’aller en chassant à travers les montagnes à Saint-Paul, afin de faire la visite promise au docteur Lacaille. Dans la soirée nous engageämes encore un guide pour nous accompagner; après quoi nous jouîmes d'un bon sommeil, qui malheureusement ne devait pas être de longue durée, car à cinq heures du matin nos membres encore bien fatigués devaient se mettre de nouveau en mouvement. Le 23 Mars nous nous mîmes en route pour Saint-Paul avec un petit nègre bien gros, portant notre bagage sur la tête. C'était pour la première fois de notre vie que nous faisions une marche de montagne; nous ne nous étonnâmes donc nullement que le 1) Voir p. 73, de la Partie IL 1. c, pl. 19. fig, 8, 70 noir robuste se moqua de nous, lorsqu'à peine arrivés au sommet du cap Bernard nous étions déjà tellement fatigués, que nous fümes obligés de nous reposer. L’intervalle de celte petite halte nous fût doublement utile par la vue du panorama magnifique, qui s'offrait à nos yeux. Au pied de ce rocher énorme nous vimes d’abord la ville réguliè- rement bâtie de Saint-Denis, avec ses nombreux jolis jardins, et plus loin se montrèrent les beaux paysages situés entre la ville et Sainte-Suzanne, auxquels la verdure claire donnait un effet éclatant au lever du soleil, dont les rayons rouges coloraient les diffé rents rochers de notre alentour. Tandis que nous étions ravis de ce beau spectacle, le noir s’amusait à siffler un air monotone, quand il fut interrompu par nos exclamations d'enthousiasme. Regardant de notre côté dans l’idée que notre attention était fixée sur le même objet que la sienne, il nous dit: » Myseu, gette a ly! Boullet que monte, Mal arrive! Bintôt Myseu, bon nouvel de France”)! Le nègre pensait que notre extase était causée par la vue du bâteau à vapeur qui portait la malle d'Europe; parce qu'il ignorait que c'était l'aspect riant des paysages qui nous charmait tant. Quoique nous ne nous trouvions pas à une hauteur considérable au-dessus du niveau de la mer, nous éproyvions pourtant l'influence bienfaisante de l'air frais des montagnes, qui nous fit bien vite oublier la fatigue et rétablit nos forces, pour continuer la marche à peine commencée. Nous descendimes alors dans une vallée pittoresque parsemée çà et là de demeures en bois et de chaumières de montagnards, qui s'appliquent surtout à lhorticulture, ainsi que l’indiquaient de nombreux champs plantés d’Ananas délicieux, de Pommes de terre, de Tabac, de Maïs et de plantes légumineuses. [ei le chemin commençait à monter et nous conduisait sur un sentier bien étroit, ombragé de Tama- riniers, d’Acacias et de Bambous. De temps en temps nous observions entre les bosquets épais d'Aloès, aux fliges majestueuses desquels une quantité d'Araignées (Epeira nigra) ?) avaient attaché leurs toiles, plusieurs maisonnettes et chaumières; dans quelques-unes de celles-ci on pouvait se procurer du rhum et des fruits. Par intervalle nous nous amusions à faire la chasse aux oiseaux connus et à recueillir des insectes, dont la plus grande partie consistait en araignées, et bientôt nous arrivämes à un petit ruisseau où nous eûmes le bonheur de capturer quelques Scarabées aquatiques (Dineutes praemoris, F.) *), des demoiselles de la famille des Libellulidées), amsi que des grenouilles (Rana mascareniensis) *). Nous poursuivimes, après ces captures minimes notre chemin en descendant dans un petit ravin où nous déjeunâmes auprès d’une cataracte. Montant ensuite à travers des terres parsemées de bosquets de Mimosas et couvertes de fougères et d’autres plantes de montagne ou entrecoupées par des jardins potagers, nous arrivâmes sur un grand plateau. Ici le sentier anfractueux courait entre 1) Voir les notes I. c. 2) Voir la Partie V I. c. 3) Idem. 4) Idem. 5) Voir la Partie II de cet ouvrage (Reptiles). 71 des roches et des cailloux roulés d’une grande dimension), qui s’y trouvaient en grande quantité. Nous descendimes ce terrain, curieux non seulement pour le savant, mais aussi pour le simple voyageur, qui est frappé de ce spectacle géologique et qui est étonné de la transformation de ces énormes pierres. Le chemin qui conduisait au vallon était d'une pente très rapide et pavé de roches unies, bordé des deux côtés d’Acacias, qui nous empêchaient de voir la profondeur du ravin. Plusieurs fois nous pensämes nous casser le cou en descendant, tant les jambes se fatiguaient. Lorsque nous nous disposions à monter la crête de la montagne suivante, d’une hauteur de 649 mêtres, nous fûmes arrêtés par une société de messieurs, qui nous invitèrent à partager leur déjeûner. Ne voulant pas abuser de leur hospitalité, nous n’acceptâmes qu’un verre de vin; cette boisson rafraïchissante nous fit du bien par la grande chaleur et la fatigue qui nous tourmentaient. A table nous fîimes la connaissance du Directeur des hôpitaux, lesquels se trouvent au Grand-Chaloup?), et qui nous donna l'occasion de les visiter. Ces maisons sont établies là comme asyle pour ceux qui souffrent des maladies contagieuses, qui parfois sont introduites par les émigrants de couleur, afin d’en prévenir la propa- gation. Aussi les navires qui sont désignés à la quarantaine doivent mouiller ici sur la rade. Après que nous eümes visité ce Lazaret, nom que notre guide donnait à ces établissements sanitaires, nous fimes nos adieux au Directeur hospitalier et à ses com- pagnons, qui avaient eu encore la bonté de nous accompagner jusqu’au pied de la route, que nous devions grimper pour franchir le sommet du Grand-Chaloup. Après une marche pénible, qui fit plier nos genoux, nous arrivämes sur un plateau où plusieurs boeufs Malgaches (Bos indicus var.) 5) païîssaient; nous le franchîmes, pour descendre le long d'un sentier mal pavé, dans un lit d’une rivière où le paysage était magnifique. Notre guide nous indiqua une pierre sur laquelle était gravée une croix. Il prétendait qu'on avait massacré sur cette pierre un prêtre et que pour cette raison ce lieu charmant portait le nom de: Ravin du malheur, qui fut néanmoins pour nous un lieu de bonheur, parce que nous tuâmes là pour la première fois un gobe-mouches (Muscicapa borbonica) *). L’agréable fraicheur, qui règnait dans ce vallon attrayant répara assez nos forces pour nous permettre de continuer le chemin jusqu'à ce que nous arrivämes peu de temps après au rempart, pour descendre la bonne route) des voitures jusqu’à la Possession. On conçoit que notre promenade était à présent plus facile que sur le sentier que nous venions de quitter. Nous regrettämes vivement de n'avoir pas pris cette route depuis Saint-Denis même ; c'était la faute de notre guide, qui avait pris le chemin le plus court, mais aussi le plus difficile. Suivant plus directement le long de la côte, il était plus proche pour 1) Voir les notes I, c. 2) C’est le nom que porte la ravine que nous passûmes, 3) Voir les notes I. c. 4) Voir p. 15 de la Partie II. 5) Voir les notes I. c. 12 des nègres et des montagnards, mais non pas pour des Européens à peine arrivés dans la colonie et qui d'ailleurs n'avaient jamais fait de course dans les montagnes. C'était à peu près le sujet de la discussion entre le guide et nous, lorsque le panorama du bourg de la Possession s'offrit à nos yeux, bordé à droite par la savane du point des &alets et la mer, à gauche par une muraille de rochers ressemblant à des montagnes vertes. Nous arrivämes encore juste à temps pour le départ de l’espèce d’omnibus, c'est-à-dire de voiture ouverte, dans laquelle nous primes place pour la ville Saint-Paul. Le peu que nous pûmes observer en passant du bourg de la Possession nous indiqua de la misère. Le village consiste en une simple chapelle entourée par quelques maisons de campagne, de plusieurs petites échoppes et de maisonnettes et d’un bon nombre de chau- mières, qui dominent ce pauvre quartier. Le chemin, qui nous conduisait à Saint-Paul est bien agréable pour celui qui aime à voir de la diversité dans la nature, car une grande partie du paysage du côté des montagnes est d’une verdure Iuxuriante, tandis qu'une grande plaine aride longe la côte jusqu'au dit Point des galets. Dans l’un se voient des champs plantés de cannes à sucre et de maïs, parsemés çà el là de maisons de campagne aussi simples que sa verdure. Le contraste du côté opposé est cependant grand, puisque dans la vaste savane aride se trouvent des cases de noirs parfois pareilles aux porcheries de la Hollande, mais le plus souvent moins bien construites. Heureux habitants, patriciens et plébéiens, ou plutôt blancs et noirs, qui vivez dans la simplicité même. Heureux enfants de la nature, qui vous contentez de pauvres chaumières et de châlets en bois, inférieurs quant au luxe de vos frères de la mère-patrie, mais plus propres à vous loger, créoles travailleurs et travailleuses insouciants de la vie européenne, quoique dans la même coterie, mais dans un état plus primitif. Comme J'aimais ce parage de contrastes, si visiblement exposés par le créateur des créateurs, dans une robe de simplicité tout à fait différente. Combien les impressions que me fit le trajet par ce paysage, m'élaient bienfaisantes au coeur et douces au souvenir. La plus grande partie de la route était bordée par des Filaos et les champs entourés par des haies épaisses d’Aloès, qui montraient leurs feuilles menaçantes de tous côtés. Après avoir passé la rivière à Marqué nous arrivämes au fleuve des galets’). Pour un étranger il était étonnant de passer en voiture une rivière, mais comme son lit était à peine couvert d’eau et au contraire encombré par une quantité de rochers et de galets, on peut très bien se figurer qu'il a été facile de faire une route assez praticable pour hommes et voitures durant la belle saison. Néanmoins cette rivière n'offre pas toujours un aspect si paisible. Oh non! dans les temps des pluies et des orages elle devient active, même tellement, qu’elle se change en torrent, nourri par la masse d’eau des montagnes, qui s’y vient jeter avec force, au fur et à mesure, que les sources innombrables se remplissent et que les bords de leurs entonnoirs sont ]) Voir les notes I, c. 13 dépassés par l'élément terrible, qui entraîne souvent dans sa violence des rochers énormes et de gros arbres déracinés pour les confier aux flots de l'Océan indien. Alors la traversée occasionne bien de la peine aux voyageurs qui doivent se rendre d’un bord à l’autre; car il est presque impossible de passer la rivière des galets dans un tel moment. Le gouvernement de la colonie a eu soin pourtant de mettre dans ces moments critiquas à la disposition des voyageurs, des hommes hardis qui les portent à cheval sur leurs épaules à travers la rivière. Cette rude traversée à souvent alors pour résultat que porteur el voyageur sont trempés jusqu'aux os, sans compler la crainte du dernier de se noyer ou d’être entraîné par le courant, qui est quelquefois dangereux. Après notre passage bizarre, la route vers Saint-Paul nous offrit beaucoup à observer. Partout nous vimes des monticules, des collines et des vallons: la plupart couverts de belles cannes à sucre, tandis que çà et là, sur les pentes des montagnes, les longues cheminées blanches des sucreries se montraient au milieu de la fraiche verdure de l'entourage. Après avoir passé un aqueduc de montagne d'où l’eau tombe avec force, et qui a quelque rapport avec un cataracte en miniature, le panorama devenait de plus en plus beau. Pour un moment on voit la ville de Saint-Paul et ce moment nous mit en exlase; heureusement pour nos nerfs qu’elle fut bientôt voilée par une allée de hautes filaos aboutissant à la route, qui partageait des champs couverts de cannes à sucre et de cotonniers pour se changer de nouveau en une allée d’acacias et aboutir aux trois ponts jetés sur le joli étang de Saint-Paul, et qui rejoignait le chemin conduisant à la ville située si pittoresquement. C’est dans cet endroit que s'élevait jadis la ville de Saint-Paul, mais on n’y voit à présent rien d'autre qu'une grande plaine parsemée d’humbles chaumières entourées de haies d’acacias et d’arbrisseaux de pignons d'Inde. Au loin l'oeil se repose sur la verdure des tamariniers qui fait une agréable impression et un bon contraste avec la teinte jaunâtre de cette plaine aride, dans laquelle quelques dattiers et cocotiers élèvent leurs couronnes majeslueuses comme si c'élaient des saules pleureurs sur un territoire désolé, j'allais dire un cimetière. Qui, je trouvais ici la vue monotone et pourtant d’un autre côté gaie; comment expliquer ce que J'éprouvais? Je ne sais! Dans ce moment là j'étais comme un petit enfant, qui n’a pas encore sa propre volonté, à qui l’on demande quelque chose. Il vous répondra de deux façons, tantôt: oui, tantôt: non. Eh bien, je dois parler ici à peu près de la même manière, c’est-à-dire, être à la fois aflirmatif et négatif. Tächons pourtant de peindre le tableau qui se dévoila devant mes yeux, lorsque je passai pour la première fois de ma vie ces trois ponts. Oh! celte vue avait un cachet que je ne puis définir qu'imparfaitement, et pourtant je veux faire comprendre à mes lecteurs les émotions de ce moment. Cette vaste nappe d’eau au milieu de cette plaine aride renfermait plus que je ne pensais en l’observant à la hâte. Cet étang enclavé entre des collines verdoyantes couvertes de petits îlots d’une verdure luxuriante bordés de 10 74 jolis arbres élevant leur feuillage dans un ciel d'azur et une atmosphère limpide, ainsi que des superbes veloutiers argentés (Tournefortia argentea) ') d’ajoncs épineux, d'espèces de papyrus et de graminées les plus variées, parsemées de fleurs des champs, offrait en un mot une des plus fraîches et des plus riantes vues situées dans le voisinage immédiat d'une vraie savane, qui rappelle les oasis dans le grand désert d'Afrique. Ce lac se divise en deux bras dont l’un s'étend vers le rivage de la mer et l'autre le long de la route, qui conduit à la ville de Saint-Paul. (Çà et là on voit des troupes de pêcheurs plongés dans l'eau jusqu'à la ceinture, en société de canards barbotants et d’autres oiseaux aquatiques prenant leurs ébats vers un troupeau de boeufs malgaches, qui paissent non loin des marécages. La pêche dont les habitants du rivage, nommé le bout de l'Etang, s'occupent presque tous est principalement celle des Cabots, petits poissons appartenant à la famille des Gobioïdes dont le principal est celui connu dans la science sous le nom d’Eleotris nigra?). Dans certaines saisons de l’année cet étang est peuplé aussi d’une foule d'oiseaux aquatiques parmi lesquels on remarque quelquefois des flamants *); des canards sauvages, ou comme les créoles disent des sarcelles (Den- drocygna viduata”) ainsi que notre poule d’eau (Gallinula chloropus 5) habitent pendant toutes saisons l’éfang de Saint-Paul. Nous poursuivimes le chemin qui était orné un peu plus loin de chaque côté, de maisons de campagne entourées de jolis jardins, presque tous pourvus de cocotiers et de dattiers, qui donnaient un aspect tout à fait tropical à cette charmante contrée. Lorsque la voiture s'arrêta devant l'hôtel où nous voulions descendre, la maîtresse s’avança vers nous, voyant que nous élions étrangers, pour nous demander si nous étions ces Messieurs Hollandais que le docteur attendait depuis longtemps. Notre réponse fut naturellement aflirmative. Elle nous dit alors que le Dr. Lacaille lui avait ordonné formellement de ne pas nous donner de logement, puisqu'il avait arrangé une chambre pour nous recevoir et nous loger chez lui, tout le temps que nous passerions à Saint- Paul. Nous nous rendimes alors immédiatement à la demeure du médecin, où nous renconträmes l’homme que nous estimions déjà avant notre départ d'Europe, et qui nous tendit cordialement la main, nous souhaitant la bien-venue sous son toit. La réception était digne de l’homme, car il nous mit d'abord à notre aise et nous remit des lettres et les journaux qu'il avait reçus pour nous de la patrie lointaine. Dans ce moment de bonheur nous apprîimes avec plaisir et reconnaissance que nos parents et nos amis Jouis- saient d’une santé parfaite et qu'ils brülaient du désir d'apprendre notre bonne traversée. Comme nous ne pouvions passer que peu de temps à Saint-Paul, il ne nous restait 1) Voyez les notes 1. c. 2) Voir la 3me partie. 3) Voir p. 144, de Ja 2me partie. 4) Voir p. 143, de la même partie. 5) Voir p. 136, de la même partie. 75 qu'à observer fugitivement les choses remarquables de la ville et des environs. La ville bâtie irrégulièrement est entrecoupée par des rues longues et droites. Parmi les édi- fices publics on voit la cathédrale François Xavier, bâtiment spacieux, mais très simple et sans la moindre valeur d'architecture. Puis on y trouve une caserne, un hôpital militaire, une prison et un grand marché. L'ancien magasin de la compagnie des Indes devant lequel se trouve une belle fontaine est le seul édifice remarquable que nous y ayons vu. Ce qui est bien digne d’être observé, c’est un pont en fer magnifique d’une longueur de 131 mètres et d’une largeur de 3,94 mètres, qui se trouve au bord de la mer pour faciliter les chargements et les déchargements des navires sur rade. Aussi la rade est ordinairement plus tranquille qu'à Saint-Denis; ce qui fait qu'on y voit le plus souvent plusieurs navires. Quoique la ville de Saint-Paul offre peu de curiosités, ses environs sont au contraire pittoresques et les paysages splendides. Parmi ces jolis points de vue appartient surtout le Bernica, cette magnifique pièce d’eau enclavée entre de hauts rochers escarpés, ainsi que la Manchi. Du haut du rempart on jouit aussi d’un aspect riant du panorama de la ville même. Il était bien dommage que nous ne pouvions pas observer à notre aise dans ce court séjour les superbes environs de la ville et que nous devions remettre nos excursions à une prochaine visite. Nous eûmes la bonne chance de faire la connaissance d’un ancien capitaine au long cours, M. Breton qui était élabli comme négociant à Tamatave sur la côte orientale de Madagascar, mais qui passait la mauvaise saison à la Réunion chez son ami le docteur Lacaille. Une lettre de recommandation de cet homme aimable à l’ancien maire de la Possession, Monsieur de Fondaumière, nous fut très utile. Le 24 Mars nous fimes nos adieux à M. Lacaille avec la promesse de revenir aussitôt que possible, pour faire des excursions dans les environs de cette charmante contrée. Nous retournâmes alors à Saint-Denis, avec l’idée de passer quelque temps chez M. de Fondaumière afin d’y attendre le départ du bateau pour la capitale. En arrivant à la Possession nous allâmes de suite chez ce Monsieur, qui habitait une gentille maison de campagne au milieu d’un vaste champ planté de cannes à sucre, près des bords de la rivière des Lataniers. Le vieillard nous reçut à bras ouverts lorsqu'il eut appris par la lettre de M. Breton, que nous étions des Hollandais. Il était hors de lui de joie, et les larmes d'émotion lui venaient aux yeux; il nous souhaita la bienvenue dans sa maison, disant que c'était Dieu seul qui lui avait donné le bonheur de recevoir sous son {oit, encore avant de mourir, des gens d’un pays qu'il aimait tant. Dans les premiers moments de notre visite, nous élions étonnés de cette manière de recevoir, ne sachant pas encore que c'était le prélude d’une petite histoire qu'il allait nous raconter et que je reproduis ici en peu de mots. C'était justement”, nous dit-il, hier soir que je racontais à un de mes amis M. César, qui demeure tout près d'ici et avec lequel j'aurai l'honneur de vous faire 10* 76 faire connaissance, le bon accueil que j'avais toujours recu des Hollandais à Java. Je n'oublierai jamais mon heureux séjour parmi eux; et ce doit être pour moi un vrai bon- heur et un saint devoir d'en rendre hommage à un Hollandais, et d'être envers lui encore avant de mourir, ce qu'ils ont été pour moi, par l'hospitalité sans bornes que j'ai reçue chez eux à Batavia. Oui, Messieurs, toute la soirée nous avons parlé de vos bons compatriotes et vanté leur excellent caractère. Comprenez-vous maintenant, que le ciel vous amène chez moi, que le bon Dieu a daigné remplir mes voeux sincères ? Profitez en done de bon coeur et acceptez l'hospitalité que je vous offre, comme une simple preuve de la haute estime que je porte à votre nation”. Nous étions émus par son récit, et la connaissance que nous fimes avec lui nous charma tellement qu'elle devint une amitié sincère, comme dans la suite plusieurs pages de ma relation prouveront, J'espère, assez clairement à quel point nous admirions les qualités de cet affable vieillard. Comme l'heure du départ du bateau approchait, nous échangâämes des adieux chaleureux, en lui donnant l'assurance de nos parfaites considérations pour sa personne et en lui promettant que chaque fois que nous reviendrions dans ces environs nous proliterions de son hospitalité généreuse. Nous passämes par le même chemin que nous avions suivi en voiture lors de notre départ pour Saint-Paul, et qui nous conduisit maintenant vers la plage où les bateaux destinés à la communication par mer entre ce bourg et Saint- Denis élaient mouillés dans les galets. J'emploie cette expression parce que ces bateaux sont tirés à sec, comme chez nous les bateaux pêcheurs dans les villages situés sur le bord de la mer, comme à Schéveningue, Katwijk, Noordwijk, Zandvoort ete. '). Autre- fois ces bateaux de petit cabotage trouvaient un abri dans le petit havre naturel *formé par le ravin de la Possession, alimenté par les deux ruisseaux Lafleur et Montfleury, mais depuis 4829 il est devenu tellement comblé de galets par la mer, que les bateaux n’y peuvent plus entrer ni en sortir. C'était alors que leur départ et leur arrivée se faisaient par des procédés primitifs et sauvages; c’est-à-dire, que les bateaux qui abordaient ces rives pierreuses semées de galets roulés, plutôt que la plage sablonneuse de la Possession, faisaient des efforts brusques pour mettre la proue en mer ou la poupe à terre; après quoi on les halait à grand renfort de cordes et de bras, au signal d'un tapage infernal, de cris étourdissants des sommiers humains, qui firent chavirer mainte- fois sur les galets roulants les bateaux chargés de passagers dont les moins lestes tom- baient dans l’eau ou sur un lit trop dur, se mouillant ou se blessant, à l’effroi de ceux qui étaient les spectateurs, soit à terre soit dans le bateau, d’un débarquement aussi primilif que barbare. Par les soins du Gouvernement on remédia cet inconvé- nient par le creusement d’un petit bassin dans le ravin, sur la place même où jadis 1) Voir les notes 1. c. 71 se trouvait le havre naturel, pour abriter les bateaux et pour établir un embarquement et un débarquement plus civilisé, moins dangereux et plus commode pour les voyageurs. Mais cette bonté du gouvernement ne fut pas récompensée par la nature, car la passe de ce petit barachois fut bouchée par des galets. Ce malheur fit renaître l’anomalie d'embarquement et de débarquement dont nous mêmes fümes témoins, chaque fois que nous visitèmes la Possession. Le nettoyage et l'entretien du barachois coûtant trop au gouvernement, on à abandonné ce travail trop fréquent. Depuis ce temps le gouverne- ment a accordé à M. Teschère, maire-adjoint de la commune de Saint-Paul de placer sur la rive un pont débarcadère avec des échelles de cordes pour rendre le débarquement et l’embarquement plus facile, mais comme les bateaux appartiennent à différents pro- priétaires, il n’est pas permis d’y accoster avant de payer une certaine somme à l'entre- preneur, qui lui aussi possède des bateaux faisant le cabotage à Saint-Denis; de plus dans ce métier de caboteurs il existe aussi une concurrence extrême, jaloux comme ils sont les uns des autres. Aussi les ponts débarcadères qu’on voit dans la colonie, sont bien commodes pour le chargement et le déchargement des marchandises, mais non pas pour des voyageurs civilisés, surtout pas pour les voyageuses, qui sont obligées de monter ou de descendre une échelle de corde du bateau ballottant incessamment, ou bien elles doivent prendre place dans une espèce de tonneau, pour se faire hisser o 1 glisser dans l'air en faisant des pirouettes avant d’aborder. Ce spectacle bizarre nous fit souvent penser involontairement à l’embarquement ou au débarquement des bestiaux en Hollande. Oui, ce sont des affaires encore bien primitives pour une colonie civilisée comme l'ile de la Réunion, mais il est à espèrer qu'avec le temps cetle manière de prendre la mer dans un bateau se changera pour le mieux. À peine le bateau avec lequel nous devions faire la traversée à Saint-Denis était-il lancé à la mer que nous y sautâmes comme des singes, ne voulant pas nous risquer de chavirer avec lui. Bientôt après il se mit en route ramé par une demi-douzaine de noirs de différentes races, qui ramaient tous debout. C'était pour nous bien étrange à voir, d'autant plus que la plus grande partie de ces marins de couleur étaient à moitié nus. Nous élions aussi étonnés de leur force; ils ne perdirent pas un moment courage dans leur travail pénible; si quelquefois un instant de fatigue interrompait la marche du lourd bateau ils prêtaient de suite l’oreille au commandement du patron. Celui qui porte ce nom est l’homme qui gouverne et qui pour arriver promptement, les encourage à reprendre les forces en excitant leur ardeur par les termes en sa langue créole !): Allons, mes enfants! Ne mollissez pas, garçons” ete. Un moment la vitesse avec laquelle notre bateau coupait les flots était grande; surtout lorsqu'un autre bateau faisant le même service était à côté du nôtre. Les rameurs battaient alors la mer 1) Voir les notes 1. c. 78 avec fureur en chantant ou plutôt en criant leurs airs créoles, en frappant en même temps de leurs pieds la mesure d’une rude manière contre le bastingage. Ce trajet n'était pas très agréable, en outre nous étions en société de gens qui éprouvaient constamment le mal de mer et l’espace du bateau, dans lequel nous devions nous mouvoir était si pelit que nous étions assis serrés les uns contre les autres. Heureuse- ment que la vue de la formation curieuse des roches nous donnait assez de distraction pour nous amuser à notre manière. Le premier rocher qui attira notre attention est celui du Ravin à Malheur, lequel consiste principalement en couches basalliques d’une forme assez extraordinaire, puisqu'il offre une face rompue en cercle, à l'instar d'un disque solaire. La copie d'un croquis de feu M. l'ingénieur Maillard’) offre à mes lecteurs plus visiblement cette formation de rocher, où l'on observe des filons verticaux et dont les prismes basaltiques horizontaux, se re- dressent à mesure que le plan du filon change. Ce rocher n’est pas haut, et la cascade petite, quoique dans la saison des pluies elle devient assez grande et offre une vue magnifique, surtout quand les rayons du soleil y pointent; alors elle ressemble à un jet d’eau d’or, changeant en diverses couleurs, pareilles à celles de l’arc-en-ciel. Mes lecteurs qui ont eu l'occasion de voir le Colospenthe chromo- crene, peuvent se faire une idée de cette beauté naturelle, ayant contemplé cette scène artificielle. En naviguant le long des divers rochers situés entre la Possession et Saint-Denis, on observe combien ‘ ces vastes murs du littoral sont corrodés et profon- dément fouillés, ce qui est de plus admirable puis- Vue du Ruvin à Malheur du côté dela mer. qu'ils sont d’une grande dureté. C’est le mouve- ment continuel de la mer, qui jette ses lames depuis des siècles contre ces rochers déformés, devenant mouillés et resséchés alternativement par un soleil ardent. On remar- que cette action corrosive ordinairement entre 2 et 8 mètres au dessus du niveau moyen de la mer. C'était bien visible au haut rocher nommé ”Gouffre”, dans lequel elle à creusé un trou profond recevant à chaque instant les fortes vagues, qui continuent la dévastation régulière de cet énorme bloc basaltique en se brisant continuellement. De même que le géologiste aurait observé attentivement ces merveilles du règne vol- canique, le zoologiste aurait contemplé avec nous la quantité d'oiseaux aquatiques *), 1) Voir les Notes sur l’île de la Réunion par L. Maillard, p. 116. pl. XII. 2) Sterna stolida, voir p. 149, de la 2me partie. 19 qui habitaient ce monument de la nature. Mais ces habitants ne sont pas hors de la portée des hommes sur cette hauteur inaccessible à la vue, car les montagnards leur donnent la chasse pendant la nuit d’une manière aussi dangereuse que curieuse. Cest- à-dire qu'ils descendent le long d’une corde vers l'endroit où ces oiseaux se trouvent rassemblés en quantité à côté les uns des autres, pour les prendre par un long gluau pendant leur sommeil. Ainsi privés de leur liberté ils perdent bientôt la vie pour être vendus le lendemain crus ou boucanés au bazar de Saint-Denis, où ils sont recherchés par bien des créoles, comme un mets excellent, dont le goût doit rappeler celui du hareng saur. Ces oiseaux portent ici le nom de Macoua, probablement à cause de leur couleur foncée, qui rappelle celle des nègres d'Afrique connus sous ce nom. Il était aussi curieux de voir trois palmiers (Lafania borbonica) qui s'étaient enracinés dans la mince couche de terre, qui remplissait les fentes de ce rocher’). Le vent aura certai- nement jeté là quelques graines de cet arbre, peut-être bien de la plaine des galets. Un moment après l'observation de ce phénomène, le bateau | était arrivé vis-à-vis le ravin Saint-Jacques, rocher d’une hauteur de 80 mètres; qui est aussi remarquable à cause de ses couches basaltiques d'une forme assez régulière et jolie, servant de lit à un petit torrent. A ce même endroit nous vimes quelques Pailles en queue *). Ces = vrais oiseaux des tropiques voltigeaient en l'air cher- chant une fente pour se reposer d’une longue journée maritime. Il était curieux de les voir se rendre dans = mulütude de trous celui qu'ils habitent. de la mer. Après avoir longé la côte pendant trois heures nous arrivàmes à travers du cap Ber- nard. Cette falaise d’une hauteur de 200 mètres environ, est très remarquable aussi, quant aux couches de ses prismes basaltiques, qui s'étendent en colonnes régulières en ligne verticale. Dans ce rempart d’un sol primitif, on observe que ces couches de basalte sont alternées par des laves, des tufs et des terres végétales, plus où moins torréfiées, parsemées à plusieurs endroits d'espèces de grés, comme des Conglomérats *) et des Agglomérats ) à gangues rocaleuses ou boueuses. C'était dans ce rocher qu'on effectuait le travail important du tunnel, qui doit conduire au chemin qu'on va faire le long de la côte que nous venions d'observer rapidement, et qui aura jusqu'à la Pointe aux Chiendents, une longueur de 838 mètres à une hauteur de 26 mètres au-dessus 1) Voir les notes I. c. 2) Phaëton candidus voir p.138, de la 2me partie. 3) Voir les notes I. c. 4) Idem. 80 du niveau de la mer. La route aura une largeur de 5.50 mètres et s’élargit jusqu'à 6.50 mètres à la voûte, tandis que la hauteur sous clef est de 7 mètres). 7 ” IT Te me Pi] un pe IIS Tri mL NT EE — TETE Lu qu (LL Qt AATTTINE “TE 7 2 ni ne SE LM 7 Latine dl LI Ho TIRER | Wu n Œ TNT ii = — E— — /| sl. Pa w tin = == 2] je T2 — Mi ous MCMmnnn Ur, run dll IN eur ! Ke , om a Heu UT Ms TAN Vue du Cap Bernard du côté de la mer. Notre séjour à Saint-Denis ne fut pas de longue durée, puisque trois jours après nous relournämes à la Possession, faisant hommage à l'invitation de M. de Fondaumière. Mais pendant ce court relâche dans la capitale nous eûmes encore le bonheur de faire connaissance avec un collègue bien savant et très affable. Cet homme bien expert dans l'histoire de la faune de Madagascar et de ses dépendances, était le docteur Charles Coquerel?), Hollandais de naissance et fils du pasteur wallon célèbre Athanase Coquerel, qui résida longtemps à Amsterdam. En sa qualité de vice-président de la Société Impériale d'acclimatation et d'histoire naturelle, il nous invita à assister à la prochaine séance de la dite Société ce que nous acceptâmes pour une autre fois. La connaissance de ce naturaliste distingué était pour nous un vrai trésor, puisqu'il connaissait beaucoup de choses importantes relatives à l’histoire naturelle du pays que nous avions l'intention d'explorer, et où lui-même avait résidé pendant quelque temps. De la même manière que nous avions fait le voyage de la Possession à Saint-Denis nous y retournâmes en bateau le 30 Mars, pour loger quelques jours chez notre bon vieillard, qui dès notre arrivée nous reçut cordialement. En tenant parole de nous aider comme il pouvait à obtenir des objets d'histoire naturelle, il nous fit faire connaissance 1) Voir pag. 61 et les notes I. c. 2) Voir les notes 1. c. 81 avec un de ses amis, Monsieur Antoine Rélout, vieillard excellent comme lui, un des plus notables du quartier et grand amateur de la chasse et de la pêche. J'ose dire le plus célèbre de la colonie. À peine nous avait-il tendu la main et appris notre but de voyage, qu'il nous invita à une grande journée de chasse et de pêche, qu'il allait faire en société de sa famille et de quelques-uns de ses amis, au Point des Galets. Cétait une véritable excursion à la naturaliste de laquelle nous étions enchantés. Cette invi- tation si imattendue, mais désirée bien des fois, devait avoir lieu le lendemain de grand matin. Pendant toute la journée nous causämes de ce jour de fête, dont M. de Fondau- mière nous fit entrevoir tant de plaisir, puisque lui-même avait assisté bien des fois à cette grande récréation que la famille Rétout donnait annuellement. Le 31 Mars nous allèmes done en société de M. Rélout et de sa belle-fille au camp, qu'on avait déjà arrangé pour recevoir convenablement la famille et les invités. Une charrette attelée de quelques mulets fut désignée pour nous conduire par la savane vers le lieu où le bivouac était installé, consistant en trois tentes de campagne dont la plus grande était destinée à notre logement. A peine arrivés nous y rencontrâmes les fils de notre hôte, MM. Antoine, Grégoire et Jean, ainsi que M. Barbe et les fils aînés des deux premiers, qui devaient rester tout le temps avec nous au bord de la mer. Ces messieurs nous souhaitèrent avec empressement le bonjour et la bienvenue. Plusieurs domesti- ques et pêcheurs étaient réunis non loin de là et s'occupaient à arranger leurs petites affaires. Après avoir pris quelques rafraîchissements, nous profilämes de ce moment d’arrangement du campement pour faire une pelite excursion de chasse en société des messieurs mentionnés, qui ne devaient être que spectaleurs, puisque le jour suivant l'ouverture de la chasse aurait lieu et que nous seuls avions la permission de chasser avant ce temps légal. Une quantité de chiens courants, qui ressemblaient à la race terrier anglais, nous suivait pour se mettre à la piste du gibier, car sans cela on n'aurait pas eu le bonheur de üürer quelques lièvres (Lepus nigricollis) ‘) et des perdrix (Perdix striata)*). La chasse fut très fatigante, ayant lieu dans une savane pleine d'herbes piquantes et accidentée par des collines de sable, sous une chaleur étouffante, qui fit que les chiens n'avaient pas le flair voulu. Après quelques heures de chasse, nous retournâmes au camp où l’on nous attendait avec le diner; en outre le lendemain on devait célébrer l’ouverture de la chasse, et les chasseurs et chiens avaient besoin de se reposer. Dans la nuit on se proposait de faire la pêche au requin, qui nous inté- ressait fort. Pour l'exécution de cette pêche on avait eu soin de placer au bord de la mer une charogne de mulet, qui devait servir d’amorce aux squales. La pêche se fait de la manière suivante. A une longue forte corde est attachée une chaine solide pour- vue d'un grand croc, garni d’un morceau de la charogne. Celte ligne se trouve à une 1) Voir les notes I. c. 2) Voir pag. 120 de la Partie II. 11 82 grande distance dans la mer et est soutenue près de la côte par des tréteaux. Au bout de la ligne se trouve à terre une petite ficelle attachée à un bon soutien, qui sert à indiquer si les requins mordent à l’appät; car alors elle se brise. On est donc obligé d'avoir bien l'oeil sur cet indicateur, afin de faire filer la corde au moment que le monstre mord. M. Rétout père élait grand amateur de cette observation, car toute la nuit il resta assis dans un fauteuil au bord de la mer tout près de la ligne. Quant à nous, quoique amateurs aussi, nous élions tellement fatigués par la chasse que notre corps avait besoin de quelques heures de repos. Mais notre sommeil ne fut pas de longue durée, car à peine élions-nous assoupis que les cris retentissants des pêcheurs nous réveillèrent et nous annoncèrent qu'on avait attrapé un requin. Aussi vite que possible tout le monde fut debout et courut vers le lieu de pêche, afin de donner la main pour hâler le monstre à terre. (C'était curieux de voir avec quelle force il battait avec sa queue la plage de manière que les galets étaient lancés à une grande distance. Pendant une demi-heure il lutta contre la mort et mourut après une grande perle de sang. L'animal était femelle et mesurait plus de 12 pieds. Deux heures après on eut le bonheur d'attraper un autre individu, un mâle qui était de quelques pieds moins grand. Outre ces requins, nous prines encore quelques rémores'), qui étaient attachés sur la peau de ces tigres de mer. Après que les pêcheurs leur eurent ouvert le ventre, pour en retirer le foie, nous reçü- mes les corps pour les disséquer, travail que nous remîmes néanmoins Jusqu'au lende- main. Déjà de grand matin les fils Rétout, ainsi que les autres, se rendaient à la chasse, landis que nous nous occupions de la dissection des requins acquilats (Acanthias vulgaris). Nous fimes ce travail plutôt pour nous habituer à disséquer en plein ar sous un ciel tropical et sur un sol de galets, au lieu d’une table convenable, que pour conserver ces animaux qui n'offraient rien de curieux pour la science. En peu de temps nous avions effectué cette besogne, mais non pas sans difliculté, car on conçoit qu'il y avait une grande différence entre notre manière de travailler et celle des préparateurs au muséum de Leyde, s'occupant toujours à leur aise dans un bon laboratoire. Notre laboratoire champêtre au contraire se trouvait dans cette vasle savane, connue sous le nom de Point de galets. Elle est bien digne qu'on la connaisse un peu de plus près, car c’est le théatre de phénomènes assez curieux; c’est-à-dire qu’on y observe très visi- blement l’action de la mer contre les falaises de la partie boréale de l’île dans les débris déposés ici le long de la côte en quantité considérable. Ce sont les morceaux de rochers brisés par les lames et constamment roulés par elles qui sont le sujet de ces phénomènes. Passons un moment dans ce champ de cailloux, dont la vue seule vous donne une triste impression, car autour de vous vous ne voyez rien que du sable, 1) Il se trouve plusicurs espèces de remores (Æcheneis) à l’île de la Réunion. Voir la Partie IV. 83 tantôt plat et couvert de longues herbes, de mimosas et d'autres plantes piquantes , parsemés de cactus à cochenille, ombragés à quelques endroits par les couronnes des majestueux lataniers (Latania borbonica), bordés de loin par des casuarinas, des aca- cias et des dunes rases. Droit devant vous l'océan indien battant ses grosses lames contre la plage couverte de galets de diverse grandeur, ballotés par elles continuellement, donnant un consert d’un son monotone, qui nous fait penser involontairement à ceux qui nous sont chers, loin de nous dans le pays natal. Eh bien! nous tomberions sans doute dans une crise de mélancolie, si nous ne trouvions pas ici de la distraction dans la pêche, la chasse ou les excursions scientifiques, entourés par ces excellents amis créoles. Jamais nous n’oublierons cette nuit obscure, lors de la pêche au requin, dans cette plaine lugubre éclairée autour de nous par les feux des tentes, devant nous le bord de la mer constamment en mouvement sur les galets roulants blanchis à chaque instant par les flots, illuminés de temps en temps par des milliards d'étoiles marines, consistant en tout autant d'infusoires. De loin les causeries des pêcheurs, attendant avec impatience le moment qu'un monstre attaquerait le croc et errant de temps en temps avec une petite lampe pour examiner la ligne, et tout à coup le cri du père Rétout: ”Trens mes enfants, un requin”! Puis les cris unanimes des pêcheurs tirant la corde: »Hale, hale! Ne mollis pas, ne mollis pas! Bravo! Il y est”! Enfin les coups menaçants de la queue du squale, luttant contre la mort. Malheur à celui qui se trouve derrière ce fouet terrible qui disperse les galets autour de lui à une grande distance. Le phénomène maintenant de ces galets que je vis foueltés si rudement par ce vorace habitant de la mer est qu'ils le sont d'une manière extraordinaire et admirable par la mer; c’est-à-dire que ces matériaux frottés et remués constamment par elle s’usent par le temps en sable ou plutôt en grès extrêmement fin, jeté après sur la côte située au nord du Point des galets. À cet endroit il est pris par le vent et accumulé en dunes et rejeté par d’autres vents au rivage méridional, où il est repris par la mer et déposé dans la baie de Saint-Paul, qui offre un fond de ce sable noir1), tandis que plus loin on ne trouve en général que du sable blanc?) et les restes calcaires de madrépore ‘). Dans ce lieu, qui est le sujet du phénomène que je viens de mentionner, nos amis venaient d'ouvrir la chasse d’une manière digne de vrais enfants de Saint Hubert, car lorsque nous nous occupâmes de la conservation dans d'alcool des poissons capturés par les pêcheurs et offerts gracieusement par M. Rétout père pour notre collection ich- € tyologique *), ils retournèrent de leur tournée cygénétique avec plusieurs lièvres el 1) Voir les notes I. c. 2) Idem. 3) Idem. 4) Voir la Partie IV. (15 84 plusieurs perdrix. Ce fut un moment heureux que la rencontre entre chasseurs, pêcheurs et naturalistes, car chacun était plus que salisfait de ces récréations diverses mais pourtant fraternelles et si avantageuses pour tous, puisque chacun de nous contribuait de son butin à la cuisine, qui nous donna un excellent diner, par lequel nous termi- nâmes pour ainsi dire, notre séjour au Point des galets, auquel nous fimes le lendemain matin nos adieux pour retourner à la Possession. Après avoir remercié nos hôtes MM. Rétout et de Fondaumière de leur hospitalité, nous quittämes dans l'après-midi le quartier pour nous rendre à Saint-Denis. Nous avions eu le bonheur ici de prendre à notre service un jeune créole qui devait nous suivre dans nos excursions à Madagascar, pour nous servir de domestique. C'était le fils d’un ancien serviteur de M. de Fondaumière, qui du reste nous avait recommandé Eugène comme un brave garçon. Quelques jours après notre visite, nous reçümes par les soins de M. Rétout père une belle espèce de requin (Myliobatis spec.), que néanmoins nous ne püûmes pas conserver pour la science, puisque dans une nuit les rats l’avaient tellement abîmé , ayant rongé le corps, qu'il n'avait plus de valeur pour une collection. Pendant notre séjour à Saint-Denis nous fimes visite au commandant en chef de la division navale de France sur la côte orientale d'Afrique, M. le capitaine de vaisseau Jules Dupré qui résidait à bord de la frégate l'Hermione et qui se trouvait sur la rade, pour lui demander sa haute protection pendant nos excursions scientifiques à Madagascar et ses dépendances. Le commandant, qui lui-même avait voyagé pendant trois mois dans Madagascar, comme réprésentant de S. M. l'Empereur des Français au couronne- ment de feu le Roi Radame IT de Tananarivo, nous reçut cordialement et nous promit de son côté toute protection et recommandation. Par suite de cette visite nous reçümes le 13 Avril l'invitation honorable dudit commandant de venir diner chez lui à bord de l'Hermione. Dans l'après-midi du 17 nous nous rendimes au barachoïs, où se trou- vait un canot de la frégate pour nous conduire à bord en société de plusieurs hauts fonctionnaires et commandants de navires de guerre sur rade, qui devaient y assister aussi. La réception était splendide et très honorable surtout pour nous, puisque nous apprîimes d'un bon ami que le commandant donnait ce dîner en notre honneur, ce qui nous fût clair lorsque nous nous mimes à table, puisque l’illustre navigateur prit place entre nous deux. J'avais l'honneur de me trouver à sa main droite en société de mon savant ami Charles Coquerel. Le diner était exquis, les discours animés et les toasts chaleureux et pleins d'affection. En premier lieu le commandant porta des toasts à la santé de leurs Majestés l'Empereur des Français et le Roi des Pays-Bas, et les autres: à la science, à la navigation, aux explorateurs de l'Afrique et principalement à ceux de Madagascar. Ce fut une soirée très distinguée et vraiment très agréable qui dura jusqu'à minuit. Nous nous retirèmes avec une impression de gratitude envers le commandant et les assistants, qui nous avaient donné des preuves de sympathie pour 89 notre prochain voyage; le commandant surtout portait un grand intérêt au pays qui devait être le théâtre de nos excursions. Le lendemain nous reçûmes l’agréable nouvelle que le navire de guerre Mahé Labourdonaye partirait le jour suivant pour l'ile Mayotte, et l'on comprend que nous nous hâtämes d’arranger nos bagages, pour nous embarquer sur ledit navire, sur lequel nous avions reçu un passage gratuit à table de l'état-major du Gouverneur de l’île de la Réunion, grâce aux recommandations de S. E. le Ministre de la marine et des colonies, Monseigneur le Marquis de Chasseloup-Laubat. Après avoir adressé des lettres d’adieu et de remerciment à nos amis, nous nous embarquâmes vers le soir à bord du Labourdonaye, qui leva ses ancres pour se diriger vers Mayotte. Avant de partir nous reçûmes encore une preuve d'amitié de notre bon ami de Fondaumière, car l'excellent homme avait eu l’idée de nous adresser un panier d’oranges pour consommer pendant le trajet; ces fruits d’une qualité supérieure, provenant de la Possession, appartenaient aux meilleurs de la colonie. À bord, le commandant, les officiers et l'équipage nous reçurent avec distinc- tion et nous traitèrent pendant la traversée avec bonté et bienveillance. Pendant ce voyage de sept jours nous n'observämes rien d’intéressant, soit pour l’histoire naturelle, soit pour notre relation itinéraire. Les seuls oïseaux que nous vimes étaient des fous (Sula piscatrix) !), ainsi qu'une quantité de pierre-garins (Sferna affinis) ?), qui habitaient les bancs de madrépore dans le voisinage de l'île Mayotte. CHPMNEPIR PE SNVE Mayotte. — Aspect de la côte et des îlots. — Zaoudzi. — Mamouzou. — Notre demeure. — Première excursion de chasse. — Voyage à Kokony. — Monsam- perey et ses habitants. — Végétation luxurieuse. — Court séjour à l’habi- tation de M. Chaulier. — Chasses dans les forêts du voisinage. — Notre retour. — 2me voyage vers la baie de Joungony. \ Nous aperçümes Mayotte déjà à 15 lieues en remarquant d’abord à la partie sud de l'île le pic conique de la montagne Ouchongui, puis celle de Mavéguani et la grande île Pamanzi, ainsi qu'un petit ilot plat. Nous les vimes vers le soir au coucher du soleil, qui prêtait un coup-d'oeil magnifique aux divers mornes. Comme les côtes de Mayotte sont entourées de bancs de coraux, qui ne laissent qu'un étroit passage pour y accoster et qu'on ne reconnaît qu'à la couleur de l’eau, le commandant ne voulait 1) Voir pag. 140, de la Partie II. 2) Voir pag. 146, de la même. 86 pas y entrer le soir, puisque c'était la première fois, qu'il conduisait un bâtiment à Mayotte. Nous nous. dirigeñmes donc au large pour retourner le lendemain. A 8 heures environ du malin nous portions sur Mayotte et bientôt nous reconnümes les bancs à la couleur rougeâtre de l’eau, qui se distingue parfaitement de la passe étroite d'une couleur bleu foncé. Aspect de Ja côte dans le chenal de Bandeli. Le premier flot que nous vimes alors était Bandeli, pourvu d'une caverne et revêtu maigrement de verdure; à l’ouest nous observâmes sur un banc de coraux!) plusieurs hirondelles de mer (Sferna candida). Après avoir contemplé ces oiseaux avec les jumelles de marine, nous aperçümes les îlots Ajangua et après l'ile Bousi, boisée jusqu'au sommet dans sa partie sud et ouest; et bientôt après nous arrivämes au mouillage de Zaoudsi. L'élévation du sommet de cette île qui est de 163 mètres, offre un aspect riant, puisqu'elle est située au milieu de la rade. Tout à côté de la résidence est située Pile aride, tout à fait dépourvue d'arbres de Pamanzi, et au loin les îlots Mognameri, Caca- zou et Vatou, qu'on dirait être des rochers qui sont séparés par le flux et réunis par le reflux. La partie ouest de la grande terre, c’est-à-dire de Mayotte même, s'offnit à nos yeux comme une longue chaîne de montagnes, pour la plupart couvertes de verdure, de laquelle s'élevaient les couronnes majestueuses des cocotiers et des dattiers, ou d’un sol d'une espèce de terre glaise rouge jaunâtre. Vraiment l'impression que fit sur nous la vue des divers îlots et la côte ouest de l’île était magnifique, joyeuse el riante. C'était à trois heures de l'après-midi que nous mouillämes devant l’ilot de Zaoudzi, et après que la visite sanitaire de l’équipage, des ofliciers et des passagers (parmi lesquels se trouvaient outre nous et notre domestique, quelques militaires africains de Nossi-bé), eut eu lieu, le commandant descendit à terre. Pendant son départ je m'en- tretins avec le premier officier, l'aimable M. Pourquer, sous la tente, sur le pont; et bien des choses se passaient devant nos yeux dans la baie tranquille sous un ciel pur, qui donnait une chaleur ardente. Au-dessus de la simple résidence voltigeaient une quantité de milans (Milvus parasytieus) et de corbeaux mantelés (Corvus scapulatus), qui se repaissent au commencement du reflux de ce que la côte leur offre, dans le voisinage ]) Connu aux marins sous le nom de Roche blanchie. Voir les notes I. c. 87 du navire vers lequel nous vimes plusieurs requins se diriger pour faire visite au nouveau venu de la baie, afin de se régaler de la tripaille des poules, que le cuisinier jetait à la mer. Si nous avions eu des lignes préparées nous aurions certainement eu la chance d'en capturer. Peu de temps après, le commandant remonta à bord, ayant fait visite au Gouverneur), qui nous avait invités à venir diner chez lui. Nous acceptâämes naturellement cette invi- tation honorable, puisque nous désirions faire connaissance avec le Gouverneur, principa- lement pour avoir sa protection et son aide pour le but de notre séjour à Mayotte. Le Gouverneur nous fit bon accueil el nous promit de nous aider de tout son pouvoir dans nos excursions scientifiques; il espérait de tout coeur, qu'elles seraient fructueuses et qu’elles nous offriraient tout ce que nous aurions à désirer pour enrichir la science de faits aussi curieux qu'intéressants. Car jamais avant vous”, disait-il aucun natu- raliste n’a exploré soigneusement les contrées de l'intérieur”. Fort satisfaits de la réception inattendue et si honorable, nous retournämes à bord, pleins d'espérance en l'avenir avec le commandant qui nous avait accordé d'y séjourner aussi longtemps, que nous n’aurions pas une demeure à terre, et qu'il serait au mouillage. Nous fümes très reconnaissants de cette faveur, car il n'y avait pas de logement convenable à Zaoudzi et nous n'avions pas avec nous tout notre bagage nécessaire pour nos explora- tions, que nous devions recevoir de la Réunion par le navire marchand Sirène. Notre séjour à bord était très agréable, puisque nous vivions en très bonne intelligence avec le commandant, les officiers et l'équipage, qui nous traitaient avec amitié et distinction. Le jour suivant, le 27 Avril, nous visitâmes Zaoudzi et observâmes fugitivement les choses soi-disant remarquables. Zaoudzi est attaché à Pamanzi par un pelit isthme, qui s’est formé par l’alluvion et qui a été rehaussé avec des blocs de rocher par les soins du gouvernement. C'était bien nécessaire, puisque la résidence étant très petite, on pouvait l’étendre vers Pamanzi avec un agrandissement éventuel de la population ?). Zaoudzi situé sur un rocher stérile ne contient qu’une place ouverte sur laquelle aboutissent quelques rues ou plutôt allées. Cette place a un aspect assez riant, elle est entourée par des Acacias lebbeck. On y trouve aussi quelques cocotiers ainsi que des puits, qui suflisent à peine aux besoins de ses habitants, qui consomment journellement beaucoup d’eau, surtout pour les ablutions. Du côté de la mer ou plutôt devant le mouillage des boutres arabes s'élèvent à gauche, quand on monte le chemin, les ruines d'une ancienne forteresse indigène construite de blocs de rocher et au côté droit une espèce d'hôtel café. Plus loin on voit l'arsenal el vis-à-vis la caserne, tous deux des édifices d’une assez bonne apparence. La rue qui est occupée par ces bâtiments est large, régulière et hordée 1) Son titre est plutôt celui de commandant en chef de Mayotte et de ses dépendances. 2) Voir les notes I. c. 88 par des arbres appartenant à la même espèce, que ceux qui se trouvent sur la place mentionnée. Si on continue son chemin à gauche, on observe premièrement la maison du trésor colonial’), et plus loin celle du gouvernement, édifice bien simple entouré d'un jardin, devant lequel s'élève une balustrade masquée par de superbes grenadiers, dont les fruits rouges donnent un aspect charmant. Puis on a le bureau de la marine ou autrement dit, la demeure de l’ordonnateur, tout près du débarcadère, où l’on voit à droite à une certaine hauteur un pavillon en pierres, presque tombé en ruine, bâti sur l’ordre d’un ancien commandant de l'ile pour quelques milliers de francs, seulement pour avoir le plaisir de voir de temps en temps la baie et les côtes de Choa?). Au côté opposé de la place, on a le palais de justice, le bureau du génie, la maison du chirurgien major et l’hôpital. Ce bâtiment est un grand établissement spacieux et très comfortable, où des malades de toutes classes sont admis et soignés d’une manière excellente. On trouve encore à Zaoudzi une église catholique romaine et une institution de charité. Les autres maisons méritent à peine d’être mentionnées, car elles appar- tiennent plutôt aux chaumières, qu’on voit aussi sur la route, qui réunit Pamanzi à Ja résidence et qui pourraient bien constituer un village à part. Non loin delà dans le voisinage direct, on observe une anse peuplée de diverses espèces de hérons‘), de courlis#), et d’alouettes de mer6), qu'on ne peut guère approcher pour les tirer, à cause de la vase qui entoure pour la plus grande partie les bords de l’île. Ce jour nous capturàämes dans notre promenade quelques Scinques ‘), qui habitaient les feuilles sèches dont la place était couverte, ainsi que les arbres, sur lesquels ils grimpaient avec une vitesse étonnante, ce qui fit qu'il était très difficile de s’en em- parer, en outre souvent la queue seule de l'animal vous restait dans la main. Quoique les corneilles leur donnassent la chasse, on en voyait pourtant encore une quantité considérable, grâce à l’agilité excessive, avec laquelle ils échappent à leurs ennemis. Ces corneilles habitent en bandes le plateau de Zaoudzi et y sont tellement apprivoisées, qu'elles ne craignent pas du tout l’homme et qu'elles parcourent tranquillement les rues, comme des poules dans une basse-cour. C’est parce qu'il est défendu par un décret du gouvernement de les tuer ici. Nous attendions avec impatience la Sirène pour avoir notre bagage, car le Gouverneur nous avait procuré une bonne occasion d’avoir une demeure à terre dans une bonne situation; c’est-à-dire non pas à Zaoudzi, mais à Mamouzou, située plus favorablement pour nous, comme point de départ pour nos excursions à Mayotte même. Nous partimes 1) C’est le bureau des droits d'entrée et de sortie de la colonie. 2) Cette contrée se nomme aussi Mamouzou. 3) Voir la Partie II. p. 122—126; 132 et 133. 4) Idem. 5) Idem. 6) Scincus vittatus. Voir la Partie III, 89 donc le lendemain dans l'après-midi en société de M. le Gouverneur et de son fils pour Mamouzou, en traversant la baie pour la pointe de Choa, dans un quart-d'heure. M. le Gouverneur nous conduisit chez un petit hôtelier nommé Dedienne, qui mit de suite une grande chaumière à notre disposition, laquelle nous louâmes, puisqu'il n’y avait pas d’autres demeures disponibles et plus commodes dans les environs. Grâce à Mon- sieur Gabrie l'excellent Gouverneur, nous étions enfin venus sous toit à terre et n’avions plus besoin d’abuser de la bonté du commandant de la Labourdonnaye, qui du reste pouvait partir chaque jour. Le Gouverneur, à l'extrême obligeance duquel nous étions redevables de cette simple demeure, nous fit ses excuses en disant: /que la maison qu'il avait destinée à nous loger durant tout notre séjour dans la colonie était occupée depuis quelque temps par des soeurs de charité récemment venues, et qu'il regrettait que nous ne l’eussions pas prévenu d'avance de notre arrivée, alors il aurait certaine- ment réservé celle maison pour nous”. Nous allämes visiter cette grande demeure, bâtiment à deux étages, pourvu d’un balcon et situé à une hauteur considérable au-dessus du niveau de la mer. On y jouit d’une vue pittoresque sur les îlots divers de la baie et surtout sur Zaoudzi et Pamanzi. Cette baie offre une bonne rade!), qui peut con- tenir facilement une vingtaine de navires de grande dimension, puisqu'ils peuvent mouiller tout le long de la dernière île, sur un fond variant de 42 à 48 brasses, à un demi-mille de la côte, jusqu'au delà de l'ilot Ajangua; mais il faut se rappeller, qu'on ne doit jamais se rapprocher de Zaoudzi de plus de 10 brasses, vu que le fond devient trop dûr pour ancrer. Au point de vue maritime la résidence de Zaoudzi se prête à être fortifiée et à dominer la rade; c’est-à-dire qu'une forteresse pourrait protéger eflica- cement le mouillage, défendre la passe au nord et même le territoire contre un ennemi. Pendant notre visite à la grande terre nous n’observâmes rien d'autre pour notre but ornithologique qu’un joli martin-pêcheur (A/cedo vintsioides) ?) et un petit oiseau jaune à lunettes, que je tenais provisoirement pour le Zosferops flava*) de Swainson. A 7 heures du soir nous retournâmes à Zaoudzi, très-contents que nous étions de l’obligeance de M. le Gouverneur. Le lendemain nous eûmes des occupations accablantes, car la Sirène, sur laquelle se trouvait notre bagage était venue sur rade, ce qui fut cause que nous dûmes nous hâter de nous installer, afin de recevoir convenablement les objets depuis longtemps désirés. Pour cette raison nous nous rendimes encore le jour même à Mamouzou pour occuper notre maisonette et la disposer en logement et en laboratoire. Elle était bâtie de morceaux de corail pourvue de deux fenêtres, surmontée d’une charpente de troncs de palmiers et couverte d’un toit de feuilles du sagotier (Sagus rafjia). Quant à la forme 1) Voir les notes I. c. 2) Voir la Partie IL p. 59. 3) Voir la Partie II p. 73. pl. 19, fig. 2. 90 elle ressemblait à une grange hollandaise, inférieure à beaucoup de logis chez nous pour le bétail. Elle était pourtant assez bonne pour loger des naturalistes. Aussi simple que notre demeure était, aussi simple était son ameublement; consistant en deux euba- nis’), une table et quelques chaises, ainsi que les caisses de bagage, servant d'armoires. Au lieu de tableaux, nos armes de chasse ornaient les murailles, et d’un bout du toit à l'autre, une corde tendue servait à faire sécher les peaux des animaux préparés. Mamouzou, aussi bien nommé Choa, est un petit village et contient en outre la maison du Gouverneur et celle des missionnaires Jésuites, de grandes et de petites chaumières pareilles à la nôtre. On y trouve aussi une petite chapelle catholique romaine et une usine à sucre de M. Denis. Puisqu'on ne trouve pas à Zaoudzi assez d’eau potable, surtout pour approvisionner les bâtiments, qui en ont besoin, le gouvernement a eu soin de faire construire ici un grand réservoir avec de très-bonne eau, provenant d'une source abondante dans les montagnes. A droite de cette fontaine, on observe un petit bosquet riant de Pandanus utilis, donnant un excellent ombrage, pendant la chaleur du jour à ce lieu si fréquenté par les habitants, soit pour chercher de l’eau, soit pour s'en servir pour leurs ablutions, soit pour y laver leur linge. Delà le long du bord de la mer vers notre demeure, monte une bonne route bordée çà et là de haies de pignons d'Inde (Jatropha eurcas), de mimosas etc. derrière lesquels s'élèvent de hauts monticules, couverts d’une verdure luxuriante sur un sol d’une terre glaise rougeûtre. Le 30 Avril nous étions donc installés assez convenablement à Mamouzou; du reste M. van Dam s'occupait cependant encore avec notre mulâtre à déballer et à arranger notre bagage. Je profitai de ces besognes pour faire la première excursion dans le voisinage afin d'obtenir quelques roussettes (Pieropus Edwardsü) *), qui habitaient une vallée boisée non loin de là, sur la plantation de M. Denis. Je fus accompagné par un Monsieur avec qui j'avais eu le malheur de faire connaissance et qui devait me servir de guide pour le lieu désiré. En société d’un nègre et de mes chiens Flora et Bato nous arrivämes après une demi-heure de marche vers le crépuscule à un endroit boisé dominé par une quantité de dattiers sauvages, lesquels étaient visités par une masse de roussettes qui, friandes de leurs fruits, voltigeaient autour de leurs cimes. La vue de ces grosses chauves-souris me mit en extase, mais me donna d’abord une frayeur incompréhensible, car il me semblait voir des démons volant dans une demi-obscurité, comme des trabans du diable de mauvais augure, d'une tragédie qui allait être repré- sentée. Oh! quelle impression fatale firent sur moi ces êtres dégoütants pleins de vie, que pourtant j'avais eus déjà mainte fois dans la main; mais il est vrai qu'ils étaient alors empaillés. Au premier moment je baissai les yeux pour ne pas les voir, mais ce 1) Espèce de lit arabe en bois. 2) Voir p. 25 de la Partie II. 91 moment d’hésitation passa bientôt; lorsqu'une roussette vola vers moi par curiosité, j'avais repris courage et chassé les idées diaboliques de ma tête, et je tirai un coup de fusil et l'animal qui m'avait effrayé à la première vue tomba à terre dans les broussailles. Je payai durement ce meurtre par la tragédie à laquelle j'assistai ensuite. Le chien Bato aussi peu habitué que son maître à une pareille chasse alla brusquement à la recherche du mauvais augure. Quelques secondes après nous entendimes tout-à-coup des hurle- ments plantifs tout près de nous. Nous nous demandämes l'un à l’autre ce que ce pouvait être? Mais sans attendre la réponse à cette demande, nous nous rendimes dans les broussailles pour en savoir la cause. En appellant notre chien, qui était à la recherche, nous entendîimes par intervalle le même bruit singulier, qui paraissait venir d’un endroit souterrain. J'interrogeai la personne qui avait été assez complaisante pour me servir de guide, s'il ne se trouvait pas là un puits ou une fosse quelconque? Il me répondait qu'il n'en avait jamais vu et qu'aussi il n’en avait jamais entendu parler. Dans ce moment d'incertitude, il me devint clair qu’il devait s'y trouver pourtant quelque profondeur; puisque tout-à-coup, regardant autour de moi, je n’aperçus plus mon autre chien Flora. À peine avais-je exprimé mon étonnement que nous entendimes le bruit sourd d'un corps tombant. ”Sürement”’! m'écriaije, vil y a ici un puits dans lequel est tombé mon pauvre chien”. Oh non’! me répondait mon compagnon, dans cet endroit, c’est impossible! Je le connais trop bien, je l'ai visité tant de fois et je puis vous assurer, que Jamais je n’en ai vu, et que personne ne m'en a parlé”. Eh bien, cherchons done, avec précaution et soigneusement, d'où peuvent venir les hurlements de mes chiens et où ils se trouvent”. Tout-à-coup un de nous qui était allé un peu en avant cria de toutes ses forces. Oh, mon Dieu, un puits! Soyez prudent n'approchez pas, car tout près de cet arbre se trouve une profondeur immense, qu'on ne peut voir, puisqu'elle est couverte de broussailles et de longues herbes”. Heureuse- ment que je heurtai le pied contre une des branches, qui couvraient en partie le puits, autrement J'y serais tombé aussi, comme mes chiens. Que faire à présent”? lui demandai-je, car bientôt nous ne pouvions plus voir par l'obscurité”. Ne perdons pas de temps et tächons de délivrer les malheureuses bêtes”. On conçoit que j'étais touché de leur sort. Descendre dans le puits, était pour le moment impossible, puisque nous n'avions pas de cordes avec nous. Le guide jeta donc ses armes et son chapeau à terre et courut le plus vite possible vers la demeure de M. Denis, qui se trouvait à une petite distance de ce lieu de malheur. Après avoir attendu un bon quart-d'heure, il revint avec une corde et une lanterne. Avec ces moyens nous sondâämes le puits; c'est-à-dire que nous attachämes la lanterne à la corde afin de savoir la profondeur et de voir s’il était possible d'en tirer les chiens. Trois fois la chandelle qui se trouvait dans la lanterne s’'éteignit, ce qui nous fit voir qu'il y avait de l'azote; alors nous découvrimes le puits entièrement. Enfin nous réussimes à en sonder la profondeur, 128 92 qui était de 8!/, brasses et de distinguer un des chiens qui hurlait affreusement. La corde était trop faible pour faire descendre le nègre, qui nous accompagnait; ainsi nous nous vimes forcés, d'aller chercher une autre corde. Pendant ce temps les voisins, ainsi que M. van Dam, qui avaient appris l'accident fâcheux, vinrent à notre secours. Après avoir posé une grosse branche sur le puits à laquelle on attacha une forte corde, le nègre descendit, éclairé par la lanterne, que nous fimes filer en même temps, ainsi qu'une troisième corde pour retirer les chiens. À peine le nègre fut-il arrivé au fond, qu'il nous cria qu'il y en avait un de mort. Cette triste nouvelle m'aflligea tellement que les larmes me vinrent aux yeux. Ma fidèle Flora n'était plus! Lorsqu'elle avait entendu les jappements plaintifs de son enfant elle n'avait pas hésité à se jeter dans la profondeur, afin de lui venir en aide, mais hélas, pour ne plus ouvrir les yeux. Elle y avait trouvé son tombeau, loin de sa patrie. Ce récit vous semble puéril, n'est-ce pas, mes lecteurs? Oui, je le confesse, mais celui qui aime les bêtes, surtout sil est chasseur, comprendra aisément ma tristesse et saura très bien, ce que c’est que de perdre un très bon chien, un compagnon fidèle et brave, duquel j'avais éprouvé mainte fois plus d'amitié que des hommes. Il y avait heureusement encore un bonheur dans ce malheur, car mon chien Bato n'avait eu aucun mal dans sa chûte et arrivait reconnaissant et joyeux au bord du tombeau de sa malheureuse mère. Nous donnâmes au nègre courageux deux piastres pour la descente pénible, et abandonnämes en toute hâte le lieu de cette fatale tragédie pour retourner à notre demeure. En chemin nous venions d'apprendre, que jadis M. Fardaucs avait fait creuser ce puits afin d'obtenir de l’eau, et que n’ayant pas réussi il avait abandonné ce travail sans combler le puits. Comme il est situé à présent sur la plantation de M. Denis, celui-ci ne s’est pas non plus donné cette pelite peine, quoique lui-même eût déjà perdu trois boeufs, qui y étaient tombés en paissant. Ce puits n’est pas seulement dangereux pour les animaux, mais 1l l’est aussi pour les hommes, qui ne connaissent pas l'endroit où il se trouve, puisqu'il n'est pas à reconnaître à cause des hautes herbes et des broussailles épaisses qui le couvrent, de sorte qu'on y tomberait à tâtons en parcourant la plantation. Il s'en fallut donc peu que nous-mêmes, nous n’eussions été les victimes de la négligence du propriétaire de ce lieu dans notre malheureuse chasse. Il doit se trouver à Mayotte, dit-on, plusieurs de ces puits qu'on ne peut pas voir, de sorte qu'on ne peut guère faire des excursions dans les contrées qu'on ne connait pas, sans avoir un bon guide, qui est mieux à la hauteur des places dangereuses, que celui qui avait eu la complaisance de l'être pour moi. Le premier Mai fut pour nous un jour heureux, puisque nous fimes la connaissance d'un planteur M. Chaulier, qui nous invita à passer quelques jours à son habitation située dans une contrée solitaire. Bientôt nous eûmes arrangé nos affaires et fait des préparatifs pour y travaller activement à notre collection d'histoire naturelle. L'infortuné 93 guide de hier nous accompagnait de nouveau avec son domestique afin de nous aider à la chasse et à la préparation des animaux. A deux heures de l'après-midi, notre petite caravane se mit en marche avec M. Chaulier assis sur un bourriquet en tête; puis M. van Dam et moi, le Monsieur connu marchant à côté de lui, suivi de notre domestique Eugène et de trois nègres-porteurs. Nous primes alors notre route par le village Monsamperey, qui venant de Mamouzou est assez accidentée et qui offre à moitié chemin un joli aspect. La route ici, située plusieurs pieds au-dessus du niveau de la mer, est escarpée et la côte offre une longue langue de terre fertile couverte de champs de cannes à sucre, au milieu desquels les cocotiers élevaient fièrement leurs panaches. Sur les tiges des feuilles de ces majestueux palmiers, ainsi que sur celles de la canne à sucre se berçaient quelques martin-pêcheurs !), avec leur jolie robe d’un bleu azuré. La vue de ce tableau magnifique, qui se déroulait ici devant nos yeux, nous transporta d’admiration, et notre jouissance fut encore augmentée par le petit chant des Zoste- rops ?) et des Nectarineas *), habitant les mimosas en fleur, qui bordaient le chemin. Du point où nous jouissions de cette vue pittoresque au-dessus de toute description, la route descend continuellement, jusqu'à ce qu’on arrive au village de Monsamperey. Ce village consiste en un nombre considérable de cases peu élevées, construites de tiges de sa- gotier (Sagus raffia)*) et surmontées par des toits couverts de feuilles entrelacées de cocotier. Les portes de ces demeures sont si petites et si étroites qu’on n’y peut entrer que difficilement, ce qui est presque impossible pour des hommes corpulents. Plusieurs de ces cases étaient ornées de varangues; sous celles qui servaient de boutique, étaient étalées des marchandises, consistant pour la plupart en bimbelots, verroteries, lissus, faïence, poterie, ferraille, riz, poisson et viande séchée, d’une mauvaise odeur etc. Ces cases sont à l'extérieur aussi simples qu'elles le sont à l'intérieur. On n'y voit ordinairement d'autre ameublement qu'une cubani couverte de jolies nattes. Quelques- unes ont les cloisons ornées de miroirs et d’assiettes d’une bigarrure extrême, élalées de la même manière que celles qu’on voit chez nos paysans, au-dessus du manteau de la cheminée. On se fait le mieux une idée de ce village en se figurant un chemin large bordé de chaque côté de hauts filaos, formant une allée derrière laquelle s'élèvent une longue rangée des cases mentionnées. Les habitants de ce village appartiennent pour la plus grande partie à la race arabe de l’île, c’est-à-dire au Mahoriens ‘). La physio- nomie de ces gens trahit beaucoup de ruse; ils sont en effet fort stylés dans les affaires de commerce et de tromperie. Un bon nombre de ces gens s'appliquent au commerce et à la navigation pour lesquels ils semblent être nés, mais la plus grande partie passent 1) Alcedo vintsioides, voir p. 59 de la Partie II. 2) Voir p. 73, de la Partie II. 3) Idem, p. 71. 4) Connu à Mayotte sous le nom de Mouffa. 5) Mayotte se nomme aussi Mahori. 94 leur vie dans une oisivelé extrême. Leur habillement consiste ordinairement en une longue chemise blanche, sur laquelle ils portent souvent une camisole ou une espèce de surtout de drap pourvu de garniture. La tèle rasée est couverte d’un turban, qui est plus ou moins précieux, suivant l'individu qui le porte ou bien d'une calotte rouge. Quel- ques-uns portent pour ceinture une cordelière brodée d'argent filé sur soie dans laquelle ils cachent un large poignard courbé. Presque tous portent aussi dans la main un bâton qui paraît leur être un compagnon indispensable ou bien un sabre arabe en ban- doulière sur leur épaule. Sous quelques varangues nous vimes encore réunis des reli- gieux; c’est-à-dire qu'un vieillard, peut-être une espèce de patriarche, lisait à haute voix à une quantité de personnes assises autour de lui quelques pages du Coran. Mais quoique ces gens nous parussent dévots, ce n'étaient pourtant que des Mahométans srossiers, paresseux, fatalistes, ignorants, et ne pensant guère qu'à leurs ablutions, le watin, à midi et le soir, à leurs prières au lever et au coucher du soleil et à leurs repas sobres de riz, de volaille, de cocos, de bananes, de poisson, de viande séchée, excepté celle du cochon qu'ils détestent, puisque ce pourrait être un grand obstacle à leur admission au paradis du grand prophète. Malheureuse religion! qui ne produit rien que la paresse et l’insouciance de la vie terrestre, et qui enseigne à ses fidèles une vie future pleine des jouissances de Bacchus et de Vénus. Bel avenir sans doute, pour vous adorateurs de Mahomet! Vous êtes enviés sans contredit par beaucoup de vos frères chrétiens, qui mènent la même vie de paresse que vous, et qui abandonnent le travail, parce qu'ils n’en voyent pas la nécessité pour leur misérable existence. Malheureux pays! qui doit nourrir ces vauriens de son abondance naturelle. Il est vrai, le pays est plein de cocotiers, de dattiers et de bananiers sauvages, qui y croissent à merveille sans Ja moindre main-d'oeuvre. Eh bien, jouissez done de ces fruits, car après celle vie de paresse vous vivrez dans un paradis où rien ne vous manquera; du moins si vous avez soin de bien observer les commandements de votre grand prophète. Mal- heureux pays que Mayotte, qui est habité par cette race, puisqu'elle possède tant de terres fertiles, qui avec le moindre travail donneraient les productions végétales des tropiques en abondance. Cette île, connue comme la plus fertile des Comores, aurait été sans contredit, une très riche contrée, avant que les Français en prirent possession, si les habitants s'étaient livrés à une agriculture primitive; mais non! ils ne se donnaient pas même la peine de cultiver le riz, les patates, et le manioc, puisqu'ils n'avaient besoin pour vivre, que de cocos, de dattes et de bananes, qui y croissent sans leurs soins. De plus l'existence misérable de ce peuple paresseux n'a été éveillée que par des guerres continuelles, entre eux-mêmes et avec leurs voisins, qui traînaient à leur suite les fruits du fatalisme. Lorsque les Sultans avaient encore leur résidence à la côte ouest, qui n’est indiquée à présent, que par quelques ruines, il se trouvait encore parmi eux quelques gens, qui cultivaient en certains endroits du voisinage de leur 95 capitale, mais depuis que le dernier Sultan avait transporté sa résidence de la grande terre à Zaoudzi, ces maigres cultivateurs ont cessé d'exister, puisque la plus grande partie de ses serviteurs le suivirent et demeurèrent renfermés par une mauvaise muraille qui était chaque soir fermée par une porte. Il résulta d’un tel état l’oisiveté, l’apathie et une saleté extrême; des maladies dégoi- tantes, comme la lèpre et la gale prirent naissance et devinrent tellement enracinées dans leurs corps, qu’elles passent à présent encore pour les maladies les plus ordinaires des habitants indigènes et qu'ils ne songent pas même à guérir les plaies dégoûtantes, qui couvrent souvent leurs corps, principalement leurs jambes. Sous le règne despotique des Sultans la cruauté des habitants de Mayotte était bien connue, ainsi que les actes de piraterie révoltants. Plusieurs navires furent enlevés et pillés par eux et les équi- pages massacrés /). Depuis que le drapeau de la France est arboré à Mayotte, ce pays est métamorphosé entièrement; c'est-à-dire, les conflits et les guerres continuelles ont cessé, le peuple appauvri est éveillé de sa paresse sans bornes par le mouvement com- mercial, dont cette île est devenue alors le théâtre. Plusieurs Français s’y sont établis pour s’adonner à la culture des terres fertiles pour le café et la canne à sucre. Le travail y est devenu alors une condition absolue pour la plus grande partie des indigènes; un grand nombre des indigènes émigrés sont venus s’y rétablir, et des habitants des pays du voisinage et de l’alentour y sont venus contribuer à l’activité, demandant la faveur de s'engager pour une solde minime dans les habitations; ce qui fit augmenter considérablement le chiffre de la population, qui est encore bien peu élevé eu égard à la surface de l’île, qui est de 32,000 hectares. Lors de la prise en possession, M. Jehenne ©), qui fut le premier qui montra en 1843 le pavillon tricolore de la France, estima la population de Mayotte à 1200 habitants; et trois années après M. Guillan*) évalua ce chiffre à 5268 ; le divisant en 1439 Mahoris ou vrais habitants de Mayotte, 802 arabes ou Antalaotes, 843 Macoas, 915 Makoudis, 372 Mozambiques, 221 Anjouanais, 201 Adzouzous ou indigènes de la grande Comore, 44 Mohéliens, 52 Souhalélis, 104 Malgaches de diverses races et 710 Sakalaves. Le nombre des habitants s'accroît chaque année et lors de notre visite, il s’y trouvait déjà beaucoup de colons français et plusieurs Indiens de Bombay. Pendant que nous traversions le village de Monsamperay, nous vimes ces Banians ‘) avec leurs bonnets rouges en forme de tour, couverts richement d'or, assis avec les jambes croisées comme des statues de cire, devant leurs marchandises, consistant princi- palement en loiles de Surate et en ornements d'argent et d'or pour les femmes. Ils 1) Voir p. 346 du tome II de la relation de voyage à Madugascar et aux îles Comores, de M. Leguével de Lacombe de 1823 à 1830; ainsi que les notes I. c. 2) Voir p. 42 des renseignements nautiques sur l'île Mayotte etc. de M. Jehenne. (Extrait des Annales maritimes et coloniales). | TE 3) Voir p. 221 du tome IX, 2me Série, année 1851, de la Revue de l'Orient. Article de M. Guillain. 4) Voir les notes ]. c. 96 reçoivent la plupart de ces objets de leur pays, par les boutres qui naviguent dans ces parages pendant le mousson du Nord-Est. Ces gens nous paraissaient impolis, incon- cevables et fiers, ayant des yeux vifs constamment en mouvement; ce qui fait deviner, qu'ils doivent être des voleurs adroits et exercés. Notre petite caravane avait occasionné un petit trouble dans le village, car plusieurs habitants sortaient de leurs cases pour nous voir. À peine eümes-nous quitté le village que nous primes notre roule le long de la côte, qui était bordée de palétuviers, jusqu'à ce que nous arrivâmes à la plantation Loujiany. Nous passâmes alors à côté du village Passamainty où nous enten- dimes le bruit d'un tambour. Sur ma demande ce que signifiait ce son monotone, on me répondit, que c'était le tam-tam hebdomadaire qu’on jouait tous les dimanches. Devant la case où la danse avait lieu, on avait arboré un mouchoir rouge en guise de pavillon pour l'indiquer aux passants. On ne peut guère retrouver une danse dans ce carrousel bizarre, qu'ils font autour de ceux qui battent les tams-tams, en tournant constamment leurs cannes ou sabres en l'air et faisant des pirouettes et des grimaces très singulières. Après que nous eùmes passé de loin ce bal champêtre mahorien, nous traversâmes la plantation des cannes à sucre Issondzou, où nous vimes pour la première fois plusieurs baobabs (Adansonia digitata), d’une dimension très considérable, et où nous tuâmes le premier oiseau, connu des colons sous le nom de saint-esprit. Ce n'était point une colombe mais un guêpier (Merops superciliosus) ‘) en robe de mue, qui trouva son tombeau dans ma gibecière. Lorsque nous eümes cet oiseau qui porte ce nom céleste, nous primes notre chemin par un petit sentier, qui serpente à travers les brous- sailles, lesquelles consistaient pour la plus grande partie en mimosas fleurissants. L'im- pression que fit sur nous la verdure luxuriante d’une quantité de beaux arbres était grande. Excepté les cocotiers, les manguiers, les mourandas?) (Phoenix dactylifera) et moufias *) (Sagus raffia), qui y sont très communs, nous observämes plusieurs espèces d'acacias, de citronniers, d'orangers et de cicadaes superbes, au milieu des contrées abondant de bananiers et d’ananas. Âprès une demi-heure de marche dans ces lieux charmants, nous nous arrêtâmes auprès d'une petite cataracte. Le grand frais qui règnait sous l’ombre des divers arbres nous invitait à nous reposer un moment à cet endroit délicieux : Beneath some patriarchal tree I lay upon the ground. LONGFELLOWw. La végétation luxurieuse nous mit en extase, et avec la plus haute admiration et véné. ration pour le puissant Créateur, nous contemplions la diversité des plantes ravissantes, 1) Voir pag. 60 de la Partie II. 2) Nom que porte le dattier sauvage à Mayotte. 8) Le mot Moufia provient probablement de Zoufia ou Rafia, 97 dont plusieurs fougères arborescentes et naines ainsi que des plantes grimpantes ouvrirent le front de l’amphithéâtre des arbres qui s'offrait à nos yeux. Tandis que les unes grimpaient le long des branches des acacias et des magniferas gigantesques, en laissant retomber. leurs tiges en plusieurs bouquets de fleurs, les autres s’entortillaient comme autant de lianes autour de leurs troncs pour aboutir aux branches en touffes de feuilles d’un vert luisant. Entre les blocs de rochers qui couvraient le sol, s’élevaient des arecs grêles, de jeunes mourandas, des moufias, des angavas et des orchidées. L'’odeur suave et énivrante de plusieurs espèces d’orangers et de citronniers en fleurs, ainsi que des héliotropes était très intense. Le calme mortel, qui règnait ici était interrompu par intervalle par le petit chant croassant de la magnifique veuve blanche (Muscipeta mu- tata) '), qui se cachait sous le feuillage, ainsi que par le cri perçant: Tu-tu-tu, du cirombo (Leptosomus afer)?) qui sonnait de loin: I hear the cry Of their voices high Falling dreamily through the sky, “ But their forms I cannot see. LONGFELLOW. Après avoir quitté ce lieu plein de charme, nous poursuivimes notre route jusqu’à la plantation Irrony, pour faire une petite halte chez l’affable Monsieur Bouchon, qui nous reçut cordialement et nous offrit quelques rafraïchissements dans sa demeure hospitalière. L'allée des superbes manguiers, qui conduisait à son habitation attirait nolens volens notre attention par la beauté du feuillage et l'égalité de la dimension de leurs troncs. Un bruit croassant nous annonçait que ces arbres logeaient une quantité de ces êtres avec lesquels j'avais déjà fait connaissance lors de ma malheureuse chasse sur la plan- tation de M. Denis. Nous examinâmes donc de près le lieu d’où venaient ces cris perçants, et bientôt nous vimes un bon nombre de fanys (Pteropus Edwardsi) pendant par les pattes aux diverses branches de plusieurs de ces arbres. En un clin d'oeil mes compagnons et moi leur tirions des coups de fusil, qui en firent tomber quelques uns à terre et occasionnèrent un grand désordre dans la colonie de ces bêtes diaboliques. De tous côtés des masses compactes voltigeaient autour des cimes de leurs demeures avec des cris étourdissants. Nous profitâmes de ce délai pour leur déclarer la guerre en ou- vrant une violente fusillade, de sorte que plusieurs nous tombèrent entre les mains. C'était curieux de voir comment les blessés se défendaient à coups de dents bien appli- qués “contre nos chiens, qui voulaient s'en emparer; et la ténacité de leur vie était si grande, que nous avions beaucoup de peine à les tuer à coups de crosse de fusil. Comme la distance que nous devions parcourir pour arriver à Kokonij était encore 1) Voir p. 76. pl, 20 et 21 de la Partie IT. 2) Idem, p. 54. 13 98 bien grande, nous ne voulions pas les emporter tous pour les préparer, car nous devions avoir encore bien des fois l’occasion de nous en procurer d’autres exemplaires; nous of- frimes alors de bon coeur ce gibier extraordinaire aux nègres qui nous accompagnaient, afin que ces enfants de la côte d'Afrique pussent se régaler à leur tour. (Ces gens estiment la chair des fanys presque autant que nous celle des perdreaux rôtis. Ils étaient donc tout joyeux du repas exquis qui les attendait, tandis qu'ils se hâtaient de griller tout entiers les fanys tués sans leur enlever le poil, la peau ou les tripes. (Ces animaux préparés ainsi sans le moindre assaisonnement ressemblaient à un morceau de graisse, et la vue seule nous donnait involontairement un dégoût, qui s’accrut encore lorsque nous vimes les nègres les manger avec une gourmandise telle qu'ils daignaient à peine en offrir à un petit enfant de leur race, qui mendiait un petit os à ronger. L’en- fant heureux à son tour dévora avec délices ce petit morceau; ce qui nous donna une extrême répugnance. M. Bouchon nous affirma pourtant que c'était un mets assez déli- cat, qui rappelait le goût de nos lapereaux sauvages. Après que nos hommes se trouvèrent fortifiés par leur repas et nous par le nôtre, nous fimes nos adieux au planteur hospitalier et poursuivimes notre chemin. La route que nous primes était ici large, montait graduellement et consistait en terre glaise rou- geâtre. En marchant nous faisions voler une poussière, qui pénétrait partout et lorsque cette terre est mouillée, c'est comme de la peinture qu'on ne peut effacer que difficilement des objets, avec lesquels elle a été en contact. Il nous parut évident que cette terre était ferrugineuse. Il serait donc bien inutile de se promener ici tiré à quatre épingles, soit par le beau soit par le mauvais temps. Ce chemin, qui parcourt les montagnes, est agréable et situé pittoresquement; bordé à gauche par des monticules couronnés de brous- sailles épaisses et à droite par un vallon couvert de champs de cannes à sucre, où nous observâmes sur les feuilles des cocotiers, qui élevaient leurs troncs longues et grêles de ce tapis verdoyant, quelques milans (Milvus parasiticus) ‘) et des corneilles (Corvus sca- pulatus) ?), qui se reposaient de leur journée de chasse. Devant nous voltigeaient plu- sieurs pigeons rouges (Turtur picturatus) *) cherchant leur nourriture en chemin. Nous en blessimes quelques uns, que nous ne pûmes pas capturer, car ils dispa- rurent en un clin d'oeil dans les broussailles à gauche de la route, laquelle nous aban- donnâmes bientôt après, pour prendre un sentier situé au milieu d’un champ couvert d'une végétation si abondante, que nous devions marcher l’un après l’autre pour ne pas nous perdre. Nous descendimes ce sentier Jusqu'à ce que nous en trouvâmes un autre qui conduisait à la plantation Debeney; mais en laissant celui-ci à gauche afin de le poursuivre en montant une colline escarpée. (Cette promenade était très fatigante et 1) Voir p. 44 de la Partie II. 2) Idem, p. 102. 3) Idem, p. 118. 99 désagréable, car le chemin était couvert de longues herbes de la hauteur d'un homme et qu'il nous fallut une demi-heure pour la monter; mais à peine arrivés au sommet d’où l’on découvrait de nouveau le sentier, nous fûmes récompensés par une vue magni- fique et pittoresque. Nous contemplâmes avec enthousiasme de chaque côté la mer réflé- tant les feux du soleil couchant, et devant nous des vallons splendides, pleins d'une vé- gétation luxuriante. Le häâle donnait aux divers mornes de l'entourage une teinte rouge feu singulière, qui me rappelait involontairement les champs de ma patrie couverts de neige, sur lesquels pointent les rayons du soleil vers cinq heures de l'après-midi. Enfin le crépuscule nous cacha bientôt après la vue de ce magnifique tableau naturel, et nous hâtâmes le pas pour arriver à temps sous toit. En descendant la colline pour re- prendre le sentier à travers les broussailles et les hautes herbes, nous jetâmes un coup- d'oeil sur une formation bizarre de la nature; c’est-à-dire que nous admirâmes deux blocs de granit de la forme d’un boulet, qui étaient posés l’un sur l’autre par la nature, si bien qu'on aurait juré que c'était la main de l’homme qui l'avait fait. Le chemin de- venait de plus en plus boisé, mais l’obscurité qui voilait dans ce moment le paysage me privait du plaisir de distinguer les divers arbres qui se présentaient devant nos yeux. La rosée qui tombait alors comme une pluie douce et abondante, nous trempait jus- qu'aux os et nous refroidissait tellement que nous fûmes forcés de courir de plus en plus vite pour nous réchauffer. Heureusement nous avions aussi un bon guide en notre bourriquet, autrement nous serions certainement restés en route, puisque nous aurions perdu bientôt le chemin qui était interrompu constamment par de jeunes dattiers, dont les feuilles piquantes nous occasionnaient souvent des douleurs extrêmes aux jambes et aux pieds. Nous devions aussi, afin de ne pas nous casser le cou, poursuivre prudem- ment le chemin, qui était encombré à chaque instant par des blocs de roche, contre les- quels, pour comble de malheur, nous heurtions bien des fois. Malgré l'obscurité, la nuit était belle. Les grillons et les cigales en profitèrent pour nous donner leur concert désagréable , entrecoupé de temps en temps par les cris perçants des fanys et par la voix monotone. Hou-hou, d’une espèce de hibou, probablement le Scops menadensis ). Bientôt la voûte étoilée fut voilée par une grosse nuée, qui se fit entendre par de forts coups de tonnerre. Les éclairs illuminaient les forêts de lueurs magnifiques; on croyait par moments se trou- ver au milieu de feux de bengale. Une pluie torrentielle changea en un instant le sen- tier que nous parcourions en un torrent; nous courûmes en toute hâte en traversant la plantation de Angonjou de M. Coulon, pour arriver promptement au village de Banda- kony. Une demi-heure après, le bruit d’une cascade nous indiqua un torrent le long 1) Voir pag. 48 de la Partie II. Nous n'avons jamais observé cet oiseau à Mayotte. Cependunt divers habitants de cette île, m'ont assuré qu'il s’y trouve un hibou de cette taille. D'autres m'assuraient que le cri que j'entendais était celui du Toulou (Centropus Tolu); mais c'était à tort, car jamais nous n'avons observé cet oiseau, si commun dans les parages de Madagascar. 13* 100 duquel conduisait un sentier peu large. Nous fümes effrayés, lorsque M, Chaulier nous dit tout-à-coup: — Soyez prudents, mes amis! Appuyez toujours à gauche; car si vous aviez le malheur de faire un faux pas, vous tomberiez ici dans un abîme.” L'ob- seurité qui règnait alors était si grande, que nous ne pouvions absolument rien distin- guer, et si l’admirable instinct de notre âne, qui ouvrait la marche, ne nous avait pas guidés, nous serions certainement tombés d'une hauteur considérable. Aussitôt que nous eûmes passé, sains et saufs, cet endroit dangereux, l’aboiement de plusieurs chiens nous annonça que nous n’étions pas loin de la demeure de M. Chaulier, car à peine étions-nous descendus dans la vallée par une route primitive encombrée de fragments de rochers, que quelques nègres de notre hôte vinrent à notre rencontre pour éclairer avec des fanaux le passage accidenté, Une gentille et jolie femme de la tribu des Besimsaracs de Madagascar, nous fit un charmant accueil. Notre hôte nous la pré- senta comme son épouse, ce que nous confirma bientôt la vue de quelques enfants d’un teint jaunâtre, qu'il nous dit être les siens. Enfin nous étions heureux d'être à l'abri et de profiter de l'hospitalité de notre hôte généreux, qui mit de suite à notre disposition deux appartements en disant: — Voici, Messieurs, votre chambre à coucher et voilà votre laboratoire.” Notre première occupa- tion, tout fatigués que nous étions, fut de changer nos vêtements trempés, après quoi un bon et simple souper nous remit un peu, mais néanmoins nous désirions de tout coeur notre lit pour étendre nos membres épuisés, dans l'espérance qu'un doux sommeil nous rendrait nos forces, pour pouvoir commencer le lendemain nos excursions dans les forêts du voisinage. J Au point du jour, nous fûmes réveillés par des coups de fusil tout près de l’habitation. Nous ne pouvions pas nous faire une idée de ce que cela pouvait être; mais quelques instants après M. Chaulier se trouvait devant nous, nous présentant deux maquis (Lemur mayottensis), qu'il venait de tuer à quelques pas de la maison. Je puis à peine décrire le bonheur que j'éprouvai, lorsque je vis les jolis mammifères; je m'empressai de net- toyer leur robe des taches de sang. Pendant ce travail la fièvre s'était emparée telle- ment de nous que nous n'avions pas la force de rester debout, et que nous fûmes obli- gés de nous recoucher. La tendresse avec laquelle nous soignaient notre hôte et sa dame, qui nous administrèrent une dose de Sulphas quinine, nous remit un peu vers l'après-midi; si bien même, que nous pümes nous livrer à la préparation des dépouilles des maquis. C'étaient de magnifiques exemplaires appartenant à une nouvelle espèce :), dont l’un, la femelle, était une jolie variété, d'une robe plus claire et d’une grandeur différente de celles du mâle. 1) Voir pag. 3 et 4 pl. 2 de la Partie II. 101 Tout le temps que la fièvre nous tint au lit, M. Chaulier eut la bonté de faire une excursion de chasse assez fructueuse pour nous; car il nous apporta outre les maquis plusieurs oiseaux remarquables, parmi lesquels se trouvaient deux, auxquels il donna le nom de perroquet, mais que nous reconnûmes, pour le Leptosomus afer :). Lorsque nous dépouillâmes ces oiseaux nous observämes sur leurs corps certains insectes dégoü- tants. Au premier abord nous croyions que c'était une espèce de mouches, mais en les regardant plus attentivement, je vis qu'ils appartenaient à la famille des parasites Or- nithomia, d'un corps tendre et d'une couleur verdâtre. En préparant les leptosomes , nous observämes que leurs yeux étaient d’une couleur brun grisâtre, avec quelques taches noirâtres dans l'iris et que les pieds avaient une couleur orange. Dans les estomacs nous ne trouvàmes rien que des débris de sauterelles, et l'odeur désagréable que répan- dait le corps encore frais rappelait celle des coucous (Cuculus canorus). Le travail nous avait coûté bien de la peine, malades comme nous étions; heureusement que l’action du sulfate de quinine avait eu un si bon effet sur nous que nous pümes assister au souper et que nous passämes la nuit d’un bon sommeil. Le lendemain je me trouvai pourtant encore trop fable pour aller à la chasse. Je dus me contenter de rester à l'habitation où je moccupai pourtant assez utilement en continuant la préparation des animaux que notre ‘hôte nous avait présentés. M. van Dam se trouvait mieux remis que moi, de sorte qu'il put faire une petite chasse dans les forêts du voisinage. J’eus soin de lui recom- mander de tâcher d'obtenir encore des leptosomes. Après quelques heures, mon ami re- vint d’une chasse assez heureuse; car outre les oiseaux désirés, il m’apportait aussi un pigeon magnifique et rare pour la science, le Péilopus Sjanzini?), ainsi qu’une veuve brune (Muscipeta mutata) *). Les yeux du magnifique pigeon étaient d’un brun aurifère et les frems nus, qui s’étendaient jusqu’à la région auriculaire étaient d’une couleur rouge ponceau très vive; les pieds d’une couleur de plomb. La chair de ce pigeon était ex- cessivement grasse el très délicate, mais d'une couleur rouge foncé divisée sur le ster- num par une ligne jaune citron. Le jabot était rempli de bourgeons, ainsi que de dat- tes sauvages. M. van Dam l'avait tiré à la cime d’un arbre très élevé, sur lequel il se reposait dans une position presque immobile. Du pied de cet arbre il tira la veuve brune, dont les yeux d’un brun foncé brillaient au milieu des freins nus de la couleur bleue du ciel foncée; et les pieds de ce gentil oiseau étaient d’une couleur de plomb, Dans l'estomac nous observâmes les restes de diptères. Nous nous occupàmes toute la journée de la préparation des animaux capturés, quoique toujours encore sous l'influence de la fièvre. J'avais espéré que le monsieur qui nous avait accompagnés pour nous aider, nous aurait secondés dans ces moments, puisque lui était bien portant; mais non; il 1) Voir p. 54 de la Partie II. 2) Idem, p. 115, pl. 37. 3) Idem, p. 76, pl. 22. 102 jouissait du doux farniente, il fumait sa pipe, mangeait et buvait bien au compte de notre hôte hospitalier, sans se soucier de notre sort. Lorsque je lui fis une observation sur sa paresse et sur l'étrange manière dont il nous traitait, il me dit d'un ton gros- sier: — Monsieur, je ne vous ai pas accompagné comme domestique!” A quoi je lui répondis: Mais pourtant bien comme aide, et de plus, puisque nous nous trouvons tous deux atteints de la fièvre, vous auriez dû avoir du moins pitié de nous, ne füt-ce que par humanité. Enfin! monsieur, brisons là-dessus! Je n'ai plus besoin de vos services, qui du reste ont été nuls, depuis le temps que j'ai eu le malheur de faire votre connaissance.” On comprend que ce monsieur se hâta de quitter l'habitation de M. Chaulier, lorsque j'eus fait part à ce dernier de notre discussion et que je lui en eus appris la cause. H me félicita de m'être délivré des mains de cet homme dangereux, au sujet duquel il m'aurait déjà averti, s'il n'avait pas craint de me faire de la peme. — Mais je vous aurais pourtant prié, ajouta-t-il, si vous étiez revenu chez moi, de ne plus amener ce chevalier d'industrie." Comment, cher monsieur! cet homme, est done à craindre ?” — "Certainement! voici en peu de mots son histoire: cet individu a navigué comme eui- sinier sur un navire marchand, dont il a déserté avec quelques sous, que du reste il a mangés peu de semaines après. Par pitié, M. Didienne, où vous êtes logé, l’a pris à son service, comme une espèce d'Ober-kellner, mais ce ne fut pas longtemps, puisque d’un caractère brusque et grossier, il se querellait souvent avec lui et les visiteurs de son établissement. Alors il a fait la connaissance d’une Mahorienne de conduite libre, et vit à ses dépens; et journellement il visite l'espèce d'hôtel où vous l’avez rencontré et où vous avez fait sa connaissance.” ei notre hôte s'arrêta! — »Mais M. Chaulier comment est-ce possible?” lui demandai-je avec étonnement. Cet homme avait l'air si convenable, il me semble!” — Eh bien,” me repondit-il, /vouz verrez, mon ami, que vous serez encore la dupe de votre confiance en de tels hommes, qui empestent toutes les nouvelles colonies, pensant qu'il suffit d’avoir la peau blanche et une naissance euro- péenne, pour prendre le premier rang parmi les indigènes, pour les dominer et les traiter en esclaves. Soyez bien sur vos gardes et prenez l’homme tel qu'il est; ne l'épargnez pas, car autrement vous êtes perdu!” Cette petite histoire m'aflligea; mais j'étais reconnaissant d’être averti par un ami, qui avait résidé pendant longtemps dans la colonie et qui du reste connaissait assez ces espèces d’aventuriers. Nous aurons encore bien des pages dans le cours de notre relation, qui feront voir, à quels dangers on est souvent exposé comme étranger, dans une colonie primitive, et par quels individus la civilisation européenne et la religion chrétienne sont représentées, pour irriter la vie d'un peuple paisible et de nourrir la haine et l’indignation, contre ceux desquels ils espéraient apprendre le vrai chemin. Nous ne demeurâmes qu'un jour de plus chez M. Chaulier, puisque nos munitions 103 3 de chasse commençaient à nous manquer et que nous voulions être utiles à la science en faisant de notre mieux pour rassembler une belle collection. C’est pour cela que nous acceptâämes de tout coeur l’aimable invitation de notre généreux hôte, d'aller cher- cher tout ce dont nous aurions besoin à notre habitation à Mamouzou, afin de demeurer pendant quelques semaines chez lui, pour faire des excursions fructueuses dans ces forêts d'une végétation vierge et riches en animaux rares. Le lendemain 4 Mai, je me trouvai assez bien portant pour faire une petite tournée de chasse au vallon, tandis que M. van Dam arrangeait les objets préparés, afin de les emballer provisoirement pour notre retour. Mon excursion ne pouvait pas être longue, puisque mon corps état encore tellement affaibli par la fièvre que je dirigea mes pas non loin de l’habitation le long de la lisière du bois. Je fus assez heureux pour- fant pour tirer mon premier coup de fusil au profit de la science, sur un petit rapace, qui me semblait une espèce différente de ceux connus d’Afrique et de Madagascar. C'était un épervier bien stupide qui demeurait immobile, lorsque je le regardais de près avant de le tirer. Je lui donnai pour cela le nom de Misus brutus '); mais les habi- tants le nomment: Ke{si-Ketsi. Outre cette espèce nouvelle, je tuai encore quelques veuves en diverses livrées, ce qui était pour moi un vrai triomphe; c’est à dire qu'il me füt alors évident, lorsque j'eus une petite série de ces oiseaux sous la main, qu'ils apparte- paient à une seule espèce et non pas à trois différentes, quoique les habitants eux-mêmes les distinguent aussi, comme des espèces différentes, en veuve brune et veuve blanche. Voici le petit résumé de mes recherches. L'oiseau que Temminck nommait Tehitrea holosericea ?), est dans sa robe ordinaire, qui est brune; celui qui a la même couleur, mais les deux plumes caudales alongées blanches, dans sa robe de passage est nommé par Linné Muscicapa mutata*); tandis que Lesson conférait à l'oiseau blanc, dans sa robe de noce le nom de Tchitrea pretiosa “). Ces oiseaux dans leurs trois livrées ont été regardés comme trois oiseaux différents. La femelle) seule ne change jamais de robe et chez elle ne se voyent jamais les longues plumes caudales; la couleur brune est constamment plus claire et rougeâtre. Ce que je trouvai pourtant curieux, e’était que je rencontrais ces oiseaux dans les différentes livrées dans la même saison; ce que je m'ex- plique que l’un. change plus vite de robe que l’autre. Les plus amoureux sont aussi les plus jolis, ce qu’on ne voit pas toujours chez les autres créatures. Enfin, quoi qu'il en soit, j'étais content de ma petite excursion, qui m'avait appris tant de choses nouvelles. 1) Voir p. 38, pl. 12, fig. 2 de la Partie II. 2) Idem, p. 76, pl. 21, fig. 2. 3) Idem, p. 76 et XIV, pl. 20, fig. 2. 4) Idem, p. 76 et XIV, pl. 21, fig. 1. 5) Idem, p. 76 et XIV, pl. 20, fig. 8. 104 Je me hâtai de revenir à l'habitation de notre hôte, qui m'attendait depuis quelque temps avec le déjeuner. A table la vue d’un certain mets attira mon attention. C'était un vrai repas malgache, que madame Chaulier avait préparé; car lorsque je lui demandaï ce que c'était, elle me montra des insectes singuliers en me disant: ”Ce sont des sacombés et voici comment je les prépare”. Elle tira alors les pieds des larves et des insectes femelles, ainsi que les ailes des mâles, les mit dans un pot en fer avec de la graisse et du sel et les fit griller. Je goûtai de ce mets extraordinaire et Je confesse qu'il n'était pas du tout délicat, car il me rappelait le goût des petits pois durs grillés de la même manière. Au premier moment lorsque je la vis tirer les pieds des insectes, je croyais voir une émaudeuse de crevettes. (Ces êtres curieux appartenaient à la famille des hemiptères, connus dans la science sous le nom de Fulgora tenebrosa !). Ils vivent dans les herbes à la manière des sauterelles, où les indigènes d'origine malgache les recueillent comme nourriture recherchée. Madame (Chaulier préférait pourtant l'espèce de son pays natal, qu’elle nommait Sakondry *) et qu’elle prétendait être plus délicate parce qu’elle n'avait ni bouche ni anus. de devais rire de cette définition singulière, que je désirais bien justifier, puisqu'elle m'assurait, que c'était la pure vérité, lorsque j'en doutais. Après le repas nous préparämes encore les animaux obtenus et conservâämes aussi plusieurs des insectes curieux dans l'alcool, comme sou- venir de ce repas singulier. Nous passämes une bonne nuit, quoique nous n'étions pas encore délivrés de la fièvre, qui nous avait affaiblis tellement que nous ne pouvions pas retourner à pied à Mamouzou. Grâce à la bienveillance de notre excellent hôte, nous montämes chacun un de ses bourriquets, pour gagner notre demeure dès le grand matin, prenant notre chemin par les mêmes con- trées que nous avions parcourues dans une nuit obscure, et accompagnés de deux domesti- ques portant notre bagage. Le ciel était pur offrant à peine un nuage pour nous garantir des rayons ardents du soleil, qui pointaient sur nos têtes. Des paysages charmants se pré- sentaient à chaque instant à nos yeux, et des plantes diverses s'élevait la vapeur de la forte rosée du feuillage, qui masquait par moments les cimes des arbres dans un léger brouillard. Le chant et les cris de plusieurs oiseaux se faisaient entendre des forêts environnantes, ce qui rendait la marche plus joyeuse encore. C'était surtout le chant d’un oiseau in- connu ressemblant aux sons d’une harmonie-flûte, qui résonnait dans nos oreilles, nous mit en extase et nous fit quitter pour un moment la route pour diriger nos pas dans les broussailles vers l’endroit d’où venait ce chant harmonieux, interrompu par les cris perçants d'un chat. Nous vimes alors bientôt ce flûtiste extraordinaire sur l’extrémité d'une branche d’un Euphorbacée, et on nous disait que cet oiseau portait le nom de 1) Voir la revue générale et p. 6 de la Partie V. 2) Pyrops (Fulgora) madagascariensis, Spinola, Voir” Idem. 105 veuve noire. Enfin, sans pitié pour lui et désireux de le posséder, pour l'examiner et le conserver pour la science, je le fis tomber à terre d’un coup de fusil. Le joli oiseau m'était tout à fait inconnu; il appartenait du reste au genre drongo (Dicrurus); et après un examen sérieux mon savant ami M. Schlegel lui conféra le nom de Dicrurus Wal- denii'), en l'honneur du vicomte anglais Walden, en ce moment le plus grand connais- seur de drongos. À huit heures environ nous arrivämes après cette heureuse capture à la plantation de M. Bouchon, où nous nous arrêtämes pour nous reposer et nous rafrai- chir. (C'était nécessaire, puisque dans ce pays tropical, il est presque impossible de voyager en plein jour à cause du soleil brûlant. Nous continuämes alors notre route dans l'après-midi pour gagner Mamouzou. En route nous tuâmes encore quelques oiseaux, comme le magnifique martin-pêcheur (Alcedo vintsioides) *) et le soi-disant perroquet (Leptosomus afer) *). Sur ces oiseaux nous pûmes observer quelques caractères utiles à notre connaissance ornithologique. Ainsi nous observâämes du premier, que son cri ressemblait à celui de notre martin-pêcheur (Alcedo ispida) et qu'il a la coutume de hausser continuellement la tête en relevant les longues plumes de la crête, quand il aperçoit quelque chose qui attire son attention. Cet oiseau n'avait pas la moindre crainte de nous et se laissa approcher à bout portant. Les observations notables sur le second sont les suivantes: que lorsque nous vi- =N D Q , C EN mes cet oiseau il était dans une pos à or RS —_—— presque immobile et perpendiculaire, telle RS RARE 1 F ñ DA SN E RS que la queue touchait les pieds. Les CE = préparateurs des musées d'histoire natu 722 SN NS 4 = relle donnent presque toujours à ces oi- +7 seaux une fausse position ; c’est-à-dire GE qu'ils le mettent au contraire dans une 7 pose verticale. Cet oiseau cependant prend quelquefois cette pose, quand il fait en- Les Cirombos ® et J (Leptosomus afer). tendre son fort cri Tu-hou, Tu-hou, Tu-hou, et alors il hausse aussi les plumes aurieu- laires, celles du jabot et de la tête. Ce fait a lieu aussi quand l'oiseau blessé veut se défendre. Enfin, après avoir joui de ces agréments, purement amusants pour un naturaliste, nous traversâämes vers trois heures de l'après-midi le village populeux de Monsamperey , et peu de temps après nous étions dans notre demeure à Mamouzou, où nous fmes accueillis avec empressement par notre hôtelier. Celui-ci nous fit entrevoir les mauvaises inten- 1) Voir p. 80, pl. 23 de la Partie IL et Part. V, July, ls, 1869 of Sharpes monograph of the alcedinidae. 2) Idem p. 51. 3) Idem p. 54. 14 106 lions de Monsieur H. avec qui j'avais eu des discussions à Kokony, d'où il était parti quelques jours avant nous. Il avait porté plainte contre moi à la justice, de la manière dont je l'avais traité, en disant: que je l'avais pris à mon service comme préparateur et l'avais mis à la porte sans lui payer la somme convenue. Il exigeait pour ce traitement une somme assez considérable, et si je manquais de la payer, il menaçait de me faire poursuivre suivant les lois. On comprendra facilement notre consternation, quand on saura que la plainte de cet homme était tout-à-fait fausse, et qu'il était capable de tout faire par violence et par calomnie. J'étais convaincu que je n’avais rien à craindre de la justice, puisque j'avais des témoins, que je n'avais pas fait le moindre accord avec cet individu. C'était purement le hasard qui m'avait mis en rapport avec lui, mais il était néanmoins dangereux de venir en contact avec lui, puisqu'il avait mandé que si je ne lui payais pas ce qu'il exigeait, il me poursuivrait partout pour me tracasser, et s’il le fallait pour me tuer. Heureusement je résistai à toutes les menaces de ce vaurien, et J'eus le courage d'attendre avec patience le moment où il me ferait connaître sa deman- de. Enfin je m'en souciais d'autant moins, que chacun connaissait assez les qualités de cet homme qui ressemblaient beaucoup à celles d’un chevalier d'industrie. C’est pour- quoi nous dinämes de bon appétit et nous jouimes d'un profond sommeil que nous pro- cura la fatigue de la journée. Le lendemain nous arrangeñmes tout le bagage néces- saire pour notre second séjour à la baie de Joungony, et primes soin de notre collection en la mettant hors de la portée des fourmis, des souris, des rats et d’autres animaux nuisibles aux objets préparés d'histoire naturelle; car mes lecteurs verront dans la suite que notre petite demeure à Mamouzou abondait en toute espèce de vermine. Comme nous avions beaucoup d'effets à emporter pour les lieux de nos excursions , nous tâchämes de nous procurer des porteurs pour transporter les objets nécessaires à l’habi- tation de M. Chaulier. Je m'adressai alors à un sous-oflicier du génie à Mamouzou, qui avait le commandement de plusieurs nègres mahoriens au service du gouvernement pour l'entretien des routes coloniales, afin de lui demander quelques uns de ses hommes pour me servir de porteurs. Il eut l’obligeance de mettre à ma disposition huit de ces tra- vailleurs; je lui en fus bien reconnaissant, car nous en avions grand besoin, dans un pays où le transport des bagages est coûteux et sujet à beaucoup de difficultés. Le sa- laire de ces hommes était bien peu de chose; ils ne reçoivent du gouvernement qu'un demi-franc par jour pour lequel ils doivent souvent travailler rudement. Là joie de ces hommes fut done grande, lorsque je leur fis la promesse de leur donner un franc par jour si notre bagage arrivait promptement à Kokony. Je m'élonnais souvent de la vigueur de ces hommes: la force qu'ils déployaient dans les muscles de leur cou était étonnante; ils peuvent porter un poids énorme sur la tête, eu égard à la vie sobre qu'ils mènent. Ils ne boivent jamais de boissons fortes, vice auquel les malgaches sont souvent enclins. Leur seule boisson est de l’eau pure et ils se nourrissent de bien peu de chose; prin- 107 Cipalement de riz, de patates, de manioc, de maïs, et de bananes: voilà tout ce dont ils ont besoin pour vivre et pour entretenir leur corps robuste. Le 7 Mai, ces porteurs se mirent en route, sous les ordres de notre domestique créole , vers la baie de Joungony, pour porter notre bagage à l'habitation de M. Chaulier. Nous les suivimes quelques heures plus tard en chassant le long du chemin. C'était par une belle et fraiche matinée; plusieurs oiseaux: des Nectarineas, des Zosterops et des Tchi- traeas faisaient entendre leur chant dans le feuillage des mimozas et des plantes appar- tenant aux familles des strilitzias et des euphorbiacées; les autres comme les leptosomes et les merles (Hypsipetes ourovang) ') du haut des montagnes dans les cicadaes et les fougères arborescentes , tandis que le roucoulement joyeux des diverses tourterelles : (Turtur picturata?), Turtur semitorquata *), Peristera tympanistria ‘)), nous venaient des cimes des majestueux tamariniers et mangiers, qui ombrageaient le chemin. Ce concert naturel augmentait la bonne disposition de notre humeur et nous inclinait à la gratitude et au contentement. Une quantité de corneilles et de milans se berçaient sur les tiges des cocotiers à l'entrée du village Mosamperey et se sauvèrent à la hâte lorsqu'une pluie de plomb vint à tomber sur leurs têtes; plus loin nous eûmes le bon- heur de tirer dans un casuarina une paire de jolis oiseaux scarlatins, que nous croyions être le Foudia madagascariensis, que nous avions déjà obtenus à l'ile de la Réunion, mais en les regardant de plus près, nous vimes, que c'était une espèce bien différente des foudias connus. Plus tard j'ai donné à cet oiseau tisserand le nom de Ploceus Al- gondae *), en l'honneur de ma belle-soeur. Après ayoir obtenu ces oiseaux eurieux nous traversimes le village de Monsamperey, et bientôt après nous longeâmes la côte bordée de paletuviers. C'était justement le temps du reflux, et nous pûmes passer à pieds secs par la plage, qui exhalait une mauvaise odeur, provenant des substances animales jetées par les lames et retenues par les racines des paletuviers. Heureusement que ce lieu est habité par un grand nombre de gros crabes (Gecarcinus) *) connus des colons sous le nom de tourlourous, qui le purifient assidûment des matières qui se putréfient par l'ac- tion d’un soleil ardent. Ces crustacés habitent les fentes des rochers, soit en famille soit seul, d’où ils sortent dès le reflux pour se nourrir; ils netfoyent de cette manière la plage de ses ordures, dans lesquelles ils se retirent pendant le flux, se reposant de la bonne chère, qu'ils ont bientôt faite; le plus souvent en société de leurs congénères les crabes Gelasimus”), qui au contraire habitent des trous percés dans la vase. La 1) Voir p. 96, de la Partie IT. 2) Idem p. 118. 3) Idem p. 118, 4) Idem p. 114. 5) Idem p. 109, pl. 14 et les notes I. c, 6) Idem Partie IV. 7) Idem Partie IV. 11* 108 vitesse et la manière dont ces derniers animaux entrent et sortent de leurs asiles est très remarquable et nous donnait souvent sujet de rire. Les gros crabes sont moins lestes dans leurs mouvements, mais sont redoutables par la force de leurs pinces, avec les- quelles ils broyent souvent un bâton assez fort. Ainsi leurs ennemis, comme les hérons et les corneilles osent à peine les attaquer, car si le malheur veut que leur bec ou leurs pieds viennent en contact avec les pinces formidables de ces crabes, ils sont brisés comme verre; c'est pour cela que ces oiseaux les attaquent toujours par derrière. Un petit héron cependant, qu'on voit assez fréquemment à Mayotte et nommé par les colons carabier (Ardea atricapilla) ‘), est très friand des petits crustacés; c’est pourquoi on le voit toujours comme un traban fidèle des plages habitées par ces crabes. Pendant le flux il se repose dans les branches des paletuviers en attendant paisiblement le moment du reflux, quand les crabes sortent de leurs asiles pour commencer leur nettoyage jour- nalier, afin de faire à son tour la chasse à ces nettoyeurs sixpèdes, mais se gardant bien d'attaquer les grands qui sont trop vigoureux pour lui. Les crabes termites sont trop lestes dans leurs mouvements et échappent le plus souvent dans leurs trous, avant qu'un coup de bec assez bien appliqué les attaque, mais ces petits êtres bizarres ont d’autres ennemis plus dangereux que les carabiers; ce sont les courlis (Numenius phacopus) ?), qui avec leurs longs becs courbés les retirent de leurs trous mêmes. On conçoit que ces parages, mouillés constamment par la mer et reséchés par un soleil ardent, sont très malsains par les évaporations continuelles de la vase puante couverte de débris animaux, qui occasionnent la fièvre paludéène si funeste aux européens et aux habitants des hautes contrées. Tout près de ce lieu est bâti le village de Passa- mainti, où se trouve aussi une usine de cannes à sucre et dans lequel les maladies, selon ce qu'on m'a dit, sont plus fréquentes que dans les autres villages qui ne sont pas en- vironnés de forêts de paletuviers. Le chemin de Passamainti vers la plantation Isouzou monte considérablement, et il est certain que la végétation devient plus luxuriante au fur et à mesure qu'on rencontre un sol plus élevé de terre glaise; aussi est-il curieux de voir comment non loin des forêts de paletuviers cette terre abonde d’adansonias, arbres qui aiment un haut terrain. Nous passämes bientôt ces monuments gigantesques du règne végétal, lieux de délices des pteropi, pour gagner la petite cataracte aussi attrayante qu'auparavant, où nous étanchâmes notre soif ardente, et nous continuâmes notre chemin vers la demeure de M. Bouchon où nous attendait le déjeuner. Après nous être fortifiés par une nourriture sim- ple et un repos assez court, nous passämes la plantation Debeney, et peu de temps après nous rencontrâämes nos porteurs qui relournaient de l'habitation de M. Chaulier au village de Bandakony. Quelques misérables chaumières composaient ce pauvre village dont les 1) Voir p. 125 Partie II. 2) Idem p. 132. 109 habitants s’occupaient pour la plus grande partie de la fabrication de l'huile de coco. Nous les vimes ouvrir des cocos très secs, ils en pilaient la chair blanche dans un pol avec une pierre jusqu'à ce qu'elle devint une pâte huileuse; puis ils la cuisaient, pour obtenir l’huile si recherchée à Marseille. Ayant contemplé un moment cette indu- strie indigène, nous continuâmes notre route pour arriver bientôt à la plantation de notre ami, qui nous attendait avec impatience et qui nous reçut aussi cordialement que jamais. Nous y trouvâmes dès notre arrivée notre bagage bien installé et tout en ordre dans les mêmes appartements, que nous avions occupé pendant notre dernier séjour et après que notre domestique avait deballé nos collis et que nous avions arrangé nos armes et usten- siles de chasse, nous nous couchâmes, fatigués que nous étions de la longue promenade. Comme la fièvre nous avait dit adieu et que nous nous trouvions plus forts et plus cou- rageux qu'autrefois, nous étions déjà debout dès le grand matin. Je l’attribuais aux il- lusions et aux idées chimériques, que nous nous figurions de nos excursions de chasse et de nos explorations scientifiques prochaines. Ce jour là, 8 Mai, était pour nous une journée pleine d'avenir, puisque nous nourrissions l'espérance de piller les forêts et les champs des trésors scientifiques qu'ils renfermaient. Nous poursuivimes alors cette idée heureuse en parcourant la première forêt du voisinage de l'habitation avec le fusil en main, accompagné de notre domestique avec les appareils pour faire la chasse aux reptiles et aux insectes, guidés par un travailleur de notre hôte dans cette forêt primi- tive, où nous ne trouvions passage que par quelques petits sentiers à peine praticables. Cette forêt, ainsi que les autres que nous explorâmes, abondaient en une foule de plan- tes diverses, parmi lesquelles on observait une quantité d'arbres patriarchals. Nous ob- servâmes des malvacées, des citronniers, des orangers, des oliviers, des copaliers, des flamboyers, des sagotiers, des cicadées, des pandanes, des acacias, des cafiers, des dattiers, des goyaviers, des tamariniers, des polipodes; ainsi que des bois propres aux constructions navales, à l’architecture et à l'ébénisterie. Sur plusieurs de ces arbres, nous remarquâmes une quantité d'orchidées d’une forme merveilleuse, avec des fleurs d'une couleur magnifique et de différents dessins, tandis que des convolvulacées, d'une croissance étonnante se torlillaient à une hauteur considérable sur les branches en liant un arbre à l'autre, présentant un vrai réseau. De plus nous vimes une quantité de plantes appartenant aux familles des aroidées, des léguminosées, des rubiasées, des euphorbiacées , des crussiféres , des flacourtias , des imbricarias et des fanegorames. Le sol humide de ces forêts est rempli de plusieurs espèces de cryptogames, qui rendent la marche assez difficile; quand on ne peut pas suivre un sentier, on doit avoir recours à la hache, pour se faire un chemin. Parmi ces plantes encombrantes se trouvent des aloës, des agaves, des bromelias etc., qui par leurs feuilles piquantes occasionnent sou- vent bien du mal. Nous étions étonnés que dans ces forêts où règnait une végétation si abondante et luxu- 110 riante, le règne animal ne füt pas représenté en proportion. Ce jour là nous ne tuâmes que trois maquis, deux pigeons bleus et quelques autres oiseaux ordinaires. Les forêts de la baie de Joungony se trouvent pourtant dans leur état primitif et, sauf quelques vallées déboisées, offrent d'excellents pâturages et des champs couverts de plantations ré- centes. La vallée qui s'étendait en bas de l'habitation de notre hôte offrait un joli coup d'ocil par la verdure des terres plantées de cannes à sucre, bordées de chaque côté de forêts épaisses, excepté vers la côte, qui était garnie en grande partie de paletuviers (Rhizophora) et entrecoupée en partie par un petit torrent se jetant dans la mer. Le zèle avec lequel M. Chaulier soignait cette plantation nouvelle était grand et bien connu des colons, car peu de temps avant qu'il ne s'installa à la baie de Joungony, on n’y voyait aucune plantation de cannes à sucre ni d’autres cultures et elle n’offrait alors qu'une vaste forêt impénétrable. Lors de notre séjour, son habitation n'existait que de- puis peu d'années; et à force de travail il était arrivé à monter une usine pourvue d’un moulin et de turbines marchant par la vapeur, pour fabriquer lui-même le sucre des cannes plantées, qu'il devait auparavant envoyer à d’autres usines pour y faire faire cette fabrication. Lorsque nous revenions de notre excursion de chasse dans cette charmante contrée, où nous venions de voir tant de choses splendides de la nature, nous rencontrâmes M. Chaulier justement dans la vallée, dont je viens de parler, en société de ses travailleurs indigènes, qui bâtissaient sa nouvelle fabrique. Après nous avoir dit bonjour il nous de- manda à voir notre butin de chasse. Il nous interrogea sur les forêts que nous avions parcourues pour apprendre notre expérience. Lorsque nous lui parlâmes des plantes di- verses que nous avions remarquées, il vanta le valeur de beaucoup d’arbres propres à la charpente, que lui-même avait tirés des forêts des environs. Il nous invita alors à venir voir des pièces de bois d’une dimension énorme et d’une dureté extrême, qui pou- vaient concourir avec notre bois de chêne. Ce bois qu’il nomma Tacamaca et qui ap- partient au genre Calophyllum, et celui du bois de fer (Sideroxylum) , étaient employés par lui à la construction de son usine, surtout pour attacher les pièces lourdes de la ma- chinerie. Pour les planches il faisait scier les arbres des petites nattes (/mbricaria) , ceux des tecks (Cordia), des mapous (Andromeda) et des ouatiers (Bombax). Pour la char- pente il employait des fandamanes (Prockia theiformis), ainsi que des tamariniers; et pour les poutres les troncs des cocotiers et d'autres palmiers (Areca). Pour la maçonne- rie, il employait des morceaux de roche de basalte et de gramt du pays, et pour la chaux il faisait brûler lui-même des coquillages, qui abondent sur la côte de la baie. Parmi les mahoriens ils s'en trouvent qui connaissent assez bien le métier de maçon et celui de tailleur de pierres; du moins les hommes que je voyais travailler à l'usine de M. Chaulier travaillaient, aulant que j'en pouvais juger, aussi bien qu'on pouvait l'exiger de ces gens-là Lorsque notre hôte monta avec nous vers l'habitation pour pren- dre le déjeuner, il nous raconta, comment en général on se fait planteur à Mayotte et 111 à quelle condition le gouvernement cède des terrains aux colons. Comme je crois ces détails de quelque intérêt pour mes lecteurs, je veux consacrer quelques lignes à ce que j'ai appris, en le comparant avec ce que d’autres habitants de Mayotte m'en ont dit : "Naturellement on ne se rend pas dans cette colonie vierge pour s’y établir pour son plaisir,” nous dit notre hôte, et vous comprenez que c’est presque toujours pour faire fortune. La plus grande quantité des colons s'appliquent d’abord à l’agriculture, puisque les terres y sont abondantes et fertiles, ne coûtant dans les premiers temps que la main d'oeuvre, et parce qu'ils croient que cest le plus court chemin pour devenir riches par les revenus de leurs productions. C’est quelquefois possible, mais pour le plus grand nom- bre c’est une vraie chimère. Les débuts sont partout très difficiles, mais surtout dans une colonie où l’on vient comme un chat dans une maison neuve ; c’est-à-dire que la plupart des co- lons viennent ici presque sans le sou, croyant que l’or leur tombera dans la main ou que les corneilles leur apporteront du pain. Quand on connait un métier quelconque, il n’est pas difficile de gagner dès son arrivée l'argent pour ses premiers besoins; et quand on est un peu économe, il est assez facile d’épargner en peu de temps une petite somme dans un pays, où l'on peut vivre assez sobrement et sans luxe, où l’on est libre comme l'oiseau dans l'air et où l’on est respecté de suite par les gens du pays à cause de sa couleur blanche, et honoré quand on a seulement quelques unes des qualités d’un honnête homme. Ceux qui sont arrivés les premiers dans la colonie eurent à surmonter plus d'obstacles que ceux qui arrivèrent après eux, mais d’un autre côté les premiers venus avaient non seulement le premier choix des terrains les plus fertiles et les mieux situés pour le transport de leurs denrées ete., mais ils avaient aussi la main d'oeuvre à meilleur marché, plus abondante et aussi plus de secours du gouvernement. Les colons qui s’établirent à Mayotte peu de temps après la prise de possession par les français (13 Juin 1843), se procurèrent des terrains à peu près pour rien, mais après treize ans ces faveurs cessèrent par un décret du 5 Mars 1856, lorsque les concessions de terrains furent réglées par un taux progressif. Depuis ce temps, on paie 5 franes par hectare au dessous de 100 hectares, et pour 500 hectares et plus une somme limitée de 25 francs par hectare. C’est bien peu de chose encore pour des terres fertiles situées si favorablement près de la côte, peu accidentées et peu boisées, mais pour des terrains qui se trouvent dans l’intérieur, qui n'ont pas encore de routes assez praticables, couverts de forêts vierges, de hautes collines et d’autres choses encombrantes et difficiles pour le travail d'une culture régulière, le prix est souvent encore bien élevé. Les concessions faites par le décret mentionné sont à titre définitif, mais le concessionnaire ne peut aliénier le terram achété, qu'après avoir complété sa mise en valeur. Dans ce moment-ei (Mai 1864) le gouvernement a concédé à divers colons près des deux tiers de la superficie de l'ile !), et la plantation des 1) La superficie de Mayotte est plus de 30.000 hectares. La longueur du N.-N.-O au S.-S.-E. est 21 milles marins et la largeur de 2 à 8 milles. L'ile est située entre les 12° 39’ et 12° 59/ de latitude Sud et les 42° 46’ et 43? 2” de longitude est mesurée de la meridien de Paris. 112 cannes à sucre occupe près de 1000 hectares; naturellement sans compter encore les terrains plantés de cafiers, de girofliers, de cacoyers, de riz, de maïs, de patates et d'autres cultures alimentaires. À présent on a dans la colonie une vingtaine d’exploi- tations de cannes à sucre, dont plus de la moitié sont en possession d'usines pour fabriquer le sucre et quelques unes pourvues de distilleries pour faire le rhum, qui donnent du travail à environ 2000 ouvriers. Ces colons peuvent se faire d’abord planteurs de cannes à sucre et gagnent ordinairement en peu d'années par leurs récoltes assez d'argent pour monter une usine. ”£n outre depuis deux années (17 Mai 1862) nous possédons un bureau d’hypothèques, ce qui permet aux colons la voie hypothécaire pour faciliter leurs opérations, qui dès qu'ils possèdent une usine demandent beaucoup de fonds; car on doit travailler trop longtemps pour gagner la somme qu'il faut pour monter une usine bien organisée. La fertilité du sol cependant permet d'obtenir une fois et même deux fois plus de produits des terres cultivées qu'aux îles Marcarègnes où beaucoup de terrains sont appauvris par une culture assidue, de sorte qu'on doit avoir recours aux engrais, pour rendre les champs plus fertiles. Comme dans presque toutes les colonies nouvelles, on n’a pas besoin à Mayotte de ces moyens pour faire pousser plus avantageusement les plantes utiles, et l'on y pourra cultiver encore longtemps avant qu’on doive employer l’engrais, où qu'on doive renouveler les terres par d’autres cultures, puisque les cannes à sucre peuvent oc- euper les mêmes champs en donnant la même production pendant dix années; en outre la canne à sucre!) vient ici plus vite à sa maturité, c’est-à-dire plus longue, plus forte et plus grosse; c'est pour cela qu’on peut classer cette colonie parmi les plus productives de la France. Comme les terrains plantés de cannes à sucre produisent plus que ceux plantés d'autres végétaux, les habitants s'appliquent naturellement plus à cette culture qu'à toute autre. Quoique les cannes à sucre à l’île de Mayotte ne soient complètement mûres qu'au bout de deux ans, il suflit néanmoins de 6 à 8 mois pour les pouvoir cou- per afin d'en extraire le sucre et de planter les boutures provenant des rejetons. Cette fertilité est d’autant plus remarquable qu'aux îles Mascarègnes les cannes à sucre ne sont bonnes pour la récolte qu'au bout d'un an et demi; mais cela provient de ce qu'on cultive dans ce pays, depuis plus que cinquante ans, cette utile graminée aux dépens des autres cultures productives. Et là encore les cannes à sucre demandent toujours de l'engrais; après une ou trois récoltes au plus les terrains ont besoin de repos; et c’est pour cela qu'on ne peut tenter leur culture, du moins si on veut qu’elle soit assez pro- ductive, que sur une grande échelle; et quoique cela puisse être encore une source de prospérité et de richesse pour un grand propriétaire, ayant les moyens d’être à la fois agriculteur et industriel sucrier, pour les gens qui ne possèdent que peu de terrain et 1) Voir les notes I. c, 115 qui doivent avoir recours aux usines de ces seigneurs, c'est un état de gêne, de soul: france et souvent de ruine. La plantation des cannes à sucre à l'ile Mayotte ne de- mande pas tant de soins qu'aux iles Mascarègnes; et si cela n’était pas, alors ce serait encore par ce qu'on y peut couper les cannes plus tôt. Comme la culture des can- nes à sucre à fait place aux îles Mascarègnes à celle du cafer') qui y abondait ja- dis, la canne à sucre a presque tout envahi, depuis les côtes jusqu'aux sommets des monticules. A Mayotte on a tenté alors aussi la culture du cafer, mais elle n’a pas réussi comme on avait espéré. Bien que les jeunes plantes poussent assez vile et quils donnent des fruits abondants au moment des récoltes, les arbres périssent ou n'offrent que des fruits séchés, pauvres et souvent sans grains. dJ’altribue ce résultat à la grande chaleur qui règne pendant les mois de Janvier et de Février, quand le thermomètre s'élève à 34° C.?) et parce qu'on a planté les cafiers dans les plaines et les vallées au lieu de le faire à mi-côte des montagnes, où la température est naturellement moins chaude. Il est vrai qu'on a planté les cafiers, qui ne sont que des arbrisseaux, à l'ombrage d'autres arbres, comme de famariniers et de bois noirs (Acacia lebbeck), pour les garantir de l’ardeur du soleil, ce qui empêche les fruits de se dessécher avant leur ma- turité;, mais ce n'est pas du tout la nature du cafer, qui aime les hauteurs au lieu des contrées basses qui nuisent à son développement et à sa fécondité; outre que les autres arbres qui l'entourent doivent lui enlever ses ressources nutritives, non seulement celles du sol par leurs longues et profondes racines, mais aussi celles de l’air par leurs branches et leur feuillage touffu. Je crois que si l’on cultivait les cafiers comme jadis et encore aux iles Mascarègres, la culture de cet arbre tiendrait la promesse qu'on a droit d'espérer dans les contrées si fertiles qu'offre Mayotte; mais on ne doit jamais perdre de vue la nature du sol et les conditions voulues pour son développement. Le cafer de- mande surtout une terre pierreuse et des soins continuels à l’égard de la propreté, car cette plante est très délicate dans certaines contrées. A Mayotte j'ai vu peu de cafiers plantés dans les conditions voulues, c'est-à-dire qu'on n'avait pas fait assez de recherches pour trouver des terrains convenables; la plupart étaient plantés dans de la terre glaise, peu pierreuse, trop chaude ou trop détrempée par les pluies, qui enlèvent la nourriture propre à son alimentation, On sait qu'il existe plusieurs variétés de cafiers, mais comme toutes les qualités ne sont pas égales et n'ont pas la même facilité de s’acclimater sur un sol étranger, je crois que, quoique inférieure au cafier de Moka et de Yemen, la variété qu'on nomme aux îles Mascarègnes: le cafier Leroix, originaire de la côte d'Afrique, conviendrait le mieux encore pour la culture à Mayotte, puisqu'il réussit dans presque toute espèce de 1) Voir les notes I. c. 2) La température moyenne à midi en Mars eten Avril est de 29° à 31° C. et celle de l’année est de 27° ©, La saison pluvieuse (hivernage) est déterminée par les lunes de Décembre et de Mars. Les pluies sont fréquentes et plus abondantes dans la partie orientale que dans Ja partie méridionale de l'ile, et mème lors de la saison séche, les pluies y sont aussi moins rares que dans l’est. On a rarement aussi des tempêtes et des cyclones à Mayotte. 15 114 sol. J'ignore si l’on a déjà tenté la culture de cette variété dans cette île: mais s’il en est ainsi, je crois pourtant qu'il est plus fécond que tous les cafiers, qu'on y a plan- tés. Je conseille alors aux planteurs de cette colonie de propager cet arbre en choisis- sant surtout les terres sur lesquelles ils veulent faire des plantations fructueuses, n'ou- bliant pas que les hauteurs à mi-côte sont toujours les plus favorables. Les plantes alimentaires, comme le riz, les maïs, les patates, le manioc, les légumes ete., ne sont cultivées que par quelques indigènes, pour leur usage personnel, tandis que les planteurs colons ne s’y livrent que rarement. Ils font venir les céréales et d’autres plantes alimentaires du dehors; et quand ils possèdent un jardin potager, c’est encore seulement pour l'agrément d’avoir de temps en temps des légumes frais et non pas par spéculation. Comme ils reçoivent les graines potagères de France, de la Réunion et du Cap de Bonne Espérance, ils doivent chaque année renouveler leurs semences, puisque les légumes dégénèrent de suite, et c’est la raison pour laquelle la culture par ces pro- cédés leur devient trop coûteuse, pour s’en occuper plus activement. Un légume qu'on y mange pendant toute l’année est une espèce de songe bien délicat et très sain, c’est l'Arum esculentum, bien connu aussi aux îles Mascarègnes. Aussi on se sert d’une espèce de haricot, originaire de Madagascar, d’un goût très agréable, connu sous le nom d'ambrevade (Cytisus cajanus) ). Aux îles Mascarègnes on plante ces cytises, dans les terres épuisées par la culture des cannes à sucre, afin que les feuilles de ces arbustes servent à les engraisser. Nous parlâmes avec notre hôte de tous ces sujets en montant à l'habitation, et notre conversation était si animée, qu'on la continua encore à table. Bientôt une légère sieste s'empara de nous, et après un doux farniente de quelques moments, nous nous occupä- mes de la préparation des animaux tués. Pendant les jours suivants plusieurs objets remarquables nous furent remis, par le zèle de notre domestique Eugène et de quelques ouvriers de M. Chaulier. Je reçus des caméléons, de petits serpents, des crevettes et des insectes, que ces gens m'apportaient journellement. En outre nos recherches per- sonnelles au profit de l’entomologie furent couronnées par la capture de plusieurs espèces, surtout des microlépidoptères; mais quoique notre collection s'enrichit par beaucoup d'additions, je la perdis cependant trois fois de suite totalement par la voracité des four- mis, qui pénétraient dans les boites qui contenaient notre trésor scientifique. Combien de fois nous avons détesté ces bêtes, qui nous dérobaient nos insectes rares, obtenus souvent avec peine. Jamais nous n'avons été un seul moment sans fourmis. Elles voyageaient, dormaient, buvaient et préparaient avec nous; en un mot: c'étaient nos com- pagnons fidèles. En vérité c'était à la longue plus qu'incommode d’avoir forcement cette société d'amis. Souvent pour leur donner quelque distraction, je leur jetais le crâne ou 1) Voir les notes I, c. 115 le corps d'un petit animal, qu’elles disséquaient; et j'obtenais ainsi un squelette. Bien des fois, quand je voyais toute une armée devant moi sur la table disséquer avec ardeur et avec adresse, j'admirais leur intelligence étonnante, et je jouissais, en dépit du cha- grin des pertes que ces êtres curieux m'avaient occasionnés. J'aurais désiré, quand j'ob- servais le travail des Formicae mayottenses, avoir près de moi l'éminent observateur entomologiste Huber :), qui aurait certainement fait toute une histoire des diverses actions de ces dévastateurs. Je perdis plusieurs fois courage pour recommencer mes recherches entomologiques, en voyant ainsi disparaître à chaque instant de jolis papillons et de rares scarabées, dûs pour la plus grande partie à nos excursions personnelles. Je me consolais par l'espoir de conserver pourtant un maigre butin, malgré les invasions audacieuses des petits rongeurs dans mes boîtes. Du reste on doit se figurer qu'on a à lutter contre beau- coup d'obstacles, quand on est à la chasse des insectes dans les forêts vierges, où l'on ne peut chercher fructueusement que sur les places ouvertes, qui y sont rares. Ce sont les sentiers et les endroits, où un gros arbre est tombé par terre, que l’on peut être as- sez heureux pour capturer des insectes. Nous cherchions donc toujours ces lieux préférés par les insectes, car autrement nous aurions eu beau courir après eux dans les forêts, si nous n'avions pas Vu par expérience , que dans un endroit ouvert de quelques mètres carrés nous en trouverions cent fois plus qu’en parcourant quelques hectares trop boisés. Ordinairement nous trouvions le plus d'insectes près de l'habitation, où la plupart des arbres se trouvaient à quelque distance les uns des autres, laissant des espaces couverts de maigres broussailles, donnant à peine de l'ombre sur la terre échauffée. Dans ces endroits j'observais en plein midi des milliers de microlépidoptères de diverses couleurs, voltigeant à peine à un pied au dessus du sol entre les broussailles, tandis que les espè- ces du genre Acraea se reposaient sur les troncs laisants des oliviers, qui dominaient le terrain. Mais dans les forêts j'éprouvais un vrai bonheur de trouver un arbre vermoulu, sur lequel je faisais ordinairement une bonne chasse aux coléoptères capricornes, qui se cachaient dans le bois pourri et dans les fentes de l'écorce épaisse. (Chaque jour nous nous livrions avec ténacité à la chasse des animaux vertébrés, n’oubliant cependant pas de collectionner les invertébrés curieux pour la science, qui se montraient sur nos pas. Mais il était bien diflicile de faire ces recherches en même temps. Souvent en parcou- rant la forêt, le fusil sur l'épaule et le filet en main, nous ne savions que faire, si nous apercevions au même moment de superbes papillons, des scarabées volants et des oiseaux remarquables dans les arbres. Naturellement nous désirions les posséder tous à la fois; mais c'était ordinairement impossible. En courant après les insectes volants, nous oublions la place où nous avions vu les oiseaux en repos ou sautant de branche en branche, et si par hasard, ou par une indication quelconque, nous y revenions dans 1) Voir les notes I. c. 116 l'espoir de tuer l'objet désiré, la recherche en était alors souvent inutile. Ces désappoin- tements occasionnés dans la capture des insectes nous forcèrent bientôt à nous borner à la chasse des vertébrés, et je me contentai de surveiller en même temps les occupations de mes domestiques, qui se livraient alors à la recherche entomologique. Plusieurs fois ils nous apportèrent des insectes curieux, ainsi que des reptiles, comme des caméléons, des couleuvres, des lézards etc. Je me rappelle encore très bien le moment où je reçus un magnifique caméléon !) avec son petit, que je mis de suite dans un bocal. J’admirais les soins que la mère avait pour son enfant, qu'elle portait sur le dos en grimpant pru- demment contre les branches, qui s'y trouvaient; ainsi que la manière dont elle cares- sait son petit; car avec sa longue langue elle enlevait la couverture membraneuse, mince et transparente, qui encouvrait la tendre peau. De tous côtés elle épiait avec ses veux mouvant en tous sens, si quelque danger menaçait son précieux fardeau, et j'étais étonné de voir sa fureur lorsque je mis un autre caméléon avec elle dans le même flacon. A peine l’eut-elle aperçu qu'elle s'élança violemment sur lui et le mordit tellement, que son crâne en fut brisé, et qu'il en mourut quelques instants après. Plus tard je je- tai des chauves-souris dans le flacon occupé par cette bonne mère, mais au lieu d’at- taquer celles-ci, elle se fourra dans un coin pour protéger son pelit et trembla de tous ses membres. Mais le plus curieux phénomène, que j’eus le plaisir d'observer dans ce moment-là, fut le changement remarquable de sa couleur d’un vert tendre, qui passa au noirâtre ?), comme celle des chauves-souris. Ordinairement de grand matin la couleur de ce caméléon était plus foncée qu’en plein jour, mais pendant la plus grande chaleur de la journée sa couleur devenait la plus vive. Ces changements remarquables me mirent souvent en extase, et je pensais alors involontairement à ce que le poële Dryden chanta: ,, The thin chameleon, fed with air receives The colour of the thing to which it cleaves.” Pendant plusieurs jours nous fimes des chasses assez fructueuses dans les environs qui abondaient en forêts vierges, habitées par une quantité de maquis et de différents oiseaux curieux. C'était un de nos plus grands plaisirs d'aller à la recherche de ces animaux, dès le grand matin avant le lever du soleil, et vers le soir, avant son coucher, quand la rosée couvrait encore le feuillage comme une abondante pluie, ou qu'elle commençait à tomber. Nous pénétrions dans les lieux, qui renfermaient ces trésors de la création animale au milieu d’une richesse végétale au-dessus de toute description, nous avions soin de regarder au-dessus de nos têtes vers les cimes des arbres qui logeaient ordinairement ces animaux pleins de vie. J'emploie ici cette expression parce que l’agilité des maquis est souvent pareille à celle des oiseaux. Leur agilité, lorsqu'ils sautent d’un arbre à 1) Voir la Partie III. 2) Voir les notes I. c. 117 l’autre ou de branche en branche, est telle qu’elle surpasse le vol d’un oiseau, de sorte qu'on ne peut les suivre de l'oeil. Dans ces moments de vitesse, il est bien diflicile de les chasser, si on ne veut pas se fatiguer courant après eux, car en quelques secondes ils sont loin de vous, et disparus du centre ou au bord de la forêt. Leurs cris perçants et dissonants vous indiquent que ce serait inutile d’aller à leur poursuite. Au contraire on est sûr de les abattre quand on se glisse avec adresse à travers les broussailles, en évitant tout bruit si c'est possible, car chaque bruit, même le moindre craquement des branches, les éveille et prive le chasseur du plaisir de les approcher à une portée de fusil. Combien de fois nous dûmes marcher sur les mains et les pieds, nous tortillant comme un serpent par les buissons, souvent même en retenant pour un instant notre haleine craignant de les mettre sur le qui-vive, car si un seul individu se doutait du danger qui les menaçait, à un fort cri donné par lui, toute la bande se sauvait à la hâte. Mais quand nous étions assez heureux pour nous approcher à la portée de nos armes, nous avions alors pendant un instant une jouissance d'observation si désirable pour un naturaliste, car dans ces moments-là, il a le bonheur de faire des notes intéressantes sur les moeurs de ces animaux curieux, qui se croient en parfaite sûreté. Oh! quel plaisir j'éprouvai bien, qu'embusqué d’une façon pénible, quand je vis un beau lémurien se mettre debout sur une branche avec les bras ouverts, paraissant embrasser les premiers rayons du soleil, qui pointaient sur son corps. L'animal se choyait dans la chaleur du matin, séchant la rosée qui mouillait encore sa belle fourrure en léchant chaque poil d'une manière élégante, comme une chat domestique, en balançant sa longue queue comme pour battre la mesure, et en faisant entendre par intervalle un petit grondement de contentement, ayant quelque rapport avec le cri d’un très Jeune porc. Encore quelques pas, et je me trouvais non lon du tronc de l'arbre dont la cime était le siége de lanimal précieux que je désirais si ardemment posséder. Ravi de la vue de ce grâcieux animal, que J'avais contemplé pendant plus d'un quart-d'heure, le coeur impitoyable baltit de plus en plus lorsque je le vis tout à coup s’élancer sur une branche en regardant rapidement autour de lui. Le maqui avait remarqué le mouvement de mon fusil que je couchais en joue, mais avant qu'il püt apercevoir le danger, le plomb avait percé sa poitrine. Tout d'un coup la forêt résonna des cris plaintifs de ses compagnons qui sautaient brusquement au-dessus de ma lêle, mais comme j'étais sous l'influence de la curiosité d'examiner ma pauvre victime, je ne pensais plus à tirer sur la bande fu- rieuse, qui méassaillait de tous côtés des cimes des arbres les plus élevées, comme pour se venger de l’homme, qui avait commis le meurtre d’un de leurs frères. Oui, je le confesse que j'étais dans ce moment là stupéfait de l’action passée, et Je concevais que ces êtres charmants devaient me tenir pour un barbare, un homme sans coeur. Mais quoique je fusse fâché pour eux, je me consolais par l’idée que c'était au profit de la science. Qu’auraient dit mes collègues, si je ne leur avais pas apporté le peau ou le 118 squelette de ma victime? Quelle valeur auraient eu mes observations, si je n’avais pas pu fournir les pièces justificatives? En outre elles appartenaient à un animal inconnu à eux, à un lémurien, dont on ne savait encore rien dans le monde scientifique. En vérité, ces idées tranquillisaient ma conscience, lorsque Je me trouvai face à face du cadavre, que j'avais admiré encore quelques moments auparavant, jouissant d’une vie pleine de charmes et de douceur, mais de l’autre côté Je m'’accusais du fait accompli, tant j'adorais les Jémuriens dans leurs actions. Enfin je désirais le posséder pour connaître mieux sa vie et pour éterniser son nom dans la science '). Après cette capture je m’avançai dans le forêt pour en obtenir encore un autre et tant que je pourrais m'en procu- rer; une série, si c'était possible, pour faciliter de plus en plus mes recherches sur la vie et les moeurs de ces animaux. Bref, je fus assez heureux pour me procu- rer en peu de jours une belle collection d'individus des deux sexes, de grandeur et de variété d’une couleur très remarquable. Parmi les mammifères de l’île Mayotte, ce sont les lémuriens qui occupent la première place, appartenant tous à une seule espèce. Selon l’assertion de notre hôte on n’en voit pas d’autres dans l’île et tou- tes les recherches, que nous avons faites à ce sujet, nous ont fait voir qu'il avait raison ?). Puis on y rencontre un petit animal carnivore, la genette, appartenant égale- ment à une seule espèce, que j'ai trouvé comme étant nouvelle pour la science et à la quelle j'ai conféré en honneur de mon célèbre ami M. le Professeur H. Schlegel le nom de Viverra Schlegelii*). Les habitants de Mayotte les chassent pour les détruire, parce qu'ils occasionnent souvent de grands ravages dans leurs basses-cours et qu'ils volent, quand ils peuvent, beaucoup de leurs bananes mûres. (C’est par leur friandise pour ces fruits qu'ils se laissent attraper facilement par un tel fruit comme appat, soit avec des pièges en bois du sagotier, soit avec des lacets. Bien des fois nous avons obtenu ces animaux par les soins des indigènes, et c'était curieux de les voir venir nous présenter une genette en la portant pendue par la queue à un bâton auquel elle était attachée par une corde en mordant de tous côtés. Cest pendant la nuit que ces animaux sortent de leur retraite pour s’aventurer dans les forêts, dans les plaines et même tout près des habi- tations, répandant un odeur de muse très forte, qui fait découvrir facilement les lieux qu'ils ont parcouru. La chasse de ces animaux dans l’île Anjuan est une des plus gran- des récréations des habitants‘). Un autre mammifère, auquel surtout les habitants mal- gaches de Mayotte font la chasse à cause de leur chair, est le tendrec; et il y a des créoles qui ne dédaignent pas ce mets, qu'ils disent être aussi délicat que la chair d’un cochon 1) Voir p. 3 et 4 pl. 2 de la Partie II. 2) Idem, p. 22. 3) Idem, p. 16 pl. 10. 4) Voir Léguevel de Lacombe, Voyage etc. 1. e., tom. II, p. 94. Il est très probable que l'espèce de la genette d’'Anjuan appartient à la même espèce que celle de Mayo:te. Voir p. 16 pl. 10 L. c. 119 de lait. Quant à moi je préfère cette dernière à celle de cette espèce de vilain hérisson. En parcourant les forêts on ne rencontre que rarement cet animal, puisqu'il s'embusque pendant la journée dans les trous qu'il s'est creusé dans la terre, et qui ressemblent à des taupières de forte dimen- sion. On trouve aussi à Ma- yotte des musaraignes, et les exemplaires que j'ai obtenus appartiennent probablement à Le tendrec (Centetes setosus) 1). une espèce nouvelle, mais il est très difficile de se procurer ces micromammifères, et ce n’est que par hasard qu'on les attrappe. Notre hôte me dit aussi qu’on trouve dans l'ile des vountsiras (Galidictis, Herpestes?), mais je n'ai pas eu le bonheur de les trou- ver. On est frappé de la pauvreté de mammifères, qui habitent Mayotte, et excepté les fanys, avec lesquels nous avons déjà fait connaissance, les chauves-souris (Nyctinomus pumilus) , les rats (Mus alexandrinus), les souris (Mus musculus) et par hasard les ceta- cées (Delphinus, Balaena elc.), ce sont les seuls mammifères connus à Mayotte. Non seu- lement cette île est pauvre en mammifères, mais elle l’est aussi en oiseaux et en reptiles, et c’est d'autant plus étonnant, que la richesse végétale du pays est encore dans beaucoup d’endroits vierge et abondante. Le nombre d'oiseaux est bien minime et ne surpasse pas le chif- fre d’une trentaine. Avant l’invasion des français, Mayotte contenait plus d'oiseaux qu'à pré- sent, puisque la dévastation de beaucoup de parties boisées , pour l’arrangement des plantations occupées par la culture des cannes à sucre, en à fait déménager un grand nombre. Pour le pré- sent les parties méridionale et occidentale de l’île renferment encore beaucoup de terrains boi- sés, habités par une quantité de maquis et d'oiseaux, mais qui sont pauvres en espèces ; en outre les nouveaux venus se livrent à la chasse, surtout à celle des pigeons bleus ?) et rouges *), en les remarquant comme un gibier excellent, tandis que les indigènes ne les chassent que rarement et n’employent pas d'armes à feu, et comme on ne tire ces oiseaux qu'en repos et presque jamais au vol, on peut se figurer que ces espèces doivent dimi- nuer chaque année. Les colons chasseurs me disaient souvent qu’autrefois l’ile abondait en pigeons et qu'à présent on devait courir bien loin pour s’en procurer une couple pour son déjeuner. Outre les pigeons les colons chassent encore les cailles (Coturnix vulgaris) ‘), 1) Voir p. 24 de la Partie II. 2) Ptilopus Sganzini, Idem p. 115 pl. 37. 3) Turtur picturatus. Idem p. 113. 4) Idem p. 120. 120 mais cette espèce n'est pas abondante et habite les plaines et les plateaux déboisés; ce qui rend la chasse très difficile à cause des longues herbes. Enfin elle ne compense pas les fatigues qu'on doit se donner, pour tuer quelques cailles sous un ciel ardent avec des chiens, qui n’ont plus l’odorat à cause de la chaleur, et qui perdent de suite la piste, quand le soleil darde ses rayons. Les planteurs qui séjournent près des plages font des chasses à meilleur compte, après les sarcelles (Dendrocygna viduata) ), les courlis (Numenius phaeopus) ?) et les chevaliers de mer (Charadrii) *). Autrefois les habitants du voisinage de l’ilot Bouzi y chassaient aussi les pintades (Numida tiarata) *), mtroduites de Madagascar, mais à présent on ne les y voit que rarement. À Mayotte néanmoins, quoique la chasse pour un vrai chas- seur n'y signifie rien, un naturaliste y peut chasser pour le moment assez fructueusement, puisque l’île nourrit quelques espèces d'oiseaux, qui sont encore rares dans les collections d'histoire naturelle et dont les habitudes sont en grande partie inconnues aux savants. Suivons pour un moment le naturaliste dans ses chasses aux oiseaux dans les forêts, les champs et le long des rivages de l’île mahorienne. Entrons donc premièrement avec lui dans le bois où vous entendrez des cris divers d'oiseaux, et vous vous demanderez à chaque instant quels oiseaux les peuvent produire? À petits pas vous avancez plein d’in- quiétude, en vous courbant plus d’une fois pour passer à travers les broussailles épaisses vers l'endroit où vous avez entendu tantôt un cri perçant, tantôt un chant mélodieux ; vous jetez un regard rapide et curieux autour de vous dans l'attente de découvrir une quantité d'oiseaux. Tout à coup vous entendez de nouveau les mêmes sons tout près de vous; vous vous tenez bien tranquille en retenant votre haleine pour les surprendre. Qui? La quantité d'oiseaux? Oh, non! Le naturaliste vous dira que c’est seulement un couple amoureux qui réunit dans sa gorge les chants divers que vous venez d’enten- dre par intervalle. Vous regardez el vous êtes surpris par la tromperie de la mère Na- ture, qui vous a fait croire rencontrer dans ce moment une quantité d'oiseaux au lieu de deux veuves noires (Dicrurus Waldeni) 5), qui se caressent l’un l’autre d’une manière extraordinaire en produisant des cris et des chants tout à fait différents. e À ses mélodieux accents, À sa voix chaleureuse et tendre, Il est facile de comprendre Que l'amour anime ses chants. Quel phénomène curieux de la création! direz-vous, quand vous serez convaincu que les sons provenaient pour la plupart d’un seul oïseau, au lieu de plusieurs, puisque c’est le 1) Voir p. 143 de la Partie II. 2) Idem, p. 132. 3) Idem, p. 129. 4) Idem, p. 118. 5) Idem, p, 80 pl. 23, 121 mâle seul qui chante pour plaire à la femelle. Le naturaliste veut abattre ce chanteur trom- peur, mais à peine a-t-il mis le fusil en joue que l'oiseau curieux a disparu au fond de la forêt pour ne plus reparaître vivant aux yeux de ses admirateurs. Tandis que vous êtes encore en extase de ce que vous venez d'entendre et de voir, le naturaliste vous quitte. Comme un serpent il se glisse à fravers les broussailles en ligne droite vers l’asile de l'oiseau, et pendant que vous contemplez deux autres petits oiseaux, l’un brun et l’autre blanc, qui sautent tranquillement de branche en branche au-dessus de votre tête le bruit d’un coup de fusil vous indique l'endroit où il a retrouvé le chanteur. Les oiseaux, effrayés par ce son inattendu, ont changé d'arbre en vous observant fugitivement dans ce mo- ment meurtrier; car le naturaliste revient bientôt en vous montrant le corps d’un bel oiseau à longue queue fourchue, d’un plumage noir luisant avec des reflets métalliques, en vous disant: voilà le chanteur trompeur, qui n’est pas plus gros qu’un étourneau. Puis il ajoute: mes amis, les oiseaux au-dessus de vos têtes sont aussi curieux que celui que je viens de tuer. C'est-à-dire que vous pouvez admirer dans celui-ci le pouvoir du chant et dans ceux-là le changement remarquable du plumage, car ces petits oiseaux d'une robe différente, connus sous le nom de veuve brune et de veuve blanche appar- tiennent à une seule espèce (Muscicapa mutata) ‘). Ce n’est pas un couple amoureux, mais ce sont deux mâles, le blanc en plumage de noce, le brun en habit de passage. Plus loin le roucoulement des pigeons bleus ?) attire l'attention de l'observateur; vous le suivez de nouveau, il en tire deux de la cime d’un arbre élevé et il vous montre des exemplaires apparemment bien différents, car l'un est bleu et l’autre vert bronzé, en vous disant que l’une est la femelle adulte et l’autre son petit, tandis que vous croyiez au- paravant, que c'étaient des pigeons de différentes espèces. Ainsi arrivé à la lisière de la forêt, il vous indique deux cirombos (Leptosomus afer) *), mâle et femelle, que vous Jureriez appartenir aussi à des espèces différentes, tellement leurs couleurs diffèrent, mais ce n’est pas étonnant, car les savants eux-mêmes l'ont cru aussi pendant longtemps, en les indiquant sous des noms divers. Au pied de l'arbre où se trouvent ces soi-disants perroquets des colons, vous verrez sauter une petite bande de merles (Hypsipetes urovang) *), faisant entendre de temps en temps leur chant monotone. Le planteur se donne bien de la peine pour en tuer une douzaine pour se préparer un repas de grives de sa patrie, mais le naturaliste ne les dédaigne pas davantage, puisqu'ils sont pour lui non seule- ment un bon petit gibier, mais aussi qu'ils ont de la valeur pour sa collection. De là la différence entre l’arrangement de ce gibier par lui et le chasseur. Car celui-ci 1) Voir L. ce. 2) Idem L. c. 3) Idem p. 54. 4) Idem p. 96. 16 122 le plume pour le rôtir à la broche, tandis que le premier l’écorche pour en ürer un double profit, savoir: en faire cuire la chair et en conserver la peau pour ses études. C’est pour cela que vous voyez, qu'aussitôt que le naturaliste a tué quelques oiseaux, il les soigne comme des objets précieux, en mettant un peu de coton dans leurs becs et leurs narines, afin d'empêcher que le sang ne salisse leur plumage, après quoi il les met dans un cornet de papier après avoir poudré les blessures avec de la sciure de bois. Ce n'est pas pour les formes, pour la beauté du plumage, ou pour la rareté que le naturaliste conserve ces merles; oh, non! C’est seulement pour les comparer avec leurs congénères de Mada- gascar), de la Réunion ?), de Maurice :) ete.; qui offrent tous des différences notables pour la science qu'un simple chasseur ne pourrait deviner. Il en est de même de cet oiseau rouge que vous voyez dans ce haut filao. Le colon vous dira, que c’est le car- dinal, le même que celui de Madagascar et des îles Mascarègnes, mais le vrai observateur vous dit que c’est un oiseau tout à fait différent et de plus une espèce nouvelle à dé- crire 4). A la famille de cet oiseau se rattachent ces gentils pelits oiseaux que vous voyez : là en bande sautant sur les tiges des mimosas près de ce petit courant, où ils vont se baigner. Ce sont les Spermestes nana®), décrits en 1845 par le savant naturaliste Pucheran et qui sont nouveaux pour la faune de Mayotte, car lui ne les connaissait que de Madagascar. L’épervier (Nisus brutus) leur fait souvent la chasse, aimant bien la chair de ces nains, qui sont ordinairement gras. Le plus joli oiseau de Mayotte, qu'on croyait aussi originaire de Madagascar est ce petit être à reflets dorés, avec le ventre jaune orné d’une tache orangée connu chez les colons sous le nom de colibri; mais vous savez que c'est un nectarinea, car l’Amérique seule, et non l'Afrique, nourrit des colibris. C'est donc le Nectarinea Coquerelii $) si rare dans les collections d'histoire naturelle et si rare à Mayotte même, pays seul qu'il paraît habiter, puisque dans les autres îles Comores, du moims à Anjuan il est remplacé par le Nectarinea comorensis ”), oiseau différent, décrit par le Professeur W. Peters de Berlin. Parmi les petits oiseaux mahoriens, on compte aussi ceux à lunettes °), qu’on voit ce- pendant plutôt le long des chemins dans les arbrisseaux, que dans les forêts, où ils sont beaucoup plus abondants. Le naturaliste vous dira qu’ils sont inconnus dans la science, et vous trouverez cela bizarre, puisqu'on les voit, dès qu'on met le pied à la grande terre de Mayotte, par bandes de six et plus. Mais il arrive souvent qu'il ne recueille pas ces animaux qu'on trouve très communs dans le pays qu'il explore, et souvent ce sont justement des espèces rares ou inconnues pour la science. Ainsi me disait un 1) Voir p. 96 de la Partie II. 2) Idem p. 97. 3) Idem p. 98. 4) Idem p. 109 pl. 34. 5) Idem p. 107. 6) Idem p. 71, pl. 12 fig. 7) Idem p. 157. 8) Idem p. 73 pl. 19 fig. 2. 1923 jour un médecin de la marine française, habitant à Zaoudzi, qui faisait une collection pour le musée du jardin des plantes de Paris et qui voyait quelques oiseaux à lunettes chez moi: » Comment Monsieur, vous recueillez aussi de ces oiseaux! Vous qui cherchez des oiseaux curieux pour la science?” — Mais oui! Pourquoi pas?” — » Mais parce qu'ils sont tellement communs dans l’ile, qu'ils doivent être nécessairement connus depuis long- temps par les savants du jardin des plantes à qui J'ai expédié, il y a quelques années, beaucoup d'espèces d'oiseaux de Mayotte. — 7 C’est bien probable, Monsieur, mais alors ces honorables messieurs ont oublié de décrire les oiseaux à lunettes, ou ils les ont confondus avec d’autres espèces. Quant à moi, je les considère comme nouveaux pour la science, et c’est mon devoir de les faire connaître le plus vite possible à mes collègues.” — Eh bien, Monsieur,” me dit en riant le docteur, quant à moi, je ne veux pas même me donner la peine de les préparer; vous verrez que vous vous trompez.” Les oiseaux qui habitent encore les forêts de Mayotte sont des tourterelles et un pi- geon avec lequel on fera connaissance plus tard. Les tourterelles (Turtur semitorquatus) !) et (Peristera tympanistria) ?), se trouvent aussi dans les champs cultivés et sont très communs, tandis que le pigeon en question est assez rare. En parcourant les champs on observe encore les hirondelles (Cypselus parvus) *) , les saint-esprits (Merops superciliosus) +), les agrettes (Ardea ibis) *), des milans (Milvus aegyptius) ‘), des corneilles (Cor- vus scapulatus) *), peut-être aussi des papangues (Circus Maillardi) *), et des faucons (Falco communis?). Cependant les milans et les corneilles préfèrent habiter les plages plutôt que les champs, pour se régaler des ordures qu'ils y trouvent en abondance; mais aussitôt qu'on défrise les terrains par le feu pour les préparer pour la culture, ils y re- viennent de suite, pour faire la chasse aux souris, aux scinques et aux couleuvres qui cherchent à se sauver. Ce que les vautours sont pour l’Afrique continentale, les milans et les corneilles le sont pour Mayotte; c’est à dire toujours en action pour ramasser les objets pourris ou pour détruire les animaux nuisibles. Dans les parties solitaires les plages sont habitées par une quantité de hérons, qui, dès le reflux, s’y réunissent pour faire la pêche en société des courlis, des chevaliers, des sarcelles et des hirondelles de mer. Là où la côte est parsemée de pierres de roche, on voit aussi le martin-pécheur, l'oiseau le moins défiant de la plage. Il est assez difficile pour le naturaliste d'obtenir parmi ces habitants 1) Voir p. 113 de la Partie II. 2) Idem p. 114. 3) Idem p. 66. 4) Idem p. 60. 5) Idem p. 124. 6) Idem p. 44. 7) Idem p. 102. 8) Nons n'avons jamais observé ces oiseaux à Mayotte, mais ils peuvent s’y trouver accidentellement, du moins M. le Dr. Kirk les a rapportés de l’île Anjuan. Voir la Partie II p. 60. 9) Ce rapace peut se trouver aussi par hasard à Mayotte. Nous ne l'y avons jamais rencontré. M, le Dr. Sclater dit qu'il vient aussi d'Anjuan. Voir la Partie II p. 30. 16* 124 du rivage, des oiseaux curieux pour la science. S'il veut leur faire la chasse, il faut qu'il se tienne embusqué dès le commencement du reflux dans les palétuviers ou derrière une roche, pour attendre avec patience le moment où les visiteurs à longues jambes ont fait leur sieste dans les arbres du voisinage, les palmipèdes, leur toilette. La mer tombe, les courlis font entendre leur fort cri et dès que les flots font peu à peu place à la vase, ils viennent en bande pour commencer leur travail journalier, la destruction des petits mollusques et des crustacés, qui sortent de leurs asiles. Le naturaliste attend toujours avec inquiétude les autres visiteurs, en éprouvant dans les moments une odeur désagréable occasionnée par l’évaporation de la vase échauffée par un soleil ardent. Toute la côte, qu'il a devant lui, fourmille d'insectes de mer éveillés par la chaleur, ser- vant bientôt de nourriture aux bandes considérables de chevaliers, qui les abordent à l'instant, suivis de quelques petits butors (Ardea atricapilla) ) et de sarcelles (Dendro- cygna viduata) 2). Unmoment après les convives réunis au repas élèvent unanimement leurs cris pour annoncer l’arrivée des dominateurs. Ce sont leurs seigneurs, ce sont les hérons; des blancs, des bleus, des rouges, des grands, des petits, viennent l’un après l’autre. Toute la société se salue et s'apprête pour le repas. Les petits chevaliers se reti- rent devant les autres et chacun d'entre eux prend sa position suivant sa grandeur et sa force. Parmi ces petits coureurs, on observe des tournepierres (Sfrepsilas enterpres) ©), des guignettes (Tringa hypoleucos) *| des pluviers (Charadrius Geoffroyi) *) (Charadrius tenellus) ‘), des courlis (Numenius phaeopus) ”); tandis qu'on distingue parmi les grands, des aigrettes (Ardea garzetta) #), des hérons bleus (4rdea cinerea)*), des hérons rouges (Ardea purpurea) "°); tous d’une couleur plus vive et plus éclatante que ceux d'Europe. Mais tous ces oiseaux sont connus au naturaliste! A quoi bon les tuer? Plusieurs fois il ajuste son fusil; mais hélas, il ne voit pas un seul exemplaire assez curieux, et s'il en fait encore tomber un, c’est seulement pour avoir dans sa collection un représentant de la faune mahorienne, ou bien une pièce justificative de la dispersion géographique. Mais heureusement que la vue de tous ces oiseaux aquatiques le dédommage souvent de la perte du temps qu'il croyait sacrifier au profit de la science, s'il n'obtient pas un oiseau désiré. Bien souvent j'ai éprouvé aussi ce désappointement dans mes excur- sions le long de la plage, qui furent malheureusement bien des fois infructueuses pour l’ornithologie. Alors je me retirais dans ma chaumière avec la consolation d’avoir revu avec joie plusieurs oiseaux, qui m'avaient rappelé mes journées de chasse si regrettées de ma chère patrie. En outre parmi les habitants de la plage je reconnaissais plusieurs 1) Voir la Partie IL p. 125. 2) Voir p. 148. 3) Idem p. 130. 4) Idem p. 133. 5) Idem p. 129. 6) Idem p. 129. 7) Idem p. 132. 8) Idem p. 123. 9) Idem p. 122. 10) Idem p. 123. 125 oiseaux qui, Dieu le sait, avaient peut-être même visité les Pays-Bas, ou bien leurs an- cêtres y avaient séjourné. Cette question m'occupait bien souvent, quand j'avais vu des oiseaux de passage pareils aux nôtres !). CHAPITRE V. Une visite à Syda. — Noce mahorienne. — Excursion au lac de Combany. — Notre retour à Mamouzou. — Rencontre désagréable. — Pêche de coquilles sur les bancs de madré- pores. — Accident malheureux de Monsieur van Dam. — Notre position critique. — Séjour à bord du Loiret. — Réhabilitation. — Départ de la Réunion. — Relache à Nossi-Bé. — De retour à Mayotte. — Réception de M. le Commandant. — Notre voyage pour Nossi-Bé. — L'arrivée. C'était le 9 Mai 1864, que notre hôte Monsieur Chaulier nous proposa de l’accom- pagner avec sa famille à Syda, village non loin de sa demeure, situé sur la plage entre les baies de Joungony et de Boény. Dans peu de jours on y célébrait une noce ma- horienne, et il avait reçu du chef du village une invitation officielle pour assister à cette fête solennelle, si curieuse pour un européen. Après cinq jours, que nous avions em- ployés à la chasse et a la préparation de divers animaux, nous nous mîmes en route pour Syda. C'était le premier jour de Pentecôte que nous dirigeñmes nos pas en société de notre ami, sa femme, ses enfants et quelques domestiques, vers la plage qui con- duisait au village mentionné. Nous y eümes une vue pittoresque sur une partie du paysage de Kokony, situé au fond de la baie de Joungony, sur une hauteur où se trou- vait la maison de M. Chaulier et sur la pente son usine à sucre en construchon; le tout enclavé par des montagnes couvertes de forêts épaisses; c'était un coup d'oeil mag- nifique. La vallée, bordée en face par la baie, était couverte de champs de cannes à sucre entrecoupés par un chemin ombragé par de magnifiques cocotiers. Le côté gauche de cette vallée était arrosé par un petit torrent, caché par des arbres et des broussailles, dont le lit était encombré par des blocs de roche. Au bout de l’em- bouchure qui se jette dans la baie s'élève un morne assez élevé, dont la cime nue, en forme d’un pain de sucre, se fait voir du fond d’une forêt, qui couvre le pied de cette 1) Voir les notes I. c, montagne remarquable. En parcourant cette vallée nous passämes un bois de paletu- viers, situé entre des hauts blocs de granit entre lesquels croîssaient beaucoup de bada- miers colossaux (Terminalia cappa), dont les noix ont le goût d’une amande, mais plus exquis, et sont employées souvent par les colons français de cette île dans des espèces de gâteaux. Les grandes feuilles de ces jolis arbres sont aussi employées par eux dans l’intérieur du chapeau pour tenir la tête fraîche et la garantir des coups de soleil. Notre promenade le long de la côte fut quelquefois assez pénible par la quantité des roches, qui encombraient notre chemin dans beaucoup d’endroits, mais comme nous avions emporté avec nous nos fusils, nous éprouvâmes moins la fatigue par la distraction, que nous trouvâmes dans la chasse de quelques oiseaux aquatiques. Lorsque nous fûmes arrivés en vue du village, qui était situé tout près de la côte, un grand nombre de ses habitants armés de sabres et de sagayes, vint à notre rencontre pour nous recevoir et nous conduire en pompe au lieu de la fête. Le village est com- posé d’une quantité de petites cases bien bâties, dont l'entrée est étroite et très basse; de sorte qu'il est difficile pour une personne corpulente d'y entrer. Ces cases ont un ou deux appartements, meublés si simplement, que je n’y observais qu’un cubani, espèce de canapé arabe. Tout le village est ombragé par un grand nombre de cocotiers, qui y croissent à merveille et qui abondaïent en fruits. On y observe encore les ruines d’une forteresse et d'une enceinte, qui auraient été bâties par les portugais, qui ont dé- couvert ces îles; mais, quant à moi, je suis porté à croire qu’elles sont originaires des premiers habitants arabes, qui ont abordé dans ces îles dans un temps très reculé. La muraille indique surtout que sa construction est primitive et très ancienne. Une partie est couverte par un badamier d’une épaisseur telle, qu'il a fallu certainement quelques siècles, pour qu'il soit arrivé à l'état où je l’observais, et c’est d'autant plus curieux qu'il a poussé ses racines dans les fentes de la muraille, où le vent a jeté la terre, dans laquelle il a pu trouver sa nourriture pour arriver à une si forte dimension. Pen- dant que je contemplais ce phénomène botanique, notre hôte s’adonnait à la chasse d'une quantité d’échassiers, qui se promenaient à quelque distance de la plage et bientôt il nous apporta son butin, consistant en une couple d’aigrettes bleues, que je tenais pour des Ardea quiaris. Un moment après la musique sauvage nous avertit que la fête avait commencé, et nous nous hâtâmes d'y arriver promptement. Notre première visite fut pour la personne importante de la fête; c’est à dire au fiancé, qui était charmé de voir des blancs parmi ses invités. La case dans laquelle il nous fit réception nous paraîssait plus spacieuse que les autres; l’intérieur était tapissé de grands mouchoirs rouges et les planches couvertes de jolies nattes du pays. De chaque côté se trouvait un eubani, dont l’un était en forme d’un bois de lit dont la corniche était ornée d’as- siettes bigarrées et de petits miroirs ronds. Il était curieux de voir que de chaque côté des colonnes se trouvaient des cadres, dans lesquels on avait placé plusieurs flacons de différentes huiles aromatiques. Celte espèce de lit de parade était destiné à recevoir les jeunes fiancés après les fêtes de noces. Après nous être régalés d'eau de cocos, nous visitâmes la place où les danses devaient avoir lieu et où la musique des tam-tams avait commencé. Quelques-uns de ces musiciens jouaient un air monotone d’une manière bizarre, qui était accompagné de forts coups de timbales. Autour d'eux une quantité de femmes et d'hommes formaient une danse, qui n’était cependant pas autre chose qu’une promenade autour de ceux qui faisaient entendre cette musique extraordi- naire. Parmi les soi-disants danseurs s’en trouvaient quelques-uns qui brandissaient des cannes en l'air, en tournoyant à chaque instant sur une jambe et en bondissant d'une étrange manière. Plusieurs des assistants se montraient en habits de fête, tandis que d'autres étaient vêtus assez simplement. Les femmes habillées d'une symbou, espèce de jupon formée de quelques brasses de toile colorée de rouge et de bleu, portaient aussi des colliers de perles d'argent, auxquels pendait une petite boîte carrée du même métal en forme de médaillon. Leurs oreilles étaient percées de grands trous ornés de boutons d'argent, tandis que les bords percés de six petites ouvertures étaient garnis d’anneaux très minces. A l'aile droite du nez se trouvait aussi un petit bouton en or ou en argent, et outre le symbou à la hauteur de la poitrine se faisait voir une boîte à bétel en cuivre. Les mains et les pieds étaient ornés de plusieurs bracelets et le visage était coloré de jaune provenant de la sciure de bois de sandal mise en pâte. Leur coiffure était aussi simple qu'extraordinaire, puisque leurs cheveux étaient tressés très courts et que la peau entre les tresses était rasée en ligne longitudinale. Les femmes les moins riches n'avaient point ces ornements de cou et d'oreilles en argent, mais n'avaient pour s’orner les oreilles que des boutons de corne de boeuf, ou bien simple- ment une -petite bande mince roulée d’une feuille d’Angava americana. L'habillement des hommes était encore plus simple que celui des femmes, et consistait en une chemise de coton blanche bordée quelquefois de rouge, mais ceux qui appartenaient aux elasses supérieures étaient en outre vêtus d’une camisole brodée en fil d'argent. Tous avaient la tête rasée couverte d’une toile blanche ou colorée en forme de turban, mais la plus grande partie d’entre eux portaient aussi une barbe courte et une moustache, qui ne couvrait que le milieu de la lèvre comme une ligne noire. Quelques uns portaient des bonnets rouges à l'instar des arabes de Zanzibar, d’autres de petits bonnets ronds et blancs ou des bonnets de nuit européens; tandis qu’on en trouvait qui étaient chaussés de sandales très bien travaillées et qui avaient la ceinture ornée d’un large poignard arabe à garde d'argent. Après la danse de cette troupe bizarre on exécuta une espèce de duel. Les antago- nistes étaient armés de longs sabres arabes, ainsi que de petits boucliers ronds; mais je ne puis décrire ce combat amusant qu'imparfaitement. Il consistait principalement à courir l’un contre l’autre, en se tournant, se courbant et faisant des grimaces à chaque 1928 instant, en se menaçant l’un l’autre avec les sabres, sans se faire de mal; ou bien ils sautaient comme des boues ou se cachaient derrière les assistants de l’assaut, de sorte qu'on croyait voir un jeu d'enfant. Après ce spectacle, quelques-uns chargèrent des fusils d’ancien système, avec de la poudre que nous leur avions procurée, et tirèrent quelques coups pour annoncer une autre partie de la fête; alors les invités allèrent recevoir en pompe les cadeaux, qui étaient destinés à la fiancée. Les plus anciens du village avec le chef en tête rangeaient les femmes deux à deux, derrière lesquelles suivaient les hom- mes dans le même ordre. Le chef en battant le tam-tam, jetant des cris perçants, pré- cédait le cortège. Les femmes y répondaient en chantant et en battant les castagnettes; ce qui était interrompu de temps en temps par un sifflement tremblant, qu'ils produi- saient par un mouvement très vif de la langue dans la bouche largement ouverte. C'est ainsi que le cortège arriva au milieu d’un bruit étourdissant devant la cabane, où se trouvaient les cadeaux, qui consistaient en pièces de toile et en symbous coloriées. Lors- qu'on les eut acceptés en pompe, les femmes les portèrent dans le même ordre vers la place où se trouvaient les musiciens. À peine y élaient-elles arrivées qu’on étendit sur le sol une peau de boeuf sur laquelle on posa les cadeaux, parmi lesquels nous obser- vâmes des feuilles de bétel, un peu de chaux en poudre et des noix d’arec. Ces ingré- dients sont très nécessaires dans un ménage mahorien, puisque les femmes, aussi bien que les hommes, en font un grand usage; nous n’avons presque jamais rencontré de per- sonnes indigènes, qui ne se servissent pas de ces substances. Après quelque temps de musique des batteurs de tam-tam, le cortège se dirigea vers une autre cabane où l’on chercha le fiancé. Un moment après il prit place sur une espèce de chaise et à peine avait-il satisfait au désir des invités, que quelqu'un de la troupe lui rasa la tête et la barbe. Celui qui exerçait la fonction de barbier était armé d’un simple couteau, mais qui égalait un rasoir bien tranchant. Derrière le barbier se trouvaient deux femmes, qui tenaient étendue une pièce de toile pour recevoir tous les cheveux tombants ; tandis qu’une d'elles offrait à chaque instant un flacon d’eau de senteur au barbier, pour rafraichir la tête du fiancé, ce qui remplaçait en même temps le savonnage. Pendant que le Figaro était à l'oeuvre une huitaine de filles, rangées autour de lui, jouaient des castagnettes en chantant en mesure. Après cette cérémonie bizarre on conduisit le marié vers sa fiancée, tandis que le chef du village nous offrait un déjeuner, consistant en oeufs, viande, bananes, noix de coco et lait, qu'on avait rangé sur une natte sous l’ombrage de quel- ques magnifiques cocotiers. Curieux d'apprendre davantage des fêtes de noce, que je ve- nais de voir, j'interrogeai notre hôte sur les coutumes du mariage chez les indigènes de Mayotte. J'appris alors qu'elles avaient beaucoup de rapport avec celles des peuples ara- bes. C'est presque toujours le premier vendredi après le Ramadan, que les mariages ont lieu. Les filles se marient ordinairement de leur douzième à leur quatorzième an- née, el souvent les parents les ont déjà promises en mariage dès leur enfance, mais cette 129 liaison n'a jamais lieu, avant que la nature ait prouvé leur puberté. Lorsqu'un jeune homme mahorien est rassasié des amours de sa maitresse, qu'il s’est déjà procurée quand ses moyens lui permettent d'acheter et d'entretenir une jeune esclave, il cherche ordi- nairement à se marier. Alors il s'adresse au père ou au grand-père de la fille qu'il désire. S'il obtient leur consentement, il ne reçoit pas encore la liberté de voir sa fiancée, et en lui rendant visite, si elle est toute seule, il est obligé de se retirer ou d'attendre aussi longtemps, qu'un de ses parents lui ait fait part de son arrivée. Alors la fille lui fait savoir de la même manière, l'état de sa santé et de ses désirs, et le jeune homme s'éloigne pour recommencer un autre jour les mêmes visites bizarres, jusqu’au jour qu'il a fixé pour son mariage. C'est à lui alors de prendre soin de la dot de sa femme, car c’est à lui de la donner et non pas à elle; il doit aussi payer la moitié des frais des fêtes de la noce. Quand ses amis ont pris soin de l’arrangement des fêtes et des cérémonies, il se rend auprès de sa fiancée, de laquelle il n’a pas encore vu la figure et qui se trouve à ce moment voilée dans l'obscurité, au centre d’une - réunion de jeunes femmes. A peine est-il conduit en présence de sa future, qu'il lui couvre la tête en y posant les mains et en prononçant plusieurs prières pour son bonheur. Après cette cérémonie il doit la quitter aussi longtemps, qu'on célèbre les fêtes de son mariage, et il se voit privé de ses droits conjugaux jusqu'à ce que sa fiancée soit libre des visites de ses parents et de ses amies. A la fin des fêtes il est uni à sa femme pour toujours, et n'éprouve aucune interruption dans son intimité de la part de ses pa- rents et de ses amis. Après une quinzame de jours, le père ou le grand-père de son épouse vient faire la première visite, qui est suivie de celles des autres parents et amis, pour se convaincre qu'elle est heureuse dans son nouvel état. Ainsi se font ordinaire- ment les mariages parmi les habitants mahoriens; mais selon la richesse du mari, il se procure encore des maîtresses, qu'il choisit parmi ses domestiques, qui demeurent sous le même toit et qui ne donnent presque jamais aucun dérangement dans le ménage. Du reste sa femme légitime reste la première de la maison, et si elle lui donne un fils, il la soigne avec tendresse, car la naissance d’un garçon est pour lui le plus grand trésor, qu'il puisse désirer. Si c’est une de ses maïtresses qui lui donne un fils, alors il estime celle-ci plus que les autres, et si elle est esclave, il lui donne la liberté pour la ré- compenser. La bonne harmonie règne ordinairement entre la femme légitime et les mai- tresses. Elles s’aident mutuellement dans le ménage et exécutent les ordres de la première, en la reconnaissant comme l'épouse favorite de leur seigneur. Toutefois le mari traite sa femme plutôt en domestique qu'en compagne fidèle, et celle-ci lui obéit plutôt comme à un maitre qu’elle ne l'aime par amour. Les mariés se respectent, mais il règne entre eux plutôt de la méfiance que de la confiance. Le mari fait espionner continuellement sa femme par ses domestiques; de peur qu'elle ne se laisse prendre aux avances d’autres hommes, il ne lui donne que rarement la permission de sortir, 17 130 ou elle doit être entourée de ses confidentes; et il lui défend de sortir si elle est enceinte de trois mois. On conçoit que la vie que ces femmes mènent est malheureuse, mais la coutume est une deuxième nature, et fait qu’elles y sont habituées, tellement qu’elles ne sont point jalouses de la vie libre dont jouissent la plupart des femmes mariées de l'Europe. Nous étions contents de la manière dont le chef du village de Syda nous avait reçus ; nous aurions désiré assister plus longtemps aux fêtes, qui devaient durer encore toute la nuit, si notre ami Chaulier n’avait pas proposé de retourner chez lui, ce que nous ac- ceptâmes par politesse naturellement. Comme c'était le temps du flux, nous fûmes obligés de retourner par mer vers la baie de Joungony. Le chef du village avait eu la bonté de mettre à notre disposition deux pirogues dans lesquelles nous primes place avec la famille Chaulier. Un certain nombre des conviés de la noce nous conduisirent vers la plage où nous nous embarquâmes, en nous saluant de quelques salves. Le Vue de la côte ouest près la Baie de Joungoni. paysage, qui se déroulait devant nos yeux, était magnifiquement coloré par les rayons du soleil, qui allait passer derrière les montagnes. Au pied de ces mornes verdoyantes se montrait le riant bosquet de cocotiers, qui cachait en partie le village joyeux où nous venions de passer une si agréable journée. La plage que nous avions parcourue le matin était couverte par la mer’); çà et là nous vimes sur les pointes des roches, qui se montraient à fleur d'eau, quelques hérons blancs (Ardea garzetta), se reposant de la pêche de l'après-midi, tandis que plusieurs sternas (Sferna alba) *) planaient alentour, pour capturer les petits poissons, qui chassés vers la côte par la marée, se réfugiaient entre les rochers où l'eau était plus calme. Nous désirions bien en tuer quelques uns, mais cela nous fut impossible, puisque, pour ne pas exposer nos légères pirogues, nous nous éloignions de ces rochers, contre lesquels les flots se brisaient avec force. Aussi nos conducteurs noirs se hâtaient pour arriver avant la crépuscule à l’anse, afin de re- tourner promptement à Syda, pour prendre part à la danse nuptiale, qui continuait pen- dant toute la nuit jusqu'au lendemain. Nous arrivâmes donc à grande vitesse à la plantation de notre hôte, très contents d’avoir passé une journée parmi ces gens hospitaliers. Les jours suivants, je fis plusieurs tours de chasse sur la plage de la baie, où je fis collection de plusieurs hérons, qui se plaisaient ordinairement à visiter les endroits de 1) À Mayotte, la mer monte pendant les marées des équinoxes de 4m, 112 et dans les Syzygies, de 3m, 626, et la force des courants a parfois une vitesse de 3 noeuds. 2) Voir p. 150 de la Partie II. 131 pèche des indigènes, pour se régaler les premiers. Une haie, construite de branches bien serrées les unes contre les autres, formait un carré dans lequel les poissons chassés par le flux vers la côte étaient retenus pendant le reflux, lesquels sont ramassés par les femmes du voisinage, qui les partagent entre elles. Il n'était donc pas étonnant de voir Journellement à ces endroits une quantité de hérons et d’autres échassiers, volant à leur gré les poissons aux dépens des pêcheurs; mais comme ils s'emparent des petits, ne pouvant pas avaler les grands, les indigènes ne se donnent pas la peine de chasser ces gastronomes de leurs pêcheries, et lorsqu'ils me virent tuer quelques uns de ces oiseaux, ils me firent des observations pour avoir troublé ces trabans fidèles, ce qui leur porterait malheur dans leur pêche. J’attribuai leur pitié pour ces oiseaux à ce qu'une certaine espèce, l'Ardea ibis'), se trouve aussi quelquefois parmi la bande, et cet oiseau rend de grands services à leur bétail en le délivrant d'insectes et de lar- ves, qui le tourmentent continuellement. Ne voulant pas chagriner ces braves gens, Je m'abstins de celte chasse jusqu'au moment où ils eurent fini leur pêche et qu’ils! retournè- rent au village; alors je m'’entretins avec eux sur leur pêche et j'obtins en revanche quelques espèces de poissons, qui malheureusement étaient meilleurs à manger qu'à conserver dans alcool. Néanmoins j'en conservai quelques uns, comme: le Caranx hip- pos, le Crayracion immaculatus, la Hemicoris caudimaculata, le Leignathus fasciatus ete. Mais j'aurais obtenu certainement une belle collection de poissons, si le manque de temps et la cherté de l’alcool ne m’avaient pas empêché de collectionner aussi fructueusement pour l’ichtyologie que je l'aurais désiré. Dans le petit cours d’eau qui se jette dans la baie, et au bord duquel je fis souvent mes excursions cynégétiques, se tiennent des an- guilles, mais l’espèce m'est restée inconnue, et des crevettes ?) dont j'ai reçu par les soins de M. Chaulier quelques exemplaires. Pendant ce temps j'eus le bonheur d'observer un ci- rombo (Leptosomus afer), construisant son nid. L'idée d’avoir le nid de cet oiseau curieux me rendit heureux, et je me hâtai de communiquer l'ordre à mon domestique bourbonnais, qui m'accompagnait, de grimper à l'arbre où je l’avais observé. Je fus trompé dans mon attente, car le garçon en examinant le trou du gros badamier, dans lequel j'avais vu entrer l'oiseau, vit qu'il ne contenait rien qu’un nid à peine commencé et consistant en quelques brins d'herbes et de plumes. Désolé de n'avoir pu trouver ce que j'avais espéré, nous nous rendimes à l'habitation, et trouvämes en chemin une couleuvre ‘), le premier individu que nous ayons rencontré pendant notre résidence dans ces parages. Depuis longtemps M. Chaulier nous avait parlé d’une espèce de pigeon, qui se trouvait dans le voisinage et que nous n'avions pas encore eu le bonheur de rencontrer. Pourtant lui, comme nous, était désireux de l'obtenir, et c'est pourquoi nous fûmes enchantés, 1) Voir p. 124, de la Partie IT. 2) Idem Partie V. 3) Idem Partie III. 132 \ lorsqu'il nous proposa d'aller à sa recherche. Comme les occupations de notre hôte ne lui permettaient pas de nous accompagner dans la semaine et que nous avions cherché cet oiseau en vain dans plusieurs lieux indiqués, il alla lui-même un dimanche avec nous à un endroit où il était sûr de rencontrer ces pigeons. De grand matin nous primes notre route par des collines hoisées et entrecoupées de temps en temps par des champs de cannes à sucre, après lesquels nous traversämes le village de Kokony; et alors nous arrivâmes dans un breuil, lequel entourait une rizière montueuse. Nous eûmes de la peine à y pénétrer par la quantité des lianes, qui liaient les trones et dans lesquels nous nous embarrassions à chaque instant. Cet endroit était le rendez-vous des pigeons que nous cherchions, mais nous ne fümes pas heureux, car M. Chaulier me fit comprendre que nous y étions venus trop tard, et que les pigeons avaient déjà quitté les broussailles pour les rizières. Nous cherchämes longtemps, mais en vain. Fatigués de cette chasse infructueuse, nous nous reposions à peine, lorsqu'un bruit de coups d’ailes se fit entendre non loin de nous. Notre hôte, qui connaissait le terrain, me fit signe de l'’attendre, après quoi il s’éloigna en marchant sur les mains et sur les pieds, et pénétra dans les broussailles, pour aller à la recherche de l'oiseau inconnu. Quelques moments après, le coup de fusil que j'entendis, me donna l'espoir qu'il l’avait obtenu et je ne m'étais pas trompé, car un moment après M. Chaulier m’apportait un pigeon, qui m'était (out à fait inconnu et qu'il nomma: pigeon voyageur. Cet oiseau avait à peu près la taille de notre ramier, la couleur d’un beau brun-gris pourpré, excepté les plumes de la nuque, qui sont lancéolées d’un noirâtre passant au gris et bordées de blanc; et le bec et les pieds d’un beau jaune de citron. Ge fut le seul individu que nous pûmes obtenir, ce qui me contraria; car notre hôte me dit, que ces pigeons étaient très rares dans l’île et ne se montraient qu'à certaines époques. Il les tenait pour des oiseaux de passage venant du continent africain. Je ne puis constater si c'est exact, mais il est probable que celle espèce doit se trouver aussi aux autres îles comores, du moins M. le Dr. Kirk mentionne qu'il a observé à Anjuan deux espèces de Colombes, qui lui sont inconnues 1}, et qui du reste peuvent appartenir à l'espèce que j'obtins à Mayotte; laquelle mon ami le Prof. H. Schlegel à introduit dans la science sous le nom de (Co- lumba Polleni. ?) Comme le soleil commençait à piquer nous retournâmes vers l'habitation, en tuant en chemin encore quelques oiseaux pour notre collection, en revanche du maigre butm de pigeons que nous avions fait. En route mon hôte me proposa de faire bientôt une excursion de chasse au lac de Combany; j'acceptai sa proposition de tout coeur, car j'étais désireux de faire connaissance avec ces contrées; surtout dans l'espoir de trouver de nouveaux éléments pour l’histoire naturelle. En outre M. van Dam, ainsi qu’un ancien 1) Voir: On the birds of the Comoro islands by Dr. Ph. L. Sclater, dans l’Ibis 1864. 2) Idem p. 112, pl. 35 de la Partie IL. 153 sous-oflicier des zouaves, qui était employé à la plantation de M. Coulon à Anjongou, devaient aussi être de la. partie, qui devait avoir lieu le lendemain de grand matin. Le 19 Mai nous nous mimes en route, en traversant premièrement le petit torrent avec lequel nous avions déjà fait connaissance ; après quoi nous montâmes le petit sentier qui serpentait par la forêt de la montagne voisine et aboutissait à un haut plateau verdoyant, où nous tuâmes quelques pigeons rouges (Turtur picturata), qui devaient nous servir de déjeuner. Après avoir traversé un breuil, nous arrivämes dans une savane, qui s’étendait à perte de vue et qui était couverte de longues herbes d’une hauteur d'homme et enclavée entre des forêts épaisses. En parcourant celte vaste plaine , nous observâmes plusieurs gué- piers, qui étaient en mue, et à ceux que nous tuâmes il manquait les longues rectrices du milieu, et la couleur vive dont ils brillent ordinairement. La vue de ces Saint-Esprits, dans ce lieu monotone me frappait beaucoup, puisque ces oiseaux élaient en pleine activité à faire la chasse aux insectes, qui passaient au vol. C'est-à-dire que ces oiseaux se tenaient sur les arbres nus, isolés, desquels ils volaient à cha- que instant où un insecte passait, en décrivant un demi-cercle autour de l'arbre, et revenant sur la même branche de laquelle ils avaient guetté leur petite proie, et en faisant entendre leur fort eri kirio-kirio. Le bruit même d’un fusil, faisant long feu, ne les empécha pas de conti- nuer à l'instant leurs mouvements Joyeux. Né- Le Saint-Esprit (Merops superciliosus). anmoins il ne nous fut pas possible de faire en route une chasse régulière, ou de ras sembler des objets d'histoire naturelle. En outre nous avions de la peine à suivre no- tre hôte, qui allait à grands pas, pour arriver avant la nuit à la plantation de M. Bour- cher, où nous espérions trouver un logis. Nous traversämes alors le village de Rouveny, qui nous parut une oasis dans cette savane, par le bosquet de cocotiers , qui ombrageait ses cases, et nous descendimes un sentier qui nous conduisit dans un vallon boisé et couvert d'une végétation luxuriante. Le contraste du nouveau paysage avec celui que nous ve- nions de quitter était grand, el donnait une agréable variation à notre course. Le che- min que nous primes alors par une forêt épaisse, qui s'étendait devant nous, était couvert çà et là d’une quantité de petites oranges d'une odeur aromatique et d’un goût suave, auxquelles notre hôte donnait le nom de vangasayes. Une partie de la forêt était un vé- ritable oranger, riche en fruits, qui se montraient entre le feuillage épais, comme une masse de boutons d’or. En contemplant au dessus de nos têtes cette richesse, nous ob- servâmes plusieurs maquis, sautant dans les cimes de ces arbres pour se régaler des fruits mûrs, qu'ils choisissaient avec une adresse élonnante, lorsqu'ils furent troublés par notre 134 passage. À leur exemple nous eûmes aussi bientôt la poche pleine, eb nous mangions avec un vrai plaisir les petites oranges rafraïchissantes et parfumées que nous n’avions que la peine de ramasser. Je me rappelai alors le nom de vangasaye, mentionné par le conteur horticulteur de Saint-Denis, qui m'avait dit que cet oranger était originaire de Madagascar, et je le trouvais maintenant à Mayotte. En étudiant cet arbre, je vis que M. Flacourt') était le premier qui l'avait fait connaître, que M. Bory de St. Vincent ?) l'avait décrit parfaitement, et que M. L. Morel) avait donné une belle figure des fleurs, des fruits et des feuilles dans l’Album de la Réunion, en les désignant comme apparte- nant à une variété du Citrus aurantium Linn. Lorsque nous traversions cette magnifi- que forêt, nous nous amusâmes du chant de quelques oiseaux connus, parmi lesquels les cris perçants des cirombos retentissaient dans les cimes des arbres. La route, que nous suivimes après, serpentait tantôt dans les contrées hautes tantôt dans les basses, arrosées par plusieurs petites cataractes, jusqu'à ce qu’elle fut barrée par une forêt, qui entourait une vallée couverte de cocotiers, au fond de laquelle se trouvait un village. Nos com- pagnons supposaient que derrière la montagne, qui se présentait devant nous et qui ter- minait la vallée, devait se trouver le lac de Combany, mais comme nous nous étions écartés du chemin, faute d’un guide, nous ne pouvions plus atteindre ce jour-là le lieu désiré; aimsi nous dûmes remettre notre visite au lendemain, et nous nous décidâmes à prendre le passage de Bonjony pour arriver à la plantation de M. Bourcher, dans l'espé- rance d'y passer la nuit. En nous y dirigeant, nous eûmes l’occasion de jeter un coup d'oeil sur les contrées fertiles, qui abondaient en bananiers de diverses qualités, d’oran- sers, de citronniers, d’arbustes de manioc, de sagotiers, de dattiers, de cocotiers et d’autres palmiers du genre Areca; parmi lesquels il y en avait qui portaient le choux-palmiste, qui constitue un mets aussi excellent que notre chou-fleur, et qu’on mange de plusieurs manières. Pendant notre passage dans ces charmantes contrées, nous eûmes beaucoup à souffrir des jeunes datliers, qui, par les épines des tiges de leurs feuilles, nous causaient des piqures douloureuses aux pieds. Plus nous avancions vers la plantation, plus la contrée devenait fertile en plantes utiles; le sol peu accidenté était couvert, en plusieurs endroits, de champs de cannes à sucre, dont nous admirions la hauteur et la grosseur prodigieuse, qui surpassaient bien de moitié celles que nous avions vues à l’île de la Réunion. Dans ces lieux pleins de charmes se trouvaient la plantation et les usines de M.M. Bour- cher et Fémerau: partout des points de vue pittoresques se présentaient à nos yeux: ici de grandes et magnifiques forêts; là des clarières et des vallées verdoyantes ou des collines onduleuses, qui au loin étaient dominées par les montagnes, dont la couleur rougeâtre donnait à ce coup d'oeil un aspect à la fois imposant et riant. 1) Voir pag. 124 et 125 de l'Histoire de Ja grande isle de Madagascar. Paris 1661. 2) Idem pag. 296 et 297, t. I, du Voyage dans les quatre principales îles des mers d'Afrique. Paris 1804. 4) Idem pag. 39 et 40 de l’Album de la Réunion. St. Denis 1862. 135 En arrivant à l'habitation, nous apprîmes avec regret que les propriétaires étaient ab- sents, mais que le lendemain on attendait M. Bourcher de retour. Comme M. Chauler connaissait son hospitalité, il pria la ménagère d’arranger des appartements pour nous, et bientôt après nous étions installés aussi bien que possible. Alors un excellent souper nous remit un peu de notre course du jour, et le repos de la nuit acheva de rendre des forces à nos membres fatigués. Le lendemain, 20 Mai, nous fimes connaissance avec M. Bour- cher, qui arrivait de Zaoudsi, où il avait assisté comme membre à l'assemblée du con- seil colonial. Il nous fit une réception cordiale et nous invita à demeurer quelque temps chez lui, pour faire des excursions dans le voisinage. Nous étions enchantés de son of- fre, mais nous regrettämes en même lemps le départ de M. Chaulier, qui ne pouvait rester avec nous, vu que ses affaires l’appelaient chez lui. Il était très content pour nous, et nous souhaita bon succès, en nous attendant quelques jours plus tard de retour à la baie de Joungony. Nous voilà donc près du lac de Combany, que nous visitâmes en- core avant l'heure du déjeuner. Malheureusement M. Bourcher fut empêché pour le mo- ment de nous accompagner, mais ne voulant pas déranger notre projet, il nous procura un de ses domestiques pour guide, à condition que nous serions de retour pour pren- dre le déjeuner avec lui, et qu'alors il irait lui-même avec nous vers le soir faire la chasse aux sarcelles. Désireux que nous étions de voir ce lac, dont on nous avait tant parlé, nous nous miîmes en route en passant par la plantation de M. Toudic, et nous dirigeant par une petite prairie où voltigeaient plusieurs martinets, que nous n'avions pas encore observés jusqu'ici. Nous en tuâmes une couple et nous les reconnûmes le Cyp- selus parvus !), espèce répandue dans plusieurs contrées du continent africain, ainsi qu'à Madagascar. De la prairie nous descendimes la pente d’une colline couverte de brous- sailles épaisses, pour arriver dans un vallon enclavé par des forêts, au milieu duquel se trouvait un petit étang, au lieu d’un lac. Jamais nous n’aurions cru que la surface en fût si petite, d’après ce qu’on nous en avait dit; et nous le comparämes aux étangs du bois de la Haye, ou à ceux du bois de Boulogne. Malgré ce désappontement nous fûmes dédommagés par la vue pittoresque de cette pièce d’eau, bordée par des gazons d'une verdure tendre, parsemés d’une quantité de plantes marécageuses. Les arbres qui l'ombragaient se présentaient comme un amphithéâtre de vastes colonnes au milieu de broussailles impénétrables. Une atmosphère humide nous entourait, et le sol trempé et échauffé par le soleil évaporait visiblement. Le calme d’une si belle nature, qui règnait ici, était interrompu de temps en temps par le barbotage de quelques sarcelles (Dendrocygna vi- duata) , qui habitaient ce lieu solitaire et qui étaient inquiètes par notre visite inattendue. La diversité de couleurs des différents feuillages, colorés par la lumière des tropiques, offrait un tableau riant. Le chant des merles, des veuves et les cris aigus des maquis se 1) Voir p. 66 de la Partie II. 136 faisaient entendre du fond des forêts d’alentour, lorsque nous nous y trouvâmes quelques instants sous la première impression de notre contemplation. Notre vif désir était de posséder quelques-uns des nageurs, qui attiraient alors notre attention. Nous commen- çâmes la chasse et nous fûmes étonnés, que malgré un ou deux coups de fusil, les sar- celles au lieu de prendre le vol, tenaient plutôt l’eau. Le guide qui nous accompagnait nous fit observer, que les oiseaux étaient en mue et qu'ils avaient perdu les rémiges. C'était curieux de voir comme la bande voulait se sauver tantôt en plongeant, tantôt en se tenant au milieu de l'étang, qui était assez large pour que le plomb ne püt avoir d'effet. Enfin il était bien difficile de les abattre, mais après une chasse active je réus- sis pourtant à me procurer un seul exemplaire, néanmoins non sans peine, puisque la sarcelle tuée se trouvait à une grande distance du rivage; et si notre guide ne nous l'avait pas apportée à la nage, nous aurions dû arriver sans plumes chez notre hôte. Outre les sarcelles, nous observämes encore un petit grèbe'), mais il nous fut impossible de l'ob- tenir; en outre le temps du déjeuner était bien avancé et nous devions revenir à l’ha- bitation, afin de pouvoir retourner vers le soir avec M. Bourcher. Nous passâmes la journée à préparer des oïseaux, et dans la soirée, nous nous rendimes avec notre hôte à l'étang, espérant être plus heureux dans notre chasse; mais nous fûmes désappointés, car nous ne tuâmes qu'une seule sarcelle. Nous y observämes une quantité de petites aigrettes (Ardea ibis), qui se reposaient dans les arbres à la lisière des forêts, et plu- sieurs qui pêchaient au bord de l'étang, tandis que quelques roussettes (Péeropus Ed- wardsi) planaient à fleur d’eau comme les hirondelles. Nos excursions de chasse dans ces parages furent très infructueuses, ce qui fit que nous ne voulûmes pas rester plus longtemps à l'habitation de M. Bourcher, bien qu'il nous eût reçu en ami et de la manière la plus hospitalière. C'est pourquoi nous retournâmes le lendemain dans l’après- midi vers la baie de Joungony, qui était pour nous plus avantageuse. Avant de partir nous fimes encore avec notre hôte une promenade dans sa plantation et regardâmes avec attention ses usines, ses magasins et d’autres bâtiments, ainsi que son jardin potager. Nous étions étonnés, lorsqu'il nous fit part que tout ce que nous voyions datait de peu d'années; car lorsqu'il s’y établit, ces contrées étaient encore à l'état sauvage, couvertes de forêts impénétrables, sans les moindres routes de commu- nication. À présent ces lieux offraient un grand nombre de champs plantés de cannes à sucre, de manioc, de cafiers et d’autres plantes utiles, traversés de tous côtés par des grandes routes et des conduits d’eau. Le zèle, la capacité et la persévérance avec les- quelles M. Bourcher a transformé ces contrées est d’autant plus remarquable, que les 1) Probablement le Podiceps minor. M. le Dr. Kirk a observé aussi des grèbes au lac Zulanza à Anjuan. Ilendit: It is quite unknown elsewhere in the island. The natives of Johanna go every year at certain times to worshipit, and burn incense to it on an altar. A large fish shares with it the divine honours.” Voir p. 9. On the birds of the Co- moro islands by Dr. Ph. L. Sclater 1. c. 137 moyens qu'il avait à sa disposition étaient bien difficiles à obtenir dans un pays, où la main d'oeuvre à la manière européenne était encore dans son enfance, que le transport des matériaux sans routes praticables et les travaux de défrichement étaient fort coûteux, que les ustensiles nécessaires à un travail rapide manquaient, et que de plus les hommes in- digènes , qu'il devait employer, n'étaient pas accoutumés à ce genre de travail. Enfin M. Bour- cher a prouvé par ses travaux, qu’il appartient à cette classe de colons, qui savent tirer en peu de temps par une habile organisation, les avantages qu'on peut espérer d’un sol reconnaissant, comme celui de Mayotte. Les produits, que ces champs cultivés procurent, lui font espérer que sa résidence dans la colonie sera couronnée bientôt d’un plein suc- cès, qu'il n'aura pas à se reprocher que le temps, employé par lui à la plantation des cannes à sucre dans les contrées de Combany, a été infructueuse; mais au contraire il peut avoir la ferme conviction, qu'il pourra quitter un jour la colonie, comme un homme qui par son zèle a obtenu la récompense de ses travaux. Aussi tous les colons donnent à M. Bourcher l’hommage du mérite d’un savant travailleur, à qui la colonie doit beau- coup pour l'exemple de ses travaux agricoles. Quoique notre séjour à Combany n’eût pas été heureux pour nos excursions de chasse, il avait été néanmoins très utile par la connaissance, que nous avions faite de l’homme que je venais d'admirer, car j'appris beaucoup par lui sur l’île mahorienne, qu'il avait étudiée profondément et qu’il aimait comme sa seconde patrie. À notre départ M. Bour- cher nous accompagna jusqu’au village de Rouvoly et nous procura un de ses domesti- ques, pour nous indiquer plus loin le chemin jusqu'à l'habitation de M. Chaulier. Après nous être rafraîchis dans ce village de l’eau de cocos, nous fimes nos adieux à M. Bour- cher en le remerciant de sa réception hospitalière, et dans l'espoir de nous revoir plus tard. Nous primes un autre chemin, que celui par lequel nous étions venus, et allämes de Benjony à Kokony par une contrée basse et boisée, arrosée par plusieurs petits cours d'eau, en passant par les villages de Rouvony, de Kaony et de Bandacony, où nous n’ob- servâmes rien que d'humbles chaumières; enfin nous arrivämes vers midi à la plantation de Joungony. Comme nous ne voulions pas abuser de la bonté de M. Chaulier, nous résolü- mes de retourner bientôt à Mamouzou, afin d’arranger nos collections et de nous informer quand nous aurions une occasion de partir pour l’île de Nossi-Bé, désireux que nous étions de commencer nos excursions à Madagascar, qui devait nous offrir un champ plus vaste à nos recherches scientifiques, que l'île mahorienne. Reconnaissants de l'hospitalité gé- néreuse de M. Chaulier et de sa famille, nous quittâmes le lendemain, le 22 Mai, son habitation, heureux d’avoir obtenu une belle collection d'animaux. Après avoir expédié nos bagages, nous partimes, favorisés par une belle matinée jusqu'à la plantation de M. Bouchon, où nous déjeunâmes. Après quelques heures de repos, nous continuâmes no- tre route et arrivämes dans l'après-midi à notre demeure, où nous retrouvämes tout en bon ordre. A peine étions-nous de nouveau installés à Mamouzou, que nous fûmes trou- 15 158 blés par la rencontre désagréable de l'individu, qui nous avait accompagnés auparavant dans nos chasses... Il avait porté plainte contre moi chez le juge de paix pour réclamer une somme considérable, pour les services qu'il prétendait m'avoir rendus, et un huissier me vint prévenir de me rendre devant le tribunal‘), sous peu de jours. Je me rendis immédiatement à Zaoudzi pour faire savoir au commandant supérieur et au juge l'affaire en question, mais comme le procès devait avoir son cours, 1l ne me restait rien à faire que de me justifier devant le tribunal. Je défendis ma cause aussi bien qu'il m'était possible, mes témoins constatèrent que je ne devais rien, et le juge m'acquitta de la plante portée par cet homme, dont la moralité douteuse était connue de tous. En quittant le tribunal, l'individu me menaça de me poursuivre partout et de me tendre de toutes les manières des pièges, pour se venger de moi; mais on comprend bien que je n'y fis pas la moindre attention, et pourtant, chaque rencontre de cet homme m'était désagréable et me fit souhaiter bien des fois de ne l'avoir jamais connu. Pendant le temps que nous rési- dâmes encore à Mayotte, nous fimes des recherches sur les bancs des madrépores pour obtenir des coquilles et des coraux, qu'on y trouve en abondance, mais dont une grande partie sont les mêmes que ceux des mers des Molluques et qui ont peu de valeur pour la science. Nous fümes redevables à l’obligeance du commandant du génie, qu’un caporal de son détachement, nommé Smit, nous accompagna dans ces excursions et nous prêla aussi une embarcation indispensable pour ces recherches. Le caporal connaissait assez bien les lieux fréquentés par les mollusques; comme il était chargé par son chef de la pêche des coraux, dont on se servait pour la fabrication des chaux pour les construc- lions en maçonnerie du gouvernement, il avait souvent ramassé de jolies et curieuses coquilles pour son chef qui, grand amateur de la conchologie possédait déjà une riche collection. Heureux d’avoir un guide si capable, nous allâmes plusieurs jours à la recher- che des coquilles, qu'on trouvait à la marée sur les bancs des madrépores de la baie de Pamanzi. , Come with me, and we will go Where the rocks of coral grow.” Haypx. La mer de l'ile Mayotte est pour ainsi dire couverte de bancs de madrépores, et l’île même repose sur les fondements de matières provenant de ces faiseurs de monde, comme disait Michelet. Rien n’est plus remarquable que de voir à la marée basse, ce nombre infin de branches calcaires, pulpeuses ou filandreuses, formant une broussaille épaisse, couvrant le fond de la mer. La vue des diverses couleurs éblouissantes, que cette masse offre à l'observateur, est imposante et pittoresque. Partout il remarque ce monde varié et fécond ; il lui semble voir un lit de fleurs entre des collines sculptées de toutes formes; ce sont les coraux pierreux, qui datent de siècles et qui s'élèvent avec une rapidité 1) Voir pag. 276 et 277 de l'ouvrage de M. Rambosson, Les Colonies Françaises. Paris, Ch. Delagrave, 1868: 159 surprenante, en formant en peu de temps de récifs visibles, contre lesquels les flots se brisent avec violence, en jetant les morceaux broyés à une grande distance sur les côtes qui en sont blanchies. La transparence de l’eau lui permet de distinguer, parmi cette diversité des polypes de loute nature, des myriades d'êtres curieux. A chaque instant des scènes nouvelles se déroulent devant ses yeux, et il est stupéfait du spectacle féerique auquel il assiste. Il ne sait ce qu'il doit collecter. Il est venu chercher des coquilles , mais il ne peut s'empêcher d'admirer spontanément les polypiers qui l'entourent, quand il met le pied sur le sol brisé et glissant, pioché en tout sens par des Pholades. M ne peut prendre congé des Caryophyllies, des Astrées, des Verétilles et tant d'autres Aca- lèphes, qui ravissent son esprit d'admiration et de respect pour le créateur de ces mer- veilles du monde animé. Toujours en contemplätion devant la diversité de ces êtres, il pense à s'approprier de cette richesse sous marine, quelques polypiers vivants. A peine les a-til trés hors de l’eau, qu'il est surpris que les couleurs au dessus de toute descrip- ton, rivalisant avec celles de l'arc-en-ciel, disparaissent après quelques moments et que les branches de ces arbrisseaux animaux, raides et pleins d’élasticité, deviennent mous et répandent une odeur désagréable de poisson. S'il les met dans l’alcool le plus faible, elles ne représentent qu'une masse mollasse décolorée, qui ne donne pas la moindre idée de leur beauté naturelle, dont elles brillent sous l’onde pure. S'il veut les étudier, il est obligé de les placer immédiatement dans l’eau de mer, qu'il doit renouveler plusieurs fois; alors il peut observer les couleurs, qui quoique moins vives, conservent néanmoins assez de fraîcheur, pour en faire un dessin au pinceau. Il est aussi bien difficile de dé- tacher les branches calcinées des corallaires des roches ou des blocs madréporiques sans les casser, et les nettoyer des substances gélatineuses, dont elles sont ordinairement pourvues. Enfin l'observateur se contente de ce qu'il peut obtenir pour la science, quand il ne peut emporter un trophée de ces riches contrées de la mer, de ces lieux qui abon- dent d’Anthelias, d’Antipathes, de Gorgonias, de Lithophytas, représentés par les Po- cilloporas, Caryophyllias, Oculinas, Milloporas, Astreas, Povonias et d'autres coral- laires. Cette vaste forêt zoomique contient une foule d’Acalèphes, d’Asterias, d'Ophiuras, d'Echinometras, d’'Holothurias, de Medusas, de Rhizostomas, ainsi qu'une quantité de coquilles, de crustacés et de poissons. C'est un vrai magasin du règne animal, où l'on est frappé à chaque pas de la diversité des formes, sous lesquelles il se fait connaître. Heureux le collectionneur qui se trouve sur ces lieux pour se consacrer tout-à-fait à l'étude de ces trésors de la mer. Hélas! le naturaliste ambulant ne peut pas satisfaire toujours à ses désirs de rassembler et d'étudier tout ce qu'il admire. Souventil n’a que l’agréable sou- venir des choses qu'il a observées, quelques lignes qu'il insère dans son journal de voyage, le dédommage du regret, qu'il éprouve de ne pouvoir emporter le fruit de ses recherches, par manque des fonds nécessaires ou à cause de l'embarras de l'emballage et du transport 18* 140 coûteux et difficile. Bien des fois 1l prend alors congé avec tristesse d'objets curieux, souhaitant revenir un jour chercher ce qu'il n’a pu emporter par des circonstances indé- pendantes de sa volonté. On doit regretter pour la science de ne pouvoir pas toujours en- richir ses temples des représentants de la nature, qu'on voit en abondance et qu'on n’a qu'à ramasser. On pourrait le dire à juste titre des bancs de madrépores , sur lesquels nous fimes nos recherches de coquilles, représentés par une quantité de diverses espèces, comme des Cones magnifiques, des Sirombidés de toutes grandeurs, de Pferoceras bizarres, de Cy- praeas variées, de Mélanudées et Turritellides de toutes formes, de Turbininines, d'Astralunes, de Haliotidés et de Chitonidés curieuses, ainsi qu’une quantité d’autres gas- téropodes. De Vénéridés, de Petricolides, de Cyprinides, de Cardudés, de Tridacnides , de Lucinidés, d'Unionidés, de Mytilidés, d'Aviculides, de Pectinacés, d'Ostreides, enfin toutes ces familles d'Acéphales, représentées par tant d'espèces variées, rivalisant en diver- sité, en beauté et en modèle, vivaient dans ces lieux en société des crustacés, comme de Calappidés, de Paguridés et d’autres carabes ‘), qui se promenaient parmi ce monde paisi- ble, tandis que çà et là se voyaient des poissons de magnifiques couleurs du genre Searus et Chactodon parmi lesquels ceux armés d’une cuirasse pleine d’épines, appartenant au genre Holacanthus et Tetraodon, nageaient avec agilité sous les rameaux de corail; et quoique entourés par tant d'animaux de différente nature, il nous était souvent impossi- ble de faire des hécatombes dignes d’un vrai collectionneur, et le maigre butin que nous rapportions ordinairement de nos recherches de ce genre nous attristait par les difficultés que nous éprouvions, en cherchant en vain des espèces rares et inconnues. Si nous avions eu les yeux d’un Cumming, d’un Ehrenberg, d’un Milne Edwards, d’un Quatrefages, nous aurions certainement eu plus de chance d'obtenir des espèces de corallaires et de coquilles de grande valeur. Vraiment il faut avoir un regard pénétrant pour trouver parmi ces habitants de la mer des nouveautés; ainsi nous partageâmes le sort de beau- coup de nos collègues, qui ont été aussi malheureux que nous dans les recherches de ces invertébrés. Aussi des excursions comme celle du 5 Juillet ne nous encourageant pas du tout; car lorsque nous nous rendîmes aux bancs des madrépores, situés dans la baie de Pamanzi, je fus attaqué d’une fièvre si violente, que mon corps devint tout à coup comme glacé, sous une température de 90° Fabhr. et que je tremblais de froid, enve- loppé dans une couverture. Dans cet état je ne pouvais plus aller à la recherche des mollusques, et je fus retenu par cette grave indisposition dans l’embarcation, qui nous conduisait. Mais un autre accident plus grave encore vint interrompre nos recherches. M. van Dam, qui s'était rendu avec nos canotiers sur les bancs eut le malheur de tomber avec le genou sur un bloc madréporique. Mon infortuné ami resta sur la place, et l’on 1) Voir pour nos découvertes des corallaires, mollusques et crustacés, la partie V. 141 fut obligé de le porter sur les épaules dans l’embarcation. La chûte qu'il avait faite lui occasionnait une telle douleur, que nous craignîimes qu'il ne se fût cassé la jambe. Nous nous hätâmes alors de retourner à Mamouzou, et je n’ai pas besoin de dire que nous n’eûmes plus le goût après cet événement d'aller à la recherche des coquilles sur cette place de malheur, et que nous remimes nos recherches à un temps plus éloigné. — À peine fûmes-nous revenus à terre que nos canotiers portèrent M. van Dam sur un brancard à notre demeure. Je me trainai après lui, malade d’une forte fièvre, au bras du brave caporal Smit, qui nous avait soignés avec bonté dans cette position mal- heureuse. Revenus dans notre modeste cabane, on porta le pauvre van Dam au lit, et quoique moi-même souffrant, j'examinai aussitôt sa jambe et je pansai son genou, qui élait disloqué. Sa douleur était très vive, mais heureusement en lui donnant les médi- caments nécessaires, il se remit peu à peu des premières émotions du mal, qu'il avait éprouvé par sa chüte. Le repos lui était indispensable, et quoique à contre coeur, cet homme actif dut garder le lit. Par les soins de notre domestique bourbonnais, qui le soignait avec attention et avec douceur, il put après quelques jours reprendre quelque travail, mais il fut obligé de mener pendant plusieurs semaines une vie sédentaire. Quant à moi, après un traitement de quelques doses de quinine, la fièvre m'avait quitté en peu de temps, mais un autre malheur, pour le moment plus grave encore, vint me frapper. Ayant cru que nos lettres de crédit sur la banque d’escompte de Paris seraient acceptées aussi à l'île Mayotte, et que l'or anglais qui nous restait était de la monnaie courante dans cette colonie, nous nous vimes tout à coup trompés dans cette attente, car la banque n'avait pas de représentant à Mayotte, comme à l’île de la Réunion et l'or ne fut accepté qu'avec des pertes considérables. Que faire dans ces conditions péni- bles? La maladie de mon ami d’un côté, et le manque d'argent de l’autre, m'affligeaient infiniment et me firent tomber pour un moment dans une profonde mélancolie. Dieu merci je vis apparaître dans ce sombre horizon un rayon d'espoir. L'idée me vint de demander conseil au commandant supérieur dans cet état désespéré, et je me rendis à Zaoudzi pour pouvoir régler notre position et savoir comment faire dans ces circonstances pénibles. Je fus reçu cordialement par le chef de la colonie, qui me consola en me donnant le conseil de retourner à la Réunion, pour obtenir les fonds nécessaires, afin de pouvoir continuer mon voyage, et en me permettant d'échanger l'or anglais au trésor colonial, contre de la monnaie courante, à condition de le reprendre aussitôt que je pourrais lui rembourser la somme. Pour le moment j'étais comblé de joie, mais en y réfléchissant, je craignis qu'en me rendant à la Réunion, je risquerais de m'absenter trop longtemps et d'abandonner mon compagnon de voyage dans un état de détresse. En outre ce n’était rien que d'aller à St. Denis, mais la grande question était de revenir promptement, puisqu'on ne pouvait jamais compter sur une occasion directe de transport. Ce devait être done un jeu du hasard; et pour risquer une telle entreprise le courage et la persévérance me manquaient : et pourtant je devais supporter le sort où Je m'étais placé. Que faire, mon Dieu ! dans ces moments difficiles? me demandais-je à chaque instant. La tête me brûlait lorsque je retournais à ma cabane, pour consulter mon ami souffrant sur la proposition que je devais lui faire et qui me paraissait impraticable. Enfin nous nous concertâmes aussi bien que possible sur ce qui nous restait à faire. Heureusement pour moi que M. van Dam se soumit avec résignation à ma résolution de me rendre à la Réunion; puisque c'était le seul moyen de nous faire sortir de l'embarras dans lequel nous nous trouvions. Le len- demain nous reçûmes une visite inattendue du gouverneur, qui ayant appris l’acci- dent de M. van Dam, venait lui témoigner sa sympathie; il me promettait de faire soigner, pendant mon absence, mon infortuné ami. En même temps il me fit part qu'il attendait chaque jour un navire de guerre de la Réunion avec des troupes pour remplacer la garnison actuelle de Mayotte; et il promit de me donner un passage gratuit à bord, quand le navire retournerait. Enchanté de l'offre généreuse du digne gouverneur, je me trouvai tout à coup remis de la pémble émotion, que j'avais éprouvée, et je me sentis le courage de braver les obstacles, qui pouvaient entraver de nouveau mon ave- mir. Deux jours après celte heureuse visite, le beau navire de transport Loiret entra dans la baie de Zaoudzi, et à peine était-il mouillé que je reçus une invitation du gou- verneur de venir diner avec lui, afin de faire connaissance avec le commandant du navire de guerre venu sur rade. Je me hâtai d'accepter l'invitation et je me félicitai d'avance de l’occasion favorable d’être présenté au commandant avec qui j'aurais le plaisir de me rendre à Saint-Denis. Notre rencontre ne pouvait être plus agréable, car le commandant me traita en ami et me promit non seulement un passage sur son bâti- ment, mais il insista pour me faire accepter un appartement dans sa cabine et partager ses repas. Je ne pouvais qu'être reconnaissant des bontés de ce généreux et complaisant marin, et en le remerciant pour les marques de sympathie, qu'il voulait bien me té- moigner, Je le priai de m'excuser, craignant de déranger son ménage à bord. de lui exprimai, que je serais déjà très content, s’il m’accordait une place à la table de l’état major; ce qu'il m'accorda en souriant, mais à condition de lui faire le plaisir de prendre le logement qu'il venait de m'offrir. Bientôt j'eus préparé le bagage pour mon départ prochain, après avoir pris soin de la position de M. van Dam, que je laissa à Mayotte avec notre domestique bourbonnais. Le 28 Juin fut pour nous un jour de tristesse: c'était pour la première fois pendant notre voyage que nous devions nous séparer pour quelque temps, et encore dans des conditions déplorables, qui devaient interrompre pour une durée inconnue nos explorations à peine commencées. Et pourtant ces désappointements ne nous décourageaient pas, grâce aux projets d'avenir qui nous apparaissaient plus avantageux que nous n'avions espéré. En nous sérrant cordialement la mam et en implorant de notre protecteur céleste notre 145 prompte réumon, notre santé, et notre prospérité mutuelle, je me rendis à bord du Loiret. Le commandant, M. Tétar de Cosquer, me fit réception d'une manière affable et tint parole. Je reçus un appartement, arrangé très confortablement, dans sa cabine; j'étais très reconnaissant pour son offre, puisque à cause du grand nombre des passagers il y avait à peine les logements nécessaires pour chacun; de sorte que plusieurs d’entre eux durent se contenter de ce qu'ils pouvaient obtenir. La diversité des passagers était grande, car il y avait des fonctionnaires civils, des officiers de différents grades, des missionnaires jésuites, des soeurs de charité, des planteurs et des négociants, outre les soldats qui logeaient sur l'avant. L’encombrement sur le pont, par la quantité de malles de ces personnages, élait très gênant pour les manoeuvres des matelots pendant l’appa- _reillage. Le navire libre de ses ancres, commença lentement sa course, guidé par un pilote mahorien dans les passes étroites entre Mayotte et Zaoudzi. Il augmenta sa vapeur lorsque l'ilot Bandeli se trouva derrière nous et que nous quittämes la vaste baie pour entrer dans l'océan indien. Après le départ du pilote, on commença à serrer le bagage et chacun arrangea de son mieux son logement, car par la quantité du monde, il n’y avait que peu de place à bord. dJ’étais le seul des passagers qui eût un appartement convenable, même les ofliciers, les missionnaires et les soeurs de charité, devaient se contenter des hamacs, qui se trouvaient dans l’entrepont, séparés les uns des autres par des voiles pour rideaux. Grâce à la bonté du commandant j'étais plus favorisé qu'eux, et c'était certainement à cause des recommandations ministérielles que j'avais obtenues, car à peine connu de M. Tétar, je ne puis m'expliquer autrement les attentions délicates avec lesquelles 1l me traita. Pendant la traversée, j'eus l’occasion de faire des connaissances agréables parmi les officiers de l'état-major et les passagers, et je n'oublierai jamais les soirées amusantes, que je passai avec eux, soit en jouant soit en causant. La résidence des missionnaires et des soeurs de charité nous donnait souvent une occasion de jeter un coup d'oeil dans la vie intime de ces gens religieux, et nous fournissait souvent des conversations animées. Ces gens vivaient dans la meilleure har- monie et c'était frappant de voir comme ils se soignaient les uns les autres. Les pères se chargeaient ordinairement des besognes désagréables des soeurs, dans le voisinage direct desquelles ils s'étaient permis d'installer leurs bivouacs, afin de pouvoir offrir di- rectement leurs services aussitôt qu'elles en auraient besoin. Les pauvres filles souffraient beaucoup du mal de mer, et causaient bien des peines aux missionnaires, qui se char- geaient comme de vrais disciples de Jésus, de soulager leurs maux par toutes espèces d'attentions affectueuses. Souvent on les voyait dès le grand matin chargés des sub- stances d’une certaine nature, qui ne se laissent pas nommer, et qu'ils portaient dans de la faïence, qui sert ordinairement dans le monde civilisé pour se nettoyer la figure, monter sur le bastingage pour les confier à la mer. Il est bien probable, que quand les pauvres religieuses étaient tourmentées tout à coup dans la nuit par ce dégoütant 144 malaise, que les pères devaient entrer dans les fonctions de docteurs et qu'ils n'avaient pas de suite sous la main les objets qu'on emploie ordinairement pour ces trésors agri- coles. Les pères méritaient certainement des louanges pour les services qu'ils rendaient aux soeurs, mais la manière, avec laquelle ils s’acquittaient de ce travail chrétien, causait de la répugnance à l’homme civilisé, qui par hasard était témoin oculaire de leur extrême obligeance. Le commandant, informé de ce qui se passait, eut soin de leur faire com- prendre que ces fonctions étaient incompatibles avec leur dignité, et les observations qu'il fût obligé de leur faire affligeaient beaucoup ces braves gens, qui avaient la ferme conviction de leurs intentions les plus pures et les plus charitables. Il était curieux aussi de voir comment les soeurs prenaient soin de la toilette des pères, car plus d’une fois elles remplissaient les fonctions d’un coiffeur en peignant et en façonnant les lon- gues barbes qui ornaient les nobles figures de ces personnes vénérables, et un bon observateur me communiqua, que c'était au plus jeune des missionnaires, ancien oflicier des dragons, que ce nouveau genre de caresses innocentes plaisait le plus. Je men- tionne à regret ici ces faits, afin qu'on puisse se faire une idée de l'impression que ces singulières actions produisaient sur nous qui en étaient témoins, et les diverses opinions qu'on donnait à ce sujet. À part ces petits détails, ces missionnaires élaient des hommes très instruits et amusants en sociélé, et les causeries philosophiques que j'avais souvent occasion d’avoir avec eux me donnaient une distraction agréable. C'était surtout quand notre entretien roulait sur les idées que M. Renan a developpées dans son ouvrage bien connu: la vie de Jésus, dont on parlait beaucoup dans ce lemps, et qui pour eux, comme on le comprend, était un livre défendu. Néanmoins nous discutâmes diverses questions de philo- sophie, et je dois avouer que leur manière de voir différait beaucoup de la mienne; et pour- tant à plusieurs reprises nous élions d'accord en expliquant philosophiquement les causes. Naturellement les idées d’un naturaliste et d’un théologien diffèrent beaucoup, et pourtant tous deux travaillent au même but, c'est à dire à connaître de plus en plus le créateur. Le premier a pour devise: qu'il est plus heureux de rechercher que de croire, tandis que l’autre dit Justement le contraire. Il croit et il est heureux. Eh bien! les nssionnaires dans leur foi ferme de leur église étaient curieux de savoir mon opinion sur ce livre maudit par les croyants. Dans mon amour pour l'étude de la nature, en me rappelant les mots de Raspail: /Va apprendre aux hommes que les plus nobles conquêtes, — j'allais dire la plus belle religion — se trouvent dans l'étude de la nature”, je leur dis que l’orientaliste Renan avait fait des recherches approfondies sur l’histoire sainte, avant de faire connaître sa foi, et que c'était pour cela que son livre sur la vie de l’homme le plus parfait exprimait une vérité sans inventions. Son histoire repose sur les données les plus naturelles, recueillies dans les contrées mêmes où Notre Seigneur a vécu, et non pas sur les traditions pleines de légendes. La dédicace de ce livre à la mémoire d’une soeur chérie témoigne déjà de sa foi naturelle, et chaque page fait voir au lecteur une 145 étude approfondie et un respect pour la personne du Christ. À peine avais-je commencé à leur dire mes idées qu'ils me dirent: Monsieur, vous êles un incrédule, comme M. Renan”. — Soit, mais j'avoue que je suis naturaliste et que je crois aux choses naturelles et non pas aux choses surnaturelles. Je me nomme physicien et non pas .métaphysicien et je confesse de tout mon coeur que je le resterai jusqu'à ce que la chose la plus naturelle me frappe: la mort! Mais j'ai l’espérance qu'elle sera provisoire et non pas éternelle, car je voudrais vivre pour toujours. J'aime la vie, comme toutes les créatures, depuis l’homme jusqu'à l'être le plus vivant mais le plus imparfait, la plante. Et je dis avec Bunsen: Le sentiment de Dieu est la vie; la vie c’est la force, et on n'acquiert la force que par l’activité personnelle. Si le Christianisme n’est pas un mensonge, le temps viendra où tout homme ne voudra plus être guidé que par son créateur même, c’est-à-dire qu'il sentira en lui-même la vérité du Christianisme” de voyais qu'après ma confession, les pères jésuites recevaient une meilleure idée de mes sentiments religieux et que je commençais à gagner leur confiance. Depuis cette entre- vue extraordinaire, J'eus souvent l'occasion de causer avec eux de philosophie, ils venaient en outre d'apprendre que je n'appartenais pas à leur culte, puisque j'étais né protestant. Alors ils devinrent plus libres dans leurs discours et j'aperçus bien vite qu'ils voulaient commencer leur tâche de missionnaire en se donnant bien de la peine pour me faire leur prosélyte. Dans ces moments je rassemblais fout mon esprit naturel pour combattre leurs thèses purement scolastiques, et je devais dire comme Philoctète: /Hélas! que faire? comment résister aux conseils émanés d’une amitié si tendre? Mais, si je cède, comment oserai-je reparaître à la lumière du soleil?” Chaque fois que j'avais eu ces entretiens religieux, soit sur le pont, soit dans le salon de l'état-major, enfin partout où les révé- rends voyaient le champ libre pour me faire valoir leur évangile, j'avais des matières pour la conversation du soir, que j'avais l'honneur d’avoir très souvent avec M. le Comman- dant, qui était un homme très éclairé et qui avait des idées très raisonnables sur la religion dans laquelle il avait reçu son éducation. Par l'étude de livres philosophiques il avait appris à reconnaître les bonnes choses de sa religion en laissant de côté les idées en contradiction avec la nature. Et pourtant il était bon catholique, et défendait sa cause avec ardeur, sachant bien qu'on n'avait pas besoin de porter la soutane pour passer pour un bon chrétien. Aussi nos discours passaient bientôt sur d’autres sujets, n'ayant pas toujours envie de nous livrer à des causeries religieuses, car nous n'élions pas assez dévots, pour y trouver une distraction continuelle, comme les pères jésuites, qui étaient inséparables de leurs bréviaires. Du moins M. le Commandant aimait plutôt une bonne pièce de musique d'opéra, qu'une conversation de missionnaires dont il n'aimait pas du reste se voir entouré, quoique ces messieurs faisaient tout leur possible pour obtenir son affection. Ils savaient trop bien qu'il portait la croix de St. Grégoire le Grand et que son frère élait archevêque; ils devaient profiter de l'occasion pour avoir un 19 146 bon appui auprès de leur supérieur, car ils préféraient la résidence de Saint-Denis au dessus de celle de Mayotte ou de Madagascar, si c'était seulement pour la perte de leur barbe à laquelle ils tenaient beaucoup et qui leur serait défendu de porter dans ces diocèses. Si j'avais été à leur place j'aurais fait de même, car vraiment la vie que ces apôtres ont dans les colonies naissantes n’est pas une fonction facile. Enfin notre tra- versée offrit beaucoup de scènes variées dans notre société. A l’une côté les conversa- tions sérieuses des missionnaires, à l’autre les gaies causeries des officiers donnaient un contraste de caractères bien différents, qui me procuraient une distraction salutaire. Mais surtout les excellentes attentions dont M. le Commandant me comblait, rendaient mon séjour à bord très agréable et me firent oublier bien vite les désappointements qui pou- vaient à la Réunion retarder mon prompt retour à Mayotte. Heureusement que J'avais la confiance en mon bon génie, qui m'avait accompagné jusqu’à présent dans mes voyages et qui ne m'avait pas encore abandonné, car après une traversée bien favorisée, nous arrivâmes sur la rade de Saint-Denis dans les premiers jours de Juillet. Bientôt après avoir passé la visite sanitaire ordinaire, je m'empressai de débarquer. Avec une bonne poignée de main je pris congé de l’aimable commandant, en lui témoignant ma recon- naissance pour la manière affable avec laquelle il m'avait traité. À peine à terre, j'en fis part à M. le Gouverneur et le Commandant en chef de la division navale à la Réu- nion, afin de lui donner leurs hautes approbations. Certes je me rappellerai toujours les jours amusants passés sur ce beau vaisseau de transport, où je fis connaissance avec d'excellents amis comme M. M. Tétar de Cosquer, d’Escande, Damguilleom etc. Mon séjour à la Réunion ne fut heureusement pas de longue durée; car après avoir réglé mes affaires financières, je m'étais rendu à peine de Saint-Denis chez mes amis à la Possession et à Saint-Paul, que je fus avisé par M. Damguilleom que le 14 du mois l'aviso le Lynx” partirait pour Mayotte. Vraiment le plaisir de revoir mes anciens bien- faiteurs fut tout à coup interrompu par cette bonne nouvelle, et je ne pourrais jamais assez remercier mon bon et fidèle génie pour la bonté qu'il avait eu d’avoir écouté mes voeux, en me procurant cette heureuse occasion si imprévue. Je fus touché en voyant la symphathie chaleureuse de mes braves amis Faudomière et Rétout, lorsqu'ils vinrent à apprendre mon départ prématuré. L’espérance d’un doux revoir nous consolait. En toute hâte je me rendis à Saint-Denis, pour obtenir un passage à bord du Lynx.” Grâce aux bontés de M. le Gouverneur je reçus un passage gratuit à la table de l'état-major sur ce bâtiment de guerre où je m'embarquai pour retourner vers mon ami van Dam, qui devait m'attendre avec impatience. Le 14 Juillet au soir le Lynx” leva ses ancres. Après six jours nous arrivèmes à Nossi-bé, où nous devions nous arrêter quelque temps pour prendre des passagers, qui retournaient à la Réunion. Avant notre arrivée nous eûmes l’occasion de voir les côtes boréales et nord-ouest de Madagascar, que nous longeñmes à peu de distance et qui se présentaient comme une 147 vaste chaîne de montagnes dont les mornes, plus nous avancions vers la passe de Lou- coubé, devenaient de plus en plus boisés, tandis que celles du nord s’élevaient toutes nues dans une contrée sablonneuse. Nous observâmes sur la même côte et à peu de distance du rivage, plusieurs groupes d’ilots parmi lesquels je nomme comme les plus importants Nossi-Ara '), Nossi-Lava?), Nossi-Mitsiou #) et Nossi-Fali‘). Peu de temps après nous entrâmes sous vapeur la passe, qui sépare la magnifique montagne boisée de Loucoubé de celle de Nossi-Acoumba *), qui est déboisée et aride. L'élévation de cette vaste forêt, qui couvre le sommet de ce point culminant de la partie méridionale de Nossi-bé, est estimée à 453 mêtres au dessus le niveau de la mer et se fait apercevoir par un beau temps de 12 lieues; tandis que Nossi-Acoumba est haut de 622 mêtres et se montre de 44 à 15 lieues. Pour les marins ces deux points sont les plus remarqua- bles pour reconnaître l'île Nossi-béf). Les autres mornes de cette île qui s’offrirent à mes yeux en troncs de cônes ne sont pas si hauts et ressemblaient à d'anciens cratères. Au lieu d’une végétation luxuriante comme en offraient les montagnes de Mayotte et de la Réunion, l’île Nossi-bé se montrait comme une chaîne de collines déboisées, couvertes d’un tapis jaune de longues herbes brüûlées, entrecoupées çà et là par de petits points d'une maigre verdure. À droite nous vimes une anse, qui logeait plusieurs boutres arabes, au fond de laquelle s’élevaient au pied d'une colline, une quantité de maisons maconnées toutes avec des toits en plate forme et des façades blanches comme la neige, derrière lesquelles s’élevaient des cocotiers. On me disait que c'était le village Antalot Ambanourou; et quelques moments après nous mouillâmes devant le plateau sur lequel est bâti la capitale Hell-ville. À peine étions-nous mouillés que plusieurs ambarcations et pirogues malgaches venant de terre nous accostèrent pour nous rendre visite. Parmi les visiteurs je fis connaissance avec quelques notables et des employés du gouvernement, ainsi qu'avec un arabe riche- ment habillé d’un longue par-dessus, qui me fut présenté par M. le Commandant du Lynx, comme le Chérif d’Ambanourou Calyfan-Ben-Alla. L'entretien avec ce dignitaire , parent du Sultan de Zanzibar me fut très utile, puisqu'il m'invita aussitôt que je revien- drais à Nossi-bé à venir à sa demeure, afin de me donner les renseignements dont j'aurais besoin pour ma prochaine exploration de Madagascar. C'était un homme d’une taille moyenne, un type oriental, la figure maigre d’une couleur tanée, le front bombé, un 1) Nossi veut dire Ile. Ara. Corail. M. le Capitaine Guillain prétend que le mot Aya signifie Ecaille, mais il est dans l'erreur. Il est certain que les îles mentionnées sont visitées souvent par la tortue à carret (Chaelona imbricata), mais que le nom de ÂMossi-Ara ait été donné pour cette raison, j'en doute. Voir Guillain Documents sur l'histoire, la géogra- phie et le commerce de la partie occidentale de Madagascar, p. 161. 2) Lava veut dire Long, Large. Nossi-Lava. Longue île. 3) Je ne connais pas la signification de Mitsiou. Mahitsu, signifie bleu. 4) Fali signifie sacré. . 5) Acoumba signifie Maki (Lemur). Les écrivains et géographes nomment cette île ordinairement MVossi-cumba. 5) Bé signifie Grand. 195 148 grand nez aquilin, les pommettes saillantes, le menton pointu pourvu d’une barbiche, les yeux petits et vifs, les grandes lèvres couvertes d’une petite moustache, l'expression de son visage semblait indiquer la ruse, mais en même temps une politesse servile. Plus tard, lors de ma résidence à Nossi-bé, j'appris à connaître cet homme comme un ami complaisant. Au nombre des autres visiteurs avec qui je fis connaissance, comme M. M. Verger et O'Neill, habitants de Hell-ville, je rencontrai à ma surprise M. Lantz, le conservateur zélé du Musée de Saint-Denis, qui venait de faire des excursions à Ma- dagascar et qui, par maladie et à cause des fonds insuffisants que le gouvernement de la Réunion lui avait procuré, était obligé de retourner à Saint-Denis avec une petite collection d'objets d'histoire naturelle. M. Lantz qui devait être notre passager et avec qui j'aurais le plaisir de faire le voyage jusqu'a Mayotte, m'invita à descendre avec lui à terre. Il me proposa de faire avec lui une petite promenade afin de donner un coup d'oeil à Hell-ville et de pouvoir me présenter à quelques-uns de ses amis, qui me seraient certainement très utiles à mon prochain retour. Aussi M. O’Neill nous accompagna et vint à terre. Après avoir passé la maison du commandant, l'hôpital, l'église, la caserne et d'autres maisons, qui se trouvaient aux deux côtés d'une vaste allée large, plantée en bonne partie de bois noir (Acacia lebbek), ainsi que quelques Flamboyants (Poin- ciana regia), nous arrivâmes à la demeure de notre compagnon; mais comme la cré- puseule commençait à tomber je ne pouvais distinguer qu'imparfaitement Îles objets qui m'entouraient. Je me consolai de cette circonstance, puisque j'avais l'espérance de revenir bientôt habiter cette ville et qu'alors j'aurais le temps de donner une description détaillée de ce que je venais de voir à la hâte. M. O'Neill habitait une grande case située dans une cour spacieuse, ombragée par une quantité de superbes manguiers et entourée par une palissade de pieux bien serrés. La maison pourvue d’une vaste varangue était en- vironnée d’autres cases servant de magasins pour ses marchandises. Un tas de pièces de bois précieux remplissait un grand espace au fond du jardin. Il m'était très agréable d'être présenté à un homme comme M. O'Neill. D’après ce que je venais d'apprendre de M. Lantz, M. O'Neill avait été ancien élève de la marine impériale, mais aimant plus la vie libre de colon que celle de marin de l'Etat, il avait déjà résidé depuis une dizaine d'années à Nossi-bé où il s'était appliqué au trafic du bois de Madagascar. Pour ce com- merce il avait parcouru comme touriste négociant un bon nombre de contrées peu connues de la grande île africaine; maitre de la langue du peuple et s'étant lié dès le moment de sa nouvelle carrière à une femme de la tribu des Betsimsaracs, il avait étudié par cette liaison profondement le caractère de ce peuple; excellent chasseur il avait battu souvent les forêts: c'est pourquoi il était à même de donner des renseignements très intéressants sur plusieurs espèces de gibier malgache. À peine eus-je fait la connaissance de cet homme aventurier, qu'il me combla de politesses et d’hospitalité. Il se mit d’abord à ma disposition, quand j'aurais besoin de 149 son expérience du pays et ses coutumes; et il voulait aussi s'occuper de trouver une demeure propre à nos travaux, afin que dès notre arrivée nous fussions logés convena- blement. Il eut même l’obligeance de m'inviter à loger chez lui, aussi longtemps que bon me semblerait. Je n'étais pas accoutumé à tant de politesses, dont j'étais redevable à la présentation de M. Lantz. J'acceptai néanmoins la première offre, et après une conversation bien amicale je retournai à bord, fatigué comme j'étais de toutes ces nou- velles et diverses rencontres. M. Lantz, qui resta à terre, devait s’embarquer le lendemain matin accompagné de M. O'Neill, auquel je pourrais alors faire mes adieux et mes re- merciments de sa bonne réception. Rentré dans la cabine je trouvai tout le monde en repos exceplé quelques matelots de garde. Je me hâtai alors d'atteindre mon hamac dans lequel, bientôt bercé par le léger balancement du bâtiment, je tombai dans un profond sommeil, après avoir compté les coups de minuit de la cloche du vaisseau: A l'heure où tout est calme, et la mer et la brise, Où l’on n'entend au loin que le cigale grise À cette heure immobile où partout sur la terre, Semble passer sans bruit l'ange blond du sommeil. DE Monroranp. Je n’eus pas l'avantage de dormir longtemps, car les rêveries qui me troublaient la tête me firent lever plus tôt que je n'aurais désiré. J'étais inquiet de la situation de mon ami van Dam, que j'espérais vivement revoir guéri de son malheureux accident, de plus que cela pourrait entraver notre voyage à Nossi-bé. Ces pensées passaient dans mon esprit lorsque je montais sur le pont pour me distraire par la vue de la baie, qui offrait un aspect joyeux. Les premiers rayons du soleil se montraient au dessus des mornes de Madagascar et éclairaient la mer paisible de couleurs magnifiques, à la lueur desquelles se jouaient, à quelque distance du navire, une bande de dauphins (Delphinus sao) '), en sautant en courbes élégantes hors des flots. Quelques pirogues malgaches faites d’arbres creusés, tenues en balance par un contre poids consistant en une poutre fixée par deux branches au léger canot surmonté d’une petite voile carrée, arrivaient de loin, ainsi que deux boutres arabes qui se dirigeaient vers le mouillage. La vue de la grande baie de Pasandava d’une largeur et d'une longueur considérables, qui s’étendait devant moi vers le nord-est de la rade, comme une vaste nappe d'eau enclavée de trois côtés par des montagnes abritées contre les vents, fit sur moi l'impression d'un bassin immense crée par la nature pour recevoir un jour une flotille de navires marchands. Dieu sait quand cela arrivera, mais je ne doute pas que quand la France aura assez compris l'importance de la richesse de Madagascar dans le voisinage direct de sa colonie, cette idée ne soit bientôt réalisée; du moins si l'ouverture du canal de Suez répond à l'attente qu'on s'en fait. 1) Voir p. 29, Ile Partie I. c. 150 Le grand profit que ce chemin nouveau et plus court donnera à la navigation et au commerce sera énorme dans ces parages de l'Afrique orientale, qui à présent sont à peine visités par les navires européens, mais qui ont été exploités avantageusement durant des siècles par les navigateurs et les négociants arabes. Je fus arraché à mes réflexions par le bruit du vapeur qui m’annonçait notre prochain départ; M. Lantz en compagnie de M. O’Neill venait d'arriver. Ils paraissaient avoir appris aussi à connaître ce signal; du moins ils me déclarèrent, qu’ils avaient dû se dépêcher pour l’embarquement. Nous causâmes encore quelques moments, de ce que je venais de contempler et c’est de tout notre coeur que nous exprimâmes l'espoir, que ce jour de prospérité arriverait pour la colonie avec l'achèvement du grand oeuvre) du célèbre Lesseps. Après une courte conversation avec M. O'Neill à ce sujet, les visiteurs quittèrent le bord en saluant cordialement les partants, et il suivit leur exemple, car le vacarme du levage des ancres et le grondement du vapeur annonçaient notre prompt départ. Lorsque le navire se fut mis en mouvement nous perdimes bientôt de vue les embarcations, qui les reconduisaient à terre, et avec elles la paisible baie de Hell-ville ?), qui nous avait logés pendant une vingtaine d'heures, se cacha derrière les monticules. Bientôt nous nous trouvâmes en pleine mer et notre bâtiment qui marcha toute la nuit à merveille, arriva le lendemain de bonne heure à Mayotte. Vers neuf heures, nous mouillâmes devant Zaoudsi. Le coeur me battit, car je ne vis pas M. van Dam venir à ma rencontre; j'étais inquiet de son sort. C'est pour cela que je me hâtai de me rendre à Mamouzou et je pris congé du com- mandant, qui m'avait traité si amicalement, de M. Lantz, de M. Fournier et d’autres amis, que J'invitai à venir me rendre visite le lendemain. Grâce à Dieu, mon brave ami me vint tendre la main plein de joie, mais dans un état de faiblesse surprenante; il devait s'appuyer sur l'épaule de notre domestique Bourbonnais, excellent garçon, plein d’atta- chement pour nous. Quoique M. van Dam ne fût pas encore tout à fait remis de son accident, il s’apercevait pourtant chaque jour que ses forces revenaient peu à peu. Sa jambe était raide, mais heureusement guérie. Comme mes compagnons étaient contents de me revoir! Comme j'étais réjoui de les rencontrer en assez bon état! Combien de paroles n'échangeâmes-nous pas sur notre séparation, qui contre notre attente avait été de si courte durée! Enfin, nous voilà de nouveau ensemble; oubliant pour longtemps nos déboires et nous faisant des illusions sur nos futures explorations à Madagascar, le pays de notre espérance. (Combien de questions ne nous adressâämes-nous pas l’un à l'autre pendant cette entrevue si heureuse. Autant mon ami avait été souffrant pendant mon absence, autant il avait apporté de zèle dans la préparation des animaux, que notre 1) Voir les notes I. c. - 2) Le nom de Hell-ville a été donné à la place de l’ancien village de la Reine sacalave Bioumèke, en l'honneur du contre-amiral de Hell, qui était Gouverneur de l’île de la Réunion lorsque les français prirent possession de l’île de Nossi:bé. 151 domestique et les indigènes lui avaient continuellement apporté. M. van Dam me fil de grands éloges de l'excellent traitement, que lui avait fait suivre M. le Gouverneur, qui avait donné l’ordre au docteur en chef de l'hôpital de le traiter; c’est grâce aux excellents sois de cet habile médecin, que je trouvais mon ami en voie de guérison. Aussitôt que je me fus un peu remis de mon voyage et que j'eus dit le bonjour à nos voisins qui avaient eu beaucoup d'égards pour mon ami pendant sa convalescence par toute espèce de petites attentions, je retournai à Zaoudzi, afin de rendre une visite au Gouver- neur pour le remercier des bontés, qu’il avait eues pour mon compagnon de voyage. Il me fit comme d'ordinaire une excellente réception et m'invita à lui donner chaque jour des nouvelles de l’état de M. van Dam, afin qu'il pût l’inviter à venir diner chez lui aussitôt que le malade pourrait sortir. En quittant le Gouverneur je rencontrai au café de M. Coulon les officiers du bord et mes amis Lantz et Fournier, qui m’annoncèrent leur départ précipité pour la Réunion, lequel devait avoir lieu le lendemain dans l'après-midi; en même temps ils me dirent qu'ils me rendraient le lendemain de bonne heure la visite promise dans ma modeste chaumière. Leur départ m'aflligeait; j'avais espéré de faire encore avec mon ami Lantz une excursion ornithologique, car il ne connaissait encore rien de la faune de Mayotte. Après une partie de billard bien animée, je retournai chez moi assez fatigué d’une journée si accablante. Je revins chez mon ami; un excellent diner m'attendait; c'était comme s'il eût voulu célébrer mon retour par un bon verre de vin et des comestibles européens exquis. Enfin c'était vraiment un jour de bonheur, un jour où notre amitié se fortifia plus que jamais; et je suis fier de dire que notre sympathie était plutôt celle de deux frères que de deux amis. Doux souvenirs, vous arrachez à ma plume l'expression d’une reconnaissance qui ne s’effacera jamais, car je n’oublierai jamais ces amitiés fraternelles, éprouvées dans ces pays lointains. Elles me font encore du bien au coeur, quand mes idées errent de nouveau dans ces contrées Mahoriennes. Une soirée pleine de discours, éclairée par la faible lumière d’un modeste fanal, mais échauffée par le bonheur du revoir, fut interrompue par la cloche de minuit, qui nous rappela l'heure du repos. Il fut doux, car nos esprits étaient soulagés des souffrances passées et les rêveries de notre sommeil achevèrent ce que nous nous serions communiqués l’un à l’autre, si notre conversation n'eût pas été interrompue par le besoin de dormir. Nous devions être bien fatigués, pour dormir dans notre cahute, car la fatale compagnie de diverses sortes d'animaux nous éveillait souvent d’une manière bien désagréable. Tantôt c'étaient des rats et des souris, qui se promenaient brutalement sur notre lit, tantôt des blattes ou des lézards; mais le plus souvent des myriades de fourmis, qui fourmillaient non-seulement sur le drap du lit, mais qui se faisaient aussi sentir par des piqures douloureuses sur le corps, de concert avec une quantité de moustiques, se ras- sasiant de notre sang. Bien des fois nous dümes nous lever pour nous délivrer de ces 152 dégoûtants visiteurs, qui s'étaient même fourrés dans nos cheveux et dans notre barbe, en si grand nombre qu’en nous peignant ils tombaient par centaines à terre. Quelques précautions que nous prenions, pour nous garantir de ces fléaux, ils revenaient néanmoins à chaque instant, de sorte que nous nous y accoutumämes enfin. Nous avions pourtant soin de garantir autant que possible contre ces insectes insatiables nos comestibles, ainsi que notre collection d'histoire naturelle. Nous avions mis aussi les pieds de la table dans des plats remplis d’eau jusqu’au bord, pour empêcher les fourmis d'y monter; mais c'élait vraiment curieux de voir comment avec le temps ils trouvaient moyen d’y parve- nir, car ceux qui s’y étaient noyés en masse servaient de pont aux vivants, de sorte que nous devions continuellement purger l’eau des cadavres. Pour garantir les peaux d'animaux, nous les avions pendues à une corde tendue à hauteur d'homme d’une ex- trémité à l’autre de notre cabane et dont le bout était goudronné; mais cela n’empéchait les fourmis d'y arriver que pour peu de temps, car bientôt ils avaient su se faire un passage de la même manière qu’à travers l’eau. Ainsi nos objets précieux exigeaient des soins continuels pendant le temps dont ils avaient besoin pour sécher avant l’em- ballage. C'est dans de telles conditions que nous étions logés el cependant nous ne nous plaignions pas davantage, puisqu'à part ces désagréments l'appartement élait assez bon. Mais comme je l'ai dit, nous étions déjà si accoutumés à ces inconvémients des tropiques, que nous passämes notre temps au milieu de cette vermine, aussi bien que si nous avions été dans notre propre demeure en Hollande. Ainsi nous restämes à Mayotte encore quelques semaines, pendant lesquelles je me livrai à des chasses et à des re- cherches zoologiques dans le voisinage, tandis que M. van Dam, qui se remettait de jour en jour de son accident, faisait des préparatifs pour l'emballage de nos colis. Comme notre ami Lantz nous l’avait promis, il nous rendit le lendemain une visite en société de quelques officiers du bord, parmi lesquels se trouvait le brave docteur Fournier. Ils furent enchantés de voir nos belles collections, qu’on était en train d’emballer. Après un relâche de quelques heures, nous fimes un petit tour dans la Campagne pour retour- ner vers midi à Mamouzou. Je les accompagnai à Zaoudzi, où ils se rendaient à bord. Je leur fis mes adieux, car le bateau à vapeur devait retourner dans la soirée à la Réunion; j'avais encore justement le temps d'écrire à la hâte quelques lettres pour mes amis de St. Denis et de la Possession, et je les leur confia. Quelques jours après leur départ, nous reçumes une invitation affable du commandant qui nous priait de diner chez lui. J'étais heureux de pouvoir accepter, puisque M. van Dam était tellement bien guéri, qu'il pouvait m'accompagner. Dans l'après-midi, le canot du Gouvernement accosta la jetée de Mamouzou, pour nous conduire à l'hôtel du Gouverneur. La réception fut chaleureuse et témoigna de l'estime que M. le com- mandant avait la politesse de nous montrer en présence de plusieurs hauts fonctionnaires de la colonie, qui avec nous étaient ses hôtes. Après un agréable entretien avec divers 155 d’entre ces Messieurs, nous nous rendimes à table; elle était servie avec la plus grande simplicité. Le plat principal qui l'ornait était un grand chapon, que je devais avoir l'honneur de découper, en qualité de naturaliste; mais quelque flatteuse que fût pour moi cette offre d’une singulière distinction, je devais faire honte à mes connaissances en anatomie ornithologique. Le chapon était tellement dur, que je ne pus le démembrer et voyant l’impatience des convives, je dus le céder à mon voisin, qui ayant donné ses preuves de bonne volonté dans l’art de découper, fut obligé de le passer aussi et amsi de suite, jusqu'à ce que l'excellent chapon eut fait le tour de la table, ayant résisté à la rage des coups de couteau et de fourchette, si bien que le commandant ayant pitié de nous, le fit remplacer par un autre plat plus tendre, auquel nous fimes en revanche des honneurs dignes de vrais gastronomes. Mais bientôt nous eûmes noyé le malheureux début du diner dans l'excellent vin de la cave gouvernementale, oubliant le chapon pour le bourgogne et le champagne et portant des loasts à notre hôte mal à son aise. Après le diner nous primes le café dans la spacieuse varangue et causàmes joyeu- sement de différentes choses; nous eùmes surtout l'occasion de nous convaincre de l’hos- pitalilé complaisante et amicale avec laquelle M. le commandant recevait ses hôtes. De temps en temps, j'apercevais deux jolies filles mahoriennes, vêtues de symbous et de canzous richement coloriés, qui, guidées par leur curiosité, jetaient par la porte à demi- ouverte un coup d'oeil plein de vivacité sur l’assemblée; comme observateur zélé de la nature, je ne manquais pas de regarder attentivement ces gentilles créatures, mais je fus bientôt tiré de ma contemplation par mon voisin, le Juge de paix de Mayotte, qui me dit tout bas: Il paraît que ces jeunes filles vous plaisent! mais soyez prudent, monsieur le hollandais, ce sont les confidentes favorites de notre hôte. Ces aimables ménagères exercent un grand pouvoir dans l'hôtel du gouverneur et dans cette varangue elles jouent bien de fois leurs rôles sympathiques envers leur seigneur.” A peine eus-je entendu ce peu de mots, que je compris ce qu'il voulait dire et je le compris d'autant mieux aux sourires et aux clins d'oeil des Mahoriennes, qui paraissaient deviner le sujet de notre conversation, car elles se sauvèrent à la hâte. Mais vers onze heures, lorsque nous primes congé de M. le commandant et que je me relirais au bras de mon voisin, nous fûmes, en quittant le jardin, suivis à peu de distance par ces beautés africaines, qui firent de leur mieux pour nous plaire et qui par des gestes nous voulaient inviter à partager leur société. Néanmoins nous étions trop attachés à M. le gouverneur, pour que nos coeurs s'enflammassent pour ces papillons nocturnes, quoique vraiment dans ces moments de lutte dans les rues obscures de Zaoudsi, nous crussions être sur le boule- vard des Italiens à Paris, guidés par ces sentinelles, que les bons vivants connaissent sous le nom de grisettes et de lorettes. Heureusement nous nous conduisimes comme de vrais Josephs et bientôt nous nous souvinmes dans nos rêves de l’aventure à laquelle nous venions d'échapper. 20 154 Je passai avec M. van Dam la nuit dans l'hôtel de M. Coulon; nous devions nous rendre le lendemain à Mamouzou, afin d’arranger le bagage pour notre prochain départ. Grâce aux soins affables du chef de la colonie nous reçûmes une place gratuite à bord du premier navire de l'état, qui devait partir quelque temps après pour Nossi-bé; et comme nous avions une grande quantité de colis, nous fümes heureux de pouvoir faire des arrangements avec un capitaine d’un boutre arabe le ”Fata Salama” pour; leur transport. Ce marin indigène, nommé Mohama Massoudy, était connu à Mayotte comme un honnête homme, qui avait maintefois transporté des cargaisons de grande valeur avec une promptitude incroyable; de sorte que nous pouvions lui confier sans crainte nos effets précieux. À peine avions-nous embarqué nos caisses que nous reçûmes la nou- velle qu’on attendait de jour en jour l’aviso de l'Etat Mahé de la Bourdonnais et que M. le commandant nous promettait, dès son départ pour Nossi-bé, un passage gratuit à la table de l’état major à bord. Heureux d’apprendre cette nouvelle preuve d'affection du digne chef de la colonie, nous primes soin de nous tenir prêts à partir et après que le boutre eut fait voile, il s’écoula une huitaine de jours avant que le navire attendu entrât dans la baie. Trois jours après nous quittâmes notre demeure de Mamouzou, pour nous rendre à bord; c’est le 28 Juillet que nous fimes nos adieux à Mayotte, à ses habitants, à son commandant, à ses dignitaires et aux amis nombreux que nous avions eu le bonheur d'y faire pendant notre résidence. L’espérance d'y revenir plus tard pour y continuer nos recherches et le désir d'arriver à Madagascar occupaient alors la première place dans nos coeurs afiligés et nous don: naient quelque distraction, lorsque nous serrâmes les mains à plusieurs de ces braves gens qui nous conduisaient à bord; eux qui nous avaient témoigné leur dévouement et donné l'hospitalité dans ce pays étranger. Bientôt nous fûmes de nouveau installés dans des cabines bien peu spacieuses, mais qu'on avait arrangées assez convenablement; de plus, grâce aux soins du premier oflicier M. Pourquier, nous trouvâmes toutes les petites commodités, qui pouvaient rendre notre séjour à bord aussi agréable que possible. À neuf heures vingt, on leva les ancres et quelques instants après nous perdîmes de vue Zaoudzi, Mamouzou et vers la nuit, l’île entière. Le lendemain nous primes la hauteur sur 42° 59 lat. Sud 43° 8’ long Est. (Ce jour-là nous eûmes un spectacle extraordi- naire ; le commandant avait envie de tuer une belle genette, que j'avais avec moi. La pauvre bête se trouvait dans une cage sur le devant, près des ancres et je croyais avoir observé à plusieurs reprises que le commandant était désireux de la posséder. Comme je la lui offris, il me dit: ”Je vous remercie sincèrement de votre cadeau, qui me serait une charge; mais si vous voulez me la céder pour lui tirer un coup de pistolet, je l’ac- cepte.” Je tenais trop à la bête, pour m'en défaire à de telles conditions; mais comme je voyais en même temps, que le commandant voulait se procurer ce plaisir, soit pour me faire connaître son habilité comme bon tireur, ou bien pour s'amuser, je ne pouvais 155 pas la lui refuser, lorsqu'il me dit: ”Si je ne la tue pas, je vous dois un bon diner avec d’excellent vin, mais il faut me donner la chance de tirer trois fois.” La houle était bien forte dans ce moment-là, de même que la distance entre Ja cage et la passerelle sur laquelle se trouvait le commandant; ainsi je pouvais accepter le pari dans l’espérance qu'il manquerait, grâce à ces circonstances. Un moment après ce court entretien, il visait, mais avant de tirer il me dit: J'ai trop pitié de vous et de votre hôte, je n’en veux plus et pour vous donner la preuve que ce n’est pas parce que Je crains de manquer, je tirerai sur un poulet;” à peine avait-il prononcé ces mots, qu'il ordonna qu'on remplaçät le chat de genette par un coq. Lorsqu'on eut attaché l'oiseau sur le gaillard, le commandant se plaça sur la passerelle et ayant chargé deux pistolets, il me dit: ” À présent je tirerai deux coups et si je ne le tue pas, je perds une bouteille de champagne.” Comme le bateau à vapeur était toujours en route, et fendait les ondes agitées, balancé par la houle à chaque instant, il n'était pas facile d'ajuster et néan- moins il le tua du premier coup de pistolet. On comprend que j'étais bien aise, que le commandant n'eût pas fait ce beau coup sur mon chat, car je tenais trop à le con- server vivant et si j'avais consenti d'abord à le donner pour point de mire, c’est que j'ignorais que le capitaine fût si bon tireur. Peu de temps après cette scène de tir nous mouillâmes le 30 Juillet dans la rade de Nossi-bé, contents d'une si courte et si amusante traversée. Dès notre arrivée, M. O'Neill, avec qui j'avais déjà fait connaissance, vint à notre rencontre et nous offrit gracieusement l'hospitalité, jusqu'à ce que nous eussions trouvé un logement convenable pour notre séjour dans cette colonie française. En outre, comme notre bagage à bord du boutre nous était nécessaire, et qu'il tardait à venir, nous ac- ceptâmes de tout coeur cette offre si bienveillante et demeurâmes quelques jours chez un de ses amis, l’aimable M. Doublé. CHAPITRE VI. Nossi-bé. — Hell-ville. — Aperçu de l’histoire, de la géographie, de la météorologie et de l’ethnographie de l'ile. — Ambanerou. — Visite au chérif Kalyfan Ben Alla. — But du voyage. — Nossi-Faly et son Roi. — Nos premières excursions de chasse à Madagascar. — Notre halte à Sjammanore. — Retour à Hell-ville. — Fêtes Malgaches à l'occasion du 15 Août. — Le commandant nous présente au Roi de Nossi-Mitsiou. —Lenavire Hambourgeoïis »Maria Heydoorn” sur rade. Nous voici à Nossi-bé'), le point de départ de nos excursions scientifiques à Mada- 1) Nossi-bé signifie: Ile grande; composé de Nossi: Ile et Bé: Grand. Les Sacalaves la nomment aussi: Variou-be ce qui à la même signification. 20" 156 gascar, le lieu de nos rêves et de nos désirs, si favorablement situé à une demi-douzaine d'heures de la grande-terre, le Tany-bé des indigènes. Mais que faire dans ces moments d'espérance, sans habitation à nous, sans les outils nécessaires au naturaliste, logés sous un toit étranger? Attendre que le boutre fût arrivé et tâcher de trouver une maison- nette ou une cahute propre à nos travaux. Enfin, grâce à la complaisance de notre hôte et aux secours de M. Doublé, nous nous installâmes bientôt dans un petit établissement, bâti singulièrement en style arabe de blocs de corail et pourvu d’une spacieuse varangue et d’un beau jardin planté de cafiers. Cette maison donnait sur la place de la caserne et était ombragée par des bois-noirs (Acacia lebbek) ; au loin nous avions une vue su- perbe sur la montagne boisée de Loukoubé, A gauche, devant nous, s'élevait la grande caserne, bâtie en 1855, comme une forteresse à plate-forme, sur laquelle on pouvait monter au besoin, disait-on, des pièces de canon pour dominer la place de Hell-ville. Ceite caserne fortifiée était entourée d’une haute muraille, pourvue d'embrasures. Enfin le tout était d’un aspect imposant, du moins au point de vue des indigènes. Un peu plus loin et vis-à-vis cet édifice se trouvait le camp des soldats malgaches. C'était une caserne tout à fait indigène, car chaque soldat avait sa propre cabane; bâties regulière- ment à côté l’une de l’autre, elles étaient séparées par des rues assez spacieuses; le tout entouré d’une vaste clôture de palissades. A côté de ce camp on voyait l'hôpital mi- taire, vis-à-vis duquel on remarquait l’église catholique en construction. Ce nouvel édifice devait remplacer l’église actuelle, qui se trouvait pour le moment dans une grande cabane indigène, dont l’intérieur était orné trop simplement, aux yeux des fidèles; mais Jésus-Christ lui-même n'aurait pas désiré mieux, pour célébrer la gloire de son père céleste. Non loin de là on observait le magasin général, grand entrepôt de comestibles de toutes espèces, appartenant au gouvernement, destiné à pourvoi” aux nécessités des divers employés de l'Etat, qui souvent ne pouvaient se procurer ailleurs à meilleur marché les produits de la mère-patrie; c’est pour cela que les colons sollicitent souvent cette faveur, ce qui leur est ordinairement accordé, quand leur solidité est prouvée. A ce ma- gasin est attaché une boulangerie, qui pourvoit à leurs besoins journaliers, ainsi qu’une cave, qui fournit d'assez bon vin. L'hôtel du gouvernement, qui se trouve tout près de ce bâtiment est une maison bien simple, à un étage, mais assez spacieuse, entourée d’un petit jardin ombragé de grands manguiers. Enfin les autres édifices, qui ornent le plateau, sont les bureaux de l'administration, la geôle, la manutention, le presbytère; et en retournant vers notre maisonnette, on rencontre à gauche du camp des soldats africains, le bazar ou marché indigène, se composant de deux allées couvertes de toits de feuilles de raflia, soutenues par une rangée de poteaux. Plus loin, sur une partie plus rude du plateau, s'étendent les rues larges, ombragées et bien entretenues, qui bordent les emplacements de quelques colons. Voilà en peu de mots la villette coloniale, la résidence du commandant de Nossi-bé et qui est devenue provisoirement 157 la nôtre, pour nous servir de point de départ pour Madagascar même. Voyons maintenant avant de continuer notre relation de voyage, ce que nous savons de Hell-ville et de Nossi-bé. Jettons ainsi un coup d'oeil sur l’histoire, la géographie et l’ethnographie de cette petite colonie française. Lors du gouvernement à Bourbon du contre-amiral M. de Hell, les français, désireux de posséder au nord de Madagascar un établissement maritime, qui depuis l'occupation du comte Bényowski n'existait plus, M. de Hell chargea de cette mission importante son aide de camp M. Passot, capitaine d'infanterie de marine. Cet officier s'embarqua à bord du brick le Colibri, que le gou- vernement de Bourbon avait mis à sa disposition pour faciliter ses recherches. Peu de temps après 1l se trouva dans les eaux qui baignent l'ile de Nossi-bé, où il débarqua. L'île était habitée par des Sacalaves sous le gouvernement d’une reine nommée Tsiou- meik (Bioumèke), qui menaient une vie pauvre et misérable grâce aux guerres continu- elles dont le pays offrait depuis longtemps le funeste spectacle, par suite des invasions barbares des Hovas. M. Passot, touché du malheureux sort de ce peuple, qui lui exposa la situation critique dans laquelle se trouvait le pays, donna à la reine l'espérance que si elle voulait implorer la protection du gouvernement français, elle pourrait être sûre qu'elle n'aurait rien à craindre pour l'avenir. Elle embrassa cette heureuse idée avec empressement, d'autant plus que les secours promis par l’Iman de Zanzibar Seyid Said, qu'elle avait attendus avec impatience, tardaient à venir. Craignant une nouvelle attaque des Hovas, dont le bruit s'était déjà répandu dans l’île, la Reine pria M. Passot de faire connaître à son gouvernement son désir de se mettre sous la protection de la France. M. Passot, en digne serviteur du Roi de France, voulut prouver tout de suite que sa proposition était sérieuse, fit diriger son brick devant la forteresse Hova de Mouroun- sang et fit connaître au commandant qu'il devait s'abstenir de toute hostlité contre les habitants de Nossi-bé, puisqu'ils venaient d’implorer la protection de la France. Il paraît que cette démonstration de la part de M. Passot avait eu le résultat désiré, car les Hovas n'avaient pas tenté d'opérer une nouvelle descente dans l’île. Cependant depuis le départ de M. Passot des désordres intérieurs avaient lieu à Nossi-bé. La Reine Tsioumeik, qui avait eu de bonnes relations avec son voisin le Roi Tsimandrou, s'était brouillée avec lui, au sujet d'esclaves qui s'étaient échappés de chez elle, pour aller se mettre sous le patronage de ce chef. M. Passot, qui avait rendu compte au gouver- neur de Bourbon de sa mission, faisant connaître en même temps le désir de la Reine de Nossi-bé et la situation dans laquelle il avait trouvé cette île, fut peu de temps après renvoyé pour négocier avec la Reine Tsioumeik un acte par lequel elle concéderait, sous consentement des autres chefs, son pays aux Français. Pour cette nouvelle mission M. Passot s'embarqua sur la gabare la Prévoyante, le 13 Avril 1840, et arriva quelques jours après à Nossi-bé. Il venait juste à temps, puisque les secours qu'un certain Tsimilitio implorait depuis plusieurs mois chez le sultan de Zanzibar, en faveur de la 158 Reine de Nossi-bé, ne venaient pas. Seyid Said, qui sans doute avait connaissance des anciens droits des Français sur Madagascar, ne voulait pas protéger les Sacalaves contre les invasions des Hovas, craignant l'opposition que le gouvernement de France mettrait d’abord à ses projets. C’est pourquoi qu'il avait la prudence de ne pas se mêler des affaires de la Reine Tsioumeik. Le désespoir où cette triste nouvelle l’avait jeté, elle et ses premiers chefs, la décidèrent à se mettre en relation avec le représentant du gouverneur de Bourbon, pour obtenir de lui ce qu'ils avaient espéré en vain du Sultan de Zanzibar. M. Passot leur accorda toute protection et assistance à condition que la Reine, d’accord avec ses premiers chefs cédât son territoire à la France et que son peuple se reconnüt dès ce moment sujet du Roi des Français. Pour donner plus d'authenticité à cet acte de cession, la jeune Reine désigna quelques-uns de ses chefs, pour se rendre avec M. Passot à Bourbon, afin de traiter officiellement en son nom avec M. le gouverneur. La convention fut passée le 14 Juillet 1840, et depuis ce temps le gouvernement de Bourbon stationna un bâtiment de guerre dans les eaux de Nossi-bé pour protéger les habitants. La Reine transporta sa résidence de Pasandava') au plateau situé entre la pointe de Mahatinzo et l’anse de Passiména. (Ce lieu où l’on avait fait construire pour elle une maison en maçonnerie, autour de laquelle s’élevèrent aussitôt un grand nombre de cases indigènes, reçut en l’honneur de M. le gouverneur de Bourbon M. de Hell, le nom de Hell-ville, quoique ce soit plutôt un grand village; cette localité est considérée à présent comme la plus importante de l’île. En attendant l’approbation du gouvernement de la métropole, de la prise en possession de Nossi-bé, une maison de commerce de Bourbon y fonda bientôt un établissement et plusieurs aventuriers créoles de cette colome s’y rendirent pour exploiter des terrains. Avant que la décision du gouvernement fût aflir- mative, le gouverneur de Bourbon reçut l'autorisation de donner à la convention une assez large exécution, et dès ce moment :l prit toutes les dispositions nécessaires pour occuper la nouvelle colonie. Déjà le 13 Février 1841, il envoya M. F. Gouhot, capi- taine d'artillerie de marine, avec les fonctions de commandant particulier de Nossi-bé; pour remplir ce poste il se rendit à bord de la corvette la Dordogne, accompagné d’un détachement destiné à former la garnison, avec le matériel nécessaire aux premiers besoins pour une occupation sérieuse que le gouvernement de Bourbon désirait. Ces décisions n'étaient pas prématurées, puisque le Gouvernement de la métropole avait bientôt après donné son adhésion à l’acte du gouverneur de Hell; ainsi le 5 Mai 1841 on arbora le pavillon français à Hell-ville, avec les cérémonies d'usage, au bruit de coups de fusil et aux acclamations des habitants. La prise de possession de Nossi-bé par les Français, au point de vue de la richesse 1) On ne doit pas confondre ce lieu uvec la grande baie de ce nom à Madagascar; c’est pour cela que les créoles les désignent sous les noms de petit et de grand Pasandava. ln des 159 végétale ou minérale, n’élait pas d'une aussi haute importance, que sous le rapport militaire et commercial pour l'avenir. Située à peu de distance de Madagascar, à trois lieues seulement, on peut à chaque moment aborder cette grande terre, avec des forces assez considérables pour comprimer toute hostilité de la part des indigènes; elle offre aussi à la garnison qui l’occupe une bonne retraite devant des forces trop nombreuses, et un point d'observation sur toute la côte voisine. Comme nous l'avons dit dans le chapitre précédent, l’île de Nossi-bé offre encore une rade vaste et sûre, d’un mouillage commode, dans laquelle une flotte assez nombreuse peut s’abriter. De plus la mer qui baigne les côtes de la colonie est parfaitement connue, grâce aux excellents travaux hydrographiques du capitaine Jehenne, faits depuis 1841; de sorte que les navires de différents tonnages y peuvent circuler sans danger. Ces grands avantages sont d'une importance considérable, non seulement pour la marine, mais plus encore pour les navires de commerce, qui fréquentent ces parages dans le but de trafiquer sur les différents points de Madagascar, dans le canal de Mozambique et dont le nombre augmente chaque année. Pour le moment, le nombre de boutres arabes est supérieur aux navires européens et américains, mais il est à prévoir que dans l’avenir ce sera le contraire, surtout quand on fera un plus grand usage des bateaux à vapeur, par le chemin plus court du canal de Suez, et qu'on pourra braver la région des calmes. Nossi-bé peut devenir à juste titre la station maritime de la France, dans la mer de l'Afrique orientale; tous les bâtiments de guerre qu’elle peut armer, trouveront facilement un bon mouillage dans cette vaste rade, située entre la partie méridionale de l’île, la côte N. 0. de Nossi-cumba et l’îlot de Tani-keli. C’est à ce point de vue que Nossi-bé est pour le moment une possession assez considérable pour la France, car le pays même n'offre pas en proportion d'autres avantages plus importants. La culture qui existait lors de la prise en possession de l'île, se bornait à la plantation de riz, de patates et de manioc; et encore en petite quantité. Les indigènes ne plantaient que pour leurs besoins et ne se donnaient pas la peine d’exploiter le sol pour s'enrichir. Le terrain, quoique peu varié, présente une agglomération de collines basses et arides dont quelques-unes sont d’anciens cratères, entre-coupées de vallons boisés arrosés par plusieurs ruisseaux, qui avant de se jeter à la mer, forment de vastes marécages, couverts de palétuviers. C'était une contrée pauvre et malheureuse, habitée par une peuplade paresseuse; mais dès que des Français vinrent s’y établir, elle devint meilleure et commença à prospérer. Les maigres plantations des indigènes changèrent sous la main de la civilisation, les points les plus fertiles furent exploités par les nouveaux colons; la culture des cannes à sucre occupa bientôt une assez grande étendue du terrain; sur ce sol vierge, cette plante prospérait assez bien et donna de si bonnes récoltes que peu de temps après les planteurs élevèrent dans ces lieux des fabriques de sucre. Plusieurs d’entre eux se livrèrent aussi à la plantation de cafiers, qui donnèrent de même de bons produits et quelques-uns 160 purent bientôt jouir d'un jardin potager de légumes européens !). Le nombre des. bestiaux et des volailles importés de Madagascar s’étendait à mesure que la population colonisatrice s’augmentait; car au moment de l'occupation de l’île par les blancs, on n’y trouvait ni boeufs, ni moutons, ni chèvres, mi porcs et les seuls animaux vivants propres à la consommation de l’indigène consistaient en quelques poules, en canards et en pintades. Ainsi avec le temps, ils réalisèrent quelques profits en pour- voyant le marché de ces denrées nécessaires à la nourriture journalière des colons. Les côtes de l’île abondent en excellents poissons dont les indigènes font la pêche à la ligne, et qu'ils vendent comme un mets recherché, qui trouve toujours des acheteurs parmi les habitants. On ne rencontre pas de bons fruits dans l’île; une mauvaise qualité de bananes y est assez commune; mais d'autres espèces et en outre des manguiers, intro- duits par les colons, y deviennent déjà abondantes. Les contrées situées dans le voisinage de la mer et pourvues d’une plage de sable, où les pirogues peuvent accoster et être halées à terre, sont habitées de préférence par les indigènes et partout où on les ren- contre dans l’île on trouve aussi une quantité d'habitations et beaucoup de terres cultivées. En parcourant l'île, on ne trouve pas tant de contrées habitées dans l'intérieur, que sur les côtes et les différentes baies. La fondation d'usines a eu lieu dans les premiers temps de préférence à proximité directe de la mer, pour faciliter le chargement et le déchargement des navires; les fabriques situées au centre de l'ile éprouvent pour ces travaux de grandes diflicultés, faute de bons chemins, quoique le gouvernement s’'em- presse de les améliorer de plus en plus. En somme, l'aspect de cette colonie est en général assez agréable; la verdure s'étend jusqu'aux bords de la mer excepté dans la partie septentrionale, qui est rocheuse et dépourvue d’une végétation luxueuse. Les vallons sont très-fertiles, mais les plaines n'offrent pas cette qualité; car le haut terrain qui est exposé pendant toute la journée aux rayons brülants du soleil, manque d'arbres et d'ombrage et n’est pas arrosé par des ruisseaux. Cependant le bétail y trouve encore une maigre pâture. Dans le centre du pays s'élèvent plusieurs hautes collines, couvertes de longues herbes jaunes; parmi ces collines, il y en a en forme de cône, qui font penser à d'anciens cratères ayant existé dans des temps reculés, et on se fortifie dans cette idée par les traces de terrains volcaniques et de morceaux de lave qu'on trouve dans ces contrées. Quelques-uns de ces anciens volcans offrent à présent une grande nappe d’eau: la pluie tombée pendant des siècles a rempli l’entonnoir de ces mornes d’une masse d’eau, formant de véritables lacs; on en trouve huit dans l’île, qui con- tiennent des poissons et des crocodiles. Nossi-bé n’a point de rivières; elle n’a que de petits cours d’eau, qui offrent pendant toute l'année de l’eau potable et il n’est pas douteux que ces ruisseaux ne prennent leur source dans les lacs. Un des principaux 1) Au bout de deux mois, on y récolte les navets, la laitue, les carottes, les raves, les choux, les oignons, ete. 161 ruisseaux arrose le pied du plateau de Hell-ville et offre un ravin pittoresque, ombragé de cocotiers, de manguiers, de flamboyantes, de tamariniers, de bananiers et d’autres plantes. C'est un lieu de délices pour le jardinage; plusieurs légumes d'Europe y croissent à mer- veille. C’est principalement le gouvernement qui exploite ces terrains, dans le but de propager la culture des légumes au profit de la garnison et de l'équipage des navires de guerre de l’état entrant en rade, ou bien pour les cuisines du commandant et d’au- tres hauts fonctionnaires. Outre ces ruisseaux, on trouve encore dans l’île plusieurs aiguades, provenant de l’eau accumulée des ravins situés dans l’intérieur, et qui, en cherchant un chemin sur un lit de mousses et de fougères entre les rochers, forment un jet d’eau fraîche et filtrée; quelques-uns, situés près de la plage sont les bien-venus aux marins qui s’approvisionnent ainsi facilement d'excellente eau, pour leurs voyages. La principale source se trouve au pied de la forêt de Loucoubé, tout près du fort Tafondrou, avec lequel nous ferons connaissance dans le cours de notre récit. Nossi-bé, comme je lai déjà dit en quelques mots, est moins remarquable pour la culture que comme position maritime et commerciale par excellence pour la côte ouest de Madagascar. Les différentes anses et rades sont aussi nombreuses que remarquables à connaître. Nous devons les renseignements nautiques, hydrographiques et météorologiques que nous possédons à ce sujet au savant M. Jehenne !), capitaine de corvette, commandant de la gabare La Prévoyante”, qui résida plusieurs mois dans ces contrées, presque toujours sous voile dans la mer de Nossi-bé, et qui visita toutes les côtes de cette île; ces ren- seignements sont pleins d'intérêt pour ceux qui visitent ces parages en navigateurs. Suivons pour un moment ce digne marin dans ses explorations des côtes, en commençant par Pasandava et par l’anse des Antalotes. Le fond de ces mouillages est presque partout de vase ou de sable vaseux, la profondeur de l’eau de 12 à 15 brasses et la mer con- stamment belle. L'île de Tani-keli, dont nous parlerons davantage plus tard, est le seul point saillant dans cet espace. Elle est bordée de quelques roches et récifs, qui ne s'étendent pas au delà de 300 mètres, de sorte qu'on peut en approcher sans danger en tout sens à }, mille; et est éloignée de 5 milles !/, du mouillage ordinaire qui est situé à 3 ou # encablures de terre au pied de la forêt de l’ouest, et devant un village et une plage; les habitants l’appellent Pasandava ?). Dans ce mouillage, on a de 10 à 13 brasses sur un excellent fond de vase. On y est parfaitement à l'abri des vents, depuis l'O. N. O. jusqu'au S. en passant par le N. et l’E.; mais lorsque soufflent ceux de S. 0. et d'O., s'ils sont frais, on a un peu de mer, ce qui rend l’abord de la plage difficile. D'un autre côté, on a l'avantage d’être près de plusieurs aiguades qui four- nissent d'excellente eau. Pour l’appareillage, je me trouvais moins gêné que dans les 1) Voir: Renseignements nautiques sur Nossi-bé, Nossi-Mitsiou, Bavatoubé etc. (côte N. O. de Madagascar) et sur l’île Mayotte (extraits des Annales maritimes et coloniales, Mars 1843). 2) Il ne faut pas confondre ce village avec la grande buie du même nom, qui appartient à Madagascar même. 21 162 autres anses. En avançant un peu dans le N., vers le village des Antalotes, jusqu'à n'avoir que 5 à 6. brasses d’eau à basse mer, on serait moins exposé aux vents d'O.; ce mouillage est celui que prennent les petits bâtiments arabes qui font le cabotage. Le mouillage d'Hell-ville, que nous conseillons aux petits bâtiments, n’est pas très spacieux, étant limité au N. par le fond de l’anse, qui asséche en partie à basse mer; à l'E, par des roches, qui s'étendent à plus de 2 encablures au S. de la pointe du plateau; et à l'O., par des pâtés de coraux, qui viennent jusqu’au bord du chenal; on y a de 6 à 8 brasses d’eau à basse mer sur un fond de sable vaseux. Les deux directions que j'ai remarquées comme aboutissant à l'endroit le plus convenable pour mouiller sont: la pointe basse de Mahatinzo, par le bas de la montagne ronde (côté de droite), et la presque-île de la pointe N. E. de Nossi-Cumba, par une montagne remarquable dans le lointain et qu'on appelle Abouiche-Zanahar ‘). Dans ce mouillage on est abrité des vents du large, et la mer y est toujours belle. Le seul inconvénient que nous y avons trouvé, c’est qu'il n’y a pas dans les environs d’eau douce en assez grande quantité, pour suffire aux besoins des bâtiments. On est obligé d’envoyer sa chaloupe, au moins une fois par semaine, au village de Pasandava, pour y prendre un chargement d’eau destiné à l'entretien du plein des caisses. Depuis les derniers temps, on ne mouille plus dans l’anse d'Hell-ville, mais dans l’anse du Plateau. La bouée placée sur les récifs de la côte ouest de la première anse a été supprimée, et le mouillage est main- tenant signalé par deux bouées, peintes en blanc; l’une à l'extrémité S. O. du récif de la pointe Mahatinzo et l’autre au S. E. du banc de 4 pieds, qui est à l’extrémité S. O. du récif de la pointe, qui sépare les anses d’Hell-ville et du Plateau. Le mouillage dans l’anse à l'E. du Plateau est encore plus resserré que celui de l’anse d’'Hell-ville et peut contenir tout au plus 2 ou 3 bâtiments, étant borné à l'O. par les récifs de la pointe du Plateau; au N., par un pâté de corail sur le bord du chenal; et au S. E. par la pointe Verte. La tenue y «est bonne, et la profondeur de l’eau de 6 à 9 brasses. Ce mouillage, qui ne présente aucun avantage sur celui de l’anse d’Hell-ville, a l’incon- vénient d'offrir un peu moins d’abri contre la brise du large; en outre l’appareillage ne s'y fait pas sans quelques difficultés. Au fond de cette anse se trouve un bras de mer, qui conduit au pied du village d'Hell-ville; mais il n’est praticable pour un canot, que quand la marée est presque haute, et encore la navigation y est difficile à cause des palétuviers qui encombrent le chenal, et dans les branches desquels les avirons s'enga- gent. À basse mer, tout le fond de l’anse asséche, aussi bien du côté de l'E., où l’on voit un village, que du côté de N. O., où se trouve le bras de mer. Le terrain qui reste ainsi à découvert est composé de sable vaseux mêlé de pierres ou de roches plates. À l'O. de la pointe Mahatinzo, dans la direction O. N. O., on trouve un banc de roches, galets et sable vaseux, qui tient à la côte, et qui se prolonge jusqu’à environ ‘} mille 1) Signifie: Montagne de Dieu. 163 de distance de la pointe Anbournerou ‘), où il se forme un véritable récif, composé de pâtés de coraux qui découvrent en partie, et qui brisent dès qu'il y a peu d’eau dessus. Ce récif est accoré du côté du sud. Vers la côte, au N. N. E., se trouve un îlot boisé. Tout le plateau, sur le milieu duquel il y a une espèce d’herbage, asséche dans les grandes marées. Entre l'extrémité ouest du récif et la pointe Anbournerou, se trouve un chenal de !/, lieue de largeur qui permet aux bâtiments qui veulent mouiller dans cette partie de l’île, de jeter l’ancre par 12 ou 14 brasses d’eau, fond de vase, sous la pointe Anbournerou même, à 1 ou 2 encablures de terre; là on est à l'abri des vents d'O., et on a une belle mer; mais la grande distance où l’on est d'Hell-ville et de Pasandava, seuls points de l’île où il y a un peu de mouvement, rend ce mouillage fort monotone; d’ailleurs l’eau douce y manque aussi. Les environs de l’île Sakatia ont un fort joli mouillage, tout près de terre au S. E. par 8 à 12 brasses, fond de vase argileuse. On y est à l'abri de tous les vents, excepté de ceux du S. et du S. 0. qui soufflent rarement, il est vrai. Le morne le plus élevé, qui se trouve à la partie S. O. de l’île est couvert de beaux arbres; les autres mornes paraissent formés de terres blanchâtres et rougeñtres peu favorables à la végétation. Il y a cependant en certains endroits de fort jolis vallons bien verts, sur le bord de la mer et dans les ravins, où viennent se perdre quelques petits ruisseaux d’eau douce. Au $S. 10° O. de la pointe boisée de Sakatia, à 1 mille !/, de distance, se trouve un banc de corail, qui a 1000 mètres dans la direction N.E. et S. O., et 400 mètres de largeur, et qui doit être évité par les navires qui vont au mouillage, car il y a des têtes sur lesquelles il ne reste que 13 pieds d'eau, tandis qu'à l’accore ouest du banc on trouve 15 brasses. Le chenal entre le banc et Sakatia étant de plus de À mille, on pourra en toute sécurité ranger cette île à 4 ou 5 encablures ou 1}, mille. Il y a passage entre Sakatia et Nossi-bé pour un bâtiment d'assez grand tonnage, même pendant la basse mer, mais comme le chenal n’est pas direct, on ne pourrait le tenter qu'avec un vent arrière, c’est-à-dire venant du S. ou du N., qui permettrait de suivre des directions presque opposées. La nécessité ne s’en présente jamais. En continuant à contourner Nossi-bé, en s’élevant de l'O. vers le N., le premier mouillage qu'on rencontre, et le seul de cette partie, est celui de la baie du N. O., connu des gens du pays sous le nom de Bé-Foutaka. Cette baie, fort belle au premier coup d'oeil, ne répond pas à ce qu’elle promet, quand on l'examine attentivement. D'abord, l'entrée du côté du N. se trouve en partie barrée par un banc de roches, et les pointes les plus saillantes sont entourées de récifs, qui brisent pendant la basse mer. Ajoutons à cela que la brise du large, qui est ordinairement assez fraîche dans cette partie de l’île, et qui vient de l'O. N. O., y cause une houle qui rend ce mouillage peu agréable. Pour être un peu à l'abri, il faudrait aller tout à fait dans le fond de l’anse, vis à vis la pointe ouest du village; mais comme un 1) Le nom Anbournerou se dit plutôt Ambanourou. 21* 164 bâtiment ne mouillera jamais dans la baie de Foutaka que par exception, ou pour y passer la nuit, il aimera mieux jeter son ancre au milieu de la baie, afin d’être en appareillage pour le lendemain. La côte est de Nossi-bé présente trois baies, dans les- quelles un bâtiment peut mouiller. La plus spacieuse qui est en même temps la moins bonne, est celle d'Ambatou-Zavavi, dont le fond est de sable mêlé de coraux, et qui asséche au tiers de sa profondeur. Si on veut mouiller devant cette baie, il ne faut guère aller au dedans de la ligne qui joindrait les deux pointes extérieures; là on aura 6 à 7 brasses d’eau sur un fond de vase molle. Du reste la brise du large ne se fat presque jamais sentir dans cette baie; mais dès qu'il vente un peu de l'E. ou du S. E., la mer devient tout de suite houleuse. Il en est de même de la baie de Fassine ou Linta, qui se trouve plus au N.; il y a de la mer et une forte houle, quand la brise de terre a soufflé un peu frais pendant la nuit; le jour il y fait calme, si ce n'est l'après-midi assez tard; on sent alors un peu la brise du large, qui passe par dessus les mornes, et qui n'arrive jamais dans une direction bien franche. Le mouillage est au milieu de la baie par 6 à 7 brasses à basse mer, fond de sable ou sable vaseux. Il ne faut pas s'approcher davantage du Rocher Noir qui parait à l’O., car le fond décroit rapidement, et la plage découvre beaucoup à basse mer. Un des inconvéments qu'offre ce mouillage, outre la houle, c’est qu'on ne peut communiquer facilement avec le village de Linta que lorsque la mer est haute. A cet endroit on ne se procure que très difficilement de l’eau douce, mais en revanche on y trouve très abondamment et au meilleur compte des provisions de table, des volailles surtout. Ce village, amsi que ceux des environs, est habité par des Betsimsaracs, émigrés de la côte est de Mada- gascar et qui sont plus industrieux que les Sakalaves. Au N. de la baie de Linta (ce nom est celui du chef des Betsimsaracs, dont je viens de parler), toute la côte, jusqu’à l'entrée de l’autre baie, est bordée par un récif, qui s'étend à près de 4 mille au large et qui découvre presqu’en entier dans les grandes marées; c’est la partie la moins accore de toute la côte est de Nossi-bé. La baie Tandraka est divisée en deux parties par une île boisée, qu'on nomme Tandraka, dont la direction, dans le sens de la longueur, est N. E. et S. O.; la ponte de ce dernier côté est très rapprochée des terres de Nossi-bé, et on peut communiquer de l’une à l’autre à pied sec, à la marée basse. La petite anse au S. de l’île asséche en grande partie; il ne reste pour le mouil- lage qu'un espace très resserré entre des récifs et qui ne peut convenir qu'à de petits bâtiments. Au fond de cette même anse, sur la gauche, se trouve un village de Mal- gaches réfugiés, où l'on élève beaucoup de volailles pour la vente, c’est le seul endroit de l'ile où nous avons pu nous en procurer à six pour une piastre. La partie de cette baie au N. de Tandraka, offre un joli mouillage par 7 à 9 brasses d’eau, à peu près au tiers de la distance de Tandraka à la pointe de Nossi-bé, qui termine la baie du côté du N., et un peu en dehors de la ligne qui joindrait ces deux points. Un village 165 de Sakalaves, situé dans le N. O., est d'un abord difiicile pendant la basse mer, et n'offre d’ailleurs aucune ressource pour les provisions. Sur la côte nord de cette baie, on remarque une petite île plate formée de rochers et de coquillages brisés, dont il ne faut pas trop se rapprocher, parce qu'il y a peu d’eau dans les environs. Partant de cette baie et continuant à contourner Nossi-bé par le nord, on ne trouve plus ni baies ni anses qui offrent quelque abri jusqu’à la grande baie de Foutaka; il y a cependant quelques plages de sable, devant lesquelles nous avons jeté l'ancre pour 12 ou 24 heures, mais on y est en pleine côte, et le débarquement est difficile à cause de la houle et des récifs, qui bordent la plage. Il y a passage entre la pointe Apahoufaho et le rocher découvert, qui en est à 2700 mètres à l'E. 10° S., en se tenant à peu près à égale distance de l’une et de l’autre; ce passage, dans lequel on trouve de 9 à 13 brasses d’eau, à au moins 1}, mille de largeur. Je le préfère même à celui du large du rocher, à cause des bancs de coraux qui sont au nord de celui-ci. Le climat de l’île peut se diviser en deux saisons distinctes, qu'on nomme l'été et l'hivernage. Dans l’été, qui commence au mois d'Avril et finit en Novembre, le temps est plus frais, plus sain et presque constamment beau, le ciel pur, le vent modéré et la mer calme. La pluie est rare dans cetle saison, ainsi que les orages et les tempêtes. Si le ciel se couvre, c’est alors pendant la nuit, car dès que le soleil se lève à l’horizon, les nuages se dissipent ordinairement. Cependant dans le mois de Mai, la pluie tombe souvent pendant la nuit, et les éclairs qui paraissent quelquefois vers le soir, sont rare- ment suivis de coups de tonnerre. Dans le commencement de l'été, le thermomètre indique à l’ombre à midi, 30°, 1, Cels.; à 3 heures, 30°, 8, Gels.; à l’entrée de la nuit, 28°, 5, Cels.; le matin 26°, 0, Cels.; mais dans les mois suivants la température baisse un peu et la nuit devient froide. Le contraste dans l’hivernage, qui a lieu dès le mois de Décembre jusqu'à celui d'Avril, est grand; la chaleur devient insupportable, et monte de 32% à 36°, Cels. Le sol trempé par des pluies torrentielles ressemble souvent à un vrai marais, dont les miasmes, évaporés par les rayons ardents du soleil, remplissent l’air et occasionnent des fièvres fatales aux Européens, ainsi qu'aux habitants mêmes, avec lesquels nous ferons connaissance dans le cours de notre relation. Les coups de tonnerre sont effrayants dans cette saison, et les éclairs qui les accompagnent donnent à l’espace l'aspect d'un feu artificiel énorme. Il est vraiment curieux qu'on ait rarement dans ces parages de ces ouragans qui parfois occasionnent de si grands ravages aux îles Mascarègnes et à la côte est de Madagascar '}. Cependant on a quelquefois de fortes brises. Comme nous l'avons déjà dit en quelques mots, l’île est habitée par différents peuples émigrés de Madagascar, de Comores, importés de la côte orientale d'Afrique, de Créoles de la Réunion, d’Arabes de Zanzibar et de Mascate et d’'Hindous de l'Inde anglaise, ainsi que par un petit nombre de Français. Les Sakalaves emportent le chiffre de 1) Voir p. 57—60 I. c. 166 la population, puis suivent les Antankars et les Betsimsaracs, les Antalotes (peuple de sang arabe de Madagascar), quelques Hovas, des Betanimènes, des Ménabéens et d’autres peuples de la côte ouest de Madagascar. Après avoir donné cet aperçu de l’histoire, de la géographie etc., nous revenons à notre relation de voyage. Depuis quelques jours nous. attendions avec impatience le boutre Fata Salama, qui avait à transporter nos colis de Mayotte à Nossi-bé; nous étions même inquiets de leur sort, mais la confiance que nous avions mise dans le capitaine Mohama Massoudy, et qui nous avait été inspirée par les recommandations et le bon témoignage du commandant de Mayotte, nous donnait en même temps de la tranquillité. En attendant, notre première visite après notre installation, fut au commandant particu- lier, M. Deyrusac, pour le complimenter et lui demander en même temps des rensei- gnements indispensables pour notre séjour dans la colonie; d'autant plus que le peu de meubles les plus nécessaires nous manquaient, par suite du retard de l’arrivée de nos colis. Le commandant nous reçut cordialement et nous conseilla de faire nos achats à Ambanourou 1), la ville marchande de la colonie, lieu où l’on trouve les boutiques des Banians et des Arabes, dans lesquelles nous pourrions nous procurer plusieurs choses, dont nous aurions besoin pour commencer notre ménage de garçons; comme le com- mandant lui-même devait aller à Ambanourou pour rendre visite au Chérif Kalyfan, il nous invita à l'accompagner, afin de nous présenter en même temps au chef d’Amba- nourou, qui pouvait nous être très-utile pour nos voyages à Madagascar, grâce à ses connaissances et à ses grandes relations commerciales avec ce pays; et nous acceptâmes cette offre complaisante. Comme je l'ai dit, j'avais déjà eu l'avantage de faire connais- , sance avec ce dignitaire arabe, lors de mon séjour à bord du Lynx,” mais la présen- tation du commandant avait pour nous un caractère ofliciel; c'est pourquoi j'étais heureux de la renouveler, d'autant plus que M. van Dam ne le connaissait pas encore. Nous nous rendimes alors par mer avec le commandant, dans l'après-midi, 4 Août 1864, à Ambanourou. L'aspect de la villette était vraiment oriental avec ses maisonnettes à plate-forme et ses façades blanchâtres; mais autant elle paraissait propre de loin, autant elle se montra sale lorsque nous accostämes. Plusieurs boutres étaient mouillés dans l'anse et quelques-uns échoués sur la plage vaseuse, qui répandait une mauvaise odeur. À peine eut-on remarqué le canot du commandant, que la plage se remplit d’une foule de monde; quelques-uns s’avançaient dans la mer, pour venir en aide aux matelots qui leur jetaient l’amarre. Nous accostâmes presque en face d'un édifice qui semblait plus beau que les autres; du moins la façade était plus haute et pourvue de plusieurs fenêtres toutes à barreaux de fer, qui lui donnaient plutôt l'air d’une prison que du palais d'un grand personnage. Devant la maison, à quelque distance de la plage, se trouvait un mât de pavillon, pour indiquer que l'habitant était le représentant du gouvernement 1) Voir la note p. 163. 167 de Nossi-bé. Aussitôt que nous miîmes pied à terre, le Chérif Kalyfan vint à notre ren- contre, au moment où l’on arborait le drapeau tricolore de la France, pour saluer le chef de la colonie. Après avoir fait une révérence respectueuse, il invita le commandant et nous à entrer dans sa maison. L’entrée bâtie en voûte était spacieuse et haute, ainsi que le vestibule contre les parois duquel se trouvaient des bancs, sur lesquels étaient assis, ainsi que sur le perron, plusieurs arabes qui causaient avec tant d'animation, qu'on aurait cru se trouver dans une synagogue à l'heure du service. En suivant le Chérif dans l’aile droite de sa demeure, nous entrâmes dans une espèce de chambre à haut étage. Elle était très simplement meublée et avait plutôt l'apparence d’un bureau que d’un salon de réception. Une armoire, un cubani et plusieurs armes, comme de vieux fusils à pierre et des sabres, ornaïient les murailles nues; un bureau se trouvait devant la fenêtre et une simple table et quelques chaises remplissaient l'appartement, dont le pavé était couvert de nattes de Zanzibar et de Madagascar. Après que nous eûmes pris place au- tour de la table et qu'on nous eût servi un verre de Vermouth, le chef arabe se mit devant le bureau et nous demanda la per- mission d'écrire un moment, afin de finir une lettre à peme commencée , en disant que le commerce lui importait plus que 2 toute autre affaire. Il mit alors ses lunettes CL sur son nez, COnmença à écrire et à peine quelques minutes s'é- taient-elles passées, NS à SN N NN qu'il porta sa plume derrière son oreille; ce qui nous prouva qu'il était prêt à re- Le Chérif Kalyfan Ben-Alla et son fils. prendre la conversation; mais elle fut bientôt interrompue par l'entrée de son enfant, un gentil petit garçon de quatre ans, qui vint se placer sur le genou de son père. Son 168 f discours roula principalement sur les relations commerciales qu'il entretenait avec la côte orientale de l'Afrique et de Madagascar, et dont il parlait avec une telle ardeur qu'on aurait cru que la visite du commandant n'était qu'une affaire de commerce. Il parais- sait que le chef de Nossi-bé était accoutumé à une réception pareille. En notre faveur, il saisit cette occasion de profiter de cette passion commerciale, et invoqua son secours pour nous rendre nos achats aussi avantageux que possible. Quelques instants plus tard nous quittâmes sa maison, suivis d'un de ses esclaves, pour faire nos affaires, laissant le commandant en conversation avec le Chérif Kalyfan. Lorsque nous entrimes au village, ou plutôt au bazar de Nossi-bé, nous vimes partout une grande activité com- merciale; une foule de gens de différentes couleurs, de langage et d’habillement divers, venant des différents pays orientaux, se méêlaient pêle-mêle, en babillant; ce qui pro- duisait un bourdonnement si vif qu'on aurait cru se trouver au milieu d’un millier de ruches d’abeilles prêtes à essaimer. Le contraste des races les plus diverses était curieux à voir. Des arabes Comoriens de Zanzibar, de Mascate, d’Antalotes, de Hovas, d'Antankars, de Betsimsaracs, de Sakalaves et d’autres peuples de Madagascar, ainsi que des Banians de Bombay, de Calcutta, de Surate et d’autres peuples de Bengale, riva- lisaient dans leurs affaires. Nous arrivämes à l'entrée d’une rue très-sale et non pavée, bordée de chaque côté de maisonnettes, aux toits en plate-forme, bâties en style arabe de morceaux de coraux, dont plusieurs étaient nouvellement élevées; ces maisons répan- daient une odeur infecte de poisson, causée par les blocs de madrépores récemment pêchés, contenant encore des substances animales en putréfaction. Presque toutes étaient des boutiques; les étages et les arrière-maisons servaient de magasins. Les habitants de ces boutiques élaient pour la plupart des Banians, et les objets qu'ils étalaient consistaient en diverses toiles de Surate, en quincaillerie, en verroterie et en faïence; ainsi qu’en outils de charpentier, comme: des haches, des marteaux, des ciseaux, des scies, des clous, des vilebrequins etc., etc. Les boutiquiers étaient généralement assis les jambes croisées, derrière leurs marchandises; tandis qu'un de leurs domestiques, le plus souvent un jeune homme de leur race, invitait les passants en leur offrant à vendre plusieurs objets de diverses sortes. Par exemple, pour recommander leurs allumettes, ils les allumaient plusieurs fois; pour faire valoir leurs rasoirs et leurs couteaux, ils coupaient divers objets; pour faire apprécier leurs articles de toilette, ils ouvraient souvent les flacons et les faisaient examiner, etc. L'activité de ces gens était vraiment étonnante et nos Israélites d'Amsterdam pourraient bien y aller à l’école. (C'était toujours vers quatre heures de l'après-midi que le marché était le plus animé; ce que nous attribuions à la chaleur de la matinée et au fait que les marchands de Madagascar retournaient le soir chez eux. On croirait que ces négociants n'ont d'autre affaire que d'ouvrir leurs magasins dans l'après-midi; mais 1l n’en est pas ainsi; ces boutiques ne sont pour eux qu'une affaire de peu d'importance. de crois qu’elles ne servent à rien autre qu’à attirer 169 les Malgaches, à les exciter à entrer en relations avec eux, pour le commerce en gros de leurs marchandises, comme: le riz et diverses espèces de bois, la cire, la gomme- copal, l’indigo, les peaux et les cornes de boeuf, etc. Pour ce commerce, ils ont besoin de piastres, nom qu'on ne donne pas seulement aux piastres d'Espagne, mais aussi aux pièces de cinq francs de France. Pour les obtenir, ils se rendent presque journellement à Hell-ville chez les colons, pour y changer souvent contre une forte somme leurs pièces de 5 et 10 centimes, produit de leur commerce en détail. Non seulement ils font cela pour eux-mêmes, mais ils profitent en même temps de la présence des traitants arabes, et des capitaines de boutres qui font le commerce à Madagascar, pour leur fournir les piastres sans lesquelles ils ne pourraient négocier avec les Malgaches. A Madagascar même, les piastres!) sont divisées en morceaux égaux, c’est-à-dire qu’on les coupe par moitiés ?), par quarts‘), par huitièmes“), par seizièmes®5), jusqu'à ce qu’on obtienne de petits morceaux qu’on pèse contre des grains de riz. Le gouvernement Hova a intro- duit une balance et des poids), pour contrôler ofliciellement les finances ; c’est du reste la monnaie courante dans toutes les parties de Madagascar qui sont sous le gouverne- ment direct des Hovas. La monnaie d’or ou de cuivre n’est que rarement acceptée et seulement par ceux qui traitent directement avec les Européens. Aussi les piastres d'Espagne à canons sont les pièces qui ont le plus de valeur; elles sont plus recherchées que les pièces de cinq francs de France; la monnaie anglaise n'est acceptée que sur quelques points de la côte orientale de Madagascar, principalement à Tamatava, où plusieurs traitants fgnt le commerce avec l’ile Maurice. Je crois qu'on pourrait faire une bonne affaire en changeant des pièces de cinq francs ou des piastres d'Espagne contre de la monnaie de cuivre, en cas que la somme soit assez considérable. Du moins lors de notre séjour à Nossi-bé, nous changeñmes souvent à grand profit des pièces de cinq francs; et je suis encore fàché que je n’en aie pas emporté d'Europe en’ plus grande quantité pour en faire le commerce. Souvent les piastres sont très rares dans la colonie de la Réunion et sont soumises à un escompte de 5 pour cent et plus. La Banque d’escompte de Saint-Denis qui nous fournissait de l’argent, nous payait toujours en billets de banque, parce que nous ne voulions pas perdre une somme considérable en prenant des pièces de cinq francs, et nous les changions sans perte au trésor colonial, grâce à la bonté du gouverneur. Lorsque nous eümes fait nos achats dans la rue principale d’Ambanourou, nous visi- tâmes deux mosquées, l’une mahométane et l’autre hindoue; puis en les quittant, nous 1) Se nomme: Parata. 2) » ” Losu. 8) " Kirobo, 4) " “ Parata tafunra. 5) " Sikatsi à une valeur d’une livre ou 7 marques de l'ile de la Réunion. 6) Voir les notes I. c. 12 12 170 passämes par le marché, où plusieurs Malgaches, femmes et hommes, accroupis sur des nattes, vendaient des feuilles de betel, des noix d’arec, de la chaux, du mamioc, des patates, des ambravades, des noix de coco, de la volaille et des poissons secs; dans un coin opposé on débitait de la viande de boeuf, coupée en petits morceaux, enfilés à un jonc ou placés sur des feuilles de cocotier. Je vis aussi les pieds de boeuf à demi brûlés, que les Malgaches achètent avidement comme une délicatesse. En longeant une rue semblable à celle que nous venions de quitter, mais dans laquelle se trouvaient des boutiques de moins d'importance, nous vimes encore quelques orfèvres antalotes, qui nous offrirent leurs services et nous demandèrent une ou deux piastres pour en fabriquer des bagues, qu’ils orneraient de fausses pierres si nous le désirions; mais comme nous ne tenions pas à ces ornements grossiers et plus encore que nous craignions d’être trompés, nous retournâmes vers la demeure du Chérif, pour rejoindre le commandant qui était prêt à partir. Nous nous informâmes encore si on n'avait pas un bateau quelconque à vendre, avec lequel nous pourrions entreprendre nos expéditions à Madagascar, mais nous ne réussimes pas pour ce moment-là. Nous en parlâmes à Kalyfan, qui nous promit de faire tout ce qu'il pourrait pour nous en procurer un le plus tôt possible, après quoi nous retournâmes le soir à Hell-ville, satisfaits de sa réception. Le lendemain, nous apprîimes que M. O'Neill irait sous peu de jours à Nossi-Faly, île qui se trouve à peu de distance de Madagascar et à 6 lieues de Nossi-Bé, où il avait des relations commerciales. Comme il était grand amateur de chasse, il nous proposa de l'accompagner, afin de faire en même temps avec nous une excursion à la grande terre et de nous présenter au jeune Roi, qui était son frère de sang, titre avec lequel nous ferons connaissance dans le cours de notre relation. Comme le boutre avec lequel nous attendions notre bagage n'était pas encore arrivé et que nous avions néan- moins nos armes, une provision de munitions et de quoi faire nos préparations, nous acceptâmes de bon coeur l'offre généreuse de M. O'Neill, d'autant plus que M. Doublé aurait soin de notre demeure et ferait attention à l’arrivée de nos colis, pendant cette absence de peu de jours. Vers une heure et demie de l’après-midi, par un beau jour du mois d’Août nous nous mîmes en route à bord du Comte Ory”’, petite goëlette d'agrément de notre ami, pour nous rendre dans les états du Roi Antankar. Par une bonne brise du Sud-ouest, nous franchimes la passe de Tafondrou, qui sépare la magnifique forêt de Loukoubé du sol aride de Nossi-Acoumba, et nous entrâmes quelques heures après dans le chenal qui se trouve entre Nossi-Faly et la grande terre. Nous débarquâmes sur la plage sablonneuse qui s'étend devant le village royal. Ce village, qui est situé à la pointe méridionale de l’île, est bâti sur un sol plat et sablonneux. Vu du bord de la mer, ce petit plateau a un aspect riant; mais ce ne sont certainement pas les misérables cases construites de railia et couvertes de feuilles de Ravenala qui rendent ce paysage agréable; ce sont ay surtout les nuances de la verdure des badamiers, des acacias, des adansonias, des gossampinas, des cocotiers, des magniferas, etc., qui couvrent de leur ombre les centai- nes de demeures de ses habitants. Lorsque nous fûmes débarqués et que nos marmites, nom qu'on donne à Madagascar aux domestiques, eurent déposé notre bagage dans une case que Sa Majesté avait mise à notre disposition, nous entrâmes, accompagnés de M. O'Neill, dans la demeure royale qui se distinguait des autres par sa grandeur et une balustrade de feuilles de Sagus raffia qui l’entourait. L'appartement dans lequel nous fûmes reçus, était très simplement meublé; une table, quelques chaises en bois et une natte malgache étaient tous les ornements de la salle de réception de ce monarque. Il paraît que Sa Majesté s'occupe aussi de lecture, d'écriture et de musique, car sur cette modeste table se trouvaient quelques livres, de l'encre, des plumes et un cahier de musique. Parmi les livres un livre de prières catholique romain et un volume du Monde Illustré, attirèrent surtout notre attention. Les autres objets, qui se trouvaient encore dans cette modeste chambre étaient des sagayes, un sabre, un violon, un accordéon et un tambour. Lorsque le Roi nous reçut, il était assis sur une chaise et entouré de ses ministres el des hauts dignitaires de sa résidence, qui étaient assis où à moitié étendus sur une natte à quelque distance de lui. Après que M. O'Neill nous eut présentés à Sa Majesté noire et lui eut fait connaître le motif de notre mission et le but de notre voyage, nous primes place sur les autres chaises; on alluma une bougie et on nous présenta un verre de rhum malgache, après quoi le Roi fit entendre sur son violon une marche Hova et quelques airs français et anglais. Il paraît que la musique du Roi frappait ses ministres, car tous avaient la bouche ouverte et demeurèrent immobiles pendant tout le temps que dura le concert; quant à nous, nous bâillämes d’ennui aux sons discordants que le musicien royal arrachait de son instrument. Après cet entretien musical, nous causâämes encore quelque temps du but de notre voyage et principalement du besoin que nous avions de son secours dans nos excursions scientifiques. Il nous promit de faire tout ce qui était en son pouvoir pour nous être agréable et utile. Satis- fait de l'introduction que M. O’Neill nous avait procurée auprès du Roi, nous nous reti- râmes dans notre case où un souper frugal nous attendait. Nous apprimes de M. O’Neill l'histoire de la famille royale de Nossi-Faly, que je m’empresse de communiquer. Le jeune Roi de Nossi-Faly descend des anciens souverains d'Ankara; soumis au joug des Hovas, ce pays fait à présent partie de leur grand empire dont il est la province sep- tentrionale. Suivant les récits de certains indigènes, feu son père aurait été le véritable Roi qui devait régner sur Ankara; mais suivant d’autres, c'était le fameux Tsimiaar, qui se serait emparé du gouvernement d'Ankara pendant l'invasion des Hovas, sous leur redoutable guerrier Radama I. D’après les documents que nous a fournis le capitaine Guillain, Tsimiaar aurait eu des droits au trône d’Ankara, comme fils aîné de Tsialan, qui mourut en 1832; mais ne pouvant pas lutter contre les forces supérieures des Hovas, 22 * 172 il fut forcé de se retirer dans son fort naturel d'Ambatouzah. Cette singulière retraite se trouve dans une chaîne de montagnes sur la côte nord-ouest de Madagascar en face de Nossi-Mitsiou, et est connue parmi les français qui traitent dans ces parages, sous le nom de Trou de Tsimiaar. L’asile qu'il avait cherché dans cet endroit ne le protégea pas longtemps; il fut trahi et obligé de se retirer dans l’île de Nossi-Mitsiou, où il fut ensuite rejoint par un certain nombre de ses partisans, qui le proclamèrent Roi de cette ile. Une hame profonde contre les Hovas l’engagea à s'allier aux français, à l’aide desquels il espérait reconquérir le trône d’Ankara. Le fameux guerrier fit, pour atteindre son but, un voyage à l'île de la Réunion, où il fut reçu en véritable Roi par le gou- verneur et la garnison et reconnu comme leur allié dans le canal de Mozambique. Au moment où Tsimiaar s’emparait du trône d’Ankara, son frère de père Tsiaminra fut obligé de fuir et de se réfugier dans l’île de Nossi-Faly, dont il prit possession sous le titre de Roi, suivi d’un grand nombre de ses partisans. Tsiaminra venait de mourir et son frère Tsimataus fut élu par plusieurs habitants pour lui succéder; mais celui-ci fut forcé, par l'influence des missionnaires jésuites, de renoncer à ses prétentions sur le trône de Nossi-Faly en faveur de son neveu, le plus jeune fils de Tsiaminra, nommé Ndrivotsi (Indryvouts), qui se trouvait dans ce moment-là à l'île de la Réunion, où son père l'avait envoyé pour être élevé chez les jésuites à la Ressource. A peine était-il resté un an chez les missionnaires, qu'il apprit la mort de son père et les tentatives faites par son oncle pour s'emparer du trône; il se hâta de retourner à Nossi- Faly, afin de réclamer son trône. De retour dans son pays, un grand nombre des habitants le reconnurent comme leur Roi, et par l'influence des jésuites il put se main- tenir et braver les menaces et les tentatives de son oncle Tsimataus; celui-ci fut obligé de quitter le pays et se rendit avec quelques-uns de ses partisans dans les parages de la rivière de Mavave, situés à la grande terre entre les îles de Nossi-Faly et de Nossi- Mitsiou, où il fut nommé Roi. Le jeune Ndrivotsi, qui avait assez bien profité des instructions des jésuites pour le peu de temps qu'il était resté parmi eux, leur prouva sa reconnaissance en leur accordant l'autorisation de professer librement leur religion dans ses états et fit honneur à son nom chrétien de François Xavier. La société de Jésus fit bâtir une église et une école sur un plateau élevé, un des plus magnifiques et des plus fertiles de l’île; mais l'indifférence des indigènes pour la religion chrétienne obligea les jésuites d'abandonner leurs tentatives, et de renoncer à prêcher l'Evangile parmi eux, malgré les bonnes dispositions du jeune Roi. A présent ces édifices ne sont que de véritables ruines et en l'absence des prêtres le jeune Roi retomba, grâce surtout à l'influence de ses femmes, dans les idées religieuses de son peuple et oublia une grande partie des bons principes qu’il avait reçus. Lorsque nous fimes notre visite chez Ndrivotsi, il avait à peu près dix-huit ans. Il est de petite taille, bien fait et d'un beau type, surtout pour un Malgache. Sa figure, couleur café au lait, ses yeux noirs, 175 ses traits souriants, ses lèvres grosses, mais bien faites, ainsi que sa chevelure noire et soyeuse, qui pend en tresses nombreuses sur ses larges épaules, dénotent en lui un bon naturel. Son habillement est conforme aux coutumes de son pays, très-simple; un symbou d'une étoffe bleue, une chemise blanche, un gilet arabe brodé, ou parfois un paletot européen garni de rouge, composent tout son costume. Il porte aussi comme ceinture une forte chaîne d'argent, à laquelle se trouve quelquefois suspendu un couteau arabe. Dans ses promenades il porte un sabre de la même fabrique, suspendu à son épaule gauche par un ruban très court, el tient à la main une canne en bois de rose, surmontée d’une pomme d'argent. Il est alors suivi de quelques ministres et de son frère de père Dindela, qui exerce une grande influence sur lui. Ce Prince, qui se livre trop souvent à la boisson, a été élevé par les jésuites à la Ressource, où il est resté cinq ans et où il a bien profité de l’enseignement, puisqu'il lit, écrit et calcule très bien en français et est très rusé dans le commerce. Depuis que M. O’Neill avait quitté la marine royale, pendant son séjour à Nossi-Bé, pour se livrer à d’autres travaux dans la nouvelle colonie, il avait déjà fait la connais- sance du père d'Indryvouts, dont il était le frère de sang (Fatidrah); c'est pour cela que le jeune Roi lui portait une grande estime et un grand dévouement. M. O'Neill avait souvent fait un commerce assez considérable en riz et en bois d’ébène, qu'il con- tinuait avec ses fils, et je crois que c’est pour cette raison que sa visite auprès du Roi actuel avait lieu. Le Roi nous combla de politesses et mit à notre disposition quelques- uns de ses esclaves, qui nous accompagnèrent le lendemain dans une excursion de chasse à la grande terre. Donnons d’abord un aperçu de Nossi-Faly et de ses habitants, ainsi que de leurs moeurs et de leurs coutumes, qui ne diffèrent en rien de celles d'Ankara, la partie septentrionale de Madagascar, dont ils sont originaires. L'ile est séparée de Madagascar par un chenal assez étroit et peu profond, qui n’est navigable que pour des barques et qu’on traverse à peine en un quart d'heure. Cette région se nomme la pointe d'Ambatou, à cause du nom de la montagne qui domine Nossi-Faly que les indigènes nomment aussi Bary-Fady, ce qui signifie: île sacrée. Elle à la forme d'un L, et n’a point de montagnes; il y a quelques collines, qui forment au centre un plateau assez élevé. Du reste c'est un pays bas, pourvu de grandes plaines d’un sol souvent aride, entrecoupé d'étangs et de sources de peu d'importance; il n'y a point de fleuve et les côtes seules sont couvertes d’une végétation assez luxuriante. Autrefois l'ile était boisée, mais comme on en a brûlé tous les ans et dévasté une partie pour la culture du riz, les forêts proprement dites n'existent plus. La résidence du Roi offre, comme je l'ai déjà dit en quelques mots, un aspect agréable par la verdure d’une quantité d'arbres de diverses espèces, sous l’ombrage desquels on compte une centaine de cases de différente grandeur. Les cases des esclaves jusqu’à celle du plus haut dignitaire, ne se distinguent que par une construction plus finie. Elles sont construites de tiges de 174 Sagotier (Sagus raffia), sur une espèce d’échafaudage de trois pieds de hauteur, soutenu par de petits poteaux, ou bien elles sont construites sur le sol même. On coupe les tiges du raffia de manière qu’elles aient la même longueur et on les unit l’une à l’autre par une longue cheville plate et mince de bambou, de sorle qu’on construit de cette manière des claies bien confectionnées, qui forment les cloisons de la maison. Le plan- cher est fait de troncs de palmiers battus à plat, qui sont connus sous le nom de Rapaka. Dans ces cahutes on trouve deux petites portes étroites et ordinairement une séparation, qui les divise en deux appartements. Le toit se compose de feuilles pliées de l'arbre voyageur (Ravenala madagascariensis). Quelques-uns sont couverts aussi, mais rarement, d’une espèce d'herbe nommée Fatak. Il y a aussi tout près de ces demeures une espèce de grange pour les provisions où l’on garde ordinairement Île riz. Ces granges sont bâties sur des poteaux de 5 à 6 pieds de hauteur et de la même manière que les cabanes, mais elles sont beaucoup plus petites. En haut des poteaux, il y a des planches de forme ronde, comme le fond d’un tonneau, sur lesquelles la grange est placée. Ces planches servent à empêcher les rats de grimper le long des poteaux et d'entrer dans la grange. Les portes de ces granges sont pourvues, d’un cadenas. Dans le village royal on trouve aussi une église catholique romaine, ainsi qu'une école créée par une mission jésuite, mais ces établissements utiles, qui sont abandonnés et détruits depuis quelque temps, témoignent que le Christianisme n’a pas eu d'influence parmi les indigènes. Les habitants de cette île sont doux et hospitaliers et aiment beaucoup à fréquenter les blancs. Leurs plus grands vices sont de mentir, de tromper, de s’énivrer et de mendier. Ils volent très rarement, du moins je n’ai pas remarqué qu'aucun vol ait été commis à mon préjudice. Cependant ce vice existe parmi eux, puisqu'ils se volent souvent leurs canots. Les hommes sont généralement très paresseux et ne travaillent que pour vivre au jour le jour. Les femmes au contraire sont très-laborieuses, et il faut dire qu'il y a peu de contrées parmi celles que j'ai visitées où les femmes sont aussi actives que là. Leur travail consiste à piler du riz, à fabri- quer des lambas, des nattes, de petits paniers, des vans à riz, des cruches à eau, des pots, des poèles, etc. Outre cela, elles passent encore des heures entières à se tresser leurs cheveux l’une à l’autre et ceux de leurs époux ou de leurs amants. La plupart des habitants ont la taille bien faite et il y a des femmes que l’on peut trouver belles, si l’on ne fait pas attention à la couleur, comme celle de café au lait, fêve de café brûlé et suie de cheminée. La coiffure est chez eux une des principales beautés. Ils tressent et coiffent leur chevelure crépue de différentes manières, avec tant d'adresse et de patience qu'un coiffeur parisien pourrait prendre une leçon chez eux. Lorsqu'ils portent leur plus belle coiffure, ils disposent leurs cheveux en tresses de la grosseur d’un tuyau de pipe. Pour ce travail il leur faut plus d’une journée. Les noeuds en très-grand nombre sont formés si mathématiquement qu’on croirait qu'ils ont fait usage 175 d’un compas. Le seul instrument dont ils se servent en tressant, consiste en une cheville d'ivoire de la forme de celles qu’on emploie pour tricoter, cependant un peu courbée, ainsi que d’un petit peigne étrange en bois, de la forme d’un tamplon. On ne peut pas s'imaginer qu’ils puissent avec cela débrouiller leur chevelure crépue. Pendant qu’on tresse les boucles de cheveux, celui qui doit être coiffé tient la tête sur les genoux de la femme qui fait cette opération. Souvent on voit des femmes se coiffer l’une l’autre de cette manière, devant la porte de leurs cabanes et étendues sur une natte, ou coiffer leurs parents, leurs voisins, leurs amants ou leurs époux. Il y a sûrement vingt manières de porter la coiffure, selon le goût ou la chevelure. L'habillement et la parure des hommes et des femmes sont très simples. La plupart portent un grand morceau de toile de la forme d’une nappe longue, généralement fait de raffia teint de couleurs plus ou moins vives. Ils couvrent, ordinairement avec une certaine élégance, leurs épaules de cette espèce de large écharpe, qui est connue parmi eux sous le nom de Lamba); nom qu'ils donnent cependant à toute espèce de toile. Ils portent encore un habit de dessous nommé Simbu, qu'ils ferment un peu au dessus du ventre. Leur collier est ordinairement une petite corde à laquelle est attachée un petit morceau de bois rond, qu'ils portent toujours et partout comme talisman; c'est leur Fanfoudi, auquel ils attribuent une puissance secrète et qui les préserve, croient-ils, de plusieurs souffrances terrestres. Quelques-uns portent aussi des coraux d'argent (Vavan-pantzava) et des boucles d'oreilles (Kivera). Les plus fortunés portent encore une espèce de chemisette, camisole ou paletot; les hommes d’un âge avancé couvrent leur tête rasée d’une calotte (Kufia). Leur arme principale est la sagaie, espèce de lance, dont ils se servent très-adroitement en la lançant et dont ils se séparent rarement, la portant toujours avec eux en promenade, comme marque de distinction et moyen de défense. Dans le combat, la sagaie est l'arme principale qu’ils lancent en ligne de bataille à plus de 25 pieds de distance. Au bas de quelques-unes de ces sagaies se trouve un morceau de bois léger, fait de la tige du raffia, de la forme d’un bouchon pointu, pour servir de contre-poids, ou bien une petite barre de fer, comme un coutelas, qui joue le même rôle. La plupart de ces gens possèdent aussi de vieux fusils à pierre à feu; plusieurs d’entre eux ornent la crosse et le fût du fusil de petits clous en cuivre. Il n’est pas nécessaire de prouver que cet ornement cause, lorsqu'ils tirent, un sentiment désagréable sur la joue du tireur. Ils ont la coutume de tenir leur fusil des deux mains et de tirer ensuite en rasant la terre. Ils emploient beaucoup de poudre afin que les coups retentissent davantage, ce qui peut leur occasionner à eux-mêmes ou à leurs camarades, aussi bien qu'à leurs ennemis, les plus grands malheurs. Ils aiment aussi à ce que leurs fusils soient très 1) Se nomme chez les Betsimsaracs aussi Sici. 176 brillants et à les graisser; ils exagèrent cette coutume jusqu’au ridicule; ils versent tant d'huile dans les canons de leurs fusils, qu’en les renversant elle s'échappe goutte à goutte. Equipés pour la chasse, le combat ou les fêtes, ils portent aux reims un large bandeau de cuir de vache auquel est attaché une corne de boeuf, une giberne et une fiole d'huile de coco. Le bandeau est souvent muni d’un collier de balles de fusil. Quand ils n’ont pas de balles, ce qui arrive bien souvent, ils se servent de petits cailloux ou de morceaux de fer brisé. Ils tirent par exemple sur le gibier presque à hout portant, en faisant en même temps toutes espèces de bonds ridicules ou de mou- vements singuliers afin de s’en approcher le plus que possible. Leurs outils sont très insignifiants; il ne consistent généralement qu'en une petite hache, un couteau et une espèce de bêche. Avec les premiers, ils fabriquent presque tout ce qu'il leur faut, comme: leurs cabanes, leurs canots ; leurs rames, leurs bancs à coucher (Kibane) , leurs bacs à piler le riz, leurs pilons à riz, leurs cuillers, etc. Il est vraiment étonnant de voir avec quelle adresse ils se servent de ces outils. La bêche est ordinairement employée pour creuser les trous où entrent les poteaux de leurs cabanes. Leurs travaux agricoles consistent principalement dans la culture du riz, du manioc, des patates et d’un peu de tabac. Les garçons s’exercent dès leur enfance à toutes espèces de mouvements difficiles et fatigants du corps, comme à apprendre à lancer la sagaie, à lancer des pierres, à lancer au moyen d’une sarbacane une petite flèche faite de raffia, à gouverner au moyen de la pagaie, à fabriquer ces articles, ete. Lancer la sagaie est un de ces mouvements dont l'étude exige beaucoup de temps. Les garçons commencent générale- ment cette étude avec de petites armes, ou simplement avec des bâtons pointus. Ils se placent ordinairement à une distance de dix à vingt pas d’un certain but, fat de bois léger, le plus souvent de raffia, et lancent jusqu’à ce qu'ils l’aient touché plusieurs fois. Quand ils lancent la sagaie, ils se tiennent le corps penché en arrière, la sagaie dans la main droite, l'index de la main gauche dans la direction du but, et ils lancent la sagaie le long du doigt. Ils font preuve d’une adresse étonnante, quand ils lancent des pierres à certains objets. Souvent je les ai vus tuer ou étourdir de cette mamière de petits oiseaux et des roussettes (Pieropus Edwardsii). Ils montrent la même adresse en jetant une flèche de bois mince avec une sarbacane. Je me suis exercé plusieurs fois à les imiter, mais mon haleine n'était pas assez forte. Ils le font cependant avec une (elle force et une telle adresse, que la flèche atteint à travers les arbres un oiseau ou quelque autre objet, à une distance de plus de trente pieds. Le maniement de leurs légers canots est plus dificile qu’on ne croirait. Ces canots ont ordinairement 20 pieds de long et sont faits pour la plupart d'un tronc d'arbre, connu à Madagascar sous le nom de Tacamaca (Calophyllum madagascariensis). Presque tous sont pourvus d’un balancier placé d’un seul côté, Il consiste en un long morceau de bois, le plus souvent un tronc d'arbre, ordinairement un ouattier (Gossampina), attaché à un mètre de distance 177 environ du canot avec de minces bâtons, disposés de manière que du côté opposé ils font saillir hors du canot. On a trois sortes de canots, mais je parlerai ici de celui en usage chez les Antancars; nous aurons occasion de mentionner les autres ailleurs. Le canot ordinaire consiste en un tronc d'arbre ingénieusement creusé, qu’on élargit en l'exposant au dessus d’un feu, après l'avoir creusé ou plutôt coupé au moyen d'une hache et lui avoir donné la forme convenable; les autres sont faits de plus d’un morceau et sont beaucoup plus élégants. Le nombre des rameurs ou plutôt des pagayeurs dépend de la longueur du canot; mais la plupart sont gouvernés seulement par deux personnes. Ceux-ci se placent à l'avant et à l’arrière du canot. Les rames ou plutôt les pagaies sont faites d'une espèce de bois léger et souple; elles sont très-courtes et ont la forme d'une bêche. Les jeunes Malgaches apprennent à les manier adroitement, et les plus avancés savent gouverner leurs petites nacelles en pleine mer et si habilement qu’on en est étonné. Pour ramer ou pagayer il suflit de remuer ou de puiser l'eau continu- ellement; celui qui est à l'arrière gouverne en même temps le canot dans la direction qu'il veut prendre. Pour mettre à la voile, ils se servent simplement d'une pièce de toile carrée, faite de raffia, le plus souvent d'une couleur jaune sale. Quelques-uns ont à la partie supérieure de leur voile des carreaux noirs ou rouges, qui offrent de loin un aspect étrange. La pêche est encore très imparfaite chez ces peuples; on peut dire qu’elle est encore dans son enfance. Des hommes, des femmes, des garçons et des filles, exercent cependant cette branche d'industrie. Parmi les premiers et les troisièmes, on en trouve dont la pêche est le seul moyen d'existence. Les moyens qu'ils emploient sont, comme je l'ai déjà dit, très imparfaits et si ce n'était que les côtes de leur île sont riches en poissons, leur pêche, avec les moyens dont ils se servent, ne leur rapporterait pas grand chose. La pêche la plus lucrative se fait à l’aide d’un grillage, composé de petites branches ou de fines ramilles, qu'ils placent à quelque distance de la côte, de préférence là où se trouve un banc de rochers. Ils le mettent de la même manière, cependant en ligne plus droite que chez nous les tramails, et par la marée basse. Pendant le flux les poissons cherchent la côte par bandes, afin de se nourrir d’escargots, de petits poissons ou de plantes marines; aussitôt que le reflux com- mence, les poissons qui se trouvent près de la côte à la place où est le grillage, sont arrêtés sur le rivage et ramassés à la marée basse. Il y a encore une manière de pêcher plus simple. Ils placent à quelque distance de la côte un carré de blocs de rocher de plusieurs mètres de longueur, entassés l’un sur l’autre et ayant une ouverture du côté de la terre. Pendant le flux, la mer remplit ce carré et les poissons y restent enfermés par le reflux; les pêcheurs se rendent ensuite vers ce lieu, pour la plupart armés de bâtons, et tuent et ramassent les grands poissons qui s’y trouvent. Quelques-uns exer- cent la pêche d’une manière plus simple encore et cela avec un panier de la forme d’un panier à moineaux, dans lequel on jette l’amorce. Les ouvertures à l'extérieur sont 23 178 larges et beaucoup plus étroites à l’intérieur. Par le flux les poissons entrent dans le panier, pour se régaler de l’amorce, et ne peuvent plus en sortir. On prend de cette manière avec peu de peine des masses de poissons. La pêche la plus favorisée est la pêche à la ligne; ils pêchent souvent à une profondeur considérable et à toute heure de la journée, dans leur léger canot, à une assez grande distance de la côte; mais de cette manière ils pêchent de préférence la nuit, quand la lune est couverte, avec une espèce de torche ou flambeau. IL se trouve parmi eux des harponneurs habiles, qui souvent font une bonne chasse aux requins et aux poissons à scie, dont ils pendent la chair, coupée en petits morceaux, pour la sécher au soleil, la mangent ensuite ou la vendent. Les scies des poissons sont souvent exposées dans leurs cabanes comme trophées. Ils bouillent le foie, jusqu'à ce qu'ils obtiennent de l'huile et s’en servent comme nous nous servons d'huile de lampe. Ils harponnent aussi les grands poissons, qu'ils ont pris à l'hamecon avant de les tirer de l’eau; il est souvent à déplorer que les objets rares soient endommagés de cette manière et perdus pour l'examen scientifique. Cependant il y a encore d’autres manières de pêcher mises en pratique, principalement par les femmes et les filles. Pour cela plusieurs femmes et filles se rendent par la marée basse à la côte, avec une pièce de toile carrée ou raban'), que quelques-unes tiennent sous l’eau par les quatre bouts. Les autres se placent à quelque distance et forment un cercle autour de celles qui tiennent la toile. Alors elles frappent l’eau avec les mains et chassent ainsi les poissons vers la place où se trouvent celles qui tiennent la toile. Aussitôt qu'un certain nombre de poissons se trouve au-dessus de la toile, elles la ferment subitement, pour prendre les poissons. On comprend bien que ce sont en général de très petits poissons. Quand on a répété plusieurs fois cette manoeuvre et quand elle à bien réussi, alors les pêcheuses retournent au rivage pour partager le butin. L'habillement des femmes et des filles consiste principalement en un grand symbou, vêtement de dessous, qu’elles attachent jusque sous les bras, de sorte que la poitrine est couverte. Ils sont fabriqués pour la plupart d’une étoffe à couleurs vives et ordinairement tirés de Zanzibar. Les plus riches principalement portent aussi une petite jaquette qui ne s'élève qu’un peu sous la poitrine. Les pauvres ne portent qu’un symbou fabriqué de gros raban. Beau- coup des premières portent des colliers, des boucles d'oreille, des bracelets et des orne- ments aux mains, préférablement d'argent ou d'or, puisqu'elles n’attachent pas beaucoup de valeur à des ornements de cuivre, quoiqu'ils soient dorés. La plupart portent des colliers de coraux de verre. Les hommes et les femmes portent aussi autour du cou, une ou plusieurs pièces de bois enfilées à une ficelle, qui leur sert de talisman. Ils attachent une grande valeur à ces amulettes, auxquelles ils donnent le nom de Fanfoudi ?), parce qu'ils croient que cela les préserve de toutes sortes de vices et de malheurs. Ces 1} Voir: les notes. 2) Idem. 179 folies leur sont inspirées par leurs médecins}, qui sont en même temps les guides de leurs principes religieux, et qui se chargent des évocations et de faire les pronostics, quand ils reçoivent ces étranges bijoux. Ils ont bien soin, après les avoir pendus à leur cou de ne pas les ôter ou de ne pas les endommager. La plupart portent aussi un cordon noir ou blanc, garni de petits coraux de verre rouge, un peu au-dessus du pied gauche à la hauteur de la cheville, et auquel ils attachent de même une valeur spirituelle. Comme je l'ai déjà dit, les femmes s'occupent de plusieurs sortes de travaux. Le travail principal est la fabrication des /ambas?). Pour fabriquer ces vêtements, elles emploient les feuilles du raffia. Après avoir rassemblé les feuilles minces, elles les coupent en bandes étroites et les font sécher. Aussitôt qu’elles sont séchées par le vent, elles les peignent en fil fin, au moyen de petits morceaux de bois généralement de raffia. Elles lient ensuite ces fils et les enroulent sur une aiguille à filocher. Pour les colorer, elles mettent différentes couleurs dans un grand pot de terre ou de fer et les font bouillir durant quelque temps. Si elles veulent fabriquer un /amba d'une certaine longueur, elles tendent très près l’un de l’autre des fils en double sur des lattes attachées à des branches très près du sol, entre lesquelles elles placent une latte large et polie qu’elles poussent continuellement avec de fortes secousses contre les fils qu'elles portent, et passent sans cesse l'aiguille à filocher entre les fils tendus. On obtient de cette manière un tissu beau et même frès fin, dont la fabrication exige cependant un temps assez long. Elles sont aussi très habiles à tresser des nattes, de petits paniers, des vans à riz, etc.; et à faire des pots et de poëles. Pour tout cela, elles ne se servent point d'outils; tout est l'ouvrage de mains ingénieuses. Dans la soirée de ce jour-là nous assistâmes à une fête étrange, laquelle fut annoncée par un tambourinage bruyant de tams-tams. On remarquait à quelque distance du rivage une foule de gens, pour la plupart des hommes et des jeunes gens, qui semblaient attendre le signal de l’homme qui battait le tam-tam, pour commencer la fête. À peine ce signal fut-il donné, que les assistants se placèrent en cercle et commencèrent à courir à la ronde d’une manière étrange, ce qui pour eux est une certame espèce de danse. Après que cela eut duré quelques minutes, un de ces hommes sortit du cerele et se plaça au milieu, où il courut quelque temps le corps courbé, après quoi il choisit un des assistants. Celui-ci ne fut pas plus tôt entré dans le cercle qu'il commença à courir de la même manière que le premier. Les deux qui se trouvaient alors dans le cercle, semblaient se provoquer à un combat, ce qui arriva bientôt; c'était un combat à coups de poing. Si les assistants remarquent que l’un est beaucoup plus fort que l'autre, il est ordonné par un certain signal de finir la lutte. Celui qui se trouve le plus faible se retire alors du cercle et celui qui y reste cherche un autre adversaire, de 1) Voir les notes ]. c. 2) Se nomme Ümbiassa; voir les notes I. c. 180 la manière dont je viens de dire. Cela continue jusqu'à ce que les assistants jugent que les forces de.ceux qui entreprennent la lutte sont égales et alors le combat com- mence. Il finit le plus souvent par de légères blessures et celui qui sort vainqueur de l'arène est conduit à sa demeure par la foule au bruit des chants. Cette fête bizarre se passe ordinairement au clair de la lune. Les Antancars ont aussi l'étrange coutume de se vacciner les bras avec une espèce de petit poivre (Capsicum frutescens) , nommé piment Pil-pil, sakay; ce qu'ils font selon eux pour exciter leur force musculaire, et se rendre le bras plus fort pour se battre. Le lendemain 43 Août, nous fimes une petite excursion de chasse en société de M. O'Neill, à la langue de terre saillante, qui sépare par un chenal étroit l’île de la grande terre. Le passage que nous fimes dans une pirogue ne dura qu'un quart d'heure et nous mimes pour la première fois pied à terre dans le pays de nos longs désirs, à Madagascar même, pour y consacrer à la science le meilleur temps de notre vie. La chasse fut favorable, surtout dans la partie boisée, située à la côte, de sorte que nous eûmes beaucoup à faire dans l'après-midi, pour préparer nos objets, parmi lesquels se trouvaient quelques exemplaires de la Faleulia palliata 1), qui est assez rare et que les indigènes nomment Vouroun-Saza, probablement parce que son cri rauque rappelle les cris des petits enfants. Donnons un abrégé du petit voyage que nous fimes ce jour-là. Nous arrivâmes à Madagascar de bonne heure dans la matinée et abordâmes dans une belle, mais étroite contrée couverte de grands arbres, et après avoir mis notre pirogue en sûreté, nous suivimes un sentier étroit, qui nous conduisit dans une plaine immense. On remarquait par-ci par-là dans ce vaste champ un certain nombre de petits bocages, ainsi qu'une quantité de troncs d'arbres à moitié brûlés, qui rappellent au voyageur les monuments gigantesques des anciennes forêts de cette contrée. Ses habitants ont brûlé autrefois les forêts pour la culture du riz; ainsi la plaine se présenta à nous sous un aspect bien triste, n’offrant autre chose que de troncs d'arbres brülés, dans une savane desséchée par un soleil brûlant, qui me faisait songer aux paysages d'hiver de ma patrie. Il y avait un peu de vie dans cette plaine solitaire, principalement dans les petits bocages; en effet les différentes espèces d'oiseaux qui s’y trouvaient, les beaux oiseaux noirs à reflets dorés, les Reluvis (Dicrurus forficatus) ?), penchés sur les buissons faisaient entendre de loin leur forte voix. Une quantité de cailles (Turniæ nigricollis) *), ainsi que des troupes de pigeons (Turtur picturatus)*), entrant dans les bocages et en sortant, volaient devant nous lorsque nous les traversämes en chassant, de sorte que nous mîmes bientôt les oiseaux en rumeur. Les Vouroun-Sazas surtout excitaient leurs camarades par leurs cris assourdissants. Il était fâcheux que M. O'Neill fit la chasse 1) Voir Partie II p. 105. 2) Idem » NN TO 3) Idem ” ” 120. 4) Idem # » 113. 181 à cette espèce d'oiseaux, chasse plus heureuse pour lui que pour nous, ear il la faisait en chasseur et non en naturaliste. Il maltraitait tellement les oiseaux tués, que nous eûmes beaucoup de peine à en trouver un seul entre les sept exemplaires, qui pût être conservé comme objet scientifique. Il avait écrasé l’occiput des oiseaux blessés avec la crosse de son fusil, de sorte qu'ils étaient excellents pour la cuisine, ignorant qu'il faisait perdre à la science des oiseaux de grande valeur. Nous étions naturellement contrariés de cette manière de faire, toute naturelle pour un chasseur pratique. Nous chassâmes ainsi pour le pot au feu et non pas pour le musée, jusqu'à ce que nous arrivämes à 10 heures du matin à un village, situé assez agréablement sur la côte et qu’on nomme Sjammanore, ne demandant pas mieux que d'y déjeüner. Etant arrivés, nous y rencon- trâmes S. M. Indrivoutz, le jeune Roi de Nossi-Faly, entouré de sa suite, qui à l’ombre d'un grand tamarin, présidait une assemblée (Kabar) !), composée d'un certain nombre de dignitaires indigènes. Sjammanore, situé près du mont Ambatou, compte environ une trentaine de cabanes, ombragées par plusieurs benzoins et tamarins. Il est visité annuellement par beaucoup de personnes, parce qu'il il y réside selon les Antancars un Ampangaxzari?), qui leur prédit l'avenir. Lorsque nous y arrivâmes, Indrivoutz, comme nous l'avons dit, se trouvait justement là, pour demander à ce devin si le riz que son peuple avait l'intention de semer cette année, donnerait une riche récolte. Assis à côté du Roi, nous primes part au Kabar qui commença après la sentence de l’Ampangazari. Le Roi était assis contre le tronc du géant du règne végétal, environné des premiers de ses courtisans et des anciens du peuple. Le prophète se trouvait vis-à-vis de lui et ensuite en cerele tous ceux qui étaient assemblés pour entendre l’oracle de cet homme. Malheureusement nous ne comprimes presque rien à ce qu'on discutait, car nous n'étions pas encore assez familiarisés avec la langue du pays et d’ailleurs mon interprète ne pouvait pas traduire les discours de la plupart des anciens, qui parlaient si vite qu'il était très difficile de déchiffrer leurs phrases. (Cependant nous fümes étonnés de l’éloquence de quelques-uns de ces gens, dont plusieurs tenaient un discours, entrecoupé à chaque instant de gra- cieuses déclamations, qui duraient plus d’une heure et qu'ils prononçaient avec une volubilité étonnante. Après le Kabar, on tua un boeuf et on se régala à s’enivrer d’un boisson assez fort, nommé Bes-a-bes et fait de jus de cannes à sucre distillée, mêlé de certaines plantes amères et aromatiques. Il faut être Malgache pour trouver cette boisson d’un goût agréable; j'en goûtai, mais cela me causa du dégoût et une indisposition; je croyais boire de l’eau salée corrompue. Le simple déjeûner qui nous attendait, nous convenait mieux que l'étrange festin des Antancars. Dès que nous eûmes déjeüné avec un appétit de chasseur, nous nous rendimes à la cabane où séjournait le Roi, afin de nous entretenir 1) Voir les notes I. c. 2) ” ” [2 ” 182 avec lui le temps qui nous restait. Là ïl était entouré de plusieurs femmes, avec lesquelles il se régalait d’un boisson aussi étrange que le Bes-a-bes. (Ce boisson, le ranu-anpangu, était une infusion de riz brûlé. C'était un extrait de la croûte qui se trouvait au fond du pot dans lequel on avait bouilli le riz. Après notre arrivée dans la cabane royale, nous nous trouvâmes entourés tout à coup par quelques-uns de ses courtisans, curieux d’en- tendre notre entretien avec le Roi, qui s’en tint heureusement à la langue française, de sorte qu'ils ne pouvaient satisfaire leur brutale curiosité. Cependant ces dignitaires furent assez galants et assez hospitaliers pour nous demander, si nous voulions assister au déjeûner qui les attendait; mais comme nous venions de déjeuner, nous refusâmes leur invitation; néanmoins ils nous tourmentèrent pour nous faire accepter le boisson de riz brûlé que nous goütâmes enfin par curiosité. La petite gorgée que j'en pris me donna cependant envie de vomir; le goût me rappela celui de la nicotine; mais en revanche nous acceptâmes avec plus de plaisir le lait que le Roi nous fit servir, lorsqu'il remarqua que nous n'avions plus envie de revenir à sa liqueur de prédilection. Dans cet intervalle le soleil était devenu ardent; une chaleur étouffante nous donna un sommeil incroyable pour l'heure du jour, car notre montre indiquait midi; enfin le besoin de nous reposer nous fit prendre congé de S. M. pour faire la sieste, après quoi nous devions retourner à Nossi-Faly. Nous dûmes lui promettre cependant que nous ne par- tirions pas sans lui, puisqu'il voulait nous accompagner avec sa suite jusque dans son royaume; nous acceplâmes très volontiers, vu que c'était aux yeux des naturels une grande distinction royale envers des étrangers. Notre retour eut donc lieu à trois heures de l'après-midi en société du Roi et de sa cour. Le chemin se fit à travers la plaine que nous venions de traverser le matin même; et nous arrivämes dans la soirée, fatigués comme des chiens, à la résidence de notre illustre compagnon. Après notre arrivée, nous décidâmes de retourner le lendemain avec M. O'Neill à Nossi-Bé, où les affaires de notre hôte l’appelaient, d'autant plus que nous avions besoin aussi d'acheter un canot ou une barque quelconque, avec laquelle nous pourrions entreprendre nous-mêmes nos excursions à Madagascar. Le lendemain de grand matin, nous mîmes à la voile avec M. O'Neill pour Nossi-Bé où nous arrivämes dans l'après-midi par un bon vent frais. Nous fümes très satisfaits de ce premier voyage parmi les sauvages de ce pays qui sont doux comme des agneaux; en outre nous avions eu l’occasion de prendre les informations, qui nous étaient nécessaires pour la tâche que nous nous étions proposée. Nous avions l'intention de diriger nos recherches scientifiques, premièrement dans la partie N. 0. de Madagascar; c’est-à-dire, de visiter la partie de la grande île qui se trouve entre le cap Ambre et la rivière de Samburanu !) qui se jette dans la baie de Pasandava?); cette contrée forme la partie occidentale de la province actuelle d'Ankara *). Pour atteindre le but de 1) Samburanu est composé de Sambu, Navire et Ranu, Eau. 2) Pasandava est composé de Pasan, Sable et Dava, Long. 3) Ankara (Atankara) signifie Pays du corail. 183 notre voyage d’après nos désirs, nous décidâmes de prendre pour point de départ de nos excursions Nossi-Faly, qui est une des pointes les plus proches de Madagascar, et d'établir en même temps à Nossi-Bé le dépôt principal de nos collections futures. Quand en voyage on est bien pourvu d'argent, alors il est très facile de s’en ürer, mais nous n'avions que de quoi vivre honnêtement et économiquement; outre cela notre crédit n'était ouvert qu'à Maurice et à la Réunion et nous fümes ainsi forcés de calculer nos dépenses pour ne pas nous trouver pris au dépourvu. Notre demeure “ait aussi propre à servir de magasin et de laboratoire, mais il nous manquait une chose capitale, c’est-à-dire un bateau convenable avec lequel nous pourrions entreprendre nos voyages. Nous fümes retardés dans nos travaux par l'absence de nos colis que nous attendions de jour en jour de Mayotte; de sorte que nous dûmes nous contenter pour le moment de faire de petites excursions dans l’île de Nossi-Bé même. Le 15 Août était un jour de fête pour les Nossi-Béens. Hell-ville fut décorée en l'honneur de l’anniversaire de l'Empereur des Français Sa Majesté Napoléon Il; de sorte que nous le célébrâmes solennellement avec les sujets français, qui nous avaient reçus si généreusement. Le gouvernement colonial avait eu soin d'organiser en cette occasion des fêtes nationales, consistant principalement à lancer des sagaies, à tâcher de saisir un cochon graissé, le cours en sac et en d’autres jeux populaires. Sur le terrain on avait érigé une tribune pour les notables de l'ile et les autres invités. Ce qu'il y avait de plus curieux pour un Européen, c'était de voir lancer des javelots, exercice dans lequel les Malgaches sont très adroits. A une distance assez considérable se trouvait un poteau pourvu d'un point de mire. Îl était étonnant de voir avec quelle adresse ces gens lançaient leurs sagaies, qui fendaient l'air en tournoyant pour rencontrer dans leur vol le point de mire. En un instant le sol au pied du poteau fut labouré par les javelots. Parmi ceux qui s'exerçaient à ce jeu, il y en avait un qui avait lancé son arme dans le poteau même près du point de mire. Les autres jeux furent exécutés avec la même adresse. Une revue des troupes de la garnison, se composant de 45 soldats d'infanterie, 20 d'artillerie et 80 soldats indigènes, eut lieu le matin et fut précédée d’un Te Deum solennel. Hell-ville avait ce jour-là un aspect joyeux; presque toutes les maisons de la place étaient ornées de pavillons, ainsi que les navires en rade; on y remarquait une quantité d'indigènes dont plusieurs étaient venus de loin. Nous nous trouvâmes en société de M. le commandant, d'officiers et d’autres fonction- naires civils. Dans l'après-midi, on organisa un concours de pirogues, auquel une quantité d'indigènes prirent part; le gouvernement avait promis un prix à celui qui serait vainqueur. Le grand nombre de pirogues qui s’y trouvaient et les navires en rade ornés de plusieurs pavillons, donnaient à la baie un aspect riant. Parmi ces pavillons on remarquait le pavillon Hambourgcois; c'était celui de la barque allemande Maria Heydorn, avec le capitaine de laquelle M. Dolt nous eümes le plaisir de faire connais- 184 sance. Lorsque nous nous rendimes au quai pour être témoins de la lutte des Malgaches, nous renconträmes le capitaine Dolt qui nous invita à monter à son bord, où nous aurions occasion de la voir de plus près. Nous acceptâmes de bon coeur et primes congé de M. le commandant et des officiers pour nous revoir dans la soirée, au souper que le chef de la colonie nous offrirait pour terminer solennellement l'anniversaire de l’Em- pereur. Ce fut pour nous une récréation d’avoir fait la connaissance du capitaine, d'autant plus qu'il connaissait très bien la Hollande, qu'il avait visitée bien des fois. M. Dolt, danois de naissance, était un marin très aimable, qui nous combla de politesses pendant son séjour dans cette contrée. Il était venu de Zanzibar pour chercher une cargaison de riz; mais comme il n'avait jamais été à Madagascar, il était venu à Nossi- Bé pour prendre des renseignements à ce sujet. Il avait fait la connaissance de M. Verger, qui exerçait quelquefois le métier de courtier de port et qui parlait un peu l'anglais, la seule langue que M. Dolt connût hors sa langue maternelle et l'Allemand. M. Verger ne pouvant pas converser assez bien avec lui pour faire ses affaires, eut l'idée d’implorer notre assistance pour être son interprète auprès du capitaine Dolt. Nous fûmes d'autant plus contents d’avoir fait sa connaissance que nous pouvions parler avec lui de notre mère-patrie. Il régnait beaucoup de gaieté à son bord, car il avait avec lui des orgues portatives à manivelle et des accordéons, avec lesquels son équipage donnait de temps en temps un concert qui nous rappelait les foires hollandaises. Parmi les autres objets d'échange, il avait encore toutes sortes de quincailleries d'Allemagne. Mais comme le capitaine Dolt ne savait pas le moyen d'acheter le plus tôt que possible une cargaison de riz, je lui conseillai de faire la connaissance du Chérif Kalyfan qui était à la hauteur des affaires commerciales de Madagascar. Il paraît néanmoins qu'il avait déjà eu une entrevue avec lui, parce qu’il me dit qu’il croyait que ce n’était pas la manière d’acheter du riz au meilleur marché: il voulait entrer en relation directe avec les indigènes de Madagascar. Je lui dis qu'il aurait besoin alors d’un bon interprète et que le Chérif d’Am- banourou était l’homme qui pouvait le mieux lui fournir un homme habile pour le suivre à Madagascar. Il accepta mon conseil, mais me pria de faire des démarches auprès du Roi de Nossi-Faly, afin qu'il ordonnât à ses sujets de lui procurer dans l'intervalle d’un mois une cargaison de riz. Je lui promis que je ferais tout mon possible pour lui être agréable, mais que je ne savais pas au juste si je réussirais auprès de S. M. Indrivoutz. Enfin content de voir que je voulais lui être utile, il nous versa le meilleur vin de son bord, pour boire à la bonne réussite de mes opérations et dans l'espérance qu'il pourrait continuer ses visites commerciales dans ces parages. Nous restâmes encore longtemps à son bord, jusqu'à ce que le crépuscule nous avertit qu'il était temps d'aller à la soirée du commandant. Nous primes congé jusqu'au lendemain, et nous fûmes bientôt revenus à terre, où nous fimes un bout de toilette. Presque tous les notables colons de Nossi-Bé, et les hauts fonctionnaires et officiers de la garnison assistaient à la fête. 185 Les salons étaient assez bien éclairés par des bougies, car le gaz est inconnu dans cette colonie. La réunion était composée d'une vingtaine de personnes, parmi lesquelles je remarquai plusieurs de mes connaissances, comme M. O'Neill, Escudier, Verger et quel- ques officiers et fonctionnaires civils du gouvernement. Après qu'on eut causé une demi-heure dans l’antichambre, on servit dans le salon un souper, qui pour le pays était assez convenable. Cependant nous vimes bientôt que notre hôte épargnait ses vins fins, car à peine le souper était-il fini qu'on servait déjà le thé, ce qui occasionna une certaine confusion parmi les convives, qui n'avaient pas encore porté de toasts, ni à la santé de l’Empereur, ni à la famille impériale, ni au Ministre de la marine et des colonies, ni au commandant, etc. Chacun se hâta alors d'obéir à l'étiquette, ainsi que moi qui, comme étranger, ne voulais pas oublier les règles de la politesse. Mais Ô malheur! Lorsque moi, à mon tour, je voulus porter un toast, je vis à mon grand étonnement que mon verre était vide et qu'au lieu de vin on était prêt à offrir du thé. Quelle situation! Je dis à mon voisin M. Verger: ”Pas un verre de vin pour boire à la santé de votre Souverain.” Oui, c’est bien dommage; mais vous n’aurez pas la chance d'en avoir davantage, car je connais l’économie de notre hôte; toutefois vous concevez qu'en votre qualité d’étranger, il faut dire quelque chose.” Quoi! demander du vin?” ”Mais non! Faire vos excuses, dire que vous n'avez pu boire à la santé de l'Empereur.” Et quelle raison donner?” Mais, dire que le domestique a oublié de vous verser du vin;” Je vous comprends; M. Verger, vous voudriez que j'en demandasse pour nous deux?” Mais oui! En votre qualité d'étranger, on ne prendra pas cela en mauvaise part.” Mon cher, vous me faites rire, mais je crois que vous vous amuse- riez de moi, si J'avais l'audace de faire ce que vous désirez.” Venez demain chez moi et nous boirons, si vous voulez, toute la journée à la santé de tout ce que vous voudrez. Mais il faut pourtant parler, avant qu'on quitte la table. Presque tout le monde a porté des toasts, excepté vous, Monsieur le hollandais.” La raison est bien simple! Je n’a rien dans mon verre et vous ne pouvez pas me prêter le vôtre.” Pendant cette dis- cussion on versa le thé et mon voisin me dit: Il est à présent trop tard, mon ami.” "Trop tard? Jamais! Je suis dupé, voilà tout! car j'avais cru qu’à une table gouverne- mentale on aurait du vin de champagne, et comme dans mon pays, on en présente ordinairement pendant le dessert, j'ai attendu; mais j'ai attendu trop longtemps, puisqu'on me donne une tasse de thé au lieu de vin de champagne. Mon cher Verger, un natu- » raliste ambulant n’est jamais dans l'embarras et je vous le prouvera.”’ Je demandai là-dessus la parole à M. le commandant. Mon voisin devint rouge comme une crête de coq et me dit tout bas: ”Malheureux! qu’allez-vous faire?” Rien autre chose, que porter un toast à votre Souverain!” Avec quoi?” ”Mais avec du thé!” Vous n'oserez jamais.” Je parie un bon diner chez moi.” Soit!” Pendant cet intervalle il se fit un grand silence parmi les convives; tous les yeux s'étaient fixés sur moi, ainsi que 24 186 ceux de notre hôte, qui rougissait comme mon voisin; celui-ci à son tour ne pouvait pas s'empêcher de rire et annonça à son voisin de gauche ce que j'allais faire; de sorte que de ce côté, tous les convives commencèrent à rire, tandis qu'à droite, tous parais- saient étonnés, car ils ne savaient naturellement pas de quoi il s'agissait. (C'était un demi-cerele, fermé d’un côté par M. le commandant et de l’autre par moi, puisque nous étions vis-à-vis l’un de l’autre. Ces contrastes étaient vraiment curieux à voir pour un anthropologiste et j'avais beaucoup à faire pour ne pas prendre le même parti que ceux assis à ma gauche. Enfin, je pris ma tasse de thé et je dis: M. le commandant, par des circonstances indépendantes de ma volonté, je me vois obligé de vous deman- der la permission de boire à la santé de S. M. l'Empereur des Français avec cette tasse de thé. Je suis convaincu que mes paroles seront aussi chaleureuses que si je buvais à sa santé avec un verre de vin. En Turquie, on porte une santé avec du café, en Chine avec du thé, à Madagascar avec du Bes-a-bes, en Hollande bien des fois avec du genièvre, en Belgique et en Bavière avec de la bière. Eh bien, permettez-moi A s’il vous plaît, de porter un toast à la chinoise, à la santé du Souverain sous le gou- vernement duquel j'ai eu l’avantage de trouver les secours nécessaires à un voyageur dans des contrées primitives comme Madagascar, dont le climat funeste a déjà fat perdre la vie à beaucoup de mes devanciers, parmi lesquels on a à déplorer la mort de plusieurs naturalistes français. La protection que nous avons l’honneur et le bonheur d'éprouver de la part du gouvernement impérial, et principalement à la Réunion, à Mayotte el dans ses dépendances, m'engage à boire à la santé du Souverain de la France et à témoigner ma profonde gratitude et mon respect, en mon nom et en celui de mon compagnon de voyage, pour les bontés dont on nous comble à chaque instant. Monsieur le commandant, Messieurs! je bois à la santé de S. M. l'Empereur des Français. Vive l'Empereur! Qu'il vive!” À peine avais-je fini que tout le monde éclata de rire et même M. le commandant, qui n'avait jamais entendu un toast si étrange; cependant je craignais qu'il ne le prit en mauvaise part. Mais, réfléchissant à ma qualité d’étranger, comprenant mes bonnes intentions, et connaissant mon caractère indépendant, il me pardonna publiquement la liberté que j'avais prise. En quittant la table, M. Verger me dit: Mon cher, M. le commandant ne vous pardonnera jamais, que vous lui ayez fait comprendre qu'il ne verse pas assez de vin, chose connue depuis longtemps par les colons.” de suis fâché de ce que vous me dites, mais j'espère qu'il comprendra que c'était une plaisanterie.” Après avoir pris congé de M. le commandant et des convives, J'accompagnai avec mon compagnon de voyage M. Verger à sa demeure, qui nous invita à aller diner le lendemain chez lui; et bientôt après nous rentrâmes dans notre modeste case où notre bon domestique Eugène avait eu soin d’arranger convenablement notre couche; après quoi nous nous couchâmes sous l'impression de la soirée. Le lendemain nous arrangeñmes notre bagage, qui, quelques jours auparavant, était 187 arrivé de Mayotte en bonne condition. La longue durée de la traversée du boutre Fata Salama avait été occasionnée par les vents contraires contre lesquels il avait dû lutter en route. Notre demeure avait alors l’aspect d’un vrai magasin; tout l’espace était encombré de nos colis; heureusement que nous avions un appartement tout libre pour les placer convenablement. L'arrivée de tant de colis attira dans notre case plusieurs visiteurs, qui venaient voir si nous n'avions rien à vendre. Ils étaient curieux de savoir ce que nous portions avec nous, ce que nous trouvâmes très indiscret; mais pour un colon c’est une chose très ordinaire. Dès que des objets européens arrivent dans la colonie, que cela les regarde ou non, ils se croient autorisés à entrer dans la demeure d'un nouveau venu, de l’interroger sur ses affaires. Naturellement, c’est à celui-ci à les recevoir comme 1l l’entend. Dès l’abord on remarque que dans la colonie on est hospi- talier partout; dans les premiers temps de son séjour et plus tard, on aperçoit qu'on y peut entretenir des relations amicales; mais soyez toujours méfiant, car on se voit entouré par beaucoup de gens, qui sont vos amis aussi longtemps qu'ils peuvent vivre au profit de votre bourse, mais dès qu'ils voient que vous devinez leurs projets, vous recevez rarement leurs visites. Enfin nous étions sur nos gardes; et nous profitâmes de cette occasion pour leur faire voir des denrées que nous avions avec nous, comme ar- ticles d'échange, et nous leur demandämes un si grand prix pour les objets qu'ils dé- siraient acheter, que plusieurs d’entre eux n’avaient plus envie de revenir nous voir; ce que nous trouvâmes assez agréable, car ces visites nous dérangèrent bien de fois dans nos {ravaux; mais en revanche nous fûmes assez heureux pour lier connaissance, parmi ces gens, avec des personnes qui nous témoignèrent une amitié sincère pendant notre séjour dans la colonie. Vers le midi, les visiteurs nous quittaient pour faire leur sieste, car la chaleur devenait gênante; nous-mêmes, fatigués du travail et de nos conversations avec ces gens, nous désirions un peu de repos. Tout en leur faisant nos adieux, je me tenais quelques instants sous la varangue, où un petit courant d'air m'invitait à m'asseoir. Les rayons du soleil dardaient de toutes leurs forces leurs rayons sur le sol aride du plateau d’Hell-ville et répandaient une lumière éblouissante sur les hautes murailles blanches de la caserne. L'ombre seule des accacias donnait des points de repos aux yeux fatigués. Personne ne se faisait voir sur la place; il semblait que toute la popu- lation d’Hell-ville fût couchée et cela en plein jour; cela paraît drôle aux yeux d’un Européen, qui ne connaît pas la vie créole. Et je dis avec mon ami de Monforand !) : Ici, quand un soleil, que jamais rien ne tache Verse de son zénith les plus ardents rayons, Quand sous les verts rameaux l'oiseau se cache Et suspend ses chansons. C'est l'heure où Européen ou Créole fait sa sieste dans la colonie. C’est un sommeil 1) Voir p. 91 de l’Album de la Réunion Année 1862. La sieste, par P. de Monforand. 188 léger, bien doux, plein de rêves, qui vous transportent gaiement vers la mère-patrie. C'est un sommeil . inconnu en Europe; :il est vrai que certains gens là aussi ont l’habi- tude de prendre du repos après le diner; mais c'est un sommeil qui est peu comparable à celui de la sieste créole. C’est pourquoi de Monforand, qui est né en France, vous dit aussi: Si vous voulez goûter un moment sur la terre Les charmes inconnus d'un repos merveilleux, Laissez la vieille Europe à son labeur austère; Venez sous nos beaux cieux. Enfin je n'avais pas envie de me reposer à cette heure, d'autant plus que je contemplais le vol de plusieurs milans, qui faisaient la chasse à l’ordure qui se trouvait sur la place de la caserne. Il était curieux de voir comment ils planaient à une hauteur considérable dans l'air, en décrivant des cercles et en descendant peu à peu; arrivés à une pelite distance de l’objet qui attirait leur attention, ils s’y laissaient tomber soudai- nement, l’attrapant avec leurs serres et le dévorant ensuite. Je vis d’abord que c'était la même espèce de milan que j'avais observée à Mayotte, le Milous parasyticus *). Comme nn ; à Zaoudsi, il était défendu de tirer un coup de fusil dans la ville; de = / sorte que ces oiseaux n'étaient point E— = farouches. J’'eus donc l’occasion d’ob- server à mon aise leur mamière de = vivre, comme je l’ai décrite ailleurs. Parmi ces oiseaux je remarquai des A - - individus les uns à bec jaune et les autres à bec noir, ce qu'on doit EE h attribuer à leur âge. Les vieux ont TAC MANN L, = la première couleur, les jeunes la dernière. Les autres rapaces volti- DS geurs, que je remarquai sur la place étaient des crécerelles (Falco Newto- nü) ?), qui à leur tour leur disputè- FRS . . . ns rent la nourriture à plusieurs reprises. Ze à AE ; ee. Je voyais avec plaisir que ces petits oiseaux étaient plus courageux que les grands. (Ces gourmands atten- Le Papango (Milvus parasyticus). daient souvent avec patience que les petits se fussent emparés de leur butin. La vue de ces oiseaux de proie m'avait occupé pendant une demi-heure; le sommeil 1) Voir Partie II, p. 44 et Partie I, p. 86. 2) Idem p. 32, pl. XI. fig 1 et 2. 189 s'empara de moi; je me retirai alors dans ma case pour me livrer à la sieste avant de reprendre le déballage de nos colis. Les jours suivants se passèrent à arranger nos armes de chasse et nos ustensiles de préparation, enfin nous nous livrâmes à tout ce qui pouvait nous être utile dans nos explorations. Le capitaine Dolt nous fut très utile grâce à ses connaissances maritimes; il pouvait nous aider à nous procurer nne bonne embarcation pour faire nos traversées de Nossi-Bé à Madagascar. C’est pourquoi je l’in- vitai à nous accompagner à Ambanourou où le Chérif Kalyfan possédait entre autres un excellent canot, qui provenait d’un navire américain. Kalyfan avec son ambition pour le commerce et son désir de nous être agréable me le vendit à un prix modéré, et j'acceptai après l'avoir fait examiner et approuver par notre ami Hambourgeois. Cepen- dant il y avait quelques réparations à faire, d'autant plus que nous devions l’arranger pour la navigation à la voile. Je souhaitais que les charpentiers des navires Antalots d’Am- banourou fissent ce travail, mais Kalyfan lui-même me conseilla de faire des démarches auprès de M. le commandant, pour que ces réparations se fissent par des charpentiers du gouvernement, dont c'était la spécialité, tandis que les ouvriers arabes ne sont capa- bles que de construire des boutres, espèce de navires arabes grossiers, mais très forts et d’un jaugeage moyen de 40 tonneaux. Ils sont plus hauts à l'arrière qu'à l'avant, lequel est couvert et sert de cabine. Le mât se trouve presqu’au milieu du bateau et le gréement est très simple. La voile est une pièce carrée de raban; elle est très forte et attachée à une longue vergue courbée et mince, qu’on peut hisser ou faire tomber à volonté et dresser selon le vent. L’équipage est ordinairement composé, suivant la grandeur du boutre, d’une douzaine de nègres de la côte de l'Afrique orientale, qui sont presque tou- Jours les esclaves du propriétaire du na- vire. Îls sont ori- ginaires de Mosam- bique, de Sofala, de Zanzibar, de la grande Comore et principalement de Kiloa, situé non Join de Zanzibar sur la Un boutre arabe vu à l’intérieur. côte du continent africain. Les propriétaires de boutres sont presque toujours à bord en qualité de capitaines; ils ont leur domicile à Zanzibar, à Mayotte et dans les autres 190 iles Comores; à Mourousang, à Mouzangaie et dans d’autres lieux de la côte ouest de Madagascar; à Mascate, à Bombay et dans d’autres villes de l’Inde. Ces navigateurs sont en même temps des négociants d’une habileté incroyable, qui ont en mains la plus grande partie du commerce du canal de Mosambique et des côtes d'Afrique, qui bordent l'océan indien et des îles Comores, qui se trouvent dans cette mer presque tou- jours calme. Dans le cours de notre Un boutre arabe vu à l’extérieur. relation nous aurons occasion de parler de la navigation et du commerce actif de ces gens à Madagascar et sur la côte d’Afri- que, de la nature des exportations et des importations, afin que nos navigateurs et commerçants puissent tirer profit de la connaissance des grands avantages qu'offrent une navigation et un commerce pareil par un cabotage continuel, qui règne depuis des siècles dans ces parages parmi les peuples arabes. Mes visites à Ambanourou me donnèrent la ferme conviction que ces gens gagnent une masse d'argent, vu l'ignorance des Européens et Américains, pour ce qui concerne les affaires commerciales dans les pays mentionnés ci-dessus, et la confiance qu'ils savent inspirer d’une manière incompréhensible aux indigènes des contrées, qui sont le théâtre de leurs opérations commerciales. J’obtins de M. le commandant la permission de faire réparer et arranger mon canot, et dans cet intervalle nous fimes de petites excursions dans le voisinage de Hell-ville, dans lesquelles nous fimes une petite collection d'oiseaux, de reptiles et d'insectes, qui appartenaient à des espèces connues dans la science. Quelques jours après l’achat de notre canot, auquel nous avions donné le nom de Schlegel”, en l’honneur de notre savant ami, Monsieur le professeur Dr. H. Schlegel, Directeur du Musée Royal des Pays-Bas, le 20 Août, nous reçûmes de M. le commandant l'invitation d’aller avec lui faire une visite au roi de Nossi-Mitsiou S. M. Tsimiaar, qui était venu avec sa suite à Nossi-Bé. M. le commandant voulait nous présenter à ce souverain Antancar, afin que, si nous avions l'occasion d’aller dans ses états, nous fussions sûrs d’un bon accueil et qu’il nous accor- dât sa protection dans les explorations que nous pourrions faire dans ces parages. Lorsque nous fûmes présentés au roi, M. le commandant fit le plus grand éloge des Hollandais, vanta leur courage et leur esprit entreprenant, en racontant quelques épisodes de leur 191 glorieuse histoire. Le roi nous reçut cordialement et avec des égards, et écouta avec intérêt le discours de M. le commandant; enfin il lui dit naïvement qu'il ne connaissait pas ce peuple célèbre, n’en ayant jamais entendu parler auparavant, qu'il ne connaissait que des blancs qui se nommaient Anglais et Français, ignorant qu'il y eût encore d’au- tres peuples européens, et qu'il était content de voir en nous des représentants d’une nation si honorée par les Français; que comme les Français étaient ses amis et alhés, il était naturellement l’ami de leurs amis et les estimerait aussi comme eux. Le récit de quelques actes de bravoure de nos anciens héros, Tromp et de Ruijter, charma beau- coup Sa Majesté, qui lui-même était d’un caractère belliqueux. Pendant cette présenta- tion solennelle, nous eûmes le temps de regarder attentivement ce souverain, entouré de ses dignitaires et de plusieurs personnes de sa suite, parmi lesquelles se trouvaient quelques musiciens, qui faisaient entendre des airs monotones exécutés sur le tam-tam, et au moyen de timbales, de hoboés et de violons de leur propre fabrication imités des violons européens. La figure du roi Tsimiaar était imposante et sa taille gigantesque, son regard était plein de vivacité et le sourire qui plissait de temps en temps ses grosses lèvres faisait deviner que, sous des formes grossières, il cachait un bon coeur. Il porta une petite barbe de cheveux crépus et avait la tête rasée, suivant la mode arabe, couronnée par une calotie rouge (Aufia). Son habillement consistait dans une longue chemise blanche, bordée sur l'ouverture de la poitrine avec de soie rouge. Un /amba malgache de vives couleurs couvrait avec une certaine élégance son épaule gauche. Ses Jambes étaient tout a fait nues, les pieds couverts de sandales richement bordées de fils d’or et dans les mains il tenait devant lui un large sabre courbé dont la garde et le fourreau étaient incrustés de pierres précieuses. L’audience que nous accorda Sa Majesté noire ne dura qu’une demi-heure, après quoi nous nous retirâmes avec M. le commandant, dans la conviction que si nous arrivions un Jour à Nossi-Mitsiou, elle nous donnerait tous les secours dont nous aurions besoin dans notre mission difficile. Au moment où nous nous rebrions, le commandant nous fit part que S. M. Tsimiaar était venue pour célébrer l’an- niversaire de S. M. Napoléon II, mais qu'il avait ignoré la date juste. Son cortège était composé de plusieurs pirogues, qui à son arrivée composaient une vraie flotülle. Après sa visite à Nossi-Bé, le Roi Tsimiaar se rendit à Ambanourou pour rendre visite au Chénif Kalyfan. Là il fait ordinairement quelques achats avant de retourner dans ses états, n’oubliant pas d’emporter le pension que le gouvernement français lui paie annuel- lement, comme rachat de ses prétentions sur Nossi-Bé. Le mois d’Août s’écoula pendant l'emballage des objets dont nous aurions besoin pour notre excursion à Madagascar et pendant la réparation de notre canot. Aussitôt que tout fut en bon état, nous entreprimes notre voyage, après avoir pris congé de nos amis Dolt, Verger et O'Neill, en leur disant adieu pour quelques semaines, laissant la surveillance de notre demeure à M. Verger, qui s'était chargé de veiller à nos effets pendant notre absence. 192 CHAPITRE VII. II" Voyage à Nossi-Faly. — Chasses dans les environs d'Ampassimena. — Pélerinage au tombeau royal à Ambatou. — Le fort Tafondrou. — Manifestation auprès du commandant de Nossi-Bé. Nous avions l'intention de retourner à Nossi-Faly, dans l’idée d'y passer quelque temps, afin de faire de ce lieu des excursions à Madagascar, d'autant plus que nous étions devenus très-intimes avec le jeune roi de cette île, qui nous avait promis de nous pré- senter aux différents chefs Antancars, de sorte que nous avions l’espérance que ce voyage porterait des fruits pour la science. Nous mîmes à la voile par un bon frais et y déployà- mes, peut-être pour la première fois, le pavillon tricolore des Pays-Bas. Mon compagnon de voyage, M. van Dam, s’acquitta brillamment de son devoir de pilote, car notre petite chaloupe américaine portait à proportion trop de voiles, au dire de plusieurs personnes. Enfin après notre arrivée nous fûmes reçus par le jeune roi, de la manière la plus aima- ble. D'abord il nous procura immédiatement deux cases et tout ce qui nous était néces- saire. Après avoir mis en ordre notre petit ménage, nous allâmes rendre visite au roi. Il nous reçut très simplement, mais aussi amicalement que dans notre première rencontre. Nous lui annonçâmes que nous avions l'intention de lui offrir le lendemain à lui et à ses femmes de petits cadeaux. Il en fut bien content et nous pria de lui rendre visite le lendemain. Nous nous rendimes chez lui le jour suivant après notre diner et lui offrimes après un petit discours, nos cadeaux qui consistaient en colliers, boucles d’o- reilles, quelques anneaux de cuivre doré, un paquet de cigares et une bouteille de cognac. Comme contre-cadeaux, il nous donna un panier d'oeufs et un jeune cochon, qui fut le bien venu. Comme la plupart de ses sujets étaient présents lorsque nous échangeâmes nos cadeaux, il leur ordonna à tous de nous assister en tout, ajoutant qu'ils nous feraient beaucoup de plaisir en nous procurant beaucoup d'animaux, de plantes et d'autres productions naturelles; eux, de leur part, promirent aussi de faire tout leur possible pour nous assister; après cette réponse, le Kabar fut clos. Nous retournâmes à notre cabane et fimes les préparatifs nécessaires pour faire des recherches scientifiques dans l’île. Nous nous rappelions ce qu'avait fait autrefois feu le naturaliste Henri Boie ‘) à Java, qui achetait aux indigènes des spécimens d'histoire naturelle; pour les encourager à nous en porter en masse, nous organisämes, comme Boie, une sorte de bureau zoologique, plus petit cependant, car nos moyens ne nous permettaient pas de faire autrement. Aussi des enfants, des femmes et quelques hommes 1) Voir Hendrik Boie, Brieven 1. c. Hrneher £p À ‘ci re M SEVES. Dpt Bruraque Eonflenes LR te Ten 10), D rnELe nue Tu sud 247 Con ane 70 RO ITILAILI © Ü Lie a ed LEUEAE que : Jr NE ga Der MAATCA TD PE PIN CT 972 cI7 &yrit CAR] Re Un ca cehhete) prtin LottÀ, aire Pa ne ave ver À1 Ja Case! & fe lei, Re € 1002 cr at 2e D Pr 1 DR D Co ps 7% D ï & ” s HVNUTT La TX 7 Ti ere SO ne Val ares A7 D 71 IIS “ / ER EUTLTLE” RO 77 Co À, RANCE) gs A yse Te Dre 193 se donnèrent la peine de nous apporter des animaux; mais C'étaient pour la plupart des espèces communes; de temps en temps seulement on nous en apportait de meilleures. Nous fümes cependant trompés dans les prix des objets, car ils nous demandèrent beau- coup d'argent et furent très difficiles à contenter. On compte en Hollande, par cents (pièces de deux centimes), mais ce n’est pas le cas ici, la plus petite monnaie du pays est le marqué, pièce de la Réunion d’une valeur de cinq centimes. Par conséquent, on comprend qu'il ne nous fut pas possible de faire continuellement des achats. (Cela excita aussi la jalousie de plusieurs habitants; un certain individu nommé Jaomena, conseilla même aux enfants de ne plus nous porter d'objets, parceque nous les payions trop peu. Je me trouvai ainsi dans la nécessité de m'en plaindre auprès du Roi. J'écrivis donc une lettre à Sa Majesté, dans laquelle je lui fis connaître que J'étais mécontent de la conduite de cet homme; je la priais de le punir, puisqu'il avait désobéi à l'ordonnance royale. Le même jour, je reçus de Sa Majesté une lettre écrite en français, qui me fut remise par son oncle. Il m'y donnait l'assurance que cet homme serait puni selon les lois de son pays et que cela ne devait pas nous empêcher de continuer nos achats. Après cela, il fit publier encore une fois l'ordonnance, portant que tous ceux qui donneraient un mauvais conseil à notre égard seraient rigou- reusement punis. (Cela encouragea plusieurs habitants, qui nous apportèrent de nouveau des objets et même nous remarquâmes, qu'ils y mettaient plus d'empressement. On nous apporta même un crocodile, mais on en exigea un prix si excessivement élevé, que c'était ridicule. Nous pümes nous faire une idée de l’entêtement de ces gens; ils furent telle- ment mécontents du prix raisonnable que je leur offrais, qu’ils me répondirent preferer le jetter à la mer que de le vendre à ce prix. Je leur dis qu'ils devaient le faire immédiatement, et de ne pas croire que je leur en donnerais un marqué de plus. Et en effet ils jugèrent à propos de jeter le monstre à la mer plutôt que de le céder au prix offert. Voila une petite preuve de l’entêtement de ce peuple. Les enfants nous apportaient chaque soir ce qu'ils avaient ramassés dans la jour- née, de sorte que j'avais tous les jours beaucoup de besogne, pour conserver tous ces objets. C'étaient pour la plupart des coquilles et des reptiles. La peine que je me donnai pour les encourager à me fournir des insectes et surtout des lépidoptères et des coléoptères, resta sans résultat. Un d’entre eux nommé Laly, sembla vouloir satisfaire à mon désir, mais les insectes qu'il m’apporta, étaient de l'espèce la plus commune, de sorte que je fus obligé de payer des objets de peu de valeur scientifique, dans l'espoir qu'il m’apporterait des animaux plus rares; mais Je fus trompé dans mou attente. Parmi celles qu'on m'apportait, il se trouvait quelquefois de bons spécimens: un jour entre autres je reçus un Sabady') d’un certain vieux Antancar, nommé Bakare 1) Le Sabady est le:nom d’une genette nouvelle pour la science a laquelle je conferrais le nom de Viverra Schlegelii, voir Pertie IL. p. 16, pl. 10. 25 194 Bore, qui était très avare. À mon grand regret il fallait toujours payer très cher les objets qu'il m’apportait, . [1 nous était aussi très-difficile de les conserver en bon état, par exemple des serpents, des lézards, des caméléons et des poissons, parce que le rhum, dans lequel nous étions obligés de les conserver, était trop faible. Il est à regretter, que beaucoup de beaux animaux, payés très chers, furent perdus pour la science, de sorte que les pertes que nous éprouvions continuellement, nous découragèrent souvent. Il en était de même des lépidoptères et des lebellulae, qui furent détruits par les fourmis. La plupart des chasses que nous fimes à Nossi-Faly, ne rapportèrent que peu de chose, puisque dans cette île le gibier était rare. Nous avions chaque jour pour but de passer de l’autre côté et d'aller à Madagascar même, pour faire des chasses plus avantageuses. Nous nous y rendimes donc chaque matin pour étendre nos excursions, soit le long de la côte, soit dans l’intérieur de l’île. Il y avait plusieurs bonnes espèces d'oiseaux dans l'étroite contrée boisée qui s'étend en partie le long des rochers et d'un terrain sa- blonneux. C’est là que nous rencontrâmes et tirâmes pour la première fois l’Upupa marginata). Ces oiseaux trahissent leur demeure par un son sourd qu'ils font conti- nuellement entendre et: qui a beaucoup de rapport avec le roucoulement monotone de notre tourterelle sauvage. Nous les trouvions presque toujours par terre et nous obser- vâmes qu'ils faisaient sans cesse des trous dans le sable, au moyen de leur bec, sans doute pour trouver leur nourriture qui se composee de chrysalides d'insectes. On recon- naissait ainsi dans plusieurs endroits, le lieu où ils avaient demeuré. Nous rencontrâmes aussi dans cette contrée de beaux pigeons verts (Vinago australis) ?), dont le cri ressem- blait plus au son d’une flûte qu’à un roucoulement. Tout en traversant la contrée qui s'étend le long de la côte, nous faisions une chasse assez avantageuse; cependant le sifflement aigu des petits courlis qui s’envolaient craintivement nous fit manquer plusieurs bons coups. À cet endroit la côte est escarpée, et après avoir passé les bois de palétu- viers on n'avance que difficilement. Lorsque nous eûmes traversé la bande de sable avec beaucoup de peine et en chassant, nous arrivâmes dans un fourré où nous dûmes souvent nous faire un passage à travers les broussailles, qui étaient presque impénétrables au moyen des mains et des pieds, tant les lianes étaient nombreuses; enfin nous entrâmes dans une vaste plaine. Elle était legèrement accidentée et couverte de petts bocages, où retentissaient des cris, de drongos (Dicrurus forficatus) *) semblables aux sons d’un orgue, ainsi que le cri clair, mais mélancolique des toulous (Gentropus tolu) *). Souvent on voyait le Dicrurus forfieatus voler à fleur de terre, aussi rapide que les hirondelles, attraper au vol, les insectes volants, et manger après cela sa proie, soit sur une branche, soit sur le lieu même, d'où il venait, chantant quelquefois, dressant les plumes de sa huppe 1) Voir Partie I. p. 62. 2) oz ” un nm 117. 3) » 2 OU) 4) [2 ” L a) 57. et agitant continuellement sa queue en éventail. C'est sous de telles im- pressions et par un magni- fique ciel bleu, que nous continuâmes notre chemin à travers cette plaine sa- blonneuse, dont le sol don- nait déjà une chaleur agréa- ble à nos pieds, puisque le soleil montait de plus en plus. À mesure que nous continuions notre chemin, joyeux et de bonne humeur, des oiseaux semblables à des Le Reluvi (Dicrurus forficatus). alouettes, voltigeaient devant nous à de petites distances. Leurs cris me rappelèrent involontairement la patrie, car c'était comme si j'entendais notre bergeronette. Pour contenter notre curiosité nous tuâmes quelques uns de ces petits oiseaux, quoique cela nous fit de la peine, mais comme dit le proverbe: un chasseur a un coeur de bronze, et c'était le cas chez nous. Nous reconnümes dans la petite alouette la Alauda Hova'), encore si peu connue, découverte par le professeur W. Peters dans la baie d’Augustine. Comme nous marchions autour d’un bocage sur le penchant d'une colline, une foule de pintades (Numida tiarata) ?), s’envolèrent tout à coup devant nous, comme des perdrix, sans que nous eûmes le temps de tirer dessus. Les beaux oiseaux redoublaient de vitesse à notre approche, car les Antancars qui nous accompa- gnaient comme domestiques, nous crièrent à haute voix les mots: »Acanga! Acanga! et s'élancèrent en toute hâte comme des sauvages, pour voir où leur gibier favori s'était réfugié. On peut ainsi se faire une idée du succès de nos chasses en société de tels gens. Aussi nous leur défendimes rigoureusement de courir devant nous sous quelque prétexte que ce soit et de crier lorsque quelque chose les étonnerait. Après avoir fait une collection suflisante, nous arrivâmes vers neuf heures environ à un petit village, nommé Ampassimena. Nous rencontrâmes près de ce village un grand troupeau de bétail; et je n’aurai pas besoin de dire, que le lait qui nous fut offert à bas prix, nous fut très agréable. Ayant pris cette boisson et après nous être un peu reposé de nos fatigues, nous retournâmes à Nossi-Faly, presque par le même chemin ou nous arrivämes à 11!/, heures environ. 1) Voir Partie II p. 107. 2) ” C2 #“ » 118. 25° 196 Rejouis d’avoir ramassé tant d'objets nous pûmes nous occuper de science pendant plusieurs jours. Cependant notre attention fut fixée sur les préparatifs solennels qu’on faisait à l'ile de Nossi-Faly. Ne pouvant surmonter notre curiosité nous voulûmes savoir ce que cela signifiait. On nous apprit que ces préparatifs se rattachaient a la visite que la famille royale était obligée de faire annuellement au tombeau du Roi défunt, pour y faire ses prières et ses offrandes. On comprit que nous eûmes le désir d’être spectateurs et compagnons de ce voyage. Je résolus d'obtenir du Roi la permission de l'accompagner s'il était possible. Je me rendis donc chez Sa Majesté pour avoir cette latitude; elle me répon- dit qu'il était défendu sous peine de mort de visiter le tombeau royal, sans la per- mission des anciens du peuple, des ministres et de la famille royale. Elle me dit: »Ja- mais un blanc n’a mis le pied dans l'impénétrable forêt sacrée, qui conduit au caveau où est enterré mon père et je doute fort que cela vous soit permis Pour mor”, continua-t-elle, qui suis votre ami, je vous accorde de toul mon coeur ce que vous demandez, si vous observez à ce sujet les ordonnances et les lois de mon pays, mais je crains que mes ministres et les anciens du peuple ne s’y opposent”. Je lui répondis que je me soumettrais à ses ordres ou résolutions, et que si nous n'ob- tenions pas le consentement du peuple, nous ne serions pas moins reconnaissants de l'affection et de l'amitié qu’elle nous portait. (Ce jour-là, elle convoqua une grande assemblée des anciens du peuple et des ministres où je pris place à côté du Roi. Enfin après réplique et duplique, il nous fut accordé de faire le pélerinage avec eux parce que nous étions les amis du Roi. Un mot des préparatifs provisoires et de l'étrange manière dont le père du Roi fut enseveli. Quand un chef des Antancars meurt, il est durant quelques jours exposé dans un lieu ombragé de buissons et d'arbres. Cela se fait de la manière suivante: on fait une espèce de claie de bambous à un mètre environ au-dessus de la terre, et reposant sur quatre pieux ou plus, et surmonté d'un toit. On pose le cadavre sur la claie et on le couvre de sable chaud et d'herbes aromatiques, qu'on a soin de renouveler, jusqu’à ce que le cadavre soit desséché; on l'enveloppe ensuite de larges bandes de raban fin, après quoi on l’enterre dans une grotte ou dans un flot inhabité. Pendant que le cadavre sèche, tous les parents, amis, hauts fonctionnaires et serviteurs de l'Etat se rassemblent autour du mort et y restent jusqu’à ce que cette étrange besogne soit terminée. On croirait peut-être qu’ils passent là tout le temps en prières et en lamentations; mais au contraire, on y tient une veritable orgie. On chante, on danse, on pleure, on boit de cette boisson, nommée Bes-a-bes, jusqu’à s’enivrer et on s’y livre à toutes sortes d’excès voluptueux. Quand le cadavre est desséché, on a l'horri- ble coutume de se frotter du liquide repoussant qui dégoutte du corps et qu’on recueille dans des pots placés dessous dans ce but. Aussitôt que cette scène horrible est finie, x on se rend en procession solennelle à la grotte ou à l'ilot, destiné à recevoir cette sorte 197 de momie. Le cadavre du père du roi fut traité aussi de cette manière, avant d'être placé dans la grotte qu'on avait l'intention de visiter le lendemain, un an après sa mort. La journée entière fut employée à faire de cette boisson enivrante le Bes-a-bes. On la prépare du jus de la canne à sucre et des feuilles d'une espèce d’accacia, nommé Ambatou, qui y donnent un goût amer et aromatique. Cette liqueur est bouillie durant quelque temps dans de grands pots de fer, et remuée et écumée conti- nuellement. Quand cette opération est finie, on la met dans des pots et des bouteilles bien fermés afin de pouvoir la transporter; ou bien dans des fruits secs ligmiformes, nommés Calabas. Lorsque les préparatifs pour le lendemain furent terminés, on se mit à goûter de la boisson. Ce goûter se transforma en une véritable bacchanale, de sorte qu'on fut bientôt ivre tant les hommes que les femmes et qu'on se livra à des chants bruyants. L'ivrognerie est un des plus grands vices de ce peuple, et ce n’est pas une honte pour eux. Comme je l'ai déjà dit les hommes ainsi que les femmes s’y livrent. Un jour je fus témoin que la soeur du roi eut un accès d'ivresse tel qu'elle avait perdu toute connaissance. Elle fut portée chez elle en triomphe par quelques hommes, suivis de plus de cinquante femmes, qui chantaient bruyamment au milieu d’applaudissements continuels. Je vis aussi un des premiers ministres du roi complétement ivre, couché parmi plusieurs femmes, sur les genoux d’une d'elles, qui chantaient et applaudissaient continuellement de toutes leurs forces. Le jour suivant était destiné au voyage, de sorte qu'on fut occupé déjà de bonne heure. Le Roi et ses deux frères voulurent se placer dans notre chaloupe, que nous avions décorée des pavillons hollandais et français. Derrière celle-ci venait un grand canot, dans lequel les femmes du Roi et sa mère avaient pris place, ainsi que quelques gens qui battaient du fam-tam et d’autres qui soufflant dans des cornes de boeuf, exécutèrent sans interruption leur musique in- fernale. Ensuite venaient les pirogues avec les ministres et différents fonctionnaires du Roi, ainsi qu'une foule d’autres, avec des hommes et des femmes; les premiers étaient tous en costume du guerre, et à eux se joignirent encore plusieurs autres pirogues qui vinrent lorsque nous longeâmes la côte. C'était vraiment un spectacle magnifique que toutes ces barques, à la voile; notre chaloupe le »Schlegel”, faisait l'avant-garde. Il ne fut permis à aucune pirogue de dépasser la chaloupe et aussitôt qu'une, un peu poussée par le vent, l’avait dépassée, il était ordonné à l'instant même d'amener la voile, jusqu’à ce que la chaloupe eût repris sa place, comme vaisseau amiral, à la tête de cette petite escadre de pirogues. Nous entrâmes vers midi dans une petite rivière et mimes, quelques instants après, pied à terre dans une forêt de palétuviers, où nous débarquâmes notre bagage et attendîmes les autres qui étaient derrière, pour nous mettre ensemble en marche solennelle. Pendant que nous attendions, nous ofiri- mes au Roi et aux Princes un bon verre de cognac et, aussitôt l’arrivée des pirogues 198 attendues, nous nous mîmes irrégulièrement en route. J'avais envoyé mes domestiques en avant avec notrebagage, tandis que nous, en compagnie du Roi, des Princes et de ses ministres, nous prenions un petit sentier, qui conduisait jusqu’au pied du promontoire Ambatou, dans les forêts duquel se trouvait le tombeau royal. Ce petit sentier parcou- rait d’abord une forêt de palétuviers, puis une forêt étroite remplie d'énormes Boisda- miers, de Copaliers, de Benjoins, de Saccoas, de Faux-Gaiacs, de Takamakas, de Nattes, d'Azignes, d'Acacias et d’un grand nombre d’autres arbres de la famille des Térébintha- cées, au pied desquels se trouvaient des arbustes dont quelques-uns étaient en fleurs et reliés par de grosses lianes, qui, pendant comme des fils d’un tisserand des branches de ces majestueuses colonnes, formaient une forêt impénétrable. Plusieurs voix d'oiseaux nous rendaient la marche plus agréable. C’étaient tantôt les cris monotones £ok-tok du Coua huppé (Coua cristata) ‘) sautant de branche en branche, interrompus par les croassements désagréables des Vouroun-Zazas (Falculia palliata) ?) et par le roucoulement des pigeons verts (Vinago australis) *) qu'accompagnait la voix presque humaine du Boto-kong-kong (Guculus Himalayanus) *). Nous suivimes toujours la même route jusqu'à ce qu'on fût arrivé sur une place ouverte formée par une prairie mobile de fou- gères et d’une espèce de Papyrus; elle nous séparait d’une petite forêt de Copaliers, au pied du. promontoire Ambatou, et on la traversa avec beaucoup de peine. En cet en- droit, nous fimes halte pour établir notre bivouac et passer la nuit. Aussitôt que tous les pélerins et pélerines malgaches furent arrivés sous l'ombre de ces magnifiques arbres, chacun se hâta de faire sa tente et d'allumer du feu. Pendant ce temps quelques es- claves du Roi tuaient un bœuf, qui fut partagé entre ceux qui faisaient partie du péle- rinage. J’admirai la promptitude que les Antancars mettent à construire leurs petites tentes, mais il nous fut impossible d’attendrir ces gens, même par des cadeaux et de l'argent et de les décider à nous en céder une. Le Roi même ne put pas nous en procurer une; mais nous en primes notre parti. J'appelai donc tous mes serviteurs malgaches et leur ordonnai de nous construire le plus tôt possible une hutte de branches et de feuilles d'arbres: En moins d’une demi-heure ils nous eurent fait une espèce de berceau, sous l'ombre d’un énorme Copalier. L'inté- rieur de cette case naturelle était garni par les voiles de notre canot pour nous garantir contre les courants d’air et la pluie, si nuisibles à l’européen dans ces parages. On cou- vrit ensuite le sol avec des fougères sèches, sur lesquelles on mit une natte, qui devait nous servir de table, de chaises et de lit. Partout où l’on portait les yeux, on aper- cevait de grands feux autour desquels on avait placé des piquets fendus avec des 1) Voir Partie IL p. 56. 2) Id. Id. » + 105, pl. 38. 8) Id. Id » » 117. 4) Id. Id. ” » 157, 199 aiguillettes de viande de bœuf à rôtir. Nous ne suivimes pas celte méthode de cuisine; la chose sera facile à comprendre, car les malgaches ne cuisent leur viande qu'à moitié, eb la mangent avec du riz sec, sans sel, ni autre assaisonnement. Ils aimaient surtout à faire griller le fibia, du moins quand ils pouvaient le broyer avec leurs fortes dents. Jamais nous n’eûmes les pattes d’un poulet ou d’un canard sans que nos domesti- ques Antancars se Jelassent dessus comme des chiens enragés, et ne les mangeassent de cette manière. Tandis qu'un de nos domestiques était occupé à prépaper notre diner composé de viande et de riz, nous nous rendimes pour quelques moments à la chasse au coucher du soleil, et nous primes quelques bonnes espèces d'oiseaux; ainsi que quelques pigeons (Turtur picturatus) *) ; ceux-ci nous servirent de déjeuner pour le lendemain. Aus sitôt que les malgaches eurent fini leur étrange repas, on leur versa de cette liqueur après quoi ils se livrèrent autour des feux à des chants bruyants, avec accompagnement de tam-tam et de corne de boeuf, ainsi que des applaudissements continuels des femmes. Ce n’est pas besoin de dire que ce tapage infernal nous ennuya excessivement après les fatigues de la journée. Comme nous étions en plein air il nous fut aussi impossible de fermer les yeux de toute la nuit. Outre cela, vers minuit une forte ondée nous força pour comble de malheur, de quitter notre logis et de nous refugier près du feu. Nous tombions de l’une fièvre dans l’autre. C'est ainsi que se passa cette nuit, dont nous garderons toujours le souvenir. Grâce au ciel, le jour parut, et on nous ordonna de nous préparer pour la marche à la catacombe. Avant de nous mettre en ordre, nous nous rendîimes à la tente de notre ami royal, pour le complimenter. Il était en habit de fête, sa belle chevelure n'avait jamais été mieux tressée que ce jour là et pendait comme des franges le long d’un cou svelte brun foncé. Ses yeux noirs brillaient, et cependant ils étaient obscurcis de temps à temps par une larme, que lui arrachait la vue de la tristesse de sa grand-mêre, femme de plus de quatre-vingt-dix ans, assise à quelque distance de lui, et qui devait faire le pélérinage au tombeau de son fils. Comme toujours, il nous recut cordialement. I nous dit d'un ton amical, que nous devions tâcher de retenir notre envte de rire, quand nous serions témoins des étranges cérémonies, qui allaient avoir lieu, de peur que cela n'irrite ses sujets. Il continua en disant qu'il comprenait très bien leur ridicule, et qu'il n’y croyait pas du tout, étant chrétien. Nous lui promimes solennellement de satesfaire à son désir, en ajoutent que nous n'avions pas la coutume de nous moquer des moeurs de son peuple. Après que tous les assistants eurent pris encore une bonne gorgée de Bes-a-Bes, ils se rangérent de la manière suivante: 1) Voir Partie II p. 113. 200 Les musiciens avec leurs cornes de boeuf et les tambours avec leurs tam-tam se pla- cèrent à la tête du cortége, suivis d’une trentaine d’Antancares, tous en costume de guerre, consistant dans la parure suivante: Un lamba court et de couleurs voyantes, comme symbou ou sous-jupe, au milieu du corps, une ceinture large de peau de boeuf, à laquelle était attachée une petite giberne, une fiole à huile, et deux rangées de balles; puis un fusil à pierre à feu anglais, pourvu chez quelques-uns d’un fourreau de raban, ainsi que d’une couple de sagaies et de lances; ensuite venaient le jeune Roi ses frères, son oncle et nous en habit de chasse avec notre interprête. Après nous, suivaient les ministres et les anciens du peuple, enveloppés dans des lambas, et pourvus de sagaies et de fusils. La plupart portaient des bonnets Antalots ou Arabes de flanelle rouge; d’autres cependant portaient au lieu de cela un autre très étrange, fait de lla peau apprêtée, de la bosse de graisse des boeufs malgaches; cela formait un bon- net de cuir assez bon, sans aucune couture, de la forme d’un chaperon rond ou de ca- otte. Ensuite venaient les Princesses, les enfants et les soeurs, ainsi que les autres parentes de la famille avec la Reine-mère à leur tête. Suit une troupe de femmes An- tancares, derrière lesquelles marchait le bourreau royal Kimbat:y, avec une mince queue de raie à la main. Beaucoup d'esclaves se joignirent au cortége; c'étaient pour la plu- part des nègres du Mosambique, nommés Makouas, qui portaient les différents cadeaux et vases à boire remplis de Bes-a-Bes, qui devaient être offerts au Roi mort. Une dizaine d'Antancares en costume de guerre suivaient ensuite et fermaient cet étrange cortége. Le train se mit en ordre et nous nous rendimes à la catacombe, au milieu du vacarme des cornes de boeuf, des tam-tam et des cris des femmes. Selon leur loi les femmes sont obligiées de pleurer ou plûtot de crier, afflgées ou non, et aussitôt que quelques-unes cessent de crier, le bourreau Ximbatzy se rend immédiatement vers elles, en les mena- çant de sa queue de raie, de sorte que de peur d’être battues elles se remettent à crier; si elles n’obeissent pas immédiatement, la punition suit à l'instant la menace; de sorte que d’une manière ou d’une autre, elles sont obligées de pleurer ou de crier de la dou- leur que leur cause cette singulière cravache. Nous enfilâmes, au milieu d’un bruit assour- dissant un étroit sentier qui allait à gauche le long d’un vaste bois de palutiviers, et à droite d’une plaine, couverte d'herbe de la hauteur d’un homme. Devant nous s'élevait le mont Ambatou, dont l'aspect est si pittoresque et dont les rochers et les buissons mouillés par la rosée offrent une telle variété de couleurs. Un silence morne y régnait, il semblait que la nature restait stupéfaite à l'ouïe du bruit, que faisaient nos tambours, nos musiciens et les femmes. (à et là on voyait sur des troncs d'arbres, plusieurs Ibis blanches debout sur un pied, comme si elles eussent été empaillées, regarder im- mobiles le cortège qui passait. Après quelques instants de marche, le train se dispersa, et l'on ne vit bientôt plus qu'une foule irrégulière d'hommes qui couraient pêle-méle. Il semblait qu'on voulût accorder du repos au corps des tapageurs et que chacun désira 201 aller où bon lui semblait. (C'était absolument nécessaire du reste, car il fallait traver- ser un petit bois marécageux, et marcher de temps en temps sur des troncs d'arbres, posés sur des rivières ou plutôt sur des canaux petits mais rapides. Il va sans dire que nous profitâmes de cetle circonstance pour admirer les beautés dont nous étions entourées, quoiqu'il nous fut défendu de rien ramasser, puisque cette forêt ou plutôt tout ce qui se trouve aux environs du mont Ambatou est sacré pour le peuple Antankar. Quelle végétation Iuxuriante et magnifique! On voyait aux branches de plusieurs espèces d'arbres à gomme, comme le bézoen et le copal, des plantes grimpantes de l'épaisseur de plus d’un bras, qui grimpent en replis innom- brables jusqu'aux cimes les plus élevées des arbres, et retombent ensuite pour se réunir avec les Mimosas épineux et les belles Malvacées qui occu- pent l'espace compris entre ces troncs géants. Ailleurs ce sont de superbes fougères arborescentes et les palmiers Areca, qui s'élèvent comme des parasols en forme de cou- poles au dessus d’eux. Le dé- ESS \) ; ) ne licieux parfum que répandent les nombreuses Orchidées et les Agraecums nous fit d'au- ant plus de bien qu'autrement l'odeur qu’exhalaient nos noirs en transpiration nous était in- supportable. De nombreux oiseaux, une foule d’autres Le Finingo, (Péilopus madagascariensis). animaux nous récréaient pen- dant que nous traversions la forêt, soit par leurs voix, soit par la magnificence de leur plumage, par leur agilité, ou par la singularité de leurs formes. ! Dans les branches de la cîme d’une espèce de ficus se balancent une foule de pigeons bleus (Pf. madagascariensis) ) et verts (T. australis) *); ceux-ci font entendre 1) Voir Partie II. p. 115. 2, Voir Partie II. p. 117. de temps en temps un roucoulement modulé et les autres ÿ répondent en choeur par un bourdonnement sourd. Sur les branches inférieures des arbustes malvacées et des lauriers se faisait entendre à tout moment l’agréable sifflement semblable à un son d'orgue du Reluvis (D. forficatus) ?) qui chassait d’auprès de lui son compagnon, le beau Gobe-mouches paradis (M. mutata) ?), et la pauvre bêle se voyait forcée d'aller se cacher dans les feuilles d'une magnifique Urania pretiosa. Un peu plus loin on entend dans les branches et les buisons une troupe de Lemurs (L. macaco) *) qui chasse les nombreux Perroquels noirs (P. obs- curus) “), de dessus les Flacourtias chargés de fruits, espèce d'arbres à prunes; et les perroquets mis en fnite vont se réfugier en poussant leurs cris rauques, dans les Arecas en forme de éoupoles qui ombragent notre sentier. Tandis que le long d’un ruisseau, de beaux petits Aleyons bleus (A. vinisioides) ) volaient continuellement çà et là en poussant leurs sifflements aigus, et en observant sur une tige les petits poissons que le courant entraînait, une foule de jolis papillons et de lébulae jouaient parmi les hautes fougères et les buissons de bambous, qui croissaient en grand nombre ile long du canal. Le Vintsi, (4/cedo vintsioides). ®7% Le bourdonnement des frelons et des abeilles, ainsi que le chant perçant des cicades t ne contribuaient pas moins à égayer celte magnifique nature. 1): Voir Partie II. p. 79. 2) Voir Partie II. p. 76, pl. 20. 3) Voir partie IL. p. 1. pl. 1. AUTANT 2 le De BE) ht à 2m Ex ce 203 Nous poursuivions done notre route au milieu de ces trésors de beautés naturelles’ lorsqu’arrivés près de la pente du mont Ambatou, la foule entière reçut l'ordre de s’arrêter. Un des anciens adressa à la foule quelques paroles consolatrices qui étaient interrom- pues par les sanglots continuels et les pleurs de quelques parents du Roi défunt; ensuite, il nous pria d’avoir la bonté, de nous découvrir si nous voulions être témoins occulaires des cérémonies, et de le suivre ainsi vers la catacombe, Nous nous empressâmes d’obéir, car nous étions trop curieux d'y assister, et nous suivimes la foule, qui continua sa route au son des cornes de boeuf, des tam-tam, et au milieu des cris des femmes. Cette route s'élevait le long d’une pente escarpée entre une masse de blocs de rochers et des troncs d'arbre tombés; après avoir atteint en quelques minutes, mais avec beaucoup de peine, une espèce de sommet de colline, nous descendimes le long d’une masse de hauts blocs de basalte couverts de fougères, jusqu'à ce que nous fûmes arrivés devant la catacombe. Depuis la moitié du sommet, jusqu'à un peu plus loin que la catacombe, la foule était comme entassée. Les cris des femmes, le bruit des tam-tam et des cornes de boeuf étaient horribles et étourdissants. Malgré ce vacarme, un des anciens du peuple prononça une sorte de discours aux parents du défunt, tandis qu’un des ministres entrait dans la catacombe, pour voir si tout était en bon élat. Lorsque le discours fut fini, la musique se tut pour un instant, et l’on plaça devant la cataconibe les différents cadeaux qu'on avait apportés, des pots et des bouteilles de bes-a-bes, de la chaux broyée, des feuilles de bétel, du tabac et quelques petits plats de bézoen,; pendant ce temps là, les femmes continuaient à pleurer et à crier. Ensuite on envoya quelques esclaves pour apporter des rameaux verts d’une certaine espèce d'arbre et l’on chercha à faire du feu. C'était difficile car on avait oublié de se pro- curer les moyens d’eu faire. Ils voulaient absolument que nous leur en fournissions, car comme blancs, nous devions en avoir. Îls nous causèrent bien de l'embarras. Tous nous demandaient du feu et nous n’en avions pas: nous nous trouvions donc, dans une position assez critique. Heureuse- ment, van Dam, après avoir fouillé dans sa carnassière, trouva un petit morceau d’amadou, et à leur grande joie, on eut du feu au moyen d’un peu de poudre placée sur le bas- sinet d’un de leurs fusils, près duquel on avait mis l’amadou. A peine eurent-ils allumé un feu pétillant à l’aide de branches sèches, qu'on y jeta les rameaux verts ramassés d'abord. La fumée servit de sacrifice, et non seulement aveugla ceux qui étaient trop rapprochés, mais les menaça encore d’une entière suffocation en sorte que ceux qui cé- lébraient l'anniversaire du grand Roi purent espérer un inslant le revoir bien vite. Mais heureusement personne ne fut victime, bien que je croie que beaucoup des assistants malgaches eussent été assez fanatiques pour s’exposer à être suffoqués. Lorsque ces cérémonies furent terminées toute la famille du Roi défunt entra dans la grotte, probable- 204 ment pour y faire une prière et lorsqu'elle en sortit, une salve de coups de fusils fit retentir les montagnes. Nous étions de nouveau en danger, car nous craignions à chaque instant que les vieux fusils, dont la charge était trop forte ne vinsent à éclater. Après ce salut militaire nous quittämes ce lieux funèbre en suivant la même route par laquelle nous étions venus; sans avoir eu le bonheur de visiter l’intérieur de la grotte ainsi que le sépulcre sacré dont l'entrée nous était défendue sous peine de mort. J'aurais bien bravé cette menace pour contenter ma curiosité, mais j'avais trop de respect pour l'hôte royal qui m'avait déjà prodigué des preuves d'estime au delà de toute espérance. Revenus au camp le repas qui était prêt nous remil de cette course fatigante et après avoir fait la sieste sous l'ombrage de magnifiques copaliers nous retour- nâmes au canot pour faire la traversée à Nossi-Faly avec le Roi, ses frères et les autres princes qui étaient tous plus ou moins sous l'iuflueuce du Bes à Bes. Quelques heures après nous débarquions sains et saufs dans la résidence royale où uous conduisi- mes notre noble fardeau tout en conservant l'impression de ces cérémonies bizarres. Pendant notre séjour à Nossi-Faly nous primes tous les renseignements nécessaires pour pouvoir entrependre un voyage dans l'intérieur de Madagascar, afin de nous livrer à des chasses fructueuses pour la science. Nous primes nos mesures et nous contrac- tâmes des engagements avec quelques sujets du Roi Indryvouts, lesquels devaient nous indiquer des forêts inexplorées dans les lieux où ils cultivaient leur riz et où ils allaient chercher le bois d’ébène, de pallisandre, de rose, de tec et d’autres bois de grande va- leur. Nous étions désireux de faire encore des hécatombes dignes d’un vrai naturaliste avant d’être surpris par la mauvaise saison et il fallait nous hâter à cause des grosses pluies, des orages et des grandes chaleurs qui forment une lempérature brusque et malsane pour les Européens, surtout pour ceux qui doivent encore s’acclimater. D'ailleurs on nous avait conseillé de passer l'hiver à Bourbon ou Maurice afin de ne pas nous exposer à de funestes influences ‘). Nous dûmes nécessairement retourner à Nossi-Bé pour y chercher tout ce dont nous avions besoin pour une absence de quelques semai- nes dans les forêts et dans des contrées inhabitées. Comme nous ne savions pas encore suffisamment la langue malgasche pour nous aventurer parmi les indigènes sans inter- prête, ni guide, je fis des arrangements avec S. M. Indryvoutz pour me procurer des hommes capables de me suivre. Je fus assez heureux pour obtenir quatre hommes. Deux d’entre eux, élevés par les missionnaires Jésuites savaient assez la langue française pour me comprendre et me servir d'interprête chez les indigènes; c’étaient le père et le fils qui avaient déjà servi des Européens. Le premier était assez bon chasseur et le second, savait faire la cuisine; en outre, ils ne manquaient pas d'intelligence pour m'aider dans d’autres travaux, telles que la manoeuvre du canot, la construction des tentes ou la confection des caisses d'emballage. Je leur appris plus tard à m'’assister dans la 1) Voir mes Notes, |. c. SP EE EE 205 préparation des animaux tués, et le fils était le.seul parmi les naturels qui osàt prendre des reptiles ou plutôt des serpents, car les habitants du pays en ont généralement peur puisqu'ils les considèrent comme Fadi (saints). Les malgaches de ces contrées leur donnent pour ce motif, le nom de Bibi!) ce qui signifie bête malfaisante. Cet homme était donc pour nous une acquisition de grande importance mais malheureusement cet auxiliaire indispensable pour nos recherches herpéthologiques avait le défaut assez grave de fréquenter trop souvent et trop longtemps les belles malgaches ce qui nous causa tant de désagréments pendant nos excursions que nous fûmes obligés plus tard de refuser ses services à notre grand regrel. Enfin, j'étais très content d’avoir trouvé des agents pour mes explorations et je me hatai de me diriger à Nossi-Bé afin d'arranger les affaires pour notre future campagne. Je restai encore quelques jours à Nossi-Faly pendant lesquels je fis avec mes hommes nouvellement acquis des recherches sur la Faune de cet île qui comme J'ai déja dis fut assez pauvre en espèces. Le fils montra son zèle avec la capture de reptiles, d'insectes, de erustacées, d’échinodermes et de coquilles ainsi que de quelques plantes pour mon her- barium, tandis que le père m'accompagna à la chasse. Par les soins du premier j’obte- nais plusieurs Caméléons (Chamaeleo verrucosus) et (Chamaeleo pardalis), Lézards , Hemi- dactylus platycephalus, Pachydactylus cepedianus Scincus bilineatus et une nouvelle espèce nommée par le voyageur Alfred Grandidier, Gongylus Polleni. Plusieurs Serpents ou Couleuvres parmi lesquels Pelophilus madagascariensis, Heterodon madagascariensis, Her- petodryas quadrilineala, Dipsas colubrina et Dipsas Gaimardii et aussi de Grenouilles et de Rainettes comme Rana mascareniensis, Polypedates Goudotii et Hyperolius madagas- cariensis ?). Parmi les Insectes plusieurs Libellulae dont une nouvelle Libellula Selika ainsi que de Lépidoptères *), Coleoptères, Blattae “), Orthopthères 5), Juli ‘), Scolopendres ‘), Scorpioni *) et Arachnides *). Dans une excursion que je fis avec lui au bord de la mer nous trouvâmes plusieurs Crustacées "), Echinodermes et Conchylae !) plus de 350 échantillions de ces dernières. Parmi les premiers les espèces nouvelles Palaemon mayot- tensis ), Palaemon madagascariensis Ÿ), Palaemon parvus *), Thalamita Helleri, Calappa gallus, Neptunus madagascariensis et Oreaster muricalus. Les Caméléons que les malgasches nomment Tarendro se liennent ordinairement immo- biles comme étant cloués sur les branches touffues des broussailles le plus souvent dans les malvacées tournant les yeux avec une vivacité dans la tête, regardant de (ous cotés. 1) Plus tard on me donna aussi ce beau titre et je n'en fus pas satisfait. Lorsque j'en demandai la raison on me dit que c’était un titre d’honneur , attendu que les malgaches donnent actuellement ce nom aussi à un être extraordinaire d'une nature supérieure, auquel on n’ose pas plus toucher qu'au serpent. J’admirai la malice des malgaches car c’est un vrai calembour. 2) Voir la partie III. 3) Tsi-pelapelak. 4) Kalalou. 5) Valala. 6) Ankudiavitsh. 7) Trambu. 8) Hala. 9) Vankohe et Tsoha. 10) Drakak et Fozalangha. 11) Ankura. 12) Tsivaki. Voir pour les Insectes, Crustacées, Echinodermes ct Conchylae, la partie V. 206 Mon garçon les saisissait sans le moindre obstacle par le cou entre le pouce et le doigt. Pendant la capture, l'animal ouvrait largement la bouche, en lançant sa grande langue et en courbant la queue en cylindre, changeant la couleur de gris en noir, de sorle que la longue tache blanchâtre qui se montre sur Îles flancs disparaissait. Pendant cette pénible opération en touchant la bête il sentait comme un morceau de glace. De la même manière il s’emparait de Lézards (Anfsantsa), de petits Serpents (Bibilava), de Grenouilles (Sahona) et de Rainettes (Vontohely). La masse d'Hemidactyles platycephales qui se trouvaient dans les cases en y chassant les Mouches (Lalitsh), les Moustiques (Muku), les Punaises (Kunau) et les petits Cancre- las (Kalalou) lui donnait l’oc- casion de me procurer un grand nombre. Îl capturait les Pachydactyles sur l’écorse des arbres, les Scinques et Gongyles sous les pierres et dans l'herbe, ainsi que les Serpents et s’'emparait des Pelo- phyles en leur passant un la- cet par la tête en le tranglant NN par le cou Il trouva les AN NE Grenouilles ainsi que les Ecre- visses et Libellules dans un petit cours d’eau dans le voisinage du village, tandis qu'il s’'empa- rait des Rainettes dans les bana- niers (Katakata) et les arbres à voyageur (Antanra). Il avait une répugnance pour les Cent- pieds, les Scorpions et les Araig- nées et il fit plus d'éclat de a Cor Er) celte capture que de celle des Serpents et des autres reptiles. En lui demandant la cause il me disait qu'il craignait la mordure et la piqure de ces insectes, surtout celle du Maru-tangha ') qu’il n'osait pas toucher. Je ne saurais dire de qu’elle espèce d’araignée il avait tant de peur, si c'était le Latrodectus Menavodi ou la Tho- misus foka, deux espèces découvertes et décrites par mon ami le docteur Auguste Vinson ?). NE to us de bras; animal qui à Beaucoup de pattes. 2) Dr. A. Vinson, Voyage à Madagascur ].c. p. 184—186. pl. IV, fig. 3 et 4 Voir aussi, Auguste Vinson, Aranéides des îles de la Réunion, Maurice et Madagascar. l'aris 1863, pages XLV et 119. 207 Les noms malgasches des Araignées vénimeuses désignées par Vinson sont pour la première Meénavoudi et pour la seconde Foque ou Foka, dont les mordures sont mortelles. Aussi mon Edward était très adroit à prendre des oiseaux vivants, ainsi il avail attrapé dans une appareil de son invention une quantité de Cailles Turnix nigricollis, nommées par les malgasches Xibu 1). J’aimais déjà beaucoup ce garçon plein de zèle pour l'histoire naturelle et je comptais sur lui pour mes voyages futurs, mais comme j'ai déja dis, il aimait trop la distraction de la nature qui m'occasionnait plus tard lant de mécontentements. Si le proverbe est juste! ,,celui qui aime les femmes, aime la nature ,” alors, Edward l'avait pris pour son devise. Enfin je ne pourrais raconter lous les histoires à ce sujet et je me consolais avec la pensée que les hommes se ressemblent partout s'ils portent un Simbu on une Soutane, surtout ceux qui comme lui élail un fils d’un père Jacob. Il était le contraste de son père, mari fidèle et bon père de famille, et de sa mère, femme travailleuse, soignant ses enfants avec une tendresse lou- chante et la fierté avec laquelle elle me montra ses jumeaux, deux gentils garçons de huit ans qui se ressemblaient comme un gout d'eau, me donnait l'exemple d’une bonne mère. Ces garçons, étaient coifés d'une singulièré manière, ayant les têtes lout rasées, excepté une mèche, tressée sur le sommet de la tête en forme de corne. Ils aidaient leur mère, dans la fabrication de poterie, en rouiant l'argile. Le père de mon garçon se nomma Zoudze; avant qu'il entra dans mon service, il faisait la chasse aux sangliers (Sus larvatus)?), après le moisson de riz à Madagascar, souvent en compagnie de son voisin. Cet homme qui au lieu d’avoir comme lui une femme travailleuse et une nombre d'enfants, vivait en société d’une grande meute de chiens de chasse ressemblant au premier coup d'oeil aux Chacals (Canis aureus), vilains et maigres chiens #). Ils avaient le poil ras et la couleur brune jaunâtre, plus claire sous le ventre. Le museau était allongé et pointu et les oreilles droites et longues. La queue assez longue et pourvue d’une petite panache de poil ras et portée en l'air. Les jambes étaient minces et longues, en comparaison du corps. Ordinairement ils eurent presque cinquante centimètres de hauteur et mesuré du museau jusque la pointe de la queue, une mètre de longueur. Ils avaient les yeux petits et vifs, les oreilles subtiles mais peu de flair. Leur voix était un hurlement plaintif, pouvant se traduire par les voyelles oua, oua, oua. En chasse, ils étaient cou- rageux el infatigables en courant avec le museau en l'air, plutôt pour voir et entendre, que de flairer et en boyant sans cesse. Ils étaient très craintifs de mon chien un beau braque écoissais et se sauvaient avec la queue entre les jambes devant lui en hurlant. Les chiens sont connus à Madagascar sous le nom d’Amboa, c'est au dire, ceux qui sont habitués à la chasse des sangliers, les autres qui n’ont pas celle qualité sont désignés sous 1) Voir la partie II. p. 121 et 122. 2) Voir, vol. I. Reise in Ost-Afrika du Baron de Decken, p. 154. 3) Voir, p. 177, de l’ouvrage de Paul du Challiu, L'Afrique sauvage. 208 le nom de ÆKiva. Il arrive souvent que les chiens malgaches, qui du reste sont peu fidèles à leur maitre désertent dans les forêts et vivent en état marron ‘). L’infidèlité parvient je crois par les mauvais soins que les malgaches ont ordinairement pour leurs chiens leur donnant peu de nourriture. Ils vivent en grande partie d’ordures, qu'ils cher- chent partout dans les villages et se régalent de temps en temps aux rats, aux tendracs, aux poules, aux reptiles et même aux poissons el aux crabes dont ils s'emparent avec adresse ne pouvant pas vivre du peu de riz cuit ou de manioc qu'on leur donne. Du reste les malgaches ont généralement grand peur des chiens et surtout les antalottes qui les détestent; ce ne sont que les chasseurs de sangliers qui les entretiennent et je n’ai jamais vu chez les malgaches qui n’exercent pas cette chasse des chiens de luxe ou de garde. Du reste je ne conseille pas de se servir de chiens de chasse dans les tropiques comme à Madagascar, ils perdent trop vite le flair pour la chasse aux cailles, aux perdrix, et aux pin- tades et ne pouvant généralement pas observer les mouvements du chien par la broussaille ou les hautes herbes ils devienent inutiles et gênants. La chasse sans chiens et sans hommes est du reste toujours le plus préférable et lucrative, non seulement pour le natura- liste mais pour tous qui aiment à faire des hécatombes dignes d’un vrai chasseur ?) comme on apprendra par la suite de mes excursions. Mon Zoudze et son compagnon se vantaient beaucoup de leurs chasses et me racontaient beaucoup de détails et d'aventures à ce sujet et me promettaient de l'accompagner un jour. J'étais bien content d'y assister, de plus que j'étais curieux de savoir, comment ils se servaient de leurs chiens, qui n’avaient point l'apparence de chiens de chasse. A mon séjour à Ambassuana ils me promettaient d’arranger une chasse aux sangliers et nous verrons comment ils l’excersaient. Mes lecteurs se rappelleront que j'avais promis au capitain Dolt du navire Maria Heydoorn que je tâcherais d'obtenir pour lui du Roi Indryvouts une cargaison de riz. Fidèle à cetle promesse je priai S. M. Indryvouts de lui procurer, si possible dans le plus bref délai, ce cargaison, en lui faisant entrevoir, outre un beau profit pour ses hommes, un joli cadeau du capitaine et l'espoir d'entrer aussi à l’avenir en relation commerciale avec l'Allemagne. Le Roi fut très content de cette com- municalion et me promit de faire tout son possible pour engager ses sujets à fournir du riz ne sachant pas s'ils pourraient procurer pour le moment toute une cargaison. Mais le temps de la livraison était trop proche et la plus grande difficulté consistait en ce que M. Dolt avait besoin de riz pilé et que ce travail demandait trop de temps pour le satisfaire. Lorsque j’eus pris mes renseignements je fus surpris de l’arrivée du bati- ment en rade de Nossi-faly. Je me hatai de me diriger à bord, pour complimenter le capitaine et avoir le plaisir de l’introduire auprès de S. M. Malheureusemént M. Dolt était 1) Voir Voyage de Leguével de Lacombe, I]. c. Voir vol. I. Reise in Ost-Afriku du Baron de Decken, pr. 155 et mes Notes, 209 resté à Nossi-Bé, le navire étant conduit par son pilote. À bord se trouvait un courtier antalot, bon serviteur du Chérif Kalyfan d’Ambanourou. Il me comuniqua que le capitaine le rejoindrait dans quelques jours et que pendant ce temps il devait faire des achats parmi les indigènes. Comme mon départ était fixé pour le lendemain, j'avais l'espoir de revoir M. Dolt à Nossi-Bé pour lui communiquer mes démarches auprès de S'° M. Indry- voutz à qui du reste j'avais recommandé l’entreprise ci-dessus. Je partis alors dès le grand matin de Nossi-faly, lorsque favorisé par un bon vent nous arrivâmes près du fort Tafondrou où nous fumes tout à coup surpris en entendant un coup de canon tiré par ses batteries. Ignorant la signification de ce signal nous allions continuer notre route, lorsqu'un boulet venant ricocher à peu de distance de notre canot nous avertit que ce salut bizarre s’adressait à nous, ce qui nous fit arborer pavillon. En même temps nous vimes arriver du fort une chaloupe armée qui nous enjoignit de mettre en panne. Ne nous occupant pas de cet ordre, les soldats qui montait la chaloupe nous forcèrent à obéir en nous mettant en joue à une portée de fusil; mais comme de notre côté l'attitude était identique, ils n’osèrent commercer une lutte avant de nous avoir encore sommé d’abord. Voulant éviter ce retard inutile, afin de profiter du bon vent qui nous poussait nous dirigeames notre embarcation vers eux pour obtenir une explication. Les soldats furieux de notre résistance, nous ménacaient de faire feu dans le cas où nous aurions refusé de les suivre, ne devant disaient-ils qu’exécuter leur consigne, qui était de nous amener vivant ou mort devant leur commandant. Nous n’aurions pas été aussi obstinés , s'ils n’avaient pas été des nègres brutales et si nous n'avions pas craint le mauvais exemple de noirs commandant à des blancs en présence de nos serviteurs indigènes. Cet incident nous causa d'autant plus de peine, qu'arrivés devant l'officier, celui-ci nous dit comme excuse que ne sachant pas où nous allions et n'ayant pas reconnu notre pavillon il nous avait soupconné d'être des contrebandiers; nonobstant il nous fit remarquer le tort que nous avions eu de résister à l’autorité, ce qui dans certains cas aurait pu nous être fort préjudiciable. Je lui fis observer qui J'avais passé quelque temps auparavant sans difficulté ; mais il me répondit qu'il voyait pour la première fois notre canot et qu’à dater de ce jour je n'aurais plus besoin d’être soumis à la visite douanière. J'appris de même que cette mesure avait été motifié par l'habitude qu'ont les arabes de faire de la contrebande assez souvents avec des canots européens. Les pirogues malgasches doivent toujours aborder à Tafondrou !) quand elles y passent pour faire examiner leur chargement qui peut subir une contribution. Nos n’étions pas contents de ce retard désagréable ni des promesses de l'officier du fort qui ne pouvait pas répondre de son successeur de sorte que j'en du faire part au commandant de Nossi-Bé pour être garanti à l’avenir. Aussi comme nous avions perdu beaucoup de temps nous éprouvâmes à notre retour un contre 1) Le mot Tafondrou est plutôt Tafunru, ce qui signifie en langue malgasche Canon. 210 courant si violent entre Tafondrou et l'ilôt Nossi-varou à 1 noeud Æ& vers l’est, qu'il nous fut impossible de poursuivre notre voyage pour Nossi-Bé. Plusieurs avirons se brisèrent contre les flots et désespérés de ces efforts inutiles et craignant d’être repoussés vers notre point de départ nous fûmes bien aises d'atteindre en dérivant la côte de l'île Nossi-Kumbà 1) où nous dûmes passer la nuit jusqu'au moment où le jusant eut lieu pour gagner Hell-ville. Si nous avions eu le temps, nous serions restés un ou deux jours pour explorer les parties boisées des ravins environnants de cette île, de plus que les cases du côté où nous abordâmes étaient rares. Nous aurions dû faire notre installation sur le côté opposé de l’île où il y avait plusieurs grands villages et dans les environs une végétation assez riante dans les vallons, tandis que les parties élevées de l’île sont arides. L’iîle Nossi-Kumba est renommée parmi les marins et les colons pour son eau excellente qui descend de plusieurs ravins. Aussi les colons de Nossi-Bé après avoir eu une forte fièvre s’y rendent après leur convalescence pour y passer quelque temps. A entendre son nom de Nossi-Kumba ?) qui veut dire île des singes fut très boissée et habitée par beaucoup de makis (Lemur). Dès le grand matin nous partimes pour Hell-ville où en arrivant je me bhâtai de communiquer au commandant l'évènement qui avait retardé notre retour. Monsieur le commandant fut ému par ma déclaration d'autant plus qu'il avait ordonné à l'officier supérieur de la garnison de faire passer librement notre canot et de n’entraver d'aucune manière mes excursions. Je fus satisfait de cette explication d'autant plus qu'il m’assura de porter ma plainte au commandant de la garnison. Plus tard je dus payer cruellement la plainte que j'avais faite, puisque le commandant du fort Tafondrou ayant reçu des observations très désagréables de son chef, me témoigna depuis ce temps une animosité terrible. CAPI RE VITE Missionnaires et Prosélites à Madagascar. — Aperçu de la Géographie, de l'Ethnographie et de l'Histoire de la province d'Ankara. — Recherches sur la Flore et la Faune de ces contrées. — Nos premières excursions sur la rivière Ambassuana. — Les villages Ambassuana, Ambatou-Rangene et Si-Rangene.— Superstition des habitants de ces parages. — Rencontre désagréable à Ambatou-Rangene et à Ampampaména. — Décou- verte de nouvelles espèces de poissons. — Retour à Nossi-Bé.— Une nuit de prison, par suite de patriotisme. — Départ pour la Réunion. J'éprouvai de la difficulté à me procurer parmi les indigènes des gens capables pour un service régulier et des gens soumis. Je crus bien faire en choisissant parmi eux, 1) Voir p. 147 de notre Relation de voyage. 2) Nous devons observer que dans les mots malgasches où nous avons introduit par erreur la lettre C celle-ci doit être remplacée par la lettre K. La letter C n’existant pas dans l’Alphabet malgasche. 211 ceux qui avaient reçu l'éducation des missionnaires Jésuites ou qui avaient servi pendant quelque temps des Européens, soit à Nossi-Bé ou aux îles Mascarègnes; mais dans la suite je fus convaincu que ceux qui n'avaient pas eu ces avantages étaient bien préféra- bles, car ils n'avaient pas tant de défauts et de malice que ceux qui avaient suivi les cours des prêtres et des frères; les derniers étaient plus remarquables par leurs vices que par les vertus chrétiennes. Généralement ils étaient fainéants, menteurs, voleurs, soulards et paillards, mais par contre intelligents, attentifs, dociles et surtout fidèles à leurs maîtres. Je le déplore d'autant plus que les missionnaires se donnaient vraiment toutes les peines du monde pour les instruire, mais une fois livrés à eux-mêmes ces gens se servaient de leur culture pour le mal. Ils aimaient mieux imiter les mauvaises qualités des blancs que les bonnes. C’est à l’île de la Réunion que les Jésuites élèvent dans leur établissement de la Ressource de jeunes malgaches comme futurs civilisateurs de leur patrie et leur nombre s’accroit annuellement ,,Une lettre publiée dans les An- »oales de la Propagation de la Foi par l’un des professeurs nous apprend que la mission de Madagascar malgré tout ce qu’elle a usé de dévouements et de vies aposto- »liques, a fait peu de progrès. Après des tentatives réitérées et toujours infructueuses, »0n a compris que l'age mür offrant peu d'espoir d’une abondante moisson, il fallait Commencer par l'enfance la régénération de ce peuple. Mais cet essai n'était pas »possible sous les yeux des parents qui redoutent l'influence des étrangers sur leurs fils, »et qui regardent même l'instruction comme un danger. Pour former une jeunesse _ ,Chrétienne, il était donc nécessaire de la transplanter sur un autre sol, où des mains »habiles la cultiveraient sans entraves, pour la renvoyer ensuite à ses compatriotes avec les trésors de la foi et les germes de la civilisation.” Mais la plupart de ces enfants ne sont destinés qu’a former de pieux ménages, qu’on srendra ensuite à leur pays, et qui deviendront le noyau de villages chrétiens.” »Allez à la Ressource dit M. de Gaudemard et vous y verrez des hommes uniquement occupés de la prière et d'oeuvres de devouement, de l'amour de Dieu et de leur pro- »chain; vous y verrez poursuivant, dans l’humilité et le travail volontaire, leur oeuvre de »Charité envers ce qu'il y a de plus infime parmi les créatures envers de pauvres enfants »dont ils espèrent faire des apôtres, des catéchistes, et les auxiliaires de la civilisation sur une terre barbare; oeuvre magnanime et désintéressée, car Dieu seul sait si le zèle des généreux missionnaires sera couronné de succes, et si les ouvriers évangéliques qu'ils »préparent seront fidèles à leur vocation. »La maison de Nazareth complète les établissements de la Mission. Elle est située à »quelques minutes et un peu au-dessous de N. D. de la Ressource. C'est là, dans une »demeure environnée d’ombres et de silence, cachée et recueillie comme l’humble maison de Marie de Nazareth, que les bonnes soeurs de St-Joseph prennent soin des petites filles Malgaches rachetées par les missionnaires. Là aussi, la prière et le travail accom- 212 »plissent leur oeuvre de régénération, l’obéisance, la douceur et la piété en sont les fruits »déja visibles et promettent aux futurs ménages de Madagascar des épouses chrétiennes, »d'habiles ouvrières, et peut-être aussi des institutrices à leurs compatriotes. Quelques »unions ont déja été réalisées entre les jeunes couples des deux maisons.” Belles paroles en vérité, pour ceux qui professent avec ardeur les dogmes de Romel! mais nous comme naturalistes nous devons avoir des faits pour croire ce qu’on avance. Nous n’aimons pas les hypothèses pour faire croire à nos lecteurs que ce sont des faits véritables. Nous voudrions bien nous-même avoir l'espérance que les missionnaires réussiront à régénérer par leur culte les malgasches, mais malheureusement les faits que nous avons eu sous les yeux s'opposent à leurs chimères. (C’est notre devoir comme appréciateur impartial de la vérité de faire connaitre les fruits de leur instruction. Nous ne parlerons pas seulement des conséquences de l'instruction des Jésuites mais aussi de celles des Méthodistes. Il est incontestable que les missionnaires ont beaucoup de mérite dans leur oeuvre civilisatrice de la grande île africaine par leur enseignement des arts et métiers et des diverses sciences !) et aussi longtemps que leurs prosélites profitent de ces leçons pour leur bienêtre matériel, ces derniers se montrent bons disciples et tant qu'ils sont sous les yeux de leurs professeurs, même bons chrétiens et quand il s’agit d’un bénéfice quelconque à réaliser, ils restent fidèles à la religion qui leur a été enseignée. Plus l'intéret matériel leur parait grand, plus leur famille y trouve d'avantage, plus ils sont dévots et même fanatiques. Ils ne resonnent qu’au point de vue du bienêtre terrestre. Quelle malheureuse idée ont ces gens de la religion chrétienne; ils ne com- prennent pas l'utilité de l’enseignement d’une vie céleste qui ne leur fasse espérer qu'une vie spirituelle. Ils ne comprennent pas que les missionnaires, qu'ils considèrent comme les dépositaires de toute sagesse, puissent professer la croyance à un tel avenir et quittent leur patrie et leur famille pour venir dépenser des millions dans un pays malsain afin de gagner des partisans. Ils ne comprennent pas surtout que parmi les mis- sionnaires Jésuites et Méthodistes qui sont chez eux, il y ait de l’animosité au point de ne pouvoir se supporter l’un l’autre et de se calomnier et s’injurier sans cesse. Ils ne comprennent pas que ceux qui professent l'amour comme le plus grand commendement de Dieu se haïssent entre eux. Nous savons trop bien que la plupart de leurs élèves, une fois retournés dans leur patrie avec les semences de la foi chrétienne, retombent peu de temps après dans leur croyance naturelle, quand ils n’out plus à supporter le joug de leurs maîtres. Naturellement un troupeau qui est sans pasteur entre dans le premier venu pré et se perd une fois livré à lui-même. C’est ce qu'on peut dire de jeunes malgasches qui élévés, par les missionnaires, changent suivant leurs intérets, lorsque plus- tard livrés à leurs propres idées. Dans un pays comme Madagascar qui a été visité 1) Voir les Notes, I. c. 213 depuis des sciècles par les Arabes ’) la foi fondementale est celle de Mahomet; c’est celle qui convient le mieux à la vie indépendante et aux espérances des malgasches. Pour le présent elle leur donne plus d’avantages, leur parait beaucoup plus vraisem- blable et leur promet une vie céleste pleine de délices. (C’est pour cela qu'il est très dificile désubstituer l’idée chrétienne aux dogmes de divers cultes, même dans la première jeunesse. J'ose constater que les négociants arabes font annuellement plus de prosélites à Mada- gascar que les missionnaires Jésuites et Méthodistes. Cependant l’enseignement de tous est basé sur la vanité et l’avidité de ce peuple; c’est par politique qu'ils leur font gagner et par ce moyen ils finisent par en faire des prosélites. Ceux qui sont les plus rusés et les plus riches ont aussi le plus grand succes. Les Arabes ne pouvant ni dis- poser des richesses, ni de la connaissance des arts et métiers, ni des sciences, ni des objets utiles de l’Europe des missionnaires Jésuites et Méthodistes, ont par contre plus de ruse, connaissent mieux les habitudes du peuple, se lient souvent, jusqu'a l’intimité enfin négocient leur religion comme leur commerce. J’ai rencontré des malgasches qui possédaient un livre d’heures catholique romain, un cantiques méthodiste, une bible et un coran et qui interpellés par moi pour savoir comment ils avaient obtenu ces trésors religieux me répondaient qu'ils les avaient reçus de leurs différents professeurs, que leurs livres preférés étaient pourtout les cantiques et le coran parce qu’ils s’amusaint par les premières et par le second ils apprenaïent à connaitre leur Dieu et leur vie spirituelle sans difli- culté. Ils ne s’étonnaient point que, moi, je preférasse la bible à tous les autres livres puisque comme blanc je devais être plus savant qu’eux pour comprendre tous les mistères d’une vie spiri- tuelle qui suivant eux ne donnait aucune jouissance, ni distraction. Dans le cours de cette rela- tion nous aurons l’occasion de parler des idées religeuses des malgasches qui n’ont pas eu l'avantage d’avoir l'instruction des missionnaires Jésuites et Méthodistes et qui ne sont pas si païens qu'on pourrait croire. (juelque fois, mais c’est rare, il y a des brebis dans le troupeau des missionnaires Jésuites et Méthodistes, qui fidèles à leurs pasteurs recherchent l'étable, mais celles la sont de véritables béliers. Ces malgasches chrétiens sont fanati- ques et se servent de la religion comme d’une arme despotique contre leurs frères païens. Aussi sont ils si fiers de leur instruction que lors qu'ils se trouvent dans la société des blancs, ils tâchent de se mettre sur le même pied de civilisation et de con- naissance. Avec le peu qu'ils ont appris des langues française el anglaise ils veulent se faire valoir comme professeurs; ils vont même jusqu'a vouloir briller par leurs connais- 1) Voir les Voyages de Marco Polo t. ler du Recueil de Voyages et de Mémoires publié par la société de géogra- phie de Paris p. 233. Voir pag. 115 de l’ouvrage du docteur Hartmann. Edrisii Africa. XXII. Insulae maris Omanici. Voir les Notes, I. c. et les documents sur Ja partie occidentale de Madagascar du Capitaine Guillain, Paris 1845. p. 357. Note G. page 20 du texte. 214 sances dans la lecture et l'écriture et vraiment on doit avoir pitié de leur médiocrité. On comprend que parmi les gens qui ignorent complètement ces connaissances ils soient considérés comme des êtres de haute importance, même comme des prophétes. Dans le pays des aveugles le borgne est Roi. Aussi dans les parties de Madagascar ou ces savants noirs se trouvent, ils règnent par la parole et ils jouent un role tout à fait tyrannique, si encore ils suivaient la voie du Christianisme une fois revenus dans leur patrie et devenaient les instituteurs et missionnairs de leurs semblables, alors on pardonnerait encore leur fierté puérile. Mais au contraire ils deviennent dispotes, dominent leurs chefs et mênent la vie d’un vrai sultan, ne se contentant pas d’une femme légitime mais s’unissant à plusieurs. Il est donc très dangereux pour les voyageurs européens de ne pas être en bons termes avec ces hypocrites parce qu'on à souvent besoin de leur influence auprès des chefs ou de gens d'importance. Ordinairement on vous conduit dès votre arrivée, dans une contrée ou se trouvent ces individus et même on les appelle de plusieurs lieues de distance pour servir d’interprêtes. Plusieurs fois J'ai eu l’occasion de démasquer ces hypocrites menteurs et blageurs qui faisaient honte à leur instruction chrétienne qu’ils avaient du reste oubliée, sauf l’audace à se mettre sur le même pied avec les blancs jusqu'a partager les bonnes choses que ceux-ci avaient avec eux, afin de montrer qu'ils en avaient aussi appris l’usage. Tout leur foi se résumait dans ces trois mots: liberté, égalité et fraternité. Parmi ces prosélites il y en avait qui ce nommaient tantôt Catholiques, tantôt Protestants ou Mahometans, selon que leur intérêt l’exigeait comme je viens de dire et qui se faisaient honneur de raconter qu'ils suivaient l'exemple de leur Roi Radama IT qui lui aussi l’avait fait. Ils racontaient que dans sa jeunesse il avait été circoncis et instruit par les Arabes dans le coran, puis baptisé par les Jésuites comme Catholique romain et plutard par les Méthodistes comme Protestant. A l'obser- vation que les Jésuites lui firent à propos de ce sacrélège, il leur répondit que devant donner la liberté à tous les cultes dans son pays, il était de son devoir de faire partie des differentes doctrines religieuses, pour maintenir l’ordre et la paix, puisque tel jour il lui fallait assister aux cérémonies d’une église et tel autre à celles de l’église voisine et qu’en outre il était encore et surtout obligé de pratiquer le culte de ses ancètres celui dans lequel était morte sa bonne mère. Faites comme moi, aimez tous vos prochains comme vous-mêmes et vous serez les amis de tout le monde et c’est le meilleur culte que vous puissier enseigner à mon peuple. Îl faut aimer vos prochains comme vous mêmes était interprêté par les disciples des Jésuites et des Méthodistes, dans le sens de partager ses biens avec eux ou plutôt de leur donner tout ce qu'on possède et vivre en paix. Bonne religion pour ceux qui n’ont rien a perdre et tout a gagner. Je déplore d’avoir à constater que les malgasches ont reçu une très mauvaise idée de la religion chrétienne et de la civilisation Européenne, justement par les missionnaires Jésuites et Méthodistes eux même, qui cherchent continuellement à se nuire l’un à l’autre dans la 215 profession de leur foi par une politique méchante et égoiste ‘). Beaucoup de leurs prosélites professent donc la religion chrétienne de la maniere dont je viens de parler en cherchant surtout la conversation de ces représentants de la civilisation Européenne qui après avoir mené une vie légère, voire même, assez irrégulière désertent leur patrie pour s’aventurer dans ce pays d'avenir au détriment de ses habitants et occasionnent les guerres et les révolutions dont il est souvent le théatre. Madagascar est loin de devenir un pays chrétien sous de tels auspi- ces et les habitants deviennent de plus en plus défiants, incrédules et hypocrites par de tels auxiliaires de la religion chrétien et de la civilisation Européenne. Est ce que ce ne serait pas ici le cas de rappeler les paroles touchantes que Glaucus adressa à Diomède : Comme on voit des forêts les feuilles détachées Voler au gré des vents et languir déssèchées Ou refleurir encor sur des rameaux plus verts, Lorsque le doux printemps féconde l'univers, Telle à son tour s'élève et tombe chaque race. ILrADE. Partout à Madagascar ou les missionnaires Jésuites et Méthodistes ont mis le pied, les indigènes les ont reçus et les reçoivent encore avec toute hospitalité et bienveillance aussi longtemps qu'ils profitent de leur instruction matérielle et de leur trésors car aussitôt que l’enseignement de la religion vient sur le tapis ils changent d'idée. Ils ne disent pas comme Bertrand dans Robert le Diable: l'or est une chimère! mais ils consi- dèrent l'argent de la même façon que les missionnaires eux mêmes. En voici une petite histoire qui est arrivée pendant notre voyage à Madagascar: Le docteur Lacaille nous écrivait: ”Nos péres Jésuites établis à Baly ?) ne s’y maintiennent qu’avec peine et a "cause de l'intimidation prèsque permanente d’un batiment de guerre, chargé de visiter “souvent ce point. Les sakalaves ne connaissent que ce qui est imposant par le nombre; #aussi nos trois pauvres missionnaires de Baly ont ils failli être les victimes de leur "dévouement religieux il y a dix huit mois à peine.” Plustard j'ai appris du capitaine Delaroque, venant de Marambitsi et d’autres caboteurs que les missionnaires furent massacrés et lorsque le batiment de guerre après avoir incendié les villages de la côte eut une entrevue avec le roi indigène *) pour lui demander la cause du massacre, il lui raconta l’histoire suivante: Monsieur le 1) Voir p. 17—24 du Chapitre premier de l’ouvrage de William Ellis, History of Madagaseur. Vol. II. Voir p. 214—219 de l’ouvrage du Capitaine Dupré Trois mois de séjour à Madagascar. Voir p. 338—340 de l'ouvrage du docteur Auguste Vinson, Voyage à Madagascar. 2) Buly se nomme aussi Boyanna. Le premier nom usité chez les français; le second chez les anglais dans leurs ouvrages. Voir p. 273—275 de l’ouvrage de Me. Leod, Madagascar and its people, London, Longman, Green and Co. 1865. 3) Je suppose que c’était Rabouky, chef de Magoulou contrée située dans la partie oueste de la baye de Boyanna. Voir les documents sur la partie occidentale de Madagascar du capitaine Guillain, Paris 1845, p. 278. Voir les Notes, 1. c. 216 Gouverneur de la Réunion m’ayant demandé la permission d'envoyer dans mon pays des missionnaires Jésuites, j'acceptai cette offre avec grand plaisir, voulant profiter des bonnes choses que ces gens introduiraient dans mes états. Pendant le premier temps j'étais très satisfait d'eux, parce qu'ils nous avaient communiqué des choses très utiles et inconnues chez nous. Ils apprirent aux enfants leur langue; ils leur enseignèrent aussi a lire et a écrire et lorsqu'ils me demandèrent un terrain pour bâtir une maison destinée aux enfants qu'ils désiraient instruire, j'y consentis avec grand plaisir. Aussitôt cette maison con- struite, ils forcèrent aussi nos femmes et nos veillards à venir appendre leurs leçons; toutes les fois que nous n’avions pas besoin d’eux pour cultiver nos rizières et nos champs de patates et de manioc, je n’ai pas fait d'observation, quoique je ne comprisse pas ce que les femmes et les veillards pouvaient appendre d’eux et lorsque plusieurs de mes gens se plaignirent que leurs femmes négligaient leur ménage, je priai les missionnaires de ne s'occuper à l’avenir que de l’enseignement des enfants et que je ne permettais aux femmes d'aller dans leurs réunions qu'autant qu'elles n'auraient rien à faire dans leur ménage ou dans les champs. Les missionnaires s’opposèrent à cette décision en disant: que j'étais convenu avec M. le Gouverneur de la Réunion de les laisser agir librement et de professer la religion chrétienne. Je leur dis alors que M. le Gouverneur n’avait pas le droit d'empêcher mes gens de faire le travail du ménage et des champs. Ces con- trariétés continuèrent et un Jour qu'une révolte avait éclatée, parceque les femmes ne pilaient plus le riz et ne voulaient plus travailler dans les rizières et les champs, je priai les missionnaires de fermer leur maison et de ne plus empècher mes gens de nous procurer de la nourriture. Comme ils ne tenaient aucun compte de mes observations, je fis démolir leur édifice et les priai de quitter mon pays, en leur disant que je n'avais pas besoin pour mes gens d’une instruction qui devait les faire mourrir de faim et les porter à se massacrer l’un l’autre. Ils ne voulurent pas encore obéir et excitèrent à la révolte les femmes contre leurs maris, les enfants contre leurs parents et les veillards contre leurs fils Que faire dans ces moments pénibles? Je demandai conseil à mes anciens qui à l'unanimité votèrent leur mort, comme le seul moyen de faire finir ce désordre. Et pour l’exécution de la loi de mon pays, vous venez me faire la guerre. Si les blancs agissent de la sorte dans leur propre pays, je préfère rester noir avec l’in- struction et la foi de mes ancêtres. Comment agiriez vous, si dans votre pays un blanc à qui vous donneriez l'hospitalité abusait de votre absence pour violer les droits que vous seul avez sur votre femme? Ne le tueriez vous pas dans votre rage? Si quelqu'un venait faire le commerce chez vous et abusait de votre confiance que feriez vous? Ne vous vengeriez vous pas? Eh bien! plusieurs fois des blancs nous ont trompés de cette manière el nous les avons jugés et condamnés suivant nos lois et comme elles sont sévères ils durent en supporter les conséquences. Dernièrement encore, un navire venait trafiquer sur nos côtes et le capitaine nous achetà du riz et des peaux de boeufs en 217 échange d’ustensiles et d'étoffes Européennes. Il exige d’abord notre chargement avant de donner le sien, Nous avions confiance et on lui accorda ce droit. Mais combien notre indignation fut grande, lorsque le navire ayant profité de la brise de la nuit pour ne plus revenir, nous enleva tous les fruits de nos labeurs. Est ce que mes gens ont eu tort de piller et de bruler un navire de cette même race qui aborda plus tard sur nos côtes et de massacrer ces hommes trompeurs pour ne plus être désormais la dupe de leurs intrigues? Comment pouvez vous encore exiger de l'indulgence de notre côté? Est ce que nous n’avons pas prévenu vos missionnaires d'avance? Est ce qu'ils ont obéi, à mes ordres, même à mes prières? Non! Ils sont eux-mêmes la cause de leur supplice et de nos ruines. Vous avez rassasié votre haine et nous la nôtre; soyons contents d’avoir fait chacun nos devoirs, vous comme exécuteurs des ordres de votre souverain et moi de ceux de mon peuple. Comme on le voit, les Jésuites ont la vie bien diflicile à Madagascar, surtout dans ces endroits où ils ne peuvent pas dominer le peuple »Omnia pro dominatione”. C’est pour cela, comme nous avons vu ‘) qu'ils préfèrent élever les enfants ?) dans leur religion, plutôt que de s’adresser à l’âge mur qui à ses propres opinions et convic- tions. C’est pour cela que les missionnaires tâchent toujours de dominer les femmes, les vieillards et les hommes faibles, c’est pour profiter de leur influence dans les moments eriti- ques. Ils ont besoin de ce renfort dans les pays civilisés et ils en ont encore plus besoin à Madagascar où les femmes et les vieillards jouent un si grand rôle dans la vie publique et privée. Dans de telles circonstances ils préfèrent avoir leurs missions tout près des colonies françaises ou dans des territoires qui sont sous le protectorat direct des français ou qui peuvent être gouvernées par les divisions navales. C'est pour cela qu'ils ont leurs diocèses à Mayotte, Nossi-Bé, Sainte-Marie, Tamatave et Tananarivo, qui livrent un précieux contingent aux établissements de N. D. de la Ressource à l’île de la Réunion. Quant aux missionnaires Méthodistes, eux aussi ont beaucoup à souffrir dans la profession de leur joi quoiqu'ils aient plus de privilèges que les missionnaires Jésuites. C’est depuis 1813 qu'ils ont commencé d’un pied ferme les conversions, principalement parmi les Hovas sous le règne de Radama I. La haine que ce monarque portait aux français, qui à plusieurs reprises, avaient envahi ses états, lui inspirait une plus grande confiance dans la religion que professaient les anglais, parce que les missionnaires Jésuites qui visitaient ses états étaient des français. C'était grâce aux fortes sommes que les missionnaires Méthodistes dépensaient dans son pays et aux armes de guerre et ustensiles uliles d'Europe obtenues par le Gouvernement anglais à Maurice, qu'il embrassa, plutôt par politique que par conviction, la religion protestante et au fond de l'âme il resta fidèle 1) Voir p. 211. 2) À plusieurs endroits à Madagascar, surtout chez les Sakalaves, on a l'habitude de tuer les enfants, qui sont nés le vendredi; croyant que ces êtres seront destinés pour le malheur. Les missionnaires Jésuites profitent de cette superstition pour s’accaparer de ces enfants avant lear fin fatal, pour les soigner et les élever après dans leur établis- sement de Notre Dame de la Ressource à l’île de la Réunion. 28 218 à celle de ses ancêtres. Lorsqu'après la mort de Radama, son épouse Ranavalo monta sur le trône, elle expulsa tous les prêtres catholiques et c’est à prix d’or que les Méthodistes gagnèrent les ministres de la Reine et qu'ils purent se maintenir à Tananarivo. Toutefois malgré leurs sacrifices, la Reine leur porta une grande haine et ne les tolerait que parce qu’elle savait leur grande influence sur ses ministres. Ellis lui même raconte qu'un jour la Reine en passant devant la chapelle des mission- naires protestants qui chantaient leurs cantiques, proféra ces paroles: ,,Les misérables! Ils ne se tairont que lorsque j'aurai fait tomber leurs têtes!” Après la mort de Ranavalo, Radama IT, son fils leur accorda les mêmes faveurs que son père et se fit partisan de leur culte, après avoir reçu le baptème et l'instruction biblique par le missionnaire Ellis, qui obtint le titre de chapelain du Roi; mais on peut se figurer l'importance de cette dignité, quand on apprend que peu de temps après, le missionnaire Jésuite Finaz fut nommé par lui son aumonier, cela prouve qu'il ne préférait pas une reli- gion à l'autre. Plus tard il retomba de nouveau dans l'idolatrie de ses ancêtres et on prétend même qu'il consentit à un projet d’assassinat de M. Ellis. Dans les derniers temps de son règne, il se livrail à la boisson et il est vraisemblable qu'il ignorait ce qu'il faisait. Comment donc concilier ce que les adversaires de M. Ellis pré- tendent? Savoir, qu'il était complice de la révolution dans laquelle le Roi fut massacré. Si on voulait croire toutes les graves inexactitudes que racontent les missionnaires Jésuites et Méthodistes dans leurs oeuvres, je pourrais en écrire un volume. Ainsi les mis- sionnaires Jésuites, Jouen et Finaz, prétendent avoir couronné Radama comme Roi chrétien de Madagascar, ils ajoutent qu'il avait écrit une lettre au Pape et qu'il préférait la reli- gion catholique romaine au culte protestant. Comment concilier le cadeau conféré à Radama par le père Jouen au nom du Pape et consistant en une riche mosaïque destinée à être portée au cou, comme une croix de commandeur, croix qui representait la main de la Providence bénissant le monde, comment, dis-je, concilier cette largesse avec l’histoire qui nous déclare qu'on ne saurait donner de décoration qu'à un prince chrétien, lors de son couronnement? Les missionnaires Méthodistes contredisent ces faits. Sous le règne de Rasohérina qui resta fidèle à la religion de ses ancêtres, tous les cultes eurent la même liberté et elle favorisa comme son mari les Méthodistes, en vertu de la clause suivante insérée dans le traité entre l’Angleterre et Madagascar. ,, Conformément du désir de la »Reine Victoria, la Rene Rasohérina prend l'engagement de ne plus exercer de persécution »contre les chrétiens de Madagascar.” Elle resta fidèle pendant toute sa vie à cette con- vention, sauf qu'elle n’était pas contente que les sujets attachés à sa maison n’assistaient pas aux fêtes ou aux travaux du palais le dimanche, non qu’elle ne leur donnât pas la liberté d'assister aux services devins, mais elle préférait la devise: les affaires avant tout! Aussi l'on raconte à ce sujet que la Reine disait un jour à ses serviteurs qui étaient mécontents d’une invitation de bal à la cour, lorsqu'ils voulaient aller à l'église: ,, Je sais 219 »que plusieurs d’entre vous sont des prieurs (c'est à dire des chrétiens), et tiennent à assister au culte; vous craignez peut-être, comme je ne prie pas, de me déplaire en »Yy allant. Mais ne vous imaginez pas cela: ceux qui aiment à remplir ce devoir sont »libres, souvenez vous seulement, puisque vous vous dites chrétiens et que vous prétendez »être meilleurs que les autres, souvenez vous que je m’attends à vous voir agir mieux »que les autres. Je m'attends à ce qu’au lieu de mentir, de tromper, de voler ou de »faire le mal comme les autres, vous montrerez par votre conduite, que la prière est réellement une bonne chose.” On voit par ces paroles que la Reine avait les vraies idées du christianisme, cependant elle n’embrassa aucun culte et mourut païenne après un règne de cinq ans, sous lequel tous les missionnaires avaient la même liberté de pro- fesser leur foi. Pendant ce temps on augmenta énormement le nombre de leurs lieux de culte; on fit même des églises en pierres, bâties à l’européenne. Aussi les missionnaires eurent-ils la bonne fortune de faire grand nombre de prosélites parmi les Hovas, parmi lesquels il y en eut qui à leur tour allèrent prècher l’évangile à leurs façons aux frères païens. C’est surtout parmi les officiers et soldats que leur moisson fut assez considérable. Un grand bonheur pour la propagation de la religion chrétienne parmi les differentes tribus de Madagascar, c’est que plusieurs de ces gens changent souvent de garnison dans les différents postes, que les Hovas entreliennent sur les divers points des côtes de Madagascar. Mais quel espoir peut-on fonder sur ces apôtres, une fois éloignés de leurs maîtres? Je vous dirai que les plus dévots se contentent de lire la bible ou de chanter des cantiques au sein de leur famille, au milieu de leurs amis et de leurs serviteurs et c’est presque toujours le plus haut fonctionnaire qui fait le service de pasteur. Si le Gouverneur d’un poste est protestant, c’est alors lui qui occupe cette place. Comme les postes principaux se trouvent sur les côtes, comme Antombouk !) au nord, Ambanio ?) au nord-est, Ana- ronsanga *) au nord-ouest, Tamatave t) à l'est, Moudzangay 5) à l'ouest et Forodifay ©) au sud, les habitants, principalement ceux de la partie ouest, sont continuellement en contact avec les Arabes et ceux qui ne tiennent pas au culte de leurs ancêtres ont embrassé plusieurs dogmes de la religion de Mohamet. Cependant parmi les Antankars, Betsimsaraks et Sakalaves il y en a plusieurs qui sont déjà convertis par les missionnaires Jésuites, principalement ceux qui habitent l’île Sainte-Marie et Nossi-Bé les côtes situées dans le voisinage direct de ces îles. Ceux que les Hovas protestants ou catholiques convertissent sont simplement leurs semblables et leurs esclaves et non pas les tribus qu’ils dominent. En quoi consiste encore cette conversion? Seulement à entendre lire la bible, ou un livre de prières, parceque la plus grande partie d’entre eux ne peut pas les lire et ceux qui peuvent les lire se font dans leur interprétation des 1) Se nomme aussi Diégo-Suarez, 2) Se nomme Vohémar. 3) Mourounsang. 4) Toamasina. 5) Bombetok. 6) Fort Dauphin. 220 idées toutes matérielles de la religion chrétienne. Ceux qui possèdent une bible ou un livre de prière qu'ils ne savent pas lire, les considèrent comme un ÆFanfoudi (talisman) et souvent en se promenant, même en travaillant dans les champs, ils emportent partout. le document précieux et plus riche est la reliure, plus ils le considèrent comme Fadi. (saint). On ne peut en vouloir à ces gens, car combien d'hommes en Europe considèrent ces livres seuls comme un accessoire d'ameublement dans leur maison. Si on espère la régénération des Malgaches par ces prosélites, cela durera encore des siècles avant qu'une grande partie ait embrassé la religion chrétienne. Je crois bien que le protestantisme aura plus de chance que le catholicisme, puisque les Malgaches, comme Je le décrirai plus tard, sont très-simples dans leur adoration de Dieu. Où les missionnaires auront le plus de succès en prêchant l’évangile, ce sera dans les parties de l'intérieur et dans les régions australes et méridionales de l’île, parties les moins fréquentées par les Arabes. C'est aussi à Tananarivo et dans ses alentours où les missionnaires ont fait le plus de prosélites. Je dois dire que c’est maintenant un peu à la mode, depuis que la Reine Ranavalo Il à été baptisée par les Méthodistes 1). Le révérend W. E. Cousins écrit à ce sujet: Il y a ici 150 églises et 30.000 chrétiens. La Reine ayant embrassé aujourd’hui le christianisme, il est évident que beaucoup de personnes vont faire profession de la foi chrétienne SANS SINCÉRITÉ; mais il n’y en aura pas moins chez une partie très- importante de la population, une foi réelle à l’évangile. On peut dire que la ma- jorilé des chrétiens Méthodistes sont des Hovas, tandis que les autres tribus n’ont pas tant de goût pour les modes et les besoins européens. Je crains aussi que plusieurs de ces Hovas chrétiens ne changent aussi de mode, si une autre Reine ou Roi païen succède à la Reine actuelle. Ils deviendront done aussi vite païens, et Je dois dire alors avec M. Sebree, que les chrétiens de Madagascar ressemblent singulièrement aux chrétiens d'Angleterre. Il y a des hommes d’une profonde expérience religieuse; il en est d’autres qui comme une foule de chrétiens de notre pays, agissent peu et ne fournissent qu'un pauvre témoignage de la puissance régénératrice de l’évangile. Seulement au lieu de parler d'expérience religieuse chez les Malgaches, il faudrait parler de dévotion et de fana- tisme religieux ). Le meilleur moyen de convertir les Malgaches c’est de leur apprendre les arts et les métiers, après la lecture, l'écriture et l’arithmétique, avant qu’on leur enseigne un culte quelconque de la religion chrétienne. Ils doivent voir et savoir qu'ils ont besoin d’être chrétiens pour mieux vivre qu'autre fois. J’approuve hautement le système du Docteur Davidson qui se servait de toutes les ressources de l’habileté et de la science médicale pour combattre les maladies et soulager les souffrances physiques en même temps qu'il 1) Voir pag. 389—390 du Bulletin de la Société de Géographie à Paris, Avril 1872, Madagascar par Alfred Gran- didier, et p. 19 de la Notice géographique et historique sur l’île de Madagascar par Eugène de Froberville, Tome I, du Voyage à Madagascar etc. par Leguével de Lacombe, Paris 1840. 221 ouvrait aux missionnaires les portes des hôpitaux pour consoler les malades et leur apprendre à connaître le grand médecin des âmes. Je suis convaincu que les malgaches une fois guéris d’une maladie, conserveront beaucoup des paroles consolatrices des mission- naires; c’est ainsi qu'on peut espérer la propagation de la foi. Les malgaches qui ont une nature très-supersthtieuse croiront qu'ils doivent leur guérison en outre des rémèdes aux paroles des missionnaires, de même que Radama Il avait l'idée que sa femme était enceinte depuis qu'elle portait une médaille avec l’image de la Sainte-Vierge; voilà comme il était païen de culte et chrétien dans l’âme. On peut se faire une idée de ce vaste champ pour les missionnaires quand on sait que suivant le rapport du Docteur Davidson ‘) on soigne annuellement 5000 malades dans les hôpitaux de Tananarivo et qu'on tient régulièrement chaque matin un culte pour les malades et infirmiers. Notre ami Alfred Grandidier dit: (p. 376 du Bulletin de la so- ciété de Géographie de Paris en 1872), de ce médecin, que par sa libre entrée chez les grands du pays et par les services qu'il rend à toutes les familles, il exerce une grande influence. Il exprime son étonnement, probablement par le succès de sa politique religieuse , qu'il soit attaché à la MISSION PROTESTANTE, quand il dit: ,, Pourquoi nous aussi n’avons- »nous pas, dès longtemps attaché à notre consulat et à la MISSION CATHOLIQUE un mé- »decin capable qui n'aurait pas eu de peine à se concilier toutes les sympathies et qui eût fait beaucoup pour l'influence française ?” et j'ajoute que par une telle action les Jésuites auraient plus de chance encore de faire des prosélites. Comme on peut le voir, mes opinions sur la régénération du peuple malgache par les missionnaires, sont peu favo- rables à la persévérance de leurs prosélites dans la profession de leurs cultes; quant à la majorité elle restera chrétienne de nom et retombera, une fois éloignée de ses maitres dans la croyance de ses ancêtres, laquelle comme on l’apprendra dans le cours de ma relation a cependant beaucoup des vertus du christianisme et la foi à un être suprême. Le résumé de mes observations est que j'ai taché de dévoiler l'hypocrisie d'un grand! nombre de missionnaires et prosélites à Madagascar et de peindre la jalousie, la haine et le fanatisme qui existe entre les missionnaires et prosélites des differents cultes du christianisme. Toutefois je dois rendre hommage aux efforts du petit nombre de braves missionnaires qui comprennent la véritable tâche de leur mission difficile, en professant les métiers , les arts et les sciences utiles et non pas en prêchant le plus grand, j'allais dire le seul commande- ment de l’évangile, l'amour pour ses semblables, mais qui par leur manière de vivre \ donnent l'exemple à leurs disciples; car l’exemple est tout chez un peuple primitif et 1) Un fait curieux est que le Docteur Davidson élève aussi des jeunes malgaches dans l’art et la science médicale donnait l’instruction technique en anatomie et en chirurgie et qu’il a traduit plusieurs manuels de médecine. Dernière- ment encore il a traduit en langue malgache le Formulaire brittannique. 222 observateur. Alors ils seront pour Madagascar comme ailleurs les pionniers de la civi- lisation et j'espère vivement que les diverses tribus de Madagascar comprendront cela le plus vite possible; alors ils aimeront aussi les cultes qui leur font connaitre leur Dieu sous les formes les plus simples, idées qui sont enracinées chez les malgaches eux-mêmes. Voyez ce qu'il en resulte au cas contraire: ,Un jour un. pauvre créole de l’île de la Réunion demanda l’aumône au curé de la Possession; le prêtre la lui refusa en lui disant : qu'il ne donnait pas aux paresseux et de plus, parce qu’il assista rarement à la messe. Le nègre lui répondit en patois: Moi, pauvre noir; moi pas marqué: (argent) pour acheter linge comme riche mon père pour porter longue chemise (soutane) pour couvrir tous les pèchés.” Dans cetle réponse puérile il y avait beaucoup de vérité. Si je me suis écarté un peu, c'est parce que je voudrais soumettre à mes lecteurs mes pensées et mes observations au point de vue des millions qu’on dépense annuel- lement pour la propagation de la religion chrétienne parmi des gens qui en profitent d'une autre manière qu'on s'élait imaginé: millions qu'on aurait mieux employés pour les païens de l’Europe même et pour les chrétiens qui souffrent de la misère et qui meu- rent de faim dans notre voisinage direct. Nos premières excursions avaient pour but l’exploration de la partie nord-ouest de Madagascar, partie encore vierge sous le rapport de nos connaissances d'histoire natu- relle. C’est un pays d’attrait pour le naturaliste, surtout recommandé par les avantages de la situation entre le 12me et 16me dégré de latitude sud, offrant généralement une grande richesse de végétation. Cette partie de Madagascar est connue sous le nom d'Ankara, elle est le plus élevée et le plus en pente que les autres contrées de la grande île africaine et moins sujette aux inondations et par suite renfermant peu de marais origine des fièvres si redoutables. Ses montagnes entre le centre et les côtes sont couvertes de superbes forêts encore inexplorées donnant naissance à une suite de cours d’eau parmi lesquels d'importantes rivières qui arrosent ce beau pays. Entre les forêts de la côte et celles des montagnes centrales se trouvent plusieurs plaines de quelques lieues de largeur, offrant à beau- coup d’endroits d’excellents pâturages aux troupeaux de bétail, troupeaux qu'on estime à 30.000 têtes et que les Antankars y entretiennent. Malheureusement le pays est peu peuplé surtout après les guerres des Hovas, ce qui rend les voyages très-difficiles. Il n’existe point de routes dans le pays, quelques rares sentiers y serpentent de village à village et sont si étroits qu'on y passe l’un après l’autre; de plus dans les temps pluvieux ils disparaissent à chaque instant au milieu d’une végétation abondante et c’est alors souvent à l’aide de hache et de pelle qu’on doit se faire un chemin. Inutile de voyager sans un bon guide. Les limites géographiques ne sont pas encore bien déterminées dans la partie méridionale et les données que nous possédons de plusieurs géographes diffèrent beaucoup avec les renseignements que j'ai obtenus à ce sujet des Antankars eux-mêmes, parmi lesquels je cite en premier lieu les princes Tsimiaar et Indryvoutz. Suivant eux, les limites méridionales 223 sont à l’ouest, la rive nord de la rivière Sambéranou') et à l'est la rive nord de la rivière Sambava?) à une douzaine de lieues de la baie de Vohémar dans le sud ou bien à trois lieues au sud du 14° de latitude. Les limites méridionales que les géographes don- nent à Ankara sont à l’ouest les mêmes que celles des indigènes, mais à l’est ils prennent la rivière Tingabalé qui se jette dans la baie d'Antongil vis-à-vis l’îlot Marossi ou Man- gabé. De la rive méridionale de la rivière Sambava jusqu’à la rivière Manaranzarine le pays est habité par une tribu des Betsimsaraks *). De la rive méridionale de la rivière Sam- béranou jusqu’à la rive boréale de la rivière Analoulahine par une tribu des Sakalaves. — « L'extrémité au nord d’Ankara est située à 12° 19’ de latitude et connue sous le nom du Cap d’Ambre lequel forme une presqu'île dont les côtes sont pourvues de plusieurs anses, criques et baies, et les principales sont à l’ouest Ambavanibé et à l’est le grand bras de mer d'Antombouk, célèbre sous le nom de baie de Diégo-Suarez laquelle est considérée comme une des plus belles et du plus convenables du monde, dont l’entrée mesure 2400 mètres de longueur sur 2000 mètres de largeur. Le centre forme un magnifique bassin de 10 kilomètres de long sur 7 de large et la profondeur moyenne de cette baie est de 7 à 20 brasses. L'eau y est calme et à l'abri des grands vents et offrant tous les avantages pour loger une escadre entière des plus forts navires de guerre et par l’ouverture du Canal de Suez qui n’est qu'à une bonne vingtaine de jours de la Méditerranée pour les bateaux à vapeur, elle deviendra à l’avenir un point dominant de l’ocean indien pour la plus grande nation maritime 4). ÆEn continuant à l’est on trouve encore les baies suivantes: celle 1) 11 est remarquable que les Antankars considèrent la rivière Sambéranou comme la limite méridionale de leur patrie et prétendent que cette rivière se jette aussi sur la côte-est dans la mer. Au point de vue de la géographie physique, c’est impossible; on ne peut pourtant pas croire que la rivière Sambéranou traverserait Madagascar de l’ouest à l’est car alors elle serait allimentée des sources situées au nord et au sud. Il est vraisemblable que non loin de la source du Sambéranou, il y a une autre source d’une rivière du même nom laquelle a son embouchure à la côte est à peu près sous la 14° de latitude sud. En parcourant la rivière Sambéranou de l’ouest à l’est à plusieurs lieues, jui observé que la rivière se devise en deux branches et je n’ai pas observé en naviguant pendant une journée vers l’est que cette branche se réunissait de nouveau avec la Sambéranou même. Cependant le reflux où je fis cette observation, se portait vers l’ouest. Le Dr. Günst venant de Vohémar vers l’ouest ne dit rien du cours de lu rivière Sambéranou, savoir que ses sources se trouveraient à soixante dix heures de la côte ouest, Il est connu que le comte de Benyowsky en parlant de la rivière Tingabalé qui à son embouchure dans la baie d’Antongil dit que cette rivière aurait une branche qui prendrait sa direction vers la côte ouest, principalement vers la baie de Bombetok. Aussi M. Dumaine *) prétend que la rivière de Souffia qui à son embouchure sur la côte ouest dans la baie de Matsamba prendrait sa direction vers la baie d’An- tongil sur la côte-est. Est-ce que le Sambéranou donnerait communication de l’ouest à l’est ou les rivières men- tionnées par Benyowski et Dumaine? C’est une question très-importante à resoudre pour les géographes. Nous con- naissons pourtant le fait que le fleuve des Amazones se reunit avec celui de l’Orénoque par le Négro et que pour cette raison beaucoup de géographes disent que l Amazone est formée de l’union de ces deux rivières, mais par le placement des montagnes de Madagascar ce fait ne pourrait pas avoir lieu pour le Souffia, le Tingabalé et le Sam- béranou. Voir les cartes mentionnées pour s'orienter. 2} Voir les cartes de M. Alfred Grandidier et de Francisque Coïignet 1. c. et mes notes p. 227. 3) Nommé par les Antankars: Antavaratsh, ce qui veut dire: (Hommes) du nord. 4) Voir pour la description détaillée de cette baie p.34 et p.35 de la partie IV, Pêches de Madagascar, etc. *) Voir p. 203 de l'ouvrage de M Guillain, L.c et p.255 de l'ouvrage de Mac Leod , I. c. 224 d'Ambavarane !) qui a une largeur moyenne de 650 et une longueur de près de 4500 mètres et une profondeur à son entrée de 25 à 30 mètres et au fond de 12 à 15; puis celle de Louquez près de l’ilot Kahomby d'une profondeur à son entrée de plus de 30 mè- tres, puis celle de Manguerévi *) espèce de canal avec une entrée au N. et au S. dont la dernière est connue sous le nom d’Andrava et qui a une longueur de 16 kilomètres et une profondeur moyenne de 10 à 15 mètres. Ce canal est formé par Madagascar même, des bancs de sable, de coraux et les rochers boisés de Manombeedy, How, Shatta et d’autres îlots moins importants. La dernière baie sur la côte-est d’Ankara qui est pour les habitants la plus considérable à cause de son commerce et de son exportation de boeufs pour les îles Mascarègnes est la baie de Vohémar située plus au sud et d’une profondeur moyenne de 5 à 10 mètres et à son entrée de 30 mètres. Elle est entou- rée de récifs de corail qui sont découverts à marée basse. Si on comprend le pays d’Angontsi *) sous Ankara, comme un grand nombre de géographes le considèrent, alors on doit compter aussi parmi les baies d’Ankara la magnifique baie d'Antongil. Elle a une longueur de 14 lieues environ sur 9 de largeur. Dans cette baie se trouve vis-à-vis l'embouchure de l’importante rivière le Tingbate *) l'ilot Marossy qui a 12 kilomètres de- tour et d'excellents mouillages et la petite anse de 360 mètres de largeur formée par l’em- bouchure du Tingbate connue sous le nom de Marancette ou Port Choiseul , elle est bonne pour l’ancrage. Le fond d'ancrage du fond de la baie d'Antongil varie de 25 à 29 mètres. Vers le milieu du 17me siècle cette baie était fréquentée par les Hollandais qui y avaient une habitation d'une douzaine d'hommes et y faisaient le commerce d’es- claves et de riz 5). En partant à l’ouest de la baie d'Ambavanibé on ne trouve que des anses et des criques peu considérables pour la navigation; les baies importantes à la côte ouest d'Ankara sont celles d’Ambatou 6) et de Pasandava qui après les baies d’An- tombouk et Antongil sont les plus considérables d’Ankara et au point de vue de la marine française indispensables pour sa station navale de la côte ouest de Madagascar autant que situées vis-à-vis sa colonie de Nossi-Bé. Le centre de cette baie mesure 33 mètres de profondeur tandis qu’ à l’embouchure de la rivière de Kongoni on ne trouve que 7 mètres de profondeur. Gelte baie peut contenir facilement toute la flotte française, trou- vant partout un bon fond d’ancrage abrité de tous les vents et une mer pacifique. C’est une vraie baie modèle. Avant d'énumérer et de décrire les rivières d’Ankara je mention- nerai les différents caps, presqu'iles et îles de cette partie de Madagascar, en allant 1) Se nomme aussi Ling-vatou ou Rigny. 2) Connue aussi sous le nom de Port Leven. 3) Devenu célèbre par la résidence du Comte de Benyowski, voir ses mémoires ainsi que le récit de l’excursion de- l'Ingénieur Coignet dans les bulletins de la Société de Géographie de Paris 1867. Voir pour l’hydrographie p. 36- de la partie IV, Pêches. 4) Se nomme aussi TINGABALÉ et LINGUEBATE. 5) Voir l'Histoire de l’Isle Madagascar par de Flacowt, Chap. X, p.27, lre partie et mes Notes. 6) Nommée à tort par M. Grandidier AmpBarou; c’est la Baie Chimpaykee d’Owen. 2925 du nord vers l’ouest. En premier lieu le Cap Ambre ou Massou-Ampamouriki, le Cap St. Sébastien ou Andramira, Ambatou ou Ampassiména vis-à-vis l'île de Nossi-Faly, Ankifi ou Ambodavi vis-à-vis l’île de Nossi-Kumba. A l’est le cap Ambohitsara, Angontsy ou Cap Est et le Cap Masouala à l'entrée de la baie d’Antongil. Les îles d’Ankara sont à la côte ouest, dans la baie de Pasandava, Kisoumane à l'entrée de la même Tani-kely et Nossi-Kumba, puis Nossi-Bé et Sakalia, puis l'ilôt Vourou, l’île Nossi-Faly, les ilôts Tsara-Batsina et Nossi-Matingmou. L'ile Nossi-Mitsiou, les ilôts Nossi-Lava, Nossi-Ara, Wooddy, Delight, Moresby, Magnet, Chattam. A l’est l'ilôt Nossi-Kahomby et dans la baie d’Antongil, l’ilôt Marossy. Les plus importantes de ces îles sont Nossi-Bé, Nossi- Kumba, Nossi-Faly, Nossi-Mitsiou, puis Kisoumane, Sakatia!, Nossi-Lava et Marossy les- quelles sont habitées; les autres sont des ilôts déserts sans la moindre ou d'autre importance que pour des stations de pêcheurs ')}. Les rivières et lacs d’Ankara sont les suivants: En commençant par le nord la baie d'Antombouk nous offre plusieurs cours d’eaux dont les lits peu profonds à l’embouchure rendent les côtes très marécageuses. Les rivières de quelque importance sont l'Onghe-Varikas et l’Onghe-Vuhei ?). En sui- vant la côte ouest du nord au sud nous rencontrons la rivière d'Ankara qui prend sa source dans le voisinage d'Ambatousah et parcourt la vallée qui sépare cette montagne de celle de Béranza en passant près de l'entrée souteraine connue des navigateurs français sous le nom de Trou de Tsimiaar avec lequel nous ferons connaissance en décrivant le sol d’Ankara, et qui se jette dans la mer vis-à-vis la partie nord de l’île Nossi- Mitsiou. Une dizaine de milles plus au sud débouche la rivière de Mavave vis-à-vis la partie sud de Nossi-Mitsiou où se trouve un grand village du même nom gouverné par le frère du Roi Tsimiaar, nommé Tsimataus. Puis une trentaine de milles au sud de cette rivière où une dizaine de milles au sud da village Effassine doit se trouver une rivière assez importante qui se divise à une dizaine de milles de la côte en deux branches dont le courant de la plus grande branche à un parcours d’une vingtaine de milles. Cette rivière est indiquée par les géographes les plus éminents sur leurs cartes, mais nous avons vainement cherché chez les auteurs et voyageurs de Madagascar son existence car cette rivière n’est indiquée sur les cartes sous aucun nom. Lors de notre voyage nous nous informions chez plusieurs indigènes et traiteurs français sur son existence, lorsque le Roi Indryvoutz nous assura que, non loin, au nord du mont Ambatou, se trouvait une grande rivière inconnue aux Européens. C'était probablement la rivière en question. La position géographique ne s’accordait point du tout avec la rivière indiquée par le Roi Indry- 1) Voir partie IV, p. 33 et 48. 2) Le mot Onghe n'existe pas dans la langue mulgache; il est introduit dans les cartes des navisateurs ct géogra- phes que j'ai consultées; c'est certainement le mot Ony qui signifie en langue Hova, Aivière. Varika, veut dire en Jangue Hova, Singe et Vuhei, Crocodile. Du reste les noms ne sont pas connus dans Ja langue Antankar; seulement le mot Vuhei, nom employé par toutes les tribus de Madagascar pour le Crocodile, Dans la langue des Antankars Ri- vière se dit Saha, nom usité aussi par les Betsimsaraks et les Sakalaves. Chez ces tribus, Singe veut dire Akomba. 29 226 voutz comme nous verrons dans le cours de notre relation; c’était, ou la même rivière indi- quée par les géographes sur les cartes par suit de fausses données, ou bien une tout autre rivière inconnue des géographes et des explorateurs. Quel est donc la rivière indiquée par le Roi Indryvoutlz et explorée par nous? Nous tacherons de résoudre cette question el de faire valoir notre découverte. C’est un fait curieux que M. Guillain qui nous a laissé tant de documents précieux sur la géographie et l’hydrographie de Madagascar ne parle point du tout de cette grande rivière, nt d’autres cours d'eau assez remarquables indiqués par les géogra- phes sur les cartes ni de celle explorée par nous, quand il dit: ,,Les bords de la baie »d'Ancouala où d'Ambatou ’) (baie Chimpaykee d’Owen) sont en outre sillonnés par un »grand nombre de petits cours d’eau qui rendent très marécageux le terrain environnant »de cette baie.” Sur les cartes de Bona Christave, de Robiquet et J. Murray ces rivières sont indiquées cependant, mais sans détermination de nom ?). La rivière indiquée par le Roi Indryvoutz était une toute autre que celle située à une trentaine de milles au Sud de la rivière de Mavave à laquelle je donne le nom d'ERNESTINE *). La rivière du Roi est celle mentionnée par les géographes près une montagne nommée Malao-lari *) et à celle rivière J'ai conferé le nom d’AMBASSUANA à cause du nom du village situé près de son embouchure. Je donne à la rivière située entre ces deux rivières le nom de DOROTHÉE *). Alors nous compterons dans la baie d'Ambatou trois rivières savoir: celles d'ERNESTINE, de DOROTHÉE et d'AMBASSUANA; cette dernière est une rivière très importante et qui se divise à une vingtaine de milles dans l’intérieur en deux bras à l’an desquels je confère le nom de SYRANGENE à cause du village du même nom situé dans son voisinage direct. La siluation de cette rivière est au fond de la baie d’Ambatou à une dizaine de milles au nord-est de la montagne de ce nom; dans la même direction au pied de la même montagne, j'ai observé aussi l'embouchure d’une rivière et après avoir exploré l’Ambassuana entre son embouchure et le village de ce nom je découvris un bras se dérigeant dans la direction de la montagne Ambatou que je suppose d'être la rivière dont J'observais l'embouchure ci-dessus mentionnée, de sorte que la rivière Ambassuana aurait alors deux embouchures. Je parlerai plus en détail des rivières Ambassuana et Syran- gene quand je m’occuperai de la relation de mes explorations de ces fleuves. M. Grandidier ne mentionne aucune de ces rivières susdites, mais par contre il cite une rivière Andara à une vingtaine de milles au sud de la rivière Ambassuana, se jetant dans la baie d’Am- paripouk à l’est de Nossi-Kumba et une autre nommée Andranoubé au sud de la même ile se jetant dans la baie d’Ankifi, tandis que nous avons observé à cinq milles au sud de cette rivière une autre embouchure tout près du village Ambodavi à l’est de l'entrée 1) AuBarou c’est le vrai nom des indigènes. 2) V. A. Multe Brun n'indique sur ses cartes de Madagascar (1859) aucune de ces rivières dans la baie d'AmBArou. . 8) Je donne ces noms à ces deux rivières en honneur de ma chère épouse qui maintefois m’assista dans mes études. 4) Voir la carte de M. Robiquet. Je connais pas la montagne Marao-LaRi dans ces parages, mais bien celle d'AmpBarou. 297 de la grande baie de Pasandava. Ces deux rivières sont aussi indiquées sur la carte de Robiquet; cependant on y observe p. m. cinq milles au sud entre les rivières Andafa et Andranoubé, une autre se jetant dans la baie d’Amparipouk. Puis vient à une dizaine de milles au sud de la rivière Ambodavi, la grande rivière de Sambéranou. Nous obser- vâmes que celle rivière avait aussi deux embouchures et que les cartes n’en indiquent qu'une seule; nous en parlerons plus longuement quand nous traiterons de nos explorations de cetle rivière. C’est la seule rivière que les géographes et navigateurs aient mentionnée comme débouchant dans la baie de Pasandava, quoique nous ayons découvert encore deux grandes rivières qui se jettent dans celle magnifique baie: la Sjangoi !) et le Kongony sans parler des petits fleuves. Nous n’en parlerons pas ici comme n’appartenant pas au ter- ritoire qu'on comprend sous le nom d’Ankara. Les rivières de la partie orientale d’An- kara sont les suivantes, .en allant du nord au sud. Robiquet mentionne deux petites rivières, l’une débouchant dans la baie d’Ambavarano et deux se jetant dans le Port Louquez, sans déterminer les noms. Puis suivent les rivières d'Andrava, Manambalo, Vohémarina, un peu au nord de la baie de Vohémar, puis au sud de cette baie, le Ma- panbery *), alors les Fanganbahy #),; Bémarivou, Sambéranou, Loko ‘), Fangha-bé 5), Ampaba ‘), Manangara-bé *), Andaroni ), Amanotani *) et Marimbo®). On trouve encore plusieurs petites sources au sud du Cap Est et de l’île d’Angontsy et en doublant le Cap Masoala, débouchant dans la baie d’Antongil, dont la rivière la plus importante est la Tingabalé débouchant vis-à-vis lilôt de Marossy et un autre bras au nord du village Maransette ou Louisbourg ‘°). C'est aux soins du Comte de Benyowsky que nous savons que cette rivière est navigable de son embouchure jusqu’à environ trois lieues et parcourt le pays dans la partie nord-ouest et qu'elle se divise en deux branches en quittant sa source, bran- ches qui sont encore navigables à plusieurs lieues et que les rivières de la partie d'Angontzy se déchargent dans le Tingabalé (Tingbale) et que les bords de cette rivière sont couverts de beaucoup de plains bien cultivées et que les montagnes sont couvertes de vastes 1) Nommé par Grandidier, ZaxGoua. Ce voyageur ne mentionne pas la rivière importante le KoxGoxy dont l’em- bouchure se trouve vis-à-vis l’1ôt de KisoOUMAXE. 2) Ne se trouve pas sur la carte de Robiquet, mais sur celle de Grandidier. #) Indiqué par Grandidier et pas par Robiquet. 4) Cette rivière est mentionnée par Grandidier sous le nom de SamBava. L'Ingénicur Goïignet donne une carte d'une partie de la côte nord-est de Madagascar (voir Bulletin de la Société de Géographie à Paris Octobre 1867) et indique sur la même latitude que Grandidier la rivière BÉmartn\o près l'embouchure de laquelle il place le village SAMBAvA. Robiquet donne à cette rivière la même position que Graudidier et Goignet muis sous le nom de Voué- MARINA. Le FaxGaxBany de Grandidier est aussi nommé par Robiquet VOHÉMARINA, Il y a donc ici une erreur. La rivière de ce dernier nom $se jette près de la baie de Vohémar duns la mer. , 6) Ces rivières sont indiquées sur les cartes de Robiquet et Coignet ct non sur celle de Grandidier. 7) Cette rivière est mentionnée sur la carte ]. c. de Coiynet et sur celle de Robiquet sous le nom de MaNARA-BÉ. Grandidier ne la mentionne pas. 8) Cette rivière est mentionnée par Coignet 1. c. et pas par Grandidier, Rohiquet l'indique sans nom. 9) Ce que nous avons dites dans la note N°. 8, se rapporte aussi sur les rivières AMANOTANI et MarimBo. 10) Fondé par le comte de Benyowsky. 5 , 228 forêts de plusieurs espèces de bois de construction, bois faciles à exploiter et dont le transport est assez commode par la rivière. Tous ces fleuves grossissent énormément dans le temps des formidables orages et forment souvent de nouveaux affluents par les pluies torrentielles qui tombent alors presque tous les matins, les soirs et les nuits et déraci- nent souvent dans leurs cours sauvages de gros arbres et enlèvent d'énormes blocs de roches qu'ils emportent dans les bas fonds et les vallons formant souvent des étangs, qui disparaissent de nouveau dans la saison sèche ou forment des marais, si la terre est bour- beuse ou des étangs et des lacs si les vallons sont en forme d’entonnoir sans issue pro- fonde et le sol d’une formation rocailleuse. Aussi d'anciens cratères forment des lacs par ce procédé. On trouve plusieurs de ces lacs à Nossi-Bé *). Ankara n'offre cependant pas beaucoup de lacs par la position du pays où les pentes des montagnes sont rapides et couvertes d'épaisses forêts. Cependant nous y découvrimes trois lacs inconnus aux géographes, dont un à Nossi-Faly et deux dans l’Ankara même connus chez les indigènes sous le nom d’Ankineke et celui de Syrangene. Nous en donnerons la description quand nous parlerons de nos excursions; l’Ankara possède aussi des sources ferrugineuses, : sulfureuses et thermales, surtout dans les parages de la baie d’Antombouk ?). Pour les côtes, baies, bras de mers, criques, bancs et îles d’Ankara nous possèdons-les meil- leurs renseignements des navigateurs Owen, Guillain et Jehenne. Quand aux embouchures et directions des rivières, elle sont inexactes et incomplètes et les sources de presque toutes les rivières inconnus aux géographes jusqu'à ce jour. Dans les régions boréales de Madagascar, dans la partie entre le Cap d’Ambre et la baie Diégo-Suarez le pays est montueux et parsemé de quelques monticules dont les plus élévés se trouvent à quelques milles de la baie d’Ambavanibé au centre de la Savane de Tani-Mahitsiou. La terre y est partout sabloneuse rougâtre et aride ; cependant la langue de terre entre la baie de Diégo-Suarez et l'océan indien vers l’ouest est boisée dans les vallons formés par deux montagnes celle qui est au nord le Manakalou et celle qui est au sud l’Antom- bouk; puis en traversant une plaine vers le sud-ouest, on observe la montagne Betouaka. À partir de celte montagne jusqu’à la rivière Ankara les côtes sont assez hautes et celles de la parue nord et nord-est du Cap St.-Sébastien (Andramiza) surpassent les autres en hauteur ; cependant ce sont les côles-est d'Ankara qui s'élèvent le plus. Au sud de l’entrée de la baie de Diègo Suarez se trouve sur un plateau en amphithéître d’un monticule le fort Hova Antsinghi au pied duquel serpente vers le nord-nord-ouest la rivière des Caimans (Vuhei) et au sud-est se trouve la grande forêt de Manambate et à peu près cinq milles de là 1) Voir p. 160 et p. 251 de cette partie. 2) Quelques géographes parlent sur l’autorité de Dumaine de l'existence d’un volcan en action qui doit se trouver dans ces parages, mais c'est une erreur. Du reste dans ce siècle où plusieurs navigateurs ont visité le nord de Madagascar on n’a pas pu en constater l’existence. Moi-même je n’ai rien découvert de ce volcan en naviguant plusieurs fois dans ces parages ni les navigateurs qui maintefois ont visité la baie d’Antombouk. (C’est cependant probable que dans le dernier siècle un des cratères des montagnes d'Ankara était en activité, 229 se trouve la montagne d'Ambouitz plus connue des navigateurs sous le nom de montagne d’Ambre dont le pied au nord-est couvert sur une assez vaste étendue par le bois d’An- daha. Entre la montagne d'Ambouitz et celle d'Ambatouzah se trouve une assez vaste plaine par laquelle serpente le sentier que les indigènes prennent pour se rendre de Mavave à Vohémar. On traverse premièrement la vallée entre la montagne d'Ambatouzah et celle de Béranza laquelle est aussi traversée par la rivière Ankara qui se jette dans la mer en avant de l’entrée souterraine d'Ambatouzah. Gette remarquable montagne est digne d’être connue en détail, elle fait partie comme celle de Béranza d’une chaîne de mon- tagnes qui se trouvant à neuf milles de la côte, s’étendant à une longueur de près de dix-huit milles du nord au sud et entreccupée de larges vallées en sorte que cette chaine offre plusieurs montagnes semblables à un parallélipipède tronqué. La montagne Ambatouzah a aussi celle forme, mais c'est une masse rocheuse dont le milieu est affaissé dans presque toute la hauteur du parallélipipède laissant à l’intérieur un espace vide de forme eylin- drique auquel les colons de Nossi-Bé donnent le nom de trou de Tsimiare dont nous saurons la signification par l'histoire d’Ankara. La descriplion que nous possédons de M. le capitaine Guillain est parfaite, quand il dit: ,,Gette espèce de muraille gigantesque , montre »partout le roc à nu, et elle ne pourrait être que dificilement gravie, à cause de la »disposition verticale des blocs énormes qui la composent et des anfractuosités qu'elle pré- »sente. L'espace, circonserit par elle, est une plaine d’environ deux milles d'étendue, où l’on voit l’eau sourdre en plusieurs endroits, et dont le sol est très-fertile. Des »deux voies qui conduisent du dehors à la plaine intérieure, l'une très difficile, éxige »l'escalade d’une partie de la muraille, et consiste en un sentier étroit et périlleux, pirayé à travers les aspérilés de son sommet; l’autre, sur le coté sud de l'enceinte, »est un souterrain naturel, tantôt large et élevé, lantôt abaissé et resserré, complète- ment obseur, et au milieu des détours duquel on ne peut se diriger qu’à la lueur des tor- »ches. — Après avoir ainsi marché pendant vingt-cinq ou trente minutes dans ce passage, »0n aperçoit enfin, au-dessus de sa tête, la lumière du soleil; une échelle, grossière- ment façonnée conduit alors à l’issue intérieure du souterrain, d'ou l’on descend dans la plaine.” !) La chaine de montagnes à laquelle appartient cette montagne remarquable est connue sous le nom de montagnes d’Ankara; elle est en général d’une hauteur de 1500 mètres au dessus du niveau de la mer. Tous ses flancs et rameaux sont couverts de superbes forêts épaisses contenant plusieurs espèces d'arbres de grande valeur pour la construction navale, l'ébénisterie, la teinture et d’autres industries dont nous ferons connaître les princi- pales espèces et leur valeur pour les diverses usages dans le cours de notre relation. Une branche de cette chaine forme les montagnes d’Ambatou vers l’ouest, par la vallée des- 1) Voir les documents sur l'Histoire, la Géographie et le commerce de la partie occidentale de Madagascar, recuellis et rédigés par M. Guillain, Paris 1845. p. 156. 230 quelles, la rivière d'Ambassuana prend sa course, et l'autre les montagnes de Vohi-bé vers l’est occupant la contrée d’Angontzy ‘). Plusieurs montagnes offrent aussi d'énormes gouffres surtout à l’est d'Ankara. Il y a des vallées qui sont vraiment sauvages; d'énormes blocs de roches basaltiques y sont parsemés à droite et à gauche dans les formes les plus fantastiques et capricieuses et empilés les uns sur les autres. Quelquelois on voit les formes les plus bizarres, des pierres surmontées par un énorme bloc de roche comme si cela était placé par les mains d'hommes ?) el à premiere vue on craint qu’ils ne perdent leur équilibre. Dans ces lieux la végétation est maigre, sauf les pentes et les fentes des montagnes où on trouve des arbres nains. Plusieurs de ces montagnes sont creusées du sommet au pied par les pluies continuelles el souvent torrenlielles qui y règnent du mois de Novembre jusqu'au mois d'Avril. En plu- sieurs endroits dans l'intérieur la végétation est pauvre et le sol d’une nature calcaire. — A l’est d’Ankara, surtout dans la presqu'île d’Angontsy, le sol est couvert sur une éten- due considérable du cap Masouala *) jusqu’à un peu au sud de la baie de Vohémar, de forêts épaisses, surtout des copaliers qui commen- cent près de la rivière Marimbo jusqu'à 25 milles au sud de Vohémar. Le basalt et le Blocs erratiques 4). granit jouent le rôle principal dans la for- mation des montagnes rocailleuses d’Ankara et la terre végétale rouge brunâtre d'une très forte couche provient des débris des basaltes décomposés donnant à beaucoup d’endroits une fertilité incroyable et presque inépuisable; plusieurs de ces contrées sont utilisées pour l’agriculture, surtout à celle du riz, de la canne à sucre, des caféers, des colonniers, du manioc, de l'indigo, ete. On trouve le basalte de la baie d’Antongil sans interruption jusqu'à Vohémar et les montagnes graniliques contiennent le plus souvent des filons quarlzeux dont plusieurs sont minéralisés c'est surtout dans la partie ouest d'Ankara que les montagnes granitiques surpassent celles de basalte. En beaucoup d’endroits on trouve d'énormes blocs de granit d’une 1) Ayant habité quelque temps dans le Nassau, province de Hesse-Nassau, empire d’allemagne, principalement dans le Reingau et les montagnes du Taunus, j'étais souvent étonné de trouver tant de ressemblance dans Ja formation du sol, la forme des montagnes et les vallées d’Ankara et de Mayotte. 2) Voir p. 99 de notre relution et p. 480 du t. I du voyage en Angleterre de L. Simond, 2me édition, Paris, 1817. 3) Cap Baldridge de plusieurs géographes. Nom adopté par Malte Brun dans ses cartes de Madagascar. 4) Voir Basset, Explication de Plaïjfair, etc. p. 304 — p. 329 (KVIII note; Transport des pierres) et mes Notes I. c. « 291 beauté suprenante !) et souvent on y observe une quantité de filons de granate et de tur- malin. Les poudingues, cailloux, agates, cristaux, grenates hyacinthes et chrysolites indiquent en plusieurs endroits au naturaliste les révolutions volcaniques dont Madagascar à été le théatre ?). Plusieurs montagnes offrent encore d’anciens cratères dont beaucoup sont changés en véritables lacs et quelques-uns communiquent par des canaux souterrains avec la mer ?). Un des plus remarquables des anciens cratères d'Ankara est surtout Ambatouzah dont nous avons parlé plus haut. — Dans le nord-est en se dirigeant vers le sud-ouest on trouve des filons de cuivre et même mèlés d'argent (greycopper) *). Dans les environs des sour- ces, à 50 heures de marche de la côte ouest de la rivière Sambéranou qui a son embouchure dans la baie de Fasandava, on trouve des mines d’élain et de fer; suivant le Dr. Günst elles doivent se trouver à une journée de distance de ces sources dans le nord-est. Il est suprenant de voir la quantité de mica qui se trouve dans le lit de cette rivière ; quand on remue fortement le sable, l’eau est troublé par les filaments de ce minéral et ressemble à la liqueur nommée en Allemagne, Gold wasser. Aussi les terrains d’Ankara surtout dans les contrées de la rivière Mavave, Béranza et Ambatouzah sont riches en cristeaux de roche ‘), de pierre d’agate et de fer ologistique. La houille se trouve dans les contrées d’An- tombouk et de Bavatoubé 5) où on a exploité même une mine dont nous parlerons plus loin et le fer se trouve en beaucoup d’endroits, fer exploité par les indigènes pour leur propre usage. Comme j'ai déja dit, les montagnes d’Ankara sont pour la plus grande partie couvertes de superbes et inpénétrables forêts, mais à plusieurs endroits aussi les pentes des montagnes et les vallées sont dépourvus de forêts et utilisées pour la cul- ture du riz, du manioc et d’autres plantes commestibles. Beaucoup de forêts de grande valeur sont incendiées pour ce but par les indigènes, ce qui donne à plusieurs con- trées un aspect fort triste que je tâcherai de peindre dans le cours de notre relation. Ce déboisement à plusieurs reprises et en différents lieux, surtout dans les larges vallées qui sont assez éloignées des hautes montagnes, exerce naturellement une grande influence sur le climat. Aussi le sol dans ces contrées est souvent si sec °) que la culture en souffre dans la belle saison par l'absence de pluie et par les vents qui règnent alors. 1) Ou le trouve aussi au pied de la montagne de Loucoubé à Nossi-Bé. 2) Voir p. 160 et p. 228 de notre relation et p. 48 Partie IV, Pêches et les Notes I. c. 3) Quelques-uns des minéraux provenant du voyage du Dr. Günst, qui était attaché au corps d'explorateurs de M. Lambert, se trouvent dans le Musée de Ja Société Royale de Zoülogie Natura Artis Magistra à Amsterdam. 4) On trouve dans ces parages le cristal de roche en blocs de grande dimension. Mon ami Jules Verger à Nossi-Bé en reçevait un jour de Tsimataus, Roi de Mavave, un morceau pesant plusieurs livres, d’une clarté et d’une transparence surpre- nunte. Un fabricant de Paris lui contruisit deux caraffes à vin magnifiques et élégantes. Les specimens de ce cristal de roche obtenu par moi de Mavave se trouvent au Musée Royal d'histoire naturelle des Pays-Bas. Eugène de Frober- ville mentionne d’interressantes découvertes de blocs de cristal de roche à Ankara dans les quels se trouvaient des insectes et des poissons cristallisés. Un de ces blocs avait sept faces de trois pieds de haut sur quinze pouces de large d’une transparence admirable et provenait de Machouara à environ trois lieues de la baie d'Antongil. Voir sa Notice géographique, 1. ce. p. 5. 5) Les specimens de charbon de terre de cette contrée, obtenus par moi, se trouvent au Musée de Leyde mentionné. 6) J’ai cté témoin qu'on devait creuser assez profondement pour avoir un peu d'eau bourbeuse pour étancher la soif 232 Le climat d’Ankara diffère naturellement suivant la saison de l’année et est très va- riable suivant les localités. En général l'intérieur, surtout les hauteurs, est sain; ce- pendant les côtes sont insalubres ; surtout les rivages des rivières, non loin de leurs embouchures et comme ils sont tout couverts de palétuviers (Rizophora) et que le reflux est très fort, surtout sur la cote occidentale, la marée y monte jusqu’à dix pieds. La côte pleine des évaporations des rives et des plages bourbeuses, couvertes de restes de plantes pourries, d’une masse d’ordures, de cadavres, de poissons, de crustacés, de coquilles, de corallaires et de débris de ces animaux, empeste, pendant la plus grande chaleur du jour, l’air et occasionne les fièvres paludiennes si redoutables, non seule- ment pour les Européens et autres blancs, mais aussi pour les malgaches mêmes qui demeurent dans l’intérieur. Monsieur Eugène de Froberville s'exprime à ce sujet cer- tainement sans éxagération pour les côles nord-est et nord-ouest dans la mauvaise saison, quand il dit: ,, C’est à ces miasmes mortières qui se développent dans l’île presque entier »durant environ six mois de l’année à Madagascar que cette contrée doit son funèbre surnom »de cimelière des Européens.” Comme ancien étudiant en médecine, je m'occupais beaucoup de la question d'hygiène à Madagascar et je professais même pratiquement la médecine parmi les indigènes et je suis à même de traiter cette matière dans le cours de notre relation plus qu’un laïque. Heureusement la brise de la nuit chasse une grande partie des miasmes au large de la mer, surlout dans le beau temps, c'est a dire de la fin d'Avril jusqu'au commencement de Novembre. Cest aussi la belle saison pour l'Européen, seche et moins chaude, tandisque pendant l’hivernage de la fin de Novembre jusqu’au com- mencement d'Avril, la chaleur est insuportable et on éprouve, pour ainsi dire conti- nuellement pendant la nuit de forts orages et des pluies lorrentielles qui trempent la terre, font grossir les fleuves, occasionnant des inondations dans les basses vallées, créant des marais stagnants, évaporés pendant la plus grande partie du jour par les forts rayons d'un soleil ardent. L'évaporation de la terre fortement boisée et augmentée par une végétation luxuriante incroyable, la décomposition des plantes remplit l'air de ces lieux par un fort brouillard qui se fait sentir très longtemps par les vents du large qui le tiennent entassé dans les montagnes jusqu’à ce que les coups de tonnerre et les éclairs puri- fient cet air vraiment étouffant. Ces élements sont si redoutables à Madagascar, surtout dans l’intérieur, qu'on peut dire à juste titre que dans ce temps il y a presque jour- nellement un bombardement céleste et que l'électricité éclaire le pays pendant toute la aux habitants de tout un village. Nous verrons plus loin que c'était à Ambassuana, située près du rivage de la grande rivière de ce nom, mais dont l’eau était saumâtre à plus d’une lieue de son embouchure et où les habitants avaient déboisé la contrée sur une grande distance et où les hautes montagnes n’existaient pas. A l’est d’Ankara Je pays est plus humide, grâce aux pluies plus continuelles occasionées par le voisinage directe des hautes montagnes , mais la ligne du sol fertile est assez étroite et tout près de la côte. L'intérieur, les plateaux sont très arides, sauf quelques vallées qui recoivent dans l’hivenage par les pluies torrentielles les détritus des montagnes environnantes et qui sont d'une fertilité extrème et pourvues de vastes forêts impénétrables qui entretiennent tellement l'humidité que plusieurs endroits sont marécageux. 233 - nuit et que les plus hautes montagnes paraissent des volcans en action ?) ou plutôt des feux Saint-Elme très fort qui embrassent leurs sommets. La température est alors très élevée et le thermomètre centigrade indique de 35° à 38° Cels. à midi et se maintient généralement durant le reste du jour à 35° ou 30° Cels. mais descend à 25° et quelquefois à 20° Cels. dans la nuit et le matin avant le lever du soleil. Pendant la belle saison, qui commence au milieu d’Avril jusqu’au mois de Novembre, on éprouve tout d’abord dans la partie orientale d'Ankara une température moyenne de 25° Gels. au milieu de 30° Cels. et ensuite de 35° Cels.. Alors les vents du Sud et de l'Est soufflent avec violence et la chaleur devient tempérée et les pluies rares. Durant la mauvaise saison, c’est-à-dire depuis l’hivernage de Janvier jusqu'au milieu d'Avril la température augmente jusqu'à 37° Cels., les vents de terre soufflent alors de l’Ouest et du Nord-Ouest, c'est l’époque des pluies et des orages, pluies souvent interrompues par des calmes de longue durée et quelque fois des ouragans. De 11 heures du soir, jusqu’à 8 heures du matin le thermomètre baisse considérablement et indique 18° à 20° Cels. C'est le moment où le matin est le plus frais. Dès 9 heures les vents de terre sont remplacés par les vents du large. Dans la partie occidentale ?) le vent règne au Sud pendant la belle saison et varie à l'Ouest depuis midi jusqu’au soir mais pendant la nuit, il passe du Sud à l'Est et se fixe le matin dans cette dernière direction du vent. La température est alors plus élevée que dans la partie orientale et est en moyenne à 32° Cels. et à la fin 36° Cels. Pendant l’hiver d'Octobre en Avril la brise règne conti- nuellement du Nord. C’est un temps de pluies torrentielles et d’orages effrayants. Le thermomêtre monte alors quelque fois à 38° Cels. Le contraste est grand dans l’intérieur du pays. Sur les montagnes on éprouve dans celte saison une température de 25° Cels, tandis que dans les autres mois le froid y est souvent sensible et que le thermomètre baisse de 10° à 6° Cels. et quelquefois on voit les gelées et souvent des bourrasques de grèles, mais jamais de neige. Aussi les tempêtes et les ouragans sont ils très rares dans l’intérieur et dans les parties du Nord, du Nord-Est et de l’Ouest tandis que la partie Est et Sud-Est subit cette épreuve dans les mois de Décembre, Janvier et Février. Comme j'ai déja dit la grande différence de température dans les diverses saisons et loca- lités offre aussi des saisons et des localités plus ou moins saines et les habitants et les visiteurs en éprouvent plus ou moins l'influence En général la partie orientale est plus malsaine que la partie occidentale tandis que l’intérieur est sain, même pour l’Européen. Les cas de mort sont plus fréquents aussi dans la partie orientale que dans la partie occidentale d’Ankara surtout dans les régions des embouchures des rivières et dans les 1) Aussi à Tananarivo dans la province d’Ankova située à 5000 pieds au dessus de la mer, beaucoup de maisons sont pourvues de paratonnerres et il n'y a pas une année qu'on n'entend dans les régions de Madagascar où cette précaution n'existe pas, de grands désastres. 2) Voir p. 165 de notre relation: Climat de Nossi-Bé. 30 234 contrées basses de la baie d’Antongil. Dans le cours de notre relation nous traiterons en détail les diverses maladies et surtout les fièvres d'Ankara. Par ces données on a pu voir que le sol de l’intérieur où se trouvent les hautes montagnes est plus ou moins aride et que la grande fertilité se trouve dans les régions des côtes, principalement à l'Est et à l'Ouest, au Sud-Est et au Sud-Ouest d'Ankara. Dans l’intérieur la population est peu nombreuse et en plusieurs endroits nulle *). Les habitants aiment à habiter près des bords des rivières ou de la mer et n’habitent l’intérieur que là où se trouvent dans les vallées de bons paturages pour leurs troupeaux, et des terres pour la culture du riz ou d’autres denrées et des forêts en exploitation pour leurs propres besoins. Nous parlerons des productions végétales et animales quand nous traiterons de nos recherches sur la Flore et la Faune des contrées d'Ankara ainsi que de l’agriculture, de la pèche et de la chasse quand nous nous occuperons de l’industrie des Antankars. Nous la ferons pre- céder d’une description de l’ethnographie de ce peuple. Les habitants d'Ankara appar- fiennent à une race, qu'on peut comparer à celle des ZuLu-CArFREs pour leurs formes et leurs couleurs et aux ABYSSINIENS pour la mode de leurs coiffures et de leurs habillements. Il y a des figures qui rappellent plutôt la race caucassique que celle d'Ethiopie et il est sûr que le sang arabe et asiatique y est fortement mêlé plus que le sang des nègres d'Afrique connue à la côte Est de cette partie du monde. En général les Antankars sont des gens d’une belle stature plutôt grande que petite, mésurant ordinairement Jus- qu'à 5 pieds et 6 pouces de hauteur. Leur corps est généralement svelte et rarement gros ; les membres grèles, mais musculeux et forts. Les bras et les jambes plutôt longs que courts, mais arrondis. La poitrine large, plutôt plate que bombée. La tête ordinaire, plutôt petite que grande. Le front haut et large. Les yeux noirs grands et vifs , mais généralement d’une douceur expressive, surtout chez ies femmes, quelquefois mélancoliques rarement farouches. Les pommettes sont beaucoup moins saillantes que chez les nègres de la partie occidentale d'Afrique. Les lèvres sont grosses en comparaison de celles des Européens, mais minces et petites comparées à celles des nègres ci-dessus mentionnés. La machoire inférieure est large et le menton saillant et dépasse très peu la machoire supérieure. Ils ont les dents grandes et régulières et généralement d’une blancheur et d’une beauté surprenantes. Leur cou est plutôt long que court. La couleur de la peau varie beaucoup, mais est en général d'un brun foncé tirant sur la couleur du chocolat et est beaucoup plus transparente et mince que celle des nègres deja cités. (On en trouve cependant d’une couleur beaucoup plus claire, même olivâtre et jaunâtre, laquelle provient du mélange du sang arabe et hova (malais). D’autres ont la couleur presque noire, ce qui fait connaitre leur con- tact avec la race nègre du Mosambique, les Makouas et d'autres de la côte orientale d'Afrique ?). Les premiers ont quelquefois les cheveux lisses et longs, tandis que les 1) Voir p. 222 de notre relation. 2) Voir mes Notes, I. c. 235 autres les ont courts et crépus. Généralement les Antankars ont les cheveux noirs et longs mais crépus comme chez les ABYSSiNIENS et les portent ordinairement comme ceux-ei en tresses longues. A l'age de trente jusqu'à trente cinq ans les hommes portent une barbe mince et crépue, quelquefois longue, d’une largeur de trois doigts. Ils ont un grand soin de leur coiffure. Ils portent ordinairement depuis leur quinzième année jus- qu’à leur quarantième les cheveux en tresses, ce qui leur donne une apparence très coquette, surtout quand ils les portent séparés au milieu de la tête et que les tresses n'ont que la grosseur d’un tuyau de plume d’oie et tout fixées au bout par un noeud composé de la tresse des cheveux même. Quelquelois ils portent aussi les cheveux coupés courts comme les Caffres. Les jeunes garçons ont la lête rasée dès leur cingième année jusqu'à leur dizième, excepté une mêche de cheveux qui reste sur le sommet de la tête, mèche tressée, qui est raide comme une corne quand les cheveux sont courts. Les hommes après leur quarantième année rasent toute la tête et portent leur barbe qui est souvent rasée en partie, c’est à dire en haut et en bas de la lèvre supérieure, ce qui laisse alors une moustache courte et très mince; aussi la partie supérieure du menton et les joues sont rasées. Les difformités de quelque parlie du corps sont rares chez ce peuple. Parmi les femmes il y en a qui sont vraiment jolies dans leur genre surtout parmi les filles de quinze ans. Sur différents points du pays surtout dans la partie Ouest et Nord-Est on trouve une population de sang arabe connue sous le nom d'Antalottes 1). Ce sont des descendants des Arabes de la côte orientale d'Afrique sur- tout des régions de Zanzibar et de Mombas qui se sont établis dans l'Ankara ou ils sont mariés à des femmes du pays. Aussi les Antalottes se marient de préférence entre eux de sorte que les cousins se marient maintefois avec leurs cousines. Cette race est telle- ment affaiblie par ce procédé qu’on voit rarement des hommes forts parmi les Antalottes. Ordinairement ils ont une belle stature de 5 pieds. Le corps est généralement svelte et leste. Les bras et les jambes sont longs et grèles. La poitrine est plus étroite que large et plate. La tête plutôt petite que grande. Le front est haut, bombé et peu large. Les yeux brun foncé, vifs et d’une expression intelligente et pleine de ruse. Leur figure est caucassique. Les pommettes ne sont pas saillantes. Le nez est droit et d'une belle forme, quelquefois aquilin mais les narines sont plutôt larges qu'étroites, ce qui fait voir le mélange du sang Antankar, aussi leurs lèvres sont plus grosses que celles des Européens, mais beaucoup moins que celles des Antankars. Cependant ils ont la lèvre inférieure souvent pendante ce qui fait qu’on croirait qu'elle est plus large que la lèvre supérieure. Le dents sont blanches et regulières. Le menton est large. La cou- leur de leur peau est généralement olivätre mais on trouve aussi des individus dont la 1) Le mot ANTALOTTE provient de ANTAN-, ANTAM-, Axrr-, commencent les noms des habitants des divers pays, comme en français O1S, AIS, IENS et ALAOrRA ce qui signifie: La HAUTE-MER, LE LARGE; alors ANTALAOTRA iden- tique avec AxraLorre veut dire PEUPLE D'OUTRE MER où HomMMEs VENUS DU LARGE. Voir mes Notes, Ie. 236 couleur est beaucoup plus foncée et même de la couleur du chocolat. Le mélange de couleur dépend beaucoup de cette question, savoir si la race est restée plus pure et si le sang Antankar n’y domine pas. Mais on conçoit que c’est très difficile de distinguer la pureté de la race Arabe quand on sait que depuis dix huit siècles de notre chronologie les Arabes fréquentent Ankara et s'y sont mariés aux femmes du pays ‘). Cependant on reconnait de suite leur type caucassique si leur couleur est claire ou foncée. Ils ont toujours leurs têtes rasées, portent la barbe plus longue et moins crépue que celle des Antankars et s’habillent comme leurs ancêtres et ils professent l'islam. La circoncision existe cependant aussi bien chez les Antankars que chez eux. Dans le cours de notre relation nous ferons ressortir les particularités de cette race et leur supériorité sur celle des Antankars; aussi nous ferons connaissance ailleurs avec celle des Hovas et des Bet- simsaraks races qui habitent aussi quelques localités d’Ankara principalement dans le Nord, le Nord-Est et l’Est de ce pays. Suivant Guillain la tribu des Antankars se subdivisait autrefois en plusieurs sous-tribus distinctes tels que les Androunahs, les Ambongoulés, les Antzatcis et les Hénézouastes. Les Androunahs occupaient la partie Sud d’Ankara; c'était la caste noble de laquelle sont issus tous les chefs souverains d’Ankara. Les Antzatcis habitaient le N.E. du pays et les Hénézouastes demeuraient sur le littoral de Vohémar et la baie d’Andrava; leurs des- cendants occupent encore cette partie du pays; ils passent pour de très bons prophètes et ils sont très habiles dans cet art; leur nom signifie veridique. On présume que les Hénézouastes sont originaires de la côte du Mosambique ?). Cette tribu est nommée par les Antankars aussi Antavarats. Dans quelques endroits on rencontre encore des hommes nommés par les Antankars: les Ampanires, ce qui veut dire fabricants de sel. Ce sont des gens très pauvres qui ne s'occupent que de la fabrication du sel et qui abitent dans l’intérieur. Je ne pourrais dire à quelle race ils appartienent, mais ils ressemblent surtout aux Sakalaves, tribu avec laquelle nous ferons connaissance plus tard. En général ils sont malpropres et vivent dans de petites cases très mal construites. Ils fabriquent le sel en brülant le tronc d’un palmier avec lequel il font le commerce en échange du riz, des boeufs, des rabanes et d’autres choses avec les Antankars et les Antalottes. Les Ampanires habitent différentes contrées de Madagascar *) et sont peu considérés par les autres tribus. En parlant des habitants de Nossi-Fali nous avons déjà fait connaître quelques détails de la vie intime des Antankars ainsi que de leur manière de vivre ‘). Nous voulons maintenant complèler nos observations et nos communications à ce sujet et faire connaître 1) Voir p. 368 du tôme premier du Précis de la Géographie Universelle par Malte-Brun, Puris 1812. 2) Voir p. 153 de l'ouvrage du cupitaine Guillain, 1. ce. 3) Voir p. 44, tome I du voyage de Leguével de Lacombe, 1. c. 4) Voir p. 174, 175—179 de mon Relation. 237 ce peuple plus parfaitement. Le caractère des Antankars est généralement bon; comme tous les peuples, ils ont leurs vices. Leur plus grande vertu est l'hospitalité. Ils par- tagent pour ainsi dire tout ce qu'ils possèdent avec leur hôte. Ils méritent le plus grands éloges à ce sujet, cependant ils sont assez malin pour s’aperçevoir si on en abuse. Ce sont surtout ceux qui viennent de loin qui sont accueillis avec empressement. Mais c’est pour les Blancs et les Arabes en particulier qu'ils se montrent le plus bien- veillants. Ils aiment aussi les Caffres de l'Afrique australe qui viennent s'établir parmi eux en fuyant l'esclavage des Hovas, race qu'ils détestent comme celle des Sakalaves. Les Betsimsaraks sont assez. bien considérés quand ils se présentent chez eux. Nous aurons occasion d'admirer l'hospitalité des Antankars dans la relation de nos excursions chez ce peuple. Quand un voyageur arrive dans un village on le conduit directement chez le chef. Après avoir subi un simple interrogatoire pour savoir le but du nouveau venu on lui offre immédiatement une demeure et de la nourriture consistant ordinairement en riz, poules, oeufs et lait. Plus on le considère, plus grande est l'importance de sa visite, plus on augmente les offres. On lui présente même une jeune fille, souvent la plus jolie et de la plus haute naissance du village pour demeurer avec lui pendant sa résidence, jeune fille qui l'anime par ses caresses les plus chaleureuses qui est aux pelits soins pour lui, qui observe tous ses besoins et tâche de le contenter. Aux sons de son EraHou elle lui chante des hymes de sa patrie sur un ton mélancolique et ten- dre. Souvent les amies de la ‘favorite se réunissent après le coucher du soleil devant la case de l'hôte pour l’amuser par une danse générale au son du TAm-Tam et chantant les louanges du bien venu. Au commencement les hommes surtout ceux d’un âge moyen sont très reservés et ne s’entretiennent pas avec un étranger avant que les femmes, les vieillards et les enfants n'aient fait le premier pas. Les premiers se présen- tent à une assez grande distance devant la case de l'étranger accroupi en lui tendant la main et en lui adressant la parole et en criant Akure-anau? Comment vous portez vous? Akure-Kabare? Quelle nouvelle? Maheva? Bien? Sara-Beé? Yrès-Bien ? — Les enfants arrivent ordinairement en petites bandes à quelque distance de la case de l'étranger en regardant avec curiosité tous les objets qu'il a avec lui. Dès que l’étranger se présente ils se sauvent en toute hâte pour revenir quelques instants après en lui offrant des fleurs, des fruits, des coquillages et d’autres objets qu'ils ramassent sur leur chemin. Le plus entreprenant d'entre eux s’avance alors en offrant les objets à l'étranger. C’est son avantage de l'accepter car alors il est de suite consideré comme citoyen du village. L'ami des enfants est honoré partout chez les Antankars. Plus intime on devient avec les enfants et les vieillards, plus on est aimé par les femmes et ce sont elles qui jugent le caractère du nouveau venu et c’est après avoir demandé leur opinion que les hommes s’entreliennent avec lui. S'il arrive pour faire le commerce c’est alors le chef du village qui lui indique les moyens et qui est alors souvent l'intermédiaire pour les 238 affaires. Si l'affaire est assez importante alors e chef réunit les anciens du village pour demander leur conseil afin que chaque habitant ait sa part suivant ses moyens. Il est toujours dans l'intérêt de l'étranger d'offrir quelques cadeaux ') au chef du village et aux femmes et aux enfants des anciens; alors il est certain que ses opérations auront beaucoup de chance de réussite. Le valeur des cadeaux se règle selon les affaires qu’on désire entàmer. Ordinairement ont reçoit des contre cadeaux ?) en rapport avec ce qu'on desire si cela n’est pas en contradiction avec leurs principes. Si l'étranger doit voyager plus loin dans leur pays on lui procure un guide et des porteurs de bagage ); du moins on fait des propositions aux jeunes gens les plus courageux et les plus vigoureux de vouloir bien le suivre et si on est d’accord sur toutes les conditions, le Æaramou *) est fait et il est rare que les Antankars deviennent infidèles à leur contrat. En général la fidélité est une vertu des Anlankars et une fois au service d’un étranger qu'ils honorent, leur attachement est très grand et même ils le suivront hors et loin de leur patrie. Cette vertu est très prononcée chez les femmes; quand elles ont une affection pour quelqu'un, elles quittent famille et patrie pour suivre l’objet de leur amour. Cependant ils préfèrent demeurer dans leur patrie, s'il est possible de conserver l’objet de leur affection chez eux. Une fois qu'ils ont quitté leur patrie, 1ls retombent vite dans une mélancolie pro- fonde et le plus souvent dans la nostalgie. Dans le temps de l'esclavage à l’île de la Réunion, on rencontrait rarement des esclaves malgaches d’Ankara et en général tous les malgaches ont l’amour de l'indépendance très enraciné chez eux. Ils se revoltent de suite, si on ne les traite pas avec douceur et deviennent entêtés et ont alors l'esprit de vengeance. Ils sont très sensibles à un traitement juste et la moindre négligence envers eux éveille leur jalousie. Ils ont le plus grand mépris pour l'injustice. Pendant leur guerre avec les Hovas ils ont donné des preuves d’un grand amour pour leur patrie et leur liberté comme nous verrons par leur histoire. Les Antankars sont un peuple paissible et n'aiment pas les querelles; une fois en guerre ils sont pleins de bravoure et même redoutables. Ils ont un caractère prévenant, mais défiant et ne se lient pas à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas; ils doivent s'assurer sur le caractère de l'inconnu avant d’en faire leur confident. Comme presque tous les peuples 1) Ils consistent ordinairement en fusils à pierre, en poudre à canon de qualité ordinaire, sabres, ustensiles utiles, tels que couteaux, ciseaux, cuillers, petits clous en cuivre, aiguilles, épingles, fil à coudre, bracelettes en argent, colliers de corail, boutons en cuivre ou en argent, toiles peintes surtout à gros dessins, percale, coton et linge blanc, mouchoirs en couleur rouge par pièce entière d’une douzaine ou plus, enfin toiles de grande dimension et de vives couleurs. Des bouteilles de rhum ou de cognac sont toujours considérées comme un cadeau précieux, ainsi que beaucoup d'objets de quincallerie et de luxe, des miroirs, des livres d'images comme p. e. les grandes illustrations anglaises et françaises. 2) Les cadeaux existent ordinairement en poules, oeufs, lait, fruits, nattes, rabanes etc. et quand on considère beaucoup l'étranger en boeufs, cochons, riz, chapeaux en paille, sagayes ete. 3) Ces gens sont nommés par les Antankars MarmiTa. 4) Ce dit en langue Betsimsarak Karama ce qui signifie Loyer. 239 des regions tropicales, ils sont très simples et sobres dans leur manière de vivre, c’est à dire dans leurs habitations, leurs ameublements, leurs habillements et leur nourriture. Mais un de leurs plus grands défauts c'est qu’ils sont très immodérés dans l'usage des boissons fortes, on peut dire à juste tître qu'ils aiment l'ivresse autant que la paresse. Pourtant cela convient mieux aux hommes qu'aux femmes. Les dernières par contre sont assez travailleuses et s’enivrent beaucoup moins. En général ils aiment tous le Dolce farniente et ne travaillent que pour leur besoin journalier. Ils regardent l’exagé- ration, le mensonge et la tromperie, comme les capacités d'une grande intelligence; parcontre ils sont tres superstitieux. Ils ont grand peur des éclipses de soleil et de lune ainsi que des coups de tonnerre et des éclairs. Ils aiment beaucoup entendre des prédictions et honorent les personnes qui annoncent l'avenir. Ils ne feront aucune entre- prise avant d’avoir consulté un oracle. On entend rarement parler de vol chez ce peuple ni de meurtre, dumoins les recherches que j'ai faites à ce sujet ont été très satisfaisantes. En général ils ont plus de vertus que de vices et mênent une vie paissible. Leurs idées en religion sont très simples et méritent notre attention. Ils ne reconnaissent qu'un bon et un mauvais esprit. Le premier est leur ZANaAHAR. Dieu tout puissant qui leur inspire la bonté et les comble de bonheur, tandisque le second est leur AGATCH, Dieu de malheur et de méchanceté. Ils n’adorent pas le premier, puisqu'ils prétendent que ce serait inutile, parcequ'il ne leur cause jamais de malheur; mais ils adressent leurs prières et leurs offrandes au dernier pour détourner les malheurs. En outre ils invoquent d'autres êtres suprêmes qu'ils regardent comme leurs mentors dans les differentes actions de leur vie comme la guerre, la culture, la pêche, l'élève des troupeaux et d'autres entreprises. Pour les affaires de moindre importance ils implorent les mânes de leurs ancêtres et parents défunts et ils croient à la métempsycose, c'est à dire que les âmes des méchants hommes, se changent en crocodiles , en caméleons, en serpents et en oiseaux, et autres animaux comme p. ex. les hiboux, makes et chauve-souris. Par cette croyance et leur superstition ils attachent un grand valeur aux talismans (fanfoudys) que les prophètes (Ampangaoulis) leur procurent, ainsi qu'aux explications que ces gens leur donnent par le moyen d'une espèce de jeu, nommé Srkily. Ce jeu consiste a disposer plusieurs piles de grains ‘); ils font jouer dans leur imagination le bon esprit contre le mauvais et ils attribuent à celui qui gagne le sort demandé. On consulte le SikiLy p. ex. à la naissance d’un enfant, quand on se marie, quand on veut faire un voyage, quand on fait une entreprise de grande importance. Les FANFOUDYS ©) sont de differents de nature p. ex. on leur donne un talisman pour toutes les maladies du corps et de l'âme. J'étais témoin lors qu'un AMPANGAOULI donna un jour à une femme qui souffrait du mal de ventre la patte d’une caille pour porter au cou. Comme cette caille se nomme KiBu®) et 1) Voir les Notes, I.c. 2) Nom général pour les amulettes qu'on devise en amulette de paix Aout etcelle de guerre B£ETALI. 3) Voir p. 206 et 207 de mon Relation. 240 que le nom est identique à celui du ventre, l'oracle prétendait que ce fanfoudy était un préservatif. Aussi il donna à une autre un morceau de bois d’un certain arbre comme fanfoudy contre une autre maladie. Enfin ces oracles donnent différentes choses qu'ils croyent utiles pour leurs clients et plus ils sont superstitieux plus ils font croire à ces gens les qualités de leurs fanfoudys. Comme il y a beaucoup de gens qui exercent le métier d'AMPANGAOULI il existe parmi ces hommes une grande rivalité parceque les talismans sont souvent payés d’une somme considérable. Ils arrive bien souvent que les AMPANGAOULIS font des paris entre eux pour qui procurera les meillieurs fanfoudys. Alors ils font des prières pour l'individu auquel ils ont fourni un talisman et si après un mois arrive un malheur à l'individu qui possède un des talismans, alors celui des AMPANGAOULIS qui l'a procuré reconnait la superiorité de son collègue et celui-ci est alors considéré comme le prophète le plus cheri de ZANAHAR aussi longtemps que ses fanfoudys portent bonheur. Les AmPanNGAOULIS ont le plus grand pouvoir sur l'esprit des Antankars; leurs conseils sont considérés commes des oracles. Ils attachent la plus grande vertu aux amulettes que ces fourbes leur procurent. Ces amulettes sont nommées par eux AouLr pour les maladies du corps et de l'esprit et consistent en differents objets, principalement en fragments de branches de certains arbres, surtout des jeunes bambous, aussi en petits sachets de peau ou de toile renferment de petites pierres, des feuilles, d'herbes, d’écorce d'arbres, de grains, de noix, de gomme et des papiers couverts de signes cabalis- tiques et d’autres objets n’ayant. aucun force préservative. Pourtant les Antankars atta- chent une si grande croyance à leur vertu préservative qu'ils ne s’en séparent jamais et qu'ils les portent soigneusement à leur cou comme des colliers. Seulement les amulettes de guerre, nommées par eux BETALI et consistant en bouts de cornes de boeuf sont soigneusement gardées dans de petites boîtes en lemps de paix; ils les engraissent de temps en temps avec de l'huile aromatique. Ces amulettes sont quelquefois garnies d'argent et ornées de gravures bizarres. (Ces cornes contiennent aussi differents objets, comme les autres amulettes et elles ont la vertu de donner du courage à ceux qui les portent. Les AouLis sont souvent la cause de grandes querelles et de terribles malheurs; c'est-à-dire que tout ce qui traverse l'imagination de celui qui les porte est attribué à l'influence du talisman. Si par exemple un Antankar voit dans son rève quelqu'un qui lui veut du mal, c’est assez pour accuser ce prétendu coupable le lendemain et trop souvent il est victime d'une accusation si peu fondée et les juges eux mêmes attachent aussi bien que l’accusateur, une influence puissante du talisman. Si par contre le talis- man n'a pas produit l'effet que l’accusateur en attendait, alors il accuse l'AMPANGAOULI qui le lui a procuré. Mais ces gens sont trop malins pour ne pas se mettre à l'abri. Ils prétendent toujours que la cause s’en trouve chez le possesseur de l'AouLt et non dans la force magique de l’Aourt; car si le possesseur n’avait pas commis quelques fautes qui ont détruit la force de l’Aourt, le talisman n'aurait pas manqué son effet. — EP 1. Pollen, R.s1 Faune d Madagascar. Relation derovase. sus er — CARTE DE LA PARTIE NORD-OUEST MADAGAS CAR L'ÎLE MAYOTTE cf Lee) rare M: Francois P L'POLLEN #t M. D; C. van DAM. — et Lol LOrenEMAEMENdEN de Paris: Tes Glonenses d'A pal AE PAONIRE ns à ——_— nm TT" se 4 e ss CE 6 Et Combs _ TR Latitude Meridi onal e Banc dela Z Des chiffres de sondes expriment. di A C2 F4 S Mètres LL ribavansL “, Los 7] LE À + à ” “ nn: #1 l'a # J Banc duLuvou | Fois de Ana ART: 3. ## Dire (4 # À #R Flaine Amparpanen Longitude à l'Onent di Mer HNossouvr LP ien de Paris. EE ZE ne FEMME RBTAVOTTE (LES COMORES) Dec le frudente : . 1 avec l'indication des récits madrépores. | | | Explorée par MAL 1 | | l | | Pollen et van Dam. \ Chou Ales Chouzil des les C ï CS Passe de es ES \ > T*+ x Lot Dee ï F Monts É 4 >. A on amou De Lévit dela lrireyante + à Ne \ Pe Mougenél LG T2 Hier dt lan } à due capitale Tif/yom lo Va L }/ FT _ DURE > 74 & CapMohila 7 tBae Longoni [a > Casoade : ] où Tllage d'Anahorr Humenzens z Znnreortenti Combam | G' Passe de l'Ouest : Mons ne A Ta bitation de EI CRE PT DES PRE ( 2 Brie Il À Zac Combeuri Le 4 | Baiede 3 Tabitation de TU Crautier —_ —Jounsouil£ Hits IN +. Le re Anse Amoro PEtrnone 4 E, D A à -3 N Fe Manche Ks DD —— Cale. 7 Lara 1s$e Bande} Anse ( ‘ ,\ Nord Bunbo ÆS SEP CoNSanbn ë PAS \ À Banbo S Ouchonsui A out Ci - KiontCami = De 27774 7 pl: CS Æ + atenus. -—-5" ù Llatesuude® | passe aux Bale À AU to) M 7e NC Eau, k Can { à LS GTR. 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Madagascar Relatio DRE FIN De Rider N nue \ 1e0Se8epey P AUREZ [SU ‘U2][0J Tdi ae Â0A 2p uoryetay Pre LES RE HE UE ai) (TUQUE 1EASSICA LIL @ULUOO ‘at 9 Up 91101] ET °P 9191 (à U LEO | SAUENT \0A S ip 919190S 1e ol uos op (6 9 Qu] ne NON SSON op TOY] np 1uedaf CM 2$eÂ0A 2p uouepu AE0 SES epeJE P AUN8Z [SJ UT T dd age eAOA ap u0 ue BY 18 80 ses ge pe PEN p 3 une LS M ‘u aI[e I il d d MUTTL aÿeAoa ap LIeLIENT “1E0 SES PEL D une [ SW WTA UT AMADEUS EU A Q 1 { | 104 La BTFUIIES O0]! U Joui QI SonJdau] JP AU CHA ë] JP An0} d'[ 1E0SeSEDEN P auneg TS Y Ua] Id A ageA0A 3D uoepaU 1 RUE [NEY-AutBÇ ap ue] | 2p 10 np anA age Â0A 3p uotjelau “JeoseSepex D aUNeJ LS YU TA A : Rte MMRUES Me F PL Pollen, R.s.1 Faune d. Madagascar Son Une clairière dans une forétde l'ile Mavotte 1. Le Sagolier (Sagvus ralfia ) 1) ( “ (LT Ji A ATARI VS F P.L Pollen, Rs] Faune d. Madagascar. Relation de voyage ARMES, USTENSILES ET INSTRUMENTS MALGACHES. 4. Antsi (petite hache). 8. Ima (/ampe en coquillage). 45. Fasnompiam-pondy (poudrière). 2, Famaki (4ache). 9. Hazu-Lahe ({ambour malgache). 16. Vé (pagaye). 3. Kanonta (marteau). 10. Marouvane (musique de bambou). 17. Sampy; savoko (bandoulière). 4. Randrana (scie). 41. Bobre (instrument de musique). 18. Ampinga (bouclier). 5. a,b, Kamositra fanirifana (vilebrequin). 12. Erahou? (guitar malgache). 19. Fontroaka (sarbacane). 6. Angaddi-ranu (bèche. pioche droite). 13. Sabua (sagaïe). 20. Ampiti keli (petit flèche). 7. Angaddi-meluk (pioche courbe). 44. Rui-tangha (4arpon). = IN op () \ 109) ‘not N ISSON Le AOA xXne © JUYIPTIE JUEUUOD ao 10,1 2!T LU [04 NN jo LA LE 1B}f AOULX] (oi AUAUA [7/4 R1 ny] ou np JUaUHAL NP 2IUOUIYA19)9 eT Relation de voyage FPLPollen, K.s1 Faune d. Madagascar Le PT l a | € u Prince Salama, des Digmtaires et de la Garmison Hova M. Pollen se rend à la maison du Gouverneur de Mourouifg | | Û : 1 À Ë \ ls all el heril e 38e Aa ap LOULIENt CPU °p J)Son() PAoN are | i 1P SACOULIU \ Sais | “160 SES EDEN ‘D AUNEZ LS M: WIS y f] S2P nu qi A1 0p auLuot jo AUUOF] JEUSEOEPEN D sunex | SU u9][04 7 4 a di 12 It SPOBPUN SYAVIUIL So] Zauyo saqessa{] np UOIJUORMQU I] Q fin . Ge Â0A 2p uoryepay 1E0Se6epef Ü aUne [SV WT T4 (h ri vi M QE BTS IV2SCOX \] lp nsSI} np UOlJoNQE}y Non OENSn v SUCP É à HET 1EOSES EDP Ua! NW CU2}I0] 4 à 38EAJA 59 uoljepay SOS EC CRE NT a Wifd'id4 ; sÙ Aie Een 30 € ARTE TAN A ke AS PRE ; il 0 l | ‘ mn je \ qu ; Û Ù te Jr È 5 : Û v G ue 1 : Fe QUE h F 4 $ CRE Nos D VEN NTARS ra age 04 2b uote. 2 * ‘180SeSepeJ{ P aUNE US YU T4 1 4 je EN ia NES RON | | [EEE po “TN : 7e ; me ü ous ' / nl SU NTI F PL Pollen, R.s1 Faune d. Madagascar. Relation de voyage ï ' = FaAvartieut libres aux iles Mascar es AE ty à ‘a RE NMTIV TA NUE d FRA Ke FT a Mas: areones iles libres alixX lravaulleurs an (AS Es a 11 Eine sem La Lan te ji Va libre Fravailleurs AR A NET T TA MONTE LE Nr NT no ) Lise FATAL SRE Ut Au Le PA Tati (REA TE EU HAE RS in HO MP MANU Ne \ TE et Trav ailleurs libres aux iles Ko ABOSCOUCPUIE 9P (O N 9109 EL 9p $ ATEN 1 DOQUIAS nv Soyovo eu SOUOJ Sup oyoa,] ‘aÿeloa ap uoneny ‘usase$epex P AUNEJ [SU 00] 4 J IN \! SHUODO op out nt 2499, “aÿeoa 2p uonersy (SAIOu0:) Sop ou o)oA| d1]) *vpAC U JUYTIOURUL 9901 ouf] a9eA0A 3p UGtqe [at LP? 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RECHERCHES SUR LA FAUNE DE MADAGASCAR ET DE KES DÉPENDANCES, d’après les découvertes. de FRANÇOIS P. L. POLLEN et D. C. VAN DAM. dédié à S. M. GUILLAUME IIT, Roi des Pays-Bas. en ë FARTIES, CONTENANT : I. RELATION DE VOYAGE. IL MAMMIFÈRES er OISEAUX. IIT. REPTILES. IV. POISSONS. : V. INSECTES, CRUSTACÉS, MOLLUSQUES, etc. COLLOBORATEURS: MM. le Prof. Dr. H. SCHLEGEL, Directeur du Musée d'Histoire Naturelle de . Dr. P. BLEEKMER, Conseiller d'Etat, à la Haye. Dr. S. €. SNELLEN VAN VOLLENHOVEN, | Conservateurs au Musée d'Hist. Dr. J. A. HERKLOTS, Natur. de Leyde. E. Baron DE SELYS-LONGCHAMPS, Prof. d'Hist. Natur. à Liége, Sénateur. Cet ouvrage, fruit de longues et persévérantes recherches, est destiné à comprendre, outre la Felæ- tion de Voyage, l'histoire naturelle des Mammifères, Oiseaux, Reptiles, Poissons, Insectes, Crustacées, Mollusques, etc., recueillis par MM. POLLEN et VAN DAM, lors de leur voyage dans l'ile de Madagascar et ses dépendances. Il est accompagné de nombreuses figures des espèces, . soit nouvelles pour la science soit imparfaitement connues jusqu'à ce jour, et suivi d'une Revue critique et de l'énumération des objets indiqués jusqu’ ici comme originaires du groupe géographique des îles de Madagascar. Nous ne ferons pas ressortir l'intérêt que doit naturellement inspirer un ouvrage traitant des pro- ductions naturelles d'un pays, à la fois merveilleux et très peu exploré sous le rapport de sa Faune. Les auteurs, ayant été secondés par les Autorités du Pays de la manière la plus bienveillante, leurs travaux offrent d'autant plus de l'exactitude et de l'intérêt. Cet ouvrage, dont $. M. le Roi des Pays-Bas a daigné accepter la dédicace, contiendra #0 à 80 feuilles de texte en format in 4. et 110 à 120 planches coloriées, et ne surpassera pas le prix de 90 à : 100 Florins de Holl. la collection complète. La IT Paie: MAMMIFÈRES er OISEAUX, par H. SCHLEGEL et FRANÇOIS P. L. POLLEN, contenant dans un Portefeuille 40 planches coloriées et 26 feuilles de texte, a déjà paru, ainsi que la l° Li- vraison de la I° Partie: RELATION DE VOYAGE par FRANÇOIS P. L. POLLEN,, contenant 6 feuilles de texte, 9 planches et 1 carte: quelques exemplaires de cette Partie, tirés sur papier fort, se vendent à un prix un peu plus élevé. Par ce qui précède, MM. les Naturalistes peuvent se convaincre de la valeur re de os en question, dont la publication se continue régulièrement. Les diverses Parties se vendent séparément. Une liste de souscripteurs sera donnée gratuitement à la fin de chaque Partie. LEYDE, 1868. J. K. STEENHOFF, éprreur. RECHERCHES SUR LA FAUNE DE MADAGASCAR ET DE SES DÉPENDANCES, D'APRÈS LES DÉCOUVERTES pe FRANÇOIS P. L, POLLEN er D, C, VAN DAN. Ouvrage dédié à S. M. GUILLAUME III, Roi des Pays-Bas. RELATION DE VOYAGE PAR FRANÇOIS P. L. POLLEN, Chevalier des ordres du Lion Néerlandais, d’Ernestine et de Philippe le Magnanime, Aïde-naturaliste honoraire du Musée Royal d’histoire naturelle des Pays-Bas, Membre de plusieurs Sociétés savantes, Agent Con- sulaire de la Confédération de l'Allemagne du Nord à Schéveningue (Pays-Bas). 2% LIVRAISON, CONTENANT TEXTE : Feuille ?—12. N°. 14. Portret de Charles Coquerel, avec facsimilé, » 15. Fabrication du Bessabes. PLANCHES : ” 16. Une réunion de Fanys à l’île Mayotte. N°. 10. Le roi Tsimiare donnant audience aux » 17. Homme et femme de la tribu des Betsun- Voyageurs. suras. ” 11. Vue de Hell-ville à Nossi-Bé. ” 18. Fabrication du tissu dit Rabane. » 12. Bivouac des Voyageurs, » 19, Une végétation luxurieuse au bord de la ” 13. Une partie de chasse à l’île St.-Marie. rivière Samberanou. — IGN LE Y D°E; J. K. STEENHOFF, fépreur. 1869. RECHERCHES SUR LA FAUNE DE MADAGASCAR ET DE SES DÉPENDANCES, D'APRÈS LES DÉCOUVERTES 0e FRANÇOIS P. L, POLLEN er D, C. VAN DAM. Ouvrage dédié à S. M. GUILLAUME III, Roi des Pays-Bas. 1e PARTIE. RELATION DB VOYAGE PAR FRANÇOIS P. L. POLLEN, Chevalier des ordres du Lion Néerlandais, d’Ernestine, de Philippe le Magnanime et du Lion de Zähringe, Aide- nuturaliste honoraire du Museum Royal d'histoire naturelle des Pays-Bas, Membre de plusieurs Sociétés sayan- tes, Agent Consulaire de la Confédération de l’Allemagne du Nord à Schéveningue (Pays-Bas). 3° LIVRAISON, CONTENANT TEXTE : Feuille 13—18. N°. 24. Vue de la Rivière des Pluies et du Piton de Neige. ce NE “ 25. Cascade de la Ravine du Boucan Launay. N°. 20. Homme et femme mahorieus (Iles Comores). »” 26. Une chasse aux Makis dans les environs de “ 21. Vue d’un quartier de Sainte-Suzanne, Syrangene. ‘ | » 22, La cérémonie du serment de sang entre le »“ 27. Vue de l'ilot Madame, capitale de St.-Marie. Prince Ratsiba et M. Pollen. ”“ 98. Portrait d'Antoine Rétout Senr, “ 23. Le départ du Roi de Nossi-Faly au tombeau Carte de Mayotte (Iles Comores). de son père, RL STI TRI — LEYDE, . J. K. STEENHOFF, éprreur. 1869. Prospectus, RÉCHERCHE SUR LA FAUNE DE WADAGASCAR ET DE SES DÉPENDANCES, d’après les découvertes de FRANÇOIS P. L. POLLEN et D. C. VAN DAY. C Ouvrage dédié à S. M. GUILLAUME III, Roi des Pays-Bas. en 5 PARTIES, CONTENANT : I. RELATION DE VOYAGE. II. MAMMIFÈRES er OISEAUX. IT. REPTILES. | IV. POISSONS. : V. INSECTES, CRUSTACÉS, MOLLUSQUES, etc. COLLOBORATEURS: MM. le Prof. Dr. HK. SCHLEGEL, Directeur du saut d'Histoire Naturelle des ue -Bas, à Leyde. Dr. P. BLEFEHER, Conseiller d'Etat, à la Haye. Dr. 8. €. SNELLEN VAN VOLLENHOVEN, | Conservateurs au Museum d'Hist. Dr. J. A. HERKHLOTS, Natur. des Pays-Bas, à Leyde. Dr. Baron EDM. DE SÉLYS LONGCMHAMPS, Sénateur, à Lièoc, Due. Cet ouvrage, fruit de longues et persévérantes recherches, est destiné à comprendre, outre la Æela- tion de Voyage, l'histoire naturelle des Mammifères, Oiseaux, Reptiles, Poissons, Insectes, Crustacés, Mollusques, etc., recueillis par MM. POLLEN et VAN DAM, lors de leur voyage dans l'ile de Ma ee et ses dépendances. Il est accompagné de nombreuses figures des espèces, soit nouvelles pour la science soit imparfaitement connues jusqu’à ce jour, et suivi d’une Revue critique et de l'énumération des objets indiqués Jusqu’ ici comme originaires du groupe géographique des ilestde Madagascar. Nous ne ferons pas ressortir l'intérêt que doit naturellement inspirer un ouvrage traitant des pro- ductions naturelles d'un pays, à la fois merveilleux et très peu exploré sous le rapport de sa Faune. Les auteurs, ayant été secondés par les Autorités du Pays de la manière la plus bienveillante, us travaux offrent d'autant plus de l'exactitude et de l'intérêt. 5 Cet ouvrage, dont S. M. le Roi des Pays-Bas à daigné accepter la dédicace, contiendra 70 à 80 feuilles de texte en format in 4. et 110 à 120 planches colorées, etne pe ee pas le prix de 90 à 100 Florins de Holl. la collection complète. Par ce qui précède, MM. les Naturalistes peuvent se convaincre de la valeur scientifique de LoPMRABE en question, dont la publication se continue régulièrement, Les diverses Parties se vendent séparément. Une liste de souscripteurs sera donnée gratuitement à la fin de chaque Partie. LEYDE, 1869. J. K. STEENHONF, éprruur. RECHERCHES SUR LA FAUNE DE MADAGASCAR ET DE SES DÉPENDANCES, D'APRÈS LES DÉCOUVERTES pe FRANÇOIS P. L, POLLEN er D, G. VAN DAM. Ouvrage dédié à S. M. GUILLAUME IIT, Roi des Pays-Bas. L'EPTA RTE. RELATELION- DE VOYAGE PAR FRANÇOIS P. L. POLLEN, Chevalier des ordres du Lion Néerlandais, du Christ, d’Ernestine, de Philippe le Magnanime et du Lion de Zäh- ringe, Aïde-nuturaliste honoraire du Museum Royal d’histoire naturelle des Pays-Bas, Rédacteur du Journal de Pêche des Pays-Bas, Membre de plusieurs Sociétés savantes, Agent Consulaire de la Confédération de l'Allemagne du Nord à Schéveningue (Pays-Bas), etc. 4 LIVRAISON, CONTENANT TEXTE : Feuille 19—24, N°. 31. Vue de la Place de la Caserne à Hell-ville (Nossi-Bé). _w32. Le retour de la pêche de tortues de mer à l’ilot Sakatia. Autographe d’une lettre française du Roi de Nossi-Faly à M. Pollen. PLANCHES: » 33. Vue du bout de l’Etang de Saint-Paul. N°, 29. M, Pollen se rend à la maison du Gou- » 84 et 35. Travailleurs libres aux îles Masca- verneur de Mourounsang, en société du règnes. Prince Salama, les Dignitaires et de la gar: “ 86: Pêche nocturne à la ligne par les Antan- nison Hova. cars de la côte N. O. de Madagascar. “ 30. Fête de nuit au pied du promontoire Am- ” 87. Pêche des femmes malgaches au Symbou. batou donnée par le Roi Indryvouts, avant ” 38. Pêche au parc de roches. de monter au tombeau royal. — RL ST PES E— LEYDE, J. K. STEENHOFF, Éprreur. 1871. D La mission scientifique que le Gouvernement des Pays-Bas avait confiée à l'Auteur pour l'exploration des pêches du Royaume a tellement absorbé tout son temps, que l’année passée il n’a pu se vouer à la Relation de voyage. En promettant que dès à présent l'ouvrage sera poursuivi régulièrement, il prie MM. les Souscripteurs d'excuser ce retard. Mara if à Sel El MT NU pl je ‘ A F1 EC Prospectus. RÉÈCHERCHES. - SUR LA FAUNE DE MADAGASCAR ET DE SES DÉPENDANCES, d’après les découvertes de FRANÇOIS P. L. POLLEN et D. C. VAN DAM. Ouvrage dédié à S. M. GUILLAUME III, Roi des Pays-Bas. en 5 PARTIES, CONTENANT : I. RELATION DE VOYAGE. IT. MAMMIFÈRES #r OISEAUX. III. REPTILES. IV. POISSONS. ; V. INSECTES, CRUSTACÉS, MOLLUSQUES, etc. COLLOBORATEURS: MM. le Prof. Dr, H. SCHLEGEL, Directeur du Museum d'Histoire Naturelle des Pays-Bas, à Leyde. Dr. P. BLEEKER, Conseiller d'Etat, à la Haye. he ; Dr. $. C. SNELLEN VAN VOLLENHOVEN, | Conservateurs au Museum d'Hist, 0 Dr. J. A. HERKLOTS, Natur. des Pays-Bas, à Leyde. Dr. Baron EDM. DE SÉLYS LONGCIAMPS, Sénateur, à Liège. Cet ouvrage, fruit de longues et persévérantes recherches, est destiné à comprendre, outre la Rela= tion de Voyage, l'histoire naturelle des Mammifères, Oiseaux, Heptiles, Poissons, Insectes, Crustacés, Mollusques, etc., recueillis par MM. POLLEN et VAN DAM, lors de leur voyage dans l'ile de Madagascar et ses dépendances. Il est accompagné de nombreuses figures des espèces, soit nouvelles pour la science soit imparfaitement connues jusqu'à ce jour, et suivi d’une Revue critique et de l’énumération des objets indiqués jusqu’ ici comme originaires du groupe géographique des îles de Madagascar. Nous ne ferons pas ressortir l'intérêt que doit naturellement inspirer un ouvrage traitant des pro- ductions naturelles d'un pays, à la fois merveilleux et très peu exploré sous le rapport de sa Faune. Les auteurs, ayant été secondés par les Autorités du Pays de la manière la plus bienveillante, leurs travaux offrent d'autant plus de l'exactitude et de l'intérêt. ! Cet ouvrage, dont $. M. le Roi des Pays-Bas a daigné accepter la dédicace, contiendra 70 à 80 “ù feuilles de texte en format in 4. et 110 à 100 Florins de Holl. la collection complète. Ë Par ce qui précède, MM. les Naturalistes peuvent se convaincre de la valeur scientifique de l'ouvrage en question, dont la publication se continue régulièrement, Les diverses Parties se vendent séparément. Une liste de souscripteurs sera donnée gratuitement à la fin de chaque Partie. 120 planches coloriées, et ne surpassera pas le prix de 90 à LEYDE, 1869. J. K. STEENHOPF, éorreur. RECHERCHES SUR LA FAUNE DE MADAGASCAR ET DE SES DÉPENDANCES, D'APRÈS LES DÉCOUVERTES pe FRANÇOIS P. L. POLLEN er D. C. VAN DAM. CS CRE Ouvrage dédié à S. M. GUILLAUME ILE, Roi des Pays-Bas. Ouvrage Couronné au Congres International des Sciences Géographiques à Paris, 1875. le PARTIE. RD ASE FE ON DE VO EG PAR FRANCOIS PL POLLEN, Docteur en Philosophie, Aide-naturaliste et voyageur du Musée Royal d'histoire naturelle des Pays-Bas, Chevalier des ordres du Lion Néerlandais, du Lion de Zähringe, de l’Aïigle Rouge, de Fréderic, de Philippe le Magnamine, d'Ernestine et du Christ, Membre de plusieurs Sociétés savantes et Vice-Consul Impérial d'Allemagne à Schéveningue (Pays-Bas), ete. 5me LIVRAISON, CONTENANT : TEXTE : Feuille 25—30. | N9, 5. Un banquet. PLANCHES: | 6. Pêche de tortues. | Fe s déni rs N°, L Une clairière dans une forêt de l'ile Mayotte. » + Les dénicheurs. PA r ra — s » 2 Une noce mahoriène à Syda (lle Mayotte). | » 8 Pêche aux requins. | » 9 Travailleurs libres. 3: 2 Chasse nocturne aux walouvis. » 4. Chasse sur la Sambéranou, | ».10:S"ravailienredinres LEYDE, E. J. BRILL. 1877. Voir le PROSPECTUS à la dernière page. DES KE A EUX no Fi EE cn) à Prospectus RECHERCHE, SUR LA FAUNE DE MADAGi SR ET DE SES DÉPENDANCES, | d'après les découvertes de FRANÇOIS P. L. POLLEN et D. ©. VAN DAM. Ouvrage dédié à S. M. GUILLAUME III, Roi des Pays-Bas. Ouvrage couronné au Congres International des Sciences Géographiques à Paris 1875. OUVRAGE en » PARTIES, CONTENANT ; 1. RELATION DE VOYAGE. IT. MAMMIFÈRES »r OISEAUX. III. REPTILES. IV. POISSONS z»r PÊCHES. V. INSECTES, CRUSTACÉS, MOLLUSQUES, ctc. ee COLLOBORATEURS: MM. le Prof. Dr. M. SCHLEGÆEL, Directeur du Musée d'Histoire Naturelle de Leyde. Dr. P. BLEEKER, Conseiller d'État, à la Haye, Dr. S. €. SNELLEN VAN VOLLENMHOVEN, Conservateurs aù Musée d'Hist. Dr. J,. DE MAN, Natur. de Leyde. Dr. €. K. HOFFMANN, Prof. d'Hist, Natur. à l'Université de Deide. , HE. Baron DE SELYS-LONGOMHAMPS, Sénateur de S. M. le Roi des Belges, à Liège. Cet ouvrage, fruit de longues et. persévérantes recherches, est destiné à comprendre, outre Ja Felu-= tion de Voyage, l'histoire naturelle des Mammifères, Oiseaux, Iieptiles, Poissons, Insectes, Crustacés, Mollusques, etc. recyeillis par MM. POLLEN et VAN DAM, lors de leur voyage dans l'ile de Madagascar et ses dépendances. If est accompagné de nombreuses figures des espèces, soit nouvelles pour la science soit imparfaitement connues jusqu'à ce jour, et suivi d’une Revue critique et de l’énumération des objets indiqués jusqu’ ici comme originaires du groupe géographique des îles de Madagascar. Nous ne ferons pas ressortir l'intérêt que doit naturellement inspirer un ouvrage traitant des pro- ductions naturelles d'un pays, à la fois merveilleux et très peu exploré sous le rapport de sa Faune. Les auteurs, ayant été secondés par les Autorités du Pays de la manière la plus bienveillante, leurs travaux offrent d'autant plus de l'exactitude et de l'intérêt. Par ce qui précède, MM. les Naturalistes peuvent se convaincre de la valeur scientifique de l'ouvrage en question, dont la publication se continue régulièrement. Les diverses Parties se vendent séparément. LEYDE, 1877. RU Ro AUS DTA fé HUE Fi UN Var Re y} AU AU A ARR AE NAS È À \\/ Ne VA - VANAUA AS INPI ST PS a F IN SNA MAANAA A A AAA Ann n NAME A AN RAR AR ») >» 1302 7. #. ne RE AARRR RAR RAA FRAME NE RE VNA RARES AAA NAN RARE RCA ARR ERA Re ARR DRANAAN AAA AARARRRE A a AAA ai FANS ARENA AAA 3 ANAL AAA Ana RAA AAA AAPAARA Don D DD ASE Dr D) D 59 D D) D N) >») >) AR PNR RAR PA 35 PRRAR AA, AAA REA > 2 AAAAAAA AA .: 32. 13 > 222 D 599 0 PNA AT A QAR AE ce M ENEN An ae A "\ NAT LE PE PAAAA RAA Dnnannnarenrenre AA AAAAAAARRRRRRRAASR ER AON > ») S D} D D) D») »DD D» 5 DD» D) »» 23) 1 2 22 192 DD D AA A CRE ae PNA NAARARDO ARS ARAC ON A LRRRRERMAR RE D» SARA AY HA RAAA AA à NAAAAARARAARA A RAA A AA VS AAA AA AAA NE le) AARAAA AAANAAAA A FN AR PE des Le AANAARARA “A A TONER AnAAA An A0 AA AAA AR AAAAAA AAA pe Cu nee OV ae A Ave = | AA DAA AA RAA EE AARPANRARRPA ARARAAA re 20 92 à D) D! 5) D D) 2 >)» )» D) LD 2. > 2322 > n'a ea a Aa ARR AARAARARAA NS NV AA VU NN: [ VO ci Re AA aan nn NN ARIR AAC NAN NANNNAARRA A a AANA ARRAFARRARARA AAAAA AA A AAA ANA A RADAR 2 2 AAA AA NAN AAA à FEPRNR) AA AARAAAA A RON ARR RRRRE AAA ana ane à AAAn° Ale) A AAA AAAAAAAAA VAAAAAAAANA : PA AY AAA ANA VAN ANA AAA a A nana annA \ 7 TN fa) Î Li] È A / a DA FA ARAARARAAN NA Dan AA M A PAT AADANAARAA PS PE DANS ANRT AARRAR AAA ARR 2 RAA A AAA ANA ane 707 ARR A ANA NAN AR ARR ER AAASR AE ARE AAA AAA ADAM SARA SARA AA A AN ARAAARRRL PAARAAARAARAAS DAS A ANR ON AAA ef. 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