TORONTO UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY The Jason A.Hannah Collection in the History of Medical and Related Sciences Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/recherchessurlapO0dare PRODUCTION ARTIFICIELLE MONSTRUOSITÉES À | (f VLOUTOUICAENS : i di . Le CUTLE0 1 /TT 24000 STATE -… À D D LL À. RECHERCHES SUR LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS OÙ ESSAIS DE TÉRATOGENIE EXPEÉRIMENTALE M. CAMILLE DARESTE DOCTEUR ÈS SCIENCES ET EN MÉDECINE PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE LILLE LAURÉAT DE L'INSTITUT Écrt yap ro répus mapa QÜou 71, rapa oo d'où mäacav, GAÂX Thv Os Eri 70 7010, Ilapa JAo Tv Gel xai Tnv ÉË dvarpens, cddè yiverau ap QUOI, AAÂX Èv TOs @s ÊTRE To Todd LE oÜTeo vevouévors, Évdeyouevors DE rat dAkwS. ARISTOTE, Ilept Lowv yivéccws, IV, 4. PARIS C. REINWALD ET C*, ÉDITEURS 15, RUE DES SAINTS-PÈRES, 15 1877 Tous droits réservés. f +, ‘ : É L ‘ 2 SEUIL ea : L ra : Fe # | | | | Lab . | | d à * L | . ‘al Le # HORS AO e” ps ni À + ML OMT A LOT TOURS : SÉTAOUATALON FATA L ATATMAMTANULEt AA HAT 17 FROM ‘ i | s TU ! W Ts NET | 18 RTE | P # À in! { À | # l 1 L A LA MEMOIRE DES DEUX FONDATEURS DE LA TÉRATOLOGIE ETIENNE ET ISIDORE GEOFFROY SAINT-HILAIRE HOMMAGE D'ADMIRATION ET DE RESPECT CAMILLE DARESTE TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION. 1. Définition de l’anomalie et de la monstruosité..........,.,.,....... 2. Les anomalies et les monstruosités sont considérées, dans les opinions populaires, comme des faits étrangers à l'ordre naturel et par con- séquent à la science. ..........3. RS ste sc menuse 3. Aristote, le premier, rattache les monstruosités à l’ordre naturel. Cette notion est reproduite à diverses époques par Cicéron, Montaigne, Fontenelle ; elle n'est généralement acceptée que dans notre siècle, 4. Création de la tératologie par Et. et Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Re- tard de la tératogénie, par suite de la création récente de l'embryo- génie, dont les premiers progrès, dus à Aristote, à Fabrice d'Aqua- pendente, à Harvey, sont arrètés au dix-septième siècle par la doc- trine de la préexistence des germes... ........,..,............. 5. Histoire de la doctrine de la préexistence des germes ; Aromatari, Swammerdam, Malpighi, Malebranche, Cuvier.........,...... 6. Influence de cette doctrine sur la tératogénie. Hypothèse de la mo- dification accidentelle d’un germe primitivement normal ; Swam- merdam, Malebranche. Hypothèse des germes originairement mons- I MR eur aa da RAS cit tre Put ES TRS NT ANR 7. Application de l'hypothèse de Régis à l'étude anatomique des mons- tres ; Duverney. Discussion de Lémery et Winslow devant l’Aca- démie des sciences. ....... RER PPT nt, MEN PRRLUNS 8. Wolff combat la doctrine de la préexistence des germes que défend Haller. Il est le véritable créateur de l'embryogénie........... é< 9. La création de l'embryogénie conduit à la tératogénie............. 10. Difficultés des études tératogéniques. Insuffisance de l'observation. . 14: Nécessité. de l'expérimentation. 4, 5.4 4e sons se ose dues ; 12. Méthodes expérimentales capables de modifier l'évolution du germe. Dans l’état actuel de la science, celles qui doivent donner les résul- tats les plus immédiats sont celles qui agissent sur le germe après la fécondation.....,......... Éd nand de Rs dalles dau à 13. Expériences de Swammerdam sur les métamorphoses des insectes... 14. Choix de l'espèce qui doit être soumise aux expériences. Avantages de l'œuf de poule. Incubation artificielle. Production fréquente des anomalies dans l’incubation artificielle, .. > PRES SPPENTE 15. Expériences de Geoffroy Saint-Hilaire..,.,.,..,,..,,.. AUS à PT ul TABLE DES MATIÈRES, 16. Expériences de Prevost et Dumas, d’Allen Thomson..,..,,,.,...... 17. Expériences de l’auteur. ...... PT pe ARTS 00 18. Démonstration de la possibilité de modifier, par des causes physiques, l'évolution d'un germe fécondé. Importance de ce fait dans la dis- cussion de la question de l’espèce.....,....... sou ECTS APPENDICE, 1. Indication des recherches tératogéniques dont les résultats ont été pu- bliés depuis mes premières publications. ...... dc : . Indication de mes propres travaux sur la tératogénie, travaux que Je coordonne dans l'ouvrage actuel........ nfitun ee PREMIÈRE PARTIE, QUESTIONS GÉNÉRALES, 39 Cuar. L Indication des procédés que j'ai employés pour la production artificielle des anomalies et des monstruosiles. S 1. Indication des procédés. ...... VASE ON TRE ARE A ce à 2, Description des appareils. ..,.................. Sonate ACER 3. Position verticale de l'œuf. ...,.......4..... AR rec ce 4. Destruction partielle de la porosité de la coquille................ 5. Température un peu inférieure ou un peu supérieure à la tempéra- turg'de l'incubation normale. ........,....,,.... Me Jet 6. Echauffement inégal de l'œuf........... RE TT Cuar, IT. Æôle de l'individualité dans la production artificielle des anomalies. S {. Résultats généraux de mes expériences. ......,... TIR IE 2, Individualité du germe ..... sta lat a taiatelorate st QT RINE NET 3. Constitution matérielle du germe et de ses annexes...... SA, 4. Tendances héréditaires............. DAT HAUTE Me RIRE 5. Modifications du germe pendant la période qui sépare la ponte de la mise en incubation ....... EDS MSOR RU PCT | 6. Indication de quelques causes d’erreur.............. cl. 30 USER Cnar, I, Conditions générales de la production des monstres. $ 1. Distinction des deux périodes de la vie embryonnaire. ......... a 2. Arrêt de, développement... . : son onsesmsensos es sig ea ET. : }. Adhérences embryonnaires...... PR RTE PR LT Cp Re 4, Union des parties SMIAIFES, ... .. use sos duo se o os aie cle DE 3 . Anomalies qui paraissent exister virtuellement dans le type des ani- AUX VOPLODTÉS Fit rrmrenr ans ni SES où de «0 RE 19 84 86 88 91 96 98 101 104 111 115 118 n Un YABLE DES MATIÈRES. Cuar. IV. Types tératologiques, {. Existence de types tératologiques.......,...,......,.,,.,, .. 2, Conditions de la répétition des mêmes types dans les individus d'une 2e = C2 19 DE TT M Tec mate tue cn ac een ten ne «a du à ue . Conditions de la répétition des mèmes tvpes dans un même embran- CO ES in Prin tint is dut à lite R cite as . Indication de la répartition des types tératologiques dans les diffé- rents groupes de l’embranchement des vertébrés... ,,,,,,.,,,.. Cuar. V, Classification tératologique. “HeeMiTa ON: Wératologiquenss 66, 7520070000 3 7340. . Remarques sur la classification des monstres simples. ............ . Remarques sur la classification des monstres doubles. .....,,.... . Importance de la classification tératologique comme instrument de ROCHGLENENPE 50 PR: LATE AR AR EENT RNA CT CR Note A. Mesure de la distance du point de contact ou de chauffe avec le point culminant de l'œuf dans la couveuse à air libre... Note B. Description d'un agneau monstrueux, remarquable par les nombreuses adhérences de ses différentes parties. ............, Note C. Tableau de la classification tératologique d’Isidore Geoffroy RE meme te EN nn ER EE A LP DEUXIÈME PARTIE. QUESTIONS SPÉCIALES, Car. I. Dualité normale et tératologique du cœur dans l'embryon. 1. Utilité de la tératologie pour la connaissance de l’évolution normale. RS PE CRE. LL ee auuuus m5 ana udia à à « ag oo 3. Dualité tératologique.........,.. Re Et OR PE PR 4. Indication de quelques travaux récents sur ce sujet. .........,.... Cap, IT. Anomalies des annexes de l'embryon, le blastoderme, l'aire vasculaire, l'amnios et l’allantoïde. 1. Anomalies des annexes de l’embryon................... PRE 2. Anomalies du blastoderme. Blastoderme sans embryon. .....,.... 3. Déformation du blastoderme..........,............ PPT 4. Anomalies du feuillet vasculaire. Défaut de différenciation du feuillet RC PE OC FROM VON 2. ee censé U one Ne autos de 5. Déformation du feuillet vasculaire. ...........,.........,...... 6. Arrêt de développement des îles du sang... SAR Lun + ASF PORN CR En ee su can snavmsatan end 4 8. Anomalies dans la disposition des vaisseaux de l'aire vasculaire... 153 154 159 160 172 175 iv TABLE DES MATIÈRES. 9, Anomalies de l'amnios........ ASUS Re TS de see Ml 10, Anomalies de l’allantoide............... te RE Cuar. HI. Mode de production des hémitéries. Considérations générales..................... MR Le 2, Origine des déviations de la colonne vertébrale et des membres... 3. Augmentation du nombre des organes placés en séries. ....... AS Caar.IV, Mode de production de l'hétérotaæie ou de l’inversion des viscères. Cuar, V. Mode de formation des monstres simples autosites. S 1. Considérations générales. ............... EE ce ns Is ” À .. mation de la triocéphalie.......... PRES PAPE 2 ce PONT 3. Formation de la cyclopie................. booster NP Pen de 4. Formation de l'omphalocéphalie.......,........ A 5. Formation de l’anencéphalie............... SÉPARÉE RAS 6. Formation de la pseudencéphalie...,.............. LUC DIET 7. Formation de l’exencéphalie. ............. IRON TE 8. Formation de la célosomie........... MANS ANIUTIIAUNE 9. Formation de l’ectromélie........ RÉIAElS. MARS PPT EE AMPTS ic 10. Formation de la symélie.......,..... nent die RUN: Cuar. VI. Conditions de la vie et de la mort chez les monstres simples autosites. £ 4, Précocité de la mort des embryons monstrueux qui appartiennent à la (glass 'tids 0iSQaue fs san EnUs JEUE SMRSR NAT 2, Cause de cêtte mort précoce. Anémie simple......... Es le CS 3. Anémie compliquée d'hydropisie........ SES ER ANT LT UE OR OR PE EC Ms Ac RCE Te 4 Cuap. VIT. Origines de la monstruosité double et gémellité. $S 1. Théories de la monstruosité double....................... Re 2, Théorie d’Is. Geoffroy Saint-Hilaire sur la production de la monstruo- sité double chez les mammifères et chez l’homme par la soudure de deux embryons contenus dans un œuf unique.............. 3, Observations sur la gémellité et sur la production de la monstruosité double chez les oiseaux, ........,.,, Loos nitusb e1Ce PRIT ÿ. Observations sur la gé imellité et sur la production de la monstruosité double chez les poissons......,........... AIN aCNE SH LON PE 5, Indication des causes que l’on a invoquées pour expliquer l’état particulier de la cicatricule qui produit la monstruosité double. . 5 . Rôle de l'individualité dans ce phénomène physiologique. .,,...... Pages. 201 207 208 209 211 215 127 229 230 242 246 249 254 260 267 268 211 213 Q S Ur. TABLE DES MATIÈRES. Car, VI, Mode de formation et conditions d'existence des monstres omphalosites. COTON PONTS CET PO LT ET OT PT ECC 2. Gémellité .....,.. une nues DR PNTRR à a de ds dot trees e « 3. Origine des monstres omphalosites..............,...,,.,.4+e 4. Indication du mode de formation des différents types de cet ordre. . TA ue de ee das ds da dus + do à dt fat en an Cuar. IX, Détermination du mode d'union dans les différents types de la monstruosité double. MOOD RARIONS RÉRCPAIOS. 405. donutetdés dose choc tv onde D Dion 06 AMHIOR Lise eaaire ouh cites ebrt ous Re: ul D Con. soperlicielle des têtes. ..........%@@n0ii ; ., sc ssvueree 4. Union antérieure par les cavités thoraciques.......,............. 5. Union antérieure par les tubes et les bords du feuillet vasculaire... 6. Union des extrémités postérieures. .......,...:................ D DION INRle dette SR I Or MO, “NT Car. X. Conditions de la viabilité chez les monstres doubles... Note A. Sur le mode de formation des différents types de l’herma- RE dense nous TT Te) ns RÉSUMÉ GÉNÉRAL... Me 4e An SA Page 15, ligne 25, — 30, — 78, — 79, — 134, — 135, — 161, — 163, — 168, — 171, — 194, — 943, .— 223, — 256, — 263, — ar 274, — 284, — 311, — 325, — ERRATA 13, au lieu de : psodymie, lisez : dérodymie. 9, au lieu de : de phénomènes, lisez : des phénomènes. 20, au lieu de : de d'Harwood, lisez : d'Harwood. 25, au lieu de : comme dans le précédent cas, lisez : comme dans le précédent. , &u lieu de : pour la détermination des, lisez : pour déter- miner les. 6 (note 1), au lieu de : Écoy, lisez : Cow. 12, au lieu de : de faits qu’elles signalent, lisez : des faits qu’elles signalent. , au lieu de : posséderaieut, lisez : auraient possédé. 3, au lieu de : contractilité, lisez : contraction. , au lieu de : le mésoderme, lisez : du mésoderme. 22, au lieu de : l'opinion Harvey, lisez : l'opinion de Harvey. 1, au lieu de : des solutions, lisez : une solution. 18, au lieu de : où même d’un membre, lisez : ou même celle d’un membre. , au lieu de : retournée à droite, lisez : couchée sur le côté droit, 25, au lieu de : ne complètent, lisez : se complètent. 1, au lieu de : de se former, lisez : de se fermer. 18, au lieu de : mais ce n’est alors, lisez : mais ce n’est. 18, au lieu de : des monstrueux embryons, lisez : des embryons monstrueux. 0, au lieu de : LEURET, lisez : LEVRET. 6, au lieu de : nommé Gœætter, lisez : nommé Gœller. 3, au lieu de : du mème repli, lisez : d’un même repli. 347, —1 et2, au lieu de : les observations que j'ai faites dans le cours de mes recherches sur les œufs de poule en voie de for- mation, lisez : les observations que j'ai faites dans le cours de mes recherches sur les œufs de poule, de monstres doubles en voie de formation. 20, au lieu de : se transforment en un canal, lisez : se transfor- ment en canaux. » Au lieu de : pendant toute ieur vie, lisez : pendant toute la vie, RECHERCHES SUR LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITES OU ESSAIS DE TÉRATOGÉNIE EXPÉRIMENTALE INTRODUCTION 1. On appelle anomalie toute déviation du type spécifique. Le nom de monstruosité s'applique plus particulièrement à « un ensemble d'anomalies très-complexes, très-graves, rendant impos- sible ou difficile l'accomplissement de certaines fonctions, et pro- duisant chez les individus qui en sont affectés une conformation vicieuse très-différente de celle que présente ordinairement leur espèce !. » I. Les anomalies, et surtout les monstruosités, ont été considérées pendant longtemps comme des faits complétement étrangers à l’ordre naturel et, par conséquent, à la science. Il y à peu de sujets qui aient autant excité l'imagination des hommes. Comment se produisent ces êtres toujours étranges et souvent hideux? Ce serait assurément un récit intéressant qne celui de toutes les explications que l’on inventa pour en rendre compte, d'autant plus qu'elles n'ont pas entièrement disparu, et qu'on les retrouve encore dans les superstitions populaires. Les obscurités et les terreurs, pour parler avec Lucrèce, qui ont pendant si longtemps obsédé notre intelligence, n’ont pas encore été complétement 1 Is. GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Trailé de tératologie, t. 1, p. 33. 2 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. dissipées par la connaissance de la nature et par la raison ?. Mais ici je dois rester sur le terrain de la science; je laisse à d'autres le soin de raconter l'histoire, si curieuse pourtant, des aberrations de l’es- prit humain. HT. La Grèce est la patrie de la science. Toutes les conceptions que nous créons pour expliquer l’homme et la nature, toutes les théories scientiliques par lesquelles nous cherchons à rendre compte de notre existence et des existences étrangères à la nôtre, des phénomènes qui se passent en nous et hors de nous, ont leur origine dans les écoles de la philosophie grecque. C'est toujours 1à qu'il faut remonter, quel que soit l’objet de nos étures. On trouve dans une phrase d'Aristote une notion très-exacte de la monstruosité, tellement exacte que J'ai pris cette phrase pour épi- graphe de mon livre: « La monstruosité est un objet contre nature ; ou plutôt non pas absolument contre nature, mais contre ce qui se passe le plus ordinairement dans la nature. Rien ne se produit con- trairement à la nature, en tant qu’elle est éternelle et nécessaire : cela n'arrive que dans les choses qui se produisent le plus ordinairement d’une certaine facon, mais qui pourraient se produire autrement ?. » Cette phrase, malgré son extrême concision, exprime très-nettement lPidée que nous nous faisons, que nous devons nous faire de la monstruosité , résultat extraordinaire de causes purement naturelles. La production et l’organisation des monstres sont des questions scientifiques, puisqu'elles doivent s'expliquer par une application particulière des lois générales qui déterminent la production et l'organisation des êtres normaux. Après Aristote, les écoles philosophiques et particulièrement les écoles stoicienne et épicurienne formulèrent d'une manière précise l'idée des lois de la nature, lois éternelles et universelles qui régissent d’une manière absolue la manifestation de tous les phénomènes. Les livres de ces écoles sont perdus; mais nous pouvons y suppléer, dans une certaine mesure, par le curieux ouvrage de Cicéron De divinatione, 1 Hune igitur terrorem animi tenebrasque necesse es Non radu solis, neque lucida tela diei Di-cutiant, sed naluræ species ratioque. 2 Anrsrore, Lezt füuv yevesiws, liv, LV, cap. 1v. ÉGri ya +è réous map gÜotv rt, tapa güou À cb maauv, 2AAR TN Ds ER To RUAU RA98 JAP TÜV der xoi nv ÉË avéyxns, cdd ev JÉUETA 7272 gÜaiv, AAMX Ev rois Os mt T0 TONd qLev CÜTE JEVGWÉVOLG, vd ep omévoLs dÈ rai &/.w:, INTRODUCTION. 3 dans lequel le grand écrivain romain combat, à leur aide, les super- stitions de son temps. Il y développe cette pensée que les prodiges (ostenta où portenta) — et les monstres jouaient un grand rôle dans les prodiges — se produisent d’après les lois de la nature, aussi bien que les phénomènes que nous observons tous les jours : « On ne s'étonne pas, dit-il, de ce que l’on voit fréquemment, même quand on ignore comment cela se produit. S'il arrive un fait que l'on n'ait pas encore vu, on le considère comme un prodige. » Et ailleurs : « Tout ce qui a naissance, quel qu'il soit, a nécessairement une cause naturelle; de telle sorte que s’il existe contre la coutume, il ne peut cependant exister contre la nature... Rien ne peut arriver sans cause ; et rien n'arrive qui ne puisse arriver. Et s'il arrive ce qui a pu arriver, cela ne peut pas être considéré comme un prodige, Il n'y a donc pas de prodiges !. » Ces passages de Cicéron ont été admirablement commentés par Montaigne, à propos d'un monstre hétéradelphe qui vivait de son temps : « Cé que nous appelons monstres ne le sont point à Dieu, qui voit dans l'immensité de son ouvrage l'infinité des formes qu'il y a comprises... De sa toute sagesse, il ne part rien que bon, commun et réglé ;: mais nous n’en voyons pas l'assortiment et la relation. Nous appelons contre nature ce qui advient contre la coutume: rien n’est que selon elle, quel qu'il soit. Que cette raison naturelle et uni- verselle chasse de nous l'erreur et l'étonnement que la nouvelleté nous apporte *. » On a souvent cité ces paroles de Montaigne comme entièrement nouvelles ; elles ne sont, en réalité, que la doctrine de la philosophie antique. Fontenelle qui, sous une forme très-spirituelle, parfois même trop spirituelle, a si souvent exprimé sur les sciences des idées remarqua- blement justes, reproduit ainsi la pensée d’Aristote, de Cicéron, de Montaigne : « On regarde communément les monstres comme des jeux de la nature; mais les philosophes sont très-persuadés que la nature ne se joue point; qu'elle suit toujours invariablement les mêmes règles, et que tous ses ouvrages sont, pour ainsi dire, égale- 1 Cicéron, De divinalione. « Quod crenro vidit, noa miratur, eliamsi eur flat, nescit. Quod ante non vidit, id si evenerit, ostentum esse censet. » (Lib. II, cap. xxu1.) « Quidquid oritur, qualecumque est, causam habeat a natura necesse est : ut, etiamsi præter consuetudinem exstiterit, præter naturam tamen non possit existere.…., Nibil fieri sine causa potest, Nec, si id factum est, quod possit feri, portentum debet videri. Nulla igitur portenta sunt, » (Lib, 11, cap, xxvut.) 2 MoxrTalGnr, Essais, liv. LI, chap, xxx. 4 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. ment sérieux. Il peut y en avoir d’extraordinaires, mais non pas d'irréguliers ; et ce sont même souvent les plus extraordinaires qui donnent le plus d'ouvertures pour découvrir les règles générales où ils sont compris ! On à formulé, de nos jours, cette pensée d’une manière plus pré- cise, et surtout plus conforme au langage de la science actuelle. Je citerai les deux phrases suivantes : « Au premier coup d'œil, une monstruosité paraît une exception aux lois de la nature ; ce n'est cependant qu'une exception aux effets qu’elles produisent ordinaire- ment. Ces lois, toujours immuables comme l'essence des choses dont elles dérivent, ne varient ni pour les temps ni pour les lieux ?..…. » Et celle-ci: «I n’y a point de monstres dans la nature, si l’on entend, par ce mot, déviation de la nature à ses règles accoutumées d’ac- oi 3,» . I a fallu bien des siècles pour que ces idées pénétrassent dans sé science. Aujourd'hui c’est un fait accompli. On a fini par recon- naître que les organisations anomales et monstrueuses sont aussi régu- lières que les organisations normales, bien qu'elles le soient autre- ment, parce qu'elles sont régies par les mêmes lois; et que, par suite de cette régularité mème, elles se rattachent toutes à un certain nombre de types parfaitement définis ou définissables, parce qu'il n'existe en réalité, comme la science le démontre, qu'un certain nombre de déviations possibles du type spécifique. Ce progrès, préparé depuis la renaissance par les travaux d'un grand nombre d’anatomistes et de physiologistes, a été réalisé, dans notre siècle, par les deux naturalistes français à la mémoire desquels je dédie ce livre, Etienne et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Nous pou- vons dire avec un juste orgueil, que, grâce à leurs mémorables tra- vaux, la science des monstres, ou, comme ils l'ont appelée, la férato- loge, est une science toute française. Toutefois cette science est encore incomplète. Fe distinction des différents types de l'anomalie et de la monstruosité, la connais- sance de leur organisation, les relations des différents types ‘entre eux, formenc une partie de la tératologie que l’on peut considérer comme à peu près terminée. Les recherches ultérieures y ajouteront 1 FoNTENELLE, Hist. de l'Académie des sciences, 1703, p. 28 2 LACÉPÈDE, Hist. nat. des serpents, chap. Des serpents monstrueux. 3 VERNOIS, Propositions de philosophie naturelle terminant une thèse présentée et soutenue à la Faculté de médeeine de Paris, le 29 décembre 1837, INTRODUCTION. ù quelques faits de détail; elles n'y introduiront pas de changement essentiel ?. Il n'en est pas de même de cette partie de la science qui recherche l'origine et le mode de formation des monstres ou, comme on le dit, de la tératogénie. Ici, avant mes études, presque tout était à faire. Ce long retard s'explique facilement. La science de l'évolution des êtres anormaux présuppose la science de l'évolution des êtres nor- maux ; en d’autres termes, la tératogénie présuppose l'embryogénie. Or, l'embryogénie est de création toute récente; elle ne date réelle- ment que du siècle dernier, et du grand physiologiste Wolf. Sans doute on avail, dès l'antiquité, :suivi le développement de l'embryon, dans différentes espèces. Il Y à, dans la collection des ouvrages attribués à Hippocrate, un curieux livre sur la Nature de l'enfant, dans lequel on trouve l'indication d'observations faites jour par jour sur le développement du poulet ?, Les écrits d’Aristote contiennent des notions fort exactes sur le développement des oiseaux et sur celui des poissons *. A l’époque de la renaissance des études biologiques, Fabrice d’Aquapendente, puis et surtout Harvey, son élève, commencèrent une belle série de recherches embryogéni- ques. Malheureusement, ce mouvement scientifique fut arrêté dès son début par la doctrine de la préexistence des germes *. Il est curieux de voir que cette doctrine, entièrement hypothétique, s'imposa aux intelligences comme la conséquence directe et néces- saire de l'observation. V. Quand on étudie les graines et les bulbes de certaines plantes, on y voit déjà, même à l'œil nu, mais à l'état de simples rudiments, un certain nombre de parties qui se développeront plus tard. Un médecin de Venise, nommé Aromatari, qui avait été l’ami de Harvey pendant son séjour en Italie, partit de ce fait pour établir que la graine et le bulbe contiennent réellement, et non virtuellement, la plante tout entière. Puis, comparant l'œuf animal à la graine, il ajoutait cette phrase remarquable : « En ce qui concerne les œufs de 1 Du moins pour les animaux vertébrés. La tératologie des animaux invertébrés est encore à faire. Je prouverai cette proposition dans un chapitre de ce livre. 2 Ilept goarcs raid. 3 Il savait par exemple que les poissons n'ont pas d'allantoïde comme les oiseaux, mais qu'ils possèdent leur sac vitellin. Iepi fowv yevecéu, lib. III, cap. mm. * Fagnicius, De formatione ovi pennatorum, 1638. — Hanvey, Eercilationes de generalione animalium, 1681, 6 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS, poule, nous pensons que le poulet est déjà ébauché dans l’œuf avant d'être formé par la poule !, » Ce qui pour Aromatari n'était qu’une hypothèse devint une réalité pour Swammerdam. Ce grand naturaliste appliqua à l'étude de l’or- ganisation le microscope, dont l'invention était toute récente. Il eut ainsi, le premier, la révélation du monde des infiniment pelits, et fut frappé d’épouvante à son aspect, Au-delà de ce monde visible, dontil avait reculé si loin les bornes, il apercevait un monde invisible, non moins réel que l’autre, dont l'accès lui restait fermé par l’im- perfection des instruments d'optique et la limite du pouvoir ampli- liant des lentilles. Mais les découvertes de la science pouvaient reculer indéfiniment cette limite. Et alors, où s’arrêterait l’observa- teur ? Unissant les sentiments religieux les plus exaltés à un amour passionné pour la science, Swammerdam voyait done, à chaque découverte, l’abime se creuser sous ses pas, cet abîme que Pascal avait entrevu au pont de Neuilly. Comme Pascal, et pour les mèmes causes, Swammerdam mourait prématurément, après avoir vainement cherché dans le mysticisme l’apaisement des troubles de son âme ?. On ne peut comprendre l’origine de la doctrine de la préexistence des germes que par cette intervention incessante des préoccupations religieuses dans une série, admirable d’ailleurs, de recherches scientifiques *. Swammerdam avait d'abord étudié les métamor- phoses des insectes, et particulièrement cette curieuse succession de phénomènes qui font de la chenille un papillon. L'animal qui sort de l'œuf, la chenille, n’a aucune ressemblance apparente avec le papillon qui à produit l'œuf, Après avoir vécu, pendant un certain temps, d’une vie active, la chenille se transforme en ce que l'on appelle la chrysalide ; c'est-à-dire en un organisme tout à fait différent, formé d’une enve- loppe solide dans laquelle on ne rencontre qu'une matière demi- liquide. C'est, en quelque sorte, un second œuf d’où sort plus tard le 1 AROMATARI, Epislola de generatione ylantarum. Venise, 1695. « Quod attinet ad ova gallinarum, existimamus quidem pullum in ovo delineatum esse, antequam for- matur a gallina ». ? Voiren tête de la Biblia nature, la vie de Swammerdam par BOERHAAVE, admi- rablement commentée par MicneLer, dans l'Insecte. % Voir, par exemple, l'Ebauche de l'histoire des êtres organisés avant leur fécondalion, que SENEBIER a publiée en tête des Expériences pour servir à l'hisloire de la généra- tion des animaux et des plantes de SPALLANZANI, 1786. L'auteur de cet opuscule, minis- tre du saint Evangile à Genève, traite d’athées les adversaires de la doctrine de la préexislence des germes. INTRODUCTION. 1 papillon, Swammerdam reconnut qu'en durcissant la chrysalide par l'immersion dans l'eau chaude ou dans l'alcool, on trouve le papillon déjà tout formé en dedans de la coque. Faisant ensuite de semblables études sur la chenille, il trouvait au-dessous de la peau les indices de six pattes articulées et des ailes du papillon. Ces faits qu'il montrait en 1668 au grand-duc de Toscane, Ferdinand II, en présence de Magalotti et de Thevenot, le conduisirent à penser que la mélamor- phose n'est qu'une apparence ; que le papillon est déjà tout entier dans la chenille, mais caché sous un masque (larvatus), et qu'il se manifeste en se [dégageant peu à peu des téguments de la chenille et de la chrysalide (evolutio) dans lesquelles il est enveloppé (nvolutio). Or, si le papillon est déjà tout entier dans la chenille, c'est qu'il était tout entier dans l'œuf: le papillon femelle contient donc dans ses ovaires des œufs dont chacun contient un papillon entier. Et chacun de ces papillons enfermés dans l'œuf contient d’autres œufs qui con- tiennent eux-mêmes d’autres papillons; et ainsi de suite jusqu'à l'infini. L'œuf du papillon contient done, non pas virtuellement, mais réellement, toutes les générations qui doivent en sortir *. Bientôt, Swammerdam étendit à tous les animaux et à l'espèce hu- maine elle-même cette notion qu'il se faisait de l'œuf des insectes. Les physiologistes étaient encore sous l'impression de l’étonnement que venaient de causer les grandes découvertes de Harvey sur la génération et sur l'existence générale des œufs chez tous les animaux et mème chez tous les êtres vivants. On avait cru jusqu'alors la gé- nération ovipare et la génération vivipare essentiellement différentes. Harvey, étudiant plus complétement des faits qu’Aristote avait vague- ment entrevus, venait de prouver que cette distinction n'est qu'appa- rente. Grâce à la libéralité du roi d'Angleterre Charles 1%, dont il était le médecin, il avait disséqué un grand nombre de biches et de daines provenant des pares royaux, et trouvé, dans leur cavité utérine, l'embryon enveloppé de membranes tout à fait comparables à celles qui revêtent l'embryon dans l'œuf des oiseaux. L'animal vivipare provient donc d'un œuf comme l'animal ovipare. Toutefois Harvey, tout en faisant cette grande découverte, ne l'avait pas conduite assez loin pour établir une identité complète entre les 1 SwammErDaM, Naturbibel. Voir le curieux chapitre qui a pour titre : {el eene Dier in het andere, of der Kapel verborgen binnen in de Reeps (Un animal dans un au- tre ou le papillon enveloppé dans la chenille). à) PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONTRUOSITÉS. phénomènes essentiels de la génération vivipare et ceux de la géné- ration ovipare. Il croyait que chez les femelles vivipares, l’œuf se produit, dans la cavité utérine, à la suite de l'union des sexes; tandis que, chez les femelles ovipares, l'œuf est évidemment antérieur à la fécondation. Mais, à l'époque où Swammerdam étudiait les métamorphoses des insectes, un autre anatomiste non moins célèbre, le danois Stenson, que nous appelons Stenon, qui avait été son ami et son condisciple à l’université de Leyde, faisait, en 1667, à Florence, une découverte capitale, qui changeait complétement l'idée que Harvey s'était faite de la génération vivipare, et la rattachait à la règle générale. Les squales ou chiens de mer sont presque tous vivipares; leur em- bryon se développe complétement dans un oviducte fort semblable par sa structure, et même par son aspect, aux trompes de Fallope des mammifères. Sienon constata que, si les embryons des squales se développent dans l’oviducte, ils ne s’y produisent point!, mais qu'ils y arrivent sous la forme d'œufs, et que ces œufs proviennent d’or- ganes particuliers tout à fait comparables aux ovaires des oiseaux. Le grand volume de ces œufs rendait la découverte de Stenon tout à fait incontestable. Ainsi, dans certaines femelles vivipares, l'œuf est antérieur à la fécondation, comme chez les femelles ovipares. Or, le fait n’étaital pas applicable à toutes les femelles vivipares etaux femmes elles-mêmes, qui possèdent, dans le voisinage de la matrice, comme on le savait depuis longtemps, des organes particuliers, dont le rôle était encore énigmatique, et que l’on considérait comme ana- logues aux organes qui produisent l'élément mâle de la génération ? ? Ces organes seraient-ils des ovaires ? I] fallait le prouver en y démon- trant l'existence des œufs. Stenon, et plusieurs anatomistes de l’uni- versité de Leyde, Van Horne, Swammerdam lui-même, Kerckring, Regnier de Graaf, se mirent à l’œuvre et cherchèrent avec ardeur l'œuf dans l’ovaire des femelles des mammifères et dans celui de la femme. On avait rencontré, depuis longtemps, dans ces organes, mais d’une manière accidentelle, l'existence de petites vésicules pleines de li- quide. Leur nature était ignorée. Les anatomistes de Leyde pensèrent que c'étaient les œufs qu'ils cherchaient, et la priorité de cette pré- tendue découverte devint pour eux l'objet de débats passionnés. On 1 STENON, Myologia, 1667. ? On les a appelés pendant longtemps festes muliébres. INTRODUCTION. 9 arrivait ainsi à croire que, chez toutes les femelles vivipares, l'œuf est antérieur à la fécondation, et que, par conséquent, les phénomènes de la génération sont régis, chez tous les animaux, par une même loi. Cette théorie, nous le savons aujourd'hui, bien que fondamentalement vraie, reposait sur des faits erronés. Les vésicules de Graaf, que l'on devrait plutôt appeler vésicules de Stenon, ne sont point les œufs ; elles les contiennent dans une partie de leurs parois, comme cela résulte de la mémorable découverte de Baer en 1827. Mais alors personne ne mit en doute la signification que l'on attribua aux vésicules de Graaf, et l'existence des œufs avant la fécondation chez tous les animaux, assurément vraie, quoique d'ûne autre manière que le pensaient les anatomistes de Leyde, fut considérée comme définitivement prouvée. Swammerdam attribua à cette vésicule de l'ovaire des femelles de mammifères, qu’il considérait comme un œuf formé antérieure- ment à la fécondation, l’organisation merveilleuse qu'il croyait avoir constatée dans l’œuf des insectes. Et ainsi, par une combi- naison étrange de découvertes réelles, de faits bien observés et mal interprétés, d'hypothèses plus ou moins vraisemblables, naquit dans son esprit la doctrine générale de la préexistence des germes chez les animaux; doctrine qu'il étendit aux plantes elles-mêmes puisque la graine, qui est l'œuf végétal, contient déjà la plante future. « Dans la nature, disait-il, il n'y a pas génération, mais seulement propagation, accroissement des parties et exclusion de tout hasard. On explique ainsi la corruption originelle, puisque tout ce qu'il y à eu d'hommes était déjà enfermé dans les reins d'Adam et d'Éve. Quand ces œufs seront épuisés, l'espèce humaine finira’. » Pour l'esprit mystique de Swammerdam, la préexistence des germes de- venait un dogme religieux; c'était l'explication physique du péché originel. Cette doctrine, ainsi ébauchée par Swammerdam, parut bientôt confirmée par les observations d’un autre physiologiste, non moins célèbre. Malpighi avait repris l'étude de la formation du poulet dans l'œuf ; il crut voir l'embryon avant l'incubation dans une cicatricule 4 « Nullus mihi in rerum natura generationi locus est, sed soli propagationi vel incremento partium, ubi casus omnis excludatur. Ipsius eliam originariæ cor- ruptelæ fundamentum... jam inventum esset, cum quidquid est hominum in lumbis Adami et Evæ jam occlusum fuerit ; quibus ceu necessarium consequens adjungi posset exhaustis his ovis, humani generis finem adesse. » (SwAMMERDAM, Miraculum naluræ sive uleri muliebris fabrica, Levde, 1772, p. 21.) — Voir aussi Historia gene- rahs insectorum, p. 44, 1685. 10 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS, féconde, et il s'imagina qu’il avait vérifié l'hypothèse d'Aromatari sur sa préexistence, Je me suis demandé comment un observateur aussi habile que Mal- pighi avait pu commettre une pareille erreur, La lecture de son mé- moire, et l'examen de la figure qu'il a donnée de cette cicatricule, m'ont prouvé, de la manière la plus certaine, que l'œuf étudié par Mal- pighi. bien qu'il n'eût pas été couvé, avait cependant éprouvé un commencement de développement. Aujourd'hui l'explication de ce fait est bien simple. L'œuf en question avait été pondu la veille, Malpighi nous apprend d'ailleurs qu'il avait fait cette étude à Bo- logne, au mois d'août et par une très-grande chaleur. Or, mes expé- riences m'ont appris qu'à une température relativement peu élevée (28° à peu près), l'embryon commence à se développer, mais qu'il périt de très-bonne heure. Evidemment le fait observé par Malpighi était un fait de ce genre. L'observation qu'il avait faite était exacte, mais il en tirait une conséquence fausse, parce qu'il ignorait l’exis- tence d'une condition physique qui devait produire une cause d'’er- reur. Combien pourrait-on citer de semblables faits dans l’histoire des sciences d'observation !! 1 MacriGur, De formatione pulli in ovo, 1672, p. 12. « [n ovis pridie editis. et nondum incubatis (ut elapso augusti mense, magno vigente calore, observabam) cicatricula magniludinem habebat À, bic a me ruditer delineatam. In cujus centro sacculns cinerei coloris, interdum ovalis B, quandoque alterius figuræ deprehendebatur,— [In sacculo postea velut in amnio, dum solis radiis illum cbjiciebam, inclusum fœtum Lanimadvertebam, cujus caput cum appensæ cari- næ slaminibus patenter emergebat ; amnii enim rara et diaphana contextura frequenter translucebat, ita ut contentum appareret animal. Sæpius acus acie folliculum ape- riebam, ut contentum animal in lucem prodiret, incassum tamen : ita enim mucosa erant adeoque minima, ut levi ictu singula lacerarentur. Quæ pulli stamina in ovo præexistere, altioremque originem nacta esse fateri convenit, haud dispari ritu ac in plantarum ovis. » Les dimensions de la cicatricule observée prouvent évidemment qu’elle avait subi l'influence de l'incubation. Quant au prétendu amnios observé par Malpighi, ce n’était que l'espèce de sac formé par l’écartement du feuillet séreux et du feuillet muqueux lorsque l'embryon a péri de bonne heure. C’est un fait que j'ai souvent observé. Wolff avait déjà supposé que l'observation de Malpighi devait tenir à l’action de la chaleur ; mais il n'avait pas remarqué que la formation du blastoderme, dans cette observation, indiquait nettement un commencement d'évolution. Voir le mé-— moire de Wolff, De formatione intestinorum dans les Novi commentarii Petropalitani. 1763, t. XII, p 432. Il est curieux de voir que dans un second mémoire sur la formation du poulet, Mal- pighi, décrivant en figurant des cicatricules non développées, et qui n'avaient, comme il le dit, que le diamètre d’une lentille, crut y retrouver encore les rudiments de l'embryon, Celle fois il faisait ces observations au mois de février 1672 ; et par INTRODUCTION, il Bientôt Malebranche, qui n'était pas seulement un grand philo- sophe, mais qui suivait avec la plus grande attention le mouvement scientifique de son temps, qui, même, nous le savons aujourd'hui, employait l'incubation artificielle pour suivre l'évolution du poulet", développa cette doctrine dans son célèbre livre de {a Hecherche de la vérité, et lui donna une sorte de consécration ?. Ainsi, l'origine des êtres vivants n'était plus un fait naturel ; c'était un fait surnaturel, placé en dehors et au-déssus de la science ; en d’autres termes, un véritable miracle. La doctrine de la préexistence, entrant ainsi dans la science avec l'autorité des plus grands noms de la physiologie et de la métaphy- sique, fut acceptée sans contestation. Elle à persisté presque jusqu'à uos jours. Cuvier lui-même, après de longues hésitations, s'y ralliait à la fin de sa carrière. « La vice ne peut s'allumer, disait-il, que dans des organisations toutes préparées ; et les méditations les plus profondes comme les observations les plus délicates n'aboulissent qu'au mystère de la préexistence des germes ? ». Nous pouvons dire aujourd’hui que cette doctrine, qui reléguait le problème de l'origine des êtres vivants dans une région inaccessible à la science, à exercé la plus funeste influence sur lLoutes les branches de la biologie, dont elle entravait l'essor en supprimant toutes les grandes questions. Pour ses adeptes, la physiologie se réduit à l'étude du jeu de la machine vivante, et l'histoire naturelle à la description des formes spécifiques, absolument invariables, puisqu'elles résultent uniquement d’un acte primitif de la puissance créatrice. Quant à l'embryogénie, elle n'existe point, puisque, dans l'évolution, tout se conséquent les œufs qu'il observait n'avaieut pas été Le siége d'un commencement d'évolution. Telle est la puissance des idées préconçues sur les meilleurs esprits ! Comment se fait-il cependant que la différence de diamètre des cicatricules obser- vées pendant l'hiver et pendant l'été ne l'ait pas mis sur la voie ? Voir son mémoire intitulé : Appendix repetitas auclasque de ovo incubato observaliones. continens, octobre 1672. 1 Voici une lettre du P. Daniel, récollet, au P. Poisson, supérieur de Vendôme, publiée par l'abbé BLAMPIGNON dans son livre sur Malebranche. Orléans, 16 avril 4870. «a Monsieur et révérend père, le R. P. de Malebranche m'a fait l'honneur de m'écrire qu’il a présentement un fourneau où il fait couver des œuis, et qu'il en a déjà ouvert dans lesquels il a vu le cœur formé et battant, avec quelques artères. » * MALEBRANCHE, Recherche de la vérilé. 1672, lib. I, cap. vi, part. 1. Voir aussi les Entretiens sur la mélaphysique. 3 Cuvier, Regne animal, 47e éd., t. I, p. 20, 1817. 12 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. borne à l'augmentation de volume de parties préexistantes. Ainsi la science élait enfermée dans un cercle étroit. Toute tentative pour en sorür était une déception, presque une impiété. Je me borne à signaler les conséquences générales de cette doctrine. Ici, nous ne devons nous occuper que de son influence sur la téra- togénie. VI. Comment concevoir l'origine des monstres dans une pareille doctrine ? à On peut l'expliquer tout d’abord par l’altération consécutive d’un être primilivement parfait. Swammerdam l'indique quelque part : il attribue la formation des monstres à une modification du germe produite au moment de la fécondation !. Malebranche admet égale- ment que la formation des monstres est due à l’action des lois de la nature, ou, comme on le disait alors, des causes secondes venant modifier la direction naturelle de l'accroissement. « Les corps organisés, disait-il, dépendent de la première construction de ceux dont ils naissent; et il y a bien de l’apparence qu'ils ont été formés dès la création du monde, non pas néanmoins tels qu’ils pa- raissent à nos yeux, et qu'ils ne reçoivent plus, par le temps, que l'accroissement qui les rend visibles. Néanmoins, il est certain qu’ils ne reçoivent cet accroissement que par les lois générales de la nature, selon lesquelles tous les autres corps sont formés, ce qui fait que leur accroissement n’est pas toujours régulier et qu’il s’en engendre de monstrueux ?. » Mais il est clair que, dans cette manière de concevoir l’origine des monstres, Swammerdam et Malebranche reculaient devant une des conséquences nécessaires de la doctrine de la préexistence des ger- mes. S'il n'y a point de génération, pour parler avec Swammerdam ; si l'évolution d’un ètre vivant consiste uniquement dans l’accroisse- 1 SwAMMENDAM, Historia generalis insectorum, p. 46. « Facile intelligis, ex vitiosa et deformi typorum combinatione oriri monstra; facile intelligis ex defectu aut cor- ruptione hujus illius typi, partis istius corruptionem oriri aut defectum, cujus deest, corruptus ve est typus. ». Cette phrase, que je cite dans le mauvais latin du traduc- teur, serait par elle-même peu compréhensible. Mais je dois rappeler d'abord que ce qui est ici désigné sous le nom de /ype, c’est l’organisation primitive de embryon; ensuite que Swammerdam explique un peu plus haut que dans la fécondation il ya combinaison des deux semences masculine et féminine, qui toutes les deux contien- draient un germe préexistant. On ne trouve, du reste, dans les écrits de Swammer- dam, aucun autre passage faisant allusion aux germes qui seraient contenus dans l'élément mâle de la génération. ? MALEBRANCHE, Eclaircissements sur le sixième livre de la Recherche de la vérité. INTRODUCTION. 13 ment de parties préexistant dans un état rudimentaire, et non dans la formation successive de parties nouvelles, pourquoi n'étendrait-on pas celte manière de voir aux monstres eux-mêmes? Pourquoi n'ad- mettrait-on pas que les monstruosités, elles aussi, préexistent; qu'il y a des germes originairement monstrueux, comme il y à des germes originairement normaux ? Mais, s'il en est ainsi, les monstres seraient l'ouvrage immédiat du créateur. Peut-on admettre que la sagesse infinie aurait créé des êtres imparfaits et privés de certaines condi- tions de viabilité? Swammerdam et Malebranche ne pouvaient le croire, Mais un autre philosophe, Régis, qui s'était fait, sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, le contradicteur de Malebranche, accepta complétement cette conséquence singulière de la doctrine : « Rien ne nous empêche, disait-il, de croire que les germes des mons- tres ont été produits au commencement, comme ceux des animaux parfaits, et que la génération ne fait pas autre chose à leur égard que de les rendre plus propres à croître d'une manière sensible, sans qu'il importe de dire que Dieu ne peut être l’auteur des monstres, et qu'il le serait néanmoins si les germes des monstres étaient depuis le commencement ; car il est aisé de répondre qu’il n'y a rien dans le monde, hormis le mal moral, dont Dieu ne soit l’auteur, et qu'il ne produise lui-même, très-positivement, quoique librement. ! » Toutefois, Régis n'admettait pas cette proposition comme générale ; il ne la considérait que comme applicable à certains cas particu- liers. Telle qu’elle se posait, entre Malebranche et Régis, la question de l'origine des monstres était donc une question toute métaphysique qui pouvait se formuler en ces termes : Dieu est-il l’auteur des monstres? Malebranche se refusait à l’admettre. Régis pensait, au contraire, que si les êtres normaux démontrent la sagesse infinie, les monstres démontrent la puissance infinie du Créateur. Mais bientôt la question descendit de ces hauteurs dans le domaine des faits, VII. La première idée que suggère la vue des monstres est celle de l'irrégularité et du désordre. Mais lorsque, dans les dernières années du dix-septième siècle, on commença à les soumettre à l'observation anatomique, on reconnut bientôt que leur organisation est aussi ré- gulière que celle des êtres normaux, quoique d’une autre facon. Ce n’est point le désordre, c’est un ordre nouveau. C’est là, je l’ai dit 1 Récis, Système de philosophie, t. III, lib. VIII, part, 4, cap. 1x. 14 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITES. plus haut, le point de départ de la constitution scientifique de la téra- tologie. Comment expliquer cette régularité des êtres monstrueux dans la doctrine de la préexistence des germes”? Sans doute, on pouvait supposer que des accidents, des causes fortuites, intervenant au moment de la fécondation, comme le pensait Swammerdam, ou postérieurement à cet acte physiologique, comme le pensait Male- branche, auraient, dans une certaine mesure, modifié la forme, la structure, la grandeur, la position d'organes préexistants. Mais les faits téralologiques où ces explications peuvent paraître vraisemblables sont très-restreints. Il était impossible de comprendre comment des causes accidentelles auraient détruit partiellement un arrangement primitif pour y substituer un autre arrangement ; comment elles auraient établi des connexions insolites des organes, et, par exem- ple, de nouveaux embranchements vasculaires, de nouvelles in- sertions des museles, Il étail impossible de comprendre comment des causes accidentelles auraient fait apparaître des organes qui n’existent point dans l’état normal. L'organisation des monstres doubles en particulier présente, à cet égard, des difficultés inextricables. Chez eux, l'existence, sur le plan d'union, d'organes appartenant par moitié à chacun des sujets composants, et pourvus de museles, de nerfs, de vaisseaux dont l'arrangement est quelque chose de nouveau, ne pouvait être comprise autrement que comme un fait primitif, Tous ces faits, absolument inexplicables par la modification d’un état ori- ginel, conduisaient les anatomistes à adopter l'opinion de Régis sur l'existence des germes primitivement monstrueux, ou, en d'autres termes, sur la préexistence des monstres. On trouve cette pensée exprimée pour la première fois par Duver- ney dans un mémoire publié en 1706. Ce célèbre anatomiste décri- vait l'organisation d'un monstre double appartenant au type des Ischiopages, dans lequel deux embryons sont unis par la partie pos- térieure de leurs troncs, On avait jusqu'alors considéré les monstres doubles comme résultant de la soudure de deux embryons primitive- ment distincts, Duverney découvrait des faits étranges, des conforma- lions organiques encore inconnues et dont on ne pouvait rendre compte par de simples faits accidentels d'adhérence et de soudure, Il concluait de ses observations qu'une pareille organisation ne pou- vait être qu'originelle. «Si cette conformation, disait-il, ne venait que de l’union de deux œufs et d'une espèce de rencontre fortuite, INTRODUCTION, 15 il faudrait qu'elle eût été fort heureuse... Tout y est d'un dessin conduit par une intelligence libre dans sa fin, toute-puissante dans l'exécution, et toujours sage et arrangée dans les moyens qu'elle em- ploie. Dans ce monstre, l'intelligence dont je parle a voulu produire deux corps humains joints ensemble... On ne peut se dispenser de supposer celte volonté, puisqu'on en voit si clairement l'exécution !, » Ainsi Duverney admetlail, au moins dans un cas particulier, le fait de la préexistence des monstres. Quelques années après, une discussion célèbre qui s'éleva dans le sein de l'Académie des sciences de Paris eut pour résultat d'étendre et de généraliser cette doctrine. En 1724, un membre de cette Société, Lémery, faisant la dissection d'un monstre double appartenant au type de la psodymie, c’est-à- dire qui présentait deux têtes portées sur un tronc unique dans la région inférieure, mais double dans la région supérieure, chercha à prouver que ce monstre n'élait point originairement tel, et qu'il résultait de la fusion de deux embryons bien conformés. Duverney annonça qu'il combattrait cette opinion ; la mort l'empêcha d’accom- plir son projet. Winslow vint à sa place défendre la doctrine de la monstruosité originelle. La discussion qui s'était produite d'abord à l'occasion d’un fait particulier s’étendit à la tératogénie tout entière ; elle dura dix-neuf ans, el ne se termina qu'en 1743 par la mort de Lémery*. La question se posa donc tout d'abord à l'occasion des monstres doubles. La pensée qu'un monstre double résulte de l'union et de la fusion plus ou moins complète de deux embryons primitive- ment distincts, nait spontanément dans l'esprit à la vue d'une semblable organisation. Lémery admit que, si deux œufs coexistent dans la matrice, des contractions insolites de cet organe peuvent les appliquer l'un contre l'autre; puis que leur pression réciproque dé- truit plus ou moins complétement les parties en contact et détermine des adhérences entre les parties qui restent, Il est évident qu’en par- lant ainsi, ilaccumulait les hypothèses les plus invraisemblables ; bien quil cherchät à les rendre plus admissibles en faisant remarquer que la mollesse et le défaut de consistance des tissus embryonnaires * DUVERNEY, OUbservalions sur deux enfants joints ensemble, dans les Mémoires de l'Académie des sciences. 1706. ? Voir les pièces de cette discussion dans les Mémoires de l'Académie des sciences de 1734 à 1743. jo PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. rendaient possibles chez eux des événements physiologiques abso- lument impossibles lorsque les organes ont acquis leur état définitif. D'ailleurs il n’expliquait en aucune facon la merveilleuse régu- larité des monstres doubles, régularité telle que, dans certains types, elle est même plus grande que celle des êtres normaux. Jamais les accidents, comme il disait, ou, en d’autres termes, le hasard n’au- rait pu produire de pareils effets. L'hypothèse de la formation des monstres par la modification ac- cidentelle d'organisations primitivement normales, était plus facile à soutenir dans le cas des monstruosités simples ; car s’il existe des monstruosités simples, la symélie et la cyclopie par exemple, dans lesquelles on observe, comme chez les monstres doubles, des arran- gements organiques nouveaux ; il en est d’autres chez lesquelles tout se borne à un simple changement dans la forme, la situation ou la structure des organes. Dans ces derniers cas, les causes accidentelles paraissaient plus facilement admissibles. Pour Lémery,ces causes ac- cidentelles étaient des actions purement mécaniques, et particuliè- rement des pressions. Mais à la même époque, plusieurs médecins cherchèrent dans des événements de l’ordre physiologique les causes accidentelles des monstruosités. Les maladies ont souvent pour effet de modifier la structure des organes. Mais l'embryon lui-même est exposé à des maladies. Pourquoi n’admettrait-on pas que les mala- dies modifieraient d’une manière encore plus profonde les organes de l'embryon, lorsqu'ils sont encore dans cet état de demi-fluidité qui les caractérise à leurs débuts; que même, dans certains cas, elles détermineraient leur destruction partielle ? Aïnsi, certaines monstruosités ne seraient que le résultat d’altérations pathologiques. Par exemple, il y a des monstres chez lesquels l’encéphale et la moelle épinière sont remplacés par des poches remplies de sérosité. Un mé- decin de Montpellier, nommé Marcot!, essava, en 1716, d'expliquer un fait de ce genre par la production d’une hydropisie qui aurait détruit la substance nerveuse. Morgagni ? développa plus tard cette théorie et lui donna une grande extension. Ainsi le système des accidents, considérés tantôt comme des faits mécaniques, tantôt comme des faits pathologiques, paraissait accep- 1 MancoT, Mémoire sur un enfant monstrueux, dans les Mém. de l’Acad. des sc., 1716, p. 329. 2 MonGaGni, Epistola anatomica XX, 56, dans les Opera posthuma Valsalvæ, 1840. Voir aussi De sedibus et causis morborum, passim. INTRODUCTION. 17 table dans certains cas: et, dans ces cas, Winslow lui-même ne le re- jétait pas. Mais ce système ne pouvait en aucune façon rendre compte de tous ceux où la monstruosité produit un ordre nouveau, c'est- à-dire un arrangement insolite, quoique régulier, des organes. Ici Winslow triomphait sans peine; et Lémery s'épuisait en vains efforts pour le contredire, d'autant plus que, tout médecin qu'il était, il était loin de posséder la science anatomique de son adversaire. 11 ar- riva même un moment où les réponses lui manquèrent. Ce fut lors- queWinslow lui objecta le fait si curieux de l’inversion des viscères, où l’arrangement des organes est absolument le même que dans l'état normal, mais où il est renversé ; où le cœur et l'estomac occupent le côté droit, tandis que le foie occupe le côté gauche. Tout ce que Lémery put dire, c’est que les êtres affectés d'inversion des viscères ne sont pas des monstres. Et cependant Lémery avait raison. Il avait entrevu la vérité ; mais il n'avait fait que l'entrevoir, arrêté qu'il était par la doctrine de la pré- existence des germes. Nous pouvons dire aujourd'hui que les mons- truosités résultent toujours de l’action de causes accidentelles, causes qui ne modifient point l’organisation toute faite, mais qui la modi- fient pendant qu'elle se produit, en donnant une direction différente aux phénomènes de l'évolution. Mais alors l'existence de germes originellement monstrueux parais- sait seule capable d'expliquer le plus grand nombre des faits térato- logiques. Aussi les contemporains donnèrent-ils généralement gain de cause à Winslow, et, à leur tête, Haller lui-même. Ce grand phy- siologiste, coordonnant et commentant dans son traité De monstris tous les cas d'anomalies et de monstruosités décrits et figurés dans Jes recueils scientifiques de son temps, les explique, pour la plupart, par le fait de la monstruosité originelle. Dans un petit nombre seu- lement, il fait intervenir les causes accidentelles qu'il attribue soit à des actions mécaniques, soit à des phénomènes pathologiques. La doctrine de la préexistence des germes supprimait done com- plétement la tératogénie, comme elle supprimait l’'embryogénie elle-même. Or, bien que cette doctrine soit généralement abandon- née, son influence persiste encore. En France, l'embryogénie, surtout celle des animaux supérieurs, est à peine connue. On compterait faci- lement le nombre des personnes qui l’ont un peu étudiée. Il en ré- 1 HaLLer, Opera minora, L. III, 1768, 18 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. sulte que la plupart des auteurs qui traitent des questions spéciales de la téralologie en sont encore aux idées de Lémery et de Winslow : de Lémery, lorsque les faits semblent facilement s'expliquer par une cause mécanique ou par une maladie de l'embryon; de Winslow, lors- que ces explications font défaut. La tératologie n’est donc générale- ment considérée que comme un chapitre de l'anatomie jpathologi- que, c'est-à-dire de cette branche des sciences médicales qui étudie les désordres matériels produits par les maladies. Mais, bien que l'imagination se soit donné pleine carrière pour expliquer les faits té- ratologiques par des causes mécaniques où pathologiques, elle ren- contre tôt ou tard une barrière infranchissable et se voit, finalement, contrainte d'avouer son impuissance. VIII. La science, ainsi fatalement arrêtée, ne pouvait reprendre sa marche qu'en rejetant la doctrine de la préexistence. Mais on croyait cette doctrine invariablement établie sur la base de l’obser- vation ; l'observation seule pouvait la détruire. Ce fut l’œuvre d'un physiologiste dont les travaux sont beaucoup trop ignorés en France, Gaspard Frédéric Wolff. Dès le début de sa carrière scientifique, il entreprit de soumettre la doctrine de la pré- existence des germes au contrôle de l'observation, en constatant si l'apparition des organes de lembryon est conforme à ce qu’elle en- seigne. La méthode était bien simple. Si l'embryon préexiste, si les organes préexistent complétement formés dans l'embryon, leur ab- sence, au début de l’évolution, n’est qu apparente ; elle tient seule- ment à leur petitesse excessive qui les dérobe à notre vue, même aidée par les plus forts grossissements du microscope. Quand ils ont acquis l’accroissement qui les rend visibles, on doit les voir complé- tement formés, composés de toutes leurs parties et possédant leur structure définitive. Au contraire, si les organes, n’existant pas aw début, se produisent à une certaine époque, on doit les voir se con- stiluer peu à peu par une adaptation spéciale de certaines parties de la masse embryonnaire primitive. Pour décider entre les deux opi- nions, Wolff étudia, à ce point de vue, la formation des vaisseaux dans ce que l'on appelle la figure veineuse du blastoderme de l’œuf de la poule. Il y a un moment où cet appareil vasculaire n’existe point, un autre où il se manifeste. Comment cela se fait-il? Wolff, par de nom- breuses observations microscopiques, fut conduit à admettre que la substance homogène du blastoderme se liquéfie partiellement, que, par suite de cette liquéfaction partielle, elle se transforme en un amas INTRODUCTION. 19 d'ilots de matière solide, séparés par des espaces vides remplis d’un liquide d'abord incolore, puis coloré en rouge, le sang; puis enfin que ces espaces vides se revètent de membranes et forment des vaisseaux. Dans cette manière de voir, les vaisseaux ne préexistent point; ils se forment peu à peu par la modification de lacunes creusées dans le blastoderme ‘, Cette explication de la formation de la figure veineuse est généralement adoptée aujourd'hui, bien qu'elle ne soit peut-être pas exacte. Elle fut le premier argument à l’aide duquel Wolff entre- prit de battre en brèche la doctrine de la préexistence des germes. Haller répondit à Wolff. Après avoir, au début de sa carrière, combattu la doctrine de la préexistence, il s’y était rallié et la défen- dit jusqu’à sa mort, avec la plus grande énergie. Comme Wolff, Haller partit de l'observation directe et de longues études sur l'embryon de la poule, J'ai cherché vainement dans ses ouvrages les motifs de son changement d'opinion sur une question aussi importante, Quand on les étudie attentivement, on voit que le principal argu- ment de Haller contre la doctrine de Wolff, c’est que la transpa- rence et la demi-fluidité des organes dans leur premier état peu- vent empêcher qu'on ne les voie, « Vous n'avez pas le droit, disaitil, d'affirmer que certains organes n'existent pas, par cela seul que vous ne les voyez pas. » C'est ainsi qu'il admettait que les vaisseaux existent dans le blastoderme avant que l'on-voie la figure veineuse: mais qu'ils ne deviennent visibles que lorsqu'ils laissent entrer le sang, et qu'ils se dessinent sous la forme de lignes rouges ?. Assurément Wolff aurait pu dire à Haller : « Mais comment pouvez-vous affirmer que des organes existent lorsque vous ne les voyez pas? » Il préféra répondre par des arguments scientifiques tirés de l'observation. Il publia, sous le titre modeste de /e formatione intestinorum *, un travail fort remarquable qui ruine complétement la doctrine de la préexistence. Entre autres découvertes, il y prouve, par les faits, que l'intestin se forme par le repli d’une lame qui se détache de la face inférieure de l'embryon ; que le repli de cette lame produit une goutlière qui, peu à peu, se ferme dans sa partie inférieure et 1 WoLrr, Theoria generalionis, 1759, passim. 3 HaLLer, Commentarius de formatiune vordis in ovo incubato. 1765. — Commen- tarius de formatione cordis in puilo aller, etc. 1715, dans les Opera minora, t. II. — Voir aussi les Elementa physiologiæ, t. VI. 3 Worr, De formatione intestinorum præcipue, tum et de amnio spurio, aliisque parlibus embryonis gallinacei nondum visis, dans Novi commentarii Academiæ scien- tiarum Petropolitanæ, 1768 et 1769, t, XII et XIII. 20 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. se transforme en un tube fermé. Ainsi, le tube digestif ne préexiste point; il se constitue par la modification de certaines parties de la substance embryonnaire, et leur adaptation à certains usages phy- siologiques. Il en est de même pour toutes les autres parties de l'organisation. Partant de ces faits, Wolff s'élève à des considérations générales sur la formation des systèmes organiques par un procédé semblable à celui de la formation du tube digestif, et sur leur appari- tion successive !. Il avait entrevu la distinction des feuillets du blasto- derme que Pander démontra en 1817, et qui devint le point de dé- part des travaux maintenant classiques de Baer, de Ratkhe, et de Remak, travaux qui ont définitivement fondé l’'embryogénie du poulet, Ses observations sont tellement exactes, que, si elles ont été souvent complétées, elles n’ont jamais été contredites par celles de ses succes- seurs. Wolff est donc le créateur de l’embryogénie animale, de même qu'en botanique il est l’auteur de la théorie de la métamorphose de la plante, que Gœthe n’a fait plus tard que développer. IX. La substitution de la doctrine de Wolff, que l’on appela doc- trine de l’épigenèse, à celle de la préexistence des germes changeait complétement la notion de la vie. Les partisans de la préexistence ne considéraient la vie que comme le jeu d’une machine produite à l’ori- gine même des choses. Dans les nouvelles idées que Wolff introduisit dans la science, la vie est la cause qui produit la machine elle-même, cette force intérieure que le germe recèle et qui le transforme peu à peu en un animal complet, par une série de créations successives d'organes, créations qui se ralentissent après la naissance, mais ne cessent complétement à aucune période de l’existence. Cette notion renouvelait la biologie tout entière. Ici nous n’avons à voir que ses applications à la science des monstres. Si l’organisation ne préexiste point dans le ne il n'existe pas, il ne peut exister de monstruosité originelle. L’anomalie et la mons- truosité apparaissent à de certaines époques du développement, par 1 Wozrr, ibid. « Primum medullare systema producitur quod certam speciem, certamve et determinatam figuram præ se fert. Post hoc absolutum massa carnea quam proprie embryonem constituere dicimus, secundum eamdem normam effingi- tur, quasi secundum animal, quoad externam figuram priori simile ex repetita eadem generationis actione prodiret, Tum tertium systema sanguineum in comper- tum venit, quod certe... non adeo prioribus dissimile est, quin communis descripta systematum figura facile agnoscatur. Hoc sequitur quartum, viæ cibariæ quæ iterum, uttotum aliquod absolutum et prioribus simile opus referant, secundum eamdem normam effinguntur. » (T, XII, p. 472.) INTRODUCTION. 21 suite d'une modification dans l’évolution d'un organe isolé ou d’un nombre plus ou moins considérable d'organes. Elles sont donc le résul- tat d'un changement dans la direction de la force qui détermine l'ap- parilion successive et la coordination des diverses parties de l'embryon, Ce ne sont plus des faits surnaturels, comme on l’admettait dans la théorie de la monstruosité originelle ; mais des faits naturels, et qui, comme tous les faits naturels, rentrent dans le domaine de la science, La tératogénie ou, en d’autres termes, l'embryogénie des êtres anomaux, doit donc être constituée, comme celle des êtres normaux, par l'étude directe des changements successifs que l’évolution déter- mine dans l'organisation. À vrai dire, ces deux sciences n'en font qu'une ; elles ne sont que des points de vue spéciaux de cette partie de la biologie qui étudie la formation des êtres vivants. X. Mais les moyens d'étude sont bien différents pour l'embryo- génie normale et pour la tératogénie. On peut se procurer, plus ou moins facilement, des embryons normaux dans les espèces commu- nes de chaque classe. Il n’en est pas de même des embryons mons- trueux. Les anomalies, et surtout les monstruosités, sont des faits relati- vement rares. En outre, lorsqu'elles se produisent, on ne peut, le plus ordinairement, en avoir Connaissance qu'au moment de la naissance ou de l'éclosion. Comment aller les chercher dans la matrice des mammifères, ou dans l’œuf des oiseaux, lorsque rien ne peut faire prévoir qu'un embryon quelconque présente dans son organisation une déviation du type spécifique, et qu'avant toute autre considéra- tion toutes les probabilités semblent indiquer que l'évolution a suivi son cours normal? Sans doute, l'emploi de l'observation simple n’est pas absolument impossible en tératogénie. Les embryogénistes ont rencontré de temps en temps des embryons monstrueux en ouvrant les œufs d’oi- seaux qu'ils soumettaient à leurs études. Ceux qui ont étudié l’em- bryogénie des poissons ont même pu quelquefois reconnaitre des formes monstrueuses sans briser la coquille transparente de leurs œufs, et suivre, pendant plusieurs jours, leurs transformations successives. Mais ce sont des circonstances très-rares et entièrement fortuites. Les faits qu’elles permettent de recueillir sont beaucoup trop peu nombreux pour donner les éléments d’une étude vraiment scienti- tique. A défaut de l'observation directe, on a dà se résoudre à chercher 22 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITES, l'explication des formes anomales et monstrueuses dans leur com- paraison avec les formes normales que l'embryon traverse pendant son évolution. En d'autres termes, on a cherché à déduire la térato- génie de l'association de la tératologie avec l'embryogénie normale, \ssurément on ne peut blâmer les physiologistes qui, en l’absence de tout autres documents, et dans l'impossibilité de constater direc- tement les faits, ont cherché à les deviner par des considérations pu- rement théoriques. Telle est la nature de l'intelligence humaine qu’elle se sent à l’étroit dans les bornes que la réalité lui impose ; impuis- sante à atteindre la vérité tout entière, et ne pouvant se résigner à la possession de notions certaines mais incomplètes, elle s’élance dans le champ des conjectures, mème à la condition de n’y rencontrer que l'erreur. Reconnaissons que si c’est là sa faiblesse, c'est aussi sa erandeur. Je ne rappellerai pas les nombreuses tentatives que l'on a faites pour constituer ainsi la tératogénie ; je les mentionnerai, dans le cours de cet ouvrage, à l’occasion de chaque fail particulier. Pour le mo- ment, je me borne à faire remarquer que ces tentatives n’ont point toutes été vaines, qu'on à souvent pressenti la vérité, et que Mecke!, puis El. Geoffroy Saint-Hilaire en particulier, dans leurs efforts pour déterminer l’inconnue du problème, ont fait souvent preuve d’un vé- ritable génie. Mais n'oublions jamais que l'hypothèse, quelque ingé- nieuse, quelque vraisemblable qu’elle soit, n’est point la science. Elle peut, elle doit toujours servir de guide ; mais elle n’acquiert droit de cité, si l’on peut parler ainsi, que lorsqu'elle est vérifiée par les faits ; en d’autres termes, lorsqu'elle cesse d'être hypothèse. XI. Où donc trouverons-nous les éléments de la tératogénie ? Puisque l'observation directe ne peut les procurer, il faut, de toute nécessité, les demander à l'observation provoquée, c’est-à-dire à l'expérience. Si les monstres ne préexistent point, s'ils résultent de causes accidentelles qui modifient le germe lorsqu'il se produit ou lorsqu'ilse développe, ne peut-on pas essayer d'obtenir par des procédés artificiels ce que la nature réalise quelquefois, c'est-à-dire de provo- quer l'apparition des monstres en modifiant les conditions physiques ou biologiques qui déterminent la production et l’évolution des êtres normaux ? Problème étrange et qui semble, à première vue, tout à fait inabordable ; qui même, à certaines époques, aurait pu paraître impie, mais devant lequel la science moderne ne peut ni ne doit reculer. INTRODUCTION, 27 C'est là d’ailleurs l’œuvre quotidienne des sciences expérimentales, La chimie en offre un remarquable exemple. Elle forme de toutes pièces les corps qu'elle étudie, et trouve dans cette formation les lois qui régissent leur constitution ; en d'autres termes, e/le crée son objet, suivant l'expression d'un des premiers chimistes de notre épo- que, M. Berthelot. C’est ainsi qu'elle est devenue la science non plus des corps réels, mais de tous les corps possibles. A l'exemple de la chimie, la tératogénie, elle aussi, doit créer son objet; elle ne peut exister qu'à ce prix !. XII. Mais comment la tératogénie créera-t-elle l’objet de ses recherches ? 1« La chimie crée son objet. Cette faculté créatrice, semblable à celle de l'art lui- même, la distingue essentiellement des sciences naturelles et historiques. Ces der- nières ont un objet donné d'avance et indépendant de la volonté et de l'action du savant : les relations générales qu’elles peuvent entrevoir ou même établir reposent sur des inductions plus ou moins vraisemblables, parfois même sur de simples con- jectures dont il est impossible de poursuivre la vérification au-delà du domaine exté- rieur des phénomènes observés. Ces sciences ne disposent point de leur objet ; aussi sont-elles trop souvent condamnées à une impuissance éternelle dans la recherche de la vérité, ou doivent-elles se contenter d’en posséder quelques fragments épars et souvent incertains. « Au contraire, les sciences expérimentales ont le pouvoir de réaliser leurs conjec- tures Ces conjectures servent elles-mêmes de point de départ pour la recherche des phénomènes propres à les confirmer ou à les détruire ; en un mot, elles poursuivent l'étude des lois naturelles, en créant tout un ensemble de phénomènes artificiels qui en sont les conséquences logiques. A cet égard, le procédé des sciences expérimen- tales n'est pas sans analogie avec celui des sciences mathématiques. Ces deux ordres de connaissances procèdent également par voie de déduction dans la recherche de l'inconnu. Seulement, le raisonnement du mathématicien, fondé sur des données abstraites, conduit à des conclusions abstraites également rigoureuses : tandis que le raisonnement de l’expérimentateur, fondé sur des données réelles toujours impar- faitement connues, conduit à des conclusions réelles qui ne sont point certaines, mais seulement probables, et qui ne peuvent jamais se passer d’une vérification expé- rimentale. Quoi qu'il en soit, il n'en est pas moins vrai de dire que les sciences expé- rimentales créent les objets, en conduisant à découvrir par la pensée et à vérifier par l'expérience les lois générales des phénomènes. « Voilà comment les sciences expérimentales auront à soumettre toules leurs opi- nions, toutes leurs hypothèses, à un contrôle décisif en cherchant à les réaliser. Ce qu'elles ont rêvé, elles le manifesteront en acte. » BERTHELOT, Chimie organique fondée sur la synthèse. (Préface.) Tout en admettant la complète exactitude des idées émises par M. Berthelot, je dois faire une réserve relative à ce qu'il dit des sciences naturelles. Là aussi, la science expérimentale crée son objet. C'est ce que prouvent mes expériences de tératogénie. On peut espérer qu’un jour l'expérience ira plus loin. S'il est possible d'aborder la grande question, si controversée aujourd’hui, de l'origine des espèces, c'est la méthode expérimentale qui en fournira la solution, PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS, t£ _. Evidemment, si les germes se produisent et se développent en vertu de lois naturelles, leur production et leur évolution dépendent d’un certain nombre de conditions physiologiques ou physiques ; elles doivent, par conséquent, être modifiées par une modification de ces conditions elles-mêmes. Nous sommes bien loin de connaitre encore toutes les conditions extérieures qui concourent à la production du germe et à l’évolution de l'embryon, et, par conséquent, toutes les causes qui peuvent mo- difier ces phénomènes. Mais il est évident que ces causes, quelque nombreuses qu'elles soient, peuvent être partagées en trois groupes, suivant l’époque où leur action s'exerce. Elles peuvent modifier l'élément mâle ou l'élément femelle de la génération, avant qu'ils s'unissent pour former un nouvel être; elles peuvent modifier la manière dont s'opère l'union de ces élé- ments, c’est-à-dire le phénomène de la fécondation ; enfin elles peu- vent modifier l’évolution du germe fécondé. Il est évident, tout d’abord, que ces trois groupes de causes modi- ficatrices, si elles sont toutes les trois également efficaces pour déter- miner la production des monstruosités, ne sont pas également, et avec la même facilité, accessibles à l’expérimentation. La biologie, dans son état actuel, ne donne aucun moyen d'agir sur les éléments mâle et femelle de la génération. Mais les progrès de la science sont indéfinis ; iis permettront peut-être un jour d'aborder une question qui nous paraît aujourd’hui complétement fermée. Il est un peu moins difficile de modifier le phénomène de la fécon- dation, du moins chez les espèces à fécondation extérieure. Le pro- cédé des fécondations artificielles permet peut-être, dans certains cas, de produire des monstres. Mais là encore, dans les conditions actuelles, l'emploi de ce procédé est d’une application très-res- treinte ". 1 Je dois rappeler ici que la théorie qui rattache la formation des monstres à la fécondation a régné longtemps dans les croyances populaires et même dans les idées scientifiques Telle est, par exemple, l'opinion qui attribue certains monstres à l'union d'espèces distinctes. On voit encore, dans les écrits du siècle dernier, beaucoup de savants croire à la possibilité d’un accouplement fécond entre des espèces très-diffé- rentes. Il est triste d'avoir à ajouter que les femmes qui enfantaient des monstres ont été souvent victimes de cette erreur scientifique, et que plusieurs ont payé de leur vie des crimes impossibles, Je lisais naguère dans les écrits de Bartholin, qu’une jeune fille qui avait mis au monde un monstre à léle de chat (Katsenkopfe, c'est le nom allemand des anencéphales), fut brûlée à Copenhague, en 1683, ob lasciviorem INTRODUCTION. 2 En est-il de même des actions modificatrices qui s’exerceraient sur le germe, postérieurement à la fécondation ? Wolff, tout en combattant la doctrine de la préexistence des ger- mes, et en se séparant sur ce point de Duverney et de Winslow, avait été frappé, comme ces grands anatomistes, de la régularité des for. mations monstrueuses et des arrangements nouveaux que présentent alors les organes ; il se refusait à expliquer ces faits par des causes accidentelles. Considérant la vie comme une force déposée dans le germe, et produisant la succession de phénomènes embryogéniques, il ne pensait pas que le mode d'action de cette force pût être changé par des causes extérieures. Pour que l’évolution embryonnaire fût modifiée, il fallait qu'elle le fût dans la cause qui la détermine, c'est- à-dire par des actions antérieures à la fécondation, ou du moins con- temporaines de cet acte physiologique. En d’autres termes, dans la pensée de Wolff, si le germe n’est point originairement monstrueux, il est du moins, dès l’époque de la fécondation, prédisposé à la mons- truosité. Wolff s'était contenté d'indiquer cette théorie d'une ma- nière générale ‘. Meckel la reprit, au commencement de ce siècle, et en fit l'application aux différents faits de la tératologie ?. La consé- quence de cette doctrine, c’est qu’au moment de la fécondation le germe est déjà, sinon réellement, du moins virtuellement monstrueux. Toutes les tentatives pour produire des monstres, par des influences agissant postérieurement à la fécondation, seraient done vaines #, Mais il est évident, tout d’abord, que l’objection fondamentale opposée par Wolff à la théorie des causes accidentelles agissant posté - cum fele jorum. Et ce grand anatomiste, qui fut l’un des auteurs de la découverte des vaisseaux lymphatiques, parle de ce fait comme de la chose la plus simple. L'ac- croissement du bien-être matériel de l'humanité par les progrès de la science est devenu aujourd'hui une sorte de lieu commun ; quand donc nous parlera-t-on des bienfaits de la science dans l’ordre moral ? ! Wozrr, De ortu monstrorum, dans les Novi commentarii Ac. scient. Petropol., t. XVII, p. 560. 1772. ? Meckez, Handbuch der pathologischen Anatomie, 1812 à 1816. Il est souvent revenu sur ces idées dans ses publications ultérieures. 3 La théorie tératogénique de Wolf et de Meckel, bien qu'essentiellement diffé- rente de celle de Duverney et Winslow, puisque les derniers admettaient, et que les premiers rejetaient la doctrine de la préexistence des germes, s’y rattache cependant par ce fait qu’elle rejette entièrement l’action des causes extérieures. Il en est résulté qu'on a souvent considéré Wolff et Meckel comme des partisans de la monstruosité originelle. Meckel et Geoffroy Saint-Hilaire eurent à ce sujet une discussion d’au- tant plus curieuse qu'évidemment les deux adversaires ne se comprenaient pas. J'y reviendrai dans le cours de ce livre, 26 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. rieurement à la fécondation, celle qu'il tirait, comme Duverney et Winslow, de la régularité des monstres, cesse d’être fondée lorsqu'on rejette la doctrine de la préexistence des germes. On ne s'explique pas comment Wolff, qui ruina cette doctrine, n'ait pas reconnu cette conséquence de ses travaux, En effet, si l’on ne peut admettre qu'une cause accidentelle détruise un arrangement primitif pour lui substi- tuer un arrangement nouveau, comme le croyait Lémery, cette considération cesse d’être applicable si l’on admet que les causes acci- dentelles n'ont d'autre effet que de modifier les forces qui déter- minent l'évolution même du germe, et produisent peu à peu son état définitif. Il est bien clair que, dans cette hypothèse, les causes modi- ficatrices ne peuvent agir qu’en vertu de certaines lois, et que, par conséquent, l’évolution de l'embryon soumis à l’action de ces causes doit toujours aboutir à une formation régulière bien qu'anormale. C'est ainsi que la régularité des monstres, qui, pour les partisans de la préexistence des germes, est absolument inconciliable avec la doctrine des causes accidentelles, peut s’accorder parfaitement avec cette doctrine, pour les physiologistes qui n’admettent pas la préexis- tence des germes. D'ailleurs l'examen, même superficiel, des conditions de l’évolu- tion embryonnaire, semble indiquer l'existence de ces causes modifi- catrices dont l’action s'exercerait sur le germe fécondé. Sans doute, l'influence des conditions physiques extérieures sur l'embryon n’est pas immédiatement évidente chez les animaux vivi - pares, dont le développement s'opère en entier dans la cavité uté- rine. Mais il n’en est pas de mème pour lembrvon des ovipares. Prenons pour exemple l’œuf des oiseaux. Il n’y a rien dans la cica- tricule de l'œuf fécondé et pondu qui ressemble à un embryon. La force quelconque, encore inconnue, qui y produira l'embryon, y existe sans doute, mais à l'état latent, tant qu'une cause physique extérieure ne vient pas la mettre en action. On sait que l'œuf fécondé peut rester sans se développer pendant un certain temps, deux ou trois semaines, sans perdre pour cela sa faculté germinative. Pour que la force embryogénique se manifeste, il faut de toute nécessité que l'œuf soit soumis à l’incubation. L'influence de l'incubation sur la production d’un embryon peut sembler au premier abord tout à fait mystérieuse ; mais elle se réduit à l’action d'une certaine température. La poule qui couve n’agit sur l'œuf qu’en lui communiquant la chaleur qu’elle produit : ce qui le INTRODUCTION. 27 prouve, c'est la possibilité de remplacer la chaleur de la poule par celle que l'on produit dans l'incubation artificielle, L'œuf subit d'ailleurs, pendant l'incubation, d'autres influences, La coquille est poreuse et se prête à des échanges de gaz entre les substances qu'elle contient et l'atmosphère. L'air pénètre dans son intérieur ; les pro- duits de l’évaporation et de la combustion respiratoire de l'embryon sortent de l'œuf en traversant ses parois. Tous ces faits qui prouvent que l'évolution de l'embryon est soumise à des conditions physiques, devaient faire penser qu'une modifica- tion dans ces conditions physiques modificrait l'évolution elle- même: mais l'expérience, et l'expérience seule, pouvait en donner la démonstration. XIII. La pensée de modifier un animal en voie de développement paraît s'être produite pour la première fois dans l'esprit de Swammer- dam. Ce grand physiologiste, cherchant, dans ses études sur les méta- morphoses des insectes, à se rendre comptede toutes les conditions de la transformation des chrysalides en papillons, avait remarqué que les ailes et les pattes de ces animaux présentent fréquemment des anomalies ; et, persuadé que ces anomalies tenaient à une méta- morphose vicieuse, il avait eu l’idée de les reproduire en soumettant les chrysalides à certaines expériences. Malheureusement, le récit de ces expériences n’a pas été retrouvé dans la collection de ses mémoires que Boerhaave publia en 1737 1. Il est assurément fort regrettable que ces expériences de Swam- mérdam soient complétement perdues pour nous, Ge grand naturaliste qui, dans sa vie trop courte, découvrit tant de choses et souleva tant de questions, avait certainement fait, dans ce domaine, d'importantes 1 SwammEerpam. « Ulterius (modo otium atque opportunilatem nanciscamur) artificium describemus, quo fieri potest ut alæ monstrosæ vel deformes crescant ; variasque præterea proponemus encheireses, tam ad harumce alarum accretionem, quam ad humorum, qui per alarum vasa feruntur, motum attinentes. Tandem etiam indicabimus quomodo in his ipsis alis, pustulæ, tubercula, phlyctenæ et similia exei- tari possint : imo plura insuper alia adjungemus, inaudita hactenus experimenta eu- riosa, physicis æque ac medicis haud contemnendos fructus allatura. » (Biblia naturæ, p. 552.) | « Facile est intelligere, quamobrem multi papiliones deformes nascantur : quando uimirum eorum membra sub mutationis periodo, haud probe in unum compacta fue- runt, prout frequenter accidit, Imo plus vice simplici videre mihi contigit eos ob hunc defectum arefactos interiisse. Id ipsum vero arte, et certa quadam encheiresi quoque effici potest, ut papiliones deformati in lucem proveniant. » ({bid., p. 557.) Voir à ce sujet BarrTHÉLEMY, Des monstruosités naturelles et provoquées Chez les ldpidoptères (Ann, des sc, nat., 5° série, Zoo!., t, I, p. 225, 1864), 28 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. découvertes, bien que la doctrine de la préexistence des germes, dont il est l’auteur, l'ait probablement empêché d'en tirer toutes les conséquences. Toutefois, les insectes appartiennent à un type telle- ment différent de celui des animaux vertébrés, que ces expériences ne pouvaient s'appliquer que très-incomplétement à l’explication de monstruosités qui se produisent chez les animaux supérieurs. XIV. Il fallait donc tenter ces expériences chez les animaux verté- brés. Mais il est évident, avant toute expérimentation, que tous les germes ne se prêtent pas, avec la même facilité, à de pareilles mo- difications dans les conditions extérieures de l’évolution. L'embryon des mammifères à placenta, qui se développe entière- ment dans la cavité utérine, ne peut évidemment être soumis qu'avec de très-grandes difficultés à de semblables recherches, puisqu'on ne peut agir sur lui que par une modification de l'organisme maternel, Je crois toutefois que, même pour les embryons de cette classe, les difficultés ne sont pas msurmontables. Quelques essais que j'ai tentés dans cette voie, 1l y a quatorze ans, m'ont donné de légitimes espé- rances. Les conditions défavorables dans lesquelles je me trouvais alors, au point de vue de l’expérimentation, me contraignirent à y renoncer, J'espère pouvoir les reprendre prochainement. Mais l'embryon des vertébrés ovipares, et, par conséquent, celui de l'oiseau, se prête bien plus facilement à l’expérimentation térato- génique. Chez ces animaux, le germe fécondé et doué par la fécon- dation de l’aptitude au développement, se sépare complétement de l'organisme maternel ; il en résulte que l'œuf qui le contient peut être soumis à toutes les influences que nous jugeons capables de modifier son développement, L'évolution des oiseaux, et particulièrement l'évolution du poulet, présente d’ailleurs un autre avantage. Aucune n’est mieux connue, par suite des nombreuses études dont elle a été l’objet. Je pensais même, à l’époque déjà ancienne où j'ai commencé mes recherches, qu'elle pouvait me donner toutes les indications dont j'avais besoin. Mais ici, comme partout, la nature est inépuisable. J'ai reconnu, dans plusieurs circonstances, que les données de l’embryogénie nor- male étaient insuffisantes ; et j'ai dû les compléter, sur certains points, par de nouvelles recherches. Mais, même avec ses imperfections actuelles, l’évolution du poulet a toujours été et restera longtemps encore le type de toutes les recherches d’embryogénie comparée ; comme l’anatomie de l'homme, si souvent étudiée par les médecins INTRODUCTION. 29 depuis l’époque de la Renaissance, a été le type de toutes les recher- ches de l'anatomie comparée. En choisissant l'œuf de la poule pour sujet de mes expériences, je pouvais donc restreindre, dans une pro- portion très-considérable, mes études d'embryogénie normale, pour me consacrer presque exclusivement aux recherches de tératogénie. L'incubation naturelle se prête assez difficilement à ces sortes d’études. Il y a cependant quelques procédés d’expérimentation téra- togénique qu’elle permet d'employer, comme la diminution ou la destruction partielle de la porosité de la coquille. Mais, à défaut de l'ineubation naturelle, nous pouvons nous servir de l’incubation artifi- cielle qui, mettant à notre disposition toutes les conditions physiques du développement, nous permet de les faire agir et de les modifier à notre gré. On peut, en effet, par l'emploi de cette méthode, ima- giner un nombre presque infini de modifications des causes physi- ques qui déterminent l’évolution et mème faire intervenir, dans cer- tains cas, des causes physiques qui n’agissent point dans l’incubation normale. Les Egyptiens pratiquent sur une grande échelle et depuis une époque dont la date est inconnue, l’industrie de lincubation ar- tificielle. Dès la Renaissance, on a souvent tenté de reproduire en Europe les procédés des Egyptiens. Il est inutile de faire le récit de ces diverses tentatives. Je me contente de dire que si, pendant long- temps, ces expériences ont donné des résultats insuffisants, cela tenait, pour une grande part, à l'imperfection des connaissances scientifiques qui ne permettait pas de déterminer exactement les conditions physiques de l’expérimentation. L'invention du thermo- mètre, celle du chauffage par la circulation de l’eau chaude, enfin celle des régulateurs de la température, ont transformé peu à peu les appareils d’incubation artificielle en appareils d’expérimentation scien- tifique qui fonctionnent avec la plus grande précision. De plus, la marche automatique de ces appareils, que l’on peut aujourd’hui très- facilement obtenir, supprime presque complétement la surveillance de l’expérimentateur, et annihile la cause peut-être la plus active des insuccès. Il est permis de penser que l’incubation artificielle est actuel- lement en mesure de déterminer l’évolution et l’éclosion des poulets avec beaucoup plus de certitude que l’incubation naturelle elle-même ; car nous savons que, même sous la poule, il y a beaucoup de poulets qui n’éclosent pas, très-probablement par suite de l'inégalité que l'échauffement des œufs présente toujours dans ces conditions. 30 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. Mais les perfectionnements des appareils d'incubation artificielle n'ont été complétement réalisés que dans ces dernières années. Aussi, pendant longtemps, les expériences faites pour obtenir des poulets sans l’aide de la poule ne réussissaient que par hasard, Les poulets périssaient fréquemment avant l’éclosion, et quand ils venaient à éclore, ils étaient souvent mal conformés et présentaient diverses anomalies. Olivier de Serres, le célèbre auteur du Théâtre d'agriculture, décrit un appareil d'incubation artificielle qu'il avait vu fonctionner en France, et il ajoute: «Souventes fois aïvient que les poulets nais- sent difformes, défectueux ou surabondans en membres, jambes, ailes, crestes, ne pouvant toujours l'artifice imiter la nature '. » Quand on recherche dans les annales de la science le récit des expé- riences d'incubation artificielle tentées pendant le cours du dix- sepuüième et du dix-huitième siècle, on y trouve la mention de faits analogues. Telles sont les expériences de Drebell et Heydon, en Angleterre, au commencement du dix-septième siècle ?; celles du grand-duc de Toscane, Ferdinand Ïl, à Florence (1644) *; celles du roi de Danemark, Christian IV (1644) ‘; celles de Réau- mur, au milieu du siècle dernier *; celles de d’'Harwood, profes- ! OI, de SERRES, Théâtre d'agriculture, iv. V, chap. 11, 1600. 2 ‘Lh, Brrcu, distory of the Royal Society of London, LT, p. 455. « Sir Christopher Heydon, together with Drebell, long since in the minories hatched several hundred eyes..., but it had this effect, that most of the chickens produced that way were lame and defective, in some part or other, » 5 ANTINORI, Sloriu dell Academia del Cimento, Préface, p. 40. « Essi nascevano, ma perd in geuerale mal simetrizzati, e colle membra mal formau, chi pareva in certo modo che cadessero loro da dosso ; il secondo o terzo giorno dopo nati cominciavya a gonfiar loro stranamente gli occhi e poco dopo morivano, » * Th, BARTHOLIN, Lpislolarum medicarum centuriæw, 1663 à 1667, cent, IV, hist. 1190 ; ceut, VI, hist. 4, « Ad quadragesimum ferme diem pipientes pulli exelu- duutur, Nec ad justam magnitudivem unquam perveniunt pulli, ob tenerrimam corpusculi constitutionem. » Ces faits sont absolument inadmissibies. Dans une autre expérience faile chez le chancelier Christian Thomas, Bartholin dit au contraire « Citius hic, quam sub gallina, excluduntur, » 5 RÉAUMUR. « On à prétendu qu’il était plus ordinaire aux poulets de naître contre- faits et estropiés dans les fours que sous la poule... Quelquefois, à la vérité, des pou- lets y éclusent qui ont une jambe ou même leurs deux jambes trop jetées en dehors ; mou jardinier les nomme des crapauds, el ils sont assez bien nommés, parce qu'ils ne marchent presque que sur le ventre, ayant leurs jambes trop écartées. (Art de faire éclore, etc., t. II, p. 219.) « J'en ai trouvé qui, bien que l'endroit par où était entré le jaune fût bien conso - lidé, avaient, en dehors de leur corps, des portions d'intestin les unes plus et les autres moins longues, On pourrait croire que ces parties n’avaient pas été renfers INTRODUCTION, 31 seur d'anatomie à Cambridge, au commencement de ce siècle !?, Ainsi donc, les expériences d'incubation artificielle ont souvent donné naissance à des poulets mal conformés, bien que ces vices de conformation fussent généralement peu graves. Quelquefois seule- ment on oblenait des poulets dans lesquels un membre faisait plus ou moins défaut. Haller, qui rapporte plusieurs de ces faits, les attri- bue à l'inhabileté des expérimentateurs *, Il serait peut-être plus exact de les attribuer à limperfection des appareils et à l'irrégula- rité de leur marche, Aujourd'hui, avec les perfectionnements qu'on y a introduits, je n'entends pas parler de semblables événements. Il est bien évident que ces expériences n'avaient jamais été faites dans le but de produire arüliciellement des monstres et de réunir les éléments de la téralogénie. Toutefois, il est probable que le souvenir plus ou moins vague de ces faits, et surtout la mention que Haller en fit dans un livre qui acquit une très-grande publicité, les £lementa physiologiæ, firent naïitre dans certains esprits la pensée de provo- quer la formation des monstres en modifiant les conditions phy- siques du développement du poulet. Je trouve l'indication de ce fait dans la phrase suivante d'un livre fort bizarre publié en 1806 par un médecin nommé Jouard : « Tout le monde connaît les expériences faites sur la manière d'obtenir des monstres à volonté, soit en empèchant l'entier développement, comme on l’a fait sur des poulets produits par l'incubation artifi- cielle, soit en facilitant l'union, l'assemblage des germes, comme on l’a fait sur le frai de poisson *, » Mais quelles sont ces expériences ? Eviderament, dans la seconde partie de cette phrase, l'auteur fait allu- sion aux expériences de Jacobi sur la fécondation artificielle, et à la fréquence des monstres doubles observés dans ces expériences, mées dans la cavité du ventre dans le temps où tout le reste l'avait été, mais il n’en est pas moins probable qu’elles étaient une suite des efforts que le poulet avait faits pour uaitre, que ses efforts lui avaient coûté une descente ; c'est pour lui une maladie considérable qui le fait périr au bout de peu de jours. » (/bid , 1, p. 339.) 1 Paris, À Memoir on the Physiology of the Egg read before the Linnean Society of London, the 21 march 1809. « During the period that [ was at College, the late sir Busick Harwood, the ingenious professor of anatomy in the University of Cam bridge, frequently attempted to develope the egg, by the heat of his hotbed ; but he only raised monsters, a result which he attributed to the unsteady application of heat. » (P. 358.) ? HALLER, Elementa physiologiæ, t. VIII, p. 160. « Ex imperitia, ut puto, custo- dum, sæpe imperfecti prodeunt. » 3 Jouanp, Des monstruosilés et bizarreries de la nature, t. 1,p. 250, 1806. Paris, 32 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. Quant aux monstres produits dans l’incubation artificielle et dont il est question dans la première partie, je n’ai pu recueillir aucune indica- tion précise à leur égard. Tout ce que J'ai pu trouver, c’est que Bon- nemain, quiinventa le chauffage par la circulation de l’eau chaude et s'en servit pour l’incubation artificielle, dit avoir produit, en modifiant ses procédés d'incubation, des poulets qui n'auraient eu qu'une patte et une aile. Est-ce là l’expérience à laquelle Jouard fait allusion ? XV. En 1820, la question entra dans une phase nouvelle. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire s'était proposé, dès le début de ses études zoologiques, de démontrer les analogies essentielles qui exis- tent dans l'organisation des animaux vertébrés, ou ce qu'il appelait l'unité de composition organique. Après avoir, pendant vingt-cinq ans, cherché à appliquer ses idées aux organismes normaux, il entreprit de prouver que les monstruosités elles-mêmes ne font pas exception à la règle générale. Cela le conduisit à l’étude de la tératologie, dont il est le véritable créateur. Mais une intelligence comme la sienne ne pouvait s'arrêter, si l'on peut parler ainsi, au seuil des questions. Une fois engagé dans ces recherches, Geoffroy Saint-Hilaire devait aller jusqu’au bout, et tout en poursuivant l'étude des formes di- verses de la monstruosité, se demander comment elles se produisent. Le procédé le plus sûr pour découvrir le mode de formation des monstres, C'élait évidemment d'en provoquer la production. Dès 1820, c'est-à-dire dès l’année même où il commença ses études téra- tologiques, il institua des expériences sur la tératogénie. La pensée de modifier l’organisation vivante en voie de développe- ment n'était pas pour lui chose nouvelle; elle s'était déjà présentée à son esprit, vingt ans auparavant, dans des circonstances très-remar- quables. C'était pendant l'expédition d'Egypte. Tout en explorant avec une infatigable ardeur ce pays si curieux, alors presque entièrement inconnu ; tout en recueillant d’admirables collections qui sont encore aujourd'hui l’une des plus précieuses richesses du Muséum, Geoffroy Saint-Hilaire avait toujours devant l'esprit les grandes questions de l'histoire naturelle, et le problème de la détermination des organes 1 BONNEMAIN, Observations sur l'art de faire éclore et élever la volaille sans le se- cours des poules, etc. Paris, 1816, in-16. Cette brochure est postérieure de dix ans à l'ouvrage de Jouard; mais Bonnemain avait fait des expériences d'incubation artifi- cielle au moins dès 1777. Il est donc possible que les expériences tératogéniques dont il parle soient antérieures à la publication de Jouard, INTRODUCTION, 43 analogues. Mais une difficulté l'arrètait: Comment expliquer, à ce point de vue, les différences qui existent entre les organes de la repro- duction dans les deux sexes ? Pensant «que les germes de tous les organes que l’on observe dans les différentes familles d'animaux à respiration pulmonaire existent à la fois dans toutes les espèces, et que la cause de la diversité infinie des formes qui sont propres à chacune, et de l'existence de tant d'organes à demi effacés, ou tola- lement oblitérés, doit se rapporter au développement proportionnel- lement plus considérable de quelques-uns », Geoffroy Saint-Hilaire supposa que les germes des organes des deux sexes coexistent chez tous les animaux, et mème chez tous les êtres vivants; et que, par des causes encore inconnues, il n'y a qu’un seul de ces germes qui se développe. Si cette hypothèse était vraie, on pourrait peut-être déterminer à volonté la production d’un sexe chez un embryon en le soumettant à l'action de causes déterminées. Mais il fallait pour cela des expériences très-difficiles et surtout très-coùteuses. Geoffroy Saint-Hilaire fit connaître ses idées à ce sujet dans deux mémoires ! qu'il lut à l'Institut d'Egypte ; il priait cette compagnie d'intervenir auprès du gouvernement de l'Egypte pour lui faire obtenir les fonds nécessaires à l’accomplissement de ses expériences. Elles étaient extrêmement variées et devaient porter à la fois sur des animaux pris dans les trois classes des mam- mifères, des oiseaux et des insectes, Mais il reconnut qu'il ne pourrait suivre simultanément des recherches si diverses, et il se restreignit à la classe des oiseaux. 1 Ces mémoires sont restés inédits. On ne les connaît que par ce qu’en a dit Is. GeorFrOY Sair-HiLatRE dans l'ouvrage qu’il a consacré à son père : Vie, Doc- trine et Travaux scientifiques d'Et. Geoffroy Saint-Hilaire, p. 137, 286 et 456. Le petit-fils d'Et. Geoffroy Saint-Hilaire, M. Albert Geoffroy Saint-Hilaire, direc- teur du Jardin zoologique d’acclimatation, a bien voulu me confier une série de manuscrits de son grand-père, écrits pendant l'expédition d'Egypte. J'y ai trouvé les pièces suivantes : 1° un mémoire ayant pour titre : Exposilion d'un plan d'expé- riences pour parvenir à la preuve de la coexistence des sexes dans les germes de tous les animauz ; lu à l'Institut d'Egypte le 5 brumaire au IX ; 2° un mémoire ayant pour titre : Histoire naturelle de l'œuf, servant d'introduction aux expériences annoncées dans la dernière séance à l'égard des oiseaux, entreprises dans la vue d'arriver à des preuves directes de la coexistence des sexes dans les germes de tous les élres vivants; lu à l'In- stitut d'Egypte le 1+r frimaire an IX ; 3° un certain nombre de notes concernant ces projets d'expériences. C'est à l’aide de ces précieux documents que j'ai pu me rendre compte de la ma- nière dont Geoffroy Saint-Hilaire fut conduit à ses expériences de tératogénie. La phrase que je cite dans le texte est tirée du premier de ces mémoires inédits. Elle a été citée par Is, Geoffroy Saint-Hilaire. 34 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. Les œufs d'oiseaux n'ont pas tous la mème forme. Dans une même espèce les uns sont plus allongés, les autres plus courts. Une opinion très-ancienne rattache ces différences de forme aux différences de sexes!, Les œufs plus allongés produiraient des embryons mâles, ceux qui sont plus courts des embryons femelles, Si cette opinion était vraie, les physiologistes devaient y trouver un procédé pour changer les embryons mâles en embryons femelles, et vice versa, en changeant la forme des œufs. Geoffroy Saint-Hilaire voulut essayer l'expérience sur une très-grande échelle. Mais lincubation naturelle ne lui paraissait pas propre à la faire réussir d’une manière com- plète. Il pensa done à l'incubation artificielle, qu'il voyait pratiquer aux portes du Kaire et dont il avait étudié très-attentivement les procédés, et demanda linstallation d'un four à incubation, qui lui aurait servi à provoquer le développement de l'embryon, dans des conditions plus ou moins différentes de l'incubation naturelle. Les événements de la guerre le forcèrent de renoncer à ces expé- riences ?. Il les reprit en 1820, pour provoquer la formation des monstres, et découvrir les causes et les lois de leur formation. C'était un premier problème qu'il se proposait. Mais derrière ce problème il en apercevait un autre, beaucoup plus général et bien autrement difficile, celui de l'origine des formes spécifiques. Les écrits de La- marek venaient de rappeler l’attention des naturalistes sur la question, souvent soulevée, de lorigine des espèces et de leur formation par la modification de types spécifiques antérieurs. Or, il y a une liaison naturelle entre cette doctrine et celle des analogies essentielles de l'organisation à la démonstration de laquelle Geoffroy Saint-Hilaire avait voué sa vie. Il pensait donc que les expériences sur la produc- tion des monstres devaient lui donner les moyens d'appliquer la méthode expérimentale au problème de la formation des espèces. Il le dit très-expressément dans un travail dont le titre seul est significatif : Mémorre où l’on se propose de rechercher dans quels rap- ports de structure organique et de parenté sont entre eux les animaux des âges historiques et vivant actuellement, et les espèces antédiluviennes 1 On la trouve exprimée dans PuixE : « Ova.. feminam edunt quæ rotundiora gi- gnuntur, cætera marem. » (Hist. nat., X, 74.) 2 Je n'ai trouvé dans les notes que m'a remises M. Albert Geoffroy Saint-Hilaire aucune mention relative à l'exécution de ces expériences sur les œufs, Mais j'y vois l'indication d'expériences commencées, à l’aide de semis de graines de chanvre et d'épinards, sur la formation des sexes dans les plantes dioïques. INTRODUCTION. 35 et perdues‘, En voici quelques passages : «J'avais pensé que quelques expériences de physiologie pourraient être entreprises au profit de questions de géologie antédiluvienne... Je cherchais à entrainer l’or- ganisation dans des voies insolites. Le but secret de mes recherches fut l'examen d’un principe qui domine la plus haute question de l'or- ganisation animale, Ici je parle de la théorie philosophique connue sous le nom de préeristence des germes. C'était l'unique moyen de savoir si les organes se sont modifiés, et si, se transformant les uns dans les autres, ils ont, pour ce fait, subi une suite infinie de diver- sités. Or, j'en vins à croire que l'expérience faite sur une grande échelle pour faire dévier l'organisation de la marche naturelle me donnerait les résultats cherchés. » Geoffroy Saint-Hilaire employa d'abord lincubation naturelle (1820 et 1822), Mais ce procédé ne comporte que l'emploi d'un nombre très-restreint de causes modificatrices. 11 n’obtint donc que des ré- sultats insignifiants. En 1826, il put agir sur une plus vaste échelle à l’aide de l’incuba- tion artificielle. On avait fondé de grands établissements d’incubation artificielle à Auteuil et à Bourg-la-Reine ; ils furent mis à la disposi- tion de Geoffroy Saint-Hilaire, qui y fit de nombreuses expériences. Mais ces établissements, dont l'installation très-défectueuse ne se prêtait pas mieux à l’expérimentation scientifique qu’à l'exploitation industrielle, n’eurent qu'une très-courte existence. Geoffroy Saint- Hilaire fut donc contraint d'abandonner les recherches qu'il avait entreprises, et qui auraient exigé une longue durée. D'ailleurs, il faut reconnaître que ces recherches étaient, à bien 1 Voici l'indication des mémoires de Geoffroy Saint-Hilaire dans lesquels il a consigné les résultats de ces expériences : Des différents états de pesanteur des œufs au commencement et à la fin de l'incubation, dans le Journal complémentaire des sciences médicales, t. VIT, p. 271, 1820. — Philosophie anatomique, t. II, p. 509 et suiv., 1822, — Description d'un monstre humain né avant l'ère chrélienne, et considérations sur le caractère des monstruosités diles anencéphales, dans les Ann. des sc. nal., t. VI, p. 357, 1825, — Sur des déviations organiques provoquées et observées dans les élablissements d’incubation artificielle, dans les Mémoires du Muséum, t. XIII, p. 289, 1826, — Article Moxsrre, dans le Dictionnaire classique d'histoire naturelle, t. XI, p. 121, 1827, — Des adhérences de l'extérieur du fœtus considérées comme le principal fait occasionnel de la monstruosité, dans les Archives générales de médecine, t. XIV, p. 392, 1827. — Mémoire où l'on se propose de rechercher quels rapports de structure organique ou de parenté ont entre eux les animanx des âges historiques et vivant actuellement, et Les espèces antédiluviennes et perdues, dans les Mémoires du Muséum, t. XVII, p. 209, 1829, Voir aussi CuviEen, Histoire des progrès des sciences naturelles, t. VI, p. 227, et suiv. Cuvier a reproduit une note entièrement écrite par Geoffroy Saint-Hilaire, 36 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. des égards, prématurées. On ne possédait pas alors des connaissances d'embryogénie normale suffisantes pour servir de point de départ à des études de tératogénie. Les travaux de Wolff et de Pander étaient à peine connus en France; ceux de Baëer ne furent publiés qu’en 1828. L’embryogénie des monstres manquait done à cette époque d’une base solide. Et cependant, malgré ces conditions si défavorables, Geoffroy Saint- Hilaire réussit à produire des monstres. J'ai souvent entendu contester le fait. Cherchant à n’éclairer sur ce point et sachant, par les mé- moires de l’illustre naturaliste, qu'il avait conservé les produits de ses expériences, J'ai voulu retrouver ces précieux documents. Je me suis adressé, dans ce but, en 18692, à F1. Prévost, qui avait été pendant longtemps son collaborateur. Nous avons cherché ces pièces dans un grenier du Muséum, où se trouvaient entassés tous les matériaux qui ont servi à la préparation des grands travaux de son maitre. Nous n'avons pu retrouver les pièces elles-mêmes; mais nous avons eu la bonne fortune de mettre la main sur deux planches gravées restées inédites, et sur lesquelles j'ai retrouvé un certain nombre des monstres artificiels qu'il a décrits. L'examen de ces dessins, et leur comparaison avec les mémoires de Geoffroy Saint-Hilaire, ne me laissent aucun doute sur la réussite de ses expériences. Geoffroy Saint-Hilaire a done prouvé, contrairement à Wolff et à Meckel, qu'un changement dans les conditions physiques qui déter- minent l’évolution peut modifier l'évolution elle-même, et que, par conséquent, les anomalies et les monstruosités ne proviennent pas uniquement d'une virtualité déposée dans le germe au moment de la fécondation ou antérieurement à cet acte physiologique. Il semblait donc faire revivre la théorie de Lémery sur les causes accidentelles, de mème que Wolff et Meckel paraissaient continuer l’œuvre de Duverney et Winslow. Mais la doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire ne ressemble qu'en apparence à celle de Lémery; car, pour ce dernier, qui croyait à la préexistence des germes, la monstruosité n'était et ne pouvait être que la modification accidentelle d'un organisme com- plétement formé, et primitivement normal; tandis que, pour Geoffroy Saint-Hilaire, elle est le produit d'une évolution troublée par des causes extérieures. Ce travail sur la production arüficielle des monstruosités est assu- rément l'un des plus beaux titres de Geoffroy Saint-Hilaire. Mais ce grand naturaliste se contenta d'ouvrir la voie. Entraîné par cette ar- CE mn ms INTRODUCTION. 37 deur de génie qui le portait à la fois vers les questions les plus di- verses, il n'avait pas le loisir de suivre patiemment des expériences de longue haleine, et dont le succès exige impérieusement, comme con- dition première, la plus infatigable persévérance. Il avait imaginé la méthode nécessaire pour la création d'une branche nouvelle des sciences biologiques ; il laissait à d’autres le soin de l'appliquer. XVI. Depuis Geoffroy Saint-Hilaire, quelques physiologistes ont signalé le fait de la production des monstres dans l'incubation artifi- cielle. Prévost et Dumas parlent de ces faits dans leur célèbre travail sur le développement du poulet qu'ils publièrent en 1826, mais en se bor- nant à une simple indication. Les résultats qu'ils ont obtenus sont, par conséquent, perdus pour la science . Allen Thomson, dans un mémoire sur les monstres doubles, publié en 4844, dit avoir répété avec succès les expériences de Geoffroy Saint- Hilaire, et obtenu les mêmes résultats; mais il n’entre, à leur égard, dans aucun détail ?. XVII. Tel était l’état de la question, lorsque j'ai entrepris, il y a vingt-cinq ans, une longue série de recherches, pour répéter les expé- riences de Geoffroy Saint-Hilaire sur la production artificielle des monstruosités. Travaillant seul et sans aide, et dans les conditions les plus défavorables — à Paris d’abord, avec mes ressources person- nelles; plus tard à Lille, avec les ressources tout à fait insuffisantes d'un laboratoire d’une Faculté de province, où tout me manquait, mème la place — j'ai dû lutter contre d'innombrables difficultés, et je n'ai puavancer qu'avecune très-grande lenteur. Je suis arrivé, toutefois, à produire artificiellement presque tous les types de la monstruosité simple; et bien que je n’aie pu provoquer la production de la mon- 1 Prévosr £r Dumas, Mémoire sur le développement du poulet dans l'œuf, dans les Annales des sciences naturelles, 1re série, t. XII, p. 417.— Dumas, art. OEur, du Dic- tionnaire des sciences naturelles. — Rapport sur le mémoire de M. André Jean, relatif à l'amélioration des races de vers à soie, dans les Comptes rendus de l'Acad. des scien- ces, t, XLIV, p. 296. Prévost, qui reprit plus tard avec M. Lebert ses recherches sur le développement du poulet, avait, à ce qu'il paraît, entrepris, avec son nouveau col- laborateur, des expériences sur la tératogénie. Je lis, dans l'éloge de Prévost par M. Lebert, la phrase suivante : « Nous avons laissé inachevées des recherches sur la production artificielle des monstruosités chez les animaux.» Leperr, Eloge du docteur Prévost de Genève, dans les Bulletins de la Société de biologie, re série, t. II, p.65, 1850. ? Allen Tuomsox, Remarks on the early condition and probable origin of double monsters, dans The London and Edinburg Monthly Journal of Medical science, 1844, p, 581. 38 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. struosité double, qui existe virtuellementdansle germe, avant l'époque où je soumets les œufs à l'influence modificatrice, j'ai rencontré un certain nombre de faits de ce genre etrecueilli sur leur mode de forma- tion de précieux documents. Opérant sur un nombre d’embryons très- considérable, puisque j'ai mis en incubation plus de neuf mille œufs, j'ai produit plusieurs milliers de monstres, et j'ai pu étudier la plupart des types tératologiques à divers moments de leur évolution. J'ai fait disparaître ainsi, par la multiplicité des observations, l’une des diffi- cultés les plus grandes de ces recherches ; ear l’opacité de la coquille, bien que n'étant pas absolue, ne permet pas de suivre un seul em- bryon dans ses transformations successives, comme on peut le faire, plus ou moins facilement, pour d’autres œufs, les œufs de poissons par exemple. J’ai pu d’ailleurs, dans certains cas, combler les lacunes de l'observation par la concordance qui existe entre tous les faits té- ratologiques. En tératologie, comme l’a déjà fait remarquer Geoffroy Saint-Hilaire, tous les faits se lient et s’enchaînent. Nous pouvons, par conséquent, dans bien des circonstances et avec de très-grandes probabilités, imaginer ce qui a dû avoir lieu, en attendant la connais- sance de faits bien observés. Je n'ai fait servir à mes expériences que les œufs d’une seule espèce. Mes recherches ont cependant une portée beaucoup plus grande qu'on ne le croirait tout d'abord, car elles s'appliquent, je le prouverai, à la tératogénie de tous les animaux vertébrés. Le livre que je publie aujourd'hui contient la première partie de ces recherches. J'y fais connaître l’évolution de la plupart des types mons- trueux, sur laquelle on ne possédait, avant moi, que des données pu- rement hypothétiques. J'ai vérifié, dans certains cas, les conjectures des embryogénistes ; dans d’autres, et ce sont les plus nombreux, j'ai découvert des faits entièrement nouveaux, et j’ai pu, par consé- quent, résoudre un grand nombre de problèmes sur lesquels on ne possédait aucune donnée. Assurément, mon travail est encore incomplet, je le sais mieux que personne; j'ai cependant la conviction que, si les recherches ultérieures peuvent y ajouter beaucoup, elles n'y introduiront pas de modification essentielle. Je laisse de côté, pour le moment, une seconde partie de mes re- cherches, celle qui concerne la détermination exacte des conditions physiques de la production des monstres. L'imperfection de mon outillage ne m'a pas permis, pendant bien longtemps, de faire cette déterminalion avec la précision nécessaire. J'ai pu, depuis deux INTRODUCTION. 39 ans, introduire dans mes appareils, des perfectionnements qui me permettent d'obtenir toutes les données du problème. De plus, l'éta- blissement d'un laboratoire d'embryogénie tératologique à l'École pratique de la Faculté de médecine, voté, il y a un an, par la Faculté, sur la demände de son doyen, M. Wurtz, et pour l'installation duquel M. Wallon, alors ministre de l’Instruction publique, m'a ouvert les crédits nécessaires, sur la demande de M. du Mesnil, directeur de l'En- seignement supérieur, me mettra très-prochainement en mesure de reprendre mes expériences sur une grande échelle, et de les accom- plir rapidement. J'ai donc l'espoir fondé de pouvoir, dans une époque assez rapprochée, publier un nouveau livre dans lequel je ferai connaître les conditions physiques de l’évolution normale et de l'évo- lution tératologique de l'embryon du poulet. Ce travail est préparé depuis longtemps ; mais je ne le publierai que lorsque j'aurai rem- placé par des documents précis les simples indications dont j'ai dù me contenter jusqu’à présent. | XVII, 11 me reste maintenant à signaler le résultat le plus géné- ral de mes recherches, celui auquel j'attache le plus de prix. Elles démontrent, de la manière la plus complète, contrairement aux idées de Wolff et de Meckel, et conformément à celles de Geoffroy Saint- Hilaire, la possibilité de modifier, par l’action de causes physiques extérieures, l'évolution d’un germe fécondé..La démonstration de ce fait n’intéresse pas uniquement la production des monstres, mais la biologie tout entière. En effet, s'il est possible, en modifiant l’évolution d’un germe fé- condé, de produire des monstruosités, on doit considérer comme possible la production de simples variétés, c'est-à-dire de déviations légères du type spécifique, compatibles avec la vie et avec l'exercice des fonctions génératrices. Sans doute, cette possibilité ne résulle pas actuellement de mes recherches, où je me proposais un tout autre but. Mais on peut la déduire facilement de considérations théoriques. L'un des principaux résultats des travaux des deux Geoffroy Saint- Hilaire sur la tératologie, c'est que la monstruosité la plus grave et l’anomalie la plus légère sont essentiellement des faits de même ordre , des déviations du type spécifique produites par un changement de l’évolution. Seulement, les monstruosités affectent, profondément et simultanément, un grand nombre d'organes, tandis que les ano- malies légères ne font, pour ainsi dire, qu'effleurer certains organes isolés. La différence de ces deux sortes de faits résulte essenticlle- 40 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. ment de la différence d'intensité de la cause modificatrice ; et, peut- être aussi, de l'époque de son action; car J'ai constaté que la gravité des anomalies décroît généralement avec l’époque de leur apparition. Je pense donc qu'en employant les procédés qui m'ont servi pour la production des monstres, mais en les employant d’une autre facon, j'arriverai à produire les anomalies légères, les variétés, aussi facile- ment que les anomalies graves. Or, l'hérédité de toutes les variétés d'organisation, lorsqu'elles n’empêchent pas l’exercice des fonctions génératrices, est actuellement établie de la manière la plus certaine. C'est la condition de la formation des races. Mes expériences donnent donc aux zoologistes des méthodes à l'aide desquelles ils pourront aborder scientifiquement la ques- tion de la formation des races!. Tout ce que nous savons aujour- d’hui sur ce sujet, au moins en zoologie *, se borne à quelques vagues indications provenant des expériences inconscientes de la do- mestication. Il faut les compléter par l'expérimentation scientifique, en faisant sortir des types spécifiques actuels toutes les variétés héré- ditaires, en d’autres termes, toutes les races qu'ils contiennent vir- tuellement. Sachons bien qu’il est au pouvoir de la science expéri- mentale de produire artificiellement tous les phénomènes qui sont ou peuvent être produits par l’action de causes naturelles. Tandis que l'observation ne donne que la connaissance des réalités actuelles, l’expérimentation, grâce à sa puissance créatrice, réalise tout ce qui est possible ; elle ouvre ainsi une carrière sans limite. De plus, elle 1 Il importe qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée. En m’exprimant ainsi, je ne prétends pas que mes expériences donnent tous les procédés de la formation des races. Ainsi que je l’ai dit à propos des monstruosités, les causes modificatrices peu- vent agir avant et pendant la fécondation; je n'ai employé que celles qui agissent après la fécondation. Le métissage, l’hybridation, que l’on peut varier de tant de façons, surtout à l’aide des fécondations artificielles, permettent aux physiologistes de multiplier jusqu’à l'infini les expériences sur la variabilité des formes de la vie. Mais nous ne possédons encore aucun procédé scientifique pour agir sur l'élément mâle ou l'élément femelle de la fécondation. Je ne doute pas que les progrès de la science ne nous donnent un jour de pareils procédés. Il y a là toute une série d’expé- riences dont nous ne pouvons pas avoir actuellement la pensée. 2 Ce serait, en effet, manquer à la justice que de ne pas rappeler ici les beaux tra- vaux que la physiologie végétale possède actuellement sur l’origine des races. Je ne puis pas ne pas citer l’ensemble des recherches que L. Vilmorin a publiées sous ce titre : Notices sur l'amdlioralion des plantes par le semis,et considérations sur l'héré- dité des végétaux, puis, parmi les travaux des botanistes vivants, ceux de M. Decaisne, sur l’origine des races des arbres fruitiers, et de M. Naudin sur l’hybridité végé- tale, Ici, comme sur tant d’autres points, la botanique est en avance sur la zoologie. INTRODUCTION. 41 met l'expérimentateur en présence des causes réelles des phénomènes, puisqu'il ne peut les faire apparaître que par l'emploi de ces causes, et elle le conduit à la véritable science si bien définie par Bacon dans cette parole célèbre : Vere scire est per causas scire*. Je n'ai pas besoin de faire remarquer l'intérêt que de semblables expériences présenteraient au point de vue pratique; car tout le monde sait que la formation des races est l’une des parties les plus importantes de la zootechnie. Mais je veux montrer leur intérêt scien- tifique. La connaissance du mode de formation des races et des causes qui la déterminent ou, d'une manière plus générale, des lois qui régissent la variabilité de l’organisation des êtres vivants, est le seul procédé scientifique que nous possédions pour aborder le plus grand problème de la biologie, celui de l’origine des types spécifiques ou, en d'autres termes, des différentes formes sous lesquelles la vie s'est manifestée aux différentes périodes de l'histoire de la terre. Tant que la doctrine de la préexistence des germes a régné dans la science, cette question n'existait pas; elle ne pouvait pas exister. L'origine des espèces était en dehors de la science. Aujourd'hui la biologie, complétement débarrassée des entraves qui ont pendant si longtemps arrêté sa marche, se demande si les types spécifiques que nous observons dans l’ordre actuel des choses sont le produit immé- diat de la puissance créatrice, et, à ce titre, complétement indépen- dants les uns des autres ; ou bien s'ils ne se seraient pas produits, à certaines périodes géologiques, en vertu de lois naturelles, par la modification ou même par la transformation de types spécifiques an- térieurs. Tout le monde connaît les vives controverses que cette ques- tion soulève, surtout depuis la publication des célèbres livres de M. Darwin : elles ont retenti même en dehors du monde scientifique. L'existence seule de ces controverses prouve, de la manière la plus évidente, que la science ne peut encore se prononcer d’une manière définitive et que, par conséquent, les deux doctrines qui la divisent, au sujet de l’origine des types spécifiques, ne sont encore que des hypothèses. Les partisans de la fixité des espèces s'appuient sur un fait réel, la très-longue durée des types spécifiques et leur permanence durant plusieurs périodes géologiques ; mais ce fait n'implique pas nécessai- rement une fixité absolue’; il peut ne signifier qu’une chose, c’est que, 1 Bacon, Novum organum, lib. 1], aph. 2. 42 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. pendant leur longue durée, ces types n’ont point été soumis à des causes suffisantes de variation. Les partisans de la variabilité où, comme on le dit aujourd’hui, du transformisme s'appuient sur un fait non moins réel: les variations déterminées dans certains types spécifiques, par la domestication, s’il s'agit des animaux, et par la culture, s’il s’agit des plantes. Mais ces modifications sont contenues dans des limites peu étendues; elles n'impliquent pas évidemment le fait d’une variabilité illimitée. Tant que la science ne possédera pas d’autres éléments de discus- sion, elle ne pourra se prononcer ; mais si elle arrive, et je le crois possible, à connaître toutes les formes dérivées qui peuvent sortir de plusieurs des types spécifiques du monde actuel, et à déterminer d’une manière scientifique les causes qui les produisent et les lois qui ré- gissent leur production, elle pourra appliquer ces notions au passé, et chercher à reconstituer, avec quelque vraisemblance, l’histoire des apparitions des formes de la vie. C'est, du reste, la seule méthode qui puisse la conduire, sans l’égarer, dans cette étude rétrospective. Mais il faudra de longues années pour réunir, même partiellement, les éléments du problème. Car, si la production artificielle des varié- tés, au moins dans certaines espèces, ne paraît pas devoir présenter des’difficultés plus grandes que la production artificielle des mons- truosités, il n’en est pas de même de la production des races. Dans ce nouveau problème, on doit agir non pas sur les individus, mais sur des suites d'individus, pendant un nombre plus ou moins grand de générations. Il faut donc, pour les naturalistes, des éléments de travail d’une tout autre nature et bien plus dispendieux. Le labora- toire ne suffit plus. Il faut avoir des ménageries ou du moins des établissements dans lesquels on puisse élever les animaux soumis aux expériences. Il est fort remarquable de voir que cette pensée de créer des éta- blissements destinés à l’expérimentation zoologique s'était déjà pré- sentée à l'esprit de Bacon au commencement du dix-septième siècle. Ce grand philosophe, présentant, dans /a Nouvelle Atlantide, le tableau d'une société d'hommes cultivant la science pour la faire servir à l'amélioration de la condition de l'humanité, y parle de ménage- ries entièrement consacrées à l’expérimentation, et dans lesquelles on s'occupe de faire varier les espèces : « Nous avons, dit-il, des en- clos et des ménageries pour des animaux et des oiseaux de tout genre... Nous rendons artificiellement les uns plus grands et plus gros INTRODUCTION. 43 qu'ils ne le sont naturellement; au contraire, nous rapetissons les autres, et nous les privons de leur taille normale... Nous les faisons varier de mille facons, quant à la couleur, à la forme, au caractère... Nous ne procédons pas au hasard, mais nous savons fort bien par quel procédé on peut faire naître tel animal donné... Nous avons aussi des viviers où nous faisons sur les poissons des expériences sem- blables à celles que nous venons de mentionner pour les quadrupèdes et les oiseaux", » Ce rève de Bacon est encore un rêve, Ne devons- nous pas espérer pourlant qu'il sera un jour une réalité? Ici, comme dans tant d'autres parties de son livre, ce grand philosophe, qui com- prit si bien le rôle que la science devait jouer dans les destinées de l'humanité, n’avait-il pas une vision claire de l'avenir ? Un des premiers naturalistes de notre époque, M, C. Vogt, a récem- ment reproduit la même pensée : « Les ménageries, les jardins z0olo- giques et d’acclimatation devront se transformer nécessairement en laboratoires zoologiques dans lesquels des observations et des expé- riences entreprises dans un but déterminé pourront être continuées sans interruption pendant des séries d’années ?. » Il est bien clair que l'absence de pareils établissements sera pen- dant longtemps encore un obstacle à l’expérimentation zoologique, et par conséquent à l'étude scientifique du problème de l'espèce. Toutefois, nous ne devons pas désespérer ; si nous ne pouvons pas en- core utiliser, dans ce but, les ressources d'établissements spéciaux et construits sur une vaste échelle, nous ne sommes pas cependant dé- pourvus de tous les éléments de ces recherches. L'extension que l'élève des animaux rares a prise dans ces dernières années, principalement sous l'influence de la Société d’acclimatation, met actuellement à la disposition des travailleurs des éléments qui, il y a vingt-cinq ans, à l’époque où j'ai conçu la première pensée de mes recherches, faisaient presque entièrement défaut. Nous devons espérer que ces éléments se multiplieront, et que leur accroissement donnera aux naturalistes les moyens d'aborder des questions qui, dans l’état actuel, leur pa- raissent tout à fait inaccessibles. 1 Bacon, Nova Allantis. « Habemus septa et vivaria, pro bestiis et avibus omni- genis.. Arte reddimus alias majores et proceriores, quam pro natura sua; e contra alias nanas facimus, et statura justa privamus... Etiam colore, figura, et animositate, eas mullis modis variamus... Neque tamen casu hoc facimus, sed salis novimus ex quali materia quale animal sit producibile, » 2 C. Vocr, Préface de l'ouvrage de DarwIN : De la varialion des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, p. 13. 4H PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS, Je serais heureux si les considérations que je viens de développer pouvaient engager les jeunes savants qui débutent dans l'étude de la zoologie à me suivre dans une voie qui, J'en suis certain, les con- duira à d'importantes découvertes. Pour ma part — malgré tous les obstacles que j'ai rencontrés sur ma roule, et qui, devrais-je avoir à le dire ? n'étaient pas tous de l'ordre scientifique et ne résultaient pas seulement des difficultés mêmes du sujet et de l'insuffisance des moyens de recherches— je poursuivrai mes travaux avec persévérance, mettant à profit toutes les occasions qui se présenteront de réaliser les expériences qui sont depuis longtemps dans ma pensée. Un des maitres les plus illustres de la science actuelle a dit dans un de ses derniers ouvrages que mes expériences sont pleines de promesses pour l’avenir'. Ces paroles de M. Darwin m'encouragent à continuer les études auxquelles j'ai voué ma vie, études qui m'ont déjà permis d'établir les lois de la formation des monstres, et qui me permettront, je l'espère, de réunir quelques données pour la solution d'un des plus grands problèmes que puisse se proposer notre intelligence, celui de l'origine des espèces. 1 Darwin, De la descendance de l'homme, trad. franc. t. Il, p. 408. APPENDICE ÏJ. INDICATION DES RECHERCHES TÉRATOGÉNIQUES DONT LES RÉSULTATS ONT ÉTÉ PUBLIÉS DEPUIS MES PREMIÈRES PUBLICATIONS. J'ai fait connaître, dans un mémoire publié en 1855, les premiers résultats de mes recherches. Il est nécessaire de rappeler cette date, parce qu'en 1860, un physiologiste danois, M. Panum, professeur à l’université de Kiel, a publié un ouvrage sur la tératogénie, d'après des observations faites sur les oiseaux". Lorsque j'eus connaissance de cette publication, j'ai cru d'abord que je devais abandonner mes recherches, craignant qu'elles ne fissent double emploi avec celles de M. Panum ; mais la lecture du livre m'a bientôt détrompé. M. Panum s'est généralement contenté de la méthode d'observation en étudiant les mons- tres qu'il rencontrait dans les œufs non éclos, et il n’a employé que très-rare- ment la méthode expérimentale, c'est-à-dire la production artificielle des monstruosités. Aussi les faits qu'il a recueillis et décrits ne constituent qu'un nombre restreint d'anomalies généralement légères. 11 a toutefois le mérite d'avoir vu certains faits nouveaux, l'existence de deux cœurs, par exemple. Je dois citer également un travail de M. Lombardini sur la formation des monstres chez les oiseaux et chez les batraciens, travail publié en 1868 ?. Ce travail, dont la publication est postérieure à celle de la plupart de mes résultats, contient la description d'un certain nombre de faits entièrement conformes à ceux que J'ai découverts. Seulement M. Lombardini les a obtenus par d'autres procédés. En dehors de la classe des oiseaux, Lereboullet a publié un travail fort important sur les monstruosités du brochet *. L'Académie avait mis au concours, en 4860, la question suivante : « Étude expérimentale des modifications qui peuvent ètre déterminées dans le développe- ment de l'embryon d'un animal vertébré par l'action des agents extérieurs. » 1 PanuM. Untersuchungen über die Entstehung der Missbildungen zunächst in den Eiern der Vogel, 1860. Kiel. ? LomBARDINI. Intorno alla genesi delle forme organiche irregolare negli Uccelli et ne Batrachidi, 1868. Pise, 3 LeneBouLLer. Recherches sur les monstruosités du Brochet, observées dans l'œu- el sur leur mode de production, dans les Ann. des sc. nat. Zool., 4e série, t, XX, p. 178, el 5e série, L. I, p. 113 et 257, 1863 et 1864. — Lereboullet avait déjà fait connaître plusieurs résullats de ses recherches en 1855. Voir les Comptes rendus de l'Acad. des sc., t. XL, p. 854, 916, 1028 et 1063. A6 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. Le programme de la question mise au concours s'exprimait ainsi : «Des expériences faites, il y a un quart de siècle, par Geoffroy Saint-Hilaire, tendent à établir qu'en modiliant les conditions dans lesquelles l’incubation de l'œuf de l'oiseau s'effectue, on peut déterminer des anomalies dans l’orga- nisation de rembryon en voie de développement. L'Académie désire que ce sujet soit étudié de nouveau, et d’une manière plus complète, soit chez les oiseaux, soit chez les batraciens ou les poissons. » Lereboullet, qui s'occupait depuis 1855 d'études sur l'embryogénie normale et tératologique du brochet, adressa les résultats de ces recherches au jugement de l'Académie. Moi-même J'avais envoyé pour le même concours quatre mémoires dans lesquels j'avais fait connaitre les premiers résultats de mes travaux. Le prix fut partagé, en 1862, entre Lereboullet et moi. Cette circonstance, que je dois rappeler, m'impose une très-grande réserve dans mon appréciation du travail de Lereboullet, d'autant plus que les con- clusions de ce travail paraissent en contradiction avec celles que j'ai déduites de mes recherches. Je suis cependant obligé d'expliquer cette contradiction, qui, j'espère le prouver, n'existe qu’en apparence. Je cite textuellement les paroles de Lereboullet: «Je me crois suffisamment autorisé à admettre... les quatre propositions suivantes, qui seront les conclusions de mon travail : 4° Il n’est nullement prouvé que les monstruosités en général, et particu- lièrement les monstruosités doubles, soient occasionnées par les influences que les agents extérieurs ont pu produire sur les œufs ; 20 Les seules modifications qui paraissent dues quelquefois à l'influence des agents extérieurs sont des arrêts de développement, des déformations et des atrophies ; encore ces effets ne sont-ils pas constants ; 3 Il n’est donc pas possible de produire à volonté des formes monstrueuses déterminées d'avance, ni d'établir d'une manière positive la cause des mon- struosités ; 4° Cette cause pourrait bien être inhérente à la constitution mème de l'œuf et ne dépendre en aucune façon des conditions extérieures ?, » Assurément, si ces conclusions étaient exactes, elles seraient dans la contradiction la plus formelle avec les résultats des recherches que je viens de signaler dans mon introduction. 11 importe donc de les examiner de près. D'abord Lereboullet ne s'exprime que d’une manière dubitative : Cette cause pourrait bien être, ete. Et, par conséquent, il ne considérait pas ses expériences comme étant assez décisives pour lui permettre d'en tirer une affirmation. Maintenant, l'examen des faits sur lesquels Lereboullet a cru pouvoir s’ap- puyer pour en déduire ces conclusions montre que ce célèbre physiologiste a surtout observé des monstres doubles. Or, toutes mes études m'ont conduit à admettre que la formation des monstres doubles chez les oiseaux résulte d'un état particulier de la cicatricule, et qu’elle est, par conséquent, antérieure à { Comptes rendus de l'Acad. des sc., 1860, t. L, p,. 249. 2 LEREBOULLET, loc. cil., be série, t. I, p. 320, APPENDICE, 47 la fécondation. Ici done mes recherches s'accordent parfaitement avec les siennes. Je n’admets l'intervention des agents extérieurs dans la production des monstres que dans le cas des monstruosités simples ; et mème, ainsi que Je le dis dans l'introduction, je ne crois pas que cette cause soit unique. Or, Le- reboullet, sans s'expliquer d'une manière catégorique, admet que les mon- struosités simples paraissent quelquefois dues à l'influence des agents extérieurs. On voit donc qu'en comparant attentivement les conclusions du travail de Lereboullet à celles de mon travail, il y a très-peu de différence entre elles. Or, cette différence s'atténue encore par le fait d'une circonstance particulière sur laquelle je dois insister dans le cours de ce livre ; c'est que les types de la monstruosité simple, dont l'apparition est possible chez les poissons, sont beaucoup moins diversifiés que ceux qui peuvent se produire chez les oiseaux, par le fait des conditions particulières de leur développement. Je trouve done dans l'ouvrage de Lereboullet, malgré les apparences, une assez grande concordance avec les résultats que j'ai obtenus moi-même. Je ne mentionne que pour mémoire un travail du docteur Knoch, de Mos- cou, sur la production des monstres chez les poissons. Ce travail est beaucoup trop incomplet pour que l'on puisse actuellement en tirer des conclusions quelconques ‘. Je cite dans mon livre tous les faits nouveaux signalés par les physiologistes dont je viens de citer les ouvrages ; faits qui, sur plusieurs points, complè- tent mes recherches, mais dont je donne, dans bien des cas, une interpréta- tion différente. ; If, INDICATION DE MES PROPRES TRAVAUX SUR LA TÉRATOGÉNIE, TRAVAUX QUE JE COORDONNE DANS L'OUVRAGE ACTUEL, J'ai fait connaître, à.partir de 1855, dans un grand nombre de publications, éparses dans divers recueils scientifiques, la plupart des faits que j'ai recueil- lis pendant le cours de mes études, et qui, complétés par des observations encore inédites, forment le sujet de cet ouvrage. Je crois nécessaire de don- ner ici la liste de ces publications, pour établir d’une manière précise, et sur des textes, la date de mes découvertes. Je dois rappeler à cette occasion que, pendant la durée de mes recherches, mes idées sur la tératogénie se sont constamment modiliées par suite des faits nouveaux que j'ai constatés. J'ai dû, dans un certain nombre de cas, abandon- ner certaines idées généralement acceptées au début de mes études, et les remplacer par des notions plus conformes aux résultats de mes expériences. 1 Knocu. Uber Misshildungen betreffend die Embryonen der Salmonen und Corego- nus arten, dans le Bullelin de la Société impériale des naturalistes de Moscou, 1873, t, XLVI, 48 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITES. C'est donc uniquement dans le livre actuel que l’on doit chercher l'expression exacte de ma pensée. I. Embryogénie normale. 1. Sur la dualité primitive du cœur Jet sur la formation de l'aire vasculaire dans l'embryon de la poule (Comptes rendus de l'Académie des sciences, t, LXIII, p. 603, 1866). IT. Tératogénie générale. pe Sur une condition très-générale des anomalies de l’organisation (Comptes rendus, . X, p. 1293, 1865). 6 Sur la Robon du type en tératologie et sur la répartition des types monstrueux dans l’embranchement des animaux vertébrés (Comptes rendus, t. LXIX, p. 995, 1869). 4. Sur l'arrêt de développement considéré comme la cause prochaine des mon- struosités simples (Comptes rendus, t. LXIX, p. 963,1869). II. Tératogénie spéciale ; anomalies et monstruosités simples. 5. Sur l'influence qu’exerce sur le développement du poulet l'application partielle d'un vernis sur la coquille de l'œuf (Annales des sciences natur elle s, 4° série, Zoolo- gie, t. IV, p. 119, 1855). 6. Sur Éoere qu’exerce sur le développement du poulet l'application totale d’un vernis ou d’un enduit oléagineux sur la coquille de l'œuf (Annales des sciences naturelles, 4e série, Zoologie, t. XV, p.5, 1855). 7. Sur un fait relatif à l'histoire de l’amnios (Bulletin de la Société de biologie, 2®série,t. V, p. 146, 1858). 8. Sur les conditions organiques des bétérotaxies (Bulletin de la Société de bio- logie, 3e série, t. III, p. 8, 1839). 9. Sur le développement de l’amnios après la mort de l'embryon (Bulletin de la Société de biologie, 3e série, t, 1, p. 33, 1859). 10. Sur l'histoire de plusieurs monstres hyperencéphaliens, observés chez le pou- let (Annales des sciences naturelles, 4e série, Zoologie, t. XII, p. 337, 1860). 11. Sur la production artificielle des monstruosités dans l'espèce de la poule (Annales des sciences naturelles, 4e série, Zoologie, t. XNIII, p. 243, 1862). 12. Sur les conditions de la vie et de la mort chez les monstres ectroméliens, cé- losomiens et exencéphaliens produits artificiellement dans l'espèce de la poule (Annales des sciences naturelles, ke série, Zoologie, t. XX, p. 59, 1863). 13. Sur la production artificielle des monstruosités (Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. LVII, p. 445, 1863). 14. Sur le mode de production de certaines formes de la monstruosité simple (Bulletin de la Société de biologie, 3e série, t, V, p. 210, 1863). 15. Sur la production artificielle des anomalies de l’organisation (Comptes rendus, t. LIX, p. 693, 1864). 16. Sur le alone de l'embryon de la poule à des températures relative- ment basses (Mémoire de la Société des sciences de Lille, 3e série, t, II, p. 291, 1865). 17. Sur la production artificielle des anomalies (Comptes rendus, t. LX, p. 746, 1865). APPENDICE, 19 18. Sur le mode de production de l'inversion des viscères ou de l'hétérotaxie (Comptes rendus, t. LX, p. 746, 1865). 19. Sur certaines condilions de \a production du nanisme (Comptes rendus, {. LX p. 1214, 1865). 20. Sur le mode de production des monstres anencéphales (Comptes rendus, t. LXIIT, p. 448, 1866), 21. Sur la production artificielle des monstruosités (Comptes rendus, &, LXVI, p. 155, 1868). 22. Sur le mode de formation des monstres syméliens (Comptes rendus, t, LXVI, p. 185, 18GS). 23. Sur l’inversion des viscères et la possibilité de sa production artificielle (Comptes rendus, t. LXVII, p. 485, 1868). 24. Sur le développement de l'embryon à des températures relativement basses et sur la production artificielle des monstruosités (Comptes rendus, t. LXIX, p. 286, 1869). : 25. Sur le développement de l'embryon à des températures relativement élevées (Comptes rendus, t. LXIX, p. 420, 1869). 26. Sur la production artificielle de l'inversion des viscères (Comptes rendus, t. LXX, p. 761, 1869). 27. Sur l’anémie des embryons (Archives de zoologie expérimentale, t. 1, p. 169, 1872). L IV. Tératogénie spéciale, — Diplogénèses et monstruosités doubles. 28. Sur l’histoire physiologique des œufs à double germe et sur les origines de la duplicité monstrueuse chez les oiseaux (Annales des sciences naturelles, 4° série, Zoologie, t. XVII, p. 31, 1861). 29. Sur l’origine et le mode de formation des monstres doubles à double poitrine (Comptes rendus, t. LVIT, p. 685, 1863). 30. Sur les origines de la monstruosité double chez les oiseaux (Annales des sciences naturelles, 5e série, Zoologie, t. XI, p. 42, 1864). 31. Sur les œufs à double germe et sur les origines de la duplicité monstrueuse chez les oiseaux (Comptes rendus, t. LX, p. 562, 1865). 32. Sur l'origine et le mode de développement des monstres: omphalosites (Comptes rendus, t. LXI, p.49, 1865). 33. Sur le mode de formation des monstres doubles à union antérieure ou à double poitrine (Comptes rendus, t, LXIX, p. 722, 1869). 34. Sur l'origine et le mode de développement des monstres omphalosites (Comptes rendus, t, LXXVII, p. 924, 1873). 35. Sur l’origine et le mode de formation des monstres doubles (Archives de z0olo- gie expérimentale, t. 111, p. 74, 1874). 36, Sur les monstres doubles. Communications faites à la Société d’anthropo- logie à propos du monstre double Millie Christine (Bulletin de la Société d'anthro- pologie de Paris, 2e série, 1873, t. VIII, p. 880, 893 ; 1874, t. IX, p. 14, 147, 321). V. Tératologie, 37. Sur un chat iléadelphe à tête monstrueuse {Annales des sciences naturelles, 3e série, Zoologie, t. XVIII, p. 81, 1852). 38. Sur un nouveau genre de monstruosité double appartenant à la famille des 4 50 PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MONSTRUOSITÉS. polygnathiens (Annales des sciences naturelles, 4e série, Zoologie, t, XI, p. 5, 1859)° 39, Sur un poulet monstrueux appartenant au genre hétéromorphe (Mémoire de la Société de biologie, 3° série, t. IV, p. 251, 1852), 10. Sur un monstre simple dans la région moyenne, double supérieurement et inférieurement (Comptes rendus, t. LVII, p. 445, 1863). 41. Sur un veau monstrueux (Archives du comice agricole de Lille, 1864). 42. Sur les caracières de la race des poules polonaises (Mémoire de la Société im périale de Lille, 3e série, t. 1, p. 733, 1864). 43. Sur un veau monstrueux {Archives du Comice agricole de l'arrondissement de Lille, 1867). 44. Sur le mode de production de certaines races d'animaux domestiques (Comptes rendus, F, LXIV, 193, 743, et 1101, 1867, — T. LX VIII, p: 733, 1869). VI. Ovologie. 45. Sur les moyens de s'assurer de la fécondation des œufs de gallinacés (Bulletin de la Société d'acclimatation, t. IX, 1862, p. 933), 6. Sur les caractères qui distinguent la cicatricule féconde de la cicatricule in- féconde (Comptes rendus, t. LIX, p. 255, 1864). 47. Sur les œufs clairs (Bulletin de la Société d'acclimatation, 3e série, t. IT, n° 4, 1876). Enfin j'ai publié en 1873, dans les Archives de zoologie expérimentale, t. 1, p. 409, sous ce titre : Mémoire sur la tératogénie expérimentale, un résumé gé- néral de mes recherches tératogéniques. Ce mémoire contient l’ensemble des considérations que J'ai déduites des faits décrits dans tous les mémoires précédents; considérations que je développe dans l'ouvrage actuel, PREMIERE PARTIE QUESTIONS GÉNÉRALES ‘le CET. ser Ayrtcole de DS un AUS 27 che En d'nie apntvi. de où, PF dige Un matin ie d'unisai ”_S ue B. où- 1, NÉ, ee MUUATEU, es WA, Svote.gle + uunæ de la (antidiilée 644 eus de rail + VA è Er de tte dt “ “ii fa 1 f NMTAT à j'te oo. fuir: EL for e IN LL ” . ue CT (Ad e vhs 44 tai L EM ir) ES CHAPITRE I DESCRIPTION DES PROCÉDÉS QUE J'AI EMPLOYÉS POUR LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSIIÉS. SomMaire. 1° Indication des procédés. — 2° Description des appareils, — 3° Position verticale de l'œuf, — 4° Destruction partielle de la porosité de la coquille. — 5e Température un peu inférieure ou un peu supérieure à la température de l'in- eubation normale. — 6° Échauffement inégal de l’œuf, &4, Le premier problème à résoudre dans mes recherches sur la téra- togénie était la création même des éléments de ces recherches, en d'autres termes, la production artificielle des anomalies et des mon- struosités. Je l’ai résolu en modifiant certaines conditions physiques de l’évolution des œufs de poule que je soumettais à l'incubation ar- tüficielle. C’est là le résultat le plus important de mes études; il dé- montre d’une manière complète la possibilité de modifier, par l’action de causes extérieures, l'organisation d’un être en train de se former. L'examen des conditions physiques de l'évolution normale devrait précéder ici celle des conditions physiques de l’évolution tératologi- que. Malheureusement la détermination de ces conditions est encore très-incomplète. Toutes les personnes qui se sont occupées jusqu’à présent de l'incubation artificielle en ont, plus ou moins, négligé la partie scientifique, pour ne s'occuper que de la partie pratique. Il en est résulté que l’on ne s’est guère préoccupé que du résultat, sans indiquer avec une exactitude rigoureuse les procédés dont on s'est servi. J'ai souvent eu la pensée, dès le début de mes travaux, de faire ces déterminations avec toute la précision que demandent ces expé- riences, et de réunir ainsi les éléments d’un Manuel pratique de l'in- cubation artificielle ; mais l'insuffisance de mon outillage ne m'a pas permis, jusqu’à ces derniers temps, d'aborder un pareil sujet. Ac- tuellement il n’en est plus ainsi ; je possède aujourd’hui des appareils d’incubation artificielle qui répondent à toutes les exigences de la science actuelle. J'ai donc entrepris, à leur aide, une nouvelle série de recherches. Mais elles sont longues, et ne pourront être très- 4 PRODUCTION ARTIFICIELLE prochainement achevées. Comme je l'ai dit dans l'introduction, je les ferai connaître dans un second ouvrage. Cette lacune de la science ne me permet pas d'interpréter d’une manière scientifique les procédés tératogéniques dont je me suis servi jusqu’à présent, et qui m'ont fourni les éléments de mon travail. Je crois cependant devoir les mentionner au début de cet ouvrage, mais en faisant les réserves les plus formelles sur leur véritable significa- tion. J'ai produit des anomalies et des monstruosités par l'emploi de quatre procédés : 4° la position verticale des œufs ; 2° l'application partielle sur la coquille d’une substance imperméable à l'air ; 3° l’évo- lution à des températures un peu supérieures ou un peu inférieures à la température de l’incubation normale ; 4° l'échauffement inégal de l'œuf. Ces procédés peuvent être employés isolément. On peut aussi les combiner ensemble, Je l’ai fait souvent au début de mes recherches, mais je n'y ai pas trouvé de grands avantages. Il est bien évident que ces quatre procédés ne sont pas les seuls qui puissent servir à la production artificielle des monstruosités. Ainsi MM. Prévost et Dumas, et plus'tard M. Panum, ont obtenu des monstres à l’aide de variations plus ou moins considérables dans la température des couveuses pendant l'incubation *. MM. Prévost et Dumas, puis tout récemment M. Lombardini, ont obtenu des monstres à l’aide de courants électriques produits par la pile ou par les appareils d'induction ?. Mes nouvelles expériences me conduisent à ce résultat que la pro- duction des monstres peut encore être obtenue à l’aide de procédés différents, mais j'ai besoin de les répéter, en les variant de beaucoup de manières, avant de les faire connaître, Je me contente donc de signaler un fait nouveau qui semble en résulter, c'est que les causes tératogéniques pourraient agir d’une manière efficace, non-seulement pendant la formation et le développement de l'embryon, mais encore pendant la période qui s'écoule entre la ponte de l'œuf et la mise 1 Prévost et Dumas, Mémoire sur le développement du poulet dans l'œuf, dans les Ann. des sc. nat., 1re série, t, XII, p. 417. Simple indication. — PanuM, loc. cit., cite au contraire un grand nombre d'expériences de production des monstres par ce procédé. 3 Prévosr et Dumas, ibidem. Simple indication. — LomBannint, Forme organische irregolare negli Uccellie Batrachidi, p. 75 et suiv. DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS. 5 en incubation. Si ce fait se confirme, ce sera l'une des plus impor- tantes conséquences de mes recherches. $ 2. Je me suis servi, dans l’origine, de la couveuse Vallée, très-connue de tous les physiologistes qui habitent Paris. C'est un appareil à cir- culation d'eau chaude, rappelant en petit les appareils que Bonne- main avait imaginés pour le chauffage, et appliqués d'une manière générale au chauffage des appartements et des serres. On produit la chaleur dans cette couveuse par la combustion de l'huile dans une lampe Locatelli. L'eau chaude arrivant dans le réservoir supérieur échauffe par son contact l'air d'un tiroir dans lequel on place les œufs. Tel que je l'employais il y a vingt ans, cet appareil était, à bien des égards, fort imparfait. Les lampes brèlaient mal et s'éteignaient fré- quemment. Le chauffage était souvent insuffisant lorsque la tempé- rature de l'air était basse, et parfois trop considérable lorsque la température de l'air était élevée. J'étais donc obligé à une surveil- lance continuelle, malgré laquelle je ne pouvais me mettre complé- tement à l’abri de variations fréquentes dans la température de l'air des tiroirs où l’on place les œufs. Sans doute cet appareil, comme d'ailleurs tous les appareils d’incubation, peut donner, lorsqu'il est constamment surveillé, des résultats très-satisfaisants pour léclo- sion des poulets, car des variations peu considérables dans la tempé- rature ne sont pas nuisibles. Mais il n’en est pas de même lorsqu'il s'agit de déterminer avec exactitude les conditions physiques de l'incubation. Aussi l’ai-je complétement abandonné depuis long- temps. Toutefois cet appareil se prête mieux que les autres à l'in- eubation des œufs dans la position verticale ; mais il ne pourra être employé dans ce but qu'avec quelques modifications. Appelé, en 1860, à la Faculté des sciences de Lille, j'ai pu disposer d'un laboratoire fort mal installé, il est vrai, et tout à fait insuffisant, mais dans lequel j'avais le gaz à ma disposition. J’ai alors appliqué le gaz au chauffage de la couveuse Vallée, puis des autres couveuses que j'ai successivement employées; mais je me suis trouvé tout de suite en présence d'une grande difficulté résultant des variations de pres- sion auxquelles le gaz est soumis à l'usine de production pendant les différentes heures de la journée, et qui ne sont pas les mêmes suivant les jours. J'ai donc cherché à me mettre en garde, contre ces d6 PRODUCTION ARTIFICIELLE variations, à l’aide de régulateurs de pression. J'ai obtenu d’abord quelques bons résultats à l’aide de l'appareil que M. Gavallié-Coll a imaginé pour régulariser la pression de l'air et des gaz dans les souf- fleries ‘, L'année dernière, j'ai employé, dans le même but, le régula- lateur de M. Giroud?. Ces appareils ont pour effet de rendre la pression constante, et permettent, par conséquent, d'obtenir une des conditions les plus importantes de l’invariabilité de la température. Mais cette condition n'est pas unique, et ne peut, d’une manière ab- solue, mettre en garde contre les élévations temporaires. En effet, la température des appareils est toujours influencée par la température de la pièce dans laquelle on fait les expériences, et il est à peu près impossible, à moins de se placer dans des caves très-profondes, de trouver des locaux dont la température soit à peu près invariable. Je le pouvais d'autant moins, lorsque je faisais mes expériences à Lille, que mon laboratoire était situé dans les combles d'un bâtiment très- élevé, où les variations de température, le jour et la nuit, étaient considérables. Il fallait donc ajouter à l’action d’un régulateur de pression celle d'un régulateur de température. L'appareil que M. Schlæsing a ima- giné depuis plusieurs années répond complétement à toutes les exi- gences des expérimentateurs”. Depuis que je m'en sers dans mes cou- veuses, j'obtiens des températures absolument invariables, et je suis, par conséquent, en mesure de compléter mes travaux en déterminant les conditions physiques de l’évolution avec la précision la plus complète. Il est inutile de décrire ces différents régulateurs, qui sont employés dans tous les laboratoires, et parfaitement connus de toutes les per- sonnes qui s'occupent de recherches scientifiques. Les deux appareils dont je me suis servi à Lille d’une manière con- tinue et que j'emploie aujourd’hui, après y avoir adapté le régulateur de pression de M. Giroud et le régulateur de température de M. Schlæ- sing, sont constitués d’après des principes très-différents. L'un est une étuve servant à chauffer un bain d'air dans lequel je place les œufs; 1 CavazLté-CoLL, Sur une nouvelle soufflerie de précision, munie d'un nouveau sys- tème de régulateur de la pression de l'air et des gaz, dans les Comptes rendus, t. LVI, pe 339, 1863. 2 Ginoup, De la pression du gaz d'éclairage et des moyens employés pour la régu- lariser, 1867, p. 118 et suiv. 3 Voir pour la description du régulateur Schlæsing, WiesneGG, Notice sur les appa- reils de chauffage employés dans les laboratoires, 1876, p. 28, fig. 22. DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS, ù7 l'autre un appareil à circulation d'eau chaude dans lequel les œufs, baignés par l'air de la pièce, sont simplement échauffés par le contact avec les tuyaux de la couveuse. L'échauffement à l’aide de ces appareils constitue deux procédés extrèmes, entre lesquels l'incubation naturelle forme, en quelque sorte, un procédé moyen. En effet, la poule déprime un peu Îles pa- rois de son corps en se couchant sur les œufs et les échauffe sur une étendue plus ou moins considérable de leur face supérieure. On a cherché depuis longtemps à imiter, dans l’incubation artificielle, cette FUPCUN Fig. 1. — Etuve, — À, cylindre annulaire contenant l'eau chaude; B, régulateur Schlæsing ; C, cou- vercle; D, ouverture percée au centre du couverele et par laquelle l'air sort de l'appareil ; E, ther- momètre qui indique la température de l'eau; F, panier en fil de fer qui sontient les œufs; G, vase plein d'eau; H, H, ouvertures des tuyaux par lesquels l'air extérieur pénètre dans l'appareil. condition de l'incubation naturelle. Séguier y a réussi en remplaçant les parois de verre ou de métal des appareils par une paroi en caout- chouc. Il est possible que l'appareil de Séguier convienne mieux que les autres pour l’incubation industrielle. Mes deux appareils ont, au contraire, plus d'avantage pour les études expérimentales. L'étuve consiste en un espace cylindrique terminé par une enve- loppe cylindrique en métal? formée de doubles parois, et présentant, ! Sécuier, Nole sur un appareil d'incubation artificielle dans les Comptes rendus, t. XLVI, p. 619, 1868. ? J'ai employé dans ce but d’abord le fer-blane, puis le zinc. Actuellement je fais construire des couveuses en cuivre. DS PRODUCTION ARTIFICIELLE par conséquent, un espace annulaire que l’on remplit d’eau chaude, C'est dans l’eau que je place le régulateur Schlæsing. La partie supérieure du cylindre est fermée par un couvercle en métal dont les parois, fort épaisses, sont remplies de poussier de charbon, La cham- bre à air contenue dans la paroi cylindrique intérieure sert à rece- voir les œufs. Pour éviter toute influence de température due au contact des parois elles-mêmes, on place les œufs dans un cylindre formé par une toile en fil de fer, qui repose sur la paroi inférieure de la chambre, à l’aide de pieds en bois. Par ce moyen, les œufs sont plongés dans un bain d'air dont la température, comme je m'en suis assuré, est sensiblement constante, et présente une très-grande uniformité. Deux conditions physiques sont nécessaires pour mener à bien l'incubation dans cet appareil : le renouvellement de l'air qui doit entrainer au dehors les produits de la respiration embryonnaire, et l’'évaporalion d’une certaine quantité d’eau qui le maintien con- stamment dans un certain état hygrométrique. Le renouvellement de l'air s'effectue à l’aide d’un système de ca- naux qui constituent un véritable appareil de ventilation. Les trois pieds de l'appareil sont creux et présentent à leur base des ouvertures par lesquelles l'air du dehors pénètre dans la chambre à air de la couveuse. Le couvercle de la chambre à air présente également dans son centre un canal qui le traverse de part en part. L'air qui s'est échauffé dans la chambre à air sort par ce canal, et produit ainsi dans l’intérieur de la chambre un appel d'air froid qui entre par les canaux des pieds, et détermine la ventilation. Mes expériences m’apprendront bientôt quelle doit être l'intensité de la ventila- tion, et si elle doit ètre uniforme aux diverses périodes de l’incuba- tion. Pour maintenir l'air constamment humide, je place dans la cham- à air, au-dessous du panier qui contient les œufs, un vase plein d'eau. Autrement la dessiccation de l'air de la chambre, produite par l’élé- vation de la température, pourrait amener, au bout de quelques jours, la mort de l'embryon. Il se produit alors un fait que j'ai rencontré bien souvent au début de mes recherches : c'est que l'embryon s’ap- plique contre la membrane qui tapisse la face interne de la coquille, s'y colle, et finit par se dessécher plus où moins complétement". De- 1 Ces faits de dessiccation de l'embryon se sont souvent présentés dans les expé- DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS. 59 puis que je prends soin d'entretenir dans la chambre à air uno source constante d'humidité, je n'observe plus de pareils accidents. Si l'excès de dessiccation de l'air est nuisible à l'embryon, il en est très-probablement de même pour lexcès d'humidité, Je n'ai pas en- core fait d'expériences sur ce point. Les anciennes expériences de Réaumur, fort insuffisantes au point de vue scientifique, semblent indiquer nettement que l'air saturé d'humidité exerce une influence Fig. 2. — Couveuse à air libre. Plan de l'appareil. — Je donne ici toutes les lettres qui sont les mêmes pour les trois figures. — A, chaudière; B, tube pour l'introdaction du thermomètre ; C, D, E, tuyaux de chauffage ; F, chàssis en bois qui porte les tuyaux; G, tnbe inférieur par le- quel l'eau retourne à la chaudière ; H, thermomètre; L', LI, pièce de flanelle qui porte les œufs. nuisible sur l'embryon, au moins à une période avancée de son évo- lution ‘. Mais cette influence est-elle aussi nuisible au début? Mes ex- périences ne me l’ont pas encore appris d'une manière définitive. riences d’'incubation artificielle, — Voyez, par exemple, GEOFFROY-SAINT-HILAIRE, art. Moxsrre, dans le Dict. class. d'hist, nat., t. XI, p. 121. J'attribue à de semblables faits un certain nombre de prétendues anomalies dé- crites par M, Panum (Entstehung der Missbildungen, p. 40 et suiv.), dans lesquelles l'embryon ou le blastoderme aurait contracté des adhérences avec la membrane vitel- line ou mème avec la membrane qui tapisse la surface interne de la coquille. Ces deux membranes, complétement anhistes et dépourvues de toute vitalité, ne peuvent se souder ou, pour parler plus exactement, se greffer avec l'embryon. Il n'y a eu dans tous ces cas qu'un siraple fait d’adhérence par collage, résultant de la dessiccation de ces membranes et de certaines parties de l'embryon lui-même, 1 Réaumur, Ari de faire éclore, etc, t. 1, p. 215 et suiv. — Réaumur ne possé- dait pas d’hygromètre ; il constatait l'excès d'humidité de l'air, par le dépôt de gouttes d'eau sur la coquille d’un œuf introduit dans l'appareil. 60 | PRODUCTION ARTIFICIELLE Le second appareil d'incubation, ou l'appareil à air libre, est un ap- pareil à circulation d’eau chaude, dans lequel les œufs, baignés dans l'air de la pièce, s'échauffent directement par leur contact avec lasource Coupe sur AB Fig. 3. — Couveuse à air libre, — Coupe longitudinale sur AB. de chaleur. Le principe de cet appareil a été imaginé par un Améri- ricain nommé Cantelo. Toutefois, mon appareil diffère de celui de “ , .i D ! : { ; At EEE Eee EE Ce CE ! Coupe sur CD 1 1 Dm mme eme de cageed Sr E Fig. 4, — Coupe transversale sur CD. — Dans ce dessin on voit deux plans. Le premier, dans le- quel est la coupe des tuyaux, est antérieur et figuré par des lignes pleines. Le second, sur le- quel on voit la monture en bois, est figuré par des lignes pointillées. Les œufs se voient entre les tuyaux CDE et la pièce de flanelle I, l'I”. (Nora, La lettre D est mal placée et désigne le tuyau médian.) Cantelo par une condition importante. Dans ce dernier, la partie supérieure est formée par une cage en verre à parois planes dans la- 7 DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS, 61 quelle arrive l'eau chaude. Je l'ai modifié, il y a quinze ans, d’après les indications de M. Forney, professeur libre d’horticulture, en réemplacant la cage de verre supérieure par trois tuyaux cylindriques de 8 centimètres de diamètre, Je me suis servi d’abord de tuyaux de verre ; mais leur fragilité et la grande difficulté que l'on éprouve à les remplacer lorsqu'ils se cassent, me les ont fait abandonner. Je me sers actuellement de tuyaux de cuivre, La supériorité de cet appareil sur celui de Cantelo consiste en ce qu'il permet de mettre les œufs en contact avec la source de chaleur par un point quelconque de leur surface ; tandis qu'avec l’autre appareil, les œufs ne peuvent être mis en contact avec la source de chaleur que par leur point culminant. On verra le parti que j'ai tiré de cette propriété de l'ap- pareil pour la production de certaines anomalies. Dans cette couveuse, les œufs sont baignés dans l'air de la pièce, et soumis par conséquent, par leur surface presque entière, à l'in- fluence d'une température notablement plus basse que celle de la source de chaleur. Il est évident que l’évolution de l'embryon dépend de l’action simultanée de la température des tuyaux de cuivre et de la température de l’air extérieur. Lorsque je faisais mes expériences à la Faculté de Lille, je n’ai pu déterminer avec précision les conditions thermométriques de l'évolu- tion des œufs dans cet appareil; parce que, d’une part, l'absence d'un régulateur de température ne me permettait pas d’obtenir une tem- pérature constante pour la source de chaleur; et que, d’autre part, la température de la pièce éprouvait des variations considérables du jour à la nuit. Aujourd'hui, je suis dans des conditions bien meil- leures, d’abord par l'emploi du régulateur Schlæsing, puis par l'in- stallation de mon appareil dans un sous-sol où les variations de température sont très-diminuées. Je suis donc certain de pouvoir compléter mon travail à l’aide de données que je n’ai pu me procurer jusqu’à présent. Dans toutes les expériences que J'ai faites à l'aide de cet appareil, pendant douze ans à Lille, puis cette année à Paris, je n'ai jamais observé le fait de la dessiccation de l'embryon et de son adhérence à la paroi interne de la coquille. L'état hygrométrique de l'air contenu dans la pièce a toujours prévenu cet accident. Il est possible cepen- dant que, sous d’autres climats, ou même dans d’autres locaux, l'état hygrométrique de l’air ne soit pas suffisant pour empêcher un pareil résultat. Il faudrait alors trouver le moyen d'augmenter la quantité 62 PRODUCTION ARTIFICIELLE » de vapeur d'eau contenue dans la pièce; mais dans les conditions ordinaires de nos climats, cela est absolument inutile. Je dois encore signaler un appareil qui m'a rendu quelques ser- vices dans mes expériences; c’est un appareil de mirage; je le dois à M. Carbonnier qui a fait de si intéressantes études sur la reproduction de certains poissons des Indes. M. Carbonnier enferme une lampe à huile dans une cage de fer-blanc percée en avant d’un trou limité par des contours ovoïdes. On augmente la visibilité de l'intérieur de l'œuf, en augmentant l'intensité de la lumière par l'emploi d’un réflecteur métallique placé derrière la mèche!, Si l’on place l'œuf que l’on veut mirer en avant de la lampe, et qu’on le regarde au travers d’une chambre obscure, les rayons de lumière traversent l'œuf et permet- tent, dans une certaine mesure, de voir ce qui se passe dans son in- térieur. Depuis que j’emploie le gaz pour mes expériences, j'ai rem- placé la lampe à huile par un bec de gaz. Get appareil donne quelques indications utiles, On peut, dans bien des cas, constater, à son aide, l’état de vie ou de mort de l'embryon, l’état de vie étant rendu manifeste par le déplacement de l'embryon, qui tient aux contractions de lam- nios d’abord, puis de l’allantoïde?. J'ai pu même, à son aide, dia- gnostiquer certaines monstruosités, par exemple l’ectopie du cœur que l’on reconnaissait à sa couleur rouge et à ses contractions. Tou- tefois, les résultats que donne le mirage n'ont qu’un intérêt assez res- treint, par suite de leur peu de précision. Il est cependant très-pro- bable que l'incertitude des résultats que j'ai obtenus par le mirage lient en grande partie à l’état de ma vue; car je connais des physio- logistes qui peuvent voir dans l’intérieur d’un œuf en le mirant sim- plement au soleil, ce qui m'est absolument impossible. On peut pen- ser d’ailleurs qu'avec des lumières très-intenses on obtiendra un éclairage supérieur à celui que j'ai obtenu ; mais, de toute façon, l'emploi du mirage, comme procédé scientifique, sera toujours fort restreint. S 3. Je me suis servi pour employer la position verticale des œufs, comme procédé tératogénique, de la couveuse Vallée, qui s'y prête 1 CanponNien, Bulletin de la Société d'acclimatation, 1867, 2e série, tome IV, p. 128. 2 BAER, Physiologie de Burdach, trad. franç., t. III, p. 281 et 297. — VULPIAN? Note sur quelques points relatifs à la physiologie de l'amnios et de l’allantoïde chez les oiseaux, dans les Mémoires de la Sociélé de biologie, 2° série, t, IV, p. 269, 1857, DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS. 64 beaucoup mieux que les autres couveuses ; puisque, dans cet appareil, les œufs sont placés dans un tiroir à la paroi inférieure duquel on les tixe avec du mastie, tantôt par le gros bout et tantôt par le petit bout. C'est à ce procédé, déjà employé avec succès par Geoffroy-Saint- Hilaire !, que je dois les premiers monstres qui ont servi à mes re- cherches. Il est facile de comprendre comment la position verticale peut troubler l’incubation, En effet, les éléments contenus dans l’intérieur de la coquille prennent toujours, au début de lincubation, un arran- gement qui résulte de leursidensités respectives *. Dans quelque posi- tion que l’on place un œuf, le jaune, qui est plus léger que le blanc, s'élève toujours dans la région supérieure de l'œuf; et la cicatricule, qui occupe dans le jaune une région plus légère que le reste du jaune, vient toujours se placer à sa partie culminante. Ce fait a été établi, en 1674, par un observateur hollandais, Langly *, contraire- ment à l'opinion qui régnait alors dans la science. On constate très-facilement, à l’aide de l'appareil de mirage, que, dans quelque position que l’on place un œuf en avant du trou qui laisse passer la lumière, on voit toujours le jaune venir se placer à sa partie culmi- nante. Ce déplacement du jaune, dans l’œuf placé verticalement, met nécessairement l'embryon, qui se produit dans le blastoderme, dans des conditions tout autres que celles qui résultent de la position ho- rizontale de l'œuf. Dans l’incubation normale, où l’œuf est dans une position horizon- tale, l’axe longitudinal de l'embryon qui se développe au centre de la cicatricule, est presque toujours, au début, plus ou moins perpendi- culaire à l’axe longitudinal de l'œuf. Plus tard, lorsque l'embryon a acquis un certain développement, il se retourne de telle façon que son axe longitudinal se place parallèlement à l'axe longitudinal de l'œuf. La tête est presque toujours tournée vers le gros bout, c’est-à- 1 GEOFFROY-SAINT=HILAIRE, Sur des déviations organiques provoquées et observées dans un établissement d'incubation artificielle, dans les Mémoires du Muséum, t, XIII, p. 289, 1826. 4 BAUDRIMONT et MARTIN-SAINT-ANGE ont mesuré les densités respectives des diverses parties contenues dans l'œuf. Annales de chimie et de physique, 3° série, t. XXI, p. 250, 4847. 3 LanGLy, Observaliones quædam de generatione animalium, 1874, p. 136, 64 PRODUCTION ARTIFICIELLE dire vers la chambre à air ; beaucoup plus rarement vers le petit bout !. Dans la position verticale, l'embryon, au début, occupe une posi- tion telle que l’axe longitudinal de son corps est horizontal et forme par conséquent un angle plus ou moins droit avec l’axe longitudinal de l'œuf. Plus tard, lorsque l'embryon change de position et place son axe longitudinal dans une direction parallèle à celle de l’axe lon- gitudinal de l'œuf, il est obligé de se placer dans une position verti- cale. Or,cela peutse faire de deux façons; la tête occupe tantôt la par- tie supérieure de l'œuf et tantôt la partie inférieure. De plus il faut ajouter que les conditions du développement seront encore diffé- rentes, suivant que le gros bout de l'œuf ou son petit bout seront placés à la partie supérieure, puisque le gros bout est occupé par ce qu'on appelle la chambre à air, dont le volume augmente toujours pendant la durée de l'incubation; tandis qu’au petit bout les élé- ments contenus dans l’œuf et plus tard l’allantoïde sont en contact immédiat avec la surface interne de la coquille. On comprend facilement que ces différentes positions de l'embryon dans l'œuf doivent influer d’une manière plus ou moins intense sur son évolution, et qu’elles peuvent, suivant leur nature, la modifier en diverses façons. C’est assurément ce qui explique la divergence des résultats que divers physiologistes ont obtenus avec l’incubation verticale. Ainsi 1 Ces différences de position de l'embryon dans l'œuf ont une certaine impor= tance, au moins au point de vue de léclosion. Dans l’état ordinaire, lorsque le poulet a la tête tournée du côté de la chambre à air, il peree avec son bec la paroi inté- rieure de cette chambre, un certain temps avant l’éclosion, et c’est alors que s'établit la respiration pulmonaire, qui se manifeste par un fait physiologique bien connu depuis Aristote, le chant du poulet dans l'intérieur de la coquille (Aristote, Nept Qowv torcoias, lib. X, cap. 53). Quelque temps après, le poulet brise lui-même la coquille en la frappant avec son bec. Au contraire, lorsque la tête de l'embryon est tournée vers la pointe de l'œuf, la respiration pulmonaire ne peut s'établir avant l’éclosion, et le poulet ne peut éclore par lui-même. Il faut alors que la poule, ou l’expérimentateur dans l'incubalion ar- tificielle, produise une véritable éclosion artificielle en brisant la coquille. J'ai observé un embryon qui ne s'était pas retourné et dont l'axe longitudinal était perpendiculaire à l’axe longitudinal de l'œuf. Cet embryon avait continué à se développer; mais il n'avait pu éclore, et était mort dans l'intérieur de la coquille. La dureté des parois contre lesquelles il était resté en contact l'avait considérable- ment déformé. J'ai d’ailleurs constaté un certain nombre de semblables déformations, trouvées sur des poulets qui n'avaient pu éclore, quelle que fût leur position, Il y avait là un effet manifeste de l'influence des pressions extérieures sur le développement. DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITES. 65 Porta, qui donne dans sa Magie naturelle la descriplion d'un appareil d'incubation dont il s'était servi, recommande de faire couver les œufs dans la situation verticale, en plaçant supérieurement la pointe de l'œuf, situation qu'il considère comme la plus favorable", Réaumur parle également de l'incubation des œufs dans la posi- tion verticale, comme n'empèchant pas les poulets d'éclore; il ajoute seulement que quelques-uns des œufs couvés dans celte po- sition se sont trouvés clairs; expression malheureusement équivoque, car elle s'applique aussi bien aux œufs non fécondés qu'à ceux dont les embryons ont péri de très-bonne heure, et qui pouvaient avoir été monstrueux, sans qu'il l'ait reconnu *. Béguelin faisait couver dans la position verticale, le gros bout en haut, des œufs auxquels il enlevait la partie supérieure de la coquille, qu'il rem- placait par une lame de verre *; il s’en servait pour démontrer l'6- volution du poulet. Baer, au contraire, n’a jamais réussi en opérant avec l’incubation verticale *. Enfin, M. Liharzik?, faisant de sembla- bles expériences, a constaté fréquemment la mort précoce des em- bryons; dans ceux qui s'étaient plus complétement développés, il y avait une grande disproportion de volume entre la tète et le corps; celle de ces régions qui occupait la partie supérieure de l'œuf étant toujours moins développée que celle qui occupait la partie inférieure. Je cite ces résultats contradictoires pour montrer d'abord les diffi- cultés que présente l’expérimentation téralogénique, quand elle ne porte pas sur des nombres considérables d'œufs; ensuite pour faire comprendre combien sont diverses les conditions qui peuvent modi- fier l’évolution dans la position verticale. Il est évident que la question doit être reprise dans son ensemble pour déterminer les effets variés que l'influence de la pesanteur peut exercer sur le développement du poulet. C'est un travail que je compte aborder quelque jour ; mais comme ce procédé d’expérimentation ne me donnait pas un nombre très-considérable de monstres, je l'ai abandonné provisoirement pour d'autres procédés plus certains. 1 Ponra, Magia naturalis, lib. LV, p. 104 ? RéAuMUR, Art de faire éclore, ecc., t. I, p. 150. * BEGUELIN, Mémoire sur l'art de couver les œufs ouverts, dans l'Hist. de l'Acad. de Berlin, 1749, p. 71. * Barr, Physiologie de Burdach, trad, franç., t. IV., p. 22 5 Linanzik, Das Gesetz der menschlichen Wachsthums, p. 16, 1858. 66 PRODUCTION ARTIFICIELLE Un pa Réaumur ! à fait, au siècle dernier, un très-grand nombre d’expé- riences sur la conservation des œufs, tant au point de vue de l’ali- mentation qu'à celui du maintien de la faculté germinative. Il pensa qu'en recouvrant totalement la surface de l’œuf d’un vernis ou d’une malière grasse, il atteindrait ce double but, en empêchant l’altéra- tion des substances contenues dans son intérieur. Les œufs vernis et soumis à l'incubation ne se développent point; mais, si on raele la coquille avec une lame de couteau, de manière à enlever la plus grande partie de la couche de vernis, et si l’on fait alors couver les œufs, l'embryon peut quelquefois se développer, comme il l’observa 2 sur un œuf conservé pendant deux mois et demi *?. Geoffroy Saint-Hilaire, en 1820, s’est servi de l'application du ver- nis dans un autre but, celui de la production des monstres *. Comme il ne cherchait pas, ainsi que Réaumur, à empêcher complétement l’évolution du poulet, mais seulement à la modifier, il n’appliquait le vernis sur la coquille que d'une manière partielle, J'ai employé l'application partielle des vernis sur les œufs dès le début de mes recherches ; mais je me suis trouvé en présence de faits physiologiques tout à fait imprévus, et j'ai été conduit à faire une longue série d'expériences pour étudier le mode d’action des vernis. Voici le résultat qu'elles m'ont donné. L'œuf, depuis le moment de la ponte, éprouve sans interruption une perte de poids. Cette perte de poids est beaucoup plus considé- rable pendant l’incubation; elle est alors à peu près d’un sixième ou d'un cinquième du poids initial. La perte de poids des œufs résulte de deux causes. La surface de 1 Ce paragraphe est la reproduction abrégée des deux mémoires que j'ai publiés, il y a longtemps, 1° Sur l'influence qu'exerce sur le développement du poulet l'appli- cation partielle d'un vernis sur la coquille de l'œuf, dans les Ann. des sc. nal., 4° série, t. IV, p. 189, 1855; 20 Sur l'influence qu'exerce sur le développement du poulet l’'anplica- tion totale d'un vernis ou d'un enduit oléagineux sur la coquille de l'œuf, ibid., t, XV, p. 5, 1860, 2 RéauMun, Sur la manière de conserver les œufs, dans les Mém. de l’Acad. des se., 1735, p. 465; — Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, 1736, t. II, p. 39 ; — Art de faire éclure, etc., t. I, p. 247, t. II, p. 317, 1751. 3 (GEOFFROY SAINT-HiLAIRE, Des différents élals de pesanteur des œufs au commen- cement et à La fin de l'incubation, dans le Journal complémentaire des scienges mé- dicales, t, VII, p. 274, 1820, | | | DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS, 67 l'œuf est, dès le moment de la ponte, le siége d'un phénomène d'éva- poration dont l'intensité s'accroit dans des proportions considérables pendant l'incubalion. Cette évaporation qui se produit à la surface de l'œuf à pour résultat de laisser pénétrer l'air dans son intérieur, où il forme la chambre à air, au gros bout, par le dédoublement de la membrane qui tapisse l'intérieur de la coquille, Ce fait a été établi par Réaumur qui le désignait sous le nom de /ranspiration insensible. D'autre part, l'œuf pendant l'incubation perd une partie de sa substance par le fait de la combustion respiratoire. L'embryon, dans l'œuf, respire, comme l'adulte, en absorbant l'oxygène de l'air, en dégageant de l'acide carbonique. Ce fait a été constaté par Paris", en 1810, puis confirmé par Prévost et Dumas *, en 1824; Dulk *, en 1830; Baudrimont et Martin Saint-Ange *, en 1846. La perte de poids que les œufs éprouvent, soit en dehors de l'in- cubation, soit pendant l'incubation, me donnait une méthode facile pour déterminer le mode d'action des vernis ; puisqu'il suffisait de peser comparativement des œufs placés dans les mêmes conditions, lorsqu'ils sont dans l’état naturel, ou lorsque leur surface a été recou- verte d’un vernis. En faisant ces pesées, j'ai constaté que certains vernis, comme le collodion, ne détruisent pas absolument la porosité de la coquille, tandis que d’autres, comme les huiles grasses, la détruisent presque entièrement. Voici quelques nombres qui mettent cette différence d'action en pleine évidence. Dans une expérience gaite en dehors de l’incubation, sur des œufs conservés dans les mêmes conditions physiques de température et d'humidité, la perte moyenne de poids pendant un jour était de 0 gr. 051 pour les œufs naturels, de 0 gr. 033 pour les œufs vernis avec le collodion; et seulement de 0 gr. 008 pour les œufs frottés d'huile, Ces nombres ne laissent aucun doute sur la différence d'action des vernis. L'explication de cette différence dans le mode d'action des vernis, me paraît bien simple. Les vernis qui diminuent mais ne détruisent 1 Panis, Some Remarks on the Physiology of the Egg, dans les Philosoph. Transac- tions, 1810, p.304. ? Dumas, Dict. des sc. nat., art, OEur, t. XII, p. 112. 3 Duck, Untersuchungen über die in den Hühnereiern enthallene Luft, dans Schweig« ger ’s Jährbucher der Chemie, 1830, 28, 263. * BauDRIMONT et MARTIN-SAINT-ANGE, Recherches analomiques et physiologiques sur le développement du fœtus, dans le Recueil des savants étrangers, 1851,t. VI, p. 460, üs PRODUCTION ARTIFICIELLE pas la porosilé de la coquille, sont ceux qui se dessèchent sur l'œuf et qui recouvrent sa surface d'une couche solide. Je pense que la dessiccation de ces vernis a pour résultat de produire des fentes par lesquelles il peut encore se faire un échange de gaz au travers de la coquille, Au contraire les substances qui ne se solidifient point, comme les huiles grasses, forment une couche dont la continuité est parfaite, et qui détruit presque entièrement la porosité de la coquille. La différence d'action de ces substances imperméables à l'air est confirmée d'ailleurs par les phénomènes de l’évolution. En soumettant à l'incubation arüficielle des œufs recouverts en totalité par une couche de collodion, j'ai reconnu que l'embryon commence à se dé- velopper, mais que son évolution s'arrête de très-bonne heure, dans cette période où l’aire vasculaire est complétement formée, et ter- minée partout, dans tout son contour, par la veine circulaire. Il y a là un degré de l’évolution que l'embryon ne peut point dépasser. L'explication de ce fait est bien simple : La porosité de la coquille n'étant que diminuée et non détruite par le collodion, l'échange des gaz peut se faire malgré la présence de la couche de vernis, mais il est diminué dans une proportion notable. L'embryon se développe tant que la porosité de la coquille lui permet d’absorber la quantité de gaz nécessaire pour sa respiration; il s'arrête dans son développe- ment lorsque l’oxygène qui traverse la coquille n’est plus suffisant pour alimenter une respiration plus intense. Au contraire, aucun développement ne se produit dans les œufs dont la coquille est recouverte d’une couche d'huile. C’est qu'ici la destruction à peu près complète de la porosité de la coquille s'oppose d’une manière complète à l'échange des gaz. I faut ajouter que cette application de la substance oléagineuse sur la surface de l'œuf doit se faire au moment même de la ponte, ou du moins à une époque qui en soit peu éloignée. Si l’on pratique cette opération sur des œufs pondus depuis plusieurs jours, la formation de la chambre à air fait que l'œuf contient dans son intérieur une quantité d'oxygène, faible il est vrai, mais qui peut parfaitement suffire aux besoins d'une res- piration très-peu active. Dans ces conditions on peut observer une évolution commencée, mais arrêtée de très-bonne heure. Ces faits ont été observés dans l’incubation artificielle. En est-il de mème dans l'incubation naturelle ? En faisant couver par des poules des œufs à surface huilée, j'ai constaté des phénomènes d'évolution qui m'ont paru se produire avec une régularité parfaite, et ne pas DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS. 69 différer des phénomènes de l'évolution normale, J'ai fait cette expé- rience en 41860, et je ne l'ai pas répétée depuis. Le résultat est, au premier abord, tellement étrange, que je me demande s'il n'y a pas eu de cause d'erreur. Si l'expérience était confirmée, on pourrait peut- être en rendre compte en admettant que les plumes de la poule seraient imprégnées d’une substance analogue au suint des moutons, qui est un savon à base de potasse. La poule, en s'étalant sur les œufs, essuierait leur surface à l’aide de cette substance qui dissout les ma- tières grasses, et rendrait ainsi à la coquille sa porosité ?. Après avoir ainsi déterminé le mode d'action des diverses espèces de vernis, j'ai pu les faire servir à la production des monstruosités, en les appliquant partiellement sur la coquille. Dans ces conditions j'ai oblenu des anomalies, mais je ne les ai pas obtenues d’une ma- 1 L'application de l'huile pourrait done résoudre le problème de la conservalion de la faculté germinative des œufs, comme Réaumur l'avait soupçonné au siècle der- nier. La difficulté du procédé consistait dans l'enlèvement de la couche d'huile. J'ai fait à ce sujet diverses expériences à l’aide des matières qui dissolvent les huiles, comme l'éther, le sulfure de carbone, la potasse, ete.; mais l'embryon ne s’est point développé, probablement par le fait d’une action toxique de ces substances sur le cicatricule. Si, comme je le suppose, la poule essuie ses œufs pendant l’incubation, le problème serait résolu de la façon la plus naturelle. Du reste, les procédés de conservation des œufs n’ont et ne pourront avoir qu'une importance restreinte. Les recherches de M. Pasteur sur la putréfaction en général et celles d’un de ses élèves, M. Gayon, sur la putréfaction des œufs en particulier, nous ont appris que les œufs se putréfient, non pas, comme on aurait pu le croire au premier abord, par l'effet de l'air, mais par la présence d'organismes microsco- piques (vibrions) qui délerminent l’ensemble des faits chimiques caractéristiques de la putréfaction. Or, ces vibrions se mêleraient à l’albumine de l’œuf pendant que cette substance se secrète dans les parois de l’oviducte. Ainsi donc, au moment de la ponte, l'œuf contiendrait déjà les organismes qui déterminent la putréfaction. Il “est donc impossible de prévoir si les œufs se conserveront ou se détruiront par la putréfaction, parce qu’il est impossible de savoir si l’oviducte de la poule qui pond contient ou ne contient pas de vibrions. On sait, d'après Leuwenhoek, que les vibrions se produisent en grande abondance dans le tube digestif. M. Gayon présume que ces animalcules arrivent dans l’ovi- ducte, au moment même où la poule pond un œuf. L'oviducte pénètre alors dans la partie inférieure du tube digestif, ou le cloaque, et s’y invagine pendant la ponte. S'il y a dans le cloaque des vibrions en plus ou moins grande abondance, ils: s'atta- chent à la membrane muqueuse de l'oviducte, et se trouvent ainsi mêlés à l'albu- mine au moment où elle se secrète pour revêtir le jaune de l'œuf. L'œuf pondu entraîne donc avec lui les causes de sa putréfaction ultérieure. La putréfaction se développe lorsque de semblables œufs subissent l'influence d’une température un peu élevée, 25 degrés par exemple. Voir à ce sujet : Pasteur, Recherches sur la putréfaclion, dans les Comptes rendus, t. LVI, p. 1189, 1863. —Gavon, Recherches sur les allérations spontanées des œu/s, thèse soutenue devant la Faculté des sciences de Paris, mars 1875, p. 8 et suiv. 70 | PRODUCTION ARTIFICIELLE nière constante. J'ai done à peu près complétement abandonné ce procédé, pour me borner à l'emploi des deux derniers. Les embryons que j'ai soumis à l’incubation, dans ces conditions, m'ont d'ailleurs présenté deux faits physiologiques remarquables, Le premier consistait dans une diminution notable de la production des globules sanguins, diminution qui tenait au défaut de formation de ces globules dans les parties de l'aire vasculaire placées au-dessous des parties huilées de la coquille, et qui constituait une véritable anémie, Le second consistait dans la production de l’asphyxie, qui tenait tantôt aux obstacles qu'éprouvait la respiration, et tantôt à un arrèt de développement de l’allantoïde. Je reviendrai sur ces faits quand j'examinerai les causes de mort de l'embryon monstrueux dans la coquille. L'un des premiers emplois du thermomètre fut de mesurer la tem- pérature de la poule, afin d'établir le degré de température néces- saire dans les expériences d’incubation artificielle. Gette détermination fut faite en 1644, par le grand-duc de Toscane, Ferdinand IT;. mais nous ne possédons que des documents très-Imcomplets sur l'instru- ment dont il se servit pour faire cette détermination et sur sa gra- duation. Newton, en 1701, publia dans les Transactions philosophiques une note concernant divers degrés de température qu'il considérait comme constants, et qu’il mesurait à l’aide d’un thermomètre à huile de lin. Le second degré de cette échelle thermométrique, à partir de la tem- pérature de la glace fondante, est la plus grande chaleur du corps de l’homme, ou celui d'un oiseau qui couve ses œufs. Exprimée en degrés centigrades, cette température serait 41°,85. Réaumur, en 1730, inventant un nouveau thermomètre, fixa à 32 degrés de la graduation qu'il lui appliqua la température de la poule couveuse. C’est le 40° degré de la graduation centigrade. Il y trouva l'indication de la température nécessaire à l’incubation artifi- cielle. Depuis Réaumur, on a fait un grand nombre d'observations sur la température de la poule, observations qui prouvent que cette tem- pérature, comme celle de tous les animaux supérieurs, varie sui- vant certaines circonstances. Ainsi, quand on compare les nombres donnés par John Hunter, par Prévost et Dumas, par John Davy, et DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS, 71 tout récemment par M, Féry d'Esclands', on voit que les températures observées ont varié, dans une proportion notable, de 39°,40 à 43°,90, Evidemment, je ne considère pas ces nombres comme absolus, II n'est pas possible de croire que les thermomètres dont se servait John Hunter avaient exactement la même marche que ceux qui ont servi aux observateurs modernes, Mais si nous ne pouvons pas considérer ces nombres comme représentant exactement les températures obser- vées, nous pouvons cependant tirer de leur comparaison une conelu- sion importante : c'est que la température de la poule varie suivant diverses circonstances ; qu'elle est plus élevée l'été que l'hiver, le jour que la nuit, et que, de plus, elle présente des variations suivant les individus et, très-probablement aussi, suivant les races. D'après M. Féry d’Escländs, la température des poules de certaines races sur- passerait de deux degrés la température des poules d’autres races. L'incubation élève-t-elle la température de la poule ? Hunter le nie. Valenciennes, au contraire, prétend que, dans l’incubation, la tem- pérature de la poule s'élève notablement, et qu'elle pourrait atteindre 57 degrés ?. Il y a là évidemment une erreur d'observation; car une température aussi élevée ferait nécessairement périr l'embryon et la poule elle-même, La température de la poule couveuse varie-t-elle pendant l'incu- bation? et si elle varie, est-ce en augmentant ou en diminuant? Ici encore je retrouve des indications contradictoires. D'après FI. Prévost, la température prise sous le ventre d'un ca- soar mâle qui, deux années dejsuite, couva et fit éclore des œufs au muséum d'histoire naturelle, se serait élevée, pendant la première incubation, du cinquième jour au trente et unième, de 38 à 41 degrés; pendant la seconde, du quarantième jour au cinquante-cinquième, de 42 à 45 degrés #. à Au contraire, d'après M. Féry d'Esclands, la température prise sous 1J, Hunrer, Œuvres complèles, trad. de Richelot, t. ITI, p. 219; — Pnrévosr et Dumas, Examen du sang et de son action dans les divers phénomènes de la vie (Ann. de chimie et de physique, 2° série, t. XXILI, p. 64, 1823); — J. Davy, Observations onthe Temperature of Man and Animals, dans Edinburgh Philosophical Journal, t. XIIT, p. 301, 1825 ; — FÉnY D'ESCLANDS, Études sur l'incubation artificielle, dans les Bulle- tins de la Société d'acclimatation, 3° série, t. IT, p. 582, 1875. 2 VALENCIENNES, Mens failes Sondant l'incubalion d'une femelle de Python à deux raies (Ann. des sc. nal., 2° série, zool., t. XVI, p.66, 1841). 3 Gosse, Des avantages que présenterait en Algérie la domestication de l'autrucho d'Afrique, p. 36, 1857. 72 PRODUCTION ARTIFICIELLE la poule couveuse décroitrait toujours pendant l'incubation; il a vu cette température descendre, sous certaines poules, de 42 à 40 de- grés ; sous d’autres, de 39°,5 à 389,5 !. Ces observations de M. Féry d'Esclands sont d’ailleurs confirmées par la pratique de l’incubation artificielle, L’embryon respire et pro- duit de la chaleur; il en produit d'autant plus qu'il se rapproche plus de l'éclosion. Par conséquent, dans les derniers temps de l’in- cubation, la température de la poule ou celle de la couveuse artifi- cielle doit être moindre. Tout récemment, deux personnes qui ont fait de l'incubation artificielle une industrie considérable, MM. Roul- lier et Arnoult, ont montré qu'il faut tenir grand compte, dans l’in- cubation, de la production de chaleur par les œufs; qu'à partir du douzième jour cette chaleur est notable et que, lorsqu'on agit sur un nombre considérable d'œufs, la chaleur qu'ils produisent peut atteindre un chiffre assez considérable pour ‘qu'il soit nécessaire d’abaisser, dans une certaine proportion, la température de l’eau ?. Il y aurait assurément un grand intérêt à reprendre, d’une manière plus complète, ces observations thermométriques sur la température de la poule, et à déterminer les conditions physiologiques qui la font varier ; mais il faudrait pour cela des conditions qui ne sont pas ac- tuellement à ma portée, et, avant tout, la disposition d’une basse- cour. Du reste, cela n'intéresse que d’une manière très-secondaire la question dont je m'occupe actuellement; car l'incubation ‘artificielle permet de déterminer très-exactement les températures qui pro- duisent l'évolution, et beaucoup plus exactement que l’incubation na- turelle évidemment soumise à des causes multiples de variations. Plusieurs expérimentateurs ont étudié depuis longtemps l'influence d'une température supérieure ou inférieure à celle de lincubation normale sur le développement d’un poulet. Réaumur, tout en fixant à 32 degrés (40 degrés centigrades) la tem- pérature de la poule, et, par suite, la température de l'incubation artificielle, avait constaté que l'embryon peut supporter sans périr des élévations ou des abaissements considérables de température. Ge fait le conduisit à faire couver des œufs sous une température de 35 degrés (43°,75 centig.). Les poulets se développèrent, mais ne pu- 1 Féry n’EscLanps, loc. cil., p. 583. 2 RouiLzer et AnnouLr, Notice sur les couveuses artificielles (Bullelins de la Soc. d'acclim., 3e série, t. II, p. 721, 1875). DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS. 73 rent éclore'. Réaumur n’a pas constaté dans ces conditions la pro- duction de monstres; mais il n'étudiait les embryons qu'à l'époque de l’éclosion, et, par conséquent, il devait perdre un grand nombre de faits, tous ceux que lui auraient fourni les œufs qu'il appelle clairs ?. Prévost et Dumas ont été plus loin : « La température, disent-ils, “exerce sur ce point (le développement du poulet) une influence pro- fonde et singulière. L'incubation a lieu depuis 2$ ou 30 degrés centi- grades jusqu'à 44 ou 45 degrés centigrades; mais la température la plus convenable est de 38 à 40 degrés. On peut rendre à volonté des fœtus monstrueux en couvant à 30 ou à 45 degrés ?. » J'ai répété depuis longtemps ces expériences sar les températures un peu supérieures et un peu inférieures à la température normale de l’incubation, et j'ai obtenu les mêmes résultats. La production des anomalies et des monstruosités est mème tellement constante par ce procédé, que je l’'emploie maintenant de préférence à tous les autres. C'est par son emploi que je me suis procuré la plupart des éléments de ce livre *. Je dois faire remarquer ici que le fait signalé plus haut de l’éléva- tion de température de l'œuf, à une certaine époque de l'incubation, n'a ici aucune importance, car il se produit à une époque déjà avancée de l'évolution; or, toutes mes expériences m'ont prouvé que les événements tératogéniques ‘sont déterminés tout à fait au début, ou du moins, dans les premiers jours de l’incubation. Je ferai connaître, dans d'autres chapitres, les faits nombreux de tératogénie que j'ai obtenus à l’aide de ce procédé ; mais je dois si- gnaler ici quelques faits généraux qui se rattachent à l'évolution de l'embryon sous des degrés différents de température, Réaumur avait déjà signalé ce fait que la durée de l'incubation n'est pas la même pour des degrés différents de température, qu'elle est plus courte pour les températures élevées, plus longue pour les ‘ Réaumun, Art de faire éclore, etc., p.185 et suiv. 3 Voir page 65. 3 Dumas, art. OEur du Dict. class. d’hist. nat.,t. XII, p. 121, 1827. * Ici je dois faire quelques réserves. Ainsi que je l'ai dit au commencement de ce chapitre, j'ai constaté récemment l'existence de causes tératogéniques auxquelles je n'avais pas pensé jusqu’à présent. Il est possible que, dans un certain nombre de cas, j'aie attribué à l'élévation ou à l’abaissement de la température des effets qui, bien que s'étant manifestés dans certaines conditions thermométriques, résultaient cependant de causes différentes, 74 PRODUCTION ARTIFICIELLE températures basses !, Bonnet en parle également : « On peut à vo- lonté accélérer ou retarder l’éclosion des poulets en augmentant ou en diminuant le degré de chaleur ; mais cette possibilité est ren- fermée dans certaines limites que l'expérience n’a pas encore déter- minées. M.de Villers, savant naturaliste de Lyon, à fait éclore des pou- lets le dix-huitième jour et le vingt-cinquième. M. Darcet, habile chimiste, en a vu éclore au dix-septième jour, et même au treizième ?, » - Mais ces indications sont très-incomplètes, car elles ne disent point comment ces expériences ont été faites ; et l'insuffisance des moyens de chauffage, ainsi que l'absence de régulateurs automatiques pour la température, ne permettent pas d’attacher aucune importance sé: rieuse à ces essais. J'ai souvent observé des faits analogues. Bien que je n’aie pas cher- ché à faire éclore les œufs et que je les aie ouverts au bout de quel- ques jours, j'ai pu constater un résultat intéressant. Ainsi, vers 41 et 42 degrés, l’évolution est très-rapide, et l'embryon atteint en vingt- quatre ou trente heures le degré qu'il n’atteint dans l’incubation na- turelle qu'après trois jours d’incubation. Au contraire, vers 30 degrés, il n'arrive à ce développement qu'en sept ou huit jours d'incubation. Cette relation inverse entre la température de l’incubation et la durée de l’évolution, ou, si l’on aime mieux, cette combinaison du temps et dela chaleur, rappelle nécessairement à l'esprit une question de physiologie végétale, souvent discutée depuis Réaumur, la ques- tion des sommes de chaleur nécessaires à la végétation. On sait que l’on a cherché à établir que, dans l’évolution d’une plante, le produit de la température moyenne, à laquelle la plante a été exposée, par la durée de cette évolution, serait un nombre constant. On concoit théo- riquement qu'il puisse en être ainsi; mais jusqu'à présent, les mé- thodes qui ont été employées pour déterminer ce nombre se sont trouvées défectueuses, soit dans leur emploi même, soit par l'imper- fection des moyens d'observation. Je n’entrerai pas ici dans la discus- sion de ces méthodes, qui a été faite avec une très-judicieuse critique par M. Alph. Decandolle %. Je signalerai seulement que lorsqu'il { Réaumunr, Art de faire éclore, etc , t. I, p. 195.— L'accélération avait lieu pour les températures de 33 degrés, 330,5 (410,25 et 410,87 centigr.) — Le retard pour la tem- pérature de 31 degrés (380,75 centigr.). 2 Bonner, cilé par SPALLANZANI, Eæpériences pour servir à l'hisloire de la généra- tion des animaux et des plantes. Trad. de Sénebier, p. 188. — Je dois ajouter que le fait de Darcet est absolument invraisemblable. 3 Alph, DECANDOLLE, Géographie botanique raisonnée, liv. 1er, 1855, DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS. 75 s'agit de phénomènes, comme ceux de la végétation, dont les uns se passent à l'air libre, dont les autres ont leur siége dans l'intérieur de la terre, à des distances plus ou moins grandes du sol, la détermina- tion des températures présente de’telles difficultés, que l'observateur ne peut espérer qu'une approximation plus ou moins grande, L'incubation semble au contraire avoir l'avantage d’être presque entièrement à l'abri des difficultés que présente la détermination des températures. On comprend donc que la pensée de l'employer se soit présentée, depuis longtemps déjà, à l'esprit des physiologistes, C'est ainsi que Gasparin a cherché à déterminer la somme de chaleur nécessaire au développement de l'œuf en multipliant le nombre de A jours, nombre normal de l'incubation, par 42 degrés, c’est-à-dire par ce qu'il consi- dère comme la température de la poule, Il obtient ainsi pour cette somme le nombre 882", Mais il est évident quecette détermination re- pose sur quatre hypothèses : 4° l'adoption du nombre de 42 degrés, comme exprimant la température normale de la poule ; > l'invaria- bilité absolue de cette température pendant toute la durée de l'incuba- tion ; 3° l'application continue de la poule sur les œufs pendant toute la durée de l'incubation ; 4° l'absence de toute chaleur dégagée par l'œuf. Or, ces quatre hypothèses sont toutes contredites par l'expérience. La température normale de la poule varie suivant les individus. Elle n'est pas constante pendant toute la durée de l’incubation. La poule abandonne ses œufs de temps en temps et les expose ainsi à des refroi- dissements et des réchauffements successifs. Enfin, l'œuf produit pen- dant l'incubation une quantité de chaleur, probablement très-petite, mais qui ne doit pas être négligée. Il y a donc dans l'incubation natu- relle un certain nombre de causes perturbatrices qui empèchent d'obtenir des résultats satisfaisants. Mais l’incubation artificielle, à l’aide de laquelle on peut, aujourd'hui, produire une invariabilité ab- solue de température pendant une durée indéfinie, permettra, sans aucun doute, de réunir toutes les données du problème. J'ai souvent, depuis le commencement de mes recherches, pensé à réunir ces données; et je l'aurais fait sans l’imperfection de mes appareils. En attendant que je puisse reprendre ces expériences, je dois indiquer un certain nombre de faits que j'ai constatés, quoi- que d'une manière incomplète, et qui montrent que, même pour 1 GasPauiN, Traité d'agriculture, t, III, p. 461, 4re édit. 70 PRODUCTION ARTIFICIELLE l'incubation, le problème des sommes de chaleur présente une complication beaucoup plus grande qu’on ne le croirait au premier abord. La détermination des éléments du problème pourles plantes a faitun grand pas que l’on doit à M. Martins. Ge savant a montré que, dans le calcul des sommes de chaleur, 1l faut compter les températures non à partir du O0 thermométrique, comme on le faisait avant lui, c'est-à-dire à partir de la température de la glace fondante, mais à partir d'un 0 spécial à chaque espèce, celui qui marque la tempéra- ture la plus basse à laquelle les phénomènes de végétation peuvent commencer. « Toutes les plantes, dit-il, n’entrent pas en végétation à la même température : ainsi, chez les unes, la séve commence à monter lors- que le thermomètre est à quelques degrés seulement au-dessus de 0; d'autres ont besoin d’une chaleur de 10 à 12 degrés; celles des pays chauds exigent une température de 15 à 20 degrés. En un mot, chaque plante à son thermomètre dont le zéro correspond au minimum de température où la végétation est encore possible. Par conséquent, quand on cherche quelle est la somme des températures qui a déter- miné Ja floraison de chacune de ces plantes, il est logique de ne pren- dre que la somme des degrés de température supérieurs au zéro de chacune d'elles, puisque ces degrés sont les seuls qui soient efficaces pour provoquer ou entretenir leur végétation. On obtient alors vérita- blement une expression de la chaleur indispensable pour amener le développement des feuilles ou des fleurs. Mais quand on prend pour point de départ le degré de congélation de l’eau, on additionne des degrés de température trop rapprochés du 0 thermométrique pour provoquer la végétation de la plante, avec ceux qui contribuent réel- lement à son développement !, » Ces remarques de M. Martins sont parfaitement fondées, et doivent être évidemment le point de départ de toutes les recherches sur les sommes de température dans la physiologie animale comme dans la physiologie végétale ; mais je dois ajouter ici un fait nouveau qui m'a beaucoup frappé, et que l’on doit nécessairement faire intervenir dans la question dont je m'occupe actuellement; c’est que ce zéro physiologique, au-dessous duquel les phénomènes embryogéniques ne peuvent se produire, ce zéro varie lui-même suivant les diffé- 1 Manrixs, Voyage en Scandinavie, p. 89. 2 DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS. 71 rentes époques de l'incubation. C'est, en effet, un résultat très- curieux de mes expériences sur l'influence des températures basses que l’évolution peut commencer à une température notablement plus basse que la température normale, à une température que je ne puis pour le moment évaluer d’une manière précise, mais que je consi- dère approximativement comme placée entre 25 et 30 degrés. Prévost et Dumas avaient déjà constaté ce fait. Mais j'ai vu quelque chose de plus. L'évolution peut commencer dans ces conditions; mais elle est très-lente ; de plus, elle s'arrête de très-bonne heure. L'embryon périt alors, après une première période antérieure à la formation du cœur et de l'aire vasculaire, Ce fait, en dehors mème de la question que j'étudie actuellement, à une certaine importance ; car la température de 28 degrés, que je considère comme étant à peu près celle qui détermine ce commencement d'évolution qui s'arrête si rapidement, est souvent la température de l'air pendant les mois d'été, mème dans notre climat. 11 en résulte que des œufs, quand on n’a pas soin de les conserver dans des endroits frais, peuvent, même sans incuba- tion naturelle ou artificielle, commencer à se développer, puis périr. J'ai eu plusieurs fois occasion de le constater. On voit alors, si l’on ouvre l'œuf un certain temps après la mort de l'embryon, que cet embryon, placé au cenire du blastoderme, est en train de se décomposer, bien qu'il soit encore facilement recon- naissable. Si les œufs ne sont ouverts que lorsque l'embryon a péri depuis quelques jours, il peut avoir disparu, mais en laissant des signes non équivoques de son existence. Le blastoderme s'est formé, et il présente à son centre un espace clair, tout à fait transparent, qui n'est autre chose que la place occupée antérieurement par l'em- bryon. Là, les deux feuillets séreux et muqueux du blastoderme sont complétement séparés et présentent des replis tenant à leur disten- sion antérieure par la substance embryonnaire. Il y a d’ailleurs un autre signe de la présence antérieure de l'embryon, c'est la consom- mation de l’albumine au-dessus du blastoderme. Quand on suit le développement de l'embryon, on voit que l’albumine disparaît au- dessus du blastoderme, en formant une sorte de cylindre creux qui va toujours en s’élargissant. On constate facilement sa présence en coa- gulant l’albumine. Si l'œuf est ouvert encore plus tard, le blasto- derme lui-même disparaît, au moins partiellement, Wolff a déjà signalé ces blastodermes développés dans lesquels on 78 PRODUCTION ARTIFICIELLE ne trouve plus que des traces d’embryons, et ceux où l’on n'en trouve plus !, Cette mort précoce de l'embryon et sa disparition ont souvent induit en erreur les embryogénistes. C'est à un cas de ce genre qu'est due incontestablement l'erreur de Malpighi lorsqu'il croyait obser- ver l'embryon dans la cicatricule avant l'incubation?. M. Panum a pris des cas de ce genre pour des anomalies, c’est-à-dire pour des blastodermes développés sans embryon ?. Ce fait de la mort précoce de l'embryon ne se produit pas d’ailleurs uniquement sous l’influence d’une basse température ; c'est un acci- dent très-fréquent, qui a pendant longtemps entravé mes expé- riences, et qui dépend de causes que je n'ai pu encore déterminer d'une manière précise. A une température un peu plus élevée, que j'évalue approximati- vement de 30 à 35 degrés, l'embryon peut atteindre, quoique avec lenteur, le degré de développement que présentent les embryons, sous la température normale, après trois jours d'incubation ; mais il s’y arrête et continue à vivre pendant un certain temps, sans que l'évolution continue. Dans ces conditions, la formation des globules du sang est notablement diminuée. Il est très-digne de remarque que l’époque où l’embryon s’arrète ainsi d’une manière fatale est précisément la même que j'ai signalée pour les embryons qui se développent dans des coquilles recouvertes en totalité par des vernis solides. Ne peut-on pas se demander si dans ce Cas, comme daps le précédent cas, la cause de cette cessation de l’évolution ne consisterait pas dans ce fait que la respiration ne pour- rail pas acquérir une intensité suffisante ? On sait depuis longtemps que chez les animaux à sang froid l'intensité de la respiration est réglée par la température extérieure. L’embryon, aux premières pé- riodes de sa vie, ne peut-il pas être considéré comme un animal à sang froid ? En résumé, toutes les expériences que J'ai faites concernant l'in- 1 Wozrr, — Nunquam embryo conspicitur quin areola quoque htc cirea eu observetur, Sed vidisse quoque mihi visus sum in ovis duodecim circiter vel octodecim horas incubatis istam foveam vacuam sine ullo embryonis vestigio. Et in aliis ejusdem ætatis ovis similiter areolam vidi, in quà tamen embryonis rudimentum continebatur, De formatione inteslinorum, dans les Novi comment. Petrop., t. XII, p. 432, 1768. 2 Voir l'introduction p. 10. 3 PanuM, Entstehung der Missbildungen, p. 30, pl. I, fig. 1, C’est ce qu'il appelle Abortive Doppelschildbildung. DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITEÉS. 79 fluence des basses températures sur l'évolution montrent que ce phénomène peut commencer à des températures notablement plus basses que la température de l’évolution normale, mais qu'à de cer- tains moments il exige, pour pouvoir se continuer et s'achever, des températures loujours croissantes, et que par conséquent, pour déterminer la somme des températures nécessaires à l’évolution complète, il faut tenir compte de la température ##nima nécessaire à chaque période de la vie embryonnaire. En tenant compte de tous ces faits, on arrivera incontestablement, à l’aide d'expériences prolongées, à constater les éléments nécessaires pour la détermination des sommes de température, et pour voir comment l'augmentation ou l’abaissement de la température agissent pour avancer ou pour retarder l'éclosion, Mais il y a encore ici une condition dont il faut tenir grand compte, comme dans tous les phé- nomènes physiologiques, c'est l’individualité, Harvey a déjà indiqué que l’évolution embryonnaire ne se fait pas dans ous les œufs avec la même vitesse ; ce qui montre combien sont vaines toutes les tentatives que l’on à souvent faites pour établir le degré d'évolution qui correspond aux diverses heures des premiers jours de l’incubation ‘, Plus tard, Haller a fait la remarque que les embryons qu'il observait à Goettingue présentaient un retard ma- nifeste sur les embryons des mêmes heures d’incubation que Malpighi avait observés à Bologne. Haller attribuait ce retard à la différence des climats. J'y verrais plutôt un fait de race ; soit que les poulets de certaines races aient un développement plus rapide, soit que la tem- pérature des poules de certaines races soit plus élevée, ainsi que nous l’apprend M. Féry d'Esclands. Il serait curieux de savoir si cette inégalité dans la rapidité de l’évolution embryonnaire est en rapport avec des modifications orga- 1 Harvey. — Magna est in oYorum maturitate diversitas, aliaque aliis citius perficiuntur. Quemadmodum in arboris eujuscumque fructibus usu venit, quorum alii præcoces et decidui sunt, dum alii erudi et immaturiores ramis tenaciter adherent. Adeo ut quædam ova quinto die minus provecta sint, quam alia tertio ut plurimum solent. Idque. in plurimis ovis, per idem tempus incubatis, eodemque die opertis, comperi. (Exercilationes de generalione animalium, xv1.) Fit... ut plura simul ova inspicienti, quædam præcociora et provectiora, omniaque explicata magis habentia, alia tardiva, membrisque minusdistineta apparent, /bid., x1x. Voir aussi WoLrr, De formatione intestinorum,t. XII, p. 414.:— Il pense que cette différence tient en grande partie à l’inégal échauffement des œufs sous la poule, et que la poule remue ses œufs pour compenser ces différences. SU PRODUCTION ARTIFICIELLE niques ; si, par exemple, les poulets qui éclosent avant les autres ne seraient pas plus pelits que les autres. L'évolution de l'organisme résulte, en effet, de deux ordres de faits très-différents : les faits de formation, c’est-à-dire de production même des organes, et les faits de simple accroissement, qui consistent dans l'augmentation de vo- lume des organes déjà formés, ou, pour parler plus exactement, dans la multiplication du nombre des éléments histologiques. Or, ces deux ordres de faits, bien que liés entre eux par des rela- tions intimes, ne s’accompagnent pas d'une manière nécessaire, et peuvent, dans certains cas, se trouver en antagonisme. Is. Geoffroy Saint-Hilaire à insisté sur cette opposition, et cherché à expliquer, à son aide, les anomalies de la taille. J'ai moi-même constaté de sem- blables faits. Dans certains cas, lorsque le développement était très- rapide, ou, en d’autres termes, lorsque la température de l’incubation avait été un peu plus élevée que la température de l’incubation nor- male, les phénomènes de développement avaient prédominé sur les phénomènes de simple accroissement. Cette différence entre ces deux sortes de phénomènes a même quelquefois produit de véritables nains. Aïnsi, dans un œuf que j'ai ouvertvingt-huitheures après l’incubation, J'ai trouvé un embryon qui était mort depuis quelque temps, et qui par conséquent ne devait avoir que vingt-quatre ou vingt-six heures d’in- cubation. Cet embryon avait déjà sa tête retournée sur le jaune, tandis que son corps n’était pas encore retourné. Il avait atteint, par conséquent, la période de développement qui, dans l'état normal, cor- respond à peu près à la soixantième heure d’incubation; en d’autres termes, son évolution avait été à peu près trois fois plus rapide que dans l’état normal. Mais cette rapidité du développement était com- pensée par une diminution considérable de la taille. En déplissant l'embryon et en le mesurant suivant son axe longitudinal, j'ai constaté que sa longueur était à peu près le tiers de la longueur de celle des embryons arrivés à la même période ; et par conséquent son volume en était le ee C'était donc un véritable nain. J’ai observé plusieurs faits 1 du même genre ‘. Le nanisme tiendrait donc à la prédominance des 1 DanresrE, Sur certaines conditions de la production du nanisme ; dans les Comptes rendus, t. XL, p. 1214, 1865. Cette explication de l’origine des nains est en rapport, au moins d’une manière très-générale, avec ce que nous savons des variations de la durée de l’incubation chez les oiseaux ou de la gestation chez les mammifères, Dans tous les groupes DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS, si . faits de développement sur les faits de simple accroissement, sous l'influence d’une température relativement élevée. Existerait-il des faits inverses ? En d’autres termes, le retard que l'on observe dans les embryons qui se développent à des températures relativement basses aurait-il pour conséquence de faire prédominer les phénomènes de simple accroissement sur les phénomènes de dé- veloppement ? et n'aurions-nous pas dans l'œuf quelque chose d’ana- logue à ce qui produit l'augmentation excessive de la taille ou le géantisme? C'est une question que je ne puis qu'indiquer. Il serait possible également que cette différence entre les phéno- mènes d'accroissement et les phénomènes de développement fût produite par d’autres influences que celles”de la température. L'expérience, longtemps répétée et dans les conditions les plus diverses, pourra seule nous renseigner sur toutes ces questions. $ 6. Le procédé de l’échauffement inégal de l'œuf repose entièrement sur l’emploi de la couveuse à air libre, dans laquelle les œufs n’ont de contact avec la source de chaleur que par un seul point de leur surface, d'où elle se propage sur tous les autres points. J'ai voulu savoir d’abord si cette propagation de la chaleur se fait également dans tous les sens, ou bien si elle ne présenterait pas des inégalités comparables à celles que Sénarmont a constatées dans ses célèbres recherches sur la propagation de la chaleur dans les cris- taux *. Pour cela, j'ai employé son ingénieuse méthode, en étudiant la forme des figures produites par la fusion d'une couche de cire éten- due soit sur un œuf entier, soit seulement sur des fragments de coquille, et en échauffant la coquille par un seul point à l’aide d’une tige métallique chauffée au rouge. Dans toutes ces expériences, la fu- sion de la cire a dessiné des cercles, ce qui prouve que, dans la coquille de l’œuf, la chaleur se propage dans tous les sens avec des vitesses égales, en occupant successivement des couches concentriques de plus en plus grandes, mais en diminuant constamment d’intensité. naturels de ces deux classes, cette durée diminue ou augmente avec la taille de l'animal; or, les faits-de développement étant essentiellement les mêmes chez tous les animaux d'un même groupe naturel, les différences de taille dépendent uniquement de la différence des faits d’accroissement. ! SÉNARMONT. Mémoire sur la conductibilité des substances cristallisées pour la cha- leur, daus les Comptes rendus, t. XXV, p. 707, 1847. 82 PRODUCTION ARTIFICIELLE ; Eñ partant de ces notions de physique, on voit que lorsque le point culminant de l'œuf, celui que vient toujours oteuper la cicatricule, est aussi le point de contact avec la source de chaleur, la propagation de la chaleur et le développementdu blastoderme marchent, en quel- que sorte, parallèlement. Par conséquent, le blastodermé, puis Île feuillet vasculaire, se développent d'une manière égale à partir du point central, dans toute la zone isotherme qui possède une tempé- rature assez élevée pour déterminer leur formation, et ils prennent un contour circulaire comme cette zone elle-même. Mais si le centre d'où se répand la chaleur, c’est-à-dire le point de contact avec les tuyaux, né coïncide pas avec le centre du blastoderme, les différentes parties du blastoderme s'échauffent inégälément, puisque celles qui se rapprochent de la source de chaleur sont dans une zone plus chaude que celles qui s'en éloignent. Cette inégale répartition de la chaleur des deux côtés du centre du blastoderme à ainsi pour résultat le développement inégal des deux moitiés du blastoderme et du feuil- let vasculaire. Je ferai connaître plus tard les anomalies remar- quables qui proviennent de cet échauffement inégal. On obtient {rès-facilement ce défaut de coïncidence entre le point culminant de l'œuf etle point de contact avec les tuyaux ; car il n’y a coïncidence entre ces deux points que dans une seule position, lorsque les œufs sont placés immédiatement au-dessous des tuyaux. Il y à au contraire une infinité de positions possibles de l'œuf par rapport aux tuyaux de chauffe, dans lesquelles la coïncidence n'existe pas, soit que le grand axe des œufs soit parallèle à l’axe des tuyaux. soit que le petit axe des œufs présente au contraire cette condition de parallélisme. Mais toutes ces positions ne se prêtent pas au développement de la cicatricule qui, pour se développer, doit toujours être à une distance peu considérable du point de contact ; car elle doit subir l'influence d’une certaine température. Or, le décroissement de la température à partir du point de contact est assez rapide, puisqu'il est propor- tionnel au carré de la distance. Il est d’ailleurs impossible de déter- miner cette distance dans tous les Cas, car elle varie avec la tem- pérature de la source elle-même et avec la température de l'air qui baigne les œufs. Mais il ést évident qu’en aucun cas cette distance ne peut être très-considérable ; car une élévation de la température de la source jusqu’à cinquante degrés aurait pour résultat de modi- lier la constitution de l’albumine et même de la coaguler. DES ANOMALIES ET DES MONSTRUOSITÉS. 83 La mesure directe de la distance entre le point culminant et le point de chauffe présente de très-grandes difficultés; mais elle peut être facilement obtenue à l'aide de deux constructions géométriques très- simples, qui s'appliquent l'une au cas où le grand axe et l'autre à celui où le petit axe de l'œuf sont parallèles à l'axe des tuyaux de chauffe. Ainsi donc, la température de la source de chaleur, celle de l'air ambiant, et la distance de la cicatricule ou, en d’autres termes, la distance du point culminant au point de contact, sont liées entre elles par des relations nécessaires qui pourront un jour être exprimées par une formule mathématique. Je ne puis, pour le moment, établir ces relations, faute de données numériques exactes. La régularité de marche de mes appareils actuels me permettra bientôt de le faire. L'échsuffement inégal des œufs, ainsi obtenu à l’aide de la cou- veuse à air libre, détermine toujours des anomalies et parfois des monstruosités. Ce procédé à un intérêt tout particulier puisqu'il per- met, comme je le montrerai dans la suite, de produire à volonté certaines anomalies. C'est, jusqu’à présent, le seul fait de ce genre que j'aie constaté. L'emploi de tous les autres procédés ne m'a donné jusqu'ici que des anomalies que je ne peux déterminer d'avance. Je reviendrai bientôt sur ce fait dont je donnerai la signification. 1 Voir à la fin de la première partie la note qui a pour titre : De la mesure de la dis- tance du point culminant de l'œuf au point de contact avec les tuyaux de chauffe dans la couveuse à air libre. CHAPITRE TI ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ DANS LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES. . SOMMAIRE. 10 Résultats généraux de mes expériences. — 20 Individualité du germe. — 3° Constitution matérielle du germe et de ses annexes. — 40 Tendances héré- ditaires., — 5° Modifications du germe pendant la période qui sépare la ponte de la mise en incubation. — 60 Indication de quelques causes d'erreur. S 1. Ainsi que je viens de le dire dans le précédent chapitre, l’imper- fection de mon outillage ne m’a pas permis pendant longtemps de déterminer d’une manière précise les relations qui existent entre les causes physiques qui troublent l'évolution et les modifications que ce trouble produit dans l'organisme. Les perfectionnements que j'ai récemment introduits dans mes appareils me mettent en mesure de combler prochainement cette lacune. Toutefois je puis, dès à pré- sent, signaler deux faits très-généraux qui résultent de mes expé- riences, et qui ne me paraissent pas susceptibles d'être changés par mes études ultérieures : 1° Les mêmes anomalies peuvent être produites par les conditions physiques les plus différentes. Ainsi les quatre procédés tératogéniques que j'ai décrits dans le chapitre précédent, quelque différents qu'ils soient, m'ont donné cependant les mêmes faits tératologiques. Les anomalies que M. Panum a produites par l'emploi du refroidissement temporaire des œufs, et celles que M. Lombardini a produites par l’em- ploi de courants électridues, sont également de même nature que celles que j'ai produites par de tout autres procédés. En d’autres termes, il n°y a pas, le plus ordinairement du moins, de relation néces- saire entre l'emploi d'une certaine condition physique comme cause modificatrice, et une certaine modification de l'organisme. Ce n’est que très-exceptionnellement, et par l'emploi d’un seul pro- cédé, l’échauffement inégal des œufs, que j'ai pu déterminer à volonté l'apparition de certaines anomalies déterminées. Mais les anomalies ainsi produites sont peu importantes et consistent uniquement en de | PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES, 85 très-légers changements de forme du blastoderme et du feuillet vas- eulaire ; elles n'ont pas porté sur l'embryon lui-même. J'ai lieu de croire, il est vrai, que l'inversion des viscères peut apparaître dans certaines conditions déterminées ; mais je n'ai pu encore m'en assurer d'une manière définitive ; 2° Bien que les embryons soumis à des conditions physiques iden- tiques, mais capables de modifier l’évolution, présentent en général les mêmes anomalies, on ‘en trouve presque toujours quelques-uns dont l’évolution se fait d'une manière différente, soit qu'elle aboutisse à d’autres anomalies, soit qu'elle conserve le type normal. On voit donc que, dans ce cas comme dans le précédent, il n’y a aucune relation nécessaire entre la cause modificatrice et la nature des mo- difications produites. Ces deux faits peuvent, à première vue, sembler étranges et même contradictoires. Il importe d’en faire comprendre la véritable signifi- cation, et de montrer comment ils peuvent se concilier. Une des conséquences les plus générales de mes recherches, c'est que les monstruosités simples, les seules que j'ai produites artifi- ciellement, quelque variées qu'elles soient, résultaient toujours d'un même fait initial, l'arrêt de développement, soit de l'embryon lui- même, soit de ses annexes. Le livre actuel est la démonstration com- plète de cette proposition. Toutesles causes physiques qui produisent les monstres simples, quelle que soit leur nature, agissent donc de la même manière, en troublant l'évolution et en l’empèêchant de donner les résultats qu’elle produit lorsqu'elle est soumise à ses conditions ordinaires. Les différents types de la monstruosité ne dépendent pas de la nature même des causes tératogéniques, mais de l'intensité de leur action, et très-probablement aussi de la durée pendant laquelle cette action s'exerce sur le germe. En d’autres termes, elles ne sont point, comme on le dit en médecine, des causes spécifiques, puisqu'elles ne produisent pas des effets déterminés; ce sont seulement des causes perturbatrices. Je ne puis, pour le moment, donner toutes kes preuves de cette proposition ; je les ferai connaître et je les discuterai dans un autre ouvrage. Quant à la diversité des résultats obtenus par l'emploi de causes identiques, diversité qui paraît au premier abord inconciliable avec la notion de la fixité absolue des lois naturelles, il n’y a évidemment qu'une explication possible : c'est que les germes d'une même espèce, quelque semblables qu'ils nous paraissent, ne sont jamais identiques ; 86 ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ et que par conséquent, ils réagissent différemment contre les condi- tions physiques qui troublent leur évolution. En d’autres termes, il y a là un fait nouveau qui intervient, l’individualité du germe. S 2. Les individus adultes d’une même espèce, quelque semblables qu'ils soient, ne sont jamais identiques ; ils présentent toujours des différences appréciables. Ces différences sont de divers ordres. Tantôt elles ne dépassent pas le type spécifique, et consistent simplement en des modifications peu importantes de volume, de forme, de colo- ralion. C'est ce que l’on appelle des nuances. Tantôt elles dépassent le type spécifique, et constituent de véritables anomalies qui présentent tous les degrés possibles, depuis les variétés les plus légères jusqu'aux monstruosités les plus graves !. En outre, dans toutes les espèces où les sexes sont séparés chez des individus différents, la sexualité ne se manifeste pas seulement par la nalure des organes reproducteurs ; mais elle imprime son cachet sur tout l'organisme. Le type spécifique général se scinde en deux types subordonnés, le type mäleet le type femelle, types assez différents, dans beaucoup d'espèces, pour avoir été considérés pendant longtemps comme des types spécifiques distincts. Ces différences, qui portent sur des faits anatomiques, sont en rap- port avec des différences physiologiques. Sans aucun doute, les phé- nomènes essentiels de la vie sont, au fond, les mêmes chez tous les individus d’une même espèce; puisqu'ils le sont chez toutes les espèces d'un même genre, d'un même ordre, d'une même classe. Mais les différences individuelles des organes entraînent nécessairement des différences individuelles dans la manière dont ils agissent. En d’autres termes, chaque individu a son mode propre de vie qui n’est jamais absolument le même que celui desfautres individus de la même espèce. Ces faits sont parfaitement connus, au moins dans Pespèce hu- maine. La pratique de la médecine a appris depuis bien longtemps combien il faut tenir compte de l’individualité, et de tous les faits qui la caractérisent (constitution, tempérament, édiosyncraste, etc.). Nulle part le rôle de l’individualité physiologique n'est plus évident que dans cette partie de la médecine que l’on appelle l'étiologie. Une 1 Voir, à ce sujet, Is. Georrroy Saint-Hilaire, Histoire naturelle générale des règnes organiques, t. II, p. 318 et suiv. _— D ON — DANS LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES, 87 même maladie peut être produite par les causes les plus diverses. D'autre part, une même cause produit, suivant les individus, des affee- tions très-différentes, Le froid détermine des maladies du tube digestif, des voies respiratoires, des articulations. L'intoxication pa- ludéenne, bien que se manifestant ordinairement sous les formes, déjà si nombreuses, des fièvres intermittentes, produit exceptionnel- lement des fièvres rémittentes, pseudo-continues, continues ; ailleurs ces maladies non fébriles, mais à type intermittent, que l'on désigne sous le nom de fièvres larvées ; enfin il est des organisations qui lui semblent absolument réfractaires. Or ee qui est vrai pour les êtres adultes, est également vrai pour les germes. Eux aussi, quelque semblables qu'ils nous paraissent — et leur similitude est encore bien plus apparente que celle des êtres adultes — ne sont jamais identiques, ni anatomiquement, ni physio- logiquement. Harvey avait déjà fait remarquer, que les œufs que l'on met en incubation ne se développent jamais avec la même rapidité ; et qu'ils présentent toujours des inégalités plus ou moins grandes dans leur évolution {, Wolff alla plus loin; il montra que l’on observe de semblables inégalités, quand on compare non-seulement l'évo- lution générale, mais encore l’évolution partielle de chaque organe*. Or les observations de Harvey et celles de Wolff, avaient été faites sur des embryons produits par l’incubation naturelle. Elles prouvent d'une manière bien évidente que, même dans les conditions où les em- bryvons se développent d’une manière normale, l'individualité joue un grand rôle et produit dans l’évolution des différences, légères sans doute, mais appréciables. On comprend dès lors comment, dans mes expériences, les germes réagissent différemment contre des causes modificatrices identiques. Ce fait de l'individualité du germe, qui ressort si manifestement de toutes mes expériences, a été également bien établi, dans ces der- nières années, pour la physiologie végétale, par M. Alph. Decan- dolle, dans son beau travail sur la germination des graines sous des degrés divers de température constante. Je cite textuellement le pas- 1 Voirp. 79. 2 WozrF, De formatione intestinorum, dans les Novi Comment. Pétrop, t. XII, p. 464. « Aecedit ad difficultatem harum observationum augendam, quod ova ejusdem ælatis non æque perfecta ideo sint. Denique quod neque omnes embryonis partes æquali jure crescant. Sæpius involucra interioribus partibus, et hæ rursum illis præferri; sæpius cor cum hepale præ intestinis, et contra hæc præ corde magis, quam solitum est, promoveri observatum est mihi, » 88 ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ sage où l'illustre botaniste mentionne les résultats de ses expériences, et les considérations si judicieuses, qu'il en déduit sur la différence de l'expérimentation en physiologie et en physique : «Les physiciens reprochent quelquefois aux naturalistes de négliger a méthode expérimentale pour suivre constamment celle de lob- servation. Voici un exemple qui justifie les naturalistes. « Rien n'est plus facile à soumettre à des expériences que des graines ; rien ne paraît plus homogène, plus comparable dans une même espèce. Et cependant des graines puisées à la même provision, conservées de la même manière, semées ensemble, germent successi- vement. Le fait est fréquent, je l'ai vu maintes fois dans mes expé- riences. Les agriculteurs le connaissent bien. Il y a des familles, par exemple les Légumineuses, qui le présentent à un degré fort incom- mode. C’est que les graines d’une même récolte, d’une même plante, d'une mème capsule, ne sont identiques, ni physiquement, ni chimi- quement. Leur organisation est très-compliquée et leux évolution très-compliquée aussi, quoique d’autres faits physiologiques le soient encore davantage. Les physiciens raisonnent sur des corps homogè- nes; les naturalistes sur des corps hétérogènes. Un métal se fond à une température bien constante, parce qu'il est composé de parties semblables. Un corps organisé ne présente jamais cette similitude de toutes les parties d'un même organe. De 1à moins d’exactitude dans les expériences, la nécessité habituelle de comparer beaucoup de faits, c'est-à-dire d'observer". » Ces paroles expriment, d'une manière très-nette, l’une des plus grandes difficultés que présente l’expérimentation dans les sciences biologiques. Malgré toutes les précautions que nous accumulons pour nous placer dans les mêmes conditions et pour obtenir des résultats identiques, nous nous heurtons toujours à des exceptions, c’est-à-dire à l’individualité. 3. A Comment pouvons-nous concevoir cette individualité du germe, et son rôle dans la production des anomalies? Ici, pour ne pas trop 1 Alph. DecanpozLe, Mémoire sur la germination sous des degrés divers de tempé- rature constante, dans les Archives des sciences physiques et naturelles de Genève, 1865, t. XXIV/,/p. 270. Voir aussi, sur cette question, le beau chapitre d’Is. Grorrroy SainT-HiLAIRE sur la valeur différente de l'observation dans les sciences physiques et les sciences natu- relles, Hist. nat. générale des règnes organiques, &. I, p. 359 et suiv. DANS LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES, 89 étendre mon sujet, je me bornerai à l'examen du germe contenu dans l'œuf de la poule, le seul que j'aie soumis à mes expériences. On observe dans l'œuf fécondé, sur un point de la surface du jaune, une tache blanche à contours circulaires. Elle est formée par une pe- tite lame, placée au-dessous de la membrane qui enveloppe le jaune. Fabrice d'Aquapendente, qui la décrivit le premier, méconnut sa véri- table nature ; il crut que c'était une cicatrice produite par la sépara - tion du jaune d’avec les parois de l'ovaire, exactement comme la partie de la graine que l’on appelle le Aile, résulte de la séparation de la graine d’avec le raphé, c’est-à-dire le cordon qui l’attache au péricarpe. Aussi désigna-t-il la tache du jaune sous le nom de cicatricule, nom que la science a conservé, malgré l’inexactitude de sa signification. Harvey reconnut, et ce fut l'un des résultats les plus importants de son travail sur la génération, que la tache ou la cicatricule est la partie essentielle de l'œuf; que, sous l'influence de la chaleur naturelle de la poule ou d’une chaleur artificielle peu élevée, elle s'étend en tous sens, et finit au bout de quelques jours par former une poche mem- braneuse qui enveloppe le jaune tout entier, poche que nous appe- lons aujourd’hui le hlastoderme. C’est au centre de la cicatricule que se produit l'embryon ‘. La cicatricule est donc le germe. Ce germe, si petit qu'il soit, est un organisme très-complexe, et qui présente déjà beaucoup de caractères individuels. Il est constitué par l'union d'un très-grand nombre de cellules, assurément fort sem- blables entre elles, mais qui ne sont jamais absolument identiques ; dont chacune, par conséquent, possède son individualité, son mode particulier de vitalité, et peut éprouver des altérations pathologiques sans que ses voisines soient nécessairement affectées de la même facon. Le nombre de ces cellules varie considérablement dans les ci- catricules, comme le prouvent leurs dimensions, différentes suivant les œufs. Mais la cicatricule n'est pas un organisme isolé, agissant par con- séquent d'une manière isolée. Elle fait partie de l’œuf qui la pro- tége et qui lui fournit les éléments de son développement. Les diffé- rences individuelles de l’œuf viennent donc s'ajouter à celles du germe lui-même; et ces différences sont beaucoup plus marquées et beaucoup plus appréciables. Les œufs diffèrent notablement les uns des autres, pour la forme, le volume, la couleur et la constitution. 1 Harvey, Exercilationes de generalione animalium, XI et XIV. 90 ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ On sait que la forme des œufs de poule, bien qu’essentiellement la mème chez tous, présente des différences très-appréciables, qui tien- nent aux dimensions différentes du grand et du petit diamètre. Il y a des œufs plus allongés, d’autres plus courts. On avait, dès l'antiquité, rattaché ces différentes formes à des différences physiologiques, et particulièrement au sexe de embryon. Le volume de l'œuf varie, d’une manière générale, proportionnel- lement à la taille de la race. Les différences des œufs sont à cet égard très-considérables. Le poids moyen de l'œuf serait d’après Buffon, de 44 grammes ; d’après Dumas, de %85,60. M. Rufz de Lavison a trouvé que le poids des œufs de grandes races indigènes et exotiques allait de 60 à 67 grammes. Il cite des œufs provenant de poules du Périgord, qui pesaient 120 et 140 grammes *. D'autre part, il y a des races naines dont les œufs sont très-petits. J’ai eu récemment l’occasion de peser des œufs provenant de ces races ; et j'ai constaté que leur poids moyen était à peu près de 30 grammes. Par conséquent, le poids de certains œufs n’est que le quart du poids de certains autres ; parfois, il n’est même pas le quart. La couleur des œufs varie notablement, depuis la blancheur mate de ceux de certaines races indigènes jusqu’à la teinte roussâtre de ceux des poules de Nankin et de Brahmapoutra. La proportion des diverses parties de l'œuf, coquille, blanc et jaune, est assez variable *, De plus, leur composition chimique présente certainement des différences. La coquille est plus ou moins épaisse, suivant qu’elle contient plus ou moins de sels calcaires, Le jaune est d'une couleur plus ou moins foncée suivant qu'il contient plus ou moins d'huile colorée. Toutes ces différences sont incontestablement en rapport avec les diverses races de l’espèce de la poule, l’une de nos espèces domes- tiques qui à subi les variations les plus considérables. Mais à côté de 1 Du reste, on était loin de s'entendre à ce sujet, Aristote admet que les œufs longs produisent des mâles ; Pline admet, au contraire, qu’ils produisent des femelles. J'ai montré dans l'Introduetion (p. 34) comment cette idée fut le point de départ des mémorables expériences de Geoffroy Saint-Hilaire sur la production artificielle des monstruosités. Du reste, cette opinion ne repose sur aucun fait réel; Geoffroy Saint- Hilaire s’en est, plus tard, assuré par l'expérience, "2 Rurz De Lavison. Conférence sur l'oologie, dans le Bulletin de la Soc, d'acclim., 2e série, t, II, p. 147, 1865. 3 Gayor, Poules et œufs, p. 104. L'auteur part de ces faits pour signaler l'intérêt qu'il y aurait à créer des races de poules dans lesquelles on augmenterait le poids du jaune relativement à celui du blane. ee DANS LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES, Mn ces différences de races il y en a d’autres, beaucoup plus légères, qui pourtant n’échappent pas à un œil exercé, D'après Harvey', chaque poule donnerait à ses œufs une forme et une grandeur particulières ; il affirme qu'ayant eu à sa disposition un poulailler peu nombreux, il est vrai, il reconnaissait parfaitement les œufs de chacune de ses poules, Un éleveur anglais, M. Dixon, men- tionne le même fait *, Ainsi l’individualité des poules se manifesterait même dans la nature de leurs œufs. Il est impossible que toutes ces différences matérielles des cicatri- cules et surtout des œufs eux-mêmes, quelque légères qu’elles soient, n’exercent pas une certaine influence sur la manière dont les agents physiques agissent sur l'œuf; et que, par conséquent, elles ne déter- minent pas, dans certaines circonstances, certaines modifications dans l'évolution de l'embryon. Nous ne possédons presque aucun document à ce sujet. Toutefois, il est bien clair que l'épaisseur plus ou moins grande de la coquille modifie l'évaporation qui se fait à sa surface. M. Carbonnier a constaté que les œufs des poules hollandaises, dont la coquille est très-blanche, supportent beaucoup moins les variations de température que ceux des autfes races, dont la coquille est d’une blancheur beaucoup moins intense *. Mais ce ne sont que de vagues indications, Il y a là tout un en- semble de problèmes que je ne puis que poser. Leur solution appar- tient à l'avenir. 8 4. L'individualité du germe ne consiste pas seulement dans sa consti- tution matérielle et dans celle de ses annexes; elle est encore, elle est surtout, dans ce que l’on peut appeler sa constitution immatérielle ; c'est- à-dire dans l'ensemble des tendances héréditaires qu'il tient de tous ses parents immédiats ou médiats. Dans l'acte de la génération, le parent, ou les parents (s'il s'agit d'une espèce à sexes séparés) ne transmettent pas seulement à l'être vivant qu'ils procréent un type spécifique abstrait, mais encore un nombre plus ou moins grand de leurs particularités individuelles. Le 1 Harvey, Exercilationes de generatione animalium, ex. XII. ? Dixon, Ornamental and Domestic Poultry, p. 152. 3 CaRBONNIER, Observalions failes sur l'incubalion des œufs de gallinacés, dans les Comptes rendus, t. LXVIIT, p. 613. 1869. 92 ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ terme de reproduction que l’on emploie pour désigner ce mystérieux phénomène n’est donc pas un terme purement métaphorique ; il doit être pris dans son acception la plus littérale. C'est là ce que l’on appelle l’hérédité physiologique. Toute particula- rité individuelle quelle qu'elle soit, anatomique ou physiologique, congéniale ou acquise, est transmissible par voie de génération. Ce fait est connu de toute antiquité ; mais ce sont seulement les physio- logistes modernes qui en ont démontré toute la généralité. Je n’y insisterai pas, me bornant à renvoyer le lecteur aux ouvrages qui en traitent d'une manière spéciale; particulièrement à ceux de Pr. Lucas et de Darwin‘. Le seul point sur lequel je désire appeler particulièrement l’atten- tion, c'est que la multiplicité des tendances héréditaires, et leur combinaison inégale dans chaque germe particulier, doivent nécessai- rement aboutir à la production d'individualités. En effet, la faculté de transmission héréditaire n'est pas spéciale au procréateur immé- diat ; elle appartient aussi à ses ancêtres, au moins pendant un grand nombre de générations; peut-être même, quoique nous n’en possé- dions pas la preuve directe, pendant toutes les générations qui se sont succédé depuis l’origine de l'espèce. C’est ce que l’on appelle l’ata- visme. La force quelconque que le germe contient à l’état latent, et qui détermine la production et l’évolution de l'embryon, lorsqu'elle entre en jeu sous l’action d’une cause extérieure, est done la résul- tante de toutes les tendances héréditaires du procréateur immédiat, et de celle de ses ancêtres, tendances qui tantôt s’exercent dans le mème sens, et tantôt dans des sens différents, et qui, par conséquent, tantôt s'accumulent et tantôt se neutralisent en obéissant à des lois encore inconnues ?. 1 Pr. Lucas, Traité philosophique et physiologique de l'hérédilé naturelle, 1847. — Darwin, Sur la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domesticalion, chap. xIT, XIII et XIV. 2 Je ne puis pas ne pas rappeler ici les idées si ingénieuses que L, Vilmorin se proposait d'appliquer à la production des races améliorées chez les plantes. Il cher- chait, dans ce but, à annuler autant que possible l'influence de l’atavisme ou, en d’autres termes, des générations antérieures, pour augmenter l’action du procréateur immédiat. Je cite ses propres paroles : « Pour obtenir d’une plante non encore modifiée des variétés d’un ordre déterminé à l'avance, je m'attacherais d’abord à la faire varier dans une direction quelconque, en choisissant pour reproducteur, non pas celle des variétés accidentelles qui se rapprocherait le plus de la forme que je me suis proposé d'obtenir, mais simplement celle qui différerait le plus du type. A la seconde génération, le même soin me ferait DANS LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES. 93 Le nombre de ces tendances héréditaires devient encore infini- ment plus considérable, lorsqu'il s'agit des espèces où les sexes sont séparés chez des individus différents. On voit, en effet, que le nombre des ancêtres, dont l'influence agit ou du moins peut agir sur le germe, double à chaque génération; que, par conséquent, il est égal à la somme des termes de la progression géométrique formée par la suite des puissances de 2. L'individualité du germe résulte donc, dans ce Cas, de la combinaison de deux faisceaux de tendances hérédi- laires accumulées dans le père et la mère, combinaison déterminée par des lois encore inconnues, mais qui doit évidemment donner des résultats différents suivant les conditions différentes dans lesquelles elle se présente. Il y a certaines de ces conditions qui dépendent de l’individualité même des parents. On sait que, parmi les particularités individuelles de l'être vivant, on doit compter sa puissance de transmission héréditaire qu'il fait prédominer sur celle de son conjoint dans l'acte de la procréation", Mais il y en a d’autres qui se rattachent manifes- tement à la fécondation même, et à certaines circonstances encore inconnues de la manière dont elle s'opère ?. Ce qui le prouve, choisir une déviation, la plus grande possible d'abord, la plus différente ensuite de celle que j'aurais choisie en premier lieu. En suivant cette marche pendant quelques générations, il doit en résulter nécessairement, dans lès produits ainsi obtenus, une tendance extrème à varier; il doit en résulter encore, et c’est là le point principal, que la force d’atavisme, s’exerçant au travers d’influences très-divergentes, aura perdu une grande partie de sa puissance, ou, si j'ose encore employer cette comparai- son, qu'au lieu d'agir sur une ligne droite ou continue, elle le fera sur une ligne brisée, « C’est après avoir atteint ce résultat, que j'appellerai, si on me permet ce mor, affoler la plante, que l'on devra commencer à rechercher les variations qui se rap- procheront de la forme que nous voulons obtenir, recherche qui sera facilitée par Paccroissement énorme de l'amplitude de variation que la marche précédente aura produite. Nous devons alors éviter, avec le mème soin que nous les avons recherchés d'abord, les écarts qui pourraient se présenter, afin de donner à la race que nous nous appliquons à former, une constance d'habitude qui sera d’autant plus facile à obtenir que l’atavisme, cette cause incessante de destruction des races de création humaine, aura été affaibli par les chaînons intermédiaires au travers desquels nous l'aurons forcé d'exercer son influence, » L. ViLMoriN, Bullelin de la Société indus- trielle d'Angers, 1851, p. 253. L. Vilmorin formule, dans ces phrases, une méthode assurément très-rationnelle pour l'amélioration des races de plantes. Combien il est regrettable que sa mort si prématurée ne lui ait pas permis de poursuivre ces expériences pendant un nombre d'années suffisant pour en assurer le succès ! 1 Darwix, Variation des animaux et des plantes sous l'influence de la domesticalion, trad. franç., t. II, p. 69-76. ? Il est à peu près impossible, dans l’état actuel de la science, de donner une 94 ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ . ce sont les différences que l’on observe dans les caractères individuels des produits d'un même couple. Sans doute, et c’est un fait connu dé tout le monde, les individus issus d’un même père et d’une même mère se ressemblent plus que les individus d'une même espèce ; mais ils ont cependant leurs particularités individuelles, si atténuées qu'elles soient. Et cela a lieu, non-seulement dans les fécondations successives, mais encore dans les fécondations simultanées, même lorsque deux jumeaux se produisent dans un même germe, bien que, dans ce dernier cas, les différences deviennent infiniment petites, et tendent presque à s'annuler. Tout germe vivant contient done, à l’état latent, dès l’époque de la fécondation, une force qui, pendant l’évolution embryonnaire, tend à réaliser non-seulement un type spécifique abstrait, mais encore un nombre plus où moins grand de particularités individuelles résultant d'un mode particulier de combinaison de toutes les tendances hérédi- taires de ses parents immédiats et médiats. Le gérme est ainsi, dès cette époque, presque aussi complétement individualisé que l'être adulte qu'il doit produire. On comprend donc que, lorsque le germe se développe sous l'influence seule des conditions naturelles, générale- ment les mêmes pour tous les germes d’une même espèce, il ne fait guère, si l’on peut parler ainsi, que réaliser toutes les virtualités qu’il contient. Dans l’incubation naturelle, par exemple, tous les embryons de la poule se développent ordinairement dans des conditions à peu près semblables; et par conséquent la direction de leur évolution est entièrement déterminée par la combinaison des influences hérédi- taires. Ces conditions extérieures sont encore beaucoup plus semblables pour les embryons des mammifères à placenta, qui se développent dans la cavité utérine. Quand on tient compte de tous ces faits, on s’explique comment Wolff, puis Meckel, ont cru pouvoir révoquer complétement en doute l'influence des causes extérieures sur la pro- duction des monstres ; et admettre que toutes les conditions de l'évo- lution du germe étaient déterminées, dès l’époque de la fécondation *. Ainsi donc, lorsque l'expérimentateur cherche à provoquer la pro- explication scientifique de ces faits, On peut supposer toutefois que le nombre des spermatozoïdes qui pénètrent dans l’'ovule exerce une certaine influence sur le mode de combinaison des tendances héréditaires, En elfet, les observations de Prévost et Dumas, de Newport, de M. de Quatrefages prouvent la nécessité d’un certain nombre de spermatozoïdes pour la fécondation complète de l’ovule. Il y à en physiologie végétale des faits analogues. Mais cette condition ne doit pas ètre la seule. 1 Voir p. 25. DANS LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES. 95 duction des anomalies, il doit combattre un ensemble de tendances héréditaires qui déterminent l'évolution de chaque germe, et qui la déterminent dans un sens particulier, individuel. Nous savons, Loutefois, que cés influences héréditaires, bien qu'exis- tantés, n’ont pas toujours cependant la mème intensité; qu'elles peuvent être plus où moins facilement combattues par des causes extérieures. Il y a, en effet, daris la domestication des animaux, el surtout dans la culture dés plantes, un fait très-curieux, qui montre que les influences extérieures qui agissent sur le développement, ou ce que l'on appelle les influences du milieu, ne produisent ordinairement leurs résultats qu'après un certain nombre de générations. Tout le monde sait que les animaux domestiques les plus anciennement domesli- qués présentent des variations beaucoup plus nombreuses et beau- coup plus considérables que ceux dont la domestication est récente, et qui ont conservé la plupart des caractères de l’état sauvage. Il en est de mème pour les plantes cultivées. Les progrès que l'horticulture à accomplis, depuis la fin du siècle dernier, nous montrent que cer- taines fleurs, le dablia, le zinnia, par exemple, dont l'introduction est toute récente, ont conservé, pendant un certain nombre de géné- rations, leurs caractères primitifs; puisqu'elles ont commencé à varier d’une manière à peu près indéfinie. Ainsi donc, les influences du monde extérieur peuvent exercer leur action sur les animaux et sur les plantes, sans que cette action se manifeste par aucun signe ap- préciable ; mais elles donnent, aux germes de ces animaux et de ces plantes, une tendance à la variation. Ges tendances, accumulées pen- dant un certain nombre de générations, finissent par passer en acte, en neutralisant, dans üne certaine mesure, les tendances héréditaires accumulées par l’atavisme. L'espèce entre alors dans une phase de variations indéfinies, jusqu'au moment où la sélection, habilement pratiquée par les éleveurs et les horticulteurs, donne une fixité plus où moins grande aux types nouveaux ainsi produits. Il y à donc dans le germe, dès l'époque de la fécondation, un en- semble de virtualités qui résullent de la combinaison des tendances héréditaires et de l'accumulation des causes extérieures qui ont agi sur les générations qui l’ont précédé. Cet ensemble de virtualités est spécial pour chaque individu ; il est l’une des principales causes de sa constitution individuelle, pendant les différentes périodes de son existence. 96 ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ $ 5. Le germe contenu dans l’œuf de l'oiseau, et, par conséquent, dans l'œuf de la poule, ne commence pas à se développer immédiate- ment après la ponte; il faut, pour cela, qu'il subisse l'influence de la chaleur, soit par la poule, dans l’incubation naturelle, soit par des procédés artificiels quelconques. Or il peut conserver sa vitalité pen- dant une durée plus ou moins longue, qui, pour les œufs de poule, ne paraît pas dépasser trois semaines, mais qui varie, pour chaque œuf, d’abord sous l'influence de l’individualité; et aussi, bien certainement, quoique nous manquions d'expériences précises à cet égard, suivant la température et l’état hygrométrique de l'air. 11 serait fort intéres- sant, même au point de vue pratique, de déterminer les causes qui font ainsi périr les œufs un certain temps après la ponte, et de trouver des procédés pour conserver indéfiniment leur propriété germinative. Réaumur s'était occupé de cette question!; moi-même, j’ai commencé, il y a longtemps, une série d'expériences pour la résoudre; mais je n'ai obtenu alors que des résultats incomplets. j’espère pouvoir les reprendre quelque jour. On doit se demander si la vitalité du germe est la même dans les œufs qui viennent d’être pondus, et ceux qui ne sont mis en incuba- lion qu'une ou deux semaines après la ponte. Avant de s’éteindre complétement n’éprouve-t-elle pas un amoindrissement capable de modifier les phénomènes de l’évolution ? Déjà, M. Broca a constaté que, dans les œufs pondus depuis plus de trois semaines et soumis à lincubation, on peut observer la transformation de la cicatricule en blastoderme, mais qu’il ne se forme pas d’embryon ?. Cette observa- tion rend très-probable la possibilité d'obtenir des résultats différents avec des œufs de différents âges. Mais je n’ai pas encore recueilli d’ob- servation directe sur ce sujet. Le germe peut donc être modifié par des causes intrinsèques, après la ponte et avant la mise en incubation ; il peut l'être aussi par des causes extérieures. C'est une croyance très-généralement répandue, parmi les personnes qui possèdent des basses-cours, que les cahots des voitures et les tré- pidations des chemins de fer affectent le germe contenu dans l'œuf. 1 Voir p. 66. 2 Broca, Expériences sur les œufs à deux jaunes, dans les Ann, des sc. nat., 4e së- rie, Zoo!,, t, XVII, p. 81. ) > I DANS LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES, 97 Toutefois ces faits ont été contestés. Dans un rapport fait par M. Rufz de Lavison à la Société d'acclimatation, à propos d'une enquête sur les œufs qui ne se développent point, on trouve des faits qui confirment et d'autres qui contredisent cette opinion. J'ai pen- dant longtemps douté de la réalité du fait; une observation que j'ai faite en 1875 ne me le permet plus. J'avais souvent rencontré dans mes expériences des œufs dans les- quels l'embryon avait péri de très-bonne heure, puis s'était plus ou moins complétement désorganisé. J'ai déjà mentionné ces faits, et j'ai montré qu'ils se produisent lorsque l’on fait couver des œufs sous des températures relativement basses ?, Mais cette condition n’est pas la seule. Je les ai souvent constatés dans des conditions normales de température. Au printemps de l’année 1875, ils se sont reproduits d'une manière désespérante et m'ont beaucoup entravé dans mes recherches. Le 4% juin, j'allai chercher au Jardin d’acclimatation une caisse de vingt-cinq œufs, que M. Albert Geoffroy Saint-Hilaire avait bien voulu mettre à ma disposition; et je la rapportai moi-mème en chemin de fer, pendant un trajet de vingt-cinq minutes. Une moitié de ces œufs fut mise en incubation le jour même, trois heures après mon retour. Tous ces œufs, ouverts après trente-deux heures d’incubation, me présentèrent , à l'exception d'un seul, la mort précoce et la désor- ganisation complète de l'embryon. Un seul contenait un embryon en pleine vie. Je remis, le 4 juin, les autres œufs en incubation. Après trente-deux heures d’incubation, tous ces œufs présentaient des embryons bien vivants. Cette observation est fort intéressante, parce qu'elle prouve d’abord que les trépidations des chemins de fer affectent profondément la vi- talité du germe ; et ensuite, qu’elles ne l'affectent que passagèrement, et que leur influence nuisible disparaît par le repos. 11 y a là un fait absolument inexplicable par les données de la science actuelle, mais dont l'existence me paraît bien établie. Il m'explique le grand nombre d’insuccès que j'obtenais avant de l'avoir constaté ; car les œufs que je mettais en incubation venaient de la campagne, et étaient trans- portés dans des charrettes. Depuis ce moment, j'ai toujours pris soin de laisser reposer les œufs pendant deux ou trois jours avant de les mettre en incubation; et je n'ai plus eu les mêmes insuccès. 1 Rurz DE Lavison, Rapport sur la fécondation des œufs de gallinacés, dans les Bulletins de la Soc. d'acclim., t. IX, p. 366. 1852. 2 Voir p. 77, 98 ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ J'ai commencé, cette année, une série d'expériences pour étudier d’une manière plus complète cette influence de la trépidation sur le germe ; et j'ai lieu de croire que les germes qui l'ont subie produisent souvent des embryons monstrueux. Mais ces expériences ne sont point terminées ; si les résultats qu’elles m'ont fait entrevoir viennent à se confirmer, elles feront connaitre un ordre nouveau de causes tératogéniques agissant sur le germe antérieurement à l’incubation. S 6. En résumé, l'individualité du germe résulte de sa constitution ma- térielle, des tendances héréditaires qu'il contient depuis la féconda- lion, etenfin, pour l'œuf des oiseaux, de modifications produites par certaines influences agissant dans l'intervalle qui sépare la ponte de l'incubation. Cette individualité du germe est évidemment la cause des diffé- rences que j observe dans l’évolution, lorsque je soumets les œufs à l'incubation artificielle dans des conditions identiques. [1 importe d'en tenir grand compte ; Car, autrement, on serait exposé à un cer- tain nombre de causes d'erreur. Je citerai, à cet égard, deux faits remarquables. Un voyageur anglais, Pocock, qui a décrit les appareils à incubation employés en Egypte, dit que les poulets qui y éclosent manquent souvent de croupion,; il attribue ce fait à l'incubation artificielle. Mais Pocock ignorait qu'il existe des races de poules sans croupion, et qu'une de ces races est très-répandue en Egypte !. Il a donc attribué à une influence extérieure un simple fait d'hérédité. Et. Geoffroy Saint-Hilaire, dans ses expériences sur la production des monstruosités, a observé la hernie des hémisphères cérébraux qui constitue la pro-encéphalie. Mais cette anomalie constitue, comme je l'ai montré dans un travail spécial ?, le caractère d’une race galline particulière, la race des poules polonaises qu'on désigne sous le nom inexact de poules de Padoue. C’est une anomalie héréditaire qu'il a prise pour une anomalie provoquée. Il est fort remarquable que cette anomalie n'appartenait d'abord qu'à un seul sexe, le sexe femelle *. Aujourd'hui, elle appartient aux deux sexes. 1 Pococrk. Voyage en Orient, trad. franç., t. IT, p. 296. 2 Daresre. Sur Les caractères des poules polonaises ; dans les Mém. de la Soc. des sciences de Lille, 3° série, t. I, 1864. p. 733. 3 BronsreiN. Deulschlands Naturgeschichle, {, IIT, p. 399. 1793. DANS LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES ANOMALIES, 99 Et, cependant, ces deux sortes d'anomalies peuvent être produites artificiellement, ou du moins peuvent apparaître spontanément, el sans l'intervention d'aucune influence héréditaire. J'ai observé très-rare- ment, il est vrai, un arrèt de développement de la région coccygienne de la colonne vertébrale ; et, bien que je l'aie rencontré sur des œufs dont j'ignorais la provenance, l'absence dans notre pays de races gallines sans croupion ne permet pas d'expliquer ces faits par l'hé- rédité. Il en est de même pour la pro-encéphalie. Je l'ai observée sur des embryons provenant d'œufs qui m'avaient été remis par mon ancien collègue à la Faculté de Lille, M. Lamy, le célèbre inventeur du thallium. M. Lamy m'a affirmé qu'il n'avait jamais eu de poules de Padoue dans sa basse-cour, et, de plus, à l'époque déjà ancienne où j'ai fait ces observations, personne ne connaissait les poules de Padoue dans le département du Nord. D'ailleurs, un fait qui doit lever tous les doutes, s’il pouvait en exister à ce sujet dans l'esprit de certaines personnes, c'est que j'ai observé la pro- encéphalie sur un embryon de canard, dans une espèce qui jusqu’à présent n'a pas présenté de race caractérisée par la hernie encé- phalique. L'apparition de cette hernie dans les expériences tératogéniques de Geoffroy Saint-Hilaire s'explique, au contraire, tout naturelle- ment, par ce fait qu'il opérait sur des œufs pondus au Jardin des Plantes, où l’on à réuni depuis longtemps des poules des races les plus diverses. Je mentionne ces faits pour signaler une cause d'erreur contre laquelle on doit se mettre en garde dans les expériences tératogé- niques : il faut distinguer avec soin les effets produits par des causes extérieures et ceux qui proviennent du germe lui-mème. Wolff, en signalant les différences que présentent les œufs dans l’évolution naturelle, les attribuait à la race ; il pensait que tous les germes pro- venant d'une même race devaient se ressembler dans tous les détails de leuf évolution". Les faits que je viens de rappeler confirment, à certains égards, l'opinion de Wolff. Il est bien évident que nous ne devons pas attribuer aux causes extérieures les anomalies qui sont devenues des caractères de races. Toutefois, cette cause d'erreur est moins importante qu'on ne le croirait tout d'abord; car les races mons- 1 Wozrr, De formatione inteslinorum, dans les Novi commentarii Petrop., !. XÎI, p. 442. 100 ROLE DE L'INDIVIDUALITÉ trueuses ne sont encore que des races de luxe, et dont les œufs ne se trouvent pas dans les marchés. Mais ces causes d'erreur ne sont pas les seules ; puisque, ainsi que je viens de le prouver, il faut tenir compte, non-seulement des caractères de races, mais encore de toutes les conditions individuelles des œufs. Sans doute, on atténuerait dans une proportion considérable toutes ces causes d'erreur, si l'expéri- mentateur avait une basse-cour à sa disposition et s’il pouvait pro- duire lui-même les œufs qu’il met en expérience. C'est une condition que je n'ai pu réaliser jusqu'à présent, CHAPITRE I CONDITIONS GÉNÉRALES DE LA PRODUCTION DES MONSTRES. Sommaire. 4° Distinction des deux périodes de la vie embryonnaire, — 20 Arrêt de développement. — 3° Adhérences embryonnaires. — 4° Union des parties simi- laires. — 5° Anomalies qui paraissent exister virtuellement dans le type des ani- maux vertébrés. EE M Aristote, que nous retrouvons toujours au début de toutes les ques- tions dont s'occupent les sciences biologiques, à très-nettement in- diqué les caractères généraux de l’évolution des animaux. « Toutes les parties, dit-il, sont d’abord délimitées par leurs contours ; ensuite, elles prennent la couleur, la mollesse et la dureté; la nature créant exactement à la manière d’un peintre d'animaux. En effet, les peintres tracent d'abord les lignes, puis ils appliquent les couleurs? .» Cette phrase, très-exacte ‘dans son extrême concision, a été admi- rablement commentée par Harvey. « La masse du corps est homo- gène au début; elle apparaît comme une gelée séminale ; c'est en elle que toutes les parties s’ébauchent d'abord par une division obscure, puis que les organes apparaissent et se distinguent. Ces parties ne résultent pas d'éléments dissimilaires et hétérogènes, unis malgré eux ; mais c’est aux dépens de la même matière que, par voie de génération, ils naissent, se distinguent les uns des autres et de- viennent dissemblables. 11 semble que le poulet entier se crée par un ordre ou une parole de l’ouvrier divin, Qu'il se fasse une masse blanche homogène; qu'elle se divise en parties, tout en s'accroissant ; qu'il se fasse, pendant cet accroissement, une séparation et une * Ce paragraphe est le développement d'une note que j'ai adressée à l'Académie des sciences sous ce litre : Sur une condition très-génerale des anomalies de l'or gani- salion, dans les Comptes rendus, t. LXIX, p. 1292, 1865, LROUATA LA! TS MANANOTNTAS HA TAS GAANOCTATAS, ATELVOS OORED Li LT A Toù Tuy22900, ” f "1" Ÿ LL F A H “4 ne” £ _” A ce =» CA LI É 1 Li 2 1äs qasws Jnuscvsyodans. Kai qap ci yoñous breyodhnvres ras yoapuzis, cÜrus va Anigouor rés ppopaa +0 Qocv, (Iegi fous yevécews, lib, II, cap. vi.) 102 CONDITIONS GÉNÉRALES ébauche des parties; que telle partie devienne plus dure et en même temps plus épaisse et plus blanche ; que telle autre devienne plus molle et plus colorée, Et il fut fait ainsi. C'est de cette facon que, chaque jour, le poulet se crée dans l’œuf; c'est aux dépens d’une même malière que tous les organes se créent, se nourrissent et s’ac- croissent !. » | I est impossible d'exprimer d’une manière plus nette et plus sai- sissante le grand fait qui domine toute l'embryogénie, l’épigenèse, comme disait Harvey, c'est-à-dire la création successive des organes par la différenciation d'une matière homogène qui constitue, au début, la masse embryonnaire. La doctrine de la préexistence des germes, qui arrêta pendant si longtemps les progrès de la science, empècha les physiologistes d’ap- précier à sa juste valeur ce fait fondamental. On voit cependant par certains passages de Haller qu’il ne l'avait pas complétement mé- connu. Mais il en donnait une idée très-inexacte ; tout en admettant la préexistence des organes, il ajoutait que leur mollesse et leur transparence empêchent souvent qu'on ne les voie dans les premiers temps de la vie embryonnaire, et'qu'ils n’acquièrent que tardivement leur structure définitive. Wolff, dans sa lutte contre la doctrine de la préexistence, reprit cette notion de l’'homogénéité primitive de la masse embryonnaire; il la compléta, en montrant que cette masse homogène se résout, sous un faible grossissement du microscope, en un amas de globules tout à fait comparables à ceux qui forment les tissus des jeunes plantes *. L'embryon, privé de vaisseaux et de sang, vit et se nourrit pendant 1 Harnvex. Exercilationes de generatione animalium, édit. de 1651, p. 124. Corporis moles,,. similaris ab initio et tanquam gluten spermaticum cernitur : inde autem partes per divisionem obseuram delineantur primo, posteaque organa fiunt, et distinguuntur. L Partes istæ non fiunt ab elementis dissimilaribus, atque heterogeneis, invicem unitis, sed ex simili materia per generationem oriuntur et discriminantur, dissimi- laresque fabricantur. Perinde, ac si divini Opificis jussu, seu effatu quodam, totus pullus crearetur. Scilicet fiat massa similaris alba, ac dividatur in partes, ac augeatur, atque interim, dum augetur, fiat partium secrelio, et delineatio; fiatque hæc pars durior, et simul crassior atque albidior; illa mollior et simul coloratior ; atque ita factum est. Sie nempe quotidie pulli fabrica in ovo procedit; ex eadem materia fiunt, nutriuntur et augentur omnia.» Harvey est fréquemment revenu sur cette idée, qui est le fondement de lembryogénie. 2 Wozrr, Theoria generalionis, part. IL, p. 166.6 Partes constitutæ ex quibus omnes corporis parles in primis initiis componuntur,' sunt globuli, mediocri microscopio cedentes semper, DE LA PRODUCTION DES MONSTRES, 103 cette première période à la manière des plantes, et aussi à la ma- nière des tissus qui, dans l'état adulte, n’ont pas de vaisseaux, comme l'épiderme, les ongles et les poils, ou n’en ont que très-peu, comme les os', Wolff indiquait ainsi, dès 1768, la grande découverte que Schwann a faite de nos jours, lorsqu'il à démontré que l'organisation animale est, à son début, tout à fait comparable à l'organisation végétale et que la trame organique, dans les deux règnes, est consti- tuée par les mêmes éléments, par des cellules*, Je ne referai point, après Lant d'autres, Fhistoire de ces cellules, Je me contente de rappeler que la substance embryonnaire primitive, constituée entièrement par des matériaux homogènes, éprouve une série de transformations pendant lesquelles s’'ébauchent peu à peu la forme générale de l'animal et la forme particulière de chaque organe. Plus tard, et très-probablement par suite de la formation du sang et de l'établissement de la circulation, on voit apparaître, dans cette masse homogène primitive, les organes définitifs, caractérisés par des élé- ments histologiques spéciaux ; et ces organes présentent assez exac- tement, dès leur apparition, la forme et la structure qu'ils doivent toujours conserver. On peut donner une expression genérale de ce fait, en disant que la forme s'ébauche et se dessine dès les premiers temps de l'évolution: et que la structure, condition essentielle du fonctionnement physiologique, ne se produit que beaucoup plus tard. Dans cette première période, les phénomènes physiologiques dif- fèrent complétement de ce qu'ils seront plus tard. Il n'y à point alors de fonctions spécialisées. Tout se réduit à la vie des cellules primi- tives, vie dont les manifestations consistent essentiellement dans la production incessante de cellules nouvelles aux dépens des maté- riaux contenus dans les cellules préexistantes. Chacune de ces cel- lules vit de sa vie propre et peut, dans une certaine mesure, se passer de l'action de ses voisines; et, par conséquent, les différentes parties de l’organisme, presque entièrement indépendantes les unes des autres, ne possèdent point cette solidarité qui caractérise l’âge adulte”. La vie de l'embryon animal reproduit alors très-exactement celle des tissus cellulaires des plantes. 1 Ibid., p. 170. ? Scawanx. Wikroskopische Untersuchungen über die Ubereinstimmung in der Struktur und dem Wachsthum der Thiere und Pflansen, p.56 et suiv. de la trad. anglaise. 3 Ce défaut de solidarité des diverses parties de l'organisme a une assez grande importance en tératogénie, Voir plus loin l'histoire des monstres omphalosites, 104 CONDITIONS GÉNÉRALES Cette phase de la vie embryonnaire, si intéressante au point de vue de l’évolution normale, est également intéressante au point de vue de l'évolution tératologique. En effet, tous les organes définitifs apparaissent dans des blastèmes cellulaires ébauchés pendant cette première période, les organes monstrueux comme les organes nor- maux. C’est donc à celle époque qu'il faut chercher l’origine des monstruosités, tout au moins l’origine des monstruosités graves, de celles qui affectent profondément l'organisme, puisque la cause téra- togénique faconne d'avance les blastèmes dans lesquels se produiront les organes monstrueux. Les causes moûificatrices exercent leur action sur ces blastèmes par deux procédés différents : tantôt elles les arrè- tent dans une des formes transitoires qu'ils traversent avant d’attein- dre la forme définitive; tantôt elles les unissent ensemble, lorsqu'ils sont accidentellement en contact. Ces deux modes d'action des causes tératogéniques ont été consta- tés depuis longtemps. Meckel et Geoffroy Saint-Hilaire ont fait jouer un grand rôle à l'arrêt de développement dans la production des monstres simples. Geoffroy Saint-Hilaire a découvert la loi d'union des parties similaires qui régit l'organisation de presque tous les monstres doubles, et qui s'applique également à plusieurs monstruo- sités simples. Mais ces deux grands physiologistes, qui n'avaient pu observer les monstres qu'après leur formation, n'ont pu se rendre un compte exact des phénomènes physiologiques dont ils avaient constaté l'existence; s'ils ont souvent entrevu la vérité, ils n’ont ce- pendant donné que des explications incomplètes, et qui, dans bien des cas, donnaient prise à des objections auxquelles on ne pouvait répondre. Mes recherches, entièrement fondées sur l'observation des monstres dont j'ai provoqué l'apparition dans mes expériences, et que j'ai pu étudier dès leur origine, me permettent de substituer la constatation directe des faits aux hypothèses plus ou moins vraisem- blables dont il a fallu se contenter jusqu'à présent. Les organes, dans l'embryon, apparaissent successivement ; de plus, ils traversent un certain nombre de phases avant d'acquérir leurs conditions définitives. 1 Ce paragraphe est le développement d’une note adressée à l’Académie des sciences sous ce titre : Sur l'arrét de développement considéré comme la cause prochaine des monstruosités simples, Voir les Comptes-rendus, t. LXIX, p. 963, 1869, DE LA PRODUCTION DES MONSTRES, 105 On à reconnu depuis longtemps que certains organes anomaux ou monstrueux ont une forme et une structure plus où moins compara- bles à celles qui caractérisent certaines phases transitoires des mêmes organes chez l'embryon. Il était tout naturel d'en conclure que lévo- lution de ces organes a élé arrèlée dans l'un de ces états successifs. Mais on n'arriva à cette détermination que très-lentement, et d'abord par la considération de faits isolés. C'est ainsi que Harvey expliqua, mais très-vaguement, le bec-de- lièvre par la permanence d’un état embryonnaire *. Plus tard, Haller et Wolff expliquèrent également par la perma- nence d’un état embryonnaire l'éventration, c'est-à-dire la hernie congénitale des viscères contenus dans les cavités (horaco-abdomi- nales. Il est curieux de voir comment ces deux physiologistes, dont l’un admettait la doctrine de la préexistence des germes, tandis que l’autre la rejelait, arrivaient, par des voies différentes, à la même explication d’une mème monstruosité. Haller ne voit dans cette monstruosité que la permanence de la structure embryonnaire des parois thoraco-abdominales qu'il considère comme préformées; ou bien, lorsqu'elles font complétement défaut, il suppose qu'elles ont été détruites. Wolff explique cette monstruosité, comme nous le fai- sons aujourd'hui, par le défaut de formation des parois thoraco- abdominales *. 1 Harvey. Exercilaliones de generalione animalium, ex. 6$. « In omnibus fœtibus (eciam humanis) paulo ante partum, oris rictus, sine labiis et buccis, ad utramque aurem protentus cernitur. Eamdemque ob causam (nisi fallor) multi nascuntur cum labro superiori fisso (Angli harelips; id est, leporina _labia habentes, nominant : qualia scilicet lepori et camelo sunt), quia in fœtus hu- mani formatione, superiora labra tardissime coalescunt, » Cette explication est d’ailleurs très-inexacte; car, dans l’état normal, la lèvre supérieure est continue dès son apparition. Le bec-de-lièvre provient sans doute d’un arrêt de développement, mais d'une autre façon. ? Voici les paroles de Haller: « Qui pulli in ovo incrementa contemplatur, is novit quam vasta in primordiis nascentis animalis hernia sit, per quam intestina in pro- priam vaginam exeunt, quæ eadem ad vitellum arterias, venas et ductum intestinalem adducit. « Novit idem, cor adeo nudo proximum esse, priusquam pectoris musculi et costæ subnascantur, ut a maximis viris!pro nudo sit habitum, etsi nobis etiam tum tenera membrana, ab amnio diversa, cordi prætendi videtur. « Denique etiam cerebrum pulli valde convexa, nuda, tenera, absque osse mem- brana continetur, quod et ipsum puiltis habet mollitiem « Ita intelligere videmus, ex pressione aliqua majori, sive uteri, sive abdominis, sive ex majori mollitie mollissimorum velamentorum, quæ cedant vi viscera expan- denti, fieri posse, ut nunquam ossea natura in pectore et in capite subnascatur, el 106 CONDITIONS GÉNÉRALES Vers la fin du siècle dernier, un médecin célèbre de Munich, Au- tenrieth, entrevit la généralité du fait ; il montra la possibilité d’expli- quer un certain nombre de faits tératologiques par des arrêts de développement; mais tout ce qu'il a dit sur ce sujet se borne à quelques vagues indications ?. En 1807, la question de l'arrêt de développement entra dans une phase nouvelle. Geoffroy Saint-Hilaire, qui avait entrepris de dé- montrer l'unité de composition organique des animaux vertébrés, cherchait à retrouver dans la tète des mammifères les pièces osseuses beaucoup plus nombreuses qui caractérisent celle des poissons. Il pensa qu'il y parviendrait en les comparant non pas aux os mêmes, mais aux centres d’ossification. La tête osseuse du fœtus contient beaucoup plus de pièces que celle de l'adulte, par suite du défaut de soudure des centres d'ossification. Il fallait done comparer la tête osseuse des poissons à celle des fœtus de mammifères. « Ayant ima- giné, disait-il, de compter autant d'os qu'il y a de centres d'ossifica- tion distincts, et ayant essayé de suite cette manière de faire, j'ai eu lieu d'apprécier la justesse de cette idée : les poissons, dans leur pre- mier âge, étant dans les mêmes conditions, relativement à leur déve- loppement, que les fœtus de mammifères, la théorie n'offrait rien de contraire à cette supposition *. » La doctrine de l'arrêt de développement entrait done, par une ap- plication remarquable, dans la zoologie. Les différences qui existent ut dilatata, et demum rupta tenerrima tegumenta, a suis distenta visceribus, nuda porro in edito fœtu adpareant, ut in primis rerum initiis nuda fuisse videbantur. » (Opera minora. De monstris, t. III, p. 136.) Voici maintenant les paroles de Wolff : « Patet ergo, in hoc monstro viribus naturæ, dum corpus construerent, impedi- mentum occurrisse, quominus inchoatum thoracem et abdomen perficere potuerint, adeoque structuram hanc opus naturæ imperfectum non in germine ex instituto præstabilitum esse. « Nulla eausa, si unquam cor thorace inclusum fuisset, hunc aperire, cor expel- lere et postea thoracem circa magna vasa cordis iterum claudere potuisset. Sed ex observatis, quorum supra mentionem feci, quibusque constat thoracem similiter ut abdomen primo tempore in embryone apertum, lateribus successive productis tan- dem se claudere, mea quidem sententia, non incomprehensibile videtur, qui fieri potuerit, ut thorax, vel ob nimiam cordis magnitudinem, illud, dum se constrinxerit, non complexus sit, vel ob alias cadsas nimis cito, et priusquam latera ejus satis elon- gala fuissent, se constrinxerit adeoque cor omiserit.»—De ortu monstrorum, dans les Nov. Comment. Ac. sc. Petrop., t. XVII, p. 560. 1 Aurenriern. Addilamenta ad historiam embryonis, Tubingue, p. 38, 1797. 2 Grorrnoy SamT-Hizatre. Considérations sur les pièces de la léle osseuse des animaux vertébrés, dans les Annales du Muséum, t. X, p. 249, 1807. LL __d DE LA PRODUCTION DES MONSTRES. 107 entre les types normaux pouvaient s'expliquer, comme celles que l'on observe dans les types anormaux, par des arrêts de développement. Il yavait là le germe d'une théorie générale qui devait s'appliquer à la tératologie comme à la zoologie normale. Nous la voyons formulée pour la première fois dans les Archives de Heil, en 4809 '. Bientôt après, Meckel en fit l'application, en 1814, à la zoologie normale ; en 1813, à la tératologie. En 1821, Geoffroy Saint-Hilaire chercha de son côté à expliquer un grand nombre de faits tératologiques par la permanence d'états embryonnaires. Depuis cette époque, cette no- tion est restée dans la (ératogénie ; mais elle n'est pas encore uni- versellement acceptée, Mes travaux en démontrent la parfaite 1 Voyez la thèse d'un docteur Philites, publiée en 1809 dans les Archives de Reil et d'Aulenrieth, sous ce titre : Von dem Aller des Menschen uberhaupt und des Marasmus senilis insbesondere. Qu'est-ce que ce docteur Philites ? Je présume que cette thèse est l'œuvre d'Autenrieth, qui était alors professeur à l'Université de Halle, et qui, sui- vant l’ancien usage des universités allemandes, aura publié ce travail sous le nom d’un de ses élèves où même sous un pseudonyme. Ce qui me le fait supposer, c'est que le passage en question reproduit, mais d’une manière générale, les idées qu'Au- tenrieth avait indiquées douze ans plus tôt. On trouve déjà un vague pressentiment de l'application de cette théorie à la z00o- logie dans la phrase suivante de Harvey, phrase dans laquelle l'illustre physiologiste s'était peut-être inspiré d’Aristole : « Sic natura perfecta et divina, nihil faciens frustra, nec cuipiam animali cor addidit, ubi non erat opus, neque, priusquam ejus esset usus, fecit; sed iisdem gradibus in formatione cujuscumque animalis, tran- siens per omnium animalium constitutiones (ut ita dicam, ovum, vermem, fœtum) perfectionem in singulis acquirit. » (De molu cordis, p. 161.) Ces idées étaient éga- lement celles de Hunter, comme nous le savons d’après une publication que M. R. Owen a faite de manuscrits inédits de ce grand chirurgien. ? Geoffroy Saint-Hilaire fit connaître pour la première fois ses idées sur l'arrêt de développement comme fait tératogénique dans un mémoire sur l’anencéphalie, lu à l’Académie des sciences le 19 mars 1821. Meckel, qui assistait à la séance, réclama la priorité de cette théorie, et Geoffroy Saint-Hilaire fit droit à sa réclamation. Voir la Philosophie anatomique, t. 11, p. 153. Plus tard, en 1827, Meckel fit observer que l'arrêt de développement, tel que l'entendait Geoffroy Saint-Hilaire, n’était pas entièrement conforme à ce qu'il avait désigné sous ce nom, parce que Geoffroy Saint-Hilaire atiribuait l'arrêt de développement à des causes extérieures, tandis que pour lui, l'arrêt de développement résultait d’une condition inhérente à l'embryon lui-même. Geoffroy Saint-Hilaire répondit que Meckel faisait revivre la théorie de la préexistence des monstres, théorie absolument inconciliable avec l'arrêt de dé- veloppement. En réalité, les deux adversaires ne se comprenaient pas. Meckel, pas plus que Wolff son maitre, n'admettait l'existence de germes originairement monstrueux ; mais il croyait, comme Wolff, que le germe est prédisposé à la mons- truosité dès l'époque de la fécondation. On comprend done comment il pouvait ad- mettre l'arrêt de développement, mais en le faisant dériver d'une cause intérieure, tandis que Geoffroy Saint-Hilaire l’attribuait à une cause extérieure au germe. Voir à ce sujet l'Introduction, p, 25, 10 CONDITIONS GÉNÉRALES exaclitude, en mème temps qu'ils lui donnent une généralité beau- coup plus grande qu'on ne le croyait d’abord. L'arrèt de développement consiste, je l'ai déjà dit, dans la perma- nence d'un état embryonnaire qui n’est ordinairement que transitoire. Mais ce fait biologique, essentiellement le même dans tous les cas, peut se produire cependant dans des conditions très-différentes, et donner lieu, par conséquent, à des organisations très-diverses. Nous pouvons en effet rattacher ses manifestations à trois catégories dis- uinctes : 1° un organe ne se forme point, c'est ce qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire appelle arrét de formation ; 2 un organe reste arrêté dans certaines conditions embryonnaires ; il continue alors à s'ac- croître, mais il diffère plus ou moins notablement de ce qu'il est chez les êtres adultes de la même espèce; 3° un organe, qui n’est que transitoire pendant la vie embryonnaire, et qui doit disparaître à une certaine époque, persiste au-delà de l’époque ordinaire de sa dispa- rition, et souvent même peudant toute la vie. On verra plus loin comment l'arrêt de développement réalise la plupart des faits particuliers de la tératologie. Pour le moment, je dois l’étudier dans ses conditions les plus générales. Le premier cas et le troisième ne présentent pas de difficultés. Il est bien clair que l'absence totale d'un organe, même d'une région entière du corps, par exemple l'absence de la tête chez les acéphales, s'explique tout naturellement par un défaut de formation, sans qu'il y ait là de difficultés théoriques, La permanence d'organes embryonnaires pendant la vie extra- utérine ne présente pas plus de difficultés. Telle est par exemple la permanence du canal artériel après la naissance. Maisilest plus difficile de concevoir comment l'arrèt de dévelop- pement peut agir dans le second cas, c’est-à-dire lorsqu'un organe conserve certaines conditions embryonnaires. Il faut ici, de toute nécessité, faire intervenir la distinction des deux phases de la vie em- bryonnaire. Pour bien faire comprendre, dans ces cas, le rôle de l'arrêt de dé- 1 Je sais bien que certains tératologistes, même à une époque récente, expliquent ces faits par la destruction de parties préexistantes. Voir par exemple CLaupius, Uber den herzlosen Missgeburten, Kiel, 1859, qui explique ainsi le défaut des organes chez les acéphales, Mais il faudrait pour cela admettre un nombre considérable d'hypothèses extrèmement invraisemblables, quand mème l'observation directe ne fe- rait pas justice de cette théorie, DE LA PRODUCTION DES MONSTRES. 109 veloppement, je citerai deux exemples, la fissure spinale et le bec- de-lièvre. , ‘On sait que la moelle épinière et les vésicules encéphaliques qui la terminent en avant se présentent d'abord sous la forme d'une gouttière occupant la ligne moyenne du corps de l'embryon. Peu à peu la gouttière se transforme en un tube fermé. Lorsque les lames vertébrales osseuses apparaissent pour former l'enveloppe osseuse de la partie centrale du système nerveux, elles apparaissent d'emblée avec tous leurs caractères définitifs, par la transformation des blastèmes cellulaires qui forment ce que l'on appelle les lames dorsales et qui occupent les deux côtés de la gouttière. Il n'y a donc, dans l'évo- lution normale, aucune époque où les deux moitiés des lames ver- tébrales osseuses soient écartées l’une de l'autre, comme elles le sont dans la fissure spinale. Et cependant la fissure spinale résulte d’un arrêt de développement. Dans ce cas, la gouttière centrale reste à l’état de gouttière et ne se transforme point en un tube fermé. Alors les lames dorsales restent écartées l’une de l’autre, et lorsque les lames vertébrales osseuses se constituent dans leur intérieur, leurs moitiés restent séparées, tandis que, dans l’évolution normale, ces moitiés sont unies dès leur apparition. L'arrêt de développement a douc exercé son influence: lorsque les organes n'étaient encore constitués que par les cellules embryonnaires. Il en est de même du bec-de-lièvre. Il n’y a pas d'époque de l’évo- lution normale où les lèvres soient divisées comme elles le sont dans cette anomalie, Mais, s’il arrive que les deux blastèmes qui formeront la région intermaxillaire et la région maxillaire restent séparés, comme ils le sont toujours au début, les lèvres se constituent par segments isolés. Le bec-de-lièvre est donc, quoi qu’on en ait dit, un remarquable exemple de l'arrèt de développement. Je me borne à citer ces deux faits, pour montrer comment on doit comprendre l'arrêt de développement. Les détails que je donnerai plus tard sur le mode de formation des diverses monstruosités sim- ples feront connaître le rôle de l'arrêt de développement dans leur production, et démontreront que ce rôle est beaucoup plus général que Meckel et Geoffroy Saint-Hilaire ne l'avaient pensé". 1 L'étude de l'arrêt de développement soulève une question très-curieuse et dont je n'ai pu, jusqu'à présent, trouver la réponse. Comment se fait-il que certaines par- ticularités de l’organisation de l'embryon semblent échapper à cette loi, et ne se ren 110 CONDITIONS GÉNÉRALES En effet, mes recherches m'ont appris un fait très-important, c'est que l’arrèt de développement peut exercer son action non- seulement sur l'embryon lui-même, mais aussi sur ses annexes. L'am- nios, par exemple, est très-fréquemment atteint par l'arrêt de déve- loppement. Or l’arrèt de développement de l’'amnios produit de très-nombreuses monstruosités de lembryon lui-même. J'ai pu démontrer ainsi la justesse d’une prévision d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire qui, dans son 7raité de teratologie, a émis le vœu suivant : « Quand done comprendra-t-on généralement que, s’il est bon de décrire minu- eusement les formes et de donner les mesures précises d’un être anomal, il serait cent fois plus utile de faire connaître avec exactitude ses connexions avec les membranes de l'œuf?» Lorsque l’amnios s'arrête dans son développement, tandis que l’em- bryon continue à s’accroitre, il comprime nécessairement les régions du corps de l'embryon sur lesquelles il est appliqué. Cette compres- sion produit des effets très-différents. Tantôt elle produit un arrêt de développement. Ce fait est évidem- ment comparable à ceux que produisent les pressions dans l’ordre pathologique. Le développement des tumeurs à fréquemment pour résultat de déterminer l’atrophie des organes voisins. On a souvent cherché, en thérapeutique, à employer la compression pour déter- miner l’atrophie et la résorption d'éléments morbides. Il y a cepen- dant une différence importante entre l’atrophie qui caractérise l'arrêt de développement et celle d'un organe qui a atteint son état définitif Dans le premier cas, il y a seulement défaut de formation des élé- ments histologiques ; dans le second, ces éléments sont partiellement détruits et résorbés. ‘Dans d’autres cas, la compression exercée par l’amnios produit la déviation et le déplacement de certaines parties. Telles sont les diverses déviations congénitales de la colonne vertébrale et des membres. Enfin, la compression exercée par l'amnios, mettant en contact des parties qui, dans l’état normal, doivent rester séparées, détermine la contrent jamais dans les monstruosités? Je citerai comme exemple les arcs branchiaux et les fentes branchiales de l'embryon. Une seule de ces fentes branchiales, la fente supérieure, persiste quelquefois, comme je le montrerai à l’occasion des monstres oto- céphaliens. Les autres s’oblitèrent toujours. Du moins je ne connais aucun cas de monstruosité décrit par les tératologistes dans lequel ces fentes auraient persisté, et je n’en ai rencontré aucun exemple dans les monstruosités provoquées. 1 se, GEOFFROY SAINT=HILAIRE. Trailé de lératologie, t. III, p.1523. DE LA PRODUCTION DES MONSTRES. 111 production d’adhérences qui lantôt sont irrégulières, el tantôt obéis- sent à la loi de l'union des parties similaires. C'est donc un résultat tout à fait inattendu de mes expériences, que la plupart des anomalies et des monstruosités simples, quelque di- verses qu'elles soient, résultent d’un même fait initial, un arrêt de développement de l'embryon ou de ses annexes. On en trouvera la démonstration complète dans la suite de ce livre. S 3. Le second fait général de la tératogénie, moins général pourtant que le premier, consiste dans la soudure de deux parties normale- ment séparées. La propriété que possèdent les tissus embryonnaires de s'unir entre eux et de contracter des adhérences est une propriété que l’on rencontre chez les plantes comme chez les animaux. On connaît le phénomène de la greffe, qui se produit spontanément dans les greffes naturelles et que l'horticulture utilise depuis un temps immémorial. On a beaucoup discuté sur sa véritable nature. Les belles recherches de M. Decaisne nous ont appris que la condition physiologique de la soudure de deux parties distinctes, dans la greffe, consiste dans la production d’un tissu cellulaire particulier, tout à fait comparable au tissu générateur qui précède toujours, dans les organes en voie de formation, la production des éléments définitifs, c’est-à-dire des vais- seaux et des fibres ligneuses. La physiologie animale présente des faits tout semblables, La pro- duction des adhésions est très-fréquente en pathologie, qu'il s'agisse d'adhésions purement morbides, comme celles qui produisent les fausses membranes des membranes séreuses, ou d'adhésions restau- ratrices, comme la cicatrisation et la formation du cal. Les greffes animales, dont on s’est tant occupé dans ces derniers temps, prou- vent que la faculté que possèdent certaines parties de s'unir entre elles est bien plus étendue qu'on ne le croirait au premier abord. Or les travaux des micrographes modernes nous ont appris un fail très-remarquable ; c’est que, toutes les fois qu'il se produit des adhé- rences, elles résultent toujours de la formation d'un tissu nouveau interposé entre les parties qui s'unissent, et essentiellement composé d'éléments comparables aux cellules embryonnaires. Je laisse aux pathologistes le soin d'expliquer comment ces cellules apparais- sent dans des parties qui ont depuis longtemps perdu leur texture 112 CONDITIONS GÉNERALES primitive, et comment elles s'unissent entre elles pour constituer des adhérences. Je me borne à signaler ce fait, que la tendance à l'union parail être une propriété toute spéciale des tissus qui caractérisent essentiellement la première période de la vie, et qui, plus tard, n'ap- paraissent plus qu'accidentellement, sous l'influence de certains états morbides, des phlegmasies, par exemple. On comprend donc facilement que, pendant la première période de la vie embryonnaire, deux parties distinctes, accidentellement en contact, s'unissent l’une à l’autre. Aussi le fait des adhérences, soit entre l'embryon et ses annexes, soit entre les différentes parties d'un même embryon, est-il fréquent en tératologie. Les adhérences de l'embryon avec certaines de ses annexes se pro- duisent dans bien des cas avec une assez grande régularité pour qu’on leur ait, à une certaine époque, attribué un rôle considérable en tératogénie. En 1822, Geoffroy Saint-Hilaire, décrivant un monstre humain qu'il désignait sous le nom d’Ayperencéphale, constata l'existence de brides. membraneuses unissant l’encéphale situé hors des parois de la tête au placenta ; il reconnut également de petits appendices mem- braniformes autour du cœur, et pensa que ces appendices pourraient ètre des restes de brides d'adhérences qui auraient été détruites. Geoffroy Saint-Hilaire considéra ces adhérences comme étant le point de départ des anomalies qui caractérisaient le monstre en ques- tion, ou, comme il le disait, l’ordonnée et l'unique cause de la mons- truosité, I développa cette théorie dans un chapitre de la PArlosophie anatomique? ; et il y revint ensuite à diverses reprises. C’est ainsi qu'il décrivit en 1827 un poulet dans lequel la tête était adhérente au jaune. « Des adhérences, disaitl, joignaient la tête au vitellus. La tête était ainsi attachée par sa région crànienne, et les tiraillements de ses brides la tenaient couchée sur le flanc gauche. Une production de forme cylindrique, consistant en une peau unie et rougeûtre, de 2 lignes de diamètre et de 6 de longueur, servait de lien. Le jaune, un peu avant et après la naissance, par suite de l'absorption de son liquide, pénétrait de plus en plus dans le ventre, et approchait gra- duellement de celui-ci la tête qu'il traînait après lui, rendant de plus en plus pénible la situation de l'animal ?. » 1 GEOFFROY SAINT-HiLaiRE, Philosophie anatomique, p. 203 et 507. ? GEOFFROY SAINT-HiLAIRE. Des adhérences de l'extérieur du fœtus considérées DE LA PRODUCTION DES MONSTRES. 113 J'ai eu souvent occasion de constater l'existence de semblables adhérences. Tout à fait au début de mes éludes tératogéniques, le premier embryon qui m'ait présenté, d'une manière incontestable, une monstruosité produite artificiellement, était un hyperencéphale entièrement comparable, au moins par la conformation de la tête, à l'hyperencéphale de Geoffroy Saint-Hilaire. La tumeur encéphalique était unie par une bride à l’allantoïde'. Je n'ai pas rencontré, depuis cette époque, de nouveaux faits de ce genre. Mais j'ai vu plusieurs fois des cas d'adhérences entre l'enveloppe du jaune et l'amnios, et aussi entre l'enveloppe du jaune et certains viscères, le cœur par exemple. Pour comprendre le mécanisme de ces adhérences, il faut se rappeler que la membrane viteiline qui revêt le jaune avant l'incu- bation, membrane parfaitement anhiste et dépourvue de toute vitalité, se déchire à un certain moment et se détache complétement du jaune qu'elle revèt. Le jaune est alors renfermé dans une seconde enveloppe formée par le blastoderme. On comprend, dès lors, com- ment toutes ces parties qui sont composées de cellules embryon- naires peuvent s'unir entre elles, et rester attachées par des brides d’adhérences. L'existence de ces adhérences rappelle incontestablement les fausses membranes qui se produisent dans les cavités des membranes sé- reuses, Comme conséquence des phlegmasies. Toutefois cette analo- gie n’est pas complète. En effet, dans l’état adulte, l’état phlegma- sique qui détermine la production de ces formations nouvelles est toujours déterminé par une modification locale de la circulation. Au contraire, les adhérences qui se produisent chez l'embryon se pro- duisent dans des organes qui ne reçoivent point de sang, comme l’amnios, ou du moins qui ne possèdent qu'un réseau très-peu abon- dant de vaisseaux capillaires. Je sais bien que, dans ces derniers comme le principal fait occasionnel de la monstruosité; dans les Archives générales de médecine, t. XIII, p. 392, 1825. 1 Dareste, Note sur l'histoire de plusieurs monstres hyperencéphaliens observés chez le poulet, dans les Ann. des sc. nat., 3° série. Zoo, t. XIII, p. 337. L'observation de Geoffroy Saint-Hilaire est incomplète, car il ne parle pas des rapports de la bride qu'il avait observée avec l’amnios. Moi-mème, je n'ai pas signalé ces rapports dans le travail que j'ai publié il y a seize ans. Je ne me rendais pas alors un compte exact de toutes les conditions qui concourent à la production des mons- truosilés, et j'ai complétement négligé l'étude de l’amnios. Or, de deux choses l'une, ou l’amnios manquait au moins partiellement, ou bien il était soudé avec la tumeur encéphalique d'une part, et l’allantoïde de l’autre. Le dernier fait me paraît le plus probable. 114 CONDITIONS GÉNÉRALES temps, et particulièrement depuis les travaux de Virchow sur la pathologie cellulaire, les histologistes ont été conduits à considérer la prolifération des cellules comme le fait essentiel de la phlegmasie ; et à ne considérer les modifications de la circulation que comme des phénomènes accessoires.Mais quoi qu'il en soit, il est bien évident que les faits de l’union présentent une différence marquée suivant les conditions où on les observe. L'existence de ces brides d’adhérences est assurément un fait très- intéressant, puisqu'on les rencontre très-fréquemment dans les cas de célosomie et d’exencéphalie. Mais on ne les rencontre que dans ces types particuliers ; elles font absolument défaut dans les autres. Elles ne sont donc point, comme Geoffroy Saint-Hilaire l’a pensé à une certaine époque, l'ordonnée et l'unique cause de la monstruosité ; et même lorsqu'elles existent, elles ne sont bien évidemment que des faits consécutifs. Toutefois, il n’est pas impossible qu’elles puissent contribuer à entraver l’évolution des organes, et qu’elles deviennent, dans certains cas, le point de départ de modifications nouvelles. Mais, même alors, leur rôle est tout à fait secondaire. A côté de ces faits d’adhérence restreinte, qui ont une certaine constance dans certains types monstrueux, j'ai eu occasion d'observer des adhérences beaucoup plus considérables, entre différentes parties de l'embryon, adhérences qui produisent de véritables monstruosités, Mais ces monstruosités absolument accidentelles {ne paraissent pas devoir se rattacher à des types tératologiques définis. Telle est, par exemple, l'union de l’occiput avec le sacrum que l’on observe dans le squelette d'un fœtus humain conservé au musée Dupuytren. Telles sont également les adhérences multiples d’un agneau mort-né qui m'a été remis par M. Georges Pouchet. Tous les segments des membres postérieurs étaient soudés entre eux. Il en était de même pour les membres antérieurs, qui étaient de plus soudés avec la poi- trine et avec la tête {. Bien que je n’aie aucun document direct relativement à la forma- tion de ces adhérences, leur origine n’est pas douteuse pour moi. J’y vois l'indication manifeste d’une pression qui a maintenu les parties en contact. L'agent de cette pression, c'est l'amnios, qui, par suite d'un arrêt de développement, est resté appliqué sur l'embryon, au lieu de s'en écarter par l'interposition du liquide amniotique. 1 Voir la note B, à la fin de la première partie. DE LA PRODUCTION DES MONSTRES. 115 Ces adhérences échappent ordinairement à toute règle. Elles peu- vent, cependant, dans certains cas, se produire de la même facon et entre les mêmes parties. C'est ce que l'on observe dans la production de certains types de la monstruosité double. Telle est, par exemple, l'union des têtes chez les Céphalopages et chez les Epicomes, union qui échappe complétement à la loi de l'union des parties similaires ". $ 4. Il n’y a dans toutes les adhérences que je viens de décrire que des faits superficiels. Deux parties, séparées dans l’état normal, et acci- dentellement appliquées l’une contre l’autre, se soudent entre elles ; mais leur soudure n’entraine point de modification dans leur struc- ture. A côté de ces unions superficielles, la tératologie nous offre des unions profondes, c'est-à-dire dans lesquelles les parties soudées entre elles sont profondément modifiées dans leur forme et leur struc- ture. Comment comprendre ces faits, dans lesquels l’adhérence de deux parties se complique de la pénétration ou de la fusion des or- ganes qu'elles contiennent? Ces faits se rencontrent quelquefois dans les monstres simples. Ils forment le caractère essentiel de l’organisation des monstres doubles”, c'est-à-dire des monstres qui résultent de l’union de deux embryons différents ; et, par conséquent, leur mode de production est l’un des problèmes les plus importants de la tératogénie. Geoffroy Saint-Hilaire, dès ses premières études sur les monstres doubles, remarqua que, dans ces étranges organisations, les deux sujets composants sont toujours unis par les faces similaires de leur 1 M. Joly a décrit un céphalopage dans lequel l’union des têtes se ferait en vertu de la loi de l'union des parties similaires, c'est-à-dire que les visages et les corps de ces enfants, loin d’être placés en sens inverse (c’est-à-dire tournés l’un vers le ciel et l'autre vers la terre) étaient tournés dans le même sens. M. Joly tire de ce fait la nécessité de supprimer dans le caractéristique de ce type les mots téles placées en sens inverse. Je ne puis partager l'opinion de mon savant collègue de Toulouse, car j'ai la conviction que l’un de ces enfants devait présenter une inversion de viscères, tandis que dans les cas ordinaires de céphalopagie les viscères des sujets sont nor- maux, ou bien ils sont tous les deux inverses, Le fait de M. Joly est donc un type nouveau. Voir les Mémoires de l'Académie de Toulouse, 1865, p. 50. ? Il est clair qu’en parlant ainsi, je me prononce sur une question encore aujour- d’hui fort controversée, celle de la dualité ou de l'unité primitive des monstres dou- bles. Ce n’est pas ici le moment de faire connaître les motifs de ma conviction à cet égard ; je les développe dans un autre chapitre. 116 CONDITIONS GÉNÉRALES corps et par leurs organes homologues". II y a là une loi générale qui régit toute l’organisation des monstres doubles, loi qui est la condition nécessaire de leur répartition er types distincts. On lappelle lo d'union des parties similaires. La découverte de cette loi est l’an des faits les plus importants de l'histoire de la tératogénie *. D'où vient ce fait? Etcomment peut-on l'expliquer? Geoffroy Saint- Hilaire supposa que toutes les parties homologues auraient une ten- dance à s'unir, tendance qu'il désigna sous le nom d'attraction ou d'affinité de soi pour soi. Ici, comme dans sa théorie de l'arrêt de dé- veloppement, Geoffroy Saint-Hilaire avait entrevu la vérité, mais il n'avait fait que l’entrevoir, parce qu'il étudiait les monstres doubles après et non pendant leur formation. Or, si l’on cherche à appliquer la théorie de Geoffroy Saint-Hilaire, telle qu'il l’a formulée, à l’expli- calion des différents types de la monstruosité double, on se trouve en présence de difficultés inextricables. Il y a des monstres doubles, qui sont simples supérieurément et doubles inférieurement; d'autres qui sont doubles supérieurement, simples inférieurement; d’autres; enfin, simples dans la région moyenne, doubles supérieurement et inférieurement. Dans la théorie de Geoffroy Saint-Hilaire, il faut admettre que deux embryons primitivement complets, et pourvus de tous leurs organes, auraient été appliqués lun contre l’autre en certains points .de leur corps; que toutes les parties en contact auraient été détruites par moitié dans chacun des embryons; puis que les parties restantes se seraient soudées en obéissant à la loi de union des parties similaires. Il y a des monstres doubles dans lesquels l’organisation est encore beaucoup plus complexe, bien que toujours régulière. Ce sont les monstres chez lesquels un nombre plus ou moins considérable d’or- ganes appartiennent par moitié à chacun des sujets composants. Tels sont les deux sternums dans les monstres à double poitrine, les deux cœurs dans les monstres à double poitrine et à têtes réunies, les deux arcades pubiennes dans les monstres à doubles bassins, etc. Dans la théorie de Geoffroy Saint-Hilaire, il faut admettre que cha- 1 GEOFFROY SAINT-HiLaitRE, Considéralions zoolomiques et physiologiques sur des veaux bicéphales nommés hypognathes; dans les Mémoires du Muséum, t. XIIT, p. 93, 1855. 2 Cette loi avait été entrevue, mais d’une manière très-vague, par MAUPERTUIS. Voir dans la Vénus physique le chap, xvir, qui a pour titre : Conjectures sur la for- malion du fœlus. DE LA PRODUCTION DES MONSTRES, 117 cun de ces organes se serait, à un certain moment, partagé en deux moiliés, et que chacune de ces moitiés d'organes aurait abandonné la moitié à laquelle elle était primitivement associée, pour venir s'unir à une moitié de l’organe homologue appartenant à l’autre sujet. La théorie de Geoffroy Saint-Hilaire, telle du moins qu'il l'a présentée, implique donc un ensemble d'hypothèses absolument invraisemblables. On comprend qu'elle n'ait pas encore entraîné la conviction des tératologistes. Mais cela résulte uniquement de ce que Geoffroy Saint-Hilaire ne connaissait pas la distinction des deux pé- riodes de la vie embryonnaire. Si l'on admet et il faut bien l’admettre, car c'est au moins, dans bien des cas, un résultat de l'observation, que l'union profonde des deux sujets composants d'un monstre double ne peut se produire que pendant la période où l'embryon n'est en- core constitué que par des cellules homogènes, on voit toutes les dif- ficultés disparaître plus ou moins complétement. En effet, si deux régions homologues de deux embryons distincts, ou même d’un même embryon pendant cette première période de la vie !, se trouvent en contact, par une cause quelconque, elles adhèrent et s'unissent entre elles, par le mécanisme physiologique que je viens de faire connaître. C’est seulement après la formation de ces unions anormales, que se produisent les éléments histologiques défi- nitifs, et par suite les organes tératologiques. Ils apparaissent d'emblée avec tous leurs caractères; en d’autres termes, ils naissent soudés, suivant une expression que j'ai souvent employée, expression qui peut sembler étrange, mais qui rend exactement compte du fait physiologique. Je n'irai pas plus loin. Lorsque je ferai connaître, en me fondant sur mes observations, le mode de production des différents types de la monstruosité double, j'indiquerai tous les faits qui démontrent cette proposition générale. Pour le moment, je me contente de dire que l'évolution normale présente des faits analogues, mais dans un ordre inverse. Un très-grand nombre des organes impairs et symé- triques qui existent sur la ligne médiane apparaissent d'emblée, avec tous leurs caractères, dans des blastèmes cellulaires primitivement séparés, et qui, à un certain moment, sont venus se conjoindre. Telle est la partie supérieure de la colonne vertébrale; telles sont les parois thoraco-abdominales ; tel est le cœur, comme je l'ai découvert. Or, s'il 1 Tels sont, par exemple, les membres postérieurs des monstres syméliens. 118 CONDITIONS GÉNÉRALES arrive, par le fait d'un arrêt de développement, ‘que les blastèmes cellulaires qui devaient s'unir restent écartés l’un de l’autre, les organes définitifs s'y constituent isolément. C’est ce qui arrive dans la fissure spinale, les différentes formes de célosomie; c’est ce qui arrive également dans la dualité du cœur. 8 5. L'arrêt de développement, et l'union des parties similaires, se pro- duisant pendant la première période de la vie embryonnaire, sont donc les deux faits principaux de la tératogénie, ceux qui sont le point de départ de presque tous les autres. Toutefois, en m'exprimant ainsi, je ne prétends pas avoir indiqué toutes les causes qui peuvent produire des monstruosités ou des ano- malies. Il y a certains faits qui leur échappent complétement et qui exigent absolument l'intervention de causes différentes. Ici, mes expériences ne m'ont encore rien appris. Il y a toutefois une hypothèse qui se présente nécessairement à l'esprit, quand on examine la nature de certaines anomalies. On voit, en effet, des organes, qui existent d’une manière normale dans une espèce, apparaître dans une autre espèce où ils n'existent pas d’une manière normale. Telle est, par exemple, l'existence, chez la femme, de mamelles inguinales, qui existent dans un grand nom- bre de femelles des mammifères. Les variétés innombrables que pré- sentent l'appareil musculaire et l'appareil vasculaire chez l’homme présentent un fait analogue; elles reproduisent plus ou moins com- plétement l’état normal d’autres espèces. Ges faits ne paraissent pas renfermés dans les limites d’une même classe. L'existence de dents palatines, très-rare chez l’homme, mais fréquente, dit-on, chez le cheval, réaliserait dans cette espèce, d’une manière anormale, un fait normal de l’organisation des Reptiles et des Poissons. N'est-il pas possible de rendre compte de ces faits, et des nom- breux faits analogues que présente l'étude des anomalies légères, ou de ce qu'on appelle les hémiléries, en admettant que tous ces organes existeraient virtuellement dans le type commun des animaux verté- brés; et que, sous l'influence de conditions encore indéterminées, ces organes viendraient à apparaître dans une espèce où ils ne se produi- sent pas d’une manière normale, Ce n’est assurément qu’une hypo- thèse ; mais elle n’a rien d’invraisemble. La science actuelle ne per- DE LA PRODUCTION DES MONSTRES, 119 met pas aujourd'hui d'aller plus loin. Je n'ai pas besoin d'ajouter que, dans les théories de M. Darwin, qui considère le type virtuel des animaux vertébrés comme ayant été réalisé à une certaine époque de l'histoire de la terre, ces faits s’expliqueraient tout naturellement par l’atavisme. Pour le moment, ce ne serait qu'une hypothèse de plus à ajouter à celle que je viens de proposer. CHAPITRE IV TYPES TÉRATOLOGIQUES . Sommaire. 40 Existence de types tératologiques. — 2° Conditions de la répétition des mêmes types dans les individus d’une mème espèce, — 30 Conditions de la répélilion des mêmes types dans un mème embranchement. — #0 Indication de la répartition des types tératologiques dans les différents groupes de l'embranche- ment des vertébrés. V2 CSS Les anomalies simples, c'est-à-dire les variétés et les vices de con- formation, se répètent fréquemment chez les individus qui en sont affectés, avec des caractères tellement semblables, qu’elles ont été désignées par des appellations communes, dans le langage des phy- siologistes, et souvent aussi dans le langage ordinaire. Il y à, par exemple, dans toutes les langues, des expressions telles que le bec- de-lièvre ou le pied bot. Mais les véritables monstruosités, c’est-à-dire les organisations qui résultent de la réunion et de là combinaison sur le même sujet de plusieurs anomalies, n’ont été considérées pendant longtemps que eomme des faits individuels. C'est ce que l’on voit dans les anciens tératologistes, qui décrivent souvent avec des {détails minutieux l’organisation des monstres, qui rédigent des observations, comme on le dit dans la litlérature médicale, mais qui ne sortent pas du fait particulier pour s'élever à des notions générales. : Ét. Geoffroy Saint-Hilaire, dès le début de ses recherches sur les monstres, reconnut que les mêmes monstruosités peuvent se répéter sur les individus d’une mème espèce, et aussi sur des individus appar- tenant à des espèces, à des genres, parfois même à des classes diffé- rentes. Il constata ainsi l'existence de genres tératologiques, conte- nant un certain nombre d'espèces, c'est-à-dire de faits individuels ?. 1 Ce chapitre est le développement d’un travail que j'ai présenté à l'Académie des sciences en 1869, sous ce titre : Sur la notion du type en tératologie el sur la ré- partition des types monstrueux dans l'embranchement des animaux vertébrés. Voir les Comptes rendus, t. LXIIT, p. 603. 2 E, Grorrnoy Sainr-Hizaine, Mémoire sur plusieurs déformations du crâne de TYPES TÉRATOLOGIQUES,. 121 La création de la tératologie comme branche spéciale des sciences biologiques tient précisément à la constatation de ce fait, qui à démontré l'existence de la règle là où précédemment on n'aperce- vait que l'irrégularité la plus complète et l'absence de toute loi. Le premier problème de la tératologie, comme d'ailleurs celui de l’histoire naturelle des êtres normaux, consistait done dans l'établis- sement de ces genres ou, pour parler plus exactement, de ces /ypes". Ét. Geoffroy Saint-Hilaire commenca ce travail; Is. Geoffroy Saint- l'homme, suivi d'un Essai de classification des monstres acéphales, lu à l'Académie des sciences en octobre 1820, dans les Mémoires du Muséum, t. VII, p. 85, 1824, — Considérations d'où sont déduites des règles pour l'observation des monstres et pour leur classification, lues à l'Académie des sciences le 16 avril 1821, dans les Archives générales des sciences physiques de Bruxelles, t, VIII, p. 74, 1821. — Ces deux mé- moires ont été réimprimés dans le tome II de la Philosophie anatomique. * Dans ce chapitre, comme dans tout ce livre, j'emploie l'expression {ype pour désigner ce que les deux Geoffroy Saint-Hilaire ont le plus ordinairement appelé genre. Je crois devoir agir ainsi pour éviter toute confusion d'idées. En effet, les termes de genre (-évo;) et d'espèce (a92<) ont, dans la langue des philosophes, une acception assez différente de celle qu'ils ont actuellement dans la langue des naturalistes. Ils expriment seulement une différence d’extension entre deux idées générales. Ainsi, quand on compare les figures géométriques, les polygones forment un genre, dont le triangle, le quadrilatère, le pentagone, etc., sont les espèces. Il en résulte que la même notion peut être, suivant le point de vue où l’on se place, tantôt géné- rique et tantôt spécifique. Ainsi le quadrilalère est espèce par rapport au polygone, genre par rapport au rectangle. Cette notion du genre et de l'espèce a régné d'abord dans les sciences naturelles comme dans toutes les autres sciences. Ce n'est qu'à la ñn du dix-septième siècle que Ray et Tournefort la particularisèrent, si l’on peut parler ainsi. L'espèce devint pour eux la collection des êtres vivants qui se transmettent par voie de génération un ensemble de caractères; le genre, une collection d'espèces semblables. Voir, à ce sujet, Is. GeorrRoY Saint-Hiaire, Histoire nalurelle générale, t. II, liv. I, chap.v. Le genre des tératologistes, collection d'individus présentant les mêmes faits téra- tologiques, n’est donc pas la même chose que le genre des naturalistes, collection d'espèces semblables ; mais c'est le genre des philosophes. Toutes les objections que l'on a opposées, que l’on oppose encore à la classification tératologique des deux Geoffroy Saint-Hilaire, tiennent uniquement à ce que l’on a confondu ces deux ac- ceptions d'un mème mot. Le mot type a l'avantage de ne se prêter à aucune équivoque. Il a d'ailleurs été employé en tératologie par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, comme synonyme de genre. Seulement l'auteur du traité de tératologie emploie le mot type lorsqu'il parle d’une forme quelconque de la monstruosité considérée en elle-mème ; le mot genre, lorsqu'il compare cette forme de la monstruosité avec les autres formes, et qu'il la considère comme un degré de la classification. C'est ainsi qu'il a écrit un chapitre qui a pour titre : Des limites des anomalies et de leur réduction à un nombre délerminé de types, et qu'il met dans ce chapitre un paragraphe ayant pour titre : De la réduction des anomalies à un nombre limité de familles et de genres. 122 TYPES TERATOLOGIQUES, Hilaire le termina. Dans son célèbre ouvrage sur la tératologie, ce dernier détermina et décrivit les types de toutes les anomalies et de toutes les monstruosités qu'il connaissait par ses observations person- nelles, ou dont il trouvait l'indication dans les recueils scientifiques. Ce livre, non moins remarquable par l'immense érudition que par l'esprit philosophique de son auteur, sera toujours le point de départ de tout travail scientifique sur la tératologie. Is. Geoffroy Saint-Hilaire, après avoir dressé cette liste, annonçait que la découverte d'un type tératologique serait un événement excessivement rare’. Cette prévision s’est réalisée. Depuis la publi- cation du Zraité de tératologie, il ÿ a quarante ans, on n’a décrit qu'un très-pelit nombre de types tératologiques nouveaux. Et encore est-il possible que l'établissement de plusieurs de ces types ne soit pas suffisamment justifié ; car plusieurs d’entre eux ne paraissent pas s'écarter notablement des types déterminés par lillustre natu- raliste ?. Mes recherches expérimentales faites sur l'embryon de la poule confirment de la manière la plus complète les idées de Geoffroy Saint-Hilaire sur la limitation du nombre des types tératologiques : elles leur donnent en outre une très-grande extension. Les monstruosités simples dont j'ai provoqué l'apparition dans mes expériences, les monstruosités doubles que j'ai parfois rencontrées, reproduisent, à très-peu d’exceptions près”, les types décrits dans 1 Js, Grorrroy SAINT-Hiaire, Traité de tératologie, t. III, p. 433. 2 Je me contente d'exprimer ce doute sans en donner les motifs. Je dois me bor- ner, dans ce livre, à l'étude des lois de la formation des monstres, et je laisse de côté les études purement tératologiques. 3 Je n'ai rencontré, dans mes expériences, qu'un seul type tératologique entière- ment nouveau, type que je décris sous le nom d’omphalocéphalie. Si ce type, dont la formation est très-fréquente, n’a pas encore été signalé chez les mammifères et chez l'homme, cela tient probablement à ce que les embryons qui le présentent sont condamnés à une mort très-précoce, car je ne vois aucun motif pour qu’il ne puisse se produire chez les mammifères comme chez les oiseaux, J'ai rencontré aussi très-fréquemment une anomalie remarquable, dont l’exis- tence a été souvent contestée, la dualité du cœur. Il est curieux de voir que cette ano- malie a été signalée à différentes reprises, et particulièrement chez les oïseaux, où même on l'aurait observée à l’âge adulte, Is. Geoffroy Saint-Hilaire, qui mentionne tous les faits de ce genre indiqués dans les recueils scientifiques (Traité de tératologie, t. I, p. 725 et suiv.), révoquait en doute leur authenticité. Bien que je partage en grande partie, relativement à ces observations, l'opinion d’Is. Geoffroy Saint-Hilaire, je crois cependant qu’il a poussé le scepticisme trop loin, et qu’un certain nombre des faits qu'il signale pourraient bien avoir été réels, Tel est, par exemple, le fait de dualité du cœur signalé au siècle dernier par un médecin de Lyon nommé Collomb TYPES TÉRATOLOGIQUES. 123 le Traité de tératologie ; elles viennent par conséquent prendre leur place dans des cadres préparés d'avance. Fait d'autant plus remar- quable qu'is. Geoffroy Saint-Hilaire ne connaissait, par ses observa- tions personnelles, ou par les descriptions contenues dans les recueils scientifiques, qu’un nombre très-restreint de monstruosités chez les oiseaux. - Si la fréquence des monstres chez les oiseaux a échappé jusqu’à présent aux personnes qui se sont, avant moi, occupées de térato- logie, cela résulte, je m'en suis assuré, des conditions différentes de la vie et de la mort des êtres monstrueux suivant Les classes où on les observe. Chez l’homme et les mammifères à placenta, l'embryon mons- trueux, qui vit dans la cavité utérine d’une vie d'emprunt, peut arriver vivant jusqu’à l’époque de la naissance. Chez les oiseaux, au contraire, l'embryon monstrueux, qui doit trouver dans l'œuf toutes les condi- tions nécessaires à son existence, périt presque toujours, d’une manière fatale, plus ou moins longtemps avant l'éclosion. Je ferai connaitre plus tard les causes de cette mort prématurée. Pour le moment, je me contente de montrer comment il arrive que les monstres qui se pro- duisent dans cette classe échappent le plus ordinairement aux obser- valeurs. On peut déduire des observations faites dans la classe des poissons, et particulièrement de celles de Lereboullet, un résultat analogue. Toutes les monstruosités ichthyologiques, observées dans l'œuf ou peu après l'éclosion, reproduisent des types déjà décrits dans le Traité de tératologie. Et cependant l’auteur de ce livre signale encore moins de monstres chez les poissons que chez les oiseaux. Il résulte de tous ces faits qu'il y a des types tératologiques com- muns aux mammifères, aux oiseaux, aux poissons, et par conséquent, selon toute apparence, à tous les animaux qui font partie de l’em- branchement des vertébrés". (Œuvres médico-chirurgicales, p. 462), et qui aurait été présenté par un monstre otocéphalien. En effet, la dualité du cœur accompagnait assez souvent les faits de cyclopie que j'ai observés. 1 Is. Geoffroy Saint-Hilaire signale plusieurs cas de monstruosités doubles chez les reptiles. Jusqu'à présent on n’y connaît point de monstres simples. Il me parait très-probable que, dans cette classe comme dans celle des oiseaux, les monstres simples échappent à l'observation, par le fait de leur mort prématurée. J'ai eu récemment occasion d'observer un cas de célosomie sur un embryon de serpent à sonnettes, conservé au laboratoire d'erpétologie du Muséum. 124 TYPES TÉRATOLOGIQUES. 072 t L'existence de types définis ou définissables, en tératologie, est la conséquence nécessaire de la production des anomalies et des mons- truosités par des causes naturelles, causes dont l’action, comme celle de toutes les causes naturelles, est nécessairement soumise à des lois. Is. Geoffroy Saint-Hilaire l'a très-nettement indiqué. « Du moment, disait-il, où nous admettons, pour les variations tératologiques aussi bien que pour les variations de la zoologie nor- male, l'existence de lois et de limites précises, nous devons nous attendre à voir les déviations, bien loin d’être variables à l'infini, se renfermer dans un cercle, en dehors duquel l'imagination peut encore concevoir, mais l'observation ne présente plus de nouvelles anomalies. Dans cette hypothèse, dont la vérité est aujourd’hui incontestable, il n’est plus qu'un certain nombre de types dont la production soit possible, parce qu’il n’est qu'un certain nombre de types dont l’exis- tence soit compatible avec les lois des formations anomales ?. » La pensée exprimée dans cette phrase est parfaitement juste ; mais elle est trop générale, et elle a besoin d’être développée. IT faut mon- trer les conditions de la répétition des mèmes types dans les individus d'une même espèce et dans les individus qui appartiennent à un groupe supérieur à celui de l'espèce, quelle que soit d'ailleurs la nature de ce groupe. Mes études tératogéniques me permettent ac- tuellement de le faire, au moins en grande partie. Il est facile de comprendre qu'une même espèce ne puisse pré- senter qu'un nombre limité de types tératologiques; car il est évident que si l’anomalie dérive de l’état normal d'après certaines lois déter- minées, il n’y a qu’un certain nombre d'événements tératologiques possibles. Or, j'ai déjà indiqué que le fait imitial de la plupart des monstruo- sités simples est l’arrèt de développement. Si nous cherchons à déter- miner toutes les conséquences de ce fait, nous verrons qu’un organe ne se formera point, ou bien qu'il s'arrêtera dans l’une des phases transitoires qu'il doit parcourir pour atteindre son état définitif. Le 1 Je, Georrnoy Saint-Hizaire, Trailé de tératologie, t. 1, p. 430. — Voir aussi : Remarques sur la fréquente répétition des types parmi les monstres, dans les Comptes rendus, t. XIV, p. 257. TYPES TÉRATOLOGIQUES. 125 nombre des états tératologiques qui peuvent résulter de l'arrêt de développement d'un organe est donc nécessairement restreint. La monstruosité double résulte de la soudure ou de la fusion de deux embryons primilivement distincts, soudure ou fusion qui, sauf quelques cas particuliers, obéissent à la loi {d'union des parties simi- laires. On comprend donc sans peine, avant toute étude de détail, que l’union des parties similaires ne pourra s'opérer que suivant un nombre restreint de combinaisons, et que, par conséquent, les types de la monstruosité double ne pourront être illimités. Assurément, je n'ai pas le droit d'affirmer que l'arrêt de développe- ment et l'union des parties similaires soient les seules conditions pri- mordiales de la tératogénie. L'évolution normale nejpourrait-elle pas être modifiée par d'autres procédés? Et, dans ce cas, ne verrions-nous pas apparaître des événements tératologiques dont nous n'avons au- cune idée ? Il n'appartient à personne de fixer les limites du possible. Mais ce que je puis affirmer, c'est que, s’il en était ainsi, ces événe- ments seraient toujours soumis à des lois, et que, par conséquent, ils se grouperaient sous un nombre limité de types nouveaux. nd Il semble plus difficile, au premier abord, de comprendre l'exis- tence de types tératologiques se répétant de genre à genre, et même de classe à classe, dans l'embranchement des animaux vertébrés. Mais cette difficulté s'évanouit lorsque l’on tient compte d'un fait que les travaux des anatomistes modernes ont mis en pleine lumière, celui des analogies essentielles de l’organisation de tous ces animaux. Ici, il est nécessaire d'entrer dans quelques détails. I y a, dans la nature vivante, animale ou végétale, des espèces, ou, en d’autres.termes, des groupes d'individus qui se transmettent, par voie de génération, un type spécifique, c’est-à-dire un ensemble de traits caractéristiques. L'existence des espèces, qui sont les unités de la nature vivante, suivant l'expression de Buffon, est un fait indis- cutable, soit qu'on les considère comme absolument fixes, soit qu'on attribue leur origine à la modification d'espèces antérieures. Les types spécifiques, quand on les compare, présentent des diffé- rences et des ressemblances, et ces différences et ces ressemblances sont de divers degrés. La constatation de ces ressemblances est le 126 TYPES TÉRATOLOGIQUES. point de départ de ces groupes de plus en plus généraux que l’on désigne sous les noms de genres, d'ordres, de classes, ele. Que sont ces groupes supérieurs aux espèces? Devons-nous y voir de simples abstractions conçues par notre intelligence et dont le rôle serait uniquement de faciliter les études au milieu de Ja diversité presque infinie des types spécifiques ? Ou bien ne sont-ils pas quelque chose de plus? N'y a-t-il pas en eux quelque réalité indépendante de notre intelligence ? Et, s’il en est ainsi, la recherche de cette réalité n'est-elle pas le but suprême des sciences naturelles ? On le voit, cette question n’est autre, sous sa forme particulière, que la grande question de la nature des idées générales, question qui a tant occupé les philosophes, depuis Platon et Aristote, et dominé toutes les questions de la scolastique au moyen âge. Elle se repré- sente aujourd’hui, sous une autre forme et avec d’autres termes, dans toutes nos études d'histoire naturelle. Les naturalistes actuels, qu’ils le sachent ou qu'ils l'ignorent, se partagent, comme les philosophes, en nominalistes et en réalistes *. Les uns, les nominalistes, considèrent les différences comme essen- ‘ Je lis, dans les Leçons sur la synthèse chimique, professées au Collége de France par M. Berthelot, des considérations sur les classifications, tout à fait comparables à celles que je viens de présenter. Celte concordance me frappe trop vivement pour que je croie devoir les citer textuellement. « Les notions de séries et de fonctions existent dans toutes les sciences natu- relles ; la zoologie et la botanique procèdent à cet égard de la mème manière que la chimie. Elles commencent également par établir entre les différents êtres qu’elles envisagent des relations générales, à l’aide desquelles on partage ces êtres en classes, familles, genres, etc., c’est-à-dire en catégories, tantôt purement conven- tionnelles, tantôt fondées sur un sentiment plus ou moins net de leurs analogies véritables. À un cerlain point de vue, ces classifications peuvent être envisagées comme des instruments nécessaires à la faiblesse de l’iutelligence humaine, et sans lesquelles elle serait incapable d'embrasser l’ensemble des êtres particuliers que les sciences naturelles se proposent de connaître. Ce point de vue appartient à la fois à la chimie et à l’histoire naturelle, | « Mais notre esprit n’est pas entièrement satisfait par cette maygière de comprendre les classifications. Il est toujours enclin à croire que les cadres tracés par elle ne sont pas de simples conceptions de la pensée humaine, mais qu'ils doivent avoir un fondement dans l'essence même des choses, En un mot, nous imaginons qu’une classification ne saurait êlre naturelle que si elle rassemble tous les êtres produits de la même manière et par une même cause génératrice. Une classification ne peut même prétendre à satisfaire complétement notre esprit que si elle parvient à nous faire comprendre le caractère et le mode d'action de cette cause génératrice. Telle est, ce me semble, la vraie philosophie des notions relatives aux classifications na- turelles et artificielles; c'est au fond la même idée qui était cachée sous les vieilles discussions des nominalistes et des réalistes, » BERTHELOT, Leçons sur la synthèse chimique, p. 521. TYPES TÉRATOLOGIQUES. 127 tielles, tandis que les ressemblances seraient purement acciden- telles. Les autres, les réalistes, considèrent, au contraire, les ressem- blances comme essentielles, tandis que les différences seraient pure- ment accidentelles. C'est là le fond de la célèbre discussion qui s'éleva, en 1830, devant l'Académie des sciences de Paris, entre Cuvier et Geoffroy Saint- Hilaire. Rappelons tout d'abord que le point de départ de celte discussion se trouve dans la manière dont Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire com- prenaient l'origine des êtres vivants. Cuvier, après avoir hésité long- temps, s'était rallié à la doctrine de la préexistence des germes, doc- trine qui, nous l'avons vu, relègue cette question d'origine dans une région inaccessible à la science. La censéquence nécessaire de cette doctrine, c’est que les formes spécifiques créées à un certain moment sont essentiellement différentes, et, par suite, que leurs ressemblances ne sont que de simples accidents ', Au contraire, pour Geoffroy Saint-Hilaire, et, je puis ajouter, pour les naturalistes modernes, la formation des êtres vivants est un fait naturel, régi par des lois natu- relles, que l'on peut, par conséquent, soumettre à l'investigation scientifique. Le naturaliste doit done donner à l'étude des ressem- blances une importance au moins égale à celle de l'étude des diffé- 1 Si quelqu'un pouvait douter que telle fût réellement la pensée de Cuvier à la fin de sa carrière, je le renverrais à ces paroles que j'extrais de son article NATURE, dans le Dictionnaire des sciences naturelles, t. XXXIV, p. 261, 1825. « Que les êtres qui existent dans le monde soient coordonnés de manière à main- tenir un ordre permanent ; qu'il y en ait, par conséquent, pour tous les besoins; que leur action et leur réaction soient dans tous les lieux et dans tous les moments comme il est nécessaire pour cette permanence; qu’il en soit de même des parties de chaque être et de leur jeu, c'est ce que le maîntien même de cet ordre nous ap- prend. Enfin, que dans cette multitude innombrables d'êtres divers, chacun, pris à part, en ait queïques-uns qui lui ressemblent plus que d'autres, par les formes inté- rieures et extérieures ; qu'il en soit de même de ces autres par rapport à de troi- sièmes; que, par conséquent, on puisse grouper auprès de chaque être un certain nombre d'autres êtres qui s'en rapprochent à des degrés différents, c'est encore ce qu'il est impossible qui ne soit pas. « Chaque être est fait pour soi, a en soi tout ce qui le complète; il peut ressem- bler à d’autres êtres également composés, chacun de ce qui lui convient et dans le degré qui lui convient; mais aucun ne peut être composé en vue de l'autre, ni pour se joindre à un troisième par le rapport des formes, et ce qui est vrai de la moindre plante, du moindre animal, ce qui est vrai du plus parfait des animaux, de l'homme, du petit monde, comme l'appelaient les anciens philosophes, n’est pas moins néces- sairement vrai du grand monde, du globe et de tout ce qui l’habite, » 128 TYPES TÉRATOLOGIQUES. rences, Car il ignore à priori leur véritable nature et il ne peut la reconnaitre que par l'observation. Or, l'observation conduit à un résultat inattendu. Les différences sont superficielles et immédiatement apparentes. Les ressemblances sont profondes et exigent souvent, pour être reconnues, de longues et minutieuses recherches. Mais, toutes les fois qu’au lieu de se con- tenter d'une étude extérieure, on pénètre dans l'intimité des êtres, on voit les ressemblances se manifester de plus en plus; en d'autres termes, les conditions communes de l'organisation deviennent d’au- ant plus évidentes que ses détails sont mieux connus. On arrive ainsi à penser que les ressemblances qui existent entre les êtres d’un même groupe sont le fait principal, essentiel, tandis que les différences ne seraient qu'un fait subordonné. Mais comment peut-on se rendre compte de cette essentialité des ressemblances ? A la fin du siècle dernier, Geoffroy Saint-Hilaire en France, et Gœæthe en Allemagne, travaillant dans la même direction, mais d’une manière tout à fait indépendante, cherchèrent à en donner une ex- pression simple, et en quelque sorte la formule. Les études de ces deux naturalistes portèrent sur le groupe des animaux vertébrés. Geoffroy Saint-Hilaire, qui passa la plus grande partie de sa vie à déterminer les analogies essentielles des organes plus ou moins ca- chées par les différences apparentes de volume, de forme et de fonc- lions, admit que toutes les organisations des animaux vertébrés sont composées d'un même nombre d'éléments organiques semblables et semblablement disposés. C’est ce qu'il appelait le principe de l'unité de composition organique. Cette manière de concevoir les analogies essentielles des organisations qui appartiennent au groupe des verté- brés est assurément inexacte; mais l’inexactitude de cette conception ne diminue en rien la valeur des travaux de Geoffroy Saint-Hilaire sur la détermination scientifique des analogies f. ! Cette différence entre les deux parties de l'œuvre scientifique de Geoffroy Saint- Hilaire, c'est-à-dire entre l'essentialité des analogies et la détermination des parties analogues d'une part, et la théorie de l'unité de composition organique de l’autre, a élé souvent méconnue ; mais elle doit être faite avec soin, car, bien que liées entre elles par des relations intimes, elles constituent cependant deux conceptions très- distinctes. Ce point a été parfaitement mis en lumière par IS. GEOFFROY SAINT- Hicaine (Vie, Travaux et Doctrine scientifique d'Et. Geoffroy Saint-Hilaire, chap. vu). Ainsi, la théorie de l'unité de composition organique n’est pas vraie pour l'ensemble du règne animal, comme Et. Geoffroy Saint-Hilaire chercha à l'établir, après l'avoir TYPES TÉRATOLOGIQUES. 129 Gœthe, partant du mème point que Geoffroy Saint-Hilaire, c’est- à-dire de la potion de l’essentialité des analogies, en donna une for- mule beaucoup plus exacte. Il admit que tous les animaux vertébrés sont construits d'après un même modèle, un mème /ype, dont ils sont des copies plus ou moins ressemblantes'. Ce type, d'après Gæthe, west réalisé nulle part ; c'est, par conséquent, un type virtuel, une conception de notre intelligence, que nous construisons, en Compa- rant toutes les organisations différentes, par l'élimination des diffé- rences et la constatation des ressemblances. Sans doute, cette notion du type en anatomie comparée est, au fond, la même que celle de l'unité de composition organique ; mais elle est beaucoup plus exacte, en ce qu’elle n'implique pas, comme cette dernière, l’idée de la répé- tition du même nombre d'éléments anatomiques. Or, ce type, ce modèle général (allgemeines Bild) de l'organisation des animaux vertébrés, n'est pas un type virtuel, comme le croyait Gæthe. Nous le trouvons matériellement réalisé dans les embryons de tous les animaux de ce groupe, quelle que soit leur espèce. Déjà Geoffroy Saint-Hilaire avait prouvé que, dans bien des cas, pour trou- ver les analogies, il ne faut pas se contenter de l'examen de l'âge adulte, mais qu'il faut les chercher dans le fœtus *. Baer alla plus loin : il montra que les analogies ne sont pas seulement essentielles, mais qu'elles sont primitives, ou plutôt qu’elles sont essentielles parce qu'elles sont primitives. Les embryons de tous les animaux ver- tébrés, quels qu'ils soient, se constituent d’abord comme animaux vertébrés; ils ont, à l’origine, une forme commune, et, par consé- quent, un point de départ commun ; puis ils revêtent successivement un certain nombre de formes semblables avant de s'engager dans les voies différentes par lesquelles ils deviennent poissons, batraciens, reptiles, oiseaux et mammifères *. admise pour les animaux vertébrés. Quant aux animaux vertébrés, elle ne donne qu'une expression inexacte du fait de leurs analogies essentielles. Mais {a démons- tration des analogies essentielles, ou, si l'on aime mieux, du fond commun d’orga- nisation de tous les animaux de ce groupe est évidemment l'œuvre de Geoffroy Saint-Hilaire. 1 Gœrne, Ersler Entwurf einer allgemeinen Einleilung in die vergleichende Ana- tomie, dans le Zur Morphologie, t. I, p. 150. Ce travail date de 1795 et fut communis qué par l’auteur à plusieurs naturalistes; mais il ne fut publié qu’en 1820. ? Voir le mémoire déjà cité de Geoffroy Saint-Hilaire, Sur la téle osseuse des ani- maux vertébrés. | 3 Baer, Scholien und Corollarien zu der Entwickelungsgeschichte des Hühnchens im Eïe. 1828. 130 TYPES TÉRATOLOGIQUES, C'est ainsi que la notion de l’essentialité des ressemblances a conduit peu à peu à l'une des plus grandes découvertes de notre siècle, celle de la loi de formation des animaux vertébrés. Et ici je dois ajouter que Cuvier avait en quelque sorte pressenti cette décou- verte, dès 1807, à une époque où il ne s’élait pas encore rallié à la doctrine de la préexistence des germes. Dans un rapport fait à l’Aca- démie des sciences sur les premiers mémoires de Geoffroy Saint- Hilaire, on lit la phrase suivante : « De tous les sujets que traitent les sciences physiques, l’origine des corps organisés est sans contredit le plus obscur et le plus mystérieux. Quelque attaché que l’on soit aux méthodes rigoureuses, aujourd’hui introduites avec tant de raison dans les sciences, on ne peut s'empêcher de penser que, s'il y a quel- que espoir d'arriver jamais à un peu plus de lumière sur des questions si difficiles, c'est peut-être dans la constance de ces analogies que l’on devra en chercher les premières étincelles, Cette constance est en effet indépendante de tous les usages, et, par conséquent, elle résulte uniquement des forces qui ont déterminé la production des corps organiques ; elles font donc présumer que cette détermination est due, au moins en partie, à quelque principe commun, » La découverte de Baer est-elle le dernier terme de la science, et de- vons-nous nous y tenir ? Ou bien ne devons-nous pas nous demander pourquoi les animaux vertébrés, si dissemblables en apparence, quand ils ont atteint leur entier développement, sont tellement semblables à leur origine qu'on ne peut les distinguer quand on ignore leur provenance ? Quelle est la cause de cette similitude ? On sait que, dans ces derniers temps, l'un des plus illustres naturalistes de notre époque, M, Darwin, a cherché à l'expliquer en admettant que tous les animaux vertébrés descendraient d’une espèce primitive unique, qui aurait présenté dans son organisation adulte la réalisation aussi complète que possible du type embryonnaire de tous les animaux vertébrés actuels, Mais cette hypothèse de M. Darwin, quelque vrai- semblable qu'elle puisse paraître, quelques facilités qu'elle semble présenter pour l'explication des faits, est loin de pouvoir être con- 1 Cuvien, Rapport fair à la première classe de l'Instilut sur un nouveau mémoire de M. Geoffroy Saint-Hilaire, dans le Magasin encyclopédique, 1807, t. V, p. 39. Jene puis pas ne pas faire remarquer l'extrême différence de ces phrases de Cuvier, en 1807, avec celles que j'ai citées dans la note de la page 127, et qu'il écrivit dix- huit ans plus tard, Il y a entre ces deux phrases toute la différence de la doctrine de la préexistence des germes avec celle de l’épigenèse. TYPES TÉRATOLOGIQUES. 11 sidérée comme une vérité définitivement acquise : elle ne le sera que si elle arrive à être expérimentalement démontrée. Pour le moment, n'allons donc pas au delà de la découverte de Baer : restons sur un terrain solide et qui ne tremble point sous nos pas. La notion du type commun des animaux vertébrés que nous trouvons réalisé dans tous leurs embryons, telle que nous la de- vons à Baer, est d'ailleurs tout à fait suflisante pour faire com- prendre la possibilité de la répétition des mêmes lypes tératolo- giques dans toutes les espèces de cet embranchement. On concoil, en effet, que siles premières phases de l’évolution sont les mêmes chez tous ces animaux, elles peuvent, chez tous, se modifier de la même manière; et que, par conséquent, les mêmes types tératologiques pourront apparaître chez tous. On le conçoit d'autant mieux, que les monstruosités les plus graves se manifestent surtout au début de la vie embryonnaire, L'unité de type est done évidemment la condition de l'apparition de certains {types tératologiques chez tous les animaux vertébrés, tandis que ces types Lératologiques ne peuvent se produire dans les autres embranchements où les phénomènes de l’évolution se produisent d'une manière entièrement différente. Et iei je dois signaler une différence très-importante entre la manière dont je comprends ces faits, et les doctrines tératologiques d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Cet illustre naturaliste, qui admettait, comme son père, l'unité de composition organique, non-seulement pour l'embranchement des animaux vertébrés, mais pour l'ensemble du règne animal, croyait que certains types lératologiques pouvaient ètre réalisés dans des embranchements différents. Actuellement nous ne pouvons admettre l'unité de type que pour les animaux d'un même embranchement ; d'où il résulte que les anomalies et les monstruosités qui se produisent chez les invertébrés doivent se ratta- cher à des types tout autres que ceux des animaux vertébrés, types qui ne sont pas encore définis. Du reste, cela ne change absolument rien aux doctrines générales du 7raité de tératologie ; car, bien qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire ait voulu écrire un traité complet de tératologie animale, il n’a écrit en réalité qu'un traité de tératologie des animaux vertébrés. La tératologie des animaux invertébrés attend et attendra longtemps encore le naturaliste qui pourra la constituer, 1 Is. GrorrroY Saint-FiatRe, Traité de tératologie, t, 11, p. 444 et 4123 t. III, p. 280. 132 TYPES TÉRATOLOGIQUES. S 4. S'il y a des types tératologiques communs à tout l'embranchement des vertébrés, il y a des types tératologiques qui n'appartiennent qu'à certaines classes, à certains ordres, à certains genres, probable- ment aussi à certaines espèces, types qui se manifestent lorsque l’em- bryon, qui n'avait au début que les caractères généraux de animal vertébré, a revèlu les caractères'particuliers d'un groupe subordonné, classe, ordre, genre ou espèce. Je puis en citer quelques exemples. Les anomalies de l'amnios déterminent la production d’un grand nombre de monstruosités simples. Assurément je ne suis pas actuellement en mesure d'affirmer que ces monstruosités ne peuvent se produire que sous l'influence d’une anomalie de l'amnios. Il n’est pas impossible que les mêmes mons- truosités résultent de faits primordiaux différents. Mais, en attendant des documents plus complets, il y a toujours un fait incontestable, c’est l'influence de l'amnios sur la production de monstruosités. Par conséquent, les batraciens et les poissons, dont l'embryon ne s’'en- veloppe point d'un amnios, sont, au point de vue de la tératogénie, dans des conditions bien différentes de celles où se trouvent les reptiles, les oiseaux et les mammifères, dont l'embryon s'enveloppe d’un amnios. Les divers modes de relations de lembryon avec le vitellus sont eux-mêmes la cause d'événements tératologiques très-différents sui- vant les types zoologiques. Ilest clair par exemple que les différentes formes de l'éventration ou de la célosomie doivent faire défaut chez les lamproies et les batraciens, chez lesquels l'intestin ne se distingue point du vi- tellus. Tous les embryons de l’embranchement des vertébrés ont à l’ori- gine la face antérieure de leur corps en rapport avec le vitellus. Ges relations ne changent à aucune époque, chez les batraciens et les poissons, Au contraire, chezles reptiles, les oiseaux et les mammifères, l'embryon, à un certain moment, se retourne sur le vitellus de manière à se mettre en rapport avec lui par le côté gauche de son corps. Quel- quefois, mais tout à fait exceptionnellement, l'embryon se retourne sur le vitellus en sens inverse, c’est-à-dire de manière à se mettre en TYPES TÉRATOLOGIQUES, 133 rapport avec lui par le côté droit; ce qui a lieu, je le montrerai plus tard, dans l’inversion des viscères. 11 y a des formes de la monstruo- sité double dans lesquelles les sujets composants s'unissent par les faces antérieures de leurs corps. Or, cette union ne peut se produire qu'à la condition que deux embryons développés sur un vitellus unique se retournent en sens inverse et s'opposent l’un à l’autre par leurs faces antérieures. Il est bien clair que ces types tératologiques feront nécessairement défaut dans les classes dontles embryons ne se retournent point sur le vitellus. On peut aller beaucoup plus loin encore. Ainsi la complication très- grande des organes génito-urinaires chez les mammifères et leur extrème simplicité chez les oiseaux rendent possibles, dans la première de ces classes, des anomalies qui ne peuvent se produire dans la seconde, et particulièrement différentes formes de ce que l’on appelle d'une manière peu exacte des Lermaphrodismes. Tous ces faits ne sont encore aujourd’hui que de simples indications. Il est bien évident que la tératologie n'est pas actuellement en me- sure de dresser Ja liste des types tératologiques communs à tout l'embranchement des vertébrés et de ceux qui n’appartiennent qu'à certaines classes, à certains genres, à certaines espèces. Un pareil travail exige des notions que nous ne possédons pas encore, et qui ne peuvent résulter que de la constitution scientifique de l'embryo- génie comparée. - Sans doute, on à beaucoup parlé, depuis Baer, d’une classification embryogénique du règne animal ; et, pour ma part, j'ai la conviction que c'est surtout l'embryogénie qui fait connaître les affinités natu- relles. Il est bien évident que le type général des animaux vertébrés, les seuls dont j'aie à m'occuper ici, est nettement réalisé dans l'embryon ; et que la constatation de ce type par Baer nous donne la raison des affinités naturelles des animaux de ce groupe. Il est évident aussi qu'à une certaine époque de l'évolution, peu éloignée de son point de départ, les embryons du groupe des verté- brés s'engagent en deux voies différentes, suivant qu'ils deviendront poissons ou batraciens d’une part, reptiles, oiseaux ou mammifères de l’autre. En effet, chez les premiers, la corde dorsale ne s’infléchit point à sa partie antérieure, et par suite l'axe de la tête est toujours sur la même ligne que l'axe du corps ; chez les seconds, l'extrémité antérieure de la corde dorsale s'infléchit à angle droit, et par suite de 134 TYPES TÉRATOLOGIQUES, cette inflexion la tête s'infléchit elle-même à angle droit sur le tronc. Cette inflexion de l'extrémité antérieure de la corde dorsale et l’in- flexion de la tête qui la suit, entraînent au bout d’un certain temps le retournement de la tête sur le vitellus, retournement qui dans l'état normal s'opère toujours dans le même sens, lequel est évi- demment déterminé par l'inflexion de l’anse cardiaque du côté droit de l'embryon. Un autre fait qui distingue l’évolution des animaux de ces deux groupes, mais qui ne se produit que plus tard, c’est la permanence des fentes branchiales chez les batraciens et les poissons, — tandis que ces fentes s’oblitèrent très-rapidement chez les reptiles, les oiseaux et les mammifères; — et en même temps l’apparition des lames branchiales sur la convexité des arcs branchiaux dans le pre- mier de ces groupes. On sait que ces différences dans l’évolution de l'embryon lui-même s'accompagnent d’autres différences dans l'évolutien des annexes de l'embryon. Les embryons du premier groupe n’ont point d’amnios ni d'allantoïde, tandis que ceux du second groupe ont un amnios et une allantoïde #. 4 Jl y a bien évidemment dans tous ces faits la raison d’une première distinction dans l’embranchement des animaux vertébrés. Depuis Baer, tous les naturalistes s'accordent à diviser ces animaux en deux groupes, les anallantoïdiens et les allantoïdiens. Mais est-il actuel- lement possible d'aller plus loin et de montrer comment l'embryon du premier groupe devient poisson ou batracien?, comment l’em- bryon du second groupe devient reptile, oiseau ou mammifère ? Ici nous sommes complétement arrêtés par le manque de notions embryogéniques. Je sais bien que, dans le second groupe, Baer a cru pouvoir trouver les motifs d'une division ultérieure dans les carac- tères de l'allantoïde, qui tantôt conserve ses conditions primitives 1 Aristote a déjà signalé ces différences des embryons d'oiseaux et de poissons qui consistent dans l’absence de l’allantoïde. Voici ses paroles : « HO yéveous…. robrus 02 (les poissons cartilagineux) xat rot rüv épvilov, rñ pèv buria, Th Je Diamosos art, Iloürov iv Yap cdx Épouor roy Érepoy Cupaliv, roy ÊTE TO LOpLOV rélvovræe, 6 or ro rù mepieyov Gorpamer.….., Toy Te Jap OupæAo Éyouat Tv Érépov, $ F “ ro Dypov, 00rws 0 yÜdes mods To GAov boy, » Ilept Evov badyros Gareg 0 Opyiles, po qesséos, lib. III, cap. nr, ? À supposer, ce qui n'est pas encore établi, que la classe des poissons devrait ètre conservée, et qu'elle ne pourrait pas être scindée en plusieurs classes, comme l’ad- mettent plusieurs naturalistes, et particulièrement Agassiz. TYPES TÉRATOLOGIQUES. 135 (reptiles et oiseaux), et tantôt se transforme en placenta (mammifères), Mais cescaractères distinctifs appartiennent aux annexes de l'embryon, et non à l'embryon lui-même. Or c’est dans l'embryon que l'on doit les chercher, et jusqu'à présent on ne les à pas trouvés. Je dois me contenter de constater cette lacune de la science, qui tient à ce qu'à vrai dire l'embryogénie comparée n'existe pas encore, Sans doute nous possédons des monographies plus ou moins complètes de l'évolution d'un certain nombre d'espèces ap- partenant à l'embranchement des vertébrés; mais ces monographies, — et je n'excepte même pas celles qui ont pour objet l’évolution du poulet, — sont encore insuffisantes et ne permettent pas toujours d'apprécier la signification réelle de faits qu'elles signalent. C'est pourquoi nous ne possédons pas un travail d'ensemble reliant tous les faits épars que contiennent ces monographies, et permettant d'apprécier à leur juste valeur les ressemblances et les différences que présente l’évolution dans l'embranchement des animaux verté- brés. Peut-être même un pareil travail est-il actuellement impossible. Or ce n'est que lorsque ce travail aura été fait que l’on pourra établir la classification sur l'embryogénie et déterminer les types térato- logiques qui peuvent apparaître dans chaque groupe déterminé. Ici, comme partout, la tératogénie est. subordonnée à l’embryo- génie; c'est d'elle seulement qu’elle doit attendre ses propres progrès. CHAPITRE V CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. SOMMAIRE. 19 Classification tératologique. — 2° Remarques sur la classification des monstres simples. — 3° Remarques sur la classification des monstres doubles, — ï° Importance de la classification tératologique comme instrument de recherche. hs Un Après la détermination et la description des types tératologiques, commencée par Et. Geoffroy Saint-Hilaire, et terminée par son fils, venait naturellement la classification de ces types. Ce fut l’œuvre exclusive d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire, œuvre achevée dans son en- semble, et que les travaux ultérieurs des tératologistes ne modifieront que dans des détails de peu d'importance. J'adopte complétement dans ce livre la classification tératologique d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Je ne puis la faire connaître en détail, et je me contente d'en reproduire le tableau’. Je renvoie au Traité de tératologie ceux de mes lecteurs qui voudraient en faire une étude complète. Je dois me contenter ici d'indiquer brièvement les bases de cette classification, en présentant, à ce sujet, quelques considé- rations que j'ai tirées de mes propres études, et qui avaient échappé à l'esprit sagace de son auteur. Les physiologistes qui, antérieurement aux Geoffroy Saint-Hilaire, se sont occupés de l'étude de la tératologie, ont confondu deux ordres de faits, bien différents à certains égards, les déviations légères et les déviations graves du type spécifique. Aussi, malgré tous leurs ef- forts, ils n’ont pu se faire une juste idée de leur véritable nature ; et lorsqu'ils ont cherché à les répartir en groupes pour faciliter leur connaissance, ils n'ont pu aboutir qu'à des divisions artificielles, ayant tout au plus une valeur mnémonique. Is. Geoffroy Saint-Hilaire a rendu à la tératologie un premier et très-important service, en montrant que les anomalies constituent en réalité quatre groupes de faits très-différents : les anomalies légères, ‘ Voir la note C plate à la suile de la première partie, CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. 137 qu'il désigne sous le nom d'hémitéries ; et les anomalies graves ou complexes, qui forment les trois groupes des hétérotazxies, des herma- phrodismes et des monstruosités. Les hétérotaxies, caractérisées par l'inversion de la symétrie géné- rale de l'organisation ; et les hermaphrodismes, caractérisés par la combinaison des particularités organiques qui, dans l’état normal, appartiennent spécialement à chacun des deux sexes, sont des faits tératologiques à part, et dont la distinction ne présente aucune diffi- culté. Les types qu'ils présentent sont {rès-peu nombreux, et par conséquent n’exigent pas une classification particulière, Il n'en est pas de même des hémitéries et des monstruosités. Ces deux groupes renferment un très-grand nombre de types, et néces- sitent par conséquent l'établissement d’une classification. Mais la nature différente de ces faits tératologiques ne permet pas de les clas- ser d'après les mêmes principes. Les hémitéries n’affectent généralement qu'un organe isolé, sou- vent même que certaines parties d’un organe; elles sont donc essentiellement locales, et, par suite de leur localisation, ne reten- lissent pas, si l'on peut parler ainsi, dans l’ensemble de l'organisation. Aussi leur étude est-elle essentiellement abstraite, en ce sens que nous les considérons en elles-mêmes, et indépendamment de l'animal qui les présente. On ne peut donc les classer comme des objets ou des êtres vivants que nous comparons dans leur ensemble, c’est-à-dire en tenant compte de tous les traits communs ou différentiels qui les ca- ractérisent. Il en résulte qu'une classification naturelle des hémi- téries ne peut être fondée que sur la nature de la modification et aussi de la cause modificatrice. Mais, à l'époque de la publication du Zraité de tératologie, la tératogénie existait à peine, et encore au- jourd'hui elle est loin de rendre compte de la plupart des hémitéries. Il a donc fallu les grouper uniquement d’après la nature même de la modification ; c’est-à-dire suivant qu'elles portent sur le volume, la forme, la structure, Va disposition, le nombre et l'existence des parties qu'elles affectent. C'est ce qu'a fait Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Cha- eune tle ces divisions a dû même être subdivisée. Ainsi les anomalies de disposition se subdivisent en anomalies par déplacement, par chan- gement de connexions, par continuité, par cloisonnement, par disjonction. Mais cette division ne peut être poussée plus loin. Sans doute les hémitéries se répètent non-seulement dans les individus d’une même espèce, mais encore dans les individus d'espèces différentes: elles 138 CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. présentent done des types, comme les monstruosités elles-mèmes. Mais ces types ne sont pas toujours nettement définis : ils peuvent, dans bien des cas, passer de l'un à l’autre par une série de trans- formations insensibles. Je citerai, par exemple, les variétés de co- loration, qui, dans chaque espèce animale, tout en obéissant à certaines lois, présentent des degrés très-divers d’étendue et d’in- tensité. Il résulte d’ailleurs de cette absence de délimitation, qu'ils sont en nombre illimité, et que par conséquent leur détermina- lion est inaccessible à la science. Du reste, il faut ajouter que la détermination de tous les types réels ou possibles de l'hémitérie n'au- rait aucun intérêt scientifique, par suite des différences souvent infiniment petites qui existent entre ces types. Tout ce que peuvent donc faire la tératologie et la tératogénie, c'est d'étudier d’une ma- nière générale les différentes modifications qui constituent pour chaque organe des déviations du type spécifique, et de déterminer, s’il est possible, les causes de ces modifications. Il n'en est pas de mème des véritables monstruosités., La mons- truosité résulte toujours de l'association et de la combinaison d’un nombre plus ou moins grand d'anomalies légères ou d’hémitéries. Or il est bien évident qu'il y a dans l’organisation anormale, comme dans l’organisation normale, des conformations qui s'appellent et des conformations qui s'exeluent; en d’autres termes, une véritable corrélation organique. Il résulte de ce fait, signalé par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, et dont il s’est même, je le montrerai plus tard, exagéré l'importance, que les monstres sont monstres par leur organisation tout entière, ou du moins par des régions entières de leur corps. Aussi, tandis que l'hémitérie peut et doit être étudiée d’une manière isolée, et indépendamment des autres organes, l’organisation d’un ètre monstrueux ne peut être comprise que par la considération de l'ensemble de tous ses éléments. Ainsi donc on n’étudie, dans l’hémi- térie, que l'hémitérie elle-même ; quand on étudie la monstruosité, on étudie un être monstrueux. J'ai montré, dans le chapitre précédent, comment les êtres mon- strueux se rattachent nécessairement à un nombre limité de types. Ces types, plus où moins semblables et plus où moins différents entre eux, peuvent être l’objet d’une classification, exactement comme tous les êtres que l'on compare. Or, s'il y a un très-grand nombre de clas- sifications artificielles, il n'y en a qu'une qui soit vraiment naturelle, c’est-à-dire qui donne l'expression exacte des ressemblances et des dif- CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE, 139 férences, en d'autres termes, qui ait son fondement dans la nature des choses. C'est cette classification qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire à cherché à établir !, Je puis dire qu'il y à réussi, autant du moins que le comportait l'état de la science à l'époque où il l'a établie. Toutefois mes recherches tératogéniques, tout en me donnant la confirmation générale de la légitimité des groupes admis par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, me conduisent à y apporter quelques modifications de détail. Elles me font reconnaitre, de plus, que plu- sieurs des groupes établis par cet illustre naturaliste doivent être caractérisés autrement qu'il ne le faisait. Je dois donc indiquer, mais d'uné manière très-générale, les modifications qu'il faudra introduire dans cette œuvre remarquable, et qui consisteront dans le remanie- ment de quelques groupes, dans une caractéristique nouvelle de quelques autres. Du reste, mes observations ne portent que sur quel- ques points particuliers. Je ne suis pas actuellement en mesure de reprendre la question dans son ensemble, — car il y à certains types tératologiques sur lesquels je n’ai pu recueillir encore que des docu- ments incomplets ; — et je ne le serai peut-être jamais. Je dois donc me borner à présenter, sur Ce sujet, quelques considérations qui ré- sultent de mes études tératogéniques, et qui seront peut-être utilisées quelque jour, lorsqu'un physiologiste entreprendra d'écrire un nou- veau traité de tératologie, conforme aux progrès récents de la science. $ 2. Is. Geoffroy Saint-Hilaire partage les monstres en deux classes, les monstres simples et les monstres doubles. Dans la première, le 1 On a souvent contesté la légitimité de l'application de la classification naturelle à la tératologie. L'objection principale porte sur ce que les monstres ne sont pas de vérilables espèces ou de véritables genres, du moins dans le sens que les naturalistes attachent à ces mots. Or cette objection tombe d'elle-même, si l’on prend ces mots de genre et d'espèce non plus dans l’acception limitée qu'ils ont en histoire natu- relle, mais dans l’acception beaucoup plus générale qu’ils ont dans la langue philo- sophique. Je me suis déjà expliqué sur ce point. Voir la note de la page 121. Il ne faut pas oublier que la classification s'impose à nous dans toutes les car- rières où s'exerce notre intelligence, toutes les fois que nous nous trouvons en présence d'un nombre considérable d'objets ou de faits; qu'elle peut être artificielle ou naturelle, suivant qu'elle considère ces objets ou ces faits à un point de vue unique, ou à tous les points de vue; enfin, que si les classifications artificielies peuvent être d'utiles moyens d'étude, la classification naturelle seule est un instru- ment de recherche, et par conséquent un instrument de découverte, Ces notions appartiennent autant à la philosophie générale qu'à l’histoire naturelle elle-même. 110 CLASSIFICATION TERATOLOGIQUE. monstre n'est formé que des éléments d'un embryon unique. Dans la seconde, le monstre résulte de l'union ou de la fusion plus ou moins complète de deux individus; fait d'autant plus remarquable que l’as- sociation de deux organisations en une seule organisation, de deux vies en une seule vie, ne se retrouve que dans les degrés les plus infé- rieurs du règne animal. Les monstres simples se divisent en trois groupes, qui sont désignés sous les noms de monstres autosites, omphalosites et parasites. Je laisse de côté les monstres simples parasites, sur lesquels je ne possède aucun document personnel. Dans l’état actuel de la science, leur interprétation présente des difficultés insurmontables. J’ignore donc si la distinction de ce groupe est réellement fondée! ; je sup- pose seulement qu'un certain nombre d’entre eux doivent être ratta- chés aux monstres omphalosites. La distinction des monstres autosites et des monstres omphalosites est, au contraire, très-réelle. Ces deux groupes sont parfaitement naturels; mais ils le sont par d’autres motifs que ceux qui ont guidé Is. Geoffroy Saint-Hilaire dans leur établissement. Voici comment ce grand naturaliste définissait ces deux classes : « 4° Monstres autosites, c'est-à-dire capables de vivre et de se nourrir par le jeu de leurs propres organes. Tous peuvent subsister, plus ou moins longtemps, sortis du sein de leur mère. Les premiers genres sont mème complétement viables ; « 2° Monstres omphalosites, où vivant seulement d'une vie impar- faite, et pour ainsi dire passive, qui n’est entretenue que par la com- munication avec la mère, et cesse dès que le cordon est rompu !.» suffit de lire ces diagnoses pour voir qu'elles ne s'appliquent qu'aux monstres provenant de la classe des mammifères, et qu'elles laissent complétement de côté les monstres provenant de classes d'animaux ovipares. Il est vrai qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire ne connaissait chez les oiseaux qu'un très-petit nombre de monstres autosites, et aucun monstre omphalosite, Ces derniers peuvent se produire dans la classe des oiseaux, mais dans des conditions très-différentes de celles où ils apparaissent chez les mammifères, et qui, avant mes recherches, ne permettaient pas de les reconnaitre. 1 La suppression de l’ordre des monstres parasites a déjà été proposée par M. La- vocal : Considéralions sur un veau anide. 1857, Toulouse. ? Trailé de téralologie, t. 11, p, 184. ne ie dé dé dd dd ELLE CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. 141 Il faut donc changer ces diagnoses et les remplacer par d'autres plus générales et applicables aux monstres provenant de toutes les classes de l’'embranchement des vertébrés. Je ferai remarquer, en outre, que cette division des monstres simples repose entièrement sur un caractère physiologique, caractère d'ailleurs très-insuffisamment défini, C'est uniquement une différence de viabilité. Or mes expériences m'ont appris que la viabilité d'un mème type tératologique peut varier suivant les espèces zoologiques dans lesquelles il se présente. Les monstres simples autosites provenant de la classe des mammi- fères ne sont point de véritables autosites dans le sens qu'Is. Geof- froy Saint-Hilaire attachait à ce mot. Sans doute, ils se produisent et se constituent isolément ; mais ils ne tardent pas, à une certaine époque, par suite de la formation du placenta, à se greffer aux parois de la cavité utérine. Et alors ils vivent jusqu'à Ja naissance en véri- tables parasites. C'est la mère qui les nourrit; c’est elle qui respire pour eux. Sans doute, ils peuvent ordinairement vivre quelque temps après la naissance ; mais, à un très-petit nombre d'exceptions près, ils périssent nécessairement, fatalement, quelques Jours et souvent mème quelques heures après leur arrivée dans le monde extérieur. Is n'ont donc pas en eux-mêmes les conditions nécessaires pour la vie indépendante, comme semblerait l'indiquer l'expression d'autosites. Elle ne leur convient plus dès que le placenta s’est formé. Les monstres autosites qui se produisent dans la classe des oiseaux sont, au contraire, de véritables autosites dans toute l'acception de ce mot. Enfermés dans la coquille de l'œuf et complétement séparés de l'organisme maternel, ils doivent trouver dans l'œuf tous les élé- ments de leur nutrition, en mème temps qu'ils doivent respirer par eux-mêmes. Aussi leur viabilité est-elle moins grande encore que celle des monstres simples autosites de la classe des mammifères, qui, vivant en quelque sorte d’une vie d'emprunt, peuvent atteindre sans périr l'époque de la naissance. Chez les oiseaux, ces monstres périssent presque toujours, d’une manière fatale, plus ou moins longtemps avant l’éclosion. Cette mort précoce à même empèché qu'on ne reconnût leur existence jusqu’à l’époque ou j'ai été les chercher dans l'œuf lui-mème aux premiers moments de lincu- bation. Bien que je ne connaisse point l'existence de semblables monstres chez les reptiles, je crois qu'ils peuvent s’y produire. S'il en était 142 CLASSIFICATION TERATOLOGIQUE. ainsi, leurs condilions de viabilité seraient probablement différentes de celles des monstres qui appartiennent aux deux premières classes, par suite des conditions physiologiques toutes spéciales qui caracté- risent les reptiles à l'âge adulte. Ainsi done, les considérations physiologiques sur lesquelles Is. Geof- froy Saint-Hilaire avait établi cette division des monstres simples en autosites el en omphalosites ne suffisent point pour la justifier. Tou- tefois, ce naturaliste avait confusément le sentiment d'une différence importante entre les uns et les autres. Il comprenait vaguement que les premiers ont plus ou moins complétement en eux-mêmes les conditions de leur vie, Landis que les seconds ne trouveraient ces conditions qu’en dehors d'eux ; mais il n’avait point reconnu la cause même de cette différence. Mes recherches me permettent d'expliquer nettement ce qui n'élait, dans lesprit d'Is, Geoffroy Saint-Hilaire, qu’un sentiment vague et confus. Les monstres autosites se produisent isolément dans un œuf qui leur est propre et peuvent, grâce à la complication de leur organisation, vivre pendant un temps plus ou moins long, bien que, presque toujours, atteints d'une manière irrémédiable dans leur via- bililé. Au contraire, lorsque les omphalosites apparaissent isolés dans un œuf, ils périssent presque immédiatement après s'être formés, et lorsqu'ils sont encore dans cet état d'ébauche qui caractérise tou- jours les premières phases de la vie embryonnaire. Pour qu'ils puissent continuer à vivre et à acquérir leur organisation complète, il faut qu'ils se forment dans un œuf en même temps qu’un frère jumeau bien conformé. Il se produit alors des anastomoses entre les appareils vasculaires des deux embryons, anastomoses qui sont la condition nécessaire de la vie de l’omphalosite. Dans cette étrange association, c'est le frère bien conformé qui fait vivre le frère mal conformé., Celui-ci périt inévitablement au moment même où les deux organisations viennent à se séparer. On pourrait exprimer ce fait physiologique en remplaçant le terme d'omphalosite par celui d'adelphosite. Mais je ne crois’ pas qu'il y ail utilité à changer des dénominations consacrées depuis longtemps par l’usage. Dans le langage de la science, comme dans le langage ordinaire, on doit Loujours conserver les anciennes expressions, même quand nous ne pouvons plus leur attribuer le sens qu'elles avaient à l'origine. Il suffit de les considérer comme de simples appellations et de n'attacher aucune importance à leur signification étymologique. Au- CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. 143 trement on aboutirait à une confusion dont les inconvénients seraient beaucoup plus grands que ceux que l'on voudrait éviter, Il y a donc dans le fait de la gémellité et dans les conséquences physiologiques qu'elle entraîne une différence fondamentale entre les omphalosites et les autosites, différence qu'is, Geoffroy Saint- Hilaire avait pressentie, sans pouvoir s'en rendre compte, Mais une classification des êtres vivants, quels qu'ils soient, normaux où anor- maux, ne peut reposer sur des différences physiologiques : elle doit nécessairement être fondée sur l'organisation, C'est la conséquence de toutes les études zoologiques qui m'ont occupé pendant ma vie. Or, il existe entre les monstres autosites et les monstres omphalosites une différence anatomique capitale, la présence du cœur chez les premiers et son absence chez les seconds !, « Je ferai connaître plus tard les conditions biologiques, toutes dif- férentes, qui résultent, pour les embryons monstrueux, de la présence ou de l'absence de cet organe. Pour le moment, je me borne à signa- ler que c'est là la différence fondamentale qui distingue les monstres autosites des omphalosites. On peut déduire de ce fait une conséquence importante, c'est que l'apparition dans l'embryon des monstruosités omphalosites est anté- rieure à la formation du cœur, et appartient, par conséquent, aux premières phases de la vie embryonnaire, tandis que celle des mons- truosilés autosites lui est, au contraire, postérieure. Après la distinetion des monstres simples en monstres autosiles el en monstres omphalosites, vient la division de ces deux groupes en familles, contenant chacune un certain nombre de types, ou de genres, comme disait Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Cette répartition des types tératologiques en familles naturelles a une importance capitale au point de vue de la tératogénie, car j'ai reconnu que tous les types d’une même famille résultent d’un même fait initial et que, par conséquent, ils sont régis par la même loi de formation. La distinelion des types appartenant à une même famille résulle uniquement de l'étendue de la modification produite. 11 résulte de ce fait que, lorsque j'aborderai les questions spéciales de la tératogénie, j'étudierai la formation des différents types, non point isolément, mais en les groupant suivant les familles auxquelles ils ! Ou du moins, dans quelques cas, son état rudimentaire qui l'empêche de fonc- tionner comme moteur d’un appareil cireulatoire, 144 CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. appartiennent, et je montrerai brièvement comment la même modi- lication fondamentale peut se prèter à la production d'organisations assez distinctes pour constituer des types déterminés. Toutes les familles établies par Is. Geoffroy Saint-Hilaire dans l’ordre des monstres autosites sont parfaitement naturelles, à l’ex- ceplion d’une seule, celle des monstres otocéphaliens, qu'il ne con- naissait, d’ailleurs, que d'une manière incomplète, et sur la réalité de laquelle, comme il me le disait lui-même, il conservait encore des doutes. Mes études me conduisent à la rejeter entièrement. Elle contient, en effet, plusieurs types tératologiques très-dispa- rates et qui n'ont pour caractère commun qu'un fait assez peu important, la réunion des conques auditives en une seule et l’exis- lence d'une trompe d'Eustache unique, faisant communiquer le pharynx avec l'extérieur. Ce fait est incontestablement fort curieux. Is. Geoffroy Saint-Hilaire en ignorait la véritable signification. Nous la devons à Huschke, qui a montré que ce n’est qu’un arrêt de déve- loppement tenant à la permanence de la première fente branchiale *. Mais ce fait tératologique ne se produit qu’assez tard, et il accom- pagne des monstruosités très-diverses. Les types de cette famille se rangent en trois groupes très-distincts, nettement caractérisés par la disposition de l'appareil oculaire. Le premier de ces groupes ne contient qu'un seul type, la #riocéphalee, caractérisée par l'absence complète de cet appareil. Le second, qui comprend trois types, est caractérisé par la cyclopie. Le troisième ne comprend actuellement qu'un seul type, la sphénocéphalie, dans laquelle les yeux sont complétement séparés”*. Je considère la triocéphalie comme devant former une famille à. part. Les otocéphaliens cyclopes doivent être réunis aux cyclopes ordinaires ou, pour employer le langage d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire, aux monstres cyclocéphaliens, dont ils ne diffèrent que par la perma- nence de la première fente branchiale. Quant aux sphénocéphales, ils ne sont encore connus que d'une manière trop incomplète pour que l’on puisse leur assigner leur véritable place, Je les laisse donc pro- visoirement de côté. Ainsi je pense que la famille des otocéphaliens doit être rayée 1 Huscuke, Uber die ersle Entiwickelung des Auges und die damit susammenhän- gende Cyclopie, dans Archiv für Anatomie und Physiologie, de Meckel, t. VI, p.40. 1832. 2 J'ai eu récemment occasion d'observer un type très-voisin de la sphénocéphalie, mais qui en diffère par l'absence de la bouche. CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. 145 des catalogues tératologiques, et qu'il faut la remplacer par une famille restreinte au seul type de la triocéphalie, qui forme bien évidemment un groupe à part. C'est, du reste, le seul changement que je crois devoir indiquer dans la série des monstres autosites. Dans l'ordre des monstres omphalosites la découverte de deux types nouveaux assez distincts des autres, l'hétéroide et le cépha- lide, non décrits par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, conduira peut-être un jour les tératologistes à créer une ou deux familles nouvelles, Actuellement, cette création serait prématurée, car il n’est pas im- possible que de nouveaux types, encore inconnus, viennent s'ajouter à ceux que nous connaissons déjà, et nous faire entrevoir des rela- tions nouvelles entre toutes ces monstruosités. L'arrangement -des familles de la monstruosité simple présente un fait très-intéressant et que je dois signaler dès à présent. J'en donnerai plus loin la démonstration. L'ordre dans lequel Is. Geoffroy Saint-Hilaire dispose les diverses familles de la classe des monstres unitaires est très-exactement, quand on le prend en sens inverse, l'ordre dans lequel apparaissent dans l'embryon les différents types de la monstruosité simple. Ce fait s'explique facilement, puisque toutes les monstruosités simples, comme je l'ai déjà dit et comme je le prouverai plus tard, ont un même fait initial, l'arrêt de développement. Or, les types monstrueux diffèrent suivant l'époque plus ou moins reculée où l'arrêt de déve- loppement se produit. La série des monstres unitaires forme donc, pour employer le langage d’Is. Geoffroy Saint-Hilaire, une série parallele à celle des phases successives que traverse l'embryon. Il n'y à qu'une seule modification à faire à cet arrangement des types de la monstruosité simple, c’est le changement de place des monstres syméliens, qui doivent être placés à la suite des monstres ectroméliens, ou bien avant eux, si l’on prend la série tératologique dans l’ordre où la prenait Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Il est évident que la fusion des membres postérieurs, qui caractérise la symélie, est postérieure à l'apparition de ces membres, Par conséquent, si l'on prend la série dans l’ordre synthétique, c'est-à-dire en suivant l'ordre même des développements, on doit placer les monstres symé- liens après les ectroméliens. Si, comme l’a fait Is. Geoffroy Saint- Hilaire, on procède par voie analytique, c’est-à-dire en remontant peu à peu jusqu'au point de départ des formations animales, on doit placer les syméliens avant les ectroméliens. Pour mieux faire com- EU 146 CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. prendre ma pensée, je me servirai d’une comparaison vulgaire, mais très-significative. En ordonnant sa série, Is. Geoffroy Saint-Hilaire remontait le cours du fleuve, tandis que je le descends. Sans doute, Is. Geoffroy Saint-Hilaire avait raison d'agir ainsi, il y a quarante ans, car il marchait du connu vers l'inconnu. Mes études, entière- ment fondées sur la téralogénie, me permettent de suivre l’ordre in- verse, qui est l'ordre naturel. 72 Co La classe des monstres doubles ne présente aucune difficulté théo- rique. Is. Geoffroy Saint-Hilaire considère les monstres doubles comme résultant toujours de l'union ou de la fusion de deux embryons pri- milivement distincts. J’adopte complétement cette manière de voir, qui est loin d’être généralement acceptée ‘. Je ferai connaître plus loin les motifs de mon opinion. Is. Geoffroy Saint-Hilaire divise les différentes familles de la monstruosité double en deux ordres, qu'il désigne sous les noms de monstres doubles autositaires et de monstres doubles parasitaires, suivant que les deux embryons sont égalemént ou inégalement développés. Dans le second cas, l'embryon moins développé que son conjoint reproduit très-exactement l’un des types des monstres simples om- phalosites. Is. Geoffroy Saint-Hilaire en fait la remarque avec raison ?, mais il n'en a pas vu la cause. Ce fait s'explique très-naturellement, puisque les omphalosites ne peuvent se développer complétement que lorsqu'ils se sont produits dans un œuf unique avec un frère ju- meau. Il en résulte que tantôt l'omphalosite reste complétement sé- paré de son frère bien conformé, et que tantôt, au contraire, il s’unit à lui pour former un organisme unique. Je reviendrai sur ces faits lorsque je m'occuperai de l'évolution spéciale de chaque typé téra- tologique en particulier. Pour le moment, je me borne à signaler que l'histoire des monstres doubles parasitaires se lie nécessairement, et par des liens plas intimes encore qu'is. Geoffroy Saint-Hilaire ne le supposait, à celle des monstres omphalosites, Il y a même des 1 Toutefois il y a certains types de la famille des Polyméliens, les Mélomèles, par exemple, qui ne me paraissent pas devoir s'appliquer par uac dualité primitive. ? Traité de tératologie, t, IT, p, 14. COR are —— CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. 147 cas où la distinction entre les monstres omphalosites et les monstres doubles parasitaires devient à peu près impossible. L'arrangement en familles des types de la monstruosité double ré- sulte uniquement du mode d'union des sujets composants. Or celte union se fait à une époque plus ou moins rapprochée de l'origine même de l'évolution ; et par conséquent, là aussi, nous concevons pour les types des monstres doubles autositaires l'existence d'une série plus ou moins comparable à celle que nous ont présentée les monstres simples autosites. Elle est très-vaguement indiquée par l'ordre même où Is. Geoffroy Saint-Hilaire a disposé ses familles, quand on le prend en sens inverse. Mais nos connaissances sur le mode de formation des divers types de la monstruosité double sont encore trop incomplètes pour nous permettre actuellement d'établir cette série sur des bases définitives. Je ferai connaître plus loin le petit nombre d'indications que nous possédons actuellement relati- vement à son existence. Il y a toutefois un point particulier sur lequel je crois devoir me séparer d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Il a cru devoir établir une première famille sous le nom de monstres eusomphaliens, famille qui comprend trois types ou genres, qu'il désigne sous les noms de py- gopage, métopage et céphalopage, et qui est caractérisée par lexis- tence de deux ombilies distincts, tandis que tous les autres types de la monstruosité double n'ont qu’un seul ombilic. Or, cette fa- mille, contrairement aux autres familles de monstres doubles éta- blies par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, est entièrement artificielle. En effet, les pygopages, formés par une fusion profonde de deux em- bryons, ne sont, en aucune, facon comparables aux métopages et aux céphalopages qui résultent d’une union presque entièrement superficielle. Les premiers doivent évidemment former une famille à part, ou peut-être se rattacher à une autre famille, celle des monstres sysomiens, avec laquelle ils présentent certains traits de ressemblance. Je dois également signaler ce fait que les ischiopages formeront probablement un jour une famille à part, et tout à fait distincte de celle des monomphaliens dans laquelle ils sont placés. 148 CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. S 4. % Ainsi done, les critiques que je viens de faire de la classification tératologique d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ne portent que sur des points de détail ; elles ne la modifient en rien d’essentiel. C’est que cette classification est vraiment naturelle et qu’elle donne une expression très-exacte des rapports des types tératologiques. Or, une classification naturelle n’est pas seulement un moyen de grouper les objets auxquels elle s'adresse; elle est surtout, et c’est là son principal avantage, un instrument de recherches, parce qu’elle contient implicitement un grand nombre de faits qui peuvent rester longtemps inapercus jusqu’à ce qu'une découverte inattendue vienne les mettre en lumière. Pour ma part, je me ferai toujours un devoir de reconnaître que mes expériences tératogéniques m'auraient appris peu de chose, et seraient presque restées stériles, si la classification tératologique ne m'avait permis, toutes les fois que j’ai trouvé un fait nouveau, de le mettre immédiatement à sa place, et d'en déduire toutes ses consé- quences, même les plus éloignées. Je n'aurais fait sans elle que des observations isolées, dont je n'aurais pu saisir les relations. Si je puis aujourd'hui publier un travail d'ensemble sur la tératogénie, travail dont toutes les parties se tiennent et se lient entre elles, je le dois uniquement à cette œuvre, l'un des monuments scientifiques les plus remarquables de notre siècle. Je dois ce témoignage à la mémoire de lillustre savant qui, pendant sa vie malheureusement trop courte, m'a donné tant de preuves de son affectueuse sympathie. ET CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. 119 NOTE A. Mesure de la distance du point de contact ou de chauffe avec le point culminant de l'œuf dans la couveuse à air libre. La mesure directe de la distance du point de contact ou de chauffe au point culminant de l'œuf, dans la couveuse à air libre, est à peu près impossible, Mais on peut l'obtenir à l'aide de deux constructions géométriques très-simples qui s'appli- quent, la première au cas où le grand diamètre de l'œuf est parallèle à l'axe du tuyau de chauffe, la seconde au cas où le petit diamètre de l’œufest parallèle à cet axe. Les considérations géométriques sur lesquelles je m'appuie pour obtenir ces me- sures sont tout à fait indépendantes de la dimension du diamètre des tuyaux de chauffe et des dimensions du grand diamètre et du petit diamètre des œufs. Toute- fois, pour fixer les idées, je resterai dans les conditions particulières où je me suis placé dans mes expériences, Les tuyaux de chauffe de ma couveuse à air libre ont un diamètre de 0,08. Les œufs que j'ai mesurés, et qui provenuient de poules de la race commuue des environs de Lille, avaient en moyenne un petit diamètre de 0®,04 et un grand diamètre de 0%,06, Sans doute ces nombres ne sont que des nombres moyens ; et les différences de forme des œufs, dont les uns sont plus ronds et les autres plus allongés, font que les nombres qui expriment la longueur du grand diamètre de chaque œuf en particulier, sont relativement assez différents. Mais ces différences sont trop petites pour changer notablement la valeur des mesures. On pourrait d'ailleurs obtenir une exactitude beaucoup plus grande en mesurant direc- tement le grand et le petit diamètre de chaque œuf; mais cela n'aurait aucun avan- lage réel. Comme le volume des œufs n’est pas le même dans les différentes races de poules il faudrait, si l'on voulait obtenir ces mesures pour des œufs provenant d’autres races que ceux que j'ai étudiés, mesurer la longueur moyenne des deux diamètres des œufs mis en expérience. Cela posé, j'examine d'abord le cas le plus simple, celui dans lequel le grand diamètre de l'œuf est parallèle à l'axe des tuyaux de chauffe, Dans ce premier cas, une section transversale de l'œuf, menée par son petit dia- mètre, forme un petit cercle tangent au grand cerele qui résulte de la section trans- versale du tuyau de chauffe, La distance du point de chauffe au point culminant est donc un arc de cercle ; mais, comme cet are de cercle est généralement très-petit, on peut le remplacer par sa corde. Or voici comment on peut obtenir la mesure de cette corde. Je décris un grand cerele qui représente la section transversale du tuyau de chauffe ; puis je décris un certain nombre de petits cercles tangents au premier, qui représentent la section transversale de l'œuf dans un certain nombre des positions qu'il peut occuper autour du tuyau de chauffe et qui, par conséquent, sont tous égaux entre eux. Dans la figure, le diamètre du grand cercle et celui des petits cercles sont réduits à la moitié de leurs dimensions naturelles, c'est-à-dire à 0m,04 pour le grand cercle, à 0m,02 pour les petits cercles. Cette figure géométrique présente trois propriétés remarquables qui permettent de mesurer la distance du point de chauffe au point culminant de l'œuf. 1° Le lieu géométrique de toutes les positions occupées par le point culminant de l'œuf est un cercle dont le centre est en C, et dont le rayon est égal à AD, rayon du grand cercle, + DB, rayon du petit cercle. En effet, considérons un cercle quelconque, par exemple, celui dont le rayon est B'E’. Le rayon B'E' étant vertical est parallèle à DD’, diamètre vertical du grand 150 CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. cercle. Si par le point E' je mène une parallèle à AB’, cette parallèle coupe le dia= mètre DD"! au point C et détermine le parallélogramme AB'E'C; par conséquent la ligne CE'= la ligne AB, ou, en d’autres termes, la ligne AD’ + D'B', Or, dans toutes les positions que le petit cercle occupe autour du grand, l'égalité des lignes AB, AB’, AB’, ete., toutes égales à AD + DB, et celle des lignes B'E’, B'E’", B''E", ete., entraînent celle des lignes CD, CE’, CE", ete. Toutes ces lignes partant d'un même point C, et de même longueur, sont donc les rayons d’un cercle, et ce cercle est, par conséquent, le lieu géométrique de tous les points culminants des petits cercles, et par conséquent de l'œuf. (Nota: Pour ne pas compliquer la figure, on n'a pas tracé les lignes AE”, AE”, et les lignes CB”, CB”. Mais il est très-facile de les concevoir.) 2 Les prolongements des cordes D’'E/, DE", D/E/", qui mesurent la distance des points de contact aux points eulminants de l'œuf, viennent tous aboutir à un point D, point inférieur du diamètre vertical DD”. Il s'agit, pour démontrer cette proposition, de prouver que les trois points DD'E' sont en ligne droite. Or, le triangle ADD’ est isoscèle, puisque les côtés AD, AD' sont égaux comme rayons d'un même cercle, et par conséquent l'angle ADD'— l'angle AD'D, Le triangle CDE' est également jisoscèle, puisque les côtés CD, CE” CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE, 151 sont égaux comme rayons d’un même cerele, et, par conséquent, l'anglo CDE' = l'angle CE'D, Mais dans ces deux triangles les angles DAD', DGE' sont égaux comme ayant leurs côtés parallèles, Il en résulte que les deux triangles ADD’, CDE’ sont semblables, et que, par conséquent, l'angle CDE' = l'angle ADD', Donc leurs côtés se confondent, et, par conséquent, DD)’ se confond avee DE, qui est égal à DD'+ D'E. Ce qui est vrai pour la ligne D'E' l'est également pour toutes les autres lignes D'E", D''E”, ete. Par conséquent, les pro- longements de toutes ces lignes viennent aboutir au point D. 8e Le rapport des cordes D'E', D'E", ete, à leurs pro- longements DD’, DD", ete., est le même que celui du rayon du petit cercle B'E’ au rayon du grand cercle AD. Cela résulte de la similitude des triangles D'B'E' et ADD’. En effet, les angles D'B'E' — DAD' sont égaux comme al- ternes internes. De plus, les deux triangles étant isoscèles, les angles B'D'E', D'E'B' du petit triangle sont égaux entre eux, et aussi aux angles ADD”, AD'D du grand triangle, Par conséquent : D'E' D'B' r —- in = = DD’ AD' R r 1 Dans le cas actuel, di La ligne qui mesure la dis- tance du point de contact au point eulminant de l'œuf est done la moitié de la distance du point D au point de con- tact, et, par conséquent, le tiers de la distance du point D au point eulminant de l'œuf, On voit comment toutes ces Il quantités sont liées entre elles. | Pour les appliquer à la mesure des distances, il suffit donc de déterminer exactement la position du point de contact ou point de chauffe, c’est- à-dire, sur la figure, la longueur de la ligne DD; DD”, etc; ou, en d'autres termes, la position des points D', D”, Assurément la détermination directe de la position des points D', D”, etc., 152 CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. présente de très-grandes difficultés. Mais on peut la calculer assez facilement pour un certain nombre de positions de l'œuf, II faut, du reste, faire remarquer que, dans la question qui m'occupe ici, cela suffit complétement. En effet, je puis assez facilement placer un œuf au-dessous du tuyau de chauffe, de manière que le point de chauffe coïncide avec le point culminant, Je puis alors placer deux œufs parallèlement au premier, et ainsi de suite. Je puis également placer deux œufs en contact au-dessous du tuyau de chauffe, de manière que le prolongement inférieur du diamètre vertical passe par leurspoints de contact, Puis je place deux œufs parallèlement aux deux premiers, et ainsi de suite. Je puis donc avoir très-approximalivement un certain nombre de positions des points D', D", el, par conséquent, obtenir très-approximativement les distances D'E", D'E", ete. Je me borne à indiquer ces faits, pour ne pas allonger cette note outre mesure. Dans le cas où le grand diamètre de l’œuf a une position oblique par rapport aux tuyaux, il est un peu plus difficile d'obtenir des mesures exactes pour la distance entre le point de chauffe et le point culminant de l'œuf. Mais on peut obtenir ces mesures avec une approximation encore assez grande, à l’aide d’une autre con- struction. lei, comme dans la figure précédente, je fais tourner autour du cercle qui repré- sente la section transversale des tuyaux de chauffe, non plus un cercle, mais une ellipse dont les diamètres ont les dimensions énoncées plus haut (petit axe, 0m,04; grand axe, 0m,06). Sans doute, la forme de l'œuf n’est pas exactement celle d’un ellipsoïde de révolu- tion. Il n’est personne qui ne connaisse le gros bout et le petit bout de l'œuf. Tou- tefois, cette différence entre la forme réelle de l’œuf et celle d’un ellipsoïde est tellement petite, qu'il est inutile d’en tenir compte. Or, en construisant, point par point, le lieu géométrique de tous les points cul- minants de cette ellipse dans ses diverses positions autour du cercle, je constate que la courbe ainsi obtenue n’est pas un cercle, mais qu’elle ne diffère que très- peu du cercle qui est le lieu géométrique des points culminants de l’œuf dans la figure précédente. Les lignes menées du centre C de ce cercle aux points culminants de l’ellipse sont un peu plus longues que les rayons de ce cercle dans la moitié infé- rieure, un peu plus courtes dans la moitié supérieure, mais d’une quantité très-faible, et que nous pouvons considérer comme négligeable. On peut donc se rapprocher beaucoup de la vérité en employant, dans le second cas, les procédés de mesure que j'ai indiqués dans le premier. Il est bien clair, en effet, que l'intensité de la chaleur à partir du point de chauffe, décroissant d’une manière continue mais par des degrés infiniment petits, ne peut présenter des différences notables qu’à des distances assez différentes, et que, par conséquent, la température du point culminant dans le second cas ne doit pas différer d’une manière appréciable de celle du point culminant dans le premier. Il est évident cependant que l'on pourrait obtenir des mesures plus exactes en complétant la construction géométrique, comme dans le premier cas. Mais cette construction est beaucoup plus compliquée, car on voit par l'inspection de la figure que les prolongements des cordes qui mesurent les distances ne viennent point se couper au point qui marque l'extrémité inférieure du diamètre du cercle, et qu’elles viennent couper en des points différents le prolongement inférieur de ce diamètre. On pourrait, sans doute, construire empiriquement une figure qui donnerait un certain nombre de ces distances. Mais ce serait un travail très-considérable et qui ne donne- rait pas des résultats en rapportavec les indications que l’on veut obtenir, Il faut se contenter, dans toutes les sciences, du degré de précision qu’exigent les recherches. CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE, 153 NOTE B. Description d'un agneau monstrueux, remarquable par les nombreuses adhérences de ses différentes parties. Bien que je laisse de côté, dans ce livre, les faits de pure tératologie, c'est-à-dire de description des anomalies et des monstruosités, je ne puis pas ne pas indiquer ici un monstre excessivement curieux dont je dois la connaissance À M. G. Pouchet. C'était un agneau nouveau-né et trouvé à l'abattoir, M. Pouchet n'a pu me donner aucun autre renseignement sur son origine. Il est remarquable par une réunion d'adhérences superficielles dont les unes unissent entre eux les principaux seg- ments des membres et dont les autres unissent les membres à diverses parties du tronc et de la tête. Le membre antérieur droit est détaché de la paroi thoracique ; mais ses trois segments, le bras, l’avant-bras et le canon, sont repliés l’un sur l’autre et soudés entre eux. Le canon et la face dorsale des doigts sont soudés avec la région occi- pitale de la tête. Par suite de cette adhérence dé la tête avec l'extrémité du membre antérieur droit, le cou est complétement tordu sur lui-même, et la tête a éprouvé un changement de position tel que le vertex est en bas, tandis que la région mandibulaire regarde en haut. Le membre antérieur gauche a ses trois segments également repliés l’un sur l’autre et soudés entre eux; de plus, ils sont soudés avec la paroi thoracique. L'oreille droite, un peu plus petite que la gauche, est soudée avec la partie infé- rieure du membre antérieur gauche. Le membre postérieur gauche à tous ses segments, sauf le canon, repliés et soudés entre eux, et avec la paroi du corps. La soudure des segments du membre postérieur droit est un peu moins complète, “car la jambe et le pied sont libres. La queue est soudée avec le membre postérieur droit. Les deux membres postérieurs sont unis entre eux par une bande cutanée, qui s'unit sur la ligne médiane à une autre bande cutanée longitudinale qui pourrait bien ètre le fourreau. Toutes ces adhérences sont recouvertes par la peau, qui est partout couverte de laine. Je n'ai pas disséqué cet animal, mais il ne présentait à l’extérieur aucun indice d'anomalies internes ou de monstruosités. Bien que je n’aie aucun autre document sur ce monstre, j'y trouve, d'une manière bien évidente, la preuve d’une pression extérieure qui, s’exerçant sur toute la surface du corps, aurait maintenu les parties en contact et déterminé leur adhérence, L'agent de cette pression ne peut être évidemment que l’amnios, qui, bien qu'entièrement formé, serait resté appliqué sur le corps, au moins pendant un certain temps. C'est également à cette cause que j'attribue la soudure de l’occiput au sacrum dans le petit embryon humain conservé au musée Dupuytren, Le renversement de la tèle en arrière résulte manifestement d’un arrêt de développement du capuchon céphalique. J'ai appris, depuis l'impression du chapitre où je cite ce fait, que le musée Dupuytren possède d’autres faits semblables présentés par des fœtus anen- céphales. 154 CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE, NOTE Tableau de la classification téralologique d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. { Variétés de conformation. ts À aadgptises À Vices de conformation ANOMALIES | Hétérotaxies. Hermaphrodismes, Monstruosilés, graves Premier embranchement. — Hémitéries, Diminution générale. Augmentation générale. sur les régions. sur les systèmes. Anomalies de taille. ÿ ? Diminution partielle Au volume. alies de vo- ortant me de y P sur les organes. > propremen Ro ume propl ; sur les régions. dites. Augmentation par- \ sur les systèmes. sur les organes, sur les régions, sur les organes. tielle portant A la forme, | portant j Anomalies de cou-(Diminution. leur. Augmentation. A la structure. < Anomalies de struc- { Altération. ture proprement ; Ramollissement. dites. Induration. des organes splan-f. artiels. ‘sanes SpaN- Cintérieurs à PE" ls ! : chniques. Dé- généraux. rAnomalies par dé- placements herniaires. placement | des organes non splanchni- partiels. | ques. Déplacements généraux. l Implantations anomales. \ Attaches anomales. Anomalies par chan-}., Embranchements anomaux. f des vaisseaux. gement de £con- nexions. | | ; : la FPT Embouchures } des conduits excréteurs anomales ÿ des glandes. | des canaux splanchniques. Anomalies par con- tinuite Anomalies par cloisonnement FRQRESS RELATIVES Imperforalions anomales. | similaires. : analogiques, ! dissimilaires. Réunion anomales d'organes ie anomales. Auomalies par dise { Perforations anomales. Divisions anomales. \ jonction. des parties d'organes. !: Anomalies par dimi- doubles. des organes multiples, uniques. f des parties d'organes. nution numérique Au ist | PARA Anomalies par dimi- al su nce. nution numérique | doubles. multiples. des organes | uniques. portant sur CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE, 155 Rémarques. — Les hétérotaxies présentent des types trop peu nombreux pour nécessiter une subdivision. Quant aux hermaphrodismes, la division donnée par Is. Geoffroy Saint-Hilaire west plus en rapport avec la science actuelle. Je ne la mentionne pas, n'ayant pas à en faire usage. 4° Embranchement, — Monstruosités. Premiere classe, — Monstres unilaires. Phocomèle. Famille I, Ectroméliens. | Hémimèle. | Ectromèle, Symèle, | Famille II. Syméliens. Uromèle, Sirénomèle. Aspalasome. Tribu II. Famille uni- Agénosome. Célosomiens {Tribu LL l que. Cyllosome. Schistosome. Pleurosome. Célosome. { ! Notencé ‘phale. | Proencé phale, Podencéphale, Hyperencé- | Famille 1, Exencéphaliens. / ORDRE I. MONSTRES AUTOSITES, * Exencéphale. | Nosencéphale. phale. Iniencéphale. Tribu IL, Thlipsencé- Famille Il. Pseudencéphaliens. phale. Pseudencé- | phale. ct ; ? { Dérencéphale, Famille III. Anencéphaliens. } \ si Anencéphale. { Ethmocéphale Cébocéphale. _ . Famille Cyciocéphaliens,. { Rhinocéphale. Cyclocéphale. \ Stomocéphale. Tribu IV. ! Sphé nocé- ph: ale, Otocéphale Famille 11, Olocéphaliens. | océphale. Edocéphale. Opocéphale. Triocéphale. 156 CLASSIFICATION TÉRATOLOGIQUE. Famille I. Paracéphaliens. Tribu I. OnroRE II, u À MONSTRES OMPHALOSITES. Famille Il. Acéphaliens. | Tribu II, Famille uni- que. Anidiens. Onone III. Famille uni- MONSTRES PARASITES. que. Zoomyliens. Deuxième classe. — Monsires doubles. Famille I. ÆEusomphaliens. Li Tribu Famille II. Monomphaliens. Famille I. Sycéphaliens. ORDRE I. L Lé à PA MONSTRES AUTOSITAIRES. Cribu — fe Famille II. Monocéphaliens. / bi . Famille Sysomiens. \Tribu LIL. | Famille IT, Monosomiens. / Famille I, Hélérotypiens. | | Tribu :. Famille II, Hétéraliens. Famille I, Paragnalhiens. OnDRE Il. re Tribu Il. MONSTRES PARASITAIRES. l'rib Famille II. Polyméliens. | | Tribu — = L. Famille uni- Endocymiens. que. | Paracéphale. Omacéphale. Hémiacéphale | Acéphale. Peracéphale. Mylacéphale. Anide. Zoomyle. l | | | | | | | Pygopage. Métopage. Céphalopage. Ischiopage. Xiphopage. Sternopage. Ectopage. Hémipage. Janiceps. Iniope, Synote. Déradelphe. Thoradelphe. Iléadelphe. Synadelphe, Psodyme. Xiphodyme, Dérodyme. Atlodyme. Iniodyme. Opodyme. Hétéropage. Hétéradelphe. Hétérodyme. Hétérotype. Hétéromorphe Epicome. Epignathe. Hypognathe. Paragnathe. Augnathe. Pygomèle. Gastromèle. Notomèle. Céphalomèle. Mélomèle. Dermocyme. Endocyme. DEUXIÈME PARTIE QUESTIONS SPÉCIALES CHAPITRE 1 DUALIIÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE DU CŒUR DANS L'EMBRYON. Sommaime. 4° Utilité de la tératologie pour la connaissance de l'évolution normale, — 20 Dualité primitive du cœur, — 30 Dualité tératologique., — 4° Indication de quelques travaux récents sur ce sujet, 1 La tératogénie présuppose l'embryogénie, 1 est évident que la con- naissance de l’évolution anormale ne peut résulter que de la connais- sance de l’évolution normale. J'avais donc entrepris une exposition abrégée de tous les faits d'embryogénie normale qui peuvent servir à faire comprendre l'évo- lution des anomalies, Mais j'ai dû reconnaitre que, malgré les innom- brables travaux auxquels elle a donné lieu, l'histoire de l’évolution du poulet contient encore un certain nombre de lacunes. Il me fau- drait, pour les combler, un long et pénible travail d'observation. Je l'ai pourtant entrepris; mais, pour le moment, je ne possède pas encore un ensemble de faits suffisamment précis pour écrire cette histoire d’une manière qui me satisfasse; et j'avoue que je ne me sens pas le courage de faire l'exposition complète de travaux qui ne m'appartiennent pas, et que je considère comme insuffisants. Je me contenterai donc, à l'occasion de l'étude de chaque anomalie et de chaque monstruosité, de faire connaitre l'état actuel de la science relativement à l'évolution normale, en signalant les points qui néces- sitent de nouvelles recherches. Cet élat imparfait des notions embryogéniques résulte, dans bien des cas, de la très-grande rapidité avec laquelle se succèdent les phénomènes de l’évolution normale. 11 est souvent très-difficile de saisir l'instant précis où ils se manifestent. Mais alors la t6- ratogénie vient en aide à l'embryogénie. En effet, elle rend per- manentes des conditions qui, dans l'état normal, ne sont que tran- sitoires: elle les signale ainsi à l'observation des embryogénistes, et leur permet de les étudier dans tous leurs détails. J'ai la convic- tion que l'étude de la formation des monstres complétera, sur bien 160 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE des points, l'étude de l'évolution normale, en appelant l'attention sur un grand nombre de détails dont la signification a été jusqu’à présent méconnue. Si donc l'embryogénie normale?est le fondement de la tératogénie, la tératogénie, de son côté, complète, en bien des cas, l'embryogénie normale. Ces deux sciences sont donc unies entre elles par les rela- lions les plus étroites ; elles se complètent mutuellement, et, comme je l'ai dit dans l’Introduction, elles ne sont, en réalité, qu’une seule et même science. J'espère pouvoir, quelque jour, combler en partie les lacunes que présente encore aujourd’hui l'embryogénie du poulet, à l’aide des faits nouveaux d'évolution normale que la tératogénie m'a permis d'entrevoir. Pour le moment, je me contente de signaler un de ces faits, complétement inconnu avant mes recherches, le mode de for- mation du cœur. J'ai découvert, il y a dix ans, que cet organe est primitivement double, et que les deux cœurs primitifs s'unissent à un cerlain moment pour former un organe simple. J'ai été conduit à celle découverte par mes recherches tératogéniques et par l’impos- sibilité où je me trouvais d'expliquer certains faits tératologiques à l’aide des notions d'embryogénie normale généralement acceptées. Bacon à dit : « Celui qui connaîtra les voies de la nature, observera plus facilement même ses déviations ; d'autre part, celui qui connaîtra les déviations, décrira plus exactement les voies de la nature ?. » La découverte que j'ai faite de la dualité primitive du cœur est un re- marquable exemple de l'exactitude de cet aphorisme. Comme ce fait de la dualité primitive du cœur donne l'explication d’un grand nombre de faits tératogéniques, je crois devoir le décrire dans un chapitre à part, et avant d'entrer dans les détails spéciaux de la tératogénie. Un 9 On à signalé, à diverses reprises, l'existence de deux cœurs chez des oiseaux adultes et d'ailleurs bien conformés. Ces faits ont été gé- 1 Voir page 21. 2 Bacon, « Qui vias naturæ noverit, is deviationes etiam facilius observabit. At rursus qui deviationes noverit, is accuralius vias describet, » Novum organum, lib. II, S 29, DU COŒUR DANS L'EMBRYON, 161 néralement révoqués en doute *. Mais ce doute n'est-il pas exagéré? El doit-on considérer tous ces faits comme absolument dépourvus d'au- thenticité ? Cette question, il y a vingt ans, aurail pu paraître étrange. Les observations que j'ai faites sur le mode de formation du cœur m'autorisent du moins à la poser. Assurément, il n’est pas possible d'admettre, avec Théophraste, que les perdrix de Paphlagonie posséderaient deux cœurs d'une manière normale *. De pareils faits n'auraient pu évidemment se présenter que comme des faits exceptionnels. Mais je puis citer une observa- lion beaucoup plus récente, et dont l'authenticité me parait diflicile à nier. Je la cite textuellement, telle qu'elle est rapportée dans l'Æ6s- toire de l'Académie des sciences. « M. Plantade, de la Société royale de Montpellier ?, étant à Paris, a trouvé à ses repas, deux fois de suite en assez peu de temps, deux poulets qui avaient chacun deux cœurs. 11 donna ceux du dernier à M. Cassini le fils, qui les apporta à l'Académie. M. Littre les examina ; il commenca par les ramollir dans de l'eau tiède pour les mettre en état d'être disséqués. Ils étaient égaux entre eux, et seulement lant soit peu plus petits chacun que le cœur d’un poulet du même âge. fs étaient situés à côté l’un de l’autre, avaient chacun leurs ventricules, leurs oreillettes et tous leurs vaisseaux sanguins comme les cœurs ordinaires, et n'avaient rien de singulier, sinon qu'ils étaient attachés tous deux par leur veine cave inférieure à un des lobes du foie. M. Littre conjecture que le sang du ventricule droit du cœur droit allait dans le poumon droit, et le sang du ventricule droit du cœur gauche dans le poumon gauche. Quant à l’autre circulation, ou les aortes des deux cœurs pouvaient s'unir et n’en former qu'une, ou l'aorte du cœur droit fournissail du sang aux parties du côté droit, et celle du cœur gauche au côté gauche; ou toutes deuxse distribuaient également par tout le corps, de sorte qu’il y avait toujours double artère. Du reste, comme chacun des deux cœurs avait presque autant de force qu'un cœur unique, ce poulet avait deux fois plus de vie qu'un autre, et si un cœur lui manquait, il en avait encore un de re- 1 Voir, au sujet de ces faits de dualité du cœur, Is. GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Traité de tératologie, t. 1, p. 725. ? A. Gezuius, Noctes atticæ, lib. XVI, cap. xv. 3 Plantade était un astronome éminent, qui fut le fondateur de la Société royale de Montpellier. Il mourut subitement, à soixante-dix ans, sur !e pic du Midi, pen- dant qu'il faisait des observations astronomiques. 162 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE lais. Cette conformation, qui, selon ce qu'on à vu, n'est pas apparem- ment fort rare dans cette espèce, ne doit pas être impossible dans l'homme ; et peut-être a-t-clle déjà produit des phénomènes qui ont confondu les physiciens !, » Cette observation, si incomplète qu'elle soit, ne peut, ce me semble, laisser aucun doute, même aux esprits les plus sceptiques : car il ne faut pas oublier que Littre était incontestablement l'un des premiers anatomistes de son temps. Il y a également des observations analogues de Sæmmering et de Meckel sur l'oie. Meckel les rapporte sang aucun détail: il dit seule- ment qu'il a observé la dualité du cœur sur une oie pendant un repas?. Sans doute, cette observation de Meckel n’est qu'une simple alléga- tion. Peut-on cependant contester l'allégation d'un aunatomiste comme Meckel, lorsqu'il dit avoir rencontré deux cœurs? Ces faits ont été observés chez des oiseaux. Je n’en connais qu'un seul dans l'espèce humaine ; mais, si incomplète que soitsa description, elle présente Loutes les garanties d'authenticité. Elle appartient à un chirurgien de Lyon, nommé Collomb, dont le nom est aujourd'hui complétement oublié, mais qui était un praticien instruit, etqui même professa la chirurgie à Lyon. Cette observation fut faite sur un monstre opocéphale qui avait vécu deux heures, et qui fut disséqué par Col- lomb. Je cite textuellement ses paroles : « J'ouvris la poitrine; et nous y trouvàämes deux cœurs enveloppés chacun d’un péricarde ; leurs pointes étaient tournées, l'une du côté droit, l'autre du côté gauche ; les vaisseaux qui en partaient et qui s'y rendaient étaient nécessairement doubles ; mais ils se réunissaient à neuf lignes en- viron de distance du cœur pour ne former ensuite que les troncs ordinaires *. » En 1860, la question entra dans une phase nouvelle. M. Panum signala l'existence de deux cœurs sur des embryons monstrueux de poulets*. Les observations de M. Panum, fort développées, ne pou- 1 FonNTENELLE, Hisloire de l' Acad. des sciences, 1709. p.16. + MrecreL, De duplicitate monstrosa commentarius, 1815, p. 54. «Sæmmering itidem cor anserinum obsérvavit duplex, nosque ipsi tale coram habemus, in ausere sim- plici ; sed, proh dolor! inter cænam tantum jam elixum quod fuit repertum. 3 Cocrous, Œuvres médico-chirurgicales, p. 462. Ce livre a été publié en 1798, an- née mème de la mort de Collomb. Mais l'observation est beaucoup plus ancienne, car elle est citée en 1743 dans un des mémoires lus par Winslow à l’Académie des scien- ces, — Voir sur Collomb, Dumas, Hist. de l'Acad. royale des sciences, belles-leltres et arts de Lyon, t. I, p. 275. + PanuM, dans Pérchow’s Archiv, t. XVI, p. 39. — Voir aussi son livre sur la pro- DU CŒUR DANS L'EMBRYON. 164 vaient laisser aucun doute. Toutefois ce physiologiste, tout en les faisant connaître, n'en comprit point la signification. {Il expliqua la formation des deux cœurs par la division d'un organe primilivement unique. C'est précisément, je vais le montrer, le contraire de ce qui se’passe dans la réalité. J'eus moi-même, en 1863, l'occasion d'observer un fait de ce genre‘. En 1864, ces faits se reproduisirent assez fréquemment dans une série d'expériences faites pour déterminer l'influence que les températures relativement basses exercent sur le développement de l'embryon du poulelt*. Ils me paraissaient étranges. Toutefois, je ne pouvais douter de leur réalité; car le cœur est le premier organe de l'embryon qui manifeste son rôle physiologique par un phénomène spécial, la contractilité, à une époque où la vie des autres organes ne consiste encore que dans la mulliplication des cellules. Je voyais battre les deux cœurs, pendant un temps plus ou moins long, sur le blastoderme séparé du jaune, et étalé sur le porte-objet du micros- cope : je pouvais même, en mettant en jeu une particularité phy- siologique déjà signalée par Harvey, faire reparaître, à plusieurs reprises, les contractions du cœur par l'emploi de leaujchaude, lors- qu'elles avaient cessé depuis un certain temps*. J'avais donc bien réellement sous les yeux deux cœurs distincts. Comment expliquer ces faits? L'hypothèse qui me parut la plus vraisemblable, c'est que le cœur serait primitivement double, et que duetion des monstruosités, Unlersuchungen, elc., p. 86 et 91, pl, IV, fig, 1, 2; pl. V, fig. 4, 2. ‘ Daneste, Nouvelles Recherches sur la produclion artificielle des monstruosiltés, dans les Comptes rendus, t. LVII, p. 445, 1863, ? Danesre, Recherches concernant l'influence des basses températures sur le dévelop- pement de l'embryon de la poule, dans les Mémoires de la Société des sciences, de l'agri- culture et des arts de Lille, 3e série, t, II, p. 294, 1865. 3 Je voyais récemment, dans un traité d'embryogénie publié en Allemagne, l'in- dication de cette propriété comme une découverte nouvelle, Voici les propres paroles d'Harvey : « Ovo iusuper aeri frigidiori diutius exposito, punctum saliens rarius pulsat, et languidius agitatur : admoto autem digito calente, aut alio blando fotu, vires statim vigoremque recuperat. Quinetiam postquam punctum hoc sensim elanguit, et san- guine plenum a motu omni cessans, nullumque vitæ specimen exhibens, morli peni- tus succubuisse visum est : imposito digito meo tepente, spatio viginti arteriæ meæ pulsuum, ecce corculum denuo reviviscit, erigitur; et tanquam postliminio ab Orco redux, pristinam choream redintegravit, Idque alio quolibet leni calore, ignis nempe aut aquæ tepidæ, iterum ilerumque a me atque aliis factitatum esl; ut, pro libito, miséllam animam vel morti tradere, vel in lucem revocare, in nostra po- testale fuerit, » Exercilaliones de generatione animatium, ex, 46, 164 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE l'existence des deux cœurs dans certains états tératologiques serait la permanence d'un état primitif résultant d'un arrêt de développement. Je consullai donc tous les ouvrages d'embryogénie qui étaient à ma disposition, ouvrages fort peu nombreux du reste ; car j'étais alors » en province, et je n'avais à ma portée qu'un nombre très-restreint de livres de science, Tous ces ouvrages décrivaient le cœur comme un organe complétement simple à son début. Toutefois je lus dans un mémoire de Serres ! que la dualité primitive du cœur aurait été figu- rée par Pander dans son célèbre mémoire sur le développement du poulet, mémoire que je ne pouvais alors consulter. J'acceptai done complétement l’opinion de Serres, et je partis du fait de la dualité primitive du cœur, que je croyais établi par Pander, pour expliquer non-seulement la dualité tératologique de cet organe, mais encore un certain nombre d'autres anomalies. Ge fut le sujet d'une note que j'adressai à l'Académie des sciences, le 5 juin 4865?. Voici un extrait de cette note : Après avoir signalé la position de l’anse cardiaque, tantôt à la droite, et tantôt à la gauche de l'embryon, j'ajoute : L’explication de ce fait m'a été donnée par l'étude des monstres à double cœur que j'ai rencontrés en assez grand nombre (une vingtaine environ) dans mes expériences. Je n'ai pas encore été assez heureux pour observer directement le mode de for- mation de ces doubles cœurs; mais les connaissances que nous avons sur la forma- tion normale du cœur me permettent de expliquer d’une manière très-simple. Le premier indice que l’on ait de la formation normale du cœur consiste dans l'apparition de deux replis latéraux que l’on observe au-dessous de la tête et au-dessus du pli transversal que forme le capuchon céphalique à l’endroit où il se sépare de la tête. Ces replis, qui ont été figurés pour la première fois par Pander, forment deux blastèmes situés symétriquement des deux côtés de la ligne médiane. Lorsque ces deux blastèmes se développent inégalement et d’une manière indé- pendante, ils donnent naissance aux deux anses cardiaques. Le plus ordinairement ces blastèmes se développent d’une manière inégale, et l’un des deux est beaucoup plus apparent que l’autre. Celui de ces blastèmes qui prend le plus grand développement détermine la formation d'une anse cardiaque unique, qui occupe le côté de la ligne médiane primitivement occupé par le blastème le plus développé... Il reste maintenant à déterminer, pour compléter l’histoire de la formation du cœur, le rôle du blastème dont le développement est moindre. Disparaît-il peu à peu en s’atrophiant? ou bien doit-il se souder avec l'autre blastème, et contribueraïît-il à former les cavités du cœur pulmonaire ? 1 Sernnes, Recherches d'anatomie transcendante, dans les Annales des sciences natu- relles, 1re série, t. XVI, p. 269, 1829. ? DanesTe, Mode de production de l'inversion des viscères ou de l'hétérotaæie, dans les Comptes rendus, t. LX, p. 746, 1865, DU CŒUR DANS L'EMBRYON, 165 Dans le premier cas, il y aurait primitivement deux cœurs qui, en se développant isolément, donneraient le cœur de l'état normal et le cœur de l'élat inverse. Dans le second cas, le cœur définitif serait formé par la soudure des deux blastèmes, dont le plus développé donnerait le cœur aortique, et le moins développé, le cœur pulmonaire. Cette dernière opinion me paraît être la plus conforme aux faits. Toutefois je n'ai pu encore m'en assurer d'une manière certaine, On le voit. Je croyais alors, sur la foi de Serres, que Pander avait établi la dualité primitive du cœur, et je ne pensais pas qu’il fut né- cessaire de la démontrer après lui. Quelque temps après, pendant un séjour à Paris, j'eus occasion de lire le célèbre travail de Pander. Je vis, à mon grand étonnement, que Pander n'a ni décrit ni figuré la dualité primitive du cœur. Ce grand embryogéniste a cherché à expliquer la formation du cœur, comme Wolff avait expliqué celle de l'intestin, par le repli d'une lame qui, formant d'abord une gouttière, se transformerait en un tube ; et, par conséquent, il considérait cet organe comme unique dès son origine. Ce qui a causé l'erreur de Serres, c’est qu'il a considéré comme deux parties distinctes les deux plis qui, dans la suite, forment le cœur (die beiden Falten des innern Seite der Kopfscheide, welche in der Folge das Herz bilden‘). N est possible d’ailleurs que les plis figu- rés par Pander aient été les bords extérieurs des deux blastèmes car- diaques primitifs; mais, si Pander avait vu le fait, il n'en avait pas compris la signification. Persoñne n'avait donc constaté la dualité primitive du cœur. I n'y avait qu'un moyen de vérifier mon hypothèse; c'était l’obser- vation directe. Je me posai ce problème : Le cœur apparaît-il, dans son premier état, sous la forme d'un tube cylindrique, situé, dans la fosse cardiaque, au-dessous de l'æsophage, comme le décrivent tous les embryogénistes? Ou bien, ne présenterait-il pas des phases anté- rieures; et ne serait-il pas double à un certain moment de son exis- tence ? Je me mis à l'œuvre en 1866 ; et j'arrivai, par une longue série d'observations, à constater que l’état de tube cylindrique, considéré pendant longtemps comme l'état primitif du cœur, a été précédé par une succession d’autres états pendant lesquels le cœur est manifeste- 1 Panpen, Beiträge zür Entwickelungsgeschichte des Hühnchens im Eye, 1817, p. 37. Voir aussi pl. VIL, fig. 3. — L'explication que Pander donne de la formation du cœur a été assez exactement reproduite en 1868 par His, Untersuchungen über die _. Anlage des Wirbelthierleibes. — Die erste Entwickelung des Hühnchens im Eï, p. 84. 166 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE ment double. C'était donc une découverte entièrement nouvelle, à laquelle j'étais conduit par mes études tératogéniques. Mais je fis, en mème temps, une autre découverte, tout à fait inattendue, c’est que la formation du cœur se lie à la formation même du segment anté- rieur du feuillet vasculaire. Il y avait donc là deux faits entièrement nouveaux que personne n'avait vus avant moi. Pour établir sur un texte précis, mes droits à la découverte de la dualité primitive du cœur, et du mode de formation du segment an- térieur du feuillet vasculaire, je citerai textuellement une note que j adressai à l'Académie des sciences dans la séance du 8 octobre 1866, telle qu'elle a ét6 publiée dans les Comptes rendus. Recherches sur la dualité primitive du cœur et sur la formation de l'aire vasculaire dans l'embryon de la poule. Tous les embryogénistes qui ont étudié avant moi la formation du cœur, décrivent cet organe comme constituant, dès son origine, une masse unique. Mes études tératologiques m’avaient conduit depuis longtemps à soupçonner, ainsi que Serres l'avait fait avant moi, que le cœur devait être double à son origine; c’est-à-dire qu'il y aurait, au début, deux cœurs qui, primitivement séparés, se réu- niraient de bonne heure sur la ligne médiane, J'avais constaté, en effet, dans un certain nombre d’embryons monstrueux, l'existence de deux cœurs complétement séparés, et dont je ne pouvais me rendre compte que par la permanence d’un état primitif. En poursuivant des recherches dans cette direction, j'ai constaté, confor- mément aux prévisions de Serres et aux miennes, que la dualité du cœur est un état normal, mais pendant une période tellement courte, qu’elle a échappé à tous les observateurs. J'ai déjà, l’année dernière, annoncé ce fait à l'Académie, en le faisant servir à l'explication d’un certain nombre d'anomalies. Je me propose aujourd’hui de mon- trer comment la dualité primitive du cœur se lie à certaines particularités, non en- core décrites, du développement de l'aire vasculaire. L’aire vasculaire, complétement et normalement développée, a un contour entiè= rement circulaire. Ce contour circulaire est décrit, par tous les embryogénistes, comme l’état primitif de l'aire vasculaire. Je me suis assuré qu’à son début l'aire vasculaire n’est pas entièrement limitée par une circonférence de cercle, et que son contour circulaire ne se complète que tardivement dans la région antérieure, celle qui se développe au-dessous de la tête de l'embryon, Il y a un état primitif dans lequel la forme de l'aire vasculaire est celle d'un cercle incomplet, dont on aurait retranché un segment antérieur, égal à peu près au quart de son aire. L’aire vascu— laire est alors terminée en avant par un bord rectiligne qui ne dépasse pas le bord antérieur de la fosse cardiaque, celui qui est formé par le repli du feuillet séreux en arrière de la tête. La formation du segment antérieur de l'aire vasculaire, qui complète en avant son contour cireulaire, résulte de la formation de deux lames qui sont elles-mêmes le résultat de la manière inégale dont se développent les diverses parties du bord rec- 1 Comples rendus, t, LXIIT, p, 608, 1866. v, 2 DU CŒUR DANS L'EMBRYON, 167 tiligne antérieur, Très-actif aux deux extrémités de ce bord, le développement est à peu près nul à son centre, Aussi celte ligne droite se transforme-t-elle en deux autres lignes droites, formant un angle rentrant dont l'ouverture est en avant, et qui marchant incessamment à la rencontre l'une de l’autre, diminuent peu à peu l'ou- verture de l'angle rentrant et finissent par se conjoindre sur la ligne médiane, On peut représenter très-exaotement ce mouvement des deux lignes droites qui forment le bord antérieur de l'aire vasculaire, en les comparant aux deux branches d'un compas, Si le compas est ouvert de manière que ses deux branches soient juxta- posées en formant une seule ligne droite, on a la représentation de l’état primilif du bord antérieur de l'aire vasculaire. Les divers états consécutifs sont représentés par les différents degrés d'ouverture du compas, lorsque l'on rapproche peu à peu les deux branches, jusqu'au moment où elles sont placées parallèlement l’une à l'autre, et où le compas est entièrement fermé. La soudure des deux lames antérieures de l'aire vasculaire présente d’ailleurs un fait curieux, c’est qu’elle ne se produit pas simultanément dans toute leur longueur. Elle commence à leurs deux extrémités, d'une part, dans la fosse cardiaque, et d'autre part, en avant de la tête; tandis que, dans leur région moyenne, c’est-à-dire au-dessous de la tête, les deux lames restent plus ou moins longtemps séparées. Ce fait explique certaines anomalies dans lesquelles la tète, pénétrant entre les deux lames et refoulant devant elle les feuillets séreux et muqueux, fait hernie dans l’in- térieur du vitellus. La tête est alors très-déformée, présente de nombreux arrêts de développement et réalise assez exactement les conditions qu'elle présente chez les monstres hémiacéphales. J'ai constaté de nombreuses anomalies dans le développement de ces lames anté- rieures de l'aire vasculaire. Tantôt ces deux lames, également développées, ne se sou- dent point l’une à l’autre; tantôt elles se développent d'une manière très-inégale» l'une d'elles atteignant ses dimensions ordinaires, tandis que l’autre s'est arrêtée de très-bonne heure. De ces anomalies de l'aire vasculaire dérivent d’autres anomalies dans la disposition des veines qui ramènent au cœur le sang provenant de la partie antérieure de l'aire vasculaire. La dualité primitive du cœur est la conséquence immédiate de cette dualité pri- mitive des lames antérieures de l’aire vasculaire. En effet, les blastèmes qui forme- rout plus tard le cœur se présentent d’abord sous l'aspect de deux petites masses oblongues que l'on observe à la partie inférieure et interne de chacune de ces lames, très-près du point où elles se réunissent pour former le sommet de l'angle rentrant que j'ai décrit plus haut, Ces deux blastèmes sont complétement séparés, comme les lames au sein desquelles ils ont pris naissance. Plus tard, lorsque les deux lames s'unissent sur la ligne médiane, les deux blastèmes cardiaques, dont le développe- ment a suivi celui des lames elles-mêmes, vont, ainsi que les lames, à la rencontre Pun de l’autre, se joignent comme elles sur la ligne médiane et ne tardent pas à se fondre en une masse unique qui forme ce que les embryogénistes ont considéré jusqu'à présent comme l'état primitif du cœur. Toutefois, on retrouve encore, pen- dant un certain temps, un indice de la dualité primitive; c’est une échancrure qui existe à la partie antérieure de l'organe et qui provient de ce que la soudure des deux blastèmes cardiaques procède d'arrière en avant, comme celle des lames de l'aire vasculaire qui leur servent de support. Tous ces faits sont très-difficiles à voir, lorsque l'on étudie l'embryon dans son état ordinaire, par suite de la grande transparence des tissus. Mais on arrive assez facilement à les constater lorsque l'on colore les tissus avec une dissolution alcooli- que d'iode peu concentrée. Comme les blastèmes cardiaques forment deux masses dans lesquelles la matière blastématique est plus dense que dans le reste de la fame antérieure de l'aire vasculaire, ils absorbent la solution d'ivde en plus grande abon- 168 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE dance que les tissus voisins et prennent alors une coloration jaune plus intense, Mais il arrive un moment où toute la coloration des tissus prend une intensité égale par- tout. On peut alors faire reparaître les blastèmes cardiaques en Javant l'embryon avec de l'alcool pur, qui enlève peu à peu l’iode aux tissus qui l’ont absorbé et fait ainsi reparaître momentanément les deux blastèmes. Celte dualité primitive des blastèmes cardiaques n’a, dans l’état normal, qu'une courte durée; mais il n’en est pas de même lorsque, par suite d’un développement anormal, la soudure des lames antérieures de l’aire vasculaire ne s’est point produite. Dans ce cas, l'isolement des lames maintient l'isolement des blastèmes cardiaques. Ceux-ci se transforment alors en deux cœurs entièrement distincts, qui, suivant le degré d'écartement des lames, sont tantôt situés au-devant de la région antérieure de l'embryon, et tantôt rejetés latéralement et occupant les deux côtés de cette ré- gion antérieure. Une autre particularité, également fort importante, que présentent les blastèmes cardiaques, c’est leur volume inégal. Dans l’état normal, le blastème droit, celui qui correspond au membre antérieur droit, est le plus développé. Dans l’inversion des viscères, c'est le blastème gauche. On peut présumer que ces deux blastèmes sont le point de départ du cœur aorti- que et du cœur pulmonaire. Toutefois, mes observations ne m'ont encore rien ap- pris sur ce sujet. Cette note, un peu trop brève, comme toutes les communications publiées dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, qui ne doivent pas dépasser une certaine longueur, contient l’indication très-nette de la dualité du cœur et de ses relations avec la formation du segment antérieur du feuillet vasculaire. Je dois la compléter en indiquant les différentes phases que traversent les blastèmes car- diaques, pour atteindre l’état qui a été pendant longtemps considéré comme primitif, et dans lequel du cœur se présente sous l’aspect d'un tube rectiligne et contractile situé sur la ligne médiane, en avant de la partie du tube digestif qui deviendra l'œsophage. Les deux blastèmes apparaissent d'abord sous la forme de deux petites masses oblongues, complétement distinctes l'une de l'autre. On les aperçoit dans cet espace que Wolff désignait sous le nom de fosse cardiaque (/ovea cardiaca), et qui est limité en avant par le repli qui se continue avec le capuchon céphalique de l’amnios, en arrière avec le repli qui se continue avec le revêtement du vitellus. Cet espace est occupé par les parties antérieures du disque embryon- naire, ou, si l’on veut employer une expression nouvelle, assez géné- ralement admise aujourd'hui, le #nésoderme où mésoblaste. C'est dans la partie centrale de ce bord antérieur que se produisent les deux blastèmes cardiaques. Ces deux blastèmes sont généralement inégaux. Le blastème que l’on voit à gauche, quand on observe l'embryon par sa face ventrale, I DU COŒUR PANS L'EMBRYON. 169 est, le plus souvent, plus volumineux que celui que l'on voit à droite. Je suppose que c'est le plus grand volume de ce blastème qui déter- mine le sens de l'incurvation de l’anse cardiaque, lorsqu'elle fait saillie en dehors de l'embryon. Dans l'évolution normale, l’anse car- diaque apparaît à la gauche de l'embryon quand on l’observe par la Rs1 N:2 N°6 TT N°8. FER SERRE ere Fig. 1. — Ces six dessins représentent divers états primitifs du cœur. Les deux lignes supé- rieures qui forment un angle rentrant sont les bords de la partie antérieure des feuilles vascu- laires. La ligne inférieure convexe est le bord antérieur de l'ouverture de la partie antérieure du tube intestinal. N° 1, blastèmes cardiaques isolés. N° 2, blastèmes cardiaques isolés, mais iné- gaux. N° 3, blastèmes cardiaques isolés se présentant sous l'aspect de tubes contournés en arc et se faisant face par leurs convexités. N° 4, blastèmes cardiaques isolés, se faisant face par leurs convexités. On voit à:la partie supérieure le commencement des aortes, et à la partie infé- rieure l'origite des veines omphalo-mésentériques. N° 5, blastèmes cardiaques isolés, inégaux et présentant des parties plus étroites, qui sont le point de départ de la division des deux cœurs en trois chambres, N° 6, blastèmes cardiaques complétement redressés, encore isolés, mais juxtaposés ; ils présentent une inégalité notable de volume. N°7, cœur unique, mais où la dua- lité primitive est encore indiquée par un sillon extérieur et une cloison intérieure. N° 8, cœur unique, dans lequel toutes lés traces de la dualité primitive ont disparu. C'est l'état primitif du cœur pour tous les embryogénistes. Toutes ces figures, purement schématiques, ont été dessinées d'après nature. On les trouvera complétement terminées dans l'atlas. face inférieure ; à sa droite, quand on l'observe par la face supérieure. Dans l’inversion des viscères, l'anse cardiaque fait saillie de l’autre côté de l'embryon. 170 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE Ces deux blastèmes m'ont paru, dans leur origine, être compléte- ment pleins, et consister en une accumulation de cellules. Cela me semble résulter de la coloration intense qu'ils prennent lorsqu'on les soumet à l'action de la teinture d'iode, coloration qui les distingue nettement des tissus environnants, Mais ils ne tardent pas à présenter une cavité dans leur intérieur. Un peu plus tard, les deux blastèmes se transforment en deux tubes complétement fermés à leurs extrémités. Ces deux tubes sont courbés en arc et se font face l’un à l’autre par leur convexité. Les extré- mités de chacun de ces tubes sont d'abord très-rapprochées l’une de l'autre; mais, peu à peu, les deux tubes se redressent, et leurs extré- mités s'écartent l’une de l’autre. Cela résulte de l'allongement de l’'œæsophage, de cette partie du tube digestif qui forme en quelque sorte, pendant cette période, le plafond de la fosse cardiaque. On voit en même temps les deux tubes se partager en trois cham- bres, l'oreillette, le ventricule et le bulbe. Pendant tout ce temps, on voit persister l'inégalité qui existait au début. Les deux tubes ont rarement le même volume et la même longueur. Les deux tubes contiennent dans leur intérieur un espace vide, une véritable lacune. Elle est remplie par un liquide complétement transparent et incolore; fait d'autant plus remarquable qu'à la même époque, les globules du sang se produisent dans les lacunes ou cellules de l'aire transparente, ou ce que l’on appelle les 7/es de Wolff. Lorsque les deux tubes cardiaques se sont adossés sur la ligne mé- diane, ils ne tardent pas à s’accoler et à s'unir entre eux pour former un organe unique. Mais on retrouve encore pendant un certain temps des traces non équivoques de la dualité primitive. L'union ne se pro- duit pas simultanénent dans toute la longueur des tubes cardiaques, elle commence par la région inférieure, et se propage jusqu’à la ré- gion supérieure. Le cœur parait alors bifide, Quand l'union s'est pro- duite d’une manière complète, on en voit encore la trace dans lexis- tence d'un sillon médian qui indique le lieu d'union, Enfin, la paroi médiane résultant de l’accolement des deux tubes peut subsister pendant un certain temps, avant de disparaitre et de transformer l'organe en un tube unique. L'extrémité antérieure du cœur unique ainsi formé, ou le bulbe, se continue avec les deux aortes, Nous ignorons encore par quel procédé les aortes se produisent dans l'intérieur des tissus embryonnaires. dt A — 2 DU COŒUR DANS L'EMBRYON, 171 Est-ce une prolongation des tubes cardiaques dans l'intérieur destissus? ou bien y a-t-il une formation de lacunes comparable à celle de l'aire vasculaire? Plus tard, l'extrémité postérieure, qui correspond à la région auriculaire, s'ouvre des deux côtés de Ja ligne médiane, et la met en communication avec les lacunes de l'aire vasculaire, lacunes dans lesquelles se sont produits les globules du sang. Mais cette com- munication ne s'établit que lorsque le tube cardiaque, primitive- ment rectiligne, s’est tranformé en une anse qui vient faire saillie au côté droit de l'embryon, lorsqu'on l’observe par sa face supé- rieure. Un fait très-remarquable de l'histoire physiologique du cœur, c'est qu'il acquiert la faculté contractile, faculté qu'il manifeste par ses battements, avant que sa cavité se soit mise en communicalion avec les cavités de l’aire vasculaire, en d’autres termes, avant que le sang soit complété par l’adjonction des globules. Ce fait est d'autant plus curieux que Harvey avait déduit de ses observations une conséquence toute contraire. Il s'était posé la ques- tion suivante : les battements du cœur sont-ils antérieurs à la forma- lion du sang? ou bien la formation du sang précède-t-elle les batte- ments du cœur? Il y répondait en admettant que la formation du sang précède les battements du cœur. Haller, en 4758, combattit l'opinion Harvey, en s'appuyant sur deux observations dans lesquelles il avait vu le cœur battre à son début sur un liquide complétement incolore ‘. Toutefois, il ne reconnut pas la généralité du fait, qui ne fut constatée que par J. Hunter, en 1794. On sait que l'on a considéré le sang comme l’excitant principal des battements du cœur. Les faits que je viens de signaler démontrent qu'au moins au début des formations embryonnaires le sang n'est pas la cause principale qui détermine les mouvements du cœur, à moins que l'on n'admette que cette propriété appartiendrait à la partie liquide du sang et non aux globules. N’est-il pas plus naturel de pen- 1 Harvey. « Magni certe momenti est hæc disquisitio : utrum scilicet sanguis insit ante pulsum ? « Quantum mihi observare licuit, videtur sanguis esse ante pulsum... In ordine generationis, punctum et sanguinem primum existere arbitror; pulsationem vero non nisi posten accedere. » Exercitationes de gener. animalium, p. 51. HazLen. « In aliquot meis experimentis subsultum vidi nascentis embryonis, cum sanguis, totusque fœtus decolor esset, ut omnino hic ab Harveio differam, qui cau- sam motus cordis in sanguine posuit, priusque rubescere humorem vitalem sibi persuasit, quam cor moveri inciperet, » Opera minor a, t. II, p. 886. 172 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE ser que les battements du cœur dans l'embryon sont déterminés par la température de 40 degrés à laquelle il est soumis dans l’incubation naturelle? On sait que cette température réveille les battements, lorsqu'ils ont cessé depuis un certain temps, et qu’elle peut opérer ce réveil à plusieurs reprises. Pourquoi n'admettrait-on pas que c’est là la véritable cause des battements du cœur? et que, pendant toute la durée de l'incubation, ces battements se produiraient d’une manière continue, sous l'influence également continue de la chaleur, agissant directement sur les éléments contractiles du cœur. Sans doute, il arrive une époque où la contractilité du cœur peut être sous l'influence du sang et du système nerveux. Mais cela ne se pro- duit pas au début !. 8 3. Tous ces états successifs du cœur sont très-difficiles à voir dans l'évolution normale, par suite de la brièveté excessive de leur durée. J'y suis arrivé cependant, en soumettant à l'observation un nombre d'œufs extrêmement considérable. Mais j'ai trouvé, dans mes recher- ches tératogéniques, une confirmation bien remarquable de mes obser- vations sur l’état normal. En effet, les deux cœurs, comme tous les autres organes de l’em- bryon, peuvent s'arrêter dans une phase quelconque de leur dévelop- pement; ils ne se soudent pas entre eux, lorsque les deux lames antérieures du feuillet vasculaire, à la base desquelles ils se sont pro- duits, restent écartées et isolées l’une de l’autre. Alors les tubes car- diaques, qui ne peuvent s'unir, se constituent isolément en deux cœurs qui restent séparés. Chacun de ces cœurs se divise transversa- lement en oreillette, ventricule et bulbe. Chacun acquiert isolément la propriété de se contracter. L'indépendance complète de ces deux cœurs s'est manifestée à moi d'une manière bien remarquable, dans un cas tégatologique, par le défaut d'isochronisme des battements : l'un des cœurs battait deux fois dans le même temps où l’autre cœur n'exécutait qu'un seul battement. 1 Je dois poser ici une question. Comment se comportent les battements du cœur chez les embryons des animaux à sang froid? Ne peut-on pas supposer qu'ils sont également sous l'influence de la température extérieure, et qu’ils se ralen- tissent et même s'arrêtent complétement, lorsque cette température descend à certains degrés, DU COŒUR DANS L'EMBRYON, 173 Il arrive le plus ordinairement que les cavités de ces deux cœurs ne s'unissent point avec les cavités des vaisseaux capillaires de l'aire vasculaire. Parfois cependant cette communication s'établit. On voit alors les deux cœurs battre sur du sang rouge. La dualité des cœurs se lie presque toujours à d’autres anomalies. On la rencontre fréquemment dans la triocéphalie, dans la cyclopie, et dans une monstruosité, non encore décrite, que je ferai connaître sous le nom d'omphalocéphalie. Elle joue un grand rôle dans la forma- tion de certains types de la monstruosité double, ceux que l'on dé- signe sous les noms de aniceps, iniopes, synotes et déradelphes. J'ai constaté ces faits, comme d'ailleurs tous ceux qui font le sujet de ce livre, sur des embryons que j'observais dans les premiers jours de l’incubation. Je n'ai pas pu encore prolonger ces expériences Jus- qu’à une époque plus avancée; et j'ignore par conséquent ce que de- viendraient ces doubles cœurs. Mais les faits anatomiques signalés par Littre et par Meckel donnent lieu de croire que l'existence de deux cœurs, lorsque leurs cavités se remplissent de sang rouge, n'est pas incompatible avec la prolongation de la vie au-delà de l'incubation. Je ne puis que signaler ici les questions que ce fait soulève, et qui se présentent d'elles-mèmes à l'esprit des physiologistes. J'ai lieu de croire que mes expériences me donneront un jour le moyen d'y ré- pondre. 4. 72 La note que j'ai publiée en 1866 sur la dualité primitive du cœur a passé presque inaperçue. Je ne connais que deux embryogénistes qui l'aient citée, M. His' et M. Schenck?; tous deux ont nié les faits que j'y faisais connaître. Dans le cours de l’année dernière, trois embryogénistes allemands, M. Hensen, M. Kælliker, M. Gasser, ont parlé de la dualité primitive du cœur sans me citer. En 1867, un an par conséquent après la publication de ma note dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, M. Hensen pré- senta au Congrès des naturalistes à Francfort la préparation d'un embryon de lapin sur lequel il croyait reconnaitre l'existence de deux cœurs séparés, M. His, qui avait pu étudier cette préparation, nia l'in- 1 [lis, Untersuchungen über die ersle Anlage der Wirbelthierleibes, p. 84. 2 Scnenck, Lehrbuch der vergleichenden Embryologie der Wirbelthiere, p. 68, 1874. 174 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE terprélation donnée par M. Hensen relativement aux deux parties que celui-ci considérait comme des cœurs. L'année dernière, M. Hensen est revenu sur celle question, et il a publié un certain nombre de figures dans lesquelles il représente ce qu'il considère comme deux cœurs primitifs dans l'embryon du lapin'. Il en est une qui re- produit très-exactement cette phase particulière des deux cœurs pri- mitifs du poulet, dans laquelle les deux cœurs se présentent sous la forme de deux tubes semi-circulaires, opposés l’un à l’autre par leur convexilé, La signification de cette figure ne peut être révoquée en doute. Quant aux autres figures dans lesquelles M. Hensen a voulu représenter les élats antérieurs du cœur, elles sont tout à fait diffé- rentes de ce que j'ai vu moi-même, Il est donc évident que M.Hensen a constaté la dualité du cœur chez l'embryon du lapin, mais qu'il n'en à vu qu'une seule phase. M. Kœlliker, publiant l'année dernière la première partie de la se- conde édition de son 7raité d'embryogénie, a confirmé l’exactitude des observations de M. Hensen, tout en faisant les mêmes réserves que moi sur les opinions de cet embryogéniste. Il figure deux embryons de lapin présentant les deux cœurs, et tout à fait comparables à celui que M. Hensen avait représenté. Il a figuré de plus un autre embryon de lapin, dans lequel les deux cœurs, bien que formant déjà un or- gane unique, présentent encore une cloison médiane, vestige de leur dualité primitive ?, M. Kælliker indique également la dualité du cœur dans l'embryon du poulet. Mais ici la dualité serait beaucoup moins prononcée que chez les mammifères, Le cœur serait dès l’origine simple à l'extérieur; mais il présenterait au début, dans son intérieur, une cloison Jongi- tudinale séparant complétement deux grandes lacunes. Un peu plus tard, cette cloison disparaitrait, et les deux lacunes se confondraient pour n’en former qu'une, qui deviendrait la cavité du cœur, La divi- 1 HENSEN, Beobachtungen über die Befruchtung und Entwickelung des Kaninchens und Meerschtweinchens, dans la Zeitschrift für Anatomie und Entwickelungsgeschichte, de His et Braune, t. I, p. 367. On voit très-bien les deux cœurs, pl. IX, fig, 33, Mais je n'admets pas, et ici je suis d'accord avec M. Kœlliker;{Entwickelungsge- schichte des Menschen und der hôheren Thiere, 2e édit., p. 252), que le repli en fer à cheval qui entoure la tête de l'embryon, dans les figures 28, 29, 30, 31, soit le cœur, Dans la pensée de M. Hensen, ie cœur serait done primitivement simple, puis il deviendrait double, comme dans l'embryon représenté figure 33; puis enfin il rede- viendrait simple. Le repli en fer à cheval doit donc avoir une tout autre signification. * Kœrtiken, Enhwickelungsgeschichte des Menschen und der hüheren Thiere, 2 édit. p. 215 à 250, fig. 166, 187, 169, 470, 174, 172. DU COEUR DANS L'EMBRYON. 175 sion du cœur en trois chambres, l'oreillette, le ventricule et le bulbe, ne se produirait qu'après la disparition de la dualité du cœur, tandis que chez le lapin elle aurait lieu dans chacun des cœurs avant leur réunion. M. Kælliker insiste sur cette différence qu'il croit avoir observée entre la formation du cœur chez le lapin et la forma- tion du cœur chez le poulet. Mais ces différences ne sont qu appa- rentes, IL est bien clair, d'après mes observations, que M. Kælliker n'a observé dans le cœur de l'embryon du poulet que cette phase particulière qui termine la période de dualité, et qu'il n'a pas vu les phases qui la précèdent". Il paraît que, tout récemment, un embryogéniste allemand, M. Gasser, aurait observé chez l'embryon du poulet des phases de la formation du cœur antérieures à celle qui est indiquée par M. Ko:l- liker. Je n'ai pu consulter ce travail, que je ne connais encore que par une très-courte analyse *. L Ainsi M. Hensen et M. Kælliker ont constaté, le premier chez l'em- bryon du lapin, le second chez l'embryon du lapin et du poulet, certaines phases de la formation du cœur antérieures à celle où il est parfaitement simple. Ils confirment done mes observations, mais sans y rien ajouter. Je dois dire d'ailleurs qu'ils ne parlent, ni l'un ni l'autre, du mode de formation du segment antérieur du feuillet vas- culaire, qui se lie par des rapports si intimes à la formation même du cœur, puisque c'est l'union des deux lames antérieures de ce feuillet qui détermine l'union des deux cœurs. Je ne puis m'expliquer comment le fait de la formation du segment antérieur du feuillet vasculaire, par la réunion sur la ligne médiane de deux lames provenant du bord rectiligne antérieur de ce feuillet, ait été complétement méconnu par les embryogénistes. Je me l'ex- plique d'autant moins que je voisces deux lames antérieures très-net- tement figurées dans un certain nombre d'ouvrages d'embryogénie. Ces faits sont déjà parfaitement visibles dans l’évolution normale. Mais, là, comme le fait de la dualité du cœur, ils n’ont qu'une exis- tence temporaire. On s'en rend beaucoup mieux compte à l’aide de la tératogénie. Dans un grand nombre de cas de déformations ellipti- ques de l'aire vasculaire, les deux lames antérieures sont très-inégales, 1 KŒLLIRER, loc. cit., p. 448, fig. 82. ? Gasser. Uber Enislehung des Herzens beim Hühn. Je ne connais ce travail que par une simple indication dans la Centralblatt fur die medicinischen Wissenschaflen, 1876, p. 793. 176 DUALITÉ NORMALE ET TÉRATOLOGIQUE DU COŒUR. et ne s'unissent pas toujours entre elles. Mais c’est surtout la curieuse monstruosité que je ferai bientôt connaître sous le nom d’omphalocé- phalie, qui met en pleine évidence l'existence de ces deux lames : car elles jouent le principal rôle dans sa production. Je n'ai étudié jusqu’à présent la dualité primitive du cœur et du segment antérieur du feuillet vasculaire que dans l'embryon du pou- let. MM. Kaœlliker et Hensen ont observé la dualité du cœur dans l'embryon du lapin.Je ne doute cependant pas que le fait ne soit géné- ral, et qu'il ne s'applique à tous les vertébrés allantoïdiens, peut-être mème à tous les vertébrés. C’est une question que je propose à toutes les personnes qui s'occupent d'embryogénie comparée. CHAPITRE II ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON : LE BLASTODERME, L'AIRE VASCULAIRE, L'AMNIOS ET L'ALLANTOÏDE. SOMMAIRE. 1° Anomalies des annexes de l'embryon. — 2° Anomalies du blastoderme, Blastoderme sans embryon. — 3° Déformation du hlastoderme. — 4° Anomalies du feuillet vasculaire. Défaut de différenciation du feuillet vasculaire et de l'em- bryon. — 5° Déformation du feuillet vasculaire, — 6° Arrêt de développement des Îles de sang. — 7° Hydropisie de l'embryon. — 8° Anomalies dans la dispo- sition des vaisseaux de l'aire vasculaire, — 99 Anomalies de l’amnios. = 10° Ano- malies de l’allantoïde. 20 1. Les physiologistes qui ont étudié les anomalies et les mons- truosités se sont bornés, jusqu'à présent, à celles de l'embryon lui- mème, et ne se sont que très-rarement occupés des anomalies de ses annexes, par suite de cette circonstance que l'on n'a guère étudié, jusqu'à présent, les anomalies et les monstruosités qu'après la nais- sance, à une époque, par conséquent, où l'embryon s'est com- plétement dégagé de ces parties accessoires. Un seul physiologiste, M. Panum, qui a étudié les anomalies avant l'éclosion du pou- let, a signalé quelques faits intéressants concernant les anomalies du blastoderme, de l'aire vasculaire et de l’ammios; mais il n'a donné à leur égard que des indications incomplètes et parfois même erronées. Les nombreux matériaux que j'ai recueillis dans mes expé- riences me permettent de combler un grand nombre de lacunes qui restent encore dans cette partie de la tératogénie. Les anomalies des annexes de l'embryon n'ont pas en elles-mêmes un grand intérêt ; mais elles acquièrent une grande importance par le rôle qu'elles jouent dans un grand nombre de phénomènes térato- géniques. Elles se rapportent au blastoderme, au feuillet vasculaire, à l’'amnios et à l'allantoïde. Toutefois, mes observations sur les anomalies de 12 178 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. l’allantoïde sont encore très-peu nombreuses, parce qu'elles n'appa- raissent qu'à une époque assez avancée de l’incubation, tandis que J'ai surtout étudié les anomalies à une époque très-rapprochée de l'origine du développement. Mais les anomalies de Pallantoïde sont les moins importantes de toutes. | 72 19 L'anomalie la plus simple que j'aie rencontrée dans mes recherches est le développement plus où moins complet du blastoderme sans embryon. Cette anomalie, fort remarquable en ce qu'elle montre une cer- laine indépendance entre l'embryon et le blastoderme, présente un nouvel intérêt par suite d’un fait que j'ai découvert, et qui se rattache au mode de nutrition de l'embryon. Agassiz, dans une note de son Mémoire sur le développement des tortues ?, a indiqué la manière dont se fait la disparition de l’albu- mine pendant le développement du poulet. Il a vu que l’albumine disparait peu à peu au-dessus du disque embryonnaire : et que, si l'on coagule à l’aide de l’eau bouillante un œuf soumis à l’incuba- lion, on constate au-dessus de l'embryon un espace vide présentant la forme d'un tronc de cône. Cet espace vide résulte de la résorption locale de Palbumine ; il va toujours en s’élargissant pendant l’incu- bation. | Cette observation d’Agassiz n'a pas attiré l'attention des embryo- génistes. J'ai eu fréquemment occasion de la répéter et d’en constater la parfaite exactitude. Or, la disparition de l’albumine ne se produit point lorsque le blas- toderme se développe sans qu'il se forme un embryon. Aïnsi done, l’albumine paraît servir entièrement à la formation de l'embryon, tandis que le blastoderme tirerait ses éléments des matériaux du jaune. Le développement du blastoderme sans embryon a été signalé avant moi par M. Broca, comme se produisant fréquemment dans les œufs que l'on ne met en ineubation qu'un certain temps après la 1 AGassiz, Embryology of Turtle, dans les Contributions to Natural History of the Uniled States, 1857, t, IT, p, #13, ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 179 ponte ‘. J'ai constaté l'exactitude du fait signalé par M. Broca; mais, de plus, j'ai reconnu que ce fait peut aussi se produire dans d’autres circonstances. Le blastoderme de l'œuf d'oiseau, s'il n'est pas accompagné d'un embryon, disparait peu à peu par un effet de désorganisation, quand on continue à le faire couver. Mais je me suis souvent demandé s'ilen serait de même pour l'œuf des mammifères, qui, à proprement parler, n'est autre chose qu'un blastoderme. Cet œuf séjournant dans la matrice ne pourrait-il pas être le siége de développements ultérieurs? Et n'aurions-nous pas là l'explication de certaines de ces organisa- tions étranges que les médecins désignent sous le nom de mdles, et dont la véritable nature est encore aujourd'hui une énigme physiolo- gique presque indéchiffrable ? Le fait de la nutrition, et par conséquent de l’accroissement des môles, si les môles avaient réellement l’origine que je leur suppose, dépendrait de la formation des villosités du chorion, c'est-à-dire de cette membrane qui remplace chez les mammifères la membrane vi- telline de l'œuf des oiseaux. La nutrition de l'œuf, après son arrivée dans la matrice, résulte de l'absorption des matières nutritives à l'aide de ces villosités qui s’implantent dans ce que l’on appelle la membrane caduque, c'est-à-dire dans la membrane muqueuse de l'utérus, hypertrophiée à la suite de la conception. Du reste, je ne donne cette hypothèse que sous toutes réserves, n'ayant pas eu occasion d'observer de semblables faits dans les œufs des mammifères ?. ; 72 =) J'ai observé très-fréquemment des déformations du blastoderme, d'autant plus fréquemment que je les produis à volonté. Ces défor- mations du blastoderme étaient toujours accompagnées de déforma- tions de l'aire vasculaire. Comme les unes et les autres dépendent 1 Broca, Eæpériences sur les œufs à deux jaunes, dans les Ann, des sc. nal., 4° série, Zoo!., t. XVII, p. 81. 2 M. Panum signale et figure des blastodermes sans embryons. Les dessins qu'il en donne me prouvent que ces blastodermes avaient eu des embryons, mais que ces embryons avaient péri et s'élaient décomposés, de manière à ne laisser d'autre trace de leur existence qu'un espace vide entre le feuillet séreux et le feuillet muqueux ; espace qui est indiqué par les plis que forment ces membranes par suite de leur distension, et aussi par leur transparence. 180 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. de la mème cause, je les décrirai simultanément dans un autre para- graphe. Un = Lorsque j'ai décrit, dans un chapitre précédent, le mode de forma- lion du feuillet vasculaire, j'ai dit que toutes mes observations me donnaient lieu de croire que l'embryon et le feuillet vasculaire sont primitivement la même chose, et qu'ils apparaissent à un certain mo- ment, sous la forme d’un petit disque, entre le feuillet séreux et le feuillet muqueux du blastoderme. À un certain moment l'embryon se différencie du reste du feuillet vasculaire, et il apparaît sous la forme d'une languette qui occupe l’un des diamètres du disque em- bryonnaire. Or, j'ai rencontré plusieurs fois une anomalie très-remarquable, qui parait être un arrêt de développement du disque embryonnaire, lorsque le corps de l'embryon ne s’est pas distingué du reste du feuillet vasculaire. Le disque embryonnaire peut continuer à s’aceroître dans cette condition, et il forme alors une lame cireulaire qui s’aceroît pendant un certain temps entre les deux feuillets du blastoderme. Ce qui rend cette monstruosité très-remarquable, c’est que cette parlie se comporte exactement comme le feuillet vasculaire des em- bryons normaux ; ils'y produit des îles de sang, et des globules sanguins dans l’intérieur de ces îles; puis ces îles s'unissent entre elles par des prolongelnents étoilés, et forment ainsi un réseau dé vaisseaux capillaires qui occupent toute l’épaisseur de ce feuillet. Mais l'absence de cœur empêche complétement cet appareil vascu- laire de fonctionner comme appareil circulatoire. La vie de ces singuliers organismes ne peut avoir, on le comprend, qu'une très-courte durée. J'ai cependant lieu de croire que, dans certaines conditions, ces or- ganismes peuvent continuer à vivre, et qu'ils acquièrent même un certain développement. Je suppose, en effet, qu'ils sont le point de départ de ces monstres si étranges qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire a dé- crits sous le nom d’Antides. Je ferai connaître les motifs de cette opi- nion lorsque je m'occuperai des monstres omphalosites,. Cette sorte d'anomalie est très-rare. Dans la plus grande majorité des cas, l'embryon se constitue à part du feuillet vasculaire, tout en lui restant uni, et alors le feuillet vasculaire peut être isolément ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 181 affecté d'anomalies, qui portent sur la forme, sur le défaut de vascu- larisation et sur la distribution des vaisseaux sanguins. & 5. Je dois rappeler tout d’abord certaines modifications du feuillet vasculaire que j'ai indiquées dans un précédent chapitre. En décrivant le mode de formation du feuillet vasculaire, j'ai montré que son bord antérieur est primitivement une ligne droite, et qu’il se complète peu à peu par l'apparition de deux la- mes antérieures primitivement séparées et qui vont à la rencontre l’une de l’autre, au-dessous de la tète. Il arrive très-fréquemment, lorsque les embryons se dévelop- pent dans des conditions physiques Fig. 1 Fig.£ "A anormales, que l’une ou l'autre de Fig. 1. Disque embryonnaire présentant la réu- ces lames soit arrêtée dans son dé- veloppement, et que même elles le soient toutes les deux. De plus, au lieu de s'unir l’une à l’autre, nion de l'embryon et du feuillet vasculaire, lorsque le bord antérieur est encore rectiligne. a, bandelette embryonnaire ; b, gouttière pri- mitive, dont les bords, plus rapprochés à la tête que dans le reste du corps, ne sont pas encore réunis ; €, feuillet vasculaire formant autour de l'embryon un cercle dont un segment antérieur aurait été enlevé. — Fig. 2. Disque embryonnaire un peu plus âgé. Mèmes lettres que dans là figure précédente. Les deux bords de la gouttière primitive se sont réunis à la tète, et ne sont pas encore réunis dans le reste du corps. Des deux côtés de la tète se voient les deux lames antérieures du feuillet vasculaire, lames qui viennent se réunir en avant et au-dessous de la tète. elles peuvent rester complétement ou incomplétement séparées. Il est du reste impossible, et il serait sans intérêt de décrire Lous les tas qui se présentent, car il y a là une infinité de cas possibles qui dé- pendent du degré de développement de chacune des lames antérieures du feuillet vasculaire. Le défaut de réunion partiel ou total des deux lames antérieures du feuillet vasculaire peut se lier avec un certain nombre d'anomalies embryonnaires, soit avec la permanence de la dualité primitive du cœur, soit avec ce que j'ai appelé omphalocéphalie où hernie ombili- cale de la tête. Je ferai connaître ces anomalies lorsque je traiterai des monstruosités de l'embryon. Cet arrêt de développement d'une des lames antérieures du feuillet vasculaire, ou même de toutes les deux à la fois, peut se produire lorsque le feuillet vasculaire à conservé sa forme primitive. II peut se produire également dans le cas des déformations ellip- tiques du feuillet vasculaire que je vais maintenant décrire. 182 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. Ces déformations, ainsi que je le disais tout à l'heure, accompagnent toujours une déformation semblable du blastoderme, ce qui tient à ce qu’elles sont produites par une même cause, cause que j'ai pu déter- miner *. On sait que dans l'œuf dont l'évolution est normale l'embryon ap- paraît au centre d'un blastoderme à contours circulaires, puis qu'il s’entoure d’une aire vasculaire dont les contours sont également cir- culaires. Au contraire, dans certaines conditions physiques que je vais faire Fig. 4 ler AT Fig. 3, 4, 5,6, Tet8, Déformations elliptiques du blastoderme et de l'aire vasculaire. a, blasto- derme : b, aire vasculaire. — Fig. 3 et 4. Axe de l'embryon perpendiculaire au grand axe de l'ellipse. — Fig. 5 et 6. Axe de l'embryon parallèle au grand axe de l'ellipse. — Fig. 7 et 8. Axe de l'embryon oblique au grand axe de l'ellipse. Dans ces deux dernières figures, la défor- mation du feuillet vasculaire tient en grande partie au développement inégal des deux lames antérieures. connaître, le blastoderme d’abord, et plus tard l'aire vasculaire, pren- nent, en se développant, la forme d’une ellipse dont l'embryon occupe un des foyers. 1 J'ai publié ces faits en 1864 et 1865, dans deux communications à l'Académie des sciences, Voirles Comptes rendus, t. LIX, p. 693, ett, LX, p.746. ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON, 183 Cette déformation elliptique du blastoderme, puis de l'aire vaseu- laire, se produit nécessairement dans la couveuse à air libre toutes les fois que le point culminant de l'œuf ne coïncide pas avec le point de contact avec la source de chaleur, et cependant n'en est pas très- éloigné. J'ai montré dans un autre chapitre comment cette posilion des œufs, par rapport à la source de chaleur, détermine un échauffement iné- gal des différentes parties du blastoderme et du feuillet vasculaire, et comment cet échauffement inégal détermine un développement plus considérable d’un côté de l'embryon que de l’autre côté ; comment, par conséquent, la forme circulaire primitive du blastoderme et du feuillet vasculaire devient une forme elliptique. J'ai pu, du reste, démontrer complétement l'exactitude de cette proposition à l’aide d’une couveuse de Cantelo que MM. les direc- teurs du Jardin d’acclimatation avaient bien voulu mettre à ma dispo- sition en 1864. Dans cette couveuse, les œufs ne sont en contact avec la source de chaleur que par un point; mais ce point est toujours le point culminant. J'ai constaté que, dans ces conditions, le blastoderme et l’aire vasculaire présentent toujours la forme normale, c’est-à-dire la forme circulaire, et que, par conséquent, la cause que je consi- dérais comme déterminant les déformations elliptiques que je viens de décrire, en est bien la véritable cause. J'ai constaté que, dans les déformations elliptiques, la consomma- tion de l’albumine au-dessus du disque embryonnaire est en rapport avec la forme de ce disque. La coagulation de l’albumine, à l'aide de l'eau bouillante ou de l'alcool, montre en effet que l'espace vide qui résulle de cette consommation, au lieu de présenter, comme dans l’état normal, la forme d’un tronc de cône à base circulaire, prend, au con- traire, la forme d’un tronc de cône à base elliptique. Puisque la déformation elliptique du blastoderme et de l'aire vascu- laire résulte d’un certain mode d'emploi de la couveuse à air libre, je la produis à volonté et d'une manière certaine. Il y a là un effet très-nettement déterminé. Mais j'ai pu aller plus loin. Je puis déterminer à volonté et d'une manière à peu près certaine la position qu'occupe lembryon dans les blastodermes ainsi déformés. Pour faire comprendre comment j'obtiens ce résultat, il est néces- saire d'entrer dans quelques détails sur les rapports de position de l'embryon avec les autres parties de l'œuf. 184 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON,. Je rappelle ce que j'ai déjà dit : 4° que l'embryon à son début vient toujours se placer à la partie culminante de l'œuf; 2 que, dans son état primitif, l'axe longitudinal de l'embryon est presque toujours perpendiculaire à l'axe longitudinal de l'œuf. Il faut encore ajouter un troisième fait, établi par Baër!: c’est que, dans le plus grand nombre des cas, l'embryon, à son début, est tou- Fra. Ÿ jours orienté dans l'œuf d'une cer- Ÿ taine manière, Si l’on place un œuf devant soi de telle sorte que le gros bout soit tourné du côté .Æ de l'observateur, la partie qui de- viendra la tête de l'embryon est presque toujours placée en face du côté gauche de l’observateur. Fig. 9. Coupe schématique de l'œuf pour indi- T.orsque l'embryon se retourne quer l'orientation de l'embryon. 4, embryon au centre de l'aire reulaus: 2, jennÿ entière sur le jaune, il se place par/con- séquent de telle facon que sa face dorsale est tournée du côté de l'observateur. La connaissance de cette orientation primitive de l'embryon dans l'œuf me permet de donner à l'embryon telle position que je veux sur le blastoderme ou sur l’aire vasculaire. Ces positions sont en nombre infini, comme les diamètres d’un cercle. I n’y avait aucun intérêt à les réaliser toutes; mais je me suis appliqué à en produire quatre principales, qui forment, pour ainsi dire, autant de points singuliers. Le grand axe de l'embryon peut être perpendiculaire au grand axe du blastoderme ou de l'aire vasculaire, ou parallèle à ce grand axe, et chacune de ces deux positions se dédouble en deux autres. Dans le premier cas, l’axe de l'embryon partage l’ellipse en deux segments inégaux, dont le plus grand occupe tantôt la droite et tantôt la gauche de l'embryon. Dans le second cas, où l'axe de l'embryon est parallèle au grand axe de l’ellipse, le grand segment de l’ellipse peut être en rapport, tantôt avec la région caudale, et tantôt avec la région céphalique. On concoit que ces quatre positions peuvent passer de l’une à l’autre par une infinité de positions intermédiaires, qui toutés Hour raient être obtenues à volonté, avec une exactitude plus ou moins 1 Barr, dans la Physiologie de Burdach, trad, franç., t. III, p. 206. . ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON, 185 grande ; mais la production de ces formes intermédiaires n'aurait pas d'importance. Rien n'est plus facile que de produire ces quatre formes prin- cipales. Pour obtenir la perpendicularité de l'axe de l'embryon sur le grand axe de l’ellipse, il suffit de placer l'œuf dans une position telle que l'axe de l'embryon soit parallèle à l'axe des tuyaux de cir- culation d'eau chaude de la couveuse, On y parvient en mettant les œufs dans une position oblique par rapport aux tuyaux. L’œuf, ainsi placé, a nécessairement son gros bout ou son petit bout plus élevé que l’autre. Le premier cas détermine le plus grand développement du segment du blastoderme et de l’aire vasculaire qui occupe la gau- che de l'embryon ; le second détermine le plus grand développement du segment du blastoderme et de l'aire vasculaire qui occupe la droite de l'embryon *. Pour obtenir le parallélisme de l’axe de l'embryon avec le grand axe de l’ellipse, il faut que l'œuf soit placé de telle manière que l’axe de l'embryon soit perpendiculaire à l’axe des tuyaux de circulation. Dans ce cas, si l'embryon est en rapport avec la source de chaleur par la région céphalique, le blastoderme et l'aire vasculaire se déve- loppent surtout au-dessus de la tête. Si au contraire l'embryon est en rapport avec la source de chaleur par la région caudale, Île blastoderme et l'aire vasculaire se développent surtout au-dessous de la région caudale de l'embryon. Les positions obliques de l'embryon, que je n’ai pas cherché à pro- duire, apparaissent assez souvent ; car, par suite de la forme de l'œuf, il est souvent difficile de placer les œufs dans une situation absolu- ment invariable et immuable. Il y à un fait qui se produit assez souvent quand la tête de l’em- bryon est tournée vers la source de chaleur : c’est qu'il n'y a qu'une des lames du bord extérieur qui se développe. Dans ces conditions, l'anomalie est plus complexe qu'il ne semblerait au premier abord. Il faut encore ajouter ici que l'orientation primitive de l'embryon dans l'œuf est très-générale, mais n’est cependant pas absolument constante. IT en résulte que, dans un certain nombre de cas, les expé- riences ne donnent pas de résultat précis quant à la position de l’em- 1 Pour qu'il n'y ait pas d'équivoque sur ces termes de droite et de gauche, je dois dire qu'elles se rattachent loutes à la face dorsale de l'embryon, celle que l'on aperçoit lorsque l'on ouvre un œuf au début de sa formation . 186 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. bryon dans le blastoderme, Mais ces exceptions dans le résullat obtenu ne peuvent évidemment pas contredire la règle, puisqu'elles proviennent toujours d'une condition primitive qui est elle-même exceptionnelle. Ces déformations elliptiques du blastoderme et de l'aire vasculaire que l’on peut produire à volonté, ont d'ailleurs cet intérêt qu’elles s'accompagnent très-souvent de diverses anomalies ou monstruosités de l'embryon. Parmi ces anomalies, il en est une que j'ai rencontrée assez fré- quemment dans certaines de ces déformations de l’aire vasculaire : c'est l’inversion des viscères. Elle se produit, mais non d'une manière constante, dans le cas où le plus grand développement de l'aire vasculaire se fait à la gauche de l'embryon. Alors l'anse cardiaque apparaît du côté gauche, et la tête se retourne en sens inverse de sa position ordinaire. Toutefois l'excès de développement de l’aire vascu- laire à la gauche de l'embryon n’est pas la seule cause de cette ano- malie. Il faut encore une certaine température du point de chauffe et une certaine température de air, températures que je mai pu jusqu'à présent déterminer, par les motifs que j'ai signalés dans un autre chapitre. Toutefois l'action de ces causes extérieures sur la production de l’inversion des viscères me paraît bien prouvée par ce fait que cette anomalie s’est toujours produite par séries, et que, par conséquent, il y avait une même cause qui agissait sur tous les œufs. J'ai l’espoir que je pourrai quelque jour déterminer ces conditions. Que deviennent, dans ces conäitions insolites, le blastoderme et Paire vasculaire ainsi déformés ? J'ai constaté, dans certains Cas, que, si l’évo- lution continue, le blastoderme et l'aire vasculaire finissent par repren- dre leur forme normale ; tandis que, dans d’autres, le développement de ces annexes de l'embryon est définitivement arrêté à un certain moment, et l'embryon ne tarde pas à périr. Il est évident pour moi que ces résultats dépendent de la différence qui existe entre la tem- pérature du point de chauffe et la température du local où se font les expériences. Il y a là deux données de problème que je n’ai pu, jusqu’à présent, déterminer avec exactitude, par suite de l'imperfec- lion de mes appareils. ne + ee ES 0 US ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON, 187 $ 6. Les anomalies du feuillet vasculaire ne sont pas seulement des anomalies de forme ; elles sont aussi, très-fréquemment, des anoma- lies relatives à la formation des vaisseaux et à leur distribution. L'une de ces anomalies consiste dans l'arrêt du développement des iles de sang (Ælutinseln), et par conséquent dans une imperfection plus ou moins grande du réseau des vaisseaux capillaires qui se forme dans le feuillet vasculaire ‘. La formation des vaisseaux, dont l’ensemble constitue ce que l'on appelle l'aire vasculaire, est précédée par l'apparition, dans le feuillet vasculaire, de petites taches rouges, qui sont, à leur origine, complé- tement séparées, et qui, plus tard, s'unissent entre elles pour former un réseau de vaisseaux Capillaires. Quand on observe ces taches, à l'aide d’un grossissement suffisant, on voit qu'elles sont formées par un amas de globules sanguins dont le nombre va toujours en augmen- tant. Par suite de cette augmentation du nombre des globules, la couleur de ces taches, qui d’abord était d’un rouge pâle, devient d'un rouge très-foncé. Ces taches sont ce que les embryogénistes appellent les iles de sang (Blutinseln). On a beaucoup étudié ces taches, ou iles de sang, mais sans pou- voir arriver à une interprétation définitive, L'opinion prédominante les considère comme de simples lacunes produites dans l'intimité des tissus par le retrait de la substance qui les entoure. De ces lacunes partiraient des prolongements creux qui viendraient à la rencontre de prolongements analogues provenant dés îles voisines ; et, par suite de l’anastomose de ces prolongements, les îles de sang s'unissant toutes ensemble constitueraient un système de vaisseaux capillaires. Ces vaisseaux se compléteraient ensuite par la formation d'une men- brane qui les isolerait des tissus environnant(s?. 1 J'ai signalé ces faits en 1866 (Comptes rendus, t. LXIII, p. 448), puis, en 1872, dans les Archives de zoologie expérim., t. 1, p. 169. ? Ces taches rouges ont été désignées sous le nom d’iles de Wolff. Mais celte dési- guation est complétement inexacte. Wolff a bien parlé d'iles dans l'aire vasculaire ou, comme il l'appelle, l'aire ombilicale ; mais ces îles ont une tout autre significa- tion. Cherchant à se rendre compte de la formation des vaisseaux, il admet qu'à un certain moment la matière glutineuse qui forme le blastoderme (car il ne connaissail pas encore sa constitution par la superposition des trois feuillets, qu’il a seulement entrevue plus tard) se iiquéfie sur un’grand nombre de points, de manière à consti- {uer un réseau de lacunes qui plus tard se transforment en vaisseaux et se remplis- 188 ANOMALIES DES ANNEXES DE L’EMBRYON, Schwann, le célèbre inventeur de la théorie cellulaire pour les tissus des animaux, à donné de ces faits, dès 1839, une interprétation très-différente !, Les tachesrouges, ou les îles de sang constitueraient, dès leur apparition, de véritables cellules dans lesquelles les globules se produiraient par une génération endogène.Ces cellules se compor- teraient comme les cellules de pigment. Leur forme, à peu près sphé- rique à leur début, deviendrait étoilée par l'apparition d'un certain nombre de prolongements creux, qui viendraient à la rencontre les uns des autres, et s'uniraient de manière à faire communiquer toutes ensemble les cavités des cellules primitives. Ainsi se constituerait le réseau des vaisseaux Capillaires qui forme le premier état de l’aire vasculaire. Plus tard, les cavités ainsi produites viendraient s’unir avec les cavités du cœur, et la mise en jeu de la contractilité de cet organe déterminerait les premiers phénomènes cireulatoires. Gette opinion de Schwann fut adoptée par J. Müller ?, mais elle a été généra- lement laissée de côté par les embryogénistes quisont venus après lui. Or, bien que je n’aie pas fait d’études directes sur cette question spé- ciale, je suis cependant très-porté à croire que la théorie de Schwann est celle qui rend le mieux compte des faits. Les contours parfaite- ment réguliers que présentent à leur début les îles de sang me parais- sent difficilement conciliables avec l'opinion qui n'y voit que de simples lacunes formées par le retrait irrégulier des tissus environnants. Je ferai remarquer ici que ce procédé de formation pour les vaisseaux Capillaires de l'aire vasculaire ne me paraît pas devoir s'appliquer à la formation de la veine circulaire, celle qui occupe toute la circonférence de l’aire vasculaire. Je crois que cette veine se forme par l’abouchement direct d’un certain nombre de cellules, et non par la jonction de leurs prolongements. Mais c’est une ques- lion que je dois réserver pour des recherches ultérieures. Du reste, l'interprétation que l’on donne aux apparences que l’on sent de sang. Les espaces solides qui restent enfermés dans les mailles du réseau vasculaire forment ce qu'il appelle les Îles. On voit donc que les îles décrites par Wolff sont précisément le contraire de ce que l'on désigne ordinairement sous ce nom ; puisque cette dernière dénomination s'applique aux cavités qui sont le point de départ des vaisseaux, tandis que Wolff désignait sous ce nom les parties du feuillet vasculaire enfermées dans les mailles du réseau vasculaire (Wourr, Theoria generalionis, passim), Cette dénomination provient de Pander, qui a renversé les termes de la description, et donné le nom d'fles de Wolff aux lacunes produites dans l'intérieur même du feuillet vasculaire. 1 ScHWANN, Mikroskopische Unlersuchungen, p.182. 23, MurLer, Handbuch der Physiologie, t. II, p. 685. ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 189 aperçoit avec un faible grossissement dans l'aire vasculaire ne peut modifier en rien l'importance des faits que je signale et que j'ai constatés le premier. Que les îles de sang soient de simples lacunes qui se creuseraient dans l'intimité des tissus et qui n'acquerraient que tardivement des parois propres, ou bien qu’elles soient dès l’origine de véritables cellules, nettement délimitées par leurs membranes, comme je le pense avec Schwann et J. Müller, toujours est-il qu'elles peuvent s'arrêter dans ce premier état, et ne pas émettre les prolongements qui les unissent aux autres, ou du moins que cet arrêt de développement Fig 10 peut en frapper un nombre plus ou moins considérable. Dans ces conditions le réseau des vaisseaux capillaires ne se constitue pas, ou du moins il ne se constitue que d’une ma- nière très-imparfaite. On voit certaines iles de sang s'unir entre elles pour former des réseaux partiels, mais il n’y a point de réseau général ; et ces réseaux partiels se produisent tantôt dans la partie excentrique de l'aire vas- "fi penropnices par aurte de lent culaire, dans ce que l’on appelle l'aire opa- isolen Re LE PL dise que, et tantôt dans la partie qui avoisine Surmal event capillaire immédiatement l'embryon, c'est-à-dire dans |, DPULAR ap, l'aire transparente. 1 résulte de cette anomalie que les globules du sang, qui, pour la plupart, restent emprisonnés dans les cavités où ils se sont produits, ne peuvent arriver dans le cœur qu’en très- faible quantité et que, par conséquent, le sang reste complétement transparent, comme il l’est toujours au début. Les îles de sang, bien que frappées d'arrêt de développement, peu- vent continuer à s’accroitre et prendre un volume énorme ; elles sont alors véritablement hypertrophiées et déterminent des saillies consi- dérables sur la face inférieure du feuillet vasculaire, en repoussant devant elles le feuillet muqueux qui les sépare de la cavité intérieure du vitellus. Leur parois sont toujours très-régulières, et cette grande régularité est un des principaux motifs qui me font pencher vers l'opinion de Schwann sur leur nature cellulaire. La production des globules continue à s’y faire en abondance, de telle sorte que la même ile peut contenir jusqu'à cent ou deux cents globules !. 1 J'ai signalé ces faits en 1866 (voir Sur le mode de formation des monstres anencé- 190 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. $S 7 Cet arrèt de développement des îles de sang entraine une consé- quence physiologique très-importante ; c’est que, contrairement à ce qui se passe dans l’état normal, les globules sanguins restent empri- sonnés dans les cavités où ils ont pris naissance, et ne peuvent péné- trer dans le cœur et, par suite, dans l'appareil vasculaire de l'embryon. C'est un fait bien connu en embryogénie que l'aire vasculaire, c'est-à-dire le réseau de vaisseaux capillaires qui se développe dans le feuillet vasculaire, se constitue d’une manière tout à fait indépen- dante du cœur et de l'appareil vasculaire de l'embryon. 11 en résulte que la partie liquide du sang, ou ce que l’on nomme le plasma, se produit d'une manière tout à fait indépendante de la partie solide ou des globules , et que le sang qui se meut dans le cœur de l’em- bryon est primitivement incolore et transparent. Le sang devient rouge lorsque les vaisseaux capillaires de l'aire vasculaire, se mettant en communication avec les cavités auriculaires, permettent aux glo- bules de pénétrer dans le cœur et, par le cœur, dans tout l'organisme de l'embryon. Ce fait, entrevu par Haller en 1758, fut établi dans sa généralité par J. Hunter. « Lorsqu'on observe le poulet dans l'œuf, dit-il, et qu'on voit le cœur battre, cet organe contient, avant qu’au- cun globule rouge soit formé, un liquide transparent que l’on peut considérer comme formé par le sérum et par la lymphe. Les globules paraissent, non se former dans ces deux parties du sang déjà-pro- duites, mais plutôt prendre naissance dans les parties environnantes". » Toutefois Hunter n’a pas vu que dans certains cas la production des globules du sang peut être antérieure à la mise en jeu de la puis- sance contractile du cœur. Ainsi que Wolff l’a signalé, les diverses parties de l'embryon se constituent d'une manière assez indépendante les unes des autres, et leur apparition ne se produit pas avec un enchainement régulier. phales dans les Comptes rendus de l'Ac. des s0., t. LXIIT, p. 448). Il y a peu d'années, un observateur nommé Klein a décrit et figuré de semblables faits, mais il en a méconnu la signification, car il les considère comme un état normal. Voir son mé- moire : Das mitlere Keimblatt in seinen Besiehungen zur Entwickelung der ersten Blutgefässe und Blutkürperchen im Hühnerembryo in Wiener Silzungsbericht, 1871. — Fig. 12, 18, 14, 16, 17. 1 Jon Hunter, Trailé du sang, de l'inflammalion et des plaies par armes à feu, dans les Œuvres complètes, trad. de Richelot, t. IL, p. 85, 1794. Voir aussi la note de R, Owen dans l'explication des planches, p. 11, ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. [RU Lorsque, par suite de l'arrêt de développement que je viens de dé- erire, l'union ne se fait point entre les îles de sang et la circulation embryonnaire, ou du moins ne se fait que tardivement, le sang de l'em- bryon reste incolore et transparent, comme il l’est toujours à son début. Toutefois il est rare qu'il soit entièrement privé de globules. En effet, comme je viens de le dire, la canalisation des îles de sang se produit toujours sur certains points ; et si cette canalisation partielle se produit dans le voisinage du cœur, les vaisseaux capillaires ainsi formés s'unissent aux cavités du cœur, I y aura donc alors un certain nombre de globules qui pourront pénétrer dans le cœur et venir flotter dans l’intérieur des vaisseaux de l'embryon lui-même. Toute- fois, le plus ordinairement, ces globules sont en trop petit nombre pour pouvoir modifier la couleur du sang, qui reste incolore ettrans- parent. Il y a des cas, cependant, où des îles de sang, en quantité plus où moins considérable, se produisent et s’hypertrophient sur les bords des parois viscérales lorsqu'elles se reploient intérieurement pour former la goutlière abdominale. Ces îles, en s’unissant entre elles, forment alors des lacunes veineuses, parfois énormes, qui remontent jusqu'à l'oreillette du cœur, et qui peuvent lui porter un nombre assez considérable de globules pour rendre au sang sa cou- leur rouge. Mais ce n’est là qu'une exception. Le contact de ce sang, plus ou moins complétement privé de glo- bules, avec les tissus de l'embryon, y détermine un phénomène pa- thologique très-remarquable ,l'hydropisie. Je dois rappeler tout d'abord que les études des pathologistes mo- dernes nous ont appris que, si la diminution de l’albumine du sang est l’une des principales causes de l'hydropisie chez les adultes, il y a certaines hydropisies dans lesquelles on a constaté, à côté de la di- minution de l’albumine, une diminution considérable des globules. Telle est l'hydropisie qui se produit chez les moutons, et que l’on désigne sous le nom de pourriture où de cachexie aqueuse. Ce fait a été établi, il y a plus de trente ans, par les belles recherches de MM. Andral, Gavarretet Delafond. Cette hydropisie de l'embryon diffère à bien des égards de celle de l'adulte, et principalement par son siége. Dans l'adulte, les épanche- ments de sérosité se produisent dans les cavités closes, particulière- 1 V. ANDRAL, (tAVARRET el DELArOND, Recherches sur la composition du sang de quelques animaux domestiques dans l'élat de santé et de maladie, dans les Annales de chimie et de physique, 3° série, t, V, p. 318, 192 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. ment dans les cavités séreuses et les aréoles du tissu cellulaire. Dans l'embryon, au début des formations, ces cavités closes n'existent point. Ce que l’on appelle cavité pleuro-péritonéale, c’est-à-dire l'espace vide qui résulte, à un certain moment, du dédoublement des lames latérales, ne se produit qu’assez tard, et bien après l'apparition de l’hydropisie ; quant aux aréoles du tissu cellulaire, leur formation est également tardive. Mais l'accumulation de sérosité se produit dans les vésicules closes qui sont l’origine de l'encéphale, et dans le tube qui est l’origine de la moelle épinière. Toutes ces parties sont rem- plies au début et d’une manière normale par de la sérosité, dont la quantité diminue peu à peu, tandis que se forme la substance ner- veuse, Dans l’hydropisie non-seulement la sérosité primitive persiste, mais encore elle augmente et distend d’une manière notable les parois des vésicules. Cette distension se manifeste à la moelle épinière par un fait très-visible et qui ne peut laisser aucun doute. Dans les pre- miers temps, le tube qui forme la moelle épinière se présente, à sa face supérieure, celle que l’on apercoit quand on ouvre l’œuf, sous l'aspect de deux rubans blancs juxtaposés et séparés seulement par une ligne droite. Dans l’hydropisie ces deux rubans blancs sont écartés l’un de Pautre, et séparés par un ruban complétement transparent. Je n'ai pu, jusqu'à présent, interpréter ces apparences d'une manière absolument satisfaisante. Je suppose cepen- dant que les rubans blancs résultent de la formation de la substance nerveuse, tandis qu'elle ne se produit point au-dessous du ruban transparent qui les sépare, et qui con- serve parconséquentlescaractères du feuillet séreux dont il provient; mais j’ai besoin, ne _——. “u “pour me prononcer, de nouvelles études. PE PRES Te Quant aux vésicules encéphaliques, l'hydro- LT Am pisie y est plus difficile à constater, parce DD tres: GPA qu'elles se présentent, au début, d’une ma- Ta TP Pa tqs mt nière normale, et conservent pendant un nanas ere unes certain temps l'aspect que présente la mal, écartés dans TPS moelle épinière hydropique. Leur paroi su- périeure reste longtemps transparente, tandis que leurs parois laté- rales sont blanches comme les rubans de la moelle. On reconnaît A 12 Fig 75 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 193 cependant l'hydropisie à la permanence insolite de l'aspect trans- parent des parois. De plus, les vésicules augmentent de volume et présentent des déformations plus ou moins marquées. J'ai vu, dans certains cas, les veux distendus et déformés par lhydropisie, très- probablement par la persistance de leur communication primitive avec les vésicules cérébrales. Dans certains cas, l'hydropisie n’atteint que les parties centrales du système nerveux. Mais, lorsqu'elle acquiert une certaine intensité, elle se manifeste par un fait nouveau, et qui ne ressemble à aucun fait pathologique observé chez les animaux adultes. Tous les tissus em- bryonnaires s'infillrent d’une sérosité transparente qui s'y accumule en quantité tellement considérable, que ces tissus deviennent aussi transparents que l’eau. Un fait très-curieux, mais dont je ne puis jusqu'à présent me rendre compte, c'est l'augmentation de volume, souvent énorme, que pré- sente alors le cœur. Je l'ai vu, dans certains cas, presque aussi volu- mineux que la masse déformée du corps de l'embryon. Ses battements ne permettaient pas de méconnaître sa véritable nature. Après avoir signalé les faits généraux de l'hydropisie embryon- naire, je dois ajouter que les embryons hydropiques sont très-fré- quemment monstrueux, et que, lorsque la maladie ne les a pas ren- dus complétement méconnaissables, ils peuvent présenter la plupart des monstruosités que je décrirai dans un autre chapitre. Il y a même deux de ces monstruosités qui sont assez fréquentes : l'omphalocé- phalie, accompagnée ou non de la dualité du cœur, etle renversement des membres postérieurs en arrière, point de départ de la symélie. Ces monstruosités ne sont pas la conséquence directe de l'hydropisie, mais celle maladie détermine souvent chez l'embryon des condi- . tions favorables à leur production. Ainsi que je l'établirai plus tard, les monstruosités simples sont presque toutes déterminées par la pression que l'amnios exerce sur certaines régions du corps. L'aug- mentation de volume de certaines parties du corps, résultant de l'hydropisie, fait qu'elles viennent se presser contre l'amnios, même sans que l'amnios soit frappé d'arrêt de développement. Du reste, les arrêts de développement de l'amnios sont très-fréquents dans les embryons hydropiques. Lorsque l'hydropisie est très-intense, la visibilité de l'embryon dis- paraît tellement, que je suis resté longtemps avant de pouvoir étudier les embryons ainsi modifiés et reconnaître leur véritable nature. Pour 13 194 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. y parvenir, il faut colorer les tissus embryonnaires avec des solutions aqueuse ou alcoolique d'iode. En agissant ainsi, j'ai pu soumettre à mes observations des embryons qui paraissaient devoir se dérober plus ou moins complétement aux investigations microscopiques ‘. Enfin, lorsque l’amnios est constitué, cette enveloppe peut elle- même devenir le siége d’une hydropisie, et la sérosité s’y accumuler en quantité tellement considérable, que, tout à fait au début de mes études, j'ai pu croire un moment à la production d’amnios sans em- bryon. Toutefois, je n'ai pas tardé à reconnaitre que l'embryon se retrouvait toujours, seulement très-petit et presque rudimentaire, tandis que l’amnios avait continué à s’accroître, et la sérosité à s’ac- cumuler dans son intérieur, même longtemps après que l'embryon avait péri ?. ; Lorsque l'hydropisie est complète et qu'elle a ainsi transformé tout l'organisme embryonnaire en masses imprégnées de sérosilé transparente, la vie est atteinte d’une manière absolument irrémé- diable, et l'embryon meurt fatalement au bout de quelques jours. On à souvent cherché à expliquer la production des monstres par des phénomènes pathologiques, par l'apparition de maladies qui au- raient, à un certain moment, atteint l'embryon, et altéré ou détruit certains de ses organes. J'ai montré, dans l'introduction, comment cette théorie pathologique des monstruosités s’est produite dans la science. À une époque où personne ne doutait de la préexistence des germes, Ceux qui, comme Lémery, n’admettaient pas la préexistence des germes monstrueux ne pouvaientcomprendre la monstruosité que par la modification d’un embryon primitivement normal. Or, dans le cas des monstruosités simples, les causes accidentelles ne pouvaient modilier l'embryon qu’en y développant des événements mécaniques ou pathologiques. L'explication des monstruosités par des causes pathologiques est encore généralement acceptée. On l’a souvent opposée à mes recherches. 1 Dans mes publications antérieures, j'ai décrit ces faits d'hydropisie sous le nom d'œdème embryonnaire, Je dois indiquer toutefois une différence importante entre cet œdème et celui des adultes. Dans l'œdème des adultes, la sérosité s'ac- cumule uniquement dans les aréoles du tissu cellulaire; dans l’œdème des em- bryons, la sérosité envahit au contraire tout le tissu homogène dont le corps de l'embryon est primitivement constitué. ? Panum a déjà figuré ces faits d’hydropisie, mais sans les comprendre. Les fi" gures 12 et 43, pl. III; 42 et 9, pl. V; 2 et 3, pl. XI, de son livre représentent mani festement des embryons déformés par l'hydropisie. ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 195 Or, l'événement pathologique qui a été le plus fréquemment invo- qué comme cause des monstruosités est l'hydropisie. Déjà, en 1716, un médecin de Montpellier, nommé Marcot, avait cherché à expliquer par l’hydropisie un cas de hernie cérébrale, appartenant au type de la pseudencéphalie. Morgagni développa eette théorie. Béclard alla plus loin encore,'et expliqua un très-grand nombre des monstruosités simples par l'hydropisie *. | Les faits que je viens de rappeler me permettent d'apprécier ces théories à leur juste valeur. Assurément, l'embryon peut être affecté d'hydropisie ; mais l'hydropisie embryonnaire est incomparablement plus grave que l'hydropisie de l'adulte ; elle désorganise l'embryon, et produit des désordres irréparables qui ne peuvent se terminer que par la mort. Je considère done l'hydropisie embryonnaire comme entièrement étrangère à la production des monstruosités. Il y'a toutefois un point qui présente des difficultés, c’est l'ori- gine de l’anencéphalie, L'anencéphalie présente, entre autres caractères, le défaut de formation de la substance nerveuse et l'ac- cumulation de la sérosité dans les vésicules encéphaliques et le tuhe de la moelle épinière. Elle est donc tout à fait comparable aux faits d'hydropisie de l'axe cérébro-spinal que je viens de décrire. Toutefois, les monstres anencéphales diffèrent des embryons simplement hy- dropiques par un caractère physiologique fort important. Tandis que les embryons hÿdropiques périssent nécessairement, d’une manière très-précoce, par le fait de l’hydropisie, les monstres anencéphales peuvent, chez les oiseaux, arriver à une époque très-voisine de l'éclo- sion. On sait, d'ailleurs, que ces monstres, dont la fréquence relative est grande dans l'espèce humaine, arrivent à l’époque de la naissance, et que, en dehors de la partie centrale du système nerveux et des organes qui l’enveloppent, l'organisme de ces monstres présente les conditions les plus régulières et toutes les apparences de la santé la plus parfaite. Lorsque j'ai fait connaître, il y a dix ans, l'hydropisie embryon- naire, les causes qui la produisent et les désordres qu’elle détermine, j'avais cru pouvoir lui attribuer l'origine de l'anencéphalie, tout en faisant remarquer que l'hydropisie ne détruit point la substance ner- veuse, comme Morgagni, Haller et Béclard l'ont admis, mais qu'elle + 1 BécLanpb, Second Mémoire sur les fœtus acéphales, dans les Bulletins de la Faculté de médecine, 1817, p, 499. 196 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. s'oppose à sa formation‘. Je supposais que, lorsque dans les embryons hydropiques la maladie s'est localisée dans le système nerveux cen- tral, l'embryon pouvait continuer à se développer si la lésion du sang venait à disparaître. Or, l'apparition de la seconde génération des globules, des globules elliptiques qui remplacent les globules circulaires du début, me paraissait pouvoir être invoquée comme la cause de la modification du sang. On ne connaît pas encore d’une manière certaine le mode de production des globules elliptiques. Toutefois, leur apparition paraît avoir lieu à la suite de la formation du foie. On a donc pu croire que le foie était le lieu de formation de ces globules, J'ai donc supposé que la disparition de l'hydropisie pou- vail résulter de ce changement de la constitution du sang. Mais cette hypothèse ne peut plus se soutenir en présence de ce fait que j'ai constaté l'année dernière, que l'altération du sang, cause de l'hydropisie, amène toujours des désordres incurables. Je suis donc conduit à penser que l’anencéphalie véritable, bien que fort sem- blable en apparence à l'hydropisie du système nerveux central, en diffère essentiellement. Plusieurs observations m'ont prouvé qu'elle peut se produire chez des embryons dont le sang est parfaitement normal. Mes recherches ultérieures me permettront, je l’espère, de compléter sur ce point mes études tératogéniques, et de distinguer l'hydrorachis véritable de l’anencéphalie qui résulte d’un simple arrêt de développement. Mais, tout en réservant cette question, que je ne pourrai résoudre complétement qu'à l'aide d'éléments qui me manquent encore, je dois faire remarquer que les faits pathologiques ne produisent point, comme on l’a cru, des faits tératologiques. Ce sont, au contraire, les faits tératologiques qui produisent des faits pathologiques. Ainsi, dans le cas qui nous occupe actuellement, c’est l'arrêt de dévelop- pement des iles de sang qui détermine l'hydropisie. 8. Un Les iles de sang, lorsqu'elles ne sont pas frappées d'un arrêt de développement, n'ont qu'une existence tout à fait transitoire. Elles s'unissent très-promptement les unes aux autres, de manière à constituer l'aire vasculaire. 1 Voir les Comptes rendus, t. LXIIL, p. 448. ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 197 L'aire vasculaire, c'est-à-dire l'ensemble des vaisseaux qui se pro- duisent dans le feuillet vasculaire, parcourt un certain nombre de phases. Ces phases successives peuvent elles-mêmes devenir le point de départ d’un certain nombre d'anomalies. Dans la première phase, il n'existe que des vaisseaux capillaires qui sont en communication avec l'appareil circulatoire de l'embryon, d'abord par la région auriculaire du cœur, et ensuite par les aortes descendantes. Le seul vaisseau un peu considérable que l’on observe alors est la grosse veine circulaire qui occupe le bord extérieur du feuillet vasculaire, et que l'on désigne sous le nom de sinus terminal ou de veine primigéniale. Cet état, qui persiste dans un certain nombre d'anomalies, n'est ordi- nairement que transitoire ; il disparaît pour faire place à une seconde phase dans laquelle on voit apparaître les véritables vaisseaux. La disposition des veines de l'aire vasculaire présente dans l'état normal une assez grande régularité. Tous les auteurs qui ont décrit cette disposition dans l’évolution normale la décrivent en effet de la même manière. La grande veine qui forme, au début, le contour de l’aire vasculaire envoie deux veines, l’une supérieure et l’autre inférieure, qui viennent aboutir aux deux orifices auriculaires du cœur. Seulement ces deux veines présentent des rapports différents. Si nous prenons l’embryon avant que. sa tête se retourne de manière à se coucher sur le jaune par sa face gauche, nous voyons que la veine descendante est située au côté droit de la tête de l'em- bryon. Elle est la continuation directe de la veine primigéniale, L'autre extrémité de la veine primigéniale, qui forme la seconde racine de la veine descendante, est beaucoup plus petite que l’autre, avec laquelle elle vient s'anastomoser. La veine ascendante, qui remonte de la partie inférieure de l'aire vasculaire, se place au contraire à la gauche de l'embryon. Dans les anomalies provoquées, la disposition des veines de l'aire vasculaire présente au contraire de nombreuses anomalies, et ces anomalies sont tellement fréquentes, qu'il est presque impossible de trouver deux aires vasculaires dans lesquelles la disposition des veines soit absolument semblable. Une disposition assez fréquente est celle que l'on observe dans l'inversion des viscères. Ici la veine descendante est au côté gauche de l'embryon, tandis que la veine ascendante est au côté droit. On rencontre très-fréquemment des anomalies dans Ja disposition 198 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON, des racines de la veine descendante. Quelquefois la veine descendante est double, ce qui tient à ce que les deux extrémités de la veine pri- migéniale ne s'unissent point au-dessus de la tète de l'embryon, et forment chacune une veine descendante qui vient aboutir dans les deux ouvertures auriculaires du cœur. Cette disposition fort remar- quable dépend manifestement d’un arrêt de développement des lames antérieures du feuillet vasculaire, que j'ai décrites dans un para- graphe précédent, et qui restent isolées dans toutes leur étendue. Dans d’autres cas, les deux veines descendantes se réunissent à une distance plus ou moins grande de la tête ; et tantôt leur calibre est égal, tantôt, au contraire, il présente Fig.15 de grandes irrégularités. Dans ce dernier d cas, l’une des veines est très-volumineuse et doit être considérée comme la termi- naison de la veine circulaire, tandis que \ l’autre est réduite à un très-petit canal anastomotique. Or c’est tantôt la veine Fig.16 Lia.17 du côté gauche, et tantôt celle du côté droit qui présente le plus grand calibre. La veine ascendante peut manquer dans certains cas; et tantôt elle n’est point rem- placée, tantôt elle est suppléée par des LA ET VTT REETR veines de formation nouvelle qui se pré- veine descendante. — Fig. 14. Deux sentent sur les deux côtés de l’embryon. veines complétement distinctes. Fig. 15. Veine descendante formée Je ne parle ici que des gros troncs vei- par deux racines de même calibre. — Fig. 16 et 17. Veine desten- neux, Quant aux petites ramifications qui dante formée par deux racines de calibre inégal, la plus petite étant à viennent S'y aboucher, elles présentent gauche dans la figure 16, à droite Pense EUR ET: des variétés infinies. Leur description mi- nutieuse ne présenterait aucun intérêt. Ces anomalies de la disposition des troncs veineux se produisent dans les aires vasculaires à contours circulaires ; mais elles sont beaucoup plus fréquentes lorsque l’aire vasculaire présente la disposi- tion elliptique que j'ai décrite au commencement de ce chapitre. Je n’y reviendrai pas ici; je me contente seulement de faire remarquer que ce fait se produit surtout lorsqu'il y a, comme je l’ai indiqué, une très-grande inégalité de développement entre les deux lames su- périeures de l'aire vasculaire. La formation du système artériel de l'aire vasculaire présente éga- lement des anomalies, On sait que les artères de l'aire vasculaire pong. as one pan ur ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON, 199 sont primitivement les deux branches de terminaison des deux aortes descendantes ; c’est ce que l'on appelle les artères omphalo-mésen- tériques. Dans certains cas l’une de ces artères, et le plus ordinai- rement celle du côté gauche, fait complétement défaut. On voit alors l'artère omphalo-mésentérique droite émettre un rameau qui contourne l'extrémité postérieure de l'embryon et vient se ramilier dans la partie de l'aire vasculaire qui est située à sa gauche. Il faut Fig.18 Fig.19 Fig. 18. Disposition normale des vaisseaux dans l'aire vasculaire. a, a, artères omphalo-mésenté- riques ; b, veine descendante ; €, veine ascendante.— Fig. 19. Exemple d'une disposition anor- male. Absence de l'artère omphalo-mésentérique gauche; ici, elle s'accompagne de l'absence de la veine ascendante. remarquer ici que cette disparition de l'artère omphalo-mésentérique gauche est un fait constant dans l'embryon des mammifères. Je n’insisterai pas plus longuement sur ces différentes dispositions des vaisseaux de l'aire vasculaire, mais je dois faire ici une remarque qui a une certaine importance. L’aire vasculaire de la poule, dans l’état normal, présente une absence remarquable de symétrie dans la disposition des troncs vei- neux ; elle estau contraire parfaitement symétrique dans la disposition des troncs artériels. : Si nous étudions les figures que M. Bischoff a données de l'aire vasculaire de certains mammifères, le lapin et le chien’, nous voyons au contraire que la disposition des troncs veineux présente une symétrie complète. Les deux parties supérieures de la veine ter- minale ne se réunissent point au-dessus de la tête de l'embryon, ce qui tient sans doute au défaut de réunion des deux lames antérieures du feuillet vasculaire. Elles ont un volume égal, et descendent des deux côtés de la tête, pour venir s'anastomoser avec deux veines as- cendantes également volumineuses ; et de l’union de la veine ascen- dante droite avec la veine descendante droite, comme de celle de la veine ascendante gauche avec la veine descendante gauche, pro- 1 Biscnorr, Traité du développement de l'homme et des mammifères, pl. XIX, fig. 59 et 60. 200 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. viennent deux troncs veineux transversaux qui viennent s'ouvrir dans les deux orifices auriculaires du cœur. Les observations de Bischoff nous ont appris également que cette disposition des vaisseaux de la vésicule ombilicale n'est que transi- loire, et que certains de ces vaisseaux disparaissent assez prompte- ment, la veine omphalo-mésentérique droite, et l'artère omphalo- mésentérique gauche. Chez la poule, la disposition des troncs veineux est, dès le début, asymétrique, tandis que celle des troncs artériels est au contraire symétrique. Mais les anomalies ont tantôt pour résultat de faire repa- raître la symétrie primitive, comme cela a lieu pour le système vei- neux, et tantôt de la détruire, comme cela a lieu pour le sy$tème artériel. N'est-il pas permis de tirer de tous ces faits une conséquence gé- nérale et d'admettre que la disposition des vaisseaux de l'aire vasculaire chez les vertébrés supérieurs se produit d’après un type commun, type parfaitement symétrique, qui peut, dans certains cas, être notablement modifié par le défaut de formation de cer- taines parties, mais qui reparaît plus ou moins complétement, dans certaines anomalies, lorsque les parties dont l'existence n'est que virtuelle viennent à se réaliser ? Et cette considération, que je déduis ici de l'étude de l’aire vascu- laire, s'applique à un grand nombre d'anomalies que pré- sentent les autres systèmes organiques. Tous les anatomistes connaissent la fréquence des anomalies du système musculaire de l’homme. Un anatomiste anglais, M. Wood, a constaté 295 anomalies musculaires sur 34 cadavres. M. Pozzia montré récemment que ces ano- malies musculaires s'expliquent par l'anatomie comparée, et qu’elles consistent soit dans l'existence de muscles complétement étrangers au type humain normal, soit dans la modification du type humain nor- mal de certains muscles qui reproduit un autre type spécifique, soit enfin dans l'apparition de muscles qui n'appartiennent à aucun type réalisé‘. La conséquence qui résulte de ces faits, c'est qu'au-dessus de tous les types spécifiques il existe un type général qui les contient tous virtuellement ; que, par conséquent, les types spécifiques ne 1 Pozzt, De la valeur des anomalies musculaires au point de vue de l'anthropologie zoologique, dans le Compte rendu de la session de l'Assuc. franç. pour l'avancement des sciences, p. 581, Lille, 1874, — Voir aussi DanwiN, la Descendance de l'homme, trad, franc., t. I, p. 136. ne Le ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON, 201 sont pas absolument fixes, et qu'ils peuvent toujours être partielle- ment modifiés par l'apparition de certains caractères qui leur sont étrangers, mais qui existent dans le type général. S 9. La découverte du mode de formation de l'amnios, préparée par Wolff, a été achevée par Pander. Cette membrane, qui, à un certain moment, enveloppe complétement l'embryon, se produit d’abord aux dépens du feuillet séreux du blastoderme ; puis, comme Reichert et Remak l'ont prouvé, se complète, plus tard, par un pro- longement de la couche cutanée des lames latérales. C’est à l’exis- tence de ces éléments cutanés qu'est due sa contractilité. L'amnios n'est ainsi, à beaucoup d'égards, qu'un prolongement des parois de l'embryon. Sa formation se lie donc, par les liens les plus intimes, à celle de l'embryon lui-même. L'embryon apparait, au début, sous la forme d’une lame étalée entre le feuillet séreux et le feuillet muqueux du blastoderme, qui le revêtent comme deux épidermes. Puis, à un certain moment, sa partie extérieure, ou ce que l’on appelle les lames latérales, se replie en avant, en arrière et latéralement pour former une cavité inférieure. Ce plissement à pour résultat de former les parois thoraco-abdo- minales, quise produisent peu à peu de dehors en dedans et forment au-dessous de l'embryon, entre l'embryon et le blastoderme, une ou- verture, l'ouverture ombilicale, qui va toujours en se rétrécissant. La membrane amniotique, qui se continue sans interruption avec les parois abdominales, est ainsi entraînée au-dessous de l'embryon, et forme, au-dessous de lui, une enveloppe qui s’écarte de tous les côtés, et qui se soulève au-dessus des parties du blastoderme qui re- vètent le jaune. Ce soulèvement se manifeste à un certain moment, à l'extérieur de l'embryon, par l'apparition d’un certain nombre de plis qui forment autant de lignes saillantes. On voit d'abord un de ces plis en avant de la tête, un autre en arrière de l'extrémité posté- rieure du corps, deux autres enfin sur les côtés. La ligne saillante antérieure ne tarde pas à se replier en arrière, de manière à s'étendre d'avant en arrière au-dessus de la tête, où elle forme ce que l’on appelle le capuchon céphalique. De mème le pli saillant de l'extrémité postérieure s'étend d'arrière en avant au- dessus de la région caudale, et forme le capuchon caudal. De même 202 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON, enfin les plis saillants latéraux s'étendent peu à peu de dehors en dedans des deux moitiés du corps de l'embryon; ce sont les capu- chons latéraux. Ces figures schématiques représentent le mode de formation de l'amnios. Elles sont la reproduc- tion, avec quelques modifications et simplifications, de celles que Baer en a données en 1828 dans son grand ouvrage, et qui ont été reproduites dans la Physiologie de Bürdach. — Fig. 20. Coupe longitudinale de l'embryon antérieure à la formation de l'amnios. a, feuillet séreux ; b, feuil- let muqueux; €, embryon. — Fig. 21, 22, 23, Coupes longitudinales représentant la formation de l'amnios. — Fig. 21 et 22, à, pli du feuillet séreux qui est l'origine du capuchon céphalique ; b, pli du feuillet sérenux qui est l'origine du capuchon caudal; €, repli antériéur des lames latérales qui forme le pharynx, puis se dédouble en deux lames, entre lesquelles se développe le cœur, dont l'une, d, antérieure, se continue avec l'amnios, dont l'autre, 6, intérieure, se conti- nue avec l'enveloppe du sac vitellin; /, enveloppe séreuse de l'embryon qui se continue avec le capuchon caudal (on a oublié de désigner par une lettre la partie de l'enveloppe séreuse qui se continue avec le capuchon céphalique); y, partie postérieure de l'enveloppe du sac vitellin ; h, allantoïde. — Fig. 23. a, amnios complétement formé ; b, enveloppe séreuse.— Fig. 24,25, 26 et 27. Coupes transversales de l'embryon pour montrer les capuchons latéraux de l'amnios. a, parois de la moelle épinière ; b, tube central de la moelle épinière ; €, parois du corps formées par le dédoublement des lames latérales ; d, d, capuchons latéraux venant peu à peu à la ren- contre l'un de l'autre ; e, enveloppe séreuse. Dans l’état normal tous ces plis saillants, bien qu'ils ne se produi- sent pas d’une manière simultanée, finissent par se mettre en conti- nuité les uns avec les autres. Ils produisent ainsi une sorte de ca- ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 203 puchon général qui s'avance peu à peu au-dessus de la face supé- rieure de l'embryon et qui finit par le revêtir complétement. Les bords internes de ces plis laissent entre eux une large ouverture, au fond de laquelle on aperçoit la face dorsale de l'embryon; mais ces plis vont à la rencontre l'un de l'autre, et ils diminuent peu à peu le diamètre de cette ouverture, qui finit, au bout d’un certain temps, par s'oblitérer d’une manière complète. Cette ouverture est ce que l'on appelle l'ombilic amniotique. Elle correspond, dans l'évolution normale, à la région lombaire de l'embryon. La fermeture de l'ombilic amniotique a pour résultat de compléter la formation de l’amnios, c'est-à-dire de la membrane qui enveloppe complétement l'embryon. Toutefois la continuité de l’amnios avec les capuchons qui ont servi à le former persiste pendant un certain temps. C’est ce que l’on appelle le pédicule amniotique. Mais cette continuité disparaît elle-mème et, par suite, l’'amnios devient com- plétement distinct du feuillet séreux du blastoderme, avec lequel il n'a plus aucune attache. Ces faits sont connus depuis longtemps. Découverts d'abord dans l'œuf des oiseaux, ils ont été observés dans l’œuf des mammifères, et même dans l'œuf humain. Rien n'est plus fréquent que les anomalies dans la formalion de l'amnios. à L'amnios peut manquer complétement, ou du moins n'être que très-faiblement indiqué, tout autour de l'embryon, par une très- légère élévation du feuillet séreux. J'ai souvent observé de pareils faits. L'embryon peut se développer dans ces conditions, et mème atteindre un certain degré de développement. Il est probable, toute- fois, que l'embryon ainsi privé d’enveloppes ne peut atteindre le terme de l'évolution, parce que l'absence de l’amnios s'oppose au développement de l'allantoïde. Les embryons développés sans amnios sont quelquefois normaux, tandis qu'ils sont toujours monstrueux lorsque l’amnios n’est qu'in- complétement formé 1. Lorsque les embryons sont soumis à l’action de causes perturba- ! Ce fait de l'absence de l’amnios a été quelquefois signalé, mais très-rarement. On le voit d'une manière très-manifeste sur le dessin que Wolff a donné de ses deux embryons jumeaux développés sur une cicatricule unique, M. Panum a signalé un certain nombre de fails pareils. 204 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. trices, la succession des différents phases que je viens de rappeler peut être tout autre. Certains capuchons peuvent manquer : tantôt le capuchon caudal, el tantôt le capuchon céphalique; ou bien ces capuchons et les plis qui les précèdent ne se forment que d'une manière incomplète. J'ai vu assez fréquemment le capuchon céphalique, très-petit, se produire au-dessous de la tête de l'embryon !. Il résulte de ces faits que l’'ombilic amniotique reste, dans certains cas, pendant un temps plus ou moins long, largement ouvert. Il en résulte aussi que cette ouverture peut se trouver en contact avec d’au- tres parties de l'embryon que celles où on la rencontre dans l'état normal. Enfin, l'ombilic peut ne se fermer jamais, surtout si, comme je l'ai vu plusieurs fois, l'extrémité caudale vient s'engager dans son ouverture. Ces arrêts de développement de l’amnios, qui se produisent dans le repli du feuillet séreux qui est en rapport avec le dos de embryon, peuvent également atteindre sa face inférieure, et alors ils se com- binent avec un arrêt de développement des lames ventrales qui, au lieu de se replier au-dessous de l'embryon, restent étalées des deux côtés de la colonne vertébrale, et laissent, par conséquent, largement ouverte toute la face antérieure de l'embryon. Dans ce cas, l'ombilic ordinaire est aussi large que la face antérieure de la cavité abdomi- nale. L'arrêt de développement de la partie antérieure de lamnios est alors nécessairement associé avec diverses espèces d'éventration et forme ainsi de véritables monstruosités. La permanence du pédicule amniotique est une anomalie peu grave en elle-même, mais qui a l'influence la plus considérable sur la viabilité de l'embryon. Elle forme, en effet, une barrière infranchis- sable au développement de l’allantoïde, qui se trouve, à son tour, frappée d'arrêt de développement, et ne peut s'étendre ainsi sur toute la surface interne de l'œuf. Cet arrêt de développement de l'allantoïde, en diminuant considérablement l'oxygénation du sang, devient pour l'embryon une cause d’asphyxie, et, par suite, de mort. j'ai décrit cet arrèt de développement de l’allantoïde dans mes pre- 1 Wolf a signalé ce fait que le capuchon céphalique ou, comme on le disait alors, la gaine de la tête (vagina capitis), n'a pas toujours la mème forme ; il suppose que c’est le propre des races gallines particulières. Je n'ai, jusqu’à présent, fait au- cune observation sur ce sujet. Voir De formatione intestinorum, t. XII, p. 442. ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 205 miers travaux sur l'évolution anormale ; mais je suis resté plusieurs années avant d'en comprendre le mécanisme ". Enfin, un dernier fait que je dois rappeler ici, parmi les anomalies de l’amnios, c'est le défaut ou du moins la diminution considérable du liquide amniotique ; ce qui fait que l'amnios reste appliqué sur le corps de l'embryon, au lieu de s'en écarter, et qu'il comprime ainsi des régions plus ou moins considérables du corps. Cela se produit surtout dans l'arrêt de développement partiel du capuchon caudal ou du capuchon céphalique. Mais cela peut se produire aussi d'une manière générale. Ces faits de compression partielle ou totale de l'embryon ont une grande importance au point de vue de la tératogénie; car ils sont pour l'embryon lui-même le point de départ de presque toutes les mons- truosités simples autositaires. On voit alors se produire, tantôt des arrêts de formation et de développement, tantôt des déviations, tantôt mème des fusions de parties. Tous ces faits étaient à peu près inex- plicables avant que mes observations m'aient permis d'en faire con- naître l'origine *. | Je dois ajouter que, si j'ai constaté tous ces faits par l'observation directe, cependant j'en ai trouvé un certain nombre dans lesquels l’amnios était dans les conditions normales. 1} y aurait là contradic- tion, mais seulement en apparence. J'ai la conviction que, dans ces cas, il y avait eu application de l’amnios sur certaines parties de l'embryon, et, par suite, compression de ces parties ; puis le dévelop- pement de l’amnios avait repris son cours régulier, mais après avoir modifié d'une manière durable certaines parties de l'embryon. Ici, je dois rappeler qu’un des médecins qui, dans notre pays, ont le plus contribué aux progrès de l'anatomie pathologique, Cruveilhier, avait déjà reconnu, dans un certain nombre de monstruosités sim- ples, les produits non équivoques d’une pression extérieure *. Toute- fois Cruveilhier, en constatant le fait, n'avait pu en déterminer la cause, De plus, Cruveilhier s'était faitune idée très-inexacte de l’action de cette cause extérieure; car, dans son ignorance de l'embryogénie, il croyait que la compression s'exerce sur des organes tout formés, 1 J'ai signalé ces faits dès 1862 et 1863. Voir les Comptes rendus, t. LV, p. 723, et t. LVII, p. 549. Mais je n’en avais pas encore constaté la grande généralité. ? Danesre, Ann. des sc. nat., ke série, Zool.,t. IV, p. 119, 1855. — Ann. des sc, nat., 4e série, Zool., t. XX, p. 59, 1863. 3 CruveiLuisR, Trailé d'anatomie pathologique générale, 1. J, p. 303, 313, 628 et 702, 206 ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. landis que les effets de la compression sont antérieurs au dévelop- pement définitif des organes. I L'action d'une pression extérieure exercée par l’amnios pour pro- duire les monstruosités donne une explication très-simple d’un fait déjà signalé par tous les tératologistes, mais dont ils n'avaient pu, jusqu'à présent, se rendre un compte exact ; c'est la réunion fré- quente d'anomalies et même de monstruosités très-différentes sur un même sujet. On a souvent invoqué, pour expliquer ce fait, le principe de la corrélation des organes, dont Cuvier a fait une si belle application à la détermination des animaux fossiles, et que tout ré- cemment M. Darwin a désigné sous le nom de corrélation de crois- sance (correlation of growth). Assurément, je ne nie pas l'impor- tance que peut avoir la corrélation des organes ou la corrélation de croissance dans un certain nombre de faits de tératologie; mais je crois que ce rôle est beaucoup plus restreint qu’on ne le pense généralement. Gela tient à ce que l’on a ignoré pendant très-long- temps la distinction, si nécessaire pour l'interprétation des faits té- ratogéniques, des deux périodes de la vie embryonnaire, distinetion sur laquelle j'ai longuementinsisté dans un des chapitres précédents, ainsi que le défaut de solidarité qui existe, pendant la première pé- riode, entre les différentes régions de l'organisme. Or, c’est pendant celte première période que s’ébauchent la plupart des monstruosités. L'étude des monstruosités montre, en effet, que si la coexistence d'anomalies très-différentes dans un même sujet est un fait fréquent, ce n'est pas cependant un fait nécessaire, puisque ces anomalies peuvent se produire isolément. L'arrêt de développement total ou partiel de l’amnios explique tous ces faits de la manière la plus satis- faisante, puisque l'arrêt de développement total exerce son influence sur l'embryon tout entier, et peut, par conséquent, déterminer si- multanément la production des anomalies les plus diverses (exencé- phalies, célosomies, ectromélies, déviations des membres ou de la co- lonne vertébrale, etc.) ; tandis que l'arrêt de développement partiel de cette enveloppe ne produit que des monstruosités locales, c’est- à-dire qui n'affectent que les régions du corps soumises à la pression extérieure, La coexistence de plusieurs anomalies ou monstruosités sur un mème sujet est donc le résultat de l’action d’une cause unique agissant sur toute la surface de l'embryon, tandis que les effets se- ront isolés si la cause n'agit que d’une manière partielle et par conséquent toute locale. Les faits s'expliquent donc de la manière la PNR PET er. ANOMALIES DES ANNEXES DE L'EMBRYON. 207 plus simple, et sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir ici les lois encore inconnues qui régissent les relations des divers organes entre eux. J'aurai plus tard l’occasion de revenir plus en détail sur ces faits, lorsque je m'occuperai des monstres omphalosites, où le défaut de solidarité est parfaitement évident. $ 10. Je n'indique ici que pour mémoire les anomalies de l'allantoïde, sur lesquelles je ne possède que très-peu de documents, J'ai cepen- dant constaté, dans plusieurs circonstances, un arrêt, de développe- ment de l’allantoïde dont le volume est très-réduit, et qui n'occupe alors que la région qui correspond à la pointe de l'œuf. Dans mes premiers travaux sur la téralogénie, j'avais cru à un déplacement de cet organe. Plus tard, j'ai reconnu que ce déplacemeet n'est qu'ap- parent, et que l’arrèt de développement de l’allantoïde dépend uni- quement, comme je l’ai dit plus haut, de la permanence du pédicule amniotique. CHAPITRE III MODE DE PRODUCTION DES HÉMITÉRIES. SomMaIRE. 1° Considérations générales, — 29 Origine des déviations de la colonne vertébrale et des mernbres, — 39 Augmentation du nombre des organes placés en séries, SA Ce chapitre sera très-court. Assurément les hémitéries présentent un grand intérêt scientifique, puisque les monstruosités résultent de lassociation d'un certain nom- bre d'hémitéries. Mais mes recherches ne m'ont donné qu'un très- petit nombre de documents sur leur origine. Cela tient à deux causes. La première cause, c’est que les hémitéries, lorsqu'elles sont iso- lées, n'apparaissent généralement dans l'embryon qu'à des époques tardives. Celles qui apparaissent au début de l’évolution exercent ordinairement une influence plus ou moins profonde sur la formation d'autres organes ; et, par conséquent, elles déterminent la production d’autres hémitéries dont l'association constitue une monstruosité, Je n'ai rencontré, jusqu’à présent, qu’une seule hémitérie restant isolée el provenant des premiers temps de l’évolution. C’est la permanence totale ou partielle de la gouttière primitive, permanence qui ca- ractérise la fissure spinale. La seconde cause, qui n'est qu'une conséquence nécessaire de la première, c'est que, par suite de leur apparition tardive, les hémité- ries sont beaucoup moins générales que les monstruosités véritables. Elles ne sont possibles, pour la plupart, que dans certaines classes, dans certains genres, même dans certaines espèces. On conçoit donc que mes études, faites exclusivement dans l'embryon des oiseaux, n’aient pu me donner qu'un petit nombre de documents applicables à d’autres classes, et, par exemple, aux mammifères et à l'homme lui-même. Du reste, la recherche de l'origine des hémitéries présente beaucoup moins de difficultés que celle des monstruosités vérita- bles. Elles résultent, dans le plus grand nombre des cas, d'un même fait biologique, l'arrêt de développement, qui est presque toujours A MODE DE PRODUCTION DES HÉMITÉRIES, 209 très-facile à constater, et qui maintient un organe dans un état embryonnaire. L'embryogénie permet done généralement de les expliquer d'une manière théorique, par la connaissance des états successifs que chaque organe traverse dans son évolution. Les objections que l'on a quelquefois opposées à cette application de la théorie de l'arrêt de développement tiennent uniquement, je l'ai montré déjà, à ce que l'on a méconnu pendant longtemps la distinction des deux phases de la vie embryonnaire. Le plus souvent, l'arrêt de développement ne frappe pas des organes déjà formés, mais des blastèmes cellulaires. Les organes tératologiques apparaissent d'emblée, avec leurs caractères définitifs, dans des blastèmes arrêtés dans leur évolution par la cause tératogénique. J'ai montré plus haut que c'est ainsi que se produisent la fissure spinale et le bec-de- lièvre. Les progrès de l'embryogénie diminuent chaque jour le nom- bre des problèmes tératogéniqües que soulèvent les hémitéries. Je puis citer, à cet égard, les belles observations de M. Schræder van der Kolk sur l’allantoïde humaine‘. Il y a trouvé l'explication de deux anomalies qui ont, pendant longtemps, vainement exercé la sagacité des tératologistes, l’extroversion de la vessie et l’épispadias, ano- malies qui sont liées à la formation de la vessie urinaire, et qui ne peuvent, par conséquent, se produire chez les oiseaux. Dans d’autres cas, également faciles à interpréter, il y a permanence d’un organe, qui n’est ordinairement que transitoire ; tel est le canal artériel. Je me contenterai donc d'indiquer quelques faits entièrement nouveaux que j'ai rencontrés dans mes recherches. $ 2. Les seules hémitéries sur la formation desquelles j'ai rencontré des faits nouveaux et tout à fait inattendus, sont les déviations de la co- lonne vertébrale et celles des membres. Ces déviations, quelque diverses qu'elles soient, résultent d’une même cause, l'arrêt de développement. Cela peut paraître étrange au premier abord; c’est pourtant l'expression de la réalité, Seulement ici l'arrêt de développement ne frappe pas l'embryon lui-même, mais l'amnios qui enveloppe l'embryon. SCHRŒDER VAN DER KoLk, Over de Allantois en hare Vorming en Veranderingen in den Mensch, dans les Mémoires de l'Académie des sciences d'Amsterdam, t. IX, 1861* 14 210 MODE DE PRODUCTION DES HÉMITÉRIES. J'ai déjà signalé ce fait en parlant des arrêts de développement de l’amnios ’, Je dois y revenir, en y ajoutant quelques détails. Lorsque l’amnios s'arrête quand l’ombilic amniotique est encore largement ouvert, si l'embryon continue à s’accroître, il ne peut s'étendre dans le sens de sa longueur, et doit nécessairement se re- plier sur lui-même. Ainsi se produisent des flexions de la colonne vertébrale, flexions qui y déterminent le genre d'incurvation que l'on distingue sous le nom de scoliose en anatomie pathologique. Cette déviation de la colonne vertébrale s'accompagne souvent de la déviation des membres. La déviation des membres, lorsqu'elle existe seule, résulte égale- ment d'un arrêt de développement de l’amnios, mais dans une période ultérieure. Lorsque la partie postérieure de cette enveloppe reste appliquée sur le corps de l'embryon, elle gène plus ou moins le dé- veloppement des membres, et peut, entre autres anomalies, produire leur déviation. Cela peut se faire tantôt pour un membre isolé, et tantôt pour plusieurs à la fois. J'ai observé ces faits dans un grand nombre de cas. Tantôt ils se produisaient isolément ; tantôt, et le plus ordinairement, ils étaient associés à de véritables monstruosités. Ainsi que je l'ai dit déjà, ces faits ont été entrevus par Cruveilhier. Ce grand médecin avait bien reconnu l'existence d’une pression exté- rieure comme le fait initial de la plupart des déviations; mais il n'avait pu déterminer la cause de cette pression. De plus, il n'avait pu se rendre compte du mode d'action de la cause tératogénique; car il ignorait la distinction, si nécessaire au point de vue de la tératogé- nie, des deux périodes de la vie embryonnaire. Il ne faut pas oublier que la pression exercée par l'amnios sur la colonne vertébrale ou sur les membres ne peut modifier ces parties que lorsqu'elles sont à l'état de blastèmes cellulaires, et qu’elles ne possèdent pas encore leur structure définitive, Ici, comme partout, les organes tératologiques apparaissent dans des blastèmes antérieurement modifiés par l'ano- malie, La connaissance de ces faits permet d'expliquer facilement un cer- tain nombre de particularités que présentent ces déviations, On sait que ces anomalies sont très-fréquentes dans l’espèce humaine, et que, n'élant pas incompatibles avec la vie, elles ont, depuis Hippocrate, 1 Voir p. 205. MODE DE PRODUCTION DES HÉMITÉRIES. 211 constamment appelé l'attention des chirurgiens. Je ne referai point, après eux, l'histoire de toutes les formes sous lesquelles elles peuvent se présenter : on la trouvera dans tous les traités des maladies chirur- gicales. Je me borne à signaler un fait qui, jusqu’à présent, a com- plétement échappé à toute explication ; la modification des surfaces articulaires dans les membres déviés. On ne pouvait la comprendre lorsque l’on admettait que ces articulations auraient eu primitivement une disposition normale. Mes études me prouvent que la déviation des membres est antérieure à la formation des os, des ligaments et des muscles; et que, par conséquent, les articulations des membres déviés présentent, dès l’époque où elles se forment, des surfaces ar- ticulaires différentes de celles qui se produisent dans les membres normaux. Cette explication s'applique également à l’atrophie des muscles, qui accompagne si souvent les déviations. Le plus ordinairement, il n’y à pas eu destruction, mais formation incomplète. Je sais bien qu’en émettant ces idées sur la production des dévia- tions, je me trouve en contradiction avec la plupart des pathologistes, qui considèrent ces anomalies comme résultant de la modification d’un état normal primitif. On m'objectera, sans doute, la production de ces anomalies après la naissance, sous l'influence de causes en- tièrement pathologiques. Pourquoi n’admettrait-on pas que ce qui a lieu après la naissance aurait lieu également avant la naissance ? Je connais certainement ces faits comme tous les médecins ; mais je suis convaincu que les causes pathologiques n’ont qu'une importance restreinte avant la naissance, et que le plus grand nombre des dévia- tions congénitales provient de la cause que je viens de signaler. Mes recherches me donnent à cet égard une conviction complète. $ 3. Il me reste à dire quelques mots sur un genre particulier d’hémi- téries, celles qui sont caractérisées par l'augmentation du nombre des organes normaux. Ces anomalies ont été désignées depuis longtemps sous le nom d’a- nomalies où de monstruosités par excès, Elles appartiennent, relative- ment à leur cause, à plusieurs catégories bien distinctes. Tantôt elles résultent du défaut d'union de parties ordinairement 212 MODE DE PRODUCTION DES HÉMITÉRIES. séparées : les deux cœurs primitifs par exemple. Dans ce cas leur ex- plication est très-simple. C'est une application particulière de la loi d'arrêt de développement. Tantôt l'augmentation du nombre des parties résulte de la soudure et de la fusion de deux embryons en un seul. C’est le cas des mons- truosités doubles, que j'étudierai un peu plus tard. Quand on retranche ces deux catégories d'anomalies par excès, il ne reste plus qu’un petit nombre de cas, qui consistent dans la mul- tiplication du nombre d'organes placés en séries : les vertèbres, les côtes, les doigts. Mes recherches ne m'ont jusqu’à présent fourni aucun document sur la production de ces hémitéries. Je dois cependant présenter quelques considérations théoriques relatives aux discussions aux- quelles la formation de ces anomalies a donné lieu. J'ai fait connaître au commencement de cet ouvrage! la discussion célèbre de Lémery et de Winslow sur l’origine de la monstruosité. Lémery considérait les monstres par excès comme formés par la soudure de deux œufs ou de deux embryons primitivement distincts. Winslow y voyait au contraire une conformation originelle. Ces deux doctrines existent encore, quoique sous une autre forme. Sans doute, on ne trouverait pas aujourd'hui de partisan de la monstruosité ori- ginelle ; mais il y a beaucoup de ces physiologistes qui admettent que toute monstruosité double est une monstruosité par excès, et que l’em- bryon est toujours primitivement simple. Je discuterai plus loin ce point de tératogénie. Pour le moment, je me borne à indiquer ce fait que la monstruo- sité simple par excès, et plus particulièrement l'existence des doigts surnuméraires ou la polydactylie, à été et est encore opposée aux par- tisans de la duplicité monstrueuse primitive. On objectait aux théories de Lémery que la logique le conduisait forcément à admettre que l'existence d’un doigt surnuméraire à un seul membre, ou à plusieurs membres, serait la conséquence de la dualité embryonnaire primitive. Mairan, qui avait remplacé Fontenelle comme secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, et qui rédigeait, à ce titre, l'analyse de toutes les communications faites à ce corps savant, se départit en cette occasion de l'impartialité qui était son premier devoir. Il ren- chérit sur les objections de Winslow, et chercha à calculer la proba- 1 Voir l’Introduction, p. 15 et suiv. MODE DE PRODUCTION DES HÉMITÉRIES. 213 bilité qu'il y aurait à ce qu'un embryon fut complétement détruit, sauf un doigt, et à ce que ce doigt restant allât se placer à la suite des doigts d'un embryon bien conformé. Il arrivait ainsi à une frac- tion dont le dénominateur était l'unité suivie d’un nombre prodi- gieux de zéros. Ce dénominateur augmentait encore dans des propor- tions bien autrement énormes, lors de l'augmentation du nombre des doigts à chaque membre. Partant de ces faits, Mairan arrivait à nier complétement l'existence de la dualité embryonnaire primitive dans toutes les monstruosités doubles ! On m'a fait tout récemment les mêmes objections ?, Or la science possède un certain nombre de faits qui prouvent que l'augmentation du nombre des doigts, et même l'augmentation de certaines parties des membres, ne résulte point d’une dualité em- bryonnaire primitive. Ce sont les cas de polydactylie et même de polymélie observés sur les membres des batraciens urodèles, à la suite des mutilations expérimentales si souvent répétées chez ces ani- maux, depuis Bonnet et Spallanzani. Ces faits prouvent d’une manière bien évidente que la formation d’un doigt ou même d'un membre surnuméraire n'indiquent en aucune façon une dualité embryonnaire primitive. s Je puis citer également des faits semblables observés chez les ba- traciens anoures. J'ai eu moi-même occasion d'observer la multipli- cation de membres entiers ou de certains segments des membres chez ces animaux. Il est bien évident que la dualité monstrueuse ne peut être invoquée ici, puisque les membres n'apparaissent que tar- divement, et seulement après que l'animal est sorti de l'œuf. Les membres mutilés ne se régénèrent point à l’âge adulte, mais ils se ré- génèrent pendant l’état de larve. Ne peut-on croire que dans les faits observés il y avait eu des mutilations accidentelles pendant la pre- mière période de la vie? Il est bien évident que les mutilations ne font que mettre en jeu une faculté qui existe dans l’organisation elle-même, et que, par conséquent, cette faculté peut entrer en action sous d’autres influences que celles des mutilations. Mais, au moins chez les animaux supé- rieurs, cette faculté est restreinte dans ses effets. Jusqu'à présent mes expériences ne m'ont encore rien appris sur la nature des causes qui 1 Marnan, Histoire de l'Académie des Sciences, 1743. ? Bulletins de la Société d'anthropologie, 2 série, t. 9, p. 171, 1874. 214 MODE DE PRODUCTION DES HÉMITÉRIES. la mettent en jeu. Je signale ce problème aux personnes qui, dans l'avenir, s'occuperont de tératogénie. Rappelons du reste que, dans l'augmentation du nombre d'organes qui caractérise les véritables monstruosités par excès, le mode d'union de la partie surnuméraire aux parties normales est tout différent de celui des embryons doubles, qui sont ou simplement adhérents, ou réunis par les parties homologues. Ici il s'agit seulement d’un organe placé dans une série, et qui peut ne pas reproduire, plus ou moins exactement, les dispositions de ceux qui le précèdent ou quile suivent. RE ee DEL TT CHAPITRE IV MODE DE PRODUCTION DE L'HÉTÉROTAXIE OU DE L'INVERSION DES VISCÈRES, L'inversion des viscères, ou l'Aétérotaxie, est l’une des anomalies les plus curieuses qui peuvent affecter l'organisation des animaux vertébrés; parce que, bien que très-complexe, puisqu'elle affecte un très-grand nombre d'organes, elle n’a cependant aucune gravité, et n'apporte aucun obstacle au jeu régulier des actes physiologiques. L'intérêt qui s'attache à cette anomalie s'est encore accru par une découverte fort importante de Serres! sur l’organisation de certains monstres doubles. En effet, dans les monstres doubles à double poi- trine et à têtes séparées, l'un des sujets composants est nécessaire- ment inverse. L'inversion des viscères chez l’un des sujets est la cause qui détermine la fusion des deux embryons, comme je le montrerai plus tard. L'inversion des viscères a été signalée par Aristote*. Plusieurs faits de ce genre ont été décrits vers la fin du dix-septième siècle, et ont vivement attiré l'attention du public. Le mot célèbre de Molière dans le Médecin malgré lui : « Nous avons changé tout cela », est une allusion à un fait de ce genre, qui avait fait beaucoup de bruit, quel- que temps auparavant, trouvé par Morand sur un invalide âgé de soixante-six ans. On a eu, à diverses reprises, l'occasion de constater cette anomalie, même pendant la vie. Antérieurement à mes recherches, elle était entièrement inexpli- quée. Aussi a-t-elle fourni aux défenseurs de la monstruosité origi- nelle un de leurs plus puissants arguments. J'ai pu, depuis 1860, me rendre à peu près compte de son mode de formation, par des considérations théoriques très-simples, que l'on peut déduire facilement de l'embryogénie normale *. 1 SERRES, Recherches d'analomie transcendante et pathologique, dans les Mémoires de l'Acad. des sc. t. IX, 1832, p. 800, ? ARISTOTE parle d'animaux dans lesquels le foie était à gauche et la rate à droite, rigi Qouv ysvecéws, lib. IV, cap. rv. Danesre, Sur les conditions organiques des hétérotaæies, dans les Bulletins de la Société de biologie, 3e série. t. III, p. 8, 1859. 2i6 MODE DE PRODUCTION DE L'HÉTÉROTAXIE A l’âge adulte, chez l’homme et chez les animaux vertébrés, cer- tains organes sont symétriques; d’autres, au contraire, le tube digestif et la partie centrale de l'appareil circulatoire, échappent à la loi de symétrie. La symétrie se produit de deux manières différentes. Les organes symétriques, situés sur le plan médian du corps, peuvent être parta- gés, par ce plan médian, en deux moitiés parfaitement symétriques l’une de l’autre. Les organes symétriques, situés en dehors du plan médian, sont doubles, et placés symétriquement par rapport à ce plan. Tous les anatomistes savent que Bichat, dans sa célèbre distinction des deux vies, a fait de la symétrie le caractère des organes de la vie animale ; tandis que les organes de la vie organique seraient, au contraire, privés de ce caractère !, On a fait remarquer depuis longtemps que ce prétendu caractère n'a pas l'importance que Bichat croyait pouvoir lui attribuer. Même en ne considérant que les êtres adultes, on voit que beaucoup d'or- ganes de la vie organique sont plus ou moins symétriques. Mais l'embryogénie a permis d’aller plus loin. L’embryon est symétri- que à son début; et les organes qui, à l’âge adulte, échappent plus ou moins à la loi de symétrie, sont, à leur origine, parfaitement symétriques. La symétrie est donc la condition primitive de l'organisme, et ce n’est qu'à certaines époques qu'elle disparaît plus ou moins dans certains organes, qui ne revêtent ainsi que tardivement le caractère d'asymétrie qu'ils possèdent définitivement. Cette disparition de la symétrie primitive se produit par deux pro- cédés, suivant la nature de la symétrie. Lorsque les organes symétriques sont placés des deux côtés du plan médian, la disparition de la symétrie primitive résulte de la disparition de certains organes d’un des côtés du plan, tandis qu'ils persistent de l’autre côté. Telle est, par exemple, la partie centrale du système artériel. Aun certain moment de la vie embryonnaire, comme nous le savons surtout par les observations de Rathke”, le système artériel des ver- 1 Bicuar, Recherches sur la vie et la mort. 1re partie, Voir l’article 2, qui a pour titre : Différences générales des deux vies, par rapport aux formes de leurs organes respectifs. 2 Raruke, Untersuchungen üher die Aortenwurzeln und die von ihnen ausgehenden Arierien der Saurier, dans les Mémoires de l'Ac, de Vienne, t. XXIIT, 1857. un. OU DE L'INVERSION DES VISCÈRES, 217 tébrés allantoïdiens présente à la sortie du cœur, immédiatement au- dessus du bulbe, cinq paires d’'ares ou de crosses qui, pénétrant dans des traînées de matière organique, forment l'appareil branchial transitoire de l'embryon. Seulement cette disparition se fait d'une manière différente chez les reptiles, les oiseaux et les mammifères. D'abord, chez tous ces animaux, les trois premières paires d’ares aortiques disparaissent à peu près complétement, sauf certaines par- ties de ces ares, qui deviendront les artères carotides et les artères sous-clavières. Puis, dans les deux dernières paires, les ares aorti- ques du côté gauche disparaissent à peu près complétement chez les oiseaux, tandis que ceux du côté droit disparaissent complétement chez les mammifères. Il ne reste donc plus, chez les mammifères et chez les oiseaux, que deux vaisseaux sortant du cœur. Le vaisseau supérieur forme la crosse de l'aorte, tandis que le vaisseau inférieur forme d’abord l'artère pulmonaire, puis le canal artériel, vaisseau qui n'a lui-même qu'une existence temporaire, et qui disparaît de très- bonne heure. Il y a, au début, chez tous les vertébrés allantoïdiens, deux aortes descendantes dans lesquelles viennent aboutir toutes les crosses que je viens de signaler. Chez les reptiles, ces deux aortes persistent toute la vie. Chez les oiseaux l'aorte gauche disparaît, tandis que l'aorte droite disparaît chez les mammifères *. 1 J'indique ici ces faits d’une manière générale. Il est évident que lorsque l’on descend dans les Gétails on voit que la disparition d'une certaine partie des ares aortiques ne se fait pas toujours de la même manière. Chez les oiseaux, par exem- ple, les deux branches de l'artère pulmonaire proviennent de deux ares aortiques distincts. Chez les mammifères elles proviennent d'un arc aortique unique, l'arc aortique gauche de la dernière paire, tandis que, dans l’inversion, elles proviennent de l'arc aortique droit de la dernière paire. Si l’on poursuivait plus loin cette étude, on verrait très-probablement que la disparition des arcs aortiques peut varier, même dans les espèces d'une même classe. Mais, quelle que que soit la diversité de ces faits, elle ne change absolument rien à l'explication de l'inversion. Il y a dans l’état normal,de chaque côté du plan de symé- trie, persistance de certains arcs aortiques ou de certaines parties des arcs aortiques, et disparition totale ou partielle de certains autres. Dans l'inversion, les parties qui dans l'état normal, persistent ou disparaissent du côté droit, persistent ou dis- paraissent du côté gauche, et par la même raison les parties qui dans l'état normal, persistent ou disparaissent du côté gauche, dans l’inversion persistent ou disparais- sent du côté droit. Il y a, dans tous ces faits, un remarquable exemple d'arrêt de développement, car c'est à cette cause que l'on doit attribuer la permanence d'un organe qui n'existe que pendant la vie embryonnaire. Lorsque l'en étudie les anomalies artérielles et principalement celles que présen- 218 MODE DE PRODUCTION DE L'HÉTÉROTAXIE De pareils faits se produisent pour le système veineux. Chez les mammifères, l'embryon présente deux veines caves supérieures, formées l’une et l’autre par la réunion de trois veines, la veine sous- clavière, la veine jugulaire et la veine improprement appelée azygos. Celle disposition, qui persiste toute la vie chez les oiseaux, disparaît Fig 1. 2 À À AR Fig. 1. Schéma représentant la formation des principaux troncs artériels, d'après Rathke. — 1. Trone artériel avec une seule paire d'ares aortiques, la première, et l'indication de la seconde et de la troisième. — 2, Tronc artériel avec quatre paires d'ares aortiques et l'indication de la cin- quième, — 3. Tronc artériel avec trois paires d'ares aortiques, les troisième, quatrième et cin- quième ; les première et deuxième paires sont oblitérées. — 4. Artères permanentes chez les mammifères et l'homme. — 5. Artères permanentes chez les oiseaux. — fa, tronc artériel. — ad, aorte dorsale, — ce, artère carotide externe. — ci, artère carotide interne. — as, artère sous- clavière., — av, artère vertébrale, — ap, artère pulmonaire. — 1, 2,3, 4, 5, numéros d'ordre des paires d'arcs aortiques. d'assez bonne heure chez la plupart des mammifères, la veine cave du côté gauche venant s'unir et se confondre avec celle du côté droit. Ilen est très-probablement de même pour les vaisseaux lymphati- ques. Nous ne connaisson spas sa disposition dans l'embryon ; mais la dualité du canal thoracique chez les oiseaux doit faire penser qu’il est tent les gros vaisseaux qui sortent du cœur, on voit que tous ces faits de permanence peuvent se présenter individuellement, On en trouve de nombreux exemples dans tous les traités d'anatomie; et leur explication est très-facile par suite de la décou- verte de Rathke. Il est remarquable que dans l'inversion tous ces faits d'arrêt de développement se coordonnent pour produire une organisation aussi régulière que l'organisation normale. PT IS OÙ DE L'INVERSION DES VISCÈRES, 219 double chez l'embryon des mammifères ; et que sa simplicité du côté gauche chez l'adulte résulte de la disparition du canal thoracique droit. On comprend facilement que cette disparition de la symétrie pri- mitive puisse se faire tantôt dans un sens, et tantôt dans l’autre, J'est ce qui se passe dans l’état normal et ce qui se passe aussi dans l'état inverse. Ainsi, dans l'appareil circulatoire, la symétrie primi- tive disparaît par suite de la disparition d'un certain nombre de vaisseaux d'un des côtés du plan de symétrie. L'état inverse résulte de la disparition des vaisseaux symétriques qui existaient de l’autre côté du plan de symétrie. La modification de la symétrie primitive, pour le tube digestif et ses annexes, se fait par un tout autre procédé. L'appareil digestif, dans sa partie moyenne, celle qui, dans l’âge adulte, n’est pas symétrique, se présente, à son début, sous la forme d’une gouttière, puis sous celle d’un tube qui s'étend en ligne droite dans toute la longueur du plan moyen du corps, et alors ses deux moitiés sont parfaitement symétriques des deux côtés de ce plan. La cause de la disparition de la symétrie primitive est bien évidente. La longueur de la partie du tube digestif qui est libre dans la cavité abdominale augmente toujours, et quelquefois dans des proportious considérables. De plus, son calibre se dilate sur un certain point pour former l'estomac. Cette augmentation de longueur d'un tube dontles deux extrémités sont fixes l’oblige à se replier et à se contourner sur lui-même. Or, on comprend facilement que ce reploiement du tube digestif puisse se faire tantôt dans un sens et tantôt dans un autre. Les belles observations de J. Müller nous ont appris que le point de départ de ce changement de position de l'intestin, est la forma- tion de l'estomac". Get organe se produit par l’ampliation d’une certaine partie du tube digestif; mais il conserve pendant un certain temps sa position sur le plan médian. On voit alors que la grande courbure de l'estomac est placée en arrière, tandis que la petite courbure est en avant. Ensuite, il arrive un moment où ce viscère change de place, et vient prendre, dans l’hypochondre gauche, la position qu'il occupe 193. Muicen, Uber den Ursprung der Netze und ihr Verhältniss zum Perilonealsacke beim Menschen, aus anatomischen Untersuchungen an Embryonen dans les Archives de Meckel, 1830, p. 395. 20) MODE DE PRODUCTION DE L'HÉTÉROTAXIE définitivement dans l’âge adulte. On peut très-bien concevoir que le rebord de l'estomac, qui correspond à la grande courbure, vienne se placer dans l'hypochondre droit, ce qui donnerait l’état inverse. Ce changement de position de l'estomac entraîne nécessairement avec lui le changement de position de l'intestin. L’estomac se pla- cant à gauche, le cæcum doit nécessairement se placer à droite, Dans l'inversion, les faits sont complétement renversés. L'estomac se place à droite, et le cæcum à gauche. Le déplacement de l'estomac et de l'intestin entraîne avec lui le déplacement d’autres organes. C’est ainsi que la rate, qui est attachée à la grande courbure de l'estomac, est entraînée par elle, et vient se placer, comme elle, dans l’hypochondre droit. Le pancréas suit la destinée de l'intestin. Nous ne connaissons pas encore toutes les phases de son développement; mais nous avons tout lieu de croire que cet organe est primitivement double et que l’un des pancréas s’a- trophie naturellement (c’est ce que Baer a constaté dans le poulet) *. Chez les mammifères, on n’a encore rien signalé de pareil. Toutefois, la dualité primitive du pancréas semble indiquée chez eux par l’exis- tence de deux canaux pancréatiques. Le foie est primitivement un organe double. Chez les oiseaux, les deux côtés du foie se développent également dans la cavité abdomi- nale. Chez les mammifères, le développement «st d'abord égal des deux côtés; mais, plus tard, le lobe droit continue à se développer, tandis que le lobe gauche s'arrête à une certaine époque. Il est donc tout naturel d'admettre que les faits peuvent être renversés, et que le lobe gauche se développera plus que le lobe droit. Chez les oiseaux, les faits de l’inversion sont moins marqués que chez les mammifères; aussi ont-ils été complétement ignorés pendant longtemps. L'égalité à peu près complète du volume des deux lobes du foie ; la brièveté relative de l'intestin ; la position du cœur sur la ligne médiane, rendent moins facilement appréciable la disparition de la symétrie. Toutefois, les phénomènes de l’inversion sont encore manifestés par la disposition des vaisseaux qui sortent du cœur. De plus, le gésier occupe toujours, dans l’état normal, le côté gauche. En- fin, s’il s’agit d'un oiseau femelle, l'ovaire et l’oviducte sont à droite, au lieu d'être à gauche. Ge dernier fait tient à la dualité primitive de ces organes et à leur atrophie naturelle d'un côté, exactement comme s'atrophie l’une des aortes dans la région dorsale, 1 BaER, Entwickelungsgeschichte der Thiere, t, I, p. 172. OU DE L'INVERSION DES VISCÈRES. 221 On comprend, dès lors, que, même chez les oiseaux, on puisse constater la disposition inverse ou lhétérotaxie, en tenant compte de la position du gésier. J'ai eu plusieurs fois occasion de constater sur des embryons d'oiseaux l'inversion des viscères ; de trouver, par exemple, le gésier à droite. Voilà où j'en étais arrivé, en 4860, par des considérations purement théoriques, tirées de la connaissance des faits embryogéniques. Tou- tefois un fait restait inexplicable pour moi; c'est la disposition même du cœur. Rien, dans les données de la science d'alors, ne pouvait me faire comprendre la modification de cet organe, Or, bien que mes recherches ultérieures sur ce sujet ne soient pas encore terminées, elles m'ont permis, un assez grand nombre de fois, de constater le fait initial de l'inversion; et cette consta- tation est l’une des plus importantes que mes études m'aient permis de faire", Chez tous les embryons des animaux qui appartiennent à la divi- sion des vertébrés allantoïdiens, la tête éprouve, à un certain moment, un changement remarquable dans sa forme et dans sa position. L'axe de la tète est primitivement dans la même direction que l'axe du corps. Plus tard, l'extrémité de la corde dorsale, celle qui correspond à la région céphalique, s'infléchit en avant, en formant, avec le reste de cet organe, un angle presque droit. Il en résulte que l'axe de la tête forme alors un angle avec celui du corps. En même temps que se produit cette inflexion de la tête sur le tronc, la tête, qui primiti- vement était en rapport avec le vitellus par sa face antérieure, se re- plie sur le vitellus, de manière à lui faire face par son côté gauche. Ce changement de position de la tête entraîne peu à peu un change- ment de position du corps tout entier. Il est digne de remarque que ce fait, si peu important en apparence, se produit chez tous les vertébrés allantoïdiens, tandis que chez les anallantoïdiens la tête conserve ses rapports primitifs avec le vitellus. Nous ne pouvons que signaler le fait, sans chercher à l'expliquer. Or, il y a des cas dans lesquels le retournement de la tête sur le vitellus se fait en sens inverse. Il en résulte que la tête se trouve alors en rapport avec le vitellus par son côté droit. Baer a déjà signalé, il y a longtemps, l'existence de deux faits de renversement de la tête { Voir mes travaux sur cette question, dans les Comples rendus, t. LX, p. 746: t. LXVIL, p. 485; t. LXX, p. 761, 222 MODE DE PRODUCTION DE L'HÉTÉROTAXIE à droite; et dans l’un de ces renversements il y avait, dit-il, une in- version (sus inversus) !. J'ai eu souvent occasion de rencontrer des faits analogues. Mais, si j'ai pu constater l'exactitude des observations de Baer, je m'écarte de lui, cependant, sur un point: c'est que le changement de position de la tête n'est que l'effet, et non la cause du fait de l’inversion, qui existe déjà lorsque la tête s'est retournée, Le fait primitif, initial, consiste dans une disposition particulière du cœur. On sait que le cœur, lorsqu'il commence à remplir son rôle physiologique, se présente d’abord sous la forme d'un vaisseau contractile qui s'étend sur la ligne médiane, depuis l’ouverture ombilicale presque jusqu’à la mà- choire inférieur. Puis ce vaisseau s’allonge ; et, comme il ne peut s'étendre ni en avant ni en arrière, il se recourbe en are et vient faire saillie sur le côté droit de l'embryon, lorsque l'embryon repose sur la face ventrale, et que, par conséquent, on l’observe par la face dorsale. C’est là le premier indice de l’altération de la symétrie primitive. Il est antérieur au retournement de la tête de l'embryon. Or, j'ai constaté que, dans certains cas, le tube, ou plutôt l’anse car- diaque, au lieu de se placer au côté droit de l'embryon, vient, au con- traire, faire saillie au côté gauche.M. Remak a figuré un faitsemblable sur le poulet, le seul, dit-il, qu’il ait observé sur plusieurs centaines d’embryons ?, M. Kælliker a récemment figuré un fait de ce genre dans un embryon de lapin *. Ce fait, antérieur au retournement de l'em- bryon, est le point de départ de l’inversion : c'est lui qui détermine le retournement de la tête. Lorsque l’anse cardiaque sort à la droite de l'embryon, la tête se retourne en faisant face au vitellus par son côté gauche; c’est l’état normal. Lorsque l’anse cardiaque sort à la gauche de l'embryon, la tête se retourne en faisant face au vitellus par son côté droit; c'est alors l'état inverse. En effet, ce renversement de la position du cœur entraine nécessairement le renversement de ses cavités el des canaux qui y aboutissent. Or, tout cela ne peut se produire sans déterminer des changements analogues dans toute l’or- ganisalion. Quand on réfléchit à ces faits, on ne voit aucun motif pour que 1 Baer, Entwickelungsgeschichie der Thiere, t. I, p. 51. 2? Remak, Untersuchungen über die Entwikelung der Wirbelthiere, p, 12, pl. I, fig. 29. 3 Kœrriker, Entwickelunsgeschichte der Menschen und der hüheren Thiere, 2édit., p. 251, fig. 173. OU DE L'INVERSION DES VISCÈRES. 221 l'anse cardiaque vienne faire saillie à la droite plutôt qu'à la gauche de l'embryon. Et c'est là cependant la règle non-seulement pour le poulet, mais encore pour tous les embryons des vertébrés allan- toïdiens, pour tous ceux, du moins dont on a fait connaître l'évolu- tion, Il y a là un fait très-général, dont l'explication nous échappe complétement. Pour le moment, je ne puis que le constater. lg À Fig. 2. — Deux têtes d'embryon vues par la face supérieure, présentant l'une l'état normal et l'autre l'état inverse caractérisés par la sortie de l'aorte cardiaque a, dans le premier cas à la droite et dans le second à la gauche de l'embryon. Il y a ici une cause d'erreur que je dois signaler. Quand on étudie les embryons, on peut rencontrer la tête retournée à droite, sans qu’il y ait inversion. C'est un simple déplacement qui résulte d'une action mécanique produite tantôt sur l'œuf lui-même et tantôt sur l'embryon, au moment où l’on brise l'œuf pour détacher le blasto- derme !. Mais il est toujours possible de constater l'existence de l'inversion, en considérant la disposition du cœur. En effet, dans l’état normal, lorsque le cœur s’est placé du côté droit de la tête, l’anse cardiaque était d'abord disposée de telle façon que la région auriculaire était en bas et la région ventriculaire en haut. Mais cet état n’est que tran- sitoire, Le cœur ne tarde pas à se recourber, de telle facon que la région auriculaire devient supérieure, tandis que la région ventricu- 1 M. Lombardini, en soumettant des œufs à des mouvements de rotation, pen- dant l'incubation, a constaté dans plusieurs circonstances ce retournement de la tête de l'embryon, sans qu'il y eût d'inversion. C’est ce qu'il appelle falso rotamento (LommanDin1, Forme organiche irregolare negli Uccelli e ne’ Batrachidi, p.71). Il arrive ainsi à conclure, comme moi, que le mouvement n’a pas d'influence sur la production de l'inversion. Mais l’inversion est antérieure au renversement de la tête, et, par conséquent, les expériences de ce physiologiste n'ont aucune signification dans la question actuelle, 224 MODE DE PRODUCTION DE L'HÉTÉROTAXIE laire devient inférieure. On voit se former, dans la région ventriculaire, la pointe définitive du cœur, pointe qui augmente, vers le bas, le volume de la région ventriculaire ; et, en mème temps, la région au- riculaire remonte en arrière, et vient se placer derrière le bulbe de l'aorte. Par conséquent, si l’on regarde l'embryon par sa face supé- rieure, on constate que sa région auriculaire est dans un plan infé- rieur, à peu près au-dessous du bulbe. Gette constatation est très-facile à faire, si l'embryon est vivant; car les contractions du cœur permet- tent de voir le sang circuler dans son intérieur, et de le suivre suc- cessivement dans ses diverses cavités. Et si les contractions du cœur sont momentanément anéanties, comme cela se produit fréquem- ment, on peut les réveiller par le contact de l’eau chaude, comme je l'ai dit précédemment #, Lorsque l'on voit le cœur à la gauche de l'embryon, il est possible de déterminer l'existence de l’inversion, en constatant la position de la région auriculo-ventriculaire. En effet, dans l'inversion, la région auriculo-ventriculaire est au-dessous du bulbe. S’il n’y a pas inver- sion, mais simplement déplacement accidentel du cœur, la région Fig. d- 2 5 KE "4 (G® RS - è 0 © Qù) [) 2 u Ü EU QU 2 7 Fig. 3. — Deux cœurs d'embryon dans un état plus avancé que celui de la figure 2. L'oreillette est remontée ea arrière et vient se placer derrière le bulbe en dessous du ventricule, dont la pointe commence à se former, — 1, état normal. — 2, état inverse. — 0, oreillette. — vw, ventri- cule., — b, bulbe (cette lettre a été placée trop bas). — ab, ares aortiques qui pénètrent dans les ares branchiaux. — 1i,u, origine des veines omphalo-mésentériques. auriculo-ventriculaire occupe un plan supérieur, tandis que le bulbe se voit par dessous. Ce fait de la sortie de l’anse cardiaque à la gauche de la tête, au lieu de la droite, s'accompagne, du reste, d’une modification fort re- marquable de l'aire vasculaire. La veine descendante est à gauche, au lieu d’être à droite ; la veine ascendante est à droite, au lieu d’être à gauche. On voit également l’allantoïde sortir à la gauche de l'embryon, au 1 Voir p. 163. OÙ DE L'INVERSION DES VISCÈRES. 225 lieu de sortir à sa droite. Toutefois, ce Fait n'est pas constant, et j'ai vu plusieurs fois l’allantoïde sortir à gauche, sans qu'il y eût inversion. Cette sortie de l’anse cardiaque à la gauche de l'embryon n’est peut- être pas, d'ailleurs, le fait primordial qui détermine l'inversion des vis- cères. En effet, des observations nombreuses me donnent lieu de croire que ce qui détermine le sens de l’incurvation de l'anse cardiaque, c'est l'inégalité de volume des deux blastèmes cardiaques primitifs, Le cœur, ainsi que je l'ai dit plus haut, résulte de la fusion de deux blastèmes, primitivement séparés. Or, dans l’état normal, le blastème droit est plus volumineux que le blastème gauche. Quelquefois, mais plus rarement, le contraire a lieu, L'incurvation de l'anse cardiaque ne serait-elle pas déterminée par la position du plus grand blastème ? Je n'ai pu encore m'en assurer d’une manière définitive. J'ai constaté le fait de l'inversion des viscères, ou du moins de l’in- version du cœur, dans un assez grand nombre d'embryons, soit lors- que l'aire vasculaire présentait sa forme normale, soit surtout lorsque l'aire vasculaire présentait une déformation elliptique. Dans ce der- nier cas, c’étail toujours lorsque le grand développement du feuillet vasculaire se faisait à la gauche de l'embryon, que j'ai vu l’anse car- diaque à la gauche de l'embryon. Cette relation même était assez fré- quente pour m'avoir fait penser un moment qu'elle était constante. Comme je puis, ainsi que je l'ai dit plus haut, déterminer à volonté les différentes déformations elliptiques de l’aire vasculaire, j'ai cru un moment que la production de l'inversion des viscères pouvait être dé- terminée à volonté. J'ai fait, dans ce but, un très-grand nombre d’ex- périences; mais, si Je suis arrivé à produire, de temps en temps, l'inversion de l’anse cardiaque, j'ai dû cependant reconnaitre que, dans d’autres cas, ce fait ne se produisait point, et que, par consé- quent, une certaine déformation elliptique de l'aire vasculaire ne se liait pas nécessairement à l’inversion. Toutefois cette production de l'inversion s'est manifestée par séries, lorsque la température de l'air était basse; — car il faut rappeler ici que les déformations de l'aire vasculaire se produisent dans la couveuse à air libre, — et aussi lorsque la température de la couveuse n'était pas très-élevée. Malheureusement, tant que je n'ai pu régler d'une manière invariable la température de mes couveuses, il ne m'a pas été possible de dé- terminer exactement les conditions physiques qui produisent un pareil événement. Maintenant que je possède des appareils qui marchent avec une précision absolue, je pourrai reprendre ces expé- 15 226 MODE DE PRODUCTION DE L'HÉTÉROTAXIE. riences. J'ai l'espoir de pouvoir, quelque jour, produire cette ano- malie à volonté —et comme l'inversion n’est pas un obstacle à la vie embryonnaire — de faire arriver les embryons inverses jusqu’au moment de l’éclosion !. 4 ei devrait venir un chapitre sur la production des hermaphrodismes. Mais chez les oiseaux, dout les organes reproducteurs externes sont d'une excessive simplicité, la plupart des anomalies décrites sous ce nom ne peuvent pas se produire. Mes recher- ches expérimentales ne m'ont donc rien appris sur ce sujet. Les différents types de l’hermaphrodisme connus chez les mammifères et chez l'homme peuvent du reste s'expliquer assez facilement à l’aide des travaux récents sur l’embryogénie. Comme c’est une question encore fort peu connue, j'en fais le sujet de la note A à la fin de la seconde partie. CHAPITRE V MODE DE FORMATION DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. Sommaire. 1 Considérations générales, —29 Formation de la triocéphalie,— 39 For- mation de la eyelopie. — 4° Formation de l'omphalocéphalie, — 59 Formation de l'anencéphalie. — 6° Formation de la pseudencéphalie. — 7° Formation de l'exen- céphalie. — 8° Formation de la célosomie, — 9° Formation de l'ectromélie, — 100 Formation de la symélie, 113 J'ai signalé ce fait curieux que la série des monstres simples, telle qu'elle a été établie par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, reproduit très- exactement, quand on la prend en sens inverse, l’ordre d'apparition des diverses monstruosités dans l'évolution embryonnaire!. Je devrais donc suivre complétement cet ordre, dans l'étude du mode de forma- tion des monstruosités simples. Toutefois, le mode de formation de celles de ces monstruosités dont l'apparition est la plus précoce, celles qui appartiennent à l'ordre des monstres omphalosites, se lie, comme je l'ai déjà indiqué*, à une condition physiologique particulière, la gémellité, qui est aussi le point de départ de la monstruosité double. L'étude des monstres omphalosites, pour être bien comprise, doit donc venir après celle de la gémellité. Je l’ajourne done, et je commen- cerai l'étude des monstres simples par celle des monstres simples au- tosites. Je suivrai, du reste, dans l'exposition de l’évolution de leurs différents types, l'ordre synthétique, c'est-à-dire l'ordre dans lequel ces monstruosités apparaissent dans l'embryon. Tous les types des monstres simples autosites ont un même point de départ, l’arrèt de développement, C'est là un fait très-général, qui résulte de toutes mes recherches. Mais cet arrèt de développement, au moins dans le plus grand nombre des cas, n'exerce pas d'abord son influence sur l'embryon lui-même ; il atteint d'abord l'amnios, ainsi que je l'ai déjà indiqué *. L’amnios, arrèté dans son développement, modifie consécutivement l'évolution des différentes parties de l’em- bryon, par la compression qu'il exerce sur elles.J'ai signalé ces 1 Voir p, 145. 2 Voir p. 142. 3 Voir p. 110 et 203. 228 MODE DE FORMATION faits depuis longtemps. Toutefois, des expériences toutes ré- centes m'ont appris, à mon grand étonnement, que la compression de certaines parties de l'embryon, cause principale des monstruosités “simples, peut se produire également dans le cas d'absence de l’'amnios. Ce fait peut sembler étrange au premier abord; mais toute difficulté disparaît si l’on réfléchit que l'embryon privé d’amnios, et par con- séquent reposant à nu sur le blastoderme, peut se comprimer au dé- but contre la membrane vitelline, et même contre la coquille. J'ai constaté. ce fait d’une manière très-exacte dans certains cas de pseu- dencéphalie et d'exencéphalie. Au reste, c’est toujours, dans ce cas, un arrèt de développement, c’est-à-dire le défaut de formation de lamnios, qui constitue le fait tératogénique primordial. Ce fait est-il nécessaire ? Et pouvons-nous attribuer la formation de toutes les monstruosités simples autosites au défaut de formation de l’amnios ou à son arrêt de développement? Je ne connais actuelle- ment aucune considération physiologique qui puisse m'autoriser à admettre une semblable généralisation. Je n’ai aucun motif de croire qu'un organe quelconque de l'embryon ne puisse être, aussi bien que l’'amnios, frappé primitivement d’un arrêt de développement par l’ac- tion d'une cause tératogénique. Je dois done me borner à dire que le fait est très-général, sans pouvoir affirmer qu'il soit nécessairement la cause de la production de tous les monstres autosites. Le rôle tératogénique de l'arrêt de développement de l’amnios est d'autant plus intéressant qu’il rend compte d’un fait très-remarquable, l'association fréquente sur un même individu des monstruosités les plus diverses. Ainsi l’ectromélie accompagne presque toujours la cé- losomie, et ces deux monstruosités sont elles-mêmes très-fréquem- ment associées à la pseudencéphalie et à l’'exencéphalie. Les monstres qui présentent ces associations de différents types lératologiques peuvent être aussi affectés d’un nombre plus ou moins grand d’hé- mitéries. La grande généralité de ce fait a été déjà signalée par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, Je l’ai expliquée dès le début de mes études, comme je l’explique aujourd'hui, par les arrêts de développe- ment de l’amnios ?., Mais j'ai pu aller plus loin, J'avais cru, à cette époque, que certaines monstruosilés seulement pouvaient s'associer, 1 Is. GrorrroY Sainr-Hicatne, Traité de téralologie, t. III, p. 400. 2 Danesrr, Sur Les conditions de la vie et de la mort chez les monstres ectroméliens, célosomiens et exencéphaliens, produits artificiellement dans l'espèce de la poule, dans les Ann. des se. nal,, fe série, Zool., t, XX, p. 59, 1863, RS * LI DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 229 tandis que d’autres me paraissaient beaucoup moins compatibles, Au- jourd'hui, le nombre immense des monstruosités que j'ai observées ne me laisse aucun doute sur la possibilité de l'association de ces diverses monstruosilés sur un même sujet, association qui se produit par toutes les combinaisons possibles *. Sans doute, les faits de la corrélation des organes ou de la corré- lation de croissance jouent un rôle très-considérable dans la pro- duction des monstruosités simples. Toute monstruosité consiste dans la réunion d'un certain nombre d'anomalies simples ou d'hémi- téries, qui ne peuvent coexister ou durer qu'à la condition de former une combinaison régulière. Mais ce qui est vrai de la combinaison de plusieurs hémitéries pour former une monstruosité, ne l’est pas de d'association de plusieurs monstruosités sur un même sujet. Cette association est fréquente, mais elle n’est pas nécessaire: elle dépend entièrement de l'unité de la cause tératogénique, de r'étendue et de l'intensité plus ou moins grande de son action. $ 2. Le type des monstres autosites qui apparaît le premier dans l'évo- lution embryonnaire est celui de la triocéphalie, type caractérisé par un arrêt de développement de la tête, qui ne présente ni appareil ocu- laire, ni appareil nasal, ni appareil buccal. Ce type, relativement rare, n'a pas encore été complétement étudié et ne nous est pas en- core connu dans toutes ses conditions anatomiques. J'ai rencontré plusieurs fois de semblables monstres en voie de formation. La tête consistait en un simple bourgeon présentant dans sa partie inférieure un cul-de-sac, le pharynx. Je n'ai pas vu d'une manière bien évidente le mode de formation de ces monstres ; mais je puis le déduire de considérations théoriques. J'ai observé, en effet, un très-grand nombre de fois, des anomalies très-diverses de la gouttière primitive dans la région de la tête, ano- malies sur lesquelles je reviendrai à l'occasion des monstres paracé- phaliens. Dans plusieurs de ces anomalies, j'ai vu la gouttière primi- tive ne pas atteindre l'extrémité antérieure de la tête. Il est évident que, dans ces conditions, ou bien la vésicule cérébrale antérieure et les 1 Les seules monstruosités incompatibles sont celles qui affectent les mêmes or- ganes. Ainsi la triocéphalie et la eyclopie sont incompatibles. Il en est de même pour l’anencéphalie, la pseudencéphalie et l'exencéphalie. 230 MODE DE FORMATION vésicules oculaires, qui en sont des dépendances, ne peuvent point se former ; ou bien cette vésicule ne se forme qu'incomplétement et se constitue comme un simple rudiment. Si l'embryon continue à se dé- velopper, il présentera les caractères fondamentaux de la triocéphalie. Les embryons lriocéphales que j'ai observés ne présentaient point le fait de l'otocéphalie. On pouvait se demander tout d’abord si ce fait, qui consiste, en apparence, dans la soudure des oreilles externes, ne doit pas faire défaut chez les triocéphales de la classe des oiseaux. Toutefois, la soudure des oreilles externes n'est qu'un fait accessoire de l'otocéphalie. Ge qui la caractérise essentiellement, c’est la perma- nence de la première fente branchiale, comme Huschke en a fait depuis longtemps la remarque?. Mais l'apparition des fentes bran- chiales est relativement tardive, et par conséquent leur disparition beaucoup plus tardive encore. Mes études tératogéniques ayant été faites principalement pen- dant les deux premiers jours de l’incubation, puisque c’est pendant cette première période que les monstruosités se préparent, je n'ai pu rencontrer qu'une seule fois la permanence de la première fente bran- chiale. C'était dans un embryon dont les yeux étaient complétement séparés, qui appartenait par conséquent à un type très-distinct de la triocéphalie, et qui devait reproduire assez exactement les caractères du type que Geoffroy Saint-Hilaire a décrit sous le nom de sphénocé- phade. | ER Le second type de la monstruosité simple est celui de la cyelopie. I se présente dans la famille des monstres cyclocéphaliens, à laquelle je crois devoir réunir, comme je l’ai dit plus haut‘, les otocéphales cyclopes. La cyclopie réalise très-exactement la conformation des cyclopes de la fable. [l'est impossible de ne pas croire que cette fable ancienne n'ait eu pour point de départ de semblables faits de monstruosité, qui sont relativement assez fréquents, même dans l'espèce humaine. Comme l'a dit Pascal, « l'imagination se lasserait plus tôt de conce- voir que la nature de fournir ». L'homme invente peu : il est très-rare qu'il ne tire ses inventions de l'observation de la réalité. 1 Jluscuke, Ueber die erste Entwickelung des Auges und die damit susammenhan- gende Cyclopie, dans Archiv für Anatomie und Physiologie de Meckel, 1832, t, VI, p. 38. 2 Voir p. 144. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 231 Ge qui caractérise essentiellement la cyclopie, c'est l'existence d'un œil unique situé sur la ligne médiane de la face, œil qui est parfois complétement simple, mais qui est le plus ordinairement formé par les éléments, en plus ou moins grand nombre, de deux yeux. On donne par extension le nom de cyclopie à certaines monstruosilés dans lesquelles il existe deux yeux, situés dans une même orbite mé- diane ; et même dans deux orbites séparées, mais très-voisines l’une de l’autre, et beaucoup plus voisines que dans l’état normal. Tous ces laits ne sont évidemment que les degrés divers d'un même {ype léra- tologique. Le mode de formation de la cyclopie a donné lieu aux explications théoriques les plus différentes. Is. Geoffroy Saint-Hilaire, se fondant uniquement sur l'étude des monstres eux-mêmes, rend compte de la cyclopie par l’atrophie de l'appareil nasal et la fusion plus ou moins complète des yeux". Huscbke, partant au contraire de l'observation des faits embryogé- niques, explique toutes les formes de la cyclopie par une série d'ar- rêts de développement. Il croit avoir vu que l'appareil oculaire serait unique à son origine, et formerait une vésicule située à l'extrémité du tube cérébro-spinal, immédiatement en avant de la première vésicule cérébrale. Cette vésicule oculaire unique augmenterait de volume dans le sens transversal, puis elle se diviserait en deux parties, et finirait par constituer deux vésicules oculaires distinctes, et situées des deux côtés de la tête. L'intervalle entre les deux vésicules oculaires serait occupé peu à peu par le prolongement même du tube cérébro-spinal, qui formerait d'abord la vésicule du troisième ventricule, puis la vési- cule des hémisphères cérébraux *. J'ai cru, pendant longtemps, que la théorie de Huschke rendait exactement compte des faits, et qu’elle se prêtait à l'explication de toutes les observations que j'ai faites de cyclopes en voie de forma- tion. Toutefois, je ne pouvais ignorer que tous les embryogénistes qui ont étudié la formation de l'appareil oculaire, avant et depuis Huschke, sont d'accord pour rejeter l'idée de l'unité primitive de cet appareil, et pour admettre qu'au moment même de leur appa- rition les vésicules oculaires sont distinctes aux deux côtés de la tête. 1 Is. Georrnoy SainT-Hicaire, Traité de tératologie, À. 1, p, 535 et suiv.; {, IT, p. 375 et suiv. 2 Huscuke, loc. cit. 232 MODE DE FORMATION J'ai donc repris la question du mode de formation de l'appareil oculaire ; et, bien que mes études ne m'en aient pas encore fait con- naitre tous les détails, je suis arrivé, cependant, à me convaincre que l'arrèt de développement est bien la cause de la cyclopie, mais; que cet arrèt de développement se produit d'une facon assez différente de ce qu'admettait Huschke. Il faut entrer ici dans quelques détails sur le mode de formation de la vésicule encéphalique antérieure, détails qui ne concordent pas exactement avec ceux que donnent les embryogénistes. Dans cette recherche, comme dans celle de la formation du cœur, j'ai pu aller un peu plus loin que mes devanciers, en sacrifiant un nombre extrè- mement considérable d'embryons ; ce qui m'a permis d'observer plu- sieurs phases mal connues jusqu'à présent. On sait que l’encéphale, dans son premier état, apparaît sous la forme d’un tube qui résulte d'une transformation de la partie cépha- lique de la gouttière primitive. Les deux bords de cette gouttière s'élèvent peu à peu, puis se rapprochent l'un de l'autre pour venir se conjoindre sur la ligne médiane. Cette transformation de la gouttière primitive en un tube fermé s'opère d’abord à la tête; puis elle se pro- page peu à peu, d'avant en arrière, dans la région du tronc, jusqu'à l'extrémité caudale, pour former la moelle épinière. En même temps que cette transformation s'opère, l'extrémité antérieure du tube cérébro-spinal s'évase considérablement, et forme la seconde moitié d'une vésicule qui occupe la partie antérieure de la tête, et qui ne dépasse pas en avant l'extrémité en cul-de-sac du pharynx. Dans sa partie antérieure, cette vésicule est d’abord large- ment ouverte. : Ensuite, la vésicule antérieure se complète par un procédé que je n'ai vu décrit nulle part. Des deux parties latérales de l'ouverture qui la termine naissent deux petits prolongements qui grandissent peu à peu, dépassent en avant le cul-de-sac pharyngien, se rappro- chent l'un de l'autre en s'avancant vers le plan médian, et finissent par s'unir, C'est ainsi que l'ouverture antérieure, qui terminait en avant la vésicule cérébrale, se rétrécit et se ferme. La vésicule, complé- tement formée, présente alors la forme d'une sphère, dont l'hémi- sphère antérieur dépasse le cul-de-sac pharyngien. Dans une troisième période, la vésicule centrale antérieure s'élargit considérablement dans le sens transversal. Elle donne ainsi à la tête la forme de marteau qui a été observée par tous les embryogénistes. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 233 C'est alors que l'on voit se produire les premières indications des yeux, ou, plus exactement, de ce que les embryogénistes appellent les vésieules oculaires primates. On voit, en effet, dans les deux parties latérales de la vésicule, apparaître deux lignes, qui s'attachent, en arrière, à la paroi de la vésicule, et dont l'extrémité supérieure est libre dans l'extérieur de cette vésicule. Ces deux lignes sont convexes et se font face par leur convexité. Ce sont deux cloisons qui séparent, de la vésicule primitive deux parties qui deviendront les vésicules oculaires. Ce fait, à ma connaissance, n'a encore été vu que par Huschke, qui en à donné, en 1832, une figure‘! parfaitement conforme à celle qui accompagne celte page, et que j'ai dessinée d'après nature. Tou- _tefois, je ne m'accorde pas avec Huschke relativement à l'origine de ces lignes. Huschke pense que ces deux lignes, ou ces deux cloisons, résulteraient de la division d'une cloison unique, mais perforée dans son milieu, qui séparerait, à une certaine époque, en deux parties la vésicule cérébrale antérieure. La partie de cette vésicule, postérieure à la cloison, serait la vésicule cérébrale ; la partie de cette vésicule, antérieure à la cloison, serait la vésicule oculaire, primitivement unique. C’est ainsi que, d’après Huschke, il y aurait, tout d’abord, à l'extrémité du tube qui deviendra le système nerveux central, une vésicule oculaire unique qui se scinderaïit et se diviserait en deux vésicules latérales. Or, j'ai cherché, avec beaucoup de soin, à consta- ter l'existence de cette cloison unique, sans jamais y parvenir. D'autre part, les observations que je viens de rappeler, relativement au mode de formation de l'extrémité antérieure du canal cérébro-spinal, me paraissent entièrement contraires à l'opinion de Huschke. Je crois donc, en me fondant sur de très-nombreuses observa- tions, et aussi sur l'examen de toutes les descriptions et de toutes les figures que j'ai pu étudier dans les ouvrages d’embryogénie, que, dans l’état normal, les vésicules oculaires sont séparées dès leur ap- parition, et qu'elles se produisent par le plissement de certaines par- ties de la paroi mème de la vésicule antérieure. Le reste de Ja vésicule éprouve d’autres transformations qui la transforment, peu à peu, en deux vésicules juxtaposées : une posté- rieure, la vésicule du troisième ventricule ou des couches optiques (Zwischenhirn des embryogénistes allemands) ; une antérieure, la vé- 1 Huscuare, loc. cit, pl. I, fig. 3. 234 MODE DE FORMATION sicule des hémisphères cérébraux (Vorderhirn des embryogénistes allemands). Je n'ai pas pu encore constater, par l'observation, la Fig. 1. — Formation de la vésicule céré- ho 1 li. 2 brale antérieure. Premier état, lorsque LA HN PP+-5 les bords de la gouttière primitive ne IAE L) dépassent pas encore le cul-de-sac pha- | À , f| \ J\-5 ryngien. k, bords repliés de la gouttière; TR ? | | g. extrémité évasée de la gouttière,; 8) L'A N N \ a, repli de l'amnios; b, repli de l’ouver- lorsqu'elle commence à s'étendre au-delà | | du cul-de-sac pharyngien. g, extrémité | évasée de la gouttiere primitive; À, pro- | F7 : AT ï / , | | Ke ture ombilicale antérieure. vi 7 Fig. 2. — Etat plus avancé de la vésicule, longement des bords de la gouttière qui s'étendentau-delà du pharynx; a, repli de l'amnios; b, repli de l'ouverture ombi- licale antérieure. À Fig. 3. — Vésicule antérieure, presque entièrement formée, mais non entière- ment fermée à son extrémité, qui pré- sente encore une ouverture tenant au défaut d'union de ses deux bords. ?, ca- vité de la vésicule ; 4, repli de l'amnios; b, repli de l'ouverture ombilicale anté- rieure. Ê Fig. 4. — Vésicule antérieure compléte- ment formée, et élargie dans le sens transversal. À, cavité de Ja vésicule ; j, première indication des vésicules ocu- laires tenant à l'apparition de deux lignes qui se regardent par leur convexité. C'est l'état que Huschke a ‘représenté (pl. L, fig. 2). Fig. 5 et 6.— Tête plus développée de l'em- bryon, vue par la face supérieure (5) et par la face inférieure (6). ”, vésicule des hémisphères; x, vésicule du troisième ventrieule; p, vésicule des lobes opti- ques ; 4, vésicule de la moelle allongée; 00, vésicules oculaires. Fig. 7. — Origine de la cyclopie. g, vési- cule encéphaliqué antérieure, fermée par la jonction des bords de la gouttière primitive; e, fossette oculaire formée par les bords réunis de la gouttière primi- tive qui devaient produire les vésicules oculaires; à, repli de l'amnios; 4, repli de l'ouverture ombilicale antérieure. Fig. 8. Autre élat de la cyclapie. €, fos- sette oculaire commune beaucoup plus élargie, et formée, comme dans la fi- gure 7, par la jonction précoce des deux bords de la gouttière. à manière dont s'opère cette différenciation de la vésicule primitive ; et je n'ai pu suppléer à cette lacune de mon travail par les observa- tions des embryogénistes, Mais cette lacune, que je signale moi- A DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 238 même, ne rend en aucune façon défectueuse l'explication que je donne de l'origine de l'appareil oculaire *, Ainsi donc, la cyclopie n'est pas, comme le pensait Huschke, la permanence d'un certain état embryonnaire; et cependant, comme je vais le montrer, elle est le résultat d'un arrêt de dévelop- pement. Cette proposition peut sembler étrange au premier abord ; mais elle est l'expression de la réalité. Cela tient à ce que l'arrêt de développement frappe la vésicule cérébrale antérieure, avant l'appa- rition des premiers indices de l'appareil oculaire. Quand on étudie les embryons monstrueux, on voit que la partie antérieure du tube cérébro-spinal présente de très-nombreuses ano- malies, qui tiennent au défaut d'évasement de la gouttière primitive de la région céphalique, et aussi au développement souvent très-iné- gal de ses deux bords. Toutes ces anomalies consistent dans des arrêts de développement généraux ou partiels, qui aboutissent à des variations innombrables dans la forme de la tête. Dans le plus grand nombre des cas, les embryons qui présentent ces têtes plus ou moins complétement déformées, périssent de très- bonne heure. Toutefois, lorsque je m'occuperai des monstres ompha- losites, je montrerai comment ces embryons peuvent, dans certaines conditions, continuer à vivre et à se développer. Ils produisent alors ces monstres caractérisés par des têtes informes et rudimentaires qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire désignait sous le nom de monstres para- céphaliens. | Dans d'autres cas, l'arrêt de développement du lobe cérébro-spinal dans la région céphalique se fait d’une manière régulière. Il produit alors les deux types de la triocéphalie et de la cyclopie. Bien que j'aie rencontré plusieurs fois des embryons triocéphales, je n’ai pu jusqu’à présent reconnaître de semblables embryons pendant leur période de formation. Je laisse donc cette question de côté, pour m'occuper exclusivement de la formation de la cyclopie, en faisant remarquer ‘ Je rappelle, à cette occasion, que l’encéphale se constitue par la formation de trois vésicules ; une vésicule antérieure, dont j'ai décrit dans le texte le mode de formation; une vésicule moyenne, qui se produit ensuite, et enfin une vésicule pos- térieure, qui se produit la dersière. Ces vésicules ont reçu de Baer, qui en a donné la première description exacte, les noms de Forderhirn, Miltelhirn et Hinterhirn. La première, le Vorderhirn, se divise ultérieurement en Vorderhirn (vésicule des hé- misphères) et Zwischenhirn (vésicule du troisième ventricule). La seconde, le Mit- telhirn, est la vésicule des lobes optiques. La troisième, le Hinterhirn, se divise en Nachhirn (cervelet) et Hinterhirn (vésicule de la moelle allongée). 236 MODE DE FORMATION seulement que l'arrèt de développement du tube cérébro-spinal qui produit la triocéphalie est nécessairement antérieur à celui qui pro- duit la cyclopie. Il y a, comme je viens de le dire, dans les parois de la vésicule cé- rébrale antérieure, des parties qui sont destinées à se séparer de cette vésicule pour former les vésicules oculaires primitives. Elles occu- pent la base des prolongements qui doivent s'étendre au-delà du cul-de-sac pharyngien, pour constituer les parois antérieures de la vésicule., Dans l’évolution normale, la formation de la paroi an- térieure de la vésicule et son agrandissement dans le sens transversal ont pour conséquence d'éloigner l’une de l’autre et de maintenir à distance les parties qui doivent former les vésicules oculaires. Mais lorsque la gouttière cérébro-spinale est frappée d'arrêt de développe- ment, sa fermeture se produit plus tôt dans tous les sens. II peut se faire alors que les parties prédisposées à devenir les vésicules oculaires viennent s'unir sur la ligne médiane, un peu en avant du cul-de-sac pharyngien. La vésicule cérébrale antérieure est ainsi beaucoup plus petite que dans l’évolution normale, et elle dépasse à peine l’extré- mité du pharynx. Elle est alors terminée, en avant, par une petite fossette, tantôt presque circulaire, et tantôt plus ou moins élargie suivant son diamètre transversal. Cette fossette est le point de départ d'une vésicule oculaire unique qui occupe l'extrémité antérieure du tube cérébro-spinal, et qui, par ses développements ultérieurs, de- viendra l'œil unique et médian qui constitue la cyclopie. Si elle est circulaire, l'œil sera unique et entièrement comparable à un œil normal ; si elle s’allonge plus ou moins dans le sens transversal, on verra se constituer un œil unique, mais contenant, en nombre plus ou moins grand, les éléments de deux yeux ; puis deux yeux distincts, mais contenus dans une orbite unique; enfin deux yeux séparés et ayant chacun leur orbite propre, mais beaucoup plusrapprochés qu'ils ne le sont dans l'état normal. J'ai observé un fait de ce genre qui présentait d'une manière très-nette les caractères du type tératolo- gique qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire a décrit sous le nom de cébocé- phale'. Dans ce monstre, la cébocéphalie était associée à d’autres monstruosités, et particulièrement à l'hyperencéphalie. I est curieux de voir que Huschke signale cette fossette et qu'il la décrit comme le point de départ d'une vésicule 1 ]s, GEorrnoy-SaiwT-HiLaiRE, Trailé de téralologie, t. 11, p. 381. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 237 12 oculaire unique. Mais il la considère comme un fait normal. Il est très-probable qu'il aura été induit en erreur par l'observation d'un cas de cyclopie et qu'il aura pris pour un fait normal un fait térato- logique. Dans tous les cas de eyclopie que j'ai observés, les deux yeux, lorsqu'ils existaient, se faisaient face par celte dépression du contour de la vésicule oculaire primitive, que l’on désigne sous le nom inexact de fente choroïdienne. La cause de ce fait m'échappe complétement, Elle se lie évidemment à une condition particulière de la production de cette dépression; mais les embryogénistes ne sont pas encore complétement d'accord sur ce point. Tel est le mode de formation de la cyclopie. Je l’ai observé dans un assez grand nombre de cas. Pendant longtemps je n'avais pu m'en rendre compte, mais des observations toutes récentes ne me laissent plus actuellement aucun doute. L'embryogénie nous apprend, en outre, certains faits qui se ratta- chent à l'histoire de la cyclopie, et dont la signification a été pendant longtemps ignorée. On à décrit un certain nombre de cas de cyclopie avec absence de l'œil. On voyait sur la ligne médiane une orbite unique, présentant au fond de la cavité une tache depigment noir’. Ces faits, tout étranges qu'ils paraissent, s'expliquent de la manière la plus simple par les connaissances que nous avons relativement à la formation de l'œil, connaissances que nous devons principalement aux travaux de Huschke *. L'œil est à son début une petite vésicule qui n’est, comme je viens de le dire, qu'une excroissance de la vésicule cérébrale antérieure, et dont la cavité communique avec la cavité de cette vésicule. A un cer- tain moment de son évolution, la surface convexe de cette vésicule ocu- laire, qui est en contact avec le feuillet séreux, s'aplatit, puis s’excave de manière à se transformer en une surface concave. La vésicule ocu- laire primitive prend alors la forme d’une coupe, dont la paroi supé- rieure se moule en quelque sorte sur la paroi postérieure, en laissant d’abord entre elles un petit espace’vide, reste de la cavité oculaire pri- mitive, Plus tard cette cavité mème disparait ; et alors les deux lames 1 Huscnre, loc. cit, p. 27.— Is. Georrroy Saint-Hilaire, Trailé de tératologie, t. IL, p. 389. * Huscnke, loc. cil., p.16. 238 MODE DE FORMATION formées par les parois de la vésicule oculaire primitive s'appliquent l'une contre l'autre, La lame antérieure devient la rétine, la lame postérieure se remplit de pigment et devient la choroïde !, En même temps que se produit la dépression de la lame anttrieurede la vésicule, on voit apparaître dans la partie du feuillet séreux contre laquelle elle s'était adossée une petite excroissance transparente qui vient peu à peu se loger dans l’excavation produite sur la vésicule oculaire, C'est le cristallin qui, d'abord simple dépendance du feuillet séreux, finit par s'en séparer complétement et par occuper la cavité de la vésicule oculaire définitive. L’œil se complète ainsi par l’adjonce- tion d'éléments qui proviennent de l'enveloppe cutanée. Ces trois figures représentent la formation du cristallin et son invagination dans la dépression de la vésicule cérébrale antérieure. Elles sont prises dans l'ouvrage de Remak: Untersuchungen über die Entwickelung der Wirbelthiere, pl. V, fig. 58, 59, 60. On voit dans la figure 11 le cristallin e se produire comme une excroissance du feuillet séreux qui pénètre dans la dépression de la vésicule oculaire primitive, dont la cavité communique avec celle de la vésicule cérébrale. Le bord antérieur de la vésicule oculaire est la rétine, »; le bord postérieur, la choroïde, A ; ou du moins la couche de pigment.—La figure 12 présente le cristallin complétement séparé du feuillet séreux. — Dans la figure 13, le cristallin s'est séparé de la rétine pour former la vésicule oculaire définitive, dont la cavité s'est remplie par l'invagination du corps vitré v, autre excroissance du feuillet séreux, comme nous le savons par les travaux de Schæler. (De oculi evolutione in embryone gallinæ, 1848). La vésicule oculaire primitive s'est compléte- ment séparée de la vésicule cérébrale, et ses deux parois, la rétine et la choroïde, se sont appli- quées l'une contre l'autre, en laissant seulement'un petit vide qui disparait peu à peu. Supposons maintenant que par suite d’un arrêt de développement cette production de cristallin n’ait pointlieu, l’œil se trouvera réduit à la vésicule oculaire primitive ; c’est-à-dire qu'il ne contiendra que les éléments de la rétine et ceux de la couche de pigment. L’œil sem- blera donc ne consister qu’en une petite tache de couleur foncée, faisant plus où moins saillie au fond d’une orbite unique. On pour- rait déduire évidemment cette conséquence des faits que je viens de rappeler relativement à l’évolution de l'œil, Mais l'observation directe m'a permis de constater que c’est ainsi réellement que les choses se passent. J'ai observé tout récemment un cas de cyclopie chez un 1 Si toutefois la couche de pigment est véritablement une production de la choroïde, D'après plusieurs travaux récents, cette couche appartiendrait à la rétine. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 239 embryon vivant, el qui avait atteint le septième jour de l'incubation. L'œil unique, existant en avant de la face, consistait en une petite vésicule sphérique, d'un bleu très-foncé. Il était réduit manifestement à la vésicule oculaire primitive. Cet arrèt de développement de l'œil réduit à la vésicule oculaire primitive ne se rencontre pas d’ailleurs spécialement dans la cyclopie. Il peut se produire également dans des yeux développés isolément. Je l'ai rencontré assez fréquemment dans mes expériences, et parli- culièrement dans les embryons affectés d’exencéphalie. Dans ces cas l'arrêt de développement affectait tantôt les deux yeux, et Llantôt un seul œil. Ces organes paraissaient remplacés par de simples taches de pigment. La cyclopie est donc le résultat d’un arrèt de développement de la vésicule cérébrale antérieure, arrêt de développement dont la date elle-mème est antérieure à celle de la formation des yeux on des vé- sicules oculaires primitives. Je n'ai pas fait, comme je l'ai dit déjà, d'observations spéciales sur l’origine de la triocéphalie. Mais il est bien évident pour moi que son mode de formation ne pent laisser aucun doute. C’est un arrêt de développement de la vésicule céré- brale antérieure qui se produit à une époque encore plus reculée, à une époque où les parties qui devront former les yeux ne se sont pas encore produites dans les lames qui forment les bords de la gouttière cérébrale. Comme l'œil unique, ou l'appareil oculaire de la cyclopie, se pro- duit toujours à l'extrémité antérieure du tube cérébro-spinal, sa formation détermine au dehors une forme particulière de la tête. Dans l'évolution normale, la tête, à un certain moment, se termine par un bord convexe. Dans la cyclopie, la tête présente au début une forme toute différente. Elle se termine par un bord rectiligne, plus ou moins allongé, suivant la longueur de la fossette oculaire. Plus tard, l’appareil oculaire frappé de cyclopie se déplace. Il s'é- loigne de l'extrémité antérieure de la tête, et vient se placer peu à peu sur sa face inférieure. J'ai constaté le fait, mais je n'ai pu encore constater par quel mécanisme il se produit. Mais il est bien évident que ce déplacement de l'appareil oculaire est une conséquence des modifications qui s’accomplissent dans la vésicule cérébrale antérieure. lei, je puis suppléer au manque d'observations directes par la consi- dération des faits anatomiques que les tératologistes ont recueillis sur la cyclopie. 240 MODE DE FORMATION On voit, dans ces descriptions anatomiques, que l’encéphale pré- sente Loujours des signes manifestes d'arrèt de développement. Elles sont trop peu nombreuses pour que je puisse actuellement détermi- ner, d'une manière exacte, leurs conditions générales. Il y a cepen- dant certains faits qui se reproduisent dans toutes ces descriptions. Telle est par exemple l'existence d'un ventricule unique qui remplace le troisième ventricule et les deux ventricules latéraux ; l'absence de séparation des hémisphères ; l'absence des circonvolutions ; l'absence du corps calleux et de la voûte’. Tous ces faits indiquent manifeste- ment un arrèt de développement de la vésicule cérébrale antérieure, qui s’est constituée en conservant, dans une proportion plus ou moins considérable, ses conditions embryonnaires primitives. Elle ne s’est point divisée, ou ne s’est divisée qu'incomplétement en deux vésicules, la vésicule du troisième ventricule et celle des hémisphères, De plus, elle n’a pu séparer les vésicules oculaires, juxtaposées ou soudées dès le moment de leur apparition; mais elle s’est étendue au-dessus d'elles, et, continuant à s’accroître, elle les dépasse eu avant. C’est ainsi que l'appareil oculaire, qui occupait primitivement l'extrémité antérieure de la tête, se trouve peu à peu refoulé en arrière; tandis que la vésicule cérébrale antérieure, qui d’abord ne dépas- sait pas l'appareil oculaire, s'étend ensuite au-dessus de cetappareil, puis vient se placer en avant et finit par occuper l’extrémité antérieure de la tête. I n'y à là, je le sais, que des notions purement théoriques. Mais je ne doute pas qu’elles ne soient pleinement confirmées par l'embryo- génie. Comme dans la cyelopie la tête est beaucoup plus courte que dans les embryons dont l'évolution est normale, et que, d'autre part, les cyclopes que j'ai observés étaient couchés à plat sur le vitellus, sans s'être retournés, j'ai cru, pendant longtemps, que ces monstres échappaient à la loi générale du retournement. Mais j'ai eu tout ré- cemment occasion d'observer un cyclope qui s’était retourné?. Ce retard dans le retournement de la tête s'accompagne presque 1 Il ne faut pas oublier ici que nresque toutes les observations de cyclopie ont été faites chez l’homme et chez les mammifères. Elles sont excessivement rares chez les oiseaux, Is. Geoffroy Saint-Hilaire n’en connaissait que cinq cas (Traité de térato- logie, t. II, p. #12). C'est pourquoi je cite ici l'absence du corps calleux et des cir- convolutions, qui n'existent pas chez les oiseaux. 2 C'est celui'dont j'ai parlé p, 238, DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 241 toujours d’une inflexion de la tête sur le corps ; inflexion qui se pro- duit tantôt à droite, tantôt à gauche, et qui est, au moins dans beau- coup de cas, sinon dans tous, en rapport avec un arrêt de dévelop- pement du capuchon céphalique de l’amnios. En effet, j'ai vu bien manifestement, dans ces cas d’inflexion du corps, la têle venir se heurter contre le pli antérieur que forme l’amnios, à l'endroit où il se recourbe pour former le capuchon céphalique. Je n'ai pu toutefois m'assurer que l'arrêt de développement du capuchon céphalique de l’amnios serait, dans tous les cas, le point de départ de la cyclopie, par la pression qu'il exercerait sur la partie antérieure de la tête, L'existence d'un œil unique, ou de deux yeux très-rapprochés sur la ligne médiane, entraine l’absence des parties centrales de la face, et, en même temps, elle maintient les fosses nasales dans un état rudi- mentaire ou les transforme en une petite trompe située au-dessus de l'appareil oculaire. Je n’insiste pas sur ces faits, dont l'explication est toute simple. Je me contente seulement de signaler un caractère Lie, 10 Fig. 9. — Face antérieure de la tète dans un embryon normal; a, hémisphères cérébraux ; bb, yeux: ce, fentes nasales: d, blastème de l'intermaxillaire; +e, blastèmes des maxillaires supérieurs ; Îf, blastème du maxillaire inférieur. Fig. 10. — Face antérieure de la tête dans un embryon cyclope. 4, œil unique formé par la réunion des deux yeux ; ce, blastèmes des maxillaires supérieurs ; //, blastème du maxillaire inférieur. remarquable que j'ai rencontré dans les embryons cyclopes; c’est la forme particulière de la bouche. Dans l’état normal, l'interposition, entre les yeux, d'un blastème qui deviendra l'os intermaxillaire et les os nasaux, a pour effet de donner à l'ouverture buccale la forme d'un quadrilatère, dont les côtés sont : supérieurement, le bord de l'in- termaxillaire ; latéralement, ceux du maxillaire supérieur ; infé- rieurement, celui du maxillaire inférieur. L'absence du blastime in- termaxillaire chez les cyclopes donne à la bouche la forme d'un triangle dont le sommet est en haut, tandis que la base est formée par le maxillaire inférieur. En dehors de la tête, la cyclopie, dans les cas que j'ai observés, s’'accompagnait très-fréquemment d'autres anomalies, principalement 15 242 MODE DE FORMATION dans l'appareil circulatoire. L'anse cardiaque ne présentait pas tou- jours sa forme normale; elle était très-déjetée latéralement, et ses deux extrémités supérieure et inférieure beaucoup plus rapprochées que dans l'élat normal. Son volume était plus considérable que le volume ordinaire. J'ai observé également plusieurs fois l'incurvation de l'anse cardiaque à la gauche de l'embryon, fait initial de l’inversion des viscères ; et aussi la dualité du cœur. Il est bien clair, par tous ces faits, que la cause qui produit l'arrèt de développement de la tête, exerce aussi son influence sur le reste de l'embryon’. Une dernière anomalie que j'ai très-fréquemment observée dans les cas de cyclopie, c’est le manque de segmentation des lames dorsales, et, par suile, l'absence de ce que l'on appelle les prévertèbres ou les vertèbres primitives. Quelquefois l'embryon cyclope était affecté de fissure spinale ; mais le plus ordinairement les deux lames s'étaient réunies. On voyait très-bien, dans tous ces cas, la corde dorsale. Ces faits conduisent, par une transition insensible, à certaines monstruosités omphalosites : au type des hétéroïdes, où la région du tronc ne s'est développée que d’une manière incomplète ; et au type des céphalides, où elle fait presque entièrement défaut. Ces monstres paraissent plus ou moins réduits à une tête ; et cette tèle est presque toujours; je ne puis dire encore toujours, affectée de cyclopie. Enfin, la triocéphalie et la cyclopie se rencontrent presque toujours, et peut-être même toujours, dans un type tératologique que j'ai dé- couvert, et que je désigne sous le nom d’omphalocéphale. $ 4. Après la triocéphalie et la cyelopie, doit venir un type tératologique nouveau, que personne n'a décrit, que j'ai rencontré souvent, mais dont je n'ai pu comprendre que tout récemment le mode de forma- tion. Dans ce type, que je désigne sous le nom d’omphalocéphalie, la tête, lorsqu'on regarde l'embryon par la face ventrale, paraît sortir par l'ouverture ombilicale, au-dessous du cœur. II semble que lon ait, si l’on peut parler ainsi, une hernie ombilicale de la tête. 1 Je rappelle à ce sujet que le seul cas parfaitement authentique de dualité du cœur dans les observations tératologiques a été observé par Collomb dans un cyelope otocéphale (voir p. 122 et 162). ntm mm DES MOXSTRES SIMPLES AUTOSITES. 244 Voici le mode de formation de ce type tératologique, l'un des plus étranges que je connaisse, J'ai montré, dans un chapitre précédent", que le bord antérieur du disque embryonnaire, ou, si l'on aime mieux, du feuillet vasculaire, forme primitivement une ligne droite, dans la partie médiane de la- quelle se produit une petite éminence qui deviendra la tête. Des deux moitiés de cette ligne sortent deux lames qui, d'abord compléte- ment séparées, viennent peu à peu à la rencontre l'une de l'autre, et finissent par se conjoindre au-dessous de la tête. Les blastèmes cardiaques primitifs se produisent à la partie inférieure de ces deux lames. Ces lames antérieures du feuillet vasculaire peuvent, comme toutes les autres parties de l'organisme embryonnaire, être frappées d'arrêt de développement, soit simultanément, soit isolément. Le résultat le plus général de cet arrèt de développement, c'est la sé- paration complète de ces deux lames. Si, dans ces condilions, la tête continue à se développer, elle peut s’infléchir de haut en bas, de ma- nière à pénétrer dans l'intervalle qui sépare les deux lames ; et elle vient alors se loger dans une excavation produite par la partie du blastoderme qui revêt le jaune. Il résulte parfois de cette pénétration de la tête dans une excavation de la membrane du jaune, que les deux lames antérieures du feuillet vasculaire ne peuvent se réunir et restent écartées, Il arrive alors, dans bien des cas, que les deux blastèmes cardiaques primitifs se constituent d'une manière isolée, et forment deux cœurs distincts. Muais il peut se faire aussi, et c'est le cas le plus fréquent, que les deux lames antérieures du feuillet vasculaire, bien que séparées par la tête, viennent se rejoindre au-dessus d'elle. Alors les deux blastèmes car- diaques primitifs, tantôt restent séparés et tantôt s'unissent au-dessus de la tête et forment un cœur unique. J'ai souvent observé ces em- bryons monstrueux en élat de vie; les battements des cœurs séparés, ou du cœur unique au-dessus de la tête, ne laissaient aucun doute sur l'existence de cette étrange organisation. J'ai vu cette monstruosité se produire chez des embryons dont le système vasculaire s'était complétement formé, et chez d'autres qui présentaient l'arrêt de développement des iles de sang et leur défaut de réunion que j'ai décrit ailleurs *. Dans le premier cas, le cœur 4 Voir le chapitre 1 de la seconde partie. 3 Voirle chapitre 11 de la seconde partie, & 5, 244 MODE DE FORMATION ou les cœurs battaient sur du sang rouge; dans le second, ils bat- Laient sur un sang complétement incolore. La têle ainsi engagée dans l'intervalle que laissent entre elles les deux lames antérieures du feuillet vasculaire, se trouve plus ou moins entravée dans son évolution; elle présente alors fréquemment des ar- rêts de développement, Tantôt elle est entièrement convertie en une Figures dessinées d'après nature et représentant la formation de l'omphalocéphalie.— 14 et 15. Om- phalocéphalie incomplète ; les lames antérieures du feuillet vasculaire ne sont'pas réunies. — 14. Face supérieure. — 15. Face inférieure. 0, bord du capuchon céphalique ; ce, cœurs distincts et très-inégaux : 00, vésicules auditives ; £, tête recourbée dans la gouttière abdominale. —16. Om- phalocéphalie presque complète, r, ia tête engagée dans la gouttière abdominale au-dessous de deux blastèmes cardiaques, ce, encore séparés comme les lames antérieures du feuillet vasculaire à la base desquelles on les aperçoit. — 17. Omphalocéphalie complète. #, tète engagée dans la gouttiére abdominale au-dessous des deux blastèmes cardiaques ; cc, blastèmes cardiaques juxta- posés et très-visibles au point de jonction des deux lames antérieures du feuillet vasculaire; cv, vertèbres primitives. — 18. Omphalocéphalie complète. {, tête engagée dans la gouttière abdomi- nale au-dessous d'un cœur unique ; €, cœur situé dans l'angle rentrant formé par les deux bords des lames antérieures du feuillet vasculaire ; cv, verfèbres primitives. masse informe, et rappelle, par conséquent, la tête des triocéphales ; tantôt son évolution a été plus loin ; on peut alors y reconnaître les vésicules encéphaliques, et l'appareil oculaire présentant d’une ma- nière plus ou moins complète les caractères des différentes formes de la cyelopie. J'ai mème, tout à fait au début de mes études, rencon- tré un embryon dont la tête était bien conformée, mais dont le cœur élait à nu dans la région dorsale, exactement, qu'on me passe cette comparaison, comme la hotte sur le dos d'un portefaix, Je ne pouvais DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 245 «comprendre alors cette organisation étrange. Aujourd'hui elle s'ex- plique de la manière la plus simple. L'existence de cette monstruosité soulève plusieurs questions phy- siologiques que je n'ai point encore complétement résolues, et que je ne puis, par conséquent, qu'indiquer. Telles sont, par exemple, les relalions de l’amnios avec les différentes parties de l'embryon. Telles sont également les conditions de viabilité de ces monstres, J'en ai rencontré un grand nombre qui étaient morts de (rès-bonne heure ; mais, comme ils étaient en même temps affectés d'autres ano- malies, et principalement de l'arrêt de développement des îles de sang, condition qui, lorsqu'elle à atteint un certain degré d'intensité, est nécessairement mortelle, je n'ai pu, jusqu'à présent, savoir si l'omphalocéphalie est par elle-même une cause de mort précoce. J'ai lieu toutefois de le croire, par suite de la gravité des anomalies qui la composent. Un fait intéressant de l'histoire de l'omphalocéphalie, c’est qu’elle peut se produire non-seulement dans les monstruosités simples, mais encore dans les monstruosités doubles. Je l'y ai rencontrée trois fois sur une trentaine de monstres doubles en voie de formation que j'ai pu examiner, et deux fois dans le type si curieux des monstres doubles à double poitrine et à tête unique, qui, dans la nomencla- ture d’Is. Geoffroy Saint-Hilaire, sont désignés sous les noms de jani- ceps, d’iniopes, de synotes et de déradelphes, et dans lesquels l'union des sujets composants se produit d'abord par les têtes, puis par les bords antérieurs des feuillets vasculaires. Or, il peut arriver que les têtes soudées entre elles s'engagent dans l'espace vide qui existe entre les quatre lames antérieures des feuillets vasculaires, et pénè- trent ainsi dans la cavité thoracique commune aux deux sujets. Dans les cas de ce genre que J'ai observés, les embryons étaient morts de très-bonne heure. Pourraient-ils continuer à vivre, et, dans ce cas, que deviendraient ces organisations dans lesquelles la tête for- mée de doubles éléments aurait pénétré dans la cavité thoraco-ab- dominale commune !? 1 J'ai observé, dans certains cas, une autre forme de l’omphalocéphalie, lei la tète ne s’est pas renversée ; mais, ne pouvant se développer en avant, par suite de l'obstacle que lui oppose le pli antérieur de l'amnios, elle a engagé sa partie posté- rieure dans la cavité de l’æsophage encore largement ouverte. Il y a dans ce cas une véritable hernie ombilicale de la tête. Je ne sais pas ce que deviennent de pareils monstres, lorsque l'existence se prolonge. 246 MODE DE FORMATION $ 5. L'anencéphalie résulte d’un arrêt de développement qui se produit un peu plus tard que la cyelopie, lorsque toutes les vésicules encé- phaliques se sont constituées et qu’elles se sont isolées des appareils des sens. Dans cette monstruosité, l’encéphale manque complétement, et la moelle épinière manque, ou complétement (anencéphalie vraie), ou au moins partiellement, dans la région cervicale (dérencéphalie). Ces parties sont remplacées par une poche pleine de sérosité. Le crâne et la colonne vertébrale sont toujours ouverts en arrière. Les tégu- ments communs s'arrêtent à quelque distance de la poche séreuse, qui se trouve ainsi complétement à nu. Les monstruosités anencéphaliques ont été fréquemment étudiées au point de vue anatomique, et par conséquent leur organisation est bien connue. L'existence d'un amas de sérosité à la place de l’encéphale à con- duit depuis longtemps les anatomistes à considérer l'anencéphalie comme un événement pathologique, comme le résultat d'une hydro- pisie qui aurait détruit complétement la substance nerveuse, et aurait pris sa place. Cette explication, vaguement indiquée par Mar- cot, en 1726, a été reprise et développée par Morgagni, à l’occasion de plusieurs monstres anencéphales qu’il avait eu occasion d’étudier par lui-même, ou dont il avait recu des observations très-complètes provenant d’habiles anatomistes, tels que Valsalva *. Meckel, en 1812, imagina une autre explication ?. Il admit que l'a- nencéphalie résultait d'un arrêt de développement, et il alla même jusqu'à comparer la poche séreuse des anencéphales aux vésicules encéphaliques de l'embryon du poulet. Geoffroy Saint-Hilaire, étu- diant ensuite ces mêmes faits, arriva à une conclusion toute sem- blable *. Il y a peu de monstruosités dans lesquelles l'arrêt de développe- ment soit aussi facilement reconnaissable. J'ai été conduit cependant, il y a dix ans, à donner une autre explication de l’anencéphalie *. Des 1 Voir p. 16 et 194. 3 MreckeL, andbuch der pathologischen Anatomie, t. I, p. 195 à 260. E. GEOFFROY SAINT HiLaiRE, Philosophie analomique, t. II, p. 149. 4 Danesre, Sur le mode de production des monstres anencéphaies, dans les Comptes rendus, t&. LXIIT, p. 448, 1866. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 247 observations récentes m'engagent actuellement à adopter sans ré- serves la thèse de Meckel et de Geoffroy Saint-Hilaire. Je dois dois entrer ici dans quelques explications. J'ai donné, dans un précédent chapitre, l'histoire de l'hydropisie embryonnaire, et j'ai montré que cette hydropisie se produit à la suite d'une modification particulière du sang, résultant elle-même d'un défaut de vascularisation de l'aire vasculaire‘. J'avais observé, entre autres conséquences de l’hydropisie embryonnaire, la production de l'hydrocéphale et de l'hydrorachis; j'avais cru pouvoir en conclure que ces phénomènes pathologiques déterminaient l'anencéphalie. Je me rattachais donc aux idées de Morgagni ; toutefois avec cette diffé- rence, que je considérais l'hydropisie comme empêchant la formation des éléments de la substance nerveuse, et non comme détruisant une substance nerveuse préexistante. Un doute me restait sur cette question. En effet, les embryons anencéphales peuvent atteindre dans l'œuf l'époque de l'éclosion. Winslow a déjà figuré deux pigeons anencéphales ?. Moi-même J'ai constaté de semblables faits. J'avais supposé, en partant d'idées théo- riques assez généralement acceptées, que,'dans les cas que je viens de signaler, l'hydropisie se guérissait par suite de l'arrivée dans le sang des globules elliptiques. On a admis que ces globules se produisaient dans le foie. Leur arrivée dans le sang aurait eu pour résultat de réparer les désordres produits par l’hydropisie, sauf l'hydrorachis et l’hydrocéphale, où la désorganisation serait incurable. Aujourd'hui, je suis contraint de reconnaître que cette hypothèse n'est point fondée. J'ai multiplié considérablement mes observations sur les embryons hydropiques ; et j'ai toujours constaté que cette maladie embryonnaire produit des désordres absolument irréparables. Tous les embryons qui en sont affectés périssent de très-bonne heure. Je suis donc conduit à rejeter complétement l'explication que j'avais cru pouvoir donner de l’anencéphalie. D'autre part, j'ai observé plusieurs fois des embryons chez les- quels l'augmentation de la sérosité dans les vésicules cérébrales et médullaires s'était produite el dont cependant le sang était très-rouge et devait contenir autant de globules que le sang normal. Ils ne présentaient aucun autre fait d'hydropisie. Les vésicules cérébrales, 1 Voir le chapitre n de la seconde partie, $ 6. 2 WixsLow, Remarques sur les monstres, Are partie, dans les Mém, de l'Acad. des sciences, 1739, pl. XXX, fig. 15 et 16. 248 MODE DE FORMATION dont le volume était augmenté, étaient d'ailleurs plus ou moins déformées, et ne formaient, à bien des égards, qu’une vésicule unique. Ces observations me donnent lieu de croire que l’anencéphalie véritable résulte essentiellement d’un arrêt de développement, comme Meckel et Geoffroy Saint-Hilaire l'avaient admis. Lorsque la gouttière primilive se transforme en un canal fermé, cette transformation se produit par le rapprochement, puis l'union des bords supérieurs du repli du feuillet séreux qui en revêt la cavité. On sait, en effet, depuis les travaux de Remak, que la gouttière pri- mitive est complétement revètue par le feuillet séreux, qui forme ce qu'on appelle la lame médullaire (Medullarplatte). Plus tard, cette lame médullaire s'épaissit par la formation d'élé- ments nouveaux, qui sont très-probablement le point de départ des éléments de la substance nerveuse. Mais cet épaississement de la couche du feuillet séreux qui tapisse la gouttière ne se produit pas simultanément dans toute l'étendue du conduit nerveux. Cela a lieu de très-bonne heure pour la moelle épinière, qui présente alors exté- rieurement deux cordons blanes séparés par un raphé'. Maisil en est autrement pour les vésicules encéphaliques. Ici l'épaississement n’a lieu que dans les parois latérales. La paroi supérieure reste très- longtemps entièrement formée par les replis de l'enveloppe séreuse non modifiés. S'il arrive que ces parties restent frappées d'arrêt de développement, la sérosité qui la remplit dans l’état normal continue à se former ; il y a bien alors une hydropisie, mais une hydropisie physiologique si l'on peut parler ainsi. Cette accumulation de sérosité empêche la formation de la substance nerveuse; de plus, elle maintient lés blas- tèmes d'enveloppe dans leur premier état. Il en résulte que l’ossifi- cation de la colonne vertébrale et celle du crâne ne se produisent point dans la région supérieure, et que ces parties restent couvertes par une membrane d’enveloppe qui n’est autre chose qu'une dépen- dance de la membrane séreuse primitive. Je n'ai encore vu ces faits que d'une manière incomplète. L'arrêt de développement pur et simple est très-difficile à reconnaître au début même des formations, puisque tout s'y réduit à une question de date, Or, m'élant fait d’autres idées sur l’origine de l’anencé- 1 Voir p.192, DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 249 phalie, je n'avais pas lieu de porter mon attention sur des détails très- minimes, et dont je ne pouvais alors comprendre l'importance, J'ai la certitude de pouvoir compléter plus tard cette partie de mon travail. On comprend que, dans de pareilles conditions, je ne puisse donner” aucun document précis sur le fait initial de cette monstruo- sité. Toutefois la ressemblance complète que le crâne et la colonne vertébrale présentent, dans l'anencéphalie, avec ce que l’on observe dans les types de la pseudencéphalie et de l'exencéphalie, ne me permet pas de douter qu'elle ne résulte, comme ces types, d’une com- pression externe exercée par l'amnios, arrèté dans les premières périodes de son développement. J'ai constaté ces faits de la manière la plus certaine pour l’exencéphalie ; je les ferai connaître lorsque je traiterai de l’origine de cette monstruosité. S G. Le type de la pseudencéphalie diffère très-peu de l'anencéphalie et de l'exencéphalie. Les conditions anatomiques générales sont les mèmes. Seulement le système nerveux cérébro-spinal, qui fait dé- faut, au moins partiellement, n'est pas remplacé par une poche remplie de sérosité, mais parun tissu vasculaire plus ou moins com- parable au tissu des corps caverneux ou à celui de ces tumeurs que l’on a désignées en anatomie pathologique sous les noms de fongus hématodes, de tumeurs érectiles, de télangiectasies. Je n'ai jamais eu l’occasion de disséquer de pareilles tumeurs. Je suis obligé, pour faire connaître leur structure, de rappeler les paroles mêmes d’Is. Geoffroy Saint-Hilaire. « En examinant avec soin la tumeur vasculaire d’un monstre nosencéphalien, on y distingue trois sortes de parties : des vaisseaux, qui forment la portion constante et principale de la tumeur ; des amas de sérosité, dont l'existence est assez ordinaire ; et quelques ves- tiges encéphaliques, ce qui est plus rare. « Les vaisseaux, qui composent la plus grande partie et quelquefois la totalité de la tumeur, sont surtout remarquables par l’abondance du sang dont ils sont gorgés. L'ensemble de la tumeur est toujours, à la surface, comme dans l'intérieur de son tissu, d’un rouge foncé semblable à celui d'un caillot récemment formé, et la moindre déchi- rure de la membrane mince et transparente qui la recouvre laisse échapper du sang. A l'intérieur, outre ces lacis de vaisseaux très- 250 MODE DE FORMATION ténus et peu distincts, qui se présentent, quand on les incise, sous la forme d'un tissu spongieux criblé de petits trous, on aperçoit quelques branches vasculaires assez grosses pour que leur injection soit facile ; ces branches sont: les unes, des artères qui s'ouvrent dans les carotides et les vertébrales ; les autres, des veines communiquant avec les sinus; et tous les petits vaisseaux sont évidemment des ramuscules artériels et veineux de ces branches principales. Au centre de la tumeur existe ordinairement une petite cavité dans laquelle on trouve du sang épanché, et, de plus, chez quelques sujets, et surtout chez ceux dont la tumeur est volumineuse, un amas de sérosité, tantôt limpide, tantôt colorée par son mélange avec un peu de sang...» « L'écoulement de la sérosité et du sang épanché a nécessairement lieu quand on ouvre les vésicules. La tumeur, qui, dans son état naturel, est gonflée, dure au toucher et saïllante, perd alors sa forme primitive, s’amollit, s’affaisse et se réduit à un petit volume. La dessiccation ou même un long séjour dans l’alcool en diminuent aussi, d'une manière notable, le volume, en même temps qu'ils en altèrent la structure et la couleur !. » L'élément principal de ces organes tératologiques consiste donc en un tissu vasculaire, dont les caractères rappellent très-exactement ceux du tissu des corps caverneux danssl’anatomie normale, et des tumeurs dites érectiles dans l'anatomie pathologique. Assurément, je ne suis pas en mesure d’affirmer l'identité de ces tissus; mais je puis, du moins, en signaler la très-grande analogie. On peut d’ailleurs la constater en comparant deux dessins, donnés par J. Müller dans ‘son travail sur les tumeurs, et qui reproduisent : l’un, l’aspect d’une coupe prise sur une semblable tumeur encéphalique; l’autre, l’aspect d’une coupe prise sur une tumeur érectile de la face ?. Ce qui caractérise essentiellement ce genre de tissu, c'est la substitution, aux réseaux de vaisseaux capillaires ordinaires, d’un système particulier de lacunes remplies de sang, qui résultent de la dilatation plus ou moins considérable, et souvent énorme, des vaisseaux capillaires. Or, bien que je ne connaisse pas par moi-même 1 Is. Grorrnoy SainT-HiLammE, Trailé de téralologie, t. IT, p. 337. 2 Le dessin donné par J. Müller est le seul, à ma connaissance, dans lequel on ait figuré la texture d’une semblable tumeur, Malheureusement Müller n’en a pas donné la description. Elle devait faire partie de la seconde livraison de son ouvrage Sur les tumeurs, livraison qui n'a pas été publiée. Voir MüLLer, Ueber den feineren Bau und die Formen der krankhafter Geschwulste, pl, III, fig. 16 et 17. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 251 la constitution des tumeurs encéphaliques des monstres pseudencé- phaliens, et que je ne puisse m'en faire une idée que par les descrip- tions incomplètes des tératologistes, je ne puis douter qu'elles ne soient, au moins en grande partie, comparables, pour leur struc- ture, aux corps caverneux et aux tumeurs érectiles. J'ai ignoré, pendant longtemps, le mode de formation du lissu vasculaire de ces tumeurs encéphaliques. Des observalions toutes ré- centes me l'ont appris. C'est un des résultats les plus inattendus de mes recherches. Je rappelle ici les faits que j'ai décrits sur l'arrêt de développement qui frappe souvent les îles de sang dans le feuillet vasculaire !. Ces îles peuvent rester, pendant un temps assez long, et parfois même tou- jours, à l'état de cavités closes, et ne pas émettre les prolongements latéraux qui, en s’'anastomosant entre eux, les font communiquer les unes avec les autres. Dans ces conditions, elles s’hypertrophient et ac- quièrent un volume énorme; elles peuvent contenir alors un nombre extrèmement considérable de globules (deux cents ou trois cents). Ces iles, ainsi modifiées, et considérablement accrues, peuvent s'unir tardivement les unes aux autres ; elles constituent alors un réseau de lacunes qui communiquent ensemble, et dont l'aspect est entiè- rement différent de celui des vaisseaux capillaires ordinaires. Or, j'ai constaté récemment, dans les parois de certaines tumeurs pseudencéphaliques, l'existence d'îles de sang isolées et considéra- blement hypertrophiées. Ce sont les anastomoses de ces iles de sang qui produisent le tissu lacunaire sanguin de ces tumeurs. Bien que mes observations sur ce point aient été malheureusement très-peu nombreuses, je suis convaincu, d’après Loutes les observations que j'ai faites sur la formation de ce tissu lacunaire dans le feuillet vasculaire, que les faits doivent se produire exactement de la même façon dans les membranes qui enveloppent les tumeurs encéphali- ques des monstres pseudencéphaliens. En dehors de la question spéciale de tératogénie qui m'occupe ici, je dois signaler deux conséquences très-remarquables de cette oh- servation. D'abord, elle nous fait connaître, très-probablement, le mode de formation du tissu lacunaire sanguin dans l'état normal comme dans l'état pathologique. 1 Voir le chapitre 11 de la seconde partie, S 5. 252 MODE DE FORMATION Mais, en outre, elle nous fait connaître le mode de formation des vaisseaux capillaires, au moins dans un certain nombre d'organes. L'étude de la formation des vaisseaux capillaires, et même des vaisseaux d’un calibre plus considérable, les artères et les veines, n’a été faite encore, dans l'embryon du poulet, que d’une manière très- incomplète en dehors de l'aire vasculaire. Les faits que je viens de décrire prouvent d'une manière bien évidente que diverses parties de l'embryon peuvent, à un certain moment, produire des îles de sang tout à fait comparables à celles de l'aire vasculaire ; îles de sang dont les prolongements étoilés s'unissent entre eux pour former un réseau de vaisseaux capillaires. Ce fait s'explique très-facilement, puisque l'embryon et le feuillet vasculaire ne sont, au début, qu'un seul et même organisme, un disque dont toutes les parties sont en continuité les unes avec les autres. Je rappelle à cette occasion les organismes étranges que j'ai déjà décrits, et dans lesquels le corps de l'embryon et le feuillet vasculaire ne sont point différenciés #, Il est possible d’ailleurs que ce mode de formation des vaisseaux capillaires ne soit pas général, et que, dans certains organes, les vaisseaux proviennent de prolongements produits sur des vaisseaux préexistants. Malgré tous les travaux qui ont été faits sur l’embryo- génie du poulet, l'histoire de la formation des vaisseaux sanguins dans les divers organes de l’embryon est encore à faire *, 1 Voir le chapitre 11 de la seconde partie, $ 3. ? Je n'ai trouvé à ce sujet que quelques vagues indications appartenant à Haller. Je les cite textuellement, parce qu’elles sont parfaitement d'accord avec les idées que je soutiens, bien que l'illustre physiologiste en ait tiré des conséquences toutes contraires, « Prima utique aorta apparet, paulo post cor; venaque cava in aurem dextram immissa, Aortæ vero rami duo, in qua peracute finditur, hora 54 conspicui sunt, dum nulla alia in corpore pulli vasa apparent. a Die tertio in capite primo punela apparent rubentia, tum striæ, quæ non multo tempore interlapso in lineas coeunt, et in truncum coalescunt, qui per collum in capul ascendil, quæ vena jugularis est. « Ex eo trunco mature, et die quarto videas exire ramos ad cerebrales vesiculos eleganter ramosos, quos magis et magis ætas evolvit. Eo tempore nulla alia arteria apparet. « Per universum corpus ramos arteriosos vidi hora 103. « In artubus serius vasa apparent, a die sexto. Et puncta quidem, deinde lineolæ conspiciuntur quæ sensim die fere nono in continua vasa coalescunt, quæ ossa et demum singulos digitos sequuntur, » HaLLER, Opera minora, t. II, p 104. On le voit, Haller décrit les faits apparents de la formation des vaisseaux dans l'embryon, exactement comme je les décris moi-même. Il les compare à ceux de la formation des vaisseaux dans l'aire vasculaire. Comment se fait-il cependant qu’il s DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 254 On n'a, jusqu'à présent, signalé cette formation des vaisseaux comme des productions indépendantes de la circulation générale que dans un seul cas que présente la pathologie ; c'est la formation des vaisseaux dans les fausses membranes qui se produisent si sou- vent dans les phlegmasiès entre les deux feuillets des membranes séreuses. Mais ce mode de formation n'est pas généralement adopté par tous les histologistes, Les faits que je viens de signaler en établissent la possibilité t. Les monstres pseudencéphaliens présentent d’ailleurs, si l'on fait abstraction de la tumeur encéphalique, une organisation crânienne considère les réseaux vasculaires comme préexistant, et qu'il cherche à expliquer les trois apparences successives qu'il décrit dans la formation des vaisseaux, les points, les stries et les lignes, comme résultant de la pénétration du sang dans des cavités antérieurement formées? C'est que cela était nécessaire dans la théorie de la préexis- tence des germes dont il s'était fait le défenseur, contre Wolff, qui soutenait, au contraire, que les vaisseaux sanguins résultent de la formation de lacunes dans le tissu de l'aire vasculaire ou, comme il l’appelait, de l'aire ombilicale. J'ai mentionné leur discussion à ce sujet dans l’Introduction, p. 18. 1 Les idées que j’indique dans ce chapitre et dans un chapitre précédent (voir p.187) peuvent sembler en désaccord avec les notions que l’on admet généralement d’après les travaux récents des embryogénistes. Mais ce désaccord n’est qu'apparent. On pense généralement aujourd'hui que dans l'aire vasculaire les vaisseaux capil- laires apparaissent d’abord sous la forme d’un réseau de cordons pleins, qui se trans- formeraient en tubes creux par une modification de la substance que renferment leurs parois. Les îles de sang se produiraient sur un certain nombre de points isolés de ce réseau. La liquéfaction de la substance contenue dans l'intérieur de ce réseau aurait pour résultat d'établir des voies de communication entre les îles de sang et de mélanger les globules produits dans ces Îles, avec le liquide résultant de la liquéfac- tion de la matière contenue dans l'intérieur des vaisseaux. M'occupant uniquement, dans mes recherches, d’études tératogéniques, je me suis jusqu'à présent renfermé dans la morphologie, et j'ai laissé intentionnelle- ment de côté les questions de pure histologie. Mais je dois faire remarquer que, dans la question actuelle, il importe peu que les îles de sang soient primitive- ment des cavités parfaitement isolées les unes des autres, ou bien qu’elles soient unies entre elles par des prolongements solides. Dans l’une et l’autre manière de voir, le fait physiologique est le même: la formation des globules du sang dans des cavités indépendantes. Or, l'indépendance primitive de ces cavités est surabondam- ment prouvée par leur hypertrophie, fait que j'ai décrit en détail dans un chapitre précédent. Comme je l'ai montré, les globules restent, pour la plus grande partie, emprisonnés dans des espaces clos dont ils ne peuvent sortir. Lorsque j'aurai terminé mes recherches sur la tératogénie, je reprendrai cette étude d’histologie, et je chercherai à déterminer la manière dont s'établit la com- munication entre les Îles de sang. Résulte-t-elle de la formation et de l'anastomose de prolongements creux provenant de leurs parois? ou bien est-elle le résultat, comme beaucoup de personnes l’admettent aujourd’hui, de la liquéfaction de ia partie cen- trale d'un réseau vasculaire d’abord complétement plein, et formé en même temps que les îles de sang”? 254 MODE DE FORMATION qui rappelle très-exactement celle des monstres anencéphaliens el exencéphaliens, et dépend évidemment d'un même fait initial. J'expliquerai donc leur formation en même temps que celle des monstres exencéphaliens, sur lesquels j'ai recueilli le plus grand nombre de documents. 8.7. Les différentes formes de l'exencéphalie ou des hernies de l’encé- phale présentent la même disposition du crâne et de la colonne ver- tébrale que l’anencéphalie et la pseudencéphalie. Elles diffèrent de ces deux types tératologiques par ce fait que la tumeur, au lieu d’être formée par une poche remplie de sérosité, ou par un tissu vasculaire, consiste en une partie plus ou moins considérable du système ner- veux cérébro-spinal. J'ai eu fréquement occasion d'observer de semblables monstruo- silés pendant leur formation, et j'ai pu déterminer leur fait initial. Les faits que j'ai constatés, à cette occasion, étaient entièrement nou- veaux, lorsque je les ai fait connaître en 1863 *. Le point de départ de ces monstruosités est le plus ordinairement Le 20 fig 14 4 SAN tee ë 6 Fig. 19. — Coupe schématique représentant une vésicule encéphalique eomprimée par l'amnios. a, amnios ; b, partie supérieure de la vésicule encéphalique comprimée et faisant hernie: e, partie inférieure de cette vésicule, qui n'a pas subi l'influence de la compression. Fig. 20, Embryon représenté d'après nature et atteint d'hyperencéphalie, et en même temps de célosomie et d'ectromélie partielle; en, encéphale aplati par la compression de l'amnios: e, cœur : ms, ms, membres supérieurs; /, foie; mi, mi, membres inférieurs. Le membre inférieur droit est affecté d'arrèt de développement. un arrêt de développement de l’amnios, ou du moins du capuchon céphalique de l'amnios, qui reste appliqué sur la face supérieure de la tête, au lieu de s'en écarter, et la comprime en partie ou en tota- 1 Danesre, Sur le mode de production de cerlaines formes de la monstruosité simple, dans les Bulletins de la Société de biologie, 3° série, t. V, p. 445, 1863. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 235 lité. Dans certains cas plus rares, le capuchon céphalique faisait complétement défaut; mais alors la tête de l'embryon était appliquée contre la paroi vitelline, ou contre la paroï interne de la coquille, La cause qui comprimait l'embryon était différente, mais les effets étaient toujours les mêmes, La tête, ainsi comprimée, présente une tumeur plus ou moins considérable, dont les bords externes dépassent les parois latérales. Cela se produit sur une étendue plus ou moins grande. Dans ces conditions, les membranes qui recouvrent la tumeur en- céphalique, et qui doivent, plus lard, consliluer la peau, et la mem- brane qui deviendra le crâne, conservent leurs conditions primitives de membranes transparentes. La membrane extérieure ne se trans- forme pas en peau ; la membrane intérieure ne s’ossifie point. Il y a donc, dans toute la partie comprimée, un retard bien manifeste de l'évolution histologique ; au contraire, cette évolution se complète dans toute la partie du crâne qui a échappé à la compression. L'étude ostéologique du crâne dans les monstres qui appartiennent à ces différents types, étude que l'on doit principalement à Geoffroy Saint-Hilaire’, montre, en effet, d'une manière très-évidente, ce qui doit se produire ultérieurement. L'ossification se produit dans toute la partie de la vésicule qui n'a pas subi de compression; mais elle s'arrête au fond du sillon qui sépare cette partie non comprimée de celle qui, par suite de la compression, s’est étalée au-dessus de ce sillon. 11 faut remarquer ici que cette différence est parfaitement en rapport avec ce que nous savons actuellement sur le mode d’ossifica- tion du crâne. Les os de la base du crâne, ceux qui se produisent toujours dans les cas d'exencéphalie, apparaissent dans des cartilages. Au contraire, les os de la voûte du crâne se produisent dans l’inté- rieur d’une membrane fibreuse résultant d'une transformation de la membrane transparente qui revêt la partie supérieure des vésicules encéphaliques. J'ai vu, dans mes observations, que la compression exercait son action tantôt également sur les trois vésicules cérébrales antérieures (Vorderhirn, Zwischenhirn et Mittelhirn), et tantôt seulement sur cer- taines de ces vésicules. Ces différences dans l'étendue de la compres- sion correspondent aux différents types indiqués par Is. Geoffroy 1 E. GEOFFROY SAINT-HiLatRE, Philosophie anatomique, t. Il, p. 83 et 273, Il est souvent revenu sur cette question dans ses mémoires ullérieurs. 256 MODE DE FORMATION Saint-Hilaire. La compression totale produit l’hyperencéphalie, dans laquelle la voûte osseuse du crâne manque complétement ; et la podencéphalie, qui n’est qu'un degré plus avancé de l'hyperencéphalie, dans laquelle l’ossification, se continuant au fond du sillon, fait que la tumeur encéphalique semble sortir par un trou de la voûte du crâne, Une compression partielle produit la proencéphalie, lorsqu'elle porte sur la partie antérieure de l’encéphale ; et la notencéphalie, lorsqu'elle porte sur la partie postérieure. Je dois ajouter ici que ces dernières monstruosités ne sont pas absolument comparables chez les oiseaux et chez les mammifères, par suite du développement iné- gal des différentes parties de l’encéphale. Le grand développement des hémisphères cérébraux chez les mammifères fait qu'ils ne sont que partiellement atteints par la proencéphalie, tandis que chez les oiseaux atteints de proencéphalie les hémisphères cérébraux sont entièrement en dehors de la partie ossifiée du crâne. La proencéphalie, chez les oiseaux, présente d’ailleurs un fait re- marquable, que j'ai déjà indiqué dans un précédent chapitre, mais sur lequel je dois revenir ‘. La proencéphalie n'est pas incompatible avec la prolongation de la vie. Les embryons d'oiseaux qui en sont atteints peuvent se déve- lopper jusqu à l’éclosion, et même vivre, après l’éclosion, d’une vie indépendante. Or, il peut arriver que, dans ces conditions, les mem- branes qui recouvrent la tumeur encéphalique, après un arrèt momen- lané dans leur développement, reprennent leur évolution normale et ne complètent par l'apparition des éléments histologiques définitifs. La membrane extérieure se transforme en membrane cutanée et se recouvre de plumes ; la membrane intérieure, qui forme, pour ainsi dire, une large fontanelle, s’ossifie peu à peu, et finit, au bout d'un certain temps, par former une coque osseuse qui revêt complétement les hémispbères cérébraux. Cette monstruosité, parfaitement compa- tible avec la vie et avec l'exercice des fonctions génératrices, est héré- ditaire comme toutes les monstruosités qui possèdent ce double avantage. Elle est devenue le caractère d'une race particulière de poules, race originaire de Pologne, mais qui est connue sous le nom de race de Padoue. Nous ne connaissons point l’origine de cette race; mais ce qui prouve bien sa formation accidentelle, c’est le fait attesté par plusieurs auteurs qu'à la fin du siècle dernier la proencéphalie 1 Voir p. 98, DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 2957 appartenait en propre au sexe mâle, tandis qu'aujourd'hui elle existe dans les deux sexes. On voit, d'ailleurs, cette monstruosité apparaitre sporadiquement dans d'autres races de poules, et même dans d'autres espèces d'oiseaux. Pour ma part, je l’ai rencontrée dans le canard do- mestique. Je suis convaincu que, dans cette espèce comme dans celle de la poule, elle pourrait devenir le point de départ d'une race distincte. J'ai montré déjà comment ces faits de proencéphalie normale ont très-probablement fait croire à Geoffroy Saint-Hilaire qu'il avait produit cette monstruosité artificiellement, tandis qu'il n'avait fait que l’observer sur des poulets de la race de Padoue. . Ces observations sur le mode de formation des différents types de l'exencéphalie sont incontestablement applicables au mode de forma- tion des différents types de la pseudencéphalie et à l'anencéphalie elle-même. La seule différence que présentent ces trois familles con- siste, en effet, dans la constitutign des tumeurs encéphaliques. Dans l’anencéphalie, les membranes qui constituent les parois de ces tu- meurs, forment des poches remplies de sérosité ; dans la pseudencé- phalie, les membranes se transforment en un tissu vasculaire parti- culier. J'en ai douté pendant longtemps, parce que je n'ai reconnu que dans ces derniers temps des pseudencéphales et des anencéphales en voie de formation. Mais aujourd’hui j'ai acquis sur ce sujet une conviction complète. On aurait pu, d’ailleurs, déduire cette identité d’origine de la comparaison des tèles osseuses des différents types de ces trois fa- milles, qui se reproduisent très-exactement d'une famille à l’autre, et peuvent ainsi être disposés en séries parallèles, comme le disait Is. Geoffroy Saint-Hilaire. En effet, comme Is. Geoffroy Saint-Hilaire en à déjà fait la remarque, la nosencéphalie reproduit très-exacte- ment dans la famille des monstres pseudencéphaliens les caractères ostéologiques de la podencéphalie ; la thlipsencéphalie, ceux de l'hy- perencéphalie ; la pseudencéphalie, ceux de l’exencéphalie. De mème, dans la famille des monstres anencéphaliens, la dérencéphalie repro- duit très-exactement les caractères ostéologiques de la thlipsencé- phalie, et l’anencéphalie ceux de l’exencéphalie. Je n'insisterai pas sur les caractères de cette concordance, dont on trouvera les preuves dans les écrits des deux Geoffroy Saint-Hilaire. Je me borne à signa- ler ce fait, que la similitude des effets indique nécessairement l'iden- tité de la cause. On peut penser seulement que les différences que pré- sente l'encéphale, qui tantôt est caractérisé par la présence des 17 258 MODE DE FORMATION éléments nerveux, tantôt est remplacé par un tissu vasculaire ana- logue au tissu des corps caverneux, et tantôt par des amas de séro- sité, dépendent uniquement de l'intensité de la cause comprimante, ou peut-être aussi de l'époque et de la durée de son action. Ces faits ne sont pas, d'ailleurs, séparés par des limites infranchissables ; car, dans la pseudencéphalie, on trouve souvent par places des amas de sérosité ou des îlots de substance nerveuse. Il est probable que tous ces faits se compléteront par des observations ullérieures. Un fait ostéologique très-intéressant, qui n’a encore ét6 observé que dans l'anencéphalie, mais qui pourrait sans doute aussi s’observer dans les deux autres familles, c'est la division de la partie antérieure de la colonne vertébrale, ou du corps des vertèbres, division qu’on à quelquefois rencontrée dans la région cervicale, et qui se prolongeait même dans la partie supérieure de la région dorsale, On voyait alors certaines parties de la tumeur séreyse qui remplace l’axe cérébro- spinal venir s'engager dans l'ouverture formée par les deux moitiés de la colonne formée par les corps des vertèbres. A une cerlaine époque, on a considéré cette division comme la permanence d'un état primitif, comme l'indice de la séparation des deux moiliés de la colonne vertébrale, au début de l'évolution, et, par conséquent, comme une preuve de la séparation primitive des deux moitiés de l'embryon. On sait que cette théorie de la dualité primitive de l'embryon a été très-habilement soutenue par Serres !. Cette théorie est entièrement contraire aux données de l’embryo- génie actuelle. La corde dorsale, qui est l'axe autour duquel se con- stituent les différentes parties de la colonne vertébrale, est parfaite- ment simple dès son début, et, par conséquent, l’embryon ne se constitue pas par la conjugaison, sur laligne médiane, de deux moi- liés primitivement distinctes. Ce qui a pu faire illusion à certains esprits, c'est que le fait de la conjugaison existe incontestablement pour certains organes, par suite du mode même de formation de l'embryon. 11 se produit, en effet, à un certain moment, deux goutlières, l’une supérieure, J'autre inférieure, gouttières dont les bords vont à la rencontre l’un de l’autre, et finissent par se con- joindre pour former deux cavités fermées. La gouttière supérieure devient le point de départ du système nerveux central; la gouttière 1 Spnnes, Des lois de l'embryogénte, dans les Archives du Muséum, t. IV, p. 269, 1844. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 250 inférieure devient le point de départ du tube digestif et des parois thoraco-abdominales, C'est ainsi seulement que des organes doubles se forment sur la ligne médiane par la conjugaison de deux moiliés d'abord séparées, Mais ce fait n'appartient qu'à un nombre restreint d'organes. Mes études tératogéniques me permettent de donner l'explication de cette division partielle de la partie antérieure de la colonne verté- tébrale, qui se forme au-dessous et sur les côtés de Ja gouttière pri- mitive. Cette gouttière forme manifestement la ligne de moindre résistance du disque embryonnaire, Dans un certain nombre de cas, elle s'était rompue sur une étendue plus ou moins considérable. On conçoit facilement que, dans ces conditions de rupture partielle, les éléments qui constituent la colonne vertébrale puissent continuer à s’accroitre et se constituer d'une manière isolée, Je n'ai pu, jusqu'à présent, déterminer les causes de cette rupture. Je suis peu disposé à contredire les observations qui appartiennent à des physiologistes qui sont morts depuis longtemps, et qui ne peuvent plus se défendre. Toutefois, l'intérêt de la vérité et celui de la science ne me permeltent pas de garder sous silence la cause d’une des plus étranges illusions qui se soient produites dans les études embryo- géniques. Serres, après avoir établi sur des considérations théoriques la loi de dualité primitive que je viens de rappeler, crut, à une certaine époque, avoir constaté, sur un embryon de poule, le fait de la sépara- lion primitive des deux moitiés de l'embryon. C'est ce qu'il appelait le zéro de l'embryogénie. Je m'étais demandé depuis longtemps quelle pouvait être la cause d’une semblable erreur. I] y a trois ans, j en ai eu l'explication, Dans une discussion sur l’origine des monstres doubles, qui s'est produite devant la Société d'anthropologie, j'ai entendu notre regretté collègue Giraldès raconter le fait tel qu'il s'était produit. L'intérêt historique qui s'attache à celte question m'engage à citer textuellement les paroles du savant chirurgien : « M. Serres, qui, par ses travaux, a contribué à donner une certaine impulsion à l'embryogénie, procédait souvent dans ses études par des idées préconçues ; il supposait que l'embryon se développait par deux sacs embryonnaires, s'adossant l’un à l’autre pour venir former la ligne primitive. Voulant reprendre ses travaux, il me chargea de faire avec lui des études d’embryologie. Voulant examiner la composition microscopique de la ligne primitive de l'embryon, je pris un jour la cicatricule d'un œuf de poule, que je placai sur la lame de verre pour 260 MODE DE FORMATION l'examiner au microscope; par malheur le couvercle avait été trop chauffé, si bien que la cicatricule se partagea par le milieu en deux parties égales. M. Serres s’'émerveilla de ce résultat, qu'il cherchait, disait-il, depuis longues années, et qui lui permettait de démontrer la réalisation de sa théorie. Il alla plus loin, et il s’'empressa de lire, à l'Académie des sciences, une note sur le zéro de l'embryogénie, en s'appuyant sur le fait en question, qu'il attribuait à la grande habileté de son prosecteur. Or, si cet observateur avait été moins prévenu par ses idées théoriques, il y aurait regardé de plus près, et se serait bien aperçu de la cause réelle du fait qui l'avait émerveillé !. » Je ne puis pas non plus ne pas signaler ici un fait du même genre, indiqué par Lereboullet, et dont ce savant avait tiré des conséquences importantes. Dans son beau travailsur la production des monstruosités chez les poissons, travail qui contient un grand nombre d'observations nouvelles et intéressantes, Lereboullet parle d’embryons qui auraient présenté une tête unique et une queue unique, mais deux corps in- terposés entre celte tête et cette queue ?.I1 avait cru y voir une forme particulière de la monstruosité double. L'examen des dessins et du texte de Lereboullet m'a conduit à une interprétation tout à fait diffé- rente des faits dont il a donné la description. Dans ces embryons, iln°y a pas en réalité deux corps, mais deux moitiés de corps dont la sé- paration résulte de la rupture de la gouttière primitive. Ces embryons n'étaient donc point des monstres doubles, ni même des monstres simples, c’élaient des embryons normaux dans lesquels une rupture médiane s'était produite, rupture qui devait amener plus ou moins rapidement la mort par la désorganisation des tissus embryonnaires. C'est en effet ce qui s’est produit dans un certain nombre des cas ob- servés par Lereboullet. $ 8. Toutes les monstruosités dont je viens de décrire le mode de forma- lion se rattachent à la gouttière supérieure de l'embryon, et à l'évo- lution du tube cérébro-spinal et de ses enveloppes, qui résultent des transformations de cette gouttière. Elles se produisent toutes, je viens de Le montrer, par un même procédé, l'arrêt de développement. 1 Voir Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, 2° série, t. IX, p. 206, 1874. ? LenepouLLer, Recherches sur les monstruosilés observées dans l'œuf et sur leur mode de production, dans les Ann. des se. nal., he série, Zool.,t. XIX, p. 218 et suiv. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 261 La gonttière inférieure de l'embryon, ou la gouttière abdominale, peut, elle aussi, être frappée d'arrêt de développement. De là résultent également un certain nombre de monstruosités qui constituent les différents types de la célosomie. La célosomie est caractérisée par une éventration partielle ou to- tale, Les viscères thoraciques et abdominaux sont en plus ou moins grand nombre en dehors de la cavité thoraco-abdominale, Chez l'homme et chez les mammifères, où ces monstruosités ont été ex- clusivement observées jusqu’à mes recherches, l'éventration s'accom- pagne de la brièveté plus ou moins grande du cordon ombilical, brièveté qui résulte elle-mème de l’imperfection des parois thoraco- abdominales *. J'ai produit, dans mes recherches, un nombre extrêmement consi- dérable d'embryons célosomes. J'ai donc pu déterminer par l’obser- vation leur mode de formation, qu'il aurait été facile d'ailleurs de déduire théoriquement de la connaissance des faits embryogéniques. La région inférieure du corps, de même que la région supérieure, se constitue d’abord sous la forme d’une gouttière, par le repli des lames latérales. Ces lames, placées primitivement sur un même plan horizontal que les lames dorsales auxquelles elles font suite, etqu'’elles entourent de tous les côtés, se reploient peu à peu, et viennent en- suite se conjoindre au-dessous de l'embryon lui-même. Ce repli se produit d'abord, d'avant en arrière, au-dessous de la région céphalique. Ensuite il se continue latéralement de manière à former la gouttière abdominale. Enfin il se produit à la région pos- térieure du corps, el d'arrière en avant. Ainsi se constitue au-dessous de la colonne vertébrale une gouttière qui présente une large com- munication avec le jaune, et qui se termine en avant et en arrière par deux culs-de-sacs, le pharynx et le rectum. En même temps que se produit le repli des lames latérales, elles se dédoubhlent en deux feuillets qui s'écartent peu à peu l’un de l’autre, et produisent, par leur écartement, un espace vide que l’on désigne sous le nom de cavité pleuro-péritonéale, parce qu'elle est l’origine des plèvres et du péritoine. Le feuillet extérieur donne naissance aux parois thoraco-abdomi- nales, le feuillet intérieur au tube digestif et à ses annexes. Le pre- 1 Le seul cas de célosomie’observé chez les oiseaux, antérieurement à mes re- cherches, résultait des expériences tératologiques de Geoffroy Saint-Hilaire, 262 MODE DE FORMATION mier se continue sans interruption avec l’amnios, le second avec la membrane qui enveloppe le jaune. La séparation de ces deux feuillets ne se produit pas simultanément dans toute l'étendue des lames latérales. On voit, en effet, que la partie antérieure de ces lames, qui se sont repliées au-dessous de la tête pour former la pharynx, reste pendant un certain temps sans se diviser, et même, dans certains animaux vertébrés, ne se dédouble jamais, Pendant cette première période, les parois pharyngiennes devien- nent le siége d'un travail organogénique qui a pour résultat de pro- duire dans leur intimité des traînées de matière organique, que l’on appelle les ares branchiaux. Ws se séparent les uns des autres, en formant ce que l’on appelle les /entes branchiales, fentes qui mettent la cavité du pharynx en communication avec l'extérieur. Get appa- reil branchial, qui se complète chez les poissons et chez les batra- ciens par la formation des lamelles branchiales, n’a chez les vertébrés supérieurs qu'une existence transitoire. Dans l'embryon du poulet, les fentes branchiales apparaissent vers le troisième jour de l’incu- bation; elles disparaissent vers le sixième jour. Ce n'est que posté- rieurement à leur disparition que le tube pharyngien primitif se dé- double en formant deux tubes concentriques : un intérieur, qui forme le pharynx définitif ; un extérieur, qui forme l'enveloppe cutanée". Lorsque les deux feuillets des lames latérales se sont séparés l’un de l’autre, ils tendent à se fermer à la face ventrale de l'embryon; mais ils le font d’une manière assez différente. Les deux cæcums for- més par le pharynx et le rectum se rapprochent peu à peu l'un de l’autre, en marchant, le premier, d'avant en arrière, et le second, d'arrière en avant; et ils finissent par constituer ainsi un tube inté- rieur, le tube digestif, qui, à un certain moment, n’a plus de commu- nicalion avec la cavité vitelline que par un pédicule creux dont la cavité ne tarde pas à s’oblitérer. La formation du tube digestif s'ac- complit assez rapidement. Le feuillet externe ou cutané reste beaucoup plus longtemps avant 1 ]ly a là un fait curieux d'embryogénie comparée sur lequel je n'ai trouvé jusqu'à présent aucune indication dans les auteurs. Le pharynx des poissons n’est point comparable au pharynx définitif des vertébrés supérieurs, mais à leur pharynx pri- mitif, tel qu'il se constitue à son début par le repli antérieur des lames latérales. Comment et à quelle époque se produit ce dédoublement de la paroi pharyngienne primitive? C'est une lacune de l’embryogénie du poulet, qui contient encore tant de points obscurs malgré tous les travaux dont elle a été l’objet. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 263 de se former, Il en résulte que l'intestin, avec les viscères qui en dé- pendent, et aussi le cœur, restent à nu pendant un certain temps, et ne sont recouverts que plus tard par les parois abdominales. Ces pa- rois se produisent par le repli du feuillet externe, repli qui s'étend d'avant en arrière, c'est-à-dire au-dessous du cœur; d'arrière en avant, c'est-à-dire au-dessous du rectum ; et enfin latéralement. 1] résulte du rapprochement progressif des bords de ce repli, que l'ou- verture antérieure de la paroi abdominale se rétrécit peu à peu, el finit par devenir très-petile ; mais en laissant une ouverture, l'ouver- ture ombilicale, par laquelle, quelque temps avant l'éclosion, le sac vitellin rentre dans la cavité abdominale. La connaissance de ces faits d'embryogénie normale permet d’ex- pliquer avec la plus grande facilité la production des divers types de la célosomie : ils résultent tous d’un arrêt de développement du feuil- let externe des lames latérales, et de lamnios, qui est, au début, la continuation directe de ce feuillet. Lorsque le feuillet externe des lames latérales ne se replie point, il y à, par cela même, absence complète des parois abdominales. Tous les viscères restent à nu, en avant de la partie antérieure de la co- lonne vertébrale. Le cœur lui-même se trouve dans cette condition. I1se constitue, comme nous le savons depuis les travaux de Wolff, dans un espace intermédiaire laissé par l’écartement du feuillet infé- rieur et du feuillet supérieur du repli antérieur des lames latérales, espace que Wolff désignait sous le nom de fosse cardiaque (fovea car- diaca). Or, ces deux feuillets ne se replient pas simultanément. Dans une première période, le feuillet extérieur ou cutané se replie immé- diatement à l'extérieur du pharynx, pour se continuer avec le capu- chon céphalique de l’amnios, tandis que le feuillet intérieur intesti- nal se prolonge en arrière pour constituer l’æœsophage. Le cœur se produit au-dessous de l’æsophage, et il reste pendant un certain temps à nu, sans être recouvert par la peau. Plus tard le feuillet cu- tané se prolonge au-dessus de lui, de manière à lui former une enve- loppe. Il se trouve alors placé entre les deux feuillets qui résultent du dédoublement de la partie antérieure de la lame latérale. Toutes les personnes qui connaissent l'histoire de l'embryogénie savent que cette question de la position du cœur a été, ‘au siècle dernier, un épisode de la discussion de Haller et de Wolff, relativement aux doc- trines de l’épigénèse et de la préexistence des gèérmes. Wolff admet- tait qu'il v a une époque où le cœur est à nu, et que ce n'est que 264 MODE DE FORMATION plus tard qu'il se recouvre d'un tégument extérieur. Haller soutenait, au contraire, que le cœur est, dès son origine, revêtu d’un tégument,. L'observation des faits donne complétement raison à Wolff, lorsqu'il soutenait que le cœur est primitivement à nu. Cela résulte égale- ment de ce que lon observe dans certains cas de célosomie, où l’on voit le cœur, ainsi que les autres viscères, complétement dé- pourvu de tégument. L'arrèt de développement des parois abdo- minales, au lieu d'être total, peut n’être que partiel. Dans ce cas, la cavité abdominale existe partiellement ; et, par suite, l’éventra- lion ne porte que sur un certain nombre de viscères. Fig. 21.—Coupe transversale d'un I ÿ à donc un premier degré de la céloso- embryon normal, danslarégion mie qui tient à un défaut de formation plus abdominale. 4, amnios qui se . ; d continue avec les parois de l'ab- OÙ MOINS complet des parois abdominales. domen; b, lames dorsales: €, res a £ Ê E lames latérales continues avee Un second degré de la célosomie peut résul l'amnios ; d, tube de la moelle {er de ce que les parois de l’abdomen con- épinière; e, corde dorsale; /, ; Tes AE Ê coupe de l'intestin attaché par Servent leur texture primitive, et persistent le mésentère à la paroi infé ans leur premier état de membranes trans- rieure du canal vertébral. é parentes, lorsqu'elles ne sont encore for- mées que par l'union du feuillet extérieur des lames latérales avec Fig. 22, — Coupe transversale (schématique) d'un embryon célosome, présentant le degré extrème de la célosomie, c'est-à-dire le défaut de reploiement des lames latérales. Mèmes lettres que dans la figure 21. Fig. 23. — Embryon célosome et ectromèële, d'après nature. e, cœur; f, foie; e, estomac (gésier) ; ms, membre supérieur gauche; ni, mi, membres inférieurs ; le membre inférieur droit affecté d'ectromélie. le feuillet séreux qui leur forme une sorte d'épiderme. Dans un second état ces parois se transforment par un double mécanisme. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 265 Les éléments cutanés définitifs apparaissent dans l'intérieur de ces membranes transparentes. Quant aux formations musculaires et os- seuses, elles se produisent, comme nous le savons par les travaux de Remak, par des prolongements latéraux des blastèmes des vertèbres primitives!, Ces prolongements s'écartent des deux côtés de la colonne vertébrale, suivent la courbe que forment les parois thoraco-abdomi- nales, et viennent enfin se rejoindre sur la ligne médiane. Ainsi se forment les côtes et le sternum qui leur fait suite, et aussi les muscles intercostaux. J'ai observé un très-grand nombre d'exemples de célosomie. Le plus ordinairement ils présentaient des cas extrèmes, en ce sens que les parois abdominales faisaient presque entièrement défaut, et que tous les viscères flottaient en avant de la colonne vertébrale, Dans un certain nombre de cas, le cœur présentait une disposition singu- lière : il était retourné et présentait sa pointe en haut, du côté de la tète. Ce fait est peu intéressant par lui-même ; mais il doit être si- gnalé, car on l’a indiqué dans un certain nombre de cas de célosomie observés chez l'homme. Il y a donc là une cause générale que je n'ai pu, jusqu’à présent, déterminer.Dans d’autres cas, les parois du thorax s'étaient plus ou moins constituées, tandis que celles de l'abdomen étaient complétement absentes. Le cœur était alors totalement, ou au moins partiellement enfermé dans la cavité thoracique. J'ai vu alors le cœur présenter un étranglement très-marqué entre la région auri- culaire et la région ventriculaire. Je n'ai que très-rarement observé de cas plus simples de célosomie, ce qui tient très-probablement à l’époque où j'ai fait mes observations. Mais, à défaut d'observations directes, les notions embryogéniques que je viens de rappeler donnent très-nettement l'explication de ces faits. Ainsi les parois abdominales peuvent être plus ou moins complètes, et même fermées; mais elles ne constituent qu'une membrane trans- parente qui forme une poche renfermant les viscères. C’est évidem- ment le premier état des lames latérales. Dans d’autres circonstances, il y à formation incomplète des parois osseuses et musculaires. Elles peuvent exister incomplétement ou complétement d'un côté du corps, tandis qu'elles font complétement défaut de l’autre, et ne sont représentées que par une membrane transparente. ! REMaKk, Untersuchungen über die Entwickelung der Wirbelthiere, p. 46. 266 MODE DE FORMATION Dans ce cas, la formation de la paroi musculaire et osseuse, forma- tion secondaire, comme l’a montré Remak, ne s’est produite que dans la lame latérale d'un seul côté, l’autre étant restée dans son état primitif, Enfin, il y a des cas plus curieux encore, où la paroi thoraco-abdo- minale, s'étant complétement formée avec ses éléments osseux et musculaires, reste étalée des deux côtés de la colonne vertébrale, et même se relève sur ses bords en sens inverse de son plissement nor- mal. C'est ce que l’on observe dans le type si curieux des chéloni- somes, dont on doit la connaissance à M. Joly !, type dont j'ai disséqué deux exemples. Dans ces cas, les viscères placés en avant de la co- lonne vertébrale étaient enfermés dans une membrane transparente, qui était évidemment le résultat de la permanence de la lame laté- rale primitive avant la formation des parois musculaires et osseuses. Mais cette lame antérieure enfermait-elle complétement les viscères thoraco-abdominaux, et n’en laissait-elle pas une partie à nu. Je ne trouve pas cette indication dans le mémoire de M. Joly, qui n'avait pas disséqué son chélonisome; je n'ai pu moi-même constater l'état de cette membrane, qui avait été en partie détruite avant que j'aie pu étudier les pièces que j'ai observées. C’est une question que je sou- mets aux tératologistes. Ces faits conduisent insensiblement des cas les plus compliqués aux cas les plus simples d'éventration, à ceux qui résultent d’une simple fissure sur la ligne médiane, et aussi à ceux où cette fente est recou- verte par une membrane transparente. On sait que cela se présente dans les ectopies du cœur, qui tantôt est complétement à nu, et tan- tôt recouvert par une simple membrane transparente qui représente la peau et les parois musculaires et osseuses. J'ai observé assez souvent, dans les cas de célosomie, des adhé- rences des viscères avec la membrane qui enveloppe le jaune. On sait que ces adhérences sont très-fréquentes chez les monstres céloso- miens observés chez l’homme et les mammifères, et que Geoffroy Saint-Hilaire leur a attribué un grand rôle dans la production des monstruosités. Je ne reviendrai pas sur cette question, sur laquelle je me suis nettement expliqué*?, me bornant à rappeler que, dans ma pensée, ces adhérences sont consécutives, et que, par conséquent, 1 Joi.v, Mémoire sur deux genres nouveaux de monstres célosomiens, dans les Ann. des sc. nat. Zool., 3° série, {, III, p. 374. 2 Voir p, 112 et suiv, DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 267 leur rôle tératogénique, si tant est qu'il existe, est extrêmement res- treint. $ 9. Les monstres ectroméliens sont caractérisés par l'absence ou le développement incomplet des membres. L'ectromélie est très-fréquemment associée à la célosomie, telle- ment qu'is. Geoffroy Saint-Hilaire a fait de sa présence le caractère de certains types de monstruosités célosomiques. L'association de ces monsiruosités indique parfaitement leur origine. L'arrêt de dévelop- pement de l’amnios qui existe nécessairement avec la célosomie, est aussi la condition primitive de l'ectromélie, C'est la compression exercée par l'amnios, qui empêche la formation ou le développement des bourgeons qui deviendront les membres, J'ai pu m'en assurer dans beaucoup de cas. On à quelquefois cherché à expliquer l'ectromélie par le fait d'am- putation spontanée des membres produite dans l'intérieur de la matrice. Ces faits d'amputation spontanée sont incontestables. IT est très-évident qu'ils peuvent rendre compte de certains cas d’ectromélie qui appartiennent principalement au type des hémimélies, caractérisé par l'absence des segments inférieurs d'un membre. Il est même possible que le moignon du membre spontanément amputé, comme Montgo- mery et Simpson en ont fait depuis longtemps la remarque", se régé- nère partiellement, et qu'il produise à son extrémité des appendices comparables aux doigts. Toutefois, si cette explication est valable dans certains cas, elle ne l’est pas dans tous, et particulièrement dans les cas où l’ectromélie atteint simultanément plusieurs membres. Il faudrait un concours bien étrange d'événements accidentels pour que deux ou plusieurs membres d’un même embryon fussent am- _ putés à la fois. Ces faits ne peuvent évidemment s'expliquer que par l'action d'une cause générale. Le fait de la compression peut seul d’ailleurs expliquer le type si curieux de la phocomélie, où l'arrêt de développement ne frappe que les segments moyens des membres. On comprend, en effet, que la compression, s’exercant d'une manière inégale sur les différentes parties d'un membre, frappe les uns d’arrêt de développement, tandis qu'elle laisse les autres se développer librement. Du reste, je n'ai 1 Voir Dublin Journal of Medical Science, &. I, II et X. 268 MODE DE FORMATION rencontré, dans mes études, aucun fait qui se rattachât manifestement à la phocomélie. $ 10. La famille des monstres syméliens présente la conformation la plus étrange que l’on puisse imaginer. Chez ces monstres, les deux membres postérieurs sont soudés ensemble de manière à former un membre unique; mais, chose remarquable, ces deux membres, au lieu de s'unir par leurs faces internes, s'unissent par leurs faces externes ; en d’autres termes, ils sont retournés de telle sorte que le talon est en avant, les orteils en arrière ; que les gros orteils sont en dehors et les petits en dedans. Cette monstruosité a résisté jusqu’à présent à toutes les tentatives d'explication. Is. Geoffroy Saint-Hilaire, en signalant le fait, en appe- lait à la science de l'avenir", Le seul physiologiste qui ait fait faire un pas à la question, est Cru- veilhier. En étudiant l’organisation de ces monstres, il a bien vu que la cause qui les produit est une pression extérieure. Mais comment concevoir que cette pression pouvait retourner des membres com- plétement formés, les appliquer l’un contre l’autre par leurs faces extérieures, et les unir ensemble en faisant disparaître un nombre plus ou moins considérable de leurs éléments osseux, musculaires et nerveux ? Et, d’ailleurs, quelle cause invoquer pour une pareille pres- sion? Cruveilhier croyait pouvoir l’expliquer par des contractions inso- lites de la ‘matrice. Mais de pareils faits sont évidemment intermil- tents et ne peuvent, en aucune facon, expliquer une pression qui, pour être efficace, devrait être continue. La symélie, avant mes recherches, était donc une énigme indé- chiffrable, J'en ai donné l'explication ?, en la rattachant à la cause générale qui produit la plupart des monstruosités simples, l'arrêt de développement de l’amnios. Ici, c’est l’arrêt de développement de la partie postérieure de l’amnios ou du capuchon caudal. Lorsque ce capuchon s'est peu développé, qu'il ne s’est pas replié au-dessous de l'extrémité pelvienne de l'embryon et qu'il reste appliqué sur elle, au lieu de s’en écarter, comme il le fait dans l’évolution normale, les 1 Is. GrorrRoY SaiNT-HiLAIRE, Trailé de tératologie, t. IT, p. 262. ? Panesre, Sur le mode de formation des monstres syméliens, dans les Comptes rendus, t. LX VI, p. 185, 1868. DES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 269 bourgeons qui sont le point de départ des membres postérieurs, au lieu de descendre des deux côtés du corps, sont renversés en arrière et viennent se placer au-dessous de l'extrémité de l'embryon. Ils se rapprochent alors l’un de l’autre par leurs bords extérieurs devenus internes. Puis, si la pression continue à s'exercer, ils se soudent entre eux et donnent naissance à un membre unique, contenant, en plus ou moins grande quantité, les éléments de deux membres ; et qui tantôt se développe complétement, tantôt se réduit à un simple moignon, comme dans l'ectromélie. Fig. 24. — Coupe transversale d'un embryon normal dans la région des membres inferieurs. a, amnios; me, moelle épinière; c, corde dorsale ; mm, membres inférieurs; à, intestin; al, al- lantoïde. Fig. 25.— Coupe transversale (schématique) d'un embryon symèle, dans lequel les membres in- férieurs sont retournés par suite de l'arrêt de développement de l'amnios, Mèmes lettres que dans la figure précédente. Tous ces faits ne peuvent se produire que lorsque l'embryon est encore dans la période première, où toute son organisation consiste dans des cellules homogènes. C’estun des plus remarquables exemples de l'apparition d'emblée des organes définitifs dans des blastèmes préparés pour la monstruosité. CHAPITRE VI DES CONDITIONS DE LA VIE ET DE LA MORT CHEZ LES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. Sommaire, 19 Précocité de la mort des embryons monstrueux qui appartiennent à la classe des oiseaux. — 2° Causes de cette mort précoce. Anémie simple. — 30 Ané- mie compliquée d’'hydropisie, — 4° Asphyxie. e y S 14: Tous les faits de tératogénie que je viens de décrire dans le cha- pitre précédent donnent la démonstration complète d’une proposition émise au commencement de cet ouvrage : la répétition, chez les oiseaux, des types lératologiques décrits chez l'homme et chez les mammifères !. Ce fait était, avant mes recherches, presque entièrement ignoré. On ne connaissait jusqu'alors, chez les oiseaux, qu'un petit nombre de cas de cyclopie. Ce fait résulte uniquement, je l'ai déjà dit?, d'une différence de via- bilité. Les monstres simples aulosites, qui se produisent chez les mammifères, et qui, attachés par le placenta aux parois de la cavité utérine, y vivent en parasites d’une vie d'emprunt, peuvent atteindre, sans périr, l’époque de la naissance. Tout au plus, dans certains cas, cette époque est-elle un peu avancée. Les monstres simples autosites, qui se produisent dans l’œuf des oiseaux, et qui vivent, en dehors de la coquille, d’une manière tout à fait indépendante de l'organisme maternel, périssent ordinairement à une certaine époque de l’incu- bation, plus ou moins longtemps avant l’éclosion. Je suis convaincu que, si l’on étudiait avec soin les œufs qui ne réus- sissent pas dans l’incubalion naturelle ou artificielle, on y trouverait fréquemment des monstres. C’est ainsi, par exemple, que M. Panum s'est procuré la plupart des éléments de son livre. Mes expériences, faites sur une très-grande échelle, et dans le but d'étudier les diverses questions de la tératogénie, m'ont permis de constater l'existence de ce fait très-général, que les monstres simples produits chez les oiseaux périssent fatalement avant l’éclosion. 1 Voir le chapitre 1v de la dre partie, 2 Voir p. 193, DES CONDITIONS DE LA VIE ET DE LA MORT. 271 D'où provient cette différence de viabilité? Et comment peut-on comprendre que les mêmes organisations monstrueuses aient, si l'on peut parler ainsi, des destinées différentes, suivant les classes dans les- quelles elles se produisent ? Le temps n'est pas encore venu où l'on pourra traiter la question dans son ensemble, Pour le moment, je dois me borner à faire connaître les deux événements pathologiques qui font, le plus ordinairement, périr les monstres pendant l'incubation, Ces deux événements sont l’anémie et l’asphyxie. Je ne puis cepen- dant affirmer qu'il n’y ait pas d'autres causes de mort pour les embryons monstrueux. Un t La nature de l’anémie à été parfaitement mise en lumière, il y a trente-cinq ans, par les célèbres travaux de MM. Andral et Gavarret". Cette maladie est essentiellement caractérisée par une diminution notable de la quantité des globules du sang. Ce fait est très-fréquent dans le sang des embryons mis à l’in- cubation dans des conditions anormales *. Sans doute, je n'ai pu soumettre le sang des embryons à l'analyse quantitative. Mais, à dé- faut de procédés chimiques, l'examen microscopique m'a permis de constater une diminution de la quantité des globules, bien plus consi- dérable souvent que celle que l'on observe chez les adultes. Cette diminution est même le plus ordinairement appréciable à la vue sim- ple, car la couleur du sang est beaucoup moins intense que dans l’état normal, et parfois mème elle disparaît entièrement. Le sang est alors incolore et transparent, et le très-petit nombre de globules que l’on peut encore y constater à l’aide du microscope est trop insuffisant pour lui donner même une légère coloration. L'anémie se produit donc chez l'embryon de la même manière que chez l'adulte, et même, le plus ordinairement, avec une gravité tout exceptionnelle : car on n’a jamais signalé chez l'adulte l'existence d’un sang complétement incolore. L'anémie de l'embryon, ou la diminution plus ou moins complète du nombre des globules qui circulent dans l'appareil vasculaire, se produit de deux manières bien distinctes. Elle résulte tantôt du dé- 1 AxDRAL €t GAVARRET, Recherches sur les modifications de proportion de quelques principes du sang, ele., dans les Ann. de physique et de chimie, 2e série, t. LXV, 1840. 2 Danesre, Sur l'anémie des embryons, dans les Archives de zoologie expérimen - tale, t. 1, p. 169. 272 DES CONDITIONS DE LA VIE ET DE LA MORT faut de formation des globules, et tantôt de l'impossibilité, pour ces globules, de pénétrer dans le cœur et dans l'appareil circulatoire de l'embryon. Il y a là deux événements pathologiques bien distincts, et, par conséquent, deux causes de mort pour l'embryon. La première forme d’anémie, celle qui résulte du défaut de formation des globules, n'est pas nécessairement liée à la production des mons- truosités ; elle n’est ni la cause ni l'effet de faits tératologiques ; mais elle les accompagne fréquemment, parce qu’elle résulte, comme ces faits, de certaines modifications dans les conditions extérieures de l'évolution. Je l'ai constatée, en effet, dans trois circonstances qui peuvent également donner naissance à des monstres : 4° lorsque la température d'incubation est relativement basse (de 28 à 35 degrés); 2 lorsque l'œuf est soumis partiellement à une température assez basse, comme cela arrive pendant l'hiver, dans la couveuse à air libre; 3° lorsque la coquille de l'œuf est recouverte partiellement par une couche d’un vernis complet, ou totalement par une couche d'un vernis incomplet !, L’anémie et la monstruosité peuvent alors Coexis- ter, comme les effets d'une mème cause ; mais ce n’est alors qu'une simple coexistence, comme le prouvent les cas dans lesquels elles ne sont point associées. L'action de causes extérieures sur la production de l’anémie est parfaitement prouvée par ce fait, que, lorsque ces causes agissent localement, on voit souvent que le défaut de production des glo- bules se produit également d’une manière locale. Ainsi, dans la cou- veuse à air libre, la partie du feuillet vasculaire la plus éloignée de la source de chaleur présente souvent une diminution très-notable dans la quantité des globules, fait rendu très-manifeste par la déformation elliptique de cette couche, dont j'ai décrit le mode de production. Ce fait est encore bien plus marqué lorsque la température de la pièce où est situé l’appareil est elle-même relativement basse. Il en est de même avec l’application locale d’un vernis sur la coquille. La formation des globules est notablement diminuée dans toutes les parties du feuillet vasculaire qui sont préservées de l'accès de l'air. Ces faits, très-intéressants au point de vue de la physiologie géné- rale, prouvent que la formation des globules exige deux conditions : une certaine température et l’action de l'air, ou plutôt de l'oxygène. 1 J'appelle vernis complets ceux qui détruisent complétement la porosité de la coquille, et vernis incomplets ceux qui ne la détruisent que partiellement. Voir le S 4 du chapitre 1 de la 1re partie. CHEZ LES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 273 Ils nous expliquent très-probablement le mode de production d'un certain nombre d'états anémiques chez l'adulte. C'est un fait curieux de voir que les globules du sang, agents essen- tiels de la combustion respiratoire, doivent leur origine à l'action de l'air. L'air, qui a traversé la coquille, détermine la production des glo- bules dans les îles de sang; puis, condensé dans ces mêmes globules, il vient se mettre en contact avec les différentes parties de l'orga- nisme, pour y exercer son action comburante. La physiologie végétale présente un fait analogue à bien des égards. La radiation lumineuse détermine la production de la chlorophylle, puis, à l'aide de la chloro- phylle, la décomposition de l'acide carbonique, ce fait capital de la vie des plantes. L'anémie simple ne modifie pas l’organisation de l'embryon ; mais quand elle atteint un certain degré, elle le fait périr. L'embryon ané- mique est remarquable par sa pâleur ; il périt ordinairement de bonne heure, avant l'établissement de la respiration allantoïdienne. Il est très-probable que l'on ferait vivre les embryons anémiques, en provoquant la formation des globules par une élévation de tempé- rature, ou par l’ablation des couches de vernis. Les embryons monstrueux périssent par anémie, lorsqu'ils ont été produits par les conditions mêmes qui produisent l’anémie, c'est- à-dire par l’action d’une température basse ou par l'application des vernis. Mais, ainsi que je l’ai dit, leur mort est alors la conséquence d'un fait complétement étranger à la tératogénie. $ 3. Une seconde forme d'anémie, beaucoup plus grave que la précé- dente, est celle qui se produit lorsque les globules, bien que se for- mant en abondance dans les îles de sang, ne peuvent pénétrer dans le cœur et dans l'appareil vasculaire de l'embryon. Cette forme de l'anémie est toujours le résultat d'un événement tératologique, l'arrêt de développement des îles de sang, lieu de pro- duction des globules. Lorsque ce fait se produit, le sang sur lequel bat le cœur, et qu'il envoie par le système artériel dans les diverses parties de l'embryon, reste incolore et transparent, comme il l’est toujours au début, avant que ses cavités se soient mises en communication avec le réseau ca- pillaire de l'aire vasculaire. Or, ce liquide incolore ne diffère pas seu- 18 274 DES CONDITIONS DE LA VIE ET DE LA MORT lement du sang normal par l'absence des globules ; ilen diffère encore . para propriété physiologique qu'il possède de rendre hydropiques les üssus de l'embryon avec lesquels il se met en contact, propriété qui semble indiquer l'absence ou du moins la diminution de l’albu- mine. Je me borne à rappeler ces faits. Je les ai décrits dans un autre chapitre *. Je rappelle seulement que l'anémie, et l’hydropisie qui en est la conséquence, amènent toujours, plus ou moins rapidement, la désorganisation et la mort de l'embryon. A LS] L'anémie simple et l'anémie compliquée d'hydropisie se sont tou- jours produites, dans mes expériences, dans les premiers temps de l'évolution : elles font périr les embryons monstrueux pendant cette période qui se termine par l'apparition de la respiration allan- toïdienne. Or, les embryons monstrueux dépassent souvent cette période, bien que, le plus ordinairement, ils ne puissent atteindre l’époque de l'éclosion. Is meurent alors par asphyxie. J'ai rencontré fréquemment des monstrueux embryons qui vivaient encore, mais qui commencaient à s’asphyxier; et d’autres, en plus grand nombre, qui avaient péri par cette cause, Leur sang, par suite du défaut de l’hématlose, était d’un rouge vio- lacé. Ils présentaient des congestions plus ou moins étendues ; et, parfois aussi, des épanchements de sang dans les vésicules cérébrales et dans les cavités de l’amnios et de l’allantoïde. La découverte du mode de production de l’asphyxie embryon- uaire, cause la plus ordinaire de la mort des monstres avant l’éclo- sion, est l’un des premiers résultats de mes recherches, et en même temps l’un des plus inattendus. Elle est la conséquence nécessaire des modifications organiques produites par la cause tératogénique. Faisant, en 1855, des expériences sur le vernissage partiel des œufs, j'avais vu, dans certains cas où j'avais appliqué le vernis sur le gros bout de l'œuf, et par conséquent sur la partie de Ja coquille qui re- couvre la chambre à air, l’allantoïde se diriger vers la partie opposée 1 Voir le paragraphe 6 da chapitre 1 de la deuxième partie, CHEZ LES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 275 ou la pointe, contrairement à ce que l'on observe ordinairement !, Je crus alors à un déplacement de l’allantoïde, déterminé par l'applhica- tion du vernis. Plusieurs années après, je constatai ce déplacement de l’allantoïde sur des embryons dont la coquille était restée intacte, mais que j'avais soumis à l’incubation dans la situation verticale, La diminution partielle de la porosité de la coquille n'était done pas la cause immédiate du déplacement de l’allantoïde, Une nouvelle étude de ces faits me prouva que le déplacement de l'allantoïde n'était qu'une apparence. Ge qui arrive, c'est que l'allan- toïde, frappée d'arrèt de développement, ne peut s'élendre dans la partie de l'œuf qui correspond à la chambre à air. Or, l'arrêt de dé- veloppement de l’allantoïde est lui-même la conséquence d'un arrêt de développement de l'amnios *. Pour comprendre ces faits, il est nécessaire de donner quelques in- dications sur le développement de l’amnios et de l’allantoïde. On sait que l’amnios résulte de la formation d’un repli qui se pro- duit dans le feuillet séreux du blastoderme, entre la partie de ce feuil- let qui recouvre l'embryon et le blastoderme lui-même. L'amnios se continue d'abord avec la partie blastodermique du feuillet séreux par lombilic amniotique. Mais cette ouverture diminue peu à peu et finit par se fermer, Toutefois la continuité de l’amnios et de l’enve- loppe séreuse reste encore établie pendant un certain temps, à l’aide de ce que l’on appelle le pédicule amniotique. L'allantoïde est, à son début, une excroissance de la partie infé- rieure du tube digestif ; elle sort du corps par le sillon qui résulte de la fermeture de la gouttière abdominale, puis elle monte peu à peu jusqu'à la partie supérieure de la coquille, en s'étendant dans tout l'espace qui sépare l'amnios de l'enveloppe séreuse. Dans les conditions les plus ordinaires, l’allantoïde, après avoir at- teint la région culminante de l'œuf, semble se diriger du côté de la chambre à air. En effet, comme je l’ai déjà dit, la position de l'em- bryon dans l'œuf est telle que sa face postérieure est tournée vers le gros bout, et sa face antérieure vers le petit bout. L'allantoïde, sortant 1 Danrere, Sur l'influence qu'everce sur le développement du poulet l'application par - tielle d'un vernis sur la coquille de l'œuf, dans les Ann. des sc. mat., 4° série, Zool. t. LV, p. 119, 1855. L 2 DanesTe, Sur les conditions de la vie et de la mort chez les monstres eclroméliens, célosomiens et exencéphaliens, produits artificiellement dans l'espèce de la poule, dans les Ann. des sc. nal., 4° série, Zool., 1860, t, XX, 72 et suiv. 276 DES CONDITIONS DE LA VIE ET DE LA MORT au côté droit de l'embryon par un point de la suture qui unit les deux bords de la gouttière abdominale, s'élève peu à peu, en se dirigeant vers le point culminant de la coquille, dans l’espace libre formé su- périeurement par l'enveloppe séreuse, inférieurement par le feuillet vasculaire. Puis, quand elle à atteint la partie culminante de l'œuf, et qu'elle s'est mise en contact médiat avec la coquille, elle s'étend à droite et à gauche pour aller gagner les deux extrémités de l'œuf. Mais comme son point de départ est généralement plus près du gros bout que du petit bout, et que, d'autre part, le gros bout est occupé par la chambre à air, dont la capacité augmente pendant toute la durée de l'incubation, elle semble se diriger d’abord du côté de la chambre à air. Or, s'il arrive que l'amnios ait conservé une partie de ses connexions primitives avec l'enveloppe séreuse, aux dépens de laquelle il est formé; qu'il y ait, en d’autres termes, permanence du pédicule am- niotique, 1l existera, entre l’amnios et l'enveloppe séreuse, une bar- rière que l’allantoïde ne pourra franchir. Elle se développera done simplement du côté de la pointe de l'œuf, et ne pourra se diriger vers la chambre à air. Il y aura ainsi un arrêt de développement de l'allantoïde, qui ne pourra s'étendre au-dessous d’une certaine région de la coquille, et qui par conséquent paraïîtra se déplacer. Mais ce déplacement n'est qu'une apparence, et non une réalité, comme je l'ai cru à une certaine époque. Je dois, du reste, faire remarquer que, pour que les faits se pro- duisent de la sorte, il faut se placer dans l'hypothèse de la position normale de l'embryon dans l’œuf, position qui a été signalée par Baer, et que j'ai eu fréquemment occasion de constater. Or, cette position est très-ordinaire, mais n’est pas constante. Dans les posi- lions exceptionnelles, l'arrêt de développement de l’amnios et la permanence de son pédicule amèneraient des résultats tout autres, et qu'il serait facile de prévoir. Supposons, en effet, que l'embryon oc- cupe primitivement une position inverse de celle que je viens de dé- crire, et que le côté droit de son corps, et non le côté gauche, re- garde la chambre à air, lorsque l'embryon se retournera, l’allantoïde, si le pédicule amniotique persiste, semblera se diriger du côté de la chambre à air et fuir le pôle aigu de l'œuf. Il serait également pos- sible de déterminer la position de l'allantoïde pour les cas où l'axe 1 Voir p.184. a CHEZ LES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES. 277 de l'embryon serait parallèle au grand axe de l'œuf; et aussi pour les cas d'hétérotaxie, où l'embryon se retourne en sens inverse, et où lg 1 PP ___e PARRRNINAEE CS M... — Es Le RS SNS RER KKN NS » N fr is Haas nm Fig. 1. — Coupe longitudinale (schématique) d'un embryon, pour montrer comment la perma- pence du pédieule de l'amnios détermine un arrêt de développement de l’allantoïde. am, amnios ; p, pédicule de l'amnios ; c, enveloppe séreuse ; al, allantoïde; /, fosse cardiaque ; à, inteslin; m, méseutère ; v, canal vitellin. l’allantoïde sort au côté gauche, et non au côté droit de l'embryon. Mais cela n'aurait aucun intérêt. Ce qui importe ici, c’est de montrer que ces déplacements appa- fig. 2. Fig. 2. — Coupe transversale (schématique) d'un embryon, pour montrer le même fait. à, enveloppe séreuse; À, pédicule amniotique; g, allantoïde; a, amnios ; d, moelle épinière ; ce, corde dor- sale ; b, lames dorsales ; c, lames latérales; /, intestin. rents ou, plus exactement, ces arrêts de développement de l’allantoïde, jouent un rôle considérable dans la physiologie de l'embryon mons- trueux ; car ils le condamnent fatalement à une mort précoce par asphyxie. C'est par ce procédé que j'ai vu périr tous les embryons monstrueux qui avaient dépassé une certaine époque, et chez lesquels la respiration allantoïdienne avait commencé à s'établir. J'ai attribué pendant longtemps ces faits d'asphyxie de l'embryon dans l'intérieur de la coquille à l'action de causes extérieures, et par 278 DES CONDITIONS DE LA VIE ET DE LA MORT conséquent accidentelles, J'ai fait, au commencement de mes recher- ches, un très-grand nombre d'expériences sur le vernissage des œufs ; et, tout naturellement, j'étais conduit à expliquer, par l'obstacle ap- porté à la pénétration de l'air, l’origine de l'asphyxie. Assurément, cette cause à pu agir dans un certain nombre de cas. Il est bien évi- dent que si la respiration est nécessaire à l'embryon, comme à l'animal adulte, toute cause extérieure qui empêchera le contact de l'air et des globules, ou, du moins, qui diminuera dans une proportion no- table l'entrée de l'air, déterminera l’asphyxie, et par conséquent la mort de l'embryon. Mais, lorsque j'ai employé d’autres procédés tératogéniques, j'ai reconnu que l'asphyxie pouvait également atteindre et faire périr les embryons monstrueux, lorsque la perméabilité de la coquille était intacte. J'ai donc été ainsi conduit à reconnaître que, dans mes expé- riences, l'asphyxie de l'embryon était le plus ordinairement déter- minée par des causes provenant de l'organisme lui-même, et que par conséquent elle n'avait été que très-exceptionnellement déter- minée directement par les vernis imperméables à l'air. Je dis directe- ment, parce qu'il est bien clair que toutes les fois que j'ai obtenu une monstruosité par l'application d'un vernis imperméable, celte application a produit l’asphyxie d'une manière indirecte, en provo- quant l'action de cette cause inconnue dont je signale l'existence. Or, cette cause mconnue, c’est évidemment l’arrèt de développe- ment de l’allantoïde ; et cet arrêt de développement de l'allantoïde a lui-même pour cause un arrêt de développement de l’amnios. J’ai montré d’ailleurs à diverses reprises la liaison qui existe entre la plupart des monstruosités simples et les arrêts de développement de l’amnios, puisque ces faits s’'accompagnent presque toujours, et peut- être toujours ; et que, dans un grand nombre de cas au moins, l'arrêt de développement de l’amnios est la cause prochaine des monstruosités simples. Ainsi, dans cette partie de la tératologie, comme dans toutes les autres, lout se lient et tout s’enchaîne. L'arrêt de développement de l’amnios détermine la production d'un organisme monstrueux, et un peu plus tard il détermine l'arrêt de développement de l'allan- toïde, Or, l'arrêt de développement de l’allantoïde détermine à son tour l’asphyxie de l'embryon monstrueux, qui périt nécessairement, fatalement, dans l'intérieur de la coquille, au moment précis où cet organe ne peut plus fournir la quantité d'oxygène nécessaire pour alimenter la combustion respiratoire. CHEZ LES MONSTRES SIMPLES AUTOSITES, 279 Tel est incontestablement le mécanisme de la mort de l'embryon monstrueux dans un grand nombre de cas. Toutefois, je ne suis pas actuellement en mesure d'affirmer que c'est ainsi que périssent tous les embryons monstrueux, pendant la seconde période de leur exis- tence. A l'époque où je faisais les observations qui m'ont conduit aux résultats que je viens de rappeler, je croyais l'apparition des événe- ments tératologiques dans l'embryon beaucoup moins précoce qu'elle ne l’est en réalité, et je prolongeais souvent mes expériences pen- dant une semaine, quelquefois pendant deux semaines. C'est ainsi que j'ai constaté assez souvent le fait de la mort par asphyxie. J'ai re- connu depuis que l'apparition des monstruosités est un événement qui date toujours des trois ou quatre premiers jours de l'incubation, quand l’évolution n’est pas retardée par une température basse ; el j'ai eu par conséquent rarement occasion d'observer de semblables faits, parce que je faisais porter tous mes efforts sur l'étude même de la production des monstres. Maintenant que j'arrive à la fin de cette première série de mes recherches, je chercherai dans mes expériences ultérieures à déterminer les conditions de la vie et de la mort des monstres simples, dans tous les cas. Je chercherai si l'arrêt de développement de l’allantoïde est la conséquence nécessaire de toutes les monstruosités simples, si l'embryon monstrueux périt toujours par asphyxie avant l'éclosion. Je süppose que si cette cause de mort est très-générale, elle n'est cependant pas absolue. Les faits de cyclopie signalés à diverses reprises chez les oiseaux, antérieu- rement à mes recherches, semblent indiquer que, dans ces types tératologiques, l’évolution de l'embryon monstrueux peut se pro- longer jusqu'à l’époque mème de l'éclosion. Mais il est bien évident que la réponse à cette question est dans l'expérience seule. J'espère qu'un jour elle me permettra de réunir ces éléments qui me font actuellement défaut. CHAPITRE VII ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. Sommaire. 19 Théories de la moustruosité double, — 2° Théorie d’Is. Geoffroy Saint- Hilaire sur la production de la monstruosité double chez les mammifères et chez l'homme par la soudure de deux embryons contenus dans un œuf unique.— 3° Ob- servations sur la gémellité et sur la production de la monstruosité double chez les oiseaux. — 4° Observations sur la gémellité et sur la production de la monstruo- sité double chez les poissons. — 50 [Indication des causes auxquelles on attribue l'état particulier de la cicatricule qui produit la monstruosité double. — 6° Rôle de l'individualité dans ce phénomène physiologique. $ 1. Les anomalies et les monstruosités dont j'ai décrit précédemment le mode de formation appartiennent toutes à des êtres primitivement simples. Il y a des êtres monstrueux qui présentent la réunion plus ou moins complète des éléments de deux individus. La première pensée que leur vue fait naître, c'est qu'ils résultent de la soudure de deux in- dividus primitivement distincts. De là le nom de monstres doubles par lequel on les désigne généralement. Mais lorsqu'on les soumit à l'étude anatomique, la théorie de la dualité primitive parut, au plus grand nombre des physiologistes, présenter des difficultés insurmon- tables. On pensa donc généralement que ces monstres seraient des ôtres complétement simples dès leur origine, mais présentant une augmentation insolite dans le nombre des parties qui les constituent. Dans cette théorie de l'unité primitive, les monstres doubles devinrent des monstres par excès. Il y à incontestablement des anomalies par excès. Telles sont la po- lydactylie, et au moins certaines polymélies. Je me suis déjà expli- qué sur ce point. Mais j'ai la conviction que ces anomalies par excès sont rares, et que dans le plus grand nombre des cas la multiplica- lion des organes provient de la dualité primitive. J'ai montré, dans l'introduction, comment Duverney et Winslow 1 Voir p. 211. ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ, 981 qui soutinrent les premiers, contre Lémery, la théorie de l'unité pri- mitive des monstres doubles, l'expliquaient, comme Winslow expliqua plus lard toutes les monstruosités, par une conformation originelle des germes", Wolff, qui combattit la doctrine de la préexistence des germes, substitua à la doctrine de la monstruosité originelle celle de la mons- truosité virtuelle ?, Dans cette doctrine, la force qui détermine l'évo- lution de l'être, modifiée par des causes encore inconnues, avant l'époque de la fécondation, ou pendant cet acte physiologique, pro- duirait dans les germes, des embryons d'abord simples, mais chez lesquels, à un certain moment, apparaitraient des organes plus nom- breux que ceux qui caractérisent l'organisation normale. Cette théorie, qui, dans la pensée de Wolff, ne s'appliquait pas seulement aux mons- truosités doubles, mais, d'une manière plus générale, à toutes les anomalies, fut soutenue par Meckel dans ses nombreux écrits sur la monstruosité *. Elle a été reproduite par Lereboullet dans son beau travail sur la production des monstres chez les poissons *, Plus récemment, la théorie de l'unité primitive fut présentée sous une autre forme. Dans la pensée de Wolff, la production des parties en excès résultait d'une modification initiale de la force qui détermine l'évolution. On admit plus tard que cela résulterait de la division par- tielle d'un embryon primitivement simple, division qui serait produite par des causes accidentelles, et parfois même par des causes exté- rieures. Cette nouvelle théorie fut proposée par Baer en 1827, à l’occasion d'un monstre double qu’il avait rencontré sur le blastoderme d'un œuf de poule *. L'année suivante, J. Müller la développa, en comparant la division partielle de l'embryon des vertébrés à la scissiparité de cer- tains animaux inférieurs, tels que les hydres et les vorticelles; il ne l’admettait pas cependant d’une manière générale, et ne la considé- 1 Voir p. 14. 2 Voir p. %5. 3 Voir les différents ouvrages tératologiques de Meckel. * LenepouLLer, Recherches sur les monstruosités du Brochet, observées dans l'œuf, el sur leur mode de production, dans les Ann. des sc. nat. Zool., 4e série, t. XX, p. 178, et 5e série, t. 1, p. 113 et 257, 1863 et 1864. 5 Barr, Uber einen Doppelembryo vom Hüuhne am Anfange des dritlen Tages der Be- brütung, dans les Archives de Meckel, t. II, p. 576, 1827. 5 J. MüLer, Uber die Melamorphose des Nervensystems in der Thierwell, dans les Archives de Meckel, t. III, p. 1, 1828, 282 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. rait que comme applicable à un certain nombre de types de la mons- truosité double. Ainsi comprise, la théorie de l'unité primitive des monstres doubles fut généralement acceptée; elle est encore aujour- d'hui la théorie dominante. On à affirmé que cette théorie avait été vérifiée par l'expérience» et que certains physiologistes, Valentin et M. Knoch, auraient pro- duit artificiellement des monstres doubles, comme je produis arti- ficiellement des monstres simples. Je montrerai que ces allégations ne sont pas fondées, et que la théorie de l'unité primitive, telle qu'elle a ét6 établie par Baer et par J. Müller, est entièrement hypothétique, et ne repose sur aucun fait scientifiquement établi. En réalité, la seule objection que les partisans de l'unité opposent aux partisans de la dualité, c'est l'impossibilité de comprendre l’orga- nisation des monstres doubles par l’union ou la fusion accidentelle de deux embryons distincts et complétement formés. C'était, je l’ai déjà dit, l'opinion de Lémery, qui croyait, comme Winslow, à la pré- existence des germes, et qui par conséquent ne pouvait pas com- prendre autrement la formation des monstres doubles. Mais est-ce bien là l'idée que l’on doit se faire de la théorie de la dualité pri- mitive ? Les impossibilités physiologiques-que Winslow signalait dans la théorie de Lémery dépendaient-elles de Ia théorie elle-même, ou seulement de la manière dont il l'avait présentée, et des considéra- tions hypothétiques qu'il avait dû substituer aux faits ? Ces longues discussions, dont Bonnet disait qu’elles pourraient se prolonger jusqu'à la fin des siècles *, n'avaient pas d'autre cause que l'ignorance des faits. La tératogénie ne peut, dans son état actuel, créer les monstres doubles comme elle crée les monstres simples. Gela résulte de toutes les études expérimentales qui m'ont fourni les objets de ce livre; cela résulte également des expériences de Lereboullet sur l’évolution des monstres chez les poissons. Il faut donc attendre que des cir- constances fortuites nous mettent en présence des faits. Mais ces cir- constances deviennent de plus en plus nombreuses, par suite de l'extension que prennent tous les jours les études embryogéniques. On a quelquefois rencontré des monstres doubles en voie de forma- 1 « Je tiens cette question de l’origine des monstres pour interminable, on pour- rait discuter pour et contre jusqu'à la fin des siècles, » Bonxer, Lettre à Malacarne, du 46 novembre 1779, dans le quatorzième volume des Œuvres compleles. id hs 4e ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 9283 tion dans les œufs d'oiseaux ouverts pendant l'incubation. Pour ma part, j'ai observé un certain nombre de cas de ce genre. Ils sont assez fréquents dans les œufs de poissons pour que certaines per- sonnes aient cru pouvoir attribuer leur formation à la fécondation artificielle. Tous ces éléments, bien qu'encore insuffisants pour répondre à toutes les questions que soulève l’origine des monstres doubles, conduisent à certains faits généraux que nous pouvons considérer, dès à présent, comme définitivement acquis à la science : ils nous apprennent le mode de formation d’un certain nombre de types de la monstruosité double, et ils nous donnent des indi- cations, hypothétiques, il est vrai, mais très-vraisemblables, sur le mode de formation des types que les embryogénistes n’ont pu encore étudier pendant leur évolution. Or, l'examen de ces faits me conduit à admettre complétement la doctrine de la dualité primitive des monstres doubles, mais en la comprenant tout autrement que Lé- mery. Je crois,avec Lémery, que la monstruosité double résulte de la fusion plus ou moins complète de deux embryons ; mais que cette fusion se produit, qu’elle ne peut se produire que pendant la forma- tion mème de ces embryons, et qu'elle résulte toujours, chez les ani- maux vertébrés, d’un état particulier de la cicatricule déterminant, dans le blastoderme, l'apparition de deux foyers de formation em- bryonnaire. Les deux sujets composants d’un monstre double sont donc unis entre eux d’une manière médiate, au moment même de leur apparition, union médiate qui est la condition indispensable de leur union immédiate ou de leur fusion. J'espère que celte proposilion générale ressortira de la discussion de Lous les faits recueillis par les auteurs et par moi-même, discus- sion qui fera le sujet de ce chapitre. 2. 72 Les monstres doubles ont été, pendant longtemps, principalement observés chez l’homme et les mammifères. Mais il résulte du fait de la viviparité, qui caractérise la génération de ces êtres, que l’on ne possède encore aucune observation directe sur le mode de formation des monstres doubles dans cette classe. Je dois faire remarquer cependant qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire avait parfaitement entrevu comment se produisent les monstres doubles chez les mammifères. C’est un des plus remarquables exemples 284 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ, de cette faculté de divination que possédaient à un si haut degré les deux fondateurs de la tératologie. Lémery, qui croyait à la préexistence des germes, avait expliqué la formation des monstres doubles par la soudure de deux embryons complétement formés, et produits dans des œufs différents. Cette doc- trine soulevait un nombre considérable de difficultés, et même d’im- possibilités physiologiques : elle ne pouvait par conséquent résister aux objections de Winslow. Mais ces objections ne portaient pas contre la doctrine mème de la dualité, comme le croient beaucoup de physiologistes : elles n'avaient une valeur réelle que lorsqu'on les adressait à la manière spéciale dont Lémery comprenait cette doc- trine. Il est intéressant de voir que Lémery avait eu un pressentiment de la réalité. Tout en attribuant la formation des monstres doubles à la soudure d'œufs différents, il émit un jour cette idée que les deux embryons auraient bien pu se développer dans un même œuf’. Mais il n'alla pas plus loin, et, dans le cours de la discussion, il parle tou- jours de deux œufs distincts. | Dans la théorie de la dualité primitive, la production des monstres doubles se lie nécessairement au fait de la gémellité, dont elle est un cas particulier. La gémellité a été pendant longtemps considérée comme résultant de l'existence d’embryons développés dans des œufs distincts. Mais les progrès de l’obstétrique ont montré depuis long- temps que la gémellité peut se produire dans des conditions très- différentes. L'étude des enveloppes du fœtus dans les grossesses gémel- laires a appris que tantôt chaque jumeau a son chorion, son amnios et son placenta, et que tantôt les jumeaux ont un chorion commun el un placenta commun *. Dans ce dernier cas, les jumeaux peuvent avoir chacun leur amnios, ou bien n'avoir qu’un amnios commun. L'existence de deux chorions indique l’existence de deux œufs ; celle 1 Lémery, Observations sur les monstres, premier mémoire dans lequel on examine quelle est la cause immmédiate des monstres, dans les Mém. de l’Ac. des sc., 17924, p. 44. « Dans les enfants qui viennent au monde avec un plus grand nombre de par- ties organiques qu'ils n’en doivent avoir, l’excédant de ces parties a été emprunté d'un autre germe, soit que dans la première conformation un même œuf eut contenu deux germes qui par leur pression se sont unis en tout ou par quelques-unes de leurs parties, soit que chaque germe des deux œufs se fussent approchés immédiatement par la rupture des membranes qui les enveloppaient, » 3 L'unité du chorion dans certains cas de gémellité a été indiquée pour la pre- mière fois par Leurer, Art des accouchements, p. 68, 1761. Celle du placenta était déjà connue dans l'antiquité. ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 985% d’un chorion unique, l'existence d'un seul œuf possédant deux germes embryonnaires. Is. Geoffroy Saint-Hilaire est, à ma connaissance, le premier phy- siologiste qui ait tenté de faire l'application de ces notions au mode de formation des monstres doubles. ? Il signale d’abord un fait curieux ; c'est que la monstruosité double est plus fréquente chez certaines espèces unipares que chez certaines espèces multipares. « L'espèce bovine, dit-il, qui est ordinairement unipare, présente autant de monstruosités doubles que le chat et beaucoup plus que le chien‘. » Or, il est évident que si la monstruo- sité provenait de la soudure d’embryons développés dans des œufs différents, elle serait bien plus fréquente chez les espèces multipares que chez les espèces unipares. Dans un autre passage de son livre, Is. Geoffroy Saint-Hilaire va beaucoup plus loin. Après avoir combattu, comme Winslow l'avait fait au siècle dernier, et avec les mêmes arguments, la théorie de Lémery sur la soudure, par l’action d’une pression extérieure, de deux œufs pri- mitivement séparés, il se pose cette question : « Par quelles considé- rations peut-on se rendre compte de ce fait si remarquable, que deux ou trois embryons contenus dans les mêmes enveloppes, tantôt restent séparés jusqu’à la naissance et deviennent des jumeaux normaux, tantôt se conjoignent ou mème se confondent profondément et de- viennent un seul être composé et monstrueux? » Et pour qu'on ne se méprenne pas sur sa pensée, il ajoute en note : «Je laisse ici de côté les cas où chaque embryon a, soit des enveloppes complétement distinctes, soit un amnios distinct avec un chorion commun, et où, par conséquent, la réunion des deux embryons ést empêchée par la présence d’un diaphragme membraneux interposé entre eux. » Il répond à cette question en montrant qu'il faut ici faire intervenir la position respective des deux embryons, et il ajoute : « Il est permis d'affirmer avec toute certitude qu'aux différences de situation relative que peuvent présenter des embryons existant au sein d’un œuf com- mun, correspondent tantôt l'impossibilité et tantôt la possibilité soit d'une jonction superficielle, soit d’une fusion *. » Is. Geoffroy Saint-Hilaire avait donc nettement compris la condi- tion fondamentale de la production d’un monstre double chez les 1 Is. GEorFrOY SaINT-HiLaiRe, Traité de tératologie, t. III, p. 353. * Id., Traité de tératologie, t. III, p. 529. 286 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. mammifères. Il est curieux de voir qu'il n'ait pas reconnu que cette notion était entièrement nouvelle, et que personne ne l'avait conçue avant lui. Mais il ne s'appuyait que sur des considérations théo- riques. Les observations faites sur les oiseaux et les poissons ont pleinement confirmé la justesse de ses prévisions. S 31. Tous les faits qui se rattachent aux théories de la formation des monstres doubles, et que je connais par mes observations person- nelles, proviennent de la classe des oiseaux. Je les ai rencontrés dans le cours de mes recherches expérimentales, C'est donc par eux que je commencerai la discussion des théories relatives à l’origine de la monstruosité double. On rencontre assez fréquemment des œufs de poules qui con- tiennent deux jaunes dans une mème coquille, et qui, pour ce motif, sont généralement beaucoup plus gros que les autres. Ces deux jaunes sont tantôt séparés par l’interposition d'une cou- che d’albumine, et tantôt adhèrent l’un à l’autre avec assez de force pour qu’on ne puisse les séparer sans les déchirer *. Un fait curieux de l'histoire de ces œufs à deux jaunes, c’est qu’ils sont fréquemment pondus par la même poule. C’est un remarquable exemple du rôle physiologique de l’individualité que je signalais dans un précédent chapitre ?. | On a, depuis longtemps, cherché à expliquer la production des monstres doubles par la soudure des deux embryons produits dans ces œufs, soit qu'elle fût précédée par la soudure des jaunes, soit qu'elle fùt indépendante de cet événement physiologique. Gette explication de la monstruosité double chez les oiseaux se trouve déjà dans Aristote, qui a donné des notions très-exactes sur l’his- toire des œufs à deux jaunes *. 1 Ce paragraphe est le résumé d'un certain nombre de mémoires et de notes que j'ai publiés depuis seize ans sur l'origine des monstres doubles. J’en ai donné la liste p. 49. 2 Ce sont des faits de ce genre qui m'ont fait croire à une certaine époque à l'exis- tence de deux jaunes soudés antérieurement à l’incubation (voir mon Mémoire sur l'histoire physiologique des œufs à double germe, etc., dans les Ann. des sc. nat., 4 série, Zool., t. XVII, p. 49, 1861). 3 Voir le chapitre x de la première partie. * AnSTOTE, est rù Lôz Taroouwv, lib. VI, cap. mt. Il distingue très-bien les deux peur ne ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 287 Elle a été souvent reproduite. On la retrouve, mais sans aucun fait à l'appui, dans les écrits du premier physiologiste, qui à l'époque de la Renaissance s'occupa d'embryogénie, Fabrice d'Aquapendente *. Et. et Is. Geoffroy Saint-Hilaire l'acceptèrent. On lit dans le Zraité de tératologie la phrase suivante : « L'existence des doubles œufs, plus commune qu'on ne le croit généralement, explique seule les monstres doubles chez les oiseaux *. » Cette théorie de la formation des monstres doubles n’est pas en rapport avec les faits. On à souvent mis en incubation des œufs à deux jaunes, sans obtenir de monstre double. Harvey, qui rapporte les opinions d'Aristote et de Fabrice d’Aquapendente son maitre, ajoute que, dans ses observations, il a toujours vu les embryons sé- parés ; mais qu'un embryon périssait Loujours avant ou pendant lé- elosion *. Tels sont également les résultats obtenus par Allen Thom- son, Valenciennes, Panum, Broca et par moi-même *. Les seuls faits que l'on puisse invoquer en faveur de l'opinion qui attribue l’origine des monstres doubles à l'union de deux embryons cas (jaunes séparés et jaunes adhérents). 1] parle d’une poule qui pondit dix-huit œufs à deux jaunes. Ces œufs étaient les uns clairs, les autres féconds. Les œufs féconds donnèrent des jumeaux de taille inégale. Le dernier donna un monstre (7:22700e;). Mais Aristote ne dit pas si ce monstre était double ou simple. Dans son livre sur la génération des animaux (+251 fowv yevtoéws, lib. IV, ‘cap. 1v), il revient sur l'histoire des œufs à deux jaunes, et il dit, mais sans citer d'exemple particulier, que les œufs à deux jaunes adhérents produisent des monstres doubles n'ayant qu'une seule tête et un seul corps, mais quatre ailes et quatre pattes. On peut donc penser qu'Aristote ne faisait, dans ce cas, qu’exprimer une opinion générale, et qu'il n'avait pas observé lui-même de faits de cette nature, 1 FABRICE D'AQUAPENDENTE, De formatione ovi et pulli, cap. 1 et 1 — Il ne cite aucun fait à l'appui de son opinion. 2 Is. Georrnoy SaintT-HiLaiRE, Traité de tératologie, t. T, p. 502. 3 Hanvey, Erercitationes de generatione animalium, ex. 23, De ovis gemellificis. * ALLEN Taomsox, Remarks on the early Condition and probable Origin of double Monsters, dans the London and Edinburg monthly Journal of Medical Science, 1844, p. 587. — VALENCIENNES, Nole sur des œufs à plusieurs jaunes contenus dans la même coque, dans les Comptes rendus, t. XLII, p. 3, 1856, — Paxum, Untersuchungen, etc., p. 215. — Broca, Expériences sur les œufs à deux jaunes, dans les Ann. des sc. nat., Zool., 4e série, t. XVII, p.78. J'ai eu à diverses reprises occasion de faire couver des œufs à deux jaunes. Saut quelques indications données dans mon Mémoire sur l'hist. physiol. des œufs à double germe, je n'ai pas publié ces observations qui n'ont fait connaître aucun fait nouveau relativement à ces œufs, Le physiologiste qui a fait le plus grand nombre d'expériences sur les œufs à deux jaunes est Panum. Il a eu à sa disposition 77 œufs de poule et 3 œufs d'oie, qui tous contenaient deux jaunes. Tous ces œufs, à l'exception de 10 œufs de poule, 288 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. développés dans une même coquille, sont très-peu nombreux, et ne sont même pas scientifiquement établis. Bonnet, parlant des œufs à double jaune et des monstres doubles auxquels ils doivent donner naissance, ajoute en note qu'un Hollan- dais nommé Van Swinden, qui avait traduit son livre de la Contempla- tion de la nature, avait ajouté en note la phrase suivante ! : « Cette demande de l’auteur est exactement confirmée par une observation qu'on trouve dans le Magasin de Hambourg, t. I, p. 619. Quelqu'un qui examinait des œufs en les regardant au soleil en trouva un à deux jaunes ; il le fit couver, et acquit un monstre composé de deux pou- lets réunis ensemble, à deux têtes, et dans lequel quelques parties paraissaient manquer, et d’autres étaient mèlées de facon à n’en faire qu'une seule, » Assurément cette observation est très-explicite ; mais elle est anonyme et ne présente par conséquent aucune garantie d’au- thenticité. Schultze a soutenu la même opinion, qu’il fonde sur le fait sui- vant. Une poule, pendant trois années consécutives, pondit des œufs qui, au commencement de chaque ponte, contenaient toujours deux jaunes, tandis que plus tard ce fait ne se produisait plus qu'excep- tionnellement. La seconde année on laissa la poule couver, et l’on obtint plusieurs monstres doubles à quatre ailes et à quatre pattes, et formés de deux sujets unis par le ventre. Or il y a une circonstance qui diminue considérablement l'authenticité de ces faits: c’est que Schultze ne parle point d’après ses observations personnelles, mais seulement d’après le récit du possesseur de la poule *. Mais quand furent soumis à l’incubation artificielle et ouverts du sixième au neuvième jour. Voici les résultats de ces expériences : 19 21 œufs de poule et 2 œufs d’oie. Aucune trace de développement sur l’un ou l’autre des jaunes. 20 15 œufs de poule, 1 œuf d'oie. Développement d’un embryon normal sur l’un des jaunes ; aucune trace de développement sur l’autre. 30 40 œufs de poule. Développement d’un embryon normal sur chacun des deux jaunes. Ces deux embryons ne présentaient aucune trace d'union. 4° 9 œufs de poule. Embryon malade ou mort sur l’un des jaunes; aucune trace d'embryon sur l’autre. 50 7 œufs de poule. Un embryon monstrueux ou du moins arrêté dans son déve- loppement sur chacun des jaunes. 60 6 œufs de poule. Embryon normal sur l’un des jaunes; embryon monstrueux ou arrêté dans son développement sur l'autre. 1 Bonner, Contemplation de la nature, dans les Œuvres complètes, t. IV, chap. xt, p. 288. ? ScnuLrze, Uber anormale Duplicilät der Achsenor gane, dans les Archives de Virchow, t. VII, 4856. ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 289 bien même ces faits seraient exacts, la sortie d’un monstre double d’un œuf qui contenait deux jaunes ne prouverait en aucune facon que le monstre résulterait de la soudure de deux embryons déve- loppés sur chacun des jaunes ; car il pourrait s'être produit sur l'un d'eux. Pour établir l'union des deux embryons développés dans une mêmt coquille sur des jaunes distincts, il faudrait évidemment la constater pendant l’incubation. Or, il n'y a dans la science qu’une seule obser- vation dans laquelle on aurait observé un fait de ce genre. On aurait vu pendant l'incubation deux jaunes, primitivement distincts et portant chacun un embryon, se rapprocher l’un de l'autre et finir par se souder. Ce fait appartient à EL. Geoffroy Saint-Hilaire : il a été mentionné deux fois par Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Je manquerais de respect à la mémoire des deux fondateurs de la tératologie si je ne faisais connaître les raisons qui m’empêchent de croire à la réalité d'un fait qu'ils attestent. La première indication de ce fait, indication d’ailleurs fort vague, se trouve dans la phrase suivante d’Et. Geoffroy Saint-Hilaire : «Il est des œufs mal conformés et qui alors contiennent nécessairement en eux-mêmes la raison de leur ultérieur et vicieux développement. Ainsi deux œufs contenus dans une même coquille, malgré l'exiguité de leur cellule, donneront deux oiseaux ; ou, à Cause même de cette exiguité, une monstruosité par excès. Cette conclusion est juste, et nous avons nous-même un travail prêt, une planche toute gravée, où nous rendons compte de ces faits avec des circonstances nouvelles et très-curieuses ". » Ce travail d'Et. Geoffroy Saint-Hilaire n’a pas été publié ?; mais le fait auquel it fait allusion a été signalé deux fois par Is. Geoffroy Saint-Hilaire, d’abord dans une note du 7raité de tératologie et, dix-huit ans plus tard, dans une communication faite à l'Académie des sciences *. 1 Georrnoy Sainr-Hicatne, article MonsTRE, dans le Dict. class. d'hist. nat., t. XI, p. 149, 1825. 2 Toutefois, Geoffroy Saint-Hilaire a donné quelques indications sur ce fait dans un mémoire publié en 1827 dans les Archives générales de médecine, t. XIII, p. 392, sous ce titre : Des adhérences de l'extérieur du fœtus considérées comme le principal fait occasionnel de la monstruosité. 3 Js. GeorrroY Saint-HiLaine, Traité de tératologie, t. III, p. 107, — Observations 19 290 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. Voici la première note : « J'ai sous les yeux le double corps empaillé et de très-bons des- sins d'un poulet monomphalien, chez lequel l'union ne se faisait que très-superficiellement par la région ombilicale, plus spéciale- ment par la région antérieure des vitellus. J’eusse considéré, dès à présent, ce double poulet comme le type d'un nouveau genre qui eût dù être nommé Omphalopage, s'il m'avait été possible, ou de dissé- quer moi-méme ce monstre, où de suppléer aux lacunes de l'observation par le rapprochement de cas analogues ou authentiques. » La seconde communication d'Is. Geoffroy-Saint-Hilaire sur le mème fail est beaucoup plus détaillée : « Le sujet de cette observation, à laquelle il est bon de rendre sa place et sa date dans la science, est un poulet double présentant les caractères de l'onphalopagie. Dans ce monstre complétement double, les deux sujets, d’ailleurs bien conformés, étaient réunis ventre à ventre par une portion commune allant d’un vitellus à l’autre exemple, par conséquent, d’une union aussi superficielle et aussi restreinte que possible, d’une union qu'on est dès lors conduit à considérer comme devant être non très-précoce et presque primor- diale, mais d’une date comparativement récente. Or, c’est ce qui a lieu en effet : l'induction théorique est ici justifiée par l'observation. Le double poulel n'a pas été, comme tant d'autres, trouvé par hasard dans un œuf sans aucune étude possible des circonstances anté- rieures : il venait d'un œuf, non encore couvé, très-remarquable par son volume, et que, par cette raison, on avail apporté à mon père pour la collection du Muséum. Les gros œufs que pondent parfois les oiseaux domestiques ne sont le plus souvent que des œufs ordinaires où le jaune est entouré d'une plus grande quantité de blanc : celui-ci, au contraire, contenait deux jaunes, comme on le constata aussitôt au moyen du mirage, et ces deux jaunes étaient non-seulement dis- tincts, mais placés à distance lun de l’autre. Les contenants étant séparés, les contenus l'étaient aussi et à plus forte raison. Les deux poulets ont donc été d'abord des jumeaux normaux, chacun s’est dé- veloppé à part vers l'un des pôles de l'œuf, jusqu’à ce qu'ayant pris un accroissement considérable, il se trouve par là même porté vers le centre à la rencontre de son frère. C’est alors qu'il s’est uni avec lui par un point de la région ventrale. relalives aux vues de M, Coste sur la formation des monstres doubles, dans les Comples rendus, t, XL, p. 873, 1858. ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 291 « Ce monstre double, peu remarquable par les faits tératologiques qu'il présentait à l'observation, mais très-digne d'intérêt par les cir- constances où ils ont été observés, appartient à un des types chez lesquels la prolongation de la vie est possible. Il eût été d'un grand intérêt de suivre hors de l'œuf les phénomènes dont la région d'union eùt été le théâtre. Malheureusement, au terme normal de l'incuba- tion, au vingt et unième jour, l'un des individus composants à seul bèché son œuf, l'autre était mort. » Ainsi, d'après les paroles mêmes d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire, la séparation primitive des vitellus, puis leur soudure, auraient 616 constatées par le mirage. Mais, avant de discuter le fait, je ferai remarquer tout d'abord qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire ne dit pas qu'il ait pratiqué lui-même l'opération du mirage, et qu'il semble même résulter de ses paroles que celte opération avait été faite par un autre. Dans un travail, publié il y a seize ans, j'avais émis des doutes sur la réalité du fait de la soudure tardive des vitellus dans cette obser- vation, soudure qui aurait été constatée par le mirage’. J'ai bien sou- vent soumis des œufs au mirage, et bien que cette pratique permette de reconnaitre certains faits, comme je l'ai dit déjà, bien qu'elle puisse par conséquent rendre des services aux personnes qui s'oc- cupent de lératogénie expérimentale, je ne crois pas qu'on puisse accorder une confiance absolue à tous les résultats qu'elle donne. Ce qui n’était alors pour moi qu'un doute, devint, l'année sui- vante, une certitude. Comme je l'ai dit dans l'introduction, j'ai été assez heureux pour retrouver les planches gravées, mais inédites, qui contiennent les dessins des faits observés par Et. Geolfroy Saint- Hilaire dans ses études de tératogénie. Or, dans une de ces planches, j'ai vu quatre dessins qui représentent le fait auquel ce savant faisail allusion. Les trois premiers représentent l’intérieur de l'œuf vu par le mirage à trois époques de l’incubation. Dans le premier les deux jaunes apparaissent complétement séparés. Dans le second, les deux jaunes apparaissent réunis par un pédicule. Dans le troi- sième , les deux jaunes apparaissent de nouveau séparés. Enfin, dans le quatrième, on voit deux poulets sortis de l'œuf et attachés à deux jaunes unis par un pédicule médian. Il est évident que la bande d'union existait dans le troisième état, mais qu'elle n’a pas été vue, 1 DanesTr, Mémoire sur l'histoire physiologique des œufs à double germe, p, 41. 292 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. puisqu'elle existait déjà dans le second. Ne doit-on pas en conclure naturellement qu'elle existait également dans le premier état, mais qu'elle n’y à pas été vue ? Ainsi donc, l'observalion que je viens de discuter ne prouve en aucune facon le fait de la soudure, pendant l'incubation, de deux jaunes primitivement séparés. Malgré tout mon respect pour la mé- moire des fondateurs de la tératologie, je ne puis voir, dans le fait en question, que l'existence de deux embryons sur un jaune unique, présentant un étranglement médian et non la soudure tardive de deux jaunes primitivement distincts. Je ferai d’ailleurs remarquer que la soudure de deux jaunes dans une même coquille, pendant les premiers temps de l'incubation, et lorsqu'ils sont encore recouverts par la membrane vitelline, mem- brane anhiste et complétement dépourvue de vitalité, est absolu- ment inadmissible, Un pareil événement ne pourrait se comprendre qu'à une époque plus tardive, après le détachement de la membrane vitelline, et lorsque le blastoderme a revêtu presque entièrement le Jaune. Mais, à défaut de la soudure primitive des jaunes, on a eru pouvoir admettre, dans certains cas de monstruosités doubles, la soudure primitive des embryons, tandis que les jaunes resteraient séparés. Il y a en effet des monstres doubles à deux ombilies, et qui, par conséquent, paraissent avoir été en rapport avec deux vésicules om- bilicales. Telle est la famille des monstres dits £usomphaliens, formée par les genres Pygopage, Métopage et Céphalopage. Tel est encore le genre Synadelphe. La formation de ces monstres, lorsqu'ils se produisent chez les oiseaux, résulte-t-elle de la soudure de deux embryons produits sur deux jaunes distincts, bien qu'enfermés dans une même coquille ? On l’a cru. Je l'ai cru moi-même à une certaine époque. Mais j'ai observé chez les oiseaux deux faits qui prouvent le contraire, et qui montrent que, dans les œufs à deux Jaunes, la sou- dure ne commence pas plus par les embryons que par les jaunes eux-mêmes. J'ai observé un céphalopage en voie de formation. Les deux em- bryons composants juxtaposés, mais encore séparés, s'étaient pro- duits sur un jaune unique. Un cas fort remarquable de métopagie m'a été donné par M. Lavo- cat, directeur de l'Ecole vétérinaire de Toulouse, Cette pièce est ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 293 conservée au musée de Lille. Les deux embryons, soudés entre eux, sont unis par une bandelette, reste d'un vitellus unique. Je n'ai point observé de pygopage ni de synadelphe en voie de formation, mais je ne puis comprendre comment ils échapperaient à la règle générale. L'union, chez les céphalopages et les métopages, est peu profonde; elle n'intéresse que les téguments de la tête et le crâne; et cependant elle ne se produit que lorsque les embryons se sont développés sur un vitellus unique. Comment en seraitil autre- ment lorsque l'union est beaucoup plus profonde; pour les pygo- pages, par exemple, où la colonne vertébrale est unique dans les ré-. gions lombaire et sacrée; pour les synadelphes, où la fusion des deux corps embryonnaires a pour siége la région tout entière du tronc? Ce qui à pu faire illusion pour ces monstres à double ombilic, c'est que, lorsqu'ils se produisent chez l’homme et chez les mammi- fères, chaque embryon possède isolément son cordon ombilical. Mais cela n’est pas en contradiction avec l'existence d'un vitellus unique, et par conséquent d'une vésicule ombilicale unique. Comme les mammifères placentaires se séparent de leur vésicule ombilicale, les monstres ainsi produits ont nécessairement deux ombilics. Chez les oiseaux rien de pareil ne peut avoir lieu. La monstruosité double ne peut donc pas résulter de la fusion de deux embryons, produits sur deux jaunes distincts, mais enfermés dans un mème œuf, soit que cette fusion fût primitive, soit qu'elle fût consécutive à la soudure des jaunes. Il faut donc nécessairement admettre que les monstres doubles se produisent sur un jaune unique comme les embryons simples. Ce fait a été constaté par l'observation. On a rencontré, à diverses reprises, des monstres doubles développés sur le blastoderme d'un jaune unique; on a rencontré également d'autres cas dans lesquels deux embryons distincts s'étaient développés sur un jaune unique. Les premiers faits de ce genre ont été signalés par Wolff en 1769. Il décrivit, dans un même travail, un cas de monstruosité double et un cas de deux embryons distincts développés sur un même jaune, Depuis Wolff ces sortes d'observations se sont multipliées. Baer, Reichert, Allen Thomson, Lebert, Panum, Faivre?, ont observé de 1 Wozrr, Ovum simple gemelliferum, dans les Novi commentarii Petropolitani, t, XIV, p. 259, 1769. 2 BaEn, loc. cit. — Rricuenr, Uber die Silszung der Gesellschaft naturforschender Freunde in Berlin, dans la Vossische Zeitung, 10 juillet 1842. — Allen Tomson, loc. 294 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. semblables cas. D'autre part, Flourens, Allen Thomson’ et Panum ! ont observé des cas où deux embryons étaient distincts sur un jaune unique. Moi-même, depuis le commencement de mes études, j'ai ren- contré une trentaine de cas de monstruosités doubles et une dizaine de cas de doubles embryons. J'ai même rencontré, deux fois, le fait beaucoup plus remarquable de trois embryons distincts, mais déve- loppés sur un jaune unique. Wolff, qui considérait la monstruosité comme existant virtuelle- ment dans le germe dès l'époque de sa première apparition, consi- dérait ces deux sortes de faits, la monstruosité double et la gémellité, comme entièrement différents. Mais Allen Thomson, dans son remar- quable travail sur les origines de la monstruosité double, signala les relations qui existent entre eux. Il considéra la monstruosité double comme résultant de la fusion de deux embryons développés sur un jaune unique ?. J'adopte entièrement sur ce point les idées d'Allen Thomson; mais en les complétant à l’aide de plusieurs faits nouveaux qui résultent de-mes propres observations. La gémellité univitelline, si l'on peut parler ainsi, c’est-à-dire la production de deux embryons sur un jaune unique, peut se faire par deux procédés différents, comme je m'en suis assuré. Tantôt elle consiste dans la production de deux embryons sur deux cicatricules distinctes, et tantôt de cette même production sur une cicatricule unique. L'existence de deux cicatricules distinctes sur un seul jaune a été signalée, il y à longtemps, par Fabrice d’Aquapendente*. Mais elle a été souvent révoquée en doute. On à dit que des épaississements locaux de la membrane vitelline pouvaient simuler une seconde cicatricule. Cela est assurément possible. Mais la coexistence de deux eicatricules dans un seul jaune est bien évidente dans les cas observés par Panum * et par moi-même, où les blastodermes produits par le cit, p. 487, fig. 4 et 5. — Lesert, Comples rendus de la Société de biologie, t. I, p. 10, 1849. — Panum, loc. cit., p. 237, pl. XI, fig. 5. — Faivre. — Communica- tion verbale. 1 FLourens, Œu/s de poule qui présentent quelques circonstances particulières, dans les Comptes rendus, t. 1, p. 182, 1835. — Allen Tnomson, loc. cit., p. 487. PanuM, loc. cit., p. 238, pl. XIL, fig. 1,2, 3; p. 240, pl. XII, fig. 4. ? ALLEN Tnomson, loc. cit., passim. 3 FaprICE D'AQUAPENDENTE, De formatione pulli, p, 13. , * Panum, loc. cil., p. 240, pl. XIL, fig. 4. ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 295 développement des ces cicatricules présentaient chacun un embryon, Dans ce cas chaque embryon avait, au début, son blastoderme, son aire transparente, son feuillet vasculaire, son amnios. Plus tard, il est vrai, les blastodermes, venant au contact, s'unissaient l’un à l'autre. Puis il en était de même pour les feuillets vasculaires ; et alors les anastomoses s’établissaient entre les circulations vitellines des deux embryons. Ges deux êtres, unis d'abord mais très-faiblement par le vitellus commun, contraclaient peu à peu une union plus intime, puisqu'ils n'avaient qu'un mème sang, el que, par consé- quent, les phénomènes de la circulation de l’un devaient se coor- donner avec ceux de l’autre. Toutefois l'existence d'amnios distinets maintenait une certaine indépendance entre les deux embryons". I n'en est pas de même lorsque les deux embryons se produisent sur une cicatricule unique. Dans ce cas, il n'existe qu'un seul blasto- derme. Quant à l'aire transparente et au feuillet vasculaire, ils sont incontestablement distincts tout à fait au début, comme les embryons eux-mêmes dont ils dépendent ; mais ils ne peuvent pas ne pas s'unir de très-bonne heure, car ils viennent très-rapidement se mettre en contact. Il en est de même de l'amnios. Sans doute, les plis qui précè- 1 La coexistence de deux cicatricules dans un même jaune est évidemment com- parable aux faits d’ovologie humaine, dans lesquels deux embryons ayant chacun leur amnios sont enfermés dans un chorion unique. Mais comment expliquer ce fait, car nous savous que l’ovule entier du mammifère se segmente comme la cicatricule de l'oiseau, et que par conséquent il doit ètre considéré comme étant tout entier une cicatricule? Ne peut-il pas s'expliquer par la soudure très-précoce de deux ovules? Je ne puis que poser la question. Je dois ajouter que le fait de la soudure de deux ovules primitivement distinets, soudure donnant naissance à des monstres doubles, a été établi, dans une espèce de mollusque, la Bullæa aperta, par M. de Lacaze-Duthiers. Voir son mémoire Sur (a formation des monstres doubles chez les Gastéropodes, dans les Archives de zovlogie . eæpérimentale, t.1Y,p. 483. Ce travail est d'autant plus remarquable que l'auteur a pu produire artificiellement des monstres doubles, en contraignant l'animal à hâter le travail de la ponte. Dans ces conditions insolites, deux vitellus étaient déposés dans la même coque, et se soudaient ensemble pendant le développement. Or le vitellus de ces mollusques, qui se segmente en totalité, est entièrement comparable au vitellus de l'homme et des mammifères. Toutefois la soudure de deux ovules, chez les mammifères, ne pourrait avoir les mèmes conséquences que chez les mollusques gastéropodes, Chez ces animaux, le vitellus se transforme complétement en embryon, et par conséquent la soudure de deux vitellus amène nécessairement la production d'une monstruosité double. Chez les mammifères la soudure de deux ovules ne peut produire un monstre double; puisque la tache embryonnaire, point de départ de l'embryon, n’est qu'une partie du blastoderme, Dans le cas de la soudure de deux ovules, les deux embryons doivent rester séparés et s'envelopper chacun d'ün amnios propre, 296 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. dent les capuchons se constituent isolément autour de chaque embryon, comme ils se constituent isolément, pour un même em- bryon autour de l'extrémité céphalique et de l'extrémité caudale; mais ils ne peuvent pas ne pas se confondre très-rapidement, puis- qu'ils résultent Lous du plissement d’un mème feuillet séreux. Les deux embryons s'enveloppent done d'un amnios unique. Plus tard, comme nous le voyons dans l'observation déjà citée de Flourens, les allantoïdes se soudent et forment un organe unique. Ces deux embryons jumeaux sont donc unis par des connexions encore plus intimes que les embryons qui se sont développés dans deux cicatricules différentes. Toutefois, mème dans ce dernier cas, ils peuvent rester distincts, sans contracter d'autre union que celle qui résulte de l'union de leurs annexes. Mais, dans l’un et l’autre cas, la résorplion du jaune commun les rapproche peu à peu. Il arrive donc nécessairement une époque, celle de l’éclosion, où les deux corps embryonnaires sont accolés par les ombilies et ne peuvent se séparer. Si, dans ces conditions, les deux embryons pouvaient continuer à vivre, ils constitueraient cet organisme qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire a désigné sous le nom d’omphalopage ‘, et qui n’est en réalité que la réunion de deux embryons jumeaux qui n’ont pas pu se séparer. Lorsque deux embryons se développent ainsi sur un jaune unique, ils sont tantôt égaux et tantôt inégaux. De plus, l’un d'eux peut être normal, tandis que l’autre peut être frappé d’arrêt de développement. J'ai constaté plusieurs fois de semblables faits. Or, l'embryon mal conformé présentait alors les caractères des monstres omphalosites d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire. La vie de cet omphalosite dépendait uni- quement des connexions vasculaires qui l’unissaient à son frère ju- meau, S'il s'était produit isolément sur un jaune unique, il aurait incontestablement péri de très-bonne heure. La constatation de ce fait est d'autant plus intéressante qu'elle rend compte d'une particularité, depuis longtemps signalée, mais encore inexpliquée, de la naissance des omphalosites chez l'homme et chez les mammifères; c'est que ces monstres naissent toujours avec un frère jumeau bien conformé. Meckel avait indiqué cette cir- constance dans un grand nombre de cas ?. Geoffroy Saint-Hilaire la 1 |s. Georrroy SainT-HiLaiRE, Trailé de tératologie, t. III, p. 107. * MeckeL, Handbuch der pathologischen Anatomie, t, I, p. 140. ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 297 signala plus tard comme un fait nécessaire ‘, On raconte qu'ayant un jour rencontré Moreau, le célèbre professeur d'accouchements, dans le vestibule de l'Académie de médecine, celui-ci lui annonça qu'il allait présenter à l'Académie un monstre acéphale. « Présenterez- vous aussi, lui dit Geoffroy Saint-Hilaire, son frère jumeau bien conformé, et le placenta commun aux deux individus? — Mais vous connaissez donc l'observation », lui répondit Moreau. F'expliquerai dans un autre chapitre cette relation qui existe entre la gémellité et la naissance des omphalosites. Si les omphalosites n'ont été connus jusqu'à présent que chez l'homme et chez les mammifères à placenta, c’est que dans cette classe seule, la séparation de l'embryon et de la vésicule ombilicale permet aux jumeaux de se séparer au moment de la naissance, tandis que rien de pareil n’a lieu et ne peut avoir lieu chez les oiseaux. Dans cette classe, embryon ne se sépare pas du jaune qui rentre peu à peu dans la cavité abdominale, et qui s’y trouve compléte- ment enfermé au moment de l'éclosion. Il y disparait ensuite plus ou moins rapidement ?. Or, s’il arrive qu'un embryon omphalosite se soit développé sur le jaune en même temps qu'un embryon bien conformé, il sera peu à peu absorbé par ce dernier, et semblera s'unir à lui pour former une organisation comparable à celle des monstres doubles. 1 Et. Georrroy Saint-HizatRe, Nole sur quelques conditions générales de l'acéphalie complèle, dans la Revue médicale, t. TITI, p. 36, 1826. 2 Il faut indiquer ici une lacune très-importante de l’'embryogénie comparée. Que devient la vésicule ombilicale chez les embryons de mammifères dépourvus de placenta, les Ornithodelphes et les Didelphes? Se détache-t-elle de l'embryon, comme chez les mammifères à placenta? Ou bien rentre-t-elle dans la cavité abdo- minale, pour y être peu à peu résorbée, comme chez les oiseaux? Il est probable que la vésicule ombilicale rentre dans la cavité abdominale, comme c’est le fait genéral chez tous les vertébrés qui n’ont point de placenta. Tou- tefois on ne peut se prononcer, à cet égard, d'une manière absolue. Je dois, en effet, signaler un passage curieux du livre d’un ancien voyageur, passage semblant indiquer que l'embryon d'une espèce d'oiseau, le Tavon ou Mégapode, se séparerait de la vésicule ombilicale. « Le Tavon, dit Gemelli Carreri, fait ses œufs dans des terres sablonneuses; leur grosseur est à peu près celle d’un œuf d'oie. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'après que les petits sont éclos, on y trouve le jaune entier sans aucun blanc..... Les Espagnols mangent souvent dans un même plat la chair des petits et le jaune de l'œuf. » Gemeccr Carrert, Voyage autour du monde, t. V, p. 266, 1719. Je signale ce passage à l'attention des ornithologistes. Il parait que, dans certains oiseaux, la vésicule ombilicale persiste pendant toute la durée de la vie. Est-ce un fait spécifique ou un fait individuel? On a signalé ce fait dans le Casoar de la Nouvelle-Hollande et dans l'Aptéryx. Voir Sranxius, Lehrbuch der vergleichenden Anatomie der Wirbelthiere, p. 302. 208 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. Déjà Wolff, à propos de l'observation de gémellité dont j'ai parlé plus haut, montrait que si, dans des Cas analogues, les deux embryons élaient très-inégaux dans leur développement, le frère arrêté dans son développement serait absorbé en quelque sorte par son frère complétement développé. I prévoyait ainsi le fait physiologique que l'on désigne sous le nom d’énelusion abdominale. « Puisque les in- testins de ces deux fœtus, dit-il, s'insèrent sur un seul et même vitellus, chacun de ces fœtus s’efforcera d'attirer ce vitellus dans son abdomen. Je suis sûr que si l’un de ces fœtus eût été normal et à terme, et que l’autre eût 6t6 très-petit, le premier aurait absorbé le second tout entier avec le vitellus. Lorsqu'ils sont de même taille et de mème âge, cela ne pourra jamais arriver ». Cette remarque de Wolff donne une explication bien simple de l'inclusion abdominale pour les oiseaux. Je ne connais pas, toutefois, de faits authentiques d’inclusion abdominale complète chez les ani- maux de celte classe *. Mais la prévision de Wolff est complétement réalisée dans certains cas de gémellité qui simulent chez les oiseaux la véritable mons- truosité double. Is. Geoffroy Saint-Hilaire rapporte un fait intéressant, présenté : \Vorr, loc. cit., p. 478 : « Quod si igitur utraque horum fœtuum intestina, in unum eumdemque vitellum inseruntur, uterque fœtus hunc vitellum retrahere intra abdomen suum conabitur. Non dubito, si alter horum fœtuum perfectus et maturus, alter parvulus embryo fuerit, quin ille hunce totum uno cum vitello absorberet, Quum vero magnitudine non minus quam ætate æquales sunt, hoc nunquam contingere poterit. » Il est très-probable que la formation de la monstruosité par inclusion chez l'homme dépend d’une cause analogue. Muis il y a évidemment dans ce fait une autre condition que nous ne connaissons pas encore; car dans cette classe la vési- cule ombilicale se détache de l'embryon au moment de la naissance. On peut pré- sumer qu'alors l'omphalosite, produit sur un vitellus commun, contracte des adhé- rences avec certaines parties de l'intestin grêle, el que ces adhérences déterminent sa pénétration dans la cavité péritonéale de son frère bien conformé. Evidemment je ne puis ici que poser la question. 2 On trouve dans les Atti di Siena, t. III, p. 110, l'observation, faite par un mé- decin nommé Tabarrani, d’un poulet trouvé dans la cavité péritonéale d'une poule. Mais est-ce là réellement un fait d'inclusion abdominale? Il est possible que ce soit un fait comparable aux grossesses intra-utérines. En effet, on a mentionné, à di- verses reprises, l'observation de vitellus tombés de l'ovaire dans la cavité abdomi- nale, fait qui, d'après Lapeyronie, serait le point de départ de la formation de ces œufs sans jaune, que l’on désigne sous le nom d'œufs de coq. On a mentionné de plus des traces de développement embryonnaire sur des jaunes trouvés dans la cavité abdominale, J'ai moi-même observé un fait de ce genre, lout à fait au début de mes études "Éd ne à ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 299 par un jeune poulet qui lui avait été remis par Félix Pouchet,. « Ce monstre double, dit-il, se compose, en premier lieu, d'un sujet autosite régulièrement conformé dans son ensemble; en second lieu, d'un parasite composé de deux parties mal conformées, réunies supérieurement à un bassin rudimentaire.. Le parasile, au lieu d'être accolé immédiatement à l'autosite, est comme suspendu à distance par une sorte de cordon ombilical, long de 4 pouce environ, qui, passant de l'extrémité supérieure du parasite, se porte vers la région ombilicale de l’autosite ‘.» Cette sorte de cordon ombilical est évidem- ment le reste du vitellus interposé entre les deux embryons, et qui n'a pas été résorbé. Supposons maintenant que le vitellus pénètre lout entier dans la cavité abdominale de l'embryon bien conformé, et qu'il s'y résorbe, comme cela se produit dans l'état normal. Si le vitellus porte un em- bryon acéphale réduit à un train postérieur plus ou moins incomplet, ces parties sembleront attachées dans la graisse de l'abdomen ou du croupion de l'embryon bien conformé. Ainsi se produisent des monstres, très-fréquents chez les oiseaux, et qu'is. Geoffroy Saint- Hilaire a décrits sous le nom de Pygomèles, mais en les réunissant, sous ce nom, à d’autres monstres dont l’origine est toute différente. Nous voyons en effet, dans les pygomèles, que tandis que les uns, qui appartiennent à la fois à la classe des oiseaux et à celle des mam- mifères, ont leurs membres surnuméraires soudés ou articulés avec le squelette du sujet bien conformé, il en est d'autres, appartenant seulement à la classe des oiseaux, chez lesquels l'embryon parasite est seulement implanté dans la graisse abdominale *. Ces faits de gémellité univitelline, combinés avec les notions que nous possédons sur l'évolution normale, donnent une théorie très- vraisemblable de la formation de la monstruosité double. Dans tous ces faits, qu'il y ait deux cicatricules ou qu'il n’y en ait qu'une seule, nous voyons les embryons s'unir plus ou moins complétement par leurs annexes. La formation de l'amnios unique dans le cas où la cicatricule elle-même est unique, montre comment des parties qui ont leur origine dans les embryons, s'unissent entre elles pendant leur formation. Pourquoi cela n’aurait-il pas lieu pour les embryons eux-mêmes ? 1 Is. GrorFRoY SainT-HiLainr, Traité de tératologie, L. 11, p. 290. ? Id, Traité de lératologie, t. 111, p, 265. 300 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ, L'origine de l'embryon provient, ainsi que j'ai dit déjà, de la for- mation d'un blastème homogène qui se produit entre les deux feuil- lets du blastoderme, blastème que j'ai désigné sous le nom de disque embryonnaire, Je me représente donc la monstruosité double comme résultant, dans tous les cas, de la production de deux disques em- bryonnaires dans un même blastoderme. Ces disques embryonnaires ne peuvent grandir sans se mettre né- cessairement en contact l'un avec l’autre, et, par suite, sans se souder, comme le font tous les tissus embryorhaires, lorsqu'ils sont en contact. Mais cette union des disques embryonnaires produit des résullats très-différents, suivant leur degré d'écartement. En effet, le disque embryonnaire, primilivement homogène, se différencie, à un certain moment, en deux parties, le feuillet vasculaire et la bande- lette embryonnaire. Lorsque les disques embryonnaires sont à une certaine distance, ils ne s'unissent que par les parties qui forment les feuillets vasculaires ; s’ils sont au contraire très-rapprochés, les parties qui deviennent les bandelettes primitives pourront se trouver en contact, et leur soudure produira un monstre double. Il faut d'ailleurs ne pas oublier que de semblables unions ne peu- vent se produire que lorsque les embryons sont encore constitués par des tissus homogènes, et par conséquent plus ou moins rappro- chés du début de l’évolution. Ainsi disparaissent toutes les difficultés que l'on éprouve à comprendre la destruction totale ou partielle d'organes complétement formés, et l'union des organes ou des parties d'organes qui auraient échappé à cette destruction ; difficultés qui rendaient si puissantes les objections que Winslow opposait à Lémery. Comme je l'ai déjà dit, les organes définitifs des monstres doubles, si compliqués qu’ils nous paraissent, se produisent d’emblée avec Lous leurs caractères définitifs dans des blastèmes préalablement modifiés par la cause tératogénique. L'examen de ce qui se passe dans la soudure des membres pos- lérieurs chez les monstres syméliens fait comprendre très-facile- ment les divers modes de cette union. Si l'union est très-précoce, le membre unique sera complétement simple; si elle est un peu plus tardive, le membre unique pourra présenter tous les degrés possibles de dualité, quant aux organes définitifs qu'il possédera plus tard. Les deux sujets composants d'un monstre double sont tantôt égaux et tantôt inégaux. Is. Geoffroy Saint-Hilaire a considéré ce fait comme le point de départ de la division des monstres doubles en deux ordres, ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 3041 il désigne les monstres dont les sujets composants sont égaux sous le nom de monstres autositaires ; ceux dont les sujets sont inégaux, sous le nom de monstres parasitaires. Il a montré de plus que tous les types de monstres omphalosites se trouvent reproduits par les sujets para- sites des monstres doubles parasitaires'. Mes observations donnent la raison de ce fait, En effet, qu'un omphalosite se développe sur un même œuf et dans une même cicatricule qu'un embryon bien conformé, il arrivera de deux choses l’une : ou bien il se trouvera au contact du sujet bien conformé, et il s'unira à lui pour former un monstre double parasitaire ; ou bien il restera à distance du sujet bien conformé et, tout en ayant avec lui une union médiate, par le blastoderme et par l'aire vasculaire, il ne pourra se souder avec lui pour former un véritable monstre double, En d’autres termes, les monstres omphalosites et les sujets parasites des monstres parasi- taires ont la même origine; il ne diffèrent les uns des autres que par leur mode d'union avec leur frère bien conformé, union immédiate chez les seconds, et seulement médiate chez les premiers. Il est assurément très-difficile de vérifier directement cette théorie, au moins dans le plus grand nombre des cas. Je ne puis ici, comme je l'ai fait pour l’évolution des monstruosités simples, compenser par l'accumulation des observations l'impossibilité où l’on est, par suite de l’opacité de la coquille, de suivre les phases successives de l'évolution d’un monstre double. Toutefois, certains faits, ob- servés par Allen Thomson et par moi-même, montraient d'une manière évidente la soudure de deux corps embryonnaires primi- tivement distincts. Dans d’autres, j'ai vu des embryons séparés, mais juxtaposés, et qui n'auraient pu continuer à vivre sans se souder. Je considère ces faits comme démontrant actuellement la dualité pri- mitive pour certains types de la monstruosité double. Il y a d'autres types, au contraire, au sujet desquels l'observation directe ne m'a encore rien appris. Dans ces cas, je ne puis présenter la doctrine de la dualité que comme l'hypothèse la plus vraisem- blable; tant qu'une rencontre heureuse ne m’aura pas montré quelque fait décisif. Mais j'ai fait assez de ces sortes de rencontres dans mes recherches tératogéniques, pour pouvoir espérer qu'une circonstance fortuite me fera trouver quelque jour les éléments qui me manquent encore. 1 Js. GeorrroY SainT-HiLaire, Trailé de téralologie, t. IL], p. 233. 302 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ, Il me reste maintenant à examiner la doctrine de l’unité primitive. Elle à donné naissance à deux hypothèses distinctes. Tantôt on a admis la division accidentelle d'un être primilivement simple ; tantôt on à admis que la monstruosité double existait virtuellement dans l'embryon, dès le moment de son apparition sur la cicatricule. Je pourrais combattre la théorie de la division partielle d’un em- bryon primitivement simple, en montrant qu'elle ne rend pas compte de tous les détails d'organisation que présentent certains types de la monstruosité double, Mais, dans les sciences, les considérations théoriques n’ont que peu de valeur. Le meilleur moyen de combattre une hypothèse, c’est de montrer qu'elle est contraire aux faits. Or, la division partielle d'un embryon primitivement simple ne peut se comprendre que par des causes accidentelles provenant de l'influence des agents extérieurs. Si donc ce fait avait lieu réelle- ment, j'aurais dû produire des monstres doubles, comme j'ai pro- duit tous les types de la monstruosité simple. Mais cela n’est pas. Je n'ai observé, depuis le commencement de mes recherches, qu'un nombre bien restreint d'œufs présentant deux embryons ou un monstre double, une quarantaine environ, sur un total de dix mille œufs que j'ai mis en incubation, c'est-à-dire 4 sur 250 ‘. Ce rapport ne me paraît pas devoir excéder celui des œufs à germe double aux œufs à germe simple dans les conditions naturelles. Je ferai d’ail- leurs remarquer que j'emploie actuellement des procédés d’incuba- tion qui produisent presque toujours des monstruosités simples; tandis que je n’observe que très-rarement des monstres doubles, Ce fait me donne la conviction complète que les monstres doubles résul- tent d'un état partigulier de la cicatricule antérieur à l’incubation ?, 1 Dans l'introduction (p. 38) j'ai parlé seulement de neuf mille œufs. Cette dif- férence de nombre résulte de l'époque déjà ancienne où j'ai commencé la publication de ce livre. Le manuscrit de l’Introduction a été remis à l'impression le 7 mai de l'année dernière. Le chapitre actuel a été remis à l'impression le 14 mars de cette année. J'ai étudié dans cel intervalle près de mille embryons. 2 On a invoqué, en faveur de la théorie du dédoublement, une expérience de Valentin, qui aurait, dit-on, produit un monstre double par une division mécanique. Ce physiologiste rapporte qu'ayant pratiqué une petite ouverture sur un œuf de poule au deuxième jour de l'incubation, il pratiqua une division longitudinale sur la partie postérieure de l'embryon qui y était contenu. Il affirme que cinq jours après, par conséquent sept jours à partir du commence- ment de l’incubation, les deux moitiés ainsi séparées se seraient développées isolé— ment et que chacune d’elles aurait produitfune extrémité pelvienne, ayant son bassin el ses membres postérieurs, Mais il n'y a rien à cette époque qui ressemble au ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ, 303 Reste la théorie de la monstruosité double virtuelle. Dans cette théorie, ce qui, dans la cicatricule, doit produire l'embryon, serait déjà, avant la formation mème de l'embryon, prédisposé à la mons- truosité double, Or, cette manière de voir ne peut être applicable qu'à un certain nombre de types, pour lesquels le fait de la fusion ne résulte pas encore de l'observation. Il y a là, je le reconnais, une lacune de la science. Mais, en attendant qu'elle soit comblée par des obser- vations ultérieures, je dois faire remarquer que la formation de ces types peut s'expliquer aussi bien par la fusion très-précoce des deux corps embryonnaires, fusion qui aurait lieu presqu'au rnoment mème de leur apparition dans le blastoderme, L'embryogénie ne nous à pas encore fait connaître d'une manière précise le moment où l'embryon commence et l'état dans lequel il se trouve à son origine. Lorsque ce point de l'évolution normale aura été nettement établi, je suis convaincu que l’on pourra décider d’une manière défi- nitive entre ces deux théories. $ 4. Les faits observés chez les poissons conduisent aux mêmes résul- tats que ceux qui ont été observés chez les oiseaux. ( Lorsque Jacobi publia en 1763 sa célèbre lettre sur la fécondation artificielle des œufs de saumon et de truite, il y parla d'œufs fécon- dés artificiellement et qui auraient présenté tantôt deux embryons distincts, mais réunis par la vésicule ombilicale, et tantôt un monstre double, De pareils faits ont été fréquemment observés. Baer, Valentin, Coste, Lereboullet, MM. de Quatrefages et Knoch* en ont décrit un très-grand nombre. k bassin, et les membres postérieurs n'existent alors que comme de simples bourgeons de matière homogène. Cette expérience de Valentin a d'ailleurs été répétée par Leuckart, qui a toujours vu les parties ainsi divisées rester séparées et ne se compléter jamais par la formation de parties nouvelles. Je regrette de ne pouvoir donner ici, contrairement à mon habitude, l'indication précise des textes de Valentin el de Leuckart. Je la donne d'après l'ouvrage de Panum, loc. cit., p. 241. 1! Jacomt, Lettre sur la fécondation artificielle des œufs de saumon et de truite. Cette lettre, adressée par l’auteur au Hanover Magasin, a été reproduile en français dans les Instructions praliques sur la pisciculture de CosTE, p. 138. 2 Bar, Uber doppelleibige Missbildungen , dans les Mém. de l'Ac. de Saint-Pélersb., 6e sér., Se, nat,, t. IV, 1845.— VALENTIN, Ein Beitrag über die Enthwickelungsgeschichte 304 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. Comme je n'ai pas fait d'observations personnelles sur ce sujet, la discussion des opinions émises par d’autres physiologistes m'impose assurément une grande réserve. Mais je ne puis pas ne pas remarquer la concordance qui existe entre les résultats de ces travaux et ceux des miens. Tous ces embryogénistes sont d'accord pour reconnaître que les monstres doubles observés par eux s'étaient produits sur un blasto- derme unique, et que par conséquent ils provenaient d’une cicatri- cule unique. Peut-on attribuer la même origine aux embryons développés iso- lément sur une même vésicule ombilicale ? Proviennent-ils d’un blas- toderme primitivement unique? Ou bien y aurait-il chez les pois- sons, comme chez les oiseaux, des œufs dans lesquels les cicatricules seraient séparées à leur début? I] est probable qu'au moins dans bien des cas, l'existence de deux embryons distincts résulte d’une cause différente de celle qui produit les monstres doubles. Ce qui le fait présumer, c’est que lorsque deux embryons existent isolément sur une même vésicule ombilicale, cette vésicule présente souvent un caractère particulier, l'existence d’un sillon dans sa partie anté- rieure. Ce fait, indiqué par M. de Quatrefages', a été signalé récem- ment par M. Knoch dans un grand nombre de cas analogues. Nous ne connaissons pas exactement la signification de ce fait ; mais, dans les études embryogéniques, nous devons tenir compte de tous les faits, de ceux mêmes qui nous paraissent actuellement n'avoir aucune importance, lorsque leur répétition semble nettement indiquer l’exis- tence d’une condition générale. Mais, quoi qu'il en soit, il n’y a pas là, à proprement parler, une monstruosité double. Il n'y a que des jumeaux qui ne peuvent pas se séparer, ou, comme le disait Is. Geoffroy Saint-Hilaire, un cas d'omphalopagie. On à appliqué à l’origine de la monstruosité chez les poissons toutes les explications théoriques de la monstruosité double. La théorie qui parait être aujourd'hui la plus généralement admise der Doppelmissgeburten, dans l'Archiv für physiologische Heilkunde, t. X, p. 1. 1851,— CosTe et DE QUATRErAGES, diverses communications dans les Comples rendus, t. LX, 1855, — LenepouLLer, Mémoire cilé. — Knocu, Uber Missbildungen betreffend die Embryonen der Salmonen und Coregonus-Arten, dans Bulletins de la Société des natu- ralistes de Moscou, t. XL VI. 1873. 1 M. de Quatrefages considère ce sillon comme l'indice de la soudure de deux vi- tellus, soudure qui serait très-précoce et bien antérieure à la fécondation. Cette ex- plication peut paraitre vraisemblable, mais elle doit être confirmée par l'observation. ORIGINES DE LA MONSTRUOSITE DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 30% est celle qui explique la monstruosité double par la division partielle d’un embryon primitivement simple; division qui serait déterminée par l’action de causes extérieures. Au dire de certaines personnes, cette théorie aurait été expérimentalement démontrée, Il importe done d'examiner les faits sur lesquels repose cette allégation. On a dit que Valentin, qui fut l'un des principaux défenseurs de cette théorie, aurait produit des monstres doubles par le brossage de la surface de la coque d'œufs de brochet fécondés artificielle- ment. Il n’y a rien de pareil dans le mémoire de Valentin. Ce physiolo- giste dit seulement, après avoir décrit un monstre double : « 1] serait possible que je l'eusse produit artificiellement par l’action de la compression pendant le brossage. » Valentin n'indique donc le fait que comme une simple possibilité. Et d'ailleurs il n’invoque l'action du brossage que dans un seul cas". Lereboullet a voulu vérifier l'opinion de Valentin : il a étudié l'in- fluence du brossage et de la compression de l'enveloppe des œufs de brochet pendant le développement de l'embryon. Le nombre des monstres doubles dans les œufs soumis à cette action n’a pas été plus grand que dans les œufs qu'il 1erseene se développer dans les condi- lions normales *. Beaucoup plus récemment, en 1873, M. Knoch annonça qu'il avait produit artificiellement des monstres doubles en agissant sur les embryons de plusieurs espèces de poissons de la famille des Salmo- : nidés *. Il fit deux lots d'œufs fécondés artificiellement. Les uns furent placés dans un réservoir où l’eau était immobile, les autres dans un 1 VALENTIN, loc. cit., p. 6. «Es würe daher müglich, dass ich sie unbewusst künst- lich erzeugt hätte, indem ich die Blätter der Pincette bei dem Putzen zusammen- druckte. » Voir aussi p. 35, où il reproduit la mème idée. ? LEREBOULLET, loc. cit., p. 117, 134, 147, 149, 153, 163, 174, 176, 182. — Voici le résumé de ses expériences (p. 317)j: « $ 27. Les actions mécaniques exercées sur les œufs ne m'ont donné que des ré- sultats négatifs. Ces actions (compression et brossage, sont impuissantes à changer le mode d'agrégation des éléments de la cicatricule et ne sauraient en aucune façon provoquer la formation des monstres doubles. « Le brossage, en maintenant les œufs dans un grand état de propreté, favorise leur développement. » « $ 28. L'aplatissement des œufs par la compression et le desséchement partiel de leur coque, par suite d'une longue exposition à l'air, n'ont aucune influence sur le développement de l'embryon. » * Knocn, loc. cif., p. 212, 306 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. réservoir où l’eau était continuellement agitée par l'impulsion d’un lilet d’eau courante. Les œufs placés dans l’immobilité n’auraient point donné de monstres doubles ; les œufs constamment agités en auraient au contraire présenté seize. 6 Les monstres doubles observés dans cette dernière condition apparliendraient tous à une mème forme que M. Knoch appelle diplomyélie, el qui serait caractérisée par la division longitudinale de la partie postérieure du corps de l'embryon. Je ferai remarquer tout d'abord que, s’il est possible de produire arliticiellement la monstruosité double par une modification des conditions extérieures du développement, il serait bien étrange de voir une seule forme se produire. Mais les considérations théoriques n’ont dans les sciences qu'une valeur très-restreinte et ne dispensent jamais de l'examen des faits. Or, j'ai déjà signalé le fait très-remarquable de la rupture par- lielle de la gouttière primitive, que j'ai eu fréquemment occasion d'observer sur les embryons d’oiseaux. J'ai rappelé à ce sujet des observations de Lereboullet, qui a considéré des embryons de pois- sons, ainsi divisés sur la ligne médiane, comme des monstres doubles ayant une tête unique et une queue unique, mais deux demi-corps complétement séparés; et j'ai montré que ces embryons n'étaient ni des monstres doubles, ni même des monstres simples, mais des embryons frappés d'une affection pathologique qui devait les faire périr Lôt ou tard’, Je suppose que les faits que M. Knoch désigne sous le nom de diplomyélie étaient des faits de ce genre, qui provenaient de la rupture partielle de la gouttière primitive. Je dis Je suppose ; car les descriptions de M. Knoch sont trop incomplètes et ses figures sont trop insuffisantes pour me permettre de m'exprimer d’une ma- nière formelle sur la nature des faits dont il parle. Je dois ajouter d’ailleurs que Lereboullet, qui a fait une longue série d'expériences sur la production des monstres chez le brochet et sur l’action des causes extérieures, nie de la facon la plus formelle l'influence de ces causes sur la production des monstres doubles. « Il n'est nullement prouvé, dit-il, que les monstruosités en général, et particulièrement les monstruosités doubles, soient occasionnées par les influences que les agents extérieurs ont pu produire sur les œufs?, » [t Voir p. 260. ” 2 LenesouLer, loc. cit, p. 320, — Cetle pensée de Lereboullet pourrait paraître, …, € ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ, 307 On arrive donc à penser que la formation des monstres doubles chez les poissons tient à un état particulier de la cicatricule, avant le développement de l'embryon. Mais quel est cel état? Coste admettait dans la cicatricule l'existence de deux foyers de formation embryon- naire ‘. Lereboullet, faisant revivre la théorie de Wolf et de Meckel, admettait, au contraire, l'unité primitive et la formation de parties accessoires par un excès de matière embryogène *, La diflicullé que l'on éprouve à décider entre ces deux doctrines tient précisément à ce que, au moins dans le plus grand nombre des cas, les faits de mons- : truosité double observés chez les poissons appartiennent à des lypes dans lesquels l'union doit être très-précoce. Je reviendrai sur cette question lorsque je m'occuperai de l'origine des différents types de la monstruosité double, et je montrerai que certaines observations de Lereboullet me paraissent fournir des arguments à la doctrine de la dualité primitive. $ 5. Ainsi donc, ilrésulte de tous les faits observés : 4° que la monstruo- sité double provient d'un état particulier de la cicatricule, état déter- miné antérieurement à l'apparition de l'embryon ; 2° que, selon toute apparence, cetétat consiste, au moins pourde plus grand nombre des types, dans l'existence de deux foyers de formation embryonnaire, Mais d'où provient cet état de la cicatricule? Il y a là un nouveau problème que, dans l’état actuel de la science, on ne peut que poser. On a expliqué cet état de la cicatricule de facons très-différentes. Certains physiologistes pensent qu’il dépend de la fusion très-précoce de deux ovules dans une mème loge de l'ovaire. Coste l’attribuait à l'existence de deux vésicules germinatives dans un même ovule *. M. Balbiani, qui a constaté, dans ces derniers temps, l'existence dans l'ovule, en outre de la vésicule germinative, d'une seconde vésicule qu’il considère comme l'origine de la cicatricule, et qu'il désigne, au premier abord, tout à fait contraire à mes expériences sur la (ératogénie. Mais il ajoute : « Les seules modifications qui paraissent dues quelquefois à l'influence des agents extérieurs sont des arrêts de développement, des déformations et des atro- phies. » Je me suis déjà expliqué sur ce point. Voir p. 46, 1 Cosre, Origine de la monstruosilé double chez les poissons osseuæ, dans les Comples rendus, t. LX, p. 933. 1855. ? LEREBOULLET, loc. cil., passim. 3 Cosre, loc, cit. 308 ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. pour ce motif, sous le nom de vésieule embryogène!, m'a dit avoir ren- contré plusieurs fois deux de ces vésicules dans un même ovule. Eloignées, ces vésicules constitueraient plus tard deux cicatricules; rapprochées, elles se confondraient et produiraient une cicatricule unique, mais possédant deux foyers de formation embryonnaire. Ces trois hypothèses, quelque différentes qu'elles soient, s’accor- dent en un point : elles rattachent la gémellité univitelline, et la monstruosité double, qui, dans ma pensée, résulte toujours de cette espèce de gémellité, à une anomalie de l’ovule; ou, en d’autres termes, à une condition particulière de l'élément femelle de la géné- ration, déterminée avant la fécondation. Mais cet état particulier de la cicatricule qui détermine la gémel- lité univitelline, ne pourrait-il pas être attribué à un état ou à un mode d'action particulier de l'élément mâle de la génération ? Des faits que je mentionnerai bientôt,-semblent indiquer qu’au moins dans certains cas l’apparition de deux foyers de formation embryonnaire dans une cicatricule unique se produirait au moment de la fécondation, et résulterait de l’action des spermatozoïdes. La science n'est pas encore en mesure de se prononcer sur cette question d'une manière définitive. Pour ma part, je suis disposé à croire que la condition qui déter- mine l'apparition de deux foyers de production embryonnaire dans une Cicatricule unique appartient tantôt à l'élément mâle, et tantôt à l'élément femelle de la génération. $ 6. Dans l'examen de questions aussi obscures, on ne doit négliger au- cun renseignement. Or, il semble résulter de certains faits que les conditions qui déterminent cet état particulier de la cicatricule, se produiraient d'une manière spéciale dans certains individus, et que, par conséquent, l’individualité physiologique, dont j'ai déjà signalé l'importance ?, aurait ici un rôle considérable. On a signalé souvent l'apparition fréquente de monstres doubles dans les œufs de poissons fécondés artificiellement, et plusieurs 1 BaLgrant, Sur la constitution du germe dans l'œuf animal avant la fécondation ; dans les Comptes rendus, t. LX VIII, p. 584 et 621, 1864. * Voir le chapitre n de la première partie, Re ere ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE ET GÉMELLITÉ. 309 personnes ont cru pouvoir l'attribuer soit à la fécondation artifi- cielle elle-même, soit à certains procédés de fécondation artificielle, Des renseignements que je dois à M. Chantran, l'habile pisciculteur du Collége de France, m'ont appris que ces faits se rencontrent dans les œufs d'une même ponte. Depuis que l'on s'occupe de pisciculture au Collége de France, on avait souvent rencontré des monstres dou- bles dans trois espèces de Salmonidés, le saumon, la grande truite du lac de Genève et l'ombre chevalier, mais jamais dans la truite ordi- naire. L'année dernière, on a rencontré un certain nombre de monstres doubles dans cette espèce, et qui appartenaient tous aux œufs d'une mème ponte. Mais cela provenait-il de la femelle qui avait produit les œufs, ou du mâle qui avait fourni la laitance ? M. Bertillon a été conduit récemment, par ses recherches stalis- LI tiques sur les naissances gémellaires, à admettre que cette propriété appartiendrait plus spécialement aux femmes de certaines races. Ainsi les femmes françaises produiraient, plus fréquemment que les femmes des autres nations européennes, des œufs à deux germes : au contraire, les femmes de la race magyare seraient celles qui produi- raient le plus fréquemment des jumeaux provenant d'œufs différents®, Mais cette particularité appartient-elle aux femmes elles-mêmes où aux hommes ? Je dois rappeler ici qu'on a mentionné à diverses reprises l'existence d'hommes qui avaient la propriété d'engendrer des jumeaux. Virey, Baillarger ont signalé des faits de ce genre *. Je tiens de M. de Quatrefages l'indication d'une famille dans laquelle les hommes passaient pour posséder cette étrange faculté, et qui, par cela même, ne trouvaient que difficilement à se marier. Une jeune fille ayant donné naissance à des jumeaux, tout le monde dans le pays en attribua la paternité à un membre de cette famille. 1 BEnTILLON, Des combinaisons de sexe dans les grossesses gémellaires ( doubles et triples), de leurs causes el de leurs combinaisons ethniques, dans les Pullelins de la So- ciété d'anthropologie, 2e série, €. IX, p. 270 et suiv. 1874.— Il résulterait de ces obser- vations de M. Bertillon, et des considérations que je viens de développer, que les femmes françaises produiraient plus de monstres doubles et de monstres omphalo- sites que les femmes des autres nations européennes, Malheureusement les faits de monstruosité se dérobent et se déroberont peut-être toujours aux investigations de la statistique. ? Viney, Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle, t, XII, p. 559. — DAILLARGER, Recherches stalistiques, physiologiques et pathologiques sur les enfants jumeaux, dans les Comptes rendus, t. XLII, p. 931. 1855. CHAPITRE VII MODE DE FORMATION ET CONDITIONS D'EXISTENCE DES MONSTRES OMPHALOSITES, Sommaire. 19 Absence du cœur, — 2° Gémellité. — 3° Origine des monstres ompha- losites. — 42 Indication du mode de formation des différents types de cet ordre. — 59 Absence de viabilité, Un = L'ordre des monstres omphalosites présente les types les plus dis- parates, au moins en apparence; depuis les paracéphales doués d'une organisation viscérale encore assez complexe et d’une tête rudi- mentaire, jusqu'aux anides, simples masses de tissu cellulairé revêtues de peau et de poils. Toutefois ces monstres présentent un caractère anatomique com- mun : l'absence du cœur, ou, très-exceptionnellement du moins, son état rudimentaire. Ce caractère a une très-grande importance par suite des fonctions physiologiques accomplies par le cœur, à partir d’une certaine époque de la vie embryonnaire. 1] entraine pour tous les monstres de cet ordre des conditions d'existence communes qui justifient parfaitement son établissement par Is. Geoffroy Saint- Hilaire, bien que ce savant n'ait pu s’en faire, il y a quarante ans, une idée exacte. Mes études sur la tératogénie m'ont permis de com- bler cette lacune du 7raité de tératologie. C'est un des résultats les plus intéressants auxquels elles m'ont conduit. On connait le rôle que les embryogénistes ont attribué pendant longtemps au cœur. Cet organe n'était pas seulement l'organe moteur de la circulation; c'était encore l'organe qui se formait le premier dans l'embryon, et qui formait tous les autres. « Tous les animaux qui ont du sang, avait dit Aristote, ont un cœur... Quand on ouvre un œuf au début de l'incubation, on voit le cœur dans le blanc de DES MONSTRES OMPHALOSITES, 1 l'œuf comme un point de sang; il bondit et se meut, comme un ani mal vivant. C’est le principe de toutes les parties semblables et dis- semblables !. » Les grands travaux de Harvey semblèrent confirmer, de la manière la plus complète, l'opinion d'Aristote. Ce fut donc une nouveauté bien étrange, lorsqu'en 1683 un anato- miste, fort peu connu d’ailleurs, nommé Gæller décrivit un monstre privé de cœur, bien que possédant une organisation fort compli- quée ?, Gæller comprit parfaitement l'importance de celte observa- tion : « Doit-on encore considérer le cœur, disait-il, comme l'organe qui vit le premier, suivant l'opinion d’Aristote*? » Mais alors per- sonne ne tint compte de cette observation de Gœæller, ni de la re- marque dont il l'accompagnait. Un autre fait du même genre fut observé, quelques années après (1720), par un anatomiste italien nommé Vogli. Il en envoya la descrip- tion au célèbre Vallisnieri. Celui-ci répondit à Vogli qu'il ne pouvait y croire. Vogli invoqua le témoignage de deux anatomistes, Valsalva et Bianchi, qui avaient assisté à la dissection. Vallisnieri, ne pouvant persister dans une dénégation absolue, finit par déclarer que la compréhension de l'organisation de ce monstre était au-dessus de l'intelligence humaine *. Toutefois, il arriva un moment où il à fallu se rendre à l'évidence , par suite de la publication d'un certain nombre de faits analogues. En 1810, Béclard signala l'absence du cœur comme un caractère général des monstres acéphales %. En 1822, un anatomiste allemand, Elben, donnait à un mémoire sur l’organisation des acéphales ce litre significatif : « De acephalis sive monstris corde carentibus ®. Nous savons aujourd'hui que l'absence du cœur est un fait encore plus 1 ARISTOTE, passim. Kapdiay Gravra Eye cu alux Eye... Kaï énhémerat To Gûv, 221 Gaen ortyun aiuarin êv ro leuxo n 4apdiu, Tobre De 59 anueler nd & Lai mveïru, boreg duboyn…. Ag ya2 aûrn vai To buciouepwv ka: TOY GvootOLeoQ. .# C'était un paracéphale. 3 « Pulmones plane deerant; uti et, quod mirum, penetrale cordis.. Majorem admirationem subit nutritionis opus, organique sanguinem impellentis et aliarum partium absentia. Anne adhuc primum vivens cum Aristotele.…. cum vulgo dixe- ris?» GœLLer, Abortus humani monstrosi hisloria, dans les Ephem. naturæ curio- sorum, 1683, p. 315. * Voir Loutes les pièces de cette discussion dans VALLISNIERI, Opere diverse, t. III, p. 466. 5 BécLann, Mémoire sur les acéphales, dans les Bulletins de la Faculté de médecine de Paris. 1815 et 1817. 6 ELeex, De acepha'is sive mons!ris corde carentibus. 1821, Berlin. 312 MODE DE FORMATION ET CONDITIONS D'EXISTENCE général qu'Elben ne le supposait, puisqu'il appartient à tous les om- phalosites. On à, il est vrai, signalé quelques exceptions à cette règle. Mais le cœur, lorsqu'il existait dans ces monstres, était rudi- mentaire, et ne pouvait remplir ses fonctions physiologiques !. Les travaux des embryogénistes ont considérablement diminué l'étrangeté de ce fait de l'absence du cœur. Cet organe n’est pas celui qui se forme le premier, et qui forme tous les autres : il n'apparait qu'à un certain moment de la vie embryonnaire, et lorsque l'axe céré- bro-spinal est déjà complétement ébauché. On comprend donc qu'il puisse faire complétement défaut, où du moins n'exister qu’à l'état rudimentaire. Il peut ètre frappé d’arrèt de développement, aussi bien que toutes les autres parties de l'organisme. Toutefois, le rôle du cœur est encore considérable même dans la vie embryonnaire, puisqu'il est l'organe moteur de la circulation du: sang. Or c'est la circulation du sang qui relie entre elles les différentes parties de l'organisme, qui leur apporte les matériaux de leurs élé- ments histologiques définitifs, et les met ainsi en mesure d'accomplir leurs fonctions physiologiques. L'absence du cœur a done pour résul- tat d'arrêter à un certain moment l'évolution de l’embryon, et d’ame- ner rapidement sa mort, à moins qu'elle ne soit compensée par l'intervention d'une condition physiologique particulière, la gémellité. Un 9 Les anatomistes qui ont publié des descriptions de monstres om- phalosites, ontfsouvent signalé, dans le récit de leurs observations, l'existence de la gémellité, et aussi celle d’un placenta unique com- mun aux deux embryons. En 1826, Et. Geoffroy Saint-Hilaire signala la fréquence de cette condition dans les descriptions de monstres omphalosites ; il soupconna qu’elle n’était pas seulement fréquente, mais constante, et qu’elle devait se rattacher à une particularité im- portante de la formation de ces monstres *. J'ai rappelé ce fait dans le chapitre précédent, à propos des monstres omphalosites dont j'ai constaté l'existence chez les oiseaux*. J'ai mon- tré de plus, ce que l’on ignorait avant Imoi, que les omphalosites se 1 Voir l'indication de ces faits dans le Trailé de tératologie, t, IX, p. 506. 2 Et. Georrnoy Sarnr-Hicatre, Nole sur l'acéphalie, dans la Revue médicale, 1826. 3 Voir p. 296. DES MONSTRES OMPHALOSITES. 314 produisent chez les oiseaux comme chez les mammifères ; que, là aussi, ils sont jumeaux, et même que c'est la gémellité qui a empêché jusqu'à présent de constater leur existence dans cette classe, En effet, j'ai montré que les embryons omphalosites qui se produisent chez les oiseaux ne peuvent se séparer de leur frère jumeau. Cela fait qu'ils simulent des monstres doubles ; exactement comme les embryons ju- meaux bien conformés, lorsqu'ils sont produits sur un même jaune, J'ai parlé également des connexions vasculaires qui s’établissent entre les deux embryons, et rendent leurs vies solidaires l’une de l'autre. Ces connexions vasculaires appartiennent d'abord à la cireu- lation vitelline ; puis, comme cela résulte d’une observation de Flou- rens, à la circulation allantoïdienne. Chez les mammifères ces con- nexions s'établissent par les anastomoses des circulations placentaires qui remplacent les circulations allantoïdiennes. Ces anastomoses dans unplacenta commun aux deux embryons ont été constatées à diverses reprises par les physiologistes, lorsque deux embryons s'étaient pro- duits dans un même œuf, soit qu'il y eût deux amnios, soit que l’amnios fût unique. On a constaté ces anastomoses même dans cer- tains cas de gémellité où l’un des embryons était un omphalosite. Ces faits expliquent très-facilement comment la gémellité peut sup- pléer à l'absence du cœur dans l’un des embryons. Par suite des ana- stomoses des deux cireulations, c’est le cœur de l'embryon bien con- formé qui remplace le cœur de l'embryon omphalosite ; c'est lui qui pousse le sang dans son appareil vasculaire, et qui lui permet ainsi de se mettre en contact avec tous les organes. Dans cette étrange assoc ia- tion, l’omphalosite n’est donc, en réalité, qu'un organe détaché de son frère jumeau, vivant d'une vie d'emprunt, et condamné nécessaire- .ment à périr lorsque l'union vient à cesser. Ce fait futindiqué vaguement par H. Meckel en 1850 ‘. Cet anato- miste avait signalé la communication des artères ombilicales et des veines ombilicales dans le placenta commun aux deux embryons. L'année suivante Cazeaux fit connaître les conditions très-remarqua- bles que ces anastomoses introduisent dans la circulation de embryon omphalosite *, II résulte en effet de l'anastomose des artères ombi- { H. Mecxez, Uber die Verhälinisse des Geschlechts, des Lebensthätigkeit und der Ei- haüle bei Einfachen und Mehrgeburten, dans les Archives de Muller, 1850. 2 Cazeaux, Description d'un monstre péracéphale, suivie de quelques réflexions sur la circulation du sang dans cette espèce de monstruosité, dans les Mémoires de la So- cidté de biologie, t. [LI, p. 211. 1 851. 314 MODE DE FORMATION ET CONDITIONS D'EXISTENCE licales et de celle des veines ombilicales que dans l'embryon ompha- losite la circulation est en grande partie renversée. En effet, le sang artérialisé dans le placenta arrive dans l’omphalosite par l’artère ombi- licale, puis il pénètre dans l'aorte. Dans ce vaisseau il se partage en deux courants. L'un d'eux suit le cours normal, en se répandant dans les membres inférieurs ; l’autre remonte dans l'aorte en sens inverse de son cours naturel, et vient pénétrer par les branches artérielles dans la partie supérieure du corps. Des artères le sang passe par les vaisseaux capillaires dans l’intérieur des veines. Dans la région supé- rieure, le sang, au lieu de remonter, redescend dans les veines jus- qu'à la veine ombilicale. Dans la région supérieure, le contraire a lieu ; le sang remonte, comme dans l’état normal, jusqu'à l'origine de la veine ombilicale, par laquelle il se rend au placenta, et, par les anastomoses placentaires, il pénètre dans la veine ombilicale de l’em- bryon bien conformé. Ce singulier renversement de la circulation est d’ailleurs en rap- port avec une particularité anatomique déjà signalée par un anato- miste nommé Kalck : l'absence des valvules dans le système veineux. L'absence des valvules veineuses serait, d’ailleurs, d’après d’autres observateurs, limitée aux parties du système veineux dans lesquelles la circulation est renversée !. Il faut ajouter que, si le fait du renversement de la circulation dans le monstre omphalosite est un fait général, 1l doit cependant se présenter dans des conditions différentes, suivant les types que l’on étudie. En effet, plusieurs de ces types se constituent évidemment avant la formation du placenta et de l’allantoïde ; et les anastomoses des deux circulations doivent appartenir à la circulation vitelline. Cela arrive évidemment pour les anides, et pour deux autres types qu'is. Geoffroy Saint-Hilaire ne connaissait point, et que je décris sous les noms d’hétéroide et de céphalide. Dans ces types, l'absence ou peut-être l’état rudimentaire de l'intestin s'oppose à la production de l’allantoïde, et par suite à celle du placenta. C'est donc la circu- lation vitelline qui seule établit alors les relations vasculaires entre l’omphalosite et l'embryon bien conformé, 1 Kazck, Monstri acephali humani exposilio analomica. Berlin, 1825. — GURLT et HempeL, cités par CLaupius, Die Entwickelung der herzlosen Missgeburten, 1859, p. 89. re DES MONSTRES OMPHALOSITES, NL: On voit, par ce qui précède, comment la gémellité se lie à l'absence du cœur. L'embryon omphalosite ne peut vivre, au moins à l'époque où il a besoin de sang, et de sang artérialisé, que s'il a contracté des anastomoses vasculaires avec un embryon bien conformé, dont le cœur sert de moteur pour le sang qui pénètre dans ses organes. Mais est-ce là tout le rôle de la gémellité ? Un anatomiste de Kiel, Claudius, qui à publié en 1859 un travail sur les monstres privés de cœur, attribue à la gémellilé un rôle beau- coup plus considérable ". Non-seulement elle serait la condition de la prolongation de la vie dans les monstres omphalosites, mais encore elle déterminerait leur production. Les deux embryons seraient, dès le début, complets et bien conformés; Lous les deux posséderaient un cœur. Sices deux embryons possèdent la même vitalité, ils se développeront également et d’une manière normale. Mais, s’il ar- rive que l’un des embryons soit plus vigoureux que l’autre, le cœur de cet embryon refoulera avec énergie le sang dans le cœur de l’em- bryon moins vigoureux; le choc des deux sangs y déterminera des coagulations ; les caillots se répandeont dans le système vasculaire et y arrêteront le mouvement circulatoire. Par suite de cet arrêt du sang, certaines parties seront frappées de mort, et tomberont en pu- trilage. Ainsi se constitueront ces embryons incomplets dans lesquels une partie plus ou moins considérable du corps vient à manquer. Cette théorie n'est qu'une application de la théorie générale qui explique les monstruosités par l’allération pathologique consécu- tive d’une organisation primitivement complète et normale. Je ne ferai pas ressortir toutes les impossibilités physiologiques que sou- lève cette théorie, qui ne repose que sur des hypothèses invraisem- blables. Ici, comme dans toutes les autres parties de la tératogénie, le meilleur moyen de la combattre, c'est d'exposer les faits. Or il résulte de mes recherches que si la gémellité joue un grand rôle dans l'existence des monstres omphalosites à une certaine époque de leur vie, elle est entièrement étrangère à leur origine. Les monstres omphalosites peuvent se constituer isolément, comme les monstres autosites; mais ils ne peuvent continuer à vivre que dans le cas de la gémellité. 1 CLAUDIUS, loc. cit., p. 26. 316 MODE DE FORMATION ET CONDITIONS D'EXISTENCE Dès le début de mes expériences, j'ai constaté fréquemment la mort précoce des embryons qui s'étaient développés dans des conditions anormales. Dans un très-grand nombre de cas, ces embryons morts étaient déjà plus ou moins désorganisés et détruits. Mais lorsque j’ai pu rencontrer ces embryons avant leur destruction, j'ai constaté qu'ils présentaient souvent des anomalies plus ou moins considéra- bles. L'étude attentive de ces anomalies, toutes les fois que l’em- bryon n'était pas assez désorganisé pour m'empêcher de la faire, m'a souvent fait reconnaitre en eux des omphalosites en voie de for- mation. L'embryon peut ètre frappé d'arrêts généraux ou partiels de déve- loppement, antérieurement à la formation du cœur. Or, par suite de ces arrêts de développement, le cœur peut faire complétement défaut. Dans d’autres cas, il commence à se former; mais il s'arrête dans l'un quelconque des états que j'ai fait connaître plus haut, et ses cavités ne se mettent point en communication avec le réseau des vaisseaux qui à pu se produire dans le feuillet vasculaire, et se remplir de globules sanguins. Dans ces conditions l'embryon est voué fatalement à une mort prématurée. 11 ne peut échapper à cette cause de mort que s'il a contracté des adhérences vasculaires avec un frère jumeau bien conformé. Et ici je dois rappeler ce que j'ai déjà dit ailleurs! : c'est que l'ap- pareil vasculaire a pour origine, dans certaines parties au moins de l'embryon, comme dans le feuillet vasculaire lui-mème, ces cavités isolées et indépendantes, que l’on désigne sous le nom d’iles de sang, et qui sont le lieu de formation des globules. On sait de plus que l'embryon et le feuillet vasculaire ne sont, au début, qu'un seul et même organisme, qui ne se différencie que plus tard. J’ai décrit des cas de ce genre dans lesquels le disque embryonnaire tout eñtier présentait un réseau de vaisseaux sanguins remplis de globules, mais privés d'un appareil moteur ?. Ce fait est évidemment pour moi le point de départ de l’anidie. Dans certains cas de monstres omphalo- sites, on a signalé l'existence d’un tissu vasculaire analogue au tissu du corps caverneux. J'ai montré précédemment comment un sem- blable tissu peut se produire. Ainsi donc, la gémellité intervient, non pas pour produire les 1 Voir le S 6 du chapitre 1v de la deuxième partie. : Voirle S 3 du chapitre «1 de la deuxième partie. DES MONSTRES OMPHALOSITES, 317 monstruosités omphalosites, mais uniquement pour prolonger leur existence, qui autrement serait littéralement éphémère. L'embryon omphalosite n'est done, en réalité, qu'une dépendance de son frère jumeau, exactement comme l'embryon parasite dans les monstres doubles parasitaires. Ces deux organismes sont absolument de mème nature et vivent de la même facon. Il n'y a de différence que dans le mode d'union : médiate dans le premier cas, immédiate dans le second. $ 4. Telles sont les conditions générales de la formation et de l'existence des monstres omphalosites. 11 reste maintenant à montrer comment on peut rendre compte de l’origine de leurs différents types. Pour la comprendre, il faut rappeler ce que j'ai dit déjà sur les conditions de la vie dans l'embryon, antérieurement à l'apparition du cœur et à la mise en contact du sang avec toutes les parties de l'organisme. Dans cette période, l'embryon est entièrement constitué par des matériaux homogènes. Or, l'une des conséquences les plus importantes de cette homogénéité, c'est le défaut de solidarité des diverses parties de l’organisme *. Un des caractères les plus remarquables de l'animal adulte, dans les classes supérieures du règne animal, c’est la corrélation des or- ganes et l'harmonie des fonctions. Plus est grande la diversité des parties de l'organisme, et plus intimes doivent être les relations qui les unissent. Ce fait avait déjà frappé les philosophes de l'antiquité. On le trouve très-nettement exprimé dans un aphorisme célèbre ap- partenant à un livre qui fait partie de la collection des écrits attri- bués à Hippocrate *. Elle a été souvent exprimée de par les modernes. Kant disait déjà : « Un produit organisé de la nature est celui dans lequel tout est but, et aussi, réciproquement, moyen %. » Ces paroles de Kant, qui expriment d’une manière très-nette et très-précise les conditions de la solidarité organique, ont recu de Gæœthe un complément néces- 1 Voir le $ 1 du chapitre in de la première partie. 2 Eôfoux pia, Eburvun ia, Evurañéx mévra * xa7à pv ROUEN FÉVTL, HATA uépue Ôè ra dv éxdozw ppt pépex mobs To Epyov. — Ilepi Tocgns, 23. | 3 Kanr, Der Kritik der Urtheilskraft, dans les Œuvres, t. IV, p. 260. Ein orga- nisches Product der Natur ist das, in welchem alles Zweck und wechselseitig auch Mittel ist. 318 MODE DE FORMATION ET CONDITIONS D'EXISTENCE saire. En effet, Gœthe a parfaitement reconnu que la solidarité est d'autant plus intime que les parties sont plus dissemblables. Mais, d'une autre part, la dissemblance des parties est une condition de perfectionnement. La solidarité des différentes parties de l'or- ganisme sera done d'autant plus grande que l’organisation elle- même sera plus compliquée, ou, en d’autres termes, plus parfaite. « Tout être vivant, disait-il, n’est pas une unité, mais une pluralité : alors même qu'il nous apparaît sous la forme d’un individu, il est une réunion d'êtres vivants et existant par eux-mêmes... Plus l'être est imparfait, plus les parties sont semblables et reproduisent l’image de l'ensemble. Plus l'être devient parfait et plus les parties sont dissem- blables. Dans le premier cas, le tout ressemble à la partie; dans le second, c’est l'inverse ; plus les parties sont semblables, moins elles se subordonnent les unes aux autres. La subordination des parties indique une créature d’un rang plus élevé ‘. » La solidarité des différentes parties de l'être vivant, manifestée par la corrélation des organes et l'harmonie des fonctions, n’est pas le privilége exclusif de l’âge adulte : elle appartient à tous les âges, et se présente même, pendant la vie embryonnaire, sous une forme nouvelle que l’on pourrait désigner sous le nom de corrélation suc- cessive. Chaque événement embryogénique est la conséquence d'un événement antérieur, la condition d’un événement ultérieur. L'évo- lution de l’être n’est pas une simple succession, mais un enchaîne- ment de phénomènes. La tératogénie en particulier le montre d’une manière bien évidente, puisque l'arrêt de développement d'un organe entraine presque toujours après lui, d’une manière fatale, l'arrêt de développement d’un certain nombre d’autres organes. Je n'ai qu'à rappeler ici ce que j'ai dit déjà dans d’autres parties de ce livre. Mais il est digne de remarque que cette solidarité ne se manifeste avec une certaine intensité, si l'on peut parler ainsi, qu'à une 1 Gœrne. Jedes lebendiges ist kein Einzelnes, sondern ein Mebrheit ; selbst insofern es uns als Individaum erscheine, bleibt es doch eine Versammlung von lebendigen selbständigen Wesen.. Je unvollkommener das Geschüpf ist, destomehr sind diese Theile einander gleich oder ähulieb, und destomehr gleichen sie dem Ganzen. Je vollkommener das Geschôpf wird, desto unühnlicher werden die Theile einander. In jenem Falle ist das Ganze den Theilen mehr oder weniger gleich; in diesem das Ganze den Theilen unähnlich. Je ähnlicher die Theile einander sind, desto weniger sind sie einander subordinirt, Die Subordination der Theile deuten auf ein vollkomm- reres Greschôpf. — Cette page a été écrite en 1807. ne RE 2 — tetes DES MONSTRES OMPHALOSITES. 19 époque déterminée de la vie embryonnaire , l'époque de la formation du cœur et de l'établissement de la circulation, I y a alors, dans l'organisme, un liquide, le sang, qui d'une part relie entre elles les différentes parties et devient ainsi le premier instrument de la soli- darité organique, et qui, d'autre part, apporte aux différentes parties les aliments à l'aide desquels elles faconnent leurs éléments hétéro- gènes, et rend ainsi la solidarité plus nécessaire. Avant la formation du cœur et létablissement de la circulation, l'embryon est entièrement constitué par des éléments homogènes, J'ai déjà signalé les conditions si curieuses de l'existence des embryons à cette première période de la vie, et l'importance qu'elle présente pour la tératogénie !. Actuellement je dois signaler, sinon l'absence complète, au moins l'état très-imparfait de la solidarité, Chaque partie de l'embryon peut, dans une certaine mesure, vivre de sa vie propre, sans avoir besoin du concours des parties voisines : elle peut également, dans une certaine mesure, parcourir isolément plusieurs phases de son évolution. C'est la réalisation exacte de la pensée de Gæthe, que la solidarité est d'autant moindre que l’'homogénéité est plus grande. Il résulte de cette constitution primitive de l'embryon que, dans cette première phase de la vie pendant laquelle la masse entière de l'embryon n’est qu'un blastème homogène au sein duquel s’ébau- chent toutes les parties de l'organisme, chacune d'elles peut se constituer isolément, et même traverser un certain nombre de pha- ses successives, Llandis que les parties voisines s’arrêlent dans leur premier état. Telle est l'origine des monstres omphalosites, dont la destinée est de périr de très-bonne heure, à moins que des connexions vasculaires avec un embryon bien conformé ne leur permettent de se compléter par la formation des tissus définitifs et d’atteindre ainsi l'époque de la naissance ou de l'éclosion. Ainsi constitués, ces monstres ne présentent pas une organisation véritable, mais une simple juxtaposition d'organes. On comprend que, dans de pareilles conditions, les types tératolo- giques qui appartiennent à cet ordre soient beaucoup plus difficiles à définir que ceux de l’ordre des monstres aulosites. En effet, ces monstres ne sont pas seulement réduits à certaines régions du corps; nous voyons encore que, dans chacune de ces régions, chaque organe 1 Voir la première partie, chap. mr, $ 1. 320 MODE DE FORMATION ET CONDITIONS D'EXISTENCE peut manquer isolément sans que son absence entraîne nécessaire- ment celle des organes voisins. Leur forme, comme leur structure, présentent donc une variabilité presque indéfinie ; et par conséquent, dans un grand nombre de circonstances, l'étude typique ne peut remplacer l'étude individuelle. Is. Geoffroy Saint-Hilaire divise les monstres omphalosites en trois familles : les monstres paracéphaliens, caractérisés par l'existence d'une tête mal conformée ou rudimentaire; les monstres acéphaliens, caractérisés par l'absence de la tête et souvent aussi d’une partie plus ou moins considérable de la région supérieure du tronc; enfin les monstres anidiens, simples masses de tissu cellulaire *. Je dois joindre à ces familles deux types nouveaux : les Céphalides, formés par des têtes isolées et dans lesquels le tronc fait compléte- ment défaut; les Hétéroïdes, caractérisés par une tête et une queue rudimentaires et séparées par une masse comparable aux monstruo- sités anidiques. Rudolphi et J. Müller ont décrit deux cas de céphalidie dans l’es- pèce humaine ?., Les têles qui constituaient la totalité de ces em- bryons étaient affectées de pseudencéphalie. Le type des Hétéroïdes a été décrit et déterminé par Pictet en 1849, Mais on en connaissait des exemples dus à Deslongchamps et à Loiset. J'ai eu moi-même occasion ‘de disséquer un Hétéroïde en 18645. La variabilité individuelle que présentent les diverses monstruo- sités qui se rattachent à ces différents types, ne me permet pas ici, comme pour les monstres autosites, de décrire exactement l’évolu- ion de chacun d’eux. Je dois donc me borner à mentionner les observations, en très-petit nombre, que j'ai pu recueillir sur ces ques- tions de tératogénie, en les commentant à l’aide des notions, encore incomplètes, de l'embryogénie normale. ! Voir dans le Trailé de tératologie, t. Il, p. 437 et suiv., l’histoire des monstres omphalosites. * Runorpr1, Mém. de l'Acad. de Berlin, 1816-1817, p. 99. — J. MuLrer, Medici- nisch Zeitung, 1833, p.213. * Picter, Description d'un veau monstrueux formant un nouveau groupe (héléroïde) dans la famille des monstres anidiens; dans les Mémoires de la Société de physique et d'histoire naturelle de Genève, t. XII, p. 335, 1851. — DEesLonGcHaMPs, Mémoires dela Société linnéenne de Normandie, t. VIII, 1849. — Lorser, Note sur un monstre myla- Céphale, dans les Mémoires de la Société des sciences de Lille, 1845, p. 240. — DARESTE, Rapport sur un veau monstrueux , dans les Archives du comice agricole de Lille, 1864. DES MONSTRES OMPHALOSITES. 321 L'embryon est primitivement constitué, comme je l'ai dit, par le disque embryonnaire qui se produit entre le feuillet séreux et le feuillet muqueux du blastoderme. À une certaine époque, le disque embryonnaire se divise en deux parties : une médiane, que l'on ap- pelle bandelette embryonnaire (Primitifstreif de Baer); une périphé- rique, qui deviendra le feuillet vasculaire. Le disque embryonnaire s'arrête quelquefois dans cette première phase ; et alors il peut se constituer dans son intérieur des îles de sang qui se remplissent de globules, et qui, s'unissant entre elles, forment un réseau de vaisseaux capillaires. J'ai décrit de semblables faits". Qu'arriverait-il si ces organisations pouvaient, grâce à la gémellité, se compléter par la formation des éléments histologiques définitifs ? J'ai tout lieu de croire que ces embryons produiraient le type des Anides, simples masses de tissu cellulaire, revêtues de peau, et, chez les mammifères, de poils. Plus tard, lorsque la différenciation des deux parties du disque em- bryonnaire s’est produite, la bandelette embryonnaire se divise elle- mème en deux parties : une moyenne et supérieure qui formera le tube cérébro-spinal; une latérale et inférieure qui formera la gout- tière abdominale primitive, c’est-à-dire l'intestin et les parois tho- raco-abdominales. Or la formation du tube cérébro-spinal, qui précède, dans l'évo- lution normale, celle de la gouttière abdominale, peut faire défaut, en tout ou en partie. Toutes les personnes qui sont au courant des travaux récents des embryogénistes savent que la formation du tube cérébro-spinal est beaucoup plus complexe qu’on ne l’a pensé pendant longtemps. On croyait, 1l y a quelques années, que la formation de ce tube résultait de la formation d'une gouttière unique étendue dans toute la longueur de la bandelette primitive. Or, cette gouttière elle-même résulte de l'union de plusieurs parties qui se constituent séparément ?, Il y a d'abord ce que l’on appelle la gouttière primitive (Primitivrinne) dans la région postérieure du corps; puis le sillon médullaire (Medullar- 1 Voir p. 480. ? Voir, à ce sujet, Dunsy, Der Primilifsstreif des Hühnchens, 1866. — \VALDEYER, Uber die Keimblätter und den Primitifstreifen bei der Entwickelung des Hühnerembryo (Zeitschrift für rationelle Medicin, 1869). — GœrTre, Die Bildung der Keimblätler und des Blutes im Hühnchen, dans les Archives de Schullze, 1874. — KŒL1IKER, Entwiche- lungsgeschichte des Menschen und der hüheren Thiere, 2e édit., t. 1, p. 106 et suiv, 21 322 MODE DE FORMATION ET CONDITIONS D'EXISTENCE furche) dans la région moyenne. Ces deux parties se constituent d’une manière indépendante avant de S'unir l’une à l’autre. Nous savons également que la tèle se constitue à l'extrémité antérieure de la ban- delette embryonnaire, sous la forme d’un appendice qui dépasse un peu en avant le bord rectiligne du disque embryonnaire, et qui pré- sente sur sa face inférieure un pli transversal derrière lequel est l’en- trée du cul-de-sac pharyngien. À un cerlain moment le sillon céré- bro-spinal se continue dans la région céphalique, au-dessus du pharynx. Mais comment cela se fait-il? Est-ce une extension de sillon médullaire? ou bien une partie qui se constituerait d'une manière indépendante, et qui viendrait à un certain moment s'unir à ce sillon ? Je n'entrerai pas dans l'examen de ces questions, qui exigent encore de nouvelles recherches. Ici, comme sur tant d’autres points, les données de l’embryogénie normale du poulet sont encore incomplètes. Mais, quelle que soit la véritable nature des faits que je viens de signaler, il y a cependant quelque chose d’incontestable : c’est que les différentes régions du tube cérébro-spinal se constituent d’une manière indépendante les unes des autres; que, par conséquent, certaines de ses parties peuvent manquer, sans que leur absence entraine nécessairement le défaut de formation des autres parties. Or, l'absence de la gouttière cérébro-spinale, partout où elle existe, entraine l'absence des prévertèbres et, consécutivement, l'absence d'une certaine région de la colonne vertébrale, ainsi que de la partie correspondante de la moelle épinière. Il est d'ailleurs fort digne de remarque que, dans les différents types des monstres acéphaliens, le corps semble se constituer d’ar- rière en avant, et non d'avant en arrière. Ainsi les mylacéphales el les péracéphales sont réduits à la région postérieure du tronc; dans les véritables acéphales la région du tronc se constitue entièrement, mais la tête manque. IL n’est pas possible de ne pas mettre ce fait lératologique en présence de ce fait embryogénique, que je viens de rappeler, que la gouttière primitive (Primitivrinne) précède, dans son apparition, le sillon médullaire (Medullarfurche). L'antériorité de la gouttière primitive n’explique-t-elle pas la constitution isolée de la partie postérieure de la colonne vertébrale, dans les types des mylacéphales et des péracéphales ? Je pourrais assurément poursuivre beaucoup plus loin ces considé- rations théoriques, Mais je tiens, autant que possible, à ne pas sortir DES MONSTRES OMPHALOSITES, 323 de l'observation, comme je l'ai fait dans tout ce livre, Je me bor- nérai donc à mentionner plusieurs faits qui, bien que très-peu nombreux, me donnent cependant des indications très-précieuses sur le mode de formation de certains types de monstruosités ompha- lositiques. Dans un de ces cas, un corps embryonnaire, d'ailleurs assez com- plet et parvenu à un certain degré d'évolution, ne présentait le tube cérébro-spinal que dans la région du corps. La tête était réduite à un simple appendice antérieur sur lequel on n'observait aucune trace du sillon primitif. Elle était restée dans cet état que M. Kœlliker a désigné sous le nom d’Apophyse céphalique (Kopffortsatz). Ce monstre, s'il avait continué à se développer, aurait manifestement réalisé le type des Acéphales. D'autre part, j'ai vu la tête se constituer isolément, par la forma- tion et la fermeture de la gouttière cérébro-spinale dans l’apophyse céphalique au-dessus du cul-de-sac pharyngien, tandis que la bande- lette embryonnaire ne présentait ni le sillon médullauire ni la gout- tière primitive. La tête ainsi constituée était fort imparfaite et pré- sentait tantôt les caractères de la Triocéphalie, tantôt ceux de la Gyclopie. Ce fait de la production d’un embryon réduit à la tête est en rapport avec les faits tératologiques que j'ai cité plus haut, et qui ont été observés dans l'espèce humaine par Rudolphi et 4. Müller. Dans ce dernier cas, J. Müller nous apprend que la tête était unie par des vaisseaux au cordon ombilical de l'embryon bien conformé. Evidemment elle s'était développée à l'aide de la circulation vitelline. Dans d'autres cas, la tête développée, comme dans le type précé- dent, terminait en avant une goutltière cérébro-spinale qui occupait la région du tronc, mais qui ne s'était pas complétée par la forma- tion des prévertèbres. C'est un fait que j'ai assez souvent observé dans les cas de Cyclopie que j'ai étudiés et dont j'ai fait connaître le mode de formation dans un précédent chapitre !. Enfin je dois ajouter que Lereboullet a observé un certain nombre d'embryons de brochet entièrement réduits à la région caudale ?. En combinant ces derniers faits entre eux, on arrive à concevoir la formation de ce type particulier de monstres omphalosites, qu'Is. Geoffroy Saint-Hilaire ne connaissait pas, et que Pictet a décrit 3 Voir p. 242. ? LerrBouLLer, loc. cif. dans les Ann. des sc, nat., 4e série, Zoo!.. 1, XX, p.285 et 251, 324 MODE DE FORMATION ET CONDITIONS D'EXISTENCE sous le nom d'Hétéroïde. Ce lype est caractérisé par l'existence d’une tête et d’une queue rudimentaires séparées l’une de l’autre par une masse absolument comparable à celle qui constitue les monstruosités anidiques. Tous ces faits s'expliquent par une absence partielle ou du moins par le développement incomplet de la gouttière cérébro-spinale. Mais il y a des cas plus remarquables encore, dans lesquels cette gouttière fait entièrement défaut, et, dans lesquels cependant, les’ lames latérales peuvent se développer plus ou moins compléte- ment. Je n'ai pas encore rencontré de semblables faits, très-proba- blement parce que je n'ai pas pu reconnaître leur véritable nature. Mais leur existence résulte de l'absence complète de tout rudiment de la colonne vertébrale et de l'axe nerveux, parfaitement constatée dans un certain nombre de monstres omphalosites observés chez l'homme. Peut-être, dans certains cas, la corde dorsale existait- elle, mais je ne puis que supposer son existence d’après quelques détails des observations *. Je ne puis pas ne pas signaler ici l'étrangeté de ces faits. Il y a des êtres vivants, provenant de l'embranchement des vertébrés, et qui sont privés du fait fondamental et primordial de l’organisation de ces animaux. Assurément ces êtres ne sont pas viables; et ils ne 1 Cela existait dans les cas suivants : 1° Type de mylacéphales : CLARKE, Description of an extraordinary Production of Human Generation, dans les Philosophical Transactions, t. LXXXIII, p. 154. 1793.— Roucer, Note sur un monstre mylacéphalien du mouton, dans les Mémoires de la Société de biologie, 2° sér.,t. I, p. 267. 1854. 20 Type de péracéphales : ANTOINE, Sur un agneau fœlus monstrueux, dans l’His- toire de l'Académie des sciences, 1703, p. 28. — BracQ, Observation provenant des Archives de la Sociélé de chirurgie, et rapportée par BÉcLARD, Mémoire sur les acé- vhales, dacs les Bulletins de la Facullé de médecine de Paris, 1815, p. 504. — Bonx, Ontleetkundige Beschriv. en Aanmerk. over het Maaksel en de Vœding eener seldzaame en wanstalt. Menschurucht, dans ELBEN (loc. cit.). 39 Type des acéphales : GERGENS, Anatomische Beschreibung eines merkwurdigen Acephalus. Giessen, 1830.— Al. Moreau, Descriplion d'un fœlus acéphale; dans les Bulletins de la Sociéle d'anatomie, 2° série, t. V., p. 146, 1860. Il y avait également absence complète de la gouttière cérébro-spinale dans toute l'étendue du tronc dans un paracéphale. Elle s'était seulement constituée dans la tôle rudimentaire, — Luron, Description d'un fœtus monstrueux paracéphalien om- phalosite unitaire né à l'hôpital Saint-Louis, dans les Mémoires de la Société de biologie, 2e sér., t. I, p, 315. 1854. De semblables faits ont été constatés dans le sujet parasite des hétéradelphes et des hétéromorphes. J'ai dit, dans le chapitre précédent (voir p. 300), que ces sujets parasites sont absolument comparables aux omphalosites. DES MONSTRES OMPHALOSITES. 32 doivent la prolongation de leur existence qu'à une condition qui leur est tout à fait étrangère, celle de la gémellité. Mais il n'en est pas moius remarquable que le caractère dominateur de l'embranchement des animaux vertébrés fasse ici complétement défaut. Je signale ce fait aux naturalistes philosophes qui ne se contentent pas d’effleurer les questions, mais qui veulent aller au fond des choses. D'autre part, j'ai observé des embryons chez lesquels la gouttière cérébro-spinale s'était constituée dans toute son étendue, mais où la partie de cette gouttière qui correspond à la tête, et qui devient le point de départ des vésicules de l’encéphale, présentait de nombreuses anomalies. Les deux bords de la gouttière étaient manifestement arrêtés dans leur développement, et ces arrêts de développement, inégaux des deux côtés de la gouttière, présentaient un défaut remar- quable de symétrie. Ces embryons, privés de cœur, ou, du moins, d’un cœur complet, étaient évidemment des paracéphales en voie de formation. Il ne m'a pas été possible de déterminer exactement le genre auquel ils auraient appartenu, s'ils s'étaient complétement développés. On pourrait, par de semblables considérations, expliquer les diver- ses anomalies qui se rattachent à la formation et au repli des lames latérales. La formation du tube digestif peut n'avoir lieu que partiellement, suivant l'étendue des lames latérales qui se sont repliées à la face inférieure de l'embryon. Comme c'est généralement la partie posté- rieure du corps qui existe chez les Omphalosites, la partie postérieure de l'intestin se forme seule. Cela explique d’ailleurs comment les embryons peuvent s'unir à l’aide de la circulation placentaire, puis- que les placentas résultent de la transformation des allantoïdes, et que l’allantoïde est une dépendance de la partie postérieure de l'intestin. Les monstres omphalosites présentent fréquemment des anoma- lies qui les compliquent, sans y être nécessairement associées, Ainsi les membres postérieurs sont fréquemment affectés de déviations, d'ectromélies ou de symélies. Toutes ces anomalies accessoires s'ex- pliquent de la même façon que celles des monstres autosites, et tiennent, dans un grand nombre de cas, à la pression exercée par l'amnios arrêté dans son développement. Cette partie de mon travail contient encore beaucoup de lacunes qui résultent de l'impossibilité où j'ai été pendant longtemps de 326 MODE DE FORMATION DES MONSTRES OMPHALOSITES. reconnaitre les omphalosites en voie de formation, impossibilité qui résullait de la précocité de leur mort et de leur désorganisation. J'ai la certitude de pouvoir, quelque jour, substituer aux notions encore trop théoriques, que je viens d'exposer, des indications pré- cises lirées entièrement de l'observation des faits. S 5. Je n'insisterai pas ici sur le défaut de viabilité de semblables êtres. il est bien clair que ces monstres n'ont pas en eux-mèmes des condi- tions anatomiques et physiologiques qui seraient compatibles avec la vie indépendante. Ge sont des parasites dans toute l’acception du mot, puisqu'ils ne vivent et ne se développent qu’en vertu de la gémellité, el aux dépens d’une organisation jumelle, Is périssent fatalement, lorsqu'ils s'en détachent, comme cela arrive chez les mammifères et chez l'homme. Ils vivent indéfiniment lorsqu'ils restent attachés à l'embryon bien conformé, comme cela arrive chez les oiseaux. La vie des omphalosites dépend donc entièrement de la vie d’un embryon jumeau. Comme je l'ai dit déjà, on pourrait les appeler des monstres Adelphosites, S'il y avait un avantage réel à changer une dénomination consacrée par l'usage. CHAPITRE IX DÉTERMINATION DES MODES D'UNION DANS LES DIFFÉRENTS TYPES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE #, SomMatRe. 1° Considérations générales. — 29 Union des amnios.— 3° Union super- ficielle par les têtes. — 4° Union antérieure par les cavités thoraciques. — 59 Union antérieure par les têtes et les bords des feuillets vasculaires. — 69 Union des extré- mités postérieures. — 7° Union latérale. — 89 Union dans les monstres parasi- taires. ; F7 > J'ai exposé dans un précédent chapitre les motifs que j'ai de consi- dérer la formation des monstres doubles chez les animaux vertébrés comme résultant toujours de l'union et de la fusion plus ou moins complète de deux disques embryonnaires existant sur une même cica- tricule. Il me reste maintenant à faire connaître le mode spécial de forma- lion de chaque type de la monstruosité double. Il y a des types pour lesquels ce mode de formation résulte de l'observation , d'autres pour lesquels elle ne m'a encore rien appris. Dans ces cas, je suis donc obligé de suppléer aux lacunes de l'observation par des considérations pu- rement théoriques. J'espère montrer que ces considérations ont une très-grande vraisemblance, et j'aila conviction qu'elles serontun jour complétement confirmées par l'observation des faits. Assurément je regrette de donner encore une part considérable à l'hypothèse ; mais c'est la condition de toute science, quelle qu'elle soit. Lorsque les faits manquent, nous devons suppléer à leur absence en déduisant l'inconnu de ses relations nécessaires avec les choses connues. C'est ainsi que l'astronomie et la géologie ont été créées, bien que nous n'ayons aucune prise direcle sur les objets qui constituent ces sciences, par suile de leur éloignement dans l'espace et dans le temps. Avant d'entrer dans le détail des faits, je dois rappeler certaines 1 Ce chapitre est la reproduction peu modifiée d'un mémoire que j'ai publié sous ce titre : Mémoire sur l'origine et le mode de formation des monstres doubles; dans les Arch, de 300!. expérimentale, t. III, p. 78, 1874. 328 DÉTERMINATION DES MODES D'UNION conditions générales de la production des monstruosités doubles, tout à fait comparables à celles de la production des monstruosités simples. L'union de deux embryons ne se produit etne peut se produire que pendant la période de formation, lorsqu'ils sont encore constitués par des tissus homogènes; car c'est alors seulement que les parties homologues peuvent s'unirentre elles. C'est l'ignorance de ce fait qui a pendant si longtemps empêché les physiologistes de se rendre un compte exact de ces questions de tératogénie. Quand on voyait dans certains monstres doubles un organe resté simple, l'intestin par exemple, on ne pouvait compren- dre comment cet intestin unique aurait pu se produire par la fusion en un seul des intestins appartenant à chacun des sujets composants. Or cet intestin est unique dès le début, puisque sa formation est pos- térieure à la fusion des deux masses embryonnaires. Quand on voyait des organes doubles, les cœurs par exemple, qui, dans certains types, appartiennent par moitié à chacun des sujets composants, on se de- mandait comment ces organes auraient pu se dédoubler, et comment les deux moitiés d’un de ces cœurs se seraient écartées l’une de l’autre, pour aller retrouver, sur le plan d'union, les moitiés correspondantes et également séparées de l’autre cœur. On verra plus loin comment tous ces faits s'expliquent par la séparation primitive et l’union tar- dive des deux moitiés de certains organes, lorsqu'ils ne sont encore constitués que par des blastèmes homogènes. L'observation montre que les organes définitifs des monstres dou- bles apparaissent d'emblée, avec tous leurs caractère normaux ou tératologiques, dans des blastèmes modifiés d'avance. Je l'ai déjà dit, mais je dois le répéter ici, parce que cette proposition régit toute l'histoire des monstres doubles. Pour étudier le mode de for- mation de ces monstres, il faut donc remonter à une époque anté- rieure à l'apparition des organes définitifs, et chercher à déterminer les différents modes possibles d'union de deux embryons développés sur une cicatricule unique. C’est là le problème fondamental de cette partie de la tératogénie. Je le considère comme résolu dans certains cas. Dans d’autres, on ne peut encore l’aborder que par des considérations théoriques, en attendant que quelque rencontre heureuse nous en donne la confir- mation, J'ai tout lieu de croire qu'elle ne se fera pas longtemps attendre : car telle est la dépendance mutuelle de toutes les parties DANS LES DIFFÉRENTS TYPES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE. 329 de la tératologie, qu'il suffit souvent d'un seul fait bien observé pour donner l'explication d'une foule d’autres. Les types de la monstruosité double sont assez nombreux. Tou- tefois les différences qu'ils présentent tiennent plutôt à l'étendue de l'union des deux sujets composants qu'au mode d'union lui-même. Cette considération, fort importante, me permettra d'abréger beau- coup cette partie de mon livre. Je traiterai la question d'une manière très-générale, laissant à mes lecteurs le soin de l'appliquer à l'inter- prélation exacte de la formation de chaque type particulier. Je commencerai par les cas les plus simples, ceux où l'union est presque superficielle, pour arriver peu à peu à ceux où l'union est profonde et constitue une véritable fusion. Dans les premiers, l'union est tardive ; dans les seconds elle est au contraire très-précoce. Cela explique comment, dans les premiers cas, l'union a pu être constatée par l'observation, tandis que, {dans les autres, elle résulte unique- ment, ainsi que je l’ai dit, de considérations théoriques. $ 2. Pour comprendre le mode d'union de deux embryons, il faut d’a- bord signaler le cas le plus simple, celui où l'adhérence des corps em- bryonnaires se fait seulement par leurs annexes. J'ai déjà signalé les adhérences des feuillets vasculaires et les ana- stomoses des vaisseaux qui en sont la suite. Ces faits se produisent tou- jours lorsque deux embryons se développent sur un jaune unique. Ils ne présentent aucune difficulté. Mais il y a un fait plus difficile à comprendre : la formation d'un amnios unique, qui se produit, comme je l'ai dit déjà, lorsque les deux embryons proviennent d'une même cicatricule !. Ce fait a jusqu’à présent été complétement inexpliqué par les em- bryogénistes. Les auteurs des traités d'accouchement ne l'admirent qu'avec peine. « Il est à peu près impossible, disait l'auteur d’un de nos meilleurs traités d’accouchements, dans l’état actuel de nos connaissances ovologiques, d'expliquer cette étrange anomalie, dont l'existence a pourtant été constatée plusieurs fois... Cette membrane émane de l'embryon lui-mème, et, par conséquent, nous devons avoir autant 1 Voir p. 295. 340 DÉTERMINATION DES MODES D'UNION d'amnios que de fœtus... On ne peut expliquer ces faits qu’en préten- dant qu'il existait primitivement deux amnios et que la cloison qui résultait de leur adossement s'est détruite !, » L'observalion m'a montré comment les faits se produisent. Nous savons que, dans l’état normal, l’amnios résulte de la formation de plusieurs replis du feuillet séreux, replis d’abord isolés, mais qui finissent par se confondre. Ce sont le pli céphalique, en avant de la tète, et qui devient l’origine du capuchon céphalique ; le pli caudal, en arrière de l'extrémité caudale, et qui est l'origine du capuchon caudal ; enfin les plis latéraux qui se forment plus tard et qui unis- sent les deux précédents ?. Or, s'il existe deux embryons, on voit au-dessus de la tête de chaque embryon se former un pli céphalique ; puis ces deux plis s'unissent par leur bord interne. Il en est de mème des plis caudaux. S'il existe un monstre double, à corps séparés mais réunis par les tètes, on voit à un certain moment, au-delà de chaque extrémité cau- dale, se produire un pli particulier ; puis ces deux plis se confondent de manière à former un capuchon caudal unique. Dans ces condi- tions il ne se forme qu’un capuchon caudal. Dans ces deux cas, l’amnios reste souvent incomplet, et présente un ombilie amniotique fort large qui laisse à découvert une partie plus ou moins considérable de l'embryon. S 3. L'union superficielle de deux embryons ne présente aucune diffi- culté ; il suffit, pour qu'elle s'opère, du contact prolongé de deux parties de l'embryon, lorsque ces parties sont encore constituées par des blastèmes homogènes. La soudure se fait presque toujours d'après la loi d'union des parties similaires; mais cela n'est pas absolument nécessaire. Tels sont les types que Geoffroy Saint-Hilaire a désignés sous les noms de Métopage et de Céphalopage, types dans lesquels les em- bryons sont unis par les fronts ou par les vertex. Dans le premier, la soudure est régie par la loi d'union des parties similaires ; dans le second, elle y échappe en partie, comme Is. Geoffroy Saint-Hilaire t Cazeaux, Trailé théorique et pratique de l'art des arcouchements, p. 187. ? Voir p. 201. DANS LES DIFFÉRENTS TYPES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE, 334 l'a déjà fait remarquer, puisque les frontaux de l’un des sujets s’unis- sent aux pariélaux de l’autre. Dans ces deux types le fait de la soudure est absolument incontes- table , puisque la tête ne se produit qu'à un certain moment de l'évo- lution. 11 faut donc, de toute nécessité, admettre la séparation primi- tive des deux embryons et leur soudure tardive par certaines parties des têtes, J'ai eu d’ailleurs occasion d'observer, il y a longtemps, deux embryons développés sur une même cicatricule, enfermés dans un même amnios, dont les têtes étaient juxtaposées et qui présentaient entre eux es mêmes relations que les deux sujets composants d’un cé- phalopage. Si ces deux embryons avaient continué à se développer, leurs têtes se seraient nécessairement soudées, et auraient uni, superficiellement sans doute, mais définitivement, les deux orga- nisations !. ; A ces types se rattachent certains types de monstres doubles pa- rasitaires. Tel est le type des Epicomes, tout à fait semblable à celui des Cé- phalopages, quant au mode d'union des sujets composants, mais dans lequel l'un des embryons est réduit à une tête, suivie seulement par quelques parties rudimentaires. Ce sujet accessoire reproduit très- exactement le type des monstres Se Spb que j'ai désigné sous le nom de Céphalide *. Tels sont également plusieurs types de la famille des Polygnathiens, famille qui n’est pas, jusqu’à présent, représentée parmi les monstres autositaires. Ici l'embryon bien conformé porte un embryon in- complet, un céphalide soudé avec lui par les mâchoires inférieures (type de la polygnathie); ou bien un embryon encore plus in- complet, et entièrement réduit à une mâchoire inférieure (type de l’augnathie). Comment, dans ces cas de monstruosité double, le céphalide, pro- duit sur le même vitellus que son frère jumeau, s'est-il séparé de la vésicule ombilicale commune ? Ne peut-on pas se demander si le dis- que embryonnaire du céphalide, frappé de mort, se décomposerait et se désagrégerait ; et si par suite de cette désagrégation, le céphalide se séparerait du vitellus tout en restant attaché à l'embryon bien con- formé? Lereboullet a signalé de pareils faits de désagrégation dans les ! Voir p. 292. 3 Voir p. 320. 332 DETERMINATION DES MODES D'UNION monstres doubles qu'il a observés chez les poissons‘. Je ne puis que poser la question sans chercher actuellement à la résoudre. S 4. Une autre espèce d'union, plus profonde que la précédente, mais encore relativement tardive, est l'union antérieure des monstres à double poitrine et à tête séparées, qui se rattachent à quatre types de la famille des monstres monomphaliens, les types de la xipho- pagie, de la sternopagie, de l’ectopagie et de l'hémipagie, types qui ne diffèrent les uns des autres que par le degré d'union des parois thoraciques*. Le mode d'union de ces monstres est très-différent, à beaucoup d'égards, de celui des monstres sycéphaliens et des déradelphes, chez lesquels il existe aussi des doubles poitrines, mais où les têtes sont réunies. Dans les xiphopages, les parois thoraciques ne sont unies que dans la région des fausses côtes ; et par conséquent la paroi supérieure de la poitrine appartient exclusivement à chacun des sujets com- posants. Dans les sternopages, les doubles parois thoraciques appartiennent par moitié à chacun des sujets composants. Dans les ectopages, même disposition que chez les précédents ; seulement, la paroi thoracique de l’un des côtés est beaucoup plus petite que l’autre. Dans les hémipages, même disposition que dans les ectopages ; seulement les têtes sont unies latéralement ; mode d'union d’ailleurs fort différent de celui que nous observerons plus tard chez les monstres à double poitrine et à têtes soudées. Le type des xiphodymes, de la famille des sysomiens, présente la même organisation thoracique que le type des xiphopages. Seule- ment, ici, l'union des poitrines, union antérieure, n'est qu'un fait accessoire ; elle est précédée par une union beaucoup plus précoce, l'union latérale des parties inférieures du corps. 1 LEREBOULLET, loc. cit. passim. ? Toutefois, dans l'hémipagie, l'union antérieure se complique de l'union latérale des têtes, Dans la monstruosité double, les modes d'union ne sont pas toujours sé- parés. Il y a, dans un certain nombre de cas, combinaison de l'union latérale avec l'union antérieure, DANS LES DIFFÉRENTS TYPES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE. 333 La disposition des parois thoraciques et des organes contenus dans la cavité thoraco-abdominale présente, dans tous ces types, des parti- cularités très-remarquables. Les colonnes vertébrales sont opposées l'une à l’autre ; puis de ces deux colonnes vertébrales partent deux paires de côtes, comme cela aurait lieu dans l'état normal ; mais ces côtes, au lieu de venir se réunir sur l'axe médian de chaque embryon, restent à une grande distance l’une de l’autre ; et elles sont de chaque côté terminées par une moitié de sternum qui s’unit, sur le plan d'union à la moitié de sternum terminant les côtes de la région opposée. La disposition des organes contenus dans la cavité thoraco-abdo- minale n’est pas moins remarquable, ainsi que Serres l’a fait depuis longtemps observer !. En effet, il a constaté que chez ces monstres, la loi d'union des parties similaires exige impérieusement que l’un des sujets soit inverse, c’est-à-dire affecté de transposition des viscères. L'explication du mode de formation de ces types monstrueux est aujourd'hui très-facile. F1G, 1. — Reproduction de la figure donnée par Allen Thomson, On y voit les deux corps em- bryonnaires complétement séparés, mais présentant dans l'intervalle qui les sépare un cœur unique. Les deux têtes sont revètues d'un même capuchon céphalique. J'ai observé un hémipage en voie de formation; il était déjà trop avancé pour me permettre de constater son mode d'union. Mais la science possède une très-précieuse observation d'Allen Thomson, 1 Serres, Recherches d'anatomie transcendante et pathologique; théorie des forma - tions et des déformations organiques appliquée à l'anatomie de Rila-Cristina ; dans les Mém. de l'Ac. des se., t. IX, 1832, 334 DÉTERMINATION DES MODES D'UNION un monstre double, trouvé sur le blastoderme d'un œuf d’oie, et qui est bien évidemment un sternopage ou un xiphopage en voie de formation ". On voit sur une aire vasculaire unique deux corps embryonnaires bien distinets, mais réunis entre eux par un cœur unique. Ces deux corps embryonnaires ont leurs têtes retournées et couchées sur le jaune. Celui qui est à la gauche du spectateur a la tête couchée sur le côté droit. Par conséquent, ces deux embryons se regardent par leurs faces antérieures. Rien n'est plus facile que de compléter cette observation par ce qui a dù arriver avant et par ce qui aurait dù arriver après. Déjà Allen Thomson, rappelant ce qu'avait dit Baer sur les rela- tions qui existent entre l’inversion des viscères et le retournement de l'embryon sur le jaune, avait montré comment elles expliquent l'in- version que doit présenter le sujet couché sur le côté droit. Mais j'ai montré, dans un chapitre précédent, que, contrairement à l'opinion de Baer, c'est l'inversion qui détermine le retournement de l’em- bryon sur le côté droit, et non le retournement sur le côté droit qui détermine l'inversion?, C’est ce qui a dû arriver dans l'observation d’Allen Thomson. A cette époque de l’évolution, l’'inversion n'existe encore que pour l'appareil circulatoire. J'ai déjà montré comment l’anse cardiaque qui, au moment de son apparition, se voit au-dessous de la tête, vient plus tard, dans l’état normal, faire saillir à la droite de l'embryon, sous la forme d’une anse contractile; et comment, dans l’état inverse, elle présente une disposition contraire, et vient faire saillie du côté gauche. Rappelons d’ailleurs que, dans son premier état, le cœur est en- lièrement à nu au-dessous du pharynx, comme je l'ai dit précédem- ment. Quand on observe un embryon couché sur la face dorsale, le cœur repose sur la paroi du pharynx par sa face supérieure ; mais sa face antérieure n’est pas recouverte par une paroi. Il se trouve placé entre la lame extérieure descendante qui se replie en avant pour for- mer l'amnios, et l'ouverture qui fait communiquer l'intestin avec la vésicule ombilicale, Plus tard, l'abaissement de la lame extérieure, L'ALLEN Taomsox, Remarks upon the early conditions and probable Origin of Double Monsters, dans the London and Edinburgh monthly Journal of Medical Science, &, IV, p.487, fig. 4 et 5. 1844. + Voir p.21. DANS LES DIFFÉRENTS TYPES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE, 335 au-dessus du cœur, forme la paroi antérieure de ce que Wolff appelait la fosse cardiaque (fovea cardiaca). On voit donc comment les deux anses cardiaques, n'étant pas encore enfermées dans les parois thoraciques, et se trouvant, par conséquent, parfaitement libres entre le repli qui formera le bas du capuchon céphalique de l’amnios, et celui qui forme l'ouverture ombilicale de l'intestin, peuvent venir à la rencontre l'une de l’autre dans l'intervalle qui sépare les deux corps embryonnaires ; et comment, dans certains cas, elles se soudent l’une à l'autre pour former un organe unique. lei je dois faire remarquer que, dans les monstres à double poitrine et à têtes séparées, le fait de la soudure des cœurs ne se produit pas toujours. Généralement ils restent séparés dans les xiphopages, tan- dis qu'ils sont unis dans les sternopages. Mais le fait de la soudure des cœurs n’est qu'un fait accessoire et de peu d'importance. Le fait initial, dominateur, si l'on peut parler ainsi, c’est l'existence de ces deux anses cardiaques allant à la rencontre l’une de l’autre dans l'in- tervalle qui sépare les deux embryons, et déterminant le retourne- ment de l’un d'eux dans un sens, celui de l’autre dans un autre sens, et par suile, l'état normal des viscères de l’un des sujets, et l'in- version des viscères de l’autre sujet. Ainsi s'explique de la manière la plus simple la plus grande difii- cullé que présente l’organisation de ces monstres. La formation d'un capuchon céphalique unique aux dépens du même repli du blastoderme, entraîne pour ces monstres la formation d'une paroi thoracique unique, qui résulte du repli de la partie antérieure des lames latérales, et ensuite la formation d'un om bilic unique. Cette lame latérale forme d’abord une paroi transpa- rente, ainsi que je l'ai dit plus haut. Plus tard, en dedans de cette paroi transparente apparaissent les os et les muscles qui forment la véritable paroi thoracique, et qui se produisent par des expansions des vertèbres primitives. Le mécanisme de la clôture définitive de ces parois thoraciques, par la formation des os et des muscles, est le même que dans l’élat normal ; seulement ici chaque demi-sternum, au lieu de s'unir avec le demi-sternum provenant du même embryon, va s'unir au demi-sternum qui lui correspond dans l'embryon qui lui fait face. C'est ainsi que se produisent ces doubles thorax dont l’orga- nisation, au premier abord, est si difficile à comprendre. Quant à la distinction des différents types, elle se conçoit sans au- cune difficulté. 336 DÉTERMINATION DES MODES D'UNION J'ai pris pour exemple, dans la description précédente, le cas le plus simple, celui des sternopages. Dans les xiphopages et les xiphodymes, les parois thoraciques, osseuses, Communes aux deux embryons, ne se constituent que dans la moitié inférieure, landis que la moitié supérieure se constitue iso- lément. Dans les ectopages et les hémipages, le retournement des em- bryons ne s'effectue que d’une manière incomplète, Il en résulte que, d'un côté, celui qui correspond à la face supérieure du monstre double, les parois thoraciques osseuses sont beaucoup plus courtes et s'unissent avant de s'être complétées. Ainsi que je viens de le dire, la formation de ces monstres se lie nécessairement au retournement de la tête sur le jaune. 11 y a donc là une condition qui fait que ces monstres doubles ne peuvent se pro- duire que chez les embryons qui présentent cette particularité phy- siologique ; c’est-à-dire chez ceux qui appartiennent aux trois classes des mammifères, des oiseaux et des reptiles, tandis qu'ils doivent faire défaut chez les batraciens et chez les poissons. YA O2 Les monstres doubles qui composent la famille des sycéphaliens, c'est-à-dire les types des janiceps, iniopes, et synotes, et aussi les déradelphes, ressemblent beaucoup aux précédents par leur aspect extérieur ; ils n’en diffèrent que par l'union des têtes. Mais, si l’on fait abstraction de la conformation générale des cavités thoraciques, ils possèdent une organisation notablement différente, et, par con- séquent, un mode d'union tout autre et beaucoup plus précoce. L'organisation de ces monstres a été complétement méconnue par Serres et par Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Ces deux physiologistes, frappés de la merveilleuse organisation des monstres construits sur le type des sternopages, ont cru pouvoir la retrouver dans les monstres actuels, qui ne présentent d'autre caractère commun avec les précédents que ceux qui résultent de la formation des doubles parois thoraciques. Mais l'organisation de ces monstres est toute différente, En effet, dans les monstres précédents, les organes qui occupent la cavilé (thoracique appartiennent isolément à chacun des sujets com- DANS LES DIFFERENTS TYPES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE. 397 posants, qui à ses poumons, son Cœur, son œæsophage propres, Rien de pareil dans les monstres actuels *. IL ny a chez ces monstres qu'un œæsophage qui occupe le milieu de la cavité thoracique. Quant aux cœurs, ils sont au nombre de deux, comme chez les monstres précédents ; mais au lieu d'être situés desdeux côtés du plan d'union, ils sont placés sur le plan d'union lui-même, et présentent une organisation parfaitement symétrique des deux côtés de ce plan. Les vaisseaux qui sortent du cœur présentent une \ v ” e , ’ r € PS A SAR € LIN) D | s ? T'f WW /fe SE \ L . SP NZ + NN 4 \ 11 NN LA )=x! WW er Vy Le W4 CSS) \ . / | \ 7 - v \ | \\ #/ | \ AL = JL die) \ en } h \ If -#- r n £ \ / \\_J/ DIE 8 ILES Le ————— | € \e={ REFERS à- { (- 4 r Ve ne = n N #] \ ! JC Ê nd \e A. Li di id 7/1 4 us | 7 / P > À \ 2k4 W/. \ NC = dr ’ ? N IN 4 Ÿ / Ed \ 1 ; A ON ? à Le \ —“ ' LA - L] d - , 2% ñ 16 MOVIE . LANMHATOTAAIE \# LL TION TARN AULUL LEON RE [lu horsg vantatofts DE UF et DE oh ! L: CR ‘sl r PAUL .! MT OU L ED TE Lu : Pr : 1 | ' tr AMLILC { in (UE ' iii 1 A int i n { U t ; i : | i i ) ul ne 9 (4 t ï Î 1 MALE | LI ' } n . ( { VUE L DATE TT fi … + niv . L É LE y @ 1 | °uf ° F 1 Cl Ÿ" fr ‘ i ‘ | EU À ue" NU d | MULIEL L' Cl ] ' i PET A A Hd) GRR ‘ : j #, Lui \ «qu ; an tar ET 01 CURE 1 # | . è F i \fraut À , } - 4 | 1% 440 0 L . p Fr # <. " A k (OM Gr w 110 Qt 3 16 L Note L] | £ 4 , | (h 4 11 Tue & fi CL | 4 | + } 5 : ‘ : Vu + val h s 'à lu MAL! | : . | | i 1 t ŒAL uv Ù : Va L 0 V1 j L : \ 04% AB * (l : » Î ï } ) i n , Ur & ALL LL } j ! | LL . | 1 … ‘ eL | vi 1fl “af LUE ' . TLET À 1488 L \ «4 b e . E.Jacquemin del. Imp Becquet. DUALITÉ PRIMITIVE DU CŒUR. Librairie CReimwald, Paris. PLANCHE IL. DUALITÉ PRIMITIVE DU CŒUR. (2e partie, chap. 1er.) Toutes ces figures représentent l'embryon vu par sa face inférieure. Le grossissement est d'environ 8 diamètres. Fic. 1. Existence des deux blastèmes cardiaques. Fic. 2. Existence des deux blastèmes cardiaques. Tète déformée, présentant pro- bablement une cyclopie commençante. Fic. 3. Cœur unique; mais bifide supérieurement ; les deux parties supérieures se continuent avec les bords antérieurs du feuillet vasculaire. Tête normale, mais engagée en partie dans l'intervalle des deux lames antérieures du feuillet vasculaire. Grossi quatre fois. Fic. 4. Existence de deux tubes cardiaques séparés; l’un des cœurs est plus long que l’autre, et par suite il est recourbé, tandis que l’autre est droit. Fic. 5. Mème figure grossie. Fc. 6. Deux blastèmes cardiaques. Fic. 7. Existence de deux tubes cardiaques se faisant face par leur convexité, Fic. 8. Deux blastèmes cardiaques. Tête très-anomale par suite du développement non symétrique des deux parties de la gouttière cérébro-spinale (paracéphalie ?). Fic. 9. Deux tubes cardiaques se faisant face par leurs convexités. On y distingue une région auriculaire et une région ventriculaire, puis supérieurement les bulbes qui vont de dehors en dedans et se dirigent vers la ligne médiane. Fic. 10. Tubes cardiaques juxtaposés. L'un d'eux est plus long que l’autre, et pré- sente une division en partie auriculaire et partie ventriculaire. Fi. 11. Blastèmes cardiaques juxtaposés. FiG. 12. Cœur, dans lequel les deux parties sont soudées, mais présentent encore la cloison intermédiaire. On voit deux étranglements médians qui séparent en bas la région auriculaire ; dans la partie moyenne, la région ventriculaire ; supérieurement, la région du bulbe. Fic. 13. Blastèmes cardiaques déjà développés et juxtaposés. FiG. 14. Blastèmes cardiaques isolés et inégalement développés. Le blastème car- diaque gauche plus développé que le droit, et présentant une région auriculaire. Tète déformée. F16. 15. Cœurs séparés, se présentant sous l'aspect de deux tubes recourbés et op- posés par leurs faces convexes. Fic. 16. Blastèmes cardiaques juxtaposés. Celui de droite beaucoup plus développé .que celui de gauche, Je suppose que c’est là la condition initiale de l’incurvation de l'anse cardiaque à la gauche de l'embryon, el par suile de l’inversion des vis- cères. (V. p. 295.) Fi. 17, Blastèmes cardiaques complétement séparés. Têle présentant des anoma- lies : très-probablement une cyelopie commençante; la petite vésicule que l’on voit en g est la vésicule des hémisphères cérébraux rudimentaires. FiG6. 18. Cœur simple, mais présentant des traces évidentes de la dualité primitive. Tète très-déformée et rudimentaire. FiG. 19, Cœur présentant la juxtaposition des deux tubes cardiaques. Le cœur droit est plus développé que le gauche, C’est le commencement de l’état normal. (V. p. 225.) Tète rudimentaire et déformée. Fi6. 20. Embryon normal. Etat normal du cœur, postérieur à la soudure des blas- tèmes et à la disparition de la cloison. Les lames antérieures du feuillet vasceu- laire ont commencé à se souder au-dessus de la pointe du cœur. Fig. 21. Tubes cardiaques séparés, et se faisant face par leur convexité. Tête pré- sentant des anomalies. Teratogenie Experimentale è ï \ (9 { RAIN CA NN A CEE mou ee + T E Jacquemin del. Imp Becquet. DEFORMATION DE L'AIRE VASCULAIRE Librairie Reinwald, Paris. PLANCHE HE DÉFORMATION DE L'AIRE VASCULAIRE. (2e partie, chap. n, $ 5.) Tous ces dessins sont un peu plus grands que nature; à peu près d'un demi-diamètre. LETTRES COMMUNES. a, embryon ; b, amnios: €, ouverture de l'amnios ou ombilie amniotique; d, aire opaque du feuillet vasculaire; €, aire transparente; /, allantoïde ; g, artère omphalo-mésentérique droite ; g', artère omphalo-mésentérique gauche ; AA', veines descendantes séparées ou racines de la veine descen- dante unique ; à, veine ascendante ; à, deuxième veine ascendante. Fi6. à. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, beaucoup plus développée à la droite de l'embryon qu'à la gauche. Développement plus considérable de l'artère omphalo-mésentérique droite que de l'artère omphalo-mésentérique gauche. La veine descendante supérieure est formée par la réunion de deux racines, dont la droite est plus considérable que la gauche. Il n'y a pas de veine ascendante. L'em- bryon, presque entièrement retourné, est complétement enfermé dans l'amnios. Fic. 2. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, principalement développée au- dessus de la tête, mais du côté gauche seulement, ce qui tient à ce que la lame antérieure gauche du feuillet vasculaire est seule développée. Inégalité considé- rable des artères omphalo-mésentériques. Veine descendante provenant du côté gauche, Pas de veine ascendante. Tète de l'embryon complétement retournée et enveloppée dans le capuchon céphalique de l’amnios. Corps de l'embryon non re- tourné et complétement à nu. Fic. 3. Déformation elliptique de l’aire vasculaire, beaucoup plus développée à la gauche qu'à la droite de l'embryon. Développement plus considérable de l'artère omphalo-mésentérique gauche que de l'artère omphalo-mésentérique droite. Veine descendante formée par la réunion de deux.racines inégales, la veine gau- che étant beaucoup plus considérable que la droite. Embryon complétement re- tourné. Anomalie de l’amnios, qui ne s’est pas formé dans la région postérieure du corps et qui laisse passer l'extrémité caudale. FiG. 4. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, beaucoup plus développée à la gauche qu'à la droite de l'embryon. Développement plus considérable de l'artère omphalo-mésentérique gauche que de l'artère omphalo-mésentérique droite. Exis- tence de deux veines descendantes. Pas de veine ascendante. Embryon retourné seulement dans la région céphalique. Amnios largement ouvert au-dessus du corps de l'embryon, qui ne s’est pas encore retourné. Fic. 5. Déformalion elliptique de l'aire vasculaire, principalement développée au- dessous de la région caudale de l'embryon, et dont la région droite est également un peu plus développée que la région gauche. Veine descendante formée par une grosse racine provenant du côté droit, mais recevant aussi de très-petites racines provenant du côté gauche. Veine ascendante très-considérable, Existence d'une seconde veine ascendante, moins volumineuse, occupant le côté droit de l'aire vasculaire. Embryon presque entièrement retourné et complétement enveloppé dans l'amnios. Fic. 6. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, principalement développée au- dessous de la région caudale. Inégalité des artères omphalo-mésentériques, celle du côté gauche beaucoup plus développée que celle du côté droit. Veine ascen- dante très-développée. Veine descendante unique ; sa position oblique résulte du développement des deux lames supérieures du feuillet vasculaire, car cette veine se produit dans la région où ces deux lames s'unissent l’une à l’autre, Embryon presque entièrement retourné et complétement enveloppé dans l’amnios. Fi. 7. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, principalement développée au- dessous de la région caudale, Inégalité légère des artères omphalo-mésentériques, la droite un peu plus considérable que la gauche. Deux veines descendantes sé- parées; leur obliquité indique uu plus grand développement de la lame antérieure droite du feuillet vasculaire. Veine ascendante très-développte. Existence d’une veine latérale au côté gauche. Embryon présentant cette particularité que le corps s’est retourné en sens inverse de la tête, dont le retournement est normal. Allan- toïde sortant au côté gauche de l'embryon, FiG. 8. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, développée surtout au-dessous de la région caudale, et à droite de l'embryon. Très-légère inégalité des artères om- phalo-mésentériques, celle du côté gauche étant un peu plus considérable que celle du côté droit. Deux veines descendantes supérieures légèrement inclinées. Pas de veine ascendante, L'examen de la figure montre que la lame antérieure du côté gauche s’est plus développée que celle du côté droit. C’est le contraire de ce qui a eu lieu pour la partie inférieure. Fi, 9. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, peu marquée. Toutefois, la moitié droite est plus considérable que la moitié gauche, surtout au-dessous de l'embryon. Légère inégalité des artères omphalo-mésentériques. Deux veines des- cendantes légèrement obliques; celle du côté gauche plus volumineuse que celle du côté droit. Embryon incomplétement retourné, complétement enfermé dans l’amnios. . FiG. 10. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, qui s’est surtout développée au-dessus de la tête, et au côté gauche, par suite du développement excessif de la lame antérieure gauche. Artère omphalo-mésentérique gauche beaucoup plus développée que l'artère omphalo-mésentérique droite. Veine descendante unique provenant surtout du côté gauche. Embryon complétement retourné et enveloppé dans l’amnios. Allantoïde considérable. Cet embryon, bien que vivant, était dans un état de souffrance rendu manifeste par l’état particulier de l'appareil circulatoire, que représente la figure, état de souffrance qui annonçait une mort prochaïne. Les vaisseaux paraissent comme interrompus, par suite de leur contraction irré- gulière, qui produit dans leur parcours des arrêts momentanés du sang. Fic. 11. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, beaucoup plus développée à la gauche de l'embryon et dans la région inférieure. C’est un exemple remarquable de déformation oblique. Existence d’une seule artère omphalo-mésentérique à gauche. Le système artériel peu développé en comparaison du système veineux. qui présente des ramifications nombreuses, mais fort irrégulières. Tête de l’em- bryon retournée. Arrêt de développement de l’amnios, qui est largement ouvert dans la région postérieure, et laisse le corps entièrement à nu. Incurvation laté-— rale du tronc, qui résulte manifestement de l’arrêt de développement de lamnios. Fic. 12. Embryon précédent, grossi pour montrer les rapports de l’incurvation de la colonne vertébrale avec l’arrèt de développement de l’amnios. — Eæplicalion des lettres. — a, ombilice amniotique largement ouvert; b, première vésicule cérébrale; c, vésicule du troisième ventricule ; d, vésicule des lobes optiques; e, vésicule de la moelle allongée ; f, œil; g, fente choroïdienne ; h, région auriculaire du cœur ; i, région ventriculaire ; k, bulbe de l’aorte ; L ll", crosses de l'aorte; m, moelle épinière ; n, lames dorsales ; 0, lames latérales ; p, membres antérieurs ; g, membres postérieurs ; +, extrémité coccygienne, F16. 13. Déformation elliptique de l'aire vasculaire, résultant principalement du dé- veloppement de la lame antérieure gauche du feuillet vasculaire, Artère omphalo- mésentérique gauche beaucoup plus développée que la droite. Veine descendante formée par la réunion de deux racines très-écarlées qui se réunissent au-dessus de la tête, Veine ascendante considérable, Embryon incomplétement retourné et en- veloppé dans lamnios, PLANCHE IV. ARRÊT DE DÉVELOPPEMENT DES ILES DE SANG. (2e partie, chap. 11, $ 6.) LETTRES COMMUNES. a, aire opaque du feuillet vasculaire; à , aire transparente; c, iles de sang isolées et hypertrophiées ; d, iles de sang formant des réseaux; /, amnios; g, pli de l'amnios ou ombilie amniotique ; h, tète de l'embryon ; à, œil; 7, vésicules cérébrales ; #, cœur ; {, moelle épinière ; m, lames dor- sales ; n, lames latérales. FiG. 1. Embryon hydropique. Arrêt de développement et hypertrophie légère des Îles de sang, qui n’ont commencé à se canaliser que sur certains points, particu- lièrement sur le contour du feuillet vasculaire, où elles indiquent la veine cireu- laire. On voit aussi deux trainées assez régulières au-dessus de la tête, trainées qui indiquent vaguement deux veines descendantes. Embryon retourné seulement dans la région céphalique. Cœur battant sur du sang incolore. Arrêt de dévelop- pement de l’amnios, qui n'est complétement formé que dans le capuchon cépha- lique, qui recouvre la tête et laisse tout le reste du corps à découvert. Hydropisie légère de l'embryon, manifestée par une hydrorachis partielle, et surtout par l'ædème des lames latérales. Grossi de 1/2 diamètre. F1. 2. Embryon hydropique. Arrêt de développement des iles de sang, qui présen- tent sur quelques points seulement de légers réseaux. Il y a toutefois une indica- tion manifeste de la veine circulaire. Embryon complétement exsangue, entièrement en dehors de l’amnios, qui s’est arrêté tout à fait à son début et présente seule- ment un repli elliptique tout autour de lui. Tète retournée sur le jaune, de ma- nière à lui faire face par son côté droit. Hydrorachis énorme manifesté par l'écartement considérable des deux cordons de la moelle épinière. Grossi de 1/2 diamètre. Fi. 3. Embryon hydropique. Déformation considérable de l'aire vasculaire, et arrèt de développement des iles de sang, qui sont peu hypertrophiées, mais ne présentent aucune vascularisation. Embryon très-déformé par l’hydropisie, et de- venu presque entièrement méconnaissable, presque entièrement à découvert en dehors de l'amnios. Cœur très-dilaté et rempli de sang rouge, par suite de sa com- munication avec quelques iles de sang. Grandeur naturelle, F1. 4. Fragment du feuillet vasculaire montrant les iles de sang arrêtées dans leur développement et hypertrophiées. Ces iles, à contours très-nets, contiennent une énorme quantité de globules de sang, qui du reste y sont très-irrégulièrement répartis. Grossi dix fois. Fi. 5. Formation du réseau des vaisseaux capillaires du feuillet vasculaire à l’aide des prolongements étoilés des iles sanguines. Grossi trois fois. Fi6. 6. Embryon normal. Aire vasculaire présentant un remarquable arrêt de déve- loppement des vaisseaux sanguins. Le système artériel s'est développé à peu près seul, ses ramifications se terminant en cul-de-sac. Le système veineux est réduit à la veine circulaire, qui dans la région supérieure émet une veine descendante ramifiée au-dessus de la tête, On aperçoit au-dessous de la tête quelques ramus- cules veineux qui paraissent faire complétement défaut dans le reste du feuillet vasculaire, 00, artères omphalo-mésentériques se terminant dans des ramifications eu oul-de-sac; p, veine circulaire; q, veine descendante. Grossi cinq fois. Fi. 7. Embryon hydropique, presque entièrement enfermé dans l’amnios, qui pré- | sente encore un ombilic amniotique largement ouvert dans la région dorsale. Hydropisie considérable, pas assez cependant pour déformer complétement l'em— bryon. Cette hydropisie se manifeste par l’hydrorachis, qui résulte de l’écartement des cordons de la moelle épinière ; par l'œdème des vertèbres primitives, qui sont transparentes et écartées les unes des autres; par l’'œdème des lames latérales; par la déformation considérable des vésicules cérébrales. Cœur dilaté et battant sur du sang incolore. Iles sanguines isolées et hypertrophiées; quelques-unes seule= ment, en très-petit nombre, se sont serrées entre elles. Grossi cinq fois. à PLANCHE V. HYDROPISIE EMBRYONNAIRE, (2° partie, chap. n, $ 7.) LETTRES COMMUNES, a, aire opaque du feuillet vasculaire ; b, airo transparente ; c, iles de sang isolées et hypertrophiées : d, iles de sang formant des réseaux ; e, lacunes sanguines; /, amnios; g, pli de l'amuios cu ombilie amniotique ; h, tête de l'embryon ; à, œil ; y, bouche ; k, vésicules cérébrales; 1, cœur: m, moelle épinière ; n, lames dorsales ; 0, lames latérales ; p, gouttière abdominale ; q, membres supérieurs ; », membres inférieurs ; s, extrémité coccygienne. Fic. 1. Embryon hydropique. Amnios largement ouvert, se présentant sous la forme d’un repli elliptique qui ne recouvre pas l'embryon et qui est seulement appliqué contre lui dans la région de la tête. Distension énorme des vésicules encépha- liques par l'hydropisie, tandis que les cordons de la moelle ne sont écartés l’un de l'autre que sur un point seulement. Les lames dorsales sont très-peu modifiées, mais on observe une distension considérable des lames latérales. Le corps présente une double incurvation, ce qui me fait croire que la partie postérieure de l’amnios a exercé primitivement une compression sur la partie postérieure de l'embryon, puis s’en est notablement écartée. Le cœur est rempli de sang incolore. On aper- çoit au-dessous de l’amnios une vascularisation incomplète de l'aire transparente, formée par des vaisseaux qui ne se sont point soudés avec le cœur, Un peu plus loin se voient des iles de sang isolées. Grossi quatre fois. FiG. 2. Embryon hydropique. L'aire vasculaire présente au-dessous de l'embryon deux énormes lacunes remplies de sang rouge et dans lesquelles viennent aboutir un grand nombre de vaisseaux également remplis de sang rouge. Mais ce système de grandes lacunes sanguines ne s’est point mis en communication avec le cœur, qui bat sur du sang incolore. Arrêt de développement de l’amnios, qui présente un large ombilic amniotique au-dessus de la région dorsale. Distension hydropique considérable du faux amnios, c’est-à-dire de la poche formée tout autour de l’em- bryon par le plissement du feuillet séreux avant que l’amnios soit complétement formé. L'embryon que l'on aperçoit au travers des membranes de l’amnios n’a pas d'yeux; les lames dorsales et surtout les lames latérales sont très-ædématicées. Grossi cinq fois. | F16. 3. Embryon hydropique. Aire vasculaire presque sans vascularisation. Iles de sang nombreuses et un peu réticulées vers la circonférence de l'aire vasculaire. Quelques lacunes sanguines énormes, mais très-peu nombreuses, dans l'aire trans parente. Hydropisie énorme de l'amnios. Distension hydropique considérable des vésicules encéphaliques. Les lames dorsales et surtout les lames latérales sont notablement œdématiées. Le cœur s'était uni avec les grandes lacunes de l'aire transparente et contenait un peu de sang rouge. Grossi trois fois. Fi. 4 et 5. Embryon hydropique complétement enfermé dans l’amnios, qui est lui-même affecté d'hydropisie. Distension des vésicules cérébrales; absence des yeux; hydrorachis légère, OEdème des lames dorsales et des lames latérales. Ren- versement des membres postérieurs, point de départ de la symélie, Le cœur bat sur un sang complétement incolore, On voit sur la face inférieure (fig. 5) la gouttière abdominale très-largement ouverte. Grossi quatre fois. Fi. 6. Embryon hydropique. Aire vasculaire non canalisée. Iles de sang hyper- trophiées et remplies de globules, avec une très-légère réticulation sur certains points. Deux énormes lacunes au-dessous de l'embryon, l’une à gauche de la partie inférieure, l’autre à droite et au-dessus du cœur, qui par suite de sa com- munication avec elle s’est rempli de sang rouge. Amnios incomplétement formé et réduit à un pli elliptique qui est moins grand que l’embryon. La tèle de l’em- bryon est entièrement en dehors de l'amnios. Le corps est infléchi, OEdème consi- dérable des lames dorsales et des lames latérales. Grossi cinq fois. FiG. 7. Embryon hydropique. Aire vasculaire présentant des lacunes sanguines assez grandes et ayant un peu la forme de vaisseaux sanguins. Quelques-unes présentent des dimensions considérables. Amnios constitué uniquement par un pli saillant qui eutoure l'embryon de tous les côtés. Embryon hydropique et très-déformé par l'hydropisie, La tête ne s'est pas encore retournée ; elle est trop déformée pour qu'on puisse y reconnaitre les différentes parties, mais présente la forme générale de la tête des cyclopes au début de sa formation. Le tronc laisse apercevoir une hydrorachis, puis un œdème considérable des lames dorsales et des lames latérales. On aperçoit à la partie postérieure les membres postérieurs retournés, comme dans la symélie. L'augmentation de volume qu’ils doivent à l'hydropisie est ce qui détermine leur pression contre l’amnios et par suite leur déviation. On aper- coit dans l’intérieur du corps des taches rouges; ce sont des lacunes pleines de sang comparables à celles de l'aire vasculaire. Grossi deux fois. Fic. 8 et 9. Embryon hydropique. Aire vasculaire non canalisée. Iles sanguines très-hypertrophiées, les unes complétement isolées, d’autres réunies et formant de petits chapelets. Quelques grandes lacunes au-dessous du corps, mais sans communication avec le cœur. Amnios presque entièrement formé, mais avec un ombilie amniotique encore largement ouvert et qui laisse apercevoir certaines parties de l'embryon. L'embryon n’est ici visible que par transparence au travers des parois de lamnios et du faux amnios. Il est partiellement déformé par l’hy- dropisie. La tête est tournée à droite. Le cœur est à droite et bat sur du sang incolore. La position du cœur indique un commencement d’inversion des viscères. On voit, à la face inférieure, la gouttière abdominale qui n’est pas fermée, Grossi quatre fois. PLANCHE VE HYDROPISIE EMBRYONNAIRE. (2e partie, chap, 11, $ 7.) LETTRES COMMUNES. a, amnios : b, tête ; e, lames dorsales; d, lames latérales ; 6, œil; /, cœur; y, membres antérieurs; À, membres postérieurs ; à, aire transparente ; j, aire opaque ; #, iles de sang; /, lacunes situécs au-dessous de l'embryon; mn, gouttière abdominale. Fic. 4 et 2. Embryon complétement déformé par l'hydropisie; amnios appliqué contre l'embryon et le comprimant, par suite du développement énorme des lames latérales. Tête arrêtée dans son développement, rudimentaire et ne présentant aucun organe des sens {organisation qui rappelle la triocéphalie). Lames dorsales très-petites et disparaissant complétement entre les lames latérales. Lames laté- rales énormément distendues par l’æœdème. Elles ont une coloration rougeâtre par le fait de l'existence de lacunes sanguines dans leur intérieur, lacunes qui commu- niquent avec d'énormes lacunes sanguines de l'aire transparente. Cœur petit, bat- tant sur du sang rouge, par suite de sû communication avec les lacunes exté- rieures. On voit à la face inférieure (fig. 2) un sillon qui résulte de la fermeture de la gouttière abdominale. Grossi cinq fois. Fic. 3. Embryon légèrement atteint par l'hydropisie. On aperçoit par transparence quelques lacunes sanguines au-dessous de lui. Amnios incomplétement formé et présentant au-dessus du corps un large ombilic amniotique. Cœur battant sur du sang rouge par suite de ses rapports avec les lacunes sanguines. Membres supé- rieurs et membres inférieurs retournés ; ce dernier fait est le point de départ de la symélie, Grossi trois fois. FiG. 4. Embryon complétement déformé par l’hydropisie. Amnios n’existant qu’à la partie postérieure et appliqué immédiatement sur l'embryon. L’embryon présente, à la partie supérieure, une tête plus ou moins déformée, mais encore reconnais- sable, et qui laisse voir l'œil. Le cœur, énormément dilaté, comme cela arrive fréquemment dans l’hydropisie embryonnaire, bat sur du sang rouge, par suite de la communication de ses cavités avec les lacunes sanguines de l'aire transparente. Le reste du corps, formé principalement par les lames latérales, est transformé en une vésicule complétement transparente. Grossi trois fois. FiG. 5. Embryon complétement déformé par l’hydropisie, et entièrement changé en une vésicule transparente. Il est impossible d'y reconnaître aucune partie, sauf le cœur, qui, bien que rempli d'un liquide incolore, se manifeste cependant par ses battements. Le cœur est à la gauche de l'embryon, ce qui est le premier fait de l’inversion des viscères. Grossi trois fois. F16. 6. Défaut de différenciation entre l'embryon et le feuillet vasculaire. Distinc- tion de l'aire transparente et de l'aire opaque. Formation d’un réseau de vaisseaux capillaires par la réunion des iles de sang ; ce réseau communique avec la veine circulaire qui existe déjà en grande partie et forme le contour à peu près complet de cet étrange organisme, On voit encore sur quelques points des iles de sang qui restent isolées. Cet appareil vasculaire ne peut servir à la circulation faute d'un organe contractile. Grossi deux fois. FiG, 7. Embryon hydropique. Absence de canalisation de l'aire vasculaire, qui ne présente que des lacunes sanguines plus ou moins grandes. Amnios très-in- complet, presque entièrement réduit au capuchon caudal et aux capuchons la- léraux ; le capuchon céphalique manque entièrement, Il en résulte une large ou- verture de l'ombilie amniotique. Tête très-petile, rudimentaire, sans organes des sens, présentant les caractères de la triocéphalie, Lames dorsales très-petites ; lames latérales énormes, et présentant une coloration rougeâtre tenant à l'existence de lacunes sanguines qui sont en continuité avec les lacunes de l'aire vasculaire, Grossi trois fois. FiG. 8. Embryon normal, presque entièrement retourné et complétement enveloppé dans lamnios. Déformation elliptique peu considérable du feuillet vasculaire, dont le segment droit est plus développé que le segment gauche. Absence complète de l'artère omphalo-mésentérique gauche, qui est suppléée par les ramifications de | l'artère omphalo-mésentérique droite. Deux veines descendantes très-6cartées l'une de l’autre, et peu développées. n, artère omphalo-mésentérique unique; 00', veines descendantes, Grossi de 1/2 diamètre. FiG. 9, Embryon légèrement hydropique. Canalisation incomplète de Faire vaseu- laire, Iles de sang isolées, et formant seulement sur certains points des réseaux partiels, On voit cependant la veine circulaire et l'indication de la veine des- cendante, Amnios presque entièrement formé, sauf le capuchon caudal, qui fait défaut, et laisse une ouverture à l’ombilie amniotique tout à fait à l'extrémité pos- térieure du corps. Distension des vésicules encéphaliques, Léger écartement des cordons de la moelle. OEdème des lames dorsales et des lames latérales. Cœur battant sur du sang incolore. p, ouverture de lamnios à sa partie postérieure ; 0, indices de la veine descendante, Grossi trois fois. Ac Teratogenie experimentale | — E.Jacquemm del. imp. Becquet. A.Karmanski lith. ANOMALIES DANS LA DISPOSITION DES VAISSEAUX DE L'AIRE VASCULAIRE. | Librairie CReinwald, Paris . re | PLANCHE VIL ANOMALIES DANS LA DISPOSITION DES VAISSEAUX DE L'AIRE VASCULAIRE. (2e partie, chap. u, $ 8.) Presque tous ces dessins sont grossis de 1/2 à { diamètre, LETTRES COMMUNES, am, amuios; ao, artères omphalomésentériques; vd, veines descendantes ; va, veine ascendante ; vi, veines latérales, Fic. 1. Extrémité postérieure d'un embryon, présentant une seule artère omphalo- mésentérique. Grossie huit fois. Fic. 2. Embryon presque entièrement enveloppé dans l'amnios, à l'exception de l'extrémité caudale. Veine descendante formée presque également par deux ra- cines descendant de la partie supérieure de la veine circulaire. Fi. 3. Embryon complétement enveloppé dans l’amnios; mais non retourné. Veine descendante formée par des racines provenant surtout du côté droit de l'aire vas- culaire; tandis que celles du côté gauche sont rudimentaires. Deux veines ascen- dantes presque égales. Grossi trois fois. Fi6. 4. Embryon complétement enfermé dans l'amnios, qui présente encore l'om- bilie amniotique dans la région du tronc. La veine descendante provient surtout d’une racine assez grosse qui se continue avec l’une des moitiés supérieures de la veine circulaire. : Fic. 5. Tête d'un embryon avec deux veines descendantes juxtaposées un peu au- dessus de la tête. Grossie trois fois. Fic. 6. Tète d’un embryon avec deux veines descendantes écartées l'une de l’autre. Grossie trois fois. F1G. 7. Embryon dont la tête est enfermée dans le capuchon céphalique. Deux veines descendantes très-écartées. FiG. 8. Embryon complétement enfermé dans l’amnios. Veine descendante formée par deux racines très-inégales, l'une beaucoup plus grosse, l'autre beaucoup plus petite. Fic. 9. Embryon complétement enveloppé dans l’amnios. Tête engagée dans l'in- térieur du jaune. Absence de grosses veines, qui sont remplacées par des vais- seaux capillaires, Fic. 10. Tête d’un embryon vue par la face inférieure. Absence de veines descen- dantes; elles sont remplacées par uu réseau de vaisseaux capillaires. Grossie quatre fois. Fi. 11. Embryan enfermé dans l’amnios. Veine omphalo-mésentérique supérieure formée par la convergence d'un certain nombre de racines. Deux veines omphalo- mésentériques latérales. Fic. 12. Tète d'un embryon, avec une veine descendante formée par deux racines inégales ; disposées dans un autre sens que celles de la figure 8. Grossie trois fois. F16. 13. Embryon enfermé dans l’amnios. Veine descendante formée par deux ra- cines. La veine circulaire est contournée dans la partie supérieure par une veine très-petite, Je : Le L L) L L L] ‘® AU LA , Li ? Î À + F4 . | p ! Lun R [] : 6 « A Li A l ue oi à | ù : } in } ! ! ! ‘ ' ATP E El ILE AHOMAM RUE UIAEUR le en 0 AU | tof Ur! MAIL I LE LL AUD | 1 LL Li (a + à i | vf 8 4 . / ñ VAT, À l ARTE "109 n 15 (UUR TN ÿ L ) 0 id L } Louve lent A | Î »17 PTLPON I Oui © . 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Grossi quatre fois. FiG. 2. Embryon enveloppé dans l’amnios. Allantoïde softie à droite. Pas d’amnios. F16. 3. Embryon presque entièrement enfermé dans l'amnios. Tête couchée sur le côté droit. Inversion probable du cœur. Grossi quatre fois. Fic. 4. Embryon complétement enfermé dans l’amnios. Tête retournée et couchée sur le côté droit. Inversion du cœur, Allantoïde sortie à la gauche de l'embryon. Veine descendante et veine ascendante placées dans une position différente de la position naturelle. F1G. 5. Embryon ayant la tète en partie enfermée dans une excavation du jaune, et présentant au-dessus du tronc un large ombilic amniotique. Anse cardiaque très- volumineuse et située à gauche de l'embryon. Etait-ce un commencement d'in- version ? Anomalies considérables des vaisseaux de l’aire vasculaire. Fi. 6. Embryon recouvert seulement en partie par l’amnios. Tête couchée sur le côté droit. La disposition du cœur prouve qu'il n’y a pas inversion; en effet l’oreil- lette est sur le premier plan, au lieu d’être en arrière. Il n’y a là qu'un retourne- ment accidentel de la tête. Fic. 7. Embryon recouvert seulement en partie par l’amnios qui présente encore un large ombilic amniotique. Tète couchée sur le côté droit. Y aurait-il eu inversion? F16. 8. Embryon complétement recouvert par l’amnios, Tête couchée sur le côté droit. La position de l'oreillette prouve l'existence de l’inversion. Fic. 9. Embryon non entièrement rocouvert par l’amnios. Tête retournée sur le côte droit. La disposition du cœur prouve l'existence de l’inversion. F1G. 10. Embryon entièrement recouvert par l’amnios. Tête retournée sur le côté droit. Allantoïde sortie à la droite de l'embryon, Pas d’inversion. tt mie » V AITE MHOUA US re. 3 | | Ô MIMALTONNENN ITOEC LL NL TRE fat all À CTP dutre lue | auf .! 40 dot \ ir : | va 40% } U V1 ] 3 | HO RU, ah [UN i ! Lo d les at VE. 8 (l ) l HLLUE | 1 Aa 28 | nn tovaE fo obieurt ! L | | L' 1 Is vf ab : 16 ' A ALT Lo y NN i Ù 1 04 100 LS EE 2 ) Es TEUN tu n | , | bo y mil RAR Po) tt ' { : } L & AI LL D AIUTA 71 .0® ' dé: : 44 0N 11} A Ur i ( . 1F 114 | | 14 a il ‘ 19 | ‘ lhttih EL n i (1 NE UNE | ri À nul | NE. tatrqi œil | | | Mr TEL VE vost loufité/qiiaN Tati | | )  (141 ) | { Haiti ni OPEN AIT { 1 : : ve " ee : À latieroiriutd AE i 1 UNI ' \VU PE ut vb value ne edmiun re MAT Wii : +109 Lana alla LENS Pa NY 28 MN A À LORS 12 Tératogenie Expérimentale E.J acquemin del. TRIOCEPHALIE __CYCLOPIE Librairie C.Reinwald, Paris. RS € PLANCHE IX. TRIOCÉPHALIE. — CYCLOPIE. (2e partie, chap. v, S 2et 3.) Presque tous ces dessins sont grossis cinq fois. LETTRES COMMUNES. a, appareil oculaire, formé par l'union ou la juxtaposition de deux yeux; b, corde dorsale ; €, pli de l'amnios : d, anse cardiaque ; #, bords des lames antérieures du feuillet vasculaire; /, gout- tière abdominale. Fig. 4. Embryon cyclope; face supérieure. Absence des vertèbres primitives. Fic. et 3. Embryon cyclope; face supérieure (fig. 2); face inférieure (fig. 3). Absence des vertèbres primitives, Anse cardiaque sortant au côté gauche de l’em- bryon (fait primordial de l'inversion). * FiG. 4. Embryon cyclope (face supérieure). Fic. 5. Embryon cyclope (face supérieure). Appareil oculaire occupant l'extrémité an- térieure de la tête. Absence des vertèbres primitives. Existence de deux anses cardiaques des deux côtés du corps. Fic. 6 et 7. Embryon triocéphale ; face supérieure (fig. 6); face inférieure (fig. 7). Fic. 8. Embryon cyclope; face supérieure. Tête au-dessus du capuchon céphalique de l’amnios. Cœur en communication avec d'énormes lacunes sanguines qui rem- placent les veines. Fc. 9. Embryon cyclope; face inférieure. Cœur dans son état primitif, formé par la juxtaposition de deux blastèmes cardiaques juxtaposés, mais non soudés et iné- gaux en volume. ; F16. 10. Embryon cyelope; face supérieure. Les deux lames antérieures du feuillet vasculaire se joignent seulement au-dessus de la tête. Anse cardiaque sortie à droite de l'embryon. Fic. 41 et 12. Tète d'un embryon cyclope; face supérieure (fig. 11); face infé- rieure (fig. 12). Anse cardiaque sortie à la droite de l'embryon. Fi. 43 et 14. Embryon cyclope; face icférieure (fig. 13); face supérieure (fig. 14). Inflexion angulaire de la tête sur le tronc. Les deux lames antérieures du feuillet vasculaire sont écartées au-dessous de la tête, avant de se réunir, Anse cardiaque sortant à la gauche de l'embryon (fait primordial de l’inversion). Fi. 15 et 16. Embryon cyclope; face supérieure. Inflexion angulaire de la tête sur le tronc. Anse cardiaque sortie au côté droit. Fc. [16, un peu plus grand que nature. F6. 17. Embryon cyclope avec son aire vasculaire, Un peu plus grand que nature. F16. 18. Embryon cyclope avec une aire vasculaire très-déformée, Un peu plus grand que nature, (n AE AND AUN = ARIAHMAAOOINN AUIOUM EC E 4 LLL "His, #} NO 1 4 AU MILITE DL ŒCNET oŒ UP EL EE DELL r1 # nl de ï ' i ) AC LME à bré ! MS M ” H tatf ? (Utig dl ro ÿ rHabtg enedilu"s tn roll al te 1 w} “to iav QLPRA | [LE nt} yo ee ei uaiA dit dE et ualy tit : HUE po etai 1# à at LAON ut cr 40) AO SIT vif ï Li44 ertiie HO: 1h sl times EAN n i ravi dé + Got 44 imwpi INT 4 LEA ; y CE HO “fut (1) “e D ul 00 MOULE D a8 tidtiant HET tal VE 017 SUR tt [ AY 1ddo ou VARILE | at … V'OE LE HIT ut aiñtèe 10 DUR 4 HUE : n «are «1 R LEA } hd 4 \ d ct Æ em") h : l Î ! hil io 4 ' L'LRUIT L) à , HUE OÙ fl (BYTULZ LA LE DLL 17. ( | IUL ? 11 tu EPA UE DETTE : jA t 0 . \E al io Gt DATE CT Un 1 AULE h 411R/NAITES MU LA . H Cou (à au + Tératogeme Expérimentale à 2 ’ E Jacquemin del. mp Becquet. OMPHALOCEPHALIE Librairie C.Remwald, Paris . PLANCHE X. OMPHALOCÉPHALIE. (2° partie, chap. v, $ 4.) Tous ces dessins sont grossis de cinq à six fois. LETTRES COMMUNES. a, amnios ; €, cœur; {, tête; g, gouttière abdominale ; /, f, bords des lames antérieures du feuillet vasculaire. FiG.1 et 2. Embryon omphalocéphale; face supérieure (fig.1); face inférieure (fig.2). Cœur unique et battant sur du sang incolore, On voit en v une vésicule hydropique. Fic. 3. Embryon omphalocéphale; face inférieure. Deux blastèmes cardiaques dans leur premier état. Absence des vertèbres primitives. F5G. 4 et 5. Embryon omphalocéphale; face supérieure (fig. 4); face inférieure (fig 5). Deux blastèmes cardiaques dans leur premier état. Fi. 6et 7. Embryon omphalocéphale ; face supérieure (fig. 6) ; face inférieure (fig. 7). Deux blastèmes cardiaques dans leur premier état. Fi. Set 9. Embryon omphalocéphale ; face supérieure (fig. 8); face inférieure (fig. 9). Fi. 10 et 11. Embryon omphalocéphale ; face supérieure (fig. 10) ; face inférieure (fig. 11). Cœur unique, mais formé par la jonction, de deux tubes cardiaques contractile et battant sur du sang incolore. Fic. 12 et 13. Embryon omphalocéphale ; face supérieure (fig. 12); face inférieure (fig. 13). Cœur unique, contractile, battant sur du sang incolore. Absence des vertèbres primitives. F1G. 14. Embryon omphalocéphale vu par la face inférieure. Cœur unique, contrac- tile, battant sur un sang incolore, Vésicule hydropique énorme à l'extrémité infé- rieure du corps. Fic. 15 et 16. Embryon omphalocéphale; face supérieure (fig. 15) ; face inférieure (fig. 16). Cœur unique, contractile, battant sur du sang incolore, bien qu'il coexiste avec des lacunes pleines de sang rouge. Gouttière abdominale fermée, | X HHOPMIS IX AAA | LENL ITR ut "HT. tà 1 flenwet lit l i + ' 19% ATORI PA not ’ t Ÿ L '_— a) toliitat eau 3 CP AE) Vian qua ur DRE | moral aol te RAIN UE, #1 , QE RITEUTT Rs LL k nl é- © " vd CIRE nya » otre Î 1 ‘ ' \ LULU TUE LTEP , TA ! FU un mirut 4 L 11° LEA tt | MALUS E L Ù AÈT: "ARTE EL) | 1 \ | } ' ‘ t yt imæ . Hi "mià an i la 1 ip # L'hv MATE ? : { L idn LE , (tn u | n OU L DRLITIT EL : EL j | l | ü * ti "lu | ft URL AL. À à AT 101 2148 NA it PAL Li byûs % ‘ ANAL © + + a » L'tue ut ,arto TENUE \fa48 ti PAUL : © "+ ALLIE 1 18 : | TELE AECTT URL 1 un : ions GRR ‘ . ; 0 : LA CL. e .e leratogenie experimentale |: PF + 10 f Ta y LA ; | C x A AÉ ÉA acquermin del Imp Becquet AKarmanski lith. ANENCÉPHALIE, PROENCÉPHALIE , SYMELIE.. Librairie C Remwald, Paris. PLANCHE XI. ANENCÉPHALIE. — PROENCÉPHALIE, — SYMÉLIE. (2e partie, chap. v, $ 5, 7, 10.) a, amnios ; €, cœur ; », membres postérieurs ; {, hernie de l'encéphale ; v, vésicules encéphaliques, FiG. 4. Embryon enveloppé dans l’amuios, dont la partie postérieure est arrêtée dans son développement. Retournement des membres postérieurs au-dessus de l'extrémité caudale, ce qui est le commencement de la symélie, Grossi quatre fois. F1iG. 2. Embryon en partie seulement enveloppé dans l’amnios, qui présente au- dessus du tronc une large ouverture. Tète retournée, et appliquée sur le jaune par le côté droit. Inversion des viscères. Retournement des membres postérieurs au-dessus de l'extrémité caudale (commencement de la symélie). Grossi quatre fois. Fc. 3 et 4. Embryon vu par la tace supérieure (3); par la face inférieure (4), Dé- formalion des vésicules encéphaliques; commencement d'anencéphalie, Ecartement des cordons de la moelle épinière, ce qui indique une hydropisie normale, par permanence de l'état primitif, Grossi six fois. FiG. 5. Tète d’un embryon non encore retournée sur le jaune. Anse cardiaque sortie du côté gauche (point de départ de l’inversion), Grossie six fois. FiG. 6. Embryon incomplétement enfermé dans l’amnios, Tête retournée sur le côté droit. Inversion du cœur. Déformation des vésicules encéphaliques, et écartement des cordons de la moelle épinière (commencement de l’anencéphalie), Renversement des membres postérieurs au-dessus de l'extrémité caudale (commencement de la symélie). Grossi quatre fois. ù Fi6. 7. Embryon complétement enfermé dans l'amnios, Permanence de l'état pri- mitif des vésicules cérébrales. Ecartement considérable des cordons de la moelle épinière dans toute son étendue. Renversement en dedans du membre postérieur droit. Grossi cinq fois. FiG. 8. Tèle d’un embryon, présentant la notencéphalie, c'est-à-dire une tumeur occipitale formée par les lobes optiques. Grossie cinq fois. Fic. 9, Tète d'un embryon déformé, présentant les vésicules encéphaliques très- déformées par la compression de l’amnios, maintenues dans leur état primitif, et ayant dans leur intérieur quelques iles de sang hypertrophiées. Déformation consi- dérablé des yeux. Grossie six fois, F16. 10. Tête d’un embryon présentant une déformation considérable des vésicules cérébrales. La partie de la vésicule cérébrale antérieure qui doit former l'œil droit est beaucoup plus voluminéuse que celle qui doit former l’œil gauche. Grossie six fois. Fic. 11 et 12. Têtes de poulets qui n'avaient pu éclore, et que j'ai rencontrés dans des œufs qui avaient subi l’incubation naturelle, Existence de la proencéphalie, c'est-à-dire d’une tumeur frontale entièrement remplie par les hémisphères céré- braux, et recouverte par la peau non encore recouverte de plumes. Ces embryons n’appartenaient point à la race des poules de Padoue. La proencéphalie y avait donc apparu d’une manière sporadique, Voir p, 99 et 257. Grandeur uaturelle, ortiur L , LA LE : Ce r L one D - Ve … | Fe LORS : à L FE né ( ; at D \ ; AE 14 MHONAM , : H n CP et a a MORE LE er URL MS ET AEE L ‘ 1e d ( Û té 29) | 5 dd ste 71 ‘ . N é é ’ L L vel 2 Î i Le Hatem \ Lt ON 1 RL ( + dd 4Me ' : : | LA s { it (UC tUR i TA TT" N - + À re, ‘ A+” "4 nt} (al \ [LER mt a 1 D 1 di , : L (ut (it . à 0% 1 1 14 "1 | à 1 | 1 [) { : ne ; ; ne ALL, À À ; î 10 « : x , DIRULL LL": f LL L | u [! j que : , à LL fmYt Li LL i n1 ? authe dt v 4 - : [X AUIT EL Ji, « : jar | ALI ) LA n DL - . | j { : (4 LEE à + ottve (l int t A. Q.- F à | h Ada | Lubt L f DLL LE! , L] se _ L o e € PLANCHE XI. EXENCÉPHALIE, — CÉLOSOMIE. (2° partie, chap. v, S 6, 7, 8.) LETTRES COMMUNES, am, ampios ; al, allantoïde ; v, vitellus ; À, encéphale faisant hernie ; #, œil ; e, cœur; /, foie ; g, gésier ; ms, membres supérieurs ; mi, membre inférieur. F16. 1, 2 et 3. Embryon affecté d'exencéphalie, de célosomie et d'ectromélie uni abdominale. Enveloppé dans l'amnios. Ombilie amniotique largement ouvert au- dessus du dos. Adhérences du vitellus avec l'amnios à la tête et avec les viscères herniés. Grandeur naturelle, Fic. 2. Le même complétement sorti de l’amnios. Exencéphalie complète. Cœur, foie et gésier en dehors de l'ouverture ombilicale. Membre supérieur droit relevé le long de la tête. Membre inférieur gauche frappé d'arrêt de développement. Fic. 3. Région inférieure du corps grossie pour montrer lesanomalies des membres. Fic. 4. Embryon affecté de nosencéphalie et de célosomie. Encéphale complétement hernié et présentant de vastes lacunes sanguines. OEil rudimentaire et remplacé par une tache de pigment. Bec supérieur plus court que le bec inférieur. Cœur, foie, gésier et plusieurs anses intestinales formant hernie, en dehors de l’ouverture ombilicale. Grandeur naturelle. Fic. 5 et 6. Embryon nosencéphale enfermé et comprimé dans l’amnios. Encéphale comprimé et faisant hernie, présentant de larges lacunes sanguines. Absence de fermeture des parois abdominales. Il y aurait eu très-probablement célosomie, si la vie s'était prolongée. Grossi deux fois. F16. 6. Tête du même embryon grossie. Fic. 7 et 8. Embryon affecté d'exencéphalie, de cébocéphalie et d’ectopie du cœur. Amnios enveloppant complétement l'embryon, mais présentant à la partie posté- rieure de la têtel’ombilie amniotique. Tête comprimée ; elle ne s'est pas recourbée en avant ni retournée sur le vitellus. Yeux bien développés, et séparés l'un de l'autre, occupant la région antérieure et non les régions latérales de la face. Tronc présentant une inflexion latérale très-marquée. Gouttière abdominale non fermée. Cœur très-développé faisant hernie à la gauche de l'embryon (inver- sion). Allantoïde assez développée. Voir page 236. Grassi trois fois. FiG. 9. Embryon présentant une atrophie complète de l'œil gauche, Grandeur natu- relle. Fi1G. 10. Embryon affecté d'une ectopie considérable du cœur. Paroi supérieure de la tête séparée de l’encéphale par un amas de sérosité (e). Grossi trois fois. Fic. 11. Embryon célosome avec retournement de la tête, qui est très-déformée, Grandeur naturelle. FiG. 12. Embryon nosencéphale et célosome, Arrêt de développement total de l’am- nios, qui forme seulement un pli saillant autour de l'embryon. Tête presque entièrement en dehors de l’amnios, et comprimée contre la membrane vitelline ; elle ne s’est point recourbée en avant, et ne s’est pas retournée sur le vitellus. Encéphale aplati présentant une énorme lacune sanguine, Tronc présentant une déviation latérale par suite de l'arrêt de développement de l’amnios. Viscères thoraco-abdominaux en dehors du corps. Grossi trois fois. FiG. 43. Embryon célosome. Tous les viscères en dehors de la cavité abdomi- nale dont les parois ne sont point fermées. Cet embryon élait mort asphyxié, lorsque j'ai ouvert l'œuf: d'où sa coloration tenant à une congestion générale. Grandeur naturelle. Fic. 44. Embryon affecté d’ectopie du cœur avec dilatation énorme de l'oreillette. FiG. 15. Embryon présentant une ectopie du cœur avec défaut de fermeture de la cavilé abdominale. C’est très-probablement un cas de célosomie commençante, Grossi trois fois. Fi1G. 16. Embryon célosome complétement enveloppé dans l’amnios. Cœur renversé et présentant sa pointe en haut. Allantoïde adhérente à l’amnios au niveau de l'œil droit. On aperçoit par transparence au-dessous de l’adhérence de l’amnios et de l’allantoïde, le membre supérieur droit qui est retourné et dont l'extrémité se rapproche de l'œil. C'est le mème qui est figuré pl. XIV, fig. 2. Grandeur naturelle. Fig. 17. Embryon pleurosome. Tête renversée, Viscères sortant du corps par une ouverture latérale. Grandeur naturelle. PLANCHE XI. EXENCÉPHALIE. — CÉLOSOMIE. (2e partie, chap. v, $ 6, 7, 8.) Toutes ces figures sont de grandeur naturelle. LETTRES COMMUNES. am, amnios; al, allantoïde; », vitellus, FiG. 1. Embryon sorti de l'amnios et affecté de célosomie. Partie inférieure du cœur, foie, gésier et une partie de l'intestin en dehors des parois abdominales. FiG. 2. Embryon enfermé dans l'amnios et affecté de célosomie. Cœur, foie, gésier et une partie de l'intestin en dehors de l'abdomen. Adhérences de l’allantoïde et ° de l’amuios. Il est représenté par la face ventrale pl. XIII, fig. 16. Ici il est vu par la face dorsale. Fic. 3. Embryon enfermé dans l’amnios et affecté de célosomie, Cœur, foie, gésier en dehors de l'abdomen. Adhérences du jaune et de l’allantoïde avec l’amnios. FiG. 4. Embryon enfermé dans l’amnios et affecté de célosomie incomplète ; l'extré- trémité seule du foie est à nu. Fic. 5 et 6. Embryon enfermé dans un amnios distendu par le liquide amniotique. Ectopie du cœur. Ectromélie bis-abdominale. Yeux rudimentaires. F16. 7 et 8. Embryon enfermé dans l'amnios. Célosomie complète ; cœur, foie, gésier, intestin grêle en dehors de l'abdomen. Tête renversée en arrière. Proencéphalie. État rudimentaire de l'œil gauche. Bec supérieur plus court que la mandibule. y. Le | : : M | » an | : L ni Dre 1 à ro * : i ( le . " : n L2 LL} . LL Lu > Le" 6 L » (1 Æ 18 FUN) nn, [T } e 1.1 11 ME FT : NEC a} ‘4 0 y ] »( th l È ' sl L1 2 0 44 49 1 t : ; i d Yu) LE Vi hr | | L |. 1 ENFANTS À | | | à an NU 07e J \ÿ À RTL } 11} TT Û Th dote: à ter TO à iù MT” 2: ' | bug 1 MITQUUS }) } 11 vob br 4 }4 { Lots 8 MY l LA 11 oO. Dh ea ' + Le CR 4 Terato génie EXP érimentale. PL. XP EJ acquemin del. Imp Becquet. A.Karmanski lith. GÉMELLITE. Librairie C.Remwald Paris. PLANCHE XIV. GÉMELLITÉ. (2° partie, chap. vu, S 3.) LETTRES COMMUNES, a, aire transparente; €. cœur, FiG. 1. Deux embryons jumeaux sur un blastoderme unique. Ils sont bien conformés, et placés l’un et l'autre dans une situation telle qu'ils n'auraient pu se souder autrement que par leurs annexes. Grandeur naturelle, Fic. 2. Deux embryons jumeaux développés sur un blastoderme provenant de la fu- sion de deux cicatricules. On voit dans l'aire transparente la ligne d'union. L'un des embryons est bien conformé; on voit l’anse cardiaque sortir à droite, L'autre embryon est arrêté dans son développement. La tête est très-petite, et le cœur fait défaut. C'était probablement un paracéphale. Grossis trois fois. Fic. 3. Deux embryons jumeaux, développés sur un blastoderme unique. L'un des jumeaux est bien conformé, et présente une anse cardiaque battant sur du sang incolore. L'autre jumeau est incomplet; tête rudimentaire et absence de cœur, C'était également, selon toute apparence, un paracéphale. Grossis trois fois. Fic. 3. Trois jumeaux bien couformés, développés sur un blastoderme unique, et provenant, par conséquent, d’une cicatricule unique. Ils sont déjà retournés et présentent, à leur extrémité caudale, un pli caudal, commencement d’un capuchon caudal. Ces plis se seraient soudés pour former un amnios unique. Grossis pres- que deux fois. F16. 5. Trois embryons développés sur deux blastodermes différents, et qui lais- saient encore voir la ligne de jonction. Sur l’un des blastodermes on voit deux embryons inégalement développés; l’un est complet, et présente une anse car- diaque à droite; l’autre, plus petit, ne présente pas de cœur. l'embryon déve- loppé seul sur l’autre blastoderme, est développé d'une manière normale, et pré- sente une anse cardiaque sortie à droite. Grossis trois fois. F 1 MIE MUOHIANE TRAIN MIS \ \ AREA A L MIUUAS terre l f , Ni? té LC et mis PEL | Sarutuot old in ail .rpie une fsaltf mb TR ado QE AE | , 4 RE HU (4 AIT RUN ,. 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LETTRES COMMUNES, a, amnios; b, bords antérieurs du feuillet vasculaire ; €, cœur ; 4, tète ; ms, membres supérieurs, Fic. 1. Céphalopage. Deux embryons joints ensemble par le vertex. Les yeux ne sont qu'incomplétement développés, et ne présentaient pas de pigment, Les anses car diaques sont sorties à la droite des deux embryons. Amnios très-incomplétement formé, et présentant une très-large ouverture. Grossi deux fois, Fic. 2. Monstre sycéphalien, vu par la face inférieure. Tête unique affectée d'ompha- locéphalie, On voit les deux cœurs des deux côtés de la tête, Grandeur natu- relle. Fic. 3. Moustre double dont les sujets composants sont unis latéralement par les régions cervicales et les têtes. Je suppose que c'était un hémipage en voie de for- mation. Existence d'un pli céphalique unique au-dessus de la tête, de deux plis caudaux aux extrémités du corps. Grossi deux fois. FiG. 4. Monstre double. Union par les têtes. Corps parallèles. Existence de deux anses cardiaques très-inégales. Celle qui est en dehors des têtes beaucoup plus développée que celle qui est en dedans, et qui se perd dans les lacunes de l'aire transparente. Ces deux cœurs battaient sur du sang complétement incolore. Grossi trois fois. Fic. 5. Monstre double monosomien, Corps unique ; terminé par deux tètes soudées dans leur région inférieure. C'était un iniodyme. Grossi quaire fois, Fi. 6. Monstre double par union latérale, Les têtes à régions cervicales séparées, Corps unis latéralement. Trois membres supérieurs et trois membres inférieurs. Ceux de ces membres qui occupent la ligne médiane appartiennent par moitié à chacun des sujets composants. C'élait probablement un xiphodyme en voie de formation. Grossi quatre fois. Fic. 7. Embryon simple monstrueux. Arrêt de développement de l’amnios qui pré- sente un ombilice amniotique énorme. Tête comprimée, arrêtée dans son dévelop- pement et présentant un commencement de dépression des vésicules encéphaliques, fait primordial de l’exencéphalie. Retournement des membres postérieurs au-dessus de l’extrémité caudale. Fait primordial de la symélie. Enormes lacunes sanguines dans l'aire vasculaire, des deux côtés de l'embryon, Grossi trois fois. AY: AU AU" M ut il VF! UP n) ù ET AUCILL vw l LE van eù wie 4 h | Ru {1 PULL! RE ur rt \ Fifa ue ' LA 1 NT 4 CONFIRME 4! À L] fa L AU CHAT . ] à LE He } m tuée ke Ü si ” fs n » ' L L] : ; Î Ut LL Li | l LE AE 4814 Terato genie experimentale . 1 Li : E.J acquemm del. np Becquet. MONSTRUOSITE DOUBLE. Librairie C.Reinwald, Paris. A.Karmanski lith. PLANCHE XVI MONSTRUOSITÉ DOUBLE. a, œil; al, allantoïde ; €, cœur; vp, prévertèbres; vi, vitellus; am, amnios ; f, tête: p, sujet parasite. Fic. 1 et 2. Monstre double ; union des têtes, par les vésicules cérébrales antérieures. Une seule face présentant deux yeux rudimentaires, et réduite à des taches de pigment. Deux allantoïdes, Deux cœurs inégaux. Déradelphe, Grossi trois fois. Fic. 3 et 4. Monstre double. Union des têtes par les vésicules centrales antérieures. Deux faces, appartenant par moitié à chacun des sujets composants. Une face com- plète, mais avec deux yeux rudimentaires et une bouche. Une face incomplète avec un œil unique. Une seule allantoïde. Un cœur double à l'extérieur du côté de la face complète. Iniope. Grossi trois fois. FiG. 5. (Face supérieure.) — Fic. 6. (Face inférieure.) Monstre à corps unique, et à tètes doubles, mais soudées. Deux gouttières longitudinales, avec trois rangs de prévertèbres. Cœur simple, mais présentant des traces bien évidentes de dualité, Grossi six fois. Fic. 7. Blastoderme présentant les débris d’un monstre double parasitaire. [1 y avait deux têtes : une complète et une autre beaucoup plus petite. C'était très-proba- blement un hétérodyme. La désorganisation ne m'a pas permis de l’étudier d’une manière plus complète; mais l'extrême rareté de ce type de monstruosité double m'engage à le publier. Je n’en ai pas encore observé d'exemples vivants, Grossi six fois. Fic. 8. Embryon simple, normal ; mais développé entièrement en dehors de l’amnios, qui forme seulement autour de lui un pli elliptique. Grossi quatre fois. Fic. 9. Monstre double parasitaire. Extrémité postérieure d'un embryon bien confor- mée, portant un embryon parasite complétement rudimentaire. Cette extrémité et le parasite qui lui est attaché ne sont pas recouverts par le pli de l’amnios. Grossi deux fois. Fic. 10. Métopage observé chez le canard. Cette pièce m'a été adressée par M. La- vocat. Je l'ai donnée au musée de Lille. On voit en vi, une bande vitelline, reste du jaune commun aux deux individus. V. p. 292. L L 0 : WE, ; h + , | S L] Fr. LA TZ AHOPAA.L ‘ “ 4 AJAUOE VVAOUMRrAAO M » k | él 4 ceclbene et jeter (hp à peu vs On LRO. 14 RTE à LUCE Lué 1% RAT Luglate ef sat ent not décrits : LENONE M 1 étdnal L 4 be. de aedasanitrt arte thus NOM DERTE à # Î OT 40 vu odgiehanitE . tuant vtt Ruth DINAN : ‘1 an anal à enltmet tr ani 1ñ4 dl 44 auls notant} .atinas 549 k nt dal dfrithecr nn élé 14 entr donné 4 silicon 07 hiadatiafité Wtmanat 148 aa tt dit adit [9 aller À 1€ 4e IUT t AIG LI AUS ca! 4 vlduot ro a stlottatle ele ent vpn slot alt témtEh, 6 ALL 1 | l My ni g « 1511 0 4 { MUMIAUTNRE ent, ME { sim D const aura mlhaibuianat emilie tut 1400 ES iltaut a anltubli uold csv a tabs it alé AL ÉMEUE ue ‘ Lt s dl D œtirm dur Wrath vulalltat CAT de cbaud ace Le 28 0e 10 4141 06 see PL LL HUIOL A tot 0 Le «Ur iA Ti Del Pa Ag laid 3 etiftig AO AU TAT EE PUITA QU 2 SET ft nUoE dAE A'UL MA tuurauf juil a. va m'atout ot œuf 4 At Mates Gide abat \uélamaon atulu eutqoaseh duivedo etdons deg Le 19 651 | iudtmenéliis drosterhf alu Liacrri ot étui à ur 9 1 snnvtel -10ÿ EE ll Hi ti fi fl nY waute UTP ILE 1 1 tr .mOtnoliboe don Miro jltote a0 fie 1 4. 14 0E TOY dProT 00m Li la08 1 dduaiie lawlof tn 4 amtiha did eee Godi Ghect . 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