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RELIGION & ÉVOLUTION

« Le problème imptrtttnt entre tous les /r»- hUmes, ponr l'humaaité, -- «elui qui fait le fond tous les autres, et nous intéresse plus profondément que tous les autres consista à déterminer la situation que l'homme oocupo dans la nature «t ses rapports arec l'ensemble des choses. B'où rient notre race^ quelles sont les limites de notre p»uA'oir sur la nature et du pouvoir de la nature sur nous, Ters quelle fin tendons-nous : tels sout les problèmes qui reviennent, sans diminuer d'intérêt, s'offrir sans cesse à tous les hemmes. »

Thomas HUXLEY

Arguments pour établir la place de Vhommt dans la, nature, 1863.

RELIGION

ET

EVOLUTION

TROIS CONFÉRENCES FAITES A BERLIN Les 14, 16 et 19 Avril 1906

PAR

Ernest HAEGKEL

Professeur à l'Université d'Una

Traduit de rallemand par C. BOS

Doeteur en Philosophie

PARIS

LIBRAIRIE G. REINWALD

SCHLEICHER FRÈRES, ÉDITEURS 61, Rue des Saints-Pères, 61

Tous droits réservés.

II PREFACE

nisme que je défends depuis quarante ans. On insistait surtoutsur le fait que les progrès de la réaction dans les milieux dirigeants, Tinso lence croissante d'une ortho- doxie intolérante, la prédominance du papisme ultra- montain et les dangers qui menaçaient à sa suite la liberté de penser allemande, l'Université et l'Ecole, exigeaient des moyens de défense énergiques. Par hasard j'avais justement suivi, dans les derniers temps, les tentatives intéressantes que l'église orthodoxe venait de faire pour conclure avec son ennemie mortelle, la science moniste, un compromis pacifique; elle s'était même résolue à adopter jusqu'à un certain point, (bien qu'en la falsifiant et la mutilant), notre doctrine mo- derne de l'évolution que depuis trente ans elle combat- tait violemment et elle tentait de la réconcilier avec ses dogmes. Ce changement frappant d'attitude de la part de l'église militante me parut, d'une part, si cu- rieux et si important, m.ais de l'autre si dangereux, si bien fait pour égarer les esprits que je me ravisai et résolus d'en faire l'objet d'une conférence publique et d'accepter l'invitation qu'on me faisait à Berlin. . Pendant que je rédigeais rapidement le texte de la conférence promise, on me fit savoir de Berlin que le nombre des auditeurs qui s'étaient annoncés était tel que je serais obligé, soit de me répéter dans une deuxième séance, soit de diviser mon sujet et de lui consacrer deux conférences. J'optai pour ce dernier parti, d'autant plus que mon plan s'était trouvé trop étendu. Sur les instances pressantes du public, je dus refaire les deux conférences (les 17 et 18 avril) et comme de nouvelles demandes continuaient à affluer, récla-

PREFACE m

mant de nouvelles conférences, je finis par me laisser entraîner à faire le 19 avril une « Conférence d'adieu ^>, dans laquelle j'élucidai divers points importants, insuffisamment expliqués jusque-là.

La nature m'a refusé le beau don de l'éloquence iinpressionante; bien que j'enseigne déjà à la petite université d'Iéna depuis 88 semestres, je n'ai jamais pu, lorsque je parais en public, surmonter une certaine crainte et jamais non plus je n'ai pu acquérir l'art d'exprimer les pensées qui m'agitent par des paroles enflammées, ni a^ec l'aide de gestes qui leur donnent la vie. Pour ces motifs et pour d'autres encore, je ne me suis laissé convaincre que rarement de prendre part aux réunions de Naturalistes ou autres congrès ; les quel- ques discours que j'ai tenus dans des circonstances de ce genre et qui sont publiés dans mes u Discours et Mémoires » m'ont été arrachés par l'ardent intérêt que m'inspire la « Lutte pour la Vérité. » Dans les trois conférences que l'on va lire mes derniers discours publics je n'ai pas eu, plus que dans les autres, l'intention de gagner mes auditeurs à mes convictions par mon éloquence; mon but a été bien .plutôt de leur présenter un exposé d'ensemble des grands groupes faits biologiques de manière à ce qu'ils puissent se convaincre eux-mêmes, s'ils réfléchissent impartialement, de la vérité et de l'importance de la notion d'évolution.

Les lecteurs de ces trois conférences de Berlin, s'ils s'intéressent à la a Lutte soulevée par l'idée d'évolu- tion » que j'y ai retracée, trouveront d'amples maté- riaux à l'appui de vues brièvement résumées ici, dans

IV PREFACE

mes œuvres anlérieures: laut dans VlJistolre naturelle de la création et V Anthropogénie que dans mes œuvres de philosophie populaire : les Enigmes de l'Univers et les Merveilles de la vie. Je ne fais pas partie du groupe aimable et choyé des « Hommes à compromis », j'ai au conlraire l'habitude d'exprimer les convictions que j'ai acquises au prix d'un demi- siècle d'études sérieuses et pénibles, loyalement et sans réticence. Si j'apparais en conséquence tel qu'un lut- teur sans merci, on devra songer que (( la guerre est mère de toutes choses '^ et que le triomphe de la raison pure sur la superslilion dominatrice ne peut s'effectuer qu'au prix du combat le plus acharné. Celui que je livre n'a d'ailleurs toujours en vue que la bonne cause; la personne de mes adversaires, qui de leur côté m'attaquent et me calomnient grossièrement en tant qu'individu, m'est indifférente.

Bien que j'aie passé plusieurs années à Berlin lorsque j'étais étudiant et au début de mon professorat, et que je sois toujours resté en contact avec les milieux scienti- fiques de la capitale, je n'avais eu qu'une fois l'occasion d'y faire une conférence publique, sur u La division du travail dans la nature et dans la vie humaine » (le 17 dé- cembre 1868, dans lasalle de l'Association des Artisans). J'ai donc éprouvé une certaine satisfaction lorsque ces jours-ci, après trente-six ans il m'a été donné de parler une fois encore, et pour la dernière fois, en cette même salle de la Singakademie, j'étais venu écouler comme étudiant, il y a cinquante ans, les maî- tres célèbres de l'Université de Berlin.

Ce m'est enfin un devoir agréable à remplir que

PREFACE V

celui d'exprimer mes remerciements sincères à ceux qui m'ont fourni roccasion de faire ces conférences et qui se sont efforcés de me rendre aussi plaisant que possible le séjour dans la capitale et je ne suis pas moins reconnaissant aux nombreux auditeurs qui ont bien voulu accorder à mes discours leur sympathique attention et leur approbation.

If-na, le 9 mai 1C05,

Ernest HAEGKEL.

RELIGION ET ÉVOLUTION

I

Première Conférence de Berlin,

14 Avril 1905.

LA LUTTE SOULEVEE PAR L IDEE DE LA CREATION. THEORIE DE LA DESCENDANCE ET DOGME DE L'EGLISE.

« L'histoire de la théorie de la descendance n'est pas seulement l'histoire de la Bèforme cpérée parles sciences naturelles, c'est en même temps un fragment de Vhistoire de la civilisa- tion humaine, au sens lo plus large du mot. Par la théorie de !a descendance, l'Eglise s'est vue menacée dans sa puissance. Car tous ces beaux contes et toutes ces belles légendes qui, comme les rejetons du lierre ou les. pampres de la vigne, se cramponnaient avec leur splen- deur luxuriante aux murailles grises de vétusté que leur offrait le récit mosaïque de la créa- tion : tous ces th('mes d'une croyance enfantine ont été reniés par la science. C'est pourquoi le mot d'ordre de l'Eglise est, depuis 1859 : « Guerre à cette doctrine ! » Pour la science, le débat est depuis longtemps tranché ; la des- cendance est un fait, au sujet duquel aucun na- turaliste compétent n'exprime plus de doute. »

Arnold Dodel, 1895. ( « Moïse ou Darwin ? « Problème pédagogique).

Mesdames et Messieurs,

Le grand combat livré autour de la notion d'évolution nous apparaît comme une des caractéristiques essen- tiellement importantes de la vie intellectuelle au cours

8 RELIGION ET EVOLUTION

du siècle qui vient de s'écouler. Sans doute, depuis plusieurs milliers d'années, des penseurs éminents et isolés parlaient du développement naturel de toutes choses ; déjà même ils avaient recherché en partie les lois qui régissent le devenir et la disparition du monde, l'apparition de la terre et de ses habitants ; il n'est pas jusqu'aux poëmes sur la création, jusqu'aux mythes des anciennes religions l'on ne démêle quelque chose de ces conceptions génétiques. Mais l'idée d'évolution n'a trouvé qu'au cours du xix' siècle une forme précise et une légitimation scientifique fournie par diverses branches de la connaissance, et ce n'est que dans le dernier tiers du siècle que cette idée a été universelle- ment admise. Les liens étroits que la preuve de la soli- darité dans le développement historique a établis, entre les diverses branches de lu science, leur unification par la philosophie moniste : tout cela est même une con- quête qui ne remonte pas au-delà de quelques dizaines d'années.

La grande majorité des conceptions primitives que l'homme réfléchi s'est faites du devenir et de l'essence du monde, ainsi que de son propre organisme, sont encore bien éloignées de l'idée à' autodéveloppement. Ces conceptions ont, au contraire, abouti à des mythes plus ou moins obscurs, relatifs à la création et dans lesquels prédominait la croyance à un créateur person- nel. De même que l'homme fabrique ses armes et les ustensiles dont il a besoin, qu'il construit des maisons et des barques avec intelligence et selon un plan, de même, le Créateur devait avoir fait surgir le monde et ses habitants, grâce à son ingéniosité et à sa raison,

RELIGION ET EVOLUTION 9

conformément à un plan précis. Parmi les nombreux mythes qui tendent à implanter ces vues, le récit mo- saïque de la création, tiré en grande partie par les sémites des sources babyloniennes et appuyé par l'au- torité universelle de la Bible, a exercé sur l'Europe civilisée la plus grande influence. C'est une consé- quence naturelle de ces doctrines religieuses que la croyance au miracle, qui s'y rattache étroitement, soit apparue de bonne heure et se soit opposée à l'idée d'évolution, telle que l'entend la philosophie, dans sa recherche indépendante : d'une part, dans le dogme religieux triomphant, le monde surnaturel, le miracle, la téléologie de l'autre, dans la théorie evolutionniste qui s'efforce de naître, rien que la loi naturelle, la rai- son pure, la causalité mécanique. A mesure que cette théorie a gagné, dans les derniers temps, en valeur et en importance, elle a se poser en adversaire de la première (1).

Si nous jetons un regard rapide sur les divers domaines dans lesquels l'idée d'évolution a été scientifi- quement appliquée, nous constaterons que c'est d'abord le Cosmos tout entier qu'on a envisagé dans son unité, puis est venu le tour de la terre, troisièmement enfin, celui de la vie organique sur cette terre puis on est passé à l'homme qui en est le plus haut produit, et cinquièmement à l'âme, être immatériel de nature spé- ciale. Les études évolulionnistes, considérées histori- quement, se développent donc dans l'ordre suivant : études cosmologiques, géologiques, biologiques, an- thropologiques et psychologiques.

La première vast^ théorie evolutionniste, dans le

iO RELIGION ET ÉVOLUTION

domaine cosmologique, a été posée en 1755, par notre célèbre philosophe critique, Emmanuel Kant, dans sa belle oeuvre de jeunesse intitulée: Histoire naturelle du monde et théorie du Ciel, ou Essai sur la composition et Torigine mécanique du Cosmos, d'après les principes newioniens. Cette œuvre remarquable parut anonyme, elle était dédiée à Frédéric le Grand, mais elle ne par- vint jamais à sa connaissance ; elle fut d'ailleurs peu remarquée, bientôt complètement oubliée, jusqu'à ce que, quatre-vingt-dix ans plus tard, Alexandre de Hum- boldt, la tirât de cet oubli. Remarquez bien que, dans le titre, l'auteur insiste sur l'origine mécanique du monde et les principes newtoniens de son explication, c'est-à- dire que le caractère rigoureusement moniste de la cos- mogonie tout entière et la valeur absolue des lois de la nature soni clairement exprimés. Sans doute, i^ö/i^, dans ce livre, parle beaucoup de Dieu, de sa sagesse et de sa toute-puissance; mais cette dernière se borne, au fond, à ceci, que Dieu a créé une fois pour toutes les lois fixes et invariables de la nature et qu'actuellement, lié par elles, il n'exerce son action universelle que par l'entremise de ces lois par lui créées. Le dualisme, qui apparaîtra plus tard d'une manière si caractéristique chez le philosophe de Kœnigsberg, ne joue encore ici qu'un rôle insignifiant.

Quarante ans plus tard, l'explication naturelle du développement cosmique apparaît, plus claire et plus conséquente, rigoureusement fondée, en outre, sur les mathématiques, dans l'œuvre admirable qu'est la Méca- nique Céleste de Pierre Laplacc ; son livre i3opulaire, V Exposition du système da monde (1796) ébranla jusque

RELIGION ET EVOLUTION 11

dans leur base les mythes universellement admis au sujet de la création en particulier la version mo- saïque de la Bible. Aussi, lorsque Napoléon î"' de- mandait à Laplace, son ministre de l'intérieur, fait par lui comte et président du Sénat: « donc, dans votre système, reste-t-il place pour Dieu ? ».son interlocuteur se montrait-il franc et conséquent avec lui-même en répondant simplement : « Sire, je n'ai pas besoin de cette hypothèse que rien ne justifie. » (Comme il y a parfois d'étranges ministres!) (2). La clairvoyance de l'Eglise catholique eut naturellement bientôt fait de reconnaître que cette théorie moniste du développe- ment cosmique, désormais partout admise, détrônait le créateur personnel et détruisait le mythe de la créa- tion ; mais elle se comporta, au contraire, comme elle aA^ait fait deux ans plus tôt vis-à-vis de l'invincible système de Copernic, étroitement lié aux doctrines du jour; elle chercha autant^que possible à taire la vérité, ou à la combattre avec les méthodes jésuitiques con- nues, et enfin à se tenir prête. Si, de nos jours, l'Eglise souveraine tolère en silence le système de Copernic et la Cosmogonie de Laplace, si elle ne les combat plus, c'est en partie parce qu'elle a le sentiment de son impuissance intellectuelle, en partie parce qu'elle pré- sume avec raison que les masses stupides ne réfléchis- sent guère sur de si graves sujets.

Pour se faire une idée nette et une opinion arrêtée au sujet de ce développement cosmique suivant les lois naturelles, au sujet de « l'apparition et de la disparition, >> de millions de soleils et d'étoiles, il est nécessaire de posséder non seulement certaines eonnaissances astro-^

12 RELIGION ET ÉVOLUTION

nomiques et physiques, mais encore d'être rompu aux mathématiques et d'avoir l'imagination vive. La loi d'évolution nous apparait bien plus simple, bien plus facile à saisir dans la géologie. Car toute averse, toute agitation de la mer, la moindre irruption volcanique, la moindre pierre éboulée nous convainquent déjà im- médiatement des modifications qui se produisent sans cesse à la surface de la terre.

Mais la portée historique de ces modifications n'a été bien entrevue qu'en 1822, par Charles de Hoff, à Gotha et c'est seulement en 1830 que le grand géologue an- glais, Charles Lyell, a posé les bases de la géologie moderne, laquelle explique par des causes naturelles la production et la constitution de l'écorce terrestre, la formation des montagnes et les périodes qu'a traversées la terre montrant ces phénomènes dans leur solida- rité constante (3). L'immense épaisseur des couches de terrain qui renfermaient les restes pétrifiés d'organismes disparus, a révélé la durée inouïe, longue de plusieurs millions d'années, des périodes pendant lesquelles ces terrains de sédiment ont été déposés parles eaux. Mais, à elle seule, la durée de la période organique de This- toire de la terre, c'est-à-dire la longueur du temps pen- dant lequel les êtres vivants, animaux et plantes, se sont développés à la surface de la terre, doit être éva- luée à plus de cent millions d'années. Ces données géologiques et paléontologiques ont détruit la légende courante au sujet de l'œuvre des six jours, accomplie par un Créateur personnel. Néanmoins de nombreuses tentatives ont été faites et se poursuivent aujourd'hui encore, pour concilier le récit de Moïse sur la création

RELIGION ET EVOLUTION 13

surnaturelle, avec la géologie moderne (surtout en An- gleterre) (4). Mais sur ce point encore, tous les efforts de l'Eglise ont échoué. Remarquons en passant que l'é- tvide de la géologie, les réflexions qu'elle fait naître au sujet de la durée énorme des périodes du développement cosmique, l'accoutumance aux simples causes méca- niques qui le modifient sans cesse, tout cela est de la plus haute importance pour le progrès des lumières. Cependant (ou peut-être à cause même de cela?) au- jourd'hui encore, dans la plupart des écoles, l'ensei- gnement de la géologie est négligé, sinon complètement absent. Il n'en est pas m.oins particulièrement propre (rattaché à la géographie), à élargir le cercle de la cul- ture générale et à familiariser l'enfant, de bonne heure, avec l'idée d'évolution. Un homme cultivé, qui connaît les éléments de la géologie, n'éprouvera jamais d'en- nui, car il trouvera partout, dans la nature qui l'envi- ronne, dans la pierre aussi bien que dans l'eau, dans la plaine aride aussi bien que dans la montagne, des objets instructifs qui le conduiront à réfléchir (5).

Le processus de l'évolution est plus difïîcilement abordable dans la nature organique. Mais ici il faut dis- tinguer, dans le développement biologique, deux séries différentes de phénomènes, entre lesquelles seule la loi fondamentale biogénétique formulée par nous (1866) établit un étroit rapport causal : la plus ancienne est l'ontogénie, la plus jeune, la phylogénie- Il y a qua- rante ans encore, on entendait par u Histoire du dé- veloppement » l'embryologie exclusivement, c'est-à- dire un chapitre seulement de cette science ; on exa- minait au microscope les processus merveilleux par

14 RELIGION ET ÉVOLUTIOxN

lesquels, de la simple semence des plantes, ou de l'œuf de l'oiseau sort la structure compliquée de la plante ou de l'animal entièrement développés. Jusqu'au début du dix- neuvième siècle a régné une opinion erronée sui- vant laquelle ces êtres, d'une merveilleuse complexité, existeraient déjà, préformés, dans l'œuf, chacun des nombreux organes n'ayant plus qu'à croître et à pren- dre en se u développant » (evolutio) sa forme indivi- duelle, pour entrer en fonction. En vain, un naturaliste allemand de génie G. F. Wolff, (le fils d'un tailleur de Berlin), avait-il montré, dès 1759 ce qu'aA-ait d'erroné cette « théorie de la préformation ». Il avait fait voir, dans sa thèse de doctorat, que l'œuf de poule (dont on se sertie plus souvent et qui offre le plus de facilité pour ces recherches), ne présente au début, aucune trace de ce que sera plus tard le corps de l'oiseau, de ses os ou de ses muscles, de ses nerfs ou de ses plumes, mais au lieu de tout cela un petit disque rond formé seulement de deux minces feuillets superposés. IVo/^ avait, en outre, montré que ces éléments très simples engendrent peu à peu les divers organes et qu'on peut suivre pas à pas la série de ces réelles néoformations. Mais ces décou- vertes si importantes et la « théorie de l'épigénèse » qu'elles étayaient et dont la vérité était tirée de la nature demeurèrent cinquante ans méconnues et furent re- poussées par les autorités. C'est seulement après qu'0/ce/i, d'Icna(1806), eût à son tour constaté ces faits impor- tants, que Pandereùl examiné de plus près les feuillets germinatifs, et qu'enfin Ch. E. von Baer dans son ou- vrage classique sur l'embryologie animale eût allié « l'observation àlaréflexion », —que l'embryologie par-

RELIGION ET EVOLUTION 15

vint au rang de science distincte et solidement fondée empiriquement.

Elle obtint peu après, en botanique, une légitime consécration, due surtout à M. Schleiden, d'Iéna, ce naturaliste ingénieux qui, en fondant la Théorie cellu- laire (1838), donna à la biologie tout entière une base nouvelle. Mais c'e^t seulement vers le milieu du dix- neuvième siècle qu'on en vint graduellement à recon- naître ce fait important que l'œuf des plantes et des animaux n'est autre chose, lui aussi, qu'une simple cellule, et que cet « organisme élémentaire » est la source d'où sortent peu à peu, par épigénèse, après de nombreuses subdivisions des cellules, après une divi- sion du travail poussée très avant, les tissus et les orga- nes ultérieurs. Un dernier pas, le plus important, conduisit à la conviction qu'en vertu des mêmes lois, notre organisme humain, lui aussi, provient de l'ovule (que Baer n'avait découvert qu'en 1827), et que son mode particulier de développement embryologique est le même que celui des autres mammifères, en par- ticulier des singes. Chacun de nous, au commence- ment de son existence individuelle, était une simple sphère de plasma, d'un quart ""^ de diamètre, enfermée dans une enveloppe et contenant au centre un noyau solide ; c'est tout. Grâce à ces importantes décou- vertes embryologiques, les hypothèses relatives à la nature de l'organisme humain, auxquelles l'anatomie comparée avait depuis longtemps conduit, se trouvèrent confirmées : on acquit la conviction que le corps hu- main est construit absolument comme celui de tous les autres mammifères et qu'il provient, de la même ma-

16 RELIGION ET EVOLUTION

nicre, de la simple cellule œuf. D'ailleurs, dans son œuvre capitale, le u système de la nature » (1735), Linné avait déjà assigné à l'homme sa place dans la classe dos mammifères.

A l'inverse de ces faits embryologiques, qu'on peut observer immédiatement, les données de laphylogénie, qui seuls fournissent la véritable explication des précé- dents, échappent en grande partie à notre observation directe. Comment sont apparues, au début, les innom- brables espèces d'animaux et de plantes? Comment peut- on s'expliquer les merveilleux rapports de parenté qui relient les espèces voisines en genres, ceux-ci en classes? Lin?ié se contente encore de résoudre cette ques- tion par le miracle de la création, s'appuyant sur le dogme courant de la tradition mosaïque : u II y a autant d'espèces différentes d'animaux et de plantes, que Dieu, à l'origine, à créé de types différents. » La première réponse scientifique est due au grand naturaliste fran- çais Lamarc/e (1809); dans sa profonde PAi7osop/iie zoolo- gique, il enseignait que les ressemblances de forme et de structure entre les groupes d'espèces proviennent d'une parenté d'origine et que la totalité des êtres orga- nisés descendent d'un petit nombre de formes pri- mitives extrêmement simples (peut-être même d'une seule); ces formes primitives seraient issues, par généra- tion spontanée, de la substance inorganique. Les res- semblances entre espèces voisines s'expliqueraient par V hérédité, certaines formes ancestrales ayant été com- munes, — les dissemblances, ])arV adaptation à des con- ditions de vie différentes et par l'activité variée des organes particuliers susceptibles de transformation.

RELIGION ET EVOLUTION 17

L'espèce humaine, elle aussi, se serait produite de cette manière : par la transformation d'une série d'ancêtres' mammifères, en particulier de primates de l'espèce simiesque.

Ces vues géniales de Lamarck, qui nous rendent compréhensible le domaine tout entier des merveilles de la vie organique et dont le plus grand de nos poètes et de nos penseurs, Gœthe, s'est beaucoup rapproché dans ses recherches personnelles ont permis d'éta- blir la théorie fondamendalc que nous appelons aujour- d'hui théorie de la descendance, ou encore transfor- misme. Mais le perspicace Lamarck comme cinquante ans auparavant G. F. Wolff était venu un demi-siècle trop tôt; sa théorie ne fit aucune impression et fut bientôt complètement oubliée.

Elle ne fut ramenée au jour qu'en 1839, par le génial Charles Darwin qui, lui-même, était l'année oii parais- sait la Philosophie zoologique. Le contenu de ses doctrines et le succès de ce que nous appelons depuis quarante- six ans le darwinisme (au sens large du mot), sont choses si universellement connues que nous n'avons pas besoin d'y insister davantage. Nous voudrions seu- lement faire remarquer que l'immense succès de ces œuvres de Darwin, qui font époque, tient à deux raisons différentes : la première c'est que le naturaliste anglais a mis à profit, dans la plus ingénieuse des combinaisons, un trésor inouï de matériaux empiriques, accumulés depuis cinquante ans et qui lui a fourni une démons- tration en règle de la théorie de la descendance; la se- conde, c'est qu'il a complété cette théorie par une autre, à lui propre, la théorie de la sélection naturelle. Cette

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18 RELIGION ET EVOLUTION

théorie de la sélection, qui fournit de la transformation de l'espèce une explication causale, est à proprement parler la seule qu'au sens rigoureux on devrait appe- ler « darAvinisme. « Dans quelle mesure cette théorie est-elle justifiée, dans quelle mesure convient-il de la modifier par des théories plus nouvelles, telles que la théorie du plasma germinatif de Weismann (1884), celle de la mutation de De Vries (1900)? ce sont des ques- tions sur lesquelles nous ne pouvons pas nous étendre aujourd'hui. Ce qui nous intéresse bien davantage, c'est l'influence sans exemple que le darwinisme et son application à l'homme ont exercée depuis quarante ans dans toutes les branches du savoir humain ; puis l'op- position dans laquelle cette théorie devait forcément se trouver vis-à-vis des dogmes de l'Eglise.

De toutes les conséquences qu'entraînait la théorie de la descendance, la plus intéressante et la plus grave était celle qui résultait de l'application anthropologique de la doctrine. Puisque tous les autres organismes s'étaient produits sans miracle, puisqu'ils étaient issus par des procédés naturels, deformes vivantes antérieures au moyen de transformations, il fallait nécessairement que la race humaine, elle aussi, provînt par transfor- mation, des mammifères les plus analogues à l'homme, des « Primates » de Linné : singes et demi-singes. Cette conséquence naturelle, que déjà Laniarck avait tirée en toute simplicité, sans chercher à la dissimuler, que Danvin, au contraire, avait d'abord supprimée intention- nellement, fut exposée tout au long par un zoologiste anglais de génie, Thomas Huxley (1803) dans ses trois conférences sur « La place de l'homme dans la nature ».

RELIGION ET EVOLUTION 19

II montra comment cette « question importante entre toutes les questions )) trouvait sa réponse nette dans un triple et important a témoignage » : dans l'histoire natu- relle des singes anthropoïdes, dans les relations anato- miques et embryologiques qui unissent l'homme aux animaux immédiatement inférieurs, dans les débris de fossiles humains, récemment découverts. Darwin exprima huit ans plus tard son adhésion aux vues de son ami Huxley et, dans son ouvrage en deux volumes, sur La descendance de_ l'homme et la sélection sexuelle (1871), il donna une nouvelle série de preuves à l'appui du fait si redouté, que « l'homme descend du singe ». Je repris moi-même (1874) l'essai tenté dès 1866 pour reconstituer hypothétiquement et approximativement, à l'aide de l'anatomie comparée et de l'ontogénie, sans négliger la paléontologie, la série entière des animaux disparus qui figurent les ancêtres de l'homme. Cet essai, grâce aux progrès de nos connaissances, a subi des améliorations dans les cinq éditions de mon Anthro- pogénie. Au cours de ces vingt dernières années une riche littérature a paru sur ce sujet : parmi tant d'ou- vrages, les écrits populaires et très répandus de mes amis E. Krause (Carus Sterne) : Devenir et disparaître, et G. Bolsche, Création de l'homme, Vie amoureuse de la na- ture, etc., se distinguent par la beauté de la forme et la clarté de l'argumentation. Je crois pouvoir supposer le contenu de ces livres en grande partie connu, j'aborde donc tout de suite la solution de la question qui, aujour- d'hui nous intéresse particulièrement, à savoir: quelle forme a pris en ces derniers temps l'antagonisme iné- vitable entre ces importantes conquêtes de la science

20 RELIGION ET EVOLUTION

moderne, d'une part et les dogmes de l'Eglise, de l'autre ?

Il était évident que la théorie de la descendance, en général, aussi bien que son application à l'homme en particulier, provoqueraient aussitôt la résistance ou- verte de V Eglise, surtout des églises judaïque et chré- tienne , car la théorie et son application sont en contra- diction flagrante avec le récit mosaïque de la création et avec les autres dogmes de la Bible qui s'y rattachent et qui forment, aujourd'hui encore, la base première de l'enseignementdans presque toutes les écoles. Si donc les théologiens et leurs intimes alliés les métaphysiciens ont, dès le début, rejeté le darwinisme et s'ils ont éner- giquement combattu, par de nombreux écrits, sa con- séquence la plus grave, la « parenté de l'homme et du singe», nous ne pouvons voir qu'une preuve de clairvoyance. La résistance put prendre une attitude d'autant plus autorisée et sûre du triomphe que, durant les sept ou huit premières années qui suivirent l'appa- rition de Darwin, même dans les milieux directement intéressés, parmi les biologistes, la doctrine nouvelle ne rencontra presque partout qu'une attitude froide et sceptique, tandis que les adhésions étaient rares. J'en peux parler mieux qu'un autre par expérience; car lorsqu'en 1863, au Congrès des naturalistes de Stettin, j'exposai pour la première fois en public la « théorie de Darwin sur l'évolution », je me trouvai tout à fait isolé et la grande majorité regretta que j'eusse a^ouIu défendre sérieusement une doctrine aussi fantaisiste, le « Songe d'un somme fait l'après-midi », comme disait avec pitié Keferstein, le zoologiste de Gottingen.

La conception générale de la nature était alors, il y a

RELIGION ET ÉVOLUTION 21

de cela cinquante ans, si difFérente des vues qui préva- lent aujourd'hui qu'il est difficile d'en donner une idée nette à un jeune naturaliste philosophe. Le grand problème de la création, la question de savoir comment les diverses espèces animales et végétales sont appa- rues, d'où l'homme provient, n'existaient pas pour la science exacte; il n'en était pas question.

Alexandre de Humboldt fit, ici même, il y a de cela soixante-dix-sept ans, une série de conférences dont devait sortir son livre célèbre : (< Cosmos, principes de la description physique du monde ». Lorsqu'il effleura en passant l'obscur problème de l'apparition des êtres organiques sur noire planète, il se contenta de cette remarque résignée : u Ce n'est pas dans le domaine empirique de l'observation objective, dans la description du devenu, que doivent rentrer les pro- blèmes mystérieux et non résolus encore du devenir » (t. I, p. .367). Il est curieux de constater que Jean Mül- ler le plus grand biologiste allemand du xix° siècle, déclare encore en 1852, dans sa brochure célèbre sur t' la production des gastéropodes à l'intérieur du corps des Holothuries » : « L'apparition d'espèces animales diverses est incontestable, c'est même un fait confirmé par la paléontologie, mais il reste surnaturel tant que cette apparition ne se laisse pas ramener à des actes du devenir et qu'elle ne saurait faire l'objet d'une observation. » J'ai eu moi-même, pendant l'été de 1854, plusieurs entretiens remarquables avec Jean Mill- ier, celui de tous mes maîtres célèbres dont je fais le plus de cas. Ses conférences de physiologie et d'ana- lomie comparée les plus brillantes et les plus sug-

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gestives que j'aie jamais entendues m'avaient à ce point passionné, que je sollicitai et obtins du maî- tre la permission d'étudier de plus près et de dessiner les squelettes et autres préparations qui se trouvaient dans son grand musée d'anatomie comparée (situé alors dans l'aile droite des bâtiments de l'Université de. Berlin). Müller (alors âgé de cinquante-quatre ans), avait l'habitude de passer l'après-midi du dimanche seul dans son muséum; il allait et venait pendant des heures, dans les vastes salles, les bras croisés derrière le dos, plongé dans des considérations rela- tives à la parenté mystérieuse des vertébrés, à cette c( sainte énigme » que prêchaient si impérieusement les squelettes rapprochés les uns des autres. De temps en temps, cependant, le grand maître se tournait de côté, vers la petite table à laquelle était assis dans un coin de fenêtre l'étudiant de vingt ans, en train de dessiner consciencieusement des crânes de mammi- fères, de reptiles, d'amphibies et de poissons.

Je me risquais alors à lui demander l'explication de relations anatomiques particulièrement compliquées et je hasardai un jour timidement, cette question: « Est- ce que tous ces vertébrés, dont le squelette interne est le même en dépit des différences extérieures, ne pro- viendraient pas, originellement, d'une même forme ancestrale? >> Le maître secoua, d'un air songeur, sa tête pleine de pensées et me répondit : « Voilà, si nous savions cela ! Si vous pouviez un jour résoudre cette énigme, vous auriez alors atteint le but suprême I » Quelques mois plus tard, en septembre 1854, j'eus la faveur d'accompagner Müller à Helgoland et j'appris à

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connaître, grâce à lui, les merveilleuses splendeurs du monde marin ; tandis qu'assis dans le bateau, nous péchions ensemble et prenions de belles méduses, je lai demandai comment on devait expliquer la merveil- leuse alternance de leurs générations? Si les méduses, dont les œufs aujourd'hui encore, donnent journelle- ment naissance à des polypes, ne proviendraient pas, à l'origine de la forme plus simplement organisée qu'est le polype? Celte question téméraire, elle encore, ne me valut qu'une réponse résignée : u Yoiià, nous sommes en présence d'une pure énigme ! De l'ori- gine des espèces nous ne savons absolument rien 1 » Jean Millier était, sans contredit, un des plus grands naturalistes du dix-neuvième siècle, il prenait rang à cùté Cuvier et de Baer, de Lamarck et de Darwin. La profondeur de son investigation pénétrante allait de pair avec la largeur de son jugement philosophique et rétendue incroyable des connaissances qu'il possé- dait en biologie. E. du Bois-Reyniond, dans le beau discours qu'il prononça en mémoire de Müller, le compara très justement à Alexandre le Grand, dont l'empire se morcela à sa mort en de nombreux royau- mes indépendants. Dans ses cours et dans ses œuvres, Müller n'aborda pas moins de quatre sciences distinctes, pour lesquelles, après sa mort (1858), autant de chaires furent fondées: Tanatomie humaine, la physiologie, l'anatomie pathologique etl'anatomie comparée; deux branches importantes d'études étaient même adjointes aux précédentes : la zoologie et l'embryologie. Car, même en ce qui concerne ces branches de la biologie nous avons appris plus par les classiques leçons de

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Müller que par les conférences officielles des spécialistes chargés de cet enseignement. Le maître mourut en 1858, quelques mois avant que Ch. Darwin ci A. Wallace ne publient dans le journal de la Société Linné, à Londres, les premières communications relatives à leur nou- velle théorie de la sélection. Je ne doute pas le moins du monde que celte étonnante solution de l'obscure énigme de la création n'eût profondément impres- sionné Müller et ne l'eût amené, après de mûres réflexions, à une complète adhésion.

A l'exemple de ce grand maître de la biologie, tous les autres anatomistes, physiologistes, zoologistes et botanistes considéraient, jusqu'en 18j8, la question de la création organique comme un problème non encore résolu; la grande maioritéle tenaient même pour inso- luble et transcendant. Triomphants, les théologiens et leurs alliés, les métaphysiciens, s'appuyaient sur ce fait; car il mettait nettement en lumière l'insuffisance de la raison et de la science; seul un miracle pouvait avoir fait surgir ces organismes dont la construction révélait un plan ; seul, dans sa sagesse et sa toute-puis- sance, Dieu pouvait avoir créé l'homme « à son image I » Cette résignation générale de la raison et le triomphe du dogme surnaturel, qui tirait d'elle sa force, semblent, pendant les trente années qui séparent Lyell de Darwin, entre 1830 et 18j9, choses d'autant plus paradoxales que l'histoire naturelle de l'évolution de la terre, telle que l'avait exposée le grand géologue anglais, avait bientôt recueilli l'adhésion générale. A partir de lui, dans toute la nature inorganique, dans la formation des montagnes comme dans la révolution des astres, on

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n'admit plus que la rigoureuse nécessité de la loi naturelle ; par contre, dans toute la nature organique, dans création et lexistence des animaux et des plantes, on faisait intervenir la sagesse et la toute-puissance du créateur, construisant et régissant d'après un plan; en un mot : dans Tabiotique, dans le monde inorganique, tout était produit par la causalité mécanique, dans la biologie, dans la nature organique, par la finalité téléologique.

La philosophie proprement dite ne s'inquiétait pour ainsi dire pas de ce dilemme. Presque exclusivement préoccupée de spéculations métaphysiques et dialec- tiques, elle regardait les pnogrès immenses accomplis dans Fintervalle par les sciences naturelles, avec un souverain mépris, ou du, moins avec inditîérence. En tant que pure science de l'esprit, la philosophie pen- sait pouvoir faire sortir le monde du cerveau humain et n'avoir pas besoin des matériaux variés, péniblement acquis par l'expérience et l'observation. C'était surtout le cas en Allemagne, oi^i le système de V « idéalisme absolu '), représenté par F. Hegel, jouissait à Berlin de la plus haute considération, depuis, surtout, qu'il était devenu obligatoire à titre de « philosophie d'état du royaume de Prusse » faveur due sans doute à ce que, selon Hegel, « la volonté divine elle-même est présente dans l'Etat et la constitution monarchique, seule, incarne le développement de la raison ; toirtes les autres constitutions sont des étapes inférieures du développement de la raison .\ On a loué hautement la métaphysique obstruse de Hegel, (le monum.ent qu'on lui a élevé derrière ce bâtiment même éternise le sou-

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venir de la « raison absolue) » parce qu'elle est pré- cisément, un développement systématique de l'idée fondamentale de Y évolution. Mais cette soi-disant ^^ évo- lution de la raison » planait fort au-dessus de la nature, dans le pur éther de l'esprit absolu, affrancbie de tout le bagage matériel entassé, pendant ce temps, par riiisloire empirique du développement du cosmos, de la terre et des organismes qui la peuplent. Et d'ailleurs on sait que Hegel lui-même a déclaré avec une doulou- reuse résignation, que parmi tous ses nombreux élèves un seul l'avait compris, qui l'avait mécompris (G).

Du point de vue plus élevé de l'histoire générale de la civilisation, une embarrassante question se pose : quelle valeur accordait-on à l'idée d^évolutlon dans Tensemble de la science? La réponse ne peut être que celle-ci : infiniment variable! Les phénomènes du développement individuel, de l'ontogénie, se présen- taient sous une forme palpable; le développement de l'écorce terrestre et de ses montagnes, en géologie, paraissài t fondé empiriquement avec une égale certitude ; le développement physique du cosmos semblait établi par la spéculation mathématique ; dans tous ces grands domaines, il n'était plus sérieusement question d'une création, au sens propre du terme, d'une construction conforme à un plan et due à un créateur personnel. Mais on n'en défendait que plus énergiquement cette thèse sitôt qu'il était question de l'apparition des innom- brables espèces animales et végétales et, en particulier, de la création de l'homme. Ce problème transccndenlal semblait totalement étranger au développement naturel, de même que la question de l'origine et de la nature

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de l'âme, substance mystique, dont la spéculation métaphysique revendiquait pour elle seule la connais- sance. Dans cet obscur chaos de notions contradic- toires, Ch. Darwin, en 1859, fit d'un coup la lumière; dans son livre qui fait époque : De Vorigine des espèces animales et végétales expliquée par la sélection naturelle, il démontra d'une manière convaincante que ce phé- nomène historique n'était pas un mystère surnaturel, mais un processus pliysiologique et que la préservation des races les plus parfaites, dans la lutte pour la vie, avait produit, par un développement naturel, le monde des merveilles de la vie organique.

Aujourd'hui que la théorie de l'évolution est admise presque partout en biologie, que des milliers travaux anatomiques et physiologiques viennent chaque année s'appuyer sur cette base solide, la jeune génération a peine à se représenter la résistance acharnée que rencontra tout de suite la doctrine de Darwin, et les luttes passionnées qui se livrèrent à son sujet. En première ligne, VEglise éleva contre ces théories une énergique protestation; elle entrevit avec raison dans le nouvel adversaire l'ennemi mortel du mythe admis au sujet de la création et elle comprit que, du même coup, les fondements du dogme de l'Eglise étaient particulière- ment menacés. L'Eglise trouva bientôt une puissante alliée dans la métaphysique dualiste, qui, dans la plu- part des Universités, aujourd'hui encore, élève la préten- tion de représenter la véritable philosophie « idéaliste ». Mais pour le jeune darwinisme, plus dangereuse encore apparut l'opposition violente qui, presque partout, s'éleva du propre camp de la science empirique. Car la

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théorie régnante de la constance des espèces, le dogme de la stabilité des diverses espèces et de leur création indépendante, étaient menacés d'une manière bien plus redoutable par la théorie de la descendance, de Darwin que par le transformisme de Laîiiarck; celui-ci, cin- quante ans plus tôt, avait soutenu, pour l'essentiel la même thèse, mais faute d'arguments convaincants, il n'avait eu alors aucun succès. De nombreux naturalistes, et de très distingués parmi eux, se firent les adversaires de Darwin, soit parce qu'ils ne possédaient pas une vue d'ensemble suffisante de la biologie, soit parce que les spéculations hardies du novateur semblaient s'écarter beaucoup trop de la base incontestée de l'ex- périence.

Lorsque parut, en 1859, l'œuvre capitale de Darwin qui, comme un éclair, illumina le camp de la biologie classique, plongé dans les ténèbres, je me trouvais en Sicile, j'étais parti pour un an faire un voyage de recherches, car je me livrais alors à une étude appro- fondie des radiolaires, extraordinaires et charmants ani- maux microscopiques, qui par la beauté et la diversité de leurs formes l'emportent sur tous les autres repré- sentants des règnes animal et végétal. L'étude spéciale de cette merveilleuse classe d'animaux, dont je décrivis plus tard au delà de quatre mille espèces, et qui me coûta plus de dix ans de recherches, me fournit un des fonde- ments les plus solides de ma conception darAviniste de la nature. Cependant, lorsqu'au printemps de 1860, je revins de Messine à Berlin, je ne savais encore rien de l'œuvre de Darwin; j'appris seulement, par mes amis de Berlin, qu'un livre extraordinaire, à un anglais un

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peu fou, produisait une vive sensation et que ce livre jetait par dessus bord toutes les théories jusqu'alors proposées au sujet de l'origine des espèces.

Je constatai bientôt que presque tous les savants ber- linois s'accordaient à repousser le darwinisme ; à leur tête étaient le célèbre microscopiste Ehrenberg et l'ana- tomiste Reichert, le zoologiste Pe/e/'^ et le géologue Bey- rich. Le brillant orateur de l'Académie de Berlin, Emile du Bois-Reymond hésitait; il reconnaissait, d'une part, que la théorie de la descendance était la seule solution naturelle de l'énigme de la création ; d'autre part, il en regardait railleusement le développement comme un mauvais roman et pensait que les recherches philogé- nétiques sur la communauté d'origine des diverses espèces avaient à peu près la même valeur que les rêveries des philologues sur l'arbre généalogique des héros homériques. Isolé, l'excellent botaniste Alex» Braun, faisait exception par son adhésion entière et cha- leureuse à la théorie de la descendance. C'est près de ce maître cher, pour qui j'avais le plus grand respect, que je trouvai une consolation et des encouragements, après que la première lecture de Vœuvre de Darwin m'eût pro- fondément impressionné et, bientôt, complètement ga- gné au transformisme; je trouvais, en effet, dans la conception darwiniste de la nature, grandiose et unifiée, dans son argumentation convaincante en faveur de l'évolutionnisme, la solution de tous les doutes qui m'a- vaient assailli depuis le début de mes études biologiques.

Dans cette grande bataille des esprits, mon célèbre maître R. Virchow joua un rôle remarquable ; je l'avais connu en 1832 à Würzbourg et j'avais bientôt noué avec

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lui, comme élève parliculier, puis comme assistant ponctré d'admiration, les plus amicales relations. Je crois être du petit nombre de ces hommes qui, âgés aujourd'hui, ont suivi avec le plus vif intérêt, pendant un demi-siècle, l'évolution de Virchoiv, tant comme homme que comme naturaliste. Je distingue, dans sa métamorphose psychologique, trois périodes. Durant les dix premières années de son activité académique, passées en grande partie à Würzbourg, de iSi1 h 1858, il travailla à réaliser cette réforme capitale de la méde- cine qu'il couronna par sa pathologie cellulaire. Pen- dant les vingt années suivantes (1858-1877), il s'occupa surtout de politique et danthropologie ; son attitude vis-à-vis du darwinisme avait été favorable au début, elle fut ensuite celle d'un sceptique et finalement celle d'un adversaire. C'est à partir de 1877 seulement, que Vlrchow devint l'ennemi plus déclaré et plus écoulé de la théorie de la descendance, depuis le moment où, dans son discours célèbre sur « La liberté de la science dans l'état moderne », il attaqua cette liberté à sa base, dé- nonça la théorie de la descendance comme menaçant rétat et exigea qu'on la chassât de l'école. Cette curieuse, métamorphose est, dune part si importante et si grosse de conséquences, d'autre part elle a été si faussement interprétée que je dois me réserver d'en parler plus lon- guement après-demain, dans ma seconde conférence, d'autant plus qu'au premier plan du sujet nous trouve- rons un problème spécial : la parenté de l'homme et du singe. Je me contente donc aujourd'hui d'insister sur ce fait qu'ici même, h. Berlin, dans la « Métropole de l'in- telligence ", la théorie moderne, aujourd'hui régnante

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de révolution s'est heurtée à une résistance plus obstinée que élans la plupart des autres centres de culture intel- lectuelle, et que cette résistance doit être attribuée en première ligne à la puissante aulorito de Virchow.

Nous nous bornerons aujourd'hui à jeter un re- gard rapide sur le triomphe splendide que l'idée d'évo- lution a remporté au cours des trente dernières années du xix° siècle. La violente opposition à laquelle le dar- winisme s'était heurté presque partout, dans les pre- mières années qui suivirent son apparition, se ralentit déjà moins de dix ans après. Entre 1860 et 1874 parurent de nombreux travaux dans lesquels, non seulement les fondements de la théorie de la descendance étaient plus solidement établis, mais qui contribuaient, en outre, par un exposé populaire, à répandre et établir le dar- Avinisme dans le grand public. Après que j'eus fait moi- même, en 1806, dans ma u Morphologie générale ^^ un premier essai d'exposition systématique de la théorie de l'évolution et tenté de faire de cette doctrine la base d'une philosophie monisle, les dix éditions de mon

Histoire de la Création Naturelle « exposèrent les idées fondamentales du darAA'inisme sous une forme accessible à tous. Dans mon a Anthropogénie » (1874),je me risquai le premier à faire l'application logique de la théorie de la descendance à l'homme et à établir hypotliétiquement la série animale de ses ancêtres. L'esquisse d'un système naturel des organismes fondé sur l'histoire de leurs ancêtres fait le fond des trois volumes de ma « Phylo- gériie systématique » (1894-1896). La revue darwiniste, le « Cosmos » a apporté, depuis 1877, d'importantes con- tributions à la théorie de Darwin, qu'elle a recueillies

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dans toutes les branches de la science. Enfin, un grand nombre d'ouvrages populaires excellents ont contribué à répandre le transformisme dans le grand public.

Cependant, le progrès le plus important et le plus heureux qu'ait accompli la science a consisté en ce fait, qu'au cours de ces trente dernières années l'idée d'évo- lulion a trouvé accès dans toutes les branches distinctes de la biologie et s'est fait reconnaître comme leur base indispensable. Des milliers de découvertes et d'obser- vations nouvelles, faites dans toutes les branches de la botanique et de la zoologie, de la protistique et de l'an- thropologie, sont devenues autant d'arguments à l'appui du transformisme, autant de données empiriques sur l'histoire des familles. C'est surtout le cas pour les pro- grès merveilleux de la paléontologie, de l'anatomie com- parée et de l'ontogénie; mais cela vaut également de la physiologie, de la chorologie et de l'œcologie. Combien, grâce à tout cela, notre point de vue s'est élargi et notre conception moniste de la nature unifiée, c'est ce dont témoignent tous les manuels modernes de biologie ; si on les compare à ceux qui exprimaient, il y a quarante ou cinquante ans, la substance de nos connaissances re- lativement à la nature, on est forcé de reconnaître que le progrès est incroyablement grand. Les sciences anthro- pologiques un peu plus éloignées : l'ethnographie et la sociologie, l'éthique et la jurisprudence, elles aussi, con- tractent des liens toujours plus étroits avec la théorie de la descendance et ne peuvent plus se soustraire à son influence. En présence de ces faits, il n'y a que sottise et absurdité de la part des périodiques théologiques et métaphysiques à parler aujourd'hui encore de u l'eflbn-

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drement de la llicorie de révolution », ou du c lit de mort du danvinisrnc ».

Le plus grand triomphe qu'ait cependant remporté notre théorie de l'évolution, c'est qu'elle a forcé, au début du xx' siècle, sa plus puissante adversaire, l'Eglise, à s'adapter à elle et à faire la première tentative en vue d'établir la bonne harmonie entre le darwinisme et le dogme. Plusieurs essais timides avaient déjà été tentés en ces dix dernières années, par divers théologiens et philosophes libres-penseurs, mais sans beaucoup de succès. Cependant, le mérite d'avoir conduit à terme cette tentative hardie, d'avoir traité la question d'une manière large en faisant preuve de connaissances appro- fondies, revient à un jésuite, le P. Erich Wasmann, de Luxembourg. Cet entomologue pénétrant et érudit s'étai t déjà fait connaître avantageusement parmi les zoolo- gistes par une série d'excellentes observations sur la vie des fourmis et des parasites qui élisent domicile dans leurs demeures, en particulier des petits coléoptères qui, précisément en s'adaptant à ces conditions spéciales de vie, subissent une transformation très curieuse ; il avait démontré que ces transformations frappantes ne s'ex- pliquaient d'une manière plausible que si l'on admettait que ces parasites des fourmis provenaient d'autres espèces d'insectes, ayant mené une existence indépen- dante. Les articles épars, dans lesquels Wasmann expli- quait ces phénomènes biologiques tout à fait dans le sens de DarAvin, parurent d'abord (1901-1903) dans la revue catholique « Voix de Maria-Laach » ; ils sont au- jourd'hui réunis en un volume intitulé : « La biologie moderne et la théorie de l'évolution >) (publié à Fribourg

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en B. par l'éditeur ultramonlain, Herder, en 1904).

Ce remarquable livre de Wasînann est un chef-d'œu- vre de alsophisiique et de l'art jésuitiques de la défor- mation ; il est composé de trois parties, tout à fait différentes. Le premier tiers, sous forme d'introduc- tion, est un exposé clair et intéressant de la biologie moderne, en particulier de la théorie cellulaire et de celle de l'évolution, à l'usage des catholiques instruits (chap. I à YIII). Le second tiers, le chapitre IX, est la partie la plus précieuse de Fouvrage, il est intitulé : Théorie de la slahiliié ou Théorie de la descendance ? L'entomologue érudit nous donne ici un exposé inté- ressant des résultats de ses longues recherches sur la morphologie et l'œcologie des fourmis et de leurs parasites, les myrmécophiles ; ingénument et d'une manière conAaincanLc, il démontre que tous ces phé- nomènes curieux et embrouillés ne sont explicables que par la théorie de la descendance; il montre que Fancienne doctrine de la stabilité et de la création distincte des diverses espèces est complètement inad- missible.

Ce chapitre IX, avec de légers changements, pourrait faire avantageusement partie d'une œuvre de Darwin ou de Weismann, ou de tout autre représentant du transformisme. Le chapitre suivant (le X'), en même temps que le dernier tiers de l'ouvrage, forme avec le précédent, un violent contraste; la théorie de la des- cendance y est appliquée à riiomme d'une manière presque absurde; le lecteur en vient forcément à se demander si Wasmann adopte réellement le galimatias d'idées stupides qu'il expose, ou bien, si sa seule inten-

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tion n'a pas été d'embrouiller complètement le lecteur et de l'acheminer par ce procédé à adopter le dogme le plus plat de TEgiise.

Le livre de Wasmann a suscité une critique forte et approfondie de la part de divers naturalistes compé- tents, en particulier de Escherich el de France; en même temps qu'ils reconnaissent pleinement ses mérites réels, ils mettent en garde, avec insistance, contre les dangers graves dont la science biologique est menacée par l'insinuation chez elle de l'esprit de perfidie jésui- tique. Escherich expose tout au long les contradictions flagrantes et les inexactitudes manifestes que renferme cette (( théorie ecclésiastique de la descendance » ; il résume fort bien son opinion dans cette phrase: « S'il est (( vrai que la théorie de la descendance ne soit concilia- (( ble que sous la forme elle est exposée ici, avec les (( dogmes de l'Eglise, Wasmann a fourni la preuve rigou- (( reuse que la conciliation de la théorie de la descen- u dance avec les dogmes de l'Eglise était chose impossi- « ble. Car, ce que Wasmann nous sert ici comme théorie (( de la descendance est une chose si défigurée qu'elle . (( est méconnaissable, et ne sera jamais viable. » En pur jésuite ; Wasmann cherche à prouver que le darwinisme n'a pas pour conséquence d'anéantir, mais d'établir solidement la théorie de la création surnaturelle, et que ce ne sont pas, à proprement parler, Lamarck et Darwin mais saint Augustin et saint Thomas d'Aquin qui ont fondé la théorie de l'évolution, u Car Dieu n'intervient pas immédiatement dans l'ordre de la nature, il peut agir par des causes naturelles. » L'homme seul fait une remarquable exception, car : « L'âme humaine,

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cil tant qu'être spirituel, ne peut même pas être tirée par la puissance de Dieu de la matière, comme les formes substantielles des plantes et des animaux » (p. 299).

Dans un article fort instructif, sur la a science jésui- tique », (dans la Libre Parole, de Francfort, n" 22, 190i), R.-IL France nous donne une énumération précieuse des jésuites marquants qui travaillent aujourd'hui activement dans les divers domaines des sciences natu- relles. Ainsi qu'il le dit fort bien, ce qu'il y a lieu de craindre, « c'est une insinuation systématique de l'es- prit jésuitique dans la science, une déformation en règle des problèmes et des réponses, une habile des- truction des fondements de la science peu à peu minés : OU; plus exactement, le danger c'est qu'on ne prenne pas assez conscience de ce danger même et que le public et jusqu'à la science elle-même, ne tombent dans le piège habilement préparé et n'en viennent à croire qu'il existe une science jésuitique, dont les résultats peuvent être pris au sérieux 1 » (7).

Bien que je reconnaisse entièrement ces dangers menaçants, je suis porté à croire que le Père jésuite Wasmann et ses collègues, à l'encontre de leur volonté et de leur intention, ont rendu un service extraordi- naire à la science et en ont accéléré les progrès. L'Eglise catholique, la plus puissante et la plus nombreuse parmi les communautés chrétiennes, se voit chaque jour forcée de capituler devant la doctrine de l'évo- lulion ; elle en adopte la partie la plus impor- tante, la théorie de la descendance de Lamarck et de Darwin, qu'elle avait combattue violemment jusqu'en

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CCS vingt dernières années. Sans doute, elle mutile l'arbre puissant puisqu'elle en coupe la racine et le som- met; elle rejette, en bas, la g-énération spontanée ou archigonie, en haut, la parenté de lliomme avec une série de vertébrés, ses ancêtres. Mais ces mutilations sont sans importance durable. La biologie impartiale n'y fera pas attention et retiendra la concession faite par l'Eglise, qui accorde que les espèces les plus com- pliquées, parmi les organismes vivants, sont issues, par transformation, suivant les lois du darwinisme, d'une série de formes originelles plus simples. La croyance à une création surnaturelle ne vaut plus que pour la création des formes originelles les plus anciennes et les plus simples, desquelles les espèces naturelles tirent leur origine ; c'est ainsi que Wasmann désigne l'en- semble des espèces qui descendent manifestement d'une forme ancestrale commune, c'est-à-dire ce que tous les autres savants, dans leur classification, appel- lent des familles. C'est ainsi qu'il réunit en une seule « espèce naturelle » les 4.000 espèces de" fourmis de son système, convaincu qu'il est de leur communauté d'origine ; d'autre part, l'homme, à lui seul, forme une (( espèce naturelle ^> isolée, sans rapport avec les autres mammifères.

La pure sophistique jésuitique, dont Wasmann fait preuve dans cette distinction artificielle des « espèces systématiques et naturelles », apparaît en outre, dans ses « réflexions philosophiques sur la théorie de l'évo- lution » (ch. VIll), dans sa subtile distinction entre les aspects philosophique et scientifique de cette théorie, entre le développement dans une même famille et celui

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qui se continue dans plusieurs familles. Ses considéra- tions sophistiques sur a la cellule et la génération pri- mitive » (ch. YII) sont également mensongères et pleines de faux raisonnements. La question de la géné- ration spontanée ou arcliigonic, c'est-à-dire de la pre- mière apparition de la vie organique sur la terre, est un des problèmes les plus difficiles de la biologie et un de ceux au sujet desquels, même des naturalistes émi- nents font preuve d'une surprenante faiblesse de juge- ment. Un excellent exposé critique et populaire de cette question nous a été récemment donné par le D'" //. Schmidt, d'Iéna. Dans sa brochure sur La Génération spontanée et le professeur Reinke (1903), il a mon- tré à quelles idées absurdes conduisait, justement à propos de cette question importante, la croyance religieuse mystique. Le hoianisie Reinke, de Kiel, passe actuellement, dans les milieux pieux, pour l'adver- saire le plus puissant du « darwinisme » et chez beau- coup de conservateurs cette opinion s'appuie sur ce simple fait que Reinke est membre de la Chambre prussienne des Seigneurs (qui est, comme, on sait une bien intelligente société) ! Bien qu'elles respirent une profonde croyance évangélique, un grand nombre de ses déductions mystiques concordent cependant d'é- trange façon avec les spéculations catholiques du jésuite Wasmann et tout particulièrement en ce qui concerne la génération spontanée. Les deux théoso- phes, dans un parfait accord, font ressortir que la pre- mière apparition de la vie ne peut être expliquée que par un miracle, par le travail technique d'un << bon Dieu J> pergonnei, que Reinke désigne du nom d' « Intel-

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ligence cosmique ». J'ai précisément montré dans mes deux derniers ouvrages, les Enigmes de l'Univers et les Merveilles de la vie, que ces dogmes relatifs à la création sont dénués de valeur scientifique. J'ai surtout appelé l'attention sur des organismes, aujourd'hui encore très répandus, les Monères, de la classe des chromacées, dont le corps, aussi simple que possible, n'est qu'une boule de plasma vert, sans noyau et sans structure (chroococcus) ; toute leur activité vitale consiste en croissance (par plasmodomie) et en accroissement (par bipartition). Comprendre comment d'aussi simples mo- nères proviennent décomposés albuminoïdes inorgani- ques, n'est pas, en théorie, plus difficile que d'admettre leur transformation ultérieure en cellules à noyau, si simples fussent-elles. Tout cela est prudemment ignoré ou nié par Wasmann, ainsi que bien d'autres choses qui n'iraient pas dans son étalage jésuitique varié.

Vu l'étendue de l'influence que le papisme, par l'in- termédiaire du centre ultramontain, exerce actuelle- ment en Allemagne sur l'ensemble de la vie publique, ce changement d'attitude, de la part de l'Eglise militante constitue, pour nos écoles elles-mêmes, un grand progrès. Virchow, en 1877, avait encore réclamé que la théorie de l'évolution dangereuse pour l'Etat, fût exclue de l'enseignement à Fécole. Les ministres de l'instruc- tion publique, ceux de deux des plus grands états allemands accueillirent avec reconnaissance ce con- seil donné par le chef du parti progressiste, ils interdi- rent l'enseignement des théories darwinistes et s'effor- cèrent autant que possible de masquer la lumière qui venait éclairer la biologie. Et ftujourd'huii vingt-cinq

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ans après cela, les Jésuites arrivent et réclament le con- traire; ils reconnaissent ouvertement la théorie détestée de la descendance et s'efforcent de la réconcilier avec le dogme de TEglise! Quelle ironie de l'histoire! et quelle ironie plus grande encore, si nous comparons impar- tialement les comhats livrés en faveur de la liberté de pensée et de l'idée d'évolution, dans les autres pays civilisés de l'Europe I

En Italie, le lieu d'origine et l'abri encore actuel du papisme, celui-ci rencontre en général, dans les milieux cultivés, le plus profond dédain; j'ai vécu plusieurs années en Italie et je n'y ai jamais rencontré un Italien cultivé ayant des idées aussi bigotes et aussi bornées que celles qui sont courantes parmi les catholiques allemands, même dans les milieux éclairés, et qui triom- phent d'ailleurs en politique avec le centre du Reichstag allemand. C'est un fait caractéristique de l'état intellec- tuel arriéré des catholiques allemands, que le pape lui-même les regarde comme ses soldats les plus sûrs et les propose comme modèles aux fidèles des autres nations. Ainsi que nous l'enseigne riiisloire tout entière du papisme romain, le grand charlatan qui réside au Vatican est l'ennemi mortel de la libre science et du libre enseignement ici qu'on le pratique dans les Universités allemandes. Le jeune empire allemand devrait considérer comme son devoir le plus sacré d'entretenir cet esprit de réforme et d'élever le niveau de la culture allemande dans l'esprit Frédéric II avait travaillé à la même tache. Au lieu de cela, nous sommes obligés de constater avec une profonde anxiété que l'empereur, mal conseillé et induit en erreur par

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son entourage influent, se laisse envelopper de plus en plus dans les filets du clergé romain et en lui abandon- nant l'école, lui sacrifie déjà la raison de la génération qui grandit. En septembre 1904, les journaux romains annonçaient triomphalement que la conversion de l'empereur et de son chancelier (protestants tous deux) à la confession catholique était chose imminente (8).

La force de la croyance aux doctrines de l'Eglise, qui, dans les milieux protestants orthodoxes, aussi bien que chez les catholiques, entrave le progrès vers une conception rationnelle de l'Univers, est souvent admirée comme une expression de la profonde u sentimentalité » allemande. A vrai dire, la véritable cause de cette croyance est la paresse de pensée et la crédulité du peuple allemand, la puissance chez lui de la tradition conservatrice et l'état arriéré du développement politi- que. Tandis que nos écoles sont courbées sous le joug de la confession, elles en sont affranchies dans les pays avoisinants. En France, la plus pieuse fille de l'Eglise catholique se retourne contre une mère avide de domi- nation ; elle rompt les chaînes de son concordat et entre- prend la réforme. En Allemagne, patrie de la Réforme, le Reichstag et le Gouvernement s'efî'orcent, avec un noble zèle, d'applanir le chemin aux Jésuites, d'en- tretenir l'esprit intolérant des écoles confessionnelles, au lieu de le réprimer. Espérons que la direction nouvelle de l'histoire de la théorie evolutionniste, son admission dans la science jésuitique aboutiront à l'in- verse de ce que celle-ci s'efforce d'atteindre : à la suppression de la foi aveugle dans les doctrines de l'Eglise au profit de la science rationnelie*

II

Deuxième Conférence de Berlin,

16 avril 11:^0^.

LA LUTTE SOULEVEE PAR LA RECONSTITUTION DE L ARBRE GÉNÉALOGIQUE. PaRENTÉ AVEC LES SINGES ET FAMILLE DES VERTÉBRÉS.

n Rien ne conduit plus sûrement que l'étude de la zoologie et de lanatomie à reconnaître l'identité essentielle de l'animal et de l'homme, considérés dans leur nature phénoménale. Que dire, dès lors, quand nous voyons, de nos jours, un « Zootomiste » qui fait le bigot, avoir l'im- pertinence de proclamer qu'il y a une différence absolue et radicale entre Ihomme et l'animal, et aller si loin dans cette voie, qu'il ose attaquer et diffamer les honnêtes zoologistes qui, (loin de toute bigoterie, servilité et tartufferie) pour- suivent leur clvemin sans s'écarter de la Nature et de la Vérité ? »

Arthur Schopenhauer. {Dil, fondement de la morale, 1830)

Mesdames et Messieurs I

Dans la conférence que j'ai eu l'honneur de faire ici avant-hier, j'ai tâché de vous donner un aperçu général de l'état actuel de la lutte soulevée par l'idée d'évolution. La comparaison des diverses branches essentielles de la connaissance nous a montré que le point de vue des anciennes conceptions mythologiques relatives à la création de l'Univers, était depuis longtemps dépassé dans le domaine des sciences inorganiques, mais qu'il

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était destiné à ne céder la place que beaucoup plus lard à l'idée rationnelle du développement naturel dans le domaine des sciences organiques. Sur ce terrain, la lutte soulevée par l'idée d'évolution n'a guère abouti qu'au début du XX' siècle à un triomphe complet, en ce sens que l'adversaire la plus acharnée et la plus redoutable de l'évolulionnisme, l'Eglise, vient de se voir contrainte d'y adhérer. L'aveu public du P. jésuite Wasmann est, à cet égard, du plus grand prix; on peut, dès à présent se demander anxieusement quelle sera l'évolution ulté- rieure de ce prêtre. Si sa force de conviction et son cou- rage moral sont assez puissants, il déduira les consé- quences de sa profonde connaissance de la nature, et refusera de faire plus longtemps partie de l'Eglise ro- maine, ainsi que cela est arrivé dernièrement pour deux jésuites de valeur, le comte Hœnsbroech, homme de mérite, et le professeur Renard, de Gand, géologue péné- trant, qui avait exposé les résultats de l'expédition du (( Challenger » pour l'étude des dépôts de la haute mer. Mais quand bien même Wasmann ne suivrait pas cet exemple, son adhésion partielle au darwinisme, en tant que représentant de l'église chrétienne, n'en constitue- rait pas moins une étape dans l'histoire du transfor- misme. Sa tentative artificieuse, toute jésuitique, pour unifier ces deux pôles opposés, n'aura pas d'action du- rable ; elle servira, en revanche, à hâter la victoire de l'idée scientifique d'évolution sur la croyance mystique à la création, telle que la propage l'Eglise.

Ces choses, je l'espère, vous apparaîtront plus claires encore si j'aborde aujourd'hui l'examen critique du problème particulier le plus important parmi ceux que

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soulève la théorie de la descendance, de celte « parenté » si redoutée de l'homme avec le singe, et si je vous montre qu'elle est inconciliable avec le dogme tradi" tionnel de l'Eglise, selon lequelDieu aurait créé l'homme à son image. Que cette u théorie du singe », ou théorie pithécoïde soit une conséquence nécessaire et logique du transformisme, c'est ce dont la pénétration de l'Eglise s'était déjà clairement aperçu il y a quarante- cinq ans, sitôt après l'apparition du grand ouvrage de Darwin; et c'est cela qui lui avait paru constituer le plus solide motif du combat énergique qu'elle avait livré au darwinisme. C'est très clair : Ou bien l'homme, tout comme les autres espèces animales, a été produit par un acte particulier et surnaturel d€ la création divine, ainsi que l'enseignent Moïse et Linné (le célèbre Agassiz, en 1858, appelle encore l'homme « incarnation d'une idée divine de la création ») ; oa bien l'homme est issu, par une transformation naturelle, d'une série d'ancêtres mammifères, comme le prétend la théorie de la descen- dance de Lamarck et Danvin.

Vu l'extraordinaire importance de cette théorie pithé- coïde nous jetterons d'abord un rapide regard rétros- pectif sur ses fondateurs, après quoi nous examinerons de près les arguments qui témoignent en sa faveur. Le grand biologiste français, G. Lamarck, fut le premier naturaliste qui soutint nettement que « l'homme des- cend du singe » et essaya de l'établir scientifiquement ; dans sa grandiose P/ii/o50/)/iie zoologique par laquelle il devançait son temps de cinquante ans (1809), Lanmrck exposait avec clarté les modifications et les progrès qui avaient s'accomplir dan ia transformation, jusqu'à

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rhomme, des singes anthropoïdes (c'est-à-dire des pri- mates analogues à l'orang-outang et au chimpanzé) : l'adaptation à la station verticale, la difTérenciation des pieds et des mains qui en est le résultat, enfin plus tard, le développement du langage articulé et ^ies formes supérieures de la raison. Mais en même temps que la théorie de la descendance tout entière, pourtant si re- marquable, la plus importante de ses conséquences tomba bientôt dans l'oubli. Lorsque, cinquante ans plus tard, Darwin la ressuscita, il n'y prit aucunement garde ' il se contenta, dans son ouvrage principal, de cette cour te prophétie: « La lumière viendra éclairer l'origine de l'homme et son histoire )). Cette simple et innocente phrase elle-même parut si grave au premier traducteur allemand, Bronn, qu'il la supprima. Lorsque Wallace demanda à Darwin s'il ne traiterait pas le sujet d'une manière plus approfondie, son ami lui répondit : u Je pense supprimer toute cette question, car elle touche à trop de préjugés; je reconnais, néanmoins, pleinement que c'est le problème le plus élevé et le plus intéres- sant qui puisse occuper un naturaliste ».

Les premiers travaux, d'ailleurs approfondis et des plus importants, qui traitent de cette difficile ques- tion, datent de 1863; c'est, en Angleterre, Thomas Huœley et, en Allemagne. Ch. Vogt qui ont cherché à montrer que l'origine simienne de l'homme était une consé- quence inévitable du darwinismje, et qui ont entrepris d'établir leur thèse empiriquement, au moyen des arguments dont on disposait alors. La spirituelle étude de Huxley sur « la place de l'homme dans la nature » est une œuvre particulièrement précieuse; l'auteur y

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discute tout d'abord, en trois conférences convain- cantes, les trois grands « arguments » qui sont autant de données empiriques sur ce « problème important entre tous les problèmes » : 1^ l'histoire naturelle des singes anthropoïdes ; les relations anatomiques et em- bryologiques qui unissent l'homme aux animaux immédiatement inférieurs et ; les restes humains fos- siles, récemment découverts. J'ai fait à mon tour (1866) dans ma « Morphologie générale », la première tentative d'ensemble pour établir, sur des recherches anatomi- ques et ontogénétiques, les principes de la théorie de la descendance, et pour déterminer, dans le système naturel phylogénétique des vertébrés, les étapes prin- cipales que durent parcourir les premiers ancêtres verté- brés de l'homme. L^anthropologie n'est, par suite, qu'une partie de la biologie. Ces premiers essais phylogénéti- ques ont été développés ensuite dans mon Histoire de la création naturelle et ils ont subi, dans les éditions ultérieures, de nombreuses corrections, (r^ édit. 1868, lœédit. 1902)

Dans l'intervalle, le grand maître, Danoin, s'était décidé à traiter, lui aussi, ce problème capital de sa théoi^ie dans un ouvrage spécial : en 1871 parurent les deux volumes si intéressants sur La descendance de l'homme et la sélection sexuelle-, l'auteur y montrait, en particulier, le rôle de la sélection sexuelle, l'influence directrice de l'amour sexuel et des qualités morales supé- rieures qui s'y rattachent, ainsi que l'importance de ces facteurs dans la détermination de l'individu à naître. Et comme cette partie de l'œuvre de Danoin a été plus tard attaquée avec une violence particulière, je ne

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dissimulerai pas ma conviction, à savoir que pour la théorie de révolution, en général, aussi bien que pour la psychologie, l'anthropologie et l'esthétique, ce point de la doctrine est de la plus haute importance.

Mes premiers et timides essais (1860), en vue de ratta- cher l'homme non seulement aux singes qui lui sont étroitement apparentés, mais aussi en vue de retracer la longue série de ses ancêtres vertébrés, plus éloignés et inférieurs m'avaient fort peu satisfait ; j'avais, en particulier, dans ma «Morphologie générale», laissé pendante la question très intéressante de savoir à quels animaux invertébrés la famille des vertébrés se ratta- che à l'origine. Un peu plus tard seulement, le problème s'éclaira d'une lumière inattendue, grâce aux décou- vertes surprenantes de Kowalevsky, qui révélaient, sur tous les points essentiels, l'identité du développement embryologique chez le dernier des vertébrés (l'ani- phioxus),etchezun iWAî/czer inférieur (l'ascidie). D'autre part, grâce à de nombreuses découvertes faites au cours des années suivantes sur la formation des feuille Is gcrminatifs chez les animaux les plus divers, notre ho- rizon embryologique s'élargit de telle sorte qu'en 1872, dans ma monographie des éponges calcaires, je pus démontrer la complète homologie, chez tous les mé- tazoaires, du goblet germinatif à deux feuillets, la gas- trala; j'en conclus, d'après la loi fondamentale biogé- nélique, à une origine commune de tous les métazoaires qu'il conviendrait de placer dans une forme prim- itive analogue à la gastrula, la gastrea. Bien plus tard seulement (1895), les observations de Monticelli démon- trèrent, que cette forme primitive hypothétiquement,

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construite et à laquelle se rattachent les premiers an

cèfre^ [,>iuriccUuiaae:j de rhoiaivic sc reüCw/iliViLl aujourd'hui encine à ["étal vivcHii. Pour cunipreiidre coiuuieiii ie6 pias simples métazoaires dériveiil d'ani- maux primitifs nionocellulairec?, encore plus siiüpfes (les protozoaires), il faut se reporter aux processus qui marquent ce passage et s'observent lors de la formation d'une t< gouttière », ou gastrulation, alors que sort de la simple cellule-œuf le germe à deux feuillets.

Aidé par ces grands progrès de la phylogénie nais- sante, m'appuyant sur les nombreuses découvertes ré- cenles de l'anatomie comparée et de l'ontogénie, aux- quelles ont collaboré tant d'observateurs remarquables, j'ai pu, en 1874, me risquer pour la première fois à exposer dans son ensemble l'histoire tout entière des origines de l'homme. Je n'ai cessé de m'appuyer sur le terrain solide de la loi fondamentale biogénétique, en ce sens qu'en face de chaque fait embryologique, j'ai cherché à établir une cause phylogénétique. Mon An- thropogénie, dans laquelle j'essayai d'abord de résoudre cette tâche difficile, fut, à la suite d'importantes décou- vertes ultérieures, augmentée et complètement rema- niée ; la dernière édition (1903), comprend trente leçons en deux volumes dont le premier est consacré à l'onto- génie, le second à la phylogénie (9).

Bien que j'eusse conscience que ces premiers essais en vue d'établir une anthropogénie naturelle, devaient comporter bien des lacunes et des faiblesses, dues à la difficulté de la tâche, j'espérais cependant qu'ils exer- ceraient quelque influence sur l'anthropologie moderne et qu'en particulier les premières ébauches d'arbres

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généalogiques des animaux, susciteraient des amélio- rations et des recherches nouvelles. Sur ce point, je m'étais fortement trompé. L'école alors régnante, celle de l'anthropologie allemande en particulier, repoussa l'introduction de la théorie de la descendance, comme étant une hypotiièse non fondée et déclara que les arbres généalogiques, édifiés au prix de tant de ré- flexion, n'étaient que des constructions vides et fantai- sistes. En première ligne, cette attitude hostile s'expli- quait, ainsi que je l'ai déjà brièvement indiqué avant- hier, par la grande autorité du fondateur de la société anthropologique, qui fut longtemps son président, R. Virchow. Vu le renom extraordinaire dont ce grand naturaliste jouit, à Berlin précisément, et vu les diiiî- cultés énormes que rencontra par suite de l'opposition qui! lui fit, la théorie de la descendance, il est indis- pensable que nous insistions ici sur l'attitude de Virchow en face de l'évolutionnisme. Ce devoir s'impose d'autant plus à moi que des idées tout à fait erronées circulent sur ce sujet, idées que je suis à même de re- dresser puisque j'ai connu le grand savant qui a été mon maître, pendant cinquante ans.

Entre tous les nombreux élèves et amis de Virchow, nul ne peut apprécier plus que moi les services réels qu'il a rendus à la science médicale. La u pathologie cellulaire » du maître (1858), application conséquente de la théorie cellulaire à la pathologie, constitue, selon moi, le plus grand progrès accompli par la médecine moderne. J'ai eu, moi-même, le bonheur de commencer mes études médicales en 1852, à Würzbourg et de les poursuivre avec le plus grand fruit, six semestres du-

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rant, sous la direction personnelle de quatre biologistes de premier rang: A. KoUlker et R. Virchow, F. Leydig et C. Gegenbaur, Le vif intérêt que ces grands maîtres avaient éveillé en moi pour l'étude de la vie sous toutes ses formes (anatomie comparée et microscopique), a été le point de départ de toute ma culture biologique et m'a permis de suivre plus tard les spéculations hardies du génidlJ. Millier. Auprès de Virchow, en particulier, je n'appris pas seulement l'art analytique de l'observation pénétrante et de l'appréciation critique des faits anato- miques isolés, j'acquis, en outre, la compréhension synthétique de rorganisalion humaine tout entière, cette conviction fondamentale de V unité de l'être hu- main, delà liaison indissoluble entre l'esprit et le corps, exprimée tout au long par Virchow, en 1849, dans son ouvrage classique sur Les efforts vers l'unification dans la médecine scientifique. Les articles de tête qu'il écrivit alors pour V Archive d'anatoinie et de physiologie patho- logiques, fondée par lui, contiennent, à côté d'aperçus nouveaux et excellents sur les merveilles de la vie, un certain nombre de considérations générales non moins excellentes sur leur interprétation, pensées fécondes dont nous pouvons tirer un profit immédiat pour notre monisme. De même, dans le combat qui se livrait alors entre le rationalisme empirique et le matérialisme, d'une part, et l'ancien vitalisme ou mysticisme, de l'autre, Virchow prit parti pour le premier et combattit à côté de /. Moleschott, C. VogteiL. Büchner. La conviction profonde que j'ai de Vanité de la nature dans le monde inorganique et dans le monde organique, du caractère mécanique de toute activité vitale et psychique, convie-

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lion que j'ai toujours défendue comme étant le fonde- ment d'une saine conception moniste de l'univers, je la dois en grande partie à l'enseignement de Virchow et aux longs entretiens qu'en qualilé d'assistant, j'ai eus avec lui. Les notions fondamen laies sur la nature de la cellule, sur l'indépendance individuelle des organismes élémentaires, qu'il a exposées dans son plus grand ou- vrage, — la pathologie cellulaire, sont restées pour moi par la suite, des étoiles conductrices dans les recherches étendues que j'ai poursuivies pendant trente ans sur l'organisation des radiolaires et autres protistes mono- cellulaires ; et de même pour la théorie de l'âme cellulaire qui résulte naturellement de l'étude psychologique de la cellule.

La période d'éclat, dans la carrière scientifique de l'infatigable Virchow, est sans contredit celle qu'il a passée à Würzbourg. Les choses prirent une tout autre tournure après qu'en 1856 Virchow eût regagné Berlin. Ici, sa préoccupation principale devint bientôt l'action politique, sociale et municipale. A ce dernier point de vue, il a, comme on sait, fait tant et de si grandes choses pour la ville de Berlin et le bien-être du peuple allemand, que je n'ai pas besoin de m'attarder en paroles inutiles. Je ne vous entretiendrai pas non plus longuement de cette activité politique accapa- rante et souvent ingrate pour Virchow, devenu chef du parti progressiste; sa valeur, vous le savez, est très diversement appréciée. Nous insisterons d'autant plus sur l'étrange attitude du savant vis-à-vis de la doc- trine evolutionniste et de la plus importante de ses conséquences, la « théorie pithécoïde ». A son égard,

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l'altitude de Virchow fut d'abord favorable, plus tard sceptique et finalement nettement liostile.

Après que la théorie de la descendance, posée par Lamarck, eût été reprise par Darwin en 1859, bien des gens regardèrent Virchow comme appelé à prendre une place marquante parmi ses défenseurs ; il avait, en effet, étudié à fond le problème important de Vhérédité et l'étude des altérations pathologiques lui avait révélé la puissance de Vadaptation; ses études anthropologi- ques l'avaient d'ailleurs mis directement en face de la grande question de l'origine de l'homme. De plus, il passait pour l'adversaire décidé de tout dogmatisme et il combattait la transcendance, tant sous la forme de croyance religieuse, que sous celle d'anthropomor- phisme. En 1862, il déclarait encore que (' la possibilité du passage d'une espèce à une autre espèce était un besoin de la science ». Lorsqu'en 18G3, à la réunion des naturalistes de Stettin, j'exposai pour la première fois en public la théorie darAviniste, Virchow était, avec Al. Braun, du petit nombre des naturalistes qui décla- raient la question très importante et digne d'une étude approfondie. Lorsqu'en 1865 je lui communiquai deux conférences que j'avais faites à léna sur l'origine e* l'arbre généalogique de l'homme, il les inséra volontiers dans sa collection des conférences de vulgarisation scientifique. Au cours de nombreux entretiens que j'eus avec lui sur ces sujets, il exprima toujours une manière de voir qui, pour l'essentiel, était d'accord avec la mienne, bien qu'avec cette prudente réserve et ce froid scepticisme qui étaient dans sa nature. C'est encore la même attitude modérée qu'il montra dans la conférence

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qu'il fît ici même, à l'association des Artisans, sur « Le crâne de l'homme et celui du singe. »

C'est à partir de l'année 1877, seulement, que l'atti^'^^ude de Virchow vis-à-vis du darAvinisme devint tout autre et nettement hostile. Au Congrès des naturalistes, qui se tint à cette époque à Munich, j'avais accepté, sur les instances pressantes de mes amis de -bas, de faire la première conférence (le 18 septembre) sur : u La théorie actuelle de l'évolution dans ses rapports avec l'ensemble de la science ». J'avais développé, pour l'es- sentiel, les mêmes aperçus généraux que j'ai repris ensuite dans mes ouvrages sur le Monisme, les Enigmes de rUnivers et les Merveilles de la vie. Dans la capitale ultramontaine de la Bavière, en face d'une grande Uni- versité qui se qualifie elle même avec insistance de catholique, une telle profession de foi moniste était chose très risquée. L'impression profonde qu'elle pro- duisit éclata, en effet dans les vives manifestations approbatives, d'une part, réprobatives, de l'autre, qui se produisirent tant au sein de la réunion que dans la presse. Je partis dès le lendemain pour l'Italie (ainsi que j'avais résolu depuis longtemps de le faire). Virchoio n'ar- riva que deux jours après à Munich et là, sur les instances pressantes de personnages haut placés et influents, il fit le 22 septembre sa célèbre réplique sur « La liberté de la Science dans l'Etat moderne, n La tendance de ce discours était de restreindre la liberté en question; la théorie de la descendance était une hypothèse non vérifiée, on n'avait pas le droit de l'enseigner à l'école car elle était dangereuse pour l'Etat ; u nous n'avons pas le droit d'enseigner que l'homme descend du

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singe ou de n'importe quel autre animal ». En 1849, le jeune Virchow, alors moniste, avait exprimé avec emphase sa conviction, » qu'il ne se trouverait jamais dans le cas de renier le principe de Vunité de l'être humain, ni aucune de ses conséquences; » en ce jour, vingt-huit ans plus tard, le sage politicien, devenu dualiste, reniait complètement le dit principe. Il avait jadis enseigné que tous les processus corporels et men- taux ayant leur siège dans l'organisme humain, étaient ramenables à la mécanique de la vie cellulaire ; en 1877 il faisait de l'âme une substance spéciale et immatérielle. Mais il mit le comble à ce discours réactionnaire par son compromis avec l'Eglise que, vingt ans aupara- vant, il avait combattue avec la plus vive énergie ; tranquillement cette fois, il déclarait trouver u les seules bases solides de l'enseignement dans la religion de l'Eglise ».

Ce qui fait le mieux ressortir le caractère de ce dis- cours de Virchow fait à Munich, c'est le vif succès qu'il eut aussitôt dans tous les journaux réactionnaires et cléricaux; c'est aussi le regret profond qu'exprimè- rent toutes les voix de la presse libérale, aussi bien dans le camp politique que dans le camp religieux Darwin, d'ordinaire si modéré dans ses jugements, écrivit après avoir lu la traduction anglaise de ce dis- cours : « La conduite de Virchow est honteuse et j'espère qu'un jour viendra il en aura honte ». Dans ma brochure sur « La science libre et l'enseignement libre » (1878), j'ai donné une réplique détaillée à ce discours et j'ai reproduit quelques-uns des articles les plus importants qu'il provoqua (10).

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Depuis le tournant décisif que marque, dans la vie de Virchow son discours de Munich, jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pendant vingt-cinq ans, il est resté l'infati- gable et puissant adversaire de la théorie de la descen- dance. Dans les Congrès il se rendait chaque année, il n'a cessé de combattre cette théorie et, en particulier, il s'est obstiné à défendre sa phrase : ail est absolument certain que l'homme ne descend ni du singe ni d'aucun autre animal. » A la question : « D'oia donc, alors, vient- il .^ » Virchow ne trouvait pas de réponse et il se réfugiait dans l'altitude résignée des agnostiques, prédominante jusqu'à Darwin : « Nous ne savons pas comment la vie est apparue ni comment les espèces se sont produites sur terre. » Le gendre de Virchoio, le professeur Rahl a récemment tenté de ressusciter le premier point de vue du maître et il a prétendu que Virchow, même dans la dernière période de sa vie, reconnaissait pleinement le bien fondé de la théorie de la descendance lorsqu'il causait avec quelque interlocuteur. Ce ne serait que plus mal de sa part d'avoir toujours professé le con- traire en public. Un fait demeure certain, c'est que depuis 1877 tous les adversaires de la théorie de la descendance, les réactionnaires et les cléricaux avant tous les autres, invoquent la haute autorité de Vir- chow.

La conception 'out à fait rétrograde de l'Univers qui s'est trouvée par suite favorisée, a été très justement appréciée par Robert Drill (1902), dans son opuscule sur: (( Virchow réactionnaire. >> A quel point le grand pathologiste était incapable de comprendre sur quel fondement scientifique reposait la u théorie pithécoïde »,

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c'est ce dont témoigne l'absurde phrase qu'il prononça en 1894, à Vienne, dans son discours solennel d'ouver- ture du Congrès des Anthropologistes, à savoir : « Que l'homme pourrait aussi bien descendre du mouton ou de l'éléphant que du singe.' « Tous les zoologistes com- pétents seront obligés de conclure à une ignorance surprenante de la zoologie systématique et de l'ana- tomie comparée. Cependant, l'autorité de Virchow^ président de la société allemande d'anthropologie, restait inébranlée et il était impossible aux idées darAviniennes de se faire jour. Même des lutteurs aussi énergiques que C. Vogt, des défenseurs de l'homme pithécoïde du Neandertal aussi versés dans les sciences que Schaaffhausen, ne parvinrent pas à triompher de l'opposition. Cette autorité demeura pendant vingt ans, tout aussi puissante dans la presse berlinoise, dans les journaux libéraux aussi bien que dans les journaux conservateurs. Le Journal de la Croix et le Journal de V Eglise évangélique étaient ravis que « le progressiste érudit fût, en ce qui concernait l'évolutionnisme, con- servateur au meilleur sens du mot » ; la « Germa- nia >^ ultramontaine, jubilait de ce que l'austère repré- sentant de la science pure « eût mis, par de véritables coups de massue, la ridicule théorie pithécoïde et son principal défenseur E. Haeckel, hors d'état de nuire »; le Journal National ne pouvait pas assez remercier le citoyen libéral qui nous avait délivrés à jamais du cauchemar opprimant de l'origine pithécoïde; le.rédac- teur du Journal du peuple, Bernslein qui, dans ses excel- lents manuels scientifiques populaires, avait tant fait pour le progrès des lumières, se refusait obstinément

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à accepter les articles qui soutenaient la trompeuse théorie pithécoïde, n réfutée >> par Vlrchow.

Je serais entraîné beaucoup trop loin si je voulais essayer de vous donner ici un aperçu, même général, de la littérature curieuse et déjà presque étendue à perte de vue, qui s'est répandue au sujet de la théorie pithé- coïde, pendant ces trente dernières années, dans des milliers de dissertations savantes et d'articles popu- laires. La grande majorité de ces écrits porte l'em- preinte des préjugés religieux régnants et trahit l'absence des connaissances techniques qui ne peuvent être acquises que par une culture biologique appro- fondie. Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que la plupart des auteurs ont limité leurs intérêts de famille généalo- giques aux singes les plus rapprochés de l'homme et ne se sont pas demandé d'où provenaient ces singes, n'ont pas recherché les racines plus profondes de notre arbre généalogique commun ; la vue des arbres les a empêchés de discerner la forêt. Et cependant on pénètre beaucoup plus facilement et aisément les grands mys- tères de notre origine animale, lorsqu'on la considère du point de vue plus élevé de la phylogénie des verlc- brés et qu'on pénètre plus avant dans la série des grou- pes les plus anciens des Vertébrés.

Depuis que le grand Lamarck, au début du xix^ siècle, a donné la définition des Vertébrés (1801) et que peu après son collègue parisien, Cuvier a fait de ces vertébrés l'un des quatre grands groupes du règne animal, l'unité naturelle de ce groupe, qui atteint un haut degré de développement, est demeurée incontestée. Chez tous les vertébrés quels qu'ils soient, depuis les poissons infé-

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rieurs et les amphibies jusqu'aux singes et à l'homme, la conformation typique du corps, la situation caracté- ristique des organes principaux et leurs relations sont les mêmes et diffèrent profondément de ce qu'on cons- tate chez tous les autres animaux.

Les mystérieuses relations de parenté entre tous ces vertébrés avaient déjà, bien avant Cavier, il y a de cela cent vingt ans, stimulé le plus grand de nos poètes et penseurs, Gœthe, à entreprendre, à4éna et à Weimar, de longues et pénibles recherches dans le domaine de l'anatomie comparée. De même que, dans la métamor- phose des plantes, Gœthe avait fondé l'unité d'organisa- tion sur l'organe primordial commun à tous les indivi- dus, la feuille, de même, dans la métamorphose des vertébrés, il retrouva cette unité par sa théorie vertébrale du crâne (11). Et ainsi, après que Cuvier eût élevé l'ana- tomie comparée au rang de science indépendante, cette brandie de la biologie se développa grâce aux recher- ches classiques de J. Müller, C. Gegenbaiir, R. Owen, T. Huxley et bien d'autres morphologistes, à tel point que plus tard le darwinisme put puiser ses armes les plus puissantes dans ce riche arsenal. Les différences frappantes que présentent dans la forme extérieure et la structure interne les poissons, les amphibies, les rep- tiles, les oiseaux et les mammifères s'expliquent par Vadaptation aux diverses activités des organes et à leurs conditions d'existence; la surprenante uniformité, d'autre part, qui se maintient, malgré tout, dans le caractère typique, s'explique par Vhérédité d'ancêtres communs.

Ces témoignages de l'anatomie comparée sont si

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éclatants que le premier individu qui examine impar- tialement et attentivement une collection ostcologique, peut se convaincre immcdialcincnt de l'unité morpho- logique de la famille des vertébrés. Il est plus difficile de comprendre et moins aisé d'aborder les témoignages pliylogénétiques, non moins importants cependant, de ïontogénie comparée, ou embryologie ; ils ont été décou- verts beaucoup plus tard et leur valeur inappréciable n'est reconnue que depuis quarante ans, grâce à la loi fondamentale biogénétique. Ils nous apprennent que, sans doute, comme tous les autres animaux, chaque ver- tébré se développe en partant d'une simple cellule œuf, mais que la marche de cette évolution se distingue par des caractères propres et des formes germinatives spé- ciales, qui font défaut chez les invertébrés. Nous remar- quons, en particulier, la chordala ou larve de chorda, forme germinative très simple ressemblant à un ver, sans membres, encore dépourvue de tête et d'organes sensoriels supérieurs ; le corps ne consiste qu'en six or- ganes primitifs, absolument simples. Ceux-ci donnent naissance, suivant un développement très régulier, aux centaines d'os, de muscles et autres organes que nous distinguons par la suite chez le vertébré adulte. Le pro- cessus remarquable et très compliqué de cette forma- tion embryonnaire est essentiellement le même chez l'homme et chez le singe, aussi bien que chez les amphi- bies et les poissons ; nous avons ici, conformément à la loi biogénétique, un nouveau et important témoignage de l'origine commune de tous les vertébrés, origine qui doit être cherchée dans une forme primitive commune, la chordea.

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Si importants que soient ces arguments tirés de l'em- bryologie comparée, il n'en faut pas moins poursuivre pendant des années des études approfondies dans le domaine lointain et difficile de l'embryologie, pour se convaincre de leur signification phylogénétique ; les embryologistes ne sont d'ailleurs pas rares, (en parti- culier parmi ceux qu'a formés l'école moderne d'em- bryologie expérimentale), qui n'y parviennent jamais. Il en va tout autrement si nous empruntons à un do- mai ae plus éloigné, la paléontologie, ses preuves pal- pables. Les merveilleux fossiles, les restes pétrifiés et les empreintes d'animaux et de plantes disparus, nous livrent immédiatement les documents historiques qui nous renseignent sur l'apparition et la disparition suc- cessives des divers groupes de formes et d'espèces. La géologie a enregistré d'une façon certaine la série suc- cessive des sédiments qui ont été déposés l'un après l'autre par le limon solidifié formé au fond des eaux; l'épaisseur ou la résistance de leurs couches permet à la science de déduire des conséquences relatives à leur âge et à l'ancienneté relative de leur apparition. La durée de temps inouïe qu'il a fallu à la vie organique pour se développer sur notre terre comprend plusieurs millions d'années, ce nombre d'années est évalué d'une façon très variable, tantôt à cent millions à peine, tantôt à plusieurs centaines de millions d'années. Conten- tons-nous d'adopter le nombre minimum de cent mil- lions d'années; celles-ci se répartissent entre les cinq grandes périodes principales de l'histoire organique de la terre de telle sorte que la période archozoïque, la plus ancienne, représente la plus grande moitié de cette

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durée ; mais comme les couches sédimentaires de ces terrains, composées en grande partie de gneiss et de schiste crislallin, se trouvent à l'état métamorphique, les fossiles qui y sont contenus ne sont plus rcconnais- sablcs. Dans les plus profondes des couches suivantes, appartenant à la période paléozoïque, nous trouvons les plus anciens restes pétrifiés de vertébrés, des pois- sons primitifs de la période silurienne (sélaciens), et des poissons à émail (ganoïdes). Ceux-ci sont suivis dans le système dévonien par les plus anciens dipneustes ou poissons amphibies (formes de transition des poissons aux amphibies). Dans le système qui fait suite, ou sys- tème carbonifère, apparaissent les premiers vertébrés quadrupèdes et ayant vécu sur la terre ferme : des am- phibies de l'ordre des Stegocéphales. Puis, un peu plus tard, apparaissent dans le système permien les premiers amniotes, reptiles inférieurs, ressemblant au lézard (les locosauriens) ; les animaux à sang chaud, les oiseaux et les mammifères font encore défaut. C'est seulement dans le trias, dans les sédiments les plus anciens de l'âge mésozoïque qu'apparaissent les premiers mammi- fères sous forme d'animaux primitifs appartenant à la sous-classe des monotrèmes (Panthothériens et AUo- thériens). Ceux-ci sont suivis, dans le terrain jurassique, par les premiers Marsupiaux (prodidelphes), dans le crétacé, par les formes anceslrales des placentaires, (mallothériens). (Voir plus loin.)

Ce n'est qu'à l'âge suivant, âge tertiaire, que le groupe des mammifères atteint son plus riche déploiement. Pendant les quatre périodes que comprend cet âge, (l'éocène, l'oligocène, le miocène et le pliocène), et jus-

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qu'à nos jours, le nombre, la diversité et le perfection- nement des différentes espèces de mammifères est tou- jours allé croissant. Le groupe inférieur, celui des Pla- centaliens, ancêtres communs, donne naissance par quatre branches divergentes aux légions des carni- vores, rongeurs, ongulés et primates. Les trois pre- mières sont de beaucoup surpassées par la légion des Primates, dans laquelle Linné avait déjà réuni les demi- singes, les singes et Fliomme. La succession historique dans laquelle se présentent ainsi, l'un après l'autre, les divers groupes figurant les étapes du développement des vertébrés, correspond exactement à la suite d'étapes morphologiques qu'ils parcourent dans leur perfection- nement graduel et que nous a fait connaître l'étude de Tanatomie comparée et de l'ontogénie.

Ces données paléontologiques constituent les argu- ments les plus importants à l'appui de la théorie qui fait descendre l'homme d'une longue série de vertébrés inférieurs et supérieurs. Car il n'y a pas d'autre expli- cation possible de cette succession historique des classes qui concorde entièrement avec la série des étapes mor- phologiques et systématiques, que la théorie de la des- cendance ; aussi ses adversaires n'ont-ils ni donné, ni cherché une autre explication. Les poissons, dipneustes, amphibies, reptiles, monotrèmes, marsupiaux, placen- taliens primitifs, demi-singes, singes, singes anthro- poïdes et hommes pithécoïdcs sont les membres insé- parables d'une longue série d'ancêtres, dont le descen- dant le plus jeune et le plus parfait est l'homme lui- même. (Voir, dans le Supplément, les tableaux I à IIL)

Un des faits paléontologiques que nous avons rappor-

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tés est ici de la plus haute importance, à savoir l'appa- rition tardive de la classe des mammifères, en géologie. Ce groupe, le plus développé d{îs vertébrés, n'apparaiî sur le théâtre de la vie que pendant la j)ériode triasique. dans la seconde moitié, —lapins courte, de l'histoire organique de la terre. Il n'est représenté, pendant tout l'âge mésozoïque, tandis que prédominent les reptiles, que par quelques petites formes inférieures. Pendant cette longue période de temps que quelques géologues évaluent à 8-11, d'autres à 20 millions d'années, la classe prédominante des reptiles produit avec une profusion merveilleuse les formes curieuses et gigantesques de dragons : les dragons marins nageurs (Halisauriens), les dragons volants (Ptérosauriens), les dragons ter- restres, colossaux (Dinosauriens). En revanche, c'est beaucoup plus tard seulement, dans la période tertiaire, que la classe des mammifères produit cette abondance de placentaliens, d'animaux énormes, variés et haute- ment développés, qui assure à cette classe la suprématie à notre époque moderne.

Mais les recherches nombreuses et approfondies qui ont été faites au cours de ces trente dernières années sur la provenance des mammifères, ont conduit tous les zoologistes qui s'en sont occupés à la ferme conviction que tous ces animaux dérivent d'une unique souche com- mune. Cartons les mammifères, depuis les monotrèmes et les marsupiaux les plus primitifs jusqu'au singe et à l'homme, ont en commun un grand nombre de carac- tères frappants, qui les distinguent de tous les autres vertébrés : le développement, dans la peau, des systèmes pileux et glandulaire, l'alimentation des jeunes par le

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lait maternel, la formation très spéciale de la mâchoire inférieure et des osselets de l'oreille qui s'y rattachent, ainsi que d'autres particularités dans la formation du crâne; en outre, la présence d'un disque rotulien (pa- tella), l'absence de noyau cellulaire dans les globules rouges du sang. De même, le diaphragme complet qui sépare entièrement, à la manière d'une cloison, la cavité thoracique de la cavité abdominale, est la propriété exclusive des mammifères; chez tous les autres verté- brés, les deux cavités communiquent encore librement. C'est pourquoi l'origine monophylétique ou unique, de la classe tout entière des mammifères est maintenant reconnue par tous les spécialistes compétents, comme un fait historique bien établi.

En présence de ce fait important, la << théorie pithé- co'i'de » proprement dite perd beaucoup de la grande importance qu'on lui accordait en général jusqu'à ce jour. Car toutes les conséquences essentielles qui s'en- suivent quant à la nature de l'être humain, quant au passé et à l'avenir de notre race, à notre vie corporelle et psychique, demeurent inébranlées, aussi bien dans le cas l'on fait descendre l'homme directement d'un primate quelconque, singe ou demi-singe, que dans le cas on le fait provenir d'une autre branche du groupe des mammifères, et on le rattache à des formes in- férieures et inconnues de ce groupe. Il importe parti- culièrement d'insister sur ce point, parce que récem- ment des zoologistes jésuites et des jésuites zoologistes ont fait une dangereuse tentative pour masquer ce point capital et pour jeter une nouvelle obscurité sur ce u problème important entre tous les problèmes ^\

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Dans un ouvrage de luxe, richement illustré et fork répandu, dont Hans Kraemer a commencé la publica- tion il y a quelques années sous le litre de Cosmos et humanité, un anthropologisle intelligent et instruit, le professeur Klaatsch, d' Heidelberg, s'est chargé de trai- ter a de l'apparition et de l'évolution de la race hu- maine )) et il a, en particulier, fort bien exposé l'his- toire des origines de l'homme et de sa culture primitive. Il combat, cependant la doctrine « qui fait descendre l'homme du singe», il la déclare « absurde, mesquine et fausse » ; il invoque, à l'appui de son jugement ri- goureux, ce motif qu'aucun des singes actuellement vivants ne saurait être l'ancêtre de l'homme. Un argu- ment aussi insensé n'avait jamais encore été invoqué, par aucun naturaliste au courant de la question. Mais si l'on observe de plus près ce « combat de moulin à vent )), on s'aperçoit, qu'au fond, l'opinion de Klaatsch sur la théorie pithécoïde est la même que celle qui, de- puis 1866, est soutenue par moi. Il dit expressément : (( Les trois singes anthropoïdes, le gorille, le chimpanzé et l'orang-outang nous apparaissent comme les rameaux issus d'une racine commune, très proche de celle dont proviennent à la fois le gibbon et l'homme. » Cette forme hypothétique, racine unique de tous les primates et qu'il appelle « primatoïde », est celle que j'avais dési- gnée depuis longtemps du nom d'archipriînate ; elle existait dès le début de l'âge tertiaire et s'était sans doute développée au cours de la période crétacée, issue des mammifères primitifs qui vivaient alors. L'hypo- thèse fort artificielle et invraisemblable à laquelle Klaatsch recourt pour établir un abîme profond entre les

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primates et les autres mammifères, me semble une ten- tative absolument vaine, de même que les hypothèses analogues proposées récemment par Alsberg, Wilser et autres anthriopologistes désireux de combattre la théorie pithécoïde.

Toutes ces tentatives et d'autres analogues ont un but commun : sauver la situation privilégiée de l'homme dans la nature, élargir autant que possible l'abîme qui le sépare des autres mammifères, mais jeter un voile sur sa véritable origine. C'est une forme de la tendance de parvenus que nous constatons si fréquemment chez les fils et petits- fils anoblis d'hommes distingués, qui se sont élevés par leur propre mérite à une haute situation. L'autorité supérieure et l'Eglise, son alliée, regardent complaisamment cette présomp- tion, car elle sert de point d'appui à leur orgueilleuse illusion fossile, laquelle leur fait voir en l'homme « l'image de Dieu » et en la a grâce divine » un privi- lège dea princes. Pour le zoologiste anthropologiste qui examine cette importante généalogie du point de vue strictement scientifique, ces tendances anthropocen- triques lui sont aussi indifférentes que l'almanach de Gotha ; il ne cherche qu'à établir l'exacte vérité, telle que la lui font entrevoir les riches matériaux acquis par la science moderne, et il ne peut pas douter_un ins- tant que l'homme ne soit, au propre sens du mot, un descendant du singe, du singe anthropoïde dont l'espèce a depuis longtemps disparu. Ainsi que l'ont afQrmé, souvent déjà, des savants honorables pénétrés de cette conviction, les arguments que fournit l'anthropogénie «ont ici particulièrement clairs et simples, ils le

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sont même beaucoup plus que dans le cas de bien d'autres mammifères. C'est ainsi, par exemple, que l'origine de l'éléphant, du tatou, des animaux à écailles, des sirènes, des cétacés est un problème beaucoup plus obscur et difficile que celui de l'origine de l'homme.

Lorsque Huxley, en 1863, publia son mémoire, d'une importance capitale, sur << la place de l'homme dans la nature », il orna le volume d'une couverture sur la- quelle on voyait, l'un à côté de l'autre, les squelettes de l'homme et des quatre singes anthropoïdes encore existants (des deux asiatiques, le gibbon et l'orang- outang, et des deux africains, le chimpanzé et le go- rille). La comparaison impartiale de ces cinq squelettes montre que non seulement ils se ressemblent extrê- mement dans l'ensemble, mais que, dans leur structure, dans l'ordonnance régulière et les relations de toutes les parties, ils sont identiques. Les mêmes deux cents os com- posent la charpente osseuse de l'homme et des quatre singes anthropo'ides, dépourvus de queue, nos plus pro- ches cousins. Les mêmes trois cents muscles servent à mouvoir les parties isolées du squelette. Les mêmes poils couvrent notre peau, les mêmes glandes mam- maires servent à allaiter les jeunes. Le même cœur à quatre cavités sert de pompe centrale dans la circulation du sang ; les mêmes trente deux dents forment notre denture; les mêmes organes de reproduction permet- tent la conservation de l'espèce ; les mêmes groupes de neurones ou de cellules ganglionnaires constituent l'é- difice merveilleux de notre cerveau et accomplissent ce travail suprême du plasma qu'on désigne du nom d' « âme » et qu'on vénère même parfois comme un

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être spécial et immortel. Huxley, par de minutieuses comparaisons anatomiques, a établi solidement cette vérité fondamentale , tandis que de nouvelles comparai- sons avec les singes inférieurs et les demi-singes le con- duisaient à son principe pithécomé trique, gros de consé- quences : (( Considérons un organe quelconque, celui que nous voudrons, les différences qu'il présente chez l'homme et chez le singe anthropoïde sont moindres que les différences correspondantes que présente le même organe considéré chez ce dernier singe et chez les singes inférieurs. » Si l'on compare superficiellement ces squelettes anthropomorphes, on aperçoit sans doute des différences aisées à saisir dans les dimensions des diverses parties ; mais elles ne sont que quantita- tives, déterminées par une croissance variable, prove- nant elle-même de l'adaptation à des conditions d'exis- tence variées. Mais ces différences existent aussi, comme on sait, entre les différents hommes ; chez eux aussi les bras et les jambes sont tantôt longs, tantôt courts, le front'tantôt haut, tantôt bas, le développement des poils tantôt abondant, tantôt réduit, et ainsi de suite.

Ces arguments anatomiques en faveur de la théorie pithécoïde ont été, comme à souhait, complétés et fortifiés par les brillantes découvertes physiologiques de ces dernières années. Il faut mentionner ici en première ligne les célèbres expériences du D' H. Frie- denthal, de Berlin ; il a montré que le sang humain dé- composait et empoisonnait le sang des singes inférieurs et des autres mammifères, mais qu'il n'avait pas cette action sur le sang des singes anthropoïdes. Déjà aupa- ravant, des expériences de transfusion avaient révélé

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ce fait important que la parenté systématique des mammifères voisins était jusqu'à un certain point en rapport avec la parenté chimique du sang. Lorsqu'on mélange le sang vivant de deux animaux proches parents, pris dans une même famille, par exemple du cliien et du renard, ou du lapin et du lièvre, les deux sortes de globules sanguins vivants demeurent inalté- rées. Lorsqu'on mélange, au contraire, le sang d'un chien à celui d'un lapin, ou celui d'un renard à celui d'un lièvre, il se produit aussitôt, entre les deux sortes de globules sanguins une lutte mortelle ; le liquide sanguin ou sérum du carnassier détruit les globules rouges du sang du rongeur et inversement. Il en va de même des variétés de sang chez les divers primates ; celui des singes inférieurs et des demi-singes, qui sont restés le plus proches de la forme originelle commune au groupe entier des primates, a une action destructrice sur le sang des singes anthropoïdes et de l'homme, et inver- sement. Par contre, le sang de l'homme supporte fort bien celui du singe anthropoïde, sans que leurs hématies soient détruites par le mélange.

Au cours de ces dernières années, d'autres physiolo- gistes et médecins ont poussé plus loin encore ces intéressantes expériences sur le sérum sanguin et y ont cherché, précisément, la preuve directe de la con- sanguinité de divers mammifères, et même du degré de leur parenté; tels, par exemple les professeurs Uhlenhuth de Greifswald ciNaitall, de Londres, ce dernier a étudié la question très minutieusement, sur neuf cents espèces différentes de sang dont il a examiné seize mille réac- tions. Il a retracé les degrés de parenté du sang jus-

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qu'aux singes inférieurs du Nouveau-Monde ; Uhlenhuth est même allé jusqu'aux demi-singes. Par suite, la u pa- renté d'origine » de l'homme et du singe anthropoïde, depuis longtemps établie par l'anatomie, est devenue aujourd'hui une propre parenté de sang, démontrée par la physiologie (12).

Non moins grosses de conséquences sont les décou- vertes embryologiques du zoologiste d'Erlangen, feu E. Selenka. Il entreprit deux grands voyages dans l'Inde orientale pour étudier sur place l'ontogénie des singes anthropoïdes asiatiques, l'orang et le gibbon. A l'aide de nombreux embryons, par lui réunis, il démontra que certaines particularités frappantes, dans la forma- tion du placenta, que l'on avait jusqu'ici attribuées exclusivement à l'homme et signalées comme une « particularité frappante » de notre race, se rencon- traient, absolument les mêmes, chez ces singes anthro- poïdes, proches parents de l'homme, par opposition à ce qui avait lieu chez tous les autres singes. En raison de tous ces faits et d'autres encore, je considère la provenance de l'homme, que je fais descendre de singes anthropoïdes de l'époque tertiaire, aujourd'hui disparus, comme -établie avec autant de certitude que celle des oiseaux ou celle des reptiles, qui descendent, (sans qu'aucun zoologiste en doute encore à l'heure actuelle), les premiers, des reptiles, les seconds des amphibies. La parenté d'origine est aussi étroite que le montrait déjà, en 1883, dans son excellent livre sur les singes anthropoïdes, mon défunt compagnon d'études, l'ana- tomiste berlinois R. Hartmann (qui, il y a cinquante ans, s'asseyait avec moi aux pieds de J. Müller) ; il proposait

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de répartir l'ordre tout entier des primates en deux familles : d'une part, les primaires (hommes et singes anthropoïdes) de l'autre, les simiens (singes propre- ment dits, catarhiniens ou singes orientaux et platy- rhiniens, ou singes occidentaux).

Depuis que le médecin hollandais, E. Dubois a découvert à Java, il y a douze ans, les célèbres restes de l'homme pithécoïde fossile (Pithecanthropus erectus), comblant ainsi la lacune formée par ce qu'on appelait le « membre manquant » (missing link), ce groupe, le plus intéressant des primates, a donné lieu à une litté- rature abondante; je signalerai, comme particulière- ment importante la preuve fournie par l'anatomiste strasbourgeois, G. Schwalbe, que le crâne jadis décou- vert à Neandertal appartenait à une espèce d'hommes disparue, qui tenait le milieu entre le pithecanthropus et l'homme véritable : à l'homoprimigenius. Par les comparaisons les plus minutieuses, Schwalbe réfutait en même temps toutes les objections tendancieuses que Virchow avait autrefois élevées contre ces documents fossiles et d'autres analogues, en déclarant que c'était des monstruosités pathologiques. Dans tous les restes importants de l'homme fossile, qui démontraient qu'il descendait des singes anthropoïdes, Virchow ne voulait voir que des altérations pathologiques provoquées par des conditions de vie malsaines : la goutte, le rachitisme et autres afTec lions des habitants des cavernes à Pépoque diluviale; il s'efforçait de toutes manières d'affaiblir Pévidence des preuves de la parenté entre Phomme et les primates. De même, dans la lutte sou- levée par la découverte du pithecanthropus, Virchow

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s'égara jusqu'aux hypothèses les plus invraisemblables, uniquement pour dénier la signixQcation de ce docu- ment et se refusera y voirie réel membre intermédiaire entre le singe anthropoïde et l'homme.

Aujourd'hui encore, il n'est pas rare d'entendre répéter dans les discussions sur cette importante « question pithécoïde », aussi bien par les profanes que par les anthropologistes qui jugent partialement, cette trom- peuse affirmation que la lacune entre l'homme et l'homme pithécoïde n'est pas encore comblée et que le véritable ^< membre manquant '> n'est pas encore trouvé. Cette affirmation est absolument arbitraire et ne témoigne que de l'ignorance des faits anatomiques, embryologiques et paléontologiques, ou du moins de l'incapacité de l'individu à apprécier la portée phy- logénétique de ces faits. En réalité, la chaîne morpho- logique qui va des demi-singes aux premiers singes occidentaux, de ceux-ci aux singes orientaux pourvus de queue, ensuite aux singes anthropoïdes dépourvus de queue et de ceux-ci directement à l'homme, est ininter- rompue et s'offre clairement à tous les yeux. On pourrait bien plutôt parler de membres manquants entre les premiers demi-singes et leurs ancêtres marsupiaux, ou entre ceux-ci et leurs aïeux monotrèmes. Mais, d'ail- leurs, ces lacunes sont sans importance, précisément parce que l'anatomie comparée et Fonlogénie, d'accord avec la paléontologie, ont établi ianité historique da groupe des mammifères au-dessus de tous les doutes possibles. On exige ici de la paléontologie une chose insensée : une série de faits positifs sans lacune, qu'elle ne pourra j amais fournir pour des raisons bien connues,

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à savoir ses nombreuses lacunes et ses documents incomplets.

Il ne nous est plus possible de nous étendre ici sur les recherches toutes récentes et fort intéressantes concer- nant la question de la descendance du singe ; cela serait, d'ailleurs, de peu d'importance pour le but que nous nous proposons, car toutes les conclusions générales sont d'accord pour faire descendre l'homme des pri- mates, de quelque manière qu'on imagine, hypothéti- quement dans le détail, les diverses lignes de l'arbre généalogique du singe. Par contre, une question qui, aujourd'hui, présente encore pour nous le plus grand intérêt, est celle de savoir comment la forme la plus moderne du darAvinisme, celle quEscherlch a si bien mise en lumière sous le nom de théorie ecclésiastique de la descendance se concilie avec ces questions, les plus importantes du darwinisme.^ Qu'en dit son représentant le plus avisé, le père Jésuite Erich )Vasniann ? Le dixième chapitre de son livre, dans lequel il traite très à fond de u l'application de la théorie de la descendance à l'homme » est un chef-d'œuvre de science jésuitique, calculé en vue de déformer les vérités les plus évidentes, et de dénaturer toutes les expériences, si bien qu'aucun lecteur ne puisse arriver à se faire une idée nette. Quand on compare ce dixième chapitre au neuvième et précé- dent, dans lequel Wasniann s'appuyant sur des recher- ches personnelles tout à fait remarquables avait défendu la théorie de la descendance comme une vérité indé- niable, on comprend à peine qu'un seul et même auteur ait écrit les deux chapitres ou plutôt on le comprend en se plaçant au point de vue de saint Ignace de Loyola

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dont l'ordre a pour règle que « la fin justifie les moyens » et que, pour la gloire de Dieu et de son église, tout mensonge est permis et méritoire.

La sophistique jésuite que Wasmann déploie pour sauver la situation exceptionnelle et privilégiée de l'homme dans la nature, et pour démontrer que celui-ci a été directement créé par Dieu aboutit à l'opposition de ses deux natures qui sont l'objet d'appréciations contradictoires, La « conception purement zoologique de l'homme, » claire comme le jour grâce aux compa- raisons anatomiques et embryologiques avec le singe, ne doit avoir aucune importance parce qu'elle néglige la chose principale, la « vie spirituelle » de l'homme. Par contre, la « psychologie est autorisée en première ligne à se prononcer sur la nature et l'origine de l'homme, n Tous les faits anatomiques et ontogénétiques quej'ai rassemblés dans mon anthropogénie pour établir la progonotaxie ou série des ancêtres de l'homme, sont en partie ignorés de Wasmann, en partie par lui défor- més ou ridiculisés ; et il en va de même des faits, gros de conséquences, de l'anthropologie, en particulier des organes rudimentaires dont R. WMer^/ie im a fait res- sortir l'importance dans son excellent travail sur (( La structure de l'homme, témoignage de son passé. » Il est certain que le père jésuite, en tant que naturaliste, n'est pas compétent sur ce domaine ; il est manifeste que V/asmann ne possède, sur l'anatomie comparée et l'on- togénie des vertébrés, que des connaissances très super- ficielles et insufîisantes. S'il avait étudié la morphologie et la physiologie des mammifères aussi à fond que celle des fourmis, il aurait été amené par un jugement

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impartial, à cette conclusion que la descendance mono- phylétique s'imposait pour les premiers aussi indénia- ble que pour les secondes. Si, comme l'admet Wasmann, les quatre mille espèces de fourmis du système ne forment qu'une seule u espèce naturelle, « c'est-à-dire descendent d'une forme originelle commune, il faut admettre absolument la même hypothèse au sujet des six mille espèces de mammifères (deux mille quatre cents espèces encore vivantes et trois mille six cents fossiles) en y comprenant, bien entendu, l'homme.

Naturellement, les graves reproches que nous som- mes obligés de faire aux sophismes et aux paralogismes de cette u théorie ecclésiastique de la descendance » ne concernent ni la personne ni le caractère du père Was- mann, mais le système des Jésuites, qu'il défend. Je no doute pas que cet éminent naturaliste, (que je ne con- nais pas personnellement) n'ait écrit son livre de bonne foi et qu'il ne s'efforce loyalement de concilier les in- conciliables contradictions entre notre évolutionisme naturel et la croyance de l'Eglise en une création sur- naturelle. Mais cette conciliation de la raison et de la superstition n'est possible que par le sacrifice de la raison même, par le « sacrificium intellectus ! » Nous constatons, d'ailleurs, la même chose dans l'œuvre de tous les autres jésuites, chez les « Pères » Cathreln et Braun, Besmer et Cornet, Linsmeier et Muckerniann (!) dont la science jésuitique, ambiguë a été' exposée très fidèlement et d'une façon parfaite dans l'article déjà mentionné de R. II. France, de Munich (numéro 22 de la Libre Parole, 16 février 1904, Francfort-sur-le-Mein.)

L'essai intéressant de Wasmann n'est d'ailleurs pas

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isolé; les symptômes se font au contraire plus nom- breux qui tendent à indiquer qu'il s'agit d'une campa- gne tout à fait systématique de la part de Fecclesia militans romaine. Le 17 février dernier, je reçus de Tienne la nouvelle que la veille (par hasard le jour de mes 7J ans), le Père Jésuite Giese, dans une conférence très applaudie, avait déclaré admettre, non seulement la théorie de la descendance mais encore son applica- tion à l'homme, qu'il tenait pour parfaitement conci- liable avec les dogmes de la religion catholique et cela à une réunion très nombreuse de u catéchistes I » Il importe particulièrement de remarquer que dans un nouveau recueil catholique, la Bibliothèque scientifique de Benziger, les trois premiers fascicules traitent, d'une manière très approfondie et très habile, des plus impor- tants problèmes de l'évolutionisme (publiés en 1904 à Einsiedelen et Cologne ) ; le premier est consacré à la formation de la terre, le second à la génération sponta- née, le troisième à la théorie de la descendance. L'au- teur, le père M. Gander, fait les concessions les plus dignes de remarque à notre doctrine de l'évolution, mais il s'efforce en même temps de démontrer que ce qu'il accorde n'est en contradiction, ni avec la Bible, ni avec l'interprétation dogmatique des Pères de l'Eglise et des scolastiques les plus célèbres. Bien qu'il faille reconnaître que la logique sophistique n'a pas été ména- gée dans ces raisonnements spécieux et jésuitiques, cependant Gander, par ses paralogismes, ne convaincra aucun homme instruit, habitué à penser d'une manière indépendante. Le point de vue il se place est carac- térisé par ceci, que la génération spontanée (conçue

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comme le développement d'êtres vivants organisés aa moyen de processus purement matériels), est chose que la pensée ne peut admettre, mais qui, cependant, « par un arrangement spécial de Dieu, « aurait bien pu être possible. Quant à la provenance de l'homme (qu'il reconnaît descendre d'autres animaux), Gandev fait celte réserve que l'âme, dans chaque cas particulier, a été créée par un acte de création spécial I

Ce serait, de notre part, un effort superflu que de vouloir exposer au grand jour et réfuter scientifique- ment, par des arguments rationnels les inexactitudes voulues et les sophismes nombreux de chacun de ces Jésuites modernes, en particulier» Car la terrible puis- sance de cet ordre, le plus dangereux de tous, consiste précisément en ceci qu'ils adoptent une partie de la science elle-même et s'en servent pour anéantir d'au- tant plus sûrement l'autre et la plus importante partie. Leur art magistral de la déformation sophistique, leur « probabilisme » ambigu, leur mensongère a Reservatio mentalis »y la morale tristement fameuse de Ligaori et de Gury, le cynisme avec lequel ils usent des principes les plus sacrés pour satisfaire leur soif égoïste de domi- nation, tout cela a imprimé aux Jésuites ce caractère sombre que le comte Hœnsbroech a eu dernièrement le mérite tout particulier de nous dépeindre.

Le grave péril qui menace la science véritable par l'insinuation de cet esprit jésuite ne saurait être mé- connu ; il a été mis nettement en lumière par France, Escherich et autres. Il est d'autant plus grand, à l'heure actuelle, en Allemagne que le Gouvernement et le Reichstag, avec une harmonie regrettable, s'efforcent

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d'aplanir le chemin aux Jésuites et de procurer à ces mortels ennemis du libre esprit allemand l'influence la plus pernicieuse sur les écoles. Cependant il faut espé- rer que cette réaction cléricale ne représentera qu'un sombre épisode passager dans l'histoire de la civilisa- tion moderne. Espérons que le résultat durable et favo- rable en sera l'adhésion à la grande idée d'évolution même de la part des Jésuites ! en principe ! Nous pourrons alors demeurer persuadés que la conséquence la plus importante de cette idée, celle en vertu de laquelle l'homme descend d'autres primates, s'impo- sera bientôt victorieusement et sera reconnue comme une vérité bienfaisante.

III

Troisième Conférence de Berlin.

19 avril 190').

la lutte soulevee par la notion de l ame. Immortalité et conception de dieu

« Le plus merveilleux d-s phénomènes de la nature, celui que, conformément à la tradi- tion, nous désignons de ce seul mot esprit ou âme est une propriété absolument géné- rale des êtres vivants. Dans toute matière vi- vante, dans tout plasma, nous devons recon- naître les premiers éléments de la vie psychi- que, la sensation sous sa forme la plus simple de plaisir et déplaisir, le mouvement sous sa forme la plus simple, à' attraction et de rè~ pulsion. Mais les degrés de développement et de complexité de cette « âme » sont très difTérents ; ils vont de la silencieuse âme cel~ lulaire des protistes, par une longue série détapes progressives et graduées jusqu'à l'âme humaine, consciente et raisonnable. » Ames cellulaires et Cellules psychiques {1878). (Conférences populaires, vol. i 5).

Mesdames et Messieurs!

Il n'entrait pas dans mes vues de faire encore, après mes conférences du 14 et du 1 G avril, une troisième con- férence. Si, bien qu'à mon corps défendant, je m'y suis laissé entraîner et si je fais, aujourd'hui, un dernier appel à votre attention, il y a à cela trois motifs. Et d'abord je me suis aperçu à regret et tardivement que dans les deux premières conférences, pressé par le

6

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temps, j'avais passé sous silence bien des points impor- tants de mon sujet, ou du moins, que j'en avais parlé insuiTisamment; en parliculier, la question si impor- tante de l'âme n'a pas été élucidée comme il convenait. En second lieu, j'ai pu me convaincre par les nom- breux comptes-rendus publics ces jours-ci dans les journaux, et qui sont pleins de contradictions, que bon nombre de mes idées, insuffisamment développées ont été mal comprises ou faussement interprétées. Troisièmement, enfin, le devoir semblait s'imposer à moi d'exposer une fois encore, dans cette conférence d'adieu, brièvement et clairement les points principaux qui marquent le passé, le présent et l'avenir de notre doctrine évolutioniste, en montrant leurs rapports Tun avec l'autre et en parliculier avec les trois grands problèmes de l'immortalité personnelle, du libre ar- bitre et d'un Dieu personnel.

Plus encore que lors de mes deux premières Confé- rences, je serai obligé de faire aujourd'hui appel à la patience et à l'indulgence de l'honorable assemblée. Car pendant ces deux derniers jours, je n'ai pu trouver le temps de préparer cette conférence improvisée. Et la grande imperfection de mon exposé se fera d'au- tant plus sentir que mon sujet compte parmi les pro- blèmes les plus difficiles et les plus obscurs de la pen- sée humaine. Dans mes deux derniers ouvrages popu- laires, sur Les Enigmes de VLmvers et Les Merveilles de la Ffe, j'ai traité d'une façon plus complète la plupart des questions biologiques qu'aujourd'hui je ne ferai qu'effleurer en passant; mais ce à quoi je tiens préci- sément, c'est à vous présenter cette fois, dans un aperçu

RELIGION ET EVOLUTION 83

général, les arguments puissants mis en campagne par la science naturelle moderne dans le combat qu'elle livre à la superstition régnante en faveur de l'idée d'évo- lution ; et ce que je tiens aussi à vous montrer, c'est que notre monisme, notre conception unifiée de l'ITni- vers répand une entière lumière sur les grands pro- blèmes de Dieu et du monde, de l'âme et de la vie.

J'ai essayé dans mes deux précédentes conférences, de vous donner une idée générale de l'état actuel de la doctrine évolutioniste et du combat victorieux de l'idée d'évolution sur les mythes traditionnels relatifs à la Création. Nous avons acquis la conviction que le plus parfait des organismes, l'homme lui aussi, loin d'être le produit d'un acte surnaturel de création, provenait par un développement graduel d'une longue série d'an- cêtres mammifères. En même temps, ce fait important nous est apparu que les mammifères les plus voisins de l'homme, les singes anthropoïdes, présentaient une structure qui, sur les points essentiels, était la même que celle de l'homme et que l'évolution historique par laquelle celui-ci proviendrait de ceux-là pouvait être aujourd'hui considérée comme une hypothèse pleine- ment démontrée, ou mieux, comme un fait historique! Mais, dans ces recherches phylogénétiques, nous avions surtout en vue la construction du corps et de ses organes particuliers ; en revanche, nous n'avons fait qu'effleurer le développement de Y esprit humain, ou de l'âme imma- térielle qui, d'après la conception traditionnelle, n'ha- bite le corps que pendant un certain temps. Aujour- d'hui, par contre, nous envisagerons en première ligne le développement historique de Vâme et nous résou-

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drons la question de savoir si l'évolution intellectuelle de l'homme est régie, elle aussi, parles mêmes lois natu- relles que son développement corporel et si elle est, comme celui-ci, inséparablement liée à l'histoire des autres mammifères.

Dès que nous abordons ce domaine épineux, nous nous heurtons à ce fait étrange qu'aujourd'hui encore, dans nos universités, deux conceptions radicalement différentes de la nature de l'âme ou de la psychologie s'opposent l'une à l'autre. Il y a d'abord, d'un côté, les psychologues métaphysiciens, ceux qu'on appelle les « psychologues de profession. » Ils représentent aujour- d'hui encore, cette opinion vieille comme le monde suivant laquelle l'âme de l'homme est un être particu- lier, un individu spécial, indépendant, qui n'élit sa demeure que passagèrement dans un corps mortel et l'abandonne après la mort pour continuer à vivre sous forme d'esprit immortel. Cette conception dualiste se rattache, comme on sait, aux dogmes de la plupart des religions et elle doit sa haute autorité à ce qu'elle se rattache aux intérêts les plus graves, éthiques, sociaux et pratiques. En philosophie, Platon déjà avait fait valoir le dogme de l'immortalité de l'âme. Plus tard. Descartes en particulier, lui a donné une importance spéciale, en accordant à l'homme seul une âme proprement dite, tandis qu'il la refusait aux autres animaux.

En face de cette psychologie métaphysique, qui pen- dant longtemps régna seule, se développa au xviii' et plus encore au xix" siècle, \di psychologie comparée. Une comparaison impartiale entre les phénomènes psychi- ques, chez les animaux supérieurs et inférieurs, montra

RELIGION ET EVOLUTION 8o

l'existence de nombreuses formes transitoires et inter- médiaires ; une longue série de ces intermédiaires relie la vie psychique des animaux supérieurs, d'une part à celle de l'homme, de l'autre à celle des animaux infé- rieurs. Une ligne de démarcation nette entre l'homme et les autres animaux, telle que Descartes la traçait, ne se laisse plus affirmer avec certitude.

Mais le coup le plus rude qui fut porté à la théorie métaphysique régnante lui vint, il y a trente ans, des nouvelles méthodes de la psychophysique. Par des expériences ingénieuses, des physiologistes distingués, comme Th. Fechner elE. H. Weber de Leipzig, montrè- rent qu'une partie importante de l'activité intellectuelle peut être aussi exactement mesurée et mathématique- ment déterminée que d'autres processus physiologi- ques, les contractions musculaires, par exemple ; les lois fixes de la physique gouvernent ainsi une partie de la vie psychique, aussi absolument que les phénomènes delà nature inorganique. Sans doute la psychophysique n'a satisfait que partiellement les hautes espérances qui se rattachaient alors à elle et à la portée qu'elle pourrait avoir du point de vue moniste ; mais un fait important reste acquis : c'est qu'une partie de la vie intellectuelle est liée aussi nécessairement aux lois physiques, que tous les autres phénomènes de la nature.

La psychologie physiologique fut ainsi, parla psycho- physique, élevée au rang de science physique, de science en principe exacte; mais auparavant déjà elle avait trouvé des fondements très importants dans d'autres domaines de la biologie. La psychologie comparée avait pu retracer la longue série d'intermédiaires qui descend

86 RELIGION ET EVOLUTION

de l'homme aux animaux supérieurs et de ceux-ci jus- qu'aux ôtres les plus inférieurs. C'est alors qu'au der- nier échelon, elle avait rencontré ces êtres merveilleux, invisibles à l'œil nu, et que, sitôt après la découverte du microscope (dans la seconde moitié du xvii' siècle) on avait découverts partout dans les eaux stagnantes et désignés du nom d'infusoires. La première descrip- tion exacte et la première classification systématique de ces infusoires sont dues au célèbre microscopiste ber- linois, G. Ehrenberg. En 1838, cet infatigable explora- teur de la « vie minuscule « publia un grand ouvrage de luxe qui nous exposait, en soixante quatre beaux tableaux, toute la richesse de la vie microscopique et qui passe, aujourd'hui encore, pour constituer la base de nos études sur les protistes. Ehrenberg était un obser- vateur très assidu, plein d'imagination et qui savait communiquer à ses élèves son zèle pour l'étude des in- finiment petits. Je pense encore avec plaisir aux excur- sions attrayantes que je faisais étant étudiant, il y a de cela cinquante ans, (pendant l'été de 1854), dans le Tiergarten de Berlin, avec mon maître Ehrenberg et quelques-uns de ses élèves, parmi lesquels mon cama- rade d'études, le célèbre géographe Ferd: de Richthofen. Munis de filets très fins et de petits verres nous péchions, dans les étangs du Tiergarten et dans la Sprée, les mil- liers de microorganismes invisibles qui, examinés en- suite au microscope, par leurs formes gracieuses et leurs mouvements mystérieux, stimulaient notre désir de nous instruire.

Les conférences dans lesquelles Ehrenberg nous expo- sait la structure et les manifestations vitales de ses

tlËLÎGION ÈT^ÉVOLÎJTIO^ S7

Infusoires étaient, à vrai dire, assez étranges. Il s'était imaginé, en effet, induit en erreur par la comparai- son des véritables infusoires avec les rotifères, ani maux microscopiques mais présentant un haut degré d'organisation —, f ue tous les animaux étaient orga* nisés au même degré et il avait déjA indiqué cette théorie erronée dans le titre de son œuvre : « Les Infu- soires et la perfection de leur organisme, aperçu de ce qu'est la vie dans les profondeurs de la nature orga- nique ». Il croyait aussi pouvoir distinguer, dans les plus simples des Infusoires, les mêmes organes distincts que chez les animaux supérieurs: un estomac et un cœur, des ovaires et des reins, des muscles et des nerfs ; il jugeait également de leur activité psychique, en vertu du même « principe d'égale organisation, à lui pro- pre. »

Cette théorie particulière de la vie, exposée i^rt Ehren- berg, n'en était pas moins complètement erronée et, dès l'heure de sa naissance (1838) elle fut déracinée pat la théorie cellulaire qui surgit en même temps qu'elle et avec laquelle elle ne put jamais se réconcilier. Après que Math. Scheiden, en ce qui concerne la plante, puis aussitôt après Th. Schwann en ce qui concerne l'animal, eurent démontré que tous les tissus et organes consis- taient en une agglomération de cellules microscopi- ques, derniers éléments structurés de l'organisme vi- vant, cette théorie cellulaire prit bien vite une impor- tance si fondamentale que Kolliker et Leydig fondèrent sur elle l'histologie moderne et que Virchow, en l'appli- quant à l'homme malade, put édifier sa pathologie cellulaire : progrès les plus essentiels qu'ait réalisés la

88 RELIGION ET EVOLUTION

médecine moderne. Cependant un temps assez long, s'écoula encore avant que fut résolue la question diffi- cile de savoir comment il fallait concevoir ces micros- copiques êlres vivants, du point de vue de la théorie cellulaire. Dès 1845, Ch. Th. deSlehold avait soutenu que les Infusoires proprement dits et les rhizopodes, leurs proches parents, étaient des organismes monocellulaires et il les avait distingues des autres animaux sous le nom de protozoaires. A la même époque, Ch. Naegeli, de son côté, décrivait les algues inférieures comme des « plantes monocellulaires » . Mais cette importante conception ne rencontra que plus tard une adhésion universelle, que je contribuai à lui acquérir lorsqu'en 1872 je réunis tous les organismes monocellulaires sous la dénomination de protistes, ou êtres primitifs, et que je définis leurs fonctions psychiques par le terme d'âme cellulaire.

Ce qui m'amena à m'occuper très particulièrement de ces protistes monocellulaires et de leur âme cellu- laire primitive, ce fut l'étude approfondie des radio- laires, classe d'organismes extrêmement curieux, mi- croscopiques et vivant en suspension dans la mer; j'ai consacré à les rechercher de tous côtés et à les étudier à fond, plus de trente des meilleures années de ma vie (de 1856 à 1887) et si je suis parvenu finalement, en ce qui concerne toutes les grandes questions de principes biologiques, à une conviction moniste solidement établie, je le dois en grande partie aux innombrables observations et aux réflexions ininterrompues sur les merveilles inouïes de la vie, qui m'ont été suggérées par ces êtres vivants, les plus petits et les plus fins de

RELIGION ET ÉVOLUTION 89

tous, en même temps que les plus beaux et les plus va- riés dans leurs formes.

J'avais, en quelque mesure, accepté l'étude des radio- laires comme un legs précieux de mon grand maître, J. Müller. Il s'était, pendant les dernières années de sa vie, voué de préférence à des recherches sur cette classe d'animaux (dont on avait seulement découvert quelques espèces l'année même de ma naissance, en 1834) et il en avait fait, en 1855, le groupe spécial des rhizopodes (protozoaires). Son dernier ouvrage, qui ne fut publié qu'un peu après sa mort (1858) et dans lequel sont décrites cinquante espèces de radiolaires, m'accom- pagna sur la Méditerranée lorsque, pendant l'été de 1859, j'entrepris mon premier voyage de recherches un peu long. J'eus le bonheur de découvrir à Messine, environ cent cinquante espèces nouvelles de radiolaires et de pouvoir bientôt fonder là-dessus ma première mono- graphie de cette instructive classe de protistes (1862). Je ne soupçonnais pas alors que quinze ans plus tard, les trouvailles faites au fond des mers par la célèbre expé- dition anglaise du u Challenger )> me mettraient entre les mains une collection sans prix de ces merveilleux organismes; dans la seconde monographie que j'en donnai (1887), je pus décrire plus de quatre mille espèces différentes de radiolaires elles reproduire, pour la plus grande partie, en cent quarante tableaux. J'ai réuni un choix des plus gracieuses variétés que j'ai présentées en dix tableaux, dans mes u Formes d'art de la Nature ». Nous n'avons pas aujourd'hui le loisir de nous étendre davantage sur les formes et les phénomènes vitaux divers que présentent les radiolaires, leur importance gêné-

90 Religion et évolution

ralc a d'ailleurs été exposée d'une manière fort at- trayante, dans différents ouvrages populaires, par mon ami G. Bolsche. Je dois me borner ici à faire jressortir les phénomènes généraux qui présentent un intérêt particulier pour l'objet de notre étude, la question de l'âme. Les ravissantes cuirasses siliceuses qui, chez les radiolaires, enferment en le protégeant le corps mou et monocellulaire de l'animal, ne sont pas seule- ment remarquables par leur délicatesse et leur beauté extraordinaires, mais encore par la régularité géomé- trique et la stabilité relative de leurs formes. Les quatre mille espèces de radiolaires sont aussi^ constantes que les quatre mille espèces de fourmis connues; et de même que le Jésuite darwiniste, le P. Wasmann a acquis, au sujet de ces dernières la conviction qu'elles dérivent toutes par des transformations jointes à l'héré- dité, d'une forme ancestrale commune, de même. J'ai acquis la conviction tout aussi certaine que les quatre mille variétés de radiolaires provenaient, par l'adaptation jointe à l'hérédité, d'une seule forme ancestrale. Cette forme ancestrale, la radlolaire souche (Actissa) est une simple cellule sphérique dont le corps mou, fait de plasma vivant, comprend deux parties distinctes : une capsule centrale interne (au milieu de laquelle est le noyau cellulaire, sphérique et solide) et une enveloppe extern e gélatineuse (Calymma); de la surface externe de celle-ci rayonnent des cen- taines ou des milliers de filaments muqueux, prolon- gements mobiles et sensibles de la substance interne vivante, du plasma (ou protoplasma). Ces délicats fila- ments microscopiques, sortes de petits pieds (pseudo-

RELIGION ET EVOLUTION 91

podes), sont des organes merveilleux, à la fois instru- ments de la sensation (organes tactiles), du mouvement de déplacement (organes de suspension), et de la con- struction régulière des enveloppes siliceuses (archi- tectes) ; ils se chargent, en outre, de nourrir le corps monocellulaire et pour cela ils saisissent les infusoires, les diatomées et autres protistes qu'ils amènent à l'intérieur du corps plasmique cette proie est digérée et assimilée. La reproduction des^ radiolaires a lieu ordinairement par sporulation ; le noyau cellulaire, à l'intérieur de la sphère plasmique, se subdivise en une multitude de petits noyaux, dont chacun s'en- toure d'une parcelle de plasma et forme à son tour une nouvelle cellule.

Qu'est-ce maintenant que ce plasma? Qu'est-ce que cette énigmatique u substance vivante » qui s'ofTre à nous comme une base matérielle partout nous voyons se produire les « merveilles de la vie » ? Le plasma, ou « protoplasma » comme le disait déjà très justement Huxley il y a trente ans, est la « base physique de la vie organique ^^ ou, plus nettement encore, la combinaison chimique de carbone qui fournit la condi- tion exclusive des divers phénomènes vitaux. Sous sa forme la plus simple, la cellule vivante n'est rien de plus qu'une sphère molle de plasma renfermant un noyau solide ; cette substance nucléaire interne (karyo- plasma) diffère un peu chimiquement de la substance cellulaire externe (cytoplasma) ; mais toutes deux sont composées, l'une comme l'autre, de carbone, d'oxy- gène, d'hydrogène, d'azote et de soufre; toutes deux ap- partiennent au groupe merveilleux des albuminoïdes,

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de ces carbonates azotés, que caractérise l'extraordi- naire grandeur de leur molécule et la position des nom- breux atomes (plus de mille) qui la constituent.

Il y a cependant des organismes plus simples chez lesquels la différenciation en noyau et substance cellu- laire n'est même pas encore effectuée: ce sont les mo- nères, que je mentionnais tout à l'heure et dont le corps vivant tout entier n'est qu'un grain de plasma homo- gène (chromacées et bactéries). Les célèbres bactéries, précisément, qui jouent aujourd'hui un rôle si impor- tant dans les plus dangereuses maladies infectueuses, comme agents de décomposition et de corruption, nous révèlent d'une manière indubitable que la vie organique tout entière n'est qu'un processus physico-chimique, et n'est point régie par quelque « force vitale » mysté- rieuse et inconnue.

C'est ce que nous enseignent encore, d'une manière beaucoup plus explicite, nos radiolaires et elles nous montrent en même temps d'une façon nette que l'acti- vité psychique, elle aussi, est un processus physico- chimique pareil aux autres. Car toutes les fonctions différentes de Vâme cellulaire, la sensation résultant des diverses excitations, tout comme le mouvement du plasma, la nutrition tout comme la croissance et la reproduction sont subordonnées à la composition chi- mique particulière qui est propre à chacune des quatre mille espèces ; et cependant celles-ci elles-mêmes ne se sont produites que par l'adaptation, provenant toutes par hérédité de la forme ancestrale commune, de la radiolaire souche, nue et sphérique (Actissa).

Un fait particulièrement intéressant à noter dans la

REUGION Er ÉVOLUTION 93

vie psychique de ces radiolaires monocellulaires, c'est l'extraordinaire capacité de leur mémoire. Car la cons- tance relative avec laquelle ces quatre mille espèces se transmettent de génération en génération la forme ré- gulière et souvent très compliquée de leur enveloppe siliceuse, ne peut s'expliquer qu'en admettant que les constructeurs de cette demeure protectrice, les invi- sibles molécules de plasma des pseudopodes possèdent un délicat « sentiment plastique de la distance » et un souvenir fidèle de l'activité architecturale de leurs ancê- tres ; sans cesse, les fins et informes filaments de plasma bâtissent les mêmes ravissantes coquilles siliceuses, avec un grillage régulier, des épines radiales protec- trices et des soutiens pour la suspension, qui partent des mêmes points de la surface et forment des rayons équi- distants. Déjà le physiologue J^J. Hering, de Leipzig, dans une brochure ingénieuse, mais précisément à cause même de cela peu remarquée, avait désigné, dès 1870 (( la mémoire comme une fonction générale de la ma- tière organisée ». Moi-même, en 1875, prenant pour base cette importante donnée, j'avais cherché, dans mon travail sur La périgénèse des plastidales à expliquer les rapports moléculaires de l'hérédité, par la mémoire des molécules plasmiques. Tout récemment (1904), un de mes élèves les plus distingués, le professeur/?. Semon, de Munich, dans un ouvrage de valeur, a examiné lon- guement « La Mneme, en tant que principe conserva- teur dans les changements du devenir organique » et il a réalisé l'analyse des phénomènes mécaniques de re- production, d'une manière convaincante, sur une base nettement physiologique.

94 RELIGION ET EVOLUTION

La considdralion impartiale de l'âme cellulaire et de sa mémoire chez les radiolaires et autres protistes mono- cellulaires, nous conduit immédiatement à leur ana- logue chez la cellale-œaf, ce stade initial monocellulaire de la vie individuelle, d'où sortira chez tous les histones, chez tous les animaux et plantes à tissus, l'organisme compliqué et policellulaire. Notre propre organisme humain, lui aussi, n'est au début de son existence indi- viduelle, qu'une simple sphère de plasma, pourvue d'un noyau, n'ayant qu'un quart de millimètre de diamètre et n'apparaissant que comme un petit point à l'œil nu. Cette cellule souche (cytula) se produit à l'instant l'ovule est fécondé, la cellule femelle fusionne avec le petit spermatozoïde mâle ; l'ovule transmet par héré- dité les qualités personnelles de la mère à l'enfant, le spermatozoïde celle du père -— et cette transmission héréditaire porte aussi bien sur les caractères les plus délicats de l'âme que sur ceux du corps. Les recherches modernes sur V hérédité y qui tiennent aujourd'hui tant de place dans la littérature biologique, et dont Darwin a été le premier promoteur (1859), se rattachent immédiate- ment aux processus matériels visibles de la fécondation.

Les phénomènes infiniment intéressants et impor- tants de la fécondation ne nous sont connus dans tous leurs détails que depuis trente ans. D'innombrables et minutieuses recherches ont montré, sans exception, que le développement individuel du germe provenant de la cellule souche, ou ovule fécondé, a lieu partout conformément aux mêmes lois. La cellule souche donne bientôt naissance, par des divisions successives, à de nombreuses cellules simples qui servent tout d'abord à

RELIGION ET EYOLUTION 95

construire un petit nombre d'organes primitifs simples, les feuillets germinatifs; plus lard seulement et peu à peu, ils se différencient et donnent naissance aux nom- breux organes distincts dont on ne trouverait pas encore la trace dans le germe. La loi fondamentale biogénétique nous apprend comment, alors, les grandes lignes du début de l'histoire de la race sont reproduites ou récapi- tulées par les processus épigénétiques de l'histoire de Xêtre individuel et ces faits à leur tour ne s'expliquent que par la mémoire inconsciente du plasma, par la « Mneme de la substance vivante )> contenue dans les cellules embryonnaires et surtout dans leurs noyaux.

Le résultat le plus important de ces découvertes mo- dernes, c'est, avant tout, ce fait acquis par la psycho- logie, que Yâme personnelle a un commencement déter- miné et qu'il est possible de préciser, à un cheveu près, l'instant auquel la psyché commence d'exister ; c'est, en effet, l'instant s'opère la fusion des deux cellules- parents, de l'ovule et du spermatozoïde. Ainsi donc, ce que nous appelons ^< esprit de Ihommc » et « âme de l'animal j) n'existait pas auparavant, mais se produit, comme un fait nouveau, au moment de la fécondation ; c'est chose liée à la constitution chimique du plasma qiii, dans les noyaux de l'ovule maternel et du sperma- tozoïde paternel, est le porteur matériel de l'hérédité. Comment un tel être, qui s'est produit dans le temps, pourra ensuite devenir « immortel » c'est ce qu'on ne saisit pas.

L'examen comparatif de la simple âme cellulaire, chez les Infusoires monocellulaires, et du rudiment d'âme individuelle dans l'embryon monocellulaire de

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l'homme et des animaux supérieurs, nous convainc immédiatement que le fait d'avoir une âme n'est pas lié, comme on l'admettait autrefois, à la possession d'un système nerveux développé. Celui-ci fait encore défaut chez beaucoup d'animaux inférieurs et chez toutes les plantes, et néanmoins des lormes d'activité psychique sont partout présentes : avant toute autre la sensation, l'excitabilité et l'activité réflexe. Tout plasma vivant est donc animé et, en ce sens, l'âme est une fonction par- tielle de la vie organique en général. Mais les facultés supérieures de l'âme, en particulier, les manifestations de la conscience ne se développent que peu à peu chez les animaux supérieurs, chez lesquels, (par suite de la division du travail entre les organes), c'est le système nerveux qui accomplit ces fonctions particulières.

Parvenus à ce point, il peut y avoir intérêt pour nous à jeter encore un regard sur le système nerveux central des vertébrés, de cette grande famille dont nous nous considérons nous-mêmes comme la floraison suprême et la plus accomplie. Ici aussi, les faits anatomiques et embryologiques nous parlent, mieux que tons les autres, un langage absolument clair et sans ambiguïté. Chez tous les vertébrés, depuis les poissons inférieurs jusqu'à l'homme, l'organe de l'âme se présente partout, dans l'embryon, sous la même forme et disposé de la même manière : comme une simple gouttière cylindrique, située du côté dorsal, sur la ligne médiane du corps embryonnaire. La partie antérieure de cette « gouttière médullaire » s'élargit de manière à figurer une vésicule en forme de crosse, l'ébauche du cerveau; la partie postérieure, plus mince, devient la moelle épinière. La

RELIGION ET DEVOLUTION 97

vésicule cérébrale se subdivise, par des étranglements transverses en trois, plus tard en quatre ou cinq vési- cules. La plus importante, de beaucoup, est la première, le cerveau antérieur, organe de la plus haute activité psychique. Plus l'intelligence se développe, chez les vertébrés supérieurs, plus le cerveau antérieur devient grand, plus son contenu augmente et plus ses diverses parties se différencient. En particulier, sa partie la plus importante, le manteau gris ou écorce cérébrale, atteint, à partir seulement des mammifères supérieurs, ce degré de développement quantitatif et qualitatif qui l'élève au rang d' « organe de l'esprit » proprement dit. Les célèbres découvertes de Paul Flechsig (de Leipzig) ont démontré, il y a de cela onze ans, l'existence distincte de huit zones dans l'écorce cérébrale dont quatre zones sensorielles servent à percevoir les sensations internes, tandis que quatre zones intellectuelles (régions d'asso- ciations), situées entre les précédentes, sont le siège des opérations intellectuelles supérieures : liaison des im- pressions, formation des représentations et pensées, induction et déduction. Ce véritable « organe de l'es- prit >\ le phronema n'est pas du tout encore développé chez les mammifères inférieurs ; il se forme seulement peu à peu chez les mammifères supérieurs et parallèle- mentaux progrès de l'intelligence. C'est seulement chez les plus intelligents des placentaliens, d'une part chez les ongulés supérieurs (le cheval, l'éléphant), d'autre part chez les carnassiers (renard, chien) et surtout chez les pri- mates, que \q phronema atteint ce haut degré de dévelop- pement qui nous conduit finalement du singe anthro- poïde à l'homme primitif et de celui-ci à l'homme civilisé.

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91 RELIGION IT BTOLUTION

Quant à la significalion spéciale des diverses partie« du cerveau, en tant qu'organes des diverses fonctions psychiques, nous sommes renseignés grâce aux grands progrès de la physiologie expérimentale moderne. Les recherches instructives de Goltz, Munk, Bernard et de beaucoup d'autres physiologistes ont montré que la conscience normale, le langage, la perception interne sont liés à certains domaines déterminés de Técorce cérébrale et que ces diverses parties de l'âme sont anéanties par la destruction de leurs organes respec- tifs. Les expériences les plus instructives ont d'ailleurs été réalisées inconsciemment par la nature elle-même. Car les maladies de ces divers domaines nous appren- nent comment la destruction parlielle ou totale des cellules cérébrales qui les constituent (neurones ou cellules ganglionnaires), entraîne la suspension par- tielle ou totale de leurs fonctions. Sur ce point encore, c'est Virchow qui a ouvert la voie, car le premier, il a examiné minutieusement, au microscope, les change- ments les plus délicats des cellules malades et expliqué par toute la pathologie. Je me rappelle avec précision, aujourd'hui encore, une observation qui fit sur moi la plus profonde impression (cela se passait pendant l'été de 18dd, à Würzbourg). Dans le cerveau d'un aliéné, qui ne présentait rien de particulier à un examen superficiel, le regard pénétrant de Virchotv avait remarqué une petite tache suspecte; lorsqu'il me la confia pour que je l'examine au microscope, j'y trouvai une grande partie des cellules ganglionnaires altérées, ayant subi une dégénérescence en partie grais- »ouse, en partie calcaire. Les remarques instructives

RELIGION ET EVOLUTION 99

que mon grand maître put faire avec certitude sur ce cas et sur celui d'autres aliénés implantèrent en moi, dès lors, cette ferme conviction de l'unité de l'orga- nisme humain, ^e la liaison indissoluble de l'esprit et du corps qu'il soutenait lui-même alors avec sa froide raison. Si Virchow, vingt ans après, (en particulier depuis son discours de 1877, à Munich), a sacrifié cette conception moniste de la vie de l'âme au dualisme et au mysticisme régnants, ce revirement s'explique tant par la métamorphose psychologique accomplie en lui que par les motifs politiques exposés par moi dans ma conférence précédente.

Nous trouvons une série d'autres témoignages impor- tants en faveur de notre psychologie moniste, dans Y évolution individuelle de l'âme chez l'enfant et chez les jeunes animaux. Nous savons que le nouveau-né ne possède encore ni conscience, ni intelligence, ni juge- ment ou pensée personnelle. Nous pouvons suivre pas à pas le développement graduel de ces fonctions psychi- ques supérieures, au cours des premières années de la vie, et constater qu'il est constamment parallèle au développement anatomique de l'écorce cérébrale auquel il est lié. Les recherches sur F a âme de l'enfant », com- mencées à lénail y a vingt-cinq ans, par W. Preyer, ses minutieuses a Observations sur le développement intel- lectuel de l'homme pendant les premières années de sa vie -», ainsi que les travaux complémentaires de divers physiologistes modernes ont encore confirmé, par l'ontogénic, le fait que lame n'est pas un être immatériel spécial, mais la somme d'un certain nom- bre de fonctions cérébrales liées ensemble. Quand

100 RELIGION ET EVOLUTION

meurt le cerveau, l'âme, du même coup, atteint sa fin.

D'autres tcmoig-nages à l'appui de cette thèse nous sont fournis par la phylogénîe de l'âme, telle qu'elle ressort de la psychologie comparée des mammifères inférieurs et supérieurs, des peuples primitifs et civi- lisés. L'ethnographie moderne nous présente, aujour- d'hui encore, à côté les uns des autres, les niveaux les plus divers de hauteur intellecluelle. Les peuples les plus primitifs, les AA'eddas de Ceylan, les Nègres d'Australie, ne dépassent que fort peu la vie psychique des singes anthropoïdes les plus rapprochés d'eux; les sauvages supérieurs nous conduisent peu à peu, en passant par le stade intermédiaire des barbares, aux peuples civilisés et de ceux-ci aux nations parfaitement cultivées. Mais ici encore, quel abîme se révèle entre le génie d'un Gœthe, d'un Lamarck ou d'un Darwin et un philistin ordinaire ou un bureaucrate de troi- sième ordre ! Toutes ces expériences concordent pour nous convaincre que l'âme humaine, elle aussi s'est développée phylogénétiquement pour s'élever avec le temps à la hauteur elle est aujourd'hui, qu'elle ne diffère pas qualitativement, mais seulement quantitati- vement de l'âme des mammifères supérieurs, et que, par suite, elle ne saurait, en aucun cas, être immortelle.

Si, en dépii de cette évidence nette, un si grand nombre de savants, aujourd'hui encore, demeurent attachés au dogme de V immortalité personnelle, cela s'explique par la puissance inouïe de la tradition con- servatrice et par cette regrettable circonstance pédago- gique que, dès la plus tendre jeunesse, on imprime de ^orce à la raison naissante ces inadmissibles articles de

RELIGION ET ÉVOLUTION 10 1

foi. Et c'est bien précisément pour cela que l'Eglise et sa plus belliqueuse cohorle, le noir troupeau des Jésuites, veulent à tout prix garder en mains l'école : ils peuvent ainsi dominer et exploiter sans ménagement les adultes, après que la pensée et le jugement person- nels ont été de bonne heure étouffés chez l'enfant.

Nous nous heurtons ici à une question intéressante, celle de savoir comment s'accorde avec ce problème de l'âme, la théorie de la descendance selon l'Eglise et les Jésuites (le « Darwinisme sous son aspect le plus récent»)? L'homme, fait à l'image de Dieu, est selon Wasmann, un être absolument à part, qui se distingue de tous les autres animaux par la possession d'une âme immortelle et qui, à cause de cela déjà, doit avoir une tout autre origine. L'âme immortelle de l'homme, d'après la doctrine jésuitique et sophistique de l'auteur, est ({ spirituelle-sensuelle », tandis que celle des ani- maux est « purement sensuelle », sans esprit. Dieu a implanté en l'homme son propre esprit et l'a lié à une âme animale pour le temps de l'existence. Cependant Wasmann soutient que le corps de l'homme a été, lui aussi, immédiatement créé par Dieu ; mais, d'autre part, en face des preuves écrasantes qui établissent que l'homme descend du singe, il admet comme possible que le corps humain soit l'aboutissant immédiat d'une série d'autres animaux, grâce à des transformations graduelles : plus tard seulement l'esprit divin aurait été insufflé à ce corps. Les Pères de l'Eglise chrétienne, qui se sont beaucoup occupés de l'introduction de l'âme dans l'embryon humain, nous enseignent que l'âme immortelle pénètre dans Tembryon dénué d'âme

102 RELIGION ET ÉVOLUTION

quarante jours après la fécondation de l'œuf, s'il s'agit d'un garçon, mais s'il s'agit d'une fille, quatre-vingts jours seulement après les phénomènes indiqués. Si Wasmann adopte cette introduction de l'âme en ce qui concerne également le développement de l'espèce, il doit postuler, dans la phylogénie des singes anthropoï- des, un moment historique auquel Dieu aurait inoculé son esprit à l'âme du singe, jusqu'alors dépourvue de spiritualité.

Considérée impartialement, à la lumière de la raison pure, cette croyance à l'immortalité est manifestement en contradiction insoluble avec les faits de l'évolution- nisme, comme avec ceux de la physiologie. Le dogme ontogénétique de l'ancienne Eglise, d'après lequel l'âme aurait été a introduite » dans le corps sans âme de l'embryon, à un moment précis de son développement, est tout aussi absurde que le dogme phylogénétique des Jésuites modernes, d'après lequel l'esprit de Dieu aurait été « insufflé » au corps sans âme du singe anthropoïde, à un moment précis de l'histoire de l'es- pèce (pendant la période tertiaire 1), moment auquel serait alors apparue l'âme inimortelle de l'homme. On pourra envisager et examiner sur tous les points ce dogme favori de l'athanisme ; partout il apparaîtra comme une superstition mystique; l'incroyable puis- sance de la tradition le maintient seule en vigueur, jointe à la puissance des gouvernements conservateurs, dont les chefs, d'ailleurs, pour la plupart, ne croient pas personnellement à ces soi-disant « révélations », mais demeurent convaincus, en pratique, que « le trône et l'autel » doivent se soutenir mutuellement ; -^

RELIGION ET EYOLUTiO?? 103

malheureusement, ils n'oublient qu'une chose, c*est qu'en général le trône devient bientôt le tabouret de l'autel et que l'Eglise exploite l'état, non pour son avantage à lui, mais dans son propre intérêt à elle-même.

L'histoire de l'athanisme nous apprend d'ailleurs que la croyance à l'immortalité n'a trouvé accès dans la science que relativement tard. On ne la rencontre pas dans les conceptions monistes des grands philosophes de la nature qui, en Grèce, six cents ans avant J.-C. ont pénétré le plus profondément l'essence véritable du monde : on ne la rencontre ni chez Démocrite, ni chez Empédocle, ni chez Sénèque, ni chez Lucrèce; on ne la rencontre pas dans les anciennes religions orientales, pas plus dans le bouddhisme ou dans l'ancienne reli- gion populaire des Chinois, que dans la doctrine ulté- rieure de Confucius; bien plus, dans les cinq livres de Moïse et dans les premières Ecritures qui composent l'ancien Testament, (celles qui ont été écrites avant la captivité de Babylone), il n'est pas question de l'immor- talité personnelle de l'homme. Les premiers, Platon et son élève Aristote établirent le dogme de la double nature de l'homme sur leur métaphysique dualiste et ce dogme, rattaché plus tard aux doctrines du Christ et de Mahomet, prit la plus grande extension.

A côté de la croyance à l'immortalité de l'âme, il est un autre dogme psychologique qui, pas plus que le premier, ne peut se concilier avec l'idée moderne de l'évolution, c'est la croyance au libre arbitre de l'hoirime. La physiologie moderne nous convainc, d'une façon claire et qui ne laisse pas de doute, que la volonté, chez l'homme comme chez l'animal, n'est jamais réel-

^04 RELIGIO.N ET EVOLUTION

lernen t libre, mais déterminée par l'organisation du cerveau, et celle-ci à son tour, dans ses propriétés individuelles est soumise d'une part aux lois de l'héré- dité, de l'autre à rinfluence de l'adaptation. C'est seu- lement parce que la liberté apparente de la volonté est d'une si extraordinaire importance pratique dans le domaine de la religion et de la morale, de la sociologie et de la jurisprudence, qu'elle continue de faire l'objet des affirmations les plus contradictoires. En théorie, le déterminisme, la conviction que toutes nos actions volontaires s'enchaînent étroitement est depuis longtemps établi.

La croyance à la liberté absolue de la volonté et à l'im- mortalité personnelle de Famé, s'accompagne, aujour- d'hui encore, chez beaucoup de gens des plus cultivés, d'un troisième article de foi : la croyance en un Dieu personnel. Comme on sait, cette pieuse croyance, dont on fait souvent à tort une pierre fondamentale de toute religion, est l'objet d'interprétations indéfiniment variées. Cependant la plupart ont un trait commun, qui est l'anthropomorphisme avoué ou dissimulé. Dieu est conçu comme un u Etre suprême », qui, si on l'exa- mine de plus près, se révèle comme un homme idéalisé. Tandis que, d'après le récit mosaïque de la création, « Dieu créa l'homme à son image », de fait c'est le plus souvent le contraire qui a lieu : « L'homme crée son Dieu à son image ». Cet homme idéalisé en tant que démiurge, construit le monde, ainsi qu'un grand architecte, il façonne les diverses espèces d'animaux et de plantes, ainsi qu'un statuaire, il régit le monde ainsi qu'un sage et tout-puissant monarque, et [au jour

RELIGION ET EVOLUTION 105

du (( Jugement dernier », il dispense aux bons les récompenses, aux méchants les châtiments, ainsi qu'un juge équitable. Les idées enfantines qu'on s'était faites de ce Dieu extra-mondial, qui s'opposait au monde matériel comme un être indépendant, de ce créateur personnel, qui maintenait et gouvernait l'Univers, sont complètement inconciliables avec les progrès ac- complis dans la connaissance de la Nature au xix" siècle, en particulier avec ses deux grands triomphes : la loi de substance et la doctrine moniste de Vévolation.

Mais la philosophie critique, elle aussi, a depuis long- temps prononcé son arrêt de mort. Avant tout, notre célèbre philosophe critique, E. Kant dans sa Critique de la raison pure, a démontré que la science, qui ne pré- suppose rien, ne peut découvrir aucune preuve de l'exis- tence des trois grands dogmes centraux de la métaphy- sique : un Dieu personnel, l'immortalité de l'âme et le libre arbitre. Il est vrai que plus tard (au cours d'une métamorphose dualiste et dogmatique), le même Kant a déclaré que nous devions croire à l'existence de ces trois grandes puissances mystiques et qu'elles consti- tuaient des postulats indispensables de la raison pra- tique; à celle-ci, d'ailleurs incombait le primat sur la raison pure. La métaphysique allemande moderne, qui vante (( le retour à Kant » comme la suprême sagesse, voit précisément dans cette impossible réunion des deuxpôles contraires, le suprême mérite du philosophe. Cette opposition diamétrale des deux raisons, chez le grand métaphysicien de Königsberg, dont conviennent tous les kantiens loyaux, satisfait pleinement la belli- queuse Eglise et son alliéejU'autorité gouvernementale.

!06 RELIGION ET ÉVOLUTION

La première utilise l'imprécision qui résulte du conflit pour rejeter le flambeau de la foi dans l'obscurité de la rai- son en proie au doute, et prétend par sauver la religion. Puisque nous abordons ici l'important domaine de celle religion, noire premier devoir est de réfuter le re- proche qu'on nous a souvent adressé et qu'on a reprisées jours-ci avec une particulière insistance, à savoir que notre philosophie moniste et son principal fondement, l'idée d'évolution, détruisaient la religion. Notre philo- sophie n'est une ennemie que pour ces formes inférieures de religion, fondées sm^ la superstition et l'ignorance et qui, par un formalisme vide, par la croyance au surna- turel, veulent opprimer la raison humaine afin de la dominer et de l'exploiter dans un but politique. C'est, au suprême degré, le cas du papisme ou ultramonta- iiisme, cette odieuse caricature du pur christianisme, qui de nos jours joue encore une fois un rôle si impor- tant. Notre grand réformateur, Martin Luther, se redres- serait dans son tombeau s'il voyait la prépondérance actuelle dans l'Empire allemand, du centre romain. De fait, c'est le pape de Rome, l'ennemi naturel et mor- tel de l'Empire allemand prolestant, qui en dirige les destinées et le parlement allemand se soumet volon- tairement à la direction des Jésuites. Ce lamentable parlement allemand, q^i devrait être la véritable repré- sentation de la nation intelligente et cultivée, réclame la suppression de la loi contre les Jésuites et abandonne les intérêts les plus sacrés de la liberté de penser. Aucun de ces représentants de la nation ne s'avise de réclamer, au Reichstag, la suppression des trois institutions les plus dangereuses et les plus funestes au bien publie

RELIGION ET ÉVOLUTION 107

qu'ait créées le papisme romain : le célibat obligatoire du clergé catholique, la confession auriculaire et le commerce des indulgences. Bien que ces institutions tardives de TEglise romaine n'aient rien à voir avec l'organisation primitive de l'Eglise des vieux catho- liques et du christianisme pur, bien que leurs consé- quences immorales soient connues de tous comme pré- judiciables à la famille et à l'état, elles subsistent cepen- dant, aujourd'hui encore, comme avant la Réforme. Plus d'un prince protestant encourage, malheureuse- ment, l'arrogance du clergé ultramontain en ce sens qu'il va faire à Rome le a Voyage de Ganossa » et cour- ber le genou devant le grand charlatan du Vatican.

Il est également fort regrettable que le goût crois- sant pour le luxe extérieur et la pompe fastueuse, carac- téristiques des soi-disant « mœurs nouvelle-s », portent un grave préjudice à la véritable religion intérieure. Rien ne témoigne d'une façon plus frappante de cet esprit d'ostentation de la part de l'Eglise, que la splen- dide cathédrale nouvelle, de Berlin, qu'on prendrait pour une église catholique et non pour un temple pro- testant. Dans l'Inde, j'ai souvent rencontré des prêtres et des pèlerins qui croyaient faire plaisir à leur Dieu en tournant des roues de prières, ou bien en dressant des moulins de prières qui, lorsque le vent était favo- rable, mettaient en mouvement ladite roue. On pour- rait introduire, dans le même but, l'usage de l'in- vention moderne des automates : dans la cathédrale de Berlin, on placerait des prieurs automatiques, ou des indulgences automatiques qui pour un mark rachète- raient les péchés véniels, pour vingt marks les péchés

108 RELIGION ET INVOLUTION

morlcls . Cette combinaison fournirait d'importants revenus à l'Eglise militante, surtout si on l'appliquait aussi dans les nombreuses autres églises neuves de Berlin, qui ont été construites en ces derniers temps au prix de plusieurs millions. Ces grosses sommes auraient été mieux employées au profit des écoles.

Si je me permets ici de faire loyalement quelques remarques sur le caractère odieux de l'orthodoxie et de la bigoterie modernes, mon attitude paraîtra un moyen de défense bien légitime contre les attaques auxquelles, depuis quarante ans, je suis en butte et qui, ces jours- ci précisément, sont reprises et dirigées contre moi avec une violence particulière. Les porte-paroles de l'orthodoxie catholique et évangélique, à leur tête la « Germania » romaine et le ((Messager de l'empire», luthérien, ont rivalisé de zèle pour déplorer, comme une (( profanation de cette salle, lieu de tous temps respectable », les conférences que je fais à la Sing- Akadémie, et pour flétrir la doctrine de l'évolution que j'y enseigne, cela, naturellement, sans fournir la moindre réfutation des vérités biologiques sur lesquel- les se fonde cette doctrine. Les orthodoxes (( enfants de Dieu », remplis de l'esprit chrétien d'amour du pro- chain, ont même trouvé bon de placer, à l'entrée de cette salle, des porteurs d'affiches qui distribuaient aux auditeurs, lorsque ceux-ci entraient, des feuilles inju- rieuses, pleines des plus grossières attaques contre ma personne et contre la science que je sers. On y exploi- tait largement, entre autres, les insultes et les calomnies fanatiques semées par le prédicateur du tribunal su- prême, Stocker, le théologien Loofs, le philologue

RELIGION ET évOLUTlO:^ 109

Dennert et autres^ adversaires de mes Enigmes de VUni- vers, auxquels j'ai répondu quelques mots dans Tap- pendice qui fait suite à ces conférences. Je rejette purement et simplement les nombreux mensonges de ces pieux champions de Dieu; nous autres naturalistes, nous avons de la vérité une autre conception que celle qui règne dans les milieux ecclésiastiques (13).

Je voudrais ajouter encore un mot sur la question des rapports de notre connaissance de la nature avec le christianisme et je remarquerai simplement que la pre- mière est inconciliable avec les dogmes mystiques et la croyance au surnaturel du second, mais qu'elle recon- naît pleinement la haute valeur éthique de la morale chrétienne. Il est vrai que les préceptes les plus élevés de cette religion, la pitié et l'amour du prochain en premier lieu, ne sont pas des découvertes nouvelles du christianisme, mais étaient déjà enseignés et pratiqués, comme la a règle d'or » de la morale, bien des siècles avant J.-G. Au christianisme revient pourtant le mérite de les avoir prêches et développés d'une façon plus chaleureuse ; en outre, il a agi victorieusement en son temps sur les progrès de la civilisation, bien qu'ensuite, le papisme du Moyen-Age, avec l'Inquisition, les procès de sorcellerie, les bûchers et les guerres de religion ait fourni le plus sanglant antipode à la douce religion de l'amour. Quant au christianisme historique orthodoxe, il n'a pas été ruiné directement par les sciences naturelles modernes, mais par les honnêtes et érudits théologiens eux-mêmes. Déjà le protestantisme éclairé qui, ici même à Berlin, atteignit il y a quatre-vingts ans, grâce à Schleiermacher une si haute valeur, plus tard les œuvres

HO RELIOIOW ET INVOLUTION

de Feuerbach, les" recherches sur la vie de Jésus de D. Strauss et Renan, plus récemment les conférences faites ici même par Delitzsch et Harnack ont laissé bien peu de chose debout de ce que l'orthodoxie sévère maintient comme base indispensable du christianisme historique. Kalthoff, de Brème, va même jusqu'à décla- rer que toutes les traditions chrétiennes sont des mythes et que le développement du christianisme est un produit nécessaire de la civilisation de l'époque.

En regard de ces puissantes tendances rationalistes delà théologie et de la philosophie au début du xx* siè- cle, il va lieu de déplorer sous bien des rapports comme un triste anachronisme que, dans les deux plus grands états allemands, la Pnisse et la Bavière, les ministères influents de l'instruction naviguent en plein dans Feau trouble de l'Eglise romaine et cherchent à en implanter l'esprit jésuite dans l'enseignement primaire comme dans le supérieur. Il n'y a pas plus de quelques semaines, le ministère prussien des cultes un des plus arriérés, dans l'histoire de l'enseignement en Allemagne faisait à nouveau des tentatives dangereuses pour opprimer la liberté académique, palladium de la vie intellectuelle en Allemagne. Cette croissante réaction intellectuelle dans « l'Empire allemand de l'esprit ro- main », fait songer à ces tristes époques du xviii' et du xix° siècles des milliers de citoyens allemands parmi les meilleurs, les plus honnêtes et les plus doués émigraient vers l'Amérique du Nord afin d'y pouvoir, sans entrave, déployer dans un air libre, leurs forces intellectuelles. Si ce processus de sélection a été posi- tivement profitable aux Etats-Unis, son action, en

RELIGION ET lÉVOLUTIOît lil

revanche, a été incontestablement très désavantageuse pour notre patrie allemande. Une quanlité de carac- tères serviles, d'individus incapables, cupides et ram- pants se sont trouvés, par suite, conserA'és et se sont propagés. Les idées fossiles de beaucoup de nos juristes, parmi ceux qui donnent le ton, nous semblent aujour- d'hui reculer souvent jusqu'à la période crétacée ou jurassique, tandis que les déclamations paléozoïques de beaucoup de théologiens et de synodes nous reportent même jusqu'aux périodes permienne et carbonifère.

Nous ne devons cependant pas prendre trop au sé- rieux les craintes que pourraient nous inspirer les pro- grès de la réaction politique et religieuse. Songeons à la puissance inouïe de culture que représente aujourd'hui le commerce international, si colossal, et fions-nous à l'échange de pensées libérateur que rendent chaque jour possible des milliers de lignes de chemin de fer et de bateaux à vapeur qui unissent l'Orient à l'Occident. Chez nous aussi, en Allemagne, l'obscurité aujourd'hui régnante devra céder devant les rayons du soleil revenu et c'est à quoi , j 'en ai la ferme conviction, le triomphe iné- vitable de l'idée d'évolution contribuera puissam- ment (14).

A côté de la loi d'évolution et en étroit rapport avec elle, on peut considérer comme le suprême triomphe de la science moderne la toute-puissante loi de substance, la loi de conservation de la matière (Lcivoisier, 1789) et de la conservation de la force ou énergie (Robert Mayer, 4842). Ces deux grandes lois sont en contradiction ma- nifeste avec les trois grands dogmes centraux de la méta- physique, que la plupart des gens cultivés considèrent aujourd'hui encore comme les trésors les plue précieux

H2 RELIGION ET lf\OLUTION

de leur vie intellectuelle supérieure: la croyance en un Dieu personnel, à l'immorlalité personnelle de l'âme et à la liberté de la volonté humaine. Mais ces trois pré- cieux objets de foi, intimement reliés à d'innombrables et nobles créations de l'esprit ou institutions de la civilisation, ne disparaîtront pas pour cela; ils seront seulement supprimés, en tant que vérités, du domaine de la science pure. En revanche, ils subsisteront, pré- cieux produits de la fantaisie, dans le domaine de lapoé- sie. Là, non seulement, comme ils l'ont fait jusqu'ici, ils fourniront par milliers les motifs les plus beaux et les plus élevés à toutes les branches de Vart, architec- ture, sculpture, musique et poésie, mais ils conserve- ront, en outre, une haute valeur éthique et sociale dans l'éducation de la jeunesse et l'organisation de la société. Ainsi que les légendes de l'antiquité classique (par exemple la superbe légende d'Hercule, ou l'Iliade et l'Odyssée) ou l'histoire de G. Tell, nous fournissent une quantité de modèles artistiques et éthiques, de même, les légendes de la mythologie chrétienne auront, long- temps encore, une destinée analogue ; il en va de même des créations poétiques et fantaisistes d'autres religions, qui ont donné les formes les plus diverses aux notions transcendantes de Dieu, de la liberté et de l'immortalité.

Et ainsi, à l'avenir, Vart si noble et propre à échauffer les cœurs demeurera à côté de Idi science, rayonnante et lumineuse non pas en opposition, mais en harmonie avec elle, la plus précieuse possession de l'esprit humain. Une fois de plus, la parole de Gœthe se trou- vera confirmée :

RELIGION ET ÉVOLUTION 113

« Celui qui possède la science et l'art.

« Celui-là a également de la reliijion !

« Celui qui ne possède ni iui: ! ' 'îs:

biens,

« Que celui-là ait de la religion 1 »

Notre Monisme a en tant que lien entre la religion et la science « comprendra en ce sens, tout ensemble u Dieu et le monde », selon une vérité que le grand Spinoza avait déjà clairement exprimée et sur laquelle Giordano Bruno avait apposé un sceau en mourant dans les flammes. On a, dans ces derniers temps, soutenu. à diverses reprises, que Gœthe avait été un « chrétien croyant » et un orateur célèbre a même invoqué, ici à Berlin, il y a de cela quelques années, le témoignage de notre plus grand poète, en faveur des dogmes merveilleux de la confession chrétienne. En présence de ces faits, il convient de rappeler que Gœthe lui-même s'est donné expressément comme un « Non chrétien décidé »; le « grand païen de Weimar )> a formulé, précisément, sa profession de foi panthéiste avec le plus de netteté dans ses plus belles œuvres poétiques : dans Faust, dans Prométhée, dans Dieu et le inonde. Comment au reste, un si puissant penseur, dans la pensée duquel le développement de la vie or- ganisée n'avait pu se faire qu'-à travers des millions d'années, aurait-il pu adopter la croyance bornée en un juif, prophète et enthousiaste qui, il y a dix neuf cents ans a voulu racheter l'humanité par sa mort volontaire ?

Notre Dieu moniste, en tant qu'être universel, embras- sant le Cosmos, tout entier— le « Dieu Nature » de Spi-

8

114 RËLIGÏOIH Et EVOLUTION

noza et Gœthe est identique à Vénergie éternelle qui anime toutes clioses et loin d'être étranger et hostile à la matière, qui remplit l'espace, il lui est uni pour former avec elle la sabslance éternelle et infinie ; il u vit et existe en toutes choses », comme dit aussi l'Evangile. Puisque nous constatons, que la loi de substance a une valeur absolument universelle, que la conservatioh de la force et celle de la matière (de l'énergie et de la matière) sont inséparables, puisque nous constatons, en outre, que l'évolution ininterrompue de cette subs- tance est soumise aux mêmes « éternelles, grandes lois d'airain », nous pouvons conclure qile Dieu se trouve dans la loi naturelle elle-même. La volonté de Dieu agit selon des lois, aussi bien dans la goutte de pluie qui tombe et dans le cristal qui se développe, ttue dans le parfum de la rose et daîis l'esprit de ï'homiTie. Et ainsi, en finde compte, nous en revenons toujours à celte sublime parole que le plus grand de nos génies allemands, W. Gœthe, nous a proposée coitime suprême expression de la sagesse divine,

(( Que serait-ce qu'un Dieu qui lie ferait qu'imprimer le mouvement du dehors,

u Qui ferait tourner le monde en le poussant du doigt !

« Ce qui lui sied, c'est de mouvoir l'univers du de- dans,

u Denclore la Nature en lui, de se perdre lui-même dans la Nature.

« De telle sorte qu'à rien de ce qui vit, s'agite, existe en lui,

u Ne manque sa force, ne fasse défaut son esprit, »

RELIGION ET ^YOLUTION 1. Epoques et périodes de l'histoire de la terre.

11^

Ages de l'histoire

organique

de la Terre.

L Âge archozoïque. (âge primordial.)

Prédonnnance des invertébrés.

D. Âge paléozoïqae. (âge primaire.)

Prédominance des Puisions.

Périodes de l'histoire

organique

de la Terre.

il. Période L au- rentienne, 2. Période des algues. 3. Période cum- bnenne.

III. Âge mésozoïque. (âge secondaire.;

Prédominance des Reptiles.

V. Âge cénozoïque. (àgô tertiaire.)

■Prédominance des Mammifèrei.

Y. Age anthropo- zoïqae.

(âge quaternaire.)

Prédominance de 1 Homme.

4. Période silu- rienne.

5. Période dévo-

nienne.

6. Période carbo-

nifère.

7. Période Per-

mienne.

Période triasi- que.

Periode juras- sique.

Période cré- tacée.

Période éo- cène.

Période oligo- cène.

Période mio- cène.

Période plio- cène.

15. Période gla-

ciaire.

16. Période post

glaciaire.

Pétrifications de

vertébrés.

Durée approximative

des époques

paléontologiques.

Les restes fossiles de vertébrés font encore complète- ment défaut.

52 millionè d'année»

63.000 pieds d'épais- seur dans les ter rains de sédiment.

Poissons. Dipneustes. Amphibies. Reptiles.

34 millions d'années

41.200 pieds d'épais- seur dans les cou« ches de sédiment

Monotrèmes. Marsupiaux. Malloihériens.

Prosimiens. Gynopithèques. Anthropoïdes. Pithécanthropes.

Hommes primitifs Sauva^^es. Barbares.

Plus tard hommes civilisés.

Il millions d'années 12.200 pieds d'épais- seur dans les cou- ches de sédiment.

3 millions d'années.

3.600 pieds d'épais, seur dans les cou- ches de sédiment*

300.000 ans.

Faible épaisseur dans les couches de sédimemt.

116

RELIGION ET i:VOLUTIO\

1. SYSTÈME DES PRIMATES

N. B. + signifio formas éteintes,— V groupes encore vïvants, [a] représente la forme anoestraJe hypothéli<îBe. Voir mon Histoire de la creatiOD naturelle (trad. fr. pages 533 et 560), et mon Authropogôoie (trad. fr. page 324).

Ordres

Sous-ordres

P&milles

Genres

1. Letouravida

/ Archiprinias [ô]

/ 1. Pachylemuros-^ (Hyopsodi-na)

l Lcmuravu» -»■ 1 Eocéno ancien

(Paialcmures)

1

/ Pel!,cocLuii -h

Lémuriens anciens

\ i>''°^(^'') = 3-:f.-i--3

} Eocéne ancioo

I.

(généralistes) ,

} Dentition primitive

} Uyopiodua -♦ 1 Eocéne rôccst

ProsimisB

Au début, griffes à tous

/

Lémuriena

les doigtfiou â la plu ^

i 2. Kecrolemuros-«-

{EenipiUieci \'eï Lémures)

part. Plus tard forma- tion progressive d'cn- gles. Tarse â conîor-

/ (Anaploniorpha) I Dent. (40) = ?-■-!- "4- ■-i'

( Adapii ■* Plesiadapis *

Orbito iacomplète-

matiûo primitive.

} 2 î - 4 - 3

Neciclrmur *

ment Eiparèe de

\ Dentition réduite

la fosï; tomporale

<

•par un arc osseux.

/ 3. Autolemures V

1 Eulemv.T

Dtôms double ou

2. Lomutogona

(Ltmurida)

l navakmvr

blcorao. Placenta le pîua souvent

(Ncolemures)

\ Dont. (35) a ^' i'-V-^

! Lepilemur ] Nxjcticebua

diffus et deponmi

Lômuriô»8 modernes

l * ' 2 1 3 3

f Strr.opt

do caduque. Cer-

(spécialistes)

1 Dentition spécialisée

\ Galaço

veau relativement

D'erdinaire , tous les

/

petit, lisae ou lai-

doigts pourvus d'on-

] k Chirolemures V

l

blemcüt siDoncé.

glea l'exception du

1 (Chiromyida)

1 Chtrovitja

2"'' ort<ijl). Tarse mo-

^ .r, 1 0 1 t

] (Griffes à loua

difie.

Dent.(l3) = i..J.A_|

\ les doigts, ox-

- ^

\ Dentition de rongeurs

? coptô au gro« \ oneîl)

3. Platyrrhinsô

/ 5. Arctopitheca V

(

Singes â nez aplati

Dent.(32)=|;f4:i

HapaU iitdas

(HecperopUhcca)

jungle seulement au gros

' II.

Singes occidentaux

,' orteil.

eimls

Singea

JAmôriquei Narines laterales, sépa-

j 6 Dysmopltheca^V-

l CallilhrLx l Niictipithecus

iPitheci vel . . Pithecales)

rées par une large cloison.

3 PrémoLairea

Dcnt.(26)=|:|:f-3 \ Ongles a tous les doigts.

( Cf'>us J hiyceUi ( Alele»

Orbite entièrement

eéparôcdela fosao

temporale par une

cloison osseuse

, ',. CatarrhiûEô

Singes à nez étroit

/ 7 Cynopltheca V Dont. (32)= WW^^'rl

' Cvnocephalus

l CcrcOpitheOiS j JltUUi

Utérus simple, py- nforme. Placenta

(Eopitkeca)

Dordinalre pourvus d une

j Sc-mnopilhceuf.

discoïde pocyvu

Singes orientaus

queue et de bajoues. Sa-

j C'ulobUi

d'une -caduque.

(Arctogaea)

crum a 3 ou 4 vertèbres.

\ !\'asalii

Cerveau relativc- menl grand, a cir- convolntions bieii

Europe. Asie et Afrique Nar)ncs anténourea. â

JB Anthropomorpha V

Eylobatfs, Sal'jTUi

marquées.

cloison étroite. 2 Pre

1 Dent. (32) = 1-L'i'J»

Plwpiineoii

molaires Onglef i tous

1 i^cui. ^,oc) 2 -i i i

Gorilla

les doigts

1 Ni queue m bajoues S.-^cruœ

' AnlhT(/pHhenn

\ 4 5 vertèbres.

Dryopilhccus *

\

\

Pilhecanlhrtypui *

r.:--.

RELIGION ET EVOLUTION

2. Arbre généalogique des Primates.

117

Antbropomorpha

Anthropoides aüicans

Anthropithecua schimpaDse

Anthropiiii •Homo sapiens

anthropoides asiaticaö

Satjma orang

Byrobatea agilis

Platyrrhiiia3 Dysmopitheca

Mycete» Atelea

Cebu«

ArctÄplthGca

Hapalida

Nyctipithecas

/

Prothylob&t«3 atavui

Cercopith«cu$

Catarrhinse Cynopiiheca

5&mDopuheco9

Papicmorpba Cynocephaüda

Lemuravida

Prosimis generalisUe

A.naptomorpba

NecroleEiureB

Adapida

Lemurogona

Prosimiie spécialiste

ATclup\thecu3 ■■ ujB— ^ =0*»—-

Cbiroleinures Tarsolemores (Chircnys).

(Tarsiua)

lîecrolesitires /

Ant<»iemûres

[üngulata]

Lemaravida

Pachylcmures

Arcbip rimas >.^

Procboriata

Carnassia

118

IlELIOION ET EVOLUTION

3 a. Frûgonotûsie (ou g^Aôalogie) de l'homme, première parth.

Série ancestrale ancicanc, sans restes fossiles, fiJ)t«rieuro à Tépoque etluHeoa^.

Stada 3 principaux

Stades i —5:

Ajacètres- Pro- tistes

Orgaaismes uniceliuiaircs

Protophytas plasmodoities

3-5.

Protoroaire3 plasmophages

Groupes prüsaiti£9

dd la

série uicestr&le

Siades Ö-U :

^ocôtres inôt&- »oaires inverté- brés

Cbeleniércs

(01 anus, ni Cavité

gêoêrale distioctej

^ V-woialiens Plov» « cavhé gé-

Ancêtras / mocorrhines

V»ftcbr»8 le«

pio» anciens, ian»

waxitlaires ni

wembres pairs.

^ ts>*9t nasak ifft

1 Monera

iFlaaraodonia)

Pas de Qoyau

3- AljB;aria AigHCs uniceliulaires pourvues d'un noyau

3 Lot>o9a

(Amoebioe) Rhizopodes

i Infusoria

lafusoirea

3 Blastesaâes

(Coenebia)

Sphères pLuricellulair««

creuses

û OestrsBades Animaux à 2 feuiilets . et à inteatm primiuf

î. Platodes I

Piatodaria (pas de Déphridie&j

8 Platodes

Ptalodinin <gourvus de ncphndles)

e PTOverroaUa

(Vers primitifs^ Hotaioria

«a Frontonia

Bhynchelminlhen Vers à irorape

>i. Prochordonia

Vws à cord« dorsale

Acranla I

Ao«-ani«tw ancien» (Prospond^iia)

«-i. Aoraoia II

Acrftnicns recicrii»

M Cyclostoiua I

CycloMomes anciee« f Afc^hicranfâ»

*4 Cyclostoma 11

Oi'gassisaxos actudla apparentées

aux formes a&cestrftles

!. Cliroiaacea

iChroococcun)

Phycochromacea

% Paulortomea

Palmellacea Erenriosphaera

3. Âjaioebina

Amocfra Leucocyla

* Flagellaîa

Eiiftagellata Zoomonades

ä. Cataliacta

Uagospharae. Volaocina.

Blast ula

6. GastrvLla

Eydra, Odjnlhut Orthanetuda

?. Cryptoooela

{ëonvolutn) [Pràpoj~us)

S Rbabdocoeia

( Vorlex) {Monotur)

« GastTotricha

Trochotoo TrocfiopJiora

10. Enteropneusta

ßalanoflossus Ccplmloducuj

il. Copelata

A ppendtcart« L«rve« Ö« «Jiorduta

Larves d'Amphioxus

il. Leptocardi»

Arrphioxu» (Polsapn hancwjcj

u. Larves de Petronayzon

Mars^pobranchia

My xino»<ies TV*» o«o yio** e s

Paîô- oato- logie

Onto

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RELIGION ET EVOLUTION

119

3 b. Progonotaxié (ou généalogie) de ITiomme, deuxième parti'

Sert© ascestralo récente, ayamt laissé des traces fossiîes, comiûer.çaat aa silunec.

rtrf

Périodes de rhistolre de

la Terre

Groupes primitifs

de la

séria ancestrale

Organismes actuels apparentés

aux formes ancestrales

Palé- onto- logie

Onto-

génle

Période ftllurienn«

Période silurienne

Période ddvonienne

Péjiode carbooifàre

Période permienne

( 16. Selachli

\ Poissons primitif» ( Prcteiachn

17. Ganoldes

Poisaooa à. émail

Proçarwidce

IS. Dipneusta

Polesons amphibiea

Paladipnsusia

19. Amphibia Batraciens

Sii'SOCephGlî

20. Reptilia Reptiles

ProreptUm

Période ~ iriasique i ;*iaiesoz. I)

Période jurassique

(Mesoz H)

f Période crétacée

piescE. III)

21 Monotrema

Monotpémea Prrnnammalia

22. &Sarsupi8Llia

û^arsuplao^ Prcdidäpkia

Zi. Mallotberia

Placentaires primitifs Prachonai'j

15 Notidanliîes

Chlamydoselacha3

Heptanchus

17. Accipenserîdes

(Esturgeoasj Polyptercs

18. Ifeodipneusta

Ceratôdua Protopteros

13. Pbanerobranctiia

SâlamandriQa (ProtSTis, Triton )

2a Rhyncliocephai ia

Saoriena primitiXa

UcUUrii

21- Omithodelpliii

Ediidna OraU}iorhi/rich.us

22 Dideipiiia

Perarntks

23- Insectivora

Erioaceida (Ictopzlda ■«- )

Eocène ancien

Eocêna récent

Période

«llgoç^ne

Miocène ancien

Miocène récent

Période pliocène

Période pléistocène

Zk. Lemuravida

Lâmarieos anciâoa Deot. 3. 1. V 3.

25. Lsmurogrona

Lôdanens récents Dent. 2. 1 4. 3.

"26. Dysmopitheca

Singea occidentaux Dent. 2. 1. 3. 3.

27. Cynopltheca

Singea pourvng d'une

qus^e

( 28 Anthropoides

J Singes sans qaene. / a conformation humaine

29. Pithecanthropi Homnes-siDges ne pos- sédant pas le langage aj-ticnlé(A]afi)

30 Homines

doaââ de la parole

(Loqnaces)

P

24. Pachylemures

{Evopeodus -t- )

(AdapU + )

25. Autolemures

EuUmur Simops

26. Platyrrhinae

{Anthropops + ) (Somuncuius ■*■)

27. Papiomorpha (babouin, papion)

Cynocephalna

28. Hylobatida

Hyhjbates Aflthropithecu3

29. Anthropitheca

Chimpanzé

Gonila

30 Weddales Nègre« d'Aostraiasle

M or pho- h>gie

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EXPLICATION DU TABLEAU HISTORIQUE

(P. 115)

RÉDUCTION CHRONOMÉ TRIQUE DES PÉRIODES DE TEMPS BIOGÉNÉTIQUE

La longueur inouïe des périodes biogénétiques (cad. des espaces de temps à travers lesquels la vie org-anique s'est déve- loppée sur notre planète) est évaluée très diversement, aujour- d hui encore, par les g-éologiies et les paléontéologues, les astronomes et les physiciens ; c'est que les bases empiriques sur lesquelles on fonde c^tte évaluation sont très incomplètes et permettent des appréciatiens très divergentes. Cependant la plupart des naturalistes compétents s'accordent à admettre que cette longueur de temps comprend, au moin.'; de 100 à 200 mil- lions d'années(selon d'autres, le doubleou plus encore). Bornons- nouscomme ehiffre minimum à centmillionsd années (cad. 100.000 milliers d'années!), celles-ci se répartiront entre les cinq pé- riodes principales de V histoire organique de la terre, à peu près comme l'indique le tableau 1, que nous donnons p. 115. Afin de permettre à notre humaine imagination de se représenter un peu plus nettement la longueur stupéfiante de ces périodes phy- logénétiques et, eu particulier, afin de nous rendre sensible la brièveté relative de ce qu'on appelle « l'histoire universelle », le Z)r H. Schmidt, d'Iéna, a ramené le nombre minimum admis, de 100 millions d'années, par une réduction chronométrique, à un jour Grâce à cette « projection en raccourci », les 24 heures du « jour de la création » se répartissent ainsi qu'il suit entre les cinq périodes phyiogénéliques :

I. Période archozoïque {ô2 millions d'années) = 12 heures 30 minutes.

H. Période paléozoïquc (34 millions d'années) = 8 heures 7 minutes.

i22 RELIGION ET INVOLUTION

III. Période mésozoïque (11 millions d'année«) = 2 lipures 3^ minutes.

IV. Pério le cénozniquc (3 millona d'an-ié^^s) = 43 mimâtes.

V. Période nnthropozoï'jue '0,1 0,2 milli-.ns— 2 mi routes. Si l'on évalu(^ la dnp'^o de ce qu'on iippelle « l'histoire uni- verselle » (cad d*^ l'histoire de la ci- ili^atir.n humaine) à 6. 000 ans, il en résulte que cette période ne réprésente que les cinq dernières secondes du « jour de la création » ( Vère chrétienne n'aurait pas encore duré deux secondes ! ! ~). Cf. Prométhée, 1899, année, p. 381.

REMARQUES

1. Notion d'évolution (p 9-. Aujourd'hui enmre dans les difîérnntes sriences. la notion d'évoliiti"n es< si diversement comprise et définie qu'i' importe de préciser dès le début le sens général que nous donnerons ici à ce terme. J'entends par « évolution », au sens le p!us large du mot, les continuelles « modifications de la substance », en prenant pour base la notion fondamentale de substance telle que l'a posée Spinoza; dans cette notion la « force et la matière » (énergie et matière) ou « l'esprit et la nature » (Dieu et le monde) sont indissolu- blement unis. L'histoire de l'évolution, au sens le plus large, est donc « l'histoire de la substance », ce qui implique que la « loi de substance » soit considérée comme universellement ralable. Par ell', la « loi de conservation de la matière » 'Lavoi- sier. 1789) Cf la « loi de co'iservation de l'énergie » (Robert Mayer, 1842) demeurent inséparables l'une de 1 autre, quelque dilTérence que r.^vèle la forme de modification du devenir. Cf le chapitre XII de mes Enigmes de C Univers (loi de sub- stance).

3. Laplace et le Monisme (p. 11). La presse orthodoxe s'est récemment efforcée de nier la célèbre « profession athéiste » du grand Laplace, qui n'est cependant que la con- séquence loyale de son génial « système du monde » ; des publicist -s ont été jusqu'à p-élendre que ce philosophe moniste avait, à son lit de mort, fait une profession de foi catholique ; à l'appui de celte assertion, on invoque le :émoignage d'un prê- tre ultramoi.taia, Il est inutile de discuter au sujet de l'amour

RELIGION ET INVOLUTION 123

de la vérité qui anime de pareils fanatiques « serviteurs de de Dieu ». L' gl se tient les f^ux téuioignag-es de ce ^i^enre, pourvu qu'ils aient pour but « l honn -ur de Dieu » (c'»'st-à-dire son propre avantage), pour des œu res pies {pia frauf; ') Par contre, il est intéressant de rappeler ce que répondit, i' y a cent vinzt ans. un ministre des cultes prussien,- M de Zedlitz, au consistoire de Bresla i, qui lui représent^it que « le meilleur sujet était celui qui croyait le plus » ; Zedlitz écrivit : a Sa Ma- jesté (Frédéric le Grand) n'est pas disposée à faire reposer la sûreté de l'EHat sur la bêtise des sujets ». Cf. l'excellente con- férence du D^ J, Vnolà : Devoirs et fins de la vie humaine. (Collection Teubner, Leipzig, 12 fascicules, p. 6 ] A ce libéral Ch. de Zedlitz, qui cherchait à f ivoriser la liberté d-^" bi pensée dans l'enseignement des écoles prussiennes, s'oppose, comme un triste antipode, le ministre actuel des cultes Robert de Zedütz, qui en 1891, présenta, au Landt.ig prussien, la loi conservatrice et ultramontaine sur les « Ecoles populaires ». Cette loi, qui mérite d'être flétrie, tendait à soustraire les écoles populaires à la pédagogie scientifique, pour les livrer à la hiérarchie papiste ; elle souleva uro opposition si générale de l'opinion publique, qu'il fallut la i étirer. Cf. ma brochure sur Les vues philosophiques sous leur aspect le plus récent, (liv. II des Conférences populaires, p. 327).

3. Géologie moniste (p. 12). Ch. de Hoff qui, comme à Wolffetà Lamarck, <m n'a rendu que tardivement justice!) avait, dès 1822. à Gotha, posé les bases de la géoloQ^ie natu- relle, sur lesquelles ensuite, en 1830, Ch. Lyell fdifia ses principes de géologie. « Dans l'exposé de ses idées londamen- « taies nous trouvons cette conception élevée de l'unité, de la « constance de l'être et de l'action de la nature, de cette nature « qui, au cours d'espaces de temps incalculables, lentement et « constamment, crée selon des lois invariables, transformant « et développant sans cesse les choses présentes. » Cf. la Bio- graphie scientifique du D' Otto Reich : Ch E. von Hoff , précur- seur des géologues modernes^ Leipzig, 1905. En outre, Jean Walther, Introduction à la géologie, léna, 1893, Ir^ partie, p. 15.

4. Moïse ou Darwin (p. 13). On trouve un excellent exposé populaire de cette importante alternative et, en particu-

124 RELIGION ET ÉVOLUTION

lier, fl des dange s redoutables, créés par la scission entre les théories exposées dans les hautes et dans les basses classes d ^ l'école », dans Ip troisième volume des Discours et Conférences d'Arnold Dodel , Ä travers In Vie et la Science, Siuttgart, 1896. Par opposition à celle critique mo- niste et rationnelle de la doctrine mosaïque de la création, on pourra lui comparer l'œuvre comique d-i défenseur anglais delà Bible, Samuel Kinns : Moïse et la géologie, ou Harmonie entre la Bible et la Science, Londres, 1822. Pareil en cela aux plus mo- dernes jésuites, le pieux astronome de la Bible exécute les plus invraisemblables gambades en vue d'effectuer l'impossible ré- conciliation de la science de la nature avec la croyance biblique.

5. Géologie et enseignement scolaire (p. 13). Les L^randes lacunes de l'enseignement scolaire en Allemagne sont particulièrement sensibles sous le rapport de la géologie et de la biologie, toutes deux fort négligées. Combien, cependant, la simple considération des phénomènes du développement de la terre, tels qu'ils sont accessibles à tous, est attrayante et ins- tructive, c'est ce que pcmet de constater l'Introduction à la géologie, de J. Walther(l 905).

6. Philosophie et doctrine de révolution (p. 26). La

philosophie allemande, telle qu'elle est officiellement représen- tée dans nos universités, est, aujourd'hui encore, surtout une métaphysique, qui croit pouvoir se passer des bases empiri- ques de la science naturelle. C'est po .rquoi, faute de connais- sances biologiques et faute de comprendre leur portée, la phi- losophie s'est comportée, la plupart du temps, vis-à-vis de la doctrine moderne de l'évolution, soit avec indifTérenco, .'=oit avec hostilité.

7. Jésuites et Naturalistes (p. 36). La sophistique des Jésuites, qui se faufde à la manière des anguilles et qui atteint, d.ms leur grandiose système politique du mensonge, à une perfecti m digne d'admiration, ne peut pas être réfutée par des arguments rationnels. Un ialéressant exemple, à l'appui de mon opinion, nous a été fourni jadis par le P. Wasmannlni- môme, dans sa lutte avec le docteur en médecine G. Marcuse.

RELIGION ET EVOLUTION 125

Dans son zèle de croyant fanatique, « le naturaliste » Wasmann s'était égaré jusqu'à exploiter la grossere supercherie dune soi-disant « c re miraculeuse » par la grâce de « Noire-Dame d'Oostacker (la Vierge de Lourdes des Beiges)». Le Dr Mar- cus-". eut le mérite de découvrir cette « pieuse tromperie » et de l"«xposer dans toute sa stupéfiante nudité (Fo/x niemandes, Berlin, 1903, année, 20;. En guise de réfutation scientifi- que, le Jésuite répondit par de sophistiques déformations de la vérité et par des invectives personnelles (supplément scien- tifique de la Germania, Berlin, 1902, no 43 et 1903, 13). Dans sa réplique définitive, le D^ Marcuse déclare : « Ce que je voulais est atteint; procurer encore une fois à l'humanité pensante un aperçu du monde d'idées que renferme la fui en la lettre morte et vide de contenu, qui ose mettre à la place de l'investigation de la nature et de la science de la vérité et de la certitude, la plus grossière superstition et le culte des my- thes curatifs. » (Voix allemandes, 1903, année, no 3.)

8. L'empereur et le pape (p. 41). Pendant que je par- cours les épreuves de ces conférences, les journaux rapportent le bruit d'une nouvelle défaite de la dignité impériale allemande, qui ne peut que remplir d'un chagrin profond le cœur de tout ami sincère <ie la patrie. Le 9 mai de cette année, la nation alle- mande a célébré le centième anniversaire de la mort du plus populaire de nos poètes, Fr. Schiller. Avec une rare entente, tous les partis politiques de l'Allemagne et toutes les sociétés allemandes dispersées à l'étranger se sont trouvés d'accord pour exprimer leur culte à l'égard du grand poète de l'idéa- lisme allemand. A Strasbourg, le professeur Th. Ziegler fît un remarquable discours dans la grande salle de l'Université. L'empereur, présent à Strasbourg, fut invité, mais ne parut pas ; au lieu de cela, il passa, à côté de la ville, une brillante revue militaire. Quelques jours après, il s'asseyait à la même .table que des cardinaux romains et des évêques allemands, parmi lesquels l'évêque Benzlsr, de triste renom, celui qui déclara un jour que la terre d'un cimetière chrétien était profanée par la sépulture d'un protestant. Dans les fêtes de ce genre, les catho- liques allemands ont coutume de porter le premier toast au pape, le second à l'empereur; ils jubilent aujourd'hui de ce

126 RELIGION ET ÉTOLUTION

que le pnpe et l'empereur soient étroitement alliés. L'histoire tout entière du pai)isme romain (i',aricat»ire misérable de l'an- cienne religion catholique ij nous apprend, cependant, claire- ment que tous deux, par nature, sont et doivent rester en- nemis irréconciliables 1 Oa bien, c'est l'empereur qui règne, ou bien, c'est le pape I

9. Souvenirs biographiques (p. 49). Ayant eu, à diver- ses reprises, dans ces conférences de Berlin, l'occasion de rap- porter quelques incidents de ma vie d'étudiant, qui se sont passés, il y a cinquante ans, à Berlin et à Würtzbourg, m'étant, en outre, r porté à mes travaux antérieurs, je dois ajouter que le lecteur sympathique, s'il s'y intéresse, trouvera de nouveaux détails dans les ouvrages suivants : I.Wc Bölsche, Ernest Haeckel, étude biographique, édition, 1905, Seemann, Berlin. II. W. Breitenbach, E. Haeckel, sa vie et son oeuvre éd., Brackwede, 1905. III. K. Kelleret A. Lang, E. Haeckel, le savant et Vlioniine, discours prononcés lors de la célébration du soixante-dixième anniversaire de la naissance de Haeckel, lo 16 février 1904 (Zürich).

10. Darwin et Virchow (p. 55). La lettre manuscrite dans laquelle le doux Darwin porte sur Virchow un jugement sévère est reproduite à la page 50 de ma Conférence de Cam- bridge (1898): De l'état actuel de nos connaissances concernant l'origine de l'homme (9« éd. Stuttgard, 1905). Voici textuelle- ment le passage en question : « Virchows conduct is shameful, and I hope he will some day feel the shame ». Ma réplique au discours de Virchow est reproduite, sous le titre de « Science libre et enseignement libre », dans le volume de mes « Con- férences populaires » (Bonn, 1902, p. 199)^et elle vient de l'être, en outre, dans la Libre Parole (Nouvelle Société d'édition, Francfort, avril 1905).

11. La philosophie de la nature chez Gœthe (p. 59.). L'attitude de Gœthe devant le monisme et l'idée d'évolution a été à diverses reprises exposée par moi dans mes ouvrages an- térieurs, en particulier dans ma Conférence d'Eisenach (1882) sur: « La conci^ption de la nature chez Darwin, Gœthe et Lamarck » (conférences populaires 1902, 1 vol. p. 217-280) ; et.

RELIGION ET l^TOtUTlöN 127

en outre, dans ma conférence sur: a La biologie à léna au cours du dix-neuvième siècle ». {Rev. des Sciences nat. d'Iéna,\ol. 39, 1905).

12. La consanguinité de l'îiomme (p. 71.). Les so- phismes illusoires au moyen desquels Wasmann cherche à re- tirer leur force aux recherches »onvaincantes de Friedenthal, Ulilenhulh et NuttaîL sont dans leur genre des chefs-d'œuvre de sophistique jésuite, tout comme la polémique artificieuse dirigée contre mon Anthropogénie (5® éd. 1903) et contre l'œuvre instructive de R. Wiedershcim : La structure de r/iomme, té- moignage de son passé (3« éd. 1902).

13. Profanation de la Sing-Akadémie de Berlin (p. 109.). Parmi les nombreuses attaques et injures que les jour- naux pieux de la capitale m'ont adressées pendant que je faisais, à Berlin, mes conférences, revenait souvent ce re- proche que : « la salle, de tous temps respectable, de la Sing-Akademie serait honteusement profanée par ces confé- rences ». En même temps que je remercie mes noirs ennemis de cette involontaire marque d'honneur, je les prie de la re- porter à un plus grand liaturaliste que moi, k Alex, de Hum- boldt. Gar ce célèbre savant berlinois fit, au même endroit, il y a de cela 77 ans (en 18281, les conférences si justement ap- pla.rdies d'où sortit son œuvre principale, le Cosmos. Ce grand homme, qui avait exploré le nio.ide, dont le regard clair avait reconnu la régulière unité de la nature dans son ensemble et qui, avec Gœthe, trouvait la vraie connaissance de Dieu essayait alors d'exposer au public cultivé de Berlin sous une forme populaire très élégante les « Principes de la description physique de l'Univers » et de montrer partout la prédominance de la loi naturelle. Ce que j'essayai 77 ans plus tard d'établir au sujet du monde organique, c'est exactement ce qu'en cette même salle Humho!dt avait démontré au sujet de la nature inorganique ; je voulais faire voir comment les progrès immenses de la biologie moderne (depuis Darwn) nous permettent de résoudre jusqu'au plus diffi'îile de tous les problèmes, celui du développement historique des plantes et des animaux et à leur sommet, de l'homme, par l'application des mêmes a grandes lois éternelles et d'airain ». Humboldt avait recueilli, d'une part, la gratitude

128 RELIGION ET INVOLUTION

et le suco.fis le plus vifs, dans fous \os milieux la ponsée est libre l'on a soif d vécité. d'a'"re part, in revanche, la désapprobation et 1 -s soupç^as, dans l 'S mii-ux beilinois or- thodoxes et conset'vatf'urs nt dans l'entourr» e dn \ii cour; It^ g-énéral de Wuzfehen avait re[)rés 'nté an roi de Prusse coTn- bien ces doctrines « ennemies -le la foi » me' açaienf la puis- sance de la « religion » sans laquelle l'Etat ne pouvait subsis- ter ! Néanmoins, Humboldt était trop considéré par la cour de Prusse (qui, elle-même assistait aux conférences du savant et marquait son approbation) pour être sérieusement menacé par ces dénonciations. S'il vivait encore aujourd'hui et s'il se ris- quait à enseigner, comme une conséquence natur(4le de son Cosmos, la théorie de la descendance et d^- l'anthropogénie, il aurait, à la cour actuelle, une situation difficile ! D'ailleurs je conseille aux pieux soutiens du tiône et de l'autel, qtii se plaignent aujourd'aui amèrement de la « profanaâon de la Sing-Akadémie », de remédier' au mal par les procédés de la désinfection moderne, ainsi que le pape, en septembre 1904, a ïriii désinfecter les saintes églises de Rome, a profanées » par le Congrès de la libre-pensée. Je ne crois pas en tous cas que le bacille de la vérité, si redouté et si haï, puisse être détruit par ces fumigations de formol, pas plus que par les déclama- tions des prédicateurs de la cour berlinoise, qui se lamentent sur les théories destructives de l'évolution et de la descen- dance du singe !

14. La religion et Tidée d'évolution (p. 111). A l'occa- sion de ces mêmes conférences de Berlin, on m'a adressé de nouveau, dans les journaux orthodoxes et conservateurs, avec une violence particulière, le vieux reproche que l'idée d'évolu- tion détruisait la religion et avec elle les bases d'un état orga- nisé et jusqu'à la civilisation tout entière. Ce grave reproche n'est justifié que si l'on entend par « religion » la superstition traditionnelle, la conception anthropomorphiste d'un « Dieu personnel » défini, la prétention égoïste à une bienheureuse « vie éternelle » et la croyance erronée que l'humanité et la moralité véritables ne sont possibles que fondées sur ces ima- ginations mystiques. Je crois fermement, au contraire, à cette idée rationnelle que notre religion moniste, fondée sur la con-

RELIGION ET EVOLUTION 129

naissance moderne de la nature, sur la loi de substance et la doctrine évolulioniste constitue le plus grand progrès de l'esprit humain sur le domaine lui-même de la philosophie pratique, en éthique comme en sociologie, en pédagogie comme en politique. J'ai longuement cherché à justifier cette conviction inébranlable dans mes deux derniers ouvrages, les Enigmes de l'Univers et les Merveilles de la vie.

APPENDICE

L'ÉVOLUTION ET L3 JÉSUITISME

Les rapports entre nôtre idée d'évolution et les dogmes jésuites sont, à divers poir.ts de vue, si importants et exposés à tant de malontendus que j'ai considéré comme un devoir e«sentiel de les bien mettre en lumière par mes trois conférences de Berlin. Je crois avoir montré clairement qu'il y a, entre les deux doc- trines, une opposition irréconciliable et diamétrale et que la ten- tative de» Jésuites modernes pour mettre d'accord les deux antagonistes repose sur l'illusion et la sophisme. Si je ma suis arrôté en première ligne aux écrits du savant Père jésuite, Erich Wasmann, c'est non seulement parce que cet alerte écrivain a traité la question d'une façon plus complète et plus habile que la plupart des autres Jésuites, mais ce qui m'y autorisait, en outre, c'est que grâce à ses profondes connaissances biologiques et surtout à ees recherches sur les fourmis, poursuivies pen- dant plusieurs années, Wasmann semblait particulièrement à même d'appuyer ses vues sur une base scientifique. Contre l'exposé que j'en ai donné, il vient de protester énergiquement dans une lettre ouverte, à moi adressée, et qui a paru le 2 mai 1905 dans le 99 de la Germania berlinoise (romaine I) et dans le no 358 du Journal populaire de Cologne.

Les objections sophistiques que Wasmann soulève dans cette lettre Qontre l'exposé que j'ai fait de ses idées dans mes confé- rences de Berlin, et la façon trompeuse dont il dénature les problèmes les plus importants, m'obligent k le réfuter briève- ment dans ce supplément. Je ne suis, bien entendu, pas à même de réfuter toutes leg objection§ de mon adversaire, ni d$ le

132 nELIGION ET ÉVOLUTION

convaincre lui-môme qu'elles ne se soutiennent pas. C'est chose connue qu'il est impossible, môme h la logique la plus claire et la plus subtile, d'en avoir jamais fini avec un Jésuite intelligent ; car il se sert avec habileté des faits eux-mêmes, et en les re- tournant et les défigurant, il transforme la vérité en son con- traire. C'est d'ailleurs tout à fait peine inutile de vouloir con- vaincre un adversaire par des arguments rationnels, quand il est convaincu que la croyance religieuse « est au-dessus de la raison tout entière ». Le point de vue de Wasmann est nette- ment caractérisé par la Considération finale du onzième cha- pitre de son livre sur : La biologie mod-'.rne et la théorie de révolution (p. 307) : « Entre la science naturelle et la révélation surnaturelle, il ne peut jamais y avoir de réelle contradiction car elles tirent toutes deux leur origine du même esprit divin. » Cette affirmation est merveilleusement illustrée par la lutte con- tinuelle que la « Science naturelle » est sans cesse obligée de soutenir contre la croyance à la « révélation surnaturelle », lutte qui se fait jour partout dans la littérature philosophique et théosophique, en particulier depuis un demi-siècle.

Le point de vue orthodoxe de Wasmann nous devient surtout clair par l'aveu suivant : « La tJiéorie de l'évolution, que je dé- fends en tant que naturaliste et philosophe, repose sur les fon- dements de la conception chrétienne, que je considère comme la seule juste : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ». Malheureusement Wasmann n'a pas dit comment il se repré- sentait cette « création tirée du néant », ni ce qu'il entendait par Dieu et par Ciel. Pour l'éclairer là-dessus on peut lui recom- mander l'excellent livre de Troels-Lund : Tableau du Ciel et Conception de l'Univers,

Presque à la même époque je faisais à Berlin mes Confé- rences darwinistes, Wasmann illustrait son livre par des confé- rences bien jésuitiques (faites à Lucerne les 11 et 12 avril dans la grande salle de l'école cantonale). La Patrie, journal ultramon- tain de Lucerne (no^ss, 90, 92), voit dans ces conférences une action libératrice et un facteur décisif dans le combat des esprits ». La phrase suivante est relevée : « Au stade le plus élevé de la philosophie évolutionniste et théiste trône Dieu, le tout puissant créateur du ciel et de la terre ; tout de suite après lui, créée par lui, l'orne humaine immortelle. Nous atteignons à ces notions, non seulement par la foi, mais encore par la voie inductive,

RELIGION ET ÉVOLUTION 133

c'est-à-dire purement scientifique! La conception de l'Univers, construite sur la doctrine théiste de l'évolution est ainsi la seule rationnelle et véritablement scientifique, tandis que la concep- tion athéiste se révèle comme contraire à la raison et antiscien- tifique ».

Pour discerner ce que cette assertion et les suivantes, de la part des Jésuites les plus modernes, ont de mensonger, nous devons faire expressément remarquer que la belliqueuse église chrétienne, l'église orthodoxe évangélique dans une entente parfaite avec l'église catholique romaine, a combattu énergi- quement par tous les moyens possibles trente années durant, dès la première apparition du darwinisme, non seulement ce- lui-ci, mais encore la doctrine de Vévolution en général. Et cela à très juste titre ! Car les Pères de l'Eglise, avec leur regard pénétrant, avaient reconnu plus clairement que beaucoup de philosophes naïfs que la théorie darwiniste de la descendance était une clef de voûte indispensable dans la théorie universelle de l'évolution et que l'origine de l'homme, « descendant d'autres mammifères » en découlait avec une rigueur implacable. Ch. Es- cherich dit très justement dans son excellent ouvrage sur « La théorie de la descendance selon l'Eglise (1) » (p. 7) : « Jusqu'ici nous ne lisions presque dans, la physionomie des noirs inter- prètes de nos théories, que la haine, l'amertume, le mépris, l'ironie ou le regret à l'endroit de la nouvelle intruse dans l'édi- fice de leurs dogmes, l'idée de la desceiidance. Aujourd'hui, (après l'apostasie de Wasmann I ) les protestations des jour- naux du centre, affirmant que l'orthodoxie a déjà adopté de- puis plusieurs dizaines d'années la théorie de la descendance, ne produisent qu'une impression de comique : on cherche, à cette heure précisément, alors que la théorie de la descendance a remporté une i>ictoire définitive^ à se poser comme si on ne lui avait jamais été hostile, comme si l'on n'avait jamais crié et tempêté contre elle et comment, d'ailleurs, aurait-on jamais été assez fou pour cela puisque, par la théorie de la descendance la sagesse et la puissance du Créateur se manifestent à un plus haut point encore et sous un jour plus éclatant » ! La même re»

(1) Karl 'Escherich, « Théorie de la descendance selon l'Eglise », Munich, 1905. Supplément de VAllggmeine zeitung, n»» 34, 35; en outre, quelques supplé- ments ultérieurs. Cf. aussi son articl« précédent dans le 136 du même Jour- nal, ie-17 Juin 1903,

134 RELIGION ET lEVOLUTION

traiter diplomatique est ciîecinée par le P. Sé&mie Martin Gand dans sa brochure populaire sur La Théorie de la descendance (Cologne, 1904) : « Les formes actuelles de la matière ne sont pas la création directe de Dieu, mais ce sont les efîels de la force formatrice déjà déposée par le Créateur dans la malièro primitive et qui se sont ensuite affirmées peu à peu au cours de l'histoire de la terre, lorsque les conditions extérieures se sont trouvées combinées plus favorablement ». (!) Remarquons bien ce revirement très net de la part de la belliqueuse Eglise !

Le système du mensonge, digne d'admiration, que pratiquent les Jésuites et le pape, dont les premiers forment la plus dan- gereuse garde du corps, n'apparaît pas seulement avec évidence dans cet impossible amalgame de la théorie évolutioniste et de la croyance religieuse, mais encore dans les explications trom- peuses de Wasmann, Gander, Gutber let eiconhères. Les graves dangers dont celte fausse science jésuite menacent nos écoles et notre culture intellectuelle tout entière, n'ont' été exposés par personne d une façon aussi convaincante que, récemment, par le comte de llo^rasbroech dans la préface de son ouvrage célè- bre : La papauté dans son action sociale et civilisatrice (1901) : « La papauté, diiis sa prétention à être uue institution divine,, remontant au Christ, fondateur du christianisme, investi par Dieu de l'infaillibilité sur toutes les questions relatives à la foi et ai;x mœurs : c'est la suprême, la plus redoutable, la plus fructueuse erreur de rhistoire universelle tout entière. Et cette grande erreur est entourée des milliers de mensonges de ceux qui la soutiennent ; et cette erreur et ces mensonges combattent pour un système de puissance et de domination, pour l'ultra- montanisme. C'est pourquoi, pour la vérité elle aussi, il n'y a que h\ lutte qui soit possible. Nully part on ne ment autant ni aussi systématiquement que dans la science ultramontaine, sur- tout dans l'hisloire de l'Eglise et dans celle des papes ; et nulle part les mensonges et les déformations de la vérité ne sont choses plus pei'nicieuses, car elles sont devenues parties essen- tielles de la religion catholique. Les faits de l'histoire le pro« clament bien haut : la papauté n'est rien moins qu'une institution divine ; aucune autre puissance au monde n'a introduit, comme elle, la malédiction et la ruine, les sanglantes horreurs et la honte dans le sanctuaire le plus intime de l'humanité, dans la religion ».

UELIGIQN ET EVOLUTION 13^

Ce jugement condamnateur porlé sur le jésuitisme et le pa- pisme a d'autant plus de valonr, que le comte de Hoensbroech est resté lui-même quarante ans au service de l'ordre des jésuites et qu'il a appris à connaître à fond toutes les ruses, tons les chemins détournes qui y sont pratiqués ; en les publiant, eu les appuyant sur de nombreux documents ofliciels, il a rendu un service durable à la vérité et à la civilisation. Je ne faisais que répéter un jugement bien fondé chez lui lorsqu'à la un de ma première Conférence de Berlin j'appelais le papisme^ la plus grande des duperies qui aient jnmais gouverné le monde intel- lectuel !

Une particulière ironie du sort me fit faire le même soir, (lo 14 avril), l'expérience personnelle de laiustessede cejng-ement. Un télégramme envoyé par câble par un reporter berlinois annonçait à Londres que j'avais pleinement approuvé la nou. velle théorie du P. Wasmann et m'étais convaincu de l'erreur du darwinisme; j'avais reconnu, de môme, que la théorie évolu- tioniste n'était pas applicable à l'homme, à cause de la nature distincte de son être intellectuel. Ce maudit télégramme passa de Londres en Amérique et dans les journaux de tous les pays. Il en résulta un flot de lettres de la part des adeptes stupéfiés de la théorie évolutioniste, qui m'interpellaient au sujet de mon incompréhensible revirement. Je crus d'abord que le faux télégramme provenait d'un malentendu ou d'une erreur de la part du reporter ; mais, par la suite, on m'annonça de Berlin que l'erreur de texte provenait sans doute d'une altération volon- taire de la part d un pieux serviteur de Dieu qui, par cet habile mensonge, cherchait à sauver la foi ; au lieu de « réfuté » il avait mis « approuvé » et au lieu de« vérité », son contraire, « erreur».

La lulle pour la vcriié dans laquelle j'ai fait d ipuis quarante ans les plus curieuses expériences m'a encore enrichi, par suite des Conférences de Berlin, d'un certain nombre de nouvelles impressions. Le torrent d'injures et de calomnies de toutes sortes que les journaux pieux (en tête le Messager de V Empire, luthé- rien et la Germania romaine) a répandu sur moi, a dépassé toutes les bornes observées jusqu'ici. La fleur en a été recueillie parle D^ H. Schmidt (qui assistait lui-même à mes Conférences) et offerte aux lecteurs dans le second cahier de vu à de la Libre parole (n« 4, p. lii, Francfort-s.-M.). J'ai déjà fait allusion dans l'Appendice de l'édition populaire de mes Enigmes de V Univers

136 RELIGION ET ÉVOLUTION

p. 155-162) aux moyens indignes dont mes adversaires cléricaux)

et métaphysiciens se servent pour rendre suspects mes travaux scientifiques et leur popularisation. Je ne peux que le répéter ici : les attaques et les calomnies touchant ma personne ma laissent indifférent, et la bonne cause, celle de la vérité pour laquelle je combats ne se trouve pas par démentie. C'est précisément le bruit inaccoutumé des cris de guerre de mes noirs ennemis qui m'a convaincu que les sacrifices faits par moi n'étaient pas vains et que j'avais par apposé une modeste clef de voûte sur ce qui a été la tâche de ma vie : Faire progresser la Science de la Nature en développant Vidée de révolution,

Jena, 11 mai 1905.

Ernest HAEGKEL.

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