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R E C U E l'L

DE PJECËS

GALANTES,

EN PROSE ET EN FERS, D E

MADAME LA COMTESSE

DELA SUZE,

ET DE

MONSIEUR PELISSÔn,

Augmenté de pluf;Éiirs Pièces nouvelles de divers Auteurs.

NOUVELLE EDITION.

TOME TROISIÈME.

A TREVOUXTÇ

DE r IMPRIMERIE DE S. A. S.

M. DCCXXV.

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' irabic iris, nt pris , une vive peinoire. irnablc vainqueur t ;\ >icnt cchaiiHcr m*

\ ers cette belle inhu-

ince au milieu de mon

, riche &: belle »

: une mortelle 9 . w^ icTpc^cr de tousi

1.1 i;racc naturelle V de n doux » :^.: leifcmir Tes coupj, ;c l'on avoir pour elle. -)irs, luiQns&: déliez, ^' galamment Ijcz , cQC U fraîcheur de Ck

ic Ris &r d'Amours

A

Va

PORTRAIT

D' I R I s.

DE Tobjet le plus beau qui foie en la Nature , De mon incomparable Iris , Et de tes charmes qui m*ont pris , J'entreprens de tracer une vive peinture.

Amour, mon aimable vainqueur. Du plus beau de tes feux vient échauffer ma

veine, Et dépeint dans mes Vers cette belle inhu- maine , Comme tu l'as dépeinte au milieu de mon coeur.

Sa taille noble , riche Se belle , Et qui n'eft point d'une mortelle $ Se fait craindre d'abord & refpeder de tous $ Mais de fon gefte aifé la grâce naturelle A quelque chofe de doux , Que l'Amour aufli-tôt fait reffentir fes coups. Et fe joint au refpeél que Ton avoit pour elle. Ses cheveux longs & noirs, luifans & déliez. Par boucles répandus , & galamment liez , Ombrageant doucement la fraîcheur de fa joué:

, de Jeux 3 de Ris & d'Amours TmelJL A Ua

1 Recueil

Un eflein folâtre fejouë, Et dedans ieurs anneaux fait mille jolis tours. Son teint n'eft q^ue de lys & de rofcs merveil- les, ces mêmes Amours ainfî que des Abeilles

Succent un miel délicieux Refervé feulement pour la bouche des Dieux.

Ses yeux grands, doux & noirs nefe peuvent

décrire, Et Ton ne les peut voir que le cœur n en foû-

pire, Qui mourroit accablé d'amour &: de plailîr. S'il ne fe foulageoit du moins par un foûpir.

Qu'on aime à reflentir les beaux feux qu'ils al- lument, Lorfque par leur prefcnce ils charment tous nos fens !

Mais , helasî dès qu'ils fontabfens , Que le pauvre cœur qu'i Is confument Eprouve que ces feux font cruels & cuifans î

Sa bouche petite & vermeille ElH'un rouge animé qui n'eut jamais d'égal. Ni les Rubis ni le Corail Kont point une couleur pareille , Auffi , comme on le peut juger > La Nature judicieufe

La fie ainfi petice afin de ménager

Une

T>E Pièces Galantes. '5 Une couleur fi precieufe.

Alors qu'elle s'ouvre en riant, On voit deux beaux filets de perles d'Orient Egales , blanches & luftrées. Et dont Tceil avare eft épris ; Biles font , il ell vrai , petites Se carrées. Mais elles n'en font pas pourtant d'an moin* dre prix.

Pour vous trop injuftes oreilles. Qui méprifez d*oiiir le récit de mes maux , Bien que vous pofTediez des beautez non-pa- reilles.

Sans mélange d'aucuns défauts ; Puis qu'enfin vos rigueurs étranges Sont caufe de tous mes malheurs. Vous n'entendrez point vos louanges» Que vous n'écoutiez mes douleurs.

Sa gorge le defir s'égare. En deux petits monts Te fépare. L'un de Tautre afîez éloignez. Un importun voile les cache, , Qu'ils repoufTent comme indignez D une contrainte qui les fâche.

Ses bras ronds , fermes Se polis Font honte à la blancheur du lys > Ses mains font plus blanches encore,

Aij a

4 Recueil

Si ce n'eft toutefois

Que vers le petit bout des doigts

Un peu de rouge les colore ,

Telles les a la jeune Aurore , Quand de couleur de rofc elle peint le Levant, Ou bien quand au matin fur le rivage more

Elle les lave en fe levant.

Je fçai bien que Tes mains font un peu larro» ncflfes.

Et que pour dérober des coeurs Elles ont d'étranges adrefles î Qu'elles n'attendent point que Ton regarde ailleurs. Pour faire leurs tours de fouplelTes j Mais pour s'en garantir tous foins font fupcr- ffiis,

Et quel moyen de s'en deffendre ? Lorfque Ton a les yeux deiTus , C'cft lors qu'elles fçavent mieux pren- dre.

Pour les autres beautez dont Iris eft pourvue. Et qui compofent fon beau corps , Ce font des précieux trefors , Qu'elle tient cachez à la vue.

Avec le même foin j que fous fes beaux habits La terre cache les rubis ,

L'orôc les diamans pour qui Ton l'importune.

Que

DE Pièces GaiantejI ^ Que fans beaucoup de peine on ne peut enle- ver. Mais aufli qui font la fortune De celui qui les peut trouver.

De toutes les beautez cet illuftre modèle. Ce chef-d'œuvre achevé de la Terre & des

Cieux, ElHe riche Palais d'une ame encore plus belle. Mais d'une ame femblable aux Dieux, D'une ame toute de lumière , Qui connoit toute chofe , & fçait tout cnfla-

mer, Et dont le feul défaut eft d'être un peu trop iiere.

Et de ne fçavoir pas aimer.

Si vous êtes jaloux , grands Dieux ! de votre

gloire , Ne fouffrez plus en elle une tache fi noire ? Qui gâte vos mains l'œuvre le plus parfait,

Qu'Iris celle d'être inhumaine.

Et pour rendre accompli ce que vous avez fait.

Rendez-la fenfible à ma peine.

Voilà de mot) Iris la charmante peinture. Mais l'ouvrage imparfait de mon foible pin- ceau.

Puis qu'enfin je lui fais injure,

A iij Ec

6 Recueil

Et que l'Original eft mille fois plus beau*

Il relie maintenant qu'à ce riche Tableau >

Je fafle une digne bordure :

Ma Mufe , prenons le cizeau.

Autour de ce Portrait , il faut que tu t'aprêtes A cailler en relief d'un art induibieux ,

Sur le bois d'un Mirthe amoureux, De cet objet vainqueur les illuikes conquêtes»

Ici la prifè de Tirfîs ,

Et celle du beau Silvandre>

Ici la défaite d'Alcandre, Et Tembrafement du malheureux Lifis,

Dont le cœur fut réduit en cendre»

Enfin fur un char de vifloire, Reprefentons Iris éclatante de gloire. Qui mené après elle enchaînez Une troupe d'Amans que ces beaux yeux cap- tivent,

Qui tous de rofes couronnez, Chantent Ces beautez & la fuivent; Qui loin de regretter leurs chères libertez. Ne voudroienc pas changer avec des Diadè- mes Les aimables liens dont ils font arrêtez. Et dont ils font plus fiers de fe voir garotez. Que s'ils ctoient vainqueurs eux-mê- mes

De toutes les autres beautez.

Je

CE PiECBs Galantes. 7 Je ne crois pas être blâmable 5

Si plein d'un noble orgueil , & de mon rang jaloux ,

Je marche le premier de tous Parmi cette troupe honorable. Tous Tes Amans font courageux j Galans, libéraux, généreux. Et je fçâi que je vaut moins qu'eux.

Mais alors que Tamour range ceux de fa fuite, Ce n'efl: pas félon le mérite , Mais félon qu'ils font amoureux,

,'i*'l*'l''l''I*T''r'l*'r'r'r'r"î'H"ï*'r'T'l*'i*'r'T*'I*T*'t* rT'î*

K 0 N D E A V.

F Aire la froide en apparence. Après m'avoir donné licence De toucher jufqu'à vos genoux l Refufer un plaifir doux A ma longue perfeveranc€, Quittez-là cette indifférence. Pour me contenter laiiTez-vous Faire.

Ha ! l'importune refiflance ! Gardez de faire pénitence. Amour fe doit mettre en courroux, Puifqu'au lieu de fouflfrir fes coups Vous m'empêchez quand je le penfe Faire.

A iiij ^TAN^

} Recueil

STANCES IRREGVLIERES.

SI vous croyez que ma confiance Ne puifTc jamais vous toucher» Pliilis > n'abufez plus de ma perfeverance» Et fçachez que le tems m'eft cher.

Sondez bien votre cœur fur ce qu'il pourra

faire , Voyez s'il peut ou non appaifer mes douleurs > Après cet examen , fi je puis vous plaire,

Permettez-moi de me pourvoir ail*

leurs»

Le foible efpoir qui m*entretrent M*afait 3 jufques-ici furmonter mafouflrancc> Mais dans une telle efperance Le tcms fe pafTe & la mort vient.

Ainfî mes jeunes ans pourraient s*évanouIr

Dans des attentes vaines, ît je n'aurois après pour tout fruit de mes pei»

nés Que la perte du tems dont je devois joiiir.

Quand je parle d'être volage , Je fçai que vous avez l'orgueil De croire que d'un coup d'oeil

Vous

DE Pièces Galantes.' ^ Vous m'obligerez bien à changer de langage.

L'autorité pourtant efl: une foible amorce Pour vous aiTûrer de mon cœur, L*on n*a rien de lui par la force , Et Ton a tout par la douceur.

Peut-être, direz- vous , qu'il aille fur fa foi. Qu'à la quête d'un autre en vain il fe travaille. Comme il n'en eit pas qui me vaille^ Il reviendra toujours à moi^

Vous n'êtes pas une beauté commune , Chacun le fçait, mais fans vous offen- fer.

Il s*en pourroit encore tronver quel- qu'une , Dont en cas de befoin l'on pourroit fe pafïér.

Enfin, Philis , la longueur me déplaîtj Sans remettre à votre ordinaire, Voyez fi juftement je ferois votre fait.

Comme vous feriez mon affaire.

Ne perdons plus le tems en difcours fuperflus j Confultez- vous bien, & pour caufe. Car pour déterminer la chofe , Je ne puis vous donner qu'une heure tout au plus*

A y PRE.

10 Kecueil

PREMIERE ELEGIE.

JE fçai bien que le Ciel ne m'a point fait pour vous. Cependant je vous aime , & les deftins jaloux Du bon ordre qui veut que tout foie en fa place> M'ont refufé la force & m'ont donné Taudace 5 Je me fuis emporté jufqu'à vous Ta voiler, Contre un plus bel écuëil on ne peut échouer. Je connois ma foibleiTe , èc je connois vos

charmes , Je fçai combien le coup eft indigne des armes, Combierrma pafîîon profane vos appas. Et que les fers que j'ai ne m'appartiennent pas. Jevoulois refifter, mais dans cette furprife

11 ne fut pas en moi de pefer Tentreprife , Ni de régler alors que je vous apperçûsy Ce qu'il falloir penfer & faire là-deffus.

J'étois libre à la Cour au tems que vous y vîntes , Depuis 5 en quels détours & dans quels laby-

rintes Ne me fuis-je fenti moi-même m*égarer, SâDs que moi-même enfin je m'en fois pu t>

J9

DE Pièces Galantes. ii Il ert vrai que jamais les Cieux & la Nature N'ont bien rencontré dans une créature : Vous êtes belle au point qu'on ne peut l'ex- primer. Et parmi ce qu'on voit de plus propre à char- mer, Il femble que vous feule attiriez latendrefTe, Et que de tontes parts à vous feul on s'adrelTe, Quelle doit être , 6 Dieux 1 celle que vous lui-

vez, A juger de ces traits par ceux que vous avez? Une gloire va loin qui devance la vôtre , Vous puis-je imaginer à la fuite d'une autre? Ha ! fans doute, que c'eft la mère des Amours, De fapropre lumière elle fait les beaux jours^ L'exceflîve clarté qui brille derrière elle Ne peut diminuer fa fplendeur immortelle. Et je me fens forcé par un objet fi doux A loiier des attraits qui ne font pas à vous. Ce qu'on fait rarement devant celle qu'on ai- me. En lécompenfe aufC c'eû un honneur extrê- me, Et pour votre mérite , & pour ma paffion » Qu'un tel fujet ne {bit qu'une digreffion : A l'égard d'un Amant c'eft pourtant une faute, Et pour vous redonner l'encens que je vous

Gte, Ke puis- Je atteindre aux traits d'un vifage achevé» A vj Vrai

11 Recueil

Vrai modèle pas un n^ell encore arrivé?

Ce teint, ces cheveux blonds, ce parler , ce

fourire , Charmes à reffentir , & non pas â décrire ? i'éclat impérieux de ces divins regards Propres â renverfer le trône des Céfars , Ne puis-je l'exprimer non plus que me défen- dre, D*un chef-d'œuvre adorable l'amour >

quoique tendre , A fi mal toutefois ménagé la langueur , Que tout eft dans les yeux , & rien dedans le

cœur: Ces yeux ont mis le feu par toute TAuftrafie, Qui pour votre naiiïance avoit été choifie. Ce climat de vos loix ne s'eft point affranchi. Et jufques à Tes Dieux toute chofe a fléchi : K'aviez vous pas fur eux étendu vos conque*

tes. Avant que de venir mettre tin joug fur nos

têtes? Il eft bien jufte auffi qu'un triomphe fi doux. Commence par les Dieux & finille par nous.

Je veux vous Tavoùer , fouvent la calomnie Attaque les beautez du côté du génie j C'étoit-là votre foibie, au moins je i'efperois ^ Et que par cet endroit j,e vous échaperois , Cherchant â me fauver dans ce dcfavantage Comme fur une planche ofifenie 4 mon nau,-

DE Pièces Galantes. r^ Mais en vous , le dedans eft digne du dehors , Et j'ai trouvé refpric aufll beau que le corps > Une droite raifon , un jugement folide, Et dans un cœur honnête l'équité prélîde» Des fentimensfi fins, tendres & délicats. Qu'on vous croiroit aimer ceux dont vous faites cas. HelaSj que de rivaux ! ma meilleure for- tune Eiî d^avoir quelque part s la chaîne com- mune, Et c'eft ma delîinée entre ces malheureux De fouffrir &ns me plaindre , Se de Ibufïrir

plus qu'eux i Oiii 5 plus qu'eux , & fçachez que vous êtes

coupable, Si vous en avez crû quelq^ue autre plus capa- ble Quelqu'autre n'a point tant de confîancc &

de foi , Mais ce quelqu'autre-là vous l'aimez plus qus

moi» Le reproche eft Icger dont ma plainte ell fui- vie. Et tel de vos Amans , à qui je porte envie > Peut-être plus aimé 3 q^uoic^ue moins amou- reux > Et n*en être pourtant de guère plus heureux» Ces gen^ remplis d'ua art ^ui leur eft ne*

14 Recueil

N'auront point avec vous de procédé fincere;

Vous conteront leur peine , & vous la diront tous ,

Autant pour être ouis des autres que de vous î

Ou vous en feront voir davantage peut-être.

Qu'en effet vos beaux yeux chez eux n'en ont fait naîcre:

Mais celui qui vous parle & qui femble inter- dit.

Vous étale Ton cœur , & fent tout ce qu'il dit-

AVANT URE

D un Moineau & dïine Tour- terelle.

UN Moineau des plus emporter Se pâma l'autre jour pour les rares beau- tez

D'une affligée & tendre Tourterelle y

Mais elle répondit à ce tranfport preflant D'un air mélancolique , amoureux, languiP- fànr.

Je ne fuis pointf une infidèle^ J'ai perdu mon unique amourr Je n'en puis jamais fouffrir d'autrc> Moineau , je méprife le vôtre y Autant ^ue j'abhorre le jour»

DE Pièces Galantes. îf A^Hs à la Tourterelle,

j

'Ai pitié de la Tourterelle, Qui méprife un Moineau pâméj Quand fa compagne eft infidèle Le Moineau devroit être aimé. Si la mort vous Ta voit- ravie y l!faudroit la pleurer, gémir toute fa vie^ Et ne fouiFrir jamais une nouvelle amour 5 Mais quand cette compagne eft ingrate & lé- gère.

Quand fon abfence eft volontaire ^ li faut la quitter à fon tour > Aux ardeurs êics Moineaux piomptement (a*

tisfaire , Et bénir en chantant la lumière du jour..

Croyez- moi , charmante Bergère.. Voici pour les Oifeaux un avis falutairc

IL ELEGIE.

XJ* Amour a de plaifîr dansfbn aimable

empire. Il fçait rendre content > même quand, oufoife.-

Depuis

1^ Recueil

Depuis que vos beaux yeux Ton rendu mon vainqueur,

Mille charmes fecrets Tont fuivi dans mon cœur.

Que je lui {çai bon gré de fa prompte vic- toire!

En me chargeant de fers , il me comble de gloire ,

D'un agréable efpoir il fîate les defirs ,

Pour un mal qui n'ell rien , il donne cent plai-

Souvent if adoucit Tamertume des larmes :

Il mêle à tous nos maux mille invifibles char- mes :

On ne fçait point aimer quand on craint fon tourment.

Et c'ell pour être heureux que Je veux être Amant.

Quelque accablé qu*on foit , un fîgne , un€ parole

Sufpend les déplaifirs, les charmes les confole r

Malgré tous ùs ennuis & tous fes maux fouf- ferts ,

On n'a point déplaifirs flce n.'e(l dans Ces fers,.

Quelque profond refped que la raifoxi m'or- donne >

Quand je fuis près de vous mon ame m*aban»- donne,

£t voyant qu*il n'cft rien de li beau fous les Cicux , Pour

DE PiECîs Galantes. 17 Pour vous mieux admirer vient toute dans

mes yeux , Quand je ne vous vois plus , un quart d'heure

d'abfence Fait fouffrir à mon cœur un fîecle de fouf-

france 3 J'accufe vos rigueurs , je déplore mon fort , Et m'éloigner de vous , c'eft aller â la mort : Mais dès que mon bonheur veut que je vous

revoye , Je ne puis exprimer ni retenir ma joye : Elle éclate oc mon coeur en un fi doux lïio»

ment refouvient plus de Ton craeî tourment î Plein d'une émotion douce, fenfible , aimable. Il fe fait à foi-même un plaifir incroyable: A force de fonger aux plaifirs les plus doux , Enchanté comme il ett , il croit les avoir tous. Et penfer les fentir, parce qu'il les defire. Il fe flate , il fe pâme , il femble qu'il expire : Mais faut-il , belle Iris , que vos divins appas Caufent tant de plaifirs que vous ne goûte25

pas? Si l'Amour efl doux , aimez ce qui vous

aime. Ne vous refufez pas cette douceur extrême , Que le fèu de vos yeux qui pafle dans mon

cœur, Repafle dans le vôtre avec larmeme ardeur > Ah ! ne refiftez point à cette ardeur belle ?

Il

i8 Recueil

Il n'eft rien de pur ni de fi charmant qu'elle. Et ne croirez vous pas un feu fi glorieux Digne de votre cœur, puifqu'il vient de vos

yeux. Quoi ! mon zèle aujourd'hui pourroit-il vous

déplaire ? Quand je brûle d'amour brûlez- vous de co- lère ? Croyez-moi, s'il n'alloit que de mon intérêt > Je ferois plus fournis que tout autre ne l'eft; Mais auffi , belle Iris , quand il y va du vôtre , Ah ! foulfirez que je fois plus hardi que tout

autre 5 Il r/eil peine, ii n'eft rien dont je ne viçnne 4

bout. J'aime & je vous le dis , en un mot j'ofe tout; J'afpire à vous fervir , & c'cft la noble envie Qui m'engage à l'amour & qui vous y convie ; Et mes tendres vœux femblent intereflez , L'intérêt eft fi beau qu'il les excufe aflfez. Doux charme de nos cœurs , cher auteur de

ma peine, Amour, qui la connoît, vole vers l'inhumaine. Pour entrer dans fon cœur , fors un moment

du mien. Fais-lui mon mal fi beau qu'elle en faffe le

fien ; Mais fur tout , adoucis fon injufte colère, Sçache-lui plaire enfin j'ai f$û lui déplaire :

Seid

DE Pièces Galantes. 19 Seul tu Tas irrité , & feul entre les Dieux Tu me peux déformais rendre moins odieux : Il y va de ta gloire , il y va de la mienne 3 Et pour dire encore plus, il y va de lafîenne.

II L ELEGIE.

Pourquoi me preffez-vous, curieufeSiIvîe: De vous nommer l'objet donc mon ame ert ravie ? Penfez-vous que le fort pour moi fi rigoureux Ait encore entrepris de me rendre amoureux^ Et que pour achever ma mauvaife fortune. Il ait mis dans mon cœur une fiame impor- tune? Comment, d'un fi grand mal vous puis- je être

fufpe6l ? N'ert-ce point que mes yeux ont manque de -

refped ? Quelqu'un de mes regards vous a-t-il fait en- tendre

Qu'un feu trop violent me reduifoit en ccn* dre ?

Jai donc par tant de foin eflay é vainement De cacher en tous lieux cet aimable tour- ment :

Je ne le cele point , j*ai perdu ma franchifc. Vous l'avez deviné , que cela vous Tuffife ,

D'une

xo Recueil

D'une jeune beauté j'ai fenci le pouvoir ,

De grâce , après cela que penfez-vous fçâ- voir?

Qui vous fait tant chercher le nom de cette Belle ?

Si je vous le difois , helas î que diroit-elle ?

Je verrois fa douceur fe tourner en courroux y

Et j'aurois grand fujet de me plaindre de vous.

Ha ! pour vous contenter je crains trop fa co- lère ,

Et vous me blâmeriez j'ofois lui déplaire :

Sans doute au même tems votre ame chaii' geroit.

Et loin de me deffendre elle m'accuferoit.

Laiffez-moi donc aimer fans vous dire qui j'aime ,

Dieux ! ne craignez-vous point que ce ne foit vous-même?

Vous de qui les appas fçavent tout émouvoir,.

Vous que fans être épris l'on n'a jamais pd voir :

Un ordre impérieux de la bouche que j'aime

A bien fçû me refoudre à me trahir moi- même :

Quel refpedl profond peut au mien s'éga- ler?

Cent fois je me fuis tu quand il falloit parler ,

Et le même refpe6t par un effet contraire

Ma forcé de parler quand je voulois me taire.

Cher ôc divin objet, quittez votre rigueur ,

Un

DE Pièces Galantes. 21 Un vaincu doit toujours avouer fon vain- queur : C'cft agir lâchement & lui ravir fa gloire 5 Que de lui refufer Tavcu de fa viftoire j Quand je dis que vos yeux m^ont rangé fous

vos loix , Je rends à ces vainqueurs l'hommage que je

dois: Un injufte refpeft m'empêchoit de le dire , Mais je n'ai pu trahir les droits de leur Em- pire, Et prefTé d'un devoir & plus jufte & plus doux. J'ai reconnu les fers que je tenois de vous : Quoi ! par un tel aveu j'ai donc pu vous dé- plaire ,

Et l'encens aujourd'hui met les Dieux en co- lère !

Beaux yeux , s'il efl ainfi, j'en accufe mon fort.

Et s'il m'en faut punir je confens à ma mort. Ainfî 3 difoit Tirfis , le feu qui le dévore.

Et l'amour en fes yeux fembloit le dire en- core s

Il n'eût jamais fini , û pour le contenter

La belle plus long-tems eût daigné l'écouter.

/r. ELE-^

:,i Recueil

IF. ELEGIE.

DECLARATION D'AMOUR.

CAlifle , je fçai bien que je vai me dé- truire , Et que ma padlon trop portée à me nuire, Faifant fur mon devoir ce téméraire effort , Dans refpoir de guérir , me conduit à la

mort, Qa^ofant vous déclarer le mal qui me pof-

Je vai chercher ma perte en cherchant du re- mède : Mais dûfTai-je foudain expirer devant vous , N'obtenir que mépris , que haine & que cour*

roux, Et voir s'il fe peut autant impitoyable , Que je fouhaiterois de vous voir favorable : Il faut dans mon tourment ou mourir ou par- ler, Puis-jc cacher un feu dont on me voit brûler? Je vous aime , Calirte , & j'ofe vous le dire , Ceft aflfez , ce me femble , exprimer mon

martyre , Puifque r aveuglement , qui m'ôte le refpeft , Vous défend de tenir cet aveu pour fufped :

AufTi

DE Pièces Galantes. 23 Aufii dans mes douleurs efperer me contrain- dre, Efperer me ravir la douceur de me plaindre : Aflfez & trop long-tems je l'ai voulu tenter , Mais qui n'efpcre rien ne doit rien redouter. Ce Tyran qu'en mon cœur vos appas firent

naître , Malgré ma réfîilance eft devenu mon maître : En le voulant dompter 5 lui-même m'a domp- té. Et s'eft rendu plus fort, plus j'avois refîllé. Depuis de vos beaux yeux les puiflfantes amor- ces Toujours dans ma foiblefle augmentèrent

leurs forces , Et voyant que mon cœur ies vouloit fecoit-

der. Enfin jcfucombai ne voulant pas céder. Calirte, dès ce tems je languis dans vos chaî- nes. Mes yeux incontinent vous contèrent mes pei- nes. Et mes vives douleurs s'y peignirent fi bien , Qu'en vain vous me direz que vous n'en vite

rien. Mais comme ma raifon condamnant cette flà-

me, K'avoit pas tout- à-fait abandonné mon ame , D'abord je reprimai leur langage indifcret 3 Je voulus ies contraindre à garder le fecret :

£c

24 Recueil

Et comme inceflamment leur difcours témé- raire Malgré tous mes efforts tâchoit de vous dé- plaire. Pour les en empêcher j'aimai mieux me ban- nir. Ou plutôt dans la fuite avec eux me punir. J'allai donc en des lieux à moi feul accef-

fibles , Choifîr pour foûpirer des rémois infenfiblcs : Dans ces deferts affreux , au fort de mes tour-

mens Ces bois fe font émus de mes gimilTemens . Leurs mornes Déïtez quittant leurs folitudes , Ont daigné prendre part à mes inquiétudes , Et mille fois Echo dans mon trille entretien. Pour foûpirer mon mal a négligé le ficn. Mais je trouve qu'enfin ma peine eft incurable. Que ce remède eft rude & bien peu profitable. Et je veux efperer qu'il me fera plus doux , Puis qu'il me faut mourir j de mourir près de

vous , Après m'être fervi de mes plus fortes armes , Que ma flâme n'a pu s'éteindre par mes lar- mes. Ma raifon m'abandonne , & mon cœur eft

contraint De vous montrer le trait dont il fe fent at- teint.

Revoyez-le, Caliile; il revient pour vous dire.

Qu'il

dePiecbs Galaktes. IJ Qu'il foûpire pour vouSjOu plutôt qu'il expire : Dans fa rébellion , il veut , Taudacicux, Que ma bouche vous parle aufli-bien que mes

yeux : Vous l'avez écoutée après Ton infoîence , Je mets en vos bontez mon unique efperance : Car mon elprit n'eil point tellem^ent déréglé, Que je ne fcache bien que je fuis aveuglé j Que la Nature ingrate , & la Fortune avare M'ont toujours regardé d'un œiltrifte 6c bar- bare, Et ne m'ont point orné de ces rares tréfors, €)ui parent un efprit & font aimer un corps. Calille , cependant par une audace infîgne» J'ofe brûler pour vous en étant fi peu digne i Même , le puis-je dire , en ma témérité J'ofe encore cfperer de ma fidélité : Ma paflion me flatte & me veut faire croire , Qu'on peut vous adorer fans ternir votre

gloire , Puifque même les Dieux du plus vil des mor- tels N'ont jamais dédaigné d'accepter des Autels : Recevez donc les miens & foyez afiîurée Que vous ferez afiez , fouffranc d'être adorée ; C'ert l'unique bonheur que je veux obtenir. Qu'ai-je dit ? C'en eil trop , vous me devez

punir ; Mais fi pour vous venger & pour mefatis- faire , TQms ///. B Vous

i6 Recueil

Vous fouhaitez fçavoir ce que vous devez

faire , Déclarez feulement que vous fouffrez mes feux Mon amour aufTi-tot fécondera vos vœux. Dans Tattentede voirmafiâme foulagée. Je vai mourir de joye , & vous ferez vengée : Et moijje trouverai dans cet heureux moment Mon unique bonheur avec mon châtiment.

y. ELEGIE. SUR LA VIOLENCE

D'UNE PASSION.

JEune merveille à qui mes deftinées Ont confacré mes plus belles années , A qui malgré ma cruelle prifon , Malgré mes maux & malgré ma raifon , Qui me fait voir ma perte manifefle , J'en veux encor confacrer tout le refte j Sans que jamais ni rigueur ni mépris ^ PuifiTent m*©ter le deffein que j'ai pris : Beauté fatale au repos de ma vie , Si par vos yeux ma liberté ravie , Ne vous coûta qu'un feul de leurs regards, Et fi depuis bravant tous les hazards Que j*ai prévus dans mon fort déplorable ,

DE Pièces Galantes. ij J'ai mieux aimé me rendre miferable. Et vous aimant fouflfrir mille trépas , Que vivre heureux , & ne vous aimer pas : Par tant de maux , de tourmens & de peines. Si conftamment fbufferts dedans vos chaînes 3 Prêtez Toreille a ma mourante voix. Si vous voulez, pour cette feule fois. Mais pour m'aider à plaindre mon martyre 9 Lâchez un peu mes fers : que je refpire. Las ! que vous fert de vouloir que mon cœur Soit accablé deffous leur pefanteur ? A-t'il conçu quelque penfer rebelle > Ou fait deffein de vous être infidèle > Dans la rigueur des maux que j'ai foufFerts Ai-je par fois murmuré dans vos fers ? A quel delTein ces chaînes différentes Par tant de noeuds font encor plus prefîân-

tes ? Si quelquefois j'ofe les repouffer, Ceft pour me plaindre , & non pour les for- cer. Je n'ai jamais haï ma fcrvitude ; Même au plus fort de mon inquiétude , Je ne dis point qu'elle m.e fait mourir : Mais je me plains qu'on ne la peut fouffrii : Qi'/à votre gré mon mal foit incurable , Qu'il foit mortel, mais qu'il foit fupportabîe. Certes vos yeux , tout clair-voyansqu'ilsfont» Pardonnez-moi , ne fçavent ce qu'ils font . Qui ne dirgicà-m« voir tout de flâmc,

B ij Qjs

iS Recueil

Que leurs regards n'en veulent qu'à mon

amef- Que n'a pas fait Amour pour m'enflamer. Et qu'ai je fait pour ne vous pas aimer ? Ai- je offenfé par trop de refîltance De vos attraits la divine puiflance ? Ai-je jamais permis à ma raifon De me parler de rompre ma prifbn j De remontrer à mon ame égarée, Que je couroîs à ma perte aflurée ; Que le plaifir que Ton prend à vous Voir , Ne produit rien qu'un mortel defefpoir; Que je devois un peu mieux me connoître, Encor qu'Amour fe fût rendu mon maître. Et qu'il falloit pour m'en lailTer charmer. Songer du moins vous pouviez m'aimer? Dans mon malheur j helas I tout au contraire Je ne fongeois qu'à tâcher de m'y plaire j D'un û beau feu me regardant brûler. Je n'afpirois à rien qu'à m'aveugler , Je me difois qu'Amour a de coutume D'entremêler Ces plaifîrs d'am.ertume : Je me difois , que pour vous acquérir Mêmes un Dieu ne pouvoir trop fouffrir. Fermant les yeux aux bords des précipices. Je n'y penfois rien voir que des délices : Même penfant qu'ils croient fous mes pas. Je me difois que je n'y courois pas. Mais vous ayant enfin rendu les armes, Ne puis-je avoir de trêve avec vos charmes >

Non;>

DE Pièces Galantes. 29 Non, non, il rcfte à leur puiffant effort, De m'ouir plaindre , & me donner la mort. Peut être encor jugeant mal du lîlence. Qui de mes maux accroît la violence. Vous ignorez qu'on peut languir, brûler. Souffrir la mort, & jamais n'en parler. Mais qui peut mieux exprimer mon martyrc> Que le travail de ne le pouvoir dire t Ell-il des cris bc des gemillemens, Qui panent mieux que mes propres tourmens ? Quelque tranfport que TAmour nous infpire, Alfez s'en plaint qui fait voir qu'il expire. Pour robferver , faites envers vos yeux , Que j'aime m.oins. S: je parlerai mieux. Je n'en veux point une marque meilleure , Vous le pouvez éprouver à toute heure : Dans mes Rivaux j'en ai mille témoins, S'ils parlent mieux , ils vous aiment bi€«

moins. Vous le verrez par notre patience 5 Mais que m'en doit fervir l'expérience? Vous l'avoûrez : mais las ! que cet aveu Me coûte cher , & me fervira peu? Avant ce tems mon trépas qui s'avance, M'aura ravi le prix de ma confiance : Et pour tout fruit , quand vous l'admirerez , Avec la leur vous la comparerez. Helas ! du moins , en fon£!;eant à ma perte , Souvenez-vous que vous l'avez ibufferte. Mais qu'ai-je dit ! que c'eflmaldifcourirl

B iij Si

;o Recueil

Si votre but eil de me voir mourir. Trop belle Ii is , ce que je puis vous dire , Eli que je crois fans ceiîè que j'expire. Que le trépas, qu'à toute heure j'attends. Rendra bien-tôt tous vos defîrs contens , Et qu'en mon fort j'aime allez peu la vk. Pour contenter aifement votre envie. A votre gré difpofez de mes jours , Je vous en veux confacrer tout le cours : Affligez- moi par des rigueurs nouvelles. Brûlez mon cœur de fiâmes plus cruelles: De tous vos traits ne percez que mon fein. Mais pour le moins ayez-en le defifein. Ne fouffrez pas que ma fin malheureufe , (Mais que ma foi rendra fi gloiieufe) Soit purement l'ouvrage du hazard. Sans que vos yeux y prennent quelque parti ÏS'abaifl^ez point vous-même votre gloire. Aimez mes maux , aimez votre vidoire : Et pour l'honneur de vos yeux feulement. Aimez l'Amour, fi vous n'aimez l'Amant. Aimez mon feu pour l'amour de vous-mêmc> Prenez plaifir à voir qu'il cil extrême , Et qu'ayant pris naifîance de vos coups , Il ert fans doute aufli parfait que vous : Ainfi mon mal me feroitfupportable. Et vous plaifant à me voir miferable , Je vous ferois avoir par mes foûpirs Souvent dcquoi contenter vos defirs. Mais vos beaux yeux ont mon amc bleilée.

Sans

DS Pièces Galantes. 31 Sans en avoir peut-être eu la penfée : Ah ! dites-moi , fi e'eit trop fouhaiter, Laiflez-moi libre , ou veiiillez m'arrêter : Ou feulement prefTez-moi d'une chaîne. Sous qui mon coeur puiiTe plaindre fa peine. Vous me verriez mes ftrs idolâtrer. Si fous leur poids je pouvois foûpirer. Sans fouhâiter jamais qu'on m'en délivre 9 J'y veux mourir , pourvu qu'on puifle y yî-

vre: Car , ô beaux yeux ! foyez cruels ou doux. Je ne vois rien de fi charmant que vous. De mille maux perfecutez m.on ame , Elle ne peut brûler d'une autre flâme ', Et j'aime mieux m'en laifîer confumer Que d'cfl^yer de ne vous pkis aimer. Contre mon gré, contre le vôtre même, II faut , beaux yeux , il faut que je vous aime-p AfiTez fouvent je veux m'en repentir , Mais plus fouvent il y faut confentir : Ç'eû mon deftin > & quoiqu'il en arrive, Trifte ou content > il faut que je le fuiyc.

B ilij LISDA^

32 Recueil

LISDAM ANT

A M E N I S E,

En lui envoyant des fruits de U Campagne.

AU lieu de mille fleurettes que Ion vous donne cous les jours , je vous envoyé ues fruits de la Taifonjdes plus doux & des pius iavoui'cux de cette Contrée, pour vous témoigner que loin de vous je penfe à vous , comme li j'écois piefent à vos yeux.

Amour de bon matin Les a cueillis dans le jardin. Il vous devoit bien cet office. Pour mille cœurs que vos yeux ont gagnez. Et fur qui vous régnez Avec tant de juftice.

Il les a mis lui-même fort proprement dans un panierj&: les a couverts de feuilles pour en conferver la fraîcheur & la beau- té ; de lorfqu'il les a voulu envoyer , je n'ai pu empêcher de donner cours à mes pen- iee5^& de leur dire:

Beaux

DE Pièces Galantes. 55 Beaux fruits , vous allez voir Menife , Que je chéris & que je prife j O que je vous el^ime heureux 1 Portez-lui du moins tous mes vœu:^-^ Soyez doux à fa belle bouche > Et que votre beauté la touche. Gardez pour elle votre odeur» Flatez lui le goût & le cœur > Infpirez-lui de la tendreiîe, BannilTez toute fa trillelTe. Quand elle vous carefleraj Et lors qu'elle vous baifera 9 Rafraîchiflez un peu la belle Par votre eau charmante & nouvelle t Enfin contentez Tes defîrs , Et donnez-lui mille plaifîrs. Pour elle Ton vous a fait naître > Ceit pour elle que votre maître- Vous cultive foir &: matin. Dans un agréable jardin : Ne penfez pas me fatisfaire. Que dans le delTein de lui plaire r Si de Ces dents elle vous m.ord : Que j'eftime heureux votre fort t Er fi cette belle vous mange , Vous ferez mangez par un Ange, Par un Ange de chair & d'os. Qui trouble fouvent le repos De plus d'un cœur , de plus d'une ame ,; Qu'elle rurpiend& quelle enfiâme..

B V Beaux

34 Reçue II

Beaux fruits , que votre fort eft doux i

Il fait mille & mille jaloux ,

Qui voudroient borner leur envie >

A terminer ainfi leur vie ,

Et les plus heureux des humains ,

Mourir en de fi belles mains.

Vous voyez bien que ce font les prefens innocens de la Campagne , ôc vous ne le^ rez peuc-ccre pas fâchce d'en recevoir de cette forte. Nous avons ici cinq ou fîx Nymphes bocageres , qui ont eu quelque dépit de voir cecre lettre , je ne içai fi c'efir parce qu'on leuL' enlevé des fruits qu'elles aiment , ou il c'eft un efpric de jaloufis- qui les anime >

Mais c*eft jaloufîe » Dont leur ame eft faifîè Contre vos doux appas. Vous. , ne vous en tourmentez pas^

Dans un Ci beau fejour , je ne trouve ïien à dire que vous , ik à tous momens je m'écrie , 6 que ces fruits font bons ! ôc pourquoi Menife n'eft-elk pas ici ? Je fuis iècondé dans, ces fouhaics par le Maicre du logis,

Quï vous a vue t^ins une rencontre imprévues

Mais-

DE Pièces Galantes: jj Mais foit deflein , ou foit hazard, A tout ce qui vous touchcj il prend beaucoup départ.

Au refte , ne vous excufez pas de repon- dre fur une bicnfeance fcrupuleufe , donc on le moque à pielenc , de je voudrois bien fçavoii' par vous-même , fi vous avez goûté nos fiuics > ôc Ci vous les trouvez agréables.

MENISE

A LISDAMANT.

EN vérité il n'appartient qu'à vous de faire des prefens, vous m'avez reveil- lée ce matin le plus agréablement du mon- de 5 ôc quand vos fruits ne feroient pas aufli bons qu'ils font beaux , vous les ac- compagnez de tant de douceurs , qu'il eft impoiïîble qu'on ne les trouve excel- kns. Je vous ai tant d'obligation de vous iôuvenir de moi dans un lieu fi charmant, que je ne puis trouver d'affez beaux rer- înes pour vous en remercier ; & quoique pye bien prévu que je ne m'en acquitte- rois qu'avec confufion ^ f ai mieux aimé paroître avec moins d'efprir , que de man- ^ B vj; quel

5<î Recueil

quer de reconnoilTànce. Ce n'efl pas que je n'aye quelque fujec de me plaindre des railleries que vous me faites : mais iieft iioux d'être flattée d'une perfonne comme vous 5 qui le faites fi galamment &: de il bonne grâce , qu'on ne pourroit pas s'en fâcher, quand on en auroic envie j & roue ce que vous dites, eft fi bien penfé &c Ci jufte , que je me trouve bien empêchée pour y répondre. Je voudrois bien dire quelque chofe à cet Amant qui a cueilli ces fruits; mais comme je ne le connois pas, je vous prie , vous qui connoillèz Ci bien le divin &c le prophane , deTçavoic lequel des deux a pris cette peine , &de lui faire un compliment de ma part. Je voudrois bien encore vous parler de vos Nymphes j mais on me preiTefi fort de fi-- lîir , que tout ce que je puis faire, c'cft de vous baifèr les mains,.

iisda;

DE Pièces Galantes. ^7

LISD AMANT

A L I N I S E^

En lui envoymt des fruits de lu.

Campagne.

VOuspenfêz peut-être qu'en vous en- voyant des fiuits , je commencerai par un compliment , & que je vous ferai d'abord des excnfcs :> fur ce qu'ils ne font pas afTez-beaiix pour vous être offerts.

Mais les Bergers qui comme nous, Défendent leurs troupeaux de la rage des- loups, Qui dans les champs & le bocage >. Font inceffammcnt leur féjoura Ignorent ce langage , Et ne connoiffent pas les termes de la Cour-

Je vous parlerois bien mieux^des arbreS' qui nous donnent le frais & Tombre , du chant des ci féaux , du ferpolet & de la fougère , comme les Bergers ont accoûcu- ïné d'en parler fans fard & fans étude, que je ne vous parlerois de la Cour avec la de-

iicaceffe

jS RECtJEÏt

iicatelfe de ces efprics , qui font les efcîa^ ves de TaL-c , au lieu que nous fommes les enfans innocens d^ la nature.

Ici règne cet âge heureux »

Cette liberté d'innocence :

Ici le monde eft en enfance.

Et fe divertit à des jeux

Qui plaifent bien plus qu'on ne penfe,-

Ds forte que vous ne devez attendre- que des naïvetez ôc des paroles toutes Simples d*un Berger qui aime la vie cham- pêtre , plus que la pompe de Paris ; êc il faut que familièrement je vous raconte ici une avanture qui m'eft arrivée ce ma- tin. J'étois couché à Tombre de quelques arbres , ôc par la douceur de mon chalu- meau , j'entretenois mes penfces dans un jardin fort agréable : un jeune gaiçon eft venu a/îez près de moi , & par le bruit qu'il a fait , il a interrompu ma rêverie.. D'ab jrd j'ai détourné la tête pour le re- garder ; il étoic vécu de verdure, tenant un panier ea Tes mains y fon vifage étoit liante de fa façon d'un enfant de village^

Je Tâi pris d'abord pour T Amour > Et j'ai crû que c'étoit un tour Qae cet enfant me vouloit faire :

Câ( ce I>i«ii ie ne fçai comment ,

N'ayanr

DE Pièces Galantes. 5^ N'ayant pas de meilleure affaire > Ou pour furprendre quelq.ue Amant y Se dégiùfe affez. finement.

Je l'ai abordé pourtant , fans lui dé- couvrir ma penlée , & lui ai demandé ce qu'il venoic faire dans le jardin. Ll m'a ré- pondu qu'il écoit le Dieu des fruits , dc qu'il en venoic cueillir pour les Bergères du voifinage. Mais vous ne fçavez pa5> lui ai- je die, que la Bergère Liniie mérite bien que vous preniez certe peine pour elle : je veux vous aider moi-mcme:> cueil- lons-en des meilleuis, de de ceux qu'elle aime le mieux.

Je coîmois , m*a-t'il dit , la Begere Linire> Et tous les échos d'alentour Difent fon beau nom tour à tour>

Elle aime la cerife 5 Les pêches & les arbricots : Et je vous rencontre à propos :: Vous m'aiderez à reconnoîtrc L'amitié qu^elle fait paroître Pour les fruits que foir & matitt Je cultive dans ce jardin.

Aufîî-tot nous fommes allez vers dé' grands cfpaliers qui ëroient chargez de- pêches , & nous en avons rempli un pa- nier pour vous envoyer. Enfiûtc ce Dieit

40 Recueil

m'a juré (caries Dieux jurent au (îî- bien que Les aucrcs) qu'il teroic graver votre nom fur l'ccoice de lous les ai bres frui- tiers , efperanc que les arbres en devien- droienc plus doux de plus beaux : maisians attendre ce qu'il voulait faire , j'ai pris> moi-même un poinçon , j'ai gravé votre nom fur le pied de l'arbre, de j'ai mis toux autour ces deux Vers.

Ce nom va défendre fa tête De l'orage & de la tcmpêtc.^

Que vous ne trouvez pas ces frui s affez doux , c'ell que votre nom n'a pu encore leur communiquer cette douceur qu'il tire de vous , &c qu'il répand dans le cœur de ceux qui ont l'honneur de vous- approcher»

L I N I s E,

A LISDAMANT.

PUifque VGM.IS êtes en poiTè/îion de re- cevoir des Lettres de toutes les Dames à qui vous écrivez , je ne dois pas être plus fcrupuleule , n'étant pas moins re- çonnoilTante qu'elles , de la part que vous

m'avez

DE Pièces Galawtes. 41

m'avez faire de vos beaux fruits. Vous êces bien obligeant de vousêtre iouvenu de moi dans un fi agréable lieu , Se d'avoir en- gage vocre )oii petit Jardinier à s'enfouve- nir. Je croyois qu'il m'eût oubliée depuis letemsqueje n'habite plus les lieux cham- pêtres 5 ôc que l'occapation que lui doiTne îôn beau jardin j, & les aimables Bergères d'alentour, lui etilïenc fait oubher mon nom, qu'il peut avoir appris de quelqu'un des Dieux de nos boccages : car je crois tjue les Dieux ont communication les uns avec les autres. Dans leur nombre, je vous alfûre que je n'en ai point vu de plus agréable que le vône;, ni qui fçliï plus jo- liment encan fer une Bergère. Il me pa-v roîc avec une naïveté fi fpirrtuelle , un habit Cl charmant, & ce panier fi propre- ment ajufté i que je lui fçai tout- à fait bon gré de la peine qu'il a prife. Je me fou- viens de lui avec plaifir , ôc peu s'en faut que cette penfée ne me falTe prendre la ré- iblution d'aller dans nos hameaux , j'ai palTé le premier âge de ma vie, revoir les Bergères mes compagnes. Je leur donne- rai de l'envie quand je leur apprendrai que mon nom a été couronné par le petit Dieu des fruits , 5c par le Berger des fleurettes , 3 qui je fouhaite mille jours heureux, Sc ion Troupeau exempt à jamais de la cruaa- des loupsa

A

VI. ELEGIE.

A UNE DAME

Q^UI DEMANDOIT

des Vers pour une autre qu'elle Galantilbit comme Maitrefle.

PAr quelle autorité faudra t'il que fans ctÇ[c Je vante dans mes Vers votre belle Du- chefle ,

Dont le mérite heureux vous trouve fans ri- gueur ?

Parce que votre cœur depuis trois jours fou- pire.

Croyez- vous que le mien n'ait plus rien à vous dire ?

Suis-jc libre depuis qu'elle a fçû vous char- mer?

Parce que vous aimez , ai-îe cefle d*aimer ?

Et guéri de vos traits, infenfible à tous au- tres,

N*ai-je plus d'autres maux à plaindre que \ts vôtres?

Ahl

DE Pièces Galantes. 4^ Ah ! ne fouff e-je point encore afTez de mal , Sans que je me tourmente à me faire un Rival? Si c'eltpour m'é prouver, Tépreuve en efl bi- zarre j Si c'eft par fantaiiîe , au moins cft-elle rare , De vouloir me contraindre à flatcr le vain- queur. Qui peut-être â mes vœux dérobe votre cœur. Mon ame toutefois , foit coutume ou caprices Aime mieux obéir & fe faire injuftice : Votre cœur le fouhaitc, & le mien plein d'en- nui , A beau dire qu'il eft aufTi prelTe que lui : pour obliger vos vœux, vos foins & vosfèr-

vice? 5 Je veux quil faffe trêve à Cts propres fupprr-

ces, Et par quelle raifon en feroit-il jaloux ? Toujours ce ne fera que foûpirer pour vous: Sans ce terme trompeur, il n'eft rien qu'il ne

fafTc, Mais las ! fi fon travail vous obtient quelque

grâce, Pour prix de tant de zcle & de tant de ferveur Que vous difpofez-vous de faire en fa faveur > Ce qu'il faut que pour vous je faffe auprès

d'une autre, Vous pouvez pour mon cœur le faire auprès

du vôtre : Pour lui ; dites un mot, $c {budain vous vcrrer

Que

44 R E c tr E I L

Que j'en dirai pour vous plus que vous ne voudrez.

Mais fans confidercr ce que je me propofe) Ma pafîion me fait promettre toute chofe , Mon amour tout gagné confentà fe trahir : Mais helas ! en ce point comment vous obcïr ? Pour vanter la beauté qui captive votre amc , Je dirai que fes yeux font tous remplis de flâ-

me, Qu'Amour y prend les traits , dont il fçait tout

charmer, Et qu un glaçon près d'eux fe verroit enfla»

mer. De fon divin efprit je loûrai la jufteffe , L'agrément; la prefence & la délicateflej Son courage obligeant, fon naturel heureux. Son jugement folidc , & fon cœur généreux , Sa converfation douce, honnête & galante. Son humeur agréable , égale & complaifante. Son procédé civil , & fa noble fierté , Sa candeur , fon adreffe , & fa grande bonté : Puis je loûrois encore une bouche adorable. Et d'un corps parfait la grâce incomparable. Tant de charmes vainqueurs , & tant d'attraits

fi doux: Mais les trouve-t'on, fîce n*étoit en vous ? Et qui ne verroit bien que dans cette avan-

ture , J'aurois fans y penfcr tiré votre peinture ? Et s'il me faut enfuite exprimer le tourment

Que

DE Pièces Galantes. 4^ Que caufe en votre cfprit un objet charmant : Si je lui veux parler d'un amour véritable. Qu'ait fait naître un fujet infaiiment aimable> D'un deiîr allumé par des appas puiffans , Nourri par la railbn , augmenté par les fens; D'une foûmifiion Se d'un refpe6t extrême Pour la perfonne aimée, & pour tout ce qu'elle

aime. D'un abandonnement de Ton propre intérêt. Pour fe facrifier à tout ce qu'il lui plaît : Et fi je veux enfin exprimer un martyre, QLii n'eût jamais d'exemple en l'amoureux

Empire , Une confiance rare , une éternelle foi : Qui ne connoîtra bien que je parle pour moi ? Mon cœur accoutumé de languir dans vos

chaînes. Au lieu de votre mal fcûpireroit Tes peines , Et fe plaignant alors defïlis un ton trop haut , Feroit voir de l'amour plus qu'il ne vous en

faut. En vain donc mon amour vous promet toute

chofe , Je ne puis vous fervir, mais vous en êtes caufe: Dans l'état m'ont mis vos injufles rigueurs^ Je ne puis foûpirer de légères langueurs. Afin que vos amours s'accommodent aux nô- tres.

Diminuez mes maux , ou redoublez Jcs vô- tres:

Ainfi

4^ Recueil

Ainfi par un commerce agréable entre nous ,

Ce que je vous dirai pourra fervir pour vo:i5.

LE V O Y AGE

D E

UISLE D'AMOUR.

A Lie IDA S.

IL ell: bien jade > cher Liciias , que js vousfalTe fçavoirde mes nouvelles , 6c quap'cs un and'abfence , je vous délivre enfin de l'inquiétude vous mec aflurc- ment l'incertitude de ma deftinée. J'ai bien vu du paï's depuis que je vous ai quit- té j mais dans l'érat je fuis , je ne Tçai j'aurai allez de forcepour vous faire une relation dem.on voyage : c'efi: augmenter mes maux prefens , que de me fouvenir de ceux qui font paifez , (Scc'eft accroître ma douleur que de reprefenter à ma mé- moire, des p'aifirs donc il ne me refte que ie cruel fouvcnir : je crois pourtant que ce ne me fera pas une petice confolation ^ que celle de faire parc à un de mes amis, de . mes malheurs ôc de mes plaifirs ; la plain- te foulage un miferable , j'oublierai ma

douleur

DE Pièces Galantes. 47 douleur en vous contant mon hilloire ^ ôc je ferai pour un momenc ciéve avec mes icripifs.

Mon ame , pour un tems cache moi ma dou» leur. Vous , mes yeux , arrêtez vos larmes , Ceflc, ma voix, de plaindre mon m.alheur. Toi 5 mon cœur , fufpens tes alarmes ;

Vous n^'êtes plus heureux , c'ell par la cruauté D'un fort Se barbare & funefte :

Mais joUiiTez au moins du plaifir qui vousreftej Souvenez- vous que vous l'avez été.

Il y a un an, comme vousTçavez, que je

m'embarquai fur la mer Océan e a avec pluiieurs perfonnes de cous âges ôc de tou^ tes conditions , la plupart fort étourdis, pour aller en un païs qu'on nomme le Plaifir; nous voguâmes paifiblement pen- dant quelques jours : alfez pics d'une Ifle nous voulions nous rafraîchir , il s'éle- va un orage furieux , & un vent Ci fort , qu'il nous pouiîa avec violence à un côté oppofé à celui nous devions aller. Nous fûmes fort tourmentez pendant qua- tre ou cinq heures ^ après quoi le tems s'é- claircic ^ le Soleil parut furlliorifon plus beau que jamais , & nous nous tiouvâ^ mes près d'une Ifle bordée de jardins fort agréables, La curiofité nous prit auffi-tôc

d'en

4^ Recueil

d'en fçâvoir le nom , & par bonheur il fe trouva un homme dans le vaiifeau , qui avoir faic un voyage dans cecte lile , lequel nous die ;

*

II

li

Nous fommes affez près de la côte d'Afrique Vers ces lieux fortunez de la Mer Atlantique , Et cette Ifl j agréable eft l'iile de TAmour , A qui chaque mortel rend hommage à Ton

tour : Les jeunes & les vieux , les fujets & les Prin- ces Pour voir ce lieu charmant ont quitté leurs

Provinces. Ici bas tôt ou tard , tout ce qui fut jamais A borné dans ce lieu Tes plus ardents fouhaits. Par cent chemins divers on aborde en cette

Ifle, Et de tous les cotez Taccès en eft facile: les grâces , Tagrément , les a. traits , la beauté. Ont tous les ports commis à leur fidélité , Et lançant à propos les traits qu'Amour leur

donne, De leurs aimables bords il n'échapeperfonne.

Pendant que cet homme nous indruî- foit aiiid , nous approchions toujours de l'iïle,& quand il eût fini, nous en étions fi près que nous dillinguions les objets.

En ce lieu la mer çft paifibk ?

cevo;::s'

Comme

E P

I E C

E S G A L A K T E S. 45)

Comme le plus petit ruifleau : Un doux ZéphLr prefque infenfiblc Efîeurant le deffus de Teau , Fait entendre un fi doux murmure En tejouanc avec les flots , Que l'on diroit que la Nature S'y repofe elle même en donnant du repos. De mille belles fleurs tous les bords font rem- plis , Le jafeiin , les œillets , les rofcs Se les lys Etallent à Tenvi leurs beautez non-pareilles. Et ne font de ce lieu que les moindres mer- veilles.

I

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I

En effet , le long de ces bords Ton voit une infinité de belles chofes, les beaurez & les attraits , les agrémens & les grâces s'y promènent; mais ce qui me fiirprit, fuc de voir des vieilles ôc des laides qui accom- pagnoient les agrémens. Le même homme qui nous avoir inftruit du nom de l'Iile , voyant mon étonnement, médit:

Amour avec fes traits veut blefTer tout le

monde. Et comme il eft le plus puifTant des Rois , Reconnu dans les Cieux , fur la terre Ôc fur

l'onde. Sous differens objets il donne mêmes loîx; E: pour fe venger quelquefois To'Oic IIL C D'une

4^ Recueil

d'en fçâvoir le nom , ik par bonheur il (e trouva un homme dans le vailFeau , qui avoic faic un voyage dans cette llle , lequel nous die :

Nous femmes affez près de la côte d'Afrique Vers ces lieux fortunez de la Mer Atlantique , Et cette 111 -j agréable eft Tille de l'Amour , A qui chaque mortel rend hommage à fon

tour : Les jeunes & les vieux , les fujets & les Prin*

ces Pour voir ce lieu charmant ont quitté leurs

Provinces. Ici bas tôt ou tard , tout ce qui fut jamais A borné dans ce lieu fes plus ardents fouhaits. Par cent chemins divers on aborde en cette

llle, Et de tous les cotez l'accès en eft facile : les grâces , l'agrément , les a.traits , la beauté. Ont tous les ports commis à leur fidélité , Et lançant à propos les traits qu'Amour leur

donne , De leurs aimables bords il n'échapeperfonne.

Pendant que cet homme nous inftruî- foit aiiifi , nous approchions toujours de J'ille , & quand il eût fini, nous en étions fi près que nous diftinguions les objets.

En ce lieu ]a mer çft paifible ,

Comme

DE Pièces Galantes. 4p Comme le plus petit ruiffeau : Un doux Zéphir prefque infenfiblc Efleurant le deffus de Teau, Fâic entendre un fi doux murmure En lejoliant avec les flots , Que Ton diroit que la Nature S'y repofe elle même en donnant du repos. De mille belles fleurs tous les bords font rem- plis , Le jafmin , les œillets , les rofcs 8c les lys Etallent à Tenvi leurs beautez non-pareilles. Et ne font de ce lieu que les moindres mer- veilles.

En effet , le long de ces bords Ton voie une infinité de belles chofes , les beaucez & les attraits > les agrémens Se les grâces s'y promènent; mais ce qui me farprit, fut de voir des vieilles &c des laides qui accom- pagnoient les agrémens. Le même homme qui nous avoit inftruit du nom de Tlfle , voyant mon étonnement, médit:

Amour avec {qs traits veut blefîer tout le monde. Et comme il ei\ le pîuspuîflfant des Roîs, Reconnu dans les Cieux , fur la terre & fur

l'onde, Sous diflferens objets il donne mêmes loix; Et pour fe venger quelquefois Tome III. C D'une

50 Recueil

D'une troj) longue indifférence , Il faut remarquer fa puilTance , En attachant nos coeurs par un indigne choix.

Durant qu il me pauloic ainfi , je m'ar- rêtai à confiderer avec une arrention qui ne m'écoic pas ordinaire ^ une fille qui fe promenoic fur le rivage de cette Ifle : el- le éteit au miliea des beautez & des grâces, & rernifToir leur luftre par l'cclac de fon beau vifage ; je vous avolie qu elle me fur- prie d'abord :

Car tout ce qu*a d'appas la brillante jeuneflTe, Tout ce qui peut d'un cœur attirer la ten- dre ffe , J.a fraîcheur , l'embonpoint , la douce ma-

jeiîé , De labouche& du teint la charmante beauté, Des rofes & des lys le mélange agréable Rcndoient de fes beaux yeux le charme inévi- table.

Cependant dix ou douze petits bateaux fe détachèrent du rivage : ils étoienttous parez de belles|fleurs : les cordages étoienc de foye de mille couleurs différentes, plu- fieurs petits Amours étoient les rameurs , les Zéphirs voloienc autour 3 Se de leur douce haleine mêlée avec celle des fleurs Qu'ijs baifoient inceflamment , remplif-

foiçne

DE Pièces Galantes. 51 foîent l'air d une odeur agréable ^ & fai- foienc voguer paifiblemenc cecte peticc floce.

Quand elle fut auprès de notre vaiiîèaii, nous entendîmes un concert admirable , de fort belles voix chancoient ces pa- roles :

Vous qui cherchez d'un amoureux delïr A goûter ici-bas les plaifîrs de la vie , Abordez en ce lieu pour pafTcr votre envie. Sans amour il n'cft point de folidc plaifîr.

En même-tems les Zéphirs volant au- tour de nous , tendoient leurs mains , de par un doux foûris fembloienc nous invi- ter à les fuivre. Toutes ces furprenantes merveilles m'avoientenchanté de telle for- te j que je n'étois plus maître de moi-mê- me. Cette adorable beauté que j'avois vûëj) & que je brûlois de rejoindre^ &je ne fçai quoi qui me faifît le cœur au mê- me inftant , me firent refoudre à pa(Ièc dans cette Ifle. Je donnai les mains ; les Zéphirs m'enlevèrent , &c me mirent dans un bateau , ou les Amours me reçûienc avec mille amitiez.

Il y en eutplufieurs dans notre vaifïèau qui me fuivirent , mais il y en eut auffi qui demeurèrent Se fe mocquerent de nous : j'admirois leur dureté , quand ils nous crièrent en riant : C ij Allez

Ci R E C XT fi I L

Allez , Avanturiers , chercher le vrai plaiiir

Que ramour vousinfpire , Et vous fçaurez un jour que nous en dire j

$i vous pouvez en revenir.

'Nous voguions cependant accompa- gnez de concerts Se couverts de fleurs j ôC en peu de tcms nous abordâmes.

En abordant à terre , une belle DéefTe , Et d^s efprits fenfez la prudente maîtrefle , ta Raifon dont les yeux font fi vifs & pcr-

çans, D'une puiflantevoix arrête les paffans , Elle occupe l'entrée & defFend le paflage , Mais les fens éblouis nous cachent Ton vifagc 3 Et feule dans ce lieu contre tant d'ennemis Aux ordres de fa voix pcrfonne n'eft fournis.

Aufli je pallài fans écouter Tes difcours, & courus avec grande impatience vers le lieu ou ctoic la charmante peiionne qui m^avoit engagé d'aller en Amour : mais en m'approchantjun homme que je vis auprès d'elle , me glaça de crainte par un de Tes regards. Il écoit grand & de bonne mine > mais fore ferieux de fore grave j fes yeiix croient modeftes, ôc Ton regard étoie fore fournis 5 & il tenoit en me regardant un doigt fur fa bouche. Une fille Taccom- pagnoic qui m^uchoic delfus fes mêmes

pas,

DE Pièces Galantes, jj pas 5 elle faifoic les mêmes geftes ôc les mêmes démarches que lui j, regardant tou- jours autour d'elle. Un pecic amour j5 qui donna dès ce tems-là à moi , pourm'ac- compagner dans mon voyage ^ & pour m'inftruire, médit:

Celui que tu vois fevere ,

Ert le refped fils de T Amour,

Il a l*eftime pour fa mère , Il a beaucoup d'amis dans cette augufîe Cotrry Ceux qui ne veulent pas s'attacher â lui plaire? Ne plaifent pas fouvent aux beautez de ces

lieux. Pour lui faire ta Cour il ne faut que te taire , Et même rctréncher le langage des yeux.

Cette autre qae tu vois fa compagne fidèle,

Eli la fage Précaution , Elle eft d'un fage Amant la compagne éter- nelle :

Un Amant dans fa paflîon

Ne peut avoir trop de précaution,

Inftruît par un bon maître , je fis grande civilité au Refpect & à la Précau- tion , & demandai leur amitié, que l'ua & l'autre m'accorda de fort bonne grâce : je m'avançai en fuite en tremblant vers cette bel le qui m'avoit charmé , je la priai de fouffri-r que je l'aidafiTe à marcher , ce C iij qu'elle

54 Recueil

qu'elle accepta aifez ficrement -, Se apic-s avoir quelque-tems parlé de chofes in- <iifferentes , elle me quitta.

Comme la nuit approchoit , Amour me conduifit à un village fort proche y nous fûmes mal couchez : ce village fe nomme Inquiétude ^ du nom de la Maî- trelfe du lieu que nous allâmes voir j mais il eft allez mal-ailé de vous dire comme elle eft faite ^ car elle ne fçauroit Te tenir en une même place ; elle eft un moment debout 5 puis elle fe recouche -, elle va tan- tôt lentement , tantôt C\ vire qu'on ne la fçauroit fuivre : elle ne dort jamais -, ce qui la rend fort maigre : elle eft fort négli- gée, les cheveux épars , &c fur tout mal rangez fur le front, à caufe qu'elle felc frotte fou vent. Après l'avoir faluce ;. à quoi elle neprit pas garde , j'allai me cou- rher dans un lit je ne pus dormir ; & cette belle perfonne étant toujours prefen- re à ma penfée , me fit faire cette réfle- xion.

Je dis tout fort mal à propos »

Des foûpirs tranchent tous mes mots:

Je fens ma liberté perdue* ,

N'auriez- vous point furpris mon cœur ?

Amynte , avant vous avoir vue ,

Je n'avois pas cette langueur.

Le lendemain je me levai de grand ma- tin y

DE Pièces Galantes,

tin , & Amour me fie aller à un autre Vil- lage 5 qu'on nomme Pecits-Soins , qui cfi: bien différent dlnquierude ; c'eft , à mon avis 3 un des plus agréables lieux de tout le païs j

L'on y voit venir tous les jours Les Amans de cette contrée Pour Voir Tobjet de leurs amours, ils ne manquent jamais d'y paiïer la joume'e^ Là, toutes les Maifons font couvertes de fleurs. Tout y rit , tout y plait , tout paroît magni- fique, Lesdanfes , les feilins , le bal & la mufique Eloignent de ce lieu la plainte & ks douleuî s j Les vices font bannis de ce lieu dcleftable >

Le plus fâcheux y devient agréable , Et l'avare y répand fcs trefors amafTez , Le fot a de refprit , le rêveur parle aflez. Et les Mufes y font leur féjour ordinaire , Enfin , chacun y fait tout ce qu'il faut pour plaire.

En effet y l'on nV voie que parties de galanterie; la propreté, la magnificence, la complaifance, les petits jeux Ôc la gaye- 5 ne bougent de ce lieu , Ôc tout s'y faic enfin de la meilleure grâce du monde.

En arrivant je me fentis l'humeur com-

plaiianre ôc ingenieufe à trouver des di-

C iiij . ver-

f ^ ^ ï « tr IF ï c

«rdé&m , ^rfis TitStnr sEjiifté ^oçib>

-..^.. . .i .-. .... jimoig: a Inquier:ju flb^^. J5CCK cpi^<«i- ne In^ p#îinr a ï>isir!^ feitts : teea&çiBje^^&encifîrelnrrtnal bî. tmir dbanc BbnçKHsnap (Çie f ar«ug (ie ivr^w âxwmre:^ Se ai eus debcrutçifane hairtf cte mmmeJl ^ <5u ;**a£ air iinf^e^

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I

DE Pièces Galaktes. ^7 donnoient du tourment ; mais au bouc de quelque tems ^ après avoir fait tour ce que j'avois pu pour plaire à Amynre , un jour elle alla à un autre village qu'on nomme Bon- accueil , c'eft le nom du Sei- gneur , qui cft un homme obli géant & ci- vil au dernier point ; il a l'abord fort agréable ^ 6c reçoit bien tout le monde; les habitans de ce \kn font auiîi fort ci- vils 3 & Amynre s'y conforma : à Texem»- ple des aurrcs , elle me reçût fort obli- geamment, &■ me lailla croire par fa ma- nière d'agir , qu'elle n'ctoit pas fâchée de me voir.

Cela fit qu'Amour me mena coucher à Efpeiance , qui d\ une belle &: grande Ville fort peuplée , pour l'abord de mille gens qui y viennent de tons cotez. La plus grande partie deccrte Ville eftbârie fur du fable fmns, fondemcns -, ce qui la fait fou- vent tomber en ruine ; l'aun e partie e(ï aflcz bien fondée , &: cïk pefque toujours demeurée en fon entier. Toiue cette VHle eft fur la rivière de Prétention , qui prend ù. fource à une montagne de ce nom voi- fine d'Efperance. O'trc rivière eft tout-à- fait belle j, mais il eft dangereux de s'y embarquer ; c'cft pourquoi mcme les mai- Ions bâties iur (on rivage fontd'ordinaiie rcnverdes: mais durant qu'elles iubfirtenr, le*; plus beaux Palais ne les cgalentp.^si>our la bcauié dclavûc. Cv Ce

i.

Recveil

vertiiTèmens pour plaire à Amynre. Dans ce dellèiiî , après m être ajuflé propre- ment y Amour me mena chez elle plus fa- risFait que je n avois encore été de ma vie ; mais il fallut revenir coucher à Inquiétu- de i parce qu'on ne loge point à Pctics- foins : fi bien que jepafTai encore fort mal la nuit dans Timpatience que j'avois de revoir Amynce , &c n'eus de bon qu'une heure de fommeil , j'eus un longe tout-à-faitagreable.

Je vis entre mes bras

Cette charmante blonde ; Mais ce fiat d'un fi doux trépas ,

Qu'elle en revint plus belle au monde»

Je vis pour un tems la clarté de Tes beaux yeux mourante >

Et tomber toute fa beauté Dans mes bras îanguifTante.

Mais je connus à mon réveil

Que c'étoit une fable. Et me vis après mon fommeil

Encor plus miferable.

Je retournai le lendemain dès le matin à Petits- foin s j, ôc j'y fus de mieux en mieux reçu d'Amynre : il n'y avoir que les nuits que je palîois à Inquiétude qui me

don-

DE Pièces Galantes. ^f donnoient du tourment ; mais au bouc de quelque tems^ après avoir fait tout ce que j'avois pu pour plaire à Amynre , un jour elle alla à un autre village qu'on nomme Bon- accu'éil j c eft le nom du Sei- gneur , qui eft un homme obligeant de ci- vil au dernier point ; il a l'abord fort agréable ^ & reçoit bien tout le monde; les habitans de ce lieu font aufli fort ci- vils :, & Amyntc s'y conforma : à l'exem-- ple des autres , elle me reçût fort obli- geamment, &■ me lailfa croire par fa ma-- niere d'agir , qu elle n'étoit pas fâchée de me voir.

Cela fit qu'Amour me mena coucher à Efperance :, qui eft une belle & grande Ville fort peuplée , pour l'abord de mille gens qui y viennent de tous cotez. La plus grande partie decerte Ville eftbâtiefur dix fable fans fondemens ;, ce qui la fait fou- vent tomber en ruine ; l'autre partie eft afTez bien fondée , &c eft prefque toujours demeurée en fon entier. Toute cette Ville eft fur la rivière de Prétention , qui prend fource à une montagne de ce nom voi- fine d'Efperance. Cette rivière eft tout-à- fait belle jj mais il eft dangereux de s'y embarquer ; e'eft pourquoi même les mai- fbns bâties fur fon rivage font d'ordinaire renverfces: mais durant qu'elles fubfiftenr^ les plus beauxPalaisneleségalentpaspour la, beauté de la vue, Cv Ce

5$ Recueil

Ce beau flcave eft fameux par le nau- fiage de pluiîeurs perfonncs illuftres : je fus tencé de m'y baigner 3 & Amour m'y liilibic aller a(Ièz ërourdimenc ^ quand je .rencontrai le Refpect fuivi de la Précau- tion , qui m'arrtca par le bras , & me die, que c'ctoic le vrai moyen de me perdre, éc que je devois me contenter d'être en Ef- perance , fans aller m'expofer dans la Pré- tention.

Je le remerciai de Ton bon avis , & m'acheminai du coté de la Ville, qui eft le plus éloigné du fleuve ; c'eft qu'eft le Palais de la Prince (reEfperance, qui palfe pour l'oracle du Païs d'Amour j, quoi qu'il ne Toit pas fur de fe fier à ce qu'elle en : car ,

I

Elle promet toujours & fouvent ne tiens pas, A pourfuivre d'aimer toujours elle convfe j

Et bien fouvent elle promet la vie A qui bien-tôt après rencontre le trépas :

En entrant dans fon Palais , on ren- contre les Penfees qui volent toujours , tantôt haut , tantôt bas , &: au milieu de l'air 3 félon qu'il leur prend fanraifie ; je les rencontrai a(ïez fages, car elles avoienc un vol égal. Je fus enfuite voir la Princef- (e E/perance^ qui eft une aimable perfon-

ne :

DE Pièces Galantes. ^9 re : elle a le vifage riant , la phiiîonomie douce &c engageante ;, & Ton ne s'ennuye jamais en fa compagnie : elle confole les plus affligez , enfle le courage des fu- perbes , ôc flatte agréablement ceux qui font raifonnables dans leurs iouhaits. Quand j'allai la voir ^ deux hommes en- trèrent avec moi , dont l'un aimoit en un lieu fi haut , qu'il n'ofoiten rien attendre de bon , &c l'autre avec même deflèin ef- peroit tout de ia bonne fortune , j'admi- rai l'adrefle de cette PrincelTe, qui con- foloit l'un & animoit l'autre : elle difoic au premier :

Le refped & Je tems forcent tous les obftacles. Et TAmourobftinépeut faire des miracles.

Et fe tournant vers l'autre :>

Il efl beau d'avoir l'avantage D'abaifTer la fierté d'un généreux courage ,

Et quand on l'entreprend en vain , Il eft beau de mourir dans un Ci beau dcffein.

Pour moi , quand je lui eus conté mon liiftoire ;, comme elle me vit aiïez raifon- nable, elle me dit:

Tu peux tout efperer de ta fage tendrefTc , Et tu feras un jour aimé de ta MaîtrefTe.

C vj Quoi

^O R E C TT E I L

Quoique je connufTe bien qu'elle iîac- toic tout le monde ^ fes paroles ne laillè- rent pas de me donner un peu de repos cet- te nuit-là.

Et le lendemain Amour voulut me me- ner à Déclaration -y mais comme nous crions en chemin , nous rencontrâmes en- core le Refpedi tout chagrin > qui me dit qu'il ne falloit pas aller fi vice , & fit mê- me une rude remontrance à l'Amour ;, qui ne la pouvant fouffrir >

Quoi foûpirer , dit-il , d*un éternel martyre , Toujours aimer , toujours foufFrir ^ Et peut-être à la fin mourir > Sans en rien dire. Et fans fçavoir lorfque l'on expire , Celle pour qui Ton meurt y prendra quelque

part î Faut-il pour être heureux attendre le hazard , Qu'enfin prêt de mourir unebeile inhumaine, S'avife de connoître & finir notre peine , Sans fonger qu'elle peut s'en avifer trop tard ?

Le Refped lui dit qu'il n'en feroit pas ainfi , & que fi je le fui vois , ma paiîion ieroit bien-rôt connue , fans aller à Dé- claration j qu'au refte je trouverois tou- jours Amynte au lieu il mevouloic me- ner ; & qu'elle ne demeureroit peut-être ^u'un jour à Déclamation , après quoi je

ne

DE Pièces GalAxNtes ne la reverroisplus. Je melaillai empor- ter à fes raifons malgré tout ce que me pue dire l'Amour j &c )'allai avec lui à une forte Place donc il eft Gouverneur ; c'efl une citadelle bien fortifiée de plufieurs baftions imprenables , les murailles en font Cl hautes, que Ton les perd de vûé> & fi épaiiïès & fi fortes qu'on ne peut les ébranler. La Modeilie , le Silence de le Secret gardent la porte , qui n'tli qu'un fort petit guichet ; la Modeftie eft une femme fort ferieufe:, fans affecter pourtant de l'être 3 Tes regards ont le regard arrêté, ôc l'on y remarque une grande retenue j* elle eft vétué fort fimplement , ayant les bras & la gorge fort cachez. Le Silence eft comme vous Tavez vu peint , fai/anr une grimace des yeux ôc de tout le corps , Sc tenant un doigt fiir fa bouche. Pour le Se- cret , en ne le voit point, il eft caché dans un lîeu obfcur , d'où il ne fort que bien à propos : s'il parle quelquefois, c'eft tout bas , il a ToUie fort fubtile , & fçait: entendre le moînJre figne. Nous entrâ- mes dans cette cîradelie à la fiiite du Ref- ped , fans rîen dire de prefqiie en cachet- te 3 ÔC nous vîmes que

Les maîfons font fort retirées» Et tout s'y fait à petit bruit , Jamais on n'y voit d'aflemblées^ L'on n'y marche que dans la nuit ,

Toot

6i R E c u 1 I t

Tout le monde y fait fes affaires. Sans Confidcns ni Secrétaires; L'on fe rencontre rarement, Il faut fans cefTe fe contraindre , Toujours fouffrir , jamais fe plaindre, Dans le plus fenfîble tourment.

Ceft la que Ton met en ufage

Ce muet & fçavant langage , Qui fait bien lire dedans le cœur ,

Qui fans parler fait fi bien dire ,

Et qui félon qu'on le defîre, Perfuade aifément la joye ou la douleur.

Cette Place s'appelle Difcrecion , du nom de la Fille du Refped, qui eft fa Lieute- nantc en ce Château : c'efl; une fort belle perfonne , mais elle ne plaît pas d'abord y ceux qui la pratiquent aiment fort fa con- verlation j elle a les yeux perçans de ani- mez ; qui iorfqu'il leur plaît fe font en- tendre à tout le monde : elle a la phifio- nomie d'une perfonne fort fage ôc fort re- tenue* , il paroît néanmoins un fonds d'adrelfe & de finelFe o dont elle fe ferc quand elle veut.

Apres que je l'eus faluce 3 je m'enquis adroitement étoit Amyntej quand je le (çùs je m'allai loger en une maifon fore éloignée de la liennej& quand je la voyois, je lui pariois de to^e autre chofe que

de

ÈÊ Pièces Galantes> 6^ de mon amour : je demeurai aflez long- tems dans cette Ciradelle 3 traînant une miferable vie, 6c n'ayant commerce avec perfonne.

Je ne faifois que répandre àcs pleurs : J'allois mourir, fans que jamais Amyntc Eût entendu la moindre plainte, Dans m es plus cruelles douleurs , Et j'attcndois avec refpe^ & crainte D^Amynte, ou de la mort la fin de mes mal- heurs.

Seulement en tous licuxjje fuivis ma maîtrefTe, Et mes yeux lui difoient ce que fouffroitmon

cœur : Mes foûpirs cnflâmez , ma profonde triftefle Lui faifoient affez voir qu'elle étoit mon vain- queur. ^

Amour prenoit ibuvenr pitié de moi, & me vouloir quitter ; mais je lui faifois tant d'amitiez qu il ne pouvoir s'y refou- dre.

Au bout de quelque tems je fus encore plus miferable : car Amyntes'étancapper- çûë de mon amour par mes actions ^ s'alla retirer dans l'antre de la Cruauté : cec antre eft un rocher efcarpé, qu'il eft très- difficile d'y monter ^ l'entrée en eft défen- due à tous les Amans , de eft gardée par

des

^4 Recueil

des Tigres ;' je voulus arrccer Amynte (ivc le point qu'elle y voulut entrer ; mais j'en fus empêché par une grande femme fort laide ôc d'un regard farouche y les yeux lui fortent de la tête , elle a de grands bras fecs , ôc des ongles prodigieux ; elle traite tout le monde de haut en bas ;, &c le plak à tourmenter : un feul de Tes regards jette le defefpoir dans le cœur.

Elle nomme Cruauté , Ceft une fort laide PrinceiTe, Et qui pourtant accompagne fans ceffe Et la Jeunefle & la Beauté'.

J'eus une grande frayeur en la voyant que je rac recirai j &m'en allai fur le bord d'un grand torrent qui dekend du haut du rocher.

Ce torrent n'a point d*àutre fource Que les yeux de tous les Amans » Qui par leurs pkurs mêlez à leurs gemillè- "^

mens. Au travers du rocher précipite fa courfe 5 Son onde ens'écoulant amolit le rocher. Son murmure plaintif fe fait par tour enten- dre, tes arbres & les fleurs s'y font laifTez toucher, la feule Cruauté fçait toujours s'en défendre.

Ce

DE Pièces Galantes. ^f Ce torrent eft entoure d'un bois fort épais Se fort fombre : toutes les écorces des arbres font gravées, ôc l'on y voiries pitoyables hiftoires de plufiears Amans: tout ce bois retentit 6c de cris & de repra- ches, l'écho ni repère que des chofes trif- tes ôc lamentables , & tout enfin ne parle que de mort dans ce trifte lieu. Ce fut-là que delefperant de pouvoir tirer Amynte d'entre ksbras de la Cruauté 3 je m'écriois foLivent:

Helâs cruelle Amynte l Ne pourrai-je à ma mort du moins vous at»

tendrir ? Ce bois 8c ces roc/icrs font touchez de ma plainte, Us voudroient bien pouvoir me fe-

courir i Et vous cruelle Amynte j Qii caufez tous mes maux, vous me laiffbz mourir.

Je faifois ainfi retentir de mes plaintes tous les échos voifins. Je n'avois point de repos > & ne celfois de répandre des lar- mes ij'écois le plus fou vent autour du ro- cher, ou je rencontrois quelquefois Amyn- te j mais toujours accompagnée de la Cruauté , que je tâchois en vain de fléchii: par toutes forces de foûmiiîîons.

é6 Recueil

Un jour que j'ccois plus defc/pcrc que de coutume , Amour me conduific fur le bord d'un Lac.

Le Lac duDefefpoir , les Amans trahis CeflTent d'être à la fin malheureux & haïs , Defefperant toujours d'être aimez de leurs

belles, Et ne pouvant suffi vivre ici-bas fans elles : Après avoir en vain pafFé de triftes jours. Ils y viennent finir leur vie & leurs amours. , font tous les oifeaux de malheureux fié-

fages, , nagent lentement mille Cignes fauvages. Dont les triftes accords & les mourantes voix Semblent plaindre un Amant quand il ell aux

abois ,

Le long de Tes bords Te promènent plu- fieurs triftes Amans , ôc j'en vis peu qui fe précipitairencj je fus tenté de mourir; mais je refolus encore une fois auparavant , de tâcher d'attendrir Amynte & la Cruauté. Dans ce delfcin je m'allai coucher à l'en- trée du Rocher , refolu de n'en point par- tir 5 que lorfqu' Amynte en forciroit ; ce fut-là que par un ruilîeau de pleurs , je fis entendre mes plaintes , & que je fus fouvent maltraité par la Cruauté. Enfin, je crois que mes douleurs m'eullcnt acca- blé y AmoiU" ne m'eût donné un fidèle

confeil

DE Pièces Galantes. ^j Gonfeil qui me fauva la vie. Un jour je vis palfer auprès de moi une Fille bien faite > qui verfoit des larmes en me regardant , & il fembloic à fa pofturc qu'elle donnât ces larmes à mes malheurs.

Elle fembloit dire en foi- même, Helas ! que je plains cet Amant : Sa tendre ardeur & fon amour extrême Meritoient bien , helas ! un plus doux traite- ment.

Je me fentîs Ç\ obligé à cette Fille ^ que )e demandai Ton nom } & Amour me die que c*étoit laPitié qui venoit ainfi fouvenc pour tâcher d'obliger quelque Amanc malheureux \ ôc que (i elle fe mettoit de mon parti , elle feroic fortir Amynre du Rocher de la Cuuauré. Pour fuivre fon confcii, je tâchai d'émouvoir la Pitié, en lui faifant voir le déplorable état j'é- tois , & elle en fut Ci touchée qu'elle me promit Ton afîiftance : elle ne tarda pas long-tems à me faire voir Teffet de Tes promelles : car tournant autour du Ro- cher 5 à la fin elle apperçût Amynte ,ôc\es larmes aux yeux lui conta ma trille avan- ture,& d'une manière Ci touchante, qu elle tira des pleurs des beaux yeux de l'inhu- maine : la Pitié la voyant attendrie à fon recic , l'amena j'étois , ôc lui fit voir

l'étaç

()8 R E C Û E I t

l"*ctac elle m'avoic rcduic. Amyntc ne pue Ce deffendre d'ctrc fenfible à ce fpec- tacle : elle commença à écouter mes amou- reux reproches , elle en approuva le rrifte murmure , &: enfin Te refolut de Tappaifer. La Cruauté qui en fuc avertie, voulut l'ar- rêter y mais la Picié la repoufïa rudement & me rendit Amynte , qui en me relevant me dit :

Trop fidèle Tirfîs , j'approuve enfin ta flâme, Rends grâce à la Pitié que tu vois avec moi. Par fes prelTans difcours elle a mis dans mon âme

De tendres fentimens pour toi.- Vois Tirfis , Yy confens , prends la douce Es- pérance j

qu'Amynte quelque jour

D'une éternelle amouï

Payera ta coniknce.

Je nefçaurois vous dire la joyeque j'eus en entendant ces paroles , je me vis en un moment du plus malheureux de tous les hommes , devenu le plus heureux j dans mon tranfport je m'écriai:

Réjouis toi, mon cœur , Amynte efî adoucie. Bannis de tous tes maux le fâcheux entretien , Et commence à chérir ta vie , Puis qu' Amynte en elt le foucien^

r Sur

DE Pièces Galaktes. C^ Sur le bord de la tombe tu voulois defcen- dre, Sa belle main t'a donné du fccours : Ce qu'elle a confervé, mon cœur , il faut lut

rendre > Et paflèr à fes pieds le refte de tes jours.

Me voilà donc plus heureux que je ne croyois jamais être ; je bénis mille fois toutes les peines que j'avois fouffertes , & j'en perdis la mémoire en un moment.

Mais lâPitiéne fe contentant pas de fai- re {brcir Amynte de ce déplaifant fejour, elle la mena encore jufqu à Confiance ^ & puis nous abandonna pour aller afîifter quelqu'autre miierable. Je la priai en par- tant de fe fouvenir qu'elle m'éroit toujours neceilaiic , & elle me promit fon afliftan- ce dans le befoin ; & de plus nous remit enrre les mains de la Confiance, à qui appartient le Village ou elle nous quitta. Ce Village n'eft proprement qu'une Mai- fon de plaifance , mais la plus agréable à mon avis de tout le Païs, La Confiance cfl: une fille qui a la mine ouverte & fran- che j on lit jufques dans le fonds de fon ame , & l'on connoît tous fes fentimens: elle ell toujours d'égale humeur , & il y a pleine liberté dans fon Château. C'eft-là que font les rendez-vous , qui font des petits boccages détournez , dont les ave- nues

yo RECUEit

nues font fecrecces , de l'on n'efl point interrompu -, c'eft-là qu'on a le plaifîr de fe parler tout un jour fans fe laiîer j c'eft- qu'on le voit à touce heure ;, & qu'il femble qu'on ne fe voit pas afTez. L'on y joliit des fecrets entretiens : l'on a le plai- iir de chercher à la dérobée mille moyens difFcrens de le voir & defe parier , les bil- lets doux y font aulîi fort Frequens. Enfin , j'y paflfai de fort heureux jours Se les plus beaux de ma vie : car j'ccois lans celîè avec Amynte; elle me faifoit parc de rou- tes fes penfées , ôc je lui dilbis auffi les miennes.

Que je goûtois de doux plaifîrs !

Ah ! que mon ame étoit ravie ! Avec quelle douceur j'eufle palTé ma vie. Si j'avois dans ce lieu fçû borner mes delîrs l

Je voyois Aminte en tous lieux ,

Je lui parlois fans me contraindre : J'étois aflez aimé pour ne pouvoir me plain- dre, A quoi penfoisje , helas ! de vouloir être mieux ?

Tout ce qu*on peut fouhaîter de mar- ques d'amitié , ôc même d'un peu de ten- dreiïe , je l'obtenois après quelque foible prière. Je mcnois enfin la plus agréable vie du. monde p fi j'eufle pu m'en contenter;

mais

DE Pièces Galantes. yi jnais Amour me prelToic toujours de la me- ner à Ton Temple , ôc j'écois toujours mal avec elle ^ quand je lui propofois d'y aller.

Mais enfin après plusieurs pourfuites, nous fortîmes enfemble de Confiance, & nous en étions à peinedehors, qu'un hom- me j qui fembloit homme d'autorité , fe prefenta à nous ,* de d'un bras puilfant , ar- racha Amynte avec violence de ma main : malgré Ton incivilité , je ne pus m'empê- cher de le reipeder^ ôc comme je voulois l'adoucir, lui, fans me regarder, emmena Amynte d'un autce côté;, tout ce qu'elle pût faire fut de me dire :

Je ne puis m'cmpêchcr de fuivre , Et le devoir m'emmène malgré moi > Ne hiffks pas toujours de viyre , Et de me çonferver ta foi.

Je demeurai immobile à ce fpedaclc, Bc la regardai s'éloigner de moi fans rien dire ; à la fin mon premier mouvement fut de^urir après elle , ôc de l'arracher par force d'entre les bras du Devoir ; mais ■le Refpect &c la Précaution qui furvin- rent à propos m'en empêchèrent. Cette rencontre inppinée me fâcha d'abord; mais )e m'étois toujours fi bien trouvé de leurs confeils , que je voulus encore les fuiyre. De

71 R E c t; î I t

De forte qii€ je m'allai confiner dans un defeL'C , qui me fembla conforme à mon liiimcur : c*eft un lieu entouré de plufieurs montagnes & fort éloigné de tout com- merce; il y a un Château firuc au milieu d*un grand bois , & demeure toujours une trifte perfonne , qu'on nomme l'Ab- fence. On ne la voit guère , elle a toujours les yeux couverts de larmes j & eft par confequent fort abatuë ôc fort défigurée; elle eft toujours en dciiil , Se eft fans celïè accompagnée de la Rêverie , qui eft au(îî fort maigre ; fes yeux ne s'arrêtent jamais lur aucun objet , ôc regardent tout fans rien voir , elle ne prend garde5^ n'eft at- tentive à rien , elle ne parle jamais que mal à propos , &c ne répond prefque point à ce qu'on lui demande , elle femble re- cueillie en elle-même , & n'aime que la compagnie ; la chûcç des eaux , leur doux murmure , Ôc le chant des oileaux font ion entretien ordinaire ; je fis grande amitié avec elle , Ôc me conformai fort à fsL façon d'agir j je promenois ma douleur dans les plus vaftes folitudes^ ôc m'entrc- tenois feul de même qu'elle avec les bois ôc les rui(reanXi*^lcs échos ôc les fontai- nes. Je fouffcois cependant mille rudes peines; je ientois toujours l'envie de voir Amyntej&: je ne la pouvois rencontrer; ÔC ce que je trouvois de fâcheux^ c'eft que

le

DE Pièces Galantes. 75 îe tems dure en ce lieu- plus, qu'en au- cun endi'oir du monde, les momens y (ont des heures , de les heures des jours; l'on rencontre par touc des ennuis p qui fonc de grands hommes fort dégoutans ,. qu oa ne peut néanmoins s'empêcher de voir: car ils y font en fi grand nombre qu'on ne peuc les éviter. Enfin , las de vivre en un Il cruel touimenc , prêt de mourir , je comporai ces Vers :

Enfin il faut mourir , mes maux font fans rfi^ mede.

Les vouloir appaiferne fait que les aigrir. Et dans Tennui qui me pofTede , Ne pouvant vivre il faut mourir.

Tous tes plaifirs font morts 3 mon cœur 3 la belle Aminte

A pour jamais quitté ces lieux :

Ceffons de murmurerjâbandonnons la plainte.

Et renonçons à tout en perdant fes beaux yeux.

Loin de ce bel objet qui fait toute ma joye , Eloigné de fes yeux qui font tous mesplaifîrs» Mon ame demeure la proye De cent inutiles defirs : Il ne me refte rien d'une flâme fi belle, Que des regrets & des ennuis , Ec de mes trilles jours la langueur trop mor- telle Tmê III. D Aîc

74 Recueil j

Me plonge fans reflburce en d'éternelles nait^, 1

Une trop longue abfence efface enfin d'une

ame Le cruel fouvcnir de Tes tendres amours ,

Mais las ! pour éteindre ma flâme > En vain je cherche fon fecours. Elle m'ôte l'Amour & l'entretien d'Aminte,

Elle m'en ôte les douceurs : Mais Tes divins attraits donc je reflèns Tac- teinte, Me font toujours prefens pour croître mes malheurs.

J'éprouvois ainfî les cruels maux que fait foutfrii: rabfence, de ne recevois d'au- tre confolation que quelques lettres qu'A- mour trouvoic invention de me faire ren- dre.

Mais je n'eulîè pas long-tems vécu y enfin Aminte s'étant débarralTée du De- voir, ne m'eût rappelle de mon exil.J'ou- bliai en un moment toutes mes peines paA {ces y & courus la revoir avec toute l'im- patience d'un Amant, mais je n'en fus pas plus heureux: car je la trouvai dans un lieu jamais Ton a eu du repos.

chacun fe rompt en vifîere » L*oa n'y parie <jue de combats,

SîinF

DE Pièces Galantes. 75 Sans refpedter ami , Prince ni frère. Chacun s'y donne le trépas. La rage, le foupçon , la colère & l'envie Etalent dans ce lieu leur dangereux poifonj Chacun veut détruire ou bien perdre la vie. Et Ton n'y voit enfin qu horreur & trahifon.

. Il fe nomme les Rivaux. Je n'y fus pas .plutôt: que voyant autour d'Amince plu- îicurs peiionnes qui rougiffoienc de colère à mon abord ^ Ôc m'empechoient de lui parler , je me fentis une haine iecrecce pour tous ces gens-là ^ &: peu après croyanc ^u'Ammte leur faifoit trop bon vifage, je me lailTai conduire par TAmour dans le Palais de la Jaloufie ^ qui cfl voi/in des Rivaux.

Ce Palais eft un lieu bien plus déplai-. fane encore que les autres : car l'Abfence ôc la Cruauté ne font pas fouffrir la moi- tié des maux que Ton fouffre dans la Ja- loufie. La tempête , la pluye & les vents en rendent le féjour fort defagreable ; la foudre y gronde toujours , l'air y eft fore cbfcur ôc fait multiplier les objets ^ les moindres ombres y font peur. & tout eft plein de précipices , ou l'oûfcuiité eft (cju- vent caufe que Ton fe perd. A l entrée de ce Palais l'on trouve l'Emportement , les Vifions&: les Troubles qui enchantent les yeux d'une manière que l'on voit tout de D ij travers:

^<j Recueil

travers : iTmporrcmenc efl: toujours en agitation , fans fçavuir pourquoi ^ parle fore vite , & dit toutes diofes mal à propos & fans ordre : les Troubles s'etfrayent pour la moindre chfe i?c s'étonnent de rien, ôc les Vilions fon: toujours leur malheur elles-mêmes j, parcequ elles le forment des phantômes vains pour fe tourmenter: tous ces perfonnages-ià, en entrant , me firent prendre un breuvage , qui me rendit tout autre que je n'étois.

Je devins emporté , méfiant , foupçonneux. Et mon emportement me parut raifonnablc , Je me fis des tourmens pour être miferable. Enfin tous les objets me devinrent fâcheux.

Dans ce malheureux état je fus voir la Jaloufie , qui efl: fort laide ôc fort déchar- née ^ & couverte de ferpens qui lui ron- gent fans ce(ït le cœur ; Ton regard eft fu- nefte , de elle ne voit rien à quoi elle ne porte envie : elle me jetta un de Tes fer- pens , qui dans la fureur oii j etois , m'en- flamma encore davantage. Je m'en allai enfuire courant par tout fans fçavoir ou; quand je voyois Amînte en compagnie, je n'ofois l'aborder ôc trcmblois dans l'ame , je tâchois à écouter ce qu'on lui difo!t«5c fes réponfes , je tournois toutes fes paroles du fens qui pouvoîc me courmen.

ter:

rsE Pièces Galantes. 77 ter '.quand on lui parloicàl^orcille, jepâ- liiïois cour d'un coup , comme fi j'eutlè été piêc de mourii' , j'expliquois le moindre gefte , le moindre figne en faveur des au- tres ; 6c quand je ne la voyois poinc , je me l'imaginois encre les bras d'un Rival: û elle écoic feule , je croyois quelle ac- tendoic quelqu'un : enfin dans mon em- portement j'ctois j'aloux de tout ce que je voyois , & même des chofes inanimées.

Arbres & fleurs 5 difois-jç en mon tranfport

jaloux. Que ne me parle^*elle aufS fouvent qu'à

vous? Vous êtes confidens de fon inquiétude. Elle paiTe le jour dans votre folitude ; Si cettv'^ ingrate helas ! n'a pas manqué de foi. Pourquoi fe plaire plus avec vous qu'avec

moi?

Aminte cependant qui voyoîr bien ma foiblelîè , au commencement en foûrioit , après elle le mit en colère , 6c ce fut alors que je fis connoiiîance avec un homme qui voulut me guérir de mon amour & de ma jaloufie en même-tems , c'écoic le Dépit.

L* ennemi mortel du tourment , Et qui lors qu'on le maltraite ,

D iij Aidé

yS Recueil

Aidé de Ton reflentiment. Fait au plus vke la retraite ^ Et quelquefois fauve un Amant > D*une entière & trille défaite.

L'infidélité de ma belle Me fît faire le vœu de ne la plus aimer.

Et le dépit me fçût charmer Jufqu'à palTer trois jours fans retourner ver5

elle: la triftefTe & Tennui ne me quittèrent pas, ït de tant de douleurs mon ame fut atteinte 3 Que j'aimai mieux mourir en adorant Aminte, Que de cefTer d'aimer tant de charmans ap- pas.

Je me replongeai donc encore plus qu'auparavant dans mes foupçons jaloux; mais Aminre fe lafTa après beaucoup ^e tems . de me voir en un état fi déplorable ; îa Pitié qui m'avoit promis ion fecours au befoin , n'y manqua pas : elle éloigna d'Aminte tous les objets qui pouvoient me fâcher , & me retira avec grande peine d'un lieu fi defagreable . Aminte m'ouvric les yeux en fortanc , Ôc après m 'avoir de- fabufé, me fit voir toutes mes fautes. Alors je me jettai à fes pieds ^ & lui demandai mille fois pardon , en lui difant ,

Aine2-vous de rigueur.

Soyez

DE Pièces GaianTES. 75)

Soyez cruelle & fiere 3 Si j'ai de la colère 5 Je la garderai dans le cœur; Non, non , quelques maux que j'endure * La douleur en fera peinte dedans mes yeux , Mais vous ne verrez pas mon cœur audacieux Jufqu'à vous accabler d'un infolent murmure.'

Vous me verrez plein de langueur Vous prier tendrement de n'être plus fevere 5 Mais s'il me vient de la colère. Je la garderai dans mon cœur.

Aminte néanmoins ne me pardonna pas d'abord; elle avoir peine même à fouf- fi'ir ma prefence , puifque j'écois capable de tant de foibielïe^ je tâchois delà fléchir, en lui difanc :

Songez que la peine eft mortelle, Lorfque l'on aime tendrement 9 De rencontrer une cruelle » Qui fe rit de notre tourment;

Qu'on ne peut vivre amant fans voir ce que l'on aime :

Redonnez moi Tefpoir d*attendrîr votre cœur.

Si je vous ai de'plû par quelque ofFenfe extrê- me,

J'en ai fouflfert aflez par ma propre douleur.

Mes larmes & mes prières jointes à D iiij i'mcli-

S(3 Recueil

Tinclination naturelle qu'elle avoît pour moi , &c qu'elle m'avoic cémoigné à Con- fiance y me firent redonner ks bonnes grâces.

Et enfin après plufieurs travaux , nous arrivâmes à la Capirale du Pais d'Amour : elle porce le nom de l'Ifle , & c'cft fe ticnc la Cour, qui efttout-à- fait belle : car elle eft compofce de toutes forces de Na- tions 3 de Rois , de Princes ôc de Sujets , ÔC lesuiis néanmoins n'y font pas plus grands Seigneurs que les autres. La Ville eft fore grande & tout y eft pêle-mêle ;lcs gens de meri- e y font quelquefois avec ceux qui n'en ont point; lesperfonnes bien Fai- tes fbuventy quittent tout pour de laides, ce qui a fait alfez voir que le Dieu qui y préfide 5 eft aveugle. Au milieu de cette Ville il y a un Temple fameux plus ancien que le monde : car Amour y étoic quand il débrouilla le cahos. Ce Temple eft fore fpacieux , & à peine eft- il aftez grand pour recevoir tous les Sacrifices qui s'y font à chaque heure du jour. Nous y allâmes pour faire un Sacrifice. En entrant il fallut donner les vidtimes, qui font les cœurs. Amynte avoit encore de la peine à donnei* le fien ; mais les Defirs l'emportèrent à la fin avec un peu de violence. Nos cœurs furent donc offerts en facrlfice à l'Amour, ôc la flàme qui les brûloit; ne les confuma

pas,.

DE Pièces GalaiïTes. 8f pas ; après le Sacrifice nous les trouvâmes encore cous enciersj maisbrulans.

Et par un fort heureux échange. Au lieu de reprendre le fîen , Amynte en cet heureux mélange , Se faifît aufTi-tôt du mien s Ainfi fans force & fans contrainte. Je me vis poiTefTeur du cœur de mon Amynte.

Me voilà au comble de tous mes vœux ,' ne croyant plus avoir à fouffrir. Je de- meurai quelque tems dans cette Ville-là, joullFant de cous les plaifirs qu'on peut avoir ^ étant aimé tendrement , c'eft-à- dire,

Je faifois toute tendrefTe, Elle vouloit toujours me voir. Mon chagrin faifoit fa triikffe , Mes moindres maux fon defefpoir*

Mais ce n'étoit pas afTez pour moi : car je la voulois mener au Palais du vrai Plai- fir 5 qui eft la Maifon de Campagne oa Amour va voir Piîché , ôc dans ce deiîeia je la menois de ce côté- , quand nous rencontrâmes le plus fâcheux de tous les hommes*

D V Le

8i Recueil

le grand ennemi des plaifirs , Qui tourmente toujours les plus fortes ten-^

dreffes , Tyran des pafTions, ennemi descareflfes, Et qui ne pcutrouffrir l'amour ni Tes delîrsj Il a grand m.onde à fes cotez , Charmé de fc-s fottes maximes , Qui de tous les plaifîrs nous font autant de

crimes, Et condamnent en nous les moindres libertez»

Cette grande troupe qui le fuitieftaifcz mal en ordre j ce lonc toutes femmes ma- lades j qui ont grande peine à le fuivre: rAmoui' qui les poiîede, répand une lan- gueur fur toutes leurs perionnes qui les rend maigres : elles ont le regard mou- lant, &c Ton voit bien que laflârae les dé- vore. Cet homme en un mot étoit THon- neur j la Pudeur l'accompagnoit , je ne fçaurois vous dire comme elle eft faite: car elle a toujours un voile fur le viiage, ôc ne fe montre à perfonne. Tous deux ayant arrêté Aniyntej ils lui dirent mille belles raifons qui me femblerenc fort ridi- cu'es j mais qui nefemblerent pas telles à Amynte : car les ayant entendues , elle voulut fuivre leur eonfeil. Je fus forcéton- îié de ce nouveau procédé > 6c je m'écriai auffi-tôx i

Pleures

DE Pièces Gaiantks. S^ Pleurez , mes yeux , votre malheur > Et vorre difgrace imprévue :

Amynte ne veut plus fupporter votre vûë , Et vient de reprendre Ton cœur 3

Si vous fûtes heureux en la voyant fans ceiïe.

Si vous prîtes plailîr à vous voir dans Tes yeux 5

Pleurez mes yeux > pleurez , couvrez-vous de trilkfTe ,

Vous ne reverrez plus un tems û précieux.

Je conjurai enfuîte Amour de la rete- nir, (3c il y prit tant de peine qu'il y réuf- fit , & nous pourfuivîmes notre chemin au Palais du vrai Plaifir. Nous n'en étions pas fort éloignez, quand nous rencontrâ- mes le Reiped & la Précaution. Le Ref- ped: n'avoit plus la mine Ci feiieufe , il avoir l'air galant , enjolié , & le viiage riant j la Précaution ne faifoit aufîi plus tant de façons , ôc en foûriant le Relpect nous dit:

Allez , parfaits Amans , contenter vos dtûs , Et recevoir d'Amour la belle recompenfe. Vous n*avez plus ici befoin de ma prefence, le Kelpeâ: n'a que faire à vos fecretsplaifir^.

Et après m'avoîr embraffe , il me quit- ta. Il fut à peine parti , que je vis Venir une D vj: feniiTie

S4 Recueil

femme toute nue fort belle , les cheveuîc penJans par devant , & chauve par der- rière ^ qui couroit foi t vite ; plufîeurs gens ccoienc-làj les uns qui lanegiigeoient, les aurres qui coui oient mollement après elle, 6c tous néanmoins fembloient foit fâchez de l'avoir lailfé pa(ïer. Amour me dit en la voyant que c'écoit l'Occafion , quelle feule avoit le crédit de faire entrer au Pa- lais du vrai Plaifir, ôc qu'il ne falloir pas la lai/îer échapper ^ parce qu'elle ne reve- îioit pas toujours ; pour diivrc Ton confeil je courus au devant de l'Occafion & l'ar- rêtai, & elle acheva de refoudre Amynte à entrer dans le Palais du vrai Plaifir, ôc nous y arrivâmes enfin avec le plus grand contentement du monde. Car en vérité c'efl un bel endroit.

Un éternel Prîntems yconfèrve un air pur. Le Ciel découvre- Ton plus brillant azur. X'oo y voit en tout tems éclater mille rofes» Chaque inftant en fait voir de nouv-elies écio-

Ces 3 les arbres font toujours couverts de fruits

meuris , les rameaux toujours verds 3 les prez toujours

fleuris , Mille endroits écartez foiit mille autres fau-

vagcs 3,

Ci

DE Pièces Gaiantes* Sf

régnent les plaifirs , les ris , les badinages> Les rameaux enlaflez en bannifTent le jour , Ces antres de tout tems font facrez à l'Amour» La nature elle-même a tilTu les feuillages , Tous les petits oifeaux avec leurs doux rama- ges > N'y parlent que d'amour dans leurs belles

chanfons. Et même aux yeux de tous en montrent les

leçons î Mille petits ruilTeaux dans des lits de verdure Font oUir de leurs eaux Tagreable murmure. Et la nuit , le filence Se tous les élemens x Concourent en ces lieux au plaifirs des amans» L'on n'entend point parler de la rigueur des-

belles 5 Ni du deilin fâcheux qui les rend fi' cruelles., C'efl-là que les amans après piufieurs fou-

pirs Goûtent mille douceurs qui palTcnt leurs dc--

firs. tout ce que jamais le Ciel , Ja Terre &

ronde Formèrent à Tenvi de plus beau dans le mott-

de, A fenti des defîrs & de rempreffemcnt, £t poulie des Toupirs dan^ ks bxa^ d'un aixiaoî^r

>

R E C tJ E 1 t

Je vous avolie qu'on eft heureux en ce Païs-là. Pour moi quand je fongeois que i*écois au comble de mes vœux , je ne pou- vois allez me loiier de la fortune; mais mon bonheur étoic trop grand pour du- rer , aufîî j'en vis bien-côc la fin , comme vous allez entendre. Mais quelques jours auparavant en me promenant , je rencon- trai une hlle allez laide ; mais qui fait la précieufe ôc ne le contente de rien ; elle n'a point de demeure alTûrée , parce qu'el- le néglige d'en avoir , les plus belles cho- fés l'importunent , elle fe nomme Tié- deur, elle a un grand pouvoir dans TIilc: car ceux qui la veulent fuivre, fortenr fans peine ôc fans regret de Tille d'Amour, elle les mené au Lac du Dégoût , ou l'on ne trouve que trop de battcaux pour for- tir. Je vis quelques gens qui la fiii virent, mais je la trouvai (i lai Je & déraifonna- bie , que je ne m'arrêtai pas un momenc avec elle, je le ournai au Palais du vrai Plaifîr, quelques jours après il m'arri- va un malheur qui m'accable encore , ôC dont je ne crois jamais voir la fin.

Au milieu de mes délices, un matin je vis un homme qui effrontément vint trou^ bler mesplaifirs. Il avoir l'air majeftueux & indépendant 3 laphifionomie haute, & les yeux &c le front d'un homme abfolur ^iii ne fçaic ce ^ue c'ell que d'obeïr. En

ua

DE Pièces Galantes. §7 un mot j c'étoit !e Deftin , dont les Arrêcs font irrévocables , qui enleva Amynrc d'entre mes bras : tous mes efforts ne pu- rent Tempêcher, &c il l'emmena fe ne fçat : car je n'en ai pu avoir de nouvelles- depuis ce rems-là. Je quictai aufîi-toc le Palais du vrai Plaifîr , qui me fembloic defagreable , puifqu'Amynte n'y étoit plus, &c je me vins retirer en ce lieu , je croyois palier le refte des jours que m'ac- cordera ma douleur. Je fuis ici fur le haut d'une me nragnej) qu'on nomme le Defert du Souvenir ; la folirude y eft fort belle, mais ce qui s'y trouve de fâcheux ^ c'efl que le lieu eft Ci cmînent j, qu'on décou- vre dc-là toute rifle d'Amour 5 Ci bien qu'on a toujours Con malheur devant les yeux:> l'on ne peut s'empêcher de voir fans eelTè les endroits par l'on a pafle , ÔC c'eft ce qui me rend, miferable ; car de quelque côté que je me tourne, je trouve des objets qui me rcprefentent toûjouia mon bonheur paiîe.

C 'efl le fbuvenir de ma gloire Qui me tourmente dans ces Jieux> Si je n'avois^pas de mémoire, Helas ! j'en ferois beaucoup mieux».

Dans rinfortunc qui m'accable. Je crois qut le fort obûiné

8s Recueil

Ne m'a renda fi fortuné , Que pour me voir plus mifêrable : Mon fort feroit moins rigoureux , Si j'avois été moins heureux.

C'eft mon bonheur paffé qui fait tout mon martyre : O trilte & dure extrémité l D'être enfin réduit à dire ,

Que je me plains d'un bien que j'ai tant fou- haicé.

Il y a quelque rems que je languis ici, & j'ai fongé enfin , cher Licidas, que vo- tre amitié auroit fujec de Te plaindre de la mienne j (i je ne vous faifois (çavoir de mes nouvelles avant ma mort. Il y a la Confidence en ce Païs-cî , qui a foin de faire tenir les Lettres aux Pais étrangers, je lui donnerai la mienne , j'efpere qu'elle vous fera rendue fidellemenr & fecrecte- ment : car c'efi: ce que je lui recommende- rai. Aiieu , plaignez an peu ma diigracc, peut-être qu'un jour vous aurez befoin de la même coniblation que je vous de- mande,

Fm du ^rcmin Fo^j^ge^^

A

BE Pièces Galantes. S^

A PHILIS,

SUR LE VOYAGE

D E

L'ISLE D'AMOUR.

Llfez 3 belle Phi'is , à loifir cet Ouvrage ^ Il parle d'an Païs charmant, aimable Sc doux , II n'eft pas mal-ai(e d'en faire îe voyage , Vous k pouvez fans partir de chez vous.

LE

90 Recueil

LE SECOND

VOYAGE

D E

L'I S LE D'AMOUR.

A L I C 1 D A S.

M Es malheurs font finis , cher Lici- das, &s'il n'y a que l'Amour qui me mette au tombeau , je ne crois pas mourir jamais. Depuis ma dernière Lec^ tre mon humeur eft bien changée ; & quoi- que f aye tout fujec de me louer de l'A- mour dans mes dernières avantures , je l'abandonne néanmoins pour toujours.

Je ne fuis plus amant que de la belle gloire , Elle feule à prefent occupe mes efprits >

Ec j'ai banni de ma mémoire

Les Amyntes & les Iris.

J*ai goûté de T Amour les charmantes délices. Et ce Dieufut toujours conforme à mes defîrs Si quelt^uefois il caufa mes fupplices ,

Ce

DE Pièces Galantes. «ji Ce fut pour augmenter ma joye &: mes plai-

fîrs. Je ne m'en repens point j j'en chéris la mé- moire y Je vois avec plaifîr le débris de mes feux ,

Mais c*el^ feulement à la Gloire Que je veux déformais adreffer tous mes vœux.

Vous vous étonnez peut-être , cher Ly-i cidas , de m'entendre parler ainfi -, mais appienez-en la caufe en apprenant mes dernières avantures ;, qui vous divertironc airûrement plus que les premières. Quoi que je ne longe plus à l'amour , je vous avoiie que je iuSs bien-aiiè de vous faire rhirtoire de mes feux paiTez- , j'en aime le fou venir , & mon cœui qui s'applaudir en feciet de mes conquêtes , trouve un ccm- mencement de gloire à avoir triomphé de trois cœurs.

Trois illuitres beautez ont brûlé de mes feux.

Tant que je fus amant , je fus toujours heu* reux ,

Sur des coeurs indomptez , j'ai gagné la vic- toire ;

je n'ai point fait de vœux que l'on n'ait exau- cez.

Toi mon cœur qui n'es plus fenfible qu'à la gloire.

Triomphe

t)i Recueil

Triomphe au fouvenir de tes Amours paffez.

Il y avoir déjà long-rcms que je lan- guilTois dans le Delerc du Souvenir , &c je commençois à croire par une rrifteife extraordinaire qui m'écoit furvenuc de- puis quelques jours, que le tcrmede mes maux approchoir j & que la mort m'en deiivreroit bien-tôt , quand un jour étant couché fous un arbre rêvant à mes mal- heurs , &tout noyé dans mes larmes > je vis une femme qui voloit d'une grande vî- telTè 5 elle pailoit en allant , &c faifoit ua grand bruit j je lencis à fa vue un tremble- ment qui me iailit le cœur , fans que j'en connulle la raifon. Je vis bien d'abord que cecte femme étoit allûrément la Renom- mée : mais je ne fçavois pas d'où venoit mon inquiétude , quand ces paroles ne m'en firent que trop connoître lefunefte fujet ; elle cria en palîànt auprès de moi :

Amynte elt en confidence Avec un nouvel Amant > Tirfis avec fa conftance Eft la Dupe aflurément.

Je crus deux ou trois fois avoir mal en- tendu y mais elle le repéra ii fouvent :, que je nedjutai plus de mon malheur.

Je vous laille à penfer combien je fis de

plaintes

DE Pièces Galantes. ^5 plaintes furcetteinfi.îelicé, ilme vint mil- le cifî'erentes penlces de vengeance concre Tingrate &: (on aman: ; mais la violence de ma coleire ecani pailee 3 j'en vins aux re grecs.

Pour avoir plus d'amour que Ton n'en eut ja-

. mais ,

Que ne me laifTez-vous du moins mourir en

paix? Ingrate , vous pouviez fans être criminelle , Attendre cncor deux jours à paroître infi-

délie. Et ne m'expofer pas à cette cruauté De voir avant ma mort votre infidélité , Quand accablé d'ennuis & prêt à rendre Fa- mé, Vous deviez retenir votre nouvelle flâme 5 Et je meritois bien par mon fort malheureux Que votre amour durât encore un jour ou deux.

Je paflai aînfi plufîeurs jours à me plaindre , & je ne voulois pas m'éclaircir entièrement de mon malheur , de crain- te de trouver de trop grands fujecs d'af- flittion. Il y avoir même quelques mo- mens ou je m'imaginois que peut-être la Renommée avoir félon coûtumejaccufe faulfement Amynte de perfidie ^ & je ne pouvois croire qu après tous les Cstmeps

(juelle

^4 Recueil

qu'elle m'avoic faits fi légèrement , elle eût trahi ia parole j, & qa elle pût oublier en peu de jours mes ieivices , Ôc recevoir ceux d'un autre. Quelquefois aadi j'excu- foisen moi mcme ion ingratitude par mil- le raifons, qui, ce me lemblcit/ry pou- voienc avoir contrainte : mais enfin je ne fus que trop alTÛLe de toute ma dilgrace. Je vous ai dit dans ma première lettre » que le defert iu Souvenir eft: placé fi haut, qu'on découvre de toute l'Ifle d'Amour. Un jour je vis Aminte dans le Palais du vrai Plaifir , avec un homme que je con- nus pour un de ceux que j'avois rencon- trez dans les Rivaux.

Lacet Amant qui fçût lui plaire, Rendant de Ton bonheur le Ciel même jaloux. D'un tranfport amoureux embrafifoit {es ge- noux :

Et ringrate le laiifoit faire.

L'ardeur de Ton brûlant defîr D'un incarnat brillant allumoic Ton vifage, ^esbaifers redoublez étoient Ton feul langage.

Et l'ingrate y prenoit plaifir.

Enfin j'en crus perdre le jour , Je vis à cet Amant mille beautez en proye , Et l'ingrate à fes yeux montroit la même

Qu'elle

DE Pièces Galantes. 55 Qu*elle m'avoit fait voir du tems de notre amour.

Quand je fonge à la douleur que j*eus d'aboi d en voyanc cette lâche trahilon , je m'étonne coniment je n'en fus pas ac- cablé j ma -âge me fit dite des chofes qu'elle feule eft capable dlnrpiuei', Ôc foû- tcnu par mon amour , qui me faifoir voir avec une douleur inconcevable , qu'un au- tre eût triomphé en un moment de ce qui m'avoit coûté tant de peine ^ je fus long- tems fans pouvoir être maître de mon de- £efpoir 3 mais à peine eus-je fait un peu de réflexion fur cette avanture , que je me trouvai en état de me fervir de ma raifon , & un homme qui parut à mes yeux au même inftant , m'infpira une froideur qui me rendit infenfible à cette infidélité ; cet homme avoit le regard fier, &faifant un foûris dédaigneux ^ en me regardant de coté, Ôc pardeifus Tépau- le , me dit ;

Quoi rinfidelité d' Amynte , Lâche , te donne au cœur de mortels dé- piaifîrs ?

Tu t'abandonnes à la plainte ? L*infidéle qu'elle eft , te coûte des foûpirs ?

Après fa noire perfidie , X*ingrate jQe vaut p^s qu'on regrette fon cœur.

<f6 Recueil

Et Ton doit oublier des momens de fa vie Tous ceux qu'on a pafe dans cette indigne ardeur.

Je connus à ces paroles que cVtoîc le Mépris , & coariis Tembrafler ; mais lui voyant que je haiançois , ôc que l'Amour étoîc encore avec moi , il tourna Tes pas ailleurs fans me regarder. Moi qui ne vou'ois plus le perdre , aidcdefesconfeils, je donnai congé à ce petit Amour qui m'a- voit toujours accompagné dans mon voya« ge. Cet adieu ne fe fit pas fans bien des larmes ; Se comiue il avoir été le témoin de toutes mes avantures , j'avois bien de la peine à le quitter , ôc je m^amufai long-tems avec lui , que j'en penfai ou- blier le Mépris : enfin en l'embrallant:

Adieu , lui dis- je , Amouj:, mes plus chères

délices , Toi qui fus autrefois mon efpoir le plus doux. Toi que j'aimai toujours malgré tous mes

fupplices, Aray nte ne veut plus de commerce entre npus.

Après fa trahifon & fi lâche & fi noire Je veux que de mon cœur fes traits foienc

effacez : Mais je ne veux jamais bannir de ma mémoire Tous ces heureux momens qu'avec toi J'ai

pâfTez, £n

DE Pièces Galantes. 97 "En quittant l'Amour , je fus long-rems à chercheu le Mépris , mais enfin je le ra- crapai j & il me dit d'allei' à une Ville qu'il me montra , j'y adreiïài d abord mes pas, &c je commençai alors à fentirune joye que je n'avois point eue depuis que ]'écois dans Tlfle , êc le Repos me fembla plus doux , à caufe qu'il m'étoit nouveau d'en avoir. Quand j'arrivai à cecte Ville, je vis que tout le monde y ctoic oifif : la Ville eft deferte , ^ prefque tous les ha- birans demeurent en leur particulier : il y a un Port par l'on fort de Tlfle d'A- mour ; car pour y entrer par , c'eft ce qui n'eft jamais arrivé. Cette Ville Te nom- me Indifférence , Se donne le nom à une Princeiïe qui eft belle à la vérité , ôc qui fur tout a beaucoup d'embonpoint , mais elle a la mine peu fpirituelle, & paroîc fi inucile ôc niaife ^ qu'elle en eft ridi- cule.

D'abord que je fus dans cette Ville, le fouvenir de l'affront que m'avoit faic Amynte, mêla rendit alfez agréable , de je ne pouvois m'empêcher de crier mille fois le jour :

l'on n'eft jamais content alors qu'une beauté DeiTous Tes dures loix tient notre ame affervie 3 Pour être heureux toute fa vie Il faut garder liberté. Tome m. E Te

5?S Recueil

Je me trouvois fort heureux d'ctredé- barallc de mon Amour , Ôc je m'éconnois fouvenc de coures les folies que ce Dieu m'avoic fait faire : quoique je fongealTè quelquefois à Amynre , il me fembloit qu'elle écoic enlaidie depuis Ton infidcli- : rhumeur j'étais ne me la repiefen- toit que comme unepeifonnequi neme- jricoic plus une forte paflion , commecelle que favois eue pour elle y ôc qui avoic perdu toutes les grâces qui l'avoient faic aimer. Enfin , j'ctois dans un li grand re- pos ;, que je commençai à m'en ennuyer, & ce changement extrême d'une violente amour à une froideur extraordinaire , me devint fi infupportable j qu'une langueur me faifit , qui me don n oit un chagrin que je n'avois jamais fenti. Mon cœur qui étoit accoutumé à l'amour ne fçavoit ou placer ce fonds de tendieiîe qui lui étoic refté en quittant Amynte :, & trouvoit bien rude une vie aufli parelfeufe que cel- le que je menois dans l'indifférence. Je chantois tous les jours en moi même 5

Sans amour & fans tendrelTe Il n'eft point de douxmomens : Il faut foûpirer fans celTe , L'on n*eft heureux qu'en aimant.

A quoi pafifer tout le jour , $i Ton ne fonge point à plaire 3

DE Pièces Galantes. ^^ Et Cl l'on n'a point d'amour i Que peut- on faire?

Que la vie eft ennuyeufc Quand on n'a point de defîrs: Qui n'a pas Tame amoureufe > La voit couler fans plailîrs.

A quoi pafler tout le jour » Si Ton ne fonge point à plaire

Et Ton n'a point d'amour s

Que peut-on faire ?

Je ne voulois pourtant pas m'y renga*" ger touc-à-faic ^ ôc je me crouvois crop mal de l'Amour , pour me rembarquer encore dans une autre pafîîon j mais je cherchois à m'occuper du moins agréa- blement.

C'eft ce qui faifoic que je fortois de la Ville tous les jours , pour voir fi je n'au- rois point quelque avanture , quand un jour je rencontrai une femme dont l'abord étoit tout-à-fait agréable j elle avoir un air libre enjoué , ôc quelque chofe qui plailbit d'abord en la voyant ; Elle ne m'eut pas plutôt apperçû qu'elle vint à moi , & me pria de venir chez elle y que j'y trouverois dequoimefatisfaire, & me montra un papier ceci éroic écrie :

Voir toutes les beautez fans amour , fans de- firSi E ij Es

100 Recueil

Et faire chag^uc jour nouvelle connoiflance , Avoir pour tous objets la même complai-

fancc , £t chercher en tous lieux f^ joye & Tes plai- fus ,

C'eft l*agreable & douce yie Que Ton mené en Galanterie.

je trouvai Ci bien mon compte à cette façon de vivre , que j'acceptai d'abord le parci , & fui vis k Galanterie à la Ville qui porte Ton nom.

C'eft une Ville fort magnifique & fore llipcrbement bâtie : Ton trouve à la porte îa Libéralité , l'Efprit doux , la belle Con- verfation^ Se la Complaifance, qui don- nent des pa(ïè- ports pour avoir les entrées libres par toutes les Compagnies ; &cfa.ns quoi l'on palîe fort mal Ton tcms : il n'eft pâs tout- à-fait neceflairc d'avoir quatre paflè-ports, c'eftalïèzd'en avoir deux , dc quelquefois un ; mais plus on en a & mieux on fe divertit. Les plus neceflaires pour en être eftimez , font l'Efprit doux de la, belle Converfation , 3c ceux qu'on efti- me le moins , & qui font duperies gens d'ordinaire , c'efl: la Complaifance & la Libéralité. De plus , c'eft un lieu de grand divertiflèment , les agréables parties y font fréquentes; on invente tous les jouis piiilc plaifirs nouveaux -, la Mufique , le

' Feftin

DE Pièces Galantes, roi Feftin y le Bal , la Sérénade & la Comé- die y ont de l'emploi chaque jour.

Comme j'écois avec la Galanterie , j'eus quatre pafle-ports y ôc je commençai dès- lors à m'incroduire par tout , & je fis tant de parties , que je me fis connoîcre dans toutes les compagnies de la Ville : je paf- fois le jour en feftins , la nuit à donner des ferenadcs , &" je ne me donnois pas ainfi le cems de m'ennuyer j mais à la fin cette force de vie me fatigua.

Alors qu'on a goûté le plaifir d'être aimé. Tout ce qui vient après ne fait que nous dé- plaire ,

Et fi le cœur n'eft enflamé

Tous les plaifirs ne touchent guère.

Je commençois à en avoir du chagrin ; quand je fis une partie , dans laquelle il le rencontra deux filles également aimables j l'une le nommoitSil vie , qui avec une tail- le admirable, avoit tout ce qu'il faut pour faire une fort belle perfonne; de ce qui me charmoit le plus , c'étoit un air de joye &c de jeunelfe qui infpiroit tous lesplaifirs : el- le avoic quelque chofe de fi engageante de û aim.able , qu'on ne pouvoit s'empêcher de l'aimer. L'autre fe nommoit Iris qui n'avoir pas la rai i le fi belle ;, mais fort bien pïifej ôc déplus , elle avoic une certaine E iij negli-

TOI Recueil

négligence en marchant fort agréable; mais au{îi tous les traits de fon vifage etoicnt accomplis : elle avoir un teint vif, beaucoup d'éclat , de grands yeux , le nez bien fait , & dans la bouche un charme inexplicable. Il fembloic que les grâces Ôc les ris en eulfent fait leur demeure , de quand elle rioit fur tout , on y remar- quoit mille beautez qu'il eft impofliblc d'exprimer.

En la voyant il n*ell point d'armes PourjContr'elle un moment, garder fa liberté i

Et pour couronner tous Tes charmes , Elleavoit de refprit autant que de beauté.

Ces deux belles perfonnes me firent prendre à cette partie plus de plaifir que je n'avois fait aux autres j, & je me fepa- rai d'elles avec des fencimens bien diffe- rens de ceux que j'avois accoûcumé d'a- voir. Je fus bien-aile de f.ntir quelque penchant dans mon cœur , mais je ne voulois au(îî m'y abandonner entière- ment; Se d'un aurre côté , il me fembloic étrange d'avoir deux inclinations , ôc je ne pouvois comprendre comment on pou- voit aimer deux perfonnes enfemble y ôc les fervir , quand une femme Ce prefenta à moi j qui étoit magnifiquement vécue. Elle avoir fur tout obfcrvé dans fon ha- billement

DE Pièces Gaiaktes. io| billemenc ce qui pouvoir rehaulfer fa beau- té : elle ëtoic fort parée , & ne faiioic pas une action qui pûc déconcerter fa bonne grâce ; elle avoir le regard attirant > l'ac- cueil fort agréable , & il fembloit qu'elle cherchât à plaire à tout le monde , ëc qu'elle en fift Ton capital ; elle avoit une grande fuite , mais elle me carelîa plus que les auaes. Vous connoilTez bien aux marques que je vous en donne , que c'é- toic la Coquetterie j, &z vous ne vous éton- nerez pas de fes careilcs :, puifque j'étois nouveau venu. Auflî-tôt quelle me vie, elle me parla ainfi:

Ceiïe de t'oppofer à cette double ardeur , Deux objets peuvent bien avoir place en ton

cœur , Si l'amour fait lui feul le bonheur de la vie »

Plus on eil amoureux ,

Et plus Ton eft heureux : Reçois l'amour d'Iris & celui de Silvie, Encore ell-cebienpeude n'en avoir que deux.

Du puiiTant Dieu des coeurs les douceurs font û grandes 3

Qu'il faut fur mille Autels lui faire mille of- frandes :

Helas ! il eflfi doux de s*y laifier charmer.

Qu'alors qu'une Philis refufe d'être nôtre >

E iiij II

i04 R E C XJ E I t

ïl faut en avoir une autre , De peur de cefifcr d'aimer.

Ce/Te de c'allarmer pour avoir tant d'amour 3 i'on peut fort aifément ménager deux ten* ilrelTes :

Il eft aflez d'heures au jour , Pour s'occuper à deux maîtrefles.

Jeluî fis mille remercimens de Tes bons confeils , Se j'y trouvai mon humeur Ci poitce , que je ne balançai pas a fuivre la Coquetterie jiifques dans !a Ville qui porte ion nom , je vis fur la porte ceci écrit en lettres d'or.

le Dieu des coeurs voyant que de forr vaûe

empire Tant d'Amans fortoient chaque jour ,

Et qu'après un premier amour >

Un cœur fatigué de martyre , Y venoit rarement faire un fécond féjour >

Fit bâtir cette belle ville , les Amans laflTez de ces injurtes loix.

Trouvant l'amour doux &z facile > S'y rengagent encore une féconde fois.

Ici règne un amour commode , avec l'agreable méthode Qui fait aimer fans trouble & fans emporte- ment > Qui

DE Pièces Galantes, ioj Qui bannit le fâcheux tourment > Qui fait braver les inhumaines , Qui ne donne en amour que de tendres de*

firs. Et qui fans en caufer que ks plus douces pei- nes, En fait goûter tous les plaiiîrs»

Cette agréable infcription me donna encore plus d'envie de voir la Ville , j'y rencontrai mille belles perfonnes , toutes parées comme pour faire quelque con- quête^ elles n'épaignoient rien de tout ce qui peut plaire , 6c employoient toute leur adreiïe pour attirer les paiTàns»

C'étoît en un mot de ces belles Qui ne cherchent par tout qu'à s'en faire co-tî- ter. Et quoi qu'il en puifTe coûter , Veulent voir la foule autour d'elles,

La Coquetterie en entrant me donna pour guide un Amour Coquet > ôc pour vous expliquer ce que c'eft , apprenez que ces fortes d'Amours font de la vérita- ble race d'Amour -, mais comme ils font cnfans de l'Amour ôc de la Coquetterie > ils tiennent auflî de leur mère : ils ont Tare &c la flèche > mais ils n'ont point de bandeau ni de fiaiiibeau, de tiennent Aqs

£ V lûi^

10^ R E C TTE t L

loix dt la Coquetterie , qu'ils obfervent cxadement. Je ne fus pas plurôcavec ua 'de fès Amours , qu'il me dit routes Ceà loix y qui font fort agréables, ôc qu iin'eft pas necelfaire de vous dire encore :, pui(^ qu'aufli-bien vous en verrez les effets dans la fuite de mon difcours y c'eft tout vous dire , que dès ce moment )e m'engageai à fuivre par tout fes avis , 8c des le foir mê- me rencontrant Silvie , de l'ayant abordée, je demeurai quelque tems avec elle.

Je crûs dans ce moment être tout à Silvîc , Ses yeux feuls me fembloient capables d'en-

flamer , Et je ne fongeoîs pas dans ma joye infinie Qulris avoit des traits qui m'avoient fçû

charmer.

Je ne l*eus pas plutôt quitté ^ que ren= contrant Iris ^ il m'en arriva de même.

Iris d*un regard feulement Changea mon amoureufe envie. Et j'oubliai dans ce moment Qu'il fût au monde une Silvie.

J'en fis autant plufîeurs jours de fuite, ôc commençai alors à fentir quelque joye, j'aimois ôc je n'en fentois aucune inquié- cude 3 quand j'ccois mélancolique j'allois

voir

I

DE Pièces Galantes 107

voir Iris , qui par la douceur de Ton efprlc ôc fa langueur naturelle , m'entrerenoit agreablemenr dans rhumeur j'étois , dc quand je me fentois Tame portée à ia joye, je courois chez Silvie.

Pour me faire en amour un deftin agréable > Je ne pouvois pas mieux contenter mon defir, J'avois trop peu d'amour pour être miierable, Ec j'en avois afTez pour y prendre plaifir.

Après unaflfez longrejour dans Coquet- terie j cet Amour qui m'avoic été donné pour guide , me voulue mener à Déclara- tion ; je fongeai d'abord à mon premier voyage ^ quand le Reipect me detrendic d'y aller j j'alléguai cette raifon, l'Amour Coquet Te mît à rire en m'entendanc par- ler, &■ me dit que leRefped- ne deffen- doît d'aller à Déclaration , qu'à ceux qui ne fçavoient pas encore la belle manière d'aimer j ôc même que le Refpedfe moc- quoir de ceux qui paiTànr par Difcretion y alloient faire un chemin plus long de moi- tié que l'autre , & ajouta :

Sans déplaire au Refpeâ , Tirfis , on peut

parier , Le moyen de guérir ton amoureufe flâme >

Si tu ne veux pas révéler A Tobjct que tu fers le fecret de ton ame :

E vj Quoi

lo8 Recueil

Quoi que Ton die , il eft bien doux Devoir toujours à Cqs genoux

Un Amant languiiTant , qui brûle & qui fou- pire,

Et Ton n*eft jamais en courroux

De fe voir adorer , ni de Tentendre dire.

Je ne balançai pas à le fuivre , &C en chemin , il me donna cet avis :

En parlant de l'amour n'en fais point une af- faire,

C'eft dequoi t'attirer quelque honteux refus j

Quand on traite Tamour comme un fore grand myftcre ,

Vn jeune cœur s* alarme & ne Técoûte plus..

Nous arrivâmes en mcme-tems à Dé- claration y qui eft un fort petit Village ,-^ car comme on n'y fait que palier, il n'eit guère habité ; Tentréc en eft un peu pe- rilleiife , à caiife de quelques précipices ^ ceux qui font des faux pas , courent beaucoup de rirquc. Pour dans le village^ il y fait toujours desbroliillardsfortépais, & on a peine à s'y connoître ; & il y a deux forties , L^une du cô:ë du Refus , ôc l'autre de la Tolérance : la première eft fort defagreable , &c mène en quantité de méchans endroits j Ôc l'autre ne mène ordinairement qu'en des lieux di vert if- fans»

D E Pièce s Galantes. ro_^ fsns. J'avois un fi bon guide , que Tentrée: ne me fie point de peine j je débrouillar aifez bien Iris &: Silvie , ôc leur parlai à toutes deux de mon amour.-

Auprès de l^aimable Silvie Le cœur tout rempli de defîfs j Pour fatisFaire à mon envie , Je poufTki mille ardens foûpirs. Quand je lui proteftai qu'elle en étoit la caufej,

Cétoic mon cœur qui me Tavoit didéy Et fi quand près d'Iris je dis Ja même cHofe 3- Je crûs (fans Ile moment dire vérité.

Quand je parlaf à Silvie, elle feignit de ne me pas croire , Ôc forcit api es par la Tolérance y pour Iris , elle n'en fit pas de^ même:, eie forrirpar le Refus : je la quit- tai alors , & lortatit par la Tolérance après Silvie , après l'avoir un peu cher- chée 5 je la trouvai dans une petite Ville qui eft fort agiéable^ ellcn'cft guère peu- plée, mais les gens qui y font , vivent dans une grande u^nion^ on ne fe parle guére-^ & on s'entend à demi- mot,

Ce(î que les Amans mettent tont en ufage Pour avoir chaque jour un fecret entretien >, Et que chacun a Ton langage Oîl les autres n'entendent rien,.

ÏÎZ R ï C X7 1 1 L

fefpoir. Cette forte de vie me fembloîc afTez agréable , j'écois fore gai à Intelli- gence -f &C quand je venois voir Iris , je prenois un vifage ferieux ; ôc je pris enfin une habitude de conrreFaire mon humeur quand bon me fembloic j les larmes ne me coûtoient plus rien , &c jefçavois faire le miferable quand la fantaifie m'en pre- noic

A mon gré je Tçavoîs & gemîr & me plaîii-

dre, Scion qu'il le falloit pour féconder mes vœux :

En amour c'ell tout que de feindre > Et fçavoir à propos faire le malheureux»

Enfrn , après avoir affez fait le langoij- reux , je voulus la faire fortir de ce drplai« fan: féjour 3 ôc fans avoir recours à la Pi- tié j je fis feulement ce que me confeiila l'Amour Coquet.

Au lieu de lui demander grâce y

Affede des froideurs & cache ton tourment>

Car il n'eft rien que Ton ne fafle

Pour fe conferver un Amant»

Pour cet cflTer, la p rem f ère fois que je Ta vis, ayant concerte mes yeux & mon lan- gagep je lui dis afTez gayement:

Eniîn

DE Pièces Galavtes; it^ Enfin je ne fuis plus à vous , Ec je renonce à votre empire ; Vos yeux qui me fembloient fi doux Ne me caufenr plus de martyre.

^ Il ef! vrai que vous êtes belle,

Et qu'il feroit bien doux de toucher votre cœur 5

Mais Iris , vous êtes cruelle. Et Tamour ne peut vivre avec tant de rigueur.

Je n*ai point épargné les foûpirsni les larmes? Ni tout ce qui pouvoit bannir votre courroux» Vous m'avez vu foûpirant pour vos charmes Demander grâce à vos genoux ; Maispuifque votre cœur rebelle Refufe de me fecourir, Adieu je vous quitte crnellc, Mon defTcin n'ell: pas de mourir.

Je la quittai auffi-côt que j*eiis achevé- ces paroles , & ne recournai plus la re- voir depuis ce cems-là. Je m attachai alors à Silvie plus que de coûrume , <3c n'oubliai rien de tout ce qui pouvoir faire connoicre à Iris que je Pavois oubliée.

Au bout de quelques jours je vis que cette

belle,

Par un fort heureux changement.

Aima

114 Recueil

Aima mieux n'être plus cruelle j Et trouva plus de honte à faire une infidelle , Qu'à bannir fes rigueurs en faveur d'un Amant.

Elle vint à Intelligence , ou d'abord elle me fit quelques repioches , & je ne manquai pas à lui jurer mille fois que ce que j'en avois fait , n'étoit que pour voir (i ma perte toucheroit Ton cœur. J'avois bien des affaires en ce tcms-là , car c'efi: une chofc allez difficile de demeurer dans Intelligence avec deux perfonnes ; j'écri- vois tous les jours deux billets , j'avois tous les jours deux rendez-vous , & il falloic avoir bien de l'adrefTepour ne rien faire connoître y mais avec tout cela,c'étoic un embarras fort agréable , & dans lequel j'euife volontiers long tcms demeuré , fi l'Envie qui ne peut fouffrir perfonne à In- telligence , ne fût arrivée , &r n'eût tant dit de choies mal-à-pvopos , qu'Iris <Sc Sil- vie furent contraintes de for tir & d'at- tendre dans un éloignement qu'elle eue ceifc de parler.

Jeme trouvai ai n fi tout d'un coup privé de mes plaifirs : encore fi l'une des deux me fût reliée , je me fufie confoië avec el- le de l'abfence de l'autre; mais toures deux étant parties, je ne fçai ce que je fufie de- venu , fi l'Amour Coquet ne m'eûr con- duit à un village fore agréable : la firua-

tion

DE Pièces Galantes, iiç tion en eft merveiileufe 3 le Païs d'alen- tour agréablement diveififiez de ruilTeaux^ de piez 6c' de bocages j Amour me die en m'y conduiiant :

Ceft en vain que dans une abfence) On s'abandonne à la fouffrance , Que fert de s'affliger & la nuit & le jour, Si dans Téloignemenc , on ne peut nous en- tendre,

Tirfisj la douleur la plus tendre. Ne rend pas un Amant plus heureux au retour.

Nous arrivâmes en même-tems à ce Village ; toutes les Maifons y font agréa- bles , l'on voit par tout des grâces & des fontaines , & une fuite continuelle de fpectacles & d'agiémens , les moindres chofes réjouiiTent : tout le monde qui y efl: contribue au divertiirem.ent j ce lieu-là fe nomme Amufement.

L'Amufement eft un Fort jeune garçon, qui s'arrête à tout ce qu'il trouve , & faic fon plaifîr de la moindre chofe.

D'abord que je fus arrivé dans ce Villa- ge j je fongeai à faire comme les autres ^ à me divertir de tout ce qui fe preientoic à moi , afin de bannir le chagrin que me pouvoit donner i'abfcnce de ce que j'ai- mois.

Eloigné

jii6 Recueil

Eloigné des beaux yeux d'Iris & de Silvie, Pour affranchir d'ennuis une mourante vie. Sur cent objets divers je formois mes defirs , J'avois tant de chagrin de cette longue ab- fencc ,

Que je prenois mille plaifîrs Pour en éloigner la fouffrance.

Je vous avoue que tout le rems que je demeurai dans Amufemenc :> je le pafîai fans inquiétude^ ôc )'arrendois fans beau- coup d'impatience le retour d'Iris & de Silvie. Je ne lailîois pas de leur écriie tou- jours , ôc la même lettre fcrvoit à toutes deux; je leur mandois mille tendrelfes ; ôC en effet , j'euiîè mieux aimé les voir que d'être dans Amufemenc ; mais puifqu'il falloic attendre, je prenois patience alïez volontiers.

Quelque cems fe pallà ainfî que nous nous écrivions règlement; mais tout d'un coup je ne reçus plus de lettres , & j'ap- pris qulris & Silvie , ayant fçû que j'étois dans Amufement , s'ctoient retirées dans le Palais du Dépit ; je n'eus pas plutôt appris cette nouvelle j, que je me rendis au Palais du Dcpit : je vous ai parlé en palîànt, du Dépit dans ma première lertre ; mais je ne vous parlai pas de fon Palais > c'eft un lieu l'on fe querelle coÛjouts,

le

OE Pièces Galantes. 117 le Dépit brouille les gens enfemble mille fois le jour 3 ôc fait carelïèr fouvenc des gens que Ton hait mortellement ; mais ces querelles aufîi ne durent guéres ; les Amours raccommodent tout de réùnilïènc toujours ceux qui ne font querellez que par le confêil du Dépit j mais c'eft une allez plaifante choie d'y voir des gens qui s'ai- ment infiniment , fe dire mille injures, de leur vie , de un moment après de- mander pardon , ôc fe réunir plus qu'au- paravant.

De tous les dépits d*un AmaRt> Le plus long ne dure guère : Comment tenir fa colère , Quand on aime tendrement?

Il y a un homme dans ce Palais , qui eil le médiateur de toutes chofes^ c'eft lui qui afîifte aux accommodemens, Se qui four- nit les moyens de les faire , on le nomme rEclairciiïement.

Quand j'arrivai ^ je rencontrai d'abord Silvie , qui en me voyant s'accompagna d'un homme, lui fit mille careilès , ôc ne fit pas femblanc de me connoître. Le Dé- pit qui vint aufli-tôt à moi , m'infpira le deiir de me venger , & rencontrant Iris au même moment, je fongeois à ven- ger avec plaillr j mais elle en fie autant

que

ti8 Recueil

que Silvic ; & moi pour fîiivre les confeîls de mon Amour Coquet , trouvant une femme alfez jolie fur mes pas , qui écoic pour le moins aufli en colère que moi j ôc comme nous n'étions enlemble que pour nous venger , notre entretien n'écoit pas grand y mais comme le couroux m'a- veugloit moins qu'elle , je commençois à trouver la Vengeance aflez douce, quand Iris & Silvie pallerent , & me virent au- près de cette femme ^ avec un vifage afîèz gai ; fur la fin du jour étant demeuré feul, en me promenant je rencontrai Iiis qui étoit feule aufli. Dans l'emportement je lui dis mille chofes que la colère infpire, ôc elle de (on côcé en ht de même; quand i'Eclaircifîèment vint qui nous demanda la raifon de notre querelle^ &c nous con- nûmes qu'elle venoit toute de Préoccupa- tion, & qu'elle étoit fondée fur l'Amour. Alors je me jettai à fes pieds , je lui fis mille proreftations de fidélité, de elle, à fon tour, s'excufa fi tendrement que j'en fus charmé ; elle me fit mille carelles , ôc n'oublia rien pour me perfuader que tout ce qu'elle avoir fait étoit par le confeildu Dépit.

Qu'il eft doux de voir une belle , Que l'on prenoit pour infidèle > En peine de nous appaiferj

Cher-

DE Pièces Galantes. ii^

Chercher mille râlions pour tâcher d'excufer Quelques offenfes prétendues,

Et de fa belle main ciTuyant tous nos pleurs , Nous payer par mille faveurs Les larmes qu on a répandues.

Je trouvai mon accommodement fi agréable, que j'allai aa(îi-tôc chercher Siivie pour en taire auranr. Il fe peut faire qu'elles n'agilloient pas de meilleure foi que moi , Se qu'elles me trompoient tou- tes deux , comme je les ti ompois ; mais je n'en avois pas grande inquiétude.

Pourvu qu'on jure qu'on nous aime>

Que Ton craigne de nous ficher , Et qu'on ait foin de nou.s cacher

Une infidélité par quelque llratagême , Si Ton fçait bien nous appaifer. Si Ton nous trompe avec adrcflc , Pourquoi chercher tant de finefle ?

Et qui ne voudroit pas fe lailVer abufer?

Pour moi je ne penerrois point dans leur penfce , ôc je me contentois de voir qu'elles croient bien aifes de faire la paix avec moi.

Et je trouvois fi doux dans un dépit extrême > De voii: enfin ccder la colère à l'amour ,

Que

Il8 R E C U E I I

que Silvic ; & moi pour fuivre les confeils de mon Amour Coquet , trouvant une femme alfez jolie fur mes pas , qui étoic pour le moins aufîi en colère que moi ; ôc comme nous n'étions enlemble que pour nous venger y notre entretien n'écoit pas grand ; mais comme le couroux m'a- veugloit moins qu'elle , je commençois à trouver la Vengeance aflèz douce, quand Iris & Silvie paflerent , Se me virent au- près de cette femme , avec un vifage aflèz gai ; fur la fin du jour étant demeuré feul, en me promenant je rencontrai Iris qui étoit feule aufli. Dans l'emportement je lui dis mille chofes que la colère infpire, ôc elle de (on côcé en fit de même; quand l'Eclairciflèmenc vint qui nous demanda la raifon de notre querelle j, ôc nous con- nûmes qu'elle venoit toute de Préoccupa- tion, & qu'elle étoit fondée fur l'Amour. Alors je me jettai à fes pieds , je lui fis mille proreftations de fidélité, ôc elle, à fon tour, s'excufad tendrement que j'en fus charmé ; elle me fit mille carelTes , ôc n'oublia rien pour meperfuader quetouc ce qu'elle avoitfaic étoit par le confeildu Dépit.

Qu'il eft doux de voir une belle , Que l'on prenoit pour infidèle > £n peine de nous appaifer 3

Cher-

DE Pièces Galantes, i i^ Chercher mille raifons pour tâcher d'excufer

Quelques offenfes prétendues. Et de fa belle main efTuyant tous nos pleurs , Nous payer par mille faveurs Les larmes qu'on a répandues.

Je trouvai mon accommodement fi agréable, que j'allai aulîi-côc chercher Silvie pour en faire autant. Il fe peut faire qu'elles n'agilToient pas de meilleure foi que moi , & qu'elles me trompoient tou- tes deux , comme je les trompois ; mais je n'en avois pas grande inquiétude.

Pourvu qu'on jure qu'on nous aime>

Que l'on craigne de nous fâcher , Et qu'on ait foin de nous cacher

Une infidélité par quelque ftratagêmc , Si l'on fçait bien nous appaifer. Si Ton nous trompe avec adreffc , Pourquoi chercher tant de fineffe ?

Et qui ne voudroit pas fe laiffer abufer?

Pour moi je ne penetrois point dans leur penfée , & je me contentois de voir qu'elles étoient bien aifes de faire la paix avec moi.

Et je trouvois û doux dans un dépit extrême j Pc voir enfin céder la colère à l'amour.

Que

110 Recueil

Que pour faire la paix de même j Je me broiiillois vingt fois par jour.

Apucs que j eus aiTcz puis de plaifir à toutes ces petites querelles , les defirs me prelTerent Ci fort , que je menai Iris Ôc Sil- vie dans un vallon fort agréable 3 quoi- que l'Amour Coquet ne me le confeiilac pas ; les monragnes qui environnent ce vallon , font fort hautes & pleines de ro- chers creufez , qui font des antres folicai- res dans le vallon , il y a un beau Châ- teau qu'on ne voit prefque pas , à caule d'un bois fort haut qui le couvre : le Soleil n'y porte guëres fa lumière, & même on a peine à le fouffiir pour peu qu'il y pa- roiiîè : La nuit y règne toujours; mais elle n'y porte point fes horreurs , & plus elle eft obfcure, plus elle femble belle. Quoi- que ce lieu foit fore habité , il femble pourtant qu'il n'y ait perfonne , parce que les habitans aiment fort la folicude : la focieté publique en eft bannie , on le con- tente d'être deux enfemble ; toute autre compagnie y eft mal reçue , Ôc les tiers y font un fort méchant perfonnage. Ce Châ- teau eft le Château des Faveurs , qui font des perfonnes fort retirées , 6c qui ne fe lailFent voir qu'aux gens qui les preifent de fc montrei: , encore pas toujours ; elles font plufieuL's focurs coûtes plus belles

les

DE Pièces GalaVTes. nt

les unes que les autres , & quand on les voie y c'cll de plus belle en plus belle par degvez ; elle fe font fouhaiver toutes par le piaifir qu'on a à voir les premières. On a toujours bien de la peine à les voir rou- tes 3 éc foiiveiît on n'en voit qu'une par- tie ; il faut de l'adrefle , du bonheur Sc une grande obdinarion pour en obtenir une , & la dernière fur coût donne plus de peine que toares les autres enfemble : mais au(îî elle mené dans le Château du vrai Piaifîr , qui eft voifin de celui des Fa- veurs.

Pour moi qui les voulois voir toutes deux à la fois , je me trouvai bien en pei- nc^ & plus encore quand je fçûs qu'il fa- loit erre toujours avec la même perfonne; je me repentis preique alors de n'avoir pas fuivi les avis de l'Amour Coquet; je voulus néanmoins profiter de mon voya- ge ^ &: refolus de me ménager le mieuîC que je pourrois, ôc de ne me déclarer que quand je ne pourrois plus m'en empêcher^ éc me trouvant avec la feule Iris , je de- meurai toute la nuit avec elle ^ ôc pour vous dire ce qui m'arriva>

J'avois le cœur fort amoureux , J'étois tout feul auprès de ma maîtreffe» Sûr d'avoir toute fa tendrefîe,

Toms ÎIL F Mais

Til R E C TT E I I

Mais avec tout cela je n'étois pas heureuîT*

pour rètre pleinement, je preffai , mais en vairr. Je connus feulement qu'elle étoit plus aima*

blei

Et je me vis le lendemain Cent fois plus amoureux & toujours mifera-

ble.

Je fus tenté dans mon emportement de lui facrifier Silvie ; mais je fus bien-aife après de ne l'avoir pas fait j car ayant quit- té Iris fur un adez méchant prétexte i je trouvai Silvie fi belle , que j'en fus charmé; je paifai tout le jour avec elle , ôc feus le même deftin qu'avec Iris.

Les lys de Ton beau teint firent place à la rôfe;

Je lus dedans fes yeux un peu d'emportement. Et qu'il s'en falut peu de chofe Qu'elle ne m'aimât fortement.

Je me trouvois Ci heureux auprès d'elle, que je ne fongeois plus à Iris, quand elle me lurprit avec Silvie. Sans vous redire ici tous les reproches qui me furent faits de partôc d'autre , c'eft alfez que vous fça- chicz que je me tournai vers l'Amour Co- quet 3 qui n'eut point de bon confeil à me

donner.

DE Pièces Galantes, hj donner , ôc que je fus (i confus de mon avancure ^ que je pris la fuice , & courus jufqu'à un village que je rencontrai ;,& l'Amour Coquet m'abandonna^difanc que ce lieu-là n'écoit point propre pour lui ; les maifons de ce village la plupart fonc à demi bâties ^ ôc les autres de trois ou quatre différentes cimetries : on nomme ce village Irrefolucion.

L'Irrefolution à qui il appartient , eft d'une alFez plaifante figure : car elle ne s'habille point pour ne refoudre pas quel habit elle veut mettre , elle le tourmente toujours , Ôc ne bouge jamais de fa place, parce qu'elle veut aller en tant de lieux, qu'elle ne va nulle part : l'on remarque dans Tes yeux une agitation perpétuelle, & l'on voit bien qu elle roule quelque ddC fein dans tête : mais elle en a tant qu'elle n'en exécute pas un.

Je me trouvai bien embarraffé dans ce lieu- : car le fouvenir d'Iris & de Siivie partageoîent mon efprit également. Je fçavois bien que C\ j'en pouvois quittée une des deux , je ferois ma paix avec l'au- tre ; mais ce que j'avois vu dans le Châteaif des Faveurs, ne me lepermettoit pas: je commençois déjà à fentir pour l'une Se -pour l'autre les mêmes fentimens que j'a- vois eus pour Amynte ^ & je fentois un combat effroyable dan s mon amc;, 6cquoi-

F ij qae

114 Recueii

que je nevoululfe pas les abandonner, je me iclolvois à les perdre coures deux, plu- tôt qu'à choifir ; 6c de peur d'en quitter une"^ je n'avois ni Tune ni l'autre.

Enfin , j'ccois dans une incertitude la plus cruelle du monde ,

Quand TAmour dans un cœur deux beaux objets affembie.

Que le fort en eft rigoureux! Un cœur a trop d'amour pour tous les deux cnfemble.

Et trop peu pour chacun des deux.

Je ne fçavois que devenir , & je ne croîs point que je me fulle jamais refolu à faire un choix , quand un jour une femme fe prefenta à moi , dont la beauté écoit in- comparable 5 la démarche ôc la majcftc divine j il fortoit un éclat de fa perfonne qui ébloiiilloit : feus en la voyant un ref- pe6fc pour elle, que je ne pus retenir ^ iort qu'élevant la voix , elle me dit :

Sors de ces lieux , Tirfis , abandonne l'amour, Affez & trop long-tems tu brûlas de ces fiâ- mes. Et ce n'eft pas dans ce féiour Qu'on trouve cet honneur fi cher aux belles âmes.

u

DE Pièces Galantes. îi^ Il faut aimer un tems , l'amour nous montre

à vivre , Ses feux dedans un cœur jettent milleclartez 5 Mais le tems eil venu , Tirfis , qu'il me faut

fuivre , Bt ce n'eft plus le tems des mortelles beautez.

Ces paroles dites avec un air impérieux, me touchèrent jufques au fonds de Tame, & je rougis de honte auflî-tôt de me voir en l'érat j'e'tois j mais en même tems je devins Ci amoureux de la Gloire , que )e refolus de la fuivre ^ ôc fortis dlrréfolu- tion. D'abord mon cœuu me fir peine à Taccoûcumer^ 6c il falut plus d'une fois lui dire :

Ne reprefente plus à ma foible mémoire , Qu'il eft bien mal-aifé de vivre fans aimer.

Non 5 mon coeur , il faut que la Gloire , Plus que mille Philis , ait droit de te char^ mer.

Va, cours fans murmurer la Gloire t'ap-

pelle, tu ne fçaurois, mon cœur > brûler de plus

beaux feux , Tu gagne par ce change , Se la Gloire cft plus . belle , .

Que ne furent jamais les objets de tes vœux.

F iij En

jiô Recueil

En fuivant ainfi la Gloire, j'arrivai fur le bord de Tlfle d'Amour , je vis les bcautez , les attraits , les agrémens & les grâces qui tâchèrent en vain de me renga- ger ; je retrouvai la Raifon , à qui je de- mandai mille fois pardon du peu de cas que j'avois fait de fes confeils en encrant ; elle me reçût fort humainement : voyant que j'avois envie de fortir dcl'Ifle , elle me fit donner un VaiiTèau. Je ne vous dirai pas que je fortis fans regarder encore avec plaifîr j èc même avec quelque regret , des lieux, quoique j'euiTe eu bien des mal- heurs , j'avois paflé de doux momens; mais après avoii un peu laiffé pafTer mon premier mouvement , je ne m'en reffen- tis pas , Ôc dis adieu à l'Amour pour ja- mais.

Je prens congé de vous , ô belles , dont les

traits Soumettent tant de coeurs fous leur injufte

empire. Vous pour qui fans raifon tant de monde foû-

pirej Je prens congé de vous , je n*aimerai jamais*

Je connois bien l'Amour j & je hais fes capri- ces. L'on n'y trouve jamais de borne à Tes defîrs :

DE Pi ECES Galantes. 117 3*ai reconnu des maux dans Tes plus grands

délices, Et j'en ai vu Tabus dans fcs plus grands plai-

iîrs.

Norre navigation depuis l'Ifle jufques ici a ccé aifez heureufe , & dès que j'ai pris terre, cher Lycidas , j'ai fongé à vous écri- re ; & pour vous dire les fentimens dans lefquels je fuis à prefent, fçachez que

Je ne fuis plus Amant que de la belle Gloire, ]E.lk feule à prefent occupe mes efprits-. Et j'ai banni de ma mémoire Les Amyntes & Jes Cloris.

lorfque mes feux paflèz par quelque trait ai- mable ,

Viennent fouvent m'entretenir, C'efl feulement comme un fonge agréable. Dont on chérit le fouvenir.

Après celaj, cher Lycidas, je n'ai plus rien à vous dire , finon que je fuivrai ma lettre de bien près, & que j'aurai bien-toc la joye de vous embraiier.

iiij £?/-

llS RîCVE IL

EPITRE GALANTE A

UNE DAME

QUI A I M O I T

UN VIEILLARD.

PHilis , de tant d'Amans qui font fous votre empire , N'aurez- vous eu le choix que pour prendre le

pire? Vous verrai-je toujours préférer âmes foins Les vieux ans de celui que je craignois le

moins : Et fur tout mes Rivaux lui donner Tavantage j Parce que le plus vieux doit être le plus fage ? Outre que lafagefle eft de ces qualitez. De qui font peu d'état. Maintes rares beautez ; Cette vertu qui fert dans les grandes affaires, N'eft pas cffentielle aux amoureux mifteres. Si rage nous apporte un don fi précieux, ïl en ôte à 1* Amour qui iui fervent bien

mieux i

Et

DE Pièces Galantes. 129 Et c*eft en ce fujet qu'aux âmes fortunées , La valeur n'attend pas le nombre des années.

Par ce libre difcours peut-être croirez- vous. Qu'animé de dépit , je vous parle en jaloux. Je ne fçai pas , Philis , ce qu'il en peut paroi-

trej Mais je fçai bien qu*au moins j.e ne devrois pas

l'être : Et je maintiens ? s'il faut que ce foit un des

deux. Que e'cl^ aux foixante ans, plutôt qu'aux vingt

& deuxi Car enfin quelque foin qu'il prenne pour vous

plaire, Ses rides en défont plus qu'il n'^en fçauroit

faire. Et quoiqu'il puiiïè dire au mépris de ma fci> La Nature & (es Loix vous parleront pour

moi. Et fans vous déclarer ingrate & criminelle , Vous ne pouvez , Philis, vous déclarer cor-

tr'elle. Après ks ornemcns > les grâces , hs bien- faits. Et ks rares prcfens que fa main vous a faits ; L'écouter 3 c'eft commettre un incefte enikts-

rette j Car que vous peut conter £a vieïllefle eo-

^ue'tte>

jîp Recueil

Que ces mêmes propos, dont durant Tes beaux

jours, peut-être à votre Ayeule,il contoit Tes amours? Que vous peut-il ofirir , qui convienne à vo$

charmes , N'ayant que de vieux foins & que de vi.cilleS

larmes ) .-^..i^/

Que des refpeds ternis , que des (oûpîrs paf-

fez, Et qui pis eft pour lui , que des defîrs cafTez ? Ah 1 confiderez mieux le tort que vous vous

faites , Il lira vos Poulets avecque des Lunettes : j Et ne voyez- vous pas que déjà fes vieux ans, A fa prudence même ont fait perdre le fens ? Peut-il mieux radoter, que montrer qu'il ef-

pere Vous aimer but â but j comme je pourrols

faire? PafTe encor , s'il tâchoit par de riches pre-

fens, Par ces dons exceffifs, folides & prefens , De vous faire trouver dans fa riche vieilicfle. Ce qu'on ne trouve guère avec de laieunefle. Je demeure d'accord, que ce feroiten vain; Mais je condannerois un pçu moins fon de^

fein : Car votre fexc enfin n*eft pas fi difficile , Qu'il n'en foit dans la Cour ; qu'il n'en fofc

dans la Vilie,. Qui

DE Pièces Galantes. i^I: Qui fçauroient , entre un nombre infini de

chalans, De fa galanterie acheter des Galans , Et changer les bijoux d'un vieillard incom- mode, A d'autres qui pourroient être plus à la mode. Mais c'ell tout autre chofe , il aime , il a du

bien , Il peut & doit donner , mais il ne donne rien : Et quand votre dcflein ne feroit pas tout autre» Son avarice peut me venger de la votre j Je fçai que votre cœur ei\ grand & généreux. Mais tout cela fe dit d'un vieillard amoureux. Toujours la raillerie en Tes fujets s'exerce , Et l'on rit des motifs d'un femblabk com- merce. Aveugle qu'eil l'amour , on prefume aujouir

d'hui 5 Qu'il aime la Fortune aveugle comme lui. Et qu'en ces derniers tems , fujet à l'avarice. Du monde vieiliiiTant , il conrra<fte Je vice. Pour moi j'en fçaurois bien juger plus faine-»

ment: Mais tous n'en auront pas un même fènrimenr. Hors c€ feul déplaifîr , je n'ai rien qui me tou- che. Ma pafïîon fe levé , & Ja fîenne fe couche. Comblez-le défaveurs apoiirquoim'ejiémo»- voij:?

F II

ï5i R E c u H I t

Il m'en laiiTcra plus qu'il n'en peut recevoir,

Et je puis mieux que lui trouver autre avan-

ture : Mais pour vous témoigner qu'en cette con-

jon(Sture, Votre feul intérêt me fait parler ainfî , Ke m'aimez point , Philis , à quarante ans

d'ici.

ni. ELEGIE.

LEs oifeaux par leurs chams j par leurs plaintes aimables, Invoquoient du Soleil les rayons adorables. Au moment qu'il paroît fur Ton char radieux. Et fait briller Ton or parmi l'azur àes Cieux : Il éclairoit déjà le fommet des montagnes , ElanchilToit de fcs feux les humides campa- gnes ^ les bîeds fe relcvoicnt , couchez dans fes fil- ions. Et les fleurs & les fruits adoroient fçs rayons , iorfque la belle Iris , cette rare merveille , Des ccleftesbcautez, l'image fans pareille. Arrive dans un bois , dont le fombre féjour Fut î^oprc de tout icms aux miftcres d'A-

JnSy

DE Pièces Galantes, ij^ Iris , quoique chagrine , admire fa verdure , Des différentes fleurs contemple la peinture > Et de leur douce odeur les charmes innocens > Répandent fur Tes pas un agréable encens. Un ruifleau ferpentant portoit Ton onde claire Par dts flots argentins dans ce lieu folitaîre ; Rêveufe, elle fe pancheau bord de ce ruilTeau> Et le Dieu du fommeil qui fe glifla dans Teau, Endormit cette belle au bruit d'un doux mur- mure. Cet aimable enchanteur de toute la nature, Deffus le verd gazon avoir jonché des fleurs > Afin qu'elle pût mieux affoupir Tes douleurs. Un voile nature! compofé d'un feuillage» Confervoit auprès d'elle un agréable ombra-

fon corps abbatu fommeîUa doucement 5 Mais fon efprit chagrin penfoit à fon tour- ment. En fongc elle apperçoît deux blanches tour- terelles. Qui montrent ati Soleil la beauté de leurs ai- les. Et fe ftatant du bec expriment leurs amours» Se fuivant pas à pas, & faifant mille tours , Par les fignes divers de leurs tendres carefles^ Témoignant à l'envi leurs grandes allegrefles. Iris de fon fommeil fe réveille en furfaut »

Rappelle

Ï54 Recueil

Rappelle Tes efprits , & parlant un peu haut, Helas ! s'éciia-t'ellc, ô trop aimable fonge! Vous pouvez foulager le chagrin qui me ronge. Je pourrois imiter ces deux chartes oifeaux , Ec rencontrer comme eux la fin de mes tra- vaux: C'ell la fage nature en Tétat d'innocence , QLii regnoit dans le monde au tems de Ton en-

fane e 5 Qu'ils fuivent pas à pas , qu'ils fui vent en tous

Jieuxi Mon cœur , prenez pour vous ce prcfage des

Cieux: Oiii 3 ^mon cœur , banniffez la caufe de mes

peines. Ne foyez plus captif , brifcz toutes nos c/iaî-

nesj Par ce fonge le Ciel vous ordonne d'aimer : Mon cœur, vous pouvez j laifTez-vous en-

flâmer. Eprouvez de l'amour les agréables charmes. Ne foyez plus fujet à cent faufles alarmes : Oronue cil eÛimablc , il eft digne de moi, îl fe plaît à mes fers , il a reçu ma loi. Que fi ce cher objet vousdifoit, je vous ai- me, Seroit-ce un fi grand mal fi vous difiez de mê- me? Kelilkr plus long- tems, c'eft irriter les Dieux 5

Les

DE Pièces Galantes. ï^^ Les longes du matin font envoyez des Cieux : Les Dieux ne parlent plus dans le ficelé nous

fommes, Si ce n'eft qu'en dormant j ils inftruifent les

hommes: Ils ont voulu m'inflruire au bord de ce ruif-

fcau , Et m'ont même endormie au murmure de

Teau, Fait taire les zephirs , adouci leurs haleines. Et flaté du repos la grandeur de mes peines. Mon vifage inquiet, & mes yeux languifîans, Ke témoignent que trop les peines que je

fens 5 Mon cœur, fans plus tarder , ces.chaftes tour- terelles Vous montrent le chemin par leurs ardeurs

fidèles; Et vous font fouvenir qu'Oronte votre

amant; Il paroît â vos yeux , & dans ce cher moment. Voyez de fes vertus les charmes adorables. Voyez de fès attraits les trefors admirables : Sa fage modeftie & fa difcretion Pnt reçu de mon cœur Vilîuftre impreflion. Oui, oiii , je reconnois que ces deux tour«» terelles , poivent de votre ardeur être lés vrais modè- les,

Et

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l'aroifliiS

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t^6 Recueii

Et parmi les tranfports dont vous êtesfîatté>

Il en faut imiter la chalk pureté.

Pudeur , je vous refpede , & dans mon amour même, J*adorc de vos loixla majeftéfuprêmc, J'aimerois mieux mourir , & perdre mon

amant, Que de les violer une fois feulement : Je les ai dans mon cœur fortement gravées , Et je les ai toujours tellement obfervées. Que quand par mes difcours > j'aurois pu ks

choquer , Si ma voix a failli , mon cœur n'a pu man- quer.

Amour , mon doux tyran , allez trouver Orontc, Je ne lui dirai pas , je rongirois de hoBtc r Allez-lui témoigner ce que je fens pour lui , Et cherchez les moyens de finir fon ennui»

•♦•+'î"î-+'H-'H-+-i*+-î-W-'H-H-++:+-H-+-^

FIIL ELEGIE.

LA nuit Ce retiroit , & l'Aurore à Ton tour. Préparait en naidant la pompe d'un beau jour , ï^s Cieux en blanchiiToicnt, & kar lumière fgrab}:e>

*- Tenole

DF Pièces Galantes. 137 Tenoit également & du jour & de Tombre, Quand Tamoureux Alcante accablé de lan- gueur. Par mille ardens defîrs augmentoit fa dou- leur. Ses yeux prefque mourans & fon vifagc blê- me, L'avoient déjà rendu différent de lui-même. Et fon cœur affligé de mille ennuis fecrets, * Soûpiroit fa difgrace & formoit fes regrets. D'un cruel intérêt, vidime infortunée, Dois-je encor en ces lieux traîner ma defU-

née.> Quel funcfle devoir exerçant fa rigueur. M'arrache à mes plaifîrs , me ravit mon bon- heur? Séparé de moi même, éloigné d'Ifîdore, Je fens croître l'ardeur du feu qui me dévore. Ma peine à tout moment redouble fès efforts , Et fans pouvoir mourir, j'endure mille morts. Ha ! c'eil trop différer , retournons auprès

d'elle. Courons fans confukcr TAmour nous ap- pelle. Allons malgré les loix de mon fort rigoii-

leux. Contenter dans Ces bras nos defîrs amoureux 5 Déjà d'un doux efpoir mon ame poffedée Pc nos piailirs pafTez fe retrace Tidée ,

Déjà

7^8 Recukil

Déjà je m'imagine embrafTcr ce beau corps ,

les Dieux ont uni leurs plus rares treforsi

Fidèle fouvenir 5 favorable mémoire,

Ici dépeignez-moi Tes bcaucez & ma gloire.

Nos plus fecrcts plaifirs , nos doux embraffe-

mens. Nos baifers , nos tranfports , & nos raviffc-

mcns. Dans ces hcureufes nuits , nos charmantes tcn-

drefles Sollicitent nos fcns aux dernières careffcs: Une nouvelle ardeur ranime nos plaifirs. Et nos coeurs cnfiâmcz commencent leurs

defirs. Sans bruit , à la faveur de Tombre & du fi«

lence , Mon amour emporté jufqu'à la violence, S'empreflfc à recevoir des baifers précieux. Il en prend fur fa bouche , il en prend fur Ces

yeux, Ses yeux dans ce moment cachent fous leur

paupière Leur éclat redoutable & leur vive lumière ; Tous deux font hume(5lcz d'une aimable li- queur , Qui mêle avec leurs feux fon humide cha- leur : Je goûte cent plailirs, & mes mains careflan- tes

Touchent

DE Pièces Galantes. 15^

Touchent en liberté mille beautez charman*

tes; Sur cet amas de lys elles font mille tours, Et de cent petits jeux provoquent nos amours: Cependant Ifîdore auffi douce que belle. Cultive avec grand foin notre ardeur mutuolle^ Ses douxembraflemens, pour répondre à mes

feux , Secondent , ou plutôt , devancent tous mes

vœux. Enfin , dit-elle , enfin contentons notre envie , Et cédons aux tranfports , dont notre amc eft , ravie : Helas, qu'attendons-nous ! Alcante embrafTc-

moi , Viens mourir dans mes bras , je m'abandonne

âcoi.

DIA-

140 Recueil

DIALOGUE

D E

L' A M O UR

E T

DE L'AMITIÉ.

r A M O U R.

IL faut avoLiei' , ma chère Sœur , que nous faifons bien parler de nous dans le monde.

U A xM I T I É.

Il eft vrai , mon Frère , qu'il n*eft point de Compagnie un peu galante , nous ne foyons le fnjet de la converfation ^ & l'on n'examine qui nousfommes, no- tre n alliance, notre pouvoir ^ ôc toutes nos aiîions,

L'AMOUR.

F

DE Pièces Galantes, 141

L'AMOUR.

Cela me déplaît allez : car en vérité il n'efl: pas poflible de s'imaginer le mal qu'on dit de moi y les Sérieux me trairenc de folâtre & d'emporté ; les Enjoûez de chagvin & de mélancolique ; les Vieil- lards , de fainéant Ôc de débauché , qui corrompt la jeunelTe j les jeunes gens , de cruel & de tyran , qui leur fait louifriu mille marrircs , qui les tient en prifon, qui les biûle tout vifs , ôc qui ne fe re- paît que de leurs foûpirs ôc de leurs lar- mes. Mais ce qui me fâche le plus ^ c'efi: que je fuis tellement décrié parmi les fem- mes , qu'on n'oieroit prefque leur parler de moi ; ou Ci on leur en parle , il faut bien fe donner de garde de me nommer, mon nom feul leur fait peur , ôc les fait rougir. Pour vous , ma Sœur , il n'en eft

Î)as de même:, chacun s'emprelle de vous oiier , on voiis nomme la douceur de la vie , l'union des belles âmes ^ le doux lien de la fbcieté j ôc enfin ceux qui fe mêlent de poulfer les beaux fentimens ^ difenc tous d'une voix 3 ôc le difent en cent fa- çons , qu'il n'eft rien de Ci beau ^ ni de fi charmant, que la belle Amitié.

L'AMI^

142 Recueil

L'AMITIÉ.

Sans mentir vous vous raillez bien agréablement : je me connois^ mon Frère, & je n'ai garde de prendre pour moi des douceurs qui s*adre(ïènt à vous. Quoi- qu'il loic bien-aile de me tromper , &c que je fois fort (impîe 3c fort naïve , je ne le fuis pas néanmoins allez , pour ne pas voir qu'on me joué , & qu'on fe ferc de mon norn pour parler de vous; mais je ne dois pas le Trouver bien étrange, puifque vous- même vous l'empruntez tous les jours pour vous introduire dans mille cœurs, dont vous fçavez bien que l'on vous rcfii- feroit l'entrée , fi vous difiez le vôtre.

L'AMOUR.

JeconfelTe , ma Sœur, que je me fers fouvent de cet artifice , qui me rciiflic heu- reuiement: d'autres fois je m'appelle Ref- pedt, & j'en imite,ii bien la manière d'agir, les civilitez & les révérences , qu'on me prend aifcment pour lui ; je pallè même quequefois pour une fimple Galanterie, tant je Içai bien me dcguilcr quand je veux : ôc à vous dire le vrai , je n'ai poinC de plus grand plaifir que d'entrer dans en cœur ïncognlîQ, D'ailleurs , je fuis fi peu

jaloux

DE Pièces Galantes. 14 j jaloux de mon nom , que je prends volon^ tiers le premier qu'on me donne : je trou- ve bon que toutes les femmes m'appellenc Eftime, Complaiiance, Bonté, &c même il elles veulent , une diipofîrion à ne pas haïr : il ne m'importe, puiiqu'enfin mon pouvoir n'en diminue pas , 6c que fous ces difFerens noms, je fuis toujours le mê- me : ce font des petites façons qu'elles s imaginent que leur gloire les obligé de faire.

L' A M I T I É.

Peut-être 5 mon Frère > vous donnent- elles tous les noms que vous venez de dire, faute de vous connoiire.

L' A M O U R.

Je vous afTure , ma Sœur y qu'elles fça- vent fort bien ce qu elles difent ; je n'en- tre guéres dans un cœur , qu'il ne s'en ap- perçoive i la Joye qui me précède , TEmo- tion qui m'accompagne , Se le petit Cha- grin qui me fuit , font connoitre alfez qui je fuis. Mais quoi [ elles mourroient plu- tôt mille fois que de me nommer par mon r:om j j'ai beau les faire foûpirer pour leurs AmanSiles faire pleurer pour leur abfence^ ou pour leur inftdclicc , les rendre pâles ôc

défaites;,

144 Recueil

défaites , les faire mcme tomber malades , elles ne veulent point avouer que je fois maître de leur cœur. Cette opiniâtrctc eft caufe que je prcns plaifir à les maltraiter davantage , étant d'ailleurs bien alfûré qu'elles ne m'acculeront pas des maux que je leur fait ToufFrir. Je fçai qu'elles s'en prendront bien plutôt à la Migraine , ou à la Rate , qui en font tout-à-fait inno- centes ; ^ que Cl on les prefîè de déclarer ce qui leur fait mal , elles ne diront jamais que c'eft moi. Il n'en eft pas ainfi des hommes , ils crient fî-tôc que je les appro- che , ôc bien louvent devant que je les touche ; &c pour peu que je les maltraite, ils s'en plaignent à toute la terre , &c mê- me aux arbres de aux rochers , ils me difent des injures étranges , de ils font de moi des peintures fi épouvantables, qu'elles feroient capables de me faire haïr de tout le monde , Ci tout le monde ne me connoiiroit.

L'AMITIÉ.

Si quelques hommes ont fait de vous ^ des peintures capables de vous faire haïr, il faut avouer qu'une infinité d'autres en ont fait de bien propres à vous faire ai- mer : ils vous ont dépeint en cent façons ks plus agréables du monde j & vousfça-

VC2

DE Pièces Galantes. 14c vez que tou^ les Amans ne tâchent qu'à va^ reprelenter le p Ub naïvement qu'ils peuven , Ôc avec tous vos chai mes , pour vous Faire agréer e leurs Alaîcieiles. Mais puiique nous en 1( mmeslur les perfop.nes qui ie me enc de vous dcpeiiidre , ne vous êtes- vous point avife de faire vous même votre Port aie , à p eient que chacun faic le lien ? Il feroic admirable d^- votre main, & fans mentir vous devriez bien vous en donner la peine , quand ce ne leroit que pour défàbuler rnihe gens qui ne vous connoillènt que (ur de faux rapporfS,&r qui le forment de vous une ioée monf- trueufe Ôc couc-à fait ext.avagance,

U A M O U R.

Un Portrait comme vous l'entendez, quand même il leroit de ma main , ne ier- viioic de gucres à me faire connoîne. Il n'ert pas que vous n'ayez vu ceiui qui fuc fait âurret-ois en Grèce par un excei.cnc Maître , & qui depuis a couru par rou e la Terre f^jus le nom de l'Amour Fugitif, Vous avez pu voir encore une Copie du même Po trait, de la main ou Talfe. Ce font deux pièces admirables , & ehes quc- plulleurs ont voulu que j'en fulFe l'Auteury Cependant quoique tous mes traits /oient fort bien reprefentez j il eft vrai

Tomi JII. G néan-

^

R I C V E I L

qoîl T maa^ , comme dans

.- r^ V^'T i]:> qu'on fair de . " \r rc ,>■ quoi , tendre, ^ .1": , qui me diiV!r.gue de s qui me lellcmbicnr , & an vcicabie caïaùere: ne moi- même , le . -^dis ni lescoiLeurs, rôles ne pourront jamais l'expri- * rou:rant que )e vous en mon- ; r qui ciï allez joli ^ qui fans -1 pas ; il m'eft tom- . w...^ .es mains , &:je i'ai- . vâcciTc : le voici , je ne me

i.p<:«

cft un enfant au/H vieux que le

loode,

) le ph» petit Se k plus grand des Dieux , >iic$ feux il remplit le Ciel , la Terre &

Dnde, uixefbtsli

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DE PltC l> Gala

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qui falîènc votre portrair. F.

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Mon abcri ei: civi! . '^'i: h br„.

Et mes *. e-i _ ..: r.. . . ^ _ _ . . Mais qjoi ;-e ;s ûiis belic , ^rcabic mar.re ,

Je règne for bien peu <ic coe-:"

:ct:ai-

■.*

protti'ie aiTez , £c

vantant d^Hiivre en connois peu rr.ts , 'ecccorré]

^ aimer d\ objet cie

tii

î4^ Recueil

néanmoins qu'il y manque , comme dans tous les autres Poniaics qu'on fait de moi > un cerrain je ne fçai quoi , tendre , doux de touchant , qui me diltingue de quelques pafîions qui me i eilemblent , & qui ellen eflet mon vciitable caractère: les CŒUts que je touche moi-même , le lefTcntcnt fort bien ; mais . ni les couleurs, ni les paroles ne pourront jamais l'expri- mer. Il faut pourtant que je vous en mon- tre un en petit qui eft aflèz joli ^ qui lans doute ne vous déplaira pas ; il m'eft tom- bé par hazard entre les mains , & je l'ai- me pour fa peciteiïc : le voici 3 ù je ne me trompe,

L'Amour eft- un enfant aufïî vieux que le

monde. Il eft le plus petit & le plus grand des Dieux, De Tes feux il remplit le Ciel , la Terre &

l'Onde, Et toutefois Iris le loge dans its yeux.

L'AMITIÉ.

Ce Portrait me plaît fort , ^ je trouve qu'on peut ajourer comme une chofe qui n'efl: pas moins étonnante que les autres, Tadrelfe dont il vous renferme dans qua- tre Vers , vous qui rcmpHifez tant de Vo- lumes. Cependant , mon Fiere , vous êtes

bien-

D E PiTc É s Galantes. 147 bienheureux de rrouver ainfi des Peintres qui falîenc votre portrait. Pour moi , je ne connois peilonne qui voulût Te donner la pdne de travailler au mien ^ de forte <5ue pour avoir la fatisfadion d'en voir un , il a fallu que je Taye fait moi-mê- me : vous verrez Ci )'ai bien réulTi, & fi je ne me ims point flattée , moi qui fais pro- feflion de ne l^accerperfonne.

J'ai le vifage long & la mine naïve. Je fuis fans finefle & fans art ,

Mon teint eft fort uni , fa couleur aflez vive ? Et je ne mets jamais de fard.

Mon abord eft civil , j'ai la bouche riante.

Et mes yeux ont mille douceurs 5 Mais quoique je fois belle , agréable &: char- mante ,

Je règne fur bien peu de coeurs.

On m.e protefte afiez , & prefque tous les hommes

Se vantent de fuivre mes loix : Mais que j*en connois peu dans le iîecle oii nous fommes ,

Dont le cœur réponde à la voix î

Ceux que je fais aimer d'une flâme fidelîe. Me font l'objet de tous leiirs foins : . ..: G ij Ec

I4S R E C V E I t

Et quoique je vieillille , ils me trouvent fort belle ,

Et ne m'en cftinrient pas moins.

On m'accufe fouvent d'aimer trop à paroîtrc

l'on voit la profpcrité j Cependant il cil vrai qu'on ne peut me con* noitre

Qu'au milieu de l'advcrfîté.

J'ai vu le rems que je n'aurois pas eu le loifir de faire ce Portraic , orlque j'érois de coûtes les Socie ez , & que je me crou- vois dans toutes les g andes Adembiées; mais à prelent que je me vois bannie du commerce du monde , j'ai tâche de diverrir quelques momens dans cecte in- nocence occupation.

r A M O U R,

Je trouve , ma Sœur , que vous y avez fort bien rcùdi , fi ce n'eft à la vérité que vous êtes un peu trop modefte , & que vous ne dites pas la moitié des bonnes qualitez qui font en vous , puifqu'enfin vous ne parlez point de cette generofité definteielïce qui vous eft: fi naurelle, 6c qui vous porte avec tant de chaleur à fciv vir VQS amis,

L'AMI-

BE Pièces Galantes. 14^ L* A M I T I É.

Vous voyez cependant l'e'at qu'on faîc ^e moi dans le monde , il femblc que je ne fois plus bonne à lien ; & parce que je n'ai poinc cetre complaifance étudiée &C cet arc de flater qu'il faut avoir pour plai- re , on trouve que je dis les chofes avec une naïveté ridicule, & qu'en un mot je ne fuis plus de ce tems ci. Vous fçavez, mon Frère, que je n'ai pas été toujours G. meprifée 3 ôc vous m'avez vu régner au- trefois fur la terre avec un empire auiïî grand de au(lî abfolu que le vô:re. Il n'é- toit rien alors que l'on ne fift pour moi, rien que l'on ne crût m'êrre j & rien que Ton ofacmerefufer; l'on faifoit gloi- re de me donner toutes chofes , Se même de mourir pour moi , fi l'on croyoit que je le voulufle ; ôc fans mentir ^ je puis diie que je me voyois alors maîcrelTè de beau- coup plus de cœurs que je n'en pofîede à prefent, bien que les hommes de cetems- n'eulfent la plupart qu'un même cœur à deux , & qu'aujourd'hui il ne s'en trou- ve prefque point qui ne l'ait double. Je ne (cai pas pourquoi l'on m'a quittée ainfi, moi qui fais du bien à tout le monde > 5c dont perfonne n'a jamais reçu de dcplaî- fir, de que cependant chacun continue à G iij vous

150 Recueil

vous fuivre aveuglement , vous qui ♦Trai- tez Cl mal ceux qui vivent fous votre em- pire , &c qui les ouciagcz de telle forte , qu'on n'entend en tous lieux que des gens qui Ibûpiuenc ôc qui fe plaignent de vocrp tiiannie.

r A M O U R.

Il eft vrai que la plijpart de mes fujets n:iuin;urent inceilamment. Ils crient rnèr me tout haut qu'ils n'en peuvent plus, ÔC ique je les réduits à la dernière extrémité, éc bicQ f :u vent ils me menacent de fecouer îe, joug y mais tout leur bruit ne m'émeuc guére> , je fçai qu'ils font toujours le mal

Elus g; and quil n'eil:, & qu'ils s'en faut eaucoup qu'ils foienc aii(Î3 malheureux > qu'ils veulent qu'on les croye.

■; u A M I T I É. !

Je fuis perfuadée qu'ils le font encore plus qu'ils ne le difent , &: je ne connois rien dont les hommes reçoivent plus de mal que de vous. La guerre ^ la famine &c les maladies affligent en de certains tems quelques coins de la terre ôc quel- ques perfonnes feulement, pendant que. le refte du monde jo'iiit de la paix , de l'a- bondance de de la fan j mais il n'eft.

point

DE Pièces Galantes, i^î point de tems , de lieux , ni deperfonnes qui foienc exempts de votre peiTecution. On aime durant THyveu comme duranc l'Eté , aux Indes comme en France , & les Rois loûpirent comme les Bergers : les enfans mêmes que leur âge en avoic juf- qu*ici prefervez , y font fujets comme les autres , &c par un prodige étonnant ^ vous faites qu'ils aiment avant que de connoî- tre :, & qu ils perdent la raifon avant que de l'avoir. Vous n'ignorez pas les maux que vous caufez , puis qu'on ne voit par tout que des Amans qui fe defefperenc, des Jaloux qui le fervent de poifon , ôc des Rivaux qui s'entrecuent.

L' A M O U R,

J'avoue que je fuis bien méchant quand je fuis irrité , il eft vrai qu en de certaines rencontres je deviens fi terrible , que bien des gens fe font imaginez que je mechan- geois en fureur ; mais fans mentir , s'il m' arrive quelquefois de faire beaucoup de mal , je puis dire qu'en récompenfe je fais beaucoup de bien. La Fortune qui fe vante par tout que c'eft à elle feule qu'il appartient de rendre heureux ceux qu'il lui plaît, n'y entend rien au prix de moi; quelques biens & quelques honneurs qu'elle donne à un homme , il n'eft jamais G iiij content

IJ2 Recueil

content de fa condition , & on lui voîc toûj()Ur«î envier celle des autres , ce qui n'arri ve point aux vi ais Amans. Pour ptu que je leur fois Favoable , ils ne croyenc pas qu'il y ait au mc)nde de Félicité com- parable à la leur; 6c lors racme que je les maltraite , ils Te trouvent encore rrop heu- .reuxde vivre fous mon Empi;e, 6c je vois tous les jours de (impLs Bergers qui ne changeroieiit pas leur condicion avec cel- le des Roisj s'il leur en coûtoic l'amour qu'ils ont pour leurs Bergères , toutes cruelles Ôc ingrates qu'elles (oient.

U A M I T I É.

Ces Bergers dont vous parlez, Font bien voir que vous gâtez l'efprit de ceux qui vous reçoivent , mais non pas que vous les rendiez effectivement heureux ; car enfin quelle exrravagance d'être malade comme ilsdifent qu'ils font , ôc ne vouloir pas guérir ; être en prifon & refufer la li- berté : en un mot être miferable , ôc ne vouloir pas cefTer de l'être ?

U A M O U R.

Leur extravagance feroit encore plus grande de vouloir gucirou fortir de pri- fon 9 non feulement parce que leur mala- die

DE Pièces Garantes 1^5 die eft plus agieable que la fancé , & qu il eft moins doux d'être libre que d'être pri- fonnier de la forte ; mais aulîi parce quil leur fcroit fort inutile de le vouloir il je ne le voulois aulîi. Je ne fuis pas un Hôte qu'on chalîe de chez foi quand on veut ; comme j'entre quelquefois chez les gens contre leur volonté 3 j'y demeure auflî- bien fouvent malgré qu'ils en ayent ^ & je me foucie auiîi peu de la réfolution qu'on prend de me faire fortir , que de celle qu'on fait de m'empêcher d'entrer.

L' A M I T I É.

Votre procédé ^ mon Frère 3 eft biert différent du mien j je quitte les gens dès le moment que je les incommode , l'on ne m'a qu'autant que Ton me veut avoir , ôc l'on ne voit point d'Amis qui le foie ne malgré eux. Quand je fuis dans un cœur, & qu'il vous prend fantaifie d'y venir pour prendre ma place ; vous fçavez avec quel- le douceur je vous la quitte , je me retire infeniîblement& fans bruit ; le cœur mê- me où fe fait cet échange, ne s'en apper- çoit pas , & quelquefois il y a long-tems que vous le brûlez y qu'il croit encore que c'eft moi qui Téchaufte , & qui le fait ai- mer. Vous n'avez garde d'en ufer de la forte i lorfqu un pauvre coeur fe refout à G y vous

ff4 Recueil

vous échanger avec moi, parce que fa raî- (on le commande &c i*y contraint ,- bien qu'il ait un extrême regret de Te voir obli- ge à une fi cruel e fcparation , bien qu'il vous conjure en foLipirant de le laifTer en paix , & que vous n'ignoriez pas qu'il ne me veut avoir 5 que parce que je vous ref- femble , & que c'eft en quelque façon vous retenir , que de m'avoir en votre pla- ce : néanmoins avec quelle cruauté ne Vous moquez vous point de fes foûpirs ? Vous le pouffez à bout, &c parce qu'il a eu feulement la peniée de fe mettre en liber- té , vous redoublez Tes chdnes ^ &c l'acca- blez de nouveaux fupplices. Que fi vous le lailTez en repos quelque-tems , enfoite qu'il commence à croire qu'il s'eft heu- rcufement délivré de vous j quel plaifir ne prenez-vous point à lui faire fèntîr qu'il n'en eft pasoù il penfe ? Vous le pref- £ez de toutes votre force , & par un iou- pir redoublé qui lui échappe, ou parquel- que pointe de jaloufic qui le pique j, il ne connoîr que trop que vous êtes encore le maître chez lui y mais le maître plus ab- folu & plus redoutable que jamais.

rAxMOUR.

BE Pièces Galantes, içç U A M O U R.

J'en ufe ainfi , ma Sœur , pour faire voir qu'on ne peut rien fur moi , de que pour encrer dans un cœur ou pour en lor- tir , je ne dépends de qui que ce foie au monde. Quelques-uns fe fonr imaginez que j'avois befoin du fecours de la fympa- thie pour m'infinuer dans les Cœurs , Se que je m'efForcerois en vain de m'en ren- dre le maître j fi auparavant elle ne les diipoioit à me recevoir. Ceftunc vieille erreur que l'expérience détruit tous le$ jours. Et en effet bien loin d'être toujours redevable de monEmpireàlaTympathie, c'eftmoi qui lui donne entrée , ôc qui l'é- tablis en bien des cœurs , fans moi elle ne fe feroic jamais rencontrée. Combien voit-on de perfonnes dont l'humeur 6c l'inclination étoient tout-à-faitopporéesj que je fais s'entraimer , &c qui des aulîi- tôc que je les ai couchées , changent de fentiment en faveur l'une de l'autre , vien- nent à aimer & haïr les mêmes chofes j 6c enfin deviemienc tout- à-fait femblables ?

Gv; L'AMI-

!f(j R E C TTE I L

U A M I T I É.

Pour moi , j'avoue que je fuis redeva- ble à la (viiipachie de la facilité que je trouve à iii'ccablir dans les cœurs , ^' je dirai mcme qu'il me feroic impolîible de les lier écroitemenc , fi auparavant e^lene prenoit la peine de les airortir. En vérité elle clt toQt-à-fait obligeante & touc-à- fait incomprehenlible ; 'il ne kmble pas qu elle le mcle de quoi que ce foie ; on n'entend jamais de bruit ni de difpute elle eft , 6c adûrcment il n'eil rien de h doux ni de û tranquille : cependant par de fecrettes intelligences qu el!e a dans les cœurs , & par de certains relTorcs c^u'on ne connoîc point y elle fait des choies in- concevables j (Se lans le remuer en appa- rence , elle remue toute la terre. Les Phi- lolcphcs ont fouhaite de tousteuiS, d'a- voir fa connoilîance y mais il ne leur a pas été pollible d'v parvenir , ^ elle a toû- }ours pris plailir de vivre cachée aux yeux de tour le monde : quelques-uns ont pris pour e!lc la relîemblance des humeurs, mais ils ont bien reconnu qu'ils s'étoienc trompez :, & que elle a de l'air de la fympathie , elle ne l'eil: pas efFedive- menr. Il n'ell perlonne qui les connoilîè mieux que moi , 6c qui Içache plus prè-

cilémcnc

DE Pièces Galantes, if/ cirémcnc la dirtercncc qui eft enci'ellcs; autant que j'aime à me trouver av c la fympathie , autant ai je de peine à m'ac- coidei" avec la Rcllèmblancc ;, (Se il n'eH: pas polîible de s'imaginer combien j'en vois qu'ellcempêchedes'enci'aimer. Cela: paroît étrange , ik néanmoins ell très- veritable ; il ell conllant que les perfon- nes de même piofc (lion , cs: qui rcudilîcnc également , ne s'aiment point ; cette éga- lité eft toujours accompagnée de l'Envie , mon ennemie jurée ;, ik avec laquelle je ne me lencontie jamais : ceux même qui ont le plus d'elpritj ne peuvent vivre en- femble , quand ils croyent en avoir autant l'un que l'autre , &: principalement lorf- que l'ayant lotirnéde la mémefliçon , ils iont perluadez qu'ils excellent dans une même choie. On fçait aufli que les En^ joiicz, les Diicursde bonsmots , ceux qui font piofcdion de divertir agréablement uneCompagnie^ nepeuvent (ouftii rieurs lémblables , ôc qu'ils ont bien du dépic quand ils en rencontrent d'autres qui par- lent autant qu'eux. Mais fur tout ^ la rcf- femblance &c la conformité d'humeur me nuit tout-à fait parmi les femmes ; deux: Coquettes fe haïllcnt nccelîaircmenc, deux Precieufes encore plus , quelque mi- ne qu'elles falîent de s'aimer ; ôc même c'cft allez pour être affûré que deux fem- mes

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|j6 R E C TTE 1 L

U A M I T I É.

Pour moi , j'avoue que je fuis redeva- ble à la fympathie de la facilité que je trouve à m'écablir dans les cœurs , &: je dirai même qu'il me feroic impoflible de les lier étroitement , fi auparavant e.lene prenoit la peine de les alFortir. En vérité elle ell: tout-à-fait obligeante &c tout-à- fait incomprehenhble ; iil ne femble pas qu elle fe mêle de quoi que ce foit ; on n'entend jamais de bruit ni de difpute elle eft , ôc alTûrément il n'eft rien de fi doux ni de fi tranquille : cependant par de fecrettes intelligences qu elle a dans les cœurs , & par de certains reiforcs qu'on ne connoît point j, eilc fait des chofes in- concevables j Se fans fe remuer en appa- rence 5 elle remue toute la terre. Les Phi- lorophcs ont fouhaité de toustems, d'a- voir fa connollfance j. mais il ne leur a pas été pofîible d'v parvenir , ôc elle a tou- jours pris plaifir de vivre cachée aux yeux de tour le monde : quelques-uns ont pris pour elle la relîeniblance des humeurs, mais ils ont bien reconnu qu'ils s'étoienc trompez j, ôc que Ci elle a de l'air de la fympathie , elle ne l'efl: pas effedtive- ment. Il n'eft perfonne qui les connoiilè mieux que moi , Se qui fçache plus pré-

cifémenc

DE Pièces Galantes, i^j cifémsnc la ditference qui eft enci'elles : autant qae j'aime à me trouver av.c la fympathie , autant ai je de peine à m'ac- cordeu avec la RelTemblance , &c il n'ed pas polîible de s'imaginer combien j'en vois qu'elleempêche de s'entr'aimer. Cela paroît étrange , ôc néanmoins eft très- veritable ; il eft conftant que les perfon- nes de mémeprofeiîion , &: qui réudilfenc également , ne s'aiment point > cette éga- lité eft toujours accompagnée de l'Envie , mon ennemie jurée :, ôc avec laquelle je ne me rencontre jamais : ceux même qui on: le plus d'efprit , ne peuvent vivre en- fembie , quand ils croyent en avoir autant l'un que l'autre , de principalement lorf- que l'ayant tournéde la même façon , ils font perfuadez qu'ils excellent dans une même chofe. OÎi fçait aufîî que les En- jôliez > les Difeursde bonsmots, ceux qui font piofedion de divertir agréablement uneCompagnie^ nepeuvent fouffrir leurs fcmblables , & qu'ils ont bien du dépic quand ils en rencontrent d'autres qui par- lent autant qu'eux. Mais fur routj, la ref- femblance ôc la conformité d'humeur me nuit tout- à fait parmi les femmes ; deux Coquettes fe haïiTenc necellairementi deux Precieufes encore plus , quelque mi- ne qu'elles falfent de s'aimer ; &: même c'eft aifez pour être affûré que deux fem- mes

158 Recueil

mes ne feront jamais bonnes amies , fi el- les danfcnc , ou fi elles chantent bien coû- tes deux. Je cioiive cent fois n^ieux mon compre , lorfquc leurs humeurs ou leurs peifedions ont moins de rapport 3 lorf- que Tune d'elles fe pique de beauté & l'au- tie d'efprit j Tune d'ctre fiére oc iciieufe , & l'autre d'ètie enjoiice »Sc de di . e cent pe- tites choies qui diverciiîènt. Laraifon de cetre bonne intelligence eft bien aifce à deviner j c'cft qneces foi tes de perfonnes n'ont rien à partager enfèmble; les dou- ceurs qu'on dit à Tune , ne font point à Tufage de l'autre , & elles s'entendent cajoller fans jaioufie j, ce qui n'arrive pas lorfqu'elles ont les mêmes avantages. A vous dire le vrai, de quelque humeur que foient les femmes^ je ne me rencontre guéres avec elles , ou fi je m'y rencontre quelquefois y je n'y demeure pas long- tems , ma fincericé leur déplaît, & elles font reliemenc accoutumées à lafiacerie, qu'elles rompent aifément avec leur meil- leu eamie , dès la première vérité qu'elle leur dit. Néanmoins ce qui m'empêche d'avoir grand commerce avec elles > n'eft pas tant pa-^ ce qu'elles fedifenc leurs veri- tez , que parce qu'elles ne fe les difènt pas ; car enfin Ç\ une femme s'apperçoit quefo» amie a quelque défaut , dont elle pour- loic fe corriger , ii elle-même le connoif^

foitj

DE Pièces Galantes, t^^ foie } ne penfez pas qu'elle Ten averrille ; elle aura une maligne joye de voir que ce déiauc lui donne avantage lur elle j & mcme une coëffure , ou un ajuftemenc lui îîed mal , elle aura la malice de lui dire qu'il lui lied admirablement. Néan- moins ceci n'eft pas généralement vrai pour toutes les temmes , j'en fçai qui ob- icrvenc mes loix avec une exacfticude ÔC une ibûmilîion entière ;> & je puis dire à la honte de tous les hommes > qu'il n'eft point de cœurs mieux unis que ceux de ces charmantes perfonnes , qui s'aimcnc véritablement:, & autant qu'elles iont ai^ mables»

L' A M O U R.

Je puis dire aufîi à la honte de tous les hommes:, que je connois des femmes qui fçavent mieux qu^ tous tant qu'ils font , ce que c'eft que d'aimer véritablement , & qui pourroient leur faire des leçons de conftance & de fidélité. Je dirai même que c'eft une injuftice que l'on a faite de tout tems à ce beau Sexe , de l'acaifer de légèreté , & que je ne fçai point d'autre raiion de la mauvaiie réputation qu'il a d'être inconftant , que parce que les hom- mes font les Livres , & qu'il lem' plaît de le dire & de l'écrire ainU II eH conftann

^6o Recueil

que comme les femmes aiment prefque toujours les deinieres , elles ne celfent au(îi prefque jamaisd'aimeu qaelorfqaon ne les aime plus , &c que comme il fauc un long-cems & de forces raifcnspour les engager dans 1 affedion des hommes , el- les ne le retirent aulîi que pour des fujets qui le méritent , ôc qui les y obligent ab- folument.

L' A M I T î É.

Ce n'eftpas l'opinion commune ; ÔC fans mentir û la choie eft ain(î que vous le dites j je connois bien des gens dans Ter- reur , &c qu'il leroir mal-aifé de defabu- fer. Quoiqu*il en Toit, je ne vois pas que les femmes doivent tirer beaucoup de gloire de cetce confiance & de cette fidé- Hcé dont vous les louez ;, puirqu'il en eft £ peu qui eii fçachent fi bien uler , ôc que la plupart ne s'en fervent que pour aimer des perionnes qu'elles feroient mieux de n'aimer point du tout. En vérité , moa Frère , c'eft une choie étrange , que vous preniez plailir à mettre la divifion &c le defordre dans les familles , vous qui de- vriez n'avoir d'aux le emploi , que d'y con* fer ver l'union & la paix , Ôc que ne pou- vant durer long-tems vous avez oblî- gacion de vous trouver ^ vous n'ayez poinr

de

DE Pièces Galantes, i^i

de plus grande joye que de vous couler adroitement ii eft défendu de vous re- cevoir. Il (emb e n>cme que l'Hymenée, que vous témoignez queiqiierois aimer ii ardemment , vous chade de tous les lieux il vous rencor^tre. Car enfin de- puis que je vais au Cours , je ne me iou- viens pomc de vous avoir vu en Portière entre le Mari & la Femme , au lien que l'on vous voie fans celle entre la Femme & le Galant , vous Faites cent gentil- lelîes Se cent fo:ies. Pendant que le Mari fe promené un peu loin de enrre le Chagrin Sc la Ja'oufre qu letourmeitenc crue iement . ôc qui de tem^ en rems ou- vrenc & ferment les rideaux de Ton ca- roffe ; la J.iloufîe les ouvre incelfam- ment , pour lui faire voirceqii' le palïè> & le Chagrin es reFc^rme auffi-^ôt pour Tempêcher de rien voi: qui lui depiaiie*

L' A M O U R.

Il me fèmble , ma Sœur 3 que tour© Ége que vous êtes , vous ne vous acquitez pas mieux que moi de votre devoir y 3c qu'on ne vous rencontre guéresfouvenr vous devriez être toujours , je veux dire entre les frères & les iœurs , Se entre les parensles plus proches , qui faute de vous avoir au milieu d'eux , fe déchirent les

uns

1^1 Recueil

uns les autres , ôc le haiifcnt mortelle- menc.

L' A M I T I É.

J'en ai bien regret , mais je n'y fçau- rois que faire , ils ionc la plupart telicmenc attachez à l'incerêt j mon ennemi ca- ché , 6^ avec lequel j'ai une horrible an- tipa hie;, ( car vous içavez quil veut avoir tout à lui 5 &: qu'au contraire je fais pro- felîjon de n'avoir rien à moi ) ils font, dis-je , Tellement attachez à ce lâche inté- rêt , qu'ils m'abandonnent volontiers plu- tô.que lui. D'ailleurs , comme ils tirenc cnacun de leur côté j, ils rompent tousmes nens.j ôcm'echapentfans ceiîè.

^ ^; L' A M O U R.

Jevouspardonneroîs de quitter despa- rens interelfcz & déraifonnables , Ci c'é- toit pour vous trouver avec des étrangers £àg€S &c vertueux ; mais il eft certain que le plus fouvent ce n'eft que la débauche & le vice qui vous attirent , & qui vous font dcmeu. er vous êtes , &c que deux hommes ne feront bons amis , que parce que ce font deux bons Yvrognes , deux francs Voleurs , ou deux vrais Impies.

L'AMI-

DE Pièces Galantes. i6^ . U A M I T I É.

-, ]e ne me fuis jamais trouvée avec ces gens-là, j'avoue qu'il y a entr'eux une cer- ,xaine affedion brutale ôc emportée qui me .reiîèmble en quelque chofe, &c qui affe6le :fort de m'imiter. Il ell: encore véritable ■.^quelle fait en apparence les mêmes ac- tions que moi , je dis ces actions éclatan- tes qui^ çtonn,ent toute la terre ; mais n'eft point parile principe de cette vetitar b!e generofité qui m'anime , & l'on peut dire qu'elle les, fait de la même manière que la Magie Fait les miracles. Les Sages qjuiçonnoi lien ries choies ) n'ignorent pas différence quieft entr'elle &c moi , & ils ont toûjouus bien fçû que je ne me ren- contre jamais qu'avec la vercuôc au milieu des vertueux.

VA M O V R.

S'il efl: ainfi , ma Sœur ^ on ne vous ren- contre pas aifément, & votre demeure eft bien difficile à trouver.

L'A ML

i<?4 Recueil

L' A M I T I É.

Elle Peft alfûrémenr plus que h vôtre, puilque }e ne me plais qu'avec les Sages qui loue l-o c raies , ik que vous au con- traire ne vous piailez qu'avec les fous , donr ,e nombre e{t prefque infini^ & dont vous aimez raiu a compagnie, que fi les perlonnes qui vous leçoivenc , ne le jonc pas encore tou faic , vous ne tardez guéicb à les achever,

L' A M O U R.

Je fçai bien , ma Sœur , qu*il yaîong- tems qu'on me reproche de ne pouvoir vivre avec la Raifon , & qu'on m'accufê de la chaiîer de tous les cœurs dont je me rends le maître; mais je puisdiie que fort fbuvent nous nous accordons bien en- femb'e , & que Ci quelquefois je me vois obligé à lui faire quelque violence, il y a de fa faute ^ bien plus que de la mienne.

U A M I T I É.

N'eft-ce point que la Raiion a tort, Â:que vous ères bien plus raiibnnableque la Raifon même ?

TA*

DE Pièces Galantes, i^^

U A M O U R.

Je ne voudrois pas vous Paffûrer , à vous dire le viai, mais je (çai bien que elle vouioic ne !e poinc méier de mes affai- res, comme je ne memélepoinc ces iien- nes j nous vivrions Foiu ben enlembie. Je n'empêche point qu'e le ne conduiie les hommes dans les affaires importances de leur vie , je veux bien qu'elle ies rende grands Politiques , bons Capitaines ^ & fages Magiftracs ; mais je ne puis louffi ir qu'elle s'ingère deconurôiler mes diverrif- femens &: mes plaifirs y ni moins encore de régler ladépenle, lesBalsj, le^ Cadeaux, &fouces les galanreries des Amans. N'a- t flie pas alfez d'autres chofes plus ferieu* {ts pour s'occuper ; & pourquoi faut- il qu'elle s'amufeàmille bagatelles dont elle n'a que faiie ? Que voulez- vous que je vous dile , c'eft une fuperbe 6c une vaine j qui veut régner par roue , qui critique tout , 6c qui ne trouve rien de bien fait , que ce qu'elle fai elle-même : je la re» poulïè à la vérité d'une terrible force , quand je ne fuis pas en humeur a'en fouf- fru- , & fort Ibuvpnt nous nous donnons des comba s efFioyables. Mais pour vous montrer que j'en ule mieux qu'elle en pouces choies \ quand elle eft la plus for- te.

i^2> Recueil

te ) 3c qu'elle a avantage fur moi , elle ne me donne point de quartier j elle me clialîê honceufcmenc , &c publie en tous lieux la vidoire qu'elle a remportée. Pour moi quand je demeure le vainqueur ^ ce qui arrive alFcz louvenc , je me contente de me rende le maître de la place , & pourvu que le cœur m'obëïllè , je lui iaif- difpoler à fa fantaiiie , de tous les de- hors : je ne me vante point de l'avoir bat- tue, 6c comme elle elt glorieufe , elle ne s'en vante pas au{îi , elle fait bonne mine, de paroît toujours la ma'urefïe,

L' A M I T I É.

On remarque en effet que tous les Amans , quelques fous qu'ils foient ^ veu- lent paroitre fages , de qu'on n'en voit point qui ne prétende être fort railonna- ble : mais de toutes leurs extravagances ^ je n'en trouve point de plus ridicule que celle qui leur eft commune à tous > je veux dire la forte perluaiion qu'ils ont que la perfonne qu'ils aiment , eft la plus belle & la plus accomplie de toutes celles qui font au monde : je me fuis cent fois étonnée de cette extravagance.

L'AMOUR.

BE Pièces Galantes. i6j U A M O U R.

Eft-il bien pofîib'e , ma Sœur , que vous n'en fçachiez pas la cauic , Ôc que vous n'ayez pas encore u cm ai que que les Amans ne jugent ainli favoi ablemenc de la beau- té qu'ils aiment , que parce qu'ils ne la voyenc jamais qu'à la lueur de mon flam- beau :, qui a ia vertu d'embellir tout ce qu'il éclaire ? C'eft un fecret qui eft fort naturel :, mais cependant que peu de gens ont deviné. Les unsfe font imaginez que j'aveuglois tous les Amans ; les autres :, que je leur mettois un bandeau fur les yeux pour lesempêcher de voir les défauts de la perfonne aimée : mais les uns de les autres ont très-mal rencontré : car enfin il n'eft point de gens au monde qui voyenç fi clair que les Amans. On fçait qu'ils re- marquent cent pecices choies dont les au- tres perfonnes ne s'apperçoivent pas , ÔC qu'en un moment ils découvrent dans les yeux l'un de l'autre tout ce qui Ce paife dans le fonds de leur cœur. Sans mentir je ne comprends pas ce qui a pu donner lieu à de fi étranges imaginations , fi ce n'eft peut-être qu'on ait pris pour un ban- deau, de certains petits criftaux que je leur mets au devant des yeux y lorfque je leur fais regarder les perfonnes qu'ils airiienr.

Ces

1^8 Recueil

Ces criftaux onc la veicu de corriger les dèFaucs des objets 3 ôc de les réduire dans leur )ufte propoition. Si une femme a les yeux crop petits ou le front tiop étroit , je mets au devant des yeux de Ton Amant ua Cl iftal qui grofîi: les objets , en lorte qu'il lui voit des yeux alfez grands , ôc un fronc raifonnablemenc large. Si au contraire el- le a la bouche un peu trop giande, & le ine.uon trop long , je lui en mers un au- tre q li ape ille , ôc qui lui reprefente unepetice boudie&un petit mencon. Ces criftaux iont allez ordinai: es. mais j'en ai de bien plus ca ieux , ik ce font des crifl taux qui apetilîenc des bouches Ôc agran- dllFcnc des yeux en même-rems : j'en ai aufîî poulies cou. eurs, qui font voir blanc ce qui ell pâle , clair ce qui effc brun , & blond ce qui ell roux: ainli de tout le reP te. Mais à qui eft-ce que je parle ? N'ea avez- vous pas auiîi-bien que moi de cou* tes les façons >

. L' A M I T I É.

Il ell vrai que j'en ai , mais il s'en Fa-it bien qu'iU falîent un effet aulîl prodigieux que les vôtres; ils ne font qu'adoucir les défauts des objets & les rendre plus fup- porcables; mais i 's n'empêchent pas qu'un ne les voye. Cependant > monFiere, il

me

DE Pièces Gaxantes. 1C9

me femble que nous parlons ici pîaifam- ment bien de nos petices affaires, &: qu'on fe mocqueroic bien de nous , Ton nous entendoic dire naïvement j comme nous faiibns , coûtes les nouvelles de l'école.

L' A M O U R.

Je connois à la vericé bien des perfon- nes qui rrouveroienc notre entrerien fort firaple&forcridiaile j mais j'en fçai d au- tres dont le jugement feroit plus favora- ble , & qui le crouveroienc alïèz diver- tiifant.

U A M I T I É.

Je fçai du moins qu'il m'a fort divertie, èc que j'ai bien du regret de ne pouvoir caufer davantage avec vous ; mais je ne veux pas donner fujet de fe plaindre de moi à quelques perfonnes qui m'aiment pins que leur vie j, &c qui ne me le pardon- neroient jamais , fi j'étois plus long-tems fans leut donner des marques de monfou= venir.

Tome II L H L'A.

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R f c r i I L

L' A M O U R.

HC 9 fu Sœur , auffiien ai- fàai d'a£ii;cs que vos j, & cnangcmenr. ai des à ponr* l'en aid'aurresaccom- , flc «fcc tout cela il fat que je mÊfth d'Iris , qui v paitir wm Bsl , )e dois lui enquérir ce qu'il y aura d'onnêtes ,& leur fv: avouer belle & lapK. .mable èanoaàt.

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lit qu'une amipenlUlc ^caufeune incotnmoie exufe.

que fouvent je brûle du dcdr

àe vuu. voir , 6c en mane-tcm'. ]*ii fi

H ij g anJ

170 Recueil

L' A M O U R.

Adieu donc , ma Sœur , ûufîibien aï- je encore plus d'afFaiies que vous y ôc qui pi:e(Ienc toutes ctrangemenr. J'ai des Amans à punir, j'en ai d'autres à récom- penfer :, ôc avec tout cela il faut que je me rende auprès d'Iris , qui va partir pour aller au Bal , je dois lui conquérir le cœur de tout ce qu'il y aura d'honnêtes gens dans l'alîcmbice , &c leur faireavo'iier qu'elle cfl: la plus belle ôc la plus aimable perionne du monde.

t^A^

LETRE

BE Pièces Galantes. 171 LETTRE

A MADEMOISELLE

x_j H/

Sur un Etui de table d'or, qu'elle niettolt en voyage dans une pochette au devant de fa jupe j lequel fe placoit étant en carojfe , jufiementy &c.

Quoique vos deux dernières Lettres (oient ditferenres fur le cems de vo- tre iccour , elles font au moins Tembia- blés en ce point, quelles m'alfûrenc éga- lement de votre rendreile , ce qui me don- ne une joyc infinie , parce que c'eft ce que je defire le plus au monde , & que de tous les biens de la vie je ne fuis fenfible qu'à celui-là 5 après cela il n'eil pas belbin de vous jurer que Tim patience que j'ai de vous revoir ^ eft extrême ; & ce qui l'aug- mente , c'eft que le froid de la faifon fe vient joindre à l'ardeur de mon amitié ,

Qui fait qu'une antiperillafe Me caufeune incommode extafe.

En forte que fouvent je brûle du dedr

die vous levoir , 6c en même-tcms j'ai

H ij grand

lyi Recueil

grand froid , que votre Etui d'or efl mille fois plus heureux en pleine campagne que je ne le fais dans mon lit , &: je ne puis m'empêcherda^s ces momens-Jà, d'envier furieufcmenc fon bonheur.

Helas ! qui n'en feroit autant , Pour être conime lui bien-heureux & content 5

Pour avoir la bonne fortune P'étre bien traité d'une charmante brune?

Chaque jour près de les beaux yeux Il contemple a loifir leurs regards précieux , Il goûte chaque jour fur fa bouche adorable De fes baifers le plaifir delcdlablc 5 Chaque jour cet heureux métail Entre fes le'vres de corail Se fent preiTer d'un bonheur fans égal. Et du bout de fa langue en délices féconde Va quelquefois chercher la douceur fans fé- conde. Mais à tant de faveurs & de charmans plai*

lîrs. Qui pourroient contenter les plus ardens de-

fîrsa Iris n'a pas borné fa belle deftinée

Si douce & fortunée , Et pour la couronner d'un prefent glorieux Qui pourroit enchanter Us hommes $c les pieux 3

Irii

I

Pièces Galantes: 175 Iris par un excès de grâce Quelquefois lui fait place

Au fejour des plaifirs & de la volupté i Séjour plein de félicité , Séjour ou tout plaifir abonde , Séjour le plus charmant du monde. O cent fois trop heureux féjour 1 Séjour pour qui mon cœur foûpire,

les Jeux 3 les Plaifirs, les Grâces &: l'A- mour

Ont tous établi leur empire.

Je penfe que vous trouverez à propos que je demeure-là ; aufli-bien la force de mon imagination me donne des idées qui me feroienc poufïèr ma Poclîe un peu trop avant , & j'aimerois mieux mou- rir que d'avoir pris la moindre petite li- cence qui vous pûcdéplaire; lailTonsdonc cet heureux Ecui en fa place ^ & que per- fbnne ne foit fi ofé que de Vy aller pren- dre : pour moi , Ci je m'y rencontrois, je penfe que je crierois pour Tempêcher , aufli haut que fit autrefois ...... lorfqu'ort

lui voulut ôter Ton Anneau ; j*en auroîs quafi la même raifon ^ & vous me l'a- voLierez , fi vous vous fouvenez de Ton hiftoire que je vous ai autrefois contée pour vous réjoijir; & fi vous n'êtes de mé- chante humeur , vous en ferez autant de celle-ci : je vous y exhorte , & de fur- H iij monter

174 Recueil

monter en ma faveur la reveiité de votre fageffe , qui doit erre moins rcrupuleufe entre nous qu'entre d'autres gens. Faites donc ce petit effort pour l'amour de moi , je vous en conjure , &: de m'aimer toujours autant que je vous aime, c'eft-à-dire , in- finimen t.

A M A D A îvl E

LA COMTESSE DE

En lui envoyant [on Portrait.

M

ADAME,

Vcus alliez être obeïe à ma mode, & j'allois commencer votre Poi traie j mais l'idée que j'en avois , m'a reprelenté tanc de belles chofes , que defeiperant de ks pouvoir exprimer ,

Ma main a jette le pinceau , Et furmonté par mon ouvrage J'ai perdu le courage De pouvoir rien faire de beau. En vain j'ai rappelle cent fois en ma mémoire Les traits de l'efprit ^ du corps 5

Je

DE Pièces Galantes. I75 Je n'ai fait voir par ces efforts Que ma honte & que votre gloire.

Permetcez-moi donc de vous faire ici le Portrait d'une perfonne que vous fouhai- tez de connokre , & donc on vous a parlé affez fouvenc \ je réiiiîîrai peut-être mieux à vous la reprefenter ;, que je ne ferois à vous de'peindre vous-mcme. Et puifque ma main eft: trop foib'e pour coucher des qualitez auffi belles que les vôtres , ef- fayons a reprefenter une perfonne moins parfaire que vous.

Laiflbns-Ià le pinceau , reprenons le crayon. Le Soleil éblouit par fa grande lumière ,

Il faut abaiffer la paupière , Et tracer feulement fon ombre ou fon crayon.

La jeuneCloris eft fi parfaire ^ que tou- tes les Grâces fe font afiemblées pour la former ; fa taille n'cfl: ni grande ni pe- tite , fon adion eft libre & agiflfante, fa démarche n'a rien de précipité , mais elle n'a rien de lenc , & fe reiTenc plutôt de rimprefijon de cet agréable feu qui Ta- nime : fes pieds font admirablement bien tournez , & font mouvoir fon corps avec une grâce qu'on ne fçauroit exprimer: elle a un grand embonpoint qui lui fied bien 6c qui ne l'incommode pas.

H iiij Mais

l'(S R F C U E IL

Mais Ton accueil cllfi charmant ,

Si ^ai , h doux , fi plein de grâce , Qu'il fe tait dans le coeur une fenfibic rracc.

Et !e gagne dans un moment. Son abord cl"^ riant, elle a l'air agréable >

Aile, commode &: carelfan:.; Si bien que tout d'un coup Ton voie Se Too rciren:

Tout ce qu'elk a de plus aimable.

Ccfl la be'le perfpecflive qui Te pre- fence aux yeux , mais ce n'eft pas une il- lulîcm qui crompî , elle a en elle la fourcc de routes ces belle? chofes ; car à la con- fiiercr de prcs, c'cîl une admirable bru- ne 5 qui a les yeux beaux , le nez allez grand, le viiage rond , la bouche petite, êc les lev.es toujours fraîches & vermeil- les.

Le tour de Ton vi&ge ef^ juf^e , Le front lerin , la gorge auguilc. Par deux globes formez de lys. Et fi l'on obtenoit d'un amour moins IcverC De nous laiiTer voir ce myilere > Nos yeux en fcroient éblouis.

Ses cheveux fort châtains, &lui don- nent un agréraen: tout particulier lorf- qu'i's font rattachez , & qu'elle ne laide pas dotrei: les boucles qui leur font naru-

iclies ;

u -

lai .

I

DR Pièces Galantes. 177 relies i paiLcquc les yciix tlécouviciu pouL' lois fans ciiibarias route la piopoition de ion vifagc , dont la (iguic clt agi cable- nienr bien Faite. Il faut cioiie que le lefte du COI ps répond à cette belle montre y ik que ce qui ell cache n'a ^ pas moins de charmes que ce que l'on voie.

Car ma Mufe ne voudroirpas Parler de Ces iccrets appas ,

Qiii font du curieux le fupplicc &: la gêne : Son vol d\ audacieux ,

Et la difcretion qui la pouffe & la mené .

L'arrête à ces bcautez qui paroilïent aux yeux.

Mais fans mentir, je ncflimeiois pas Ton corps > s'il n'éroit animédc fonc'piirv quoi qu elle fe défende toujours d'en avoir, c'cll: pour lors , ce me lemblcj, qu'elle en a davantage , ik que cette lumière qu'elle veut cacher , paroît avec plus d'éclat ÔC-. de force ; il e(l plein de feu ^ en jolie , tourné aux belles chofes ^ dont elle a un goût délicat , ik juge finement les beaux endroits j elle aime avec paflion tous les ouvrages dVfpric , ôc a une curioiiré avi- de pour toutes /es produd:ions. Quoique pour l'ordinaire elle ait Telprir fort pre- /ènt , elle lui donne quelquefois permi(- (jon d'alier les penlces l'appellent; mais il n'y eft pas long tems , & ne fc faic pas luccndieavcc impatience.

H V II

jy6 R E c tJ E IL

Mais Ton accueil cllfi charmant , Si gai , fi doux , fi plein de grâce ,

Qu'il fait dan5 le cœur une fenfible trace > Et le gagne dans un moment.

Son abord eft riant, elle a Tair agréable > Aifc, commode & careflantj

Si bien que tout d'un coup l'on voit & Ton rcflent

Tout ce qu'elle a de plus aimable.

Cert: la belle perfpeélive qui fe pre- fente aux yeux , mais ce n'eft pas une il- lufion qui trompe , elle a en elle la fourcc de routes ces belles chofes ; car à la con- fldercr de près, c^cfl: une admirable bru- ne 5 qui a les yeux beaux , le nez aflèz grand, le vifage rond , la bouche petite» ôc les lévies toujours fraîches & vermeil- les.

Le tour de fon vifàge eft jufte , Le front ferin , la gorge augufte , Par deux globes formez de lys. Et fi Ton obtcnoit d'un amour moins feverC De nous lailTer voir ce myftere , Nos yeux en fcroient éblouis.

Ses cheveux fort châtains, &:lui don- nent un agrément tout particulier lorf- qu'ils font rattachez , & qu'elle ne laifTè pas flotter les boucles qui leur font natu- relles j

DE Pièces Galantes. 177 relies ; parcequc les yeux découvienc poui: lors fans embarras route la proportion de Ton vifagc , dont la figure eit agréable- ment bien faite. Il faut croire que le refte du corps répond à cette belle montre ^ de que ce qui eft caché n'a ^ pas moins de charmes que ce que l'on voit.

Car ma Mufe ne voudroîtpas Parler de Tes fecrets appas ,

Qui font du curieux le fupplice & la gêne : Son vol d\ audacieux ,

Et la difcretion qui la pouffe & la mené .

L'arrête à ces beautez qui paroiflfent aux yeux.

Mais fans mentir 3 je n'eftimerois pas fon corps , s'il n'éroit animé de fonefprit -, quoi qu'elle fe défende toujours d'en avoir, c'eft pour lors , ce me femble:> qu^elleen a davantage , & que cette lumière qu'elle veut cacher , paroît avec plus d'éclat &: de force ; il eft plein de feu & enjolié , tourné aux belles choies ^ dont elle a un goût délicat , &: juge finement les beaux endroits; elle aime avec pafîion tous les ouvrages d'efprit , Ôc a une cuiiofité avi- de pour toutes Tes productions. Quoique pour l'ordinaire elle ait l'efprit fort pre- îènt , elle lui donne quelquefois permii- fion d'alier Tes penlées l'appellent; mais il n'y eft pas long tems , & ne fe fait pas atcendre avec impatience.

H V il

itS Recueil

Il revient promptement de Ton petit voyage 5 Et retrace fur le vifage Un je ne fçaiquel nouveau jour Qui nous annonce fon retour.

Elle n'eft pas opiniâtre , mais elle ne peut iouffrir qu'on la conrredife , niqu'on choque les fencimttns j elle n'a pas l'hu- meur iiiquiette \ mais li fes ordres ne font exécutez lur le moment , elle en ert: en peine , & Ton repos n'eft point tranquille qu'après l'exécution : coût cela paît d'une belle caufe , «Se tcus ces effets naifTent de la vivacité de Ton elprir.

Elle a bien l'humeur complaifante Elle loue agréablement ; Mais fi la pcrfonne eft abfente , Elle en raille modeftement. Comme elle a du penchant à ia douce fatyre ^ Elle cherche fujet de rire , Quand biencereroit du martyre D'un pauvre & malheureux Amant.

Ce n'eft pas qu'elle foitinfenfibleà l'ami- tié , & fi je ne me trompe , elle a l'ame belle , genereufe <3c reconnoiirante. Elle s'attache forrcmenc aux intérêts d'une amie ; mais fon amitié eft délicate fans ctre fragile : cela veut dire qu'après que ce lien eft rompu ^ elle ne le fçauroic plus re-

noiicu

DE PiGCES Galantes. 179 noiier , ni s'y fier comme auparavant j comme elle a l'cfpric nec , elle cherche avec fcrupulc la propreté en toutes cho- fcs, ôc ne peut fou ff ri r ledefordre, noa pas mcme dansfcs cheveux , elledevore- roit les Livres y ôc pafFeroit les nuits &C les jours à la lecture , particulièrement des Romans , fi elle ne modeioit cette incli- nation. Eohn, elle a Tes ientimens hauts & relevez , ôc un jugement tout-à-faïc éclairé , qui guide & conduit Ton elprit.

Mais 5 ô Dieux , que je fuis furpris î Je croyois a voir fait le Portrait de Cloris,

Et je vois bien que c'eft le vôtre , Que ce font-là , Diane , & vos traits & vos ris,

Et non pas les grâces d'une autre : Que j'ai peint le Soleil & non pas Ton rayon. Par les traits du pinceau , non par ceux dU crayon j [

Je n ai pu fuivre d'autre idée,

Que celle qui s'offroit à moi ,

Mon ame en étant poiTedée,

Ma main en a reçu la loi ,

Et je fuis devenu femblable

A ce Peintre admirable ,

Qui reprefentant les beautez

Des mortelles Divinitez ,

Jaojais il ne pe ignoit de femme , .

H vj Qu'il

i8o Recueil

Qu'il ne lui donnât tous les traits , La grâce , l'air & les attraits, De celle que TAmour avoit peint dans Ton ame,

LETTRE

A MADEMOISELLE Sut un Songe,

DAns le tems qui divifela nuit d'avec ic jour, & auquel les foibles rayons de r Aurore commençant à percer les voi- les épais des ténèbres, laiilent à dilcerner àrœii (i cet intervalle efl: du jour ou de la nuit i j^ai fait un fongc que je veux vous raconrer :, puifqu*!! vous concerne entie- rementj & qu'il doit être véritable , pui/^ qu1i a été fait dans le tcms auquel ils fe font ordinairement j 6c i'efprit agit avec plus de liberté.

Je me fuis donc imaginé d'érre tranf- porté dans le lieu le plus agréable qui foie jamais ofterc à ma vue ; c eroit une

prairie

DE Pièces Galantes, lît prairie tapllfée d'aurant de fleurs que la terre en ait jamais produit, & qui ne fa- tisfailoicnt pas feulement la vue par l'a- greable variété de leuis couleurs ; mais qui raviiïoient encore i'odorar par Todeur la plus exquiie dont il puiflè être tou- ché.

Cette prairie écoit bordée de deux lar- ges canaux , remplis d'une eau vive de pure 5 dont la l'uiface reprefentant aux yeux coures les couleurs différences des fleurs , formoit un objet trcs-agreable : ils étoient accompagnez de deux allées d'arbres fort élevez, & donc les branches porcoienc moins de feiiilies que d'oifeaux, qui dans ia vaiicté ôc la délicatelle de leurs chants , ne laiifoient rien à defirer pouc la fatisfadion de roreille.

Ces petits hôtes des bois

Ecjatoient tous à la fois.

Comme pour difpucer du charme de leurs voix, Et d'une force pareille Tâchoient d'agréer à i'oreille, Que ce fens confus 8c furpris ,

Ne pouvoît pas juger qui meritoit le prix.

Je n'eus pas fait quelques pas dans c^t- rcdélicieufe prairie j que je m^apperçus

quell-c

l8l R E C U E I L

qu'elle écoit terminée par l'objet du mon-^ de le plus magnifique. C'écoit un Tem- ple donc la ftiucluie marquoit l'antiqui- té, ôc qui n ecoic pas moins remarquable par la mafîè prodigieufe de Ton édifice , que par le marbre ôc le jafpe qui en com- pofoienc le corps , 3c Tor ôc l'azur dont il briiloic de tous cotez. Ce que j'en voyois me parut fi beau , que je ne pus m'empê- cher de fouhaicer d'en voir davantage , & je m'avançai tout le long d'une allée pour fatisfaire ma curiofité 5 mais à peine avois- je fai: les premières démarches , que je fus arrêté par un objet encore plus beau que tout ce que je viens de vous rcpre- fenter.

L'éclat des plus vives couleurs , L*émail de tant de belles fleurs , Le printems éternel de ces vertes prairies,. Tout le brillant de l'or , celui des pierreries , La douceur des parfums , le concert des oi- feaux ,

Toute la pureté des eaux , Toute la fraîcheur de l'oçabre, Eniin tous les objets que Ton voit en ces lieux> . Ne font qu'une parfaite image. De ce qui s'offrit à mes yeux.

Je crois qu'api\s cela vous n 2 devez pas

douter

DE Pièces Galantes. 185 Jouter que ce ne fût vofts que je rencon- trai dans ce lieu , encore que vous ne vous imaginiez peut-être pas d'y être. En efFêC^ bei.e Climene , ce fut vous que je vis dans ce moment, 5c qui vous prefen tares à mes yeux celle que vous êtes ordinairement , c'eft-à-dire , la perfonne du monde la plus aimable. Vous étiez étendue fur le gazon ^ de vos mains qui panchoient né- gligemment, s'avançoient jufques dedans Teau : vos yeux étoient fermez , & li le fommeil me déroboic l'avantage de les voir , en récompenfe il m'aidoit à pouvoii* conlîJerer davantage toutes vos autres merveilles , qui lemblent ordinairem.enc être à couvert parmi les feux que vos yeux lancent quand ils iont ouverts , ôc donc on a peine à fupporter l'éclat.

Par une h cherc vue , toute autre eu- riodté fut entieremenc éteinte dans mon cfprit, & j'oubliai mon premier defTein pour m'occuper tout entier à vous regar- der. J'admirois la tranquillité avec la- quelle vous dormiez , éc je m'étonnois comme le Ciel vous dcnnoit tant de re- pos dans le moment que vous me l'otiez entièrement , lorfque cette reflexion fuc troublée par un accident 3 qui m'ô'a tout le plaifir que j'avois à vous confiderer. Un ferpent d'une prodigieufe grandeur, dont les replis avoienc été cachez Ibus

l'herbe

184 Recueil

Hierbc jafques alors , élança tout d'an coup fa tête , &C avec un firiement qui me glaça le (ang dans les veines, s'approcha de vous pour vous empoifonner de fon ha- leine , éc vous lier des longs replis de fa queue.

Dans cette furprife étonnante» Pire pour moi que le trépas > Je voulus m'écrier d'une voix éclatante. Mais, helas ! je na-le pus pas.

La frayeur me ravit entièrement l'ufage de la voix ôc celui du mouvement , Se plus immobile que vous (qui dormiez toujours avec aucant d'airûrance , que fi vous n'eufliez pas été en danger) je fus réduit à vous confideier , fans pouvoir faire au- cun pas pour vous fecourir.

Déjà le ferpent avoic commencé de vous lier 3 ôc il ne reftoit plus que deux ou trois tours, lorfque j'entendis ouvrir les portes de ce Temple , dont je vous ai parle , avec un bruit éclatant , & que j'en vis lortir un Enfant tout layonnant de gloire , & de la même figure avec laquelle on nous dépeint l'Amour.

Le peu de diftance qu'il y avoit, & le fecours que lui donna la virelïe de fes ai- les , fit qu'il arriva encore allez à tems avant que le ierpent vous eut toute enve-

lopér»

DE Pièces Gala>/tes. iSf lopée. Je voulois lui demander le fecours que )e ne pouvois pas vous donner; mais à peine avois-je formé cet:e penfée, que je le vis prendre ce ferpenr avec une main, défaire les ncruds donc il vous ferroic, 8C renchaîner avec une pecire chaîne d'or qu'il avoir appoi rëe. Cela fait , il vous porta fon flambeau devant les yeux pour vous réveiller , & vous fit connoitre le danger duquel il vous avoir tirée. Au lieu de le remercier comme vous deviez , vous ne voulûtes pas avolier que vous lui étiez redevable ; mais lui pour vous punir de votre ing atitude :, déchaîna le ferpent qu'il renoir d'une main , ôc le lailîa en li- berté de vous attaquer avec toute fa fu- rie.

Vous voulûtes d'abord prendre la fuite, mais elle voas fut fort inutile : car le fer- pent ayant déployé des ailes que je n'avois pas remarquées jufques alors , il vous eût atteint dans un moment, & malgré votre refiftaiice, il commença de vous lier com- me auparavant.

La necedîré vous fie connoitre votre faute 5 & il me fcmbla que vous commen- çâtes d'invoquer à hauts cris l'aflîftance du Dieu que vous aviez auparavant mé- prifé. Lui qui a toute la douceur d'un en- fant, & qui s'irritanc facilement, s'apaife aufli de mcm.e par la foûmiiTion ôc le rcf-

l8<> R B C U E I L

pedl , ne vous encendic pas plàrôt ^ qu'il accourut à votre fecours , & vous délivra du Serpent j ap.ès que vous lui eûtes pro- mis que vous vous rangeriez fous Ton em- pire , Se que vous reconnoîtriez fa puif- iance. Le Serpent s'en vint à moi, mais au lieu de me lier comme vous , il fe mit à me carelîer. Comme je m'en éconnois, tout cet enchantement difparut , & je me trouvai réveillé , & en état de rêver à un fonge qui n'auroit pas été tellement fuivi , s'il n'avoit eu quelque chofe de mifte- rieux. Voici ce que je me fuis imaginé qu'il pouvoit fîgnifier.

Cette agréable prairie qui s'eft offerte à mes yeux , de qui m'a prefenté tant de délices à la fois , me figuie alfez bien les plaidrs de l'amour, aufquels elle fembloic être confacrée , puiiqu'elle fervoit d'ave- nue à fon Temple.

Cet afToupilîement dans lequel je vous trouvai , reprefente fans doute l'indifFe- rence dans laquelle vous vivez , 6c qui eft une efpece de léthargie qui vous met dans un état fort dangereux.

Le Serpent qui veut vous attaquer, & vous lier des plis de fa queue , ne fignifie autre chofe que le tems ^ qui nous a tou- jours été reprefente par la figu'e du Ser- pent. C'eft un ennemi fort dangereux & qui ell d'autant plus à ciaindie , qu'il vous

aicaque

DE Pièces Galantes, i^-; attaque dans le fommeil ^ & qu il vous prend dans un rems auquel vous nelçau- nez vous défendre.

L'amour qui vous délivre de ce danger, fait voir que c'eft lui qui nous garentic veritablemenc des injures du tems ^ ôc qui nous le fait palfer avec une douceur in- concevable.

L'injtidice avec laquelle vous refufez de reconnoîcre Tobligation que vous avez à l'Amour qui vous a délivrée du Serpenr, marque aifez bien la répugnance que vous avez pour lui: mais auiîi le châcimenc qui fuit de près l'oftenfe ^ fait voir que le tems vous pourfuit avec une vîtefîe merveil- Icufe , encore qu'il femble être fort pa- refîeux fous la figure du Serpent qui ram- pe fort lentement.

Jufques-là mon explication fe {îiit afièz, & je n'y trouve aucun défaut ; mais je ne fçai comment je dois prendre la penfée que j'eus que vous promettiez à l'Amour de reconnoître Ton empire , pourvu qu'il vous fecourût dans ce danger : je crains fort que mon fonge ne foit pas véritable dans cette partie , ôc quevous n'ayez peu de dilpoficion à faire ce que je m'im.aginai que vous faificz. Cependant j'ai crû de- voir vous en aveirir , pour vous faire pren- dre garde à vous mettre à couvert des in- jures du tems, par ce feul moyen quevous

en

i8S Recueil

en avez ; car vous pouvez voir par I ac- cueil que le Serpent me fie au lieu de me nuire , que le cems ne fait aucun mal à ceux qui font autant amoureux que je le fuis , éc que c'eft le véritable antidote con- tre Ton venin.

Songez-y , divine Climénc ;

Et pour vous épargner la peine

De mille regrets fuperflus. Employez bien le tems , qui ne retourne plus* Reconnoiflez d'Amour la divine puiffance.

En vous rangeant dellbus fa loi : Aimez avec ardeur, aimez avec conftance.

Et, s'il fe peut 3 faites que ce foitmoi.

LETTRE

DE PiïCES Galantes. i8p LETTRE

A MADEMOISELLE

DE

VOs forces augmentent le deflein que j'ai fait d'aifiegeL* votre cœur^ ôc ma refolution furmonrera eette puilîance qui vous a mis à l'abri de pareilles entre- prifcs.

oui j je prêtons, Philis , affieger votre coçur > Je veux emporter cette place. Ne condamnez pas mon audace. Mon defîr eft fondé fur la force & l'honneur. Quand j'aurai réiifli dedans cette entrcprife , Mille beautez viendront me dire chaque jour. Nous vous donnons nos cœurs avec notre fran- chife , Pour vous feu! nous brûlons d*amour : Et par un fentiment fort tendre , Sans m'ofer contcfter , elles fe viendront ren- dre.

L'efpoir de poflèder cet avantage me

rendra

X^O R E C IT E I L

rendra les plus grandes difficulccz faciles > & je dois courre le rifque donc vous me menacez.

Rien ne nie rçauroit empêcher De vaincre ce cœur de rocher, Nonobitant fa grande puifTance. Son pouvoir ne m'étonne pas j Ayant une jufte efperance : Les obftacles font des appas.

Je fuis adûrc que quand je ferois défait dans ce fiege ;, &c que vous me forceriez de le lever ^ vous conferveriez pour moi une eftime qui me procurera le bonheur j'afpire , ôc que vous approuveriez ge- nereufcmenc un fi grand deiîein. On doit plus bazarder pour un bijoux de ce prix, que pour la conquêce d'une Couronne; de Cl perfonne n*a pas entrepris de le con- quérir 5 c'eft parce qu'on a crû qu'il éroit en des terres inconnues. Je m'atracherai avec plaifir à en faire la découverte j ôc vous me laiiTez prendre ce foin fans vous y oppofcr 3 je m'allûre que j'étendrai fon Domaine , Ôc que je découvrirai des Païs, qui feront toujours cachez à faute d'une cxadte recherche. Mais pour y réiiffir, il faudroit que j'eulTe un confentement de cette indomptable : car j'entre dans fes Ecacsla force à la main, je ferai des rava-

DE Pièces Galantes, i^i ges , qui m'empccheronc de faire une jufbe perquifition. Prenez là-defîus vos mefu- res 3 je vous donne le choix de ces deux partis : ôc fi vous me croyez, je vous aurai une obligation que je puis obtenir de moi- même.

REPONSE.

V

Otre audace n*ell pas petite ;

Mais je conviens à mon tour , que la mienne n'eft pas moindre d'entreprendre de répondre à votre lettre, ôc de défendre mon cœur d'une attaque aufîi galante que celle que vous lui faites : mais de bonne foi j'ai crû quil éroic de la fincerité, de vous avertir qu il eft tout-à-fait inutiles.

De vouloir attaquer mon cœur,

Ceft un Pais la force pourroît être repouflee par la force , &c ou^ron Je pré- cautionne bien contre lesfurprîfes; auflî Ton y eft toujours fur fes gardes. Ce n'eft pas que votre adrelFe , votre vigilance ÔC k bonheur que vous avez de faiie réûffic

les

191 Recueil

les cntrepuifes les plus difficiles , ne pût m'épouvanter.

Mais avec tout votre mérite,

Ec les talens que vous avez pour toutes les importantes négociations , il ne vous feroit pas aiié de conquérir un Païs qui fe peut maintenir par Tes propres forces, ôc qui d ailleurs en peut avoir d'étrangères. 11 faudroît pour cela que vous cufîiez des agens fecrets pour vous découvrir le foible des Places ; mais la politique du Païs n'en permet l'entrée à perfonne , Si les Sujets en font incorruptibles j ainfi je vous con- feillç d'avoiierque.

Vous n'en pouvez être vainqueur »

Par la raîfon qu'il efl: naturel d'aimer la liberté de de fuir la tirannie. Car à par- ler finement de ces braves Conquerans, ils ne font jamais cette guerre que fous des prétextes fpecieux Se raifonnablcs ; ils ménagent le Païs , ils gagnent peu à peu le terrain 3 de traitent avec douceur tant ^ue la conquête eft incertaine ; mais fi-côc qu elle eft faite , il n'eft ade d'hoftilité qu'ils n'exercent , ils prennent tout impe- rieufement : l'incendie , le pillage , la four- be ôc la malice font en règne , & pour vous

définir

DE Pièces Galantes. 15)^

définir en un mor , vous devenez des ty- rans enragez , Se travaillez inceirammenc à la ruine d'un bien j, pour Tacquilition duquel vous avez tout mis en ufage. Après cela , n'ai je pas raifon de me défendre contre de fi cruels Ennemis ? Ce n'eft pourtant pas le feul motif, ni le plus beau qui fortifie mon cœur contre leurs atta- ques ; ôc quand j'en voudrois ufer autre- ment j il ne me feroit pas aife : car,

La vertu j la raifon , font fcs gardes ûdéks ,

Ce font elles qui en tiennent les ave- nues 5 & qui en défendent l'entrée à tous ies hommes du monde : elles y regnenc avec un pouvoir abfolu ; 6c volontiers je leur en remets le foin ^ puifqu'afTu re- nient

Rien ne peut corrompre leur foi,

Ec qu'elles font trop en intérêt de foû- tenir leurs droits , &c de fe maintenir dans leurs forces. Véritablement rien ne leur rdifle :, &: elles ne mettent point la vio- lence en ufage pour y faire obferver leurs Statuts.

Là> tout leurell fournis, il n*cft point de re- belles.

Et je connois bien que le foin qu'elles Tome III, 1 prcn-

ïc)4 Recueil

prennent n'a point d'autre but que la con- rervation de mon repos &c de ma tranquil- lité i ôc comme il a y a rien contre elles que le pouvoir d'un certain petit Dieu aveugle &c enfant ^ elles ne s'en met- troient pas trop en peine, fi Ton bras n'é- toit foûtenu de ceux qui combattent pour l'accroiifcment de Ton Empire : de forte que pour !a fureté de mon cœur , elles yne confeillent de m'en tenir j'en luis.

Et i*on n'y reçoit point , ni l'Amour , ni fa Loi.

Apres cela , jugez bien qu'étant fortifîce ide ia lailon , de la vertu & de ouc'que lu- rriiere, votre entrepriieferoitfort inucile> 1^ que j'ai eu fujec de vous dire que

Votre audace n'ell: pas petite , De prétendre attaquer mon cœur; Mais avec tout votre mérite. Vous n'en ferez jamais vainqueur : ta vertu , la raifon font des gardes fidèles,

Rien ne peut corrompre leur foi : |.à 5 tout leur ell fournis , il n'eft point de re.

belles, gt Ton n'y reçoit point , ni TAmour > ni la ï.oi.

LET-

DE Pièces Galantes, i^ç

LETTRES.

N'Aurai je jamais le crédit , D'envifager certaine créature , Pour confronter Ton aimable figure , A tous les biens qu'on m'en a dit.

Je crois déjà que c'eft une merveille 5 Je crois qu'on ne voit rien de plus beau fous

lesCieux: Mais tout cela fe croiroit mieux Par l'œil encor que par l'oreille.

Puifqu'ainfî va , tâchons par nos efforts D'approcher cet illuftre corps , Pour lui faire la révérence : Elle ne nous mangera pas. En tout cas , Quitte pour rendre ailleurs notre afTiilance.

Quiconque me voudra fervir d'introduc- teur 5 peut s'aflïïrer d*avoir mon cœur. Le prefent n'eftpas d'importance: Mais pour mériter mieux cette introdudîon , J'ajoute à mon affedtion , Quatre gros jambons de Mayence.

I ij Après

r^^ Recueil

Après cela , fi je manque d'amis ,

Ma foi je fuis d'avis Pe me fervir à moi-même de guide : pour réiiflir il faut être hazardeux j

Aujourd'hui le moins timide N'eil pas le plus malheureux.

Néanmoins , afin de n'eftiopier pas tout- à-faicla bicnfeance, feuilletons nos amis, avant que pou/ïër nous-mcmes notre for- tune , & tâchons d'en trouver un qui yeliille difpofer cette charmante peiionne à notre réception. Il n'eftpas à propos, ce me femble j d'exiger un tel ofHce de ceu^ nos amis qui en ont le cœur na- vré. Car félon toutes les apparences , ils ne voudront aiîbcierperfonne à l'honneur de la voir ^ Se feront airûrémcnt ravis de ioiiir feul de cet avantage : Diable donc trouver un homme qui veuille genereufe- ment démembrer cette connoiïfance, & le partager avec moi ? Si j'en priois Mon- iteur de ... bon , je rêve ; il en eft trop féru idc ce que j'ai d'eflime pour'la répu- tation de cette Dame > lui feroit appre- iiender que je n'euiïe quelque chofe de plus fort pour fa perfonne , s'il me procu- roit le bien de la voir un moment. Ainfî je n'ai qu'à me provifionner d'un autre

patron ,

DE Pièces GalA^ttes. tw/ patron voici un drôle qui me pourra fof- tir d'affaire.

Je ne puis plus tenir mon eau^ Tirfis, à Madame du Veau, Si bien-tôt tu ne me prefente. Bien-tôt mon ame impatiente 3 Se dépêtrera de mon corps, Bien-tôt je ferai chez les morts^ Ele(ftion de domicile : Car prefentement dans la Ville 5 Je n'entends parler en tous lieuXj Que de fa grâce & de fes yeux , Que de fes mains, que de fa gorge. Que d'un autre endroit qu'on fe forge: Car je crois qu'on ne le voit pas 5 Ma foi je fuis déjà bien las De ces prôneurs infupportables : Quoi ces Peintres inévitables. Seront par tout pour mes péchez Eternellement attachez A crayonner cette inhumaine! Hier cncor pour furcroît de peine» Je fus chez les Italiens , Penfant que ces Comédiens, Pourroient par leurs bouffonneries Diffiper de mes rêveries, La plus importune moitié. Dame ce fut bien la pitié.,

I iij. Ton:

lf)S R E C U E I I.

Tout étoit plein dans le parterre j Mais par bonheur les gens de guerre> Plus honnêtes que les Bourgeois j Me laifTerent à plufieurs fois , Gagner une afTez bonne place , Tirfis, prends part à ma dirgrace> Je ne fus pas plutôt entré. Qu'un Marquis amphithéâtre. Parlant de ficges & de batailles. Avec d'autres Marquifailles, Tout d'un coup c/iangeant de difcours» Pour enfiler de Tes amours, L'cnnuyeufe palinodie : Après quelques traits de folie > AlTez courtifamm.ent décrits , Sçavez-vous que je fuis épris. Leur dit-il , de certaine Dame, Qui vaut encor mieux fur mon amc» Que la Duchefife à qui l'honneur Nous defFcnd fur notre bonheur De nous expliquer davantage ; Mais enfin l'objet qui m'engage, Kenferme en foi tant de beautez. Tant d'adorables qualitez, Tant de vertu , tant de lagelïe , Tant d'cfprit , tant de gentillelTc, Tant de bonté , tant de douceur, Qii'il faudroit n*avoir point de cœur. Ou l'avoir plus dur qu'une pierre ,

Pour

DE Pièces Galantes, i^p Pour Ce deffendre de la guerre , Que rAmoiir nous fait par fes yeux : Non , Meflleurs , je crois que les Dieux , Tout Dieux qu'ils foient ne tiendroienc

guère Contre Taîmable meurtrière, Qui va me troubler le cerveau : Ah ! pourquoi charmante du Veau^

Faites-vous fur ma fantaifie

Male-pefte , qu'elle efl: jolie ! Reprit Tautre fur nouveau frais , C'eft le plus beau tein , le plus frais, C'eft bien la plus mignonne bouche..,.,^ Par bonheur pour moi Scaramouchç Les interrompit brufquement. Sans cela j'étois julîement Tout prêt à perdre patience : Car enfin , Tirfis , ma fouffirance, C'eft d'oUir prôner les appas Des gens que }e ne connois pas.

C'eft pourquoi je te conjure de mettre les fers au feu pour me faire encievoir ce prodige de m.eriie .que fencens vanter à tout le monde , & chez lequel pourtanc perfonne ne s'offre de m'inti oduire : je ne fuis pas homme à l'égard duquel il foie befoin de grands préparatifs ; toutes les heures me font bonnes -, je me trouverai I iiij audî-

ioo Recueil

aufli-bicn reçu le matin que l'apics-dînéej & mcmc fi je ne puis pas mieux ;, je me tiendrai pleinement fatisfaic de donner le .bon foir à la Dame , donc eft queftion : vous pouvez toujours cependant la pré- parer à mon humeur. Je fçai qu elle n'ai- me pas d'ordinaire les fortes palTions^ mais je fçai bien aufîî qu'elle ne peut con- damner la violence de la mienne ^ puif- que je n'en ai que pour l'honneur de Ton fervicc : je lui cxpoferai fuccindlement le cas que je fais de Ton micrire , je pourrai bien eniuice lui demander quelque parc en Tes bonnes grâces , peut-être encore porterai- je mes prétentions jufques à fon amitié , pourquoi non ? Ne pourroic-il pas arriver que je la mcriterois quelque jours par mes afliduitez :- Et croyez- vous , Tir fis, que la continuité ne mérite pas à la fin quelque honnête connoifîance?

Une médiocre ardeur. Touche beaucoup plus un cœur.

Quand elle eft de durée , Que tous les emportemens De ces parjures Amans ,

Qui s'en vont en fumée.

Ainfi malgré ce qui en arrivera , je prc- fume bien de mon entreprife ^^ de je croie que cette Dame ne peut fc difpenfer d'a-

VOiC

DE Pièces Galantes, lot

voir de bons fentimens de moi , pour peu qu'elle veuille commettre fa fierté avec ma perfeverance , je fuis fur à la fin de la vaincre , arrendu que ma pafîion ell: fort refpedueufe, & mon attache fort définte- reltée.

Ce n'eft point refpaîr qui me fîate. J'accorde volontiers Tamour avec Thon-

neur, A CCS conditions , qui refufe Ton coeur>

Doit bien palier pour une ingrate.

Allez 5 Tiifis , ne vous relâchez poinr> ^ croyez qu'en me rendant office auprès de cette Belle, vous obligez lemeilkui: de vos amis.

I y COU^

202 R E C T7 E I L

COMBAT DE L'AMITIÉ ET DE L'AMOUR.

JE VOUS aime , Sylvie , il eft tems de le dire j Vos yeux qui caufem mon martyre, Pour méprifer mon mal , font trop plein de

douceur. L'amitié furmontéc a fait place â Ton frère >

Et ce Roi puiiTant & fevcre , Ufurpe malgré moi l'Empire de fa foeur>

Cette lîlle prudente a tout mis en ufage Contre ce Tyran plein de rage ,

Mais après le combat , il rclk le plus fort."

£t fi d'un doux accueil ma flâme n'eft reçûëg. Et le vainqueur & la vaincue ,

Sont tous prêts de céder au pouvoir de la mort.

C'eil en cette Déeiïe , horreur de tout le monde.

Que mon dernier efpoir (c fonde,. Si votre cruauté me refafe fecours : Mais cette inexorable alors que je Tappelles

Dit que c'ell vous Se non pas elle , Çkii deve^ difpoièr de la fia de mes jours.

/X

DE Pièces Galantes. 105

IX. ELEGIE.

Dieux, que je plains le fort de ces pauvres Amantes, Qui Tentant de T Amour les fîâmes violentes y Quelque dangereux trait qui leur perce le

coeur> Koferoienc déclarer le nom de leur vainqueur*: Pour moi , grâce au Ciel , je n'en fuis pas de

même , J'aime > mais fans rougir j'ofe dir€ que j!ai-^

me. Et je puis librement découvrir monr ardeur. Sans violer les ioix de la chalk pudeur : Oiii , je vous peut nommer fans crainte d'au^

curï blâme, Celui dont le mérite a fait naître ma fîâme,. Et quicon que fçaura le nom de mon Amanr^j S'il juge mal de lui , fera fans iugemienr. Parmi les beaux efprits qui régnent dans no^ tre âge , Chacun fçait que Daphnis emporte TavâG*-

tâge, Qu'il écrie à ravir, & que fans vanité Il a droit d'afpirer à l'immortalité : Z^lais chacun fçait encor qu'il cft pléiade fSï-

104 ' Recueil Et je jure ma foi , s'il n'aJIoit à confefle , Que pour dire le mal qu'il a fait en m'aimanf^ -Qu'il y pourroit aller fort inutilement, Bien loin d'être enflâmé d'une ardeur crimi- nelle. Il fait comme un grand mal la fimple baga- telle: Son plus ardent defîr n'afpire à d'autre bien> Qu'à celui de goûter un aimable entretien : Ce qui fîatc les fens pour lui, n'a plus de char- mes. Il ne fçait ce que c'cft de foûpirs & de lar- mes: Son cœur qui ne fçauroit fe refoudre à fouffrir, N'approuve point d'amour qui le fafle mai- grir. Il aime fans langueur , & fans devenir blême : li ne faut point de corps pour aimer comme

il aime : Et depuis qu on foûpire en ce mortel fejour, Perfonne comme lui n'a décharné l'Amour: Toute fa pafHon refide dans fon ame : On ne voit point fur lui des marques de fa

fiâmes Et nul homme vivant ne diroit à le voir , Que des traits de Tamour il fentit le pouvoir. Que quelque Philis hardie ou téméraire. Le veut folliciter à lui faire grand' cherc, Ui lui dît que Ton coeur ne lui manquera pas;

S'il

DE Pièces GaIantïs. îof S*il y Veut employer les charmes d'un repas 7 Alors civilement mon Daphnis s'en difpenfc. Non pas à dire vrai , qu'il craigne la dépenfca- Mais il craint qu'on lui pût reprocher juge- ment. Que qui donne à manger arme charneRemenr. Auffi mon cher Daphnis eft toute mon envie j Je vivrai fous fes loix tout îc tems de ma vie a Et je veux que tous ceux qui font dans ma

maifon , S'afifûrent que c'eft lui qui me tient en prifbn, Demoifelie , Laquais, Servante de cuifine , Quand vous verrez Daphnis 3 faites- hii bonne

mine: Dites-lui que je meurs , & que cent fois le jour Pour ^ç.s rares vertus, je foûpire d'amour. Cocher , Palefrenier, je vous en dis de même , Quand vous verrez Daphnis , dites-lui que je

Taime : Et vous mon pauvre chien > & vous mon pau^

vre chat , Quand vous verrez Daphnis , faites- eii grand

état. Témoignez du regret de ne lui pouvoir dire , Que je brûle pour lui d'un amoureux martyre. Et qu'il juge à vous voix que vous voudriez

parler. Pour dire feulement qu'il a fçû me brûler. Mais , Daphnis , je prétens que rien ne vous

%\%^l^i A

X0$ R E C U E I I

A vivre en môme-tems fous un double feP»

vage, Puifque je fuis à vous, une pareille Loî> Exige auffi de vous que vous foycz â moû Ev'tez i'entretien de l'aimable Clarice , Elle pourroit nne rendre un fort mauvais o£^

fice. Elle 3 des qualîtez que je dois redouter» Et fi vous m'aimez bien , vous devez Tévitcrr Car tel ^ll mon humeur , & tel eft mon coït-

rage, Que je ne puis (bufïi ir un coeur qui fe partage > Vivons tous deux heureux ians le fecours

d*autrui , Daphnis content d^ moi 3 nioi conteme de

m

Pièces Galantes. X07

A U

LECTEUR.

LE refjje^i que l'on doit a l'il- luflre Nom :, qui ejl à U tê- te de cette Hijîoire , <(^ U conjî- deration que l'on doit iwoir pour les émincrites Ver formes qui font défendue s de ceux qui to?it por- té ^ m oblige de dire y pour ne pas manquer envers les uns les autres y en donnant cette Hijîoire au public 3 quelle na été tirée d aucun Manufcrit ;, o^ui nous foit demeuré du tems des Ferfonnes: dont elle parle* U Auteur ayant voulu pour fon divertijjement écri^ re des avantures inventées aplai-

ftr^

aoS Recueil

Jîr 5 a jugé plus à propos de pren^ dre des Noms connus dans nos Hijioiresy que dejeprvir de ceux que l'on trouve dans les Romans- ^ croyant bien que la réputation de Madame de Montpenjier ^ ne fe- rait pas hlejfée par un récit ejfec^ tivement fabuleux. S'il nef pas de ce fentiment ^ j'y fupplée par cet Avertijfement ^ qui fera aujf avantageux a ï Auteur y que ref peSîueux pour moi envers les Morts 5 qui y font interejfe\y c^ envers les Vivans ^ qui pourraient y prendre part ^

LA

DE Pièces Galantes 20^ L A

PRINCESSE

D E

MONTPENSIER.

PEndantque la Guerre Civile déchiroic la France fous le règne de Charles IX, TAmour ne laifroic pas de trouver fa pla- ce parmi tant de deiordres, de d'encauler beaucoup dans ion Empire. La fille uni- que du Marquis de Meziere y Héritière tics-confiderable , &c par les grande biens , ê^parrillullre Maifon d'Anjou , dont elle étoit defcenduc , étoit promifeau Duc du Maine , cadet du Duc de Guife , que l'on a depuis appelle le Balafré. Uexcrêmc jeunelfe de cette grande Héritière retar- doit Ton mariage, & cependant le Duc de Guile qui la voyoit fouvent , & qui voyoit en elle les commencemens d'une grande beauté , en devint amoureux , & en fût aimé. Ils cachèrent leur amour avec beau- coup de foin. Le Duc de Guife qui n'a voie pas encore aucanc d'ambition qu'il en a en

depuis^

jLio Recueil

depuis , fouhaiccoit: ardemment de l'é- poufer : mais la crainte du Cardinal de Lorraine , qui lui tenoic lieu de père, Tempêchoit de fe déclare;. Les choies croient en cet état y lorique la Maifon de Bourbon ^ qui ne pouvoic voir qu'avec en- vie i'élevarion de celle de Guife, s'apper- cevant de l'avantage qu'e'le recevroit de ce mariage , fe refolut de le lui ôter , de d'en profiter elle-même, en faifantépou- fer cette Héritière au jeune Prince de Montpenfier. On travailla à Texecudon de ce deiïèin avec tant de fuccès , que les parens de Mademoilelle de Meziere , con- tre les promedes qu'ils avoient faites au Cardinal de Lorraine , fe refolurent de la donner en mariage à ce jeune Piince, Touce la Maifon de Guiie fut extrême- ment furprife de ce procédé j ma: s le Duc en fut accablé de douleur , de l'intérêt de fon amour lui fit recevoir ce manque- ment de parole comme un affront infup- portable. Son relïentimenc éclata bit;n- tôt malgré les réprimandes du Cardinal de Lorraine ôc du Ducd'Aumale fes oncles , qui ne vouloient pas s'opiniâtrei* à une chofe qu'ils voyoient ne pouvoir empê- cher; Se il s'emporta avec tant deviolen- ce , en prelencc mtme du jeune Prince de Montpenfier, qu'il en naquit entr'cux une haine qui ne finit qu'avec leui* vie. Made- moilelle

DE Pièces Galantes, itî

moifelle de Meziere tourmentée par Tes parens d'cpouler ce Prince , voyant d'aiU leurs qu'elle ne pouvoir époufer le Duc de GuifejConnoilfanr pour fa vertu qu'il étoic dangereux d'avoir pour beau-frereunhom- me qu elle eût fouhaité pour mari , le re- folut enfin de luivre le ientiment de Tes proches > de conjura Monfieur de Guife de ne plus apporter d'ooflacle à Ton mariage. Elle époufa donc le Prince de Montpen- {îer , qui peu de tems après Pemmena à Champigny , fejour ordinaire des Princes de fa Âlaiion , pour l'ôter de Paris , apparemment tout Teffort de la guerre ailoit tomber. Cette grande Ville étoit menacée d'un (lege par l'Armée des Hu- guenots , dont le Piince cieCondéctoic le Chef, de qui venoit de déclarer la guerre au Roi pour la féconde fois. Le Prince de xMontpenfîcr dans fa plus tendre jeu- neffe avoit faituncamitîé très- particuliè- re avec le Comte de Chabanes , qui étoic homme d'un âge beau:oup plus avance que lui , Si d'un mérite extraordinaire» Ce Comte avoit été Ci fenfible à Teftime & à la confiance de ce jeune Pfînce, que contre les engagemens qu'il avoit avec le Prince de Condéj qui lui faifoit efperer des emplois confiJerablcs dans le parci des Huguenots j il fe déclara pour les Catho- liques , ne pouvant fe lefoudre à être op-

pofé

'2 11 Rectteil

pofé à un homme qui lui étoic cher. Ce changement de Parci n'ayanr point d'au- tre fondement , Ton douta qu'il ftft veii- table j ôc la Reine Meœ Catherine de Me- dicisen eut de fi grands foupçons, que la Guerte étant déclarée par les Huguenots^ elle eut delfein de le Faire ariêter j mais le Prince de Montpenfier l'en empêcha, dc emmena Chabanes à Champigny, en s'y en allant avec fa femme. Le Comte ayant refp.it fo:c doux 6c fort agréable 3 gagna bien-tôt l'efprit de la Princeife de Mont- penfier , Ôc en peu de tems elle n'eut pas moins de confiance &z d'amitié pour lui qu'en avoit le Prince Ton mari. Chabanes, de Ton côcé , regardoit avec admiration tant debeauré, d'efprit&r de vertu qui pa- roifiToient en cette jeune Princcfîe ; & fe fervantde l'amitié qu'elle lui témoignoit> pour lui infpireu des fentimens d'une ver- tu extraordinaire , de digne ae la gran- deur de {:\ nalifance , il la rendit en peu de tems une des perfonnes du monde la plus achevée. Le Prince écant revenu à la Cour , la continuation de la guerre Tappelloit , le Comte demeura feul avec la Princeiïe , Ôc continua d'avoir pour elle un refped &c une amitié proporrionnée à fa qualité & à Ton mérite. La confiance s'augmenta de part ôc d'autre , & à tel point du coté de la Princefle de Mont- penfier >

DE Pièces Galantes, itj penfier , qu elle lui apprit rinclination qu'elle avoic eue pour Monfieur de Guife ; mais elle lui apprit auifi en même-tems, qu'elle étoit prefque éteinte , ôc qu'A ne lui en reftoit que ce qui étoit necellaire pour défendre l'entrée de Ton cœur à une autre inclination , Ôc que la vertu fe joi- gnant à ce refte d'impreflion , elle n'étoin capable que d'avoir du mépris pour ceux qui oferoient avoir de l'amour pour elle. Le Comte qui connoilîbit la fînceritc de cette belle Princelïè , ôc qui lui voyoic d'ailleurs des difpofitions Ci oppoTées à la foiblfelle de la Galanterie , ne douta poinc de la vérité de les paroles j & néanmoins il ne pût fe défendre de tant de charmes qu'il voyoit tous les jours de près. Il devint pallionnément amoureux de cette Princelîe ; & quelque honte qu'il trouvât à fe laifTer lùrmonter , il falut céder, 6c l'aimer de la plus violente êc de la plus fîncere pafîion qui fût jamais. S'il ne fut pas maître de fon cœur , il le fut de fes âdions. Le changement de fon ame n'ea apporta point dans Ta conduite ^ & per- fonne ne foupçonna fon amour. Il prie un foin exa6t pendant une année entière de le cacher à la Ptinceire :> & il crut qu'il aU" roit toujours le même de(ir de le lui ca- cher. L'amour fit en lui ce qu'il fait en tous les autres , il lui donna l'envie de

parler.

iî4 Recueil

padcL' , Se après tous les combats qiiî ont accoucLimé de fe faire en pareilles occa- ilons , iLofaiiiidire qu'il raimoic, s'étant bien préparé à elfuyer les orages donc la fierté de cette Princelïe le men-çoir. Mais il trouva en elle une rranquiliité ôc une froideur pires mille fois que routes les ri- gueurs à quoi il s'écoic attendu. Elle ne prit pas la peine de fe mettre en colère contre lui : Elle lui reprefenta en peu de mots la différence de leurs qualitez Se de leur âge , la connoliFance parciculiére de ia vertu , tk de Tinclinacion qu'elle avoic €uë pour le Duc de Guife j, & fur tout ce qu'il dévoie à l'amitié & à la confiance du Prince Ion mari. Le Comte penfa mourii: à Tes pieds de honte de de douleur. Elle tâcha de le confoler, en l'alfiirant qu'elle ne le fouviendroit jamais de ce qu'il ve- noit de lui dire ; qu'elle ne fe perfuade- roit jamais une chofe qui lui étoit ii defa- vantageufe , & qu'elle ne le regarderoic jamais que comme Ton meilleur ami. Ces alfûrances confolerent le Comre ) comme on fe le peut imaginer. Il fentit le mépris des paroles de laPrinceiledans toute leur étendue , 3c le lendemain la revoyant avec un vifage auiîi ouvert que de cou- tume , fon aiïlidion en redoubla de la moitié. Le procédé de la Princelle ne la diminua pas. Elle vécue avec lui avec la

même

DE Pièces Galantes, irf

mcme bonté qu'elle avoicaccouriimc. Eile lui parla j quand l'occalionen fit naicrele difcours , de Tinclina'on qu'elle avoic eue pour le Duc de Guife , 6c la renom- mée commençan: alors à publie^' les gran- des qualiuez qui paroifToienr en ce Prince, elle lui avoua qu elle en fenroicde la joye, 6c qu elle écoic bien aifede voir qu il me- riroic les fentimens qu'elle avoic eus pour lui. Toutes ces marques de confiance qui avoient été fi chères au Comte ;, lui de- vinrent infuppor cables. Il n'ofoit pour- tan: le témoigner à laPrinceiTe^ quoiqu'il o(at bien la faire fouvenir quelquefois de ce qu'il avoit eu la hardieire de lui dire. Aprèsdeuxannéesd'abfence j laPaixécant faire , le Prince de Montpenfier revint trouver la Prince (Te fa femme ^ tout cou- vert de la gloire qu'il avoit acquife au fiege de Paris , & à la bataille de Saint De- nis. Il fut furpris de voir la beauté de cet- te Princeife dans une fi grande perfec- tion ; Se par le fencim.ent d'une jaloufie qui lui étoit naturelle, il en eût quelque chagrin , prévoyant bien qu'il ne feroic pas feul à la trouver belle. Il eut beau- coup de joye de revoir le Comte de Cha- banes , pour qui Ton amitié n'étoit point diminuée. Il lui demxanda confidemment des nouvelles de l'efprit & de l'humeur de fa femme , qui lui étoicquafi une per-

fonne

\iG Recueil

fonne inconnue , par le peu de temsqii*il avoic demeuré avec elle. Le Comte avec une fincericé au(îi exacte , que s'il n'eue point été amoureux, dit au Prince tout ce qu il connoifToii: en cette P/incelFe capa- ble de la lui faire aimer ; & il avertitaufli Madame de Moncpenfier de toutes les chufes qu'elle devoir faire pour achevée de gagner le cœur& Teftime defon mari.

Enfin la paffion du Comre le portoit naturellement à ne fonger qu'à ce qui pou- voir augmenter le bonheur & la gloire de cette Princede , qu'il oub.ioit fans peine l'intérêt qu'ont les Amans à empêcher que les perfonnes qu'ils aiment ne foientdans uae parfaiueintelligence avec leurs maris. La paix ne fit que paroître , la guerre re- commença auiîi-tôt par le dcffein qu'eue le Roi de faire arrêter à Noyers le Prince de Condé & l'Amiral de Châtillon ; & ce defïèin ayant été découvert j l'on com- mença de nouveau les préparatifs de ia guerre , & le Prince de Montpenfier fûc contraint de quitter fa femme j pour fe rendre fon devoir l'appelloit. Chaba- nes le fuivic à la Cour , s'érant entière- ment juftifié auprès de la Reine. Ce ne fut pas fans une douleur extrême y qu'il quitta la Princelfe 3 qui de fon côté de- meuroit fort trifte des périls la guerre alloic expofa fon mari. Les Chefs des

Hu-

DE Pièces Galantes. 117

Huguenots s*écoient retirez à la Rochel- le ; le Poitou ôc la Xaintonge étant de leur parti , la guerre s'y alluma forte- ment , ôc le Roi y raiîembla toutes Tes troupes. Le Duc d'Anjou fon freie y qui fut depuis Henri III. y acquit beaucoup de glou'e par plufieurs belles allions ^ ôc entr'autres par la bataille de Jarnac, le Prince de Condé fut tué. Ce fût dans cette guerre que le Duc de Guife com- mença à avoir des emplois considérables, ôc à faire connoitre qu'il paflbit de beau- coup les grandes eiperances qu'on avoic conçues de lui. Le Prince de Montpenfîer qui le haïiïoit , ôc comme fon ennemi particulier , ôc comme celui de fa Mai- fon , ne voyoit qu'avec peine la gloire de ce Duc , aufll-bien que l'amidé que lui témoignoic le Duc d'Anjou. Après que les deux Armées fe furent fatiguées par beaucoup de petits combats d'un commun confentementjOn licencia les troupes pour quelque-tems. Le Duc d'Anjou demeura à Loches , pour donner ordre à toutes les Places qui eufTent pu être attaquées. Le Duc de Guife y demeura avec lui , ôc le Prince de Montpenfier , accompagné du Comte deChabaneSjS'enretournaàCham- pigny , qui n'étoit pas fort éloigné de- là. Le Duc d'Anjou alloit fouvent vifîter les Places qu'il faifoic fortifier. Un jour qu'il Tqwc III, K rêve-

liS Recueil

revenoic à Loches par un chemin peu con- nu de ceux de fa iuite , le Duc de Guiiè qui le vantoic de le Tçavoir , fe mit à la tcce de la Troupe pour fervir de guide ; mais après avoir marché quelque-tems, il s'égara , ôc Te trouva fur le bord d'une petite Rivière , qu'il ne reconnût pas lui- même. Le Duc d'Anjou lui fit la guerre (de les avoir Ci mal conduits ; ôc étant ar> rêtez en ce lieu ^ aufîî diipofcz à la joye qu'ont accoutumé de l'être de jeunes Prin- ces j, ils apperçûrent un petit bateau qui étoic arrêté au milieu de la Rivière ; de comme elle n'étoit pas large , ils diftin- guerent ailément dans ce bateau crois ou quatre Femmes , ôc une enrr'aurres qui leur fembla fort belle ^ qui étoit habillée magnifiquement , ôc qui regardoic avec attention deux hommes qui pcchoienc auprès d'elle. Cette avanrure donna une nouvelle joye à ces jeunes Princes , ôc à rous ceux de leur fuite : Elle leur parut une chofe de Roman : les uns difoientau Pue de Guife , qu'il les avoit égarez ex- près pour leur faire voir cette bel!e per- îbnne : les autres y qu'il falloic , après ce qu'avoir fait le hazard , qu'il en devine' amoureux ; ôc le Duc d'Anjou foûtenoic que c'étoit lui qui devoit être fon Amanc. Enfin;, voulant poulfer l'avanture à bout 3 ils firent avancer dans la Rivière, de leurs

gens

DE Pièces Galantes. 115

gens à cheval y le plus avant qu'il Ce pût, pour ciiei à cette Dame , que c'étoit Mon- sieur d'Anjou , qui eût bien voulu paiîer de Taurie c6:é de Teau , ôc qui piioic qu'on le vint prendre. Cerre Dame j qui étoit la Princefle de Alontpenfier , encen- dant direque le Duc d'Anjou écoit-là j, &C ne doutant point , à la quandré des gens qu'elle voyoit au boid de l'eau, que ce ne fûc lui , ht avancer (on bareau pour aller du côté il étoit. Sa bonne mine le lui lie bien-tôt diftinguer des autres ; mais elle diftingua encore plutôt le Duc de Gui- le. Sa vûë lui apporta un trouble qui la fie un peu rougir , & qui la fit paroi: re aux yeux de ces Princes dans une beauté qu'ils crûrent furnaturelle. Le Duc de Guife la reconnût d'abord , malgré le changement avantageux qui s'étoit fait en elle depuis les trois années qu'il ne V'SYoït vûë. Il die au Duc d'Anjou qui elle étoit , qui fuc honteux d'abord de la libeité qu'il avoit _ prile : mais voyant Madame de Mont- penfierii belle , & cette avanture lui plai- dant fi fort , il fe refolut de l'achever j ôc _ après mJlle excufes ôc mil complimensj, .il inventa une affaire confiderable , qu'il _ difoit avoir au-delà de la Rivière , &c ac- : ^cepta l'offre qu'elle lui fie de le palîèr dans ! . Ion bateau. Il y entra feul avec le Duc de ^ Cuife , donnant ordre à tous ceux qui les K ij luU

tia î^ E c ty E I L

fuivoient d'aller palfer la Rivière à un au- tre endroit , 6c de les venir joindre à Champigni j que Madame de Monc- pcnfier leur die n'erre qu'à deux lieues de- ià. Si- toc qu'ils furent dans le bateau, le Duc d'Anjou lui demanda à quoi ils dé- voient une fi agréable rencontre, & ce qu'elle faifoit au milieu de la Rivière : Elle lui répondit , qu'étant partie de Çhampigny avec lePrince Ton mari^dans le deifein de le fuivre à la chalîc , s'étanc trouvée trop laiTe , eîleétoit venue fur le bord de la Rivière , ou ia curioficé de voir prendre un Saumon qui avoit donné dans un fi!çt , l'avoit fait entrer dans ce ba- teau. Mon {leur de Guife ne fe mêloic point dans la converfation j mais fëntanc réveiller vivement dans fon cœur tout ce .que cette Princelîe y avoit autrefois fait Tiaître, il penfoit en lui-même qu'il for- jciroit difficilement de cette avanture , fans rentrer dans fes liens. Ils arrivèrent bien- tôt au bord , ils trouvèrent les che- vaux & les Ecuyers de Madame dcMonc- penfier 7 qui l'attendoient. Le Duc d'An- jou & le Duc de Guifê lui aidèrent à mon- ter à cheval , elle fe tenoit avec une grâce admirable. Pendant tout le che- min elle les entretint agréablement de di- verfes chofes. Ils ne furent pas moins iiirpris des charmes de fon çiprit , qu'ils

l'avoienc

I5E Pièces Galantes. Ht l'avoienc été de fa beauté ; & ils ne pit- renc s'empêcher de lui faire connoîtr^ qu'ils en étoient extraordinairemenc fur- pris. Elle répondit à leurs loiianges , avec toute la modeftie im'aginable ; mais un peu plus froidement à celles du Duc de Guife . voulant garder une fierté qui Tem- pcchât de fonder aucune efperance fur Tinclination qu'elle avoit eue pour lui. En arrivant dans la première cour der Ghajnpigny y ils trouvèrent le Prince de Montpenfier qui ne faifoit que de revenir de la chaflTe. Sorr étonnement fut grand de voir marcher deux hommes à côté de fa femme ; mais il fût extrême , quand s'approchant de plus près , il reconnue que c'étoic le Duc d'Anjou Se le Duc de Guife. La haine qu'il avoit pour le der- nier 5 fe joignant à jaloufie naturelle 5 lui fit trouver quelque chofe de Ci defa- greable à voir ces Princes avec fa femme , iâns fçavoir comment ils s'y étoient trou- vez , m ce qu'ils v^enoient faire en la maî- fon , qu'il ne pût cacher le chagrin qu'il en avoit. Il en rcjetta adroitement la eau- fefurla crainte de ne pouvoir recevoir uit fi grand Prince ielon fa qualité , &c com- me il eût bien fouhaité. Le Comte de* Chabanes avoic encore plus de chagrin de voir Monfieur de Guife auprès de Ma- dame de Montpei^ficr, que Monfieur de K iij Monc-

111 Recueil

MontpenHer n'en avoir lui-m-^me. Ce que le hazard avoir fait p^ur rairembler ces deux pC Tonnes , lui fembloic de Ci mauvais augure , qu'il pronoftiquoic ai- iémer.t que ce commencement de Roman neferoic pas fans fuire. MadamedeMonc- penfiei fie le foir les honneurs de chez elle;) avec autan!: d'agrément qu'elle Faifoit rou- tes choies. Enfin elle ne plut que trop à fes hctes. Le Duc d'Anjou , qui croie fort ga'and &c fort bien fait, ne put voir une fortune Ci digne de lui, fans la fou- haiter ardemment. Il fut touché du mê- me mal que Monfieur de Guife : & fei- gnant toûjoiirs des affaires extraordinai- res:, il demeura deux jours à Champigny, lans être obligé d'y demeurer que par les charmes de Madame de Montpenfier , le Prince {on mari ne faifant point de vio- lence pour l'y retenir. Le Duc de Guife ne partit pas fans faire entendre à Mada- me de Montpenfier î qu'il étoit pour elle ce qu'il avoit éré autrefois : ôc comme fa pafîlon n'avoit été fçuc de perfonne;> il lui dit plufieurs fois devant roue le mon- de j fans être entendu que d'elle , que fon cœur n'éroit point changé. Et lui & le Duc d^Anjou partirent de Champigny' avec beaucoup de regret : ils marchèrent long-tems tous deux dans un profond filencci mais enfin le Duc d'Anjou s'ima-

ginaiK

DF Pièces Galantes. ii| gînant tout d'un coup , que ce qui faiToic la rêverie pouvoit bien caufer celle du Duc de Guife 3 lui demanda brurquemenc s'il penloit aux beaurez de la Princelîè de Montpeniier. Cecie demande brufque, jointe à ce qu avoit déjà remarqué le Duc de Guife des fentimens du Duc d'Anjou, lui fit voir qu'il (eroit infailliblement fon Rival 3 de q l'il lui croit très-important de ne pas découvrir fon amour à ce Prince. Pour lui en ôter tout ioupçorî , il lui ré- pondit en riant j qu'il paroiilbit lui-même occupé de la rêverie dont il l'accufoit j qu'il n'avoit pas jugé à propos de l'inter- rompre j que les beaucez de la Princefïe de Montpenfier n'étoient pas nouvelles pour lui ; qu'il s'écoit accoûruméà en (uppor- ter l'éclat du tems qu'elle étoicdeftinée à être fa Belle- fœur; mais qu'il voyoit bien que tout le monde n'en écoit pas Ci peu ébloiii. Le Duc d'Anjou lui avoua qu'il n'avoit encore rien vu qui lui parût com- parable à cette jeune PrinceiFe , de qu'il fentoit bien que fa vue lui pourroit être dangereule , s'il y étoit fouvent cxpofé. Il voulut faire convenir le Duc de Guife qu'il fentoit la même chofe j mais ce Duc qui commençoic à fe faire une affaire fe- rieufe de fon amour , n'en voulut rien avoiier. Ces Princes s'en retournèrent à Loches , faifanc fouvent leur agréable K iiij con-

114 K E C U I I L

converfation de l'avanture qui leur avort découvert la Princeflè de Montpenfier» Ce ne Fût pas un fujet de fi grand divertif- fement dans Champigni. Le Prince de Montpenfier écoit mal content de tout ce qui étoit arrivé , fans qu'il en pût dire le lujet. Il trouvoit mauvais que fa femme fe fût trouvée dans ce bateau : il lui fcm- bloitqu elleavoit reçu trop agréablement ces Princes ; Ôc ce qui lui déplaifoit le plus , étoit d'avoir remarqué que le Duc deGui- l'avoit regardée attentivement. Il en conçût dès ce moment.une jaloufie furieu- fe, qui le fit rcirouvenir de l'emportement qu'il avoit témoigné lors de Ton mariage; êz il eut quelque penlee que dès ce tem.s- même il en étoit amoureux. Le cha- grin que tous ces foupçons lui cauferent , donnèrent de mauvaifes heures à la Prin- ce(îè de Montpenfier. Le Comte de Cha- bancs , félon fa coutume, prit foin d'em- pêcher qu'ils ne febro'dillaiïenttout-à-fait, afin de perfuader par- à la Princeflè combien la paflion qu'il avoit pour elle ctoit fincere &c definrereflee. Il ne pût s'em- pêchee de lui demander TefFet qu'avoit produit en elle la vue du Duc de Guife : Elle lui apprit qu'elle en avoit été trou- blée j) par la honte du fouvenirde l'incli- nation qu'elle lui avoit autrefois témoi- gnée i qu'elle Tavoit trouve beaucoup

mieux

BE Pièces Galantes. 22c mieux fait qu'il n'étoic en ce tems-là , ÔC que même il lui avoir paru qu'il vouloir lui perfuader qu'il l'aimoic encore : mais elle lalTûra en même-cems que rien ne pouvoir ébranler la refolution qu'elle avoic prife de ne s'engager jamais. Le Comte de Chabanes eue bien de la joye d'apprendre cette relolution : mais riert ne le pouvoir radurer fur le Duc de Guî- (e. Il témoigna à la PrincelTe qu'il appre- hendoir extrêmemenr que les premières impreffions ne revinfTent bien-toc j. & il lui fie comprendre la douleur moi'telle qu'il auroir pour leur interêr commun > s'il la voyoin un jour changer de fenti- mens. La Princefle de Montpenfier coiv tinuanc roûjours Ton procédé avec lui j ne répondoit prefque pas à ce qu'il lui difoic de ia paffion , & ne confideroic toujours, en lui que la qualité du meilleur Ami du^ monde ^ fans lui vouloir faire l'honneur de prendre garde à celle d'xAmant.

Les Armées étant remiiès fur pied^^ tous les Princes y retournèrent , & le Prin- ce de Montpenfier trouva bon que fa fem- me s'en vint à Paris, pour n'être plus fi proche des lieux fe faifoic la guerre,. Les Huguenots aflîegerent la Ville de Por- tiers : le Duc de Guife s'y jetta pour la défendre , ôc il y fit des acftion.s qui fu&- tûienc feules pour rendre glorieufe un©^

ll(j R E C U E I I

ancre vie que la funne. Enfuice la baraiîlc de Moiiconrour le donna. Le Duc d'An- jou 3 après avoir pris Saint Jean d'Angely, tomba malade , & quitta en incme tcms TArmée , foit par la violence de ion mal, ioit par Tenvie qu'il avoic de revenir goû- ter le repos &c les douceurs de Paris , Ja prefence de la Piincelïède xMontpenfîer n'écoit pas la moindre raifon qui Ty atti- rât. L'Armée demeura fous le comman- dement du Piince de Alontpenfier ; & peu de rems après la paix étant faite , toute la Cour fe trouva à Paris. La beauté de la Princefiè effaça toutes celles qu'on avoic admirées j.irques alors. Elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de Ton efpric &c de la peifonne. Le Duc d'Anjou ne changea pas à Paris lesfenti- mens qu'il avoit conçus pour elleàCham- pigni. Il prit un foin extrême de le lui faire connoitre par tomes fortes de foins, prenant garde toutefois à ne lui en pas rendre des témoignages tropéclatans, de peur de donner de la jalouhe au Prince fon mari. Le Duc de Guife acheva d'en devenir violemment amoureux; & vou- lant par plufieurs raifons tenir fapafîion cachée , il (z réfolut de la lui déclarer d'a- bord , afin de s'épargner tous ces com- mencemens qui font toujours naître le bruit & l'éclat. Etant un jour chez la Rei- ne

DE Pièces Galantes: 217 ne à une heure il y avoit crcs-peu de monde , la Reine s'éranc recirce pour par- ler a'atfaireavec L Cardinal de Lorraine, la Princelîe de Montpenfier y arriva. Il fe rcfoluc de prendre ce momenr pour lui parler ; & s'approchanc d'elle : Je vais vousfurprendre , Madame, lui dit-il;, ôc vous déplaiie , en vous apprenant que j'ai toujours confervé . cette pafljon qui vous a été connue autrefois , mais qui s'eft Cl fort augmentée en vous revoyant, que ni votre feverité , ni la haine de Monfieur le Prince de Montpenfier , ni la concurrence du premier Prince du Royaume , ne fçauroient lui ôcer un mo- ment de la violence. Il auroit ëcé plus refpedbueux de vous la faire connoître par mes actions j que par mes paroles; mais. Madame , mes adions l'auroient appriie àd'autres aufli-bien qu'à vous , Se jefou- haite que vous fçachiez feule que je fuis affez hardi pour vous adorer. LaPrinceiîe fut d'abord (1 dirprife & fi troublée de ce difcours , qu'elle ne fongea pas à Tinter- rompre ; mais enfuite étant revenue à el- le } &c commençant à lui- répondre , le Prince de Montpenfier entra. Le trouble & l'agitation étoient peints fur le vifage de la Princefiè : la vue de fon mari l'ache- va del'embairalîer j de forte qu'elle lui en laifiaplus entendre, que le Duc de Guile K vj Ht

%iS Recueil

ne lui en venoic de dire. La Reine fortîe de Ion cabinet , 6c le Dac ie reciia pour gueiii" la jaloufie de ce Prince. La Prin- celTe de Moncpenfier crouva le foir dans refpric de Ion mari coût le chagrin imagi- nable : il s'emporta contre elle avec aes violences épouven^ables , & lui dcfendic déparier jamais au Duc de Guife. Elle ie retira bien crifte dans Ton appartement > & bien occupée des avanturcs qui lui croient arrivées ce jour-là. Le jour fui- vant elle revit le Duc de Guile chez la Reine y mais il ne l'aborda pas , ôc fe con- tenta de fortir un pcuaprès elle , pour lui faire voir qu'il n'y avoir que faire quand elle n'y étoit pas. Il ne fe palfoit point de jour qu'elle ne reçut mille marques ca- chées de la pafîion de ce Duc , fans qu'il cifayât de lui en parler , que lorfqu'il ne pouvoir être vu de perfonne. Comme elle étoic bien perfiudéede cette paflion, clic commença > nonobftant toutes les rcfolu- tions qu'elle avoit faites àChampigni, à fèntir dans le fond de Ton cœur quelque chofe de ce qui y avoit été autrefois. Le Duc d'Anjou de fon côté n'oublioit rien pour lui témoigner fon amour en tous les lieux il la pouvoir voir^ Se il la fui- voit continuellement chez la Reine fa mère. LaPrinceiTèfa foeur, de qui il étoic aimé , en écoit traitée avec une rigueur

capable

DE Pi ECEs Galantes, ii^ capable de gueiiu coace autre paflion que la fienne. On dccouvric en ce tems-ià que cecre Piincelle , qui fut depuis Keine de Navarre , eu: quelque aucachemenc poui- le Duc de Guiie y 6c ce qui le fi- dé^ couvrir davantage , fut le refroidilîèment qui parut du Duc d'Anjou pour le Duc de Guife. La Princeife de iMontpen(iLr ap- pitcecte nouvelle ^ qui ne lui fut pas in- ditîcrente^ Ôc qui lui fit len i. qu'elle pre- Doit plus d'intérêt au Duc de Guife qu'elle ne penfoic. Monfieur de Montpenfierj fon Beau- père , époufant alors Made- moiielle de Guife, fœur de ce Duc 3 elle écoit contrainte de le voir foiivenc dans les lieux les cérémonies des Noces les ap- pelloienc l'on & l'autre. La Princelïc de Monrpenfier ne pouvant plus fouffrir qu'un homme que toute la France croyoic amoureux de Madame, ofàt lui dire qu'il l'étoic d'elle ; Sc fe Tentant ofFenfée , & quafî affligée de s'être trompée elle-mê- me , un jour que le Duc de Guife la ren- contra chez fa fœur un peu éloignée des autres , 3c qu'il lui voulut parler de fa paiîion , elle l'interrompit brufquemenc, ôc lui die d'un ton de voix qui marquoic fa colère : Je ne comprens pas qu'il faille fur le fondement d'une foiblelftdont on a été capable à treize ans, avoir l'audace de faire L'amoureux d'une perfonne com-

fiie

t'io Recueil

me moi , Se far tout quand on Tefl: d'une autre à la vue de coure la Cour. Le Duc de Guife qui avoir beaucoup d'elpric , de qui étoic forr amoureux , n'eut befoin de confulter perfonne , pour enrendre tout ce que fignifioient les paroles de la Prin- celle. Il lui répondit avec beaucoup de rcfpe6t : J'avoiic, Ma lame , que j'ai eu tort de ne pas méprifer Phonneur d'être Beau-frere de mon Roi , plûcôt que de vous lailïer (oupçonricr un moment , que }e pouvois deh.er un autre cœur que le vôcre j mais (i vous voulez me faire la grâce de m'écouter , je fuis ailli é de me juftifier auprès de vous. La Princelfe de Montpenlier ne répondit point , mais elle ne s'êtoigna pas ; ôc le Duc de Guife voyant qu'elle lui dunnoit l'audience qu'il fouhaitoit , lui apprit que fans s'ctie atti- ré les bonnes grâces de Madame par au- cun loin , elle l'en avoit honoré; & que n'ayant nulle pallion pour elle , il avoit très-mal répondu à Thonneur qu'elle lui faifoit 5 ju(ques à ce qu'elle lui eût donné quelque epjrance de l'cpoufcr. Qu'à la veriré la gra idcur ce mariage pouvoit rélever , l'avoit obligé de lui rendre plus de devoirs ; &: que c'étoit ce qui avoit donné lieu au foupçon qu'en avoit eu le Roi & le Duc d'Anjou ; que l'oppofition de l'un ni de lautre ne le difTiiadoient pas

de

DE Pièces Galantes. 25 î de Ibn defïein ; mais que fi ce cîeiTein lui déplailoic , il Tabandonnoic dès Theure mcme ;, pour n'y penfer de fa vie. Le fa- cnfice que le Duc de Guife faifoit à la Princeflè , lui hc oublier route la colère avec laquelle elle avoir commencé de lui parler. Elle changea de dilcourSj, ôc fe mit à l'entretenir de la foiblefre qu'avoic eue Madame de l'aimer la première, ÔC de i'avanrage confiderable qu'il recevroic en l'époufanr. Enfin , fans rien dire d'o- bligeant au Duc de Guife , elle lui fit re- voir mille chofes agréables , qu'il avoit trouvées aucreFois en Mademoifelle de Meziere. QUoi qu'ils ne ie fulfent point parlez depuis long-tems y ils fe trouvèrent' accoutumez l'un à l'autre j Se leurs cœurs fe remirent ailèment dans im chemin qui ne leur écoit pas inconnu. Ils finirent cet- te agréable converfation , qui lai(ïa une fenfible joye dans l'efprit du Duc de Gui- fe. LaPrincelïen'eneût pas une petite;, de conncitre qu'il i'aimoit véritablement. Mais quand elle fut dans Ton cabinet, quelles reflexions ne fit-elle point fur la honte de s'être laiifé fléchir fi aifém^enc aux excufes du Duc de Guife ? Sur l'em- barras où elle s'alloit plonger , en s'enga- geant dans une chofe qu'elle avoit regar- dée avec tant d'horreur;, & fur les effroya- bles malheurs , ou la jaloufie de fon mari

la

la pouvoir jecter. Ces penfées lui firent faire de nouvelles réfolurions y mais qui fe didîperenc des le lendemain par la vue du Duc de Guife. Il ne manquoic point de lui rendre un compre exact de ce qui fe pafïoit encre Madame ôc lui. La nouvelle alliance de leurs Maifons lui donnoitoc- cafion de lui parler fouvenr. Mais il n'a- voir pas peu de peine à la guérir de laja- loufie que lui donnoir la beauë de Ma- dame , contre laquelle il n'y avoir poinc de ferment qui la pur ralfûrcr. Ce:te ja- loufie fervoic à ia Princellè de Montpen- /ler à défendre le refte de Ton cœur contre les foins du Duc de Gui(e, qui en avoir déjà gdgnè la plus g'ande partie. Le ma- riage du Roi avec la FiHe de TEmpereur Maximilien remplit la Cour de fèces ôC de réjoùiirances. Le Roi fit un Ballet, ouj danfoic Madame <îk: toutes les Princefies : la PtincelFedc VIontpetiGer pouvoit feule luidifpuer le prix de ia beauté. Le Duc d'Anjou danioic une Encrée de Maures : èc le Duc de Guife , avec quatre autres ^ ctoit de fon Entrée. Leurs habits é: oient tous pareils ^ comme le font d'ordinaire les habits de ceux qui danlent une même Entrée La première fois que le Ballet le danfa:) le Duc de Guife :, devant que de danfer , n'ayant pas encore fon mafque > dit quelques mots en paûant à la Prin-

ceir&

BE Pièces Galantes. 25 j cefle de Moncpenfier : elle s'apperçûc bien que le Prince fon mari y avoir pris garde , ce qui la mie en inquiétude. Quel- que-tems après , voyant le Duc d'Anjoa avec fon mafque ôc fon habit de Maure, qui venoit pour lui parler , troublée de fon inquiétude , elle crût que c'étoit en- core le Duc de Guife^ ôc s'approchanc de lui : N'ayez des yeux ce foir que pour Madame, lui dit-elle, je n'en ferai poinc jaloufe 5 je vous l'ordonne : on m'obfer- ve , ne m'aprochez plus. Elle fe retira fi-tôt qu elle eut achevé ces paroles. Le Duc d'Anjou en demeura accablé comme d'un coup de tonnerre. Il vit dans ce mo- ment qu'il avoir un Rival aimé : Il com- prit par le nom de Madame ^ que ce Rival étoic le Duc de Guife ; ôcilne pût douter que la Princeffe fa fœur ne fôt le faciifice qui avoit rendu laPrincelfe de Moncpen- ner favorable aux yeux de foru Rival. La jaloLifie , le dépit (3c la rage fe joignant à la haine qu'il avoit déjà pour lui , firent dans fon ame tout ce qu onpeuc imaginer de plus violent , & il eût donné fur l'heure quelque marque fanglance de fon defef. poir , fi la difîimulation , qui lui étoic naturelle , ne fût venue à fon fecours , &: ne l'eût obligé par des raifons puilTan- tes , en l'érat qu étoient les chefes , à ne rien entreprendre contre le Duc de Guife.

U

254 Recueil

Il ne pût toutefois fe reFufèile plaî/îrcîè luiappren Ire qu'il fçavoit le iecret de Ton amour j Se l'abordan! en fortant de la Salle l'on^voic danié : c'eft trop , lui dit-il^ cVofeu lever les yeirx jufques à ma Sœur, & de m'ôcer ma Maîtrelfe: la confîJera- tion du Roi m'empcche d'éclater ; mais fouvenez-vous que la pe te de votre vie fera peut-être la moindre chofe donc je punirai quelque jour votre témérité. La rtercé du Duc de Guiic n'écoit pas accoû- mée à de telles menaces ; il ne pût néan- moins y répondre , parce que le Roi , qui fortoic en ce moment ^ les appella tous deux j mais elles gravèrent dans Ton ame' un de(îr de vangeance , qu'il travailla tou- te fa vie à iatisfaire. Dès le même foir le Duc d'Anjou lui rendit toutes fortes de mauvais offices auprès du Roi : il lui per- fuada que jamais Madame ne confenti- roit d'être mariée avec le Roi deNavarre , avec qui on propofoit de la marier , tant que l'on fouffriroit que le Duc de Guife l'approchât j de qu'il étoic honteux de fouffrir qu'un de Tes fujets , pour fatis- faire à fa vanité , apportât de l'obflacle à une chofe qui devoit donner la paix à la France.

Le Roi avoit déjà afîez d'aigreurcontre le Duc de Guife : ce difcours l'augmenta Cl fort , que le voyant le lendemain com- me

DE PiEcës Galantes, i^^ me il fe piefentoit pour enrrer au Bal chez la Reine , paie d'un nombre infini de pierreries ; mais plus paré encore de Ta bonne mine ^ il (e mit à i'entrce de la por- te , & lui demanda bruiquement il alloic. Le Duc , lans s'étonner lui die ^ qu'il venoit pour lui rendre les très-hum- bles 1er vices ; à quoi le Roi répliqua qu'il n'avoic pas befoin de ceux qu'il lui ren- doic j fe ^tournant fans le regarder. Le Duc de Guile ne laiilà pas d'entrer dans la Salle , outré dans le cœur & contre le Roi , de contre le Duc d'Anjou. Mais fa. douleur augmenca fa tierce naturelle j &C par une manière de dépit , il s'approcha beaucoup plus de Madame qu'il n'avoic accoutumé , joint que ce que lui avoit die le Duc d'Anjou de la Princelfede Monc- penfier , l'empêchoit de jetter les yeux fur elle. Le Duc d'Anjou les obfervoic ibi- gneufement l'un &c l'autre : les yeux de cette Princeiîè laifîoient voir malgré elle quelque chagrin, lorfque le Duc de Guife parloir à Madame. Le Duc d'Anjou;, qui avoit compris par ce qu'elle lui avoit dit, en le prenant pour Monfieur deGuife, qu'elle avoir de la jaloufie ,>fpera de les brouiller ; dc fe mettant auprès d'elle: c'ed pour vorre intérêt , Madame, plu- tôt que pour le mien , lui dit-il 5 que je m'en vais, vous apprendre que le Duc de

Guife

13^ Recueii

Guife ne mérite pas que vous l'ayez choi- f\ à mon préjudice. Ne m'interrompez point :, je vous pric;, pour me dire le con- traire d'une vérité que je ne fçai que trop. Il vous trompe , Madame , Ôc vous facri- fie à ma Sœur , comme il vous Ta facri- fiée. Ced: un homme qui n'eft capable que d'ambition ; mais paifqu'il a eu le bonheur de vous plaire , c'eft aflfezi je ne m'oppoferai point à une fortune que je meritois Tans doute mieux que lui j je m'en rendrois indigne , fi je m'opiniâtrois davantage à la conquête d'un cœur qu'un autre pofTede. Celî; trop de n'avoir pu attirer que votre indifférence ; je ne veux pas y faire fucceder la haine, en vous im- portunant plus long-tems de la plus fidel- ie paflion qui fut jamais. Le Duc d'An- jou , qui écoit efFedivemenc couché d'a- mour ôc de douleur , put à peine achever ces paroles j & quoiqu'il eut commencé fon difcours dans un efprit de dépi: & de vengeance , il s'attendrit en considérant la beauté de la Princelîe, Ôc la perte qu'il faifoic en perdant l'efperance d'en être aimé. De forte que fans attendre fa ré- p")nfe , il fortit du Bal , feignant de fe trouver mal , de s'en alla chez lui rêver à fon malheur. LaJPrincelïè de Montpenfiec demeura affligée Se troublée :, comme on fc le peut imaginer. Voir fa répucâcion &

Je

DE PïECEs Galantes. 257

le fecrec de fa. vie encre les mains d'un Prince qu'elle avoir maltraité, & appren- dre par lui 5 fans pouvoir en douter, qu'elle étoit trompée par fon Amant, ctoicnt des chofes peu capables de lui laif- {er la liberté d'efpric que demandoic un lieu deftiné à la joye. Il falut pourtant demeurer en ce lieu, ôc aller fouper en fui- te chez la DuchelTe de Mont;penfier Belle-mere , qui l'emmena avec elle. Le Duc de Guife qui mouroic d'impatience de lui conter ce que lui avoir dit le Duc d'Anjou le jour précèdent , la fuivit chez fa Sœur. Mais quel fut fon étonnement, lorfque voulant entretenir cette belle Prin- cefîè ? Il trouva qu'elle ne lui parloir que pour lui faire des reproches épouvanta- bles ; & le dépit lui faifoit faire ces repro- ches fi confufément y qu'il n'y pouvoir rien comprendre , finon qu'elle l'accufoic d'infidélité &: de trahifon. Accablé de de- fefpoir de trouver une fi grande augmen- tation de douleur:, il avoic efperé de fe confoler de tous fes ennuis , & aimant cet- te Pr in cède avec une pafiîon qui ne pou- voit plus le laifTer vivre dans l'incertitu- de d'en être rimé :, il fe détermina tout d'un coup. Vous ferez fatisfaite , Mada- me 5 lui dit-il : je m'en vais faire pour vous ce que toute la puilfance Royale n'auroic pu obtenir de moi : il m'en coû- tera

13S Recueil

tera ma fou:iine ; mais c'eft peu de chofc pour vous facisfaire. Sans demeurer da- vantage chez la DachelTe la Sœur , il s en alla rroLiver à l'heure mcine les Cardi- naux Tes Oncles 5 6z fur le prerexcc du mauvais traicemenc qu il avoic reçu du Roi , il leur fie voir une Ci grande neceilî- pour la fortune à faire parokre qu'il n'avoic aucune penfée d'époufer Mada- me j qu'il les obligea à conclurre fon ma- riage avec la Princelle de Portien , duquel on avoic dcj à parlé. La nouvelle de ce ma- riage fut aufîi-tôc fçûc par tout Paris. Tout le monde fut furpris , &c la Princelîe de Montpenfier en fut touchée de joye &C de douleur. Elle fut bien aife de voir par- le pouvoir qu elle avoic fur le Duc de Guife ; & elle fut fâchée en même-tems de lui avoir fait abandonner une chofe auflî avanrageufe que le mariage de Ma- dame. Le Duc de Guife qui vouloic au moins que l'Amour le recompenfât de ce qu'il perdoic du côté de la fortune , preflà la Princelle de lui donner une audience particulière, pour s'éclaircir des reproches injuftes qu elle lui avoic faits. Il obtint qu'elle fe trouveroit chez la Ducheflè de MoncpenGer fa Sœur , à une heure que cette Ducheflè n'y feroic pas , & qu'il pourroic l'entrecenir en particulier. Le Duc de Guife eue la joye de fe pouvoir

jetter

DE Pièces Galatïtis. 23^ jetter à les pieds , de lui parler en iibené de fa pafTion , & de lui dire ce qu'il avoic iouffeic de Tes foupçons. La Piincefle ne pouvoir s'ôceL" de refpric ce que lui avoic die le Duc d'Anjou 3 quoique le procédé du Duc de Guiie la dût encieremenc rafl'û- rer. Elle lui apprit le jufte lujec quelle avoic de croire qu'il l'avoic trahie , puiC. que le Duc d'Anjou içavoit ce qu'il ne pouvoir avoir appris que de lui. Le Duc de Guile ne fçavoic par fe deffendre, & étoit aufli embarralFé que laPrincelfe de Moncpenlier , à deviner ce qui avoir pu découvrir leur intelligence. Enfin dans la fuirc de leur converfarion ;, comme elle lui remonrroir qu'il avoir eu torr de précipi- ter fon mariage avec la PrincelTe de Por- tien , & d'abandonner celui de Madame, qui lui écoir fi avantageux , elle lui die qu'il pouvoir bien juger qu'elle n'en eût eu aucune jaloufie ^ puifque le jour du Baller, elle-même l'avoir conjuré de n'a- voir des yeux que pour Madame. Le Duc de Guife lui dir qu'elle avoir eu intenrion de lui faire ce commandement ; mais qu'aiTûrémenr , elle ne lui avoir pas fait. La Princelïe lui foûtinr le conrraiue. Enfin à force de difpurer & d'approfondir , ils trouverenrqu il falloir qu elle fe fur trom- pée dans la reiFemblance des habits , & qu elle-même eût appris au Duc d'Anjou ,

ce

14^ Recueil

ce qu elle accufoic le Duc de Guife de lui avoir appuis. Le Duc de Guife qui étoic prefque juftifié dans fon efprit par Ton mariage , le fut entièrement par cette con- veifation. Cette belle Princelfe ne pût re- fufer fon cœar à un homme qui Tavoic pofFedé autrefois , &: qui venoit de touc abandonner pour elle. Elle confentit donc à rccevoit fcs vœux ^ & lui permit de croi- re qu'elle n'étoic pas infenfible à fa paf. fion. L'arrivée de la Ducheife de Mont- penfîer , fa Belle- merc finit cette conver- fation ) 5c empêcha le Duc de Guife de lui faire voir les tranfports de fa joye. Quel- que-tems aprèsj) la Cour s'en allant à Blois, la Princelle de Montpenfîer la fuivic, le mariage de Madame avec le Roi de Navarre y fut conclut. Le Duc de Guiie ne connoifïanc plus de grandeur ni de bonne fortune , que celle d'être aimé de la Princelfe, vit, avec joye , la concludon de ce mariage , qui l'auroit comblé de dou- leur dans un autre tems. Il ne pouvoir biet^acher fon amour 3 que le Prince de Montpenfîer n'en entrevît quelque chofe , lequel n'étant plus maître de fa jaloufie, ordonna à la PrinceiTe fa femme de s'en aller à Champigni. Ce commandement lui fut bien rude ; il fallut pourtant obéir. Elle trouva moyen de dire adieu en par- ticulier au Duc de Guife 5 mais elle fe

trouva

DE Pièces Galantes. 241

troura bien embarrafFce à lui donner des moyens lûrs pour lui écrire. Enfin , après avoir bien cherché , elle jecra les yeux fur le Gomte de Chabanes , qu'elle renoir tou- jours pour Ton Ami , fans confiderer quil étoic fon Amanc. Le Duc de Guife qui iça- voie à quel point ce Comce écoitami du Prince de Moncpenfier j fur épouvanté ■qu'elle le choidc pour fon Confident ; mais elle lui rcpondic fi bien de fa fidélité, qu elle le lalfùra : il fe fepara d'elle avec tou:e la douleur que peut caulei l'ablence d'une perfonne que l'on aime paflîonné- ment. Le Com;e de Chabanes qui avoic cté toû|ours malade à Paris , pendant le fêjour de la Princelfe de Mon.penfier à Blois , fçacharjt qu'elle s'en alloic à Cham- pigni , la fut trouver fur le chemin pour s'en aller avec elle. Elle lui fit mille ca- relfes & mille amitiez , de lui témoigna une impatience extraordinaire de s'entre- tenir en particulier , donc il fut d'abord charme. Mais quel fut fon étonnemenc& fa douleur , quand il trouva que cette im- patience n'alloit qu'à lui conter qu'elle €toit paHionncment aimée du Duc de Gui- ie , & qu'elle l'aimoit de la même forte? Son éronnement 6c fa douleur ne lui per- mirent pas de répondre. La Princelîèqui ëtoit pleine de fa paflion ^ & qui trouvoit \m fbulagemenc extrême à lui en parler , Tg?}ic II L L ne

14t R E C V E I L

ne prie pas garde à fon filence , ôc Ce mit à lui conter jufquçs aux plus petites cir- conftances de fon avamuie. Elle lui dit, comme le Duc de Guife de elle , croient convenus de recevoir par fon moyen les lettres qu'ils dévoient s'écrire. Ge fut le dernier coup pour le Comte de Chaba- iieSj de voir que fa Maîtrefïè vouloir qull fervît fon Rival , & qu'elle lui en faifoic la propofition , comme d'une chofc qui Jui devoir être agréable. Il étoit fi abio- 'lument maître de lui-même, qu'il lui ca- cha tous fes fencimens : il lui témoigna feulement la furprife , il étoit de voie icn elle un Ci grandchangement. Il efpera d'abord que ce changement , qui lui ôtoic toutes efperanccs, lui ôteroit auflî toute fa paffion j mais il trouva cette Princelîè Ci charmante , fa beauté naturelle étant en- core beaucoup augmentée par une certai- ne grâce que lui avoir donné l'air de la Cour y qu'il fenric qu'il l'aimoir plus que jamais. Toutes les confidences qu'elles lui faifoic fur la tcndreiïè & fur la délica- tcfïc de fcs fentimens pour le Duc de Gui- fe , lui faifoienc voir le prix du cœur de cette Princelîè , & lui donnoient un defir 4e le pofïèder. Comme paflion étoit la plus extraordinaire du monde , elle pro- dmCiz l'effet du monde le plus extraordi- naire j car elle le fie rcfoudre de porter à

fa

DE Pièces Galantes. 24; fa Maîtrciîè les Lettres de Ton Rival, L'abfence du Duc de Guife donnoic un chagrin mortel à la PrincelTe de Monc». penfier ; Ôc n'erperanr du foulagemenc que par Tes Lettres , elle tourmentoic in- ceiîamment le Comte de Ciiabanes pour içavoir s'il n'en recevoir point , & fe pre- noit quaiî à lui de n'en avoir pas alïez-ror. Enfin , il en reçût par un Gentil-homme du Duc de Guife , de il les lui apporta à l'heure même , pour ne lui rerarder pas fa joye d'un moment. Celle qu'elle eut de les recevoir fut extrême. Elle ne prit pas le foin de la lui cacher , Ôc lui fit avaler à long traits tout le poifon imaginable , en lui Hfant ces Lettres, & la réponfe rendre & galante qu'elle y faifoit. Il porta cette réponfe au Gentilhomme avec la même iîdelicé , avec laquelle il avoit rendu la Lettre à la Princelfe ; mais avec plus de douleur. Il fe confola pourtant un peu, dans la penlce que cette Princeiîè feroic quelque réflexion , fur ce qu'il faifoit pour elle 5 & qu'elle lui en tcmoigneroit de la ieconnoiilance. La trouvant de jour en jour plus rude pour lui , par le chagrin qu'elle avoit d'ailleurs , il prit la liberté de la fupplier de penfer un peu à ce qu'elle lui fâiioit fouffrir. La Princedc qui n'avoir dans la tête que le Duc de Guife , ôc qui ae trouvoit que lui feul digne deTadorer , L ij îrouva

J.44 Recueil

tiouva Cl mauvais qu'un autre que lui o(ac penler à elle, qu'elle maltraira bien plus le Comte de Chabanes en cette occalîon , qu'elle n'avoit fait la première fois qu'il {ui avoir parlé de Ton amour. Quoique fa palîion , aufli-bien que fa patience , fut extrême &: à toutes épreuves , il quitta la PrincelTc , &c s'en alla chez un de (es Amis dans le voifînage de Champigni , d'où il lui écrivit avec toute la rage que pouvoir caufer un Ci étrange procédé ; mais néan- moins avec tout le refpeâ: qui étoit à {a qualité; &:par fa Lettre, il lui difoitun éternel adieu. La Piinceflc commençai fe repentir d'avoir fi peu ménagé un hom- me fur qui elle avoir tant de pouvoir ; & ne pouvant Ce refoudre à le perdre , non ieulement à cauie de l'amiric qu'elle avoir pour lui y mais auflî par l'intérêt de Con amour , pour lequel il lui étoit tout -à- fait recelïaire , elle lui manda qu'elle vouIoîe ablolument lui parler encore une fois ,& saprès cela , qu'elle le laiiîoît libre de faire ce qu'il lui plairoit. L'on eft bien foible quand on eft amoureux. Le Comte revint, èc en moins d'une heure , la beauté de la Princeife de Monrpenfier , Ton efprit, ôc quelques paroles obligeantes , ie rendirent plus fournis qu'il n'avoit jamais été; & il lui donna même des Lettres du Duc de Guife, ou'il venoit de recevoir. Pendant

CE Pièces Galant e$, 24^ ce tems , l'envie qii*on eut à la Cour d'y faire venir leT Chefs du Parti Huguenor , pour cet horrible delîèin qu'on exécuta le jour de ia Saint Barthélémy y fit que le Roi , pour les mieux tromper, éloigna de lui tous les Princes de la Maifon de Bour- bon , ôc tous ceux de la Maifon de Guifè, Le Prince de Montpen(îer retourna à Champîgni , pour achever d'accabler la Princefîè fa femme par fa prefence. Le Duc de Guife s'en alla à la Campagne, chez le Cardinal de Lorraine fon Oncle* L'amour ôi Toifiveté mirent dans fon ef. prit un fi violent defirde voir la Princeile de Montpenfier , que fans confiderer ce qu'il hazardoit pour elle ôc pour lui , feignit un voyage ; ôc lailfant tout fon train dans une pente Ville , il prir avec lui cefcul Gentilhomme, qui avoit déjà fait: plufieurs voyages à Champigni, ôc ils^ en alla en pofte» Comme il n'avoir point d'autre adrclTe , que celle du Comte de Chabanes j, il lui fit écrire un billet par ce même Gentilhomme, par lequel ceGendU homme le prioit de le venir trouver en un lieu qu'il lui marquoit. Le Comte de Cha- banes croyant que c'étoit feulement pour ïccevoir des LertresduDucdeGuife,! alla; trouver ;. mais il fut extrêmement furpris> quand il vit le Duc de Guife j, ôc il n'en fut pas moins affligé. Ce Duc , occupé de fori L iij defleiny

14^ R E C t7 E 1 L

deiïcin j ne prit non pKis garde à l'em bar- ras du Comte , que la PrincefTè de Mont- pen/îer avoir fait à fon Cilencc y loiTqu'ellc lui avoir conté Ton amour. Il fe mit à lui exagérer fa paflion , & à lui faire compren- dre qu'il mourroit infailliblement j s'il ne lui faifoit obtenir de la Princellè la per- jni/îionde la voir. Le Comte deChabanes lui répondit froidement , qu il diroit à cet- te PrincefTe tout ce qu'il îbuhaitoit qu'il lui dit , & qu'il viendroit lui en rendre léponfe. Il s'en retourna à Champigni , combattu de (ts propres fentimens ; mais avec une violence ^ qui lui ôtoit quelque- fois toute forte de connoiifance. Souvent il prenoit refolurion de renvoyer le Duc de Guife , fans le dire à la Princefïè de Montpenfîer ; mais la fidélité exade qu'il lui avoic promife, changeoit auflî-tôt Cz réfolutioD. Il arriva auprès d'elle fans fça- voir ce qu'il dévoie faire ; 6c apprenant que le Prince de Montpenficr étoit à la chalïè > il alla droit à l'appartement de la Prîncefïè , qui le voyant troublé , fit reti- rer aufîi-toc fes Femmes pour fçavoir le fujet de ce trouble. Il lui dit , en fe mo- dérant le plus qu'il lui fut poflible , que le Duc de Guife étoit à une lieue de Cham- pigni , & qu'il fbuhaitoit paflionnément de la voir. La Princeile fit un grand cri à cette nouvelle , ôc fon embarras ne fut

guère

DE Pièces Garant e's. 147 guère moindre que celui du Comte. Sort amoui" lui prefenta d'abord la joye qu'elle auroic de voir un homme qu'elle aimo^c Il tendiemenr. Mais quand elle penfk combien cette adlion étoit contraire à fk vercu i de qu elle ne pouvoic voir fort Amant , qu'en le faifant entrer la nuit chez elle , à l'inlçû de Ton mari , elle Ql trouva dans une extrémité épouvantable. Le Comte deChabancsattendoit iarépon- fe, comme une chofequi alloit décider de fa vie ou de la mort, jugeant de l'incertitu- de de la Princeiïè par Ton fîlence ^ il prit k parole , pour lui reprefenter tous les périls ou elle s'expoferoit par cette entre- vue. Et voulant lui faire voir qu'il ne lui tenoic pas ce difcours pour fes intérêts, il lui dit : Si après tout ce que je viens de vous reprefenter, Madame , votre paffiorî eft la plus forte , & que vous défiliez voir k DuG de Guîfe , que ma confideration ne vous en empêche point , Ci celle dt '?ocr« inteiêt ne le fait pas. Je ne veux point priver d'une fi grande fatisfadion une per- fonne que j'adore , ni être caufe qu'elle cherche des perfonnes moins fidèles que moi pour fêla procurer. Oui, Madame, fi vous le voulez ^ j'irai quérir le Duc de? Guife dès ce foir : car il eft trop périlleux: de le laifièr plus long-tems ou il eft , &: ja l'amènerai dans votre appartement. Mais L iiii par

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ommenc, inrerrompic la Pi'in- Madame , s'ccria le Comcc> .: , puilque vous ne dcliberez ir les moyens. Il viendra;, Ma- li ttireux Amanc^ je Tame- ~ . ^:c : donnez ordre feiile- c de vos Femmes , à qui vous ^ plus , qu elle baiife précile- nuit lepetic Ponr-levis,qai don- e Anci-chambre dans leParter- vous inquiecez pas du refte. En :es paroles j, il k leva , & fans aucre confentemen: de la Prin- loncpenlîer , il remonta à che- : trouver le Duc de Guile qui : avec une impatience extrême. Pu dîede Montpenhcr demeura Ci qu'elle Fut quelque tems fans c le. Son premier mouvement re rappeller le Comte de Chaba- , . .. lui défendre d'amener le Duc ; mais elle n'en eut pas la force, a que fans le rappeller , elle n'a- ne point faire abailfei le Pont : qu'elle continueioit dans cette 1. Quand l'heure de Taflignarion '- , elle ne put relifter davantage devoir un Am?' 'elle c o-- une cl

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parteracnt. Cependant . Comte de Chai>ancs .. Champigni ; mais ians :. rent. Le Duc abani:^-- joyc 6c 2 tour ce c , àe plii^ '

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par & commenc, inrerrompic la Pi'fn- cclfe. Ha 1 Madame , s'écria le Comte > c'en cft fait , puifque vous ne délibérez plus que fur les moyens. Il viendra;) Ma- «lame , ce bienheureux Amante je Tame- nerai par le Parc : donnez ordre feule- ment à celle de vos Femmes , à qui vous vous fiez le plus 5 qu'elle bailTe préciié- ment à minuit lepetir Pont-levis, qui don- ne de votre Anti-chambre dans le Parter- re , & ne vous inquierez pas du refte. En achevant ces paroles p il le leva , &c fans attendie d'autre con lentement de la Prin- cciîè de Montpenfier ^ il remonta à che- val Ôc vint trouver le Duc de Guife qui î'attendoic avec une impatience extrême, La Princelfe de Montpenfier demeura Ci troublée j qu'elle fut quelque tems fans revenir à elle. Son premier mouvement fut de. faire rappeller le Comte de Chaba- nes, pour lui défendre d'amener le Duc de Guife^ niais elle n'en eut pas la force* Elle penfa que fans le rappeller , elle n'a- voit qu'à ne point faire abaiirer le Pont : elle crût qu'elle continueioit dans cette réfolution. Quand l'heure de l'aflignacion approcha , elle ne put rehfter davantage à l'envie de voir un Amant qu'elle croyoic fi digne d'elle , &c elle inftruifit une de fes Femmes de tout ce qu'il falloit faire pour introduire le Di^c de Guife dans fon ap»-

parte-

DE Pli CBS GALANres. 245^ partemenr. Cependant ^ & ce Duc ôc \& Comte de Chabanes appiochoient de Champigni ; mais dans un état bien diffé- rent. Le Duc abandonnoit ion aiT>e à \^ joye &c à tout ce que l'efperance infpire- àe plus agréable , & le Comre s'abandon- noit à un defeipoir êc à une rage qui le pouffèrent mille fois à donner de ion épée" au travers du corps de Ton Rival. Enfin y ils arrivèrent au Parc de Champigui , oi* ils laifïerent leurs chevaux à TEcuyer dus Duc de Giiife, 6c palfant par des brèches- qui étoient aux mui ailles, ils vinrent dans^ le Parterre. Le Comte de Chabanes aïs milieu de Ion defefpoir avoit toujours; quelque efperance , que la raifon revien-- droit à la Princelïè de Montpenfier y ÔC qu'elle prendroit enfin la réiolution de ne^ poinr voir leDucdeGuii'e. Quand il vitcer pecitPonr abaiiîe 5 ce fut alors qu'il ne pur douter du conrraire y ôc ce fut auffi alors^ qu ii fut tout prêt à fe porter aux derniè- res excrémitez. Mais venant à penfer que: s'il falloir du bruit , il feroir oui apparem- ment du Prince de Montpenfier ,■ donc l'Appartement donnoic fur le même Par- terre , ôc que tout ce defordre tomberoic enfuite fur la perfonne qu'il aimoic le plus j fa rage le calma à l'heure même > 5c il acheva de conduire le Duc ds Guife aux. |)ieds-de fa Princelle. Il ne pût fe rjefoudre-

L Y ai

l^<y R E c 17 E r £

à être tcmoin de leur converfacion , quoi* que la Princellè lui tcmoignâc le fouhai- ler, 6c qu'il l'eût bien (ouhairé lui-même. Il fe retira dans un petit pailage :, qui étoic du côté de l'Appartement du Prince de Monrpenfier, ayant dans Telpric les plus trilles penfces qui ayent jamais occupe refprit d'un Amant. Cependant quelque peu de bruit qu'ils euflfent fait en palTanc îiir le Pont, le PrincedeMontpen(ier,qui par malheur étoit éveillé dans ce mo- ment , l'entendit , ôc fit lever un de fcs V^alets de Chambre ^ pour voir ce que c é:oîr. Le Valet de Chambre mit la tête a la fenêtre , & au travers de l'obrcurité de la nuit ;, il appercut que le Pont étoit abailfé ; il en avertit fon Maître , qui lui commanda en même-tems d'aller dans le Parc voir ce que ce pouvoit être. Un mo- ment après il le leva lui-même , étant in- quiété de ce qu'il lui fembloit avoir oijI marcher quelqu'un , de il s'en vint droit à i'Apparrement de la Prînceiîè fa femme,, qui répondoic fur le Pont. Dans- le mo- ment qu'il approchoit de ce petit pafïàge éroit le Comte de Chabanes , la Prin- ceile de Aionrpenlier qui avoir quelque honte de trouver ieulc avec le Duc de Guife , pria pluiieurs fois le Comte d'en- rrer dans fa Chambre : il s'en excuia toû- joars y ôc comme eiie l'en pietlbicdavan-

î)E Pièces Gaiantïs. 251 rage , poifedé de rage ôc de fureur, il lui répondit fi haac , qu il fut oiii du Prince de Montpenfier j mais fi confufémencque ce Prince entendit feulement la voix d'un homme, fans diftinguer celle du Comte»- Une pareille avanrure eût donné de Tem- porrement à un efprit & plus tra-nquUle' ôc moins jaloux. Aulli mit- elle d abord Pexcès de la rage & de la fureur dans ce- lui du Prince : il heurra auffî-rôt à la por- te avec impecuofiré , & criant pour fe fai- re ouvrir, il donna la pluseruelie fcirpri- fe du monde à la Princelfe , au Duc de' Guile , & au Comte de Chabanes. Le der- nier entendant la voix du Prince , com- prit d'abord qu^il étoit impolîible de l'em^- pécher de croire qu'il n'y eut quelqu'nt? dans la Chambre de la Priilcefîê fa fem- me : & la grandeur de fa paflion lui mon- trant en ce moment , que s'il y trouf oie le Duc de Cuife , Madame de Montpçn- fier auroit la douleur de le voir tuer à fês« ycuxj, êc que la vie même de cette Prin- eeile ne feroit pas en ftvretc, il fe refolue" pat une gcnerofiré fans exemple, de s'ex- pofer pour fauver une Maîrreiîè ingrate: êc un Rival aimé. Pendant que le Prince de Montpenfier donnoit mille coups à \^ porte , il vint au Duc de Guife , qui se Içavoit quelle refolucion prendre;, éc'û le sait enrxe les mains- de Getc^'-Femn:tôdr L vj^ Mïdai^s:

1^1 R E c tr E r r

Madame de Mon tpen fier j, qui l'avoic fait entier par le Pont , pour le faire forcir pac le même lieu , pendant qu'il s expofcroit à la fureur du Prince. A peine le Duc écoic hors de l'Antichambre 3 que le Prince ayant enfoncé la porte du palfage, entra dans la Chambre comme un homme pof. fedé de fureur , & qui cherchoit fur qui la faire éclater. Mais quand il ne vie que le Comte de ChabaneSi& qu'il le vie im- mobile ^ appuyé fur la table, avec un vi- fage la triftede étoit peinte, il demeu- ra immobile lui-même j. 6c la furpiifè de trouver , & feul & la nuit dans la Cham- bre de fa femme , l'homme du monde qu'il aimoit le mieux, le mie hors d'état de pou- voir parler. La Princelîe étoit à demi éva- jiolîie fur des carreaux , & jamais peut- être la Fortune n'a mis trois perlonnesen des états pitoyables. Enfin, le Prince de Î^Iontpenfisr qui ne a'oyoit pas voir ce c^u il voyoit : & qui vouloit démêler ce cahos , ou il venoit de tomber , adrefîanc la parole au Comte j d'un ton qui faifoiD Toir qu'il avoit encore de l'amitié pout lui ; Que vois- je :> lui dit-il ? Eft-ceune il- lufion ou une vérité ? Ell il poflible qu'un " homme que j'ai aimé (i chèrement, choi- fille ma femme entre toutes les autres femmes pour la féduire ? Et vous, Mada- me, dic-il i à la Princelïè^ en fe tournanc

de

Ds Pièces Galantes. 2^5 de fon côté , n'ccoic-ce point aflèz de m' 6* ter votre cœur ik mon honneur , fans m'oter le feul homme qui me pouvoic confoler de ces malheurs. Rcpondez-moi l'un ou l'autre ^ leur dit-il, ôc éclaircilîez» moi d'une avanrure que je ne puis croira telle qu'elie me paroîr. La Princefle n'é- toic pas capable de rcporuiie, ôc le Com^ te de Chabanes ouvrit plusieurs fois la bouche fans pouvoir parler. Je fuis cri- minel à votre égard , lui dit-il:, enfin, ds indigne de l'amitié que vous avez eue •pour moi j mais ce n'eft pas de k manie=f te que vous pouvez vous l'imaginer. Js fuis plus malheureux que voas&plus de- ièfperé : j-e ne Içaurois vous en dire davan- tage ; ma more vous vangera j.ôc Ci vous voulez me la donner tout- à- l'heure ^ vous xne donnerez la feule chofequi peut m'ê- tre agréable. Ces paroles prononcées avec wne douleur mortelle, & avec un air qui marquoic fon innocence , au lieu d'éclair- cir le Prince de Monrpenfier , lui perfua- doient de plus en plus qu'il y avoir quel- que raiftere dans cctze avant me , qu'il ns pouvoir deviner ; de fon defelpoir s'aug^ mentant par cette incertitude : orez-moi la vie vous-même , lui dit-il , ou donnez^ moi réclairciiremenc de vos paroles .; je n'y comprens rien. Vous devez cet éclair- ciâèmeac à mon amitié ^ vous le devez à

ma

ÏJ4 K t c V t i t

ma moderarion : car tout autre que moi auroit déjà vengé iiir votre vie un affronc fenfîble. Les apparences font bien fauf- fes, interrompit le Comte : Ah ! c'eft crop^ répliqua le Prince ;, il faut que je me van- gc ) ôc puis je m'éclaircirai à loifir. En di- lant ces paroles , il s'approcha du Comte de Chabanes , avec ra<5tion d'un homme cmpoL'té de rage. La PrincelTè craignant quelque malheur > ( ce qui ne pouvoir pouitant pas arriver , Ton mari n'ayant point d'cpée ) fe leva pour fe mettre entre deux. La foibleflè elle ctoit lafitfuc- comber à cet effort y & comme elle appro- choic de fon mari, elle tomba évanouie à Tes pieds. Le Piincc Fut encore plus tou- ché de cet évanoliiilemenc , qu'il n'avoic été de la tranquillité , oii il avoit trouvé k Comte 5 loifqu'il s'étoit approché de lui j & ne pouvant plus (outenir la vue de deux perionnes qui lui donn oient des mouve- îuens fl trilles ; il rcurr.a la tcce de l'autre eôrc ;, & fe laîlîà tomber lur le lit de fs. femme , accablé d'une douleur incroya- ble. Le Comte de Chabanes pénétré de repentir d'avoir abufé d'une amitié, dont il recevoir tant de marques , ôc ne trou- vant pas qu'il put jamais réparer ce qu'il ▼enoit de faire , iortit brufquement de la Chambre , de pallâat par l'Appartement du Pnaee^ dent il trouva ks -portes oi>

©E Pièces Galantes, iff Tcrtes^ il defccndic dans la cour; il ie fie donner des chevaux , 6c s'en alla dans hj campagne y guidé par Ton feul derefpoir^ Cependant le Prince de Moncpenfier qur voyoic que la Princelïè ne revenoic poinr de Ton cvanoui/ïemenc, la laifla entre les mains de fcs Femmes , & fe retira dans fa Ghambre avec une douleur mortelle. Le- Duc de Guife qui étoit Ibrti heiu-euferaene du Parc 5 fans fçavoir quafi ce qu il fai- foi: , tant il étoit troublé , s'éloigna de Champigni de quelques lieues , mais il ne pût s'éloigner ^ fans içavoir des nou- velles de la Princefle. Il s'arrêta dans une: Forer , de envoya Ton Ecuyer pour appren- dre du Comte de Chabanes ce qui étoic arrivé de cette terrible avanture^L'Ecuyer ne trouva point le Comte de Chabanes , mais il apprit d'autres perlonnes que la Frincelïè de MorKpenfîer étoit extraordi- remenc malade. L'inquiétude du Duc de Guile fut augmentée , par ce que lui die ion Ecuyer ;& fans la pouvoir (oulager, il fut contraint de s'en retourner trouver' ■fes Oncles , pour ne pas donner de loup- çon'par un plus long voyage. L'Ecuyer du Dlîc de Guile lui avoir rapporté la vé- rité y en lui dilànt que Madame de Mont» penfler CToit extrêmement malade ; car ii ëroir vraf que fî-tôc que fes Femmes l'eu-^ icnc mife dans foa lit > k £évie lui prit Q

YÎoleiu-

2(j6 R E C U E 1 t

violemment , & avec des rêveries Ci hor- ribles , que dès le fécond jour Ton craignit pour fa vie. Le Prince feignit d'être ma- lade;, afin que l'on ne s'ctonnât decequ'i-l n'entroit pas dans la Chambre de fa fem- me. L'ordre qu'il reçût de s'en retournei* à la Cour , l'on rappelloif tous les Princes Catholiques pour exterminer les Huguenots, le retirade l'embarras il ctoir. Il s'en alla à Paris , ne fçachant ce qull avoit à efperer ou à craindre du mal de la Princelfe fa femme. Il n'y fut pas tôr arrivé;, qu'on commença d'attaquer les Huguenots , en la peiTonne d'un de leurs Chefs , l'Amiral de Châcillon^ 5c deux jours après , l'on fit cet horrible maf^ facre Ci renommé par toute l'Europe. Le pauvre Comre de Chabanes , qui s'éroic venu cacher dans l'extrémîic de l'un des Fauxbourgs de Paris , pour s'abandonner entièrement à fa douleur , fut enveloppé dans la ruine des Hugueno;s. Les perfon- nes chez qui il s'ctoit retiié l'ayant re- connu j ôcs'éi^m fouvenuës qu'on l'avoic foupçonné d'être de ce parti , le malîa- crerenr cette même nuir , qui fut Ci fu- Refte à tant de gens. Le matin , le Prince Montpenfier allant donner quelques ordres hors la Ville , pafla dans la rue étoit le corps de Chabanes. Il fut d'abori ^ifi d'éconnemenc à ce pitoyable ipeda».

cle p.

DE Pièces Galatïtes. 1^7 cle ; enfuite Ton amicic fe réveillant , cile lui donna de la douleur j mais le fouvenir de rofFenfe qu'il croyoic avoiu reçue du Comte 5 lui donna enfin de la joye ; & il fut bien-aife deie voir vangé par les mains de la Fortune. Le Duc de Giiiie occupé du defir de vanger la motc de Ton père , <3c peu après rempli de la joye de l'avoir van^ gée , lailTâ peu à peu éloigner de Ton ame, le foin d'apprendre des nouvelles de la PrinceiTe de Montpenfkr jôc trouvant la Marquilé de Noirraouftier , perfonne de beaucoup d'eiprit & de beau:é, &c qui donnoit plus d'efperancequelaPrinGclïèa il s'attacha entièrement j ôc l'aima avec une paflion démefuiée , ôc qui lui dura jufques à la mort. Cependant , après que le mal de Madame de Mon rpen fier fuc venu au dernier point , il commença à diminuer. La raifon lui revint, 6c le trou- vant un peu foulagée par l'abfence da Prince Ion mari , elle donna quelque ef- perance de fa vie. Sa fanté revenoit pour- tant avec grande peine , par le mauvais ctat de fon eîprit ; & fon efprit fut tra- vaillé de nouveau , quand elle fe fouvint qu'elle n'avôit eu aucune nouvelle du Duc de Guife pendant toute fa maladie. Elle s'enquit de fês Femmes , Q elles n'avoient vu perfonne , fi elles n'avoient point de. lettres j de ne trouvant rien de ce qu'elle-

eut

Î^S R E C U B I I

eue fouliaité, elle fe trouva la plus mal- heureufe du monde , d'avoir tout hazardc pour un homme qui l'abandonnoic. Ce lui fuc encore un nouvel accablement , d'apprendre la mort du Comte de Cha- banes, quelle içût bien-tôt par les foins du Prince ion mari. L'ingratitude du Duc de Gui/e lui fit refTentir plus vivement la perte d'un homme , dont elle connoilToic fi. bien la fidélité. Tant de dëplaifirs fi pref- fans , la remirent bien-rôt dans un étac aullî dangereux que celui dont elle ctoic fortic. Et comme Madame deNoirmoufi. tier croit une pcrfonne qui prenoit autant de foin de faire éclater fes galanteries, que les autres en prennent de les cacher, celles de Monfieur de Guife & d'elle ëtoietit fi publiques , que toute éloignée & toute malade qu'étoit la Princefie de Montpen- fier , elle les apprit de tant de cotez , qu'elle n'en pût douter. Ce fuc le coup mortel pour fa vie. Elle ne pût refifter à la dou- leur d'avoir perdu l'eftime de fon Mari, le cœur de fon Amant , de le plus parfait Ami qui fût jamais. Elle mourut dans peu de jours, dans la fleur de fon âge, une des plus belles Princefïès du monde , & qui auroîtété fans doute la plus heureufe , Ct Ja vertu ôc la prudence euifent conduit coûtes fes allions»

LE

B E PlECE^ G^LAKTI5. l^ej^

LE TEMPLE

D E

LA PARESSE.

A Madame de "^"^^"^

JE ne içaurois plus me défendre défaire des Vers pour vous, puifque vous me l'ordonnez; mais je vous avercis de bonne foi , Madame , que ce n'eft pas la ma- nière de s'expliquer la plus fincere , quoi- que ce- puidè être quelquefois la plus agréable. La Profe ieule femble être le langage du cœur , & la Poëfie celui de refprit. On dcguife d'ordinaire ce qu'on ajufte avec tant de foin : & les perfonnes qui font connoître leur paflion avec cec éclat , ou celles qui demandent des preu- ves d'affedkion de cette nature , penfent plus à leur gloire qu'à leur Amour.

Que je crains , aimable inhumaine , Que vous connoifîîez peu cette agréable peine

Qui fait le plaifir d'un Amant : Un cœuf dans tranfports d'une amoureufe atteinte 3 PrelTé

iSO K t C V t l L

Preflfé d'exprimer Ton tourment 5 Du langage des Dieux fait la dure contrainte. Et mcurt*s'il diffère un moment.

Mais n'impo!te , Madame, il nem*efl pas pOiTible de lai {fer pa(Tèr Ja moindre occasion de vous plaire j il faut toujours vous obeû". Cependant pour ne renoncer pas tout à fait à mes droits d'oifiveté , ni à la paieife dont vous m'accufez , de dont je vous loue , je vous déclare que comme de. nos jours on a bien entrepris de bâtir un Temple à la Mort , j'en ai avec l'a mê- me autorité élevé un à la Pareiîè , Ôc que jeprecens, en reprefentant fidellement en ce lieu la divinité qu'on y révère y vous y dépeindrez fi naïvement , que vous vous y connoifîiez vous-même ;, afin- que vous ne puîfliez à l'avenir m'accufer d'obéïr qu'à vous ;, quand il femblera que je ne ferai rien que pour elle,

Dans un climat heureux la nature étale Defes riches tréfors la beauté fans égale , Sous un Ciel toujours pur , agréable & fè-

rein , Eft un paifible lieu dont le fertile fein , Chargé de tout les biens que produit la Na- ture, Y fait naître les fleurs Se les fruits fans culture : les offre fans travail , & ks expofe à tous,

Vont

DE Pièces Galantes, i^i Pour fournir aux mortels ce qu'il a de plus

<loux} Il ôce jufqu'aux foins que donne Tefpcrance » Et les conable en tout tems d'une heureufê

abondance : L'air à peine eft ému par les jeunes Zéphirs ; Ils gardent pour ces lieux leurs plus tendres

foûpirs , Qui des fombres forêts animant le feuillage , Sur un tapis de fleurs femblent peindre Tom-

brage. Dont les voiles épais percez des traits du jour> Font voir fur legazon mille chiffres d'amour : Le Mirthe & le Jafmin de leurs branches fleu- ries , Oppofent leur émail à Témail des prairies : , d'un cours incertain les tranquilles ruif-

feaux Roulent fans murmurer le cr^'ftal de leurs

eaux : « L'amour dans ces beaux lieux adoucit toutes

chofes , Foule aux pieds les foucis & défarme les ro-

Ccs : On y vit fans chagrin , bien qu*oii foit amou .

reux j Et l'on n'y voit jamais que des amans heu- reux.

. Cell en cet aimable lieu ou- j'ai cievé

mes

i.t^l R E C V E I t

mes Autels : mais comme la Parefîê ne confeilla jamais de faire les chofes qu'avec négligence & avec facilité , je pafTèi-ai des Versa la Profe quand il me fera plus com- mode de m'expiic^uer ainfi : je ne ferai point même d effort pour en rendre mes Vers plus doux , leurs rimes plus riches, oi ma Profe plus polie. Pour vous , Ma- dame 5 idc votre côcé donnez-vous bien de garde de douter un moment de tout ce que je vous en dirai.

Il faut vous en fier à moi ,

Croyez tout ceci véritable , Je vous le donne enfin comme article de fi-

ble. En matière de Vers , c*eft article de foi.

Ne craignez point que je m'aille em- barraffer dans une grande defcription de mon Ouvrage ; que je vous entretienne crop long-tems d'Architedfcure , ni que je vous en parle auflî magnifiquement qu'on pourroic faire.

Du fuperbe Palais du plus grand Roi du mon- de. Dont la ftruâure fans féconde , Que le tems ne pourra ternir , Fer-a par fa pompe connoîtrc

Le

CE Pièces Galantes. i6$ Le plus fameux des Rois que la France ait vd naîcre A tous les ficelés à venir.

Je n'ai pourtant m'empêcher àe fai- re les murailles de ce Temple de Marbre blanc, relevées au dehors par des bas-re- liefs , font reprefentces encre des co- lomnes de Jafpe ^ les figures de pluiieurs ^perfonnes ^ donc la plus grande partie font couchées fur des lits de gazon , ou fur des fleurs. Quelques-unes paroifïènt en- dormies j les autres femblenc s'éveiller: leurs habits font faits de Marbre de couces les couleurs. Que Ci vous crouvez que j'ayc employé une trop riche matière , ne 'vous imaginez pas que je na'en fois beau- coup CGurmencé j j ai pris la première qui s'eft prefentée à mon imagination , ÔC j'ai eu aufîi peu de peine ôc aufli-tôt fait le Porphyre qu'avec lapierreordinaire. Sou- venez-vous de plus ,

Qu'on ne fçait à quoi on s'engage. Quand on entreprend de bâtir : Lors qu'on a commencé l'on en veut bien

fortir , "Et quiconque entreprend un magnifique ou- vrage. Ne doit rien épargner de rare de grand : Pour moi quand je tîgçaiceikmeux bâtiment »

ApoUoa

l64 R E C TT E I L

Apollon me promit d'en faire la dépenfe : Ainfi je ne crûs point qu'il fût de confequencc

De bâtir trop pompeufement

Sur ce folide fondement.

Eli un mot , toutes les pierres s'y font afTemblées aa Ton de la Lyre , comme elles firent autrefois j &c jepourroisbien encore vous entretenir d'une Architrave , d'une Frife 6c d'une Corniche ;, qui ne m'ont pas plus coûté que tout le refte , ôc qui régnent far rout l'ouvrage ; mais je ne vous en dirai pas un féal mot. Car affû- rcment ,

Quand des terijies de l'Art un peu trop Ton s'entrave. Sans fçavoir pourquoi ni comment , Entre la Frife & l'Architrave, Le Lecteur fatigué laifTe le bâtiment,

^ Je vous aiTûre au moins que j'ai vu tom- ber.de cette forte, plufieurs édifices des plus magnifiques du monde. Pour éviter donc que ie mien ne coure cette Fortune, je ne vous entretiendrai pas davantage de ce ue l'on y voit au dehors : je vous dirai eulement l'infcription qui eft gravée fur fon froncifpice :

Venez aimables Parefleufes, '

Dans

l

DE Pièces Galantes i^ç Dans vos négligez ôcplus charmans atours. Ici tranquillement on rêve à Tes amours : Dqs plus parfaits Amans les troupes amott- reufes Arrivent ici tous les jours.

Ne vous imaginez point , Madame , qu*il y aie perfonne pour en garder les portes : l'Oifiveté qui efl: à Tentrée , eft douce ôc facile à tout le monde. Pour l'A- mour 5 il n'a garde de s'en mêler, lui à qui cette divinité fut de tout tems Ci fa- vorable.

Ce Dieu le plus aimable & le plus craint de tous. Dont les inévitables coups Ont l'art de nous blelTer & celui de nous plaire^ Lui qui fçait à nos maux mêler un fi grand- bien : L*amour fera toujours la precîeufe affaire De tous ceux qui ne feront rien.

En entrant on voit à main droite le Ta- bleau d'un païfage agréable paroif^ fent diverics perfonnes : quelques-unes > les bras croifez , aflifes auprès d'une fon- taine ; les autres , appuyées négligemment contre des arbres. Leur douce mélancolie fèmble leur avoir fait oublier toutes les chofes du monde , ÔC par ces Vers qui Tçme III» M fouc

2^^ Recueil

ibnc aii-bas du Tableau , elles femblentr

expliqueuainfî leurs fencimens.

Charmans oubli des chagrins de la vie , Agréable repos dont une ame eft ravie. Douces heures d'oifiveté, Momens plus précieux que tous ceux qu'on employé, Dont rheureufc tranquillité Sçait porter dans nos cœurs une parfaite joye : Qiie le peuple charmé d'un vain emprefTe-

ment 5 Gloze , vous blâme , ou qu'il en gronde.

Couler Tes jours nonchalamment Donne aux plus doux plaifirs ce qu'ils ont de

charmant , Et la ParelTe enfin règne fur le beau monde.

Dans un autre Tableau plufieurs Amours' fe réjoliKlenc de Tanivée du Printems y qu'on y voit repreferrtc par des arbres' couverts de fleurs ô: par une campagne riance : ils fe joiient enfemble &: s'amu- fenc à chercher par roue ces petits ani- maux parelleux qui pafTencune partie de kur vie dans le fommcil , qui ne s'éveil- lent jamais que dans la belle faifon , &: qui demeurent alîoupis jufques à ce que TA- mour les vienne avertir qu'il eft tems de chercher leurs femblables. Ces vers font ccrits au bas.

De

ti Pièces Galantes. i6y Dcqiioi vous fert , mortels , la peine de le tourment, Qu'aucun foin ne vous importunes S'il plaît à Taveugle Fortune , Les biens vous viendront en dormant.

De ce même côté eft un autre Tableau , auprès d'une grande Ville on apperçoic des jardins agréables : , paroît une trou- pe de gens , qui par des marques particu- lières qui les font conno'itre , reprefentenc ces célèbres Sçavans de l'Antiquité qu'on accufoit de mettre le fouverain bien dans les plaifirs , quoiqu'ils crulTent qu'il con- fillàt principalement en la tranquillité & dans le repos auquel ils trouvoienr tant de charmes , & qu'ils ont bien voulu que l'oifiyeté & le peu de foin des choies du monde fiil: la félicité éternelle de leurs Dieux y ce qu'ils font entendre par ces Vers.

Fuyez ces incertains defîrs Que l'inquiétude vous donne , Suivez les tranquilles piaifirs , I^livrez-vous de foin , n'en donnez à per-

fonne : Ne foyez défians , envieux , ni jaloux 5 Evitez le chagrin , la haine & la colères N'ayez d'autre maître que vous s

M ij Coulez

l58 R ï C TTE I L

Coulez vos fhs beaux jours fans avoir rien à faire , Et vous vivrez aufli contcns que nous.

De l'autre côte vous verrez la reprefen- tacion d'une nuit paifible y Ton apper- çoit des gens qui vont vers un Autel dédié à la Paielïè, Il eft au milieu d'une petite grotte que le hazard de la nature feule femblent avoir forme dans un rocher. Ils y portent enfacrificeces animaux orgueil- leux , qui par leurs chants importuns troublent le filence de la nuit , ôc éveil- lent tout le monde au point du jour ; cri- me capital que la Pareile ne pardonna ja- mais. Pour la façon de faire les facrifi- cçs 5 on n'y fait pas grande cérémonie-^ ôc voici comme on en ufe ordinairement.

lorfque le trille Coq tombe du coup mortel^ Sans que perfonne s'inquîette , Si l'offrande eil bien ou mal faite , On fe couche auprès de l'Autel.

On entrevoitdans un autre Tableau des perfonnes qui font affiles l'une auprès de l'autre , qu'on a peine à découvrir à tra- vers des branches de plufieurs arbres j & aubas font écrits ces Vers :

L'amour doit avec prudence

Se

DE Pièces Galantes. 2^5) Se dérober aux yeux de tous , Craindre les Curieux & chercher le lîlence Dans CCS myfteres les plus doux.

Dans un autre efl: reprefenté le Triom- phe de la Paieire , eu font peints tous les grands hommes qu'elle a Içû charmer. Vous me difpen ferez de mettre ici leurs noms ; car pour vous le direfranchementj, il y en a beaucoup que je ne connois point y & leur nombre eft fi grand qu'il leioit ennuyeux de vous en entretenir. Voici au moins comme la Parelïè en parle elle-même :

Si je voulois nommer tous ceux que mon pou- voir A fçû ranger fous mon Empire, J'aurois trop de peine à le dire : Et quelqu'un le veut fçavoir. Dans l'Hiftoire il le pourra voir : La lira qui la voudra lire.

Au refle , Madame , cet aimable (i- jour n eft fréquenté que par des perfonnes bien faites -.toutes celles qui y arrivent, on c une aimable langueur ^ qui leur donne mille charmes. Elle leur eft tellement na- turelle , qu'elles femblent être nées lalîes. Relever leur coëffe , ou attacher un ru- ban 5 eft une grande affaire pour elles, AulÏÏ ne font-elles pas plutôt arrivées, M ii) qu elles

2 70 Kectjeil

qu'elles fe repofenc nonchalamment fur

des carreaux.

Mille petits Amours ont le foin d'en donner.

Et de cueillir des fleurs nouvelles , Pour femer fous les pas , &: pour en cou- ronner L'aimable troupe de ces belles. Pour celle qu'on révère en ces paifibles lieux , On la voit fur un lit négligemment couchée , Sa tcfte fur un bras eft à demi panchée i Une douce langueur paroît dans (ks beaux yeux , Defes cheveux épars les ondes négligées Montrent par un air charmant » Qiie les grandes beautez pour être bien pa- rées , N*ont befoin d'aucun ornement.

Si je la rcprefentois telle qu elle eft dans mon cœur ^ tout le monde vous connoî- troit à cette peinture. Et bien qu'il n'y allât point de votre gloire ^ puilque je ne fuis pas de ces Amans heureux, que l'hon- neur de leur Dame oblige à cacher leur bonne fortune : Je veux bien toutefois ne vous décrire pas Ci particulièrement. Vous me tiendrez compte de cette dilcre- tion , il vous voulez : ce n'efl pas qu'il ne me fût plus utile auprès de vous de fça-

voir

t

CE Pièces Galantes: lyi voir cacnei: mon peu de meiice, que cou- rte au: le choie.

Il faudroit un fecret pour couvrir mes défauts. Et je ferois heureux dans mes peines difcrettes.

De cacher le peu que je vaux , Comme je fcai cacher les faveurs qu'on m'a faites.

Cependant pouL" revenir à notre divini- té-, &■ pour vous faire connoître en quel- que forte ion pouvoir , je n'ai qu'à vous dire qu elle fe fert Ci bien de tout rcfpric de ceux qu'elle gouverne , qu'elle ne man- tjua jamais de leur fournir de raifon pour tour ce qui leur efl: le plus agréable de le plus commode ; ôc que même en la tran- quillité elle eft, fifembla'>le à la fagelfe, qu'on peut s'y tromper facilement , ÔC dire même en fa faveur , que par des char- mes fecrers qu'elle porte dans notre ame t elle nous rend bien p-.us heureux que cette grandeur de courage tant vantée j qui par des efforts violens prétend nous mettre au-delfus de l'ambicion y ôc nous confola de nos pertes.

Qu*enfin la charmante ParefTe 9 Plus habile que la SagefTe, Par de moins pénibles moyens ; Sans qu'aucun foin nous importune ,

M iiij Nous

lyi R E c tr E I L

Nous fait méprifer la Fq^-tune , Et feule nous tient lieu de tous les autres biens.

Pour le lieu elle reçoit ces homma- ges , c'eft fur un lit qui lui ferc d'Autel dans le Fond de Ton magnifique Temple. Elle paroît bien mollement couchée. Une petite troupe d'Amours eft reprefen- tée autour , les uns , font étendus fur des carreaux i les autres, à demi couchez, fonc tomber adroitement leurs compagnons , & les tirent pour les abatte auprès d'eux:. Ils tâchent même de faire une fembiable malice à toutes les perfonnes qui arri- vent.

Si lors qu*on voit quelqu'un à bas , On ne peut s'empêcher de rire , Pourroit-on me blâmer de dire 9 puifqu'en tout fexe on peut faire un faux pas, Qu'en une moins mde infortune , Quand l'Amour veut qu'il en arrive ainfî. Il ne foit bien plaifant aufTi De rire aux dépens de quelqu'une >

Il faut au moins être une partie de vie couché , fi l'on veut obéir à la Parei- fe , fuivre fes confeils , &la refpeder com- me elle l'ordonne. La plus grande occu- pation qu'elle puliFc permettre aux bel-

les j

DE Pièces Galantes. 275 les 5 c'eft de badiner avec leur éventail en Eté 3 ôc avec leur manchon en Hyver, Pour les hommes far lelquels elic règne , il kut bien aufîi qu ils ioienc faits à leur badinage.

L*on a vu de tout tems que parmi les blondins les plus heureux fondes badins ; Que dans les amoureux myftercs Les prudens , ks difcrets font plus mal leurs

affaires. La fageffe en Amour efl un bien dangereux ; Dans ce calme fatal fe font tous les naufrages Des cœurs les plus touchers de les plus amou*

reux : Soir dit fans offenfer ces graves perfonnages, Qii'un refpeél éternel rend toujours malheu- reux , En Amour, les plusfoux font toujours les plus fâges.

Enfin , Madame ^ badiner agréable- msnt eft un des plus aflurez moyens de parvenir. Toutes nos ParefTeufes y réiif^ liirent bien , qu'il n'y a rien de fi char- mant : leur joye remplie d'une aimable langueur eft douce , pleines de petites fa- çons fpiriruellcs, accompagnées incelTam- ment de petits mots , qui leur font celle- menc propres 6c d'un tour fi particulier,

qu'oa

jL-'4 Recueil

qu'on ne peut les enrendre ians en erre cliarmc 3 ni les rapporter fans leur ôcerce je ne fçai quoi , qai les rend fi agréables. C'eCt aiiifi que ceux qui veulenc êcre heu- reux, doivent badiner avec elles ^ & qu'ils cherctienr à leur dire concinuelleLTicnc des chofes qui leur plaifenc.

Car qui commence à divertir , A déjà fçu trouver l'heureux fecret de plaire , Et pour lors un adroit & bienheureux Amant> Sans craindre les effets d'une feinte colère > Ni fans pcnfer qu'il s'en peut repentir 5 Doit hazardcr , être un peu téméraire i

Tourner tout fi badinement , Qu'il puifife radoucir le cœur le plus fauvage:

Se gouvernera plâifamment. Qu'en des chofes dc;rîcn dans ce commence- ment ïl puiffe à badiner engager la plus fage. S'il n'a point ce talent , il ne peut être heu- reux : Car pour bien badiner , il faut badiner deux > Et c'eft le fecret de tout le badinage.

Des deux cotez de l'Autel , ou du lit de notre divinité, on apperçoic comme deux grottes admirables , l'une eft dédiée aa Sommeil , ^ l'autre à la Rêverie. Au mî- iieii de celle du Sommeil eft fufpendue

une

DE PiEc ES Galantes, ij^ une lampe de geais noir , enrichie de quantité de pierreiies ; & quoiqu'elle donne peu de ciaicé ànaveisde fa iombic lumière, dans piulieurs gr?.ndes glaces de criftal taillées à dlftercntes faces } Ton voit l'image des tableaux dont cette grotte cft ornée. Ils paroilTent prefque tous dans chaque miroir : mais comme ils n'y pa- roillent pas entiers , on voit en même- tems un morceau de païfage , une petite parcie d'unchâreau , le vifage d'une belle , les ailes d'un Amour , ou les ruines d'un vieux Palais. Ain 11 cela ne reprefente pas mal la confulîon des longes qui accom- pagnent d'ordinaire le fommeil. Ce font eux qui prennent le foin d'orner cette grot- te , qui la parent Ôc l'enrichiilent de tout ce qui leur vient en fantailie : il n'y a rien de beau ni de défagréable , qu ils n'y met- tent quelquefois ; au moins ils ont cela de boni qii'ils font de la peine aux perfon- nés les plus heureufes : ils fçavent confo- 1er les plus infortunées ; ôc comme je vous ai pu dire autrefois :

ïls charment les plus mifèrables ,

Ils fçavent contenter les plus ardens defirs ;

Et par l'appas trompeur de mille faux plaifîrs ,

Soulager des mau? véritables, ïlstrompentjilcll vrai , mais agréablement >

Si leurs biens ne font que menfonge ,

N'en

Ij6 R E C V E I t

N'en cft-il pas ainfî du boaheur plus char- mant ;

Et quand il ell pafTé , n'eft-il pas comme un fonge.

•t>"

La grotte de la Rêverie efl: plus regulic- remenc ornée : les Tableaux qui Tenri- chiffcnt & qui la paient , bien qu'ils foienc compoiez de cous les objets qu'on puilïe Kiiaginer , ne laifTcnt pas d'avoir quelque liaiion Se quelque (uiteentr'eux. Au haut de la voûte , qui eft ornée de p ufieurs peinturesexccUenteSj font écrits ces Vers:

Doux tranfports qui naiffez des plus ardens

defirs 5 Agréable entretien qu'un parfait Amour don-»

ne, Penfers délicieux le cœur s'abandonne ,

Efpoir & fouvenir des plus charmans plaifirs ,

V Amour , ce Dieu puiflant qui vous a donné

l'être , Auroit fans moi peine à vous foûtenir 5 Et c'ell lui qui vous fait naître , 3'ai des charmes fecrets pour vous eutreteiiir.

Au moins, Madame ^ c'eft de cette Rê- verie douce & agréable que j'ai appris tout ce que je viens de vous dire. Que Ci mapaflîonra encrecenuif iilong-tems pour

vous

es Pièces Galantes. 177 TOUS plaire , fongez un peu que vous lui devez quelque reconnoillance j &c qu'un ga'anc homme fon-.e bien plutôt Ton ef- perancefur les fencimens^e ion cœur, que fur les louanges qu'on peut donner à Ion eiprir.

Et fans mentir , je vous puis dire , Qu*Amour qui caufe mon tourment» M'a fait rêver ce que je viens d'écrire , Moins en faifeur de Vers , qu'en verita^blc Amant.

Je porterois cette rêverie encore bien plus loin 5 fi je n'étois obligé de me ren- dre à la Parelle ma Souveraine ; de vous vous fouviendrez , s'il vous plaît , Mada- me , de ce que j'ai dit lorfque j'ai voulir faire fa peinture. Je me facrifie donc roue entier à el!e j & pour lui plaire , je finis cet Ouvrage : étant bien airûié , que de- quelque façon que j'en forte , la fin cou- ronnera l'œuvre à fon égard 3 puilqu'elle finira la peine que j'ai eue de l'écrire, dc celle que vous avez eue de le voir.

Fin du Terne troijieme.

TABLE

TABLE

des Pièces contenues en ce Tome Troi- fiéme.

Portrait d'Iris > Page i Rondeau y j Stances irreguUeres , 8 I. Elégie j lo Avanture d'un Moineau & d'fme Tourte- relle y 14- Avis a la Tourterelle 3 1 5 IL Elégie , ibid. m. Elégie y ip

IV. Elégie , Déclaration d'Amour y iz

V. Elégie 3 fur la violence d'une Pa[fion^ Page 16

Lifdamant a Menife , en lui envoyant des fruits de la Cawpagne , 32

Mcnifii à L'fda(}2.^nt 3 5 j

Lifdamant a Limife , 37

Lâmife à Lifdamant , 40

VI. Elégie à une Dame qui demandait des Fers pour une autre qu'elle Galantifoit comme fa Maîtreffe , 42

Le voyage de l'Jjle d'Amour , 4^

A Philis fur le voyaje de l'IJle d* Amour >

Page 85,

Second voyage de l'IJle d[A?n9ur , 5)0

^pitre Galante a une Dame qui aimoit un

'i^hillard^ 1 28

VIL Ek-^

TABLE VIL Elégie ^ iji,

Vm. Elégie, i^^6

Dialogue de l'amour & de l'jimiùé y 140 Lettre k Mademoiselle De . , , . fur un

Etui, 171

^ Madame la Comte ffe De . ,, en lui en-

'voyant [on Portrait , 174

Lettre à Mademo'felle de M * ,,, fur un

Songe , I So

Lettre à Aîademolfdle De,,. 185)

Réponfe y 1 5? i

Lettres y icj^

Combat de l'Amitlc & d^ V Amour. 102. IX. Blegie , 205

La Princeffe d*e Aîontpivfier ^ 209

Le Te.npU de la ParcITe ^ 255?

Fin d€ k Table du Terne Troifieme.

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'^ .'.,..ze, Henriette (de .o±:.j- g 131"^ ny) de ChaiTipagne ° 1

^^3 Recueil de pièces galantes |

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