NL = é Me me | —* on ! (1) # ù / A S | ll À l à D à | N PS A? Hs TRE 27777 : PRESENTED TO THE UNIiVERSITY oF TORONTO BY / JT RECHERCHES SUR LES MŒURS DES FOURMIS INDIGEÈNES. DE L’IMPRIMERTE DE J. J. Pascroup, à Genève. LArE— RECHERCHES LES MŒURS FOURMIS INDIGÈNES, Par) POS ERERB ER Memere DES SoCciÉTÉs D'HISTOIRE NATURELLE ET DE PHYsiQUE DE GENÈVE, ET ASSOCIÉ DE CELLE DE TARN-ET-GARONNE. A Pr Pr Cherchez, et vous trouverez. A or Poe A BAT TS AA Chez J. J. PaAscnoup, Libraire, Rue des Peuts-Augustuns, n.° 3. À GENÈVE, chez le même. 1810. . Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/recherchessurles00hube ESS To eo ne 0 0 0 0 0 0 D 0 0 nn 0% Tan TT PRÉ EACE O. a déjà beaucoup écrit sur les fourmis ; leur police et leurs travaux ont excité l’ad- miration des anciens comme des modernes; mais ce n’est que de nos jours qu’on a subs- titué de bonnes observations aux récits fabu- leux de Pline et d’Aristote. Les naturalistes du siècle dernier ont étudié leurs métamorphoses , reconnu les sexes , éclairci les points les plus essentiels de leur histoire. De savans anatomistes ont observé leurs organes, classé les différentes sortes de fourmis, et décrit leurs caractères génériques. C’est un avantage inappréciable pour lob- servateur qui veut étudier et faire connoître les mœurs des insectes, que celui de pouvoir désigner les espèces sans être obligé d’en donner de longues et minutieuses descrip- tions : 1l peut se livrer entièrement à l'étude Ÿ] FR É e'AIC E. des lois qui régissent ces différentes peuplades, entreprendre de nouvelles recherches sur leurs habitudes et leur industrie, et s'occuper sans distraction des phénomènes que pré- sente leur instinct. Si j'ai fait faire quelques progrès à l’his- toire des fourmis, j'en suis redevable , en grande partie, aux travaux infatigables de M. Latreille, qui nous en a donné d’excel- lentes descriptions, et une classification com- plète. Cet auteur judicieux a encore con- tribué par ses observations à écarter du sujet plusieurs erreurs accréditées. Je reconnois aussi, que ces insectes sont fort redevables à l'imagination brillante d’un de nos contemporains, qui s’est plu à les parer de toutes nos vertus , en faisant excuser chez eux les vices qu'on reproche à lespèce _bumaine. MaisPhistoirenaturelle n’étant point encore satisfaite, je vais joindre mon tribut à celui de ces savans, dans l'espoir que la persévérance avec laquelle j'ai étudié les PR ENA CE. vii moeurs des fourmis pendant plusieurs années, pourra servir à diminuer le vide qu'il nous reste à combler dans cette partie de la science. Animé du désir de suivre les traces du guide éclairé que la nature avoit placé près de moi, jai cru pouvoir entreprendre sous ses auspices quelques travaux du même genre que ceux dans lesquels il s’étoit distingué, et j'ai trouvé dans cette occupation le double plaisir de l’intéresser et de m'instruire. Je fis de bonne heure quelques essais de l’art d'observer, sur les bourdons velus, in- sectes qui vivent en république. Ces pre- mières tentatives ayant été accueillies par les naturalistes plus favorablement que je ne Paurois espéré, je me flattai de parvenir à leur révéler quelques-uns des secrets des fourmis, dont les sociétés, bien plus nombreuses, sont aussi plus difficiles à étudier à cause de la petitesse des individus qui les composent, et de lobscurité dans laquelle la plupart de leurs travaux sont enveloppés. Vii] PRÉFEMUCE. Ces recherches, dont je ne me dissimule point toute linsuffisance, n'ont paru cepen- dant présenter un ensemble de faits assez remarquables pour que j'aie cru pouvoir en faire part aux amateurs d'histoire naturelle. Afin de ne pas interrompre la suite de mes observations par des détails anatomiques, j'ai jeté dans lPintroduction tout ce qui avoit rapport aux Organes extérieurs des fourmis ; jy ai joint une notice très-abrégée des faits recueillis par d’autres naturalistes dont il est aisé de se procurer les écrits, si lon désire connoître plus particulièrement ce qui ap- partient à chacun d’eux. Quant à l'exposé de mes observations, Je mai point suivi un ordre méthodique; j'ai adopté celui qui ma paru propre à jeter le plus de clarté sur mon sujet; en consé- quence j'ai cru devoir d’abord occuper mes lecteurs de Part avec lequel les fourmis cons- truisent leur habitation. Ces insectes vivant, pour la plupart, au PRÉ F À CE. IX fond de leurs souterrains, 11 falloit des ap- pareils particuliers pour les suivre dans leurs occupations domestiques. Après en avoir donné la description, je fais connoître les soins que les fourmis prodiguent aux œufs, larves et nymphes de leur nombreuse famille. Je destine un chapitre entier à l’histoire des femelles; je décris leurs amours, la ma- mière dont s’établissent les nouvelles peu- plades, et dont se conservent les anciennes. Passant des relations des ouvrières avec les individus ailés, à celles des ouvrières entr’elles, je les suis dans leurs émigrations, dans leurs voyages, dans leur conduite particulière ; j observe les combats que se livrent les fourmis d'espèce différente, etc. etc. Je traite dans le cours de cet ouvrage plusieurs questions qui peuvent paroître hardies à ceux qui ne voient dans les in- sectes que des machines organisées; mais elles n’étonneront point le naturaliste accoutumé à se mélier de ses préventions. Il n’est peut- + PUR ÉMEHANCIE: être personne qui nait senti combien la sup- position d’un instinct aveugle étoit absurde ; et depuis quelque tems on est porté, ce me semble, à accorder aux animaux plus de connoissance qu'on ne le faisoit autrefois. Si lon réfléchit un instant à la complica- tion prodigieuse du mécanisme qu’il faudroit mettre à la place d’une étincelle de cette lumière à laquelle nous participons , pour qu'il pût se prêter à toutes les circonstances, suffire à tous les besoins d’une peuplade nombreuse, faire mouvoir diversement une multitude de ressorts , de manière à con- courir au même but.on sera tenté de pré- férer l'hypothèse la plus simple, celle qui accorde à ces insectes une portion d’intel- ligence suffisante pour la conduite de leurs affaires domestiques , à celui qui en fait de véritables automates. Mais les fourmis, vivant en société, livrées à des travaux qui exigent une sorte de concert, n’auroient-elles point encore quelque moyen PRÉ Fi À C!E. x] de s'entendre, de faire connoître leurs be- soins ou leur situation à leurs compagnes ? Quels sont les liens de cette nombreuse fa- mille ? Les fourmis ont-elles des chefs, un gouvernement , une police? Trouve-t-on chez elles quelque preuve de cette subordi- nation si vantée par leurs panégyristes, et: de la prévoyante économie qu’ils nous pré- sentent comme un exemple à imiter ? Ces questions importantes m'auroientseules occupé si javois pu suivre un plan régulier dans mes observations ; mais quand on marche sur une terre inconnue, On ne sauroit en tracer la carte d'avance, et l’histoire naturelle nous offre plus d’une preuve que, pour faire de nouvelles découvertes, ïl faut savoir quelquefois s’écarter du chemin direct. J’étois loin de m’attendre aux faits ex- traordinaires qui se sont présentés d’eux- mêmes dans le cours de mes recherches : de ce nombre sont les relations des fourmis avec les pucerons, que j'ai déjà publiées, 1] PÉRAIELFPÉACRES et auxquelles jai fait plusieurs additions. Mais il existe encore des rapports bien plus singuliers entre les fourmis d’espèces diffé- rentes. L'histoire des fourmis amazones présente un phénomène si opposé à tout ce que les mœurs des insectes et des autres animaux nous ont offert jusqu'ici; elle rappelle un trait si marquant de l’histoire de l’homme , que j'ai sacrifié une grande partie de mon tems à l’étudier, et que j'ai cru devoir lui consacrer plusieurs chapitres, afin de la faire connoîïtre dans tous ses détails, et de mettre le lecteur à portée de juger ou de vérifier l'exactitude de mes assertions. Je terminerai cet ouvrage par des consi- dérations générales que m'ont suggérées mes observations et la comparaison des mœurs des fourmis avec celles des autres insectes qui vivent en république. Le titre que j'ai donné à ces recherches ne doit point être pris dans toute l’exten- sion qu'il présente, car je n'ai pas étudié les PER EE A CNE. xii] mœurs de toutes les fourmis indigènes; jen ai reconnu vingt-trois espèces dont je n’ai pas également approfondi l’histoire; mais si les faits que j'ai observés excitent la curiosité des naturalistes , et les engagent à terminer l’ébauche que je leur présente, ce sera la plus douce récompense des travaux auxquels je me suis livré. FAUTES A CORRIGER. Page 58, ligne 1. Au lieu de ceintrée Lisez cintrée 145 9 cite site 503 2 il sortent ils sortent RS SSL SSSR RS SOS SSL LPS LS ot TABLE. DES MATIÈRES. | URI RE TER page 1 Cuapirre 1. De l'Architecture, 17 $ I. De l'art de bâtir chez les fourmis fauves, 18 $ il. Architecture des fourmis maconnes, 29 $ IL. Architecture des fourmis noir-cendrées, 43 $ IV. Architecture des fourmis qui sculptent le bois, 52 $ V. Architecture des fourmis qui travaillent la sciure de bois, Gi Cuarirre IT. Des œufs, larves et nymphes des fourmis, 63 ——— III. De la fécondation des fourmis, et de ses conséquences. 90 $ I. Départ des fourmis ailées, Ibid. $ IL. Histoire des fourmis ailées après la fé- condalion, 10L $ LIL Conduite des ouvrières à Fégard des femelles fécondées, 115 Caarirre IV. I. Des relations des fourmis entre elles, 127 $ IL. De la manière dont les fourmis se dirigent dans leurs courses, 134 $ IT. Des migrations des fourmis fauves, 139 $ IV. De l'affection des fourmis pour leurs compagnes , 148 Caarirre V. Des guerres des fourmis, et de quelques autres particularités, 155 ———— VI. Des relations des fourmis avec les pucerons et les gale-insectes. 176 $ IL. Du langage antennal, Ibid. AA BU AID ES MATIERES: Cnarirre VE (Suite du $ IL Liaisons des fourmis avec les pucerons, page 180 $ IL. Des relations des fourmis avec les gale- insectes , 187 $ IV. Industrie presqu'humaine des fourmis, 190 $ V. Ressources des fourmis pendant l'hiver, 202 $ VE des œufs des pucerons, 204 CHarrrRe VIL Premier apercu de l'histoire des fourmis amazones, 210 ———— VIT. Recherches sur l’origine des fourmilières mixtes , 223 ——-—— ]X. Nouvelles considérations sur les fourmis ama- zones, 242 _———— X. Établissement d’une fourmilière mixte dans un appareil vitré, 260 ee XI. Histoire des fourmis sanguines, 275 ———— XIE Considérations sur les insectes qui vivent en république , 289 Notes relatives aux espèces , 315 Description des fourmis dont il a été question dans cet ouvrage, H7 D Se Km ET RE CO BPE EPST E S SUR LES MŒURS DES FOURMIS INDIGÈNES. ASS SL ee ee en eo 0 0 0. 0 D D 0 0 À D | * INTRODUCTION: L E but que je me propose dans cette [ntro- ducuon est de faire passer en revue , d’une ma- nière rapide, les faits recueillis par plusieurs auteurs sur l’histoire des fourmis. La parue des- criptive, mieux connue cependant que celle des mœurs, présente encore quelques doutes, que j'essaierai d’éclaircir. De Geer, parmi les anciens naturalistes ; Fabricius et Latreille , entre les mo- dernes, sont ceux auxquels j'aurai recours pour leur classification. Les auteurs systématiques ont placé les fourmis dans la classe des insectes à quatre ailes nues, avec les abeilles, les guêpes, les andrennes , etc. dont elles différent essentiellement par la compo- siuon de leurs familles , où l’on trouve des mâles et des femelles ailés et des ouvrières sans ailes. ] 2 RECIHERCHES SUR LES Les caractères donnés par M. Latreille, pour les distinguer plus particulièrement , sont avoir «le pédicule de FPabdomen surmonté dune » écaille, ou noduleux ; le ventre des ouvrières » et des femelles éjaculant un acide, ou armé d’un » aiguillon ; les antennes filiformes, où un peu » renflées à leur extrémité , brisées au milieu, de » douze ou treize articles, le second conique, aussi » long que les suivans ; une langue en cuilleron, » entiére ; la lèvre supérieure effacée ; les palpes » filiformes inégaux , antérieurs de cinq arücles, » postérieurs de quatre. » Le prenuer de ces caractères fourmt deux fa- milles très-disunetes, dont l’une est composée de toutes les fourmis qui ont le pédicule surmonté d’une écaille , et Pautre de toutes celles dont il est formé de deux nœuds : les caractères de la pre- mière sont d’avoir les antennes filiformes ou efk- lées à leur extrémité, point d’aiguillon, une simple vessie à venm, lPabdomen plus alonge et composé de cinq anneaux chez les femelles et les ouvrières. Les fourmis de la seconde famille ont les an- tennes moniliformes et trés-renflees à leur extre- MŒURS DES FOURMIS. % mité , un aiguillon ; Pabdomen court , composé de quatre anneaux chez les femelles et les ouvritres. Les mäles ont, en général, les antennes plus lon- gues , et de treize arucles; le ventre composé d’un anneau de plus que les autres individus de leur espèce, et ne possèdent ni aigullon m vessie à venin. Comme il ne s’agit dans cet ouvrage que des fourmis indigènes, qui peuvent toutes trouver place dans cetie division générale , je n’entrerai pas dans un plus grand détail, relauvement à leur classificauon. Examimons séparément toutes les parues du corps des fourmis, afin de faire connoître leurs organes extérieurs. Leur tête est triangulaire , alongée , et finit en pointe plus ou moins obtuse; elle est épaisse au sommet, munce à l'extrémité opposée, et terminée par deux grosses dents appelées man- dibules ; en-dessous est la bouche proprement dite ; aux deux côtés sont de gros yeux réticu- laires , arrondis ou ovales ; au sommet, on en voit ordinairement trois autres fort petits, placés en tiangle ; au-devant de la tête sont les antennes , et au-dessous des mâchoires inférieures, les barbillons. Les mandibules des femelles et des ouvrières 4 RECHERCHES SUR LES sont ecalleuses, concaves, courbées, dentées , mobiles, et leur servent à plus d’un usage ; celles des mâles sont très-minces, terminées en pointes et garnies de poils : outre ces deux pièces qui gar- nissent la bouche au-dehors, on y remarque une lèvre supérieure peu avancée, deux mâchoires inférieures fort petites, qui jouent de droite à gauche , et la lèvre inférieure cachée tout-à-fait en-dessous : on n’est pas d'accord sur la composition de cette dernière parue. Fabricius donne aux fourmis de tous les genres, pour premier caractère, d’avoir une bouche sans langue (os absque lingua) ; Latreille ; au contraire, leur en accorde une, et lexprime sous cette for- mule : langue en cuilleron, entière. & La lèvre infe- » rieure , dit-il, est formée d’une gaine conique , » coriacée, élevée en carène au mulieu, et terminée » en pointe , et d’une langue ou portion mem- » braneuse , recue dans la gaine et formant un » cuilleron. » Je me permettra d'ajouter quelques observa- tons à celles de ces grands naturalistes. Quand les fourmis veulent boire, on voit sorur d’entre leurs maächoires inférieures, qui sont beaucoup plus MŒURS DES FOURMIS. 5 courtes que les supérieures, un petit mamelon conique , charnu et jaunâtre , qui fait Pofice d’une langue , en s’avancant et se reuürant tour à tour : il paroît sortir de ce qu’on appelle la lèvre imfe- rieure, pièce qui sert de base et peut-être de four- reau à cette langue, et qui est si peute que ce n’est sans doute que par analogie avec celle des autres insectes qu’on lui a donné ce nom. Cette lèvre est suscepuble de s’avancer conjointement avec les deux mâchoires inférieures ; et quand linsecte veut lécher , tout cet appareil fait un mou- vement en avant, de sorte que la langue, qui est trés-courte, n'a pas besoim de s’alonger beaucoup pour atteimdre le liquide que linsecte veut faire entrer dans sa bouche. Les mâchoires sont d’une forme alongee, élargies à leur extrémité, légèrement concaves au-dessous , d’une substance écailleuse , fort minces et très-foibles, comparativement aux -mandibules. Du milieu de leur partie externe sort un barbillon de six anneaux : on en voit encore deux autres à la base de la langue ; ceux-ci sont plus petits, et composés seulement de quatre anneaux : on n’en connoît point encore l'usage. Les antennes, comme on l’a vu, sont brisees 6 RECHERCHES SUR LTS ou coudées, situées au-devant de la tête, plus ou moins près du milieu du front, recues ordi- nairement dans une peute rainure longitudinale , el composées de douze ou treize arucles : le pre- micr fait environ la moitié de la longueur de lan- tenne. Celles des fourmis qui ont une écaille sur le filet du ventre sont filiformes, et composées d’anneaux de la même grosseur, ou finissent lé- gèrement en pointe. Les fournus de la seconde famille les ont, au contraire , renflées à leur extrémité ; les antennes des males sont sétacées dans les prennères espèces, plus grenues dans les dérméres, et, dans toutes, composées d’un anneau de plus que chez les ou- vricres et les femelles. La tête uent au corselet par un cou mince, court et étroit, de substance charnue et garni de muscles, au moyen desquels s’opèrent tous ses mouvemens. Le corselet des individus ailes est trèslarge , comparativement à la tête : celui des ouvrieres est beaucoup plus étroit ; le premier est bombe, entier, composé de plusieurs pièces écailleuses de différentes formes, retenues par des membranes; la partie supérieure est séparée de la sternale par MŒURS DES FOURMIS. "7 une rainure , dans le milieu de laquelle $implan- tent les ailes. Celles-ci sont placées fort en arrière du corselet, tandis que celles de tous les autres insectes du même genre sont situées fort en avant du corps : un autre caractère bien remarquable de leur inseruon, c’est que le corselet n’a point ces cmillerons destinés à modérer les mouvemens des ailes, et qui sont fixés à leur base chez les autres hyménopteres (1). Le corselet des ouvrières paroït bossu, divisé inégalement , et composé , selon de Geer , de trois pièces : la plus rapprochée de la tête est grosse et arrondie: la seconde a moins de volume , elle s'étend en longueur vers le dessous du ventre, et semble divisée en deux, transversalement ; la troi- sième , plus épaisse que la seconde , est tronquée et obtuse. On ne sauroit bien définir la forme du corselet, parce qu’elle varie selon les espèces : il a quatre stigmates, dont deux dans une légére dépression latérale , qui paroît diviser le corselet , (1) Ces deux observalions, qui m'ont été commu- niquées par M. le professeur Jurine , sont une preuve du coup-d'œil observateur qui le distingue, 8 RECHERCHES SUR LES une de chaque côté, et les deux autres près de l'extrémité postérieure, une à droite, une à gauche du filet. Les ailes, au nombre de quatre, sont transpa- rentes, grandes et hsses, les postérieures plus courtes que les antérieures ; leurs nervures sont légèrement colorées, et le stigmate est jaune ou brun. Ces ales s’accrochent l’une à Pautre quand linsecte vole , et ne forment ensemble qu’un seul plan horizontal, au moyen d’une quantité de pe- tits crochets qui se trouvent à leur bord. À chacune des trois parties inférieures du cor- selet sont attachés une paire de pates; elles y tiennent par une pièce mobile, longue et conique, quon peut appeler la hanche ; Îes jambes posté- rieures sont les plus longues ; elles sont toutes divisées en trois parties principales, la cuisse, la jambe et le pied, ou tarse; celui-ci est formé de cinq pièces coniques, inégales en longueur , aru- culées ensemble , et plus ou moins velues ; le tarse est terminé par deux crochets, entre lesquels on voit une pièce arrondie, qu'on peut considérer comme la plante du pied. On remarque à lextre- mité de la jambe proprement dite, une épine ou MŒURS DES FOURMIS. 9 éperon droit, fort et lisse : celiwi des pates antc- rieures est un peu courbe et garni de poils roides du côté du pied. La première pièce du tarse qui se trouve vis-à-vis de l’éperon présente une cour- bure considérable ; elle est aussi chargée d’une frange de poils forts, coupés régulièrement : ce sont des brosses dont Pinsecte fait usage pour ver- geter ses antennes , sa tête et son corselet ; elles ont d’autres usages dont il n’est pas encore items de parler. L’écaille verticale est une peute pièce à peu près en cœur , dont la pointe est tournée en bas; elle est traversée à son origine par le filet du ventre ; sa forme varie et fourmit des caractères très-distincts. Latreille a remarqué qu’elle étoit pourvue de deux stigmates situés à sa base , du côté postérieur. Le ventre de la fourmi est toujours plus gros que le corselet, d’une forme ovale , renflce, plus ou moins pointue à l'extrémité postérieure : 1l est composé de demi-anneaux écailleux , dont les su- périeurs embrassent les inférieurs , et sont unis en- semble au moyen d’une membrane flexible qui leur permet de s’écarter ou de se rapprocher à volonté. Il est aisé de faire cette observation quand les 10 RECHERCHES SUR LES fourmis ont beaucoup mangé, parce que chacune de ces pièces écailleuses paroît alors séparée des autres par une petite bande blanchâtre | qui n’est autre chose que cette membrane. Le ventre se divise en quatre ou cinq anneaux , dont le dernier donne passage aux parties sexuelles et à l’aiguillon. Latreille considère Pécaille caractéristique qui s'élève sur le filet du ventre, comme tenant lieu d’un anneau qui manqueroit sans cela à l'abdomen de ces insectes : écoutons-le lui-même. € Les naturalistes, ditl, n’ont pas fait attenuon » que cette écaille ou ces nœuds du pédicule de » l'abdomen des fourmis, ne sont que les premiers » anneaux figurés de la sorte. Plusieurs guêpes ont » aussi le premier segment de labdomen en forme » dune espèce de nœud. Pour décider parfaitement » la chose , comptons le nombre des anneaux dont » le ventre des fourmis est composé ; nous savons, » et c’est une règle constante dans les msectes de » cet ordre, que ce ventre a sept anneaux dans » les males et six dans les femelles. Il faut exa- » miner maintenant si, abstraction faite de lécaille » ou des nœuds du pédicule , nous trouverons ce » même nombre; poiut du tout, le ventre des MŒURS DES FOURMIS. ÉX » femelles ou des ouvrièrés, qui a une ecaille ou » un seul nœud en-devant , n’a que cmq anneaux ; » celui de leurs mâles n’en a que six : le ventre » des fourmis, dont le pédicule est forme de deux » nœuds, aura encore un anneau de moins ; €’est- » à-dire quatre dans les uns et cinq dans les autres. » Nous avons déjà dit que les ouvrières et les femelles de quelques espèces sont pourvues d’un aiguillon ; 1l consiste en une petite pièce courte , écailleuse, droite, conique , formée de deux soies et accompagnée de deux autres peutes pièces co- niques , glabres , comprimées , une de chaque côté. Il existe , dit encore M. Latreaille, les plus grands rapports entre les organes extérieurs de la geénéra- uüon des individus femelles et ceux des ouvrières ; la ressemblance est telle , que Pexamen le plus sé- vère na pu lui faire apercevoir de différence sen- sible. [1 regarde les ouvrières comme des femelles impuissantes, et dont les organes n'auroient pas eu leur entier développement. Eu effet, si on considère la forme de leur tête et de leurs denis, le nombre des articulations des antennes, celui des anneaux, la présence de Paiguillon , ou celle de la vessie qui le remplace, on sera frappé des rapports 13 RECHERCHES SUR LES qui régnent entre ces deux ordres. Les ouvrières sont beaucoup plus petites que les femelles; elles en différent encore par la forme du corselet, par Vabsence des ailes et par la couleur. Les mâles sont, les uns plus petits, les autres plus grands que les ouvrières de leur espèce; leur corselet a la forme de celui des femelles : lécaille ou les nœuds sont à peu près semblables dans tous les individus de chaque famille ; les mâles sont ordinairement d’une couleur noiritre. Nos connoissances sur les mœurs des fourmis se bornent encore à un peut nombre de faits déta- chés , à quelques assertions assez vagues que je discuterai lorsqu'elles se présenteront. Les auteurs modernes qui ont fait faire quelques pas à l’his- toire des fourmis, sont au nombre des plus ce- Ièbres naturalistes. Leuwenhoeck est le premier qui se soit occupe sérieusement de leurs métamorphoses, et qui ait démontré que ce qu’on appeloit œufs de fourmis n’étoit point des œufs, mais de véritables larves ; leur grosseur auront dù le faire comprendre plus tôt: les œufs de ces insectes sont excessivement petits. MŒURS DES FOURMIS. 19 Swammerdam confirme, par de profondes re- cherches et par des descriptions admirables, les notions publiées par son prédécesseur ; suit toutes leurs métamorphoses, et fait voir que la nymphe est le même individu qui, sous la forme de larve, n’avoit ni membres mi traits distincts. I sépare les mâles des femelles, et nous apprend qu'ils sont ailés ; que les fourmis communes sont des ou- vrières ou des mulets, comme celles des abeilles ; il fait connoître une parue de leurs occupauons domestiques , nous apprend que les larves de quel- ques espèces filent une coque de soie, et qu’elles y subissent leur transformation , et donne enfin d'excellentes descripüons de plusieurs sortes de fourmis. Linnée vient ensuite : 1l décrit sept espèces de fourmis de la Suède, étudie ces grandes fourmi- lières coniques qu’on trouve dans les forêts de sapin , découvre que les femelles sont ailées comme les mâles, sapercoit que peu de tems après leur naissance elles perdent leurs ailes, et croit quelles ne reviennent point à la fourmilière. Geoffroy n’ajoute rien à ce que nous apprennent ces grands naturalistes ; il commet , au contraire , 14 RECHERCHES SUR LES à cet égard plusieurs erreurs que je ne rapporterai pas, parce qu’elles ont été combattues par de Geer. Ce dernier auteur nous apprend que les jeunes fourmis ne sauroient sorür de leur coque de soie sans le secours des ouvrières; 1l remarque que les larves de la fourmi noire-luisante ne filent pas toujours; qu'on trouve chez elle des nymphes nues et d’autres enfermées dans des coques. Il voit aussi des larves de certaines espèces qui passent l'hiver ; 1l observe que celles de la fourmi jaune sont très-velues au mois d'avril, etc. Passant des petits aux individus complets, 1l suit leurs amours dans les airs; mais il croit que les femelles retournent dans leur nid pour pondre leurs œufs, et combat l'opinion de Linnée, qui avoit mieux vu que lui. Ce naturaliste | justement célèbre, nous donne cependant plus de nouons sur l’histoire des fourmis que tous ses devanciers ensemble. Charles Bonnet s’en occupe à son tour ; 1l croit apercevoir que les fournis se dirigent par le moyen de lodorat ; il observe une petite famille établie dans la tête d’un chardon, et ne laisse pas de nous donner des détails intéressans sur leur con- MŒURS DES FOURMIS. 15 duite : sil avoit ouvert la tête du chardon, ïl auroit découvert, avec adnuration, la raison qui avoit attüré ces fourmis en ce lieu, et n’auroit pas été étonne qu’elles y vecussent sans toucher aux provisions qu'il leur donnoit. Al voit ces four- mis se porter les unes les autres, décrit leur manœuvre avec tout lagrément qui lui étoit propre, mais ne devine pas le véritable but que se proposoient ces insectes. Je rapporterai ses observations lorsque le sujet les rappellera. M. Latreille confirme les faits rapportés par d'autres auteurs ; il observe deux espèces de fourmis privées d’yeux, mais sans en décrire les mœurs ; il met aussi en avant quelques con- jectures dont nous parlerons dans la suite : j'ai déjà vanté la justesse de ses classifications, aux- quelles j'aurai souvent recours. Il résulte de ce précis des observations qu'on a faites jusqu’à nos jours, qu’on n’est point d’ac- cord sur le sort des femelles et des mâles; qu'on ne salt pourquoi certaines larves filent ou ne filent pas ; pourquoi, dans quelques espèces, il se trouve des nymphes renfermées, et d’autres à découvert ; qu'on n’a étudié mi l'esprit qu règne dans Pinte- 16 RECHERCHES SUR LES rieur des fourmilières, ni les rapports des fourmis ouvrières avec leurs femelles; qu'on n’a pas cherché si elles avoient des moyens de s'entendre ; que la construction de leur demeure n’a pas été suffisam- ment décrite; qu'on n’a pas découvert la manière dont elles letablissent , et qu'on ne sait point encore si ces insectes forment , ou non, des colonies , etc. La série des questions non résolues seroit interminable; 1l est tems de chercher à remplir quelques - unes des nombreuses lacunes que nos prédécesseurs ont lussées sur ce sujet, et de poser, si nous le pouvons, des bases plus précises pour une Histoire des fourmis. CHAPITRE PREMIER. MŒURS DES FOURMIS. 17 VS T Ve Vo Vo Le 0 0 0 ne 0 0 eo en D 0 0 D D RE EMA PITRE PREMIER. DE L'ARCHITECTURE. Le premier objet qui frappe nos sens en com- mencant à étudier les mœurs des fourmis, c’est l’art avec lequel elles consiruisent leur’ habitation, dont la grandeur paroît souvent contraster avec leur peutesse; c’est la variété de ces bätimens, tantôt fabriqués avec de la terre, tantôt sculptés dans le tronc des arbres les plus durs, ou composés simplement de feuilles et de brins d'herbe ramassés de toutes parts; c’est enfin la manière dont ils répondent aux besoins des espèces qui les cons- iruisent. Chemin faisant, j’essaierai d’amener le lecteur à concevoir l'espèce d'intelligence qu’on peut attribuer à ces insectes, dont quelques auteurs ont tant exagéré les facultés, l’ordre et la sagesse, et que d’autres n’ont peut-être pas assez appréciés, Les trois manières de bätir dont je viens de parler admettent de nombreuses modificauons, car chaque espèce de fourmi est douée de quelque talent paruculier, J’indiquerai en quoi elles diffèrent, 2 18 RECHERCHES SUR LES quand j'aurai expliqué la marche générale de leur archiecture (si Pon peut appeler du même nom le travail simple et grossier d’un insecte , et un art perfecuonne: entre les mains de l’homme). 6 I. De l'art de bätir chez les fourmis fauves. LA fourmi fauve est celle qui élève dans les bois ces monticules remarquables par leur grandeur. Elle est la plus facile à observer par sa taille, au-dessus de la moyenne ; par ses mœurs, dont les principaux traits se montrent au grand jour, et par la simplicité du travail qu'on lui vont faire. Elle est très-mulupliée dans toutes les parues de l'Europe ; aussi a-t-elle été l’objet de l’attention des Linnée, des de Geer, etc. Mais ces savans ayant étudiée sous un point de vue différent du mien, et mon plan ne me permettant pas de rapporter tout ce qu'ils ont dit sur ce sujet, après une courte description de ces insectes, je commencerai par expliquer la construcüon de leurs fourmilières, et je ferai con- noître en même tems la police très-exacte qu’ob- servent les fournis de cette espèce. MŒURS DES FOURMIS. 19 Les fourmis fauves ouvrières sont longues de 3 à 4 lignes, et très-hautes sur jambes ; leur tête, plus large que le corselet, est fauve dans sa parue avancée, et noirâtre au sommet ; leur bouche est armée de deux mandibules très - fortes, dentées et crochues à la pointe ; elles les üennent souvent écartées, et s’en servent , non-seulement pour attaquer leurs ennemus et pour déchirer leur proie , mais encore pour porter des fardeaux, et pour tous les travaux que demande lorgamisation de leur fourmihère. Elles ont les antennes noires et fihi- formes ; leur corselet est bombe, relevé anté- rieurement, Comprimé et Comme tronqué dans sa partie postérieure ; 1l est souvent marqué d’une tache noire au-dessus : le reste est d’un fauve chur. Le pedicule de lPabdomen est de la même couleur, et porte une grande écaille quelquefois un peu échancrée et noirätre à son bord supérieur. L’abdomen est brun ou noir-cendré, légèrement velu, globuleux, composé de cinq anneaux, sans compter l’écaille, et dépourvu d'aiguillon, mais armé d’une vessie à venin. Les pates sont brunes , et l’origme des cuisses est rougeätre. On verra dans la suite que jai distingué ces fourmis en deux 20 RECHERCHES SUR LES variétés, dont l’une a le dos noir, et l’autre de la même couleur que le reste du corselet. Cette différence , qui n’en apporte pas beaucoup dans les habitudes de ces insectes, sépare cependant celles qui vivent dans les bois, d’avec celles qui habitent le long des haies ou dans les prairies : ce sont ces dernières dont le corselet est tache de noir, et dont l’écaille est brune à son bord supérieur (1). Les unes et les autres ramassent auprés de leur habitation tous les brins de chaume , tous les fragmens ligneux, les petites pierres, les feuilles et autres objets à leur portée qui peuvent servir à en augmenter l'élévation, jusqu’à des teignes, de pets coquillages, du blé, de l’avoine ou de l'orge; ce qui sans doute a donné lieu à leur ancienne renommée : mais si Cette prévoyance qu'on leur Supposoit na pas pour objet de les préserver de la faim pendant l'hiver , époque où les fourmis ne manoent guère, et surtout pas de grains, elle n’en est pas moins admirable lorsqu'on la considère sous son véritable point de vue. (1) Voyez la description de la fourmi fauve, et surtout Ja note de la fin. MŒURS DES FOURMIS. 21 Ce monticule, qui, au premier coup-d’œil, ne paroît qu'un amas de matériaux confusément épars , est cependant, par sa simplicité et son orga- nisation, une invention Imgénieuse pour éloigner les eaux de la fourmilière , pour la défendre des injures de l’air, des attaques de ses ennemis, et pour ménager la chaleur du soleil, ou la conserver dans l'intérieur du nid. L’assemblage des divers élémens dont il est composé présente toujours laspect d’un dôme arrondi, dont la base, souvent couverte de terre et de peuts cailloux, forme une zone au-dessus de laquelle s'élève en pam de sucre la parue ligneuse du bätiment. Mais ce n’est encore là que la couverture exte- rieure de la fourmilière ; la portion la plus consi- dérable en est cachée à nos yeux, et s'étend dans Ja terre à une profondeur plus ou moins grande. Des avenues, ménagées soigneusement ; en forme d’entonnoirs assez irréguliers , conduisent du fañte de Ja fourmilière dans l'intérieur : leur ombre dépend de sa populauon et de son étendue ; Vouverture en est plus ou moins large ; on en trouve quelquefois une principale au sommet ; souvent 1l yena plusieurs à peu près egales, autour desquelles 22 RECHERCHES SUR LES beaucoup de passages plus étroits sont places presque dans un ordre symétrique, circulairement et jusqu’à la base du monticule. Ces portes étoient nécessaires pour laisser une hbre issue à cette multitude d’ouvrières dont leurs peuplades sont composées : non-seulement leurs travaux les appellent continuellement au dehors , mas, bien différentes des autres espèces, qui se üennent volonüers dans leur nid, et à Pabri du soleil, les fourmis fauves semblent au contraire préférer de vivre en plein air, et ne pas craindre de faire en notre présence la plupart de leurs opérations. Si l’on observe la fourmi jaune , la noir-cendrée, la sanguine, la brune, etc., on ne verra jamais chez elles d'entrées assez spacieuses pour laisser à leurs ennemis un accès facile , ou permettre à Peau des pluies de s’introduire dans leur habitation : elle est couverte d’un dôme de terre ferme de tous côtés ; elle n’a d’issue que près de sa base, et mème on ny parvient souvent que par une galerie longue et tortueuse qui serpente dans le gazon à plusieurs pieds de la fourmilière. D'ailleurs, la peutesse de ces portes, toujours bien gardees MŒURS DES FOURMIS. 23 au dedans, prévient l'entrée des insectes ou des repules qui pourroient s’y glisser. Les fourmis fauves , établies en foule pendant le jour sur leur md, ne craignent pas d’être inquiétées au dedans; mais le soir, lorsque, retirées dans le fond de leur habitauon , elles ne peuvent s’aper- cevoir de ce qui se passe au dehors, comment sont-elles à labri des accidens dont elles sont menacées ? comment la pluie, ne pénètre-t-elle pas dans cette demeure , ouverte de toutes parts ? Ces questions, si simples, ne paroissent point avoir occupé les naturalistes. N’ont-ils donc pas prévu les résultats auxquels ces fourmis auroient été ex- posées, si la sagesse qui règle l'Univers n’eût pris soin de leur sûreté? Frappe de ces réflexions lorsque j'observois pour la première fois les fournis fauves, je portai toute mon attenuon sur cet objet, et mes doutes ne tardèrent pas à se dissiper. Je n'apercus que Paspect de ces fourmilières changeoï d’une heure à autre, et que le diamètre de ces avenues spacieuses, où tant de fourmis pouvoient se rencontrer à la fois, au nulieu du jour, dininuoit graduellement jusqu'à la nuit. Leur ouverture disparoissoin enfin : le dôme ELOIL \ 24 RECHERCIIES SUR LES fermé de toutes parts, et les fourmisreuréesau fond de leur demeure. Cette première observauon , en dirigeant mes regards sur les portes de ces fourmi- lières, éclaircit mfiniment mes idees sur le travail de leurs habitans, dont auparavant je ne devinois pas précisément le but: car il règne une telle agitation à Ja surface du nid; on y voit tant d'in- sectes occupés à charier des matériaux, dans un sens et dans un autre , que ce mouvement n'offre d'autre image que celle de la confusion. Je vis donc clairement qu’elles travailloient à fermer leurs passages : elles apportoient d’abord, . pour cela, de petites poutres auprès des galeries dont elles vouloient diminuer l'entrée ; elles les placoïent au-dessus de l’ouverture , et les enfon- coient même quelquefois dans le massif de chaume. Elles alloient ensuite en chercher de nouvelles, qwelles disposoient au-dessus des premières, dans un sens contraire, et paroissoient en choisir de moins fortes, à mesure que l'ouvrage étoit plus avance : enfin elles employèrent des morceaux de feuilles sèches, ou d’autres matériaux d’une forme élargie, pour recouvrir le tout. N'est-ce pas là, en peut, Part de nos charpentiers, lorsqu'ils établissent le MŒURS DES FOURMIS. 25 faite du bâtiment ? La nature semble avoir partout devancé les inventions dont nous nous glorifions :* celle-ci est, sans doute, nne des plus simples. Voilà nos fourmis en sûreté dans leur md; elles se reurent graduellement dans l'intérieur, avant que les dernières portes soient fermées , et il en reste une ou deux en dehors ou cachées derrière les portes, pour faire la garde , tandis que les autres se livrent au repos ou à différentes occupations , dans la plus parfaite sécurité. J’étois impatient de savoir comment les choses se passoient le matin sur ces fourmiliéres : j'allai donc, un jour de trés-bonne heure, les visiter; je les trouvai encore dans le même état où je les avois laissées la veille: quelques fourmis rôdoient sur les dehors du nid ; cependant il en sortoit de tems en tems quelques-unes , par-dessous les bords des peus toits pratiqués à Pentrée des galeries, et j'en vis bientôt qui essayérent d’enlever les barricadés : elles y réussirent aisément. Ce travail les occupa pendant plusieurs heures, et je vis enfin les passages libres de tout obstacle , et les matériaux qui les obstruoient, reparüs çà et là sur la fourmilière. Chaque jour, soir et matin, pendant la belle 26 RECHERCHES SUR LES 2: saison, Jai revu les mêmes faits, à l'excepuon cependant des jours de pluie , où les portes restent fermées sur toutes les fourmilières. Lorsque le ciel est nébuleux dès le matun, les fourmis, qui paroissent s’en apercevoir, m'ouyrent qu'en parue l'entrée de leurs avenues, et lorsque la pluie com- mence, elles se hâtent de les refermer : 1l paroît, d'après cela, qu’elles w'ignorent pas a raison pour laquelle elles construisent ces clôtures mo- mentanees. Pour concevoir la formation du toit de chaume, voyons ce qu'étoit la fourmilière dans Porigine. Elle n’est au commencement qu'une cavité pratiquée dans la terre : une parue de ses habitans va chercher aux environs des matériaux propres à la construc- tion de la charpente extérieure ; ils les disposent ensuite dans un ordre peu regulier, mais suflisant pour en recouvrir l'entrée. D’autres fourmis ap- portent de la terre qu'elles ont enlevée au fond du nid, dont elles creusent l'intérieur, et cette terre, mélangée avec les brins de bois et de feuilles qui sont apportés à chaque instant, donne une certaine consistance à l'édifice : il s'élève de jour en jour ; cependant les fournis ont soin de laisser des espaces MŒURS DES FOURMIS. 27 vides pour ces galeries, qui conduisent au dehors; et comme elles enlévent, le matin, les barrières qu’elles ont posées à l’entrée du nid la veille, Îes conduits se conservent, tandis que le reste de la fourmilière s’élève. Elle prend déjà une forme bombée , mais on se tromperoit si on la croyoit massive. Ce toit devoit encore servir sous un autre point de vue à nos insectes ; 1l étoit destiné à con- tenir de nombreux étages, et voici de quelle manière ils sont construits. Je puis en parler pour lavoir vu au travers d’un carreau de verre que j'avois ajusté contre une fourmilière. C’est par excavation , en minant leur édifice même, qu’elles y pratiquent des salles trés-spa- cieuses, fort basses, à la verité, et d’une cons- trucuon grossière ; mais elles sont commodes pour l'usage auquel elles sont destinées, celui de pouvoir y déposer les larves etles nymphes à certaines heures du jour. Ces espaces vides communiquent entre eux par des galeries faites de la même manière. Si lès matériaux du nid n’étoient qu’entrelassés les uns avec les autres, 1ls céderoient trop facile- ment aux eforts des fourmis, et tomberoiïent con- \ fusément lorsqu'elles porteroient atteinte à leur 26 RECHERCHES SUR LES ordre primiuf ; mais la terre contenue entre les couches dont le monticule est composé , étant délayée par l’eau des pluies, et durcie ensuite par le soleil, sert à lier ensemble toutes les parties de la fourmilière, de manière, cependant, à permettre aux fourmis d'en séparer quelques fragmens sans détruire le reste : d’ailleurs elle s’oppose si bien à l'introduction de l’eau dans le md, que je n’en ai jamais trouvé ( même après de longues pluies) l'intérieur mouillé à plus d’un quart de pouce de la surface, à moins que la fourmilière n’eût ete dérangée , ou ne füt abandonnée par ses habitans. Les fourmis en sont done bien à l'abri au fond de leurs cases : la plus grande est presque au centre de l'édifice; elle est beaucoup plus élevée que les autres, et traversée seulement par les poutres qui soutiennent le plafond : c’est là qu’aboutissent toutes les galeries, et que se uennent la plupart des fournus. Quant à la parue souterraine de la fourmuière , on ne peut lobserver que lorsqu'elle est placée contre une pênte ; alors, en enlevant le montcule de chaume, on aperçoit toute la coupe intérieure du bâtiment: ces souterrains présentent des étages MŒURS DES FOURMIS. 29 composés de loges creusées dans la terre et pra- tiquées dans un sens horizontal. Cette partie de l'architecture des fourmis fauves appartenant de même aux fourmis maconnes, dont je vais parler, je ne n'arrêterai pas à la décrire, mais je passerai tout de suite aux travaux de celles- ci, dont l’industrie mérite de fixer notre attention, ÿ II. Architecture des fourmis maçonnes. J’APPELLE fourmis maconnes celles dont les mids présentent au dehors l’aspect de monticules de terre, sans mélange d’autres matériaux, et au dedans celui de labyrinthes, de loges, de voûtes et de galeries construites avec art. Il y a plusieurs espèces de fourmis maconnes : la terre dont leurs nids sont formés est plus ou moims compacte. Celle qu'emploient les fourmis d’une certaine gran- deur, telles que la noir-cendrée et la mineuse, paroît être moins choisie et d’une pâte moins fine que celle dont la fourmi brune la microscopique et la jaune construisent leur demeure. Elle est Proporuonnée à leurs moyens, à leurs usages et à 30 RECHERCHES SUR LES la nature de Pédifice qu’eiles se proposent d'élever. Si l’on veut juger du plan intérieur des fourmi- lières, il convient de choisir celles qui n’ont pas été gâtees accidentellement, et dont la forme wa pas été trop altérée par les circonstances locales : il suflira, alors, d’une attention médiocre pour s’apercevoir que les fourmilières d'espèces diffe- rentes ne sont pas construites dans le même système. Ainsi le monucule élevé par les fournus noir- cendrées offrira toujours des murs épais, formés d’une terre grossière et raboteuse , des étages très- prononcés , et de larges voûtes, soutenues par des piliers solides : on n'y trouvera ni chenuns, mi galeries proprement dites, mais des passages en forme d’œil-de-bœuf : partout de grands vides, de gros massifs de terre , et l’on remarquera que les fourmis ont conservé une certaine proporüuon entre les piliers et la largeur des voûtes auxquelles ils servent de supports. La fourmi brune , l’une des plus petites, se fait parüculièrement remarquer par la perfecuon de son travail. Elle à le corps d’un brun rougeñtre luisant, la tête un peu plus foncée, les antennes et les pates plus claires , l'abdomen d’un brun MŒURS DFS FOURM'S. 51 obscur, l’écaille étroite, carrée, et foiblement échancrée : la longueur du corps est d’une ligne 2(r). Cette fourmi, l’une des plus industrieuses , cons- truit son nid par étages de 4 à 5 lignes de haut, dont les cloisons n’ont pas plus d’une demi-ligne d'épaisseur , et dont la mauère est d’un grain si fin que la surface des murs intérieurs en paroît fort unie. Ces étages ne sont point horizontaux; ils suivent la pente de la fourmilière ; de sorte que le superieur recouvre tous les autres, le suivant embrasse tous ceux qui sont au-dessous de lui, et ainsi de suite, jusqu’au rez-de-chaussée, qui com- munique avec les logemens souterrains. Cependant ils ne sont pas toujours arrangés avec la même régularité, car les fourmis ne suivent pas un plan bien fixe ; 1l semble , au contraire, que la nature leur ait laissé une certaine latitude à cet égard, et qu'elles peuvent, selon les circonstances, le modi- fier à leur gré; mais quelque bizarre que puisse paroître leur maconnerie, on reconnoït toujours qu’elle a été formée par étage concentrique. Si Pon examine chaque étage séparément, on Y (1) Voyez les notes, = 52 RECHERCIIES SUR LES voit des cavités travaillées avec soin, en forme de salles ; des loges plus étroites et des galeries alon- gées qui leur servent de communication. Les voûtes des places les plus spacieuses sont supportées par de peutes colonnes , par des murs fort minces, ou enfin par de vrais arc - boutans. Ailleurs, on voit des cases qui n’ont qu’une seule entrée ; 1l en est dont l'orifice répond à létage inférieur : on peut encore y remarquer des espaces très-larges, perces de toutes parts et formant une sorte de carrefour, où toutes les rues aboutissent. Tel est à peu près l'esprit dans lequel sont construites les habitations de ces fourmis : lorsqu'on les ouvre , on trouve les cases et les places les plus étendues remplies de fourmis adulies ; mais on voit toujours que leurs nymphes sont réunies dans les loges plus ou moins rapprochées de la surface , suivant les heures et la température , car à cet égard les fourmis sont douées d’une grande sensibilité , et paroissent connoître le degré de chaleur qui convient à leurs petits. La fourmilière contient quelquefois plus de vingt étages dans sa partie supérieure , et, pour le moins, autant au-dessous du sol. Combien de nuances de chaleur doit admettre une telle disposition, et quelle MŒURS DES FOURMIS. 33 quelle facilité les fourmis ne se procurent-elles pas par ce moyen, pour la graduer? Quand un soleil trop ardent rend leurs appartemens supérieurs plus chauds qu’elles ne le désirent, elles se reurent avec leurs petits dans le fond de la fourmihére. Le rez-de-chaussée devenant à son tour inhabi- table pendant les pluies, les fourmis de cette espèce transportent tout ce qui les intéresse dans les étages les plus élevés, et c’est là qu’on les trouve rassemblées avec leurs nymphes et leurs œufs, lorsque leurs souterrains sont submergés. Il ne suflisoit pas de connoître la disposition intérieure de ces fourmilières, 1l falloit encore découvrir comment les fourmis, travaillant dans une matière assez dure, avoient pu ébaucher et finir des ouvrages aussi délicats, avec le seul secours de leurs dents; comment elles savoient ramollir la terre pour la miner, la pétrir et la maçonner; quel ciment elles employoient pour joindre en- semble ses particules. Étoit-ce au moyen d'un mucilage , dune résine ou de quelqu'autre suc uré de leur propre corps, et semblable à celui dont se sert lPabeille maconne pour bâur le nid auquel elle donne tant de solidité ? er 04 RECIIERCHES SUR LES J'aurois peut-être dù analyser la terre dont les fourmilières sont composées ; mais je craignis de m'engager dans des difficultés qui métoient point de mon ressort, et je n’en üns à la voie lente et sûre de Pobservation, au moyen de laquelle j’es- pérois parvenir au même résultat. Je m'obsunai donc à observer une de ces four- milières, Jusqu'à ce que j'apercusse quelque chan- gement dans sa forme. Les habitans de celle que j'avois choisie demeu- roient pendant le jour renfermés chez eux , ou sor- toient par des galeries souterraines dont l’issue étoit à quelques pieds dans la prairie. Il y avoit cependant deux ou trois petites ouvertures à la surface du nid, mais on n’en VOyoit sorür aucune ouvrière, parce qu’elles étoient exposées à l’ardeur du soleil, ce que ces insectes redoutent infiniment. Cette fourmilière avoit une forme arrondie ; son dôme s’élevoit dans l'herbe , au bord d’un sentier, et n’avoit été altéré par aucune cause étrangère. Je ne tardai pas à m'apercevoir que la fraicheur et la rosée invitoient ces fourmis à se promener sur leur nid ; elles y pratiquotent de nouvelles à Û AAA à a issues : on les voyoit arriver plusieurs à Ja fois, MŒURS DES FOURMIS. 35 mettre leur tête hors du trou, en remuant leurs antennes, et sorur enfin pour aller et venir dans les environs. Ceci me rappela une singulière opinion des an- ciens. Ils croyoient que les fourmuis travailloient la nuit , lorsque la lune est dans son plein. Cette idée métoit peut-être pas sans fondement ; et quoique la lune n’eût, sans doute, aucune influence sur leur conduite , j'entrevoyois quelque chose de vrai dans cetie observation. Ayant donc épie les mou- vemens de ces insectes pendant la nuit, je m’as- surai qu'ils étoient presque toujours dehors, et occupés sur le dôme de leur habitation, après le coucher du soleil. C’étoit opposé de ce que j'avois vu chez les fourmis fauves, qui ne sortent que le jour et ferment leurs portes le soir. Le contraste étoit encore plus étonnant que je ne l’avois sup- posé d'abord; car ayant visité les fourmis brunes quelques jours après, par une pluie douce, je pus les voir déployer tous leurs talens pour l'architecture. Dès que la pluie commenca, je les vis sortir en assez grand nombre de leurs souterrains; elles ren- trérent aussitôt, mais revinrent ensuite, tenant entre leurs denis des molécules de terre, qu’elles dépo- O1 6 RECHERCHES SUR LES sérent sur le faîte de leur nid. Je ne concevois pas, au prenuer abord , ce qui devoit en résulter ; mais je vis bientôt s’elever de toutes parts de peuts murs qui laissoient entre eux des espaces vides. En plusieurs endroits, des piliers placés à distance les uns des autres annoncoïent déjà la forme des salles, des loges et des chemins que les fournis se propo- soient d'établir : c’étoit, en un mot, l’ébauche d’un nouvel étage. J’observai avec curiosité les momdres mouvemens de mes maçonnes, et je vis bientôt qu’elles ne tra- vailloient point à la mamière des guêpes ou des bourdons lorsqu'ils sont occupés à faire l'enveloppe de leur nid. Ceux-ci se mettent, pour ainsi dire, à cheval sur le bord de cette enveloppe, et la prennent entre leurs dents, pour la modeler et Pamincir à leur gré : la cire dont elle est composée, et le papier dont la guêpe se sert, humecté au moyen d’une sorte de colle, se prêtent à ce genre de travail; mais la terre, souvent très-incohérente, dont les fourmis font usage , devoit être maconnée d’une autre mamere. Chaque fourmi apportoit donc entre ses dents une petite pelote de terre qu’elle avot formée MŒURS DES FOURMIS. 37 en ratissant le fond des souterrains avec le bout de ses mandibules (ce que jai vu souvent au grand jour): cette petite masse de terre étant composce de parcelles réunies seulement depuis quelques instans | pouvoit aisément se prêter à lusage que les fourmis vouloient en faire; ainsi, lorsqu'elles l'avoient appliquée à l'endroit où elle devoit rester, elles la divisoient et la poussoient avec leurs dents, de manière à remplir les plus petites inégalités de leur muralle. Leurs antennes suivoient tous leurs mouvemens, en palpant chaque brin de terre, et quand ils étoient disposés ainsi, la fournu les affer- missoit en les pressant légèrement avec ses pates antérieures: ce travail alloit fort vite. Après avoir tracé le plan de leur maconnerie, en placant eà et là les fondemens des piliers et des cloisons qu'elles vouloient établir, elles leur don- noient plus de relief, en ajoutant de nouveaux matériaux au-dessus des premiers. Souvent deux petits murs, destinés à former une galerie, s’ele- voient vis-à-vis lun de Pautre et à peu de distance ; lorsqu'ils étoient à la hauteur de 4 ou 5 lignes, les fourmis s’occupoient à recouvrir le vide qu'ils lhussoient ent'eux, au moyen d’un plafond de 38 RECHERCHES SUR LES forme ceintrée : cessant alors de travailler en mon- tant, comme si elles avoient jugé leurs murs assez élevés , elles placoient contre l’arrête intérieure de Jun et de l’autre , des brins de terre mouillée, dans un sens presque horizontal, de manière à former au-dessus de chaque mur un rebord qui devoit , en s’élargissant, rencontrer celui du mur opposé: leur épaisseur étoit ordinairement d’une demi- ligne. La largeur des galeries qui résultoient de ce travail étoit le plus souvent d’un quart de pouce. lei plusieurs cloisons verticales formoient le- bauche d’une loge qui commumiquoit avec differens oces dans la ma- corridors par des ouvertures ménag connerie ; là c’etoit une véritable salle dont les voûtes éloient soutenues par de nombreux piliers; plus loin on reconnoissoit le dessin d’un de ces carrefours dont j'ai parlé ci-dessus, et auquel abou- ussent plusieurs avenues. Ces places étoient les plus spacieuses ; cependant les fourmis ne paroissoient point embarrassées à faire le plancher qui devoit les recouvrir, quoiquelles eussent souvent deux pouces et plus de largeur : c’étoit dans les angles formés par la rencontre des murs, puis le long de leurs bords supérieurs, qu’elles en placoient les Ï > Î P 3 MŒURS DES FOURMIS. 39 premiers élémens; et de la sommité de chaque pilier s’étendoit, comme d'autant de centres, une couche de terre horizontale et un peu bombée, qui alloit se joindre à d’autres parties de la même voûte , partant de différens points de la grande place publique. Cette foule de maconnes, arrivant de toutes parts avec la parcelle de mortier qu’elles vouloient ajouter au bâtiment ; l’ordre qu’elles observoient dans leurs opérations, l'accord qui régnoit entre elles, l’activité avec laquelle elles profitoient de la pluie pour augmenter lélévation de leur demeure, offroient laspect le plus intéressant pour un ad- mirateur de la nature. Cependant, je craignois quelquefois que leur édifice ne pût pas résister à sa propre pesanteur, et que ces plafonds, si larges, soutenus seulement par quelques piliers, ne s’écroulassent sous le poids de l’eau qui tomboit continuellement, et sem- bloit devoir les démolir; mais je me rassurai en voyant que la terre apportée par ces insectes adhéroit de toutes parts au plus léger contact , et que la pluie , au heu de diminuer la cohesion &e ses particules, sembloit laugmenter encore. Ainsi, ATe) RECHEROIES SUR LES loin de nuire au batiment par sa chute , elle con- üibue donc à le rendre plus solide. Ces parcelles de terre mouillée, qui ne üennent encore que par juxta-posiuon , mattendent qu'une averse qui les lie plus étroitement, et vernisse, pour ainsi dire, la surface du plafond qu’elles composent, ou les murs et les galeries restées à découvert. Alors les inégalités de la maconnerie disparoissent; le dessus de ces étages, composées de tant de pièces rappor- ices, ne presente plus qu'une seule couche de terre bien ume, et n’a besoin, pour se consolider entiérement , que de la chaleur du soleil. Ce n’est pas qu'une pluie trop violente ne de- truise quelquefois plusieurs cases, surtout lorsqu'elles sont peu voûtées; mais les fourmis ne tardent pas à les relever avec une patience admirable. Ces différens travaux s’exécutoient à la fois sur toutes les parties de la fourmilière qu'on vient de décrire : ils se suivoient de si près dans ses nombreux quartiers, qu’elle se trouva augmeniée d’un étage complet en 7 à 8 heures. Car toutes ces voüûtes, jetées d’un mur à l’autre, étant à la même distance du plan sur lequel elles s’elevoient, ne formérent qu'un seul plafond lorsqu'elles furent M@URS DES FOURMIS. 41 terminées, et que les bords des unes atteignirent ceux des autres. À peine les fourmis eurent-elles acheve cet étage qu’elles en bâurent un nouveau; mais elles n’eurent pas le tems de le finir ; la pluie cessa avant que leur plafond fat entièrement construit. Elles travaillèérent cependant encore quelques heures, en profitant de lhumidité de la terre ; mais le vent du nord s'étant levé avec violence , 1l la dessécha trop promptement ; de manière que les fragmens rap- portés n’avoient plus la même adhérence , et se rédiusoient en poudre : les fournis voyant le peu de succes de leurs efforts, se découragérent enfin, el renoncerent à bâur; mais, ce dont je fus étonne, c’est qu'elles détruisirent toutes les cases et les murs qui nétoient pas encore recouverts, et réparurent les débris de ces ébauches sur le der- nier étage de la fourmilière. Ces faits prouvent incontestablement qu'elles n'emploient ni gomme, ni aucun autre espèce de ciment pour lier ensemble les matériaux de leur md : elles sont donc instruites à se servir de Peau pour maconner la terre, et savent profiter du soleil et du veut pour durcir leur ouvrage. À la simplicité 42 RECHERCHES SUR LES de ces moyens, je reconnoissois les voies de la nature ; cependant je crus devoir faire encore une expérience, pour me convaincre entièrement de lexactitude de ces resultats. A quelques jours de là, jessayai de les exciter à reprendre leurs travaux, au moyen d’une pluie arufcielle. Je pris pour cela une brosse très-forte, que je plongeai dans Peau , et, en passant ma main sur ses crins , dans un sens et dans l’autre, je faisois jaillir sur la fourmilière une rosée extrêmement fine. Les fourmis, depuis l’intérieur de leur demeure, s’apercurent fort bien de l'humidité de leur toit ; elles sortirent et coururent rapidement à la surface. L’arrosement continuoit ; les maconnes ÿ furent trompées : elles allérent se pourvoir de brins de terre aû fond du nid, revinrent les placer sur le fatie , et bâtirent des murs, des cases, en un mot, un étage complet en quelques heures. J’ai souvent répété cette expérience, et toujours avec le même succès. C’est surtout au printems que les fourmis maconnes profitent de la pluie pour agrandir leur nid ; la nuit même ne les arrête pas, et j'ai fréquemment trouvé, le matin, des étages CN L 9 e r entièrement construlis pendant l'obscurite. = MŒURS DES FOURMIS. 43 Les fourmis ne se contentent pas d'augmenter l'élévation de leur demeure , elles creusent dans la terre des appartemens plus spacieuses encore, et les matériaux qu’elles en reürent sont employés, comme nous l’avons déjà dit, dans leurs construc- üons extérieures : ainsi l’art de ces insectes consiste -à savoir exécuter à la fois deux opérations op- posées; lune de miner, et l’autre de bâur; et à faire servir la prennère à l'avantage de la seconde : ce qu'il y a de plus singulier, c’est qu’on observe le même esprit dans ces excavations que dans la partie du bâument qui s'élève au-dessus du sol. L'humidiié qui pénètre au fond de leur nid, les aide sans doute dans ces travaux. 6 III. Architecture des fourmis noir-cendrées. CEs fourmis, dont on trouvera une descripuon beaucoup plus détaillée à la fin de cet ouvrage, ont pour caractère disuncuf, selon M. Latreille, d’avoir le corps, la tête et Pabdomen noir-cendres, luisans ; le bas des antennes et les pates rou- câtres, lecaille grande , presque triangulaire, et SN à dei 5 nie” | ins -Y mtroist. trois peuts yeux lisses. 44 RECHERCHES SUR LES Les fourmis noiïr-cendrées ont une manière de bâur bien différente des fourmis brunes : on a déjà vu, par la description de leurs logemens , qu’elles ne possédoient qu'un art simple et grossier , relatui- vement à celui de ces derméères. Cette simplicité même étoit à mes yeux une condilion précieuse pour Pobjet que je me proposois: c’étoit d'examiner, sil étoit possible, comment tant de fourmis pou- voient concourir à l'exécution d’un même dessin, et s'entendre dans la conduite de leurs travaux ; de découvrir si elles agissoient de concert ou imde- pendamment les unes des autres, par leur propre seneral. impulsion où par l'effet d’un mouvement g Je ne me flaite point d’avoir décidé ces grandes questions; mais les faits que je vais rapporter pourront du moins jeter quelque lumière sur ce sujet. Lorsque les fourmis noir-cendrées veulent don- ner plus d’élévauon à leur demeure, elles com- mencent par en couvrir le faite d’une épaisse couche de terre qu’elles apportent de l'intérieur; et c’est dans cette couche même qu’elles tracent, en creux et en relief, le plan d’un nouvel étage : elles creusent d’abord cà et là, dans cette terre meuble, MŒURS DES FOURMIS. 45 de peuts fossés plus où moins rapprochés les uns des autres, et d’une largeur proportionnée à leur destinauon; elles leur donnent une profondeur à peu près égale : les massifs de terre qu'ils laissent entre eux doivent servir ensuite de base aux murs intérieurs, de manière qu'après avoir enlevé toute la terre inutile au fond de chaque case, et réduit à leur juste épaisseur les fondemens de ces murs, il ne reste plus à leurs architectes qu'a en ang- menter la hauteur et à recouvrir d’un plafond les loges qui en résultent. Après avoir observé l’esprit dans lequel étoient construites ces fourmilières , je sentis que le seul moyen de pénétrer dans les véritables secrets de leur organisation , etoit de suivre individuellement la conduite des ouvrières occupées à les élever. Mes journaux sont remplis d'observations de ce genre : je vais en extraire quelques-unes, qui m'ont paru intéressantes. Je deécrirai donc ici les manœuvres d’une seule fourmi que jai pu suivre assez long- tems pour satisfaire ma curiosité. Un jour de pluie je vis une ouvrière creuser le sol auprès d’un trou qui servoit de porte à la fourmilière : elle accumuloit les brins qu'elle avoit 46 RECHERCHES SUR LES détachés , et en faisoit de petites pelottes, qu’elle porto çà et là sur le nid; elle revenoit constam- ment à la même place, et paroissoit avoir un dessem marqué, car elle travailloit avec ardeur et persé- vérance. Je découvris d’abord en cet endroit un léger sillon tracé dans l’épaisseur du terrain ; il étoit en ligne droite , et pouvoit représenter l’ébauche d’un sentier ou d’une galerie : Pouvrière, dont tous les mouvemens se faisoient sous mes yeux, lui donna plus de profondeur, Pélargit, nettoya ses bords, et je vis enfin, sans pouvoir en douter, qu’elle avoit eu lintention d'établir une avenue conduisant d’une certaine case à l'ouverture du souterrain. Ce sentier, long de 2 à 3 pouces, formé par une seule ouvrière , étoit ouvert au-dessus, et borde des deux côtés d’une butte de terre : sa con- cavité, en forme de gouttière, se trouva d'une régularité parfaite, car l'architecte n’avoit pas laissé dans cette partie un seul atome de trop. Le travail de cette fournu étoit si suivi et si bien entendu , que je devinois presque toujours ce qu’elle vouloit faire, et le fragment qu'eile allo enlever. A côté de l'ouverture où ce sentier aboutissoit , MŒURS DES FOURMIS. 47 en étoit une seconde, à laquelle il falloit aussi par- venir par quelque chemin : la même fourmi exécuta seule cette nouvelle entreprise; elle sillonna encore l'épaisseur du sol, et ouvrit un autre senter paral- lèlement au premier , de sorte qu'ils laissoient entre eux un peut mur de 5 à 4 lignes de hauteur. Les fourmis qui tracent le plan d’un mur dune case, d’une galerie , etc., travaillant chacune de leur côté, 1l leur arrive quelquefois de ne pas faire coïncider exactement les parties d’un mème objet, ou d'objets différens ; ces exemples ne sont pas rares, mais ils ne les embarrassent point : en voici un où lon verra que louvrière découvrit l'erreur, et sut la réparer. Là s’élevoit un mur d’attente ; il sembloit place de manière à devoir soutenir une voûte encore mcomplète jetée depuis le bord oppose d'une grande case; mais ouvrière qui Pavoit commencée lu avoit donné trop peu d’élévation pour le mur sur lequel elle devoit reposer : si elle eût éte con- ünuée sur le même plan, elle auroit infailliblement rencontré cette cloison à la moitié de la hauteur, et c’étoit ce qu'il falloit éviter : cette remarque critique m’occupoit justement , lorsqu'une fourmt 48 RECHERCHES SUR LES arrivée sur la place, après avoir visité ces ouvrages, parut être frappée de la même dificulté , car elle commença aussHôt à détruire la voûte ébauchée , releva le mur sur lequel elle reposoit, et fit une nouvelle voûte, sous mes yeux, avec les débris de l’ancienne. C’est surtout lorsque les fourmis commencent quelque entreprise, que lon croiroit voir une idée naître dans leur esprit, et se réaliser par Pexécuuon. Ainsi, quand Pune d’elles découvre sur le nid deux brins d'herbe qui se croisent et peuvent favoriser la formation d’une loge ou quelques petites poutres qui en dessinent les angles et les côtés, on la voit examiner les parties de cet ensemble, pius placer, avec beaucoup de suite et Yadresse, des parcelles de terre dans les vides et le long des tiges: prendre de toutes parts les matériaux à sa convenance , quelquefois même sans ménager louvrage que d’autres ont ébauche : tant elle est dominée par l'idée qu’elle a conçue, et qu’elle suit sans dis- tracuon. Elle va, vient, retourne jusqu'à ce que son plan soit devenu sensible pour d'autres fourmis. Dans une autre partie de la même fourmilière , plusieurs brins de paille sembloient placés exprès pour MŒURS DES FOURMIS. 49 pour faire la charpente du toit d’une grande cie = une ouvrière saisit l'avantage de cette disposition ; ces fragmens, couchés horizontalement à demi- pouce du terrain, formoient , en se croisant, un parallélogramme alongé. L’industrieux insecte placa d’abord de la terre dans tous les angles de cette charpente , et le long des petites poutres dont elle étoit composée ; la même ouvrière établit ensuite plusieurs rangées de ces matériaux les unes contre les autres, en sorte que le toit de cette case commençoit à être très-disunct , lorsqu’ayant aperçu la possibilité de profiter d’une autre plante pour appuyer un mur vertical , elle en placa de même les fondemens. D’autres fourmis étant alors survenues , elles achevèrent en commun les ou- vrages que la première avoit commencés. D’après ces observations et mille autres sem- blables, je me suis assuré que chaque fourmi agit indépendamment de ses compagnes. La première qui conçoit un plan d’une exécution facile en trace aussitôt l’esquisse ; les autres n’ont plus qu’à continuer ce qu'elle a commencé : celles-ci jugent par l'inspection des premiers travaux de ceux qu'elles doivent entreprendre ; elles savent toutes 4 Bo RECHERCHES SUR LES ébaucher , contunuer , polir ou retoucher leur ouvrage , selon Poccasion : l’eau leur fournit le ciment dont elles ont besoin ; le soleil et l'air dur- cissent la matière de leurs édifices ; elles n'ont d'autre ciseau que leurs dents , d'autre compas que leurs antennes, et de truelle que leurs pates de devant, dont elles se servent d’une manière admi- rable pour appuyer et consolider leur terre mouillée. Ce sont là les moyens matériels et mécaniques qui leur sont donnés pour bäur ; elles aurotent donc pu, en suivant un inslüincCt purement machinal , exécuter avec exacutude un plan géométrique et invariable ; construire des murs égaux, des voûtes dont la courbure , calculée d'avance, n’auroit exige qu'une obeissance servile ; et nous m’aurions été que médiocrement surpris de leur industrie; mais, pour élever ces dômes irréguliers, composés de tant d’étages ; pour distribuer d’une manière commode et variée Îles appartemens qu'ils contiennent , et saisir les tems les plus favorables à leurs travaux ; mais surlout pour savoir se conduire selon les circonstances, profiter des pois d'appui qui se présentent, et juger de lavantage de telles ou telles opérauons , ne falloit-1l pas qu'elles fussent MŒ@URS DES FOURMIS. 51 douces de facultés assez rapprochées de lintelli- sence , et que, loin de les traiter en automates , la nature leur laissät entrevoir le but des travaux aux- quels elles sont destinées ? 1 me seroit facile de mulupher 1c1 les exemples de l’industrie des fourmis | en racontant encore de quelle manière plusieurs autres espèces construisent leur demeure; mais, afin de ne pas trop abuser de la patience des lecteurs, je ne parlerai avec détail mi des travaux de la fourmi des gazons , qui bâut de petites cases les unes au-dessus des autres, le long des brins d'herbes , et qui sait au besoin faire tenir ensemble des grains de sable, soit par leur seule position, soit par le mélange d’un peu de terre mouillée; ni de ceux de la fourmi sanguine, qui sait composer avec de la terre, des feuilles sèches et d’autres matériaux, un tissu serré, difficile à rompre, et impénétrable à Peau; ni de ces galeries couvertes que les fourmis brunes construisent avec de la terre, depuis leur nid jus- qu'au pied des arbres, et quelquefois même jusqu’à l’origine des branches, afin de parvenir avec plus de sécurité dans les lieux où elles trouvent leur nourriture , eLC. etc. ba RECHERCHES SUR LES 6 IV. Architecture des fourmis qui sculptent le bors, N’EsT-IL pas étonnant que la nature ait donné aux insectes d’un même genre des mœurs si varices et une industrie complètement différente ? Les fourmis en sont un des exemples les plus frappans. Nous venons de voir qu'il y a plusieurs espèces de fourmis maçconnes , dont aucune ne bätit de la même mamère , et qu’elles offrent toutes quelques parücularités remarquables dans leur architecture. Celle des fourmis fauves est fondée sur des principes différens; enfin l’industrie des fourmis qui sculptent le bois n’a aucun rapport avec celles dont on vient de parler. Ce genre renferme plusieurs espèces, et nous observerons encore dans leurs travaux des nuances très-sensibles. Tous ces insectes entrent dans la première des neufs divisions que Latreille a tracées chez les fourmis; elle renferme Îa fourmi brune , la noir-cendrée , la fourmi fauve , la mineuse, la sanguine, la fuligmeuse, la jaune, etc. Ces fourmis ont les mêmes organes extérieurs, des moyens de construction semblables, et des rapports de forme qui les ont fait renfermer dans MŒURS DES FOURMIS. 53 une même section; cependant, leur instinct les place à une grande distance les unes des autres : il] est donc vrai qu'on ne peut toujours juger des mœurs des insectes par analogie. Les travaux des fourmis sculpteuses, moins en évidence que ceux des précédentes, Gnt échappé aux observations des naturalistes. La fourmi qui tient le premier rang entre celles de ce genre est la fuligmeuse, ainsi appelée à cause de sa couleur. Elle est noire-lusante, et longue de 2 lignes; ses républiques, composées d’un très-grand nombre d'individus, sont moins communes que celles dont nous avons parlé jusqu'ici. Qw'on se représente l’intérieur d’un arbre en- tièrement sculpté, des étages sans nombre , plus ou moins horizontaux , dont les planchers et les plafonds, à cinq ou six lignes de distance les uns des autres, sont aussi minces qu’une carte à jouer, supportés tantôt par des cloisons verucales, qui forment une infinite de cases, tantôt par une mul- ntude de petites colonnes assez légères, qui lais- sent voir entr'elles la profondeur d’un étage pres- Pa, . . éJ1À ’ qu'enuer ; le tout d’un bois noirâtre et enfumé , 54 RECHERCIES SUR LES et l’on aura une idée assez juste des cités de ces fourmis. La plupart des cloisons verticales qui divisent chaque étage en compartimens, sont paralleles ; elles suivent le sens des couches ligneuses, tou- jours concentriques, ce qui donne un air de re- gularité à ouvrage : les planchers, pris dans leur ensemble , sont horizontaux; les petites colonnes | sont d’une à deux lignes d'épaisseur, plus où moins arrondies, d’une hauteur égale à leléyauon de l'étage qu’elles supportent ; plus larges en haut et en bas que dans le milieu , un peu aplates à leurs extrémités, et rangées en lignes , parce qu'elles ont été tullées dans des cloisons parallèles. Quels nombreux appartemens , quelle multitude de loges, de salles, de corridors ces insectes ne se procurent-ils pas par leur seule industrie; et quel travail une si grande entreprise n’a-t-elle pas dù leur couter! Le hois dans lequel les fourmis de cetie espèce sculptent ces labyrinthes prend une couleur noi- râtre. Est-elle due aux sucs des vaisseaux de l’arbre, qui étant extravasés se seroient combinés avec les principes de l'air, ou avec les émanations des MŒURS DES FOURMIS. 55 fourmis elles-mêmes , dont l’odeur très-forte peut n'être pas sans influence sur ces fluides? Ou les couches du bois étant mises à découvert par ces insectes , auroient-elles subi quelques décompo- siions par leffet de l'acide formique? C’est ce que je ne déciderai point; mais ce que je pus assurer , C’est que le bois travaillé par ces four- mis est toujours noirâtre à l'extérieur, de même couleur au dedans, sil est très-mince, et de cou- leur naturelle intérieurement lorsqu'il a quelque épaisseur ; que le bois de chène, de saule , et celui de tous les autres arbres où j'a vu ces fourmis établies, prend également ces couleurs. J'ai observé aussi plusieurs autres espèces de four- mis logées dans l’intérieur des arbres, et celles- ci ne lui donnoient jamais cette apparence : j'ai vu très-souvent, au pied de ceux qui étoient ha- bités par les fourmis fuligineuses, un suc noir et liquide très-abondant : à quoi doit-il être attribue ? La végétation de ces arbres ne paroissoit point ahérée par les travaux de ces insectes. Il eût ete fort curieux d'observer les fourmis occupées à sculpter le bois dans lequel elles éta- blissent leur habitation; on eût peut-être appris 56 RECHERCIIES SUR LES l’origine de cette teinture noire dont il est recou- vert; mais les ouvrières de cette espèce, 1tra- vaillant toujours dans l’intérieur des arbres, et vou- lant être dans l'obscurité, nous ôtoient l’espe- rance de pouvoir suivre leurs procédés : je n’ai point épargne les essais de tous genres pour sur- monter les difficultés que presentoient ces re- cherches. Jai vainement espere d’accoutumer ces fourmis à vivre et à travailler sous mes yeux , elles n'ont pu se faire à la dépendance ; elles aban- donnoient même les portions les plus conside- rables de leur nid, pour chercher quelque nouvel asile , et dédaignoiïent le miel et le sucre que je leur donnois pour les nourrir. 11 falloit donc se borner à l’inspecuon de ces édifices , et essayer, en les décomposant avec soin, de concevoir l’ordre des travaux qu'ils avoient exigés : je tâcherai donc d’en donner une idée , en décrivant les fragmens dont j’ai étudié la distri- buuon. Ici sont des galeries horizontales, cachées en grande parte par leurs parois, qui suivent les couches liygneuses dans leur forme circulaire. Ces galeries parallèles , séparées par des cloisons très- MŒURS DES FOURMIS. 57 minces , n'ont de communication que par quelques trous ovales, pratiqués de distance en distance : telle est l’ébauche de ces ouvrages si délicats et si légers. Ailleurs , ces avenues ouvertes latéralement con- servent encore entr’elles des fragmens de parois qui n’ont pas été abattues, et lon remarque que les fourmis ont aussi ménagé cà et là des cloisons transversales dans l’intérieur même des galeries, pour y former des cases par leur rencontre avec d’autres : quand le travail est plus avancé on voit toujours des trous ronds, encadrés par deux piliers pris dans la même parois. Avec le tems, ces trous deviendront carrés, et les piliers, d’abord arqués à leurs extrémités, seront changés en colonnes assez droites par le ciseau de nos sculpteurs. C’est le second degré de Part : peut-être une parue de l'édifice doit-elle rester dans cet état. Mais voici des fragmens tout autrement ou- vragés , dans lesquels ces mêmes parois , percées maintenant de toutes parts, et taillées artistement , sont transformées en colonnades qui soutiennent les étages et laissent une communication parfaite- ment libre dans toute leur étendue. On concoit 58 RECHERCHES SUR LES aisément que des galeries parallèles, crensées sur le même plan, et dont on abat les parois, en ne laissant, de distance en distance, que ce qu'il faut pour soutenir leurs plafonds, doivent former en- semble un seul étage; mais comme chacune a été percée séparément, leur parquet ne doit pas être très-bien mivelé; il est, au contraire , creusé fort inégalement dans toute son étendue , et c’est encore un avantage précieux pour les fournus, puisque ces sillons le rendent plus propre à re- tenir les larves qu'elles y déposent. Les etages, creusés dans de grosses racines, offrent plus d'irrégularités que ceux qui ont été pris dans le tronc même de Parbre , soit que la dureté et l’eutrelacement des fibres rendent le travail plus difficile et obligent les ouvrières à se déparur de leur ordre accoutumé, soit qu’elles uennent moins à cet arrangement aux extrémités de lPedifice que dans le centre même. Quoi quil en soit, on y trouve encore des étages horizontaux ei des cloisons en grand nombre : si Pouvrage est moins régulier , 1l gagne du côté de la delicatesse ; car les fourmis profitent alors de la dureté et de la solidne de la matitre pour donner à leur bau- MŒURS DES FOURMIS. 59 ment une extrême légèreté. Jai vu des fragmens de huit à dix pouces de profondeur et d’une hau- teur égale , fabriqués d’un bois aussi mince que du papier ; ils contenoient une infinité de cases, et présentoient l’aspect le plus singulier. Enfin , à l’entrée de ces appartemens , travaillés avec tant de soin, se présentent des ouvertures beaucoup plus spacieuses : ce ne sont plus des cases ni des galeries prolongées ; les couches du bois , percées en arcades , laissent aux fourmis un libre passage dans tous les sens ; ce sont les portes ou les vesubules des logemens auxquels ils con- duisent. Les figures 5 et 4 , planche LE, ne peuvent donner qu'une idée très-mcomplète des travaux de ces insectes. La première représente un frag- ment üré du tronc d’un chène occupé par Îles fourmis fuligmeuses; la seconde , une petite por- uon de leur nid prise dans les racines de larbre. Pour en juger convenablement , 1l faudroit pouvoir les retourner dans tous les sens ; alors on verroit mieux leur singulière organisation. La fourmi rouge, un peu plus grande que la précédente , sait sculpter dans les arbres des loge- 6o RECHERCHES SUR LES mens analogues, mais ils sont sur une plus petite échelle. Ce sont encore des étages où l’on remarque différens degrés de développement ; les uns sont divisés en petites cases, ou loges, dont les parois sont excessivement minces ; les auires sont soute- nus par une infime de peutes colonnes ressemblant, à la grandeur et à la couleur près, à celles dont nous avons dejà parlé ; car ici le bois n’est point noirci comme celui qu a été sculpté par les fourmis fuligiueuses , 1l conserve sa couleur naturelle ; il est ordinairement moins dur et de la consistance du liége. Mais ce qu'il y a peut-être de plus smgulier dans ses, c’est qu'elles ne sont l’histoire des fourmis roug pas seulement sculpteuses, mais encore d’habiles maconnes, et qu'elles établissent le plus souvent leur demeure dans la terre : elles possédent donc deux genres d'industrie fort différens. Ce n’est pas la seule espèce qui puisse , au besoin, déployer plus d’un talent en ce genre; on va voir encore deux sortes de fourmis qui jouissent du même privilége , la fourmi éiopienne et la fourmi jaune : elles nous feront connoître aussi un art particu- lier, dont je nai pas encore parlé, et qui dou MŒURS DES FOURMIS. Gi être regardé comme une des branches de larclhui- tecture des fourmis. (] V. Architecture des fourmis qui travaillent la sciure de bois. Les fourmis euiopiennes ( ainsi nommées parce qu’elles sont très-noires) creusent de grandes loges, de longues galeries dans les arbres les plus vieux ; mais si leurs ouvrages en ce genre sont proportionnés à leur taille , supérieure à celle des autres fourmis, ils représentent à peine l’enfance de Part, par la mamière dont ils sont exécutés. Ce qu'il y a de plus remarquable dans leur industrie, c’est l’usage qu’elles savent faire du bois tombe en poudre au pied de l’arbre qu’elles habitent, pour en calfeutrer le fond de leurs cases, boucher des conduits muules, et faire des compartimens dans les portions trop spacieuses de leurs labyrinthes. La fourmi jaune , une des maconnes ; sait em- ployer cette matière avec bien plus d’habilete en- core, quand elle établit sa demeure dans un arbre creux ; elle construit alors des étages entiers avec cette vermoulure, dont elle choisit les parcelles 62 RECIHERCHES SUR LES les plus fines, qu, mélangées dans le fond de l'arbre avec un peu de terre et des toiles d'arai- gnées , forme une matière dont la consistance peut être comparée à celle du papier mäché. Cette industrie rappelle un peu celle des guêpes, comme celle des fourmis maconnes et sculpieuses rapproche ces insectes des abeilles maconnes et perce-bois. La classe des hyménoptères, la plus riche de toutes celles des insectes en mdustries variées, en mœurs originales, en insunct curieux, offre par- iout des rapprochemens ou des contrastes, des rapports entre les genres les plus éloignés, et des différences frappantes entre les espèces les plus voisines. — L'ordre moral ne paroît donc pas suivre l’ordre physique chez ces insectes : vérité bien im- portante pour la physiologie animale. MŒURS DES FOURMIS. 63 QC, 2, 3,3% 0 % 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 6 0 9 "0 CRÉAPASE EUR RUE TIR DEs Œ®urs, LARVES ET NYMPHES DES FOURMIS. | Lee des fourmilières , leur forme et leur construction nous ont entièrement occupés jusqu'ici : 1l falloit bien commencer par établir les fourmis dans leur demeure, avant de décrire ? le reste de leurs travaux. L’objet qui doit ac- tuellement exciter notre curiosité est, sans doute, cette sollicitude que les ouvrières éprouvent pour leurs élèves, et les soins maternels qu’elles leur rendent , depuis la sortie de Pœuf jusqu’à l’époque de leur enter développement (1). anasrteerthenrene tre mnt (1) Il seroit peut-être plus régulier de parler de la fécondation avant de faire connoître les soins donnés aux petits. Celle marche, dont on ne sauroit s’écarter en parlant d'insectes qui vivent isolément , n’est point aussi naturelle quand il s’agit de républiques nombreuses et permanentes, comme celles des fourmis. Il auroit été difficile de rendre compte de tous les détails relatifs à la reproduction de l’espèce, avant d’avoir fait conuoître intérieur des fourmilières et les moyens d'observation 64 RECIIERCIES SUR LES Quoique plusieurs naturalistes aient déjà étudié les métamorphoses des fourmis, et qu'ils en aient décrit les principales circonstances, nous allons examiner sous de nouveaux rapports les dévelop- pemens et l’éducation de ces insectes dans leurs différens états. L'histoire de l’œuf avoit entière- ment échappé à leurs recherches, ainsi que plu- sieurs traits de celle des nymphes et des larves. Mes devanciers ne s’étant point servi d'appareils vitrés pour observer ce qui se passe dans la de- meure des fourmis, n’avoient pu que très-rarement les prendre sur le fait, au milieu de leurs oc- cupations domestiques : ce n’étoit pas une chose aussi facile qu’elle le paroît au premier coup- d'oeil. | Ces insectes, si peu timides et qui ne craignent point pour eux-mêmes Îles intempéries de l'air, sont d’une extrême solhicitude pour leurs peuts, QE dont je me suis servi avec le plus de succès. L'éducation des petits étant le but de tous les travaux, nous offroit déjà , en grande partie , le tableau des mœurs de ces insectes laborieux. C’est pourquoi cet ordre m'a paru le plus propre à jeler du jour sur les questions sub- séquentes, ils MŒURS DES FOURMIS. 65 is redoutent pour ces êtres, d’une constitution délicate, les plus légères variauons de l’atmos- phère ; s’alarment au moindre danger qui semble les menacer, et paroissent jaloux de les sous- taire à nos regards. J’étois sans cesse contrarié, dans mes premières observations, par leur répu- gnance à laisser pénétrer le jour dans l’intérieur du nid : quand jessayois d'en vitrer les cases , ou de mettre à découvert une partie de leurs labyrinthes, s'ils ne les abandonnoiïent pas com- plètement, du moins ils m'ôtoient la faculté de suivre leurs travaux intérieurs. ‘T'antôt ils obs- truoient, par des amas de matériaux, toutes les salles éclairées ; tantôt, comme s'ils s’étoient apercu que le verre pouvoit, malgré sa trans- parence, leur servir de rempart contre Pair exte- rieur, et quil ne lui manquât, pour remplir les conditions d’un véritable mur, que de pouvoir les préserver d’une clarté qui leur est désagréable, ils conservoient les galeries contiguës à cette parois d’un nouveau genre, avec la seule précaution de la recouvrir d’une couche de terre mouillée ; qui m’empêchoit de les observer ; d’autres fois jemployois un moyeu plus simple et plus heureux ; 5 66 RECHERCHES SUR LES j'enlevois d’abord une portion de la fourmilière, et J'appliquois à celle qui restoit une planche de bois très-nunce du côté du midi : les fourmis, aturées par la chaleur, venoient déposer leurs peuts en ce lieu, et lorsque j'ôtois le volet, je pouvois étudier les progrès de leur accroissement , quoique les ouvrières se hâtassent de les emporter dans leurs souterrains. Il falloit souvent varier les moyens que je mettois en œuvre, car les fourmis, bientôt lasses de mes visites, se jouoient encore de ma curiosité, en faisant un véritable mur de terre derrière le contrevent. Après avoir long-tems étudié les mœurs de ces insectes, je me suis aperçu qu'on pouvoit les accoutumer par degrés à souffir entrée du jour dans leur re- ane; mais 1l falloit y mettre beaucoup de dis- créuon. Ce qui me réussit le mieux, ce fut de pratiquer une ouverture alongée au milieu d’une table, au-dessous de laquelle je plaçai un double châssis vitré sur ses deux grandes faces, et ouvert seulement dans la partie supérieure qui devoit s'adapter exactement à cette fente (1). Ces chassis, (1) Fig. 2 PL LE MŒURS DES FOURMIS. 67 garnis de volets, permettoient d'observer les four- mis, ou de les ménager dans leur goût pour Pobs- curite : cela fait, je versai tous les matériaux d’un nid de fourmis fauves sur la table, et leur laissai le soin de les arranger elles-mêmes au fond de la caisse vitrée; ce qu'elles firent de manière qu’il me fut très-facile d'observer toutes leurs galeries et les cases auxquelles elles conduisoient. Je re- couvris ensuite le tas de matériaux d’une grande cloche de verre, afin de pouvoir suivre tous les mouvemens de mes prisonnières, tant au dedans qu'au dehors, sans qu'elles pussent s'échapper ; mais lorsque je vis qu’elles s’étoient accoutumées à leur sort, et qu’elles ne cherchoïent pas à s'enfuir, je les laissai libres de sorur par-dessous les bords de la cloche, et de parcourir la plate-forme sur laquelle elle étoit posée; je pris seulement la pré- caution de faire plonger les pieds de la table dans des baquets pleins d’eau, afin d’arrêter les fourmis, si elles essayoient de s’éloigner. Cet appareil et plusieurs autres dont lexplication seroit trop longue , eurent le succès que j'en attendois : je vis avec satisfaction que les fourmis contuinuoient à s'occuper des larves; ce qui prouvoit 68 RECHERCIIES SUR LES qu’en les sortant, à quelques égards, de l’état de pature, je ne les avois pas trop déroutées : je orand pouvois donc espérer de voir dans le plus 9 détail tous les soins qu’elles prenoient de la ge- nération naissante. Cependant je ne n'en tenois pas toujours à ces moyens arüuficiels ; je comparois, autant qu'il n’étoit possible, la conduite des fourmis prisonmières avec celle des fourmis qui habitoiïent les champs ; et comme je n'ai jamais remarque de différence sensible dans leur manière d'agir, jen ai conclu que je pouvois me fier aux résultats que j'ai obtenus au moyen des fourmilières vitrées. Ouvrons à present le volet qui nous cache l'intérieur de la fournuhière, et voyons ce qui S'y passe. Là sont des nymphes entassées par centaines dans des loges spacieuses; ici les larves, rassem- blées, sont entourées d’ouvrières; plus loin on voit des œufs amoncelés; ailleurs quelques ou- vrières paroissent occupées à suivre une fourmi beaucoup plus grande que les autres; c’est la mére, ou du moins une des femelles, car il y en a toujours plusieurs dans chaque fourmiliere : elle pond en marchant, et les gardiennes dont MŒURS DES FOURMIS. 69 elle est entourée relèvent ses œufs, ou les sai- sissent au moment même de la ponte. Elles les réunissent et les portent en petts tas à leur bouche; on voit, en les regardant de prés, qu'elles les tournent et retournent sans cesse avec leur langue : il paroït même qu’elles les font passer les uns après les autres entre leurs dents, et que tous ces œufs sont constamment mouillés. Tel est le prennier apercu que nvoffrit ma fourmilière vitrée, Ces œufs ayant fixé particulièrement mon atten- tion, je remarquai qu'ils étoient tous de grandeur, de nuance et de forme différentes ; les plus peuts étoient blancs, opaques et cylindriques ; les plus gros, transparens et légèrement arqués à leurs extrémités ; ceux qui tenoient le milieu, pour la grandeur, n’étoient transparens qu'a demi : en les regardant au grand jour, je vis dans leur inté- rieur une espèce de nuage blanc qui paroissoit plus où moins alongé; dans les uns, on n’aper- cevoit qu'un point transparent à l'extrémité su- périeure; dans les autres, on voyoit une zone claire au-dessus et au-dessous du peut nuage; lorsqu'on observoit les plus gros, on ne trou oit 7o RECHERCHES SUR LES plus qu'un seul point opaque et blanchätre dans leur intérieur; 1l y en avoit enfin dont toute l'étendue offroit une limpidité parfaite, et dans lesquels on apercevoit déjà des anneaux très- marqués. C’est en fixant mon attention sur ces derniers que Jai vu l’œuf s’entr'ouvrir, sa coque se fendre , et la larve paroître à sa place. Ayant comparé les œufs dont je viens de parler à ceux qui venoient d’être pondus, j'ai constamment trouvé ces derniers d’un blanc laiteux , enuère- ment opaques, et plus petits de moitié; en sorte que je nai pu douter que les œufs des fourmis ne prissent un accroissement très-sensible ; qu’en geant ils ne devinssent transparens, et ne revé- > 5 along ussent déjà la forme du ver, qui est toujours très- arquée. Pour nassurer de la vérité de ces faits , jai observé ces œufs au microscope ; je les a mesurés, et les ayant séparés les uns des autres; les plus longs ont été les seuls dont les vers soient éclos en ma présence. Quand je les éloignois des ouvrières, avant qu'ils eussent atteint toute leur longueur et leur transparence , ils se desséchoient, et le ver n’en sortoit point. Seroit-ce donc au soim que les MŒURS DES FOURMIS. 71 ouvrières prennent de les faire passer dans leur bouche, que uendroit tout le secret de leur conservation ? Ces œufs auroient-ils besoin de cette humidité , et en absorberoiïent-ils une parue pour fournir à la nourriture du petit ver qu'ils contiennent ? C’est ce qui me semble bien pro- bable. Les réflexions de M. Reaumur ajouteront plus de poids à cette opinion : jai trouvé dans ses écrits la preuve qu'il existe d’autres œufs qui prennent de l’accroissement. Ceux-ci, logés dans les galles de différens arbres, sont dus à des cinips ou à d’autres insectes du même genre. Voici les expressions dont se sert à leur égard cet observateur si exact et si judicieux. € Une remarque qui ne doit pas être passée » sous silence, c’est que l'œuf que j'ai trouve » alors dans la galle m'a paru considérable- » ment plus gros que les œufs de même espèce » ne le sont lorsqu'ils sortent du corps de la » mouche ; considérablement plus gros que ceux » qu'on fait sortir du corps des mères-mouches, » quelque prochain que soit le tems de ler » ponte : tous ceux que J'ai fait sorur du corps » de ces mouches que j'ai écrasces eétoient d’une 72 RECHERCHES SUR LES » » D » » >) » » » D D >) » » » prodigieuse peutesse. [1 n’a donc paru certain que l'œuf auroit crü , et avoit considérable- ment crû dans la galle. » Nous ne sommes accoutumés à voir que les œufs entourés d’une coque incapable de sé- tendre ; mais pourquoi des œufs auxquels Ia nature n’a donné pour enveloppe qu'une mem- brane flexible, ne pourroientls pas croître ? L’enveloppe de l'œuf peut être ic1 ce que sont ces membranes sous lesquelles sont renfermes les fœtus humains et ceux des quadrupèdes. » La nature a consutue les œufs de quelques autres insectes de manière qu'ils sont capables d’accroissement ; tels sont, selon M. Vallismieri, les œufs des mouches à scie, qui donnent nais- sance aux fausses-chenilles qui vivent sur les rosiers. » Ces exemples remarquables m'autorisent à ad- mettre l'accroissement des œufs de fourmis comme démontré, quoiqu'ils ne soient pas exactement dans les mêmes circonstances que ceux dont parle le Philosophe que je viens de citer. Car, s'ils ne sont pas environnés de liquide, où préservés de l'influence de Fair extérieur, leur pellicule hu- MŒURS DES FOURMIS. 79 mectée à chaque instant par les ouvrières peut aussi conserver un certan degré de souplesse et la faculté de s'étendre, selon les développemens du ver qu'ils renferment. Au bout d’une quinzaine de jours, il sort de sa coque. Son corps est d’une transparence parfaite , et ne présente qu'une tête et des an- neaux, sans aucun rudiment de pates ou d’an- tennes. L’insecte à cet âge est dans une dépendance absolue des ouvrières. J'ai pu suivre au travers des vitrages de la four- milière arufcielle tous les soins qu’elles prennent de ces peuts vers qui portent aussi le nom de larve. Ils étoient gardés, à ordinaire, par une troupe de fourmis qui, dressées sur leurs pates et le ventre en avant, étoient prêtes à lancer leur venin, tandis qu'on voyoit cà et là d’autres ouvrières occupées à deblayer les conduits em- barrassés par des matériaux hors de place, et qu'une parue de leurs compagnes demeuroient dans un repos complet, et paroissoient endormies. Mais la scène s’animoit à l’heure du transport des peuts au soleil. Au moment où ses rayons venoient éclairer la parte extérieure du nid, 74 RECHERCIHES SUR LES les fourmis qui se trouvoient à la surface par- toient aussHôt et descendoient avec précipitation dans le fond de la fourmilière, frappoient de leurs antennes les autres fourmis , couroient de l’une à l’autre , pressoient, heurioient leurs compa- gnes, qui montoient à linsiant sous la cloche, re- descendoient avec la même rapidité, et mettoient à leur tour tout en mouvement, jusqu'à ce qu'on vit un essaim d’ouvrières remplir tous les passages. Mais ce qu prouvoit mieux encore le but qu’elles se proposoient, c’est la violence avec laquelle ces ouvrières saisissoient quelquefois par leurs man- dibules celles qui paroiïssoient ne pas les com- prendre, et les entraïnoient au sommet de la fourmilière, où elles les abandonnoient aussitôt pour aller chercher celles qui restoient aupres des petits. Dès que les fourmis étoient averues de lap- pariion du soleil, elles s’occupoient des larves et des nymphes ; elles les portoient en toute hâte au-dessus de la fourmilière , où elles les laissoient quelque tems exposées à l'influence de la chaleur. Leur ardeur ne se ralentissoit point : les larves de femelles, beaucoup plus grandes et plus pe- MŒURS DES FOURMIS. 7D santes que celles des autres castes, étoient trans- portées avec assez de difficultés, au travers des passages étroits qui conduisoient de Pmtérieur à l'extérieur de la fourmilière , et placces au soleil à côté de celles des ouvrières et des mäles ; quand elles y avoient passé un quart-d’heure, les fourmis les reuroient et les mettoient à l'abri de ses rayons directs, dans des loges destinées à les recevoir, sous une couche de chaume, qui n’interceptoit pas entueérement la chaleur. Les ouvrières , après avoir satisfait aux devoirs qui leur sont imposés à l'égard des larves, ne pa- roissoient pas s’oublier elles-mêmes; elles cher- choient à leur tour à sétendre au soleil; elles s’entassoient les unes sur les autres, et sembloient jouir de: quelque repos, mais il wétoit pas de longue. durée ; on en voyoit toujours un grand uombre travailler au-dessus de la fourmilière ; d’autres rapportoient les larves dans l’intérieur , à mesure que le soleil sabaissoit ; enfin le moment de les nourrir étant arrivé, chaque fourmis s’ap- prochoit-d’une larve ; et lui donnoit à manger. « Les larves des fourmis , dit M. Latreille , res- » semblent, lorsqu'elles sortent de l'œuf, à de 76 RECHERCHES SUR LES » peuts vers blancs, sans pates, gros, courts, et » dune forme presque conique; leur corps est » compose de douze anneaux ; sa partie antérieure » est plus menue et courbée ; on remarque à sa » tête, 1.° deux petites pièces écailleuses, qui » sont deux espèces de crochets trop écartés lun » de lPautre pour pouvoir être considérés comme » de véritables dents ; 2.” au-dessous de ces cro- » chets, quatre petites pointes , ou cils, deux de » chaque côté, et un mamelon presque cylin- » drique, mou, rétracule, par lequel la larve » recoit sa béquée. » Les fourmis ne préparent point aux larves des provisions de bouche, comme le font plusieurs espèces d'abeille, et tant d’autres msectes qui pour- voient d'avance aux besoins de leurs peus; elles leur donnent chaque jour la nourriture qui leur convient. L'instinct des larves est déjà assez déve- loppé pour qu’elles sachent demander et recevoir directement leur repas, comme les peuts des o1- seaux le recoivent de leur mère : quand elles ont faim , elles redressent leur corps et cherchent avec leur bouche celle des ouvrières qui sont chargées de les nourrir ; la fourmi écarte alors ses mandi- MŒURS DES FOURMIS. wi bules, et leur laisse prendre dans sa bouche même les fluides qu’elles y cherchent. J’ignore s'ils su- bissent quelque préparation dans le corps des ou- vrières, mais je suis très-éloigné de le croire, parce que j'ai vu souvent les fourmis leur offrir à Pinstant même la nourriture qu’elles venoient de prendre ; c’étoit du muel ou du sucre dissout dans de l’eau : je présume cependant qu’elles propor- üonnent leur régime à l’âge et au sexe de chaque individu ; qu’elles leur dégorgent aussi des sucs plus substantiels lorsqu'ils sont plus près de leur métamorphose , et qu’elles en donnent davantage aux larves des femelles qu’à celles des ouvrières et des mâles. Mas, de quelle mamière $assurer de la qualité et de la quanuté de ces alimens ? Ce sont des questions bien difficiles à résoudre ; cepen- dant , comme il seroit trés-important de découvrir si la nourriture que prennent les larves influe sur le développement des sexes chez les femelles des fourmis, ainsi qu’on l’a observé chez les abeilles, je me propose de faire à cet égard quelques expé- riences, en nourrissant moi-même des larves de dérentes espèces : mais suivons encore les ou- vrières dans les derniers soins qu'elles rendent aux 76 RECHERCHES SUR LES larves. 11 ne suflisoit pas de les porter au soleil et de les nourrir , 1l falloit encore les entretenir dans une extrème propreté; aussi ces insectes, qui ne le cèdent en tendresse pour les peuts dont la di- rectüon leur est confiée, à aucune des femelles des grands animaux, ont-ils encore l’attention de passer leur langue et leurs mandibules à chaque instant sur leur corps, et les rendent-ils par ce moyen d’une blancheur parfaite : on voit encore les fourmis occupées à urailler leur pean, déten- due et ramollie , près de l’époque de leur trans- formauon. Avant de se dépouiller de cette peau, les larves des fourmis se filent une coque de soie, comme beaucoup d’autres insectes ; et c’est là qu’elles doivent , sous la forme de nymphe, se préparer à leur dernière métamorphose. Cetie coque est cylindrique , alongée, d’un jaune pâle , très-hisse et d’un ussu fort serré. Une singularité remarquable dont on n’a pas encore découvert la cause , c’est qu'il y a des four- mis dont les larves ne filent point; mais cette exception n’a lieu qu'à l'égard des espèces qui ont un aiguillon et deux nœuds au pédicule de lPab- MŒURS DES FOURMIS. 79 domen : ainsi il y a des larves qui se transforment dans une coque de soie , et d’autres qui deviennent nymphes sans être obligées de filer (1). Les larves de certames fourmis passent l’hiver amoncelées au fond de leurs cases ; j'en ai trouvé à cette époque de très-peutes dans les nids de la fourmi jaune, de la fourmi des gazons , et de quelques autres es- pèces, mais aucune dans ceux des fourmis fauves, noir-cendrées, mineuses, etc. Celles qui sont des- ünées à passer l'hiver sont velues dans cette saison, mais ne le sont cependant point en éte : c’est encore une preuve de cette prévoyance dont les naturalistes sont frappés à chaque pas. On ne trouve des larves de mâles et de femelles qu’au printems ; elles ne se métamorphosent qu’au com- mencement de lete. (1) Entre les larves fileuses, il en est dont la coque est marquée d’un point noir à l’une de ses extrémités : on a pris cetle trace pour les restes de la dépouille des nymphes, lorsqu'elles quittent la peau qui les recon- vroil dans l’élat précédent; mais comme j'ai trouvé des coques tachées avant que les larves qu’elles contenoient fussent métamorphosées, cette supposition tombe d’elle- même, el je me suis assuré que ce n’éloit autre chose que le résidu des alimens que ces insectes rejettent peu de iems ayant de se mélamorphoser, 80 RECHERCHES SUR LES L’insecte dans l’état de nymphe a acquis la forme qu'il aura toujours ; il ne lu manque que des forces et un peu plus de consistance ; il est aussi grand qu'il doit l'être : tous ses membres sont disuncts ; une seule pellicule les enveloppe. La fourmi, sous cetie forme , continue à se mouvoir quelques instans après être sortie de l'etat de larve ; mais bientôt elle devient d’une immo- bilité complete ; elle change graduellement de cou- leur, passe du plus beau blanc au jaune pâle, puis au roux, et dans plusieurs espèces devient brune et presque noire : on voit déjà les rudimens des ailes dans celles qui sont destinées à voler. Ces nymphes ont encore bien des soins à at- tendre des ouvrières ; la plupart sont renfermées dans un üssu qu’elles ont filé avant de se meétamor- phoser ; mais elles ne savent pas , comme celle de beaucoup d’autres insectes , sorur de leur coque delles-mêmes, en y faisant une ouverture avec leurs dents : elles ont à peine la force de se mou- voir ; leur coque est d’un üssu trop serré et d’une soie trop forte pour qu'il leur soit possible de Ja déchirer sans le secours des ouvrières. Mais comment ces infaligables nourrices découvrent- elles MŒURS DES FOURMIS. ôL elles le moment convenable pour les en tirer? Si elles étoient pourvues du sens de loue, on pour- roit croire qu’elles reconnoissent qu’il en est tems, à quelque bruit produit, dans l’intérieur de ceue prison , par linsecte dont le développement à commencé ; mais rien n'indique qu’elles aient la faculté d'entendre : peut-être apercoivent-elles, à l'aide de leurs antennes, de légers mouvemens, qui leur annoncent l’époque où elles doivent - bérer leur prisonnier ; car ces organes sont d’une sensibilité dont il seroit difficile de se former une juste idée. Quoi qu'il en soit, elles ne s’y trom- pent jamais. Suivons-les encore dans ce travail où elles déploient, à l'égard de leurs élèves , un zéle el une constance qui seroient déjà dignes de notre attenuon , si elles étoient les propres mères de ces insectes, et qui sont bien plus étonnans quand . on pense qu’elles n’ont d’autre rapport avec eux que celur d’être nées sous le même toit. Il y avoit dans une des cases les plus spacieuses de ma fourmilière vitrée plusieurs grandes coques de femelles ou de mäles. Les ouvrières rassem- blées en ce lieu paroissoient sagiter autour d'elles; j'en vis trois ou quatre , montées sur une 6 82 RECHERCHES SUR LES de ces coques, s’efforcer de l’ouvrir avec leurs denis à lextrémité qui répondoit à la tête de la nymphe. Elles commencèrent par ammeir l’etoffe, en arrachant quelques soies à la place qu’elles vouloient percer, et bientôt, à force de pincer et de tordre ce ussu si difficile à rompre , elles par- vinrent à le trouer en plusieurs endroits très-rap- prochés les uns des autres ; elles essayerent en- suite d'agrandir ces ouvertures, en Urant la soie comme pour la déclarer ; mais ceue méthode ne leur ayant pas réussi, elles firent passer une de leurs dents au travers de la coque , dans les trous qu'elles avoient prauqués ; coupèrent chaque fil Jun après l’autre avec une patience admirable , et parviurent enfin à fure un passage d’une ligne de diamètre dans la parue supérieure de la coque : on commencoit déjà à découvrir la tête et les pates de linsecte qu’elles cherchoient à mettre en liberté; mais avant de le tirer de sa cellule, il falloit en agrandir lPouverture : pour cet effet, ses gardiennes coupèrent une bande dans le sens longitudinal de cette coque, en se servant toujours de leurs dents , comme nous emploierions une paire de ciseaux. MŒURS DES FOURMIS. 83 Une sorte de fermentation régnoit dans cette parte de la fourmilière. Nombre de fourmis, occupées à dégager l'individu ailé de ses entraves ; se relevoient ou se reposoient tour à tour, et reyenolent avec empressement seconder leurs com- pagnes dans cette entreprise ; de manière qu’elles furent bientôt en état de le faire sortir de sa pri- son : l’une relevoit la bandelette coupée dans la longueur de la coque, tandis que d’autres le üroient doucement de sa loge natale. {1 en sortit enfin sous mes yeux , mais non comme un insecte prêt à jour de toutes ses facultés, et libre de prendre son essort ; la nature n’a pas voulu qu'il fût si tôt indépendant des ouvrières : il ne pouvoit ni voler, n1 marcher, à peine se tenir sur ses pates; car il étoit encore emmaillotté dans une derniére membrane , et ne savoit pas la rejeter de lui-même. Les ouvrières ne l’abandonnèrent pomt dans ce nouvel embarras ; elles le dépouillérent de la pelli- cule satinée dont toutes les parties de son corps étoient revêtues , trérent délicatement les an- tennes et les antennulles de leur fourreau, délièrent ensuite les pates et les ailes, et dégagèrent de leur enveloppe le corps ; l'abdomen et son pédicule 84 RECIHERCHES SUR LES : L'insecte fut alors en état de marcher, et surtout de prendre de la nourriture, dont il paroissoit avoir un besoin urgent; aussi la premére attén- ton de ses gardiennes fut-elle de lui donner sa part des provisions que je mettois à leur portée. On voyoit partout les fourmis occupées à rendre la liberté aux mâles, aux femelles et aux jeunes ouvrières renfermées dans leur coque de soie ; cela fait, elles en réunissoient les débris dans les loges les plus éloignées du centre de leur habita- üon, car l’ordre règne éminemment chez ces in- sectes : quelques espèces de fourmis emportent ces lambeaux loin de la fourmilière ; d’autres en re- couvrent toute la surface extérieure de leur nid, ou les amoncellent dans certames cases (tr). Les ou- (1) M. Latreille a remarqué, comme de Geer, qu'il y a toujours chez les fourmis noir-cendrées des nymphes nues, et d’autres renfermées dans une coque : il ne décide point s’il en est qui se métamorphosent sans filer, ou siles ouvrières déchirent leur enveloppe; ce- pendant 1l penche pour ce dernier avis : j'ai répété fort souvent lobservation de ce naturaliste judicieux; j'ai mème confirmé la conjecture qu'il avoit avancée, et j'ai vu très-souvent les ouvrières noir-cendrées ouvrir les coques des nymphes peu de tems après leur méta- M@URS DES FOURMIS. 25 vrières , que nous avons vues chargées du soin des larves et des nymphes, montrent lamèême sollicitude morphose : les fourmis mineuses sont dans le même usage; mais dans quel but se hâtent-elles de les en sortir , et à quoi sert-il que les larves filent si les ouvrières doivent bientôt détruire le tissu qu’elles ont ourdi ? Ce n’est point pour délier plus tôt leurs membres de leur dernière enveloppe, dans l'état de nymphe, car les fourmis ne cherchent à leur rendre ce service que lorsqu'elles sont capables de se mouvoir, et lorsqu'elles ont acquis toute leur force : elles connoissent même très-bien le moment où il convient de les dépouiller. Ces coques ne servent- elles point aux larves même à passer à l’état de nymphe? J’ai souvent tiré de leur coque des larves qui venoient de filer et qui n’étoient pas encore métamorphosées ; quelques jours après, elles commencoient à rejeter leur dépouille de larves, mais elles ne savoient point la dé- gager de leurs jambes qui restoient attachées avec l’ab- domen : les fourmis ne les aidoient pas à s’en délivrer, Ces nymphes ne se développoient jamais bien , et ne tardoient pas à périr ; il paroît donc que les coques leur donnent un point d'appui convenable pour se dé- barrasser de la peau qu’elles doivent déposer. On m'objectera peut-être que les larves de plusieurs espèces ne filent jamais, et qu'elles devroient éprouver le même inconvénient que celles que je tirois op Lôt de leur coque. — À cela je répondrai que la nature y a pourvu d’un autre manière : le corps de ces fourmis est fort différent de celui des autres; leur pédicule alongé 86 RECITERCHFS SUR LES à l'égard des fourmis nouvellement transformées ; elles sont soumises encore quelques jours à l’obli- gation de les surveiller et de les suivre ; elles les accompagnent en tous lieux, leur fout connoître les sentiers et les labyrinthes dont leur habitauon est composée , et les nourrissent avec le plus grand soin : elles rendent aux mâles et aux femelles le service difficile d'étendre leurs ailes, qui resteroient froissces sans leur secours, et s’en acquittent tou- jours avec assez d'adresse pour ne pas déchirer ces membres frêles et délicats ; elles rassemblent dans les mèmes cases les mâles qui se dispersent , et quelquefois les conduisent hors de la fournulicre. Les ouvrières paroïissent, en un mot, avoir la di. rection complète de leur conduite aussi long-tems qu'ils y restent, et ne cessent de remplir leurs fonctions auprès de ces insectes, dont les forces ne donne beaucoup plus de liberté à l'abdomen pour se mouvoir, se replier et s'étendre qu’à celui des premières, attaché de très-près au eorselel ; elles ont, outre cela, un äiguillon qui pourroit aussi faciliter leur dévelop- pement; car, dans ce premier moment, les nymphes ont beancoup de force et de vivacité; mais elles passent bientôt à un état complètement léthargique. MŒURS DES FOURMIS. 87 sont pas encore développées, que lorsqu'ils s’échap- pent enfin pour vaquer au soin de la reproducuon. On ne sauroit trop admirer cette assiduté des fourmis ouvrières à l'égard des petits dont les soins sont confiés à leur vigilance : par quel lien la na- ture a-t-elle su les attacher aux enfans d’une autre mère ? Cetie question, commune aux différentes familles chez lesquelles on voit trois sortes d’indi- vidus ; dont les uns sont laborieux et chargés de ious les détails de l'éducation, de lapprovisionne- ment et de la construction du nid ; tandis que les autres sont uniquement occupés du soin de -mulu- plier lespèce, mériteroit d’être traitée avec plus détendue et de profondeur que nos connoïissances actuelles ne le permettent ; mais on peut entrevoir le secret de cette consutution singulière dans la ressemblance qu'ont les fourmis ouvrières avec les femelles , relativement à leurs organes sexuels exte- rieurs. Les rapports qui se trouvent entre les four- mis , les abeilles et les bourdons velus , nous éclai- rent encore sur ce sujet , en nous faisant voir des ouvrières à demi-fécondes chez les unes (1), et de D CP NN MN PEL ANR, DARU 4 Lit 0 TONER (1) Nouvelles observations sur les abeilles, par F. Huber. 06 RECHERCHES SUR LES petites femelles rivales très-communes chez les autres (1) ; enfin cette solliciude des fourmis ouvrières pour les larves qu’elles ont vu naître, décéle clairement leur sexe, et nous sufliroit pour décider qu’elles ne sont m des neutres, m des mulets, si la conduite des mäles à leur égard ne prouvoit pas quelles appartiennent à la elasse des femelles : cette observation, que j'ai faite plusieurs fois, et dont je supprime les détails, ne me laisse aucun doute à cet égard; j'ajouterai seulement ici que je n'ai jamais vu pondre les fourmis ou- vricres, et que les approches du male ont toujours coûté la vie à celles que Jai prises sur le fan. Mais dans quel but la nature at-elle permis qu'il y eût tant de femelles steriles chez les four- mis comme chez les guèpes et les abeilles? Ne seroit-ce point afin d'augmenter le nombre des individus d’une même famille , sans qu'il en résul- tt une muluplicauon qui Jui füt proportionnelle ? En réservant la fécondité pour un certain nombre (1) Mémoire sur les bourdons velus, par l’auteur de ces recherches, 6° volume des Transactions de la société linnéaire, à Londres. = MŒURS DES FOURMIS. 89 de femelles, elle a destiné les autres à soigner leur progéniture; elle a encore privé celles-ci de la faculté de s'élever dans les airs; mais elle les en a bien dédommagées , soit (comme on ne peut en douter ) en leur inspirant pour leurs élèves les sen- timens des mères pour leurs petits, soit en leur donnant un pouvoir sans bornes sur les autres ordres de la societé dans laquelle elles vivent : vérité neuve, que J'espère établir dans le cours de cet ouvrage , et qui diffère infiniment de lopi- nion, que ces républiques sont gouvernées par plusieurs chefs. 99 RECHERCHES SUR LES 2 + +» "+ "0e °°"). CHAPITRE IIt. DE 14 FÉCONDATION DES FOURMIS, ET DE SES CONSÉQUENCES. TA 6 I. Départ des fourmis ailées. Css on ne connoitroit point les sexes des fourmis, à l'aspect de ces ailes membraneuses et léstres dont jouissent une partie d’entre elles, et dont les autres sont totalement dépourvues, on jugeroit déja que celles-ci sont attachées au sol qui les à vu naître, et celles-là destinées à changer de patrie; car la prérogative qui dis- tingue les mäles et les femelles des ouvrières ne leur a point été accordée, pour l'avantage de la peuplade au milieu de laquelle il ont passé la première époque de leur vie : 1ls ne sont pas appelés à approvisionner leur demeure, et moins encore à chercher au Join des matériaux pour sa construction. La nature les a doués de la faculté de voler, dans des vues plus grandes: MŒURS DES FOURMIS. O+ le bien de lespèce même , sa propagauon, exigeoient qu'ils eussent des ales pour répandre en tous lieux les fourmilières , et former de nom- breuses colonies. Mais comment s’etablissent ces nouvelles peu- plades? Quelles particularités nous offrent les amours des fourmis volantes? les mâles et les femelles vivent-ils en commun, ont-ils le même instinct que les ouvrières ? Combien d’autres questions ne pourroit - on pas faire sur ce sujet, qui n’a encore été effleuré que par un »2üut nombre d'auteurs, et dont l’im- portance, dans l’économie des fourmis, mérite d'occuper toute Pattention des naturalistes, U ne s’agit plus d'observer ces msectes dans le seim de la fourmilitre; nous avons vu leur éducation, et les soins dont ils sont Pobjet, jusqu'à l’époque où ils peuvent marcher et voler; il faut à présent les suivre hors du nid et dans les airs, sil est possible. Perdons de vue pour un moment les fourmi- lières vitrées ; transportons-nous dans une prairie , par un beau jour d'été, à l'instant où ils font usase de leurs ailes pour la prenuère fois , et 92 RECHERCHES SUR LES abaissons nos rescards sur cette fourmilière cou- verte d'insectes ailés qui paroissent se promener à sa surface, Ce sont les mâles et les femelles de la fourmis des gazons; ils montent sur toutes les plantes dont leur habitation est entourée , et les ouvrières, dont une multitude se répand à l'extérieur, les accompagnent jusqu'a extrémité des herbes les plus hautes. Elles paroissent les suivre encore avec sollicitude ; quelques-unes essaient de les retenir et de les reconduire dans la fourmilière ; mais la plupart se contentent de les escorter. Elles leur donnent à manger, et leur prodiguent, pour la dermère fois, tous les soins dont elles sont capables. Le dôme de la fourmilière n'offre pas un champ assez libre aux fourmis ailées pour se livrer à leurs amours ; la foule dont elles sont entourées paroit les gêner; elles prennent enfin le paru de faire usage de leurs ailes, et vont chercher dans les airs un théâtre plus vaste pour acccomplir le vœu de la nature. Mais quels objets brillent à nos yeux sur cet ; ARTE " autre montücule qui s'élève dans l'herbe? Ce sont MŒURS DES FOURMIS. 99 encore des mâles de fourmis quisortent par centaines de leurs souterrains, et promènent leurs ailes ar- gentées et transparentes à la surface du nid; les femelles, en plus petit nombre, traînent au mi- lieu deux leur large ventre bronzé, et déploient aussi leurs ailes, dont léclat changeant ajoute 5 encore à l'aspect agréable qu'offre leur réunion. Un nombreux cortège d’ouvrieres les accompagne sur toutes les plantes qu'ils parcourent; déjà de désordre et l'agitation règnent sur la fourmi- lière ; l’effervescence augmente à chaque instant; les insectes ailés montent avec vivacité le long des brins d'herbes, et les ouvrières les y suivent, courent d’un mäle à un autre, les touchent de leurs antennes et leur offrent de la nourriture : les mâles quittent enfin le toit paternel; ils s'élèvent dans les airs comme par une impulsion générale, et les femelles partent après eux. La troupe ailée a disparu, et les ouvrières retournent encore quelques instans sur les traces de ces êtres favo- risés qu’elles ont soignés avec tant de persévé- rance, et qu’elles ne reverront jamais. La variété des couleurs et des formes de cette mulutude d’insectes présente quelquefois des /, 9% RECHERCHES SUR LES tableaux assez piquans. Chez les uns, tas le corps n'offre qu’une seule teinte : les ouvrières sont jaunes, les mâles entièrement noirs, et les femelles dun blond doré; leurs ailes brillent de toutes les couleurs de lParc-en- ciel. Chez d’autres fourmis, toutes les ouvrières sont noir- cendrées, et tachetées de rouge sur le corselet; les mâles, dont le corps est noir, ont les pates dun beau jaune , et les ailes blanchâtres; tandis que leurs femelles ont le corselet et l'abdomen tachetés de fauve, sur un fond brun, les ailes transparentes et noirätres à leurs extrémités. 1] faut que la température de l'atmosphère soit au 15 ou 16.° degré du thermomètre de Reaumur pour voir sorur de leur demeure les mâles et les femelles des fourmis : sans cette condiuon, ils restent dans l’intérieur du nid, à l'abri de lhu- midite et de lair froid. Quand le tems est favo- rable, les ouvrières, qui paroiïssent le connoître, ouvrent plusieurs issues pour faciliter le passage de cette foule, qui doit bientôt s'échapper de la fourmilière. On voit alors les mâles et les fe- melles venir respirer à l'entrée de leurs sou- terrains : Fheure du départ arrive; tous sortent, MŒURS DES FOURMIS. 03 tous s’envolent, et les ouvrières seules rentrent dans leur habitauon , dont-elles ferment soigneu- sement les avenues. Mais conunuons notre course , et suivons la direction qu'ont prise les fourmis volantes : bientôt une pluie de mäles et de femelles frappe nos regards. Ces insectes, tombant du haut des airs deux à deux, se roulent dans la poussière, ou s’ébattent sur le gazon; les uns ont opéré leur joncuon avant d'arriver sur le terrain; d’autres consomment leur union sur les plantes où ils se posent; 1l en est enfin qui se dégagent de leurs compagnes, s'élèvent dans les airs, et rejoignent pr'omptement une nuée d’autres fourmis ailées qui paroissent réumies près de la cime d’un arbre et volugent à lPentour. Un peu plus loin, j'apercois d’autres rassem- blemens de fourmis volantes ; ceux-ci paroissent moins élevés que les premiers, et appartiennent à une autre espèce de fourmis ; ils ressemblent a des essaims d’abeilles, mais le terme d’essaim ne convient que très - imparfaitement à cette réunion d'insectes, qui wont d'autre but, que celui de se rencontrer et de s'unir dans les airs, 96 RECHERCHES SUR LES et qui ne vont porn ensemble fonder une nou- velle colonie : cependant je ne laisserai pas de me servir de cette expression, dans le sens d’un concours très-nombreux de fourmis qui voltigent et bourdonnent sans se séparer. Je m'aperçois bientôt que je suis environné de fourmis ailées: plusieurs femelles volent au mu- lieu de lessaim, et ce sont elles, sans doute, qui ont aturé tous les mâles dont il est composé ; l’essaim ne se dirige point vers un but quelconque ; il ne s'éloigne m ne s'approche de la fourmilière dont il est sort, mais il part de la surface du sol, s'élève et s’abasse alternativement d’une dixaine de pieds; et tandis que ce mouvement général s'exécute avec beaucoup de lenteur, chacun des mâles qui forment le gros de Pessaim vole en 219Za9 avec une g rande rapidité, dans une direcuon plus où moins oblique : les femelles, au contraire, se tiennent suspendues comme des ballons ; elles sont tournées contre le vent, et paroissent dans une sorte d'immobilité ; cependant elles montent et descendent avec l’essaim, jusqu’à ce qu'un male se précipite sur elles, les entraine loin de la foule, et les fécondent au milieu des airs. J'ai MŒURS DES FOURMIS, 97 J'ai vu trés- souvent, au mois de septembre, de pareils essaims : il n’étoit facile d'observer ces insectes; ma présence ne les génoit point; le bourdonnement de ces miriades de fourmis ailees n’égaloit pas celui d’une seule guèpe. De toutes parts on voyoit, dans la prairie, de ces rassem- blemens ; un zéphir suflisoit pour les disperser, mais ils se réunissoient bientôt; souvent plusieurs essaims se confondoient et n’en formoient plus qu'un seul : jen ai vu de très-considérables qui ne m'ont rien offert de parüculier. Lorsqu'un essaim de ces fourmis étoit au-dessus de ma tête, 1l ne tenoit qu'à moi de le faire changer de place et de le réunir à d’autres que je voyois dans la prairie ; je n’avois qu'à marcher lentement ; lessaim dont j'étois environné me suivoit et m'accompagnoit en tous lieux, soit que j'entrainasse après moi la colonne d’air dans la- quelle ils voltigeoient, soit que , me prenant pour la base au-dessus de laquelle ils sélevoient, 1s ne s’apercussent pas qu’elle s’éloignoit du point de départ; mais je n'ai point été témoin de ces essaims prodigieux dont M. Gléditsch a donné la descripüon dans les Mémoires de l'Académie de T 96 RECHERCHES SUR LES Berlin. & 1 observa, dit-il (1), un essaim pro- » digieux de fourmis qui, vu de lom, faisoit un » effet assez semblable à celui d’une aurore bo- » réale, quand du bord de sa nue il s’élance par » jets plusieurs colonnes de flanmes et de vapeurs, . à LEA e e » plusieurs rayons en forme d’éclairs qui tendent » à se réunir, mais sans en avoir l’eclat. Des » colonnes de fourmis, un peu obscures, alloïent » et venoient cà et là avec une vitesse inexpri- » mable, mais toujours en s’élevant; et leur (à 1 = _e ? CHA » élévauon devint telle, qu’elles parurent s'étendre » au-dessus des nues : arrivées à ce point, elles » ne disparoissoient ni en tout , m dans la moindre » de leurs parties, mais au contraire elles sem- » bloient s’épaissir peu à peu, et sobscurcir de » plus en plus; d’auires, plus tardives, suivoient » les premières, et s’élevoient pareillement en » s’élançant plusieurs fois avec une vitesse égale, » ou en montant l’une après l’autre. Cette mul- » titude de colonnes qui s’élevèrent dura Pespace » d’une demi-heure. Chacune ressembloit à un » réseau fort délié, et avoit un mouvement in- (1) Bomare, Dict. d'Hist. Nat. MŒURS DES FOURMIS,. 99 » testin, comme de trémulation où d’ondulation ; » mais, en le considérant de plus prés, on re- » connoissoit une troupe inombrable d’insectes » volans, dont elle étoit composée toute enuère ; » ces insectes, fort peuts , tout-à-fait noirs et » ailés, conservoient légalité et la forme de la » colonne entière, en montant et en descendant » continuellement avec régularité. » On croit peut-être que ces fourmis ailées qui viennent de se rassembler dans les airs, et dont la fécondauon s’est opérée sous nos yeux, rap- pelées dans la fourmilière natale par un instinct secret, vont rentrer dans leurs foyers, et aug- menter la population du nid; que les mâles, devenus inutiles, après avoir consommé une parte des provisions de la grande famille dont ils sont membres, eéprouveront le sort cruel de ceux des abeilles, et que les femelles confieront leurs œufs aux soins des mêmes ouvrières qui ont protégé leur enfance ! Plusieurs auteurs l’avoient avancé, mais sans en donner de preuve (1); 1l convenoit donc d'approfondir cette question, qui se pre- (1) Entr’autres de Geer, XVIII Mémoire. 100 RECHERCHES SUR LES sentoit naturellement après les faits dont nous ve- nons d’être témoins. Les mâles et les femelles des fourmis, lorsqu'ils s’éloignent au vol de la fourmilière , ne montrent point cet instinct singulier qu'on observe chez les abeilles, les bourdons , et d’autres insectes appelés à retrouver leur habitauon : cet mstinet consiste à savoir tournoyer autour de leur de- meure avant de s’en écarter, afin de pouvoir en examiner la posiuon et les alentours : c’est ce qu'on peut remarquer quand on déplace une ruche. Le premier jour, les abeilles ne sen éloignent point sans avoir visité tous les objets voisins; elles tournent de tous côtés en regardant leur demeure, et on conçoit que sans cela leur retour seroit impossible. La reine en fait autant lorsqu'elle va chercher la fécondation dans les airs (1). Mais nos fourmis ailées s’écartent, au contraire, de leur nid en lui tournant le dos, et vont, en ligne droite, à une distance d’où il ne leur seroit pas même facile de apercevoir. (1) Nouvelles observations sur les abeilles , adressées à Ch. Bonnet, MŒURS DES FOURMIS.: 101 On pouvoit dejà soupconner, d’après cela, qu’elles ne devoient pas y revenir; mais je ne nven tins pas à cette simple observation : après leur dé- part, je restai en sentinelle jusqu’à la nuit; et pendant plusieurs jours de suite, je les observai avec le même som, pour nassurer qu’elles ne rentroient pas dans la fourmilière : j'ai obtenu, par ce moyen, la convicuon que leur retour est encore une de ces fables dont on nous a si long-tems amuse . Que deviennent donc ces insectes, habitués à vivre dans une demeure commode , spacieuse et à l'abri de toutes les intempéries de l'air, accou- tumés aux soins des ouvrières, et tout-à-coup livrés à eux-mêmes et privés de tous ces avan- tages? C’est ce que la suite nous apprendra. RE {Histoire des fourmis ailées après la fécondation. L’isroirEe des mâles, lorsqu'ils ont rempli Punique but auquel ils paroiïissent destinés ; n’ofrira [ [ I ; Te È ni Pexemple du courage qu’on attend de leur sexe, ni celui d’une laborieuse industrie : on sait que dans la classe des insectes à quatre ailes membra- 102 RECHERCIHES SUR LES neuses, les mâles sont dépourvus d'armes offensives, et ne possèdent aucun de ces appareils merveilleux dont la plupart des femelles font usage pour l’éta- blissement de leur famille ; 1ls n’ont ni dents fa- connées en ciseaux, mi aigwllon, mi tarrières; tous les arts qu'on remarque chez la plupart des abeilles et des guêpes , chez les ichneumons et les mouches à scie, etc. sont exercées par les seules femelles, ou par les ouvrières, qui les représentent. La défense du md leur est aussi confiée, et le mâle, lorsqu'il a coopéré à l’œuvre de la repro- duction , devient inutile à la famille dont 1] fait parue. La vie des fourmis mâles ne sauront être de longue durée : privés de leurs nourrices, inca- pables de pourvoir d'eux-mêmes à leur subsistance , et ne devant plus retourner à la fourmihière qui les a vu naître, comment pourrolent-ils exister long-tems ? Ou leur vie est naturellement bornée à quelques semaines, ou la faim doit en terminer promptement le cours : quoi qu'il en son, ils dis- paroïssent peu de tems après l’époque de leurs amours, mais ils ne sont jamais vicüumes de la fureur des ouvrières, comme ceux des abeilles. À l’époque où la carrière des mâles se termine , MŒURS DES FOURMIS, 103 celle des femelles est à peine commencée ; elles portent les germes des générations futures, et ces germes sont fecondés : leur histoire touche de près à celle des fourmilières mêmes , et renferme plu- sieurs particularités curieuses et inconnues. Par- courons d’abord les auteurs qui en ont parlé. Swammerdam , qui nous a donné tant de beaux mémoires sur les métamorphoses des insectes, et qui a même contribué , l’un des premiers, à nous éclairer sur celles des fourmis, n’avoit point vu chez elles de femelles ailées; cependant il en décrit quelques espèces; 1l parle de leurs mäles pourvus de quatre ailes, et raconte plusieurs traits de leur histoire. Geoffroy a vu des ailes aux femelles, mais il nie formellement qu’elles en soient jamais pri- vées : le peuple croit encore , avec l’antiquite, que les fourmis, à un certain âge , prennent des ailes. Linnce, de Geer, Latreille et les autres natura- listes modernes s'accordent à dire que les femelles des fourmis sont ailées comme les mâles, mais que peu de tems après l’époque de l’accouplement on en voit qu n'ont point d’ailles. Cette observation , répétée par de si grands na- turalistes, a bien des droits à notre confiance : 104 RECHERCHES SUR LES Swammerdam s’étoit donc trompé. Nous avons suivi jusque dans son origine le développement de leurs ailes, au travers des vitrages de la four- milière arüficielle ; elles ont pris l'essor devant nos yeux; nous les avons vues s'unir dans les airs avec les males , et planer au milieu des essaims que ceux-ci lormoient par leur réumon : 1l eût été dificile de se méprendre sur des faits de cette nature. Il est cependant constaté qu'il existe aussi des femelles sans ailes chez les fourmis. En effet, toutes les fois que j'ai ouvert des fourmiliéres, j'en ai trouvé quelques-unes qui n’en avoient point. Mais est-ce bien les mêmes femelles qui, dans un tems, sont au nombre des insectes volans, et dans un autre, réduites, sous ce rapport, à la condition de simples ouvricres ? Pourquoi et comment ces insectes per- dent-ils leurs ailes? Les observations suivantes nous offriront, je l'espère , la soluuon de ce problème. Un jour, dans lPintenuon de nreclatrer sur le sort des femelles , je me rendis auprès de certaines fourmilières que je savois être remplies de fourmis ailces de l’un et de l’autre sexe, dont le départ ne devoit pas être éloigné. À peine arrivois-je sur les lieux , que je vis passer au-dessus de ma tête plu- RE MŒURS DES FOURMIS. 105 sieurs fourmis femelles portant leurs mâles en croupe ; jen saisis quelques-unes sans leur faire de mal, et je vis qu’elles appartenoïent à la fourmi brune. M’étant alors rapproché de la fourmilière dont elles étoient parties, j’en vis encore plusieurs prendre le vol et quitter leurs foyers : les mäles les avoient précédées , et les ouvrières les accom- pagnoient aussi loin qu’elles le pouvoient. Ces femelles s’élevoient perpendiculairement à l’hori- zon , et s’éloignoient à perte de vue; mais elles rencontroient sans doute les mâles rassemblés dans les airs, et de là redescendoient avec ce léger far- deau , qu’elles venoient déposer sur des arbustes : ces couples ne tardoient pas à se séparer. Je pris huit femelles encore unies à leurs mäles , et je les mis dans une boîte pour les observer à mon retour; mais ure pluie violente qui survint en ce moment m'offrit un spectacle aussi curieux qu'il étoit inattendu. Aussitôt que cette ondée fut passée , je vis le terrain jonché de femelles sans ailes ; c’étoient bien les mêmes que je venois de voir traverser les airs : elles étoient de lPespèce et de la couleur des premières. Je ne nrétois point écarte de l’endroit où ces fourmis venoïent de se 106 RECHERCHES SUR LES poser; on en voyoit même quelques-unes d’ailées au milieu de celles qui ne l’étoient plus; 1 étoit donc faciie de les comparer. Rentrée chez moi, je placai mes huit prisonnières, avec de la terre humide, dans un vase de jardin, recouvert d’un récipient de verre : il étoit neuf heures du soir; à dix, toutes les femelles avoient perdu leurs ailes et s’étoient cachées dans la terre : on voyoit ces ailes éparses cà et là. Favois laissé échapper l’occasion d’être témoin de la séparation de ces membres fragiles, et dé- mêler, sil étoit possible, ce qui l’avoit déterminée. Dés le lendemain, je me procurai trois autres fe- melles unies avec leurs mäles; et cette fois je les observai avec la plus grande attention depuis l’ins- tant de leur fécondation jusqu'à neuf heures du soir, C'est-à-dire pendant cinq heures consécutives ; mais, dans cet espace de tems, je ne leur vis rien faire qui püt annoncer la perie prochame de leurs ailes; en effet, elles ne tombérent point. Ces fe- melles paroissoient jouir d’une sorte de bien-être ; elles passoient leurs pates dans leur bouche, puis les faisoient glisser par-dessus leurs antennes, et frottoient leurs jambes les unes contre les autres. MŒURS DES FOURMIS. 107 Je ne concevois pas ce qu pouvoit retarder la chute de leurs ailes, tandis que les précédentes les avoient perdues si promptement ; il est vrai que J'avois laissé celles dont il s’agit dans une boîte fort étroite et fermée de toute part, aû lieu que Îles premières avoient été placées sous une voûte transparente qui w’offroit pot l’aspect d’une prison , et sur un sol qui ressembloit plus à l’état de nature que le fond d’un poudrier où il n’y avoit pas de terre : je n’avois pas prévu qu’une circons- tance , aussi légère en apparence, püt influer sur les actions de mes fourmis ; cependant, ayant compris qu'il falloit les mettre dans la même position que les premieres , je pris de la terre que je semai légè- rement sur une table , et je la recouvris d’une cloche de verre. Javois trois fourmis fécondées , j'en pris une et Pintroduisis sous le récipient ; je l’y fis aller d’elle- même en lui présentant un brin de paille , sur le- quel elle monta, et je la portai ainsi dans sa nou- velle habitation , sans lavoir touchée. À peine eut-elle apercu la terre qui couvroit le fond de sa demeure , qu’elle étendit ses ailes avec effort, en les faisant venir en avant de sa tête ; 108 RECHERCHES SUR LES elle les croisa dans tous les sens , les renversa d’un rulières con- côte, puis de Pautre, et fit de si sing torsions que ses quatre ailes tombèrent à la fois en ma présence. Après cette expédition elle se reposa, brossa son corselet avec ses pates, ei se promena sur la terre, où elle parut chercher un gîte : elle ne sembloit pas s’apercevoir qu’elle fñt enfermée dans une étroite enceinte; elle mangea du nuel que je lui donnai, et se cacha enfin sous quelques morceaux de terre qui formoient une petite grotte naturelle. Si je fus surpris en voyant cette femelle re- jeter d'elle-même ses ailes, je le fus plus encore en observant qu'elle ne paroissoit point en avoir souffert, et qu'après cet acte qui nous semble contre nature , elle pouvoit se livrer paisiblement à son appéut, et vaquer au som de se faire une re- traite , comme sil ne lui étoit rien arrivé que de fort ordinaire : ce fait méritoit confirmation. Je ne fis entrer la seconde femelle sous la cloche de verre qu'une heure ou deux après la première, et ce fut avec les mêmes précautions que Jai deé- tillées plus haut ; j'y ajoutai celle de verser un peu d’eau sur la terre sèche dont la table de MŒURS DES FOURMIS. 109 l'appareil etoit garni, afin de permettre à ces in- sectes d'entreprendre quelques travaux, si leur instinct les y portoit. Lorsqu'elle sentit qu’elle étoit sur la terre hunude, elle fit quelques pas, puis s'arrêta pour täter le terrain avec ses antennes ; cela fait, elle se disposa à se dépouiller de ses ailes ; elle les ouvrit en désordre, les écarta dans tous les sens, en se couchant à plat - ventre ; fit passer ses jambes par derrière ses ailes, et les pressa contre terre, comme avec un levier; lorsqu'elle eut réussi à s’en débarrasser , je la vis se promener tranquillement dans son enceinte, et s’occuper du soin de pratiquer une grotte dans la terre : ainsi Cette seconde expérience eut le même succès que la précédente. Il me restoit encore une femelle fécondée ; je la réservai pour le lendemain : elle ne perdit poimt ses ailes avant l’expérience. Je l’introduisis sous le récipient quiuze ou seize heures plus tard que les autres ; elle etoit en fort bon état, et ne paroissoit point avoir souflent de ce délai. A peine fut-elle sur la terre de l’appareil, qu’elle se hâta de se débar- rasser de ses ailes en employant les mêmes moyens que j'ai indiqués ci-dessus, en parlant de ses com- 110 RECHERCHES SUR LES pagnes : je répétai encore celte expérience sur plu- sieurs femelles de différentes espèces, et j'obtüns toujours le même résultat. On voit donc que les femelles des fourmis per- dent leurs ailes; mais on ne s’atiendoit guères qu’elles s’en dépotullassent d’elles-mêmes et volon- tairement. Ne semble-t-il pas que la nature ait voulu se jouer de notre jugement par la variété et la supériorité des conceptions dont elle offre l'exemple, dans les details comme dans l’ensemble ? Nous ne jugeons que d’après les faits connus; mais la nature ne s’imite pas et n’a pas besoin de s’imiter : la fécondité de Pesprit qui a dicté ses lois ne connoît pas de bornes ; chaque espèce a ses mœurs, chaque individu sa consutution parüculière ; de 1à viennent les erreurs sans nombre dans lesquelles nous tombons dès que nous nous écartons de l'observation pour décider d’après les règles qui nous paroissent les plus générales. Mais revenons aux fourmis, dont l'histoire nous présente bien des exemples de linsuffisance de nos conjectures. Quelle sera la destinée de ces femelles qui se sont unies avec les mâles dans les airs, et qui viennent de se mutler elles-mêmes ? Nous avons déja vu MŒURS DES FOURMIS. 111 qu'elles ne retournoient point dans leurs foyers. Dès qu’elles ont perdu leurs ailes , on les voit courir sur le terrain , et chercher un gîte. {] se- roit bien difficile de les suivre dans les tours et dé- tours qu’elles font alors au milieu des champs et des gazons. Je n'ai pas réussi à les voir s'établir, mais Je me suis assuré , par quelques essais , que ces femelles, qui w’étoient appelées à aucuns travaux dans les fourmilières natales, et qui paroissoient incapables d'agir par elles-mêmes, animees par l'amour maternel et le besoin de faire usage de ioutes leurs facultés , devenoient laborieuses et soignoient leurs peuts aussi bien que les ouvrières. J’enfermai plusieurs femelles fécondées dans un bocal plein de terre légère et humide ; elles surent Sy pratiquer des loges, dans lesquelles elles se reurérent , les unes isolément, d’autres en com- mun ; elles pondirent, soignèrent leurs œufs, et malgré l’inconvénient de ne pouvoir varier la tem- pérature de leur habitation, elles en élevèrent quelques-uns, qui devinrent d’assez grosses larves , mais qui périrent enfin par l’eTet de ma négligence. Je réunis ensuite d’autres femelles dans un ap- pareil semblable ; et je leur hvrai quelques nym- 112 RECHERCHES SUR LES phes d’ouvrières pour savoir si leur insunet leur enseigneroit à ouvrir la coque dans laquelle elles étoient enfermées ; et quoique ces femelles fussent vierges et pourvues de leurs ailes, elles travaille- rent si bien, que je trouvai le lendemain trois ouvrières au milieu d’elles ; quelques jours après je les surpris occupées à délivrer d’autres ouvrières de leur dernière enveloppe : elles s’y prenoient comme les fournns ordinaires , et ne paroissoient point embarrassées du role qu’elles remplissoient pour la prenuère fois. H est done évident que les femelles savent, au besoin , élever seules leur fanulle : si j'ai essaye de nven assurer par des preuves encore plus posi- uves , c’étoit moins pour lever tous mes doutes à cet égard, que pour satisfaire ma curiosité sur la composiion de ces nouvelles peuplades. Après de longues recherches , j'ai trouvé la retraite de ces femelles et les fourmilières naissantes qu’elles avoient établies. Elles étoient situées à peu de pro- fondeur dans la terre ; on y voyoit un peut nombre d’ouvrières auprès de leur mère, et quelques larves qu’elles nourrissoient. d’ai vu deux exemples de ces peuplades nouvellement établies ; enfin un de mes anus , LA MŒURS DES FOURMIS. 1 amis (1), dont les observations ont des droits à la plus enuère confiance , découvrit un jour , dans une petite cavité souterraine , une fourmi femelle vivant solitairement avec quatre nymphes, dont elle paroissoit prendre soin. : Î nous restoit encore ici une grande question à résoudre : les femelles qui n’avoient point recu les approches des mâles cherchoient-elles aussi à se dépouiller de leurs ailes, où continuoient-elles à en faire usage ? Voici ce que j'ai observé à ce sujet. Je pris à la fin d'avril, dans un nid de fourmis jaunes , plusieurs jeunes femelles; elles avoient leurs ailes dépliées, mais blanchätres, comme celles qui sortent de leur coque ; elles jouissoient d’une pleine liberté dans leur habitation , ce qui prouve, comme on le verra bientôt, qu’elles étoient encore vierges : on sait d'ailleurs qu'il est très-rare que les mâles sen occupent dans l'intérieur du nid; je les enfermai dans une fourmilière vitrée , avec quelques ouvrières de la même famille, et j’observai leur conduite pen- dant plusieurs mois. Les ouvrières néprouvoient (1) M. Perrot de Neufchatel, très-bon naturaliste. 8 114 RECHERCHES SUR LES pas à leur égard ce genre d'intérêt que leur ins- pirent les femelles fecondées ; elles paroïssoient les traiter avec indifférence , et cela étoit d'autant plus naturel que ces femelles avoient adopté les mœurs et le caractère des neutres; leur umidité avoit disparu et avoit fait place à une sorte de hardiesse, ou plutôt d’irrascibilité dont je m’apercevois toutes les fois que j'ouvrois leur porte pour leur donner à manger ; elles s’élançoient alors sur mes mains, et me pincoient plus fortement que les ouvrières ; elles savoient aussi poursuivre et attraper les mou- ches que j'introduisois dans leur nid, et le faisoient avec beaucoup de promputude et de dextérité ; car elles n’avoient point perdu leurs ailes, malgre la longue épreuve à laquelle je Les avois assujetues. Une autre fois j'établis plusieurs femelles vierges, de lespèce des fourmis brunes , dans une portuon de leur nid, sous une cloche de verre; elles \ restèrent paisiblement et sans prendre la disposition colérique des précédentes; mais elles conservèrent aussi leurs ailes. Enfin j'en placai dix autres, également vierges, dans un vase, et je les y laissai six semaines; pen- dant cette longue capuvité elles n’essayèrent point = MŒURS DES FOURMIS. 119 de se dépouiller des membres qui pouvoient leur servir à remplir l’objet de leur destination. Il me paroît donc certam que les femelles ne rejettent leurs ailes qu'après la fécondation, et que cet acte est volontaire de leur part, lorsqu'elles doivent changer de genre de vie, et se retirer pour soigner la peuplade dont elles portent les germes. 6 III. Conduite des ouvrières a l’égard des femeiles Jécondées. Toures les femelles ne devoient pas s'éloigner de la métropole ; il falloit qu'il en restàt quelques- unes pour subvenir à sa population ; et voici com- ment la nature a prévenu la désertion des femelles, dont la fourmilière étoit menacée. En parlant des essaims des fourmis, J'ai évité de rapporter une observation qui demandoit quelques développemens, et qu'il est tems de faire con- noître ; c’est que l’union des sexes ne se passe pas toujours loin de la fourmilière : il y a même ordi- nairement plusieurs mâles qui, avant de parür, laissent à leur patrie quelques femelles fécondées. ‘ 116 RECHERCIHES SUR LES Les ouvrières, comme si elles sentoient limpor- tance de conserver au nulieu d’elles des femelles capables de maintenir la population de la répu- blique, retiennent soigneusement ces précieux de- positaires de la génération future : ce trait remar- quable de leur prévoyance ou de leur insunet s’est manifesté devant moi, non-seulement sur les four- mulières naturelles, mais encore dans mes appa- reils vitrés, où J'ai pu lobserver avec plus de detail. J’avois enlevé la cloche de verre qui les recouvroit , parce que je m’étois apercu qu’elle concentroit tellement les rayons du soleil sur Île nid, que ses habitans ne pouvoient en supporter l’ardeur, et j'avois placé la fourmilière vitrée dans un jardin où je pouvois observer les fourmis ailées, comme si elles eussent été en pleine liberte. La plupart des femelles séloignèrent sans retour ; d’autres , en peut nombre, furent fécondées sur le nid. L'une delle , après la copulation, alloit prendre le vol, lorsque les ouvrières la retinrent par les pates , s’y cramponnèrent avec force , li arrachè- rent ses ailes et la conduisirent dans leurs souter- rains , Où elles la gardèrent obsunément. Plusieurs MŒURS DES FOURMIS. DS autres furent saisies par les ouvrières pendant Pac- couplement même , et entrainées aussitôt au fond du cadre , où je les vis mutülees et retenues en captivité. C’est surtout chez les fourmis fuligineuses qu'il est facile de faire cette observation, parce que le départ des individus ailés de cette espèce ne s’opere qu'après un long espace de tems, pendant lequel ces insectes mâles et femelles sortent chaque jour de leurs labyrinthes , depuis deux ou trois heures de l’après-nudi jusqu'au nulieu de la nuit, et se promenent le long du tronc de larbre qu'ils habi- tent. Le mouvement de ces insectes que les ou- vrières même conduisent hors de leur nid, aug- mente progressivement , et ressemble alors à une fête nationale, à laquelle tous les individus de la fourmilière prendroient une part active : ilest des- Une a favoriser la rencontre et l’union des sexes. J'ai vu souvent dans ces nombreux rassemble- mens des femelles retenues par les ouvrières, mu- ulees en ma présence, et emmenées aussitôt dans l'intérieur du tronc; et quoique je ne les aie pas surprises accouplées, je ne doute pas que leur emprisonnement ne füt Ja suite de leur féconda- 118 RECHERCHES SUR LES üon, soit parce que les autres femelles restoient parfaitement libres , soit par analogie avec les fourmis dont jat parlé ci-dessus , soit enfin parce que J'ai vu plusieurs fois les mäles poursuivre les femelles à la surface de Parbre. On voit donc que ce nombreux cortége d’ou- vrièéres que nous avons souvent observé sans en deviner le but, n’est point un hommage qu’elles rendent aux fourmis ailes, mais qu'il est destiné à favoriser la saisie des femelles dont la fécondation s'opère sur la fourmilière même. Les femelles des fourmis devenues prisonnières au moment de la fécondation, et conduites dans l’intérieur du nid, commencent par être entièrement dépendantes des ouvrières ; celles-ci, accrochees à chacune de leurs jambes, les gardent avec assidunié, et ne leur per- mettent point de sorur; elles les nourrissent avec le plus grand soin, et les conduisent dans les quartiers dont la température leur paroît la plus convenable, mais elles ne les abandonnent pas un instant. __ Chacune de ces femelles perd par degrés l'envie de sortür de sa ruche ; son ventre grossit. À cette époque, elle n’eprouve plus de contrainte ; MŒURS DES FOURMIS. 119 elle a cependant encore une garde assidue ; une seule fourmi la suit toujours , et prévient ses be- soins : la plupart du tems, montée sur son abdo- men et les jambes postérieures posées par terre, elle paroît Étretine sentwelle £6blie pour surveiller ses actions , saisir le premier instant où elle com- mence à pondre, et relever aussitôt ses œufs. Ce n’est pas toujours la même fourmi qui la suit; celle- ci est relevée par d’autres qui se succèdent sans interruption; mais lorsque la maternité de la fe- melle est bien reconnue, on commence à lui rendre des hommages pareils à ceux que les abeilles prodignent à leur reine. Une cour de douze à quinze fourmis la suit partout ; elle est sans cesse l'objet de leurs soins et de leurs caresses : toutes s’'empressent autour d'elle, lui offrent de la nour- riture et la conduisent par ses mandibules dans les passages difficiles où montueux; elles vont même jusqu'à la porter dans les différens quartiers de la fourmilière. Les œufs pris par les ouvrières, à lins- tant de leur naissance , sont réunis autour d'elle , et lorsqu'elle se tient en repos, un groupe de four- mis l’environne, Plusieurs femelles peuvent vivre dans le même 120 RECHERCIIES SUR LES nid ; elles n'éprouvent point de rivalité ; chacune d'elles a sa cour ; elles se rencontrent sans se faire de mal, et soutiennent en commun la population de la fournilière , mais elles n’ont aucun pouvoir ; 1 seroit plutôt entre les mains des fourmis neutres. Cependant, comme elles recoivent les mêmes honneurs que les reines-abeilles, je leur donnerai quelquefois le titre de reines. Pour donner une plus juste idée du genre d’in- iérêét qu'inspirent les femelles aux ouvrières, et des soims qu’elles en reçoivent, je vais entrer dans quelques détails qui mettront leur insünet à découvert, Métant un jour arrêté près d’une de ces bandes de fourmis qu vont à la file les unes des autres , je vis une femelle portée par une ouvrière ; elle étoit accrochée et suspendue aux mandibules de celle qui la portoit ; leurs dents etoient croisées, et le corps de la femelle roule comme la trompe d’un papillon. Il paroîtra sans doute étonnant qu’une ouvrière puisse porter une femelle; mais celles-ci ont l’art de se pelotonner si bien, qu’elles uennent fort peu de place, et ne sénent point les mouve- mens de louvrière : on sait que les forces des MŒURS DES FOURMIS. 2% fourmis ne sont point cn proportion avec leur pe- utesse. Je saisis la femelle et son ouvrière , que je reconnus pour être de Pespèce des fourmis fanves ; les ayant remises aussitôt en liberté au milieu de leurs compagnes , plusieurs d’entr'elles environ- nèrent la femelle et la flattèrent avec leurs an- iennes ; ensuite une de ces ouvrières, après lu avoir donné plusieurs peuts coups d’antennes sur Ja tête, la prit par ses mandibules ; la femelle se suspendit à ce point d'appui, et se nut en boule au- dessous du corselet de Pouvrière, qui reprit sa route, chargée de son lourd fardeau : elle chenumoit cependant fort vite ; les autres fourmis la suivoient à la hâte, et venoient de tems en tems palper l’objet de leur solhicitude. La fourmi porteuse étoit-elle fauguée, elle se retournoit; la femelle dérouloit son Corps , et au heu d’être portée n’étoit plus que traînée où dirigée par Pouvrière, qui la uroit par ses mâchoires, en reculant, avec très-peu d'effort. Quelquefois la reme sarrétoit pour changer de conductrice : toute sa cour l’environnoit alors et lui prodiguoit ses soins. Cette petite scène me conduisit jusqu’à l’entrée de la fourmiière , et là je perdis de vue la femelle et son cortége. 1223 RECIERCHES SUR LES Une autre fois je pris des fourmis jaunes dns leur nid, avec une de leurs femelles et beaucoup de petites larves ; je les enfermai dans une boîte vitrée , en leur donnant de la terre, de l'herbe et tout ce qu'il falloit pour les nourrir. Cette boîte resta dans ma chambre pendant tout l'hiver : les fourmis qui lhabitoient ne s’engourdirent point; elles paroissoient suivre à tous égards leur imsunct, mais 1l n’étoit nulle part aussi remarquable qu'au- près de la femelle. Celle-ci, lorsqu'elle marchoit, étoit toujours entourée d’une mulutude douvrières qui la couvroient tellement, que ce n’étoit qu'au mouvement très-lent de ce peloton que je pouvois m'assurer de son existence. Lorsque je mettois trop fréquemment à décou- vert la loge qui la renfermoit à lordinaire , ses gardiennes en préparoient une autre un peu plus loin, et ly conduisoient ou l'y attiroiïent en li offrant de la nourriture. Je conserva cette fanulle depuis le mois de no- vembre jusqu’à la fin d'avril ; je la transportai alors dans un autre appareil : au lieu d’une boîte vitrée je pris un verre à pied, dans le fond duquel je mis un peu de terre; je la recouvris d’une planchette MŒURS DES FOURMIS. 123 ronde , qui w’entroit qu’à la moié du vase, et au travers de cette planche, dans laquelle on avoit fait une ouverture, passoient quanuté de plantes qu’on avoit choisies parmi celles qui nourrissent des pucerons : on sait que les fourmis sont fort amies de ces msectes , auprès desquels elles trou- vent leur principale subsistance. Ce fut dans la partie supérieure du vase que je logeai les fourmis , leur femelle, leurs larves et leurs pucerons : elles parvinrent à réunir un peu de terre qui se trouvoit éparse sur les feuilles, et en firent une petute logé entre les branches, où elles conduisirent leur reine ; au bout de quelques jours elles découvrirent un étroit passage entre le verre et le bord de la planche, et trouvant au- dessous de la terre humide , elles ne tardérent pas à construire en cet endroit des cases, des sentiers et des voûtes ; elles y transportèrent la plupart des larves ; mais il n’étoit pas aussi facile d’y faire entrer la femelle : elle éton descendue au bord de la planche avec toute sa cour, et cherchoit à passer par le très petit intervalle qui restoit entre ce bord et les parois du vaisseau ; elle mettoit à chaque instant sa tête dans cette ouverture , et 124 RECHERCHES SUR LES essayoit d'y pénétrer , avec une sorte de perse- vérance, comme si elle avoit su qu'il y eût au- dessous nn espace où elle pouvoit se loger plus commodeément; enfin, elle trouva une place assez grande pour y insinuer toute sa tête ; les fourmis, depuis Pétage inférieur, la brossoient avec leurs dents et la caressoient de leurs antennes, comme pour linviter à les suivre : les unes la saisissoient par ses mandibules ; d’autres, montant au-dessus de la planche, la ürailloient par ses jambes pour Pentraîner dans le souterrain ; elle essaya vaine- ment, à plusieurs reprises, de s’y glisser ; les four- mis réumes autour d'elle la léchoient et sembloient vouloir réparer le mal qu'avoit pu lui occasionner ses efforts infructueux. Je pris enfin le part de faciliter l'entreprise de ces insectes : un léger mouvement de bascule 1m- primé à la planche permit aux ouvrières de conduure leur femelle au fond de sa demeure, sans aucun obstacle. On voit par les details de la conduite des ou- vrières à l’égard des femelles, que si elles les ont privées de leur liberté et de leurs ailes, ce n’a été que pour assurer Ja population de la fourmilière , MŒURS DES FOURMIS. 125 et que le sort auquel la nature les destinoit ne le cédoit en rien à celui des reines-abeilles (1). La nature a donc pourvu de deux manières à la conservation de l’espèce chez les fourmis : en or- donnant qu'une parue des femelles s’éloignassent de leur ville natale, pour former en tous lieux de nombreux établissemens, et en permettant que les ouvrières de ces communautés retinssent quelques femelles pour assurer la durée de chaque société ; pendant que celle des guêpes et des bourdons, au contraire , dissoutes chaque année, se repro- duisent tous les printems. C’est ainsi qu'elle a créé des plantes annuelles dont lespèce ne se conserve que par graines, tan- dis que d’autres subsistent des siècles entiers en répandant tous les ans des semences qui se mul- üplient à leur tour. Ne pourroit-on pas étendre (1) Cet attachement des ouvrières pour les femelles sembleroit mème s'étendre au-delà de l’existence de ces dernières ; car lorsqu'une femelle fecondée péril , cinq ou six ouvrières demeurent auprès d'elle , et pendant plusieurs jours la brossent et la lèchent sans interruption , soit qu’elles conservent pour elle un reste d'affection, soit qu’elles espèrent la ranimer par leurs soins. 126 RECHERCHES SUR LES cette comparaison à la république des abeilles , dont les peuplades se renouvellent par rejets ? On reconnoit à ces grands traits, que la même main a créé le végétal et l’insecte. Mais ne nous laissons pas aller à ces considérations, auxquelles on est sans cesse ramené par les moindres détails , et qui aous éloigneroient trop de notre sujet. MŒURS DES FOURMIS. 127 6,88, 9,0 0 0e 0 0 0 0 0 0 0 D D D D D 0 2 CELA APT D ROUE LV. (I. Des relations des fourmis entre elles. nas des insectes qui vivent solitairement se compose de leur génération, de leurs habi- tudes particulières, des métamorphoses qu'ils su- bissent, de leur manière de vivre sous chacune des formes qu’ils revêtent successivement ; de leurs ruses pour attaquer leurs ennemis , et de Part avec lequel ils construisent leur habitation : mais celle des insectes qui forment ensemble des sociétés nombreuses ne se borne pas à quelques procédés remarquables, à quelque talent particulier ; elle offre de nouveaux rapports, qui naissent de lutu- lité commune , de l'égalité ou de la supériorité de rans ; du rôle que chacun des membres joue dans la société; et tous ces rapports supposent entre les mdividus des différens ordres une liaison qui ne sauroit exister sans l'intervention du langage. J’appelle ainsi tout moyen quelconque d’exprimer leurs désirs, leurs besoins et leurs idées même, 128 RECHERCHES SUR LES si l’on peut donner ce nom aux impulsions de Hu uncet. Ïl seroit difficile d'expliquer d’une autre ma- nière ce concours de toutes les volontés vers un même but, et lespèce d'harmonie qu'offre len- semble de leurs institutions. Nous avons déjà fait connoître plusieurs traits de la sociabilité des fournus , en parlant de Pédu- cauon qu'elles donnent aux petits d’une autre mère, de leur conduite à l'égard des mäles et des femelles, et des travaux qu’elles entreprennent en commun pour la construcuon de leur demeure; mais ce n’étoit encore là que des faits isolés qui ne mon- troient pas en quoi consiste le véritable secret de l’harmome qui règne chez elles; et ce nest sans doute qu’en examinant sous ce point de vue , et avec plus d’atiention encore, leur conduite entre elles, que nous pourrons nous inter dans la cons- ütution de ces républiques en mimature. Nous allons étudier dans ce but les rapports journabers des fourmis les unes avec les autres ; rapports sous lesquels nous ne les avons point encore considé- rées, et qui méritent bien de nous occuper quel- ques instans. Choisissons pour cela les traits les plus simples et les plus ordinaires de la vie de ces lusectes MŒURS DES FOURMIS. 129 insectes : la garde de la fournulière nous fournira les prenuers exemples de leurs relations sociales. On pourroit sans doute irriter les fourmis qui se trouvent à la surface du nid, sans alarmer celles de intérieur, si elles agissoient isolément et navoient aucun moyen de se communiquer leurs impres- sions mutuelles. Celles qui sont occupées au fond de leurs souterrains , éloignées du danger, igno- rant celui dont leurs compagnes sont menacées, ne viendroient point à leur secours; mais 1l pa- roît qu’elles sont, au contraire, très-bien et très- promptement informées de ce qui se passe à lexté- rieur. Quand on attaque celles du dehors, la plu- part se défendent avec courage; mais il en est toujours quelques-unes qui se précipitent au fond de leurs galeries , et jetteñt lalarme dans la cité souterraine : lagitation se communique aussitôt de quartier en quarüer , et les ouvrières accourent en foule , avec toutes les démonstrations de lin- quiétude et de la colère. Ce qui me paroît surtout digne d’être remarqué, c’est que les fourmis préposées à la garde des petits, et qui se uüennent dans les ‘étages supérieurs, où la température est la plus chaude , averues aussi du danger qui 9 4 150 RECHERCHES SUR LES menace leurs élèves, et toujours dirigées par cette solliciude que nous avons souvent adnurée , se hätent de les emporter dans les caveaux les plus profonds de leur habitauon, et de les mettre ainsi à l'abri de toute atteinte. Pour pouvoir étudier en détail la manière dont l'alarme se répand dans la fourmiliére , 1l falloit faire ces observations sur les mdividus de la plus grande espèce : les fourmis hercules, qui habitent les arbres creux, et n’en sortent qu'au printems pour accompagner les mäles et leurs femelles, n'ont offert à cet égard beaucoup de facilité. Les ouvrières avoient cinq ou six lignes de lon- gueur ; les individus ailés étoient aussi grands à pro- porüon; les uns et les autres se promenoient Or- dinairement sur le tronc d’un chêne , à l’entrée de leurs labyrinthes : lorsque j'inquiétois les fourmis les plus éloignées de leurs compagnes, en les observant de trop près, ou en leur souflant dessus légèrement, je les voyois accourir vers d’autres fourmis , leur donner de peuts coups de tête contre le corselet, et leur communiquer, par ce moyen, leur crainte ou leur colère; elles alloient de lune à l’autre en parcourant un demi-cercle . MŒURS DES FOURMIS. 194 et heurtoient à plusieurs reprises celles qu ne se mettoient pas à l’instant en mouvement. Celles-c; & averties du danger commun , partoient aussitôt en décrivant à leur tour différentes courbes, et s’arré- toient pour frapper de leur tête toutes celles qui se trouvoient sur leur passage. En un instant, les signes se répétoient de toutes parts; toutes les ouvrières parcouroient avec agitation la surface de larbre ; et celles de l’intérieur, averties probable- ment par le même moyen, sortoient en foule et se joignoient à ce tourbillon. Les mêmes signes qui produisoient sur les ou- vrières l’effet dont nous avons parlé , causoient une impression différente sur les mäles et les femelles : dès que louvrière leur avoit communiqué la nou- velle du danger , ils cherchoient un asile et ren- troient précipitamment dans l’intérieur du tronc ; mais aucun d'eux ne songeoit à se retirer , jusqu'a ce qu'une ouvrière ne s’en fût approchée, et ne leur eût donné le signal de la fuite : la sollicitude des ouvrières à leur égard se manifestoit par Pac- üvité avec laquelle elles leur donnoiemt avis ou leur intimoient l’ordre de s'éloigner ; elles redou- bloient alors les signes que nous avons observés, 132 RECHERCHES SUR LES comme si elles avoient jugé qu'ils dussent les com- prendre moins facilement que les compagnes de leurs travaux : celles-ci les entendent , pour ainsi dire, à demi-mot: cependant il est des cas où elles ont besoin d'avis rétérés; Jobservation suivante en est un exemple ; elle paroîtra peut-être minu- ieuse ; mais comme il s’agit de démontrer que les fourmis ont une espèce de langage, on voudra bien me permettre d’entrer dans quelques détails à cet égard , en faveur de l'importance du sujet. Les pieds de la fourmilière artificielle plon- geoient dans des baquets qu’on avoit som de tenir toujours pleins d’eau; cet expédient, in- venté d'abord pour fermer le passage aux fourmis , devint pour elles une source de jouissances; car elles boivent, comme les papillons , les abeilles et d’autres insectes, pendant les chaleurs de Pete. Un jour qu’elles étoient réunies au pied de la ruche, et occupées à lécher les gouttelettes qui filtroient entre les fibres du bois, ce qu’elles paroïssoient préférer à boire dans le bassin même, je n'a- musai à les inquiéter; cette petite expérience douna lieu à nne scène qui me parut concluante. La plupart des fourmis remontèrent aussitôt le long MŒURS DES FOURMIS,. 133 du pied de la ruche ; il en resta cependant un peut nombre , que ma présence ne parut pas avoir alarmées, et qui continuèrent à boire; mais une des premuères redescendit et s’approcha d’une de ses compagnes , qui paroissoit absorbée par le plaisir de se deésalierer : ; elle la poussa avec ses mandi- bules, à plusieurs reprises, en baissant et rele- vant sa tête par saccades , et réussit bientôt à la fure parur ; lofficieuse fourmi s’adressa ensuite à une autre ouvrière qui buvoit encore, chercha à la sümuler par derrière en frappant son abdomen ; mais voyant qu’elle ne paroïssoit pas la comprendre, elle s’'approcha de son corselet, et lui donna deux ou trois coups avec le bout de ses mâchoires : la fourmi , prévenue enfin de la nécessité de séloi- gner, remonta preécipitamment sous la cloche ; une troisième , avertie de la même manière et toujours par la même fourmi, regagna prompte- ment le logis; mais la quatrième, qui restoit seule au bord de Peau, ne se reuroit point, maloré les preuves de sollicitude dont elle étoit lobjet; elle ne paroissoit faire aueune attention aux secousses réitérées de la donneuse d’avis ; celle-ci la prit enfin par une de ses jambes de der- 134 RECHERCHES SUR LES rière, et la üra brusquement ; la fourmi qui se desaltéroit encore se retourna, en ouvrant ses larges pinces, avec toutes les apparences de Ja colère, puis se remit tranquillement à boire, mais sa compagne ne lui en laissa pas le tems ; elle passa devant elle , la saisit par ses mandibules, et l’en- traîna rapidement dans la fourmilière. Ces observations nous font voir de quelle ma- nière les fourmis se font entendre lorsqu'elles veulent s’avertir mutuellement du danger dont elles se croient menacées. Passons aux moyens qu’elles emploient pour se diriger dans leurs voyages et dans leurs migrations. An 2 De la manière dont les fourmis se dirigent dans leurs courses. UXE idee ingenieuse présentée par un homme célèbre suffit quelquefois pour fixer lopimion des naturalistes qui aiment mieux adopter son avis que d'examiner par eux-mêmes l’état de la question. Cest ainsi que M. Bonnet, en comparant l’odeur des fourmis à ces fils que laissent après elles les chemlles républicaines , a établi que ces insectes MŒURS DES FOURMIS. 135 se conduisoient uniquement par l’odorat. Il avoit remarqué qu'il pouvoit arrêter les fourmis en pas- sant son doigt, à plusieurs reprises, au travers de leur senuer; mais 1l n’avoit peut-être pas réfléchi que l'odeur de sa main étoit une barrière bien propre à les étonner ; d’alleurs , cetie expé- rience n'a pas toujours le succès que ce grand homme en avoit obtenu; quelques fourmis sont arrêtées un instant par la nouvelle sensation qu’elles éprouvent; mais la plupart franchissent hardiment l’espace où lon croit avoir interrompu les traces invisibles de leur passage. Je les ai mises à une épreuve plus difficile, en creusant autour de leur nid un fossé de plusieurs pouces de profondeur : à la vérité, elles parurent d’abord hésiter | mais elles n’oublièrent point la direcuon de leur four- nulière 7, et surent y revenir , quoique leur chemin fùt entièrement détruit dans cette parue. Lorsqu’elles avoient traversé le sillon, elles retour- noient souvent en arrière en tätant le terrain, comme pour observer la route et sen rappeler. Pourquoi exclure la vue, le toucher et la mémoire de la part qu'ils doivent avoir dans la conduite des fourmis? Des objets qui ne nous 136 RECHERCHES SUR LES frapperoient point à cause de leur petitesse, peuveni être très-saillans pour elles : on se convaincra par la suite de la fidélité de leur mémoire, et de la subilité de leurs sens. S1 les fourmis n’avoient pour se diriger que lo- deur qu’elles laissent après elles, comment pour- roient-elles reconnoître leur route, lorsque de lonsues pluies ont détrempé le sol qu'elles doivent parcourir, et effacé la trace de leurs pas; ou lorsque des vents impétueux ont dispersé leurs émanauons? Elles devroient être désorientées ; cependant elles ne le sont point; elles retrouvent les lieux qu’elles fréquentoient auparavant, vont à des distances considérables chercher leur nournture , et con- noissent toutes les routes qui aboutissent à la four- milière. Je ne nie pas que l’odorat ne soit aussi Pun des moyens qu’elles possèdent pour retrouver leur chemin ; mais 1l y a des circonstances où les sen- salions de cette espèce pourroient les jeter dans la plus grande perplexité. On sait que plusieurs bètes fauves trompent les meilleurs chiens de chasse , par les tours et détours qu’elles font en revenant sur leur pas : les fournus le seroient aussi par les émanations de leurs compagnes, si elles MŒURS DES FOURMIS. 157 n’avoient la connoiïssance des lieux par l'inspection des objets, laamémoire des localités, ou d’autres ressources qui nous sont inconnues. Je me suis amusé quelquefois à disperser au milieu d’une chambre les débris d’une peute four- milière de terre ; je nrattendois à voir les fourmis se suivre à la piste, et former des chapelets comme les chenilles , pour chercher un abri ; mais ce n’é- toit point amsi quelles se dirigeoient ; elles se répandoient de tous côtés, et prenoient mille routes différentes : chacune d'elles cheminoit à part ; elles se rencontrolent, se croisoient dans tous les sens , sans paroître se douter de ces fils qui devoient les conduire ; je les voyois long-tems errer à lPaven- ture avant de trouver une place où elles pussent se réunir. Quand l’une d’elles découvroit dans le plancher quelque fente au twavers de laquelle elle put se glisser dans l’espace inférièur, elle revenoit au milieu de ses compagnes, et au moyen de certans gestes faits avec ses antennes, elle leur elle en dirigeoit mème quelques-unes en les accom- indiquoit la route qu'elles devoient prendre ; -pagnant jusqu'a l'entrée du souterrain, et celles-ci, \ . . à leur tour, servoient de guides à d’autres. Toutes 138 RECHERCHES SUR LES les fois qu’elles se rencontroient elles s’arrêtoient , se frappoient avec leurs antennes d’une manière très-marquee, et paroissolent mieux instruites de la route qu’elles devoient suivre : par ce moyen, toute la fourmilière se rendoit successivement dans le même lieu. Si l’on pouvoit enlever à tems la fourmi qui découvre lParmoire des confitures, les autres n'y viendroient probablement point, parce que ce ne sont point ses traces qui les conduisent ; 1l faut né- cessairement qu’elle retourne à la fourmihière, et qu'elle amène ses compagnes. Quelle peme na- t-elle pas à retrouver sa route ! comme elle hésite, soit en allant, soit en revenant de cette terre de pronussion ! Elle cherche à reconnoître les lieux où elle à passé ; on la voit s’arrèter à chaque instant, jusqu’à ce qu’elle retrouve quelques traces visibles ou palpables, comme la lisière d’un chemin, la base d’un mur qu’elle puisse suivre sans s’égarer , ou quelque fourmi de son nid qui la mette sur la voie par le contact de ses antennes. Cette manière de diriger leurs compagnes n’est pas en usage chez toutes les fourmis; quelques espèces emploient, dans certaines circonstances, MŒURS DES FOURMIS. 159 un procédé plus mécanique et moins rapide que les signes fugitifs dont les antennes sont lorgane : c’est ce que nous allons faire connoître en parlant de leurs nngratons. $ IIL. Des migrations des Jourmis fauves. Les fourmis sont quelquefois appelées à changer de donucile. Une habitation trop ombragée, trop humide, exposée aux insultes des passans , où voi- sine d’une fourmilière ennemie , cesse-t-elle de leur convenir , elles vont poser ailleurs les fonde- mens d’une nouvelle patrie. C’est ce que j'ai cru pouvoir appeler du nom de nigrauon , celui de colonie n’offrant pas une idée assez juste dans ce cas, puisqu'il ne sagit pas ici d’une portion de la métropole, mais de la nation entière qui se transporte dans une nouvelle cité. Cependant je ne laisserai pas de n'en servir aussi quelquefois sous cette acception. Les fourmis prennent-elles le part de s'éloigner d’après une délibération générale ? Qu'est-ce qui décide le leu du rendez-vous, le jour du départ? Ces questions , et les faits qui leur appartüennent, 140 RECHERCHES SUR LES ont échappé jusqu'ici aux naturalistes, quoique plusieurs d’entr'eux aient parlé d’un usage assez commun chez les fourmis , celui de se porter les unes les autres (1); mais ils ne savoient s'ils de- voient attribuer cette conduite à la maladie, à l’en- fance ou à la vieillesse des fourmis portées par leurs compagnes. J'ignorois aussi le but qu’elles se proposoient par cette manœuvre , lorsqu'un jour ayant dérangé lhabitauon d’une peuplade de fourmis fauves, je m'apereus qu’elles changeoient de domicile. Je vis à dix pas de leur nid une nouvelle fourmilière qui communiquoit avec l’ancienne par un sentier battu dans Pherbe, et le long duquel les fourmis pas- soient et repassoient en grand nombre. Je remar- quai que toutes celles qui alloient du côté du nou- vel établissement étoient chargées de leurs com- pagnes , tandis que celles qui se dirigeoient dans le sens contraire marchoient une à une ; celles-ci alloient sans doute dans l’ancien nid , chercher des habitans pour le nouveau : ce fut pour moi un trait de Iumiére. (1) Bonnet, Latreille, Bomare. MŒURS DES FOURMIS. 141 Dés lors, je mis à la même épreuve plusieurs de ces républiques ; j’'abatus si souvent le tot de leur ville souterraine que je réussis à les détacher de leurs foyers : la première et la seconde fois elles réparèrent les dégâts que j'avois commis; à la troisième elles commencèrent à chercher un asile moins exposé à de tels accidens. Je voyois alors paruür du nid quelqu'ouvrière chargée d’une autre fourmi suspendue à ses mandibules , set je la suivois attentivement jusqu’au bord d’une cavité souterraine , dans laquelle elle déposoit sa protégée. Le nombre des fourmis porteuses, d’abord fort peut , augmentoit à chaque instant ; je n’en voyois au commencement que deux ou trois dans le sen- tier, et c’étoient probablement les mêmes; mais quand elles en avoient amené assez d’autres pour subvenir aux travaux de la nouvelle fourmilière , une parue des colons alloient à leur tour dans l'ancien nid, d’où ils troient , comme d’une pépi- nière , des habitans pour celui qu'ils vouloient peupler. 1 falloit voir arriver les recruteuses sur la four- milière natale | pour juger avec quelle ardeur elles s’occupoient de leur colonie : elles s’appro- 142 RÉCHERCHES SUR LES choient à la hâte de plusieurs fourmis , les flattoient iour-à-tour de leurs antennes, Îles uroient par leurs pinces, et semblorient en vérité leur proposer le voyage. Celles-ci se trouvoient-elles disposées à paruür , je les voyois se saisir par leurs mandibules, et tandis que la porteuse se retournoit pour enlever celle qu’elle avoit gagnée, celle-ci se suspendoit et se rouloit au-dessous de son cou : tout cela se passoit ordinairement de la manière la plus ami- cale, après un battement mutuel de leurs antennes sur la tête l’une de l’autre, et avec des mouvemens peu différens de ceux qu’elles font lorsqu'elles se donnent à manger. Quelquefois, cependant, celles qui vouloient établir la désertion saisissoient les autres fourmis par surprise , et les entrainoient hors de la four- milière, sans leur laisser le tems de résister ; ‘elles les emportoient avec une grande rapidité, et lors- qu’elles étoient arrivées vers la nouvelle habitation, les fourmis suspendues à leurs mandibules se dé- rouloient et quittoient leurs conductrices. Le nombre des recruteuses augmente toujours dans une progression rapide. Le sentier qui com- munique entre les deux cités en est rempli: la four- MŒURS DES FOURMIS. 143 nuhère natale en est couverte, et sa surface est le théâtre de leurs courses et de leurs enlèvemens. Elles ne retournent jamais dans la nouvelle colome sans ÿ porter un gage de leur célérité ou de leur adresse. Mes appareils vitrés n'ont souvent permis de voir ce qui se passoit au-dedans des fourmilières pendant lémigration; car dès que les ouvrières apercevoient quelqu'issue échappée à ma vigilance , elles en profitoient pour chercher un autre asile ; elles se reépandoïent d’abord séparément sur le plancher, et paroissoient observer tous les recoins du cabinet, jusqu'a ce qu’elles eussent découvert un gite où elles pussent sétablir. C’étoit alors seulement qu’elles commencoient à recruter : celle qui, la prennére, avoit trouvé un refuge assuré, alloit aussitôt chercher ses compagnes une à une sur le parquet, puis dans la fourmilière même ; mais il suffisoit d'enlever à tems la première recruteuse pour arrêter lémigration , jusqu’à ce qu'une autre eût aussi découvert quelque retraite convenable. Le recrutement duroit plusieurs jours ; mais lorsque toutes les ouvrières connoissoient la route de la nouvelle habitation , elles cessoient de se 144 RECTIERCHES SUR LES porter : elles avoient pratiqué des voûtes, des ave- nues , des cases; elles y apportoient leurs nymphes et leurs larves, puis les mâles et les femelles : à cette époque tout leur déménagement étoit fini; elles abandonnoïent pour toujours la fourmilière arufitielle et la route qui y conduisoit. Mais quand jouvrois les volets de ma ruche , pendant que Pémigration étoit au-dehors en pleine acuvité , tout paroissoit calme dans l’intérieur ; les recruteuses venoient jusqu'aux portes de la fourmilière, mais les fourmis qui n’étoient pas unmédiatement l’objet de leur empressement, ne faisoient aucune attention à leurs démarches ; elles restoient tranquillement occupées de leurs soins ordinaires, et ne paroissoient point se douter de ce qui se passoit si près d'elles. Aïnsi les en- lèvemens ne font de sensation que dans l'endroit même où ils ont lieu , ce qui prouve (pour le dire en passant ) que les fourmis ne prennent point con- seil de toute la république lorsqu’elles se disposent à changer de patrie ; celle qui découvre un site favorable à létablissement de la fourmilière y conduit ses compagnes, et celles-ci vont à leur tour chercher de nouveaux colons pour la peupler. Il Te MŒURS DES FOURMIS. 149 Ïl arrive quelquefois que plusieurs ouvrières entreprennent en même :tems de fonder une nou- velle cité et d'y conduire toute la peuplade, ce qui donne lieu à l’existence momentanée de plu- sieurs fourmilières ; mais ces insectes s’apercoivent bientôt qu'ils sont divisés, et ne tardent pas à réunir par un dernier recrutement toute la colonie dans le même nd. Lorsque les fourmis sont mécontentes du cie qu’elles ont choisi, elles le quittent pour un troi- sième, et passent mème quelquefois à un qua- trième , où elles se fixent définitivement : on les voit aussi très-souvent revenir à l’ancien nid, avant d'être établies pour tout-à-fait dans le nouveau : alors les recrutemens se font en sens contraire , et les couples se rencontrent dans le même chemin ; mais la dernière émigrauon obuent toujours l’avan- tage sur les précédentes. = Quand la nouvelle fourmilière est fort éloignée de l’ancienne, les fourmis établissent ordinairement quelques gîtes mtermédiares , dans lesquels elles déposent leurs recrues, les larves, les femelles et les mäles qu’elles ne pourroient porter d’une seule traite jusqu’à leur véritable destination : j'ai 10 146 RECHERCHES SUR LES vu plusieurs de ces relais établis sur la même route ; c’étoient des cavités percées dans la terre, et composées de plusieurs cases assez spacieuses ; elles étoient le plus souvent recouvertes de frag- mens de paille , et ressembloient à de petites four- milières : on y voyoit quelques sentinelles faisant le service journalier, c’est-à-dire ouvrant et fer- mant les portes du logis le soir et le matin. Quel- quefois ces asiles deviennent de petites colonies, qui conservent avec la fourmilière principale une étroite liaison ; ce sont diverses habitations com- munes aux mêmes fourmis, et qui leur servent de refuge lorsqu'elles sont dérangées dans celle qu'on pourroit appeler leur capitale. Jai vu aussi dans les bois de sapins de grandes fourmilières voisines les unes des autres, qui communiquoient ensemble, comme les cités d’un même empire, par des routes battues. Ces routes , quelquefois longues d’une centaine de pieds, et larges de plusieurs pouces, w’étoient pas uniquement leffet de la trace des four- mis, dont plusieurs milliers alloient chaque jour d’une fourmilière à une autre ; elles étoient creu- sées et travaillées par les fourmis elles-mêmes ; je les ai vues souvent occupées à les établir, ou à MŒURS DES FOURMIS. 147 leur donner plus de largeur. Cet art appartient exclusivement aux fourmis fauves ; mais les recru- temens leur sont coniniuns avec la fourmi hercule, l’étiopienne , la noir-cendrée , la sanguine et la mineuse : le don plus précieux de se diriger par le moyen des antennes dont nous avons parlé preécé- demment , est en usage chez les fourmis brunes, les jaunes , les fourmis échancrées , chez les fuligi- neuses , et plusieurs autres. {1 nous reste à dire un mot des fourmis des ga- ZODS » qui üennent le milieu entre les deux genres que nous avons décrits, en ce qu’elles se portent quelquefois mutuellement | et savent aussi se di- riger au moyen des signes. Mais ce que celles-ci ont de très-parüculier, c’est la manière dont elles se chargent de leurs protégées : au lieu de les porter roulées et suspendues au-dessous de leur cou, elles les tiennent renversées dans le sens contraire : elles les prennent aussi par leurs mandibules , mais leur tête est en bas et leur corps en l'air (1). I n’ar- CPR vil lollone 2 ba 90 de amd Marre 0" 2: | ei (1) Cest ce qui avoit fait croire à M. Bonnet que les fourmis n’en usoient ainsi que lorsqu'elles étoient irritées ; qu'elles se jetoient alors les unes sur les autres, et que l’un 140 RECHERCHES SUR LES rive jamais, comme on lavoit prétendu, que l’'ouvrière qui veut se faire porter s'accroche par force à l’une de ses compagnes. Les fourmis brunes et fuligmeuses, qui ne sont point dans lusage de se porter dans leurs migra- tions, savent cependant employer cetie ressource avec les mâles, les femelles et les ouvrières nou- vellement transformées : ce qui prouveroit que celles-ci ne connoissent pas encore bien leur lan- gage, et ne sauroiïent se diriger d’elles-mêmes. ST V. De l'affection des fourmis pour leurs compagnes. L’afection des membres d’une même famille est sans doute la vraie base de l’harmonie et du bien ha RE “e Pr public : si l’on n’étoit pas accoutumé à considérer les actions des insectes comme machinales , on ne sauroit exphquer lordre qui règne chez les abeilles et les fourmis, sans leur supposer pour leurs con- citoyennes un attachement qui seul peut leur inspirer ce zèle pour le bien de la peuplade, ces des champions saisissoit son adversaire par-dessus le cou , et s’obsinoit à ue paint lâcher prise. MŒURS DES FOURMIS. 149 soins assidus, ce dévouement dont elles donnent VPexemple dans tous les. instans de leur vie. Chez nous, lPinümité est leffet d’une préférence ; chez elles, l'affection n’a rien d’exclusif, mais elle offre bien mieux l’idée du patriotisme qui convient à des etats républicains ; leur amitié n’est jamais com- battue par le choc des passions ; 1l n’y a chez elles, ni haines, ni rivalités, ni dissensions. Qui ne con- noût le dévouement des abeilles pour leur repu- blique ! Les femelles des grands animaux ne dé- fendent pas leurs peuts avec plus d’acharnement. Les fourmis ne le cèdent en rien aux abeilles : on sut quon peut les partager par le milieu du corps sans leur ôter l'envie de défendre leurs foyers ; que la tête etle corselet séparés de l'abdomen marchent encore, et portent Îles nymphes dans leur asile ; ainsi le grand secret de lPharmonie qu’on admire dans ces républiques, n’est point un mé- canisme aussi compliqué qu'on le suppose, c’est dans leur affecuion réciproque qu’il faut le chercher. Il me sufliroit de rappeler le trait raconté par M. Latreille , de ces fourmis qui, voyant souffrir leurs compagnes auxquelles 1l avoit coupé les an- tennes, faisoient sortir de leur bouche une goutte 150 RECHERCHES SUR LES transparente d’une liqueur dont elles connoissoient peut-être la vertu, et la versoient sur la partie blessée. Je ai point de faits aussi touchans à rap- porter; mais j'en ai deux qui prouvent du moins l'attachement durable des membres d’une même république , et le désir de faire partager aux autres leurs jouissances. Je pris au mois d'avril une fourmilière des bois, dans lPintention de peupler mon grand appareil vitré ; mais ayant beaucoup plus de fourmis qu'il ne m'en falloit, j'en remis une parte en liberte dans le jardin de la maison que j'habitois , et celles- là se fixèrent au pied d’un marromer ; les autres devinrent l’objet de quelques observations particu- lières. Je les suivis pendant quatre mois sans les laisser sortir de mon cabinet : à cette epoque, vou- lant les rapprocher davantage de l’état de nature , Je transportai la ruche dans le jardin, à 10 ou 15 pas de la fourmilière naturelle. Les prisonnières pro- liant de ma négligence à renouveler l’eau de leurs baquets, s’évadoient quelquefois et parcouroient les environs de leur demeure; les fourmis établies auprès du marronier rencontrèrent et reconnurent leurs anciennes compagnes; on les voyoit sesticuler MŒURS DES FOURMIS. 151 et se caresser mutuellement avec leurs antennes ,? se prendre par leurs mandibules, et les fourmis du marronier, emmener les autres dans leur nid; elles vinrent bientôt en foule chercher les fugitives au- dessous de ma fourmilière arufñcielle , et se hasar- dèérent même jusque sous la cloche , où elles éta- blirent une désertion complète, en enlevant suc- cessivement toutes les fourmis qui sy trouvoient ; en peu de jours elle fut dépeuplée : ces fourmis éloient restées quatre mois sans communication. Voici le second trait. Javois placé des fourmis fauves dans une autre fourmilière aruficielle, dont le cadre , au lieu d’être perpendiculaire à la table, comme dans la figure .", étoit incliné de quelques degrés. Cette disposition déplut, je ne sais pour- quoi , aux fourmis , et elles s’établirent au-dessous de la cloche ; dans les matériaux de leur md qu'on avoit apportés avec elles. Il me convenoit cepen- dant , pour mes observations , qu’elles voulussent se tenir dans le cadre, et j’espérai les ÿ engager par Pattrait de la chaleur. Pour cet effet j'approchaï du cadre un flambeau que je tins à la même place, jusqu’à ce que le verre eût acquis une température assez eélevee. Il y avoit quelques fourmis dans 152 RECHERCHES SUR LES _ cette parte ; dès qu’elles sentirent la chaleur , elles commencèrent à s’animer , manifestèrent leur bien- être en se brossant la iête et les antennes avec leurs pates, et parcoururent rapidement l'espace réchauffé : lorsqu'elles rencontroient d’autres four- mis, elles s’en approchoiïent, et je les voyois faire jouer leurs antennes avec une singulière volubilité, puis reparür à Pinstant ; elles paroissoient vouloir remonter sous la cloche, car elles alloient jusqu’au bord de la table; mais, retenues sans doute par la douce température qu’elles éprouvoient dans le cadre, elles y revenoient souvent; elles prirent enfin le parti de monter dans l'étage supérieur. Je connoissois assez les mœurs des fourmis pour ne pas douter qu’elles n’allassent avertir leurs com- pagnes de cette chaleur, à laquelle elles attachent tant de prix. En effet, jen vis bientôt deux re- descendre dans le cadre, apportant à leur bouche deux ouvrières qu’elles déposérent à la place la plus chaude ; elles retournérent aussitôt dans le haut de la ruche : les nouvelles arrivées , après s'être réchauffees ; montèrent aussi sous la eloche , et je les vis, peu de minutes après , redescendre toutes quatre , portant chacune une autre fourmi sus- MŒURS DES FOURMIS. 1593 pendue à ses mandibules : ce transport continua dans une progression rapide jusqu’à ce qu'on vit arriver par centaines les recruteuses avec leurs protégées, et qu'il ne restät plus aucune fourmi dans la partie supérieure de la fourmilière. Quand je cessois de chauffer le cadre , les fourmis re- montoient sous la cloche: mais je leur faisois répéter ce trait de sociabilneé toutes les fois que je rapprochois le flambeau. Ces observations, et bien d’autres que je ne rapporterai pas, en montrant quel intérêt Îles fourmis prennent au bien-être de leurs com- pagnes , nous rappellent ces républiques idéales où tous les biens devoient être en commun, et où l'intérêt public devoit servir de règle à tous les citoyens. Îl n’appartenoit qu'à la nature de réaliser cette chimère, et ce n’est que chez les insectes exempts de nos passions qu’elle a cru pouvoir établir cet ordre de choses. Elle a donné aux fourmis la faculté de communiquer entre elles par lPattouchement de leurs antennes ; par ce moyen elles peuvent s'entr'aider dans leurs tra- vaux, se secourir dans les dangers, retrouver oarées, et faire con- leur route lorsqu'elles sont ég OX 154 RECHERCHES SUR LES noître leurs besoins à leurs semblables. Les in- sectes qui vivent en sociélé sont donc en pos- session d’un langage : ce rapport qu'ils ont avec nous, quoique dans un degré si inférieur, ne les élève-1-1l pas à nos yeux, et n’embellit-1l pas le spectacle même de l'univers ? MŒURS DES FOURMIS. 155 EL, ee en on 0 ne Le nr Go Put TRE 10 Des GUERRES DES FOURMIS, ET DE QUELQUES AUTRES PARTICULARITÉS. Le fléau de la guerre seroit-1l inséparable de l'état de société ? Les fourmis, dont la civilisauon paroît plus développée qu'on n’avoit lieu de le croire, dont les mœurs n’annoncent qu'harmonte, soins réciproques, égards pour leurs femelles , union et parfaite égalité entre tous les membres de leur république , nous donneront-elles l'exemple de cette loi qui ordonne que les espèces trop mul- uplices se détruisent par elles-mêmes ? La nature Va voulu ; il falloit que les fourmis eussent encore avec nous ce rapport, dont la nécessité tient à des plans trop élevées pour nos foibles conceptions. Le genre d'agression qui s'exerce par des armées considérables, et se manifeste par des combats mul- üpliés, est bien différent de ces ruses de quelques insectes qui surprennent leur proie : les uns, au moyen des filets qu'ils savent leur tendre ; d’autres, à l’aide de ces piéges ingénieux OÙ les fourmis 156 RECHERCHES SUR LES elles-mêmes tombent sans le savoir. Ce n’est qu’à nos guerres qu'on peut comparer celles des four- mis; on voudra donc bien tolérer , en faveur de cette ressemblance, des expressions un peu trop pompeuses pour les héroïnes dont j'écris l’histoire : on ne sauroit inventer un langage particulier pour ces insectes ; il faut donc leur adapter les termes employés en parlant de guerre. Je ne n’arrêterai pas à décrire l’espèce de chasse que les fourmis font aux insectes qu’elles trouvent sur leur passage ; tout leur secret se borne alors à savoir se réunir pour les assaillir et les entraîner dans la fourmilière. Les fourmis des contrées me- ridionales, beaucoup plus guerrières que les nôtres, se jettent sur de peüts quadrupèdes ; détruisent les rats et d’autres animaux nuisibles ; tandis que les scarabées et les hannetons sont les plus grands in- sectes auxquels les fourmis d'Europe fassent la guerre : ce m'est pas qu’elles ne dissèquent à mer- veille les lézards et d’autres petits animaux morts qu'elles trouvent dans la campagne. Les fourmis attaquent à force ouverte : la ruse n’est point au nombre de leurs armes; celles dont . elles font usage sont ces mêmes pinces qu elles MŒURS DES FOURMIS. 157 emploient pour porter les matériaux de leur nid, un aiguillon semblable à celui des abeilles, et le venin qui l’accompagne , liqueur acide, contenue dans leur abdomen, et capable de causer une légère irritauon sur la peau. On sait déjà que ces armes n’appartiennent qu'aux femelles et aux ouvrières; que la nature leur a confié tous les intérêts de la peuplade , et que les mâles n’ont de part à sa conservation que par la reproduction de Pespèce : les femelles, sans doute trop précieuses pour qu'il leur soit permis d'exposer leur vie, prennent toujours la fuite au moindre danger; les ouvrières sont les seules destinées à défendre leur habitation. Plusieurs espèces sont privées d’aiguillon | mais elles ont le secret d’y suppléer en mordant leurs ennemis , et en versant dans la plaie qu’elles font avec leurs dents une goutte de venin qui la rend plus cuisante ; elles recourbent pour cela leur ventre qui contient la liqueur vénéneuse , et l’approchent de la parue blessée au même instant qu’elles la de- chirent avec leurs pinces. Quand l’ennemi se montre seulement à distance, et qu’elles ne peuvent l’atteindre, toutes se re- 158 RECITERCIES SUR LES dressent sur leurs pates de derrière ; et, faisant passer leur abdomen entre leurs jambes, font jaillir leur venin avec force; on voit parur de toute la surface du nid une pluie ascendante d'acide for- mique, qui exbale une odeur presque sulfureuse. De tous leurs ennemis , ceux qu’elles craignent le plus, ce sont les fourmis elles-mêmes ; les plus peütes ne sont pas les moins redoutables, parce que plusieurs d’entr'elles s’attachent à la fois aux pates des plus grandes, les amarent au terrain, gênent tous leurs mouvemens, et les empèchent de fuir. On seroit étonne de l’acharnement de ces insectes dans leurs combats. Il seroit plus facile d’arracher leurs membres et de les mettre en pièces, que de les forcer à lâcher prise ; aussi voit-on souvent une tête de fourmi suspendue aux jambes ou aux an- tennes de quelqu'ouvrière qui porte en tous lieux ce gage de la victoire ; on voit même assez commu- nément des fourmis trainer après elles le corps en- üer de quelque ennemie tuée depuis long-tems, 'et accroché à leurs pates, sans qu'il leur soit possible de s’en débarrasser. À grandeur égale, les fourmis à aiswullon lem- MŒURS DES FOURMIS. 199 portent sur celles qui n’ont que leur venin et leurs dents. Toutes les fourmis dont le pédicule a pas d’écaille , mais un ou deux nœuds , en sont pour- vues ; les fourmis rouges, qui ont la réputation de piquer mieux que d’autres , ont effectivement ces deux sortes d'armes : en général, les fourmis à aiguillon de nos contrées sont au nombre des plus peutes ; je n’en connois qu’une espèce de grandeur moyenne , mais elle est assez rare et n’habite que sur les Alpes. Les guerres des fourmis de taille différente ne ressemblent point à celles des fourmis qui com- battent à force égale : quand les grandes attaquent les peutes, elles cherchent à les prendre par sur- prise , probablement afin d’éviter que celles-ci ne s’accrochent à leurs jambes; elles les saisissent par- dessus le corps, et les étranglent subitement entre leurs pinces ; mais quand les petites fourmis ont le tems de prévoir l’attaque , elles savent avertir Jeurs compagnes du danger, et celles-ci arrivent en foule pour les secourir. J’ai suivi les combats des four- mis hercules contre les sanguines : les hercules sor- toient du tronc d’un arbre dans lequel elles avoient établi leur demeure, et venoient jusqu'aux portes 160 RECHERCHES SUR LES de celle des fourmis sanguines ; celles-ci, de moitie plus petites que leurs adversaires, avoient l’avan- tage du nombre; cependant elles se tenoient sur la défensive; le terrain, jonché des cadavres de leurs compatriotes, attestoit qu’elles avoient eu le dessous, aussi prenoient-elles le paru prudent de fixer ailleurs leur habitation, et, par un recrutement établi dans toutes les règles, elles transportoient à plus de cinquante pieds de là leurs compagnes et tous les objets qui les mtéressoient. Plusieurs petites troupes d’euvrières postées à peu de distance du nid, paroissoient être pré- posées pour couvrir la marche des recruteuses et préserver la cité même d’une attaque soudaine ; elles se heurtoient les unes les autres quand elles se rencontroient , et avoient toujours leurs pinces écartées d’un air menaçant. Aussitôt que les four- mis hercules s’approchoiïent de leur camp, les sentinelles les plus avancées les assailloient avec fureur : c’étoit d’abord un combat singulier ; la fourmi sanguine se jetoit sur la fournu hercule , se cramponnoit à sa tête , relournoit son ventre contre la poitrine de sa rivale , ou contre la parue inférieure de sa bouche, et l’inondoit de son venin ; quelquefois MŒURS DES FOURMIS. 161 quelquefois elle repartoit aussitôt avec une ex- trêéme prompuütude : le plus souvent la fournu ber- cule enlacoit entre ses pates son audacieuse enne- mie; les deux antagonistes se rouloient dans la poussière et lutioient avec acharnement. L’avan- tage étoit d’abord en faveur de la plus grande , mais sa rivale étoit bientôt secourue par celles de son parti, qui s’'attroupoient autour de la fourmi hercule , et lui faisoient avec leurs dents de cruelles blessures. Celle-ci cédoit au nombre ; elle périssoit vicume de sa témérité, ou étoit conduite prison- nière dans le camp ennemi. Tels sont les combats des fourmis dont la gran- deur est très-différente. Mais si nous voulons voir des armées en présence, une guerre dans toutes les formes, il faut aller dans les forêts où les four- mis fauves établissent leur domination sur tous les insectes qui se trouvent sur leur passage. Nous y verrons des cités populeuses et rivales ; des routes battues, partant de la fourmilière comme autant de rayons , et fréquentées par une foule innombrable de combattans ; des guerres entre les hordes de la même espèce ; car elles sont naturellement enne- mies et jalouses du territoire voisin de leur capitale. 11 162 RECHERCIIES SUR LES C’est là que j'ai pu observer deux des plus grandes fourmilières aux prises l’une avec l’autre. Je ne dirai pas ce qui avoit allumé la discorde entre ces républiques ; elles étoient de la méme espèce, semblables pour la grandeur et la population, et situées à cent pas de distance : deux empires ne possèdent pas un plus grand nombre de combattans. Qu'on se représente une foule prodigieuse de ces insectes , remplissant tout l’espace qui séparoit les deux fourmilières, et occupant une largeur de deux pieds ; les armées se rencontroient à moitié chemin de leur habiiation respecuve, et c’est là que se donnoit la bataille. Des milliers de four- mis, montées sur les saillies naturelles du sol, luttoient deux à deux, en se tenant par leurs mar- dibules vis-à-vis lune de lautre ; un plus grand nombre encore se cherchoient , s’attaquoient , s’en- traïnoient prisonnières ; celles-ci faisoient de vains eMorts pour s'échapper , conmme si elles avoient prévu qu'arrivées à la fourmilière ennemie elles éprouveroient un sort cruel. Le champ de bataille avoit deux à trois pieds carrés ; une odeur pénétrante s’exhaloit de toutes parts; On voyoit nombre de fourmis mortes et cou- MŒURS DES FOURMIS. 163 vertes de venin ; d’autres, composant des groupes et des chaînes, étoient accrochées par leurs jambes ou par leurs pinces, et se uroient tour à tour en sens contraire. Ces groupes se formoient succes- sivement ; la lutte commencoit entre deux four- mis qui se prenoient par leurs mandibules, s’exhaus- soient sur leurs jambes pour laisser passer leur ventre en avant, et faisoient jailir mutuellement leur venin contre leur adversaire ; elles se serrotent de si près qu’elles tomboient sur le côté et se dé- battoient long-tems dans la poussière ; elles se rele- voient bientôt et se tirailloient réciproquement, afin entrainer leur antagoniste ; mais quand leurs forces étoient égales , les athlètes restoient immo- biles et se cramponnoient au terrain jusqu'à ce qu'une troisième fournu vint decider lavantage : le plus souvent l’une et l’autre recevoient du se- cours en même tems; alors toutes les quatre se tenant par une pale ou par une antenne , faisoient encore de vames tentatives pour l’emporter ; d’au- tres se joignoient à celles-ci, et quelquefois ces dernières étoient à leur tour saisies par de nou- velles arrivées : c’est de cette manière qu’il se for- moit des chaines de six , huit ou dix fourmis, toutes ‘ 164 RECHERCIES SUR LES cramponnées les unes aux autres; l'équilibre n'etoit rompue que lorsque plusieurs guerrières de la même république s’avancoient à la fois ; elles for- coient celles qui étoient enchainées à lâcher prise, et les combats parüculiers recommencoient. À l'approche de la nuit chaque paru rentroit graduellement dans la cité qui lui servoit d'asile , et les fourmis tuées ou menées en capuvite, n’étant pas remplacées par d’autres , le nombre des com- battans diminuoit jusqu’à ce qu'il n’en restàt plus aucun. Mais les fourmuis retournoiïent au combat avant l'aurore, les groupes se formoient , le carnage recommencoit avec plus de fureur que la veille; et j'ai vu le lieu de la mêlée occuper six pieds de profondeur sur deux de front. Le succès fut long- tems balance ; cependant, vers le milieu du jour le champ de bataille s’étoit éloigné d’une dixame de pieds de lune des cités ennemies ; d’où je con- clus qu’elle avoit gagné du terrain. L’acharnement des fourmis étoit si grand que rien ne pouvoii les distraire de leur entreprise ; elles ne s’'apercevoient point de ma présence , et quoique je fusse immé- diatement au bord de leur armée , aucune d’elles MŒURS DES FOURMIS. 165 ne grimpa sur mes jambes ; elles n’avoient qu'un seul objet, celui de trouver une ennemie qu'elles pussent attaquer. | Ce dévouement pour la patrie n’estal pas éton- nant dans de si petits insectes ? Concoit-on com- ment la nature a pu leur inspirer un si grand intérêt pour cette peuplade, où elles n’ont que des tra- vaux en partage |! Mais ces guerres offrent quelque chose de plus surprenant encore, c’est instinct qui fait reconnoître à chaque fourmi celles de son paru. Comment , à quel signe se distinguent-elles dans la mêlée, où des milliers d'individus de la même couleur, de la même taille, de la même odeur, de la même espèce enfin, se rencontrent, se croisent, s'attaquent, se défendent , s’'inon- dent de venin et semmènent prisonnières ? Elles marchent avec défiance, lors même qu’elles s’ap- prochent de leurs compagnes; elles üennent leurs mächoires écartées , quelquefois même elles s’at- taquent, mais elles se reconnoissent aussitôt, et lichent prise ; souvent celles qui sont Pobjet de celte erreur momentanée caressent leurs compa- triotes avec leurs antennes, et appaisent prompte- ment leur colère. Quelle opinion cette manière 166 RECHERCHES SUR LES d'agir ne donne-t-elle pas de l'espèce de liaison: que ces insectes ont entr'eux, et de la subulite de leurs'senis 2. Les travaux habituels des deux peuplades n’é- toient point interrompus pendant cette guerre : les senuers qui conduisotent au loin dans la forêt étoient aussi peuplés de fourmis qu'en iems de paix , et tout offroit sur la fourmihière l'aspect de ordre et de la tranquilité, à cela près que, du côté où se donnoit la bataille, on voyoïit constam- ment une foule de ces insectes qui partoient pour le combat, et d’autres qui revenoient chargés de prisonniers. Cette guerre se termina sans aucun résultat fàcheux pour les deux républiques ; des pluies de longue durée en arrêterent le cours, et nos belliqueuses ouvrières renoncèrent à fréquenter la route qui conduisoit à l'ennemi. Jai été té— moin d’autres combats pareils à ceux que je viens de décrire; mais je n’en parlerai pas, dans la crainte de fatiguer mes lecteurs par de trop fré- _quentes répéutions ; je dois cepend:nt leur don- ner une idée de ceux des fourmis fauves avec les fourmis sanguines , parce qu'ils ont un caractère MŒURS DES FOURMIS. 167 très-différent des premiers, et se rapprochent peut- être davantage des nôtres. Les fournus sanguines , lorsqu'elles sont atta- quées par les fourmis fauves, vont les attendre en peutes troupes, à quelque distance du nid; elles avancent en corps, sans s’écarter les unes des autres ; elles saisissent ainsi toutes celles de leurs ennemies qui se hasardent trop loin de leur camp. Cette petite guerre est fort amusante pour lPobser- vateur : il voit les deux partis se mettre en em- buscade et s’attaquer tour à tour à l’improviste. Mais quand les sanguines sapercoivent que les fourmis fauves s’avancent en force contr’elles, elles savent informer celles de la fournulière du besoin qu'elles ont de leur secours ; et aussitôt une armée considérable sort des portes de la cité sanguine , s’avance en masse, et enveloppe le peloton ennemi. Rien ne prouve mieux, à mon avis, l’existence d’un langage entre ces insectes : J'ai été témoin de ce trait tous les jours, pendant plusieurs semaines. Ces combats se renouveloient constamment entre ces deux fourmilières , dont les mids étoient assez éloignés lun de Pautre, mais places le long de la A = 5 . mème haie , de manière que leurs sentiers se pro- 168 RECHERCHES SUR LES longeoïent jusque sur leurs terrains respecufs. En faut-1} davantage pour allumer la guerre entre de plus grands empires (1)? (1) En lisant les voyages de M. Malouet dans les forêts de la Guyane, on peut se convaincre que les fourmis ne sont pas toujours, pour Fhomme même , des enremis méprisables , et que nous avons tout lieu de nous féliciter de l'innocence de celles de nos contrées, et de ce que ia nature a réduit leur taille à des dimensions si différentes de la nôtre. « Je traversai, dit:l, la rivière avec M. de Préfontaine, » pour aller visiter des bois. Au milieu d’une savanne » unie à perte de vue, j'aperçus un monticule qui » paroissoit fait de main d'homme. Il m'apprit que » c’étoit une fourmilière. Quoi! lui dis-je, cette cons- » lruclion gigantesque est celle d’un misérable insecte... » Îl me proposa de me mener, non pas à la fourmilière, » où nous aurions élé dévorés, mais sur la route des » travailleurs. Eflectivement, en approchant du bois, » nous rencontrâämes plusieurs colonnes dont les unes » alloient et les autres revenoïent de la forêt, rapportant » des brins de feuilles, des débris de graines et de » racines. Ces fourmis noires étoient de la plus grosse » espèce; mais je ne cherchai point à les observer de » près ; leur habitation, que je n’approchaïi pas à plus » de 4o pas, me parut avoir 15 à 20 pieds d’élévation , » sur 50 à +0 de base; la forme étoit celle d’une pyramide » tronquée au tiers de sa hauteur. M. de Préfontaine me » dit que lorsqu'un habitant avoit le malheur de ren- q q MŒURS DES FOURMIS. 169 Je placerai iet quelques observations auxquelles je ne donnerai pas de dénomination précise , parce qu’elles ont pour objet des scènes que je n’oserois qualifier du utre de gymnastique , quoiqu’elles en offrent l’image. C’est encore chez les fourmis fauves que j'ai puisé ces détails; elles nous ont déjà présenté plu- sieurs faits paruüculiers : celui-ci est de ce nombre. Ne doivent-elles point à Fimmense population de leur nid les différences que présentent leur indus- trie et leur caractère ? C’est ce qui me paroît assez probable , mais je ne me permettrai pourtant pas de Paffirmer. » contrer une de ces redoutables forteresses dans ses » défrichemens , il étoit obligé d'abandonner son établis- » sement, à moins qu'il n'eût assez de forces pour faire » un siége en règle. Cela lui est arrivé lors du premier » campement de Xouron. Il voulut en former un second » un peu plus loin, et il aperçut sur le terrain une » butte semblable à celle que nous voyons; il fit creuser » une tranchée circulaire, qu'il remplit d’une grande » quantité de bois sec; et, après y avoir mis le feu sur » tous les points de sa circonférence , il attaqua la four- » milière à coups de canon : l’ébranlement des terres, » et l'invasion des flammes ne laissotent aucune issue à » l’armée ennemie, obligée de traverser dans sa retraite » une tranchée remplie de feux, etc. etc. 170 RECHERCHES SUR LES Je m’approchai un jour d’une de leurs fourmi- hères exposée au soleil et abritée du côté du nord. Les fourmis étoient amoncelées en grand nombre, et sembloient jouir de la température qu’elles trou- voient à la surface du nid. Aucune d'elles ne tra- vailloit: cette multitude d'insectes accumulés offroit l’image d’un liquide en ebulliion, sur lequel les yeux avoient d’abord peine à se fixer. Mais quand je m'anpliquois à suivre séparément chaque fourmi, je les voyais s'approcher en faisant jouer leurs an- tennes avec une étonnante rapidné ; leurs pates antérieures flattoient par de légers mouvemens les parües latérales de la tête des autres fourmis : après ces premiers gestes, qui ressembloient à des caresses ; on les voyoit s'élever sur leurs jambes de derrière deux à deux, lutter ensemble , se saisir par une mandibule , par une pate on par une an- tenne , se relâcher aussitôt pour s'attaquer encore ; elles se cramponnoient au corselet où à l’abdomen l’une de Pauire, s’'embrassoient, se renversoient, se relevoient tour à tour, et prenoient leur revanche sans paroître se faire de mal; elles ne lancoient pas de venin, comme dans leurs combats, et ne re- tenoient point leur adversaire avec cette opiniätreté MŒURS DES FOURMIS. 171 que nous avons observée dans leurs querelles sé- rieuses : elles abandonnoïent bientôt les fourmis quelles avoient saisies , et tâchoient d’en attraper d’autres : jen ai vu qui avoient une telle ardeur dans ces exercices, qu’elles poursuivoient succes- sivement plusieurs ouvrières , luttoient avec elles pendant quelques instans, et le combat ne finis- soit que lorsque la moins animée, après avoir ren- versé son antagoniste , réussissoit à s’échapper en se cachant dans quelque galerie. Je retournai sou- vent auprès de cette fourmilière qui me donnoit presque toujours le même spectacle ; quelquefois celte disposition étoit générale : partoutil se formoit des groupes de fourmis luttant ensemble , et je n’en vis jamais aucune sortir de là blessée ou muulée. Les autres fourmilières ne me présentoient que rarement ces occupations, moiueé guerrières et moitié sociales ; car si les mœurs des fourmis dé la même espèce sont essentiellement semblables, leurs habitudes offrent des nuances très-disunctes d’une peuplade à une autre. Ces républiques n’ayant aucune communication entr’elles , doivent contrac- ter des usages particuliers lorsqu'elles sont dans des circonstances différentes : l’abondance ou la 172 RECHERCHES SUR LES disette, la proximité ou l’éloignement des mate- riaux qui leur sont nécessaires , les travaux aux- quels elles sont appelées , le voisinage d’une four- milière ennemne, ou d’autres circonstances for- tuites peuvent influer sur leurs actions. La peuplade dont àl s’agit étoit une de celles où lon remarquoit le plus d'harmonie ; les imsectes dont elle étoit composée ne cessoient de s'offrir muiuellement de la nourrnure , de se caresser de leurs antennes , et de se porter d’une place à une autre. Je suis tenté de croire que celte disposition amicale étoit due à la situation de leur fourmilière, irès - rapprochée de la source d’où ils tiroient leurs alimens, et renfermee entre un fosse plein d’eau et une haie très-épaisse qui pouvoit les pré- server des visites des fourmis étrangères , ou d’au- tres ennemis. Ce qui a contribué à n'affermur dans celte opinion, c’est que j'ai observé les mêmes exercices dans ma fourmilière vitrée , lorsque les fourmis avoient abondamment de nourriture , qu'elles etoient bien accoutumées à leur demeure , et sous l'influence d’une température modérée. D’autres fourmilières m'ont présenté des partu- cularités un peu différentes de celles-ci ; je voyois Q1 MŒURS DES FOURMIS. 17 souvent à la surface du nid des ouvrières qui pa- roissoient saisies de vertige ; elles se torulloient au soleil avec des mouvemens convulsifs en ouvrant leurs pinces, et couroient en tout sens sur la fourmilière ; bientôt quelques autres, agitées de la même manière , commencoient à freuller et se jetoient dans la première galerie qui se trouvoit sur leur passage. Ces fourmis mettoient tout en de- sordre autour d’eiles; mais cette disposition ne duroit que deux à trois minutes, et je suppose quelle étoit due à l’ardeur du soleil, ne Payant jamais observée que lersqu'il étoit très-elevé au- dessus de l’horizon. Plusieurs de celles que j'ai sui- vies , après avoir pirouetté quelques instans, accro- choient les autres fourmis par une jambe ou par une antenne, puis les relächoient pour courir après d’autres; quelquefois même elles les emportoient , mais sans jamais leur faire de mal. Aïlleurs, deux fourmis paroissoient s’agacer autour d’un brin d'herbe ; l’une et l’autre, dressées sur leurs pates, tournoient alternativement pour s’éviter ou s’attra- per : elles me rappelorent les courses et les com- bats simulés des jeunes chiens, quand ils s'élèvent sur leurs pates de derrière , feignent de se mordre, 174 RECHERCHES SUR LES se renversent mutuellement, et se saisissent sans jamais serrer les dents. Ï faut, pour être témoin des faits que je viens de décrire , s'approcher des fourmilières avec beau- coup de précautions , afin que ces insectes ne s’a- perçoivent pas de notre présence ; ils cesseroient à instant leurs jeux et même leurs travaux ; on les vérroit aussitôt se mettre en défense , recourber leur ventre et lancer leur venin : l’acharnement seul qu'ils mettent à leurs guerres ne soufre de leur part aucune distraction. Les fourmis connoissent donc les travaux , les combats... j'allois dire les plaisirs (1) : elles possèdent (1) Elles ont aussi leurs maladies. J'en ai observé une fort singulière : les individus qui en sont aitaqués perdent la faculté de se guider en droite ligne; ils ne peuvent marcher qu’en tournant dans un cercle très-étroit, et toujours dans le mème sens. Une femelle vierge, renfermée dans un de mes poudriers, prit tout d’un coup cetle manie ÿ elle décrivoit un cercle d’un pouce de diamètre, et fai- soit environ mille tours par heure; elle tourna cons- tamment pendant sept jours, et quand je la visilois la nuit, je la trouvois faisant le même manège. Je lui donnoiïs du miel, et je crois qu’elle en mangeoit quoique C , e mer , ® . © Je nen aie pas été Lémoin. J’ai trouvé encore lrois ou- MŒURS DES FOURMIS. 179 des signes qui leur servent de langage , donnent des preuves d’affecuon les unes pour les autres, et de dévouement pour leur peuplade ; soignent les femelles erles petits qu’elles mettent au monde, etc. Ce sont déja bien des traits de civilisation ; et si les fourmis étoient de la taille des castors, nous ne nous lasserions pas de les adnurer. vrières tournantes; l’une d’elles avoit cependant la faculté de marcher de tems en tems en ligne droite ; je la pris sur ma main: elle continua à tourner , s'arrêta un instant pour manger du miel, et reprit sa route circulaire. La seconde ouvrière, qui étoit de l'espèce des noir-cendrées, avoit une antenne coupée; elle m’e- ÉHApEE avant que j'eusse nu sur elle les essais que je mélois proposés. La troisième ouvrière, appartenant aux fourmis fauves, n’avoit aucun mal à l’extérieur : je ne saurois assigner la cause de cette maladie , la seule que j'aie observée chez les fourmis. 176 RECHERCHES SUR LES CAL POLAR EE) VI. RELATIONS DES FOURMIS AVEC LES PUCERONS ET LES GALLE - INSECTES. PP ne A Pr SP PS de Du langage antennal. Or me soit permis de revenir à la grande question du langage des fourmus : si c’est une vé- rité, je ne saurois en donner trop de preuves; si c’est une erreur, les faits, de quelque manière qu'ils s'expliquent, me serviront d’excuse. En supposant que je n’aie pas trop présumé de la justesse de mes raisonnemens , j’ai dû faire senur la nécessité d'admettre chez les fourmis des moyens capables de propager entrelles leurs différentes impressions , et j'ai cru reconnoître cette faculté dans le choc de leur tête contre le corselet de leurs compagnes , et dans le contact de leurs man- dibules; mais ce ne sont encore là que les signes les plus grossiers dont elles fassent usage. Les antennes , ces organes du toucher, et peut- être MŒURS DES FOURMIS. 177 être de quelque sens qui nous est inconnu, sont les principaux instrumens du langage des fourmis ; leur place au-deyant de la tête, leur mobilité, leur construction , qui présente une suite de pha- langes douées d’une extrême sensibilité ; leurs rap- ports intimes avec l'instinct; enfin les observations que j'ai rapportées en parlant de la conduite de nos insectes dans leurs relations avec les femelles , les mâles et les autres ouvrières : tout concourt à me persuader que les antennes jouent le rôle le plus important chez les fourmis. Nous les avons vues en faire un usage fréquent sur le champ de bataille pour jeter l’alarme parmi leurs compagnes, et pour se distinguer de leurs ennemies ; au sein de la fourmilière | pour s’averur de la présence du soleil, si favorable au développement des larves ; dans leurs courses et leurs émigrations, pour s’in- diquer mutuellement la route; dans leurs recru- temens , pour décider le départ, etc. ete. : voyons encore de quelle autre uulité elles sont pour ces insectes. Les fourmis n'ayant pas l’art de construire des magasius et de les remplir de provisions, ne peu- vent pas, comme les abeilles, puiser leur nour- 12 178 RÉCHERCHES SUR LES riture dans des cellules, sans sorür de chez elles. Celles qui restent au logis attendent donc leur sub- sistance des ouvrières qui sont allées à la récolte ; celles-c1 leur rapportent de peuts insectes, ou le corps de ceux qu’elles ont démembres sur la place; alors chacune d’elles attaque le cadavre, et bientôt il est entièrement dépecé; mais quand elles trouvent des fruits mürs ou des animaux d’une chair plus molle, comme des vers, des lézards et d’autres petits quadrupèdes morts ; ne pouvant pas les transporter dans la fourmilière , elles sa- breuvent des sues qu'ils renferment, et ne reviennent à leur nid qu'avec Pestomac plem de ces provisions liquides. À leur retour , elles les dégorgent dans la bouche de leurs compagnes : et voici comment cela se passe. La fourmi qui éprouve le besoin de manger commence par frapper de ses deux antennes , avec un mouvement très-rapide, celles de la fourmi dont elle attend du secours; on les voit aussitôt s'approcher en ouvrant leur bouche, et avancer leur langue pour se communiquer la liqueur qu’elles font passer de l’une à l’autre : pendani eette operation , la fourmi qu recoit les alimens MŒURS DES FOURMIS. 179 ne cesse de flatter celle qui la nourrit, en conti- nuant à mouvoir ses antennes avec une activité singuhére; elle fait aussi jouer sur les parties laté- rales de la tête de sa nourrice ses pates antérieures, qui sont garnies de brosses très-épaisses, et qui, par la délicatesse et la rapidité de leur mouvement, ne le cèdent en rien à ceux des antennes. La fourmi qui revient des champs sait aussi averür ses compagnes du besoin qu’elle a de se décharger d’une partie de la liqueur dont elle s’est pourvue , et c'est encore à l’aide de ses antennes qu’elle paroît les inviter à venir en prendre leur part; mais elle ne fait point usage de ses pates de devant dans cette circonstance. Ce langage est si clair pour nos insectes, qu'ils paroissent le com- prendre à l'instant ; les larves même , qui savent demander de la nourriture en relevant leur tête (comme nous Pavons fait remarquer ailleurs ), se redressent et présentent leur bouche dès qu'elles sentent la fourmi battre de ses antennes la parue antérieure de leur corps. Le langage antennal exigeroit sans doute une étude très-approfondie , si on vouloit connoître toutes les impressions qu'il est susceptible de com- 180 RECHERCHES SUR LES muniquer ; il est comme tous les autres signes que j'ai observés chez les fourmis, fondé , non sur des gestes visibles, mais sur lattouchement de cer- taines parties ; parce qu'il falloit qu'il püt servir dans l’intérieur de la fourmilière, où la lumière du jour ne pénètre jamais : 1l en résulte qu'une fourmi ne peut se faire entendre que d’une seule de ses compagnes à la fois ; mais impression qu’elle a donnée se propage de lune à l’autre avec une extrême rapidité. Si nous parvenons à prouver qu’elles savent encore se faire entendre d’autres insectes , il faudra convenir qu’elles ont été singu- hèrement favorisées par la nature. SEE Liaison des fourmis avec les pucerons. Ox sait qu'un grand nombre de végétaux nour- rissent des pucerons; ces insectes, attroupeés sur les nervures des feuilles ou sur les branches les plus jeunes , insinuent leur trompe entre les fibres de l'écorce, dont ils pompent les sucs les plus substan- üels : une partie de ces alimens ressort bientôt de leur corps sous la forme de gouttelettes limpides, par les voies naturelles ou par ces deux cornes qu'on MŒURS DES FOURMIS. 181 remarque ordinairement à leur partie postérieure : c’est cette hqueur dont les fourmis font leur prin- cipale nourriture. On avoit déja observe (1) qu’elles attendoient le moment où les pucerons faisoient sortir de leur ventre cette manne précieuse, et quelles savoient la saisir aussitôt ; mais j'ai décou- vert que c’étoit là le moindre de leurs talens, et qu’elles savoient encore se faire servir à volonté : voici en quoi consiste leur secret. Une branche de chardon étoit couverte de four- mis brunes et de pucerons : j’observai quelque tems ces dermers, pour saisir, s’il étoit possible, Pmstant où ils faisoient soruür de leur corps cetie sécrétion; mais je remarquai qu’elle ne sortoit que trés - rarement d'elle-même, et que les pucerons éloignés des fourmis la lancoient au loin, au moven d’un mouvement qui ressemble à une espèce de ruade. Comment se fasoitil donc que les fourmis er- ranies sur les rameaux , eussent presque toutes des ventres remarquables par leur volume et remplis évidemment dune liqueur? C’est ce que jappris habiunebts ous sein af Ra A nr. 2e (+) M. Boissier de Sauvage, t 182 RECHERCHES SUR LES en suivant de près une seule fourmi, dont je vais décrire exactement les procédés. Je la vois d’a- bord passer sans s'arrêter sur quelques pucerons, que cela ne dérange point; mais elle se fixe bientôt auprès d’un des plus petits : elle semble le flatter avec ses antennes , en touchant l'extrémité de son ventre alternativement de lune et de lautre, avec un mouvement très-vif; Je vois avec surprise la liqueur paroître hors du corps du puceron, et la fourmi saisir aussitôt la gouttelette, qu’elle fait passer dans sa bouche. Ses antennes se portent ensuite sur un autre puceron beaucoup plus gros que le premier; celui-ci, caressé de la même manière , fait sortir le fluide nourricier en plus grande dose ; la fourmi s’avance pour s'en empa- rer : elle passe à un troisième, qu’elle amadoue comme les précédens, en lui donnant plusieurs petits coups d'antennes auprès de lextrémité pos- térieure de son corps ; la liqueur sort à lPinstant, et la fourmi la recueille. Elle va plus loin : un quatrième, probablement déjà épuisé, résiste à son action; la fourmi, qui devine peut-être qu'elle n’a rien à en espérer, le quitie pour un cinquième, dont elle obtient sa nourriture sous mes yeux. LL. 4 MŒURS DES FOURMIS. 163 Il ne faut qu’un petit nombre de ces repas pour rassasier une fourmi : celle-ci, sausfaite , reprit le chemin de sa demeure. Jobservai encore celles qui restoient sur le chardon; elles m’offrirent la même scène. Dès lors j'ai toujours remarqué que l’arrivée des fourmis et le battement de leurs an- tennes précédoient le don de cette liqueur, et que l’atutude des pucerons, la tête en bas, sem- bloit étre desunée à cet objet. Jai revu nulle et mille fois ces procédés singuliers , employés avec le même succès par les fourmis, quand elles vouloient obtenir des pucerons cetie nourriture : si elles négligent trop long-tems de les vistier, ils rejettent la nuellée sur les feuilles, où les fourmis la trouvent à leur retour, et la recueillent avant de s'approcher des insectes qui la fournissent. Mais si les fourmis se présentent souvent aux pucerons, ils paroissent se prêter à leur désir, en avancçant l’époque de leur évacuation , ce que l’on peut con- noître au diamètre de la gouttelette qu'ils font sorür ; et dans ce cas ils ne lancent pas au loin la manne des fourmis ; on diroit même qu'ils ont soin de la retenir pour la mettre à leur portée. U arrive quelquefois que les fourmis, en trop 184 RECHERCHES SUR LES grand nombre sur la même plante, epuisent les pucerons dont elle est couverte : dans cette cir- constance elles feroient vamement jouer leurs an- iennes sur le corps de leurs nourriciers ; il faut qu’elles attendent qu'ils aient pompé une nouvelle ration du suc des branches ; ils n’en sont point avares et ne résistent jamais à leurs sollicitations quand ils sont en état d’y satisfaire : j'ai vu souvent le même puceron accorder successivement plu- sieurs gouttes de ce sirop à différentes fourmis qu en paroissoient fort avides. La fourmi brune n’est pas la seule douée de cet art, quoiqu’elle soit peut-être une des plus habiles à se procurer sa subsistance par ce moyen. La fourmi fauve , la noire-cendrée, la ronge et plu- sieurs autres, ont, à des degrés différens , le pou- voir d'engager les pucerons à leur livrer leurs secre- OU- uons. La fourmi rouge montre une adresse sing lière à saisir la goutteleite ; elle emploie ses an- tennes, dont Pextrémute est un peu renflée, pour la porter à sa bouche, et elle Py fait entrer en la pressant tour à tour avec l’une et l’autre, comme avec de véritables doigts. Il ne paroît point que ce soit par importunité MŒURS DES FOURMIS. 165 que ces insectes obuennent des pucerons leur nour- riture. J'ai observé les fourmis fuligineuses sur une branche de chêne chargée de gros pucerons noirs; ces derniers se promenoient çà et là, et paroïssoient vivre dans la meilleure intelligence avec les fourmis; ils leur fournissoient la miellée, et ne cherchoïent point à s'enfuir, quoiqu'ils fus- sent incomparablement plus lestes que ceux dont j'ai parlé jusqu'ici. I s’en trouvoit un ailé dans la troupe : ses ailes noires avec deux raies blanches, sa taille, tout le rendoit fort distinct de ses com- pagnons : je vis plusieurs fourmis fort agitées au- tour de hu, et comme inquiètes de ce qu'il s’ap- prochoit d’autres pucerons auxquels elles sem- bloient vouloir demander leur repas ; elles alloient vers lui avec précipitation , hui donnoient quelques coups d'antennes, et retournoient auprès des premiers. Je crus d’abord que le puceron aile les génoit ; mais dans un moment plus favorable, je le vis lui- mème , frappé ou flatté par les fourmis, leur accorder le mets qu’elles sollicitoient. Jai souvent observé depuis lors d’autres pucerons ailes livrant aux fourmis, sans contrainte, cette liqueur si 186 RECHERCIIES SUR LES préciense pour elles ; 1ls se laissoient toucher de leurs antennes, ils restoient sur la branche où leurs compagnons privés d'ailes étoient fixes, et ne pa- roissoient point éviter les fourmis , dont le nombre sembloit devoir les ncommoder. Cela prouve que le voisinage des fourmis est agréable aux pucerons, puisque ceux qui pourroient se soustraire à leurs visites préfèrent demeurer au milieu d'elles, et leur prodiguer le superflu de leur nourriture. J'ai répété ces observations sur la plupart des fourmis de notre pays : les plus grosses s'adressent aussi aux pucerons. On seroit étonné de voir com- bien elles les menagent, et avec quelle délicatesse leurs antennes, bien différentes de celles des four- mis rouges, et plus délices à l'extrémité que partout ailleurs, savent les inviter à leur livrer la miellée (1). Je ne connois point de fourmis qui n'aient l’art d'obtenir des pucerons le soutien de leur vie : on diroit qu'ils ont ete créés pour elles. (1) On sait que les fourmis à deux nœuds sur le filet du ventre ont les antennes renflées : celles des autres classes les ont filiformes et sétacées, MŒURS DES FOURMIS. 197 dd id à Des relations des fourmis avec les galle- insectes. ON sait que les galle-insectes , comme les pu- cerons, s’attachent aux fewulles et aux branches des arbres, pour en pomper le suc. Elles ont la bouche et les parties sexuelles appliquees contre Varbre , l’orifice destiné à rejeter l’excédant de leur nourriture est placé sur le dos à Popposite. valle-insectes Les fournis sont aturées par les g comme par les pucerons ; je ne suis pas le premier qui ait observé ; on sait depuis long-tems que les kermès et les cochenilles, qui sont de genres voisins de nos galles, sont toujours accompagnés par les fourmis , mais on n’en savoit pas la raison ; on n’a- voit pas remarqué que les galle-insectes leur li- vroient, comme les pucerons, une grande partie des fluides qu’elles extraient des arbres auxquels elles sont fixées. M. de Réaumur lui-même croyoit que la piqûre faite à Parbre par les galle-insectes , conunuoit à verser sa liqueur lorsqu'elles en avoient retiré leur trompe, et que les fourmis venoient aussitot lécher le suc qui transsudoit de l'écorce; 1868 RECHERCHES SUR LES mais celle conjecture, quelque naturelle qu’elle parût alors, ne s’est pas vérifiée. Ces insectes, qui nous avoient échappé pendant tant de siècles, étoient de tout tems connus des fournus pour des êtres doués de vie et de sensation; je fus très- étonné lorsque je vis pour la première fois une fourmi s'approcher d’une galle-insecte, et faire avec ses antennes, près de son extrémité inférieure, les mêmes manœuvres qu’elles exécutent à l'égard des pucerons. Lorsqu’elles leut flatté pendant quelques instans, je vis sortir du dos de la galle une grosse goutte de liqueur, que la fourmi se hâta de sucer. J’ai répété cette observation sur d’autres galle -insectes du même arbre, pendant des saisons entières. Elles étoient en grand nombre sur un bourrelet du tronc ; les fourmis y venoient continuellement chercher des provisions. Je confir- mai ces observations sur celles de l’oranger, et je vis toujours les fournns leur demander et en ob- tenir leur pâture de la même mamère. On ne sau- roit mieux comparer le mouvement des fournis , dans cette occasion, qu’à celui des doigts dans un ill sur le piano. Les kermés , comme les pucerons, lancent leur MŒURS DES FOURMIS. 189 liqueur lorsque les fourmis ne sont pas assidues au- près d'eux; mais cela arrive rarement : les galle- insectes du pêcher , de la vigne et du mürier m'ont offert le même spectacle , qui ne laisse pas que de nous éclairer sur les rapports qui existent entre leur insunct et celui des fourmis. Que les pucerons et les galle-insectes éprouvent du plaisir à se sentir chatouiller de la sorte par les fourmis; que ce soit un avantage pour eux d’être plutôt débarrassés de leurs sécrétions, ou qu’il existe réellement entr'eux et les fourmis une espèce de langage ; c’est encore une de ces questions sur les- quelles il ne nous appartient pas de prononcer ; mais nous n’en admirerons pas moins le secret des fourmis pour se procurer leur subsistance : cette liqueur est une ressource inépuisable pour elles ; il suffit , pour s’en convaincre, de se placer près d’un chêne couvert de pucerons ou de galle-insectes ; on verra monter et descendre des milliers de four- mis le long du tronc ; toutes celles qui montent ont de peuts ventres et marchent lestement, celles qui redescendent , au contraire , ont leur abdomen renflé, transparent , plein de la liqueur de ces animaux, et ne se traînent qu'avec difficulté. 190 RECHERCHES SUR LES 1 de Indusirie presque humaine des fourmis. IL ÿ a des fourmis qui ne sortent presque jamais de leur demeure ; on ne les voit aller mi sur les arbres ni sur les fruits ; elles ne vont pas même à la chasse d’autres insectes ; cependant elles sont extrêmement mulupliées dans nos pres et nos ver- gers : ce sont les fourmis jaunes , appelées par le peuple fourmis rousses , et qu auroient mérité le surnom de souterraines. Elles n’ont pas deux lignes de longueur ; leur corps est d’un jaune pâle, un peu transparent et recouvert de poils. Je savois où toutes les autres fourmis cherchoient et trouvoient leur nourriture ; mais je me deman- dois souvent, comment celles-ci faisoient pour subsister, et de quels alimens elles pouvoient se fournir sans s’écarter de leur habitation, lorsqu'un jour, ayant retourné la terre dont elle étoit com- posée, pour découvrir si elles avoient quelques provisions, je trouvai des pucerons dans leur nid : j'en vis sur toutes les racines des gramen dont la fourmilière étoit ombragée ; ils y étoient rassembies en fanuiles assez nombreuses et de differentes es- MŒURS DES FOURMIS. 101 pèces ; les plus communs étoient couleur de chair et en forme de boule ; d’autres étoient blancs et avoient le corps plus applati , mais ils étoient du même genre ; il y en avoit de verts, de violets, de rayés noirs et verts : ceux-ci étotent plus hauts sur jambe , et d’une forme plus alongee. La plupart étoient fixés aux racines; on en voyoit , à une plus grande profondeur, d’attachés à leurs dernières ramificauons ; d’autres étoient errans au milieu des fourmis, soit dans leurs cases, soit dans leurs souterrains. Celles-ci sembloient épier le moment favorable pour obtenir leur pâture ; elles s’y prenoient comme à l’ordimaire , et toujours avec le même succès. Ces observations expliquoient fort bien pourquoi les fourmis de cette espèce ne s’éloignoïient pas de leur demeure : elles avoient , sans en sortur , tout ce qui étoit nécessaire au soutien de leur vie. Je me hâtai de vérifier cette découverte , en fouillant dans un grand nombre de nids de fourmis jaunes, et jy trouvai toujours des pucerons ; c’étoit surtout après des pluies un peu chaudes qu'il étoit facile de les voir, parce qu'ils se tenoient alors à la sur- face du sol ; les plantes auxquelles ils étoient atta- 192 RECHERCHES SUR LES chés se déracinoient aussi plus facilement , et l’on risquoit moins de les écraser que lorsque le terrain etoit trop sec. Je ne tardai pas à voir que les fourmis jaunes eétoient fort jalouses de leurs pucerons ; elles les prenoient souvent à leur bouche, et les empor- toient au fond du nid ; d’autres fois elles les réu- nissoient au milieu d’elles, ou les suvoient avec sollicitude. Je profitai des notions que j'avois acquises sur leur genre de vie, pour nourrir chez moi une de leurs peuplades; je les logeai dans une boîte vitrée avec leurs pucerons, en laissant dans ja ierre que je leur donnai les racines de quelques plantes dont les branches végétoient au dehors : j'arrosois de tems en tems la fourmillière , et par ce moyen les plantes, les pucerons et les fourmis trouvoient dans cet appareil une nourriture abon- dante. Les fourmis ne cherchoïent point à se- chapper; elles sembloient wavoir rien à désirer ; elles soignoient leurs larves et leurs femelles avec la même affecuon que dans leur véritable nid; elles avoient grand soin des pucerons, et ne leur faisoient jamais de mal : ceux-ci ne paroissoient point MŒURS DES FOURMIS. 193 point les craindre ; ils se laissoient transporter d’une place à une autre, et lorsqu'ils étoient de- posés, ils demeuroient dans lendroit choisi par leurs gardiennes ; lorsque les fourmis vouloient les déplacer , elles commencoient par les caresser avec leurs antennes, comme pour les engager à abandonner leurs racines , ou à retirer leur trompe de la cavité dans laquelle elle étoit insérée ; ensuite, elles les prenoient doucement par-dessus ou par- dessous le ventre avec leurs dents, et les empor- toient avec le même soin qu’elles auroient donné aux larves de leur espèce. Jai vu la même fourmi prendre successivement trois pucerons plus gros qu’elle, et les transporter dans un endroit obscur. Il y en eut un qui lui résista plus long-tems que les autres; peut-être ne pouvoit-1l pas reurer sa trompe , engagée trop profondément dans le bois. Je m’amusai à suivre tous les mouvemens que se donna la fourmi pour lui faire lâcher prise ; elle le caressoit et le saisissoit tour à tour jusqu’à ce qu'il eût cédé à ses désirs. Cependant les fonr- mis n’emploient pas toujours les voies de la dou- ceur avec eux ; quand elles craignent qu'ils ne leur soient enlevés par celles d’une autre espèce et vi- — se. 194 RECHERCIES SUR LES vant près de leur habitauon, ou lorsqu'on découvre trop brusquement le gazon sous lequel ils sont cachés , elles les prennent à la hâte et les em- portent au fond des souterrains. J'ai vu les fourmis de deux nids voisins se disputer leurs pucerons : quand celles de lun pouvoient entrer chez les au- tres, elles les déroboient aux véritables possesseurs, et souvent ceux-ci sen emparoient à leur tour; car les fourmis connoissent tout le prix de ces pe- üts animaux , quu semblent leur être destinés : c’est leur trésor ; une fourmilière est plus où moins riche est selon qu’elle a plus ou moins de pucerons; c leur betul, ce sont leurs vaches et leurs chèvres : on n’eût pas deviné que les fourmis fussent des peuples pasteurs ! Mais il se présente ici une question vraiment in- téressante. Les pucerons que j'ai trouvés constam- ment dans les fourmihières de cette espèce, ve- noient-ils sy loger d'eux-mêmes, ou étoient-ils apportés dans ces lieux par les fourmis ? I me semble plus probable que ce sont elles qui les réunissent dans leur habitation , puisqu'elles sont dans l'usage de les porter sans cesse d’une place à une autre, et puisque ce sont elles qui reurent MŒURS DES FOURMIS. 195 tous les avantages de cette relation : je suis très- porté à croire que les fourmis jaunes, et toutes celles qui sont donées de la même mdustrie, vont chercher les pucerons, en faisant des galeries sou- terraines au nulieu des racines; qu’elles les trou- vent épars dans les gazons, et qu’elles les rassem- blent dans leur nid. Je ne verrois pas pourquoi, sans cela, il y en auroit autant dans les fourmi- lières, car ils ne sont pas aussi communs partout ailleurs. Lorsque j'en ai trouvé sous l’herbe , ils etoient le plus souvent entourés de fourmis jaunes, qui arrivoient jusqu’à eux par des souterrains , et qui les portoient probablement chez elles en au- tomne ; souvent elles s’en emparoïent en ma pré- sence , et se retiroient avec eux par quelque voie obscure , ce qui prouve qu’elles en disposent à leur gré : c’est surtout dans la mauvaise saison quelles les réumssent en plus grand nombre au fond de leur md. Dans l’été, on les trouve plu- tôt au pied des plantes voisines de la fourmilière , parce qu’elles souffrent moms de la sécheresse que celles qui croissent sur le nid même ; mais ils y sont comme chez elles, puisque leur habitauon s’étend infiniment plus au dedans de la terre qu’au dehors. 196 RECHERCHES SUR LES Quatre ou cinq sortes de fourmis possèdent des pucerons dans leur demeure; mais à la vérité moins constamment et en plus petut nombre que les four- mis jaunes , parce qu’elles ont la ressource de ceux des arbres où elles trouvent une parte de leur sub- sistance ; il en est même qui savent arriver jusqu’à la branche chargee de ces insectes , par un conduit de terre qu’elles ont construit , non-seulement de leur nid jusqu'au pied de Parbre, mais jusqu’au rameau qui les porte. Elles sont encore là comme chez elles, et lorsqu'elles veulent ramener leurs pucerons au logis, elles peuvent le faire à Pinsçu des autres fourmis, et sans aucun danger : la rouge, la brune, celle des gazons et une autre espèce ex- cessivement petite, Ont toujours en automne , en hiver et au printems des pucerons. Cette dermére , qu’on pourroit nommer fourmi microscopique, car elle n’a pas une demi-ligne de longueur , trouve encore des pucerons proportionnés à sa pelitesse : ils sont blancs, et un peu plus gros qu’elle. Les pucerons sont donc les animaux domestiques des fourmis; ellesles rassemblent auprès d’elles, comme nous rassemblons ceux dont nous avons besoin sous le toit où nous habitons. Les animaux qui nous MŒURS DES FOURMIS. 197 sont asservis connoissent la voix de l’homme; les pucerons et les galle-insectes entendent , à ce qu'il paroît, le langage des fourmis , et leur fourmissent des alimens, sans contrainte. D’autres insectes vivent encore au milieu d'elles, quoiqu'ils ne paroissent leur être d'aucune uulite : ce sont les mille-pieds, les perce-oreilles , les clo- portes et certaines larves de scarabées. Les four- mis s’accoutument fort bien à les voir; elles les tolérent dans leur nid et ne leur font aucun mal, ce qui me semble dautant plus singulier qu’elles passent , en général, pour être d’un naturel peu traitable. Mais ce qui est constant, ce que j'ai toujours observé chez les fourmis jaunes, et ce qu'il im- portoit de savoir, c’est qu’elles ont des pucerons dans leur nid, et qu’elles ne les mangent point ; qu’elles ne les réunissent | au contraire, qu’afin de jouir plus commodément de la liqueur qu'ils leur prodiguent. Si ces fourmis déploient en cela une industrie digne de l'homme, il en est d’autres dont les pro- cédés ne sont pas moins admirables, Celles-ci pa- roissent prendre possession des pucerons qui vivent 198 RECIHERCHES SUR LES sur les branches des arbres et sur Îles uges dés plantes herbacées : les fourmis, toujours jalouses de conserver leurs pucerons, et surtout ceux qui les avoisinent , ne souffrent pas que des étrangères viennent leur disputer la nourrniure qu’elles en attendent ; elles les chassent à coups de dents; on les voit s’agiter, s'inquiéter autour d'eux, et par- courir la branche avec colère. Quelquefois elles prennent leurs pucerons à leur bouche pour les soustraire aux attaques des autres fourmis ; le plus souvent elles font la garde autour d'eux; mais quand elles le peuvent , elles cherchent à les ga- ranür de leurs rivales, par un moven plus ingé- meux, et dont j'ai vu plusieurs exemples. Je découvris un jour un tithymale , qui suppor- toit au milieu de sa üge une petite sphère à la- quelle 1l servoit d’axe ; c’étoit une case que des fourmis avoient bâtie avec de la terre. Elles en sortoient par une ouverture fort étroite | pratiquée dans le bas, descendoient le long de la branche et passoient dans une fourmulière voisine. Je deémolis une parue «le ce pavillon , construit presqu’en Pair , ‘afin d’en étudier l’intérieur ; c’étoit une petite salle dont les parois, en forme de vaüte , étoient lisses MŒURS DES FOURMIS, 199 et unies ; les fourmis avoient profité de la forme de cette plante pour soutenir leur édifice : la üge passoit donc au centre de Pappartement , et ses feuilles en composoient toute la charpente; cette retraite renfermoit une nombreuse famille de pu- cerons, auprès desquels les fourmis brunes ve- noient paisiblement faire leur récolte à l’abri de la pluie, du soleil et des fourmis étrangères ; nul insecte ne pouvoit les inquiéter, et les pucerons n’étoient point exposés aux attaques de leurs nom- breux ennemis. J’admirai ce trait d'industrie, et je ne tardai pas à le retrouver, avec un caractère plus intéressant encore , chez des fourmis d’une espèce différente. Des fourmis rouges avoient construit autour du pied d’un chardon un tuyau de terre de deux pouces et demi de longueur , sur un et demi de largeur. La fourmilière étoit au bas, et communi- quoit sans intervalle ayec le cylindre; je pris la branche avec son entourage et tout ce qu'il ren- fermoit : la portion de la tige comprise dans le tuyau étoit garnie de pucerons ; je vis bientôt sor- ür, par l'ouverture que j'avois faite à sa base , les fourmis , fort étonnées de voir le jour en cet en- 200 RECHERCHES SUR LES droit, et je n'apercus qu'elles y vivoient avec leurs larves : elles les transportèrent en hâte dans la parue la plus élevée du cylindre, qui n’avoit pas été altérée. Cest dans ce réduit qu’elles se tenoient à portée de leurs pucerons rassemblés, et qu’elles nourrissoient leurs petits. Ailleurs, plusieurs uges de tuthymale chargées de pucerons s’elevoient au centre même d’une fourmilière appartenant aux fourmis brunes. Celles- ci, profitant de la disposition paruculière des feuiles de cette plante, avoient construit autour de chaque branche autant de petites cases alon- gées, et c’est là qu'elles venoient chercher leur nourriture : ayant détruit une de ces loges, les fourmis emportérent ausstôt dans le nid leurs pré- cieux animaux ; peu de jours après elle fui réparee sous mes yeux par ces insectes, et les troupeaux furent ramenés dans leur parc. Ces cases ne sont pas toujours à quelques pouces de terre ; j'en ai vu une à B pieds au-dessus du sol, et celle-ci mérite encore d’être decrite : elle consistoit en un tuyau notrâtre , assez Court, qui environnoit une petite branche de peuplier à sa sortie du tronc. Les fourmis y arrivoient depuis l’intérieur de l'arbre, MŒURS DES FOURMIS. 201 qui étoit excavé ; el, sans se montrer, elles pou- voient parvenir vers leurs pucerons par une ou- verture qu’elles avoient pratiquée à la naissance de cette branche : ce tuyau étoit formé de bois pourri, du terreau même de cet arbre, et je vis plusieurs fois les fourmis en apporter des brins à leur bouche, pour réparer les brèches que je faisois à leur pa- villon. Ces traïts ne sont pas fort communs, et ne sont point du nombre de ceux qu'on pourroit attribuer à une routine habituelle. Il est encore des fourmis qui trouvent leur nour- riture auprès des pucerons du plantam vulgaire : ils sont fixés ordinairement au-dessous de sa fleur ; mais lorsqu'elle vient à passer , et que sa tige se dessèche , ce qui hi arrive à la fin d'août , les pu- cerons se retirent sous les feuilles radicales de la plante : les fourmis les y suivent et s'enferment alors avec eux, en murant avec de la terre hu- mide tous les vides qui se trouvent entre le sol et les bords de ces feuilles : elles creusent ensuite le terrein au-dessous, afin de se donner plus: d’es- pace pour approcher de leurs pucerons, et peuvent aller de là jusqu’à leur habitauon par des galeries couyeries, 202 RECHERCHES SUR LES 6 V. Ressources des fourmis pendant l'hiver. JE suis naturellement amené à parler ici de la maniere dont les fourmis subsistent en hiver. Depuis qu'on est revenu de l’opmion, qu’elles amassoient des provisions de grains, et qu’elles rongeoient le blé pour l'empêcher de germer , on a cherché à s'expliquer leur existence par l’engourdissement dans lequel on les suppose à cette époque. Elles sont engourdies, en effet, dans les grands froids ; mais lorsque la saison n’est pas trop rigoureuse, la profondeur de leur nid les met à l'abri de la gelée : elles ne s’engourdissent qu’au 2.° degré de Reaumur , au-dessous du terme de la congé- lauon : jen ai vu marcher sur la neige, et suivre leurs habuiudes à cette température. Elles se- roient donc exposées aux horreurs de la famine, si elles n’avoient pas de ressources pour le cas où elles ne sengourdiroient pont; et ces res- sources ne sont autres que les pucerons, qui, par un admirable concours de circonstances qu’on ne sauroit attribuer au hasard , tombent en léthargie exactement au même degré de froid que les four- MŒURS DES FOURMIS. 202 mis , et se réveillent en même tems qu’elles ; ainsi elles les retrouvent toujours lorsqu'elles en ont besoin. Les fourmis qu ne savent pas réunir ces insectes utiles dans leur habitation même , eonnoissent du moins leur retraite ; elles les suivent aux pieds des arbres et sur les racines des arbustes qu'ils fréquen- ioient auparavant ; se glissent , au premier dégel, le long des haies, en suivant les sentiers qui les conduisent près de leurs nourriciers , et rapportent à la république un peu de miellée : car il en faut très-peu pour les nourrir en hiver. Dès qu’elles cessent d’être engourdies, on les voit se demander et se donner à manger; ainsi les alimens contenus dans leur estomac se partagent entre toutes ; ces sucs ne s’évaporent presque pas dans cette saison, à cause de l'épaisseur de leurs anneaux écalleux : j'ai vu des fourmis conserver pendant un tems considérable leur provision inté- rieure , lorsqu'elles ne pouvoient en faire part à leurs compagnes. Quand le froid augmente graduellement, et c’est ordinairement ainsi que l’éprouvent les fourmis, qui en sont préservées par une épaisse muraille de 204 RECHERCHES SUR LES terre , elles se réunissent et s’entassent les unes sur les autres par milliers, et paroissent toutes accro- chées ensemble. Cherchent-elles à se procurer un peu de chaleur en se tenant ainsi rassemblées ? Je le présume ; mais nos thermomètres ne sont pas assez délicats pour nous apprendre si elles y par- viennent. 6" VF: Des œufs des pucerons. Les pucerons, vivipares pendant l'été, sont ovipares en automne : ce fait, fort remarquable, trouve 11 une singulière confirmation. Un jour du mois de novembre , curieux de savoir si les four- mis jaunes commencçoient à s’enfoncer dans leurs souterrains , je démolissois avec ménagement leur domicile , case par case. Je n’étois pas encore bien avant dans mon excavation, lorsque je découvris une loge contenant un amas de petits œufs, la plupart couleur d’ébène : ils étoient environnés de plusieurs fourmis | qui paroïssoient en prendre soin el qui cherchèrent aussitôt à les emporter. Je m'emparai d’abord de cette loge, de ses habitans et du petit trésor qu’elle contenoit : les fourmis MŒURS DES FOURMIS. 205 n’«bandonnèrent point ces œufs pour s’évader plus facilement ; un insunct plus vif les pressoit : elles se hätèrent de les cacher sous la petite case que je tenois dans ma main , et lorsque j’arrivai chez moi je les en ürai pour les observer plus attentivement. Ces œufs , regardés avec la loupe , paroïssoient à peu près de la forme de ceux des fourmis ; mais leur couleur en différoit entièrement; la plupart étoient noirs, d’autres étoient d’un jaune sombre : jen trouvai dans plusieurs fourmilières , et j'en obuns de nuances très-variées ; il y en avoit non- seulement de noirs et de jaunes, mais de bruns ; de rouges tendres, de rouges vifs et brillants, de blancs; d’autres d’une couleur moins tranchée, comme jaune -paille, grisätre , etc. je remarquai qu'ils w’étoient pas de la même teinte à leurs deux extrémités. Je les avois placés, pour les mieux observer , dans un couvercle de boîte recouvert d’une glace ; ils étoient réunis en tas comme ceux des fournis elles-mêmes; leurs gardiennes paroissoient y mettre un grand prix : après les avoir visités , elles en em- portérent une partie dans la terre, mais je fus té- moin des soins qu’elles donnèrent aux autres ; elles 206 RECHERCHES SUR LES s’en approchèrent en écartant un peu leurs pinces, firent passer leur langue entre deux, l’alongèrent, la promenèrent alternauvement sur chacun de ces œufs, et je crus voir qu’elles y déposoient une subs- tance hquide ; elles paroissoient les traiter exacte- ment comme ceux de leur espèce : elles les pal- poient avec leurs antennes, les réunissoient et les portoient fréquemment à leur bouche ; elles ne les quitioient pas un instant ; elles les-prenoient , les retournoient , et après les avoir visités avec soin elles les emportèrent, avec une extrême délicatesse, dans la petite case de terre que j’avois placée auprès d'elles. Ce n'etoit cependant point des œufs de fourmis ; on sait que ceux que pondent leurs fe- melles sont d’une blancheur parfaite et deviennent iransparens en vieillissant , mais n’acquièrent jamais une couleur essentiellement différente. J'ai eté long-tems incertain sur l’origine de ceux dont je viens de parler , et le hasard m'a fait découvrir qu'ils contenoient de petits pucerons; mais ce n’a pas été de ces mêmes œufs que je les ai vu sortr ; ce fut d’autres œufs un peu plus gros, trouvés chez des fourmis jaunes, d’une espèce particulière. En ouvrant leur fourmilière ; je mis à découvert plu- MŒURS DES FOURMIS. 207 sieurs loges contenant un grand nombre d’œufs bruns ; les fourmis en étoientextrêmement jalouses, elles en emportèrent au plus vite une parte dans le fond de leur nid, et me les disputèrent avec un zèle qui ne laissoit pas de doute sur lattachement qu'ils leur inspiroient. Voulant concilier leurs intérêts et les nuens , je pris les fourmis et leur trésor, et je les plaçai d’une manière convenable pour l’obser- vauon. Ces œufs n’étegent jamais abandonnés ; elles en avoient le même soin que des premiers. Dés le lendemain, je vis un de ces œufs entr’ouvert; il en sortit un puceron tout formé, ayant une longue trompe ; je le reconnus pour un puceron du chêne ; tous les autres éclorent peu de jours après, et la plupart en ma présence. Îls se mirent aussitôt à pomper. le suc de quelques branches de cet arbre que je leur donna, et les fourmis trouvèrent déjà auprés d'eux la récompense des soins qu’elles leur avoient prodigués. La fourmilière dans laquelle ces œufs avoient éte pris étoit située au pied d’un chêne, ce qui ex- plique fort bien leur existence en ce lieu : je les découvris au printems ; les pucerons qui en sorti- rent étoient bien gros pour des insectes naissans , 206 RECHERCITES SUR LES mais 1lsn’avoient pas encore tout leur accroissement. M. Bonnet, à qui l’on doit des découvertes si importantes sur les pucerons et leur générauon, parle de leurs œufs, qu'il a vu souvent sur les branches des arbres ; il croit que l’insecte | déjà en partie développé , sort du corps de sa mère dans ceite coque qui lui sert à se mettre à l'abri des ri- gueurs de l'hiver, et qu'il n'est point là, comme les autres germes sont dans l’egf, entouré de provi- sions au moyen desquelles il se développe et sali- mente ; ce n’est ici qu’un asile dont les pucerons qui naissent dans une autre saison n’ont pas besoin ; c’est pourquoi les uns naissent nus , les autres en- fermés dans un fourreau. Les mères ne sont donc point vraiment ovipares, puisque le petit est pres- qu'aussi développé quil peut Pêtre dans Pasile que la nature lui donne en venant au monde. M. Bonnet a vainement essayé de conserver cette espèce d œufs dans sa chambre jusqu’au prin- tems; 1l pensoit qu'il eût été mieux pour cela qu'ils fussent entretenus dans une certaine humidité , ce qui devoir leur arriver dans l’état de nature. U paroît que les fournis savent remplir auprès d’eux toutes les conditions nécessaires à leur entre- uen 5 Pommes MŒURS DES FOURMIS. 20 üen ; elles les lèchent constamment , les enduisent d’un gluten qui les colle ensemble , et ces œufs se conservent jusque dans la saison où le puceron doit en sortir. Elles mettent donc en œuvre , pour le succès de leur couvée , si je puis me servir de cette expression , les précautions mêmes que M. Bonnet avoit imaginées pour conserver ces œufs et les faire éclore au printems : il me semble qu'il est permis de croire que cet homme célèbre eût admiré avec nous ce trait d'industrie, si l’his- toire naturelle meût pas perdu en lui son plus digne contemplateur. 14 210 RECHERCHES SUR LES ET Te eo ne ee en ee 0 0 0 0 D D D D D 0 0 CHADITEÉE. VII. PREMIER APERCU DE L'HISTOIRE DES FOURMIS AMAZONES. N OUS n'avons vu jusqu'ici que des fourmis laborieuses , des sociétés composées de trois sortes d'individus, des travaux également réparüs entre toutes les ouvrières, des guerres passagères sans but détermine , ou w’ayant pour objet que la dé- fense commune. Les fourmis amazones vont nous offrir des mœurs bien différentes; des républiques d’une constitution et d’une organisation particulière, un caractère très-disunct , et des guerres insutuées régulièrement; en un mot, une histoire à part et dont aucun auteur n’avoit encore fait menton. Le 17 juin 1804, en me promenant aux envi- rons de Genève , entre quatre et cinq heures de Paprès-midi , je vis à mes pieds une légion d'assez grosses fourmis rousses ou roussätres (1) qui tra- (1) Voyez-en la description dans les notes. MŒURS DES FOURMIS. 211 versoient le chemin. Elles marchoïent en corps avec rapidité ; leur troupe occupoit un espace de huit à dix pieds de longueur sur trois Ou quatre pouces de large ; en peu de minutes elles eurent entièrement évacué le chemin : elles pénétrèrent au travers d’une haie fort épaisse, et se rendirent dans une prairie où je les suivis ; elles serpentoient sur le gazon sans s’égarer, et leur colonne restoit toujours continue , malgré les obstacles qu’elles avoient à surmonter. Bientôt elles arrivèrent près d’un nid de fourmis noir-cendrées dont le dôme s’élevoit dans lherbe, à vingt pas de la haie. Quelques fourmis de cette espèce se trouvoient à la porte de leur habitation. Dès qu’elles découvrirent Parmée qui s’'approchoi, elles s’élancèrent sur celles qui se trouvoient à la tête de la cohorte ; lPalarme se répandit au même instant dans l’intérieur du nid, et leurs compagnes sorüurent en foule de tous les souterrams. Les four- mis roussätres , dont le gros de l’armée n’étoit qu’à deux pas, se hâtoient d'arriver au pied de la four- milière ; toute la troupe s’y précipita à la fois, et culbuta les noir-cendrées , qui, après un combat très-court, mais très-vif, se retirérent au fond de 212 RECHERCHES SUR LES leur habitation ; les fourmis roussâtres gravirent les flancs du monticule, s’attroupèrent sur le sommet, et s'introduisirent en grand nombre dans les pre- mières avenues; d’autres groupes de ces insectes travailloient avec leurs dents à se pratiquer une ouverture dans la partie latérale de la fourmilière : cette entreprise leur réussit, et le reste de l’armée pénétra par la brèche dans la cité assiégée. Elle ny fit pas un long séjour : trois ou quatre minutes après, les fourmis roussätres ressortirent à la hâte par les mêmes issues, tenant chacune à leur bouche une larve ou une nymphe de la fourmilière envahie. Elles reprirent exactement la route par laquelle elles étoient venues , et se mirent sans ordre à la suite les unes des autres : leur troupe se distüinguoit aisément dans le gazon , par aspect qu'offroit cette mulutude de coques et de nymphes blanches, portées par autant de fourmis rouges. Celles-ci traversérent une seconde fois la haie et le chemin dans le mème endroit où elles avoient passé d’a- bord, et se dirigèrent ensuite dans des blés en pleine maturité, où j'eus le regret de ne pouvoir les suivre. Je retourna vers la fourmilière qui avoit souftert MŒURS DES FOURMIS, 213 cet assaut, et J'y trouvai un petit nombre d’ou- vrières noir - cendrées , perchées sur des brins d'herbe , tenant à leur bouche quelques larves qu’elles avoient sauvées du pillage; elles ne tar- dèrent pas à les rapporter dans leur habitation. Ce premier trait de histoire des fourmis roussatres , dont jignorois alors le véritable nom, m'engagea à leur donner celui de fourmis ama- zones , ou légionnaires, fort analogue à leur caractère martial : je me suis permis de leur conserver ces dénominations; ansi, quand je parlerai de fournus roussätres , amazones , ou légionnaires , on saura qu'il s’agit de la même espèce. Je retourna le lendemain, à la même heure, sur la route où j'avois vu passer l’armée des fourmis roussätres, dans lespoir de retrouver quelques traces du phénomène dont j'avois été témoin, et je découvris bientôt la retraite d’une de ces hordes belliqueuses. Je vis à la droite du chemin une grande four- milière couverte de fourmis de cette espèce ; elles se disposérent en colonne, parürent toutes en- semble et tombérent sur une fourmilière noir- 214 RECHERCHES SUR LES cendrée, où elles s'introduisirent presque sans opposition : une partie d’entrelles ressortrent de là, tenant entre leurs pinces des larves qu’elles avoient dérobées; les autres, moins fortunées, ne rapportèrent aucun fruit de leur expédition ; elles se divisèrent en deux troupes : celles qui étoient chargées reprirent le chemin de leur demeure, celles qui n’avoient rien trouve se réunirent et mar- chere en corps sur une seconde fourmilière noir- cendrée, dans laquelle elles firent un ample buun. L'armée entüère , formant deux divisions, se diri- geoit du côté d’où je l’avois vue parur. J’arrivai avant les fourmis roussâtres auprès de Jeur habitation; mais quelle fut ma surprise en voyant à sa surface un grand nombre de fournus noir-cendrees ? Je soulevai la couche extérieure de l'édifice : il en sortit encore davantage, et je com- mencois à croire que c’étoit aussi une de ces four- milières pillées par les amazones , lorsque je vis arriver à la porte du nid leur légion chargée des trophées de la victoire. Son retour ne causa aucune alarme aux noir-cendrées ; les fourmis roussâtres descendirent avec leur proie dans les souterrains, et les noir-cendrées ne parurent point s’y opposer; MŒURS DES FOURMIS. 215 jen vis même quelques - unes s'approcher sans crainte de ces fourmis guerrières , les toucher de leurs antennes , leur donner à manger , comme celles d’une même espèce le font entre elles ; prendrequelques-unes de ces larves et les emporter dans le md. Les fourmis amazones n’en ressor- ürent plus de toute la journée ; les noir-cendrées restèrent encore quelque tems au- dehors, mais elles se retirèrent avant la nuit. Jamais énigme ne piqua plus vivement ma cu- riosité que cette singulière découverte. Je trouva bientôt, près de chez moi, plusieurs fourmilières du même genre, et je nrétonnai d’avoir été le premier à reconnoître leur existence : je sentis tout l'avantage de les avoir à ma portée, et je me dé- cidai à leur consacrer tout mon tems. J’étois impatient de connoître les relations de ces deux espèces de fourmis : pour y parvenir, jJouvris une de leurs fourmilières ; jy trouvai un très-grand nombre de fourmis roussâtres au milieu des noir-cendrées, et je commencçai déjà à acquérir quelques notions sur leurs rapports mutuels. Les noir-cendrées s’occupérent tout de suite à rétablir les avenues de la fourmihière muxte ; elles 210 RECHERCHES SUR LES creusèrent des galeries et emportèrent dans ‘les souterrams les larves et les nymphes que javois mises à decouvert. Les amazones, au contraire, passérent indifféremment sur ces larves sans les relever, ne se méêlérent point aux travaux des noir-cendrées, errèrent quelque tems à la surface du nid, et se retirérent enfin, pour la plupart, dans le fond de leur citadelle. Mais à cinq heures de l’après-midi la scène change tout à coup : Je les vois sorur de leur retraite : elles s’agiient, s’avancent au dehors de la fournulière ; aucune ne s’en écarte qu’en ligne courbe, de ma- nière qu’elles reviennent bientôt au bord de leur nid; leur nombre augmente de momens en mo- mens ; elles parcourent de plus grands cercles : un geste se répète constamment entr'elles ; toutes ces fourmis vont de l’une à l’autre, en touchant de leurs antennes et de leur front le corselet de leurs compagnes ; celles-ci, à leur tour, s’approchent de celles qu’elles voient venir, et leur communiquent le même signal , c’est celui du départ ; l'effet n’en est pas équivoque : on voit aussitôt celles qui Font recu se mettre en marche et se jomdre à la troupe. La colonne s'organise , elle avance en ligne droite, MŒURS DES FOURMIS. 217 se dirige dans le gazon; toute l’armée s’éloigne et traverse la prairie ; on ne voit plus aucune fourmi amazone sur la fournulière. La tête de la légion semble quelquefois attendre que larnière-garde lait rejointe ; elle se répand à droite et à gauche sans avancer ; l’armée se ras- semble de nouveau en un seul corps, et repart avec rapidité. On n’y remarque aucun chef ; toutes les fourmis se trouvent tour à tour les premières ; elles semblent chercher à se devancer; cependant, quelques-unes d’entr’elles vont dans un sens opposé; elles redescendent de la tête à la queue, puis re- viennent sur leurs pas et suivent le mouvement général ; 1l y en a toujours un peut nombre qui retournent en arrière, et c’est probablement par ce moyen qu’elles se dirigent. Arrivées à plus de trente pieds de leur habita- üon, elle s'arrêtent, se dispersent et tätent le ter- rain avec leurs antennes, comme les chiens flairent les traces du gibier ; elles découvrent bientôt une fournulière souterraine : les noir-cendrées sont re- urées au fond de leur demeure; les fourmis légion- naires ne trouvant aucune opposition, pénètrent dans une galerie ouverte : toute l’armée entre suc- 216 RECHERCHES SUR LES cessivement dans le nid, s'empare des nymphes, el ressort par plusieurs issues : je la vois aussitôt reprendre la route de la fourmilière mixte. Ce n’est plus une armée disposée en colonne, c’est une horde indisciplinée : ces fourmis courent à la file avec rapidité ; les dernières qui sortent de la foumilière assiégce sont poursuivies par quelques- uns de ses habitans , qui cherchent à leur dérober leur proie ; mais il est rare qu'ils y parviennent. Je retourne vers la fourmilière mixte pour être encore témoin de l'accueil fait à ces spoliatrices par les noir - cendrées avec lesquelles elles ha- bitent, et je vois une quantité considérable de nymphes amoncelées devant la porte ; chaque ama- zone y dépose son fardeau en arrivant, et reprend la route de la fourmilière envahie. Les noir-cen- drées, quittant leurs travaux en maçonnerie, vien- nent relever ces nymphes les unes après les autres, et les descendent dans leurs souterrains ; je les vois même souvent décharger les fourmis roussâtres après les avoir touchées amicalement avec leurs antennes, et celles-ci leur céder sans opposition les nymphes qu’elles ont dérobées. Suivons encore Ja troupe pillarde : elle retourne MŒURS DES FOURNIS. 219 à l'assaut de la fourmilière qu'elle a déjà dévastée ; mais ses habitans ont eu le tems de se rassurer et de placer de fortes gardes à chaque porte. Les le- gionnaires , en trop petit nombre d’abord , fuient lorsquelles voient les noir-cendrées en défense ; elles retournent vers leur troupe , avancent et reculent à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elles se sentent en force ; alors elles se jettent en masse sur une des galeries, chassent , mettent en déroute les noir-cendrées ; toute l’armée s’introduit dans la cité souterraine et enlève une grande quantité de larves qu’elle emporte à la hâte; mais on ne voit jamais les amazones emmener de prisonnières ; ce n’est point aux fourmis qu’elles en veulent, c'est à leurs élèves. À leur retour dans la fourmilière mixte, les ama- zones recoivent encore le meilleur accueil : leurs noir - cendrées ont serré la première récolte; chaque fourmi pose de rechef sa nymphe à l’entrée de Phabitation , ou la remet immédiatement à quelques noir-cendrées, et celles-ci s’empressent de les emporter dans l’intérieur du nid. Croiroit-on que ces intrépides guerrières retour- nèrent une troisième fois au pillage ! Mais elles 220 RECHERCHTS SUR LES eurent à entreprendre un siége dans les formes: car les fourmis auxquelles elles avoient enlevé à deux reprises leurs larves et leurs nymphes , s’étoient häées de se retrancher, de barricader leurs portes, et de renforcer la garde intérieure, comme si elles eussent prévu une troisième attaque de la part des mêmes ennemies : elles avoient rassemblé tous les morceaux de bois et de terre qui s’éloient trouvés à leur portée, et les avoient accumulés à l'entrée de leurs souterrains , dans lesquels elles étoient en force. Mes légionnaires n’osent d’abord en approcher; elles rôdent à l’entour ou retournent en arrière, Jusqu'à ce qu'elles soient suflisimment escortées : le signal se communique dans la troupe; elles avancent en masse avec une impétuosité extraordinaire , et lorsqu'elles sont parvenues sur la fourmilière ennemie , elles écartent avec leurs dents et leurs pates les obstacles qui se présentent ; se préciptent dans l’ouverture , malgré la résistance des noir-cendrées , et pénètrent par centaines dans la fourmiière. Elles en ressortent, emportant fière- ment leur buün, et arrivent en corps à leur habi- tauon ; mais cette fois, au lieu de remettre à leurs associées le fruit de leurs rapines, elles l’introduisent MŒURS DES FOURMIS. 221 ellesmêmes dans les souterrains, et n’en ressortent plus de tout le jour. Le 23, à trois heures et demie , le soleil étoit très-ardent ; quelques fourmis amazones sortürent de leur retraite , se promenèrent aux environs, et rentrérent aussitôt ; un moment après, d’autres en peut nombre vinrent encore respirer à l’entrée d’une galerie; elles se tenoient le plus souvent à la porte intérieure de la fourmilière , et parois- soient attendre le moment favorable pour com- mencer leur expédition ; à cimq heures moins un quart elles sorurent en foule du nid et s’agitèrent en tous sens; une parue d’entr'elles s’'avancoient déja dans la prairie , laissant les autres sur la four- milière ; mais quelques-unes revenant en arrière par l'effet de cette tactique que nous avons déjà remarquée , arrivérent sur le nid, donnèrent le signal du départ en s’approchant tour à tour de toutes les fourmis qui s’y trouvoient encore: et aussitôt celles-ci se mirent en route et rejoignirent le corps d'armée. La troupe belliqueuse prit une direction dif- férente de celle qu’elle avoit suivie la veille , mais elle s’arrêta bientôt ; les amazones se répan- 222 RECHERCHES SUR LES dirent de tous côtés, et parurent chercher une four- milière ; n’en ayant pas trouvé, elles continuèrent leur route , et ce ne fut qu'a plus de cmquante pas de leur habitauon qu’elles en découvrirent une, cachée sous le gazon. Les noir-cendrées , effrayées par l’arrivée imprévue et par le nombre des ama- zones, prirent la fuite, et celles-ci, après avoir fait un ample butin de larves et de nymphes, re- tournèrent dans la fourmilière natale; mais elles en ressorürent bientôt et repartirent d’un côte opposé, en troupe plus nombreuse que la première fois : elles firent encore une longue route , pas- sérent sans s'arrêter sur plusieurs fourmilières d’es- pèce différente des noir-cendrées; trouvèrent enfin une de ces dernières , y pénétrèrent en force , et, comme à l’ordinaire, revinrent chargées de nymphes et de larves. Tous les jours, pendant l'été, je fus témoin de ces invasions dont j'aurai encore souvent l’occasion de parler. MŒURS DES FOURMIS. 223 Se ne “a © + ee 0 0" "0 "0 "© 0)» "0 "| "0 0 ve, CÉAS PL RE NV ETT: RECHERCHES SUR L'ORIGINE DES FOURMILIÈRES MIXTES, Cor peu d'avoir découvert ces sociétés composées de différentes espèces qui sembloient vivre paisiblement ensemble ; il falloit pénétrer le mystère de leur associauion , apprendre dans quel but elles étoient réunies, et surtout décider à la- quelle des deux castes appartenoit la fourmilière. Le moyen le plus sûr pour s’en mstruire étoit de visiter l’intérieur de leur habitation commune , et de s'assurer si les unes et les autres avoient des males et des femelles, ou si lune des deux en étoit privée; mais il falloit auparavant comparer ces fournis alliées et rivales, les amazones et les paisibles noir-cendrées , les noir-cendrées des four- mulières muxtes, et celles des fourmilières en- vahies : c’est ce dont nous allons nous occuper. La comparaison, je dirai même la confrontation des fourmis noir-cendrées de la fourmilière mixte avec celles des fourmilières noir-cendrées simples , répétée chaque jour , et souvent le microscope à 2924 RECHERCHES SUR LES la main, ne me laissoit aucun doute sur leur identité. | Venons aux fourmis amazones , appelées rous- sâtres par M. Latreille | et dont la description se rapporte sur tous les points à celles que j'ai obser- vées. Cet auteur ayant fait, non-seulement un genre à part, mais une classe distincte des fourmis rous- sâtres, sur la simple inspection de leur forme, avoit, sans connoître les mœurs de ces insectes, donné la meilleure preuve de la distance qui les sépare des fourmis noir-cendrées. On pourra comparer , à la fin de cet ouvrage, la description de l’une et de l'autre, dont je ne donnerai ici qu’une nouce sufñli- sante pour qu’on ne soit pas obligé dy recourir. La fourmi roussâtre est d’un tiers plus grande que la noir-cendrée ; sa tête est carrée ; son abdomen, court et globuleux, finit en pointe obtuse; elle porte la tête tournée contre terre ; elle est haute sur jambes et marche par secousses. La noiïr-cen- drée a la tête triangulaire ; elle la porte horizon- talement ; son abdomen est ovoide, alongé; ses pates sont moins longues : elle marche avec égalité. La fourmi roussâtre est d’une couleur uniforme depuis Les antennes jusqu'à l'extrémité de Pabdo- men MŒURS DES FOURMIS. 2925 men , d’un rouge plus ou moins jaunätre, plus ou moins brun, suivant l’âge ; tout son corps est comme enduit d’un vernis luisant, La noir-cendrée est assez bien désignée par cette dénomination , car les anneaux de son corps sont un peu changeans du noir au gris ; le reste du corps est d’un noir mat: létranglement est le plus souvent de la même couleur; mais il présente quelquefois une légère teinte de fauve : les pates sont un peu plus päles Les mandibules de la fourmi roussâtre sont très- minces, arquées, sans dentelures, et nullement concaves ; celles de la noir-cendrée sont grandes, larges, épaisses, creusées en cuiller, taillées en forme de gouge , et dentelées à leur bord. | Les yeux de la première sont très-petits, noirs et ronds ; tandis que ceux de la dernière sont assez grands , ovales et alongés. L’écaille est grande , arrondie dans l’une ; grande et triangulaire dans l’autre ; enfin la fourmi rous- sâtre est pourvue d’un aiguillon , la noir-cendrée n’en possède point. On voit par ce parallèle combien ces deux es- pèces diffèrent l’une de l'autre. Passons à la re- 15 226 RECHERCHES SUR LES cherche importante des mäles et des femelles, pour savoir lesquelles, des amazones ou des noir-cen- drées, sont les maîtresses du logis ; car 1l est évident que celles qui naissent dans la fourmilière doivent être considérées comme premières occupantes. L'intérieur des fourmilières mixtes que je nus graduellement à découvert, me fit bientôt con- noître la composition singulière de ces républiques. Les ouvrières noir-cendrées étoient les plus nom- breuses dans la partie supérieure du bâtiment ; elles gardoient une mulutude de nymphes qu, observées avec attention, paroissoient être de deux espèces différentes : les unes ressembloient entièrement à celles des fourmis noir-cendrées. N’étoit-ce point celles que les amazones avoient apportées ? Les autres offroient le moule parfait des fourmis guerrières; elles étoient plus grandes que les précédentes ; elles avoient les mandibules arquées, minces , étroites; de petits yeux noirs, et tout ce qui pouvoit caractériser cette espèce. On voyoit aussi sous la garde des fourmis cendrées une grande quantité de larves appartenant évidem- ment à des espèces différentes, et faciles à distinguer par la courbure et l'épaisseur de leur corps. MŒURS DES FOURMIS. 227 Plus bas, je commencçai à voir les fourmis légion- naires réunies en groupes nombreux, et mélangées avec les noir-cendrées ; mais ce qui n'intéressoit le plus, et ce qui satisfit pleinement ma curiosité, ce fut de trouver au nulieu d’elles de petits mâles tout noirs avec des ailes brillantes, et qui ne res- sembloient à aucun de ceux que j'avois vu jusqu’a- lors; enfin de grandes femelles d’un jaune-orangé, dont les rapports avec les fourmis roussâtres ne me pernurent pas de douter qu’elles ne leur ap- parünssent : la plupart de ces femelles avoient des ailes ; leur corps, leurs yeux et leurs dents étoient parfaitement semblables à ceux des ouvrières bel- liqueuses ; mais ils étoient sur une plus grande échelle. Les mâles | comme je lai déjà dit, étoient beaucoup plus petits que ceux que j'avois trouvés dans les fourmilières noir-cendrées simples, et n’avoient ni les antennes , ni les pates jaunes comme ces derniers. Voyez Fig. 2, 3 et 4, PI. II. En continuant à examiner l'intérieur de ce nid, qui étoit très-profond et trés-large, je remarquai que les seules non-cendrées s’occupoient de ces femelles et de ces mâles d’une espèce différente de la leur, et que ceux-ci se laissoient conduire 228 RECHERCHES SUR LES par les ouvrières noir-cendrées , comme si elles eussent éte leurs nourrices naturelles : les ama- zones n’en prenoient aucun soin; elles se reu- roient ou se cachoiïent dès qu’elles le pouvoient. Je n’aperçus d’ailleurs aucune trace de destruction, et rien qui pût jusüfier le soupçon que les fourmis lésionnaires eussent un instinct féroce, quoiqu’on eût peutêtre été porté à le croire, d’après leurs inclinauons guerrières. Il me paroît démontré, par l’exposé du con- tenu de la fourmulière mixte , gw’elle appartient à la nation amazone ; qu’elle est composée des trois sortes d'individus de cette espèce , et des ouvrières noir-cendrées ; car, avec quelque soin que j'aie cherché à découvrir des mâles et des fe- melles de cette caste dans les fourmilières mixtes ; je n’en ai jamais trouvé aucuns ; jy ai vu cependant beaucoup de jeunes ouvrières noir-cendrées, que je reconnoissois à leur couleur. Mais d’où prove- noiïent-elles ? Ces larves et ces nymphes enlevées aux noir-cendrées par les amazones, se dévelop- peroient-elles donc dans la fourmilière ennemie, et deviendroient-elles les ménagères, les auxiliires des insectes belliqueux auxquels elles sont associees ? MŒURS DES FOURMIS. 229 Tout concourt à prouver que c’est là le grand mystère de leur réunion avec les fourmis ama- zones : élevées au milieu d’une nation étrangère, non-seulement elles vivent paisiblement avec leurs ravisseurs , mais elles donnent tous leurs soins aux larves de ces fourmis, à leurs nymphes, à leurs femelles, à leurs mâles, à elles-mêmes enfin; elles les transportent d’une partie de la fourmilière dans une autre, vont pour elles aux provisions, les nourrissent , bâussent leur habitation, creusent, dans l’occasion , de nouvelles galeries , et gardent encore lPextérieur du nid, sans se douter qu’elles soient chez les insectes qui les ont enlevées à leur patrie. Tandis que les amazones, tranquilles au fond de leurs souterrains, attendent l'heure du départ, et réservent toutes leurs forces, leur courage et la tacuque qu’elles savent mettre en usage , pour aller chercher, dans une fourmilière voisine , des milliers de larves qu’elles confient à leurs ména- gères , et qui deviennent, à leur tour, uules à la communaute. Les fourmis dont javois dérangé Phabitation me fournirent déja quelques traits propres à me faire soupconner ces vérités. Quand les amazones 290 RECHERCIHES SUR LES irompées par le nouvel aspect de leur nid erroient à sa surface sans savoir trouver une retraite, les noir-cendrées , qui s’occupoient incessamment à pratiquer des galeries, et qui connoissoient mieux qu'elles les nouvelles localités de la fourmilière , les urotent d’embarras en les prenant par leurs mandhhules , et en les conduisant doucement dans les galeries deja percées : souvent on voyoit une fourmi amazone s'approcher d’une noir-cendrée, {aire mouvoir ses antennes sur la tête de celle-ci, qui la prenoit aussitôt entre ses pinces et la trans- portioit à l’entrée d’un souterrain, où elle la dépo- soit ; l’amazone se dérouloit , sembloit caresser de ses antennes la fourmi noir-cendrée, et rentroit dans l’intérieur de la fournuhère. Quelquefois Ja fourmi cendrée qu portoit l’amazone paroissoit méconnoître sa route ; elle erroit çà et là, sans savoir trouver la porte d’une galerie : après plusieurs tours et détours infruc- tueux , elle prenont le parti de poser à terre la four mi gnerrière, qui restoit à la même place jusqu'à ce que la noir-cendrée revint la chercher : pendant ce tems, celle-ci alloit jusqu'au bord du iron, qu'elle reconnoissoit alors plus aisément, et après MŒURS DES FOURMIS. 231 lavoir bien examiné , elle retournoit vers l’ama- zone, la prenoit par ses mandibules et la portoit dans l’intérieur du nid. Ailleurs, entrée d’une galerie étoit-elle obstruée par un amas de terre, la fourmi noir-cendrée qui vouloit y introduire une amazone l’amenoit jus- qu'au bord, la déposoit , alloit dégager le passage, et reyenoit la prendre pour la conduire au fond du souterrain. Si des faits particuliers prouvent l’harmonie qui règne entre ces deux espèces de fourmis, vivant sous le même toit, les généralités confirment plei- nement ces prenuères données. * L'aspect des fourmilières mixtes annonce déjà qu’elles sont l'ouvrage des fourmis noir-cendrées, quoiqu’elles soient beaucoup plus étendues que les fourmilières cendrées simples, à cause de leur double population , et surtout du nombre pro- digieux de fourmis auxiliaires qu’elles contiennent : leur forme , le genre d’architecture qu’on y re- marque, la matière dont elles sont composées, la disuibuuon intérieure, tout en est semblable. Jai vu constamment les fourmis noir-cendrées des fourmilières mixtes profiter des pluies pour cons- 232 RECHERCHES SUR LES truire de nouveaux étages au-dessus de leur domi- cile; elles en augmentoient souvent l’etendue , en élevant des salles et des cases au bord de la fourmilière ; quelquefois , en trois ou quatre jours, elles formoient , pour ainsi dire , tout un faubourg à l'extérieur de la première enceinte. Les légionnaires , bien différentes des noir-cen- drées, ne sortent jamais par la pluie; elles ne viennent pas même alors à l’entrée de leurs souter- rains ; On n’en voit aucune présider aux travaux de leurs maconnes , comme on pourroit le supposer ; les nowr-cendrées n’ont besoin ni de surveillans, ni d’aiguillons pour se mettre au travail ; elles se hâtent de bâur pendant les pluies, et leur ouvrage avance très-rapidement , parce que leur nombre est infiniment plus considérable que celui des ouvrieres d’une fourmilière simple. Leurs travaux acheves, les fourmis noïr-cendrées semblent impatientes d’en faire jouir leurs légion- naires ; on les voit bientôt transférer toute la peuplade de Pancien quaruer dans le nouveau. Mais si l’on veut voir un spectacle plus curieux encore , 1l faut les observer lorsqu'elles veulent quitter leur domicile et s’en former un plus con- MŒURS DES FOURMIS. 233 venable; car c’est à elles qu'il appartient de dé- cider de l'urgence d’une émigration, et de choisir un site propre à l'établissement de la fourmilière : on les voit d’abord se porter les unes les autres dans le lieu qu’elles destinent à cet objet; c’est or- dinairement quelque place facile à miner ; chaque noir-cendrée déposée en cet endroit par les recru- teuses , s'occupe à y creuser une cavité, Ou retourne chercher ses compagnes dans lPancien nid : elles Wattendent pas que le nouveau soit bien avancé pour y transporter les fourmis amazones. On voit alors, dans le chemin qui communique entre Pancienne et la nouvelle cie, une file de noir-cendrées chargées de fourmis légionnaires, dont la couleur contraste avec celle de leurs con- ductrices; les femelles et les mâles sont amenés de la même manière par ces fidèles gouvernantes : arrivés à l’entrée du logement qui leur est préparé, ils sont déposés successivement devant la porte, et là d’autres noir-cendrées viennent les prendre par leurs mandibules pour les conduire dans l’inté- rieur du nid. Quand tous les individus de la four- milière sont transportés, les larves et les nymphes le sont à leur tour, et toujours par le soin des infa- 23 RECHERCHES SUR LES ügables noir-cendrées. Ce sont elles qui sortent dés le maun de la fourmilière, et vont au loin cher- cher des vivres pour toute la peuplade; tamôt elles rapportent de petts animaux morts; tantôt elles reviennent Pestomac rempli de la liqueur que leur fourmssent les pucerons. On en voit constam- ment aller et venir sur le chemin de la fourmilière, mais On n’apercoit Jamais aucune fourmi légionnaire aller à la recherche des pucerons; il est même très- rare qu'il en sorte quelques-unes dans la matinée. Voilà donc lesauxiliaires en possession de fournir des vivres à la république ; de construire la de- meure commune , et d'y conduire des habitans; tandis que les amazones , peuple de soldats, n’ont au contraire d'autre occupation et d’autre talent que celui de la guerre. Elles ont des mœurs à part; on ne les voit jamais sorur de leur retraite , que la température de l'air ne soit au-dessus de 16 degrés du thermomètre de Réaumur (en le supposant place à ombre). Le rendez-vous général est ordinairement un peu avant cinq heures de l'après-midi; je les ai vues cependant quelquefois parur plus tôt, mais jamais avant deux heures , ni plus tard que cinq : elles sont toujours de retour à M@OURS DES FOURMIS. 299 six heures ou six heures et demie, et ne sortent que lorsque le tems est beau. Ces insectes n’ont qu’un seul objet dans leurs excursions, celui d'enlever des fourmis, pour ainsi dire encore au maillot, chez un peuple laborieux, et de s’en faire des ilotes qui travaillent pour eux, qui élèvent leurs petits et leur fournissent des vivres; c’est pour cela qu'ils ne s'emparent jamais que des larves ou des nymphes d’ouvnières : les mâles et les femelles ne leur seroient bons à rien; d’ailleurs la nature mw’auroit sûrement pas permis la destruction des fourmilières noir-cendrées, qui auroit entraîné celle des fourmilières amazones. Ces fourmis guerrières connoissent toutes les fourmilières noir-cendrées de leur voisinage ; elles les visitent tour à tour ; elles varient chaque jour de direcuon, et, comme nous l’avons déjà dit, elles pillent quelquefois le même nid à plusieurs reprises; mais elles ne détruisent point les four- milières auxquelles elles enlévent une parue de leurs petits : il périt très-peu de noir-cendrées dans ces combats, qui n’ont jamais pour but de faire des prisonniers, ou de disputer la possession de la citée envahie. 236 RECHERCHES SUR LES Jai vu quelquefois leur colonne se diriger dans un sens, revenir presqu'aussitôt sur le md, et reparür d’un côte opposé. Îl leur arrive aussi, mais plus rarement, de se diviser en deux troupes, et de marcher de deux côtes différens. Alors la plus petite bande s'aperçoit qu’elle n’est pas com- plète; on la voit retourner sur ses pas et rejoindre l’armée : si elles sont également fortes , elles vont piller chacune séparément, et reviennent à la fourmilière chargées de butin; car ce n’est pas tant par leur force réelle que par leur impétuosite, qu'elles réussissent à effrayer les noir-cendrées : Jai vu une armée, composée au plus de cent cinquante amazones, pénétrer dans une fourmi- hère cendrée, et rapporter des nymphes dans la fournulière mixte. Par quelle raison se décident-elles à prendre une certaine route, à tomber sur telle fourmi- ère plutôt que sur telle autre ? Il me seroit impossible de le décider. J'ai vu cependant quel- quefois une fourmi légionnaire sorür du nid avant l'heure du départ : elle sembloit aller à la de- couverte; je la suivois long-tems dans le gazon; elle visitoit tous les coins un peu arides et qu MŒURS DES FOURMIS. 257 paroissoïent annoncer l'existence d’une fourmilière, mais je la perdois de vue avant son retour. D’autres fois jen ai vu revenir seules d’une course loin- taine, et rentrer précipitamment dans la four- milière ; aussitôt l’armée se rassembloit hors des souterrains , et se mettoit en marche du côté d’où l’espion étoit arrivé; cependant je ne saurois affirmer que leur départ en füt la conséquence. Leur signal est très-varié : tantôt c’est avec leurs mandibules, tantôt avec le front qu’elles se heurtent avant de se mettre en marche; c’est quelquefois par le jeu de leurs antennes qu’elles paroïssent exciter cette ardeur guerrière parmi leur compagnes; mais n’est-ce point aussi au moyen de ces différens gestes qu’elles s’mdiquent mutuellement la direc- on qu’elles doivent prendre ? car elle paroît être fixée au moment du départ , et l’armée va ordinai- rement droit au but. Ce qu’il y a de très-remar- quable dans leur ordre, c’est qu'aucune des fourmis qui composent la troupe ne court constamment dans le même sens ; à mesure qu’elles arrivent à la tête de la colonne, elles font un petit circuit en forme de boucle, et rentrent dans le corps d'armée ; puis, comme nous l'avons dit plus haut, 238 : RECHERCHES SUR LES elles reviennent jusqu’à larrière-garde pour donner la direcuon à celles qui se trouvent les dermières. Le front de l’armée est toujours de huit à dix fournis qui semblent chercher à se devancer, mais dés qu'elles ont dépassé leurs compagnes, elles rentrent dans la foule; ainsi, leur avant-garde éprouve un renouvellement conunuel. Je n’ai jamais vu de femelles amazones dans ces armées; les neutres seules s’exposent, ici comme dans les autres espèces , aux hasards de Ja guerre. Ces fourmis ne marchent point en tätonnant ; elles courent à la suite de leurs compagnons d’armes, sans paroître cramdre de s’écarter un peu de la route : quand elles s’égarent, ce qui leur arrive assez rarement, elles sont ramenées à la fourmihière par quelques noiïr-cendrées , qui les découvrent et paroissent comprendre leur position. J’ai vu un seul exemple où leur armée parut s’être trompée de route. Elle se mit en marche comme à l’ordinaire , mais au lieu de suivre une ligne droite, elle décrivit une courbe, et alla à plus de cinquante pas, en s’arrétant à plusieurs reprises. Ces insectes, après s'être répandus de tous côtés sans trouver de four- milières cendrées, se rassemblèrent et retournérent MŒURS DES FOURMIS. 259 dans leur habitation par le même chemin, sans avoir retreé aucun fruit de leur expédition. La décision qu'ils prirent, de revenir sur leurs pas, fourniroit une ample matère aux réflexions : je ne m'étendrai pas à présent sur ce sujet, et je me bornerai seulement à demander comment sex- plique ce fait, dans la supposition d’un instinct aveugle? Mais voici un trait encore plus extraor- dinaire. À leur retour, nos amazones furent très-mal recues par Îles noir-cendreées de la fourmilière mixte ; elles furent assaillies individuellement par les auxiliaires , qui les uraillèrent , les entraïnèrent hors du nid , et les obligèrent même à se defendre. Mais cette disposition hosule ne dura que peu de momens , après quoi les amazones rentrèrent pai- siblement dans leur demeure. Les noir-cendrées étoient-elles surprises de les voir arriver sans les coques qu’elles apportent à l’ordinaire, et ces objets seroient-ils à leurs yeux des passeports pour les fourmis auxquelles leur sort est lié ? Les légionnaires ne sont point carnassières ; j'ai souvent jeté au milieu de leur armée quelques insectes vivans , tels que des chenilles et des vers: ; | ? 240 RECIERCIIES SUR LES jamais aucune d'elles n’essayoit de les attaquer. J’ai mis à leur portée des morceaux de viande cuite, et crue; elles s’en détournoïent avec indifférence , et les noir-cendrées s’en emparoïent à l’instant. Un autre essai que j'ai souvent répété, étoit de mettre ma main au travers de l’armée lorsqu’elle étoit en marche : Îles amazones passoient entre mes doigts fort tranquillement, et sans s’alarmer de ma présence ; aucune d’elles ne cherchoit à me pincer : on ne mettroit pas impunément à la même épreuve toute autre espèce de fourmis. Je ne leur ai vu prendre de nourriture que de la bouche même des fourmis noir-cendrées ; je leur ai vainement présenté du miel et des fruits, elles n’y touchèrent jamais : mais quand elles avoient faim , elles s’ap- prochoient des auxiliaires, et celles-ci leur dégor- geoient dans la bouche les sucs qu’elles rappor- ioient de leurs courses journalières auprès des pucerons. Une expérience que je fis sur les légionnaires me convainquit de la dépendance où elles sont de leurs humbles compagnes, et pour la nourriture , et pour l'habitation. J’enfermai trente fourmis lé- gionnaires, avec des nymphes et des larves de leur espece, MŒURS DES FOURMIS. 241 espèce, et une vingtaine de nymphes noir-cen- drées , dans une boîte vitrée, dont le fond étoit recouvert d’une épaisse couche de terre ; je versai un peu de miel dans un com de leur prison, et jeus soin de ne point leur associer de fourmis auxiliaires. Elles parurent d’abord faire quelque attention à ces larves ; elles les emportérent cà et là, mais les reposèrent bientôt : la plupart d’entr’elles moururent de faim en moins de deux jours. Elles n’avoient pas cherché à se construire une loge dans la terre ; le peu de fourmis qui restoient encore en vie étoient languissantes et sans forces. J’en eus piué, et je leur donnai une de leurs compagnes uoir-cendrées. Celle-ci, toute seule, rétablit l’ordre, fit une case dans la terre , y rassembla les larves, développa plusieurs jeunes fourmis des deux espèces qui étoient prêtes à sorüur de l’état de nymphe , et conserva la vie aux amazones qui subsistoient en- core. Ce résultat n’a pas besoin de commentaire : je laisse à chacun la liberté d’en ürer des conclusions. D fe 16 249 RECHERCIES SUR LES SSL ee To Te en ne eo ne ne Ce 0 0 0 5 0 0 7 CAP TIRE TI X. NOUVELLES CONSIDÉRATIONS SUR LES FOURMIS AMAZONES. Si: falloit encore quelque preuve de lorigime des fourmis auxiliaires dans les fourmilières mixtes, la découverte d’une nouvelle espèce de fourmilières composées jetteroit sans doute un grand jour sur cette quesüion. I n’y avoit pas long-tems que je m’occupois des mixtes-noir-cendrées, lorsque je trouvai les mixtes - mineuses : les amazones en étoient les mêmes; les auxiliaires seules étoient differentes. Les fourmis mineuses, qui bäussent à la manière des noir-cendrées , et dont j'ai déjà parle dans le chapitre de architecture , sont un peu plus grandes qu’elles ; leur aspect n’en diffère que par la couleur du corselet et de l’étranglement, qui sont d’un rouge vif; les pates et les antennes sont aussi rou- seûtres ; le reste de leur corps ressemble beaucoup à celui des noir-cendrées, mais la véritable diffé- rence de ces deux espèces réside dans leur carac- ère. Les muneuses sont vives, carnassières, et MŒURS DES FOURMIS. 243 très-couragenses ; tandis que les noïr-cendrées sont timides et pacifiques. Aussi ce ne fut pas sans éton- nement que je vis pour la premnère fois une four- milière composée de fourmis légionnaires et de mineuses ; elle étoit au moins trois fois aussi grande que les fourmilières mineuses simples, et contenoit un grand nombre d’habitans des deux castes. Il régnoit entre les individus de cette société la même intelhgence que dans celles que j'avois ob- servées précédemment. Les fourmis mineuses sor- toient en foule depuis le matin jusqu’au soir, pour aller butiner dans la campagne , et rapportoient des vivres dont elles faisoient part aux maîtresses du logis. Celles-ci étoient tout aussi paresseuses que celles des fourmilières mixtes-cendrées. Les mineuses bâtissoient seules les étages de leur habi- tation, et transportoient les fourmis roussâtres , leurs nymphes, leurs larves, et le reste de la peu- plade , lorsqu'elles vouloient changer d'habitation : elles étoient, en un mot, aussi bonnes ouvrières que les noir-cendrées , et beaucoup plus empres- sées à défendre leur mid. Si Pexistence des fourmilières mixtes étoit due à l’enlèvement des nymphes, les excursions des 24% RECHERCHES SUR LES fourmis légionnaires devoient avoir pour objet les fourmilières mineuses, quand leurs associées étoient mineuses; et noir-cendrées, quand elles vivoient avec des fourmis de cette espèce. 1] n’y avoit, aux environs de la fourmilière mixte dont je viens de parler, aucune babitation de noir- cendrées, à plus de cinquante pas à la ronde ; mais, en échange, les fourmilières mineuses y étoient très- mulupliées : c’étoit déjà une raison de croire que les fourmis de cette espèce qui vivoient au milieu des amazones, üuroïent leur origine de ces diffé- rentes peuplades. Pour m’en assurer, je me rendis, à l'heure où ces cohortes se mettent en marche, c'est-à-dire entre 4 et 5 heures de l'après-midi, près de la fourmilière mixte-mineuse. Les ama- zones étoient dejà rassemblées sur le nid, et prêtes à parür : elles se mirent en route et se répandirent comme un torrent le long d’un fossé profond. Elles marchotïent plus serrées qu’à lordinaire , et avec une rapidité étonnante. Elles arrivèrent bientôt à l'entrée du nid qu’elles se proposoient d'attaquer : c’étoit une fourmilière mineuse. Dés que les légion- naires commencérent à sintroduire dans la cité souterraine , 1l en sortit une foule de mineuses, MŒURS DES FOURMIS. 245 dont les unes les assaillirent avec furie , tandis que les autres passèrent au milieu d'elles, emportant à leur bouche leurs larves et leurs nymphes. La sur- face du nid fut quelque tems le théètre de la mêlée ; les légionnaires étoient souvent dépouillées des nymphes quelles emportoient : les mineuses les leur arrachoïent , s’élançoient sur elles, les com- battoient corps À corps, et leur disputoient le ter- rain avec un acharnement dont je n’avois pas encore vu d'exemple. Néanmoins , l'armée amazone , qui avoit pénétré avec tant d’impétuosité dans la fourmilière , se remit en marche en bon ordre, toute chargée des nymphes et des larves qu’elle avoit enlevees ; mais au lieu d’aller à Ja file, elle se tenoit serrée, et ne formoit qu’une seule legion; précaution d’autant plus nécessaire que les insectes courageux chez lesquels elle avoit fait cette incursion, se mirent à sa poursuite et la harcelèrent jusqu'à dix pas de la fourmilière mixte. Pendant ces combats, la fourmilière pillée offroit en petit le spectacle d’une ville assiégée ; des cen- taines de mineuses s’éloignoient de leur patrie, emportant çà et à les nymphes, les larves et les 246 RECHERCHES SUR LES jeunes femelles qu’elles vouloient soustraire, au pillage ou à la fureur de leurs ennennes. La plupart grimpoient sur les plantes environnantes, avec leurs larves entre leurs dents; d’autres les réunissoient sous des buissons épais ; mais quand le danger fut entièrement passe, elles les ramenèrent dans leur cité, dont elles barricadèrent les portes, et prés de laquelle elles demeurérent en grand nombre, pour en garder l'entrée. Cependant tout étoit calme sur la fourmilière mixte ; les amazones étoient rentrées paisiblement dans leur demeure, et avoient été recues des fourmis auxiliaires comme les maîtresses du logis. Je les vois repartir aussHôt en colonne serrée; elles se dirisent sur une fourmilière mineuse des plus considérables, et sont en état de se mesurer avec les gardiennes de cette habitauon ; elles se jettent en foule dans une des galeries qu’elles trouvent mal gardée; mais leur nombre ne leur permettant pas d’entrer toutes à la fois, les mineuses, qui étoient au dessus de la fourmilière , se précipitent sur les étrangères ; et tandis qu’elles combattent en déses- pérées, une foule innombrable de leurs conci- ‘ toyennes , perdant peut-être l'espoir de défendre MŒURS DES FOURMIS. 247 leurs foyers et les petits dont la garde leur est confiée, sortent du nid, emportant avec elles les nymphes, les larves et les plus jeunes fourmis : on les voit fur de toutes parts, et leur multitude couvre toute la surface du sol à plusieurs toises de la fourmilière. À chaque instant , la mêlée devient plus chaude : ici les amazones tâchent de saisir les nymphes que les mineuses veulent dérober à leurs déprédauons ; là ce sont les assiégées qui dépouillent les varnqueurs du fruit de leur rapine : tout est en confusion ; le- glonnaires et mineuses s’attaquent avec impétuosité, et souvent, dans leur fureur, se trompent d’objet et tombent sur leurs compagnes, qu’elles relâchent aussitôt. Tout cela se passe à l’arrière-garde des légionnaires; cependant une grande partie de leur armée, chargée de butin, sort des souterrains qu’elle a dévastés, et retourne en bataillon carré dans là ville natale, toujoursassaillie par les mineuses qui la suivent encore fort loin de leur habitation. Ce n’est que par leur adresse , la rapidité de leurs mouve- mens et lusage de leur aiguillon que les amazones parviennent à se dégager de leur poursuite. J’a souvent remarqué, pendant ces combats, des fe- 246 RECHERCHES SUR LES melies mineuses s'enfuir emportant des nymphes à leur bouche, comme de simples ouvrières; mais elles ne se mêlent point de la défense du nid. Ce pillage et ces combats ne duroient pas long- tems; en moins d’un quart d'heure les amazones reprenoient la route de leur domicile, et, malgré le courage et l’acharnement des deux parüs , 1l y périssoil qu’un très-petit nombre de fourmis. Cette scène, brillante dans sa petitesse, se renou- velle toutes les fois que les amazones trouvent Îa température convenable pour leur départ ; les nymphes qu'elles ont enlevées se développent, et, ne connoissant pas leur véritable famille , donnent (comme les noir-cendrées des fournilières nuxtes) tous leurs soins aux larves et aux nymphes de leur patrie adopuve. Voià donc deux sortes de fourmis auxiliaires très-disunctes , dont la figure et le caractère ne se ressemblent point: c’étoit une occasion bien favo- rable pour éclaircir la question relative à la compo- sition de la fourmilière. Si nous ne trouvons dans les fourmilières mixtes-cendrées et mixtes-mineuses que des femelles et des mâles d’une même espece, a x . si 1l faudra en conclure qu'ils n’apparuennent ni à MŒURS DES FOURMIS. 240 Vune ni à l’autre des fourmis auxiliaires, mais umi- quement aux amazones. Or, ceux que je vis portés en plusieurs occasions par les ouvrières mineuses, de ce md-là dans leurs déménagemens , étoient abso- Jlument semblables aux peuts mâles et aux grandes femelles des fourmilières mixtes-cendrées, et j'en cherchai vainement d’autres dans leur habitation; J'assistaa même à leur sortie de la fourmiliére, et je puis affirmer que, malgre les recherches les plus assidues, et Pattention la plus scrupuleuce , je n’en ai jamais apercu aucuns qui ne fussent sem- blables à tous égards à ceux que j'ai décrits. Leur départ et les circonstances qui laccom- pagnent n’étoient point indifférens ; aussi les obser- vai-je avec le plus grand som. Je les vis venir plu- sieurs jours de suite à la surface du nid ; ils étoient entourés de fourmis mineuses qui les escortoient et les soignoient, comme les ouvrières le font à l'égard de leurs propres mâles dans les fourmilières ordinaires : ils sortirent et s’échappèrent dans les airs. Le 51 juillet, à 10 heures ; du matin, je vis sorür d’une fourmiliére mixte-noir-cendrée plusieurs petits mâles noirs : un grand nombre d’ouvrières 250 RECHERCHES SUR LES noxr-cenirées les accompagnoient ; le nombre des mâles augmentoit constamment, plusieurs fourmis amazones sortrent aussi , et se promenérent au milieu d'eux, quoique ce füt pour elles une heure indue ; elles s’approchoient des mâles et les léchoiïent comme les noir-cendrees : celles-ci étoient les plus nombreuses. Vinrent ensuite les grandes femelles dont j'ai donné la description; elles grimpèrent sur l'herbe, et y reçurent, à leur tour, des noir- cendrées et des amazones, le même accueil que les mâles : à onze heures, ceux-c1 commencérent à s’animer ; ils grimpoient le long des plantes, cou- roient les uns contre les autres, battoïent des ailes, se culbutoient, et finissoient par prendre le vol ; les femelles suivirent leur exemple et quiitèrent la fourmilière mixte : je vis parür plus de cinquante femelles et quatre fois autant de mäles; je les attendis aux portes de la cité qu'ils venoient d’a- bandonner , pour savoir sils y reviendroient; mais je n’en revis aucun. L'aspect de cette fourmilière étoit à la fois saus- faisant pour l'esprit, et agréable à l'œil; le con- iraste de ces femelles d’un beau jaune, avec ces pets mâles tout noirs; de ces msectes aïlés avec MŒ@URS DES FOURMIS. 251 ces neutres privés d’ales ; celui de ces ouvritres amazones vivant en paix avec ces nombreuses noir- cendrées, formoit un tableau qui n’etoit pas de- pourvu d'intérêt, malgré la peutesse des objets dont il etoit compose. Jai observé dans les fourmilières mixtes quel- ques mdvidus fort remarquables, et dont on voit image exacte dans la Fig. 1.°°, PI. IT. Ce sont des fourmis roussâtres , égales en grandeur aux fe- melles de la même espèce; elles en diffèrent seule- ment par la forme de leur corselet, qui n’est point élargi et destiné à porter des ailes : 1l ressemble à celui des ouvrières. Ces individus , qui sont cepen- dant, par leur taille, dans la classe des femelles, n'ont jamais d’ailes, et jé les aurois placés au nombre des ouvrières si je les aVois vus se mêler à leurs excursions : c’est encore là un exemple de ces transiüons que nous avons fait remarquer entre les femelles et les ouvrières de quelques insectes du même genre. On voit chez les abeilles plusieurs modifications des reines : il existe, chez les bour- dons que nous avons observés, des ouvrières fé- condes de différentes grosseurs, et très-rappro- chées des femelles, à tous égards. Ce nouveau fait 252 RECHERCHES SUR LES vient à l'appui des prenners, pour nous convancre que les femelles et les ouvrières sont originairement du même ordre , et ne doivent leur forme et leur caractère actuel qu’au développement plus ou moins complet de leurs organes. Je ne sais si les individus dont je viens de parler sont capables de pondre, et quelle est la destination pour laquelle ils ont été créés ; quoi qu'il en soit, ils sont assez rares, et n’ont aucun rapport avec les fourmis noiïr-cendrées et mineuses des fourmilières nuxtes, chez lesquelles on les trouve également. Revenons aux femelles ailées. Peu de tems après avoir quitté leur patrie, elles perdent leurs ailes comme les fourmis des autres espèces, et je les ai vues courir sur le terrain et chercher un abri. J’aurois désiré qu'il me fût possible de les suivre, car leur histoire, et surtout celle de leur nouvelle famille, piquoit vivement ma curiosité. L'existence de ces peuplades dans leur origine est fort difficile à con- cevoir. Comment pourroient-elles, à cette époque, s'associer des fourmis auxiliaires? Elfes ne sont pas encore assez en force pour entreprendre des incur- sions et se donner des aides: peuvent-elles donc quelquefois s’en passer ? LA _ MŒURS DES FOURMIS. 255 Je dois convemir de mon ignorance à cet égard; cependant j'apporterai ici quelques preuves, que les fourmis amazones sont moins inhabiles aux arts domestiques que paresseuses et accoutumées à Poisivete. M. Latreille, plus heureux que moi, a trouvé une de ces fourmilières naissantes ; et voici ce qu’il dit, après avoir donné la description de la fourmi roussätre , que nous appelons légionnaire , ou amazone. « Cette espèce est fort rare; je ne lai observée » en société qu’une seule fois, encore n’y avoit-il » qu'un très-peut nombre d'individus. Elle court » trés-vite et fait son nid, je crois, dans la terre. » Cet observateur exact auroit vu sans doute les fourmis auxiliaires, et auroit été frappé de leur association, si elle avoit eu lieu dans ce md-là. Je regarde donc comme un fait presque certain, que les fourmis roussätres peuvent , avant d’être accou- tumées à se faire servir par les noir-cendrées et les mineuses, employer des facultés qu’elles ne mettent point en usage lorsqu'elles sont associées à ces fourmis laborieuses. Une observation fort singulière “> . . « . n . . que Ja te une fois , mais qu ne sest Jamais 25% RECHERCHES SUR: LES renouvelée , semble prouver qu’elles peuvent chan- ger de rôle avec leurs auxiliaires. Une fourmilière nuxte s’etoit établie depuis peu sur la terrasse de la maison que j’habitois. Jobser- vois soigneusement les excursions des amazones, et je remarquai, un jour, qu’elles se dirigeoient sur une fourmilière déserte : les fourmis qui l’occu- poient précédemment, pillées sans doute trop sou- vent par leurs redoutables voisines, avoient pnis le parti de décamper avec armes et bagages. Les amazones, qui étoient peut-être mal logées , profi- tèrent de cette circonstance : lorsqu'elles eurent visité la fourmilière vide, elles revinrent sur leurs pas, prirent à leur bouche les noir-cendrées de la fourmilière mixte, et les transportérent dans l’autre nid. Cette opération dura quelques heures : lemu- gration s’efectua entièrement de cette manière. Je vis donc l'inverse de ce que j’avois observé jusqu’a- lors ; mais je nai jamais eu l’occasion de le revoir. Les amazones portoient les cendrées comme celles- ci les portent à l’ordinaire. Quand ces dernières furent transferées dans le nouveau logement, elles y restèrent, et chaque espèce reprit ses foncuons habituelles. MŒURS DES FOURMIS. 255 On voit par cet exemple qu'il n’est pas impossible que les amazones n’en sachent plus qu’elles ne paroissent en savoir ; et si nous les avons vues se laisser périr de faim plutôt que de se nourrir elles- mêmes, c’étoit peut-être l'effet de l’habiude où elles sont, de recevoir leur nourriture des noir- cendrées, et de ne jamais aller la chercher dans la campagne. Celles qui vivent en petit nombre au- près de leur mère , n’étant point encore accoutu- mées à la vie oisive, ne se bornent probablement pas aux travaux de la guerre, et connoissent les occu- pations domestiques ; ainsi pendant quelque tems la fourmilière ne sera composée que des fourmis amazones. Mais lorsque leur nombre leur inspirera plus de confiance , elles iront au pillage , et se pro- cureront des nymphes noir-cendrées ou mineuses, qui deviendront, par leurs soins ; des aides et des compagnes uules. Ce ne sont là que des conjec- tures, peut-être fort éloignées de la vérité ; mais je n'en ai pas trouvé de plus vraisemblables pour expliquer la formation des nouvelles fourmilières amazones. Quant à la conservation des fourmilières mixtes, je crois qu’elle s'opère comme celle de toutes les 256 RECHERCHÉS SUR LES autres fourmilières ; en réservant quelques femelles amazones fécondées, pour entretenir leur popu- lauon. Jai vu très-souvent, et dans toutes les saisons, des femelles sans ailes dans des fourmi- lières de ce genre. J’ouvris, dès le milieu d'avril, des fourmilières mixtes ; jy trouvai des œufs aglo- mérés en grand nombre et soignés par des noir- cendrées ; je vis même alors les femelles amazones environnées des mêmes gardiennes ; elles se te- noient dans la parte la plus élevée du bâument, et leurs œufs étoient réunis auprès d’elles. Ce ne fut qu'au mois de juin que je commencai à voir les coques des nymphes mâles, car leurs larves sont du nombre de celles qui filent : celles des femelles étoient plus tardives ; les nymphes qu’elles renfer- moient furent urées de leur berceau par les ou- vrières, comme le sont, en général, celles des four- mis noir-cendrées et mmeuses , quelque tems avant leur dernière transformation , et ce fut seulement au mois de juillet qu'ils passèrent à celle qui les met enfin en état de voler : les nymphes des ou- vrières amazones étoient alors très - nombreuses dans tous leurs nids; mais je n’y trouvai point encore de nymphes noir-cendrees et mineuses. MŒURS DES FOURMIS. 257 Celles que les légionnaires ont enlevées l’année précédente se sont développées avant Pautomne , puisque les dernières invasions se font au mois de septembre. Ces fourmis guerrières n’ont que deux mois et demi pour réunir dans leur demeure les nymphes dont elles ont besoin. La température de Pair s'élève souvent, au mois de mai et au commence- ment de juin, assez haut pour leur permettre de parür ; cependant elles ne se mettent point en cam- A] pagne avant l’époque où leurs mâles sont prêts à se métamorphoser ; elles sortent quelquefois indi- viduellement, mais dans ce cas elles sont toujours arrêtées par les noir-cendrées, qui les ramènent dans l’intérieur de la fourmilière. Je ne sais à quel motif attribuer cette conduite des auxiliaires , mais je l’ai remarquée fort souvent, et il est certain que les légionnaires ne vont point au pillage avant ce terme. Si elles enlevoient plutôt les larves des noir-cendrées, elles en feroient une ample récolte; mais elle seroit composée en grande parue de celles des màles et des femelles, et il ne leur est point pernus de s’en emparer. La nature a prévenu les inconvémiens graves qui pouvoient résulter de 17 258 RECHERCIES SUR LES Perreur des amazones, en faisant naître les mâles et les femelles des fourmilières destuinces au pillage, plutôt que ceux des fourmis belliqueuses, et en ne permettant à ces dernières de commettre leurs rapines qu'après la métamorphose des insectes ailes. Les noir-cendrées et les mineuses sont donc les nègres des fourmis amazones ; c’est chez elles que celles-ci vont chercher des esclaves : elles les dé- robent dans un âge où leur imstunct n’est pas encore développé, et ces fourmis, élevées au milieu d’elles, leur font partager le fruit de leur industrie. Mais, avec quelle prudence , avec quelle sagesse cette insütution , quelquefois barbare chez les hommes, a-t-elle été établie chez les insectes que nous venons de faire connoître ? On n’y voit ni servitude, ni oppression ; ces fourmis ne paroissent pas se douter qu’elles soient dans un nid étranger: tirées de vingt fourmilières différentes , elles vivent sous le même toit comme si elles étoient sœurs, et leur affecüuon ne disuingue les amazones que pour leur prodiguer plus de soins. La nature, profonde en ses combinaisons, sait que de vieilles fourmis ne sau- rolent vivre en paix avec des fournus étrangères ; MŒURS DES FOURMIS. 259 mas elle n'ignore pas que de jeunes fourmis peu- vent vivre avec celles d’une autre espèce, lors- qu’elles sont accoutumées de bonne heure à les voir et à recevoir leurs soins ; elle sait aussi qu’elles n'inspirent pas d’aversion à celles qui les ont vu naître. C’est d’après ces données qu’elle a insutué les fourmilières mixtes, et c’est pour cela que les amazones, dans leurs expéditions , n’enlèvent ja- mais de fourmis adultes, mais seulement des larves et des nymphes : c’est par la même raison qu’elles ne cherchent point à tuer leurs ennemies, mais seulement à leur ravir leurs peuts. Il résulte de tous ces faits une vérité importante, relativement au moral de ces insectes ; c’est que leur insunct peut recevoir quelques modifications. Les fourmis , prises dans leur jeunesse , peuvent s’apprivoiser et vivre avec des espèces ennemies : c’est donc dans les premiers jours de leur vie que se forment les impressions qu’elles doivent toujours conserver. Les mêmes objets qui auroient naturel- lement excité leur haine ne leur inspirent plus alors qu'un sentiment d'amour. 260 RECHERCHES SUR LES AUS LS 0 0e ne A ne ne ne en ne 0 ne en 0e 0 Ce © C'ERMAPIT RE XX ÉTABLISSEMENT D’UNE FOURMILIÈRE MIXTE DANS UN APPAREIL VITRÉ. Pig souvent établi avec succès des fourmi- lières artificielles; je leur devois plusieurs obser- vations qui mavoient paru intéressantes sur Îles fourmis fauves , les jaunes et quelques autres. Je résolus d'essayer de placer dans des appareils du mème genre une peuplade de fourmis amazones avec leurs auxiliaires ; les données que j'avois déjà acquises sur les fourmilières mixtes facilitèérent mes opérations. On va lire les détails de cette expé- rience , dans laquelle les mœurs de ces deux es- pèces de fourmis se développérent dans tous leurs rapports. Je fis construire un appareil auquel , pour abré- ger, Je donnerai le nom de ruche, comme je lai déjà fait. C’étoit un double chässis vertical, de 20 pouces de longueur sur 10 de hauteur, vitre des deux côtés ; l’intervalle entre les deux châssis eétoit de 10 lignes seulement; je le trouval encore trop large, et je le divisai en deux parties, au MŒURS DES FOURMIS. 261 moven d’une feuille de fer-blanc criblée de trous dans toute son étendue, et placée parallèlement aux deux vitres, dont elle étoit à la distance de 5 lignes; sur le devant de la ruche, une coulisse verticale qui sélevoit et s’abaissoit à volonté, faisoit l'office de porte. Cet appareil ne devoit point être monté sur des pieds, comme ceux que Jai décrits précédemment ; on fit en sorte qu'il reposat immédiatement sur le terrain , au moyen de deux liteaux très-forts, noyés dans le bas de la ruche , et qui fasoient saillie de part et d’autre; deux volets en bois prévenoient l’entrée du jour, et plusieurs trous pratiqués dans la partie supérieure de l'appareil devoient servir à donner du miel aux fourmis, ou à verser de l’eau dans l'intérieur, quand il le faudroit. C’est dans cette ruche , dont on peut voir la figure, PI. EL, que je projetai d'établir une fourmilière mixte : je voulois encore que les fourmis s’y fixassent d’ellesmêmes , afin qu'elles s’apercussent le moins qu'il seroit possible de la singularité de leur demeure. Je remplis la moitié inférieure de cet appareil avec de la terre fine et légérement humectée, et jy versai du miel en plusieurs endroits. i 262 RECHERCHES SUR LES Ces préparaufs étant terminés, je choisis une des fourmilières mixtes des plus peuplées, et dans laquelle 1l se trouvoit beaucoup de mèles et de jeunes femelles amazones ; je m’emparai d’une grande partie du nid, et je le mis dans un sac de grosse toile , que je transportai dans mon cabinet. J’établis, entre mes prisonnières et le logement qu’elles devoient occuper , une libre communica- üon, au moyen d’un petit canal de bois vitré au dessus, que j'adaptai à l'entrée du sac par une de ses extrémités , et que j'introduisis par l’autre dans la porte de la ruche ; cela fait, je laissai les four- mis à elles-mêmes. Dès le lendemain , je vis quel- ques noir-cendrées aller du sac dans la ruche par le canal vitre ; le soir, il en passoit encore da- vamage; le second jour, elles commencèrent à se porter les unes les autres dans lappareil : leur smentoit d'heure en heure; le canal ne nombre aug suffit bientôt plus à la foule de ces msectes, allant et venant dans un sens et dans l’autre ; ilétoit obstrué par les recruteuses : et celles-ci portaient, pour la plupart, des fourmis légionnaires du sac dans la ruche. Au moyen de ce conduit vitré, je n’étois point MŒURS DES FOURMIS. 263 obligé d'ouvrir les volets pour savoir ce qui s’y passoit; disposiuon dont lavantage étoit de ne pas alarmer les fourmis ; de sorte que je pus m’as- surer qu’elles s’établissoient dans la fourmilière arufcielle ; qu’elles y préparoiïent les logemens, et qu’elles emportoient tous les matériaux inutiles , comme de peuts cailloux et des morceaux de terre trop secs pour être mis en œuvre. Je compris, d’a- près cela, qu'il convenoit d’arroser la terre de l’in- térieur , et jy versai de leau par les trous prati- qués au-dessus de lappareil, ce qui remplit parfai- tement mon but, comme on le verra bientôt. Le quatrième jour, touies les fourmis parois- soient connoitre le chemin : elles avoient cessé de se porter. Mais, comme on en voyoit encore beau- enis qu'elles ne pris- coup aller dans le sac, je craig sent la fantaisie de sy fixer , et je résolus de les obliger à retourner dans Ja ruche : dans ce but, je séparai le sac du canal vitré ; je versai doucement toute la terre qu'il contenoit sur le parquet , auprès de fa fourmilière aruficielle ; je fis tout autour une muraille de briques , et je divisai entre mes doigts toutes les mottes de terre ; afin que les fournis ne pussent pas espérer de s’y cacher. J’inclinai en- 264 RECHERCHES SUR LES suite sur le parquet le peut canal dont un bout étoit enchässé dans la porte de la ruche, de ma- nière que les fournnis pouvoient en sorür et trouver leurs compagnes errantes dans l’enceinie. Les noir- cendrées, en effet, descendirent par le conduit, et ne tardèrent pas à rapporter dans leur nouvelle demeure les fourmis égarées ; on les voyoit cher- cher dans tous les coins, visiter les moindres moties de terre , fouiller avec persévérance les débris de leur nid, et reurer de là leurs compagnes de June et lautre espèce , qu'elles prenoient à leur bouche, et qu’elles introduisoient aussitôt dans la ruche. L'opération finie , j'allai chercher le reste du nid, que j’avois laissé dans les champs, et Je le dispersai dans le cabinet : quelques-unes des noir - cendrées de la ruche ayant apercu les nou- velles arrivées qui rôdoient sur le parquet, les rap- portèrent au gite, et jen vis avec étonnement beaucoup d’autres ressortir avec elles de lappareil, comme si elles eussent appris qu'il y avoit encore au dehors bien des fourmis à ramener ; elles se mirent aussitôt à l’ouvrage : c’étoit une scène que je ne me lassois point d'admirer, que celle qu’of- froient ces laborieuses ouvrières, arrivant sans MŒURS DES FOURMIS. 265 cesse avec leurs compagnes des deux sortes, sus- pendues à leurs mandibules , ou partant à la file pour aller chercher celles qui restoient encore sans asile; d’autres percoient des galeries dans le mon- ceau de terre que j’avois rapporté , et parvenoient à dégager un grand nombre d’ouvrières , de larves et de nymphes qui s'y trouvoient emprisonnées ; elles travailloient avec une acüvite infaugable : j'e- tois touché de leur zèle ; elles me rappeloient ces chiens fameux qui semblent associés à la charité de leurs maîtres pour retirer les voyageurs enfouis sous les neiges des Alpes. Les fourmis lésionnaires ne prenoient aucune part active à cette scène intéressante ; les noir- cendrées avoient d'elles un soin paruculier ; le plus souvent elles les conduisoient dans l’intérieur de la ruche, mais quelquefois elles se contentoient de les déposer à lPentrée du canal pour aller aussitôt en chercher d’autres : la fourmi roussâtre restoit un instant recoquillée sans mouvement , puis elle se dérouloit et regardoit de tous côtés , sans savoir où elle étoit et dans quel sens elle devont se diri- ger ; je la voyois alors s'approcher de toutes les nor-cendrées, et implorer leur secours à l’aide de 266 RECHERCHES SUR LES ses antennes, jusqu’à ce qu’une des moins affairées la saisit et la portät dans sa demeure. Au bout de huit jours ma fourmilière fut entiè- rement peuplée, et j'espérai avoir acquis un moyen sûr d'observer tout ce qui se passoit dans l’intérieur de ces singulières républiques : je me hâtai donc de le mettre à Pépreuve. Je transportai ma ruche sur le gazon , en laissant aux insectes qui l’habnoient pleine liberté d’aller et de venir : j'avoue que ce ne fut pas sans une sorte d’apprébension ; car je pouvois perdre en un instant le fruit de tous mes soins ; mais ce qui me rassurQit , €’eéloit l'espoir que les noiïr-cendrées, attachées à leur ouvrage, ne voudroient pas l’a- bandonner si promptement. Le premier jour, les fourmis cendrées profitèrent de leur liberté pour visiter les environs de leur demeure; elles y revinrent très-bien : quelques amazones étant aussi sortes individuellement , leurs auxiliaires les ramenèrent au logis. Le jour suivant, les noir-cendrées gardèrent leur porte avec assiduité ; elles a moncelèrent beaucoup de petits cailloux pour la rétrécir et s’opposer à l'entrée de certaines fourmis attirées par Podeur du miel que in MŒURS DES FOURMIS. 267 je leur donnois : elles allèrent aussi à la recherche des pucerons. Dans laprès-nudi, l’air étant très-chaud, et le soleil donnant sur la fourmilière arufcielle , je ne tardai pas à voir les amazones se préparer pour leur expédiuon. L’armée enuère descendit le long du canal ; le signal fut donne ; toute la troupe partit et se porta sur un nid de noir-cendrées, situé à quelques pas de la ruche. Les amazones en res- sortirent avec le succès qu’elles obtiennent toujours dans ces incursions : chacune d’elles revint déposer son butin à la porte de la fourmilière aruficielle , où les noir-cendrées lintroduisirent aussitôt. Les fourmis guerrières retournèrent à l'instant piller le reste des larves, et comme il y avoit peu de dis- tance jusqu’au nid qu’elles avoient dévaste , il s’e- tablit une chaîne non-interrompue d’amazones , dont les unes alloient chercher des nymphes, tandis que d’autres en rapportoient. Enfin elles rentrèrent dans leur habitation , mais elles ressortirent au bout d’un quart d'heure , et firent une dernière tenta- üve sur cette fourmilière dont elles ne rapportèrent cette fois qu'un très-peut nombre de larves, et se reurèrent tranquillement dans la ruche. 268 RECHERCHES SUR LES Ce fut avec une véritable satisfaction que je vis toutes mes amazones revenir dans la fourmilière aruñcielle , et confier leur butin aux noir-cendrées : c’étoit un heureux présage pour la suite de mon expérience ; et je me flatiai dès lors de pouvoir observer tous leurs rapports. Je n’avois pas encore ouvert les volets de la fourmilière , afin de ne pas effrayer les fourmis par l'introduction du jour, avant qu’elles y fussent bien établies ; j'étois cependant fort impatient d’en voir l'intérieur. {l étoit tems de visiter l'ouvrage de ces insectes et d'observer les suites immédiates de lPen- lèvement des nymphes. Quand je levai le volet, je fus agréablement surpris, en découvrant d’un coup- d'œil toute la fourmilière : les fourmis avoient miné tout le massif de terre; le verre d’un côte et la feuille de fer-blanc de l'autre, servoient de parois à tous les vides qu’elles avoient prauques ; on voyoit à merveille tous leurs conduits, leurs salles, jusqu'aux moindres loges ; on pouvoil étu- dier la distribution des appartemens ; ils étoient creusés par étages assez irréguliers : les uns etoient plus vastes que les autres, ceux-ci plus élevés, ceux- là plus alongés ou plus rétrécis ; on voyoit que les MŒURS DES FOURMIS. 209 fourmis avoient miné et non maconné la terre ; toute celle qu’elles avoient urée de l’intérieur étoit amoncelée au-dessus du dernier plafond ; mais Pou- vrage étoit si massif qu'il ne risquoit pas d’être enfoncé par le poids de la matière qu'il supportoit. Ici les nymphes et les larves étoient entassées dans de grandes cases ; là se tenoit la horde ama- zone ; ailleurs, le gros des noir-cendrées parois- soit réuni. J’eus à peine le tems de faire ces pre- mucres observauons ; lintroduction subite de la lumière alarma les fourmis. Les amazones sortirent de leurs souterrains et coururent sur le verre; mais elles se reunirent bientôt dans la parte la plus élevée de leurs cases, et se groupèrent contre les voûtes. Les noir-cendrées s’emparèrent à l'instant des larves et des nymphes; elles les emportérent dans les parues les plus obscures, passèrent par les trous du fer-blanc, et se rendirent du côté opposé à celui que jobservois, et dont le volet w’étoit pas ouvert. J’appris par degré à ménager le jour, de manière qu'il weffrayät pas ces insectes, ou du moins assez peu pour que le calme se rétablit promptement ; je pus alors suivre leurs opérations tout à mon aise : c’étoit la qu'il en falloit venir. 270 RECHERCIIES SUR LES Les fourmis amazones, toujours casernées en groupes contre le plafond de leurs souterrains, ne s’en écartoient que pour venir auprès des noir- cendrées, dont les secours leur étoient d’une né- cessité absolue : on n’en voyoit aucune s'approcher des larves et des nymphes ; aucune toucher aux provisions que je mettois à leur portée : nila viande, ni le miel ne paroissoient les tenter. Je pus aussi voir en détail tous les soins que leur prodiguoient les noir-cendrées : celles-ci alloient constamment au- près d’elles pour les nourrir ; elles les brossoient , les portoient d’un quartier dans un autre, les con- duisoient là où la température étoit le plus chaude ; les réunissoient à leurs compagnes, etc. Je vis aussi les auxiliaires rassemblées auprès d’une femelle roussâtre sans ailes, dont elles prenoient soi: les autres femelles et les mâles furent accompagnés au dehors de la fournilière par un nombreux cortége de noir-cendrées et par quelques amazones ; ils prirent le vol bientôt après, et on ne les vit point revenir. Chaque jour les fourmis légionnaires faisoient des incursions dans les fourmilières voisines, et ang- mentoient infiniment le nombre de leurs nymyhes ; DE MŒURS DES FOURMIS. 271 mais dès qu’elles étoient une fois dans laruche, elles ne s’en occupoient plus; c’étoit l’affure des auxi- liaires : celles-ci les portoient dans les différens quartiers, selon les heures et la direcüon du soleil; une parue des nymphes étoient dans des coques ; les autres en avoient été urées; les noir-cendrées venoient souvent déchirer leur enveloppe en ma présence : les coques des nymphes amazones étoient d’une soie plus brune que celles des cen- drées; elles étoient aussi d’un üers plus longues ; mais leur nombre n’égaloït pas celui des nymphes de l’autre caste. On vovoit les larves des deux es- pèces réunies dans différens couloirs; car elles avoient sans doute des besoins relatifs à leur âge ; mais les seules noir-cendrées les soignoient, les nourrissoient, etc. Je vis cependant une fois une amazone occupée à enlever la dernière pellicule d’une nymphe noir-cendrée prête à marcher. La fourmi amazone s’y prenoit avec la même delica- tesse que le font les autres fourmis ; et l’ouvrière , qui étoit l'objet de ses soins ne paroissoit point effrayée d’être aussi près de cette fourmi guerrière : celle-ci ne lui fit aucun mal, et l’abandonna dès qu'elle l’eut dépouillée. C’est une nouvelle preuve 272 RECHERCHES SUR LES que cette espèce n’est pas absolument inhabile au travail. Ma ruche se peuploit chaque jour ; il sy déve- loppoit un grand nombre de noir-cendrées, que je reconnoissois à leur couleur grisâtre. Je voyois aussi de jeunes fourmis amazones , dont la teinte étoit plus pèle que celle des vieilles : les unes et les autres recevoient tous les soins des seules noir- cendrées. Le calme et l’union régnoïent constam- ment dans cette peuplade mélangée. Mes fourmis me paroissoient parfaitement heureuses dans leur demeure ; cependant elles songeoient à la quitter. Les noir-cendrées, lassées peut-être de voir si sou- vent ouvrir et fermer les volets, commencèrent à émigrer, etse pratiquèrent une petite cavité dans le gazon , à quelques pas de l'endroit où la ruche étoit posée ; je les déroutai, et je suspendis leur mi- grauon en la plaçant ailleurs; mais quelques jours après , elles trouverent un nouveau gite , et recom- mencèrent à recruter : alors je pris le parti de fermer la porte , et de rapporter Ja fourmilière arufcielle dans mon cabinet. Là je pus l’observer pendant quelque tems, et je vis de plus en plus la confir- mation de tout ce que javois appris jusqu'alors. Quand MŒURS DES FOURMIS. 275 Quand le tems étoit beau, je la rapportois sur le gazon, entre 3 et 5 heures, et je voyois toujours mes lésionnaires visiter les fourmilières voisines : enfin n’espérant plus d'en obtenir de nouveaux renseignemens , Je résolus de la faire servir à une expérience que je méditois depuis long-tems, et que je renvoyois toujours, parce que javois fini par m'atiacher à mes prisonmières. Mon intention étoit de mettre aux prises deux armées de légion- naires : dans ce but, j'atiendis de voir parür celles d’une autre fourmilière mixte située dans le jardin, et je portai la fourmilière arüficielle en face de leur colonne. Après un léger combat qui eut lieu à la porte de la ruche, celles de l’intérieur sortirent en force, et la colonne ennemie parut vouloir éviter la bataille : elle prit d’abord une autre direcuion, puis revint sur ses pas et retourna dans sa demeure. Plusieurs fourmis de la ruche se mirent à sa poursuite ; quel- ques-unes allèrent jusque sur la fourmilière enne- mie, mais elles y furent retenues : 1l en réchappa seulement deux ou trois que je vis revenir à la hâte. Alors l’armée amazone sortit toute enuére de la ruche, etse dirigea du côté de la fourmilière mixte : 18 27% RECHERCHES SUR LES je m’attendois à une affaire générale ; mais lorsque la colonne fut à quelques pas de Pentrée, elle retourna en arrière, à lexcepuon d’un peloton composé d'environ trois cents fourmis légionriares , qui continuérent leur route et parvinrent à la four- milicre. Celles qui étoient à la surface paroissoient dans une extrême agitation, comme si elles eussent prévu attaque dont elles étotent menacées. Quand la peute troupe arriva, elles se baturent corps à corps; mais les étrangères se jetèrent dans une galerie avec tant d’impétuosité que les autres ne purent les en empêcher. Cetie courageuse incur- sion ne leur réussit pas ; elles y périrent toutes, non sans avoir fait un grand ravage , car lorsque je vis les amazones de la fourmilière naturelle recom- mencer leurs expédiions, je trouvai leur armée réduite à la moitié de ce qu’elle étoit auparavant. La ruche n’avoit pas souffert une aussi forte dinn- nution; je la replacai sur le gazon, et je laissai aux noir-cendrées la liberté d’émigrer , ce qu’elles firent dans le même ordre que nous avons observe ailleurs. MŒURS DES FOURMIS. 275 ie ns de es os nr ne sn ne nn nn CA, A PICT ROE LE ÎTISTOIRE DES FOURMIS SANCUINES. De: fourmis sanguines vont nous offrir un nou- veau genre de fourmilières mixtes ; elles coufirme- ront les faits qu’on vient de lire, par leur analogie avec les fourmis légionnaires, et nous éclaireront encore sur ce sujet, par le contraste même de leur conduite avec celle de ces fourmis qui passent des combats à l’oisivete. Elles doivent le nom qu’elles portent à la cou- leur de leur tête et de leur corselet ; leur ventre est noir-cendré et légèrement bronzé ; leurs pates sont d’un rouge de sang : ces fourmis sont plus grandes que les légionnaires , auxquelles elles ne ressemblent que par leurs mœurs. Elles auroient £ pour la forme générale du corps, beaucoup plus de rapports avec les fourmis fauves qu'avec aucune autre espèce. Si je dus au hasard la rencontre des hordes ama- zones , ce fut observation qui me fit découvrir les mœurs des fourmis sanguines. 276 RECHERCHES SUR LES Un jour, en examinant l’intérieur de leur, nid pour en connoître la structure , je découvris des noir-centrées au milieu d'elles; leur nombre étoit moins considérable que chez les fourmis légion- naires ; mais 1] paroissoit régner entr’elles et les fourmis sanguines Ja même inumité que j'avois re- marquee entr'elles et les amazones des fourmilières mixles. Il me fut aise de vérifier cette observation’; car les fourmilières de ce genre sont beaucoup moins rares que celles des lésionnaires ; elles sont aussi plus faciles à reconnoître , parce que les sanguines se tiennent plus souvent sur leur nid que les autres fourmis maconnes. On trouve ordinairement les os des haies ex- fourmilières de cette espèce le long posées au nndi. La terre en est mélangée avec des morceaux de feuilles, des brins d'herbes , de la mousse et de peutes pierres, ce qui forme une espèce de moruer difficile à rompre. Cette compo- sition de la fourmilière, et sa forme variée, m’au- roient déjà prouvé que ce n’étoit pas uniquement l'ouvrage des noir-cendrées, quand je n’aurois pas vu les sanguines s'occuper comme elles, sorur aussi par la pluie, et proüter de cette circonstance MŒURS DES FOURMIS. 277 pour donner plus d’étendue et d’élévation à leur demeure. Ces fourmis se mélent donc aux travaux des noir-cendrées; elles vont aussi quelquefois à Ja recherche des pucerons , mais c’est la principale fonction des auxiliaires. Celles-ci sortent plus matin, et sont encore chargées d'ouvrir les portes du logis; car, dans cette espèce , le soin de fermer l'entrée des souterrains le soir est très-marque : elles les recouvrent de tout ce qu’elles peuvent trouver de propre à cet objet. Une des occupations ordinaires des sanguines est d'aller à la chasse de certaines petites fourmis dont elles font leur pâture ; elles ne sortent jamais seules ; on les voit aller par petites troupes, s’em- busquer près d’une fourmilière, attendre à lentrée qu'il en sorte quelqu'individu , et s’élancer aussitôt pour s’en saisir. Les insectes qu’elles rencontrent sur leur chemin deviennent aussi leur proie quand elles peuvent les arrêter. On ne trouve pomt chez les sangtines, non plus qe dans les autres fourmilières mixtes , de mâles et de femelles de fourmis auxiliaires. Les femelles sanguines sont remarquables par la vi- #78 RECITIERCHHES SUR LES vache de leurs couleurs ; elles ont la tête et le corselet d’un rouge éclatant, presque écarlate ; Vabdomen brun, et les pates d’un rouge foncé : les mäles sont noirs, avec les pates jaunes ; ils ressemblent beaucoup à ceux de la fourmi noir- cendrée, si ce n’est qu'ils ont le corps plus alonge ; on les voit partir en même tems que les femelles que je viens de décrire ; ils sont alors accompagnés d’un double cortége, comme ceux des fourmis legicnnaires. Tant de rapports enire ces fourmis me faisoient soupconner que Îles sanguines s’approvisionnoient de noïr-cendrées de la même manière que les rous- sâires ; je les épiai de jour en jour, et je fus enfin temoin de plusieurs expéditions qui différoient à beaucoup d’égards de celles dont j'ai parlé dans le chapitre précédent. En voici un exemple qui pourra donner une juste idée de leur tactique. Le 15 juillet, à dix heures du maun, la four- milière sanguine envoie en avant une poignée de ses guerriers. Cette pete troupe marche à la hâte jusqu’à l'entrée d’un nid des fourmis cendrées, stiuié à vingt pas de la fourmilière mixte : elle se dis- perse tout autour du nid. Lies habitans aperçoivent MŒURS DES FOURMIS. 279 ces étrangères, sortent en foule pour les attaquer, et en emmènent plusieurs en capuvite; mais Îles sanguines ne s’avancent plus, elles paroïssent at- tendre du secours : de momens en momens je vais arriver de peutes bandes de ces insectes qui partent de la fourmihière sangume et viennent renforcer la première brigade. Elles s’avancent alors un peu davantage, et semblent risquer plus volontiers d’en venir aux prises; mais plus elles s’'approchent des assiégées, plus elles paroïssent empressées à en- voyer à leur nid des espèces de courriers. Ces fourmis arrivant en hâte, jettent l’alarme dans la fourmilière mixte , et aussitôt un nouvel essaim part et marche à Parmee. Les sanguines ne se pressent point encore de chercher le combat; elles n'a- larment les noir-cendrées que par leur seule pre- sence ; celles-ci occupent un espace de deux pieds carrés au-devant de leur fourmilière ; la plus grande parte de la nation est sorue pour atiendre l'ennemi. Tout autour du camp on commence à voir de fréquentes escarmouches, et ce sont toujours les assiégées qui attaquent les assiégeantes. Le nombre des noir-cendrées assez considérable, annonce une vigoureuse résistance ; mais elles se défient de leurs 200 RECHERCHES SUR LYS forces, songent davance an salut des petits qu leur sont confiés, et nous montrent en cela un des plus singuliers traits de prudence dont Fhistoire des insectes nous fournisse l’exemple. Long-tems avant que le succès puisse être dou- ieux , elles apportent leurs nymphes au-dehors de leurs souterrains, et les amoncellent à l'entrée du nid, du côté opposé à celui d’où viennent les fourmis sanguunes, afin de pouvoir les emporter plus aisément si le sort des armes leur est con- traire. Leurs jeunes femelles prennent la fuite du même côté ; le danger s'approche ; les sanguines se trouvant en force se jettent au milieu des noir- cendrées, les attaquent sur tous les points, et par- viennent jusque sur le dôme de leur cité. Les noir- cencrees, après une vive résistance , renoncent à la défeniire, s'emparent des nymphes qu’elles avoient rassemblées hors de la fourmilière, etles emportent au Join (1). Les sangrines les poursuivent et (1) N'est-il pas surprenant que les noir-cendrées, allaquées par les sanguines , se conduisent différemment que lorsqu'elles ont affaire aux fourmis roussâtres ? L'impéluosité de ces dernières ne leur laisse pas Île tems de se défendre. La iactique des assiégeans étant diflérente, MŒURS DES FOURMIS. 281 cherchent à leur ravir leur trésor. Toutes les noires sont en fuite; cependant on en voit quelques-unes se jeter avec un véritable dévouement au mulieu des ennemis, et pénétrer dans les souterrains dont elles soustraient encore au pillage quelques larves qu’elles emporient à la hâte. Les fourmis sanguines pénètrent dans l’intérieur, s'emparent de toutes les avenues, et paroissent s’éiabhir dans le nid dévasté. De peutes troupes arrivent alors de la fourmilière mixte , et l’on com- mence à enlever ce qui reste de larves et de nym- phes. Il sétablit une chaîne conunue d’une de- meure à l’autre , et la journée se passe de cette ma- nière. La nuit arrive avant qu’on ait transporté tout le buun : un bon nombre de sanguines reste dans la cité prise d'assaut, et le lendemain, à l’aube du jour , elles recommencent à transférer leur proie. Quand elles ont enlevé toutes les nymphes, elles se portent les unes les autres dans la fourmilière mixte, jusqu’à ce qu'il n’en reste qu'un petit nombre. Mas j'apercois quelques couples aller dans un celle des assiégés devoit l'être aussi; mais conçoit - on comment la nature leur a appris à proportionner les précautions au danger 2 262 RECHERCHES SUR LES sens contraire ; leur nombre augmente. Une nou- velle résolution a sans doute éte prise chez ces in- sectes vraiment belliqueux; un recrutement nom- breux s'établit sur la fourmilière mixte, en faveur de la ville pillée, et celle-ci devient la cité san- guine. Tout y est transporté avec promputude nymphes, larves, mäles et femelles, auxiaires el amazones, tout ce que renfermoit la fourmi- lière mixte est déposé dans l'habitation conquise , et les fourmis sanguines renoncent pour jamais à leur ancienne patrie. Elles s’établissent en lieu et place des noir-cendrees, et de là entreprennent de nouvelles invasions. Entre plusieurs traits semblables dont j'ai été temoin, Je n’en citerai qu'un. J’avois établi une fourmilière mixte sanguine dans un appareil vitré, du même genre que celui que j'ai décrit plus haut. Je la plaçai un jour à peu de distance d’une four- milière cendrée, qui devint bientôt l’objet d’un siége en forme. Après que les sanguines en eurent chassé les habitans, et qu’elles eurent rapporte dans la ruche une partie des nymphes, elles se décidèrent subitement à changer de domicile, emporterent en quelques heures tout ce que renfermon lappareil MŒURS DES FOURMIS, 283 vitré, et se logèrent avec leurs auxiliaires dans la fourmilière ennemie. Cependant elles ne changent pas d'habitation chaque fois qu’elles envahissent une fourmilière noir-cendrée ; mais il est rare qu’elles ne quittent pas dans l’année celle qu’elles occupent. Un des caractères des guerres qu’elles font aux noir-cendrées , c’est l’effroi qu’elles leur inspirent; car ces dermières ne reviennent point dans la cité prise d'assaut , lorsque les sanguines retournent dans leur habitation : peut-être savent-elles qu’elles n'y seroient pas en sûreté, et que celles-ci vien- droient sans cesse les attaquer. Cette nouvelle es- pèce d’amazones ne change pas souvent de direc- üon dans ses entreprises guerrières ; elle suit une même route, ce qui fait qu'au moindre signal toutes les fourmis savent de quel côté elles doivent se porter. Elles vont quelquefois à la distance de cent cinquante pas chercher une cité noir-cendree , et leurs guerres se font toujours , comme je l'ai im- diqué , par petites troupes, qui se succèdent et se secourent les unes les autres au moyen de courriers trés-visiblement envoyés pour cet objet à la four- milière mixte. Les invasions des fourmis sanguines, si pernicieuses 284 RECHERCHES SUR LES pour leurs ennemies, sont heureusement pourelles beaucoup moins fréquentes que celles des fourmis légionnaires. Elles n’attaquent que cinq ou six four- mulières cendrées dans un été, et le tems qui leur est accordé pour remplir leur objet est aussi beau- coup plus limité : 1} faut qu’elles réunissent dans un mois toutes les nymphes dont elles ont besoin. Les sanguines, très-actives par elles-mêmes, se con- tentent d’un nombre d'esclaves ou de domestiques très-inférieur à celui qu'emploient les fourmis rous- sâtres. Toutes les nymphes apportées par les san- guines se développent dans le courant du mois d'août, et c’est alors qu’on trouve chez elles une plus grande quantité d’auxiliaires. Les sanguines ne pourroient pas s’en passer. Tou- jours occupées de chasse , et quelquefois appelées à sorür toutes ensemble pour se secourir dans les dangers, elles seroient obligées de laisser leurs petits isolés dans la fourmilière ; d’ailleurs les noir- cendrées sont plus propres à soigner les larves que ne le sont les sanguines , et ce‘sont elles seules cé s’en occupent. Lorsque les sanguines changent de domicile, elles ont toujours grand som d’emporter avec elles leurs auxiliaires. affection qu’elles ont MŒURS DES FOURMIS. 285 pour ces dernières se manifeste surtout quand leur habitation est menacée par leffet d’une guerre avec d’autres fourmis. J’ai vu les sanguines, assiégées par des fourmis fauves, emporter à la hâte les noir- cendrées dans les souterrams ; celles-ci en ressor- toient, mais elles paroissoient remplir les intentions de leurs protectrices en fermant et barricadant avec soin toutes les avenues, à l’aide des matériaux qu’elles trouvoient à leur portée. Je rappellerai encore ici un trait de prudence dont j'ai dit quelques mots dans le chapitre des guerres ; C’est que les fourmis sanguines se ménagent toujours une retraite en Cas de malheur, et que tandis qu'une parue d’entr’elles défendent la peu- plade, les autres emportent les noir-cendrées, et celles-ci construisent une nouvelle habitation fort loin de la mèlee. LA Nous avons vu deux espèces d’auxihiaires chez les fourmis roussâtres : les noir - cendrées et les mineuses. Ces dernières sont aussi à la bienseance des fourmis sanguines ; leurs incursions chez les mineuses se font de la même manière et avec les mêmes circonstances que celles qui sont dirigées sur les fourmiières noir-cendrées, 266 RECHERCHES SUR LES Mais ce qui est très-remarquable , c’est qu'il existe des fourmilières composées de trois espèces différentes : de sanguines, de noir-cendrées, et de mineuses. J’ai vu une armée de sanguines qui s’étoit divisée en deux parties, dont lune attaquoit une fourmilière mineuse , et l’autre une noir-cen- drée. Ce second trait sert à expliquer le premier. Je terminerai ces observations par un fait qui démontre encore linfluence de lhabitude sur les affections des fourmis. J’avois établi dans une boîte des nymphes sanguines et roussâtres , sous la garde de quelques ouvrières noir-cendrées ; ces nymphes devinrent des fourmis adultes, et je vis ces ama- zones des deux genres vivre en fort bonne mtelli- gence sous le même toit. C’étoit une confirmation bien marquée des faits qui ont été le sujet de ces dermers chapitres. pa L'histoire des fourmis amazones et de leurs auxi- liaires, nous prouve encore, que si l'éducation peut effacer la haine qui existe entre des espèces différentes, et par conséquent ennemiés, elle ne sauroit changer leur insuünet et leur caractére , puisque les amazones et leurs esclaves, élevées ; ; A PET avec les mêmes somms el par les memes nourrices , MŒURS DES FOURMIS. 287 vivent dans la fourmilière mixte sous des lois entiè- rement opposées. Mes lecteurs sont peut-être tentés de croire que je me suis laissé entrainer par l'amour du merveilleux, et qu'afñin de donner plus d'intérêt à ma narration, je me suis permis d’embellir les faits que j'ai observés. Muis plus les mer- veilles de la nature ont d’attrait pour moi, moins je suis enclin a les altérer par le mélange des réveries de l'imagination. J’ai cherché à écarter de moi toutes les illusions, les préjugés, l’ambition de dire des choses noun- velles, les préventions attachées souvent à des apercus trop rapides, l'amour des systèmes, etc. et jai tâché de me tenir dans une disposition d'esprit, pour amsi dire neutre, et prête à ad- mettre tous les faits, de quelque nature qu'ils fussent, lorsque l’observation la plus assidue les confirmeroit. S'ils tendent à faire accorder aux fourmis des facultés plus relevées que nous ne lavions cru jusqu'ici, c’est à la nature des choses qu'il faut lattribuer ; de là vient aussi l'obligation où jai ELé d'employer tant dé termes et de comparaisons 280 RYCHERCHES SUR LES qui semblent trop hardies au premier coup-d'œil, mais qui sont fondées sur des rapports évidens entre l’espèce humaine et l’insecte qui vit en société. Entre les personnes que j'ai prises à témoin de la découverte des fourmilières muxtes, je puis citer un savant distingué (le prof. Jurine ), qui a bien voulu constater leur existence, en examinant par hu-même les deux. espèces réunies. A ce témoignage honorable, je n’en ajouterai qu'un seul, celui de la nature même, qui est là pour répondre à tous les doutes, à toutes les objecuons : il est facile de linierroger. Jai nus le lecteur sur la voie, en décrivant mes moyens d'observation , et j'ose assurer les naturalistes qui voudroient se livrer à la même etude , qu'ils seront bien dédommagés de leurs pemes et du tems qu'ils y consacreront, par le plaisir inépuisable de dé- couvrir de nouvelles vérites. > — CHAPITRE XI. MŒURS DES FOURMIS. 289 Se 0 0 0 0 en 0 0 0 0 0 0 0e ee LU CHAVA POI TRE XEI CONSIDÉRATIONS SUR LES INSECTES QUI VIVENT EN RÉPUBLIQUE. Chorus. nous reste encore beaucoup à ap- prendre sur les mœurs des insectes, on pourroit déjà, ce me semble, d'après les observations qui ont été recueillies, essayer de les distribuer dans un ordre relauf au développement de leur instinct , sauf à réparer les erreurs quand les découvertes subséquentes apporteroient de nouveaux documens. Cette classificauon ne répondroit pas exactement à la chaîne dans laquelle Bonnet à rangé tous les êtres, en suivant les rapports de leur organisation, et moins encore à ces divisions systématiques éta= blies par des savans distingués ; mais elle serviroit à nous montrer le véritable plan de la nature , à nous prouver qu’elle n’est pas toujours assujettie à cet ordre matériel qui frappe nos sens; qu’elle a varié à l'infini ses combinaisons, et qu'il est des règles générales fondées sur des caractères moraux , des divisions et des subdivisions dans Ja partie intellec- 19 290 RECHERCHES SUR LES tuelle , comme dans la partie physique de la créa- uon: c’est ce que J'espère pouvoir démontrer un jour. Je détacherai seulement de ce plan quelques idées relatives aux mœurs des insectes qui vivent en société : ils font une classe à part, dont on wa pas encore bien déterminé la nature et les rapports. La prééminence , sil en existe une , entre ces ré- publiques ne sauroit être décidée qu'après avoir comparé avec soin l'esprit, les travaux, le carac- tèrè et les lois de chacune d'elles. Pour assigner à peu près la place qu’elles occupent dans la classe des insectes, faisons abstraction de tous ces animaux, dont la taille , la force, Puulité, la férocité même, en imposent à notre jugement. Supposons pour un instant que l’homme lui-même n'existe pas, et voyons quel rôle joueroient alors sur ce globe ces différentes peuplades, dont les membres sont associés pour leur intérét commun , au milieu de cette foule d’êtres isolés livrés à un insuünet borné, ayant des habitudes plutôt que des mœurs, asservis à des règles étroites, plutôt qu'à ‘des lois, ne connoïssant ni patrie ni famille. Au premier rang se présenteroient d'abord ces “sociétés de mouches industrieuses, établies dans MŒURS DES FOURMIS: 294 les arbres creux et dans les fentes des rochers. Elles se nourrissent du suc des fleurs, et distillent le nuel et la cire. Elles ne font usage de leurs armes que pour défendre leur patrie , les trésors qu’elles ont accumulés , et les petits qu’elles élèvent. Les dehors de leur habitation n’offrent rien de brillant, mais l'intérieur de la cité, construit sur un plan régulier, réunit à d’elégantes proportions la plus savante economie. Cette autre famille , dont la livrée est plus bril- lante, vit de carnage ou de rapine. Son empire s'étend sur tous les insectes qu’elle peut percer de son dard, et sur les fruits que ses dents peuvent déchirer. Sa demeure , semblable à un ballon, est tantôt suspendue dans les airs à une branche d'arbre , tantôt comme une forteresse dont rien n'annonce l’existence au dehors, cachée sous terre et remplie d’un peuple formidable. Viennent enfin ces peuplades qui couvrent Îa surface de la terre, et dont les républiques sont si nombreuses que le globe ne leur sufhroit pas si la nature n’eût mis de justes bornes à leur multiplica- üon. Une foule d'insectes deviennent leur proie; la peutesse des mdividus est compensée chez elles par 292 RECHERCHES SUR LES le nombre, mais la force n’est pas leur principale ressource. Ce ne sont pas non plus les fleurs et les fruits qui leur fournissent leur pâture ordinaire ; elle est l’objet d’une industrie plus recherchée. Les peuplades dont nous parlons, vont la recueillir auprès de certains êtres pacifiques qui vivent en troupes, et leur prodiguent sans contrainte les sucs qu'ils savent extraire des plantes. Elles ont l’art de s’en faire entendre , de les réunir dans leur habitation, et de les défendre contre leurs ennemis. Sans doute les insectes qui vivent en république le cèdent à beaucoup d’autres en grandeur, en force , en vitesse : la nature inférieure a aussi ses monstres. L’araignée, le scarabée , le staphihin , le scorpion, comme autant de bêtes féroces retirées dans leurs repaires , attendent au passage les mouches , les vers, les papillons, les chenilles, qu'ils attaquent et -déchirent sans éprouver de re- sistance. Ailleurs, nous sommes étonnés des pro- portions gigantesques de ces scarabées , de ces lu- canes , de ces cerf-volans dont les disposiions peu hosules contrastent avec les armes dont ils sont pourvus. Plus loin , c’est la diversité des pro- ductions qui attire nos regards. -. MŒURS DES FOURMIS. 299 Là, cet insecte vit dans les matières COrrompues ; celui-ci habite dans le corps d’un animal; ceux-là n’ont qu'une existence éphémère : d’autres passent la leur dans l’oisiveié , et volugent par milliers sur les fleurs, sans comnoître une habitation , sans re- lations entr’eux. Comparerons-nous à nos insectes organisés en république, ces chenilles processionnaires ; dont tout le talent consiste à savoir filer en commun une toile dans laquelle elles se métamorphosent , et à laisser en marchant des fils qui servent à conduire leurs compagnes, ou ces essaims de üpules réunis dans les airs par le seul attrait des sexes; ces my- riades d’éphémères qui n’ont qu'un jour, qu'une heure pour sortir des eaux , s’assembler et mourir? Enfin, mettrons-nous au même rang ces nuées de sauterelles , sans lois , sans police , dont les rassem- blemens ne paroissent avoir pour objet que la dé- vastation des contrées qu’elles traversent, et ces sociétés régulières qui savent établir en commun une demeure favorable à l'éducation de leurs petits et à leur sûreté. Si ces insectes nomades peuvent nous ofrir quelqu'intérêt , ce n’est pas en les pla- çant à coté d'objets dont la comparaison leur est 294 RECHERCIIES SUR LLS aussi désavantageuse : revenons donc au parallèle de ceux dont les mœurs annoncent une sorte de civilisation. Pourrons-nous assez adnurer le parti que l’abeille sait urer de la substance ducule dont elle construit ses rayons; ce double rang de cellules exagones, à fonds pyramidaux, dont la base de chacune sert de parois à trois autres ; ces rues parallèles, ees magasins remplis pour l’hiver, etc.? C’est bien elle qui fat de véritables provisions, qui les renferme et les garde avec soin (1). La guèpe, par un art particulier, sait profiter du bois le plus vieux et le plus sec pour former le carton de son md ; elle construit aussi des espèces de rayons , mais elle les place horizontalement , et les suspend les uns au-dessous des autres : moins (1) On a de tout tems admiré la structure des gäleaux d’abeilles : les angles de leurs cellules ont été mesurés par d’habiles géomètres ; mais on ignore encore la manière dont ces insectes industrieux s’y prennent pour les fabriquer. Mon père , après de longs travaux, est parvenu à découvrir le secret de cette architecture , et ne tardera pas à donner au public un rapport très- étendu sur cet objet. MŒURS DES FOURMIS. 295 habile que abeille à mesurer les angles de ses cel- lules, elle n’en construit pas un double rang, mais la matière qu’elle emploie est aussi moins précieuse. Elle renferme ses gâteaux dans une enveloppe com- mune , qu’elle agrandit à mesure que ses besoins lexigent ; et c’est au moyen d’un suc qu’elle fait sortir de sa bouche qu’elle unit et colle ensemble les molécules dont ils sont composés. Le nid des bourdons nous offrira différens aspects. Là, c’est sous un toit de mousse ; ici, sous une voûte de cire qu'habite leur‘horde villageoise : leurs pro+ visions ne sont pas considérables ; c’est un buffet toujours ouvert où chacun va puiser quand il lui plaît; mais ce qu'il présente de particulier, c’est que les vases qui contiennent leur miel n’ont point été fabriqués exprès ; le ussu que ces insectes ont filé dans leur premier état sert à ce nouvel usage , et la cire grossière qu'ils savent élaborer est em- ployée à rétrécir ou rallonger ces réservoirs, à cons- truire de nouvelles cellules pour leurs peuts, et une enveloppe qui préserve le nid de l'humidité. Rapprochons-nous à présent de ce monticule de chaume qui s'élève au milieu des bois : c’est sous ce toit mchince qu’une république innombrable trouve 266 RECHERCHES SUR LES un asile contre les injures de Pair : par une police bien réglée, les portes en sont fermées pendant la nuit, et gardées pendant le jour ; plusieurs avenues conduisent au fond de la cité souterrame ; elle ren- ferme des étages nombreux au-dessus et au-dessous du sol, et les eaux ne peuvent y pénétrer. Plus loin, je vois une foule de macçonnes occu- pées a élever un bätument bien vaste pour des in- sectes aussi petits; elles n’emploient pas, comme l'abeille, une matière précieuse qu’elles aient com- posé elles-mêmes; ce n’est pas non plus d’un car- ton léger et fin comme celui dont la guêpe cons- truit son md que la fourmi bâtit le sien ; son mortier est déjà tout préparé ; la terre, l’eau de pluie et le soleil font tous les frais de sa maçonnerie ; elle pose les fondemens d’un nouvel étage, elève des murs, construit des plafonds, et distribue son lo- gement avec convenance plutôt qu'avec régularité. Ailleurs , je vois sorur de ce tronc d'arbre une file de fournmus ; elles ont sculpté dans le bois de vastes logemens, une mulutude de loges, un grand nombre d’étages, des corridors et des co- Tonnades où l'air peut jouer librement. Si je change de contrée, je vois une autre espèce MŒURS DES FOURMIS. 297 de fourmi profiter du duvet d’une plante coton- neuse pour loger mollement les peuts qui lui sont confiés. Aucun insecte ne présente autant de va- rictés dans ses constructions : un génie particulier semble présider aux travaux de chaque espèce, et leur indiquer la nature et lPusage des substances qu’elles trouvent à leur portée. Passons de l’archiiecture aux soins d’une nouvelle génération. Quel contraste vont nous offrir les insectes sociables et ceux '’qui vivent solitaires ! Ceux-ci, pour la plupart, ne connoîtront point leur famille ; ils pourvoiront à ses besoins ; ils éta- bliront son logement, mais à peme quelques-uns d’entr'eux verrontils l’œuf auquel ils donnent l'être : celui-là les dépose autour de cette branche ; celui- ei les confie à cette feuille fragile; cet autre les abandonne au courant des eaux. {1 en est qui les placent dans le sable, comme l’autruche , en laissant au soleil le soin de les développer ; ailleurs, les mères isolées préparent elles-mêmes, avant de pondre , la subsistance des larves qui proviendront de leurs œufs. Les unes, munies d’une tarrière , les établissent dans le corps d’une mouche vivante, dans les larves d’autres insectes, ou dans le cuir 298 RECHERCHES SUR LES même des grands animsaux ; les autres, au moyen d’une double scie, les logent dans l’écorce des arbrés ; celleslà creusent des grottes souterraunes où elles réunissent des chenilles auprès de leur progéniture , qui trouve en sortant de l'œuf les alimens dont elle aura besoin; d’autres font au sein de la terre une case qu’elles tapissent de feuilles de roses ou de coquelicots, et apprêtent pour la nour- riture de leurs petits une pâte composée de miel et de poussière d’étamimes : elles pondent; leur rôle est fini, elles meurent. La plupart des insectes solitaires, guidés par un instinct aveugle, assurent l’existence de la géné- ration suivante ; mais 1ls ne vivent pas assez pour voir le développement de leurs petits. On ne sau- roit donc rapporter leur conduite à des motifs d’affecuon. Ceux qui vivent en société sont dévoués au soin de leur famille ; 1l règne entr’eux une liaison véritable, dont résultent des rapports qui ne pou- voient exister entre les premiers. Quelle scène in- téressante offre à nos yeux cette ruche d’abeilles , ce nid de bourdons, ces guêpes, et surtout ces four- mis! Je vois le bourdon préparer une cellule pour MŒURS DES FOURMIS. 259 ses petits; il la remplit en parue d’alimens néces- saires à leur consommation, de crainie peut-être de ne pouyoir seul sausfaire à leurs besoins. Ont- ils dépensé leurs provisions, la mère les nourrit elle-même, va, vient, retourne des fleurs à son nid, etprodigue aux larves qui sont écloses les soins les plus constans ; elle agrandit leur cellule et veille à leur sûreté, jusqu’à ce qu’elles soient devenues de véritables ouvrières, capables de l’aider à soigner celles auxquelles elle va donner l’être : la société s'établit entre la mère et les filles ; chaque jour le cercle de ces relations s'agrandit, et lunion se resserre davantage. Chez les abeilles proprement dites, une foule innombrable d’ouvrières naissent d’une seule mère ;' mais si la maternité et les jouissances de l’amour leur sont refusées, elles n’en sont pas moins capa- bles d'affection et d’assiduité auprès des peuts de leur mère commune ; elles les nourrissent et les défendent avec un zèle et un désintéressement admurables. Les fourmis portent plus loin encore leur dévoue- ment pour leurs élèves ; elles les soignent et les alimentent déjà dans l’état d'œufs , leur donnent la 300 RECHERCIIES SUR LES béquée dans celui de larves : quand celles-ci sont devenues nymphes , elles leur procurent une tem- pérature convenable ; et lorsqu'elles sont prêtes. à se métamorphoser , ce sont encore ces mères COm- onent le nou- munes qui ouvrent leur coque et S01g veau né, jusqu'a ce qu'il soit en état de voler ou de vaquer aux fonctions auxquelles il est appelé. De ces soins donnes et recus dans lPenfance, résulte une affection réciproque entre tous ces in- sectes; et de là vient l'esprit de société qui règne chez eux : ainsi, le principal caractère qui les dis- tingue de ceux qui vivent en solitude , c’est le soin qu'ils donnent à l'éducation des peus. Mais un prodige de la nature, c’est d’avoir su urer part de la stérilité même, pour assurer la con- servation des espèces ; d’avoir su inspirer une solide affection aux ouvrières pour les enfans d’une autre mére ; de leur avoir même confe tous les soins qu’exigeont leur éducation. La mère , trop féconde pour pouvoir élever seule tous ses petits, trouve dans une parue d’entr'eux des aides qui se chargent de tous les travaux ; ils sont doués. au plus haut de- gré d'industrie |, d’acuviié, de zèle, de courage : la seule fécondite leur est refusee. MŒURS DES FOURMIS. 301 Quel est le secret de cette organisation incom- plète, relativement au sexe , et perfectionnée du côté de l’industrie? Admurable combinaison d’une nature imcompréhensible ! [Il a été démontre que les abeilles peuvent, au besoin, s’élire une reine entre les larves les plus jeunes ; que lPéducation, la nourriture et la grandeur de la cellule qu’on leur destine en fait un être doué d’une immense fécondité, voué au repos et aux hommages d’un peuple nom- breux; tandis qu'elevée comme les autres larves, elle eût participé aux travaux, aux dangers qui sont le partage des ouvrières. Concoit-on que des moyens si simples puissent produire de si grands effets ! C’est à cette insutution qu'est due l’existence de ces rapports intimes et mutuels, de ces soins qu’exige l'éducation des peuts, de cet ensemble de travaux , de cet amour pour la patrie, de ce langage; enfin de tout ce que nous avons admiré chez ces peuplades. Partout ailleurs, chaque fe- melle vit séparément ; les seules relauons des in- sectes solitaires sont dues aux sexes : mais chez ceux qui vivent en société, €’est une famille plus ou moins nombreuse , plus ou moins puissante, dont tous les individus, de quelqu’ordre qu'ils soient , s’en- 302 RECHERCHES SUR LES traident, s'entendent, se prêtent un secours mu- tuel, et vivent en commun des sucs qu’apportent les ouvrières. Cette consutution est une des merveilles de la nature ; aussi s’est-elle plu à établir plusieurs sortes de républiques sur le même principe. On voit, chez les abeilles et les fourmis, naître chaque année une mulutude d’ouvrières; mais il ne se développe dans ces républiques qu'un peut nombre de femelles : suivons les étonnantes cir- constances dont leurs amours sont accompagnes. Le mystère de la fécondation de la reine-abeille a de tout tems excité la curiosité des naturalistes ; 1l a été l’objet des plus profondes recherches; leurs auteurs , jetés d'erreurs en erreurs, de conjectures en conjectures , étoient parvenus à douter que la reine eût un commerce particulier avec les mâles. Ül étoit réservé à un esprit éminemment doué de toutes les qualités qui constituent le naturaliste phy- losophe , de cette pénétration, de cette logique, de cette force de conception si rares, d'interroger la nature par l'organe d'autrui, et de déchiffrer enfin ces lignes du grand livre qui nous dévoilent le phé- nomène surprenant dont les abeilles offrent le seul exemple. . MŒURS DES FOURMIS: 503 À cette époque, on voit comme un serrail de mâles remplir les ruches ; il sortent en foule et se dispersent. La jeune reme, seule, sans cortége, quitte sa demeure, va chercher dans les airs la fécondation, et revient dans sa nombreuse famille, apportant non-seulement des titres à la considé- ration de ses sujets, mais la preuve indubitable que le mäle favorisé à perdu la vie en la donnant. Cette découverte brillante est accompagnée de mille circonstances curieuses. Parlerons-nous du combat des reines, de leur emprisonnement, de l'exclusion donnée à celles qui sont surnumeéraires ? Laissons plutôt au lecteur le plaisir d’apprendre ces étonnantes vérités dans l’original, et voyons ce qui se passe dans les mêmes circonstances chez les fourmis. Ici, les mäles et les femelles se disünguent du peuple stérile par la faculté de voler : quand le jour de leur départ est arrivé, ils sortent du nidtous en- semble , accompagnés d’une cour nombreuse d’ou- vrières, qui ne sauroient les suivre bien loin: ils prennent le vol, s'unissent au milieu des essaims qu'ils forment dans les airs, et ne retournent point dans leur patrie. Les mâles périssent bientôt, car 304 RECHERCHES SUR LES ils ne savent pas subvenir à leurs besoins ; mais les femelles sont destinées à propager les républiques de leur espèce ; il faut qu’elles aillent en établir les fondemens seules et sans secours. On croiroit que les ailes dont elles sont douées sont destinées à favoriser leurs travaux ; mais L'INTELLIGENCE SUPRÊME en a ordonné autrement: aussitôt qu'elles seront fecondées, elles renonceront à cette préro- gative qui ne convient plus à leur nouveau rôle ; elles s’arracheront d’elles-mêmes et avec effort ces menbres qui nous paroissoient une faveur du ciel. Dans quel but la nature a-t-elle exigé d’elles ‘ce sacrifice ? Vouloit-elle, par ce moyen, les rendre plus sédentaires , ou n’étoit-ce point plutôt afin qu’elles ne pussent pas retourner dans la fourmi- lière natale ? Cette dernière conjecture me paroît la plus plausible : que seroit-il arrivé s’il leur avoit été donné de pouvoir se réunir à leur ancienne fa- mille ? Que les fourmilières n’auroient point été dispersées ; qu’elles n’en auroient formé qu’une seule , qui eût bientôt épuisé les ressources de son voisinage. Cet inconvénient auroit pu exister chez les abeilles, qui ne rejettent pas leurs ailes; mais la Sagesse qui règle l’umivers y a paré, en inspirant aux reines MŒURS DES FOURMIS. 505 reines une aversion et une crainte insurmontables les unes pour les autres; de sorie que la plus an- cienne quitte sa demeure et emméne avec elle une parte de ses sujets pour fonder une nouvelle colonie. Les bourdons et les guèpes sont aussi dans lim- possibilité de se réunir pour former une seule peu- plade : la nature, sans leur ôter Pusage de leurs ailes , a trouvé le secret de prévenir cet abus; c’é- toit de dissoudre chaque annee leurs républiques. Quelle admirable variété dans ses productions et dans ses lois ! Quelles ressources ! Avec quel soin elle évite de se répéter ! Il semble que toutes les combinaisons possibles existent à la fois. Là, ce sont des républiques permanentes : celles-ci se re- nouvellent tous les ans. L'une de ces nations en- voie chaque printems plusieurs colonies au dehors, et ses essaims nombreux vont peupler les bois et les rochers. Cette autre ne se divise point; elle de- meure en son entier, et laisse partir quelques indi- vidus qui vont séparément fonder de nouvelles so- ciétés. Il ne sufisoit pas de les muluplier, il falloit encore pourvoir à leur durée; er voici les moyens employés pour perpétuer leur population d'âge en àge. 20 Fr 306 RECHERCIIES SUR LES Chez les abeilles, une seule femelle dont régner sur un peuple innombrable ; sa taille , et surtout sa prodigieuse fécondité, lui assurent les hommages de ses sujets : elle suffit à la population de sa ruche, etne peut souffrir de partage d'autorité. Cependant, à l’époque où elle donne naissance aux males , les abeilles, qui savent peut-être qu’elle porte aussi les germes des femelles, préparent des cellules royales dans lesquelles elle pond , et les vers éelos de ses œufs deviendront des remes. La mère ne voit point sans aversion ces individus, qui peuvent lui disputer la prééminence : elle cherche à détruire les objets de sa colère ; mais les ouvrières lui defendent l'approche du berceau de leurs chefs à venir. La reme , agitée par la crainte de les voir sorür de leur cellule, part et emmène une nombreuse co- lonie ; mais elle laisse à sa patrie plusieurs femelles destinées à lui succéder, qui, après s’ètre disputé l'empire, ou avoir entraîné une parue du peuple à déserter avec elles, abandonnent à une de leurs rivales la souveraineté, ou du moins le droit de pondre seule dans la ruche qui les a vu naître. Une consutution bien différente est établie chez les fourmis : là, plusieurs mères se partagent les MŒURS DES FOURMIS. 307 foncuons importantes de la propagation ; elles ne connoissent point cette haine, cette jalousie dont on voit l’exemple chez les abeilles , et recoivent en commun les hommages des autres castes. À Pépoque où les jeunes femelles s’éloignent pour aller fonder de nouveaux états, le peuple de chaque cité, doué d’une prudence admirable , en reuent quel- ques-unes pour suppléer à celles qui doivent natu- rellement terminer leur carrière, et c’est ainsi que se soutient et s’augmente la population de la répu- blique. Ces termes de reines, de sujets, de cons- ütuuon, de républiques, ne doivent cependant pas être pris à la lettre. L'unité ou la pluralité de femelles ne présente qu'une vaine image de nos différentes formes de gouvernemens : dans le fond ; chacun de ces ordres suit les lois de son instinct, sans connoître de subordination ; mais il est indu- bitable qu'ils ont les uns sur les autres une cer- taine influence indépendante d’aucune autorité proprement dite. Les termites, habitans des contrées méridionales, s'unissent aussi dans les airs, retombent sur le ter- rain, et perdent, dit-on, leurs ailes ; mais qui nous 306 RECHERCIIES SUR LES apprendra les secrets de leur étonnante société ; 5 ».… A pourquoi la nature a fait naître chez eux quatre sortes d'individus ; une seule mère qui, lors- ? st fecond ‘end Il le d qu’elle est féconde ; prend un volume centuple de celui qu’elle avoit auparavant; des mâles ailés, des neutres aptères, destinés aux soins du ménage, et A Le s le | 5 Mess = r1-r . . à la construcuon de leur gigantesque édifice ; et d’autres appelés uniquement aux arts de la guerre ? Les Réaumur, les de Geer, les Bonnet trouvent, sans aller si loin, des objets dignes de piquer leur curiosité. Toutes nos richesses en ce genre ne sont pas encore exploitées. Les guerres des abeilles, déjà chantées par un grand Poëte (1), fourniront à leur historien un sujet riche et brillant. Jus- que-là, nous ne saurions comparer celles des fourmis à celles d'aucune espèce d'animaux. S'il est vrai que la guerre soit une des consé- quences de l’ordre social , que penserons-nous à la vue de ces armées qui sortent des portes de deux cités rivales, et vont se rencontrer sur une énu- (1) Géorgiques de Virgile, 4° chant. Ces combats, dont nous avons élé témoins, ont élé décrils avec une vérité étonnante par le poële. MŒURS DES FOURMIS. 309 nence; qui se livrent en ce lieu une bataille où le courage et l’acharnement sont égaux de part et d'autre ? Que dirons-nous de ces corps de troupes qui n’attendent que le signal du danger pour venir au secours des avant-postes ; de ces champions qui luttent deux à deux; de ces chaînes d’aihlètes qui balancent leurs forces et saisissent un instant favo- rable pour rompre léquilibre ; de ces prisonniers entraînés dans le camp ennemi, etc.? N'est-ce pas là l’image frappante de nos grandes querelles ? Mais par quel étonnant contraste avec nos mœurs, les armes, le courage, la tactique nulitaire sont-ils, dans ces républiques, l’apanage du sexe féminin (1), tandis que la foiblesse, Poisiveté et lexil sont le partage des mäles? Ceux des abeiïlles, plus mal- traités encore, sont mis à mort aussitôt qu'ils ont rempli leur unique fonction. Chez les guépes et les bourdons , ils sont aussi privés d'armes , et sans mdustrié ; mais ils ne sont pot l’objet de la fu- reur des ouvrières : les rigueurs de l’hiver, dont ils —— mr, (1) On se rappelle que les ouvrières ne sont pas des neulres, muis des femelles dont le moral, si l’on peut se servir de cette expression, s’est développé aux dépens du physique. … 910 RECHERCILES SUR LTS ne savent pas, comme les femelles, se mettre à l'abri, les font périr, pour la plupart. Par quel art les ouvrières, chargées de la defense de la république , parviennent-elles à s'entendre , à se reconnoître , à s’entr'aider , à se secourir? La subulité de leurs sens, où plutôt Paffecuon sans borne qui règne entr’elles, leur apprend à disunguer dans la mêlée leurs concitoyennes de leurs enne- mies : un langage significauf et très-rapide les in- forme du péril de leurs compagnes ou du succès Ge leur entreprise. Ce langage est la clef de Punion que vous remarquez dans cette nombreuse famille : ce n’est point par des sons ou par des signes visibles, c’est par l’attouchement qu'il se mamifeste ; ce sont sanes qui distinguent surtout les antennes, ces org les insectes de tous les autres animaux, qui servent, chez lés espèces réunies en société , au noble usage de communiquer d’un individu à un autre les im- pressions , les besoins et la situation de chacun d'eux. Le langage antennal est imparfait sans doute, si on le compare à nos besoins, mais bien suflisant pour ceux des fournus, Les abeilles aussi font usage des signes, quoique les sons ne leur soient peut-être pas étrangers. La MŒURS DES FOURMIS. DL reine veut-elle emmener une portion de la métropole pour fonder une nouvelle cité , elle court de rang en rang , frappe , excite au départ chaque ouvrière qu'elle rencontre : bientôt le mouvement se com- munique dans toute la ruche , et l’essaim s'échappe dans les airs. Quelqu'animal étranger, quelqu'insecte ennemi veut-il s'introduire chez elles, à l’instant Palarme est répandue , et mulle vies sont prètes à se sacrifier. Mais que leur reine prisonmère fasse entendre sa voix aiguë , aussitôt une stupeur générale s'empare de toutes les abeilles ; toutes inclinent leur tête et sont comme paralysées. Les guêpes savent aussi se faire entendre de leurs compagnes : que lune d’elles découvre un magasin de sucre ou de miel, ou quelqu’autre objet dont elle puisse faire sa päture , elle retourne à son nid, et ramène bientôt centautres guêpes à sa suite ; ones mas nous ISNOrOns encore si c'est par des sig visibles ou palpables qu’elles s’informent mutuelle- ment de leur trouvaille. I étoit dans Pordre des choses que tous les êtres qui vivroient en société eussent un langage; mais les fourmis qui semblent, à plusieurs égards, mériter 212 RECHERCHES SUR LES la prééninence sur les autres insectes, étendent cette faculté jusqu'aux pucerons, dont elles obtien- nent leur nourriture ; Part, plus surprenant encore, de les réduire en domesticité, n’a point d’analogue dans les autres républiques dont nous avons parlé : cètte prérogative semble attemdre le domaine de l'homme. Mais l’auteur de toutes choses a limité le pouvoir de ces peutes républiques ; en ne leur permettant pas de faire usage d’autres armes que de celles dont elles sont pourvues naturellemeni ; les facultés inventives leur ont été refusées, quoique nous ayons vu quelques traits qui sembloient an- noncer chez elles une espèce de combinaison. Leurs besoins et leurs moyens ont été calculés d'avance ; aussi leur instinct n'est-il pas suscepuble de per- feciionnement. Parmi ceux des grands traits de la création qu'il nous est permis d’entrevoir, nous apercevons Fiomme placé dans le plan général, de manière à ce que, soumis à l'impulsion de son genie, et glorieux peut-être de ses facultés brillantes , il ne se doute pas des chaînes plus déliées dont il est environné. Reconnoissons en même tems N que si cet être, livré en quelque sorte à lui- MŒURS DES FOURMIS. 313 même, s’est rencontré quelquefois dans ses msu- tutions et dans ses arts avec les lois et les procédes que la nature à dictés aux animaux, c’est une preuve éclatante de ses rapports avec l'intelligence ordonnatrice ; mais les œuvres de celle-ci portent l'empreinte d’une sagesse infinie , et les concepuons de l’homme, le sceau de Pimperfecuon. A Paspect de ces peuplades qui subsistent à nos pieds, et où règne tant d'ordre et d'harmonie , je crois voir L'AUTEUR de la nature tracer de sa main toute- puissante les lois d’une république exempie abus, ou éhaucher le modèle de ces sociétés compo- sées, où la servitude s'allie à l'intérêt commun. Il a voulu que certaines fourmis associassent à leurs travaux d’autres ouvrières d’une espèce labo- rieuse, qui éleveroient leurs petits et pourvoiroient à leur subsistance ; tandis qu'adonnées aux entre- prises guerrières, et passant des combats à loisi- veté, elles jouiroient de l’industrie , de affection et des soins de ces fourmis étrangères. Cette insti- tution, profondément combinée , remplit toutes les conditions désirables. Les esclaves des ama- zones, pris dans leur enfance , ne s’apercevant pas du changement de patrie qu'ils ont subi, s’atta- 314 RECHERCHES SUR LES chent à leurs ravisseurs , se livrent à leur activité naturelle, ei ne connoissent ni travaux forcés, mi violence : 1ls ont même , comme nous l’avons vu, une assez grande autorité dans la cité qui les a adoptés. Ce grand trait, où brille une bonté infinie, en nous rappelant les abus auxquels une institution semblable est sujette chez plusieurs nations poli- cées, nous fait admirer la douceur des lois par les- quelles la providence régit ces peuplades, dont elle s’est reserve l’entière direcuon, et nous montre qu'en livrant l’homme à lui-même, elle la place sous une grande et redoutable responsabilité. Si Petude de llustoire naturelle n’avoit servi qu'à prouver cette vérité , elle auroit atteint le but le plus noble dont les sciences puissent s’enorgueillir : celui de tendre à améliorer l'espèce humaine par les exemples qu’elle nous propose. FTEN MŒURS DES TOURMIS. 315 RS SSSR NorTes relatives aux espèces. ] JES mœurs des fourmis sont si variées qu'il est im- portant de connoilre à quelle espèce se rapporte chaque trait d'industrie, chaque particularité de leur histoire. C’est dans le but de les distinguer que je me permets d'extraire ou de transcrire plusieurs descriptions de M. Latreille, tirées, les unes de son Æssar sur l'His- toire des fourmis de la France, les autres de son Histoire naturelle des fourmis. Je me glorilie de pouvoir orner mon ouvrage des dons de mon célèbre ami et compatriote M. le prof. Jurine, si connu des naturalistes par ses écrits sur les insectes (1) et par ses belles collections. Ne me fiant point à moi-mème pour la classification des fourmis, je lai prié de vouloir se charger d’en décrire plusieurs espèces qui ne l’avoient point encore élé, ou dont il convenoit de faire connoitre plus par- ticulhièrement les caractères. J’ajouterai aussi à ces descriptions quelques remarques que l'expérience m'a suggérées. enenenennesenesEEneEEENEREsRNNERS ER rmmd (1) Méthode nouvelle de classer les insectes , par le prof. Jurine , 1 vol. in-4, fig. col. Cet ouvrage se vend à Genève et à Paris, chez J. J, Paschoud, Imp.-Lib. DRE) ne Li “ 'R Con LR NE A TN te Er eg Fi : e our ñ Dora th ms PA | MAT CE no de | PER TU Leu bEe fa from ere dune leon ol :s06tyTt fs m1 énshs ss a dt Fins SpA RE ; a? LR | ri Li he PTE à FR ap ont fa NE o ns se om raide ben enr ei re, DATE ae él M QE . “08 Gin salue, 207 FT rh ah Ai A, | qua ra HÉ 4: MES LATE j FRS HE ares Fier: 5 ; fais SAIT | L i fi ds sh Li LA LES si, . oil Las : Al ru! 4 sr ( We. mi Er) a L Rd nur LR à à ste . ne na ÉAPAÈYEE . 2 4 ans. sis aan es at | | fu ep ui FES ta, bi MU HEC eu Ho aol jnolladurs fe Pus on side Me ja gi selle k 1h 7e Bi 2 fraitg «Joe si LA spoñqqe ci 7 1 AC Fe 1 A om r | ; Der ét ÿ me cube plsup GA M 4 à PTE ny at 4 U Man 4 or Pl " rte TLC r aiarte à bises sgk né. 4) Ar he 2 MŒURS DES FOURMIS. 317 Ce rs Pr Te ne a in DescripTion des fourmis dont il a été question dans cet ouvrage (1). F. Hercuze, ou PErce-pors. O. Noire. Corselet, base de l'abdomen, cuisses, d’un rouge de sang. Longueur, 5 à 6 lig. Æ. Noire. Côtés du corselet, écaille, base de l'abdomen, d’un rouge bai. Ailes anté- rieures totalement enfumées. . WT. Très-noir. Ailes antérieures enfumées. Écaille épaisse, échancrée. Tarseset ge- noux ferrugineux. LaTrErzze. Essai sur l Hist. des fourmis de la France. F. ETHIoPIENKNE. O. Alongée, très-noire, luisante. Mandibules et jambes d’un brun-noirâtre. Abdomen velu. Long. 3 à 5 lignes. #F. Très-noire, luisante. Mandibules et jambes d'un brun-noirâtre. Écaille presque en cœur. Abdomen court, ové, poileux. Ailes blanches, un point marginal aux antérieures. Le . » , r I. Très-noir. Ecaille tronquée, échancrée, Abdomen pubescent. Ailes blanches, un point marginal aux antérieures. LATrrizze. Essai etc. Obs. Ces deux espèces habitent les arbres creux ; elles y pratiquent des sillons informes, et font usage de la vermoulure du bois. (1) Les termes de Wale, Femelle et Ouvrière, sont désignés ici par leurs lettres initiales, 318 RECHERCHES SUR LES FE. Furreineuse. O. Courte, très-noire, luisante, Antennes, à prendre du coude , genoux et tarses d’un brun testacé. Tète grosse, échan- crée postérieurement. Écaille petite. Ab- domen globuleux. Long. 1 ligne €. Æ. Très-noire, courte. Mandibules, antennes et pates roussâtres. Ailes et écaille comme dans le mâle. M. Couleurs semblables à celles de l’ouvrière. Écaille entière, presqu’ovée. Ailes anté- rieures obscures à leur base. Larre£erzze. Ibid. Obs. Ælle construit dans les arbres des labyrintes admirables. EF. BroNE. O. Ferrugineuse, foncée. Yeux, sommet de la tête et abdomen noirâtres. caille carrée, presque bidentée. 1 ligne 2. F. Brune, noirâtre. Mandibules, antennes et pates ferrugineuses. Écaille bidentée. Abdomen large. Ailes longues : quelques nervures obscures sur la base des anté- rieures. LATREILLE. M. De la grandeur de louvrière , d’une cou- leur noirâtre, passant au brun. Les ailes très-diaphanes, leurs nervures à peine visibles , et leur point foiblement jau- nâtre, Écaille carrée, presque bidentée. JURINE. Obs. La plus habile des fourmis maconnes indigènes. MŒURS DES FOURMIS. 919 F. Jaune. O. D'un jaune rougeâtre. Yeux noirs. Écaille petite, presque carrée et entière. Le corps un peu pubescent. Long. 1 ligne 3. Æ. Testacée, obscure (brun-roussâtre foncé), reluisante. Antennes et pates pâles. Écaille échancrée, carrée, velue. Ab- domen large, bords des anneaux jau- nâtres , plus luisans. Ailes antérieures un peu obscures à leur base, M. Noirâtre, luisant. Antennes et pates pâles. Écaille légèrement échancrée. Abdomen paroissant foiblement duveté. Aïles trans- parentes. LATREILLE. Obs. Elle construit des monticules de terre (1). D EE) (1) Je placerai ici une observation qui a été omise dans le chapitre de l'architecture , et que m'ont communiqué les habitans des Alpes. Ces mêmes petites fourmis jaunes qui ont des pucerons, servent de boussole aux montagnards lorsqu'ils sont environnés de brouillards épais , ou égarés pendant la nuit dans des lieux inconnus ; et voici comment : leurs fourmilières, qui sont beaucoup plus multipliées et beaucoup plus élevées dans les montagnes que partout ailleurs, prennent une forme alongée et presque régulière. Leur direction est constamment de Est à l'Ouest. Leur sommet et la pente la plus rapide sont tournés au levant d'hiver; mais elles vont en talus du côté opposé. J'ai vérifié sur des milliers de ces fourmilitres l’observation des ber- gers: je n'y ai tronvé qu’un très-petit nombre d’exceptions, et dans le cas seulement où ces monticules avoient été altérées par les hommes ou par les animaux. Elles ne conservent point cette forme dans les plaines, où elles sont plus exposées à de tels accidens. L 320 RECHERCHES SUR LES F. Fauve (dos noir). O. D'un roux fauve. Glabre. Antennes, partie postérieure de la tête, dos du corselet, bord supérieur de Pécaille et abdomen, noirs. Trois petits yeux lisses. Écaille presqu'ovale. Long. 3 lignes. F. Couleur du mulet. Écaille entière. Abdo- men court, renflé, roux à sa base. Ailes antérieures fumées. M. D'un noir mat. Extrémité de l'abdomen et pates fauves. Écaille épaisse, lronquée. Bord extérieur des ailes antérieures noirâtre. Larrerzze. Essai etc. J'ai cru convenable de faire deux espèces de fourmis fauves , distinguées l'une de l’autre par des caractères très- saillans, et par la différence de leurs monticules, dont Les uns sont infiniment plus considérables que les autres ; ceux-ci placés dans les forêts, ceux-là le long des haies et dans les prairies. Voici la seconde espèce que je désignerai par le nom de fourmi fauve, dos rouge, ef qui habite de préférence dans les bois. F. Fauve (dos rouge ). O. D'un rouge sanguin. Dessus de la tête, yeux, antennes, abdomen et pates noï- ratres. Écaille foiblement échancrée. F. D'un ronge sanguin. Dessus de la tête, yeux, antennes, plaque thorachique su- périeure et abdomen noirâtres. Écaille épaisse , ovée, entière. Ailes assez for- tement enfumées à la base. Les pre- miers segmens de l’abdomen ont une teinte légèrement rougetre. E: MŒURS DES FOURMIS. 522 F. Fauve (dos rouge ). M. Noir. Dernier segment abdominal testacé. Pates rougeâtres. Cuisses légèrement noires à leur base. Ailes très-peu enfu- mées. | JURINE. Il me paroît que M. Latreille a décrié un individu de cette espèce, ou, si l’on veut, de cette variété, dans son Histoire des fourmis, en parlant de la femelle, Une différence très-saillante entr'elles, c’est que les an- neaux de la femelle de cette dernière espèce ont infiniment plus d’éclat que ceux de la précédente. Le fauve en est aussi beaucoup plus vif. Les dénominations de dos noir et dos rouge ont été données d'après la couleur de l’ouvrière. F. Roucs. O. Rougeätre , un peu chagrinée. Corselet armé de deux pointes, dépassant le pre- mier nœud. Dessus de l'abdomen noi- râtre. 2 lignes et L. F. Guère plus grande que le mulet, et presque semblable. Sommet de la tête, quelques traits sur le dos du corselet, base des ailes antérieures, dessus de l'abdomen noiratres. Épines moyennes. M. Presqu'aussi grand que l’ouvrière. Tête et corselet noirs, un peu chagrinés. Bouche, base des antennes, nœuds, abdomen, pates en grande partie couleur de poix ; reste des anneaux et tarses testacés obs- curs. Épines du corselet courtes. Ailes noirâtres à leur base. Pates poileuses. LaTRrEILLE. Essai etc. Cette espèce construit son nid dans la terre ou dans les arbres. Elle a l’odorat très-subtil, et vit de rapine. 21 e 522 RECHERCHES SUR LES F. pres Ga4zoNs. O. D'un brun noirâtre. Antennes, corselet, quelquefois pates plus claires. Corselet chagriné continu. Épines courtes, deux tubercules à linsertion de l'abdomen : celui-ci plus luisant. F. Noire, brune, velue. Antennes, à prendre du coude, pates testacées obscures Cuisses et jambes plus foncées. Fpines courtes. Ailes blanches: point marginal peu marqué. Abdomen plus luisant. M. Noir, brun, presque ras. Antennes et pates jaunes pâles. Tête arrondie postérieu- rement. Derrière du corselet obtus et mutique. Ailes blanches sans point. Ab- domen plus luisant. Pates alongées. LATREILLE. Cette fourmi construit son nid, tantôt dans l'herbe, tant6£ sur la terre nue, quelquefois dans le sable. F, Norr-cENDRÉE. Q. D'un noir cendré luisant. Bas des antennes et pates rougeätres. Écaille grande, presque triangulaire. Trois petits yeux lisses (1). Elle a la forme de la fourmi fauve. Le corps est d’un noir un peu cendré, luisant, presque glabre et alongé. La première pièce des antennes et les deux (1) Je donne plus d'extension aux descriptions des fourmis auxi- liaires et amazones, à cause de l'importance du sujet. MŒURS DES FOURMIS. F. Norm-CENDRÉE. (ei. N2 CN ou trois articles suivans sont d’un rou- geâtre foncé. Le devant de la tête est élevé en carène, Les trois petits yeux lissessont visibles. L’écaille est grande, tenant le milieu entre la figure ovée et la triangulaire. Le miliea du bord supérieur est un peu élevé et un peu concave. L’abdomen est presque gichuleux et un peu velu à son extrémité ; les pates sont d’un rougeûtre foncé, avec le bas des cuisses d’un brun obscur. PI. If. fig. 9. F. Elle est d’un noir très-luisant avee un reflet A1. I un peu bronzé. La première pièce des antennes est d’un noir brun, et la seconde noire ; l’écaille est grande , presque car- rée; le bord supérieur est droit, légère- ment concave : les pates sont comme dans le mulet. Les ailes sont un peu obs- cures, avec les nervures et le point mar- ginal des supérieures, noirâtres. Fig. 8. est noir, très-luisant et presque glabre ; les antennes sont ordinairement noires, quelquefois d’un jaune obscur , ou moi- tié noires et moitié fauves; l’écaille est épaisse, presque carrée; le bord supé- rieur est plus large, presque droit, un peu concave; l'anus et les pates sont d’un jaune pâle ; les hanches sont noires; les ailes supérieures sont un peu obscures, avec les nervures d’un jaunâtre foncé, et le stigmate noirâtre. Fig. 8. Les dimensions du mäle et de la femelle sont comme 324% RECHERCIIES SUR LES ans la planche, et plus grandes que Latreille ne les avoir données. Cet auteur parle d'une variété dont les parties brunes sont beaucoup plus fauves que dans celle-ci; c’est celle qu'il a décrite dans son petit ouvrage, sous le nom de fourmi noire. La fourmi noirâtre de sa monographie me paroït étre la méme. Quoiqu'ilen soit, ces trois variétés, dont les mœurs sont absolument les mêmes, doivent être comprises sous la déno- mination de noir-cendrées. {illes bâiissent de la méme manière; elles ouvrent les coques de leurs nymphes peu de jours après qu’elles ont filé sous la forme de larve , et sont toutes exposées aux invasions des fourmis amazones, Larrerzze. Hist. nat, des fournis. F. Mineuss. O. ‘Tête et abdomen noirs; environs de la bouche, dessus de la tête, première ar- ticulation des antennes, corselet et pates d’un fauve pâle. PL. IE. fig. 12. Elle est semblable à l’ouvrière de la fourmi fauve; les antennes ont leur pre- mitre pièce Jaune, et la seconde d’un rouge noirâtre ; la lète est noire avec les environs de la bouche, et la partie infé- rieure rougeâtre; le front a une ligne imprimée , trois yeux lisses apparens; le corselet est d’un jaune plus päle que dans les fourmis fauves, et point noir sur le dos (c’est pourquoi elles ressemblent infi- niment aux fauves dos rouge ); l'écaille S est fauve, presqu’ovée, ayant le milieu du bord supérieur retus, comme tronqué; Lo) MŒURS DES FOURMIS. 325 F. Mineuse. Jabdomen est d’un noir cendré , pubes- cent; les pates sont fauves. Long. 2 lig. 5. F. Son corps est long, d’environ trois lignes et demie; il ressemble beaucoup à celui de la femelle de la fourmi fauve. Les an- tennes, la tête ont la forme et la cou- leur qu'ont ces parties dans le mulet. Le corselet est fauve , avec trois taches sur le dos ; l’écusson , et une tache de chaque côté au-dessous des ailes, noirs; lécaille est fauve, en cœur, fortement échan- crée; l'abdomen est noir, les pates sont fauves , les ailes transparentes, avec les nervures d’un brun jaunâtre, et le stig- mate plus foncé. 3 à 4 lignes, quelque- fois 4 1. Fig. 11. Une variété de cette femelle mineuse a le devant de l’abdomen fauve; le dos est noir avec deux raies rouges. Long. 3 lig. M. Le mâle environ trois lignes ; il a le port du mâle de la fourmi fauve. Le corps est noir , plus luisant, un peu soyeux à l’ab- domen ; l’écaille est fortement échan- crée; l'anus est d’un brun rougeitre obscur ; les pates sont noirâtres, les ailes un peu obscures : les nervures des supé- rieurs sont d’un brun jaunâtre; le stig- mate est noir. Fig. 13. M. Latreille réunit sous le nom de mineuse l’effacée de sa monographie, qui n'en est effectivement qu'une variété. Ces fourmis , comme les notr-cendrées, déchirent les coques Jilées par les larves dès quelles ont subi leur transformation. 526 F. Roussarrs. RÉCHERCHES SUR LES (Quatrième famille. Fourmt AMBIGUÉ, ainsi appelée, parce qu’elle tuent le milieu entre deux autres familles. ) O. D'un rouge pâle; mandibules étroites, ar- quées, presque sans dents; trois petits yeux lisses, corselet élevé postérieure- ment. Long. 3 lig. Le corps est alongé, d’un roux pâle, presque glabre et n'ayant que quelques poils sur la tête, l’écaille et l'abdomen; les antennes sont insérées près de la bouche, leur entre-deux n’est pas élevé, comme dans les fourmis des premières familles (comme les précédentes); la tèle est assez grande, presque carrée, arrondie postérieurement; les mandi- bules sont arquées, étroites, presque sans dents, terminées en pointe, et res- semblant à celles des typhies. Ce carac- tère estunique dans les fourmis indigènes. Le front a au milieu une petite ligne im- primée ; les yeux sont petits et noirs; les trois pelits yeux lisses sont très-apparens ; le corselet est étroit, bossu et arrondi an- térieurement , enfoncé vers le milieu du dos, terminé ensuite par une élévation en bosse arrondie; l’écaille est grande, très-épaisse , arrondie au bord supérieur, figurée en sggment de cercle, dont la pointe est tronquée et sert de base ; l’ab- domen est petit, globuleux, conique; V'aiguillon est très-sensible ; Les tarses sont un peu velus. MŒURS DES FOURMIS. 327 F, Roussarrr. F. Elle a ïes plus grands rapports avec l’ou- vriere ; le corselet est seulement presque cylindrique , renflé et arrondi à son ex- trémité postérieure, qui est séparée du reste du dos par un enfoncement trans- versal ; l’écaille est de la même forme que elle du mulet; l'abdomen est un peu plus grand. Les ailes manquoient à l'individu que possédoit notre auteur. Cette belle description SorRene à tous égards, à nos Jourmis legionnaires. Voici cêlle qu’en a donné M. Jurine, sur les individus que je lui ai communiqués. O. Rougeätre ; dernier segment de l’ahdomen plus pâle; yeux noirs. PL IL fig. 2. F. Plus grande que l’ouvrière , d’une couleur rougetre plus foncée ; corselet très- arrondi postérieurement et saillant ; écaille grande , épaisse et arrondie ; ventre ovale, raccourci; ailes légèrement enfumées. Fig. 1. I. De la grandeur de l’ouvrière ; noir ; ventre ovale, alongé; parties sexuelles testacées ; cuisses noires, blanchätres à la base et à l'extrémité ; jambeset tarses pâles ;écaille assez épaisse et échancrée ; ailes très- transparentes. Fig. 3. Femelle aptère. Rouge sanguin ; partie anté- rieure du corselet d’un rouge brun; écussongaillant et arrondi ; écaille épaisse, ovée et entière , ressemblant beaucoup à la femelle de la rufescens (roussâtre) et aussi grande qu’elle. Fig 328 RECHERCHES SUR LES FOURMIS. F. SANGUINE. F. D'un rougesanguin ; yeux et abdomen noirs; le dessus de la tète teint légerement en noir; écaille ovée, moins échancrée que l’'ouvrière ; ailes très - enfumées vers la base. PL IL. fg. 5. M. Noir; pates rougeätres, ailes enfumées vers la base ; écaille échancrée. Fig. 7. O. Comme la femelle, mais la tête d’an rouge plus prononcé et le corselet plus resserré. Fig. G. JURINE. M. Latreille ne décrit que l’ouvrière sous la formule suivante. D'un rouge sanguin; yeux et abdomen noirs, très-pelits ; yeux lisses; écaille ovée, un peu échancrée. FIN DES NOTES. 2 LS Fourmis Roussatres. 2/4 2 Fe Fourmis S anpgumes. Fat ° . ] Fourmis Noïrr-ce ndrees. 2g ä Fig 9 . Fiÿ 10}: | De Fournns Mimeuges. : Fig 12 Rÿ HS PFÉ SC. 1810. LIVRES NOUVEAUX ET AUTRES Chez J. J. Pascnoup, Libraire À Parts, Rue des Petits-Augustins, n° 5. Et à GENÈVE, même Maison de Commerce, \ 1e D'Urricu Zwixerr, réformateur de la Suisse , par M. J. G. Hrss, 1 vol. d'environ 400 pages, 4fr.5oc. Cet ouvrage est à la fois une biographie et l’histoire abrégée de Ja réformation de {a Suisse. Les opinions et la conduite de Zwingle y sont présentées de manière à mettre au jour son Caractère indul- gent, ‘simple et doux, ses principes sages et modérés, sa sou- mission aux lois et au gouvernement de sa patrie, etses sentimens de bienveillance envers tous les hommes. Le développement des qualités qu'il montra dans l'exercice des sévères fonctions qu'il s’évoit imposées , font, de la vie du reformateur de la Suisse, une lecture pleine d'intérêt. Cours D’AGricurrure ANGLoise , avec les développemens utiles aux agriculteurs du Continent, par Ch. Picrer, de Genève, 10 vol. in-8, 50 f. Les Rédacteurs de la Bibliothèque Britannique ont été sol- licités pendant long-tems de séparer la partie de l'Agriculture, pour la vendre à part; mais ils n’auroient pu le faire sans dépareiller leurs collections. Aujourd’hui que leur travail com- prend dix années , ils se déterminent à réimprimer les 10 volumes de l'Agriculture , en divisant le travail par ordre de matières, On sait combien l’avantage de travailler avec de forts capitaux, l'émulation des, sociélés”, et l’encouragement des primes ont distingué l'agriculture en Angleterre : la connoïssance des faits et la communication des idées sur cet intérêt de première im- portance , ont sérieusement occupé les Rédacteurs. Celui qui est particulièrement chargé de cette partie a recueilli dans le dépôt des ouvrages anglois tont ce qui pouvoit ’ête utile’anx agri- culteurs du Continent. I] y à ajouté Jes résultats de sa propre expérience, en les comparant à ceux des Auteurs ’anglois. Il a surtout douné, sur l'amélioration des races des brebis , et sur Fassolement des terres’, des faits plus nombreux et des: obser- vations plus complètes qu'on en.eût encore présenté dans aucun ouvrage. Enfin ensemble des 10 vol. d'environ 500 pages chacun, donne à l’agriculteur pratique toutes les directions les plus im- portantes pour exploiter les terres avec avantage. Voici comment le Journal de l'Empire s'exprime sur cet ouvrage dans le numéro du 21 octobre 1809. N ign On ne peut nier qu'il n'y ait beaucoup d'instruction à firer de l’ouvrage de M. Pictet. Il a cbservé lui-même la culture en Angleterre et dans plusieurs parties du Continent ; il l'a pra- tiquée long-tems. IL est facile de découvrir, dans les obsersa- tions critiques, les redressemens ; les notes raïsonnées et tous les morceaux qui sont de lui, cette connoissance intime et pratique du sujet, qui fait que le lecteur se confie & l'ensei- ranchies, f 1ent point a Il faut avoir soin d’affranchir la lettre de demande et l'argent. chaque jour, doit se résoudre à refuser toutes celles qui ne sero Un port de lettre est peu de chose pour une personne, mais la maison qui en reçoit plusieurs (21) gnement. L'auteur s'attache surtout à prévenir les fausses applications et les espérances exagérées qui ont ruiné tant d’agronomes. Il ne perd pas une occasion de montrer qu'un succès constaté ne promet point ailleurs, avec certitude, un succès semblable. Le Cours d'agriculture de M. Pictet est fait pour les agro= nomes qui ont des idées générales. Il présente l’histoire des rocédés , des travaux, de toutes leurs circonstances et de leurs résultats. On y trouve les observations qui peuvent éclairer, encourager ou relerir, et il prémunit confre le danger des fausses applications, comme il montre les profits non douteux d’une imitation que le jugement dirige. Dévorioxs à l'usage des Familles, ou Réflexions sur une suite de chapitres du Vieux et du Nouveau Testament, qui offrent la, suite de l'Histoire Sainte, les principaux dogmes de l'Évangile, et les principaux devoirs de la morale Chrétienne; par Jran-Amr Martin, Pasteur de l'Eglise de Genève, Président de son Consistoire, et Bibliothécaire, 2 vol. in-8, faisant ensemble 874 pages, imprimé en gros caracière, 7 fr. 5o c. Cet ouvrage est propre à perfectionner celui du célèbre Ostervald il comprend des notes critiques et des réflexions très-intéressantesz les premières sont courtes et consacrées à lever les difficultés que lon croiroit trouver dans la lecture de l’Ecriture Sainte; les se- condes sont plus étendues, et sont plus particulièrement des exercices de piété. Il n’est pas besoin de s'étendre ici sur lim portance d’un si bon ouvrage. Tous les chefs des familles Chré- tiennes le désiroient depuis long-tems. 11 est composé avec cette sagesse et cette onction qui distinguoient éminemment son auteur. 11 fut la principale occupation des dernières années de la vie de M. Martin, qui a été surpris par la mort au moment où il alloit le terminer , ce qui a été très-bien exéculé par M. le Pasteur Senebier. Il n’y a aucun doute que cet ouvrage ne soit recu par le public avec le même empressement que le Recuerl de Prières et d’Instructions religieuses du même auteur, qui se trouve chez le même Libraire. LA L'Eglise renouvelant ses promesses. Sermon sur Josué XXIV. 15 et suiv. Par M. J. J. S. Cellérier, Pasteur de Genève, In-8, 60 cent, WazLsTEIN, tragédie en 5 actes et en vers, précédée de quelques réflexions sur le théâtre allemand , et suivie de notes historiques sur la guerre de 30 ans, par M. Benj- ConsranT DE REBECQUE, 1 vol, in-8, sh Recueil de mots extraits du Vocabulaire de la langue françoise , à l’usage des jeunes gens qui apprennent l’or- thographe, in-8 de 76 pages, 60 c. Premiers éléments de la grammaire françoise, à l'usage des jeunes gens qui apprennen} l'orthographe, par F.*Gaillard, a vol. in-12, 1 fr. 25 c. ( 5 ) Météorologie pratique , à l’usage de tous les bommes, et surtout des cultivateurs, par J. Senebier, membre de diverses académies, corresp. de l’Inst. Nat., 1 vol. in-16, papier fin, 2fri50 c. Ce ouvrage a déjà eu trois éditions, que le Public a favorablement accueillies ; Pauteur a profité, pour la 4.° édition qui vient de paioître, des travaux des physiciens et de ses propres expé- riences et observations pendant plusieurs années ; de manière que ce petit traité de Météorologie pratique doit être regardé comme un ouvrage nouveau: il renferme, dans un volume de peu d’étendue, un grand nombre de choses curieuses et utiles qui ne peuvent qu'intéresser toutes les classes de lecteurs. L’Auteur traite d’abord des instrumans météorologiques, et détermine la confiance qu’on doit leur accorder; il prouve qu’on ne peut rien conclure de observation d’un seul instrument ; que le baromètre, en particulier, ne trompe si souvent que parce que l’on tire de fausses conséquences de ses variations. L’Auteur fait voir que la réunion des indices de plusieurs instrumens de diflérens genres peut seule annoncer. avec quelque probabilité, les changemens dans l'atmosphère, 11 enseigne ensuite la manière de mesurer les hauteurs par le baromètre , et il donne des tables calculées par M.'le professeur Pictet, très-commodes pour trou- ver les hauteurs tpromptement , lorsqu'on n’a pas besoin d’une grande exactitude. Les articles suivans contiennent les principes généraux pour prouostiquer le tems sans instrument , et ce que nous apprennent a cet égard 1.° les nuages, les brouillards, la pluie, la rosée , la grèle; 2:° les apparences du soleil , de la lune et des étoiles ; 3.° les vents ; 4.° quelques corps du règne végétal ; 5.° quelques phénomènes particuliers fournis par lair et le feu en diverses circonstances ; 6.° quelques phénomènes observés dans certains lieux et dans certains tems. L’Auteur a rassemblé, dans cette partie de son ouvrage, un grand nombre d'observations et de connoissances impor- tantes, nécessaires surtout aux agriculteurs , et très-utiles ceux qui sont appelés par leurs affaires ou par leurs plaisirs à faire des courses sur l’eau ou dans la campagne. Cet ouvrage est terminé par des considérations sur les moyens de perfectionner la météorologie, et par des recherches sur la nature et les causes des phénomènes météorologiques que PAu= teur divise en ignés, aqueux et aériens. Les physiciens trouveront ici des vues ingénieuses et des conseils très-sages sur Part d'interroger la nature avec fruit, et sur les moyens d’éviter les erreurs et de parvenir à des théories exactes. On peut regarder ce petit traité comme un complément très-bien fait de l £ssar sur l'Art dobserver, du même auteur, [Ce dernier ouvrage se vend chez le même Libraire, ) Eloge historique de M. Jean Senebier, Pasteur et Biblio- thécaire de la République de Genève ; membre associé de l'Institut de France : lu à la Société de Genève, le 19 décembre 1809, par M. Maunoir aîné, docteur et profes- seur en chirurgie à Genève, membre de diverses sociétés sayantes, in-8, 1fr. 50 c. p- (RE: D, Essai sur le principe: de population, ou Exposé des effets passés et présens de l’action de ce principe sur le bonheur de l’espèce humaine dans les tems anciens et modernes, suivi de l’examen des moyens propres à adoucir les maux dont ce même principe est la cause, et du tableau des espé- rances que l’on peut concevoir à ce sujet, par T. À. Malthus, maitre es arts, associé du collége de Jésus, à Cambridge, professeur d'histoire et d'économie politique au collége des Indes orientales dans le comté d’Hertford ; traduit de l’anglois, par P. Prevosr , je de phys. à Genève, C. de VI N., des Soc. R. de Londres et d'Edimbourg, etc., 3 vol. in-8 , nie TOUR, CET ouvrage a eu en Angleterre un succès mérité. La 4.° édition, sur laquelle est faite cette traduction , a été principalement destinée à éclairer les discussions parlementaires, relatives aux lois sur les pauvres. 11 est bien diflicile de traiter avec plus de sagesse et de profondeur, un sujet plus important. L'auteur avoit a combattre quelques préjugés, et à mettre en évidence des principes que leur simplicité même sembloit avoir fait mécon- noître, Il a usé, pour y parvenir, d'une méthode sûre et éprouvée. 1 a recueilli beaucoup de faits, les a discutés avec soin , et en a tiré quelques conséquences , dignes de toute l’attention des philosophes et des hommes d'état. Des deux parties de l'économie politique, dont l’une a pour objet la richesse et l'autre la population, la première a été ana- lysée ét rapportée à ses principes assez long-tems avant la seconde. Ce qu'ont dit sur la théorie de la population les au- teurs les plus estimés est incomplet ou hasardé. Ce sujet dif- ficile avoit souvent appelé l’attention, et ne lavoit point en- core fixée. I en étoit résulré des principes flottans, des opinions erronées, qui avoient eu sur les lois et les mesures d’admi- nistration la plus fâcheuse influence. Sans doute Mr. Malthus n’a pu porter d'un seul coup au point de perfection l'ouvrage qu'il a entrepris. Mais il a du moins beaucoup avancé ce travail; eu il a réussi à former un corps de doctrine qui doit servir de base aux travaux subséquens. Le traducteur de cet Essai sur le principe de population en a déjà publié des extraits fort étendus , dans deux journaux justement estimés. Mais il sent combien ces fragmens épars sont insuflisans pour établir des vérités qui ont besoin d’être plei= nement déduites, et qui ne peuvent opérer Ja conviction que par la réunion des faits et des raisonnemens sur lesquels elles se fondent. Il a eu la satisfaction d’entrer en correspondance avec Pauteur, et de s'assurer par-là qu'il avoit bien saisi ses principes. C’est son ardent désir de contribuer à les répandre d’engager les hommes éclairés et bienveillans à les soumettre à un examen réfléchi; d’exciter, en les publiant, de nouvelles recherches ; d'accélérer enfin les progrès d’une science, qui influe si immé- diatement.sur le bonheur de la société, et a pour dernière fin de diminuer les souflrances du pauvre, ÉLÉMENS D'ÂNALYSE GÉOMÉTRIQUE ET D'ANALYSE ALGÉBRIQUE, appliqués à la recherche des Lieux géométriques , par Simon Laurier, Professeur de Mathématiques à PAca- démie de Genève, Membre de plusieurs Corps liltéraires, 1 vol. in-4, fig. . 15 fr. Cet ouvrage renferme : 1.° comme introduction une dissertztion où la théorie du centre des moyennes distances est présentée avec beaucoup d'élégance et de clarté; 2.° les Lieux à la ligne droite et à la circonférence du cercle traités suivant la méthode géométrique et par l'algèbre ; 3. les Lieux au plan et à la surface sphérique traités suivant les deux méthodes; 4.° une application des Lieux géométriques à la solution des problèmes élémentaires déterminés, - Cet ouvrage est recommandable par l’ordre dans lequel les matières y sont disposées, par le choix des problèmes , par la clarté, la simplicité, l'élégance des solutions et des demons- trations ; qualités qui distinguent tous les iravaux du savant auteur. Le livre que nous annoncons est indispensable aux jeunes gens qui veulent faire des progrès dans l'étude des mathéma- tiques; et il sera recu avec reconnoissance, et lu avec fruit par les vrais amis de la géométrie, qui aitendiont avec impatience un ouvrage semblable sur les Lieux solides, que l’auteur se propose de publier. Taeceau msrorique de l'Institut pour les pauvres de Ham- bourg, rédigé d’après des rapporis dorés par M. le baron de Vogth, traduit de PAllemand, in-8, fr. 50 €. ‘Occupé pendant trente années de sa vie à rechercher les véritables besoins des pauvres, et les moyens de les soulager, Pauteur des divers rapports qui composent ceite brochure y a répandu une foule d'idées utiles et de vues bienfaisantes, qui peuvent trouver leur application dans tous les pays. On a rendu un service à l’hunranité souffrante en faisant connoître aux lecteurs francois les résultats d’une longue expérience sur un objet aussi important; el sans doute les amis des malheureux liront avec le plus vif intérêt un onvrage qui démontre par des faits, qu’en dirigeant leurs eflorts réunis , ils-pourtont non-seulément adoucir mais extirper entièrement la misère. Histoire pr Gusrave HI, Ror pe Suine, traduite de PAI- lemand, d'Ernest-Louis Posserr , sur l'édition originale, par J. L Maxnezr, 1 vol. in8 , de,450 pages, 4f. 50 c. Rapport à Son. Ex. le Landamman et à Diète des 19 'antons de La Suisse , sur les établissemens de M. Fellenberg, à Hofwyl, par MM. /Zeer, Landamman de Glaris, Crud de Genthod , du Canton de Vaud ; Meyer, curé à Wangen, canton de Lucerne; 7obler de » VAu, du canton de Zurich; Æunkler, Juge au Tribunal d'appel du canton de Lucerne, 1 vol. in-8, 1808, fig., 2 fr, 4 (6 ) Du CaLor1QUE RAYONNANT, par P. Prevosr, Prof. de Phys. à l’Ac. de Genève, de la Soc. des A. et de la Soc. de Phys. et d’'H. N. de la m. v.; de l'Acad. de Berlin, et de la Soc. des C. de la N.de la m. v.; de la Soc. R. de Londres et de la Soc. Roy. d’Edimbourg ; Corr. de lInst. Nat., et de Ja Soc. des Sc. et A. de Montauban, etc. in-8., fig. 6 fr. L'objet de cet écrit est d’exposer la théorie du calorique rayon- nant, et d’en faire l'application à quelques phénomènes. Cette théorie , telle que l’auteur Pa concue et proposée il y a plus de dix-buit abs, a obtenu l'approbation de plusieurs bons juges. Mr. l'abbé Haüy Va adoptée dans la seconde édition de son Traité élémentaire de physique. Et depuis qw’elle a été publiée, elle a semblé jeter du jour sur une classe de faits aussi nom- breux qu'intéressans. Il est donc tems peut-être de la discuter et de la développer, autant que le permet l’état actuel de nos connoissances. L'auteur sent à cet égard son insuffisance , et invoque le se- cours des hommes à qui la science a dû ses plus grauds pro- grès. Il n’envisage son travail que comme un premier eflort , destiné à préparer la voie, qui lui paroît conduire à une mine riche et de facile exploitation. Indépendamient de ces développemens de théorie , les phy- siciens trouveront rassemblées dans cet écrit des observations dignes de leur attention; entr'autres celles de Mr. Leslie. La partie de l'ouvrage de ce physicien sur la chaleur, qui est à la fois purement expérimentale et exclusivement relative au rayonnement , est traduite ici en entier. Elle n’est encore con- nue en France que par de simples extraits, qui, bien qu’ex- cellens , ne suflisent pas entièrement peut-être à ceux qui veulent répéter les expériences, ou en suivre tous les détails. Quant aux faits connus qui se trouvent ici reproduits ; s'ils sont liés entr’eux par une théorie claire , ils offriront peut-être un nouveau sujet de réflexion. Vours relatives à l'Agriculture de la Suisse et aux moyens de la perfectionner, par Emanuel Fellenberg, trad. de Vallemand , et enrichi de notes par M. Ch. Pictet, in-8, 1808, 1f. 80 c. Les établissemens d'Hofwyl près de Berne, sur lesquels la Bibliof, Brit, a donné quelques détails, présentent l’ensemble le plus intéressant pour l’économie rurale, et l'exemple le plus instructif aux cultivateurs. Les principaux objets qu'ils peuvent désirer de connoîlre se trouvent réunis dans le mémoire que publie aujourd’hui M. Fellenberg lui-même. Les lecteurs y trouveront les vues les plus importantes sur l’agriculture de la Suisse, et d'excellens exemples à suivre, pour assurer le succès de l’ex- ploitation de leurs domaines, La Théologie naturelle, ou preuves de l'existence et des attributs de la divinité, tirées des apparences de la nature. Traduction libre de langlois, d'après William Paley, par Ch. Pictet, vol. in-8, 4f. 5oc. Gex Elémens de la Philosophie de l’esprit humain , par M. Dugald Stewart, professeur de philosophie morale à l'Université d'Edimbourg, de la Soc. Roy. d'Edimbourg, de diverses Soc. savantes, traduit de l’anglois, par Pierre Prevost , professeur de Philosophie à Geneve, des Sociétés Royales de Lonüres et d'Edimbourg, 2 vol in-8, 9 f. M. Ducarn Srewart publia ces Elémens de la Philosophie de l'esprit humain en 1792. Et en 1802 il en a donné une nou- velle édition. C’est sur celle-ci qu'est faite la traduction que nous annoncons. L'avantage dont jouit le traducteur , d’avoir avec l’auteur des relations suivies de correspondance et d'amitié, peut faire présumer qu’il aura en général saisi sa pensée, et qu’il ne présentera pas ses opinions sous un faux jour. Le sujet doit d’ailleurs lui être familier par la nature de ses occupations habituelles, Voilà ce qui doit inspirer quelque confiance en son travail. \ 1 seroit superflu de parler du fond de Fouvrage, et d’in- sister sur le mérite reconnu de cette production vraiment philosophique. Elle sort du sein d’une école que les noms de Hutcheson, d'Adam Smith, de Fergusson ont illustrée. Et la réputation de Mr. Ducazn Srewarr n'est pas établie sur des fondemens moins solides. Ces Elémens de philosophie, devenus classiques en Angleterre, seront accueillis sans doute en France par les juges éclairés. Ils verront avec intérêt un grand et heureux eflort fait pour apprendre à l’homme à se connoître et à diriger ses facultés vers le but que lui prescrit sa nature. Îls approuveront des principes sages et modérés , également éloignés de la superstition et de l'impiété, de la licence et de la éervitude. Et le public qui dans ces matières n'attend pas de découvertes, sentira peut-être , en lisant cet écrit profond et judicieux, que la philosophie de l'esprit hu- main offre des points de vue nouveaux : qu’elle peut avoir sur la conduite la plus heureuse influence ; et qu’il seroit fort utile qu’elle devint un objet d'étude, Brere (Nouvezce traduction de la Sainte), comprenant les livres de l’ancien et du nouveau Testament, faite, quant aux premiers, sur le texte hébreux , par les Pasteurs et Professeurs de PEglise de Genève, 2 vol. in-folio, 36. Il en a été tiré un petit nombre sur papier vélin. La même, 1 vol. in-fol., p. p., 24 fr. La même, 3 vol. in-8, 12 fr. Cette traduction, entreprise par les pasteurs et professeurs de l'Eglise de Genève il y a quatre-vingts ans, non - senlement a J’avantage d’être écrite avec pureté et élégance, mais encore elle éclaircit et recufie en nomhre d’endroits le sens des Livres Sacrés qui éloit resté obscur, où qui avoit été mal interprété par les précédens traducteurs ; aussi peut-elle fournir à plusieurs diflicultés des solutions satisfaisantes, 4 me) Lettres et Pensées du Prince de Ligne, publiées par Mad. la Baronne de Staël de Holstein, et précédées d’une préface de l'Editeur, 4.° éprrron , revue et augmentée , 1vol.in-8, l& fr. Annoncer la 4.° édition de cét ouvrage, c'est montrer l'accueil favorable qu’il a reçu du public, et prouver en mème tems son mérite. Le Prince de Ligne a été reconnu par tous les Francois pour un des plus aimabies hommes de France. Il a publié ce que les circonstances de sa vie lui ont inspiré : il y a peut-être autant d'esprit que d'originalité dans tout ce qui vient de lui. Parmi ses divers genres de productions, l’éditeur de louvrage que nous annoncons a cru devoir donner la préférence à la correspondance et aux Pensées du Prince de Ligne. On peut y suivre ce dernier dans sa vie active ; on peut y apercevoir l'infatigable jennesse de son esprit, l'indépendance de son ame, et la gaïîté chevaleresque qui lui étoit surtout inspirée par les circonstances périlleuses + dans lesquetles il s’est trouvé pendant le cours de sa vie. Exposé de la méthode élémentaire de H. Pestalozzi ; suivi d’une notice sur les travaux de cet homme célèbre, son Institut et ses principaux Coïlaborateurs ; par Dan. Alex Chavannes, 1 vol. in-8, fig., GATE Cet écrit a paru pour la première fois en 1805 , et les journaux de ce tems-là le présentèrent comme le premier ouvrage francois qui avoil donné une idée de l’ensemble de la méthode d’ensei- gnement de Pestalozzi. Depuis sa publication, Pestalozzi a beau- coup travaillé au développement et à lapplication de ses prin- cipes élémentaires ; mais le moment n’est pas encore venu où Von pourra donner au public, d’une manière complète , le ré- sultat de ses divers essais et des nouveaux succès qu'il a ob- tenus. En attendant, nous croyons rendre service aux hommes éclairés et impartiaux qui aiment à juger avec connoissance de cause, en leur offrant une seconde édition d'un ouvrage daus lequel ils trouveront la seule analyse un peu exacte, qui a paru jusqu'à présent en francois, d’un système d'enseignement qui, depuis long-tems, fixe l'attention de Allemagne d’une manière tous les jours plus forte. Depuis 1803 il est arrivé quelque: changemens dans le matériel de lPInstitut et le per- sonnel des maîtres qui y sont attachés. Il se trouve actuel- lement concentré à Yverdun , Jolie petite ville du Canton de aud , en Suisse, qui réunit tous les avantages que peut désirer Vaud S Star 1 tages que peut d un établissement de ce genre. L L2 L “ L L2 L2 ‘LG IaciIet € ri Itinéraire de Genève, des Glaciers de Chamouni, du Valais et du canton de Vaud, par Marc - Théodore Bourrit, Pensionnarre de Sa Majesté L. et R.; chantre de la cathé- drale de Genève, et membre de l'institut de Boulogne- sur-Mer , 1 vol. in-12, 2\160/CE Cours de Thèmes, rédig d’après le Rudiment de Ehomont, S SUR s 5 É x , avec quelques augmentations et explications, à l'usage des écoles publiques et particulières, par P. Dantal, 2 vol. in-12, 4 fr, 50 c. À or de Senange, ou Lettres de lord Sidenham, par Madame Flabaut, 2 vol. in-12, 1798, LE A Agenda du Voyageur géologue, par le professeur Desaussurk, in-8 , 1797, ‘ È 1 fr. 50 c. Argus, ou Correspondance de famille, trad. de langlois, & vol. in-12, Genève, 1804, . 8 fr. Caliste, ou Lettres écrites de Lausanne, par Madame de Charrière, 2 vol. in-12, Où À Cours de Morale religieuse, par M. Necker, 3 vol. in8, 10 fr. 50 c. De la Disette , par Benjamin Bell , de la Société royale d'Edimbourg, des Soc. d’Agric. d’'Ecosse et de Bath, etc. traduit par Pierre Prevost, Genève, 1804, 2 fr. 5oc. De la Vie et des Ecrits de P. H. Mallet, auteur de l'Histoire de Danemarc, de celle des Suisses, et de plusieurs autres ouvrages, par M. Simonde, in-8 , WE Delphine, par Mad. de Staël Holstein, 4 vol. in-12, 1802, 10f. Dernières vues de politique et de finance, offertes à la Nation francoise, par M. Necker, in‘8, 1802, 3 fr. 6o c. Description des Alpes Grecques et Cottiennes, ou Tableau historique et statistique de la Savoie, sous les rapports de son ancienneté, de son étendue, de sa population, de ses antiquités et de ses productions minéralogiques; suivie d’un précis des événemens militaires et politiques qui ont eu lieu dans celte province depuis sa réunion à la France en 1792, jusqu'à la paix d'Amiens, en 1802, par J. F. Alb. Beaumont , membre honoraire des Sociéiés des arts et des sciences de Londres, Genève, etc. 2 vol. in-4 avec atlas grand in-fol. de 24 planches, 60 fr. Description d’une suite d'expériences qui montrent comment la compression peut modifier l'action de la chaleur, par Sir James Hall, bar.t, trad. de langl. par M. A.Pictet, Corresp. de l'Ins. nat., de la S. R. de Londres, avec les figures originales, représentant tous les appareils et quel- ques-uns des principaux résultats, 1 vol., & fr. Essai sur la législation contre lusure, par lavocat Grenus, in-8, 1 fr. 50 c. Essai sur l’émulation dans Pordre social et son application à l'éducation, par le professeur Reymond, in-8, 1802, 3 fr. Essai sur les montres à répétition, dans lequel on traite toutes les parties qui ont rapfo:t à cet art, en forme de dialogue, à l'usage des horlosers, par Fr. Crespe, de (ao }) * , 4er 2 Genève, approuvé par la Société pour l'avancement des \ L arts de Genève , vol. in-8, an 12 (1804), LS Tr. Des prairies artificielles d’été et d'hiver, de la nourriture des brebis, et de l'amélioration d’une ferme dans les environs de Genève, par G. L. M. Lullin, membre de la Société des arts de Genève, et membre du Comité d'Agri- culture de cette ville, 1 vol. in-8 de 450 pages, Dr: L'auteur , avantageusement connu par ses Observations de plus de vingt ans sur les bêtes à laine , publiées en 1804, donne, dans Fouvrage que nous annoncons , une nouvelle preuve de ses connaissances el de son expérience en agriculture. On y verra que les moyens d'améliorer une ferme sont : établissement des prairies artificielles , la restauration des prairies à demeure , Vadmission des plantes à sarcler dans les assolemens. On trouvera dans tous ces objets des 1enseignemens qui amènent l’agriculteur a connoitre les méthodes les plus sûres et les meilleures pour parvenir à